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Full text of "La compagnie française des Indes, 1604-1875. Avec une préface de Emile Levasseur"

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LA 

COMPAGNIE  FRANÇAISE  DES  INDES 

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(1604-1875) 


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LA 


COMPAGNIE  FRANÇAISE 


DES    INDES 

(1604-1875) 

PAR 
Henry  WEBER 

DOCTEUR    EN    DROIT 
AVOCAT       A       LA      COUR       d'aPPEL 


AVEC      UNE      PRÉFACE      DE 

M.   Emile  LEVASSEUR 

MEMBRE    DE    l'i.NSTITUT 
administrateur      du       collège      de       FRANCE 


PARIS 


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LIBRAIRIE    NOUVELLE    DE    DROIT    ET    DE    JURISPRUDENCE 

ARTHUR   ROUSSEAU,  ÉDITEUR 

14,   RUE  SOUFFLOT  ET  RUE  TOULLIER,    13 
1904 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/lacompagniefranOOwebe 


PREFACE 


A  la  fin  du  x\^  siècle  et  au  commencement  du  xvi°  trois 
événements  se  produisirent  qui  ont  puissamment  contri- 
bué à  changer  l'état  moral  et  l'équilibre  économique  de 
l'Europe  :  la  découverte  de  l'Amérique,  les  expéditions 
des  Français  en  Italie  et  la  réforme  de  Luther. 

Nous  n'avons  à  nous  occuper  dans  cette  préface  que  de 
l'ouverture  des  Océans  à  la  navigation  européenne. 

Au  moyen  âge,  la  Méditerranée  avait  été,  comme  dans 
l'antiquité,  le  foyer  du  commerce  maritime  entre  les  trois 
parties  du  monde  alors  connues  et  la  principale  route  en- 
tre l'Orient  et  l'Occident  ;  Smyrne  et  Alexandrie,  d'un 
côté,  Venise  et  Gônes  de  l'autre,  en  étaient  les  grands 
entrepôts. 

Barthélémy  Diaz,  en  doublant  le  Gap  de  Bonne-Espéran- 
ce, et  Christophe  Colomb,  en  abordant  aux  Antilles,  dépla- 
cèrent le  point  commercial  du  Monde.  La  prépondérance 
passa  des  ports  méditerranéens  aux  ports  océaniques. 
Les  deux  Etats  qui  recueillirent  tout  d'abord  le  fruit  des 
découvertes  furent  ceux  de  l'extrême  sud-ouest  de  l'Eu- 
rope, qui  étaient  les  plus  voisins  des  terres  nouvelles  et 
sous  le  pavillon  desquels  les  voyages  avaient  été  accom- 
plis. Le  pape  les  leur  adjugea  et  détermina  la  limite  par 
une  bulle  :  à  l'Espagne  l'Amérique,  au  Portugal  les  Indes, 


PREFACE 


et,    par  le  hasard  (J'une  tempôlc,  un  morceau  de  l'Amé- 
rique  du  sud. 

D'autres  peuples  qui  avaient  aussi  leurs  ports  sur  lAt- 
lantique  conçurent  alors  des  ambitions  maritimes. 

«  Eh  quoi  !  dit  François  I*"^,  ils  partagent  tranquillement 
entre  eux  toute  l'Amérique  sans  souffrir  que  j'y  prenne 
part  comme  leur  fn^^re.  Je  voudrais  bien  voir  l'article  du 
testament  d'Adam  qui  leur  l^gue  ce  vaste  héritage.  »  Et  il 
patrona  les  expéditions  de  l'Italien  Verazzano,  puis  celles 
du  malouin  Jacques  Cartier  à  la  recherche  de  la  route  de 
l'Orient  par  l'ouest.  Pendant  les  dernières  années  de  son 
rè^ne,  la  reprise  des  hostilités  contre  Charles-Quint  dé- 
tourna sa  pensée  des  entreprises  coloni.iles. 

.\  part  la  tentative  infructueuse  faite  par  l'amiral  Co- 
ligny,  la  France  oublia  pendant  plus  d'un  demi-siècle  les 
grandes  navigations  :  les  discordes  religieuses  la  paraly- 
saient. Il  fallut  attendre  jusqu'à  la  pacification  rétablie  à 
l'extérieur  et  à  l'intérieur  par  la  paix  de  Vervins  et  l'édit 
de  Nantes  pour  que  Champlain  lit  renaître  l'espérance  de 
gagner  la  Chine  par  les  grands  lacs  et  que  la  colonisation 
française  prît  possession  du  Saint  Laurent  par  la  fondation 
de  Québec. 

Les  Anglais  se  mirent  aussi  enquête  du  passage  nord- 
ouest.  Aucun  peuple  n'avait  autant  dinlérét  qu'eux  à  le 
découvrir.  Dans  les  premières  années  du  xvn®  siècle  un 
de  leurs  marins  en  signala  l'entrée.  Alorson  nout  pas  foi 
dans  son  récit.  Ce  n'est  qu'au  milieu  du  xix''  siècle  que 
des  navires  anglais,  partis  des  deux  extrémités  de  ce 
passage,  en  ont  constaté  l'existence  en  même  temps  que 
son  impraticabilité  à  travers  les  glaces.  Mais  les  Anglais 


PREFACE  IX 

avaient  dès  la  fin  du  xvi''  siècle,  après  la  destruction  de  la 
grande  Armada,  butiné  sur  les  possessions  espagnoles, 
et  pris  pied  sur  le  continent  de  la  Virginie. 

Le  roi  d  Espagne,  maître  du  Portugal,  avait  fermé  le 
port  de  Lisbonne  à  ses  sujets  révoltés  de  Hollande.  Les 
Hollandais,  routiers  des  mers  en  Europe,  ne  pouvant  plus 
s'approvisionner  dans  ce  port  qui  était  depuis  un  siècle 
l'entrepôt  des  marchandises  del'lnde.poussèrent  leur  navi- 
gation par  delà  le  Gap  de  Bonne-Espérance  et  allèrent 
enlever  aux  Portugais  leurs  colonies  et  leur  commerce. 

Au  commencement  du  xvii®  siècle,  il  y  avait  donc  cinq 
nations  océaniques  qui  se  partageaient,  ou,  plus  exacte- 
ment, se  disputaient  l'empire  des  mers  :  les  Portugais 
dont  la  fortune  était  éclipsée,  les  Espagnols  qui  étaient 
encore  les  plus  puissants  par  l'immensité  de  leur  domaine 
et  la  richesse  de  leurs  mines,  les  Anglais  et  les  Hollandais 
qui  venaient  de  fonder  de  grandes  Compagnies  de  com- 
merce dotées  de  pouvoirs  régaliens,  les  Français  que  le 
règne  réparateur  de  Henri  IV  invitait  à  suivre  les  traces 
de  leurs  rivaux. 

C'est  avec  ce  règne  que  commence  l'histoire  de  la  Com- 
pagnie des  Indes.  Henri  IV  songeait  à  la  fois  à  l'Orient  et 
à  l'Occident.  En  1598,  il  confirmait  un  privilège  conféré  par 
Henri  III,  mais  demeuré  sans  eU'et,  au  marquis  de  la  Roche 
et  lui  confiait  la  mission  «  d'établir  des  colons  et  de  por- 
ter la  religion  catholique  es  pays  de  Canada  et  autres  »  ; 
en  1603,  il  donnait  au  sieur  de  Monts  le  titre  de  lieute- 
nant général  en  Acadie.  Celui-ci  créa  en  effet  un  premier 
établissement  dont  l'existence  fut  éphémère,  Champlain 
fut  plus  heureux  :  Québec  qu'il  fonda  en  1608  est  resté  la 


capitale  du  Canada  français.  En  1601,  une  Compagnie  des 
mers  orientales,  constituée  à  Saint-Malo,  envoya  dans 
l'Inde  deux  navires  dont  le  succès  paraît  avoir  été  très 
médiocre.  Néanmoins  une  autre  Compagnie  ne  tarda  pas 
h  se  former  par  les  soins  du  financier  Antoine  Godefroy  et 
du  marin  flamand  Gérard  de  Roy  (ou  Le  Roy  ?).  Henri  IV 
lui  prêta  appui  et  accorda  à  la  Compagnie  des  lettres 
patentes  à  la  date  du  l®""  juin  1604  (1),  mais  l'opposition 
violente  de  la  Hollande  empêcha  l'exécution  du  projet. 

Les  essais  de  reconstitution  de  compagnies  qui  eurent 
lieu  au  commencement  du  règne  de  Louis  XllI  ne  parais- 
sent pas  avoir  été  plus  heureux.  Les  temps  de  trouble  poli- 
tique ne  sont  pas  favorables  aux  grandes  entreprises. 

Richelieu  comprenait  combien  il  importait  à  la  gran- 
deur de  la  France  d'avoir  une  marine  forte  et  un  commerce 
étendu.  11  songeait  à  se  rendre  maître  de  la  mer  ;  témoin 
des  succès  de  la  Compagnie  hollandaise,  il  voulait  riva- 
liser avec  elle  en  l'imitant,  <  faire  de  grandes  Compagnies, 
obliger  les  marchands  d'y  entrer,  parce  que  les  petits 
marchands  n'ont  pas  les  reins  assez  forts  avec  leurs  petits 
vaisseaux  mal  équipés  qui  deviennent  la  proie  des  pirates». 
Aussi  s'intéressa-t-il,  dès  1626,  à  la  création  de  la  Compa- 
gnie du  Morbihan  à  laquelle  le  Parlement  de  Bretagne 
refusa  sa  sanction,  à  la  Compagnie  normande  qui  fonda 
Saint  L(iiis  du  Sénégal,  en  1635  à  la  Compagnie  des  îles 
d'.Vmérique  sous  l'autorité  de  laquelle  furent  colonisées  la 


0;  La  date  est  bien  le  1"  juin  1604. C'est  celle  que  j'ai  donnée  dans 
\'Hiiitoire  des  classes  ouvrifres  et  de  l'industrie  en  France  avant  1789, 
l.  Il,  |>.  170.  C'est  par  erreur  que  dans  une  note  de  la  page  197  la 
fondation  dt;  cette  ..  Compagnie  des  mers  ciiienlales  »  est  datée  de  1606. 


PREFACK  XI 

Guadeloupe  et  la  Martinique,  et  à  une  dizaine  d'autres 
entreprises  du  même  genre.  La  dernière  en  date  est  laCom- 
pagnie  d'Orient  (1642)  qui  était  chargée  d'établir  des  colo- 
nies à  Madagascar  et  il'en  prendre  possession  au  nom  du 
roi. Elle  a  été  la  première  compagnie  de  colonisation  dans 
l'Océan  Indien  ;  Fort-Dauphin  est  son  œuvre.  M.  Weber 
a  raconté  Thistoire  de  cet  établissement  et  les  relations 
quelque  peu  ambiguës  du  duc  de  la  Meilleraye  avec  la 
Compagnie. 

Jusqu'à  Colbert,  ces  efforts  avaient  été  intermittents 
et  les  résultats  très  médiocres.  Les  préoccupations  d(^  la 
politique  continentale,  tantôt  la  guerre  civile  et  tantôt  la 
guerre  étrangère,  avaient  à  plusieurs  reprises,  paralysé  les 
bonnes  volontés  qui  s'étaient  manifestées  pendant  les 
temps  calmes  dans  le  gouvernement  ou  chez  les  particu- 
liers. Colbert  est  le  premier  qui  ait  pu  tenir  pendant  un 
long  ministère  une  conduite  ferme  et  suivie  en  matière 
coloniale,  quoiqu'il  ait  été,  lui  aussi  ,  entravé  par  les 
événements. 

Il  pensait,  comme  Richelieu,  que  de  puissantes  Com- 
pagnies privilégiées  étaient  l'instrument  nécessaire  du 
grand  commerce  maritime.  Il  en  créa  plusieurs.  Les  deux 
principales,  celle  des  Indes  Orientales  et  celle  des  Indes 
Occidentales,  datent  des  mois  de  mai  et  d'août  1660.  11 
ne  leur  ménagea  pas  les  faveurs.  A  la  première  il  con- 
céda le  monopole  du  commerce  au  delà  du  Cap  de  Bonne- 
Espérance  pendant  cinquante  ans,  la  propriété  des  îles  où 
elle  s'établirait,  une  prime  par  tonneau  de  marchandises 
importées  ou  exportées.  Le  capital  fixé  d'abord  à  6  mil- 
lions fut  porté  à  15  et  le  roi  no  dédaigna  pas  de  solliciter, 
yoire  même  d'imposer  des  souscriptions. 


XII  PRÉFACE 

Le  résultat  commercial  ne  répondit  que  très  imparfaite- 
ment à  l'eiïort  et  à  l'espérance. 

l']ii  Amérique  le  Canada  se  peupla  ;  mais  la  Compagnie 
des  Indes  Occidentales,  dont  le  monopole  gênait  les  colons 
et  rendait  peu  aux  aclionnaires,  dut  renoncer  au  com- 
merce, puis  aux  concessions  de  terres  qu'elle  avait  reçues 
et  liquider  après  avoir  perdu  une  partie  de  son  capital. 

La  Compagnie  des  Indes  Orienlales  soutint  un  peu  mieux 
son  privilège.  L'île  Dauphine  (Madagascar),  dont  l'acadé- 
micien Charpentier  avait  pompeusement  vanté  les  ri- 
chesses, devait  être  et  fut  en  effet  le  premier  siège  de  la 
Compagnie  dans  l'Océan  Indien  :  mais  on  ne  tarda  pas  à 
renoncer  h  cette  terre  réputée  ingrate  et  à  substituer  le  ré- 
gim(>  commercial  au  plan  de  colonisation  en  transportant  le 
siège  dans  les  comptoirs  des  Indes,  à  Surate,  à  Pondichéry, 
h  Chandernagor. 

Je  n'ai  pas  l'intention  de  suivre  l'auteur  dans  l'étude 
consciencieuse  qu'il  a  faite  de  l'organisation  de  cette  Com- 
pagnie et  de  ses  opérations.  Je  me  borne  à  rappeler  que  le 
versement  des  actions  se  fit  péniblement  et  ne  fut  jamais 
intégral,  que  les  affaires,  qui  n'étaient  pas  brillantes  avant 
la  guerre  de  Hollande,  devinrent  mauvaises  pendant  cette 
guerre,  malgré  lappàt  d'un  dividende  fictif,  que  si,  par 
divers  arlilices  d'une  loyauté  douteuse,  elles  parurent  s'a- 
méliorer un  peu  après  la  paix  d'Aix-la-Chapelle,  ce  fut 
pour  retomber  dans  de  nouveaux  embarras  durant  la 
guerre  de  la  Ligue  d.Vugsbourg  et  surtout  durant  la  péni- 
ble période  de  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne.  Il 
lallut  inellrc  la  Compagnie  h  l'abri  des  poursuites  de  ses 
créanciers  par  un  arrêt  de  surséance  et  par  une  réduction 
de  ses  dettes. 


PREFACE  Xin 

Il  sembla  un  moment  que  le  Système  de  Law  allait  ou- 
vrir une  ère  de  prospérité  éclatante  à  la  Compagnie  des 
Indes.  En  août  1717  un  édit  avait  orée  la  Compagnie  d'Oc- 
cident, laquelle  était  nantie  du  privilège  du  commerce  de 
la  Louisiane  et  de  la  souveraineté  des  terres.  Elle  acquit 
bientôt  la  Ferme  des  Tabacs,  absorba  les  Compagnies  du 
Sénégal  et  de  la  Chine  et  en  mai  1719,  celle  des  Indes 
Orientales.  Elle  prit  le  titre  de  Compagnie  perpétuelle  des 
Indes.  C'est  alors  que  Law  lui  fit  donner  la  Ferme  des 
Monnaies  et  lui  fit  prêter  au  roi  un  milliard  et  demi  de 
livres  au  taux  de  3  p.  100  pour  rembourser  le  capital  des 
rentes,  les  offices  et  diverses  autres  dettes  de  l'Etat.  Les 
fonds  ne  lui  manquaient  pas.  Les  actions,  habilement  tra- 
vaillées par  l'agiotage,  montèrent  à  un  taux  fabuleux,  et, 
pour  les  acheter  la  Banque  de  Law,  devenue  en  1718 
Banque  royale,  fournit  à  profusion  ses  billets.  L'utopie 
du  financier  écossais  semblait  réalisée  :  à  savoir,  qu'une 
monnaie  n'est  jamais  trop  abondante  quand  elle  est  de- 
mandée et  que  l'abondance  de  la  monnaie  enrichit  un 
pays.  Mais  ce  n'était  là  qu'un  jeu  de  Bourse.  L'outre  gon- 
flée de  vent  creva  dès  qu'on  essaya  de  réaliser  et  s'aplatit 
à  vide. 

Si  le  Système  ne  ruina  pas  les  finances  de  la  France,  il 
se  termina  par  un  visa  qui  ressembla  à  certains  égards  à 
une  banqueroute,  et  le  crédit  sous  forme  de  billet  de  ban- 
que dont  Law  avait  été  le  gloriUcatenr,  mais  dont  il  avait 
brisé  le  ressort  en  le  tendant  y.  l'excès,  resta  longtemps 
suspect  en  France. 

La  Compagnie  des  Indes  survécut  après  apuration  de 
ses  comptes.  Elle  abandonna  une  partie  de  ses  domaines 


Xiv  PREFACE 

(lisproporlioiiaés  à  ses  l'orces,  particulièrement  la  Loui- 
siane (17;^1)  et  concentra  son  activité  sur  l'Inde.  On  con- 
naît le  rôle  de  Lenoir,  de  Dumas,  de  la  Bourdonnais,  de 
Dupleix:  je  n'ai  pas  à  y  insister,  non  plus  que  sur  la  mission 
de  Godeheu  pour  lequel  M.  Weber  plaide  les  circonstances 
atténuantes  et  sur  le  dernier  ellort  de  Lally-Tollendal.  La 
Compagnie  était  une  société  de  marchands  et  non  un 
corps  politique  de  conquérants;  elle  ne  comprit  pas  Du- 
pleix. La  guerre  était  préjudiciable  à  ses  intérêts  ;  elle 
l'éprouva  pendant  la  guerre  de  la  succession  d^Autriche  et 
plus  cruellement  pendant  la  guerre  de  Sept  Ans  qui  abou- 
tit;» la  perte  de  presque  tout  l'empire  colonial  de  la  France. 
Elle  en  sortit  surchargée  de  dettes  qu'elle  essaya  d'amortir 
par  des  emprunts  en  loterie.  Quoique  le  taux  de  ses  ac- 
tions se  fût  relevé  après  le  traité  de  Paris,  elle  ne  résista 
pas  aux  attaques  de  ses  adversaires  :  son  privilège  fut 
suspendu  par  arrêt  du  13  août  1769. 

Le  commerce  de  l'Orient  ne  devint  pas  pour  cela  en- 
tièrement libre  et  le  triomphe  des  économistes,  parti- 
sans de  celte  liberté,  fut  de  courte  durée.  En  1785,  Ga- 
lonné rétablit  une  Compagnie  des  Indes,  mais  sans  lui 
conférer  dr  droits  régaliens.  Celle-ci,  qui  a  eu  un  meilleur 
succès  commercial  que  ses  devancières,  a  disparu  avec  les 
autres  cor|)orations  de  l'ancien  régime  pendant  la  Révo- 
lution. 

Le  système  des  Grandes  Compagnies  investies  d'un  mo- 
nopole commercial  était-il  utile?  Pour  juger  les  institu- 
tions économiques  des  siècles  passés  un  écrivain  qui 
prendrait  pour  règle  infaillible  et  universelle  des  prin- 


PREFACE  XV 

dpes  du  temps  présent,  n'aurait  pus  le  bciis  histo- 
rique. La  durée  des  voyages,  la  connaissance  des  mar- 
chés, la  sécurité  des  mers  étaient  très  différentes  de  ce 
qu'elles  sont  de  nos  jours;  il  fallait  s'accommoder  aux 
conditions  du  temps. 

Sans  doute,  au  xvii^  siècle  et  plus  encore  au  xviii",  il  y 
avait  des  négociants  qui  protestaient  contre  le  monopole 
et  des  colons  qui  en  souffraient.  Sans  doute,  il  a  été  juste 
et  utile,  par  exemple,  de  supprimer  le  monopole  au  Ca- 
nada. Mais  les  politiques  comme  Richelieu  et  Colbert 
pensaient  que,  de  leur  temps,  une  puissante  société  était 
seule  capable  de  réunir  le  capital  nécessaire  et  de  défen- 
dre le  pavillon  et  le  commerce  dans  les  pays  lointains 
comme  l'Inde  ou  la  Chine,  et  je  crois  qu'ils  avaient  raison. 
Malheureusement  les  Compagnies  françaises  de  l'Orient 
ne  furent  pas  assez  puissantes. 

Le  goût  des  entreprises  maritimes  n'était  pas  en  France 
aussi  général  qu'en  Hollande  et  en  Angleterre.  Les  Com- 
pagnies réunissaient  difficilement  leur  capital  et  elles 
avaient  peine  à  le  faire  valoir.  On  voit  que  les  dividendes 
distribués  par  celle  des  Indes  ont  été  en  partie  fictifs, 
puisqu'elle  a  été  obligée  de  faire  à  plusieurs  reprises  des 
appels  de  fonds  et  que  sa  liquidation  a  accusé  un  gros  dé- 
ficit. Elle  a  été  obligée  d'embaucher  des  matelots  étran- 
gers ;  elle  a  même  confié  à  des  étrangers  la  direction  de 
son  commerce.  C'étaient  là  des  causes  d'infériorité. 

Les  Compagnies  de  colonisation  française  se  sont  heur- 
tées à  une  cause  d'insuccès  beaucoup  plus  grave  encore  : 
la  guerre.  L'Angleterre  est  un  pays  tout  maritime  ;  elle 
pouvait  perdre  ou  gagner  des  batailles  sur  le  continent 


PREFACE 


saas  compromettre  soq  existence  ;  elle  savait  que  sa  des- 
tinée était  liée  non  à  son  armée  de  terre,  mais  à  sa  marine 
et  rien  n'était  capable  de  détourner  son  attention  des 
aiïaires  maritimes.  La  Hollande,  quoique  envahie  un  mo- 
ment par  les  troupes  de  Louis  XIV,  lirait  sa  force  de  son 
Iralic  par  mer  et  elle  plaçait  sa  conliance  dans  sa  flotte. 

La  France,  au  contraire,  est  à  la  fois  maritime  et  conti- 
nentale. Obligée  de  tenir  ses  armées  en  ligne  sur  la  fron- 
tière pour  la  défendre  ou  pour  aller  par  delà  porter  des 
coups  décisifs  à  ses  ennemis,  elle  avait  peine  à  faire  face 
en  môme  temps  sur  l'Océan  à  de  multiples  adversaires  ; 
et,  comme  la  lutte  sur  terre  était  pour  elle  l'objectif  capi- 
tal, il  lui  est  arrivé  plus  d'une  fois  de  se  trouver  insul- 
lisante  devant  la  flotte  anglaise.  C'est  la  guerre  sur  le  con- 
tinent qui,  en  1541,  a  fait  renoncer  François  L'"^  à  créer  un 
comptoir  au  Canada.  C'est  l'entrée  de  la  France  sur  les 
champs  de  bataille  de  laguerrede  Trente  ans, en  1635, qui 
a  détourné  Richelieu  de  ses  créations  coloniales.  C'est  la 
guerre  de  Hollande  qui  a  pour  un  temps  paralysé  les  etïorts 
de  Colbert;  la  guerre  de  la  Ligue  d'Augsbourg  a  amené 
la  dévastation  des  Antilles  ;  la  guerre  de  la  Succession 
d'Lspagne  a  entamé  le  domaine  colonial  de  la  France  en 
lui  enlevant  Terre-Neuve  et  l'Acadie.  La  plus  funeste  de 
toutes  les  guerres  maritimes  sous  l'ancien  régime  a  été 
celle  de  Sept  ans  que  l'Angleterre  a  eu  l'habileté  de  faire 
dégénérer  en  guerre  continentale  ;  le  traité  de  1763  consa- 
cra la  ruine  de  la  puissance  française  dans  l'Inde,  la 
perte  du  Canada,  celle  de  presque  toutes  les  Antilles  et  de 
la  Côte  occidentale  de  l'Afrique. 

Sous  Louis  XVI,  les  victoires  navales  de  la  guerre  de 


PRÉFACE  3LVn 

rindépendance  valurent  à  la  France  la  restitution  de  quel- 
ques-unes de  ses  possessions  et  peut-être  le  demi-succès 
commercial  qu'obtint  la  nouvelle  Compagnie  des  Indes 

pendant  sa  courte  existence. 

Si  nous  regardons  par  delà  la  tin  de  l'ancien  régime, 
nous  trouvons  le  môme  enseignement.  Les  guerres  de  la 
République  et  de  l'Empire  fournissent  le  plus  désastreux 
exemple  du  danger  auquel  la  France  expose  son  domaine 
colonial  quand  elle  est  engagée  dans  une  guerre  continen- 
tale et  que  l'Angleterre  est  de  la  partie.  Pas  une  de  nos 
colonies  n'échappa  aux  Anglais.  Le  traité  de  1814  ne  nous 
en  a  rendu  qu'une  partie. 

Après  quelques  années  de  recueillement,  le  gouverne- 
ment français  reprit  la  politique  d'expansion  coloniale, 
par  la  prise  d'Alger  au  dernier  jour  de  la  Restauration, 
par  la  conquête  de  l'Algérie  et  par  l'occu  pation  de  quelques 
îles  ou  comptoirs  sous  la  monarchie  de  Juillet,  par  d'impor- 
tantes acquisitions,  telles  que  la  Nouvelle-Calédonie,  la 
Cochinchine  et  l'intérieur  du  Sénégal,  sous  le  second  Em- 
pire. La  funeste  guerre  de  1870-1871  ayant  été  exclusive- 
ment continentale,  les  possessions  coloniales  de  la  France 
ne  furent  pas  inquiétées  :  il  y  eut  seulement  en  Algérie, 
une  insurrection  occasionnée  parle  contre-coup  de  nos  dé- 
sastres, mais  qui,  éclatant  après  le  traité  de  Francfort,  fut 
promptement  réprimée . 

En  Europe  la  France  était  amoindrie,  l'équilibre  des 
puissances  était  déplacé.  Devait- elle  rester  repliée  sur 
elle-même  dans  un  recueillement  silencieux,  pansant  ses 
blessures,  refaisant  son  armée,  équilibrant  ses  recettes 
avec  la  charge  démesurément  grossie  de  ses  dépenses.  De 
bons  esprits  conseillaient  cette  politique. 


;i(VIII  PRKFACE 

Cependant  à  la  suite  de  la  guerre  turco-russe  et  du  trailé 
de  San  Stefano  dont  les  conséquences  apparaissaient  me- 
naçantes, les  diplomates,  réunis  à  Berlin  autour  d'un  ta- 
pis vert,  remaniaient  la  carte  des  Balkans  et  découpaient 
l'Afrique,  taillant  une  part  à  qui  en  voulait.  Si  la  France 
s'était  abstenue  pendant  que  d'autres  acceptaient  un  mor- 
ceau de  la  proie,  elle  risquait  de  se  trouver  bientôt  encore 
amoindrie  relativement.  Elle  entra  dans  le  concert  et  dès 
lors  commença  une  nouvelle  période  d'expansion,  plus 
active  et  plus  continue  que  les  précédentes.  Jules  Ferry  a 
été  le  promoteur  de  celte  politique.  Après  quelques  années 
d'hésitation  qui  sont  tristement  marquées  par  un  acte 
d'ingratitude,  le  parlement  français  a  adopté  franchement 
celte  politique  et  a  entraîné  l'adhésion  de  la  majorité  du 
pays. 

On  connaît  les  faits.  La  Tunisie  a  été  la  première  acqui- 
sition et  resta  assurément  la  plus  fructueuse,  je  dirai  pres- 
que la  seule  qui  s'imposât,  malgré  le  froissement  qu'elle 
a,  à  notre  regret,  causé  à  l'Italie.  L'occupation  du  Tonkin, 
la  constitution  de  l'Indo-Ghine,  la  conquête  de  Madagas- 
car, la  prise  de  possession  du  Congo  et  son  prolongement 
jusqu'au  lac  Tchad,  la  formation  de  l'Afrique  Occidentale 
française  ont  suivi,  et  l'œuvre  se  continue  par  l'explora- 
tion du  Sahara.  Le  chancelier  de  l'Empire  allemand  n'a 
sans  doute  pas  vu  avec  chagrin  cotte  tendance  qui.  en 
compliquant  les  intérêts  de  la  France  et  en  les  engageant 
de  plusieurs  côtés  sur  les  mers  lointaines  devait  tempérer 
sinon  ses  regrets,  au  moins  l'élan  de  ses  espérances  du 
côté  de  la  frontière  de  terre.  Il  fallait  pourtant  prendre  un 
[tarli.  .l'étais  au  nombre  de  ceux  qui  pensaient  en  1881  que 


PREFACE  SIX 

celui  d'une  expansion  coloniale  était  justifié  et  je  n'ai 
pas  changé  d'opinion  sur  ce  point.  La  France  a  beaucoup 
acquis.  Sans  compter  le  Sahara,  elle  a  sous  son  autorité 
directe,  ou  sous  son  influence  une  superficie  de  plus  de 
\  ]  millions  de  kilomètres  carrés  et  une  population  égale  en 
nombre,  mais  bien  inégale  en  valeur,  à  celle  de  la  métro- 
pole ;  elle  doit  se  préoccuper  maintenant  moins  d'accroître 
ce  domaine  que  de  le  bien  exploiter. 

Entre  autres  préoccupations,  il  faut  qu'elle  ait  celle  de 
le  mettre  en  état  de  défense  et  d'éviter  autant  que  possi- 
ble, qu'il  ne  soit  exposé  à  une  attaque.  La  paix  euro- 
péenne est  une  conséquence  logique  de  sa  politique  colo- 
niale. 

Une  guerre  d'une  portée  considérable  est  engagée  dans 
l'Extrême-Orient.  Il  est  heureux  qu'elle  ait  été  jusqu'ici  un 
débat  entre  deux  belligérants  et  il  est  à  souhaiter,  pour  le 
monde  et  pour  la  Russie  en  particulier,  qu'elle  reste  limi- 
tée. S'il  arrivait  que  le  Japon  en  sortît  victorieux,  la  paix 
européenne  ne  serait  plus  une  garantie  suffisante  de  l'in- 
tégrilé  en  Orient  du  domaine  français. 

N'insistons  pas  et  bornons-nous  à  répéter  un  mot  d'un 
homme  d'Etat  dont  la  pensée  alors  ne  visait  que  l'Europe  : 
(<  Il  faut  y  penser  toujours  et  n'en  parler  jamais.  » 

L'ouvrage  de  M.  Weber,  composé  sur  des  documents 
originaux  et  composé  avec  méthode  et  clarté,  donne  par 
l'histoire  une  leçon  dont  la  politique  contemporaine  peut 
faire  son  profit. 


AVANT-PROPOS 


Un  rôle  prépondérant  a  élé  joué  jusqu'au  xix«  siècle  dans 
les  relations  maritimes  des  nations  européennes  avec  les  au- 
tres continents  et  dans  la  création  de  leurs  colonies  par  de 
grandes  compagnies  dotées  de  la  puissance  souveraine  et 
d'un  monopole  d'exploitation  s'étendanl  sur  de  vastes  terri- 
toires. Leur  nombre  fut  très  grand;  mais  toutes  n'eurent  pas 
une  égale  importance,  et  parmi  elles  les  plus  considérables, 
tant  par  leurs  moyens  d'action  que  par  leur  durée,  s'adon- 
nèrent à  l'exploitation  du  commerce  de  l'Asie  :  ce  furent  les 
Compagnies  des  Indes.  Il  y  eut  ainsi  une  Compagnie  hollan- 
daise des  Indes, et  la  Hollande  lui  doit  d'être  restée  une  grande 
puissance  coloniale  après  avoir  perdu  son  rang  politique  en 
Europe,  il  y  eut  une  Compagnie  anglaise  des  Indes  et  l'Angle- 
terre a  hérité  d'elle  son  grandiose  empire  de  l'Hindoustan.  La 
France  eut  aussi  sa  part  dans  ce  système  d'expansion  mari- 
time et  coloniale  ;  cependant  la  Compagnie  française  des 
Indes  a  été  jusqu'ici  peu  étudiée  en  elle-même,  sa  constitu- 
tion et  son  histoire  sont  encore  fort  mal  connues.  On  sait 
qu'elle  a  joué  un  rôle,  que  l'on  apprécie  souvent  mal,  dans 
les  spéculations  de  Law  ;  on  la  connaît  davantage  parles 
guerres  de  Dupleix  et  de  Lally-Tollendal  dans  l'Inde  ;  mais 
ce  qu'elle  fut  en  elle-même,  ses  origines,  l'étendue  de  ses 
droits,  l'importance  de  son  commerce,  la  date  et  les  circons- 
tances de  sa  fin,  tous  ces  points  sont  généralement  ignorés. 

Il  y  a  de  cet  état  de  choses  trois  raisons  principales.  La 
première,  c'est  que  les  deux  Compagnies  étrangères  que  nous 
venons  de  citer  offrent,  grâce  à  la  persévérance  de  leurs  gou- 


XMi  AVANT-I'ROI'OS 

vernements  respectifs  dans  leur  politique  coloniale,  une  unité 
presque  parfaite  au  cours  de  leur  longue  existence,  et  que 
la  Compagnie  française,  moins  bien  partagée,  est  une  chaîne 
composée  de  plusieurs  anneaux  ;  son  nom  et  son  programme 
ont  été  en  effet  revendiqués  depuis  sa  fondation  par  six  Com- 
pagnies successives  (1),  et  cette  multiplicité,  plus  apparente 

(1)  l-a  Compagnie  constituée  par  lettres  patentes  d'Henri  IV  en  1604; 
la  Compagnie  des  Moluques  (1615)  ;  la  Compagnie  d'Orient  (1642)  ;  la 
Compagnie  des  Indes  Orientales,  Compagnie  de  Colberl,  (1664)  ;  la  Com- 
pagnie des  Indes,  Compagnie  de  Law  (1719)  ;  la  Compagnie  des  Indes, 
Compagnie  de  Catonne  (1785). 

Nous  attirerons  dès  ce  début  l'attention  sur  la  décision  que  nous 
avons  prise  de  considérer  ces  Compagnies  comme  les  phases  successives 
de  l'évolution  d'un  corps  unique,  et  de  les  réunir  par  suite  sous  une 
dénomination  commune.  Nous  la  croyons  justifiée  par  de  très  valables 
raisons.  On  trouvera,  en  effet,  dans  le  cours  de  cette  étude,  des  preuves 
répétées  de  l'existence  entre  elles  des  liens  de  filiation  les  plus  étroits, 
que  nous  avons  d'ailleurs  relevés  avec  soin.  Nous  y  sommes  en  outre 
autorisé  par  le  sentiment  de  ces  Compagnies  elles-mêmes,  dont  les  der- 
nières se  considérèrent  toujours  comme  constituant  avec  les  premières 
un  tout  entre  les  parties  duquel  les  distinctions  devaient  être  tenues 
pour  secondaires.  Enfin,  il  n'est  pas  jusqu'aux  curieuses  confusions  com- 
mises de  tout  temps  entre  elles  par  leurs  contemporains  eux-mêmes  et 
par  les  historiens,  qui  n'apportent  à  cette  manière  de  voir  un  témoignage 
digne  de  considération.  Dans  le  but  d'être  aussi  complet  et  aussi  clair 
que  possible,  nous  avons  cru,  il  est  vrai,  devoir  étudier  chacune  d'elles 
séparément  ;  la  structure  particulière  du  tout  qu'elles  constituent  nous 
l'imposait  d'ailleurs,  et  nous  ne  pensons  pas  qu'on  puisse  tirer  de  celle 
disposition  une  objection  sérieuse  contre  le  bien-fondé  de  notre  opinion  ; 
mais  ils  ne  conviemlrait  pas  de  les  isoler  complètement  les  unes  des 
autres,  car  on  n'aboutirait  ainsi  qu'à  une  connaissance  inexacte  du  rôle 
politique  et  économique  de  chacune  d'elles.  Le  litre  de  Compagnie 
franruisc  des  Indes  que  nous  donnons  à  leur  ensemble  a  d'ailleurs  une 
portée  morale  plus  grande  ;  il  encadre  en  efîet  d'une  façon  très  satis- 
faisante leur  œuvre  commune  pour  l'expansion  maritime  el  commerciale 
de  la  France  en  Asie  aux  xvii*  et  xviii»  siècles,  en  l'opposant  à  la  politique 
hollandaise  et  à  la  politique  anglaise  dans  ces  mêmes  contrées,  et  au 
cours  de  cette  même  période.  Nous  laissons  à  celte  étude  le  soin  de 
justifier  ces  prétentions  auxquelles  nous  croyons  voir  ainsi  attaché  un 


AVANT-PROPOS  XXIII 

q^le  réelle  cependant,  lui  a  été  fatale  dans  la  mémoire  de  la 
postérité.  La  seconde,  c'est  qu'à  la  différence  de  ses  deux 
rivales  encore,  elle  n'a  pas  laissé  un  résultat  proportionné  à 
ses  efforts,  car  dans  la  lutte  décisive  qu'elle  eut  à  soutenir 
contre  la  Compagnie  anglaise,  l'empire  qu'elle  avait  créé  fut 
enveloppé  dans  sa  propre  ruine,  et  l'on  est  tenté  de  croire 
qu'en  raison  de  ce  dénouement  l'oubli  est  la  meilleure  justice 
à  lui  rendre.  La  troisième,  enfin,  c'est  que  cette  Compagnie 
fut  trop  intimement  liée,  et  par  son  principe  même  et  pour 
l'usage  quotidien  de  ses  droits,  au  gouvernement  qu'avait 
alors  la  France  pour  n'avoir  pas  été  entraînée  avec  lui  et 
autant  que  lui  par  la  tourmente  révolutionnaire,  comme  une 
institution  d'un  âge  à  jamais  disparu;  aussi  les  vestiges  du 
passé  très  long  qui  fut  le  sien  sont-ils  fort  rares,  ses  archives 
ont  disparu,  et  il  ne  reste  à  l'historien  que  des  témoignages 
épars  et  très  souvent  indirects. 

Cette  histoire  mérite  cependant  d'être  retracée  plus  com- 
plètement qu'elle  ne  l'a  été  jusqu'ici.  11  importe  de  montrer, 
en  effet,  que  sous  l'apparente  fragmentation  des  efforts,  il  sub- 
siste une  unité  essentielle  résultant  du  principe  appliqué,  du 
but  poursuivi  et  des  moyens  employés  ;  qu'il  y  a  en  un  mot, 
aussi  bien  qu'une  Compagnie  anglaise  et  une  Compagnie  hol- 
landaise, une  Compagnie  française  des  Indes  qui  ne  leur  fut 
inférieure  ni  en  durée,  ni  en  puissance,  ni  en  gloire.  Si  elle 
n'a  pas  légué  dans  son  intégrité  à  la  mère-patrie  le  domaine 
colonial  qu'elle  avait  fondé,  elle  ne  doit  pas  en  être  tenue 
pour  seule  responsable,  car  elle  ne  fut  point  soutenue  comme 
elle  eût  dû  l'être,  et  comme  le  furent  ses  rivales.  Il  est  bon 
d'ailleurs  de  rappeler  ici  que  dans  noire  empire  aujourd'hui 
reconstitué,  nous  lui  devons  tout  au  moins  l'ile  de  la  Réunion, 

grand  intérêt  pour  l'histoire  de  celle  partie  de  noire  politique  coloniale 
en  montrant  son  unité  et  sa  continuité  réelles. 


AVANT-I'ROPOS 


et  nos  comptoirs  de  l'Inde  quelque  réduits  qu'ils  soient  ; 
qu'elle  a  conservé  nos  droits  pendant  près  d'un  siècle  sur  le 
Sénégal  et  la  Guinée  et  jeté  à  Madagascar  les  premiers  ja- 
lons de  notre  puissance  actuelle  ;  qu'elle  a  donné  à  la  France 
de  grands  et  d'utiles  serviteurs  qui  comptent  parmi  les  mai- 
Ires  les  plus  renommés  de  la  politique  coloniale  :  un  Garon, 
un  Martin,  un  Lenoir,  un  Dumas,  un  Dupleix,  un  La  Bour- 
donnais ;  que  ses  marins  et  ses  soldats  enfin  ont  soutenu  pen- 
dant plus  d'un  siècle  dans  ces  contrées  lointaines  l'honneur 
du  nom  français.  Ne  sonl-ce  pas  là,  k  défaut  de  résultats 
matériels  plus  importants,  des  titres  suffisants  pour  lui  con- 
sacrer une  étude  plus  minutieuse  et  lui  donner  dans  notre 
histoire  une  place  plus  grande  qu'elle  n'en  a  eu  jusqu'ici. 

Nous  ne  saurions  avoir  la  prétention  de  porter  sur  ce  sujet 
un  jugement  définitif;  notre  but  a  été  bien  moins  de  donner 
une  histoire  complète  de  la  Compagnie  française  des  Indes, 
que  de  tenter  une  étude  méthodique,  quoique  rapide,  des  dif- 
férents aspects  d'une  institution  qui  a  joué  dans  l'histoire 
économique  de  notre  pays  un  rôle  des  plus  considérables  ;  car 
elle  fut,  dans  son  principe,  l'application  d'une  doctrine  qui 
compte  parmi  les  pierres  de  fondation  de  l'économie  politi- 
que :  le  Mercantilisme,  constitua  l'une  des  principales  parties 
du  Colbertisme,  directement  issu  du  précédent,  et  finit  vic- 
time des  tendances  libérales  qui  donnèrent  naissance  à  la 
science  économique  moderne  :  le  Pht/siocralisme. 

Présenter  les  développements  successifs  de  celte  Compa- 
gnie depuis  ses  origines,  à  travers  les  phases  qui  partagèrent 
une  vie  active  de  près  de  deux  siècles,  en  portant  une 
attention  particulière  sur  les  parties  qui  en  sont  les  moins 
connues,  notamment  les  circonstances  de  sa  chute  à  la  fin 
(lu  wni'  siècle,  et  de  sa  disparition  définitive  toute  contempo- 
raine, après  un  dernier  siècle  d'inutiles  revendications.  Elu- 


AVANT-PROPOS  XXV 

dier,  malgré  la  pénurie  des  léinoignages  qui  nous  ont  été 
conservés,  son  organisation  intérieure  qui  offre  un  intérêt 
particulier,  car  elle  fut  l'ancêtre  direct  des  grandes  adminis- 
trations modernes.  Donner  une  idée  générale  de  ses  opéra- 
tions commerciales  dont  l'importance  fut  très  grande,  car  la 
Compagnie  des  Indes  fournit  seule  à  la  France  pendant  ces 
deux  siècles  les  productions  de  l'Asie.  Retracer  l'aspect  de 
sa  marine  qui  fut  la  plus  haute  expression  du  commerce  de 
mer  de  l'ancienne  France  et  joua  dans  nos  guerres  maritimes 
un  rôle  souvent  glorieux.  Exposer  enfin  sa  constitution  finan- 
cière et  suivre  les  opérations  de  cet  ordre  auxquelles  elle 
servit  de  théâtre,  cette  dernière  étude  offrant  le  même  intérêt 
que  celle  de  son  administration  par  le  caractère  de  nouveauté 
que  présentèrent  souvent  dans  son  histoire  des  spéculations 
devenues  aujourd'hui  communes. 

Tel  est  dans  ses  grandes  lignes  le  plan  de  cet  ouvrage. 

Nous  croyons  que  celui-ci,  puisé  en  grande  partie  directe- 
ment aux  sources  originales  :  Archives  Nationales,  Archives 
Coloniales,  Archives  de  l'Arsenal  de  Lorient,  peut,  à  défaut 
d'autres  titres, revendiquer  celui  d'une  documentation  cons- 
ciencieuse, et  nous  nous  estimerions  satisfait,  si  nous  pou- 
vions contribuer  dans  une  modeste  part  à  attirer  l'attention 
sur  cette  grande  figure,  trop  peu  connue, d'un  passé  disparu. 


LKS  ARCHIVES 
DE   LA  COMPAGNIE  FRAiNÇAISE  DES  INDES 


Les  Archives  proprement  dites  des  Compagnies  successi- 
ves, dont  l'ensemble  constitue  la  Compagnie  française  des 
Indes,  ont  presque  totalement  disparu  ;  nous  ne  possédons 
plus  en  effet  que  celles  de  la  Compagnie  de  Galonné  (aux 
Archives  Nationales).  Cette  perte  est  infiniment  regrettable, 
car  cette  collection  eût  été  pour  notre  histoire  coloniale  d'une 
inestimable  valeur.  Après  cette  première  source,  la  plus  im- 
portante devait  être  la  correspondance  échangée  parleur  ad- 
ministration avec  le  Contrôleur  Général  dont  elles  dépendi- 
rent toujours  directement  et  intimement  ;  mais  celle-ci 
n'existe  pas  non  plus  ;  car  elle  fut  détruite  dans  l'incendie  du 
ministère  des  Finances  en  mai  1871  (1).  Il  ne  nous  reste  ainsi 
que  trois  sources  de  quelque  importance  :  l°le  fonds  des  Ar- 
chives Coloniales  au  ministère  des  Colonies  ;  2°  le  fonds  des 
Archives  Nationales  s  l'HôLel  Soubise  ;  8°  le  fonds  de  l'Arse- 
nal de  Lorient.  Ces  trois  sources  sont  de  valeur  différente  : 
la  première  est  complète,  les  deux  dernières  ne  se  compo- 
sent que  de  débris. 

(i)  Il  y  avait  également  à  la  Cour  des  Comptes  des  pièces  importantes 
pour  l'histoire  de  la  Compagnie  française  des  Indes  ;  elles  furent  détrui- 
tes, elles  aussi,  dans  les  incendies  de  1871  (d'après  M.  Bonnassieux). 


XXVIII  LES   ARCHIVES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES 

Archives  de  la  Compagnie  Française  des  Indes 
aux  Archives  Coloniales. 

Elles  consislenl  d'une  pari  dans  la  correspondance  échan- 
gée par  son  administration  avec  le  ministre  de  la  marine,  de 
l'autre  dans  les  ordres  ministériels  la  concernant.  C'est 
la  collection  la  plus  importante  qui  existe  sur  notre  sujet. 
En  raison  de  cette  importance  même  nous  n'en  indiquerons 
ici  que  les  grandes  divisions.  On  trouvera  dans  le  corps  de 
l'ouvrage  les  références  aux  registres  plus  spécialement 
consultés. 

1°  Série  B.  Ordres  du  Roi.  —  Les  ordres  concernant  la  Com- 
pagnie se  trouvent  parmi  les  ordres  ministériels  relatifs  aux 
colonies  en  général. 

2°  Série  C.  Correspondance  générale.  —  Cette  série  est  divi- 
sée en  un  certain  nombre  de  parties  suivant  les  colonies  inté- 
ressées (Canada,  Louisiane,  Inde,  Madagascar,  etc.).  Les  do- 
cuments qui  nous  occupent  sont  en  grande  majorité  groupés 
sous  la  cote  G^  (Correspondance  de  l'Inde).  Cette  collection 
comprend  une  soixantaine  de  registres  et  embrasse  toute  la 
période  comprise  entre  1649  et  le  xix"  siècle.  Il  existe  une 
2^  série  de  la  cote  C,  sous  laquelle  sont  rangés  :  1°  les  papiers 
divers  non  classés  dans  la  précédente  collection  ;  2"  les  do- 
cuments relatifs  à  la  marine  de  la  Compagnie  française  des 
Indes  ;  ces  derniers  comportent  une  vingtaine  de  registres. 

Enfin,  il  se  trouve  dans  quelques  autres  séries,  notamment 
D  et  G,  des  documents  moins  nombreux  et  moins  importants 
la  concernant  encore. 

Archives  de  la  Compagnie  Française  des  Indes 
aux  Archives  Nationales. 

11  n'existe  pas  de  Fondsàe  la  Compagnie  françaisedes  Indes 


LES    ARCHIVES   DE    LA  COMPAGNIE    DES    INDES  XXIX 

aux  Archives  Nationales,  à  l'exception  toutefois  des  Archives 
de  la  Compagnie  de  Galonné  déposées  par  son  dernier  liqui- 
dateur en  187S  et  qui  forment  un  ensemble  très  complet  (528 
carlonniers  et  registres).  On  ne  trouve  pour  les  Compagnies 
antérieures  que  des  documents  sans  suite  et  souvent  mélan- 
gés à  des  pièces  sans  intérêt  pour  l'histoire  de  ces  Compa- 
gnies. Nous  signalons  les  carlonniers,  registres  et  liasses 
suivants  : 

Série  AD  ix,  384  à  386.  —  Actes  officiels  relatifs  aux  Com- 
pagnies de  Colberl  et  de  Law  (1664-1769). 

Série  AD  xi,  41.  —  Actes  officiels  relatifs  au  commerce  de 
l'Inde  (1664-1786). 

Série  AD  xi,  66.  —  Actes  et  papiers  relatifs  à  la  Compa- 
gnie de  Galonné. 

Série  D  vi,  o.  —  Pièces  relatives  à  la  liquidation  de  la 
Compagnie  de  Law. 

Série  F  '-  644.  —  Balance  du  commerce  du  département 
des  Indes  (1732). 

Série  F  *^  65.429  à  65.957.  —  Archives  de  la  liquidation 
de  la  Compagnie  de  Galonné. 

Série  F  ^°  1  à  12.  —  Mémoires  sur  le  commerce  de  la  Com- 
pagnie de  Law,  projets  la  concernant,  correspondances  de 
personnes  attachées  à  la  Compagnie. 

Série  G  "  2.  —  Contestations  de  la  Compagnie  de  Colbert 
avec  l'Amirauté  (1706-1714). 

Série  G  "^  1  à  11.  —  Inventaire  des  pièces  contenues  dans 
les  carions  de  la  liquidation  de  la  Compagnie  de  Law. 

Série  G  ^  1684  à  1720.  —  Contrôle  des  finances  (Commerce). 
Quelques  pièces  concernant  la  Compagnie  de  Law. 

Série  H  *  218  à  645.  —  Administration  de  la  province  de 
Bretagne.  Quelques  pièces  relatives  à  la  Compagnie  de  Ga- 
lonné. 


XXX  LES    ARCHIVES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES 

Série  T  38.  —  Papiers  Hùber,  relatifs  à  la  Compagnie  de 
Galonné. 

Série  T  1 169.  —  Mémoires  de  François  Martin  (1664  à  1694). 

Série  V  ''  12  et  13.  —  Armement  des  vaisseaux  pour  l'Inde. 
(Commissions  extraordinaires  du  Conseil). 

Série  V  ^  215  à  233.  —  Négociation  des  actes  de  la  Compa- 
gnie de  Law,  idem. 

Archives  de  la  Compagnie  Française  des  Indes  à  Lorient(l). 

L'Arsenal  de  la  Marine  à  Lorient  (2)  possède  un  fonds  d'ar- 
chives important  relatif  à  la  Compagnie  Française  des  Indes  ; 
ce  no  sont  cependant,  à  proprement  parler,  que  des  débris 
d'archives,  concernant  presque  exclusivement  la  Compagnie 
de  Law  (1719-1769),  et  même  la  dernière  période  de  l'histoire 
de  celle-ci  (depuis  1750).  Il  ne  parait  rien  s'y  trouver  relati- 
vement à  la  Compagnie  de  Colbert,  ni  à  la  Compagnie  de 
Calonne.Ces  archives  dépenden  t  du  GomraissarialGénéral  (3). 

I.  —  Correspondance  rchangée  par  le  minislère,  la  Com- 
pagnie et  le  Directeur  de  Lorient.  Correspondance  antérieure 
à  1750  (depuis  1721)  ;  Lettres  de  la  Compagnie  à  M.  d'Es- 
préménil  ;  Lettres  de  la  Compagnie  à  M  Duvelaër  ;  Lettres  de 
M.  de  Maurepas  à  la  Compagnie  ;  Correspondance  de  M.  Go- 
deheu  d'Igoville  avec  MM.  d'Aiguillon,  Berryer,  Machault, 

(1)  Elles  sont  menlionnées  très  sommairement  pai*  MM.  Langlois  et 
Sle'm  :  Archives  de  l'histoire  de  France. 

(2)  Aux  archives  municipales  de  Lorient  se  trouvent  de  nombreuses 
pièces  relatives  aux  rapports  de  la  Compagnie  des  Indes  et  de  la  ville 
de  Lorient,  Nous  mentionnerons  en  outre  la  très  intéressante  corres- 
pondance de  M. de  La  Ville  Le  Roux,  députe  de  Lorient  aux  Elats-(îcné- 
raux  et  à  l'Assemblée  Nationale  ['l  gros  registres). 

(3)  Leur  classement  a  été  entrepris  par  M.  Legrand,  professeur  au 
ycée  de  Lorienl,  qui  a  mené  a  bien  une  bonne  partie  de  ce  travail  très 
méritoire. 


LES    ARCHIVES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  XXXI 

Rouillé,  Moras,  Berlin,  Silhouelte,  de  Boullongne,  de  Mon- 
laran  et  Massiac,  et  avec  les  Directeurs  de  la  Compagnie  à 
Paris  (1754-1760)  ;  Correspondance  de  M.  Roth  avec  MM.  de 
Laverd\',  Berlin,  Terray,  Berryer,  d'Aiguillon,  Clioiseul,  d'Or- 
messon  et  avec  les  Directeurs  de  la  Compagnie  ;  Lettres  des 
Bureaux  de  la  Compagnie  (Ventes,  Livres,  Achats,  Castor, 
Indes)  et  du  Comité  des  Caisses  (1748-1769)  ;  Correspondance 
de  M.  Roze,  chef  de  la  liquidation  à  Lorienl  (1778-1779)  ;  Cor- 
respondance de  M.  Jourdanet,  idem  (1779-1782). 

II.  —  Pièces  relatives  aux  divers  services.  Rôles  des  Arme- 
ments par  années  (51  cartonniers)  ;  Rôles  des  désarme- 
ments ;  Ventes  (1740-1775);  Terrains  et  propriétés;  Caisse, 
magasins,  marchés,  constructions  ;  Employés  et  ouvriers  au 
port  de  Lorienl  (17^0-1770)  ;  Hôpital  ;  Troupes  de  la  Compa- 
gnie ;  Officiers  de  la  Marine  (soldes,  décès,  réclamations)  ; 
Officiers-mariniers  ;  Levées  de  matelots  ;  Congés  et  passe- 
ports ;  Personnel  retraité  ;  Prises  faites  par  l'escadre  du  comte 
d'Aché  (1757-1761)  ;  Armements  pour  l'Etat  (1759-1761)  ; 
Navires  affrétés  par  la  Compagnie  (1746-1750)  ;  Passagers  ; 
Défense  de  Lorient  pendant  la  guerre  de  Sept  Ans;  Gouver- 
nement delà  Louisiane;  Gouvernement  du  Sénégal  ;  Gouver- 
nement de  l'Inde  ;  Gouvernement  des  Iles  ;  Affaires  financiè- 
res ;  Procès  de  la  Compagnie  avec  les  particuliers  ;  Sommes 
non  réclamées  (1735-1741)  (I). 

(1)  Nous  signalerons  également,  en  dehors  des  Archives  de  la  Compa- 
gnie, la  collection  de  la  correspondance  des  ministres  de  la  marine  a\'ec 
les  autorités  maritimes  à  Lorienl  depuis  1672.  Elle  contient  des  ren- 
seignements tr<'-'S  suivis  sur  les  mouvements  maritimes  de  la  Compagnie 
et  fait  en  partie  double  emploi  avec  la  collection  des  ordres  du  Roi  exis- 
tant aux  Archives  Coloniales. 


XXXII  LKS    AKfMlIVKS    DR    LA  COMPAGNIK    DES    INDES 

Autres  sources  de  documenls. 

Nous  signaleronsenfin  comme  possédan  Ides  documenls  rela- 
tifs à  la  Compagnie  française  des  Indes  :1e  Ministère  des  Affaires 
Etrangères  (Fonds  Asie),  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal  (Fonds 
do  la  Bastille  :  engagements  pour  la  Compagnie  des  Indes), 
enfin  le  département  des  Manuscrits  de  la  Bibliothèque  Na- 
tionale (Fonds  français).  On  trouvera  dans  le  cours  du  pré- 
sent ouvrage  la  mention  d'un  certain  nombre  de  pièces  em- 
pruntées à  cette  dernière  source  ;  on  y  ajoutera  les  sui- 
vantes : 

Fr.  6231.  —  Mémoires  sur  la  Compagnie  des  Indes  Orien- 
tales (1642  à  1720). 

Fr.  8971.  —  Remarques  louchant  rétablissement  de  l'an- 
cienne Compagnie  des  Indes  Orientales. 

Fr.  8973.  —  Recueil  de  pièces  sur  la  Compagnie  des  Indes 
Orientales  (1664  à  1723). 

Fr.  9555.  —  Affaires  des  Directeurs  de  la  Compagnie  des 
Indes  Orientales  contre  le  comte  de  Toulouse,  avec  une  carte 
des  routes  pour  aller  de  France  aux  Indes  (1714),  fol.  195. 

Fr.  9773.  —  Pièces  concernant  la  Compagnie  des  Indes 
Orientales. 

Fr.  12.090.  —  Mémoire  sur  les  possessions  et  le  commerce 
de  la  Compagnie  des  Indes  au  Bengale  (1762). 

Fr.  14.615.  —  Projet  de  réforme  de  la  Compagnie  des  Indes. 

Fr.  16.737.  —  Inventaire  des  édils,  déclarations...  rendus 
en  faveur  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  (1664  à 
1700),  fol.  117. 


BIBLIOGRAPHIE 


A.  —  Ouvi'ages  des  contemporaias  et  recueils 
de  documents. 

Etienne  de  Flacourt.  —  Relation  de  la  grande  île  de  Madagascar. 
Paris,  1657,  1  vol.  in-4°. 

Souchu  de  Rennefort.  —  Histoire  des  Indes  Orientales.  Paris, 
1688,  1  vol.  in-4°. 

F.  Charpentier.  —  Discours  d'un  fidèle  sujet  du  Roi  touchant  réta- 
blissement d'une  Compagnie  française  pour  le  commerce  des  Indes 
Orientales,  —  Relation  de  l'établissement  de  la  Compagnie  française 
pour  le  commerce  des  Indes  Orientales.  Paris,  1666,  1  vol.  in-4°. 

Savary.  —  Diclionnaire  ludver^el  de  Commerce.  Paris,  1741,  4  vol. 
in-folio. 

Du  Fresne  de  Francheville .  —  Histoire  de  la  Compagnie  des 
Indes,  avec  les  litres  de  ses  concessions  et  privilèges  dressés  sur  les 
pièces  authentiques.  Paris,  1746,  1  vol.  in-4°. 

Demis.  —  Recueil  ou  collection  des  titres,  arrêts,  édits  concernant 
la  Compagnie  des  Indes  Orientales  établie  au  mois  d'août  1664,  Pari;^, 
1755-1756,  4  vol.  in-4''. 

—  Histoire  abrégée  des  Compagnies  de  commerce  qui  ont  été  établies  en 
France  depuis  l'année  1626.  Ouvrage  manuscrit  (1742).  Bibliothèque 
Nationale.  Manuscrits,  Fr.  8036. 

Guyon.  —  Histoire  des  Indes  Orientales.  Paris,  1744,  3  vol.  in-32. 

Morellet.  —  Mémoire  sur  la  situation  actuelle  de  la  Compagnie  des 
Indes.  Paris,  1769,  in-4'>. 

Necker.  —  Réponse  au  Mémoire  de  M.  l'abbé  Morellet  sur  la  Compa- 
gnie des  Indes.  Paris,  1769,  m-'i". 

Cte  de  Lauraguais.  —  Mémoire  sur  la  Compagnie  des  Indes,  précédé 
d'un  discours  sur  le  Commerce.  Paris,  1769. 

Dupont  de   Nemours.  —  Du  commerce   et  de  la  Compagnie   des 

,    Indes,  2'  éd.  Paris,  1769. 


;i{XXIV  miîLKKJUAIMIIK 

Guyot.  —  llépertoiie  universel  et  raisonne  île  jurisprudence,  arliclo  : 
Compagnie.  Paris,  1784. 

Raynal.  —  Histoire  philosophique  des  deux  Indes,  1  vol.  in-4».  Ge- 
nève, 1780. 

Encyclopédie  méthodique  ou  par  ordre  de  matières,  Paris,  1783  : 
1«  Dictionnaire  du  Commerce,  1. 1,  article  :  Compagnie;  t.  Il,  2«  partie, 
article  :  l''rance  ;  2°  Diclionnaire  des  Fiiiances,  t.  II,  article  :  Inde. 

Collection  des  Almanachs  royaux. 


fj.  —  'ri'avaiix  de  l'époque  inodcriie. 

1°  Ol.'VRAGES. 

P.  Bonnassieux.    —  Les  grandes  Compagnies  de  commerce,  1  vol. 

in -8".  Paris,  189J. 
Castonnet  des  Fosses.    —   L'Inde  française  avant  Dupleix,  1  vol. 

in-8°.  Paris,  1887. 

—  Madagascar,  1  vol.  in-18.  Paris,  1884. 

P.  Clément.  —  Lettres,  instructions  et  mémoires  de  Colbert,  7  vol, 

in-4".  Paris,  1861-188-2. 
P.  Cultru.  —  Dupleix,  ses  plans  politiques,  sa  disgrâce,  1  vol.  in-8". 

Paris,  1901. 
Depping. —  Correspondance  administrative  sous  le  règne  de  Louis  XIV, 

4  vol.  iii-4o.   Paris,  1850. 
L.  Deschamps.  —  Histoire  de  la  question  coloniale  en  France,  1  vol. 

in-8'«.  Paris,  1891. 

—  La  Constituante  et  les  colonies,  1  vol.  in-8'».  Paris,  1898. 
Gaffarel.  —  Les  colonies  françaises,  1  vol.  in-i2.  Paris,  1880. 
T.  Hamont.  —  Dupleix,  1  vol.  in-S».  Paris,  1881. 

—  Lally-Tollendal,  1  vol.  in-8o.  Paris,  1887. 

Jégou.  —  Histoire  de  la  fondation  de  Lorient,  1  vol.  in-l2,  Lorient, 

1870. 
P.  Leroy-Beaulieu.  —  De  la  colonisation  chez  les  peuples  modernes, 

1  vol.  in-8".  Paris,  1891. 
Levasseur.  —  Recherches  sur  le  Système  de  Law,  1  vol.  in-8o.  Paris, 

ls,Vi. 
Mavidal  et  Laurent.  —  Archives  parlementaires,  collection  in-4o. 

Série  1,  tomes  III,  IV,  V,  VI,  XVI  et  XVIII. 
C.  Montagne.   —  Histoire  de  la  Compagnie  des  Indes.  1  vol.  in-12. 

Paris  1899. 
A.  Neymarck.    —   Colbert  et  son  temps,  2  vol.  in-S».  Paris,  1877. 


BIBLIOGRAPHIE  .\.\.\V 

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sous  Louis  XIV,  1  vol.  in- 12.  Paris,  1886. 
Pigeonneau.    —   Histoire  du  commerce  de  la  France,  2  vol.  in-8». 

Paris,  1885. 
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Thiers.   —  Histoire  de  Law,  1  vol.  in-12.  Paris,  1858. 

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Saint-Yves  et  Chavanon.  —  Documents  inédits  sur  la  Compagnie 
des  Indes  Orientales.  Revue  des  questions  historiques,  octobre,  1903. 


LA  COMPAGNIE  FRANÇAISE  DES  INDES 

1604-1875 


INTRODUCTION 


LE  COMMERCE  DES  INDES   ET  LES    COMPAGNIES  PRIVILEGIEES. 


I.  —  Relations  historiques  entre  l'Europe  et  l'Asie.  — Les  Indes, 
importance  du  commerce  des  Indes.  —  La  péninsule  hindoue.  — 
Arrivée  des  Européens  aux  Indes.  —  L'empire  portugais. 

II.  —  La  Compagnie  hollandaise.  —  La  Compagnie  anglaise. 

III.  —  Le  commerce  des  Indes  au  point  de  vue  économique.  —  Période 
portugaise  avec  monopole  de  l'Etat.  —  Echec  de  la  constitution  du 
commerce  particulier,  création  des  Compagnies  de  commerce  privilé- 
giées. —  Raisons  de  cette  organisation  :  causes  d'ordre  pratique, 
économique,  politique  et  social. 


I 

L'Asie,  berceau  du  genre  humain,  n'a  pas  tenu  dans  l'his- 
toire de  la  civilisation  du  monde  la  place  éminente  que  lui 
promettait  ce  début.  Lorsqu'une  partie  des  tribus  aryennes 
eurent  quitté  pour  gagner  FEurope  les  plateaux  de  l'Asie  cen- 
trale, entre  le  continent  qu'elles  abandonnaient  et  celui  sur 
lequel  elles  s'établirent,  une  barrière  s'éleva  aussitôt,  bar- 
rière morale  que  justifiait  trop  bien  un  obstacle  physique  dif- 

w.  —  1 


2  INTRODUCTION 

ficilement  surmonlable,  fait  de  déserts  brûlés  et  de  monta- 
gnes inaccessibles,  des  steppes  de  la  Sibérie  et  des  déserts 
d(3  l'Arabie,  des  murailles  du  Caucase,  de  l'Himalaya  et  du 
Thibet.  Pas  une  mer  ne  permettait  l'établissement  de  rela- 
tions permanentes,  car  la  Méditerranée  se  terminait  en  cul- 
de-sac  et  un  isthme  de  quelques  lieues  séparait  ses  eaux  de 
celles  de  la  mer  Rouge,  obstacle  bien  mince,  devant  lequel 
cependant  vinrent  durant  des  siècles  battre  inutilement  les 
flots  contraires  des  deux  civilisations. 

Bien  petite  fut  par  suite  la  portion  du  continent  asiatique 
qui  fut  en  contact  au  cours  de  l'antiquité  avec  la  civilisation 
européenne  représentée  par  les  populations  du  bassin  mé- 
diterranéen. Les  communications  s'établirent  par  l'Asie  Mi- 
neure, et  se  prolongèrent  jusqu'à  la  Perse  par  les  vallées  du 
Tigre  et  de  l'Euphrate  :  les  Assyriens,  les  Perses,  les  Phéni- 
ciens en  furent  les  principaux  agents,  mais  les  régions  mon- 
tagneuses qui  protègent  la  vallée  de  l'indus  furent  la  limite 
de  ces  efforts,  et  cette  séparation,  loin  de  s'affaiblir,  devint 
de  siècle  en  siècle  plus  profonde  ;  les  civilisations  qui  l'a- 
vaient quelque  peu  vaincue  s'effritèrent  et  tombèrent  : 
l'Asie  resta  pour  celles  qui  s'élevèrent  sur  leurs  ruines  un 
monde  mystérieux. 

L'expédition  d'Alexandre  souleva  pour  la  première  fois  le 
voile  qui  le  cachait  (1):  la  Perse,  l'Afghanistan  furent  les 
étapes  de  son  audacieuse  tentative  et  la  conquête  du  Pendjab 

(i)  (]e  n'est  point  qu'Alexandre  eût  le  premier  conçu  l'ide'e  de  celle  ex- 
pédition ;  les  rois  d'Assyrie  et  de  Perse  lenlèrenl  avant  lui  la  conquête 
de  la  péninsule  hindoue  :  Cyrus  el  Sémiramis  réussirent  à  y  pénétrer,  si 
l'on  en  croit  la  légende  ;  Darius  Hystapes  en  forma  lui  aussi  le  projet 
et  envoya  le  Grec  Scylax  explorer  le  chemin  (509  av.  J.-C),  mais  tout 
se  borna  là  ;  Scylax  fit  de  son  voyage  dans  les  contrées  inconnues 
qu'il  avait  parcourues  une  relation,  dont  Hérodote  nous  a  transmis 
des  débris  d'ailleurs  peu  précis. 


LE    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILEGIEES  .i 

en  fut  le  couronnement  ;  les  galères  de  Néarque  descendi- 
rent les  eaux  de  l'Indus,  puis  les  conquérants  disparurent  et 
l'A.sie,  un  instant  rapprochée  de  l'Europe,  rentra  dans  son 
sommeil  séculaire. 

La  civilisation  romaine  reprit  au  début  de  l'ère  chrétienne 
la  route  qu'il  avait  tracée  :  l'effrayante  soif  de  richesses  qui 
dévora  l'empire  romain  donna  naissance  à  un  premier  cou- 
rant régulier  de  relations  Si  l'on  en  croit  Slrabon,  plus  de 
cent  navires  allaient  tous  les  ans  de  la  mer  Rouge  aux  riva- 
ges de  l'Inde  et  leurs  cargaisons  s'acheminaient  par  l'Egj'pte 
vers  la  capitale  du  monde.  L'empire  byzantin  conserva  cette 
tradition  ;  il  était  encore  mieux  placé  pour  la  suivre,  car  By- 
zance  était  aux  portes  mêmes  de  l'Asie  et  recevait  ses  produits 
par  d'incessantes  caravanes. 

Enfin  les  Croisades,  en  mettant  en  relations  la  jeune  Eu- 
rope à  peine  sortie  de  la  barbarie  et  le  vieil  empire  en  déca- 
dence, procurèrent  à  la  première  une  connaissance,  bien 
incomplète  encore,  des  choses  d'Asie.  De  Byzanceles  Croisés 
rapportèrent  les  étoffes  et  les  pierres  précieuses,  l'or  et  les 
parfums  orientaux,  et  cette  voie  une  fois  ouverte,  Byzance 
resta  pendant  les  siècles  suivants  l'un  des  principaux  canaux 
par  lesquels  les  produits  asiatiques  parvinrent  à  l'Europe 
occidentale. 

Mais  un  autre  lien  se  formait  sous  l'influence  du  même 
ordre  d'événements  :  la  conquête  arabe  en  fut  l'occasion;  des 
relations  se  créèrent  en  effet  que  les  progrès  mêmes  des  enva- 
hisseurs, leur  implantation  en  Espagne,  leurs  incursions  en 
France  développèrent  rapidement.  Les  navires  arabes  sillon- 
naient depuis  les  temps  les  plus  reculés  les  mers  de  l'Inde, 
ils  en  versèrent  désormais  les  produits  et  en  propagèrent 
le  goût  en  Europe.  Par  les  rivages  de  la  Méditerranée  ils  les 
introduisirent  partout  et  contribuèrent  puissamment  à  nouer 


4  INTRODUCTION 

définilivemenl  des  relations  si  intermittentes  jusque-là  entre 
le  vieux  monde  asiatique  et  la  civilisation  européenne  gran- 
dissante. Si  imparfaites  qu'elles  fussent  encore,  elles  suffirent 
à  environner  ce  monde  mystérieux  d'une  renommée  qui  n'a 
point  tout  à  fait  disparu.  L'homme  se  plaît  à  placer  dans  l'i- 
naccessible la  satisfaction  la  plus  complète  de  sa  soif  de 
jouissances.  L'imprécision  des  connaissances  géographiques, 
les  exagérations  des  rares  voyageurs,  les  récits  des  histo- 
riens, forcés  de  les  suivre  faute  d'autre  source  d'informations, 
s'unirent  pour  créer  aux  contrées,  aux  populations,  aux  pro- 
ductions de  cette  Asie  inconnue  une  réputation  de  richesse 
merveilleuse. 

La  forme  était  exagérée,  mais  le  fond  était  vrai  :  «  Ces 
pays  féconds  que  le  soleil  regarde  de  plus  près  que  les  nô- 
tres »  (1),  pouvaient  procurer  à  l'Europe  des  choses  qu'elle 
ne  pouvait  alors  tirer  que  de  là  et  dont  le  prix  était  par  consé- 
quent très  considérable.  A.  la  fin  du  xv^  siècle  en  effet,  l'Amé- 
rique venait  seulement  d'être  découverte  et  était  encore 
inexplorée,  de  l'Afrique  l'on  ne  connaissait  que  le  rivage  sep- 
tentrional, et  les  relations  commerciales  n'étaient  d'ailleurs 
avec  lui  que  très  peu  importantes,  seule  donc  l'Asie  malgré 
la  difficulté  de  son  accès  pouvait  fournir  à  la  consommation 
des  pays  civilisés  les  produits  des  pays  chauds.  Le  monde 
romain  avait  appris  le  premier  à  les  apprécier  :  les  parfums, 
les  pierres  précieuses,  les  épices,  les  étoffes  rares  étaient 
recherchés  par  lui  avec  avidité,  et  quand  l'Europe  sortit  à 
nouveau  de  la  barbarie,  le  souvenir  de  ces  richesses,  gran- 
dies par  la  tradition,  la  hanta  bientôt.  Lorsque  les  naviga- 
teurs du  xv°  siècle  eurent  découvert  la  roule  des  Indes  et 

(()  Le  mot  est  de  racadémicien  Charpentier,  à  qui  Colberl  confia 
la  mission  de  préparer  la  création  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales 
par  un  éloge  de  Madagascar,  que  nous  analysons  plus  loin. 


LE    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILEGIEES  0 

rapportèrent  de  leurs  voyages  des  dépouilles  conformes  au 
rêve  qu'on  en  avait  depuis  si  longtemps  caressé,  loin  d'être 
ruinée,  celte  «  légende  des  Indes  t>  se  trouva  grandie  et  for- 
tifiée. 

Il  est  important  de  remarquer,  en  effet,  que  les  connais- 
sances que  possédèrent  sur  le  continent  asiatique  les  An- 
ciens et  après  eux  les  nations  européennes  jusqu'à  une  épo- 
que bien  rapprochée  de  nous  se  sont  concentrées  sur  une 
partie  seulement  de  cette  Asie,  dont  on  soupçonnait  à  peine 
rétendue  réelle.  On  n'en  connaissait  point  le  Nord  :  la  Sibé- 
rie aux  plaines  glacées,  ni  la  partie  centrale  :  les  plateaux  si 
mal  connus  encore  du  Thibet,  et  l'on  ne  cherchait  nullement 
à  atteindre  par  là  la  Chine,  à  laquelle  ils  font  un  formidable 
rempart.  L'Asie  se  réduisait  donc  en  réalité  d'une  part  à 
l'Âsie-Mineure,  de  l'autre  aux  contrées  baignées  par  les  eaux 
de  l'Océan  Indien  (1). 

Une  sorte  de  long  couloir  unit  entre  elles  ces  deux  parties 
du  continent  par  l'Afghanistan  et  la  Perse  :  c'est  par  lui  que 
se  firent  les  antiques  migrations  de  peuples,  c'est  lui  que 

(1)  On  fait  venir  le  mol  Inde  du  sanscrit  Sindhu  (rivière)  appliqué  à 
Ja  rivière  par  excellence  Vlndus.  Ce  terme  désigna  d'abord  uniquement 
la  région  que  baignait  ce  fleuve,  mais  son  sens  ne  larda  pas  à  s'étendre; 
il  s'appliqua  bientôt  à  la  péninsule  hindoue  tout  entière,  puis  franchis- 
sant le  Gange  il  comprit  aussi  la  presqu'île  indo-chinoise  qui  devint 
l'Inde  transgangétique  {India  trans  Gangem)  par  opposition  à  la  pre- 
mière :  rinde  cisgangélique  [India  intra  Gangem);  Ptolémée  faisait  déjà 
cette  distinction.  Cette  dualité  fut  l'origine  du  terme  :  les  Indes.  Mais 
la  compréhension  de  celui-ci  s'accrut  encore  et  engloba  tous  les  rivages 
asiatiques  de  l'Océan  Indien.  Enfin  par  une  dernière  extension,  qu'a- 
mena le  peu  de  précision  de  celle  acception  nouvelle,  on  y  comprit 
toutes  les  terres  baignées  par.  cel  Océan  depuis  la  côte  africaine 
jusqu'à  l'archipel  asiatique  [les  Indes  néerlandaises).  Le  nom  d'Indes 
Orientales  ou  encore  de  Grandes  Indes  fut  donné  à  ces  contrées,  par 
opposition  au  continent  américain  désigné  sous  celui  dindes  Occiden- 
tales. 


b  INTRODUCTION 

suivit  Alexandre,  mais  nous  avons  vu  combien  sa  traversée 
offrit  d'obstacles  à  des  relations  permanentes.  Aussi  bien 
est-ce  par  la  mer  que  celles-ci  s'établirent  :  c'est  par  l'Océan 
Indien  et  la  nier  Rouge  que  les  Romains,  puis  les  Arabes 
apportèrent  en  Europe  les  produits  de  ces  contrées.  Mais 
ces  mers  étaient  fermées  aux  navires  occidentaux  par  un 
obstacle  matériel,  l'isthme  de  Suez,  que  les  Pharaons  avaient 
en  vain  tenté  de  renverser,  et  tant  que  cet  obstacle  ne  fut 
pas  tourné,  ces  rapports,  nous  l'avons  vu,  restèrent  inter- 
mittents. Quand  les  progrès  de  la  navigation,  le  puissant 
souffle  d'aventures  qui  caractérisa  la  seconde  moitié  du 
XV*  siècle,  le  grand  mouvement  maritime  inauguré  par  la 
découverte  de  l'Amérique,  eurent  donné  à  l'Europe  le  che- 
min de  l'Océan  Indien,  une  ère  nouvelle  commença  dans 
l'histoire  des  rapports  entre  les  deux  continents.  De  vastes 
contrées  furent  alors  ouvertes  à  Tactivité  commerciale  des 
nations  occidentales  :  tous  les  rivages  baignés  par  l'Océan 
depuis  le  Gap  de  Bonne-Espérance,  les  côtes  orientales  de 
l'Afrique,  l'Arabie,  le  golfe  Persique,  l'Hindoustan,  la  pres- 
qu'ile  irido- chinoise,  l'archipel  asiatique,  les  mers  de  Chine 
et  du  Japon  s'étendaient  devant  leurs  navires  ! 

C'est  aux  marins  portugais  que  l'Europe  dut  cette  con- 
quête :  encouragés  par  des  princes  intelligents  et  actifs,  ils 
s'avancèrent  peu  à  peu  sur  la  route  des  Indes.  Les  îles  du 
Cap-Vert,  les  Canaries  furent  leurs  premières  étapes  ;  en  1486 
Barthélemi  Diaz,  ouvrant  l'ère  des  grandes  docouveries,  aper- 
cevait le  Cap  de  Bonne-Espérance  (I)  ;  en  1497  enfin,  cinq  ans 

(1)  Diaz  ne  dépassa  point  le  Cap  ;  entre  son  voyage  et  celui  de  Gama 
se  plaça  celui  de  Christophe  (îolomb  (1492).  On  sait  que  ce  dernier 
chercliait  vers  l'ouest  le  chemin  des  Indes,  aussi  a-l-on  pu  dire  que  si 
Diaz  avait  poussé  plus  loin  en  iiSGet  trouvé  cette  roule  tant  désirée, 
la  découverte  de  l'Amérique  eût  peut-être  été  de  quelque  temps  re- 
culée. 


LE    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILEGIEES  / 

après  que  Colomb  eut  découvert  le  continent  américain,  Vasco 
de  Gama,  franchissant  pour  la  première  fois  ce  redoutable 
promontoire,  entrait  dans  l'Océan  Indien  et  atteignait  la  côte 
de  Malabar  ;  la  route  de  l'Inde  était  trouvée  (1). 

L'Inde  (2),  dans  laquelle  les  Portugais  allaient  implanter 
les  premiers  la  puissance  européenne,  et  dont  l'étendue 
égale  plus  de  huit  fois  celle  de  la  France,  est  divisée  par 
la  nature  en  deux  régions  distinctes  :  au  nord,  l'Inde  con- 
tinentale, formée  des  deux  bassins  opposés  l'un  à  l'autre 
de  rindus  à  l'ouest  et  du  Gange  à  Test,  pays  de  plaines  fer- 
tiles et  peuplées  ;  au  sud,  l'Inde  péninsulaire,  constituée  par 
le  plateau  triangulaire  du  Deccan,  légèrement  incliné  vers  le 
golfe  du  Bengale  dans  lequel  il  descend  par  une  succession 
de  terrasses,  tandis  que  sa  lisière  se  dresse  en  muraille 
escarpée  sur  la  mer  d'Oman.  Le  littoral  est  peu  découpé  et 
inhospitalier  (3)  :  les  baies,  les  ports,  les  îles  y  sont  rares  :  à 

(1)  Les  coadilions,  dans  lesquelles  elle  l'était,  doublent  le  mérite  de 
cette  découverte  :  on  a  dit  avec  raison  qu'on  ne  saurait  trop  admirer 
l'audace  de  ces  hardis  marins,  qui,  avec  les  faibles  moyens  que  leur 
offrait  la  science  nautique  à  cette  époque,  montés  sur  de  petits  navires 
à  peine  capables  de  tenir  la  haute  mer,  ont  su  obtenir  de  si  magnifi- 
ques résultats  1  Qu'on  songe  que  des  trois  navires  de  Christophe  Colomb, 
un  seul,  la  Sanla-Maria,  qui  le  portait,  était  entièrement  ponté,  et  qu'il 
jaugeait  à  peine  100  tonneaux  ! 

(2)  Les  noms  indiens  revenant  à  chaque  page  dans  celte  histoire, 
nous  croyons  devoir  faire  observer  qu'en  présence  des  ditîérences  con- 
tinuelles et  souvent  très  considérables  de  leur  orthographe  suivant  les 
auteurs,  nous  nous  sommes  astreint  à  suivre  celle  de  V Atlas  Universel 
de  MM.  Vivien  de  Saint-Martin  et  Schrader. 

(3)  Les  comptoirs  des  Compagnies  européennes  sur  la  côte  de  Coro- 
mandel  étaient  surtout  détestables  à  ce  point  de  vue.  L'atterrissage  df 
Madras  est  des  plus  difficiles  :  sa  rade,  complètement  ouverte,  est 
rendue  très  dangereuse  par  la  présence  d'une  barre  redoutable.  Pondi- 
chéry  est  un  peu  mieux  partagé.  En  outre,  les  ouragans  de  la  mousson 
d'hiver  sont  soudains  et  terribles  sur  toute  celte  côte. 


H  INTRODUCTION 

peine  s'enlr'ouvre-l-il  pour  laisser  passer  les  rivières  qui 
descendent  de  l'intérieur  du  plateau,  nombreuses  sur  la  côte 
orientale,  rares  sur  la  côte  occidentale  (1).  Le  cap  Comorin 
qui  termine  l'Inde  au  sud  le  sépare  en  deux  versants  oppo- 
sés :  sur  le  golfe  du  Bengale,  l'Océan  baigne  les  côtes  du 
Bengale,  d'Orissa,  des  Circars  et  deCoromandel  ;  sur  la  mer 
d'Oman  celles  de  Konkan,  de  Malabar  et  de  Travancore.  Au 
flanc  sud-est  de  l'Inde  est  comme  suspendue  Ceylan,  l'île 
enchantée  des  légendes  hindoues,  tandis  qu'au  large  de  la 
côte  ouest,  une  traînée  d'îles,  Laquedives  et  Maldives,  sor- 
tent de  l'Océan,  récifs  stériles  pour  la  plupart,  repaire  re- 
douté de  pirates  arabes.  Enfin  au  nord  de  la  plaine  indo- 
gangétique,  isolant  l'Inde  du  continent,  et  lui  faisant  un  rem- 
part formidable,  se  dressent  les  monts  Himalaya. 

Ainsi  protégée  par  la  nature,  il  semble  que  l'Inde  eût  dû 
poursuivre  son  évolution  naturelle  dans  une  tranquillité 
parfaite  :  peu  de  contrées  ont  eu  cependant  une  histoire  plus 
troublée  que  la  sienne  !  Par  une  brèche  de  la  muraille,  les 
défilés  de  l'Hindou-Kouch,  vinrent  s'épandre  dans  la  pénin- 
sule des  alluvions  successives  d'envahisseurs,  et  Afghans, 
Turcs  et  Mongols  poussèrent  tour  à  tour  vers  son  sol  fertile 
leurs  hordes  barbares,  amenant  chaque  fois  avec  eux  des 
races,  des  mœurs  et  des  religions  nouvelles. 

Au  x"=  siècle  de  notre  ère  les  Turcs  ayant  conquis  l'Afgha- 
nistan pénétrèrent  mêlés  aux  vaincus  jusqu'à  la  plaine  de 
rindus  qui  leur  fut  bientôt  soumise  à  son  lour,  y  fondèrent 
un  empire  lurco-afghan  qui  cul  trois  siècles  de  grande  pros- 
périté et  ajoutèrent  au  brahmamisme,  religion  primitive  de 
la  race  aryenne  et  au  bouddhisme  sorti  de  lui  six  siècles 
avant  notre  ère,  la  religion  de  Mahomet.  A  la  fin  du  xiv'  siè- 

(1)  La  M.iliannadi,  la  Godavéri,  la  Kislna,  la  Cuvéri  sur  la  côle  est, 
la  Narbada  et  la  Tapli  sur  la  cAle  ouest. 


LE    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILÉGIÉES  9 

cle  Timour,  le  célèbre  Tamerlan,  franchit  à  son  lour  la  bar- 
rière et  écrasa  les  précédents  envahisseurs  ;  mais  il  dédaiona 
de  constituer  un  nouvel  empire  sur  les  ruines  du  leur  et  se 
retira  satisfait  d'avoir  déterminé  la  décadence  des  vaincus. 
Enfin  un  siècle  plus  lard,  les  Européens,  rompant  avec  cette 
tradition,  envahissaient  l'Inde  par  la  mer  qui  jusque-là  l'avait 
efficacement  protégée! 

Vasco  de  Gama  avait  atterri  près  de  Calicut  sur  la  côte  de 
Malabar  ;  il  était  loin  de  la  zone  d'influence  de  l'empereur 
afghan  dont  la  capitale  était  Agra  (1),  mais  il  se  heurta  à 
l'hostilité  des  Arabes  d'Aden  et  d'Ormuz,  dont  les  navires 
fréquentaient  cette  côte  depuis  des  siècles,  et  qui,  forts  de 
cette  situation  acquise,  ne  se  montrèrent  point  disposés  à 
céder  la  place  à  des  rivaux,  qu'ils  sentaient  devoir  être  re- 
doutables. A  Gama  retourné  en  Europe  après  avoir  reconnu 
Goa,  comblé  d'honneurs  et  récompensé  de  ses  glorieux  ser- 
vices par  le  litre  d'Amiral  de  la  mer  des  Indes,  succéda 
Alvarez  Cabrai  (1500).  Les  Arabes  lui  laissèrent  fonder  un 
comptoir  à  Calicut  ;  mais  bientôt  ils  devinrent  hostiles  et 
Cabrai,  forcé  de  renoncer  à  son  entreprise,  bombarda  Calicut 
avant  de  faire  voile  pour  l'Europe.  Cet  échec  amena  le  roi  de 
Portugal  à  agir  avec  une  vigueur  nouvelle  ;  mais  pour  s'en 
assurer  le  bénéfice,  il  se  proclama  solennellement  souverain 
de  la  mer  des  Indes  et  déclara  s'y  réserver  le  monopole  du 
commerce.  Puis  Gama  reparut,  bombarda  une  seconde  fois 
Calicut  et  donna  la  chasse  aux  navires  arabes  qu'il  liaita, 
dit-on,  avec  une  inhumanité  remarquable.  Alphonse  d'Albu- 
querque  fonda  le  comptoir  de  Cochin  (1504),  premier  établis- 
sement européen  dans  l'Inde;  enfin  François  d'Almeida  qui 


(1)   La  puissance  de  l'empire  afghan  était   d'ailleurs  fort  amoindrie 
alors. 


fO  INTRODUCTION 

recul  le  premier  le  lilre  magnifique  de  Vice-Roi  des  Indes, 
assit  défiiiilivemenl  par  la  victoire  de  Diu(lo09)(l)  la  puis- 
sance portugaise  sur  la  côte  de  Malabar.  Le  second  vice-roi, 
Albuquerque,  s'empara  de  Goa,  grand  marché  de  cette  côle, 
qui  devint  la  capitale  des  possessions  portuj^aises  ;  enfin  par 
la  conquête  successive  des  principaux  points  stratégiques 
de  l'Océan  Indien  :  Socotora,  Malacca,  Ormuz,  il  assura  aux 
Portugais  une  situation  inexpugnable  dans  cette  partie  du 
monde  (2).  Malheureusement  ces  grands  vice-rois,  soldats  et 
administrateurs, n'eurent  point  des  successeurs  dignes  d'eux, 
et  à  une  époque  de  brillante  prospérité  succéda  une  lente  et 
irrémédiable  décadence.  Le  changement  survenu  dans  la 
situation  du  Portugal  eu  Europe  y  contribua  beaucoup  :  en 
1583  en  effet,  le  roi  d'Espagne  (3)  en  réunit  la  couronne  à  la 
sienne  ;  maître  déjà  d'un  immense  empire  colonial  en  Amé- 
rique, il  trouva  trop  lourd  le  surcroît  de  fardeau  que  lui 
apportait  l'empire  des  Indes  et  l'abandonna  à  lui-même.  Ce 
fut  la  ruine  de  la  puissance  portugaise. 

Celle-ci  avait  cependant  atteint  un  développement  prodi- 
gieux. Dépassant  les  limites  de  la  mer  des  Indes,  les  Portu- 
gais avaient  découvert  et  exploré  Java,  Sumatra,  Bornéo,  la 
Nouvelle-Guinée,  les  îles  de  la  Sonde,  les  Moluques  (1511), 
atteint  Canton,  Nankin  et  Pékin  (1520),  reconnu  le  Japon 
(1542)  ;  enfin  en  1557,  un  important  entrepôt  avait  été  fondé 
par  eux  à  Macao.  Ce  grandiose  empire  était  divisé  en  sept  pro- 
vinces échelonnées  depuis  les  côtes  d'Afrique  jusqu'à  celles 

(1)  Remportée  sur  la  flotte  égyplieiine  que  conimaiidaienl,  il  est  vrai, 
des  Véiiiliens,  et  qui  une  première  fois  avait  battu  le  même  d'Almeida. 

(2)  Après  lui  Da  Cuiilia  s'empara  de  Diu  ;  de  Castro  résista  victo- 
rieusement à  une  invasion  des  lurco-afgtians,  et  Altaïde  triompha 
d'un  soulèvement  général  des  petits  souverains  indiens  contre  la  puis- 
sance portugaise, 

(;■})  IMiiliiipc  II. 


LE    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILÉGIÉES  11 

de  Chine.  Son  chef  suprême  était  le  vice-roi  résidant  à  Goa, 
maître  absolu  après  le  roi  théoriquement,  souverain  incon- 
testé en  fait.  Sous  ses  ordres,  des  gouverneurs,  des  officiers 
divers  administraient  un  grand  nombre  de  comptoirs. 

On  a  dit  cependant  que  le  mot  d'Empire  s'appliquait  mal 
aux  établissements  portugais  ;  la  politique  qui  présida  à  leur 
création  marque  en  effet  un  terme  particulier  dans  l'iiisloire 
du  commerce  des  Indes.  Les  Arabes  s'étaient  contentés  de 
trafiquer  avec  les  indigènes  de  ces  contrées,  sans  chercher  à 
apporter  aux  gouvernements  locaux  la  moindre  entrave,  ni  à 
mettre  nulle  part  l'empreinte  de  leur  autorité,  satisfaits  du 
monopole  de  fait  qu'ils  possédaient.  Quand  arrivèrent  les 
Portugais,  ce  régime  très  simple  ne  pouvait  leur  suffire,  car 
avec  eux  apparaissait  la  concurrence,  et  les  rivaux  qu'ils 
avaient  été  pour  les  Arabes,  d'autres  pouvaient  l'être  bientôt 
pour  eux-mêmes.  Il  importait  donc  aux  nouveaux  venus  de 
s'assurer  une  situation  plus  forte  afin  de  gagner  sur  cette  con- 
currence éventuelle  le  plus  d'avance  possible  :  ils  fondèrent 
ainsi  des  Comptoirs,  qu'ils  réduisirent  d'ailleurs  au  strict 
nécessaire  même  sur  la  côte  de  Malabar,  c'est-à-dire  au  cœur 
même  de  leur  empire;  ils  laissèrent  cependant,  eux  aussi, 
aux  princes  indigènes  leur  royaume  et  leur  indépendance 
administrative  et  n'exigèrent  d'eux  qu'un  simple  tribut.  A 
cette  seconde  forme  de  la  politique  commerciale  européenne 
dans  les  Indes,  nous  verrons  plus  tard  s'en  substituer  une 
autre,  celle  que  pratiqueront  les  Compagnies  anglaise,  hol- 
landaise et  française,  et  qui  comportera  une  mainmise  effec- 
tive, quoiqu'à  des  degrés  divers,  sur  les  territoires  souvent 
très  vastes  où  s'exercera  leur  commerce. 

Mais  les  Portugais  se  contentèrent  de  s'approprier  quelques 
points  stratégiques,  dont  la  possession  était  d'une  haute  im- 
portance, et  quelques  autres  stations  en  petit  nombre  telles 


1 2  INTRODUCTION 

que  Goa  la  capilale,  Cochin,  Diu,  Macao,  furent  soumises  au 
même  régime  ;  mais  partout  oii  cela  leur  fut  possible,  ils 
n'élevèrent  qu'une  simple  maison  de  commerce  au  sein  du 
territoire  indigène,  ce  que  l'on  appelle  une  Factorerie.  Sans 
doute  la  force  même  des  choses  les  aurait  amenés,  si  leur 
empire  avait  conservé  plus  longtemps  son  homogénéité  et 
sa  vigueur  primitives,  à  suivre  leurs  concurrents  nouveaux 
venus  dans  la  voie  d'une  appropriation  beaucoup  plus  com- 
plète ;  mais  ils  n'en  eurent  pas  l'occasion,  carde  leurs  im- 
menses possessions  il  ne  leur  restait  que  des  débris  à  la  fin 
du  xvM«  siècle,  et  leur  puissance  politique  était  alors  depuis 
longtemps  anéantie.  A  la  première  cause  que  nous  avons  si- 
gnalée de  la  décadence  de  leur  empire  colonial  :  la  substitu- 
tion du  gouvernement  espagnol  au  gouvernement  portugais, 
s'ajouta  une  seconde,  aussi  efticace  que  la  première,  leur 
détestable  administration.  Lorsqu'eurenl  disparu  les  grands 
vice-rois  du  début  du  xvi^  siècle,  administrateurs  intègres 
autant  que  grands  politiques,  l'empire  des  Indes  devint  la 
proie  d'un  fonctionnarisme  taré  :  du  plus  petit  au  plus  grand 
tous  les  dépositaires  d'une  autorité  quelconque  furent  atteints 
de  la  plus  scandaleuse  corruption  ;  la  courte  durée  de  leurs 
fonctions,  la  faculté  qui  leur  était  maladroitement  laissée  de 
trafiquer  pour  leur  propre  compte,  contribuèrent  également 
à  cet  état  de  choses,  et  sous  ce  régime  dégradant  l'empire 
portugais,  aussi  mal  administré  que  bien  pillé,  fut  entraîné 
vers  une  chute  qui  était  déjà  inévitable  (1).  Aussi  l'immense 

(l)  l.e  privilège  de  celte  corruption  ne  fut  mallieureusement  pas 
réservé  à  l'empire  portugais  seul,  et  les  Compagnies  qui  lui  succédè- 
rent, aussi  bien  la  liollandaise  et  l'anglaise  que  la  française,  furent  en 
proie,  quoiqu'à  un  degré  moindre,  au  même  terrible  mal  :  il  semble 
qu'il  soit  inhérent  à  toute  administration  coloniale  laissée  à  la  direction 
trop  indépendante  de  fonctionnaires  européens  sans  attaches  ni  intérêts 
dans  ces  pays  :    trop  de  causes  s'unissenl  en   eflel  dans  ces  conditions 


LE   COMMERCE    DES   INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PMVILEGIEES 


13 


domaine,  rongé  par  cette  lèpre,  abandonné  par  la  métropole, 
attaqué  de  toutes  parts  par  des  rivaux  actifs  :  Hollandais, 
Anglais  et  Français, s'émietta-t-il  lentement,  sans  secousses  et 
sans  arrêt.  Quand  en  1640  le  Portugal  recouvra  son  indépen- 
dance, son  empire  n'existait  plus  à  proprement  parler,  et  à 
la  fin  du  xvn"  siècle,  il  ne  possédait  plus  dans  l'Inde  même 
que  Goa  déchu  de  sa  splendeur,  Diu  et  l'îlot  de  Salsette  (1). 
Tandis  que  les  Européens  jetaient  ainsi  sur  ses  côtes  les 
bases  de  leur  puissance  future,  la  péninsule  était  encore 
agitée  à  l'intérieur  par  de  graves  événements.  En  plein  déve- 
loppement de  l'empire  portugais  un  descendant  de  Gengis- 
Khan  et  de  Timour.Bâber,  déjà  maître  d'une  partie  de  l'Afgha- 
nistan, pénétrait  a  son  tour  dans  l'Inde  par  le  passage  qui  plu- 
sieurs fois  déjà  avait  été  fatal  à  celle-ci, s'emparait  du  Pendjab 
et  enlevait  au  dernier  empereur  afghan  sa  capitale  Agra 
(1526).  L'Inde  péninsulaire  se  coalisa  contre  ce  nouvel  enva- 
hisseur qui  s'annonçait  plus  redoutable  que  les  précédents, 
mais  elle  fut  domptée  à  son  tour  et  Bâber,  ayant  établi  défini- 
tivement le  succès  de  son  entreprise,  inaugura  sur  le  trône 
de  Delhi,  désormais  capitale  de  l'empire,  la  longue  dynastie 
des  Grands-Mogols  qui  ne  devait  prendre  fin  qu'en  1857. 
L'Inde  conserva  néanmoins  au  point  de  vue  politique  la  dis- 
tinction que  nous  avons  faite  au  point  de  vue  physique: 
si  la  plaine  indo-gangétique  fut  effectivement  soumise  à  l'au- 
torité des  Grands-Mogols  et  administrée  régulièrement  par 

pour  donner  naissance  à  un  état  d'esprit  déplorable,  qui  des  tiommes 
les  plus  intègres  fit  souvent  aux  colonies  de  coupables  administrateurs. 
Qu'on  juge  ce  qu'il  en  devait  être,  lorsque  le  recrutement  de  ce 
personnel  n'offrait  pas  de  suffisantes  garanties,  ce  qui  fut  trop  souvent 
le  cas  sous  le  régime  des  Compagnies. 

(1)  De  leur  empire  asiatique  il  ne  reste  aujourd'hui  aux  Portugais 
que  Goa,  Diu  et  Damaô  dans  la  péninsule  hindoue,  une  partie  de  l'île 
Timor  dans  l'Archipel,  etMacao  en  Chine. 


1 4  INTRODUCTION 

leurs  officiers,  le  Deccaa  ne  dépendit  d'eux  que  d'une  ma- 
nière plulôl  théorique,  et  l'unité  de  rFIindouslan  sous  leur 
sceptre  ne  fut  jamais  réalisée  :  même  aux  époques  les  plus 
brillantes  de  cet  empire,  leur  puissance  ne  put  s'étendre 
jusqu'à  l'extrême  pointe  méridionale  de  la  péninsule,  et  ils 
trouvèrent  toujours  dans  ces  régions  éloignées  une  oppo- 
sition dont  ils  ne  purent  triompher.  La  noblesse  indigène 
des  Rajahs  continua  à  y  détenir  l'autorité  souveraine  aux 
yeux  des  populations,  et  certains  de  ses  membres  s'arrogè- 
rent une  indépendance  réelle,  que  l'empereur  ne  chercha 
pas  à  leur  disputer,  se  contentant  d'exiger  d'eux  une  pla- 
tonique reconnaissance  de  suzeraineté.  Cette  satisfaction,  il 
ne  put  même  l'obtenir  de  certaines  populations  foncièrement 
irréductibles,  telles  que  les  tribus  belliqueuses  d'origine 
aryenne  des  Mahrattes,  groupées  sous  l'autorité  d'un  petit 
potentat,  le  Peischwah,  dont  la  dyn.-istie  fournit  à  diverses 
reprises  au  Grand-Mogol  de  sérieux  adversaires.  Leur  résis- 
tance à  son  pouvoir  ne  désarma  jamais  :  groupant  en  une 
sorte  de  croisade  à  l'abri  des  monts  Satpourra  tous  les  mé- 
contents et  les  insoumis  de  la  péninsule,  ils  prirent  comme 
mot  d'ordre  :  l'Inde  aux  Hindous,  et  prétendirent  défendre 
son  sol,  à  litre  de  possesseurs  primitifs,  contre  tout  envahis- 
seur, quel  qu'il  fût.  De  temps  à  autre  leurs  bandes  sortaient 
de  cet  inviolable  repaire  et  leurs  incursions  mirent  plus 
d'une  fois  l'empereur  à  deux  doigts  de  sa  perte.  Quand  les 
Européens,   non   contents  de  trafiquer  avec  la  population 

(1)  L'empire  était  divisé  théoriquement  en  Provinces,  à  la  tèle  de 
cliticiine  desquelles  se  trouvait  un  gouverneur  impérial,  le  Soubah  ou 
Smibaliciar.  Les  provinces  étaient  elles-mêmes  divisées  en  Districts 
(N(ibabU's)  administrés  par  un  préfet,  le  Nabab.  Enfin  chaque  village 
important  ou  Aidée  formait  une  unité  administrative  ayant  à  sa  léte 
des  fonctionnaires  élus  par  les  habitants. 


LE    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILEGIEES  lîî 

indigène  de  l'Hindoustan,  prétendirent  y  fonder  une  puis- 
sance territoriale,  les  Mahraltes  eurent  souvent  l'occasion 
d'intervenir  et  les  Compagnies,  tantôt  les  combattant,  lantôt 
se  servant  d'eux,  durent  toujours  compter  avec  eux  comme 
avec  un  facteur  important  des  destinées  de  l'Inde.  Quelle  que 
fût  leur  situation  réelle,  les  Grands-Mogols  ont  joué  dans 
les  événements,  dont  cette  contrée  allait  être  bientôt  le 
théâtre,  un  rôle  qui  ne  fut  point  sans  grandeur.  Environnés 
d'une  renommée  fabuleuse  de  richesse  et  de  puissance  qui 
dissimulait  une  profonde  faiblesse,  ils  réussirent  par  ce  pres- 
tige même  à  maintenir  une  apparence  d'autorité  dans  ce 
chaos  d'intérêts  et  d'ambitions  contraires  qui  constitua  l'Inde 
du  xvi«  au  xix**  siècle.  Ce  monarque  mystérieux,  difficile- 
ment accessible  dans  sa  lointaine  capitale,  fut  placé  par  les 
Européens  au  premier  rang  de  ces  grands  potentats  orien- 
taux, qui  personnifiaient  à  leurs  yeux  la  plus  haute  concep- 
tion de  la  souveraineté  sans  limites,  avec  le  Grand-Seigneur 
et  l'Empereur  de  Chine  (I). 

(1)  On  a  pu  justement  comparer  la  situation  du  Grand-Mogol  à  celle 
du  Sultan  de  Constantinople,  Tous  deux  étaient  Turcs  ;  tous  deux 
ayant  soumis  à  leur  autorité  une  population  démesurément  plus  nom- 
breuse que  ses  vainqueurs,  eurent  toujours  à  craindre  un  retour  du  sort 
et  ne  furent  jamais  que  campés  sur  le  territoire  de  leur  empire.  Ni 
dans  l'un  ni  dans  l'autre  cas,  il  n'y  eut  de  fusion  entre  les  vainqueurs  et 
les  vaincus  :  le  Grand-Mogol  resta  un  «  étranger  »  comme  l'observe 
le  voyageur  Dernier,  pour  les  Indiens,  comme  le  Grand-Seigneur  pour 
les  populations  de  la  péninsule  balkanique  :  la  force  des  armes  main- 
tenait seule  son  autorité,  mais  son  armée,  ramassis  de  bandes  merce- 
naires sans  discipline  ni  valeur  militaire,  ne  pouvait  tenir  tête  aux 
troupes  blanches  des  Compagnies  européennes,  qui  n'eurent  jamais  à 
compter  la  puissance  militaire  du  Mogol  comme  un  obstacle  sérieux  à 
leur  ambition  ;  comme  le  Grand-Turc,  le  Grand-Mogol  rencontra  dans 
les  parties  reculées  de  son  empire  des  peuplades  irréductibles  contre 
lesquelles  tous  ses  efforts  éctiouèrent  ;  comme  lui  enfin,  il  vit  son  auto- 
rité énervée  par  ces  résistances   diminuer  de  jour  en  jour  et  l'avidité 


i 6  INTRODLCTION 

II 

La  puissance  coloniale,  qui  échappait  à  cette  même  époque 
aux  mains  des  Portugais,  ne  tarda  point  à  trouver  dans  les 
Hollandais  des  prétendants  plus  habiles,  plus  souples,  qui  su- 
rent s'édifier  pour  un  siècle  un  empire  indiscuté  dans  l'Océan 
Indien.  Jusqu'alors  les  Hollandais,  nation  commerçante  et 
riche,  s'étaient  contentés  de  charger  dans  les  ports  du  Portu- 
gal les  marchandises  que  les  navires  de  celui-ci  y  apportaient 
d'Asie,  pour  les  colporter  en  vrais  «  rouliers  de  la  mer  »  sur 
tous  les  rivages  de  l'Europe.  La  situation  changea,  quand  la 
couronne  d'Espagne  absorba  celle  du  Portugal  à  la  fin  du 
xvi"  siècle.  Les  provinces  des  Pays-Bas,  en  effet,  naguère 
toutes  réunies  sous  la  domination  espagnole,  ne  lui  étaient 
pas  toutes  restées  fidèles  ;  plusieurs  avaient  secoué  le  joug 
et  conquis  au  prix  de  luttes  sanglantes  leur  indépendance 
sous  le  sceptre  de  la  maison  de  Nassau.  A  l'heure  où  le  Por- 
tugal était  à  son  tour  victime  de  la  dévorante  avidité  de  sa 
voisine,  celte  lutte  n'était  pas  encore  terminée,  et  le  gouver- 
nement espagnol,  traitant  naturellement  les  rebelles  comme 
tels,  leur  ferma  l'accès  des  ports  portugais  et  leur  interdit  en 
même  temps  celui  de  ses  nouvelles  possessions  de  la  mer 
des  Indes.  Le  coup  était  sensible  pour  ce  peuple  si  commer- 
çant; il  ne  se  résolut  point  cependant  à  abandonner  un  trafic 
aussi  fructueux,  mais  ne  se  sentant  pas  de  taille  à  heurter 
de  front  la  puissance  espagnole,  il  chercha  en  vain  pendant 
quelque  temps  le  moyen  de  parvenir  aux  Indes  sans  se  servir 
de  la  route  des  Caps  (1).  Enfin,  devant  l'insuccès  de  ces 

européenne  mettre  la  main  sur  ses  territoires  et  en  décider  sans  lui  les 
destinées.  Moins  heureux  cependant  que  le  Turc  d'Occident,  parce  que 
son  sort  n'importait  pas  au  repos  de   l'Europe,  le  jour  où  de  chute  en 
chute  il  fut   réduit  au  rùle  d'un  isimple  figurant,  on  le  supprima. 
(1)  Dans  ce  but  trois  expéditions  successives  en   1594,  1595  et  1596 


LE   COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES   PMVILÉGIÉES  17 

tentatives,  les  Hollandais  se  résignèrent  à  braver  la  défense 
qui  leur  était  opposée  el  mirent  aussitôt  ce  parti  à  exécution. 
Dès  1595  en  effet,  une  société  se  fonda  à  Amsterdam  sous  le 
litre  de  «  Compagnie  des  Pays  Lointains  »  (1)  ;  à  la  vérité  les 
marins  hollandais  servaient  depuis  longtemps  dans  les  flottes 
portugaises  et  les  mers  des  Indes  leur  étaient  familières.  Les 
résultats  d'une  première  expédition  répondirent  aux  espéran- 
ces qu'on  en  avait  formées,  car  malgré  le  mauvais  accueil  que 
leur  firent  naturellement  les  Portugais,  ses  navires  rapportè- 
rent une  riche  cargaison  d'épices  (2).  La  Compagnie  des  Pays 
Lointains  se  fondit  pour  accroître  ses  moyens  d'action  avec 
une  société  nouvelleen  formation  et  cette  fusion  fut  consacrée 
par  l'armement  de  deux  expéditions  en  1598  et  1599.  L'im- 
pulsion était  donnée  :  Jes  commerçants  hollandais  n'avaient 
attendu  que  les  premiers  résultats  ;  bientôt  se  fondèrent  si- 
multanément plusieurs  petites  compagnies  à  Amsterdam, 
Rotterdam,  Delft,  Horn,  etc.  ;  mais  ces  fondations,  qui  témoi- 
gnaient d'un  fort  louable  esprit  d'entreprise  et  d'une  remar- 
quable activité  commerciale,  soulevèrent  des  craintes  fort 


partirent  à  la  recherche  d'une  route  qui  contournât  l'Asie  par  le  Nord. 
L'ignorance  où  l'on  était  alors  de  la  ge'ographie  des  contrées  glaciales 
explique  une  tentative  qui  paraît  d'abord  bien  chimérique  ;  en  fait  elle 
échoua  complètement  et  le  passage  du  Nord-Est  ne  fut  point  découvert 
en  ces  circonstances:  il  ne  devait  l'être  que  bien  plus  tard,  en  1878,  par 
Nordenskjold  (voyage  delà  Véga). 

(1)  Elle  fut  constituée  par  neuf  négociants  séduits  par  les  récits  du 
capitaine  Cornélis  Hootmann  qui  avait  plusieurs  fois  navigué  dans 
l'Océan  Indien  au  service  des  Portugais.  Ce  fut  à  lui  d'ailleurs  que  fut 
confié  le  commandement  de  la  première  expédition. 

(2)  Les  Portugais  surent  exciter  les  indigènes  de  l'île  de  Java  contre 

les  nouveaux  venus  qui  ne  purent  y  trafiquer,  mais  ils  réussirent  mieux 

à  l'île  de   Bali   (à  l'extrémité  orientale  de    Java).   L'expédition   perdit 

malheureusement  les  3/5  de  ses  équipages  au  cours  de  ce  long  voyage 

et  dut  abandonner  un  de  ses  navires, 

w.  —  2 


1 8  INTRODUCTION 

plausibles.  Ces  compagnies  n'allaienl-elles  pas,  en  effel, 
ûmietler  inulileraenl  des  forces,  qu'il  sérail  plus  avantageux 
pour  la  nation  de  réunir  ?  N'offriraient-elles  pas  aux  Espa- 
gnols dos  proies  faciles  qu'ils  détruiraient  successivement  ? 
Enfin  la  concurrence  qu'elles  se  feraient,  ne  les  ruinerait- 
elle  pas  réciproquement  au  grand  détriment  des  intérêts  na- 
tionaux, pour  amener  au  bout  du  compte  l'abandon  définitif 
du  commerce  des  Indes  (1)  ?  Ce  fut  l'opinion  du  gouvernement 
hollandais,  et  il  crut  devoir  intervenir  pour  provoquer  la 
réunion  en  un  seul  faisceau  de  ces  entreprises  diverses  ;  les 
intéressés  furent  pressentis  et  convaincus,  les  bases  d'une 
union  posées  et  un  traité  de  fusion  signé  le  20  mars  1602 
sous  les  auspices  des  Etals-Généraux. 

La  Compagnie  constituée  de  la  sorte  prit  le  nom  de  Com- 
pagnie des  Indes  Orientales,  son  capital  social  fut  fixé  à 
li.eOO.OOO  florins  (2)  et  divisé  en  2.200  actions  de  3.000  florins. 
La  souscription  était  accessible  à  tous  les  Hollandais.  Le  pos- 
sesseur de  10  actions  était  éligible  aux  fonctions  de  Directeur, 
La  forme  de  l'administration  fut  inspirée  par  l'origine  même 
de  la  Compagnie  :  elle  se  composa  de  60  Directeurs  répartis 
en  4  Chambres  (3)  ;  chacune  de  ces  Chambres  élisait  dans  son 
sein  un  certain  nombre  de  Directeurs  Généraux,  formant  au 
nombre  total  de  17  une  Chambre  de  Direction  Générale  sié- 

(1)  Déjà,  parall-il,  le  prix  d'achat  des  épices  sur  les  lieux  de  produc- 
tion augmentait  sensiblement,  et  par  contre  leur  prix  de  vente  en  Hol- 
lande avait  baissé. 

(2)  Le  chiffre  de  ce  capital  n'est  pas  exactement  connu  :  on  donne 
généralement  celui  de  6.600.000  Horins,  correspondant  suivant  VEncy- 
dopédie  Méthodique  à  7.90().000  livres  de  p-rance. 

(3)  Les  (  ihambres  avaient  un  nombre  de  membres  proportionnelà  l'apport 
fourni  par  chacune  d'elles  au  capital  social  .-ainsi  la  Chambre  d'Amsterdam 
eut  20  (lireclours,  celle  de  Zéhuide  12,  celle  de  Hoilcrdam-Dolfl.  14,  celle 
d'Kiikhuison-Horii  14  également. 


LE    COMMERCE    DES   INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILÉGIÉES  19 

géant  à  Amsterdam  (1).  Celle-ci  représentait  le  pouvoir  exé- 
cutif de  la  Compagnie,  réglait  les  expéditions  et  les  ventes, 
correspondait  avec  les  comptoirs.  Les  Chambres  du  premier 
degré  devaient  se  conformer  à  ses  décisions  :  leur  rôle,  sans 
être  négligeable,  était  purement  commercial  et  elles  étaient 
soumises  au  contrôle  de  la  Chambre  Générale.  La  Compagnie 
reçut  le  privilège  exclusif  du  commerce  des  Indes  Orientales 
a  au  delà  du  cap  de  Bonne-Espérance  et  du  détroit  de  Ma- 
gellan »,  avec  le  droit  de  confisquer  pour  son  propre  compte 
les  navires  nationaux  ou  étrangers  qui  le  lui  disputeraient  : 
il  était  en  effet  interdit  aux  sujets  hollandais  de  se  livrer  à  ce 
commerce,  de  s'associer  aux  étrangers  dans  ce  but,  et  de 
servir  sur  leurs  vaisseaux.  Elle  pouvait  fonder  des  comptoirs, 
élever  des  forteresses,  entretenir  des  garnisons,  conclure  des 
traités  d'alliance  avec  les  souverains  indigènes,  faire  avec 
eux  la  guerre  et  la  paix,  établir  dans  ses  possessions  des 
officiers  de  justice  et  de  police,  enfin  battre  monnaie  à  son 
coin  (2).  Par  contre,  elle  était  tenue  envers  la  République  à 
certaines  obligations  :  prêter  serment  de  fidélité,  soumettre 
ses  comptes  au  contrôle  du  gouvernement  et  acquitter  une 
redevance  annuelle  représentant  une  part  dans  ses  bénéfices. 
De  plus,  les  traités  qu'elle  conclurait  devaient  être  passés  au 
nom  des  Etats-Généraux  de  Hollande,  et  ses  officiers  de  jus- 
lice  prêteraient  serment  devant  eux.  La  concession  de  ces 
importantes  prérogatives  enfin  ne  lui  était  accordée  que  pour 

(1)  LaCtiambre  d'Amsterdam  eut  8  représentants  à  la  Chambre  Géné- 
rale, celle  de  Zélande  4,  chacune  des  deux  autres  2.  Le  dix-septième 
Directeur  Général  était  pris  alternativement  dans  l'une  des  trois  derniè- 
res Chambres. 

(2)  La  Compagnie  eut  un  pavillon  particulier  :  ce  fut  le  pavillon  hol- 
landais à  trois  bandes  horizontales  :  rouge,  blanche  et  bleue,  mais  la 
bande  blanche  portait  les  lettres  A.O.C.  réunies  en  un  monogramme. — 

V.  les  planches  de  Marine  de  la  Grande  Encyclopédie . 


20  INTRODUCTION 

une  durée  de  21  ans  :  à  l'expiration  de  ce  terme,  la  Compagnie 
devait  en  solliciter  le  renouvellement  (1). 

Ainsi  constituée  et  munie  de  privilèges  qu'elle  fut  la  pre- 
mière à  exercer,  la  Compagnie  fit  de  très  rapides  progrès  en 
puissance  et  en  richesse.  La  situation  maritime  de  la  Hollande 
à  celle  époque  le  lui  permettait  d'ailleurs  :  elle  comptait  en 
effet,  dit  Grotius,  70.000  marins,  construisait  chaque  année 
2.000  bâtiments  de  tout  tonnage,  et  avait  400  vaisseaux  occu- 
pés au  trafic  avec  Lisbonne  et  Cadix  avant  que  ces  ports  lui 
eussent  été  fermés  ;  mais  son  pavillon  fréquentait  activement 
aussi  les  autres  ports  d'Europe  et  la  réputation  de  ses  mar- 
chands et  de  ses  marins  était  partout  considérable.  De  telles 
forces  à  la  disposition  d'une  grandiose  conception  admirable- 
ment réalisée  pouvaient  et  devaient  donner  de  magnifiques 
résultats. 

L'activité  de  la  Compagnie  fut  aussi  grande  que  son  habi- 
leté. Dès  les  premières  expéditions,  elle  sut  s'attirer  les  dis- 
positions favorables  des  populations  des  lies  de  la  mer  de 
Banda,  conclure  des  traités  avec  les  sultans  d'Atjeh  (2)  (Nord- 
Sumatra)  et  de  Kandy  (Ceylan),  et  jeter  dans  les  Moluques  et 
dans  Tile  de  Java  les  bases  de  ses  futurs  comptoirs.  Ces  pre- 
miers résultats  ne  furent  pas  sans  susciter  la  jalousie  des 


(1)  La  durée  des  concessions  successivement  accordées  à  la  Compa- 
gnie fut  assez  variable:  25  années  en  1622,  12  en  1647,  35  en  1665, 
40  en  1698,  etc.,  chaque  renouvellement  coûtait  fort  cher  à  la  Compa- 
gnie et  fut  l'occasion  de  luttes  acharnées  entre  elle  et  les  commerçants 
particuliers. 

(8)  Cette  contrée  est  constamment  désignée  aux  xvii*  et  xvni»  siècles 
sous  le  nom  de  royaume  d'Achem.  Les  Hollandais  n'y  eurent  jamais 
malgré  leurs  efforts  qu'un  protectorat  peu  efficace  et  ne  réussirent  pas  à 
en  interdire  l'accès  aux  autres  nations  de  l'Europe,  comme  ils  le  firent 
pour  les  Moluques.  .Aussi  les  compagnies  française  et  anglaise  entretin- 
rent-elles des  relations  avec  cette  partie  de  l'île  de  Sumatra. 


LE    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILÉGIÉES  21 

Hispano-Portugais,  qui  ne  cherchaient  que  l'occasion  d'en- 
traver une  rivale  si  entreprenante  ;  mais  une  flotte  de  14  vais- 
seaux de  guerre,  qu'ils  envoyèrent  dans  l'Océan  Indien  pour 
y  mettre  bon  ordre,  fut  battue  par  de  simples  bâtiments  de 
commerce  armés  en  guerre  que  la  Compagnie  leur  opposa. 
L'enthousiasme  fut  grand  chez  les  Hollandais  à  la  nouvelle 
de  ce  triomphe,  et  enhardis  par  lui  ils  prirent  à  leur  tour 
l'offensive.  Ils  s'emparèrent  du  fort  d'Amboine  et  occupèrent 
l'Ile  qu'il  défendait  (1605),  puis  en  peu  de  temps  chassèrent 
complètement  les  Portugais  des  Moluques,  qu'ils  conservè- 
rent désormais  sans  contestation.  En  1609  la  Compagnie, 
vieille  de  sept  années  seulement,  possédait  9  vaisseaux, 
11  forteresses,  et  une  petite  armée  de  600  hommes  ;  elle  était 
déjà  assez  puissante  pour  envoyer  dans  ses  possessions  son 
premier  Gouverneur  Général. 

Ses  navires  d'ailleurs  allaient  toujours  plus  loin  et  décou- 
vraient chaque  jour  de  nouvelles  terres  à  exploiter.  En  1611 
elle  mettait  le  pied  au  Japon  et  obtenait  l'autorisation  de 
s'établir  à  Nagasaki  avec  le  privilège  exclusif  du  commerce 
avec  l'Europe.  Puis  ses  marins  explorèrent  les  côtes  d'Aus- 
tralie à  peine  reconnues  par  les  Portugais,  la  Nouvelle-Gui- 
née, découvrirent  la  Tasmanie  et  la  Nouvelle-Zélande.  La 
tête  manquait  encore  à  cet  empire  sans  cesse  grandissant  : 
la  victoire  du  gouverneur  Koen  sur  le  sultan  de  Jacatra  (île  de 
Java)  la  lui  donna  ;  sur  les  ruines  de  cette  ville  s'éleva  Bata- 
via, admirablement  située  au  centre  du  trafic  des  épices,  et 
le  siège  du  gouvernement  général  des  Indes  hollandaises  ne 
tarda  pas  à  devenir  le  grandiose  entrepôt  de  cette  partie  du 
monde.  Enfin,  sa  prépondérance  définitivement  assurée  sur 
l'archipel  asiatique,  la  Compagnie  chercha  à  l'étendre  vers 
rinde.  La  prise  de  Colombo  lui  permit  de  s'établir  sur  la  côte 
de  Coromandel  avec  Négapatam  et  San  Thoraé,  puis  au  Ma- 


22  INTRODUCTION 

labar  avec  Cochin,  au  Bengale,  et  enfin  à  Sural.  La  prise  de 
Malacca  lui  donna  la  clef  de  l'Archipel  ;  roccupalion  du  Cap 
de  Bonne-Espérance  lui  assura  un  avantageux  point  d'escale 
et  de  ravitaillement  pour  ses  vaisseaux  :  la  colonie  qu'elle  y 
établit  en  1652  prit  bientôt  un  magnifique  essor. 

A  l'heure  où  nous  verrons  Colbert  créer  la  Compagnie  des 
Indes  Orientales  (1664),  la  Compagnie  hollandaise  qu'il  imi- 
tait était  en  pleine  prospérité  et  son  immense  empire  était 
complètement  formé.  Son  Gouverneur  Général  était  un  véri- 
table souverain,  Batavia  une  opulente  capitale  où  venaient 
se  déverser  tous  les  produits  des  Indes  (1).  Par  l'archipel 
asiatique  la  Compagnie  détenait  la  production  des  épices, 
dont  elle  réglait  à  son  gré  l'écoulement  en  Europe,  même  au 
prix  de  moyens  barbares.  Elle  avait  une  flotte  de  commerce 
de  150  navires,  et  une  flotte  de  guerre  de  50  vaisseaux  pour 
assurer  leur  sécurité  ;  elle  entretenait  une  armée  de  10.000 
soldats,  et  ses  importations  en  Europe  atteignaient  10  à 
12  millions  de  livres  par  an. 

Ses  résultats  financiers  n'avaient  pas  été  moins  brillants  : 
dès  1613  son  capital  primitif  était  presque  triplé  ;  ses  répar- 
titions avaient  atteint  parfois  un  chiffre  prodigieux,  s'élevanl 
de  15  0/0  en  1605  à  75  0/0  en  1606,  résultat  immédiat  de  la 
mainmise  sur  les  épices,  et  le  taux  moyen  jusqu'en  1661 
s'en  maintint  de  25  à  30  0/0,  atteignant  certaines  années  40 
ou  50  0/0.  Enfin  ses  actions  émises  à  3.000  florins  étaient  mon- 
tées rapidement  à  18.000. 

(1)  Le  siè^e  du  Gouvernement  Général  était  Batavia  :  il  y  avait  au- 
dessous  8  Gouvernements  particuliers  :  Amboine,  Banda,  Ternale, 
Macussar,  Malacca,  Java,  Colombo  elle  Cap.  En  outre,  les  comptoirs  de 
l'Hindouslan  avaient  des  directions  particulières  :  côte  de  Coromandel, 
Bengale,  Sural  ;  de  même  que  Bender-Abbas  en  Perse,  Nagasaki  au 
Japon  et  Tai-Wan  (île  de  Formose).  La  Compagnie  avait  en  tout  40 
comptoirs  et  25  forteresses. 


LE   COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILÉGIÉES  23 

La  Compagnie  avait  pourtant  des  cliarges  fort  lourdes. 
Si  ses  importations  en  Hollande  étaient  exemptées  de  tous 
droits,  ses  exportations  étaient  grevées  d'une  taxe  de  3  0/0. 
Elle  payait  en  outre  une  redevance,  qui  de  150.000  florins 
par  an,  fut  portée  bientôt  à  un  million  et  demi  ;  car,  à  me- 
sure que  s'accroissait  sa  richesse,  le  gouvernement  hollan- 
dais se  montrait  plus  avide,  et  chaque  renouvellement  de  son 
privilège  fut  l'occasion  d'un  don  forcé  fort  onéreux  :  ainsi  en 
1667  il  lui  imposa  la  cession  de  :20  vaisseaux  de  guerre  et  l'éta- 
blissement d'un  droit  annuel  de  16.000  florins  sur  le  produit 
des  douanes  de  ses  possessions  asiatiques.  D'autres  maux 
vinrent  s'ajouter  à  ces  charges  et  ralentir  l'élan  de  sa  pros- 
périté. Son  crédit  était  immense,  mais  elle  eut  le  tort  d'en 
abuser,  et  de  lourds  emprunts  vinrent  grever  son  capital. 
La  corruption  fit  des  ravages  de  jour  en  jour  plus  grands 
dans  son  administration.  Puis  des  rivaux  s'élevaient  et  gran- 
dissaient à  côté  d'elle,  lui  disputaient  la  clientèle  des  nations 
européennes  :  la  Compagnie  anglaise,  la  Compagnie  fran- 
çaise, timides  imitations  au  début  de  la  puissante  société 
d'Amsterdam,  affichaient  la  prétention  de  lui  arracher  son 
empire  colonial,  et  lui  déniaient  le  droit  au  monopole  des 
épices.  D'ailleurs,  circonstance  fort  grave,  la  Hollande  n'oc- 
cupait plus  en  Europe  la  même  situation,  les  Anglais  lui  en- 
levèrent la  domination  des  mers,  et  les  guerres  contre 
Louis  XIV  la  ruinèrent.  Toutes  ces  causes  réunies  réduisi- 
rent d'abord  la  prospérité  de  la  Compagnie,  puis  entraînèrent 
sa  décadence  :  un  jour  vint  où  le  passif  équilibra  l'actif,  puis 
le  déficit  apparut  dans  ses  bilans  (vers  1730).  Chassée  de 
l'Hindoustan  devenu  trop  petit  pour  les  Compagnies  anglaise 
et  française,  elle  vit  bientôt  la  première  délivrée  de  sa  rivale 
se  retourner  contre  elle  et  lui  enlever  plusieurs  de  ses  comp- 


24  INTRODUCTION 

toirs  (1).  La  guerre  d'Amérique  consacra  sa  ruine  el  elle 
dut  accorder  à  l'Angleterre  le  droit  de  naviguer  librement 
dans  les  mers  des  Indes,  droit  qu'elle  avait  toujours  refusé 
de  reconnaître  jusqu'alors  aux  Européens.  Devenue  désor- 
mais un  rouage  inutile  et  encombrant,  elle  dut  se  dissoudre 
enfin  :  ses  possessions  furent  réunies  à  l'État  hollandais  par 
la  Constitution  de  la  République  balave  (1798).  Ainsi  finit  la 
Compagnie  hollandaise  des  Indes,  sinon  la  plus  célèbre,  du 
moins  la  plus  prospère  des  grandes  Compagnies  européen- 
nes. Plus  heureuse  que  la  Compagnie  française,  elle  eut 
comme  sa  rivale  anglaise  la  satisfaction  déléguer  à  sa  patrie 
un  domaine  colonial  florissant,  elsi  elle  n'échappa  point  aux 
critiques  et  aux  attaques  que  son  monopole  devait  soulever, 
la  postérité  n'a  pu  du  moins  lui  dénier  l'honneur  d'avoir 
rendu  à  la  cause  publique  un  service  dont  ses  privilèges  ne 
furent  qu'une  juste  compensation  (2). 

Après  les  Portugais  et  les  Hollandais,  ce  furent  les  Anglais 
qui  pratiquèrent  le  plus  tôt  et  le  plus  activement  le  commerce 
des  Indes  (3).  Une  association  s'était  en  effet  formée  dès  1579 

(1)  Les  Anglais  lui  enlevèrent  Ceylan  et  le  Cap  en  1795.  La  France 
lui  avait  succédé  dans  l'île  Maurice  dès  l'année  1721. 

(2)  La  Hollande  possède  encore  aujourd'hui  les  trois  quarts  de  l'ar- 
chipel asiatique,  c'est-à-dire  un  dornaine  colonial  quarante  fois  grand 
comme  la  métropole  ;  les  principales  parties  de  cet  empire  sont  :  Su- 
matra, Java,  la  majeure  partie  de  Bornéo,  les  îles  Moluques,  l'île  Célé- 
bès,  la  moitié  de  la  Nouvelle-Guinée.  Le  centre  administratif  el  le 
siège  du  gouverneur  général  est  toujours  Batavia,  qui  compte  06.000 
habitants. 

(3)  Leurs  premières  tentatives  datent  du  jour  où  la  couronne  de  Portu- 
gal prétendit  se  réserver  le  monopole  de  ce  commerce  :  comme  les  Hol- 
landais le  firent  plus  tard,  leur  première  pensée  fut  de  chercher  une 
route  vers  l'Asie  par  le  nord  el  plusieurs  expéditions  furent  organisées 
dans  ce  but  à  partir  de  1527.  Elles  échouèrent  toutes  et  l'ardeur  des 
négociants  anglais  s'en  trouva  si  refroidie,  qu'il  fallut  pour  la  réveiller 
les  rapides  progrès  que  firent  piMidanl  ce  temps  les  Hollandais,  dans  la 


LE    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILEGIEES 


2n 


à  Londres  sous  le  patronage  du  lord-maire  el  au  capital  de 
30.000  livres  sterling,  pour  faire  le  commerce  avec  les  Echel- 
les du  Levant;  les  cent-un  marchands  qui  la  composaient, 
leur  ambition  grandie  par  le  succès,  sollicitèrent  vingt  ans 
après  l'autorisation  de  faire  une  expédition  aux  Indes  (1599). 
La  reine  Elisabeth  la  leur  accorda  et  une  charte  royale  pro- 
mulguée en  faveur  de  Thomas  Smith,  alderman  delà  Cité  de 
Londres,  constitua  l'association  en  une  corporation  sous  le 
nom  de  Marchands  trafiquant  aux  Indes  Orientales  (1)  (1600). 
Elle  reçut  le  monopole  du  commerce  au  delà  du  cap  de 
Bonne-Espérance  et  du  détroit  de  Magellan,  l'autorisation 
d'exporter  chaque  année  30.000  livres  sterling  en  espèces 
monnayées,  l'exemption  des  droits  de  sortie  pour  les  charge- 
ments de  départ  de  ses  quatre  premières  expéditions,  enfin 
celle  de  tout  droit  d'entrée  sur  les  marchandises  qu'elle  im- 
porterait des  Indes.  Son  capital  de  30.000  livres  sterling  fut 
porté  à  70.000  livres  et  une  Cour  de  24  Directeurs  élus  an- 


mer  des  Indes,  leur  faisant  perdre  par  là  toute  l'avance  qu'ils  avaient  un 
moment  gagnée.  L'Angleterre  n'avait  d'ailleurs  pas  à  cette  époque  une 
activité  commerciale  et  maritime  comparable  à  celle  de  la  Hollande  et  se 
trouvait  moins  bien  oulillée  qu'elle  pour  un  trafic  de  cette  importance. 
(1)  L'origine  de  la  Compagnie  anglaise  se  trouve  ainsi  de  deux  an- 
nées antérieure  à  celle  de  la  Compagnie  hollandaise.  Mais  la  première 
conserva  assez  longtemps  un  caractère  précaire  et  son  expansion  fut 
beaucoup  moins  rapide  que  celle  de  sa  rivale.  Les  privilèges  qui  lui 
furent  accordés  par  Elisabeth  inspirèrent  certainement  les  créateurs 
de  la  Compagnie  d'Amsterdam,  mais  celle-ci  en  fit  la  première  l'appli- 
cation qu'elle  amena  rapidement  à  un  très  haut  degré  de  perfection.  A 
l'heure  où  elle  avait  achevé  la  formation  de  son  empire  des  Indes,  la 
Compagnie  anglaise,  plusieurs  fois  retardée  par  des  crises  graves,  était 
encore  à  peine  sortie  des  embarras  de  son  établissement  ;  elle  dut  par 
la  suite,  et  comme  les  Compagnies  étrangères,  prendre  modèle  sur  sa 
rivale,  de  sorte  que  malgré  l'antériorité  de  sa  constitution,  il  convient, 
croyons-nous,  de  ne  la  placer  chronologiquement  qu'au   second  rang. 


26  INTRODUCTION 

nuellemenl  par  les  actionnaires  fui  chargée  de  la  gestion  de 
ses  affaires. 

Une  flotte  de  5  navires  fut  aussitôt  armée  et  partit  de  Tor- 
bay  en  avril  1601,  elle  atteignit  Aljeh  en  juin  1602;  le  sultan 
de  ce  pays  lui  fit  bon  accueil  et  autorisa  rétablissement  d'une 
factorerie  ;  une  autre  fut  immédiatement  créée  à  Bantam  (ile 
de  Java),  qui  fut  le  premier  établissement  des  Anglais  aux 
Indes. 

Dans  les  années  suivantes  la  Compagnie  des  Marchands 
trafiquant  aux  Indes  fit  plusieurs  nouvelles  expéditions.  Pour 
chacune  d'elles  on  procédait  entre  les  associés  à  une  sous- 
cription, dont  le  montant  était  consacré  à  son"  armement. 
Il  n'y  avait  donc  pas  encore  à  proprement  parler  de  capital 
social,  comme  la  Compagnie  hollandaise  en  eut  un  dès  le 
début. 

Dès  l'année  1609  les  Anglais,  qui  jusque-là  avaient  porté 
leurs  efforts  du  côté  de  l'Archipel,  cherchèrent  à  prendre 
pied  sur  la  péninsule  hindoue  (1),  mais  cette  première  ten- 
tative échoua  devant  l'hostilité  des  Portugais  et  des  Hollan- 
dais. Cependant  les  résultats  financiers  étaient  excellents,  et 
l'expédition  de  1608  avait  rapporté  211  0/0  !  Les  associés  en- 
thousiasmés demandèrent  avant  le  terme  le  renouvellement 
de  leurs  privilèges, et  Jacques  P'  alla  au-devant  de  leurs  désirs 
en  leur  en  accordant  la  continuation  à  perpétuité  (1609)  ;  il  en- 
voya en  outre  au  Grand-Mogol  un  ambassadeur  qui  conclut 
avec  lui  un  trcuté  de  paix  perpétuelle  (1613).  Celle  haute  pro- 
tection détermina  une  seconde  tentative  d'établissement  sur 
la  côte  de  Coromandel,  qui  échoua  encore  pour  les  mêmes 
motifs. 


(1)  Dans  le  but  de  se  procurer  des  elofles  pour  servir  aux   écliauges 
dans  les  Moluques. 


LE    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRmLÉGIEES  27 

CtpuiidauL  à  Londres  les  associés  avaient  renoncé  à  l'usage 
suivi  jusqu'alors  de  faire  pour  chaque  armement  une  sous- 
cription spéciale  et  résolu  la  constitution  d'un  capital  suffi- 
sant pour  faire  face  à  toute  éventualité.  On  réunit  400.000  li- 
vres sterling,  qui  furent  confiées  à  la  gestion  de  la  Cour  des 
Directeurs. 

Cette  transformation  eut  pour  le  développement  de  la 
Compagnie  des  résultats  féconds  :  une  victoire  remportée 
sur  la  flotte  du  vice-roi  portugais  rehaussa  son  crédit  auprès 
du  Grand-Mogol  et  lui  permit  enfin  de  s'établir  à  Masulipa- 
tam  (1616).  Elle  ne  manifestait  d'ailleurs  aucune  humeur 
belliqueuse  et  bornait  son  ambition  au  libre  exercice  de  ses 
opéralions  commerciales;  leur  développement  fut  dès  lors 
rapide,  et  elle  eut  des  représentants  à  Agra,  Surat,  Ahmada- 
bad,  Calicut  ;  ses  comptoirs  atteignirent  le  nombre  de  vingt 
et  un  (1). 

Pendant  ce  temps  son  administration  acquérait  une  forme 
définitive  :  l'assemblée  des  actionnaires,  constituant  la  Cour 
des  Propriétaires,  représentait  en  quelque  sorte  le  pouvoir 
législatif  et  recrutait  dans  son  sein  par  élection  la  Gourdes 
Directeurs,  organe  du  pouvoir  exécutif,  chargée  de  la  gestion 
de  leurs  intérêts.  Dans  les  Indes  les  factoreries  étaient  diri- 
gées par  un  gouverneur  assisté  d'un  conseil  ;  sous  ses  ordres 
les  divers  employés  étaient  hiérarchiquement  divisés  en  écri  - 
vainsjfacteurs  et  marchands. Malheureusement  ce  développe- 
ment rapide  fut  nuisible  à  la  Compagnie,  car  la  création  de  ces 
nombreux  comptoirs  absorba  ses  ressources  ;  une  crise  se 
produisit  à  laquelle  Jacques  P""  mit  le  comble  en  autorisant  la 


(1)  Elle  en  comptait,  paraît-il,  3  à  Java,  3  à  Sumatra,  2  à  Borne'o,  1  à 
Célébès,l  àBanka,  1  au  Siam,  1  à  Malacca,  1  au  Japon.  —  V.  F.Delon, 
Etude  sur  les  chartes  de  la  Compagnie  anglaise  des  Indes,  1897. 


28  INTRODUCTION 

formalion  d'une  nouvelle  Compagnie  des  Indes  (1)  ;  la  Com- 
pagnie ancienne  protesta,  mais  on  passa  outre,  et  les  deux 
sociétés  durent  fonctionner  côte  à  côte.  Ce  ne  fut  point  sans 
inconvénients,  car  cette  concurrence  nuisit  à  l'une  et  à  l'autre 
jusqu'au  jour  où,  très  sagement,  elles  résolurent  d'opérer  une 
fusion  (1630).  Le  premier  acte  de  la  Compagnie,  ainsi  ren- 
forcée d'éléments  nouveaux,  fut  d'entamer  avec  les  Hollan- 
dais des  négociations  en  vue  d'une  entente;  on  aboutit  à  un 
curieux  compromis  qui  admit  les  Anglais  à  commercer  à  Java 
et  aux  Moluques  dans  une  proportion  déterminée  de  la  récolte 
annuelle  des  épices,  et  organisa  un  «  Conseil  de  Défense  » 
composé  de  4  membres  de  chaque  Compagnie  et  destiné  à 
maintenir  la  bonne  harmonie  entre  elles  ;  malgré  celte  mu- 
tuelle bonne  volonté,  l'accord  ne  put  s'établir  et  la  rivalité 
devint  bientôt  plus  vive  que  jamais.  La  Compagnie  cependant 
continuait  de  progresser:  en  1643,  elle  obtint  la  concession 
du  village  de  Madras  (Madraspatnam)  et  en  1651  elle  occupa 
l'ile  Sainte-Hélène.  Cependant  une  seconde  fois,  ses  efforts 
furent  entravés  et  la  révolution  de  1648  faillit  causer  sa  ruine  : 
les  marchands  de  Londres  réclamèrent  le  retrait  de  sa  con- 
cession ;  Cromwell  la  maintint,  mais  il  autorisa  à  son  tour 
une  nouvelle  Compagnie  à  faire  le  commerce  des  Indes  (2). 
Encore  une  fois  d'ailleurs  la  crise  fut  conjurée  par  une  fusion. 
En  1661,  Charles  II  confirma  à  la  Compagnie  les  privilèges 
accordés  par  Elisabeth  :  il  les  accrut  même  du  droit  de  faire 
la  paix  et  la  guerre  avec  les  peuples  non  chrétiens,  de  saisir 
tout  sujet  anglais  qu'elle  trouverait  sur  ses  territoires  sans 

(1)  Celle-ci  réunit  un  capital  de  600.000  livres  sterling  fourni  pour  la 
première  fois  par  une  souscription  publique  :  elle  compta  ainsi  plus  de 
900  actionnaires,  \n\rm\  lesquels  figurèrent  les  premiers  personnages  du 
royaume. 

(2)  Celte  nouvelle  Compagnie  réunit  300.000  livres  sterling. 


LE   COMMERCE    DES   INDES    ET    LES   COMPAGNIES    PRIVILEGIEES  29 

l'y  avoir  autorisé,  d'exporter  chaque  année  500.000  livres  ster- 
ling d'espèces  monnayées,  enfin  une  juridiction  civile  et  cri- 
minelle fut  reconnue  aux  gouverneurs  dans  les  possessions 
delà  Compagnie  sous  la  condition  de  se  conformer  stricte- 
ment aux  lois  anglaises.  Charles  II  mit  le  comble  à  ces 
faveurs  en  lui  donnant  la  ville  de  Bombay,  qu'il  avait  reçue 
en  dot  (1668j. 

Telle  était  sa  situation  à  l'époque  oîiColbert  créait  la  Com- 
pagnie des  Indes  Orientales  (1664).  Dès  lors  nous  rencontre- 
rons sans  cesse  les  deux  Compagnies  opposées  dans  une 
rivalité  de  plus  en  plus  aiguë  et  associées  par  l'histoire  des 
événements  dont  les  mers  des  Indes  devinrent  le  théâtre, 
nous  nous  bornerons  donc  à  jeter  ici  un  rapide  coup  d'œil 
sur  les  destinées  de  la  Compagnie  anglaise. 

Tout  en  gardant  encore  une  attitude  modeste,  celle-ci  ne 
cessait  de  s'accroitre  :  en  1677,  en  1683,  ses  privilèges  furent 
confirméset  denouvelles  prérogatives  lui  furent  octroyées  (1). 
L'avènement  de  Guillaume  d'Orange  fut  cependant  pour  elle 
l'occasion  du  plus  rude  assaut  qu'elle  eût  encore  subi. 
L'opinion  publique  lui  était  défavorable,  le  Parlement  ha- 
bilement circonvenu  autorisa  par  son  vote  la  constitution 
d'une  nouvelle  Compagnie  et  prononça  la  déchéance  de  la 
Compagnie  existante.  Guillaume  III  protesta,  se  réclamant 
du  droit  qu'avaient  ses  prédécesseurs  de  décider  à  leur 
gré  des  affaires  des  Indes,  mais  le  Parlement  fier  de  sa 
puissance  nouvelle,  refusa  de  s'incliner,  et  la  nouvelle  Com- 
pagnie fut  formée.  C'était  la  troisième  fois  que  deux  sociétés 

(1)  En  1677  elle  reçut  le  droit  de  battre  monnaie  ;  en  1683  celui  de 
s'emparer  de  tous  les  vaisseaux  qui  porteraient  préjudice  à  son  com- 
merce, formule  à  dessein  vague  et  exlensive,  et  celui  d'établir  des 
cours  de  justice  pour  la  répression  des  crimes  et  délits  commis  dans 
ses  possessions. 


30  INTRODUCTION 

rivales  se  trouvaient  en  possession  du  même  monopole  ! 
Leur  concurrence  produisit  encore  les  plus  mauvais  résul- 
tats :  les  actions  de  chacune  d'elles  subirent  une  baisse 
considérable,  et  leur  commerce  déjà  diminué  fut  entravé  par 
les  prohibitions  du  Parlement  contre  les  soieries  indiennes. 
Mais  encore  une  fois  les  deux  antagonistes  eurent  la  sagesse 
de  reconnaître  le  tort  qu'elles  se  faisaient  muluellemenl,  et 
la  fusion  fut  opérée  en  1702.  La  société  nouvelle  vint  grossir 
le  capital  de  son  aînée  de  673.000  livres  sterling,  et  la  Com- 
pagnie ainsi  constituée  sous  le  titre  définitif  de  Compagnie 
Unie  des  Marchands  Anglais  commerçant  aux  Indes  Orien- 
tales, reprit  le  cours  de  ses  opérations. 

Le  gouvernement,  alors  fort  obéré,  lui  imposa  des  prêts 
considérables,  mais  par  contre  il  prolongea  jusqu'en  1780  (1) 
la  durée  de  sa  concession. 

Avec  la  seconde  moitié  du  xvui®  siècle  s'ouvrit  la  période 
de  rivalité  armée  avec  la  (Compagnie  française  ;  au  cours  de 
ces  luttes,  elle  fut  plusieurs  fois  plus  près  de  sa  perte  qu'elle 
ne  l'avait  jamais  été.  Les  événements  finirent  cependant  par 
lui  devenir  favorables,  grâce  à  un  concours  du  gouvernement 
plus  sérieux  et  plus  intelligent  que  celui  qui  fut  réservée  sa 
rivale,  et  le  traité  de  Paris  consacra  son  triomphe  et  l'écra- 
sement de  celle-ci  (1763). 

^Une  ère  nouvelle  s'ouvre  dès  lors  pour  la  Compagnie  an- 
glaise. Hestée  seule  puissante  dans  l'Inde  parmi  les  Compa- 
gnies européennes,  maîtresse  du  Bengale  et  de  la  côte  de 
CoromandeU  couvrant  de  sa  protection  le  Grand-Mogol  lui- 
même,  en  possession  enfin  du  monopole  de  fait  du  commerce 


(1)  Le  premier  renouvellement  eut  lieu  en  1707  jusqu'en  1726,  le 
second  en  1712  jusqu'en  1733,1e  troisième  en  1730  jusqu'en  1766,  le 
quatrième  bieiilôl  après  jusqu'en  1780. 


LE    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILEGIEES         31 

de  l'Inde,  elle  atteignit  le  sommet  de  pa  prospérité.  Gela  ne 
dura  guère,  car  le  gouvernement  anglais  ne  tarda  pas  à  éten- 
dre de  plus  en  plus  sur  elle  un  contrôle  jusque-là  presque 
nul;  la  guerre  qu'elle  dut  soutenir  contre  Haïder-Ali  (1)  et 
qui  la  mit  à  deux  doigts  de  sa  ruine,  provoquant  une  pani- 
que à  Londres  à  la  nouvelle,  prématurée  d'ailleurs,  de  la 
prise  de  Madras,  amena  l'intervention  définitive  du  Parlement 
dans  ses  affaires.  Sa  puissance,  sa  richesse  grossissaient 
sans  cesse  le  nombre  de  ses  ennemis,  elle  entra  dès  lors 
dans  l'ère  des  difficultés  et  se  vit  peu  à  peu  dépossédée  de 
ses  pouvoirs  et  de  ses  biens. 

Un  conseil  de  contrôle  (2)  présidé  par  le  Chancelier  de  l'E- 
chiquier surveilla  sa  politique  dans  la  péninsule  ;  cependant 
les  guerres  avec  la  République  française  ralentirent  sa  chute, 
en  occupant  ailleurs  l'opinion  publique  et  en  1793  sa  charte 
fut  renouvelée  et  ses  privilèges  confirmés  jusqu'en  1814.  Elle 
put  continuer  ses  opérations  commerciales  dans  une  tran- 
quillité relative. 

Mais  dès  1813  les  difficultés  réapparurent,  et  la  crise  fut 
définitive.  Sa  charte  fut  bien  encore  renouvelée,  mais  elle 
perdit  le  monopole  du  commerce  de  l'Inde  (3),  base  de  sa 
puissance  et  ne  conserva  que  celui  de  la  Chine.  Cette  perte 
porta  à  son  activité  commerciale  un  coup  mortel  ;  elle  aban- 
donna les  uns  après  les  autres  tous  les  caractères  d'une  so- 
ciété commerciale  et  devint  un  simple  rouage  de  l'adminis- 
tration anglaise.  En  1834  elle  n'osa  même  plus  réclamer  le 
maintien  de  son  reste  de  monopole  et  accepta  de  cesser 
toute  opération  commerciale,  pour  ne  plus  èlre  que  la  Com- 

(1)  1767-1782. 
(^)  Board  of  conlrol. 

(3)  Les  particuliers  reçurent  la  faculté  de  faire  ce  commerce  sous  la 
condition  de  remplir  certaines  formalités  sans  importance. 


32  INTRODUCTION 

pagnie  financière  de  V administration  de  l'Inde.  En  1854  elle 
perdit  le  droit  de  nommer  aux  plus  infimes  emplois  de  celle 
administration  elle-même,  et  la  révolte  des  Gipayes  surve- 
nue en  1857  fut  le  prétexte  qui  servit  à  dénouer  une  situa- 
tion devenue  impossible.  L'opinion  publique  fit  porter  à  la 
Compagnie  la  responsabilité  de  ce  soulèvement  qui  mit  la 
puissance  anglaise  dans  le  plus  redoutable  péril  (1).  Aussi 
le  2  août  1858,  le  Parlement  vola  le  transfert  à  la  Couronne 
des  pouvoirs  et  des  possessions  de  la  Compagnie,  consacrant 
ainsi  la  chute  définitive  de  la   Vieille  Dame  de  Londres  (2). 

III 

Nous  avons  ainsi  rapidement  suivi  de  leur  naissance  à 
leur  tin  à  travers  les  événements  les  plus  marquants  de  leur 
existence,  les  deux  premières  Compagnies  des  Indes,  et  les 
deux  rivales  que  la  Compagnie  française  devait  rencontrer 
sur  le  chemin  de  l'Asie.  Il  y  eut,  il  est  vrai,  d'autres  Compa- 
gnies étrangères,  car  la  plupart  des  nations  européennes  se 
piquèrent  de  posséder  leur  Compagnie  particulière  ;  mais 
aucune  d'elles  n'atteignit  l'importance  commerciale  ni  la 
puissance  territoriale  de  ces  trois  grandes  sociétés  (3). 

(1)  Il  paraît  bien  en  efTet  que  la  manière  insolente  et  maladroite  dont 
Ses  fonctionnaires  et  ses  officiers  traitaient  les  populations  hindoues, leur 
continuelle  tendance  à  violenter  l'esprit  de  caste  si  puissant  chez  elles 
furent  la  cause  de  celte  insurrection.  Elle  éclata  à  la  suite  de  l'intro- 
duction dans  l'armement  des  troupes  indigènes  de  la  carabine  Minié, 
qui  employait  une  cartouche  enduite  de  graisse  de  bœuf,  animal  consi- 
déré comme  sacré  par  les  Hindous. 

^2)  The  u  old  lady  of  London  ».  nom  sons  lequel  les  Anglais  désignaient 
plaisamment  la  Compagnie. 

(3)  Nous  devons  les  mentionner  brièvement  ici  :  i°\&Compagnic  danoise 
ou  Compagnie  de  Copenhague  :  elle  fut  constituée  sous  Christian  IV  en 
1612,  et  fonda  en  1620  les  comptoirs  de  Sérampore  et  de  Tranquebar  sur 


LE   COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILÉGIÉES  33 

Si  nous  considérons  au  point  de  vue  économique  les  pre- 
mières relations  suivies  ainsi  établies  entre  l'Europe  et  les 
Indes  nous  y  distinguerons  deux  périodes. 

En  premier  lieu  la  période  portugaise,  pendant  laquelle 
l'Etat  lui-même  assuma  l'entretien  de  ces  relations  :  les  gran- 
des découvertes  furent  faites  par  ses  navires  :  Vasco  de 
Gama,  Cabrai  et  leurs  successeurs  furent  investis  de  mis- 
sions officielles.  Lorsque,  la  route  des  Indes  reconnue  par 
leurs  soins  et  les  premiers  pas  faits  sur  le  sol  de  l'Hin- 


la  côte  de  Coromandel  ;  l'hostilité  des  Hollandais  la  ruina  et  elle  fut 
dissoute  en  1634  ;  une  deuxième  fut  aussitôt  constituée,  puis  une  troi- 
sième en  1686,  toutes  deux  sans  succès  ;  une  quatrième  Compagnie, 
créée  en  17:^8  sous  Frédéric  IV  à  Altona,  dut  se  dissoudre  également 
devant  les  protestations  des  Anglais  et  des  Hollandais,  mais  elle  fut 
aussitôt  transférée  à  Copenhague  et  sa  fortune  fut  assez  grande  ; 
elle  releva  Tranquebar,  fonda  des  comptoirs  sur  le  Gange  et  aux  îles 
Nicobar,  mais  en  1777  ses  biens  et  ses  possessions  furent  rachetés  par 
l'Etat  danois.  2"  La  Compagnie  suédoise,  créée  sous  Gustave-Adolphe  à 
Gothemborg  mais  sans  succès,  fut  relevée  en  1731  avec  un  monopole 
de  15  ans  et  un  capital  de  2  millions  de  rixdales  :  elle  créa  un  comptoir 
à  Canton,  et  sa  charte  fut  renouvelée  4  fois  ;  elle  disparut  en  1814 
seulement.  3°  La  Compagnie  autrichienne ,  dite  Compagnie  d'Ostende 
ou  des  Pays-Bas,  fondée  sans  privilège  en  1717,  reçut  des  lettres- 
patentes  de  l'empereur  Charles  VI  en  1722:  elle  obtint  un  monopole 
de  30  ans  pour  le  commerce  des  Indes  orientales  et  occidentales  et  de 
l'Afrique,  et  réunit  un  capital  de  6  millions  de  florins  ;  elle  fonda  deux 
établissements  :  Coblom  près  de  Madras  et  Bankibazar  sur  le  Gange,  mais 
les  Anglais  et  les  Hollandais  protestèrent  contre  son  existence  qu'ils  pré- 
tendirent contraire  au  traité  de  Munster  et  l'empereur  consentit  à  la 
supprimer  en  1727.  Marie-Thérèse  voulut  la  réinstituer  en  1775  sous 
le  nom  de  Compagnie  de  Trieste,  mais  celle-ci  ne  réussit  pas  et 
disparut  en  1784.  4°  La  Compagnie  prussienne^  dont  la  création 
avait  été  projetée  par  le  Grand-Electeur  Frédéric-Guillaume,  fut  créée 
en  1750  par  Frédéric  II  avec  les  conseils  du  Français  Destouches, 
ancien  employé  de  la  Compagnie  de  France  ;  elle  réunit  un  capital  d'un 
million  de  Ihalers,  envoya  quelques   vaisseaux,    mais  lit  de  mauvaises 

affaires  et  fut  dissoute  en  1703. 

W.    ^  3 


34  INTRODUCTION 

douslan  sous  la  proleclion  des  carions,  on  songea  à  organi- 
ser le  commerce,  but  premier  de  celle  conquête,  celle  orga- 
nisation fui  encore  l'œuvre  de  l'Étal.  L'initiative  particulière 
ne  fut  pas  entièrement  exclue  sans  doute,  mais  sa  part  fut 
assez  réduite.  On  lui  laissa  le  trafic  dans  l'Inde  elle-même, 
avec  le  soin  de  créer  des  maisons  de  commerce  dans  les 
comptoirs  ;  mais  les  transports ,  les  ventes  en  Europe , 
furent  assurés  par  l'État  lui-même  à  titre  de  monopole  ;  il  y 
employa  ses  propres  navires  et  les  armateurs  particuliers 
en  furent  toujours  rigoureusement  écartés  (I).  Sur  le  sol 
même  de  l'Inde,  ce  fut  encore  l'État  qui  assura  aux  négo- 
ciants des  relations  pacifiques  avec  les  liabilanls,  qui  groupa 
les  maisons  de  commerce  sous  radminislralion  de  ses  fonc- 
tionnaires, auprès  de  qui  il  fallait  se  munir  d'une  permission 
spéciale  pour  pouvoir  exercer  le  peu  qui  restail  ouvert  dans 
le  trafic  des  Indes  aux  simples  parliculiers  (2).  Le  gouverne- 
ment portugais,  dont  le  rôle  politique  n'était  pas  grand  en 
Europe,  donna  à  cette  entreprise  coloniale  toute  l'attention 
nécessaire  et  ne  faillit  pas  à  sa  tâche  jusqu'à  ce  que  les  cau- 
ses que  nous  avons  exposées  eussent  amené  la  ruine  de  son 
colossal  empire  au  profit  des  commerçants  hollandais. 

A  cette  première  période,  caractérisée  par  conséquent  par 
V intervention  directe  de  l'Etat  dans  les  relations  avec  les  In- 
des, succéda  avec  l'apparition  des  Hollandais  et  des  Anglais 
une  seconde  période,  qui  marque  un  pas  de  plus  dans  l'im- 
plantation des  nations  européennes  en  Asie.  Ici  au  contraire 

(1)  Pendant  un  temps  fort  court  cepeudant,  l'Etal  portugais  céda 
l'exercice  de  son  monopole  à  deux  sociétés  particulières. 

(2)  Cf.  Adam  Smilli,  Uecherckcs  sur  la  nature  et  les  causes  de  la 
richesse  des  nations,  liv.  IV.  cli.  vu,  noie  de  Mac-Cuiloch  {édition 
G.  r.arnifr).  Mac-taillocli  relt'vc  comme  inexaclo  l'opinion  omise  par 
Adam  Smilh  que  les  Portuijais  n'ont  pas  eu  recours  au  monopole  pour 
ri'xploiUiliun  du  cummerce  des  Indes. 


LK    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILÉGIÉES  35 

VElal  n' intej^ment  pas:  d'abord  la  roule  était  frayée  elles 
grandes  expéditions  de  découvertes,  entreprises  dans  l'inté- 
rêt général,  qui  avaient  entraîné  le  gouvernement  portugais 
à  l'intervention  directe,  n'étaient  plus  nécessaires.  D'ailleurs 
ni  la  Hollande  ni  l'Angleterre  n'avaient  le  loisir  de  détourner 
les  yeux  des  événements  qui  agitaient  alors  l'Europe  et  de 
songer  à  conduire  elles-mêmes  l'établissement  d'un  empire 
colonial.  Puisque  le  chemin  était  tracé,  l'exemple  donné, 
c'était  au  commerce  particulier  à  tenir  une  conduite  conforme 
à  ses  intérêts,  en  entreprenant  lui-même  le  trafic  des  Indes. 
Dans  l'un  et  dans  l'autre  de  ces  pays,  l'Etat  se  contenta  donc 
d'accorder  les  autorisations  qui  lui  furent  demandées  et  se 
désintéressa,  du  moins  au  début,  des  suites  qui  devaient  leur 
être  données.  Le  commerce  particulier  livré  à  sa  propre  ini- 
tiative s'organisa  pour  user  de  la  faculté  qui  lui  était  laissée  ; 
son  activité,  l'espoir  de  réaliser  des  bénéfices  importants 
tirent  plus  que  n'eût  pu  faire  l'Etat. 

Ce  travail  d'organisation  mérite  de  retenir  l'attention.  Il  se 
forma  d'abord  de  petites  sociétés,  qui  entreprirent  d'armer 
un  navire  ou  deux  et  de  les  envoyer  aux  Indes  ;  c'est  dire  que 
dès  le  début  on  recourut  à  l'association  pour  se  livrer  à  ce 
commerce,  sous  l'influence  de  difficultés  d'ordre  surtout  pra- 
tique (1).  C'est  ainsi  qu'en  Hollande  une  petite  société  de  neuf 
marchands  organisa  la  première  expédition,  dont  le  succès 
détermina  ensuite  la  création  d'associations  semblables  dans 
les  principales  villes  maritimes  de  ce  pays,  et  qu'en  Angle- 

(1)  Elles  trouvèrent  dans  l'institution  de  la  propriété  quirataire  de- 
puis longtemps  en  usage  dans  les  milieux  maritimes  un  instrument  pré- 
cieux ;  on  sait  que  celle  forme  particulière  de  la  propriété  indivise  est 
soumise  à  des  règles  spéciales  en  cas  de  désaccord  ou  de  partage  pro- 
posé :  la  majorité  étant  déterminée  non  par  le  nombre  des  t'oia;,inais  par 
l'intérêt  possédé  par  les  opinants  dans  l'association  :  c'est  ce  que  l'on 
appelle  la  majorité  en  sommes. 


36 


INTRODUCTION 


terre  les  marchands  de  Londres  équipèrent  à  frais  communs 
les  premiers  convois  à  destination  des  Indes. 

Mais  cette  ère  nouvelle  ne  fut  pas  de  longue  durée,  car 
presqu'aussitôt  à  ces  petites  sociétés  d'armement  se  substi- 
tua une  entreprise  d'une  importance  bien  autrement  grande, 
qui  les  engloba  ou  les  détruisit  toutes,  la  Compagnie  privilé- 
giée. 

Elle  prit  naissance  simultanément  en  Angleterre  et  en  Hol- 
lande, car  nous  avons  vu  que  dès  1602  la  Compagnie  hollan- 
daise réunissait  les  petites  sociétés  fondées  quelques  années 
auparavant,  et  que  la  constitution  des  marchands  de  Londres 
en  corporation  pour  le  commerce  des  Indes  est  de  l'année 
1600. 

Ainsi,  dès  le  début  de  celte  deuxième  période,  le  commerce 
particulier,  qui  a  tenté  de  faire  librement  le  trafic  des  Indes, 
succombe  devant  une  organisation  unitaire,  patronnée  par 
l'Etat,  pourvue  d'importants  privilèges,  sorte  de  compromis 
entre  l'action  gouvernementale  employée  par  les  Portugais 
et  l'initiative  particulière,  qui  avait  à  peine  eu  le  temps  de 
voir  le  jour. 

Quelles  furent  les  causes  de  cette  transformation,  et  les 
origines  de  cotte  institution  nouvelle,  qui  caractérisera  dé- 
sormais pondant  deux  siècles  le  commerce  des  Indes,  pour 
s'étendre  de  là  à  presque  tout  le  domaine  de  la  navigation, 
c'est  ce  qu'il  nous  reste  à  examiner. 

Il  est  bien  certain  qu'elle  n'est  pas  sortie  un  jour  de  l'ima- 
gination d'un  certain  nombre  de  commerçants,  gens  peu  en- 
clins aux  constructions  théoriques,  ni  même  des  hommes 
d'Etat,  qui  dirigeaient  alors  les  affaires  publiques  en  Hol- 
lande cl  en  Angleterre. 

Elle  reposait  sur  des  nécessités  pratiques  et  dos  préoccu- 
pations économiques,  et  s'appuyait  en  même  temps  sur  des 
anlécédenls  historiques. 


LE    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILÉGIÉES  37 

L'associalion  d'abord  était  de  toute  nécessité  dans  le  com- 
merce des  Indes,  et  ce,  pour  des  motifs  d'ordre  essentielle- 
ment pratique.  Les  frais  que  comportait  ce  commerce,  de 
beaucoup  le  plus  important  de  tous  ceux  auxquels  les  mers 
servissent  d'intermédiaire  à  cette  époque,  étaient  très  consi- 
dérables et  dépassaient  les  ressources  d'un  seul  particulier, 
quelque  riche  armateur  qu'il  fût.  On  ne  trouvait  point  d'autre 
part  alors  les  facilités  de  crédit  qui  s'offrent  aujourd'hui  aux 
entreprises  commerciales.  Il  fallait  y  employer  des  bâtiments 
d'un  tonnage  élevé  à  cause  de  la  longueur  du  voyage,  des 
intempéries  qu'ils  avaient  à  supporter,  de  l'importance  de 
l'équipage  et  de  la  cargaison.  Il  fallait  leur  fournir  un  char- 
gement coûteux,  qui  comportait  le  plus  souvent  des  espèces 
monnayées  pour  une  somme  considérable  ;  enfin  les  vivres, 
les  rechanges,  les  frais  d'armement,  de  solde  étaient  des  sour- 
ces de  dépenses  très  importantes. 

Le  voyage  était  fort  long:  on  devait  compter  sur  une  ab- 
sence de  trois  ans,  dont  les  trajets  d'aller  et  de  retour  pre- 
naient chacun  7,  8,  9  et  quelquefois  12  mois,  à  cause  des  re- 
lards, des  calmes  fréquents  sous  l'Equateur,  des  erreurs  de 
route  non  moins  fréquentes  dont  était  responsable  l'imperfec- 
tion de  la  science  nautique.  Le  long  séjour  dans  l'Océan  In- 
dien secoué  par  les  moussons  et  bouleversé  par  les  typhons 
occasionnait,  même  en  dehors  des  cas  de  naufrages,  des  frais 
de  réparation  et  d'entretien  dispendieux  :  il  fallait  y  ajouter 
les  dépenses  de  séjour,  le  paiement  des  intermédiaires,  les 
présents,  les  commissions,  les  aléas  de  toutes  sortes  du 
commerce  ;  enfin  les  souverains  indigènes  prélevaient  sur  les 
opérations  commerciales  qui  s'accomplissaient  chez  eux  des 
droits  parfois  fort  élevés.  A  ces  dépenses  inévitables  et  nor- 
males, il  était  sage  d'ajouter  les  risques  plus  graves  d'une 
pareille  navigation;   il  arrivait  souvent  qu'une  expédition 


38  liNTRODirCTION 

perdit  un  ou  plusieurs  des  navires  qui  la  composaient  dans 
les  tempêtes  du  Cap  ou  de  la  mer  des  Indes,  ou  qu'elle  fût 
obligée  de  les  abandonner  dans  la  crainte  qu'ils  ne  pussent 
faire  le  trajet  du  retour,  et  n'ajoutassent  à  leur  propre  perle 
celle  de  la  précieuse  cargaison  qu'ils  portaient. 

Aux  frais  et  aux  risques  précédents,  inhérents  à  la  navi- 
gation elle-même,  il  fallait  ajouter  encore  l'insécurité  des 
mers  :  Portugais  et  Espagnols  croisaient  sans  cesse  sur  la 
route,  pour  faire  respecter  leur  prétention  au  monopole,  et 
les  pirates  arabes  n'étaient  pas  moins  à  redouter.  Enfin  à 
celte  époque  de  guerres  incessantes,  une  dernière  difficulté, 
et  non  des  moindres,  était  à  craindre  :  trop  souvent  une  expé- 
dition partie  d'Europe  en  pleine  paix  y  revenait  en  temps  de 
guerre,  sans  qu'aucun  renseignement  eût  pu  lui  parvenir 
d'un  pareil  changement,  et  s'exposait  ainsià  devenir  la  proie 
facile  d'un  adversaire  insoupçonné.  Contre  ces  dangers  et  ces 
rencontres  on  prenait  de  sévères  précautions,  ainsi  les  bâ- 
timents employés  à  ce  commerce  étaient  armés  en  guerre, 
percés  de  canons,  approvisionnés  de  munitions,  montés  par 
un  équipage  suffisant  pour  assurer  en  même  temps  la  con- 
duite du  navire  et  le  service  de  son  artillerie  ;  par  surcroît 
de  précautions  enfin,  on  les  réunissait  en  convois,  que  l'on 
faisait  escorter  par  des  vaisseaux  de  guerre.  Toutes  ces  éven- 
tualités, toutes  ces  dépenses  grevaient  lourdement  une  en- 
treprise dont  le  but  premier  était  purement  commercial. 

Aux  risques  de  la  navigation,  à  ceux  qu'entraînait  un  état 
de  guerre  presque  permanent  entre  les  nations  européennes, 
il  fallait  ajouter  la  considération  des  conditions  économi- 
ques dans  lesquelles  se  faisait  le  commerce  des  Indes,  et  qui 
ne  militaient  pas  moins  fortement  en  faveur  de  l'association 
des  négociants  qui  s'y  livraient.  Aujourd'hui  la  vapeur  et  le 
télégraphe  mettent  en  relations  rapides  toutes  les  parties  du 


LE    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILÉGIÉES         39 

monde  :  armateurs  et  commerçants  sont  à  même  de  trouver 
les  débouchés  dont  ils  ont  besoin,  d'envoyer  leurs  navires  là 
où  le  fret  est  abondant,  d'éviter  au  contraire  les  ports  où  le 
tonnage  est  en  excès.  Il  n'en  était  pas  ainsi  jadis  et  les  con- 
ditions d'exercice  du  grand  commerce  maritime  étaient  beau- 
coup moins  favorables  qu'aujourd'hui  :  quand  un  bâtiment 
était  parti  pour  une  destination  aussi  lointaine  que  celle  des 
Indes,  dirigé  sur  un  point  fixé  d'après  des  conjectures  ou  des 
renseignements  vagues  et  déjà  anciens,  il  n'y  arrivait  sou- 
vent que  pour  constater  que  les  productions  locales  avaient 
été  enlevées  par  des  concurrents,  et  qu'il  ne  pouvait  ni  écou- 
ler son  chargement  ni  s'en  procurer  un  nouveau  ;  force  lui 
était  d'aller  chercher  ailleurs  une  cargaison,  souvent  diffé- 
rente de  celle  qu'on  lui  avait  imposée,  et  toujours  au  prix 
de  pertes  de  temps  et  d'argent  considérables.  Les  retours 
étaient  sujets  aux  mêmes  aléas,  et  au  moment  où  une  car- 
gaison commandée  sur  des  estimations  vieilles  de  trois  ans 
arrivait  sur  le  marché,  celui-ci  pouvait  surabonder  des  pro- 
duits qui  la  composaient,  ce  qui  occasionnait  de  funestes 
moins-values  dans  la  vente  qui  en  était  faite. 

Ces  considérations  ne  vont  pas  cependant  sans  soulever 
de  très  graves  questions  économiques  :  les  inconvénients 
qu'elles  invoquent  ne  sont-ils  pas  en  effet  la  conséquence 
indispensable  de  la  concurrence  et  le  libre  jeu  des  lois  éco- 
nomiques ne  doit-il  pas  régulariser  la  situation,  sans  qu'au- 
cune intervention  humaine  ne  se  produise?  L'équilibre  ne 
sera-t-il  pas  fatalement  ramené  ainsi  dans  l'offre  et  la  de- 
mande, de  manière  à  satisfaire  tous  les  intérêts  en  cause? 

Celte  manière  de  voir,  conforme  aux  principes  économi- 
ques de  l'Ecole  libérale  moderne,  fut  dès  la  fin  du  xvine  siè- 
cle opposée  par  les  Physiocrates  aux  défenseurs  de  la  Com- 
pagnie française,  dont  elle  précipita  la  chute.  Quel  que  dût 


40  INTRODUCTION 

être  cependant  l'effet  salutaire  des  lois  économiques, insoup- 
çonnées d'ailleurs  au  début  du  xvn^  siècle,  l'équilibre  que 
l'on  eût  pu  attendre  d'elles,  ne  se  fût  certes  pas  établi,  sans 
causer  des  ruines  et  des  crises  graves  pendant  un  temps 
indéfini,  et  la  crainte  de  voir  se  réaliser  ces  éventualités, 
jointe  à  l'expérience  de  celles  qui  s'étaient  déjà  produites 
dans  les  premières  années  d'exercice  de  ce  commerce,  furent 
suffisantes  pour  justifier  la  recherche  d'un  palliatif  énerj^i- 
que.  Ce  fut  là  certainement  Tune  des  intentions  dominantes 
des  négociants  hollandais,  anglais  et  français  et  l'une  des 
principales  causes  de  la  création  des  grandes  Compagnies. 

Ces  inconvénients  en  effet,  résultats  d'une  concurrence 
fâcheuse,  se  produisaient  non  seulement  entre  négociants 
des  différentes  nations,  mais  plus  encore  entre  ceux  de 
même  nationalité  :  or,  s'il  était  présomptueux  de  songer  à 
supprimer  la  concurrence  internationale,  bien  que  ce  fût  tou- 
jours, remarquons-le,  la  prétention  des  Compagnies  de  com- 
merce, et  que  la  Compagnie  hollandaise  y  ait  réussi  pendant 
toute  son  existence  pour  le  trafic  des  épices,  du  moins 
pouvait-on  tenter  de  le  faire  pour  la  concurrence  nationale 
et  d'unir  pour  le  profit  commun  des  forces,  qui  se  fussent 
nui  mutuellement  dans  une  rivalité  acharnée.  Contre  ces 
risques  l'association  de  quelques  individualités  n'était  plus 
suffisamment  efficace,  car  la  concurrence  évitée  entre  les 
particuliers  se  faisait  également  sentir  entre  les  petites  so- 
ciétés, et  dans  une  contrée  aussi  commerçante  que  la  Hol- 
lande par  exemple,  il  pouvait  s'en  créer  beaucoup.  Le  remède 
était  dans  un  agrandissement  de  plus  en  plus  accentué  du 
groupement  primitif,  et  l'on  arrivait  ainsi  à  la  conception 
d'une  association  unique  embrassant  toutes  les  initiatives 
particulières. 

Cette  tendance  aboutit,  nous  l'avons  vu,  presqu'immédia- 


LE    COMMERCE    DES    INUES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILÉGIÉES  41 

teraent  à  son  résullal  logique,  sous  l'influence  des  considé- 
rations que  nous  avons  précédemment  exposées,  rendues 
singulièrement  pressantes  par  la  nature  particulière  du  com- 
merce des  Indes.  Ce  commerce  différait  assez  sensiblement 
en  effet  des  autres  échanges,  en  ce  qu'il  portait,  non  pas 
sur  des  produits  de  nécessité  et  d'un  usage  commun,  mais 
sur  des  marchandises  de  luxe  exclusivement.  Les  soieries, 
les  tissus  de  coton,  qui  à  celte  époque  étaient  eux-mêmes 
des  étoffes  chères  et  élégantes,  les  épices,  à  part  les  moin- 
dres telles  que  le  poivre,  étaient  réservés  à  l'usage  des  classes 
riches  :  le  thé,  le  café,  le  girofle,  le  gingembre  n'entraient 
nullement  alors  dans  la  consommation  générale  et  étaient 
choses  fort  chères.  Les  débouchés  de  ces  produits  étaient 
donc  forcément  réduits,  et  le  marché  national  n'en  pouvait 
recevoir  plus  qu'une  quantité  très  limitée.  D'autre  part,  éga- 
lement limitées  étaient  les  sources  de  leur  production  :  ainsi 
telle  épice  n'était  produite  que  par  telle  lie  des  Moluques  et 
non  ailleurs,  et  restreinte  par  suite  en  quantité  au  rende- 
ment des  récolles  annuelles  de  celle  même  ile  ;  et  il  en  était 
de  même  pour  les  soieries,  les  tissus  divers,  et  les  princi- 
paux articles  de  ce  commerce.  En  un  mot,  et  il  importe  de 
le  remarquer,c'étaitun  trafic  astreinte  une  double  limilalion  : 
dans  la  production  et  dans  les  débouchés,  beaucoup  plus 
rapidement  atteinte  que  pour  les  autres  objets  du  commerce, 
un  trafic  beaucoup  plus  sujet  par  conséquent  à  des  aléas  et 
à  des  mécomptes,  que  devaient  prévoir,  pour  les  éviter,  une 
direction  très  raisonnée  et  une  discipline  très  siricte.  Par 
suite  les  conséquences  de  la  concurrence  y  étaient  plus  du- 
res qu'ailleurs  :  les  centres  de  production  étant  très  réduits 
en  nombre,  plus  grand  y  élait  le  chiffre  des  acheteurs,  plus 
élevés  y  étaient  les  prix  d'achat  ;  en  Europe  où  les  débouchés 
étaient  également  réduits,  le  phénomène  inverse  se  produi- 


42  INTRODUCTION 

sait,  el  les  prix  de  vente  en  étaienl  d'aulanl  moins  rémuné- 
ra leurs,  que  les  vendeurs  étaient  plus  nombreux. 

D'un  autre  côté,  bien  que  ce  trafic  se  fit  au  moyen  d'espè- 
ces métalliques  en  grande  partie,  il  importait  néanmoins 
qu'un  choix  judicieux  intervînt  dans  la  composition  des  car- 
gaisons de  produits  européens  destinés  à  être  échangés,  el 
les  mêmes  précautions  devaient  être  prises  pour  les  impor- 
tations des  denrées  et  des  marchandises  asiatiques  en  Europe, 
pour  obtenir  une  alimentation  satisfaisante  du  marché.  Ici 
également  les  Inconvénients  d'une  concurrence  qui  venait 
réduire  à  néant  ce  travail  délicat  étaient  d'aulanl  plus  sen- 
sibles que  ce  commerce  était  soumis  à  une  limitation  étroite. 

Tous  ces  arguments,  d'autres  encore  qui  n'étaient  point 
sans  intérêt,  devaient  nécessairement  faire  désirer  la  répres- 
sion de  cette  concurrence  ;  ils  favorisèrent  donc  activement  la 
constitution  des  compagnies  à  monopole,  comme  depuis  ils 
furent  constamment  mis  en  avant  pour  défendre  celte  insti- 
tution contre  les  attaques  dont  elle  fut  l'objet.  Ils  soulevè- 
rent, en  effet,  nous  l'avons  dit,  de  graves  objections  de  prin- 
cipes ;  ils  n'étaient  pas  faux  cependant,  à  la  condition  qu'on 
ne  les  présentât  pas  comme  absolus,  car  ils  n'empruntaient 
leur  valeur  qu'à  la  nature  particulière  du  commerce  des  Indes, 
soumis  à  des  conditions  que  ne  connaissaient  point,  du  moins 
au  même  degré,  les  autres  trafics  à  cette  époque.  Il  en  résulte, 
que  ces  arguments  étaient  surtout  vrais  au  début  et  qu'à  la 
fin  duxvni'^  siècle  déjà,  au  moment  où  les  attaques  devinrent 
violentes,  ils  avaient,  par  l'agrandissement  des  marchés,  par 
les  perfectionnements  apportés  aux  opérations  commerciales, 
par  l'activité  plus  grande  de  celles-ci,  perdu  beaucoup  de  cette 
valeur  primitive,  en  même  temps  que  les  Compagnies  de 
commerce  à  monopole  immense,  qui  reposaient  sur  eux, 
avaient  perdu  en  grande  partie  leur  raison  d'être  1  Leurs  dé- 


LE    COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRmLÉGIKES  43 

tracteurs  eurent  donc  beau  jeu  à  les  attaquer,  el  point  o-rand 
mérite  à  en  triompher.  A  l'origine,  elles  répondirent  à  un 
véritable  besoin,  ce  qui  suffit  à  légitimer  leur  existence  aux 
yeux  de  l'économiste. 

D'autres  considérations,  non  moins  importantes  que  les 
précédentes,  favorisèrent  encore  leur  constitution  :  on  sait 
que  les  gouvernements  européens  s'inspiraient  à  cette  époque 
dans  leur  politique  économique  des  principes  du  Mercan- 
tilisme (1),  el  cherchaient  par  tous  moyens  à  empêcher  la 
sortie  des  métaux  précieux  considérés  comme  le  plus  im- 
portant, sinon  connue  le  seul  facteur  de  la  richesse  natio- 
nale :  d'où  ces  deux  conséquences  :  d'abord,  ils  devaient  na- 
turellement s'opposer  à  ce  que  les  produits  des  Indes  leur 
fussent  fournis  par  les  nations  étrangères,  ce  qui  eût  fait  sor- 


(1)  Nous  rappellerons  ici  brièvement  que  le  Mercantilisme,  dont  l'in- 
fluence sur  la  cre'ation  des  compagnies  de  commerce  privilégiées  fut 
grande,  avait  pris  naissance  à  la  suite  des  découvertes  maritimes  du 
XVI*  siècle,  principalement  sous  l'influence  du  spectacle  de  l'Espagne 
enrichie  par  l'or  du  Pérou.  Cette  doctrine  faisait  de  la  possession  de  la 
plus  grande  quantité  possible  d'espèces  monnayées  le  facteur  le  plus 
important  de  la  richesse  d'une  nation.  O  principe,  qui  satisfît  long- 
temps les  esprits  les  plus  judicieux,  reposait  évidemment  sur  une  con- 
fusion du  Capital  avec  la  Monnaie,  qui  n'est  réellement  qu'un  instru- 
ment d'échange  et  ne  constitue  jamais  qu'une  portion  infime  du  capital 
national.  Les  Physiocrates  et  l'Ecole  libérale  ont  fait  sévèrement  le 
procès  de  cette  vieille  théorie  ;  mais  outre  la  difficulté  pour  une  science 
qui  n'existait  véritablement  point  encore,  d'analyser  deux  notions  aussi 
délicates,  on  a  trop  souvent  oublié  qu'elle  trouvait  un  certain  fondement 
dans  l'essor  subit  pris  par  les  relations  commerciales  à  l'époque  de  la 
Renaissance,  dans  le  développement  parallèle  de  l'activité  industrielle 
et  dans  les  exigences  des  guerres  continuelles  et  coûteuses,  toutes  cir- 
constances qui  nécessitaient  une  quantité  de  numéraire  nouveau  d'autant 
plus  considérable  que  celui  qui  était  alors  en  circulation  était  tout  à  fait 
insuffisant,  et  que  les  moyens  de  crédit  actuellement  employés  n'exis- 
taient point  encore. 


44  INTRODUCTION 

lir  des  espèces,  et  réserver  le  marché  nalional  à  leurs  propres 
négociants  ;  et,  d'autre  part,  l'expérience  ayant  rapidement 
montré  que  le  commerce  des  Indes  exigeait  la  sortie  d'une 
certaine  quantité  de  métal  monnayé  (1),  exportation  généra- 
lement et  sévèrement  prohibée,  ils  se  trouvèrent  dans  l'alter- 
native ou  de  renoncera  ce  commerce  ou  de  lever  cette  inter- 
diction. Or,  s'ils  furent  amenés  parla  force  des  choses  et  par 
leur  propre  intérêt  à  permettre  le  trafic  des  Indes,  ils  reculè- 
rent quelque  peu  devant  l'obligation  qu'il  leur  imposait;  aussi 
préférèrent-ils  accorder  la  permission  de  faire  ce  trafic  à  titre 
de  privilège  à  une  Compagnie  soumise  à  leur  contrôle,  que 
de  le  rendre  accessible  à  tout  le  commerce  nalional. 

Enfin  il  y  eut  des  préoccupations  d'ordre  politique  qui 
vinrent  assurer  aux  Compagnies  de  commerce  à  monopole 
l'encouragement  et  la  protection  de  l'Etat.  Dès  le  xvi*  siècle 
en  effet,  plus  encore  au  xvii%  les  principaux  gouvernements 
européens  songeaient  à  l'utilité  de  créer  dans  les  contrées 
nouvelles  découvertes  par  les  navigateurs  des  succursales 
de  la  métropole.  Mais  d'autre  part  l'Europe  était  sans  cesse 
agitée  par  des  complications  politiques  qui  absorbaient  leur 
attention,  et  la  pénurie  dans  laquelle  se  trouvaient  les  finan- 
ces des  plus  puissants  d'entre  eux  ne  leur  permettait  pas 
d'agir  eux-mêmes.  Dans  ces  conditions,  il  était  naturel  qu'on 
songeât  à  confier  cette  mission  à  un  représentant,  et  ce  rôle 
difficile  que  de  simples  particuliers  ne  pouvaient  remplir, 


(1)  Nous  avons  mentionné  déjà  cette  particularité  que  l'élude  des 
opérations  de  la  Compagnie  française  des  Indes  permettra  de  consta- 
lor  plus  complètement.  Elle  avait  son  orif^ine  dans  l'usage  très  res- 
Iroiul  fuit  par  les  populations  asiatiques  des  produits  européens,  les 
deux  civilisations  n'étant  pas  alors  depuis  assez  longtemps  en  contact 
pour  que  le  goût  de  ces  produits  fût  encore  très  vif  et  très  répandu. 
Aujourd'hui,  en  elTel,  il  n'en  est  plus  tout  à  fait  ainsi. 


LE   COMMERCE;    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILÉGIÉES         4^ 

convenait  parfaitement  à  des  sociétés  fortement  constituées 
et  facilement  surveillées. 

Ainsi  nées  des  exigences  de  la  pratique,  des  aléas  et  des 
risques  de  la  navigalion  et  du  commerce  des  Indes,  des  cir- 
constances économiques  dans  lesquelles  s'accomplissait  ce 
trafic  spécial,  des  tendances  politiques  de  cette  époque,  les 
Compagnies  de  commerce  trouvèrent  immédiatement  dans 
l'organisation  sociale  un  moule  prêt  à  les  recevoir,  dernière 
circonstance  qui  assura  le  succès  de  leur  conception.  On  sait 
qu'alors,  en  effet,  et  cette  situation  ne  devait  se  modifier  qu'à 
la  fin  du  xviu^  siècle,  la  liberté  du  commerce  et  de  l'industrie 
n'existaient  point,  l'un  et  l'autre  étant  aux  mains  de  corps 
constitués,  les  corporations,  protégés  par  un  monopole  étroit, 
munis  de  privilèges  traditionnels,  liés  par  des  règlements 
minutieux  et  sévères,  dont  la  sanction  de  l'Etat  faisait  de  vé- 
ritables règlements  publics.  Celte  institution  des  corpora- 
tions, dont  l'origine  était  fort  lointaine,  se  justifiait  par  des 
considérations  économiques  et  politiques,  et  pendant  des 
siècles  elle  avait  suffi  à  la  satisfaction  des  besoins,  auxquels 
s'adressaient  ses  productions. 

Cependant  entre  la  fin  du  xvi'^  siècle  et  le  début  du  xvn% 
sous  l'influence  du  mouvement  commencé  par  les  grandes 
découvertes  maritimes,  avec  les  besoins  nouveaux  d'un  com- 
merce plus  étendu  et  l'amélioration  des  méthodes  de  pro- 
duction, ce  cadre  s'était  une  première  fois  trouvé  trop  étroit, 
et  la  grande  industrie  avait  pris  naissance  en  dehors  de  lui. 
On  ne  créait  plus  d'ailleurs  de  corporations  depuis  longtemps, 
et  l'activité  manufacturière  nouvelle  ne  pouvait  entrer  dans 
les  limiles  d'aucune  de  celles  alors  existantes  ;  il  fallut  donc 
lui  trouver  une  place  à  part  dans  l'édifice  social,  on  créa  la 
Fabrique,  indépendante  du  mécanisme  corporatif,  sanction- 
née directement  par  l'autorité  royale,  soumise  à  l'observa- 


46  INTRODUCTION 

lion  de  statuts  particuliers  formant  la  constitution  d'une  sorte 
de  petit  Etat  nouveau.  Comme  les  corporations  d'ailleurs, 
dont  on  s'inspira  quand  on  le  put,  elle  reçut  un  monopole 
pour  la  fabrication  d'un  produit  déterminé,  non  plus  dans 
l'étendue  d'une  ville  comme  les  corporations,  mais  dans  une 
région  plus  vaste,  une  province  ou  même  plusieurs. 

Or,  ce  que  la  Fabrique  avait  été  pour  l'industrie,  on  pourrait 
dire  que  la  Compagnie  de  commerce  le  fut  poui'  le  commerce, 
tel  qu'Hélait  organisé  jusqu'au  xvu*  siècle,  si  la  Compagnie 
n'avait  pris  immédiatement  des  proportions  beaucoup  plus 
importantes  que  celles  de  la  Fabrique  à  monopole  ;  du  moins 
est-il  permis  d'y  voir  et  les  mêmes  tendances  et  le  même 
procédé.  Comme  la  Fabrique,  la  Compagnie  de  commerce 
eut  pour  but  l'exploitation  d'une  branche  particulière  du  tra- 
vail, ici  commercial,  là  industriel,  et  si  cette  limitation  eut 
lieu  pour  la  dernière  dans  l'espace  plutôt  que  dans  la  nature 
même  des  objets  de  production,  par  l'étendue  déterminée 
d'une  concession  de  territoires,  le  résultat  au  fond  était  le 
même,  car  les  Compagnies  possédèrent  en  fait  le  monopole 
de  production  des  produits  spéciaux  aux  contrées  soumises  à 
leur  privilège  ;  comme  la  Fabrique  enlin,  la  Grande  Compa- 
gnie emprunta  à  l'organisation  corporative  les  éléments  qui 
se  trouvèrent  s'accorder  avec  son  but  et  ses  méthodes. 

C'est  ainsi  que  la  Compagnie  de  commerce  reçut  un  mo- 
nopole; celui-ci,  qui  parait  au  premier  abord  exorbitant,  rap- 
proché de  ces  précédents  et  expliqué  par  ces  considérations 
d'ordres  multiples,  devient  logique  et  se  justifie  aisément. 

Nous  avons  marqué,  entr'autres  causes,  les  tendances  des 
gouvernements  de  cette  époque  à  la  création  de  colonies, 
dont  ils  senlaienl  déjà  vaguement  l'importance,  sans  avoir 
ni  le  temps  ni  les  moyens  d'y  consacrer  les  efforts  néces- 
saires. 


LE   COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILEGIEES  47 

La  Compagnie  de  commerce,  représentant  dans  ces  con- 
trées les  intérêts  de  son  pavillon,  était  naturellement  desti- 
née, nous  l'avons  dit,  à  devenir  le  mandataire  de  l'Etat,  et 
l'agent  de  sa  politique  coloniale,  et  pour  les  risques  qu'elle 
courait  dans  cette  œuvre,  comme  pour  les  dépenses  qu'elle  y 
consacrait,  servant  ainsi  l'intérêt  général  en  même  temps 
que  celui  de  son  commerce,  le  monopole  dont  elle  fut  grati- 
fiée, assuré  pour  un  nombre  d'années  suffisant  pour  qu'elle 
pût  se  rémunérer  complètement  de  ces  frais  et  de  ces  aléas, 
n'était  qu'une  juste  et  logique  compensation.  Là  ne  devait 
point  cependant  se  borner  les  caractères  de  la  Compagnie  de 
commerce.  Elle  devait  être  en  mesure  en  effet  de  protéger 
elle-même  les  intérêts  dont  elle  était  dépositaire,  de  se  faire 
respecter  des  Compagnies  rivales,  de  régler  les  difficultés 
que  ferait  naître  son  commerce,  de  maintenir  l'ordre  et  la 
sécurité  dans  ses  comptoirs,  de  faire  la  guerre  et  la  paix  avec 
les  indigènes,  de  remplir  en  un  mot  tous  les  droits  et  les 
devoirs  de  l'État  qu'elle  représentait,  et  qui  ne  pouvait  lui- 
même  intervenir  :  avec  le  monopole  du  commerce  allait  donc 
la  concession  de  droits  de  souveraineté  importants  ;  droit  de 
législation,  droit  de  justice,  droit  de  paix  et  de  guerre,  droit 
débattre  monnaie,  etc. 

Fallait-il  donc  déroger  en  sa  faveur  à  des  règles  constitu- 
tionnelles sans  exceptions  jusque-là?  Nullement,  et  ce  der- 
nier point  mérite  une  particulière  attention  :  il  y  avait  long- 
temps que  le  «  Prince  »,  aussi  bien  en  France  qu'ailleurs  en 
Europe,  avait  pris  l'habitude  d'in/'eoder  les  droits  souverains, 
que  ces  droits  étaient  détenus  par  des  seigneurs  et  des  villes 
sur  le  territoire  même  de  la  métropole.  Les  institutions  féo- 
dales n'avaient  point  au  xvn«  siècle  complètement  disparu 
de  l'organisation  sociale  malgré  la  transformation  lente  que 
subissait  celle-ci.  Des  restes  très  importants  en  subsistaient 


48  INTRODUCTION 

doril  la  léj^iliinilé  ri'élail  nuUenienl  conleslée  :  en  somme,  la 
concession  terriloriale  accordée  à  la  Compagnie  de  commerce 
et  les  droits  souverains  qui  lui  furent  concédés  à  son  égard 
ne  formaient  point  autre  chose  qu'une  seigneurie  immense 
dont  le  roi  était  le  suzerain,  et  que  la  Compagnie  tenait  en 
fief. 

Tels  furent  les  éléments  dont  se  composèrent  les  consti- 
tutions des  différentes  Compagnies  de  commerce  :  ils  n'y  en- 
trèrent point  cependant  tous  à  la  fois  et  leur  réunion  fut  le 
résultat  d'une  assez  longue  évolution.  Ainsi  la  charte  primi- 
tive de  la  Compagnie  anglaise  ne  comportait  que  la  conces- 
sion du  monopole  commercial,  et  ce  ne  fut  qu'en  1661  qu'elle 
reçut  le  droit  de  paix  et  de  guerre  avec  les  peuples  non 
chrétiens  ;  en  1683  qu'elle  se  vit  reconnaître  le  droit  de  con- 
fiscation sur  les  navires  qui  feraient  le  commerce  à  son  pré- 
judice ;  ses  prérogatives  judiciaires  se  formèrent  elles-mêmes 
peu  à  peu  ;  en  1661  la  juridiction  civile  et  criminelle  fut  re- 
connue à  ses  gouverneurs,  en  1683  vint  le  droit  d'établir  des 
Cours  de  justice,  en  17:26  leur  organisation  définitive.  lien 
fut  de  même  de  la  Compagnie  hollandaise  dont  le  dévelop- 
pement à  ce  point  de  vue  suivit  une  marche  parallèle  à  celle 
de  sa  rivale  ;  quand  la  Compagnie  française,  sous  l'impulsion 
qu'elle  recul  de  Richelieu  puis  de  Colbert,  fut  entrée,  bien 
plus  tard,  dans  la  voie  des  résultats  pratiques  ,  elle  put 
s'inspirer  de  l'expérience  déjà  grande  acquise  par  les  pré- 
cédentes Compagnies,  aussi  son  organisation  fut-elle  dès  le 
début  beaucoup  plus  complète. 

En  regard  de  ces  privilèges  étendus,  nous  devons  ajouter, 
pour  achever  de  décrire  les  principales  caractéristiques  de 
la  Compagnie  de  commerce,  qu'elle  dut  avoir  des  obligations 
envers  l'Etat;  mais  en  réalité  elles  furent  peu  de  chose,  car 
l'État  devait  dans  ce  contrat  retirer  les  profils  les  plus  con- 


LE   COMMERCE    DES    INDES    ET    LES    COMPAGNIES    PRIVILÉGIÉES  49 

sidérables,  moralement  et  pécuniairement.  Aussi  se  bornè- 
rent-elles dans  le  principe  à  la  reconnaissance  presque  uni- 
quement théorique  de  la  suzeraineté  de  l'Étal,  à  l'hommage 
tel  qu'il  se  comportait  dans  l'organisme  féodal,  c'esl-à-dire 
le  serment  de  fidélité  prêté  au  nom  de  la  Compagnie  par  ses 
représentants,  à  la  même  formalité  imposée  à  sgs  officiers  de 
justice  et  militaires,  dépositaires  effectifs  de  l'autorité  éma- 
née du  roi,  à  une  redevance  symbolique  à  chaque  changement 
de  règne,enfin  à  l'obligation  plus  pratique  de  tributs, de  droits 
et  de  prélèvements  divers  faits  sur  son  commerce.  Plus  lard 
seulement  l'intervenlion  de  l'Étal  dans  les  affaires  des  Com- 
pagnies se  fera  sentir  et  dégénérera  pour  elles  en  une  véri- 
table servitude  :  mais  alors  l'organisation  sociale  se  sera  bien 
modifiée,  et  d'autres  intérêts  se  seront  faits  jour  que  ne  ren- 
contrèrent pas  les  Compagnies  à  leurs  débuts. 


w  .  —  4 


PREMIÈRE    PARTIE 

PREMIÈRE    PHASE.    —    LES    ORIGINES    DE    LA 
COMPAGNIE    FRANÇAISE    DES  INDES 


CHAPITRE    PREMIER 

CRÉATION  DE  LA  COMPAGNIE  DES  INDES  PAR  HENRI  IV.  —  LA  COM- 
PAGNIE DES  MOLUQUES. 


Activité  du  commerce  maritime  français  aux  xvi«  et  xvii*  siècles.  — 
Premiers  voyages  aux  Indes,  expédition  des  frères  Parmentier  (1529), 
campagne  du  Corbin  et  du  Croissant  (1601).  —  Henri  IV  accorde 
une  charte  à  Gérard  Le  Roy  et  à  Antoine  Godefroy  (1604).  —  L'hosti- 
lité de  la  Hollande  met  fin  à  leurs  préparatifs.  —  Renouvellement 
du  privilège  (1611).  —  Fusion  opérée  par  le  gouvernement  royal, 
création  de  la  Compagnie  des  Moluques  (1615).  —  Causes  de  l'échec 
de  ces  deux  premières  Compagnies. 


L'histoire  de  notre  commerce  maritime,  trop  peu  connue 
encore,  offre  les  témoignages  les  plus  remarquables  de  Tini- 
liative  et  de  l'activité  déployées  par  nos  aïeux  pour  la  con- 
quête des  mers.  Sur  toutes  les  routes  qui  du  xv^  au  xvii*  siè- 
cles furent  ouvertes  aux  relations  inlernalionales,  ils  furent 
les  premiers  ou  parmi  les  premiers.  Des  plus  petits  centres 
maritimes  sortirent  de   hardis  marins   dont    les    croisières 


52 


PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 


s'ëlendirenl  jusqu'aux  confins  du  monde  connu,  et  de  riches 
armateurs  possédaient  des  flottes  respectables  qui  représen- 
taient dignement  notre  pavillon  à  côté  des  Hollandais  et  des 
Anglais.  Malheureusement  de  leur  seule  activité  ils  pouvaient 
attendre  le  succès  :  alors  que  chez  nos  rivaux  et  surtout  en 
Hollande,  la  nation  tout  entière  avait  les  yeux  fixés  sur  ce 
commerce  et  unissait  ses  efforts  pour  son  développement, 
nos  populations  maritimes  ne  rencontrèrent  chez  le  reste  de 
la  nation  française  qu'indifférence  et  apathie,  alors  qu'une 
étroite  solidarité  eût  été  nécessaire  pour  faire  la  France  puis- 
sante sur  mer  ;  les  découvertes  et  les  succès  de  nos  marins, 
la  prédominance  de  notre  pavillon  n'intéressaient  personne 
et  s'il  serait  exagéré  de  prétendre  que  les  pouvoirs  publics 
Inonlrèrenl  toujours  une  pareille  insouciance,  qui  chez  eux 
eût  été  coupable,  on  peut  dire  que  les   encouragements  ne 
furent  point  prodigués  par  eux.  Cette  indifférence  des  esprits, 
des  capitaux  et  du  commerce  intérieur  pour  les  choses  de 
la  mer  ne  sera  point  vaincue  lorsque  le  gouvernement  royal, 
comprenant  mieux  ses  intérêts,  tentera  de  donner  un  essor 
nouveau  à  nos  entreprises  maritimes;  il  ne  sera  point  suivi 
par  la  nation,  et  ses  efforts  garderont  toujours  de  ce  fait, 
quelque  succès  qu'ils  aient  momentanément  obtenu,  un  ca- 
ractère artificiel  qui  sera  leur  ruine. 

On  a  dit  souvent  que  nous  ne  savions  ni  naviguer  ni  colo- 
niser, et  on  s'est  par  contre  généreusement  efforcé  de  prou- 
ver la  fausseté  de  ce  reproche  ;  nos  annales  maritimes  ont 
fourni  des  preuves  éclatantes  du  contraire,  on  n'est  pas 
arrivé  cependant  à  dissiper  complètement  le  doute. 

C  est  qu'en  effet,  si  nous  avons  toujours  eu  entre  les  mains 
un  instrument  aussi  parfait  qu'on  pouvait  le  souhaiter  pour 
faire  l'un  et  l'autre,  si  les  bonnes  volontés  et  les  plus  loua- 
bles initiatives  ne  nous  ont  pas  fait  défaut,  ce  qui  nous  a 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    PAR    HENRI   TV  53 

manqué  c'est  la  volonté  persévérante  de  nous  en  servir  au 
mieux  de  nos  intérêts.  Moins  bien  pourvus  de  l'esprit  com- 
merçant et  du  goût  des  entreprises  hardies  que  nos  rivaux, 
nous  n'avons  pas  su  soutenir  les  efforts  d'une  population  ma- 
ritime entreprenante  et  active,  toujours  prête  à  les  dépenser 
sans  compter,  et  la  plupart  du  temps  laissé  inachevées  des 
œuvres  qui  n'eussent  demandé  qu'un  peu  d'énergie  et  de  per- 
sévérance pour  être  menées  à  bien.  Ce  manque  d'esprit  de 
suite,  de  goût  pour  les  opérations  lointaines  chez  le  gros  de 
notre  nation,  celle  indifférence  des  esprits  et  des  capitaux,  ce 
défaut  funeste  de  confiance  dans  nos  destinées  maritimes, 
nulle  histoire  mieux  que  celle  de  la  Compagnie  française  des 
Indes  ne  nous  en  fournira  les  preuves,  et  fera  constater  les 
résultats. 

Nos  marins  qui  depuis  le  xiv^  siècle  fréquentaient  la  côte 
occidentale  d'Afrique,  firent  en  même  temps  que  les  Portu- 
gais les  différentes  étapes  de  la  route  des  Indes  (1).  Lorsque 
Vasco  de  Gama  eut  atterri  sur  le  littoral  de  la  péninsule 
hindoue,  ils  suivirent  bien  vite  ses  traces. 

Dès  Tannée  1503  un  capitaine  de  Honfleur,  Paulmier  de 
Gonneville,  parlait  avec  son  navire  VEspoir  pour  l'Océan 
Indien  ;  mais  le  succès  ne  couronna  pas  cette  première  ten- 
tative :  rejeté  hors  de  sa  route  par  une  tempête,  il  atteignit 
la  côte  du  Brésil,  qu'il  prit  d'ailleurs  pour  une  terre  incon- 
nue de  cet  Océan,  dans  lequel  il  se  croyait  entré  (2).  Une 

(1)  C'est  à  un  Français,  Lancelot  Maloizel,'que  l'on  attribue  la  pre- 
mière expédition  européenne  sur  la  côle  occidentale  d'Afrique,  dont 
l'histoire  ail  conservé  le  souvenir  précis  :  il  reconnut  les  îles  Canaries 
en  1275.  En  1402  Jean  de  Béthencourl,  gentilhomme  normand  et  chef 
d'une  petite  troupe  d'aventuriers,  se  rendit  maître  du  même  groupe 
d'îles, dont  le  roi  de  Castille  tienri  III  le  reconnut  seigneur  :  après  sa  mort 
les  Espagnols  prirent  possession  du  royaume  qu'il  y  avait  fondé. 

(2)  Campagne  de  l'Espoir:  relation  du  capitaine  Paulmier  de  Gonne- 
ville, publiée  en  1869. 


54  PREMIÈKE    PARTIR.  CIIAPITRp:    PREMIER 

seconde  initiative  réussit  davantage  :  le  célèbre  armateur 
dieppoisJean  Ango  mil  en  mer  en  1529  deux  navires,  que 
commandaient  les  deux  frères  Jean  et  Haoul  Parmenlier. 

L'expédition  atteignit  Sumatra  :  le  but  qu'elle  se  proposait 
était  de  pousser  jusqu'en  Chine  ;  mais  les  maladies  la  déci- 
mèrent, la  privèrent  de  ses  deux  chefs,  et  les  résultais  de  ce 
voyage  durent  être  peu  satisfaisants  (1).  11  contribua  néan- 
moins à  faire  sortir  le  pouvoir  royal  de  son  indifférence, 
car  peu  après  et  par  deux  déclarations  successives  en  1537 
et  1542,  François  l*""  tenta  de  développer  en  France  le  goùl 
des  expéditions  maritimes.  Mais  cette  intervention  n'eut  pas 
de  suite,  car  les  guerres  religieuses  qui  assombrirent  la 
fin  du  xvi*  siècle  n'en  laissèrent  guère  le  loisir  aux  gou- 
vernements qui  s'y  succédèrent,  et  notre  essor  maritime 
dut  à  celte  époque  troublée  un  relard  irréparable.  Cepen- 
dant Henri  III,  reprenant  dans  un  moment  d'accalmie  les 
projets  de  François  1°%  encouragea  à  son  tour  le  commerce 
des  Indes  par  une  déclaration  de  1578  ;  mais  encore  une  fois 
aucun  résultat  ne  répondit  à  celle  marque  de  l'intérêt  royal. 

Il  faut  en  effet  arriver  au  moment  où  la  France  pacifiée 
commença  à  reprendre  sous  Henri  IV  le  cours  de  sa  vie  de 
travail  si  longtemps  interrompue,  pour  voir  les  entreprises 
maritimes  se  produire  à  nouveau,  et  nos  relations  avec  les 
Indes  entrer  enfin  dans  une  voie  définitive. 

(1)  Jean  Parmenlier,  marin  et  poète,  serait  suivant  certains  auteurs 
lo  premier  Français  qui  ait  atterri  au  Brésil  :  ce  fui  lui  qui  proposa  à 
Ango  de  faire  avec  son  frère  une  expédition  en  Chine.  Leurs  navires 
étaient  la  Pensée  de  200  tonneaux  et  le  Sacre  de  120  tonneaux  ;  une 
partie  de  leurs  équipages  fut  massacrée  sur  la  côte  de  Madagascar.  Jean 
et  Raoul  Parmenlier  moururent  de  la  fièvre  à  Sumatra.  Un  de  leurs 
compagnons,  Pierre  Crignon,  a  laissé  un  journal  de  celte  curieuse  ex- 
pédition {Trailé  de  la  navigation  de  Jean  et  Raoul  Parmenlier).  — 
V.  Eslancelin,  Recherches  sur  les  navigaleiira  normundi^,  1832. 


CREATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    PAR    HENRI    IV  00 

Dès  l'année  1600  un  armateur  de  Rouen,  Pierre  Vampenne, 
possédait,  parait-il,  une  tlolte  de  dix-sept  navires,  qu'il  em- 
ployait au  commerce  des  Indes  tant  occidentales  qu'orien- 
tales. 

L'année  suivante,  1601,  une  société  se  fonda  à  Saint-Malo 
entre  des  négociants  de  celte  ville,  de  Laval  et  de  Vitré,  pour 
tenter  exclusivement  cette  fois  le  trafic  avec  les  Indes  oriei;- 
tales  (1).  Elle  arma  deux  navires:  le  Croissant  de  400  ton- 
neaux et  le  Corbin  de  200  tonneaux,  qui  partirent  sous  le 
commandement  des  capitaines  La  Bardelière  et  François 
Grout  du  Clos-Neuf.  L'expédition,  dont  un  double  récit  nous 
a  été  laissé  par  François  Pyrard  (de  Laval)  et  Martin  (de  Vi- 
tré), qui  en  faisaient  partie,  fut  poursuivie  par  la  mauvaise 
fortune.  Le  Corbin  s'échoua  sur  les  îles  Maldives  et  périt. 
Les  Portugais  et  les  Hollandais  montrèrent  la  plus  manifeste 
hostilité  envers  les  marchands  du  Croissant,  et  les  résultats 
du  voyage  furent  certainement  médiocres  (2).  La  même  an- 

{\)  M.  Levasseur  appelle  celte  société:  Compagnie  de  Saint-Malo, 
Laval  et  Vilré  ou  des  mers  Orientales.  Histoire  des  classes  ouvrières, 
11,197. 

(2)  La  volumineuse  relation  de  Pyrard  nous  donne  d'inte'ressants 
détails  sur  les  conditions  de  la  navigation  h.  celte  époque.  Le  Croissant 
était  ïamirale,  le  Corbin  la  vice  amirale.  Sur  le  premier  était  le  général, 
c'était  La  Bardelière  ;  le  Corbin  était  commandé  par  son  lieutenant- 
général  (qui  voyait  la  mer  pour  la  première  fois);  chacun  d'eux  était 
assisté  d'un  lieutenant  particulier.  L'état-major  de  chaque  bâtiment 
comprenait  en  outre  un  pilote  et  un  second  pilote,  un  maître  et  un 
contre-maître  (de  manœuvre),  un  marchand  et  un  second  marchand 
(chargés  des  opérations  commerciales),  un  écrivain,  deux  chirurgiens, 
deux  dépensiers  (économes),  deux  cuisiniers,  deux  maîtres-valets  (char- 
gés de  l'entretien  des  voiles  et  agrès)  et  un  maître  canonnier.  L'équi- 
page comprenait  un  certain  nombre  de  matelots,  quelques  pages 
(mousses)  et  six  canonniers.  —  Voir  Pyrard  de  Laval,  Voyage  aux 
Indes  Orientales,  1679;  Martin  de  Vitré,  Description  du  premier  voyage 
aux  Indes  Orientales,  1609. 


56  PREMIKRK  l'AKTIF.  —  CHAPITRE  PREMIER 

née  une  société  bretonne  s'élail  fondée  à  Blavet(l),  mais  l'on 
ne  possède  aucun  renseignement  sur  la  suite  qu'elle  donna 
à  ses  projets.  Néanmoins  le  mouvement  dessiné  par  ces  pre- 
mières initiatives  ne  devait  pas  être  stérile  et  malgré  leur 
insuccès,  il  aboutit  presque  aussitôt  à  un  événement  d'une 
importance  plus  grande,  la  création  d'une  première  Compa  - 
gnie  des  Indes,  premier  fondement  de  la  grande  entreprise 
qui  pendant  deux  siècles  sera  la  plus  haute  expression  de 
notre  commerce  maritime. 

En  1604,  en  effet,  la  Compagnie  anglaise  était  fondée  de- 
puis quatre  ans,  la  Compagnie  hollandaise  depuis  deux  an€, 
et  le  succès  avait  couronné  leurs  premiers  efforts.  Le  gou- 
vernement d'Henri  IV,  qui  s'efforçait  de  donner  à  notre  in- 
dustrie et  à  notre  commerce  un  essor  nouveau,  avait  certai- 
nement suivi  avec  attention  les  circonstances  de  cette  double 
création.  L'occasion  d'imiter  nos  voisins  ne  se  fit  heureuse- 
ment pas  attendre  et  le  pouvoir  royal  dut  s'emparer  avec 
empressement  du  moyen  qui  lui  fut  offert  de  donner  une 
place  à  la  France  dans  le  partage  des  Indes. 

Une  société  se  formait  en  effet  pour  en  entreprendre  le 
commerce  :  elle  se  composait  de  quelques  commerçants,  qui 
avaient  eu  l'heureuse  idée  de  s'assurer  le  concours  d'un  ca- 
pitaine flamand,  Gérard  Le  Roy,  auquel  il  était  familier  et 
dont  l'expérience  pouvait  paraître  en  effet  un  gage  certain  de 
succès.  Ils  mirent  à  leur  tête  avec  lui  un  financier,  Antoine 
Godefroy,  trésorier  de  France  à  Limoges,  et  sollicitèrent  avec 
l'approbation  royale  l'octroi  d'un  certain  nombre  de  faveurs, 
qui  devaient  assurer  la  réussite  de  leur  entreprise.  C'était  la 
marche  qu'avait  suivie  la  Société  des  Marchands  de  Londres, 
et  les  Articles  qu'ils  proposèrent  à  la  sanction  du  Roi  étaient 

(1)  A  l'emplacement  occupé  ensuite  par  Porl-Louis, 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    PAR    HENRI    IV  57 

inspirés  de  la  charte  d'établissement  des  deux  Compagnies 
existantes  (1). 

Ils  se  déclaraient  prêts  en  effet  à  faire  les  avances  néces- 
saires à  la  première  expédition  ;  la  société  dont  les  bases 
étaient  projetées  ne  serait  établie  que  six  mois  après  son 
retour,  et  on  y  admettrait  jusqu'à  cette  date  tous  ceux  qui 
consentiraient  à  y  apporter  des  fonds.  Cette  proposition  était 
habilement  conçue,  car  si  les  résultats  de  cette  première  ten- 
tative étaient  mauvais,  les  associés  en  seraient  quittes  pour 
la  perte  de  leur  avance  sans  doute,  mais  ils  ne  seraient  point 
engagés  dans  une  voie  que  l'expérience  aurait  alors  démon- 
trée sans  issue,  d'autant  plus  que  les  capitalistes,  sûrement 
écartés  par  cet  insuccès,  ne  se  seraient  pas  pressés  au  gui- 
chet de  la  Compagnie. 

Le  projet  soumis  par  le  Roi  à  l'examen  de  son  conseil  en 
sortit  un  peu  modifié,  mais  les  associés  acceptèrent  les  chan- 
gements imposés  et  la  consécration  officielle  fut  donnée  à  la 
Compagnie  par  les  lettres  patentes  du  l"""  juin  1604  (2), 

Cette  charte,  qui  mérite  une  mention  spéciale,  car  elle  est 
le  premier  acte  rendu  en  ce  genre  par  le  gouvernement  royal, 
déclarait  la  société  formée  immédiatement,  contrairement  au 
vœu  des  intéressés  ;  mais  elle  devait  rester  ouverte  pendant 
six  mois  à  dater  du  retour  de  la  première  expédition  à  tous 

(1)  «  Articles  proposés  au  roi  par  Gérard  Le  Roy  et  ses  associés,  qui 
entreprennent  de  faire  les  frais  et  avances  nécessaires  pour  le  voyage 
des  Indes  Orientales,  et  en  rapporter  en  ce  royaume  abondance  de 
tout  ce  qui  s'en  peut  tirer,  sans  l'aller  rechercher  et  acheter  ailleurs  à 
prix  excessif  et  transporter  par  ce  moyen  autant  d'or  et  d'argent  hors 
de  France^:  le  tout  aux  conditions  ci-après  déclarées.  »  —  Cet  acte  est 
reproduit  par  Du  Fresne  de  Francheville,  Histoire  de  la  Compagnie  des 
Inde.s,  p.  161. 

(2)  M.  [.evasseur  place  la  création  de  la  «  Compagnie  Deroy  »  en 
1606. 


58  PREMIÈRE    l'AHTIK.  CHAI'ITRE    PREMIER 

ceux  qui  y  voudraient  entrer.  Celte  décision  était  moins  fa- 
vorable aux  premiers  associés  pour  les  raisons  que  nous 
avons  ci-dessus  exposées,  mais  elle  était  de  nature  à  encou- 
rager davantage  les  capitalistes  en  cas  de  succès,  puisqu'ils 
se  trouveraient  alors  en  présence  d'une  situation  établie. 
Comme  les  deux  Compagnies  étrangères,  la  nouvelle  société 
reçut  le  privilège  exclusif  de  la  navigation  dans  la  mer  des 
Indes,  et  la  durée  de  ce  monopole  fut  fixée  à  quinze  années 
(la  Compagnie  anglaise  avait  reçu  également  un  monopole 
de  quinze  ans,  la  Compagnie  hollandaise  de  vingt  et  un). 
Enfin  ce  monopole  était  sanctionné  par  le  droit  de  confis- 
cation sur  les  vaisseaux  et  les  cargaisons  de  tout  sujet  du  Roi, 
qui  se  livrerait  au  commerce  des  Indes  sans  son  autori- 
sation (1). 

Le  minimum  de  souscription  nécessaire  pour  entrer  dans 
l'association  fut  fixé  à  3.000  livres  (â).  Tous  les  Français 
étaient  invités  à  y  prendre  intérêt,  principalement  les  gen- 
tilshommes, pour  lesquels  cette  participation  au  commerce, 
était-il  expressément  stipulé,  n'entrainerait  aucune  dé- 
chéance (3). 

La  Compagnie  avait  sollicité  l'exemption  de  tous  droits  de 
douane  et  d'amirauté  pour  ses  deux  premiers  voyages  «  en 
considération  des  grandes  avances  qu'il  convenait  faire  », 
mais  cette  faveur  ne  lui  fut  accordée  que  pour  le  premier 
seulement,  restriction  fâcheuse,  qu'il  eût  été  préférable  de  ne 

(1)  Gérard  Le  Roy  reçut  par  lettres  patentes  du  20  juin  1604  une  com- 
mission de  Capitaine  général  de  la  flotte  royale  des  Indes  Orientales. 

(2)  Le  capital  social  n'était  pas  (ixé  par  la  ctiarle  de  fondation.  Sui- 
vant M.  Bonnassieux  il  devait  s'élever  à  4  millions  de  couronnes. 

(3)  «  Tous  chevaliers,  seigneurs,  barons,  gentilshommes,  officiers... 
pourront  entrer  en  ladite  association,  sans  que  pour  ce  l'on  puisse 
prétendre  (ju'ils  aient  dérogé  à  leurs  dii;nités,  (|ualilés  et  privilèges,  » 
(Art.ô.j 


CRÉATION    PE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    PAR    HENRI    IV  59 

pas  apporter  à  une  entreprise  qui  avait  besoin  de  tant  d'en- 
couragements. 

Par  contre,  le  roi  accordait  à  chaque  navire  armé  par  elle 
deux  pièces  d'artillerie  aux  armes  de  France;  el  le  droit  d'ar- 
borer <  la  bannière  de  France  »  réclamé  par  les  associés,  bien 
que  non  reproduit  dans  la  charte,  doit  sans  doute  être  re- 
gardé comme  leur  ayant  été  octroyé  :  ce  privilège  faisait  de 
leur  flotte  future  une  annexe  de  la  marine  royale. 

Le  port  de  Brest  lui  fui  attribué  comme  port  d'attache,  et  il 
est  permis  de  critiquer  encore  cette  décision,  car  s'il  offrait 
l'avantage  d'être  hors  de  l'atteinte  des  Anglais  et  des  Hollan- 
dais, son  trop  grand  éloignement  des  centres  industriels  et 
commerciaux,  et  l'absence  d'une  route  pratique  qui  y  con- 
duisit, ont  toujours  fait  de  Brest  un  mauvais  port  de  com- 
merce. 

Enfin  par  une  dernière  clause  fort  importante,  la  Compa- 
gnie fut  autorisée  à  acheter  ou  à  faire  construire  en  Hollande 
les  vaisseaux  dont  elle  aurait  besoin,  à  en  tirer  les  agrès  et 
fournitures  de  toute  sorte  nécessaires  à  leur  armement, 
même  à  en  faire  venir  les  officiers  et  matelots  qu'il  lui  con- 
viendrait d'y  recruter,  et  pour  favoriser  ce  recrutement,  il 
fut  stipulé  que  les  étrangers  employés  par  elle  seraient 
exempts  des  droits  d'aubaine  et  de  déshérence,  qui  les  frap- 
paient en  droit  commun,  et  traités  comme  «  les  marchands 
trafiquant  aux  foires  de  Lyon  »,  ce  qui  en  résumé  leur  don- 
nait tous  les  avantages  d'une  naturalisation  véritable  (1). 

(1)  Cette  stipulation  figurait  dans  les  Articles  proposés  par  les  asso- 
ciés à  l'agrément  du  roi  ;  elle  n'est  pas  reproduite  par  les  lettres  pa- 
tentes, mais  en  vertu  de  la  formule  générale  qui  termine  celles-ci,  celle 
faveur  doit  être  considérée  comme  ayant  été  accordée.  Il  en  est  de 
même  pour  le  droit  cité  plus  haut  d'arborer  «  la  bannière  de  France  » 
demandé  par  la  Compagnie.  Le  droit  de  s'emparer  des  vaisseaux  qui 
l'allaqueraienl  el  de  garder  pour  elle  les   quatre  cinquièmes  des  pri- 


60  PREMifeRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

La  Compagnie,  qui  avait  sollicité  cette  autorisation,  supplia 
en  outre  le  roi  <  d'écrire  aux  sieurs  des  Etals  et  au  comte 
Maurice  »  (1)  pour  lui  favoriser  ces  acquisitions.  Cette  clause 
était  en  effet  de  la  plus  haute  importance,  car  la  Hollande 
devait  au  développement  de  son  commerce  maritime  une 
expérience  dans  la  construction,  l'équipement  des  vaisseaux 
et  dans  la  science  nautique  elle-même,  que  nous  étions 
bien  loin  d'égaler,  et  le  concours  qui  lui  était  demandé  était, 
on  peut  le  dire,  indispensable. 

Ainsi  pourvue  du  titre  solennel  qui  la  constituait  (2)  et 
assurée  au  surplus  de  la  protection  royale,  la  Compagnie  fit 
preuve  pendant  quelque  temps  de  la  meilleure  volonté  pour 
se  mettre  en  mesure  de  remplir  son  programme.  Un  certain 
nombre  de  souscriptions  se  produisirent  ;  ses  agents  firent 
acquisition  de  plusieurs  navires  et  quatre  d'entre  eux  entrè- 
rent bientôt  en  armement  à  Saint-Malo.  Mais  les  préparatifs 
en  restèrent  là,  et  en  1609  aucune  expédition  n'avait  encore 
quitté  la  France.  Le  motif  doit  en  être  cherché,  pour  la  ma- 
jeure partie  tout  au  moins,  dans  l'opposition  manifestée  par 
la  Hollande.  Cependant,  comme  il  s'y  était  engagé  envers  la 
Compagnie,  le  gouvernement  royal  s'était  entremis  auprès 
de  la  République,  et  le  président. leannin,  qui  négociait  à  ce 
moment  même  (1609)  une  trêve  entre  celle-ci  et  le  roi  d'Espa- 
gne Philippe  Ml,  n'avait  point  négligé  au  cours  de  sa  mission 
d'attirer  sur  la  Compagnie  la  bienveillance  des  Etats-Gé- 
néraux de   Hollande.    11  n'y  réussit  pas  ,  car    l'année  sui- 

ses,  qui  ne  figure  pas  non  plus  sur  la  charte  de  fonHation,  dut  faire 
l'objel  d'un  acte  spécial  postérieur  à  celle-ci. 

(1)  Aux  Elats-Généraux  de  Hollande  et  au  comte  Maurice  de  Nassau, 
slaltiouder. 

(2)  Cet  acte  a  e'té  reproduit  par  Du  Fresne  de  Franclicville,  op.  cit.; 
il  en  existe  une  copie  à  la  Bibliothèque  Nalioiialo,  Manuscrits,  fonds 
français,  fr.  16738,  fol.  14. 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    ŒS    INDES    PAR    HENRI    IV  01 

vante  (1610)  l'ambassadeur  des  Pays-Bas  en  France,  Aers- 
sens,  se  plaignit  en  termes  fort  vifs  au  gouvernement  de 
Henri  IV  que  la  Compagnie  recrutât  des  marins  en  Hollande, 
et  déclara  que  les  vaisseaux  de  guerre  hollandais  avaient 
reçu  l'ordre  de  poursuivre  ses  navires  et  de  pendre  sur-le- 
champ  les  Hollandais  qui  seraient  trouvés  à  leur  bord  (1).  Le 
procédé  était  un  peu  vif,  étant  donné  que  les  Provinces-Unies, 
dont  la  France  avait  aidé  l'émancipation,  pouvaient  lui  en 
montrer  quelque  reconnaissance  I  Mais  en  cette  occasion  le 
souci  de  sa  puissance  commerciale  parla  plus  haut  pour  la 
Hollande  que  cette  considération,  et  l'énergique  protestation 
d'Aerssens  eut  tout  l'effet  qu'elle  en  attendait.  Elle  provoqua 
en  effet  la  défection  du  personnel  hollandais  recruté  par  la 
Compagnie,  qui  livrée  à  ses  propres  forces  et  privée  de  l'ap- 
pui qui  lui  était  indispensable,  abandonna  ses  prépara- 
tifs. 

Néanmoins  en  l'année  1611,  Gérard  Le  Roy  et  Antoine 
Godefroy  demandèrent  au  gouvernement  de  la  régente  le 
renouvellement  par  anticipation  de  leur  privilège  (2).  On  peut 
y  voir  la  preuve  qu'ils  n'avaient  point  encore  renoncé  à 
leurs  projets,  mais  cette  démarche  se  justifiait  aussi  par  le 
changement  de  règne  survenu  l'année  précédente,  et  par  les 
compétitions,  que  leur  inaction  commençait  à  faire  surgir 
autour  d'eux.  La  requête  fut  accueillie,  et  le  privilège  de  la 

(1)  On  se  rappelle  que  la  charte  de  la  Compagnie  d'Amsterdam  inter- 
disait aux  Hollandais  de  servir  dans  les  Compagnies  étrangères. 

(2)  Dupont  de  Nemours  a  donné  des  circonstances  de  ce  renouvelle- 
ment une  version  assez  différente  :  il  faudrait  suivant  cet  auteur  y  voir 
un  calcul  de  Concini  alors  tout  puissant,  qui  força  la  Compagnie  dans 
une  intention  intéressée  à  demander  confirmation  de  son  privilège  ,  et 
le  prix  que  lui  coûta  la  protection  du  favori  aurait  été  de  nature  à 
rendre  à  celle-ci  plus  difficile  qu'auparavant  toute  opération  maritime. 
Dupont  de  Nemours,  Du  commerce  et  de  la  Compagnie  des  Indes. 


62  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

Compagnie  confirmé  par  douze  nouvelles  années  (1).  Cepen- 
dant elle  ne  fil  pas  plus  d'expéditions  par  la  suite  qu'elle 
n'en  avait  fait  auparavant  ;  aussi  les  réclamations  se  produit 
sirent  contre  elle  avec  une  force  nouvelle  et  finirent  par 
triompher.  Deux  négociants  de  Rouen,  Jacques  Muisson  et 
Ezéciiiel  Cahen  (2),  jetèrent  les  bases  d'une  association  et  sol- 
licitèrent de  la  reine  le  transfert  à  leur  profit  du  privilège 
dont  Le  Roy  et  Godefroy  n'avaient,  disaient-ils,  tiré  aucun 
parti.  Ils  s'engageaient  formellement,  pour  vaincre  les  hé- 
sitations du  gouvernement,  à  faire  partir  l'année  même  un  ou 
deux  navires  pour  les  Indes  (1615). 

La  Compagnie,  on  le  pense  bien,  se  défendit  avec  ardeur  : 
la  faute,  répondit-elle,  n'en  était  point  à  elle,  si  elle  n'avait 
fait  aucune  expédition,  car  elle  avait  fait  son  possible  pour 
remplir  ses  engagements,  acheté  des  navires,  recruté  des 
équipages...;  l'hostilité  des  Hollandais   avait  fait  échouer 
ces  efforts  ;  la  retraite  de  plusieurs  des  associés,  la  mort  du 
duc  de  Damville,  amiral  de  France,  lui  avaient  enlevé  tout 
ressort  et  toute  protection  (3).  Néanmoins,  et  assez  illogique- 
ment, elle  se  déclara  prête,  elle  aussi,  à  envoyer  avant  la  fin 
de  l'année  deux  vaisseaux  qu'elle  disait  tout  armés  à  Brest. 
Les  ministres  de  Marie  de  Médicis  reconnurent  sans  doute 
le  bien  fondé  des  critiques  que  Ton  adressait  à  la  Compagnie 
de  Le  Koy  et  la  savaient  dans  l'impossibilité  de  rien  tenter 
pour  l'exécution  de  ses  promesses  ;  mais  ils  ne  se  résolurent 
point  à  la  déposséder  de  son  privilège  et  préférèrent  accorder 

(1)  Lettres  patentes  du  2  mars  1611.  Cf.  Du  Fresue  de  Francheville, 
op.  cil. 

(2)  Le  nom  de  ce  négociant,  comme  celui  de  Le  Roy,  est  assez  diffi- 
cile à  connaître  exactement.  Les  actes  royaux  l'appellent  tantôt  de 
Canis,  tantôt  Caën,  de  (îam  ou  Cahen. 

{'.{}  Elle  avait  di-jà  fait  valoir  tous  ces  arguments  en  1611,  lorsqu'elle 
demanda  le  renouvellement  de  son  privilège. 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    PAR    HENRI    IV  63 

les  deux  parties  litiganles  en  les  tondant  en  une  seule  Com- 
pagnie, décision  remarquable,  car  telle  avait  déjà  été  la  con- 
duite tenue  en  160:2  par  les  États-Généraux  de  Hollande,  et 
telle  devait  être  encore  à  plusieurs  reprises  celle  du  gouver- 
nement anglais. 

La  nouvelle  Compagnie  fut  constituée  par  lettres  patentes 
du  2  juillet  1615  (1)  ;  elle  fut  gratifiée  par  cet  acte  du  titre  de 
Compagnie  des  Moluques,  à  la  différence  de  la  Compagnie  de 
Le  Koy,  pour  qui  pareille  précaution  avait  été  omise,  et  d'un 
privilège  exclusif  de  douze  années  à  compter  du  départ  de 
sa  première  expédition  (:2). 

Que  fit  la  Compagnie  des  Moluques  pour  mériter  ces  fa- 
veurs? La  chose  est  malheureusement  fort  obscure,  en  tout 
cas  elle  ne  tint  pas  sa  promesse  d'expédier  l'année  même 
ses  deux  premiers  vaisseaux,  car  on  ne  signale  en  celte  an- 
née 1615  aucun  départ  pour  les  Indes. 

Pour  l'un  des  principaux  historiens  de  la  Compagnie  fran- 
çaise des  Indes,  l'abbé  Morellet,  la  Compagnie  de  1615  ne  fit 
pas  davantage  usage  de  son  privilège  que  son  aînée  de  1604  ; 

(1)  Lettres  patentes  du  2  juillet  1615,  enregistrées  au  Parlement  de 
Paris  le  2  septembre.  Le  préambule  de  cet  acte  disait  :  «  Désirant  grati- 

tier  les  uns  et  les  autres et  reconnaissant  qu'il  serait  périlleux  qu'il 

y  ait  diverses  compagnies  pour  une  même  entreprise  et  que  cela  pour- 
rait rendre  la  navigation  infruclueuse  et  inutile,  savoir  faisons  qu'en 
confirmant  les  privilèges  par  nous  ci-devant  accordés  aux  dits  Gode- 
froy.    Le    Roy    et  leurs    associés,   nous   accordons   auxdits   Muisson, 

de  Gain  et    leurs  associés  pareille  grâce,   faveur  et  privilège ,  les 

joignons,  unissons  et  incorporons  en  sorte  que  désormais  ce  ne  soit 
plus  qu'un  privilège  et  une  seule  et  même  compagnie  et  société,  »  V. 
Du  Fresne  de  Francheville,  op.  cit. 

M.  Levasseur  ne  mentionne  pas  la  Compagnie  des  Moluques  dans 
la  liste  des  Compagnies  de  commerce,  mais  il  signale  en  1616  une  «  Com- 
pagnie de  Paris  et  de  Rouen  ou  des  Indes  Orientales  ». 

(2)  Elle  reçut  aussi  le  nom  de  Flotte  de  Monlmorenc;/  en  l'honneur 
de  l'amiral  de  France  alors  en  charge,  fils  du  duc  de  Damville. 


04  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

un  autre,  Du  Fresne  de  Francheville,  auteur  qui  vivait  comme 
le  précédent  au  xviii«  siècle,  se  montre  moins  affirmatif  et  se 
contente  de  reconnaitre  «  qu'on  ne  sait  quelle  suite  fut  donnée 
à  la  concession  qu'elle  avait  obtenue  » .  On  s'explique  mal  ce^ 
pendant  que  les  négociants  de  Rouen,  qui  depuis  plusieurs 
années  voyaient  avec  dépit  le  chemin  des  Indes  fermé  à 
leurs  entreprises,  et  qui  firent,  en  tant  d'occasions,  preuve 
d'une  initiative  et  d'une  activité  remarquables,  se  soient  te- 
nus si  parfaitement  cois,  dès  que  le  monopole  de  ce  com- 
merce leur  eût  été  accordé.  L'hostilité  de  la  Hollande  doit-elle 
encore  expliquer  cette  inaction?  Faut-il  en  voir  la  raison  dans 
une  insuffisance  du  capital  social  ?  Nous  en  sommes  là-dessus 
réduits  aux  conjectures. 

En  raison  même  de  cette  incertitude,  certains  faits  qui  se 
produisirent  au  cours  des  années  suivantes  méritent  d'être 
signalés.  En  1616,  le  capitaine  Lelièvre  de  Honfleur  partit  de 
ce  port  avec  trois  navires  pour  les  Indes  ;  la  même  année  et 
probablement  du  même  point  partirent  encore  deux  navires 
sous  le  commandement  d'Antoine  Beaulieu  et  du  sieur  de 
Netz  (1),  Peut-être  ces  deux  expéditions  n'en  forment-elles 
qu'une,  mais  le  fait  lui-même  de  ces  armements  est  hors  de 
doute.  Les  équipages  de  Beaulieu  et  de  Netz  étaient  en  ma- 
jeure partie  hollandais,  aussi  lorsque  le  convoi  arriva  à  l'ile 
de  Java,  les  autorités  hollandaises  provoquèrent  leur  déser- 
tion, et  la  campagne  ne  dut  guère  profiler  à  ses  organisateurs. 
Le  capitaine  Lelièvre,  suivant  Guyot,  n'aurait  pas  eu  non  plus 
à  se  louer  de  son  voyage  (2). 

Trois  ans  plus  tard,  en  1619,  le  même  capitaine  Beaulieu 
repartit  de  Honfleur  avec  trois  nouveaux  navires  :  le  Mont- 

(1)  M,  Levasseur  {Histoire  des  classes  ouvrières,  II,  197)  menlioiine 
en  1615  la  création  d'une  «  Compagnie  Beaulieu  et  Le  Lièvre  ». 

(2)  Guyol,  Répertoire  de  jurisprudence,  article  :  «  Compagnies.  » 


\ 


CRÉATÏOX    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    PAR    HENRI    IV  65 

morency,  VEspérance,  et  V Ermitage.  On  perdit  malheureu- 
sement V Espérance  sur  la  côte  de  Java,  peut-être  encore 
grâce  à  l'hostilité  de  la  Compagnie  d'Amsterdam,  et  la  perle 
de  ce  navire  dut  absorber  une  bonne  partie  des  profils  du 
voyage,  s'il  y  en  eul.  Faut-il  attribuer  ces  expéditions  qui 
méritaient  un  meilleur  succès,  car  elles  témoignaient  d'une 
louable  activité,  à  la  Compagnie  des  Moluques?  Si  elles  n'é- 
taient point  son  œuvre,  il  faudrait  y  voir  une  violation  évi- 
dente de  son  privilège,  alors  que  celui-ci  venait  à  peine  de 
lui  être  accordé,  sans  que  la  Compagnie  ait  protesté  contre 
ce  mépris  de  ses  droits  ;  ou  admettre  au  contraire  que  ces 
armements  eurent  lieu  en  vertu  d'une  autorisation  accordée 
par  elle  à  des  particuliers,  comme  elle  avait  reçu  le  droit  de  le 
faire,  inaugurant  ainsi  une  pratique  que  suivront  plus  d'une 
fois  les  Compagnies  de  commerce  créées  ultérieurement. 

Que  l'on  regarde,  ou  que  l'on  ne  regarde  point  ces  expédi- 
tions comme  l'œuvre  de  la  Compagnie  des  Moluques,  il  faut 
reconnaître  qu'à  partir  de  ce  moment,  celle-ci  reste  envelop- 
pée d'un  silence  impénétrable,  que  ne  vient  même  plus 
troubler  la  relation  de  quelque  armement  donl  on  puisse 
avec  un  peu  de  bonne  volonté  lui  attribuer  riniliative,  ou  du 
moins  le  patronage  (1). 

(1)  UEncyclopédie  Méthodique  regarde  ces  armements  comme  particu- 
liers. M.  GafTarel  [Les  colonies  françaises)  les  attribue  par  contre  à 
la  Compagnie  des  Moluques.  Il  est  difficile  de  se  prononcer  sur  ce 
point  obscur  :  certaines  considérations  peuvent  cependant  être  présen- 
tées en  faveur  de  la  Compagnie.  On  a  vu  en  effet  que  les  équipages  de 
Netz  etBeaulieu  étaient  hollandais,  or  les  expéditions  des  marins  nor- 
mands, qui  étaient  autant  des  courses  de  corsaires  que  des  opérations 
commerciales  ne  se  faisaient  pas  d'ordinaire  avec  des  contingents  étran- 
gers et  l'on  peut  se  demander  s'il  ne  faut  point  voir  dans  celle  circons- 
tance la  marque  de  la  Compagnie  des  Moluques,  héritière  des  procédés 
de  celle  de  Le  Roy  ?  Le  nom  de  Montmorency  donné  à  l'un  de  leurs 
navires  rappelle  également  le  litre  donné  à  la  Compagnie  ((lotte  de 

w.  —  5 


66  PREMifcRE    PARTIE.    —   CHAPITRE    PREMIER 

Pas  plus  que  la  Compagnie  créée  par  Henri  IV,  ce  second 
essai  de  conslilulion  d'une  Compagnie  française  des  Indes 
n'avait  donc  réussi ,  el  tandis  qu'Anglais  et  Hollandais 
voyaient  les  leurs  agrandir  leur  rayon  d'action  et  accroitre 
leur  prospérité^  il  nous  fallait  reconnaître  que,  trop  tard 
venus  sur  cette  route,  nous  étions  incapables  de  nous  y  faire 
une  place  à  côté  de  nos  rivaux. 

Les  causes  de  ces  deux  échecs  successifs  durent  être  d'a- 
bord, cela  est  certain  pour  le  premier,  probable  pour  le  se- 
cond, dans  l'opposition  de  la  Hollande  dont  nous  avons  dit 
le  rôle  en  celte  matière.  A  cette  époque  dans  le  vaste  empire 
baigné  par  l'Océan  Indien  les  convoitises  des  nations  mari- 
times de  l'Europe  se  portaient  exclusivement  vers  l'Archi- 
pel asiatique,  le  pays  d'origine  des  précieuses  épices.  Or  la 
Hollande,  ayant  pris  une  avance  considérable,  s'y  était  vite 
assuré  une  situation  presqu'inexpugnable  et  regardait  toute 
tentative  de  la  part  des  autres  nations  comme  une  atteinte  à 
ses  droits,  que  sa  puissance  maritime  lui  permettait  de  re- 
pousser victorieusement. 

La  Compagnie  des  Moluques,  en  affichant  par  ce  titre  même 
son  intention  d'aller  lui  disputer  son  monopole  au  cœur  même 
de  son  domaine  asiatique,  devait  s'attirer  de  sa  part  plus 
d'opposition  peut-être  que  la  Compagnie  de  Le  Roy  et  Gode- 
froy.  Quoique  rien  ne  nous  renseigne  sur  les  manifestations 
de  cette  hostilité,  il  n'est  pas  téméraire  de  penser  qu'elles  ne 
durent  point  lui  manquer. 

On  a  attribué  aussi  l'échec  de  la  Compagnie  des  Moluques 
à  l'insuffisance  des  capitaux  dont  elle  disposa  et  à  la  mésin- 
telligence qui  n'aurait  pas  lardé  à   s'élever  entre  ses  mem- 

Montniorency)  ;  enfin  le  choix  répété  du  port  de  Ilonfleur,  voisin  de  celui 
de  Rouen,  jusqu'auquel  ou  avait  peut-être  hésité  à  faire  monter  ces  bi\- 
timfenls  n'est  peut-être  pas  sans  intérêt. 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    PAR    HENRI    IV  67 

bres  ;  mais  l'on  n'a  peut-être  pas  des  preuves  suffisantes 
pour  établir  sérieusement  cette  opinion .  D'ailleurs  si 
modeste  qu'ait  pu  être  son  capital,  il  aurait  tout  au  moins 
permis  de  faire  l'expérience  du  commerce  des  Indes,  et  Ton 
a  vu  que  l'incertitude  qui  règne  sur  l'exercice  de  son  privi- 
lège par  celte  Compagnie  est  loin  d'être  dissipée. 

Dès  ces  premiers  essais  du  commerce  privilégié  en  France, 
il  est  digne  de  remarque  que  les  commerçants  des  villes 
maritimes  aient  fait  entendre  contre  lui  de  vives  protesta- 
tions. L'assemblée  des  Notables  qui  fut  tenue  à  Rouen  en 
1617  demanda  notamment  :  «  Que  les  voyages  au  delà  de  la 
Ligne  ne  fussent  point  empêchés  aux  particuliers,  et  que 
Sa  Majesté  gratifiât  le  plus  qu'elle  pourrait  ceux  qui  se  pré- 
senteraient pour  former  des  compagnies  pour  lesdils  voya- 
ges de  long  cours,  sans  en  priver  ses  autres  sujets.  » 

Ainsi  dès  le  début,  en  France  comme  en  Angleterre,  le  com- 
merce maritime  proteste  contre  cet  accaparement  des  mers  : 
l'initiative  privée  qui  avait  jusqu'alors  soutenu  et  développé 
non  sans  succès  notre  commerce  sur  mer,  ne  pouvait  se  voir 
déposséder  de  ce  qu'elle  regardait  à  bon  droit  comme  une 
situation  acquise,  sans  faire  entendre  de  vives  réclamations. 
Mais  elles  ne  furent  point  écoutées  :  la  constatation  du  succès 
que  le  monopole  obtenait  à  l'étranger,  la  conformité  qu'il 
présentait  avec  les  mœurs  et  les  institutions  sociales,  la 
tendance  de  plus  en  plus  manifeste  qui  portait  toutes  choses 
en  France  vers  une  étroite  centralisation,  firent  triompher 
malgré  ces  premiers  déboires  le  privilège  exclusif  sur  la 
liberté  du  commerce,  même  soutenue  comme  le  demandaient 
les  Noiables  de  Rouen  parle  système  des  subventions  repris 
dans  des  temps  plus  modernes. 


CHAPITRE  11 

RICHELIEU  ET  SA  POLITIQUE  MARITIME.  —  LA  COMPAGNIE  d'oRIENT. 


Richelieu  expose  son  plan  aux  Notables  (1626).  — Essai  de  constitution 
d'une  Compagnie  du  Morbihan.  —  Compagnie  particulière  de  Rigault 
et  Rézimont  à  Dieppe  (1633).  —  Richelieu  la  transforme  en  Compa- 
gnie privilégiée  sous  le  nom  de  Compagnie  d'Orient  (1642).  —  Dé- 
viation de  nos  ambitions  sur  le  commerce  des  Indes  :  colonisation  de 
Madagascar.  —  Fondation  de  Fort-Dauphin  ;  Pronis,  Etienne  de 
Flacourt.  —  Détresse  de  la  Compagnie,  elle  abandonne  sa  colonie.  — 
Intervention  du  duc  de  laMeilleraye  (1654)  ;  scission  de  la  Compa- 
gnie d'Orient.  —  Ses  projets  étaient-ils  chimériques  ?  Pourquoi  elle 
a  échoué. 


Nos  relations  avec  les  Indes,  enlevées  par  la  volonté  royale 
aux  soins  du  commerce  particulier,  interrompues  par  la  fai- 
blesse des  Compagnies  qui  depuis  l'établissement  de  ce  ré- 
gime en  avaient  obtenu  le  monopole,  durent  au  cardinal  de 
Richelieu  de  prendre  un  nouvel  et  définitif  essor. 

On  sait  avec  quelle  attention  tout  ce  qui  pouvait  accroître 
la  force  et  la  grandeur  de  la  France  fut  mis  en  œuvre  par  ce 
grand  homme  d'Elat,  avec  quel  soin  en  particulier,  et  aussi 
avec  quelle  clairvoyance,  il  s'attacha  à  relever  notre  marine 
militaire,  qui  malgré  des  pages  glorieuses  déjà  n'avait  pas 
encore  joui  de  la  faveur  qu'elle  méritait  auprès  des  pouvoirs 
publics,  et  à  encourager  notre  commerce  maritime.  Donner 
une  place  à  la  France  dans  le  commerce  des  Indes  dont  les 
richesses  qu'il  procurait  à  la  Hollande  émerveillaient  alors 
l'Europe,  était  un  but   qu'il  devait  naturellement  s'efforcer 


RICHELIEU    ET    LA   COMPAGNIE    d'oRIENT  69 

d'atteindre,  et  ses  Mémoires  nous  apportent  le  témoignage, 
qu'il  avait  étudié  les  moyens  d'y  parvenir  en  prenant  nos 
rivaux  pour  modèle,  et  qu'il  était  arrivé  à  un  programme  très 
net  sur  ce  point  capital  (1). 

«Cette  grande  connaissance  que  le  cardinal  avait  prise  de 
la  mer,  y  lisons-nous,  fit  qu'il  présenta  à  l'Assemblée  des 

Notables,  qui  se  tenait  lors  (2),  plusieurs  propositions , 

non  tant  pour  remettre  en  France  la  marine  en  sa  première 
dignité,  que  par  la  marine  la  France  en  son  ancienne  splen- 
deur. Il  leur  remontra  que  l'Espagne  n'est  redoutable  et  n'a 
étendu  sa  monarchie  au  Levant,  et  ne  reçoit  ses  richesses 
d'Occident  que  par  sa  puissance  sur  mer  ;  que  le  petit  Etat 
de  Messieurs  des  Etats  des  Pays-Bas  ne  fait  résistance  à  ce 
grand  royaume  que  par  ce  moyen  ;  que  l'Angleterre  ne  sup- 
plée à  ce  qui  lui  fait  défaut  et  n'est  considérable  que  par  celte 
voie  ;  que  ce  royaume  (3)  étant  destitué,  comme  il  l'est,  de 
toutes  forces  de  mer  en  est  impunément  offensé  par  nos 
voisins  qui  tous  les  jours  font  des  lois  et  ordonnances  contre 
nos  marchands,  les  assujettissent  de  jour  en  jour  à  des  im- 
positions et  à  des  conditions  inouïes  et  injustes...  qu'il  n'y  a 
de  royaume  si  bien  situé  que  la  France  et  si  riche  de  tous 
les  moyens  nécessaires  pour  se  rendre  maître  de  la  mer  ;  et 
pour  y  paroenir  il  faut  voir  comme  nos  voisins  s'y  gouver- 
nent, faire  de  grandes  Compagnies,  obliger  les  marchands  d' y 
entrer,  leur  donner  de  grands  privilèges  comme  il  font  ;  que 
faute  de  ces  Compagnies  et  pour  ce  que  chaque  petit  marchand 

(1)  Le  cardinal  de  Richelieu  e'tait  surintendant  du  commerce  et  de  la 
marine  depuis  la  suppression  de  la  charge  d'amiral  de  France  (1627), 
et  ce  titre  qui  contribua  sans  nul  doute  à  attirer  son  attention  sur  nos 
intérêts  maritimes,  lui  donna  en  particulier  l'occasion  d'intervenir  en 
personne  dans  la  constitution  des  Compagnies  de  commerce, 

(2)  Celte  assemblée  eut  lieu  à  Paris  en  décembre  1626. 

(3)  La  France. 


70  PHEMIKRK    PAKTIK.     —    CHAPITRE    II 

trafique  à  part  et  de  son  bien,  et  partant  pour  la  plupart  en 
des  petits  vaisseaux  et  assez  mal  équipés,  ils  sont  la  proie  des 
corsaires  et  des  princes  nos  alliés,  parce  qu'ils  nont  pas  les 
reins  assez  forts,  comme  aurait  une  grande  Compagnie,  de 
poursuivre  leur  justice  jusqu  au  bout  ;  que  ces  Compagnies 
seules  ne  seraient  pas  néanmoins  suffisantes,  si  le  roi  de 
son  côté  n'était  armé  d'un  bon  nombre  de  vaisseaux  pour  les 
maintenir  puissamment,  au  cas  qu'on  s'opposât  par  force 
ouverte  à  leurs  desseins  ;  oulre  que  le  roi  en  tirerait  cet  avan- 
tage, qu'en  un  besoin  de  guerre  il  ne  lui  soit  pas  nécessaire 
d'avoir  recours  à  mendier  l'assistance  de  ses  voisins  (1).  » 

Réunir  les  efforts  vains,  parce  qu'isolés,  de  notre  commerce 
maritime,  créer  des  Compagnies  qui  eussent,  suivant  son 
énergique  expression,  «  les  reins  assez  foi  ts  »  pour  «  poursui- 
vre leur  justice  »  jusqu'au  bout,  mettre  la  marine  royale 
en  étal  de  les  protéger  efficacement  contre  les  jalousies 
qu'elles  susciteraient  à  l'étranger,  tel  était  le  plan  de  cam- 
pagne contenu  dans  ces  quelques  lignes,  expression  con- 
densée, mais  admirable  de  netteté  et  de  bon  sens,  de  la  poli- 
tique maritime  du  grand  ministre  qui  disait  :  «  On  ne  peut 
sans  la  mer  ni  profiter  de  la  paix  ni  soutenir  la  guerre  !  » 

L'exécution  en  était  déjà  préparée,  car  en  1624  les  Etats- 
Généraux  de  Hollande  ayant  sollicité  à  nouveau  l'appui 
de  la  France  contre  la  maison  d'Autriche  toujours  en  lutte 
avec  eux,  Richelieu  proposait  au  Conseil  d'accéder  à  leur 
demande,  mais  de  mettre  à  cette  alliance  des  conditions 
importantes  dont  la  première  était  «  que  non  seulement  ils 
ne  donneraient  point  empêcliement  mais  toute  assistance  à 
nos  marchands  trafiquant  aux  Indes  Orientales  et  Occiden- 
tales, leur  laissant  le  choix  des  côtes  pour  y  trafiquer  en 

(i)  Mémoires  du  cardinal  de  Richelieu,  liv.  XVIII,  année  1627. 


MCHELIEU    ET    LA    COMPAGNIE    d'ouieNT  71 

toute  sécurité  et  liberté,  et  les  associeraient  avec  eux  en  leurs 
navigations  es  dits  pays  ».  Et  le  traité  fut  effectivement  si- 
gné, les  conditions  imposées  par  le  cardinal  ayant  été  ac- 
ceptées (1). 

La  première  occasion  de  mettre  à  exécution  son  pro- 
gramme maritime  se  présenta  l'année  même  où  il  l'expo- 
sait si  magistralement  aux  Notables  (1626).  Il  favorisa,  en 
effet,  la  création  d'une  Compagnie  dite  du  Morbihan  ou  des 
Cent  associés,  qui  devait  réunir  un  capital  de  1.600.000  li- 
vres (2)  et  se  proposait  de  faire  «  tous  les  voyages  du  Ponant 
et  du  Levant  ».  C'était,  il  est  vrai,  une  entreprise  un  peu  vaste, 
et  celle  société  bretonne  eût  sans  doute  été  forcée  de  limiter 
davantage  son  ambition  ;  Richelieu  la  destinait  d'ailleurs, 
paraît-il,  à  assurer  nos  relations  avec  l'Amérique.  Elle  n'en 
eut  pas  l'occasion,  car  le  Parlement  de  Bretagne  dont  la 
sanction  était  nécessaire  refusa  d'enregistrer  l'édit  qui  la 
constituait,  et  Richelieu  qui  était  certainement  de  force  à  le 
faire  changer  d'avis,  préféra  réserver  son  aulorilé  pour  des 
circonstances  plus  imporlantes. 

Mais  quelques  années  plus  tard,  une  initiative  particulière 
se  produisit  avec  succès  sur  un  autre  point  de  notre  littoral. 
La  petite  cité  de  Dieppe,  dont  le  nom  mérite  de  figurer  en 
bon  rang  dans  nos  fastes  maritimes  (3),  qui  avait  vu  déjà  les 
les  armements  des  Ango  et  le  départ  des  frères  Parmenlier 

(1)  Traité  de  Gompiègne,  20  juillet  1624. 

(2)  La  livre  tournois  valait  alors  environ  2  fr.  08  de  notre  monnaie 
actuelle  (d'après  M.  d'Avenel),  ce  chiffre  représente  donc  un  capital  de 
3.328.000  francs. 

(3)  Un  marin  de  Dieppe,  Jean  Cousin,  aurait  atteint  le  continent 
américain  en  1488,  quatre  années  avant  Colomb  ;  mais  ce  fait,  conservé 
par  la  tradition,  n'a  pu  être  malheureusement  prouvé,  car  le  bombarde- 
ment subi  par  la  ville  en  1694,  en  détruisant  ses  archives,  nous  a  privés 
des  documents  qui  eussent  pu  en  établir  l'authenticité. 


72  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE   II 

pour  les  Indes,  fui  alors  le  Ihéâlre  d'efforls  nouveaux  pour 
élablir  en  France  le  courant  de  relalions,  lanl  de  fois  désiré 
el  point  encore  réalisé  avec  celte  parlie  du  monde.  Un  capi- 
taine de  celte  ville,  Gilles  Rézimonl^  s'étant  associé  dans  ce 
but  avec  quelques-uns  de  ses  concitoyens,  partit  pour  une 
première  expédition  en  1633  (1).  Le  voyage  eut  sans  doute 
des  résultats  heureux,  car  en  1635,  une  nouvelle  association 
fut  conclue  pour  couvrir  les  frais  d'une  nouvelle  entreprise. 
La  Compagnie  des  Moluques,  dont  le  privilège  avait  atteint 
son  terme  en  1627,  n'avait  sans  doule  point  à  celte  date  sol- 
licité son  renouvellement,  ou  si  elle  l'avait  fait,  elle  ne  s'en 
servait  probablement  point  et  n'existait  plus  que  de  nom.  La 
petite  société  dieppoise, libre  de  toute  entrave  de  ce  côté, n'en 
faisait  pas  moins  preuve  d'une  belle  audace,  car  nous  avons 
dit  que  les  mers  étaient  loin  d'être  sûres  à  celte  époque 
pour  un  petit  navire,  dont  la  riche  cargaison  pouvait  rencon- 
trer bien  des  convoitises  sans  scrupules  sur  une  route  aussi 
longue  ;  mais  les  marins  de  Dieppe  étaient  coulumiers  de 
celle  insouciance  hardie,  el  encore  une  fois  l'expédition  ral- 
lia son  port  d'attache  saine  el  sauve  après  une  fructueuse 
campagne.  Ce  nouveau  succès  consolida  encore  l'associa- 
tion {'2)  de  ses  organisateurs  qui  dans  les  années  suivantes, 
notamment  en  1637  (3),  firent  les  frais,  paraît-il, de  plusieurs 
autres  voyages. 

(1)  Dès  l'année  1632  le  capitaine  Rigaiilt,  dont  on  trouvera  plus  loin  le 
nom,  aurait  fait  déjà  le  tour  de  l'île  de  Madagascar.  Les  colonies  fran- 
çaises, édition  Larousse,  t.  II,  p.  132. 

En  cette  année  1633, date  du  premier  voyage  de  Rézimonl,  M.  Levas- 
seur  signale  la  création  d'une  Compagnie  Dumé  d'Applemont,  qu'il 
regarde  comme  la  quatrième  Compagnie  des  Indes  Orientales  (Levas- 
seur,  Histoire  des  classes  ouvrières,  II,  197). 

(2)  Elle  comprenait  alors  24  associés.  Encyclopédie  Méthodique,  arti- 
cle :  «  Compagnies  ». 

(3)  Du  Fresne  de  Francheville. 


RICHELIEU    ET    LA    COMPAGNIE    d'oRIEXT  73 

(les  preuves  d'activité  finirent  par  attirer  Tattenlion  du 
cardinal,  aux  vues  duquel  elles  répondaient  trop  bien,  pour 
qu'il  ne  les  encourageât  point  d'une  façon  particulière.  Il 
saisit  en  effet  avec  empressement  cette  occasion  de  donner  à 
son  programme  le  commencement  d'exécution  que  la  mau- 
vaise volonté  du  Parlement  de  Rennes  avait  fait  avorter  en 
1626. 

Il  attira  sur  la  société  dieppoise  la  faveur  royale  et  lui  fit 
accorder  un  privilège  exclusif  de  dix  années.  Les  lettres 
patentes  qui  l'érigèrent  ainsi  en  Compagnie  privilégiée,  da- 
tées du  24  juin  1642,  furent  rédigées  au  nom  de  Rézimonl  et  de 
son  principal  associé,  le  t  capitaine  de  marine  »  Rigault(l) 
qui  joua  dès  lors,  semble-t-il,  le  principal  rôle  dans  l'as- 
sociation et  dont  la  plupart  des  auteurs  ont  attaché  le  nom  à 
celle-ci  (2). 

La  Compagnie  d'Orient,  car  tel  fut  le  nom  sous  lequel  elle 
fut  officiellement  constituée  (3),  reçut  un  objectif  nettement 
délimité,  l'ile  de  Madagascar,  ou  comme  on  l'appelait  alors, 
l'île  Saint-Laurent.  Les  lettres  patentes  lui  donnèrent  en 
effet  pour  mission  «  d'envoyer  dans  celte  île  et  autres  adja- 
centes, pour  y  établir  des  colonies  et  en  prendre  possession 
au  nom  du  roi  ».  But  et  expression  des  plus  dignes  de  re- 
marque, car  ils  témoignaient  d'une  évolution  notable  dans 
la  politique  maritime  française  aux  Indes  (4). 

(1)  Nous  suivons  pour  ces  deux  noms  l'ortliographe  de  Flacourt. 

(2)  Louis  XIII  e'tant  mort  peu  de  temps  après  la  concession  de  ce 
privilège,  confirmation  en  fut  donnée  à  la  Compagnie  par  lettres  paten- 
tes de  Louis  XIV,  l'année  suivante,  20  septembre  1643. 

(3)  Elle  fut  aussi  désignée  sous  ceux  de  :  Compagnie  de  Madagascar 
et  Compagnie   des  côtes  orientales   d'Afrique  (Bonnassieux,  op.  cit.). 

(4)  Une  des  conditions  principales  du  privilège  était  que  la  Compa- 
gnie s'occuperait  activement  de  la  conversion  des  indigènes  à  la  reli- 
gion catholique,  et  pour  cela  y  enverrait   des  missionnaires  et  bâtirai 


74  PREMIÈRE    PARTIE.    CUAI'ITRE    II 

Jusque  là,  en  effet,  on  s'élail  attaché  à  imiter  les  Hollandais, 
ce  que  d'ailleurs  les  Anglais  avaient  fait  eux-mêmes  avant 
nous,  et  l'on  avait  cherché  à  se  faire  à  leurs  c6tés  une  place 
dans  le  commerce  de  l'Archipel  asiatique,  centre  de  la  pro- 
duction des  précieuses  épices.  On  se  bornait,  en  outre,  de 
même  que  nos  devanciers,  à  ambitionner  avec  ces  contrées 
des  relations  strictement  commerciales,  suivant  la  ligne  de 
conduite  tracée  un  siècle  auparavant  par  les  Portugais  eux- 
mêmes.  Trafiquer  avec  les  indigènes  en  leur  procurant  les 
produits  européens  en  échange  des  épices,  des  drogues,  des 
tissus  qu'ils  venaient  proposer,  créer  sous  le  nom  de  Comp- 
toirs des  magasins  où  s'accumuleraient  les  marchandises 
d'échange,  et  où  les  navires  sitôt  arrivés  d'Europe  dépose- 
raient leur  cargaison  pour  en  prendre  une  nouvelle  toute 
préparée  par  des  agents  expérimentés,  tel  avait  été  jusque-là 
le  principal  but  que  se  proposèrent  les  Européens,  et  la 
politique  qu'eussent  eu  à  suivre  les  Compagnies  de  1604  et 
de  1615  si  elles. avaient  répondu  aux  espérances  qu'on  en 
avait  conçues. 

L'hostilité  des  Hollandais,  jaloux  de  conserver  la  propriété 
exclusive  du  commerce  des  épices,  après  avoir  rendu  vains 
nos  efforts,  avait  ensuite  changé  leur  direction.  Quand  la 
société  dieppoise  tenta  d'établir  les  relations  que  les  précé- 
dentes Compagnies  n'avaient  pu  nouer  avec  les  Indes,  ce  ne 
fut  plus  vers  Java  et  les  Moluques,  où  les  Hollandais  les 
guettaient,  mais  vers  Madagascar  que  se  porti^rent  ses  navi- 

des  sanctuaires.  Comme  l'observe  Flacourl,  le  but  religieux  figurait 
toujours  au  premier  rang  dans  les  chartes  des  Compagnies  de  colonisa- 
lion  à  celle  époque,  et  était  en  règle  générale  laissé  au  dernier  dans  la 
pratique.  C'est  ainsi  que  pour  remplir  ce  mandat,  la  Compagnie  d'Orient 
enverra  par  son  premier  navire  deux  chefs  de  colonie  Pronis  et  Fouc- 
quembourg,  tous  deux  protestants,  ainsi  que  le  commandant  de  ce 
navire. 


RICHELIEU    ET    LA    COMPAGNIE    d'oRIEXT  75 

res  ;  le  succès  des  premiers  voyages,  les  récils  de  ceux  qui 
en  firent  partie  donnèrent  les  plus  grandes  espérances  de 
cette  orientation  nouvelle  de  notre  commerce. 

On  alla  plus  loin  et  dans  celle  terre  que  les  relations  di- 
saient prodigieusement  fertile  et  riche,  où  l'on  croyait  pou- 
voir trouver  toutes  les  épices  que  produisaient  les  îles  de 
l'Archipel,  sans  que  l'hostililé  des  Hollandais  y  fût  à  craindre, 
on  entreprit  de  transplanter  une  colonie  française  que  la 
Compagnie  maintiendrait  en  relations  avec  la  mère-patrie, 
et  de  faire  de  l'ile  Saint-Laurent,  comme  on  le  dit  avec 
quelque  emphase,  une  «  France  Orientale  ». 

L'intérêt  économique  n'était  pas  moins  servi,  croyait-on, 
par  cette  application  de  la  colonisation  au  commerce  des 
Indes,  que  l'intérêt  politique.  Sous  l'influence  de  la  théorie 
mercantile,  on  avait  toujours  eu  jusqu'alors  entr'autres 
desseins,  ainsi  que  nous  l'avons  fait  observer,  celui  d'é- 
viter la  sortie  de  l'or  français  tout  en  procurant  à  notre 
industrie  nationale  un  débouché  nouveau,  Malheureuse- 
ment l'expérience  avait  déjà  prouvé  que  cette  combinai- 
son, bonne  en  principe,  n'était  point  complètement  vérifiée 
par  la  pratique,  et  que  le  précieux  métal  s'expatriait  autant 
sinon  plus  que  les  produits  de  manufacture  dans  le  com- 
merce des  Indes.  On  s'inquiéta  de  cette  tendance  qui  devait 
devenir  des  plus  nuisibles,  quand  ce  commerce  se  serait  dé- 
veloppé, et  l'on  dut  certainement  penser  qu'en  établissant  à 
Madagascar,  comme  du  reste  la  civilisation  très  primitive 
de  ses  habitants  le  rendait  nécessaire,  des  colonies  françai- 
ses dont  les  membres  cultiveraient  les  épices  et  obtien- 
draient par  leur  industrie  les  autres  productions  des  Indes, 
nos  navires  trouveraient  chez  elles  un  placement  assuré  des 
produits  de  la  métropole  en  échange  des  denrées  orientales; 
et  s'il  fallait  au  besoin  se  procurer  celles-ci  contre  de  l'or, 


76 


PREMIERE   PARTIE.    —    CHAPITRE   II 


ce  dernier  ne  sortirait  pas  des  mains  françaises  et  le  capital 
national,  tel  qu'on  le  comprenait  alors,  ne  serait  point  appau- 
vri !  Ces  considérations,  si  elles  ne  furent  point  seules  en 
cause,  inspirèrent  en  partie  au  moins  les  encouragements 
et  les  instructions  donnés  par  le  gouvernement  royal  à  l'en- 
treprise hardie  de  Rigault  et  de  Rézimont. 

La  première  expédition  de  la  nouvelle  Compagnie,  qui 
joignait  à  la  garantie  de  son  monopole  le  précieux  avantage 
d'une  expérience  déjà  longue  de  cette  navigation,  eut  lieu 
au  mois  de  mars  1643.  Le  Saint-Louis,  capitaine  Coquet, 
quitta  à  cette  date  le  port  de  Dieppe,  emmenant  une  petite 
troupe  de  douze  colons  engagés  pour  cinq  années  et  deux 
«  Commis  »  chargés  de  diriger  rétablissement  de  la  colonie: 
Pronis  qui  devait  en  être  le  premier  chef  et  Foucquembourg. 
Le  voyage  se  fit  dans  de  bonnes  conditions,  et  Ton  atteignit 
sans  dommages  l'ile  Mascareigne  (l)  dont  Pronis  prit  pos- 
session au  nom  du  roi  de  France  suivant  les  instructions 
qu'il  avait  reçues,  puis  l'Ile  Sainte-Marie  où  il  renouvela  la 
même  cérémonie  ;  enfin  après  avoir  exploré  la  baie  d'An- 
tongil,  on  descendit  la  côte  jusqu'à  la  baie  Sainte-Luce  (2), 
où  l'on  résolut  de  s'établir;  il  s'y  trouvait  déjà  du  reste  une 
dizaine  de  matelots  français,  qu'y  avait  laissés  quelque  temps 
auparavant  le  capitaine  dieppois  Goubert  dans  des  circons- 
tances curieuses  dont  Flacourt  nous  a  laissé  le  récit  (3). 

(1)  L'ile  appelée  deux  ans  plus  tard  Bourbon,  aujourd'hui  La  Réunion. 

(2)  La  baie  d'Antongil  et  l'île  Sainte -Marie  se  trouvent  dans  la 
partie  nord  de  l'île  et  sur  la  côte  orientale.  La  baie  Sainte-Luce  est 
située  sur  la  même  côte  dans  la  partie  sud. 

(3)  Des  commerçants  de  Rouen  avaient  armé  en  1638  un  navire  pour 
Madagascar.  Son  capitaine  le  mil  à  la  côte  de  cette  île,  mais  peut-être 
ce  dénouement  n'était-il  point  involontaire,  car  Goubert  et  ses  oi'ficiers 
avaient  emprunté  avant  leur  départ  des  sommes  importantes  à  60  et 
80  0/0  d'intérêt  ;    craignant  que  les  profils  du   voyage  n'arrivassent 


MCHELIEU    ET    LA    COMPAGNIE    D*ORIENT  77 

Mais  la  fin  de  ce  premier  voyage  fut  moins  heureuse,  car  le 
Saint-Louis  fit  côte  et  son  capitaine  en  mourut  de  douleur  ; 
ses  officiers,  plus  pratiques,  vendirent  aux  indigènes  les 
armes  et  les  munitions  que  contenait  le  vaisseau,  et  ceux-ci 
n'hésitèrent  point  dans  la  suite  à  s'en  servir  contre  les 
colons. 

Un  second  navire,  le  Saint -Laurent,  n'avait  point  tardé  à 
suivre  le  premier:  parti  de  Dieppe  en  novembre  1643  sous  le 
commandement  de  Gilles  Hézimonl  lui-même,  il  arriva  à 
la  baie  Sainle-Luce  le  l^""  mai  1644,  et  renforça  la  petite 
colonie  de  70  membres  nouveaux.  Malheureusement  celle 
baie  était  fort  mal  choisie,  le  climat  en  était  des  plus  mal- 
sains et  on  eut  bientôt  perdu  le  tiers  de  ces  colons  !  Pronis 
eut  le  mérite  de  ne  point  s'obstiner  et  il  transporta  son  éta- 
blissement plus  au  sud,  en  un  lieu  plus  salubre  qui  prit  le 
nom  de  Fort-Dauphin  (1). 

point  à  éteindre  ces  dettes,  ils  préférèrent  perdre  leur  navire,  car  leurs 
emprunts  étant  à  la  grosse  aventure,  ils  n'étaient  tenus  d'aucun  rem- 
boursement dans  ce  cas.  Ils  construisirent  ensuite  une  barque  de  40  ton- 
neaux sur  laquelle  prirent  place  vingt-cinq  des  naufragés  et  furent 
assez  tieureux  pour  atteindre  Dieppe  ;  ce  curieux  épisode  jette  un  jour 
intéressant  sur  les  mœurs  maritimes  de  cette  époque.  Les  quelques 
Français  trouvés  par  Pronis  à  la  baie  Sainte-Luce  étaient  le  reste  de 
cet  équipage  peu  scrupuleux.  Le  Dieppois  François  Gauche  faisait 
partie  de  cette  expédition  ;  il  a  raconté  son  séjour  à  Madagascar  dans 
ses  «  Kelations  véritables  et  curieuses  de  l'île  de  Madagascar  »,  d651. 
(1)  Pour  le  récit  des  opérations  de  la  Compagnie  d'Orient  depuis  ce 
premier  voyage  jusqu'à  l'intervention  du  maréchal  de  la  Meilleraye,  on 
trouve  une  source  précieuse  de  renseignements  dans  l'ouvrage  d'Etienne 
de  Flacourt,  le  successeur  de  Pronis  ;  «  Relation  de  la  grande  île  de 
Madagascar,  contenant  ce  qui  s'est  passé  entre  les  Français  et  les  cri-- 
ginaires  de  cette  île  depuis  l'an  1642  jusques  en  l'an  1655,  composée 
par  le  sieur  de  Flacourt,  Directeur  de  la  Compagnie  française  de  l'Orient 
et  commandant  pour  Sa  Majesté  de  ladite  île  et  îles  adjacentes.»  Paris, 
1657.  Flacourt  est  aussi  l'auteur  de   1'  <f  Histoire  de  la  grande  île  de 


78  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    II 

En  septembre  1644  un  troisième  navire,  le  Royal,  de  400 
tonneaux,  capitaine  Lormel,  parti  de  Dieppe  le  25  mars  pré- 
cédent, débarqua  à  son  tour  GO  passa^çers  (1). 

Les  premiers  résultats  de  la  colonisation  sans  cesse  accrue 
de  la  sorte  par  le  concours  de  bras  nouveaux  ne  tardèrent 
pas  à  se  faire  sentir,  et  le  17  janvier  1645  on  put  renvoyer 
le  Saint- Laurent  en  France  avec  une  cargaison  de  bois  d'é- 
bène  (2). 

Mais  bientôt  les  choses  se  gâtèrent:  le  recrutement  des 
colons  n'offrait  probablement  pas  toutes  les  garanties  dési- 
rables ;  Pronis,  son  chef,  ne  sut  point  montrer  les  qualités 
qu'exigeait  sa  situation.  Il  se  montra  très  médiocre  adminis- 
trateur, laissant  dilapider  par  ses  commis  les  marchandises 
et  les  denrées  de  la  Compagnie,  les  gaspillant  lui-même,  de 
sorte  qu'à  de  courtes  périodes  d'abondance  succédaient  des 
disettes  dont  souffrit  beaucoup  la  colonie.  Le  gouverneur 
était  d'ailleurs  protestant,  ce  qui  n'était  guère  de  nature 
alors  à  lui  concilier  Taffeclion  de  ses  subordonnés,  enfin  il 
était,  parait-il,  fort  exigeant  pour  les  travaux  qu'il  leur 
imposait  ;  aussi,  bien  qu'il  ne  fût  nullement  un  malhonnête 
homme,  fut-il  la  cause  principale  des  malheurs  qui  fondi- 
rent sur  Fort-Dauphin. 

Son  collègue  Foucquembourg  s'embarqua  en  janvier  1646 
sur  le  Itoyal,  qui  regagnait  la  France  avec  une  cargaison 
d'ébène,  de  cuirs  et  de  cire  ;  il  s'était  probablement  chargé 
d'engager  la  Compagnie  à  chercher  remède  à  une  situation 
qui  commençait  à  devenir  mauvaise  ;  mais  il  ne  put  mener  à 

Madagascar  »,  Paris,  1G58.  ('elle  histoire  est  plutôt  la  description  géo- 
graphique très  détaillée  de  Madagascar.  Les  deux  ouvrages  ont  été 
édités  ensemble  en  1658. 

(1)  Le  Rouai  apporlail  des  plants  de  tabac  dont  la  culture  fut  essayée. 

(2)  Rézinionl  reçut  cependant  un  mauvais  accueil  de  la  Compagnie 
qui  avait  espéré  mieux. 


RICHELIEU    ET    LA   COMPAGNIE    d'oRIEXT  79 

bien  sa  mission.  Le  Royal  arriva  en  mai  en  rade  de  Sainl- 
Marlin-de-Ré  (1),  et  le  malheureux  Foucquembourg,  qui  prit 
aussitôt  le  chemin  de  Paris,  fut  assassiné  dans  la  forêt  de 
Dreux  par  son  compagnon  de  roule  qui  supposait  ses  poches 
bourrées  de  pierres  précieuses  (2). 

Depuis  son  départ  d'ailleurs  la  situation  s'était  singulière- 
ment aggravée  à  Fort-Dauphin.  Pronis  avait  été  dépouillé 
de  son  commandement  par  les  colons  révoltés  et  mis  aux 
fers.  Son  commis,  Claude  Le  Roy,  avait  été  mis  par  eux  à  sa 
place  et  pendant  six  mois  la  colonie  resta  livrée  à  cette  anar- 
chie. 

Le  retour  du  Sainl-Laurent,  le  26  juillet  1846,  rendit  à  Pro- 
nis la  liberté  et  lui  permit  de  reprendre  sa  place  :  la  colonie 
s'accrut  encore  de  43  membres  nouveaux.  Une  seconde  ré- 
volte éclata,  mais  cette  fois  Pronis  réussit  à  lui  tenir  tête, 
et  fit  transporter  par  le  Sainl-Laurent  à  Tîle  Mascareigne 
douze  des  révoltés.  Mais  le  dernier  acte  de  son  administration 
fut  encore  plus  maladroit  que  les  précédents  :  le  gouverneur 
hollandais  de  Pile  Maurice  vint  un  jour  à  Fort-Dauphin  de- 
mander qu'on  lui  vendît  des  esclaves.  Pronis,  après  avoir  re- 
fusé, finit  par  consentir  surles  conseils  intéressésdu  capitaine 
du  Sainl-Laurent  (3).  Il  fit  saisir  près  d'une  centaine  d'indi- 
gènes qu'il   livra  aux   Hollandais.   Cet  acte  impolitique  dé- 

(1)  On  ne  pul  obtenir  une  réduction  des  droits  d'entrée  du  port  de 
la  Rochelle  et  les  directeurs  consultés  envoyèrent  l'ordre  de  repartir 
pour  Saint-Malo,  où  ils  étaient  moins  élevés. 

(2)  Le  coupable  fut  arrêté,  condamné  et  exécuté  ;  mais  il  avait  brûlé 
les  papiers  que  sa  victime  apportait  à  la  Compagnie,  et  qui  eussent 
sans  doute  été  d'un  grand  intérêt  pour  l'avenir  de  la  colonie. 

(3)  Le  sieur  Le  Bourg,  qui  espérait,  dit  Flacourt,  trouver  un  bon 
profit  à  ce  marché.  F'iacourt  qui  n'accable  pas  Pronis,  quoiqu'on  l'ait 
dit,  voit  dans  cet  acte  le  principal  reproche  qu'on  ait  eu  à  lui  faire  :  il 
ajoute  qu'il  y  fut  poussé  par  la  crainte  de  voir  Le  Bourg  se  ranger  du 
côté  des  mécontents,  s'il  refusait. 


80  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    II 

chaîna  rirrilation  des  Malgaches  qui  s'élaienlmonlrés d'abord 
fort  accueillants  et  n'avaient  déjà  enduré  que  trop  de  mau- 
vais traitements  de  la  part  des  colons  ;  leur  hoslililé  dé- 
sormais déclarée  accrut  les  difficultés  dans  lesquelles  la  colo- 
nie se  débattait. 

Cependant  le  Sainl-Laurent  put  repartir  avec  une  cargaison 
d'ébène  et  de  cuirs,  et  à  peine  de  retour  en  P>ance,  fil  voile 
de  nouveau  pour  Madagascar,  emmenant  celle  fois  un  des 
principaux  actionnaires  de  la  Compagnie,  Etienne  de  Fia- 
court,  qui  devait  relever  de  ses  fonctions  Pronis  dont  on  ne 
voulait  plus  et  prendre  la  direction  de  Fort-Dauphin  avec  les 
titres  de  :  «  Directeur  général  de  la  Compagnie  française  de 
rOrienl»  et  de  «  Commandant  pour  Sa  Majeslé  dans  ladite 
lie  et  lies  adjacentes  ».  Flacourt  emmenait  en  outre  80  co- 
lons. 

Quand  il  arriva  à  Fort-Dauphin  en  novembre  1648,  la  co- 
lonie était  en  proie  aux  plus  grandes  difficultés  ;  elle  man- 
quait de  vivres,  les  naturels  la  cernaient  et  avaient  déjà 
massacré  cinq  colons  !  Le  Roy,  qui  regrettait  sa  situation 
éphémère  de  gouverneur,  avait  abandonné  la  cause  commune 
et  s'était  fixé  avec  une  partie  des  Français  à  la  baie  Saint- 
Augustin  (1),  en  attendant  qu'un  naviie  anglais  les  ramenât 
en  Europe,  et  Pronis  n'avait  pu  garder  à  Fort-Dauphin  que 
73  colons. 

Le  nouveau  gouverneur,  homme  énergique,  rélablil  la  si- 
tuation: il  ne  sévit  pas  contre  Pronis  (2)  et  »  feignit  de  croire, 
dit-il  lui-même,  que  s'il  y  avait  eu  du  désordre,  c'est  qu'il 
n'avait  été  ni  obéi  ni  respecté, le  malheur  n'étant  venu  que  des 

(1)  La  baie  Sainl-Auguslin  se  trouve  sur  la  cote  occidentale  dans  la 
partie  sud  de  l'île. 

(2)  «  Il  le  trouva,  dil-il,  autre  qu'on  ne  le  lui  avait  dépeint  et  il  ne 
connut  en  lui  qu'une  grande  sincérité  et  franchise.  >> 


RICHELIEU    ET    LA    COMPAGNIE    D  ORIENT  6 1 

volontaires  que  l'on  avait  envoyés  par  le  passée  qui  avaient 
tout  perdu  ».  Le  plus  pressé  était  d'en  finir  avec  les  indi- 
gènes :  Flacourt  les  attaqua  résolument  et  après  une  lutte 
longue  et  acharnée  (1),  il  eut  la  satisfaction  de  voir  un  succès 
complet  couronner  ses  efforts  et  tout  le  sud  de  l'ile  recon- 
naître son  autorité  (2). 

Il  ne  négligea  point  pour  cela  les  intérêts  commerciaux  de 
la  Compagnie,  fit  planter  du  riz,  réunir  des  troupeaux  et 
explora  méthodiquement  les  contrées  voisines  de  Fort- 
Dauphin  dans  le  but  de  découvrir  des  articles  d'exportation 
nouveaux.  En  1649,  il  envoya  chercher  les  colons  que  Pronis 
avaient  déportés  à  l'île  Mascareigne,  et  fut  tellement  séduit 
par  les  récits  qu'ils  lui  firent  de  leur  séjour  dans  cette  île, 
de  la  bonté  de  son  climat,  de  la  fertilité  de  son  sol,  qu'il 
envoya  le  capitaine  Le  Bourg  du  Saint-Laurent  en  prendre 
à  nouveau  possession  au  nom  du  roi.  C'est  en  cette  occasion 
que  Flacourt  donna  à  l'île  le  nom  de  Bourbon,  «  n'en  ayant 
pu  trouver  de  plus  convenable,  écrivit-il  en  France,  pour 
représenter  la  bonté  du  sol  ».  Pour  le  moment,  d'ailleurs,  la 
colonisation  en  resta  là  (3).  Enfin  il  renvoya  en  Europe  le 

(1)  On  a  fort  critiqué  cette  politique  de  Flacourt  :  les  historiens  de  no- 
tre établissement  à  Madagascar  ont  insisté  sur  la  maladresse  déployée 
par  nos  premiers  représentants  à  l'égard  des  populations  de  l'île. 

(2)  Elle  ne  fut  point  sans  moments  critiques  :  les  Malgaches,  que 
Flacourt  dit  incapables  de  soutenir  un  combat  de  pied  ferme,  avaient 
recours  à  la  ruse  pour  surprendre  leurs  adversaires  et  une  vigilance 
constante  était  nécessaire  à  ceux-ci  pour  déjouer  leurs  entreprises.  Ils 
réunirent  un  jour  10.000  hommes  pour  attaquer  Fort-Dauphin  ;  quel- 
ques coups  de  canon  mirent  en  fuite  cette  respectable  armée  ;  mais  plus 
d'une  fois  ils  faillirent  s'emparer  delà  colonie  par  l'entremise  de  leurs 
espions. 

(3)  Le  Bourg,  ayant  pris  terre, cloua  sur  un  arbre  l'écrit  constatant  celle 
prise  de  possession.   II  fut   ensuite  chargé   d'y    transporter  quelques 

w.  —  6 


82  l'UKMIKKK     l'AKTli;.     CHAPITRE    II 

Saint- Laurent,  qui  emmena  Pronis  el  48  colons  arrivés  au 
terme  de  leur  engagement,  el  dont  il  tenait  à  se  débarrasser, 
car  ils  étaient,  dit-il,  «  fainéants  et  mutins  >  (1).  Ce  navire 
emporta  aussi  un  chargement  de  18  tonneaux  de  bois  de 
santal,  52  milliers  de  bois  d'aloès,  3.300  cuirs,  el  une  cer- 
taino  quantité  de  gomme  et  de  cire  (2). 

On  était  donc  enfin  sorti  des  déboires  inévitables  au  début 
des  entreprises  de  ce  genre,  el  l'on  pouvait  espérer  voir 
bientôt  luire  le  jour,  où  la  possession  de  Madagascar  nous 
donnerait  une  magnifique  situation  dans  l'Océan  Indien. 
Hélas  !  ces  travaux  et  ces  conquêtes  devaient  être  inutiles  ; 
le  manque  d'esprit  de  suite  qui  nous  a  si  souvent  été  fatal 
dans  nos  entreprises  coloniales,  joint  à  d'autres  fâcheuses 
circonstances,  allait  arrêter  dans  son  essor  la  colonie  à  peine 
fondée. 

En  effet,  pendant  les  années  qui  suivirent  le  dernier  départ 
du  Saint- Laurent  y  c'est-à-dire  depuis  le  début  de  1650,  au- 
cune voile  n'apparut  à  l'horizon  de  Fort-Dauphin.  On  ne  pou- 
vait compter  y  voir  des  navires  étrangers,  car  quand  ils  re- 
lâchaient dans  rile,  c'était  beaucoup  plus  au  nord,  encore 
cette  circonstance  était-elle  fort  rare,  et  de  la  France  seule 
on  pouvait  attendre  quelque  secours.  La  colonie  resta  ains 

bœufs  et  vaches  que  Flacourl  espérait  voir  s'y  multiplier,  pour  conver- 
tir l'Ile  en  une  réserve  de  vivres  pour  Fort- Dauphin. 

(1)  Il  y  avait  dans  l'île  quelques  Français  qui  n'étaient  pas  aux 
gages  de  la  Compagnie  ;  ils  obtinrent  de  Pronis  que  les  navires  de  celle- 
ci  transporteraient  leurs  récoltes  en  France  moyennant  l'abandon  du 
tiers  de  la  vente.  Mais  il  parait  que  la  Compagnie  ne  voulut  rien  enten- 
dre, et  garda  le  tout  sous  prétexte  que  ce  traité  avait  été  conclu  sans 
son  approbation.  —  Flacourl,  Relation. 

(2j  Flacourt  déclare  qu'il  avait  réuni  une  provision  considérable  de 
bois  do  santal,  mais  qu'il  n'en  put  charger  qu'une  petite  partie  sur  ce 
navire  faute  de  main-d'œuvre  et  dut  se  résoudre  à  le  voir  partir  en 
partie  sur  lest. 


RICHELIEU    ET    LA    COSIPAGNIE    d'oRIEXT  83 

sans  nouvelles  du  reste  du  monde,  privée  de  jour  en  jour 
plus  cruellement  des  objets  manufacturés  de  l'Europe,  en 
proie  à  la  terreur  d'un  abandon  définitif  !  Les  travaux  de  co- 
lonisation furent  arrêtés,  les  progrès  accomplis,  jugés  désor- 
mais inutiles,  ne  furent  point  poursuivis. 

Au  bout  de  trois  années  de  cette  situation, Flacourt  désespé- 
rant devoir  jamais  son  salut  à  un  envoi  de  la  Compagnie  (1), 
résolut  d'aller  chercher  lui-même  le  secours  et  laissant  le 
commandement  de  la  colonie  à  Antoine  Couillard ,  l'un 
de  ses  commis,  il  prit  la  mer  avec  quelques  colons  sur  une 
barque  de  40  tonneaux,  espérant  audacieusement  atteindre 
ainsi  la  Fiance.  Si  l'entreprise  était  hardie,  la  décision  du 
gouverneur,  abandonnant  son  poste  pour  la  tenter,  était  fort 
critiquable  ;  mais  elle  n'eut  aucun  succès  et  les  vents  con- 
traires le  forcèrent  bientôt  à  regagner  Fort-Dauphin  (20  dé- 
cembre 1653-12  janvier  1654)  (2).  11  dut  se  contenter  d'envoyer 
sa  barque  solliciter  l'assistance  des  Portugais  de  Mozambi- 
que (3),  mais  les  mois  se  passèrent  sans  qu'on  reçut  aucune 
nouvelle  de  cette  seconde  expédition,  et  dans  la  crainte  qu'elle 
n'eût  péri,  il  décida  enfin  d'envoyer  à  la  baie  Saint-Augus- 
tin un  paquet  à  l'adresse  de  «  M.  de  Loynes,  secrétaire  gé- 
néral de  la  marine  »  pour  être  confié  «  au  premier  capitaine 
chrétien  qui  y  mouillerait  » .  Cette  fois  le  hasard  le  servit  ;  un 
bàliment  de  la  Compagnie  hollandaise  était  précisément  en 

(1)  Elle  lui  avait  promis  l'envoi  d'un  vaisseau  au  moins  chaque 
année. 

(2)  Flacourt  ne  déclara  qu'en  mer  l'intention  d'aller  directement  en 
France,  car  le  but  supposé  du  voyage  était  Mozambique  ;  aussi  quand 
il  revint  à  Fort-Dauphin,  il  dut  avoir  recours  à  toute  son  énergie  pour 
éviter  une  révolte,  comme  celle  dont  Pronis  avait  été  victime. 

(3)  30  janvier  1654. —  A  son  retour  en  France  Flacourt  apprit  que  ses 
eavoyés  étaient  arrivés  au  but  de  leur  voyage,  mais  que  les  Portugais 
avaient  refusé  de  rien  faire  pour  les  abandonnés. 


84  PREMIÈRE  PARTIE.  CHAPITRE  n 

relâche  à  la  baie  Saint-Augustin,  et  son  capitaine  se  chargea 
du  paquet. 

Il  est  vrai  que  lorsque  se  produisit  cet  heureux  événe- 
ment, il  était  devenu  inutile,  car  la  colonie  avait  été  sauvée 
par  une  intervention  inattendue. 

Pendant  ces  années  d'abandon,  en  effet,  la  Compagnie 
d'Orient  avait  singulièrement  décliné  en  France  ;  on  avait 
fondé  sur  l'exploitation  de  Madagascar  de  chimériques  espé- 
rances qui  ne  s'étaient  point  réalisées  ;  les  difficultés  du 
début  avaient  lassé  la  fort  maigre  constance  des  intéressés, 
elles  résultats  obtenus  par  les  colons  n'avaient  point  été 
appréciés  par  eux  à  leur  juste  valeur.  Les  charges  de  la 
Compagnie  étaient  lourdes  et  l'assistance  du  gouvernement 
royal  ne  lui  était  pas  inutile  pour  les  supporter  ;  or  Mazarin, 
qui  s'était,  paraît-il,  fort  intéressé  d'abord  à  ses  entreprises, 
en  fut  bientôt  détourné  par  les  complications  plus  immédia- 
tes de  la  Fronde,  et  il  abandonna  la  Compagnie  à  elle-même. 
Celle-ci,  privée  d'encouragements  et  dépourvue  de  ressour- 
ces, resta  inactive,  quand  il  aurait  suffi  d'un  dernier  effort 
pour  mener  son  œuvre  à  bien.  Son  privilège  approchait  de 
son  terme,  car  il  devait  expirer  en  1653,  et  elle  n'était  point 
sûre  de  pouvoir  à  cette  date  assumer  les  charges  d'une  nou- 
velle concession. 

Aussi,  cessant  tout  envoi  contre  ses  engagements  les  plus 
formels,  abandonna -t-elle  Flacourt  et  Fort- Dauphin  à  leur 
sort,  ce  qui  était,  il  faut  le  reconnaître,  une  solution  assez 
singulière  de  ces  difficultés. 

Us  furent  sauvés  par  l'intervention  très  opportune  du  duc 
de  la  Meilleraye  ;  mais  celle-ci  a  donné  lieu  à  des  commen- 
taires très  divers  et  en  fait  les  derniers  temps  de  la  Compa- 
gnie d'Orient  sont  environnés  d'une  grande  obscurité. 

Le  duc  de  la  Meilleraye,  pair  et  maréchal  de  France,  grand 


RICHELIEU    ET    LA    COMPAGNIE    d'oRIEXT  8o 

maître  de  l'artillerie  et  gouverneur  de  Nantes  et  de  Port- 
Louis  (1),  arma  au  commencement  de  l'année  1654, de  son  pro- 
pre mouvement  et  sans  aucune  entente  avec  la  Compagnie, 
mais  avec  la  permission  du  roi,  deux  navires  le  Saint-Georges 
et  YOurs,  qui  partirent  pour  l'Océan  Indien  sous  le  commande- 
ment du  sieur  La  Forest  des  Ro^-ers,  emmenant  Pronis,  le 
prédécesseur  de  Flacourt  et  portant  à  ce  dernier  de  la  part 
du  maréchal  des  lettres,  des  vivres  et  des  munitions. 

Quels  desseins  poursuivait  donc  ce  haut  personnage?  Pour 
certains  auteurs,  il  se  livrait  par  là  à  une  véritable  usurpa- 
tion aux  dépens  de  la  Compagnie  d'Orient  dont  il  projetait 
simplement  de  s'attribuer  la  colonie  par  la  force  pour  l'ex- 
ploiter à  son  propre  compte,  et  ce  fut,  dit-on,  Pronis,  «  ser- 
viteur infidèle  »  de  ladite  Compagnie  qui  lui  inspira  cet  in- 
délicat procédé  (2).  D'autres  au  contraire  se  refusent  à  voir 
une  intention  malveillante  dans  celle  démarche  du  maréchal  ; 
du  Fresne  de  Francheville  notamment  déclare  que  la  Meille- 
raye,  se  flattant  d'obtenir  du  roi  la  concession  arrivée  à  son 
terme,  n'aurait  fait  partir  ces  navires  que  comme  une  sorte 
d'avant-garde  (3). 

Examinons  d'abord  brièvement  les  faits  :  le  15  juillet  1654 
le  bruit  se  répandit  dans  Fort-Dauphin  que  deux  vaisseaux 
français  venaient  de  mouiller  à  la  baie  Sainte-Luce  et  que 
Pronis  était  sur  l'un  d'eux.  Flacourt  à  qui  les  colons  rappor- 
tèrent tout  émus  cet  on-dit,  n'y  ajouta  d'abord  aucune  foi. 
Mais  bientôt  deux  Français  se  présentèrent  à  lui,  le  sieur  de 
Belleville,  lieutenant  de  La  Forest  et  un  ancien  colon  du  nom 

(1)  La  Meilieraye  avait  joué  un  rôle  important  pendant  les  événe- 
ments de  la  Fronde. 

(2)  M.  Bonnassieux,  op.  cit. 

(3)  Voir  aussi  d'Avenel,  liichelieu  et  la  monarchie  absolue,  III, 
p.  218. 


86  PREMIÈRE    l'ARTIR.    CHAPITRE    ir 

de  Dujardin  qui  avait  regagné  la  France  lors  du  dernier 
départ  du  Saint-Laurent.  Ils  lui  remirent  une  lettre  de  La 
Forest  qui  déclarait  qu'étant  en  route  pour  la  mer  Kouf^e,  il 
avait  ordre  de  prendre  de  ses  nouvelles  en  passant  et  de  lui 
offrir  ses  services,  et  une  lettre  du  surintendant  Fouquet, 
membre  influent  de  la  Compagnie  (1),  où  il  n'était  question 
ni  de  celle-ci  ni  de  la  colonie.  Pour  le  surplus,  Belleville 
affirma  au  gouverneur  «  avec  un  grand  serment  »  que  Pronis 
ne  faisait  point  partie  de  l'expédition  I 

(1)  Le  nom  de  Fouquet  apparaît  à  plusieurs  reprises  dans  l'histoire 
de  la  Compagnie  d'Orient.  François  Fouquet,  vicomte  de  Vaux,  père  du 
surintendant,  qui  fut  appelé  par  Richelieu  au  Conseil  de  la  Marine  et 
du  commerce  puis  au  Conseil  d'Etat,  fut  un  des  premiers  associés  de 
Rézimont  et  de  Rigault.  Nicolas  Fouquet,  son  fils,  à  qui  Flacourt  dédia 
son  «  Histoire  de  la  grande  île  de  Madagascar  »,  y  prit  intérêt  égale- 
ment, et  sa  situation  de  surintendant  dut  lui  donner  sur  sa  direction 
une  grande  influence.  Suivant  Souchu  de  Rennefort  il  fut  de  ceux 
qui  se  se'parèrent  de  la  majorité  de  leurs  collègues  pour  s'associer  avec 
la  Meilleraye.  Bien  mieux,  après  la  mort  de  Flacourt  et,  toujours  sui- 
vant cet  auteur,  il  aurait  armé  pour  son  compte  particulier  une  frégate 
V Aigle-Noir  qui  partit  sous  les  ordres  d'un  Hollandais  du  nom  de  Hugo 
«pour  écumer  la  mer  Rouge»,  et  en  passant  ledit  Hugo  devait  t;\cher 
d'enlever  Fort-Dauphin  aux  délégués  du  maréchal  de  la  Meilleraye  ! 
Ce  plan  de  flibustier  échoua,  car  le  gouverneur  Ghampmargou  se 
défia  de  V Aigle-Noir  et  de  son  capitaine.  Hugo  dut  partir  pour  la  mer 
Rouge  où  il  s'empara  d'un  navire  qui  portait  en  pèlerinage  à  la  Mecque 
la  tante  du  Grand-Mogol  !  La  chute  du  surintendant  arrêta  le  cours  de 
ces  opérations.  Son  navire  fut  acheté  par  la  nouvelle  Compagnie  qui 
sous  le  nom  de  Saini-Pnxil  l'employa  à  sa  première  expédition  :  cette 
circonstance  faillit  d'ailleurs  lui  attirer  de  mauvais  traitements,  car 
malgré  son  nouveau  nom  ce  navire  fut  reconnu  et  par  les  colons  de 
Fort- Dauphin  et  par  les  officiers  du  Grand-Mogol  à  Surat  !  Que  Fou- 
quet fût  un  ministre  dilapidateur,  oji  sait  du  moins  qu'il  en  fut  accusé, 
mais  qu'il  fût  entrepreneur  de  piraterie,  la  chose  est  moins  connue  et 
méritait  d'être  signalée.  —  Voir  Souchu  de  Renneforl,  Relation  du  pre- 
mier voyage  à  Madagascar  et  Mémoire  pour  servir  à  l'histoire  de  la 
Compagnie  des  Indes  Orientales. 

La  chute  de  Fouquet  eut  également,  suivant  certains  auteurs,  une 
certaine  influence  sur  celle  de  la  Compagnie  d'Orient. 


RICHELIEr    ET    LA    COMPAGNIE    d'oRIENT  87 

Quelques  jours  après,  le  capitaine  La  Forest  vint  lui-même 
trouver  Flacourt  et  lui  remit  celle  fois  un  paquet  du  maré- 
chal. Le  duc  de  la  Meilleraye  disait  qu'ayant  appris  la  situa- 
lion  de  la  colonie,  il  avait  cru  pouvoir  avec  la  permission  du 
roi  lui  envoyer  les  secours  dont  elle  avait  besoin  ;  ses  vais- 
seaux avaient  aussi  pour  mission  de  visiter  «  divers  autres 
lieux  où  l'on  pourrait  faire  un  établissement  solide,  grand  et 
assuré  »  et  Flacourt  était  invité  *  à  contribuer  à  cette  œuvre 
avec  l'assurance  d'en  retirer  une  entière  satisfaction  » . 

Flacourt  se  trouva  plongé  dans  une  grande  perplexité  ;  de 
la  Compagnie,  dont  il  attendait  des  ordres,  pas  un  mot  ; 
quelle  confiance  devait-il  accorder  aux  déclarations  de  la 
Meilleraye  et  de  ses  lieutenants?  La  concession  de  la  Com- 
pagnie avait  dû  expirer,  et  les  colons,  depuis  longtemps  pri- 
vés de  toute  solde,  demandaient  à  retourner  en  France.  La 
Forest  mit  le  comble  à  cette  incertitude  en  avouant  en  termes 
embarrassés  que  Pronis  l'accompagnait  et  en  affirmant  for- 
mellement que  la  Compagnie  avait  renoncé  à  sa  concession 
et  que  le  duc  de  la  Meilleraye  lavait  obtenue  pour  son  propre 
compte  1 

Néanmoins  il  ne  voulut  rien  décider  en  l'absence  de  nou- 
velles positives  de  la  Compagnie,  et  résolut  de  retourner  en 
France  pour  en  obtenir.  Pronis,  qui  sans  doute  n'était  là  que 
dans  ce  but,  consentit  à  le  remplacer  à  Fort-Dauphin,  et  le 
12  février  1655  il  prit  passage  sur  rOj/r5,qui  fil  voile  pour  l'Eu- 
rope (1).  Tel  est  le  récit  de  Flacourt,  principal  document  que 

(1)  VOurs  arriva  à  Saint-Nazaire  le  27  juin  1655.  Flacourt  aussitôt  dé- 
barqué courut  remercier  la  Meilleraye  de  l'assistance  qu'il  avait  prête'e 
à  la  colonie.  Il  resta  dès  lors  attaclié  aux  intérêts  du  maréchal,  ce  qui 
le  brouilla  pendant  quelque  temps  avec  la  Compagnie  :  d'ailleurs  et  non 
sans  raison,  celle-ci  lui  reprochait  d'avoir  laissé  Fort-Dauphin  entre 
les  mains   des   agents  du   duc.  Cependant  quand   il  repartit   en  1660 


88 


l'UKMIKKK    l'ARTIK.     —    CIIAI'ITHK    II 


nous  possédions  sur  ce  très  curieux  épisode  de  nos  annales 
coloniales  :  il  n'est  pas  de  nature  à  disculper  la  Meilleraye 
des  soupçons  qui  pèsent  sur  son  intervention. 

Le  point  important  pour  la  juger  est  assurément  celui  de 
savoir  si  la  Compagnie  d'Orient  avait,  ou  n'avait  pas,  obtenu 
le  renouvellement  de  sa  concession.  La  Forest  cl  Pronis  af- 
firmaient, nous  l'avons  vu,  que  celle-ci  était  passée  entre  les 
mains  du  maréchal,  mais  les  apparences  elles-mêmes  sont 
défavorables  à  l'exactitude  de  cette  affirmation  :  l'envoi  des 
vaisseaux  de  la  Meilleraye  avec  une  destination  supposée  (1), 
les  mensonges  et  les  procédés  tortueux  de  ses  officiers  à 
Forl-Daupliin,  la  proposition  que  Flacourt  à  son  arrivée  en 
France  fut  chargé  par  le  duc  lui-même  de  faire  à  la  Compa- 
gnie en  vue  d'une  association  entre  elle  et  lui  (2),  l'intention 
manifestée  par  les  intéressés  et  rapportée  par  Flacourt  d'en- 
voyer sans  délai  un  navire  à  Madagascar,  tout  cela  tend  bien 
à  prouver  que  le  privilège  était  encore  aux  mains  de  la  Com- 
pagnie d'Orient. 

C'était  bien  la  réalité,  car  celle-ci  avait  obtenu,  par  lettres 
patentes  du  4  décembre  1652,  confirmation  de  sa  concession 
pour  une  nouvelle  période  de  quinze  années  (3)  ;  les  navires 

pour  Madagascar,  où  il  ne  devait  point  parvenir,  il  s'était  réconcilié 
avec  elle. 

(1)  La  mer  Rouge  dont  on  ne  parla  plus  dés  que  Flacourt  eut  invité 
Pronis  à  le  remplacer  à  Forl-Daupliin. 

(2)  Le  maréchal  avait  lui-même  quelques  associés  :  il  proposait  d'en- 
trer avec  eux  dans  la  Compagnie  en  y  comptant  pour  une  moitié,  tant 
pour  les  dépenses  que  pour  les  profils. 

(3)  Le  fait  de  ce  renouvellement  est  mentionné  par  Charpentier  dans 
sa  Relation  parue  en  1606,  c'est-à-dire  par  un  contemporain  de  ces 
événements.  Il  est  reproduit  d'après  cet  auteur  par  du  l-'resne  de  Fran- 
clieville  [Ilisloire  de  la  Compagnie  des  lndes,ili6)  et  par  l'abbé  Morel- 
let  [Mémoire  sur  la  Compagnie  des  Indes,  1769).  Il  semble  cependant 
avoir  échappé  à  plusieurs  historiens  modernes, notamment  à  M.  Bonnas- 


lUCllELlEU    ET    LA    COMPAGNIE    d'oRIENT  89 

de  la  Meilleraye  étant  partis  dans  les  premiers  mois  de  l'an- 
née 1654,  le  duc,  en  les  envoyant,  devait  être  au  courant  de 
cette  situation  déjà  ancienne,  et  voilà  pourquoi  il  avait  pris 
cette  voie  détournée  et  inexplicable  au  premier  abord,  de 
solliciter  du  roi  la  permission  de  faire  toucher  ces  navires  à 
Madagascar.  Le  maréchal, croyons-nous, en  les  envoyant  ainsi 
de  son  propre  mouvement  au  secours  de  Fort-Dauphin,  s'il 
ne  prétendait  point  uniquement  rendre  service  à  la  Compa- 
gnie et  à  ses  colons,  n'était  point  non  plus  animé  des  inten- 
tions hostiles  qu'on  a  voulu  lui  attribuer,  et  qui  seraient 
quelque  peu  étranges  chez  un  personnage  de  celte  impor- 
tance ;  il  espérait  sans  doute  à  la  faveur  du  fait  accompli  et 
du  service  rendu,  obtenir  facilement  un  accommodement  avec 
la  Compagnie,  dont  il  s'imaginait,  un  peu  témérairement 
peut-être,  les  destinées  dignes  d'être  partagées. 

L'accord  néanmoins  ne  put  se  faire  si  vile,  et  il  fallut  enga- 
ger des  négociations  dontFlacourt,  quin'élail  nullement  dé- 
favorable au  duc,  se  fît  l'intermédiaire  actif.  La  Meilleraye  n'en 
attendit  point  la  fin  pour  renouveler  son  intervention.  Il  arma 
une  petite  escadre  de  quatre  navires,  qui  partit  pour  Mada- 
gascar en  novembre  1653,  croyant  ainsi  forcer  les  dernières 
hésitations  des  intéressés  de  la  Compagnie  d'Orient  (1). 
11  ne  réussit  point  complètement,  car  s'il  reçut  l'approbation 
d'un  certain  nombre  d'entre  eux,  le  plus  grand  nombre  re- 

sieux  {Histoire  des  Compagnies  de  commerce),  ce  dernier  auteur  regarde 
en  effet  le  maréchal  de  la  Meilleraye  comme  ayant  obtenu  du  roi  la 
cession  des  privilèges  de  la  Compagnie  accordés  en  1642. 

(1)  Elle  se  composa  de  la  Duchesse  de  500  tonneaux,  de  la  Maré- 
chale de  450,  du  Grand-Armand  de  350  et  d'une  flûte  de  200  tonneaux, 
qui  portaient  800  liommes,  tant  matelots  que  soldats.  Elle  atteignit 
Fort-Dauphin  en  juin  1656,  mais  le  voyage  eut  une  fin  malheureuse  ; 
les  maladies  décimèrent  ses  équipages,  et  l'on  ne  put  repartir  qu'en 
février  1657  pour  n'atteindre  Saint-Nazaire  qu'au  prix  des  plus  grandes 
difficultés. 


90  PRKMifeRE    PARTIR.    CHAPITRE    II 

fusèrent  d'accéder  à  ses  propositions,  el  il  y  eut  dès  lors 
scission  au  sein  de  la  Compagnie.  Cet  échec  n'arrêta  point 
l'infatigable  maréchal  :  d'accord  avec  les  intéressés  qui  lui 
étaient  favorables,  il  prépara  un  troisième  armement,  celte 
fois  à  frais  communs  avec  eux  (1),  el  ceux-ci  s'engagèrent 
audacieusemenl  au  nom  de  la  Compagnie  tout  entière,  ce 
qui  fut  entre  les  deux  partis  la  source  d'un  procès  intermi- 
nable. Le  navire  fut  cependant  prêt  à  partir  en  novembre 
1656,  sous  le  commandement  du  capitaine  Goaskaer,  un  des 
lieutenants  delà  Forest  lors  de  l'expédition  de  1654;  mais 
une  tempête  survint  lorsqu'il  était  encore  mouillé  sur  la 
rade  de  Saint-Nazaire  et  il  périt  corps  el  biens  !  C'était  mal 
débuter,  mais  ce  fâcheux  événement  n'abattit  encore  point 
l'ardeur  de  la  Meilleraye  ;  il  arma  aussitôt  à  Port-Louis  un 
nouveau  bâtiment  de  300  tonneaux,  qu'il  vit  cette  fois  partir 
heureusement,  emportant  à  son  bord  une  centaine  de  colons. 
La  Compagnie,  à  qui  la  jalousie  rendit  quelque  ressort, 
arma  de  son  côté  à  Dieppe,  un  navire  de  200  tonneaux  el 
20  canons,  la  Vierge,  qui  partit  le  16  mai  1660,  emmenant 
Flacourt,  à  qui  le  roi  venait  de  confirmer  par  lettres  patentes 
la  dignité  de  commandant  de  l'île  de  Madagascar  (2)  cl  200 
passagers. 

(1)  Le  duc  s'engageait  à  fournir  500  colons  pour  être  Iransporlés 
successivement  dans  l'île  :  le  matériel  de  Fort- Dauphin  el  des  nouvel- 
les colonies  qui  pourraient  être  créées  était  déclaré  propriété  indivise  ; 
mais  les  retours  devaient  être  partagés  par  parties  égales  entre  le  duc 
et  les  intéressés  qui  traitaient  avec  lui.  Du  Fresne  de  Francheville 
regarde  ce  traité  conclu  en  juin  1656  "  comme  marquant  la  constitution 
d'une  quatrième  Compngnie  des  Im/es  Orientale!^  »  :  nous  ne  croyons 
pas  de^'oir  le  suivre;  d'ailleurs  cet  auteur  semble  admettre  un  accord 
complet  entre  le  duc  et  la  Compagnie,  ce  qui  est  contraire  au  récit  de 
Charpentier. 

('2)  Ces  lettres  patentes  sont  rpprnduili>s  par  du  Fresne  de  Franche- 
ville,  op.  cit. 


RICHELIEU    ET    LA    COMPAGNIE    d'oRIENT  91 

Le  navire  du  duc  arriva  à  bon  port  ;  mais  la  Vierge,  alla- 
quée  par  des  pirates  barbaresques  sous  la  latitude  de  Lis- 
bonne, brûla  et  sauta  avec  tout  son  contenu,  el  l'infortuné 
Flacourt  périt  dans  cette  catastrophe  ! 

La  Compagnie  d'Orient,  décidément  abandonnée  par  la 
fortune,  ruinée  d'ailleurs  par  ce  désastre,  resta  dès  lors  inac- 
tive; le  duc,  que  celte  même  fortune  semblait  au  contraire 
favoriser,  expédia  plusieurs  navires  aux  Indes  au  cours  des 
années  suivantes.  Le  dernier,  parti  au  début  de  1663  sous  le 
commandement  du  capitaine  Kerkadiou,  arriva  à  Fort-Dau- 
phin en  septembre  suivant  et  mita  terre  un  contingent  d'une 
centaine  de  colons,  qui  devaient  fonder  un  établissement 
nouveau  sous  la  conduite  d'un  chef  spécial.  Ce  fut  malheu- 
reusement le  dernier  envoi  du  maréchal  de  la  Meilleraye, 
car  il  mourut  au  cours  de  cette  même  année  el  son  fils,  le 
duc  de  Mazarin  (1),  ne  se  montra  point  disposé  à  continuer 
les  entreprises  paternelles. 

Ainsi  pour  la  troisième  fois  depuis  le  début  du  xvn^  siècle 
l'établissement  du  commerce  français  dans  la  mer  des  Indes 
avait  échoué.  Ce  n'est  point  cependant  qu'un  certain  progrès 
n'eût  été  réalisé  dans  ces  essais  successifs  malgré  leur  in- 
succès ;  alors  en  effet  que  la  Compagnie  créée  sous  les  aus- 
pices d'Henri  IV  n'avait  pu  mettre  un  seul  navire  en  mer, 
que  la  Compagnie  des  Moluques  n'avait  peut-être  pas  tiré 
un  meilleur  usage  de  son  privilège,  la  Compagnie  d'Orient, 
grelïée  sur  une  entreprise  en  pleine  activité  et  plus  favorisée 
par  là  que  ses  deux  ainées,  avait  montré  une  certaine  vitalité 
et  poursuivi  une  œuvre  qu'elle  n'eut  que  le  tort  d'abandon- 


(1)  Armand-Charles  de  la  Porte,  duc  de  la  Meilleraye,  devint  duc  de 
Mazarin  par  son  mariage  avec  Hortense  Mancini,  pouvernenr  de  Nantes 
et  de  Port-Louis  comme  son  père. 


92  PREMIÈRK    l'ARTIK. 


CHAÎMTRK    II 


ner  au  moment  où  elle  allait  en   recueillir  les   premiers 
fruits. 

Mais  à  un  autre  point  de  vue  encore,  cette  dernière  Com- 
pagnie mérite  de  retenir  l'attention  ;  car  parmi  les  six  Com- 
pagnies successives  dont  l'ensemble  constitue  la  Compagnie 
française  des  Indes,  elle  fut  seule  une  Compagnie  de  coloni- 
sation, alors  que  les  autres  furent  proprement  des  Compa- 
gnies de  commerce  (1).  Les  premiers  voyages  de  Rigault  et  de 
Uézimont  à  ^Madagascar  n'avaient  eu  cependant  qu'un  but 
purement  commercial,  mais  l'intervention  du  cardinal  de 
Richelieu,  tout  en  transformant  leur  petite  société  en  une 
Compagnie  privilégiée,  donna  à  leurs  opérations  un  caractère 
nouveau,  et  la  clause  principale  du  privilège  qu'ils  reçurent, 
fut  d'établir  dans  cette  île  des  colonies.  Une  telle  œuvre  de- 
vait forcément  exiger  des  capitaux  considérables  et  nécessi- 
ter des  dépenses  de  premier  établissement  fort  importantes. 
C'était  un  placement  à  longue  échéance  et  il  était  sage  de 
prévoir  que  pendant  un  certain  nombre  d'années  il  faudrait 
consentir  des  sacrifices  et  se  résigner  à  ne  réaliser  aucun 
bénéfice  sérieux  (2). 

(IjNous  devons  cependant  observer  ici  que  la  Compagnie  de  Law 
fut  à  ses  débuts,  mais  seulement  alors,  une  compagnie  de  colonisation 
également,  sinon  dans  toute  l'étendue  de  son  immense  concession,  du 
moins  en  Louisiane. Ni  à  Madagascar,  ni  en  Louisiane,  la  Compagnie  des 
Indes  ne  réussit  dans  ses  tentatives  :  c'est  que  dansFun  comme  dans 
l'autre  cas,  on  méconnut  le  côté  pratique  et  réellement  utile  d'une  pa- 
reille œuvre,  pour  n'y  chercher  que  des  résultats  chimériques,  dont 
l'échec  arrêta  tout. 

(2)  La  mise  en  valeur  d'un  pays  neuf  offre  toujours  ces  circonstances  : 
il  faut  construire  des  villages,  aménager  des  ports,  ouvrir  des  voies  de 
communicalion,  et  ces  travaux  préliminaires  occasionnent  des  dépenses 
dont  la  rémunération  peut  être  fort  tardive.  Aujourd'hui  ce  rôle  est  le 
plus  souvent  assumé  par  l'Etat  ;  sous  le  régime  des  Compagnies  privi- 
légiées, celui-ci  n'intervenait  point  au  contraire,  et  le  monopole  qu'il  leur 


RICHELIEU    ET    LA    COMPAG^aE    o'oRIÉNt  93 

Le  capital  dont  disposa  la  Compagnie  dut  être  assez  consi- 
dérable, car  ses  envois  furent  onéreux  ;  sa  flotte  se  composa 
de  trois  navires  d'un  tonnage  moyen  de  400  tonneaux,  par- 
faitement suffisants  pour  assurer  des  relations  régulières 
avec  Madagascar  pendant  la  formation  de  la  colonie  :  ils 
firent  ensemble  cinq  voyages  d'aller  et  quatre  de  retour  (le 
Saint-Louis  s'étant  perdu  lors  du  premier  envoi)  et  trans- 
portèrent dans  nie  de  1643  à  1648  un  total  de  300  colons  à 
gages  (1). 

La  Compagnie  n'avait  pas  à  craindre  comme  ses  aînées 
l'hostilité  des  Hollandais,  qui  avaient  laissé  Madagascar  de 
côté  comme  ne  leur  offrant  pas  un  trafic  direct  avec  les  indi- 
gènes, et  lui  avaient  préféré  le  Cap  comme  point  d'escale. 
Elle  n'avait  non  plus  à  se  préoccuper  des  Anglais  qui  après 
un  timide  essai  à  la  baie  Saint-Augustin  avaient  renoncé  à 
toute  tentative. 


accordait  était  la  compensation  jugée  suffisante  de  ces  sacrifices  comme 
la  condition  de  son  abstention.  La  balance  pouvait  n'être  point  égale 
en  dépit  de  ce  calcul,  et  l'appui  des  pouvoirs  publics  qui  n'était  point 
dû  en  droit  à  la  Compagnie  pouvait  cependant  lui  être  indispensable  : 
ce  fut  le  cas  ici. 

(1)  Ctiifîre  des  colons  transportés  à  Madagascar  par  la  Compagnie 
d'Orient  et  le  duc  de  la  Meilleraye  : 

1"  Par  la  Compagnie  :  mars           1643 l2 

novembre  1643 70 

mars          1644 90 

début  de    1646 43 

mai            1648 80 

"~295 

2»  Par  la  Meilleraye  :  début  de     1660 100 

mai  1663 100 

~2ÔÔ 

Total  gcaéral 495 


94  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    II 

L'entreprise  en  elle-même  élail-elle  donc  chimérique? 
Nullement:  Madagascar  doit  à  sa  situation  de  posséder  à  la 
fois  les  productions  de  l'Afrique,  de  l'Aniérique  du  Sud,  et 
des  lies  océaniennes.  Flacourl  y  reconnut  la  présence  du 
riz,  du  cotonnier,  de  l'indigotier,  du  poivrier,  de  différents 
bois  précieux  ou  simplement  recherchés,  comme  l'ébène, 
le  palissandre,  le  teck,  des  bois  de  teinture  et  des  essences 
odoriférantes,  enfin  plusieurs  gommes  que  les  Hollandais 
prétendaient  monopoliser  dans  leurs  îles.  Les  régions  d'alti- 
tude moyenne  nourrissaient  des  troupeaux  de  bœufs  dont  il 
était  possible  de  faire  un  important  élevage  et  d'exporter 
les  cuirs  et  les  viandes  salées  ;  enfin  sur  les  plateaux  de  l'in- 
térieur la  douceur  du  climat  permettait  la  culture  du  blé,  du 
chanvre,  du  lin  et  des  autres  plantes  européennes  (1).  La  pré- 
sence des  vers  à  soie  suggérait  l'idée  d'acclimater  dans  l'ile 
l'industrie  de  la  soie,  celle  du  fer  d'y  établir  des  usines  métal- 
lurgiques ;  l'or  apparaissait  dans  les  alluvions  d'un  certain 
nombre  de  rivières  et  les  pierres  précieuses  :  rubis,  émerau- 
des,  topazes,  saphirs,  n'y  étaient  pas  rares  (2). 

(1)  Les  ressources  de  Madagascar  ont  été  soigneusement  étudiées 
depuis  son  incorporation  à  notre  domaine  colonial.  On  y  a  reconnu  la 
présence  de  toutes  celles  déjà  mentionnées  par  Flacourl,  d'autres  qu'il 
n'eut  pas  le  temps  de  découvrir  ou  dont  il  ne  pouvait  apprécier  la  va- 
leur ;  nous  citerons  :  le  palissandre,  l'ébène,  le  teck,  le  bois  de  rose,  le 
bois  de  santal,  le  gommier  copal,  de  nombreuses  espèces  d'arbres  à 
caoutchouc,  le  cotonnier,  la  ramie,  le  chanvre,  le  sorgho,  le  maioioc,  le 
cocotier,  le  curcuma,  le  vanillier,  le  cacaoyer,  l'arbre  à  thé,  le  poivrier, 
le  giroflier,  le  gingembre,  le  citronnier,  l'oranger,  la  vigne.  Un  certain 
nombre  de  ces  végétaux  sont,  il  est  vrai,  d'importation  européenne  ou 
asiatique. 

(2)  L'industrie  métallurgique  tentée  à  diverses  reprises  a  été  définiti- 
vement constituée  dans  l'ile.  La  production  de  l'or  a  atteint  3  millions 
de  francs  à  raison  de  2  l'r.  701e  gramme  en  1900.  Les  pierres  précieuses 
sont  en  effet  assez  abondantes,  mais  leur  coloration  médiocre  diminue 
leur  valeur  commerciale. 


RICHELIEU    ET    LA    COMPAGNIE    d'oRIENT  95 

La  population  de  la  partie  de  l'ile,  où  se  fixèrent  les  colons, 
était  douce  et  paisible, mais  sa  civilisation  était  rudimentaire  : 
point  d'industrie,  ni  de  commerce,  le  troc  était  encore  em- 
ployé dans  les  échanges  et  l'usage  de  la  monnaie  lui  était 
inconnu.  On  comprend  que  des  rapports  commerciaux  avec 
ces  sauvages  n'eussent  point  été  jugés  avantageux  par  les 
Hollandais,  et  la  colonisation  européenne  était  bien  le  seul 
moyen  de  tirer  parti  des  richesses  de  l'île. 

Toutes  circonstances  pesées,  la  colonisation  de  Madagas- 
car devait  évidemment,  nous  l'avons  dit,  demander  un  cer- 
tain temps  et  beaucoup  de  patience,  mais  elle  était  de  nature 
à  rapporter  sinon  des  bénéfices  fabuleux,  du  moins  des 
avantages  sérieux  (1). 

Mais  là  n'était  malheureusement  point  le  but  que  poursuivit 
la  Compagnie  d'Orient,  ni,  il  faut  le  dire,  le  gouvernement 
royal  qui  la  protégeait.  On  avait  cru  pouvoir  tirer  immédia- 
tement de  Madagascar  les  épices  et  les  autres  productions 
que  l'on  demandait  alors  au  commerce  des  Indes,  et  l'on 
escomptait  que  la  transplantation  des  colons  français  aurait 
dès  le  début  ces  brillants  résultats  !  On  allait  chercher  à 
Madagascar  des  avantages  que  cette  île  ne  pouvait  donner, 
et  l'on  n'avait  prévu  en  outre  ni  les  retards,  ni  la  mauvaise 
organisation,  ni  aucun  des  aléas  de  ces  sortes  d'entreprises  1 
Les  premiers  efforts,  les  dépenses  du  début,  le  peu  de  va- 
leur des  cargaisons  de  retour  découragèrent  vite  les  associés. 

Les  difficultés  auxquelles  Fort-Dauphin  fut  en  proie,  et 
qui  tenaient  tant  au  mauvais  recrutement  des  colons  qu'au 

(1)  Nous  citerons  l'opinion  du  général  Galliéni,qui  répond  d'une  façon 
très  directe  à  l'état  d'esprit  dans  lequel  fut  exécutée  celte  première  len- 
lative  sur  Madagascar  :  «  Les  ressources  de  la  colonie  et  certains  résul- 
tats déjà  obtenus  paraissent  devoir  légitimer,  dil-il,  non  point  des  rêves 
d'enrichissement  immédiat, mais  des  espérances  raisonnées  de  prospérité.  « 


96  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    It 

choix  malheureux  du  premier  gouverneur,  l'hoslililé  mala- 
droitemenl  provoquée  des  indigènes,  lamorlalilé  fort  impor- 
lanle  (1)  qui  s'opposa  au  développement  de  la  colonisation, 
achevèrent  de  ruiner  leur  confiance. 

Pour  mener  cette  œuvre  à  bien ,  d'ailleurs,  les  efforts  et  les 
travaux  de  quelques  marchands  ne  pouvaient  suffire  et  l'ap- 
pui des  pouvoirs  publics  leur  était  nécessaire:  or  celui-ci 
leur  fit  précisément  défaut.  Richelieu,  dont  les  encourage- 
ments avaient  assisté  la  Compagnie  à  sa  formation  mourait 
bientôt  après  (2)  ;  Mazarin  lui  conserva  sa  protection,  mais 
les  difficultés  qui  vinrent  fondre  sur  la  France  portèrent  à  la 
Compagnie  un  coup  fatal  en  la  privant  de  ce  précieux  con- 
cours. Les  gaspillages  vidèrent  le  Trésor  royal  dont  elle  ne 
put  dès  lors  attendre  aucune  subvention  ;  la  Fronde  éclata  et 
aux  déchirements  de  la  guerre  civile  se  joignirent  les  cala- 
mités de  l'invasion  espagnole  (3).  Au  milieu  de  ces  désordres 
et  de  ces  luttes  pouvait-on  espérer  voir  notre  commerce  gar- 
der son  activité  antérieure  ?  Paralysé  au  dedans  par  l'insécu- 
rité et  l'arrêt  du  travail  national,  au  dehors  par  l'hostilité  des 
Espagnols,  il  fut  réduit  à  l'impuissance.  La  Compagnie 
d'Orient,  déjà  découragée  par  ses  premières  années  d'exploi- 
tation, abandonnée  parle  gouvernement  royal,  menacée  par 
les  vaisseaux  espagnols, sans  ressources  pour  ses  armements, 
sans  recrues  pour  sa  colonie,  sans  débouchés  pour  ses  pro- 
duits, se  résigna,  trop  facilement  sans  doute,  à  une  inaction 
qui  ruina  les  résultats  acquis  pendant  les  années  précéden- 
tes, premier  exemple  de  l'obstacle  apporté  à  notre  expansion 

(1)  Le  séjour  à  la  baie  Sainle-Luce  fui  marqué  par  la  perle  des  deux 
tiers  des  colons  qui  y  avaient  été  Irausporlés  en  16'é3  et  1644  au  nom- 
bre d'une  centaine  environ. 

(2)  4  décembre  1642. 

(3)  1647- 1650  (Iraité  des  Pyrénées). 


RICHELIEU    ET    LA    COMPAGNIE    d'oRIEXT  97 

commerciale  par  d'incessantes  complications  politiques,  cir- 
constance qui  se  répétera  presque  à  chaque  page  de  cette 
histoire  I  Cependant  ces  résultais  étaient  déjà  notables  :  Fia- 
court  avait  affermi  notre  domination  et  habilement  dirigé 
l'œuvre  de  colonisation  :  il  y  avait  eu  sans  doute  bien  des 
fautes  commises,  mais  elles  n'étaient  point  irréparables  (1), 
un  travail  intelligent  et  patient  devait  sur  les  fondements 
déjà  jetés  élever  un  monument  solide. 

Il  fallait  poursuivre  cette  œuvre  trop  longtemps  interrom- 
pue, mais  on  ne  sut  pas  le  faire  ;  les  associés  ne  trouvèrent 
point  les  encouragements  antérieurs,  leurs  ressources  étaient 
d'ailleurs  épuisées,  ils  préférèrent  garder  l'inaction  que  les 
difficultés  politiques  avaient  pu  jusque-là  justifier. 

Un  homme,  étranger  à  la  Compagnie,  se  rendit  mieux 
qu'elle  compte  de  cette  situation,  ce  fut  le  maréchal  de  la 
Meilleraye  :  conseillé,  dit-on,  par  Pronis,  actif  et  résolu, il  ap- 
porta à  la  Compagnie  ce  qui  lui  manquait  pour  reprendre  son 
œuvre  :  ses  capitaux  et  son  esprit  d'entreprise.  Indisposée 
par  ses  procédés  un  peu  étranges,  celle-ci  répondit  mal  à 
ses  avances,  un  désastre  la  rejeta  dans  son  apathie,  et  la 
mort  de  la  Meilleraye  mit  fin  à  sa  remarquable  activité. 

Ces  circonstances  cependant  ne  ruinèrent  point  l'œuvre 
entreprise  à  Madagascar,  qui  trouva  aussitôt  en  Golbert  un 
continuateur  zélé  {"2). 

(1)  Le  choix  de  Fort-Dauptiin,  bien  que  meilleur  que  celui  de  Sainte- 
Luce,  n'était  point  satisfaisant  encore,  aussi  dut-on  postérieurement 
l'abandonner  et  le  fortin  qui  le  protégeait  tomba  peu  à  peu  eu  ruines. 
Cependant  cette  localité  a  repris  aujourd'hui  une  certaine  importance 
par  la  découverte  du  caoutchouc  dans  ses  environs,  mais  elle  n'est  point 
parmi  les  premiers  ports  de  l'île. 

(2)  Pendant  que  ces  événements  se  déroulaient  en  France,  la  colonie 
de  Fort-Dauphin  était  encore  fort  maltraitée  par  la  fortune.  Après  le 
départ  de  Flacourl,  Pronis   ne  s'était  pas  montré  meilleur  administra- 

W.  -7 


98  PREMIÈRE     PAIITIE.    —    CHAPITRE    II 

leur  qu'à  sou  premier  séjour  dans  File  :  les  désordres  et  les  maladresses 
recommencèrent;  le  capitaine  La  Forest  fut  tué  par  les  indigènes  qu'il 
avait  provoqués,  puis  ce  furent  deux  incendies  qui  détruisirent  deux 
fois  de  suite  Fort-Dauphin  et  réduisirent  les  colons  au  dénuement  le 
plus  complet  !  Pronis  «  en  mourut  de  déplaisir  »,  dit  Charpentier,  et  cette 
mort  ne  (it  qu'augmenter  l'anarchie  dans  la  colonie,  que  les  indigènes 
cernèrent  et  qui  bientôt  sans  vivres  fut  à  la  veille  d'une  complète  des- 
truction. Elle  fut  sauvée  par  un  de  ses  anciens  membres,  Vacher  dit 
La  Case,  de  la  Rochelle,  devenu  très  influent  parmi  les  indigènes  par  son 
mariage  avec  la  fille  d'un  chef  malgache.  —  Le  successeur  de  Pronis, 
le  sieur  des  Périers,  ne  se  montra  guère  plus  habile  que  lui  ;  la  Meil- 
leraye  le  remplaça  par  M.  de  Champmargou  ;  ce  dernier  sut  éviter  le 
coup  de  force  que  méditait  contre  Fort-Dauphin  le  capitaine  Hugo  en- 
voyé par  Fouquet  et  c'était  lui  qui  était  en  fonctions  lorsqu'arriva  dans 
l'île  la  première  expédition  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  (1665). 
Fort-Dauphin  était  alors  dans  un  état  de  stagnation  misérable,  et  l'île 
contenait  en  tout  100  Français  dont  80  environ  à  Fort-Dauphin,  et 
quelques-uns  dans  l'île  Sainte-Marie  et  sur  d'autres  points. 


DEUXIÈME  PARTIE 

DEUXIÈME  PHASE.  —  LA  COMPAGNIE 
DE  COLBERT 


CHAPITRE   PREMIER 

COLBERT,  SA  POLITIQUE  COMMERCIALE,  CRÉATION  DE  LA 
COMPAGNIE  DES  INDES  ORIENTALES. 


Le  Golberlisme.  —  Place  occupée  par  les  Compagnies  de  commerce 
et  en  particulier  par  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  dans  ce 
Système.  —  Création  de  la  Compagnie.  —  Son  origine,  élaboration 
et  consécration  de  ses  statuts.  —  Déclaration  d'août  1664.  —  Cons- 
titution de  son  capital. 


Au  moment  où  la  Compagnie  d'Orient  abandonnait  pour  la 
deuxième  fois  la  colonie  qu'elle  avait  créée,  la  France,  heu- 
reusement sortie  d'une  période  particulièrement  troublée  de 
son  histoire,  inaugurait  avec  le  gouvernement  personnel  de 
Louis  XIV  une  ère  qui  s'annonçait  pleine  de  grandeur  et  de 
prospérité. 

L'habile  politique  de  Mazarin  était  poursuivie  par  les  mi- 
nistres qu'il  eut  le  mérite  de  laisser  au  jeune  roi,  et  que  ce- 
lui-ci, arrivé  par  leur  concours  à  l'apogée  de  sa  puissance  et 


100  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

de  sa  gloire,  ne  sut  pas  toujours  leinplacer.  Au  premier  rang 
de  ces  collaborateurs  l'histoire  a  élevé  Colbert,  et  celle  place 
que  lui  ont  value  les  services  éminenls  rendus  à  la  nation 
dans  presque  toutes  les  branches  de  l'adminislralion,  l'élude 
d'une  de  ses  œuvres  les  plus  chères,  la  Compagnie  des  Indes 
Orientales,  ne  peut  qu'apporter  un  témoignage  de  plus  du 
mérite  qui  l'y  a  conduit. 

Colbert,  protégé  par  Mazarin  qui  avait  su  distinguer  ses 
grandes  qualités  d'inldligence  et  de  travail,  et  dont  le  legs 
suprême  à  son  endroit  est  vrai  en  fait,  sinon  dans  la  forme 
dans  laquelle  la  légende  nous  l'a  transmis,  arrivait  au  pou- 
voir avec  une  ligne  de  conduite  mûrement  pesée  et  un  pro- 
gramme de  réformes  dont  les  lignes  principales  étaient 
depuis  longtemps  arrêtées. 

En  1653,  en  effet,  il  l'exposait  déjà  en  ces  termes  dans  un 
mémoire  à  son  protecteur  :  «  Il  faut  rétablir  ou  créer  toutes 
les  industries,  même  de  luxe  ;  établir  le  système  protecteur 
dans  les  douanes  ;  organiser  les  producteurs  et  les  commer- 
çants en  corporation  ;  alléger  les  entraves  fiscales  nuisant  à 
la  population  ;  restituer  à  la  France  le  transport  maritime  de 
ses  produits  ;  développer  les  colonies  et  les  attacher  com- 
mercialement à  la  France  ;  supprimer  tous  les  intermédiaires 
entre  la  France  et  l'Inde;  développer  la  marine  militaire  pour 
protéger  la  marine  marchande  »  (1). 

Cet  exposé  rapide  d'une  grande  politique,  tracé  longtemps 
avant  le  jour  où  il  devait  être  à  même  d'en  commencer  l'ap- 
plication, peut  servir  de  résumé  à  son  œuvre  tout  entière. 

Celle-ci,  poursuivie  sans  relâche  pendant  vingt  années  de 
ministère,  forme  un  tout  dont  les  parties  sont  merveilleuse- 
ment ordonnées;  sans  doute  elle  no  fut  point  dans  toutes 

(1)  Levasseur,  Histoire  des  classes  ouvrières,  II,  p.  208. 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  101 

également  bonne,  la  logique  même  qui  y  présidait  a  souvent 
conduit  Golbert  à  des  erreurs  et  même  à  des  fautes  graves, 
mais  le  mérite  de  l'ensemble  doit  emporter  le  pardon  de  ces 
faiblesses  et  il  faut  se  rappeler  que  trop  souvent  les  exagé- 
rations de  son  «  Système  »  furent  l'œuvre  de  ses  successeurs, 
qui  prétendirent  continuer  sa  politique  sans  en  comprendre 
ni  l'esprit  ni  le  mécanisme. 

Au  point  de  vue  économique  Golbert  fut  le  champion  du 
Mercantilisme  (1).  Cette  doctrine  avait  cependant  inspiré  déjà, 
tant  en  France  qu'à  l'étranger,  des  mesures,  aussi  maladroi- 
tes d'ailleurs  qu'inefficaces.  Que  n'avait-on  imaginé  en  effet 
pour  empêcher  cet  or  et  cet  argent  si  précieux  de  passer  les 
frontières  ?  Prohibition  solennelle  de  leur  exportation  (2), 
contrainte  des  négociants  étrangers  à  n'emporter  en  échange 
de  leurs  marchandises  que  d'autres  marchandises  (3),  fixation 
arbitraire  du  cours  du  change,  même  altération  des  monnaies 
nationales  dans  le  but  de  les  déprécier  à  l'étranger,  tout 
avait  été  proposé  ou  tenté  et  bientôt  abandonné  devant  la 
nullité  des  résultats.  On  finit  enfin  par  tomber  d'accord  que 
le  meilleur  moyen  d'atteindre  ce  but  si  ardemment  poursuivi 
était  d'encourager  et  de  développer  le  commerce  et  l'indus- 
trie (4),  pour  les  rendre  capables  de  fournir  non  seulement 
le  marché  intérieur  mais  aussi  les  marchés  étrangers,  et  par 
là  atteindre  ce  double  résultat  d'arrêter  le  courant  des  im- 
portations qui  faisaient  fuir  le  métal  hors  du  royaume,  et 
d'accélérer  celui  des  exportations,  qui  feraient  affluer  en 
France  l'or  étranger. 

(1)  Voir  la  note  p.  43. 

(2)  Sully,  Economies  royales,  1638. 

(3)  Procédé  employé  en  Angleterre  :  il  constituait  ce  que  l'on  a  appelé 
la  Balance  des  Contrats. 

(4)  Jean  Bodiii,  République,  1576  (Cf.  Jean  Bodin  el  son  temps, 
Baudrillart,  1853)  ;  Montchrestien,  Trailt'  d'économie  politique,  1614. 


102  DEUXIÈME    l'ARTIE.    —    <:riAI'[TRE    PREMIER 

Déjà,  sous  l'influence  de  ces  idées,  des  mesures  plus  intel- 
ligentes avaient  été  prises  en  faveur  de  ce  commerce  et  de 
cette  industrie  :  des  tarifs  protecteurs  avaient  été  édictés  (I), 
des  encouragements  avaient  été  donnés  à  la  constitution  de 
la  grande  industrie  (2)  et  au  développement  du  commerce 
maritime.  Ellesavaient  inspiré  enfin  les  essais  d'organisation 
du  commerce  des  Indes,  qui  ont  fait  l'objet  des  chapitres 
précédents.  Mais  la  plupart  de  ces  tentatives  insuffisamment 
étudiées,  bientôt  abandonnées,  n'avaient  été  que  des  acci- 
dents dans  la  politique  du  gouvernement  royal  et  par  suite 
les  résultats  n'en  avaient  pas  été  satisfaisants. 

Colberl  donna  à  ces  tendances  une  direction  définitive,  en 
fit  une  application  raisonnée  et  persévérante  :  la  doctrine 
mercantile  dont  les  résultats  pratiques  avaient  été  jusque-là 
sans  suite  et  sans  durée  (3),  donna  naissance  par  ses  soins  à 
un  ensemble  de  mesures,  à  un  Système  logiquement  agencé, 
préface  du  protectionnisme  moderne,  modèle  de  la  politique 
économique  de  la  France  pendant  près  de  deux  siècles,  et 
qui  a  gardé  dans  l'histoire  le  nom  du  grand  esprit  qui  l'a 
conçu  et  exécuté  :  le  Colbertisme. 

La  base  du  Colbertisme  fut  la  théorie  de  la  Balance  du  Cotii- 
merce,  la  dernière  et  la  plus  parfaite  expression  de  la  doctrine 
mercantile,  dont  l'idée  directrice  était  d'obtenir  une  somme 
de  ventes  des  produits  nationaux  à  l'étranger  supérieure  en 
valeur  à  la  somme  des  achats  faits  au  dehors  pour  l'alimen- 
lation  du  marché  national. 


(1)  Notamment  sous  Louis  XL  Louis  XH,  François  I^"",  Henri  IV. 

(2)  Cf.  Clément,  Histoire  du  syatème  protectionniste  en  Fiance. 

(3)  En  Angleterre  et  en  Hollande  au  contraire,  la  théorie  mercantile 
avait  donné  naissance  de  bonne  heure  à  un  protectionnisme  étroit,  à  la 
faveur  duquel  ces  deux  nations  avaient  déjà  pris  un  développement 
économique  considérable. 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  103 

On  croyait  en  effet,  en  s'assurant  ainsi  ime  Balance  favo- 
rable, posséder  à  la  fin  de  cliaque  année  une  quantité  de 
métaux  précieux  supérieure  à  celle  de  l'année  précédente  et 
accroître  de  la  sorte,  en  dehors  de  toute  mesure  directe  sur 
les  mouvements  des  espèces,  la  richesse  nationale  dentelles 
étaient  l'élément  principal  (1). 

Le  moyen  d'atteindre  cette  fin  était,  croyait-on  encore,  de 
réaliser  l'excédent  le  plus  grand  possible  des  exportations 
sur  les  importations,  et  toutes  les  mesures  prises  par  Colbert 
furent  inspirées  de  ce  programme. 

Il  s'appliqua  en  effet  à  développer  les  manufactures  fran- 
çaises, encourageant  l'importation  des  matières  premières 
étrangères  et  prohibant  la  sortie  de  celles  que  produisait  la 
France  elle-même,  favorisant  par  contre  l'exportation  des 
produits  d'industrie  français  et  décourageant  par  des  droits 
prohibitifs  l'entrée  des  productions  étrangères. 

Ni  ces  principes,  ni  ces  mesures  n'étaient  tout  à  fait  nou- 
veaux ;  ce  qui  l'était,  c'était  la  méthode  qui  les  appliquait,  et 
la  permanence  de  leur  emploi. 

L'œuvre  construite  sur  ces  plans  fut  grandiose  :  les  manu- 
factures se  multiplièrent,  encouragées  par  des  monopoles, 
des  privilèges,  des  faveurs  multiples,  et  la  fabrication  des  pro- 
duits, guidée  par  des  règlements  étroits  et  minutieux,  appro- 
cha le  plus  possible  de  cette  perfection  qui  devait  leur  assu- 
rer les  débouchés  étrangers  nécessaires  à  la  réalisation  de 

(1)  Ce  raisonnement  était  doublement  inexact  :  d'abord  en  ce  que  le 
stock  des  métaux  précieux  n'est  pas  la  principale  rictiesse  d'un  pays 
(erreur  générale  du  Mercantilisme),  ensuite  en  ce  qu'une  balance  du 
commerce  favorable  n'assure  pas  nécessairement  un  accroissement  de 
ce  stock,  car  il  y  a  bien  d'autres  sources  de  sortie  et  d'entrée  de  la 
monnaie  que  l'importation  et  l'exportation  des  marchandises.  C'est  la 
Balance  des  Comptes,  comprenant  tous  ces  échanges,  qui  est  la  véritable 
misure  de  la  richesse  nationale. 


104  DEUXIÈME    PARTFE.     CHAI'fTRE    PREMIER 

l'idéal  économique  que  comporlail  la  théorie  de  la  balance  du 
commerce. 

Le  commerce  maritime,  le  plus  puissant  outil  qu'une 
nation  ait  à  sa  disposition  dans  l'œuvre  de  son  expansion 
économique,  jouait  un  rôle  important  dans  cet  édifice.  Comme 
Richelieu,  Colbert  en  sut  comprendre  toute  la  valeur  et  il 
reçut  de  lui  une  impulsion  toute  particulière  (1). 

Son  plan  de  ce  côté  fut  également  tracé  de  bonne  heure  :  il 
consistait  dans  la  création  d'un  groupe  de  Compagnies  puis- 
santes, riches  et  fortes,  inspirées  de  la  Compagnie  hollan- 
daise, dont  la  prospérité  ne  cessa  d'être  son  cauchemar. 
Etroitement  surveillées  et  protégées  par  le  gouvernement 
royal,  garanties  par  un  monopole  sévère  et  des  privilèges 
importants,  elles  devaient  se  partager  les  relations  de  la 
France  avec  le  monde,  fournissant  ainsi  un  courant  continu 
et  assuré  de  débouchés  aux  productions  de  nos  industries, 
et  alimentant  notre  marché  intérieur  des  marchandises  étran- 

(1)  On  a  souvent,  avec  raison, attire'  l'atlenlion  sur  la  sollicitude  appor- 
tée par  Colbert  aux  intérêts  maritimes  de  tout  ordre  ;  la  puissance  d'as- 
similation dont  il  était  doué  lui  permit  en  effet  d'acquérir  une  connais- 
sance parfaite  des  êtres  et  des  clioses  de  ce  métier  pourtant  si  spécial. 
]1  dirigea  personnellement  et  dans  ses  plus  petits  détails  de  son  cabi- 
net de  Versailles  la  reconstitution  de  notre  marine  militaire  dont  la 
force  était  nécessaire  à  la  réalisation  de  ses  desseins  commerciaux.  On 
sait  quel  fut  le  résultat  de  ces  soins:  au  lieu  (i  de  quelques  vieux  vais- 
seaux qui  pourrissaient  dans  nos  ports  »  à  son  arrivée  au  ministère,  il 
laissa  à  sa  mort  une  flotte  de  près  de  300  unités  de  tout  rang  ;  il  créa 
Rochefort,  organisa  Brest  et  Toulon  et  substitua  à  un  recrutement  pri- 
mitif l'inscription  maritime  qui  nous  régit  encore.  Il  connaissait  tous 
ses  officiers  et  tous  ses  vaisseaux,  n'ignorait  ni  les  qualités  ni  les  défauts 
des  uns  et  des  autres  et  sa  sollicitude  pour  eux  était  si  grande  que 
quand  il  ventait  h  Versailles,  il  mandait  aussitôt  des  nouvelles  de  ses 
escadres  en  mer.  Ces  particularités  permettent  d'apprécier  à  son  exacte 
valeur  l'intérêt  dont  il  entoura  la  création  et  les  opérations  de  la  Com- 
pagnie des  Indes. 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  105 

gères  indispensables,  pour  le    transport    desquelles    nous 
étions  jusque-là  tributaires  des  Hollandais  et  des  Anglais. 

Ce  programme  se  complétait  par  la  formation  de  prolon- 
gements de  la  France  dans  les  mers  lointaines,  de  colonies 
peuplées  d'émigrants  français,  englobées  dans  le  monopole 
de  ces  Compagnies,  qui  seraient  exclusivement  chargées  de 
les  maintenir  en  relations  avec  la  mère-patrie.  Ces  colonies, 
fermées  à  l'importation  étrangère,  recevraient  de  la  France 
tout  ce  dont  elles  manqueraient,  et  lui  fourniraient  en  retour 
les  denrées  et  les  articles  exotiques,  produits  de  luxe  deve- 
nus nécessaires  à  notre  civilisation  raffinée,  et  des  matières 
premières  pour  nos  manufactures.  On  y  créerait  enfin  les 
industries  qui  ne  pourraient  s'acclimater  en  Europe  et  qui 
là-bas  prospéreraient  pour  l'utilité  commune  de  la  France  et 
de  ses  annexes  lointaines. 

L'ensemble  de  ce  programme  maritime  dont  les  différen- 
tes parties  :  création  des  Compagnies  de  commerce,  fonda- 
tion des  colonies,  établissement  d'une  politique  coloniale, 
étaient  étroitement  liées,  constituait  une  des  parties  fonda- 
mentales de  l'œuvre  de  Colbert,  puisqu'il  organisait  l'un  des 
principaux  instruments  qui  devaient  verser  en  France  l'or 
étranger  et  lui  conserver  le  sien,  contribuant  ainsi  pour  une 
part  considérable  à  l'établissement  de  la  fameuse  balance  du 
commerce. 

Il  formait  aussi  avec  les  mesures  prises  par  Colbert 
pour  développer  nos  industries  un  tout  homogène,  un  Sys- 
tème  dont  les  parties  les  plus  diverses  convergeaient  vers 
un  centre  commun  :  partout  la  contrainte,  la  réglementation 
minutieuse,  la  surveillance  étroite  du  pouvoir  central, 
l'exclusivisme,  le  privilège,  le  monopole.  Mais  ce  Système 
était  en  harmonie  parfaite  avec  la  progression  très  fortement 
accentuée  du  gouvernement  de  la  France  vers  la  plus  stricte 


lOfi  DEUXIÈME    PARTIE.    CIIAPITHE    PREMIER 

centralisation,  tendance  dont  Colbert,  continuateur  immé- 
diat de  Richelieu  et  de  Mazarin,  fut  un  des  agents  les  plus 
zélés. 

On  a  sévèrement  critiqué  cet  emprisonnement  de  l'indus- 
trie et  du  commerce,  cette  réglementation,  ces  monopoles 
mortels  pour  l'initiative  particulière,  et  l'on  n'a  pas  toujours 
compris  leur  véritable  fin. 

Ces  manufactures  royales  si  étroitement  surveillées,  ces 
Compagnies  de  commerce  à  qui  les  privilèges  étaient  prodi- 
gués, ces  colonies  étouffées  dans  les  mailles  du  Pacle  colo- 
nial {\),  n'étaient  qu'une  école  où  la  France  devait  puiser 
l'éducation  commerciale  et  industrielle  qui  lui  manquaient 
complètement  encore,  où  elle  se  formerait  à  une  discipline 
rigide,  qui,  en  assurant  le  succès  de  ses  productions  sur  les 
marchés  étrangers,  lui  ferait  regagner  rapidement  le  temps 
considérable  qu'elle  avait  perdu  sur  les  grandes  nations  in- 
dustrielles et  commerciales  de  celte  époque,  la  Hollande  et 
l'Angleterre,  et  lui  donnerait  un  jour  la  supériorité  sur  elles  : 
les  conditions  de  celte  prospérité  économique  future, Colbert 
ne  crut  point  pouvoir  les  trouver  hors  de  ces  mesures  rigou- 
reuses. 

Mais  lorsque  cette  éducation,  poursuivie  pendant  plusieurs 
générations,  aurait  jeté  dans  la  nation  des  racines  profondes  ; 
que  la  France  aurait  conquis  par  le  nombre  et  l'excellence 
de  ses  produits  une  bonne  place  sur  les  marchés  étrangers, 
et  serait  pourvue  d'une  population  de  commerçants  et  d'in- 
dustriels actifs  et  entreprenants  ;  que  ses  capitaux,  définiti- 
vement délivrés  de  leur  ridicule  timidité,  s'offriraient  à  toutes 
les  œuvres  utiles  à  la  grandeur  nationale,  ces  entraves  se- 
raient rompues,  ces  monopoles  supprimés  et  à   l'initiative 

(1)  V.  livre  TI,  chapitre  1. 


CnÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  107 

privée  reviendrait  dès  lors  la  tâche  de  maintenir  la  France  au 
premier  rang  des  nations  prospères.  Tel  était  l'esprit  du  véri- 
table Colbertisme  ;  mais  ce  ne  fut  point  celui  que  prétendirent 
appliquer  certains  successeurs  inliabiles  du  grand  minis- 
tre, qui  défigurèrent  à  l'envi  son  œuvre,  multipliant  les  entra- 
ves et  les  restrictions  inutiles,  faisant  dévier  de  leur  véritable 
fin  les  mesures  qu'il  avait  prises  et  perdant  de  vue  le  but 
qu'il  avait  poursuivi. 

Les  monopoles,  les  règlements  trop  longtemps  conservés 
ont  cependant  disparu,  mais  l'émancipation  que  Colbert  avait 
rêvée  ne  s'est  point  réalisée  et  son  œuvre  n'est  par  consé- 
quent pas  achevée  (1). 

L'étude  de  celle-ci  nous  a  entraîné  à  des  considérations 
dont  la  généralité  dépasse  notre  sujet,  mais  qui  ne  seront 
pas  superflues,  car  il  était  nécessaire  de  montrer  à  quel  point 
la  Compagnie  des  Indes  Orientales,  dont  nous  allons  suivre 
maintenant  le  développement,  était  liée  aux  autres  parties 
de  la  politique  économique  de  Colbert.  Elle  fut,  il  est  vrai, 
l'une  des  plus  éphémères,  l'une  de  celles  dont  l'exécution, 
après  lui  avoir  coûté  le  plus  de  soins,  lui  donna  par  la  suite 
le  plus  de  déceptions.  Mais  pour  n'avoir  pas  eu  la  destinée 
prospère  qu'il  avait  rêvée  pour  elle,  elle  n'en  offre  pas  moins 
le  plus  grand  intérêt,  ne  fût-ce  que  par  la  résistance  qu'il 
ne  cessa  d'opposer  aux  coups  de  l'adversité  qui  semblait 
vouloir  le  convaincre,  par  son  acharnement  contre  son  œu- 
vre, du  mal  fondé  des  principes  économiques  qu'il  lui  avait 
donnés  pour  base. 

On  a  cru  pouvoir,  d'ailleurs,  faire  à  Colbert  un  grave  repro- 

(1)  Le  Colbertisme  était  aussi  un  protectionnisme  raisonné,  inspiré 
des  lois  générales  de  l'évolution  appliquées  à  l'industrie  humaine.  Ce 
principe  a  été  repris  dans  la  science  économique  moderne  par  la  théo- 
rie de  la  tutelle  des  industries  nationales. 


108  DEUXIÈME    PARTIE.       -    CHAPITRE    PREMIER 

che  au  sujet  de  celle  création,  où  certains  ont  vu  une  défail- 
lance dans  son  plan  de  conslilution  de  la  France  industrielle, 
un  manque  de  loj^ique  qui  étonne  chez  ce  fervent  de  la 
méthode.  Comment  Colbert  qui  s'efforçait  d'organiser  chez 
nous  les  industries  si  importantes  du  tissage,  de  la  draperie, 
de  la  soierie,  des  étoffes  de  luxe,  ouvrit-il  de  plein  gré  en  effet 
une  porte  à  l'introduction  des  produits  similaires  dans  les- 
quels l'Orient  excellait?  L'objection  est  grave,  la  preuve  en 
est  que  Colbert,  mis  par  la  suite  en  présence  des  résultats  de 
cette  concurrence  redoutable,  semble  n'y  avoir  point  su 
trouver  de  remède  convenable.  Il  avait  dû  cependant,  bien 
certainement,  prévoir  ce  résultat,  sinon  en  mesurer  toutes  les 
conséquences  ;  cette  contradiction  dans  son  œuvre  peut 
néanmoins  s'expliquer,  tout  au  moins  en  partie.  Il  n'y  avait 
point  en  effet  qu'un  unique  intérêt  en  jeu,  elle  conflit  des 
diverses  tendances  qui  se  manifestaient  en  cette  occurrence 
était  d'une  solution  fort  difficile.  La  création  de  relations 
suivies  entre  la  France  et  les  Indes  était  pour  le  commerce 
d'une  importance  très  grande,  car  nous  étions  jusque-là 
tributaires  des  Compagnies  étrangères  pour  l'importation  des 
denrées  coloniales  qu'on  ne  pouvait  songera  proscrire  et  des 
matières  premières  utiles  à  certaines  de  nos  industries  :  soie 
grège,  métaux,  bois  de  teinture  et  d'ameublement.  Il  était 
d'un  avantage  incontestable  d'aller  chorcher  nous-mêmes 
ces  choses  aux  lieux  do  leur  production,  quoi  qu'aient  pu  dire 
à  ce  propos  certains  économistes,  ne  fût-ce  que  dans  le  but 
de  développer  l'industrie  et  le  conimorce  maritimes  indis- 
pensables à  la  prospérité  d'une  nation  (1),  et  l'on  sait  que 

(0  Les  économistes  de  l'iilcole  I.ibéraie  ont  cependant  affirmé  que  la 
proteclion  est  néfaste  au  commerce  marilime,  parce  que  le  but  de  la 
proleclion  est  d'entraver  les  acluils  au  dehors  ;  or  comme  on  ne  peut  ven- 
dre sans   acheter   et   que  les    produits  s'échangent   contre  les  produits 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  109 

l'un  des  principes  delà  politique  de  Colberl  fut  de  rendre  en 
toutes  choses  la  France  capable  de  se  suffire  à  elle-même. 

C'est  bien  certainement  à  ces  considérations  que  Colbert 
sacrifia  la  règle  de  la  protection  pour  quelques-unes  de  nos 
industries,  dont  les  intérêts  étaient  inconciliables  directement 
avec  l'organisation  du  commerce  des  Indes  ;  mais  il  s'etïorça 
de  leur  donner  d'autre  part  en  encouragements  de  différentes 
sortes  une  compensation  de  cet  abandon.  Enfin  nous  croyons 
pouvoir  ajouter  que  Colbert  se  convainquit  de  l'impossibilité 
d'arrêter  par  les  prohibitions  les  plus  sévères  l'introduction 
en  France  de  ces  articles,  apportés  jusqu'alors  par  les  Com- 
pagnies étrangères  et  dont  le  goût  s'était  si  fort  répandu  qu'ils 
y  étaient  devenus  un  véritable  besoin  :  autant  valait  faire 
profiter  notre  commerce  national  du  prix  de  ces  importations, 
dangereuses  sans  doute,  mais  pratiquement  inévitables  ;  les 
successeurs  de  Colbert  ne  le  comprirent  point,  et  l'échec  des 
mesures  qu'ils  crurent  pouvoir  prendre  fut  complet.  L'illo- 
gisme n'est  donc  que  superficiel  ;  Colbert  se  trouva  en  pré- 
sence d'une  redoutable  difficulté,  à  laquelle  il  donna  la  solu- 
tion qu'il  crut  la  meilleure,  après  s'être  rendu  compte  qu'elle 
n'en  comportait  point  d'absolue  (1). 

suivant  une  loi  célèbre,  la  protection  conduit  fatalement  <<  à  un  replie- 
ment de  ractivité  nationale  »  vers  l'intérieur,  et  réduit  au  strict  mini- 
mum le  commerce  maritime  des  nations  protectionnistes  avec  l'étran- 
ger. C'est,  dit-on,  pourquoi  la  puissance  maritime  de  l'Angleterre  s'est 
tant  développée  au  xix^  siècle,  alors  que  la  nôtre  est  tombée  peu  à  peu 
en  décadence. 

(1)  Blanqui  a  fait  observer  que  Colbert  dans  les  premiers  temps  de 
son  ministère  n'était  point  partisan  du  système  protecteur,  et  que  tou- 
tes ses  ordonnances  à  cette  époque  étaient  favorables  à  la  liberté  du 
commerce  ;  ce  fut  seulement  quand  il  voulut  donner  une  impulsion 
énergique  à  nos  manufactures,  qu'il  prit  le  parti  de  prohiber  les  pro- 
duits étrangers  {Histoire  de  l'Economie  politique,  t.  II)  ;  peut-être 
faut-il  voir  en  partie  la  solution  de  la  difficulté  signalée  ci-dessus  dans 


110  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

Lorsqu'il  crut  les  circonstances  favorables  pour  commen- 
cer l'exécution  du  plan  maritime  que  nous  avons  exposé  dans 
ses  grandes  lignes,  Colbertse  mit  à  l'œuvre  avec  une  ardeur 
remarquable.  Simultanément  il  prépara  la  constitution  des 
deux  plus  importants  de  ces  grands  organismes  dont  l'acti- 
vité devait  embrasser  tout  l'univers,  la  Compagnie  des  Indes 
Orientales,  dont  le  patrimoine  devait  s'étendre  sur  l'Océan 
Indien  et  le  Pacifique,  du  cap  de  Bonne- Espérance  au  cap 
Horn,  et  la  Compagnie  des  Indes  Occidentales  qui  devait  mo- 
nopoliser nos  relations  avec  l'AmériquG  et  la  côte  occiden- 
tale d'Afrique.  Cette  dernière  n'eut  point  cependant  dans  les 
desseins  de  Colbert  la  même  importance  que  sa  voisine  et 
ne  fut  en  fait  qu'un  accident  dans  sa  politique  économique, 
car  l'état  de  nos  colonies  américaines,  principal  objet  de  son 
privilège,  était  fort  différent  de  celui  des  pays  qu'englobait 
la  concession  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales,  et  une 
courte  expérience  convainquit  Colbert  de  l'inaptitude  d'une 
Compagnie  à  monopole  à  les  exploiter.  11  sut  le  reconnaître 
et  sacrifia  avec  raison  la  Compagnie  aux  colonies. 

La  Compagnie  des  Indes  Occidentales  n'eut  qu'une  durée 
de  dix  années  ;  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  fut  l'objet 
de  soins  plus  constants  et  d'une  sollicitude  que  les  difficultés 
ne  firent  que  renforcer  (1). 

rinfluence  de  cette  modification  de  sa  politique,  les  Compagnies  et  les 
manufactures  appartenant  ainsi  à  deux  périodes  différentes  de  celle-ci. 
V.  cependant  le  programme  tracé  par  lui  dès  1653  (ci-dessus,  p.  100). 
(1)  Des  discussions  se  sont  élevées  parmi  les  historiens  modernes  qui 
se  sont  occupés  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  sur  le  point  de 
savoir  à  qui  Ton  devait  en  attribuer  la  véritable  initiative  :  au  Roi,  à 
Colbert  ou  aux  particuliers?  Colbert  y  a  eu  incontestablement  la  part 
la  plus  éminente  :  ses  lettres  et  les  relations  de  cette  époque  ne  permet- 
tent pas  d'en  douter  :  la  Compagnie  est  bien  son  œuvre.  Louis  XIV  y 
prit  aussi  un  intérêt  manifeste  dont  on  trouve  la  preuve  en  plus  d'une 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  ill 

L'un  des  fondateurs  de  noire  puissance  dans  l'Inde,  le 
gouverneur  de  Pondichéry  François  Martin,  a  attribué  dans 
ses  Mémoires  la  création  de  celle  Compagnie  célèbre  aux  cu- 
rieuses circonstances  suivantes  (1)  :  une  société  de  négociants 
s'était  fondée  pour  faire  des  armements  à  destination  des 
6  Terres  Australes  »  ;  elle  achela  dans  ce  but  un  navire  à 
Amsterdam,  mais  les  Hollandais  toujours  jaloux  des  plus 
modestes  compétitions,  le  retinrent  longtemps  sous  différents 
prélextes,  et  quand  ils  consentirent  à  le  laisser  partir,  une 
tempête  l'assaillit  dans  le  Texel  et  il  s'y  perdit. 

Les  associés,  irrités  contre  les  Hollandais  dont  Ja  mauvaise 
volonté,  et  peut-être  aussi  la  malveillance,  avaient  causé  ce 
sinistre,  s'adressèrent  à  Louis  XIV  pour  obtenir  justice  et 
protection.  Colbert  prit  en  mains  leurs  intérêts,  mais  il  donna 
à  leur  oeuvre  une  ampleur  que  ces  négociants  n'avaient  nul- 
lement prévue. 

11  n'y  a  aucune  raison  de  suspecter  l'exactitude  du  récit  de 
François  Martin  qui  fut  contemporain  de  ces  événements  ; 
mais  il  ne  faut  certainement  y  voir  qu'une  occasion  qui  fut 
saisie  par  Colbert  de  mettre  en  œuvre  des  plans  depuis  long- 
temps dressés  et  pour  l'exécution  desquels  les  matériaux 
eux-mêmes  étaient  déjà  en  partie  réunis. 

Colbert  se  garda  bien  en  effet  de  laisser  perdre  cette  ini- 

circonstance  de  l'histoire  de  cette  Compagaie.  Nous  signalerons  enfin 
le  rôle  de  Louis  Berryer,  qui  mériterait  d'être  approfondi  ;  quant  aux 
particuliers  il  semble  qu'ils  n'aient  joué  dans  cette  création  qu'un  rôle 
purement  passif. 

(1)  Les  mémoires  de  François  Martin  qui  embrassent  la  période  1664- 
1694  sont  conservés  aux  Archives  Nationales  sous  la  forme  d'un  gros 
registre  manuscrit  de  600  pages  environ  (T  1169).  Ils  sont  intitulés  : 
Mémoires  sur  l'établissement  des  colonies  françaises  aux  Indes  Orienta- 
les, dressés  par  Messire  François  Martin,  gouverneur  de  la  ville  et  fort 
Louis  de  Pondichéry. 


112  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

lialive  Irop  rare  à  son  gré  chez  les  commerçants  français  ;  il 
encouragea  des  conciliabules  entre  les  victimes  de  celle  mé- 
saventure maritime  et  fit  naître  chez  eux  le  projet  qu'ils 
adoptèrent  avec  enthousiasme  d'une  vaste  association,  dont 
le  but  et  les  moyens  étaient  bien  supérieurs  à  leurs  primitifs 
desseins.  Le  développement  que  prirent  ceux-ci  serait  inex- 
plicable en  effet,  si  l'on  n'y  sentait  la  main  de  l'actif  ministre, 
bien  que  celui-ci  en  restant  caché  derrière  la  tapisserie,  pa- 
rût vouloir  laissera  l'initiative  privée  tout  l'honneur  de  celte 
création. 

Ces  artisans  de  sa  politique,  que  Charpentier  appelle  pom- 
peusement «  les  plus  fameux  négociants  du  royaume  »  (I), 
méritent  d'être  mentionnés.  Ils  étaient  au  nombre  de  neuf  et 
se  nommaient  :  Pocquelin,  Maillet,  Le  Brun,  Faverolles,  Ca- 
deau, Samson,  Simonel,  Jabach  et  Scot.  La  renommée  de  la 
plupart  d'entre  eux  n'a  pas  dépassé  leur  temps;  quelques- 
uns  ont,  au  contraire,  attaché  leur  nom  aux  réformes  indus- 
trielles de  Colbert  dont  ils  furent  d'humbles  et  utiles  collabo- 
rateurs :  Pocquelin,  drapier  à  Paris,  établi  rue  de  la  Juiverie, 
fut  un  des  commissaires  que  le  ministre  envoya  dans  les 
provinces  discuter  avec  les  chefs  de  fabriques  les  règlements 
qu'il  avait  préparés,  avant  leur  promulgation  (2)  ;  Everard 
Jabach,  grand  banquier  parisien,  originaire  de  Cologne,  fut 
aussi  un  auxiliaire  du  ministre,  qui  fil  plus  d'une  fois  appel 
à  ses  capitaux  en  faveur  des  entreprises  nouvelles   et  le 

(1)  Pour  riiisloire  des  débuis  de  la  Compagnie  des  Indes  Orienta- 
les on  consultera  avec  fruit  l'ouvrage  de  Charpentier  paru  en  1(366  sous 
le  titre  de  i(  Relation  de  l'établissement  de  la  Compagnie  française  pour 
le  commerce  des  Indes  Orientales,  dédiée  au  Roi  arec  le  recueil  de  toutes 
les  pièces  concernant  le  même  établissement  » , 

(2)  Il  y  avait  aussi  deux  frères  Pocquelin  établis  rue  Saint-Denis  ; 
en  fait  il  y  eut  deux  l^ocquelin  dans  la  Compagnie  :  l'un  fut  directeur 
jusqu'à  sa  mort  en  1691,  l'autre  lui  succéda  à  cette  date. 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  I  I  3 

nomma  directeur  de  la  manufacture  d'Aubusson  (1)  ;  Cadeau 
est  le  nom  d'un  industriel,  qui  en  1685  fonda  une  fabrique 
de  draps  en  Normandie  sur  la  sollicitation  de  Louvois  (2). 
Ces  quelques  exemples  suffisent  à  montrer  que  Colbert  sut 
s'entourer  dans  cette  importante  affaire  de  personnages 
capables  de  comprendre  sa  politique  et  de  la  seconder  intel- 
ligemment. 

Il  s'occupa  simultanément  de  préparer  l'opinion  publique 
à  la  création  de  la  Compagnie  nouvelle.  La  précaution  n'était 
pas  inutile,  car  l'échec  définitif  de  la  Compagnie  d'Orient 
avait  achevé  de  jeter  sur  les  entreprises  de  colonisation  et 
de  commerce  lointain  un  certain  discrédit.  Trois  Compagnies 
des  Indes  avait  échoué  depuis  le  début  du  siècle  en  France, 
alors  que  la  Compagnie  hollandaise  attirait  tous  les  regards 
par  son  activité  et  ses  richesses.  N'était-ce  pas  la  preuve  de 
notre  inaptitude  à  ce  genre  d'entreprises  et  n'était-il  pas 
plus  simple  d'aller  chercher  en  Hollande  les  épices  et  les 
étoffes  des  Indes,  que  d'engloutir  inutilement  des  capitaux 
dans  des  catastrophes  toujours  renouvelées  ? 

Il  devait  être  difficile  de  lutter  contre  ces  dispositions,  ag- 
gravées encore  de  ce  fait  que  la  France  sortait  à  peine  d'une 
époque  troublée,  où  les  ruines  avaient  été  nombreuses,  et  que 
le  travail  de  reconstitution  n'était  point  encore  terminé.  11 
fallait,  pour  y  réussir,  réunir  autour  de  l'entreprise  nouvelle 
des  conditions  très  supérieures  à  celles  dans  lesquelles  les 
précédentes  avaient  été  formées,  attirer  les  capitaux  hési- 
tants par  une  garantie  formelle  du  gouvernement  royal  et 

(1)  Levasseur,  Histoire  des  classes  ouvrières,  II. 

(2)  Germain  Martin,  La  grande  industrie  sous  le  règne  de  Louis  XIV. 
Nous  ajouterons  que  le  nom  des  frères  Simonet,  banquiers,  apparaît 
dans  la  correspondance  de  Colbert.  —  V.  Clément,  Lettres,  instruc- 
tions et  mémoires  de  Colbert,  II. 

W.  —  8 


114  DEIJXIÈMR    HAKTIK.    CIIAPITRK    PREMIER 

des  avantages  aussi  considérables  que  faire    se    pourrait. 

Golbert  était  décidé  à  ne  rien  omettre  pour  assurer  le  suc- 
cès de  ses  plans  ;  il  eut  recours  pour  le  faire  savoir  à  l'aca- 
démicien François  Charpentier  (1),  l'un  de  ces  hommes  de 
lettres  si  libéralement  pensionnés  par  le  Roi,  et  celui-ci  ré- 
pondit aux  espérances  que  le  niiiiislre  fondait  sur  son  talent, 
en  publiant  en  avril  16641e  «  Discours  d'un  fidèle  sujet  du  Roi 
touchant  l'établissement  d'une  Compagnie  française  pour  le 
commerce  des  Indes  Orientales,  adressé  à  tous  les  Fian- 
çais »  (2). 

Il  y  déclarait  avec  raison  la  prospérité  du  commerce  né- 
cessaire à  celle  d'une  nation  ;  la  France,  ajoulail-il,  vivait 
depuis  un  siècle  dans  des  difficultés  qui  l'en  avaient  dé- 
tournée, tandis  que  les  étrangers  puisaient  dans  celte  occu- 
pation un  accroissement  de  richesses  immense.  11  était  donc 
grand  temps  qu'elle  reprît  le  rang  qu'elle  avait  perdu  :  or 
de  tous  les  commerces  il  n'y  en  a  point,  dil-il,  de  plus  riche 
que  celui  des  Indes  Orientales  dont  les  produits  nous  sont 
indispensables  :  nous  ne  devons  point  les  demander   aux 

(1)  (iharpenlier  avait  peu  de  temps  auparavant  composé  une  «  Eglogue 
Royale  «  qui  inspirait  ces  vers  à  Boileau  : 

1/un  en  style  pompeux  liabiliant  uneëglogue. 
De  ses  rares  vertus  te  fait  un  long  prologue 
Et  mêle  en  se  vantant  soi-même  à  tout  propos. 

Les  louanges  d'un  fat  à  celles  d'un  héros 

Discours  au  Roi,  1664. 
Dans  ce  même  Discours  au  Roi,  Boileau  glorifiait  d'ailleurs  la  création 
récente  des  deux  Compagnies  des  Indes  : 

Quand  je  vois  ta  sagesse  en  ses  justes  projets, 

D'une  heureuse  abondance  enrichir  tes  sujets, 

Et  nos  vaisseaux  domptant  l'un  et  l'autre  Neptune 
Nous  aller  chercher  l'or  malgré  l'onde  et  le  veut 
Aux  lieux  où  le  soleil  le  l'orme  en  se  levant 

(2)  Le  Discours  de  Charpentier  fut  publié  par   les  soins  de  Colberl 
et  aux  frais  du  Roi. 


CPIÉATION  DE    LA    COilFAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  11^ 

nations  étrangères,  mais  les  aller  clierclier  nous-mêmes,  et  il 
montrait  la  Compagnie  hollandaise  faisant  affluer  l'argent 
dans  la  République  des  Pays-Bas,  et  faisant  de  sa  population 
«  le  peuple  le  plus  pécunieux  de  l'Europe  »,  la  Compagnie 
anglaise  également  florissante,  les  Danois,  les  Suédois  créant 
aussi  des  Compagnies.  Nous  seuls  n'en  aurions  point  une  I 
avait-on  donc  peur  de  se  lancer  dans  une  entreprise  nou- 
velle? Mais  le  chemin  était  frayé  et  nous  n'avions  qu'à  sui- 
vre l'exemple  des  étrangers  !  Ne  pas  le  tenter  serait  de  l'aveu- 
glement ! 

La  possession  de  l'île  de  Madagascar  nous  donnait  à  cet 
effet  une  situation  merveilleuse  dans  l'Océan  Indien  et  le 
roi  de  France  était  plus  puissant  qu'aucune  des  nations  étran- 
gères, qui  commerçaient  dans  ces  contrées.  Il  s'attachait 
ensuite  à  vanter  les  avantages  de  la  colonisation  de  la  grande 
île  avec  une  exagération  parfois  ridicule  que  les  Physiocrates 
se  sont  plu  à  relever:  «  L'air  y  est  toujours  tempéré,  assu- 
rait-il, et  l'on  peut  y  garder  toute  l'année  des  vêtements  de 
printemps,  car  il  fait  plus  chaud  en  France  en  été  qu'à  Fort- 
Dauphin.  L'on  peut  dire  sans  exagération  qu'il  est  aisé  d'en 
faire  un  vrai  paradis  terrestre...  ;  on  y  trouve  tant  d'or  que 
quand  il  pleut,  les  veines  s'en  découvrent  d'elles-mêmes  le 
long  des  montagnes  !  » 

Mais  à  côté  de  ces  affirmations,  dont  quelques-unes  peu- 
vent paraître  coupables,  on  trouve  dans  l'œuvre  de>  Char- 
pentier des  choses  dignes  de  foi,  des  détails  fort  sensés, 
qu'il  puisa  d'ailleurs  dans  les  écrits  de  Flacourt  (sur  les  res- 
sources alimentaires  de  l'île  notamment),  et  des  vues  géné- 
rales dont  la  vérité  et  le  patriotisme  sont  dignes  d'être  re- 
marqués. 

«  Manquons-nous  de  courage  et  d'adresse  pour  imiter  les 
Hollandais,  s'écrie-t-il?  Nide  l'un  ni  de  l'autre  et  nous  avons 


11()  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

les  meilleurs  hommes  de  mer  ;  mais  c'est  l'union  qui  nous 
fait  défaut,  aussi  les  meilleures  affaires  périssent  entre  nos 
mains.  Nous  devons  réagir  contre  ce  penchant  et  voici  pré- 
cisément l'occasion  de  nous  montrer  meilleurs.  On  a  déjà 
tenté  sans  succès  la  colonisation  de  Madagascar,  dit-on  ? 
Est-ce  là  une  raison  suffisante  pour  qu'un  second  dessein 
échoue  de  même  ?  Les  grandes  choses  demandent  à  être  ten- 
tées deux  fois  au  moins,  et  les  premières  colonies  espagno- 
les, anglaises  et  hollandaises  ont  subi  des  revers  bien  plus 
grands.  » 

Enfin,  l'appui  du  Roi  à  celte  œuvre  est  assuré,  et  Char- 
pentier devient  ici  le  porte-parole  de  Golbert,  lorsqu'il  énu- 
mère  les  différentes  manières  dont  pourra  s'exercer  la  protec- 
tion royale  envers  la  future  Compagnie.  U  faut  pour  cela 
faire  un  capital  de  six  millions  qui  seront  employés  à  équiper 
douze  à  quatorze  grands  vaisseaux  de  800  à  1.400  tonneaux. 
Le  Roi  sera  supplié  d'entrer  pour  un  dixième  et  le  fera  volon- 
tiers :  les  grands  seigneurs  fourniront  bien  trois  millions,  il 
n'en  restera  plus  que  trois  à  trouver,  que  les  marchands  et 
bourgeois  du  royaume  devront  réunir.  On  pourra  aussi  de- 
mander au  Roi  de  remettre  à  la  Compagnie  la  moitié  des 
droits  d'entrée  et  de  douane  et  même  de  porter  sur  sa  part 
toute  la  perte  des  huit  ou  dix  premières  années... 

Presque  toutes  ces  clauses  en  effet  se  retrouvent  dans  les 
statuts  de  la  Compagnie.  Dans  ce  discours,  en  résumé,  il  faut 
faire  la  part  des  exagérations,  fâcheuses  sans  doute,  mais 
qui  ne  doivent  point  toutes  être  imputées  à  Colbert  ou  à 
Charpentier,  car  on  les  rencontre  chez  les  acteurs  les  plus  sé- 
rieux de  ces  curieuses  tentatives  de  colonisation  :  mais  à 
côté  d'elles  on  trouve,  nous  l'avons  dit,  de  belles  ol  bonnes 
choses  qui  ne  méritent  point  les  plaisanteries  dont  ce  Dis- 
cours fut  plus  tard  le  thème,  des  principes  judicieusement 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  117 

établis  el  qui  sont  reslés  vrais,  des  exhortations  à  l'entreprise 
d'une  utile  et  patriotique  politique  coloniale. 

Pendant  que  ce  plaidoyer  éveillait  dans  le  public  l'intérêt 
que  Colbert  y  voulait  voir  naître,  la  formation  de  la  Compa- 
gnie se  poursuivait  dans  le  petit  cénacle  où  s'était  fait  jour 
son  premier  dessein.  Au  cours  des  conférences  qui  réunis- 
saient nos  fondateurs  chez  quelqu'un  d'entre  eux,  furent 
discutés  et  arrêtés  les  statuts,  tels  du  moins  qu'ils  devaient 
être  soumis  à  l'agrément  du  Roi.  Les  conseils  de  Colbert,  les 
assurances  qu"il  donna  sur  les  bonnes  dispositions  du  mo- 
narque ne  furent  point  sans  tenir  une  grande  place  dans 
celte  élaboration  qui  par  certains  côtés  dépassait  les  facul- 
tés des  intéressés.  Il  s'était  d'ailleurs  donné  parmi  eux  un 
représentant  attitré,  le  secrétaire  des  Conseils  royaux  Louis 
Berryer  (1),  à  qui  il  conserva  dans  la  suite  la  charge  de  s'oc- 
cuper spécialement  des  intérêts  de  la  Compagnie  et  qui  «  ne 
cessa,  atteste  Charpentier,  de  s'employer  avec  un  zèle  et  une 
assiduité  remarquables  à  son  avancement  »  (2).  Le  rôle  de  ce 
collaborateur  de  Colbert  dans  la  création  et  la  direction  de 
celte  grande  entreprise  est  digne  d'être  remarqué,  nous  n'a- 

(i)  Louis  Berryer,  sei^'neur  de  la  Perrière,  avait  joué  dans  le  procès 
de  Fouquet  un  rôle  important  comme  auxiliaire  de  Colbert.  Mme  de  Sé- 
vigné  traite  de  ((  folie  furieuse  r.  l'acharnement  qu'il  y  montra  à  l'exem- 
ple de  ce  dernier.  Il  fut  nommé  secrétaire  des  Conseils  du  roi  en  1664, 
puis  inspecteur  des  travaux  du  Havre,  en6n  il  figura  parmi  les  pre- 
miers directeurs  de  la  Compagnie  des  Jndes  Orientales. 

(2)  Souchu  de  Renneforl  nous  en  fournit  aussi  le  témoignage  : 
«  M.  Colbert  sur  la  prudence  duquel,  dit-il,  roulaient  les  afïaires  de 
finances,  de  marine  et  de  commerce,  se  reposa  du  détail  de  celle-ci 
(la  Compagnie)  sur  un  secrétaire  du  Conseil  qui  fut  mis  comme  premier 
syndic  à  la  tête  des  neuf  négociants  qui  avaient  proposé  l'établisse- 
ment. »  Cependant  malgré  celte  affirmation  il  semble  que  Berryer,  qui 
devint  directeur  général  en  mars  1665,  n'ait  point  été  syndic  aupara- 
vant. 


lis  DKUXIKMK    PARTIE.    CirAlMTItl-;    l'IŒ.MIER 

vons  malheureusement  pas  sur  son  action  personnelle  les 
renseignements  qui  nous  eussent  permis  de  la  préciser. 

On  ne  manquait  point  d'antécédents  dont  l'élude  facililait  la 
tâche  des  organisateurs  ;  les  statuts  des  précédentes  Compa- 
gnies françaises,  de  la  Compagnie  de  Londres,  de  celle 
d'Amsterdam  surtout,  guidèrent  leurs  discussions.  Lorsque 
le  travail  fut  avancé,  que  les  lignes  principales  de  la  Compa- 
gnie eussent  élé  arrêtées,  on  Uni  quelques  assemblées  pu- 
bliques (1)  où  se  trouvèrent  «  de  nombreux  négociants  pari- 
siens et  une  foule  de  personnes  de  diverses  qualités  ».  C'est 
dans  la  dernière  de  ces  séances,  tenue  le  26  mai  1664  chez 
FaveroUes,  que  la  rédaction  définitive  des  Articles  à  présen- 
ter au  Roi  fut  arrêtée. 

Restait  à  les  faire  approuver  :  les  intéressés  se  rendirent  en 
corps  à  cet  effet  à  Fontainebleau  où  se  trouvait  alors  la 
Cour,  accompagnés  de  Berryer  qui  s'était  chargé  de  les  in- 
troduire. Colbert  les  présenta  au  Roi,  Mailletfil  à  Louis  XIV 
au  nom  de  ses  collaborateurs  un  petit  discours  sur  l'ulililé 
de  la  navigation, et  l'honneur  qu'une  pareille  entreprise  ferait 
rejaillir  sur  la  France  et  le  supplia  de  consentir  les  faveurs 
qu'on  venait  lui  demander.  Le  Roi,  pour  montrer  l'intérêt 
qu'il  prenait  à  leur  œuvre,  promit  qu'il  leur  serait  rendu  ré- 
ponse le  jour  même,  et  effectivement  «  dans  l'après-dinée  », 
le  cahier  des  Articles  fut  rendu  à  nos  négociants,  annoté  en 
marge,  article  par  article,  de  la  main  du  souverain  lui-même 
(31  mai  1664)  (2). 

(1)  Elles  eurent  lieu  les  21,  24  et  26  mai  1664. 

(2)  Charpentier  donne  force  détails  sur  cette  démarche  qui  eut  lieu 
entre  le  28  et  le  3i  mai  1664.  Voir  également  la  curieuse  gravure  qui 
représente  la  réception  des  intéressés  par  le  Roi,  au  frontispice  de 
VHisfoire  des  Indes  Orientales  de  Soiichu  de  Rennefort.  Les  Articles 
furent  publiés  avec  les  annotations  royales.  Cf.  Articles  et  conditions 
sur  lesquels  les  négociants  du  royaume  supplient  le  Hoi  de  leur  accorder 


CRÉATION   DE    LA     COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  110 

Il  ne  restait  plus  à  la  Compagnie  qu'à  obtenir  la  consécra- 
tion solennelle  des  lettres-patentes  qui  ne  devait  être  qu'une 
simple  formalité  ;  aussi  sans  plus  tarder,  fut-ce  désormais 
à  l'organisation  elle-même  de  leur  œuvre  que  s'appliquèrent 
Colbert,  Berryer,  et  leurs  protégés. 

Une  nouvelle  assemblée  publique  eut  lieu  le  5  juin,  où 
plus  de  trois  cents  personnes  se  trouvèrent  réunies.  Lecture 
leur  fui  donnée  des  Articles  et  des  annotations  royales,  et 
cette  preuve  manifeste  d'intérêt  eut,  paraît-il,  pour  effet  de 
provoquer  un  grand  nombre  d'adhésions  immédiates.  On 
procéda  aussitôt,  avec  l'aide  de  ces  nouveaux  intéressés  à 
la  nomination  de  douze  Syndics  conformément  à  la  volonté 
exprimée  par  le  roi,  et  ce  furent  naturellement  les  auteurs 
des  statuts  (à  l'exception  de  deux  d'entre  eux,  qui  s'excusè- 
rent), auxquels  furent  adjoints  cinq  nouveaux  Syndics,  les 
sieurs  Rabouin,  Langlais,  de  Paye,  Chanlatte  et  de  Varennes, 
tous  négociants  notables. 

Ces  douze  personnages  étaient  chargés  de  la  gestion  des 
affaires  de  la  Compagnie  jusqu'à  la  nomination  des  Directeurs 
Généraux  à  qui  elles  devaient  être  définitivement  confiées  : 
ce  n'était  point  là  une  sinécure,  car  ils  avaient  à  créer  la 
Compagnie  elle-même  qui  n'existait  encore  que  sur  le  pa- 
pier ;  ils  se  consacrèrent  à  celte  tâche  avec  un  beau  zèle,  se 
réunissant  chaque  jour  et  menant  vivement  les  choses. 

Une  des  premières  questions  importantes  qui  sollicitèrent 
leurs  soins  fut  le  règlement  de  la  situation  avec  la  Compa- 
gnie d'Orient.  Celle-ci,  en  effet,  était  encore  en  possession  de 
son  privilège,  qui  ne  devait  prendre  fin  qu'en  1667  ;  l'impuis- 
sance où  elle  était  réduite,  l'intention  du  duc  de  Mazarin  de 


sa  déclaration  pour  l'élablissemeiil  d'une  Compagnie  pour  le  commerce 
des  Indes  Orientales,  1664. 


120  nKUXIKME    l'AKTIE.    CIIAI'ITHE    l'REMIKR 

ne  pas  continuer  l'œuvre  paternelle  simplifiaient  les  choses, 
encore  fallait-il  les  conclure.  Le  Roi  avait  déjà  manifesté  l'in- 
tention que  les  intéressés  de  la  Compagnie  d'Orient  abandon- 
nassent leurs  droits  :  ils  se  soumirent  avec  quelque  mauvaise 
grâce  et  firent  tenir  aux  Syndics  leurs  prétentions.  Ils  exi- 
geaient une  indemnité  de  90  000  livres  ;  finalement  ils  con- 
sentirent à  accepter  20.000  livres  en  aclions  de  la  Compagnie 
nouvelle,  à  répartir  entre  eux  au  prorata  de  leur  intérêt  dans 
l'ancienne  (1). 

Mazarin  se  montra  plus  accommodant,  semble-l-il  ;  il  sous- 
crivit 100.000  livres  et  céda  tous  ses  droits  sur  Madagascar, 
que  contestaient,  il  est  vrai,  les  intéressés  de  l'Orient  :  il  fut 
décidé  que  la  Compagnie  nouvelle  lui  acboterait  les  canons, 
les  munitions  et  les  meubles  que  le  duc  de  la  Meilleraye 
avait  fournis  à  la  colonie,  dont  la  valeur  serait  défalquée  du 
montant  de  cette  souscription  (2).  Ces  deux  traités  firentl'ob- 
jet  de  contrats  séparés  qui  furent  signés  le  3  et  le  20  septem- 
bre 1664(3). 

(1)  Les  Syndics  nommèrent  quatre  d'entre  eux  pour  conduire  les  né- 
gociations. 

^2)  Mazarin  ne  voulait  cependant,  parai'l-il,  apporter  que  50.0001.  et 
Colbert  fit  intervenir  le  Roi  qui  lui  imposa  le  sacrifice  de  100.000  1.  Mais 
il  réclama  une  indemnité  «  pour  les  perles  énormes  »  faites  par  le  maré- 
chal «  pour  conserver  un  pied  dans  l'île  ».  Colbert  répondit  «  que  le  Roi 
s'était  obligé  de  mettre  en  les  mains  de  la  Compagnie  ladite  île  sans 
autre  remboursement  que  les  effets  et  habitations  qui  s'y  trouvent,  mais 
que  pour  les  pertes  il  n'était  pas  juste  d'entrer  dans  aucune  considéra- 
tion de  remboursement  >; .  Mazarin  dut  se  résigner. 

(3)  Les  intéressés  de  l'ancienne  Compagnie  qui  figurèrent  au  contrat 
du  3  septembre  furent  :  MM.  d'.Migre,  Caset,  Gillot,  Picques,  de  Loynes, 
de  Beausse.  Cf.  Demis  :  lirciieil  des  titres  conceruanl  la  Compagnie 
des  Indes  Orientales,  1755,  t.  I.  On  voit  par  les  détails  de  cette  négo- 
ciation qu'il  y  eut  vraiment  incorporation  de  la  Compagnie  d'Orient  à  la 
Compagnie  nouvelle,  et  qu'il  n'existe  pas  entre  elles  de  solution  de  con- 
tinuité. 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  121 

Mais  tandis  que  se  poursuivaient  ces  pourparlers,  la  Com- 
pagnie, grâce  à  l'activité  de  Colbert,  avait  acquis  la  consécra- 
tion solennelle  qui  lui  manquait  encore.  En  août  1664  fut 
en  effet  rendu  à  Vincennes  l'édit  «  portant  établissement  de 
la  Compagnie  des  Indes  Orientales  »  (1),  dont  un  long  préam- 
bule exposait  le  but  en  des  termes  qui  méritent  d'être  signa- 
lés (2)  : 

«  La  félicité  des  peuples,  y  était-il  dit,  consiste  non  seule- 
ment en  la  diminution  considérable  des  impositions  que  nous 
leur  avons  accordée  depuis  deux  ou  trois  années,  mais  beau- 
coup plus  au  rétablissement  du  commerce  de  notre  royaume 
par  le  moyen  duquel  seul  l'abondance  peut  être  attirée  au 

dedans et  se  répandre  sur  le  général  des  peuples,  au 

moyen  des  manufactures,  de  la  consommation  des  denrées, 
et  de  l'emploi  d'une  infinité  de  personnes  que  le  commerce 

produit ;  nous  nous  sommes  principalement  attaché  au 

commerce  qui  produit  des  voyages  de  long  cours,  étant  cer- 
tain et  par  le  raisonnement  ordinaire  et  naturel  et  par  l'ex- 
périence de  nos  voisins  que  le  profit  surpasse  infiniment  la 
peine  et  le  travail  que  l'on  prend  à  pénétrer  dans  les  pays 

éloignés C'est  ce  qui  nous  aurait  obligé  d'employer  tous 

nos  soins  à  l'établissement  d'une  Compagnie  puissante  pour 
faire  le  commerce  des  Indes  Orientales » 

L'édit  promulguait  ensuite  les  statuts   de  cette   Compa- 

(1)  L'édit  donnait  par  là  un  nom  à  la  Compagnie  que  les  Articles  n'a- 
vaient en  effet  désignée  que  sous  la  dénomination  vague  de  «  Compa- 
gnie pour  le  commerce  des  Indes  Orientales  ».  Cependant  jusqu'en  i719, 
date  de  sa  fusion  avec  la  Compagnie  d'Occident,  on  la  désigna  souvent 
sous  d'autres  appellations  :  Compagnie  d'Orient,  Compagnie  Orientale, 
Compagnie  des  Indes.  Nous  attirerons  plus  d'une  fois  l'attention  sur  ces 
fréquentes  confusions  qui  prouvent  que  ces  Compagnies  successives 
étaient  bien  regardées  autrefois  comme  constituant  un  même  corps. 

(2)  Isambert,  XVIII,  p.  38.    Archives  nationales  (A Dix,  384). 


122  DEUXIÈME    PARTIE.     —     OHAPITRE    l'RE.MIEH 

griie,  répartis  en  quararite-huil  articles  dont  les  dispositions 
reproduisaient  celles  des  Articles  présentés  au  Roi  au  mois 
de  mai  précédent  avec  les  modifications  que  l'examen  du 
Conseil  royal  y  avait  apportées.  Il  fut  enregistré  par  le  Par- 
lement de  Paris  le  l"  septembre  1664,  par  la  Cour  des  Comp- 
tes le  tl  septembre  et  par  la  Gourdes  Aides  le  22  septembre 
chacune  de  ces  deux  Cours  consacrant  spécialement  les  dis- 
positions qui  appartenaient  à  sa  compétence. 

La  Compagnie  des  Indes  Orientales  était  dès  lors,  à  l'exem- 
ple des  Compagnies  précédentes  et  des  sociétés  étrangères, 
en  possession  de  la  charte  qui  l'instituait  en  tant  qu'orga- 
nisme officiel  et  consacrait  à  la  fois  ses  droits  et  ses  obliga- 
tions. Mais  une  condition  non  moins  importante  et  plus  diffi- 
cile de  son  existence  restait  à  remplir,  la  constitution  de  son 
capital,  et  Colbert  qui  jusque-là  était  resté  volontairement 
dans  l'ombre,  prit  alors  ouvertement  en  mains  les  intérêts  de 
sa  Compagnie  dont  il  se  fit  le  véritable  Directeur.  Il  savait 
l'importance  de  celte  opération  financière  et  ne  croyait  pas 
superflu  d'y  donner  toute  son  attention.  La  Compagnie  des 
Indes  Orientales  et  celle  des  Indes  Occidentales  dont  la  cons- 
titution se  poursuivait  alors  parallèlement,  étaient  en  effet 
les  premiers  de  ces  grands  corps  que  le  ministre  voulait  éta- 
blir en  France  pour  assurer  le  relèvement  de  notre  commerce 
maritime  ;  il  importait  donc  pour  le  succès  de  ces  créations 
futures  que  leurs  deux  ainées  s'établissent  promptement  et 
solidement:  de  leur  succès  ou  de  leur  échec  dépendrait 
celui  des  autres  et  leur  sort  devait  décider  de  la  poursuite 
ou  de  l'abandon  de  cette  partie  capitale  de  l'édifice  écono- 
mique projeté  par  Colbert.  Il  ne  se  fit  point  illusion  sur  les 
dit'Hcultés  qu'il  devait  rencontrer  dans  celte  tâche,  car  il 
connaissait  la  routine,  le  manque  d'initiative  de  la  bourgeoi- 
sie coniniercanto,  de  la  petite  nobU^sso  de  robe  dont  le  con- 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  123 

cours  lui  était  indispensable,  l'aversion  générale  des  capitaux 
français  pour  les  entreprises  tant  soit  peu  hardies,  auxquels 
devaient  se  heurter  ses  projets.  Aussi,  en  raison  de  ces  obs- 
tacles prévus,  la  souscription,  volontaire  en  principe,  prît-elle 
le  caractère  nettement  accusé  d'une  contribution  sinon  ou- 
vertement exigée,  du  moins  sollicitée  avec  promesses  et 
menaces  par  l'autorité  royale  et  revêtit-elle  la  forme  d'un 
véritable  emprunt  forcé. 

Il  s'agissait  de  réunir  une  somme  totale  de  quinze  millions 
de  livres,  divisée  en  actions  de  mille  livres  chacune.  La  fa- 
mille royale  fui  mise  la  première  à  contribution  (1)  :  la  reine- 
mère  Anne  d'Autriche,,  la  reine  Marie-Thérèse,  le  Dauphin 
souscrivirent  chacun  60.000  livres  ;  les  grands  seigneurs  que 
sollicitait  cet  exemple  durent  donner  aussi:  le  prince  de 
Condé  promit  30.000  livres,  le  prince  de  Conti  20.000.  Les 
gentilshommes  de  moindre  importance  ne  pouvaient  rester 
en  arrière,  mais  ce  moyen  de  faire  leur  cour  était  fort  onéreux 
et  l'enthousiasme  ne  fut  point  très  grand  parmi  eux  :  ils  se 
rendaient  bien  compte  que  le  Roi  ne  se  préoccupait  nulle- 
ment de  les  enrichir  en  les  rendant  actionnaires  de  la  Com- 
pagnie, mais  seulement  de  puiser  dans  leur  bourse  en  faveur 
d'une  entreprise  d'intérêt  général  (:2)  ;  cependant,  au  dire  de 
Cliarpenlier,  la  souscription  de  la  Cour  atteignit  la  somme  de 
2  millions. 

Colbert  s'inscrivit  lui-même  pour  30.000  livres,  le  chance- 
lier Séguier  pour  50.000  et  l'exemple  était  destiné  celte  fois 
aux  Cours  de  justice,  aux  fonctionnaires  et  officiers  de  tout 
genre. 

(1)  Le  Roi  devait,  en  vertu  des  statuts,  donner  3  millions  à  la  Com- 
pagnie, mais  on  verra  que  cette  subvention,  remboursable  au  bout  de 
dix  ans,  était  en  dehors  du  capital  proprement  dit. 

(2j  Brunetière,  Revue  des  Deux-Mondes,  V^  février  188G,  p.  694. 


124-  DEUXIKME    l'AUTIE.    CMAITIHK    l'RKMIKR 

En  même  temps  on  s'adressa  au  public  lui-même  :  le  13  juin 
1664,  une  lellre  de  cachet  circulaire  fut  envoyée  aux  maires 
et  échevins  des  principales  villes  du  royaume  ;  elle  leur  or- 
donnait de  réunir  l'assemblée  générale  des  habitants,  rouage 
important  de  l'organisation  municipale  sous  l'ancien  régime 
qui  se  composait  de  tous  les  bourgeois  de  la  cilé,  de  faire 
lecture  à  ceux-ci  des  statuts  de  la  nouvelle  Compagnie,  de 
proclamer  bien  haut  l'intérêt  que  le  Roi  prenait  à  cette  entre- 
prise, enfin  de  recueillir  sur-le-champ  les  souscriptions.  Un 
rapport  circonstancié  devait  être  ensuite  envoyé  à  Colberl  et 
les  listes  de  souscriptions  être  adressées  aux  Syndics  de  la 
Compagnie. 

Une  lettre  de  ces  derniers  était  jointe  à  la  lettre  de  cachet  ; 
elle  en  reproduisait  les  termes,  sans  en  avoir  bien  entendu 
le  ton  autoritaire  (1). 

Les  intendants  furent  particulièrement  chargés  de  la  pres- 
sion à  exercer  sur  les  fonctionnaires  et  officiers  royaux  et  sur 
la  population  aisée.  Colbert  lui-même  leur  montra  l'exemple 
de  la  plus  étonnante  activité  et  sa  correspondance  nous  four- 
nit les  preuves  manifestes  de  l'intérêt  extraordinaire  qu'il 
prit  à  celte  opération  (2).  «  Vous  ne  sauriez  mieux  témoigner 
votre  zèle  à  Sa  Majesté,  écrivait-il  par  exemple  au  maire  et  aux 
jurats  de  Bayonne,  qu'en  continuant  votre  application  à  aug- 
menter toujours  le  plus  que  vous  pourrez  le  nombre  des  in- 

(i)  La  lettre  de  cachet  avait  éle'  sollicitée  par  les  Syndics:  Colberl 
leur  en  fit  remettre  119  ;  à  chaque  envoi  fut  joint  un  exemplaire  du 
Discours  d'un  fidèle  sujet  du  Roi. 

(2)  Il  existe  malheureusement  dans  la  correspondance  de  Colberl  des 
lacunes  considérables  pour  la  période  à  laquelle  correspond  précisément 
la  création  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales.  Mais  les  réponses 
de  ses  correspondaiits  nous  ont  été  conservées  et  leur  nombre  permet  de 
juger  de  l'activité  qu'il  déploya  en  celte  circonstance.  —  V.  Fieppinp, 
Correspondance  administratii'e  du  règne  de  Louis  XIV,  t.  III,  p.  354  à 
382. 


CRÉATION    DÉ    LA    COMPAGME    UES    INDES  ORIENTALES  125 

téressés  audit  commerce  et  à  leur  faire  promplement  payer 
les  deux  premiers  tiers  des  sommes, pour  lesquelles  ils  se  se- 
ront déclarés  (1).  »  Il  s'efforça  d'inspirer  à  ses  agents  le  zèle 
qu'il  ressentait  pour  cette  œuvre  :  par  ses  ordres  ils  mirent 
en  œuvre  la  prière  et  la  menace  ;  on  ne  recula  pas  devant 
l'intimidation  quand  on  la  crut  nécessaire,  on  menaça  du 
courroux  du  roi,  on  fit  trembler  les  ambitieux,  ceux  qui  n'é- 
taient point  très  assurés  de  leur  place  ou  de  leurs  privilèges. 
C'est  ainsi  que  le  premier  président  du  Parlement  de  Bourgo- 
gne, Brùlart,  mandait  à  Golbert  :  «  Je  fais  valoir  autant  que  je 
peux  l'ordre  qui  m'est  donné  par  Sa  Majesté  de  lui  envoyer 
avec  la  liste  de  ceux  qui  y  prendront  part  les  noms  de  ceux 
qui  ne  voudront  pas  s'y  intéresser  ;  ce  qui  obligera  plusieurs 
qui  n'y  auraient  rien  mis  à  s'y  engager  (2).  » 

De  même,  M.  de  Pontac,  président  du  Parlement  de  Bor- 
deaux disait:  i  J'ai  fait  entendre  aux  jurais  et  à  quelques  bour- 
geois avec  combien  de  soin  ils  devaientexliorter  un  chacun  à 
faire  des  efforts  dans  ce  rencontre  et  qu'autrement  le  Roi  exa- 
minera les  privilèges  de  la  bourgeoisie  avec  tant  de  sévérité 
qu'ils  en  seront  sans  doute  privés  d'une  partie  la  plus  con- 
sidérable ;  que  s'ils  venaient  à  perdre  cette  partie,  il  leur  se- 
rait bien  difficile  de  la  rétablir...  (3)  » 

Cependant  l'entrain  des  souscripteurs  fut  moins  grand  en- 
core qu'on  ne  l'avait  espéré.  Les  villes  maritimes,  plus  direc- 
tement intéressées  par  cette  création,  montrèrent  à  son  égard 
des  dispositions  peu  favorables,  malgré  l'attention  que  l'on 
avait  eue  de  leur  attribuer  la  nomination  de  la  plupart  des 
Syndics  (4). 

(1)  Lettre  du  17  juillet  1664,  Clément,  Lettres,  instructions  et  mémoi- 
res de  Colbert,  II,  p.  428. 

(2)  Lettre  du  24  décembre  1664,  Depping,  op.  cit.,  p.  363  en  note. 

(3)  Lettre  du  10  novembre  1664,  ibid.,  p.  360. 

(4)  Non  point  des  12  syndics  entrés  en  charge  le  5  juin  1664,    qui 


126  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

Celle  froideur  se  comprenail  d'ailleurs,  carie  monopole 
donl  devait  jouir  la  Compagnie  leur  enlevait  une  partie  im- 
portante du  commerce  maritime,  et  sa  prospérité  ne  ferait 
qu'aggraver  leur  propre  ruine  en  encourageant  la  formation 
de  Compagnies  similaires  pour  toutes  les  branches  de  ce 
commerce.  C'est  ainsi  qu'à  Bordeaux  les  difficultés  rencon- 
trées par  la  souscription  furent  très  vives,  et  la  correspon- 
dance adressée  à  Colbert  par  son  agent  principal  dans  celte 
ville,  le  président  de  Ponlac,  nous  fournit  un  exemple  typique 
des  circonstances  qui  marquèrent  cette  curieuse  campagne. 

Le  24  octobre  1664  ce  magistrat  écrivait  au  ministre, 
qu'ayant  appris  le  mécontentement  du  Roi  louchant  l'empres- 
sement mis  par  les  bourgeois  de  Bordeaux  à  souscrire,  il  a 
ouvert  des  pourparlers  avec  le  «  juge  de  la  Bourse  »,  un  des 
plus  considérables  d'entre  eux,  afin  de  persuader  par  son 
entremise  les  négociants  de  cette  ville  «  d'entrer  dans  le 
traité  »  et  celui-ci  a  suggéré  que  si  l'on  accordait  le  droit  de 
bourgeoisie  aux  souscripteurs  de  4  ou  5.000  livres  au  lieu  de 
10. 000,  on  aurait  beaucoup  plus  de  chances  de  succès.  *■  Je  ne 
sais,  ajoute  M.  de  Ponlac,  si  vous  trouverez  sa  proposition  rai- 
sonnable (1).  »  Puis  c'est  aux  jurais  qu'il  s'adresse,  et  il  leur 
transmet  au  sujet  des  privilèges  des  bourgeois  celle  menace 
formelle,  évidemment  suggérée  par  le  ministre  lui-même,  et 
que  nous  avons  signalée  plus  haut.  Mais  il  n'y  avait  pas  que 
les  bourgeois  à  endoctriner,  les  fonctionnaires  royaux  et 

n'étaient  que  provisoires,  mais  de  ceux   qui  devaient   s'adjoindre   aux 
premiers  Directeurs  Généraux. 

(1)  Les  Articles  proposés  au  Roi  accordaient  en  etîel  le  droit  de  bour- 
geoisie aux  souscripteurs  de  6.000  livres,  sauf  à  Paris,  Bordeaux  et 
"Bayonne  où  il  en  fallaii  10.000.  Mais  le  Roi  substitua  à  ces  chilTres 
celui  de  8.000  dans  le  premier  cas,  de  20.000  dans  la  second.  Abstrac- 
tion faite  de  l'erreur  ainsi  faite  par  M.  de  Pontac,  on  voit  que  la  pro- 
position du  juge-consul  n'avait  guère  de  chances  d'être  accueillie. 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  127 

surloul  les  inetubres  des  corps  judiciaires  en  avaient  grand 
besoin.  «  Messieurs  du  Parlement  paraissent  avoir  beaucoup 
d'inclination  pour  l'exécution  des  ordres  de  Sa  Majesté,  écrit 
M.dePonlacle  17  novembre  1664»  ;  il  est  vrai  que  pour  don- 
ner l'exemple  il  a  souscrit  lui-même  6  actions,  et  4  présidents 
en  ont  demandé  chacun  3  :  il  espère  que  les  conseillers  sui- 
vront et  que  le  Roi  sera  satisfait  (1). 

Mais  du  côté  de  la  Cour  des  aides,  il  n'en  va  pas  de  même. 
Certains  de  ses  membres  ont  refusé  de  souscrire  sous  le  pré- 
texte, assez  plausible  il  est  vrai,  qu'ils  étaient  déjà  engagés 
dans  la  Compagnie  des  Indes  Occidentales.  D'autres  ont 
imaginé  de  se  réunir  sous  le  nom  du  procureur  général,  élu- 
dant ainsi  la  condition  imposée  par  les  statuts  de  la  Compa- 
gnie de  ne  pas  souscrire  moins  de  1.000  livres,  et  leur  «  pro- 
cédé »  a  été  imité  aussitôt  par  d'autres  corps  (2).  Enfin 
l'activité  déployée  par  M.  de  Ponlac  vint  en  partie  à  bout  de 
ces  difficultés  ;  le  Parlement  donna  100.000  livres,  les  bour- 
geois pareille  somme,  les  «  officiers  de  la  Chambre  de  l'E- 
dit  »  promirent  de  souscrire  sans  retard.  Il  y  en  eut  bien  qui 
ne  répondirent  point  à  ses  pressants  appels,  mais  il  cher- 
che généreusement  à  les  excuser  :  «  il  y  a  des  charges  va- 
cantes, des  officiers  hors  de  la  province  et  quelques  enfants  de 
famille  qui  n'ont  rien  en  leur  particulier.  Les  autres  qui  pour- 
raient signer  sont  en  fort  petit  nombre  ».  Seuls  «  nos  Mes- 
sieurs des  Aides  »  ont  probablement  persisté  dans  leur  mau- 
vaise volonté,  sans  doute  aussi  il  dut  leur  en  cuire  quelque 
peu  I  La  souscription  revêtit  à  peu  près  dans  toute  la  France 
les  mêmes  caractères  qu'à  Bordeaux,  à  part  quelques  ex- 
ceptions, et  les  correspondants  de  Colberl  nous  en  four- 
nissent de  nombreux  témoignages.  A  Lyon,  la  grande  cité 

(1)  Ibid.,  p.  360. 

(2)  Lettre  du  28  novembre  1664,  ibid.,  p.  361.. 


128  DEUXIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE    PREMIER 

industrielle,  une  certaine  opposition  se  tit  aussi  sentir,  éga- 
lement compréhensible  d'ailleurs,  car  si  le  commerce  de  la 
future  Compagnie  pouvait  fournir  à  ses  métiers  la  soie 
dont  ils  avaient  besoin,  l'importation  des  soieries  d'Orient 
devait  faire  aux  siennes  une  concurrence  redoutable.  Mais 
Lyon  était  riche  et  Colbert  tenait  au  concours  de  ses  bour- 
geois, qui,  conscients  de  leur  importance,  posèrent  nettement 
leurs  conditions.  «  Nous  avons  si  bien  fait,  écrit  en  effet  au 
ministre  l'archevéque-gouverneur ,  M.  de  Villeroy,  que  je 
puis  vous  assurer  d'un  million,  à  condition  qu'il  y  aura  ici 
une  Chambre  Particulière,  ainsi  qu'elle  a  été  promise  parla 
Compagnie  de  Paris  à  notre  prévôt  des  marchands  ;  sans 
quoi  peu  de  négociants  s'y  seraient  engagés  (1).  »  Il  fallut 
donc  donner  aux  marchands  de  Lyon  l'assurance  que  leurs 
intérêts  seraient  sauvegardés;  confiants  dans  celte  pro- 
messe ,  ils  menèrent  vivement  la  souscription  ,  exemple 
malheureusement  unique,  et  le  26  décembre  le  prévôt  des 
marchands,  Charrier,  écrivait  à  Colbert  :  «  Le  premier  paye- 
ment sera  prêt  quand  vous  l'ordonnerez  et  déjà  il  serait  fort 
avancé,  s'il  n'était  porté  en  termes  formels  par  la  Déclaration 
que  nous  nommerons  notre  caissier  après  que  la  Chambre 
Générale  aura  été  établie...  mais  du  moment  que  cette  Cham- 
bre sera  établie,  el  la  nôtre  réglée,  il  n'y  a  rien  en  France  de 
plus  comptant  que  nos  deniers  et  payables  dans  quelle  place 
de  l'Europe  que  vous  l'ordonnerez...  ;  mais  il  faut,  s'il  vous 
plaît,  que  Messieurs  de  Paris  tiennent  ce  qu'ils  ont  promis  et 
qu'ils  demeurent  persuadés  de  celle  vérité,  que  sans  le  se- 
cours de  l'industrie  et  de  l'intelligence  des  marchands  de 
celle  ville  ce  grand  et  merveilleux  dessein  ne  saurait  réus- 
sir... (2).  »  Fier  langage  qui  ne  dut  point  mécontenter  le  mi- 

(1)  Lettre  du  28  novembre  1664,  ibid.,  p.  305. 

(2)  Lettre  du  26  décembre  1664,  ibid.,  p.  376. 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  129 

nislre  trop  désireux  d'établir  partout  en  France  des  négo- 
ciants de  cette  espèce  ! 

En  Bretagne  la  souscription  rencontra  également  de  sé- 
rieux obstacles  et  se  heurta  même,  semble-t-il,  à  une  vérita- 
ble coalition  des  fonctionnaires  royaux  (1).  A  Rouen  qui 
avait  vu  naitre  la  Compagnie  des  Moluques,  Fermanel,  un 
de  ces  correspondants  de  Colbert  qui  étaient  pour  lui  de 
précieux  auxiliaires,  signale  les  mêmes  lenteurs,  les  mêmes 
hésitations:  «  Les  sommes  que  les  marchands  de  cette  ville 
ont  signées,  dit-il,  ne  sont  pas  si  fortes  que  vous  l'avez  dé- 
siré... ;  ce  n'a  pas  été  manque  de  leur  avoir  fait  connaître  les 
avantages...;  mais  ils  ont  peine  à  mettre  de  grosses  sommes 
en  des  entreprises  desquelles  ils  ne  peuvent  espérer  de  profit 
que  dans  trois  ou  quatre  années,  pouvant  d'autre  côté  pla- 
cer leurs  deniers  en  des  emplois  qui  leur  en  peuvent  donner 
en  peu  de  temps  et  le  renouveler  souvent....  ;  je  ne  me  suis 
pas  contenté  dans  les  assemblées  d'exciter,  autant  que  j'ai 
pu,  que  l'on  signât  selon  ses  forces  ;  j'ai  été  même  dans  les 
maisons  des  uns  et  des  autres  les  en  solliciter  :  quelques- 
uns  s'y  sont  rendus (2)  » 

Si  les  régions  maritimes  et  industrielles  montrèrent  si  peu 
d'enthousiasme,  on  devine  ce  qu'il  en  dut  être  dans  les  pro- 
vinces du  centre,  étrangères  aux  mêmes  intérêts  et  moins  ri- 
ches que  les  premières.  Aussi, nulle  part  la  pression  officielle 
ne  paraît  avoir  été  exercée  avec  plus  de  vigueur,  soulevant 
d'ailleurs  d'énergiques  protestations.  C'est  ainsi  que  l'inten- 
dant de  la  province  d'Auvergne,  le  sieur  de  Forlia,  semble 

(1)  Lettre  anonyme,  1664,  ibid.,  p.  374, 

(2)  Lettre  du  23  janvier  1665,  ibid.,  p.  382  .Fermanel  conduisit  une 
véritable  campagne  de  propagande  dans  tout  le  nord-ouest  de  la  France  : 
à  Dieppe,  à  Saint-Malo,  à  Nantes.  Il  se  servit  e'galement  de  son  in- 
fluence auprès  des  négociants  hollandais,  pour  recruter  parmi  eux  des 
intéressés  pour  la  nouvelle  Compagnie.—  Cf.  Saint-Yves  et  Chavanon, 

Revue  des  Questions  Historique!^,  ocl.  1903. 

W.  —  9 


130  DEUXIÈME   TAHTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

avoir  pris  tellement  à  cœur  l'exécution  des  ordres  qu'il  avait 
reçus  de  Colberl,  qu'il  dépassa  de  beaucoup  la  mesure  per- 
mise. 

«  J'ai  tiré  des  compagnies  de  cette  province,  écrivait-il,  des 
soumissions  de  faire  délivrer  le  tiers  des  sommes  qu'elles 
ont  mises  dans  la  Compagnie...,  et  j'ai  engagé  le  présidial  de 
Glermonl  d'y  prendre  part  pour  6.000  livres,  celui  de  Hiom 
pour  7.000  livres,  la  ville  de  Clermont  pour  12.000  livres, 
celle  de  Uiom  pour  3.000  livres.  J'ai  même  obligé  les  rece- 
veurs des  tailles  de  faire  entre  eux  une  somme...:  en  sorte 
que  je  n'oublie  rien  pour  persuader  à  tout  le  monde  l'avanta- 
ge qu'on  en  recevra...  (1)  »  Malheureusement  les  moyens  de 
persuasion  employés  par  cet  intendant  énergique  ne  furent 
point  du  goût  de  ses  administrés  qui  s'en  plaignirent  à  Col- 
bert  :  «  Je  suis  assuré,  dit  l'un  d'eux,  que  le  Roi  ni  son 
Conseil  n'entend  point  qu'il  exerce  dans  ce  pays  toutes  les 
violences  et  les  menaces  qu'il  met  en  pratique  pour  la  contri- 
bution du  commerce  des  Indes,  où  l'on  sait  que  Sa  Majesté 
veut  que  la  liberté  soit  entière.  Notre  intendant  ne  l'entend 
pas  ainsi,  carne  se  contentant  pas  de  ce  que  les  compagnies 
ont  voulu  donner  de  gré...,  il  est  revenu  à  la  charge,  disant 
qu'il  avait  vos  ordres  pour  les  obliger  à  faire  plus.  11  s'est 
servi  du  même  prétexte  pour  y  contraindre  les  villes  et, 
sans  considérer  leur  pouvoir,  les  a  mises  dans  l'impossibilité 
de  payer,  à  moins  d'y  employer  le  ministère  des  dragons, 
comme  il  commence  de  faire  ;  il  a  obligé  les  particuliers  de 
venir  dans  sa  maison,  où  étant  allés  à  la  bonne  foi,  il  les  a 
contraints  de  signer  pour  le  commerce  pour  ce  qu'il  a  voulu, 
et  à  ceux  qui  s'en  voulaient  défendre,  il  leur  a  dit  qu'ils  ne  sor- 
tiraient pas  de  chez  lui  qu'ils  ne  se  fussent  engagés  ;  de  sorte 

(1)  Lettre  du  23  décembre  1664,  ihid.,  p.  372. 


CRÉATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES   ORIENTALES  131 

qu'une  parlie  de  celte  province  est  au  désespoir  de  voir  au 
milieu  de  la  paix...  exercer  des  violences  qui  ne  se  sonljamais 
pratiquées  que  dans  le  plus  fort  de  la  guerre  (1).  »  Golbert 
dut  intervenir  pour  calmer  le  fougueux  intérêt  que  ce  fonc- 
tionnaire témoignait  ainsi  avoir  pour  la  nouvelle  Compagnie  ! 

Les  parents  que  Colbert  avait  placés  dans  les  différentes 
parties  de  son  administration,  en  homme  qui  n'oublie  pas  les 
intérêts  de  sa  famille  à  côté  de  ceux  du  royaume,  furent 
naturellement  parmi  ses  agents  les  plus  zélés  en  celte  cir- 
constance. L'un  d'eux,  maître  des  requêtes  à  Poitiers,  écrit 
qu'il  a  refusé  l'offre  du  Présidial  et  du  Bureau  des  Trésoriers 
de  France  de  souscrire  6.000  livres  chacun,  et  déclaré  qu'il 
n'accepterait  que  20.000.  Il  espère  également  que  la  Maison 
de  Ville  donnera  15.000  livres  et  les  officiers  de  l'Election 
20.000.  Enfin  l'intendant  consent  à  souscrire  les  12.000  livres 
pour  lesquelles  il  l'a  taxé  I  Avec  ce  magistrat  les  affaires  ne 
languissent  point  et  il  ne  regarde  pas  aux  chiffres  ! 

Cela  ne  réussit  pas  partout  et  l'on  se  heurta  parfois  à  des 
refus  très  nets.  Ainsi  le  président  de  la  Chambre  des  Comptes 
de  Navarre  pria  Colbert  d'agréer  les  excuses  très  respec- 
tueuses de  cette  assemblée  f  qui  ne  pouvait  souscrire  à 
cause  de  la  pauvreté  de  ses  membres  »  (2). 

Nous  ne  pouvons  suivre  dans  toute  la  France  les  incidents, 
fort  amusants  parfois,  de  celle  remarquable  campagne  de 
Colbert.  Les  exemples  que  nous  avons  choisis  permettront, 
croyons-nous,  d'en  apprécier  le  caractère.  En  somme  le  pu- 
blic ne  répondit  point  comme  on  l'avait  espéré  à  l'appel  de 
la  Compagnie  ;  la  pression  officielle  réussit  néanmoins  à  ob- 
tenir de  force  une  parlie  du  capital  dont  elle  avait  besoin  (3). 

(1)  Lettre  du  16  décembre  1664,  ibid.,  p.  372. 

(2)  Lettre  du  11  février  1665.  —  V.   Depping,  op.  cit.,  p.  382. 
(3)Gliarpenlierdanssafte/ation,quine  vaque  jusqu'en  avril  1665, donne 


132  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

N'en  jugeons  pas  trop  sévèrement  les  procédés  ;  sans  doute 
Colberl  crut  pouvoir  forcer  la  main  aux  capitalistes  ses  con- 
temporains, du  moins  le  faisait-il  pour  l'intérêt  général  et 
incontestable  de  la  nation  entière. 

Ja  liste  de  souscription  suivante  :  M.  le  prince  de  Condé  30.000  livres, 
M.  le  prince  de  Conti  20.000,  la  Cour  2  millions,  les  cours  souve- 
raines 12.000  livres, les  corps  des  marchands  650.000  livres  (dont  le  corps 
de  la  mercerie  520.000  livres),  les  officiers  de  finance  2  millions,  Lyon 
1  million, Rouen  550.000  livres,  Bordeaux  400.000  livres,  Tours  150.000 
livres,  Nantes  200.000  livres,  Saint-Malo  100.000  livres.  Rennes  100.000 
livres,  Toulouse  120.000  livres,  Grenoble  113.000  livres,  Dijon  100.000 
livres,  etc. 


CHAPITRE  II 


LA  COMPAGNIE   DES  INDES  ORIENTALES  A  MADAGASCAR. 


Premières  opérations  de  la  Compagnie,  —  Etablissement  des  relations 
avec  Madagascar.  —  Expédition  de  M.  de  Beausse  (1665).  —  Ex- 
pédition de  M,  de  Mondevergue  (1666).  —  Les  premiers  pas  dans  la 
péninsule  hindoue.  —  François  Caron,  Son  plan.  —  Premières  diffi- 
cultés :  l'affaire  Mondevergue,  l'affaire  Marcara.  —  Colbert  recherche 
l'appui  des  nations  étrangères  contre  les  Hollandais. 


Dès  les  premières  semaines  de  son  existence,la  Compagnie, 
conseillée  par  Colbert,  se  préoccupa  d'assurer  sa  situation 
commerciale  en  Asie  en  ouvrant  avec  les  souverains  des  di- 
verses contrées,  où  elle  prétendait  trafiquer,  des  négociations 
qui  aboutiraient  à  de  véritables  traités  de  commerce.  Dans  ce 
but,  l'on  fit  choix  d'un  certain  nombre  d'ambassadeurs  :  ce 
furent  MM.  de  Lalain,  gentilhomme  ordinaire  de  la  maison 
du  roi,  et  Mariage,  négociant  rouennais  qui  avait  fait  un 
séjour  de  sept  ans  en  Arabie  ;  tous  deux  furent  envoyés  à  la 
Cour  du  Shah  de  Perse,  le  premier  au  nom  du  Roi,  le  second 
en  celui  delà  Compagnie.  D'autre  part,  MM.  de  la  BouUaye 
le  Gouz,  gentilhomme  angevin,  Bébert  et  Dupont,  négociants , 
partirent  pour  l'Inde  par  la  mer  Rouge,  se  rendant  auprès 
du  Grand-Mogol  et  de  là  chez  les  différents  petits  potentats 
hindous  auprès  de  qui  le  premier  devait  également  représen- 
ter le  Roi,  les  autres  la  Compagnie,  et  ces  deux  ambassades 
partirent  dans  les  premiers  jours  d'octobre  1664  (1). 

(1)  Nous  devons  ajouter  qu'elles  eurent  assez  peu  de  résultats.  De 


134  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE   II 

Grâce  à  l'active  campagne  dont  nous  avons  retracé  les 
circonstances  plus  liaut,  la  Compagnie  reçut  pendant  ce 
temps  un  nombre  assez  considérable  de  souscriptions  pour 
autoriser  l'espoir  que  des  ressources  suffisantes  alimente- 
raient son  commerce  ;  malheureusement  l'argent  lui-même 
rentra  beaucoup  plus  lentement  dans  sa  caisse,  et  il  impor- 
tait cependant  de  préparer  le  premier  armement.  Le  Uoi,  en 
montrant  l'exemple  de  l'exaclilude,  tira  les  Syndics  d'embar- 
ras :  on  en  commença  aussitôt  les  préparatifs. 

Le  temps  manquait  pour  faire  construire  les  navires  qui 
devaient  le  composer  ;  après  quelques  discussions, on  négocia 
dans  différents  ports  de  France:  à  Sainl-Malo,  au  Havre,  à  la 
Rochelle,  l'achat  de  quatre  bâtiments,  dont  trois  entre  300  et 
400  tonneaux  et  le  dernier  de  70  à  80  :  le  Saint-Paul,  le  Tau- 
reau, la  Vierge-de-Bon-Port  et  V Aigle-Blanc,  et  l'on  s'occupa 
de  rassembler  les  premiers  éléments  de  la  colonie  que  cette 
flotte  devait  emporter  à  Madagascar,  qui  devait,  quels  que 
fussent  les  accroissements  ultérieurs  du  commerce  de  la 

Lalain  ne  parvint  point  à  Ispahaii,  résidence  du  Shah,  mais  son  collègue 
Mariage  plus  heureux  rempHt  leur  commune  mission  ;  il  trouva  d'ail- 
leurs auprès  du  souverain  un  Français,  le  joaillier  Chardin,  qui  l'aida 
de  son  crédit.  Mariage  resta  quatre  années  à  Ispahan,  puis  il  pagna 
Bassora,  d'où  les  deux  premiers  navires  envoyés  par  Caron  dans  celle 
contrée  :  la  Marie  et  la  Force,  le  ramenèrent  à  Surat  en  1669.  Le 
marchand  Dupont  qui  faisait  partie  de  la  seconde  ambassade  mourut 
en  route  comme  de  Lalain  ;  la  Boullaye  le  Gouz  et  Béber  atteignirent 
sans  obstacle  Surat,  où  les  voyageurs  français  Thévenot  et  Tavernier 
et  le  supérieur  des  Capucins,  le  père  dePrémilly,  les  accueillirent  avec 
joie.  Ils  se  rendirent  de  là  à  Agra,  séjour  du  Mogol,  où  un  autre  de  nos 
compatriotes,  Jacques  de  Palissy,  médecin  de  l'Empereur,  leur  obtint 
une  audience  d'Aureng-Zeb,  Le  Mogol  leur  fit  répondre  qu'il  attendrait 
pour  s'allier  au  roi  de  France  l'arrivée  de  l'escadre  et  des  présents  que 
sa  lettre  lui  annonçait.  Réber  rentra  à  Surat  ;  La  Roullaye,  continuant 
seul  la  mission,  se  rendit  auprès  du  Soubah  du  Bengale,  mais  il  fut 
assassiné  en  cbemin . 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    OIUENTALES    A    MADAGASCAR  135 

Compagnie,  en  rester  le  centre  et  l'enlrepôl.  Des  affiches 
furent  placardées  dans  Paris,  énumérant  les  privilèges  que 
le  Roi  consentait  aux  artisans  qui  consentiraient  à  s'y  établir, 
et  les  conditions  d'existence  que  leur  assurait  la  Compagnie. 
Beaucoup  se  laissèrent  allécher,  paraît-il,  et  se  présentèrent 
à  la  «  maison  i>  de  la  Compagnie  qui  put  ainsi  faire  un  choix 
parmi  eux. 

On  recruta  en  même  temps  des  marins  et  des  soldats, 
des  officiers  de  mer  et  de  troupes  et  l'on  prit  la  précaution 
en  engageant  les  capitaines  des  navires  d'exiger  d'eux  la 
promesse  de  ne  rien  transporter  pour  leur  compte  ni  pour 
celui  d'aulrui  à  leur  bord  et  de  ne  faire  le  commerce  qu'au 
profit  de  la  Compagnie.  L'expédition  devait  emmener  une 
partie  des  autorités  de  l'île,  où  un  Conseil  Souverain  devait 
être  en  effet  institué  à  l'imitation  de  la  Compagnie  hollan- 
daise ;  on  en  remit  cependant  le  choix,  ainsi  que  celui  du 
gouverneur,  au  second  convoi  et  le  premier  ne  dut  emporter 
qu'un  Conseil  Particulier  qui  siégerait  provisoirement,  et  se 
composerait  de  sept  membres  et  d'un  secrétaire.  La  prési- 
dence en  fut  donnée  à  l'un  des  principaux  intéressés  de  la 
Compagnie  d'Orient,  M.  de  Beausse,  frère  utérin  d'Etienne  de 
Flacourt,  qui  lors  de  la  création  du  Conseil  Souverain  devait 
y  prendre  le  siège  de  premier  conseiller;  on  désigna  pour 
l'assister  M.  de  Montaubon,  conseiller  au  présidial  d'Angers 
qui  reçut  une  commission  déjuge  civil  et  criminel  ;  enfin 
les  autres  membres  devaient  être  le  commandant  d'armes  de 
l'île  et  quatre  marchands.  Or  l'autorité  militaire  était  encore 
exercée  à  Fort-Dauphin  par  M.  de  Champmargou  qui  avait 
reçu  sa  commission  du  maréchal  de  la  Meilleraye  ;  les  Syn- 
dics décidèrent  de  lui  conserver  ces  fonctions  et  le  duc  de 
Mazarin  lui  écrivit  sur  leur  demande,  et  en  qualité  d'héritier 
du  maréchal,  pour  l'engager  à  continuer  ses  services  à  la 


436  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

nouvelle  Compagnie.  Enfin  une  sorte  de  consliluUon,  prépa- 
rée par  les  Syndics  et  approuvée  par  Colberl,  fui  octroyée  à 
la  colonie  en  vertu  des  droits  que  possédait  la  Compagnie, 
et  le  maintien  en  fut  confié  aux  soins  de  ce  Conseil. 

Ces  diverses  occupations  prirent  tout  le  temps  qui  précéda 
le  départ  de  l'expédition  ;  malgré  la  hâte  que  l'on  y  mit, 
celle-ci  subit  même  un  certain  relard.  On  avait  envoyé  les 
ordres  nécessaires  pour  que  les  quatre  navires  prissent  la 
route  de  Brest  où  ils  devaient  être  réunis,  mais  le  mauvais 
temps  les  retint  ;  enfin,  au  commencement  de  mars  1665,  on 
put  mettre  la  dernière  main  aux  préparatifs  ;  un  assortiment 
très  complet  fut  embarqué  pour  approvisionner  les  maga- 
sins de  Fort-Dauphin  en  outils,  armes,  vaisselle,  étoffes,  etc. 
Le  Syndic  Cadeau  surveillait  lui-même  cette  opération.  Sur 
ces  quatre  bâtiments  était  réparti  un  effectif  de  550  hommes, 
dont  400  passagers  de  tous  les  corps  de  métier  :  maçons, 
charpentiers,  forgerons,  laboureurs,  etc.  (1). 

Enfin,  le  7  mars  1665,  l'armement  étant  complètement 
achevé,  la  flotte  appareilla.  Souchu  de  Rennefort  nous  a  laissé 
de  ce  premier  voyage  un  récit  circonstancié.  L'enthousiasme 
du  départ  disparut,  dit-il,  fort  vite  :  «  quelques  officiers  des 
autres  vaisseaux  rendirent  visite  à  l'Aniiral,  où  par  la  bonne 
chère  et  le  grand  bruit  des  canonnades,  on  tâcha  de  s'ani- 
mer à  la  fameuse  expédition  des  Indes  Orientales  !  (2)  »  La 


(1)  Au  dernier  moment  une  partie  des  passagers  Hrent  défection  ;  il 
n'en  partit  que  280;  c'était  fâcheux  pour  un  début:  le  souvenir  de  l'aban- 
don de  Fiacourt  et  de  ses  compagnons  n'y  fut  peut-être  pas  étranger. 

(2)  Souchu  de  Rennefort,  Relation  du  premier  voyage  à  Madagascar, 
Paris,  1668.  —  Souchu  de  Rennefort,  ancien  trésorier  des  gardes  du  Roi, 
fut  nommé  secrétaire  du  Conseil  Particulier  de  l'île  Dauphine.  Il  publia 
encore  en  1688  une  Histoire  des  Indes  Orientales,  où  figura  cette  même 
relation  augmentée  de  considérations  sur  l'île  et  sur  la  Compagnie. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    A    MADAGASCAR  137 

mésintelligence  se  mit  dès  le  début  dans  le  personnel:  de 
Beausse,  sottement  froissé  de  ce  que  la  Compagnie  lui  eût 
adjoint  des  marchands  dans  le  Conseil,  profita  de  ce  que  son 
navire  était  plus  fin  voilier,  pour  abandonner  les  trois  autres 
et  faire  roule  directement  sur  Fort-Dauphin.  Cette  conduite 
ne  lui  porta  pas  bonheur,  car  on  l'y  débarqua  fort  malade  ; 
l'accueil  fait  aux  envoyés  de  la  nouvelle  Compagnie  par  les 
colons  ne  fut  pas  d'ailleurs  des  plus  chauds.  Champmargou 
exigea  qu'on  lui  donnât  un  otage,  pour  envoyer  un  de  ses 
officiers  auprès  de  de  Beausse,  puis  il  accepta  de  livrer  le  fort, 
comme  le  lui  mandait  le  duc  de  Mazarin,  mais  remit  à  plus 
lard  sa  décision  sur  les  offres  que  lui  faisait  tenir  la  Compa- 
gnie. Le  20  août  apparurent  le  Taureau  et  la  Vierge-de-Bon- 
Port,  et  le  3  novembre  seulement  V Aigle-Blanc  mouilla  à  Fort- 
Dauphin.  Le  personnel  qui  devait  présider  à  l'installation  de 
la  Compagnie  était  ainsi  au  complet,  rien  cependant  ne  fut 
organisé  ;  de  Beausse  de  plus  en  plus  affaibli  par  la  maladie 
refusa  de  réunir  le  Conseil  sous  le  prétexte  de  son  état  de 
santé.  «  Il  est  doux,  observe  Souchu  de  Renneforl,  de  com- 
mander seul,  et  depuis  qu'une  fois  on  s'y  est  accoutumé,  il 
est  difficile  d'en  quitter  l'habitude  !  » 

La  seule  partie  de  sa  mission  qu'il  consentit  à  remplir  fut 
l'envoi  du  Saint-Paul  dans  l'Inde  avec  le  marchand  Houdry 
qui  devait  d'abord  toucher  à  Socotora,  puis  parcourir  le  golfe 
Persique.  Il  mourut  peu  de  temps  après,  en  remettant  à 
M.  de  Monlaubon  le  soin  de  le  remplacer.  La  suite  de  celte 
première  expédition  fut  des  plus  mallieureuses  :  le  Saint- 
Paul  partit  bien,  mais  Houdry  ne  s'entendit  point  avec  le 
capitaine  Véron  et  l'on  n'alla  pas  plus  loin  que  la  baie 
d'Antongil  (1).  Le  Taureau  se  mit  à  la  côte  et  son  capitaine, 

(i)  Véron,  Houdry  et  tout  i'élal-major  de  ce  navire  moururent  ail- 


138  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

Kerkadiou,  mourut.  On  réunit  cependant  les  éléments  d'une 
cargaison  que  la  Vierge-de-Bon-Port  devait  rapporter  en  Eu- 
rope :  du  cuir,  de  l'ébène,  de  l'aloès,  du  poivre,  de  l'ambre 
gris,  du  tabac  et  même  de  l'or.  Le  12  février  166fi,  un  navire 
apparut  :  c'était  le  Saint-Louis  qui  était  parti  du  Havre  en 
juillet  précédent  ;  on  apprit  par  lui  la  nomination  des  Direc- 
teurs Généraux.  Puis  la  Vierge-de-Bon-Porl  fit  voile  pour  la 
France  ;  Souchu  de  Rennefort,  dégoûté  des  fonctions  colo- 
niales, avait  obtenu  de  partir:  mal  lui  en  prit.  Quand  on  arriva 
dans  les  mers  d'Europe  vers  la  fin  de  l'été  1666,  l'appui  donné 
par  la  France  à  la  Hollande  dans  la  guerre  qu'elle  soutenait 
alors  contre  l'Angleterre  avait  naturellement  amené  des  hos- 
tilités de  celle-ci  contre  nous,  et  la  Vierge-de-Bon-Port,  atta- 
quée par  une  frégate  anglaise  (1),  fut  coulée  par  elle  après 
une  glorieuse  résistance,  avec  sa  cargaison  et  120  hommes  de 
son  équipage  !  Notre  historien,  échappé  par  miracle  à  ce  dé- 
sastre, fut  emmené  prisonnier  à  l'île  de  Wight. 

Pendant  ces  événements,  la  Compagnie  poursuivait  régu- 
lièrement son  organisation  en  France.  Colbert  prenait  tou- 
jours une  part  active  à  celte  œuvre,  et  depuis  le  départ  de 
la  première  flotte,  il  venait  assister  aux  séances  des  Syndics 
et  intervenait  dans  leurs  délibérations.  On  était  en  relard 
déjà  pour  la  conslitution  du  capital,  car  le  tiers  en  eût  dû 
èlre  recouvré  avant  le  premier  armement,  et  celui-ci  parti, 
celte  somme  n'était  pas  encore  à  beaucoup  près  réalisée  ; 
cependant  le  total  des  souscriptions  montait  alors  à  11  mil- 
lions de  livres.  Le  retard  n'existait  point  là  seulement,  car 
aux  termes  des  statuts  on  eût  dû  élire  la  Direction  Générale 
quatre  mois  au  plus  lard  après  l'enregistrement  des  lettres 

leurs  de  maladie  et  le  Saint-Paul  regagna  Forl-Daiipliiii.  puis  la  France 
sous  le  commandement  de  son  premier  pilote  et  à  vide. 
(1)  Dans  les  parages  de  l'île  de  Guernesey. 


LA    COMPAGNIE    DES    IXDES    ORIENTALES    A    MADAGASCAR  139 

patentes,  c'est-à-dire  au  début  de  janvier  1665.  Colberl  crut 
devoir  le  rappeler  aux  Syndics  et  l'élection  fut  fixée  au 
20  mars  ;  le  Roi  mil  ses  appartements  du  Louvre  à  leur  dis- 
position pour  donner  à  cet  acte  plus  de  solennité,  et  promit 
même  d'y  assister.  Au  jour  fixé,  tous  les  actionnaires  qui 
jouissaient  de  l'électoral,  c'est-à-dire  les  lilulaires  de  six  ac- 
tions, se  trouvèrent  réunis  (1)  :  il  y  avait  là  des  princes  du 
sang,  des  maréchaux  de  France,  des  ducs,  des  officiers  de 
la  Couronne,  des  membres  des  cours  souveraines  et  de  sim- 
ples négociants  ;  les  Syndics  et  les  députés  des  villes  de 
province  qui  se  trouvaient  à  Paris  avaient  été  aussi  mandés. 
Le  Roi  assista  effectivement  à  la  séance  ;  le  chancelier  Sé- 
guier  porta  la  parole  au  nom  du  souverain  :  il  fit  l'éloge  du 
commerce,  montra  l'intérêt  que  le  Roi  prenait  à  celle  entre- 
prise et  les  encouragements  qu'il  promettait  pour  l'avenir. 
II  ajouta  que  la  Déclaration  d'août  1664  avait  consacré  la 
proposition  faite  par  les  négociants  de  ne  composer  la  Di- 
rection Générale  que  de  commerçants  à  quelques  exceptions 
près,  mais  que  depuis  lors  les  souscriptions  avaient  montré 
que  le  commerce  s'était  bien  moins  intéressé  dans  la  Com- 
pagnie que  les  autres  corps  de  l'Etat,  et  qu'il  convenait  de 
donner  à  ceux-ci  une  place  plus  grande  dans  la  direction  de 
la  Compagnie.  Le  Roi  souhailait  donc  qu'on  nommât  Colberl 
Directeur  pour  le  Roi  et  la  Cour  et  président  perpétuel  de  la 
Chambre  Générale,  et  le  prévôt  des  marchands  vice-président, 
pour  le  suppléer  en  cas  d'absence  ;  pour  le  reste,  il  se  fiait 
à  la  sagesse  des  actionnaires  qui  devraient  seulement  ré- 
server neuf  places  de  Directeurs  à  des  commerçants  en  exer- 
cice. Les  élections  se  firent  conformément  à  ces  indications, 
et  furent  approuvées  par  le  Roi. 

(1)  Charpentier,  op.  cit. 


140  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

Le  premier  soin  des  Directeurs  Généraux  fut  de  demander 
au  Roi  la  prorogation  pour  six  nouveaux  mois  du  délai  de 
réception  des  souscriptions,  lequel  était  écoulé  depuis  le 
V  mars,  ce  qui  leur  fut  accordé,  ils  s'occupèrent  ensuite  du 
choix  d'un  gouverneur  pour  Madagascar;  à  ce  propos  des 
discussions  s'élevèrent  :  convenait-il  que  la  Compagnie  le 
choisît  elle-même  ou  en  demanderait-on  au  Hoi  la  désigna- 
tion? Cette  dernière  solution  fut  adoptée,  car  il  fallait  «  un 
homme  de  naissance  »  et  qui  eût  fait  ses  preuves  dans  des 
commandements  importants.  De  plus,  le  choix  royal  donne- 
rait à  celui  sur  qui  il  tomberait  une  autorité  morale  plus 
grande  que  celui  de  la  Compagnie.  On  adressa  donc  une  re- 
quête au  Roi  qui,  quelque  temps  après,  fit  présenter  par  Col- 
berl  aux  Directeurs  le  marquis  de  Mondevergue(l).  11  ajouta 
que  Sa  Majesté  n'aurait  pu  faire  un  meilleur  choix,  et  que  la 
Compagnie  en  tirerait  toute  satisfaction. 

On  songea  ensuite,  chose  moins  importante,  à  donner  un 
nom  nouveau  à  l'ile  elle-même.  Les  Portugais  l'avaient  ap- 
pelée Saint-Laurent,  on  résolut  de  lui  donner  le  nom  d'île 
Dauphine  en  l'honneur  du  Grand-Dauphin,  héritier  du  Irône 
de  France  (2)  :  c'était  une  flatterie  de  courtisans,  en  même 
temps  qu'un  hommage  reconnaissant  de  l'intérêt  que  le  Roi 


(1)  François  Lopis,  marquis  de  Mondevergue,  baron  de  Barlu,  capi- 
taine au  régiment  de  Magalotli,  lieutenant-colonel  des  dragons  du 
cardinal  Mazarin,  était  un  protégé  de  ce  dernier.  Il  reçut  le  17  octobre 
1665  la  commission  de  gouverneur  des  îles  Dauphine  et  Bourbon. 

(2)  Cette  nouvelle  dénomination  fut  consacrée  par  une  Déclaration  du 
l*""  juillet  1665.  Le  Grand  Dauphin,  l'unique  (ils  légitime  de  Louis  XIV, 
mourut  en  1711.  Nous  devons  noter  qu'au  xviu»  siècle  un  certain  nom- 
bre d'auteurs  taisaient  remonter  plus  haut  l'origine  de  ce  nom  et  lui 
attribuaient  comme  parrain  Louis  XIII  encore  Dauphin,  c'est-à-dire 
avant  1610  :  cette  opinion  est  citée  par  Demis  d'après  le  Dictionnaire 
de  Trévoux  notamment. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    A    MADAGASCAR  141 

portait  à  l'œuvre  de  la  Compagnie  ;  le  nom,  malheureuse- 
ment, n'allait  pas  être  employé  bien  longtemps. 

Ces  occupations  ne  faisaient  pas  négliger  cependant  la 
préparation  immédiate  de  la  seconde  expédition  :  elle  devait 
comprendre  onze  bâtiments,  dont  les  uns  furent  achetés  en 
France  et  en  Hollande,  les  autres  construits  dans  ce  dernier 
pays  ;  le  Roi  promit  de  son  côté  une  escorte  de  quatre  bâti- 
ments de  guerre.  Le  choix  de  Brest  avait  causé  trop  de  désa- 
gréments lors  du  premier  départ,  pour  qu'on  le  renouvelât 
et  celle  flotte  reçut  l'ordre  de  se  réunir  dans  la  «  Rivière  de 
Charente  ».  Elle  devait  emmener  une  véritable  population  de 
1,688  hommes,  le  gouverneur  Mondevergue,  les  deux  Direc- 
teurs Caron  et  de  Paye  et  les  membres  du  Conseil  Souverain. 
Colbert  prit  à  son  organisation  un  intérêt  considérable^  et 
les  retards  qu'elle  subit  comme  la  première  lui  causèrent 
de  visibles  soucis. 

Mondevergue  et  les  Directeurs  ne  s'entendaient  déjà  plus 
et  le  ministre  inquiet  mandait  à  son  cousin  Colbert  de  Ter- 
ron,  intendant  à  Rochefort,  pour  l'engager  à  les  mettre  d'ac- 
cord :  «  Au  nom  de  Dieu  ne  vous  rebutez  pas  de  concilier  les 
esprits  de  M.  de  Mondevergue  et  des  Directeurs  de  la  Com- 
pagnie des  Indes  Orientales.  Les  gens  de  Paris  sont  gens 
rustres  et  de  difficile  ménagement  ;  je  ne  saurais  trop  vous 
louer  que  vous  agissiez  à  cet  égard,  comme  s'ils  se  compor- 
taient eux-mêmes  ainsi  qu'ils  le  devraient  (1).  » 

De  graves  circonstances  motivaient  par  ailleurs  cette  solli- 
citude :  la  Hollande  et  l'Angleterre  étaient  alors  en  guerre, 
ainsi  qu'on  l'a  vu  plus  haut,  et  le  gouvernement  royal,  en- 
core fidèle  à  la  politique  traditionnelle  qu'il  allait  bientôt 
abandonner,  s'était  prononcé  quoiqu'à  contre-cœur  en  faveur 

(1)  Lettre  du  11  janvier  1666.  Cle'menl,  Lettres,  inslniclions  et  mé- 
moires de  Colbert. 


142  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

des  Provinces-Unies  :  celle  atlilude  rendait  imminenles  des 
hoslililés  ouvertes  de  la  part  de  l'Angleterre.  Aussi  Colbert 
était-il  anxieux  de  voir  sa  flotte  assez  loin  pour  échapper  aux 
croisières  ennemies  (1).  «  Dieu  veuille,  s'écriait-il,  que  par 
les  premières  nouvelles  j'apprenne  qu'elle  a  levé  les  ancres 
et  qu'elle  a  bon  vent  (2).  »  Enfin  le  14  mars  16G6  elle  appa- 
reilla, accompagnée  des  quatre  vaisseaux  de  guerre  qui  l'es- 
cortèrent «  hors  des  Caps». 

Cette  seconde  expédition  fut  poursuivie  par  la  mauvaise 
fortune  autant  que  la  première.  Elle  séjourna  fort  longtemps 
dans  les  eaux  du  Brésil,  épuisant  ses  provisions  et  perdant  un 
temps  précieux.  Enfin  on  reprit  la  route  du  Cap  et  après  une 
année  entière  de  retard,  on  atteignit  Madagascar  avec  un  per- 
sonnel accablé  parles  maladies,  les  fatigues  et  les  privations 
d'une  interminable  traverséel  On  trouva  Fort-Dauphin  en  une 
situation  assez  misérable,  tout  y  était  encore  à  organiser,  et 
malheureusement  Mondevergue, comme  jadis  Pronis,ne  sem- 
ble pas  avoir  été  l'homme  capable  de  mener  une  pareille 
œuvre  à  bien.  Longtemps  on  se  contenta  de  vivre  sur  les 
approvisionnements  qu'apportait  la  flotte,  sans  tenter  aucun 
essai  sérieux  de  colonisation  :  c'était  une  faute  grave,  mais 
on  en  commit  d'autres  encore.  Les  agents  de  la  Compagnie 
se  prêtèrent  à  des  opérations  de  commerce  inexcusables  ;  des 
spéculateurs  leur  achetèrent  les  vivres,  les  étoffes,  les  outils 
que  contenaient  les  navires  à  des  prix  dérisoires,  pour  les 
revendre  très  cher  aux  colons.  Mondevergue  n'usa  de  son  au- 
torité ni  pour  répartir  sur  divers  points  de  l'île,  où  l'on  devait 

(1)  Il  semble  même  avoir  un  moment  songé  à  abandonner  ces  pré- 
paratifs pour  renforcer  de  ces  navires  la  flotte  royale  encore  peu  nom- 
breuse ;  il  mandait  en  effet  le  15  janvier  à  Colbert  de  Terron  de  lui 
faire  savoir  si  les  vaisseaux  de  la  Compagnie  pourraient  lui  être  utiles. 

(2)  Lettre  du  9  mars  1666,  ibidem,  p.  437. 


LÀ   COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    A   MADAGASCAR  143 

fonder  des  colonies,  celte  population  exagérée  pour  Forl-Dau- 
phin  et  qui  se  dégradait  chaque  jour  par  la  fainéantise,  ni 
pour  arrêter  les  dommages  causés  par  ses  subordonnés  aux 
intérêts  de  la  Compagnie. 

Ces  nouvelles  parvinrent  en  France  par  deux  navires  de  la 
première  expédition  qui  touchèrent  à  Fort-Dauphin  en  reve- 
nant de  Surat.  Elles  alarmèrent  fort  Colberl  qui  les  porta 
aussitôt  par  un  mémoire  à  la  connaissance  du  Roi  (1). 

«  Les  fautes  qu'on  a  commises  sont  considérables,  disait-il, 
el  vont  à  la  perte  de  la  Compagnie  !  On  a  gaspillé  500.000  li- 
vres d'argent  comptant  et  de  marchandises  en  quelques 
mois  !  »  Il  s'indignait  qu'aucun  des  agents  supérieurs  de  la 
Compagnie  que  portait  la  flotte  n'eût  cru  devoir  dénoncer  ce 
scandale.  Y  avait-il  donc  entre  eux  une  entente  criminelle? 
Ce  n'était  en  effet  que  par  le  Procureur  Général  du  Conseil 
Souverain,  M.  Despinay,  et  par  le  secrétaire  du  Directeur  de 
Faye  que  l'on  en  avait  ainsi  connaissance.  Ces  deux  person- 
nages portaient,  il  est  vrai,  contre  le  marquis  de  Mondevergue 
les  plus  graves  accusations  :  il  avait,  selon  eux,  converti 
l'autorité  dont  il  était  investi  en  la  plus  détestable  tyrannie, 
réduisant  à  néant  le  rôle  du  Conseil  Souverain  et  terrorisant 
les  deux  Directeurs.  11  avait  fini,  néanmoins,  parles  envoyer 
à  Surat  comme  il  le  devait  faire,  mais  accompagnés  par  des 
officiers  dévoués  à  ses  intérêts,  pour  qu'ils  ne  pussent  écrire 
en  France,  sans  que  leurs  lettres  lui  fussent  remises  au  pas- 
sage I 

Colbert  cependant  ne  crut  pas  pouvoir  admettre  ces  accu- 
sations sans  réserve.  11  tenait  Despinay  pour  un  homme 
violent,  el  le  secrétaire  paraissait  être  sous  son  influence 

{{)  Mémoire  sur  Célat  présent  de  la  Compagnie  Orientale  de  France 
dans  l'île  Dauphine  et  datis  les  Indes,  8  mars  1669.  Clément,  III  2, 
p.  414. 


144  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE     II 

exclusive.  D'ailleurs,  puisqu'ils  avaient  trouvé  moyen  d'écrire 
en  France  à  l'insu  du  gouverneur,  pourquoi  Caron  et  de 
Faye  ne  l'avaienl-ils  pu  faire  aussi?  Caron  qui  avait  long- 
temps séjourné  dans  l'Inde  connaissait  bien  le  moyen  de 
faire  tenir  de  ses  nouvelles  sans  passer  par  Forl-Dauphin  (1), 
et  Ton  ne  pouvait  supposer  que  lui  et  de  Faye  eussent  été 
assez  faibles  pour  n'oser  se  plaindre  de  la  conduite  de  Mon- 
devergue  ;  Colbert  concluait  qu'il  convenait  de  ne  rien  pré- 
cipiter jusqu'à  plus  ample  informé. 

D'autres  préoccupations  retinrent  en  même  temps  l'at- 
tention du  ministre  ;  par  les  mêmes  navires  arrivaient  en 
effet  les  premiers  renseignements,  impatiemment  attendus 
par  lui,  sur  l'établissement  de  la  Compagnie  dans  l'Inde, 
dont  avait  été  chargé  le  directeur  Caron  et  qui  lui  paraissait 
ajuste  titre  important  pour  l'avenir  commercial  de  la  Com- 
pagnie. 

Son  intention  n'avait  point  été,  en  effet,  de  borner  à  l'île  de 
Madagascar  l'aclivilé  de  celle-ci,  mais  d'en  faire  le  centre 
d'où  rayonneraient  ses  navires  vers  les  différentes  contrées 
baignées  par  l'Océan  Indien,  et  dans  ce  but  il  avait  recher- 
ché les  services  de  personnes  au  courant  du  commerce  de 

(1)  Un  mémoire  de  Colbert  en  date  du  5  décembre  1669  nous  ap- 
prend en  effet  quelles  étaient  à  cette  époque  les  voies  rapides  de  com- 
munication avec  les  Indes.  Elles  consistaient  à  envoyer  les  paquets  de 
France  à  Alep  (Syrie),  d'où  ils  étaient  dirigés  sur  Bassora  ou  sur  Ispa- 
han  (Perse),  suivant  que  l'un  ou  l'autre  chemin  se  trouvait  libre  . 
A  Bassora  le  vicaire  des  Carmes-Déchaussés,  à  Ispahan  le  supérieur  des 
Capucins  les  recevaient  et  les  confiaient  à  des  marchands  chrétiens  qui 
les  faisaient  parvenir  à  Sural.  Colbert,  en  exposant  ù  la  Compagnie 
ce  plan  de  transports  postaux,  conseillait  d'envoyer  les  dépèches  en  dou- 
ble à  Alep,  d'où  l'un  des  exemplaires  serait  envoyé  directement  par 
Bassora  ou  Ispahan,  et  l'autre  par  caravane  à  Bagdad,  d'où  il  gagne- 
rail  ces  mémos  villes.  Ces  voies  cependant  n'étaient  pas  sans  danger: 
les  dépêches  du  Directeur  ('aron  furent  en  elTet  prises  par  les  Arabes. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    A    MADAGASCAR  l4o 

ces  pays,  dont  l'expérience  devait  éviter  bien  des  déboires 
à  la  Compagnie.  Il  sut  en  découvrir  plusieurs  et  Caron  fut 
la  principale  de  ces  précieuses  recrues.  Né  à  Bruxelles  de 
parents  français  et  protestants,  François  Caron  avait  servi 
vingt-deux  ans  dans  la  Compagnie  hollandaise  ;  intelligent 
et  opiniâtre,  il  s'y  était  élevé  des  plus  bas  emplois  (1)  aux 
fonctions  de  Directeur  Général  de  la  puissante  société, el  avait 
longtemps  séjourné  dans  les  Indes  dans  ses  différents  pos- 
tes. Un  jour  il  eut  à  souffrir  d'un  passe-droit  dont  son  am- 
bition ne  put  s'accommoder;  c'était  au  moment  où  Colbert 
préparait  la  création  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales. 
Notre  ambassadeur  en  Hollande,  le  comte  d'Estrades,  au  cou- 
rant des  desseins  du  ministre, exploita  habilement  ce  mécon- 
tentement et  décida  Caron  à  quitter  le  service  de  la  Com- 
pagnie hollandaise  (2).  Le  transfuge  fut  chaleureusement 
accueilli  par  Colbert  qui  lui  attira  les  faveurs  royales  :  aus- 
sitôt naturalisé  français,  il  fut  nommé  Directeur  de  la  Com- 
pagnie des  Indes  Orientales,  el  envoyé  dans  l'Inde  pour  y 
créer  les  comptoirs  que  projetait  celle-ci.  Avant  de  s'embar- 
quer, Caron  établit  son  plan  de  campagne  dans  un  mémoire 
qu'il  soumit  à  la  Compagnie  et  que  Colbert  approuva  (3). 
L'habile  négociant  se  proposait  de  se  rendre  à  Surat  avec  la 
plus  grande  pompe  possible  pour  assurer  son  prestige.  Une 
fois  établi  dans  cette  ville, dont  la  factorerie  serait  la  capitale 
de  nos  établissements  dans  la  péninsule,  il  enverrait  des 

(1)  On  dit  qu'il  y  était  entré  comme  cuisinier. 

(2)  Comle  d'Estrades  à  Colbert,  18  juin  1664  :  «  Je  travaille  pour  dis- 
poser une  personne  très  capable  et  qui  est  mécontente  des  directeurs 
de  la  Compagnie  des  Indes  de  Hollande  d'aller  vous  trouver  à  Paris 
pour  vous  donner  les  lumières  qu'elle  a  acquises  pendant  des  ans  qu'elle 
a  servi  dans  les  grandes  Indes  avec  des  emplois  considérables...  » 
V.  Depping,  op.  cil. 

Ci)  Souchu  de  Rennefort,  Histoire  des  Indes  Orientales. 

W.  —  10 


146  DEUXIÈME    PAUTIE.    —    CHAPITRE    II 

ambassadeurs  au  Grand-Mogol  dont  l'agrémenl  lui  parais- 
sait indispensable,  ainsi  qu'aux  soubabs  de  Golconda,  de 
Vizapur  et  du  Bengale,  sur  les  territoires  desquels  il  s'agissait 
de  créer  des  succursales  du  comptoir  de  Surat  ;  des  agents 
partiraient,  aussitôt  ces  autorisations  obtenues,  jeter  les  ba- 
ses de  trois  premiers  comptoirs  sur  les  côtes  de  Coromandel 
et  du  Bengale. 

La  Compagnie,  dès  lors  installée  dans  l'Inde,  tournerait  ses 
regards  plus  loin,  sur  les  îles  des  épices  elles-mêmes,  prin- 
cipalement sur  les  points  suivants,  où  Caron  proposait  de 
s'établir  :  Macassar  dans  l'île  Célébès,  Palembang  et  Djambi 
dans  celle  de  Sumatra,  Bantam  dans  celle  de  Java  et  l'ile 
Banka  sur  la  côte  de  cette  même  île.  En  même  temps  que  ces 
factoreries  s'élèveraient,des  ambassadeurs  seraient  envoyés 
aux  empereurs  de  Chine  et  du  Japon  avec  des  présents 
somptueux  et  obtiendraient  de  ces  souverains  l'autorisation 
du  commerce  avec  leurs  peuples  pour  la  Compagnie  (1). 

Caron,  contre  lequel  la  Compagnie  devait  avoir  ensuite  des 
griefs  fort  graves,  était  certainement  un  homme  de  grande 
valeur:  son  plan  était  judicieux,  rien  n'y  était  abandonné  au 
hasard  ;  toul,  jusqu'aux  présents  à  faire  aux  potentats  asiati- 
ques, était  calculé  avec  minutie.  Tout  cela  plul  à  Golbert  qui 
le  vit  partir  avec  espoir  et  allendil  impatiemment  de  ses 
nouvelles. 

Caron,  à  peine  arrivé  à  Surat  et  tout  en  réunissant  les  élé- 
ments nécessaires  à  la  création  du  comptoir  projeté,  envoya 

(1)  Caron  se  proposait  d'aller  lui-même  en  Chine  et  au  Japon  ;  il 
comptait  en  repartir  vers  l'année  1670,  repasser  dans  l'Inde  pour  y 
prendre  les  cargaisons  préparées  dans  les  nouveaux  comptoirs  et  être 
de  retour  en  France  vers  l'année  1671.  Il  semble  avoir  fixé  ce  terme  à 
la  durée  des  services  qu'il  consentait  à  rendre  à  la  Compagnie  ;  Colbert 
s'appliqua  au  contraire  à  obtenir  do  lui  qu'il  reslM  plus  longtemps  dans 
l'Inde.  —  Cf.  Clément,  op.  cit. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALE&  A    MADAGASCAR  147 

de  différents  côtés  des  marchands  et  des  sous-marchands 
créer  les  succursales  prévues  a  Vizapur,.  à  Balapalam,  au 
Bengale,  auprès  du  roi  de  Golconda,  enfin  à  Masulipatam. 

11  envoya  dans  cette  dernière  ville,  située  sur  la  côte  des 
Gircars,  un  autre  de  ces  auxiliaires  étrangers  si  soigneuse- 
ment recherchés  par  Colbert,  comme  lui-même  l'avait  été, 
un  Persan  d'Ispahan,  du  nom  de  Marcara  (1).  Lui  aussi  avait 
longtemps  séjourné  dans  l'Inde  et  commercé  pour  son  compte 
dans  tous  les  pays  baignés  par  la  mer  des  Indes  ;  destiné  à 
une  situation  moins  brillante  que  Caron,  il  avait  élé  néan- 
moins envoyé  à  Madagascar  avec  les  litres  de  membre  du 
Conseil  Souverain  et  de  c  Directeur  de  tous  les  comptoirs  de 
la  Compagnie  dans  les  Indes,  la  Perse  et  les  pays  du  Sud  ». 
Ces  deux  hommes  qui  se  sentirent  rivaux  ne  tardèrent  pas 
à  entrer  en  lutte.  La  situation  du  futur  comptoir  de  Masuli- 
patam était  importante,  et  Marcara  s'occupa  activement  de 
sa  création  ;  mais  un  jour  Caron  en  sa  qualité  de  Directeur 
Général  le  frappa  d'une  peine  disciplinaire  (2)  ;  Marcara  en 
appela  au  Conseil  Souverain  de  Fort-Dauphin  qui  cassa  la 
sentence  de  Caron  sous  la  pression,  semble-t-il,  de  Monde- 
vergue  ;  celui-ci  envoya  en  outre  le  capitaine  de  ses  gardes 
assurer  l'exécution  de  cet  arrêt.  Marcara  ne  se  tint  pas  pour 
satisfait;  il  écrivit  à  Colbert,  se  plaignant  de  l'attitude  de 
Caron  et  l'accusant  d'acheter  sciemment  de  mauvaises  mar- 
chandises à  un  prix  exagéré  et  d'avoir  avec  les  agents  de  la 
Compagnie  hollandaise  de  fréquentes  entrevues  qui  sentaient 
la  trahison. 

(1)  Marcara  Avranchinz,  disent  les  relations  contemporaines.  D'après 
les  «  Ordres  du  Roi  pour  la  Compagnie  des  Indes  »,  il  y  eut  deux  frères 
Marcara:  selon  du  Fresne  de  Franclieville,  ils  étaient  père  et  fils  et  non 
frères. 

(2)  Caron  accusa  Marcara  de  rébellion  et  de  lenlalive  d'assassinat 
contre  lui.  Il  l'envoya  les  fers  aux  pieds  à  Fort-Dauphin. 


148  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITHE    II 

Celte  rivalité,  ces  accusations  durent  profondément  affliger 
Colbert;  avec  raison  il  résolut  de  ne  rien  vouloir  entendre. 
«  Il  n'est  pas  dans  l'ordre  de  donner  créance  à  un  inférieur 
contre  son  supérieur,  dit-il,  et  encore  bien  moins  à  un  infé- 
rieur qui  a  été  jugé  coupable  par  son  supérieur  «,  et  il  décida 
en  conséquence  de  faire  casser  à  son  tour  par  le  Conseil  d'en 
haut  l'arrêt  du  Conseil  Souverain  et  confirmer  par  lui  les 
sentences  de  Caron  :  on  renverrait  Marcara,  s'il  persistait  dans 
sa  mauvaise  volonté  (1). 

Il  s'occupa  également  de  terminer  l'affaire  Mondevergue  : 
le  Saint-Paul  était  en  partance  ;  il  invita  la  Compagnie  à 
embarquer  sur  ce  navire  un  «  habile  commis  »  avec  mission 
de  rentrer  en  possession  des  marchandises  et  des  espèces 
pillées  ;  le  Roi  enverrait  en  même  temps  une  personne  de 
confiance  «  intelligente  et  fidèle  »,  munie  d'instructions  pré- 
cises et  de  plusieurs  lettres  de  sa  main.  Cet  ambassadeur 
déclarerait  au  marquis  de  Mondevergue  qu'on  savait  à  quoi 
s'en  tenir  sur  les  désordres  passés  et  l'inviterait  à  les  réparer. 
Si  le  gouverneur  se  soumettait,  on  lui  promettrait  la  faveur 
royale  ;  s'il  refusait  ou  traînait  les  choses  en  longueur,  on  lui 
remettrait  un  congé  formel  et  on  l'embarquerait  sur  le  pre- 
mier navire  (2). 

A  peine  ces  décisions  étaient-elles  prises  qu'un  navire  (3) 
arriva  en  France  sous  le  commandement  de  M.  de  Lopis, 
neveu  de  Mondevergue.  Les  nouvelles  qu'il  apporta  ne  sem- 
blent pas  avoir  dissipé  les  doutes  auxquels  avait  donné  lieu 

(1)  Mémoire  sur  Vétat  présent Clément,  op.  cil. 

(2)  Ibidem.  —  Il  est  curieux  de  rapprocher  ce  procédé  que  Colbert 
compte  employer  à  l'égard  de  Mondevergue,  de  celui  que  quelque 
qu;ilrp-vinj;ls  ans  plus  lard  le  gouvernement  de  Louis  XV  emploiera  à 
l'égard  de  Dupleix  et  dont  Godeheu  sera  l'agent. 

(3)  Le  Stiint-.lean. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    A    MADAGASCAR  149 

la  conduite  de  celui-ci,  qui  d'ailleurs  demandait  à  être  relevé 
de  sa  charge.  Une  lettre  du  Roi  lui  manda  en  effet  de  rap- 
porter toutes  les  mesures  prises  dans  l'île  comme  ayant  été 
annulées  par  la  Compagnie  sur  la  requête  du  Roi  lui-même. 
Mondevergue  fut  autorisé  à  rentrer  en  France,mais  on  désirait 
qu'il  n'usât  pas  de  cette  faculté  avant  d'avoir  réparé  tous  les 
désordres  (1).  Une  lettre  de  Colbert  accompagna  celle  du 
Roi  :  elle  assurait  le  gouverneur  que  le  Roi  lui  avait  conservé 
son  estime  et  qu'il  en  recevrait  les  plus  grandes  faveurs,  s'il 
s'acquittait  consciencieusement  de  cette  tâche  réparatrice, 
et  la  fin  de  celte  missive  nous  découvre  le  fond  de  la  pensée 
du  ministre  :  si  Mondevergue  rentrait  sans  avoir  rien  fait,  on 
ne  pourrait  éviter  de  le  punir,  ce  qui  ne  serait  point  de  nature 
à  susciter  une  grande  émulation  autour  de  la  place  qu'il 
quittait  ;  il  fallait  qu'il  rentrât  comblé  d'honneurs,  pour  que  la 
Compagnie  pût  faire  un  choix  avantageux  parmi  les  candidats 
que  cet  exemple  ne  manquerait  pas  de  faire  accourir  (2)  1 

Il  écrivit  par  le  même  courrier  au  Directeur  Caron,  l'exhor- 
tant à  ne  pas  se  décourager  des  difficultés  présentes, insépa- 
rables des  débuts  d'une  grande  entreprise,  lui  rappelant  que 
le  Roi  comptait  le  voir  rester  dans  l'Inde  aussi  longtemps 
qu'il  serait  nécessaire  pour  consolider  l'établissement  de  la 
Compagnie,  et  l'assurant  que  sa  famille  était  l'objet  des  fa- 
veurs et  de  la  sollicitude  royales  (3). 

A  de  Faye  enfin,  en  l'engageant  à  éviter  toute  mésintelli- 

(1)  Louis  XIV  à  M.  de  Mondevergue,  gouverneur  de  l'ile  Dauphine, 
30  mars  1669.  Clément,  op.  cit.,  III  2,  p.  434. 

(2)  Colbert  à  M.  de  Mondevergue,  même  date  :  c  Croyez-en  un 
homme  qui  est  intéressé  fortement  à  ce  que  vous  soyez  récompensé... 
la  récompense  que  vous  recevrez  portera  à  l'avenir  quantité  de  per- 
sonnes de  mérite  et  qualité  à  prendre  ces  emplois...  »  Clément,  ibid. 

(3;  Colbert  à  M.  Caron,  Directeur  de  la  Compagnie  des  Indes  Orien- 
tales à  Surat,  31  mars  1669,  Clément,  ibii. 


150  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    II 

gerice  avec  Caron  dont  l'expérience  était  nécessaire  à  la  Com- 
pagnie, il  annonça  la  préparation  d'une  flotte  de  guerre  qui 
irait  dans  l'Océan  indien  «  dans  la  seule  pensée  de  faire  voir 
un  petit  échantillon  de  la  puissance  du  Roi  aux  princes  de 
l'Asie  »  (1). 

Si  ces  événements  retardaient  quelque  peu  les  progrès  de 
la  Compagnie  dans  les  Indes,  il  était  permis,  comme  le  disait 
Golbert,  de  ne  point  s'en  décourager,  l'expérience  ayant 
parfois  de  dures  leçons  et  l'avenir  en  profiterait  davantage 
peut-être  que  d'un  établissement  sans  difficultés. 

Malheureusement,  en  France  les  affaires  de  la  Compagnie 
ne  marchaient  point  du  pas  qu'elles  auraient  dû  prendre  au 
gré  de  Colbert  ;  la  rentrée  des  souscriptions  menaçait  de 
traîner  indéfiniment  et  en  septembre  1668  un  grand  nombre 
d'actionnaires  n'avaient  même  pas  réalisé  leur  premier  ver- 
sement ;  un  arrêt  du  Conseil  dut  les  rappeler  à  une  plus 
grande  exactitude  !  L'intégralité  du  capital  aurait  dû  être 
dans  la  caisse  de  la  Compagnie  au  début  de  l'année  1667  et 
cependant,  à  cette  date,  les  actionnaires  n'avaient  fourni  que 
cinq  millions  I  Heureusement  pour  la  Compagnie,  le  Roi  dont 
Colbert  entretenait  soigneusement  l'inlérèt,  était  tout  prêt  à 
la  soutenir. 

Colbert,  que  ces  obstacles  rencontrés  ainsi  par  cette  entre- 
prise, remplissaient  de  douleur,  sentait  encore  augmenter  son 
dépit  à  la  vue  de  la  prospérité  de  la  Compagnie  hollandaise 
et  ne  s'en  cachait  point  :  «  Je  vous  avoue,  écrivait-il  à  M.  de 
Pomponne,  notre  ambassadeur  à  la  Haye,  que  j'ai  été  surpris 
de  voir  la  prodigieuse  quantité  de  marchandises  que  la  Com- 
pagnie des  Indes  Orientales  de  Hollande  a  fait  venir  cette 


(1)  Colbert  à  M.  de  Paye,  Directeur  de  la  Compagnie  des  Indes  Orien- 
tales, 31  mars  1669.  Clément,  op.  cil. 


LA    COMPAGMK    DES    I.NDKs    OIUK.Nr.UJiS    A   MADAGASCAR  131 

année  (1).  »  Une  autre  fois,  il  s'écriail  :  «  L'avis  que  vous  ave^ 
pris  la  peine  de  me  donner  par  voire  leltre,  que  la  Compa- 
gnie des  Indes  Orientales  de  Hollande  envoie  celte  année 
vingt-cinq  vaisseaux,  me  parait  bien  extraordinaire  t  » 

Cependant  il  ne  consent  pas  à  s'avouer  vaincu  et  il  feint  de 
voir  dans  celte  activité  «  un  grand  effort  »  qu'il  attribue  «  à 
la  crainte  des  vaisseaux  du  Roi  »,  et  il  espère  qu'en  raison  des 
dépenses  que  cette  Compagnie  est  ainsi  obligée  de  faire  et 
dont  la  nôtre  est  exemple  <  cet  effort  lui  sera  plus  désavanta- 
geux qu'à  nous».  Tout  espoir  n'est  pas  perdu  :  «avec  le  temps, 
beaucoup  de  patience,  toute  la  protection  et  les  assistances 
du  Roi,  notre  Compagnie  aura  un  succès  favorable  »  (2). 

Pour  lutter  contre  cette  redoutable  concurrence,  Colbert 
avait  d'ailleurs  activement  cherché  à  créer  à  la  Compagnie 
une  clientèle  étrangère,  et  à  enlever  à  sa  rivale  une  partie  de 
l'approvisionnement  de  l'Europe.  11  n'avait  épargné  pour  y 
parvenir  ni  le  temps  ni  les  peines  de  nos  agents  diplomati- 
ques. C'est  ainsi  qu'en  1665,  divers  princes  allemands  ayant 
été  sollicités  par  les  Espagnols  de  fonder  en  commun  une 
Compagnie  de  commerce  pour  les  Indes,  Colbert  prévenu 
s'efforça  d'attirer  les  princes  à  la  Compagnie  française  en  leur 
démontrant  qu'ils  n'avaient  rien  à  attendre  des  Espagnols  : 
«  Dans  tout  l'Orient  ils  ne  possèdent,  dit-il,  aucun  pays  que 
les  seules  Philippines,  dans  lesquelles  ils  ont  deux  ou  trois 

(1)  Colbert  à  M.  de  Pomponne,  ambassadeur  à  la  Haye,  4  juillet  1670, 
Clément,  op.  cit. 

(2)  Idem,  2  octobre  1670.  —  Notre  ambassadeur  à  la  Haye  était  spécia- 
lement chargé  de  renseif^ner  Colbert  sur  les  faits  et  gestes  de  la  Com- 
pagnie d'Amsterdam.  C'est  ainsi  que  M.  d'Estrades  proposait  au  minis- 
tre de  lui  procurer  un  mémoire  secret  envoyé  par  les  Directeurs  de 
cette  Compagnie  aux  Indes  aux  Directeurs  Généraux  d'Amsterdam . 
(Lettre  de  M.  d'Estrades,  6  novembre  1664.  Depping,  Correspondance  du 
règne  de  Louis  XIV).  —  Cf.  une  lettre  de  Colbert  à  M.  de  Pomponne  le 
!«'  août  1670,  dans  une  circonstance  toute  semblable.  Clément,  op.  cit. 


152  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

habitations  de  peu  de  conséquence.  Ils  ne  peuvent  donc  pro- 
poser aucun  commerce  dans  les  Indes  Orientales...  ;  toutes 
les  propositions  qu'ils  ont  faites  sur  cette  matière  ne  tendent 
qu'à  remplir  de  belles  joies  ceux  qui  veulent  bien  les  écou- 
ter. »  Le  roi  de  France,  au  contraire,  pourrait  faire  aux  prin- 
ces allemands  des  propositions  incomparablement  plus  avan- 
tageuses. 11  s'engage  même  à  mettre  en  même  temps  qu'eu.x 
dans  la  Compagnie  une  somme  double  de  leur  souscription 
et  il  leur  accorderait  le  droit  de  mettre  un  Directeur  en  leur 
nom  à  la  Chambre  Générale.  «  Il  y  a  loin,  conclut  Colberl, 
entre  la  solidité  et  les  avantages  de  ces  propositions  et  les 
espérances  visionnaires  des  Espagnols  (1)1» 

Un  peu  plus  lard,  c'est  vers  les  Portugais  que  se  tournent 
ses  espérances  :  «  Il  faut  à  l'égard  du  commerce  des  Indes 
Orientales,  dit-il,  que  les  Portugais  soient  bien  aveugles  de 
ne  pas  vouloir  traiter  avec  le  Roi,  et  lui  donner  quelqu'un  de 
leurs  établissements,  vu  qu'ils  y  périssent  tous  les  jours  et 
qu'assurément  ils  en  seront  chassés  dans  peu,  s'ils  ne  se 
fortifient  pas  par  quelque  alliance  et  par  quelque  traité  dé- 
fensif,  et  même  offensif  en  cas  de  besoin,  avec  le  Roi  qui  est 
assurément  le  seul  de  tous  les  princes  de  l'Europe...  avec 
lequel  le  Portugal  se  puisse  accommoder  avec  sûreté...  ;  le 
temps  de  leur  expulsion  entière  de  tous  ces  pays  peut  être 
proche, s'ils  n'y  apportent  un  prompt  et  suffisant  remède..,  en 
appelant  en  société  de  ce  commerce  et  même  en  partage  des 
pays  qui  leur  sont  encore  soumis  et  des  places  qu'ils  possè- 
dent, quelqu'une  des  autres  nations  qui,  ayant  les  mêmes  in- 

(1)  Clément,  op.  ci<.  Cet  auteur  place  la  date  de  ce  mémoire  entre  1664 
et  1665  ;  nous  croyons  qu'il  faut  le  placer  entre  mars  et  août  1665,  car 
Colberl  y  mentionne  l'expédition  de  M.  de  Beausse  comme  ayant  eu 
lieu  «  au  mois  de  mars  dernier  »  et  prévoit  le  dépari  de  14  vaisseaux 
«  pour  le  mois  d'août  prochain  ». 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    A    MADAGASCAR  lo3 

térêls,  joigne  sa  puissance  à  la  leur  ;  or,  les  seuls  Français 
sont  capables  de  procurer  ce  grand  avantage  aux  Portugais.., 
vu  que  la  religion  des  Anglais  ne  permet  pas...  de  les  appe- 
ler dans  celte  société  (1).  » 

Le  tour  était  habile  ;  il  ne  semble  pas  néanmoins  que  de 
ce  côté  plus  que  du  premier  les  tentatives  de  Colberl  aient 
été  couronnées  de  succès,  quelque  zèle  qu'ail  apporté  M.  de 
Saint-Romain  à  le  seconder  (2). 

A  notre  résident  à  Genève,  M.  Mouslier,  Colbert  écrivait  en 
4670  :  <  La  raison,  pour  laquelle  je  vous  ai  demandé  le  prix 
et  la  consommation  des  sucres  et  épiceries  en  Suisse,  a  été 
pour  voir,  si  nous  y  pourrions  introduire  ces  sortes  de  mar- 
chandises qui  nous  viendront  à  l'avenir  par  le  moyen  des 
Compagnies  des  Indes  Orientales  et  Occidentales  (3).  » 

Enfin,  auprès  de  nos  futurs  rivaux  dans  l'Inde,  les  Anglais, 
alors  faibles  comme  nous  et  molestés  par  les  Hollandais,  il 
ne  négligea  point  de  chercher  un  concours  avantageux  : 
«  Comme  la  principale  difficulté  qui  est  à  présent  entre  l'An- 
gleterre et  la  Hollande  consiste  en  la  liberté  que  les  Anglais 
demandent  de  pouvoir  trafiquer  dans  tous  les  ports  et  riviè- 
res des  Indes,  où  les  Hollandais  ont  des  places,  par  le  moyen 
desquelles  ils  prétendent  exclure  tous  les  étrangers  d'y  en- 
trer, il  est  très  important  pour  le  bien  de  notre  commerce  et 

(1)  Colbert  à  M.  de  Saint-Romain,  ambassadeur  à  Lisbonne,  23  août 
1670.  Clément,  op.  cit.,  III  2,  p.  494. 

(2)  Cependant,  lors  de  la  guerre  de  Hollande,  les  Portugais  des 
comptoirs  de  l'Inde  se  déclarèrent  pour  nous  après  la  prise  de  San- 
Thomé.  Colbert  sollicita  également  du  gouvernement  portugais  la  con- 
cession d'un  établissement  dans  la  rivière  de  Lisbonne,  pour  y  fournir 
les  navires  de  la  Compagnie  de  vivres  frais, et  les  réparer  au  retour  des 
Indes.  Le  naufrage  du  Jules  dans  cette  rivière  en  1674  semble  indi- 
quer que  cette  concession  nous  avait  été  accordée. 

(3)  Colbert  à  M.  Mouslier,  résident  à  Genève,  31  octobre  1670.  Clé- 
ment, op.  cit. 


154 


DEUXIEME    PAHTIE.    CUAPITHE    II 


de  notre  Compagnie  d'Orienl  que  vous  fussiez  informé  en 
délai!  de  ce  différend....  Vous  pourrez  même  vous  en  servir 
auprès  du  roi  d'Angleterre,  lui  faisant  connaître  qu'en  s'unis- 
sant  avec  le  Roi  et  prenant  ensemble  de  bonnes  mesures,  il 
se  pourra  faire  facilement  que  les  Hollandais  auront  recours 
à  eux  pour  avoir  la  liberté  de  leur  commerce,  au  lieu  que 
c'est  à  présent  le  roi  d'Angleterre  qui  leur  demande  (1) —  » 

La  lutte  économique  avec  la  Hollande,  pour  laquelle,  on 
le  voit,  Colbert  cherchait  ainsi  des  alliés,  ne  resta  pas  long- 
temps dans  les  limites  d'une  courtoise  rivalité  commerciale, 
et  ne  tarda  pas  à  se  transformer  en  une  mésintelligence  po- 
litique aiguë  qui  conduisit  à  une  rupture,  où  ces  considéra- 
lions  maritimes  ne  furent  point  sans  influence.  Ainsi,  après 
trois  années  de  tranquillité,  au  milieu  desquelles  la  Compa- 
gnie des  Indes  Orientales  put  jeter  les  premières  bases  de 
son  trafic,  un  obstacle  se  présenta  à  son  développement  ra- 
tionnel, que  depuis  elle  devait  voir  trop  souvent  se  dresser 
sur  son  chemin  pour  réussir  dans  ses  ambitions.  L'ère  des 
grandes  guerres  de  Louis  XIV  s'ouvrit  en  effet  en  1667  par 
la  guerre  dite  de  Dévolution,  dont  les  complications  inatten- 
dues pesèrent  tant  sur  l'orientation  de  la  politique  royale. 
La  rapide  conquête  des  Pays-Bas  espagnols  alarma  la  Hol- 
lande ;  pour  arrêter  le  roi  de  France,  une  alliance  fut  conclue 
par  les  Etals-Généraux  avec  le  roi  d'Angleterre  qui  commer- 
cialement était  leur  adversaire  et  devait  être  notre  allié,  et  le 
roi  de  Suède.  Ce  renversement  des  alliances  naturelles  ne  fut 
d'ailleurs  point  superflu,  car  Louis  XIV  s'arrêta  et  la  paix 
d'Aix-la-Chapelle  mit  fin  aux  hostilités  (mai  1668). 

Ce  ne  fut  point  pour  longtemps.  Le  gouvernement  royal 
souffrit  difficilement  cet  affront.  Les  Hollandais  qui  depuis 

(1)  Golberl  à  Golbert  de  Croissy,  ambassadeur  de  France  à  Londres, 
20  avril  1GG9.  Clément,  op.  cit. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    A    MADAGASCAR  loo 

Henri  IV  recevaieni  de  noire  appui  d'importants  avantages, 
s'opposaient  ainsi  ouvertement  à  nos  visées  politiques.  Tout 
cependant  devait  nous  séparer  d'eux  :  ils  étaient  pour  nous 
de  redoutables  concurrents  commerciaux,  et  leur  hostilité 
constante  avait  jusque-là  entravé  tous  nos  efforts  d'expansion 
maritime  ;  l'opposition  entre  la  forme  de  leur  gouvernement 
et  la  nôtre,  entre  leurs  croyances  religieuses  et  les  nôtres 
n'était  pas  moins  formelle  et  on  la  remarquait  ici  comme 
là-bas  ;  le  conflit  eut  pour  prologue  une  lutte  douanière  :  le 
tarif  protecteur  édicté  par  Colbert  en  1664  suscita  chez  les 
Hollandais  des  protestations  plus  véhémentes  encore  que 
le  droit  de  50  sous  par  tonneau  établi  par  Fouquet  en 
1659  ;  le  tarif  de  1667,  encore  plus  étroitement  protecteur, 
provoqua  de  leur  part  des  représailles  immédiates-,  nos  vins 
et  nos  eaux-de-vie  furent  frappés  de  droits  très  élevés  dont 
notre  commerce  souffrit  considérablement.  Néanmoins  les 
choses  en  restèrent  quelque  temps  à  ce  point,  car  Louis  XIV, 
pour  écraser  la  FloUande  comme  il  le  projeta  dès  la  conclu- 
sion de  la  paix  d'Aix-la-Chapelle,  avait  besoin  de  la  neutra- 
lité des  gouvernements  du  Nord. 

Or,  au  moment  où  à  une  amitié,  assez  troublée,  il  est  vrai, 
allait  succéder  l'hostilité  déclarée ,  par  une  coïncidence 
assez  fâcheuse,  nous  abandonnions  des  projets  longtemps 
caressés  sur  Madagascar,  où  la  Hollande  ne  nous  cherchait 
point  querelle,  pour  porter  notre  ambition  sur  le  continent 
asiatique  lui-même,  où  nous  étions  sûrs  d'entrer  en  conflit 
avec  elle. 


CIIAPITHE  III 


LA   COMPAGNIE   DES   INDES    OniENTALES   DANS    L  INDE. 


La  Compagnie  abandonne  ses  projets  sur  Madagascar.  —  Organisation 
de  notre  premier  comptoir  indien  à  Suratpar  François  Caron  (1667). 

—  Les  premiers  Directeurs  dans  l'Inde.  —  Création  de  Pondichéry, 
Chandernagor  et  d'autres  comptoirs.  —  Exécution  du  plan  de  Caron. 

—  Expédition  de  M.  de  la  Haye  (1670)  ;  prise  et  perte  de  San- 
Thomé  (1673-1674). — La  guerre  de  Hollande  arrête  le  développe- 
ment de  la  Compagnie,  destruction  de  ses  comptoirs  par  les  Hollan- 
dais. —  Mort  de  Colbert  (1683).  —  Les  guerres  incessantes  et  la 
prohibition  de  l'importation  des  tissus  de  l'Inde  ruinent  le  commerce 
de  la  Compagnie.  —  Dernières  années  de  son  privilège  ;  elle  cède 
Texercice  de  ses  droits  aux  Malouins. 


La  Compagnie  des  Indes  Orientales  avait  reçu  une  double 
mission  à  remplir  à  Madagascar  :  elle  devait  y  mener  défi- 
nitivement à  bien  la  fondation  d'une  colonie  de  peuple- 
ment, qu'elle  était  chargée  d'administrer  au  nom  du  gouver- 
nement royal,  mission  politique  délicate  et  coûteuse  ;  mais 
elle  y  avait  aussi  un  but  commercial  :  en  faire  un  vaste  en- 
trepôl  où  s'accumuleraient  avec  les  productions  de  l'île,  pour 
lesquelles  on  n'avait  pas  assez  abandonné  les  espérances 
ridicules  des  premiers  explorateurs,  chercheurs  de  trésors 
fabuleux,  celles  de  tyus  les  rivages  de  l'Océan  Indien  depuis 
la  côte  arabe  jusqu'à  l'Archipel  asiatique,  en  même  temps 
qu'une  escale  où  les  vaisseaux  de  la  Compagnie  viendraient 
puiser  en  toute  sécurité  des  vivres  frais  et  des  agrès  de  re- 
change, avant  de  continuer  leurs  longues  traversées. 

Or  il  apparut  très  vile  que  la  Compagnie  n'était  pas  capa- 


LA   COMPAGNIE    DES   INDES    ORIENTALES    DANS    l'iNDE  157 

ble  de  mener  à  bien  la  première  de  ces  deux  tâches.  Aucun 
des  agents  qu  elle  envoya  dans  l'île  n'avait  l'expérience 
nécessaire,  ni  ne  comprit  ce  qu'on  voulait  de  lui  :  ni  de 
Beausse,  ni  Montaubon  qui  étaient  des  magistrats,  ni  Mon- 
devergue  qui  n'était  qu'un  courtisan,  n'y  fut  à  sa  place,  c'est 
un  Flacourt  qu'il  eût  fallu,  mais  on  ne  le  trouva  point.  Au 
lieu  du  travail  acharné,  du  dévouement  désintéressé  que  l'on 
eût  dû  y  voir  régner,  on  s'épuisa  en  vaines  querelles  de  pré- 
rogatives, en  jalousies  féroces,  et  l'on  négligea  toutes  les 
questions  importantes.  L'anarchie,  le  gaspillage  qui  furent 
le  fruit  de  cette  belle  politique  désabusèrent  Colbert  ;  les 
Directeurs  furent,  plus  vile  que  lui  encore,  dégoûtés  de  cette 
lâche  dont  ils  ne  comprirent  pas  l'utilité  ;  le  mauvais  état 
dans  lequel  on  avait  trouvé  la  colonie  de  Fort-Dauphin  (1), 
les  rapports  pessimistes  de  de  Paye,  les  embarras  causés 
par  Mondevergue  orientèrent  la  Compagnie  dans  une  voie 
différente.  Colbert  ne  s'entêta  point  ;  il  vit  qu'on  était  inca- 
pable de  le  suivre  dans  ses  vues  colonisatrices  et  il  se  rési- 

(1)  «  Quand  l'île  fut  occupée  par  la  Compagnie,  dit  Soucliu  de  Ren- 
nefort,  elle  contenait  100  Français  :  2  à  Gallemboule,  2  à  l'île  Sainte- 
Marie,  vis-à-vis  de  Gallemboule,  8  à  Mananbane,  et  le  reste  à  Fort- 
Dauphin.  Le  Fort-Dauphin  a  été  dessiné  carré  par  celui  qui  l'a  commencé  : 
il  avait  deux  petits  bastions  demi-élevés  de  cailloux  sur  le  roc,  qui  au 
côté  du  nord  commandaient  le  port  capable  de  tenir  à  bon  abri  quatre 
vaisseaux  seulement.  L'enceinte  du  reste  n'était  que  de  pieux  gros 
comme  le  bras  et  le  tout  avait  été  réduit  à  150  pas  de  long  et  à  120 
de  large.  La  principale  porte  regardait  l'Occident,  l'autre  opposée  regar- 
dait l'Orient  et  la  mer.  Dans  ce  fort  était  une  chapelle  élevée  de  plan- 
ches, laquelle  pouvait  contenir  400  personnes...  il  y  avait  un  magasin 
et  une  cuisine  construits  des  plus  gros  morceaux  de  pierres  qu'on  avait 
pu  ramasser  autour  des  roches,  un  corps  de  garde  et  12  cases  de  pieux 
et  de  joncs.  Tous  ces  bâtiments  étaient  couverts  de  feuilles.  Le  gou- 
verneur avait  élevé  les  fondements  d'une  maison  qui  devait  être  de 
pierres  de  taille...  »  Souchu  de  Rennefort,  Histoire  des  Indes  Orien- 
talea,  p.  48. 


158  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    III 

gna  à  laisser  la  Compagnie  s'absorber  dans  les  destinées 
commerciales  qui  lui  convenaient  davantage  (1).  Il  n'aban- 
donna pas  néanmoins  Madagascar,  mais  il  crut  devoir  en 
détacher  la  Compagnie,  quille  à  donner  à  celle-ci  un  autre 
entrepôt,  au  choix  duquel  il  apporta  toute  sa  sollicitude,  et 
dès  le  commencement  de  l'année  1669  il  annonçait  en  ces 
termes  celte  modification  de  ses  desseins  :  «  Il  semble  que 
celte  île  doit  être  considérée  comme  un  entrepôt  de  conve- 
nance et  non  de  nécessité  et  que  l'entrepôt  nécessaire  doit 
être  établi  avec  les  temps  au  Cap  de  Bonne-Espérance  ;  que 
cette  île  non  seulement  peut  et  doit  nourrir  ses  habitants 
français,  mais  môme  peut  fournir  des  rafraîchissements  aux 
vaisseaux  qui  pourraient  y  passer,  lorsque  la  nécessité  aura 
obligé  les  Français  qui  y  sont  à  cultiver  la  terre.  Pour  cela  il 
semblerait  que  les  ordres  devraient  être  donnés  aux  vais- 
seaux qui  seront  envoyés  dans  les  Indes,  de  ne  point  toucher 
à  ladite  île,  dans  la  juste  crainte  que  Ton  peut  et  doit  avoir, 
ou  qu'ils  y  fussent  retenus  par  violence  ou  au  moins  que  le 
gouverneur  se  servît  de  la  force  pour  en  lirer  les  marchan- 
dises et  denrées  dont  il  croirait  avoir  besoin.  Il  est  nécessaire 
que  la  Compagnie  donne  ordre  à  ses  vaisseaux  d'aller  en 
droiture  aux  Indes,  jusqu'à  ce  que  les  habitants  de  Tile  Dau- 
phine  par  la  culture  de  la  terre  se  soient  mis  en  élat  d'avoir 
des  vivres  pour  en  assister  les  vaisseaux,  et  donne  aussi  des 
ordres  précis  à  ses  Directeurs  dans  les  Indes  de  ne  plus  en- 


(1)  F. a  Compagnie  des  Indes  Orientales  renonçait  dès  1667  à  coloniser 
Madagascar,  comme  en  témoigne  le  rapport  du  Prévùl  des  marchands  à 
l'assemblée  des  actionnaires  du  15  octobre  de  celte  année.  «  Celte  en- 
treprise, y  esl-il  dit,  si  on  la  poursuit,  ruinera  la  Compagnie  ;  il  faut 
aller  droit  aux  Indes,  sans  s'arrêter  à  défricher  une  grande  île  sauvage.» 
Demis,  op.  cit.,  t.  I. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    DANS    l'indE  139 

voyer  de  vivres  dans  l'île...,  avec  défense  de  faire  aucune 
dépense  nouvelle  pour  ladite  île  (1).  » 

Abandonner  Madagascar  à  elle-même  pour  forcer  les  co- 
lons à  tirer  de  celle  île  leur  subsistance,  le  remède  était  éner- 
gique :  il  est  piquant  d'observer  que  c'est  précisément  ce  que 
le  manque  de  ressources  avait  forcé  la  Compagnie  d'Orient  à 
faire  quinze  années  auparavant,  et  cela  n'avait  guère  réussi 
à  sa  colonie  1  Mais  Colbert  était  décidé  et  à  plusieurs  reprises 
à  Caron,  à  de  Faye  il  marqua  la  même  volonté  (2)  :  on  avait 
assez  gaspillé  d'argent, assez  perdu  de  temps,  il  fallait  réagir 
promptement,  si  Ton  ne  voulait  échouer  misérablement  ;  dès 
lors  c'est  vers  la  péninsule  hindoue  que  se  portent  unique- 
ment ses  regards. 

L'établissement  de  la  Compagnie  y  était  d'ailleurs  préparé, 
nous  l'avons  vu.  Caron,  parti  pour  Surat  en  octobre  '1667,  s'y 
était  activement  occupé  de  créer  notre  premier  comptoir  ;  il 
était  seul,  mais  son  caractère  autoritaire  avait  besoin  de  cette 
solitude  qui  lui  permettait  d'agir  à  sa  guise  :  en  peu  de  mois 
il  eût  réuni  une  importante  cargaison  que  son  navire  em- 
porta en  France.  Malheureusement,  au  commencement  de 
l'année  1669,  il  reçut  trois  collaborateurs  :  Marcara,  Goujon 
et  de  Faye,  avec  lesquels  il  ne  put  s'entendre  ;  on  a  vu  ses 
démêlés  avec  Marcara  qui  finirent  fort  mal;  il  en  alla  de 
même  avec  de  Faye  :  celui-ci  mourut  bientôt  après  (en  avril 
1669),  et  l'on  accusa  même  Caron  de  l'avoir  empoisonné  ! 
Goujon,  resté  seul,  lui  tint  tête  quelque  temps  :  soutenu  par 
les  employés  du  comptoir,  il  réclama  de  Caron  la  communi- 
cation des  livres  et  des  affaires  dont  il  s'était  jusque-là  réservé 

(1)  Mémoire  sur  Vétat  présent  de  la  Compagnie...,  8  mars  1669.  Clé- 
ment, op.  cit. 

(2)  Colbert  à  Caron,  31  mars  1660  ;  Colbert  à  de  Faye  ,  même  date. 
Clément,  op.  cit. 


160  DEUXIEME    PAIlTrE.    CHAl'ITHE    III 

la  connaissance  exclusive.  Mais  Colbert,  à  qui  Caron  se  plai- 
gnit et  qui  tenait  à  le  conserver,  rappela  Goujon  à  son 
tour  (1). 

Ces  querelles,  ces  divisions  ne  nuisirent  pas,  fort  heureu- 
sement, à  rétablissement  de  la  Compagnie  ;  Caron  envoya 
des  navires  sur  la  côte  persane,  d'où  ils  revinrent  chargés 
d'étoffes  et  de  sucre  (2)  (janvier  1670).  Marcara,  Goujon  et  de 
Paye  avaient  acquis  le  renseignement  précieux  que  le  roi  de 
Ceylan,  harcelé  parles  Hollandais,  était  tout  prêta  céder  un 
établissement  à  la  puissance  qui  prendrait  contre  eux  sa 
défense,  et  le  Zamorin  de  Calicut  les  avait  reçus  très  favora- 
blement à  leur  passage.  Les  Capucins  de  Surat  (3)  obtinrent 
par  l'entremise  de  leurs  confrères  du  Siam  et  de  Macassar 
l'assurance  que  la  Compagnie  serait  bien  accueillie  dans  ces 
deux  pays.  Dès  1669,  Caron  proposa  à  Colbert  de  tenter  la 
création  d'une  factorerie  à  Ceylan,  le  pays  de  la  cannelle, 
enfin  les  marchands  envoyés  par  lui  au  Bengale,  à  Masuli- 

(1)  «  A  l'égard  du  sieur  Goujon,  il  semble  que  la  Compagnie  se  doit 
remettre  aux  Directeurs  qu'elle  envoie  et  au  sieur  Caron  pour  aviser  ce 
qu'il  y  aura  à  faire  à  son  sujet,  soit  pour  le  punir  à  cause  de  sa  déso- 
béissance, et  le  renvoyer  en  France,  soit  pour  continuer  à  s'en  servir 
après  lui  avoir  l'ail  une  bonne  réprimande.  «  Colbert,  Mémoire  pour 
la  Compagnie  des  Indes  Orientales,  30  décembre  1670. 

(2)  Ils  ramenèrent  Mariage,  qui,  envoyé  en  Perse  dès  les  débuts  de 
la  Compagnie,  avait  séjourné  quatre  ans  à  Ispahan. 

(3)  Les  Capucins  s'étaient  établis  à  Surat  sous  les  auspices  du  père 
Joseph  (l'Eminence  Grise).  Ils  furent  d'une  grande  utilité  lors  des  dé- 
buts de  la  Compagnie  des  Indes.  Ils  avaient  entrepris  de  fonder  une 
maison  au  Siam  ;  le  Roi  approuva  ce  dessein  et  en  1662  deux  d'entre 
eux  s'établirent  à  Ayuthia,  alors  capitale  de  ce  pays;  d'autres  vinrent 
les  rejoindre  les  années  suivantes.  Ce  furent  ces  religieux  que  Caron 
cliargpa  d'être  ses  négociateurs  auprès  du  roi  de  Siam  et  qui  obtin- 
r(M)t  l'agrément  de  celui-ci  au  commerce  que  la  Compagnie  projetait  d'y 
faire. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    DANS    l'inDE  161 

palam  sans    montrer  encore    une  grande  aclivilé,  y  prépa- 
raienl  l'établissement  de  notre  commerce. 

Pour  affermir  notre  situation  dans  la  péninsule  que  l'hos- 
tilité des  Hollandais  pouvait  encore  bouleverser  aisément,  et 
seconder  les  projets  de  Caron,  Colbert  décida  le  Roi  à  faire 
un  puissant  effort  en  faveur  de  la  Compagnie  ;  l'ouverture 
des  hostilités  avec  la  Hollande  n'était  plus  d'ailleurs  qu'une 
question  de  mois  et  il  importait  de  mettre  nos  comptoirs  nais- 
sants à  l'abri  d'un  coup  de  main .  H  annonçait  ce  dessein  à  de 
Paye  en  mars  1669  (1),  ill'exécuta  l'année  suivante.  L'  «  esca- 
dre de  Perse  »,  formée  par  ses  soins  (2),  partit  de  Rochefort 
le  29  mars  1670  sous  le  commandement  de  M.  de  la  Haye  (3) 
qui  rangea  sous  ses  ordres  cinq  vaisseaux,  trois  flûtes  et  une 
frégate  ;  de  la  Haye  avait  une  mission  importante  à  rem- 
plir (4), car  il  devait  d'abord  étudier  la  question  d'un  entrepôt 
entre  la  France  et  l'Inde,  et  visiter  à  cet  effet  Pile  Sainte- 
Hélène  et  le  cap  de  Bonne-Espérance  (5),  puis  jeter  Pancre  à 
Fort-Dauphin,  où  il  devait  prendre  possession  de  Pile  de  Ma- 

(1)  Voir  p.  149. 

(2)  Colbert  lui  donna  ostensiblement  ce  nom,  pour  cacher  très  proba- 
blement sa  destination  véritable. 

(3)  Jacob  Blanquet  de  la  Haye,  mestre-de-camp,  fut  nommé  à  celte 
occasion  lieutenant-général  aux  Indes  Orientales  :  bien  qu'il  portât 
aussi  te  titre  d'amiral  des  mers  du  Midi,  ce  n'était  nullement  un  homme 
de  mer  et  le  commandement  technique  de  son  escadre  fut  donné  au 
chef  d'escadre  de  Turelles-Thiballier,  Ce  dernier  mourut  au  cours 
de  la  campagne  (1672).  Après  la  chute  de  San-Thomé,  de  la  Haye  re- 
vint en  France  et  fut  nommé  gouverneur  de  Thionville  :  il  fut  tué  à 
la  fin  delà  guerre  de  Hollande  (1677).  Il  a  laissé  de  son  expédition  aux 
Indes  un  récit  sous  le  titre  de  :  Journal  du  voyage  des  grandes  Indes, 
contenant  tout  ce  qiii  s'y  est  fait  et  passé  par  l'escadre  de  S.  M.  1698. 

(4)  Instructions  pour  M.  de  la  Haye,  lieutenant-général  dans  les  Indes 
Orientales,  Versailles, 4  décembre  1069.  Clément,  op.  cit. 

(5)  Les  Anglais  étaient  déjà  établis  à  Sainte-Hélène,  les   Hollandais 

au  Gap. 

w.  —  Il 


162  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    III 

dagascar  au  nom  du  Roi  à  qui  la  Compagnie  l'abandonnait  et 
s'en  faire  reconnaître  comme  gouverneur,  enfin  cingler  vers 
Surat,  pour  se  mettre  en  communication  avec  les  Directeurs 
Caron  et  Goujon  (1).  Pendant  son  séjour  dans  l'Océan  Indien 
dont  la  durée  était  fixée  à  trois  années,  il  devait  se  conformer 
aux  indications  de  ces  Directeurs  et  seconder  leurs  desseins, 
concerter  avec  eux  l'établissement  du  comptoir  de  Ceylan  et 
postérieurement  celui  de  l'île  Banka.  De  la  Haye  remplit  la 
première  partie  de  ce  programme  sans  obstacle,  sinon  sans 
retard.  Il  déclara  qu'on  ne  pouvait  faire  à  Madagascar  de  colo- 
nies considérables,  vanta  au  contraire  l'île  Bourbon  et  en  con- 
seilla une  occupation  plus  effective,  puis  au  mois  d'août  1671 , 
il  fit  voile  pour  Sural,  où  commençait  la  partie  délicate  de 
cette  expédition. 

Des  événements  importants  s'étaient  passés  pendant  cette 
même  période.  Trois  nouveaux  Directeurs  avaient  été  en- 
voyés en  1670  dans  l'Inde,  où  la  mort  de  de  Paye  avait  laissé 
Caron  aux  prises  avec  Goujon.  C'étaient  MM.  Baron,  Gues- 
ton  (2)  et  Blot.  En  même  temps,  le  Conseil  Souverain  de 
l'île  Dauphine  fut  supprimé  et  cette  suppression  fut  suivie 
peu  de  temps  après  de  la  création  d'un  nouveau  Conseil 
à  Surat.  Celait  le  prélude  de  l'abandon  définitif  de  nos 
projets  sur  la  grande  île,  où  tant  d'efforts  avaient  été  ainsi 
dépensés  inutilement.  On  a  vu  que  Colbert  n'avait  cepen- 
dant pas  perdu  tout  espoir  de  coloniser  Madagascar,  tout 
en  l'enlevant  à  la  Compagnie,  et  projetait  même  d'y  créer 
des  centres  d'exploitation  nouveaux.  Il  prescrivit  à  la  Direc- 

(1)  Colbert  dans  ces  inslrudioiis  menlioiine  également  de  Paye  dont 
il  ignorait  encore  la  mort. 

(2)  Le  directeur  Gueston  mourut  à  Cliira/  en  se  rendant  à  Ispahan 
pour  le  compte  do  la  Compagnie.  Son  compagnon,  M.  de  .lonclières, 
continua  sa  mission  et  obtint  du  sliati  confirmation  de  la  liberté  du  com- 
merce accordée  à  la  Compagnie. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    DANS    l'iNDE  163 

lion  Générale  «  d'examiner  s'il  y  avait  encoie  quelques 
ordres  à  donner  pour  retrancher  toutes  les  dépenses  de  l'ile 
Dauphine  el  l'abandonner  entièrement  à  ses  habitants  (1)  »,  et 
dans  une  lettre  à  M.  de  la  Haye  il  ajoutait  :  «  S'il  y  a  bon 
nombre  de  Français  établis  à  l'île  Dauphine  et  qui  y  veulent 
demeurer,  il  faut  appuyer  cet  établissement,  et  l'augmenter 
par  tous  moyens  possibles;  mais  s'il  courait  risque  d'être 
enlevé  par  les  naturels,  ou  que  l'infertilité  de  la  terre  fût  telle 
qu'il  fût  impossible  d'augmenter  les  colonies,  il  serait  bon 
d'inviter  et  même  de  forcer  les  habitants  ou  de  changer  de 
poste  dans  la  même  île,  ou  de  passer  dans  l'île  Bourbon  (2).  » 
Lorsque  de  la  Haye  eut  débarqué  à  Fort-Dauphin  et  pris 
possession  de  l'île  au  nom  du  Roi,  le  marquis  de  Monde- 
vergue,  relevé  de  ses  fonctions,  put  s'embarquer  pour  la 
France.  Un  triste  sort  l'y  attendait  :  Colberl,  qui  gardait  sur 
son  administration  des  doutes  que  de  nouvelles  circonstan- 
ces avaient  peut-être  aggravés  (3),  avait  obtenu  du  Roi  un 

(1)  Ses  habitants  français,  veut-il  dire.  Mémoire  du  30  déc.  1670, 
Clément. 

(2}  Dès  la  première  expédition  on  avait  élevé  dans  l'île  Bourbon,  pour 
en  assurer  la  possession  à  la  Compagnie,  trois  petits  postes  :  St- Denis, 
St-Paul  et  St-Pierre,  qui  sont  encore  les  trois  villes  importantes  de  celle 
île, et  l'on  y  plaça  un  commandant  particulier,  M.  Régnault.  En  1671 
l'amiral  de  la  Haye  vint  prendre  possession  de  l'île  au  nom  du  Roi,  et 
désigna  comme  lieutenant-général  M.  Lahure.  La  cession  définitive  de 
Bourbon  au  Roieutlieuen  1686  en  même  temps  que  celle  de  Mada- 
gascar. Lorsque  les  Hollandais  abandonnèrent  l'île  Maurice  sa  voisine, 
celle-ci  fut  occupée  par  les  habitants  de  Bourbon  (1712). 

(3)  Colberl  à  M.  Holman,  30  juillet  1671  :  «  Il  me  parait  beaucoup 
d'indices  que  lorsqu'il  (Mondevergue)  était  à  Madagascar,  il  a  envoyé 
le  sieur  Dandron,  capitaine  de  ses  gardes,  à  Masulipatam,  pour  faire 
quelque  commerce  avec  Marcara  qui  est  son  confident. . .  ;  je  dois  vous 
dire  que  ledit  sieur  Mondevergue  est  déjà  demeuré  d'accord  d'avoir  pour 
10  ou  12.000  livres  de  diamants...  »  Au  même,  15  août  1671  :  «  Il  y  a 
lieu  d'espérer  par  tout  ce  qui  résulte  du  commencement  de  cette  procé- 


164  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    III 

mandai  d'arrestation  contre  lui,  et  quand  le  malheureux  gou- 
verneurloucha  le  sol  de  la  France  le  24juillell671,ll  futarrêté, 
conduit  sous  bonne  escorte  au  château  de  Saumur  et  mis 
au  secret  absolu,  tandis  que  le  maître  des  requêtes  Hotman 
était  désigné  par  Colbert  pour  conduire  l'instruction  de  son 
procès.  Le  coupable,  s'il  l'était  vraiment,  échappa  cepen- 
dant à  la  justice  du  Roi,  car  il  mourut  dans  sa  prison  en 
janvier  1672. 

Pendant  ce  temps  l'escadre  de  M.  de  la  Haye  apparaissait 
sur  les  côtes  de  l'Inde  (1).  L'effet  qu'elle  produisit  sur  les 
petits  princes  hindous  et  les  Européens  eux-mêmes  fut  très 
grand,  car  jamais  la  France  n'avait  manifesté  si  énergique- 
ment  ses  prétentions  à  la  domination  des  Indes  et  c'étaient 
les  premiers  de  ses  vaisseaux  de  guerre  qui  fréquentassent 
cet  océan.  Après  avoir  pris  Caron  à  son  bord,  de  la  Haye  se 
montra  à  Bombay  où  les  Anglais  étaient  les  maîtres,  à  Goa 
où  dominaient  les  Portugais,  à  Calicul,  où  le  Zamorin,  déjà 
favorable  à  la  Compagnie  française,  frappé  par  ce  déploie- 
ment de  forces,  sollicita  aussitôt  l'assistance  de  l'amiral  con- 
tre les  Hollandais.  La  chose  était  délicate,  car  nous  étions 
encore  en  paix  avec  la  Hollande  ;  de  la  Haye  et  Caron  hésitè- 
rent longtemps.  Hs  se  décidèrent  néanmoins  à  conclure  l'al- 
liance sollicitée,  mais  Caron  s'opposa  formellement  et  par 

dure,  que  nous  trouverons  la  preuve  de  tout  ce  qui  a  été  fait  par  M.  de 
Mondevergue,  et  il  paraît  même  des  apparences  d'un  plus  grand  mal 
que  celui  duquel  nous  l'avons  soupçonné.  »  Clément,  op.  cit. 

(i)  M.  Gaffarel  (Les  Colonies  françaises)  donne  sur  le  séjour  de  M.  de 
la  Haye  à  Madagascar,  pour  lequel,  on  l'a  vu,  celui-ci  avait  des  ordres 
très  formels  du  gouvernement  royal,  l'appréciation  suivante  :  «  Un 
certain  Delahaye  qui  ne  connaissait  ni  le  pays  ni  les  habitants 
commit  tant  de  maladresses  à  Madagascar  que  les  insulaires  exaspérés 
se  soulevèrent  contre  sa  tyrannie  et  massacrèrent  nos  niallieureux  com- 
patriotes. DeUiliayo  abandonna  traîtreusement  le  Fort-Dauphin  et  passa 
à  Sural  avec  ses  troupes.  » 


LA    COMPAGNIE    f)ES    INDES    ORIENTALES    DANS    l'inDE  165 

deux  fois  à  laisser  de  la  Haye  attaquer  l'escadre  de  l'amiral 
hollandais  Rickloff,  et  de  là  naquit  entre  eux  un  dissentiment 
qui  prit  bientôt  une  tournure  violente.  Ils  s'accordèrent  cepen- 
dant pour  se  rendre  à  Ceylan,  où  l'établissement  depuis  long- 
temps projeté  par  Caron  et  approuvé  par  le  ministre,  devait 
être  tenté  ;  mais  une  déception  les  y  attendait.  Trincomali  que 
visait  Caron, ancien  poste  portugais  démoli  par  les  Hollandais 
et  abandonné  par  eux,  avait  été  réoccupé  par  les  agents  de  la 
Compagnie  d'Amsterdam,  qui  avait  eu  vent  de  ces  desseins. 
Il  fallut  se  contenter  de  la  baie  de  Cotéary  dont  on  fortifia 
deux  îlots,  qui  furent  munis  d'une  petite  garnison,  puis  on 
repartit  pour  Surat.  On  y  apprit  bientôt  l'ouverture  des  hosti- 
lités entre  la  France  et  la  Hollande  (1);  c'était,  au  point  où 
en  étaient  les  choses,  un  véritable  soulagement.  De  la  Haye, 
délivré  de  l'opposition  de  Caron,  s'empressa  de  prendre 
l'avance  sur  son  rival  Riciiloff  :  il  mouilla  devant  San-Thomé, 
une  des  principales  factoreries  de  la  côte  de  Coromandel, 
dépendant  du  roi  de  Golconda  (2),  la  bombarda  et  la  prit 
d'assaut. 

Cette  victoire, couronnant  une  attaque  aussi  hardie  qu'inat- 
tendue, eut  dans  l'Inde  entière  un  grand  retentissement;  de 
la  Haye  profita  de  l'autorité  que  lui  donnait  ce  haut  fait,  pour 
se  débarrasser  de  Caron,  auquel  il  ne  pouvait  pardonner 
l'opposition  qu'il  avait  mise  à  l'attaque  de  la  flotte  hollan- 
daise. Caron  d'ailleurs  devenait  impossible  dans  les  circons- 
tances présentes  en  raison  de  son  ancienne  nationalité  et  sa 
perte  était  depuis  quelque  temps  secrètement  résolue.  Nous 

(1)  Elle  fut  portée  à  la  connaissance  de  M.  de  la  Haye  par  une  lettre 
de  Colbert  en  date  du  30  juin  1672  ;  la  fjuerre  était  commencée  depuis  le 
mois  de  février  et  le  roi  était  alors  maître  de  presque  toute  la  Hollande. 

(2)  C'était  le  Soubab  du  Deccan,  vassal  théorique  du  Grand-Mof^oJ, 
dont  il  était  en  fait  indépendant.  Golconda  (Golconde)  était  sa  capitale. 
San-Thomé  était  un  peu  au  sud  de  Madras. 


166  DEUXIÈME    PARTIK.    CIIAHITRK    UI 

avons  marqué  la  soUicilude  que  Colbert  inonlra  envers  cel 
auxiliaire  précieux  de  ses  desseins  ;  ses  lettres  où  il  multi- 
plie les  promesses  des  faveurs  royales,  des  récompenses  les 
plus  brillantes  nous  en  offrent  le  témoignage  ;  la  famille  de 
Caron  fut  pensionnée  par  le  Roi,  sa  fille  dotée  et  mariée  par 
ses  soins  ;  fermant  l'oreille  aux  plaintes  qu'il  recevait  contre 
lui  et  qu'il  attribuait,  non  sans  quelque  raison,  à  la  jalousie, 
Colbert  repoussa  systématiquement  toute  accusation  portée 
contre  son  protégé  ;  Marcara  (1),  Goujon  que  Caron  voulut 
perdre,  furent  sacrifiés  sans  hésitation,  et  on  l'encouragea 
avec  quelque  insistance  à  consacrer  encore  longtemps  ses 
soins  à  l'établissement  de  la  Compagnie  aux  Indes.  Qu'on 
ne  s'y  trompe  pas  cependant  :  cet  étranger  que  Colbert  met- 
tait ainsi  à  la  tête  d'une  entreprise  aussi  importante  n'était 
à  ses  yeux  qu'un  instrument  nécessaire  ;  son  dessein  était 
de  tirer  le  plus  d'avantages  possible  de  son  expérience  de  ce 
commerce,  puis  de  le  renvoyer  quand  il  aurait  donné  tout 
ce  qu'on  pouvait  attendre  de  lui.  Peut-être  les  plaintes  répé- 
tées et  unanimes  des  Directeurs  ses  collègues, blessés  par  le 
dédain  avec  lequel  il  les  traitait,  et  la  guerre  avec  la  Hol- 
lande qui  pouvait  refroidir  son  zèle  pour  la  grandeur  de  sa 
nouvelle  patrie,  forcèrent-elles  Colbert  à  s'en  séparer  plus 
tôt  qu'il  ne  l'eût  désiré  (2).  Néanmoins  il  n'hésita  point,  et 

(1)  Marcara  est,  lui  aussi,  une  ligure  originale  dans  celle  histoire  :  il 
n'eut  pas  un  meilleur  sort  que  Mondevergue,  car  il  fut  à  son  arrivée  en 
France  incarcéré  à  la  citadelle  de  l^ort-Louis  (I673)'ainsi  que  son  frère, 
employé  comme  lui  dans  la  Compagnie.  Suivant  M.  Gaffarel,  il  fut  com- 
plètement justifié  de  l'accusation  qui  pesait  sur  lui  :  il  avait  d'ailleurs 
présenté  lui-même  sa  défense  sous  la  forme  d'un  mémoire  que  cile  du 
Fresne  de  Franclieville.  On  trouve  à  la  Bibliothèque  nationale,  .V.<s, 
sous  la  cote  Fr.  8972,  des  pièces  relatives  à  ce  procès. 

(2)  Les  procédés  de  Colbert  à  l'égard  de  Caron  sont  curieux  à  étu- 
dier dans  les  instructions  envoyées  par  lui  aux  dilTérenls  personnages 
qui  occupaient  alors  une  situation  importante  dans  l'Inde.  D'abord  les 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    DANS    l'iNDE  167 

manda  à  de  la  Haye  de  prendre  à  son  égard  telles  mesures 
que  les  Directeurs  et  lui  jugeraient  convenables  :  de  la 
Haye  qui  avait,  lui  aussi,  ses  griefs  contre  Caron  ne  se  fit 
point  prier  :  à  la  faveur  de  sa  victoire,  il  l'embarqua  sur 
un  de  ses  vaisseaux,  le  Jules,  sous  couleur  d'en  porter  en 
Europe  la  joyeuse  nouvelle.  Le  malheureux  ne  devait  point 
parvenir  en  France  :  il  périt  dans  la  rivière  de  Lisbonne 
avec  ce  navire  et  une  partie  de  son  équipage  (1). 

Caron,  quels  que  fussent  ses  loris,  avait  utilement  servi  la 
France  ella  Compagnie, et  son  nom  mérite  mieux  que  l'oubli  ; 
sa  disparition  d'ailleurs  n'arrangea  point  nos  affaires  dans 
l'Inde.  Les  Hollandais  possédaient  en  Asie  des  forces  militai- 


accusations  portées  contre  Caron  étaient  forcément  inexactes  :  un  liomme 
qui  avait  servi  vingt-deux  années  la  Compagnie  liollandaise  étaitincapable 
des  prévarications  et  des  injustices  qu'on  lui  reprochait  ;  plus  tard,  si  la 
déférence  à  ses  ordres  continua  à  être  strictement  recommandée  à  ses 
collègues,ce  ne  fut  point  sans  laisser  place  à  la  supposition  qu'il  pût  mal 
faire  ;  on  leur  recommanda  seulement  de  n'en  rien  manifester,  tout  en 
avertissant  la  Compagnie  de  leurs  griefs  :  enfin  quand  de  la  Haye  fut 
en  route  pour  Surat,  au  reçu  de  nouvelles  plaintes  contre  Caron,  l'ami- 
ral reçut  l'ordre  d'appuyer  en  tout  les  autres  Directeurs  et  de  faire  en- 
tendre à  Caron  qu'il  ne  devait  plus  rien  entreprendre  de  son  chef. 
(Cf.  Clément,  op.   cit.,  pass.) 

(1)  Dans  le  mémoire  qu'il  publia  pour  sa  justification,  Marcara  donne 
des  circonstances  delà  mort  de  Caron  des  détails  assez  piquants.  Caron 
serait  allé,  à  l'en  croire,  jusqu'en  vue  des  côtes  françaises,  puis  saisi  par 
la  crainte  d'être  poursuivi  pour  ses  escroqueries,  il  rebroussa  chemin 
pour  débarquer  en  Portugal,  et  cette  décision  causa  la  perte  de  son 
navire.  Mais  Marcara  n'offre  pas  à  l'égard  de  Caron  toute  l'impar- 
tialité désirable,  d'ailleurs  il  est  à  remarquer  que  la  Compagnie  ne 
semble  pas  s'être  plainte  de  Caron  comme  elle  le  fit  pour  Mondevergue, 
et  son  rappel  fut  l'œuvre  de  Colberl  lui-même.  François  Martin  dit  sim- 
plement dans  ses  Mémoires  à  ce  propos  :  «  M.  Caron  prit  la  résolution, 
apparemment  de  concert  avec  M.  de  la  Haye,  de  repasser  en  France, 
pour  représenter  l'état  des  affaires  des  Jndes  et  la  nécessité  d'y  être 
secouru  promptemenl.  » 


168  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    III 

res  importantes  ;  ils  se  ressaisirent  et  reprirent  ravanlapje. 
A  peine  de  la  Haye  avait-il  quitté  la  baie  de  Cotéary  que  les 
faibles  garnisons  qu'il  y  avait  laissées  étaient  enlevées  par 
eux  ;  puis  de  concert  avec  le  roi  de  Golconda  qu'ils  eurent 
l'adresse  d'indisposer  contre  nous,  et  renforcés  par  une  nou- 
velle escadre,  ils  enfermèrent  de  la  Haye  dans  San-Thomé 
par  mer  et  par  terre.  Il  y  fit  une  longue  et  glorieuse  résis- 
tance de  vingt-six  mois  qui  ne  lui  épargna  pas  cependant  la 
reddition  finale.  La  ville  fut  livrée  aux  vainqueurs  le  6  sep- 
tembre 1674,  et  l'amiral  en  sortit  avec  les  honneurs  de  la 
guerre.  C'était  un  coup  terrible  porté  à  notre  influence 
naissante  et  au  développement  de  notre  Compagnie.  La  faute 
n'en  incombe  pas  exclusivement  à  l'infortuné  de  la  Haye  ; 
à  son  départ  on  lui  avait  formellement  promis  l'envoi  ulté- 
rieur de  plusieurs  vaisseaux,  mais  les  soucis  de  la  guerre 
qui  s'éternisait  en  Europe  nuisirent  à  l'escadre  de  Perse  :  on 
lui  envoya  bien  quelques  navires  (1),  mais  ces  renforts  com- 
pensés par  les  envois  faits  par  de  la  Haye  en  Europe,  n'eu- 
rent aucun  effet  utile,  et  la  longueur  exagérée  de  son  séjour 
dans  l'Océan  Indien  lui  ôfa  beaucoup  de  ses  moyens  d'action. 
L'amiral  s'en  plaignit  à  Colbert,  terminant  sa  requête  par  ces 
paroles  remarquables  :  «  Il  serait  facile  cependant  d'établir 
la  souveraineté  de  la  France  aux  Indes  :  un  petit  effort  suf- 
firait pour  cela  !  »  (2) 

(1)  Louis  XIV  a  M.  de  ia  Haye,  8  septembre  1674  :  «...  Outre  les 
60.000  livres  que  ce  vaisseau  (le  Coche)  vous  porte,  je  dois  croire  que 
vous  avez  à  présent  reçu  les  100.000  livres  que  mon  vaisseau  le  Rubis 
vous  a  portées,  les  200.000  que  je  fis  charger  il  y  a  deux  ans  sur  le 
vaisseau  de  la  Compagnie  VOrient.  et  les  100.000  de  mon  vaisseau  le 
Breton  parti  il  y  a  quatre  ans...  »  Clément,  op.  cit. 

(2)  Pour  cette  première  partie  de  Fliistoire  de  la  Compagnie  de  Col- 
bert, notamment  sur  le  rôle  de  Mondevergue,  de  Caron,  do  l'amiral  de 
la  Haye,  consulter  l'ouvrage  de  M.  I,.  Pauliat  :  Louis  XIV  et  la  Coin- 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES   DANS    l'iNDE  169 

Les  conséquences  de  la  perte  de  San-Thomé  furent  mal- 
heureusement importantes  ;  les  Hollandais  détruisirent  notre 
comptoir  naissant  de  Masulipatam,elnous  chassèrent  de  Tel- 
lichéri  et  de  Rajapur  ;  nous  fûmes  même  obligés  d'aban- 
donner Bender-Abbas  sur  le  golfe  Persique.  Le  mal  était 
grand,  mais  il  n'était  pas  irréparable,  car  ces  établissements 
étaient  peu  de  chose  encore,  et  la  Compagnie  devait  avoir  le 
bonheur  de  trouver  des  hommes  à  la  hauteur  de  la  tâche  de 
leur  reconstitution. 

Ainsi  la  guerre  contre  la  Hollande  ne  nous  fui  guère  favora- 
ble dans  l'Océan  Indien  ;  en  Europe  les  hostilités,  ouvertes 
en  1672  simultanément  sur  mer  et  sur  terre,  n'étaient  point 
encore  près  d'être  fermées,  et  se  poursuivirent  trois  années 
encore,  marquées  par  d'éclatants  succès  pour  nos  armes. 
Les  Hollandais,  impitoyablement  battus  sur  le  continent,  se 
heurtèrent  pour  la  première  fois  à  la  marine  créée  par  Col- 
bert  qui  s'y  montra  en  possession  de  tous  ses  moyens  et  s'y 
comporta  brillamment  (1).  Cependant,  malgré  des  victoires 
constantes,  la  guerre  tourna  à  noire  désavantage.  L'élection 
de  Guillaume  d'Orange,  notre  mortel  ennemi,  au  stathoudé- 
rat,  son  énergique  décision  qui  noya  la  Hollande,  mais  arrêta 
notre  élan,  l'habileté  avec  laquelle  il  détacha  de  nous  tous  nos 
alliés  du  début,  forcèrent  Louis  XIV  à  accepter  la  paix  qu'il 
avait  une  première  fois  hautainement  repoussée.  La  guerre 
d'ailleurs  coûtait  très  cher  ;  plusieurs  provinces  de  France 
étaient  réduites  à  la  misère,  il  était  temps  d'en  finir.  La  paix 

pagnie   des  Indes   Orientales,   étude  documentée  dont  il  est  permis 
cependant  de  discuter  les  conclusions. 

(1)  La  bataille  navale  de  Solebay  fut  indécise,  mais  le  célèbre  amiral 
Ruyler  eut  besoin  de  tout  son  génie  pour  nous  empêcher  de  débarquer 
sur  les  côtes  hollandaises.  Les  flottes  des  Etats  battirent  les  nôtres  à 
Walcheren  et  au  Texel,  mais  elles  furent  vaincues  par  Duquesne  à 
Stromboli,  Agosla  et  Pulerme. 


170  DEUXIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE    III 

de  Nimègue,  quoiqu'elle  dût  consacrer  la  victoire  de  la  France 
et  marquer  le  point  culminant  de  la  puissance  de  Louis  XIV 
en  Europe,  fut  un  succès  pour  la  Hollande  qu'on  avait  voulu 
écraser.  Loin  d'y  perdre  de  ses  territoires  elle  les  agrandit, 
et  au  tarif  de  1667  dont  elle  obtint  l'abolition  à  son  égard  fut 
substitué  celui  de  1664,  moins  gênant  pour  son  commerce. 

Pendant  cette  longue  période  de  guerre,  on  le  conçoit,  noire 
commerce  et  surtout  notre  commerce  maritime  subirent  un 
arrêt  très  sensible  ;  les  mers  d'Europe  étaient  sillonnées  de 
vaisseaux  de  guerre,  la  marine  militaire  n'avait  guère  le  loi- 
sir de  protéger  efficacement  les  convois  des  négociants  et 
leur  enlevait  d'ailleurs  leurs  équipages  ;  la  Compagnie  des 
Indes  Orientales,  surprise  au  moment  où  elle  luttait  contre 
les  difficultés  du  début  et  en  était  encore  à  jeter  les  bases  de 
son  commerce,  devait  être  particulièrement  atteinte  par  ces 
circonstances  défavorables. 

La  chute  de  nos  comptoirs  provoqua,  il  est  vrai,  des  fon- 
dations nouvelles  dont  l'importance  devait  un  jour  dépasser 
celle  des  premiers  essais.  Lorsque  la  capitulation  de  l'amiral 
de  la  Haye  nous  eut  chassés  de  San-Thomé  (1),  un  des  commis 
de  Caron,  François  Martin  (2),  qui  avait  pris  à  la  défense  de  la 
ville  une  part  importante,  se  mit  à  la  tête  d'une  soixantaine 
de  Français  laissés  sans  asile  par  cet  événement  et  vint  s'éta- 
blir avec  eux  dans  le  village  de  Pondou-Tcherri,  situé  sur  le 

(1)  San-Thomé  l'ut  détruit  par  les  Hollandais  après  leur  victoire. 

(2)  François  Martin,  né  à  Paris  en  1634,  orphelin  et  misérable,  débuta 
comme  Caron  dans  la  Compagnie  hollandaise,  et  comme  lui  dans  des 
emplois  inférieurs.  Il  passa  au  service  de  la  Compagnie  française  dès 
sa  création  ;  Caron  s'intéres?a  à  lui,  apprécia  son  iiilolligence  et  son  dé- 
vouement, l'emmena  à  Surat  puis  l'envoya  à  Masulipalam  :  il  prit  pari 
aux  opérations  de  M.  de  la  Haye  et  se  trouvait  avec  lui  dans  San-Thomé 
quand  les  Hollandais  en  commencèrent  le  siège.  Nous  avons  déjà  men- 
tionné ses  importants  mémoires  conservés  aux  Archives  Nationales. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    DANS   l'iNDE  171 

littoral  au  sud  de  San-Thomé,  dans  un  endroit  salubre,  sur  un 
rivage  passablement  abrité  contre  la  mousson.  Il  sut  obtenir 
du  seigneur  du  pays,  Cliir-Khan,  la  concession  de  ce  village 
pour  y  établir  une  factorerie,  avec  le  droit  d'y  faire  quelques 
travaux  de  défense  et  d'y  mettre  une  petite  garnison, et  il  tira 
parti  de  ces  faveurs  avec  une  remarquable  intelligence.  Bien- 
tôt un  fort  fut  élevé  où  300  soldats  indigènes  tinrent  quartier, 
des  magasins  furent  construits  pour  les  marchandises  de  la 
Compagnie,  Pondichéry  à  peine  fondé  prit  les  allures  d'une 
ville. 

Au  Bengale,  pendant  ce  temps,une  nouvelle  factorerie  pre- 
nait également  naissance  qu'appelait  un  avenir  durable  :  un 
autre  agent  de  Caron,  Bourreau-Deslandes,  qui  avait  déjà 
fondé  le  comptoir  de  Balasor,  avait  obtenu  depuis  du  Soubab 
du  Bengale  l'autorisation  de  s'établir  à  Chandernagor  sur 
l'Hugli  (1673).  Balasor  fut  ruiné  par  les  Hollandais  au  cours 
de  la  guerre  ;  mais  Chandernagor  échappa  à  leur  jalouse  hos- 
tilité, et  tout  en  relevant  Balasor, Bourreau-Deslandes  exécuta 
à  Chandernagor  les  travaux  de  défense  nécessaires  pour  lui 
éviter  pareil  sort  (1676), 

Quand  le  comptoir  de  Masulipatam  eut  été  à  son  tour  relevé 
de  ses  ruines  par  François  Martin  (1),  le  mal  fait  à  la  Compa- 
gnie par  sa  puissante  rivale  se  trouva  presque  entièrement 
réparé. 

En  France,  la  Compagnie  se  ressentit  davantage  des  maux 
de  celte  longue  guerre.  Les  opérations  commerciales  avaient 
presque  complètement  cessé,  quelque  effort  qu'eût  fait  Col- 
bert  pour  les  maintenir  ;  les  magasins  de  Lorient  étaient 
pleins  de  marchandises  que  l'on  ne  trouvait  point  à  vendre, 

(1)  «  Je  reçus  des  lettres  du  roi  de  Golconde,  dit  François  Martin, 
qui  nous  invitait  de  retourner  à  Mazulipatam  y  jouir  des  mêmes  pri- 
vilèges que  la  Compagnie  y  avait  eus  autrefois.  »  Mémoires. 


172  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    JII 

car  le  commerce  français  tout  entier  avait  été  atteint.  Le  mi- 
nistre crut  devoir  recourir  à  des  mesures  radicales  pour  faire 
sortir  la  Compagnie  de  cette  torpeur  ;  il  en  rendit  responsable 
son  administration  et  appela  les  actionnaires  à  nommer  de 
nouveaux  Directeurs,  tandis  qu'il  déléguait  auprès  d'eux  des 
Commissaires  royaux  pour  examiner  la  situation  et  y  chercher 
un  remède  efficace  (1675).  Il  alla  plus  loin  :  par  son  entre- 
mise, la  Compagnie  fut  dispensée  par  le  Roi  du  rembourse- 
ment des  quatre  millions  de  livres  qu'il  lui  avait  jusqu'alors 
fournies,  et  sur  son  ordre,  elle  dut  servir  à  ses  actionnaires 
qui  semblaient  avoir  perdu  toute  confiance  une  répartition 
de  10  0/0. 

La  conclusion  delà  paix  de Nimègue n'apporta  malheureu- 
sement pas  d'amélioration  sensible  à  cette  fâcheuse  situation 
et  la  Compagnie  ne  retrouva  point  l'activité  que  Colbert  en 
attendait.  Aussi  eut-elle  à  supporter  alors  les  premières  atta- 
ques contre  son  privilège.  Les  commerçants  de  Nantes,  de 
Bordeaux,  de  Saint- Malo,  enhardis  par  l'impuissance  où  ils  la 
voyaient  plongée  et  par  la  suppression  récente  de  la  Compa- 
gnie des  Indes  Occidentales,  sa  sœur  jumelle,  commencèrent 
à  murmurer,  et  leurs  plaintes  arrivèrent  bientôt  à  l'oreille  de 
Colbert,  qui  en  fut  douloureusement  ému.  Selaitil  donc 
trompé  en  créant  cette  Compagnie, et  celle-ci  n'était-elle  point 
capable  déjouer  le  rôle  utile  et  glorieux  qu'il  lui  avait  assi- 
gné ?  La  Compagnie  Occidentale  avait  disparu  après  dix 
années  à  peine  d'existence, fallait-il  donc  détruire  aussi  celle- 
là  ?  Elle  était  cependant  une  des  colonnes  principales  de  l'édi- 
fice économique  qu'il  avait  élevé  et  d'ailleurs  le  commerce 
particulier  devait  résister  encore  moins  qu'elle  à  riiostililé  et 
à  la  concurrence  des  Hollandais.  En  fait,  c'était  la  guerre  qui, 
interrompant  son  premier  essor,  avait  compromis  l'avenir  de 
cette  Compagnie;  son  inaction  actuelle  n'avaitpoint  une  cause 


LA   COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    DANS    l'iNDE  173 

interne  el  l'on  ne  pouvait  la  juger  si  tôt.  Des  temps  meilleurs 
viendraient  pour  elle  ;  le  point  important  était  de  conserver 
les  résultats  déjà  notables  obtenus  en  Asie  et  de  savoir  atten 
dre.  Colberl  puisa  dans  ces  considérations  l'idée  d'un  com- 
promis dont  il  décida  aussitôt  l'application.  • 

Il  consistait  à  faire  de  la  Compagnie;,  conservée  en  jouis- 
sance de  toutes  ses  prérogatives,  l'intermédiaire  auquel  les 
commerçants  particuliers  seraient  tenus  de  recourir  pour 
exercer  le  trafic  des  Indes  déclaré  libre  et  accessible  à  tous. 
Il  ne  le  serait  en  efïet  qu'à  la  triple  condition  d'avoir  une 
permission  de  la  Compagnie,  de  se  servir  de  ses  vaisseaux 
et  de  vendre  par  son  intermédiaire  le  produit  des  retours 
dans  les  magasins  de  Lorient.  Ainsi  la  Compagnie  garderait 
son  activité  grâce  au  commerce  particulier  lui-même,  et 
plus  celui-ci  serait  considérable,  plus  elle  en  profiterait; 
ses  actionnaires  verraient  leurs  capitaux  rémunérés,  sans 
avoir  aucun  effort  nouveau  à  fournir,  par  les  rétributions 
imposées  aux  négociants,  et  elle  pourrait  attendre  ainsi 
l'heure  favorable  où  elle  reprendrait  la  plénitude  de  l'exer- 
cice de  son  privilège  (1).  L'importance  de  ces  dispositions, 

(1)  Cet  élat  de  choses  fut  e'tabli  par  deux  arrêts  du  Conseil  en  date 
des 26  décembre  1681  et  20  janvier  1682.  François  Martin  dit  à  ce  su- 
jet dans  ses  Mémoires  :  «  Il  s'était  formé  en  France  une  société  de 
marchands  particuUers  qui  avaient  obtenu  par  un  traité  fait  avec  la 
Compagnie  de  faire  commerce  aux  Indes  sur  ses  vaisseaux,  moyennant 
de  payer  10  0/0  de  l'argent  et  des  marchandises  qu'ils  chargeraient  en 
France  et  encore  10  0/0  du  retour  des  marchandises  sur  le  pied  de 
l'achat  aux  Indes.  Si  la  Compagnie  a  eu  des  raisons  particulières  de 
passer  ce  traité,  je  n'en  ai  pas  eu  de  connaissance,  mais  il  est  sûr  qu'elle 
avait  ménagé  fort  mal  ses  intérêts  ;  c'était  une  perte  considérable  mais 
visible  pour  elle  que  cet  accord, ce  qui  a  été  reconnu  depuis  et  qui  a  fait 
bien  changer  aussi  les  articles  du  traité.»  Mémoires,^.  345. Suivant  l'abbé 
Morellet  la  Compagnie  aurait  renoncé  bientôt  en  effet  à  délivrer  ces 
permissions.  François  Martin  rapporte  seulement  qu'elle  en  changea 
les  conditions  ;  en  fait  elle  passa  jusqu'à  la  fin  de  pareils  traités. 


174  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    II! 

œuvre  de  Colbert  lui-même,  esl  très  grande:  elles  consla- 
laienl  d'abord  implicitement  un  échec  de  sa  politique  éco- 
nomique ;  elles  instituaient  en  outre  un  précédent  et  les 
mesures  qu'il  imaginait  devaient  dorénavant  être  souvent 
reprises  aux  époques  de  crise  de  la  Compagnie  des  Indes. La 
Compagnie  Orientale  resta  pour  son  compte,  avec  des  recru- 
descences d'activité  personnelle  malheureusement  éphémè- 
res, soumise  à  ce  régime  jusqu'à  son  incorporation  en  1719 
à  la  grande  entreprise  conçue  par  Jean  Law. 

11  faut  reconnaître, d'autre  part,  qu'une  pareille  solution  ne 
pouvait  donner  une  satisfaction  complète  au  commerce  par- 
ticulier, car  elle  comportait  de  gênantes  restrictions  et  la 
Compagnie  lui  imposa  des  conditions  onéreuses  ;  aussi  les 
résultais  ne  répondirent-ils  que  d'une  façon  imparfaite  aux 
espérances  de  Colbert. 

En  Asie  la  conclusion  de  la  paix  avait  cependant  amélioré 
la  situation  de  la  Compagnie.  Les  comptoirs  nouveaux,  créés 
dans  la  dernière  période  des  hostilités,  commençaient  à  se 
développer,  les  anciens  s'étaient  relevés  de  leurs  ruines,  et 
l'invasion  des  Mahrattes  sous  la  conduite  de  Sivadji  qui 
menaça  un  jour  Pondichéry,  à  peine  en  étal  de  se  défen- 
dre, tut  habilement  détournée  par  François  Martin  dont  ce 
péril  ne  fit  qu'exciler  davantage  l'activité  et  le  dévouement. 
La  succession  de  Caron  avait  été  confiée  par  la  Compagnie 
au  Directeur  Baron  qui  lui  avait  été  adjoint  en  1671  (1).  C'était 
un  homme  intelligent  et  énergique,  qui  avait  été  jadis  consul 
de  France  à  Alep;  il  montra  dans  les  importantes  fonctions  qui 
lui  étaient  dévolues  de  très  remarquables  qualités.  11  entama 
en  effet  avec  Sivadji  des  pourparlers  pour  la  cession  d'une 

(1)  Baron  fui  nommé  chef  du  comptoir  de  Surat  le  13  janvier  1674. 
Les  autres  membres  du  Conseil  étaient  à  cette  époque  MM.  de  Jon- 
chères,  J.-B.  Murlin,  Bourreau-Deslandes,  et  Pillavoine. 


LA   COMPAGNIE   DES    INDES    ORIENTALES    DANS    l'iNDE  i  75 

factorerie  sur  la  côte  de  Konkan  soumise  à  son  autorité  ;  mal- 
heureusement le  manque  de  fonds  arrêta  cette  négociation .  Il 
réussit  aussi  à  renouer  avec  le  nabab   du  Carnalic  les  rela- 
tions amicales  que  l'adresse  des  Hollandais  avait  rompues 
pondant  la  dernière  guerre  et  il  obtint  même  de  lui  l'assu- 
rance qu'il  nous  laisserait  reprendre  San-Thomé  à  nos  ri- 
vaux. Mais  pour  cette  entreprise  encore  il  fallait  de  l'argent 
et  surtout  des  forces  militaires,  et  Baron  ne  put  les  obtenir 
ni  de  la  Compagnie  ni  de  l'Etat  qui  se  trouvaient  tous  les 
deux  alors  dans  une  égale  pénurie  de  ressources.  De  guerre 
lasse  il  se  confina  dès  lors  dans  la  tâche  de  conserver  à  la 
Compagnie  la  place  qu'elle  avait  dans  l'Inde.  Après  plusieurs 
années  d'une  sage  administration,  il  fut  arrêté  par  la  mort, 
et  succomba  à  Surat  en  1683,  accablé,  dit-on,  par  le  sen- 
timent  de  son  impuissance.  La   Compagnie  perdit  en  lui 
un  de  ces   serviteurs  intelligents  et  habiles  qu'elle  eut  le 
bonheur  de    rencontrer  quelquefois  parmi  un  trop  grand 
nombre  de  médiocrités.  Sa  mémoire  mérite  d'être  conser- 
vée, car  il  fut  avec  Caron   et   Martin  le   créateur  de  notre 
empire  des  Indes  ,   dont   les    Lenoir ,  les  Dumas ,   et  les 
Dupleix  devaient  plus  tard  porter  si  haut  les  destinées. 

Une  nouvelle  perte,  plus  fâcheuse  encore,  vint  bientôt  la 
frapper. Colberl, son  fondateur,disparuten  effet  en  cette  même 
année  1683,  avec  la  douleur  de  voir  ses  réformes  économi- 
ques les  plus  utiles  compromises  par  les  guerres  coûteuses 
et  les  travaux  exagérés  du  Koi,  le  désordre  écarté  par  ses 
efforts  patients  régner  à  nouveau  dans  les  finances,  la  pros- 
périté commerciale  et  maritime  qu'il  avait  voulu  donner  à  la 
France  plus  éloignée  d'elle  que  jamais  !  La  Compagnie  des 
Indes  Orientales  enfin,  l'une  des  parties  de  son  œuvre  qui  lui 
furent  le  plus  chères, restait  plongée  dans  un  engourdissemen  t 
fatal  et  le  sentiment  de  ce  dernier  échec  de  sa  politique  fut 


176  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    m 

un  des  plus  profonds  sans  doute  de  ceux  qui  assombrirent 
ses  dernières  années  de  ministère.  Cette  mort  priva  la  Com- 
pagnie de  son  plus  précieux  gage  de  succès,  elle  fut  le  signal 
de  nouvelles  entraves  quile  rendirent  impossible  désormais  ! 

La  succession  de  Colbert  était  trop  lourde  pour  un  homme 
qui  n'eût  point  eu  son  génie  ni  sa  puissance  de  travail  :  elle 
fut  partagée  entre  son  fils,  le  marquis  de  Seignelay  qui  prit 
la  marine,  et  Le  Pelletier  qui  eut  les  finances  et  reçut  avec  ce 
département  la  direction  des  Compagnies  de  commerce  qui 
s'y  trouvait  attachée  (1). 

Le  nouveau  Contrôleur-Général  signala  son  arrivée  aux 
affaires  par  une  tentative  de  relèvement  de  la  Compagnie 
des  Indes  Orientales  ,  à  l'administration  de  laquelle  il 
crut,  à  tort  peut-être,  nécessaire  d'apporter  une  seconde 
fois  dos  modifications  importantes.  Comme  en  1675,  on 
procéda  au  renouvellement  complet  de  la  Chambre  de  Direc- 
tion Générale,  et  de  nouveaux  Commissaires  royaux  furent 
nommés  pour  l'examen  de  sa  situation  financière  ;  la  dé- 
chéance fut  prononcée  contre  les  actionnaires  qui,  malgré 
l'arrêt  rendu  à  ce  sujet  en  1675,  n'avaient  point  encore  achevé 
leurs  versements  ;  on  supprima  toutes  les  dépenses  que 
l'on  jugea  inutiles,  et  à  cette  occasion  la  Compagnie  ren- 
dit définitivement  au  Roi  Tile  de  Madagascar,  à  la  colonisa- 
tion de  laquelle  elle  avait  depuis  longtemps  déjà  renoncé  (2). 

(1)  Seignelay  garda  la  marine  de  1683  à  1689,  date  de  sa  mort.  Le 
Pelletier  quitta  également  les  finances  en  1689  et  ces  deux  départements 
furent  alors  réunis  entre  les  mains  de  Louis  Phélypeaux  de  Pontchar- 
train  jusqu'en  1699.  Seignelay  reçut  par  un  brevet  royal  le  titre  de 
président  perpétuel  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales.  A  sa  mort 
cette  dignité  fut  conférée  à  Ponlchartrain. 

(2)Arrêt  du  Conseil  du  4  juin  1686,  «  qui  agrée  et  approuve  la  renon- 
ciation faite  par  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  à  la  propriété  et 
seigneurie  de  l'ile  de  Madagascar  et  la  réunit  au  domaine  de  S.  M. «Cet 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    DANS    l'inDE  177 

La  grande  île  fut  solennellement  réunie  à  la  Couronne  :  réu- 
nion toute  platonique  sans  doute,  néanmoins  jamais  le  gou- 
vernement français  ne  renonça  depuis  lors  à  ses  droits  ainsi 
proclamés,  qui  devaient  se  convertir  en  une  appropriation 
effective  deux  siècles  plus  tard. 

Ces  réformes  parurent  devoir  être  suivies  d'heureuses  con- 
séquences, car  les  opérations  commerciales  retrouvèrent 
une  certaine  activité  et  la  Compagnie  effectua  de  nouveau 
ses  armements  à  son  propre  compte  ;  sa  situation  se  main- 
tenait en  Asie  et  fut  même  accrue  par  quelques  progrès  nou- 
veaux. Elle  obtint  du  Grand-Mogol  Aureng-Zeb  la  cession 
définitive  et  en  toute  propriété  de  Chandernagor,  et  son  éta- 
blissement au  Siam  parut  entrer  dans  la  voie  d'une  réalisa- 
lion  prochaine.  Le  roi  de  ce  pays  avait  en  effet  pour  mi- 
nistre favori  un  aventurier  grec,  Constance  Phaulkon,  qui 
seconda  les  efforts  des  Capucins  français  en  notre  faveur, 
et  fit  décider  l'envoi  d'une  ambassade  siamoise  à  Versailles; 
Louis  XIV  répondit  en  envoyant  en  1685  le  chevalier  de  Ghau- 
mont  la  reconduire  avec  deux  vaisseaux  (1),  et  celui-ci  ob- 
tint du  roi  de  Siam  la  promesse  de  céder  à  la  Compagnie  des 
Indes  Orientales  en  toute  propriété  la  ville  de  Bangkok  sur 
le  Mé-Nam  et  le  port  de  Merguy  sur  la  côte  orientale  de  la 
presqu'île  de  Malacca.  On  s'empressa  de  profiler  de  ces 
bonnes  dispositions  ;  Louis  XIV  désigna  en  1687  deux  ambas- 
sadeurs, MM.  de  la  Loubère  et  Céberet  (2),  et  décida  que  la 
Compagnie  qui  avait  un  intérêt  immédiat  à  leur  mission 
en  supporterait  avec   lui  les  dépenses.  On  donna  au   ma- 

arrêt  fut  rendu  à  la  suite  d'un  vœu  formulé  par  la  Compagnie  le  16  no- 
vembre 1685.  Archives  nationales  (ADix,  384). 

(1)  Voir  le  récit  de  la  mission  de  M.  de  Ghaumont  dans  les  Mémoires 
du  Marquis  de  Sourches,  t.  I,  p.  401. 

(2)  Céberet  était  Directeur  Général  de  la  Compagnie. 

W.  —12 


178  bEUXIKME    PARTIE.    CHAPITRE    III 

réchal-de-camp  Desfarges  600  hommes  que  Iransporlè- 
renl  cinq  vaisseaux  réunis  à  Brest  sous  le  commandement 
du  capitaine  de  vaisseau  de  Vaudricourt  (1).  Les  instruc- 
tions données  aux  chefs  de  l'expédition  portaient  qu'on 
s'emparerait  par  force  des  deux  places  si  le  roi  de  Siam  fai- 
sait difficulté  de  les  livrer.  Au  début  cependant  tout  alla  pour 
le  mieux  ;  Bangkok  et  Merguy  (2j  furent  occupés  sans  inci- 
dent, mais  bientôt  les  choses  se  gâtèrent  :  Constance  Phaul- 
kon  fut  victime  d'une  intrigue  de  palais  et  périt  ;  les  mission- 
naires français  furent  emprisonnés  ;  le  petit  détachement 
fut  bloqué  dans  Bangkok  et  dut  capituler  (3)  :  tout  fut  perdu. 
Pendant  ce  temps  en  Francs  une  nouvelle  et  terrible  menace 
vint  fondre  sur  la  Compagnie  au  sein  de  cette  activité  ;  en 
1686,  en  effet,  furent  édictées  les  premières  prohibitions 
contre  l'importation  des  toiles  peintes  de  l'Inde,  des  soieries 
et  des  tissus  d'or  et  d'argent,  résultat  de  l'antagonisme  que 
nous  avons  signalé  entre  les  intérêts  du  commerce  des  Indes 
représentés  par  la  Compagnie  et  ceux  de  nos  industries  na- 
tionales auxquels  dès  la  mort  de  Colbert  on  sacrifia  sans 
ménagement  les  premiers.  Ces  prohibitions  furent  l'origine 
d'une  interminable  série  de  semblables  mesures  qui  opposè- 
rent jusqu'à  la  fin  du  xviu®  siècle  à  la  Compagnie  des  Indes 
un  obstacle  fatal  à  sa  prospérité  !  Elle  dut  dès  lors  restreindre 
ses  importations  aux  quelques  espèces  de  tissus  épargnées 
par  ces  proscriptions,  aux  rares  épices  que  les  Hollandais 
n'avaient  pas  réussi  à  monopoliser,  aux  drogues,  aux  bois, 
aux  métaux  divers,  toutes  choses  qui  ne  purent  alimenter 

(1)  Le  Gaillard,  VOiseau,  la  Normande  appartenant  ;i  la  Compagnie, 
et  les  deux  frégates  du  Roi  la  Loire  et  le  Dromadaire. 

(2)  On  projeta  même  d'élever  à  iMerguy  une  forteresse  importante. 
Mémoires  de  François  Martin. 

(3)  1688.  Desfarges  et  sa  troupe  furent  ramenés  à  Pondichéry.  Ibid. 


lA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    DANS    l'inDE  179 

son  commerce  d'une  façon  aussi  satisfaisante,  car  les  débou- 
chés en  étaient  à  la  fois  moins  considérables  et  moins  rému- 
nérateurs. 

La  guerre  vint  encore  s'ajouter  bientôt  à  ces  circonstances 
désastreuses  !  Dès  l'année  1687  elle  paraissait  imminente  et 
le  Roi  faisait  ouvertement  ses  préparatifs  contre  les  puissan- 
ces signataires  de  la  Ligue  d'Augsbourg.  Enfin,  en  février1689, 
cette  coalition  dont  le  nouveau  roi  d'Angleterre  Guillaume 
d'Orange  était  le  chef  déclaré,  ouvrit  les  hostilités. 

Ce  que  fut  cette  guerre  nouvelle  où  la  France  devait,  en 
dépit  de  ses  victoires,  s'épuiser  pendant  dix  longues  années, 
nous  n'avons  point  à  le  dire,  mais  les  événements  maritimes 
qui  la  marquèrent  et  dont  l'effet  sur  notre  commerce  fut  direct 
ne  peuvent  être  passés  sous  silence.  A  peine  la  guerre  eut-elle 
été  déclarée,  que  les  croiseurs  hollandais  et  anglais  vinrent 
menacer  nos  côtes,  bloquer  nos  ports,  rendant  téméraire  et 
ruineuse  la  moindre  opération  commerciale  La  Compagnie 
n'arrêta  cependant  point  complètement  ses  armements,  elle 
prépara  même  dès  le  début  des  hostilités  une  escadre  de 
six  vaisseaux  armés  en  guerre  qui  partit  aucommencemenl  de 
l'année  1690  sous  le  commandement  du  capitaine  de  vaisseau 
Duquesne,  mais  par  la  suite  ses  envois  et  ses  retours  furent 
rares  et  ne  reprirent  quelque  activité  que  dans  la  seconde 
moitié  de  la  guerre,  alors  que  des  deux  côtés  on  était  déjà  à 
bout  de  forces.  Elle  ouvrit  généreusement  son  port  de  Lorient 
à  la  marine  royale  qui, non  contente  d'y  trouver  un  abri  et  des 
ressources,  s'y  installa  en  maîtresse  et  proposa  bientôt  «  d'en 
déloger  les  gens  de  la  Compagnie  qui  n'y  avaient  que  faire  et 
de  faire  des  casernes  de  leurs  logements  »  1  La  Compagnie 
hollandaise  qui  avait  vu  avec  dépit  nos  comptoirs  se  relever 
après  la  chute  de  San-Thomé,  accueillit  avec  joie  cette  nou- 
velle guerre  qui  lui  permettait  de  les  ruiner  de  nouveau  et 


180  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    III 

plus  complètement  encore  ;  cependant  elle  ne  pul  que  fort 
tard  mettre  ses  projets  à  exécution.  L'escadre  de  Duquesne, 
dont  la  mission  était  de  donner  la  chasse  aux  navires  an^çlais 
et  hollandais,  parut  dans  les  eaux  indiennes  en  août  1690, 
s'empara  de  quelques  bâtiments,  puis  attaqua  hardiment  sous 
le  canon  de  Madras  la  flotte  anglo-hollandaise  plus  nombreuse 
et  plus  forte.  Cette  action  fut  indécise,  mais  l'audace  du 
commandant  français  eut  un  certain  effet  dans  l'Inde.  Cepen- 
dant cette  force  navale,  après  avoir  pris  charge  à  Balasor  et  à 
Pondichéry,  fit  voile  pour  la  France  et  nos  comptoirs  furent 
abandonnés  à  leurs  propres  ressources  (1).  Aussitôt  Laurent 
Pitt,  gouverneur  du  comptoir  hollandais  de  Négapalam,  vint 
assiéger  Pondichéry  par  mer  et  par  terre  (1693)  et  François 
Martin  n'avait  à  lui  opposer  qu'un  mauvais  petit  fort  armé  de 
six  canons,  et  un  petit  corps  de  200  Français  et  300  Indiens. 
La  ville  subit  un  bombardement  et  fut  vile  affamée  :  on 
capitula  avec  les  honneurs  de  la  guerre,  comme  San-Thomé 
l'avait  fait  vingt  années  auparavant  (2). 

(1)  Mémoires  de  François  Martin. 

(2)  En  apprenant  les  préparatifs  que  faisaient  contre  nous  les  Hollan- 
dais à  Négapalam,  Martin  se  hâta  de  prendre  quelques  mesures  de  dé- 
fense :  il  fil  creuser  un  fossé  autour  de  la  place  du  côté  de  la  terre,  abat- 
tre les  maisons  proches  du  fort,  leva  des  soldats  indigènes  «  Radjpoutes 
et  Mores  ».  Il  espérait  surtout  voir  arriver  l'escadre  annoncée  par  la 
Compagnie  quelque  temps  auparavant.  Cependant  elle  n'apparut  pas  et 
une  flotte  hollandaise  de  19  vaisseaux  vint  mouiller  devant  la  ville  le 
23  août  1693.  A  celte  vue  tous  les  indigènes  de  Pondichéry  s'enfuirent. 
Martin  n'avait  pas  confiance  dans  sa  garnison,  qui  à  part  25  ou  30  hom- 
mes ne  se  composait  que  k  de  misérables  qu'on  avait  pris  gueusant  aux 
portes  des  maisons  en  France  ».  Il  n'avait  pas  de  poudre  d'Europe,  mais 
seulement  de  la  poudre  indienne  très  inférieure  en  qualité.  Au  premier 
combat  on  constata  que  les  parapets  du  fort  n'étaient  pas  à  l'abri  de 
l'artillerie  ennemie  ;  bientôt  les  Hollandais  furent  maîtres  d'une  partie 
de  la  ville  ;  les  soldats  indigènes  désertèrent  et  l'on  dut  renoncer  à 
faire  une  sortie  dans  la  crainte  que  toute   la  garnison  n'en  fît  autant  ! 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    DANS    l'iNDE  181 

Martin  fut  emmené  prisonnier  à  Batavia,  ses  colons  furent 
dispersés;  mais  les  Hollandais,  loin  de  détruire  la  ville, 
s'efforcèrent  d'en  réparer  les  ruines,  relevèrent  son  fort  et 
l'entourèrent  d'une  solide  muraille  ;  ces  travaux  en  firent 
bientôt  la  première  place  de  guerre  de  l'Hindoustan. 

La  guerre  qui  durait  alors  depuis  cinq  années  commençait 
à  traîner  en  longueur  ;  la  marine  de.Colbert  y  jouait  un  rôle 
aussi  glorieux  que  dans  la  précédente,  et  les  victoires  de 
Château-Renaud  à  Bantry,  de  Tourville  à  Beachy-Head,  la  sa- 
vante «  Campagne  du  Large  »,  par  laquelle  ce  dernier  protégea 
victorieusement  nos  côtes,  en  avaient  été  les  premiers  épi- 
sodes. Une  descente  en  Angleterre  fut  ensuite  préparée  pour 
y  porter  Jacques  II,  mais  là  commencèrent  nos  revers  :  la 
flotte  de  d'Estrées  qui  venait  de  Toulon,  relardée  par  le 
mauvais  temps,  ne  put  rallier  celle  de  Tourville  qui  l'atten- 
dait à  Brest,  et  celui-ci.  contraint  de  se  battre  malgré  son 
écrasante  infériorité,  fut  vaincu  par  les  Anglo-Hollandais 
commandés  par  Russell  au  combat  célèbre  de  la  Hougue 
(19  mai  1692),  défaite  honorable  où  l'on  a  vu  souvent  à  tort 
le  tombeau  de  notre  puissance  maritime,  et  dont  l'année  sui- 
vante Tourville  lui-même  tirait  une  revanche  éclatante  au 
cap  Saint- Vincent  (26  juin  1693),  tandis  que  de  hardis  corsai- 


Le  6  septembre,  le  conseil  assemblé  reconnut  que  la  position  n'était  plus 
tenable  :  Ton  envoya  MM.  J.-B.  Martin  et  de  Flacourl  traiter  d"une 
capitulation.  Les  tlollandais  voulurent  d'abord  se  montrer  intraitables. 
Martin  refusa  leurs  conditions  :  <>  Nous  avions  pris  notre  parti,  dit-il, 
de  faire  plutôt  tout  sauter  que  de  nous  rendre  à  des  capitulations  hon- 
teuses. »  Enfin  on  obtint  satisfaction  :  «  la  garnison  sortit  du  fort  avec 
ses  armes  mèche  allumée,  tambour  battant,  balle  en  bouche,  enseignes 
déployées  et  deux  pièces  de  canon.  »  Elle  fut  ramenée  en  France  par 
les  vaisseaux  de  la  Compagnie  hollandaise.  Le  fort  fut  rendu  dans 
l'état  où  il  était  avec  les  armes,  les  munitions,  l'argent,  et  les  marchan- 
dises. —  Mémoires  de  François  Mai-tin . 


182  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    ni 

res  :  Nesiuoiid,  Poinlis,  Ducasse,  Duguay-Tiouiii,  Jean  Bart, 
Pelil-Renaud  harcelaient  les  marines  alliées  (1). 

Malgré  de  gigantesques  efforts  el  de  presque  constantes 
victoires,  la  paix  de  Ryswick  trouva  la  France  épuisée 
el  ruinée  (octobre  1697).  Celle  paix  <  où  Louis  XIV  victorieux 
Iraila  en  vaincu  >  (2)  fui  un  nouveau  Iriomphe  pour  les  Hol- 
landais qui  obtinrent  celle  fois  l'abolition  à  leur  égard  du 
tarif  de  1664.  La  Compagnie  lui  dut,  il  est  vrai,  de  rentrer  en 
possession  de  Pondichéry  fortifié  et  embelli  ! 

La  période  très  courte  qui  sépare  la  paix  de  Ryswick  de 
l'ouverture  de  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne  (170â) 
mérite  une  mention  spéciale,  car  elle  vit,  malgré  les  multi- 
ples causes  qui  tendaient  à  les  ruiner,  un  relèvement  très 
sensible  dans  les  affaires  de  la  Compagnie  des  Indes  Orien- 
tales. François  Martin  qui  avait  obtenu  des  Hollandais  sa  li- 
berté (3)  et  était  revenu  en  France  où  le  roi  l'avait  traité  avec 
honneur,  rentra  à  Pondichéry,  amenant  avec  lui  des  soldats, 
des  ingénieurs,  des  architectes,  des  canons,  des  approvision- 
nements de  toute  espèce,  renforça  les  murailles  élevées  par 
les  Hollandais,  construisit  des  magasins  nouveaux,  embellit 

(1)  Les  alliés  s'en  venj^èrent  sur  nos  villes  maritimes  :  Calais,  le 
Havre,  Brest  furent  l'objet  de  tentatives  de  bombardement  qui  échouè- 
rent, mais  Dieppe  reçut  une  pluie  de  bombes,  qui  allumèrent  partout 
l'incendie  ;  Saiiil-Malo,  plus  heureux,  échappa  à  l'explosion  d'un  for- 
midable briilot  que  les  Anglais  réussirent  à  pousser  dans  son  port,  et 
qui  ne  tua,  au  dire  des  Malouins,  qu'un  chat  dans  une  gouttière!  La 
Guadeloupe,  la  Martinique,  Saint-Domingue,  Terre-Neuve  furent  atta- 
qués sans  résultat  ;  le  Sénégal  et  la  Guinée  furent  occupés  par  les 
Anglais,  puis  repris  par  nous  en  1694.  La  chute  de  Pondichéry  fut 
dans  cette  guerre  un  échec  presque  unique. 

(2)  V.  Duruy. 

(3)  Certains  auteurs  paraissent  croire  que  Martin  s'échappa  de  Bata- 
via, où  il  était  retenu  prisonnier  :  ses  mémoires  disent  formellement 
qu'il  obtint  de  rentrer  en  France  avec  sa  famille.  Il  espérait,  dit-il,  être 
utile  à  la  Compagnie  par  ses  conseils. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    DANS    L  INDE 


183 


la  ville  et  y  attira  habilement  les  indigènes  de  la  contrée 
environnante. 

Lorient  fut  le  théâtre  d'une  activité  remarquable  ;  pourtant 
la  Compagnie  ne  put  obtenir  du  ministre  Pontchartrain  que 
la  marine  royale  lui  rendit  la  libre  disposition  de  ce  port;  du 
moins  le  concours  de  l'Etal  pour  ses  armements  la  dédom- 
magea-t-il  de  son  encombrant  voisinage.  Tous  les  ans  plu- 
sieurs vaisseaux  firent  voile  pour  les  Indes,etlesretours furent 
également  soutenus  ;  jamais  les  mouvements  de  la  Compagnie 
n'avaient  été  aussi  importants  qu'ils  le  furent  pendant  ces 
quelques  années,  et  chacun  de  ces  navires  apportait  une 
cargaison  de  plus  d'un  million  de  livres,  souvent  de  deux  et 
plus.  Les  chantiers  de  Lorient  reçurent  des  vaisseaux  nou- 
veaux exigés  par  ce  trafic,  plusieurs  navires  de  guerre  furent 
même  achetés  à  l'Etat  qui  alors  faisait  argent  de  tout.  Aux 
Indes,  Pondichéry,  Chandernagor,  Masulipatam  croissaient 
chaque  jour  en  importance. Quant  au  commerce  de  la  Chine, 
dont  l'établissement  avait  été  projeté  par  Caron,  mais  que 
la  situation  de  cet  empire  ne  lui  avait  pas  permis  alors  de 
tenter,  la  Compagnie  le  céda  à  une  société  nouvelle  fondée 
par  le  sieur  Jourdan  au  début  de  l'année  1698. 

Mais  la  guerre  vint  une  fois  de  plus  arrêter  cet  essor  com- 
mercial qui  promettait  d'être  définitif.  Celait  la  troisième 
fois  depuis  la  création  de  la  Compagnie  que  pareil  événe- 
ment se  produisait,  et  sur  les  trente-huit  années  d'existence 
qu'elle  comptait,  quinze  avaient  été  occupées  par  des  hosti- 
lités qui  détruisaient  toute  sécurité  sur  mer  et  ruinaient  son 
commerce  ;  et  la  guerre  qui  commençait  en  1702  devait 
durer  onze  nouvelles  années  ! 

Pas  plus  cependant  que  lors  des  guerres  précédentes 
l'inaction  de  la  Compagnie  ne  fut  complète,  mais  elle  n'em- 
ploya plus  que  quelques  rares   vaisseaux  que  ceux  du  Roi 


184  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   III 

durent  escorter  et  pour  rarmement  desquels  le  concours 
des  négociants  particuliers  lui  fut  à  nouveau  indispensable. 

Il  n'y  avait  plus  d'illusion  possible  :  tout  espoir  d'une 
renaissance  était  désormais  perdu  ;  la  Compagnie  n'avait  plus 
aucune  ressource,  et  était  réduite  à  des  expédients  pour  se 
procurer  des  fonds  insuffisants.  C'est  ainsi  qu'elle  obtint  du 
Roi,  ce  qui  d'ailleurs  était  fort  juste,  qu'il  lui  payât  d'une 
rente  annuelle  de  5.000  livres  l'occupation  du  port  de  Lorient 
qu'elle  avait  créé  personnellement  ;  elle  réussit  en  outre  à 
lui  vendre  quatre  de  ses  vaisseaux  devenus  inutiles,  et 
lui  offrit  même  tout  son  matériel  !  Son  personnel  fut  réduit 
à  Pindispensable  :  à  la  mort  du  Directeur  Bréarl  de  Boisanger, 
en  1704, elle  ne  conserva  plus  de  Directeur  Général  à  Lorient 
où  un  simple  commis  la  représenta  ;  ses  officiers  inoccupés 
et  privés  de  solde  naviguaient  sur  les  vaisseaux  de  l'Etat  ou 
sur  les  corsaires  malouins.  Les  comptoirs  des  Indes  ne  fu- 
rent point  touchés,  mais  ils  durent  se  pourvoir  eux-mêmes 
des  ressources  qui  leur  étaient  nécessaires,  et  la  Compagnie 
qui  ne  leur  envoyait  aucun  subside  semble  s'être  à  peu  près 
désintéressée  de  leur  administration. 

Les  actionnaires,  cela  va  sans  dire,  ne  touchaient  plus  de 
dividendes  ;  ils  s'agitèrent,  se  querellèrent  avec  les  Direc- 
teurs, demandèrent  la  liquidation  de  la  Compagnie,  propo- 
sant même  d'abandonner  leur  mise  pour  n'avoir  plus  à  sup- 
porter les  conséquences  des  emprunts  incessants  que  la 
Direction  était  obligée  de  contracter  (1).  On  ne  le  leur  permit 
point,  et  un  arrêt  du  conseil  du  1"  avril  1704  décida  «  qu'ils 
continueraient  de  demeurer  intéressés  au  commerce  de  la 

(1)  Pour  l'armemeal  de  1702,  les  Directeurs  empruiilèreiil  en  octo- 
bre 1701  1.213.000  livres  à  75  0/Od'inlérêl  (prêt  àla  grosse). Les  arme- 
ments de  1703  el  1704,  quoique  réduits  à  un  ou  deux  vaisseaux  cliacun, 
nécessitèrent  de  nouveau.x  emprunts  aux  mCmes  onéreuses  conditions. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    DANS    l'iNDE  185 

Compagnie,  pour  en  partager  les  profits  et  supporter  les 
pertes  ».  Bien  mieux,  le  gouvernement  royal  leur  imposa  un 
nouvel  apport  de  moitié  de  leur  mise  primitive  ;  ce  fut  inu- 
tile d'ailleurs,  car  très  peu  d'entre  eux  s'exécutèrent  (1). 

L'activité  commerciale  de  la  Compagnie  n'avait  cependant 
point  disparu  en  dépit  de  la  guerre,  car  elle  était  entretenue 
par  les  négociants  malouins  que  la  crainte  des  croisières  an- 
glaises n'était  pas  de  nature  à  arrêter.  Forces  de  recourir  à 
la  Compagnie  en  vertu  de  l'état  de  choses  créé  par  Colberl  en 
1682,  ils  formèrent  presque  chaque  année  de  petites  sociétés 
d'armement  qui  traitèrent  avec  elle  pour  l'envoi  en  commun 
d'un  ou  de  plusieurs  navires.  C'est  au  milieu  de  ces  diffi- 
cultés financières,  de  ces  expédients  commerciaux,  que 
s'écoulèrent  les  dernières  années  du  privilège  de  la  Compa- 
gnie des  Indes  Orientales. 

Les  négociants  malouins  qui  passaient  hardiment  à  travers 
les  croisières  ennemies  maintinrent  seuls  nos  comptoirs  de 
l'Inde  en  relations  avec  la  mère-patrie;  car  la  Compagnie 
était  incapable  de  les  soutenir  effectivement.  La  factorerie  de 
Surat  dont  Garon  avait  voulu  faire  la  capitale  de  notre  em- 
pire des  Indes  était  presque  abandonnée  par  elle,  aucun  na- 
vire français  n'y  venait  plus  toucher.  Pondichéry  avait  pris  sa 
place  et  très  heureusement  sa  prospérité  s'accroissait  chaque 
jour  sous  l'active  direction  de  François  Martin.  Sa  mort  qui 
survint  en  1706  fut  une  perte  cruelle  pour  la  colonie  qu'il 
avait  fondée,  mais  elle  n'arrêta  pas  son  élan,  pas  plus  que 
l'incapacité  des  Directeurs  Dulivier  et  Hébert  qui  se  partagè- 
rent sa  succession  jusqu'en  1718.  Pondichéry  comptait  alors 
une  population  de  60.000  habitants,  avait  de  nombreux  ale- 


(1)  Déposition  de  M.  de  Charapigny  devant  la  commission  du  Parle- 
ment de  Paris  en  1719. 


186  DEUXIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE    III 

liurs  de  lisseraiidy  el  commerçait  acUvement  avec  loul  le  lit- 
toral de  rinde  ! 

La  guerre  de  la  Succession  d'Espagne  ne  fut  point  marquée 
par  des  événements  notables  dans  l'Océan  indien  :  la  Compa-, 
gnie  hollandaise  n'avait  déjà  plus  au  débat  du  xvni^  siècle  la 
même  puissance  qu'à  la  fin  du  siècle  précédent,  et  l'impor- 
tance politique  et  militaire  de  la  Hollande  elle-même  avait 
fort  décliné.  L'Angleterre,  notre  principal  adversaire,  n'était 
pas  assez  forte  en  Asie  pour  nous  y  chercher  querelle,  et  sa 
Compagnie  gardait  une  altitude  purement  commerciale. 
Les  hostilités  n'eurent  donc  point  sur  le  domaine  colonial 
de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  les  fâcheux  résultats 
qu'avaient  eus  les  précédentes  guerres,  circonstance  heu- 
reuse, car  ni  elle,  ni  le  gouvernement  royal  n'eussent  été  en 
mesure  d'y  porter  remède  ! 

Les  deux  Pontcharlrain  qui  succédèrent  à  Colbert  et  à  Sei- 
gnelay  ne  surent  point  maintenir  en  état  la  belle  marine  mi- 
litaire que  ceux-ci  avaient  donnée  à  la  France  :  l'état  des 
finances  royales,  il  est  vrai,  ne  leur  en  laissait  guère 
les  moyens,  aussi  cette  longue  guerre  vit-elle  peu  d'actions 
sur  l'Océan  où  les  escadres  anglaises  circulèrent  sans  ob- 
stacle. Après  le  combat  de  Malaga,  journée  indécise  que  le 
comte  de  Toulouse  eût  pu  transformer  en  victoire  (août  1704), 
et  la  défense  des  galions  espagnols  par  Château-Renaud 
dans  la  baie  de  Vigo  contre  la  flotte  anglo-hollandaise,  nos 
armes  ne  furent  plus  représentées  que  par  les  corsaires: 
Forbin,  Ducasse,  Cassart,  Poinlis  ;  Duguay-Trouin  passé 
dans  la  marine  royale  en  1706  se  signala  par  l'expédition  de 
Rio-de-Janeiro  (1711).  Mais  ces  combats  glorieux  n'eurent 
aucune  influence  sur  le  cours  de  la  guerre.  Enfin,  au  mois  de 
septembre  1712,  une  suspension  d'armes  avec  l'Angleterre 
ramena  la  sécurité  sur  l'Océan.   La  Compagnie  n'était  plus 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES    DANS    l'iNDE  187 

capable  d'en  profiler  elle-même,  mais  l'activilé  des  arma- 
teurs malouins,  ses  associés,  put  prendre  un  essor  nouveau. 

Son  privilège  louchait  d'ailleurs  à  son  terme,  car  il  devait 
expirer  le  1<='' janvier  1715  (1).  Mais  dans  la  situation  où  elle 
se  trouvait,  le  ministre  Pontchartrain  hésita  à  prononcer  une 
dissolution  que  justifiait  son  épuisement.  Qui  eût  payé  ses 
nombreuses  dettes  •?  Qui  se  fût  chargé  de  nos  comptoirs  de 
l'Inde  ?  L'Etat  dont  le  Trésor  était  vide  n'était  pas  plus  capa- 
ble que  la  Compagnie  de  satisfaire  à  ces  lourdes  obligations  ! 
Le  ministre  préféra  donc  proroger  pour  dix  nouvelles  années 
ce  privilège  et  permettre  en  même  temps  à  la  Compagnie  de 
tirer  profit  plus  complètement  qu'elle  n'avait  pu  le  faire 
jusque-là  de  la  cession  de  ses  droits. 

Ainsi  en  fut-il  fait  :  à  peine  le  privilège  renouvelé,  une  so- 
ciété d'armateurs  malouins  passa  avec  la  Direction  Générale 
un  nouveau  traité,  qui  les  subrogea  à  la  Compagnie  dans  le 
plein  exercice  de  ses  prérogatives.  La  Compagnie  resta  ce- 
pendant en  possession  de  ses  privilèges,  mais  elle  n'en  garda 
plus  que  la  jouissance,  et  l'exercice  s'en  trouva  dès  lors  par- 
tagé entre  la  Compagnie  des  négociants  malouins  d'une  part 
et  la  Compagnie  de  la  Chine  de  l'autre.  Aucun  événement  ne 
vint  modifier  celte  situation  pendant  les  trois  premières  an- 
nées de  la  Régence  ;  mais,  si  la  Compagnie  des  Indes  Orien- 
tales n'était  plus  alors  que  l'ombre  de  celle  qu'avait  créée 
Colbert,  si  elle  avait  perdu  toute  activité  personnelle,  elle  n'en 
conserva  pas  moins  l'existence,  et  celte  création  du  grand 
ministre  n'avait  pas  péri  tout  entière,  quand  l'accomplisse- 
ment des  gigantesques  projets  de  Law  vint  lui  donner  la 
vigueur  qui  seule  lui  faisait  défaut. 


(1)  La  coacessioa  en    avait  été   faite  à  la  Compagnie  en   effet  pour 
cinquante  années  (1665-1.715). 


CHAPITRE  IV 

ORGANISATION    ET  ADMINISTRATION  DE    LA  COMPAGNIE 
DES     INDES    ORIENTALES. 


Administration  centrale.  —  Les  Syndics  provisoires.  —  La  Direction  Gé- 
nérale, les  Chambres  Particulières. —  Les  assemblées  d'actionnaires. 
—  Affaires  conlentieuses.  — Organisation  du  domaine  colonial. — 
Acquisition  de  Madagascar.  —  Le  Gouverneur  Général  et  le  Conseil 
Souverain.  — Organisation  des  compidirs.  —Obligations  imposées  à  la 
Compagnie.  —  Modifications  apportées  à  cette  organisation. 


Des  trois  Compagnies  créées  pour  le  commerce  des  Indes 
avant  la  conslilulion  par  Colbert  de  la  Compagnie  des  Indes 
Orientales,  les  deux  premières  eurent  une  existence  presque 
uniquement  théorique,  et  la  troisième  ne  se  distingua  des 
entreprises  particulières  que  par  la  grandeur  de  son  objet 
et  la  protection  royale.  Nous  savons  que  ses  intéressés  se 
réunissaient  et  décidaient  en  commun  les  opérations  de  son 
privilège  ;  mais  son  organisation  était  simple,  nullement  dif- 
férente de  celle  de  toute  maison  de  commerce  un  peu  im- 
portante à  celle  époque  :  à  ce  titre,  ni  elle  ni  les  deux  précé- 
dentes ne  méritaient  de  retenir  longuement  noire  attention. 

La  Compagnie  de  Colbert,  au  contraire,  offre  à  nos  yeux  un 
aspect  nouveau  :  c'est  un  organisme  compliqué,  une  ma- 
chine divisée  en  un  certain  nombre  de  rouages  délicats,  une 
sorte  de  petit  Elat,  véritable  ancêtre  de  nos  grandes  adminis- 
trations modernes  ;  et  l'élude  de  cette  organisation  prend 
pournous  un  intérêt  d'autant  plus  grand,  qu'on  y  sent  les 


ADMINISTRATION    DK    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  189 

imperfections  d'une  création  nouvelle,  el  qu'on  y  voit  l'ex- 
périence en  modifier  les  combinaisons  souvent  artificielles. 

Elle  ne  sortit  point  tout  entière  cependant  du  cerveau  de 
ses  fondateurs  :  à  l'époque  où  elle  se  formait,  la  Compagnie 
anglaise,  la  Compagnie  hollandaise  étaient  en  pleine  acti- 
vité ;  leur  fonctionnement  était  depuis  longtemps  sorti  des 
tâtonnements  du  début,  et  présentait  une  régularité  remar- 
quable. Ce  fut  sur  ces  deux  sociétés  que  l'on  prit  modèle  el 
la  tâche  s'en  trouva  fort  simplifiée,  sans  l'être  complètement 
cependant,  car  cette  adaptation  à  notre  caractère  national 
d'un  mécanisme  conforme  aux  habitudes  commerciales,  mé- 
thodiques et  régulières,  des  Hollandais  et  des  Anglais  pou- 
vait présenter  certaines  difficultés. 

L'étude  de  leurs  statuts  fournit  donc  aux  dépositaires  des 
desseins  de  Colbert  de  précieux  enseignements,  tant  pour  la 
constitution  et  la  répartition  du  capital  social,  que  pour  l'ad- 
ministration centrale  et  l'organisation  du  domaine  colonial. 
La  plus  prospère  de  ces  deux  Compagnies  était  alors  incon- 
testablement celle  d'Amsterdam  ;  ce  fut  donc  elle  surtout  qui 
fut  copiée  par  Colbert  qui  comptait  en  lui  prenant  ses  pro- 
pres armes  parvenir  un  jour  à  la  vaincre  plus  aisément.  Nous 
avons  parcouru  les  différentes  étapes  de  cette  création,  as- 
sisté aux  conférences  où  furent  arrêtés  les  grands  points  de 
son  organisation,  rédigés  les  «  Articles  »  qui  furent  soumis 
au  Roi  et  qui  servirent  de  base  à  la  Déclaration  d'août  1664  ; 
on  a  vu  les  circonstances  au  milieu  desquelles  sa  constitu- 
tion fut  poursuivie,  il  nous  faut  entrer  maintenant  plus  inti- 
mement dans  le  fonctionnement  de  notre  Compagnie,  tel  qu'il 
lui  fut  fixé  par  ses  statuts,  et  tel  qu'il  eut  lieu  dans  la  réalité. 

La  Compagnie  hollandaise, ainsi  que  la  Compagnie  anglaise 
avaient  confié  la  gestion  de  leurs  intérêts  à  des  Dwecteurs 
recrutés  par  l'élection  au  sein  des  intéressés.  Mais  cette  ad- 


1i)0  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IV 

minislration  était  différemment  organisée  dans  l'une  et  l'autre 
société.  En  Hollande,  (\\idi\.YQ  Chambres  Particulières,  compo- 
sées d'un  certain  nombre  de  Directeurs  chacune, représentaient 
la  Compagnie  dans  les  grands  centres  maritimes  ;  au-dessus, 
une  Chambre  de  Direclion  Générale,  recrutée  dans  les  Cham- 
bres Particulières   et  siégeant  à  Amsterdam,  représentait  le 
pouvoir  central  de  celte  petite  république,  dirigeait  les  au- 
tres Chambres  et  décidait  souverainement  de  toutes  les  affai- 
res importantes.  La  Compagnie  anglaise  possédait  au  con- 
traire une  Coj<r  c^es /^îVec/ewrs  unique,  directement  élue  par 
la  Cour  des  Propriétaires,  c'est-à-dire  l'ensemble  des  action- 
naires jouissant  de  l'électoral.  Cette  différence  s'expliquait 
fort  bien  ;  car  les  intéressés  de  cette  dernière  Compagnie 
étaient  les  commerçants  de  Londres,  voire  même  ceux  de  la 
Cité,  et  ne  se  répartissaient  point  dans  toute  l'étendue  du 
Royaume-Uni.  Au  contraire,  la  Compagnie  hollandaise,  issue 
de  la  fusion  d'un  certain  nombre  de  petites  sociétés  locales, 
réunissait  des  intérêts  beaucoup  plus  épars,  qui  justifiaient 
l'existence  de  ces  Chambres  multiples.  Ce  fut  sur  cette  der- 
nière Compagnie  que  se  modela  la  société  française  ;  en  effet, 
il  était  impossible  de  songer  à  placer  à  Paris  même,  qui 
n'est  point  comme  Londres  une  ville  maritime,  le  capital 
social   entier,  et  s'adressant  à  toute  la  France,   on   devait 
comme  en  Hollande  rapprocher  des  actionnaires  disséminés 
le  contrôle  de  leurs  intérêts.  On  admit  donc  le  principe  de  la 
création  de  Chambres  Particulières  dans  un  certain  nombre 
de  villes  où  le  chiffre  des  souscriptions  serait  suffisamment 
élevé  ;  et  au-dessus  d'elles  siégea  à  Paris  (1)  une  Chambre  de 

(1)  Le  siège  social  de  la  CoQipaguie,  ou  comme  Fou  disait  alors  «  le 
Bureau  »  de  la  Compagnie  était  situé  rue  Saint-Martin  :  le  témoignage 
nous  en  est  apporté  notamment  par  une  lettre  de  cachet  du  28  novem- 
bre 1668.    Dans  cplto  rue  se  trouvait  alors  l'hôtel  d'un  des  fondateurs, 


ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES        191 

Direction  Générale  centralisant  radminislration  supérieure  de 
la  Compagnie. Déclaration,  arl.  IX  el  XL  —  A  litre  provisoire 
et  en  attendant  l'élection  des  Directeurs,  qui  devaient  compo- 
ser ces  diverses  Chambres, les  intérètsdela  Compagnie  furent 
confiés  à  douze  Syndics  élus  par  les  premiers  souscripteurs 
parisiens  (1)  (séance  du  5  juin  1664). 

L'élection  des  Directeurs  Généraux  de  Paris  fut  fixée  par  la 
Déclaration  (art.  VIll)  à  l'expiration  du  délai  de  trois  mois  qui 
suivrait  l'enregistrement  de  cet  acte  :  or  cet  enregistrement 
ayant  eu  lieu  le  1®'  septembre  1664,  l'élection  eût  dû  être 
faite  au  cours  du  mois  de  décembre.  Elle  ne  le  fut  point  ce- 
pendant à  celle  date,  mais  seulement  lors  de  l'assemblée  du 
20  mars  1665. 

La  Direction  Générale  n'était  point  complète  encore,  car 
elle  devait  comprendre  en  outre  neuf  membres  élus  par  les 
Chambres  Particulières  :  or  la  création  de  celles-ci  elle-même 
devait  être  décidée  par  les  Directeurs  Généraux,  il  fallut  donc 
tourner  cette  difficulté,  el  à  cet  effet,  aux  douze'  Directeurs 
nommés  parles  actionnaires  parisiens  se  joignirent  aussitôt 
q\x\nze  Syndics  désignés  par  les  actionnaires  des  onze  villes 
suivantes,  estimées  par  la  Déclaration  devoir  s'intéresser  da- 

le  banquier  Jabach  (n"  108  actuel, à  travers  lequel  a  été  percé  en  1824  le 
passage  Jabach)  ;  peut-être  ravait-ilmis  à  la  disposition  de  la  Compa- 
gnie. D'autre  part,  Golbert  lui  offrit  un  appartement  du  château  de 
Versailles,  mais  il  est  probable  qu'elle  n'en  flt  point  usage. 

(1)  Les  Articles  soumis  au  Roi  à  Fontainebleau  proposaient  d'admettre 
les  souscripteurs  parisiens  qui  auraient  fourni  leur  part  dans  les  trois 
mois  qui  suivraient  l'enregistrement,  à  nommer  les  six  premiers  Direc- 
teurs Généraux  de  Paris.  Les  six  derniers  auraient  été  élus  par  tous 
les  actionnaires  parisiens  à  l'expiration  du  délai  de  six  mois  pendant 
lequel  la  souscription  devait  être  ouverte  (art.  VII).  Le  Roi  modifia  cette 
proposition  qui  eût  exigé  en  effet  la  consécration  immédiate  de  la  créa- 
lion  de  la  Compagnie,  chose  impossible,  et  il  imposa  l'organisation 
provisoire  que  nous  avons  exposée.  Les  douze  Directeurs  Généraux 
furent  ensuite  élus  ensemble,  en  mars  1665. 


192  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IV 

vanlage  à  la  Compagnie  nouvelle  :  Rouen,  Lyon,  Nantes,  La 
Rochelle,  Sainl-Malo,  Marseille,  Tours,  Gaen,  Dieppe,  Le  Ha- 
vre et  Dunkerque  (l).Ces  Syndics  assistèrent  en  effet  à  l'as- 
semblée du  Louvre  et  se  réunirent  le  lendemain  aux  Direc- 
teurs parisiens. 

Cette  Direction  provisoire  avait  une  mission  nettement 
délimitée  à  remplir  :  désigner  les  villes  où  devaient  être  éta- 
blies des  Chambres  Particulières,  fixer  le  nombre  des  Direc- 
teurs qui  les  composeraient  et  de  ceux  qu'elles  enverraient 
siéger  à  Paris.  Cinq  villes  réunirent  ses  suffrages:  Lyon, 
Rouen,  Bordeaux,  Nantes  et  Le  Havre,  et  il  fut  également  ar- 
rêté que  la  première  de  ces  Chambres  enverrait  3  directeurs 
à  Paris,  la  seconde  2,  les  trois  autres  chacune  1.  Il  restait 
ainsi  un  siège  de  Directeur  Général  à  occuper  el  l'on  décida 
qu'il  serait  attribué  à  la  ville  qui  réunirait  le  plus  grand  nom- 
bre de  souscripteurs  en  dehors  des  cinq  précédentes. 

Les  statuts  avaient  déjà  reçu  depuis  leur  consécration  un 
certain  nombre  de  dérogations  :  certaines  étaient  sans  im- 
portance, nous  avons  signalé  au  contraire  comme  fâcheuse 
l'entrée  dès  ces  débuts  dans  la  haute  direction  de  la  Compa- 
gnie, et  malgré  les  décisions  prises  (2),  d'un  certain  nombre 
de  personnages  étrangers  au  commerce,  précédent  qui,  sans 
cesse  renouvelé  et  aggravé,  aura  sur  les  destinées  de  la  Com- 
pagnie des  Indes,  surtout  au  xvm^  siècle,  une  influence  re- 
grettable, en  l'écartant  de  plus  en  plus  de  ses  visées  commer- 

(1)  Rouen  el  Lyon  envoyèrent  chacune  3  Syndics,  chacune  des  au- 
tres villes  1. 

(2)  D'après  les  statuts  en  eiïel,  la  Direction  Générale  devait  être 
composée  pour  les  trois  quarts  au  moins  de  commer(;ants  en  activité. 
Le  dernier  quart  seul  pouvait  être  formé  de  nég'ociants  retire's,  ou  de 
secrétaires  du  roi,  anciens  négociants.  Enlin  deux  places  au  plus  pou- 
vaient être  attribuées  à  des  bourgeois  étrangers  au  commerce.  Art.  XII 
de  la  Déclaration. 


ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES         193 

ciales  pour  en  faire  à  la  fois  un  organisme  tributaire  du  pou- 
voir royal  et  une  société  financière.  D'autres  innovations 
furent  encore  jugées  utiles  :  on  demanda  au  Roi  d'abaisser 
de  10.000  livres  à  6.000  le  chiffre  de  la  souscription  néces- 
saire pour  être  éligible  aux  Chambres  Particulières,  car  cette 
somme  n'avait  été  nulle  part  atteinte  en  nombre  suffisant, 
sauf  à  Lyon.  De  même,  on  sollicita  la  prorogation  pour  six 
nouveaux  mois  du  délai  pendant  lequel  pouvaient  être  re- 
çues les  souscriptions,  celui  qui  avait  été  primitivement  fixé 
étant  écoulé  depuis  le  1"  mars  1665. 

Les  Syndics  en  fonctions  depuis  le  5  juin  1664  rendirent 
alors  leurs  comptes  et  après  examen  des  livres  furent  déchar- 
gés de  leur  gestion  ;  beaucoup  d'entre  eux,  d'ailleurs,  figurè- 
rent parmi  les  nouveaux  Directeurs  Généraux  (1).  Puis  les 
délégués  des  villes  de  province  ayant  terminé  leur  mission 
quittèrent  Paris,  et  les  cinq  villes  choisies  élurent  leur  Cham- 
bre Particulière  ;  mais,  par  dérogation  à  ce  qui  eût  dû  avoir 
lieu,  il  ne  semble  pas  que  les  Directeurs  qu'elles  eussent  dû 
envoyer  à  Paris  soient  effectivement  venus  compléter  la  Di- 
rection Générale  qui  resta  composée  des  neuf  Directeurs  nom- 
més à  l'assemblée  du  20  mars  1665  (2). 

Les  Directeurs,  tant  Généraux  que  Particuliers,  avaient  un 
mandat  de  sept  années  et  leur  remplacement  se  faisait  cha- 
que année  régulièrement  par  l'expiration  des  fonctions  d'un 
certain  nombre  d'entre  eux  :  deux  à  la  Chambre  Générale,  un 
aux  Chambres  Particulières. Ici  encore, il  y  eut  provisoirement 
dérogation  à  ces  règles  :  les  Directeurs  nommés  la  première 

(1)  Langlais,  de  Paye,  Ghanlatte,  de  Varennes,  Pocquelin,  Cadeau, 
Jabach. 

(2)  Colbert,  le  Prévôt  des  marchands,  le  Président  de  Thou  el  même 
le  Conseiller  d'Etat  Berryer  ne  prirent  point  une  part  effective  à  l'ad- 
ininistration  des  affaires  courantes  de  la  Compagnie. 

W.  —  13 


194  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

année  reslèrenl  tous  en  fondions  sept  années  pleines  ;  pen- 
dant les  cinq  années  suivantes  les  sorties  devaient  être  fixées 
par  la  voie  du  sort  ;  enfin  au  bout  de  douze  ans  le  roulemenl 
régulier  devait  commencer.  En  fait,  les  bouleversements  qui 
furonl  apportés  en  1075,  puis  en  1G84  et  en  1687  à  l'organisa- 
tion de  la  Direction  Générale  ne  permirent  point  d'expéri- 
menter complètement  ce  système  ingénieux,  art.  XIV  de  la 
Déclaration. 

Outre  les  Directeurs,  enfin,  chaque  Chambre  possédait  un 
Caissier,  un  Secrétaire,  et  un  Teneur  de  livres  élus  par  les 
actionnaires  ;  à  Paris  siégèrent  le  Caissier,  le  Teneur  de  livres 
et  le  Secrétaire  Généraux  (l).Ces  fonctionnaires  ne  pouvaient 
être  destitués  qu'en  vertu  d'un  vote  des  actionnaires  qui  les 
avaient  nommés,  art.  XVII  de  la  Déclaration.  —  Directeurs 
et  employés  supérieurs  n'étaient  pas  élus  par  la  totalité  des 
actionnaires  de  la  Compagnie:  c'eût  été  compliquer  inu- 
tilement cette  opération  II  fallait  justifier  à  cet  effet  de  la 
possession  de  six  actions,  faisant  un  intérêt  de  6.000  livres 
dans  la  Compagnie  (2):  l'éligibilité  était  d'autre  part  attachée 
à  la  possession  de  vingt  actions  (50,000  livres)  à  Paris,  et  de 
10  actions  (10.000  livres)  en  province,  art.  X  des  Art.,  XVIII 
de  la  Déclaration. 

Il  devait  être  tenu  tous  les  ans  une  assemblée  générale  des 
actionnaires  admis  à  l'éleclorat,  à  la  date  du  12 mai,  pour  déli- 

(1)  Ces  fonctions  furent  remplies  Jusqu'à  la  nomination  des  premiers 
Directeurs  Genc'raux  par  les  sieurs  Delobel  et  Jamen. 

(2)  Cliarpentier  donne  dans  sa  relation  la  «  liste  des  intéresse's  en  la 
Compagnie  des  Indes  Orientales,  qui  ont  voix  active  et  passive  pour  la 
nomination  des  Directeurs,  Caissier  et  Secrétaire  de  la  Compagnie  ». 
Elle  comprend  :  M.  Jabach,  marchand  (50.000  livres),  M.  le  duc  de  Vil- 
leroy,  maréchal  de  France  (30.000),  M.  Le  Teilier,  secrétaire  d'Etal 
(30.000),  M.  le  duc  de  Monlausior  (20.000),  M.  Gueslon,  Trésorier  de 
France  à  Caen  (20.000).  MM.  Olivier  et  Hérinx  banquiers  (20.000),elc. 


ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DE      INDES    ORIENTALES         195 

bérer  sur  les  affaires  les  plus  importantes  et  procéder  aux 
élections  des  Directeurs  Généraux  parisiens,  art.  XYIII  de  la 
Déclaration.  —  En  fait,  ces  assemblées  furent,  semble-t-il, 
tenues  assez  irrégulièrement.  11  n'y  en  eut  pas  en  1666  ni  en 
1667,  le  Roi  s'y  étant  formellement  opposé  (1),  mais  il  s'en 
tint  une  le  15  décembre  1668,  puis  bientôt  après  le  11  février 
1669  el  ainsi  de  suite. 

Une  certaine  autonomie  était  laissée  en  principe  aux  Cham- 
bres Particulières.  Elles  se  réunissaient  à  leur  gré,  les  ac- 
tionnaires admis  à  les  élire  tenaient  leurs  assemblées  libre- 
ment ;  elles  pouvaient  faire  des  achats,  des  ventes,  équiper 
des  navires,  enrôler  des  équipages,  payer  les  gages  de  leurs 
employés  et  décider  toutes  autres  dépenses,  chacune  d'elles 
dans  son  ressort  particulier,  art.  XX de  la  Déclar.  Le  contrôle 
de  la  Direction  Générale  sur  leur  gestion  était  néanmoins 
assuré  par  l'envoi  semestriel  de  leurs  comptes  à  Paris  où  ils 
étaient  vérifiés  et  arrêtés,  a.  Xll  des  Art.,  XIX  de  la  Déclar. 

Celte  vérification  régulière  permettait  au  Caissier  et  au  Te- 
neur de  livres  Généraux  d'établir  le  compte-rendu  général 
des  effets  de  la  Compagnie,  auquel  ils  étaient  tenus  de  procé- 
der chaque  année.  Ce  compte-rendu  approuvé  par  la  Direction 
Générale  était  mis  ensuite  à  la  disposition  des  intéressés  el 
ceux-ci  ne  pouvaient  réclamer  aucun  autre  compte  de  la  ges- 
tion de  leurs  intérêts. 11  leur  était  communiqué  solennellement 
à  l'assemblée  annuelle,  et  celle  communicalion  était  suivie 
du  partage  des  profits,  lequel  comportait  notamment  la  fixa- 
tion des  dividendes  annuels,  a.  XVII  des  Art.,  XIX  delà 
Déclar. 

Les  affaires  courantes  de  la  Compagnie  furent  naturelle- 
ment réparties  en  un  certain  nombre  de  services,  el  Ton  créa 

(1)  Ordre  du  Roi  du  26  avril  1667,  défendant  à  la  Compagnie  de  tenir 
assemblée  pour  l'année  1667.  Uernis,  t.  \.  Cf.  Pauliat,  op.  cil. 


]{){')  DEUXIÈME    l'ARTIF..    —    CHAPITRE    IV 

à  cet  effet  trois  Déparlements  ou  Collèges  entre  lesquels  se 
partagèrent  les  Directeurs  (1).  Le  premier  collège,  dit  du  de- 
dans du  Bureau,  tenait  à  jour  le  rôle  des  intéressés,  surveil- 
lait la  tenue  des  livres,  des  écritures,  conservait  les  minutes 
des  délibérations.  Le  second  collège  s'occupait  des  achats  et 
armements  de  vaisseaux,  de  leur  construction,  de  leur  en- 
trelien, de  leur  personnel.  Le  troisième  collège,  enfin,  veillait 
à  l'achat  et  à  la  vente  des  marchandises,  et  avait  sous  son 
contrôle  le  personnel  colonial  de  Madagascar  et  de  l'Inde. 
Chacun  de  ces  collèges  devait  primitivement  comprendre 
quatre  Directeurs  parisiens  et  trois  Directeurs  provinciaux  : 
en  fait,  nous  l'avons  vu,  ces  derniers  n'entrèrent  point  en 
charge. 

La  comptabilité  de  la  Compagnie  fut  aussi  soigneusement 
réglée  :  il  y  avait  notamment:  un  grand-livre  de  raison,  un 
livre  de  caisse,  un  livre  de  contrôle  de  la  caisse,  un  livre  des 
actions,  un  livre  des  effets  en  magasin  pour  l'équipement  des 
vaisseaux,  un  livre  du  comptoir  de  Sural  (qui  fut  sans  doute 
temporaire),  un  livre  des  engagés  de  la  Compagnie,  un  livre 
des  commis  qui  servaient  en  France,  un  livre  des  équipe- 
ments de  vaisseaux.  Le  Teneur  de  livres  principal  qui  en  était 
chargé  était  aidé  dans  sa  tâche  par  un  personnel  nombreux. 

Les  différentes  difficultés  conlenlieuses  que  pouvait  ren- 
contrer la  Compagnie  furent  prévues  par  les  statuts  et  réglées 
pour  le  mieux  des  intérôls  de  ses  actionnaires  et  du  bon  ordre 
dans  son  administration. 

Il  fut  expressément  stipulé  qu'aucun  Directeur  ni  action- 
naire ne  pouvait  être  tenu,  pour  quelque  cause  que  ce  fût, 
de  fournir  aucune  somme  en  plus  de  ce  à  quoi  il  s'était  pri- 
mitivement engagé,  art.  Il  de  la  Dcclar.  On  a  vu  combien 

(1)  D'après  la  Relation  de  Charpentier. 


ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES         197 

souvent  fut  violée  cette  formelle  assurance  au  cours  delà 
campagne  conduite  par  Colbert  pour  la  constitution  du  ca- 
pital ;  ce  principe  fut  encore  oublié  lors  des  appels  de  fonds 
trop  fréquents  auxquels  on  dut  recourir  par  la  suite. 

I.e  gouvernement  royal  s'engagea  également  à  ne  jamais 
saisir  les  actions  que  des  sujets  étrangers  posséderaient  dans 
la  Compagnie,  même  en  cas  de  guerre  avec  leur  souverain, 
art.  IV  de  la  Déclar.  C'était  là  une  condition  indispensable, 
si  l'on  voulait  attirer  les  capitaux  étrangers,  et  cette  clause 
faisait  allusion  à  des  habitudes  regrettables  des  gouverne- 
ments de  cette  époque  (1). 

Les  Directeurs  n'étaient  responsables  ni  sur  leur  personne 
ni  sur  leurs  biens  des  dettes  de  la  Compagnie,  et  les  effets  de 
celle-ci  ne  pouvaient  être  hypothéqués  ni  saisis  au  profit  de 
l'Etat,  à  raison  des  dettes  personnelles  des  Directeurs  ou 
des  actionnaires  envers  lui,  art.  V  de  la  Déclar.  Il  n'y  avait 
par  conséquent  que  les  engagements  de  la  Compagnie  elle- 
même  envers  l'Etat  qui  fussent  susceptibles  de  procurer  à 
celui-ci  une  garantie  sur  les  effets  de  son  commerce.  D'autre 
part,  ces  mêmes  effets  ne  pouvaient  être  saisis  non  plus  par 
les  créanciers  des  actionnaires  en  raison  de  leurs  dettes  par- 
ticulières,ni  les  Directeurs  être  tenus  de  fournir  aucun  compte 
à  ces  créanciers.  Ceux-ci  gardaient  seulement  la  faculté  de 
faire  saisir-arrêter  entre  les  mains  du  Caissier  Général  les 
dividendes  attribués  à  leurs  débiteurs,  art.  XXH  de  la  Déclar. 

Une  garantie  particulière,  répondant  à  l'organisation  de  la 
justice  en  France  à  cette  époque,  fut  stipulée  par  les  statuts 
pour  le  cas  où  des  effets  de  la  Compagnie  auraient  été  ache- 
tés ou  vendus  frauduleusement,  ce  qui  supposait  tout  au 

(1)  Il  ne  s'agit  point  ici  des  étrangers  à  qui  l'importance  de  leur 
souscription  (20.000  1.)  méritait  la  naturalisation  française,  art.  III  de 
la  Déclar. 


198  DEUXIÈME    l'AUTIE.    —    CIIAI'ITUE    IV 

moins  une  complicité  parmi  son  personnel.  L'insli-uclion  de 
ce  genre  de  procès  devait  suivre  son  cours  régulièrement  et 
le  coupable  ne  pouvait  échapper  au  cliâtiment,  ni  la  Compa- 
gnie être  frustrée  d'une  légitime  réparation, à  l'aide  des  échap- 
patoires alors  en  usage  :  l'évocation  au  Conseil  du  Roi,  la 
surséance,  l'obtention  de  lettres  de  répit  (1),  arl.  XXIII  de  la 
Déclar. 

Une  clause  remarquable  concernait  les  différends  entre 
les  Directeurs  et  les  actionnaires  ou  entre  ces  derniers  rela- 
tivement aux  affaires  de  la  Compagnie.  Il  importait  en  effet 
pour  le  bon  renom  de  celle-ci,  que  ces  désaccords  échappas- 
sent le  plus  possible  à  la  publicité  des  juridictions  ordinai- 
res, d'ailleurs  peu  compétentes  en  l'espèce  ;  aussi  ces  que- 
relles domestiques  étaient-elles  tranchées  par  un  tribunal 
arbitral^  composé  de  trois  Directeurs  choisis  par  les  parties 
ou  à  défaut  nommés  d'office  par  la  Chambre  du  lieu.  La  dé- 
cision des  arbitres  était  sans  appel  et  les  adversaires  étaient 
tenus  de  s'y  conformer  sous  peine  de  dommages-intérêts, 
art.  XXIV  de  la  Déclar. 

D'autres  différends  pouvaient  surgir  entre  les  Directeurs 
ouïes  intéressés  d'une  part,  et  les  personnes  étrangères  à  la 
Compagnie  de  l'autre,  relativement  aux  affaires  de  celle-ci. 
Plus  n'était  possible  dans  ce  cas  lo  recours  à  un  arbitrage  ; 

(1)  On  sait  que,  d'après  la  théorie  des  légistes,  la  royauté,  source  de 
toute  justice,  en  avait  délégué  l'exercice  mais  non  aliéné  la  propriété, 
et  pouvait  l'exercer  par  elle-même  quand  il  lui  plaisait,  en  écartant  ses 
délégués  ordinaires  :  c'était  \;i  justice  relcnue .  Elle  revêtait  un  certain 
nombre  de  formes  :  Vévocation  au  Conseil  du  Roi  en  était  la  plus  sim- 
ple :  elle  pouvait  intervenir  même  lorsque  le  juge  compétent  était  saisi 
de  l'alTaire  évoquée  ;  la  surscance  était  l'arrêt  de  la  procédure  entamée 
sur  un  ordre  émané  du  souverain  ;  les  lettres  de  répit,  un  peu  dilTé- 
renles  comme  esprit,  accordaient  un  délai  de  grâce  à  un  débiteur  pour- 
suivi. 


ADMINISTRATION    DE    L.\    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES         199 

mais  on  en  attribua  la  connaissance  aux  tribunaux  consulat- 
res(l),  c'est-à-dire  à  des  juridictions  d'exception,  et  ils  étaient 
soumis  aux  mêmes  règles  que  les  différends  dont  connais- 
saient d'ordinaire  ces  tribunaux,  c'est-à-dire  les  affaires  re- 
latives au  commerce,  art.  XXIX  de  la  Déclar.  (2). 

Ces  prescriptions  étaient  expressément  garanties  dans  le 
cas  d'une  instance  criminelle,  dans  laquelle  les  intéressés  de 
la  Compagnie,  ou  celle-ci  elle-même,  représentée  par  ses  Di- 
recteurs, seraient  parties  soit  comme  défendeurs,  soit  comme 
demandeurs.  Dans  ce  cas,  en  effet,  la  compétence  était  natu- 
rellement laissée  aux  juges  de  droit  commun,  mais  sous 
aucun  prétexte  «  le  criminel  ne  pouvait  attirer  le  civil  »,  sui- 
vant l'expression  de  notre  ancien  droit,  et  la  connaissance 
de  celui-ci  restait  réservée  à  la  justice  consulaire  ou  au  tri- 
bunal arbitral,  suivant  les  cas,  art.  XXVI  de  la  Déclar. 

Telles  étaient  les  principales  questions  contentieuses  ré- 
glées par  les  statuts  :  elles  étaient,  on  le  voit,  fort  impor- 
tantes et  leur  solution  était  sagement  organisée. 

Une  des  parties  les  plus  délicates  du  fonctionnement  de  la 
Compagnie  devait  être  incontestablement  l'administration  de 
son  domaine  colonial:  là  apparaissaient  en  effet  ses  droits 
et  ses  obligations  les  plus  importants,  et  ses  privilèges  eux- 

(1)  Les  tribunaux  consulaires,  dont  l'origine  est  très  lointaine,  furent 
pourtant  organisés  très  tard.  Les  juges-consuls  de  Toulouse  furent 
institués  les  premiers  par  une  ordonnance  de  1540  :  ceux  de  Paris  le 
furent  peu  après,  en  1563  :  il  y  eut  ensuite  création  de  juridictions 
semblables  dans  un  certain  nombre  de  villes  commerçantes,  mais  la 
généralisation  de  cette  iiislilutioii  ne  date  ([iie  de  la  première  moitié  du 
xviii*  siècle. 

(2)  Us  jugeaient  sans  appel  jusqu'à  1.500  livres,  avec  appel  devant  le 
Parlement  au-dessus  de  celte  somme  ;  leurs  jugements  étaient  exécu- 
toires nonobstant  appel  ou  opposition.  Ces  règles  qui  sont  encore  celles 
de  notre  justice  commerciale  étaient  donc  applicables  aux  différends 
dans  lesquels  la  Compagnie  était  engagée. 


200  DEUXIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    IV 

mêmes,  éléments  conslitulifs  de  sa  qualité  de  Compagnie  de 
commerce.  De  la  bonne  ou  de  la  mauvaise  constitution  de 
ce  domaine,  de  l'exploilalion  qu'elle  en  ferait,  dépendait  en 
grande  partie  son  avenir.  Ici  encore,  les  précédents  furent 
pour  les  organisateurs  d'un  précieux  secours. 

La  Déclaration  royale  conféra  à  la  Compagnie  la  propriété 
perpétuelle  de  l'île  de  Madagascar  et  de  ses  dépendances,  la 
subrogeant  aux  droits  de  la  Compagnie  d'Orienl,  conformé- 
ment au  contrat  de  délaissement  intervenu  entre  les  inté- 
ressés de  cette  dernière  Compagnie  et  les  Syndics  de  la 
nouvelle.  Elle  était  investie  de  celte  possession  en  loute 
seigneurie  et  justice  et  le  Roi  ne  se  réservait  aucun  droit  sur 
les  pays  qui  y  étaient  compris,  renonçant  notamment  à  celui 
qu'il  possédait  sur  les  mines  d'or  et  d'argent,  et  au  droit  d'es- 
clavage, art.  XXIX de  la  Déclar.  La  Compagnie  devenait  ainsi 
une  véritable  puissance  dans  la  mer  des  Indes.  Elle  devait 
cependant  reconnaître  la  suzeraineté  du  roi  de  France  et  était 
tenue  à  ce  titre  de  prêter  serment  de  foi  et  d'hommage-lige  à 
chaque  changement  de  règne.  Cette  vassalité  était  matéria- 
lisée par  la  redevance  en  cette  occasion  d'une  couronne  et 
d'un  sceptre  d'or  du  poids  de  cent  marcs  (1). 

La  Compagnie  n'était  pas,  d'ailleurs,  indéfiniment  renfer- 
mée dans  rile  de  Madagascar  ;  le  Roi  lui  concéda  par  avance, 
et  en  toute  propriété  également,  toutes  les  terres,  places  et 
lies  qu'elle  occuperait  ou  conquerrait.  Nous  avons  vu  qu'en 
1G64 on  n'avait  guère  encore  de  projets  que  sur  Madagas- 
car, mais  lorsque,  quelques  années  après,  la  Compagnie 
abandonna  l'île  et  transporta  ses  ainbitions  dans  la  pénin- 
sule hindoue,  ce  changement  d'objectif  s'accomplit  sans  dif- 

(1)  Celle  redevance  ne  fui  jamais  payée,  car  la  Compagnie  en  fui 
déchargée  en  1686  tors  de  sa  renonciation  définitive  à  la  propriété  de 
t'île. 


ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES        201 

ficullé  el  sans  modification  de  ses  statuts  en  vertu  de  celte 
stipulation. 

Pour  la  représenter  el  administrer  en  son  nom  son  do- 
maine colonial,  la  Compagnie  reçut  le  pouvoir  d'établir  un 
Gouverneur  Général  qui  devait  seulement  «  être  nommé  au 
Roi  »  et  prêter  entre  ses  mains  serment  de  fidélité  ;  elle  con- 
servait la  faculté  de  le  destituer  à  son  gré,  quitte  à  soumettre 
le  successeur  qu'elle  lui  donnait  à  la  même  formalité  du  ser- 
ment ;  ce  personnage  important  portait  en  outre  le  titre  de 
lieutenanl-général  du  Roi,  qui  ajoutait  à  la  dignité  qu'il  te- 
nait de  la  Compagnie  un  grade  éminenl  dans  la  hiérarchie 
militaire  du  royaume,  art.  XXXV  de  la  Déclar.  (1). 

L'autorité  militaire  dont  il  était  le  dépositaire  était  consa- 
crée par  le  droit  accordé  à  la  Compagnie  d'entretenir  des 
troupes,  de  nommer  pour  les  commander  des  officiers  qui 
prêteraient  aussi  serment  de  fidélité  au  Roi,  de  faire  fondre 
des  canons  (2),  de  se  procurer  des  armes  et  des  munitions. 
Elle  pouvait  aussi  posséder  des  navires  de  guerre,  comman- 
dés par  ses  officiers  et  montés  par  des  équipages  recrutés  par 
ses  soins,  art.  XXX  VII  de  la  Déclar. 

Sa  souveraineté  était    consacrée  encore  par  le  droit  de 

(1)  Le  premier  Gouverneur-Général  fut  le  marquis  de  Mondevergue 
(1666-1670).  M.  de  Champmargou  (1670-1671)  et  M.  de  la  Bretesche 
(1671-1672),  qui  lui  succédèrent  comme  chefs  de  la  colonie  de  Mada- 
gascar, ne  furent  que  Ueulenanls-généraux  pour  le  Roi.  Lorsque  la 
Compagnie  eut  transporté  le  centre  de  son  commerce  dans  l'Inde  (1671), 
elle  n'y  fut  représentée  d'abord  que  par  un  Directeur-Général  :  tel  fut  le 
litre  de  MM.Caron  (1667-1672), Baron  (1672-1683)  et  Martin  (1683-1701). 
Mais  ce  dernier  reçut  à  nouveau  en  1701  la  dignité  de  Gouverneur-ijC- 
néral  (1701-1706).  Il  eut  comme  successeurs  dans  cette  charge  MtM.  Du- 
livier  (intérim  1706-1708),  Hébert  (1708-1713),  Dulivier  (1713-1715), 
Hébert  (1715-1718),  et  de  la  Prévostière  (1718-1721). 

(2)  Avec  le  droit  d'y  faire  Bgurer  les  armes  de  France,  à  condition 
qu'elles  fussent  accompagnées  des  siennes. 


202  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IV 

prise  sur  les  vaisseaux  des  ennemis  de  l'Etal  au  delà  de  la 
Ligne  et  dans  les  mers  de  sa  concession.  Ces  prises  étaient 
justiciables  de  ses  propres  officiers  érigés  en  tribunal  des 
prises,  dont  appel  seulement  à  la  justice  souveraine,  ar/. 
XXXIX  de  la  Déclar. 

Elle  reçut, d'autre  part.le  droit  d'envoyer  des  ambassadeurs 
au  nom  du  Roi  auprès  des  souverains  indigènes,  de  conclure 
avec  eux  des  traités  de  paix  et  d'alliance,  de  leur  déclarer  et 
faire  la  guerre,  art.  XXXVI  de  la  Déclar. 

Enfin,  comme  tout  seigneur,  la  Compagnie  eut  son  blason  : 
«  un  écusson  de  forme  ronde,  le  fond  d'azur  chargé  de  fleurs 
de  lys  d'or,  enfermé  de  deux  branches,  l'une  de  palme,  l'au- 
tre d'olivier,  jointes  en  haut  et  portant  une  autre  fleur  de 
lys  d'or.  »  Deux  figures,  la  Paix  et  l'Abondance,  servaient  de 
supports  à  ces  armes,  et  le  Roi  lui  donna  cette  fière  devise 
qu'elle  devait  justifier  assez  mal  :  «  Florebo  quocumque  fe- 
rar  »  1  art.  XLtl  de  la  Déclar. 

Dans  l'intérieur  de  son  domainecolonial  la  Compagnie  fut, 
en  vertu  de  son  autorité  seigneuriale,  investie  du  droit  de 
haute,  moyenne  et  basse  justice,  c'est-à  dire  du  pouvoir 
judiciaire  dans  toute  son  intégralité,  tant  à  l'égard  des  indi- 
gènes et  des  étrangers,  que  des  Français  résidant  dans  ces 
pays  (1).  A  cet  effet,  elle  avait  autorité  pour  instituer  tous  les 

(1)  On  sait  que  dans  la  société  féodale  à  laquelle  celte  organisation 
de  la  justice  était  empruntée,  la  liaute  justice  comprenait  la  connais- 
sance de  toutes  les  accusations  pouvant  entraîner  une  peine  afniclive, 
jusques  el  y  compris  la  peine  de  mort,  et  de  tous  les  procès  civils  im- 
portants (ceux  qui  se  résolvaient  autrefois  par  le  combaljudiciaire).  I,a 
basse  justice  comprenait  toutes  les  autres  causes  criminelles  ou  civiles. 
La  moyenne  justice,  dont  l'institution  est  postérieure  en  date,  compor- 
tait tous  les  droits  delà  basse  justice  enrichie  de  quelques-uns  de  ceux 
de  la  haute  justice.  L'intérêt  de  la  distinction  de  ces  trois  degrés  de 
justice  résidait  dans  le  fait  fju'ils  se  trouvaient  souvent  détenus  séparé- 
ment. 


ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES        203 

officiers  de  justice  qu'elle  jugerait  nécessaires,  après  les  avoir 
toutefois,  eux  aussi,  «  nommés  au  Roi  »  et  soumis  à  la  pres- 
tation du  serment.  Ces  officiers  rendaient  la  justice  au  nom 
du  Roi  et  libellaient  de  même  leurs  sentences,  et  le  sceau 
royal  fut  remis  à  la  Compagnie  pour  s'en  servir  en  toutes 
circonstances  (1).  Enfin  les  juges  souverains  nommés  par  elle 
purent  établir  à  leur  tour,  et  de  leur  propre  autorité,  des  juges 
subalternes  en  tel  lieu  et  en  tel  nombre  qu'ils  l'estimèrent 
utile. 

Certaines  obligations,  il  est  vrai,  furent  imposées  à  la  Com- 
pagnie en  regard  de  son  pouvoir  judiciaire,  qui  ne  furent 
d'ailleurs  qu'une  sage  limite  à  son  omnipotence  ;  elle  s'enga- 
gea à  rendre  la  justice  gratuitement,  et  à  seconformer  rigou- 
reusement dans  l'exercice  de  ce  pouvoir  aux  lois  et  ordon- 
nances du  royaume.  En  outre  ses  tribunaux  durent  suivre 
la  Coutume  de  Paris  «  sans  qu'on  puisse  y  introduire  une 
autre  Coutume,  pour  éviter  la  diversité  «.  Cette  mesure  mon- 
tre combien  l'on  sentait  à  cette  époque  les  inconvénients  de 
la  multiplicité  des  Coutumes  et  la  nécessité  de  l'unification 
du  droit,  «r/.  XXX II f  de  la  Dédar. 

Une  autre  obligation  imposée  à  la  Compagnie  fut  rétablis- 
sement de  la  religion  catholique  dans  ses  possessions.  La 
préoccupation  de  propager  le  christianisme  dans  les  pays  ré- 
cemment ouverts  au  commerce  européen  figure  dans  toutes 
les  créations  de  Compagnies  à  celte  époque.  Elle  n'était  pas 
toujours  observée  ;  il  paraît  bien  notamment  que  la  Compa- 

(i)  M-  de  Beausse  le  reçut  des  mains  du  Roi  lui-même  :  il  représen- 
lail  celui-ci  sur  le  trône  royal  avec  les  attributs  de  la  souveraineté,  et 
portait  ces  mots  :  «  Ludovic!  XIV,  Franciœ  et  Navarrae  régis,  sigilkim 
ad  usum  Supremi  Consilii  Galliae  Orientalis.  »  En  1664  également,  fut 
frappée  par  ordre  du  Roi  une  médaille  commémorative  de  la  création 
des  deux  Compagnies  des  Indes;  elle  portait  comme  devise  :  <(  Jungendis 
commercio  genlibus.  —  Societates  negociatorum  in  utraque  India.  » 


204  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CIIAI'ITUE    IV 

gnie  d'Orient  s'était  fort  peu  souciée  de  celle  condition  que 
lui  avaient  formellement  posée  ses  statuts.  Il  ne  faudrait  pas 
en  conclure  cependant  que  l'intention  qui  la  dictait  ne  fût 
point  sincère,  mais  on  en  faisait  seulement  passer  la  réalisa- 
lion  au  second  plan,  après  l'intérêt  commercial,  but  principal 
de  ces  Compagnies.  La  Compagnie  des  Indes  Orientales  vit 
donc  figurer  parmi  ses  obligations  la  construction  des  églises, 
rétablissement  et  l'entretien  des  ecclésiastiques  dont  le  choix 
et  le  nombre  furent  d'ailleurs  laissés  à  son  initiative,  art. XXX 
de  la  Déclar. 

La  situation  des  Français  établis  dans  ses  possessions  fut 
l'objet  de  prescriptions  particulières  :  on  avait  en  effet  le 
dessein  d'y  favoriser  l'émigration,  et  l'on  comptait  notam- 
ment créer  à  Madagascar  une  «  France  Orientale  »  (1).  Aussi 
fut-il  stipulé  que  les  émigranls  jouiraient  dans  les  lieux 
où  ils  s'établiraient  des  mêmes  libertés  et  franchises  qu'à 
l'intérieur  du  royaume,  et  que  leurs  enfants  seraient  Français 
comme  eux  ;  Français  aussi  les  enfants  issus  du  mariage  d'un 
Français  eld'un  indigène  converti  au  calholicisine ,q\ie\  que  fût 
le  sexe  du  premier,  et  comme  tels  capables  de  succéder  et  de 
recevoir  les  dispositions  faites  en  leur  faveur,  art.  XXXVIll 
de  la  Déclar.  L'organisation  de  la  colonisation  elle-même  fut 
laissée  à  l'initiative  de  la  Compagnie  :  elle  fut  l'objet  des 
soins  des  premiers  Directeurs.  Deux  procédés  leur  étaient 
offerts,  dont  chacun  avait  ses  partisans  :  le  premier  était  de 
confier  l'exploitation  de  la  colonie  à  un  personnel  à  gages  ; 

(1)  La  Compagnie,  afin  que  la  nouvelle  colonie  fùl  façonnée  à  l'image 
de  la  mère-patrie,  reçut  le  droit  d'ériger  les  concessions  importantes  en 
marquisats,  comtés,  vicomtes,  baronnies  el  chàlellenies,  et  de  donner 
aux  concessionnaires  l'autorisation  d'y  élever  des  chùteaux-t'orts  à 
pont-levis.  La  Direction  Générale  qui  était  investie  de  ces  pouvoirs  de- 
vait transmettre  les  lettres  d'érection  à  la  Chancellerie  de  l'i'le  Dau- 
phine. 


ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES        205 

le  second  consistait  à  recruler  des  colons  indépendants  à  qui 
l'on  distribuerait  des  terres  en  toute  propriété.  Le  premier 
était  celui  qu'avaient  suivi  les  Hollandais,  c'étnil  aussi  celui 
qu'avait  adopté  la  Compagnie  d'Orient  ;  il  offrait  l'avantage 
de  maintenir  effectivement  l'autorité  de  la  Compagnie,  et  de 
lui  assurer  le  produit  intégral  du  travail  d'exploitation.  Le 
second  était  de  nature  à  attacher  bien  davantage  les  colons 
à  la  terre  qu'ils  cultiveraient,  et  tout  en  rendant  par  là  leur 
travail  plus  productif,  de  faire  pour  eux  de  Madagascar  une 
véritable  patrie,  où  ils  feraient  eux-mêmes  souche  de  colons. 
Aussi  fut-il  très  soutenu  ;  on  objecta  aux  partisans  du  pre- 
mier système  les  frais  qu'il  entraînerait  en  gages,  en  mesu- 
res de  surveillance  ;  on  fit  valoir  en  faveur  du  second  l'in- 
tention nettement  manifestée  par  le  Roi  et  le  Ministre  de 
faire  de  Madagascar  une  province  française,  dessein  que  la 
colonisation  à  gages  n'était  point  capable  de  satisfaire.  Il  fui 
adopté  (1)  :  la  Compagnie  s'engagea  à  transporter  gratuite- 
ment les  émigrants  qui  se  présenteraient,  et  à  leur  distri- 
buer des  terres  dont  ils  deviendraient  propriétaires  à  per- 
pétuité moyennant  une  légère  redevance.  Leur  nourriture 
leur  fut  en  outre  assurée  pour  le  voyage  et  pendant  les  trois 
premiers  mois  de  séjour  dans  l'ile  à  un  prix  modique,  qu'ils 
avaient  trois  ans  pour  acquitter  au  moyen  des  produits  de 
leur  culture  ou  de  leur  industrie. 
Les  artisans  furent  l'objet    de  faveurs  spéciales  :   il  fut 

(1)  Cependant  les  280  colons  qui  firent  partie  de  la  première  expé- 
dition étaient  des  colons  à  ga^es,  et  leur  engagement  était  de  cinq 
années.  La  Compagnie  les  transporta  gratuitement  à  l'aller  et  au  re- 
tour, et  les  nourrit  pendant  toute  la  durée  de  leur  service.  Le  prix  de 
leur  engagement  leur  fut  payé  moitié  dans  l'ile  en  marctiandises,  moitié 
au  retour  en  argent.  De  plus,  on  leur  versa  deux  mois  de  gages  dès 
leur  inscription.  Ce  n'est  que  postérieurement,  en  effet,  que  la  décision 
rapportée  ci-dessus  fut  prise. 


2()H  _  DEUXIÈME    PAmiE.    CHAPITRE    IV 

stipulé  par  les  slaluLs  que  ceux  qui  exerceraient  pendant 
huit  années  leur  métier  dans  les  possessions  de  la  Compa- 
gnie seraient  à  leur  retour  en  France  réputés  «  maîtres  de 
chef-d'œuvre  »  et  pourraient  s'établir  patrons  en  tout  lieu 
du  royaume  sans  être  tenus  d'obtenir  la  maîtrise  par  les 
voies  ordinaires  :  un  certificat  de  la  Compagnie  suffirait  à  les 
faire  jouir  de  ce  droit  exceptionnel  (1). 

Enfin  la  Compagnie,  en  vertu  delà  faculté  qui  lui  était 
laissée  et  de  l'autorité  dont  elle  était  investie,  publia  une 
sorte  de  charte  constitutionnelle  de  son  domaine  colonial 
qui  compléta  les  statuts  pour  l'organisation  de  celui-ci.  Cet 
acte  fort  court,  car  il  ne  comprenait  que  13  articles,  ne  portait 
que  sur  des  principes  d'ordre  public  ;  mais  ses  dispositions 
étaient  fort  sages (2).  Le  meurtre  et  l'assassinat  y  étaient  punis 

(1)  Des  affiches  furent  placardées  dans  Paris  pour  porter  ces  faveurs 
à  la  connaissance  du  public.  «  La  Couipagnie  des  Indes  Orientales,  y 
élailil  dit,  fait  avertir  tous  les  artisans  el  gens  de  métier  français  qui 
voudront  aller  demeurer  dans  l'île  de  Madagascar  et  dans  toutes  les 
Indes,  qu'elle  leur  donnera  le  moyen  de  gagner  leur  vie  fort  lionnéle- 
ment  el  des  appointements  el  places  considérables  ;  et  que  s'il  y  en  a 
qui  veuillent  y  demeurer  huit  ans,  S.  M.  veut  bien  leur  accorder 
d'être  maîtres  de  chef-d'œuvre  dans  toutes  les  villes  du  royaume  de 
France,  où  ils  voudront  s'établir,  sans  en  excepter  aucune, et  sans  payer 
aucune  chose.  Ceux  qui  seront  dans  cette  résolution  se  présenteront  à 
la  maison  de  la  Compagnie.  »  D'après  la  Relation  de  Charpentier. 

Dans  1(^  régime  corporatif  on  ne  pouvait  régulièrement  passer  maître 
el  avoir  le  droit  d'ouvrir  boutique  ou  atelier  qu'en  subissant  l'examen 
du  chef-d'œuvre  el  en  acquittant  certains  droits  envers  le  fisc  et  la  com- 
munauté. Le  roi  pouvait  cependant  créer  des  maîtres  par  lettres  paten- 
tes (les  lettres  de  maîtrise)  qui  s'obtenaient  moyennant  finances,  ordi- 
nairement à  son  avènement.  On  voit  que  la  faveur  accordée  aux  arti- 
sans qui  s'engageaient  dans  la  Compagnie  était  importante,  puisqu'elle 
leur  évitait  ces  difficultés  el  ces  frais.  De  plus,  ils  pouvaient  s'établir 
dans  une  ville  quelconque,  par  dérogation  au  principe  de  la  séparation 
qui   existait  entre  les  communautés  des  diiïérenles  villes. 

(2)  (<  De  par  le  Roi  statuts  el  ordonnances  que  la  Compagnie  établie 


ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES       207 

«  suivant  la  rigueur  des  ordonnances  >  et  les  biens  des  con- 
damnés confisqués  au  profil  de  la  Compagnie.  Le  duel  était 
interdit.  Le  vol  puni  de  la  restitution  du  double  de  la  valeur 
volée.  Le  blasphème  sanctionné  par  un  avertissement,  sa 
récidive  par  six  heures  de  carcan.  Il  était  interdit  à  un 
Français  d'épouser  une  femme  indigène,  si  elle  n'était  chré- 
tienne et  sans  l'autorisation  du  commandant  du  lieu  ;  d'au- 
tre part  ce  mariage  ne  pouvait  être  affecté  que  par  les  cas  de 
séparation  admis  en  France.  Les  peines  portées  par  les  or- 
donnances étaient  promises  à  ceux  «  qui  prendraient  par 
force  une  femme  ou  une  fille  indigènes  ».  La  vente  des  na- 
turels comme  esclaves  était  punie  de  la  peine  de  mort,  et  il 
était  enjoint  aux  colons  qui  les  emploieraient  à  gages,  de  les 
traiter  humainement.  Enfin  les  Français  ne  pouvaient  se 
concerter  pour  combattre  les  habitants,  ni  rien  exiger  d'eux 
sans  les  ordres  de  leurs  supérieurs. 

L'organisation  de  radministration  coloniale  de  la  Compa- 
gnie n'était  point  non  plus  prévue  par  ses  statuts,  hormis  la 
désignation  du  Gouverneur  Général.  Ici  encore,  elle  avait 
toute  liberté  ;  aussi,  à  Tiniilalion  des  Compagnies  étrangères, 
créa-t-on  pour  assister  le  Gouverneur  Général  un  Conseil 
Souverain  de  sept  membres.  Il  résida,  comme  nous  l'avons 
vu,  d'abord  à  Fort-Dauphin,  puis  à  Surat  (1671),  enfin  défini- 
tivement à  Pondichéry  (1)  (1701). 

Ce  Conseil  avait  un  double  caractère  :  administratif  et  ju- 
diciaire ;  il  assistait  le  Gouverneur  dans  la  gestion  des  affai- 
res de  la  Compagnie,  et  il  était  aussi  un  tribunal  souverain  ; 

pour  le  commerce  des  Indes  Orientales  veut  et  entend  être  gardés  et 
observés  dans  l'île  de  Madagascar  et  adjacentes  et  dans  tous  les  autres 
lieux  à  elle  concédés  par  S.  M.  »  26  octobre  i664. 

(1)  Lors  de  son  transfert  à  Surat,  le  Conseil  perdit  la  qualification  de 
Souverain  pour  prendre  celle  de  Supérieur,  qu'il  garda  jusqu'en  1769. 


208 


DEUXIKMK    l'AHTIK.    CIIAITTIIE    IV 


à  ce  dernier  litre  il  fut  soumis  à  des  prescriptions  précises 
par  des  actes  postérieurs  à  la  Déclaration  de  1664.  Les  lettres 
patentes  du  21  janvier  1671  qui  rétablirent  à  Surat,  décidè- 
rent notamment  :  que  pour  juger  au  civil,  le  Conseil  devrait 
être  composé  de  trois  Directeurs,  ou  tout  au  moins  d'un  Di- 
recteur et  de  deux  marchands.  Au  criminel,  il  devait  com- 
prendre cinq  Directeurs  :  ses  sentences  étaient  en  dernier 
ressort  et  sans  appel,  mais  il  connaissait  en  outre  en  appel 
des  jugements  prononcés  par  les  chefs  de  comptoirs  particu- 
liers, tant  au  civil  qu'au  criminel  (1). 

L'institution  de  Conseils  Parliculiers,  assistant  les  gouver- 
neurs des  comptoirs  secondaires,  fut  également  prévue  ;  mais 
il  semble  que  le  seul  qui  ait  été  organisé  par  la  Compagnie 
fut  celui  de  Fort-Dauphin,  qu'emmena  la  première  expédition 
en  attendant  la  nomination  du  Conseil  Souverain.  Lorsque 
celui-ci  eut  été  en  dernier  lieu  transféré  de  Surat  à  Pondi- 
chéry,  les  autres  comptoirs  de  la  Compagnie,  «  de  simples 
loges  »,  dit  Savary,  n'étaient  point  assez  importants  pour 
justifier  la  création  d'un  conseil  et  l'on  n'y  laissait  qu'un  très 
petit  nombre  de  commis  français,  souvent  même  un  seul  ; 
le  Conseil  de  Pondichéry  étendit  sur  eux  sa  compétence  pour 
toutes  les  affaires  qui  dépassaient  l'autorité  disciplinaire 
reconnue  à  leur  directeur  (Edil  de  1701)  {"1). 

(1)  A  la  création  du  Conseil  de  Sural  (lG7f  ),  celui-ci  comprit  MM.  Ca- 
ron,  Gueslon,  Blet,  Baron  ;  en  1674,  à  la  nomination  de  Baron  comme 
chef  de  ce  Conseil,  celui-ci  comprenait  avec  lui  MM.  de  Jonchères, 
J.-B.  Martin,  Bourreau  et  Pillavoine.  En  1680  enfin,  il  se  composait  de 
MM.  Baron,  Bourreau,  Pillavoine,  Roque,  J.-B.  Martin,  Huel  et  Cha- 
pelain. Le  nombre  de  ses  membres  fut  donc  très  variable. 

(2)  L'édil  de  1701,  qui  institua  le  Conseil  Supérieur  de  Pondichéry, 
luidoiinuil  pouvoir»  de  rendre  la  justice  lanl  civile  que  criminelle  à  tous 
les  habitants  du  lieu,  comme  à  ceux  des  comptoirs  d'Ougly,  Balaçor, 
Cassimbazar,  Cabripatam,  Masulipalam  et  autres  lieux  ». 


ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES   INDES    ORIENTALES        209 

Pour  compléter  l'examen  de  celle  organisalion  coloniale 
nous  devons  mentionner  le  Commandant  d'armes  (1),  auquel 
le  Gouverneur  Général  déléguait  l'autorité  militaire  dont  il 
était  investi  et  qui  réunissait  sous  ses  ordres  les  troupes  de  la 
Compagnie.  Tous  les  Français  établis  dans  ses  comptoirs  et 
en  état  de  porter  les  armes  devaient  le  service  militaire  el 
étaient  répartis  en  compagnies  commandées  par  des  officiers 
commissionnés  par  elle  :  capitaines,  lieutenants  et  enseignes. 
Cette  organisalion  ne  fut  point  inutile,  car  elle  permit  à  la 
colonie  de  Fort- Dauphin  de  se  défendre  contre  les  indigènes 
et  d'éviter  une  destruction  complète  ;  plus  tard,  les  employés 
delà  Compagnie  prirent  part  à  la  défense  de  San-Thomé  et  à 
celle  de  Pondlcliéry.  En  outre,  les  Directeurs  s'occupèrent  dès 
le  début  de  recruter  un  petit  corps  de  troupes  régulières, 
el  l'expédition  Mondevergue  emmena  quatre  compagnies 
d'infanterie  (2).  Malheureusement,  parla  suite,  on  négligea 
fort  cette  importante  question,  et  lors  du  siège  de  Pondichéry 
le  gouverneur  Martin  n'avait  à  sa  disposition  «  que  des  misé- 
rables que  l'on  avait  pris  gueusant  aux  portes  des  maisons 
de  France  el  embarqués  de  force  ». 

Enfin  le  personnel  commercial  employé  dans  les  comptoirs 
de  la  Compagnie  était,  comme  dans  les  Compagnies  étrangè- 
res, hiérarchiquement  divisé  en  marchands,  sous-marchands 
et  commis,  chargés  sous  la  direction  des  chefs  de  ces  comp- 
toirs des  opérations  du  commerce  :  achat  des  marchandises 
indigènes,  magasinage,  chargement  sur  les  navires  (3). 

(1)  Le  premier  commandant  d'armes,  et,  croyons-nous,  le  seul,  fut 
M.  de  Champmargou  qui  devint  ensuite  lieutenant-général  pour  le  Roi 
de  l'île  de  Madagascar  (1670). 

(2)  Tirées  des  régiments  d'infanterie  de  la  Motte  et  de  Schulemberg. 

(3)  En  1680,  c'est-à-dire  à  l'époque  de  sa  plus  grande  prospérité,  la 
Compagnie  possédait  en  Asie  le  personnel  suivant:  à  Surat,  MM.  Ba- 

vv.  -  1* 


210  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   TV 

Telle  était,  dans  ses  grandes  lignes,  l'organisation  coloniale 
de  la  Compagnie  :  elle  ne  présentait  en  somme  aucune  inno- 
vation sur  les  procédés  employés  par  les  Hollandais  el  les 
Anglais,  à  l'expérience  desquels  on  eut  raison  de  se  fier. 

La  Compagnie  ainsi  constituée  devait  fonctionner  en  prin- 
cipe avec  une  autonomie  très  grande  vis-à-vis  de  l'Etat.  Maî- 
tresse absolue  de  son  administration  intérieure,  elle  n'avait 
en  effet  d'autre  obligation  à  cet  égard  que  de  soumettre  à 
l'agiément  du  Uoi  le  choix  de  ses  principaux  fonctionnai: es  ; 
elle  était  un  véritable  petit  Etat  dans  l'Etat,  et  si  le  succès 
répondait  à  ses  efforts,  elle  pouvait  acquérir  une  puissance 
énorme  ;  nos  mœurs  modernes  n'admettent  plus  de  pareilles 
conceptions,  mais  l'exemple  de  l'Angleterre  et  de  la  Hollande, 
le  souci  très  légitime  d'enrichir  la  France  en  développant  son 
commerce  maritime,  conduisirent  le  gouvernement  à  cen- 
tralisation extrême,  qu'était  celui  de  la  France  à  celte  épo- 
que, à  cette  véritable  anomalie. 

Les  premières  années  d'exploitation  de  ses  privilèges 
ne  donnèrent  point  lieu  de  craindre  que  l'époque  dût  être 
bien  proche,  où  sa  puissance  deviendrait  dangereuse.  Néan- 
moins le  gouvernement  royal  s'attacha  à  restreindre  l'éten- 
due de  ses  concessions,  et  à  exercer  sur  la  Compagnie  un 
contrôle   dont    il  croyait    l'avoir  trop   exemptée.  Tant  que 

ron,  Direclcur  General  ;  Bourreau,  Pillavoine,  Roque,  marciiands  ; 
J.-B.  Martin,  Huet,  Chapelani,  sous-marchands  ;  de  Bourlet,  Cordier, 
Duval,  Gaignan,  commis;  Cnquelu,  secrétaire;  Bourreau-Deslandes, 
caissier  ;  Besnard,  maître  d'oflice  ;  —  à  Tkllichkri,  MM.  Férier,  chef 
du  comptoir,  Coche,  commis  ;  —  à  Rajapl'r,  M.  Clément,  marcliand  ; 
—  à  SouwALi,  M.  licijuault,  soiis-marcliand  ;  —  à  PoNDiCHÉnv,  MM. 
Martin  (l^rançois),  chef  du  comptoir,  Dcltor,  marcliand,  Louvin,  Blon- 
deaii,  commis  ;  —  à  Bantam,  MM.  de  Guilliem,  chef  du  comptoir,  J/j- 
chnud,  commis  ;  —  à  Ispahan,  MM.  de  /'£s/ot7e,  chef  du  comptoir, 
Conillard-Monfroy,  sous-marciiand,  DttviUiers,  commis.  —  D'après 
MM.  Saint-Yves  et  Cliavanon,  Itcvue  Historique,  octobre  1903, 


ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES         2 1  1 

Colberl  vécut,  la  queslion  ne  se  posa  point  ouvertement  : 
créateur  de  la  Compagnie,  il  en  resta  naturellement  l'inspira- 
teur, et  dirigea  d'en  haut  ses  opérations,  faisant  intervenir 
le  Roi  dans  toutes  les  occasions,  où  il  le  jugeait  utile  :  aussi 
bien,  celte  surveillance  fut-elle  favorable  à  son  dévelop- 
pement et  lui  permit-elle  de  triompher  des  difficultés  du 
début.  Mais  la  disparition  de  Golbert  accentua  celte  tendance 
et  en  peu  d'années  l'ingérence  de  l'Etat  dans  la  conduite  des 
affaires  de  la  Compagnie  eût  ôté  à  celle-ci  presque  toute  son 
indépendance  primitive. 

La  première  occasion  d'intervention  se  présenta  à  lui  en 
167.^,  et  fut  provoquée  par  la  mauvaise  situation  financière 
de  la  (Compagnie  :  la  convocation  des  actionnaires  pour  l'as- 
semblée de  cette  année-là  porta  à  son  ordre  du  jour  la  no- 
mination d'un  certain  nombre  de  commissaires  qui  seraient 
chargés  d'examiner  ses  livres  et  de  dresser  le  bilan  de  ses 
effets  :  leur  mission  devait  être  d'ailleurs  et  fut  effectivement 
temporaire  (1).  Mais  on  ne  se  borna  point  à  cette  première 
mesure  ;  car  la  Direction  Générale  fut  en  outre  complètement 
changée  et  neuf  nouveaux  Directeurs  prirent  la  place  des 
anciens  qui  portèrent  aux  yeux  du  gouvernement  royal  la 
responsabilité  de  cet  étal  de  choses. 

En  1684,au  lendemain  même  de  la  mort  de  Colbert,un  bou- 
leversement plus  important  encore  fut  réalisé  dans  l'adminis- 
tration de  la  Compagnie  :  le  1 7  avril, uneleltrede  cachet  désigna 

(1)  Déjà,  en  1668,  le  Roi  avait  une  première  fois  désigné  des  commis- 
saires pour  examiner  les  livres  de  la  Compagnie,  mais  leur  examen  n'avait 
été  suivi  d'aucune  décision  importante.  Ces  premiers  commissaires  fu- 
rent :  le  premier  président  au  Parlement  Lamoignon,  les  Conseillers 
d'État  Pussortet  Voisin,  le  maître  des  requêtes  La  Reynie,  le  Procu- 
reur Général  au  Parlement,  celui  de  la  Chambre  des  Comptes,  le  lieu- 
tenant civil  d'Aubray,  le  garde  du  Trésor  Barlillat,  etc.. .  ;  c'est  parmi 
ces  personnages  que  furent  également  pris  les  commissaires  de  1675. 


212  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   IV 

une  nouvelle  commission  chargée  par  le  Roi  d'un  rôle  analo- 
gue à  celle  de  1675,  el  composée  de  MM.  Pussort,  Doucherai, 
Rouillé  el  La  Reynie.  On  mil  celle  fois  encore  sous  leurs  yeux 
les  livres  de  la  Compagnie  el  lorsque,  l'examen  achevé,  ils  en 
eurenl  communiqué  au  Roi  les  résultais, une  assemblée  exlra- 
oïdinaire  fui  convoquée  qui  vil  des  réformes  importanles,  el 
occupa  sepl  séances  conséculives  (1).  Les  commissaires 
dormèreril  connaissance  aux  aclionnaires  du  bilan,  lequel 
mellail  en  évidence  que  le  capilal  disponible  ne  s'élevail  qu'à 
3  millions  de  livres,  somme  noloiremenl  insuffisanle  :  «  La 
Compagnie,  conclurenl-ils,  ne  pouvait  subsisler,  si  on  ne  lui 
donnail  une  aulre  forme.  »  On  commença  par  remplacer  de 
fond  en  comble  la  Direction  Générale,  encore  une  fois  rendue 
responsable  de  la  mauvaise  silualion  des  affaires,  mais  celle 
fois  on  substitua  aux  neuf  Directeurs  de  1675  douze  Directeurs 
nouveaux  ;  d'autre  part,  leur  élection,  pour  éviter  appa- 
remment un  «  aussi  mauvais  choix  »  qu'en  1675,  ne  fut  point 
confiée  aux  aclionnaires  :  ce  furent  les  commissaires  qui  les 
désignèrent  au  Roi  et  celui-ci  les  nomma  directement  ;  la 
manière  dont  s'accomplit  cet  important  changement  mérite 
d'ailleurs  d'être  examinée.  Pour  accroître  le  capital  jugé  in- 
suffisant, les  actionnaires  furent  invités  par  un  arrêt  du 
18  octobre  1684  à  faire  un  nouvel  apport  du  quart  de  la  somme 
qu'ils  avaient  mise  dans  la  Compagnie,  violation  flagrante 
des  slaluts  de  celle-ci  et  des  promesses  du  lîoi  !  Un  certain 
nombre  d'entre  eux  seulement  s'exécutèrent  ;  un  nouvel 
arrêt  (février  1685)  déclara  les  autres  déchus  de  leurs  droits 
el  leur  subrogea  des  personnes  désignées  par  le  Roi  lui- 
même  el  auxquelles  il  imposa  d'ailleuis  la  double  condition 
d'indemniser  leurs  prédécesseurs  el  de  faire  l'apport  auquel 

(I)  Les  11,  16,  18,  19,  20,  22  septembre  el  6  octobre  1684. 


ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES         213 

ils  n'avaient  pas  consenti.  C'est  parmi  ces  nouveaux  action- 
naires, et  en  dédommagemenl,  sans  doute,  de  ces  onéreuses 
obligations,  que  furent  choisis  par  les  commissaires  les 
douze  nouveaux  Directeurs  (1). 

Les  actionnaires  protestèrent  vivement  contre  cette  ingé- 
rence de  l'Etal  dans  l'administration  de  la  Compagnie  : 
«  Qu'on  n'attribue  pas,  dirent-ils,  notre  peu  de  prospérité  à 
la  forme  de  notre  établissement.  En  quoi  notre  constitution 
nouvelle  ressemble-t-elle  à  celle  que  le  grand  Coîbert  nous 
a  donnée  ?  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  désastres  de  la  guerre 
qui  nous  ruinent,  mais  le  peu  de  liberté  dont  nous  jouissons, 
depuis  que  le  gouvernement  a  imprudemment  confié  l'admi- 
nistration de  nos  affaires  à  des  étrangers  (2).»  Cette  protesta- 
lion  n'eut  d'ailleurs  aucun  effet,  car  bientôt  un  arrêt  accentua 
celte  intervention,  en  portant  le  nombre  des  Directeurs  Géné- 
raux à  viîigt  par  l'adjonction  de  huit  nouveaux,  recrutés  de  la 
même  façon  que  précédemment,  chacun  d'eux  devant  faire 
l'apport  de  60.000  livres  (arrêt  du  mois  d'avril  1687). 

L'Etal  prétendait  ainsi  sauver  malgré  elle  la  Compagnie,  en 
laquelle  il  voyait  surtout  un  instrument  précieux  pour  sa 
politique;mais  il  ne  parvint  pas  à  atteindre  ce  résultat, et  ne 
réussit  qu'à  rendre  manifeste  aux  yeux  du  public  la  sujétion 
à  laquelle  ill'avait  réduite.  Cette  réforme  de  1684(3)  apporta 
encore  une  modification  importante  à  l'organisation  de  la 
Compagnie  :  car  en  même  temps  que  la  Direction  Générale 
était  renforcée,  les  Directions  Particulières  établies  en  1665 
à  Lyon,  Bordeaux,  Nantes,  Le  Havre  et  Rouen  furent  suppri- 

(i)  Ce  furent  :  MM.  de  Fromont,  Morel  de  Boistiroux,  Soulet,  Mathé 
de  Vilry-la-Ville,  Pocquelin,  de  Lille,  des  Vieux,  Parent,  Cébéret,  du 
Boulay,  Le  Brun  et  Tardif. 

(2)  Guyot,    Répertoire,  art.  Compagnies. 

(3)  Il  serait  inexact  de  la  considérer,  si  importante  qu'elle  ail  été, 
comme  la  constitution  d'une  nouvelle  Compagnie. 


214  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

mées.  Elles  n'avaient,  il  esl  vrai,  joué  aucun  rôle  el  consli- 
tuaienl  des  rouages  inutiles  CI).  La  Compagnie  ainsi  réduite 
à  une  direction  unique,  directement  inspirée  par  le  gouver- 
nement royal,  revêt  dos  lors  la  forme  qu'elle  gardera  jusqu'à 
la  fin  du  xvni*'  siècle. 

Ce  fut,  croyons-nous,  la  nomination  des  huit  nouveaux 
Directeurs  Généraux  de  1687  qui  fut  la  dernière  modification 
apportée  par  les  pouvoirs  publics  à  l'organisation  de  la  Com- 
pagnie. Mais  l'intervention  dans  ses  affaires  fut  depuis  lors 
continuelle  et  porta  sur  toutes  les  parties  de  son  administra- 
tion ;  elle  se  juslifiait  par  le  besoin  constant  qu'eut  la  Compa- 
gnie de  l'appui  gouvernemental,  lorsque  les  guerres  de  1688 
et  de  1702  l'eurent  réduite  à  l'impuissance;  le  Hoi  accorda 
son  concours  aussi  souvent  qu'il  lui  fut  réclamé,  reconnais- 
sant ainsi  les  services  rendus  par  la  Compagnie  à  l'intérêt 
public  :  escorte  de  ses  vaisseaux,  fournitures  pour  ses  arme- 
ments, munitions,  plusieurs  fois  même  levées  de  matelots, 
toutes  ces  formes  d'assistance  lui  furent  prodiguées,  mais 
ce  n'était  point  suffisant  pour  rétablir  ses  affaires. 

La  Direction  Générale  était  d'ailleurs  à  la  dévotion  du  mi- 


(1)  Les  Chambres  Particulières  tiollandaises,  dont  elles  étaient  imitées, 
avaient  une  base  plus  solide,  car  elles  représentaient  d'anciennes  so- 
ciétés d'armement  pour  les  Indes  que  la  grande  Compaj^nie  avait  absor- 
bées. Il  n'en  élail  pas  ainsi  en  France,  où  elles  n'avaient  pour  origine 
que  des  intérêts  financiers  et  restaient  étrangères  au  commerce  de  la 
Compagnie.  Aussi  dès  1676,  un  arrêt  avait  déjà  réduit  à  deux  le  nombre 
des  Directeurs  aux  Chambres  Particulières  «  où  il  n'y  a  que  très  peu 
d'alTaires  »  par  mesure  d'économie  (arrêt  du  30  juin  1076).  Cependant 
laCliambre  deLyon  avait  reçu  presque  aussitùl  après  6  Directeurs  (arrêt 
du  7  novembre  1676).  I.a  suppression  de  1084  fut  suivie  d'une  décision 
analogue  en  faveur  de  Rouen,  qui  en  1688  reçut  non  pas  une  Chambre 
mais  un  Directeur:  Thomas  Le  Gendre  ;  la  Compagnie  avait  en  elTet 
des  intérêts  assez  grands  dans  celte  ville  où  se  firent  à  plusieurs  re- 
prises .ses  retours   (arrêt  du  iO  juin  I68S).  Dornis,  I.  I. 


ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  2lo 

nistre,  aux  inslruclions  duquel  elle  faisait  appel  pour  louLe 
affaire  importante  ;  par  contre,  les  actionnaires  supportèrent 
difficilement  cette  sujétion  de  leurs  représentants  qui  passè- 
rent trop  souvent  outre  à  leurs  volontés  ;  aussi  les  dernières 
années  du  privilège  virent-elles  de  continuelles  altercations 
entre  ces  deux  éléments  de  la  Compagnie  (1).  Ainsi,  le  capital 
disponible  étant  réduit  à  néant, les  Directeurs  étaient  à  chaque 
armement  obligés  de  recourir  à  un  emprunt  nouveau  que 
l'état  de  guerre,  où  l'on  se  trouvait,  faisait  toujours  très  oné- 
reux; les  actionnaires  qui  voyaient  ainsi  s'accumuler  les 
dettes  de  la  Compagnie, sans  qu'ils  fussent  seulement  consul- 
tés, réclamèrent  la  liquidation,  déclarant  ne  plus  vouloir  sup- 
porter le  poids  de  ces  emprunts  incessants  :  ils  offrirent  même 
d'abandonner  leur  mise  pour  l'obtenir.  Cependant  on  ne  le 
leur  accorda  point,  et  ils  ne  reçurent  que  la  satisfaction  par- 
tielle d'élire  pour  chaque  emprunt  projeté  cinq  députés,  dont 
la  majorité  devait  lui  être  favorable,  pour  qu'il  pût  être 
contracté  (arrêt  du  1"  avril  1704)  ;  garantie  illusoire  au  fond, 
car  en  cas  de  refus  la  décision  restait  au  ministre  lui-même  ! 
En  une  autre  circonstance  le  Roi  consentit  un  prêt  à  la  Compa- 
gnie; mais  à  la  condition  que  les  actionnaires  se  soumissent 
à  un  nouvel  appel  de  fonds  montant  à  la  moitié  de  leur  mise, 
et  celui-ci  ayant  été  refusé  par  le  plus  grand  nombre,  la 
Compagnie  qui  était  à  court  d'argent  se  trouva  en  fâcheuse 
posture  (1705). 

Enfin  les  actionnaires  proposèrent  au  Roi  la  remise  de 
leurs  privilèges  «  pour  en  investir  Messieurs  de  la  ville  de 
Saint-Malo,  les  plus  capables  du  royaume  de  soutenir  une 
si  importante  entreprise  que  celle  du  commerce  de  l'Inde  * 

(1)  Cf.  Bibliothèque  Nalionale,  Manuscrits,  sous  la  cote  Fr.  16737, 
fol.  133,  des  pièces  relatives  aux  coulestatious  pendantes  entre  les 
Directeurs  et  les  actionnaires  de  la  Compagnie. 


216  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

(1708).  Mais  cela  leur  fut  encore  refusé  et  la  Compagnie  dut 
se  contenter  de  passer  pour  chaque  armement  des  traités 
avec  les  sociétés  de  commerçants  malouins  qui  entretinrent 
seules  dans  les  derniers  temps  son  activité.  A  l'expiration 
des  cinquante  années  de  sa  concession,  en  1714,  le  gouver- 
nement se  résigna  cependant  à  céder,  et  la  Compagnie,  aus- 
sitôt, accorda  une  licence  de  dix  années  aux  Malouins  pourle 
commerce  de  l'Inde  ;  aussi  les  trois  ans  qui  séparent  la  mort 
de  Louis  XIV  des  premières  négociations  entreprises  par  Law, 
pour  la  réunir  à  la  Compagnie  d'Occident,  n'offrent-elles  au- 
cun événement  saillant.  La  grandiose  machine  mise  en  mou- 
vement par  Colbert  s'est  arrêtée  sans  force,  et  le  public  l'a 
déjà  oubliée  ;  jamais  cependant,  quelque  réduites  que  fus- 
sent ses  opérations,  son  administration  ne  cessa  de  fonc- 
tionner. Lorsque  Law  l'incorpora  à  sa  Compagnie,  elle  y  entra 
avec  tous  les  moyens  qu'elle  avait  reçus  de  Colbert  ;  il  ne 
manquait  qu'une  vigoureuse  impulsion  à  cet  organisme  pour 
qu'il  revécût,  et  Law  eut  le  mérite  de  la  lui  donner  si  grande 
qu'il  résista  à  la  chute  du  Système  et  anima  par  la  suite  la 
puissante  société  qui  joua  un  rôle  si  important  dans  notre 
politique  coloniale  au  xvni"  siècle. 


CHAPITRE  V 


COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DHS    INDES    ORIENTALES. 


Le  commerce  des  Indes  :  épices,  drogues  el  autres  produits.  —  Ecliec 
de  rexploilatioii  de  Madagascar.  —  Foiuialion  des  comptoirs  de 
l'Inde  :  principaux  commerces  de  la  péninsule  :  les  tissus  de  colon, 
les  soieries,  le  poivre.  —  Echec  de  l'établissement  de  la  Compagnie 
dans  l'Archipel  asiatique  ;  tentative  au  Siam  ;  projets  sur  le  Japon  et 
sur  la  Chine.  —  Primes  et  exemptions  de  droits  accordées  à  la  Com- 
pagnie.—  Prohibition  de  l'importation  des  toiles  de  coton  et  des  soie- 
ries des  Indes  (1686).  —  Situation  faite  par  cette  politique  économique 
à  la  Compagnie.  —  Traités  avec  les  Malouins. 


L'objectif  principal  que  la  Compagnie  se  proposa  dès  sa 
création  fut  le  commerce  des  épices,  car  ce  trafic  avail  fait 
riche  el  puissante  la  Compagnie  hollandaise,  son  modèle, 
qui  en  fournissait  alors  presque  exclusivement  l'Europe.  Mais 
il  devait  lui  être  difficile  de  se  procurer  ces  précieuses  den- 
rées, car  celte  même  Compagnie  avait  mis  la  main  sur  l'Ar- 
chipel asiatique,  leur  lieu  de  production,  et  s'en  réservait  le 
monopole  par  les  moyens  les  plus  divers  :  anéantissement  de 
la  production  elle-même  par  le  fer  et  le  feu  dans  les  iles,  où 
elle  ne  pouvait,  ou  ne  voulait  pas  l'exploiter;  limitation  des 
récolles  annuelles  par  des  destructions  systématiques  pour 
maintenir  les  prix  de  vente  en  Europe  à  un  taux  rémunéra- 
teur ;  croisières  incessantes  de  ses  vaisseaux  de  guerre  qui 
capturaient  au  passage  les  navires  étrangers  ;  fabrication  de 
fausses  cartes  de  navigation  répandues  à  dessein  dans  les 


218  DEUXIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE    V 

marines  des  autres  nations  qui  n'en  avaient  point  d'autres  ; 
rien  n'était  négligé  par  elle  pour  atteindre  son  but,  car  tout 
lui  était  bon. 

En  portant  ses  vues  sur  Madagascar,  la  Compagnie  des 
Indes  Orientales,  comme  jadis  la  Compagnie  d'Orient,  y  cher- 
chait, avec  l'approbation  de  Colbert,  un  centre  de  production 
des  épices  qui  pût  rivaliser  avec  les  lies  hollandaises:  les 
récits  fantaisistes  avaient,  il  est  vrai,  beaucoup  de  part  d;ins 
la  formation  de  ces  projets  que  la  réalité  ne  devait  point 
consacrer. 

Qu'étaient  donc  ces  fameuses  épices,  qui  ont  joué  un  si 
grand  rôle  dans  la  politique  européenne  en  Asie?  On  appe- 
lait ainsi  (1),  à  proprement  parler,  des  produits  végétaux 
doués  d'une  odeur  aromatique  et  d'une  saveur  piquante,  dont 
l'emploi  s'était,  avec  la  civilisation,  répandu  en  Europe  pour 
relever  le  goût  des  mets  ;  c'étaient  d'ailleurs  des  denrées  de 
luxe,  relativement  chères,  et  le  désir  d'en  faire  le  trafic,  pri- 
mitivement réservé  aux  Arabes  et  aux  Levantins,  avait,  nous 
l'avons  vu,  tenu  une  place  importante  dans  la  recherche  de 
la  route  des  Indes.  Leur  production  était  presque  exclusive- 
mont  localisée  dans  l'Archipel  asiatique,  dans  certaines  îles 
do  cet  archipel  même,  car  toutes  ne  les  possédaient  point  ; 
c'étaient  principalement  les  îles  Moluques  :  Gilolo,  Céram, 
Amboine,  Banda,  Sœla,  Bœroe,  etc.  (ïJ).  Les  grandes  iles  qui 
ne  faisaient  point  partie  de  ce  groupe  :  Célébès,  Bornéo,  Java, 
Sumatra  en  étaient  déjà  des  marchés  moins  importants,  la 
côte  de  Malabar  enfin  était  la  contrée  la  plus  occidentale  où 
on  les  rencontrât. 

Les  principales  épices  étaient  :  le  poivre,  la  plus  commune, 

(t)  Epices,  de  Specie»,  espèces  par  excellence. 

(2)  Ternate  dans  les  petites  Moluques  el  Amboine  dans  l'iledu  iiumiu» 
nom,  étaient  les  |)riiici|)aux  compluirs  liollaïuiais  dfs  Molui|ues. 


COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  219 

car  elle  se  récollail  un  peu  parloul  :  à  Java,  à  Sumatra,  sur  la 
côle  de  Malabar;  on  en  trouvait  même  à  Madagascar.  Le 
poivre  qui  est  la  baie  d'un  arbuste,  le  poivrier,  se  vendait 
sous  diverses  variétés  plus  ou  moins  appréciées  :  le  poivre 
long,  le  poivre  commun,  le  poivre  noir,  et  le  poivre  blanc. 
Ldi  cannelle,  constituée  par  Técorce  du  laurier-cannelier  et 
de  plusieurs  arbustes  de  la  même  espèce,se  récollail  aux  iles 
Moluques  et  surtout  à  Ceylan  qui  en  était  le  principal  marché. 
La  muscadey  amande  du  muscadier,  un  autre  arbrisseau 
des  Moluques,  dont  une  autre  partie  fournissait  le  macis. 
Le  girofle,  bouton  floral  du  giroflier  était  également  réservé 
aux  Moluques,  notamment  à  l'île  de  Céram.  Le  gingembre, 
racine  d'une  plante  herbacée,  enfin  le  piment,  baie  d'un 
arbrisseau. 

Quelque  peu  considérable  que  fût  le  nombre  des  épices, 
leur  importance  commerciale  était  très  grande  :  elles  four- 
nissaient des  cargaisons  d'un  prix  très  élevé,  étant  donnée 
leur  grande  valeur  sous  un  petit  volume,  d'où  des  bénéfices 
énormes,  et  les  Hollandais  avaient  si  bien  compris  les 
avantages  de  leur  trafic,  qu'après  avoir  devancé  les  autres 
nations  de  l'Europe  sur  le  chemin  de  l'Archipel,  ils  consa- 
craient tous  leurs  soins  à  s'en  assurer  le  monopole. 

A  côté  des  épices,  et  souvent  confondues  avec  elles  sous 
cette  appellation  prise  dans  un  sens  large,  le  commerce  des 
Indes  fournissait  encore  les  drogues,  substances  végétales 
employées  en  médecine,  et  l'on  sait  combien  la  pharmacopée 
dès  cette  époque  était  riche  en  produits  de  celte  sorte  ;  c'é- 
taient des  gommes  :  le  galbanam^  le  sagapenum,  Voppopo- 
nax,  la  gomme-gulle,  le  cachou,  la  séracosle, elc.  ;  des  plantes 
séchées  ou  des  racines  destinées  à  être  pulvérisées  :  le  ga- 
langa,  \e  pyrèthre,  la  squine,  le  séné,  la  rhubarbe,  le  folium- 
indium,\Qmirabolans,  Valoès,  etc.  ;  le  nombre  en  était  infini, 


220  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    V 

et  elles  se  tiraient  de  tout  l'Archipel  asiatique.  Los  drogues 
étaient  beaucoup  moins  rémunératrices  que  les  épiées  ;  mais 
elles  étaient  encore  une  partie  importante  du  trafic  des  Indes, 
et  le  commerce  en  était  beaucoup  plus  accessible  aux  navi- 
gateurs européens,  car  les  Hollandais  avaient  dédaigné  de 
s'en  réserver  aussi  jalousement  le  monopole. 

Epices  et  drogues  rentraient  dans  ce  que  l'on  appelle  au- 
j'ourd'hui  les  denrées  coloniales.  Certains  produits  des  Indes 
en  faisaient  aussi  partie  qui  n'étaient,  à  proprement  parler, 
ni  épices  ni  drogues,  et  qui  prirent  par  la  suite  une 
grande  importance  commerciale  ;  c'étaient  :  le  café  dont  le 
centre  de  production  fut  de  bonne  heure  Moka  et  qui  s'ex- 
porlait  par  la  mer  Rouge  dans  les  ports  de  l'Hindoustaii, 
le  riz  de  l'Inde  et  des  Iles,  le  thé  de  la  Chine  dont  la  Com- 
pagnie de  Jourdan  introduisit  la  première  l'usage  en  France, 
enfin  le  sucre  de  canne. 

Les  Indes  procuraient  encore  au  commerce  européen  :  Ven- 
cenSy  le  salpêtre,  le  vitrioU  le  sel  ammoniac,  Vindigo,  la  cire 
d'abeilles  jaune  ou  blanche;  des  bois  de  teinture  :  le  santal, 
le  bois  rouge;  d'ameublement:  le  cèdre,  Vébène,  le  bois  de 
Jais,  le  ro^m;  divers  métaux:  le  cuivre  jaune  et  le  cuivre 
rouge  qu'on  allait  chercher  en  Chine  et  au  Japon,  l'or,  le 
mercure,  le  tontenac  (1).  Enfin  les  iles  de  la  Sonde  et  les  Phi- 
lippines fournissaient  des  pierres  précieuses  ;  diamants, rubis, 
émeraudes,  grenats,  agates,  hyacinthes,  et  Ceylan  produisait 
les  perles. 

C'étaient  ces  différents  articles  que  la  Compagnie  des  Indes 
Orientales  espérait  trouver  à  Madagascar, oùellecomptail  s'en 
attribuer  à  son  tour  le  monopole,  et  rivaliser  par  lui  avec  la 
Compagnie  hollandaise  pour  la  fourniture  des  marchés  d'Euro- 

(1)  Ou  tonlenague,' nom  que  l'on  doiinail  au  zinc  provenant  des  Indes, 


COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  221 

pe  ;  il  est  permis  de  croire  que  ces  pensées  animèrent  Colbert 
lui-même.  Malheureusement  ces  espérances  ne  se  réalisèrent 
point  :  les  expéditions  de  la  Compagnie  furent  poursuivies 
par  la  mauvaise  fortune,  et  l'exploitation  de  Madagascar  fut 
entreprise  sans  métliode  et  sans  direction  ;  la  colonie  languit 
quelques  années,  et  la  Compagnie  se  découragea  vite;  bien 
qu'elle  eût,  comme  la  Compagnie  d'Orient,  obtenu  quelques 
résultats,  et  réussi  à  tirer  parti  notamment  de  la  culture  du 
poivrier  indigène,  que  Flacourt,  dont  l'expérience  était  hors 
de  soupçon,  eût  signalé  la  présence  du  giroflier  et  du  gingem- 
bre, que  quelques  cargaisons  enfin  eussent  pu  être  effec- 
tuées avec  de  l'indigo,  de  l'aloès,  des  gommes,  des  drogues, 
des  bois  de  teinture  et  d'ébénislerie,  on  se  lassa  de  cette 
exploitation  dont  les  résultats  étaient  trop  inférieurs  aux  espé- 
rances qu'on  avait  conçues,  et  l'on  chercha  fortune  ailleurs. 

La  Compagnie  se  tourna  alors  vers  l'Inde, où,  dès  le  début, 
elle  avait  posé  les  premiers  jalons  de  son  commerce  futur. 

Au  point  de  vue  commercial,  l'Hindoustan  comprenait  qua- 
tre régions  distinctes  :  Surat,  la  côte  de  Malabar,  la  côle  de 
Coromandel,  et  le  Bengale. 

Sural{\),  situé  à  l'ouverture  dugolfe  deCambaye,  au  nord- 
ouest  de  l'Inde,  ne  produisait  point  les  fameuses  épices  ; 
mais  c'était  le  principal  marché  d'une  autre  production  asia- 
tique, dont  nous  n'avons  point  encore  parlé  :  le  coton  et  les 
tissus  de  colon.  La  culture  du  coton  et  son  utilisation  pour  la 
fabrication  des  étoffes  sont,  dans  l'Inde,  aussi  anciennes  que 
la  civilisation  elle-même.  Le  coton,  produit  par  les  provinces 
septentrionales  de  la  péninsule,  était  apporté  à  chaque  récolte 
sur  le  marché  de  Surat,  où  il  était  vendu  sous  les  formes  de 
coton  en  laine,  c'est-à-dire  préparé  grossièrement  à  la  main, 
et  de  coton  filé,  prêt  à  la  fabrication  des  tissus. 

(1)  Au  xvn^  et  au  xviue  siècle  on  écrivait  ordinairement  Surate, 


222  DEUXIÈME    PARTIE,    CHAPITRE    V 

LesUssus  de  colon  se  divisaient  en  deux  grandes  catégo- 
ries :  les  toiles  ou  calicots  el  les  mousselines,  ces  derniers 
étanl  d'une  finesse  beaucoup  plus  grande  que  les  premiers. 
Les  toiles  éla.ienl  les  principaux  articles  du  marché  de  Sural  ; 
il  y  en  avait  beaucoup  d'espèces  :  c'étaient  les  toiles  blanches 
destinées  à  élre  employées  telles,  ou  apprêtées  pour  re- 
cevoir la  teinture  ou  l'impression  ;  les  toiles  teintes  unies, 
les  toiles  peintes,  les  toiles  imprimées,  les  toiles  à  car- 
reaux bleus  et  blancs,  enfin  les  toiles  rayées  de  couleur. 
C'étaient  là  les  productions  propres  de  la  région,  mais  beau- 
coup d'autres  articles  s'y  trouvaient  également  en  vente  :  le 
poivre  du  Malabar,  l'indigo  d'Agra,  le  musc  de  Patna,  la 
cannelle  de  Ceylan,  les  cauris  des  Maldives,  la  soie  du  Ben- 
gale, enfin  les  épices  elles-mêmes  qui  y  étaient  apportées 
des  Moluques  parles  navires  arabes  et  malais  malgré  la  sur- 
veillance des  Hollandais. 

Sural  était  donc  un  centre  commercial  de  la  première  im- 
portance :  aussi  la  Compagnie  anglaise,  la  Compagnie  hol- 
landaise y  avaient-elles  déjà  un  comptoir,  el  les  Portugais 
de  Goa  et  de  Uiu  y  fréquentaient  assidûment. 

Le  dessein  de  Garon  avait  été,  dès  son  départ  de  France,  d'y 
créer  une  factorerie  importante  ;  il  le  mit  à  exécution  dès 
l'année  1667,  et  grâce  à  son  activité  el  à  son  entente  du  com- 
merce des  Indes,  celle-ci  se  développa  très  vile  :  dès  le  mois 
de  juin  1668,  il  put  envoyer  en  France  une  première  cargaison 
de  toile,  de  poivre,  de  sucre  et  de  salpêtre  par  le  Saint-Jean 
qui  l'avait  amené  lui-même,  et  les  relations  ainsi  ouvertes  s'é- 
tablirent régulièrement.  En  1671,  l'apparition  de  l'escadre  de 
M.  de  la  Haye  nous  donna  le  prestige  que  Caron  jugeait  indis- 
pensable pour  le  succès  de  noire  établissement,  el  bientôt  le 
transfert  du  Conseil  Souverain  en  cette  ville  fit  de  noire  comp- 
toir le  chef-lieu  des  possessions  françaises  dans  les  Indes  el  le 


COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  223 

centre  de  notre  commerce.  Cette  prospérité  qui  s'annonçait  si 
grande  dura  cependant  fort  peu,  cardes  1690  Surat,  qui  n'a- 
vait cessé  de  fournir  à  la  Compagnie  des  cargaisons  avanta- 
geuses, commença  à  être  délaissé  sous  l'influence  de  causes 
diverses,  d'ordre  économique  et  politique  :  la  Compagnie  y 
avait  contracté  des  dettes  que  l'épuisement  de  ses  ressour- 
ces ne  lui  permettait  pas  de  payei-  ;  les  autorités  indigènes 
se  montraient  de  plus  en  plus  exigeantes  pour  les  droits  de 
douane  qu'elles  imposaient  aux  commerçants  européens  ; 
les  prohibitions  dont  l'importation  des  toiles  fut  frappée  en 
France  détruisirent  cette  partie  importante  du  commerce  de 
la  Compagnie  ;  enfin  le  développement  rapide,  pris  par  le 
comptoir  plus  récent  de  Pondichéry  sous  la  direction  de  son 
habile  directeur  Martin,  fut  particulièrement  nuisible  à  Sural, 
et  dans  les  dernières  années  du  xvn®  siècle,  notre  commerce 
dans  celte  partie  de  l'Inde  était  en  ruines,  aucun  vaisseau 
français  n'y  venait  plus  mouiller  (1). 

Fort  heureusement,  Caron,  qui  avait  créé  ce  comptoir,  n'a- 
vait pas  négligé  d'assurer  à  la  Compagnie  d'autres  centres  de 
commerce  dans  l'Inde,  et  avait  de  bonne  heure  envoyé  des 
commis  entreprenants  dans  les  trois  autres  grandes  régions 
de  la  péninsule,  pour  y  jeter  les  fondements  de  factoreries 
nouvelles. 

La  côte  de  Malabar  qui  s'étend  au  sud-ouest  de  l'Inde  de- 

(1)  L'édit  de  mai  1719  constata  que  la  Compagnie  n'avait  pas  en- 
voyé un  navire  à  Sural  depuis  seize  ans.  —  Cette  ville  a  perdu  dans  les 
temps  modernes  toute  son  importance  ancienne:  quoiqu'elle  ait  encore 
des  filatures  de  coton  el  des  broderies  de  soie,  d'or  et  d'argent,  l'enva- 
tiissement  de  son  port,  Soiavali, pSiV  les  alluvions  de  la  Tapli,la  concur- 
rence de  Bombay,  et  des  fle'aux  divers  (peste,  famine,  etc.)  ont  amené 
sa  complète  décadence.  Nous  devons  noter  cependant  que,  bien  que  la 
factorerie  française  soit,  en  fait,  délaissée  depuis  la  fin  du  xvii"  siècle, 
notre  pavillon  flotte  toujours  sur  elle. 


224  DKUXIKME    PARTIE.    CUAéMTUE    V 

puis  Goa  jusqu'au  cap  Gomoriri,  était  un  centre  très  actif  de 
la  production  du  poivre  qui  se  récollait  sur  toute  son  étendue 
et  venait  après  chaque  récolte  s'entasser  dans  les  magasins 
de  ses  principaux  ports  :  Mirzéouret  Rajapur,  où  il  était  très 
beau(1)  ;  Balapatani  et  Trémépatam,où  il  l'était  moins  ;  Cali- 
cul  où  il  était  petit,  mais  moins  cher.  Cannanore,  Telliciiéri, 
Cochin  en  faisaient  aussi  commerce,  et  le  dernier  de  ces  mar- 
chés était  alors  aux  mains  des  Hollandais.  Caron  envoya  un 
de  ses  commis,  le  sieur  de  Flacourl,  fonder  une  factorerie  à 
Balapatam  ;  deux  autres  furent  peu  après  créées  à  Telliché- 
ri  (â)  et  à  Rajapur  (3). \  l'époque  des  ventes, de  petits  navires, 
affrétés  par  la  Compagnie, venaient  y  charger  le  poivre  acheté 
par  ses  marchands  et  le  portaient  à  Surat,  où  il  était  embar- 
qué pour  la  France  (4). 

Le  Bengale,qu\,  au  nord-est  de  l'Inde,  est  la  région  traver- 
sée par  le  delta  du  Gange,  était  le  marché  indien  de  la  soie  (5) 
que  l'on  exportait  sous  plusieurs  formes  :  la  soie  grège,  telle 
qu'elle  est  tirée  du  cocon,  la  soie  cuile  et  laso/e  écrue  prépa- 
rées au  contraire,  la  première  par  un  simple  passage  dans 
l'eau  bouillante,  la  seconde  par  l'opération  supplémentaire 
du  moulinage  ;  la  soie  lorse  travaillée  de  la  même  façon,  mais 
plus  épaisse,  enfin  le  fieurel  ou  soie  de  qualité  inférieure. 
On  y  trouvait  aussi  les  tissus  de  soie:   les  taffetas  (6),  les 

(1)  Suivant  Souctiu  de  Rennefort. 

(2)  Elle  fut  ruinée  par  les  Hollandais  après  la  chute  de  San-Ttiomé 
en  1674. 

(3)  Rajapur  fut  abandonné  en  1688,  la  région  ayant  été  ruinée  par 
les  guerres  des  princes  indigènes  (Mémoires  de  François  Martin,  Ar- 
chives 7iationales). 

(4)  Le  poivre  se  chargeait  partie  en  sacs,  partie  en  vrac  par  dessus 
les  sacs  :  c'était  une  cargaison  encombrante  et  délicate. 

(5)  On  l'appelait  soie  de  Cassimbazar.  Suivant  Savary,  on  en  exportait 
22.000  balles  de  lOO  livres  chaque  année.  (Savary,  Dictionnaire  du 
Commerce.) 

(6)  Le  taffetas  est  une  étoiîe  légère,  fine  et  lustrée  ;  le  damas  pré- 


COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  22o 

damas,  les  sathis,  les  gazes,  les  velours,  chacune  de  ces  es- 
pèces se  divisant  en  un  grand  nombre  de  variétés  d'étoffes 
unies,  à  fleurs,  ou  à  rayures,  que  l'on  désignait  soit  par 
leur  nom  indigène  (1),  soit  par  celui  des  tissus  similaires 
fabriqués  par  les  manufactures  françaises  (2)  ;  citons  enfin 
les  tissus  mêlés  désole  et  d'or,  de  soie  et  d'argent,  dont  les 
artistes  orientaux  liraient  des  effets  si  harmonieux.  Dans 
cette  contrée  dotée  d'une  si  riche  industrie,  Caron  voulut  avec 
raison  fonder  des  comptoirs  français  et  il  envoya  Bourreau- 
Deslandes  qui  créa  la  loge  de  Balasor,  et  plus  lard  le  comp- 
toir de  Chandernagor,  appelé  à  une  destinée  plus  brillante  ; 
une  loge  fut  également  installée  à  Cassimbazar,  au  centre 
même  de  la  production  de  la  soie  (3). 

La  côte  de  Coromandel,  dont  il  nous  reste  à  parler,  s'étend 
au  sud-est  de  la  péninsule  depuis  l'embouchure  de  la  Kistna 
jusqu'au  détroit  qui  sépare  Ceylan  du  continent.  Cette  région 
n'avait  pas  de  spécialité  commerciale  aussi  nettement  définie 
que  les  précédentes,  mais  sa  situation  lui  permettait  de  les 
réunir  toutes  facilement  :  elle  recevait,  en  effet,  les  produits 
de  l'Inde  elle-même,  ceux  de  Ceylan  et  de  l'Archipel  ;  en 
outre  elle  comptait  une  industrie  florissante  :1e  tissu  de  colon, 
dont  elle  partageait  la  production  avec  la  région  de  Surat  et 
fabriquait  les  calicots,  les  guinées,  les  percales,  les  toiles 
grossières  à  carreaux  bleus  ;  elle  possédait  même,  à  l'exclu- 

sente  des  dessins  élevés  au-dessus  du  fond  ;  le  satin  est  une  étoffe  lui- 
sante et  polie,  unie,  rayée  ou  à  fleurs  ;  la  gaze  est  une  étoffe  très  lé- 
gère. 

(1)  Jamavas,  daridas,  damaras,  gingiras,  chuclielas,  charcanas,  allé- 
geas, etc.  (Savary). 

(2)  Arraoisins,  gros  de  Tours,  etc.  (ibidem). 

(3)  Le  comptoir  de  Chanderaagor  était  situé  sur  l'Hugli,  et  près  de 
la  localité  de  ce  nom  où  se  trouvait  le  comptoir  anglais.  Il  est  lui-même 
souvent  désigné  sous  ce  dernier  nom  dans  les  documents  de  cette 
époque, 

W.  -  15 


22G  DEUXIÈME   PARTIE.    —   CHAPITRE   V 

sion  de  Surat,  des  fabriques  de  tissus  fins  :  mousselines  el 
mouchoirs.  Caron  envoya  Marcara  fonder  un  premier  comp- 
toir à  Masulipatam,  centre  de  cette  industrie,  mais  ce  fut 
surtout  François  Martin  qui  nous  fit  place  sur  celle  côte  en 
fondant  Pondichéry  (1).  Cette  petite  colonie  qui  grandit  ra- 
pidement faillit  avoir  cependant  une  fin  prématurée  pendant 
la  guerre  de  la  Ligue  d'Augsbourg  qui  la  vil  tomber  aux 
mains  des  Hollandais  (1693)  ;  mais  la  paix  de  Ryswick  la 
rendit  à  la  Compagnie,  el  elle  devint  bientôt  la  capitale  de  nos 
comptoirs  indiens  et  l'entrepôt  où  vinrent  se  déverser  toutes 
les  productions  de  l'Asie  :  le  poivre  de  Malabar,  la  soie  du 
Bengale,  la  toile  et  le  coton  de  Surat,  les  cauris  des  Maldi- 
ves (2),  la  cannelle  de  Ceylan,  les  épices  des  Moluques,  les 
drogues,  les  bois  précieux,  les  laques  et  autres  produits  des 
îles  de  l'Archipel. 

Tel  était  le  commerce  qui  s'offrait  à  la  Compagnie  dans  la 
péninsule  indienne,  mais  l'intention  de  Caron,  à  qui  celle-ci 
fut  incontestablement  redevable  de  sa  politique  commerciale, 
n'était  point  de  la  limiter  à  cette  seule  contrée.  Dès  les  pre- 
mières années,  au  contraire,  des  vaisseaux  partirent  de  Surat 
pour  le  golfe  Persiquc  el  fréquentèrent  Bassora,  Ormuz  el 
Bandar-Abbas,  où  ils  chargèrent  les  étoffes  et  les  tapis  de 
Perse;  une  factorerie  fut  bientôt  établie  dans  cette  dernière 


(1)  Les  Hollandais  y  possédaient  alors  Négapatam  et  San-Romé,  les 
Danois  Tranquebar,  les  Anglais  Madras  :  Martin  fonda  un  troisième 
comptoir  à  Caveripatnam,  mais  il  fut  dcMaissé  après  quelques  années 
d'une  possession  assez  troublée  par  la  jalousie  des  Anglais. 

(2)  Les  cauris  étaient  de  petits  coquillages  du  genre  bien  connu  des 
porcelaines  qui  se  récoltaient  en  particulier  aux  îles  Maldives,  et  que 
l'on  employait  au  commerce  de  la  côte  occidentale  d'Afrique  :  Sénégal 
et  Guinée,  où  ils  servent  de  monnaie.  Cet  article  avait  donc,  en  dépit 
des  apparences,  une  grande  importance. 


COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  227 

ville  (1),  et  la  Compagnie  eut  un  représentant  altilré  à /s- 
pahan. 

L'île  de  Ceylan,  dont  le  commerce  était  distinct  de  celui 
de  l'Inde  malgré  sa  proximité,  fut  aussi  visée  de  bonne  heure; 
c'était  même,  aux  yeux  de  Caron,  la  première  étape  de  l'ex- 
tension de  notre  trafic  vers  l'Extrême-Orient.  Ceylan  produi- 
sait de  la  soie,  mais  sa  principale  richesse  était  la  cannelle  ; 
malheureusement  la  Compagnie  hollandaise  en  avait  acca- 
paré l'exportation  et  il  fallut  compter  avec  elle.  Ce  fut  avec 
M.  de  la  Haye  que  Caron  tenta  cet  établissement  ;  on  avait 
eu  dessein  de  s'établir  dans  la  baie  de  Trincomali,  mais  les 
Hollandais  prévenus  nous  y  devancèrent  et  il  fallut  se  con- 
tenter d'un  timide  essai  dans  celle  deCotéary,  qui  fut  bientôt 
ruiné  par  nos  rivaux  :  ce  fut  un  échec  complet,  et  la  tentative 
ne  fut  point  renouvelée  (2). 

La  Compagnie  porta  également  ses  ambitions  vers  l'Ar- 
chipel asiatique  lui-même,  malgré  la  résistance  bien  plus 
énergique  qu'elle  était  assurée  d'y  rencontrer  de  la  part  des 
Hollandais.  Colberl  approuva  le  plan  de  Caron  qui  consistait 
à  s'établir  sur  deux  points  :  Baniam,  dans  l'île  de  Java, où  déjà 
trafiquaient  les  Anglais  et  les  Danois,  et  l'île  de  Banka  sur 
la  côte  nord  de  Sumatra  (3).  C'était  une  entreprise  capitale 
pour  l'avenir  de  la  Compagnie,  car  si  ces  deux  factoreries 
ne  devaient  point  être  sur  les  lieux  mêmes  de  la  production 
des  épices,  sauf  du  poivre,  du  moins  les  Malais  de  tout  l'Ar- 

(1)  Elle  fut  détruite,  il  est  vrai,  par  les  Hollandais  après  la  chute  de 
San-Thomé(1674). 

(2)  Ceylan  formait  un  royaume  indépendant  dont  la  capitale  était 
Kandy:  les  Portuf^ais  y  avaient  les  premiers  possédé  des  comptoirs, 
dont  les  Hollandais  les  avaient  ensuite  cliassés  :  ces  derniers  étaient 
établis  notamment  à  Colombo,  Pointe-de-Galle,  Négombo  et  DjafTna. 

(3)  V.  lettre  de  Colberl  à  Caron  et  instructions  à  M,  de  la  Haye,  du 
4  décembre  1669.  Clément,  op.  cit. 


228  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   V. 

chipel  y  venaienl-ils  trafiquer,  malgré  la  surveillance  des 
Hollandais, des  produits  des  Moluques,  principalement  du  gi- 
rofle de  l'île  de  Céram  et  de  la  muscade  de  l'ile  Gélébès.  Aussi, 
dès  l'année  1671,  Caron  vint-il  lui-même  à  Banlam  réunir  les 
premiers  éléments  du  comptoir  projeté  ;  il  y  plaça  un  chef 
et  un  commis  et  repartit  pour  Surat,  confiant  dans  la  durée 
de  cet  établissement  ;  en  fait  celui-ci  se  maintint  une  dizaine 
d'années,  mais  entre  1681  et  1684,  une  querelle  s'élant  élevée 
entre  le  souverain  indigène  de  Banlam  et  son  fils,  les  Hol- 
landais en  profitèrent  pour  s'emparer  de  la  ville  et  en  chas- 
ser Anglais,  Danois,  et  Français  (1).  Nous  ne  croyons  pas 
que  rien  ait  été  tenté  dans  l'île  Banka,  et  la  Compagnie  ne 
réussit  donc  point  à  prendre  place  dans  le  trafic  direct  avec 
les  pays  des  épices,  mais  dut  se  contenter  d'obtenir  celles-ci 
par  l'intermédiaire  des  marchands  indigènes  qui  les  appor- 
taient à  Aljeh,  où  elle  envoya  de  temps  à  autre  un  navire,  et 
dans  rindo  même,  ce  qui  était  pour  elle  bien  moins  avanta- 
geux. 

Enfin  le  programme  de  Caron  comportait  un  dernier  cha- 
pitre, dont  cet  établissement  manqué  aux  Iles  devait  faciliter 
la  réalisation,  c'était  la  création  des  relations  commerciales 
avec  l'Extrême-Orient. 

Nous  avons  marqué  précédemment  les  tentatives  fort  loua- 
bles qui  furent  faites  pour  créer  au  Siam  des  comptoirs  fran- 
çais. La  Compagnie,  grâce  à  ces  efforts,  posséda  quelque 
temps  Bangkok  et  Merguy,  mais  elle  n'entretint  avec  cette 
contrée  aucune  relation  commerciale ,  car  Bangkok  nous 
fut  presque  aussitôt  enlevé,  et  le  port  de  Merguy  fut  aban- 
donné après  ce  premier  échec  :    tout  se  passa  en  ambas- 

(1)  Le  sieur  de  Guilliem,  chef  de  notre  comptoir,  se  rendit  à  Batavia 
demander  raison  de  celle  expulsion,  mais  il  ne  put  rien  obtenir  de  la 
Compagnie  lioliandaise.  Demis,  t.  I. 


COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  229 

sades  et  en  opéralions  mililaires,el  ledirecleur  (le  sieur  Des- 
landes) que  la  Compagnie  avait  envoyé  à  Bangkok  avec  le 
petit  détachement  français  fut  ramené  avec  lui  à  Pondichéry 
en  1690(1). 

M:iis  Garon  avait  plus  spécialement  voulu  atteindre  le  Ja- 
pon et  la  Chine.  Pour  le  premier,  c'était  téméraire,  car  ce  pays 
était  rigoureusement  fermé  aux  Européens,  depuis  qu'un 
soulèvement  général  contre  les  chrétiens  en  avait  chassé  les 
Portugais  quelque  trente  années  auparavant.  Il  est  triste  de 
dire  que  les  Hollandais  avaient  aidé  les  Japonais  dans  cette 
expulsion  et  prêté  l'appui  de  leurs  canons  aux  massacres  des 
chrétiens  indigènes  qui  l'accompagnèrent.  Ils  profitèrent,  il 
est  vrai,  de  cette  honteuse  conduite, car  ils  obtinrent  de  rester 
au  Japon,  à  l'exclusion  des  autres  nations  européennes,  et 
élevèrent  leur  factorerie  de  Nagasaki  sur  les  ruines  du 
comptoir  portugais  (1641).  Le  Japon  fournissait  à  leurs  na- 
vires d'abord  le  cuivre  jaune  et  rouge,  dont  les  gisements  y 
sont  fort  importants,  puis  la  laque,  la  soie,  et  la  porcelaine. 
Mais,  on  le  voit,  les  ambitions  de  la  Compagnie  française 
étaient  prématurées  et  leur  réalisation  ne  fut  même  pas  ten- 
tée. 11  n'en  était  pas  tout  à  fait  de  même  de  la  Chine,  et  l'on 
comprend  mieux  que  Caron  ait  songé  à  créer  dans  cet  em- 
pire des  débouchés  à  la  Compagnie.  La  Chine  est  par  excel- 
lence le  pays  de  la  soie  et  des  soieries,  dont  Nankin  est  le 
grand  centre  de  production.  Mais  les  Européens  n'avaient 
point  à  celte  époque  la  permission  d'aller  les  y  chercher  di- 
rectement. Les  Portugais  avaient  bien  créé  à  Macao  une 
importante  factorerie,  d'oii  ils  tiraient  ces  précieuses  mar- 

(1)  Mémoires  de  François  Martin,  Archives  nationales.  Le  comptoir 
de  Sural  envoya  aussi  en  16S0  un  navire  au  Tonkin  sur  les  sollicita- 
tions des  missionnaires  français,  et  le  sous-marchand  Chapelain  dirigea 
celle  expédition.  Celle-ci  n'eut  aucun  résultat.  Ibid. 


230  DEUXIÈME    i'AllTIE.    —    CHAPITKE    V 

chandises,  mais,  eux  aussi,  en  iiilerdisaienljalousemeiil  l'ac- 
cès aux  autres  nations  de  l'Europe,  qui  étaient  réduites  à 
fréquenter  les  deux  ports  de  Capiton  et  de  Ning-Po.  L'indus- 
trie de  la  soie  était  à  peu  près  la  même  en  Chine  qu'au  Ben- 
gale, mais  la  soie  de  Nankin  avait  une  finesse  et  une  blan- 
cheur qu'on  ne  pouvait  égaler  ailleurs  (1).  On  l'exportait 
grège,  cuite,  écrue,  torse  ou  en  fleuret,  comme  celle  du 
Bengale  ;  les  étoffes  chinoises  étaient  également  des  damas, 
des  gazes,  des  crépons,  des  mousselines,  des  satins,  etc.  ; 
outre  ces  deux  importantes  productions,  on  trouvait  en  Chine 
le  cuivre,  les  ouvrages  de  laque,  les  porcelaines,  les  éven- 
tails et  écrans,  les  papiers  brodés  d'or  ou  d'argent,  la  rhu- 
barbe et  autres  drogues,  enfin  plus  tard  on  apprit  à  apprécier 
son  thé.  Ici  encore,  cependant,  la  Compagnie  se  heurta  à  un 
obstacle  qu'il  ne  dépendait  pas  de  sa  volonté  de  renverser  et 
qui  s'opposa  à  l'établissement  du  commerce  projeté  par  Ca- 
ron  :  la  Chine  était  en  effet  à  cette  époque  sous  le  règne  d'un 
empereur  xénophobe, età  l'exception  des  Portugais  de  Macao, 
les  Européensavaient  cessé  de  trafiquer  avec  les  ports  qui  leur 
étaient  ouverts  dans  cet  empire.  Ce  régime  d'exclusion  prit 
fin  en  1685,  mais  alors  son  affaiblissement  ne  permit  point 
à  la  Compagnie  d'en  profiter,  et  elle  n'avait  fait  pour  établir 
ce  commerce  aucune  tentative, quand  elle  céda  en  1698  cette 
partie  de  son  monopole  à  la  Compagnie  de  la  Chine,  créée  par 
le  sieur  Jourdan. 

Telles  étaient  les  différentes  parties  du  commerce  des  Indes 
offertes  à  l'ambition  de  la  Compagnie,  dont  toutes,  nous 
venons  de  le  voir,  ne  furent  point,  pour  des  raisons  diverses, 
exploitées  par  elle.  Colbert  espérait  en  voir  naître  une  source 
abondante  de  profits  pour  elle  et  d'avantages  pour  la  nation  ; 

(1)  La  soie  dite  de  Canton  éliiit  de  qualité  inférieure 


COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  231 

aussi  acheva-t-il  son  œuvre  en  favorisant  l'élablissenienl  de 
la  Compagnie  par  des  primes  el  des  exeniplions  de  charges. 

Le  Roi  s'engagea,  en  effet,  à  lui  accorder  une  prime  de 
50  livres  tournois  par  tonneau  de  marcliandises  exporté  de 
France,  et  75  livres  par  tonneau  de  marchandises  importé  (1) 
(a.  XLVI  de  la  Déclar.).  La  Compagnie  avait,  il  est  vrai, solli- 
cité une  remise  de  moitié  sur  les  droitsdes  Fermes,  tels  qu'ils 
étaient  fixés  par  le  tarif  de  1664,  mais  elle  n'avait  pu  l'obtenir 
et  les  droits  de  tonneau  ci-dessus  lui  furent  concédés  pour  en 
tenir  lieu  (2).  Elle  fut  exemptée,  en  outre,  de  tous  droits  d'en- 
trée sur  les  marchandises  destinées  à  être  réexportées,  avec 
faculté  de  les  entreposer  dans  le  lieu  de  débarquement  jusqu'à 
cette  réexportation  (3),  et  obtint  de  ne  payer  qu'un  droit  ad 
valorem  de  3  0/0  sur  les  importations  qui  ne  figureraient 
point  sur  le  tarif  de  1664. 

On  sait  quel  fut  ce  tarif  célèbre,  une  des  principales  ma- 
nifestations de  la  politique  économique  de  Colbert  :  il  secon- 
dait son  dessein  de  constituer  une  France  industrielle  en 
entravant  l'entrée  des  produits  manufacturés  étrangers,  tout 
en  favorisant  celle  des  matières  premières,  en  frappant  in- 

(1)  Ea  évaluant  la  livre  tournois  de  celle  époque  à  1  fr.  63  de  noire 
monnaie  (d'Avenel),  ces  primes  s'élevaient  à  81  fr.  50  et  122  fr.  25  par 
tonneau  (le  tonneau  valait  2.000  livres  ou  979  kilogrammes).  Ainsi 
un  navire  de  400  tonneaux  de  jauge  nette,  qui  partait  avec  son  char- 
gement complet,  rapportait  à  la  Compaj^nie  une  prime  de  32.600  francs 
et  son  retour  dans  les  mêmes  conditions  48.900  francs.  Mais  les  char- 
gements de  ses  vaisseaux  étaient  rarement  aussi  satisfaisants,  et  le 
gouvernement  royal  ne  paya  pas  toujours  régulièrement  cette  dette  : 
ainsi  en  1679  la  Compagnie  lui  réclama  un  arriéré  de  324.000  livres. 

(2)  A.  XXXIV  des  Articles.  —  C'est  à  tort  que  ["Encyclopédie  Métho- 
dique prétend  que  cette  réduction  fut  accordée  à  la  Compagnie. 

(3)  Le  réexporlaleur  s'engageait  à  rapporter  dans  un  certain  délai  un 
acquit  à  caution  justifiant  de  leur  sortie  du  royaume.  Dans  les  porls, 
où  il  n'y  avait  pas  de  locaux  pour  servir  d'entrepôts,  les  marchandises 
étaient  plombées. 


232  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAI'ITIIE    V 

versement  la  sortie  des  maliores  premières  et  encourageant 
la  sortie  de  nos  articles  manufacturés  :  aussi  comportait-il  à 
la  fois  des  droits  d'entrée  et  de  sortie,  qui  s'appliquaient  non 
pas  à  (oui  le  royaume,  car  l'unification  douanière  de  la  France 
n'était  point  encore  réalisée,  mais  seulement  à  un  certain 
nombre  de  provinces  que  l'on  appelait  les  Cinq  Grosses  Fer- 
mes (1)  :  c'était  à  la  frontière  extérieure  des  dites  provinces 
que  la  Compagnie  était  assujettie  à  ces  droits. 

Le  tarif  de  1664  était  assez  libéral  ;  mais  dès  1667  la  lutte 
économique  contre  la  Hollande  provoqua  son  remplacement 
par  un  nouveau  tarif  d'allure  prohibitive.  Toute  l'histoire  de 
la  politique  douanière  du  règne  de  Louis  XIV  tient  dans  ces 
deux  législations  ;  le  premier  tarif  fut  rétabli  à  la  paix  de  Nimè- 
gue,  le  second  lui  fut  de  nouveau  substitué  par  Louvois,  puis 
lui  céda  encore  une  fois  la  place  à  la  paix  de  Ryswick  et  après 
une  troisième  mise  en  vigueur  du  tarif  de  1667,  celui  de  1664 
finit  par  triompher  au  traité  d'Ulrecht.  Mais  la  Compagnie  ne 
fut  point  affectée  par  ces  changements  successifs,  et  resta 
toujours  soumise  aux  droits  du  tarif  de  1664.  Là,  d'ailleurs, 
n'était  point  pour  elle  un  intérêt  capital,  puisqu'elle  recevait, 
par  les  primes  qui  lui  élaienl  accordées,  l'équivalent  de  ce 
qu'elle  devait  sacrifier  aux  intérêts  fiscaux  du  royaume. 

Mais  le  véritable  danger  était  pour  elle  dans  la  concurrence 
qu'elle  faisait,  par  son  commerce  même  des  tissus  de  soie  et 
de  colon,  aux  industries  textiles  françaises  que  ces  tarifs 
avaient,  entre  autres  buts,  de  protéger  ;  nous  avons  signalé 
l'illogisme  qui  semble  régner  à  ce  sujet  entre  les  deux  parties 
de  l'œuvre  de  Colbert:  les  Compagnies  et  les  manufactures, 
et  nous  en  avons  cherché  l'explicalion.  Tant  qu'il  vécul,rien 
ne  fut  décidé  pour  trancher  cette  rivalité  qui  paraissait  devoir 

(1)  Normandie,  Picardie,  Bourgogrne,  Champagne,  Bresse,  Poitou, 
Berry,  Bourbonnais,  Anjou  et  Maine. 


COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  233 

être  fatale  à  l'une  ou  à  l'autre  de  ces  deux  parties,  mais  dès 
le  lendemain  de  sa  mort  on  sacriJSa  la  Compagnie. 

L'industrie  de  la  soie  s'était,  en  effet,  depuis  longtemps  im- 
planlée  en  France,  car  dès  le  xiii*'  siècle  Avignon  comptait  des 
métiers, et  au  xv®  elle  s'était  établie  à  Lyon  et  à  Tours,  qui  en 
étaientrestés  les  principaux  centres. Lyon  possédait  à  la  fin  du 
xvn'^siècleiS.OOO  métiers, et  l'on  a  vuquelle  consciencedeleur 
richesse  avaient  les  négociants  de  cette  ville  (1).  Les  magna- 
neries de  la  Provence  leur  fournissaient  la  soie  ;  il  en  venait 
aussi  de  grandes  quantités  de  Sicile,  d'Espagne  et  du  Levant. 
Presque  tous  les  tissus  de  soie  alors  en  usage  se  fabriquaient 
dans  ces  deux  villes  ;  Lyon  produisait  en  outre  les  draps  d'or 
et  d'argent  et  les  étoffes  de  soie  mêlée  de  ces  deux  métaux. 

L'industrie  du  coton  était  en  France  d'origine  plus  récente, 
car  elle  ne  datait  que  de  l'établissement  des  relations  com- 
merciales entre  l'Europe  et  les  Indes. Mais  Rouen  avait,  dès  le 
milieu  du  siècle  précédent,  obtenu  l'autorisation  d'installer 
celle  industrie  dans  ses  murs  (1534)  ;  elle  y  avait  pris  un 
rapide  développement,  et  s'était  peu  à  peu  étendue  de  là 
aux  principales  villes  de  Normandie  (^). 

Enfin  un  dernier  intérêt,  très  considérable  à  cette  époque, 
était  représenté  par  les  industries  de  la  laine,  du  chanvre  et 
du  lin,  répandues  dans  toutes  les  provinces  et  que  Colbert 
s'efforça  de  développer  autant  que  les  précédentes. 

C'est  à  celte  situation  acquise,  à  ces  intérêts  établis,  que 
venait  se  heurter  la  Compagnie  des  Indes  Orientales:  en  im- 
portantlecolon  et  la  soie,elle  fournissait  à  nos  manufactures 

(1)  Voir  suprà,  p.  128. 

(2)  On  y  fabriquait  surtout  des  toiles  de  fil  et  colon  appelées  Siainoi- 
ses.  Ce  n'est  cependant  qu'au  xviii®  siècle  que  l'industrie  du  coton  prit 
en  France  un  grand  développement,  en  même  temps  que  ces  tissus 
prenaient  dans  l'économie  domestique  une  place  importante. 


234 


DEUXIEME    PAKTIE.    CIIATITRE    V 


une  matière  première  dont  elles  avaient  besoin,  leur  ren- 
dait donc  service  et  remplissait  pleinement  le  programme 
économique  de  Colbert  (1).  Mais  en  introduisant  en  France 
les  étoffes  de  soie,  les  draps  d'or  et  d'argent,  les  tissus  de 
colon,  elle  leur  faisait  une  redoutable  concurrence,  car  ces 
produits  des  Indes  étaient  souvent  plus  appréciés  que  les 
leurs  (2).  Si  ces  importations,  peu  importantes  au  début,  s'ac- 
croissaient, ce  qui  devait  se  produire  en  cas  de  prospérité  de 
la  Compagnie,  c'était  la  ruine  qui  attendait  à  bref  délai  nos 
industries  nationales,  même  celles  de  la  laine,  du  chanvre 
et  du  lin,  bien  que  ces  dernières  ne  fussent  pointdirectement 
frappées,  par  la  diminution  et  même  la  suppression  de  leurs 
débouchés  en  France. 

Colbert,  en  présence  de  ce  résultat  possible,  dont  l'immi- 
nence lui  fut  à  l'envi  prédite  par  les  industriels  menacés  (3), 
ne  crut  cependant  pas  devoir  prendre  des  mesures  radicales  : 
peut-être  n'était-il  que  trop  averti  de  l'impuissance  de  la 
Compagnie  à  le  produire,  et  crut-il  inutile  par  conséquent 
d'aggraver  sa  situation  déjà  difficile.  Son  successeur  n'hésita 
point,  parce  qu'il  vit  la  situation  plus  claire  qu'elle  n'était, 
et  pour  protéger  les  industries  françaises,  il  sacrifia  le  com- 

(1)  Ajoutons  que  des  manufactures  furent  fondées  par  Colbert,  dans 
le  but  de  fournir  des  produits  d'exportation  aux  Compagnies  de  com- 
merce dont  il  avait  décidé  la  création  ;  c'étaient  principalement  des 
fabriques  de  draps,  et  il  en  fut  établi  en  Dauphiné,  en  Lyonnais,  en 
Languedoc  et  en  Berry.  Colbert,  Mémoire  succinct  sur  ce  qui  est  à  sti- 
■pulcr  dans  le  traité  de  paix  entre  le  Roi  et  les  Pays-Bas,  20  avril  1673. 
Clément,  op.  cit. 

(2)  Voir  Savary. 

(.3)  Cf.  :  Mémoire  du  tlépuléde  tijon  sur  le  préjudice  que  cause  aux 
manufactures  du  royaume  l'emploi  d'étolTes  des  Indes, et  sur  les  restric- 
tions H  apporter  au  commerce  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales. 
Inventaire  des  procès-verbaux  du  Conseil  du  commerce,  par  MM.  Bon- 
nassieux  et  Lelong. 


COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  233 

merce  français  des  Indes.  La  réforme  que  subit  l'administra- 
tion de  la  Compagnie  en  1684  fut  le  prélude  de  mesures  plus 
graves  qui  furent  prises  en  1686.  Cette  année-là,  en  effet,  une 
série  d'arrêts  du  Conseil  (30  avril,  11  mai,  15  et  26  octobre) 
désorganisèrent  son  trafic.  Les  étoffes  de  soie,  les  tissus  de 
soie  mêlée  d'or  et  d'argent,  les  toiles  de  coton  peintes,  en 
prévenance  du  commerce  des  Indes,  furent  prohibés  dans  le 
royaume  (1).  «  On  opposaitainsi  une  digue,  déclare  Savary, 
à  cette  espèce  de  torrent.  »  L'importation  de  ces  articles,  il 
est  vrai,  avait  été  jusqu'alors  l'un  des  principaux  objets  du 
commerce  delà  Compagnie  (2)  ;  on  a  peine  à  croire  cependant 
que  son  activité  eût  été  assez  grande,  pour  que  ce  torrent  fût 
bien  redoutable,  si  du  moins  elle  en  était  la  seule  source  !  et 
cette  dernière  circonstance  paraît  d'autant  moins  probable, 
que  la  digue  arrêta  beaucoup  plus  la  Compagnie  que  le  tor- 
rent. Des  arrêts  incessants  vinrent  en  effet,  depuis  1686,  re- 
nouveler les  mêmes  prohibitions,  et  l'on  ne  réussit  point 
cependantà  empêcher  l'introduction  des  étoffes  asiatiques  (3); 
la  fraude  fut  toujours  très  considérable,  et  les  Compagnies 

(1)  Les  arrêts  interdisaient  la  vente  et  Vusage  des  étoffes  prohibées  : 
les  imitations  de  toiles  peintes  des  Indes  fabriquées  en  Europe  et  en 
France  même  étaient  d'ailleurs  comprises  dans  celte  proscription.  On 
comprend  en  efïet  que  la  fraude  eût  été  trop  aisée  sans  celte  précau- 
tion, mais  on  n'en  frappait  pas  moins  ainsi  l'industrie  française  elle- 
même. 

(2)  Cf.  Mémoire  au  Roi  sur  la  Compagnie  des  Indes  (1689),  Arch. 
Nat.,  K  1368.  —  Etat  par  années  du  commerce  fait  aux  Indes  Orien- 
tales de  1685  à  1706.  Bibl.  Nat.,  Mss.  l-'r.  J6.737,   fol.   35. 

(3)  Les  principaux  de  ces  arrêts  furent  ceux  des  6  avril  1688,  l"  fé- 
vrier 1689,  3  et  14  décembre  1697,  13  juillet  1700,  24  décembre  1701, 
22  aoùl,  18  septembre,  18  novembre  1702,  17  février  et  26  mai  1705, 
24  août  1706,  10  mai  1707,  7  février,  5  juin  1708,  27  août,  10  décembre 
1709,  7  avril,  22  juillet  1710,  :38  avril  1711,  29  avril  1712,  2  décembre 
1713,  10  février,  11  juin  1714,  16  février,  21  mai,  4  juin  1715,  20  jan- 
Tier  1716...  (d'après  Savary). 


236  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    V 

étrangères  profitèrent  beaucoup  plus  de  celte  politique  que 
les  manufactures  françaises  qu'elle  devait  faire  prospérer. 

Aussi  Savary  reconnait-il  lui-même  *  que  quarante  années 
de  soins  et  presque  autant  d'édits,  de  déclarations  et  d'arrêts 
du  Conseil  n'ont  pu  l'arrêter  tout  à  fait  ».  Chacun  de  ces  ar- 
rêts cependant  édiclail  quelque  précaution  supplémentaire, 
mais  l'insuccès  nécessitait  bientôt  une  intervention  nouvelle 
des  pouvoirs  publics.  Ce  ne  furent  point  les  fraudeurs,  mais 
le  gouvernement  royal  qui  se  lassa  le  premier:  l'abstention 
de  Colbert  était  encore  la  plus  sage  politique  que  l'on  put 
adopter  sur  ce  point  ! 

Ces  prohibitions,  qui  furent  définitives,  ne  frappèrent  point 
cependant  tout  le  commerce  des  étoffes  des  Indes,  mais  ce 
qui  en  subsista  était  bien  réduit.  Si  toutes  les  soieries  furent 
sévèrement  exclues  (1),  certains  tissus  de  coton  purent 
entrer  comme  précédemment  dans  le  royaume  :  ce  furent  les 
toiles  blanches  (2),  les  toiles  rayées,  les  toiles  à  carreaux  et 
les  mousselines,  mais  la  Compagnie  fut  astreinte  à  munir 
avant  la  mise  en  vente  chacune  des  pièces  importées  de  deux 
plombs  portant  une  empreinte  à  ses  armes,  «  en  tête  et  en 
queue  (3)  »,  et  la  vente  de  pareilles  étoffes  non  marquées 
fut  punie  de  la  confiscation  (4)  et  d'une  amende  de  3.000  li- 

(1)  Cependant  les  arrêts  de  1686  autorisèrent  la  Compagnie  à  importer 
pendant  trois  anne'es  encore  les  tissus  prohibés  pour  une  valeur  maxima 
de  150.000  livres  par  an,  et  à  charge  d'exporter  500.000  livres  de  pro- 
duits manufacturés  français  chaque  année.  Une  pareille  autorisation 
lui  fut  encore  accordée  à  plusieurs  reprises. 

(2)  Du  moins  les  toiles  destinées  à  être  employées  blanches,  caries  lis- 
sus  susceptibles  de  recevoir  l'impression  ou  la  teinture  étaient  prohibés. 

(3)  La  marque  au  plomb  était  imposée  déjà  par  les  règlements  de 
fabrique  aux  productions  françaises  elles-mêmes  (règlements  de  1667). 
Celte  mesure  fut  simplement  étendue  à  la  Compagnie  des  Indes  pour  les 
étoffes  qu'elle  fut  autorisée  à  importer. 

(4)  Certains  arrêts  ordonnèrent  en  outre  la  destruction  par  le  feu. 


COMMERCK    DE   LA    COMPAGNIE    DES    INDES   ORIENTALES  2.*^ 7 

vres,  payable  moitié  au  dénonciateur,  et  moitié  à  l'Etat  (1). 

Celle  limitation  étroite  de  son  commerce  fui  une  des  prin- 
cipales causes  de  la  ruine  de  la  Compagnie;  n'ayant  pu  se 
faire  place  dans  le  trafic  des  épices,  elle  dut  dès  lors  se  con- 
tenter d'articles  secondaires  :  drogues,  métaux,  bois,  dont 
Souclîu  de  Rennefort  disait  «  qu'ils  n'étaient  point  capables 
de  compenser  les  frais  du  commeixe  »  (2).  La  guerre  vint, bien- 
tôt après,aggraver  celte  situation  et  accentuer  sa  décadence  : 
ses  voyages  ne  lui  rapportèrent  plus  que  d'insuffisants  béné- 
fices, quand  du  moins  ils  ne  se  soldèrent  pas  par  une  perle 
sèche  ;  ses  ventes  ne  trouvèrent  plus  de  clients,  et  Lorient 
fut  occupé  par  la  marine  royale  :  c'est  l'échec  définitif  des 
desseins  qui  avaient  présidé  à  sa  création. 

Un  seul  moyen  s'offrit  à  la  Compagnie  de  conserver,  sinon 
la  prospérité  qu'elle  n'avait  jamais  connue,  à  vrai  dire,  du 
moins  une  apparence  d'activité  :  associer  le  commerce  par- 
ticulier à  l'exploitation  de  son  privilège,  et  cet  important  com- 
promis sauvegarda  son  existence  pendant  de  longues  années 
encore. 

L'initiative  en  vint,  nous  l'avons  vu,  de  Colbert  lui-même, 
et  en  1682  elle  avait  été  une  première  fois  autorisée  à  passer 
traité  avec  une  société  de  marchands  de  Saint-Malo, auxquels 
elle  permit  d'envoyer  un  certain  nombre  de  bâtiments  dans 
la  mer  des  Indes,  à  charge  de  l'associer  à  leurs  profils.  Mais 
celte  concession  ne  lui  fui  point  avantageuse,  et  elle  cessa 

(1)  «  La  saisie  faite  sur  le  sieur  Cambronne, marchand  mercier  à  Paris, 
de  99  pièces  de  mousseline  sans  marque  ou  marquées  d'une  fausse 
marque  ou  d'un  faux  plomb,  sera  déclarée  bonne  et  valable  et  il  sera  de 
plus  condamné  à  3.000  livres  d'amende  et  aux  frais.  »  Projet  d'arrêt, 
9  juillet  1716.  Bonnassieux  et  Lelong,  Procès-verbaux  du  Conseil  de 
commerce. 

(2)  L'importation  de  la  soie  fut  elle-même  prohibée  par  un  arrêt  du 
Conseil  du  13  mars  1714. 


238  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPTTnE    V 

par  la  suite  d'user  de  la  latitude  qui  lui  avait  été  accordée. 
En  1698,  elle  s'y  décida  cependant  à  nouveau,  et  cette  fois 
d'une  façon  définitive  :  cette  année-là,  en  effet,  elle  accorda  à 
la  société  Jourdan  le  droit  d'exploiter  le  commerce  de  la  Chine 
qui  figurait  dans  son  monopole,  sans  qu'elle  en  eût  tiré  parti, 
et  la  Compagnie  de  In  Chine,  créée  en  vertu  de  cet  accord,  lui 
reconnut  un  droit  de  5  0/0  sur  le  produit  de  ses  retours  (traité 
du  4  janvier  1698).  La  même  année,  elle  cédait  le  commerce 
des  mers  du  Sud,  dont  elle  avait  également  reçu  le  privilège, 
à  une  autre  société  et  aux  mêmes  conditions  (1).  Néanmoins 
les  cinq  années  qui  séparèrent  la  guerre  de  la  Ligue  d'Augs- 
bourg  de  celle  de  la  Succession  d'Espagne  virent  chez  elle  un 
renouveau  d'activité,  ses  armements  furent  nombreux,  et  l'on 
put  croire  à  une  prospérité  durable.  Mais  bientôt  elle  fut  ré- 
duite à  une  impuissance  plus  profonde  encore  qu'auparavant. 
Aussi  les  traités  avec  les  armateurs  malouins  occupèrent-ils 
exclusivement  les  dernières  années  de  son  privilège  ;  ils  com- 
mencèrent dès  1704,  et  il  en  fut  conclu  dés  lors  chaque  année 
qui  portaient  sur  l'armement  de  l'année  suivante  ;  les  condi- 
tions en  étaient  légèrement  différentes,  mais  le  fond  en  était 
identique  :  ils  comportaient  l'envoi  d'un  nombre  déterminé 

(1)  L'expression  :  mers  du  Sud  est  un  de  ces  termes  vagues  et  élasti- 
ques si  fréqiienls  dans  la  terminologie  géographique  d'autrefois.  On 
désignait  proprement  sous  ce  nom  la  partie  sud-américaine  du  Pacifi- 
que jusqu'aux  rivages  de  l'Amérique  Centrale.  La  Compagnie  des  Indes 
Orientales  avait  reçu  le  privilège  du  commerce  de  ces  mers  «  depuis  les 
détroits  de  Magellan  et  Le  Maire  »  (on  sait  que  le  premier  est  le  long 
couloir  sinueux  qui  sépare  le  continent  de  l'île  de  la  Terre-de-Feu,  et 
que  le  second,  au  sud  de  cette  même  île,  s'étend  entre  elle  et  le  groupe 
des  îles  des  Etats).  —  La  Compagnie  fondée  en  1698  reçut  un  privilège 
plus  étendu  encore,  car  il  comprit  tous  les  rivages  de  l'Amérique  depuis 
le  cap  Saint-Antoine  (au  sud  de  rembouclnire  du  Rio  de  la  Plata).  No- 
tons enfin  que  l'expression  de  mers  du  Sud  est  encore  employée  dans  le 
commerce  maritime. 


COMMERCE    DE    LA    COMPA«SNIE    DES    INDES    ORIENTALES  239 

de  navires,  ordinairement  fournis  par  la  Compagnie,  quel- 
quefois affrétés  au  commerce  particulier,  et  stipulaient  un 
piélèvement  sur  le  bénéfice  des  retours  au  profit  de  la  Com- 
pagnie :  15, 10,  5  0/0  suivant  les  cas,  avec  le  droit  pour  elle 
de  prendre  dans  l'armement  lui-même  une  part  déterminée, 
cl  de  participer  aux  prises  dans  une  certaine  proportion. 
Ainsi  furent  conclus  les  traités  de  1706,  1708(1),  1709(2), 
1710  (3),  1711  (4)  et  1712  (5).  Celui  de  1708 notamment,  passé 
avec  une  société  que  représentait  le  riche  financier  Crozat, 
futur  créateur  de  la  Compagnie  d'Occident,  stipulait  l'arme- 
ment de  deux  vaisseaux,  sous  le  nom  de  la  Compagnie,  un 
prélèvement  de  15  0/0  sur  les  retours  et  de  2  0/0  sur  les  pri- 
ses, enfin  le  droit  d'embarquer  aux  Indes  10  tonneaux  de 
marchandises  sur  chaque  navire  sans  aucun  fret  :  quant  au 
bénéfice  de  la  prime  dite  :  droits  de  tonneau,  accordée  par  le 
Roi  en  1664,  il  fut  toujours  réservé  par  la  Compagnie,  mais 
l'Etal  ne  la  lui  payait  peut-être  point.  Un  second  traité  fut 
conclu  en  1712  avec  Crozat,  mais  il  porta  celle  fois  sur  les 
trois  années  1713, 1714  et  1715  (6).  Enfin  la  Compagnie,  ayant 
obtenu  le  renouvellement  de  son  privilège  pour  une  période 
de  dix  ans,   passa  avec  lui  un  traité  définitif  le  5  décem- 


(1)  Traité  du  let  décembre  1708,  avec  MM.  Crozat  et  Delalande-Ma- 
gon. 

(2)  Traité  du  22  avril  1709,  avec  MiM.  Crozat,  Beauvais-le-Fer,  du 
Colombier-Gris,  Chapdelaine. 

(3)  Traité  du  27  septembre  1710,  avec  MM.  Dumoulin  et  Délaye  de 
Nantes  et  Crozat. 

(4)  Traité  du  8  juin  1711,  avec  MM.  Crozat,  Roquemador  et  autres. 
(5j  Traité  du  5  février  1712,  avec  MM.  Guymont  du  Coudray,  Dille  et 

consorts. 

(6)  Traité  du  20  juillet  1712,  avec  MM.  Crozat,  Granville-Loquet,  Delà- 
lande-Magon,  Beauvais-le-Fer,  etc. 


240  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE   V 

bre  1714  (1),  en  vertu  duquel  la  société  qu'il  représentait  lui 
fui  substituée  entièrement  dans  Vexercicede  ses  droits  pour 
cette  période,  et  ce  fut  cette  société  qui  exploita  jusqu'en  1719 
le  commerce  des  Indes  sous  le  nom  de  la  Compagnie. 

(1)  Traité  du  5  décembre  1714,  avec  MM.  Crozat,  Beauvais-le-Fer,  du 
Colombier-Gris,  Delalande-Magon,  Granville-Loquet,  Chapelle-Martin, 
La  Saudre-le-Fer,  Gaubert,  Carman-Eon,  Fougeray-Nouail,  Duval- 
Baude,  La  Balue-Magon. 


CHAPITRE  VI 

MARINE  ET  OPÉRATIONS  MARITIMES    DE  LA  COMPAGNIE 
DES  INDES  ORIENTALES. 


Formation  de  sa  flotte.  —  Les  premières  expéditions.  —  Choix  d'un 
arsenal  :  création  du  port  de  Lorient.  —  Armements  et  retours 
annuels.  —  Opérations  de  la  Compagnie  pendant  les  guerres  mariti- 
mes—  Dernière  période  d'activité  (1698-1702).  —  Désorganisation 
de  sa  flotte  et  délaissement  de  Lorient. 


Le  commerce  important,  auquel  la  Compagnie  était  des- 
tinée, nécessitait  une  organisation  spéciale  :  la  création  d'une 
flotte  de  grands  navires,  l'entretien  d'un  nombreux  personnel 
maritime,  la  construction  de  magasins^  d'ateliers,  de  chan- 
tiers :  c'était  un  véritable  monde  qu'il  s'agissait  de  mettre 
en  mouvement.  Le  siège  social  et  l'administration  centrale 
de  la  Compagnie  ayant  été  établis  à  Paris,  il  était  nécessaire 
de  créer  une  succursale  sur  le  littoral,  qui  fût  le  port  d'attache 
de  ses  vaisseaux,  l'arsenal  où  ils  seraient  armés  et  désar- 
més, le  magasin  où  ils  déchargeraient  leurs  précieuses  car- 
gaisons, et  d'où  les  marchandises  des  Indes  seraient  ensuite 
dirigées  suivant  les  ordres  des  Directeurs  vers  tel  ou  tel 
point  du  royaume  ou  des  pays  étrangers.  Le  choix  en  fut 
cependant  remis  à  une  date  ultérieure,  car  on  voulait  obtenir 
le  plus  vite  possible  les  premiers  résultats,  à  tort  sans  doute, 
car  cette  précipitation  les  fit  très  insuffisants. 

W.  —  16 


242  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VI 

On  ne  navij^uail  point  alors  (1)  avec  les  puissants  bàtiaienls 
que  l'on  emploie  aujourd'hui  dans  le  commerce  maritime 
grâce  à  la  construction  métallique  ;  il  fallait  néanmoins  pour 

(1)  Nous  croyons  utile  de  donner  ici  quelques  détails  très  brefs  sur 
les  navires  employés  au  xvu"  et  au  xviii^  siècle  et  dont  on  retrouvera 
souvent  les  noms  au  cours  de  cette  étude.  Les  principaux  types  étaient  : 
le  Vaisseau,  le  plus  considérable  de  tous  ces  bâtiments  :  il  avait  au 
moins  deux  batteries  couvertes,  c'est-à-dire  deux  entreponts  garnis  de 
pièces  sur  chaque  bord,  tirant  par  des  sabords  percés  dans  les  parois 
du  vaisseau  ;  il  avait  en  outre  des  canons  sur  le  pont  supérieur,  tirant 
en  barbette,  c'est  à-dire  par-dessus  le  bordage,  et  sur  les  gaillards, 
c'est-à-dire  les  extrémités  qui  se  trouvent  surélevées  au-dessus  du 
pont  supérieur  de  la  hauteur  d'un  pont  supplémentaire  et  partiel.  Le 
vaisseau  était  le  navire  d'escadre.  Lsl  Frégate,  moins  importante,  surtout 
plus  légère, plus  fine  de  carène,  destinée  à  fournir  une  belle  vitesse.  Elle 
n'avait  qu'une  batterie  couverte,  et  des  pièces  en  barbette  sur  le  pont 
supérieur  et  sur  les  gaillards.  La  Corvette,  plus  petite  encore,  mais  taillée 
comme  la  Frégate,  c'est-à-dire  de  formes  fines,  n'avait  qu'une  batterie- 
barbette  sur  le  pont  supérieur  et  des  gaillards  armés.  C'étaient  là  les 
trois  principaux  types  de  la  marine  de  guerre.  La  Compagnie  des  Indes, 
obligée  d'avoir  des  navires  munis  d'artillerie,  devait  forcément  lui  em- 
prunter ces  modèles.  Ajoutons  que  ces  trois  navires  portaient  mêmes 
mâture  et  voilure,  ayant  chacun  trois  mâts  gréés  presque  exclusivement 
de  voiles  carrées  (les  voiles  auriques  n'ayant  pris  qu'au  xix*  siècle  une 
place  importante  dans  la  marine).  La  Flûte  était  en  dehors  de  cette 
classification  :  c'était  un  type  exclusivement  commercial,  un  navire  large, 
gros  et  lourd,  à  formes  arrondies,  emprunté  à  la  Hollande.  Il  avait  d'ail- 
leurs mêmes  mâture  et  voilure  que  les  précédents.  Quand  on  aména- 
geait un  navire  de  guerre  pour  une  campagne  commerciale,  en  le 
déchargeant  d'une  partie  de  son  artillerie,  etc.,  on  disait  également 
qu'on  Varmait  en  flûte.  Puis  venaient  les  petits  navires  :  le  Brigantin 
qu'on  nomme  aujourd'hui  brick:  il  portait  deux  mâts,  et  on  lui  donnait 
quelques  canons  en  barbette.  Le  Senau  ne  dilTérait  du  précédent  que 
par  la  manière  particulière  dont  son  artimon  était  gréé  :  même  artillerie. 
La  (îa/io^e,  primitivement  navire  à  rames  comme  la  galère,  était  de- 
venue à  la  fin  du  xvii*  siècle  un  type  voisin  du  brigantin.  Il  n'était  plus 
en  usage  au  xvai".  La  Uourque,  type  hollandais  tombé  également  en 
désuétude  au  xviii»  siècle,  dérivait  encore  du  brigantin  ;  son  mât 
d'avant  était  très  près  du  centre  de  gravité,  le   second  très  en   arrière. 


MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  243 

un  trafic  aussi  important  que  celui  des  Indes,  qui  comportait 
des  campa.^nes  de  deux  et  trois  années  consécutives,  des 
navires  d'un  fort  tonnage  et  d'une  solidité  éprouvée.  François 
Charpentier  estimait  dans  son  Discours  inspiré  par  Colbert, 
qu'une  flotte  de  12  à  14  vaisseaux  de  800  à  1400  tonneaux 
serait  nécessaire  (1)  ;  comme  cependant,  nous  l'avons  dit,  on 
était  fort  pressé,  l'on  dut  se  résigner  à  acheter  les  éléments 
de  la  première  expédition,  que  l'on  n'avait  point  le  loisir  de 
faire  construire.  Il  s'éleva  même  à  ce  sujet  parmi  les  Syndics, 
provisoirement  chargés  de  l'administration  de  la  Compagnie, 
une  discussion  fort  intéressante  (2).  Les  uns  proposaient  de 
s'adresser  à  des  constructeurs  français,  les  autres  tenaient 
pour  les  chantiers  hollandais,  où,  disaient-ils.  Ton  bâtissait 
à  bien  meilleur  compte.  On  se  récria  :  «  les  plus  intelligents  », 
déclare  Charpentier,  nièrent  cette  supériorité  et  prétendirent 
même  qu'en  France  lesdils  navires  coûteraient  moins  cher 
et  seraient  meilleurs,  les  bois  de  France  étant  plus  satisfai- 
sants que  ceux  du  Nord.  On  ajouta,  ce  qui  était  plus  intelli- 
gent et  plus  vrai,  que  si  le  Roi  s'efforçait  de  développer  nos 
industries,  il  n'était  point  raisonnable  de  favoriser  les  cons- 
tructeurs hollandais  au  détriment  des  français,  dont  l'indus- 
trie était  des  plus  intéressantes. 

Pour  le  moment,  d'ailleurs,  on  ne  pouvait  se  dispenser  d'a- 
cheter des  navires  prêts  à  entrer  en  armement,  mais  il  fut 
décidé  qu'on  les  chercherait  en  France,  et  à  défaut  seulement 
en  Hollande. 

Ces  marchés  furent  vite  conclus  :  on  acquit  à  Saint-Malo  une 
frégate  qui  prit  le  nom  de  la  Vierge-de-Don-Pori  (.3),  à  la  Ro- 

(1)  Fr.  Charpentier,  Discours  d'un  fidèle  sujet  du  lloi. 

(2)  Fr.  Charpentier,  Relation. 

(3)  La  Vierge-de-Bon-Port  avait  déjà  fait  une  vingtaine  de  fois  le 
Toyage  d'Amérique  (Souchu  de  Rennefort). 


244  DEUXIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    VI 

chelle  une  flûte  qui  fut  appelée  le  Taureau,  au  Havre  une 
frégate  qui  devint  le  Saint-Paul  (1)  ;  ces  trois  navires  jau- 
geaient entre  300  et  400  tonneaux.  Enfin  à  la  Rochelle  on 
trouva  une  petite  galiole  de  70  à  80  tonneaux  qui  fut  baptisée 
V Aigle-Blanc  (2).  Leur  armement  tut  activement  poussé  dans 

(1)  Le  Saint-Paul  n'était  autre  que  l'ancien  Aigle-Noir  de  Fouquet 
{ibidem). 

(2)  Le  tonnage  ou  jauge  d'un  navire  est  sa  capacité  :  on  confond 
souvent  celle  valeur  avec  le  déplacement.,  qui  est  son  poids.  Le  dépla- 
cement s'exprime  en  tonnes  (i.OOO  kilogrammes)  ou  en  tonneaux  de 
déplacement  ;  mais  delà  vient  précisément  cette  confusion.  Le  tonnage 
s'exprime  lui  aussi,  en  effet,  et  plus  exactement,  en  tonneaux,  dits 
tonneaux  de  jauge  pour  les  distinguer  des  précédents.  Le  tonneau  de 
jauge  est  une  mesure  particulière  à  l'industrie  et  au  commerce  mari- 
times :  il  vaut  1  me.  830  actuellement  en  France.  Le  tonnage  d'un 
navire  s'obtient  par  la  mensuration  de  ses  dimensions  intérieures.  Les 
négociants  bordelais  et  rochelais  estimaient,  dès  le  moyen  âge,  la 
capacité  des  bâtiments  dont  ils  se  servaient  pour  le  transport  des  vins 
par  le  nombre  de  barriques  qu'ils  pouvaient  contenir,  et  l'unité  de 
mesure  qu'ils  choisirent  fut  le  volume  de  quatre  barriques  posées 
debout.  Autant  de  fois  un  navire  contenait  ce  volume,  autant  il  jaugeait 
de  tonneaux  (on  disait  encore  :  autant  il  portait  de  tonneaux,  ou  autant 
il  avait  de  tonneaux  de  port,  expressions  encore  en  usage).  Telle  est 
l'origine  de  cette  mesure  :  elle  passa  de  là  dans  tout  le  commerce 
maritime  français.  Cette  extension  fut  l'occasion  d'une  distinction  nou- 
velle, car  en  l'appliquant  à  des  marchandises  de  densités  différentes, 
on  fut  conduit  à  ajouter  la  notion  de  poids  à  celle  de  capacité.  On  obtint 
ainsi  le  tonneau  d'encombrement,  qui  pesait  précisément  le  poids  des 
quatre  barriques  (Le  tonneau  d'encombrement  ne  s'emploie  que  quand 
on  considère  la  cargaison,  il  faut  donc  le  distinguer  soigneusement  du 
tonneau  de  jauge  qui  s'applique  au  navire  lui-même).  Jusqu'à  la  Révo- 
lution, le  tonneau  de  jauge  valut  42  pieds  cubes,  le  tonneau  d'encom- 
brement 42  pieds  cubes  et  2.000  livres.  Revenons  au  tonnage  propre- 
ment dit  :  il  nous  reste  à  faire  une  dernière  distinction  entre  le  tonnage 
brut  et  le  tonnage  net.  Le  premier  est  la  capacitif  totale  du  navire; 
le  second  sa  capacité  réellement  udltsable  pour  la  cargaison,  déduction 
faite  par  conséquent  de  la  place  réservée  à  l'équipage  et  aux  services 
de  la  navigation.  L'ordonnance  de  1681  prescrivit,  pour  calculer  la 
jauge  d'un  navire,  de  mesurer  «  sa  cale,  qui  est  le  lieu  de  sa  charge  » 


MARINE    DE   LA    COMPAGNIE    DES   INDES    ORIENTALES  245 

chacun  de  ces  ports  et  l'un  des  Syndics  se  rendit  même  au  Ha- 
vre pour  surveiller  celui  du  Saint-Paul  qui  devait  être  «  l'ami- 
ral »  de  la  flottille,  dont  le  Taureau  serait  le  «  vice  amiral  ». 
Ces  navires  rallièrent  ensuite,  non  sans  difficulté,  le  port  de 
Brestjd'où  devait  avoir  lieu  le  départ  :  tous,  on  le  voit,  étaient 
fort  inférieurs  en  tonnage  à  ce  que  désirait  Colbert.  Le  7  mars 
1665,  après  un  assez  long  relard,  l'expédition  put  prendre  la 
mer  :  elle  emportait  un  effectif  de  550  personnes  dont  400 
passagers  (1). 

et  elle  comprenait  sous  cette  de'signation,  non  seulement  «  le  fond  de 
cale,  mais  l'entrepont  »,  suivant  le  Commentaire  de  Valin,  «  mais  elle 
veut  en  même  temps,  ajoute-t-il,  que  sur  la  totalité  de  la  jauge  (le  ton- 
nage brut),  il  soit  de'duit  un  dixième  »  ;  on  obtenait  ainsi  le  tonnage 
net  par  une  déduction  empirique.  C'est  aussi  du  tonnage  net  et  non 
du  tonnage  brut  qu'il  faut  entendre  le  plus  souvent  les  chiffres  de  ton- 
nage donnés  par   les  documents  maritimes  au  xvn^  et  au  xvni°  siècle. 

Il  est  intéressant  de  comparer  les  mesures  d'autrefois  avec  celles 
d'aujourd'hui  :  le  pied  cube  valant  34  de.  328  ce.  (en  donnant  au  pied 
325  mm.),  le  tonneau  de  jauge  de  42  pieds  cubes  valait  lui-même 
1  me.  441  ;  il  était  donc  plus  petit  que  le  tonneau  de  jauge  actuel  qui 
vaut  1  me.  830.  Ainsi  un  navire  jaugé  autrefois  1.000  tonneaux  net 
et  par  conséquent  1.100  brut,  ne  mesurerait  aujourd'hui  que  782  ton- 
neaux net  et  865  brut.  Les  navires  d'autrefois  étaient  donc,  à  égalité  du 
chiffre  des  tonneaux  de  moindre  volume  que  ceux  d'aujourd'hui.  Or, 
nous  avons  observé  déjà  que  les  tonnages  de  l'ancienne  marine  étaient 
beaucoup  moins  importants  que  ceux  de  la  marine  moderne.  Certaines 
observations  doivent  cependant  prendre  place  ici.  L'emploi  du  métal 
dans  la  construction  au  xrx«  siècle  a  permis  d'avoir  des  navires  dans 
lesquels  l'espace  est  mieux  ménagé  qu'autrefois,  la  section  d'un  navire 
en  fer  se  rapprochant  beaucoup  plus  d'un  rectangle  que  celle  d'un 
navire  en  bois  dont  les  flancs  sont  plus  concaves  ;  il  en  résulte  que 
les  navires  d'autrefois  avaient  avec  un  tonnage  inférieur  autant  d'appa- 
rence qu'un  navire  moderne  de  plus  fort  tonnage  :  ils  étaient  en  outre 
plus  légers,  plus  étroits,  plus  hauts  sur  l'eau,  et  avaient  par  contre  un 
déplacement  et  un  tirant  d'eau  inférieurs  à  ceux  des  bâtiments  moder- 
nes d'un  tonnage  égal.  Aussi  une  frégate  de  400  tonneaux  pouvait 
paraître  un  grand  navire,  alors  qu'un  vapeur  de  même  tonnage  en  paraît 
aujourd'hui  un  petit. 

(1)  Elle  se  décomposait  ainsi  :  Saint-Paul,  frégate  :  400tx,32  canons, 


246  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VI 

-Celte  première  expédition  fut  très  mouvementée  :  la  flot- 
tille se  sépara  bientôt  et  le  Saint-Paul,  meilleur  voilier,  arriva 
le  premier,  le  11  juillet  lGG5,à  Fort-Dauphin,  où  les  trois  au- 
tres navires  parvinrent  ensuite  isolément  (t).  M.  de  Beausse 
avait  l'ordre  d'envoyer  le  Saint-Paul  dans  le  j^olfe  Persi- 
que,mais  celui-ci  par  suite  de  la  mésintelligence  qui  survint 
entre  son  capitaine  et  le  marchand  Houdry  n'alla  pas  plus  loin 
que  la  baie  d'Antongil  :  il  revint  en  France  en  1667, et  avide. 
Le  Taureau  se  perdit  sur  la  côte  de  Madagascar  :  la  Vierge-de- 
Bon-Porl,  que  les  colons  purent  charger  avec  les  premiers 
produits  de  leurs  travaux,  attaquée  dans  les  mers  d'Europe 
par  une  frégate  anglaise,  coula  avec  120  hommes  et  sa  car- 
gaison, après  une  honorable  résistance. 

Pendant  ces  événements,  la  Compagnie  avait  poursuivi  la 
constitution  de  sa  flotte  :  le  temps  lui  manqua  encore  pour 
faire  construire  les  navires  qui  devaient  partir  au  commence- 
ment de  l'année  1666,  et  l'on  dut  les  acheter  tant  en  France 
qu'en  Hollande.  Ce  furent  deux  bâtiments  de  600  tonneaux  :  le 
Saint-Jean  et  la  Marie  ;  un  de  350  tonneaux,  le  Terron  ;  un 
de  300  tonneaux,  le  Saint-Charles;  enfin  deux  de  200  ton- 
neaux, la  Mazarine  et  la  Duchesse. 

80  hommes,  capitaine  Vérou.  Taureau,  flùle  :  400  tx,  22  canons,64  hom- 
mes,capitaine  Kerkadiou.  Vierge-de-Bon-Port,ïvi?ga[o  :  400tx,20  canons, 
60  hommes,  capitaine  Truchot  de  la  Ghesnaye.  Aigle-Blanc,  galiole  : 
80  tx,  8  canons,  26  hommes,  capitaine  de  la  Clochelerie.  Le  capitaine 
Kerkadiou  avait  fait  plusieurs  voyages  à  Madagascar  pour  le  compte 
de  la  Compagnie  d'Orient  :  il  était  récemment  rentré  en  France  avec  le 
dernier  navire  envoyé  par  la  Meilleraye.  De  la  Clochelerie(de  la  Rochelle) 
était  un  capitaine  corsaire  qui  s'était  signalé  en  enlevant  deux  vaisseaux 
espagnols  à  l'embouchure  du  Rio  de  la  Plala  :  on  disait  même  de  lui 
que,  étant  sous  les  ordres  du  chevalier  de  Binanville,  il  avait  amariné 
16  bâtiments  de  commerce  ennemis,  qu'il  avait  ramenés  k  Brest. 

(1)  La  Vierge-de-Bon-Port  et  le  Taureau  le  20  août,  IWiglc-Blanc 
le  3  novembre  1665. 


MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  247 

On  avait  cependant  fait  mettre  en  chantier  six  petits  bâti- 
ments de  90  tonneaux  environ,  du  type  alors  très  en  usage 
des  hourques  hollandaises  ;  on  leur  donna  les  noms  de  : 
Saint- Jacques,  Sai?it-Louis,  Saint-Denis,  Saint-Luc,  Saint- 
Bohert  et  Petit-Saint-Jean.  Les  deux  premiers  furent  prêts  de 
bonne  heure  et  purent  partir  de  conserve  pour  Madagascar 
en  juillet  1665(1)  ;  les  quatre  autres  firent  partie  de  l'expé- 
dilion  de  M.  de  Mondevergue. 

Celle-ci  partit  de  Rochefort  le  14  mars  1666  :  le  relard  qu'a- 
vait apporté  au  premier  départ  le  choix  de  Brest  empêcha  en 
effet  qu'on  ne  le  renouvelât.  Elle  se  composait  de  10  navires 
et  emportait  une  véritable  population  (2)  ! 

Cette  flotte  fut  escortée  «  hors  des  Caps  »  par  4  bâtiments 
de  guerre  (3)  :  le  Rubis,  le  Beaufort,  le  Mercœur  et  Vinfante 
sous  les  ordres  de  M.  de  la  Roche.  Sa  traversée  fut  pénible 
et  démesurément  longue.  Le  Terron  faisait  eau  dès  le  départ  : 
on  dut  relâcher  à  Sainte-Croix  de  Ténériffe  pour  le  remettre 
en  état,  et  même  y  acheter  un  gros  navire,  la  Paix,  de  600 

(1)  Le  Saint-  Louis  arriva  le  premier  à  Fort-Dauphin  le  12  février 
1666;  il  amenait  50  colons  et  2  chefs  de  colonie  (Souchu  de  Rennefort). 
Le  Saint-Jacques  avait  relâché  au  Brésil,  où  il  fut  rejoint  par  la  flotte 
de  M.  de  Mondevergue. 

(2)  Elle  comprenait  :  le  Saint-Jean,  600  tx,  36  canons,  amiral  ;  la 
Marie,  600  tx,  36  c.  ;  le  Terron,  350  tx,  24  c.  ;  le  Saint-Charles, 
300  tx,  24  c.  ;  la  Mazarine,  200  tx,  24  c.  ;  la  Duchesse,  200  tx,  24  c. 
et  les  hourques  :  Saint-Denis,  Saint- Luc,  Suint-Robert  el  Petit-Saint- 
Jean  de  90  tonneaux. 

(3)  Par  l'article  XL  de  la  Déclaration,  le  Roi  s'était  formellement  en- 
gagé à  faire  escorter  les  navires  de  la  Compagnie  «  en  cas  qu'aucune 
nation  voulût  entreprendre  contre  elle  »  par  tel  nombre  de  vaisseaux  de 
guerre  dont  elle  aurait  besoin,  «  non  seulement  par  toutes  les  côtes  de 
l'Europe  et  de  l'Afrique,  mais  même  jusque  dans  les  Indes  »,  le  tout 
aux  frais  du  Trésor  royal.  En  fait,  et  sauf  le  cas  de  dangers  exception- 
nels, l'escorte  n'était  faite  que  «  jusque  hors  des  Caps  »,  c'est-à-dire 
jusqu'au  Cap  Vert  inclusivement. 


248  DEUXIÈME    PARTIE,    CHAPITKE    VI 

tonneaux,  qui  prit  une  partie  de  son  chargement.  Puis,  au 
lieu  de  prendre  la  route  du  Cap  de  Bonne-Espérance,  on  prit 
celle  du  Brésil,  et  l'on  relâcha  trois  mois  à  Pernambuco, 
où  le  personnel  de  la  flotte  déjà  décimé  par  la  maladie,  put  se 
se  remettre  quelque  peu;  enfin  elle  repartit,  accrue  d'un  se- 
cond petit  navire,  le  Saumaqxie  (25  tonneaux)  acheté  aux  Por- 
tugais, et  atteignit  Fort-Dauphin  le  5  mars  1667,  après  un  an 
de  route  I  Les  colons  qu'elle  amenait  étaient  exténués  par  les 
maladies  et  les  privations.  Trois  de  ses  navires  étaient  fort 
maltraités  et  durent  être  condamnés.  Le  Pelit-Saint-Jean  et 
le  Saint-Denis  qui  s'étaient  séparés  de  la  flotte  à  Ténériffe 
furent  encore  plus  longtemps  en  route  :  personne  ne  savait 
faire  le  point  à  leur  bord  I  Ils  dépassèrent  l'ile  sans  la  voir, 
séjournèrent  4  mois  à  Socotora,  puis  à  Mozambique,  et  quand 
ils  parvinrent  à  Fort-Dauphin,  ils  s'étaient  délestés  de  toute 
leur  cargaison  pour  acheter  des  vivres  !  On  conçoit  la  mau- 
vaise humeur  de  Colbert  quand  il  apprit  ces  fâcheux  détails 
et  le  désespoir  de  la  Compagnie  d'être  si  mal  servie  dans  ses 
premières  entreprises. 

Cependant  elle  ne  se  découragea  point,  et  au  fur  et  à  me- 
sure que  des  ressources  nouvelles  lui  parvenaient,  elle  les 
employait  à  préparer  ses  expéditions  futures.  En  1667,  elle 
avait  douze  navires  en  achèvement  :  ceux-là  avaient  été 
construits  par  ses  soins  et  en  France,  conformément  au 
vœu  des  premiers  Syndics:  le  Dauphin-Couronné,  de 
800  tonneaux  à  Saint-Malo  ;  le  Phénix  et  VAigle-cCOr  de 
500  tonneaux  à  Bayonne  :  le  Vautour  q\.  le  Saint- François  de 
600  tonneaux,  la  Trinité,  la  Force  de  500  tonneaux,  ÏEspé- 
rance,  la  Fortune  de  450  tonneaux,  deux  frégates  de  loO  ton- 
neaux, et  une  galiole  de  80  tonneaux  ;  ces  trois  derniers  bâti- 
ments à  Port-Louis,  où  elle  venait  d'obtenir  la  concession 
des  terrains  où  devaient  s'élever  ses  magasins.  Elle  avait 


MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  ORIENTALES  249 

en  outre  trois  navires  de  500  tonneaux  en  chantier  à  Bayonne, 
trois  au  Havre  dont  un  de  800  tonneaux,  un  de  600  et  un  de 
300,  et  un  vaisseau  de  1.000  tonneaux  à  Port-Louis  (l). 

On  s'était,  en  effet,  occupé  enfin,  pour  compléter  l'organi- 
sation de  la  Compagnie,  de  lui  donner  un  port  et  un  arsenal. 
La  tâche  fut  malaisée.  La  première  flotte  était  partie  de  Brest, 
mais  ce  choix  avait  donné  lieu  à  tant  de  désagréments  qu'on 
avait  réuni  la  seconde  à  Rochefort.  Ce  n'était  point  encore 
définitif,  et  la  Compagnie  donnait  en  même  temps  l'ordre  de 
construire  pour  son  compte  un  chantier,  une  corderie  et  un 
magasin  au  Havre.  Les  Directeurs  avaient,  en  effet,  songé  à 
ce  port  qui  offrait  l'avantage  d'être  proche  de  Paris  et  de  lui 
être  uni  par  la  Seine,  et  ils  avaient  en  conséquence  sollicité 
du  Roi  la  fourniture  en  cette  ville  du  sel  dont  ils  auraient 
besoin  pour  leurs  armements,  et  qui  devait  leur  être  donné 
au  prix  marchand  (2)  (a.  XXXVI des  Art.).  Ils  tournèrent  éga- 
lement leurs  regards  vers  Bayonne,  mais  les  Rayonnais  mon- 
trèrent à  ce  projet  une  hostilité  violente  et  menacèrent  même 
de  mettre  le  feu  au  vaisseau  que  la  Compagnie  avait  en  ar- 
mement dans  leur  port.  On  se  décida  enfin  à  construire  de 
fond  en  comble  le  port  dont  on  avait  besoin  au  fond  de  l'es- 
tuaire du  Scorff  et  du  Blavet,  qui  s'ouvre  sur  le  littoral  de  la 
Bretagne  à  la  hauteur  de  l'Ile  deGroix. 

L'endroit  était  bien  choisi  :  cet  estuaire  creuse  dans  la  côte 
une  échancrure  profonde  de  plus  de  6  kilomètres,  resserrée 
à  l'entrée,  spacieuse  au  fond,  abritée  d'une  façon  satisfaisante 
contre  le  mauvais  lemps.  A  l'entrée  se  dressait  déjà  une  ci- 

(1)  Requête  de  la  Compagnie  au  Roi,  19  février  1667, citée  par  Demis. 

(2)  Le  Roi  avait  accordé  cet  avantage  non  seulement  au  Havre,  mais 
«  en  tout  autre  lieu  où  la  Compagnie  ferait  les  dites  salaisons  »  a.  XLI 
de  la  Déclaration.  Ce  qui  prouve  que  le  choix  du  Havre  n'était  pas  ré- 
solu. 


250 


DEUXIEME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VI 


ladelle  royale,  le  château  de  Port-Louis  (1)  qui  en  défendait 
l'accès  et  une  petite  ville  s'était  élevée  à  l'abri  de  ses  rem- 
parts. Les  deux  rivières  débouchent  au  fond  de  la  rade  et 
leurs  eaux  sont  profondes  et  calmes  ;  elles  bordaient  alors 
des  terrains  marécageux  et  déserts.  Ce  furent  les  rives  du 
Scorff  qui  fixèrent  le  choix  de  la  Compagnie  et  le  Roi  fut 
sollicité  de  lui  en  accorder  la  concession  (2).  Une  déclaration 
du  mois  de  juin  1666  lui  donna  aussitôt  «  la  faculté  de  s'éta- 
blir au  Port-Louis  pour  ses  magasins  et  au  Féandick  et  quel- 
ques autres  lieux  des  environs  le  long  des  rivières  d'Henne- 
bont  (3)  et  de  Pont-Scot  (4)  pour  les  chantiers  et  autres  places 
nécessaires  pour  le  bâtiment  des  vaisseaux,  quais,  magasins 
et  autres  édifices  nécessaires  pour  l'armement  de  ses  flottes  ». 
L'établissement  de  la  Compagnie  des  Indes  en  ce  lieu,  qui 
prit  de  sa  destination  le  nom  de  L'Orient  (5),  ne  se  fit  du 
reste  que  fort  lentement,  et  Madame  de  Sévigné  qui  y  passa 


(1)  La  citadelle  de  Port-Louis  avait  été  construite  par  les  Espagnols 
pendant  les  guerres  de  religion,  et  cédée  ensuite  par  eux  au  roi  de 
France.  On  a  vu  que  le  duc  de  la  Meilleraye  et  le  duc  de  Mazarin,son  fils, 
en  furent  gouverneurs.  Nous  devons  signaler  une  confusion  qu'on  a  sou- 
vent commise  à  ce  sujet.  Lorient  fut  construit  sur  son  territoire,  et  la 
rade  portait  son  nom,  aussi  très  souvent  dans  les  textes  relatifs  à  la 
Compagnie,  dit-on  Port-Louis  pour  Lorient,  mais,  en  fait,  ni  la  Compa- 
gnie de  Colbert,  ni  celle  de  Law,  ni  celle  de  Galonné  n'eurent  d'établis- 
sement à  Port-Louis  même.  Port-Louis  n'a  qu'un  petit  port  de  pèche 
sans  profondeur  formé  par  la  «  mer  de  Gavres  ». 

(2)  La  rade  de  Lorient  est  séparée  du  large  par  deux  passes  qui  con- 
tournent la  petite  île  Saint-Michel  :  celle  du  Nord  est  seule  praticable 
aux  grands  navires.  Les  vents  d'Ouest-Sud-Ouest  et  de  Sud-Ouest  sont 
seuls  à  craindre  dans  l'estuaire,  qu'ils  enfilent  dans  sa  longueur. 

(3)  Le  Blavet.  —  La  lande  du  Féandick  est  le  terrain  même  qu'occupe 
la  ville  de  Lorient. 

(4)  (Pont-ScorlT)  le  Scorff. 

(5)  Pendant  toute  l'existence  de  la  Compagnie  des  Indes  ce  nom  fut 
orthographié  L'Orient  :  il  l'était  encore  ainsi  au  début  du  x\x*  siècle. 


MARINE  DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  251 

quelques  années  plus  tard  le  trouvait  encore  bien  imparfait. 
Dès  sa  concession,  cependant,  un  des  Directeurs  Généraux  y 
fut  résider  (1),  un  certain  nombre  de  commis  furent  mis 
sous  ses  ordres,  et  dès  1667,  ainsi  qu'on  l'a  pu  voir  ci-dessus, 
des  chantiers  s'allongeaient  sur  la  rive  gauche  delà  rivière, 
où  se  trouvaient  déjà  en  construction  deux  frégates  et  un 
vaisseau  de  1.000  tonneaux.  Mais  ce  n'est  qu'en  1669  que  la 
continuation  des  travaux  d'installation  fut  définitivement  ré- 
solue ;  à  l'assemblée  générale  qui  fut  tenue  aux  Tuileries  le 
11  février  1669,  on  discuta  encore,  en  effet,  de  l'abandon  ou 
de  la  conservation  de  Lorient.  Le  Havre  avait  gardé  de  nom- 
breux partisans,  mais  la  Manche  était  un  passage  dange- 
reux en  ce  temps  de  guerres  continuelles.  Bref,  il  fut  décidé 
de  conserver  Lorient,  mais  de  n'y  faire  que  peu  de  dépenses 
et  le  coût  des  travaux  à  faire  fut  limité  à  30.000  livres.  Le  con- 
sul français  de  Madère  fut  chargé  d'instruire  les  vaisseaux 
de  la  Compagnie  à  leur  retour  des  Indes  de  la  situation  po- 
litique qu'ils  devaient  trouver  en  Europe  et  les  diriger,  sui- 
vant l'état  des  choses,  soit  sur  le  Havre,  soit  sur  Lorient  (2). 
On  conçoit  ces  hésitations  :  Lorient  est  mal  relié  en  effet  à 
Paris  ;  aussi  les  Directeurs  firent-ils  construire  également  un 
magasina  Nantes,mieux  partagé  à  cet  égard,  sans  être  aussi 
avantagé  que  le  Havre.  Désormais  les  armements  de  la  Com- 
pagnie se  firent  généralement  à  Lorient  (3),  mais  ses  re- 

(1)  Les  représentants  de  la  Compagnie  à  Lorient  furent  successive- 
ment :  Denis  Langlois,  Claude  Gueston,  Barthélémy  Blot,  François  Val- 
leton,  François  Laisné,  David  Grenier,  Siméon  de  Jonchère,  Jean  Le 
Mayer,  Guillaume  Bar,  Claude  Céberet,  Antoine  de  Mauclerc,  Siméon 
Bazin,  Bréart  de  Roisanger  (mort  en  1704).  Il  n'y  eut  plus, après  ce  der- 
nier, de  Directeur  de  la  Compagnie  en  résidence  à  Lorient.  (D'après  les 
archives  de  l'arsenal  de  Lorient.) 

(2)  Demis,  t.  L 

(3)  Il  y  en  eut  quelques-uns  cependant  dans  les  autres  ports  :  la  Ro- 
chelle, Nantes,  Brest,  Saint-Malo, 


252  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   VI 

tours  se  partagèrent  entre  celle  ville,  Nantes  et  le  Havre. 

L'expérience  avait  depuis  longtemps  appris  aux  naviga- 
teurs européens  que  les  départs  pour  les  Indes  devaient 
avoir  lieu,  pour  que  les  traversées  fussent  heureuses,  dans 
les  premiers  mois  de  l'année.  De  la  sorte  les  navires  étaient 
assurés  d'avoir  traversé  l'Océan  Indien  avant  l'époque  dan- 
gereuse du  changement  de  mousson  (1). Cette  sage  précaution 
avait  été  suivie  lors  des  deux  premières  expéditions,  mais  la 
saison  de  1667  se  passa  sans  qu'une  troisième  eût  quitté  la 
France  ;  c'est  qu'on  craignait  en  effet  l'hostilité  de  l'Angle- 
terre, et  la  perte  de  la  Vierge-de-Bon-Porl  ne  justifia  que  trop 
celte  appréhension.  Le  Saint-Paul,  plus  heureux,  atteignit  la 
France,  mais,  nous  l'avons  dit,  sans  chargement.  Ce  ne  fut 
que  dans  les  derniers  jours  de  cette  même  année  que  la 
Compagnie  mit  en  mer  la  flûte  la  Couronne,  qui  arriva  du 
reste  sans  encombre  à  Fort-Dauphin  «  bien  que  très  mal  di- 
rigée >,  assure  Souchu  de  Rennefort  (2).  Mais  la  colonie  fut 
plus  active  que  la  métropole,  car  dès  le  mois  d'octobre  1667 
le  Sainl-Jean  avait  quitté  Fort-Dauphin  pour  Sural,  emme- 
nant Caron  qui  allait  y  jeter  les  bases  de  notre  comptoir. 

L'année  1668  fut  mieux  remplie  :  quelques  semaines  après 
la  Couronne,  VAigle-d'Or  et  la  Force  partirent  de  Lorienl 
avec  le  Directeur  Goujon  :  ils  touchèrent  à  Fort-Dauphin  le 

(1)  On  appelle  moussons  des  vents  périodiques  qui  soufflent  six  mois 
dans  une  direction  constante  et  six  autres  mois  dans  la  direction  oppo- 
sée. Ils  sont  dirigés  vers  les  continents  l'été  et  vers  le  large  l'hiver.  On 
les  observe  dans  le  golfe  d'Arabie,  dans  le  golfe  du  Bengale  et  dans  les 
mers  de  Chine.  Ils  ont  pour  origine  dans  flnde  la  haute  température 
atteinte  en  été  par  le  versant  méridional  de  l'Himalaya  et  la  puissante 
aspiration  produite  par  l'ascension  de  la  nappe  d'air  chaud  le  long  de 
cette  chaîne.  En  hiver,  l'Océan  se  refroidissant  moins  que  le  continent, 
l'aspiration  a  lieu  en  sens  contraire.  La  mousson  souffle  du  sud-ouest 
l'été  (avril  à  octobre)  et  du  nord-est  l'hiver  (octobre  à  avril). 

(2)  Op.  cit. 


MARINE  DE   LA   COMPAGNIE    DES   INDES    ORIENTALES  253 

28  août  el  en  repartirent  bientôt  pour  Surat  avec  la  Marie, 
qui  emmenait  le  Directeur  de  Paye  et  Marcara.  Le  Saint-Jean, 
que  Garon  avait  rapidement  chargé  à  Surat,  toucha  à  Fort- 
Dauphin  en  juin,  compléta  son  chargement  avec  l'indigo,  les 
cuirs,  l'aloès,  le  poivre  et  les  gommes  que  les  colons  lui 
fournirent,  et  atteignit  la  France  au  mois  de  janvier  1669  : 
c'était  le  premier  résultat  obtenu  par  la  Compagnie;  cette 
même  année  1669,  d'ailleurs,  la  hourque  Sainl-Robert  partie 
de  Fort-Dauphin,  accomplit  heureusement  sa  traversée,  et 
Lorient  arma  deux  navires  :  le  Saint-Paul  qui  commençait 
sa  deuxième  campagne  et  le  Saint-François;  enfin,  de  son 
côté,  Surat  chargea  et  renvoya  en  France  la  Marie,  la  Force  el 
le  Saumaque, 

Un  courant  régulier  de  relations  s'était  donc  établi  entre 
la  France  et  les  Indes  :  la  Compagnie  avait  armé  en  cinq 
années  vingt-trois  navires  (1),  effort  des  plus  remarquables, 
fondé  une  colonie  à  Fort-Dauphin  et  un  comptoir  à  Surat. 
Colbert,  qui  conçut  de  ces  premiers  succès  de  grandes  espé- 
rances, résolut  de  les  appuyer,  et  l'année  1670  vit  Tarme- 

(1)  L'article  XXXVII  de  la  Déclaration  avait  accordé  à  la  Compagnie 
le  droit,  reconnu  déjà  aux  précédentes,  de  faire  naviguer  ses  vaisseaux 
sous  le  pavillon  blanc,  dont  l'emploi  était  en  principe  réservé  à  la  marine 
royale,  ainsi  que  celui  de  la  flamme  blanche.  Les  navires  du  commerce 
portèrent  sous  l'ancien  régime  différents  pavillons  :  le  «  grand  pavillon 
d'honneur  »  était  rouge,  frappé  des  armes  de  France  et  semé  de  fleurs 
de  lys  d'or  ;  l'ordonnance  de  1689  créa  un  pavillon  bleu  traversé  d'une 
croix  droite  blanche  et  chargé  également  des  armes  de  France. Un  troi- 
sième, d'usage  plus  courant  sans  doute,  était  constitué  par  sept  bandes 
horizontales, alternativement  blanches  et  bleues  ;  enfin  il  faut  mentionner 
un  certain  nombre  de  pavillons  locaux  dont  l'emploi  était  général.  La 
marine  de  guerre  seule,  avons-nous  dit,  pouvait  arborer  le  pavillon  et  la 
flamme  de  couleur  blanche  unie.  La  grande  enseigne  royale  était  blan- 
che, chargée  des  armes  de  France  et  semée  de  fleurs  de  lys  d'or  ;  elle 
était  réservée  au  vaisseau  qui  avait  le  Roi  à  son  bord.  —  V.  les  plan- 
ches de  la  Grande  Encyclopédie. 


254  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   VI 

ment  de  l'imposante  flolle  de  guerre  de  M.  de  la  Haye,  en- 
tièrement effectué  d'ailleurs  par  la  marine  royale  (1). 

La  Compagnie  devait  lui  adjoindre  trois  navires,  dont  elle 
protégerait  efficacement  le  voyage  (2)  ;  M.  de  la  Haye  partit  de 
la  Rochelle  le  29  mars  1670,  et  le  11  avril,  le  Dauphin-Cou- 
ronné, le  Vautour  et  le  Phénix  partirent  de  Lorient  et  sans 
doute  le  rejoignirent  en  mer.  On  sait  quelle  fut  la  destinée 
de  «  l'Escadre  de  Perse  »,  comme  l'appelait  Colbert  ;  après 
avoir  efficacement  servi  nos  intérêts  par  sa  seule  présence 
dans  les  eaux  de  l'Inde,  elle  bombarda  San-Tliomé  qui  fut 
prise;  puis,  amoindrie  par  le  renvoi  en  Europe  de  plusieurs 
de  ses  vaisseaux  et  la  perte  de  trois  autres,  capturés  par  les 
Hollandais  (3),  fatiguée  par  son  trop  long  séjour  dans  l'Océan 
Indien,  elle  ne  put  défendre  cette  conquête,  et  celte  campa- 
gne eut  une  issue  désastreuse  (4). 

En  1671,  la  Compagnie  fit  à  son  tour  un  grand  effort  :  elle 
avait  déjà  renoncé  à  Madagascar,  et  ses  navires  avaient  même 
l'ordre  de  n'y  plus  relâcher  ;  mais  Surat  prospérait  et  de 
nouveaux  comptoirs  se  fondaient  dans  l'Inde  :  Lorient  vit 
partir  le  Saint-Jean,  le  Saint-Louis  et  l' A'spd'rance  ;  Nantes  le 
Saint-Denis  et  la  Rochelle  le  Saint-Esprit. 

L'année  suivante,  il  est  vrai,  il  n'y  eut  que  deux  départs  : 
ceux  du  Saint-Robert  et  d'un  nouveau  navire  :  le  Soleil  d'O- 


(1)  Celle  ilotte  que  commandait  le  chef  d'escadre  de  Turelles  com- 
prenail  5  vaisseaux  :  la  Navarre,  1.000  tonneaux,  56  canons  ;  le  Triom- 
phe, 900  tonneaux,  50  canons  ;  le  Flamand,  700  tonneaux,  45  canons  ;  le 
Jules,  500  tonneaux,  36  canons  ;  le  Bayonnnis,  500  tonneaux,  34  ca- 
nons ;  la  frégate  la  Diligente,  et  3  flûtes  de  300  tonneaux  :  VEurope, 
\' Indienne  et  la  SitUane. 

(2)  Instructions  à  M.  de  la  Haye,  4  décembre  1669,  Clément,  op.  cit. 

(3)  VEurope,  le  Flamand,  le  Phénùv  (navire  de  la  Compagnie). 

(4)  L'escadre  se  dispersa  avant  la  chute  de  la  ville  :  elle  n'est  nulle- 
ment visée  dans  les  clauses  de  la  capitulation.  V.  Fr.  Martin  :  Mémoires. 


xMARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  255 

rient,  coiislruit  à  Lorient  ;  par  contre,  la  Compagnie  eut  trois 
retours  importants  :  la  Couronne,  VAigle-d'Or  et  le  Dauphin- 
Couronné. 

La  guerre  de  Hollande  s'ouvrit  sur  ces  entrefaites,  et  le 
résultat  de  cet  état  de  choses  nouveau  se  fit  aussitôt  sentir: 
les  armements  devinrent  rares,  plus  rares  encore  les  retours. 
En  décembre  1672,  la  Compagnie  armait  2  navires  à  Lorient 
et  un  au  Havre,  mais  leur  départ  fut  suspendu  par  les  hostili- 
tés ;  il  n'en  partit  aucun  au  cours  de  l'année  1673,  et  au  début 
de  1674  un  seul  d'entre  eux,  le  Blancpignon,  prit  la  mer,  avec 
l'ordre  de  rejoindre  sur  la  côte  de  Mozambique  le  Soleil  d'O- 
rienl  qui,  parti  deux  années  auparavant,  avait  dû  suspendre 
son  voyage,  après  avoir  perdu  par  les  maladies  tout  son 
équipage  (1).  L'année  suivante,  on  mit  en  mer  encore  la  flûte 
l'Heureuse,  mais  ce  fut  là  le  dernier  effort  fait  par  la  Compa- 
gnie jusqu'à  la  fin  de  cette  première  période  de  guerre,  et  il 
n'y  eut  aucun  départ  jusqu'à  Tannée  1679  qui  ramena  la  paix. 
Les  retours  furent  naturellement  aussi  peu  satisfaisants, 
d'ailleurs  la  mer  des  Indes  était  depuis  la  chute  de  San-Thomé 
au  pouvoir  des  Hollandais  qui  ruinaient  nos  comptoirs  les 
uns  après  les  autres.  Quelles  opérations  commerciales  eût  pu 
y  poursuivre  la  Compagnie  ? 

Aussi  ne  reçut-elle  aucun  navire  en  1673  ;  en  1674,  elle  vit 
revenir  le  Vautour,  en  1675  le  Blancpignon  qui  lui  apporta 
la  nouvelle  de  la  reddition  de  San-Thomé,  en  1676  Y  Heureuse  ; 
ces  trois  voyages  furent  rapides,  car  on  écourtaitavec  raison 
le  séjour  dans  l'Inde  ;  puis,  la  guerre  étant  en  pleine  activité 
en  Europe,  tous  nos  comptoirs  détruits  ou  pris  en  Asie,  les 
années  suivantes  virent  une  cessation  complète  du  com- 
merce de  la  Compagnie. 

(1)  Demis,  t.  I. 


2î)6  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VI 

Ce  fut  pour  elle  un  coup  sensible,  une  blessure  qui  ne  se 
cicatrisa  pas  ;  lorsque  la  paix  de  Nimègue  fut  signée,  sa  flotte 
était  désorganisée  ;  elle  s'était  défaite  de  huit  de  ses  vaisseaux 
devenus  inutiles  et  coûteux  :  le  Saint-Paul,  le  Saint- François, 
YEspérance,  le  Dauphin-Couronné,  le  Sainl-Jacques,  \e  Saint- 
Robert,  la  Satisfaction  (200  tonneaux)  et  VOccasion  (100  ton- 
neaux) ;  huit  autres  étaient  en  fort  mauvais  étal  dans  les 
ports  :  la  Force,  laMane,  VAigle-d'Or  et  la  Paix  au  Havre,  la 
Couronne,  V Hirondelle  (100  tonneaux),  le  Pinçon  (300  ton- 
neaux) à  Lorient,  et  le  Saumaque  à  la  Rochelle  (1).  Dès  le 
retour  de  la  paix  cependant,  la  Compagnie  reprit  ses  opéra- 
lions  interrompues,  et  l'année  1679  vit  l'arinement  du  Soleil 
d'Orient,  mais  ce  premier  effort  fut  malheureux  :  ce  navire 
alla  jusqu'à  Bantam,  où  la  Compagnie  avait  alors  un  comp- 
toir, y  chargea  une  cargaison  de  poivre  et  reçut  du  Vautour 
qui  revenait  du  Siam  les  ambassadeurs  que  le  roi  de  ce  pays 
envoyait  avec  des  présents  à  Louis  XIV,  puis  il  se  perdit 
corps  et  biens  pendant  le  voyage  de  retour.  «  Ce  vaisseau, 
fut-il  déclaré  à  l'assemblée  des  actionnaires  du  17  avril  1684, 
n'a  plus  donné  de  ses  nouvelles  ;  il  est  supposé  péri  (2).  » 

En  1681,  Lorient  arma  le  Président  et  le  Blancpignon  et  ces 
deux  navires  revinrent  de  conserve  et  sans  incident  l'année 
suivante  ;  en  1682,  la  Royale  et  V Heureuse  partirent  à  leur 
tour;  en  1683^  le  Saint-François-d' Assise  (3)  ;  les  mouvements 
semblaient  reprendre  ainsi  une  régularité  satisfaisante,  car 
ces  vaisseaux  revinrent  de  Pondichéry  el  de  Surat  avec  des 
cargaisons  convenables  en  1683  et  1684. 

(1)  Ibidem.  11  ne  mentionne  pas  quelques  autres  vaisseaux  que  la 
Compagnie  avait  alors  dans  l'Ocëan  Indien,  el  qui  revinrent  les  années 
suivantes. 

(2j  Demis,  t.  I. 

(3)  Ce  navire  fut,  semble-l-il,  affrété  par  la  Compagnie. 


MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES 


25) 


En  celle  dernière  année,  la  Compagnie  dul  s'avouer  que 
sa  situation  était  grave  :  elle  n'avait  à  son  bilan  que  218.000 
livres  d'effets  et,  par  contre;  une  dette  d'un  million  de  livres 
à  Surat  !  au  lieu  des  "26  vaisseaux  que  comptait  sa  flotte  en 
1675,  elle  n'en  possédait  plus  que  11  (1).  Pour  trouver 
quelque  argent,  elle  venait  de  vendre  au  Roi  ses  magasins 
du  Havre,  et  pour  l'armement  en  cours  elle  jugea  plus  avan- 
tageux d'affréter  trois  navires  à  Saint-Malo,  que  d'acheter 
ceux  qui  lui  faisaient  défaut  :  ils  partirent  de  Brest  le  2  avril 
1684  (2). 

En  1687,  le  Roi  lui  vint  en  aide  pour  en  armer  trois  autres  : 
VOriflamme,  le  Lonray  elle  Saint-Nicolas;  ces  navires  se 
joignirent  à  la  flottille  qui  emmenait  les  ambassadeurs  du 
Roi  au  Siam  et  le  petit  corps  de  troupe  qui  devait  occuper 
Bangkok  et  Merguy  (3).  Ce  furent  encore  eux,  qui  après  l'é- 
chec de  cette  entreprise  en  ramenèrent  les  acteurs  à  Pondi- 
chéry.  Le  Lonray  et  le  Saitit-Mcolas  revinrent  désarmer  à 
Lorient  en  1691  ;  mais  VOri/lamme,  comme  jadis  le  Soleil 
d'Orient,  disparut  sur  la  roule  du  retour. 

La  guerre  avait  repris  en  1689  et  celle  fois  nous  avions 
contre  nous  deux  puissantes  nations  maritimes  :  la  Hollande 
et  l'Angleterre  ;  la  Compagnie  en  connut  aussitôt  les  incon- 
vénients, car  deux  navires  partis  de  Lorient  au  début  de 
1689,  le  Coche  et  la  Normande,  furent  capturés  par  une  flotte 
anglo-hollandaise  dans  les  parages  du  cap  de  Bonne-Espé- 
rance :  ce  fut  une  perte  de  3  millions  !  Instruite  par  cette  expé- 
rience, elle  inaugura  dès  lors  une  conduite  plus  prudente,  et 


(1)  Elle  en  avait  compté  16  dès  l'année  1666. 

(2)  Demis,  t.  l. 

(3)  Cette  expédition  comprenait  en  outre  trois  vaisseaux  de  la  Com- 
pagnie et  deux  frégates  delà  marine  royale.  V.  suprà,  p.  178. 

w.  -  Il 


258  DEUXIÈME    PARtIE.     —   CHAPITRE    VI 

réunit  ses  envois  trop  espacés  jusque-là,  en  petites  escadres 
bien  armées  et  bien  commandées. 

La  première  partit  de  Lorient  en  1690  sous  le  commande- 
ment du  capitaine  de  vaisseau  Duquesne  ;  elle  comptait  six 
navires  :  l'Oiseau,  le  Gaillard,  le  Florissant,  VEcueil,  le  Lion  et 
le  Dragon  ;  elle  avait  une  double  mission  :  faire  la  chasse  aux 
vaisseaux  des  deux  Compagnies  ennemies  et  prendre  chargea 
Pondichéry  et  au  Bengale.  A  l'île  d'Anjouan  (1),  elle  rencontra 
un  bâtiment  de  la  Compagnie  anglaise  qui  accepta  le  combat, 
se  défendit  vaillamment  et  coula  sans  s'être  rendu  ;  à  la 
hauteur  de  Geylan  on  réussit  mieux  avec  une  flûte  hollan- 
daise de  800  tonneaux  qui  fut  amarinée  ;  puis  Duquesne  fit 
contre  Madras  la  tentative  audacieuse  mais  indécise  que  nous 
avons  rapportée,  et  après  avoir  chargé  ses  navires  à  Balasor, 
où  l'on  brûla  un  autre  vaisseau  hollandais  et  à  Pondichéry, 
il  fit  voile  pour  la  France  à  la  fin  de  l'année  1690.  La  Com- 
pagnie le  reçut,  parait-il,  assez  mal,  et  l'on  trouva  que  cette 
campagne  aurait  pu  être  plus  utile  (2). 

En  1691 ,  il  n'y  eut  au  printemps  aucun  départ,  car  le  précé- 
dent effort  avait  étégrand,  et  la  guerre  était  en  pleine  activité. 
On  mit  seulement  en  route  en  novembre  une  prise  anglaise 
h^'^ii^éele  Postillon- des- Indes.  La  Compagnie,  dit  François 
Martin,  «  n'avait  pas  jugé  à  propos,  et  bien  prudemment,  de 
risquer  une  somme  considérable  sur  ce  vaisseau  ».  Il  ne 


(1)  Lorsque  les  vaisseaux  de  la  Compagnie  n'eurent  plus  à  toucher 
à  Forl-Dauphin,  ils  semblent  avoir  pris  riiabitude  de  passer  par  le  canal 
de  Mozambique  :  comme,  la  plupart  du  temps,  lorsqu'ils  parlaient  de 
France  en  convoi,  ils  se  perdaient  de  vue  dès  les  premiers  jours  de  la 
traversée,  l'île  d'Anjouan  servait  de  rendez-vous,  où  le  premier  arrivé 
attendait  les  autres,  puis  le  départ  se  faisait  de  conserve  pour  la  côte 
indienne. 

(2)  Mi'iiioircs  (le  François  Mari  in. 


MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  2o9 

portail  en  effet  que  dix  caisses  de  corail  et  quinze  barriques 
d'eau -de- vie  ! 

L'année  suivante  fut  marquée,  au  contraire,  par  l'envoi 
d'une  seconde  escadre  sous  les  ordres  du  capitaine  de  fré- 
gate Dandenne(l);  elle  comprenait  quatre  bâtiments  :  le  Fen- 
dant, le  Flo7'issant,  le  Lonray  et  VEcueil,  et  avait  même  mis- 
sion que  celle  de  1690  :  elle  fut  de  même  marquée  par  deux 
affaires:  à  la  hauteur  du  cap  de  Bonne-Espérance,  l'^ci^eiV 
mit  hors  de  combat  le  Samuel  de  la  Compagnie  anglaise  (2), 
et  près  de  la  côte  indienne,  on  captura  la  flûte  V Elisabeth  de 
la  même  Compagnie. 

Lorient  vit  de  son  côté  revenir  le  Postillon-des- Indes. 

Les  menaces  que  les  Hollandais  manifestaient  depuis  le 
début  de  la  guerre  contre  nos  comptoirs  de  l'Inde  furent 
mises  à  exécution  en  1693,  et  l'on  sait  comment  elles  le 
furent  :  la  Compagnie  qui  avait  envoyé  à  Pondichéry  le  Gail- 
lard, s'estima  fort  heureuse  qu'il  eût  échappé  à  leurs  croi- 
seurs. Elle  eut  moins  à  se  féliciter  de  l'envoi  de  la  frégate  le 
Cerf-Volant,  partie  de  Lorient  en  septembre  1692:  le  vais- 
seau de  guerre  qui  l'escortait  l'ayant  abandonnée  trop  tôt, 
elle  fut  capturée  par  un  corsaire  de  Flessingue. 

La  chute  de  Pondichéry  ne  semble  pas  avoir  détruit  la  ré- 
gularité des  opérations  de  la  Compagnie,  elle  envoya  seule- 
ment ses  navires  à  Surat,  bien  déchu  cependant  ;  ce  furent  en 
1694:  le  Pontcharlrain  et  les  Jeux,  en  1696  le  Poslillon-des- 
Indes  et  en  1697  le  Phélypeaux  eiVEtoile-d' Orient.  Elle  reçut, 
d'autre  part,  3  navires  en  1694  et  trois  autres  en  1697.  En  cette 

(1)  l.a  Compagnie  consacra  à  cet  armement  1.200.000  livres  :  moitié 
pour  Pondichéry,  moitié  pour  Sural. 

(2)  Comme  il  ne  put  l'emmener,  il  se  contenta  d'exiger  une  lettre  de 
change  de  200  livres  sterling  sur  Surat  et  de  jeter  ses  canons  et  ses 
armes  à  la  mer. 


260  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VI 

dernière  année  néanmoins, les  Directeurs  durentannoncer  aux 
actionnaires  réunis  le  2  juillet  que  les  opérations  n'avaient 
point  été  avantageuses  :  la  perte  du  Coche,  de  la  Normande 
et  du  Cerf-Volant  s'ajoutant  à  celle  de  Pondichéry  était  un 
désastre.  On  avait  fait  cinq  envois  aux  Indes,  dont  on  n'a- 
vait eu  que  trois  retours,  et  ceux-ci  n'avaient  pas  été  suffi- 
sants pour  solder  les  engagements  pris  ;  on  avait  été  ainsi  en 
découvert  de  2  à  3  millions  de  livres  (1).  Il  était  resté  aux 
Indes  cinq  navires  :  le  Gaillard,  VEcueil,  les  Jeux,  le  Pontchar- 
train,  et  le  Lonray  ;  quant  au  Florissant,  il  était  revenu  sur 
lest  (2). 

La  paix  de  Ryswick  améliora  celle  situation  :  la  mer  rede- 
vint libre  et  Pondichéry  que  la  Compagnie  croyait  définitive- 
ment perdu  lui  fut  rendu  embelli  et  fortifié.  Dès  ce  moment,  il 
y  eut  chez  elle  une  recrudescence  d'activité  que  nous  avons 
déjà  signalée  (3). 

(1)  Pareille  chose  faillit  lui  arriver  pour  les  retours  de  l'année  1697. 
Elle  reçut,  en  effet,  l'avis  que  les  trois  vaisseaux  qu'elle  attendait,  et  que 
commandait  M.  de  Serquigny,  reulreraient  sans  chargement,  le  Grand- 
Mogol  ayant  fermé  les  ports  de  l'Inde  au  commerce  européen.  On 
apprit  heureusement  que  cette  nouvelle  était  fausse.  Demis,  t.  I. 

(2)  Rapport  à  l'assemblée  générale  du  2  juillet  1G97,  Demis,  t.  I. 

(3)  Cf.  sur  cette  période:  Jégou,  «  Lorient,  arsenal  royal  >;,  Revue  ma- 
ritime, 1880-1882-1883.  La  Compagnie  protesta  à  ce  moment  contre  la 
présence  de  la  marine  royale  dans  son  port  ;  Ponlcharlrain  songea  à  l'en 
déposséder  et  lui  offrit  en  échange  Indret,  qui  avait  déjà  attiré  l'attention 
de  Colbert  en  1665,  le  golfe  du  Morbihan  ou  Lockmariaker  :  des  plans 
furent  faits  et  des  sondages  exécutés,  mais  la  Compagnie  ne  consentit 
point.  Le  ministre  décida  ensuite  de  construire  à  Lorient  même  un 
arsenal  particulier  pour  la  marine  du  Roi,  mais  la  pénurie  du  Trésor  ne 
le  permit  point.  En  1700,  le  navire  armé  par  la  Compagnie  de  la  Chine 
VAmphitrite  vint  désarmer  à  Lorient  après  sa  première  campagne  :  la 
Compagnie  des  Indes  voulut  s'y  opposer,  mais  le  ministre  intervint  en 
faveur  de  la  première.  En  1699,  la  Compagnie  de  Saint-Domingue 
s'était  également  installée  à  Lorient  (V.  Jégou). 


MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES 


261 


Dès  l'année  1698  elle-même,  elle  mit  en  mer  le  Pontchar- 
train,  la  Princesse-de- Savoie,  et  le  Poslillon-des-Indes  qui, 
arrivé  en  juin,  réarma  aussitôt  et  partit  en  octobre. 

En  1699  partirent  à  leur  tour  la  Toison-d'Or,  le  Maurepas  (1), 
le  Florissant  et  ï Aurore,  et  Lorient  reçut  trois  autres  navires  : 
la  Princesse-de- Savoie,  le  Phélypeaux,  et  VEtoile-d'' Orient. 

Même  activité  en  1700  :  le  I  hélypeaux,  la  P er le- d' Orient,  le 
Saint-Louis,  et  l'^^oiVe-d'Onen^  partirent  pour  Pondicliéry  :  le 
Maurepas,  V Aurore,  la  Toison-d'Or  et  le  Marchand-des- Indes 
en  revinrent  bien  chargés. 

En  1701,  départ  du  Maurepas,  du  Pondichéry,  de  la  Prin- 
cesse-de-Savoie, du  Bourbon  et  du  Marchand-des-Indes  ;  retour 
de  Y Etoile-d' Orient,  de  la  Perle-d' Orient  et  du  Phélypeaux. 

Les  premières  hostilités  de  la  guerre  de  Succession  d'Es- 
pagne qui  devait  être  si  funeste  à  la  Compagnie  n'arrêtèrent 
point  ces  mouvements,  et  l'année  1702  vit  partir  la  Toison 
d'Or,  V Etoile-d' Orient  et  le  Saint-Louis,  et  rentrer  six  bâti- 
ments :  le  Ponlchartrain,  le  Pondichéry,  le  Maurepas,le  Bour- 
bon, la  Princesse-de-Savoie  et  le  Marchand-des-Indes .  Ce  re- 
marquable résultat  fut  malheureusement  le  dernier  éclat  jeté 
par  la  Compagnie. 

L'armement  de  1703  fut  en  effet  réduit  à  un  seul  navire  :  le 
Marchand-des-Indes,  et  sur  trois  navires  partis  de  Pondi- 
chéry l'année  précédente  :  le  Saint- Louis, là  Toison-d'Or  et  l'^- 
toile-d'Orie7ît,\es  deux  premiers  seuls  parvinrent  à  Lorient,  car 
le  dernier  fut  pris  sur  la  côte  même  de  Bretagne  par  une  esca- 
dre anglaise,  et  celte  perle  anéantit  les  profits  de  l'expédition. 

Dès  lors  la  Compagnie  renonça  à  exploiter  par  elle-même 

(1)  (rétait  un  vaisseau  de  40  canons  acheté  récemment  à  l'Etat.  La 
même  année  la  Compagnie  meltailà  l'eau  h  Perle-d'Orient  et  en  chan- 
tier le  Héros,  elle  comptait,  on  le  voit,  soutenir  cette  prospérité  nou- 
velle. 


262  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VI 

le  commerce  des  Indes  et  ses  mouvements  maritimes  ne  fu- 
rent en  réalité  entretenus  que  par  les  négociants  malouins  : 
sa  flotte  devenue  inutile  fut  dispersée  :  elle  réussit  à  vendre 
au  Roi  quatre  de  ses  plus  beaux  navires:  le  Bourbon,  le  Phé- 
lypeaux,  V Aurore  et  la  Princesse-de-Savoie,  dont  il  fil  des  brû- 
lots et  lui  laissa  occuper  Lorienl  moyennant  un  loyer  de 
5.000  livres. 

Des  traités  annuels  provoquèrent  depuis  lors,  et  jusqu'en 
1719,  l'armement  d'un  certain  nombre  de  navires  que  la  Com- 
pagnie fournissait  parfois,  sur  lesquels  elle  prenait  ordinai- 
rement intérêt  et  que  les  Malouins  se  chargèrent  de  conduire 
aux  Indes  avec  une  audace  que  toujours  un  égal  bonheur 
récompensa. 

Lorient  tomba,  malgré  ces  allées  et  venues,  dans  une  pro- 
fonde détresse  dont  il  ne  sortit,  comme  la  Compagnie  elle- 
même,  qu'en  1719.  Depuis  la  mort  de  M.  de  Boisanger(1704), 
celle-ci  n'y  était  plus  représentée  que  par  un  simple  corres- 
pondant, le  sieur  Verdier,  que  secondaient  quelques  em- 
ployés ;  le  commissaire  de  la  marine  Le  Mayer  était  chargé, 
du  consentement  du  roi,  de  veiller  sur  ses  intérêts  d'ordre 
supérieur.  La  plupart  de  ses  anciens  officiers  servaient  dans 
la  marine  royale  ou  sur  les  corsaires  malouins,  ses  magasins 
étaient  vides,  el  les  Malouins  construisaient  pour  leur  propre 
compte  des  bâtiments  de  course  sur  ses  chantiers  de  Caudan. 
Jusque-là  cette  création  de  la  Compagnie  des  Indes  avait  donc 
assez  mal  justifié  la  fière  devise  qu'elle  avait  reçue:  «  Ab 
Oriente  refulget  »  (1). 


(i)  Nous  mentionnerons  seulement  les  relations  de  Lorienl  avec  les 
Indes  au  cours  de  cette  dernière  période  (1704-1710),  qui  n'appartien- 
nent qu'en  partie  à  l'Iiistoire  de  la  Compagnie. 

En  1704,  armement  du  Sainl-Louis  et  de  V Aurore. 


MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES   ORIENTALES  263 

En  1705,  armeiiieiiL  du  Maurepas  et  de  la  Toison-d'Or,  retour  du 
Saint-Louis  et  de  ['Aurore. 

En  1706,  armement  du  Saint-Esprit,  du  Saint-Joseph,  du  Baron-de- 
Breteuil. 

En  1708,  retour  du  Maurepas  et  de  la  Toison-d'Or. 

En  1709,  retour  du  Saint-Louis. 

En  1710,  armement  du  Maurepas,  du  Lys-Brillac,  du  Françoiii-d'Ar- 
gouges,  de  VAuguste  ;  retour  du  Français,  du  Glorieux,  du  Comte-de- 
Lamoignon,  du  Diligent,  du  Ma/o,  du  Jean-Baptiste,  de  la  Bien- Aimée. 

En  1711,  armement  du  Saint-Louis,  de  la  Prospérité-de-Zélande,  du 
Chancelier,  du  Jean-Baptiste,  du  Français. 

En  1713,  armement  de  Vlmpudent,  de  la  Madeleine  et  du  Martial 
(à  la  nouvelle  Compagnie  de  la  Chine)  ;  retour  du  Maurepa'^,  du  Fran- 
çois-d'Ar  gouges,  de  TAw^ziSfe,  du  Lys-Brillac. 

En  1713,  armement  du  Lys-Brillac,  de  I'^m^ms^^. 

En  1714,  armement  du  Mercure,  delà  Venws,  du  Chasseur;  retour  du 
Lys-Brillac,  de  l'/lîi.gîi.sie,  des  Deux-Couronnes. 

En  1715,  armement  de  l'A«<gri/.sfe,  retour  du  Saint-Louis. 

Eu  1716,  retour  du  ilierc«/'e,  de  la  Wnws,  du  Chasseur,  de  l'Atigiusie, 
de  la  Paia;. 

En  1717,  armement  de  la  Comtesse- de-Pontchartrain,  du  Comte-de- 
Toulouse  . 

On  voit  que  si  la  Compagnie  des  Indes  restait  inactive,  ni  la  guerre 
ni  la  misère  générale  du  royaume  n'arrêtèrent  les  Malouins  qui  firent 
presque  tous  ces  armements.  {D'après  la  Collection  des  lettres  du  Mi- 
nistre, aux  Archives  de  l'Arsenal  de  Lorient.) 


CHAPITRE  VII 

ORGANISATION    FINANCIÈRE    DE    LA    COMPAGNIE    DES 
INDES    ORIENTALES. 


Composition  de  son  capital.  —  Actions,  souscription,  versements.  — 
Subventions  du  Roi.  —  Quel  chiffre  ce  capital  atteignit-il  en  réa- 
lité ? —  Réformes  de  1675  et  de  1684.  —  Appels  de  fonds,  prêts 
consentis  par  le  Roi.  —  Intérêts  servis  aux  actionnaires.  —  Emprunts 
pour  les  armements  annuels.  —  Détresse  finale. 


Une  dernière  partie  nous  reste  à  étudier  pour  achever  l'his- 
toire de  la  Compagnie  fondée  par  Colberl,  c'est  son  organi- 
sation financière,  élude  fort  intéressante  d'ailleurs,  car  cette 
Compagnie  est  certainement  l'un  des  premiers  organismes 
dont  le  fonctionnement  ail  préparé  celui  des  grandes  sociétés 
financières  modernes.  Le  capital  qui  devait  alimenter  son 
commerce  ne  fut  point  fixé  d'une  façon  très  formelle  par  ses 
statuts.  L'on  a  vu  que  Charpentier  estimait  nécessaire  une 
somme  de  six  à  sept  millions  de  livres  (1),  mais  ce  chiffre 
parut  bientôt  insuffisant.  Les  Articles  proposés  au  Roi  parles 
neuf  commerçants  qui  furent  en  celle  œuvre  les  collabora- 
teurs du  ministre  ne  tranchèrent  poini  la  question  et  l'on  y 
sollicita  seulement  le  Roi  de  faire  l'avance  du  cinquième  de 
ce  capital,  qu'on  ne  fixait  point  et  dont  très  probablement 
on  lui  laissait  ainsi  la  détermination  (a.  AXXIl  des  Arlicles)- 

(1)  Charpentier,  Discours  d'un  fidèle  sujet  du  Roi. 


FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  265 

Effectivement,  le  Roi  aposlilla  cette  demande  d'une  façon 
explicite:  «  Jusqu'à  la  somme  de  trois  millions  de  livres, 
écrivit-il  en  marge  de  cet  article,  qui  est  un  cinquième  de  la 
somme  de  quinze  millions  à  laquelle  est  fixé  le  capital  de  la 
Compagnie.  » 

La  réserve  dans  laquelle  s'étaient  tenus  les  promoteurs  de 
l'entreprise  se  comprend  fort  bien,  car  ce  capital  ne  devait 
représenter  «  que  la  dépense  des  trois  premiers  armements 
et  cargaisons  »  (1)  et  l'importance  de  ceux-ci  était  laissée  par 
eux  à  la  discrétion  du  gouvernement  royal. 

Cette  apostille  du  Roi  fixa  donc  le  montant  du  capital  de  la 
Compagnie  :  elle  fut  reproduite  dans  les  mêmes  termes  par 
la  Déclaration  du  mois  d'aoùi  {article  XLV). 

C'était  là  une  somme  considérable  pour  cette  époque,  car 
elle  correspondait  à  peu  près  à  24  millions  de  francs  de  noire 
monnaie  actuelle  (2)  et  les  deux  Compagnies  étrangères  n'en 
avaient  point  eu  davantage  à  leurs  débuts,  car  la  Compagnie 
d'Amsterdam  s'était  constituée  avec  6.600.000  florins,  et  la 
société  de  Londres  avec  30.000  livres  sterling  (3)  seulement. 

Ce  capital  fut  fractionné  en  quinze  mille  parts  ou  actions 
de  1.000  livres  chacune  :  il  ne  pouvait  être,  fut-il  expressé- 
ment déclaré,  diminué  parla  retraite  de  leurs  titulaires,  aussi 
était-il  interdit  à  la  Compagnie  de  les  rembourser  en  aucun 


(1)  A.  XXXII  des  Articles. 

(2)  M.  d'Avenel  évalue  la  valeur  de  la  livre  tournois  pour  la  période 
1651-1675  à  1  fr.  63.  Il  faut  ajouter  que  le  pouvoir  d'acquisition  des 
métaux  précieux  était  à  cette  époque  à  peu  près  double  de  celui  qu'ils 
possèdent  actuellement.  Donc  cette  somme  de  15  millions  représentait 
entre  25  et  30  millions  d'aujourd'hui. 

(3)  Sous  Elisabeth  la  livre  sterling  valait  environ  8  livres  tournois, 
et  celle-ci  valait  à  celle  époque  o  fr.  10  de  notre  monnaie  actuelle  :  ce 
capital  représentait  donc  environ  240.000  livres  tournois  ou  744.000 
francs  seulement. 


266  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VII 

cas,el  lesacLioiinaires  ne  pouvaient  se  défaire  de  leurs  litres 
qu'en  les  cédant. 

Charpentier  nous  fournit  sur  ceux-ci  d'intéressants  détails  : 
«  Quand  on  a  remis  l'argent  entre  les  mains  du  caissier,  dit-il, 
il  en  délivre  une  quittance  en  parchemin  signée  de  lui  »,  et 
celte  quittance,  revêtue  également  de  la  signature  de  deux  Di- 
recteurs Généraux,  enregistrée  sur  le  Grand-Livre,  et  portant 
au  verso  le  numéro  du  feuillet  de  celui-ci,  où  l'enregistrement 
se  trouvait  consigné,  constituait  précisément  Yaction.  «  Elle 
est  ainsi  nommée,  ajoute  notre  auteur,  parce  qu'en  vertu  de 
cette  même  quittance  le  propriétaire  a  son  action  sur  les  effets 
de  la  Compagnie  comme  intéressé  ».  Elle  était  enfin  portée 
sur  un  registre  spécial  de  la  comptabilité  de  la  Compagnie,  le 
*  Livre  des  Actions  »,  où  se  trouvaient  ainsi  inscrits  «  tous 
les  titres  des  particuliers  et  les  sommes  pour  lesquelles  ils 
sont  intéressés.  »  Autant  qu'il  est  permis  d'en  juger,  ces  titres 
étaient  donc  nominatifs  ;  ils  étaient  divisibles  en  deux  cou- 
pons d'une  demi-action,  soit  500  livres,  mais  on  ne  put  sous- 
crire à  rémission  pour  moins  d'une  action  entière. 

La  souscription  fut  ouverte  dès  la  ratification  des  Articles 
par  le  Roi,  c'est-à-dire  dès  le  début  du  mois  de  mai  1664  ; 
quant  au  paiement  des  actions  souscrites  il  fut  divisé  en  trois 
versements  d'un  tiers  :  le  premier  devait  être  fait  comptant, 
afin  qu'on  pût  avec  son  produit  faire  le  premier  armement  ; 
le  second  devait  l'être  en  décembre  1665  ;  le  troisième  en 
décembre  1666  ;  à  cette  date  les  actions  devaient  être,  suivant 
l'expression  moderne,  entièrement  libérées. 

Mais,  en  fait,  l'émission  n'eut  point  lieu  comme  les  statuts 
l'avaient  réglée,  ni  pour  la  souscription  ni  à  plus  forte  raison 
pour  les  versements,  et  la  réalité  fut  beaucoup  moins  avan- 
tageuse pour  la  Compagnie. 

Nous  avons  longuement  raconté   la   curieuse  campagne 


FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  267 

conduite  par  Colbert,  nous  n'y  reviendrons  point:  on  a  vu 
combien  la  rentrée  de  ce  capital  offrit  de  difficultés,  com- 
ment à  la  liberté  qui  devait  présider  à  la  souscription  fut 
substituée,  en  fait,  une  contrainte  plus  ou  moins  déguisée 
suivant  les  circonstances.  Malgré  quelques  enthousiasmes 
très  localisés,  malgré  les  mesures  coercitives  de  Colbert,  on 
souscrivit  sans  entrain,  on  réalisa  sa  souscription  avec  moins 
d'entrain  encore. 

Le  Roi  était  mis  à  contribution  dans  une  assez  importante 
mesure  :  sa  part  représentait  la  subvention  de  l'Etat,  qui 
était  en  cette  occurrence  à  la  fois  nécessaire  et  légitime.  Ce 
fut  lui  qui  se  montra,  d'ailleurs,  le  plus  exact  à  remplir  ses 
engagements  ;  Colbert  comptait  sur  son  exemple  pour  en- 
traîner les  particuliers,  mais  il  n'y  réussit  pas. 

La  souscription  royale  était  du  cinquième  du  capital,  soit 
trois  millions  de  livres  :  elle  était  soumise  à  des  conditions 
particulières.  Il  devait  être  en  effet  versé  au  nom  du  souve- 
rain 300.000  livres  comptant,  puis  chaque  fois  que  le  total 
des  sommes  versées  par  les  particuliers  se  serait  accru  de 
400.000  livres,  une  nouvelle  somme  de  300.000  livres  lui 
devait  être  réclamée  par  la  Compagnie.  Il  est  facile  de  se 
rendre  compte  que  le  Roi  aurait  ainsi  entièrement  rempli 
ses  obligations  et  versé  les  trois  millions  promis  quand  les 
particuliers  auraient  de  leur  côté  fourni  3.600.000  livres. 
Or,  comme  le  premier  versement  d'un  tiers  devait  être  fait 
comptant,  c'est-à-dire,  espérait-on  fermement,  au  cours  de 
l'année  1664  elle-même,  la  Compagnie  serait  en  possession 
dès  cette  première  année  d'une  somme  de  5  millions  fournie 
par  les  particuliers  et  des  trois  millions  du  Roi,  soit  huit 
millions  au  total. 

Le  capital  ainsi  avancé  par  le  Roi  était  d'ailleurs  indépen- 
dant du  capital  social  proprement  dit  qui  devait  s'élever  sans 


268  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   VTI 

lui  aux  quinze  millions  prévus  (1).  Il  ne  lui  donnait  droil  à 
aucun  intérêt  et  devait  lui  être  remboursé  au  bout  de  dix  an- 
nées ;  enfin,  et  en  cela  résidait  une  des  principales  faveurs 
faites  à  la  Compagnie  par  le  gouvernement  royal,  toutes  les 
pertes  subies  par  elle  pendant  ces  dix  années  devaient  être 
défalquées  de  sa  dette  envers  le  Roi,  le  restant  seul  lui  se- 
rait dû  à  l'échéance  {a.  XLV  de  la  Déclar.). 

Le  Roi  paya  le  premier  et  ses  300.000  livres  furent  la  pre- 
mière somme  encaissée  par  les  Syndics  (2).  Ceux-ci  reçurent 
cependant  dès  le  début  un  assez  grand  nombre  de  souscrip- 
tions dont  beaucoup,  il  faut  le  reconnaître,  n'étaient  point 
librement  consenties  ;  mais  le  premier  versement  ne  s'effec- 
tua pas  d'une  façon  aussi  satisfaisante.  Au  lieu  des  8  millions 
attendus,  la  Caisse  ne  contenait  au  début  de  l'année  1665  que 
3.600.000  livres,  et  avec  ces  ressources  la  Compagnie  dut 
faire  face  aux  dépenses  de  la  première  expédition  (mars 
1665).  Les  souscriptions  s'élevaient,  il  est  vrai,  à  cette  date 
à  11  millions  de  livres,  tout  n'était  donc  pas  désespéré. 

En  fait,  le  chiffre  de  15  millions  de  livres  ne  fut  pas  atteint 
par  les  souscriptions  elles-mêmes  et  le  capital  encaissé  par  la 
Compagnie  fut  très  inférieur  à  cette  somme  (3).  Les  Directeurs 

(1)  Cela  ne  fut  pas  formellement  exprimé  et  celte  question  n'a  pas 
attiré  l'attention  des  auteurs.  Les  conditions  spéciales  dans  lesquelles 
cette  avance  était  faite,  son  remboursement  stipulé  au  bout  de  dix  ans, 
l'absence  d'intérêts,  ne  permettent  pas  d'en  douter.  D'ailleurs  JesArh'- 
cles  avaient  demandé  que  le  Roi  fit  ce  prêt  «  sans  même  vouloir  pren- 
dre part  à  la  Compagnie  »  [a.  XXXlll). 

(2)  Une  ordonnance  du  7  août  1664  prescrivit  au  garde  du  Trésor 
royal,  le  sieur  Jéhannot  de  Bartillat,  de  payer  comptant  cette  somme  au 
sieur  Hugues  Delabel,  caissier  de  la  Compagnie, 

(3)  Une  requête  de  la  Compagnie  au  Roi,  en  date  du  19  février  1667, 
reproduite  par  Demis,  donne  sur  la  constitution  du  capital  des  détails 
fort  différents  de  tout  cela.  Il  n'aurait  été  fixé  suivant  ce  document, 
qu'à  8.179.785  livres,  et  divisé  en  3  versements  du  tiers  soit  :  2.726.595 


FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES   ORIENTALES  269 

s'efforcèrent  d'obtenir  des  résultats  satisfaisants  avec  les 
ressources  qu'ils  avaient,  quelque  inférieures  qu'elles  fussent 
aux  prévisions  :  les  premiers  armements  furent  importants 
et  coûteux,  ils  firent  mettre  en  chantier  les  éléments  d'une 
flotte  nombreuse,  et  jetèrent  à  Lorienl  les  bases  d'un  arsenal 
et  d'un  port;  ils  n'étaient  point  cependant  sans  inquiétude 
pour  l'avenir  et  dans  une  requête  présentée  au  Roi  ils  firent 
valoir  leurs  efforts  et  sollicitèrent  sa  protection  (19  février 
1667). 

Le  Roi  avait  alors  fourni  une  somme  de  2  millions  de  livres  ; 
quant  aux  particuliers,  les  trois  versements,  qui  eussent  dû 
être  complètement  effectués  depuis  deux  mois  (décembre 
1666),  avaient  donné  les  résultats  suivants  : 

Le  premier  avait  fourni 2.468.396  livres. 

Le  second 704.333      — 

Le  troisième 24.000      — 

Les  particuliers  avaient  ainsi  fourni  au  total  3.1 96.729  livres! 
Un  second  mémoire,  adressé  par  la  Compagnie  à  Colbert 
quelques  mois  après  (9  juillet  1667),  confirmait  ces  résultats 
fâcheux,  caries  fonds  fournis  parles  intéressés  n'atteignaient 
encore  que  3.415.196  livres,  ce  qui  avec  les  2  millions  four- 
nis par  le  Roi  faisait  en  caisse  :  5.415.196  livres. 

Et  pendant  ce  temps  la  Compagnie  avait  fait  quatre  arme- 
ments dont  le  montant  se  décomposait  ainsi  : 
1"  armement  :  4  navires  en  mars  1665.    .    .       504.111  livres 
S"*  —  2      —      en  juillet  1665    .    .         59.195    — 

3*  —        10      —      en  mars  1666.   .    .    2.108.619    — 

4''  —  1      —     en  décembre  1666.         94.640    — 

soit  une  dépense  totale  de  2.766.565  livres,  et  il  est  bon  d'a- 

livres  chacun.  Quant  au  Roi,  il  n'aurait  promis  que  2  millions,  somme 
qu'il  versa  d'ailleurs  intégralement.  Le  chiffre  de  15  millions  n'aurait 
été  aiasi  dès  le  début  que  «  pour  la  façade  ». 


270  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITKE    VII 

jouter  que  son  premier  retour,  effectué  celte  même  année 
1657,  eut  un  résultat  nul,  le  Saint-Paul  étant  revenu  pour 
ainsi  dire  sur  lest,  et  que  la  catastrophe  de  la  Vierge-de-Don- 
Porl  lui  causa  une  première  perte  fort  importante. 

Mais,  en  dehors  même  de  ces  deux  circonstances,  les  arme- 
ments n'avaient  laissé  dans  la  caisse  de  la  Compagnie  à  la 
date  du  10  mai  1667  qu'une  somme  totale  de  2.649.893  livres  : 
le  capital  comprenait  encore,  il  est  vrai,  13  vaisseaux  en  mer 
et  14  en  chantier. 

Colbert  se  rendit  clairement  compte  de  la  gravité  de  cette 
situation  :  il  n'était  point  temps  de  cesser  les  mesures  de 
protection  qu'il  avait  déjà  prodiguées  à  la  Compagnie,  celle- 
ci  en  avait  plus  besoin  que  jamais. 

Un  arrêt  du  21  septembre  1668  enjoignit  en  conséquence 
aux  actionnaires  qui  n'avaient  point  versé  le  premier  tiers 
de  leur  souscription  d'effectuer  ledit  versement  dans  le  délai 
d'un  mois  (21  octobre)  ;  ils  devaient  en  outre  avoir  versé  le 
second  tiers  avant  le  15  novembre  suivant  et  le  dernier  avant 
le  15  janvier  1669.  Cette  intervention  eut-elle  le  résultat 
espéré?  Il  est  permis  d'en  douter;  en  tout  cas,  à  l'assemblée 
des  actionnaires  qui  se  tint  le  15  décembre  1668,  des  com- 
missaires furent  nommés  pour  examiner  l'état  des  affaires  de 
la  Compagnie,  et  en  rendre  compte  au  Roi,  et  cet  examen 
eut  pour  résultat  que  le  Roi,  sous  l'inspiration  de  Colbert, 
consentit  à  la  Compagnie  un  nouveau  prêt  de  2  millions, 
remboursable  comme  le  premier  au  bout  de  dix  ans  et  aux 
mêmes  conditions,  c'est-à-dire  sans  intérêts  et  avec  imputa- 
tion des  pertes  de  cette  période  sur  la  somme  exigible  au 
terme  fixé. 

Il  renlra  bien  quelques  fonds  sous  rintliiciice  do  l'arrêt  du 
21  septembre,  mais  celui-ci  contenait  une  niesure  critiquable 
qui  nuisit  fort  à  son  succès  ;  il  permettait  en  effet  aux  action- 


FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES   INDES    ORIENTALES  271 

naires  en  retard  de  se  retirer  de  la  Compagnie  en  lui  aban- 
donnant en  toute  propriété  leur  premier  versement;  c'était  là 
d'abord  une  grave  dérogation  aux  statuts  qui  avaient  voulu 
rendre  impossible  toute  diminution  du  capital  par  le  retrait 
des  actionnaires;  puis  un  certain  nombre  de  ceux-ci  virent 
dans  cette  proposition  la  menace  d'une  contrainte  imminente, 
pour  obtenir  d'eux  par  la  force  les  deux  derniers  versements, 
el  préférèrent  abandonner  le  premier  (1)  ;  d'autre  part,  les 
capitalistes  qui  hésitaient  à  souscrire  s'en  gardèrent  bien 
dans  ces  circonstances.  L'effet  fut  donc  peu  satisfaisant. 

En  résumé,  la  Compagnie  ne  réunit  qu'un  capital  d'environ 
9  millions  de  livres,  dont  le  Roi  donna  pour  sa  part  4  mil- 
lions. C'est  avec  ces  ressources,  équivalant  à  environ  14  mil- 
lions et  demi  de  notre  monnaie  (2),  qu'elle  dut  remplir  sa 
mission. 

Dans  ces  conditions  toute  perte  devait  lui  être  sensible  ;  on 
comprend  la  colère  de  Colbert  en  apprenant  l'inutile  gaspil- 
lage souffert  par  M.  de  Mondevergue  à  Fort-Dauphin  et  l'on 
s'explique  qu'il  regardât  la  dilapidation  de  500.000  livres 
dont  il  l'accusait  «  comme  allant  à  la  perte  de  la  Compa- 
gnie ». 

En  1671,  on  avait  déjà  abandonné  tout  projet  sur  Madagas- 
car ;  par  contre,  les  comptoirs  de  l'Inde  donnaient  des  résul- 
tats encourageants.  Cependant  Colbert  n'était  point  satisfait 

(1)  Il  y  eut  258  renonçants.  Arch.  Coloniales,  C2,  1.  (V.  Pauliat, 
op.  cit.). 

(2)  L'abbé  Morellet  {Mémoire  sur  la  Compagnie  des  Indes)  et  Guyot 
(Répertoire),  estimaient  à  la  fin  du  xviii*  siècle  celte  somme  de  9  mil- 
lions équivaloir  à  18  millions  de  leur  époque.  Cela  est  vrai  aujourd'hui, 
car  le  pouvoir  d'acquisition  de  l'argent  était  eu  1664  double  de  celui 
qu'il  a  actuellement  (d'après  M.  d'Avenel)  ;  mais  cela  ne  parait  pas 
l'avoir  été  à  la  fin  du  xviiie  siècle,  où  ce  pouvoir  d'acquisition  était  plus 
grand  encore  qu'en  1664  (2.  33  pour  la  période  1751-1775,  contre  2  pour 
la  période  1651-1675). 


272  Deuxième  partie.  —  chapitre  viï 

et  il  s'écriail  avec  amertume  :  «  Pour  soutenir  cette  Compa- 
gnie, il  faut  dépenser  8  millions  ;  elle  ne  peut  subsister  sans 
des  secours  d'argent  et  sans  une  escadre  aux  Indes  (1).  » 

Un  avenir  très  prochain  devait  justifier  ces  craintes  :  la 
guerre  de  Hollande  amena  d'abord  un  ralenlissement  sensi- 
ble des  mouvements  maritimes  de  la  Compagnie,  puis  la  chute 
de  8an-Thomé  et  la  ruine  de  ses  comptoirs  par  les  Hollandais. 

Cependant  on  ne  perdit  pas  espoir,  et  cette  persévérance 
est  d'autant  plus  remarquable  que  la  Compagnie  des  Indes 
Occidentales  venait  d'être  supprimée,  mauvais  présage  pour 
sa  sœur  jumelle  !  L'année  1675  vit  un  grand  effort  que  nous 
avons  examiné  à  divers  points  de  vue  :  il  porta  également 
sur  la  situation  financière,  ce  fut  même  là,  à  coup  sûr,  son 
principal  but. 

De  nouveaux  commissaires  avaient  été  nommés  et  le  bilan 
présenté  par  eux  montra, dit  l'abbé  Morellet,  que  la  Compagnie 
avait  déjà  dévoré  tous  les  bénéfices  de  ses  dix  premières 
années  d'existence,  soit  4.700.000  livres,  et  chose  plus  grave, 
plus  des  deux  tiers  de  son  capital  lui-même  I  Mais  cette  ap- 
préciation est  fort  exagérée  :  en  réalité  sa  situation  était  alors 
la  suivante.  Le  capital  qu'elle  avait  reçu,  tant  du  Roi  que  des 
particuliers,  avait  atteint  le  total  de  8.906.751  livres  qui  se 
répartissaient  comme  suit  : 

Capital  fourni  par  le  Roi 4.000.000  de  livres 

Premier  versement  de  la  souscription 
publique 2.578.247       — 

Deuxième  versement 1.650.703      — 

Troisième  versement 677.800      — 

De  ce  capital  reçu  par  elle,  la  Compagnie  possédait  en 
1675  : 

{{)  Observations  sur  les  dépenses  de  l'année  1672.    Clément,  op.  cil. 


FINANCES  DE  LA  COMPAGNIE   DES  INDES  ORIENTALES  273 

En  espèces  dans  sa  caisse 935.920    livres 

En  créances  sûres 134.15^      — 

En  marchandises  des  Indes  en  maga- 
sin   27.902      — 

En  marchandises  de  Fronce  en  maga- 
sin        206.343      — 

En   effets   pour   rarnicmenl  des  vais- 
seaux          222.063      — 

Au  total  :  en  espèces,  marchandises,  effets  divers  el  vais- 
seaux en  France  et  aux  Indes  :  6.325.798  livres.  Nous  croyons 
facilement  que  les  bénéfices  des  retours,  d'ailleurs  peu  im- 
portants, avaient  été  absorbés  par  tous  les  frais  qu'avait  eus 
la  Compagnie  au  cours  de  ces  années,  où  il  lui  avait  fallu  éta- 
blir son  commerce  ;  mais  on  voit  qu'elle  était  loin  d'avoir 
diminué  aussi  gravement  son  capital,  dont  le  déchet  n'était 
que  de  2.580.593  livres,  chiffre  déjà  trop  important  malheu- 
reusement! Il  faut  ajouter  qu'elle  ne  possédait  en  espèces 
ou  en  effets  facilement  réalisables  qu'un  peu  plus  d'un  mil- 
lion de  livres,  ce  qui  était  notoirement  insuffisant  ! 

Il  était  donc  urgent  de  chercher  un  remède  à  cette  situa- 
tion :  une  série  de  mesures  prétendirent  en  tenir  lieu.  Le  Roi 
abandonna  d'abord  sa  créance  sur  les  4  millions  de  livres 
qu'il  avait  prêtés  (1).  On  tenta  encore  une  fois  d'obtenir  des 
actionnaires  l'accomplissement  de  leurs  obligations,  et  le 
troisième  versement,  que  beaucoup  n'avaient  pas  effectué,  fut 
prorogé  jusqu'au  1^^  juillet  1676  (2).  Enfin  une  dernière  me- 

(1)  Abandon  platonique  pour  plus  de  2  millions,  à  quoi  montait  la 
perte  subie  par  la  Compagnie  sur  son  capital  ;  réel  pour  le  reste  qui 
ne  devait  d'ailleurs  être  remboursé  que  trois  ans  plus  tard  (1668- 
1678). 

(2)  Il  est  piquant  de  constater  que  Colbert  lui-même,  qui  avait  souscri- 
pour  30.000  livres,  ne  paraît  pas  avoir  effectué  le  versement  complet  de 
sa  souscription  !    L'inventaire  après  décès  de  sa   succession,  fait  le 

W.  -  i8 


274  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VU 

sure,  forl  grave  celle-là,  fui  prise  à  l'égard  de  la  Compagnie  : 
ellereçuU'ordre,  en  effet,  de  distribuer  un  dividende  de  100/0 
par  action  enlièremeiil  libérée,  et  les  retardataires  eux-mê- 
mes furent  appelés  à  en  profiler,  car  elle  dut  déduire  une 
somme  équivalente  des  versements  restant  à  effectuer  (Décla- 
ration du  13  septembre  1675)  (1).  Colbert  voulait  évidemment 
par  là  faire  renaître  chez  les  actionnaires  l'espérance  d'une 
meilleure  fortune,  et  attirer,  si  possible,  de  nouveaux  capitaux 
par  l'appât  de  cette  rémunération  fort  belle,  même  à  celte 
époque  ;  malheureusement,  c'était  là  un  dividende  purement 
ficlif,  et  cet  expédient  n'était  pas  de  nature  à  améliorer  la 
situation  financière  de  la  Compagnie.  La  confiance,  d'ailleurs, 
était  bien  morte  dans  le  public  et  Colbert  lui-même  désespé- 
rait de  voir  la  Compagnie  se  relever  ;  la  dernière  tenlalive 
qu'il  fil  en  sa  faveur  fut  pour  lui  permettre  de  subsister  mal- 
gré celle  impuissance,  en  lui  assurant  le  concours  du  com- 
merce particulier.  Le  Contrôleur  Général  Le  Pelletier  chercha 
au  contraire  à  opérer  une  résurrection  :  le  bilan  de  la  Com- 
pagnie fut  dressé  encore  une  fois  par  les  soins  de  commis- 
saires royaux.  On  ne  trouva  à  la  Compagnie  qu'un  capital 
disponible  de  3.353.000  livres,  et  ses  effets  de  toute  nature  ne 
s'élevaient  qu'à  218.188  livres  ;  enfin  elle  avait  dans  l'Inde 
une  dette  d'un  million  de  livres  (2).  On  imagina  pour  aug- 
menter ces  ressources  insuffisantes  le  procédé  suivant  : 

14  septembre  1683,  porte  en  effet  mention  de  deu.x  versements  seule- 
ment, comme  suit:  1604,  13  octobre,  versement  de  10.000  livres 
à-compte  d'une  souscription  de  30.000  livres  à  la  Compagnie  des  Indes 
Orientales.  1666,  Il  avril,  deuxième  versement  de  10.000  livres  à  la 
Compagnie  des  Indes  Orientales.  Clément,  d'après  les  mélanges  Colbert, 
Bibliothèque  nationale. 

(1)  Archives  nalionales,  ADix,  384. 

(2)  Demis,    t.   I.   —  D'après    un     mémoire  anonyme  conservé  aux 
Archives,  le  bilan  ne  se  serait  élevé  «  qu'à  800.000  livres  sur  3.200.000, 


FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES   INDES   ORIENTALES  275 

On  invita  les  actionnaires  à  augmenter  rf'wn  quart  leur  mise 
primitive  (1).  C'était  là  une  nouvelle  dérogation  aux  statuts, 
mais  on  ne  s'y  arrêta  point.  On  avait  en  effet  dû  constater 
que  la  valeur  primitive  des  actions  était  actuellement  réduite 
au  quart  (250  livres)  ;  on  demandait  donc  ainsi  aux  action- 
naires de  doubler  leur  intérêt  dans  la  Compagnie,  mais  cette 
situation  n'était  pas  une  raison  suffisante  pour  justifier  pa- 
reille mesure.  Leur  refus  devait  avoir  pour  sanction  la  dé- 
chéance de  tous  leurs  droits  ;  un  mois  de  réflexion  leur  fut 
laissé  (2):  s'ils  refusaient,  ils  étaient  remboursés^  mais  seu- 
lement du  quart  de  leur  mise,  valeur  actuelle  des  actions. 
En  fait,  88  actionnaires  seulement  se  résignèrent  à  faire  ce 
qu'on  leur  demandait  ;  les  autres  furent  déclarés  déchus  (3) 
et  furent  remboursés. 

Voici  comment  ils  le  furent,  car  il  est  bien  permis  de  penser 
que  la  Compagnie  ne  pouvait  pas  s'en  charger  avec  son 
capital  réduit,  et  cela  n'eût  point  d'ailleurs  produit  le  résultat 
que  l'on  voulait  oblenir.Ce  soin  fut  confié  à  de  nouveaux  inté- 
ressés, qui  leur  furent  subrogés  et  entrèrent  dans  la  Compa- 
gnie sur  une  invitation  directe  du  Roi  (4)  :  c'était  là  d'ailleurs 
une  forme  nouvelle  de  contrainte.  D'autre  part,  ces  capitalis- 
tes complaisants  durent  faire  eux-mêmes  l'apport  que  leurs 
prédécesseurs  avaient  refusé, c'est-à-dire  qu'ils  déboursaient 
au  total  500   livres   par  action.  Ils  procurèrent  ainsi   à  la 

qu'elle  avait  eues  de  capital  »  ;  ces  chitTres  nous  paraissent  fantaisis- 
tes. Archives  nat.,  F  50,  5i. 
(d)  Arrêt  du  18  octobre  1684. 

(2)  Ce  délai  fut  prorogé  d'un  second  mois. 

(3)  Les  actionnaires  qui  n'avaient  pas  effectué  leur  troisième  verse- 
ment ou  fourni  au  moins  8.000  livres  furent  également  déchus  (arrêt 
du  17  juillet  1684). 

(4)  Ils  durent  faire  ce  remboursement  moitié  la  première  année,  moi- 
tié la  seconde,  sans  intérêts. 


276  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VII 

Compagnie  un  supplément  de  ressources  de  7:28.975  livres  (1); 
de  leur  côté,  les  88  actionnaires  qui  avaient  accepté  de  faire 
l'apport  demandé  fournirent  lOD. 516  livres  :  le  capital  social 
ne  fut  donc  accru  de  ce  fait  que  de  838.491  livres  ;  mais  on 
peut  croire  que  les  Directeurs  durent  de  leur  côté  faire  des 
sacrifices  (2):  la  Compagnie  obtint  en  fait  un  accroissement 
de  son  capital  de  1.700.000  livres.  Cela  ne  fut  point  jugé 
encore  satisfaisant  et  une  nouvelle  réforme  intervint  en  1687. 
Celte  foison  s'adressa  surtout  aux  Directeurs  :  il  n'y  en  avait 
jusque-là  que  douze,  leur  nombre  fut  porté  à  vingt  (3),  et  les 
huit  nouveaux  titulaires,  choisis  d'ailleurs  par  le  Koi  parmi 
les  personnes  subrogées  aux  actionnaires  déchus, apportèrent 
chacun  60.000  livres  (4).  Ces  deux  mesures  successives  éle- 
vèrent le  capital  social  de  2.100.000  livres,  ce  qui  le  porla  au 
total  à  o  millions  et  demi  (5). 

Ce  résultat,  joint  à  la  paix  qui  régnait  alors,  redonna  à  la 
Compagnie  une  certaine  activité  qui  permit  de  croire  à  l'effica- 
cité des  remèdes  employés.  L'obligation  de  fournir  aux  action- 
naires un  intérêt  de  10  0/0,  qui  avait  été  une  première  fois 
imposée  en  1675,  le  fut  à  nouveau  et  à  titre  permanent  en  1685 
(Déclaration  du  mois  de  février).  Cet  intérêt  fut,  parait-il,  régu- 
lièrement payé  par  elle  jusqu'en  1692,  quoiqu'elle  dût  dé- 
bourser de  ce  fait  chaque  année  des  sommes  importantes  : 
224.060  livres  en  1688,  223.976  livres  en  1689,  etc.;  en  outre, 

(1)  Apport  et  remboursement  additionnés,  ils  fournirent  ainsi  en 
tout  1.457.950  livres. 

(2)  D'après  Demis. 

(3)  Arrêt  d'avril  1687. 

(4)  Ceux  d'entre  eux  qui  avaient  déjfi  25.000  livres  d'actions  n'eurent 
à  en  fournir  que  40.000  nouvelles.  Les  Directeurs  fournirent  ainsi 
1.200.000  livres. 

(5)  3.350.000  livres  de  capital  disponible  en  16S4  et  2. 100.000 livres 
de  nouveaux  fonds. 


FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES   INDES    ORIENTALES  277 

au  cours  des  années  1687  et  1691,  elle  put  faire  une  répartition 
supplémentaire  de  20  0/0  la  première  et  de  10  0/0  la  seconde, 
mais  cette  situation  changea  en  1692.  La  guerre  et  la  des- 
truction systématique  de  son  commerce  de  toiles  des  Indes 
ruinèrent  ces  résultats.  On  cessa  de  payer  les  intérêts,  après 
avoir  emprunté  180.000  livres  pour  fournir  à  ceux  de  l'année 
1691,  moyen  fort  étrange  à  la  vérité,  probablement  imposé 
par  le  ministre.  Cependant  la  Compagnie  continua  ses  opé- 
rations,et  ses  deux  armements  de  1690  (escadre  de  Duquesne) 
et  de  1692  (escadre  de  Dandenne)  furent  considérables  :  le 
dernier  emporta  notamment  un  capital  de  1.200.000  livres  ; 
elle  se  trouva  enfin  assez  riche  pour  offrir  au  Roi  en  1696 
400.000  livres  à  litre  de  secours  pour  la  guerre,  sur  sa  part 
dans  les  prises  du  corsaire  Nesmond  (1)  ! 

En  1697,  des  mesures  importantes  furent  prises.  On  avait 
appris  la  fâcheuse  nouvelle  que  le  Mogol  ayant  fermé  les  ports 
de  l'Inde  au  commerce  européen,  les  trois  vaisseaux  que  la 
Compagnie  a  ttendail  revenaient  sur  lest  ;  c'était  une  ressource 
de  4  millions  sur  laquelle  on  avait  compté,  et  à  laquelle  il 
fallait  renoncer  :  les  Directeurs,  pris  d'un  beau  zèle,  décidè- 
rent aussitôt  de  sacrifier  20.000  livres  chacun  pour  entraîner 
les  actionnaires  à  consentir,  eux  aussi,  une  nouvelle  avance. 
La  nouvelle  était  heureusement  inexacte,  et  les  navires  atten- 
dus revinrent  avec  une  cargaison  assez  satisfaisante  :  il  pa- 
raît cependant  qu'il  fut  nécessaire  de  trouver  d'autres  res- 
sources, car  les  actionnaires  décidèrent  que  l'on  rapporte- 
rait les  répartitions  supplémentaires  de  1687  et  de  1691.  Pour 
l'armement  de  l'année  suivante,  les  Directeurs  annoncèrent 
celte  fois  la  résolution  de  fournir  chacun  25  OyO  de  leur  in- 
térêt dans  la  Compagnie,  et  l'assemblée  adopta  la  conclusion 

(1)  Demis,  t.  I. 


278  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VII 

d'un  emprunt  pour  le  surplus,  soit  275.000  livres.  Enfin  la 
Compagnie  put  payer  aux  actionnaires  l'arriéré  des  intérêts 
depuis  1693,  qui  s'élevait  à  la  somme  de  895.793  livres. 

Après  une  nouvelle  et  trop  courte  période  de  prospérité 
(1698-1702),  on  dut  recourir  de  nouveau  aux  expédients.  La 
Compagnie  sollicita  d'abord  le  Roi,  et  obtint  de  lui  l'achat 
de  quelques  vaisseaux,  et  la  prise  à  bail  du  port  de  Lorient 
moyennant  5.000  livres  par  an  ;  puis  il  consentit  à  prêter 
850.000  livres,  mais  à  des  conditions  onéreuses, car  lui-même 
n'était  guère  riche  alors. Ce  prêt  devait  lui  être  rendu  au  bout 
d'une  année,  et  encore  chaque  Directeur  dut-il  augmenter  sa 
part  de  40.000  livres,  chaque  actionnaire  de  50  0/0.  11  est  à 
présumer  qu'on  n'oblinl  point  tous  ces  sacrifices  !  Aussi, pour 
chaque  armement,  la  Compagnie  dut-elle  dès  lors  recourir 
à  un  emprunt,  et  à  des  conditions  peu  favorables  ;  en  1702, 
par  exemple,  elle  n'obtint  1 .213.000  livres  qu'à  75  0/0  d'intérêt 
(prêt  à  la  grosse)  (1).  D'ailleurs,  elle  ne  payait  plus  ses  dettes 
courantes,  et  le  Roi  dut  intervenir  pour  la  protéger  contre 
ses  créanciers  ;  un  arrêt  ordonna  de  surseoir  à  toutes  pour- 
suites sur  ses  effets  et  sur  les  biens  de  ses  Directeurs  à  rai- 
son de  ses  dettes,  et  les  créanciers  n'eurent  d'autre  ressource 
que  de  se  pourvoir  au  Conseil  du  Roi  (12  novembre  1708)  ; 
on  leur  donna  encore  la  satisfaction  d'élire  des  syndics  pour 
veiller  sur  leurs  créances  qui  s'élevaient  à  2  235  518  livres(2)  ; 
et  ceux-ci  obtinrent  en  effet,  en   1713,  que  la   Compagnie 

(1)  On  sait  que  dans  le  coalral  appelé  Prêt  à  la  grosse  aventure,  on 
stipule  qu'en  cas  d'heureux  retour,  la  somme  prêtée  sera  remboursée 
avec  un  intérêt  {prime  de  grosse),  mais  qu'en  cas  de  perle  du  navire  ou 
de  la  cargaison,  il  n'y  aura  pas  lieu  au  remboursement,  même  de  la 
somme  prêtée.  En  raison  même  de  ce  risque,  l'inlérèl  d'un  pareil  prêt 
est  toujours  fort  élevé. 

(2)  Cf.  Bibliothèque  nationale.  Manuscrits,  sous  la  cote  Fr.  16737, 
fol.  39,  «  Bilan  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales,  pour  1709  ». 


FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES    ORIENTALES  279 

acquittât  une  partie  de  cette  lourde  dette  :  encore  ce  rem- 
boursement ne  fut-il  que  du  tiers  de  leurs  créances  et  Pont- 
cliarlrain  ajoutait  :  «  C'est  tout  ce  qu'on  peut  faire  dans  la 
conjoncture  présente  des  affaires  de  cette  Compagnie  (1).  » 

Les  dernières  années  du  privilège  qui  lui  avait  été  accordé 
furent  occupées  exclusivement  par  les  traités  conclus  avec 
les  sociétés  d'armement  de  Saint-Malo  (2). 

Enfin  sa  réunion  à  la  Compagnie  d'Occident  mit  fin  à  cette 
situation  difficile  :  devenue  par  cette  fusion  la  Compagnie  des 
Indes,  elle  eut  les  ressources  nécessaires  pour  acquitter  ses 
obligations  et  désintéresser  ses  créanciers  :  le  dénouement 
en  fut  donc  des  plus  honorables  (3). 

(1)  Lettre  du  ministre  à  M.  de  Glairambault,  Archives  de  l'arsenal, 
Lorient. 

(2)  Un  mémoire  anonyme  et  non  daté  (probablement  de  1717),  con- 
servé a.ux.  Archives  nationales:  F  50,  5i,  dit  que  de  1705  à  1713  la  Com- 
pagnie gagna  plus  en  accordant  ces  permissions  qu'en  les  quarante 
années  précédentes,  et  qu'en  1713  ses  gains  lui  permirent  de  payer 
9  millions  de  dettes.  Ces  affirmations  nous  paraissent  exagérées. 

(3)  Ce  n'est  point  à  dire  que  cette  obligation  assumée  par  la  nouvelle 
Compagnie  ait  été  aussitôt  remplie  par  elle, ce  fut  au  contraire  fort  long  ; 
un  arrêt  du  27  janvier  1722  invita  d'abord  les  actionnaires  de  la  Com- 
pagnie de  Colbert  à  nommer  des  syndics  ;  un  arrêt  du  29  mai  1731  re- 
nouvela cette  invitation  ;  puis  d'autres  intervinrent  encore  en  1733, 
en  1738j  et  la  situation  ne  fut  réglée  qu'en  1751  par  l'arrêt  du  24  août  de 
cette  année.  La  Compagnie  de  Colbert  fut  représentée  à  ce  règlement 
par  MM.  de  Lagny,  Moufle  de  Champigny,  conseillers  au  Parlement,  et 
Tardif,  ancien  échevin  de  Paris.  Archives  nationales,  ADix,  385. 


TROISIEME  PARTIE 
TROISIÈME  PHASE.  -  LA  COMPAGNIE  DE  LAW 


CflAPITRE   PREMIER 

ORIGINE  ET  ÉLÉMENTS  DE  LA  COMPAGNIE  DE  LAW.  —  TABLEAU 
DES  COMPAGNIES  DE  COMMERCE  ÉTABLIES  SOUS  LE  REGNE  DE 
LOUIS    XIV. 


La  Compagnie  des  Indes  Occidentales  :  son  origine,  sa  place  dans  la 
politique  de  Colbert.  —  Multiplication  des  Compa^^nies  après  la  mort 
de  Colbert.  —  Commerce  de  l'Afrique.  —  Commerces  de  la  Chine  et 
des  Mers  du  Sud.  —  Commerces  de  l'Amérique  du  Nord  et  des  An- 
tilles. —  Premiers  essais  de  colonisation  de  la  Louisiane.  —  Création 
de  la  Compagnie  d'Occident. 


Le  plan  maritime  de  Colbert,  qui  devait  donner  à  la  France 
la  prépondérance  du  commerce  en  Europe,  n'était  qu'entamé 
par  la  création  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales.  Il  ne 
s'y  arrêta  donc  point,  et  en  poursuivit  immédiatement  l'en- 
tière réalisation.  En  même  temps, en  effet, qu'il  jetait  les  bases 
de  cette  Compagnie,  à  laquelle  il  assignait  comme  domaine  la 
mer  des  Indes,  il  constituait  sur  le  même  modèle  la  Compa- 


282  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

gnie  des  Indes  Occidentales,  qui  reçut  de  son  côté  l'Amérique 
comme  patrimoine  (1). 

Depuis  longtemps  les  efforts  des  navigateurs  français 
s'étaient  dirigés  vers  le  Nouveau-Monde  ;  de  multiples  tenta- 
tives, non  seulement  de  commerce  mais  de  colonisation, 
avaient  été  faites  sur  ce  continent  et  les  lies  de  la  mer  des 
Antilles,  et  à  l'heure  où  Colbert  réalisait  ses  desseins  mari- 
limes,  la  France  y  était  déjà  représentée  par  des  groupements 
importants.  Cependant  jusqu'alors  les  initiatives  s'étaient 
produites  sans  beaucoup  d'ensemble,  et  son  but  fut  précisé- 
ment de  leur  donner  une  direction  définitive. 

Nous  possédions  en  Amérique  un  domaine  colonial  qu'il 
s'agissait  d'exploiter  plus  complètement,  et  il  semblait  que  la 
Compagnie  des  Indes  Occidentales  eût  là  une  mission  plus 
aisée  à  remplir  que  sa  sœur  jumelle. 

S'il  est  douteux  que  les  Français  aient  devancé  Christophe 
Colomb,  ils  ne  tardèrent  pas  à  le  suivre.  Dès  les  dernières 
années  du  xv*  siècle,  nos  marins  fréquentaient  la  route  du 
Brésil,  et  la  campagne  de  Paulmier  de  Gonneville  en  1504  ne 
fut  pas  un  fait  isolé.  On  continua  d'ailleurs  à  chercher  de  ce 
côté  une  route  vers  les  Indes  Orientales  plus  courte  que 
celle  du  Cap,  et  Jacques  Cartier  n'avait  pas  d'autre  but,  lors- 
qu'il e.xplorait  le  Saint-Laurent  en  1536  (2).  La  contrée  qu'il 
parcourut  de  la  sorte  fut  le  théâtre  de  la  première  tentative 
de  colonisation  française,  encouragée  par  François  I"  et 
dirigée  par  M.  de  Roberval.  Mais  elle  fut  infructueuse  et  ne 
fut  pas  renouvelée  pendant  de  longues  années. 

L'Amérique  du  Sud  fut  en  même  temps  l'objet  de  sembla- 
bles projets  ;  mais  là,  nous  nous  heurtâmes  aux  Portugais  et 
aux  Espagnols  arrivés  avant  nous,  et  qui  montrèrent  à  notre 

(1)  Edit  de  mai  1664. 

(2)  11  croyait,  paraîl-il,  atteindre  la  Chine  en  remontant  ce  fleuve. 


ORIGINE    ET    ÉLÉMENTS    DE    LA    COMPAGNIE    DE    LAW  283 

établissement  l'iioslililé  la  plus  déclarée.  Les  premiers  rui- 
nèrent la  colonie  de  Fort-Coligny,  fondée  par  M.  de  Villega- 
gnon  dans  une  île  de  la  baie  de  Rio-de-Janeiro  en  1555  ;  les 
derniers  détruisirent  de  leur  côté  la  colonie  créée  sous  les 
auspices  de  l'amiral  Coligny  en  Caroline  en  1564,  pour  servir 
de  refuge  aux  protestants  français,  et  la  population  de  Fort- 
Caroline  fut  passée  par  eux  au  fil  de  l'épée. 

Le  règne  de  Henri  IV  vit  des  essais  plus  heureux  ;  en  1604 
Champlain  établissait  un  poste  dans  la  baie  de  Port-Royal  en 
Acadie  ;  en  1608  il  fondait  Québec,  et  la  Nouvelle  France  prit 
bientôt  un  développement  remarquable  sous  la  direction  de 
ce  chef  énergique.  Richelieu  continua  les  encouragements 
qui  lui  avaient  été  donnés  par  Henri  IV  et  la  colonie,  un  mo- 
ment dépossédée  de  Québec  par  les  Anglais  (1),  l'ayant  re- 
couvré au  traité  de  Saint-Germain,  fut  érigée  en  gouverne- 
ment dont  son  fondateur  Champlain  fut  le  premier  titulaire. 
En  même  temps,  des  expéditions  audacieuses,  faites  par  des 
aventuriers  avec  l'agrément  de  Richelieu,  chassaient  les  Es- 
pagnols de  plusieurs  îles  des  Antilles,  et  nous  donnaient 
Saint-Christophe,  la  Guadeloupe, la  Martinique,  Saint-Domin- 
gue. Le  continent  sud-américain  lui-même  fut  atteint  par 
eux  et  des  postes  furent  créés  sur  la  côte  de  la  Guyane. 

A  l'avènement  de  Louis  XIV,  nous  possédions  ainsi  dans 
les  Indes  Occidentales  un  domaine  colonial  important  qui 
comprenait  la  Nouvelle-France  et  l'Acadie  sur  le  continent 
et  plusieurs  des  Antilles  ;  il  était  temps  de  le  soumettre  à 
l'exploitation  méthodique  qui  lui  avait  fait  défaut  jusque-là  : 
ce  fut,  avons-nous  dit,  le  but  de  Colbert. 

Le  terrain,  à  vrai  dire,  s'en  trouvait  préparé  :  plusieurs 
Compagnies  avaient,  en  effet,  été  créées  sous  le  règne  de 

(1)  1629. 


284  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

Louis  XIII,  pour  exploiter  le  commerce  avec  ces  colonies.  La 
première  datait  de  1626  et  fut  d'ailleurs  la  seule  qui  réussit  : 
c'était  la  Compagnie  des  Iles  d'Amérique:  elle  jouit  même 
d'une  certaine  prospérité,  et  demanda  en  1642  à  être  confir- 
mée dans  ses  privilèges,  mais  elle  ne  larda  pas  à  en  céder 
l'exploitation  à  l'Ordre  de  Malte  (1649)  (1). 

La  Compagnie  de  la  Nouvelle-France  (2),  créée  en  1628, reçut 
le  monopole  du  commerce  avec  le  Canada  ;  mais  la  concur- 
rence acharnée  que  lui  firent  les  Hollandais  triompha  de  ses 
efforts  et  elle  tomba  vite  dans  l'inaction. 

Une  dernière  Compagnie  fut  celle  de  la  France  Equi- 
noxiale  (3)  ;  celle-là  aussi  échoua  complètement  malgré  deux 
reconstitutions  successives  en  1651  et  1663.  Elle  eut  cepen- 
dant le  mérite  de  chasser  les  Hollandais  qui  s'étaient  établis 
à  Cayenne. 

A  ces  petites  Compagnies  tombées  en  décadence  et 
dépourvues  de  moyens  d'action  sérieux,  Colbert  voulut 
substituer  une  société  puissante,  étroitement  unie  à  l'Etat. 
Il  racheta  à  son  intention  les  privilèges  des  Compagnies  de 
la  France  Equinoxiale  et  des  Iles  d'Amérique,  et  en  fil  don  à 
une  Compagnie  nouvelle  exactement  semblable  à  celle  des 
Indes  Orienlales,  et  qui  reçut  le  titre  de  Compagnie  des  Indes 
Occidentales.  Il  lui  donna  en  outre  le  commerce  de  la  côte 
occidentale  d'Afrique,  parce  qu'il  lui  permettait  d'y  puiser  un 

(t)  Cet  ordre  acquit  le  commerce  des  îles  St-Christophe,  St-Mar- 
tin,  St-Barthélemy,  Ste-Croix  et  la  Tortue.  Le  sieur  Poiseret  avec  le- 
quel la  Compagnie  traita  en  même  temps  reçut  celui  de  la  Guade- 
loupe, Marie-Galande,  les  Saintes,  la  Martinique,  Ste-Lucie,  la  Gre- 
nade et  les  Grenadilles. 

(2)  I/abbé  Morellet  regarde  cette  Compagnie  comme  la  première  Com- 
pagnie des  Indes  Occidentales. 

(3)  On  désignait  sous  le  nom  de  France  Equinoxiale  la  région  com- 
prise entre  l'Orénoque  et  l'Amazone,  principalement  la  côte  de  la 
Guyane. 


ORIGINE   ET    ÉLÉMENTS    DE    LA    COMPAGNIE    DE    LAW  285 

des  principaux  articles  d'importation  aux  îles  d'Amérique, 
les  nègres. 

Celte  Compagnie  reçut  des  statuts  identiques  à  ceux  de  la 
Compagnie  Orientale,  et  des  avantages  équivalents.  C'est 
ainsi  que  le  Roi  lui  prêta  le  dixième  de  son  capital,  rembour- 
sable au  bout  de  dix  ans  sans  intérêts  et  exempta  de  tous 
droits  de  sortie  les  denrées  qu'elle  porterait  aux  colonies. 

Mais  elle  fut  plus  malheureuse  que  sa  sœur;  comme  elle, 
elle  manqua  de  ressources,  et  les  guerres  lui  rendirent 
impossible  tout  effort  continu  ;  elle  se  heurta  en  outre 
à  l'animosité  de  la  population  des  colonies,  et  ce  fut  la 
principale  cause  de  son  échec.  La  situation  était  en  etïet  fort 
différente  de  celle  que  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  avait 
trouvée  en  Asie.  Nos  colonies  d'Amérique  étaient  créées, 
organisées,  capables  d'entretenir  elles-mêmes  des  relations 
commerciales  régulières  avec  la  mère-patrie.  Les  priver  de 
la  liberté  commerciale  au  profit  d'une  Compagnie  à  monopole 
ne  pouvait  qu'entraver  leur  développement  et  nuire  à  leur 
prospérité.  Le  régime  qui  convenait  fort  bien  à  des  contrées 
dénuées  d'initiative  commerciale,  comme  Madagascar,  l'Inde 
ou  la  Chine,  devait  être  fatal  à  des  colonies  pleines  de  vie  et 
d'ambition, 

Golbert  comprit  qu'il  s'était  trompé,  et  quoique  cette  cons- 
tatation le  conduisît  à  rompre  l'équilibre  de  son  plan  mari- 
time si  grandiose  dans  sa  simplicité  et  son  unité,  il  eut  la 
sagesse  de  lui  préférer  la  prospérité  de  nos  colonies  et  aban- 
donna ses  desseins  sur  la  Compagnie  des  Indes  Occidentales  ; 
aussi,  dès  1668,  celle-ci  renonçait  au  monopole  du  commerce 
avec  les  pays  de  sa  concession,  et  se  contentait  d'exploiter 
la  traite  des  nègres  à  leur  profit. En  1674,  son  privilège,  anéanti 
déjà  en  fait,  fut  officiellement  révoqué  et  les  débris  de  son 
capital  répartis  entre  ses  actionnaires. 


286  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

La  rivale  de  puissance  et  de  j^loire,  qu'avait  pu  craindre 
quelque  temps  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  (1),  n'a- 
vait pas  vécu  plus  de  dix  ans  I  II  est  vrai  que  cette  dernière 
était  alors  à  l'apogée  de  sa  fortune  et  que  la  décadence  allait 
commencer  bientôt  pour  elle;  mais  son  existence  devait  du- 
rer de  longues  années  encore  et  ses  prérogatives  rester  in- 
tactes jusqu'au  bout. 

On  ne  peut  donc  mettre  en  parallèle  ces  deux  Compagnies, 
conçues  pourtant  sur  un  même  plan  par  Colbert  ;  car  si  l'une 
n'eut  pas  l'avenir  prospère  qu'il  avait  rêvé  pour  elle,  elle  se 
maintint  assez  longtemps  du  moins  pour  se  prêter  à  une  ré- 
surrection, dont  les  résultats  devaient  être  féconds  pour  la 
puissance  coloniale  de  la  France  ;  l'autre  ne  fut  qu'un  acci- 
dent et  sa  vie  éphémère  a  moins  d'importance  en  elle-même 
que  parla  date  qu'elle  marque  dans  la  doctrine  célèbre  du 
Pacte  Colonial  (2). 

(1)  Il  faut  ajouter  que  la  simultanéité  de  la  coastitution  de  ces  deux 
Compagnies  nuisit  à  Tune  et  à  l'autre.  C'est  ainsi  que  dans  la  souscrip- 
tion du  capital  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales,  on  rencontra 
bien  des  capitalistes,  qui,  ayant  déjà  pris  intérêt  dans  la  Compagnie 
des  Indes  Occidentales,  refusèrent  de  souscrire  de  nouveau.  —  V.  Lettre 
de  Vinlendant  de  Bordeaux  à  Colbert,  17  novembre  1664,  Clément. 

(2)  On  désigne  sous  ce  nom,  assez  critiqué  d'ailleurs,  la  politique 
économique  suivie  par  les  grands  Etats  européens  à  l'égard  de  leurs  co- 
lonies jusqu'au  milieu  du  xix*  siècle.  Elle  s'inspirait  de  ce  principe 
qu'une  colonie  a  sa  raison  d'être  non  en  elle-même,  mais  uniquement 
dans  l'intérêt  de  la  mère-patrie  qui  ne  la  crée  que  pour  l'exploiter,  et 
elle  consistait  dans  un  régime  de  restrictions,  destiné  d'abord  à  faire 
rentrer  la  métropole  dans  les  frais  considérables  qu'exige  la  mise  en 
valeur  de  toute  colonie  nouvelle,  puis  à  lui  l'aire  retirer  de  cette  créa- 
tion tout  le  profit  possible.  L'Economie  politique  moderne  a  corrigé  ce 
que  cette  doctrine  avait  d'exagéré  et  des  principes  nouveaux  sont  inter- 
venus qui  mettent  davantage  les  intérêts  des  colonies  en  balance  avec 
ceux  de  la  métropole. 

La  création  de  la  Compagnie  des  Indes  Occidentales  fut  précisément 
la  première  manifestation  du  Pacte  Colonial  en  France,  et  cette  Compa- 


ORIGINE    ET    ÉLÉMENTS.   DE    LA    COMPAGNIE    DE    LAW  287 

Colbert  n'avait  pas  voulu  borner  à  la  création  de  ces  deux 
grandes  Compagnies  la  conquête  du  commerce  universel  ; 
mais  le  temps  lui  manqua  pour  en  continuer  l'exécution  et 
les  déceptions  que  lui  causèrent  ces  deux  premières  tentati- 
ves ne  furent  point  de  nature  à  l'encourager  dans  celte  voie. 
Ses  successeurs,  sans  souci  de  la   belle  ordonnance   qu'il 


gnie  reçut  le  monopole  des  relations  commerciales  entre  nos  colonies 
d'Amérique  et  l'Europe  (1664).    L'insuccès  de  celte  première   mesure 
fut  complet,  meiis  on  remplaça  le  régime  du  monopole   par  celui  des 
prohibitions.    Un  règlement  de  1670  interdit  l'accès   des  colonies  aux 
navires  étrangers;  l'exportation  directe  des  produits  des  colonies  dans 
les  Etats  étrangers  d'Europe   fut  également  prohibée  par  un   arrêt  de 
1708,   et    ces   deux   graves   restrictions    furent    plusieurs    fois  renou- 
velées au  cours  du   xviu"  siècle.  On   dut  cependant  y  apporter  quel- 
ques tempéraments  et    des  arrêts   permirent     certaines    importations 
étrangères  d'une  part,  certaines  exportations  coloniales  d'autre  part. 
La  Révolution    n'apporta  aucun   changement  à   cette   situation  :  une 
loi  de  1791  et  l'Acte  de  Navigation  de  1793  posèrent  encore  plus  ferme- 
ment les  règles  du  Pacte  Colonial  :  interdiction  de  l'exportation  des  pro- 
duits coloniaux  à  l'étranger,  et  de   l'importation  des  produits  étranj^ers 
aux  colonies,  enfin    monopole    de  la  navigation  entre    la  métropole  et 
les  colonies  pour  le  pavillon  français.   A   ce   régime,  en    vigueur   pen- 
dant tout    l'Empire,    la  Restauration  et    le    gouvernement  de  Juillet 
apportèrent  des  exceptions  de   plus   en    plus    nombreuses  ;    enfin  le 
second  Empire,  ayant  assuré  la  liberté  du  commerce  dans  la  métro- 
pole par  la  conclusion  des  traités   de   1860,   rompit  les  entraves   du 
commerce  colonial  par  la  loi  du  3  juillet  1861  :   libre  importation,  libre 
exportation   entre  les  colonies   et  l'étranger,   liberté  de  l'intercourse 
coloniale  sous  la  restriction  d'une  surtaxe   de  pavillon.   Ce  fut  la  fin 
du  Pacte  Colonial  en  France.   Il  nous  reste  à  faire  observer  que  cette 
politique  ne  s'appliqua  proprement,  pendant  presque  toute  la  durée  de 
l'ancien  régime, qu'aux  colonies  françaises  d'Amérique,  les  seules  d'ail- 
leurs que  possédât  l'Etat.  Elle  fut  étrangère  aux  possessions  particuliè- 
res de  la  Compagnie  des  Tndes  en  Asie  et  en  Afrique.  Ce  ne  fut  qu'à  la 
chute  de  cette  Compagnie,  en  1769,  que  le  Pacte  Colonial  fut  appliqué  à 
ses  comptoirs,  en  même  temps  que  la  liberté  du   commerce  avec  eux 
était  reconnue  à  tous  les  Français. 


288  TROISIEME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

avait  voulu  y  mellre,  ne  virent  que  la  surface  de  ses  plans 
et  mirent  à  les  exécuter  un  empressement  maladroit.  Sous 
leurs  auspices  les  Compagnies  de  commerce  se  multiplièrent, 
se  disputant  les  différentes  parties  du  globe,  pour  aboutir  le 
plus  souvent  à  un  échec,  et  sans  dépasser  quelques  années 
d'une  activité  factice  suivie  d'une  décadence  sans  remède. 

Le  commerce  de  l'Afrique  fit  à  lui  seul  l'objet  de  plusieurs 
de  ces  concessions.  Une  première  (Compagnie  qui  se  forma 
pour  en  exploiter  une  partie  fut  la  Compagnie  d'Afrique  ou 
du  Bastion  de  France:  son  objet  était  le  trafic  du  corail  avec 
la  côte  algérienne,  pour  lequel,  dès  15G0,  deux  commerçants 
français  avaient  obtenu  du  dey  d'Alger  la  concession  d'un 
comptoir  entre  Bône  et  Bizerte,  qui  prit  le  nom  de  Bastion-de- 
France  (1).  Cet  établissement  qui  nous  fut  ensuite  plusieurs 
fois  enlevé  par  les  Arabes,  perdit  à  la  fin  du  xvii®  siècle  son 
importance  primitive,  le  marché  du  corail  ayant  été  transpor- 
té à  La  Galle.  Cette  Compagnie  fut  créée  en  1694  {t)  et  passa 
avec  le  dey  d'Alger  un  traité  lui  assurant  le  monopole  du  com- 
merce du  corail,  des  laines,  cuirs,  suifs  et  cires  à  perpétuité 
sur  quelques  points  de  la  côte  dont  elle  acquit  la  propriété  : 
le  Baslion-de-France,  La  Calle,  le  Cap  Rosa,  Bône,  le  Cap 
Nègre,  et  ce  privilège  lui  fut  confirmé  en  1714  par  le  dey  de 
Constantine.  Son  monopole  expira  en  1718  et  elle  fut  absor- 
bée par  la  Compagnie  des  Indes. 

En  1712  une  nouvelle  Compagnie  se  forma  sur  le  modèle 
de  la  précédente  avec  un  privilège  de  six  années  seulement 
pour  exploiter  à  ses  côtés  le  commerce  de  la  côte  de  Bar- 
barie. Mais  cette  Compagnie  de  Barbarie  eut  peu  de  succès 


(1)  Il  n'existe  plus  aujourd'hui. 

(2)  Elle  ne  comprenait  que  neuf  associés  dont  trois  de  Paris,  trois  de 
Bayonne  et  trois  de  Marseille. 


ORIGINE    ET    ÉLÉMENTS    DE    LA    COMPAGNIE    DE    LAW  289 

et  à  l'expiration  de  celte  période,  elle  abandonna  son  entre- 
prise (31  décembre  1718). 

Le  monopole  du  commerce  avec  la  côte  occidentale  d'Afri- 
que appartint  d'abord  à  la  Compagnie  des  Indes  Occiden- 
tales :  celle-ci  avait  elle-même  supplanté  une  société  sans 
privilège  fondée  par  des  négociants  rouennais  établis  à  Saint- 
Louis  au  Sénégal.  Elle  devait  en  principe  exercer  son  mono- 
pole depuis  le  cap  Blanc  jusqu'au  cap  de  Bonne-Espérance, 
mais  elle  ne  le  fit  point, et  quelques  années  après  sa  fondation 
elle  ne  l'exploitait  plus.  Aussi,  en  1673,  une  nouvelle  Compa- 
gnie se  fonda-t-elle  sous  le  nom  de  Compagnie  du  Sénégal 
avec  un  privilège  de  30  années.  Elle  reçut  le  monopole  de  la 
fourniture  des  nègres  aux  îles  françaises  d'Amérique,  s'en- 
gageant  de  son  côté  à  y  transporter  2.000  nègres  par  an  pen- 
dant 8  années  et  à  en  fournir  au  Roi  pour  le  service  des  ga- 
lères. Mais  cette  Compagnie  était  trop  faible  pour  l'étendue 
de  sa  concession  el  l'importance  de  ses  obligations,  et  en 
1685  son  privilège  fut  limité  au  sud  à  la  rivière  de  Sierra- 
Léone.  Depuis  lors,  elle  subit  plusieurs  remaniements  et 
changea  plusieurs  fois  de  mains  sans  arriver  au  succès. 
En  1718,  elle  céda  avec  empressement  ses  droits  et  ses  privi- 
lèges à  la  Compagnie  d'Occident. 

Le  reste  du  vaste  domaine  africain  de  la  Compagnie  des 
Indes  Occidentales(l)  fut  revendiqué  par  une  Compagnie  nou- 
velle, qui  prit  le  nom  de  Compagnie  de  Guinée  [X^^ixi),  et  dont 
le  but  fut  également  le  commerce  des  nègres  avec  celui  delà 
poudre  d'or.  En  1701,  elle  passa  un  traité  avec  le  gouverne- 
ment espagnol  qui  lui  octroya  le  monopole  de  la  fourniture 
des  nègres  à  l'Amérique  espagnole  ;  elle  prit  dès  lors  le  nom 


(1)  De  la  rivière  de   Sierra-Léone  au  Nord,  jusqu'au  cap  de  Bonne- 
Espérance  au  Sud. 

W,  —  19   • 


200  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

de  Compagnie  de  l'Assie7ite{]),  sous  lequel  elle  fonclionna 
jusqu'à  la  fin  du  règne  de  Louis  Xi V.  Sa  prospérité  relative  lui 
nuisit  et  un  article  secret  du  traité  d'Ulreclit  la  sacrifia  à  l'An- 
gleterre qui  obtint  à  sa  place  le  monopolo  qu'elle  avait  rp(;u 
du  roi  d'Espagne  en  1701  .Cette  éviction  fut  suivie  de  la  procla- 
mation en  France  en  1716  delà  liberté  delà  traite  des  nègres 
ol  du  commerce  de  la  poudre  d'or  dans  l'étendue  de  l'an- 
cienne concession  de  cette  Compagnie,  sous  la  condition 
d'armer  dans  des  ports  déterminés  :  Rouen,  Nantes,  la  iîo- 
clielle  et  Bordeaux.  Cet  état  de  choses  ne  fut  point  non  plus 
définitif  et  ce  commerce  s'engloulil,lui  aussi, dans  l'immense 
patrimoine  de  la  Compagnie  des  Indes  (1720). 

La  Compagnie  des  Indes  Orientales  elle-même  subit,  nous 
l'avons  vu,  une  séparation  dans  son  monopole.  Poussée  par 
la  nécessité  de  trouver  des  ressources,  elle  céda  à  une  Com- 
pagnie nouvelle  créée  par  le  sieur  Jourdan  l'exploitation  de 
ce  privilège  en  ce  qui  concernait  le  commerce  de  la  Chine.  Ce 
fut  là  une  décision  plus  grave  que  les  traités  qu'elle  passait 
d'ordinaire  avec  les  négociants  particuliers  :  il  y  eut  en  effet 
un  véritable  démembrement  de  son  monopole  dans  une  par- 
tie que,  d'ailleurs,  elh;  n'avait  jamais  exploitée.  Ce  traité  fui 
conclu  le  4  janvier  1698  :  la  Compagnie  de  la  Chine  fit  partir 
aussitôt  son  premier  vaisseau,  VAmpJiitrile,  qui  revint  avec 
une  bonne  cargaison  on  août  1700,  ce  qui  détermina  celle 
société  à  passer  avec  la  Compagnie  des  Indes  Orientales 
un  second  traité  ;  puis  VAmpIiilrile  fil  un  second  voyage 
aussi  fructueux  de  1701  à  1703,  et  trois  autres  vaisseaux  par- 
tirent encore.  Les  associés  obtinrent  alors  des  lettres  paten- 
tes (octobre  1705),  un  privilège  de  10  ans,  et  leur  société  prit 
le  nom  de  Compagnie  royale  de  la  Chine  :  mais  la  guerre  de 

(1)  Assicuto  de  negi-os  (Kournilure  des  nègres). 


ORIGINE    ET    ÉLÉMENTS    DE    LA    COMPAGNIE    DE    LAW  291 

Succession  d'Espagne  arrêta  ses  opérations.  En  1712  son  pri- 
vilège,dont  elle  ne  faisait  déjà  plus  usage,  fut  réclamé  par  une 
nouvelle  société,  qui  l'oblint  à  son  tour  pour  une  période  de 
50  années  par  lettres  patentes  du  19  février  1713  (1).  Cette 
seconde  Compagnie  de  la  Chine  expédia  à  son  tour  deux 
vaisseaux  qui  revinrent  en  Europe  en  1718  (2)  ;  elle  céda  son 
monopole  à  la  Compagnie  d'Occident  qui  acquit  en  même 
temps  celui  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  (mai  1719) 
et  devint  par  suite  la  Compagnie  des  Indes. 

Le  commerce  des  mers  du  Sud  fut  concédé,  lui  aussi,  en 
1664  à  la  Compagnie  des  Indes  Orientales,  qui  ne  l'exploita 
pas  davantage  que  celui  de  la  Chine  ;  aussi,  en  même  temps 
que  ce  dernier,  le  céda-l-elle  à  une  autre  société,  qui  prit  le 
titre  de  Compagnie  des  Mers  du  Sud  (Déclaration  de  décembre 
1698).  Cette  Compagnie  reçut  le  monopole  du  commerce 
«  depuis  le  cap  Saint-Antoine,  sur  les  côtes  des  détroits  de 
Magellan,  de  Lemaire  et  de  Brouers  et  sur  les  côtes  et  lies  de 
la  mer  du  Sud  ou  Pacifique,  non  occupées  par  les  puissances 
de  l'Europe  »  (3).  Les  rivages  asiatiques  de  l'Océan  Pacifique 
et  les  îles  de  l'Archipel  malais  restèrent  en  dehors  de  ce  pri- 
vilège. La  Compagnie  n'eut  d'ailleurs  aucun  succès  et  depuis 
longtem.ps  elle  n'exploitait  plus  ses  droits,  quand  au  traité 
d'Utrecht  la  couronne  d'Espagne  obtint  l'interdiction  pour 


(0  Celte  société,  formée  de  6  négociants  avec  900.000  livres  de 
capital,  ne  voulut  point  tenir  ses  droits  de  la  Compagnie  des  Indes 
Orientales  comme  la  précédente,  mais  du  Roi  lui-même,  ce  qui  lui 
fut  accordé  par  les  lettres  patentes. 

(2)  Ces  deux  vaisseaux,  le  i1/(U'<ia/ et  le  Jup/^er, atterrirent  à  Oslende 
et  à  Gènes  ;  le  premier  vint  ensuite  désarmer  à  Rouen,  mais  l'entrée  du 
second  à  Marseille  fut  refusée. Ce  fut  le  premier  de  ces  deux  vaisseaux 
qui  apporta  en  France  la  première  cargaison  de  thé. 

(3)  Voir  note,  p.  238. 


292 


TROISIEME    PAUTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 


tous  les  sujets  français  de  la  navigation  dans  ces  mers,  inter- 
diction qui  fut  formulée  sous  peine  de  mort  par  une  déclara- 
tion du  gouvernement  delà  Régence,  le  29  janvier  1718. 

Le  commerce  de  l'ile  de  Sainl-Domingue  (1),  fertile  mais 
alors  déserte,  fut  l'objet  de  la  création  en  1698  de  la  Compa- 
gnie de  Saint-Domingue  avec  un  privilège  de  50  années.  Son 
capital  ne  s'élevait  qu'à  1.200.000  livres  (2),  néanmoins  son 
succès  fut,  paraît-il,  très  grand  et  «  il  n'y  eut  guère, dit  Savary, 
de  Compagnie  si  prospère  en  France  (3)  ».Le  peuplement  et  le 
défrichement  de  l'ile  se  firent  sous  sa  direction  dans  des  con- 
ditions favorables  et  les  guerres  n'arrêtèrent  pas  son  activité. 
Ses  intéressés  se  rendirent  compte  les  premiers,  suivant  le 
même  auteur,  que  la  liberté  du  commerce  conviendrait  beau- 
coup mieux  à  cette  île  que  le  régime  exclusif  et  demandèrent 
d'eux-mêmes  au  gouvernement  royal  de  leur  en  reprendre 
la  concession  (1720).  D'autres  historiens,  il  est  vrai,  voient 
le  motif  de  cette  démarche  dans  la  détresse  déterminée  par 
leur  mauvaise  administration.  Quoi  qu'il  en  fût,  la  rétroces- 
sion fut  acceptée  (4)  et  des  lettres  patentes  déclarèrent  ce 
commerce  libre,  comme  celui  des  autres  Antilles  françaises 
(29  avril  1720).  Mais  presque  aussitôt  la  Compagnie  des  Indes 
en  réclama  la  concession  à  son  profit  exclusif  et  l'obtint  éga- 
lement (arrêt  du  10  septembre  1720). 

(1)  La  France  ne  possédait  qu'une  partie  de  Saint-Domingue, dont  les 
Espagnols  avaient  conservé  près  des  deux  tiers. 

(2)  Il  fut  fourni  par  les  douze  associés  qui  la  composaient.  Le  Roi  lui 
fit  cadeau  de  6  navires  ;  elle  s'engagea  de  son  côté  à  faire  passer 
1.500  Européens  et  2.500  nègres  dans  l'ile  en  cinq  ans. 

(3)  Savary,  Dictionnaire  du  Commerce. 

(4)  Suivant  M.  Bonnassieux,  la  suppression  de  cette  Compagnie  fut 
décidée  par  le  Régent  sur  les  plaintes  des  colons;  elle  protesta,  mais 
ne  pouvant  obtenir  satisfaction,  elle  se  soumit  de  bonne  grâce  et  remit 
son  privilège. 


ORIGINE    ET   ÉLÉMENTS    DE    LA    COMPAGNIE    DE    LAW  293 

Le  commerce  des  peaux  de  castors  fui  dès  les  premières 
tentatives  de  colonisation  française  en  Amérique  du  Nord 
l'objet  de  très  grandes  convoitises.  Le  castor  du  Canada,  libre 
à  l'origine,  fut  en  1628  concédé  à  la  Compagnie  de  la  Nouvelle- 
France.  En  1664,  il  passa  à  celle  des  Indes  Occidentales  qui 
le  garda  jusqu'à  sa  chute.  A  cette  date, les  droits  du  Domaine 
d'Occident  ayant  été  réunis  à  la  Couronne,  le  castor  du  Ca- 
nada y  fut  compris  et  affermé  à  des  adjudicataires  particu- 
liers. Mais  en  1699  il  en  fut  distrait  et  transféré  à  une  nou- 
velle Compagnie  dite  du  Canada.  Celle-ci  ne  réussit  pas,  et 
le  céda  à  son  tour  en  1706  à  une  autre  société  qui  prit  le  nom 
de  Compagnie  du  Castor  (l),  el  obtint  un  privilège  de  douze 
années;  en  1717  enfin,  celte  dernière  le  transféra  à  la  Com- 
jmgnie  d'Occident.  Le  castor  de  l'Acadie  resta  en  dehors  des 
précédentes  concessions:  il  appartint  à  partir  de  1683  à  la 
Compagnie  de  l'Acadie  qui  se  forma  pour  l'exploiter  :  elle 
non  plus  ne  réussit  point,  car  les  fraudes  ruinèrent  l'impor- 
tance de  son  monopole.  Quand  il  prit  tin  en  1703,  la  guerre 
d'Espagne  était  ouverte, el  elle  n'en  sollicita  pas  le  renouvel- 
lement, aussi  ce  trafic  resla-l-il  libre  jusqu'à  la  paix  d'Utrech, 
qui,  en  cédant  l'Acadie  à  l'Angleterre,  en  chassa  le  commerce 
français. 

Le  commerce  de  la  Louisiane  fut  accordé  en  1683  par  Col- 
bertà  Cavelier  delà  Salle  qui  avait  antérieurement  découvert 
et  exploré  le  Mississipi.  Celui-ci  emmena  les  éléments  d'une 
colonie,  mais  ne  put  retrouver  l'embouchure  du  grand  fleuve, 

(1)  On  la  désigna  aussi  sous  celui  de  Compagnie  du  Canada  comme 
la  précédente.  Elle  comptait  trois  associés  :  les  sieurs  Aubat,  Gayot  et 
Néret.  On  voit  que  beaucoup  de  ces  Compagnies  ont,  au  fond,  peu  d'im- 
portance el  de  solidité  el  qu'on  ne  peut  les  mettre  en  parallèle  avec  la 
Compagnie  des  Indes  Orientales.  Il  est  à  remarquer  d'ailleurs  que 
celle-ci  el  la  Compagnie  Occidentale  donnèrent  seules  lieu  à  une  sous- 
cription publi(|ue  pour  la  constitution  de  leur  capital. 


294  TIlOISitMK    PAUTIK.    CIIAI'I TIIK    l'UKMIKU 

OÙ  il  voulait  l'établir,  et  périt  assassiné  par  ses  conipagiioiis 
(1687).  Sa  concession  fui  relevée  par  d'Iberville  qui,  plus  heu- 
reux que  lui, transporta  la  colonie  du  rivage  stérile  où  il  l'avait 
laissée,  sur  les  rives  mêmes  du  Mississipi  où  elle  se  lixa. 
Mais  d'Iberville,  à  son  tour,  mourut  «  empoisonné,  dit-on, 
par  les  intrigues  d'une  nation  célèbre  qui  craignait  un  tel 
voisin  »  (l).La  concession,  vacante  pour  la  seconde  fois, passa 
au  financier  Grozat  avec  un  privilège  de  quinze  années  :  le 
trafic  du  castor  qui  appartenait  à  la  Compagnie  du  Canada  en 
fut  expressément  exclu.  Les  lettres  patentes  du  14  septem- 
bre 1712  définissaient  la  Louisiane  :«  Toutes  les  terres  qui 
sont  bornées  parcelles  des  Anglais  de  la  Caroline  d'un  coté, 
et  par  le  Nouveau-Mexique  de  l'autre,  et  en  particulier  l'île 
Daupliine  et  le  fleuve  Saint-Louis,  auparavant  Mississipi,  de- 
puis le  bord  de  la  mer  jusqu'aux  Illinois,  les  rivières  Saint- 
Philippe  (Missouri)  et  Saint-Jérôme  (Wabash),  avec  tous  les 
pays,  contrées,  lacs  et  rivières  qui  tombent  dans  cette  partie 
du  fleuve  Saint-Louis.  »  Grozat,  après  avoir  tenté  de  dévelop- 
per la  colonie  (2),  demanda  à  remettre  son  privilège,  ce  qui 
lui  fut  accordé  par  l'arrêt  du  23  août  1717. 

Immédiatement  se  fonda  une  nouvelle  Compagnie  qui  le 
releva.  Un  second  arrêt  du  même  mois,  en  effet,  créa  la  Com- 
pagnie d'Occident^  dont  l'importance  devait  être  si  considéra- 
ble dans  cette  histoire.  Elle  obtint  la  concession  de  Grozat, 
augmentée  du  connnerce  du  castor,  dont  le  monopole,  ac- 
cordé à  la  Compagnie  du  Castor  en  1706,  expirait  à  celle  épo- 


(1)  Savary.  11  veut  parler  des  Espagnols. 

(2)  Grozat  arma  à  Lorienl  son  premier  navire,  le  Baron-de-la-Fauchc, 
qui  emmena  le  gouverneur  de  la  future  colonie  :  M.  de  la  Molle-Gadil- 
lac  et  sa  femme,  le  commandant  des  U'oupes  Blondel,  le  greflier  du 
Conseil  Supérieur  Maleffoë,  et  '.2  jeunes  filles  recrutées  parmi  les 
familles  pauvres  de  Lorienl  (janvier  1713).  .légou. 


ORIGINE    ET    ÉLÉMENTS    DE    LA    COMPAGNIE    DE    LAW  20") 

que  niêine.  Ce  privilège  était  accordé  pour  25  années,  de  la 
date  des  lettres  patentes  à  la  fin  de  l'an  1742. 

La  nouvelle  Compagnie  était  établie  sur  le  pied  des  édits 
de  mai  (1)  et  d'août  1664(2),  d'août  1669  et  de  septembre 
17U1  (3).  Elle  ne  devait  se  servir  que  de  ses  vaisseaux,  ou  à 
défaut  de  navires  français  armés  en  France  et  montés  par 
des  équipages  français.  Une  gratification  de  6  livres  par  ton- 
neau lui  était  accordée  pour  les  vaisseaux  de  200  tonneaux 
et  au-dessus  bâtis  dans  les  terres  de  sa  concession,  avec  un 
supplément  de  3  livres  pour  leur  premier  voyage  en  France. 

Le  Roi  se  réservait  le  droit  de  nommer  les  premiers  Direc- 
teurs, mais  la  Compagnie  devait  en  remplacer  trois  tous  les 
trois  ans.  Le  bilan  devait  être  dressé  tous  les  ans  et  les  ré- 
partitions fixées  par  l'assemblée  des  actionnaires  après  ledit 
bilan  arrêté.  La  Compagnie  reçut  pour  armes  «  un  écusson 
de  sinople  à  la  pointe  ondée  d'argent,  sur  laquelle  est  cou- 
ché un  fleuve  au  naturel,  appuyé  sur  une  corne  d'abondance 
d'or;  au  chef  d'azur  semé  de  fleurs  de  lys  d'or;  soutenu 
d'une  face  en  devise  aussi  d'or;  ayant  deux  sauvages  pour 
supports  et  une  couronne  Iréflée  » .  Elle  obtint  le  droit  de 
dresser  tous  règlements  et  statuts  qu'il  conviendrait  pour  le 
gouvernement  de  ses  affaires  en  France  et  dans  ses  conces- 
sions, à  charge  de  les  faire  confirmer  par  lettres  patentes 
enregistrées  au  Parlement. 

Elle  s'engageait  à  transporter  en  Louisiane  6.000  blancs  et 
3.000  noirs  pendant  la  durée  de  son  privilège  ;  après  l'expi- 
ration de  celui-ci,  et  au  cas  où  il  ne  serait  pas  renouvelé,  elle 
devait  conserver  la  propriété  perpétuelle  des  terres  et  iles 


(1)  Création  de  la  Compagnie  des  Indes  Occidentales. 

(2)  Création  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales. 

(3)  A  l'égard  de  la  non-dérogeaiice. 


29G  TROISIÈME    PARTIE.    —    (JIIAWTHE    PREMIER 

qu'elle  aurait  habitées,  à  condition  de  ne  les  vendre  qu'à  des 
sujets  du  Roi  et  de  remettre  à  ce  dernier  les  forts,  armes  et 
munitions  qui  s'y  trouveraient.  La  Compagnie  d'Occident  ne 
devait  pas  partager  la  destinée  obscure  de  la  plupart  des  so- 
ciétés dont  nous  venons  de  tracer  brièvement  le  tableau  d'en- 
semble ;  elle  ne  tarda  pas  en  effet  à  prendre  un  développe- 
ment inattendu  et  à  joindre  à  son  programme  primitif  les 
entreprises  les  plus  diverses  ;  mais  l'étude  de  cette  Com- 
pagnie mérite  une  place  particulière,  car  elle  compte  parmi 
les  faits  les  plus  importants  de  notre  histoire  économique. 


CHAPITRE 


LE    SYSTEME   ET    LA  COMPAGNIE    DES    INDES. 


Place  occupée  par  la  Compagnie  dans  le  programme  de  re'formes  finan- 
cières et  sociales  de  Law.  —  Création  et  accroissements  successifs 
de  la  Compagnie  des  Indes.  —  Les  émissions  des  Indes.  —  Coloni- 
sation de  la  Louisiane  :  procédés  et  résultats.  —  Chute  du  Système. 
—  Efforts  de  Law  pour  en  dégager  la  Compagnie.  —  Liquidation  du 
Système  et  mise  en  tutelle  de  la  Compagnie  des  Indes. 


Les  guerres  continuelles  et  coûteuses  de  Louis  XIV  n'eurent 
pas  seulement  le  résultat  politique  de  mellre  la  France  à 
deux  doigts  de  sa  perle  jurée  par  l'Europe  coalisée  ;  elles 
produisirent  dans  les  dernières  années  de  ce  règne  une  si- 
tuation économique  lamentable  dans  l'intérieur  du  royaume. 
Le  commerce,  l'industrie  avaient  perdu  toute  activité,  l'agri- 
culture était  délaissée,  la  misère  générale.  Le  Trésor  était 
épuisé  et  l'on  avait  recours  pour  satisfaire  aux  dépenses  nor- 
males de  l'administration  aux  pires  expédients  financiers  : 
émission  continue  de  papier-monnaie  immédiatement  avili, 
variations  répétées  des  espèces  d'or  et  d'argent,  emprunts  rui- 
neux, création  d'offices  mutiles  ou  nuisibles,  etc.  Ces  mesu- 
res, sans  avoir  pour  le  présent  aucun  résultat  heureux,  discré- 
ditèrent l'Elat,  troublèrent  les  esprits,  et  accumulèrent  une 
dette  écrasante.  C'est  au  gouvernement  de  Louis  XIV  vieilli, 
que  remonte  la  responsabilité  de  la  révolution   financière 


298  TROISIÈME    l'ARTIt;.    —    CHAPITRE    II 

que  devait  voir  la  Régence  (1  )  ;  il  laissait  à  la  France  une  dette 
de  trois  milliards  et  demi  de  livres,  représentant  un  inlérèl 
annuel  de  85  millions:  c'était  payer  assez  chéries  années 
de  gloire  du  début  de  ce  règne. 

Le  gouvernement  de  la  Régence  pouvait  se  plaindre  à  bon 
droit  qu'on  lui  laissât  à  liquider  une  situation  désespérée  ; 
il  ne. manqua  cependant  ni  de  bonne  volonté,  ni  d'adresse,  et 
malgré  bien  des  fautes  eut  le  mérite  d'en  triompher. 

La  première  opération  entreprise  par  le  duc  de  Noailles, 
président  du  Conseil  des  P'inances,  celle  du  Visa,  souleva 
une  réprobation  générale;  elle  était  pourtant  justifiée,  car 
le  papier-monnaie  de  Louis  XIV  avait  été  l'objet  de  fraudes 
multiples  dont  la  répression  était  un  acte  de  justice  et  de 
bonne  politique.  Malheureusement,  cette  mesure  perdit  par 
celles  qui  la  suivirent  beaucoup  de  son  mérite  et  le  crédit  de 
l'Etat,  qu'elle  avait  un  instant  relevé,  retomba  à  néant.  C'est 
au  moment  oîi  la  politique  du  duc  de  Noailles  qui  ne  voulait, 
disait-il,  employer  que  des  moyens  lents  mais  sûrs,  était 
ainsi  mise  en  échec,  qu'un  homme  se  présenta  qui  prélendit 
trouver  à  la  situation  de  la  France  un  remède  aussi  prompt 
qu'efficace,  c'était  Jean  Law  (2). 

(i)  Le  Système  de  Law  a  été  une  des  périodes  les  plus  étudiées  de 
l'histoire  de  la  Compagnie  des  Indes,  non  pas  tant  qu'on  se  soit  alla- 
ché  à  l'y  suivre  en  elle-même  que  parce  qu'elle  en  fait  partie  intégrante, 
qu'elle  en  est  le  cœur  même.  Nous  avons  cru  néanmoins  devoir  y  con- 
sacrer quelque  allenlioii,  parce  que  Law  est  le  véritable  auteur  du  déve- 
loppement acquis  par  cette  C.iaipagnie  au  cours  du  xviii*  siècle,  et  parce 
que  beaucoup  des  événements  qui  suivront,  surtout  les  circonstances  (|ui 
accompagnèrent  sa  chute,  seraient  incompréhensibles  sans  cette  élude. 

(2)  Jean  Law,  né  à  Edimbourg  en  1671  et  fils  d'un  orfèvre  de  cette 
ville,  ne  s'était  longtemps  signalé  que  par  des  désordres  de  toute  sorte: 
enfermé  à  la  Tour  de  Londres  à  la  suite  d'un  duel,  il  s'en  échappa  et 
s'enfuit  en  Hollande.  I!  employa  fructueusement  cet  exil  à  étudier  le 
fonctionnement  de  la  banque  d'.Amslerdam,  alors  la  plus  importante  de 


LE    SYSTÈME    ET    LA    COMPAGNIE    DES    LNDES  209 

La  dernière  formule  de  la  science  économique  était  encore 
la  lliéorie  mercantile  ;  on  n'était  point  désabusé  de  la  toute 
puissance  attribuée  aux  métaux  précieux  ;  cette  considéra- 
tion dirigeait  la  politique  financière  des  Étals  européens,  elle 
avait  inspiré  les  réformes  de  Colbert,  la  vie  économique  de 
la  France  reposait  sur  elle. 

Law  donna  à  cette  doctrine  une  extension  nouvelle,  en 
transportant  cette  toute-puissance  du  métal  précieux  au 
numéraire  quelle  qu'en  fût  la  forme  et  par  conséquent  au 
papier-monnaie.  «  Le  numéraire  est  une  richesse  qui  a  la 
faculté  d'en  produire  d'autres  »,  disait-il  ;  il  faut  donc  le  mul- 
tiplier; or  on  ne  peut  multiplier  à  son  gré  le  métal  précieux, 
mais  cette  objection  ne  se  présente  pas  quand  il  s'agit  du 
papier  ;  il  faut  donc  multiplier  celui-ci  ;  la  dépense  est  nulle 
pour  l'Etat,  et  les  effets  de  cette  diffusion  sont  prodigieux  (1). 
Ainsi  l'Etat  peut  et  doit  retirer  de  la  circulation  tout  le  nu- 
méraire et  le  remplacer  par  une  valeur  décuple  en  billets  (2). 
Quels  ne  seront  pas  les  avantages  de  celle  façon  d'agir? 
Puisque  c'est  le  numéraire  qui  fait  la  richesse  d'une  nation, 
la  France  sera  immédiatement  dix  fois  plus  riche  et  il  per- 

l'Europe,  et  passa  ensuite  en  Italie  où  il  poursuivit  ses  études  financiè- 
res. Peu  à  peu  prirent  naissance  cliez  lui  les  idées  qu'il  devait  mettre 
en  pratique  plus  lard  et  dont  le  point  de  départ  fut  une  remarquable 
intelligence  de  la  puissance  encore  inconnue  du  crédit. 

(i)  N'est-ce  pas  un  fait  d'expérience,  disait-il  encore,  que  le  crédit 
d'une  maison  de  commerce  bien  dirigée,  peut  être  dis  fois  plus  grand 
que  son  capital  ?  Pourquoi  n'en  serait-il  pas  de  même  de  l'Etat  ?  Les 
banques  les  plus  solides  ne  délivrent  que  des  récépissés  de  dépôt  repré- 
sentant des  sommes  encaissées.  Cependant,  si  elles  sont  bien  gérées, 
on  ne  viendra  jamais  leur  réclamer  à  la  fois  le  remboursement  de  tous 
ces  dépôts,  et  ceux-ci  sufûsent  amplement  à  faire  les  paiements  nor- 
maux d'une  quantité  de  papier-monnaie  dix  fois  plus  forte. 

(2)  Revêtus,  cela  va  sans  dire,  des  manjues  les  plus  satisfaisantes 
de  leur  authenticité. 


300  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

mellra  la  création  de  produits  nouveaux,  qui  bientôt  centu- 
pleront sa  richesse  (1). 

Voilà  ce  que  Law  accourut  proposer  au  gouvernement  du 
Régent.  Il  demandait  qu'on  l'admit  à  expérimenter  ce  Sys- 
tème, promettant  qu'en  sept  ans  il  porterait  les  revenus  de 
la  France  à  trois  milliards  et  les  ressources  de  l'Etat  à  300 
millions. 

Le  Régent,  favorable  à  ces  idées  (2),  n'osa  cependant  se 
décider  seul  et  en  référa  au  Conseil.  Celui-ci  se  rangea  à 
l'opinion  du  duc  de  Noailles,  son  président,  qui  déclara  les 
circonstances  défavorables  et  refusa.  Law  obtint  du  moins 
l'autorisation  de  fonder  une  banque  privée  (2  mai  1716)  ;  il 
tenta  l'expérience  à  ses  risques  et  périls  et  y  engagea  sa 
propre  fortune. 

La  banque  ainsi  créée  reçut  le  nom  de  Banque  Générale  et 
fut  constituée  avec  un  capital  de  6  millions  de  livres,  divisé 
en  1200  actions  de  5.000  livres.  Elle  eut  immédiatement 
beaucoup  de  succès  ;  son  capital  fut  vile  souscrit,  ses  billets 
furent  bientôt  demandés  par  le  commerce.  Law  l'administrait 
d'ailleurs  avec  une  très  grande  habileté. 

Aussitôt  le  gouvernement,  qui  avait  cependant  agi  avec 
prudence,  se  repentit  d'avoir  repoussé  ses  offres  et  donna  à 
la  Banque  son  appui  moral  et  un  caractère  quasi-officiel  en 
déclarant  que  ses  billets  seraient  acceptés  par  les  caisses 

(1)  Quelle  commodilé,  disail-il  encore,  pour  les  particuliers  que 
l'emploi  du  papier  qui  pour  le?  plus  tories  somuies  ne  présente  qu'un 
poids  et  un  volume  des  plus  réduits,  lin  outre,  l'usure  n'aura  plus  de 
raison  d'être  en  présence  de  celle  abondance  du  numéraire,  et  l'inlérèl 
de  rarp:ent  baissera  infailliblement. 

(2)  Law  était  venu  à  Paris  à  la  lin  du  règne  précédent  et  les  avait 
exposées  alors  au  duc  d'Orléans.  Il  avait,  il  est  vrai,  été  invité  à  «piil- 
ler  celle  ville  par  le  lieutenant  de  police  (|ui  lui  reprochait  «  d'en  sa- 
voir trop  au  jeu  ». 


LE    SYSTÈME    ET    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  30  i 

publiques  (Déclaration  du  10  avril  1717).  C'était  aller  trop 
vile  !  Naturellement,  le  succès  ne  fit  que  croître  sous  l'in- 
fluence de  cette  mesure,  mais  Law  ne  s'en  contenta  point. 

Sa  Banque  n'était,  comme  il  le  répétait  volontiers,  «  ni  la 
seule  ni  la  plus  grande  de  ses  idées  «.  Elle  devait  être  le  ré- 
gulateur du  crédit,  le  dépositaire  des  espèces  du  royaume  et 
le  caissier  du  Roi  ;  mais  elle  n'était  que  la  préface  du  Système 
et  ce  n'était  pas  elle  qui  devait  tirer  l'Etat  de  sa  triste  situa- 
tion, rétablir  les  finances  et  éteindre  la  dette  publique.  En 
elle,  on  avait  un  instrument;  le  moyen  lui-même,  c'était  «  un 
grand  travail  »  qu'au  début  Law  ne  voulait  pas  révéler,  qu'il 
exposa  cependant,  quand  il  en  eut  coordonné  toutes  les  par- 
ties. C'était  une  vaste  entreprise  que  l'Etat  lui-même  devait 
diriger,  et  qui  englobait  toutes  les  ressources  économiques 
du  royaume,  tous  les  commerces,  toutes  les  industries,  tous 
les  revenus  ;  qui  réunissait  en  une  seule  administration  gi- 
gantesque toutes  les  compagnies  de  commerce,  les  manufac- 
tures, la  perception  des  impôts  jusque-là  adjugés  aux  trai- 
tants, l'exploitation  des  charges  des  officiers  publics,  etc., 
c'était  la  monopolisation  de  toute  l'activité  nationale  (1)  ;  c'é- 
tait aussi,  on  ne  l'a  pas  assez  remarqué,  une  pure  concep- 
tion collectiviste  :  l'Etat  manufacturier,  commerçant,  admi- 
nistrateur unique,  TEtat-Providence  ! 

Law  cependant  n'allait  pas  jusqu'à  vouloir  déposséder 
l'initiative  individuelle  de  toute  entreprise  commerciale  ou 
industrielle  ;  il  la  laissait  subsistera  côté  de  cette  immense 
machine,  mais  il  comptait  bien  que  celle-ci  lui  nuirait  le  plus 

(1)  Les  contemporains  ne  s'y  trompèrent  pas.  «  Nous  voyons  tous 
les  jours,  dit  l'un  d'eux,  des  preuves  qu'on  est  dans  le  système  de  faire 
de  tous  les  sujets  du  Roi  un  seul  et  unique  commerçant  qui  sera  la 
«  Compagnie  des  Indes  ».  Mémoire  anonyme  conservé  aux  Arcliives 
nationales.  F  50,  5'. 


302  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    II 

possible  I  La  Banque  fournirait  des  fonds  au  commerce  par- 
ticulier; la  «  Compagnie  »  fournirait  aux  fonds  sans  emploi 
un  commerce  toujours  prêt.  C'est  des  résultats  de  celle  ex- 
ploitation que  Law  attendait  toutes  les  merveilles  qu'il  avait 
annoncées  :  l'cxlinction  de  la  dette,  la  rentrée  du  papier  d'K- 
lat,  la  multiplication  des  revenus  du  Roi.  Appuyées  l'une  sur 
l'autre,  la  Banque  et  la  Compagnie  devaient  être  invulnéra- 
bles et  l'Etat  ne  courrait  par  leur  fait  aucun  risque. 

Law  avait  fondé  sa  Banque  :  elle  prospérait,  TKtat  qui  avait 
refusé  de  la  faire  sienne,  revenait  sur  ce  refus  et  déjà  la  pa- 
tronnait. 11  crut  pouvoir  entamer  la  seconde  partie  de  son 
programme,  l'occasion  ne  s'en  fit  pas  attendre. 

Le  financier  Crozat  sollicitait  du  gouvernement  la  rétroces- 
sion du  privilège,  qu'il  avait  obtenu  en  1712,  du  commerce  de 
la  Louisiane.  Law  provoqua-t-il  cette  sollicitation  (1)?  En 
tout  cas  il  la  saisit  au  passage  et  demanda  le  transfert  de  ce 
privilège  à  son  protit.  Le  Conseil,  au  courant  de  ses  projets, 
ne  pouvait  le  lui  refuser,  il  lui  fut  accordé  par  l'arrêt  du 
23  août  1717  et  un  édit  du  même  mois  créa  la  Compagnie 
d'Occident  (2).  Elle  obtenait,  nous  l'avons  vu,  la  concession 
pendant  25  années  du  commerce  exclusif  avec  la  Louisiane, 
avec  propriété  perpétuelle  des  terres  qu'elle  occuperaitettous 
droits  de  souveraineté  sur  elles, et  acquérait  en  outre  le  mono- 
pole du  commerce  du  castor.  C'était  un  début  fort  modeste 
encore  pour  les  ambitions  de  Law  ;  Crozat  n'avait  pas  réussi 
dans  cette  exploitation  ;  il  est  vrai  que  la  situation  économique 

(1)  Cela  est  bien  possible,  car  Crozat  devint  dès  lors  un  ennemi  dé- 
claré de  Law  et  du  Système. 

(2)  L'édit  fut  porté  le  28  au  Parlement  pour  être  enregistré.  Le  Parle- 
ment qui,  lui  aussi,  connaissait  les  plans  de  Law,  mais  s'en  déclarait 
l'adversaire,  fit  des  remontrances  et  réclama  au  I-tét^ent  les  comptes  des 
revenus  du  Roi  et  de  la  lietto  (Icl'l'^lat.  1,'enregistrement  eut  lieu  néan- 
moins le  6  septembre. 


LE    SYSTÈME    ET    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  303 

de  la  France  s'était  un  peu  améliorée  depuis  la  mort  de 
Louis  XIV.  Mais  dès  ce  début  Law  appliqua  ses  idées  et 
commença  l'exécution  de  l'œuvre  depuis  longtemps  rêvée  et 
préparée. 

La  nouvelle  Compao-nie  fui,  en  effet,  constituée  avec  un 
capital  de  100  millions  de  livres,  représenté  par  200.000  ac- 
tions de  500  livres.  C'était  une  somme  énorme,  hors  de^pro- 
portion  avec  le  but  apparent  de  celte  entreprise;  mais  ces 
actions  n'étaient  achetables  qii'au  moyen  de  billets  d'Etal, 
L'engouement  que  le  public  avait  déjà  montré  pour  la  Ban- 
que de  Law  se  manifesta  pour  sa  Compagnie  ;  les  actions 
furent  très  recherchées  et  en  même  temps  qu'elles  les  billets 
d'Etal  jusque-là  fort  discrédités,  et  qui  reprirent  aussitôt  une 
certaine  valeur  (1).  Law  en  eut  bientôt  dans  sa  caisse  pour 
une  valeur  nominale  de  100  millions  de  livres,  et  une  valeur 
réelle  de  75  millions,  au  taux  où  ils  étaient  à  ce  moment. 

C'était  là  une  opération  politique  fort  adroite,  qui  faisait 
du  gouvernement  son  obligé  (2).  Dans  le  public  le  papier  de 
l'Etat  était  remplacé  par  le  papier  de  la  Compagnie  d'Occi- 
dent :  en  réalité  il  n'y  avait  donc  rien  de  changé  joowr  VEtal, 
car  l'intérêt  à  4  0/0  du  papier  d'Etal  était  payé  désormais 
par  lui  non  plus  au  public,  mais  à  Law,  qui  touchait  ainsi 
4  millions  de  livres  par  an.  La  Compagnie  s'engagea  à  dis- 
tribuer cette  somme  intégrale  à  ses  actionnaires  ;  la  première 
année  de  revenus  seule  devait  être  retenue  pour  fournir 
aux  frais  du  premier  armement.  Ejx  résumé,  le  capital  effectif 
de  la  Compagnie  d'Occident  était  seulement  de  ces  quatre 
millions  de  livres  une  fois  payés.  C'était  peu. 

(1)  Ils  avaient  perdu  à  cette  époque  72  0/0  de  leur  valeur  nominale. 

(2)  Tout  ce  papier  passa  en  effet  de  la  Caisse  de  la  Compagnie  dans 
celle  de  l'Etat  qui  l'annula  et  le  remplaça  par  4  millions  de  livres  de 
rente  dont  la  Compagnie  reçut  le  bénéfice. 


304  TROISIÈME    PARTIE.    —    CUAI'ITRE    II 

Aussi  bien,  l'inlenlion  de  Law  n'élait-elle  pas  de  s'en  con- 
tenter; la  Banque  émit  en  effet  au  nom  de  la  Compagnie 
9.000  actions  nouvelles. Celles-là  étaient  payables  en  argent  et 
c'était  surcetle  ressource  que  Law  fondait  ses  premières  espé- 
rances :  elles  furent  émises  à  500  livres  et  devaient  donner  un 
capital  de  4  millions  et  demi.  L'événement  sembla  lui  donner 
tort  ;  on  avait  préféré  le  papier  de  la  Compagnie  au  papier 
d'Etat,  mais,  malgré  le  succès  de  la  Banque,  on  préférait  gar- 
der son  or  et  les  actions  restèrent  au-dessous  du  pair.  Law 
employa  pour  le  leur  faire  atteindre  un  moyen  que  la  spécu- 
lation devait  bien  souvent  imiter,  mais  qui  était  alors  d'une 
belle  audace  :  il  racheta  sous  main  1.200  actions  ;  le  résultat 
répondit  à  son  attente  et  aussitôt  il  songea  à  élargir  le  champ 
de  ses  opérations.  Le  l"'"  août  1718  la  Compagnie  d'Occident 
se  rendit  adjudicataire  de  la  Ferme  des  Tabacs  pour  le  prix 
de  4.0!20.000  livres  par  an  (1). 

(1)  La  Ferme  des  Tabacs  a  joué  un  grand  rôle  dans  les  finances  de 
la  Compagnie  des  Indes,  aussi  quelques  détails  ne  seront  point  super- 
flus. Le  tabac  avait  été  connu  en  France  sous  le  règne  de  Charles  LX  ; 
son  entrée,  sévèrement  prohibée  à  l'origine,  avait  été  ensuite  taxée  : 
en  1674  cet  impôt  indirect  fut  compris  dans  le  bail  des  Fermes  ;  il  en 
fut  à  nouveau  distrait  en  1697  et  affermé  à  part  pour  150. 000  livres  par 
an  payées  à  l'Etat  et  100.000  livres  payées  à  la  Ferme  Générale.  Le  prix 
de  ce  bail  augmenta  peu  à  peu  ;  en  1714  il  était  déjà  de  2  millions;  la 
Compagnie  d'Occident  le  paya  plus  cher  encore  :  Law  obtint  pour  elle 
un  bail  de  9  ans  sous  le  nom  de  Jean  l'Amiral,  et  il  y  eut  à  ce  propos 
compensation  entre  le  I\oi  et  la  Compagnie.  Le  Roi  devait  en  effet  à 
celle-ci  4  millions  d'intérêts  annuels  pour  les  billets  d'Etat, or  ces  4  mil- 
lions étaient  prélevés  sur  les  revenus  des  postes,  des  aides  et  du  tabac. 
Ils  furent  portés  sur  le  tabac  seul,  et  l'on  fil  compensation  des  deux 
dettes  :  le  Roi  ne  dut  plus  rien  à  la  Compagnie  et  celle-ci  ne  resta  [dus 
débitrice  ([ue  de  20.000  livres  par  an.  L'acquisition  des  tabacs  était 
une  bonne  opération,  car  les  revenus  en  étaient  élevés  ;  Law  se  propo- 
sait en  outre  de  créer  celte  culture  en  Louisiane,  ce  qui  serait  double 
bénéfice  pour  la  Compagnie;  il  le  fit  en  effet,  mais  les  résultats  furent 
assez  longs  à  se  produire. 


LE    SYSTÈME    ET    LA    COMl'AGN'IE    DES    LNDES  305 

Le  gouvernement  de  la  Régence,  complètement  réconcilié 
avec  ses  idées,  ne  lui  marchandait  plus  sa  protection  ;  aussi 
bien  le  rachat  des  billets  d'Etat  était-il  un  service  inapprécia- 
ble ;  la  Banque  allait  bientôt  regorger  d'or,  on  se  décida  à  en 
finir  par  où  Law  aurait  voulu  commencer,à  faire  de  son  entre- 
prise la  chose  de  l'Etat,  et  la  déclaration  du  4  décembre  1718, 
confirmée  par  un  arrêt  du  27,  convertit  la  Banque  Générale 
en  Banque  Royale  malgré  l'opposition  du  Parlement. 

C'était  un  triomphe,  mais  il  ne  s'y  arrêta  point  :  la  première 
partie  du  Système  avait  désormais  un  avenir  assuré,  l'heure 
était  venue  d'établir  sur  des  bases  aussi  solides  la  seconde, 
la  principale  partie,  la  grande  Compagnie. 

Au  moment  même  où  il  s'occupait  de  la  conversion  de  la 
Banque  en  organisme  d'Etat,  il  grossissait  la  Compagnie 
d'Occident,  déjà  accrue  des  Tabacs,  du  patrimoine  de  la  Com- 
pagnie du  Sénégal  (décembre  1718-janvier  1719)  :  c'était  le 
monopole  du  trafic  avec  la  côte  africaine,  du  cap  Blanc  à  la 
Sierra-Léone  qu'il  acquérait  ainsi,  et  l'Occident  s'enrichissait 
de  la  flotte  de  cette  Compagnie. 

Dès  lors  on  ne  s'arrêta  plus  et  les  acquisitions  se  succédè- 
rent avec  une  vertigineuse  rapidité;  en  mai  1719,  la  Compa- 
gnie d'Occident  s'incorporait  la  Compagnie  de  la  Cliine  et  la 
Compagnie  des  Indes  Orientales  elle-même,  la  grande  Com- 
pagnie de  Colbert,  dont  nous  avons  suivi  jusqu'ici  les  desti- 
nées. Il  convient  de  nous  arrêter  sur  cet  événement  d'une 
importance  capitale,  car  il  devait  être  la  base  de  toute  l'en- 
treprise commerciale  inaugurée  par  Law. 

Nous  avons  vu  dans  quel  état  la  Compagnie  des  Indes 
Orientales  avait  passé  les  dernières  années  du  règne  de 
Louis  XIV  :  sans  ressources,  sans  débouchés,  privée  du  droit 
d'importer  les  articles  les  plus  rémunérateurs,  abattue  à  trois 
reprises  par  les    hostilités  maritimes  qui  avaient  fini  par 

W.  -  20 


306  TROISÏKMK    PARTIR.     —    CIIAI'ITHK    II 

éteindre  en  elle  toute  vitalité,  elle  s 'é lait  renfermée  dans  une 
inaction  presque  complète,  se  bornant  à  affréter  ses  vaisseaux 
à  des  sociétés  particulières.  Néanmoins,  c'était  de  comple 
à  demi  avec  elle  que  les  Malouins  naviguaient,  et  si  elle  avait 
dû  renoncer  à  son  indépendance,  elle  n'avait  abandonné 
aucun  de  ses  droits  et  vivait  encore,  quoique  d'une  vie  latente. 
Gela  suffit  néanmoins  pour  qu'entre  la  Compagnie  fondée 
par  Colbert  et  la  gigantesque  entreprise  de  Law  on  ne  puisse 
voir  aucune  solution  de  continuité  :  c'était  bien  l'œuvre  même 
de  Colbert  dont  Law  entreprenait  ainsi  l'achèvement. 

La  réunion,  ou  plutôt  l'incorporation  des  deux  Compagnies 
des  Indes  Orientales  et  de  la  Chine  à  la  Compagnie  d'Occident 
fut  effectuée  par  un  édit  du  mois  de  mai  1719.  Ce  document 
capital,  que  les  auteurs  du  xviit«  siècle  désignent  sous  le  nom 
à'Edil  de  Béiinion,  comportait  un  certain  nombre  de  points 
importants.  En  même  temps,  en  effet,  qu'il  consacrait  celle 
union,  il  autorisait  la  constitution  au  moyen  de  ces  éléments 
d'une  Compagnie  nouvelle  qui  prenait  le  litre  de  «  Compagnie 
perpéluelle  des  Indes  ». 

Le  patrimoine  colonial  de  cette  Compagnie  était  immense, 
presque  universel,  et  les  quelques  privilèges  qui  lui  man- 
quaient encore  ne  tardèrent  pas  à  lui  être  réunis.  Ceux-ci 
ne  lui  furent  primitivement  accordés  que  pour  le  temps 
qui  restait  à  courir  sur  la  concession  de  la  Compagnie  d'Oc- 
cident, c'est-à-dire  23  années  ;  mais,  par  un  arrêt  du  il 
août  1719,  ce  délai  fut  prorogé  jusqu'à  l'année  1770,  terme 
qu'effectivement  la  Compagnie  ainsi  constituée  ne  devait 
point  dépasser.  Le  préambule  de  l'édit  était  injuste  envers 
la  Compagnie  des  Indes  Orientales,  à  laquelle  il  faisait  des 
reproches  qui  s'adressaient  bien  plutôt  au  gouvernement  du 
feu  Roi  (1). 

(1)  «    Le  créiiil  (jue  la  Compagnie,  d'Occiiioiil  s'est  acquis nous  a 


LE    SYSTÈAIE    ET    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  307 

Il  ne  fui  d'ailleurs  qu'un  Edit  de  Réunion  et  ne  fixa  aucune 
règle  relative  à  l'organisation  de  la  nouvelle  Compagnie.  Mais 
cette  lacune  était  compréhensible  :  car  elle  héritait  en  même 
temps  que  des  droits  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales, 
de  ses  traditions  et  de  ses  règles  d'administration. 

Si,  en  effet,  cette  dernière  Compagnie  était,  suivant  la  lettre 
de  redit,  absorbée  par  la  Compagnie  d'Occident,  en  réalité 
celle-ci  perdait  sa  personnalité  par  l'importance  même  de 
sa  nouvelle  conquête  et  était  bien  plutôt  absorbée  par  elle. 
Ce  n'était  plus  l'Occident  que  la  Compagnie  perpétuelle  des 
Indes,  c'était  la  fusion  des  deux  grandes  créations  de  Col- 
bert  :  la  Compagnie  Orientale  et  la  Compagnie  Occidentale. 


déterminé  d'examiner  la  situation  des  anciennes  Compagnies  et  nous 
avons  vu  avec  douleur,  que  malgré  les  bienfaits  qu'elles  ont  reçus  du 
feu  Roi,  elles  n'ont  pu  se  maintenir. La  Compagnie  des  Indes  Orientales, 
au  lieu  d'employer  à  l'agrandissement  du  commerce  le  privilège  exclu- 
sif qui  lui  avait  été  accordé  et  les  secours  réitérés  d'argent  et  de  vais- 
seaux que  le  l'eu  Wox  lui  avait  donnés,  après  avoir  contracté  des  dettes 
dans  le  royaume  et  aux  Indes,  a  totalement  abandonné  la  navigation... 
Nous  savons  que  ce  n'est  point  à  la  nature  de  ce  commerce  que  le  man- 
que de  succès  doit  être  attribué  et  que  celte  Compagnie,  à  l'exemple  de 
celles  des  Etals  voisins, aurait  pu  rendre  ce  commerce  utile  à  ses  action- 
naires et  au  royaume.  L'entreprise  avait  été  formée  avec  un  fonds  qui 
n'était  pas  suffisant  ;  les  Directeurs  ont  consommé  une  partie  de  ces 
fonds  par  des  répartitions  prématurées  et  des  droits  de  présence  dans  un 
temps  où  il  n'y  avait  aucuns  profits,  et  pour  suppléer  à  ces  fonds  on 
avait  fait  des  emprunts  sur  la  place  à  des  intérêts  excessifs,  jusqu'à 
10  0/0, et  on  avait  pris  en  d'autres  temps  de  l'argent  à  la  grosse  aventure 
à  raison  de  5  0/0  par  mois. ...  ;  depuis  seize  ans  la  Compagnie  n'a  pas 

envoyé  un  vaisseau  à  Surate Nous  avons  résolu  de  supprimer  les 

privilèges  accordés  aux  Compagnies  des  Indes  et  de  la  Cliine  et  de 
réunir  à  celle  d'Occident  l'établissement  de  ces  Compagnies.  Celle  Com- 
pagnie nouvelle  trouvera  dans  elle-même  tout  ce  qui  sera  nécessaire 
pour  faire  ces  différents  commerces  et  loule  sa  régie  se  faisant  dans  le 
même  espril,  il  en  naîtra  l'union  et  l'économie  dont  dépend  le  succès  de 
toutes  les  enlreprises  de  commerce.  » 


308  THOISIÈME    PARTIE.    CHAl'Il  HE    H 

Aussi  la  nouvelle  Compagnie  dul-elle  se  charger  de  la 
dette  de  sa  devancière  et  aussitôt,  pour  satisfaire  à  ses  mul- 
tiples charges,  elle  fut  autorisée  à  émettre  pour  25  millions 
de  livres  d'actions. 

Il  est  évident  que,  si  ces  accroissements  successifs 
donnaient  à  l'œuvre  de  Law  une  importance  grandissante, 
ils  lui  imposaient  par  contre  des  obligations  fort  lourdes. 
Or,  jusque-là,  TOccident  n'avait  pas  fait  grand'chose  et 
son  capital  était  très  insuffisant,  car  il  avait  juste  les 
4  millions  de  livres  du  capital  primitif  (revenu  de  la  première 
année  des  billets  d'Etat)  et  les  4.500.000  livres  environ  pro- 
venant des  9.000  actions  émises  par  la  Banque,  soit  10  mil- 
lions au  plus.  50.000  actions  nouvelles  furent  donc  créées,  à 
50O  livres  nominalement,  comme  pour  l'émission  précé- 
dente; et  elles  étaient  de  même  payables  en  or,  argent  ou 
billets  de  la  Banque  (1). 

Mais  Law  les  donna  à  550  livres,  pour  les  mettre  au  même 
niveau  que  les  actions  d'Occident,  et  les  avantages  qu'il 
offrait  aux  souscripteurs  les  firent  enlever  rapidement  (â). 
Ce  succès  le  détermina  à  un  nouveau  coup  d'audace  qui  de- 
vait hâter  la  fortune  du  Système,  et  il  obtint  par  l'arrêt  du 
30  Juin  1719  l'autorisation  d'exiger  dorénavant  la  possession 
de  quatre  actions  de  l'Occident  pour  obtenir  une  action  des 
Indes.  On  se  jeta,  c'était  fatal,  sur  les  premières  que  le  pu- 
blic appela  plaisamment  les  «  Mères  >>  et  qui  montèrent  rapi- 
dement, et  l'on  se  disputa  avec  acharnement  les  secondes 
qui  devinrent  les  «  Filles  ».  Aussi,  avant  la  fin  de  juillet,  les 
deux  séries  s'élevant  parallèlement  valaient  chacune  1 .000  fr. 
et  leur  valeur  totale  atteignait  150  millions  (3). 

(1)  La  lUuique  émelluit  des  billets  de  10,  100,  l. 000  et  10.000  livres. 

(2)  11  suffisait  de  verser  75  livres  comptant  ;  le  reste  était  éclielonné 
en  19  paiements  mensuels  de  35  livres. 

(3)  Il  avait  été  émis  en  effet  100.000  Occident  et  50.000  Indes. 


LE    SYSTÈME    ET    LA    COMPAGNIE    DES    IXDES  309 

Pendant  ce  temps,  la  Compagnie  des  Indes  s'accroissait 
encore  par  l'acquisition  des  privilèges  de  la  Compagnie  d'A- 
frique (juin  1719),  par  l'adjudication  de  la  frappe  des  mon- 
naies pour  neuf  années,  celle  de  la  Ferme  Générale,  celle  des 
Gabelles,  enfin  celle  de  la  Recette  Générale  des  Finances 
(juillet  à  octobre  1719).  L'on  marchait  donc  à  grands  pas  vers 
la  réalisation  du  rêve  grandiose  de  Law. 

De  son  côté,  la  Banque  ne  chômait  point  :  elle  avait  émis 
déjà  pour  400  millions  de  livres  de  billets,  dont  290  dans  les 
seuls  mois  de  juin  et  juillet  1719  !  Law  qui  savait  fort  bien 
que  le  numéraire  existant  dans  le  royaume  ne  s'élevait  qu'à 
1  milliard  de  livres  environ,  et  que  l'équilibre  pouvait  bientôt 
se  trouver  rompu, prévint  précisémentce  dangeren  réunissant 
la  Monnaie  et  la  Banque,  comptant  pouvoir  soutenir  le  papier 
à  l'aide  des  remaniements  du  métal. Celte'acquisition  lui  coûta 
50  millions  de  livres  (1),  divisés  en  15  paiements  mensuels, 
et  pour  se  les  procurer  il  eut  recours  à  son  procédé  habituel: 
un  arrêt  du  27  juillet  1719  l'autorisa  à  émettre  50.000  actions 
nouvelles  de  la  Compagnie  des  Indes  à  500  livres  chacune. 
Tout  réussit  encore  à  merveille  :  l'empressement  fut  immense, 
bien  que  Law  fidèle  à  sa  tactique  eût  donné  ces  actions  à 
l.OOO  livres  et  contre  présentation  de  quatre  Mères  et  d'une 
Fille  (2).  Les  nouveaux  titres  furent  enlevés  en  vingt  jours, 
et  le  public  les  appela  les  Petites- Filles  (3). 

Quelle  était  alors  la  valeur  réelle  des  fonds  que  possédait 
la  Compagnie  des  Indes  ? 


fl)  C'était  là,  comme  les  Tabacs,  une  acquisition  avantageuse,  car  on 
gagnait  8  0/0  sur  la  fabrication,  et  les  refontes  fréquentes  accroissaient 
les  bénéfices  :  ils  dépassaient  11  millions  de  livres  par  an. 

(2)  Ces  titres  étaient,  comme  les  précédents,  livrés  contre  versement 
comptant  de  525  livres  :  le  reste  en  19  paiements  mensuels. 

(3)  On  leur  donna  aussi  le  nom  d'actions  des  Monnaies. 


31(1  TROISIKMR    l'AUTIE.    CHAI'ITRE    II 

1°  La  rente  de  4  millions  provenant  des  billets  d'Etat  (émis- 
sion des  actions  d'Occident),  qui  courait  depuis  18  mois, 
avait  dû  déjà  produire  6  millions  ;  mais  de  celle  somme  4  mil- 
lions avaient  été  dépensés  pour  le  commerce,  et  2  étaient 
réservés  aux  actionnaires. 

2°  Les  bénéfices  des  Tabacs,  qui  pouvaient  s'élever  à  3  mil- 
lions. 

8°  Les  Filles,  dont  le  deuxième  payement  mensuel  n'était 
pas  encore  effectué,  avaient  produit  3.750.000  livres.  Quant 
au  produit  des  Petites-Filles,  il  était  dû  à  l'Etat  pour  les  Mon_ 
naies. 

4"  Les  bénéfices  du  commerce, évalués  par  Tiiiersà  10  mil- 
lions ;  mais  ce  commerce  était  à  peine  en  train  ;  il  avait  fallu 
acheter  le  matériel,  faire  les  frais  de  colonisation,  indem- 
niser les  Compagnies  absorbées,  tout  cela  en  18  mois.  Il 
n'est  donc  pas  raisonnable  de  faire  entrer  ce  chiffre  en 
compte  :  donc  rien  de  ce  côté  (1). 

«  Ainsi  les  300  millions  de  capital  nominal  de  la  Compa- 
gnie des  Tndes  se  réduisaient  en  réalité  à  moins  de  neuf  mil- 
lions en  caisse  (2).  » 

Law  le  savait  ;  cela  ne  l'empêcha  point  de  promellre  à 
l'assemblée  des  actionnaires  qui  se  tint  le  26  juillet  1719, 
qu'à  partir  du  l*""  janvier  1720,  il  serait  distribué  deux  divi- 
dendes par  an,  de  6  0/0  chacun  !  cela  faisait  60  livres  par 
action,  soit  18  millions  à  payer  par  an  !  Mais  il  se  croyait  sûr 
de  tenir  celte  promesse,  et  tranquille  de  ce  côté  il  s'occupait 
déjà  de  nouvelles  opérations. 

Il  avait  acquis  le  bail  des  Fermes,  ou,  comme  l'on  di- 
sait alors  la  Ferme  Générale  (3),  ayant  eu  d'ailleurs  dans 

(1)  C'est  l'opinion  de  M.  Levasseur. 

(2)  M.  Levasseur. 

(3)  On  sait  que  sous  l'ancien  régime,  si  les  impôts  directs  étaient  en 


LE    SYSTÈME    ET    LA    CO.\rPAGN[E    DES    IXDES  311 

cette  acquisition  la  main  un  peu  forcée.  Il  était  menacé  en 
effet  dans  sa  prospérité  par  d'habiles  spéculateurs,  les  frères 
Paris  (1),  qui  s'étaient  déclarés  ses  adversaires,  et  s'étaient, 
pour  le  ruiner;,  rendus  (îux-mêmes  adjudicataires  de  la  Ferme 
Générale  dont  ils  émirent  des  actions.  Celles-ci  furent  très 
appréciées  du  public  ;  car  les  revenus  des  Fermes  étaient  à 
ses  yeux  plus  clairs  encore  que  ceux  de  la  Compagnie.  Aussi 
le  papier  des  Indes  avait-il  fléchi,  et  Law  recourut  au  Réj^ent 
pour  se  débarrasser  de  VAnti-Syslènie  qui  devenait  dange- 
reux. Le  bail  consenti  aux  frères  Paris  fut  rompu,  et  passé  au 
nom  de  Law  lui-même  (2j,  moyennant  52  millions  de  livres. 
Maître  de  la  perception  des  impôts  indirects,  Law  le  devint 
bientôt  des  impôts  directs  en  acquérant,  ce  qui  ne  s'était  ja- 
mais vu  jusque-là,  la  régie  de  cette  administration.  Il  eut 
alors  sous  sa  direction  toutes  les  finances  du  royaume,  et  la 
Compagnie  des  Indes  assuma  par  là  l'obligation  de  verser 
chaque  année  à  l'Etat  l:2o  millions  de  livres.  Par  des  réformes 
et  des  économies  faciles  à  réaliser,  Law  se  promettait  d'aug- 
menter les  revenus  de  l'Etal,  tout  en  comptant  d'ailleurs  en 

général  administrés  par  les  fonctionnaires  de  l'Etat  (percepteurs  et  re- 
ceveurs), les  impôts  indirects  étaient  affermés  moyennant  une  redevance 
fixe  à  des  particuliers  ou  à  des  compagnies  qui  en  opéraient  ensuite 
pour  leur  compte  la  perception.  Depuis  Colbert  la  majeure  partie  de  ces 
impôts,  auparavant  affermés  séparément,  étaient  réunis  en  un  seul  bloc: 
la  Ferme  Générale,  et  concédés  à  un  adjudicataire  unique.  Celui-ci  en 
fait  était  une  compagnie  et  le  bail  était  passé  au  nom  d'un  «  homme 
de  paille  ».  Les  actionnaires  de  la  compagnie  s'appelaient  les  Fermiers 
Généraux  ou  les  Traitants. 

(1)  Les  quatre  Paris,  fils  d'un  aubergiste  dauphinois,  étaient  Antoine 
Paris,  Pàris-Duverney,  Paris  de  la  Montagne  et  Pàris-Montmarlel. 
Intelligents  et  sans  scrupules  ils  amassèrent  une  grosse  fortune  comme 
fournisseurs  des  armées  sous  Louis  XIV  :  sous  la  Régence  ils  étaient 
banquiers.  Pàris-Duverney,  le  plus  remarquable,  assista  le  duc  de  Noail- 
les  dans  l'opération  du  Visa. 

(2)  Ou  plutôt  d'Armand  Pillavoine. 


312 


TROISIKME    PARTIE.     —    CHAPITRE    II 


tirer  pour  la  Compagnie  elle-même  d'imporlanls  bénéfices. 

Restait  à  rembourser  les  dettes  de  rKlal  et  ses  promesses 
solennelles  étaient  remplies,  le  Système  était  victorieux  ! 

Ce  fut  précisément  la  condition  du  bail  des  Fermes.  11  y 
avait  alors  1.200  millions  de  rentes  à  la  charge  de  l'Etat  :  Law 
s'engagea  à  les  rembourser.  Son  idée  était  d'offrir  aux  ren- 
tiers un  nouveau  placement,  dont  les  avantages  seraient  assez 
grands  pour  les  attirer  tous,  et  que  le  Système  devait  fournir  ; 
tous  se  précipiteraient  sur  lui,  et,  pour  se  le  procurer,  deman- 
deraient à  l'Etat  leur  remboursement.  Mais  il  fallait  fournir  à 
celui-ci  les  1.200  millions  nécessaires  à  cette  opéralion.  Law 
s'en  chargeait  et  ne  demandait  pour  cela  que  3  0/0  d'intérêts 
payés  à  la  Compagnie,  ce  qui  économiserait  à  l'Élal  15  mil- 
lions par  an  et  en  fournirait  à  la  Compagnie  36  qu'elle  em- 
ploierait à  son  con^merce.!!  consentit  même  à  prêter  1.500  mil- 
lions et  tout  cela  fut  décidé  en  quelques  jours.  Le  27  août 
1719,  la  Compagnie  avait  acquis  la  Ferme  Générale  et  promis 
1 .200  millions  ;  le  31  août,  les  rentes  sur  l'Etat  furent  suppri- 
mées et  leur  remboursement  prescrit;  le  12  octobre,  la  Com- 
pagnie éleva  son  prêt  à  1.500  millions  ! 

Law  ne  les  avait  pas,  mais  il  suffisait  de  les  créer  en  pa- 
pier, c'était  conforme  à  ses  théories  ;  l'arrêt  du  13  septembre 
1719  autorisa  donc  l'émission  de  100,000  actions  de  500  li- 
vres. A  ce  taux  elles  n'eussent  produit  que  50  millions  seu- 
lement, mais  à  ce  moment  même  les  Mères,  les  Filles,  les 
Petites-Filles  valaient  toutes  500  livres.  Comme  précédem- 
ment, Law  voulut  placer  les  nouveaux  titres  à  ce  niveau  et 
exigea  4.500  livres  de  prime;  on  arrivait  ainsi  au  chiffre 
de  500  millions,  le  tiers  du  prêt  total.  Grâce  aux  facilités 
dont  il  accompagna  celte  nouvelle  émission,  l'empresse- 
ment du  public  fut  très   grand    (1)   et    en   quelques  jours 

(1)  Celte  fois  Law  ne  crut  pas  pouvoir  exiger  le  payement  immédiat 


LE    SYSTÈME    ET    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  H13 

les  Cinq-Cents  furent  souscrites  !  Chose  curieuse  et  qui 
justifiait  bien  le  calcul  de  Law,  les  rentiers  de  l'État  récla- 
mèrent, se  plaignant  qu'on  leur  enlevât  ainsi  le  placement 
sur  lequel  ils  comptaient.  Trop  heureux  de  ces  cris,  Law 
s'empressa  de  les  satisfaire,  et  Tarrêt  du  22  septembre  1719 
décida  qu'on  n'accepterait  plus  en  payement  que  les  valeurs 
remboursées  (billets  d'État,  actions  del'Anti-Système,  récé- 
pissés du  Trésor). 

L'émission  avait  réussi,  mais  il  manquait  encore  1  milliard. 
Law  y  pourvut  aussitôt;  un  arrêt  du  28  septembre  autorisa 
l'émission  de  100.000  autres  actions  aux  mêmes  conditions 
(admission  des  seuls  récépissés  de  remboursement)  et  un 
troisième  du  2  octobre  une  dernière  émission  de  100.000  ac- 
tions encore.  On  avait  ainsi,  du  moins  en  perspective,  les 
1.500  millions  (1). 

Cette  fois  c'était  trop  et  surtout  trop  rapide  ;  on  hésita,  le 
cours  des  actions  baissa  :  mais  ce  ne  fui  qu'un  moment 
d'anxiété  ;  elles  remontèrent  vite.  A  ce  moment,  une  somme 
énorme  de  billets  avait  déjà  été  versée  en  France;  elle  attei- 
gnait près  de  10  milliards  ! 

Law  était  au  comble  de  sa  puissance,  et  l'assemblée  des 
actionnaires  de  la  Compagnie  des  Indes,  qui  se  tint  le  30  dé- 
cembre 1719,  fut  son  apothéose.  Elle  fut  aussi,  hélas,  l'apogée 
de  ce  triomphe,  après  il  n'y  eut  plus  que  la  chute  !  Le  Régent 
lui-même  présidait  :  on  y  vit  pêle-mêle  des  princes,  des  sei- 
gneurs, des  marchands  et  «  la  canaille  enrichie  ».  Les  trente 
Directeurs  de  la  Compagnie,   riches  financiers  ou  anciens 

de  la  prime  :  il  demanda  seulement  500  livres  comptant  (d'où  leur  so- 
briquet de  Cinq-Cents)  ;  plus  ne  fut  besoin  non  plus  de  présenter  des 
Mères  ni  des  Filles. 

(1)  Le  4  octobre,  il  fui  même  créé  24.000  actions  supplémentaires 
qu'aucun  arrêt  n'avait  autorise'es. 


314  TROTSIKME    PAtlTIK.    CIIATM THF.    II 

Fermiers-Généraux,  y  étalèrent  leur  orgueilleuse  opulence. 
Law  ne  figurait  que  comme  simple  Directeur,  et  c'était  lui 
pourtant  qui  dirigeait  tout.  Les  actions  valaient  alors  de 
10.000  à  12.500  livres,  ce  qui  équivalait  à  une  hausse  de  60O  à 
750  0/0  sur  leur  valeur  primitive  !  Ce  fut  là,  dans  ce  témoi- 
gnage éclatant  de  la  victoire  du  Système,  une  des  causes  de 
la  débâcle.  En  effet,  à  ce  taux  exagéré,  le  dividende  de  12  0/0 
promis  était  ridicule,  car  il  ne  représentait  que  1/2  0/0.  Cette 
considération  ne  pouvait  tardera  produire  une  baisse  des 
actions  jusqu'à  un  niveau  tel  qu'il  fut  suffisamment  rémuné- 
rateur. Etait-ce  une  circonstance  bien  dangereuse?  Non,  si  la 
Compagnie  prospérait  dans  son  commerce  ;  car  les  dividen- 
des monteraient  alors  et  les  actions  suivraient.  Law  ne  vou- 
lut point  néanmoins  laisser  s'établir  ce  jeu  naturel,  car  à  tout 
prix  il  voulait  éviter  la  baisse  qui  pouvait  amener  la  panique, 
et  pour  cela  il  voulut  relever  cet  intérêt  lui-même  en  propor- 
tion de  la  valeur  des  titres. 

Il  avait  émis  634.000  actions  en  tout  (1),  mais  il  n'y  en 
avait  que  424.000  dans  le  public,  car  le  Uoi  et  la  Compagnie 
en  avaient  chacun  100.000  et  n'avaient  pas  besoin  de  dividen- 
des. C'était,  il  est  vrai,  encore  une  grosse  somme  à  trouver. 

Or,  le  plus  clair  des  ressources  disponibles  était  les 
45  millions  d'intérêts  annuels  dus  par  le  Roi  pour  le  prêt 

(1)  Actions  de  fondulioa  de  la  Banque  Générale 1.200 

—  —         de  rOccidenl 200.000 

—  supplémentaires  de  l'Occident  (les  Mères).    .   .         9.000 

—  de  fondation  de   la   Compagnie  des   Indes   (les 

Filles) 50.000 

—  des  Indes,  2"  émission  (les  Pelites-b'illes).    .    .       50.000 

—  —  3*  émission  dite  des  Cinq-Cents.    .  100.000 

—  —  4-=  émission  —               ..  100.000 

—  -  5"  émission  —               .    .  100.000 

—  —  6«  émission  supplémentaire  ....  24 . 000 

Total 034.200 


LE    SYSTÈME    ET    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  315 

des  1.500  millions  :  c'était  insuffisant;  mais  Law  présenta 
aux  actionnaires  un  tableau  qui  s'établissait  tout  autre- 
ment : 

Rente  sur  les  Fermes 48  millions 

Bénéfice  sur  les  Fermes 12      — 

—  sur  les  Tabacs 6      — 

—  sur  la  Recette  Générale  .       1       — 

—  sur  les  Monnaies  ....     12      — 

—  du  Commerce 12      — 

Total.  .  .  .  .  9]  ^^~ 
Il  proposa  en  conséquence  qu'à  partir  du  1"  janvier  1720, 
on  servit  aux  actions  un  dividende  de  40  0/0,  soit  200  livres 
par  action  et  84.800.000  livres  en  tout.  C'était  peu  encore,  car 
cela  ne  faisait  qu'un  peu  plus  de  1  0/0  (i  livre  13  sols  par 
100  livres).  On  n'y  prit  pas  garde,  on  applaudit,  et  les  actions 
remontèrent  le  jour  même  à  15.000  livres  ;  le  5  janvier,  elles 
en  valurent  18.000(1)! 

A  cet  apogée  de  la  situation  financière  du  Système,  quelle 
était  sa  situation  commerciale?  On  avait  fondé  sur  l'exploi- 
tation de  la  Louisiane  des  espérances  aussi  ridicules  qu'au- 
trefois sur  Madagascar.  On  créa  sur  ces  terres  inconnues  et 
vierges,  des  duchés,  des  comtés,  des  marquisats  que  des 
parvenus,  enrichis  de  la  veille,  achetèrent  fort  cher.  L'opinion 

(1)  L'économiste  Dutot,  qui  fut  le  secrétaire  de  Law,  son  disciple  et 
son  apologiste,  n'a  pas  osé  le  suivre  dans  des  évaluations  aussi  exagé- 
rées. Il  donne,  en  eflel,  le  tableau  suivant  à  la  même  date  : 

Rente  sur  l'Etat 48  millions 

Bénéfices  des  Fermes 15        » 

Tabacs 2 

Monnaies 4        » 

Commerce 18        » 

Recette  Générale 1.500.000 

Total 80.500.000 


316  TROISIKME    PARTIE.    —    CHAPITRE    II 

publique  était  d'ailleurs  absolument  ignorante  de  la  situation 
et  volontairement  exploitée  par  les  agents  de  la  Compagnie. 
La  crédulité  populaire  fut  effrontément  cultivée  :  on  parla 
de  mines  d'une  richesse  inouïe,  de  champs  de  diamants,  de 
rochers  d'émeraude  ;  des  estampes  circulèrent  qui  représen- 
taient ces  merveilles  I  Law  est  impardonnable  d'avoir  mené 
cette  odieuse  campagne.  En  fait,  voici  quel  était  l'état  des 
choses  :  les  premiers  essais  furent  mauvais  et  les  colons  dé- 
barqués dans  la  baie  Saint-Joseph,  sur  la  côte  occidentale  de 
la  Floride,  y  moururent  de  dénuement.  Cependant  on  ne  se 
découragea  pas,  et  le  recrutement  se  poursuivit  activement: 
800  familles  partirent  en  féviier  1720,  puis  500  ouvriers  de 
tous  les  métiers,  puis  6.000  Allemands  recrutés  par  Law  à 
ses  frais,  puis  d'autres  détachements  encore.  Ces  recrues 
étaient  engagées  pour  3  ans;  les  familles  recevaient  une  terre 
de  280  arpents,  chargée  seulement  d'un  impôt  du  dixième 
des  produits,  avec  exemption  complète  pendant  trois  années. 

Plusieurs  établissements  furent  créés  :  l'île  aux  Vaisseaux, 
l'île  Dauphine,  le  Vieux  et  le  Nouveau  Biloxi,  la  baie  de  Mo- 
bile ;  mais  ils  furent  poursuivis  par  la  mauvaise  fortune. 
Le  premier  agent  de  la  Compagnie,  M.  de  Hienville,  homme 
judicieux  et  habile,  comprit  qu'il  fallait  renoncer  à  cet 
éparpillemenl  de  petites  colonies  et  fonder  un  seul  comp- 
toir important;  il  le  créa  lui-même  sur  la  rive  du  Mississipi  : 
ce  fut  la  Nouvelle-Orléans .  L'endroit  était  bien  choisi, 
mais  la  construction  n'alla  pas  vite:  en  1719,  il  n'y  avait 
encore  que  des  huttes  et  des  hangars,  et  cette  situation  dura 
jusqu'à  la  fin  du  Système  ;  un  ouragan  renversa  tout  au 
moment  où  tombait  Law  qui  n'en  vil  pas  le  rétablissement. 

On  ignora  longtemps  tout  cela  ;  peu  à  peu  la  vérité  se  fit 
jour.  L'ancien  gouverneur  de  la  Louisiane  pour  la  Compa- 
gnie de  Crozat,  M.  do  la  Motte-Gadillac,  répétait  partout  que 


LE    SYSTÈME    ET    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  317 

les  merveilles  étaient  de  purs  mensonges.  Law  le  fit  em- 
bastiller, mais  les  détracteurs  devinrent  nombreux  et  l'on  ne 
put  employer  contre  eux  ce  moyen  un  peu  brutal.  La  con- 
fiance fut  bientôt  ébranlée  ;  l'on  ne  trouva  plus  de  colons  vo- 
lontaires, même  parmi  les  étrangers  qui  avaient  fourni  les 
premiers  convois.  Il  fallut  en  prendre  de  force  dans  les  pri- 
sons, on  embarqua  des  femmes  galantes  prises  à  l'Hôpital 
Général  (1),  des  vagabonds,  des  enfants  trouvés  ;  des  recru- 
teurs engagés  par  la  Compagnie  parcouraient  les  campagnes 
pour  les  chercher, et  celle-ci  payait  leurs  prises  une  pistole  par 
tête.  Souvent  d'inoffensifs  passants  furent  enlevés  et  embar- 
qués par  eux  !  Cette  population  mêlée  entretint  naturellement 
dans  la  colonie  le  désordre  et  la  fainéantise  ;  bientôt, 
d'ailleurs,  ces  excès  soulevèrent  l'opinion  publique  ;  Law  dut 
y  renoncer,  et  le  recrutement  ne  se  fit  plus  du  tout. 

Mais  la  Compagnie  des  Indes  n'avait  pas  que  la  Louisiane, 
et  de  réels  progrès  se  réalisaient  déjà  dans  les  autres  parties 
de  son  immense  domaine  ;  sa  marine  devenait  puissante  : 
de  16  navires  en  mars  1719,  elle  passa  à  30  à  la  fin  de  la 
même  année,  et  l'on  commença  à  songer  à  l'Inde,  à  la  côte 
d'Afrique,  à  la  Chine  ;  18  navires  partirent  pour  ces  contrées 
chargés  de  8  millions  en  espèces,  et  les  premiers  retours  se 
produisirent  ;  un  convoi  revint  des  mers  du  Sud  au  commen- 
cement de  17:20  avec  un  chargement  de  12  millions  (2).  La 

(1)  Qu'on  nous  pardonne  d'évoquer  à  côté  de  ce  triste  tableau  la 
figure  de  Manon  Lescaut.  On  sait  que  riiéroïne  de  l'abbé  Prévost,  déte- 
nue précisément  à  l'Hôpital  Général,  faisait  partie  d'un  de  ces  convois  de 
la  Compagnie  des  Indes.  Le  souvenir  de  cette  tentative  de  colonisation 
était  très  vivant  encore  quand  l'abbé  Prévost  lui  emprunta  le  touchant 
dénouement  de  son  roman. 

(2)  Il  provoqua  du  reste  des  réclamations  du  gouvernement  espagnol  ; 
on  se  rappelle,  en  effet,  que  les  mers  du  Sud  nous  étaient  interdites 
depuis  le  traité  d'Utreclit,  An  hivcs  Nationales  F  12,  644. 


318 


THOISIKMK    l'AItTIK.     --     CIIAI'IIHK    II 


Compagnie  acquit  Belle-Isle,  pour  y  établir  des  magasins  el 
des  chantiers  (1);  Lorienl  devint  une  ville  active. 

Law,  pendant  ce  temps,  était  comblé  d'honneurs  :  le  5  jan- 
vi(M- 1720,  il  devint  Contrôleur  Général,  le  Régent  releva  même 
en  sa  faveur  le  litre  de  Surintendant  dont  il  fut  solennelle- 
ment revêtu  (mars  1720).  Dans  celte  charge,  Law,  dont  il  faut 
reconnaître  les  qualités,  entreprit  des  réformes  excellentes: 
le  remboursement  de  nombreux  offices  qui  entravaient  le 
commerce,  la  suppression  des  droits  de  roulage  et  autres 
obstacles  qui  s'opposaient  à  la  circulation  des  grains;  il  ren- 
dit libre  enfin  l'entrée  de  la  soie  étrangère.  D'heureux  effets 
en  furent  les  suites  :  le  commerce  et  l'industrie  sortaient  alors 
de  la  torpeur  dans  laquelle  ils  étaient  depuis  si  longtemps 
plongés  et  ces  mesures  facilitèrent  leur  relèvement.  Mais 
Law  n'eut  point  le  temps  de  poursuivre  celle  œuvre  (2),  car 
bientôt  la  situation  du  Système  devint  assez  sérieuse  pour 
retenir  toute  son  attention. 

Les  mauvaises  nouvelles  de  la  Louisiane,  l'excès  du  papier 
en  circulation  produisirent  leurs  premiers  effets  :  les  gens 
prudents  se  présentèrent  à  la  Banque  pour  réaliser  leurs 
litres  ;  Law  achetait  sans  hésitation,  mais  l'on  commença 
aussi  à  refuser  les  billets  dans  la  circulation,  et  les  ouvriers 
ne  les  acceptèrent  plus  en  salaire  qu'avec  répugnance  : 
Law  ne  vit  que  de  la  mauvaise  volonté  dans  cet  élal  d'espril 

(1)  Le  marquisat  de  Belle-Isle  qui  appartenait  aux  hériliers  de  Fou- 
quel  avait  été  réuni  à  la  couronne  par  voie  d'échange  avec  eux  en 
1718.  Le  22  avril  1720  fut  signé  un  contrat  d'inféodalion  de  ce  domaine 
au  profit  de  la  Compagnie  des  Indes,  à  charge  d'une  redevance  annuelle 
de  50.000  livres.  Archives  nationales  :  ADix,  384. 

(2)  Gomme  Vauban  el  Boisguilleberl,  Law  rêva  de  réformes  sociales, 
el  pour  soulager  la  classe  pauvre,  il  voulut  comme  eux  remanier  le  sys- 
tème fiscal  en  remplaçant  les  conlribulions  foncière  el  mobilière  par 
une  lu.xe  unique  :  le  Denier  royal. 


LE    SYSTÈME    ET    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  319 

el  comme  il  entrait  dans  son  Système,  il  recourut  à  la  con- 
trainte pour  conserver  le  cours  à  son  papier.  Il  déclara  que 
la  Banque  n'émettrait  plus  de  billets  et  la  Compagnie  plus 
d'actions,  bonne  mesure,  mais  qui  ne  fut  pas  efficace.  Les 
actions  baissèrent  à  10.000  livres,  puis  9.000  livres,  s'y  arrêtè- 
rent, puis  descendirent  encore,  el  Ton  employa  pour  enrayer 
cette  chute  les  plus  détestables  expédients.  On  proscrivit 
l'emploi  de  l'or  et  de  l'argent  dans  les  payements,  on  fixa 
arbitrairement  la  valeur  de  ces  métaux,  on  défendit  aux  par- 
ticuliers d'en  avoir  chez  eux  et  l'on  fil  des  perquisitions  pour 
faire  respecter  cette  mesure;  on  surveillait  aux  frontières  la 
sortie  des  voyageurs  qui  souvent  allaient  porter  leurs  valeurs 
à  l'étranger  el  dont  on  arrêta  un  grand  nombre  (1). 

Law  n'employa  pas  que  ces  mesures  désespérées  :  il  en- 
treprit de  réunir  la  Banque  Générale  el  la  Compagnie  des 
Indes,  de  charger  celle  dernière  de  leur  direction  commune, 
et  de  la  rendre  responsable  de  toute  l'adminislralion  (2).  Les 
1.500  millions  qu'elle  avait  prêtés  au  Roi  et  son  capital-actions 
furent  pris  comme  garantie  de  sa  gestion,  el  le  Roi,  de  son 
côté,  se  porta  garant  envers  le  public  de  la  valeur  des  billets 
émis  jusque-là  par  la  Banque.  En  outre,  il  céda  à  la  Compa- 
gnie les  100.000  actions  qui  lui  appartenaient,  et  que  celle-ci 
lui  paya  9.000  livres  l'une, soil  900  millions  payables  :  300  mil- 
lions en  1710,  el  600  au  cours  des  dix  années  suivantes  par 
mensualités  de  5  millions.  Enfin  la  Compagnie  fut  aulorisée 
à  créer  10  millions  d'actions  rentières  sur  elle-même  au  taux 


(1)  On  prit  ainsi  sept  millions  que  les  frères  Paris  faisaient  passer  en 
Lorraine,  et  on  en  confisqua  sept  autres  cliez  eux  ;  puis  Law  fit  exiler 
ses  ennemis  en  Dauphiné. 

("2)  La  Compagnie  devait  naturellement  recevoir  le  capital  de  la  Ban- 
que qui,  on  se  le  rappelle,  était  de  6  millions.  En  fait  il  n'en  fut  rien, 
et  l'on  verra  que  cette  omission  fut  plus  tard  utile  à  la  Compagnie. 


320  TROISIÈMK    l'AllTIE.     —     CIJAl'lTHt;    II 

de  2  0/0  et  au  capital  de  500  millions,  mais  après  celle  émis- 
sion ses  guichets  devaient  êlre  fermés. 

Law  avait  donc  conservé  toute  son  assurance  ;  il  exposa 
ce  plan  à  l'assemblée  des  actionnaires,  le  22  février  17:20,  el 
le  fil  approuver  ;  un  arrêt  le  consacra,  et  lui-même  fut  nommé 
inspecteur  général  de  la  Compagnie  el  de  la  Banque  pour  le 
Roi. Cette  importante  réforme  n'eut  cependant  pas  les  résultats 
qu'il  en  attendait  el  il  se  rejeta  dans  les  expédients  :  la 
Bourse  de  la  rue  Quincampoix  fut  interdite  et  l'on  défendit 
de  négocier  les  titres  dans  les  lieux  publics. 

Enfin  l'on  s'attaqua  au  papier  lui-même,et  un  arrêt  du  21  mai 
1720  décida  qu'au  l*"'"  décembre  suivant  l?s  actions  de  la 
Compagnie  des  Indes  ne  vaudraient  plus  que  5.500  livres  el 
les  billets  de  la  Banque  moitié  de  leur  valeur  nominale  (1). 

Celle  décision  sema  la  stupéfaction  el  la  terreur  :  son  inter- 
vention était  si  inattendue  qu'on  s'est  demandé  si  elle  n'était 
pas  l'œuvre  des  ennemis  que  Law  avait  dans  le  Conseil  el 
leur  première  victoire  sur  lui.  Il  paraît  bien  cependant  qu'elle 
émane  de  lui  :  il  est  probable  que,  se  voyant  incapable  d'ar- 
rêter la  baisse,  il  voulut  la  diriger  ;  mais  il  se  trompait  élran- 

(1)  Le  préambule  en  élait  fort  adroit  ;  il  s'efforçait, en  effet,  de  donner  à 
celle  opération  une  apparence  de  logique. Il  fallait, disait-il, faire  retomber 
la  responsabilité  de  la  situation  actuelle  sur  les  adversairesdu  Système, 
qui  avaient  voulu  ruiner  la  Banque  et  la  Compagnie,  et  avaient  forcé  par 
suite  le  Roi  à  affaiblir  les  espèces  pour  les  soutenir.  Mais  comme  celle 
diminution  de  leur  valeur  devait  amener  celle  du  prix  des  denrées,  des 
immeubles  el  des  meubles,  Sa  Majesté  croyait  devoir,  dans  rintérêl  gé- 
néral, diminuer  la  valeur  numéraire  des  actions  de  la  Compagnie  el  des 
billets  de  la  Banque,  pour  les  mettre  en  juste  proportion  avec  les  espè- 
ces el  les  autres  biens. 

Celte  réduction  devait  être  progressive:  de  8.500  livres, cote  officielle 
des  actions  au  22  mai  1720,  à  8.000  au  I""  juillet,  7.500  au  1"  août, 
7.000  au  1"  septembre,  6.500  au  1"'  octobre,  6.000  au  1"  novembre  el 
5.500  au  !"■  décembre. 


LE    SYSTÈME    ET    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  321 

gement  en  croyant  pouvoir  le  faire  !  Le  public  vil  dans  celle 
mesure  le  prélude  d'une  banqueroule  elleSyslème  fui  perdu; 
Law  en  signail  ainsi  lui-même  l'arrêl  de  morl.  La  cliule  du  pa- 
pier s'accenlua,  dépassant  de  beaucoup  la  baisse  prévue  par 
Law  dans  cet  arrêt  et  qui  effeclivement  ne  reposait  sur  rien. 
Ses  amis  l'abandonnèrent;  le  Parlement  se  déclara  hautement 
son  adversaire  ;  le  Relent,  sans  lui  permettre  de  se  justifier, 
cassa  l'arrêt  du  21  mai  (1),  et  le  fil  prier  de  se  démettre  de  sa 
charge  de  surintendant.  Les  conseillers  d'Etal  la  Houssaye  et 
Fagon  se  rendirent  avec  le  Prévôt  des  marchands  à  l'hôtel  de 
la  Compagnie  des  Indes  et  examinèrent  sa  comptabilité  (2). 
Enfin  la  liberté  fut  rendue  à  l'usage  de  la  monnaie  métalli- 
que et  toutes  les  interdictions  furent  levées. 

Cependant  la  révocation  de  l'arrêt  du  21  mai,  loin  d'arrêter 
la  baisse  des  actions,  la  précipita,  car  elles  tombèrent  im- 
médiatement de  8.O00  livres  à  6.000!  Aussi  le  Régent  rap- 
pela-t-il  Law  auprès  de  lui,  et  si  on  ne  lui  rendit  point  son  por- 
tefeuille, il  reprit  du  moins  la  direction  effective  des  finances. 

A  peine  rentré  en  grâce,  il  chercha  un  nouveau  remède  à 
la  situation,  qui  fut  vite  trouvé.  Il  demanda  que  le  Koi  re- 
nonçât gratuitement  aux  100.000  actions  qu'il  possédait, 
moyennant  quoi  la  Compagnie  s'engagerait  à  en  éteindre  un 
nombre  suffisant,  pour  qu'il  n'en  restât  plus  que  200.000  en 
circulation .  On  pouvait  aussi  diminuer  le  nombre  des  billets 
de  la  Banque  ;  à  cet  effet,  la  Compagnie  abandonnerait  25  mil- 
lions sur  les  48  que  lui  payait  annuellement  le  Roi,  et  ces 

(1)  Arrêt  du  27  mai  1720. 

(2)  La  perquisition  permit  de  constater  la  présence  dans  la  caisse  de 
la  Compagnie  de  21  millions  en  espèces,  28  millions  en  lingots,  et  240 
en  lettres  de  change,  soit  289  millions  au  total.  Depuis  sa  fondation,  la 
Compagnie  prétendait,  on  l'a  vu,  avoir  un  capital  de  300  millions;  c'était 
faux  au  début,  mais  maintenant  c'était  à  peu  près  exact. 

W.  —  H 


322  TIIOISIKME    PAIITIE.    r.IlAlTTUE    II 

25  millions  serviraient  à  créer  des  renies  pour  les  porteurs  de 
billets.  Enfin  la  Compagnie  recevrait  encore  le  droit  de  faire 
à  ses  actionnaires  un  appel  de  3.000  livres  par  action,  en 
élevant  les  dividendes  à  360  livres,  soit  3  0/0  au  lieu  de 
2  1/2  0/0.  Le  plan  était  bon  :  on  supprimait  la  moitié  des 
billets,  les  deux  tiers  des  actions,  la  Compagnie  s'affranchis- 
sait d'une  dette  de  900  millions.  Le  Kégent  l'accepta  et  un 
arrêt  du  3  juin  17:20  le  consacra  (1). 

Malheureusement  la  situation  n'en  fut  pas  améliorée.  Les 
actionnaires  ne  se  présentèrent  pas  pour  verser  les  3.000  li- 
vres demandées  :  l'émission  des  rentes  n'eut  aucun  succès  ; 
par  contre,  on  continua  à  se  presser  aux  guichets  de  rem- 
boursement des  billets  (2). 

Lawfît  un  dernier  effort  (3)  pour  dégager  la  Compagnie  des 
Indes  des  destinées  de  la  Banque  ;  il  voulut  la  sauver  en 
affirmant  son  caractère  commercial  et  lui  fit  conférer  le  pri- 
vilège de  la  Compagnie  de  Saint-Domingue  et  le  commerce 
exclusif  de  la  côte  de  Guinée  (10-27  septembre  1720);  c'étaient 
là  les  deux  seuls  monopoles  maritimes  qui  lui  manquassent 
encore.  Mais  le  public  ne  s'y  laissa  pas  tromper  et  les  aciions 
ne  remontèrent  point;  en  août,  elles  étaient  à  6.000  livres  ; 
un  arrêt  du  15  septembre  les  réduisit  à  2.000  et  une  dernière 
mesure  particulièrement  maladroite  accentua  cette  chute.  Un 
arrêt  du  28  octobre  ordonna  la  confection  d'un  rôle  des  ac- 

(1)  Le  Parlement,  après  avoir  réclamé  contre  le  taux  li'inlérél  des 
25  millions  de  renies  à  émettre  qu'il  trouvait  trop  bas  (denier  40,  soit 
2  1/2  0/0),  céda  sans  trop  de  difficulté. 

(2)  Des  émeutes  eurent  lieu:  l.aw  faillit  être  mis  en  pièces,  le  Régent 
fui  insulté  par  la  foule. 

(3)  Il  essaya  d'un  autre  moyen  encore  :  ce  fui  d'ouvrir  un  compte  en 
banque  de  000  millions  au  profit  des  porteurs  de  billets,  et  de  racheter 
les  GOO  autres  millions  au  moyen  de  l'émission  de  70000  nouvelles  ac- 
tions de  9.000  livres  en  billets.  Ces  mesures  ne  réussirent  point. 


LE    SYSTÈME    ET    LA    COMI'AGNIE    DES    INDES  32.S 

tionnaires,  à  l'occasion  duquel  ceux-ci  seraient  tenus  de 
présenter  un  nombre  d'actions  déterminé,  et  de  les  déposer 
pour  les  faire  timbrer  :  elles  devaient  être  rendues  ensuite  aux 
actionnaires  de  bonne  foi  dans  les  liuit  jours,  dans  les  trois 
ans  seulement  à  ceux  qui  ne  seraient  pas  jugés  tels.  En 
même  temps  il  fut  interdit  de  sortir  du  royaume  sans  passe- 
port. Cette  fois,  ce  fut  la  tin,  et  les  actions  tombèrent  d'une 
façon  définitive  (1).  Les  ennemis  de  Law  voulurent  le  faire 
arrêter;  le  duc  de  Bourbon  le  protégea,  mais  on  le  pria  de 
s'en  aller:  il  partit  secrètement  le  13  décembre,  emportant 
quelques  milliers  de  livres,  et  gagna  les  Pays-Bas. 

Le  Système  avait  vécu,  il  restait  à  liquider  la  situation. 

Le  27  décembre  17:20,  Le  Pelletier  de  la  Houssaye  fut 
nommé  Contrôleur  Général  ;  MM.  Crozat  et  Bernard  furent 
chargés  des  affaires  de  la  Banque  et  de  la  Compagnie  ;  les 
principaux  administrateurs  de  celle-ci:  MM.  Bourgeois,  Fé- 
nellon  et  Durevest  furent  envoyés  à  la  Bastille. 

Le  29  eut  lieu  une  assemblée  des  actionnaires  :  il  y  fut  dé- 
cidé qu'on  ne  garderait  que  les  Tabacs  ;  peu  de  temps  après, 
en  effet,  le  bail  de  la  Ferme  Générale  fut  cassé,  la  Monnaie, 
la  Recette  Générale  furent  retirées  à  la  Compagnie  «  afin 
qu'étant  particulièrement  occupée  des  intérêts  de  son  com- 
merce, elle  pût  travailler  efficacement  au  bien  de  l'Etat  ». 
Mais  elle  n'était  point  hors  de  danger,  car  au  Conseil  du 
24  janvier  1721  le  Contrôleur  Général  la  déclara  responsable 
de  la  gestion  de  la  Banque  et  prétendit  regarder  les  action- 
naires comme  débiteurs  envers  l'Etat  des  billets  restés  en 
circulation. 

Malgré  les  protestations  du  duc  de  Bourbon,  la  Compagnie 
fut  condamnée,  et  l'on  décida  de  nommer  des  commissaires 

(t)  Elles  tombèrent,  dil-on,  jusqu'à  ne  plus  valoir  qu'un  louis  d'or. 


.^24 


TROISIEME    PARTIE.    CHAPITRE    II 


pour  procéder  à  sa  liquidation.  Elle  dut  leur  présenter  l'état 
détaillé  de  ses  dettes  et  de  ses  créances  et  de  l'émission  de 
ses  actions  ;  de  leur  côté,  les  actionnaires  furent  invités  à 
apporter  leurs  titres  (actions,  récépissés,  comptes  en  Ban- 
que , . .)  dans  le  délai  de  deux  mois,  pour  ceux-ci  être  examinés 
et  visés  parles  commissaires,  ou  annulés,  s'il  y  avait  lieu  (1). 

La  direction  de  celte  opération  fut  confiée  à  Paris-Duverney, 
revenu  triomphant  de  l'exil  avec  ses  trois  frères  le  jour  où 
Law  quittait  précipitamment  Paris  ;  Crozat  et  Bernard  l'as- 
sistèrent ;  tous  trois  s'entendirent  aisément  dans  leur  haine 
pour  Law  et  le  Système  (2). 

L'arrêt  du  4  février  1721  déclara  que  la  Compagnie  devrait 
rendre  compte  de  la  gestion  de  la  Banque  qui  lui  avait  été 
réunie  le  23  février  1720  ;  celui  du  7  avril  annula  tous  ses  pri- 
vilèges, suspendit  ses  pouvoirs  et  nomma  quatre  nouveaux 
commissaires  pour  examiner  sa  comptabilité  ;  celui  du  29  mai 
lui  enleva  les  Tabacs,  seul  privilège  qu'elle  eût  conservé,  et 
des  Directeurs  nommés  par  le  Roi  allèrent  à  Lorienl  diriger 
son  commerce  à  la  place  de  ses  propres  agents  :  elle  était 
ainsi  en  tutelle  complète. 

La  liquidation  s'ouvrit  ;  on  estimait  la  valeur  du  papier  en 
circulation  à  3  ou  4  milliards,  il  en  fut  présenté  au  visa  pour 
2  milliards  et  demi  environ  (3),  dont  125.000  actions.  On 
craignait  en  effet  la  brutalité  des  procédés  employés  par  les 
commissaires  et  l'on  se  défiait,  non  sans  quelque  raison, d'une 

(1)  C'est  la  deuxième  opération  du  Visa  qui  ait  eu  lieu  sous  la  Ré- 
gence. 

(2)  Aussi  les  actionnaires  prièrent-ils  le  Régent  de  confier  la  liquida- 
tion à  M.  d'Armenonville  qui  avait  voté  contre  l'avis  de  .M.  de  la  Hous- 
saye  au  Conseil,  mais  ils  ne  l'obtinrent  pas.  Le  duc  de  Bourbon  réussit 
cependant  à  paralyser  plus  d'une  fois  la  mauvaise  volonté  des  IWris. 

(3)  2.452.645.181  livres  entre  les  mains  de  5i  l  .009  propriétaires,  dont 
125.024  actions  et  2.222.597.181  livres  de  billets  et  contrats  divers. 


LE    SYSTÈME    ET    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  325 

entière  spoliation.  Cette  liquidation  dura  plus  d'un  an  ;  elle 
fut  close  à  la  fin  de  juillet  1722  :  les  deux  milliards  et  demi 
de  papier  présentes  étaient  alors  réduits  à  t  milliard  800.000 
livres,  et  les  125.000  actions  à  50.000  (1)  ;  tous  les  effets 
non  visés  furent  déclarés  nuls  et  leur  trafic  puni.  Tout  se 
termina  par  un  feu  de  joie  ;  les  registres,  les  actes,  les  papiers 
qui  avaient  servi  à  établir  celte  liquidation,  entassés  dans  la 
cour  de  la  Banque,  furent  solennellement  incendiés  :  «  moyen 
barbare  d'apurer  des  comptes  etqui  fil  disparaître  lesderniers 
restes  du  Système  et  des  témoignages  précieux  que  regrette 
l'histoire  (2).  » 

Il  n'était  désormais  plus  nécessaire  de  tenir  la  Compagnie 
des  Indes  en  tutelle,  étant  donné  que  sa  conservation  était 
décidée  par  le  gouvernement.  Voici  quelle  situation  lui  était 
faite  au  sortir  du  Système  : 

L'opération  du  visa  avait  produit  la  reconnaissance  de 
50.000  actions,  mais  on  en  timbra  en  fait  54.000,  et  finale- 
ment leur  nombre  fut  porté  à  56.000,  dont  48.000  actions  en- 
tières et  80.000  dixièmes  d'action  (arrêt  du  22  mars  1723). 

Héritière  de  la  Compagnie  d'Occident,  la  Compagnie  des 
Indes  tenait  d'elle  les  droits  sur  la  rente  que  le  Roi  lui  devait 
pour  les  100  millions  de  billets  d'Etat  remboursés  en  1717, 
rente  qui  de  4  0/0  avait  été  réduite  ensuite  à  3  0/0,  c'est-à-dire 
de4  à  3  millions.  Le  Roi,  pour  s'en  libérer,  rendit  à  la  Com- 
pagnie la  Ferme  des  Tabacs  dont  le  revenu  fut  estimé  offi- 


(1)  Paris  avait  imaginé  pour  reconnaître  et  frapper  les  agioteurs  des 
distinctions  subtiles  ;  les  réductions  varièrent  du  sixième  aux  dix-neuf 
vingtièmes  !  Les  agioteurs  furent  en  outre  frappés  d'une  capitation  ex- 
traordinaire de  187  millions  au  total.  Certains,  il  est  vrai,  avaient  dû 
avouer  des  gains  scandaleux  et  déposer  20,  50,  même  80  millions  de  va- 
leurs ! 

(2)  M.  Levasseur. 


320  TuoisiKMK  l'ARTir:.    —  cnAi'nnp:  ii 

ciellemenL  à  2.500.000  livres  el  lui  conféra  les   droits  du 
Domaine  d'Occident  (1)  estimés  500.000  livres. 

Pour  sauvegarder  les  intérêts  des  actionnaires,  un  comité 
de  surveillance  fut  institué  sous  le  nom  de  Conseil  des  Indes 
dont  le  présidLMit  fut  le  Contrôleur  Général.  En  outre,  il  fut 
stipulé  que  chaque  action  recevrait  un  intérêt  fixe,  indépen- 
dant du  dividende  fourni  par  le  commerce,  el  qui  fut  établi  à 
100  livres  pour  l'année  1722  et  à  150  livres  pour  les  années 
suivantes.  Enfin  on  promit  à  la  Compagnie  de  lui  concéder 
de  nouveaux  privilèges  en  retour  de  ces  charges  et  de  celle 
surveillance. 

Le  règne  du  Système  était  lerminé  ;  la  France,  gravement 
ébranlée  par  celte  secousse  terrible,  se  trouvait  alors  dans  la 
siluatioii  financière  suivante  : 

Au  moment  où  Lav^  promettait  de  rembourser  la  dette  de 
l'Etal,  celle-ci  s'élevait  à  2.226  millions.  A  la  fin  de  la  liquida- 
lion  du  Système,  848  millions  avaient  été  effectivement  annu- 
lés, et  il  en  restait  encore  un  milliard  el  demi.  Pour  y  pour- 
voir on  créa  en  juillet  1723  de  la  rente  viagère  4  0/0  et  du 
perpétuel  2  1/2,  el  tous  les  papiers  d'Etal  se  trouvèrent  ainsi 
transformés  en  31  millions  de  rente  perpétuelle  el  16  millions 
de  rente  viagère.  La  Compagnie  des  Indes  se  reconnaissait 
débitrice  envers  le  Roi  du  capital  de  celle  somme,  mais  elle 
en  fut  bientôt  déchargée  ;  le  Roi,  en  effet,  avait  des  dettes  en- 

(1)  Les  droits  du  Domaine  d'Occident  étaient  des  droits  de  douane 
sur  les  produits  des  colonies  françaises  dWmërique.  Leur  perception 
avait  appartenu  à  la  Compagnie  des  Indes  Occidentales  à  titre  de 
droits  seigneuriaux,  puis  ils  furent  rélrocédés  par  elle  en  1671  au  gou- 
vernement royal  qui  en  fit  une  Ferme  particulière  :  c'est  à  ce  litre  qu'ils 
furent  accordés  à  la  Compagnie  des  Indes  en  1723.  Ils  comportaient  un 
droit  général  (5  0/0  à  l'origine,  puis  3  0/0,  enfin  3  1/2  0/0)  el  des 
droits  particuliers  (33  sols  par  quintal  sur  les  sucres,  etc.),  ils  étaient 
tous  perçus  en  France.  Fin  1732,  ils  furent  réunis  à.  la  Ferme  Générale. 


LE    SYSTÈME    ET    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  327 

vers  elle,  notamment  les  6  millions  de  la  Banque  qui  ne  lui 
avaient  pas  été  versés  lors  de  la  réunion  ;  de  plus,  elle  avait 
rendu  à  l'Etat  le  service  de  retirer  une  grande  partie  des 
1.600  millions  de  billets  du  Trésor;  aussi, le  Conseil  de  régence 
lui  étant  devenu  plus  favorable,  l'Etat  déclara  se  charger  seul 
du  fardeau  de  cette  dette. 

C'était,  en  comptant  les  trois  millions  de  rente  dus  à  la 
Compagnie,  50  millions  d'intérêts  annuels  en  chiffres  ronds, 
représentant  plus  de  1.600  millions  de  capital.  C'était  certes 
une  grosse  somme,  mais  à  la  mort  de  Louis  XIV  ces  mêmes 
intérêts  étaient  8o  millions  et  ce  même  capital  3.460  millions, 
et  après  le  visa  du  duc  de  Noailles  ce  dernier  était  encore  de 
2  milliards  et  demi.  Après  la  liquidation  du  Système,  opéra- 
tion un  peu  brutale  assurément,  la  dette  de  l'Etal  se  trouvait 
donc  déchargée  de  900  millions  environ. 

Le  Système  n'avait  donc  pas  ruiné  les  finances  de  la  France 
et  ne  lui  laissait  pas  ses  folies  à  payer  (1).  Law  qui  fut  le 
héros  de  celte  épopée  de  cinq  années,  n'avait  sans  doute  point 
rempli  toutes  ses  promesses  et  centuplé  les  richesses  du 
royaume,  mais  est-il  le  malfaiteur  qu'en  a  fait  la  légende,  et 
l'histoire  lui  a-t-elle  toujours  rendu  justice  ? 

(l)  On  ne  doit  pas  seulement,  il  est  vrai,  considérer  les  finances  de 
l'Etat.  Il  est  certain  que  les  spéculations  du  Système  causèrent  bien  des 
bouleversements  dans  les  fortunes  particulières,  mais  toutes  les  ruines 
qu'elles  produisirent  ne  furent  cerlesjpas  dignes  de  pitié  !  Il  ne  faut  pas 
non  plus  exagérer  l'influence  du  Système  sur  le  prix  de  la  vie  ;  on  a 
démontré  qu'elle  fut  presque  nulle  :  «  Les  prix  ne  varièrent  pas  dans 
les  provinces,  dit  M.  d'Avenel,  ni  même  pour  ainsi  dire  dans  la  capi- 
tale. On  a  la  preuve  que  les  plus  minces  bourgs  connaissaient  aux 
extrémités  du  royaume  le  cours  des  billets  de  la  Banque  et  la  déprécia- 
tion des  espèces  d'or  et  d'argent  ;  mais  on  laissait  aux  agioteurs  pari- 
siens les  cours  otiiciels  du  kilo  d'or  et  d'argent  et  l'on  continuait  à  don- 
ner à  la  livre  de  compte   la  même  valeur »  d'Avenel,  La  fortune 

privée  à  travers  sept  siècles. 


328  TROISIKME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

Si  sa  conception  économique  de  la  richesse  ne  fut  point 
très  supérieure  à  la  doctrine  mercantile  qui  en  était  le  point 
de  départ  (1),  il  fut  du  moins  dans  la  science  des  finances 
un  créateur  puissant.  Il  comprit,  en  effet,  la  nature  et  la  force 
du  crédit,  dont  alors  d'élémentaires  applications  étaient 
seules  en  usage  et  il  sut  prouver,  sinon  le  bien  fondé  de  tou- 
tes ses  idées,  du  moins  la  justesse  de  cette  conception  pro- 
phétique, il  fit  plus  :  de  scandaleux  excès  signalèrent  sans 
doute  le  triomphe  de  ses  spéculations,  mais  cette  flétrissure 
une  fois  admise,  il  reste  à  admirer  en  lui  le  maître  qui  initia 
la  société  française  à  la  science  si  complexe  et  si  délicate 
des  finances,  fit  counnitre  au  public  des  opérations  utiles, 
ignorées  jusque-là,  lui  apprit  à  manier  le  crédit  dans  ses 
applications  les  plus  diverses.  11  fil  faire  à  celle  science  plus 
qu'un  pas,  un  saut  immense  dont  elle  sent  encore  les  effets. 
II  est  aisé  d'en  marquer  les  vices,  mais  il  n'est  que  juste  d'en 
reconnaître  les  bons  côtés. 

Pour  l'historien  de  la  Compagnie  des  Indes,  Law  a  un  titre 
de  plus  à  l'indulgence.  (]ar  il  prit  la  Compagnie  de  Golbert, 
c'est-à-dire  l'expression  la  plus  forte  qui  eût  été  encore  de 
noire  puissance  maritime,  pour  en  relever  les  efforls  ;  il  la 
trouva  impuissante  et  donna  à  cette  machine  usée  un  élan 
dont  elle  se  ressentit  jusqu'à  la  fin  du  xvni*  siècle. 

La  Compagnie  des  Indes  ne  fut  point  dans  le  Système  un 
accessoire,  un  prolongement;  elle  en  fut  le  cœur  et  la  léle. 
Sans  doute  elle  n'était  elle-même  que  la  première  pierre  de 
ce  colossal  édifice  où  Law  voulait  concentrer  toutes  les  for- 
ces vives  de  la  France,  chimérique  conception,  qu'a  reprise 
de  nos  jours  la  doctrine  socialiste  Mais  si  la  construction  en 
resta,  fort  heureusement,  inachevée,  la  première  pierre  en  fut 
taillée  et  posée  avec  soin. 

(i)  Rlle  porte  dans  la  doctrine  le  nom  de  Neo-Meroantilisme. 


CHAPITRE  111 

HISTOIRE   UE   LA    COMPAGNIE    DES    INDES   JUSQU'a    LA 

PAIX  d'aix-la-chapelle. 


La  Compagnie  des  Indes  est  déchargée  des  suites  du  Système,  —  Son 
domaine  colonial.  —  L'Inde  pendant  le  Système.  —  Gouvernement 
de  Lenoir  et  acquisition  de  Mahé.  —  Rétrocession  de  la  Louisiane 
et  concentration  des  efforts  de  la  Compagnie  en  Asie.  —  Situation 
politique  de  l'Inde  ;  l'empire  mogol  et  les  princes  hindous  ;  les  Euro- 
péens ;  la  Compagnie  anglaise  et  la  Compagnie  française.  —  Gouver- 
nement de  Dumas.  —  Nomination  de  Dupleix  (1740).  —  Ouverture 
de  la  guerre  de  Succession  d'Autriche.  —  Dupleix  et  La  Bourdonnais. 
—  Prise  de  Madras  (1746).  —  Siège  de  Pondichéry  (1748). 


Avec  l'année  1723,  la  Compagnie  des  Indes  commence  à 
vivre  d'une  vie  propre  ;  le  Syslème  s'est  effondré,  la  liquida- 
lion  longue  et  délicate  qui  a  suivi  cette  chute  a  enfin  élé  close, 
la  sévère  tutelle  à  laquelle  la  Compagnie  a  été  elle-même 
soumise  quelque  temps  a  été  levée;  le  gouvernement  royal 
s'est  décidé  à  conserver  de  l'œuvre  de  Law  la  partie  qui  en 
fui  la  plus  aventureuse  et  qui  reste  la  plus  raisonnable,  et  il 
lui  rend  la  liberté  d'allures  nécessaire  à  sa  prospérité  :  c'est 
ainsi  qu'elle  est  sortie  du  Système  qui  l'avait  vue  renaître. 

L'arrêt  du  22  mars  1723  commença  cette  œuvre  de  réta- 
blissement :  il  fixa  définitivement  le  nombre  de  ses  actions 
et  par  conséquent  son  capital,  régla  sa  situation  vis-à-vis  de 
l'Etat,  lui  rendit  les  Tabacs  dont  le  revenu  assuré  devait  lui 
être  très  utile  dans  les  premières  années  d'exercice.  Bientôt 
même  à  ce  premier  avantage  vint  se  joindre  le  monopole  des 


330  TROISlk.MK    PAilTIi;.    CHAPITRE    III 

cafés  (1),  et  la  surveillance  du  Conseil  des  Indes  que  ces  con- 
cessions étaient  destinées  à  compenser  prit  la  forme  moins 
sévère  des  Commissaires  du  Roi. 

A  ce  moment,  comme  si  tout  ce  qui  restait  de  celle  période 
troublée  devait  disparaître  simultanémenl,  la  Régence  elle- 
même  finissait  et  l'arrivée  au  ministère  du  duc  de  Bourbon 
fut  regardée  par  la  Compagnie  comme  l'assurance  d'une  pro- 
tection durable  (2).  Effectivement,  l'édit  de  juin  1725  vint  la 
confirmer  dans  la  possession  de  ses  monopoles  et  la  proclama 
entièrement  déchargée  de  toutes  les  opérations  passées. 

La  Compagnie  reprit  aussitôt  le  cours  régulier  de  ses  oc- 
cupations commerciales,  et  s'appliqua  à  la  mise  en  exploita- 
tion de  l'immense  domaine  que  lui  avait  donné  son  second 
fondateur  :  immense  en  effet,  car  il  embrassait  à  peu  de  chose 
près  le  commerce  maritime  de  la  France  avec  le  monde 
entier. 

En  Amérique,  il  comprenait  la  propriété  de  la  Louisiane, 
le  monopole  du  commerce  avec  l'Amérique  du  Nord  et  notam- 
ment celui  du  trafic  du  castor  et  celui  de  Saint-Domingue  (3)  ; 

(1)  Arrêt  du  31  août  1723. 

(2)  Le  premier  ministère  fut  celui  du  cardinal  Dubois  dont  les  intri- 
gues avaient  naguère  pre'cipité  la  cluitede  Law,  puis  en  août  1723  ce 
fui  le  duc  d'Orléans  qui  prit  la  direction  des  affaires:  la  Conipa^'nie 
considéra  cet  événement  comme  heureux  pour  elle,  et  nomma  le  duc 
Directeur  perpétuel,  mais  il  mourut  après  3  mois  seulement  de  ministère 
(décembre  1723).  Law  qui  avait  espéré  un  moment  pouvoir  rentrer  en 
France  dut  y  renoncer  définitivement,  et  rien  ne  montre  mieux  les 
espérances  que  la  Compagnie  en  avait  conçues  que  la  baisse  de  ses 
actions  qui, à  l'annonce  de  cette  mort,  descendirent  à  moins  de  900  livres. 
Le  duc  de  Bourbon  qui  le  remplaça  était  peut-être  cependant  un  meil- 
leur appui  pour  elle  ;  il  s'était  fait  son  défenseur  contre  certains  membres 
du  conseil  de  Régence, et  ce  n'était  d'ailleurs  de  sa  part  que  de  la  recon- 
naissance, car  il  avait  été,  l'un  des  premiers,  enrichi  par  le  Système. 

(3)  Mais  le  commerce  avec  les  îles  françaises  restait  en  dehors  de 
son  privilège,  à  l'exception  de  Saint-Duminafue. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    DE     1723    A     1748  331 

en  Afrique,  l'ancien  domaine  de  la  Compagnie  des  Indes 
Occidentales,  c'est-à-dire  toute  la  côte  d'Afrique  du  cap  Blanc 
au  cap  de  Bonne-Espérance,  et  celui  de  la  Compagnie  d'Afri- 
que, c'est-à-dire  la  côte  de  Barbarie,  du  cap  Blanc  à  Tunis  ; 
en  Asie,  le  patrimoine  de  la  Compagnie  de  Golbert  :  le  com- 
merce de  rinde  et  la  propriété  de  lîle  Bourbon  ;  en  outre,  le 
commerce  de  la  Chine  hérité  indirectement  de  cette  même 
Compagnie. 

Les  épices,  les  drogues,  les  étoffes,  les  pierreries  que  l'on 
allait  chercher  en  Asie,  les  nègres,  le  corail,  la  poudre  d'or 
que  l'on  tirait  de  l'Afrique,  le  castor,  le  tabac  que  l'on  impor- 
tail d'Amérique,  devaient  alimenter  son  commerce,  elle  seule 
pouvait  désormais  en  approvisionner  le  marché  français. 

Ce  domaine  n'était  pas,  il  est  vrai,  partout  également  pros- 
père. La  Louisiane  ne  donnait  guère  encore;  la  colonisation 
avait  cessé  d'y  recevoir  de  nouveaux  renforts,  et  de  l'œuvre 
commencée  par  Crozal  et  continuée  par  Law,  il  ne  restait 
que  des  débris  ;  la  situation  de  la  Compagnie  à  Saint-Domin- 
gue fut  dès  le  début  très  mauvaise  :  les  habitants  de  celte 
île  ne  purent  supporter  l'idée  du  monopole  qui  lui  était  ac- 
cordé, et  se  révoltèrent  (1)  ;  elle  devait  bientôt  renoncera 
l'exploiter  en  fait,  pour  se  borner  à  y  faire  commerce  au  même 
titre  que  les  particuliers.  LInde,  depuis  longtemps  abandon- 
née à  elle-même  par  la  Compagnie  de  Colberl,  ne  pouvait  être 
dans  un  état  bien  florissant  ;  il  était  même  miraculeux  que 

(1)  Ils  incendièrent  les  magasins  de  la  Compagnie,  et  le  gouverneur 
dut  protéger  contre  eux  ses  commis  ;  ils  lui  arrachèrent  même  Tinter- 
diction  pour  les  navires  de  la  Compagnie  de  séjourner  dans  les  porfs 
de  Saint-Domingue  plus  de  quatre  jours.  Il  fallut  pour  rétablir  l'ordre 
que  le  gouvernement  royal  envoyât  l'escadre  de  M.  de  Campmeslin. 
Celui-ci  annonça  que  la  Compagnie  accorderait  dorénavant  des  permis- 
sions aux  négociants  de  France  pour  1  importation  des  nègres  dans  l'île 
(1722).  Archives  nalionalc^,  V  50,  5'. 


332  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    III 

nous  n'eussions  pas  perdu  le  peu  de  terrain  que  nous  y 
avions  péniblement  gagné  :  le  mérite  en  revint  aux  agents 
qui  continuaient  à  représenter  nos  intérêts  dans  cette  contrée 
et  qui  surent  les  défendre  contre  les  jalousies  anglaises  et 
hollandaises.  Au  moment  où  se  constituait  la  Compagnie 
d'Occident,  le  gouverneur  de  Pondichéry  était  Guillaume  Hé- 
bert (1),  la  colonie  comptait  alors  60.000  habitants  et  com- 
merçait avec  les  autres  contrées  de  l'Asie  avec  une  assez 
grande  activité.  Hébert  ne  fut  cependant  point  un  adminis- 
trateur bien  remarquable,  mais  sa  médiocrité  ne  put  entraver 
l'essor  de  la  création  de  Martin.  Il  est  vrai  qu'en  dehors  de 
Pondichéry,  nous  n'avions  plus  rien  de  sérieux  dans  l'Inde 
et  que  nos  autres  comptoirs  étaient  presque  abandonnés. 

M.  de  la  Prévoslière,  qui  lui  succéda,  fut  un  chef  honnête 
et  de  bonne  volonté,  mais  ses  efforts  pour  relever  la  situation 
de  la  Compagnie  dans  l'Inde  échouèrent,  faute  de  moyens 
d'action  suffisants. 

Ce  rétablissement  devait  venir  de  plus  haut.  Law  qui  réu- 
nissait à  ce  moment  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  à 
l'Occident,  sauva  par  cet  acte  nos  intérêts  sur  le  point  de 
succomber.  Si  la  Compagnie  des  Indes,  sous  le  règne  du  Sys- 
tème, délaissa  trop  son  domaine  oriental  pour  ses  possessions 
d'Amérique,  elle  ne  fut  pas  sans  entretenir  avec  lui  quelques 
relations  :  ses  vaisseaux  apportèrent  à  Pondichéry  les  fonds 
dont  on  avait  grand  besoin  pour  acquitter  des  dettes  pres- 
santes ;  l'habile  gestion  de  Pierre-Christophe  Lenoir  qui  en 
occupait  alors  le  gouvernement  fut  aussi  une  garantie  pré- 
cieuse de  succès  pour  la  Compagnie  ;  sa  politique  honnête 
sauva  la  colonie  à  la  chute  du  Système,  qui  engloutit  sa  for- 
lune  personnelle  sans  abattre  son  dévouement.  Grâce  à  lui  les 

(1)  1715-1718. 


LA    COMPAGNIE    DES   INDES    DE    1723    A    1748  333 

événements  qui  causèrent  tant  de  désastres  en  France,  n'eu- 
rent pas  dans  l'Inde  les  conséquences  qu'ils  y  auraient  pu 
déchaîner  (1). 

Lenoir  faillit  cependant  ne  retirer  de  ces  services  que  le 
prix  de  l'ingratitude,  car  en  1723  il  dut  venir  en  France  se 
justifier  contre  les  accusations  dont  on  l'avait  accablé  auprès 
de  la  Compagnie.  Il  laissa  pendant  trois  années  à  M.  Beau- 
vallier  de  Gourchanl  l'administration  de  nos  intérêts,  et  celui- 
ci  eut  ainsi  le  mérite  de  créer  notre  troisième  établissement 
militaire  dans  Vlnde,  Mahé,  sur  la  côte  de  Malabar  où  nous  ne 
possédions  rien  (2).  A  peine  établi,  il  est  vrai,  notre  nouveau 
comptoir  dut  subir  les  attaques  d'un  prince  indigène  qu'exci- 
taient adroitement  les  Anglais  ;  mais  une  petite  escadre  de 
quatre  vaisseaux  de  la  Compagnie,  commandée  par  M.  dePar- 
daillan,  accourut  le  débloquer  et  TingénieurDeidier  l'entoura 
de  défenses  importantes  qui  devaient  lui  éviter  à  l'avenir 
pareille  mésaventure.  Lenoir  dut  défendre  à  Paris  la  création 
de  son  successeur  contre  la  pusillanimité  des  Directeurs,  et 

(1)  «  C'était  un  vieux  négociant,  bon,  affable,  plein  de  sagacité,  fort 
au  courant  des  affaires  de  l'Inde  »,  dit  M.  Tibulle  Hamon,  Dupleiv. 
Cependant  il  paraît  que  Lenoir  était  au  contraire  autoritaire  et  tra- 
cassier  ;  Dupleix  ne  s'entendit  point  avec  lui  et  ne  l'aima  point;  il  lui 
reprochait  d'avoir  agi  assez  brutalement  envers  lui  lorsqu'il  fut  accusé 
d'escroquerie  et  d'avoir  fait  ensuite  les  plus  grands  efforts  pour  empèctier 
qu'il  ne  fût  nommé  à  Chandernagor  ;  on  doit  faire  la  part  de  cette  an- 
tipathie quand  on  entend  Dupleix  dire  de  Lenoir  rentré  en  France  : 
:<  Je  ne  fais  aucun  doute  qu'à  son  arrivée  on  ne  lui  mette  la  main  sur 
le  collet,  et  que  réduit  à  la  dernière  misère  il  sera  sur  la  fin  de  ses 
jours  réduit  à  mendier  un  misérable  emploi.  »  —  Cf.  Cultru,  Dupleix, 
ses  plans  politiques,  sa  disgrâce,  Paris,  1901 .  —  Non  seulement  on  ne 
lui  mit  point  la  main  au  collet,  mais  il  fut  reçu  avec  enthousiasme  par  la 
Compagnie  et  figura  pendant  trois  ans  au  Conseil  des  Directeurs  où  il  fut 
très  écouté. 

(2)  Pondichéry  avait  été  créé  en  1674,  Chandernagor  en  16T6.  Mahé 
dont  le  nom  indigène  était  Mahi  on  Maïhi,  était  sur  le  territoire  du 
rajah  de  Bargaret,   qui  nous  le  concéda. 


334  TROISIÈME    PARTIE.    CIIAITIHE    lit 

ce  ne  fut  pas  sans  peine  qu'il  fil  décider  le  mainlien  de  noire 
pavillon  sur  ce  comptoir.  Puis,  complètement  absous,  il  reprit 
la  route  de  l'Inde,  où  il  devait  pendant  huit  années  encore 
rendre  à  la  Compagnie  des  services  éminenls. 

Les  opérations  commerciales  avaient  pris  pendant  ces  der- 
nières années  un  développement  favorable  et  les  résultais 
financiers  étaient  déjà  satisfaisants;  néanmoins  la  création  de 
Mahé,la  lutte  contre  les  Hindous,  la  fortification  de  celle  place 
avaient  coûté  quelque  argent  à  la  Compagnie;  elle  mit  en 
avant  ces  raisons  pour  solliciter  du  Roi  deu.x  rétrocessions 
importantes  ;  elle  demanda  en  effet  à  cédera  une  Compagnie 
nouvelle  en  formation  le  privilège  du  commerce  de  la  côle 
de  Barbarie  qu'elle  estimait  peu  avantageux,  et  ce  lui  fut 
accordé.  Bientôt  après,  elle  le  pria  de  lui  reprendre  la  Loui- 
siane elle-même. 

Depuis  son  acquisition,  en  effet,  celte  contrée  lui  avait 
coûté  fort  cher  (1)  et  ne  lui  avait  pas  donné  de  bien  impor- 
tants résultats  ;  le  commerce  du  tabac  et  la  culture  du  coton 
qu'on  y  avait  introduits  n'y  avaient  pas  prospéré,  faute  de 
main-d'œuvre,  de  manière  à  indemniser  la  Compagnie  de  ses 
frais;  par  contre,  les  dépenses  qu'elle  devait  y  faire  pour  l'or- 
ganisation militaire  de  celle  colonie  étaient  fort  onéreuses 
malgré  la  subvention  que  fournissait  le  Roi.  Elle  demanda 
donc  à  être  relevée  de  ces  charges  par  la  rétrocession  de  la 
Louisiane,  et  l'arrêt  du  23 janvier  1731  (2)  lui  donna  satisfac- 
tion. Elle  ne  fut  pas  gratuite  d'ailleurs,  car  la  Compagnie  dut 

(1)  Suivant  Dupont  de  Nemours  la  Compagnie  y  avait  englouti 
25  millions:  un  état  conservé  aux  Archives  du  ministère  des  Colonies 
donne  également  le  chiffre  de  22  millions  de  livres. 

(2)  Arrêt  du  Conseil  concernant  la  rétrocession  faite  au  Roi  par  la 
Compac^nie  des  Indes  de  la  concession  de  la  Louisiane  et  du  pays  des 
Illinoi';.  Archirc^  tiaiinialrs,  APtix,  '^S^. 


LA    COMPAGNIE    DES   INDES    DE     1723    A     1748  335 

s'engager  à  payer  au  Roi  1. 150.000  livres  en  dix  années  et  se 
vit  naturellement  supprimer  la  gratification  du  Roi  pour  l'en- 
tretien des  forts  de  cette  colonie. 

C'était  là  un  événement  important;  la  Compagnie  aban- 
donnait ainsi  la  principale  entreprise  de  Law,  sur  laquelle 
on  avait  nourri  les  espérances  les  plus  chimériques  ;  en 
même  temps  elle  perdait  son  caractère  exagéré  d'universa- 
lité et  transportait  le  centre  de  son  activité  dans  l'ancien  do- 
maine de  la  Compagnie  de  Colberl,  si  magnifique  déjà, 
l'Océan  Indien.  Là  devait  être  désormais  son  véritable  objec- 
tif, et  c'est  une  des  raisons  qui  nous  ont  permis  de  pré- 
senter la  Compagnie  constituée  par  Law  comme  l'héritière 
directe  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales,  comme  celle- 
ci  l'avait  été  également  de  la  Compagnie  d'Orient,  toutes  ces 
Compagnies  ne  formant,  à  vrai  dire,  qu'un  seul  monument 
dont  les  assises  différentes  ne  se  distinguent  que  par  une 
apparente  séparation.  C'est  donc  dorénavant  dans  celte  partie 
du  monde  que  se  portera  l'effort  principal  de  la  Compagnie 
des  Indes,  là  qu'elle  s'érigera  en  puissance  coloniale,  là  que 
se  jouera  sa  destinée. 

Quelle  était  la  situation  qui  l'y  attendait  ?  Quel  était  l'état 
de  rinde  elle-même,  et  celui  de  ses  rivales  européennes? 

L'empire  des  Mogols  avait  conservé  une  puissance  appa- 
rente, mais  il  était  déjà,  au  fond,  en  pleine  décadence.  Celle-ci 
avait  été  déterminée, entre  autres  causes, par  l'apparition  dans 
l'Inde  d'une  force  nouvelle  qui  en  favorisa  le  morcellement 
et  servit  ainsi  la  politique  des  Compagnies  européennes.  Ces 
événements  avaient  été  contemporains  de  la  Compagnie  de 
Colbert,  mais  celle-ci,  étroitement  renfermée  dans  ses  entre- 
prises commerciales,  n'y  avait  pris  aucun  intérêt  (1). 

(1)  François  Martin  dans  ses  Mémoireft  y  fait  cependant  de  très  fre'- 
i|uenles  allii-iu:i!;. 


33^)  TKOISIKME    l'AHTIK.    CHAPITRK    III 

Au  cours  du  règne  le  plus  brillant  de  la  dynastie  des  Mo- 
gols,  celui  d'Aureng-Zeb  (1),  souverainbalailleur  et  intolérant 
qui  réalisa  presque  l'unité  de  la  péninsule  sous  son  sceptre 
par  ses  victoires  sur  les  petits  potentats  du  Deccan,  la  tribu 
des  Mahrattes  n'avait  pas  craint  de  s'attaquer  à  sa  toute-puis- 
sance avec  l'ambition  de  rejeter  hors  de  l'Inde  les  tyrans  de 
race  turque.  Sous  l'autorité  d'un  chef  habile,  Sivadji,  elle  se 
rendit  indépendante  des  nababs  d'Ahmednagar  et  de  Bijapur 
et  se  constitua  en  une  petite  principauté  autonome.  Sivadji, 
ayant  formé  une  armée  instruite  et  aguerrie,  surprit  et  sacca 
gea  Surat  (1664)  ;  l'empereur  trembla  dans  sa  capitale,  Delhi, 
et  préféra  lui  payer  tribut  plutôt  que  de  se  mesurer  avec  lui. 
Mais  quand  Sivadji  mourut,  après  avoir  établi  sa  suprématie 
sur  l'Inde  méridionale, Aureng-Zeb  attaqua  son  fils  Sambadji  ; 
ce  fut  une  guerre  interminable  où  le  Mogol  épuisa  ses  forces  ; 
il  mourut  sans  avoir  triomphé  de  ses  insaisissables  et  inlassa- 
bles adversaires  (1707).  Son  successeur,  Shali-Allan,  préféra 
payer  de  nouveau  tribut  et  renonça  à  établir  son  autorité  sur 
rinde  péninsulaire  :  il  est  vrai  qu'au  nord  une  autre  puissance 
se  formait  qui  menaçait  de  prendre  l'empire  entre  elle  et  les 
Mahrattes,  celle  des  Sikhs,  et  Shah-Allan  mourut  en  combat- 
tant ces  nouveaux  adversaires  (1712). 

Ainsi  la  puissance  mongole  était  fort  compromise  au  début 
du  xvni^  siècle,  et  la  décadence  intérieure  de  l'empire  aggra- 
vait celte  situation  :  les  révolutions  de  palais, signe  irréfutable 
de  cette  situation,  se  succédaient  à  Delhi  :  le  fils  de  Shah- 
Allan,  Djahandar  ne  put  régner  qu'un  an  ;  son  cousin  Farruk- 
Sihyar  lui  fut  substitué  par  une  faction,  pour  être,  k  son  tour 
et  bientôt,  la  victime  de  Mohammed-Shah.  Ce  dernier  souve- 
rain dont  le  règne  fut  long  (1720-1748)  fut  le  contemporain 

(I)  lGr)0   1707. 


LA    C    MPAGME    DES    INDES    DE     1723    A     1748  337 

des  premiers  actes  du  drame  qui  allait  se  jouer  dans  la  pénin- 
sule entre  les  Européens.  Ce  fut  un  prince  incapable,  dominé 
par  sa  cour,  ce  qui  favorisa  les  progrès  de  la  puissance  occi- 
dentale et  hâta  la  chute  du  vaste  empire.  Deux  de  ses  conseil- 
lers, personnages  ambitieux  et  habiles,  après  s'être  brouillés 
aveclui, fondèrent  l'un  dans  l'Oudh, l'autre  dans  le  Deccan  une 
dynastie  autonome.  Leur  exemple  ne  fut  pas  perdu:  d'autres 
gouverneurs,  soubabs  et  nababs,  les  imitèrent  et  l'empereur, 
trop  faible,  ne  songaa  même  pas  à  les  faire  rentrer  dans  le  de- 
voir (1).  On  sait  que  l'Inde  était  théoriquement  divisée  en 
provinces, les  soubabies,  elles-mêmes  composées  de  districts, 
les  nababies  (2).  Mais,  si  dans  l'Inde  continentale,  plus  direc- 
tement soumise  à  l'influence  de  l'empereur,  celte  division 
avait  quelque  réalité,  dans  la  partie  méridionale  au  contraire 
elle  était  fort  incomplète  et  plutôt  contredite  par  l'état  des 
choses.  Au  nord  les  grands  gouvernements  du  Bengale,  de 
rOrissa,  du  Béhar,  du  Radjpoutana,  du  Sindh,  du  Pandjab, 
eux-mêmes  divisés  en  un  grand  nombre  de  districts, représen- 
taient cette  organisation  régulière;  ce  n'était  point  cependant 
que  là  même  il  n'y  eût  des  exceptions,  c'est  ainsi  en  effet  que 
rOudh  se  rendit  indépendant. 

La  partie  péninsulaire  de  l'Inde,  en  contact  plus  intime 
avec  les  Européens,  était  loin  d'offrir  cette  unité.  Depuis  la 

(1)  En  1739,  Nadir  Shah,  après  avoir  usurpé  le  trône  de  Perse  et  con- 
quis l'Afghanistan,  envahit  l'Inde  par  le  Nord,  prit  Pechawer,  battit 
rarnaée  du  Mogol,  entra  dans  Delhi  qu'il  pilla  et  se  relira  après  avoir 
obtenu  tout  le  pays  à  l'ouest  de  l'Indus,  c'est-à-dire  une  partie  du  Sindh 
et  du  Pandjab.  En  1747,  après  la  mort  de  Nadir  Shah,  un  de  ses  géné- 
raux, Ahmed  le-Dourani,  se  rendit  indépendant  dans  l'Afghanistan, 
puis  passa  à  son  tour  Tlndus  et  ravagea  le  nord  de  l'Inde.  Ces  inva- 
sions contribuèrent  beaucoup  à  précipiter  la  décadence  de  cet  empire. 

(2)  Les  titres  véritables  des  gouverneurs  étaient  nabab  etsoubahou 
soubahdar.  Quant  aux  mots  nababies  et  soubabies,  ils  sont  de  création 
française. 

W.   -  «2 


338  TROISIÈME    PARTIE.    —     CHAPITRE    III 

rive  sud  de  la  Narbada  et  celle  de  la  Mahannadi  jusqu'au  cap 
Comorin,  le  plateau  du  Deccan  correspondait  à  une  immense 
province,  la  soubabie  du  Deccan,  dont  le  chef  prenait  égale- 
ment le  litre  de  roi  de  Golconda  (1),  sa  capitale  aux  richesses 
légendaires.  Ses  vassaux  étaient  nombreux  et  puissants,  mais 
de  même  qu'il  en  agissait  avecleMogoI,  ceux-ci  se  compor- 
taient envers  lui  ;  son  autorité  n'était  point  partout  effective, 
et  ne  s'étendait  guère  plus  au  sud  que  la  Kistna. 

Le  Deccan  proprement  dit  comprenait  un  grand  nombre  de 
petites  nababies  dont  les  noms  reviennent  souvent  dans  les 
affaires  de  l'Inde  :  Cuddapah,  Karnul,  Savanur  entre  autres  ; 
la  plus  importante  était  celle  du  Carnatic,  qui  s'étendait  sur 
la  côle  de  Coromandel  sur  150  milles  de  rivages  et  renfermait 
les  comptoirs  européens  de  Pondicliéry  et  de  Madras  :  le 
souverain  du  Carnatic  avait  pour  capitale  Arcot. 

Même  dans  ces  limites  le  Deccan  n'était  pas  parfaitement 
homogène,  car  toute  la  côte  ouest  était  sous  la  domination 
des  Mahratles,dont  la  capitale, Puna,  était  à  peu  de  dislance  de 
Bombay.  Ces  irréductibles  montagnards  étaient  une  menace 
perpétuelle,  aussi  le  soubab  préférait-il  se  les  concilier  plu- 
tôt que  de  s'attirer  leur  hostilité. 

Knfin  toute  l'extrémité  méridionale  de  la  péninsule  depuis 
la  Kistna,  quoique  dépendant  théoriquement  du  souverain  du 
Deccan, n'observait  pas  davantage  les  obligations  de  la  fidélité 
à  son  égard  ;  les  princes  qui  se  la  partageaient  prenaient 
les  titres  de  rois  et  de  sultans,  et  leurs  provinces,  très  vastes 
pour  la  plupart,  étaient  effectivement  des  royaumes  :  tels 
ceux  de  Mysore  (2),  de  Tanjore,  de  Madura  (3),  de  Tinnevelli. 

(1)  Ou  Golconde:  Haîderabad  était  d'ailleurs  aussi  important. 

(2)  Ou  Maïssour. 

(3)  La  capitale  de  l'Etat  de  Mysore  était  Sériiigapalam,  celle  du  Ma- 
dura était  Trichinopoli. 


LA    CO.Ml'AGMt:     DH-S    INDES    DE     1723    A     1748  339 

Tel  était  l'état  intérieur  de  l'Inde:  cette  division,  cette 
t  pulvérisation  »  de  l'autorité  devait  fatalement  en  amener 
l'asservissement;  et  ces  petits  souverains,  toujours  en  riva- 
lités, toujours  en  luttes  devaient  servir  grandement  l'ambition 
des  Européens. 

Quelle  était  la  situation  de  ces  derniers  venus  sur  le  vieux 
sol  indien  ? 

Les  Portugais  étaient  bien  déchus  de  leur  ancienne  puis- 
sance :  de  leur  immense  empire  il  ne  restait  que  des  ruines, 
quelques  rares  comptoirs  en  attestaient  la  primitive  splen- 
deur. Dans  l'Inde  même  ils  n'avaient  gardé  que  Goa,  siège  de 
la  vice-royauté  maintenant  misérable,  Margao,  petite  ville 
commerçante  à  peu  de  distance  de  Goa,  l'ile  de  Salsette  en 
face  de  Bombay  dont  la  propriété  avait  passé  aux  Anglais, 
Damao  et  Diu.  Leur  pavillon  flottait  encore  sur  deux  points 
isolés  en  Asie  :  Macao  sur  la  côte  de  Chine,  et  une  moitié  de 
l'ile  de  Timor  dans  l'Archipel.  Déchu  de  toute  puissance  ma- 
ritime, le  Portugal  ne  pouvait  être  un  ambitieux,  il  ne  jouera 
dans  les  événements  qui  se  dérouleront  bientôt  dans  l'Inde 
que  le  rôle  d'un  spectateur  indifférent. 

La  Compagnie  hollandaise  n'avait  jamais  eu  sur  l'Inde  de 
projets  sérieux  de  conquête  ;  son  centre  d'action  était  en  effet 
dans  l'Archipel,  dont  elle  occupait  toutes  les  îles  et  accaparait 
le  commerce.  Ce  n'est  pas  que  son  intransigeance  ne  se  fût 
en  tout  temps  traduite  par  une  hostilité  déclarée  envers  les 
Européens  dans  la  péninsule  hindoue,  où  elle  possédait  d'ail- 
leurs un  certain  nombre  de  comptoirs  ;  sans  compter  l'ile  de 
Ceylan,  où  elle  était  restée  maîtresse  incontestée,  elle  avait 
conservé  en  effet  Cochin  sur  la  côte  occidentale  de  l'Inde, 
et  Négapatam  sur  la  côte  orientale.  Elle  pouvait  paraître 
encore  une  puissance  redoutable,  si  l'on  ajoute  qu'elle  avait 
maintenu  toute  son  autorité  dans  l'Archipel,   dont  Batavia 


340  TROISIÈME    PAUTIIC.    CIIAI'ITHK    III 

était  toujours  la  capitale  opulente  et  que  son  commerce 
avec  la  Chine  et  le  Japon  était  fort  important.  Elle  avait 
en  outre  une  position  de  premier  ordre  avec  le  territoire 
du  Cap  (1).  Mais  si  cette  Compagnie  avait  gardé  sa  puissance 
territoriale  el  son  activité  commerciale,  il  s'en  fallait  de  beau- 
coup que  sa  situation  fût  restée  ce  qu'elle  était  quand  Col- 
bert  créait  la  Compagnie  des  Indes  Orientales.  La  Hollande 
avait  en  effet  perdu  son  importance  en  Europe  :  les  guerres 
contre  Louis  XIV  l'avaient  épuisée,  l'Angleterre  lui  disputait 
avec  succès  la  suprématie  navale  et  la  Compagnie  avait  subi 
l'effet  de  cette  décadence  politique.  Sa  situation  en  Asie  était 
certes  bien  supérieure  encore  à  celle  de  ses  rivales  les  Com- 
pagnies anglaise  et  française,  mais  celles-ci  prétendaient 
opiniâtrement  la  détrôner  de  sa  puissance,  lui  arracher  le 
commerce  des  épices,  lui  disputer  la  route  de  l'Extrême- 
Orient.  Elles  gagnaient  insensiblement  du  terrain  sur  elle,  el 
rivalisaient  avec  elle  pour  la  fourniture  des  marchés  euro- 
péens. Les  flottes  anglaises  donnaient  à  la  première  une  su- 
périorité menaçante,  son  capital  et  son  domaine  colonial 
immenses  faisaient  de  la  seconde  une  concurrente  redouta- 
ble, et  la  Compagnie  d'Amsterdam  voyait  sa  prospérité  dimi- 
nuer peu  à  peu,  et  ses  bénéfices  baisser  ;  elle  était  d'ailleurs 
violemment  attaquée  au  dedans,  et  chargée  en  outre  d'une 
lourde  dette.  Sans  doute  il  devait  s'écoulerde  longues  années 
encore  avant  que  dans  l'Archipel  elle  put  être  mise  en  échec, 
mais  dans  l'Inde  elle  avait  déjà  perdu  une  grande  partie  de 
son  prestige,  et  son  rôle,  à  elle  aussi,  dans  la  lutte  qui  va 

(1)  En  1712,  elle  avait  abandonné  file  Maurice  que  les  habitants  de 
Bourbon  avaient  alors  occupée.  En  i7l9,  le  capitaine  Dufresne  en  prit 
possession  au  nom  de  la  Compagnie  des  Indes.  L'île  prit  dès  lors  le 
nom  d'île  de  France,  et  une  ville  y  fui  fondée  qui  prit  celui  de  Port- 
Louis  et  devint  le.  sièa^e  du  ''ouvernenionl. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES     DE     1723    A     1748  341 

s'ouvrir,  ne  sera  pas  important  :  elle  n'aura  ni  la  volonté  ni 
la  force  d'y  prendre  part. 

Deux  rivales  restaient  donc  en  présence  :  la  Compagnie 
anglaise  et  la  Compagnie  française.  Le  développement  de  la 
puissance  anglaise  dans  l'océan  Indien  avait  été  longtemps 
entravé  par  les  difficultés  que  la  Compagnie  avait  rencon- 
trées dans  la  métropole  même  :  tous  ses  soins  avaient  été 
appliqués  à  absorber  les  concurrentes  qu'on  lui  suscitait 
maladroitement.  Cependant,  malgré  ces  circonstances,  ses 
progrès  étaient  sûrs,  s'ils  étaient  lents.  La  Compagnie  suivait 
une  politique  exclusivement  commerciale,  habilement  con- 
duite par  ses  Directeurs  ;  la  supériorité  de  la  marine  an- 
glaise était  pour  elle  une  garantie  inestimable  et  lui  permet- 
tait de  se  livrer  tout  entière  aux  besoins  de  son  trafic.  Elle 
possédait  alors  dans  l'Inde  trois  places  militaires  qui  étaient 
en  même  temps  des  centres  de  commerce  et  des  chefs-lieux  : 
Bombay  sur  la  côte  occidentale,  Calcutta  au  Bengale  et 
Madras  au  Coromandel.  En  outre,  un  certain  nombre  de 
comptoirs  étaient  échelonnés  sur  ces  côtes  :  Surat,  Calicut, 
Tellichéri,  Masulipalam,Vizagapatam  et  Hugli.  Bombay,  Cal- 
cutta et  Madras  formaient  chacun  une  Présidence  avec  un 
Gouverneur  distinct  et  indépendant  (1),  assisté  d'un  Conseil. 
En  1712  enfin, après  une  crise  qui  faillit  la  chasser  du  Bengale, 
elle  avait  obtenu  la  protection  du  Mogol.  Cependant,  à  l'é- 
poque où  s'ouvrent  les  grands  événements  qui  vont  décider 
du  sort  de  l'Inde,  la  Compagnie  anglaise  n'avait  point  une 
situation  définitivement  assise  ;  elle  était  l'objet  en  Angle- 
terre d'oppositions  redoutables  ;  chaque  renouvellement  de 
son  privilège  avait  été  l'occasion  d'une  crise  grave  et  ce  n'é- 
tait qu'au  prix  de  luîtes  incessantes  qu'elle  avait  jusque-là 

(1)  11  n'y  avait  point  de  Gouverneur  Général,  ni  de  Conseil  Supérieur, 
comme  dans  la  Compagnie  française. 


342  TROISIKAtF.    PAIITIE.    <;il Al'li  lU;    III 

conservé  son  existence.  On  ne  voyait  point  encore  en  effet 
de  quelle  utilité  elle  pouvait  être  à  la  nation  anglaise  et  son 
monopole  soulevait  contre  elle  tous  les  négociants  d'Angle- 
terre. Ce  n'était,  à  vrai  dire,  qu'une  association  de  marchands 
sages  et  prudents,  qui  n'était  ni  sans  force  ni  sans  ressour- 
ces, mais  chez  qui  rien  ne  faisait  encore  soupçonner  l'avenir 
qui  l'attendait. 

Telle  était  la  situation  que  trouvait  dans  l'Inde  la  Compa- 
gnie fondée  par  Law,  dont  nous  avons  déjà  suivi  les  premiers 
rapports  avec  celte  contrée. 

En  1735,  le  Gouverneur  Lenoir  eut  pour  successeur  Benoît 
Dumas,  alors  Procureur  Général  à  Pondichéry,  et  cette  fois 
encore  la  Compagnie  avait  fait  un  heureux  choix  (1).  Dumas 
fut  un  administrateur  habile  ;  il  eut  en  outre  le  mérite  d'i- 
naugurer la  politique  que  Dupleix  poussera  après  lui  jusqu'à 
ses  dernières  conséquences  et  qui,  imitée  à  leur  exemple  par 
les  chefs  de  la  Compagnie  anglaise,  aboutira  au  triomphe  de 
la  puissance  britannique  après  avoir  failli  fonder  la  domina- 
tion française  sur  ce  pays. 

Les  prédécesseurs  de  Dumas,  et  Lenoir  lui-même,  étaient 
restés  strictement  attachés  aux  intérêts  commerciaux  de  la 
Compagnie;  le  nouveau  Gouverneur  comprit  au  contraire  l'u- 
tilité de  lui  donner  une  puissance  territoriale  qu'elle  n'avait 
pas  encore  cherchée,  et  il  sut  mettre  habilement  celte  con- 
ception à  exécution.  Son  premier  soin  fui  de  s'assurer  la 
faveur  du  nabab  duCarnatic  dont  dépendait  immédiatement 

(1)  Dumas  étuil  un  homme  adroit,  calculateur,  prudent,  nullement 
enclin  à  risquer  beaucoup  sans  avoir  en  vue  un  résultai  très  tangible, 
brave,  résolu,  jaloux  de  l'honneur  de  la  France,  parfaitement  au  fait 
des  mœurs  du  pays,  (idèle  aux  traditions  de  François  Martin,  aimant 
la  paix  et  désireux  par  dessus  tout  d'étendre  par  des  moyens  paciB- 
ques  le  territoire  français  dans  l'Inde.  Colonel  Malleson,  Histoire  des 
Français  dans  Vlnde, 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    DE     1723    A     1748  343 

la  Compagnie,  et  les  bonnes  dispositions  de  ce  prince,  Dosl- 
Mohammed  (1),  nous  furent,  grâce  à  lui,  bientôt  acquises  : 
Dumas  eut  aussitôt  l'occasion  d'en  tirer  parti. 

Le  premier  de  ces  interminables  conflits  qui  mettront  plus 
tard  aux  prises  les  deux  Compagnies  rivales  se  produisit 
en  effet.  Le  roi  de  Tanjore,  chassé  de  son  royaume  par  les 
Mahrattes,vint  implorer  l'appui  de  Dumas  ;  celui-ci  l'accorda, 
mais  n'oublia  pas  de  s'en  assurer  la  récompense  par  avance; 
ce  fut  la  concession  en  pleine  propriété  de  Â^fl^'^'A-a^  (2)  qui  fut 
aussitôt  occupé  etmis  en  état  de  défense  (1739).Ainsi  le  premier 
essai  d'intervention  dans  les  querelles  des  princes  hindous 
était  un  succès.  Il  faillit  cependant  se  terminer  fort  mal,  car 
les  Mahraltes  envahirent  le  Carnatic  (1740),  Dost-Mohammed 
fut  vaincu  et  tué,  Dumas  dépourvu  de  ressources  sérieuses 
dut  s'enfermer  dans  Pondichéry  avec  1.200  Français  et  o.OOO 
indigènes  ;  la  veuve  du  nabab  était  venue  s'y  mettre  avec  sa 
famille  sous  sa  protection. 

Les  Mahrattes  mirent  le  siège  devant  la  ville,  mais  ses  dé- 
fenses, quelque  imparfaites  qu'elles  fussent,  les  tinrent  en 
respect  ;  après  onze  mois  d'investissement  ils  demandèrent 
à  négocier,  puis  un  beau  jour  levèrent  le  siège  sans  plus 

(1)  Désigné  aussi  sous  le  nom  de  Dost-Ali. 

(2)  Voici  comment  les  choses  se  passèrent  en  réalité  :  le  roi  de  Tan- 
jore, rétabli  par  un  coup  de  fortune  et  sans  notre  aide,  refusa  d'exécuter 
sa  promesse,  mais  le  gendre  de  Dost-Mohammed,  Chanda-Sahib,  qui 
venait  de  prendre  Trichinopoli,  entra  à  son  tour  en  lutte  contre  le  roi 
de  Tanjore  et  offrit,  lui  aussi,  à  Dumas  Karikal  contre  son  appui. Dumas 
accepta  de  nouveau,  et  celte  fois,  Ghanda-Sahib  vainqueur  nous  livra 
Karikal,  que  M.  Golard  envoyé  par  Dumas,  vint  occuper  en  février 
1739.  Dumas  avait  dépensé  pour  cette  affaire  30.000  pagodes  ;  la 
Compagnie  approuva,  le  18  janvier  1740.  Ce  ne  fut  pas  cependant  la  fin 
des  difficultés,  car  les  Tanjoriens,  excités  contre  nous  par  les  Hollandais 
de  Négapatam,  nous  restèrent  hostiles  jusqu'en  1746;  à  cette  date  on 
fit  la  paix. 


3/i4 


TROISIKME    PAHTIF,.     —    CIIAITI  KK    III 


lien  réclamer  (I)  !  Noire  nouveau  cornploir  de  Màlié,  plus  pro- 
che encore  des  Mahralles,  avait  subi  le  même  sort,  el  sou- 
tenu un  siège  de  huit  mois  ;  plus  heureux  cependant  que 
Pondichéry,il  fut  secouru  à  propos  par  le  gouverneur  des  îles 
Mascareignes,  M.  de  la  Bourdonnais,  qui  ayant  appris  sa 
situation,  accourut  avec  une  escadre  qu'il  amenait  de  France 
et  les  Mahrattes  durent  se  retirer. 

Ces  deux  résistances  étaient  deux  victoires,  car  elles  attei- 
gnirent profondément  le  prestige  des  Mahrattes,  si  redoutés 
alors  dans  l'Inde,  et  qui  au  même  moment  prenaient  Trichi- 
nopoli  au  gendre  de  Dost-Mohammed,Ghanda-Sahib,  et  l'em- 
menaient prisonnier.  Aussi  la  Compagnie  en  retira-t-elle  un 
profil  moral  considérable  elle  Gouverneur  de  Pondichéry, 
dont  la  vaillance  et  la  sagesse  s'étaient  si  hautement  mani- 
festées, reçut  du  Mogol  le  titre  de  nabab  (2),  réversible  sur 
la  tète  de  ses  successeurs,  honneur  qui  faisait  entrer  la  Com- 
pagnie dans  la  hiérarchie  des  princes  hindous.  Dumas  pou- 
vait à  bon  droit  s'enorgueillir  des  résultats  de  sa  politique  ; 
il  demanda  à  rentrer  en  France  prendre  un  repos  qu'il  avait 
bien  mérité  el  figura  dès  lors  comme  Directeur  dans  les 
Conseils  de  la  Compagnie,  où  il  sut  se  faire  écouler  pour  le 
plus  grand  bien  de  notre  polilique  dans  l'Inde. 

Le  Commissaire  du  Koi  auprès  de  la  Compagnie,  Orry  de 
Fulvy,  fit  alors  agréer  aux  Directeurs  comme  successeur  de 
Dumas  le  gouverneur  de  Ghandernagor,  Joseph-François 
Dupleix  (3). 

(1)  Le  siège  avait  duré  de  mai  1740  à  avril  1741. 

(2)  Ce  titre  fut  accompagné  de  celui  de  Mansebdar  qui  comportait 
théoriquement  le  commandement  de  4.500  cavaliers.  Ces  deux  dignités 
furent  d'ailleurs  purement  lionorifiques  en  l'espèce  ;  telles  quelles,  elles 
étaient  suffisantes. 

(3)  Dupleix  naquit  a  Landrecies  dans  les  derniers  jours  de  l'année 
169G  :  son  père,  qui  figure  parmi  les   Directeurs  de  la  Compagnie  des 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    DE     1723    A    1748  345 

Dupleix  élail  entré  au  service  de  la  Compagnie  des  Indes 
Orientales  en  1715,  et  avait  fait  sur  les  navires  armés  par  les 
sociétés  malouines  plusieurs  voyages  en  Amérique  et  dans 
l'océan  Indien  ;  puis,  en  1721 ,  quittant  la  carrière  maritime,  il 
avait  obtenu  la  place  de  conseiller  à  Pondichéry  et  de  com- 
missaire des  troupes  de  la  Compagnie  ;  c'est  en  cette  qualité 
qu'il  avait  débarqué  dans  l'Inde  à  l'âge  de  24  ans.  11  fit  à 
Pondichéry,  sous  le  gouvernement  autoritaire  de  Lenoir  qui 
ne  l'aima  pas,  l'apprentissage  des  choses  de  l'Inde,  mêlant  à 
l'administration  des  intérêts  de  la  Compagnie  le  commerce 
d'Inde  en  Inde  pour  son  profit  particulier, comme  le  faisaient 
d'ailleurs  tous  ses  collègues.  Ecarté  quelque  temps  par  une 
décision  des  Directeurs  sur  une  accusation  injustifiée  d'es- 
croquerie (1),  il  fut  rétabli  dans  ses  fonctions  en  1729  et  les 
quitta  bientôt  après  pour  la  place  de  gouverneur  de  Chan- 
dernagor  (septembre  1730). 

Le  comptoir  fondé  par  Bourreau-Deslandes  était  alors  dans 
une  grande  détresse.  «  11  manquait  de  tout,  dit  Dupleix;  l'in- 
dolence, le  relâchement  de  la  discipline,  la  pauvreté  en 
avaient  banni  à  jamais  le  commerce  ».  Le  jeune  gouverneur 
entreprit  de  le  relever  :  il  y  installa  le  commerce  d'Inde  en 
Inde  qu'il  avait  déjà  fait  avec  profil  à  Pondichéry,  y  associa 
ses  conseillers,  les  négociants  indigènes,  et  les  résultats  en 
furent  merveilleux  (2).  Chandernagor  s'éveilla  de  sa  torpeur, 

Indes  nommés  par  le  Roi  le  29  août  1720,  le  fit  embarquer  pour  l'Inde 
à  la  suite  d'une  peccadille  dont  on  ignore  la  nature,  dit  M.  Cultru. 

(1)  Sur  la  plainte  d'un  employé  de  la  Compagnie  qui  prétendit  avoir 
été  lésé  par  Dupleix  à  l'occasion  d'un  voyage  en  Chine  fait  en  1724  ;  la 
Compagnie  renvoya  la  décision  à  Lenoir,  mais  celui-ci,  sans  faire  d'en- 
quéle,  paraît-il,  pria  Dupleix  de  se  retirer.  Une  délibération  de  la  Com- 
pagnie, en  date  du  30  septembre  1728,  obtenue  par  les  démarches  de  sa 
famille,  le  rétablit  dans  ses  fonctions  de  conseiller. 

(2)  Cependant,  suivant  M.  Cultru  et  contrairement  à  l'opinion  générale, 
ment  admise,  Dupleix  n'y  aurait  nullement  trouvé  une  fortune  personnelle. 


34G  TROISIK.MK    l'AUTIK.    CIIAI'ITHE    III 

l'Hugli  fui  sillonné  par  une  vérilabie  flotte  qui  y  apportait 
les  marchandises  de  l'Inde,  de  la  Perse,  et  des  mers  de 
Chine. 

La  Compagnie  profila  de  celte  résurrection.  Quoique  son 
propre  commerce  n'eût  pas  augmenté  dans  une  égale  mesure, 
elle  se  ressentit  de  la  prospérité  de  son  comi)loir  et  s'en 
montra  reconnaissante  envers  Dupleix.  Lorsqu'en  1740  la 
démission  de  Dumas  eût  été  acceptée,  elle  le  désigna  pour 
lui  succéder. 

C'était  une  situation  imporlanle  et  lourde  dont  il  recevait 
ainsi  l'investiture,  avec  les  titres  de  gouverneur  des  ville  et 
fort  de  Pondichéry,  de  commandant  général  des  forts  et  éla- 
blissements  français  dans  les  Indes,  de  président  du  Conseil 
Supérieur  et  des  conseils  provinciaux.  Il  réunissait  en  effet 
tous  les  pouvoirs  et  assumait  toutes  les  responsabilités  (1). 

Les  circonstances  au  milieu  desquelles  il  arrivait  à  ce  poste 
envié  sollicitaient  d'ailleurs  toute  son  attention.  La  politique 
de  Dumas, quelque  prudente  qu'elle  eût  été.avail  déjà  engagé 
la  Compagnie  dans  les  affaires  de  l'Inde  :  le  succès  l'avait 
jusque-là  couronnée, mais  elle  entraînait  une  pesante  respon- 
sabilité ;  Dupleix, qui  n'avait  encore  montré  que  des  qualités 
d'administrateur  et  de  commerçant,  allait  avoir  à  faire  preuve 
maintenant  de  celles  d'un  politique  et  d'un  diplomate. 

La  Compagnie  anglaise,  tout  occupée  qu'elle  fût  de  ses  vues 
commerciales,  était  déjà  une  voisine  incommode,  et  les  rap- 
ports que  l'on  avait  avec  elle  étaient  empreints  d'une  certaine 
aigreur;  ils  pouvaient  aisément  prendre  une  tournure  plus 

(1)  Dupleix  succéda  à  Dumas  le  l^"^  janvier  1740  comme  gouverneur 
de  Pondichéry  et  comme  président  du  Conseil  Supérieur  :  ce  n'est  que 
le  23  octobre  1742  qu'il  reçut  les  provisions  de  commandant  général 
des  établissements  français  dans  les  Indes  et  président  des  conseils 
provinciaux. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    DE    1723    A     1748  347 

^rave  sous  l'influence  des  événements.  Les  deux  Compagnies 
ayant  en  effet  leur  centre  d'action  dans  le  Carnatic,  à  peu  de 
distance  l'une  de  l'autre,  se  gênaient  mutuellement  ;  les  suc- 
cès militaires  de  Dumas  avaient  empiré  celte  situation,  et  les 
Anglais  avaient  déjà.par  mesure  de  précaution, fortifié  Madras 
et  réuni  une  petite  armée  de  cipayes.  Tout  cela  n'était  pas 
grand'cliose,  à  vrai  dire,  et  nul  ne  pouvait  en  prévoir  les  con- 
séquences ;  mais  les  événements  vinrent  bientôt  donner  une 
direction  définitive  à  ces  tendances  confuses. 

Au  moment,  en  effet,  où  Dupleix  prenait  en  mains  le  gou- 
vernement de  Pondichéry,  l'Europe  était  dans  l'attente  de 
complications  importantes  :  la  succession  de  l'empereur  Char 
les  VI  venait  d'allumer  la  guerre  entre  Marie-Thérèse  et  Fré- 
déric II  et  le  conflit  menaçait  de  s'étendre  à  l'Europe  entière. 
La  France,  qui  n'avait  dans  cette  querelle  aucun  intérêt  sé- 
rieux, se  jeta  l'une  des  premières  dans  la  mêlée  et  mal  lui  en 
prit,  car  elle  eut  bientôt  contre  elle  l'Autriche  qui  s'était 
habilement  débarrassée  de  ses  adversaires  et  l'Angleterre 
qui  depuis  longtemps  nourrissait  l'espoir  de  reprendre  la 
lutte  séculaire.  Cependant,  malgré  la  poursuite  acharnée  que 
la  marine  de  guerre  britannique  livra  aussitôt  et  en  pleine 
paix  à  notre  commerce  maritime,  le  gouvernement  de 
Louis  XV,  alors  dirigé  par  le  cardinal  Fleury,  recula  avec 
terreur  devant  une  guerre  et  ne  demanda  point  raison  de 
ces  indignes  attaques. 

L'effet  de  ces  événements  se  fit  naturellement  sentir  dans 
l'Inde,  où  les  deux  Compagnies  furent  bientôt  au  courant  de 
cette  situation;  l'une  et  l'autre  regardèrent  comme  inévitable 
la  guerre  entre  les  deux  nations. 

Dupleix,  qui  n'avait  pas  tardé  à  imprimer  au  gouvernement 
qu'on  lui  confiait  la  marque  de  son  caractère  très  personnel, 
ne  se  dissimula  point  la  gravité  de  cette  perspective  et  se  mit 


348  TROISIÈMK    l'AHTIR.    —    CHAI'ITKK    III 

aussitôt  à  l'œuvre.  Pondicbéry,  menacé  par  le  voisinage  im- 
médiat de  Madras,  avait  grand  besoin  d'être  renforcé;  son  en- 
ceinte baslionnée  était  vieille  et  délabrée,  sa  citadelle  n'était 
pas  capable  de  s'opposera  un  débarquement  (1).  Avec  les 
ressources  peu  importantes  dont  il  disposait,  il  entreprit  de 
mettre  sa  ville  en  un  meilleur  état  de  défense  :  l'ingénieur 
Cossigny  put  garnir  d'un  nombre  respectable  de  canons  les 
embrasures  de  la  citadelle  et  des  bastions  du  rempart,  dé- 
tourna le  long  de  celui-ci  le  ruisseau  qui  traversait  la  ville, 
et  remplaça  par  un  mur  crénelé  les  palissades  qui  jusque-là 
avaient  relié  l'enceinte  au  rivage  de  la  mer.  La  garnison 
complail  alors  450  hommes  dont  un  tiers  d'Indiens  :  Dupleix 
rappela  de  Mahé  une  compagnie  de  cipayes  et  forma  en  mi- 
lice les  employés  de  la  Compagnie.  On  n'apprit  pas  sans 
surprise  à  Paris  tous  ces  préparatifs  :  la  guerre  de  Mahé  avait 
coûté  cher,  et  voilà  qu'on  entreprenait  de  nouvelles  dépen- 
ses dont  on  ne  voulait  pas  entrevoir  le  but  !  Dupleix  reçut 
donc  de  la  Compagnie  l'ordre  d'arrêter  ses  travaux.  «  L'in- 
tention de  M.  le  Contrôleur  Général,  lui  écrivit-on,  est  que  la 
Compagnie  commence  par  acquitter  ses  dettes  et  par  res- 
treindre ensuite  son  commerce  suivant  ce  qu'il  restera  de 
fonds.  Les  dépenses  lui  ont  paru  exorbitantes  ;  c'est  sur  quoi 
le  ministre  a  donné  à  la  Compagnie  les  ordres  les  plus  pré- 
cis...; il  faut  réduire  absolument  toutes  les  dépenses  de  l'Inde 
à  moins  de  moitié,  suspendre  toutes  les  dépenses  des  bâti- 
ments et  fortifications.  XP 
Dupleix  n'obéit  point  et  répondit  à  la  Compagnie  dont  il 

(1)  Elle  avait  été  reconstruite  en  1703  el  portait  le  nom  de  Fort- 
Louis  :  c'était  un  pentagone  construit  en  briques,  prote'gé  par  un  fossé 
el  faisant  face  à  la  mer  ;  il  était  percé  pour  47  pièces  el  contenait  une 
caserne,  une  chapelle,  la  caisse  de  la  Compagnie  et  le  magasin  à  pou- 
dre (M.  Cultru). 


LA   COMPAGNIE    DES    INDES    DE     1723    A     1748  349 

jugeait  rassurance  ridicule,  qu'il  lui  était  impossible  de  ré- 
duire ses  préparatifs  militaires  dans  la  situation  dans  la- 
quelle on  se  trouvait  et  qu'il  élait  urgent  au  contraire  de 
lui  envoyer  de  l'argent,  des  hommes  et  des  munitions. 

Les  événements  lui  donnèrent  raison  :  le  cardinal  Fleury 
mourut,  et  après  une  nouvelle  insulte  faite  par  une  escadre 
anglaise  à  notre  port  de  guerre  de  Toulon,  Louis  XV  se  dé- 
cida à  déclarer  la  guerre  à  l'Angleterre  (17  mars  174i). 
Cetle  fois,  la  Compagnie  se  trouvait  en  présence  d'un  danger 
immédiat  et  grave;  mais  le  gouvernement  royal  crui  pouvoir 
la  mettre  hors  de  cause,  et  amener  la  Compagnie  anglaise  à 
conclure  avec  elle  un  pacte  de  neutralité.  C'est  sous  l'in- 
fluence de  celte  préoccupation  que  l'on  répondit  à  la  protes- 
tation de  Dupleix.  On  lui  annonça  l'ouverture  des  hostilités, 
mais  on  l'invita  à  s'entendre  avec  le  gouverneur  de  Madras, 
pour  assurer  la  conservation  de  la  paix  entre  les  deux  riva- 
les (1)  ;  on  jugeait  donc  inutile  de  lui  envoyer  les  secours 
qu'il  réclamait,  néanmoins  on  avait  mandé  à  M.  de  La  Bour- 
donnais, gouverneur  des  lies,  de  se  porter  dans  les  eaux  de 
Pondichéry  avec  quelques  vaisseaux. 

Dupleix,  quoiqu'il  fût  convaincu  de  l'inutilité  de  la  démar- 
che qu'on  lui  dictait,  se  résigna  à  la  faire  ;  il  écrivit  au  gou- 
verneur de  Madras,  M.  Morse,  qui  lui  répondit  insolemment; 
mais  le  Conseil  de  Madras,  intimidé  par  les  préparatifs  de 
Dupleix,  refusa  de  suivre  son  chef  dans  celte  voieet  le  ramena 
à  une  attitude  plus  conciliante.  La  Compagnie  anglaise  manda 
donc  à  Dupleix  qu'elle  acceptait  la  neutralité  proposée,  mais 
qu'elle  ne  pouvait  se  porter  garante  de  l'attitude  de  la  marine 
royale  qui  ne  dépendait  pas  d'elle. 

(1)  M.  Cultru  est  d'avis  que  l'initiative  de  cette  proposition  de  neu- 
tralité vint  de  Dupleix  lui-même,  op.  cit., p.  189,191  .Cependant  il  admet 
ailleurs  que  celui  ci  en  avait  reçu  l'ordre  de   la  Compairnie.   p.  197. 


350  TROISIÈME    PARTIE.    —    CllAl'ITRE    111 

Celait  logique,  mais  la  silualion  n'en  était  que  plus  fâ- 
cheuse pour  nous  ;  l'Angleterre  avait  alors  en  Asie  une  forte 
escadre  sous  les  ordres  du  commodore  Barnell,  et  depuis  la 
dispersion  de  la  flotte  amenée  de  France  par  M,  de  La  Bour- 
donnais en  1741, nous  n'en  avions  aucune.  Aussi.dès  le  début 
delà  guerre, les  choses  se  gâtèrent-elles.  Barnell, qui  se  trou- 
vait alors  dans  les  mers  de  Chine,  cingla  aussitôt  vers  l'Inde 
et  enleva  au  passage  cinq  vaisseaux  de  la  Compagnie  fran- 
çaise :  leFavotnel  la  Charmante  dans  les  parages  d'Aljeh  (1), 
le  Dauphin,  V Hercule  et  leJason  dans  le  détroit  de  Banka  (2), 
tous  chargés  d'une  importante  cargaison. 

Dupleix,avec  raison, ne  considéra  que  comme  un  répit  l'ac- 
cession de  la  Compagnie  anglaise  à  une  illusoire  neutralité  ; 
il  se  hâta  d'achever  ses  travaux  de  défense  à  Pondiciiéry  et 
envoya  à  La  Bourdonnais  avis  de  la  situation  critique  oii  il 
allait  bientôt  se  trouver. 

La  Bourdonnais  (3),  dont  les  circonstances  allaient  malheu- 
reusement faire  bientôt  son  adversaire,  était  en  effet  pour  Du- 

(1)  Décembre  1744. 

(2)  5  février  1745. 

(3)  Bertrand-François  Mahé  de  La  Bourdonnais,  né  en  1699  à  St- 
Malo,  navigua  dès  i'àge  de  10  ans,  et  fut  enseigne  à  14  ans  ;  à  20 
ans,  il  entra  au  service  de  la  Compagnie  comme  second  lieutenant, 
ne  tarda  pas  à  passer  premier  lieutenant  et  fut  récompensé  presque  aus- 
sitôt par  le  grade  de  capitaine  en  second  du  service  qu'il  rendit  à  la 
Compagnie  en  allant  de  Bourbon  à  l'île  de  France  dans  un  canot  porter 
secours  au  vaisseau  le  Bourbon  en  détresse  :  c'est  avec  ce  grade  qu'il 
servit  dans  la  flotte  de  M.  de  Pardaillan.  Il  est  de  tradition  que  le 
nom  de  Mahé  fut  donné  à  cette  ville  à  cause  de  la  part  importante 
qu'il  prit  à  cette  opération  :  Cf.  Lanier,  Leclures  géog.,  Asie,  II,  p.  264  ; 
mais  cela  ne  paraît  pas  sérieux.  En  elîet,  le  nom  indigène  de  celle 
ville  était  déjà  Maïhi,  elles  Archives  de  la  Compagnie  l'appellent  très 
souvent  Mayé  ;  M.  Cullru,  il  est  vrai,  semble  croire  que  c'est,  au  con- 
traire, le  nom  de  la  ville  qui,  suivant  la  tradition,  aurait  été  donné  à 
La  luiurtloiinai-*. 


LA    CUMl'AGME    DES    INDES    DE     1723    A     1748  351 

pleix  le  seul  appui  sur  lequel  il  pùL  compter.  Le  gouverneur 
des  Iles  avait  fait  toute  sa  carrière  dans  la  marine  de  la  Com- 
pagnie, à  laquelle  il  avait  rendu  déjà  de  brillants  services. 
Il  avait  pris  part,  en  effet,  à  la  première  affaire  de  Mahé  sous 
M.  de  Pardaillan  en  1725,  puis  avait  été  nommé  successeur 
de  Dumas  au  gouvernement  des  lies  en  1735,  et  avait  montré 
dans  ces  fonctions  les  plus  grandes  qualités  d'administrateur. 
Rentré  en  France,  où  il  reçut  du  Roi  la  croix  de  Saint-Louis 
et  le  grade  de  capitaine  de  frégate  dans  la  marine  royale,  il 
y  avait,  à  la  faveur  des  menaces  de  guerre  avec  l'Angleterre 
qui  étaient  déjà  dans  l'air.fail  approuver  par  le  gouvernement 
royal  le  projet  de  donner  la  chasse  aux  bâtiments  anglais 
dans  l'océan  Indien  (1),  et  était  reparti  pour  l'Asie  avec  une 
escadre  de  cinq  navires  armés  en  guerre  par  la  Compagnie, 
dont  3  vaisseaux  :  le  Fleurij,  le  Brillant  et  V Aimable,  et  2  fré- 
gates :  la  Renommée  et  la  Parfaite.  A  peine  à  l'ile  de  France, 
il  y  avait  appris  le  siège  de  Mahé  par  les  Mahrattes,  et  était 
accouru  au  secours  de  ce  comptoir  qu'il  avait  triomphale- 
ment délivré  (1742).  Cependant  la  déclaration  de  la  guerre 
qu'il  attendait  pour  mettre  à  exécution  son  projet  n'avait 
point  eu  lieu,  et  il  avait  dû  disperser  ses  navires  au  gré  des 
besoins  de  la  Compagnie. 

Enfin,  le  11  septembre  1744,  la  frégate  la  Aère  lui  apporta 
de  France  la  nouvelle  de  l'ouverture  des  hostilités  et  l'ordre 
de  porter  assistance  au  gouverneur  de  Pondichéry.  Il  se  mil 
aussitôt  à  constituer  en  escadre  les  bâtiments  que  l'île  de 
France  avait  alors  dans  ses  eaux  (2)  ;  cependant  malgré  l'ac- 

(1)  En  s'emparant  du  vaisseau  le  Favori,  le  commodore  Barnett 
disait  à  son  commandant  :  nous  vous  faisons  ce  que  M.  de  La  Bour- 
donnais projetait  contre  nous  {Mémoires  de  La  Bourdonnais). 

(2)  D'après  M.  CuUru,  I.a  Bourdonnais,  persuadé  que  la  mer  des  In- 
des serait  neutralisée,  projetait  de  se  livrer  à  lu  course   entre  le  Cap  et 


352  TROISIÈME    l'AUTIE.    —    CIIAl'ITllK    111 

livilé  qu'il  déploya,  la  première  moitié  de  l'année  1745  s'élail 
passée,  sans  qu'il  pùl  prendre  la  mer,  quand  le  29  juillet  la 
frégdiieV Expédition  lui  apporta  à  son  tour  l'avis  qu'une  esca- 
dre de  cinq  vaisseaux  était  partie  de  Lorienl  à  son  adresse.  Il 
fallut  l'attendre  et  elle  n'arriva  que  le  29  janvier  1746;  enfin 
La  Bourdonnais,  laissant  à  Port-Louis  les  moins  prêts  de  ses 
navires,  réunit  sous  son  commandement  six  vaisseaux  et 
trois  frégates  et  appareilla  (1). 

Son  dessein  était  de  relâcher  à  Sainte-Marie  de  Madagas- 
car pour  s'y  approvisionner  ;  par  malheur,  une  tempête  l'y 
surprit  et  il  dut  se  réfugier  dans  la  baie  d'Antongil  pour  en 
réparer  les  dégâts.  Ce  fut  un  nouveau  retard  ;  mais  avec 
son  ordinaire  activité  il  sut  remettre  sa  flotte  en  état  dans 
un  pays  sans  ressources,  et  après  43  jours  de  relâche,  le 
22  mai  1747,  il  fil  enfin  voile  pour  l'Inde. 

Depuis  plus  d'une  année  on  avait  appris  à  Pondichéry  la 
nouvelle  delà  déclaration  de  guerre  et  depuis  cette  époque  les 
Anglais  étaient  maîtres  des  eaux  indiennes  ;  après  le  désastre 
infligé  à  la  Compagnie  par  la  prise  de  cinq  de  ses  vaisseaux 
dans  les  détroits,  au  début  de  1745,  l'escadre  anglaise 
avait  encore  capturé  la  frégate  V Expédition  après  un  brillant 
combat  de  2  heures,  VElisabelh  qui  apportait  le  courrier  de 

l'Ile  Sainte-Hélène.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  eul  réuni  ainsi  en  peu  de  temps 
2  vaisseaux  :  le  Bourbon  et  le  Neptune,  et  5  frégates  :  la  Renommée,  la 
Favorite,  la  Parfaite,  VElisabelh  et  ['Insulaire. 

(1)  La  Bourdonnais  partit  avec  une  flotte  composée  comme  il  suit: 
Achille,  vaisseau-amiral  de  la  marine  royale,  74  canons,  780  tiommes  ; 
Bourbon,  vaisseau,  42  canons,  350  hommes  ;  Septune,  vaisseau,  34  ca- 
nons, 350  hommes;  Sainl-Louis,  vaisseau,  30  canons,  350  hommes  ; 
Duc-iVOrléans,  vaisseau,  34  canons,  350  hommes  ;  Lys,  vaisseau,  30  ca- 
nons, 300  hommes  ;  Renommée,  frégate,  30  canons,  300  hommes;  Phé- 
nix, frégate,  24  canons,  250  hommes  ;  Insulaire,  frégate,  24  canons, 
250  hommes  ;  une  petite  frégate,  la  Marie-Joseph,  à  destination  du  Ben- 
gale prnCitail  on  oulre  ^\c  la  |iruloclioii  île  orlle  escadiv. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    DE    1723    A     1748  353 

France,  poursuivie  par  elle,  avait  dû  être  échouée  et  brûlée  à 
Karikal,  le  Pondichéfy  on  avait  fait  autant  dans  les  mêmes 
circonstances  à  Tranquebar  ;  puis  la  flotte  anglaise  était  ve- 
nue mouiller  devant  Pondichéry  et  sonder  la  rade  sous  le 
canon  de  la  citadelle  ;  enfin  le  commodore  Peyton,  qui  avait 
remplacé  Barnett,  croisait  actuellement  entre  Ceylan  et  l'Inde 
pour  arrêter  La  Bourdonnais. 

Dupleix,  après  avoir  fait  auprès  de  la  Compagnie  anglaise 
la  démarche  qu'on  lui  avait  imposée,  avait  renouvelé  auprès 
des  Directeurs  de  Paris  ses  demandes  de  secours.  «  Si  le  cri 
de  notre  conscience  ne  nous  rassurait,  écrivait-il,  nous  pour- 
rions croire  que  nous  sommes  des  proscrits  !  Se  peut-il  que 
depuis  deux  ans  que  la  guerre  est  déclarée,  la  Compagnie 
n'ait  même  pas  songé  à  envoyer  un  navire  !  »  (1) 

Les  Anglais  fort  heureusement  s'étaient  bornés  à  dominer 
la  mer,  et  à  part  cette  fanfaronnade  à  Pondichéry  n'avaient 
rien  tenté  contre  nos  établissements. 

Ce  résultat  était,  il  est  vrai,  dû  en  partie  à  la  politique  de 
Dupleix  :  le  nabab  du  Carnatic  était  alors  Anaverdi-Kan  que 
le  soubab  du  Deccan,  Nizam-El-Moluk,  avait  investi  de  cette 
dignité  à  la  mort  de  Sufder-Ali.  Celui-ci  avait  été  notre  ami 
et  l'obligé  de  Dumas  :  Dupleix  s'appliqua  à  éveiller  chez  son 
successeur  les  mêmes  dispositions  et  y  réussit.  Le  nabab, 
instruit  par  lui  de  l'attitude  menaçante  des  Anglais,  fit  savoir 
au  gouverneur  de  Madras  qu'il  ne  permettrait  aucune  attaque 
contre  la  Compagnie  française,  et  son  intervention,  peu  favo- 
rable, il  est  vrai,  au  prestige  des  Européens  dans  l'Inde,  per- 
mit à  Dupleix  d'attendre  sans  incident, malgré  son  isolement, 
l'arrivée  de  La  Bourdonnais  (2). 

(1)  Lettre  du  H  janvier  1746. 

(2)  M.  Tibulle  Hamont  attribue  à  Dupleix  l'initiative  de  cette  démar- 
ctie  ;  pour  M.  Cultru  au  contraire,  ce  fut  le  nabab  qui  intervint  de   sa 

W.  —  23 


354  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    îll 


i 


Celui-ci  apprit  ces  nouvelles  à  la  hauteur  de  Mahé  ;  il  se 
mit  aussitôt  à  la  recherche  des  Anglais.  Le  6  juillet  1746, 
vers  le  soir,  dans  les  parages  de  Négapatam,  Peylon,  après 
avoir  refusé  quelque  temps  le  combat^  approcha  à  portée  de  ■ 
canon  ;  pendant  deux  heures  on  échangea  un  feu  très  vif, 
puis,  à  la  nuit  tombante,  l'escadre  anglaise  se  retira. Le  lende- 
main, au  point  du  jour,  elle  était  encore  en  vue  et  La  Bour- 
donnais  lui  offrit  de  nouveau  le  combat;  mais  elle  ne  se  ^ 
laissa  pas  approcher  et  l'escadre  française,  qui  avait  une  trop 
mauvaise  marche  pour  l'atteindre,  fît  voile  pour  Pondi- 
chéry  (1). 

Le  gouverneur  et  la  population  accueillirent  l'amiral  avec 
enthousiasme  ;  Dupleix  et  La  Bourdonnais  s'entendirent  d'a- 
bord fort  bien  (2).  Tous  deux  étaient  convaincus  depuis  long- 
propre  autorité  ;  Dupleix  aurait  seulement  cherché  à  l'irriter  contre  les 
Anglais  .•  cela  revient  à  peu  près  au  même. 

(1)  On  a  voulu  faire  de  cette  victoire  une  défaite  sans  résultat  fâ- 
cheux «  le  vainqueur  ayant  pris  la  fuite  ».  Tibulle  Hamont,  Dupleix. 
En  vérité  Peyton  avait  5  vaisseaux  de  guerre  dont  un  de  60,  2  de  50, 
2  de  40  et  une  frégate  de  20,  et  La  Bourdonnais  n'avait  à  lui  opposer 
qu'une  escadre  maltraitée  par  l'ouragan  et  composée  de  navires  mau- 
vais marcheurs,  «  des  coffres  bourrés  de  monde  et  de  canons  », disait-il. 
L'Achille,  le  seul  sérieux,  avait  dû  jeter  24  de  ses  canons  à  l'eau  à 
Madagascar,  les  autres  bâtiments  n'avaient  chacun  que  24  à  30  pièces 
à  opposer  aux  50  et  40  des  Anglais.  Avec  ces  éléments,  La  Bourdon- 
nais força  le  passage  que  Peyton  avait  juré  de  lui  interdire,  conserva 
le  champ  de  bataille  et  le  lendemain  offrit  à  nouveau  le  combat  à  l'en- 
nemi qui  le  refusa  !  —  V.  Relation  de  M.  de  Bostaing,  Revue  maritime, 
1880. 

(2)  Dupleix  et  La  Bourdonnais  se  connaissaient  depuis  longtemps 
déjà  et,  étant  donné  leur  caractère  respectif,  se  détestaient  déjà  cor 
dialement  :  une  querelle  fort  vive  avait  éclaté  entre  eux  à  propos  du 
commerce  d'Inde  en  Inde  dans  lequel  ils  se  faisaient  concurrence  ;  lors- 
que La  Bourdonnais  fut  nommé  gouverneur  des  Iles,  Dupleix  sécriail  : 
«  J'admire  la  modestie  de  La  Bourdonnais  de  s'être  restreint  au  gouver- 
nement des  Iles  et  je  ne  conçois  pas  la  Compagnie  de  s'être  laissé  lour- 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    DE    1723    A    1748  3o5 

temps  qu'il  fallait  s'emparer  de  Madras  (1  ),  mais  auparavant  il 
était  de  toute  nécessité  de  se  débarrasser  de  l'escadre  Peyton, 
et  La  Bourdonnais  reprit  la  mer.  Malheureusement,  cette  fois 
encore,  elle  sut  échapper  à  sa  poursuite,  refusa  le  combat  à 
Trincomali  et  àNégapatam,  et  La  Bourdonnais  revint  à  Pon- 
dichéry  sans  avoir  rempli  sa  mission  (2). 

Il  n'y  avait  point  de  sa  faute,  néanmoins  Dupleixs'en  for- 
malisa :  «  J'avais  tout  lieu  d'espérer  que  vous  seriez  venu  à 
bout  de  détruire  ou  de  dissiper  l'escadre  anglaise,  lui  écri- 
vit-il ;  mais  le  parti  que  vous  avez  pris  de  la  laisser  subsister 
et  fuir  dans  son  entier  m'a  plongé  dans  un  mortel  chagrin.  » 

Ce  reproche  était  injuste  ;  l'échec  de  l'amiral  était  un  con- 
tretemps fâcheux,  mais  il  n'en  était  point  coupable.  La 
Bourdonnais  qui  souffrait  de  la  fièvre  s'emporta  contre  ces 
«  marchands  qui  voulaient  lui  faire  la  leçon  »,  mais,  avec 
quelque  inconséquence,  il  demanda  au  Conseil  de  prendre 
une  résolution  approuvant  l'attaque  de  Madras.  Le  Conseil 
ne  la  prit  pas,  et  sur  l'initiative  de  Dupleix,  trois  de  ses  mem- 
bres furent  députés  auprès  de  La  Bourdonnais  pour  le  sommer 
de  choisir  lui-même  entre  le  départ  pour  Madras  ou  la  re- 
cherche de  Peyton.  Ils  ajoutèrent  que  s'il  était  trop  malade 

rer  par  les  fariboles  de  cet  évaporé.  Je  l'ai  toujours  dit  :  La  Bourdon- 
nais ira  loin  ou  bien  tombera  dans  le  néant,  il  ne  peut  y  avoir  de  milieu 
chez  lui.  »  Dupleix  assure  également  que  La  Bourdonnais  avait  sou- 
doyé le  valet  de  chambre  du  cardinal  Fleury  pour  avoir  cette  place  ; 
mais  les  jugements  de  Dupleix,  quelque  peu  faussés  par  son  orgueil  et 
l'àpreté  avec  laquelle  il  poursuivait  ses  propres  intérêts,  sont  sujets  à 
caution. 

(1)  La  Bourdonnais  qui  semble  avoir  conçu  le  premier  ce  plan  d'expé- 
dition l'avait  soumis  à  Dumas  qui  l'avait  approuvé  ;  puis,  quand  Dupleix 
succéda  à  celui-ci,  il  lui  en  donna  également  connaissance  et  Dupleix 
y  accéda  comme  son  prédécesseur.  L'ingénieur  Paradis  fut  alors  envoyé 
par  lui  à  Madras  pour  y  lever  le  plan  de  la  place. 

(2)  25  août  1746. 


356 


TROISIEME    PARTIE.    CHAI'ITRE    III 


pour  le  faire  lui-même,  on  jugeait  le  coramandanl  du  iVep- 
tune,  M.  de  la  Porle-Barrée,  1res  capable  de  le  remplacer. 

Après  avoir  fort  mal  reçu  les  conseillers,  el  il  faut  recon- 
naître qu'il  n'avait  pas  tout  à  fait  tort,  l'amiral  fit  appareiller 
l'escadre  sous  les  ordres  de  cet  officier  (27  août  1746)  ;  elle 
reparut  le  5  septembre,  n'ayant  fait  que  deux  petites  prises. 
La  Bourdonnais  fut  tout  joyeux  d'avoir  prouvé  qu'on  ne  pou- 
vait rien  sans  lui  ;  Dupleix,  qui  le  comprit  fort  bien,  insista 
auprès  de  lui  pour  qu'il  n'abandonnât  pas  ses  projets,  el  le 
résultat  de  cette  détente  fui  heureux  et  prompt:  le  12  sep- 
tembre la  flotte,  commandée  celle  fois  par  l'amiral  lui-même, 
prenait  le  large  à  destination  de  Madras. 

On  alla  vite  en  besogne,  car  on  avait  perdu  beaucoup  de 
temps  déjà  :  Madras  n'était  guère  en  état  de  se  défendre  el 
Peyton  toujours  craintif  ne  fil  rien  pour  le  secourir  ;  après  un 
bombardement  de  trois  jours,  la  ville  se  rendit  (21  septem- 
bre 1746).  C'élailunebelle  victoire,  grosse  de  conséquences  : 
tout  semblait  fini,  car  la  ruine  de  celle  ville  devait  être 
facile  à  consommer.  Ce  fut  là,  hélas,  la  pierre  d'achoppement  ! 
Le  nabab,  dont  on  se  rappelle  l'intervention,  apprit  avec  co- 
lère la  nouvelle  de  cet  événement,  car  il  avait  entendu  faire 
respecter  la  paix  par  la  Compagnie  française  aussi  bien  que 
par  sa  rivale,  et  les  vaincus  n'eurent  garde  de  laisser  tomber 
son  ressentiment.  Il  s'en  plaignit  hautement  à  Dupleix,  qui 
dut,  pour  éviter  de  le  voir  faire  cause  commune  avec  nos  en- 
nemis, lui  promettre  que  la  ville  lui  serait  immédiatement 
remise. 

Le  Gouverneur  manda  ces  nouvelles  à  La  Bourdonnais  ; 
mais  il  ajouta  que,  n'ayant  pas  spécifié  dans  quel  état  Madras 
devait  être  rendu,  il  devait  le  faire  raser  sans  larder  :  Du- 
pleix avait  emprunté  aux  petits  potentats  hindous  leur  habi- 
leté et  leur  duplicité!  En  mênio  temps, cl  coninio  il  en  avait  in- 


LA    COMPAGNIE    DES   INDES    DE    1723    A    1748  357 

conleslablemenl  le  droit,  il  nomma  quelques-uns  de  ses  su- 
bordonnés pour  composer  le  conseil  de  la  ville  prise,  dont 
La  Bourdonnais  devait  être  le  gouverneur. 

La  Bourdonnais  avait  pris  cependant  un  autre  parti,  celui 
de  rendre  Madras  moyennant  rançon.  On  peut  s'étonner  de 
celte  décision  qui  ne  tendait  à  rien  moins  qu'à  rendre  vain 
tout  l'avantage  obtenu  et  à  perpétuer  le  conflit.  Mais  il  faut 
dire  que  l'amiral  n'avait  considéré  cette  entreprise  que  comme 
une  «  opération  de  flibustiers»,  une  sorte  de  razzia  gigantes- 
que (1),  et  ce  projet  qu'il  avait  depuis  longtemps  conçu,  il 
voulut,  avec  sa  ténacité  ordinaire,  l'exécuter  malgré  tous  les 
obstacles.  Dupleix  avait  autrefois  approuvé  son  plan,  mais 
sous  l'influence  des  graves  événements  survenus  depuis  le 
temps  où  La  Bourdonnais  le  lui  avait  soumis,  ses  idées  s'é- 
taient modifiées,  et  Dupleix  avait  raison  (2). 

Cependant,  l'amiral,  sans  attendre  aucun  avis  du  Gouver- 
neur, en  qui,  d'ailleurs,  il  ne  voyait  pas  un  supérieur,  nous 
dirons  tout  à  l'heure  pourquoi,  avait  immédiatement  entame 
des  négociations  avec  le  gouverneur  Morse  et  presque  conclu 
avec  lui  la  reddition  de  la  ville  aux  Anglais,  moyennant 
1.100.000  pagodes.  Quand  arrivèrent  la  lettre  de  Dupleix  et  les 
conseillers,  il  s'emporta  et  mit  ceux-ci  à  la  porte  en  les  trai- 
tant d'espions.  Dupleix  essaya  de  le  convaincre  de  son  er- 
reur; il  lui  représenta  que  le  rançonnement  était  une  salis- 
faction  illusoire,  que  les  Anglais  prendraient  une  revanche 
terrible  pour  nous  de  leur  défaite,  et  que  d'ailleurs,  le  gou- 

(1)  La  Bourdonnais  fît  effectuer  pour  son  compte  personnel  un  pillage 
méthodique  dans  la  ville  prise  par  lui. 

(2)  La  Bourdonnais  avait  dès  le  début  songé  à  rançonner  Madras,  vu 
le  petit  nombre  de  troupes  dont  il  disposait  ;  Dupleix  l'avait  approuvé, 
mais,  parait-il,  seulement  pour  le  cas  où  les  Anglais  voudraient  éviter 
l'attaque  de  leur  ville,  et  il  avait  fixé  lui-même  l'indemnité  à  réclamer 
à  1  million  de  pagodes. 


358  TROISIÈME    PAUTIE.    —    CHAl'ITHK    iri 

verneur  anglais  étant  prisonnier  de  guerre,  il  ne  pouvait 
traiter  avec  lui.  Il  lui  rappela  qu'étant  lui-même  gouverneur 
des  établissements  de  l'Inde,  le  droit  de  décision  devait  lui 
appartenir  et  non  point  au  chef  de  l'escadre. 

La  Bourdonnais  refusa  de  se  laisser  convaincre.  «  Il  était 
venu  à  Madras,  disait-il,  comme  un  homme  qui  a  toute  l'auto- 
rité, il  s'était  engagé  en  conséquence,  il  n'y  avait  plus  à  s'en 
dédire  »,  et  il  signa  le  traité  dont  les  dispositions  étaient  déjà 
arrêtées  avec  le  gouverneur  anglais. 

Un  événement  lamentable  mit  fin  à  cette  querelle  dont 
la  solution  paraissait  reculer  sans  cesse  ;  on  était  au  début 
de  la  mousson  d'hiver  et  dans  la  nuit  du  13  au  14  octobre 
un  ouragan  terrible  éclata  :  l'escadre  en  danger  sur  la  côte 
dut  gagner  la  haute  mer,  sans  réussir  à  éviter  des  pertes 
cruelles  :  le  vaisseau  le  Duc-d' Orléans,  la  frégate  la  Marie- 
Gertrude  et  une  prise  anglaise,  faite  le  jour  même,  disparu- 
rent avec  leurs  équipages  ;  les  autres  navires  furent  grave- 
ment avariés  et  en  partie  démâtés. 

La  Bourdonnais  en  eut  une  immense  douleur  ;  il  remit  en 
étal  les  vaisseaux  qui  lui  restaient  et  partit  avec  eux  direc- 
tement pour  son  gouvernement,  estimant  son  rôle  fini  (1). 

(1)  La  Bourdonnais  trouva  à  l'île  de  France  un  nouveau  gouverneur, 
Barthélémy  David,  qui  lui  transmit  l'ordre  de  la  Compagnie  d'avoir  à 
rentrer  en  1^'rance.  Il  conduisit  six  bâtiments  de  la  Compagnie  à  la  Mar- 
tinique et  y  prit  passage  pour  l'Europe  sur  un  navire  hollandais.  Re- 
connu au  cours  d'une  relâche  forcée  en  Angleterre,  il  fut  fait  prison- 
nier de  guerre.  En  apprenant  qu'on  instruisait  son  procès  à  Paris,  il 
obtint  sa  liberté  sur  parole  et  vint  se  présenter  aux  ministres  qui  le 
firent  conduire  à  la  Bastille  (mars  1748).  Après  deux  années  de  détention 
pendant  lesquelles  il  resta  au  secret  le  plus  absolu,  il  comparut  devant 
le  Parlement  sous  l'inculpation  de  trahison  consistant  dans  des  conven- 
tions secrètes  signées  avec  l'ennemi,  et  de  désobéissance  aux  ordres 
du  Roi.  Il  se  défendit  courageusement  et  habilement,  montra  ses  ins- 
tructions et  fut  acquitté  ;   mais  sa  longue  détention  l'avait  épuisé  et  il 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    DE    1723    A    1748  359 

Dupleix  demeura  seul  en  face  d'une  terrible  situation  : 
Anaverdi-Kan  réclamait  toujours  la  livraison  de  Madras  et 
nous  n'avions  plus  de  flotte  à  opposer  à  Peyton  qui  restait 
maître  de  la  mer. 

La  guerre  avec  le  nabab  était  inévitable  ;  effectivement 
celui-ci  vint  bientôt  camper  sous  les  murs  de  Madras.  Le 
nouveau  gouverneur,  d'Espréménil  (1),  n'avait  à  lui  opposer 
qu'une  poignée  d'hommes,  mais  elle  suffit  à  disperser  les 
innombrables  cavaliers  d'Anaverdi, et  celui-ci  dut  bientôt  faire 
face  à  l'ingénieur  Paradis  qui  accourait  de  Pondichéry  avec 
toutes  les  forces  que  Dupleix  y  avait  pu  réunir.  La  bataille 
s'engagea  près  de  San-Tliomé,  et  les  Indiens  se  dispersèrent 
bientôt  dans  la  plus  complète  déroule  ! 

Ces  victoires  nous  donnaient  toute  sécurité  du  côté  des 
indigènes,  et  elles  devaient  avoir  parmi  eux  un  grand  reten- 
iissement:  restaient  les  Anglais.  Dupleix^oblint  d'Anaverdi- 

mourut  le  9  septembre  1753. 

Il  reste  hélas  une  question  douloureuse  sur  laquelle  l'arrêt  du  Parle- 
ment qui  l'acquitta  n'a  pas  éclairci  tous  les  doutes  :  à  côté  de  ses  apolo- 
gistes La  Bourdonnais  a  trouvé  des  détracteurs  qui  l'ont  accusé  d'avoir 
accepté  l'or  anglais  pour  ne  point  détruire  Madras  ;  des  auteurs  anglais 
l'ont  affirmé  (Rapson)  ;  des  historiens  français  (Gaffarel,  Castonnet  des 
Fosses,  Gultru)  se  sont  faits  l'écho  de  cette  accusation.  Disons  tout  de 
suite  que  la  preuve  n'en  a  jamais  été  faite  :  elle  ne  le  fut  point  en  1750 
alors  que  la  Compagnie  anglaise  eût  pu  fournir  son  témoignage,  elle  ne 
le  peut  probablement  plus  être  maintenant,  car  ses  archives  ont^en 
grande  partie  disparu.  Puisque  nos  adversaires  n'ont  pu  prouver  leurs 
dires,  laissons  au  vainqueur  de  Madras  sonauréole  et  ne  détruisons 
pas  de  gaité  de  cœur  notre  patrimoine  d'honneur  national. 

(1)  Jean-Jacques  Duval  d'Espréménil,' né  à  Pondichéry  et  gendre  de 
Dupleix,  était  conseiller  au  Conseil  Supérieur  quand  il  fut  nommé  pré- 
sident du  Conseil  de  Madras  et  gouverneur  de  cette  ville.  Il  revint  en 
France  en  175U  et  mourut  en  1767.  Il  est  l'auteur  de  quelques  ouvrages 
économiques,  notamment:  Le  commerce  du  Nord,  1762,  Correspondance 
sur  une  question  politique  d'' agriculture,  1763. 


3G0  TROISIÈME    PAirriK.    f;Hv\PITRE    iir 

Kan  l'abandon  de  ses  prétentions  sur  Madras  qui  fut  aussitôt 
proclamé  possession  française  :  la  Compagnie  anglaise  ne 
possédait  plus  dans  le  Carnatic  que  le  fort  Saint-David  et  le 
major-général  Bury  vint  mettre  le  siège  devant  lui  avec 
90O  Européens  et  600  cipayes. 

Au  moment  où  l'on  allait  en  tenter  l'assaut,  la  flotte  an- 
glaise, commandée  maintenant  par  le  commodore  Griffin, 
apparut  et  il  fallut  battre  en  retraite  pour  protéger  Pondi- 
cliéry  resté  sans  défense.  Heureusement  les  Anglais,  encoi'e 
tout  étourdis  de  la  prise  de  Madras,  gardèrent  une  complète 
inaction,  et  Dupleix  reprenait  espoir  quand  d'alarmantes 
nouvelles  arrivèrent  d'Europe.  Le  gouvernement  anglais, 
pour  venger  celte  défaite,  avait  mis  en  mer  le  15  novembre 
1747,  sous  le  commandement  de  l'amiral  Boscawen,  8  vais- 
seaux et  11  transports  chargés  de  1.400  hommes  de  troupes  ; 
6  vaisseaux  hollandais  devaient  se  joindre  à  eux  au  Cap,  et 
la  Compagnie,  en  lui  envoyant  cet  avis,  l'abandonnait  à  ses 
seules  ressources  contre  cette  formidable  expédition  1 

Il  fallut  hâtivement  mettre  Pondichéry  en  mesure  de  lui 
résister  (l).  Dupleix  s'y  appliqua  avec  ardeur  et  tout  était 
prêt,  quand  Boscawen  apparut,  le  18  août  1748.  3.700  Euro- 
péens et  plusieurs  milliers  de  cipayes  furent  débarqués  par 
lui  et  campèrent  devant  Pondichéry  :  un  assaut  furieux  fut 
donné  à  la  ville,  mais  il  échoua,  et  Boscawen  se  décida  à  en- 
tamer un  siège  en  règle.  Fort  heureusement  il  y  mit  la  plus 
grande  mollesse.  Les  lieutenants  de  Dupleix  :  la  Tour,  d'Au- 

(1)  Les  officiers  dont  Dupleix  employa  les  services  ne  furent  pas 
tous  d'égale  valeur.  Le  recrutement  n'en  était  pas  très  satisfaisant,  en 
effet,  car  l'avancement  était  presque  nul  dans  les  troupes  de  la  Cora- 
pafçnie  :  les  meilleurs  furent  l'ingénieur  Paradis  d'origine  bavaroise  qui 
périt  au  siège  de  Pondiciiéry,  et  liussy  ;  quelques  autres  furent  bons  : 
Kerjean,  Lu  Touche,  Mainvllle,  Aslruc,  Maissin  ;  certains  furent  inca- 
pables :  Law,  Ducjuesne,  d'Âutheuil  lui-même. 


LA    COMPAGNIE    DES    INDES    DE    1723    A    1748  361 

theuil  (1),  Bussy  (2)  et  Paradis  le  secondèrent  avec  succès, 
quoique  avec  des  mérites  inégaux,  et  le  meilleur  d'entre  eux, 
Paradis,  périt  dans  une  sortie  :  ce  fut  une  perte  cruelle  pour 
la  défense.  Mais  les  Anglais  se  lassèrent  enfin  ;  après  un  bom- 
bardement terrible, qui  en  douzelieures  fit  pleuvoir  sur  la  ville 
20.000  projectiles,  Boscawen,à  l'approche  de  la  terrible  mous- 
son, se  prépara  à  la  retraite  et  le  14  octobre  1748  il  se  retira. 
Ainsi,  du  formidable  effort  qui  nous  avait  menacés  d'une 
ruine  complète,  Dupleix  livré  à  ses  propres  forces  avait  triom- 
phé ;  mais  il  ne  s'estimait  pas  satisfait  et  comptait  attaquer 
à  nouveau  le  fort  Saint-David,  quand  arriva  de  France  la  nou- 
velle de  la  paix  f3).  Hélas  !  elle  était  cruelle,  car  au  sein  de 
ses  victoires  Dupleix  devait  rendre  Madras,  dont  la  conserva- 
lion  avait  été  le  prix  de  si  grandes  difricultés  (4)  ;  malgré 
tant  d'efforts,  de  succès,  de  peines  de  toutes  sortes, les  choses 
étaient  remises  dans  le  même  état  qu'avant  la  guerre  I 

(1)  D'Autheuil,  né  en  1714,  entré  comme  enseigne  au  service  de  la 
Compagnie  en  1739,  était  alors  lieutenant  :  il  était  beau-frère  de  La 
Bourdonnais  et  de  Dupleix. 

(2)  Charles-Joseph  Pâtissier,  marquis  de  Bussy-Gastelnau,  né  à 
Bussy-le-Long,  près  de  Soissons  en  1718,  mort  à  Pondichéry  en  1785. 
Ce  fut  un  des  plus  brillants  auxiliaires  de  Dupleix  :  son  premier  fait 
d'armes  fut  la  prise  de  Gingi  ;  l'occupation  du  Deccan,  au  cours  de  la- 
quelle il  montra  une  habileté  et  une  bravoure  consommées,  acheva  de 
le  mettre  au  premier  rang  des  lieutenants  de  Dupleix,  qui  obtint  pour 
lui  le  grade  de  colonel  ;  il  fut  nommé  brigadier  pendant  la  campagne 
de  Lally-ToUendal  ;  celui-ci  se  montra  à  son  égard  d'une  injustice  dé- 
plorable. 

(3)  Paix  d'Aix-la-Chapelle,  avril  1748. 

(4)  11  paraît  que  la  Compagnie,  d'accord  avec  le  fiouvernemenl,  avait 
avant  la  conclusion  de  la  paix  mandé  à  Dupleix  de  négocier  avec  les 
«  Maures  »  l'échange  de  Madras  contre  des  aidées  autour  de  Pondi- 
chéry, en  s'arrangeant  de  manière  que  s'ils  rendaient  ultérieurement 
celte  ville  aux  Anglais,  elle  ne  put  être  désormais  à  ceux-ci  d'aucune 
utilité  (lettre  de  la  Compagnie  à  Dupleix,  15  janvier  1748),  et  Dupleix 
aurait  engagé  effectivement  avec  Naser-Singh  des  pourparlers  pour 
échanger  Madras  contre  Villenour  et  Valdaour.  Cultru,  op.  cit. 


CHAPITRE  IV 

LA  POLITIQUE  DE  DUPLEIX  ET  LES  GUERIlES  DE  l'iNDE. 


La  politique  d'inlerventioii  ébauchée  par  Dumas,  réalisée  par  Dupleix. 
—  Conquête  du  Carnalic  et  établissement  de  notre  inlluence  au  Dec- 
can.  —  Le  désastre  de  Trichinopoli  (1752).  —  Deuxième  conquête 
du  Carnalic  et  deuxième  siège  de  Trichinopoli.  —  Arrivée  de  Godeheu 
et  rappel  de  Dupleix.  —  Traité  de  Sadras  (1754). 


La  situation  des  deux  Compagnies  rivales  était  donc,  au 
lendemain  de  la  paix  d'Aix-la-Cliapelle,  rétablie  comme  s'il 
ne  s'était  rien  passé  entre  elles  ;  mais  en  vérité,  et  bien  que 
ce  fût  le  but  poursuivi,  on  ne  pouvait  ainsi  effacer  le  passé. 
Entre  elles  la  mésintelligence  était  définitive,  la  lutte  repren- 
drait infailliblement  à  la  première  guerre  en  Europe,  et  la 
paix  elle-même  devait  être  troublée  par  une  réciproque  ani- 
mosité. 

Dupleix,  que  l'injuste  anéantissement  de  ses  efforts  n'avait 
pas  abattu,  avait  alors  cinquante  ans  :  le  long  séjour  qu'il 
avait  déjà  fait  dans  l'Inde,  la  connaissance  profonde  qu'il  avait 
acquise  des  mœurs,  des  institutions,  des  intérêts  de  ce  pays, 
le  danger  de  la  juxtaposition  des  deux  Compagnies  que  la 
dernière  guerre  lui  avait  clairement  montré,  la  pénétration 
des  desseins  politiques  de  son  prédécesseur,  firent  mûrir 
dans  son  esprit  des  projets  et  des  convictions  qui  y  étaient 
restés  jusque  là  indécis  et  sans  cohésion  (1). 

(1)  Un  a  cherché  à  déterminer  l'époque  k  laquelle  se  forma  chez 


LA    POLITIQUE    DE    Dll'LEIX    ET    LES    GUERRES    DE    l'iNDE  363 

D'abord  la  situation  des  Compagnies  dans  l'Inde,  aussi 
bien  de  l'anglaise  que  de  la  française,  lui  apparut  comme  peu 
sûre  :  il  suffisait  d'une  invasion  plus  redoutable  que  les  pré- 
cédentes de  la  part  des  Mahrattes,  d'une  coalition  des  princes 
indiens  que  ne  retenait  plus  aucun  lien  effectif  envers  le 
Mogol,  pour  amener  leur  ruine  et  précipiter  tous  les  Euro- 
péens à  la  mer.  Pour  les  Anglais,  c'était  tant  pis  ;  mais  il  im- 
portait à  la  Compagnie  française  de  prévenir  ce  danger.  C'était 
bien,  en  effet,  de  chercher  un  développement  continu  de  son 
trafic,  d'amasser  des  marchandises,  de  créer  des  comptoirs 
nouveaux  ;  mais  si  tout  cela  pouvait  être  anéanti  en  quelques 
mois,  il  n'était  rien  moins  que  raisonnable  d'y  consacrer  ses 
soins.  La  Compagnie  ne  pouvait  donc,  conclut-il,  se  limiter 
à  ses  ambitions  commerciales,  se  borner  à  tenir  la  terre  hin- 
doue par  de  petites  enclaves,  quelque  hérissées  qu'elles 
fussent  de  troupes  et  de  canons  ;  il  fallait  mordre  l'intérieur, 
faire  de  l'air  autour  des  comptoirs,  acquérir  en  un  mot  des 
possessions  territoriales  importantes.  Pour  cela,  il  fallait  con- 
tinuer l'œuvre  à  peine  ébauchée  par  Dumas,  reprendre  sa 
politique  dont  il  n'avait  peut-être  pas  vu  lui-même  toutes  les 
conséquences  (1),  s'immiscer  dans  les  affaires  de  l'Inde  et 

Dupleix  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  sa  politique  :  selon  certains 
historiens  il  faudrait  remonter  assez  loin,  dès  le  gouvernement  de  Du- 
pleix à  Ghandernagor,  et  la  première  application  en  aurait  été  la  prise 
de  Madras  ;  pour  M.  Gultru,  au  contraire,  Dupleix  n'eut  à  proprement 
parler  de  politique  qu'à  partir  de  l'année  1750  et  l'on  n'en  trouverait 
l'expression,  à  la  fois  première  et  déQnilive,  que  dans  un  Mémoire  de 
lui  en  date  du  16  octobre  1753. 

(1)  C'est  l'opinion  représentée  par  M.  Gultru  ;  un  auteur  anglais, 
M.  Rapson,  donne  au  contraire,  à  l'œuvre  de  Dumas  une  place  consi- 
dérable en  cette  matière  :  «  Dumas,  dit-il,  posa  les  fondations  de  la 
puissance  française  dans  l'Inde  ;  il  laissa  à  Dupleix  le  soin  d'élever  la 
superstructure  »  (Rapson,  Struggle  betiveenEngland  and  France  for 
supreinacy  in  India,  1887). 


364  TROISIEME    PARTIE.    CIIAI'rTRE    IV 

conquérir  sur  les  uns,  acheter  des  autres  par  des  services, 
la  puissance  et  les  territoires  dont  on  devait  à  tout  prix  se 
nantir. 

Dupleix  voyait  clairement,  d'ailleurs, dans  la  situation  inté- 
rieure de  la  péninsule  :  il  savait  l'empire  des  Mogols  en  pleine 
décadence  et  il  en  prévoyait  la  chute  à  courte  échéance  ;  il 
savait  que  l'indépendance  des  princes  indiens  était  complète, 
qu'entre  eux  s'ouvrirait  pour  la  conquête  de  cet  héritage  une 
lutte  terrible.  L'intérêt  des  Européens  était  de  profiter  de 
leurs  divisions  pour  se  glisser  parmi  les  prétendants  et  se 
faire  une  place  dans  le  partage  final.  Dupleix  alla  bientôt 
plus  loin  encore  :  jamais,  à  son  avis,  ces  nababs,  ces  soubabs 
turbulents  ne  sauraient  tenir  le  sceptre  duMogol,  et  ces  pe- 
tits potentats  ne  méritaient  pas  tant  d'honneur.  Les  relations 
avec  les  Indes  étaient  devenues  indispensables  à  l'Europe;  il 
fallait  les  maintenir  à  tout  prix  et  le  meilleur  moyen  était 
encore  d'être  le  maitre  de  cette  contrée  ;  l'Inde  ne  pouvait 
plus  avoir  d'empereur  mongol  ou  turc,  c'était  l'Européen 
lui-même  qui  devait  se  placer  un  jour  sur  le  trône  de  Delhi. 

A  ce  programme,  il  n'y  avait  qu'un  seul  obstacle  :  on  ne 
pouvait  partager  cet  empire,  et  la  nation  qui  le  conquerrait 
devrait  enchâsser  tous  ses  rivaux.  Or  l'Angleterre  seule  était 
pour  nous  à  craindre  ;  il  fallait  donc  lui  fermer  à  jamais  l'ac- 
cès du  sol  indien.  La  perte  de  Madras  aurait  été  pour  elle  un 
coup  terrible,  mais  puisqu'elle  en  avait  repris  possession,  il 
était  urgent  de  ressaisir  l'avantage  sur  elle,  l'entourer  d'un 
réseau  d'intrigues,  envelopper  ses  comptoirs  de  possessions 
françaises,  afin  que,  réduite  à  l'impuissance,  privée  de  tout 
commerce  et  de  toute  assurance,  elle  s'avouât  elle-même 
vaincue,  si  l'occasion  ne  se  présentait  pas  d'en  finir  avec 
elle  par  la  force. 

Les  six  années  de  paix  européenne  qui  séparèrent  la  guerre 


LA    POLITIQUE    DE    DUPLEIX    ET    LES    GUERRES    DE    l'iNDE  365 

de  Succession  d'Autriche  de  son  propre  rappel,  furent  em- 
ployées par  Dupleix,  d'abord  à  affermir  ces  conviclions  grâce 
aux  circonstances  qui  se  présentèrent  à  lui  sans  qu'il  les 
sollicitât,  puis  à  mettre  celte  politique  à  exécution. 

Des  événements  imprévus  vinrent  bientôt  lui  en  donner 
l'occasion.  Le  soubab  du  Deccan  était  encore  Nizam-el-Moluk, 
mais  sa  succession  ne  pouvait  tarder  à  s'ouvrir;  le  Garnatic 
appartenait  toujours  à  Anaverdi-Kan.  Tous  deux  craignaient 
Dupleix  et  au  fond  le  détestaient,  et  celui-ci  n'en  était  pas 
dupe.  Mais  un  jour,  le  gendre  de  notre  ancien  allié  Dost- 
Mohammed  (1) ,  le  prince  Chanda-Sahib  ,  longtemps  pri- 
sonnier des  Malirattes,  entreprit  avec  l'appui  de  ces  mêmes 
Mahratles  d'enlever  à  Anaverdi-Kan  le  trône  du  Garnatic, 
et  une  coïncidence  inespérée  lui  apporta  une  chance  de 
plus  de  succès.  En  ce  moment,  en  etTet,  Nizam-el-Moluk 
mourait,  en  déshéritant  son  fils  aîné  Nazer-Singh  (2)  au 
profit  du  cadet  Muzaffer-Singh  ;  mais  Nazer-Singh,  refusant 
de  se  soumettre  à  cette  décision,  prit  les  armes,  chassa  Mu- 
zaffer  et  s'installa  à  sa  place  sur  le  trône  du  Deccan.  Muzaffer 
était  faible  et  indolent,  mais  Ghanda-Sahib,  saisissant  l'occa- 
sion, lui  montra  qu'en  s'allianl  dans  leurs  prétentions  ils 
triompheraient  de  leurs  ennemis  respectifs.  Tous  deux  obtin- 
rent du  Mogol  une  déclaration  de  déchéance  contre  Nazer- 
Singh,  puis  confièrent  à  Dupleix  leurs  espérances  et  lui 
demandèrent  l'appui  des  armes  françaises,  offrant  en  retour 


(1)  Il  était  mort  au  cours  de  la  guerre  contre  les  Mahratles  en  1740  : 
son  fils  SuFder-Ali  lui  succéda,  mais  celui-ci  mourut  bientôt  aussi,  et 
le  Garnatic  échut  à  Anaverdi-Kan  étranger  à  sa  famille,  au  détriment 
du  gendre  de  Dosl-Mohammed,  Chanda-Sahib,  qui  d'ailleurs  à  cette 
époque  était  prisonnier  des  Mahratles. 

(2)  Le  suffixe  Singh,  qui  signifie  Lion,  était  ajouté  à  leur  nom  par 
les  princes  indiens  de  race  radjpoule. 


366  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IV 

de  céder  à  la  Compagnie  les  lerriloires  de  Valdaour,  Villenur 
el  Bahour,  qu'elle  ambilionnail  depuis  longtemps. 

La  chose  était  grave,  cependant  Dupleix  hésita  peu;  il 
savait  fort  bien  que  la  Compagnie  voulait  la  paix  à  tout  prix, 
mais  cette  offre  répondait  trop  bien  à  ses  propres  projets  el 
paraissait  avantageuse;  enfin  il  fallait  éviter  que  les  deux 
prétendants  n'allassent  porter  leurs  propositions  chez  les 
Anglais,  ce  qu'ils  eussent  fait  à  coup  sûr  en  cas  de  refus  (1)  ; 
il  accepta  donc,  donna  à  d'Autheuil  une  petite  armée  de 
400  Français  et  1.200  cipayesavecG  canons,  et  l'envoya  re- 
joindre les  bandes  des  deux  princes  (juillet  1749)  (2). 

A  la  première  rencontre,  à  Ambur,  le  1"  août,  l'armée  d'A- 
naverdi-Kaii  fut  mise  en  déroute  et  le  nabab  lui-même  péril 
dans  le  combat.  A  Arcot  que  cette  victoire  leur  livrait,  Muzaf- 
fer  se  proclama  soubab  du  Deccan  el  investit  son  allié  de  la 
nababie  du  Carnatic  ;  puis  il  vint  à  Pondichéry,  où  Dupleix 
le  reçut  fastueusement. 

Il  s'agissait  maintenant  de  donner  à  celui-ci  le  trône  du 
Deccan,  mais  Dupleix  jugea  indispensable  de  tenir  aupara- 
vant Trichinopoli  et  Gingi,  dont  les  deux  forteresses  sont  les 
clefs  du  Carnatic.  La  première  était  au  pouvoir  de  Méhémet- 
Ali,  fils  d'Anaverdi-Kan,  avec  lequelles  Anglais  entretenaient 
des  relations.  Dupleix  donna  à  un  de  ses  lieutenants,  Du- 
quesne,  un  petit  corps  français  de  800  hommes,  mais  la  sottise 
des  deux  princes  indiens  fit  échouer  cette  campagne  ;  ils 

(1)  Les  Anfjlais  leur  avaient  même  fait  des  offres,  el  Saunders,  le 
nouveau  gouverneur  de  Madras,  avait  mis  à  leur  disposition  2.000 
hommes  de  troupes  européennes  sous  la  condition  qu'ils  nous  retire- 
raient Pondichéry. 

(2)  Dupleix  avait  alors  à  Pondichéry  2.000  soldais  blancs,  1.400  ci- 
payes,  300  Cafres  laissés  par  La  Bourdonnais  et  300  cipayes  envoyés 
de  Mahé  :  c'étaient  ces  troupes  qui  avaient  soutenu  le  siège  de  la  ville 
par  Buscawoii. 


LA    POLITIQUE    DE    DUPLEIX    ET    LES    GUERRES    DE    l'iXDE  367 

l'entraînèrent  à  l'attaque  de  Tanjore  qui  fut  pris,  mais  pen- 
dant ce  temps  Nazer-Singh  entra  dans  le  Carnatic,  et  les  pré- 
tendants à  celte  nouvelle  reculèrent  dans  une  folle  retraite. 
Duquesne  dut  se  bornera  servir  d'arrière-garde  et  l'on  rentra 
à  Pondichéry. 

Nazer-Singh,  qui  avançait  toujours,  prétendait  soutenir 
Méhémet-Ali  contre  Chanda-Sahib  ;  il  avait  une  armée  formi- 
dable de  300.000  hommes,  et  800  Anglais  l'assistaient  com- 
mandés par  le  major  Lawrence.  Dupleix  allait  ainsi  avoir  à 
combattre  la  Compagnie  anglaise,  alors  que  la  paix  régnait 
en  Europe  entre  les  deux  nations  ;  mais  c'était  d'elle,  à  la 
vérité,  que  venait  l'attaque. D'Aulheuil  prit  le  commandement 
des  2  000  Européens  que  comptait  alors  la  garnison  de  Pon- 
dichéry et  partit  au  devant  de  l'armée  du  soubab.  Une  mutine- 
rie de  ses  officiers  qui  eut  lieu,  chose  lamentable,  sous  le  feu 
même  de  l'ennemi  et  la  démoralisation  qu'elle  entraîna  parmi 
les  troupes,  le  forcèrent  à  rentrer  désespéré  à  Pondichéry,  et 
pendant  ce  temps  Muzaffer-Singh,  perdant  la  tète,  allait  se 
constituer  prisonnier  aux  mains  de  Nazer-Singh  !  Un  sot  inci- 
dent ruinait  une  seconde  fois  les  projets  de  Dupleix  :  il  s'em- 
porta contre  les  lâches  «  qui  lui  brisaient  la  victoire  dans 
les  mains  »,  mais  il  ne  perdit  pas  courage.  La  Touche  avec 
300  hommes  se  jeta  en  pleine  nuit  dans  le  camp  de  Nazer- 
Singh,  et  une  terreur  folle  s'empara  de  celte  immense  armée 
qui  s'éparpilla  aussitôt;  Nazer-Singh  lui-même  s'enfuit  à 
toute  bride  et  les  Anglais  qui  n'avaient  rien  pu  empêcher  se 
retirèrent  mécontents  au  fort  Saint-David  (27  avril  1750). 

Pondichéry  était  hors  d'atteinte  pour  longtemps,  mais  tout 
était  à  recommencer  à  l'égard  du  Carnatic  ;  d'Aulheuil  s'em- 
para de  Tiruvadi  et  les  Anglais  qui  n'étaient  plus  payés  se 
retirèrent  de  nouveau  le  jour  où  il  attaqua  Méhémet-Ali,  dont 
l'armée  s'enfuil,   abandcnnnnl  ses  canons   et  ses  bagages 


368  TROISIKME    l'ARTIE.    —    CHAPITRE    IV 

(1"  septembre  1750).  Dupleix  se  vit  bientôt  maître  de  tout  le 
Carnatic  et  Bussy  proposa  de  forcer  Méhémel-Ali  dans  son 
dernier  refuge,  Gingi,  dont  la  forteresse  perchée  comme  un 
nid  d'aigle  passait  pour  inexpugnable.  Elle  fut  prise  cepen- 
dant par  Bussy  en  un  assaut  d'une  folle  audace  dont  le  suc- 
cès rétonna  lui-même  ! 

La  chute  de  Gingi  eut  un  retentissement  énorme,  car  la 
plus  forte  place  de  l'Inde  avait  été  prise  par  les  Français  avec 
une  poignée  d'hommes  et  4  pièces  de  canon  !  Nazer-Singh 
avait  encore  100.000  hommes,  mais  il  avait  perdu  toute  har- 
diesse et  ses  généraux  se  retournèrent  contre  lui  ;  les  nababs 
de  Karnul  et  de  Cuddapah  proposèrent  à  Dupleix  de  trahir 
leur  souverain,  et  le  Gouverneur,  bien  entendu,  accepta.  La 
Touche  qui  ne  pouvait  mettre  en  ligne  que  565  Français  et 
2.000  cipayes  attaqua  cependant  :  les  défections  promises  se 
produisirent,  Nazer-Singh  fut  tué  dans  sa  fuite  et  Muzaflfer 
délivré  fut  désormais  sans  compétiteur  au  trône  du  Deccan 
(15  novembre  1750). 

Dupleix  triomphait  plus  complètement  que  jamais  ;  il 
décida  Muzaffer-Singh  à  venir  à  Pondichéry,  où  il  le  reçut 
au  milieu  d'une  pompe  magnifique  préparée  par  lui  en 
véritable  artiste.  Muzaffer-Singh  proclama  Dupleix  nabab 
de  toute  l'Inde  méridionale  depuis  la  Kistna  jusqu'au  cap 
Coniorin  ,  et  lui  donna  comme  apanage  l'aidée  de  Val- 
daour  (1)  ;  enfin  il  reconnut  solennellement  la  Compagnie 
française  comme  souveraine  maîtresse  de  Masulipatam  (2), 
de  Yanaon  et  de  Divi.Ce  fut  Dupleix  lui-même  qui  demanda  au 

(1)  Avec  un  jaguir  (ou  revenu)  de  100.000  roupies:  l'acceptation  du 
susdit  revenu  fut  un  des  griefs  les  plus  graves  que  la  Compagnie  for- 
mula plus  lard  contre  Dupleix. 

(2)  Pendant  que  Bussy  enlevait  Gingi, une  petite  expédition  embarquée 
sur  les  vaisseaux  arrivés  d'JMirope  en  juillet  s'emparait  de  Masulipatam 
et  s'y  uKiiiitenail.   Ijellre   de    Dupleix  à  la  Gompaguie,30  octobre  1750. 


LA    POLITIQUE    DE    DLPLEIX    ET    LES    GLEIIKES    DE    l'lnDE  369 

soubàb  de  donner  à  Clianda-Sahib  le  gouvernement  de  l'im- 
mense territoire  qui  lui  était  accordé  personnellement. 

Cependant  Muzaffer-Singh  n'était  encore  le  maître  que 
d'une  partie  du  Deccan  avec  Golconda  et  Haïderabad  ;  mais  le 
Deccan  septentrional  et  Aurangabad  échappaient  encore  à 
son  autorité  ;  il  implora  pour  les  conquérir  l'appui  des  armes 
françaises.  Dupleix  hésita,  car  il  fallait  qu'il  se  privât  d'une 
partie  de  ses  troupes  quand  les  Anglais  pouvaient  revenir  à 
la  charge  ;  il  donna  cependant  au  soubab  300  soldats  fran- 
çais, 1.800  cipayes  et  une  batterie  d'artillerie  et  en  confia  le 
commandement  à  Bussy  (janvier  17o1). 

Muzaffer-Singh  ne  devait  pas  voir  son  triomphe  complet, 
car  il  mourut  en  route  au  cours  d'une  rébellion  de  ses  trou- 
pes ;  sans  hésiter,  Bussy,  plutôt  que  de  rentrer  à  Pondichéry, 
reconnut  Salabet-Singh,  neveu  du  soubab, comme  son  succes- 
seur, et  ayant  reçu  l'approbation  de  Dupleix,  continua  sa 
marche  audacieuse.  Le  20  juin  1751,  on  entra  à  Aurangabad 
où  Salabel-Singh  fut  solennellement  couronné  ;  Bussy  s'ins- 
talla dans  la  citadelle,  tenant  sans  le  paraître  le  souverain  de 
l'immense  Deccan  sous  sa  surveillance,  décidant  en  maître 
dans  son  conseil,  gouvernant  lui-même  en  un  mot  sous  le 
nom  de  Salabet-Singh  ;  aussi  pouvait-il  écrire  à  Dupleix  : 
«  Si  vous  m'envoyez  des  renforts, l'empereur  lui-même  trem- 
blera à  votre  nom  (1).  » 

(1)  Salabet-Singti,  aussitôt  installé,  confirma  solenaellement  le  don 
qu'il  faisait  à  Dupleix  et  après  lui  à  la  nation  française  du  Carnatic,  de 
Tricliinopoli  et  de  Madura,  à  charge  de  le  considérer  comme  ami  et  allié 
et  de  le  défendre  contre  ses  ennemis.  Dupleix  manda  à  Paris  la  nou- 
velle de  cette  investiture  et  s'appliqua  à  en  faire  ressortir  les  avanta- 
ges :  «  Par  un  événement  auquel  je  ne  m'attendais  pas  et  qui  est  le 
pur  ouvrage  de  M.  de  Bussy,  il  a  obtenu  le  gouvernement  de  la  province 
d'Arcate  pour  la  nation,  avec  liberté  à  nous  de  régler  la  redevance  an- 
nuelle,  ce  qui  nous  dispensera  d'envoyer  des  fonds  dans  l'Inde.  «  Sa- 

w.  —  a 


370  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

Dupleix  pendant  ce  temps  ne  restait  pas  inaclif,  car  il  con- 
servait une  dernière  inquiétude  :  Trichinopoli  n'était  pas  à 
nous  et  Méhémet-Ali  s'y  tenait  enfermé.  Il  le  somma  de  lui 
rendre  cette  place  ;  celui-ci  pour  toute  réponse  implora  l'ap- 
pui des  Anglais  qui  lui  envoyèrent  aussitôt  230  Européens 
et  300  cipayes. 

Dupleix  n'avait  malheureusement  plus  Bussy  ;  il  confia 
à  d'Autheuil,  qui  était  loin  de  le  valoir,  400  Français  et 
10.000  Hindous  fournis  par  Chanda-Sahib  ;  d'Autheuil  chassa 
les  Anglais  de  Volcondapuram,  mais  les  laissa  se  replier  sur 
Trichinopoli  et  quand  il  arriva  devant  cette  ville,  terrassé 
par  la  fièvre,  il  demanda  à  être  remplacé  ;  Dupleix  désigna 
Law  qui  s'était  signalé  par  sa  bravoure  pendant  le  siège  de 
Pondichéry,  mais  qui  n'était  cependant  qu'un  incapable  (1)  ; 
il  n'osa  pas  tenter  une  attaque  de  vive  force  et  préféra  en- 
tamer un  siège. 

Dupleix  voulut  s'y  opposer  :  la  prise  d'Arcol,  restée  sans 
défense, par  un  officier  alors  obscur  de  la  Compagnie  anglaise. 
Clive,  justifiait  ses  inquiétudes.  11  envoya  des  renforts  à  Law, 
le  pressant  d'en  finir  au  plus  vile,  la  situation  étant  grave. 
Law  n'en  fit  rien  :  bien  mieux,  il  laissa  Chanda-Sahib,  alar- 
mé par  la  perte  de  sa  capitale,  détacher  4.000  hommes  de 
l'armée  de  siège  et  les  envoyer  la  reprendre.  Malgré  un  ren- 
fort envoyé  par  Dupleix,  ceux-ci  furent  battus  par  Clive  qui 

labet  donna  ensuite  à  la  Compagnie,  pour  garantie  de  la  solde  de  la 
petite  troupe  française  qu'il  avait  à  son  service,  l'investiture  des  cinq 
cercles  ou  Cireurs  qui  bordent  la  côte  d'Orissa  et  dont  Masulipatam  de- 
vint la  capitale. 

(1)  Law  était  le  fils  de  duillaume  Law,  et  le  neveu  de  Jean  Law.  Ce 
dernier  ne  laissa  qu'une  fille  à  sa  mort,  mais  Guillaume,  qui  resta  en 
France  après  la  chute  du  Système,  eut  deux  fils  qui  tous  deux  servirent 
dans  rinde  :  Law  de  Lauriston,  gouverneur  de  Pondichéry  en  1765,  et 
Law  dont  il  est  question  ici  et  qui  mourut  major  général  en  1767. 


LA    POLITiniE    DE    PUPLEIX    ET    LES    GUERRES    DE    l'lxDE  37  f 

s'apprêta  à  délivrer  Trichinopoli,  et  opéra  sa  jonction  avec 
Lawrence,  sans  que  Law  s'y  fût  opposé.  Tous  deux  réussirent 
à  le  tromper  et  à  faire  entrer  dans  la  ville  un  convoi  de  ravi- 
taillement. Law  crut  tout  perdu  et  quittant  ses  tranchées 
vint  s'enfermer  dans  l'île  de  Seringam  formée  par  la  Cavéri. 
Dupleix  apprit  ces  nouvelles  avec  désespoir  :  il  s'emporta 
contre  son  incapable  lieutenant  et  désigna  d'Aulheuil  pour 
le  relever  de  son  commandement  ;  mais  il  n'avait  plus  qu'une 
quarantaine  de  Français  à  lui  donner  et  il  fallait  passer  au 
travers  des  Anglais  I  d'Aulheuil  eut  tout  de  suite  à  soutenir 
leur  choc,  et  Law  se  contenta  d'une  timide  contre-attaque  qui 
fut  repoussée  ;  le  premier,  surpris  dans  Volcondapuram,  dut 
mettre  bas  les  armes  ;  le  second,  bientôt  à  bout  de  vivres,  ca- 
pitula à  son  tour!  35  officiers,  785  soldats  français,  2.000  ci- 
payes,  41  canons  furent  livrés  aux  Anglais;  Chanda-Sahib 
fut  tué  et  sa  tête  fut  portée  aux  vainqueurs.  Après  ce  désastre 
sans  précédent,  Dupleix  n'avait  plus  un  soldat,  notre  prestige 
s'écroulait  et  les  Anglais  en  héritaient  !  13  juin  1752  (1). 

(1)  La  question  des  ressources  militaires  dont  disposa  Dupleix  a  e'té 
fort  discutée  ;  il  semble  que  la  Compagnie  ail  fait  pour  lui  des  efTorts 
assez  considérables.  Lorsque  la  paix  d'Aix-la-Chapelle  vint  terminer  la 
première  période  des  hostilités,  il  avait  i  .200  Européens,  1.400  ci- 
payes,  200  topas  (indigènes  chrétiens)  et  300  Cafres  laissés  par  La 
Bourdonnais.  En  1750  il  reçut  de  la  Compagnie  300  hommes,  en  1751 
365,  en  1752  on  lui  en  envoya  1.381,  mais  122  périrent  dans  le  désastre 
du  Prince,  enfin  en  1753,  il  en  eut  600  encore  ;  de  sorte  que  Dupleix 
n'eut  jamais  moins  de  3.000  hommes,  selon  M.  Cultru.  Mais  cet  histo- 
rien ajoute  judicieusement  que  les  meilleurs  éléments  étaient  avec  Bussy 
au  Deccan  ou  avecLaw  à  Trichinopoli,  où  ils  furent  perdus  pour  nous  :  le 
recrutement  en  était  d'ailleurs  détestable,  on  allait  les  chercher  surtout 
dans  les  prisons  et  Dupleix  se  plaignit  avec  raison  qu'on  lui  envoyât 
des  polissons  et  la  plus  vile  canaille.  Aussi  la  conduite  au  feu  de  ces 
troupes  fut-elle  en  plus  d'une  affaire  absolument  déplorable  I  «  L'armée 
qui  devait  soutenir  les  plans  audacieux  de  Dupleix  était  donc  une  mau- 
vaise armée  ;  ce  qui  devait  en  Former  le  nerf,  la  troupe   française,  était 


372  TROISIÈME    PARTIR.    CIIAPITItK    IV 

La  silualiori  faite  à  Dupleix  était  encore  une  fois  terrible  ; 
il  n'avait  plus  personne  pour  défendre  Pondichéry  ;  du  Car- 
natic  il  ne  possédait  plus,  après  la  perle  d'Arcol  et  le  dé- 
sastre de  Trichinopoli,  qu'une  mince  partie.  Tout  le  monde 
dans  la  colonie  perdit  la  tête  ;  on  craignait  d'être  jetés  à  la 
mer  inopinément  par  les  Anglais  suivis  de  tous  les  peuples 
de  l'Inde,  on  parlait  d'ouvrir  des  conférences  avec  la  Com- 
pagnie anglaise,  de  rappeler  Bussy  et  d'abandonner  le 
Deccan.  Dupleix  seul  jugeait  la  situation  grave,  mais  non 
désespérée;  pour  lui,  les  Anglais  n'oseraient  pas  attaquer 
Pondichéry,  tant  que  la  paix  régnerait  en  Europe  ;  quant  à 
Méhémet-Ali,  il  n'irait  pas  si  loin  malgré  l'ivresse  de  la  vic- 
toire. Tout  cependant  s'unissait  pour  le  décourager.  Les  Di- 
recteurs de  la  Compagnie  à  Paris  s'étonnaient  de  celle  guerre 
en  pleine  paix,  à  laquelle  ils  ne  comprenaient  rien  ;  «  ils  at- 
tendaient avec  la  plus  grande  impatience  d'apprendre  que 
la  paix  régnait  sur  la  côte  de  Goromandel  ;  nul  autre  avantage 
ne  pouvait  tenir  lieu  de  la  paix  qui  seule  était  capable  d'opé- 
rer le  bien  du  commerce,  dont  le  ministre  et  la  Compagnie 
désiraient  qu'il  s'occupât  essentiellement  (1).  » 

S'arrêter,  Dupleix  ne  le  voulait  pas  ;  il  ne  le  pouvait  pas 
non  plus  ;  les  Anglais  qui  étaient  entrés  dans  la  mêlée  sans 
autre  mobile  que  leur  haine  contre  la  Compagnie  française, 
avaient  compris  peu  à  peu  sa  politique  et  l'avaient  adoptée. 
Lutter  élail  donc  pour  nous  une  question  de  vie  et  de  mort 
car,  eux  vainqueurs,  nous  subirions  infailliblement  le  sort 
que  nous  leur  avions  préparé.  Aussi  Dupleix  ne  voulail-il 
point  abandonner  le  Deccan  ni  rappeler  Bussy,  et  son  plan 

sans  valeur  »,  dit  M.  Cultru.  I^a  Compagnie  anglaise,  étroitement  sou- 
tenue par  son  gouvernement,  eut  au  contraire  d'excellentes  troupes 
pour  former  le  noyau  de  son  armée. 

(1)  Lettre  de  la  Compagnie,  du  5  mars  1751. 


LA    POLITiniE    DE    DUPLEIX    ET    LES    GUERRES    DE    l'indE  373 

fut  bientôt  tracé  ;  il  fallait  dissoudre  la  coalition  formée  à 
Tricliiiiopoli  entre  les  Anglais  et  les  princes  indiens  et  il  mit 
en  campagne  dans  ce  dessein  une  armée  d'émissaires.  Le 
succès  répondit  à  ses  efforts  ;  quand  Méhémet-Ali  proposa 
d'assiéger  Tiruvadi,  le  roi  de  Mysore  et  le  chef  mahratte,  ses 
alliés,  refusèrent  de  le  suivre  ;  mais  Tiruvadi  succomba  sans 
eux,  Dupleix  n'ayant  plus  de  défenseurs  à  y  mettre.  Enfin, 
le  28  juillet  1752,  deux  vaisseaux  de  la  Compagnie,  le  Bour- 
bon et  le  Centaure,  mouillaient  en  rade  de  Pondichéry  ;  ils 
amenaient  cinq  cents  hommes  ;  c'était  pour  Dupleix  le  gage 
d'une  revanche  prochaine.  Il  en  réserva  300  pour  Bussy  et 
donna  les  200  autres,  les  meilleurs,  à  son  neveu,  le  chevalier 
de  Kerjean. 

Les  Anglais  assiégeaient  alors  Gingi  ;  Kerjean  partit  aussi- 
tôt et  à  son  approche  le  commandant  anglais  Kineer  se  re- 
tourna contre  lui  ;  mais  Kerjean  sut  prendre  une  bonne  po- 
sition, résista  et  fut  vainqueur;  les  Anglais  se  retirèrent  sur 
Tiruvadi,  abandonnant  le  siège. 

Cette  victoire  rétablit  notre  prestige  et  Méhémet-Ali  fit 
aussitôt  à  Dupleix  des  ouvertures  de  paix,  demandant  qu'on 
lui  cédât  seulement Trichinopoli.  Cette  ville  était  alors  occu- 
pée par  un  petit  corps  anglais,  mais  celui-ci  y  était  bloqué 
par  les  Mahraltes  et  les  Mysoriens,  bien  qu'ils  ne  se  fussent 
pas  encore  déclarés  pour  nous.  Cette  maudite  place  allait 
encore  nous  mettre  à  un  pouce  de  notre  ruine  I  Dupleix  con- 
çut le  projet  de  couper  les  communications  entre  elle  et  le 
fort  Saint-David,  et  Kerjean  partit  pour  l'exécuter.  Lawrence 
prévenu  arrive  à  sa  rencontre  avec  4O0  Anglais  et  1.000  ci- 
payes,  il  attaque,  est  battu,  se  relire  ;  Kerjean  bivouaque  sur 
le  champ  de  bataille  ;  pendant  la  nuit  Lawrence  revient  à 
l'attaque  ;  la  surprise  est  complète,  et  le  bruit  de  la  mort  du 
commandant  irancais  détermine  la  déroute  :  tout  se  débande  I 


,^74  TnOISlk.MK    l'AItTIE.     —    CIIAITTIIE    IV 

Au  même  moment,  et  pour  achever  de  convaincre  Dupleix 
de  la  fatalité  qui  s'acharnait  à  rendre  vains  ses  efforts,  Bussy 
lui  envoyait  la  nouvelle  qu'un  prétendant  inattendu  envahis- 
sait le  Deccan  avec  une  armée  formidable  et  qu'il  se  voyait 
forcé  de  battre  en  retraite  vers  Masulipalam,  enmenanl  avec 
lui  Salabet-Singh,  Enfin  l'argent  manquait,  les  caisses  de  la 
Compagnie  étaient  vides  ! 

Dupleix  que  la  mauvaise  fortune  ne  faisait  qu'affermir  dans 
ses  desseins  s'efforça  de  persuader  Bussy  qu'il  fallait  à  tout 
prix  qu'il  restât  dans  le  Deccan  ;  il  lui  envoya  le  renfort  de 
300  hommes  qu'il  lui  avait  réservé  et  l'assura  «  qu'il  vendrait 
jusqu'à  sa  dernière  chemise  ■»  pour  trouver  les  ressources 
nécessaires  !  Les  lettres  de  Paris  cependant  continuaient  à 
lui  montrer  les  Directeurs  résolus  à  ne  plus  entendre  parler 
de  ces  guerres  continuelles  et  incompréhensibles,  et  on  lui 
déniait  le  droit  de  faire  sortir  des  concessions  de  la  Compa- 
gnie les  troupes  qu'on  lui  envoyait.  C'était  la  dénonciation 
de  toute  sa  politique,  l'effondrement  des  espérances  qu'il 
avait  conservées.  Ne  pouvant  plus  rien  par  lui-même  dans 
l'Inde,  convaincu  que  le  Roi,  le  gouvernement  et  l'opinion 
publique  s'égaraient  sur  son  compte,  il  se  décida  à  envoyer 
en  France  d'Autheuil  défendre  son  œuvre  et  se  déclara  résolu 
à  se  démettre  de  ses  fonctions,  si  celui-ci  échouait. 

Cependant  la  situation  s'éclaircit  au  Deccan,  où  Salabet- 
Singh  put  regagner  sa  capitale  avec  Bussy.  Dupleix,  rassuré 
de  ce  côté,  songea  aussitôt  à  reprendre  ses  projets  de  con- 
quête, mais  avant  de  s'attaquer  à  Trichinopoli,  il  pensa  avec 
raison  devoir  s'assurer  le  Garnatic  tout  entier.  Tout  ce  qu'il 
put  armer  à  Pondichéry  fut  confié  à  Maissin,  et  les  Mahrattes 
commandés  par  Morari-Rao  se  joignirent  à  lui  :  cela  fit  360 
Français, 2. 000  cipayes  et  4.000  cavaliers  mahrattes  :  l'objectif 
était  la  jirise  de  Tiruvadi.  Maissin  était  un  chef  intelligent, 


LA    POLITIQUE    DE    DUPLEIX    ET    LES    GUERRES    DE    l'iNDE  375 

il  sut  retrancher  sa  petite  armée,  harceler  les  Anglais,  inler 
cepter  leurs  convois.  Méhémet-Ali  qui  occupait  ïiruvadi  fut 
bientôt  affamé  ;  Lawrence  qui  vint  donner  assaut  aux  retran- 
chements des  assiégeants  échoua  et  se  retira.  Pendant  ce 
temps  le  roi  de  Mysore,  également  notre  allié,  avait  bloqué 
Trichinopoli  et  celte  place,  elle  aussi,  fut  bientôt  dans  une  si- 
tuation critique  ;  Lawrence  dut  abandonner  précipitamment 
Maissin  pour  courir  à  son  secours.  Dupleix  ne  pouvait  le  lais- 
ser faire  ;  il  confia  200  hommes  à  un  de  ses  officiers  derniers 
venus,  Aslruc,et  l'envoya  renforcer  les  IVlysoriens,  pendant 
que  Maissin  enlevait  Tiruvadi  laissé  sans  appui. 

Tout  le  Carnalic  était  de  nouveau  entre  nos  mains  et  Mais- 
sin put  se  retourner  entre  Trichinopoli,  dernier  boulevard  de 
Méhémel-Ali  et  des  Anglais.  La  situation  devint  grave  pour 
ceux-ci  :  Lawrence  était  brave  et  habile,  mais  Aslruc  l'était 
aussi  et  il  avait  l'avantage  du  nombre  depuis  l'arrivée  de 
Maissin.  Cependant  le  temps  se  passa  en  attaques  et  con- 
tre-attaques continuelles.  Dupleix  que  ces  retards  aga- 
çaient appelait  à  grands  cris  un  Bussy  pour  en  finir  avec 
cette  ville  imprenable  ;  il  crut  avoir  trouvé  un  bon  officier, 
Mainville,  qu'il  envoya  remplacer  Astruc  ;  Mainville  tenta 
l'escalade,  elle  ne  réussit  pas  ;  mais  il  entreprit  de  rompre 
les  digues  de  la  Cavéri  qui  inonda  les  campagnes  du  Tan- 
jore  dont  le  roi  était  le  dernier  allié  des  Anglais  ;  Lawrence 
d'ailleurs  voyait  fondre  ses  troupes,  Trichinopoli  ne  pouvait 
larder  à  tomber  entre  nos  mains  et  les  incroyables  efforts 
faits  pour  nous  en  emparer,  les  deux  sièges  entrepris,  le  dé- 
sastre subi  allaient  enfin  avoir  un  lendemain  éclatant. 

La  Providence  encore  une  fois  se  déclara  pour  les  Anglais  1 
Trichinopoli  nous  échappa,  la  victoire  glissa  entre  nos 
mains,  l'œuvre  de  quatorze  années  de  labeur  acharné  fut 
réduite  à  néant. 


376  TnOISlic.MK    PARTIK.    —    CIIAl'ITUE    IV 

Mais  celle  fois  ce  ne  furent  ni  les  incessantes  révolutions 
des  cours  indiennes,  ni  la  perfidie  de  leurs  princes,  ni  les 
armes  des  Anglais,  ni  le  hasard  lui-même  qui  accomplirent 
celle  destruction,  ce  fut  delà  France  que  vint  le  coup  fatal  à 
l'œuvre  de  Uupleix  !  Le  1"  août  1754,  le  vaisseau  le  Duc-de- 
Bourgogne  mouilla  en  rade  de  Pondichéry  ;  le  Gouverneur 
avail  appris  qu'il  portail  un  (iommissaire  de  la  Compagnie 
chargé  d'examiner  la  situation  tant  au  point  de  vue  politi- 
que qu'au  point  de  vue  commercial  et  financier  :  c'était  le 
Directeur  Godeheu.  11  n'avait  pas  été  sans  doute  fort  surpris 
de  celle  nouvelle,  car  il  savait  la  Compagnie  fort  courroucée 
de  celle  interminable  guerre,  de  sa  politique,  de  la  stagna- 
lion  du  commerce,  et  1res  certainement  une  pareille  immix- 
tion ne  pouvait  agréer  à  un  caractère  aussi  entier  et  aussi 
susceptible  que  le  sien.  11  connaissait  Godeheu,  mais  point 
assez  pour  le  supposer  animé  d'intentions  personnelles  fâ- 
cheuses pour  lui  (1)  ;  du  reste,  celui-ci  avait  à  son  arrivée  à 
l'île  de  France  écrit  à  Dupleix  en  termes  civils  pour  lui  an- 
noncer son  prochain  débarquement. 

Godeheu  descendit  à  terre  le  2  aoùl  ;  l'entrevue  de  ces  deux 
hommes  devait  être  et  fut  glacée  :  le  Commissaire  savait  ce 
ce  qu'il  venait  faire,  le  Gouverneur  le  soupçonnait  depuis 
longtemps  (2).  On  raconte  qu'après  un  salut  guindé  Godeheu 
lendit  à  Dupleix  une  première  lettre,  puis,  quand  il  leùl  par- 
courue,   une  seconde.  La  première  était  de  lui-même  :  elle 

(1)  Dupleix  annonça  au  Conseil  Supérieur  l'arrivée  prochaine  de  Go- 
deheu en  ces  termes  :  «  Je  regarde  la  décision  de  la  Compagnie  comme 
un  service  essentiel  qu'elle  me  rend  et  surtout  d'avoir  fait  le  choix  de 
M.  Godeheu  qui  est  le  plus  cher  de  mes  amis,  je  l'allends  avec  impa- 
tience. » 

(2)  D'après  M.  de  Saiiil-Priest,  la  Compagnie  avait  fait  insinuer  à 
Dupleix  de  demander  lui-même  son  rappel,  et  celui-ci  avait  refusé 
à  moins  qu'on  ne  lui  donnât  Bussy  comme  successeur. 


LA    POLITIQUE    DE    PUPLEIX    ET    LES    GUERRES    DE    l'iNDE  ."^77 

annonçait  sans  ambages  à  Dupleix  qu'il  était  chargé  de  lui 
signifier  son  rappel  et  qu'il  devait  quitter  l'Inde  avec  sa  fa- 
mille ;  elle  était  cependant  environnée  de  formes;  Godeheu 
proposait  que  Dupleix  annonçât  lui-même  son  parti  de  re- 
tourner en  France  comme  pris  depuis  longtemps,  il  ajoutait 
qu'il  s'y  prêterait  volontiers  pour  lui  marquer  sa  considéra- 
lion.  Le  second  de  ces  documents  était  un  ordre  royal  révo- 
quant Dupleix  de  ses  fonctions  de  Gouverneur. 

Dupleix  fut  surpris,  plus  sans  doute  de  cette  bizarre  façon 
de  procéder  que  de  ce  qu'il  apprenait.  C'était,  il  est  vrai, 
l'anéanlissemenl  brutal  de  son  œuvre  et  sa  ruine  person- 
nelle ;  en  héros  qu'il  était,  il  s'inclina  en  disant  qu'il  ne  sa- 
vait qu'obéir  au  Roi. 

Godeheu  le  pria  de  réunir  le  Conseil  qui  devait  être  mis 
au  courant  de  ces  événements  ;  l'assemblée  eut  lieu  le  5  août  ; 
Dupleix  annonça  au  milieu  de  l'émotion  générale  «  qu'il 
partait  pour  la  France  et  remettait  le  gouvernement  à  M.  Go- 
deheu ».  Il  termina  par  le  cri  de  *  Vive  le  Roi  !  »,  admirable 
témoignage  du  grand  cœur  qui  l'animait. 

Le  premier  acte  du  nouveau  Gouverneur  fut  de  se  faire 
ouvrir  la  caisse  de  la  Compagnie  ;  elle  était  vide,  et  Dupleix 
qui  l'accompagnait  déclara  «  que  son  crédit  et  les  revenus 
de  la  province  avaient  fourni  aux  frais  de  la  guerre  »  (1). 

Il  fallait  aussi  régler  la  situation  politique  :  Godeheu  avait 
des  ordres  formels  d'arrêter  les  opérations,  de  renoncer  à 
tout  projet  de  conquête  et  de  négocier  avec  les  Anglais  pour 
la  conclusion  d'une  paix  durable  entre  les  deux  Compagnies. 

(i)  Ce  qui  voulait  dire,  et  c'était  en  grande  partie  vrai,  que  ce  n'étaient 
point  les  capitaux  de  la  Compagnie  qui  y  avaient  subvenu  ;  on  a  nié 
que  Dupleix  eût  sacrifié  sa  fortune  personnelle  pour  les  besoins  de 
sa  politique,  mais  l'on  a  reconnu  qu'il  y  employâtes  revenus  qu'il  devait 
à  la  libéralité  du  nabab,  et  même  ceux  que  ses  subordonnés  avaient 
reçus  pour  leur  part. 


378  TiU)isii;.MK  PAirrrE.  —  cum'Ithr  iv 

Il  ne  pouvait  donc  songer  à  envoyer  aucun  renfort  aux  as- 
siégeants de  Trichinopoli  ;  cependant  il  sentait  lui-même  que 
pour  traiter  avec  les  Anglais  il  ne  fallait  pas  être  en  mauvaise 
posture  et  il  envoya  40.000  piastres  à  Maissin.  Son  plan  était 
de  faire  une  apparence  de  guerre  pour  que  la  paix  ne  fût  pas 
trop  désavantageuse.  Puis  il  envoya  un  ofticier  au  gouver- 
neur de  Madras,  Saunders  ;  celui-ci  offrit  aussitôt  une  sus- 
pension d'armes  générale,  et  se  dit  informé  que  les  bases 
d'un  traité  avaient  été  arrêtées  en  Europe.  Godeheu,  qui  devi- 
nait chez  Saunders  une  liaine  profonde  pour  nous  (1), répondit 
qu'il  fallait  faire  d'abord  la  paix  dans  le  Carnatic  avant  de 
régler  la  question  du  Deccan  ;  mais  en  même  temps  il  écrivit 
à  Bussy  pour  lui  exposer  ses  projets  de  pacification  et  le 
pria  de  se  conduire  en  conséquence,  c'est-à-dire  d'abandon- 
ner toute  intervention  au  Deccan  (:2). 

Les  pourparlers  continuèrent;  ils  n'empêchèrent  point 
Saunders  de  faire  des  préparatifs  belliqueux  ;  des  renforts 
étaient  arrivés  aux  Anglais,  qui  eurent  bientôt  5  à  6.000  hom- 
mes, et  leursvaisseaux  de  guerre  paraissaient  souvent  de- 
vant Pondichéry  qu'ils  semblaient  défier.  Godeheu  n'était 
plus  éloigné  maintenant  d'accepler  la  trêve  générale  propo- 
sée par  le  gouverneur  anglais  et  il  ne  voyait  pas  pourquoi 
l'on  refuserait  de  reconnaître  Méhémet-Ali  comme  nabab  du 
Carnatic,  puisqu'il  était  entendu  que  la  Compagnie  ne  gar- 
derait plus  aucune  ambition  sur  les  territoires  indiens.  Les  Di- 
recteurs lui  avaient  donné  la  faculté  de  renoncer  à  Masulipa- 
tam  et  à  Divi,  mais  Godeheu  celle  fois  trouvait  que   c'était 

(1)  Voir  le  journal  tenu  par  Godeheu  en  exécution  des  ordres  du 
miuislre  :  Revue  maritime,  1875.  Le  manuscrit  en  est  conservé  à  la  Bi- 
bliothèque Nationale,  Manuscrits,  Fr.  8993. 

(2)  Le  Duc-(V Orléans,  arrivé  le  30  août,  apporta  à  Godeheu  des  ins- 
tructions conformes  i^  celles  dont  il  étail  dojfi  muni. 


LA    POUTIQUE    DE    DUPLELX    ET    LES    GUERRES    DE    l'iNDE  379 

aller  trop  loin,  il  eslimail  du  moins  nécessaire  que  les  An- 
glais en  retour  renonçassent  à  Coringa  qui  commandait  la 
rivière  de  Yanaon. 

Dupleix  était  encore  à  Pondichéry,  harcelé  par  les  récla- 
mations de  créanciers  surgis  en  foule  au  moment  de  sa  dis- 
grâce et  qui  se  retournaient  ensuite  vers  Godeheu  impuis- 
sant. Mais  Dupleix  ne  bougeait  plus,  ses  relations  avec  Go- 
deheu étaient  rares  et  tendues  et  celui-ci  souhaitait  le  voir 
partir  le  plus  tôt  possible. Enfin,  le  15  octobre, le  grand  homme 
s'embarqua  sur  le  DuccVOrléans  avec  sa  famille  (1)  et  quitta 
celte  terre  indienne, où  il  avait  servi  la  Compagnie  et  la  France 
pendant  trente-lrois  années  consécutives  !  Le  nouveau  Gou- 
verneur eut  du  moins  la  générosité  de  saluer  ce  départ  de  21 
coups  de  canon  (2). 

Triste  fin  d'une  grande  époque  1  l'œuvre  de  Dupleix  était 

(1)  Dupleix  avait  épousé  en  1741  la  veuve  de  son  ami  Vincens,  con- 
seiller à  Pondichéry  :  il  n'eut  qu'un  Bis  qui  mourut  le  jour  de  sa  nais- 
sance en  1742,  mais  Madame  Dupleix  avait  encore  cinq  enfants  vivants 
de  son  premier  mariage.  Madame  Dupleix  est  devenue  un  personnage 
légendaire,  et  les  historiens  de  Dupleix  en  ont  fait  l'auxiliaire  de  la 
politique  de  son  mari  et  en  particulier  son  intermédiaire  auprès  des 
princes  hindous  dont  elle  parlait  la  langue  ;  sous  le  nom  de  Jàn  Begum 
(la  princesse  Jeanne),  elle  aurait  exercé  dans  l'Inde  une  inlluence  con- 
sidérable et  son  rôle  dans  ces  événements  serait  très  grand.  M.  Gultru 
s'est  proposé  de  détruire  celte  tradition,  mais  il  ne  semble  pas  y  avoir 
réussi.  V.  Cultru,  Dupleix,  p.  323,  326. 

(2)  Dupleix  débarqua  à  Lorient  le  21  juin  1755,  et  l'accueil  qu'il  reçut 
en  France  fut  fort  différent  de  celui  qu'il  eût  pu  craindre  :  un  revire- 
ment d'opinion  s'était  produit  en  sa  faveur,  partout  il  fui  fêté,  la  Cour 
elle-même  le  reçut  avec  enthousiasme.  Son  sort,  il  est  vrai,  ne  s'en 
trouva  guère  amélioré  ;  la  légende  de  ses  richesses  avait  trop  circulé 
pour  qu'on  le  crût,  quand  il  se  plaignit  de  son  dénuement;  il  réclama  à 
la  Compagnie  le  remboursement  d'avances  considérables  dont  il  se 
disail  créancier  envers  elle,  mais  on  refusa  d'y  faire  droit  ;  il  demanda 
que  le  litige  fût  tranché  par  le  Parlement,  mais  il  ne  put  l'obtenir,  et 
après  avoir  usé  ses  forces  dans  relie   malheureuse  poursuite,   ses  der- 


380  TROISIKMK    PARTIE.    —    CflAPIinE    IV 

déjà  presque  toute  brisée  ;  Bussy  indio;né  déclarait  qu'il 
voulait  rentrer  aussi  en  France,  et  ce  fut  Dupleix  qui  lui 
montra  que  son  devoir  était  de  resler.  Un  ordre  de  Godeheu 
rappela  Maissin  qui  dut  lever  le  siège  de  Trichinopoli  et 
rentra  à  Pondichéry  ;  les  princes  indiens,  nos  alliés,  étaient 
dans  une  consternation  profonde, Salabel-Singh  était  atterré, 
et  Godeheu  répondait  à  ses  envoyés  :  «  Déclarez  au  soubab 
voire  maître  que  je  suis  envoyé  de  la  part  de  mon  Hoi  qui 
m'a  défendu  de  me  mêler  du  gouvernement  mongol  ;  qu'il  se 
pourvoie  comme  il  lui  plaira  !  »  Les  Mahrattes  avaient  aban- 
donné les  premiers  le  siège  de  Trichinopoli,  le  roi  de  Mysore 
avait  au  dernier  moment  refusé  de  combattre  :  notre  prestige 
était  détruit. 

Tout  à  coup,  un  vaisseau  apporta  de  France  un  paquet  pour 
le  Gouverneur;  Godeheu,  avec  le  plus  grand  élonnement,  se 
vil  recommander  de  garder  Masulipalam  et  Divi,de  conserver 
nos  alliances  avec  les  princes  indigènes,  notre  protectorat 
sur  le  soubab  du  Deccan  ;  on  lui  annonçait  qu'une  escadre 
anglaise  était  partie  chargée  de  troupes  pour  l'Asie,  que  le 
gouvernement  enfin  songeait  à  lui  adresser  des  secours  (1). 

Ces  instructions  avaient  été  rédigées  sous  l'influence  des 
succès  de  Dupleix  qui  avaient  précédé  immédiatement 
l'arrivée  de  Godeheu  :  elles  étaient  une  demi-approbation  de 
la  politique  du  premier,  presque  une  condamnation  de  ce 
qu'avait  fait  jusque-là  le  second.  Cependant  celui-ci  n'avait 

niers  jours  furent  troublés  par  les  clameurs  de  ses  créanciers,  et  il 
mourut  misérablement  (10  novembre  17(53). 

(t)  En  effet,  au  commencement  de  l'année  1754,  il  y  avait  eu  en 
France  un  revirement  d'opinion  général  en  faveur  de  Dupleix  :  le  comte 
de  Lally-Tollendal,  le  maréchal  de  Belle-Ile,  le  marquis  de  Contlans  en 
furent  les  instigateurs  :  M.  de  Mucliault  reconnut  qu'il  avait  été  trop 
vile,  el  la  Compagnie  reçut  l'ordre  d'envoyer  à  Godeheu  des  instruc- 
tions nouvelles. 


LA    POUT[QUE    DE    DUPLEIX    ET    LES    GIEKRES    DE    l'iNDE  381 

fait  que  ce  dont  il  avait  été  expressément  chargé  ;  on  voulait 
la  paix,  il  l'avait  préparée  ;  on  revenait  maintenant  en  arrière, 
hélas,  il  était  trop  tard  !  Godeheu  se  convainquit  que  la 
Compagnie  n'entendait  rien  à  ce  qui  se  passait  si  loin  d'elle 
et  que  ses  ordres  arrivaient  toujours  à  contretemps.  Il  fit  ce 
qu'on  avait  tant  reproché  à  Dupleix,  et,  laissant  de  côté  ces 
instructions  contradictoires,  il  obéit  à  sa  propre  inspiration 
<  dans  l'intention,  disait-il,  de  soumettre  plus  tard  sa  façon 
de  penser  au  jugement  de  la  Compagnie  ». 

Il  acheva  donc  les  pourparlers  ;  Saunders  avait  envoyé  à 
Sadras,  où  ils  se  tenaient, ses  propositions  de  traité  :  les  Com- 
pagnies déclareraient  renoncer  désormais  à  se  mêler  aux 
différends  des  princes  indigènes  et  à  se  revêtir  de  leurs  di- 
gnités; toutes  les  places  acquises  dans  les  guerres  précé- 
dentes seraient  rendues  à  ces  princes,  à  l'exception  de  celles 
que  mentionnerait  le  traité,  c'est-à-dire  pour  les  Anglais 
Madras,  le  fort  Saint-David  et  Divicotla  ;  pour  les  Français 
Karikal  et  un  territoire  à  déterminer  ultérieurement  pour 
compenser  la  moindre  importance  de  cette  ville  par  rapport 
à  Divicotta  ;  Masulipalam  et  Divi  seraient  indivis  entre  les 
deux  Compagnies. 

Godeheu  ne  vit  aucun  des  pièges  contenus  dans  ces  pro- 
positions insidieuses  ;  la  paix  était  au  bout  et  par  suite  la 
reprise  des  opérations  commerciales,  c'était  suffisant;  il 
accepta  et  le  traité  de  Sadras  fut  conclu  sur  ces  bases,  le 
26  décembre  1754.  Que  de  sanglantes  injures  il  contenait 
cependant  !  tout  paraissait  y  être  subordonné  à  la  conscien- 
cieuse recherche  de  la  balance  égale  entre  les  deux  Compa- 
gnies ;  en  réalité,  c'était  sur  notre  part  qu'on  retranchait  tout 
ce  qui  manquait  à  la  Compagnie  anglaise  pour  obtenir  ce 
résultat  !  Nous  avions  eu  tout  le  Carnatic  :  nous  n'y  gardions 
plus  que  Pondichéry  et  Knrikal;  Masulipalam  et  Divi  qui 


382  TIIOISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

étaient  à  nous  devenaient  indivis  ;  les  Anglais  acquéraient 
l'importante  place  de  Divicolta,  et  par  une  perfide  apparence 
de  compensations  on  nous  offrait  un  territoire  près  deNizam- 
patnam,  alors  que  non  seulement  ce  district  mais  tout  le 
pays  environnant  nous  appartenait  déjà  I 

Tout  y  était  donc  un  triomphe  pour  les  Anglais,  une  injure 
pour  nous  :  nous  perdions  nos  conquêtes,  nos  alliés,  notre 
influence,  notre  prestige  ;  les  Anglais  ne  perdaient  rien  des 
uns  et  acquéraient  les  autres  ! 

Voilà  ce  que  décida  Godeheu,  mais  il  n'en  était  pas  res- 
ponsable, car  il  obéissait  à  un  mol  d'ordre  dont  il  faut  cher- 
cher plus  haut  l'origine. 

Fort  heureusement,  hâtons-nous  de  l'ajouter,  rien  de  tout 
cela  n'eut  lieu;  le  traité  ne  pouvait  être  appliqué  qu'après 
ratification  des  deux  Compagnies  intéressées;  or  la  guerre 
de  Sept  Ans  qui  s'ouvrait  au  moment  où  elles  en  reçurent  les 
clauses,  en  empêcha  l'exécution  :  le  statu  quo  fut  maintenu, 
le  traité  demeura  lettre  morte.  L'affront  restait  cependant,  et 
de  prochains  désastres  allaient  d'ailleurs  nous  dépouiller 
plus  durement  encore  que  la  convention  stupide  qui  liqui- 
dait ainsi  l'héritage  de  Dupleix  ! 


CHAPITRE  V 

LE  GOUVERNEMENT    ROYAL,  LA  COMPAGNIE  ET  LES 
AFFAIRES  DE  l'iNDE. 


Premières  difficultés  sous  les  gouvernements  de  Lenoir  et  de  Dumas; 
l'acquisition  de  Mahé  et  de  Karikal.  — Désastreux  effets  de  la  guerre 
de  Succession  d'Autriche  sur  le  commerce  de  la  Compagnie  :  pertes 
maritimes,  attaque  de  Lorient.  —  La  politique  de  Dupleixest  incom- 
prise. —  Accord  conclu  avec  la  Compagnie  anglaise.  —  La  mission 
de  Godeheu  ;  parts  respectivement  prises  par  le  gouvernement  royal 
et  la  Compagnie  à  la  chute  de  Dupleix  et  la  ruine  de  son  œuvre. 


Nous  avons  cru  devoir  conserver  aux  graves  événements, 
dont  l'Inde  fut  le  théâtre  dans  le  deuxième  quart  du  xviii^  siè- 
cle, tout  l'intérêt  qu'ils  méritent,  les  présenter  sans  solution 
de  continuité.  Leur  intellio;ence  est  ainsi  plus  parfaite  et  les 
multiples  détails  si  difficiles  à  saisir  qui  les  accompagnent 
ne  perdent  point  leur  valeur  accessoire.  Il  faut  maintenant 
que  nous  retournions  en  France,  et  qu'après  avoir  assisté  aux 
destinées  de  la  Compagnie  en  Asie  nous  revenions  la  trouver 
à  Paris.  Nous  aurons  ainsi  l'avantage  de  comprendre  l'œuvre 
et  le  plan  de  Dupleix  tout  en  suivant  les  effets  de  ces  événe- 
ments sur  la  Compagnie  elle-même. 

Depuis  que  celle-ci  avait  été  délivrée  du  lourd  fardeau 
laissé  sur  ses  épaules  par  le  Système,  c'est-à-dire  depuis  1725, 
elle  avait  poursuivi  son  organisation  commerciale  et  finan- 
cière avec  suite  et  avec  succès.  En  s'affrancliissant  de  la 
charge  de  la  Louisiane  et  de  la  Barbarie  dont  l'entretien  était 


384 


THOISIEME    PAirriE.    CIIAI'ITHE    V 


plus  onéreux  que  les  profils  n'en  étaient  grands,  elle  facilita 
son  expansion  coloniale  en  Asie.  L'administration  du  com- 
missaire Orry  de  Fulvy,  quoique  très  despotique,  fui  pour 
elle  très  profitable  ;  ses  bilans  démontraient  une  augmenta- 
tion lente  mais  continue  de  ses  capitaux  et  de  son  commerce  ; 
les  actionnaires  voyaient  leurs  dividendes  se  maintenir  à  un 
taux  satisfaisant  et  se  consolaient  par  là  du  peu  de  part 
qu'ils  avaient  à  ses  affaires  :  enfin  la  politique  pacifique  du 
gouvernement  royal  promettait  une  longue  durée  à  celte  pé- 
riode de  prospérité. 

Les  premières  inquiétudes  qui  vinrent  assombrir  cette  si- 
tuation furent  provoquées  par  la  création  du  comptoir  de 
Mahé  par  M.  Beauvallier  de  Courchant.  On  sut  tout  d'abord 
en  apprécier  l'utilité,  car  nous  n'avions  plus  rien  alors  sur  la 
côte  de  Malabar  ;  mais  quand  on  apprit  les  difficultés  qui 
avaient  accompagné  celle  acquisition,  l'allaque  par  les  indi- 
gènes et  par  les  Anglais  heureusement  déjouée  par  l'inler- 
venlion  de  M.  de  Pardaillan,  la  mise  en  état  de  défense  de 
de  notre  nouvelle  conquête  que  ces  difficultés  avaient  rendue 
nécessaire,  on  ne  vit  plus  dans  cette  entreprise  que  les  dé- 
penses qu'elle  entraînerait  et  l'accueil  de  la  Compagnie  en 
fut  sensiblement  refroidi.  Lenoir  défendit  énergiquement 
l'œuvre  de  M,  de  Courchant,  mais  ce  ne  fut  pas  sans  peine 
qu'il  triompha  et  réussit  à  faire  approuver  par  les  Directeurs 
les  dépenses  qui  les  avaient  effrayés, 

La  politique  inaugurée  par  Dumas  vint,  quelques  années 
plus  tard,  leur  apporter  de  nouvelles  appréhensions  ;  on  crai- 
gnit encore  de  voir  apparaître  des  dépenses  excessives  qui 
compromettraient  l'équilibre  financier  si  soigneusement  mé- 
nagé. Cependant  on  accueillit  avec  faveur  la  cession  de 
Karikal  dont  cette  politique  fut  l'origine,  car  de  celle  acqui- 
sition l'on  pouvait   alleiuire  de  bons  résultats  et  l'on  n'avait 


LE   GOUVERNEMENT,    LA   COMPAGNIE    ET    l'iNDE  385 

pas  eu  besoin  de  faire  les  sacrifices  que  l'on  redoulail,  aussi 
fut-elle  encore  approuvée  (1739).  Puis  Dupleix  succéda  à 
Dumas  et  ce  dernier  vint  prendre  place  au  Conseil  des  Direc- 
teurs ;  à  ce  moment  se  faisaient  les  préparatifs  d'une  guerre 
nouvelle  (1740),  mais  ils  n'alarmèrent  point  d'abord  la  Com- 
pagnie, à  qui  il  importait  peu  que  le  Roi  fût  en  conflit  avec 
l'Autriche,  puisque  la  mer  resterait  étrangère  à  ces  hostilités. 
Il  fallut  bientôt  renoncer  à  cette  confiance  prématurée,  caria 
guerre  était  à  peine  ouverte  qu'on  y  prévit  l'intervention  de 
l'Angleterre  et  qu'on  dut  songer,  non  sans  effroi,  aux  consé- 
quences que  cet  événement  comporterait.  Cette  fois  la  menace 
était  directe  pour  la  Compagnie  !  La  Bourdonnais,  qui  était 
alors  en  France,  fit  approuver  par  le  Contrôleur  Général  Orry 
et  le  Commissaire  Fulvy  un  projet  de  faire  la  chasse  aux 
navires  de  commerce  anglais  (1),  et  ceux-ci  déterminèrent 
la  Compagnie  à  lui  confier  cinq  navires  armés  en  guerre, 
avec  lesquels  il  fit  voile  pour  son  gouvernement.  Cependant 
l'ouverture  des  hostilités,  dont  l'imminence  paralysait  la 
Compagnie,  se  fit  attendre  fort  longtemps,  et  les  deux  années 
suivantes  se  passèrent  sans  qu'elle  se  fût  produite,  bien  que 
l'atmosphère  politique  devînt  de  plus  en  plus  lourde.  L'es- 
cadre de  La  Bourdonnais,  qui  n'avait  pu  servir  qu'à  délivrer 
Mahé,  avait  coûté  fort  cher  et  avait  dû  se  disperser  sans 
remplir  son  rôle,  aussi  la  Compagnie  s'alarma-t-elledes  pré- 
paratifs de  défense  faits  par  Dupleix  à  Pondichéry,  qui,  tout 
en  répondant  fort  bien  aux  secrètes  appréhensions  des  Di- 
recteurs, risquaient  à  leurs  yeux  de  n'être  pas  moins  inutiles, 
et  pouvaient  paraître  d'ailleurs  une  provocation   de  notre 


(1)  Godeheu   prétendra   plus    tard  que  M.  de  Fulvy  était  de  moitié 

dans  les  profits  que   La   Bourdonnais  devait  faire  au  cours  de  cette 

campagne  (Cultru). 

w.  -  25 


386  TROISIÈME    PARTIE.    —   CHAPITRE    V 

part  ;   on   lui  manda  donc  d'arrêter  tous  ses  travaux  et  de 
réduire  les  dépenses  de  son  gouvernement. 

Il  fallut  bien  reconnaître  qu'on  s'élaif   trop  pressé  de  re- 
prendre espoir,  quand  le  gouvernement  royal  se  fut  décidé 
enfin  à  déclarer  la  guerre  (mars  1 744).  La  Compagnie  trembla  : 
la  guerre  maritime,  c'était  l'insécurité  des  mers  dont  depuis 
si  longtemps  nous  avions  perdu  la  crainte  ;  c'était  l'arrêt  de 
son  commerce,  la  porte  ouverte  aux  déficits;  c'avait  été  la 
ruine  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales,  pareil  sort  était 
peut-être   réservé  à  son  héritière  !  On  ne  perdit  point  cepen- 
dant toute  espérance  :  l'idée  qu'une  convention  de  neutralité 
pouvait  être  conclue  avec  la  Compagnie  anglaise  germa  et 
fut  accueillie  avec  joie  ;  aussitôt  l'on  songea  à  envoyer  à  La 
Bourdonnais  l'ordre  de  ne  pas  entamer  d'hostilités  contre  les 
navires  anglais,  et  à  Dupleix  celui  d'ouvrir  avec  Morse  des 
négociations.  On  a  vu  que  celui-ci,  qui  ne  croyait  point  à  leur 
réussite,  s'y  soumit  cependant,  et  que,  malgré  Morse,  la  Com- 
pagnie anglaise  accepta  devant  l'attitude  menaçante  du  na- 
bab du  Carnatic.  Les  espérances  des  Directeurs  parisiens 
semblèrent  ainsi  se  confirmer  pleinement,  mais  on  ne  sul 
point  que  Dupleix,  la  convention  conclue,  avait  prudemment 
continué  ses  fortifications  et  fait  savoir  à  La  Bourdonnais 
qu'il  comptait  sur  son  appui  !  Les  événements  lui  donnèrent 
raison  ;  bientôt  la  nouvelle  arriva  que  le  commodore  Barnett, 
dont  l'envoi  en  Asie  avait  été  décidé  à  Londres  dès  le  départ 
de  La  Bourdonnais,  s'était  emparé  de  cinq  navires  de  la  Com- 
pagnie, tous  richement  chargés  !  Ce  désastre  atterra  les  Di- 
recteurs ;  ils  se  résignèrent  à  se  défendre  et  la  frégate  \ Ex- 
pédition porla  à  La  Bourdonnais  la  nouvelle  qu'une  escadre 
allait  lui  être  envoyée.  Celle-ci  fut  en  effet  armée  à  Lorient 
et  partit  au  milieu  de  l'année  1745  :  c'est  avec  elle  que  La 
Bourdoiiii;iis  fil  voile  pour  Pondichéry,  où  il  se  trouva  en 
présence  de  Dupleix. 


LE    GOUVERNEMENT,    LA    COMPAGNIE   ET    l'inDE  387 

Les  événements  qui  suivirent  nous  sont  déjà  connus, 
mais  c'est  à  Paris  que  nous  devons  en  ciiercher  la  cause  et 
l'explication,  car  c'est  au  gouvernement  de  Louis  XV  qu'en 
remonte  la  responsabilité. 

Le  ministère  de  la  marine  avait  alors  pour  titulaire  M.  de 
Maurepas  ;  au  contrôle  des  finances  se  trouvait  encore 
M.  Orry.  Ce  fut  entre  ces  deux  ministres  que  fut  décidée  la 
conduite  à  tenir  par  La  Bourdonnais,  et  Orry  lui  mandait  à  la 
date  du  7  mars  1744,  après  lui  avoir  donné  ses  instructions  : 
«  Je  n'ai  pas  instruit  la  Compagnie  de  ce  dont  je  suis  conve- 
nu avec  M.  de  Maurepas  ;  ainsi  vous  vous  conformerez  exac- 
tement à  ce  que  je  vous  ai  marqué,  quoique  vous  puissiez 
avoir  d'autres  ordres  de  la  Compagnie  »  ;etil  ajoutait  un  peu 
plus  tard  qu'il  devait  donner  avis  de  ses  résolutions  à  Dupleix 
et  avoir  pour  lui  les  égards  qui  convenaient  à  sa  situation,  que 
Dupleix  recevrait  lui-même  les  ordres  les  plus  précis  pour  le 
seconder  (1).  Quand  La  Bourdonnais  arriva  à  Pondichéry,  sa 
situation  était  confuse  ;  officier  de  la  Compagnie,  mais  aussi 
officier  de  la  marine  royale,  il  avait  été  investi  directement 
par  le  gouvernement  d'un  commandement  très  important  et 

(1)  M.  Cultru  s'est  attaché  à  prouver  que  le  gouvernemeni  royal  ne 
connut  point  le  projet  d'expe'dition  contre  Madras  qu'avaient  formé 
Dupleix  et  La  Bourdonnais,  et  qu'en  envoyant  à  ce  dernier  une  escadre 
en  1745  il  ne  pouvait  supposer  que  les  deux  gouverneurs  dussent  se 
trouver  en  présence  et  par  suite  en  conflit.  La  Bourdonnais  devait 
faire  la  chasse  aux  navires  anglais,  Dupleix  devait  l'assister  en  cas  de 
besoin,  sans  avoir  à  intervenir  dans  une  campagne  qui  se  passerait  en 
dehors  de  son  gouvernement.  Là  devrait  être  cherchée  en  effet  l'excuse 
du  gouvernement  de  Louis  XV,  s'il  pouvait  en  exister  une  ;  l'on  serait 
en  tous  cas  en  droit  de  le  taxer  d'imprévoyance  ;  mais  il  paraît  bien 
improbable  qu'il  n'eût  point  été  mis  au  courant  du  projet  contre 
Madras,  soit  par  La  Bourdonnais  lui-même  lorsque  se  préparait  sa 
première  expédition  en  1741,  soit  par  Dumas  qui  le  connaissait  cer- 
tainement, et  par  suite  cette  imprévoyance  nous  paraît  inexcusable. 


38Ô  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    V 

devait  se  conformer  à  ses  ordres,  quelque  contraires  que 
fussent  ceux  de  la  Compagnie.  On  ne  lui  disait  pas  de  se 
mettre  à  la  disposition  de  Dupleix,  mais  d'avoir  pour  lui  des 
égards  ;  bien  plus,  le  ministre  avait  mandé  à  Dupleix  de  se- 
conder La  Bourdonnais  !  Celui-ci  pouvait  donc  se  considérer 
comme  le  chef  de  nos  opérations  militaires  en  Asie,  investi 
d'une  autorité  sans  limites  :  il  était  en  outre  gouverneur 
comme  Dupleix  et  par  conséquent  son  égal,  et  il  avait  même 
sur  lui  l'avantage  de  l'ancieriïiaté  de  ses  services.  Il  faut  enfin 
ajouter  que  La  Bourdonnais  joignait  à  d'éminentes  qualités 
d'homme  de  mer  et  d'organisateur  un  caractère  entier, 
brouillon  et  obstiné. 

Dupleix  ignorait  les  instructions  reçues  par  l'amiral  ;  il 
était  gouverneur  général  de  l'Inde,  la  Compagnie  lui  envoyait 
La  Bourdonnais  pour  l'aider  à  la  défendre,  il  était  dans  son 
droit  de  se  croire  investi  de  l'autorité  suprême  et  de  voir  en 
La  Bourdonnais  le  premier  de  ses  subordonnés.  Dupleix 
unissait  à  une  haute  intelligence  et  à  des  qualités  de  premier 
ordre  une  volonté  de  fer,  un  orgueil  indomptable,  une  suscep- 
tibilité facilement  irritable.  11  avait  reçu  de  son  long  séjour 
dans  l'Inde  l'empreinte  du  caractère  indigène  ;  si  les  ruses, les 
perfidies,  la  science  de  la  dissimulation,  l'absence  de  scru- 
pules des  princes  hindous  n'avaient  pas  de  secrets  pour  lui, 
il  leur  avait  emprunté  plus  d'un  de  ces  caractères  dislinctifs. 
Enfin  le  poste  qu'il  occupait  l'avait  habitué  à  une  autorité 
absolue,  où  ses  qualités  comme  ses  défauts  pouvaient  se 
donner  libre  carrière  :  tout  pliait  devant  sa  décision,  c'était 
plus  qu'un  gouverneur  de  comptoirs,  c'était  un  vice-roi. 

Voilà  les  deux  hommes  que  l'on  mit  en  présence  avec  des 
instructions  nullement  définies,  même  contradictoires.  Du- 
pleix ni!  pouvait  souffrir  que  l'amiral  se  crût  son  égal  et  il 
avait  raison  ;  La  Bourdonnais  ne  devait  pas  supporter  que 


LE    GOUVERNEMENT,     LA    COMPAGNIE    ET    l'iNDE  389 

€  ce  marchand  »  se  crût  son  supérieur  et  celte  conviction 
n'était  pas  sans  motifs.  C'est  bien  sur  le  gouvernement  de 
Louis  XV,  sur  Maurepas  et  sur  Orry  que  tombe  la  responsa- 
bilité de  leur  rivalité  et  du  désastre  qui  en  fut  la  conséquence  ! 
Pendant  que  les  possessions  asiatiques  de  la  Compagnie 
étaient  livrées  à  l'attaque  des  forces  anglaises,  la  guerre  se 
poursuivait  en  Europe.  Les  escadres  ennemies  bloquaient 
Brest  et  Toulon,  et  bombardaient  Anlibes  ;  la  Compagnie  ne 
fut  pas  épargnée,  bien  entendu,  car  le  gouvernement  anglais 
avait  trop  d'intérêt  à  sa  ruine.  En  juin  17^5,  l'amiral  Warren 
s'emparait  de  Louisbourg,  la  forteresse  de  l'île  du  Cap-Bre- 
ton en  Acadie  :  deux  vaisseaux  de  la  Compagnie,  ignorants 
de  cet  événement,  vinrent  se  livrer  sans  méfiance  au  vain- 
queur (1).  L'année  suivante,  Lorient  lui-même  fut  l'objet  d'un 
coup  de  main  direct  ;  l'amiral  Lestock  vint  avec  neuf  vais- 
seaux et  six  frégates  débarquer  dans  la  baie  du  Pouldu  les 
5.000  hommes  du  général  Synclair  (2)  ;  Lorient  était  entouré 
d'un  simple  mur  d'enceinte,  il  n'empêcha  pas  les  Anglais 
d'ouvrir  le  feu  contre  la  ville  ;  la  municipalité  et  la  direction 
de  la  Compagnie  effrayées  envoyèrent  un  parlementaire  offrir 
une  rançon  de  300.000  livres  qui  fut  refusée,  et  les  assié- 
geants furent  bientôt  sous  les  murs  mêmes  de  la  place.  A  ce 
moment  Synclair  reçut  de  Lestock  l'avis  que  le  vent  avait 
changé  et  le  forçait  à  regagner  la  large  ;  le  général,  menacé 
d'être  privé  de  son  point  d'appui,  battit  en  retraite  et  se  rem- 
barqua sans  être  inquiété.  Lorient  apprit  avec  un  joyeux 

(1)  D'après  Voltaire,  ces  vaisseaux  et  un  troisième,  étranger  à  la 
Compagnie  et  qui  subit  le  même  sort,  procurèrent  aux  Anglais  un  butin 
de  25  millions  {Pr'Icis  du  Siècle  de  Louis  XV). 

(2)  Les  Anglais  jugèrent  trop  difficile  d'enlever  la  rade  de  Lorient, 
étroite  et  assez  bien  défendue,  mais  ils  comptaient  prendre  la  ville  à 
revers  et  peu  s'en  fallut  qu'ils  ne  réussissent. 


390  TROISIÈME    PARTIE.     —   CHAPITRE    V 

élonnement  sa  délivrance  et  en  célèbre  encore  solennelle- 
ment l'anniversaire  (1).  La  Compagnie  cependant  n'était  pas 
encore  au  bout  de  ses  peines  ;  elle  armait  à  ce  moment  sept 
de  ses  vaisseaux  et  trois  bàlimenls  affrétés  dans  le  port  de 
Lorient,  et  avait  obtenu  pour  eux  du  gouvernement  royal 
la  promesse  d'une  escorte.  Cette  flotte  partit  le  i21  mars  1747 
et,  après  un  long  séjour  sous  l'île  d'Aix,  prit  le  large  le  10  mai 
sous  la  protection  de  la  division  de  5  bâtiments  de  M.  de  la 
Jonquière.  Le  14,  à  la  hauteur  du  cap  Finistère,  on  fut  atta- 
qué par  l'escadre  anglaise  de  l'amiral  Anson  qui  comptait 
16  navires.  La  Jonquière  se  défendit  vaillamment  et  réussit  à 
sauver  une  partie  de  son  convoi,  niais  il  dut  lui-même  se 
rendre  avec  son  vaisseau  le  Sérieux  et  son  second,  le  cheva- 
lier de  Saint-Georges,  eut  le  même  sort  avec  V/nvincible  ; 
trois  bâtiments  de  la  Compagnie  :  le  Philibert,  Y  Apollon,  et 
la  Thétis  furent  malheureusement  capturés  aussi  ! 

Le  25  octobre  1747,  au  large  de  Belle-Ue,  M.  de  l'Estanduère 
convoyait  dans  les  mêmes  conditions  avec  huit  vaisseaux  de 
guerre  une   importante  flotte  de  commerce:  lui  aussi   fut 

(1)  On  raconte  qu'au  moment  où  les  Anglais  s'en  retournaient,  la 
municipalité  faisait  ouvrir  la  porte  de  la  ville  pour  leur  en  porter  les 
clefs.  On  dit  aussi  que  le  commandant  de  la  milice  bourgeoise  qui  con- 
courait à  la  défense,  prévenu  de  l'imminence  de  la  capitulation,  donna 
l'ordre  de  battre  la  »  Gtiamade  »,  mais  que  ses  tambours,  peu  familiarisés 
avec  leur  métier,  ballireut  la  «  Générale  >» .  Synclair,  croyant  avoir  affaire 
à  une  sortie  vigoureuse  au  moment  où  Leslock  lui  mandait  son  départ^ 
se  troubla  et  fit  ordonner  la  retraite.  Jobez,  La  France  sous  Louis  .W, 
t.  IV.  Il  paraît  certain  que  les  Anglais  se  retirèrent  précipitamment. 
Un  récit  fort  curieux  de  cet  épisode  de  la  guerre  de  Succession  d'Au- 
triche, conservé  aux  archives  municipales  de  Lorient,  dit  notamment  que  : 
«  n'ayant  pu  réussir  ni  par  le  canon  ni  par  les  bombes  et  craignant  un 
grand  nombre  de  peuple  qui  s'était  assemblé  dans  la  ville,  ils  laissèrent 
là  leurs  quatre  canons  cl  leur  mortier  et  se  retirèrent  dans  leurs  bâ- 
timents. » 


LE   GOUVERNEMENT,    LA    COMPAGNIE    ET    l'inDE  391 

attaqué  par  l'escadre  de  l'amiral  Hawke,  mais  s'il  perdit  plu- 
sieurs de  ses  vaisseaux,  le  convoi  s'échappa,  et  le  vaisseau  de 
la  Compagnie  le  Content,  qui  en  faisait  partie,  partagea  cet 
heureux  sort  (1). 

Enfin,  à  la  nouvelle  du  départ  do  l'amiral  Boscawen  pour 
les  Indes  en  novembre  de  cette  même  année,  le  gouverne- 
ment royal  résolut  d'envoyer  en  Asie  six  vaisseaux  de  guerre 
sous  le  commandement  de  M.  d'Albert,  et  la  Compagnie 
joignit  à  cette  escadre  huit  vaisseaux  et  quatre  frégates  ; 
hélas  !  on  n'alla  pas  loin.  L'inévitable  rencontre  se  produisit 
et  nous  fut  encore  défavorable;  deux  vaisseaux  du  Roi  furent 
pris,  et  la  Compagnie  en  compta  six  capturés  et  un  échoué  ! 

La  dernière  menace,  terrible  celle-là,  qu'elle  vit  se  dresser 
contre  elle,  fut  cette  même  expédition  de  Boscawen  préparée 
de  concert  parlecabinet  de  Londres  et  la  Compagnie  anglaise. 
Pondichéry  était  directement  menacé  et  c'était  pour  nos 
comptoirs  privés  de  toute  flotte,  sans  argent  et  sans  troupes 
suffisantes,  le  gage  d'une  destruction  prochaine!  Les  Direc- 
teurs furent  atterrés  ;  ils  envoyèrent  celte  nouvelle  à  Dupleix 
à  temps  pour  qu'il  pût  se  préparer,  mais  la  Compagnie 
était  à  bout  de  ressources,  on  avait  dû  déjà  emprunter  de 
grosses  sommes  pour  faire  face  aux  précédentes  dépenses  et 
l'Etat  qui  eût  dû  lui  venir  en  aide  en  cette  circonstance, 
comme  le  gouvernement  anglais  le  faisait  pour  sa  Compa- 
gnie, se  déclara  incapable  de  la  secourir  ! 

Aussi,  lorsque  cinq  mois  après,  le  traité  d'Aix-la-Chapelle 
rendit  la  paix  à  la  France  et  la  sécurité  aux  mers  d'Europe, 
la  Compagnie  l'accueillit-elle  avec  un  immense  et  bien  com- 
préhensible soulagement  ;  elle  était  particulièrement  frappée 

(1)  M.  de  Ijestanduère  ne  put  sauver  que  deux  vaisseaux  de  son 
escadre,  le  Tonnant  et  X Intrépide  ;  quant  à  l'amiral  anglais,  il  passa 
devant  une  Cour  martiale,  pour  avoir  laissé  échapper  le  convoi. 


392  TROrSlfcME    PARTIE.    CHAPITRE    V 

cependant,  puisqu'elle  rendait  Madras  ;  mais  elle  ne  voulut 
pas  voir  le  côté  politique  de  ce  dénouement,  pour  n'en  con- 
sidérer que  les  résultats  commerciaux  et  financiers  ;  les  coû- 
teuses dépenses  de  la  guerre  prenaient  fin,  comme  la  terri- 
ble hécatombe  de  ses  vaisseaux,  Pondichéry  était  sorti  in- 
demne d'un  orage  terrible,  la  stagnation  des  affaires  allait 
cesser,  les  opérations  commerciales  reprendre  l'essor  que 
cette  guerre  avait  suspendu  I 

Ce  ne  fut  donc  point  sans  une  profonde  surprise  que  l'on 
apprit  au  début  de  l'année  1750  que  les  hostilités  n'avaient 
nullement  cessé  dans  l'Inde  :  on  ignorait  complètement  l'élal 
de  ce  pays,  on  le  négligeait  même  volontairement  pour  ne 
s'occuper  que  de  la  Compagnie  anglaise.  Or,  on  avait  rendu 
à  celle-ci  Madras,  on  était  en  paix,  et  l'on  apprenait  que  Du- 
pleix  s'engageait  dans  d'interminables  luîtes  contre  les  na- 
babs I  Ce  seraient  là  des  dépenses  nouvelles  et  combien  inu- 
tiles, alors  que  ses  efforts  eussent  dû  se  porter  uniquement 
sur  le  développement  commercial  de  son  gouvernement! 
Dumas  fut  en  cette  circonstance  l'avocat  de  son  successeur  ; 
sa  voix  autorisée  était  volontiers  écoutée,  il  tenta  de  donner 
à  ses  collègues  l'intelligence  des  choses  de  l'Inde  et  de  les 
convaincre  que  la  conduite  tenue  par  Dupleix  devait  accroître 
la  puissance  et  la  richesse  de  la  Compagnie.  Pour  cette  fois 
il  l'emporta,  et  à  regret  l'on  se  résigna  à  accepter  les  faits 
accomplis.  Bientôt  la  nouvelle  donnée  par  Dupleix  de  l'ac- 
quisition de  Villenur  et  de  44  aidées  cédées  par  Chanda- 
Sahib  dérida  complètement  le  front  des  Directeurs.  «  C'est, 
Monsieur,  lui  fut-il  écrit,  terminer  avec  autant  d'utilité  que 
de  gloire  des  faits  qui  rendront  pour  jamais  le  nom  français 
respecté  dans  tout  l'Orient  »  (1). 

(1)  Lettre  de  la  Compagnie,  31  mars  1750. 


LE    GOUVERNEMENT,    LA    COMPAGNIE   ET    l'iNDE  393 

Cependant  les  navires  qui  arrivèrent  de  l'Inde  au  cours 
des  années  suivantes  apportèrent  les  nouvelles  les  plus 
étranges  et  les  plus  contradictoires.  On  apprit  qu'on  n'était 
pas  seulement  aux  prises  avec  les  Hindous,  mais  avec  les 
Ano:lais  eux-mêmes  ;  puis  ce  furent  des  victoires  incroyables  : 
la  prise  de  Gingi,  la  conquête  du  Carnatic,  celle  du  Deccan  ; 
Dupleix  célébrait  à  Pondicliéry  des  fêtes  oii  il  se  déguisait 
en  nabab,  recevait  l'investiture  de  toute  l'Inde  méridionale, 
couronnait  des  rois  ;  un  obscur  officier,  Bussy,  vivait  dans  le 
Deccan  avec  un  faste  étrange,  trônait  dans  une  tente  où 
600  personnes  tenaient  à  l'aise,  l'or  coulait  à  flots  à  Pondi- 
chéry,  on  se  distribuait  des  territoires  grands  comme  des 
provinces  françaises  !  puis  tout  à  coup  à  ces  récits  de  succès 
fabuleux  succéda  la  nouvelle  du  désastre  de  Trichinopoli  : 
800  Français  prisonniers,  40  canons  livrés  aux  Anglais  ! 

Aux  annonces  des  premiers  faits  de  guerre,  les  Directeurs 
s'étonnèrent  :  que  faisait  donc  là  ce  gouverneur?  Il  ne  pou- 
vait à  la  fois  «jouer  au  nabab  »  (1)  et  s'occuper  sérieusement 
des  intérêts  commerciaux  de  la  Compagnie,  et  l'on  s'empressa 
d'écrire  à  Dupleix  «  que  l'on  attendait  avec  la  plus  grande 
impatience  d'apprendre  que  la  paix  était  rétablie  sur  la  côte 
de  Coromandel  ». 

Par  malheur  pour  Dupleix,  Dumas  venait  de  mourir  et 
avec  lui  disparaissait  son  seul  appui  auprès  des  Directeurs  ; 
La  Bourdonnais,  enfin  sorti  de  la  Bastille,  ternissait  sa  gloire 
en  calomniant  son  rival  de  Madras.  On  consentit  cependant 


(1)  Chanda-Satiib,  nabab  du  Carnatic,  ëtanl  mort  assassiné  le  8  octo- 
bre 1752,  Dupleix  qui  avait  reçu  l'investiture  de  cette  charge  pour  lui 
et  ses  successeurs,  songea  quelque  temps  à  se  proclamer  lui-même 
nabab  ;  il  y  renonça  sur  les  conseils  de  Bussy  qui  lui  représenta  «  qu'il 
voulait  cueillir  un  fruit  qui  n'était  pas  mijr  »,  et  il  désigna  Mortiz-Ali- 
Kan,  nabab  de  Vellore. 


394  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    V 

à  faire  un  dernier  effort  :  le  Bourbon  el  le  Cenlaure  emporlè- 
renl  500  hotnmes  ;  puis  co  fui  le  Prince  qui  quitla  Lorienl, 
emmenant  le  brave  La  Touche  et  700  hommes  que  Dupleix, 
hélas,  ne  devait  jamais  voir  débarquer  (1)  !  Mais  les  Direc- 
teurs lui  notifièrent  qu'il  ne  devail  plus  rien  attendre  d'eux: 
«  Nous  craignons,  lui  écrivirent-ils,  tout  ce  qui  pourrait 
aguerrir  les  naturels  du  pays.  Y  a-t-il  quelque  chose  de  plus 
capable  de  les  discipliner  que  d'avoir  toujours  sous  les  yeux 
un  corps  de  troupes....;  une  fois  aguerris  ne  deviendraient-ils 
pas  nos  maîtres?  Il  est  lemps  de  borner  l'étendue  de  nos 
concessions  dans  l'Inde.  La  Compagnie  craint  toute  augmen- 
tation de  domaine.  Son  objet  n'est  pas  de  devenir  une  puis- 
sance de  terre,  le  parti  que  nous  devons  prendre  est  celui 
d'une  exacte  neutralité.  Se  lier  avec  Muzaffer-Singh  el  Chanda- 
Sahib  dans  des  engagements  ultérieurs,  ce  serait  s'exposer  à 
servir  leur  ambition  et  à  perpétuer  dans  l'Inde  des  troubles 
qui  ne  pourraient  jamais  manquer  d'être  funestes  à  notre  com- 
merce. Un  revers  seul  peut  suffire  pour  nous  faire  perdre  la 
supériorité  que  nous  avons  acquise,  et  vous  avez  pu  voir  par 
les  dernières  lettres,  tant  du  ministre  que  de  la  Compagnie, 
qu'une  paix  solide  et  durable  était  le  seul  but  où  vous  deviez 
tendre,  en  écartant  avec  soin  tout  ce  qui  sérail  capable  de  la 
troubler  (2).  » 

En  outre,  on  lui  refusa  le  droit  de  faire  sortir  les  troupes 
qu'il  avait  de  nos  concessions  hors  le  cas  de  nécessité  :  »  les 
troupes  que  la  Compagnie  envoie  dans  l'Inde  sont  destinées 
uniquement  à  la  conservation  el  à  la  défense  de  ses  établis- 
sements (3).  » 

(1)  Le  Prince  brûla  en  mer  et  la  presque  totalité  de  son  personnel 
périt  dans  ce  désastre. 

(2)  Lettre  de  la  Compagnie,  i"  février  1752. 

(3)  La   Compagnie  eut  aussi  à  se  plaindre  d'être  tenue  assez  mal  au 


LE    GOUVERNEMENT,    LA    COMPAGNIE    ET    l'indE  395 

Dupleix,  sentant  sa  politique  incomprise  en  France,  prit 
le  parti  d'y  envoyer  d'Aulheuil  pour  plaider  sa  cause  ;  mais 
quand  son  lieutenant  arriva  à  Paris,  la  nouvelle  du  désastre 
de  Trichinopoli  était  encore  toute  récente  ;  l'émolion  qu'elle 
avait  soulevée  avait  été  considérable  et  c'avait  été  contre 
Dupleix  une  explosion  de  reproches,  d'injures,  de  sarcasmes, 
de  malédictions  !  d'Autheuil  fut  impuissant  à  faire  entendre 
sa  voix  ;  on  était  décidé  à  en  finir  (1). 

La  Compao:nie,  d'accord  avec  le  ministre,  M.  de  Macliaull, 
car  rien  ne  se  décidait  au  conseil  des  Directeurs  qui  n'eût 
un  écho  à  celui  des  ministres,  arrêta  les  bases  d'une  entente 
avec  la  Compagnie  anglaise  (2).  L'on  pensait  en  effet  que, 
comme  la  Compagnie  de  Paris,  celle  de  Londres  devait  avoir 
hâte  de  donner  une  fin  à  ces  ditïérends  interminables,  et  l'on 
envoya  auprès  d'elle  le  Directeur  Duvelaër  présenter  au  ca- 
binet anglais,  de  concert  avec  M.  deMirepoix,  notre  ambassa- 
deur, un  projet  de  règlement  des  affaires  de  l'Inde.  Les  inten- 
tions du  ministère  français  étaient  nettement  exprimées  : 
M.  de  Machault  déclarait   «  qu'on   ne  projetait   nullement 

courant  des  événements  qui  se  passaient  dans  l'Inde  par  Dupleix  qui 
préférait,  semble-t-il,  la  mettre  en  présence  de  faits  accomplis.  Elle 
apprit  certains  faits  importants  fort  tard  après  la  Compagnie  anglaise. 

(1)  D'Autheuil  qui  était  un  militaire  et  non  un  diplomate,  servit, 
paraît-il,  fort  mat  Dupleix  malgré  sa  bonne  volonté. 

(2)  M.  Cultru  a  établi  que  l'initiative  de  cette  convention  vint  de  la 
Compagnie  anglaise  elle-même  :  l'envoi  de  Duvelaër  fut  décidé  lorsque 
cette  offre  eut  été  acceptée  en  principe  par  le  gouvernement  de  Louis  XV 
et  la  Compagnie  française.  On  admet  traditionnellement  que  le  rap- 
pel de  Dupleix  fut  imposé  par  les  Anglais,  mais  ce  serait  une  erreur  : 
l'abbé  Maury  protestait  déjà  contre  cette  opinion  à  l'Assemblée  nationale 
en  1700,  et  toute  la  responsabilité  en  incombe  au  gouvernement  royal 
et  à  M.  de  Silhouette,  Godeheu  partit  d'ailleurs  pour  relever  Dupleix 
avant  que  les  négociations  avec  la  Compagnie  de  Londres  fussent  ter- 
minées. Il  est  certain  cependant  que  l'opinion  publique  regarda  dès  le 
début  Dupleix  comme  sacrifié  aux  rancunes  anglaises. 


396  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    V 

d'avoir  dans  l'Inde  des  possessions  plus  vastes  que  l'Angle- 
terre, ni  de  se  conserver  le  commerce  exclusif  de  Golconde  »  ; 
qu'on  envisageait  ces  projets  «  comme  des  chimères  et  des 
visions  ».  Le  Commissaire  du  Roi  auprès  de  la  Compagnie, 
M.  de  Silhouette,  renchérissait  encore  :  «  On  pose  en  principe 
qu'il  ne  convient  pas  à  la  Compagnie  de  se  rendre  dans 
l'Inde  une  puissance  militaire,  et  qu'elle  doit  se  borner  aux 
objets  du  commerce.  »  Le  gouvernement  anglais  accueillit 
ces  ouvertures,  et  l'on  convint  que  chacune  des  deux  Com- 
pagnies enverrait  dans  l'Inde  un  coynmisaaire  «  chargé 
d'établir  les  affaires  sur  un  pied  qui  rendît  la  guerre  impos- 
sible entre  elles,  tant  que  les  gouvernements  des  deux  pays 
seraient  en  paix  ». 

Le  choix  des  Directeurs  pour  la  désignation  du  commis- 
saire français  se  porta  sur  l'un  d'eux,  Godeheu  (1),  et  ils  lui 
donnèrent  mission  de  faire  sur  la  situation  de  la  Compagnie 
dans  l'Inde  une  enquête  minutieuse,  qui  servirait  de  base  à 
l'arrangement  ultérieur.  Le  ministre  le  fit  appeler  et  lui  re- 
mit un  volumineux  paquet  d'instructions  qu'il  ne  devait 
ouvrir  qu'en   mer.  Godeheu  s'embarqua  en  décembre  1753 

(1)  Il  y  a  eu  dans  la  Compagnie  des  Indes  deux  ge'nérations  de  Gode- 
heu. Georg-es  Godeheu,  négociant  de  Rouen  et  député  du  commerce  de 
cette  ville  de  1715  à  1720,  fut  nommé  Directeur  de  la  Compagnie  en 
janvier  1720:  c'est  par  erreur  que  MM.  Bonnassieux  et  Leiong  font  de 
lui  le  successeur  de  Dupleix  dans  l'Inde  {Procès-verbaux  du  conseil  de 
commerce).  Mais  ce  premier  Godeheu  eut  deux  fils  :  Charles-Roltert 
Godeheu,  dit  de  Zaimonl  et  Uodeheu  d'Igoville,  qui  tous  deux  furent 
également  Directeurs  de  la  Compagnie.  <ieorges  Godeheu  mourut 
en  1739.  Godeheu  de  Zaimonl,  qui  avait  alors  le  grade  de  marchand- 
principal,  lui  succéda  à  la  Direction  :  il  fut  Directeur  à  Lorient  de  1748 
à  1754,  puis  fut  désigné  comme  commissaire  de  la  Compagnie  dans 
l'Inde,  on  il  releva  Dupleix  ;  il  revint  aprt's  une  année  de  séjour  en  Asie 
reprendre  sa  place  à  la  Direction,  où  il  continua  à  figurerjusqu'en  170.S. 
Son  frère  cadet,  Godeheu  d'Igoville,  fut  nommé  Directeur  en  1751  ;  il 
remplaça  son  aîné  à  Lorient  en  1754  et  conserva  ce  poste  jusqu'en  1760. 


LE   GOUVERNEMENT,    LA   COMPAGNIE    ET    l'iNDE  397 

sur  le  Duc-de-Bourgogne,  qu'aecompagnaienl  la  Compagnie- 
des-Indes,  le  Montaran  et  le  Neptune  ;  1.200  hommes  de 
troupes  allemandes  étaient  répartis  sur  ce  convoi  ;  le  com- 
missaire emportait  en  outre  des  fonds  importants. 

Une  fois  en  mer,  il  prit  connaissance  de  ses  instructions  ; 
elles  étaient  minutieuses,  elles  étaient  aussi  tout  autres  qu'il 
ne  se  les  figurait  !  11  se  croyait  chargé  de  faire  une  enquête 
sur  l'administration  de  Dupleix  et  il  était  porteur  d'un  ordre 
de  révocation  (1)  pour  celui-ci,  signé  du  Roi  lui-même  !  Il 
devait  en  le  lui  communiquant  l'inviter  à  s'embarquer  avec 
sa  famille  pour  la  France.  Si  Dupleix  refusait  de  se  démettre 
volontairement,  Godeheu  devait  lui  signifier  son  interdiction, 
dont  l'ordonnance  figurait  également  dans  le  paquet,  et  cette 
ordonnance  devait  être  publiée.  Enfin,  si  le  gouverneur  ne 
se  soumettait  pas  plus  à  cette  seconde  preuve  de  la  volonté 
du  Roi  qu'à  la  première,  une  troisième  lettre  de  cachet  auto- 
risait Godeheu  à  se  saisir  de  sa  personne,  et  à  le  faire  em- 
barquer ainsi  que  sa  femme  et  sa  fille  (:2). 

(1)  Dupleix  fut  condamné  :  d'abord  pour  le  désastre  de  Trichinopoli, 
puis  pour  les  dangers  que  l'on  croyait  courir  en  lui  laissant  poursuivre 
sa  politique,  enfin  pour  l'affaire  des  jagiiirs,  c'est-à-dire  des  pensions 
qu'il  avait  acceptées  du  soubab  et  du  nabab  ;  il  faut  dire  qu'un  arrêt 
du  Conseil,  rendu  le  6  juin  1750  à  l'occasion  du  gouvernement  de 
Dumas,  avait  interdit  l'acceptation  de  tout  don  de  cette  nature  comme 
contraire  aux  lois  fondamentales  du  royaume.  Cf.  Cultru,  op.  cit. 

(2)  «  Il  est  ordonné  au  sieur  Godeheu,  commissaire  de  S.  M.  et  com- 
mandant général  des  établissements  français  aux  Indes  Orientales,  et 
en  cas  de  décès  au  chevalier  Godeheu,  de  faire  arrêter  le  sieur  Uupleix, 
de  le  faire  constituer  sous  bonne  et  siire  garde  dans  tel  lieu  qu'il  jugera 
convenable,  et  de  le  faire  embarquer  sur  le  premier  vaisseau  qui  partira 
pour  la  France.  Fait  à  Fontainebleau  le  22  octobre  1753.  »  Signé  :  Louis, 
et  plus  bas  :  Rouillé.  —  Godeheu  devait  également  s'assurer  de  Mme  et 
de  Mlle  Dupleix  «  pour  le  danger  qu'il  y  aurait  à  laisser  en  liberté  des 
personnes  aussi  immensément  riches,  qui  pourraient  tout  tenter  pour 
remettre  en  liberté  le  sieur  Dupleix  ». 


398  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   V 

Pendant  qu'il  accomplissait  sa  mission,  comme  nous  l'a- 
vons raconté,  le  gouvernement  royal  mettait  la  Compagnie 
au  courant  de  ces  instructions  et  le  public  ne  lardait  pas  à 
les  connaître  aussi. 

Godeheu  porte  devant  l'histoire  la  double  flétrissure  du 
renvoi  de  Dupleixetdu  traité  de  Sadras  ;  à  la  vérité,  il  ne  fut 
qu'un  instrument,  et  s'il  ne  sut  pas  se  distinguer  de  ses  col- 
lègues du  Conseil  de  Paris  par  une  élévation  plus  grande 
des  sentiments  et  une  plus  claire  conception  de  nos  vrais 
intérêts  dans  l'Inde,  il  ne  fut  point  peut-être  l'être  méprisa- 
ble, haineux,  hypocrite  et  méfiant  que  beaucoup  d'historiens 
nous  ont  traditionnellement  présenté  en  lui. 

Godeheu,  depuis  longtemps  au  service  de  la  Compagnie, 
occupé  du  soin  exclusif  de  sa  prospérité  commerciale,  par- 
tagea avec  ses  collègues  les  inquiétudes,  les  surprises,  les 
impatiences  que  causa  à  Paris  la  politique  alors  incompré- 
hensible de  Dupleix.  Quand  il  fut  désigné,  en  raison  des 
bons  services  qu'il  avait  fournis  jusque-là  à  la  Compagnie 
dans  des  fonctions  importantes,  pour  faire  une  enquête  sur 
l'administration  de  Dupleix,  il  accepta  cette  mission  avec  la 
conviction  de  rendre  à  la  Compagnie  un  service  signalé.  On 
lui  laissa  ignorer  le  véritable  but  de  son  voyage,  et  aucun 
détail  d'ailleurs  n'en  fui  laissé  à  son  initiative  personnelle, 
ni  à  l'égard  de  Dupleix,  ni  à  l'égard  de  la  Compagnie  an- 
glaise. 

Cette  double  mission  était  triste  ;  il  ne  sut  pas  y  mettre 
une  dignité  qu'on  n'attendait  pas,  à  la  vérité,  de  lui.  11  eût  pu 
montrer  plus  de  sympalhie  envers  Dupleix,  plus  d'habileté 
envers  Saunders  ;  mais  on  n'avait  cherché  en  lui  qu'un  agent 
et  non  un  diplomate,  et  son  attitude  envers  le  disgracié  fut 
plus  correcte  que  la  plupart  des  auteurs  ne  l'ont  estimé,  car 
il  ne  pouvait  se  jeter  dans  les  bras  d'un  homme  qu'il  avait 


LE    GOUVERNEMENT,    LA    COMPAGNIE    ET    l'lNDE  399 

pour  mission  d'arrêter  s'il  se  refusait  à  se  déuiellre  (1)  !  11 
fut  joué  par  Saunders,  mais  le  gouvernement  anglais  avait 
pris  l'engagement  d'envoyer,  lui  aussi,  un  commissaire,  qui 
n'aurait  sans  doute  pas  eu  la  connaissance  des  choses  de 
l'Inde  que  possédait  l'adversaire  de  Dupleix,  et  la  partie  eût 
alors  été  égale  entre  les  deux  négociateurs. 

Godeheu,  comme  tout  le  monde  en  France,  ignorait  où  en 
était  véritablement  la  situation  dans  l'Inde  :  son  traité  fut 
une  sottise,  parce  qu'il  ne  savait  i:.ôme  pas  de  quoi  il  traitait. 
La  faute,  ici  encore,  en  remontait  au  gouvernement  royal  ; 
lui  seul  fut  coupable  d'ingratitude  envers  Dupleix,  lui  seul 
fut  joué  par  l'Angleterre,  lui  seul  perdit  l'Inde! 

(l)  Il  faut  ajouter  que  les  instructions  de  M.  de  Silhouette  lui  re- 
présentaient Dupleix  «  comme  un  révolté  ». 


CHAPITRE  VI 

LA  GUERRE  DE  SEPT  ANS,  l'eXPÉDITION  DE  LALLY-TOLLENDAL.  -    RUINE 
UU  DOMAINE  COLONIAL  DE  LA  COMPAGNIE  DES  INDES. 


Gouvertieoient  de  Duval  de  Leyril  :  maintien  de  la  politique  de  Dupieix. 
—  Ouverture  de  la  guerre  de  Sept-Ans  et  reprise  delà  lutte  avec  la 
Compagnie  anglaise.  —  Le  gouvernement  royal  et  la  Compagnie  orga- 
nisent en  commun  une  expédition  (1757).  —  Le  plan  de  Lally-Tol- 
lendal.  —  Ses  premiers  succès  :  prise  de  Gondelour  et  du  fort  Sainl- 
David.  —  Ses  revers  :  siège  de  Madras,  perte  de  Masulipatam,  siège 
et  capitulation  de  Pondichéry  (1760-1761).  —  Traité  de  Paris  (1763). 


Godeheu  ne  resta  pas  longtemps  dans  l'Inde  ;  avec  sa  mis- 
sion achevée,  son  rôle  était  fini  ;  on  avait  choisi  en  lui  un 
commissaire,  non  un  gouverneur  définitif,  aussi  une  année 
à  peine  après  son  arrivée,  renlra-l-il  en  France. 

Son  successeur  fut  un  des  conseillers  de  Dupieix,  Duval 
de  Leyril  (1),  homme  d'une  intelligence  moyenne  mais  de 
bon  sens  ;  Godeheu  n'avait  pu  ruiner  entièrement  l'œuvre  de 
Dupieix;  le  traité  de  Sadras  restait  lettre  morte,  rien  n'avait 
été  évacué,  Bussy  était  resté  dans  le  Deccan,  la  trêve  de  dix- 
huit  mois  avait  seule  été  exécutée.  De  Leyril  s'efforça  de 
nous  maintenir  sur  nos  positions,  attendant  de  l'avenir  quel- 
que auxiliaire  inconnu  qui  nous  rendrait  notre  ancienne 
puissance.  Pas  plus  que  nous,  d'ailleurs,  les  Anglais  ne  se 
crurent  obligés  de  se  tenir  tranquilles  et  ils  appuyèrent  de 

(1)  Duval  de  Leyril  était  le  fils  du  directeur  Duval  d'Espréménil 
(d'après  Demis). 


LA    GUERRE    DE    SEPT    ANS  401 

leurs  troupes  leur  allié  Méhémet-Ali  dans  ses  prétentions 
sur  Madura  et  Tinnevelli.  De  son  côté,  de  Leyrit  soutint  l'am- 
bilion  du  roi  de  Mysore  sur  le  Terriore  :  on  en  était  donc  re- 
venu aux  procédés  du  temps  passé  et  si  les  deux  Compa- 
gnies n'en  venaient  pas  encore  aux  mains,  il  suffirait  d'un 
prétexte  pour  les  y  déterminer  ;  l'occasion  s'en  présenta 
bientôt. 

La  paix  d'Aix-la-Chapelle  ne  nous  avait  pas  assez  humiliés 
au  gré  de  l'Angleterre  ;  notre  commerce  renaissait,  notre 
flotte  de  guerre  se  reconstituait  et  le  traité  de  1748  avait 
d'ailleurs  des  fissures  dont  on  profila  à  Londres  ;  on  débuta 
par  des  contestations  en  Amérique,  puis  en  1755  l'amiral  Bos- 
cawen,  sans  aucune  provocation  de  notre  part,  nous  enleva 
deux  bâtiments  de  guerre  et  nombre  de  navires  de  com- 
merce. Le  gouvernement  français  prolesta  contre  ces  inqua- 
lifiables procédés,  mais  il  ne  se  décida  qu'à  regret  à  une 
nouvelle  guerre. 

En  novembre  1756  arriva  cependant  dans  l'Inde  la  nouvelle 
qu'elle  avait  été  déclarée  le  17  mai  précédent  ;  il  n'y  avait 
dès  lors  plus  de  ménagements  à  garder,  on  en  vint  résolu- 
ment aux  mains. 

De  Leyrit  avait  gardé  intacte  la  petite  armée  amenée  par 
Godeheu,  1.150  hommes  de  troupes  européennes  ;  il  avait  en 
outre  3.000  cipayes:  Dupleix  n'en  avait  jamais  eu  autant!  11 
la  confia  à  d'Autheuil  revenu  récemment  de  France  et  tenta 
encore  une  fois  de  s'emparer  de  Trichinopoli  ;  mais  ce  nou- 
veau siège  n'eut  pas  plus  de  succès  que  les  précédents  et  il 
fallut  encore  renoncer  à  l'imprenable  cité.  Mais  Saubinel 
qui  remplaça  d'Autheuil  reprit  en  quelques  mois  tout  leCar- 
natic,  où  les  Anglais  ne  possédèrent  plus  que  Madras  et  Ar- 
col.  Pendant  ce  temps,  Bussy  triomphait  avec  l'assistance  de 

Law  du  grand  vizir  qui  avait  réussi  à  le  perdre  dans  l'esprit 

w.  —  26 


402  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VI 

de  Salabet-Singli,  et  avait  même  tenu  les  Français  quelque 
temps  assiégés  dans  Haïderabad.  Salabel-Singh  rappela 
Bussy  qui  rentra  à  Aurangabad  plus  puissant  que  jamais. 

La  Compagnie  anglaise  se  trouvait  alors  en  présence  de 
graves  événements  au  Bengale.  Le  nabab  de  ce  pays,  Soura- 
jah-Dowlah,  lui  enleva  Calcutta  par  surprise,  le  pilla  et  cou- 
ronna sa  victoire  par  d'atroces  massacres.  La  Compagnie 
trembla,  mais  Clive  accourut  et  reprit  cette  ville.  Un  accorda 
quartier  au  nabab  vaincu,  à  condition  qu'il  laisserait  attaquer 
Chandernagor;  Clive  s'empara  en  effet  de  notre  comptoir 
qui  se  défendit  pourtant  héroïquement,  et  sa  cliute  fut  la  fin 
de  notre  domination  au  Bengale,  où  nous  n'avions  dès  lors 
plus  rien  (1). 

Aussitôt  la  guerre  déclarée,  M.  de  Machault  avait  réuni  à 
Paris  les  Directeurs  de  la  Compagnie,  pour  décider  avec  eux 
s'il  convenait  de  continuer  ou  de  suspendre  le  commerce.  Il 
proposa  le  premier  parti,  et  les  Directeurs  après  quelques  hé- 
sitations s'y  rangèrent,  sur  la  promesse  que  leurs  opérations 
seraient  efficacement  protégées  par  la  marine  royale.  On  fit 
plus, et  les  conquêtes  de  Dupleix  eurent  au  moins,  mais  bien 
lard,  le  résultat  qu'on  se  décida  à  agir  dans  l'Inde  d'une  façon 
énergique  :  une  expédition  fut  résolue  par  le  gouvernement 
et  la  Compagnie  de  concert,  et  le  commandement  en  fut 
donné  au  comte  de  Lally-Tollendal. 

(1)  La  punition  des  massacres  de  Calcutta  n'était  d'ailleurs  que  diffe'- 
rée  ;  Clive  se  retourna  bientôt  contre  le  nabab  et  le  vainquit  à  Plassey 
juin  1757,  ternissant  d'ailleurs  sa  victoire  par  le  pillage  qui  la  suivit,  et 
dans  lequel  il  amassa  une  fortune.  La  Compagnie  ne  l'en  nomma  pas 
moins  gouverneur  du  Bengale,  et  le  roi  Georges  III  l'éleva  à  la  pairie. 
Néanmoins  Clive  eut  à  répondre  plus  tard  de  ses  indélicatesses  devan 
le  Parlement  et  si  la  gloire  qui  environnait  soti  nom  lui  épargna  le 
châtiment,  sos  dernières  années  s'écoulèrent  au  milieu  d'une  très 
grande  impopularité;  il  se  tua  en  1774. 


LA    GUERRE    DE    SEPT    ANS  403 

Lally-To)lendal,geiililhomme  irlandais  chassé  d'Angleterre 
pour  la  fidélité  de  sa  famille  à  la  cause  des  Sluarts,  servait 
depuis  l'enfance  dans  nos  armées, où  sa  bravoure  à  la  bataille 
de  Fontenoy  lui  avait  valu  le  grade  de  brigadier.  C'était  un 
caractère  d'une  bouillante  impétuosité,  une  vive  intelligence, 
une  imagination  sans  cesse  en  mouvement,  un  homme  à  pro- 
jets perpétuels  et  gigantesques.  Il  avait  débuté  par  organiser 
la  conclusion  d'une  alliance  entre  les  gouvernements  de 
France  et  de  Russie,  et  si  bien  réussi,  que  le  cardinal  Fleury, 
qui  n'y  tenait  point,  dut  le  désavouer;  il  fut  ensuite  l'un  des 
principaux  acteurs  de  la  tentative  du  prétendant  Charles- 
Edouard  et  obtint  du  gouvernement  de  Louis  XV  le  comman- 
dement d'un  petit  corps  de  troupes  qu'il  devait  conduire  en 
Ecosse.  Les  affaires  de  l'Inde  avaient  aussi  attiré  son  atten- 
tion et  il  en  avait  fait  l'objet  d'un  mémoire  qu'il  fit  parve- 
nir au  ministère  et  qui  fut  l'origine  de  son  choix.  Lally  avait 
suivi  attentivement  les  conquêtes  de  Dupleix  et  assisté  à  la 
destruction  de  son  œuvre  ;  son  opinion  fut  vite  établie.  11  y 
avait  dans  cette  œuvre,  disait-il,  des  chimères,  mais  aussi 
des  résultats  sérieux  à  poursuivre  et  il  échafauda  là-dessus 
toute  une  politique:  d'abord,  et  avant  tout,  chasser  les  Anglais 
de  l'Inde  et  ne  s'arrêter  que  lorsque  le  dernier  d'entre  eux 
aurait  été  jeté  à  la  mer  ;  mais,  celte  exécution  faite,  renoncer 
formellement  à  toute  possession  territoriale  dans  la  pénin- 
sule, abandonner  même  nos  comptoirs  éloignés  :  Chanderna- 
gor  et  Mahé,  pour  concentrer  notre  domination  autour  de 
Pondicliéry  en  une  seule  masse  inexpugnable.  Ce  projet 
montrait  la  plus  complète  ignorance  de  la  situation  de  l'Inde, 
de  la  décrépitude  de  l'empire  des  Mogols,  de  l'envahissante 
humeur  des  Mahrattes;  il  était  aussi  étranger  aux  considé- 
rations commerciales,  car  Pondichéry  ne  réussirait  jamais  à 
drainer  vers  nos  navires  tout  le  commerce  de  l'Inde  1  Tel  qu'il 


404  TROISIEME    PARTIE.    CHAPITRE    VI 

était  cependant,  ce  mémoire  plut  à  Versailles  par  sa  netteté  ; 
les  Directeurs  de  la  Compagnie,  auxquels  il  fui  communiqué, 
n'y  aperçurent  point,  chose  élonnanle  pour  leurs  tendances 
habituelles,  l'hérésie  économique,  et  s'enthousiasmèrent  à  sa 
lecture.  M.  de  Moras,  qui  avait  succédé  à  M.  de  Séchelles  au 
contrôle  général,  rappela  Lally  de  Boulogne,  où  il  attendait 
toujours  Tordre  de  s'embarquer  pour  l'Ecosse,  et  lui  fil  ap- 
profondir son  plan.  Le  minisire  de  la  guerre  d'Argenson  qui 
le  connaissait,  l'estimait  et  le  protégeait  auprès  du  Conseil 
des  ministres,  hésitait  à  aller  plus  loin.  Quand  les  Directeurs 
de  la  Compagnie  vinrent  le  supplier  de  donner  à  Lally  le  com- 
mandement général  de  l'expédition  que  l'on  préparait  :  «  Vous 
vous  méprenez,  leur  dit-il  (1),  je  sais  mieux  que  vous  ce  que 
vaut  M.  de  Lally  et,  de  plus,  il  est  mon  ami;  mais  il  faut  nous 
le  laisser  en  Europe.  C'est  du  feu  que  son  activité;  il  no 
transige  pas  sur  la  discipline,  a  en  horreur  tout  ce  qui  ne 
marche  pas  droit,  se  dépite  contre  tout  ce  qui  ne  va  pas  vite, 
ne  tait  rien  de  ce  qu'il  sent,  et  l'exprime  en  termes  qui  ne 
s'oublient  pas.  Tout  cela  est  excellent  parmi  nous  ;  mais 
dans  vos  comptoirs  d'Asie  que  vous  en  semble  ?  A  la  pre- 
mière négligence  qui  compromettra  les  armes  du  Roi,  à  la 
première  apparence  d'insubordination  ou  de  friponnerie, 
M.  de  Lally  tonnera,  s'il  ne  sévit  pas;  on  fera  manquer  ses 
opérations  pour  se  venger  de  lui  ;  Pondichéry  aura  la  guerre 
civile  dans  ses  murs  avec  la  guerre  extérieure  à  ses  portes  ! 
Croyez-moi,  les  plans  de  mon  ami  sont  excellents,  mais  dans 
l'Inde  il  faut  charger  un  autre  que  lui  de  l'exécution.  »  Pro- 
phétiques paroles  qui  ne  furent  point  écoutées  I  les  Direc- 
teurs insistèrent,  déclarèrent  que  c'était  précisément  l'homme 
qu'il  leur  fallait  et  qu'il  chasserait  de  l'hide  les  fripons  elles 

(«)  T.  Hamonl,    LuHij-ToUcndal,  p.  05. 


LA    GUEllRK    DE    SEI'T    ANS  405 

mutins.  «  Vous  le  voulez,  répondit  le  ministre,  je  m'en  lave 
les  mains  ;  tenez-vous  pour  bien  avertis  et  mandez  à  vos 
agents  qu'ils  aient  à  marcher  droit.  » 

L'expédition  fut  alors  réglée  :  Lally-ToUendal  qui  avait  le 
grade  de  maréchal-de-camp  hors  cadres,  fut  nommé  com- 
missaire du  Roi,  syndic  delà  Compagnie  et  commandant  gé- 
néral de  tous  les  établissements  français  aux  Indes  avec  le 
grade  de  lieutenant-général  ;  on  devait  lui  donner  six  vais- 
seaux, six  bataillons  tirés  des  régiments  de  Lorraine,  de 
Berry  et  Lally,  un  détachement  de  génie  et  d'artillerie.  Cette 
armée  aurait  pour  ingénieur  en  chef  le  chevalier  de  Villei)a- 
tour,  et  la  flotte  serait  commandée  par  le  vicomte  de  Choi- 
seul  ;  on  emporterait  enfin  six  millions  de  livres  et  on  parti- 
rait en  octobre  1756. 

Mais  on  ne  fut  pas  prêt  si  tôt  et  les  retards  successifs  per- 
mirent de  diminuer  considérablement  ces  forces.  Aux  deux 
seconds  que  Lally  avait  choisis,  on  substitua  le  chevalier 
Dure  et  le  comte  d'Aché  (1),  on  retrancha  deux  bataillons, 
deux  navires  de  guerre,  deux  millions  de  livres  ;  Lally  ré- 
clama, on  le  rassura  avec  des  promesses  ;  le  2  mai  1757  enfin, 
il  prenait  la  mer  (2). 

(1)  Ces  deux  choix  pesèrent  d'un  grand  poids  dans  la  suite  sur  le 
sort  de  nos  armes  dans  l'Inde.  Dure  qui  appartenait  à  l'arme  du  génie 
était  incapable,  et  contraria  toutes  les  opérations  de  Lally,  à  St-David 
et  à  Madras  notamment.  D'Aché  fut  plus  pitoyable  encore  ;  marin  habile 
et  brave  officier,  il  fut  cependant  pour  Lally  le  plus  détestable  auxi- 
liaire ;  la  pusillanimité  de  son  caractère  lui  fit  toujours  craindre  de  ne 
pas  être  assez  fort;  il  eût  pu  détruire  l'escadre  anglaise,  et  sauver 
ensuite  Pondichéry,  il  ne  le  fit  point.  Cet  homme  néfaste  porte  plus  que 
Lally  la  responsabilité  de  nos  désastres.  Dure  et  d'Aché  furent  d'ail- 
leurs parmi  les  plus  intraitables  accusateurs  de  Lally  lors  de  son  procès. 
—  D'Aché,  entré  dans  la  marine  en  1717,  vice-amiral  en  1770,  mort  à 
Brest  en  1780  {Archives  de  la  Marine) . 

(2)  Le  chevalier  de  Soupire  partit  avec  une  partie  de  ces  troupes  un 
an  avant  Lally-ToUendal. 


406  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VI 

Il  partait  avec  des  instructions  minutieuses  dressées  par 
M.  de  Moras  :  on  lui  recommandait  de  rétablir  l'ordre  et  la 
discipline  dans  les  troupes  do  la  Compagnie  ;  on  manifestait 
la  volonté  que  la  Compagnie  se  retirât  complètement  de  toute 
intervention  dans  les  affaires  intérieures  de  l'Inde  ;  cependant 
on  lui  prescrivait,  avant  l'évacuation  du  Deccan,  une  enquête 
sur  la  situation  véritable  :  le  bruit  courait  que  Salabel-Singh 
n'était  qu'un  fantoche,  qu'il  n'avait  jamais  été  nommé  soubab 
par  la  Cour  de  Delhi,  qu'il  n'était  môme  qu'un  prétexte  pour 
se  partager  les  revenus  du  Deccan.  Lally  avait  toute  latitude 
pour  maintenir  ou  pour  rappeler  Bussy  et  sa  troupe  selon  les 
résultats  de  cette  enquête  ;  on  le  prévenait  seulement  que 
celle-ci  serait  délicate,  car  trop  de  personnes  étaient  intéres- 
sées à  ne  rien  dire,  jusqu'au  gouverneur  de  Leyrit  lui-même; 
on  lui  demandait  de  poursuivre  et  de  détruire  «  l'esprit  de 
cupidité  qui  régnait  à  Pondichéry  »  ;  on  l'invilait  à  laisser  en- 
tendre à  de  Leyrii  qu'on  était  méconleulde  le  voir  continuer 
la  politique  de  Dupleix  ;  enfin  on  désignait  spécialement  à 
ses  coups  Gondelour,  le  fort  Saint-David  et  Madras,  c'est-à- 
dire  les  places  maritimes  avant  les  villes  de  l'intérieur  ;  elles 
seraient  brûlées  et  rasées,  il  ne  fallait  pas  imiter  La  Bourdon- 
nais et  les  rançonner  ;  plus  tard,  on  lui  désignait  Arcot  et 
Trichinopoli  comme  les  buts  les  plus  importants  qu'il  pût 
se  proposer  d'atteindre  (i). 

Lally-Tollendal  avait  demandé  à  être  investi  des  pouvoirs 
les  plus  étendus.  «  Il  serait  absurde,  disait-il,  que  le  général 
qui  aurait  pris  Madras,  à  qui  on  aurait  fail  des  propositions, 
fût  dans  le  cas  de  répondre  à  son  ennemi  :  Excusez,  Monsieur, 
c'est  à  mon  Directeur  qui  est  à  Pondichéry  qu'il  faut  s'adres- 
ser ;  il  m'a  loué  pour  me  battre,  c'est  avec  lui  qu'il  faut  que 

(1)  «  Mémoire  pour  servir  li'inslriiclioii  ;i  M.  de  Lally,  lieutenant  gé- 
néral du  Roi  ».  Archives  coloniales  (V.  T.  llamonl,  op.  cit.). 


LA    GUERKE    DK    SEPT    ANS  407 

VOUS  capituliez  (1).  »  Lally  avait  raison  ;  il  connaissait,  on 
le  voit,  la  lamentable  histoire  de  La  Bourdonnais  et  il  ne 
voulait  pas  se  trouver  à  son  tour  dans  le  même  cas.  Cepen- 
dant de  Leyrit  conservait  les  fonctions  de  gouverneur  de 
Pondichéry  et  Lally  lui-même  disait:  «  Il  ne  faut  pas  que 
MM.  de  Leyrit  et  de  Bussy  croient  quen  m'envoyant,  on  leur 
donne  un  mailre.  Ce  sont  deux  hommes  à  ménager  essentiel- 
lement; c'est  de  l'accord  parfait  entre  eux  et  moi  que  peut 
dépendre  le  succès  ou  la  perte  de  la  Compagnie  (2).  » 

La  traversée  dura  douze  mois  ;  la  faute  en  tomba  sur  d'Aché, 
excellent  marin,  mais  sans  caractère  :  il  perdit  son  temps 
en  relâches  à  Rio-de-Janeiro,  au  Cap,  à  l'ile  de  France. 
La  flotte  anglaise  qu'il  eût  fallu  devancer,  partie  trois  mois 
après  nous,  arriva  six  semaines  avant  !  Heureusement  les 
Anglais  ne  surent  pas  agir  à  temps.  Enfin,  le  28  avril  1738, 
on  était  devant  Gondelour  :  aussitôt  Lally  manifesta  la  volonté 
d'enlever  cette  ville  par  un  coup  de  main.  Il  laissa  d'Aché 
devant  elle  malgré  la  répugnance  de  l'amiral  à  ce  projel, 
accourut  à  Pondichéry  avec  son  vaisseau  le  Duc-d'Orléans 
et  une  frégate,  débarqua,  et  demanda  à  de  Leyrit  de  faire 
prendre  les  armes  à  la  garnison  pour  partir  le  jour  même 
attaquer  Gondelour.  Ce  fut  de  la  stupéfaction,  mais  Lally  tint 
bon  ;  le  soir  même  il  quittait  Pondichéry  avec  500  hommes 
du  régiment  de  Lorraine,  200  hommes  des  troupes  de  Pondi- 
chéry, quelques  milliers  de  cipayes  et  8  canons.  Au  moment 
où  l'on  préparait  l'attaque,  1  escadre  anglaise  apparut  ; 
Lally  ne  s'arrêta  pas  pour  si  pea,  et  laissa  d'Aché  gagner  la 
haute  mer  pour  soutenir  le  combat  inévitable  (3).   Les  An- 

(1)  Lellre  de  Lally,  1*""  novembre  1756. 

(2)  Lettre  de  Lally  à  M.  de  Bouiiongne. 

(3)  Il  est  assez  difficile  de  connaître  exactement  les  forces  dont  dis- 
posait d'Aché  :  il  y  eut  en  effet  plusieurs  expéditions  successives  qui 


408  TROISIKMK    I'AUTIP:.     -      CIIAIMTUK    VI 

glais  du  foii  Sainl-David,  qui  eussent  pu  nous  gêner,  ne 
bougèrent  point  el  Gondelour  après  trois  jours  d'investisse- 
ment capitula.  D'Aché  ne  reparut  pas  :  on  apprit  qu'il  était  à 
Pondichéry  et  que  la  bataille  avait  été  indécise  (1);  mais 
cela  importait  peu  à  Lally  qui  se  prépara  aussitôt  à  assiéger 
le  fort  Saint-David  lui-même. 

On  manquait  de  tout  pour  un  pareil  siège,  car  on  n'avait 
que  6  mortiers  à  opposer  aux  194  bouches  à  feu  des  Anglais  ; 
Lally,  après  avoir  réclamé  inutilement  des  canons  à  de 
Leyrit,  alla  les  chercher  lui-même  à  Pondichéry,  d'où  il  les 
ramena,  non  sans  avoir  pris  violemment  à  parti  le  Conseil 
Supérieur  qu'il  rendait  responsable  de  ces  retards.  Enfin 
muni  du  matériel  nécessaire,  il  prit  d'assaut  les  premiers 
ouvrages  et  ouvrit  le  feu  contre  la  citadelle^  qui  capitula  le 
2  juin  1758;  il  fit  sauter  les  remparts  et  raser  les  caserne- 
ments, puis,  sans  perdre  un  jour,  il  envoya  d'Estaing  s'empa- 
rer de  Divicolta  que  les  Anglais  évacuèrent  ;  et  pendant  qu'il 
rentrait  lui-même  triomphant  dans  Pondichéry,  ceux-ci  se 
fortifiaient  en  hâte  dans  Madras  1 

partirent  de  France  à  peu  d'intervalle,  et  qui  amenèrent,  semble-l-il, 
des  modificalions  dans  la  composition  de  la  force  navale  qui  resta  dans 
la  mer  des  Indes.  M.  de  Verdière,  dans  un  mémoire  conservé  aux 
Archives  nationales,  donne  la  composition  suivante  pour  «  l'escadre 
de  M.  de  Lally  »  :  Comte-de-Provence,  Diic-de-Bourgogne,  Saint- 
Louis,  Sylphide,  Reine,  Compngnie-des-Indfs,  Ditc-dVrlédns,  Sé- 
chelles,  Berry,  Bristol,  Rubis  et  une  galiote  à  bombes.  D'autre  part, 
des  états  relatifs  aux  prises  faites  par  l'escadre  de  d'Aché  el  con- 
servés à  l'Arsenal  de  l.orient  donnent  pour  cette  escadre  celle  compo- 
sition :  Zodiaque,  Vengeur,  Condé,  Chameau,  Baleine,  Sylphide,  Dili- 
gente, Renommée,  Pénélope,  Eléphant.  Enlin,  un  mémoire  anonyme 
conservé  aux  Archives  nationales  attribue  à  cette  même  escadre  10 
vaisseaux  de  guerre,  2  frégates  et  4  navires  de  transport,  en  tout  seize 
bâtiments. 

(1)  D'Aché  avait  eu  à  celte  alTaire  8  navires  en  ligne  ;  le  Bien-Aimé 
fit  côte  après  la  bataille. 


LA    GUERRE    DE    SEPT    ANS  409 

L'effet  de  la  prise  du  fort  Saint-David  fut  énorme  :  la  poli- 
tique de  Godeheu  était  oubliée  ;  c'était  le  glorieux  temps  de 
Dupleix  qui  renaissait  I  Lally  n'aurait  eu  qu'à  le  vouloir  pour 
se  rendre  tous  les  princes  indigènes  favorables  ;  Dupleix  se 
fût  empressé  de  le  faire,  mais  lui  ne  le  voulut  pas,  car  il  dé- 
daignait trop  les  «  Maures  »  pour  chercher  parmi  eux  des 
alliés.  Bien  mieux,  il  résolut  en  pleine  victoire  de  rappeler 
Bussy  du  Deccan,  et  il  lui  écrivit  le  13  juin  1758  :  «  Le  Roi  et 
la   Compagnie  m'ont  envoyé  dans  l'Inde  pour  en  chasser  les 

Anglais ;  tout  autre  intérêt  m'est  étranger.  Il  m'importe 

peu  qu'un  cadet  dispute  le  Deccan  à  son  aîné  ou  que  tels  ou 
tels  rajahs  se  disputent  telles  ou  telles  nababies. . . .  Je  me 
borne  seulement  à  vous  retracer  ma  politique  en  trois  mots  ; 
ils  sont  sacramentaux :  plus  d'Anglais  dans  la  péninsule. 
Vous  vous  mettrez  donc  en  marche  sitôt  cet  ordre  reçu,  avec 
tous  les  Européens  qui  sont  à  vos  ordres  (1).  »  Bussy  fut 
atterré  ;  juste  à  ce  moment  le  nabab  du  Bengale,  dépos- 
sédé par  les  Anglais,  sollicitait  son  appui,  et  il  fallait  aban- 
donner complètement  l'œuvre  de  tant  d'années  et  d'efforts  1 
Il  obéit,  mais  il  espérait  encore  convaincre  Lally  de  l'oppor- 
tunité de  conserver  le  Deccan.  De  Leyrit  insista  dans  lo  même 
sens  ;  mais  rien  n'y  fit.  «  Quand  je  reçois  une  lettre  de  M.  de 
Bussy,  répliquait  Lally,  j'imagine  recevoir  des  nouvelles  des 
Petites-Maisons. . . .  Peut -on  garder  son  sang-froid  en  lisant 
les  lettres  d'un  honnne  qui  vous  écrit  sérieusement  qu'avec 
cent  cinquante  galeux  il  balance  s'il  se  portera  sur  la  capi- 
tale du  Mogol,  ou  s'il  descendra  avec  toutes  les  forces  que 
Dieu  lui  a  données  pour  faire  une  irruption  dans  le  Bengale. 
Mon  avis  est  que,  lorsque  ce  monsieur  viendra,  on  le  fasse 
saigner  et  traiter  tout  de  suite,  s'il  y  a  encore  quelque  chance 
de  guérison  (2).  » 

(i)  T.  Hatnont,  Lalty-ToUeivlal,  p.  94. 

(2)  Lally-Tollendal  à  M.  de  Leyrit,  ibidem^  p.  98. 


410  TROISIÈME    l'AUTIE.    —    CHAl'IÏUE    VI 

Lally  avait  d'autres  projets  en  tête  :  il  voulait  profiter  du 
désarroi  des  Anglais  pour  marcher  tout  de  suite  sur  Madras, 
et  il  avait  en  effet  toutes  les  chances  de  succès  ;  mais  pour 
cela  il  lui  fallait  le  concours  de  la  flotte.  Or,  après  l'action 
indécise  au  large  de  Gondelour,  d'Aché  avait  mouillé  à  Pon- 
dichéry  et  s'était  absorbé  dans  la  réparation  de  ses  avaries  ; 
déjà  Lally  n'avait  pu  le  décider  à  lui  donner  son  concours 
pour  le  siège  du  fort  Saint-David  :  cette  fois  d'Aché  répondit, 
qu'avant  de  songer  à  Madras  il  fallait  courir  sus  aux  navires 
anglais  en  route  pour  rallier  leur  escadre,  et  il  partit  effecti- 
vement pour  aller  croiser  entre  Ceylan  et  la  côte  indienne. 
Lally  le  somma  de  revenir  ;  d'Aché  revint,  mais  nullement 
convaincu.  On  le  conjura  d'aller  attaquer  l'escadre  anglaise 
elle-même,  mouillée  devant  Madras,  pour  couvrir  la  marche 
de  l'armée;  d'Aché  répondit  qu'il  n'était  pas  prêt  et  il  fut 
impossible  de  l'y  décider  ;  il  se  retira  sur  son  navire  et  ne 
bougea  plus.  Lally  ne  pouvait  rien  sans  lui  contre  Madras,  il 
se  résigna  avec  dépit  et  de  Leyrit  le  désespéra  en  lui  annon- 
çant qu'on  n'avait  plus  d'argent.  Une  idée  fut  suggérée  par 
le  père  jésuite  Lavaur,  un  confident  de  Dupleix,  qui  fut 
fortement  appuyée  par  de  Leyrit  et  le  Conseil  (1)  :  c'était  de 
rançonner  le  roi  de  Tanjore,  sous  prétexte  d'une  dette  de 
cinq  millions  de  roupies  par  lui  dues  à  Ghanda-Sahib  notre 
protégé.  Lally  refusa  d'abord  :  c'était  en  effet  contraire  à  ses 
ordres  et  à  son  plan  ;  puis  il  céda  et  conçut  aussitôt  le  projet 
de  s'emparer  en  même  temps  de  Trichinopoli,  faisant  ainsi 
d'une  pierre  deux  coups. 

(1)  Le  père  Lavaur,  qui  élail  supérieur  du  couvent  de  son  ordre  à 
Pondichéry,  semble  avoir  joué  dans  les  événements  de  l'Inde  un  rôle 
important  par  l'influence  très  considérable  qu'il  possédait  ;  il  fut  un 
ami  de  Dupleix,  mais  il  se  montra,  comme  tout  le  monde  à  Pondichéry, 
très  hostile  à  Lally-Tollendal,  et  son  témoignage  dans  le  procès  de  ce 
dernier  lui  nuisit  beaucoup. 


LA    GUERRE    DE    SEPl    ANS  4 1  1 

Une  fois  décidé,  il  n'avait  pas  coutume  de  perdre  son 
temps  ;  on  partit  le  19  juin,  après  avoir  envoyé  sommation 
au  sultan  de  payer  les  5  millions  de  roupies  en  question.  Ce  ne 
fut  qu'au  prix  de  grandes  souffrances  qu'onatteignit  cette  ville 
qu'un  court  combat  nous  permit  cependant  de  cerner,  et  le 
sultan  demanda  bientôt  à  négocier.  Il  nia  la  dette,  non  envers 
Chanda-Sahib,  mais  envers  la  Compagnie  ;  néanmoins  il  offrit 
3  lacks  de  roupies,  si  les  Français  consentaient  à  évacuer  le 
pays.  Lally  réclama  4  lacks,  le  sultan  habilement  traîna  les 
choses  en  longueur  et  implora  l'assistance  des  Anglais  de 
Trichinopoli.  Bientôt  les  Mahratles  nous  harcelèrent  et  la 
ville  ouvrit  le  feu  contre  nous  ;  Lally,  qui  n'avait  plus  de 
vivres  ni  de  munitions,  allait  cependant  venir  à  bout  des 
assiégés,  quand  il  reçut  la  nouvelle  que  d'Aché  avait  été 
battu  et  que  Tescadre  anglaise  bloquait  Karikal.  Le  conseil 
de  guerre  qu'il  réunit  se  prononça  pour  la  levée  du  siège  ; 
mais  quand  on  arriva  à  Karikal,  on  apprit  qu'on  avait  été 
trompé  et  que  les  Anglais  n'avaient  même  pas  attaqué  ! 

Ainsi  Lally  rentrait  à  Pondichéry  après  un  échec  complet  ; 
il  épancha  sa  colère  sur  le  Gouverneur,  sur  le  Conseil,  sur  la 
Compagnie,  traitant  tout  le  monde  de  voleur!  Il  ne  se  décou- 
ragea pas  cependant,  et  résolut  de  reprendre  contre  Madras 
ses  anciens  projets  ;  son  lieutenant  d'Eslaing  convainquit 
le  Conseil,  mais  d'Aché  refusa  comme  la  première  fois  d'y 
prendre  part;  chose  plus  grave,  il  annonça  que  la  mousson 
prochaine  le  forçait  d'aller  hiverner  à  l'île  de  France,  et  le 
2  septembre  sa  flotte  disparaissait  en  effet  dans  le  Sud  ! 

Le  vainqueur  de  Saint-David  avait  été  accueilli  à  Pondi- 
chéry par  un  silence  glacial  qui  ne  fit  que  l'irriter  davantage, 
et  il  eut  bientôt  toute  la  colonie  contre  lui.  Ne  pouvant  rien 
contre  Madras,  il  se  retourna  vers  les  villes  de  l'intérieur  et 
choisit  cette  fois  Arcol  ;  le  plan  était  bon,  car  c'était  une  con- 


412 


TROISIEME    PAUTIE.    CHAI'ITHE    VI 


Irée  riche  et  nous  pouvions  y  trouver  l'argent  qui  nous  man- 
quait ;  ce  serait  en  outre  un  coup  terrible  pour  les  Anglais. 
Méliémet-AIi  Toccupait  toujours,  mais  les  prétendants  ne 
manquaient  pas,  que  l'on  pouvait  mettre  à  sa  place.  Lally  se 
déclara  pour  Bajah-Sahib,  fils  de  Chanda-Sahib  :  ce  n'était 
pas  conforme  à  ses  principes  et  ce  n'élail  pas  non  plus  l'avis 
de  de  Leyrit  et  du  Conseil  qui  préféraient  le  frère  de  Salabel 
Singh,  Bassalel-Singh  ;  mais  Lally  passa  outre.  Sur  ces 
entrefaites  Bussy  arriva  ;  Lally  l'accueillit  froidemenl,  l'é- 
coula  plaider  longuement  pour  le  maintien  de  notre  puis- 
sance au  Deccan,  mais  refusa  de  l'y  renvoyer  (1).  On  entra 
en  campagne  :  d'Estaing  s'empara  de  Timeri,  Soupire  de  Ca- 
ranguli,  Grillon  de  Trivalur,  Lally  lui-même  entra  dansArcol 
et  y  fit  proclamer  Rajah-Sahib  nabab  du  Carnatic.  Une  seule 
place  de  la  nababie  restait  aux  Anglais,  c'était  Chengalpat  sur 
la  roule  de  Madras  à  Fondichéry  ;  Lally  marcha  contre  elle, 
mais  une  mutinerie  des  troupes  de  la  Con)pagnie,  dont  la 
solde  n'avait  pas  été  payée,  l'arrêla,  il  dut  abandonner  ses 
projets  et  rentra  désespérée  Pondichéry. 

Il  n'y  resta  pas  longtemps,  car  on  y  manquait  de  tout  et  il 
craignait  avec  raison  l'inaction  plus  que  tout  autre  mal  pour 
ses  troupes.  Une  troisième  fois  il  décida  de  marcher  sur 
Madras;  d'Eslaing  le  soutint  encore  chaleureusement,  la 
campagne  fut  décidée  et  l'on  se  mit  en  route  le  12  novembre 
en  pleine  saison  des  pluies.  On  n'avait  pas  d'Aché,  mais  l'es- 
cadre  anglaise  qui  hivernait  à  Sural  n'élail  pas  à  craindre, 


(1)  Bussy  commit,  il  est  vrai,  une  lourde  faute  ;  trompé  par  des  avis 
reçus  de  Poudiciiéry,  il  crut  pouvoir  offrir  à  Lally  50.000  roupies  et  un 
diamaul  de  100.000  livres,  pour  qu'il  le  renvoyai  au  Deccan.  Lally,  qui 
depuis  longtemps  accusait  Bussy  de  ne  tenir  à  sa  conquête  que  pour 
les  revenus  qu'il  y  puisait,  crut  en  (enir  la  preuve  irréfutable  :  Bussy 
fut  dès  lors  perdu  dans  son  esprit. 


LA    GUERRE    DE    SEPT    ANS  413 

croyait-on.  Le  11  décembre  on  arriva  devant  Madras  et  les 
Anglais  après  un  court  combat  furent  repoussés  derrière 
leurs  remparts;  la  ville  noire  fut  bientôt  prise  et  pillée  par 
nos  soldats  exténués  par  les  privations.  Le  gouverneur  Law- 
rence, à  la  vue  de  ce  désordre,  fit  sortir  l'élite  de  ses  trou- 
pes ;  un  combat  furieux  s'engagea,  d'Estaing  fut  fait  prison- 
nier et  le  bataillon  de  Lorraine  commençait  à  plier  quand 
Lally  lui-même  le  ramena  au  feu.  Les  Anglais  après  une 
belle  résistance  furent  débordés  et  s'enfuirent  (1). 

Malheureusement,  le  siège  offrit  de  grandes  difficultés; 
l'armée  assiégeante  manquait  de  tout  et  Lally  supplia  de 
Leyrit  de  lui  envoyer  en  hâte  de  la  poudre,  des  boulets,  des 
vivres.  L'argent  faisait  défaut  et  il  redoutait  quelque  nouvelle 
révolte  ;  il  s'emportait  à  tout  propos.  «  L'enfer  m'a  vomi, 
disait-il, dans  ce  pays  d'iniquité  (2).  »  Aucun  secours  ne  venait 
de  France,  car  d'Aché  retenait  à  l'île  de  France  à  son  profit 
les  hommes  et  l'argent  qu'on  envoyait  à  Pondichéry  !  Il  ne 
laissa  passer  qu'un  million  et  quelques  hommes  que  le 
général  accueillit  avec  joie. 

Celui-ci  était  fort  mal  secondé  par  son  ingénieur,  le  cheva- 
lier Dure,  et  le  découragement  gagnait  son  entourage  ;  il 
résolut  de  risquer  tout  dans  un  violent  assaut  et  il  faillit 
réussir  ;  mais  les  Anglais  s'aperçurent  à  temps  de  la  sur- 
prise et  tout  échoua.  Lally  ne  se  découragea  point  et  remit 
au  16  février  un  deuxième  assaut.  Hélas!  dans  la  journée 
même,  six  grands  vaisseaux  apparurent  à  l'horizon  :  c'était 
l'escadre  anglaise  !  il  fallut  lever  le  siège  et  retourner  en 
hâte  couvrir  Pondichéry  à  la  merci  d'un  coup  de  main  ;  sa 

(1)  Grillon  accourait  avec  le  bataillon  de  Laily  pour  leur  couper  la 
route  de  la  ville  ;  une  intervention  malencontreuse  et  inexpliquée  de 
Bussy  l'arrêta  et  conserva  à  Madras  sa  garnison. 

(2)  T.  Hamont,  Lally-Tollendal,  p.  154. 


414  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VI 

retraite,  d'ailleurs,  ne  fui  point  inquiétée  par  les  Anglais. 
Pondicliéry  accueillit  Lally  avec  mécontentement  de  la  levée 
du  siège,  avec  satisfaction  d'assister  à  un  nouvel  échec  du 
général  qui  était  craint  et  détesté.  Une  nouvelle  douloureuse 
vint  bientôt  l'arracher  à  cette  pénible  situation  ;  les  Anglais, 
appelés  par  le  rajah  de  Vizanapur,  venaient  démettre  le  siège 
devant  Masulipatam  que  défendait  le  chevalier  de  Contlans 
avec  500  Français  et  6.000  cipayes.  Lally  refusa  de  laisser 
partir  Bussy  que  désignait  le  Conseil  et  envoya  Moracin  au 
secours  de  cette  place,  mais  11  était  déjà  trop  tard  ;  Gonflans 
avait  capitulé  quelques  jours  avant  l'arrivée  de  Moracin  et 
de  sa  petite  armée  (15  avril  1759).  La  perte  de  Masulipatam 
était  d'une  importance  capitale  ;  aussitôt,  en  effet,  le  soubab 
du  Deccan,  notre  allié  et  notre  créature,  Salabet-Singh,  bien 
sûr  de  n'avoir  plus  rien  à  espérer  de  nous,  proposa  son 
alliance  à  Clive  et  céda  pour  l'obtenir  Masulipatam  à  la  Com- 
pagnie anglaise. 

Ainsi,  il  ne  restait  plus  rien  des  conquêtes  de  Dupleix  et 
de  Bussy  1  Lally  comprit  trop  lard  qu'il  avait  fait  fausse  roule; 
il  pria  Bussy  d'accepter  le  commandement  d'une  petite  troupe 
qu'il  conduirait  auprès  de  Salabel-Singh,  pour  rétablir  noire 
influence  détruite  et  le  détacher  de  l'alliance  anglaise  ;  mais 
Bussy  refusa,  car  il  estimait  noire  crédit  définilivemenl  perdu 
au  Deccan  I 

Le  15  août  1759,  la  frégate  la  Gmciewse  apporta  des  instruc- 
tions du  ministère  :  Lally  recevait  les  pouvoirs  les  plus  éten- 
dus pour  corriger  tous  les  abus  et  les  malversations  dans  la 
Compagnie,  mais  on  lui  adjoignait  officiellement  Bussy  avec 
le  titre  de  commandant  en  second.  Celui-ci,  satisfait,  dé- 
clara à  Lally  qu'il  fallait  ranger  à  notre  influence  Bassalet- 
Singh,  et,  puisqu'on  avait  reconnu  son  rival  Rajah-Sahib,  le 
mieux  était,  selon  lui,  de  conclure  un  arrangement  entre  ces 


LA    GUERRE    DE    SEPT    ANS  415 

deux  princes.  Lally  dut  se  rallier  à  ce  plan,  le  seul  judicieux, 
et  donna  à  Bussy  un  détachement  avec  du  canon  pour  rejoin- 
dre Bassalet-Singh  ;  mais,  avec  une  partialité  regrettable,  il 
ne  consentit  point  à  reconnaître  le  mérite  de  son  lieutenant, 
et  il  écrivit  à  M.  de  Silhouette  les  pires  injures  sur  le  compte 
de  ce  rival  qu'il  détestait  (1). 

Sur  ces  entrefaites,  d'Aché,  que  l'on  avait  désespéré  de  re- 
voir dans  l'Inde,  reparaissait  à  Pondichéry  avec  11  vaisseaux 
et  Lally  se  crut  au  bout  de  ses  tourments  ;  mais  d'Aché  n'avait 
pas  changé;  le  2  septembre,  à  la  hauteur  de  Trincomali,  il 
avait  rencontré  l'escadre  anglaise  qui  cherchait  à  lui  barrer 
le  passage  ;  on  s'était  battu,  il  avait  passé,  mais  il  n'avait  pu 
prendre  ni  détruire  aucun  des  navires  ennemis  et  il  s'esti- 
mait vaincu.  Il  offrit  de  débarquer  50  hommes  et  40.000  livres, 
ajoutant  qu'il  ne  pouvait  rien  de  plus  et  qu'il  allait  reprendre 
la  mer.  Ce  fut  de  la  consternation  ;  on  le  supplia  de  rester 
jusqu'au  départ  de  la  flotte  anglaise,  mais  d'Aché  ne  se  laissa 
pas  convaincre,  et  partit.  Aussitôt  Lally  rassembla  le  Conseil  ; 
une  protestation  solennelle  fut  rédigée,  déclarant  qu'il  serait 
demandé  justice  au  Roi  d'une  pareille  conduite  (2)  ;  d'Aché 
put  être  rejoint  ;  il  revint,  mais  déclara  de  nouveau  qu'il  par- 
tirait ;  cependant  il  consentit  cette  fois  à  donner  450  matelots. 

(1)  «■  De  tous  les  grands  criminels  condamnés  au  supplice  de  la 
roue,  disail-il,  il  n'en  est  pas  un  dont  les  crimes  approchent  de  ceux 
de  Bussy.  »  T.  Hamont,   Lally-Tollendal,  p.  214. 

(2)  Cette  protestation  figure  aux  Archives  nationales  dans  les  papiers 
de  M.  de  Verdière  relatifs  à  la  guerre  dans  l'Inde  (1755-1759).  F50-i. 
<  Il  a  été  résolu,  y  était-il  dit,  d'assembler  un  conseil  national,  lequel 
a  prolesté  unanimement  contre  votre  départ  précipité, vous  déclarant  seul 
responsable  de  la  perte  de  cette  colonie.  Il  a  été  délibéré  en  consé- 
quence qu'il  en  serait  porté  plainte  au  Roi  et  au  ministre  pour  en  deman- 
der justice,  la  Compagnie  n'ayantjamais  eu  d'autre  objet  en  demandant 
des  vaisseaux  au  Roi  que  celui  de  sauver  ses  établissements  au  risque 
de  ces  mêmes  vaisseaux » 


416  TROISIÈME    PARTIE,    CHAPITRE    VI 

Le  27  septembre  apparut  l'escadre  anglaise  qui  croyant 
d'Aché  parti,  s'avançait  sans  méfiance  ;  on  aurait  pu  la  bat- 
tre à  plate  coulure,  mais  d'Aché  gagna  le  large  sans  même 
engager  le  combat  et  ne  revint  plus  ! 

La  situation  était  alors  fort  grave  à  Pondichéry  ;  l'opinion 
publique  était  exaltée  au  plus  haut  point  contre  Lally,  dont 
tous  les  actes  étaient  entravés  par  une  mauvaise  volonté  gé- 
nérale ;  l'armée  n'avait  pas  été  payée  depuis  dix  mois,  elle 
manquait  de  vivres,  de  vêtements,  de  tout  ;  le  17  octobre,  le 
bataillon  de  Lorraine  se  révolta,  toute  l'armée  le  suivit  et 
alla  camper  hors  des  murs  de  la  ville,  chassa  ses  officiers  et 
élut  généraux  deux  simples  sergents,  puis  adressa  à  Lally  une 
sommation  d'avoir  à  payer  la  solde  sous  quatre  jours!  Le 
général  indigné  envoya  Grillon  parlementer,  pendant  qu'il 
forçait  le  Conseil  à  porter  comme  lui  toute  sa  vaisselle  à  la 
Monnaie  pour  en  faire  quelque  argent.  Les  mutins  se  soumi- 
rent el  Lally,  pour  éviter  une  nouvelle  surprise,  envoya  une 
partie  de  l'armée  à  Arcot  et  donna  l'autre  à  Grillon,  pour 
marcher  sur  Gheringam  dont  la  prise  pourrait  nous  procurer 
des  ressources.  G'élait  une  faute,  car  on  se  privait  ainsi  de 
tout  appui;  les  Anglais  le  surent  et  en  profitèrent;  Wan- 
diwash  (1)  fut  attaqué  et  pris,  et  bientôt  Arcot  fut  assiégé  par 
eux. 

Grillon  avait  enlevé  brillamment  Gheringam,  mais  il  n'y 
avait  pas  trouvé  d'argent  et  on  dut  le  rappeler.  Pour  comble 
de  malheur,  on  apprit  que  Bussy  avait  échoué  dans  sa  mis- 
sion auprès  de  Bassalel-Singh,  dont  la  révolte  récente  des 
troupes  françaises  avait  changé  les  bonnes  dispositions.  Il 
revenait  en  effet  au  prix  de  grandes  difficultés,  mais  il  apprit 
en  route  le  siège  d'Arcol,  et  ayant  rallié  les  troupes  chassées 
de  Wandiwash,  força  les  Anglais  à  se  retirer. 

(1)  Ou  moins  exactement  Vandavachy. 


LA    GUERRE    DE    SEPT    ANS  417 

Lally  était  désespéré;  il  parlait  d'abandonner  le  commande- 
ment à  Bussy  et  de  marcher  lui-même  sur  Trichinopoli.  Fina- 
lement il  se  dirigea  sur  Wandiwash  avec  2.300  Européens, 
une  cavalerie  de  Mahraltes  et  les  cipayes.  Les  Anglais  sous  les 
ordres  du  colonel  Goole  s'étaient  postés  entre  Madras  et  Wan- 
diwash sur  la  rive  duPalar  ;  Lally  enleva  Gonjivaron  d'où  ils 
tiraient  leurs  vivres  etprit  d'assaut  la  ville  de  Wandiwash, mais 
le  fort  résista  et  on  perdit  une  semaine  en  préparatifs  contre 
lui  ;  le  chevalier  Dure  prenait  des  dispositions  «  comme  s'il  se 
fût  agi  d'assiéger  Luxembourg  »  (1).  Lally  inquiet  manda  à 
Bussy  de  venir  le  rejoindre  ;  à  peine  celui-ci  élait-il  arrivé 
qu'on  fut  attaqué,  le  22  janvier  1760  :  à  la  première  décharge 
les  Mahrattes  tournèrent  bride  et  s'enfuirent  ;  Lally  prit 
lui-même  la  tête  de  sa  cavalerie  européenne,  mais  celle- 
ci  lâcha  pied  à  son  tour,  laissant  le  général  seul  en  face  de 
l'ennemi  ;  le  bataillon  de  Lorraine  s'élança  à  la  baïonnette 
et  son  choc  fut  terrible,  mais  les  réserves  de  Coote  le  rejetè- 
rent en  désordre.  Bussy  rallia  de  nouveau  les  troupes  qui 
hésitaient  et  les  mena  trois  fois  à  la  charge,  mais  les  An- 
glais avaient  pu  opérer  un  habile  mouvement  tournant  et 
nous  débordèrent  :  une  panique  mit  les  nôtres  en  fuite,  et 
Bussy  fut  pris.  Lally  arrêta  cependant  la  déroute,  emmena 
10  de  ses  canons,  encloua  les  8  autres  qu'il  ne  pouvait  sau- 
ver, puis  il  se  replia  sur  Pondichéry. 

La  bataille  de  Wandiwash,  qui  ne  rendait  pas  la  situation 
désespérée,  affola  cependant  Lally  ;  il  injuria  le  gouverneur 
et  les  conseillers,  fit  même  emprisonner  l'un  d'eux,  M.  de  la 
Selle  ;  il  voyait  partout  des  traîtres,  et  se  croyait  sans  cesse 
entouré  de  complots, mais  Pondichéry  assistait  avec  satisfac- 
tion à  ce  désespoir  qui  le  vengeait  ! 


(1)T.  Hamont,  Lally-Tollendal,  p.  240. 

w.  -  il 


418  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VI 

Les  Anglais, d'abord  surpris  de  leur  victoire,  en  avaient  vite 
profité.  Arcol,  qui  avait  une  garnison  de  850  hommes  et  pou- 
vait résister  longtemps,  se  rendit  à  eux  après  un  siège  de 
huit  jours;  puis  successivement  Clieloupet,  Timeri,  Divicotta 
tombèrent,  Gingi  seul  tenait  encore. 

Lally  comprit  la  gravité  de  cette  situation  ;  il  voulut  repren- 
dre l'offensive,  mais  l'armée  se  mutina  encore  en  réclamant 
sa  solde,  et  le  25  février  1 760,  au  moment  où  au  prix  d'efforts 
désespérés  on  avait  pu  la  satisfaire,  l'escadre  anglaise  jetait 
l'ancre  devant  Pondichéry  ! 

Coole,  de  son  côté,  avançait  rapidement  :  Valdaour,  puis 
Karikal  tombèrent  entre  ses  mains  ;  Lally  s'établit  à  Oulgaret, 
à  peu  de  distance  de  la  ville,  et  pendant  trois  mois  les  deux 
commandants  se  contentèrent  de  s'observer.  Lally  avait  de- 
mandé l'assistance  du  roi  de  Mysore,  et  en  cédant  Tiagar  il 
en  obtint  la  promesse  d'un  secours  de  8.000  hommes  et  d'un 
important  convoi  de  vivres,  mais  les  Anglais  les  dispersèrent 
au  passage. 

Lally,  réduit  à  ne  plus  compter  que  sur  lui-même,  attaqua 
dans  la  nuit  du  3  septembre  1760  :  les  Anglais  devaient  être 
tournés,  mais  le  bataillon  de  l'Inde  qui  devait  faire  ce  mou- 
vement tournant,  fit  volte-face  et  regagna  la  ville  ;  il  fallut 
se  retirer.  Bientôt  les  Anglais  se  furent  emparés  des  redou- 
tes qui  défendaient  les  abords  de  Pondichéry,  et  l'on  dut 
s'y  enfermer.  L'ennemi  qui  comptait  5.000  Européens  et 
10.000  cipayes,  n'en  tenta  point  le  siège  et  se  contenta  d'un 
investissement.  Les  sorties  tentées  par  Lally  ne  purent 
rompre  ses  lignes,  et  l'escadre  anglaise  tenant  la  mer  de- 
vant la  ville,  l'isolement  de  celle-ci  était  complet.  Pour  com- 
ble d'infortune,  une  sédition  réunit  contre  le  général  tous  les 
employés  de  la  Compagnie,  parmi  lesquels  de  Leyrit, malgré 
ses  griels  contre  lui,  se  conduisit  seul  en  homme  de  cœur. 


LA    GUERRE    DE    SEPT    ANS  419 

La  population  de  Pondiehéry  se  montra  au-dessous  de  tout; 
sans  égard  pour  sa  situation  difficile,  elle  accablait  Lally 
d'injures  et  de  sarcasmes,  le  menaçait  de  mort,  peut-être 
même  chercha  à  l'empoisonner  !  Lally  sombre,  irrité,  malade, 
ne  se  montrait  plus,  mais  il  était  décidé  à  tenir  jusqu'au 
bout  et  attendait  contre  tout  espoir  le  retour  de  d'Aché. Celui- 
ci,  malgré  le  Gouverneur  et  le  Conseil  de  l'ile  de  France,  re- 
fusa de  faire  voile  pour  Pondiehéry  (1).  On  fut  bientôt  à  bout 
de  vivres  et  il  fallut  chasser  les  Indiens  de  la  ville  ;  enfin 
après  cinq  mois  de  siège  on  capitula,  le  16  janvier  1761  .Coote, 
après  avoir  exigé  la  reddition  pure  et  simple,  consentit  à 
prendre  l'engagement  que  Pondiehéry  ne  serait  pas  rasé  ; 
mais  le  gouverneur  de  Madras,  Pigot,  ne  voulut  pas  recon- 
naître celte  concession.  Lally  fut  emmené  prisonnier  à  Ma- 
dras, et  protégé  à  grand'peine  par  les  vainqueurs  contre  une 
populace  en  fureur,  et  le  10  mars  1762  il  fui  embarqué  pour 
l'Europe,  tandis  que  Pondiehéry  était  rasé  de  fond  en  comble 
par  l'implacable  gouverneur  (2)  ! 

(1)  Les  autorités  des  Iles  avaient  supplié  d'Aché  de  prendre  la  mer 
pour  deux  motifs,  d'abord  le  péril  que  courait  Pondicnéry,  puis  la 
famine  dont  la  présence  de  l'escadre  les  menaçait  elles-mêmes.  On  en 
vint  ensuite  aux  menaces,  on  refusa  de  fournir  à  l'amiral  le  pain  dont 
il  avait  besoin  :  rien  ne  réussit  à  le  faire  sortir  de  son  immobilité  inex- 
cusable. Enfin  une  partie  de  son  escadre  fut  jetée  à  la  côte  de  l'île  par 
un  ouragan  en  janvier  1760,  peu  de  temps  avant  l'investissement  de 
Pondiehéry,  ce  qui  justifierait  sa  non-intervention  si  par  sa  coupable 
obstination  il  n'avait  pas  été  au-devant  de  ce  désastre. 

(2)  Lally  fut  conduit  en  Angleterre,  mais  obtint  de  rentrer  en 
France  prisonnier  sur  parole.  Les  conseillers  de  Pondiehéry,  les  fonc- 
tionnaires de  la  Compagnie,  ses  propres  lieutenants  réclamaient  alors 
au  Roi  justice  contre  lui  et  l'opinion  publique  qu'indignaient  les  dé- 
sastres de  la  guerre  le  regardait  comme  un  traître  et  l'accusait  d'avoir 
vendu  l'Inde  aux  Anglais.  Le  gouvernement  royal  ne  put  lui  résister; 
Lally  fut  mis  à  la  Bastille  et  y  resta  19  mois  sans  être  interrogé  ;  on 
espérait  en  effet  voir  s'apaiser  l'opinion,  mais  on  n'y  réussit  point  et  il 


420  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VI 

La  chute  de  Mahé,  dont  les  Anglais  s'emparèrent  ensuite 
sans  difficulté,  consomma  la  ruine  de  la  puissance  française 
dans  la  péninsule  ;  quand  la  guerre  prit  fin,  tous  les  comp- 
toirs indiens  de  la  Compagnie  étaient  en  la  possession  de  sa 
rivale,  l'œuvre  patiemment  poursuivie  pendant  un  siècle, 
pour  donner  à  la  France  un  domaine  colonial  dans  celle 
partie  du  monde,  était  détruite  par  une  catastroplie  terrible 
dont  la  politique  imprévoyante  du  gouvernement  de  Louis  XV 
supportait  toute  la  responsabilité. 

Hélas  !  à  cette  lieure  même,  à  l'autre  extrémité  du  monde, 
un  désastre  aussi  cruel  atteignait  une  autre  partie  de  notre 
empire  colonial,  et  le  Canada  succombait  comme  l'Inde, 
victime  des  mêmes  fautes  et  malgré  d'aussi  éclatantes 
preuves  de  vaillance, 

La  perte  de  ses  comptoirs  de  l'Inde  ne  fut  pas  d'ailleurs  la 
seule  dont  eut  à  souffrir  la  Compagnie  des  Indes  ;  contre  une 
attaque  systématique  et  puissante  comme  celle  dont  le  gou- 
vernement anglais,  plus  clairvoyant  que  le  nôtre,  l'accabla  à 
litre  de  mandataire  de  sa  propre  Compagnie,  elle  ne  pouvait 
avec  ses  faibles  ressources  se  défendre  partout  aussi  long- 
temps que  dans  l'Inde  ;  aussi  ses  colonies  d'Afrique,  livrées 
à  leurs  propres  forces,  succombèrent-elles  sans  difficulté  ; 


fallut  se  résoudre  à  ouvrir  le  procès  de  l'infortuné  général.  Il  comparut 
le  l»""  avril  1764  devant  le  Parlement  sous  l'inculpation  de  haute  trahison 
et  de  concussion.  L'inslruclion  fut  conduite  avec  une  grande  partialité 
et  aux  accusations  que  vinrent  porter  contre  lui  ses  anciens  compa- 
gnons :  d'Aché,  Dure,  de  Leyrit,  Bussy,  Moracin,  on  lui  laissa  à  peine 
le  moyen  de  répondre:  il  fut  condamné  à  mort.  Le  Roi,  qui  eût  voulu 
le  sauver,  ne  crut  pas  devoir  le  faire  et  Lally  refusa  de  s'enfuir  comme 
on  lui  en  offrit  l'occasion  :  il  fut  décapité  en  (irève  le  9  mai  1766.  Dix 
années  plus  tard,  son  fils  réclama  sa  réhabilitation  et  le  Conseil  du  Roi 
cassa  l'arrêt  qui  l'avait  condamné,  mais  cette  réhabilitation  elle-même 
fut  refusée  à  sa  mémoire  par  les  Parlements  de  Rouen  et  de  Dijon. 


LA    GUERRE    DE    SEPT    ANS  421 

Saint-Louis  et  Gorée,  qui  n'avaient  qu'une  1res  petite  garni- 
son, lombèrenl  bien  vite  ;  le  Sénégal  et  la  Guinée  furent 
occupés  par  des  troupes  débarquées  des  escadres  an- 
glaises (17d8). 

En  France  même  elle  fut  cruellement  atteinte  ;  si  Lorient 
ne  fut  pas  menacé  comme  dans  la  guerre  précédente,  Belle- 
Ile  qui  lui  appartenait,  où  elle  avait  des  magasins  et  des  ap- 
provisionnements importants,  vit  l'amiral  Keppel  débarquer 
12.000  hommes  auxquels  elle  ne  put  opposer  aucune  résis- 
tance ;  la  citadelle  du  Palais  fut  prise  d'assaut  et  le  gouver- 
vernement  royal  repoussa  l'offre  du  corsaire  Cornic-Dufresne 
qui  proposa  d'aller  incendier  la  flotte  anglaise  à  son  mouil- 
lage (1760). 

La  paix  fut  rétablie  par  les  préliminaires  du  13  novembre 
1762  etlaliquidation  de  cette  guerre  désastreusefut  accomplie 
par  le  traité  de  Paris, 10  février  1763.  On  sait  quelles  en  furent 
les  conditions  :  notre  empire  colonial  fut  démembré, et  la  ma- 
jeure partie  en  passa  aux  mains  des  vainqueurs.  Du  domaine 
delà  Compagnie  ilnelui  fut  rendu  quedes  débris;  dans  l'Inde, 
elle  recouvra  les  cinq  comptoirs  de  Pondichéry,  Chanderna- 
gor,  Mahé,  Karikal  et  Yanaon,  mais  chacun  d'eux  fut  enserré 
dans  un  étroit  territoire  qu'entouraient  les  possessions  an- 
glaises et  la  Compagnie  dut  s'engager  à  ne  jamais  les  forti- 
fier, et  à  n'y  entretenir  que  le  nombre  d'hommes  armés  in- 
dispensables pour  y  exercer  la  police.  On  lui  rendit  également 
les  loges  de  Surat,  Calicut,  Balasor,  Daca,  Gassimbazar, 
Palna,  Jougdia,  et  il  lui  en  fut  accordé  une  à  Masulipatam, 
la  capitale  de  son  ancienne  province  des  Circars  !  Au  Sénégal 
elle  fut  remise  en  possession  de  Gorée,  mais  Saint-Louis 
resta  aux  mains  des  vainqueurs  ;  en  Amérique,  la  perte  du 
Canada  détruisit  son  commerce  du  castor,  celle  de  Saint- 
Domingue  lui  enleva  la  fourniture  des  nègres  à  cette  colonie. 


422  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   VI 

C'est  avec  ces  débouchés  réduits,  dans  ces  comptoirs  rui- 
nés par  la  guerre,  qu'elle  dut  reprendre  ses  opérations  com- 
niercialea  ;  le  relèvement  de  celles-ci  fut  néanmoins  rapide; 
elle  s'altaclia  à  reconstruire  Pondichéry,  à  éteindre  les  det- 
tes considérables  qu'elle  avait  contractées  dans  l'Inde  pen- 
dant la  guerre  (1)  ;  mais  elle  ne  devait  point  cependant  ob- 
tenir la  récompense  de  ces  très  méritoires  efforts,  car  six 
années  seulement  après  que  le  retour  de  la  paix  lui  eût  rendu 
sa  liberté  d'action,  son  privilège  était  suspendu  par  le  gou- 
vernement royal  et  sa  chute  suivait  ainsi  de  près  celle  de 
l'empire  colonial  qu'elle  s'était  trouvée  impuissante  à  dé- 
fendre. 

(1)  En  1764  elle  rendit  au  Roi  les  îles  de  France  et  Bourbon  qui 
furent  incorporées  au  domaine  de  la  Couronne  (Editd'aoùl  1764,  art.  2). 


CHAPITRE  VII 


L  ADMINISTRATION  DE  LA  COMPAGNIE    DES  INDES, 


I.  —  L'adminislration  centrale  ;  ses  origines  :  l'Occident  et  la  Compagnie 
des  Indes  Orientales;  ses  successives  transformations.  —  Organisa- 
tion du  29  août  1720.  —  Organisation  du  23  mars  1723  :  le  Conseil 
des  Indes.  —  Organisation  du  30  août  1723.  —  Organisation  du  23 
janvier  1731.  — Organisation  définitive  du  11  juin  1748.  —  Régie 
des  affaires  de  la  Compagnie  :  les  départeoients,  les  bureaux,  les 
assemblées  d'administration.  —  Les  acteurs  :  le  Commissaire  du  Roi, 
les  Directeurs,  les  Syndics,  les  Actionnaires.  —  Réforme  de  cette 
administration  par  l'édit  d'aoiît  1764. 

II.  —  L'administration  coloniale.  —  Ses  principes;  sa  constitution: 
gouvernements  et  comptoirs.  —  Les  Gouverneurs  et  les  Conseils.  — 
Le  personnel  colonial.  —  Troupes  de  la  Compagnie.  —  Etude  parti- 
culière des  possessions  de  la  Compagnie  en  Amérique,  en  Afrique  et 
en  Asie. 


I 

L'administration  de  la  Compagnie  des  Indes  fut  certaine- 
ment l'un  des  organismes  les  plus  importants  de  la  France 
du  xvni^  siècle  ;  elle  est  cependant  fort  peu  connue,  et  il  faut 
ajouter  assez  difficile  à  connaître,  car  elle  a  disparu,  pour- 
rait-on dire,  sans  laisser  de  traces  et  la  complexité  qui  fut 
son  caractère  principal,  en  rend  dans  ces  circonstances 
l'étude  fort  malaisée. 

Ce  que  l'on  appelle  aujourd'hui  la  grande  administration 
était  déjà  constituée  sous  le  règne  de  Louis  XV,  telle  à  peu 
de  chose  près  que  nous  la  connaissons.  Le  gouvernement 
royal  en  avait  le  premier  montré  l'exemple  et  les  grands 


424  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VII 

services  publics  étaient  déjà  des  machines  compliquées  et 
délicates,  résultat  forcé  de  la  centralisation  à  laquelle  avaient 
tendu  et  abouti  les  efforts  de  la  monarchie  depuis  un  siècle. 
Dans  les  ministères  s'agitait  un  monde  d'administrateurs, 
d'employés  et  de  commis  de  toute  sorte, dont  les  occupations, 
les  habitudes  et  les  physionomies  même  n'ont  guère  dû 
changer  depuis  lors, en  dépit  des  bouleversements  politiques 
et  sociaux.  Mais  il  y  avait  aussi  dès  cette  époque  de  grandes 
administrations  privées,  à  qui  l'importance  de  leurs  affaires 
et  des  rapports  fréquents  avec  la  machine  gouvernementale 
avaient  fait  adopter  une  semblable  organisation  :  la  Compa- 
gnie des  Indes  fut  l'une  des  premières  et  resta  l'une  des  plus 
considérables  (1). 

Héritière  des  règles  et  des  traditions  de  la  Compagnie  de 
Colbert,  à  laquelle  celui-ci  avait  imposé  l'esprit  méthodique 
du  grand  règne,  elle  l'était  aussi  des  procédés  de  travail  fié- 
vreux et  brouillons  du  Système,  de  la  Banque,  et  de  l'Occi- 
dent, et  elle  garda  de  cette  double  origine  un  caractère  fort 
curieux,  fait  d'ordre  et  de  désordre,  de  grandeur  et  de  peti- 
tesse. 

Cette  organisation,  en  raison  même  de  ces  tendances  con- 
tradictoires, ne  fut  pas  l'œuvre  d'un  jour  ;  elle  subit  au  con- 
traire de  successifs  et  importants  remaniements  et  ne  revêtit 
que  fort  tard  une  forme  définitive. 

Le  siège  social  de  la  Compagnie  fut  naturellement  fixé  à 
Paris,  comme  l'avaient  été  ceux  de  la  Compagnie  de  Colbert 
et  de  toutes  les  grandes  Compagnies  de  commerce  anté- 
rieures ;  les  constantes  et  étroites  relations  qu'elle  était  appe- 
lée à  entretenir  avec  le  gouvernement  royal  et  la  réunion 


(1)  On  peut  encore  citer  l'administration,  très  importante  également, 
de  la  Ferme  Générale,  et  un  certain  nombre  d'autres. 


l'administration   de   la   compagnie   des   INDES  42  îî 

dans  celle  ville  de  la  majeure  partie  des  intérêts  qu'elle  re- 
présentait, imposaient  d'ailleurs  cette  solution,  et  Law l'éta- 
blit dès  le  début  dans  l'hôtel  du  président  Tubeuf,  rue  Neuve 
des  Petits-Cliamps,  qui  lui  lit  un  cadre  digne  d'elle  et  resta 
jusqu'à  sa  chute  V Hôtel  de  la  Compagnie  des  Indes  {\). 

L'administration  de  la  Compagnie  d'Occident,  qui  fut  le 
point  de  départ  de  la  sienne,  avait  été  fixée  par  l'édit  qui 
constitua  cette  Compagnie  au  mois  d'août  1717.  Elle  était 
confiée  à  six  Directeurs  dont  le  Roi  s'était  réservé  la  nomi- 
nation pour  la  première  fois,  mais  qui  devaient  être  régu- 
lièrement remplacés  par  les  actionnaires  et  par  moitié  tous 
les  deux  ans  (2).  Les  actionnaires  devaient  être  réunis  tous 
les  ans  en  assemblée  générale  (3),  pour  entendre  et  approu- 
ver le  bilan  de  l'exercice  précédent  et  voler  ensuite  la  répar- 
tition des  bénéfices;  enfin  la  possession  de  50  actions  était 
exigée  pour  avoir  dans  cette  assemblée  voix  délibéra tive  (4). 

Cette  constitution  n'eut  guère  le  temps,  il  est  vrai,  d'être 
expérimentée,  car  les  vingt  mois  qui  séparèrent  la  création 
de  l'Occident  de  celle  de  la  Compagnie  des  Indes  s'écoulèrent 
rapidement  au  milieu  des  spéculations  précipitées  du  Sys- 

(1)  L'hôtel  Tubeuf  dont  la  façade  est  rue  des  Petits-Champs  et  qui 
occupe  une  grande  partie  de  la  rue  Vivienne,  fait  aujourd'hui  partie  de  la 
Bibliothèque  Nationale  :  il  fut  d'ailleurs  occupé  en  même  temps  par  la 
Bourse  dans  sa  partie  postérieure  et  sur  cette  même  rue  Vivienne  (1724- 
1793). 

(2)  Les  six  premiers  Directeurs  furent:  MM.  Castagnète,  Dartaguelte, 
Duché,  Moreau,  Mouchard  et  Pion  ;  Law  était  Directeur-Général  et  ne 
comptait  pas  parmi  eux.  Arrêt  du  12  septembre  1717.  — Trois  Direc- 
teurs supplémentaires  nommés  par  l'arrêt  du  8  février  1718,  MM.  Rau- 
dot,  Hardancourt  et  Gilly  de  Montaud,  portèrent  leur  nombre  à  neuf. 

(3)  La  date  de  l'assemblée  et  son  ordre  du  jour  devaient  être  affichés 
et  insérés  dans  les  gazettes. 

(4)  50  actions  donnaient  une  voix,  100  en  donnaient  deux  et  ainsi 
de  suite. 


426  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VH 

ttme,  et  les  règles  qu'elle  posait  ne  furent  pour  la  plupart 
point  appliquées. 

La  réunion  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  à  la 
Compagnie  d'Occident  au  mois  de  mai  1719,  bientôt  suivie 
d'accroissements  inouïs,  déborda  ce  cadre  primitif  et  il  fallut 
en  créer  un  plus  considérable.  Aussi  éleva-t-on  le  nombre  des 
Directeurs  de  six  à  trente  et  les  places  nouvelles  furent  don- 
nées par  Law  aux  Fermiers  et  aux  Receveurs  Généraux  que 
ses  acquisitions  avaient  privés  de  leurs  charges  (1)  ;  la  réu- 
nion des  services  de  la  Banque  à  ceux  de  la  Compagnie  en 
une  même  administration  dont  celle-ci  reçut  la  direction  (2), 
vint  d'ailleurs  justifier  peu  après  cet  agrandissement. 

Cette  seconde  forme  donnée  à  la  Compagnie  des  Indes  fut 
cependant  aussi  éphémère  que  la  première,  car  un  arrêt  du 

29  août  1720  vint  encore  lui  en  substituer  une  nouvelle  :  la 
ruine  du  Système  ne  pouvait  plus  alors  être  évitée  et  Law 
s'efforçait  de  sauver  la  Compagnie  du  désastre  ;  c'est  évi- 
demment sous  l'empire  de  cette  préoccupation  qu'il  obtint 
pour  elle  une  organisation  plus  minutieuse  cette  fois  que 
les  deux  précédentes.  Le  nombre  des  Directeurs  fut  abaissé  de 

30  à  24,  et  leur  traitement  fixé  à  20.000  livres  par  an  ;  chacun 
d'eux  devait  posséder  200  actions  et  les  déposer  dans  la 
Caisse  de  la  Compagnie  pour  toute  la  durée  de  ses  fonctions. 
Comme  pour  l'Occident,  les  premiers  furent  désignés  par  le 
Roi  (3),  mais  leurs  successeurs  devaient  être  élus  par  les 

(1)  L'arrêt  du  31  mai  1719  nomma  en  efTet  Directeurs  de  la  Compa- 
gnie les  Fermiers  Généraux  :  Berlhelot,  Le  Gendre,  Adine,  Thiroux,  de 
la  Houssaye,  Périnet,  Chevalier,  de  la  PorU\  Desvieux,  La  Live  de 
Bellegarde,  I>allemenl  de  Betz,  Laiigeois,  La  Porte  de  Féraucourt, 
Fillon  de  Villemur,  Savalette,  Montpellier,  Le  Normanl. 

(2)  Arrêt  du  23  Février  1720. 

(3)  Ces  24  Directeurs  furent  :  MM.  Hardancourl,  Martin,  Darlaguelte, 
Morin,  de  Rigby,  la  Franquerie,  Mouchard,  d'Espréméiiil,   Castanier, 


l'administration    de    la    compagnie    des    INDES  427 

actionnaires  réunis  en  assemblée  générale.  L'adminislralion 
de  la  Cornpao-nie  fut  divisée  en  deux  grandes  parties  :  d'une 
part  le  Commerce  ;  de  l'autre  V Exploitation  des  Revenus  Fi- 
nanciers (Tabac,  Ferme  Générale,  etc.)  ;  chacune  de  ces  par- 
lies  comprenait  elle-même  un  certain  nombre  de  départe- 
ments (1),  entre  lesquels  se  partagèrent  les  24  directeurs. 

A  chaque  département  étaient  attachés  deux  Directeurs,  à 
l'exception  de  celui  des  aides, contrôle  des  actes,  francs-fiefs, 
qui  en  avait  cinq,  et  celui  des  voyages  qui  n'en  comptait 
qu'un.  Plusieurs  Directeurs  se  trouvaient  d'ailleurs  affectés 
à  plusieurs  départements  entre  lesquels  ils  devaient  parta- 
ger leurs  soins. 

Enfin  rien  ne  fut  innové  sur  les  règles  antérieurement 
établies  en  ce  qui  concernait  la  situation,  les  droits  et  les 
prérogatives  des  actionnaires. 

Cette  forme  d'administration  resta  en  vigueur  pendant  deux 
ans  et  demi,  d'août  1720  à  mars  1723,  et  ces  24  Directeurs 
eurent  la  tâche  fort  lourde  de  soutenir  la  Compagnie  pendant 
la  débâcle  du  Système,  et  de  subir  l'étroite  surveillance  des 
commissaires  du  Conseil  qui  vinrent  examiner  leurs  livres 
et  contrôler  leurs  opérations (2). Us  ne  furent  point  sans  mérite 

Fromaget,  La  Porte,  Godelieu,  Juan,  Nouveau,  Lailement,  La  Haye, 
Périnel,  de  Viilemur,  Savalette,  Julie,  Le  Gendre,  Dupleix,  Laugeois 
et  Corneau. 

(1)  Il  y  avait  ainsi  8  départements  du  commerce  qui  s'intitulaient: 
1°  Inde  et  ventes.  —  2*  Louisiane,  Sénégal,  Barbarie.  —  3°  Armements. 
—  4°  Achats.  —  5°  Changes  étrangers  et  Monnaies.  —  6"  Livres,  Caisse, 
Répartitions.  — 1' Voyages.  — S"  Lorient  [ce  àevniev  ne  comptait  pas 
à  Paris). 

L'administration  des  Revenus  Financiers  comptait  de  son  côté  6  dé- 
partements :  1°  Recette-Générale  et  Contrôle-Général. —  2°  Gabelles.  — 
3°  Aides,  Contrôle  des  actes,  Francs-Fiefs.  —  4°  Cinq  Grosses  Fermes  et 
Tabac.  —  5°  Litre^-joiirnanx.  —  6°  Affaires  des  Conseils. 

(2)  L'arrêt   du    27    décembre    1720   désigna    deux   commissaires  : 


428  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VII 

de  ne  pas  succomber  dans  celle  délicale  silualion  el  de  main- 
tenir la  Compagnie  debout  au  milieu  des  ruines  de  l'œuvre 
de  Law. 

Lorsque  la  liquidation  du  Système  eut  pris  fin,  que  le  gou- 
vernement royal  se  fut  déclaré  décidé  à  conserver  la  Compa- 
gnie el  l'eut  débarrassée  des  entraves  dont  il  l'avait  momen- 
tanément chargée,  l'on  jugea  qu'un  nouveau  remaniement 
de  son  administration  était  devenu  nécessaire,  qui  assurât 
d'une  façon  permanente  le  contrôle  de  l'Etat  sur  elle  ;  et  la 
concession  de  privilèges  nouveaux:  les  loteries,  le  café,  vint 
compenser  la  gêne  que  celle  restriclion  à  sa  liberté  devait 
lui  causer  ;  ce  fut  l'objet  de  l'arrêt  du  23  mars  1723.  *  11  n'a 
pas  paru  bon,  disait  le  préambule,  de  soumettre  la  Compa- 
gnie au  gouvernement  d'un  seul  chef...  ni  à  l'assemblée  des 
Actionnaires  el  aux  Directeurs  choisis  par  elle,  vu  la  difficulté 
de  prendre  des  délibérations  suivies  dans  une  assemblée 
aussi  nombreuse,  el  le  peu  de  connaissance  qu'ont  le  plus 
grand  nombre  des  Actionnaires  des  matières  du  commerce.  » 
Celle  prétendue  difficulté  n'était  qu'un  prétexte,  à  vrai  dire; 
elle  servit  néanmoins  à  légitimer  la  création  du  Conseil  des 
Indes. 

Ce  Conseil  qui  réunissait  toute  l'administration  de  la  Com- 
pagnie se  composait  d'un  Chef,  d'un  Président  el  de  20  Con- 
seillers. Parmi  ces  derniers,  six  devaient  être  pris  dans  le 
Conseil  du  Koi,  quatre  dans  la  marine  royale,  el  dix  «  parmi 
les  personnes  les  plus  instruites  du  fait  du  commerce  ».  Il 
était  divisé  en  deux  Bureaux  de  dix  membres:  le  premier, 
qui  comprenait  les  Conseillers  d'Etat  elles  officiers  de  marine, 
ne  devait  prendre  connaissance  que  des  affaires  imporlan- 

MM.  Crozat  et  Bernard,  et  celui  du  7  avril  1721  leur  en  adjoignit 
4  autres:  MM.  Trudaine,  Fagon,  Machault  et  Ferrand,  pris  dans  le 
Conseil  du  Roi. 


l'administration    de    la    compagnie   des   INDES  429 

les  ;  le  second,  composé  des  10  commerçants, avait  en  réalité 
toute  la  char^-e  de  l'administration.  Auprès  du  Conseil  sié- 
geaient un  Procureur  Général,  un  Secrétaire  et  un  Greffier, 
et  il  fut  formellement  mis  au  rang  des  Compagnies  Supérieu- 
res du  royaume.  Enfin  un  arrêt  du  24  mars  désigna  le  car- 
dinal Dubois, alors  premier  ministre,  comme  Chef  du  Conseil 
des  Indes,  et  la  place  de  Président  fut  donnée  au  Contrôleur- 
Général  Dodun  (1).  La  distribution  du  travail  fut  une  fois  de 
plus  remaniée  par  une  ordonnance  spéciale  (2)  :  le  premier 
bureau  resta  sans  attributions  déterminées,  car  son  but  était 
d'exercer  un  contrôle  général  ;  cependant  les  quatre  officiers 
de  marme  formèrent  un  département  parliculierqui  fulchargé 
«  de  tout  ce  qui  concernait  la  marine, la  construction  et  la  con- 
damnation des  vaisseaux,  les  fortifications  et  les  troupes  de  la 
Compagnie  ».  Au  contraire,  le  second  bureau  fut  réparti  en 
deux  Chambres{S):  la  Chambre  du  Commerce  etla  Chambre  du 
TabaCySe  composant  elles-mêmes  de  plusieurs  départements. 
La  première  fut  fractionnée  en  effet  en  10  subdivisions  (4)  ; 
mais  l'organisation  de  la  Chambre  du  Tabac   fut  remise  à 

(1)  Le  Conseil  des  Indes  se  composait  comme  suit  :  les  six  membres 
du  Conseil  du  Roi  étaient  :  MM.  Fagon,  de  Fortia,  conseillers  ;  Angran, 
Fontanieu,  Rouillé,  Peyrenc  de  Moras,  maîtres  des  requêtes.  —  Les 
quatre  officiers  de  marine  :  MM.  Duguay-Trouin,  ctief  d'escadre,  de 
Camilly,  capitaine  de  vaisseau,  de  Fayet,  Rochepierre,  capitaines  de 
frégate.  — Les  dix  membres  du  second  bureau  :  MM.  Bâillon  de  Blanc- 
pignon,  Raudot,  Castanier,  Duché,  de  la  Boullaye,  Godeheu,  Hardan- 
court,  Le  Cordier,  Fromaget,  et  Deshayes.  —  Le  procureur  général  : 
Lefebvre  de  la  Planche,  le  secrétaire  :  de  Caligny,  le  greffier  :  Farouard. 

(2)  Ordonnance  du  Roi  portant  règlement  pour  la  régie  et  adminis- 
tration de  la  Compagnie  des  Indes.  —  Règlement  général  arrêté  par 
le  Conseil  des  Indes  pour  l'administration  de  la  Compagnie.  — Archives 
nalionules,  F  50,4. 

(3)  Les  Directeurs  de  ce  bureau  seuls  furent  rémunérés  de  leurs 
fonctions  :  ils  touchaient  12.000  livres. 

(4)  1°  Indes  Orientales  et  ventes.  —  2°  Louisiane,  traite  avec  l'étran- 


430  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    Vil 

une  date  ultérieure  et  ne  fuL  peut-éLre  point  réalisée, car  cette 
troisièiue  forme  d'admiiiislration  ne  fut  pas  non  plus  défini- 
tive. Le  premier  bureau  élail  un  rouage  inutile  et  un  instru- 
ment de  contrôle  trop  visible,  aussi  au  cours  de  son  bref  pas- 
sa^eauxaffaires, quelques  semaines  seulement  avant  sa  mort, 
le  duc  d'Orléans  crut-il  devoir  apporter  à  la  Compagnie  une 
troisième  modification  qui  fit  l'objet  de  l'ordonnance  du 
30  août  1723. 

Le  Roi,  disait  en  substance  le  préambule  de  cet  acte,  avait 
reconnu  que  la  forme  de  régie  établie  par  l'arrêt  du  23  mars 
avait  produit  de  l'inquiétude  parmi  les  Actionnaires  dont  les 
intérêts  se  trouvaient  administrés  par  des  personnes  étran- 
gères au  choix  de  la  Compagnie,  sans  qu'ils  pussent  avoir 
aucun  détail  sur  cette  administration.  En  fait,  le  contrôle 
gouvernemental  prit  une  forme  plus  discrète,  quoique  tout 
aussi  efficace,  et  les  Actionnaires  furent  en  apparence  plus 
ménagés  ;  mais  la  manière  dont  furent  appliquées  les  ré- 
formes ne  leur  laissa  guère  la  portée  qu'on  avait  voulu  leur 
donner. 

Des  24  Directeurs  précédemment  en  fonctions,  il  n'en  fut 
gardé  que  douze,  qui  devaient  être  tous  actionnaires  et  titulai- 
res de  50  actions  ;  ils  furent  désignés  par  le  Roi  (1),et  la  durée 
de  leur  mandat  ne  fut  point  déterminée,  de  sorte  qu'ils  pou- 
vaient restoren  charge  jusqu'à  leur  décès  ou  leur  retraite;  les 

ger,  castor.  —  3°  Sénégal.  —  4°  Guinée.  —  .5°  Caisse,  livres,  ordon- 
nances de  paiement  et  de  recelte.  —  6*  Inspection  des  comptes,  bilans, 
répartitions.  —  1°  Achats.  —  8"  Appointements. affaires  contentieuses. 
—  9°  Barbarie,  change  et  correspondance  étrangers,  archives,  com- 
merce du  Nord.  —  10°  Armements,  vivres,  levées  d'équipages,  maga- 
sins-généraux. 

(1)  Ce  furent.  MM.  Bâillon  de  Blancpignon,  Raudot,  Castanier, 
d'Espréméuil,  (iodeheu,  Hardancourt,  Le  Cordier,  Fromaget,  Deshayes, 
Morin,  La  Franquerie  et  Mouchard. 


l'administration   de   la   compagnie   des   INDES  431 

Actionnaires  furent  iiiveslisdu  droit  de  pourvoir  aux  vacances 
qui  se  produiraient  de  la  sorte  et  même  de  destituer  et  rem- 
placer les  Directeurs  dont  la  gestion  leur  déplairait.  Leur  ad- 
ministration fut  placée  cette  fois  sous  la  surveillance  des  deux 
intérêts  en  présence,  celui  du  Roi  et  celui  des  Actionnaires, 
par  la  création  de  deux  rouages  nouveaux  :  les  Inspecteurs 
et  les  Syndics.  Les  Inspecteurs,  qui  devaient  tenir  la  place 
des  conseillers  du  premier  bureau  du  Conseil  des  Indes, 
étaient  pris  par  le  Roi  dans  son  Conseil,  parmi  les  conseillers 
et  les  maîtres  des  requêtes  titulaires  de  50  actions  Je  la  Com- 
pagnie (1)  ;  leur  rôle  était  «  de  veiller  sous  les  ordres  de 
Monseigneur  le  Contrôleur  Général  au  maintien  de  l'ordre,  de 
la  fidélité  et  de  l'exactitude  dans  le  travail  et  à  l'exécution 
des  Règlements  ».  Ils  devaient  rendre  compte  de  leur  mis- 
sion au  Contrôleur,dans  le  département  duquel  la  Compagnie 
resta  comme  sous  les  règnes  précédents.  Les  Syndics  devaient 
être  élus  tous  les  ans  au  nombre  de  huit  par  l'assemblée 
générale  des  Actionnaires  et  choisis*  parmi  les  notablesbour- 
geois,  bons  négociants  et  autres  gens  expérimentés  au  fait 
du  commerce,  de  la  banque  et  des  comptes.  »  Comme  les  Di- 
recteurs etles  Inspecteurs, ils  devaient  être  titulaires  deoO  ac- 
tions; leur  rôle  était,  comme  celui  des  Inspecteurs,  de  surveil- 
ler la  gestion  des  Directeurs,  dont  ils  devaient  rendre  compte 
tous  les  ans  aux  Actionnaires.  Quelle  était  enfin  la  part  faite 
à  ces  derniers  ?  Il  devait  y  avoir  chaque  année  une  assemblée 
générale  qui  devait  se  tenir  le  15  mars  :  le  droit  d'y  assister 
était  attaché  à  la  possession  de  50  actions  qui  devaient  être 
déposées  entre  les  mains  du  Caissier  avant  le  !«•■  février,  sans 

(1)  Les  premiers  Inspecteurs  en  charge  furent:  MM.  de  Fortia  con- 
seiller, Danican  de  Landivisiau,  Angran  et  Peyrenc  de  Moras,  maîtres 
des  requêtes  :  ils  restèrent  d'ailleurs  en  fonctions  jusqu'à  la  suppression 
des  Inspecteurs  en  1731. 


432 


TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VII 


pouvoir  en  êlre  retirées  avaril  le  1^'  avril,  et  un  certificat  dé- 
livré par  ce  fonctionnaire  leur  donnait  entrée  à  l'assemblée. 
Celle-ci  devait  être  occupée  par  l'audition  et  le  vole  du  bilan 
de  l'exercice  clos,  par  le  rapport  sur  la  situation  générale  du 
commerce  de  la  Compagnie,  le  compte  rendu  des  Syndics  et 
toutes  les  autres  questions  intéressant  la  Compagnie  ;  enfin 
on  devait  y  élire  chaque  année  les  huit  Syndics  nouveaux,  et 
nommer,  s'il  y  avait  lieu,  des  Directeurs  en  remplacement  de 
ceux  qui  étaient  décédés,  avaient  démissionné,  ou  dont  la 
déposition  pouvait  êlre  jugée  opportune. 

L'administration  même  de  la  Compagnie,  encore  une  fois 
remaniée,  conserva  cependant  la  grande  division  déjà  adop- 
tée en  deux  Chambres,  l'une  pour  le  Commerce,  l'autre  pour 
le  Tabac,  mais  la  première  fui  elle-même  subdivisée  en 
douze  déparlements,  ayant  chacun  un  Directeur  à  sa  lêle, 
lequel  était  responsable  du  travail  qui  s'y  faisait  ;  en  outre, 
chacun  des  Directeurs  était  préposé  en  second  à  un  deuxième 
département  et  en  troisième  à  un  autre,  afin,  disait  l'arrêt, 
qu'ils  pussent  se  suppléer  réciproquement  en  cas  d'ab- 
sence (1). 


(1)  Règlement  du  24  septembre  1723  pour  l'exécution  de  l'arrêt  du 
30  août. 

Moka,  Perse,  Surat, 


i^^   département 

2*  — 

3«  — 

4«  _ 

5«  — 

6«  — 

7«  — 


Madagascar,  les  Iles, 
Chine, 

Pondichéry,  Bengale, 
Calicut, 

Guinée, 

Sénégal, 

Louisiane  et  castor, 

Armements  ,  achats, 
constructions  ,  ra- 
doubs. 


Bâillon    de  Blancpi- 
gnon. 

Godeheu. 

Hardancourt. 
Morin, 

d'Espréménil, 
Raudot, 


La  Franquerie. 


l'administration    de    la    compagnie    des    INDES  433 

La  régie  du  Tabac  fut  en  même  temps  fixée  définitivement  : 
elle  fut  confiée  à  huit  régisseurs  (1),  ayant  rang  de  Direc- 
teurs, et  soumis  à  la  même  obligation  d'avoir  50  actions  ; 
mais  ils  formaient  un  corps  séparé  et  leur  administration 
était  distincte  de  celle  du  commerce.  Ils  devaient  seulement 
se  réunir  tous  les  quinze  jours  aux  Directeurs  et  aux  Syndics 
pour  délibérer  avec  eux  sur  les  questions  communes  aux 
deux  Chambres.  Cette  administration  du  Tabac  garda  jus- 
qu'en 1729  la  forme  qui  lui  fut  ainsi  donnée  ;  on  sait  que  le 
rôle  de  la  Ferme  du  Tabac  fut  très  important  dans  l'histoire 
de  la  Compagnie  ;  mais  elle  n'en  garda  la  direction  que  jus- 
qu'en 1729,  et  passa  à  cette  date  un  bail  avec  la  Ferme 
Générale  qui  la  lui  reprit  moyennant  le  versement  fait  par 
elle  à  la  Compagnie  des  revenus  annuels. 

Qu'advint-il  de  cette  réforme  nouvelle  ?  Ce  qu'il  était  advenu 
des  précédentes  ;  elle  ne  dura  point.  Une  première  assemblée 
des  Actionnaires  eut  lieu  en  effet  le  27  septembre  1728,  où 
l'on  élut  les  premiers  Syndics  (2)  ;  une  seconde  fut  réunie  le 
15  mars  1724,  où  l'on  nomma  celle  fois  un  Directeur  supplé- 


8^  département  :       Désarmements.  Mouchard. 

9*  —         :      Inspection  des  caisses, 

dépenses  de  l'Hôtel.  Deshayes. 

IQe  —  :      Commerce  de  Barbarie.        Castanier. 

11*  —  :      Achats  de  marchandises 

et  vivres  d'équipages.      Le  Cordier. 
12®  —  :       Comptes  des  correspon- 

dants. Fromaget. 

(1)  Ils  furent  nommés  par  l'arrêt  du  7  septembre  1723  :  ce  furent 
MM.  Bonnevie,  de  la  Gombaude,  Bégon,  Berlan,  Nicolas,  Luillier,  Gi- 
rard et  Laugeois,  qui  restèrent  en  fonctions  jusqu'en  1729,  à  l'excep- 
tion de  M.  Bégon  qui  fut  remplacé  par  M.  Morel  en  1728. 

(2)  Ce   furent  :  MM.  Paris-Duverney,  Syndic  Général,  de  Meuves, 

Dartaguette,  Bertrand,  Sainlard,  Cavalier  et  I.e  Cordier. 

W.  -  28 


434  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VII 

menlaire,  M.Barrêine  (1)  ;  puis,  en  dépil  des  promesses  faites, 
on  résolut  de  se  passer  des  Actionnaires  et  l'on  omit  soigneu- 
sement de  les  convoquer.  Il  semble  d'ailleurs  que  l'on  n'eût 
pas  encore  trouvé  une  méthode  de  travail  bien  satisfaisante, 
et  la  disparition  de  quatre  des  Directeurs  au  cours  des  années 
suivantes  (2)  fut  l'occasion  de  tenter  un  nouvel  essai. 

Cette  fois  on  chercha  à  simplifier  (3)  ;  aux  douze  déparle- 
ments d'août  1723,  on  substitua  trois  Comités  qui  réunirent 
chacun  deux  ou  trois  Directeurs  et  un  Syndic  ;  enfin  le  Hoi 
fut  prié  de  désigner  un  nouveau  Directeur  (4),  pour  remplir 
les  fonctions  de  chef  des  services  de  Lorient  (5). 

Cette  nouvelle  organisation  ne  dura  guère  plus  de  quatre 
années  ;  cependant  elle  était  simple,  et  nécessitait  un  per- 
sonnel moins  nombreux  que  les  premières.  Mais  le  Contrôleur 
Général  Orry,  qui  succéda  en  1730  à  Lepellelier  des  Forls,  n'y 

(1)  Ce  Directeur  était  chargé  d'une  mission  spéciale  ;  il  se  retira  en 
1726. 

(2)  MM.  Bâillon  de  Blancpignon,  Raudot,  La  Franquerie  et  Mouchard 
qui  s'étaient  retirés  ;  d'autre  part  Cavalier  était  passé  en  Angleterre 
comme  représentant  de  la  Compagnie. 

(3)  Arrêt  du  17  juillet  1726. 

(4)  Avec  les  huit  qui  étaient  en  fonctions,  cette  nomination  porta  le 
nombre  des  Directeurs  à  neuf. 

(5)  L'administration'de  la  Compagnie  prit  la  forme  suivante:  If'  Comité: 
Les  Indes.  —  Directeurs  :  Hardancourt,  Godeheu.  Syndic  :  Le  Cordier. 
2®  Comité:  Sénégal,  Guinée,  Louisictne,  Canada,  lies  d'Amérique  ; 
Archives  de  la  Compagnie,  Affaires  ecclésiastiques.  —  Directeurs  :  abbé 
Raguet,  Morin,  d'Espréménil.  Syndic:  de  Meuves.  3^  Comité:  Bar- 
barie, Achats,  Examen  des  comptes,  Inspection  des  livrts  et  de  la 
Caisse.  —  Directeurs  :  Castanier,  Fromaget,  Deshayes.  Syndic  :  Sain- 
tard. 

Enfin  à  Lorient,  le  Directeur  de  Faycl. 

L'abbé  Raguet  fut  nommé  Directeur  ecclt^siaslique  de  la  Compagnie 
par  un  arrêt  du  mois  de  mai  1724,  qui  lui  attribua  en  même  temps 
la  direction  du  service  des  Archives  ;  après  qu'il  se  fût  retiré  en  1731, 
Ja  première  de  ces  fonctions  n'eut  plus  de  titulaire. 


l'administration     de    la    compagnie   des    INDES  435 

trouva  pas  satisfaction;  c'était,  parait-il,  égaleiiienl  l'avis 
des  Actionnaires  qui  se  plaignaient  amèrement  que  leurs  in- 
térêts fussent  mal  ménagés.  «  Il  est  étonnant,  disaient-ils, 
que  pour  la  conduite  d'une  affaire  comme  la  Compagnie  des 
Indes,  il  y  ait  4  Inspecteurs,  9  Directeurs,  sans  compter  une 
quantité  extraordinaire  de  commis  inutiles,  ce  qui  coûte  des 
frais  considérables.  11  ne  faudrait  qu'un  Inspecteur....,  cinq 
Directeurs  dans  le  commerce  :  trois  à  Paris,  un  à  Lorient  et 
le  cinquième  à  Nantes (1)  » 

Orry  jugeant  «  que  l'économie  est  le  premier  bénéfice 
qu'une  Compagnie  de  commerce  puisse  faire  »,  remania 
encore  une  fois  la  haute  direction  de  la  Compagnie. 

Il  supprima  d'abord  les  quatre  Inspecteurs  qui  étaient  res- 
tés en  fonctions  depuis  1723,  et  déclara  qu'il  s'occuperait  lui- 
même  des  affaires  de  la  Compagnie.  Deux  mois  après,  il  est 
vrai  (2),  il  manda  aux  Directeurs  qu'il  lui  était  impossible 
d'assumer  lui-même  cette  tâche,  mais  il  ne  rétablit  pas  l'état 
de  choses  antérieur  et  désigna  seulement  un  Commissaire 
du  Roi,  qui  fut  M.  de  Moras,  l'un  des  anciens  Inspecteurs. 

La  réforme  ne  se  borna  pas  là,  car  c'eût  été  peu  de  chose  ; 
aux  douze  Directeurs  et  aux  huit  Syndics  institués  par  l'arrêt 
du  30  août  1723,  Orry  substitua  six  Directeurs  et  deux  Syn- 
dics, et  les  services  de  la  Compagnie  se  trouvèrent  rassem- 
blés en  six  Départements  dont  quatre  à  Paris,  un  à  Lorient 
et  un  à  Nantes,  ayant  chacun  un  Directeur  à  sa  tête  et  dis- 
posés comme  il  suit  (3)  : 

A  Paris,  —  1"  département:  Inde,  Chine,  Moka  et  les  Iles. 
2«  —  Canada,  Sénégal  et  Guinée. 

(1)  Mémoire  anonyme  à  la  date  de  1730,  aux  Archives  Coloniales, 
C2,23,  3. 

(2)  23  janvier-1"  avril  1731 . 

(3)  Ces  réformes  firent  l'objet  de  l'arrêt  du  23  janvier  1731. 


4Î^6  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VII 

3®  et  4'' départemenls  conjointement  :  achat  des  marchandi- 
ses nécessaires  au  commerce,  suite  des  fonds  et  examen  des 
livres. 

Le  département  de  Lorient  comprenait:  les  constructions, 
radoubs,  armements,  désarmements  des  vaisseaux,  les  char- 
gements, déchargements,  envois  et  réceptions  de  marchan- 
dises. Le  département  de  Nantes  :  l'envoi  et  la  réception,  la 
mise  en  magasin  des  marchandises,  les  ventes  publiques. 
Le  Directeur  de  Lorient  était  tenu  de  se  rendre  à  Nantes 
pour  qu'il  fût  procédé  à  celles-ci. 

Enfin  des  deux  Syndics,  l'un  était  chargé  de  la  suite  des 
affaires  contentieuses,  et  devait,  lui  aussi,  se  rendre  aux  ven- 
tes lorsque  son  déplacement  était  jugé  nécessaire.  L'autre 
avait  pour  mission  de  dresser  les  délibérations  de  la  Com- 
pagnie,et  «  d'en  tenir  registres  exacts  «;  il  reçut  également  le 
soin  des  archives.  En  conséquence,  les  fonctions  de  secrétaire 
et  de  sous-secrétaire,  qui  existaient  jusque-là,  furent  suppri- 
mées (1).  Ici  encore,  cependant,  la  simplification  était  exces- 
sive, et  ne  donna  pas  les  résultats  qu'en  attendait  Orry  ;  avant 
la  fin  de  la  première  année,  les  Directeurs  se  déclarèrent  sur- 
chargés de  travail  et  ils  imaginèrent  de  demander  aux  deux 
Syndics  de  prendre  leur  part  de  la  besogne  qu'on  leur  avait 
imposée;  ceux-ci  acceptèrent  et  reçurent  deux  services  déta- 
chés des  départements  primitifs  :  les  Armements  et  le  Séné- 
gal. Par  contre,  il  n'eût  pas  été  juste  de  les  tenir  écar- 
tés des  avantages  dont  jouissaient  les  Directeurs,  et  comme 
ils  touchaient  comme  Syndics  un  traitement  inférieur  à  ceux- 

(1)  Les  Directeurs  et  les  Syndics  n'avaient  pas  alors  d'honoraires 
fixes,  mais  ils  étaient  autorisés  à  prélever  3  0/0  sur  les  bénétices  nets 
annuels  pour  en  tenir  lieu  ;  cette  somme  devait  être  divisée  en  sept 
parts,  cliaque  Directeur  en  avait  une  et  la  dernière  était  partagée  entre 
les  deux  Syndics. 


l'administration    de    la    compagnie    des    INDES  437 

ci,  on  leur  fit  part  égale  (t).  Le  Roi  sanctionna  ces  arrange- 
ments par  un  arrêt  du  7  avril  1739,  et  poussant  la  logique 
jusqu'au  bout,  il  décida  que  les  deux  Syndics  auraient 
désormais  la  qualité  de  Directeurs,  tout  en  conservant  leur 
mission  primitive  de  surveillance.  La  Compagnie  eut  dès  lors 
à  sa  tête  huit  Directeurs  ;  on  revenait  ainsi  au  nombreux 
personnel  des  premières  années,  et  cette  tendance  s'accentua 
bientôt  davantage. 

A  l'approche  des  premières  difficultés  avec  l'Angleterre,  en 
effet,  le  gouvernement  royal  et  la  Direction,  qui  s'étaient  jus- 
que-là fort  bien  passés  des  Actionnaires,  furent  poussés  par 
le  besoin  qu'ils  avaient  d'eux  à  reconnaître  leurs  droits.  On 
eut  recours  à  leur  bourse,  mais  ils  exigèrent  une  part  plus 
grande  dans  la  conduite  de  leurs  intérêts  et  ilfallut  bien  leur 
céder.  Le  Syndicat, qui  leur  paraissait  avej  raison  la  meilleure 
garantie  qu'ils  pussent  avoir,  fut  porté  en  conséquence  de 
deux  membres  à  six  (2),  et  cette  modification  fut  suivie  d'un 
dernier  et  définitif  remaniement  dans  l'organisation  de  la 
Compagnie.  11  fit  l'objet  d'un  règlement  qui  fut  soumis  à  l'ap- 
probation de  l'assemblée  des  Actionnaires  le  8  juin  1748  et 
consacré  par  un  arrêt  du  11  juin.  L'administration  se  com- 
posa désormais  des  six  Syndics  élus  par  les  Actionnaires  et 
renouvelables  par  sixième  chaque  année  lors  de  l'assemblée 

(1)  Désormais  le  3  0/0  des  bénéfices  annuels  qui  revenait  à  la  Direc- 
tion fut  donc  divisé  en  8  parts  dont  chacun  des  deux  Syndics  eut  une 
entière.  En  1742,  cet  étal  de  choses  prit  fin,  et  les  Directeurs  (parmi 
lesquels  se  trouvaient  alors  rangés  les  Syndics)  reçurent  un  traitement 
fixe  de  12.000  livres  (arrêt  du  14  mars  1742). 

(2)  L'assemblée  générale  du  30  janvier  1745  élut  même  douze  Syndics  : 
MM.  de  Béthune,  de  Lassay,  de  St-Port,  de  Fontperluis.  Fournier, 
Gilly,  Saladin,  de  Rozière,  Verzure,  Delaître,  Colabeau  et  Narcis.  Mais 
M.  de  Machault,  qui  succéda  bientôt  après  à  Orry,  en  réduisit  le  nombre 
à  six  en  décembre  1745  ;  ce  furent  MM.  de  Béthune,  de  Lassay,  de 
Fontpertuis,  Saladin,    Colabeau  et  Verzure  qui  restèrent  en  charge. 


438  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   VU 

générale, et  des  huit  Direcleurs  qui  existaient  depuis  1739.  Les 
affaires  furent  réparties  en  cinq  déparlements,  dont  deux  dé- 
partements généraux  et  trois  départements  particuliers.  Ce 
furent  : 

!•"■  département  général  :  les  armements  et  le  commerce  de 
la  Compagnie  «  avec  tout  ce  qui  y  avait  rapport  ». 

à"  département  général:  la  caisse,  les  livres,  les  achats, 
les  traites  et  remises. 

1"  déparlement  particulier  :  les  ventes. 

â''  département  particulier  :  l'administration  du  port  de 
Lorienl. 

3*  déparlement  particulier  :  les  archives  (Ij,  les  affaires 
conlentieuses,  les  registres,  le  délail  de  l'hôtel  de  Paris. 

Quatre  Directeurs  furent  attachés  au  1"  déparlemenl  géné- 
ral, deux  au  second,  un  à  chacun  des  départements  particu- 
liers. 

Enfin,  parmi  les  six  Syndics,  trois  reçurent  pour  mission 
de  suivre  le  travail  des  départements  conjointement  avec  les 
Directeurs  :  deux  d'entre  eux  furent  ainsi  attachés  au  1*'  dé- 
parlement général,  et  le  troisième  au  2*  département  géné- 
ral. Les  trois  derniers  Syndics  furent  chargés  de  l'inspection 
générale  de  tous  les  services. 

L'administration  de  la  Compagnie  à  Paris  était,  indépen- 
damment de  cette  répartition  en  départements  qui  n'intéres- 

(1)  Les  Archives  avaient  eu  de  1724  à  1731  un  Directeur  spécial, 
l'abbé  Raguet  ;  depuis,  elles  furent  réunies  à  d'autres  services,  et  con- 
fiées à  un  chef  de  bureau,  qui  fut  longtemps  Demis,  l'auteur  d'un 
recueil  précieux  ;  elles  comprenaient  :  1°  les  lettres  patentes,  édits, 
déclarations,  arrêts  relatifs  à  la  Compagnie  ;  2"  les  livres  et  registres  ; 
3°  les  comptes  ;  4°  les  mémoires  relatifs  au  commerce,  journaux  de  na- 
vigation, relations  de  voyages  ;  5°  les  cartes  et  plans  des  pays  de  la 
concession  de  la  Compagnie.  Cette  source  inestimable  de  renseigne- 
ments paraît  avoir  malheureusement  disparu  complètement. 


l'administration  de    la    compagnie    des    INDES  439 

sait  que  les  Directeurs  et  les  Syndics,  divisée  en  un  certain 
nombre  de  services.  Le  plus  important  était  celui  des  Caisses; 
il  y  avait  en  effet  quatre  caissiers  :  le  caissier  général,  le 
caissier  du  comptant,  le  caissier  des  dividendes,  et  le  cais- 
sier des  rentes.  La  Compagnie  comptait  en  outre  six  chefs  de 
bureau  :  aux  affaires  contentieuses,  aux  armements,  aux  vi- 
vres, aux  achats,  aux  archives  et  à  «la  partie  de  l'Inde  »  (1). 
Enfin  un  état  de  1753  constate  la  présence  de  51  commis  ap- 
pointés, 10  à  12  commis  surnuméraires  et  18  domestiques. 

Cette  importante  administration  occupait  donc  environ 
une  centaine  de  personnes  à  Paris  seulement,  et  la  dépense 
annuelle  de  l'Hôtel  s'élevait  à  plus  de  100.000  livres  (2). 

Maintenant  que  nous  connaissons  l'organisation  de  la 
Compagnie,  nous  devons  dire  quelques  mots  de  son  fonc- 
tionnement. Les  acteurs  nous  sont  tous  connus  :  c'étaient  les 
Commissaires  du  Roi,  les  Directeurs  et  les  Syndics,  enfin  les 
Actionnaires.  L'administration  des  atïaires  courantes  était 
confiée  aux  trois  premiers,  mais  le  rôle  qu'ils  y  jouaient  res- 
pectivement était  soigneusement  déterminé.  Les  Directeurs 
placés  à  la  tète  des  départements  avaient  la  responsabilité  du 
travail  qui  s'y  faisait  ;  cependant  l'entente  était  nécessaire 
entre  eux,  elle  était  assurée  par  un  rouage  très  important  : 
les  assemblées  df administration.  Il  y  avait  chaque  jour  une 
de  ces  assemblées  à  l'hôtel  de  la  Compagnie  :  tous  les  Direc- 
teurs et  tous  les  Syndics  devaient  y  assister.  Les  chefs  des 

(1)  Il  y  eut  en  outre  pendant  un  certain  temps  un  capitaine  d'iiifan- 
terie  préposé  au  service  des  Revues  de  la  Compagnie  et  qui  figura  à 
côté  des  chefs  de  bureau.  L'arrêt  du  11  juin  1748,  tout  en  décidant  que 
l'organisation  actuelle  des  bureaux  serait  maintenue,  autorisa  la  Com- 
pagnie à  la  modifier  en  cas  de  besoin. 

(2)  La  Compagnie  avait  une  caisse  de  retraites  pour  ses  employés  ; 
elle  l'alimentait  avec  des  subventions  et  une  retenue  de  10  0/0  sur  leurs 
traitements. 


440  TROISIKMR    PARTIE.    CHAPITRE    VII 

divers  départements  rendaient  compte  de  leurs  affaires  par- 
ticulières ;  on  lisait  les  lettres  et  on  décidait  les  réponses  à  y 
faire.  C'était  dans  ces  assemblées  que  se  discutaient  toutes 
les  affaires  de  la  Compagnie  :  expéditions  de  vaisseaux, admi- 
nistration des  comptoirs,  nomination  et  révocation  des  gou- 
neurs.des  officierset  des  employés  de  toutes  sortes  (1)  :  c'était 
donc  là  l'organisme  moteur  de  cette  immense  entreprise. 

Tout  ce  qui  s'y  passait  était  soumis  d'ailleurs  à  des  for- 
mes minutieuses;  les  rapports  des  Directeurs  étaient  faits 
d'après  des  mémoires  signés  par  eux  et  en  marge  desquels 
la  délibération  consécutive  devait  être  couchée  (2)  ;  les  déli- 
bérations étaient  ensuite  réunies  par  le  secrétaire  sur  un 
registre  spécial,  et  chacune  devait  être  signée  sur  le  mémoire 
et  sur  le  registre  par  deux  Syndics  et  trois  Directeurs.  Les 
réponses  aux  lettres  reçues,  rédigées  par  les  bureaux  sur  la 
délibération  de  l'assemblée,  étaient  lues  à  celle  du  lendemain 
par  un  premier  commis  et  signées  immédiatement  d'un  Syn- 
dic et  de  deux  Directeurs  ;  puis  elles  étaient  à  leur  tour  cou- 
chées sur  un  aulre  registre.  Les  Syndics,  qui  prenaient  part 
régulièrement  à  ces  travaux,  avaient  également  le  droit  de 
demander  des  explications  sur  toutes  les  affaires  de  la  Com- 
pagnie et  il  devait  leur  en  être  rendu  compte. 

Enfin  le  gouvernement  royal  lui-même  intervenait  d'une 
façon  constante  :  chaque  semaine,  en  effet,  les  Commissaires 
du  Roi  assistaient  à  l'assemblée  d'administration,  et  s'y  fai- 

(1)  Cependant  les  commissions  des  capitaines  de  vaisseau,  brevets 
des  officiers, et  ordres  importants  adressés  aux  commandants  et  conseils 
des  comptoirs  devaient  être  visés  par  le  Contrôleur  Général. 

(2)  Règlement  pour  l'administration  de  la  Compagnie,  du3juin  1748. 
Les  décisions  étaient  prises  à  la  majorité  des  voix  ;  le  secrétaire 
était  tenu  de  consigner  l'avis  de  chaque  membre  de  l'assemblée  et  de 
le  nommer.  Los  Directeurs  devaient  signer  la  décision  prise,  même  s'ils 
s'étaient  trouvés  d'avis  opposé.  (Règlement  de  1723.) 


L  ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES 


441 


saienl  donner  connaissance  par  les  Directeurs  de  toutes  les 
affaires  conclues  depuis  leur  dernière  visite  ;  les  questions 
importantes  étaient  d'ailleurs  réservées  pour  être  traitées  en 
leur  présence.  Le  Contrôleur  Général  lui-même  devait  aller 
une  fois  par  mois  à  l'hôtel  de  la  Compagnie  pour  y  présider 
une  de  ces  assemblées.  On  ne  doit  donc  point  s'étonner  delà 
part  prise  par  le  gouvernement  à  la  politique  et  à  la  ruine  de 
la  Compagnie  :  son  contrôle  était,  on  le  voit,  trop  bien  assuré 
pour  qu'il  en  fût  autrement.  Une  dernière  création  lui  donna 
d'ailleurs  une  forme  encore  plus  étroite  et  fit,  comme  le  dira 
Necker,  de  la  Compagnie  «  le  bureau  de  la  guerre  au  dépar- 
tement de  l'Inde  »  ;  nous  voulons  parler  du  Comité  Secret 
constitué  en  1745,  et  que  M.  de  xMachault  justifiait  en  disant 
qu'  t  en  ces  temps  difficiles,  il  se  présentait  toujours  des 
affaires  et  des  expéditions  plus  secrètes.  »  Il  se  composait  de 
trois  Directeurs  et  de  deux  Syndics  délégués  par  l'assemblée 
d'administration  et  agréés  par  le  Roi  ;  ce  fut  ce  Comité  qui 
correspondit  avec  Dupleix,  et  accepta  de  ruiner  son  œu- 
vre (]). 

La  comptabilité  de  la  Compagnie  était  naturellement  l'objet 
de  règles  aussi  minutieuses.  Il  devait  être  tenu  à  l'Hôtel  les 
registres  suivants  :  1°  livre-journal  et  grand-livre  des  immeu- 
bles ;  2°  livre  journal  et  grand-livre  de  la  Caisse  générale  ; 
'6°  registre  d'ordonnances  de  paiement  et  ordres  d'envoi  ou 
remise  sur  la  Caisse  ;  4°  livre-journal  et  grand-livre  du  ma- 
gasin général  des  marchandises;  5°  livre-journal  et  grand- 


(1)  Il  se  composa  des  Directeurs  Duvelaër,  David  et  Castaiiier,  et  du 
Syndic  Colabeau.  David  fut  remplacé  ensuite  par  Godeheu  de  Zaimont. 
—  Cf.  Biblioltièque  Nationale,  Manuscrits,  sous  la  cote  Fr.  8983- 
8984.  Registre  pour  la  correspondance  de  l'Inde,  contenant  les  ordres 
du  Ministre  et  ceux  du  Comité  Secret. 


442  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VII 

livre  du  magasin  de  Paris  (1)  ;  6'  registre  des  rentes  viagères  ; 
7°  registre  des  rentes  perpétuelles.  Le  Caissier  général  ne 
pouvait  recevoir  ni  payer  aucune  somme,  sinon  sur  un  ordre 
signé  par  un  Syndic  et  deux  Directeurs, etenregistré  au  bureau 
des  livres  ;  au  début  de  chaque  mois,  il  devait  présenter  aux 
Directeurs  un  bordereau  de  l'état  de  sa  caisse  au  dernier  jour 
du  mois  précédent.  Enfin  c'était  l'assemblée  d'administration 
qui  arrêtait  les  comptes  en  deniers  et  en  marchandises  elles 
bilans  généraux  de  chaque  année. 

L'administration  de  la  Compagnie  ne  comprenait  pas  seu- 
lement Paris  et  Lorient  {"2)  ;  elle  avait  dans  différentes  villes  du 
royaume:  à  Rouen,  Nantes,  Lyon,  Marseille,  Bordeaux  des 
correspondants  et  des  commissionnaires  attitrés,  soumis,  eux 
aussi,  à  une  comptabilité  régulière  ;  elle  en  avait  enfin  quel- 
ques-uns à  l'étranger,  notamment  un  correspondant  à  Lon- 
dres (3). 

Les  Actionnaires  qui  avaient  adopté  le  règlement  de  1748  ne 
pouvaient  négliger  d'assurer  le  respect  de  leurs  droits  si 
méconnus  jusqu'en  1745  :  il  fut  décidé  qu'il  y  aurait  chaque 

(1)  Il  y  avait  également  à  Paris  un  garde-magasin  qui  était  compta- 
ble de  toutes  les  marchandises  passant  par  le  magasin  de  Paris,  soit 
envoyées  de  Lorient,  soit  achetées  pour  les  cargaisons  de  départ. 

(2)  Sur  tout  ce  qui  concerne  Lorient,  voir  le  chapitre  IX. 

(3)  Nous  n'avons  donné  que  l'organisation  définitive  de  la  Compagnie» 
qui  resta  en  vigueur  de  1748  à  1764,  mais  elle  avait  été  jusqu'alors 
un  peu  différente.  De  1723  à  1730  notamment,  elle  comprenait  des 
Comités  particuliers,  auxquels  assistaient  les  3  Directeurs  de  chaque  dé- 
partement, des  Assemblées  de  Directeurs  bi-hebdomadaires,  où  se  réunis- 
saient tous  les  Directeurs  et  les  Syndics,  et  dos  Assemblées  supérieures 
tenues  2  fois  par  mois,  sous  la  présidence  du  Contrôleur  Général,  assisté 
des  4  Inspecteurs.  Il  devait  y  avoir  en  permanence  à  l'Hôtel  deux 
Directeurs  de  semaine,  «  afin  qu'il  y  eût  toujours  quelqu'un  qui  fût  en 
état  de  répondre  au  public  »  ;  ils  présidaient  les  assemblées  d'adminis- 
tration, ouvraient  le  courrier,  maintenaient  la  règle  dans  les  bureaux. 
(Ordonnance  du  Roi  portant  règlement  pour  la  régie  de  la  Compagnie 
des  Indes.  Archives  Nationales,  K50,  51). 


L  ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES   INDES  443 

année  une  assemblée  générale,  qui  aurait  lieu  en  décembre, 
pour  qu'on  y  put  rendre  compte  de  la  situation  d'une  année 
complète.  Les  Syndics  devaient  rendre  compte  eux-mêmes 
du  bilan  général  arrêté  par  eux,  et  les  Directeurs  de  la  si- 
tuation générale  du  commerce.  Les  Actionnaires  devaient 
délibérer  en  outre  sur  toutes  les  affaires  importantes  de  la 
Compagnie,  notamment  sur  la  répartition  des  dividendes,  et 
procéder  au  remplacement  du  Syndic  sortant.  La  Compa- 
gnie devait  leur  présenter  à  cet  effet  une  liste  de  quatre  can- 
didats, sur  lesquels  ils  en  choisissaient  deux,  et  c'était  le 
Roi  qui  nommait  à  son  gré  le  Syndic  parmi  ces  deux  élus  (I). 
Le  droit  d'assister  aux  assemblées  avec  voix  délibérative  fut 
définitivement  attaché  à  la  possession  de  25  actions.  Les  titu- 
laires devaient  les  déposer  entre  les  mains  du  caissier  trois 
jours  avant  l'assemblée  et  pouvaient  les  retirer  le  lendemain 
de  celle-ci. 

Enfin,  en  dehors  de  l'assemblée  annuelle,  les  Syndics  et 
Directeurs  pouvaient  convoquer  extraordinairement  les 
Actionnaires  avec  l'agrément  du  gouvernement  royal. 

Quelle  fut  la  valeur  de  cette  administration  ?  La  question 
est  assez  difficile  à  résoudre  :  ce  n'est  pas  cependant  que 
nous  manquions  de  témoignages,  mais  beaucoup  d'entre  eux 
n'offrent  peut-être  point  des  garanties  suffisantes  d'impartia 
lité,  car  ils  nous  sont  apportés  par  des  adversaires  déclarés 
de  la  Compagnie,  ou  par  des  réformateurs  qui  ont  grand 
intérêt  à  médire  de  l'état  de  choses  qu'ils  veulent  rem- 
placer; il  est  d'ailleurs  une  autre  circonstance  qui  doit  être 
remarquée  ;  il  serait  injuste,  en  effet,  de  mettre  au  compte 
de  cette  administration  tous  les  actes  de  sa  politique  commer- 

(I)  Les  Directeurs  étaient,  comme  précédemment,  à  vie;  en  cas  de 
mort  ou  de  retraite  de  l'un  d'eux,  l'assemblée  d'administration  pouvait 
présenter  au  Roi  trois  candidats,  entre  lesquels  il  choisissait. 


444 


X 


TROISIEME    PARTIE.    —    CHAPITRE    Vn 


ciale  ou  militaire,  car  ils  lui  furent  le  plus  souvent  dictés 
par  le  gouvernement  royal  lui-même  :  le  fait  est  indéniable, 
et  Ton  a  pu  constater  combien  fréquents  et  étroits  furent  les 
rapports  qu'il  se  ménagea  de  tout  temps  auprès  d'elle.  Nous 
ne  voulons  pas  dire  que  les  hommes  à  qui  fut  confiée  la  di- 
rection bien  réduite  des  affaires  de  la  Compagnie,  furent  tou- 
jours d'une  valeur  et  même  d'une  probité  bien  grandes  ;  il 
paraît  bien  qu'il  en  fut  souvent  autrement,  mais,  ici  en- 
core, la  responsabilité  en  incombe  à  l'administration  royale 
qui  les  choisissait  parmi  ses  créatures  et  les  tenait  soigneu- 
sement à  sa  dévotion. 

Les  Commissaires  du  Roi  (1),  comme  les  Inspecteurs  qui  les 
précédèrent  dans  les  mêmes  fonctions,  étaient  des  adminis- 
trateurs de  profession,  car  le  Roi  les  désignait  parmi  les 
maîtres  des  requêtes  de  son  Conseil  ;  ils  furent  toujours  les 
véritables  Directeurs  de  la  Compagnie,  tout  en  restant,  bien 
entendu,  d'accord  avec  le  ministre  dont  ils  relevaient  direc- 
tement. De  quelque  valeur  qu'ils  fussent,  ils  ne  pouvaient 
apporter  dans  la  mission  dont  ils  étaient  chargés  que  les 
connaissances  générales  d'un  administrateur,  et  ne  la  regar- 
daient d'ailleurs  que  comme  un  stage  préparatoire  à  un 
poste  plus  important,  une  grande  intendance  ou  un  minis- 
tère (2).  Orry  de  Fulvy  paraît  avoir  été  un  homme  capa- 
ble (3),  et  sa  direction,  malgré  le  despotisme  dont  elle  fut 
accompagnée,  coïncida,  il  faut  le  reconnaître,  avec  la  période 

(i)  Orry  de  Fulvy  dirigea  seul  les  affaires  de  la  Compagnie,  mais 
M.  de  Rouillé,  son  successeur,  se  fit  donner  un  commissaire  adjoint,  et 
il  y  eut  dès  lors  toujours  deux,  quelquefois  trois  Commissaires  du  Roi. 
Les  Commissaires  louchaient  12.000  livres  de  traitement. 

(2)  Moras,  Silhouette  et  Berlin  devinrent  en  eiïel  contrôleurs  géné- 
raux ;  Rouillé,  miiiistre  de  la  marine. 

(3)  Il  est   vrai   que  d'Argenson    l'accuse   de   «  friponneries  ».   Mé- 
moireSy  l.  III,  p.  51. 


l'administration    de   la   compagnie   des   INDES  445 

la  plus  prospère  de  l'hisloire  de  la  Compagnie  ;  Rouillé, 
dont  le  passage  à  la  Marine  fut  marqué  par  de  très  louables 
efforts,  dut  servir  aussi  la  Compagnie  ;  le  commissariat  de 
M.  de  Silhouette  fut  moins  heureux,  il  porte  la  plus  grande 
part  dans  la  ruine  de  l'œuvre  de  Dupleix,  car  il  entraîna  sans 
doute  le  ministère  aux  mesures  excessives  que  l'on  prit 
contre  le  malheureux  Gouverneur  ;  M.  de  Montaran  resta 
très  longtemps  en  charge  :  c'était,  comme  M.  de  Saint-Priest, 
un  protégé  de  la  xMarquise,  en  croired'Argenson  à  (1),  et  la 
Compagnie,  d'après  cet  auteur,  se  plaignit  hautement  de  lui 
«  comme  de  la  plus  chétive  créature  que  la  robe  eût  encore 
vomie  sur  les  affaires  publiques  »!  (2)  ;  Boutin,  Moreau  de 
Beaumont,  de  Villevault,  Berlin  ne  firent  à  la  Compagnie 
qu'un  passage  assez  court,  et  s'ils  ne  firent  par  eux-mêmes 
ni  grand  bien,  ni  grand  mal,  ils  n'en  servirent  que  mieux  de 
canal  aux  volontés  du  ministère  qui  enlevait  à  la  Compagnie 
par  la  sujétion  étroite  où  il  la  tenait,  toute  énergie  et  toute 
vertu. 

Les  Directeurs  ne  furent  jamais,  il  faut  le  répéter,  les  élus 
des  Actionnaires,  mais  des  fonctionnaires  nommés  par  le 
gouvernement  (3),  et  celui-ci  ne  paraît  pas  avoir  même  tenu 
compte  de  l'obligation  qu'il  s'était  imposée  au  début  de  les 


(1)  Mémoires  de  d'Argenson,  t.  VI,  p.  350. 

(2)  Mémoires  de  d'Argenson,  t.  VIII  (1751),  p.  54. 

(3)  «  Par  un  arrêt  de  1723,  disait  M.  de  Rouillé  au  ministre  Machault 
le  Roi,  en  nommant  les  Directeurs,  laisse  aux  actionnaires  le  soin  de 
convenir  dans  les  assemblées  générales  du  choix  des  sujets  propres  à 
les  remplacer  quand  il  y  a  des  places  vacantes  ;  mais  je  crois  que  cela 
n'a  jamais  été  suivi....  Je  m'en  serais  assuré,  si  je  n'avais  craint  de 
paraître  douter  de  notre  droit.  L'usage  est  constant;  il  est  mèm 
important  de  le  maintenir,  pour  prévenir  les  brigues  qui  seformeraien 
dans  le  temps  des  assemblées.  »  Archives  Coloniales,  d'après  M.  Gul- 
tru. 


446  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VU 

choisir  parmi  les  Actionnaires  (1)  ;  ce  n'élaient  donc  pasleurs 
propres  intérêts  qu'ils  géraient,  et  c'était  là  déjà  une  fâcheuse 
circonstance;  aussi  ne  furent-ils  trop  souvent  que  de  simples 
commis.  Ils  ne  furent  peut-être  pas  tous  sans  mérite,  car  il  y 
avait  parmi  eux  des  négociants  (2), des  financiers, capables  de 
conduire  un  service  important  ;  beaucoup  d'entre  eux  passè- 
rent de  longues  années  au  service  de  la  Compagnie  dans  des 
grades  inférieurs  avant  de  venir  siéger  à  la  Direction  à  la  fin 
de  leur  carrière  ;  enfin  l'on  vit  parmi  eux  Lenoir  e(  Dumas,  et 
la  déférence  avec  laquelle  leurs  avis  étaient  écoutés  n'est- 
elle  pas  une  preuve  que  toute  bonne  volonté  n'élail  pas  ban- 
nie de  leurs  assemblées  ?  Sans  doute  il  y  eut  des  défaillances, 
et  la  faveur  du  Roi  tomba  souvent  assez  mal  ;  l'un  d'eux  fut 
prié  de  donner  sa  démission,  après  avoir  fait  un  emprunt  in- 
délicat à  la  caisse  de  la  Compagnie  (3)  ;  on  vil  même  une  fois 
une  entente  s'établir  entre  eux  pour  majorer  sur  le  bilan  an- 
nuel le  chiffre  des  bénéfices  qui  déterminait  leurs  propres 
honoraires  (4)  !  Enfin  les  Actionnaires  se  plaignirent  plus 
d'une  fois  queleurs  intérêts  fussent  placés  en  mauvaises  mains, 
dénonçant  «  la  conduite  misérable  des  gens  qui  s'étaient 
emparés  de  leur  bien  »  (5),  protestant  contre  la  déplorable 
habitude  qu'ils  avaient,  mais  qui  ne  leur  était  pas  particu- 
lière, de  placer  des  parents,  des  amis,  des  créatures  dans  les 
emplois  de  la  Compagnie  î  Enfin  les  Syndics  firent  entendre 

(1)  Le  Syndic  DelaîLre  dit,  dans  un  mémoire  daté  de  1751,  que  jusqu'en 
1748  les  Directeurs  ne  furent  pas  pris  parmi  les  Actionnaires  ;  c'est  peut- 
être  trop  dire  ;  il  suffit  d'en  retenir  que  la  règle  ne  fut  point  scrupu- 
leusement observée  par  le  gouvernement  royal. 

(2)  Castanier,  Cavalier,  Sainlard,  Godelieu,  d'Espréménii. 

(3)  Fromagel  (1725-1738),  d'après  M.  Cultru. 

(4)  D'après  M.  Cultru. 

(5)  Pétition  d'un  groupe  d'actionnaires  (1726).  «  Que  veut-on  faire, 
disent-ils,  de  cette  troupe  de  Directeurs,  Syndics,  Commissaires,  qui 


l'administration   de   la   compagnie   des   INDES  447 

de  leur  côté  des  critiques  sévères  et  sans  doute  méritées  (1). 

Quelle  conclusion  tirer  de  ce  tableau  ?  Que  l'administration 
de  la  Compagnie  des  Indes  ressemblait  fort  à  tout  ce  qui  est 
administration, qu'elle  ne  brilla  ni  par  l'ordre  ni  par  l'économie, 
qu'elle  eut  ses  brebis  galeuses,  que  les  médiocrités  y  furent 
nombreuses,  et  les  vrais  mérites  peu  communs,  mais  il  ne 
convenait  peut-être  pas  à  l'administration  royale  de  lui  jeter 
la  pierre,  et  malgré  l'écroulement  de  ce  passé  déjà  lointain, 
il  serait  peut-être  présomptueux  de  notre  part  de  le  faire. 

Le  Syndicat  était,  dans  son  principe  même,  un  rouage  fort 
utile  et  bien  imaginé  ;  le  contrôle  exercé  par  leur'?  représen- 
tants sur  la  gestion  des  Directeurs,  dont  on  refusait  de  leur 
laisser  le  choix,  était  pour  les  Actionnaires  une  garantie  pré- 
cieuse. Le  gouvernement  le  sentit  si  bien  qu'il  fit  tous  ses 
efforts  pour  annihiler  cette  concession  qu'il  jugeait  impru- 
dente, mais  il  n'y  réussit  pas  et  dut  se  résoudre  à  en  accepter 
le  maintien  ;  dès  les  premières  difficultés  sérieuses  rencon- 
trées parla  Compagnie,  il  dut  consentir  même  à  une  réorga- 
nisation de  cette  institution. 

Est-ce  à  dire  que  les  Syndics  aient  complètement  rempli 
les  espérances  qu'on  pouvait  fonder  sur  eux?  Non,  car  on  a 
vu  que  le  choix  en  appartenait  encore  en  partie  au  Roi  (^;, 
et  il  semble  que,  comme  pour  la  Direction,  on  se  soil  souvent 
passé  de  les  prendre  parmi  les  Actionnaires  ;  néanmoins, par 
les  nombreuses  critiques  que  le  Syndicat  adressa  à  la  Direc- 
tion, nous  pouvons  juger  qu'il  comprit  assez  bien  son  rôle 

tirent  chacun  de  leur  côté,  pendant  que  huit  ou  dix  honnêtes  gens  tout 
au  plus  seraient  suffisants.  »  Archives  Coloniales,  C^,  17,  6. 

(1)  «  Observations  sur  le  gouvernement  de  la  Compagnie  des  Indes 
par  le  Syndic  Delaître  »,  1751.  Archives  Coloniales,  C^,  37,  5. 

(2)  C'était  le  conseil  d'administration  qui  proposait  4  candidats  pour 
la  place  vacante  chaque  année,  les  Aclionnaired  en  choisissaient  deux, 
et  le  Roi  avait  le  dernier  raot. 


448  tROISiÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    Vil 

et  rendit  d'utiles  services.  11  y  avait  parmi  eux,  comme  dans 
les  conseils  d'administration  des  grandes  sociétés  modernes, 
des  personnalités  que  l'on  ne  choisissait  que  pour  leur  in- 
fluence ou  leur  crédit  et  qui  ne  jouaient  pas  un  rôle  actif, 
c'étaient  les  Syndics  honoraires  ;  mais  à  côté  d'eux,  il  y  avait 
des  Syndics  onéraires,  qui  prenaient  à  l'administration  une 
part  réelle.  Leurs  fonctions  consistaient,  comme  on  l'a  vu, 
d'une  pari,  à  suivre  les  opérations  de  la  Direction  au  cours 
de  l'année,  de  l'autre, à  en  rendre  compte  aux  Actionnaires  à 
l'assemblée  générale  (1). 

Que  dire  enfin  des  Actionnaires  ?  Il  y  avait  environ  50.000 
actions  répandues  dans  le  public,  mais  il  serait  assez  difficile 
de  déterminer  le  nombre  de  leurs  propriétaires;  qu'il  fussent 
nombreux  ou  non,  d'ailleurs,  le  gouvernement  royal  ne  s'en 
soucia  guère  ;  pendant  vingt  ans  il  négligea  de  les  réunir 
malgré  l'engagement  qu'il  en  avait  pris,  et  il  est  assez  curieux 
de  constater  qu'ils  ne  protestèrent  pas  bien  vivement,  et  se 
plaignirent  des  Directeurs  et  desCommissaires, beaucoup  plus 
que  de  la  violation  flagrante  de  leurs  droits.  Us  en  obtinrent 
la  reconnaissance  quand  on  eut  besoin  d'eux,  mais  ils  la 
payèrent  assez  cher:  aux  années  de  prospérité  qui  ne  leur 
avaient  pas  donné  grande  inquiétude  pour  leurs  intérêts  suc- 
cédèrent alors  des  temps  difficiles,  et  ils  durent  plus  d'une 
fois  faire  pour  la  Compagnie  d'importants  sacrifices  pécu- 
niaires. Ils  se  soumirent  d'abord  de  bonne  grâce,  puis  protes- 
tèrent quand  ils  crurent  la  voir  entrer  dans  la  voie  des  entre- 
prises hasardeuses  qui  leur  faisaient  courir  trop  de  risques, 
et  ils  élevèrent,  dit-on,  contre  Dupleix  des  clameurs  d'indi- 

(1)  Les  Syndics  avaient  touché  un  traitement  de  1730  à  1748,  mais  il 
semble  que  cet  étal  de  choses  ait  pris  fin  à  cette  époque  :  «  ils  n'avaient, 
dit  M.  Cultru,  que  quelques  levenanls-bons  consistant  en  mousselines, 
mouchoirs,  thé,  café,  etc.  » 


l'administration    de    la    compagnie    des   INDES  449 

gnalion  ;  le  fait  est  saris  cloute  exact,  il  ne  faut  pas  cependant 
l'exagérer;  il  est  certain  qu'ils  eussent  pu  protester  plus 
violemment  encore,  que  le  gouvernement  royal  n'en  aurait 
point  tenu  compte,  s'il  n'eût  eu,  hélas,  les  mêmes  tendances 
qu'eux  !  Ils  n'étaient  point  non  plus  tout  à  fait  dans  leur  tort 
et  la  situation  de  la  Compagnie,  à  la  fois  entreprise  de  com- 
merce et  établissement  financier,pouvait  fort  bien  les  tromper 
sur  leurs  véritables  intérêts.  Aux  yeux  de  la  plupart  d'entre 
eux,  il  est  trop  certain  que  la  mission  éminemment  patrioti- 
que qu'elle  remplissait  en  Asie,  en  entretenant  nos  colonies, 
n'avait  aucune  valeur,  et  ils  ne  virent  en  elle  que  ce  qui  en 
était  l'accessoire,  la  société  financière  qui  leur  procurait  un 
placement  sûr,  garanti  par  des  revenus  fixes. 

La  ruine  de  l'empire  colonial  de  la  Compagnie,  consom- 
mée par  la  guerre  de  Sept-Ans,  fut  l'occasion  d'une  der- 
nière et  intéressante  réforme  de  son  administration.  Le  but 
en  fut  de  réduire  celle-ci  dans  la  proportion  où  les  événe- 
ments avaient  déjà  réduit  les  affaires  dont  elle  était  chargée, 
et  d'assurer  aussi  aux  Actionnaires  un  contrôle  plus  efficace 
de  leurs  intérêts.  Le  gouvernement  royal  qui  avait  jusque-là 
prétendu  la  diriger,  l'ayant  conduite  à  la  ruine,  crut  dégager 
sa  responsabilité  en  leur  accordant  cette  trop  tardive  satis- 
faction !  Un  édit  d'août  1764  (1)  affecta  de  donner  à  la  Compa- 
gnie un  but  désormais  purement  commercial  en  lui  décernant 
le  titre  de  Compagnie  commerçante  des  Indes,  et  réalisa  une 
série  de  réformes  d'ordre  financier,  notamment  la  liquidation 
de  ses  dettes  ;  mais  il  prévit  aussi  la  présentation  de  nouveaux 
statuts  et  règlements.  Ce  furent  précisément  les  réformes 
financières  qui  en  retardèrent  l'apparition,  car  ce  ne  fut  que 

(1)  Edit  portant  confirmation  de  l'établissement  de  la  Compagnie  des 
Indes  sous  le  nom  de  Compagnie  commerçante.  Gompiègne,  août  1764. 
Archives  Nationales.  A  Dix,  385. 

\V.  -  29 


450  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VII 

le  28  juin  1768  que  des  lettres  patentes  (1)  promulguèrent  le 
nouveau  règlement  général  pour  l'administration  de  la  Com- 
pagnie. Mais  celle-ci  n'avait  plus  alors  qu'un  an  à  vivre,  et 
l'expérience  en  fut  donc  à  peine  faite  (2).  L'administration  fut 
confiée  à  six  Directeurs  à  vie,  élus  par  les  Actionnaires  parmi 
eux  ou  en  dehors,  avec  un  traitement  de  15.000  livres  ;  ils 
furent  assistés  de  six  Syndics,  élus  pour  six  ans  par  les 
Actionnaires  aussi,  et  parmi  les  propriétaires  de  25  actions  ; 
l'un  d'eux  devait  sortir  de  charge  tous  les  ans,  et  être  rem- 
placé. Les  affaires  furent  réparties  entre  cinq  déparlements  : 
deux  généraux  et  trois  particuliers,  comme  elles  l'étaient 
déjà,  mais  on  affecta  trois  Directeurs  aux  deux  premiers  et 
deux  aux  trois  derniers  ;  les  fonctions  de  Commissaire  du 
Roi  furent  supprimées;  enfin  il  devait  y  avoir  chaque  année 
deux  assemblées  générales  des  Actionnaires,  l'une  en  jan- 
vier, l'autre  en  juillet  ;  dans  la  première,  les  Directeurs 
devaient  déposer  le  bilan  et  les  Actionnaires  procédaient  à 
l'élection  de  quatre  Députés  choisis  parmi  eux  pour  l'exami- 
ner; à  l'assemblée  de  juillet,  ces  Députés  faisaient  leur  rap- 
port et  les  Actionnaires  statuaient  (3).  Tels  étaient  les  prin- 
cipaux traits  de  cette  réforme  ;  elle  devait  donc  donner  aux 
Actionnaires  un  contrôle  beaucoup  plus  effectif,  et  si  le  gou- 


(1)  Lettres  patentes  contenant  règlement  général  pour  l'administra- 
tralion  de  la  Compagnie  des  Indes.  Marly,  28  juin  1768.  Archives  Na- 
tionales. A  Dix,  385. 

(2)  Nous  devons  cependant  observer  que  cette  réforme  fut  mise  à 
exécution  dès  1765,  trois  années  par  conséquent  avant  l'apparition  des 
lettres  patentes,  et  que  les  promoteurs  en  furent  Necker,  le  marquis  de 
Sancé,  le  marquis  de  Castries  et  le  duc  de  Duras  ;  cependant  toutes  les 
modifications  demandées  par  eux  ne  furent  pas  acceptées  par  le  gou- 
vernement royal,  aussi  Necker  Iraite-t-il  cette  réforme  d'incomplète. 

(3)  En  outre,  tous  les  trois  ans,  les  Actionnaires  devaient  élire  six 
d'entre  eux  pour  examiner  la  situation  de  la  Compagnie. 


l'administration    de   la   compagnie   des   INDES  4ot 

vernemeni  royal  ne  renonçait  pascomplèlement  à  surveiller  la 
Compagnie,  du  moins  le  Contrôleur  Général  en  restait-il  seul 
chargé, et  l'on  abandonnait  l'institution  des  Commissaires  du 
Uoi  contre  laquelle  tant  de  justes  griefs  s'étaient  élevés. 

Contrôleurs  Généraux  des  Finances  depuis  Law. 

Lavv,  1720.  Le  Pelletier  de  la  Houssaye,  1720-1722.  Dodun,  1722- 
1726.  Le  Pelletier  des  Forts,  1726-1730.  Orry,  1730-1745.  Machault, 
1745-1754,  Moreau  de  Séchelles,  1754-1756.  de  Moras,  1756-1757.  de 
Boullongne,  1757-1759.  de  Silhouette,  1759.  Bertin,  1759-1763.  de 
Laverdy,  1763-1768.  Maynon  d'Invau,  1768-1769. 

Commissaires  du  Roi  auprès  de  la  Compagnie. 

de  Moras,  1731-1733.  Orry  de  Fulvy,  1733-1745.  Rouillé,  1745- 
1749.  Rouillé,  de  Montaran,  1749-1750.  de  Montaran,  de  Saint- 
Priest,  1750-1752.  de  Montaran,  de  Silhouette,  1752-1755.  de  Moras, 
de  Montaran,  de  Silhouette,  1755-1757.  de  Silhouette,  Boulin,  1757- 
1761.  Moreau  de  Beaumont,  de  Villevault,  1761-1764.  Berlin,  de 
Villevault,  1764. 

Syndics  de  la  Compagnie  depuis  1733. 

Pàris-Duverney,  1723-1727.  de  Meuves,  1723-1731.  Dartaguette, 
1723-1731.  Cavalier,  1723-1728.  Bertrand,  1723-1731.  Saintard,  1723- 
1743.  Le  Cordier,  1727-1731.  de  Caligny,  1732-1739.  Duval  d'Espré- 
ménil,  1740-1743.  de  Bélhune,  1746-1755.  de  Lassay,  1746-1750. 
Angran  de  Fontpertuis,  1746.  Colabeau,  1746-1764.  Saladin,  1746- 
1749.  Verzure,  1746-1755.  de  Charost,  1748.  Delaîlre,  1751-1759. 
de  Montmorency,  1752-1757  et  1762-1764.  du  Chastelet,  1752-1759. 
de  Guerchy,  1757-1761.  Casaubon,  1757-1763.  de  Lally-Tollendal, 
1759-1763.  de  Baschy,  1761-1764.  Masson  de  Malboué,  1761-1764. 
de  St-Martin,  1764.  Pannier  de  St-Bal,  176L  de  Puras,  1765-1768. 
d'Hérouville  de  Claye,  1765.  de  Gastries,  1765-1767.  de  Sancé,  1765- 
1767.  Brisson,  1765-1767.  Le  Gouleulx  de  la  Norraye,  1765.  Marion, 
1765-1768.  Béhic,  17651768.  Necker,  1765-1767.  abbé  Terray,  1766- 
1767.  Valdec  de  Lessarl,  1766-1768.  de  Clonard,  1766-1768.  de 
Bruny,  1766-1768.  du  Vaudier,  1767-1768.  de  Sainte-Catherine,  1768. 

Directeurs  de  la  Compagnie  depuis  1733. 

Bâillon  de  Blancpignon,  1723-1725,   Raudot,  1723-1726.    Castanier, 


4o2  TROISIÈME    PARTIE.    —     CHAPITRE    VII 

1723-1759.  Duval  d'Espréménil ,  1723-1739  et  1744-i748.  Godeheu 
père,  1723-1747.  Hardancourt,  1723-1743:  Le  Cordier,  1723-1726. 
Fromaget,  1728-1738.  Deshayes,  1723-1730.  Morin,  1723-1733.  La 
Franquerie,  1723-1726.  Mouchard,  1723-1726.  Barrème,  1725.  abbé 
Raguet,  1725-1781.  de  Fayet,  1727-1731.  Cavalier,  1735-1748.  Duve- 
laër,  1744-1755.  Lenoir,  "  1741-1743.  Sainlard,  1744-1759.  David, 
1744-1764.  Dumas,  1744-1746.  Godeheu  de  Zaimont,  1748-1764. 
Claessen,  1748-1761.  Michel,  1749-1764.  Gilly,  1749-1764.  Godeheu 
d'Igoville,  1753-1761.  Roth,  17.55-1764.  Magon,  1757-1763.  Coltin, 
1761-1764.  Raffay,  1761-1764.  Lemoyne,  1765-1768.  de  Méry  d'Arcy, 
1765-1768.  Derabec,  1765-1768.  Risleau,  1765-1768.  de  la  Vigne- 
Buisson,  1765-1768. 

Il 

Le  domaine  colonial  de  la  Compagnie  des  Indes  compre- 
nait un  certain  nombre  de  parties  indépendantes  les  unes 
des  autres  et  relevant  directement  deradministralion  métro- 
politaine ;  elles  différaient  par  leur  étendue  et  leur  impor- 
tance administrative  et  l'on  peut  les  ranger  sous  les  trois 
types  suivants  :  les  gouvernemenis  parfaits,  les  gouverne- 
ments imparfaits  et  les  comptoirs. 

Les  gouvernements  parfaits  étaient  les  plus  importants,  si- 
non en  étendue  toujours,  du  moins  en  matière  commerciale  ; 
c'étaient  les  plus  complètement  exploités  des  colonies  de  la 
Compagnie,  aussi  leur  administration  élait-elle  la  plus  régu- 
lière. Ils  étaient  en  effet  divisés  en  provinces  et  hiérarchisés 
de  la  façon  suivante  :  un  Gouverneur  (ou  Directeur)  Géné- 
ral (1)  et  un  Conseil  Supérieur  pour  tout  le  gouvernement,  un 
Directeur  Particulier  et  un  Conseil  Provincial  dans  chaque 

(1)  Le  chef  de  la  colonie  s'appelait  suivant  les  cas  :  gouverneur  ge'né- 
ral  ou  direcleur  général  :  ainsi  il  y  avait  un  gouverneur  dans  l'Inde  et 
aux  Iles,  un  directeur  en  Louisiane,  au  Sénégal,  etc.,  les  comptoirs  enfin 
n'avaient  qu'un  chef  de  comptoir  :  à  Moka,  Canton  etc.  ;  mais  tous  ces 
fonctionnaires  étaient  indépendants  les  uns  des  autres  et  égaux  en  grade 
(Règlement  du  27  janvier  1735,  ylrc/tiï'cs  Coloniales,  C^  26,  164). 


l'administration   de    la   compagnie   des   INDES  453 

province.  Le  type  de  celle  organisalion  étail  l'Inde,  la  plus 
belle  partie  de  cet  empire  colonial  ;  pendant  une  partie  du 
xviii^  siècle,  les  îles  de  France  et  Bourbon  furent  organisées 
de  la  même  manière. 

Les  gouvernements  imparfaits  n'avaient  pas  une  adminis- 
tration aussi  complète,  parce  que  leur  exploitation  était 
moins  importante,  quelle  que  fût  d'ailleurs  leur  étendue  ;  ils 
était  cependant  divisés,  eux  aussi,  en  provinces,  mais  s'il  y 
avait  à  la  tête  du  gouvernement  lui-même  un  Directeur  Gé- 
néral et  un  Conseil  Supérieur,  il  n'y  avait  pas  de  conseil 
régulier  dans  les  subdivisions,  mais  seulement  des  chefs  de 
comptoir:  tels  furent  les  gouvernements  de  la  Louisiane, 
du  Sénégal,  de  la  Guinée  et  de  la  Barbarie. 

Enfin  certaines  dépendances  de  la  Compagnie,  d'une  éten- 
due réduite  et  limitées  à  un  commerce  purement  local, avaient 
une  organisation  simple  :  c'étaient  des  comptoirs  ou  des 
loges.  Les  uns  avaient  un  Directeur  et  un  Conseil,  c'étaient 
les  plus  importants  :  les  îles  de  France  et  Bourbon  rentrèrent 
pendant  quelque  temps  dans  cette  catégorie;  les  autres  n'a- 
vaient qu'un  chef  de  comptoir,  comme  Moka,  Saint-Domin- 
gue et  Canton. 

Tel  est  le  tableau  d'ensemble  que  l'on  peut  dresser  de 
l'empire  colonial  de  la  Compagnie.  Quels  étaient  les  principes 
de  son  exploitation?  La  plupart  de  ses  possessions  n'étaient 
que  des  colonies  d'exploitation  commerciale  (1),  comme  le 
Sénégal,  la  Guinée  et  l'Inde  elle-même.  La  Compagnie  n'avait 
nullement  le  dessein  de  les  administrer  en  tant  que  terri- 
toires, et  ce  fut  précisément  la  source  du  malentendu  qui 
aboutit  à  la  ruine  de  l'œuvre  de  Dupleix.  Les  employés  qu'elle 
y  entretenait  n'avaient  d'autre  mission  que  de  gérer  ses  inlé- 

(1)  Ce  que  l'on  appelle  des  Comptoirs  ;  mais  nous  préférons  éviter 
ce  ternie  qui,  dans  celle  élude,  donnerait  lieu  à  des  confusions. 


454  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VII 

rêls  commerciaux  immédiats,  de  préparer  des  cargaisons 
et  d'entretenir  des  débouchés  ;  ils  ne  s'occupaient  des  popu- 
lalions  indigènes  que  pour  les  rendre  aussi  favorables  que 
possible  à  la  Compagnie  et  tirer  d'elles  les  produits  qui  ali- 
mentaient son  commerce.  Ces  principes  cependant  n'étaient 
pas  absolus:  la  Louisiane  fut  une  colonie  dépeuplement  et 
d'exploitation  agricole^  mais  la  Compagnie  reconnut  bientôt 
que  le  but  que  Law  lui  avait  donné  dans  celle  contrée  n'é- 
tait en  rapport  ni  avec  ses  moyens  d'aclion,  ni  avec  ses  tra- 
ditions, el  elle  l'abandonna.  On  peut  croire  que  l'appréhen- 
sion d'un  nouvel  échec  de  ce  genre  ne  fut  pas  sans  influence 
sur  l'opposilion  qu'elle  apporta  par  la  suite  à  la  poliliquede 
ses  Gouverneurs  dans  l'Inde.  Enfin,  il  y  avait  dans  ce  do- 
maine une  colonie  qui  réunissait  ces  deux  caractères, c'étaient 
les  îles  Mascareignes,  où  la  Compagnie  s'attacha  à  dévelop- 
per à  la  fois  le  commerce  et  l'agriculture,  et  qui  répondirent 
d'une  façon  très  exacte  au  type  actuel  de  nos  grandes  colo- 
nies ;  mais  le  but  en  fut  surtout  stratégique  et  les  résultats 
en  furent  médiocres. 

Il  nous  faut  maintenant  étudier  le  fonctionnement  de  cette 
administration,  el  nous  nous  attacherons  pour  le  faire  à  ce 
que  nous  avons  appelé  le  gouvernemeyit  parfait,  dont  les  élé- 
ments se  retrouvent  dans  les  autres  types. 

Les  deux  rouages  principaux  en  étaient  les  Gouverneurs  ei 
les  Conseils  :  Gouverneur  Général  et  Conseil  Supérieur  d'une 
part,  Gouverneurs  Particuliers  et  Conseils  Provinciaux  d'au- 
tre part  ;  leurs  attributions  étaient  les  mêmes,  qu'il  s'agît 
des  premiers  ou  des  seconds,  avec  celle  restriction  que  les 
Gouverneurs  Particuliers  et  les  Conseils  Provinciaux  étaient 
subordonnés  au  Gouverneur  Général  el  au  Conseil  Supérieur. 

Le  Gouverneur  était  le  chef  responsable  de  l'administra- 
tion; il  représentait  et  personnifiait  la  Compagnie  ;  il  dirigeait 


l'administration   de   la   compagnie   des   INDES  455 

la  police  de  la  colonie,  commandait  les  employés  de  plume 
et  d'épée,  avait  sous  ses  ordres  le  personnel  des  troupes,  du 
commerce,  et  de  la  marine  ;  il  administrait  la  discipline  mili- 
taire ;  il  présidait  le  Conseil  dans  les  diverses  attributions  de 
celui-ci,  et  le  conseil  de  guerre  dans  les  cas  où  il  en  était 
réuni  un  ;  il  répondait  enfin  envers  la  Compagnie  de  l'exécu- 
tion de  ses  ordres. 

Le  Conseil  qui  l'assistait  avait  un  rôle  très  complexe  et 
très  important  :  il  était  supérieur  en  beaucoup  de  points  au 
Gouverneur  qui  ne  pouvait  décider  sans  lui  ;  ses  attributions 
étaient  d'ordres  divers:  commerciales,  administratives,  disci- 
plinaires, militaires,  politiques  et  judiciaires. 

1°  Compétence  commerciale  :  —  Toutes  les  matières  relati- 
ves au  commerce  devaient  être  discutées  par  le  Conseil  et 
décidées  par  lui  à  la  majorité  des  voix.  Il  avait  la  disposi- 
tion des  fonds,  décidait  les  avances,  concluait  les  contrais, 
faisait  les  achats,  les  armements,  les  expéditions  de  vais- 
seaux, fixait  le  prix  de  vente  des  marchandises  d'Europe, 
délivrait  aux  particuliers  les  permissions  pour  le  commerce, 
quand  la  Compagnie  les  autorisait  à  s'y  livrer  (1). 

2°  Compétences  administrative  et  disciplinaire  :  —  Il  décidait 
de  la  construction  et  de  l'entretien  des'bâtiments  de  la  colo- 
nie, avait  la  surveillance  des  employés  et  des  militaires,  nom- 
mait aux  places  vacantes,  à  charge  de  faire  confirmer  ses  déci- 
sions par  la  Compagnie,  prononçait  l'interdiction  (2),  quand 
il  y  avait  lieu.  Il  lui  était  prescrit  de  faire  observer  de  la  part 
des  capitaines  des  vaisseaux  une  stricte  subordination  à  ses  or- 

(1)  Par  exemple,  le  commerce  d'Inde  en  Inde. 

(2)  Il  ne  pouvait  (\\\  interdire  ei  jamais  révoquer;  ce  pouvoir  était 
re'servé  à  la  Compagnie  elle-même  ;  l'employé  interdit  était  suspendu 
de  ses  fonctions  jusqu'à  ce  que  la  Compagnie  informée  eût  pris  une  dé- 
cision sur  son  compte.  Règlement  de  1735,  art.  23. 


450  THOISIÈMK    PAirriK.    —    CHAPITRE    VU 

dres  ;  il  pouvait  les  interdire  etlesrenvoyer  en  Europe  comme 
passagers  sur  un  autre  vaisseau  s'ils  y  manquaient  (1)  ; 
il  ne  pouvait  donner  d'ordres  aux  équipages  que  par  l'inter- 
médiaire des  capitaines,  mais  à  l'égard  des  hommes  débar- 
qués il  recouvrait  son  droit  de  police  et  pouvait  les  punir 
directement. 

?»°  Compétence  politique  et  militaire  :  —  11  décidait  de  la 
conduite  à  tenir  vis-à-vis  des  indigènes  et  des  étrangers,  or- 
donnait les  détachements,  les  actes  d'hostilité  ou  de  repré- 
sailles, avait  la  direction  des  fortifications  et  pouvait  traiter 
de  la  paix  avec  les  étrangers, sous  condition  de  la  ratification 
par  la  Compagnie.  Enfin  il  nommait  aux  grades  vacants  dans 
les  troupes  et  pouvait  interdire  les  officiers. 

4"  Compétence  judiciaire  :  —  Son  pouvoir  juridictionnel 
était  double  :  à  l'égard  des  Européens  et  à  l'égard  des  indi- 
gènes. 11  rendait  aux  uns  et  aux  autres  la  justice  civile  et 
criminelle  et  ne  pouvait  sous  aucun  prétexte  refuser  d'exa- 
miner les  requêtes  qui  lui  étaient  présentées  (2)  ;  l'un  des  con- 
seillers remplissait  auprès  de  lui  les  fonctions  de  Procureur 
Général;  enfin  sa  composition,  sa  procédure,  ses  règles  de 
juridiction  étaient  régies  par  l'édit  d'août  1664, resté  la  charte 
constitutionnelle  de  la  Compagnie.  L'organisation  judiciaire 
de  la  colonie  était  ainsi  établie  :  les  Conseils  Provinciaux 
étaient  des  juridictions  de  première  instance  au  civil  et  au 
criminel  à  l'égard  des  Européens  et  des  créoles,  en  premier 
ressort  au  civil  et  en  dernier  au  criminel  à  l'égard  des  noirs 
et  des  indigènes  ;  l'appel  des  Conseils  Provinciaux  était  porté 
au  Conseil  Supérieur;  cependant  les  parties  pouvaient  dans 
certains  cas  appeler  directement  d'un  Conseil  Provincial  au 

(1)  Néanmoins  il  lui  était  prescrit  de  ne  prendre  celle  mesure  qu'en 
cas  de  nécessité  absolue.  Règlement  de  1735,  arl.  3. 

(2)  Règlement  de  1735,  arl.  19. 


l'administration    de   la   compagnie    des    INDES  457 

Roi  ou  à  la  Compagnie,  el  les  arrêts  du  Conseil  Supérieur 
pouvaient  encore  être  réformés  par  le  Conseil  du  Roi. 

En  dehors  des  Gouverneurs  el  des  Conseils,  le  personnel 
colonialdela  Compagnie comprenaitdeuxgrandes catégories: 
les  employés  de  plume  el  les  employés  d'épée,  el  les  seconds 
étaient,  en  règle  générale, subordonnés  aux  premiers  (1).  Les 
employés  de  plume  comprenaient  à  la  fois  les  administra- 
teurs et  les  marchands  dont  ils  se  partageaient  indifférem- 
ment les  fonctions.  On  débutait  dans  celte  administration 
comme  sons-commis,  el  les  degrés  de  la  hiérarchie  successi- 
vement parcourus  étaient  :  commis  de  2^  classe,  commis  de 
1'"^  classe,  sous-marchand,  marchand  principal.  Celait  parmi 
les  sous-marchands,  et  à  défaut  parmi  les  commis  de 
1"  classe,  que  se  recrutaient  les  conseillers. 

La  hiérarchie  des  Conseils  comprenait  elle-même  différents 
grades:  conseillers  ad  ho ?ior es,  conseillers  surnuméraires, 
conseillers  en  pied,  conseillers  avec  expectative  de  second, 
et  seconds  (2):  ces  derniers  assistaient  et  suppléaient  les 
Gouverneurs.  Les  conseillers  se  distribuaient  indifféremment 
les  emplois  supérieurs  de  la  colonie  :  procureur  général,  ins- 
pecteur de  la  visite,  caissier,  teneur  de  livres,  garde-maga- 
sin, etc. 

L'avancement  dans  cette  administration  devait  avoir  lieu 
exclusivement  à  V ancienneté  ;  lorsqu'une  vacance  se  produi- 
sait, les  titulaires  des  emplois  inférieurs  montaient  chacun 
d'un  grade,  et  les  dernières  places  se  trouvaient  alors  vacan- 

(1)  Celte  prééminence  du  civil  sur  le  militaire  fut  l'objet  de  préoc- 
cupations constantes  de  la  part  de  la  Compagnie;  elle  se  comprend  fort 
bien,  car  son  rôle  militaire  ne  venait  qu'en  second  rang. 

(2)  Le  secrétaire  du  Conseil  n'était  pas  conseiller,  mais  il  avait  droit 
à  la  première  place  de  conseiller  vacante,  aussi  la  Compagnie  recom- 
mandait-elle de  ne  donner  ce  poste  qu'au  plus  capable  des  sous-mar- 
chands de  la  colonie.  Règlement  de  1735,  art.  18. 


458  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VII 

les  ;  mais  les  Conseils  ne  pouvaient  en  disposer,  car  la  Compa- 
gnie s'était  réservé  le  droit  d'y  envoyer  les  employés  de  l'ad- 
ministration centrale  qu'elle  avait  soumis  à  un  stage  prépara- 
toire. Chaque  année,  pour  assurer  l'observation  de  ces  règles, 
les  Conseils  devaient  envoyer  en  France  un  état  de  leurs 
employés. 

Le  Conseil  devait  se  réunir  au  moins  une  fois  par  semaine 
sous  la  présidence  du  Gouverneur,  ou  à  son  défaut,  du  Se- 
cond. 11  délibérait  sur  toutes  les  affaires,  procédait  à  un 
vote  particulier  pour  chacune  d'elles,  et  la  délibération,  im- 
médiatement enregistrée  par  le  Secrétaire,  devait  être  signée 
par  tous  les  membres.  Les  paquets  adressés  par  la  Compa- 
gnie ne  pouvaient  être  décachetés  qu'en  présence  du  Conseil 
assemblé.  Chaque  année,  le  chiffre  qu'on  employait  pour  la 
correspondance  importante  lui  était  envoyé  de  Paris  (1). 

Enfin  les  caissiers  et  les  commis-comptables  étaient  sou- 
mis à  des  règles  strictes  de  comptabilité  :  il  devait  être  tenu 
auprès  de  chaque  Conseil  un  Registre  des  Délibérations  où  de- 
vaient être  enregistrées  celles-ci,  revêtues  des  signatures  des 
conseillers  ;  on  devait  y  copier  aussi  les  ordres  reçus  de  la 
Compagnie;  chaque  mois  il  devait  être  dressé  une  copie  de 
ce  registre  qui  était  envoyée  en  France  par  le  plus  prochain 
vaisseau  ;  enfin,  à  la  fin  de  Tannée,  les  registres  étaient  éga- 
lement envoyés  à  la  Compagnie,  qui  en  fournissait  de  nou- 
veaux préalablement  cotés  et  paraphés  par  ses  soins. 

L'organisation  militaire  de  la  Compagnie  était  également 
fort  importante  :  elle  possédait  des  troupes  particulières  com- 
plètement indépendantes  de  celles  du  Roi^  et  dont  l'entretien  lui 
incombait  entièrement  ;  elle  pouvait  les  lever  dans  le  royaume 
ou  à  l'étranger  (2).  Elles  étaient  assez  nombreuses,  car  le 

(1)  Plusieurs  de  ces  alphabets  chiffres  figurent  laws.  Archives  Coloniales, 
ainsi  que  beaucoup  de  lettres  chiffre'es  avec  traduction  interlinéaire. 

(2)  Celte  autorisation  lui  fut  donne'e  dès  Tannée  1719. 


l'administration    de   la   compagnie   des   INDES  459 

chiffre  officiel  vers  1740  était  de  22  compagnies  de  300  hom- 
mes et  11  officiers,  soit  6.600  hommes  el  250  officiers  envi- 
ron. Cet  effectif  était  réparti  entre  les  colonies  ;  il  y  eut 
jusqu'à  8  compagnies  en  Louisiane,  5  aux  Iles,  8  dans  l'Inde, 
sans  compter  des  garnisons  au  Sénégal,  en  Guinée,  etc.,  et 
quelques  fusiliers  embarqués  sur  chacun  des  vaisseaux.  La 
Compagnie  avait  aussi  de  l'artillerie  ;  enfin  aux  troupes  blan- 
ches qui  formaient  le  noyau  de  cette  petite  armée,  il  faut 
ajouter  les  milices  indigènes  locales  :  cipayes,  topas,  ou 
Cafres,  dont  on  leva  parfois  un  grand  nombre,  notamment 
pendant  les  guerres  de  Dupleix.  Le  dépôt  de  ces  troupes  se 
trouvait  à  Lorient,  où  la  Compagnie  reçut  par  une  ordon- 
nance du  l*'"' octobre  1721  le  droit  d'entretenir  une  compagnie 
de  100  hommes  ;  mais  ce  chiffre  devint  insuffisant  el  une 
seconde  ordonnance  du  20  octobre  1740  l'augmenta  de  200 
hommes  el  de  7  officiers  (1). 

Le  corps  d'officiers  était  également  spécial  à  la  Compagnie  ; 
il  ne  comprenait  que  des  officiers  subalternes  et  le  grade  le 
plus  élevé  était  celui  de  capitaine  (2)  ;  cependant,  dans  les 
colonies  importantes  :  Inde,  Iles,  Sénégal, Louisiane,  il  y  avait 
un  commandant  des  troupes  avec  le  titre  de  major  général. 
L'avancement  était  donc  peu  important  et  peu  rapide  ;  il  se 
faisait  d'ailleurs,  comme  pour  les  employés  de  plume,  exclu- 

(1)  Cette  ordonnance  fixa  comme  il  suit  la  composition  des  compa- 
gnies :  1  capitaine  en  premier,  1  capitaine  en  second,  i  lieutenant  en 
premier,  1  lieutenant  en  second,  1  sous-lieutenant,  6  enseignes,  14 
sergents,  14  caporaux,  14  anspessades,  250  soldats,  8  fifres  et  tambours. 
Demis,  t.  IV. 

(2)  C'est  exceptionnellement  que  Bussy  fut  nommé  lieutenant-colonel, 
colonel  el  brigadier  ;  ces  promotions  ne  paraissent  pas  d'ailleurs  s'être 
faites  sans  difficulté.  De  même  les  officiers  de  la  Compagnie  n'obtin- 
rent que  très  rarement  la  croix  de  Saint-Louis  réservée  aux  officiers  de 
l'armée  régulière. 


460  TROISIÈME   PARTIE.     —    CHAPITRE    VU 

sivement  à  Tanciennelé  ;  aussi  le  recrulemenl  de  ce  corps 
n'élait-il  pas  loujours  très  satisfaisant. Les  Gouverneurs  Géné- 
raux des  colonies  avaient  le  commandement  supérieur  des 
troupes,  mais  ils  devaient  en  déléguer  l'exercice  au  major 
général  ;  cependant  on  devait  les  «  reconnaître  »  solennelle- 
ment «  à  la  tête  des  troupes,  » 

Les  troupes  de  la  Compagnie,  dont  le  recrutement  était 
médiocre,  suffirent  à  leur  tâche  tant  que  celle-ci  resta  peu 
importante  ;  mais  les  défauts  de  leur  organisation  se  mon- 
trèrent pendant  les  guerres  de  Dupleix  et  de  Lally,  où  il  eût 
fallu  des  troupes  mieux  disciplinées  qu'elles  n'étaient.  Elles 
ne  furent  cependant  point  sans  vaillance  et  en  firent  preuve 
en  plus  d'une  circonstance,  mais  le  dénuement  où  elles  se 
Irouvèrenl  souvent  et  le  dur  service  qu'on  exigea  d'elles  pro- 
voquèrent de  leur  part  des  actes  d'insubordination  déplora- 
bles pour  leur  renommée,  et  désastreux  pour  le  succès  de 
la  cause  française. 

Quelle  fut  la  valeur  de  l'administration  coloniale  de  la 
Compagnie  des  Indes  ?  Elle  aussi  eut  ses  défauts,  elle  eut 
même  des  vices  très  graves  ;  elle  aussi  fut  l'objet  d'un  re- 
crutement souvent  imparfait  et  l'on  vit  dans  ses  rangs  trop 
de  gens  tarés,  à  qui  le  séjour  de  la  France  n'était  plus  possi- 
ble, trop  d'ambitieux  dont  le  seul  but  était  de  faire  rapide- 
ment fortune,  quels  que  fussent  les  moyens  à  employer.  La 
généralité  même  des  fonctionnaires  de  la  Compagnie  ne  fut 
pas  sans  reproches  ;  presque  tous  paraissent  avoir  cherché 
leur  intérêt  particulier  dans  l'accomplissement  de  leur  mis- 
sion, et  les  plus  grands  noms  que  l'on  puisse  trouver  parmi 
eux  en  ont  été  accusés  ou  soupçonnés  :  Dupleix,  Lenoir,  Du- 
mas, La  Bourdonnais.  Cela  ne  veut  point  dire,  il  est  vrai, 
qu'ils  sacrifiassent  aux  leurs  les  intérêts  de  la  Compagnie, 
et  il  faut  ajouter  que  celle-ci  autorisait  cette  conduite  en  leur 


l'administration    de    la   compagnie   des   INDES  461 

donnant  le  droit  de  commercer  pour  leur  compte,  soit  qu'elle 
ne  crût  pas  pouvoir  éviter  cet  étal  de  choses,  soit  qu'elle  ne 
jugeât  pas  qu'il  lui  fût  très  préjudiciable.  Nous  manquons 
peut-être  ici,  comme  pour  l'administration  centrale  de  la 
Compagnie,  des  éléments  suffisants  pour  porter  un  jugement 
sérieusement  établi  ;  d'ailleurs  elle  ne  fut  pas  la  seule  à  souf- 
frir de  cette  situation  et  sa  rivale  anglaise  ne  fut  pas  exempte 
de  ces  défauts  ;  enfin,  même  en  les  admettant  et  en  les  déplo- 
rant, il  est  permis  de  ne  pas  aller  jusqu'à  traiter  comme 
Lally-Tollendal  cette  administration  de  «  sentine  de  corrup- 
tion ». 

Tels  étaient  les  principes  d'après  lesquels  étaient  organi- 
sées les  possessions  de  la  Compagnie  des  Indes,  et  les  élé- 
ments de  leur  administration  ;  un  rapide  examen  de  chacune 
d'elles  donnera  une  idée  suffisante  de  leur  situation  par- 
ticulière. 

1°  En  Amérique,  la  Compagnie  posséda  jusqu'en  1731  un 
grand  gouvernement  appartenant  au  second  type,  celui  de 
la  Louisiane;  elle  était  le  siège  d'une  Direction  Générale  et 
le  centre  en  était  la  Nouvelle-Orléans,  où  résidaient  le  Direc- 
teur Général  et  le  Conseil  Supérieur.  La  colonie  était  divisée 
en  huit  autres  provinces  ou  quartiers,  dans  chacun  desquels 
résidaient  un  commandant  et  un  juge  ;  c'étaient:  leBiloxi,  le 
Mobile, etles  pays  des  Alibamons,des  Natchez(l),  des  Yafous, 
des  Natchitoches,  des  Arkansas  et  des  Illinois.  La  Compagnie 
possédait  dans  cette  immense  contrée,  qui  s'étendait  sur  toute 
la  vallée  du  Mississipi  et  sur  les  côtes  du  golfe  du  Mexique, 

(1)  Les  Indiens  Natchez,  exaspe'rés  par  la  dureté  du  commandant  du 
quartier,  M.  de  Ctiépar,  massacrèrent  en  décembre  1729  les  Européens 
et  les  nègres  qui  y  résidaient,  au  nombre  de  2.000  environ.  Ce  drame, 
que  suivit  une  sévère  répression,  précéda  de  peu  la  rétrocession  de  la 
colonie  par  la  Compagnie. 


462  TROISIÈME   PARTIE.    —    CHAPITRE    VII 

seize  élablissemenls  qui, avec  la  Nouvelle-Orléans  elles  postes 
centraux  de  chacun  des  quartiers  dont  ils  portaient  le  nom, 
comprenaient  encore  :  l'île  aux  Vaisseaux,  la  rivière  Manchac, 
la  rivière  Wabasli,  l'ile  Dauphine,  le  fort  Gondé,  la  baie 
Saint-Bernard,  la  rivière  des  Cannes,  le  pays  des  Missouris  et 
celui  des  Padoucas.  Elle  y  entretenait  des  forces  militaires 
importantes,  qui  de  4  compagnies  furent  portées  bientôt  à  8, 
faisant  un  effectif  de  400  hommes  :  le  commandant  général 
résidait  auprès  du  Directeur  à  la  Nouvelle-Orléans.  Enfin 
l'organisation  de  cette  colonie  fut  fixée  par  un  règlement 
spécial  à  la  date  du  2  septembre  1721. 

La  Compagnie  posséda  encore  en  Amérique  deux  comp- 
toirs, simples  maisons  de  commerce  situées  chacune  dans 
une  colonie  royale  et  régies  par  un  Directeur  et  quelques 
employés  :  le  premier  était  le  Cap-Français,  dans  l'ile  de 
Saint-Domingue,  dont  le  commerce  lui  fut  à  l'origine  concédé 
à  titre  de  monopole,  mais  qui  ne  resta  sous  ce  régime  que 
fort  peu  de  temps,  la  Compagnie  n'ayant  gardé  sur  cette  lie  au- 
cun droit  qui  la  distinguât  des  commerçants  particuliers  dès 
l'année  1722.  Le  second  était  Québec  au  Canada,  et  centrali- 
sait l'important  trafic  des  castors  dont  la  Compagnie  garda 
au  contraire  le  privilège. 

2°  L'Afrique  présentait  aussi  pour  la  Compagnie  une  grande 
importance  commerciale,  car  elle  y  posséda  au  début  trois 
concessions  très  étendues  :  le  Sénégal,  la  Guinée  et  la  Bar- 
barie; elle  rendit,  il  est  vrai,  au  Koi  le  commerce  de  la  Bar- 
barie en  1730,  et  renonça  dès  les  premières  années  à  exploi- 
ter la  Guinée  à  titre  de  monopole  ;  elle  n'y  conserva  donc 
qu'une  véritable  colonie,  le  Sénégal,  avec  lequel  elle  resta 
au  contraire  en  relations  actives. 

Le  Sénégal,  qui  s'étendait  du  cap  Blanc  à  la  rivière  de 
Sierra-Léone,  était  un  gouvernement  du  second  type,  car  il 


l'administration    de    la    compagnie    des    INDES  463 

possédait  une  Direclion  Générale  et  était  divisé  en  provinces 
placées  chacune  sous  la  régie  d'un  Directeur  Particulier.  Le 
siège  de  la  Direction  était  Saint-Louis  ;  le  Directeur  Géné- 
ral (1)  était  assisté  d'un  Conseil  Supérieur  de  quatre  conseil- 
lers. La  colonie  comprenait  six  provinces  :  le  Sénégal,  la 
Gambie,  Galam,  Joal,  Gorée  et  Bissao.  A  la  tête  des  cinq 
dernières  se  trouvait  un  Directeur  Particulier  aidé  de  quelques 
employés  :  enfin  Gorée  et  Saint-Louis  possédaient  chacun 
une  petite  garnison.  Les  comptoirs  de  la  Compagnie  étaient 
les  suivants  :  Saint-Louis,  la  capitale,  Q\.Podor  (1743)  dans  la 
province  du  Sénégal;  Albréda,  Bintao  et  Saint-Jacques  dans 
la  province  de  Gambie  ;  File  de  Gorée,  Rufisque  et  Portudal 
dans  la  province  de  Gorée  ;  enfin  dans  chacune  des  trois  der- 
nières il  y  avait  un  comptoir  qui  portait  le  même  nom  qu'elles 
{Galam,  Joal,  Bissao)  (2).  Au  nord  du  Sénégal  la  Compagnie 
possédait  encore  l'échelle  de  Portendick  et  l'île  à.'Arguin,  qui 
resta  sous  sa  domination  après  lui  avoir  été  vivement  dis- 
putée par  les  Hollandais  (3)  (1721-1724). 

(i)  Demis  nous  donne  la  liste  des  Directeurs  du  Se'ne'gal  jusqu'en 
1755;  ce  furent:  MM.  Brûe,  1720-1721;  de  Saint-Robert,  1721-1723  ;  du 
Bellay,  1723-1726;  Levens,  1726-1733;  Lejuge,  1733;  Devaux,  1733- 
1738;  David,  1738-1746  ;  Eloupan  de  la  Briie,  1746  (Demis,  t.  IV)  — 
André  Brûe,  qui  avait  été  Directeur  de  la  Compagnie  du  Sénégal  avant 
de  passer  au  service  de  la  Compagnie  des  Indes,  fut  le  véritable  créa- 
teur de  cette  colonie  et  mérite  de  Qgurer  en  bon  rang  parmi  les  fonda- 
teurs de  notre  empire  colonial. 

(■■2)  Saint-Louis  est  situé  dans  une  île  du  fleuve  Sénégal,  Gorée  dans 
une  île  à  l'abri  du  cap  Vert;  Albréda,  Bintao  sont  actuellement  en 
territoire  anglais,  Bissao  en  territoire  portugais. Outre  St-Louis  et  Gorée, 
la  Compagnie  possédait  les  forts  St-Joseph  et  St-Pierre,  en  1743  elle 
éleva  celui  de  Podor. 

(3)  L'île  et  le  fort  d'Arguin  avaient  appartenu  au  Brandebourg,  puis 
à  la  Prusse  ;  ils  furent  ensuite  occupés  par  André  Brùe  pour  la  Com- 
pagnie ;  mais  la  Compagnie  Occidentale  hollandaise  les  lui  enleva,  et 
l'on  dut  organiser  plusieurs  expéditions  pour  les  reprendre  :   la  der- 


464  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VII 

La  guerre  de  Sept-Ans  vil  la  ruine  de  celle  partie  impor- 
lanle  de  son  domaine  ;  Gorée  et  Sainl-Louis,  incapables  de  se 
défendre,  furent  pris  par  les  Anglais  qui  restèrent  maîtres 
de  loule  la  conlrée  ;  le  traité  de  Paris  (1763)  lui  rendit  Gorée, 
mais  elle  ne  recouvra  pas  Saint-Louis  qui  ne  redevint  fran- 
çais qu'après  sa  chute  (3). 

La  Guinée,  qui  s'étendait  depuis  la  rivière  de  Sierra-Léone 
au  Nord  jusqu'à  l'Equateur  au  Sud,  possédait  la  même  orga- 
nisation ;  la  Compagnie  y  reçut  l'héritage  de  la  Compagnie 
de  Guinée  et  fut  investie  du  monopole  du  commerce  sur  les 
côtes  du  Poivre,  de  l'Ivoire,  de  l'Or,  des  Esclaves  et  de  Cala- 
bar,  qui  se  succèdent  sur  le  littoral  de  cette  contrée.  Elle 
renonça  bientôt  d'ailleurs  à  l'exploiter  sous  ce  régime,  car 
les  habitants  des  iles  d'Amérique,  intéressés  au  commerce 
des  nègres  qui  étaient  la  principale  production  de  la  Guinée, 
firent  entendre  les  plus  vives  réclamations,  et  elle  se  résigna 
à  admettre  les  négociants  particuliers  à  le  partager  avec  elle. 
Le  centre  de  sa  concession  était  Wydah,  dont  le  fort  avait  été 
élevé  sur  la  côte  des  Esclaves  par  la  Compagnie  du  Sénégal 
(1670).  C'était  là  que  résidaient  le  Directeur  Général  (1)  et 
le  Conseil  Supérieur  qui  l'assistait  (2)  :  elle  possédait  aussi  le 

nière,en  1724,eut  lieu  sous  les  ordres  de  M.  de  laRigaudière  et  comprit 
5  navires  :  V Apollon,  le  Duc-du-Maine,  le  Maréchal-d'Estrées,  la  Mutine 
et  V Espérance  [Archivefi  Nationales,  F  50,  5-).  Arguin  resta  finalement  à 
la  France. 

(3)  Saint-Louis  fut  réoccupé  en  1770  par  M.  de  Lauzun,  et  le  traité 
de  Versailles  (1783)  nous  rendit  tout  le  Sénégal. 

(1)  Les  Directeurs  cités  par  Demis  sont:  MM.  Bouchel,  1720-1723; 
Derigoin,  1723-1725;  Soret,  intérim,  1725-1727  ;  de  Pelitval,  1727- 
1729  (massacré);  Gallot,  intérim,  1729-1730;  Mallel,  1730-1731;  Lavigne, 
1731-1732;  Level,  intérim,  1732-1733;  du  Bellay,  1733-1734;  de  Lille, 
1734-1737;  Levens,  1737-1742;  Level,  1742-1747;  Pruneau,  1747-1749; 
Guestard,  1749  (Demis,  t.  IV). 

(2)  Wydah  avait  été  concédé  en  1671  par  le  roi  d'Ardra  au  commissaire 


l'administration    de    la    compagnie    des    INDES  465 

fort  (ÏAssinie,  où  siégeait  un  Directeur  Particulier  et  qui  était 
occupé  ainsi  que  Wydali  par  une  petite  garnison  ;  les  autres 
comptoirs  étaient  El-Mina,  Ardra,  Cormentin,  Petit-Dieppe^ 
Takoray,  Cap-Monte,  Petit-Popo,  établis  à  la  place  des  co- 
lonies créées  au  xiv  siècle  par  les  marins  dieppois,  et  dont 
plusieurs,  il  est  vrai,  avaient  perdu  leur  importance  primi- 
tive. 

Enfin  le  commerce  de  la  Barbarie  ne  figura, comme  la  Loui- 
siane,que  quelques  années  seulement  dans  le  domaine  delà 
Compagnie.  On  sait  que  Ton  comprenait  sous  ce  nom  toute 
la  côte  septentrionale  de  l'Afrique  depuis  la  Tripolitaine  jus- 
qu'au cap  Blanc  ;  mais  le  commerce,  auquel  cette  contrée 
donnait  lieu,  s'exerçait  sur  un  territoire  beaucoup  plus  res- 
treint. La  Barbarie  était  le  siège  d'une  Direction  Générale 
dont  le  centre  était  La  Calle,  résidence  du  Directeur  et  du 
Conseil  :  la  Compagnie  avait  en  outre  des  comptoirs  à  Bône, 
à  Cotlo  et  au  Cap-Nègre,  dans  cliacun  desquels  elle  entrete- 
nait un  Directeur  Particulier  et  quelques  commis.  Dès  l'an- 
née 1730  elle  demanda  au  Roi  à  être  relevée  de  ce  privilège, 
et  le  commerce  de  la  Barbarie  passa  à  une  compagnie  par- 
ticulière. 

3°  Le  véritable  domaine  colonial  de  la  Compagnie  était  en 
Asie  oùelle  possédait  les  établissements  de  l'Inde,  les  iles 
Mascareignes,  et  les  comptoirs  de  Moka  et  de  Canton.  Quand, 
en  1719,  la  Compagnie  d'Occident  acquit  par  sa  réunion  à  la 
Compagnie  des  Indes  Orientales  les  possessions  de  cette  der- 
nière dans  rinde,  cet  héritage  comprit  les  éléments  suivants. 
Sur  la  côte  de  Coromandel  :  Pondichéry,  capitale  de  ses  comp- 

de  la  marine  d'Elbée  envoyé  par  la  Compagnie  du  Sénégal  pour  lui  obte- 
nir une  concession  en  Guinée.  On  a  retrouvé  en  1838  les  Archives  de 
ce  comptoir  dans  les  ruines  du  fort.  L'établissement  d'Assinie  fut  créé 

en  1701. 

W.  —  30 


466  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    VII 

toirs,  ville  industrielle  et  peuplée,  dont  le  territoire  compre- 
nait les  aidées  d'Ariancoupan,  d'Oulgaret  et  de  Mourougapac, 
et  qui,  à  vrai  dire,  absorbait  presque  entièrement  l'activité 
commerciale  française  dans  la  péninsule;  sur  la  cote  des 
Gircars  :  la  loge  de  Masulipatam  et  celle  de  Yanaon  ;  au  Ben- 
gale :  Chandernagor,  la  loge  de  Caasimbazar  et  celle  de 
Balasor  ;  sur  la  côte  de  Malabar  :  la  loge  de  Calicut  ;  enfin  sur 
la  côte  nord-ouest  :  notre  premier  comptoir,  Surat,  alors 
complètement  délaissé  par  nos  vaisseaux. 

Pondichèry  conserva  sa  situation  et  resta  le  siège  du  gou- 
vernement général  de  l'Inde  française  (1)  et  la  résidence  du 
Gouverneur  ;  le  Conseil  Supérieur  qui  l'assistait  se  composait 
d'un  Second,  d'un  ou  de  deux  conseillers  avec  Texpectalive 
de  Second,  de  cinq  conseillers  en  pied  et  d'un  petit  nombre 
de  conseillers  surnuméraires  et  ad  honores,  un  ou  deux  gé- 
néralement (2). Le  Second  était  spécialement  chargé  de  rendre 

(1)  Les  gouverneurs  des  établissements  de  l'Inde  sous  la  domination 
de  la  Compagnie  furent  successivement:  MM.  de  la  Prévostière,  1718- 
1721  ;  Lenoir,  1721-1723  ;  Beauvallier  de  Courchant,  intérim,  1723- 
1726  ;  Lenoir,  1726-1735  ;  Dumas,  1735-1740  ;  Dupleix,  1740-1754  ;  Go- 
delieu,  1754-1755  ;  Duval  de  Leyrit,  1755-1758  ;  Lally-ToUendaJ, 
1758-1763  ;  Law  de  Laurislon,  1763-1765  ;  Nicolas,  intérim,  1765-1766 
Boyelleau,  iniéz-im,  1766-1767  ;  Law  de  Lauriston,  1767-1769. 

(2)  Etat  des  employés  à  Pondichèry  en  1747  {Archives  Coloniales,  C*, 
33,  151).  Dupleix,  gouverneur,  Legou,  second,  Duval  d'Esprém''nH, 
conseiller  avec  l'expectative,  Dulaurens,  Miran,  Barthélémy,  Guillard, 
Lemaire,  conseillers,  deux  conseillers  surnuméraires,  Pillavoine,  con- 
seiller ad  honores. 

Huit  sous-marchands,  six  commis  de  1"  classe,  six  commis  de  2* 
classe,  cinq  sous-commis,  un  huissier. 

Un  chirurgien-major,  un  second  et  un  troisième  chirurgiens. 

Un  maître  de  port  et  un  contremaître. 

De  Bury,  major  général  de  la  garnison,  deux  lieutenants  aides-majors, 
dix-huit  officiers,  cinq  cent  onze  soldats,  quinze  artilleurs. 

[.e  gouverneur  avait  ITj.OOO  livres  de  traitement,  le  second  4.000 
livres,  les  conseillers  1.500,  mais   les   fonctions  supplémentaires  qu'ils 


l'administration    de    la    compagnie    des    INDES  467 

la  justice  aux  indigènes  et  présidait  à  cet  effet  un  tribunal 
spécial  appelé  la  Chauderie,  qui  comprenait  avec  lui  deux 
sous-marchands.  Le  comptoir  de  Pondichéry  possédait  encore 
un  certain  nombre  de  sous-marchands  et  de  commis,  enfin  il 
avait  une  garnison  de  4  compagnies  d'infanterie. 

Quatre  comptoirs  dépendaient  de  lui  :  Karikal,  acquis  en 
1739,  Masulipatam,  acquis  en  1750  (1),  Yaîiaon  et  Siiy^at  (2)  ; 
dans  chacun  d'eux  résidait  un  chef  de  comptoir  (sous-mar- 
chand ou  conseiller  de  l'Inde)  (3),  et  quelques  commis. 

L'Inde  française  comprenait  encore  deux  provinces  :  le 
Bengale  et  le  Malabar,  dont  les  chefs-lieux  étaient  les  comp- 
toirs de  Chandernagor  et  de  Mahé. 

Chandemagor,  relevé  par  Dupleix  de  l'abandon  dans  lequel 
il  était  depuis  longtemps  laissé,  avait  un  Directeur  et  un 
Conseil  Provincial  de  sept  membres  (4).  Dupleix  rendit  éga- 
lement la  prospérité  à  ses  anciennes  dépendances  de  Bala- 
sor  et  de  Cas^simbazar  et  créa  les  loges  de  Patna,  de  Daccaei 
de  Jougdia,  dont  chacune  reçut  un  chef  de  comptoir  particu- 


remplissaient  relevaient  à  2.000  ou  3.000. 

Les  dépenses  de  Pondichéry  s'élevaient  en  1730  à  267.843  roupies 
ou  642.823  livres  [Archives  Nationales,  F12,  644)  ;  les  revenus  con- 
sistaient dans  la  ferme  du  tabac,  du  bétel  et  de  l'arack,  et  dans  le 
change  des  monnaies  :  soit  7.000  pagodes  ;  dans  le  produit  des  aidées 
montant  à  2.700  pagodes  ;  dans  les  droits  d'entrée  et  de  sortie  sur 
les  marchandises,  8.000  pagodes.  (Mémoire  sur  l'état  des  établissements 
de  l'Inde,  1727,  Archives  Coloniales,  G^  74,  261.) 

(1)  Il  fut  perdu  en  17G0,  mais  nous  y  avons  conservé  une  loge. 

(2)  Personnel  de  ces  comptoirs  en  1743  :  Karikal,  Febvrier,  chef  de 
comptoir;  Masulipatam,  Boyelleau,  id.  ;  Yanaon,  deChoisy,  id.  ;  Su- 
rat,  Le  Verrier,  id.,  Moreau,  second. 

(8)  C'était  un  titre  honorifique  que  la  Compagnie  décernait  aux  plus 
méritants  de  ses  employés  dans  la  péninsule. 

(4)  Personnel  en  1743  :  Bural,  directeur  ;  Saint-Paul,  second  ;  Ré- 
gnault,  Ravet,  Barthélémy,  Gazon,  Finiel,  du  Bois-Rolland,  conseillers. 


468  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VII 

lier.  Deux  compagnies  d'infanterie  tenaient  garnison  à  Chan- 
dernagor. 

Mahé,  occupé  en  1721,  avait  un  Directeur,  un  Conseil  Pro- 
vincial de  trois  membres  (1),  et  une  garnison  de  deux  compa- 
gnies ;  de  Mahé  dépendait  la  loge  de  Calicut,  abandonnée  en 
fait  depuis  que  ce  comptoir  avait  été  créé  (2). 

Madagascar,  qui  avait  été  le  but  des  premières  tentatives 
d'établissement  du  commerce  français  dans  l'Océan  Indien, 
resta  complètement  étranger  à  la  Compagnie  (3),  car  les 
échecs  successifs  que  son  exploitation  avait  provoqués  jetait 
sur  la  grande  île  une  ombre  défavorable.  La  Compagnie  con- 
serva cependant  ses  dépendances,  les  îles  Mascareignes  : 
Bourbon  et  l'île  de  France. 

Bourbon  appartenait  déjà  à  la  Compagnie  des  Indes  Orien 
laies  qui  la  transmit  à  son  héritière  ;  sa  voisine,  Maurice,  après 

(1)  Personnel  en  1743:  Duval  du  Leyril,  Directeur  ;  Louel,  second  ; 
Golard,  GuiHard,  conseillers  ;  Boulet,  conseiller  surnuméraire. 

Les  dépenses  de  Mahé  en  1730  s'élevaient  à  56,327  roupies,  soit 
135.186  livres  {Archives  Nationales,  F12,  644). 

(2)  Nous  croyons  devoir  insister  sur  ce  point  que  les  contrées  sou- 
mises à  notre  influence  par  la  politique  de  Dupleix  ne  figurèrent  jamais 
régulièrement  dans  le  domaine  de  la  Compagnie  ;  sans  méconnaître 
l'importance  de  celte  œuvre,  nous  n'avons  donc  pas  à  en  parler  ici. 

(3)  Nous  devons  cependant  mentionner  que  Madagascar  fui  l'objet 
de  plusieurs  tentatives  de  la  part  des  agents  de  la  Compagnie,  et  que 
celle-ci  garda  avec  l'île  quelques  relations  très  espacées.  En  1733,  les 
ingénieurs  Robert  et  de  Gossigny  vinrent  étudier  la  baie  d'Antongil  ; 
en  1746,  La  Bourdonnais  y  fît  un  séjour,  forcé  il  est  vrai  ;  en  1750  la 
reine  de  Foulepointe,  Béli,  Qt  don  à  la  Compagnie  de  l'ile  Sainte-Marie, 
oiî  celle-ci  envoya  un  commis  du  nom  de  Gosse  et  quelques  colons  ; 
mais  en  1761  les  indigènes  massacrèrent  ceux  qui  restaient,  et  ce  crime 
resta  impuni.  En  1768  le  comte  de  Maudave  entreprit  de  relever  Fort- 
Dauphin,  et  en  1769  Pierre  Poivre,  intendant  de  l'ile  de  France,  fit 
explorer  les  côtes  de  Tîle  par  MM.  Grenier  et  Rochon.  En  1773  enfin, 
mais  après  la  chute  de  la  Compagnie,  eut  lieu  la  fameuse  expédition 
du  comte  Benyowski. 


L  ADMINISTRATION    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES 


469 


avoir  appartenu  quelque  temps  aux  Hollandais,  fut  abandon- 
née par  eux  en  1708  ;  Ponlcharlrain  envoya  le  sieur  Dufresne, 
commandant  du  Chasseur,  en  prendre  possession  au  nom  du 
Roi,  et  elle  reçut  dès  lors  le  nom  d'île  de  France  (1714)  ; 
une  seconde  prise  de  possession,  effective  cette  fois,  fut 
accomplie  en  septembre  1721  au  nom  de  la  Compagnie  par 
M.  de  Fougeray,  capitaine  du  Triton.  Les  deux  îles  formèrent 
d'abord  deux  gouvernements  séparés  ayant  chacun  un  Direc- 
teur Général  et  un  Conseil  Supérieur,  siégeant  respectivement 
à  Port-Louis  (lie  de  France)  et  à  Saint-Denis  (Bourbon)  (1)  ; 
puis,  en  1726,  la  Compagnie  décida  qu'elles  ne  formeraient 
plus  qu'un  gouvernement  sous  l'autorité  d'un  Gouverneur 
Général  unique  (Dumas),  qui  devait  résider  six  mois  dans 
chaque  ile  ;  le  Conseil  Supérieur  de  l'ile  de  France  descendit 
dès  lors  au  rang  de  Conseil  Provincial.  Une  nouvelle  reforme 
intervint  en  1735,  par  laquelle  ce  Conseil  reprit  son  rang 
primitif,  quoique  File  restât  unie  à  l'île  Bourbon  sous  Fau- 
torité  d'un  môme  Gouverneur  Général  (La  Bourdonnais)  (2). 
Chaque  Conseil  comprenait  alors  cinq  conseillers  (3),  et  il 
y  avait  dans  chaque  île  un  directeur  général  du  commerce, 

(1)  Liste  des  gouverneurs  de  l'île  Bourbon  :  de  Beauvallier  de  Cour- 
chant,  1715-1720  ;  Desforges-Boucher,  1720-1726  ;  Dumas,  gouverneur 
général  des  deux  îles  1726-1735;  La  Bourdonnais,  id.,  1735-1742; 
Didier  de  Saint-Martin,  id.,  intérim,  1742-1746;  David,  id.,  1746- 
1750  ;  de  Lozier-Bouvet,  gouverneur  de  Bourbon,  1750-1756;  Magon, 
1756-1758  ;  Desforges-Boucher,  1758-1767. 

Quant  à  l'île  de  France,  elle  eut  comme  gouverneurs  particuliers 
avant  la  réunion  des  deux  gouvernements  :  MM.  de  Nyon  (1721-1725) 
et  Dioré,  intérim  (1725-1726). 

(2)  Délibération  du  27  mai  1735,  Archives  Coloniales,  0^,26. 

(3)  Les  deux  Conseils  étaient  égaux  «  de  condition  et  de  pouvoir  »,  et 
chargés  de  la  manutention  intérieure  de  leur  île  respective  en  toute 
indépendance  ;  cependant  le  Conseil  où  siégeait  le  Gouverneur  était 
supérieur  à  l'autre  dans  la  gestion  des  affaires  communes. 


470  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    Vn 

pour  y  commander  en  l'absence  du  gouverneur  ;  enfin  cinq 
compagnies  d'infanlerie  y  tenaient  garnison  :  trois  dans  l'une 
et  deux  dans  l'autre.  Cette  situation  iut  maintenue  sans  modi- 
fication jusqu'en  1750;  à  cette  date  les  iles  furent  de  nou- 
veau séparées  et  formèrent  chacune  un  gouvernement  dis- 
tinct comme  à  l'origine;  en  1764  enfin,  la  Compagnie  les 
rétrocéda  aulîei  (1).  Les  Mascareignes  étaient,  nous  l'avons 
remarqué,  un  type  particulier  des  possessions  de  la  Compa- 
gnie ;  car  ce  furent,  à  la  différence  de  ses  autres  comptoirs, 
de  véritables  colonies,  qu'elle  s'appliqua  à  exploiter  très 
complètement  par  une  mise  en  culture  méthodique  ;  seules 
également,  et  par  suite  de  cette  situation  même,  elles  reçu- 
rent le  droit  d'avoir  des  esclaves  noirs,  que  la  Compagnie 
lirait  de  Madagascar  et  de  la  côte  orientale  d'Afrique  ;  leur 
situation  y  était  régie  parl'Edit  de  mars  1685,  appelé  le  Code 
Noir  (2). 

Le  comptoir  de  Moka,  situé  un  peu  au  nord  du  détroit  de 
Bab-EI-Mandeb  dans  la  mer  Rouge,  et  dépendant  de  l'imanat 
arabe  de  l'Yémen,  était  une  simple  loge,  importante,  il  est 
vrai,  par  le  commerce  du  café  qui  y  était  très  actif.  Plusieurs 
autres  Compagnies  européennes  y  possédaient  aussi  un  éta- 
blissement soumis  aux  mêmes  conditions.  La  Compagnie 
française  y  était  représentée  par  un  Chef  de  comptoir  qui 
avait  le  rang  de  marchand  principal,  et  était  assisté  d'un  Con- 


(Ij  Edit  du  mois  d'août  1764,  article  2, 

(2)  Elles  constituaient  donc  ce  que  Ton  appelle  une  colonie  de  plan- 
tation. Nous  ajouterons  qu'en  1742  La  Bourdonnais  fil  prendre  pos- 
session des  îles  Seychelles  pour  la  (compagnie,  el  que  ce  nom  leur  fut 
donné  dans  la  suite  en  l'honneur  du  ConlrcMeur  Général.  Une  ville  fut 
fondée  sous  le  nom  de  VElablissement  dans  la  principale  d'entre  elles  : 
Mahé.  Deux  autres  îles  de  ce  groupe  s'appellent  encore  :  Silhouette  et 
Praslin. 


l'administration    de    la    compagnie    des    INDES  471 

seil  de  trois  membres  ;  quelques  employés  subalternes  com- 
plétaient le  personnel  qu'elle  y  entretenait  (1). 

Enfin  le  comptoir  de  Canton,  dernier  établissement  de  la 
Compagnie  en  Asie,  eut  une  histoire  assez  mouvementée. 
Dès  le  début  de  son  commerce,  en  effet,  elle  y  envoya  un  chef 
de  comptoir  et  quelques  commis,  mais  ceux-ci  eurent  des  dé- 
mêlés avec  les  autorités  chinoises  et  furent  obligés  de  se 
retirer.  Commeles  autres  nations  européennesne  possédaient 
point  de  loges  à  Canton,  la  Compagnie  ne  put  obtenir  l'au- 
torisation de  remplacer  ses  agents  et  dut  se  contenter  d'en- 
voyer avec  chaque  vaisseau  un  personnel  spécial  pour  con- 
duire les  opérations  commerciales  (2).  Cette  situation  dura, 
semble-t-il,  jusqu'à  la  chute  de  la  Compagnie  et  les  efforts 
nombreux  qu'elle  fit  pour  y  mettre  fin  échouèrent  (3). 

Tel  est  le  tableau  d'ensemble  que  l'on  peut  tracer  du  do- 
maine colonial  de  la  Compagnie  des  Indes  ;  il  offrait,  on  le 
voit,  une  administration  uniforme,  simplifiée  autant  que  les 
intérêts  du  commerce  le  permettaient  ;  les  formes,  la  méthode 
en  étaient  d'ailleurs  les  mêmes  que  sous  la  domination  de  la 
Compagnie  des  Indes  Orientales  dont  elle  avait  reçu  l'héri- 
tage et  conservé  les  traditions  administratives. 

(1)  La  Compagnie  avait  eu  à  souffrir  pendant  quelque  temps  de  l'hos- 
tilité des  Arabes  ;  elle  lut  obligée  de  faire  une  expédition  militaire  pour 
en  venir  à  bout  et  y  réussit,  car  elle  conclut  ensuite  avec  l'iman  un 
traité  qui  lui  assura  la  paisible  jouissance  de  ses  droits 

(2)  La  conduite  qu'il  devait  tenir  fut  décidée  par  un  «  Règlement 
pour  la  Direction  du  commerce  à  Canton  »,  du  18  septembre  1732.  Ar- 
chives Coloniales,  C^,25. 

(3)  En  1736,  par  exemple,  la  Compagnie  recommandait  aux  deux 
chefs  de  l'expédition  annuelle,  Duveiaer  et  Godeheu,  d'examiner  s'il 
était  possible  de  relever  le  comptoir  de  Canton  avec  l'autorisation  des 
mandarins  ;  si  l'on  ne  réussissait  pas  à  Canton,  on  devait  chercher  à 
s'établir  à  Macao.  Archives  Coloniales,  CS29. 


CHAPITRE  VIII 


LE  COMMERCE  DE  LA  COMPAGNIE  DES  INDES. 


Le  commerce  de  la  Louisiane  ;  son  abandon  parla  Compagnie.  — Le 
commerce  de  Saint-Domingue.  —  Le  castor  du  Canada.  —  Le  com- 
merce de  la  Barbarie.  —  Le  commerce  du  Sénégal  et  de  la  Guinée  : 
la  traite  des  nègres.  —  Les  îles  Mascareignes  :  efforts  de  la  Compagnie 
pour  développer  leur  richesse.  —  Moka  et  le  commerce  des  cafés.  — 
L'Inde:  exploitation  de  ses  différentes  productions.  —  Le  commerce 
de  la  Chine.  — Tableau  général  du  commerce  de  la  Compagnie  des 
Indes  :  expéditions,  retours,  prix  d'achat  et  de  vente,  bénéfices 
annuels. —  Situation  commerciale  de  la  Compagnie  en  France.  —  Per- 
sistance du  régime  prohibitif  à  l'égard  des  tissus  des  Indes.  —  La 
marque,  l'entrepôt,  les  ventes  publiques.  —  Les  droits  de  douane. 
—  La  contrebande  et  sa  répression.  —  La  Compagnie  a-t-elle  fourni 
d'une  façon  satisfaisante  le  marché  français  des  produits  des  Indes? 


Le  commerce  tenait  dans  les  plans  de  Lawune  place  plus 
importante  qu'il  n'en  occupa  dans  l'histoire  du  Système,  et  sa 
monopolisation  était  un  des  buis  principaux  de  la  gigan- 
tesque machine  dont  il  voulait  étendre  le  fonctionnement  à 
toutes  les  manifestations  de  l'activité  française.  Celle-ci  était 
cependant  bien  peu  considérable  au  moment  où  le  célèbre 
financier  créait  la  Compagnie  d'Occident,  premier  rouage  de 
cet  organisme,  car  les  guerres,  les  exactions  fiscales,  les 
mauvaises  récoltes,  les  désordres  de  toutes  sortes  qui  assom- 
brirent les  dernières  années  du  règne  de  Louis  XIV  avaient 
ruiné  tout  commerce  et  toute  industrie,  détruit  les  capitaux, 
découragé  toutes  les  initiatives.  Les  Compagnies  de  commerce 


LE    COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES   INDES  473 

paraissaient  avoir  complètement  éclioué,  les  unes  avaient  ra- 
pidement disparu,  d'autres  se  soutenaient  encore  nominale- 
ment, comme  la  Compagnie  des  Indes  Orientales,  elles  entre- 
prises particulières  qui  s'étaient  greffées  sur  elles  n'avaient 
pas  réussi  mieux  qu'elles. 

Law  n'hésita  pas  cependant  à  relever  le  privilège  acquis 
quelques  années  auparavant  par  Crozal  pour  le  trafic  de  la 
Louisiane.  Celle-ci  comprenait,  on  l'a  vu,  non  seulement  le 
territoire  de  l'Etat  actuel  de  ce  nom,  mais  toute  la  vallée  du 
Mississipi  jusqu'à  la  région  des  Grands  Lacs,  immense  con- 
trée dont  on  ne  connaissait  rien,  sur  les  ressources  de  la- 
quelle on  n'avait  que  de  très  peu  sûrs  renseignements  et 
qu'on  ne  pouvait  songer  sérieusement  à  mettre  entièrement 
en  exploitation.  On  se  borna  à  porter  la  colonisation  sur  les 
rivages  du  golfe  du  Mexique  et  dans  le  delta  du  Mississipi  ; 
les  résultats  en  furent  très  lents,  et  le  premier  navire  que 
l'Occident  mit  en  mer  ne  rapporta  que  des  échantillons  et 
surtout  des  espérances  ;  on  ne  pouvait  guère,  d'ailleurs^,  dans 
les  détestables  conditions  où  se  fit  le  peuplement  de  la  nou- 
velle colonie,  nourrir  des  ambitions  bien  grandes. 

Cependant  la  Compagnie  des  Indes,  héritière  de  l'Occident, 
ne  se  découragea  point  et  au  milieu  de  fautes  très  regretta» 
blés  fil  quelques  etïorls  dignes  de  louanges  :  elle  y  envoya 
des  plants  de  cotonnier,  dont  la  propagation  fort  lenle  ne  lui 
permit  pas  de  soupçonner  l'immense  richesse  dont  elle  dotait 
ainsi  cette  contrée  (1)  ;  elle  y  favorisa  également  la  culture 
du  tabac  et  des  céréales. 

La  Louisiane  ne  fut  néanmoins  dans  le  Système  qu'une 

(1)  Le  colon  est  aujourd'hui  la  principale  richesse  de' la  l^ouisiane  et 
de  tous  les  Etats  méridionaux  de  la  Confédération  ;  il  est  bon  de  rap- 
peler que  c'est  à  la  colonisation  française, el  en  particulier  à  la  Compa- 
gnie des  Indes,  qu'il  en  faut  faire  remonter  l'origine. 


474  TROISIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE    VIII 

coûteuse  inulililé,  et  au  point  de  vue  coiiiiuei'cial,  que  l'occa- 
sion de  ce  que  l'on  appelle  aujourd'liui  un  «  bluff  »  colossal; 
mines  d'or  et  d'argent  dont  on  envoyait  des  échantillons  peu 
authentiques  à  la  Monnaie  de  Paris  (1),  rochers  d'émeraude 
dont  on  ne  fournil  par  contre  aucun,  étaient  jetés  en  appât 
au  public.  Sans  doute  la  Louisiane  pouvait  être  une  source 
de  richesses  plus  estimables  ;  il  eût  fallu  pour  cela  que  sa 
colonisation  fût  poursuivie  méthodiquement  et  qu'on  en  sût 
attendre  les  résultats  ;  mais  pour  la  réussite  de  ses  projets 
Law  ne  pouvait  attendre,  c'est  pourquoi  il  recourut  à  ces 
coupables  mensonges. 

Lorsque,  après  la  chute  du  Système,  la  Louisiane  passa  à  la 
Compagnie  reconstituée,  les  conditions  dans  lesquelles  cet 
héritage  lui  fut  lemis  étaient  fort  peu  favorables  et  il  lui  fal- 
lait subvenir  pendant  longtemps  encore  aux  besoins  de  cette 
contrée  d'avenir  avant  d'en  attendre  aucun  bénéfice  ;  c'était 
là  le  rôle  d'une  Compagnie  de  colonisation  et  non  celui  d'une 
Compagnie  de  commerce,  et  après  quelques  années  d'exploi- 
tation, elle  préféra  se  racheter  des  obligations  fort  lourdes 
que  celle  concession  faisait  peser  sur  elle  en  la  cédant  au 
Roi  (1731). 

La  Compagnie  y  dépensa  25  millions  de  livres,  dit-on,  en 
dix  années,  sans  qu'il  paraisse  qu'elle  en  ail  retiré  d'au- 
tres profils  que  ceux  du  labac  qui  y  donna  assez  vile  des 
résultats,  puisqu'on  1719  déjà  Law  établissait  une  taxe  de 
25  livres  sur  son  importation  en  France. 

On  y  reconnut  cependant  l'existence  d'autres  richesses 
dont  la  plupart,  il  est  vrai,  restèrent  inexploitées  pendant 

(1)  Savary  dit  cependant  que  l'essai  qui  en  fut  fait  démontra  la  pré- 
sence de  6  livres  de  métal  précieux  par  quintal  déminerai;  mais  le 
Journal  de  la  llégence  dit  90  marcs  (22  kilogrammes,  en  donnant  au 
marc  la  valeur  de  245  grammes) 


LE  COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE  DES  INDES  47Î) 

longtemps  ;  les  bestiaux  :  chevaux,  ânes,  taureaux,  moutons, 
chèvres,  porcs  y  étaient  nombreux  et  faciles  à  apprivoiser; 
on  y  pouvait  exploiter  les  bois  de  marine,  de  teinture,  de 
marqueterie  (cyprès,  chène^  noyer,  cèdre  blanc  et  rouge)  ; 
le  riz  et  l'indigo  fournirent  dès  le  début  quelques  cargaisons  ; 
enfin  la  présence  des  mûriers  et  des  vers  à  soie  donna  l'espé- 
rance, qui  ne  se  réalisa  point  (1),  de  rivaliser  avec  la  Chine 
et  l'Inde  pour  la  fourniture  des  tissus  précieux  à  l'Europe. 

Un  règlement  du  2  septembre  17:21  organisa  les  relations 
de  la  Compagnie  avec  la  colonie  naissante.  Il  fixa  le  prix  des 
nègres  fournis  par  elle  aux  colons  à  660  livres  la  pièce  d'Inde, 
celui  du  vin  de  France  à  120  livres  la  barrique,  et  de  l'eau- 
de-vie  à  120  livres  le  quart.  Les  bénéfices  qu'elle  fut  autorisée 
à  réaliser  sur  la  fourniture  des  produits  d'Europe  aux  indi- 
gènes furent  tarifés  également  suivant  les  districts  de  50 
à  100  0/0.  Enfin  les  prix  d'achat  exigibles  par  les  colons  pour 
leurs  productions  furent  établis  à  25  livres  le  quintal  pour  le 
tabac  et  12  livres  pour  le  riz. 

Les  bénéfices  qu'elle  retira  de  ces  relations  furent  néan- 
moins très  peu  importants,  et  la  rétrocession  de  la  Louisiane 
au  Roi  fui  un  événement  avantageux  et  pour  elle  et  pour 
cette  colonie,  qui  prit  bientôt  un  développement  remarqua- 
ble. Elle  fut  désormais  placée  sous  le  même  régime  que  les 
autres  colonies  royales. 

Le  domaine  de  la  Compagnie  des  Indes  en  Amérique  com- 
prenait encore  le  monopole  du  commerce  de  Tîle  de  Saint- 
Domingue.  L'exploitation  de  la  partie  de  cette  île  qui  appar- 
tenait à  la  France  et  qui  n'était  pas  la  plus  fertile,  après 
avoir  été  concédée  à  la  Compagnie  de  Saint-Domingue  jus- 

(1)  Cela  n'empêcha  pas  les  spéculateurs  du  Système  de  répandre  le 
bruit  que  des  ateliers  immenses  y  étaient  déjà  en  plein  fonctionnement 
pour  la  préparation  de  la  soie. 


476  TROISIÈME    PARTIE.  CHAPITRE    VIII 

qu'en  1720,  fui  ensuite  abandonnée  par  le  Roi  à  l'initialive 
particulière  ;  mais  le  privilège  exclusif  de  ses  relations  com- 
merciales, et  notamment  le  monopole  de  la  fourniture  des 
nègres  dont  elle  avait  besoin,  fut  accordé  à  la  Compagnie  des 
Indes  par  arrêt  du  10  septembre  1720.  L'hostilité  qu'elle 
rencontra  chez  les  colons  ne  tarda  pas  cependant  à  lui  faire 
abandonner  une  partie  de  ses  droits  ;  elle  renonça  à  exploi- 
ter à  titre  de  monopole  le  commerce  de  celle  lie,  pour  lequel 
elle  accorda  jusqu'à  la  fin  des  permissions  aux  négociants 
particuliers,  et  se  contenta  de  s'y  livrer  au  même  titre  qu'eux. 
Les  principales  productions  étaient  le  café,  le  sucre,  le  coton 
et  l'indigo;  le  sucre  «  qu'on  recueille,  dit  un  auteur,  en 
quantités  immenses  »  se  vendait  brut  et  /e?Te,  c'est-à-dire 
blanchi  avec  de  l'argile  ;  «  il  était  moins  beau  en  couleur  que 
celui  de  la  Martinique,  mais  non  inférieur  en  qualité  (1)  ». 
Le  café,  par  contre,  était  de  médiocre  qualité  :  la  principale 
ville  de  commerce  de  l'île  était  le  Cap-Français  (Cap-Haïtien 
aujourd'hui)  (2)  D'autre  part,  la  Compagnie  continua  à  se 
livrer,  sans  prétendre  au  monopole,  à  la  traite  des  nègres  au 
profit  de  celte  île  ;  il  est  vrai  qu'on  l'y  payait,  parait-il,  fort 
mal,  el  qu'elle  se  plaignit  souvent  au  Contrôleur  Général  d'y 
avoir  nombre  de  débiteurs  récalcitrants  (3).  Le  traité  de  Pa- 
ris (1763),  en  enlevant  Saint-Domingue  à  la  France,  mit  fin 
au  commerce  de  la  Compagnie  avec  cette  île  (4). 

(1)  Mémoire  anonyme  sur  le  commerce  de  Marseille,  1778,  Archives 
Nationales.  1*'12,  G44. 

(2)  Où  résidait  l'agent  de  la  Compagnie,  qui  y  avait  un  comptoir. 

(3)  Notamment  lettre  de  la  ('ompagnie  au  ministre,  1733.  Archives 
Coloniales. 

(4)  Nous  citerons,  à  titre  documentaire,  les  e.\lraits  des  connaisse- 
ments de  deux  cargaisons  prises  par  des  navires  de  la  Compagnie  à 
Saint-Domingue  en  1740.  Archives  Coloniales,  G-,  29. 

La  llenrielte,  capitaine  Maigrin,  venant  du  Cap-Français  el  arrivée  à 


LE   COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  477 

Un  dernier  lien  commercial  entre  la  Compagnie  et  TAmé- 
rique  était  le  privilège  exclusif  de  la  traite  du  castor,  qui  fut 
une  des  premières  acquisitions  de  l'Occident.  Depuis  le  traité 
d'Utrecht,  qui  nous  avait  fait  perdre  l'Acadie,  cet  article  ne 
pouvait  plus  être  tiré  que  du  Canada  par  le  commerce  fran- 
çais (1)  ;  ce  monopole  avait  déjà  passé  entre  les  mains  de 
plusieurs  Compagnies  qui  n'y  avaient  pas  trouvé  fortune,  car 
la  fraude  et  la  concurrence  étrangère,  surtout  celle  des  Hol- 
landais, en  diminuaient  beaucoup  le  produit.  Cependant  les 
débouchés  en  étaient  avantageux  et  l'industrie  de  la  chapel- 
lerie en  demandait  en  France  de  grandes  quantités,  L'Occi- 
dent le  transmit  à  la  Compagnie  des  Indes,  mais  bientôt  Law 
renonça  à  l'exploiter  et  lui  substitua  le  régime  de  la  liberté 
avec  perception  d'un  droit  de  9  sols  par  livre  de  castor  gras,  et 
6  sols  par  livre  de  castor  sec  (arrêt  du  16  mai  1720).  En  outre, 
la  sortie  du  royaume  de  ces  pelleteries  fut  interdite, et  l'entrée 
ne  put  être  effectuée  que  dans  un  nombre  déterminé  de  ports. 

Mais  dès  la  chute  du  Système  cet  état  de  choses  prit  fin  et 
le  monopole  fut  rétabli  au  profit  de  la  Compagnie  des  Indes 
par  l'arrêt  du  30  mai  1721.  Cette  décision  fut  accueillie  par 

Lorienl  le  23  juillet  avait  comme  chargement  : 

453  barriques  de  sucre  brut. 
21  quarts  de  sucre  brut. 
219  quarts  de  café. 
La  Flore,  capitaine  de  la  Chaise,  venant  de  la  Caye-Saint-Louis,  por- 
tait : 

394  barriques  de  sucre  brut. 
13  barriques  de  sucre  terré. 
52  balles  de  coton. 

3  boucaux  d'indigo. 
32  barriques  d'indigo. 
120  cuirs  en  poil. 
(1)  Le  commerce  de  l'île  du  Cap-Breton  ne  figura  pas  dans  le  mono- 
pole de  la  Compagnie. 


478  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VIII 

les  proleslalions  véhémenles  tant  des  Canadiens  que  des 
négociants  rochelais  qui  avaient  particulièrement  profité  du 
précédent  régime  ;  aussi  le  gouvernement  royal  crut-il  de- 
voir en  suspendre  l'exécution  et  ordonna  une  enquête  dont 
fut  chargé  le  sieur  Bégon,  intendant  à  Québec  (1).  Celle  ci 
fut  sans  doute  défavorable  aux  négociants  dépouillés,  car 
le  privilège  fut  confirmé  à  la  Compagnie  (2),  qui  le  conserva 
désormais  sans  contestation  nouvelle. 

L'exploitation  en  fut  d'ailleurs  réglementée  assez  minu- 
tieusement, car  on  lui  imposa  un  prix  d'achat  au  Canada  de 
4  francs  la  livre  pour  le  castor  gras  et  "2  francs  pour  le  castor 
sec,  plus  un  sol  par  livre  pour  le  fret.  D'après  une  lettre  de 
la  Compagnie  datée  de  1735  (3),  son  commerce  des  castors 
avait  des  débouchés  assurés  en  France,  et  elle  vendait  même 
l'excédent  de  ses  approvisionnements  en  Hollande  (4). 

Le  domaine  de  la  Compagnie  était  plus  étendu  en  Afrique 
qu'en  Amérique  ;  il  y  était  même  exagéré  et  ne  put  se  main- 
tenir dans  son  intégrité  primitive.  Elle  reçut,  en  effet,  les 
commerces  de  la  Barbarie,  du  Sénégal  et  de  la  Guinée,  et  ces 
trois  trafics  comprenaient,  théoriquement,  l'exploitation  de 
toute  la  côte  africaine  depuis  la  Tripolitaine  jusqu'au  cap  de 
Bonne-Espérance  I 

Le  commerce  de  la  Barbarie,  héritage  de  la  Compagnie 

(1)  Arrêt  du  20  juillet  1721. 

(2)  Arrêt  du  28  janvier  1722. 

(3)  Archives  Coloniales^  C-,  26. 

(4)  Le  commerce  des  mers  du  Sud,  qui  avait  figuré  dans  le  domaine 
de  la  (Compagnie  des  Indes  Orientales,  ne  fut  point  donné  à  la  Com- 
pagnie des  Indes  ;  on  se  souvient,  en  effet,  que  le  traité  d'Utrechl 
l'avait  interdit  aux  Français.  Cependant  la  Compagnie  envoya  dans  les 
premières  années  «  nombre  de  vaisseaux  »  dans  cette  partie  du  monde, 
mais  l'ambassadeur  d'Espagne  s'en  plaignit  auprès  du  cardinal  Dubois, 
qui  lui  rappela  cette  interdiction.  D'après  un  mémoire  de  17'22  aux 
Archives  Nationales,  Fl"2,  644. 


LE    COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  479 

d'Afrique,  avait  été  concédé  à  la  Compagnie  des  Indes  pour 
24  années  par  l'arrêt  du  4  juin  1719  ;  mais  celle  concession 
devint  perpétuelle  en  1755.  On  désignait,  nous  l'avons  vu, 
sous  le  nom  de  Barbarie  loule  la  cûle  méditerranéenne  de 
l'Afrique  depuis  l'Egypte  jusqu'au  délroil  de  Gibraltar  «  et 
même  un  peu  au  delà  dans  l'Océan  Atlantique  (1)», ce  qui  com- 
prenait le  littoral  des  Etats  suivants  :  Tripoli,  Tunis,  Alger  et 
Maroc.  Les  principaux  centres  de  ce  commerce  étaient  alors  : 
La  CaUe,où.  l'on  trouvait  du  corail  et  du  blé  ;  ^ône,avec  les  lai- 
nes dites  constantines,  les  cuirs,  la  cire  et  le  blé,  et  Co^^o, pour 
la  cire  et  les  cuirs.  La  Compagnie  des  Indes  chercha  à  tirer 
bénéfice  de  son  privilège  surtout  par  l'exportation  du  corail 
dont  elle  avait  des  débouchés  en  Asie  :  les  autres  articles  de  ce 
commerce  figurèrent  aussi  dans  ses  cargaisons  :  cuirs,  cires, 
huile  d'olive,  suifs,  laines,  blé,  orge,  légumes.  Elle  ne  parvint 
point  cependant  à  établir  de  ce  côté  un  trafic  suffisamment  ré- 
munérateur (2),  aussi  se  décida-t-elle  de  bonne  heure  à  l'a- 
bandonner. En  1730,  elle  demanda  au  Roi  à  être  déchargée 
d'un  monopole  qui  lui  était  plus  onéreux  que  profitable,  elle 
supplia  t  d'en  disposer  en  faveur  de  quelque  compagnie  par- 
ticulière qui  eût  son  établissement  à  Marseille  »  .Quelle  que  fût 
la  véritable  portée  de  cet  hommage  rendu  à  l'activité  com- 
merciale des  Marseillais,  l'offre  fut  acceptée  par  l'arrêt  du 
19  novembre  1730  et  le  privilège  du  commerce  de  Barbarie 
conféré  à  Jacques  Auriol  de  Marseille  et  ses  associés,  qui  re- 
levèrent le  nom  de  l'ancienne  Compagnie  d'Afrique  et  reçu- 
rent une  concession  de  dix  années.  Ce  commerce  resta  dès 
lors  étranger  à  la  Compagnie  des  Indes  (3). 

(i)  Notamment  Mogador,   Sali,   Santa-Cruz,  Salé  et  Larache.    Mé- 
moire sur  le  commerce  de  Marseille,  1773.  Arch.  Nat.   F12.644, 

(2)  Elle  y  perdit  2  millions  de  livres,  de  1724  à  1730,  dit  le  Directeur 
Caslanier  dans  un  mémoire  à  la  date  de  ild9.  Archives  Coloniales,C^,29. 

(3)  Elle  prêta  300.000  livres  à  la  Compagnie  Auriol  qui  la   remplaça 


480  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   Vm 

Le  commerce  du  Sénégal  embrassait  le  trafic  de  la  côte 
africaine  entre  le  cap  Blanc  au  Nord  et  la  rivière  de  Sierra- 
Léone  au  Sud.  Le  Sénégal  fut  une  des  parties  les  plus 
importantes  du  domaine  colonial  de  la  Compagnie,  et  nous 
avons  vu  qu'il  était  adminislrativement  divisé  en  six  provin- 
ces ;  on  y  comprenait  en  outre  l'échelle  de  Portendicketl'ile 
d'Arguin.  Les  principaux  comptoirs  étaient  situés  sur  le  lit- 
toral et  les  navires  de  la  Compagnie  y  prenaient  charge  direc- 
tement. Les  relations  commerciales  qu'elle  entretenait  avec 
eux  étaient  fréquentes  et  les  principaux  articles  d'exporta- 
tion étaient  les  suivants  : 

Les  nègres,  dont  Pexportation  pouvait  atteindre,  année  com- 
mune, l.SOO  individus.  Ce  commerce  est  une  fâcheuse  tache 
dans  l'histoire  de  la  Compagnie  des  Indes,  mais  il  ne  soulevait 
alors  aucun  scrupule  (1)  ;  elle  prit  l'engagement, en  acquérant 
ce  monopole,  de  fournir  3.000  nègres  chaque  année  aux  îles 
françaises  d'Amérique;  par  contre,  elle  fut  affranchie  de  tout 
droit  sur  ce  commerce  et  reçut  en  outre  une  gratification  de 
13  livres  par  tête  de  nègre  dont  elle  justifiait  la  fourniture 
accomplie. 

Vunité  de  nègre,  si  Ton  peut  ainsi  parler,  était  la  Pièce 
d'Inde,  c'est-à-dire  l'individu  sans  défauts  notables,  depuis 
l'âge  de  15  jusqu'à  celui  de  35  ans  ;  les  enfants,  les  vieil- 
lards, les  malingres  comptaient  pour  une  fraction  de  pièce 
d'Inde.  La  Compagnie  payait  celte  marchandise  humaine  aux 
traitants  indigènes  50  livres  la  pièce  en  marchandises,  ou 
encore  un  certain  nombre  de  barres  de  fer  (:20,  30  ou  40,  sui- 
vant les  lieux),  ou  4  fusils,  30  bassins  de  cuivre,  ou...  2  cais- 
ses de  tambour  ! 


[Archives  Coloniales,  ibid.). 
(1)  La  traite  des  nègres  n'a  été  abolie  en  France  qu'en  1848. 


LE    COiMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  481 

Les  cuirs  de  bœuf  éi'àieul  encore  un  article  iinporlanl  du 
commerce  du  Sénégal,  et  les  navires  de  la  Compagnie  ve- 
naient en  charger  jusqu'à  6.000  par  an  à  Saint-Louis  et  à 
Joal. 

Ldi  gomme  était  le  principal  objet  d'échange  avec  les  Maures, 
qui  l'apportaient  au  printemps  des  forêts  de  l'intérieur,  et  le 
grand  centre  de  ce  trafic  était  Portendick;  mais  il  s'en  trai- 
tait également  à  Saint-Louis.  La  Compagnie  se  procurait  ainsi 
environ  1.200  quintaux  de  gomme,  dite  gomme  arabique  ou 
gomme  du  Sénégal. 

La  cire,  produite  parles  provinces  deGambie  etde  Bissao, 
s'élevait  à  450  quintaux,  année  commune. 

Le  morfll,  c'est-à-dire  les  défenses  d'éléphant  brutes,  se 
trouvait  dans  tous  les  comptoirs  et  atteignait  500  quintaux 
environ. 

Enfin  la  pondre  d'o7\  fournie  particulièrement  parle  comp- 
toir de  Galam,  s'élevait  à  50  marcs  (1).  Il  faut  encore  citer  à 
titre  secondaire  les  plumes  d'autruche,  Vambre  gris,  l'indigo, 
la  civette,  le  mil  qui  servait  à  la  nourriture  des  nègres  pen- 
dant leur  transport  en  Amérique. 

La  Compagnie  n'était  point  sans  rencontrer,  pour  faire  ces 
différents  commerces,  d'assez  grandes  difficultés  ;  de  la  part 
desindigènes  d'abord,  car  les  Européens  qui  commerçaienlau 
Sénégal  n'étaient  que  tolérés  et  les  potentats  nègres  se  fai* 
saient  payer  en  tributs  onéreux  le  droit  qu'ils  étaient  censés 
leur  accorder  ;  ainsi  la  Compagnie  devait  acquitter  tous  les 
ans  envers  le  souverain  des  Peuls,  le  Siratik,  dont  l'autorité 
s'étendait  sur  le  bassin  inférieur  du  Sénégal,  une  Coutume 

(1)  Les  chiffres  de  ce  traûc  varient  suivant  les  sources  d'information  : 
nous  avons  reproduit  ceux  du  Dictionnaire  de  Savary,  article  :  Com- 
merce du  Sénégal,  mémoire  cité  par  l'auleur  ;  mais  quelques  pages  plus 
loin  il  donne  des  chiffres  assez  dilTérents,  et  M.  Berlioux  (André  Brùe, 

1874)  en  donne  qui  sont  beaucoup  plus  élevés. 

vv.  -   31 


482  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VIII 

de  2.000  livres  environ  en  marchandises  diverses,  el  elle  en 
devait  une  autre  au  roi  du  pays  de  Portendick,  s'élevant  à 
2.400  piastres  par  vaisseau. 

Les  Européens  n'étaient  pas  moins  gênants:  les  Anglais 
lui  disputaient  le  commerce  delà  Gambie;  les  Hollandais 
et  les  Anglais  Irafiquaient  avec  les  Yolofs.  Enfin  il  y  avait 
un  grand  ;iombre  de  marchands  «  interlopes  »  (1),  sans  con- 
cession aucune  :  Portugais,  Hollandais,  Anglais  et  même 
Français,  qui  venaient  lui  enlever  les  objets  de  son  trafic. 

Celui-ci  nécessitait,  cela  va  sans  dire,  un  courant  d'impor- 
tations européennes  considérable,  qui  atteignait  en  valeur 
400.000  livres  par  an  ;  c'étaient  toutes  sortes  d'articles  :  des 
barres  de  fer,  des  bassins  de  cuivre,  de  l'eau-de-vie,  des 
draps  rouges  ou  bleus,  des  serges  grossières,  de  la  verrote- 
rie, des  miroirs,  des  couteaux,  des  souliers,  des  chapeaux, 
des  armes,  du  plomb,  delà  poudre,  enfin  des  cauris. 

Le  commerce  de  la  Guinée,  qui  comprenait  celui  de  la  côte 
africaine  depuis  la  rivière  de  Sierra-Léone  jusqu'à  l'Equateur, 
était  libre  depuis  que  la  Compagnie  de  l'Assiente  avait  été 
forcée  de  l'abandonner,  c'est-à-dire  depuis  1713  ;  à  ce  régime 
fut  substitué  le  monopole  au  profit  de  la  Compagnie  des 
Indes  par  l'arrêt  du  27  septembre  1720.  Le  principal  objet  du 
commerce  avec  ces  contrées  était  la  traite  des  nègres,  qui 
s'y  faisait  même  plus  activement  qu'au  Sénégal  ;  les  droits 
et  les  obligations  de  la  Compagnie  à  ce  sujet  étaient  les  mê- 
mes pour  la  Guinée  que  pour  le  Sénégal  ;  en  seconde  ligne 
venait  le  commerce  de  la  poudre  d'or  pour  lequel  elle  reçut 
une  gratification  de  20  livres  par  marc  introduit  en  France. 

(1)  On  appelait  Interlopes  ceux  qui  se  livraient  au  commerce  des 
pays  compris  dans  la  concession  d'une  Compagnie  privilégiée  :  c'étaient 
la  plupart  du  temps  des  aventuriers.  Les  Compagnies  s'entendaient, 
même  entre  nations  dillereiites,  pour  leur  donner  la  chasse. 


LE   COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  4od 

Néanmoins  la  Compagnie  ne  put  jouir  de  ses  prérogatives 
aussi  complètement  qu'au  Sénégal.  Dans  les  derniers  mois 
du  Système,  ne  s'estimant  pas  en  mesure  de  remplir  ses 
obligations,  elle  consentit  à  délivrer  des  permissions  aux 
négociants  particuliers  pour  le  trafic  de  ces  deux  articles  ; 
puis,  au  début  de  l'année  1722,  elle  refusa  d'en  accorder  de 
nouvelles  et  annonça  qu'elle  exploiterait  elle-même  son  pri- 
vilège. Les  colonies  d'Amérique  protestèrent,  et  nous  avons 
dit  combien  violente  fut  l'hostililé  que  la  Compagnie  rencon- 
tra à  Saint-Domingue  ;  les  actionnaires,  émus  par  ces  difficul- 
tés, se  plaignirent  au  gouvernement  royal  que  ce  commerce 
fût  une  charge  et  un  péril  pour  leurs  intérêts,  et  insistèrent 
pour  qu'il  en  détournât  les  Directeurs.  Ces  derniers  s'effor- 
cèrent, il  est  vrai,  de  prouver  que  ces  craintes  étaient  chi- 
mériques ;  néanmoins  la  Compagnie  se  décida  à  reprendre 
le  régime  des  autorisations,  tout  en  continuant  à  faire  la 
traite  pour  son  compte.  Les  premières  années  de  celte  exploi- 
tation semblent  même  avoir  été  très  actives,  comme  le  montre 
le  tableau  suivant  : 

1723.  IG  vaisseaux,  4678  noirs  transportés  aux  Iles 
1724.  17  »  6450  » 

4  mois  de  1725.  12  »  4800  » 

soit  au  total  en  deux  années  et  quelques  mois  45  vaisseaux 
et  15.928  noirs  (1). 

Mais  cette  activité  ne  dura  point  et  la  Compagnie  aban- 
donna tous  les  ans  davantage  le  commerce  de  la  Guinée  au 
négoce  particulier.  Tant  au  Sénégal,  où  elle  le  conserva  effec- 
tivement, qu'en  Guinée  où  elle  l'abandonna,  le  monopole  de 
la  traite  des  nègres  lui  appartint  néanmoins  presque  jusqu'à 
sa  chute,  car  elle  ne  le  perdit  qu'en  1767  (2). 

(i)  Archives  Nationales,  FôO,  5'. 

(2)  La  Compagnie  percevait  des  particuliers  auxquels  elle  permettait 


484  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VIII 

Le  véritable  domaine  commercial  de  la  Compagnie  des 
Indes  fui  l'Asie,  vers  laquelle  se  porta  dès  le  début  son  prin- 
cipal effort  ;  toutes  les  parties  n'en  furent  point,  il  est  vrai,  ex- 
ploitées par  elle  avec  la  même  activité. 

Madagascar  ne  compta  guère  dans  ses  spéculations.  Cepen- 
dant cette  île  resta  le  magasin  des  îles  Mascareignes,  auxquel- 
les elle  fournissait  des  bestiaux,  et  le  trafic  des  esclaves  s'y  fit 
constamment  à  leur  profit.  La  Compagnie  essaya  même  en 
4734  d'établir  la  traite  dans  celte  île  pour  les  îles  d'Améri- 
que (1)  :  il  ne  paraît  pas  d'ailleurs  que  cet  essai  ait  eu  des 
résultats  de  nature  à  l'encourager  dans  cette  voie  (2). 

Si  la  Compagnie  avait  renoncé  à  Madagascar  (3),  elle  avait 
du  moins  conservé  ses  dépendances:  Bourbon  et  l'île  de 
France  ;  mais  elle  y  avait  été  attirée  beaucoup  plus  par  leur 
importance  comme  point  d'escale  et  comme  position  straté- 
gique que  par  leurs  productions.  En  effet  ces  îles  ne  pou- 
ce commerce  un  droit  de  10  livres  par  tête  de  noir  ;  ce  droit  fut  sup- 
primé par  un  arrêt  du  30  septembre  1767,  consécutif  à  celui  qui  enleva 
à  la  Compagnie  le  monopole  de  la  traite  (31  juillet  1767). 

(1)  Elle  y  envoya  deux  navires  :  l'Atalante  et  le  Saint-Michel,  dont  le 
premier  devait  cliarger  450  esclaves  <(  dont  les  deux  tiers  mâles  et  l'au- 
tre tiers  femelles  »  à  destination  de  la  Martinique,  et  le  second  300  in- 
dividus pour  Saint-Domingue.  Archives  Coloniales,  C-,  24. 

(2)  Jusqu'à  la  fin,  cependant,  l'attention  de  la  Compagnie  fut  attirée 
sur  Madagascar,  et  à  en  croire  un  mémoire  rédigé  par  un  actionnaire 
vers  176i,  cette  île  aurait,  sans  aucune  exploitation,  rendu  à  Tescadre  du 
comte  d'Aché  des  services  inattendus,  puisque  au  cours  de  sa  relâche  à 
Foulepoinle  celui-ci  y  aurait  pu  embarquer  240  barriques  de  viande  sa- 
lée, 922  bœufs  vivants,  139  veaux,  105  moutons,  11.000  volailles, 
587.000  livres  de  riz  blanc,  3.555  livres  de  tabac,  etc.  Mais  à  cette  épo- 
que la  Compagnie  n'était  plus  en  mesure  de  tenter  aucune  entreprise 
nouvelle. 

(3)  «  La  Compagnie  sera  toujours  trompée,  écrivait  1. a  Bourdonnais  à 
M.  de  Moras  en  1733,  dès  qu'elle  s'imaginera  tirer  de  Madagascar  autre 
chose  que  des  noirs,  du  riz  et  des  bestiaux  ;  car  pour  d'autres  espé- 
rances ce  sont  des  chimères.  »  Archives  Coloniales,  C-,  25. 


LE    COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  485 

vaient  se  suffire  à  elles-mêmes  el  devaient  tirer  leurs  subsis- 
tances de  l'Europe, de  l'Indeet  de  Madagascar,  aussi  la  menace 
de  la  famine  fut-elle  plus  d'une  fois  suspendue  sur  elles  (1). 
La  Compagnie  fit  cependant  pour  remédier  à  celte  situation 
de  très  louables  efforts.  Elle  s'appliqua  à  y  développer  la 
culture,  et  cette  préoccupation  tient  une  grande  place  dans 
la  correspondance  des  Directeurs  avec  les  autorités  de  ces 
îles.  Des  encouragements  furent  donnés  à  la  culture  des  cé- 
réales européennes  :  le  blé,  l'orge,  le  seigle,  et  à  celle  du  riz  ; 
on  tenta  d'y  établir  l'indigo,  et  même  différentes  épices  qui 
eussent  été  une  grande  richesse  pour  elles  :  le  cannelier,  le 
muscadier,  dont  on  y  apporta  des  plants  avec  grand  soin  (2)  ; 
enfin  on  voulut  y  acclimater  la  vigne.  Les  Gouverneurs,  spé- 
cialement chargés  de  ces  encouragements,  rendirent  à  ces 
îles  de  grands  serviceset  Ton  connaît  notamment  la  sollicitude 
qu'apporta  à  cette  œuvre  La  Bourdonnais  (3). 

(1)  Le  naufrage  daSainl-Géran,  survenu  en  1744,  fut  notamment  un 
désastre  pour  les  Iles,  car  elles  se  trouvèrent  privées  complètement  des 
produits  d'Europe,  Nous  devons  mentionner  qu'une  décision  de  la  Com- 
pagnie du  25  octobre  1742,  prise  en  raison  de  l'imminence  de  la  guerre, 
déclara  le  commerce  des  lies  libre  tant  avec  l'Inde  qu'avec  l'Europe.  La 
Compagnie  craignit  en  effet  en  cette  occasion  de  ne  pouvoir  assurer  leur 
ravitaillement  par  ses  propres  moyens.  La  liberté  ainsi  proclamée  devait 
durer  six  années  :  elle  cessa  effectivement  à  la  paix. 

(2)  En  1735,  notamment,  le  Conseil  de  Mahé  envoyait  aux  Iles  des 
plants  de  poivrier,  de  cannelier,  et  de  cardamome  {Archives  Coloniales, 
C.î,  79). 

(3)  Quand  La  Bourdonnais  arriva  l'île  de  France,  il  y  avait  à  peine 
quinze  ans  qu'elle  appartenait  à  la  Compagnie  et  tout  y  était  à  créer. 
Le  nouveau  Gouverneur  déploya  une  activité  prodigieuse  ;  il  conçut 
le  projet  de  faire  de  cette  île  «  le  grand  entrepôt  de  la  mer  des  Indes  » 
et  en  entreprit  aussitôt  l'exécution.  Il  embellit  et  assainit  le  chef-lieu, 
Port-Louis,  qui  n'était  encore  qu'un  village,  et  éleva  des  ouvrages 
pour  le  défendre;  il  perça  des  routes,  organisa  la  culture,  construisit 
plusieurs  navires.  En  France,  la  Compagnie  affecta  d'abord  d'ignorer 


486  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VIII 

Le  café  était  le  principal  objet  de  commerce  de  l'île  Bour- 
bon ;  pendant  longtemps  il  fui,  avec  celui  de  Moka,  le  seul 
qu'on  put  introduire  en  France,  et  la  Compagnie  possédait 
le  monopole  de  l'introduction  de  cette  denrée.  Le  café 
de  Bourbon  était  cependant  inférieur  à  celui  de  Moka, 
quelques  efforts  qu'ait  faits  la  Compagnie  pour  l'amélio- 
rer (1). 

Au  point  de  vue  commercial, cependant,  les  lies  nerendirenl 
guère  de  services  à  la  Compagnie,  et  lui  coûtèrent  par  contre 
fort  cher  d'entretien  (2). 

Elle  eut  pendant  toute  la  durée  de  son  existence  des  rela- 


ces services,  puis  elle  prit  peur  et  fit  savoir  à  La  Bourdonnais  qu'il 
n'entrait  nullement  dans  ses  vues  de  créer  l'entrepôt  qu'il  rêvait  ;  ce- 
pendant le  Roi  lui  accorda  la  croix  de  Saint-Louis  ;  mais  bientôt  il  fut 
accusé  de  concussion  et  dut  rentrer  en  France  pour  se  défendre  contre 
ses  calomniateurs.  Il  revint  en  1741  dans  son  gouvernement  avec  une 
escadre  de  cinq  vaisseaux  armés  en  guerre  et  l'échec  de  ses  projets 
de  campagne  contre  les  Anglais  lui  permit  de  reprendre  ses  travaux 
administratifs.  Enfin  en  1746  l'ouverture  des  hostilités  avec  l'Angleterre 
y  mit  définitivement  fin  ;  La  Bourdonnais  partit  pour  l'Inde,  d'où  il  ne 
devait  revenir  à  l'île  de  France  que  pour  y  trouver  l'ordre  de  rentrer 
en  Europe. 

Nous  devons  mentionner  le  nom  de  Pierre  Poivre  (1719-1786)  qui  fut 
aussi  un  bienfaiteur  de  ces  îles.  Bien  qu'il  n'y  ait  été  nommé  intendant 
qu'en  1767,  par  conséquent  après  leur  cession  par  la  Compagnie,  c'est 
lui  qui,  dès  1756,  y  apporta  des  plants  d'épices,  qu'il  avait  été  chargé 
par  le  ministre  Machault  d'aller  prendre  malgré  la  surveillance  des  Hol- 
landais à  l'île  Timor  ;  il  avait  été  quelque  temps  secrétaire  de  La  Bour- 
donnais. 

(1)  Extrait  du  connaissement  du  vaisseau  le  Prmce-de-Conti  venant 
de?  Iles  (24  juillet  1740)  :  6.075  balles  café  Bourbon  de  102  livres 
chaque  balle.  Archives  Coloniales,  C^,  26. 

(2)  «  L'établissement  des  lies,  dit  un  Mémoire  en  date  de  1764,  coule 
plus  de  50  millions  aux  actionnaires,  ses  colons  doivent  à  la  Compagnie 
toute  leur  fortune,  »  Archives  Nationales  F50,  1.  CL  également  :  lîer- 
nardin  de  Saint-Pierre,  Voyage  à  l'Ile  de  France. 


LE    COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  487 

lions  suivies  avec  Moka,  le  grand  enlrepôt  des  cafés.  L'usage 
du  café,  qui  s'était  introduit  en  France  vers  1669,  avait  pris 
un  rapide  développement  et  donné  lieu  à  un  commerce  très 
actif  avec  les  pays  de  sa  production  :  ce  commerce  était  resté 
libre  pendant  une  vingtaine  d'années,  puis  il  fut  affermé, 
enfin  par  l'arrêt  du  31  août  1723  la  Compagnie  entra  en  pos- 
session du  monopole  de  sa  vente. 

Le  café  de  Moka  était  apporté  en  France  par  ses  navires 
par  la  voie  du  Cap  ;  mais  un  second  courant  commercial 
exislailde  Moka  au  Caire  et  aux  différentes  échelles  duLevant, 
d'où  par  la  Méditerranée  il  parvenait  en  Europe  ;  les  navires 
marseillais  l'apportaient  ainsi  en  France,  mais  ils  ne  pou- 
vaient l'y  vendre  qu'à  la  Compagnie,  ou  devaient  le  réexporter 
ultérieurement.  En  173:2,  cependant,  les  lies  d'Amérique  ob- 
tinrent le  droit  d'introduire  leurs  cafés  dans  le  royaume  aux 
mêmes  conditions  ;  en  1736,  la  vente  elle-même  en  devint 
libre,  la  Compagnie  ne  conservant  son  monopole  que  pour 
les  cafés  de  Bourbon  et  de  Moka  ;  puis  en  1746,  cette  concur- 
rence, contre  laquelle  elle  n'avait  cessé  de  prolester,  fut  de 
nouveau  supprimée,  l'arrêt  de  1736  fut  révoqué,  et  le  mo- 
nopole de  la  vente  de  ce  produit  resta  en  sa  possession  pen- 
dant une  nouvelle  période.  Enfin,  lorsque  les  iles  de  France 
et  Bourbon  furent  réunies  au  domaine  royal  (1764),  le  régime 
antérieur  fut  à  nouveau  remis  en  vigueur  ;  la  Compagnie 
perdit  définitivement  son  monopole  et  ne  garda  qu'un  droit  à 
une  indemnité  que  lui  paya  dès  lors  le  gouvernement.  La 
Compagnie  employait  tous  les  ans  à  l'importation  du  café  de 
Moka  un  vaisseau  de  oUO  à  600  tonneaux,  qui  de  Pondichéry 
allait  achever  son  chargement  à  ce  comptoir.  L'abbé  Morellet 
estimait  en  1769  ce  commerce  peu  avantageux,  car  l'impor- 
tation ne  dépassait   pas  400  à  500  milliers  par  an,  dont  le 


4oO  TKOISIKME    PARTIE.    GHAPITKE    VIH 

produit  élail  presque  enlièremenl  absorbé  par  les  frais  du 
voyage  (1). 

Le  principal  commerce  de  la  Compagnie  élail  celui  de 
VInde;  sa  nature  n'avait  pas  subi  de  modifications  impor- 
tantes depuis  l'époque  où  la  Compagnie  de  Colbert  l'exploi- 
tait ;  il  comportait  encore  les  mêmes  divisions  et  les  mêmes 
productions;  il  donnait  lieu  seulement  à  une  importance 
beaucoup  plus  grande  de  mouvements  maritimes  que  permi- 
rent à  la  Compagnie  de  Law  les  capitaux  bien  plus  considé- 
rables dont  elle  disposait.  L'abandon  de  Sural  pour  Pondi- 
cliéry,  qui  avait  commencé  dès  la  fin  du  xvn"  siècle,  n'avait 
fait  que  s'accentuer  depuis  ;  bien  que  ce  fût  encore  un  entre- 
pôt important  du  coton  et  des  toiles  de  colon,  la  mauvaise 
situation  qu'y  avait  laissée  sa  devancière,  et  les  prohibitions 
qui  frappaient  l'importation  de  ces  tissus  en  France  conti- 
nuèrent à  en  écarter  les  navires  de  la  Compagnie.  Elle  con- 
serva cependant  la  loge  qu'y  avait  fondée  Caron,  et  autorisa 
ses  employés  à  y  envoyer  des  bâtimenls  pour  leur  compte  (2). 

(1)  Abbé  Morellet,  Mémoire  sur  ta  situation  actuelle  de  la  Compa- 
gnie des  Indes.  Le  calé  s'achetait  18  à  2U  sous  la  livre  à  Moka  et  se 
vendait  40  sous  en  France,  mais  c'était  une  cargaison  encombrante.  Un 
traité  conclu  par  la  Compagnie  avec  Timan  de  Moka  avait  établi  les 
droits  de  sortie  qu'elle  lui  payait  à  2  1/2  0/0.  Suivant  Morellet  la  Com- 
pagnie acceptait  le  concours  de  ctiargeurs  particuliers.  Un  étal  conservé 
aux  Archives  Nationales  établit  qu'elle  ne  trouvait  à  ce  commerce 
qu'un  bénéfice  de  25  0/0  dès  l'année  1725.  F50,  5^. 

(2)  En  1720  la  Compagnie  tenta  de  renouer  les  relations  commerciales 
avec  Surat  et  arma  pour  s'y  rendre  en  droiture  la  frégate  la  Sirène  avec 
un  capital  de  2.587.189  livres.  Ce  navire  revint  en  1722,  mais  le  bilan 
de  cette  expédition  se  chiffra  par  une  perte  de  1.685.000  livres.  La  Com- 
pagnie accusa,  il  est  vrai,  les  commis  de  Surat  d'avoir  gardé  pour  leurs 
appointements  la  majeure  partie  des  sommes  qui  eussent  dû  servir  aux 
achats,  (^.et  essai  n'encouragea  naturellement  pas  les  Directeurs  à  per- 
sévérer [Ai'chives  Nationales,  ibid.).  En  17^5  la  Compagnie  défendit  à 
ses  comptoirs  indiens  de  commercer  avec  Surat,  où  elle  craignait  que 
ses  créanciers  ne  saisissent  ses  vaisseaux  (Arc/ià'es  Co/oniu/es,  C*,  79). 


LE    COMMERCE    DE    LA    COiMPAGXIE    DES    INDES  489 

La  création  de  noire  comptoir  de  Mahé  sur  la  côte  de  Ma- 
labar, bien  qu'il  dût  avoir  pour  conséquence  la  décadence  de 
notre  lo^^e  de  Calicut,  donna  à  notre  commerce  dans  cette  par- 
tie de  l'Inde  une  importance  nouvelle  :  on  sait  que  le  Malabar 
était  le  pays  du  poivre,  dont  xMalié  devint  ainsi  le  grand  entre- 
pôt français.  Il  fournissait  chaque  année  aux  vaisseaux  de  la 
Compagnie  1.500  milliers  de  cette  denrée  qui  produisaient  des 
retours  annuels  de  2.230.000  livres  à  la  vente.  Les  vaisseaux 
venaient  de  Pondicliéry  à  Mahé  au  mois  de  septembre  et 
reprenaient  la  mer  en  mars  ou  avril  pour  l'Europe  :  le  poivre 
du  Malabar  trouvait  d'ailleurs  des  débouchés  non  seulement 
en  Europe  mais  dans  l'Inde  elle-même,  notamment  au  Ben- 
gale, et  jusqu'en  Chine. 

La  côte  de  Coromandel  était  le  principal  centre  du  com- 
merce de  la  Compagnie,  et  Pondichéry  resta  de  tout  temps 
son  grand  entrepôt  en  Asie  ;  celte  ville  produisait,  on  le  sait, 
des  toiles  de  coton  blanches  et  peintes,  mais  elle  réunissait 
également  en  grandes  quantités  la  plupart  des  objets  du 
commerce  des  Indes,  qui  s'entassaient  dans  ses  magasins  et 
étaient  ensuite  chargés  sur  les  vaisseaux  de  France  :  on  peut 
même  dire  que  la  Compagnie  ne  chercha  pas  assez  à  se  pro- 
curer les  différents  produits  asiatiques  dans  leurs  contrées 
d'origine  et  qu'elle  eut  toujours  pour  politique  d'en  solliciter 
du  négoce  particulier  la  fourniture  à  Pondichéry,  où  naturel- 
lement elle  les  obtenait  à  moins  bon  compte.  Masulipatam 
qui  dépendait  de  ce  gouvernement  fabriquait  spécialement 
les  mousselines  et  les  mouchoirs,  dont  la  Compagnie  obtint 
en  1724  l'autorisation  de  faire  l'importation  en  France. 

Le  Hengale  entîn,  oii  Chandernagor  devint  dès  1730  l'un 
des  principaux  marchés,  avait  comme  productions  propres 
la  soie  et  les  soieries  et  pour  commerces  secondaires  tous 
les  produits  de  l'Inde  ainsi  que  ceux  de  la  Birmanie. 


490  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VIII 

Les  vaisseaux  de  la  Compagnie  iinporlaienl  de  France  sur 
ces  différents  points  des  vins,  des  eaux-de-vie,  des  draps,  du 
corail,  du  fer,  du  plomb,  de  la  verrerie  et  de  la  quincaille- 
rie (1)  ;  mais  ils  étaient  en  grande  partie  chargés  de  piastres 
d'argent  achetées  en  Espagne  et  que  la  Compagnie  faisait  re- 
monnayer dans  ses  ateliers  de  Pondichéry  (2). 

Les  tableaux  suivants,  mieux  qu'une  énumération  forcé- 
ment incomplète,  donneront  une  idée  suffisante  du  commerce 
indien  de  la  Compagnie. 

Extrait  du  connaissement  du  vaisseau  le  Fleury,  arrivé  de 
Pondichéry  à  Lorient  le  23  mai  1740  (3). 

128.530  livres  (4j  poivre.  2  jarres ammoniacum. 

160. 8G0     —     bois  rouge.  2      —    gomme  Elemi. 

79.050     —     salpêtre.  2     —    galbanum. 

G. 900     —     cardamome.  2     —    mastaqui. 

(1)  Extrait  du  connaissement  de  V Actionnaire^  armé  pour  Pondichéry 
en  1768.  —  Enclumes,  plomb  laminé,  acier,  cuivre  de  Suède  rouge  et 
jaune,  outils  d'ouvriers,  orpiment  rouge  et  jaune,  blanc  de  plomb,  bou- 
tons de  troupes,  brai,  couteaux  flamands,  chapeaux  de  castor,  livres, 
bas  de  soie,  eaux  de  senteur,  draps  de  Lodève,  bleu  de  roi,  papier, 
montres,  horlogerie,  tricots,  trumeaux,  ancres,  clous,  outils  pour  la 
terre,  soieries,  pierres  à  meules,  velours,  satins,  eau -de-vie,  vin  de 
Bordeaux,  sel,  lard  salé,  bœuf  salé,  farine.  [Archives  de  f  Arsenal  de 
Lorient.)  Ce  connaissement  porte  la  curieuse  formule  suivante  :  «  Je 
soussigné,  capitaine  commandant  le  susdit  vaisseau,  étant  et  présent  en 
rade  de  l.orient,  pour,  du  premier  beau  temps  qu'il  plaira  à  Dieu  en- 
voyer, aller  en  droite  route  à  l'île  de  France,  reconnais  avoir  reçu  et 
chargé  à  bord  de  mon  dit  navire  de  vous,  M.  Barbarin,  garde-magasin 
des  marchandises  pour  la  Compagnie  des  Indes  en  ce  port,  etc..  » 

(2)  Les  Européens  ne  faisaient  pas  eux-mêmes  le  commerce  •''.vec  les 
îles  Maldives  qui  dépendaient  de  l'Inde,  car  leur  climat  était  très  malsain, 
et  l'abandonnaient  aux  indigènes  qui  apportaient  dans  les  comptoirs 
leurs  principales  productions  :  les  cauris,  le  chanvre  et  le  poisson  salé. 

(3)  Archives  Coloniales,  C-,  26. 

(4)  Il  s'agit  de  la  livre  unité  de  poids. 


LE    COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES 


491 


1.100] 

paquels  deroltin. 

3.702  pièces 

;  mouchoirs  de 

21 

balles 

laine  de  Car- 

Masulipatam. 

ménie. 

2.600 

— 

mouchoirs  de 

14.000  livres 

colon  filé. 

Pondichéry. 

3.360 

pièces 

5     salempouris 
blancs. 

240 

— 

mouchoirs 
peints. 

16.005 

— 

guinées  blan- 
ches. 

201 

— 

chiites  de  Ma- 
dras. 

1.760 

— 

doutis. 

1.840 

— 

salempouris 

1.450 

— 

deriabadis. 

bleus. 

470 

— 

baflas  blancs. 

2.160 

— 

guinées 

1.560 

— 

percale. 

bleues. 

900 

— 

socrelon. 

983 

— 

chazelas. 

1.200 

— 

chavonis. 

890 

— 

bajutapaus. 

320 

— 

tarlatane. 

480 

— 

uéganepaus. 

7.190 

— 

bélilles  diver- 

580 

— 

nékanias. 

ses. 

50 

— 

baramat. 

1.140 

— 

organdis. 

2.880 

— 

guingans    de 

400 

— 

basin  de  Gon- 

Pondichéry. 

delour 

2.880 

— 

guingans     de 

200 

— 

toile      pour 

Madras. 

montre. 

2.880 

— 

guingans     de 

1.280 

— 

mouchoirs  de 
Tranquebar. 

Masuli  pa- 
lani  (1). 

(1;  Les  salempouris,  les  doutis,  les  deriabadis  (deribands,  suivant 
Savary),  les  baftas,  les  percales  étaient  dilTérentes  variétés  de  toiles  de 
coton  de  l'Inde,  fines  ou  grosses,  originaires  du  Coromandel,  du  Ben- 
gale ou  de  Surat.  Les  bélilles,  les  organdis,  les  chavonis,  les  tarla- 
tanes éUicnl  des  mousselines  de  coton.  Les  nékanias  {nécanécs,  Savary) 
étaient  des  toiles  rayées  bleu  et  blanc,  les  guinées  étaient  des  toiles 
fines  blanches,  bleues  ou  brunes,  les  guingans  des  toiles  bleues  ou 
blanches,  enfin  les  basin^,  étoffes  également  fabriquées  par  l'industrie 
française,  étaient  des  toiles  blanches  «  et  sans  poil  »  croisées,  sergées. 


492  TROISIÈME    PARTIE,    —    CHAPITRE    VIII 

Exlrail  du  connaissement  du  vaisseau  /'Argonaute,  arrivé 
du  Bengale  à  Lorieni  le  l"^  juillel  1740  (1). 

1.139  ballots, caisses  et  carteauxde  marcliandises  diverses. 
2.218  bûches  de  bois  rouge,  pesant.   .    ,    .     100.000  livres 

992  sacs  de  salpêtre  en  double  sac  .    .    .     139.956      » 

2.15B  bûches  de  bois  de  sapan 30.212      » 

1.135  sacs  de  cauris  lavés 1.59.132      » 

—    poivre  en  grenier 41 .645      » 

L'activité  de  ce  trafic  et  ses  résultats  sont  donnés  enfin 
par  le  tableau  ci-dessous  emprunté  à  l'abbé  Morellet  : 

Prix  d'achat  dans  Prix  de  vente   en  „.   ,.  „ 

l'iude  France  Bénéfice  Taux 

1725  à  1736  50.980.429  1.  99.981.948  1.  49.001.519  1.  96.12  0/0 

1736  à  1743  45.714.320  88.538.635  42.824,315  93.66  0/0 

17'i3  à  1756  62.585.825  120.855.156  58.269.531  93.10  0/0 

1766(2)  3.070.645  5.787.181  2,716.536  88.50  0/0 

1767  6.571.385  10.467.779     3.896.394  59,33  0/0 

1768  10.045.915    15.880.975     5.835.060     58.50  0/0 

Les  bénéfices  de  ce  commerce  étaient  donc  considérables  ; 
il  est  cependant  à  remarquer  que  leur  taux  alla  sans  cesse 
en  diminuant,  résultat  naturel  d'ailleurs,  car  la  concurrence 
que  les  Européens  se  firent  sur  les  marchés  d'Asie  devint 
d'année  en  année  plus  grande,  ce  qui  y  fit  à  la  fois  monter  les 
prix  d'achat  et  diminuer  les  pri.K  de  vente  (3). 

à  carreaux  ou  ouvrées  (Savary).   Elles  venaient  de  Pondichéry,  ou  du 
Bengale,  les  plus  estimées  étaient  celles  de  Balasor. 

(1)  Archives  Coloniales,  C^,  26. 

(2)  Morellet  néglige  la  période  1756-1706  occupée  par  la  guerre  de 
Sept  Ans. 

(3)  Il  importe  de  mentionner  ici  le  commerce  d'Inde  en  Inde  qui 
revient  fréquemment  dans  l'iiisloire  de  la  Compagnie,  On  appelait 
ainsi  celui  que  faisaient  les  Européens  d'une  contrée  à  l'autre  de  l'Asie 
sans  dépasser  à  l'ouest  le  cap  de  Bonne-Espérance.  La  Compagnie  se 
l'était  au  début  réservé  (1719),  puis,  à  l'exemple  des  Compagnies  étran- 
gères, elle  en  laissa  l'exploitation  à  ses  fonctionnaires  coloniaux  à  l'ex- 


LE    COMMERCE    DE    LA  COMPAGNIE    DES    INDES  493 

Le  commerce  de  la  Chine  était,  après  celui  de  l'Inde,  le  plus 
important  du  monopole  de  la  Compagnie  et  ses  bénéfices 
étaient  plus  rémunérateurs  encore.  Ses  navires  y  fréquen- 
taient le  port  de  Canton,  le  seul  alors  ouvert  aux  Européens 
aveciVmp'-Po.où  les  transactions  étaient  moins  actives  :  quant 
à  Macao,  les  Portugais  continuaient  à  en  écarter  jalousement 
tous  leurs  concurrents  (1).  Les  principaux  articles  du  com- 
merce de  la  Chine  étaient,  nous  Tavons  vu,  la  soie  et  les  soie- 
ries, les  porcelaines  et  le  thé  ;  ce  dernier  produit  qui  n'avait 
commencé  à  être  connu  qu'à  la  fin  du  siècle  précédent,  avait 
pris  depuis  un  développement  très  rapide  ;  les  articles  secon- 
daires étaient  le  cuivre,  la  tontenague,  les  ouvrages  de  laque, 
le  camphre,  le  sucre  candi,  etc.  La  Compagnie  de  Colbert 
n'avait  pas  exploité  cette  partie  de  son  monopole  dont  elle 
préféra  céder  la  jouissance  à  la  Compagnie  de  Jourdan  en 
1698  ;  puis  une  nouvelle  Compagnie  de  la  Chine  s'était 
fondée  en  1713  et  c'est  de  cette  dernière  que  la  Compagnie 


ception  des  trafics  de  la  Chine  et  de  Moka  (1722).  Ceux-ci  s'y  livrèrent 
depuis  lors  avec  activité  et  y  trouvèrent  une  source  de  bénéfices  sou- 
vent considérables.  Les  comptoirs  de  l'Inde  faisaient  ainsi  le  commerce 
des  Philippines,  de  la  Cochinchine,  de  la  Birmanie,  d'Achem,  de  Ja 
Perse,  de  Mozambique,  etc.  C'est  ce  commerce  que  Dupleix  développa 
à  Chandernagor  pour  le  plus  grand  bien  de  ce  comptoir  alors  ruiné,  et 
qui  lui  procura  à  lui-même,  dit-on,  une  fortune  colossale  (M.  Cultru, 
il  est  vrai,  a  réfuté  celle  tradition  :  Dupleix  y  aurait  beaucoup  gagné 
d'abord,  mais  ensuite  beaucoup  perdu).  La  Bourdonnais  y  fit  également 
fortune,  et  c'est  à  cette  occasion  qu'il  se  trouva  pour  la  première  fois 
en  rivalité  avec  Dupleix.  La  Compagnie  autorisait  à  l'origine  ses  em- 
ployés à  mettre  de  ses  propres  fonds  dans  leurs  opérations,  mais  des 
abus  se  produisirent  qui  lui  occasionnèrent  des  pertes,  et  en  1742  les 
Directeurs  défendirent  aux  Conseils  des  comptoirs  de  l'intéresser  dé- 
sormais dans  ce  commerce. 

(1)  La  Compagnie  avait  obtenu  le   droit  de  commercer  avec  tous  les 
ports  ouverts  ou  à  ouvrir  aux  Européens, 


494  TROISIÈME    PARTIR.    —    CHAPITRE    VIII 

d'Occident  reçut  l'héritage,  en  niônie  temps  que  celui  de  la 
Compagnie  des  Indes  Orientales. 

Les  cargaisons  de  départ  étaient  composées  en  grande 
partie  comme  pour  le  commerce  de  l'Inde  de  piastres  espa- 
gnoles, mais  l'avantage  de  cette  exportation  était  plus  grand 
en  Chine,  car,  suivant  Savary,  le  rapport  des  valeurs  de  l'ar- 
gent et  de  l'or  y  était  alors  de  1  à  10,  tandis  qu'en  Europe  il 
était  de  1  à  15,  ce  qui  favorisait  grandement  les  négociants 
européens  (1).  Mais  il  y  avait  aussi  débouché  pour  les  articles 
d'horlogerie,  les  vins  et  liqueurs,  les  étoffes  (draps,  serges, 
toiles  de  lin,  etc.). 

Les  relations  que  la  Compagnie  entretenait  avec  cette  con- 
trée, quelque  difficile  qu'en  fût  encore  l'accès  (2),  étaient  fort 
importantes  et  devaient  l'être,  car  sur  les  80  jnilliers  (3)  de 
soie  que  l'Europe  en  tirait  alors  chaque  année,  la  France  en 
prenait  les  trois  quarts  pour  ses  industries  nationales.  Chaque 
année  la  Compagnie  destinait  à  ce  voyage  au  moins  un,  sou- 
vent deux  vaisseaux,  dont  les  cargaisons  de  retour  se  com- 
posaient principalement  de  soie  et  de  thé.  Comme  pour  le 
commerce  de  l'Inde,  nous  nous  contenterons  de  donner  les 
états  suivants,  suffisamment  explicites  : 

\°  Projet  d'armement  d'un  vaisseau  de  1.000  à  1.200  ton- 
neaux pour  la  Chine,  chargement  de  retour  : 

1.500  caisses  thé  vert  supérieur.    .       129.6001.  à  l'achat 
800       —            »        Tonkay.    .    .        80.6401. 
100       —       »     Haynun  Skin   .    .         10.4001. 
300       —       *     Haynun 58.5001. 

(1)  La  Compagnie  prévoyait  par  exemple  pour  la  campagne  de  1762 
un  chargement  de  15.000  marcs  sur  les  vaisseaux  de  Chine.  Archives 
de  V Arsenal  de  Lorient. 

(2)  Ajoutons  que  la  Compagnie  avait  à  payer  un  droit  de  douane  dit 
«  hou-pou  »  de  16.000  livres  par  navire. 

(3)  1.000  livres  pesant  (490  k.). 


LE    COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES 


493 


200  caisses  porcelaines 22.000  1.  à  l'achat 

10.000  ballots  nankin  jaune  ....         23.0001.        » 
10  000       —      soie  nankin  écrue   .    .       180.0001.        » 

3.000       —      cannelle 3.G001. 

600        —      fleur  de  cannelle.   .    .  4501.        » 

2.000       —     rhubarbe  plate  .    .    .  2.2001.        > 

Note.  —  On  peut  évaluer  Tachât  d'une 

pareille  cargaison  à 1.200.0001.  (1). 

2°  Extrait  du  connaissement  du  vaisseau  /eCondé,  capitaine 
de  la  Porte-Barrèe,  arrivé  de  Chine  à  Lorient  le  24  juillet 
1740. 


3.033  caisses  thé  différentes 


1  caisse  papiers  peints. 


qualités. 

17 

—    vernis 

130      —      porcelaines. 

1 

—    éventails. 

186  rouleaux  porcelaines. 

1 

—    encre 

de   Nan- 

1.707  paquets  roltin. 

kin. 

442  bûches  bois  de  sapa 

n. 

1 

—    boites 

de     qua- 

50  ballots  curcuma. 

drille. 

67  paniers  esquine. 

38 

—     étoffes  de  soie. 

78  sacs  galangal. 

107  balles  soie  Nankin. 

2 

caisses  rhubarbe  (2). 

3°  Activité  et  résultats  du 

commerce  de  la  Chine  [d'après 

Vahbé  Morellel)  : 

Prix  d'achat  en 

Prix  de  venle  en 

BénéGce 

Taux 

Cbioe 

France 

1723-1736.    .   .   .        9.272.899  1. 

18. 

961. 

448  1. 

9.688.549  1. 

104,30  0/0 

1736-1743.    .    . 

é.  779. 703 

23 

.602 

112 

13.822.407 

141,23  0/0 

1743-1736.    .    . 

19. 232. 320 

41 

.693 

947 

22.443.427 

116,66  0/0 

1764.    .    .    . 

2.796.480 

5 

.173 

666 

2.377.186 

83  »     0/0 

1765.    .    .    . 

2.427.366 

4 

429 

6)3 

2.002.249 

82,50  0/0 

1766.   .   .    , 

4.137.696 

7 

.130 

910 

2.973.214 

71,30  0/0 

1767.   .    .   . 

3.013.340 

3 

.033 

716 

2.042.376 

68  »     0/0 

1768.    .    .    , 

3.481.891 

3 

T 

.838 

.379 

2.336.488 

67,66  0/0 

^1)  Archives  de  r Arsenal  de  Lorient. 
(2)  Archives  Coloniales,  C-,  26. 


496  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VIII 

L'examen  de  ce  tableau  suggère  la  même  réflexion  que 
celui  du  commerce  indien  ;  bien  que  le  taux  des  bénéfices 
nets  soit  constamment  resté  plus  élevé  que  pour  ce  dernier, 
il  subit  une  diminution  constante  dont  les  causes  étaient 
identiques. 

On  pourrait  croire  que  les  navires  de  la  Compagnie  des 
Indes  fréquentaient  les  ports  du  Japon  comme  ceux  de  la 
Chine,  mais  il  n'en  était  rien.  Nous  avons  exposé  l'état  des 
relations  du  Japon  avec  les  Européens  au  xvii«  siècle  ;  il  ne 
s'y  produisit  aucune  modification  au  siècle  suivant.  A  l'ex- 
ception des  Hollandais,  aucun  navire  européen  n'était  admis 
à  séjourner  et  à  commercer  dans  l'empire  du  Soleil-Levant, 
et  cette  situation  ne  changera  que  dans  la  dernière  moitié 
du  xix^  siècle.  On  sait,  en  effet,  que  ce  fut  l'intervention  des 
Etats-Unis  en  1853-1854  qui  amena  l'ouverture  des  premiers 
ports  japonais  au  commerce  général  des  Occidentaux  :  Na- 
gasaki, Yokohama  et  Hakodaté  (1858). 

La  Compagnie  des  Indes  n'entretint  non  plus  aucune  rela- 
tion avec  le  Tonkin,  la  Cochinchine,  ni  le  Siam  (1)  ;  elle  ne  fit 
point  commerce  avec  les  l'hilippines,  oîi  l'on  pouvait  trouver 
des  cauris,  de  l'alun,  du  brai  gras  et  des  piastres  mexicai- 
nes, mais  elle  permettait  à  ses  agents  des  comptoirs  de 


(J)  Cependant,  en  1721,  un  agent  de  la  Compagnie  du  nom  de  Renault 
fut  chargé  par  elle  de  visiter  l'archipel  des  Poulo-Condore  abandonné 
par  les  Anglais  en  1708.  11  constata  dans  un  rapport  adressé  aux  Direc- 
teurs que  ces  îles  offraient  un  abri  avantageux  aux  navires  de  com- 
merce, que  le  gibier  y  abondait,  qu'on  y  trouvait  des  essences  propres 
à  la  construction  des  navires,  que  les  nids  de  salanganes  très  nombreux 
pouvaient  faire  l'objet  de  relations  suivies  avec  les  ports  chinois.  Il 
indlcjua  les  endroits  où  l'on  pourrait  construire  des  magasins,  des  pos- 
tes forliliés,  etc..  Mais  ce  projet  ne  reçut  aucune  exécution. Cf.  Faure, 
Etude  sw  les  origines  de  Ceinpire  français  d' Indo-Chine,  Revue  de 
Géographie,  1889-90. 


LE    COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES   INDES  497 

l'Inde  de  se  livrer  pour  leur  compte  à  ce  commerce  el  s'inté- 
ressait souvent  dans  les  expéditions  qu'ils  organisaient. 

Nous  en  dirons  autant  pour  la  Birmanie  que  l'on  appelait 
alors  du  nom  d'une  de  ses  provinces  le  Pégou,  contrée  riche 
en  forêts,  où  les  Indiens  venaient  faire  construire  leurs  navi- 
res el  chercher  de  l'ivoire,  de  la  laque,  de  la  cire,  du  plomb, 
de  l'orpiment,  du  riz  et  des  rubis.  Le  Pégou  était  fréquenté 
par  les  navires  affrétés  par  les  employés  de  la  Compagnie, 
qui  en  rapportaient  les  productions  au  Bengale  el  à  Pondi- 
chéry  (1). 

Le  commerce  du  royaume  d'Achem,  très  florissant  à  l'épo- 
que de  la  Compagnie  de  Colbert,  était  tombé  en  décadence  ; 
la  concurrence  acharnée  que  s'y  étaient  faite  Anglais  el  Hol- 
landais et  les  troubles  incessants  dont  ce  pays  était  le  théâtre 
en  avaient  écarté  la  Compagnie  qui  n'y  envoyait  ses  vais- 
seaux que  de  loin  en  loin  (2). 

Enfin  la  jalouse  surveillance  que  les  Hollandais  exerçaient 
toujours  autour  de  leurs  possessions  de  l'Archipel  continuait 
à  en  écarter  les  autres  nations  européennes,  malgré  l'affai- 
blissement dont  la  Compagnie  d'Amsterdam  était  d'année  en 
année  plus  atteinte  ;  du  moins,  si  cette  situation  la  forçait  à 
montrer  moins  d'arrogance,  ne  s'en  départit-elle  qu'à  l'é- 
gard de  la  Compagnie  anglaise,  sans  consentir  à  en  faire 

(1)  La  principale  ville  commerçante  du  Pégou  était  Syriam  ;  la  capi- 
tale du  pays  était  Awa  sur  l'Irraouaddy.  En  1750,  Dupleix  proposa  à 
la  Compagnie  de  créer  un  comptoir  dans  cette  contrée,  et  d'en  chasser 
les  Anglais  ;  la  Compagnie  reconnut  qu'elle  y  aurait  avantage,  mais  re- 
cula devant  l'emploi  de  la  force.  Le  capitaine  Bruno  du  Favoi'i,  que 
Dupleix  y  avait  envoyé  en  reconnaissance,  affirmait  cependant  qu'avec 
600  hommes  il  serait  aisé  d'occuper  tout  ce  pays. 

(2)  Mémoire  sur  le  commerce  des  hides  Orientales,  par  Guillaume  Fé- 
vrier, 1738.  Archives  Coloniales,  G-  28,172. 

W.  -  32 


498  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VIII 

proHler  sa  rivale  française  qui  n'eut  jamais  place  dans  ce 
commerce . 

Tels  étaient  les  différents  trafics  auxquels,  pendant  ses  cin- 
quante années  d'existence,  se  livra  la  Compagnie  fondée  par 
Law  :  il  nous  reste  à  donner,  au  moyen  des  tableaux  suivants, 
une  idée  générale  de  l'ensemble  de  ses  opérations. 


Envois  (1). 

Vaisseaux 

Chargement  en  marchandises 

Chargement  en  espèce 

1725-1126 

33 

2.597.016  livres. 

35.268  I 

Barcs. 

1726-1121 

15 

1.658.778 

— 

70.129 

— 

1727-1728 

20 

1.555.266 

— 

106.523 

— 

1728-1729 

19 

2.193.970 

— 

105.293 

— 

1729-1730 

17 

1.541.936 

— 

111.809 

— 

1730-1731 

30 

2.641.277 

— 

178.737 

— 

1731-1732 

25 

1.714.703 

— 

197.119 

— 

1732-1733 

23 

2.257.079 

— 

208.163 

— 

1733-1734 

16 

2.025  146 

— 

133.040 

— 

1734-1735 

16 

2.016.716 

— 

100.335 

— 

1735-1736 

17 

2.309.615 

— 

200.140 

— 

1736-1737 

20 

1.802.287 

— 

190.004 

— 

1737  1738 

21 

2.244.935 

— 

264.654 

— 

1738-1739 

22 

2.860.998 

— 

267.839 

— 

1739-1740 

24 

3.264.454 

— 

247.791 

— 

1740-1741 

26 

4.225.282 

— 

224.558 

— 

1741-1742 

16 

3.665.668 

— 

88.964 

— 

1742-1743 

17 

3.975.530 

— 

114.360 

— 

1743-1744 

26 

3.291.546 

— 

200.000 

— 

1744-1745 

24 

1.400.954 

— 

101.393 

— 

1745-1746 

17 

1.692.390 

— 

52.726 

— 

1746-1747 

13 

2.297.592 

— 

201.579 

— 

1747-1748 

14 

2.703.511 

— 

9.500 

— 

1748-1749 

20 

2.938.592 

— 

272.730 

— 

1749-1750 

16 

3.054.030 

— 

300.321 

— 

1750-1751 

20 

4.025.988 

— 

285.713 

— 

1751-1752 

15 

5.458.387 

— 

274.173 

— 

1752-1753 

24 

6.618.484 

— 

135.202 

— 

1753-1754 

19 

5.947.128 

— 

191.654 

- 

A  reporter, 

,       585 

83.979.258  li 

vres 

4.869.717  1 

Qiarcs. 

\ 


(1)Ces   tableaux   sont  empriiiilés  au   Dictionnaire  du  Commerce  de 
l'Encyclopédie  Méthodique,  article  :  France. 


LE    COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES   INDES  499 

Vaisseaux    Chargement  en  marchandbes    Chargement  en  espèces. 


Report... 

583 

83.979.238 

liyres 

4.869.717 

marcs . 

1754-noo 

24 

3.978.324 

— 

303.135 

— 

1755-1736 

10 

2.170.092 

— 

60.000 

— 

1756-1757 

18 

3.997.678 

— 

121.152 

— 

1757-1758 

13 

1.862.335 

— 

107.871 

— 

1738-1759 

15 

2.742.110 

— 

— 

— 

1759-1760 

8 

1.846.553 

— 

— 

— 

1760-1761 

11 

3.064.264 

— 

2.400 

— 

1761-1762 

8 

1.886.603 

— 

13.640 

— 

1762-1763 

6 

1.348.201 

— 

12.848 

— 

1763-1764 

5 

611.565 

— 

82.762 

— 

1764-1763 

7 

2.322.133 

— 

188.804 

— 

1763-1766 

10 

3.481.279 

— 

213.138 

— 

1766-1767 

13 

3.642.003 

— 

113.331 

— 

1767-1768 

10 

4.396.053 

— 

109.578 

— 

1768-1769 

15 

7.793.372 

— 

20.460 

— 

1769-1770 

3 

1.510.269 

— 

— 

— 

1770-1771 

— 

— 

— 

— 

— 

46  761  132.632.313  livres.      6.219.919  marcs. 

Retours 


Vaisseaux         Prix   d'achat 

Prix    de   vente 

Bénéfice  de 

l'achat 

aux  Indes 

en  France 

à  la  vente 

1725-1726 

22 

5.422.187  1 

livres 

9.643.344  li 

vres 

4.221.137 

livres 

1726-1727 

24 

0.924.945 

— 

13.153.231 

— 

7.228.286 

— 

1727-1728 

19 

4.874.486 

— 

11.433.807 

— 

6.559.321 

— 

1728-1729 

12 

3.213.629 

— 

9.722.611 

— 

4.508.982 

— 

1729-1730 

19 

3.273.576 

— 

10.661.272 

— 

5.387.696 

— 

1730-1731 

16 

4.930.186 

— 

9.401.304 

— 

4.471.M8 

— 

1731-1732 

26 

7.994.803 

— 

13.146.824 

— 

7.152.021 

— 

1732-1733 

22 

7.498.194 

— 

14.501.689 

— 

7.003.493 

— 

1733-1734 

13 

9.850.488 

— 

19.421.547 

— 

9.371.059 

— 

1734-1735 

21 

10.974.136 

— 

18.884.448 

— 

7.910.312 

— 

1735-1736 

14 

11.400.671 

— 

18.384.791 

— 

6.984.120 

— 

1736-1737 

13 

6.917.638 

— 

12.861.899 

— 

5.944.241 

— 

1737-1738 

18 

9.235.538 

— 

17.230.625 

— 

7.995.087 

— 

1738-1739 

21 

11.677.034 

— 

21.787.307 

— 

10.110.273 

— 

1739-1740 

13 

8.877.966 

— 

17.339.239 

— 

8.461.293 

— 

1740-1741 

20 

13.434.141 

— 

23.761.343 

— 

13.327.204 

— 

1741-1742 

19 

10.281.468 

— 

21.889.901 

— 

11.608.433 

— 

1742-1743 

15 

12.408.189 

— 

21.418.273 

— 

9.010.084 

— 

1743.-1744 

16 
343 

11.434.310 

— 

21.801.869 

— 

10.367.559 

— 

A  reporter. 

163.623.605 

livres 

310.445.346  livres 

157.821.741 

livres 

^00  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VHI 


Vaisseaux          Prix  d'achs 
aux  Indes 

it 

Prix  de   venle 
en  France 

Bénéfice  de  l'achat 
à  la  vente 

Report... 

343 

163.623.605  I 

ivres 

310.443.346  1 

ivres 

137.821.741  1 

ivres 

1744-1743 

18 

9.031.165 

— 

17.498.846 

— 

8.461.681 

— 

1745-1746 

5 

4.937.291 

— 

8.380.310 

— 

3.623.019 

— 

1746-1747 

14 

3.514.819 

— 

6.423.601 

— 

2.908.782 

— 

1747-1748 

5 

1.509.463 

— 

972.380 

— 

— 

1748-1749 

11 

3.454.434 

— 

3.721.239 

— 

2.266.783 

— 

1749-1750 

5 

2.910.094 

— 

8.351.824 

— 

5.441.730 

— 

1750-1751 

7 

9.015.513 

— 

17.636.379 

— 

8.621.066 

— 

1751-1752 

22 

13.046.806 

— 

26.766.159 

— 

13.719.333 

— 

1752-1753 

14 

10.836.852 

— 

21.637.763 

— 

10.800.911 

— 

1753-1734 

16 

11.897.855 

— 

20.745.7.32 

— 

8.847.897 

— 

1754-1755 

15 

15.295.963 

— 

28.081.408 

— 

12.783.443 

— 

1755-1756 

10 

9.845.391 

— 

18.406.904 

— 

8.361.513 

— 

1756-1757 

3 

3.692.690 

— 

6.336.68^ 

— 

2.643.998 

— 

1757-1758 

7 

9.794.429 

— 

14.260.111 

— 

4.463.682 

— 

1758-1759 

4 

8.440.789 

— 

10.534.817 

— 

2.094.028 

— 

1759-1760 

4 

2.244.987 

— 

2.598.188 

— 

333.201 

— 

1760-1761 

4 

2.419  107 

— 

5.030.013 

— 

2.610.906 

— 

1761-1762 

3 

1.9T3.609 

— 

4.803.321 

— 

2.831.712 

— 

1762-1763 

6 

410.061 

— 

673.388 

— 

263.327 

— 

1763-1764 

8 

591.423 

— 

1.200.163 

— 

608.740 

— 

1764-1763 

9 

3.579.467 

— 

6.837.939 

— 

3.278.472 

— 

1765-1766 

7 

2.549.081 

— 

4.746.587 

— 

2.197.506 

— 

1766-1767 

7 

7.657.134 

— 

14.179.386 

— 

6.522.252 

— 

1767-1768 

15 

10.024.419 

— 

16.411.001 

— 

6.386.582 

— 

1768-1769 

8 

12.600.388 

— 

23.691.552 

— 

11.091.164 

— 

1769-1770 

6 

9.510.945 

— 

15.904.844 

— 

6.393.899 

— 

1770-1771 

9 

9.604.497 

— 

17.863.428 

— 

8.258.431 

— 

46 

585 

344.032.818 

— 

636.363.557 



292.330.739 



Celte  intéressante  statistique  provoque  quelques  observa- 
tions. On  remarquera  que  l'armement  le  plus  important  de 
la  Compagnie  est  celui  de  la  première  année  :  1725-1726  ;  mais 
nous  croyons  quMl  est  bon  de  laisser  ce  chiffre  de  côté,  parce 
que  la  flotte  dont  elle  disposait  au  sortir  du  Système  se  com- 
posait de  tonnages  très  faibles;  la  valeur  relativement  peu 
élevée  du  chargement  de  cette  même  année  confirme  notre 
manière  de  voir.  Sous  le  bénéfice  de  cette  observation,  on 
verra  que  la  Compagnie  atteignit  un  maximum  relatif  à  la 
veille  de  la  guerre  de  Succession  d'Autriche  ;  elle  armait  à  ce 


LE    COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    T)ES    INDES  oOl 

moment  de  16  à  26  navires  par  an,  avec  des  chargements  de 
3  à  4  millions  en  marchandises  et  de  200.000  marcs  en  espè- 
ces. La  guerre  fit  baisser  brusquement  ce  mouvement  ascen- 
sionnel qui  reprit  à  la  paix.  La  statistique  des  retours  pré- 
sente des  résultats  absolument  parallèles  ;  ceux-ci  tombent 
en  effet  à  celte  époque  de  18  à  5  navires  et  les  bénéfices  de 
8  millions  et  demi  à  3  et  demi.  A  l'année  1747-1748  enfin 
correspond  le  seul  déficit  commercial  qu'ait  subi  la  Compa- 
gnie :  il  atteint  537.085  livres. 

Le  tableau  des  envois  offre  en  outre  la  preuve  que  les 
guerres  de  Dupleix  ne  ralentirent  pas  les  efforts  de  la  Com- 
pagnie, surtout  pour  le  chiffre  des  chargements  qui  monte 
de  2  à  5  millions  de  livres  et  atteint  en  1752-1753  6  millions 
de  livres  ;  ce  dernier  ne  fut  dépassé  qu'en  1768-1769,  où  fut 
atteint  celui  de  7.793.372  livres.  Les  retours  furent  plus  lents 
à  reprendre  leur  importance  première,  puisqu'on  1750  la 
Compagnie  ne  recevait  encore  que  5  navires  et  7  en  1751, 
résultats  incontestables  des  troubles  de  l'Inde  ;  par  contre 
dès  1751-1752  ils  ont  repris  leur  niveau  normal  et  les  bénéfices 
commerciaux  atteignent  13.719.000  livres ,  chiffre  que  la 
Compagnie  n'avait  pas  encore  réalisé  et  ne  devait  plus  attein- 
dre. On  se  souvient  que  c'est  à  la  fin  de  1753  que  Godeheu 
fut  envoyé  dans  l'Inde  pour  remplacer  Dupleix  ;  il  ne  semble 
donc  pas  que  la  Compagnie  eût  beaucoup  à  se  plaindre  à 
celte  époque  de  ses  opérations  commerciales. 

La  guerre  de  Sept  Ans  ouvrit  une  nouvelle  période  de  crise  ; 
cependant  les  armements  ne  tombèrent  pas  aussi  rapidement 
que  lors  de  la  guerre  précédente  :  il  est  vrai  qu'un  certain 
nombre  d'entre  eux  furent  des  opérations  militaires  ;  mais 
les  retours  baissèrent  très  vite,  car  dès  la  première  année  la 
Compagnie  ne  reçut  que  3  navires,  et  ils  ne  furent  guère  plus 
nombreux  jusqu'à  la  paix  ;  aussi  en  1759-1760  la  Compagnie 


502  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VIIl 

ne  fil-elle  que  800.000  livres  de  bénéfices  commerciaux  et 
200.000  en  1762-1763. 

Le  Irailé  de  Paris  mutila  son  domaine  colonial  ;  en  France 
sa  situation  était  déjà  très  compromise  ;  mais,  malgré  ces  cir- 
constances, son  commerce  prit  un  essor  remarquable,  ses 
armements  remontèrent  de  5  à  15  navires  en  quatre  années, 
ses  chargements  de  600.000  livres  à  7  millions  et  demi,  ses 
retours  de  6  à  15  navires  également  et  ses  bénéfices  de 
600.000  livres  à  11  millions  :  la  dernière  année  de  son  privi- 
lège, elle  réalisait  encore  8.258.000  livres  de  bénéfices  (1). 

(t)  Le  plan  d'une  expédition  de  12  navires,  dressé  par  son  administra- 
tion en  1769,  permet  de  constater  que  ce  commerce  était  pour  elle  beau- 
coup moins  avantageux  cependant  à  la  fin  de  son  existence.  3  de  ces 
vaisseaux  devaient  aller  en  Chine,  4  à  Pondichéry,  3  au  Bengale  et  2 
aux  Iles  ;  la  valeur  totale  de  leurs  cargaisons  en  marchandises  était  de 
6.500.000  livres,  dont  500.000  livres  pour  la  Chine,  1.800.000  pour 
Pondichéry,  1.400.000  pour  le  Bengale  et  2.800.000  pour  les  Iles.  Ils 
devaient  emporter  en  outre  8.805.000  livres  en  espèces,  dont  2. 325.000 
pour  la  Chine,  2.370.000  pour  Pondichéry,  4.110.000  pour  le  Bengale  ; 
enfin  4.860.000  livres  étaient  réparties  entre  eux  pour  les  dépenses 
du  voyage.  Les  marchandises  étaient  estimées  devoir  être  vendues 
aux  Indes  avec  un  bénéfice  moyen  de  35  0/0  ;  leur  produit,  joint  aux 
espèces  embarquées,  devait  permettre  l'achat  de  cargaisons  de  retour 
s'élevant  à  3.000.000  de  livres  en  Chine,  4.800.000  livres  à  Pondichéry, 
6.000.000  livres  au  Bengale  et  700.000  livres  aux  Iles.  Le  bénéfice 
moyen  de  leur  vente  en  France  était  enfin  évalué  à  75  0/0,  ce  qui 
devait  donner  brut  5.250.000  livres  pour  la  Chine,  8.400.000  livres  pour 
Pondichéry,  10.500.000  livres  pour  le  Bengale,  1.225.000  livres  pour 
les  Iles,  soit  au  total  25.375.000  livres  ;  en  ajoutant  les  droits  de 
tonneau,  l'indemnité  pour  les  cafés,  et  les  espèces  laissées  aux  lies 
le  produit  total  brut  atteindrait  30.205.000  livres. 

Restait  à  déduire  les  frais  :  2.400.000  livres  de  frais  d'armement, 
6.500.000  livres  de  mise  dehors  en  marchandises  et  12.055.000  livres  de 
mise  dehors  en  espèces,  2.640.000  livres  d'intérêts  à  6  0/0  pour  les  ca- 
pitaux ainsi  employés  pendant  deux  ans,  t. 200. 000  livres  d'assurances  à 
6  0/0,  2.000.000  livres  de  frais  de  voyage,  1.560.000  livres  de  dépenses 
de  désarmement,  de  vente,  de  droits  à  la  Ferme  Générale  :  soit  au  total 


LE    COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  503 

Il  importe  donc  de  remarquer  que  si  la  siluation  finan- 
cière de  la  Compagnie  rendit  opportune  sa  suppression,  étant 
donné  qu'on  ne  voulait  lui  porter  aucune  assistance,  son  ac- 
tivité commerciale  du  moins  était  alors  satisfaisante  et  son 
rapide  relèvement  laissait  prévoir  qu'elle  atteindrait  en 
quelques  années  autant  d'importance  qu'elle  en  avait  eue  à 
l'époque  de  sa  plus  grande  prospérité. 

Quelle  situation  était  faite  à  son  commerce  dans  le  royaume 
lui-même  et  en  Europe  ? 

Colbert  avait  voulu  donner  à  la  Compagnie  des  Indes  une 
place  importante  dans  l'approvisionnement  de  l'Europe 
entière  (1)  :  il  n'y  réussit  point,  car  les  Hollandais  et  les 
Anglais  possédaient  dès  cette  époque  le  monopole  de  fait 
du  cabotage  européen  et  leur  supériorité  y  était  trop  grande 
déjà  pour  qu'il  fut  possible  de  les  supplanter.  La  Compagnie 
des  Indes  Orientales  avait  donc  borné  son  ambition  à  fournir 
le  marché  français,  où  elle  était  libre  de  toute  concurrence 
et  tous  les  efforts  du  gouvernement  de  Louis  XIV  s'étaient 
portés  vers  le  maintien  de  cet  état  de  choses.  La  Compagnie 
de  Law  suivit  la  même  politique  et  chercha  en  France  même 
la  majeure  partie  de  ses  débouchés  ;  cependant  ses  relations 
avec  les  autres  nations  européennes  ne  furent  point  nulles  ; 
elle  fut  même  forcée  de  les  entretenir  assez  actives  par  le 
régime  prohibitif  toujours  en  vigueur  qui  lui  interdisait  de 

28.445.000  livres  de  dépenses. 

Il  devait  donc  tester  comme  bénéfice  net  de  V expédition  :  1.760.000 
/lires  seulement .  Ce  plan  est  reproduit  par  M.  de  Lauraguais  et  l'abbé 
Morellel  ;  ce  dernier  ne  se  contente  pas  d'insister  sur  le  chiffre  insuffisant 
de  ce  bénéfice,  il  s'efforce  de  prouver  qu'il  est  faux  et  qu'il  y  aura 
déficit  de  1.380.000  livres.  L'expédition  n'eut  d'ailleurs  pas  lieu,  car  la 
Compagnie  fut  suspendue  quelques  mois  après. 

(1)  On  a  vu  qu'il  fit  de  grands  efforts  pour  lui  assurer  des  débouchés 
à  l'étranger  :  en  Allemagne,  en  Suisse,  en  Portugal,  etc. 


504  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VIII 

faire  pénétrer  dans  le  royaume  les  tissus  de  soie  et  de  colon, 
c'est-à-dire  une  des  parties  les  plus  importantes  de  son  com- 
merce en  Asie.  Nous  avons  exposé  les  motifs  et  les  origines 
de  celle  politique  économique  inaugurée  dès  la  mort  de  Col- 
bert  et  dont  le  gouvernement  royal  n'avait  jamais  consenti 
à  se  départir,  quelque  insuffisants  que  parussent  à  lous 
les  moyens  qu'il  possédait  de  la  faire  observer,  incessants 
avaient  été  jusqu'à  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV  les  arrêts 
de  prohibition,  mais  leur  liste  déjà  longue  fut  continuée  sous 
la  Régence,  et  le  règne  de  Louis  XV  lui  apporta  de  nouveaux 
accroissements  ;  l'esprit  en  était  toujours  le  même,  et  les 
innovations  y  étaient  rares,  mais  la  permanence  des  fraudes 
nécessitait  cette  intervention  continuelle  de  l'administration 
pour  rappeler  des  principes  déjà  tant  de  fois  posés,  et  les 
sanctionner  par  des  peines  de  plus  en  plus  sévères  (1). 

La  Compagnie  de  Law  se  trouva  ainsi  dès  le  début  soumise 
aux  mêmes  obligations  à  cet  égard  que  la  Compagnie  de  Col- 
berl  :  les  tissus  de  coton  peints  ou  imprimés,  les  tissus  blancs 
propres  à  la  teinture,  les  étoffes  de  soie,  ou  de  soie  mêlée 
d'or  et  d'argent,  enfin  les  tissus  d'herbes  ne  pouvaient  être 
importés  par  elle  dans  l'intérieur  du  royaume,  et  les  seules 
étoffes  qu'il  lui  fut  permis  d'y  introduire  furent  les  toiles  de 
coton  blanches  (2)  (guinées  et  percales),  les  toiles  rayées, les 

(1)  Arrêts  des  20  janvier,  22  février,  4  avril  1716,  édit  de  juillet  1717, 
arrêts  des  27  septembre  1719,  20  mai  1720,  16  juin,  17  octobre  1721, 
8  octobre  1726,  14  août  1727,  8  février  1729,  28  novembre  1730,  3  mars 
1733, 10  avril  1736,  15  mars  1746,  30  juillet  1748,  3  mars  1749,  etc.. 

(2)  Un  arrêt  du  9  mai  1724  autorisa  la  Compagnie  à  importer  désor- 
mais des  mouchoirs  de  coton  des  Indes  sous  le  prétexte  «  qu'aucune 
marchandise  de  la  fabrique  du  royaume  ne  pouvait  y  suppléer  »  ;  mais  en 
réalité  «  parce  que  tout  le  monde  en  faisait  usage  »,  et  qu'on  renonçait 
à  sévir  contre  la  fraude.  Cette  faculté  visait  les  mouchoirs  de  coton,  de 
soie  et  coton,  d'écorce,  et  de  soie  et  écorce  :  la  Compagnie  était  astreinte 


LE    COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  505 

toiles  à  carreaux  et  les  mousselines  :  ces  lissus  élaienl  eux- 
mêmes  soumis  à  la  condition  expresse  de  porter  la  marque\ 
enfin  tous  les  autres  produits  du  commerce  des  Indes  :  épices, 
métaux,  drogues,  etc..  élaienl  libres  de  toute  autre  entrave 
que  les  droits  fiscaux  imposés  à  leur  entrée  en  France.  Objets 
permis  ou  prohibés  pouvaient  faire  indifféremment  la  matière 
des  chargements  de  retour  des  vaisseaux  de  la  Compagnie; 
mais  une  surveillance  très  sévère  établie  dans  les  ports  où 
elle  pouvait  opérer  ses  déchargements,  c'est-à-dire  Lorientei 
Nantes  (1),  assurait  le  respect  de  ces  obligations  :  la  mission 
en  était  confiée  à  l'administration  de  la  Ferme  Générale. 

Dès  qu'un  navire  de  la  Compagnie  était  signalé  à  Lorient, 
les  commis  des  Fermes  allaient  au-devant  de  lui  dans  une 
embarcation  (2),  montaient  à  son  bord,  apposaient  les  scellés 
sur  les  panneaux  de  sa  cale  et  se  faisaient  rendre  par  son 
commandant  un  compte  minutieux  de  sa  cargaison  (3).  Lors- 
que, toujours  surveillé  par  les  douaniers,  il  était  enfin  amarré 
au  quai  du  port  en  face  des  magasins  de  la  Compagnie,  on 
procédait  à  son  déchargement  elles  marchandises  allaient 
s'entasser  dans  de  vastes  hangars,  où  la  même  minutieuse 
surveillance  leur  était  assurée. 

On  dressait  ensuite  leur  inventaire  en  les  répartissanl  en 


à  marquer  chaque  pièce  et  à  payer  les  droits  du  tarif  de  1664  ;  enfin  le 
même  arrêt  interdisait  de  donner  à  ces  mouchoirs  un  usage  différent  de 
leur  destination  primitive,  d'en  faire  ni  meubles  ni  vêtements.  Archives 
Nationales.  ADix,  385. 

(1)  Les  retours  devaient  se  faire  d'abord  à  Lorient  et  les  cargaisons 
y  étaient  toutes  inventoriées  ;  mais  la  Compagnie  pouvait  remettre  en 
mer  ses  navires  pour  Nantes,  où  elle  possédait  les  mêmes  droits  d'en- 
trepôt et  les  mêmes  exemptions  (arrêt  du  19  mai  1724). 

(2)  La  palache  des  Fermes  :  elle  était  armée  de  4  canons. 

(.3)  On  mettait  les  scellés  en  outre  sur  les  chambres  d'officiers  et  l'on 
visitait  avec  soin  les  sacs  de  l'équipage. 


^>06  TROISifcME    PARTIE.    CHAPITRE    VIII 

Irois  chapitres  dislincts  :  l°les  marchandises  permises  non 
soumises  à  la  marque  :  drogues,  épices,  porcelaines,  métaux, 
bois,  etc.  ;  2°  les  marchandises  permises  soumises  à  la  marque^ 
c'est-à-dire  les  tissus  de  coton  autorisés  ;  3°  les  marchandises 
prohibées.  Rien  à  dire  des  premières,  sinon  que  leur  stock 
était  soigneusement  examiné  par  les  commis  des  Fermes  en 
vue  de  l'acquittement  des  droits  fiscaux  dont  elles  étaient 
frappées.  Pour  les  secondes,  les  agents  de  la  Compagnie  pro- 
cédaient immédiatement  à  l'apposition  des  marques  prescri- 
tes, consistant  en  un  sceau  de  plomb  au  chiffre  de  la  Compa- 
gnie, frappé  à  l'extrémité  d'une  «  queue  »  de  parchemin 
elle-même  fixée  à  chaque  extrémité  des  pièces  d'étoffe,  et 
cette  opération  avait  lieu  en  présence  des  Directeurs  de 
la  Compagnie  et  des  Directeurs  des  Fermes  spécialement 
délégués  pour  celte  circonstance.  Gomme  pour  les  objets  de 
la  première  série,  d'ailleurs,  leurs  quantités  étaient  soigneu- 
sement relevées  par  le  fisc,  puis  ils  allaient  comme  eux 
s'emmagasiner  dans  les  dépendances  de  la  Salle  des  Ventes. 
Enfin  les  marchandises  prohibées  étaient  placées  en  entre- 
pôt (1)  ;  elles  devaient  être,  en  effet,  réexportées  dans  le  délai 
de  six  mois,  soit  par  la  Compagnie  elle-même,  soit  par  les 
négociants  particuliers.  A  cet  effet,  la  Compagnie  procédait 
à  des  adjudications  publiques,  et  les  adjudicataires  faisaient 
soumission  de  rapporter  dans  le  délai  précité  à  l'administra- 
tion des  Fermes  un  certificat  délivré  par  un  de  ses  bureaux- 
frontière  et  un  autre  émanant  du  consul  de  France  ou  de  deux 
négociants  français  établis  dans  la  ville  étrangère  où  la  vente 
définitive  aurait  été  faite. 

Les  marchandises  permises  étaient  de  leur  côté  l'objet  d'une 
Vente  Publique,  à  une  date  fixée  au  préalable  par  la  Direction 

(1)  Dans  un  magasin   spécial  muni  de  deux  clés  dont  l'une  était  en 
la  possession  de  la  Compagnie,  l'autre  de  la  F'erme  Générale. 


LE    COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE    DES   INDES  507 

Générale  de  la  Compagnie  qui  la  portait  à  la  connaissance  du 
public  par  voie  d'affiches  (1). 

Les  droits  de  douane  étaient  payés  par  la  Compagnie  elle- 
même  une  fois  les  ventes  effectuées  ;  c'étaient,  pour  la  plu- 
part des  marchandises,  les  droits  du  tarif  de  1664,  auquel 
la  Compagnie  avait  depuis  l'origine  été  soumise;  pour  les 
articles  qui  n'y  figuraient  pas,  elle  avait  obtenu  de  payer 
en  règle  générale  une  taxe  de  3  0/0  du  prix  de  vente  ;  enfin 
des  arrangements  ultérieurs  réglementèrent  les  redevances 
applicables  à  certaines  importations.  C'est  ainsi  qu'un  arrêt 
du  21  juillet  1733  fixa  à  40  livres  du  cent  pesant  les  droits  à 
payer  par  les  toiles  de  colon  blanches,  mousselines  unies 
ou  brodées,  basins  et  autres  étoffes  semblables,  à  la  place 
des  droits  du  tarif  de  1664  ;  le  thé  fut  successivement  frappé 
d'un  droit  de  10  sols  par  livre,  puis  de  3  0/0  du  prix  de  vente, 
enfin  de  6  livres  le  cent  pesant  (arrêt  du  8  juillet  1732)  ;  le 
café  paya  d'abord  un  droit  de  3  0/0,  puis  de  10  livres  le  cent 
pesant  ;  la  porcelaine  6  livres  le  cent  pesant,  la  soie  écrue  (2) 
6  sols,  l'indigo  5  livres,  la  cannelle  6  livres,  le  sucre  candi 
12  livres.  La  Compagnie  fournissait  de  la  sorte  chaque  année 
une  somme  importanteàla  Ferme  Générale, etces  perceptions 
donnaient  lieu  à  des  difficultés  et  à  des  lenteurs  qui  lui  étaient 
préjudiciables;   aussi   dès  1726  et  dans  la  prévision  d'un 

(1)  Il  existe  des  exemplaires  de  ces  affiches  aux  Archives  Coloniales  : 
elles  étaient  ainsi  libellées  :  «  La  Compagnie  des  Indes  vendra  comptant 

dans  la  ville  de  Lorient  (ou  de  iXantes)  le et  jours  suivants,  au  plus 

offrant  et  dernier  enchérisseur,  sous  les  conditions  ci-après  et  en  la  ma- 
nière accoutumée,  les  marchandises  apportées  par  les  vaisseaux  : 

venant  de  Moka,  Chine,  Pondichéry,  Bengale  et  les  lies  pour  le  compte 

de  ladite  Compagnie,  arrivés  au  port  de  Lorient  les de  la  présente 

année,  savoir  :  etc.  » 

(2)  La  soie  ne  pouvait  primitivement  entrer  en  France  que  par  Mar- 
seille, mais  l'arrêt  du  27  janvier  1722  autorisa  la  Compagnie  à  l'intro- 
duire par  Lorient  et  Nantes. 


508  TROISIÈME   PARTIE.    CHAPITRE   Vni 

accroissetneiil  du  son  Iralic,  préféra-l-elle  conclure  avec  les 
Fermiers  un  traité  pour  la  fixation  d'un  droit  d'abonnement 
annuel.  Celui-ci  fui  d'abord  de  23.000  livres,  puis  en  1734 
une  nouvelle  convention  le  porta  à  28.000  livres  (1);mais 
des  arrêts  du  29  mai  et  du  5  juin  1736  mirent  fin  à  cet  étal 
de  choses,  déchargèrent  la  Compagnie  de  ce  droit  d'abonne- 
ment élevé  et  remirent  en  vigueur  les  droits  antérieurs  ;  la 
Compagnie  continua  cependant  à  payer  à  la  Ferme  une  rede- 
vance de  3.000  livres  (2). 

Malgré  les  minutieuses  précautions  dont  le  fisc  entourait 
les  retours  et  les  ventes  de  la  Compagnie  pour  éviter  les 
fraudes,  celles-ci  étaient  très  considérables  et  se  produisaient 
de  toutes  les  façons  imaginables.  Les  peines  dont  elles  étaient 
frappées,  et  qui  consistaient  ordinairement  dans  la  confisca- 
tion et  dans  une  amende,  n'arrêtaient  nullement  les  frau- 
deurs :  le  personnel  des  vaisseaux  débarquait  à  Groix  les 
caisses  de  marchandises  prohibées  avant  l'arrivée  des  com- 
mis des  Fermes  et  elles  entraient  ensuite  nuitamment  à  Lo- 

(1)  [,e  chiffre  fixé  par  ce  renouvellement  est  celui  qui  ressort  des  ta- 
bleaux donnés  par  l'Encyclopédie  Méthodique,  mais  on  trouve  dans 
Demis,  mention  d'un  arrêt  du  28  septembre  1734  qui  fixe  Tabonnemenl 
à  8.000  livres  seulement. 

(2)  A  plusieurs  reprises  dans  la  deuxième  moitié  du  siècle,  et  surtout 
dans  ses  dernières  années  d'existence,  la  Compagnie  semble  avoir  eu  à 
payer  à  la  Ferme  Générale  des  arriérés  considérables,  ainsi  qu'il  res- 
sort du  tableau  suivant  : 

1760-1761 128.838  livres 

1765-1766 213.241  - 

1766-1767 381.862  - 

1767-t768 538.417  — 

1768-1769 297.441  — 

1769-1770 312.834  - 

1770-1771 126.290  - 

(Extrait  de  V Encyclopédie  Métliodiqite.) 


LE   COMMERCE    DE    LA   COMPAGNIE    DES    INDES  509 

rient,  où  elles  trouvaient  des  receleurs  nombreux  (1);  il  y 
avait  des  fraudeurs  parmi  les  employés  du  fisc,  parmi  les 
agents  de  la  Compagnie  ;  il  y  en  avait  même  dans  le  haut  per- 
sonnel de  celle-ci  ;  les  Directeurs  faisaient  entrer  des  ballots 
de  soieries  qu'on  distribuait  à  la  Cour  malgré  l'interdiction 
qui  frappait  l'usage  de  ces  étoffes  (2)  ;  on  vit  même  le  Com- 
missaire du  Roi  se  faire  contrebandier,  du  moins  d'Argenson 
en  accuse-t-il  formellement  M.  de  Fulvy  (3),  et  le  même 
d'Argenson  va  jusqu'à  convaincre  Louis  XV  d'avoir  participé 
à  ces  fraudes,  bien  mieux  d'en  avoir  fait  une  source  régu- 
lière de  bénéfices  pour  sa  cassette  (4).  Et  nous  n'avons  parlé 
que  de  la  fraude  qui  s'exerçait  sur  les  opérations  de  la  Com- 
pagnie :  que  dira-t-on  de  celle  qui  se  faisait  aux  frontières 
au  profit  des  Compagnies  étrangères, et  qui  était  certainement 
plus  considérable?  (5)  Le  gouvernement  royal  sévit  d'abord 
sévèrement,  donna  mission  aux  commis  des  Fermes  et  aux 
employés  de  la  Compagnie  de  pratiquer  des  visites  domici- 
liaires et  de  lacérer  sur  le  dos  des  porteurs  les  vêtements 
faits  des  tissus  prohibés  (6)  ;  les  tribunaux  prononcèrent  la 

(1)  Il  y  avait  à  Lorient  une  fabrique  de  fausses  marques  où,  paraît- 
il,  le  travail  ne  chômait  jamais. 

(2)  M.  Cultru  rapporte  que  Dupleix  lui-même,  pendant  qu'il  était  à 
Chaiidernagor,  fit  passer  en  France  pour  200.000  livres  de  marctiandi- 
ses  de  contrebande  qu'il  vendit  à  la  Cour  par  l'intermédiaire  de  ses 
amis.  Cultru,  op.  cit. 

(3)  D'Argenson,  Mémoires,  t.  VIII,  p.  130. 

(4)  «  Leur  vente  procurait  au  Roi,  dit-il,  10  millions  de  bénéfice  par 
an.  )»  C'est  peut-être  aller  trop  loin  {Ibidem,  t.  III,  p.  51). 

(5)  M.  de  Fulvy  mandait  le  16  mai  1743  au  Bureau  du  Commerce 
que  les  négociants  hollandais  munissaient  leurs  toiles  et  mousselines  de 
plombs  ayant  déjà  servi,  et  les  faisaient  entrer  en  France  sous  le  nom 
de  la  Compagnie  des  Indes  {Inventaire  des  procès-verbaux  du  Conseil 
de  Commerce). 

(6)  «  Les  ordonnances  sont  si  rigoureuses  à  cet  égard,  écrivait  Grimm 
en   1755,   qu'elles  permettent  aux  gardes  et  aux  commis  des  barrières 


'JIO  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    VIII 

peine  des  galères  à  leiiips  et  même  celle  des  galères  à  per- 
pétuité contre  les  contrebandiers  (1)  ;  les  confiscations  enfin 
étaient  incessantes  :  la  Compagnie  faisait  vendre  les  étoffes 
saisies  et  le  chiffre  de  ces  ventes  était  souvent  fort  élevé  (2)  ; 
les  officiers  «  pacotilleurs  «  étaient  mis  à  pied  par  elle,  privés 
des  appointements  de  leur  campagne,  et  punis  d'une  amende. 
Cependant  ces  moyens  furent  impuissants  à  enrayer  le  mal, 
et  le  gouvernement  royal  d'une  pari,  la  Compagnie  de  l'autre 
y  renoncèrent  bientôt,  à  la  t^rande  indignation  des  députés  du 
commerce. La  Compagnie  se  contenta  dès  lors  de  réprimander 
et  de  faire  de  temps  à  autre  un  exemple,  les  tribunaux  re- 
mirent l'amende  ou  l'abaissèrent  à  10  ou  5  livres.  Néanmoins 
le  principe  subsista  sans  modification  jusqu'à  la  chute  de  la 
Compagnie,  et  resta  même  en  vigueur  sous  le  régime  de  la 
liberté  qui  lui  succéda. 

Telle  était  la  situation  faite  aux  importations  de  la  Compa- 
gnie des  Indes  ;  malgré  ces  fraudes  qui  en  détruisaient  quel- 
que peu  la  portée  et  qui  ne  s'exerçaient  pas  seulement,  il  faut 
le  remarquer,  à  l'égard  des  marchandises  prohibées  mais  des 
articles  autorisés  eux-mêmes,  le  monopole  de  cette  Compagnie 
fournit  pendant  la  plus  grande  partie  du  siècle  le  marché  fran- 
çais des  productions  de  l'Asie.  11  est  donc  intéressant  et  né- 

d'arracher  les  robes  de  toile  aux  femmes  qui  oseraient  les  porter  en 
public.  » 

(1)  L'édil  du  mois  de  juillet  1717  punissait  des  galères  à  perpétuité, 
u  même  à  plus  grande  peine  s'il  y  échéait  »,  l'introduction  à  main  ar- 
mée; de  3  années  de  galères  l'introduction  avec  attroupement  de  cinq 
personnes  ;  de  l'amende  l'introduction  simple.  Les  ouvriers  qui  coopé- 
raient à  la  contrebande  étaient  punis  de  1.500  livres  d'amende,  les  ré- 
cidivistes étaient  mis  au  carcan,  les  femmes  fouettées.  Archives  Natio- 
nales. ADix,  H85. 

(2)  En  1730  les  saisies  faites  sur  les  trois  vaisseaux  :  Argonaute, 
Danaé  et  Royal-Philippe  atteignirent  à  la  vente  119.924  livres. 


LE   COMMERCE    DE    LA    COMPAGNIE   DES   INDES  511 

cessaire  de  se  demander  si  elle  le  fil  d'une  façon  satisfaisante. 
En  fait  ses  armements  ne  dépassèrent  pas  30  navires  par  an 
el  ses  retours  26,  et  ces  chiffres  relativement  peu  élevés  peu- 
vent laisser  place  au  doute  sur  ce  point.  Cependant  la  Com- 
pagnie, en  bornant  son  ambition,  ce  qui  était  un  tort,  il  est 
vrai,  à  alimenter  le  marché  français,  semble  avoir  parfaite- 
ment suffi  à  la  lâche  qu'elle  s'était  ainsi  tracée;  ses  armements 
annuels  étaient  calculés  avec  soin  en  vue  des  exigences  de 
la  consommation,  et  cela  lui  était  d'autant  plus  facile  que 
grâce  à  la  nature  de  ce  commerce  el  aux  prohibitions  qui 
frappaient  une  partie  de  ses  produits,  la  somme  des  besoins 
à  satisfaire  était  limitée,  el  ne  devait  jamais  dépasser  dans 
les  circonstances  normales  la  quantité  de  marchandises  que 
la  Compagnie  était  en  mesure  d'importer.  Aussi  doit-il  être 
remarqué  que  les  Economistes,  qui  en  1769  devaient  triom- 
pher de  son  monopole,  purent  bien  prétendre  que  sous  le 
régime  de  la  liberté  du  commerce  «  on  aurait  vu  plus  de  cent 
navires  partir  tous  les  ans  pour  les  Indes  »,  mais  ne  songè- 
rent point  à  reprocher  à  la  Compagnie  d'avoir  insuffisamment 
alimenlé  de  leurs  productions  le  marché  français  ;  cependant 
on  peut  croire  que  s'il  y  avait  eu  lieu  de  lui  faire  ce  reproche, 
ils  n'y  eussent  pas  manqué  !  11  est  permis,  d'ailleurs,  de  mon- 
trer quelque  scepticisme  à  l'endroit  de  leurs  affirmations  ; 
nous  croyons  que  le  commerce  particulier  eût  été  moins  bien 
outillé  que  la  Compagnie  pour  faire  le  trafic  des  Indes,  dans 
l'état  où  il  se  trouvait  alors  ;  et,  sans  qu'il  soit  besoin  de  re- 
prendre tous  les  arguments  autrefois  invoqués  par  les  parti- 
sans du  commerce  privilégié,  on  peut  à  plus  forte  raison 
croire  que  les  résultats  qu'elle  obtint  n'eussent  pas  été 
dépassés  par  les  négociants  libres  (1). 

(1)  La  Compagnie  de  Law  reçut  de  la  Compagnie  de  Colberl  la  jouis- 
sance des  primes  accordées  à  celle-ci  sous  le  nom  de  droits  de  tonneau 


512  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    VIII 

et  qui  consistaient  en  une  gratiticalion  de  75  livres  par  tonneau  d'im- 
portation et  de  50  livres  par  tonneau  d'exportation  (déclaration  d'août 
1664,  art.  46).  La  prime  d'importation  fut  même  élevée  à  80  livres  par 
l'arrêt  du  30  septembre  1767,  à  titre  de  dédommagement  pour  la  perle 
du  monopole  de  la  traite  des  nègres.  Mais,  de  même  que  la  précédente 
Compagnie,  elle  eut  souvent  à  réclamer  du  gouvernement  royal  l'exécu- 
tion de  ses  promesses  qu'il  remplissait  fort  irrégulièrement.  C'est  ainsi 
qu'en  1747,  dans  les  80  millions  d'augmentation  accordés  par  lui  sur  la 
rente  du  Roi,  l'arriéré  des  droits  de  tonneau  flguraitpour  6.596.576  li- 
vres, représentant  des  primes  non  payées  depuis  17.31.  De  même  en  1769 
la  Compagnie  se  prétendit  encore  créancière  du  gouvernement  royal  de 
775.406  livres  pour  arriéré  de  ces  droits.  La  Compagnie  avait  hérité 
d'autre  part  de  la  Compagnie  du  Sénégal  un  droit  de  nègres  s'élevant  à 
13  livres  par  nègre  transporté  aux  lies,  et  elle  jouit  de  cette  prime  jus- 
qu'à l'arrêt  du  31  juillet  1767  qui  lui  retira  le  monopole  de  la  traite. 
On  peut  dire  au  sujet  de  ce  droit  la  même  chose  que  pour  le  précédent  : 
le  gouvernement  royal  le  paya  en  effet  avec  autant  d'irrégularité  ;  ainsi 
il  entra  pour  5.826.472  livres  dans  l'augmentation  du  capital  de  la  rente 
du  Roi  en  1747,  et  en  1769  la  Compagnie  réclama  un  arriéré  de  120.000 
livres.  Elle  reçut  entîn,  lors  de  la  perte  de  son  monopole  pour  la  vente 
des  cafés  en  France  (1764),  une  indemnité  qui  lui  fut  servie  également 
par  le  gouvernement  royal. 


CHAPITRE  IX 


LA  MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES. 


Création  de  la  flotte  delà  Compagnie  :  ses  éléments  constitutifs.  — 
Tonnages  et  artillerie.  —  Tableau  de  la  flotte  de  la  Compagnie  de 
1719  à  1769.  —  Le  personnel  naviguant:  les  officiers,  leur  recrute- 
ment, leur  hiérarchie,  leur  valeur  ;  les  équipages  :  ils  sont  fournis 
à  la  Compagnie  par  le  service  des  Classes.  —  Organisation  des  servi- 
ces maritimes  de  la  Compagnie  :  première  et  seconde  navigation.  — 
Les  voyages  et  les  conditions  dans  lesquelles  ils  s'accomplissaient  ; 
les  événements  de  mer  et  les  naufrages.  —  Rôle  militaire  joué  parla 
Compagnie  dans  les  guerres  maritimes  ;  perles  qu'elles  lui  causèrent. 
—  L'arsenal  de  la  Compagnie,  développement  et  organisation  de 
Lorient. 


L'organisation  maritime  de  la  Compagnie  fondée  par  Law 
mérite  dans  celte  histoire  une  place  particulière  ;  par  l'im- 
portance de  sa  flotte,  par  le  nombre  de  ses  marins,  par  la 
régularité  de  ses  services,  celle  Compagnie  a  occupé  une 
situation  éminenle  dans  le  commerce  de  mer  de  l'ancienne 
France,  dont  elle  fut  assurément  la  plus  complète  expres- 
sion ;  mais  elle  joua  également  dans  les  guerres  maritimes 
du  xviii"  siècle  un  rôle  importante  côléde  la  marine  royale, 
pour  laquelle  elle  fut  souvent  une  utile  auxiliaire  et  avec  la- 
quelle elle  ne  cessa  d'ailleurs  de  traiter  d'égale  à  égale. 

Lorsque  Law  créa  en  1717  la  Compagnie  d'Occident,  ses 
grandioses  projets  commerciaux  se  heurtèrent  à  deux  obsta- 
cles, qu'il  eut  quelque  peine  à  sui'uionlcr  :  l'insuffisance  du 
capital  qu'il  pouvait  réellement  leur  consacrer  et  la  pénurie 

W.  —  33 


H14  tROISiÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IX 

des  moyens  matériels  qu'il  avait  à  sa  disposition  ;  mais  les 
successifs  agrandissements  de  son  œuvre  et  la  réunion  à  la 
Compagnie  des  Indes  bientôt  fondée  des  Compagnies  de 
commerce  qui  exerçaient  encore  leurs  privilèges,  portèrent 
remède  à  celle  situation.  La  nouvelle  Compagnie  entra  en  pos- 
session de  leur  matériel,  peu  important,  il  est  vrai,  car  leur 
activité  n'était  pas  grande, mais  elle  avait  alors  des  ressources 
financières  considérables  qui  lui  permirent  de  suppléer  à  son 
insuffisance.  Law  voulait  aller  vite,  aussi  la  création  de  la 
flotte  dont  il  avait  besoin  fut-elle  prodigieusement  rapide,  et 
dès  17^20  elle  comprenait  165  navires,  «  non  compris  les  fré- 
gates et  les  brigantins  »  (1)  (arrêt  du  3  juin  1720).  11  avait  dû 
pour  obtenir  ce  résultat  se  faire  céder  presque  tous  les  bâti- 
ments de  commerce  que  contenaient  alors  les  ports  du 
royaume  et  sans  doute  recourir  aussi  à  l'industrie  étrangère. 
11  ne  fallait  pas  moins,  d'ailleurs,  que  ce  nombre  considérable 
de  navires  pour  entretenir  des  relations  commerciales  suivies 
avec  un  immense  domaine  colonial  ;  mais  cette  organisation 
hâtive  semble  avoir  été  une  mauvaise  spéculation  :  <  On  s'é- 
tait beaucoup  plus  attaché,  dit  Dupont  de  Nemours,  à  en 
imposer  par  le  nombre  qu'à  se  procurer  des  machines 
réellement  propres  à  servir  le  commerce  avec  économie  (2).  > 
La  plupart  de  ces  navires,  achetés  sans  discernement,  ren- 
dirent de  détestables  services  (3),  le  déchet  en  fut  exagéré 

(1)  Suivant  Miclielel,  la  Compagnie  possédait,  en  juin  1720,  300  bâti- 
ments à  la  mer  ou  sur  chantier,  mais  cette  appréciation  paraît  fort 
exagérée  ;  Dupont  de  Nemours  donne  de  son  côté  le  chitTre  de  105 vais- 
seaux ;  M.  (^ultru  établit  celui  de  103  bâtiments  d'après  un  état  des 
Archives  Coloniales  et  cette  flotte  se  décomposait  ainsi  :  23  bâtiments  en 
route  pour  les  Indes,  67  pour  les  autres  comptoirs  de  la  Compagnie  et 
13  en  construction. 

(2)  Dupont  de  Nemours,  le  Commerce  et  la  Compagnie  des  Indes. 
{?>)  C'est  ce  (juc  prouvent  différeiils  mémoires  conservés  aux  Archives 

Nationales  et  aux  Archives  Coloniales. 


LA    MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  515 

et  au  boul  de  quelques  années  seulement  la  (^ompaojnie  dut 
renouveler  presque  complètement  son  matériel  naval. 

Law  donna  pour  port  d'attache  et  pour  arsenal  à  cette  flotte 
la  création  de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales,  Lorient, 
qui  devait  prendre  de  ce  jour  un  si  remarquable  développe- 
ment. Ce  port  était,  cependant,  resté  plongé  pendant  les 
vingt  premières  années  du  siècle  dans  un  profond  abandon 
et  la  marine  royale  qui  y  avait  pris  la  place  de  sa  créatrice 
n'avait  pas  réussi  mieux  qu'elle  à  lui  donner  une  activité  que 
seuls  les  Malouins  entretenaient  quelque  peu.  Law  y  plaça 
dès  le  début  la  Compagnie  d'Occident,  puis  bientôt  celle-ci 
devint  la  Compagnie  des  Indes  et  son  établissement  y  fut 
définitif.  Aux  magasins  de  l'ancienne  Compagnie,  insuffi- 
sants pour  son  commerce  étendu,  elle  en  ajouta  de  nou- 
veaux ;  de  nombreux  chantiers  s'élevèrent  sur  les  bords 
du  Scorff,  d'où  descendit  à  la  mer  une  flotte  plus  sérieuse 
que  la  première  et  Lorient  peu  à  peu  agrandi,  embelli,  peu- 
plé, devint  une  cité  active  et  prospère. 

L'industrie  maritime  a  été  pendant  longtemps  de  celles  qui 
se  sont  transformées  avec  le  plus  de  lenteur,  parce  que,  plus 
qu'ailleurs  peut-être,  les  traditions  et  la  routine  y  possédaient 
une  force  considérable.  Ainsi  la  plus  grande  partie  du 
xvni*  siècle  ne  vit  pas  de  progrès  sensibles  sur  les  méthodes 
de  construction  et  de  gréemenl  déjà  employées  à  la  fin  du 
siècle  précédent  et  la  Compagnie  de  Law  eut  pendant  fort 
longtemps  un  matériel  naval  semblable  à  celui  dont  s'était 
servie  la  Compagnie  de  Colbert  :  mêmes  faibles  tonnages, 
mêmes  agencements  défectueux  et  si  fâcheux  pour  d'aussi 
longues  traversées,  même  insuffisance  au  point  de  vue  de  la 
vitesse  et  de  la  solidité.  Ce  n'est  en  effet  que  dans  la  seconde 
moitié  du  siècle  que  des  progrès  importants  furent  accomplis 
sous  l'influence  de  causes  que  nous  n'avons  pas  à  examiner. 


516 


TROISIEME    PARTIE.    CHAPITRE    IX 


elque  de  nombreuses  améliorations  furent  apportées  à  cette 
science  qui  devaient  aboutir  aux  admirables  résultats  de 
la  marine  à  voiles  au  xix°  siècle.  La  Compagnie  des  Indes  en 
utilisa  les  premiers  effets,  mais  elle  n'eut  guère  le  temps  d'en 
jouir. 

Sa  flotte  comprit  les  classes  de  navires  que  nous  avons 
déjà  décrites  :  le  vaisseau,  la  frégate,  la  corvette,  la  flùle  en 
furent  les  principaux  types. 

Les  vaisseaux,  sur  lesquels  furent  réalisés  les  progrès  les 
plus  importants,  atteignirent  parfois  1.000  à  1600  tonneaux  ; 
mais  il  semble  que  ces  dernières  dimensions  n'aient  pas  été 
dépassées;  la  majeure  partie  d'entre  eux  restèrent  d'ailleurs 
fort  au-dessous  de  ces  chiffres,  avec  600 à  900  tonneaux:  les 
premiers  tonnages  ne  furent  réalisés  que  vers  la  fin  de  l'exis- 
tence de  la  Compagnie  et  l'on  peut  dire  que  c'est  avec  les 
seconds  qu'elle  fit  presque  tout  son  commerce.  Nous  cite- 
rons parmi  les  plus  remarquables  (1)  : 


Comte-d'Argenson  1.000 

Condé 1.000  (1753)  (2) 

Duc-de-Berry  .    .  1.000  (1755) 

Lys 1.050  (1751) 

Duc-de-Bourgogne  1.050 
Duc-d'Orléans  .    .   1.100  (1753) 

Vaillant 1.100 

St-Louis 1.100  (1752) 

Fortuné 1.100  (1757) 


tonneaux 
Duc-d'Aquitaine .  1.200  (1754) 
Actionnaire.  .  .  1.200  (1767) 
Comte-d" Artois.  .  1.200  (17.59) 
Vengeur  .  .  .  .1.300  (1756) 
Bien- Aimé.  .  .  .  1.490  (1757) 
Comtede-Provence  1.490  (1756) 
Centaure  .    .    .    .   1.500  (1751) 

Achille 1.500 

Robuste 1.600  (1758)  (3) 


Les /?M/es,  dont  les  dimensions  étaient  à  peine  inférieures  à 
celles  de  la  plupart  des  vaisseaux,  jaugeaient  de  500  à  600  ton- 
neaux ;  quelques-unes  atteignaient  même  un  tonnage  assez 


(1)  D'après  les  documents  conservés  à  l'Arsenal  de  Lorienl. 

(2)  Date  de  la  mise  à  l'eau. 

(3)  Nous  donnerons  à  titre  d'exemple  les  caraciérisliques  principales 


LA    MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  n{7 

important,  comme  le  Massiae:  900  tonneaux  (1758),  la  Ba- 
leine :  800  tonneaux. 
Les  frégates  variaient  de  iOO  à  400  tonneaux,  certaines 

du   vaisseau   le   Marquis-de-Castries  du   port   de  700  tonneaux   et  de 
20  canons,  construit  à  Lorient  et  mis  à  l'eau  en  1765. 

Longueur  de  l'étrave  à  l'étambot .   .    .    .     130  pieds  42  mètres*. 

Longueur  de  la  quille 112  36 

Elancement  de  l'étrave 17  5,50 

Elancement  de  l'étambot 1  0,30 

Largeur  du  maître  couple  au  dehors   .    .       34  11 
Creux  de  la  cale  sous  les  barrots.    .   .   .       13p.8pouces    4,40 

Hauteur  de  l'entrepont  sous  les  barrots  .         5  1,60 

Hauteur  du  gaillard  d'arrière  à  l'entrée   .         5,2  1,70 

Hauteur  du  gaillard  en  arrière 5,5  1,75 

Rentrée  au  plat  bord 3,3  1,70 

Hauteur  du  gaillard  d'avant  à  l'entrée.   .         5,2  1,70 

Hauteur  du  gaillard  en  avant 5,3  1,70 

Longueur  de  la  varangue 17,9  5,70 

Hauteur  de  la  dunette  à  l'entrée  ....        5,4  1,70 

Hauteur  de  la  chambre  du  conseil  .    .    .         5,7  1,80 

Sabord  de  canon  de  la  2«  batterie  .    .    .   1,10  X  1,6  0,60  X  0,50 

Tirant  d'eau  à  sa  charge 16,6  5,30 

Grand  mât 85  27,50 

Mât  de  misaine 76,G  24,80 

Mat  d'artimon 59,6  19,30 

Màt  de  beaupré 51  16,50 

Grand  mât  de  hune 51  16,50 

Petit  mât  de  hune 46  14,90 

Màt  de  perroquet  de  fougue 34  11 

Màt  de  grand  perroquet 34  11 

Màt  de  petit  perroquet 30  9,70 

Màt  de  perruche 28,8  9,30 

Bout  dehors  de  beaupré 34  M 

Grand'vergue 76  24,60 

Vergue  de  misaine 69  22,55 

Vergue  d'artimon 63  20,40 

*  Nous   avons   pris  comme  valeur  du   pied  0  m.    324  et  du   pouce 
0  m.  027. 


518  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    IX 

d'entre  elles  avaient  ainsi  Timporlance  des  petits  vaisseaux. 

Les  corvettes  avaient  au  plus  250  tonneaux  ;  la  Compa- 
gnie semble  n'avoir  eu  qu'un  petit  nombre  de  bâtiments  de 
ce  type  peu  avantageux  pour  le  commerce  ;  nous  n'avons  pu 
relever  en  effet  que  les  caractéristiques  de  cinq  corvettes  : 
la  Résolutio7i  126  tonneaux,  la  Naïade  150  tonneaux,  la  Pé- 
nélope 250  tonneaux  (1757),  la  Mignonne  70  tonneaux  (1759), 
la  Fine  70  tonneaux  (1759)  (1). 

Enfin  au-dessous  de  ces  quatre  types  de  bâtiments,  il  y 
avait  dans  la  flotte  de  la  Compagnie  un  certain  nombre  de 
navires  de  petit  tonnage  destinés  aux  trajets  de  courte  durée, 
notamment  ceux  de  la  Barbarie  et  du  Sénégal  :  c'étaient  des 
briganlins,  des  senaus,  des  chasse-marée  dont  les  dimensions 
variaient  de  30  à  100  tonneaux  au  plus. 

Le  rôle  militaire  qu'elle  avait  à  jouer  en  qualité  de  Compa- 
gnie souveraine  obligea  la  Compagnie  des  Indes  à  faire  de 
ses  navires  des  bâtiments  de  guerre  en  même  temps  que  de 
commerce  ;  l'insécurité  trop  fréquente  des  mers  et  l'insuf- 
fisance de  l'appui  que  pouvait  lui  prêter  la  marine  royale 
faisaient  de  cette  obligation  une  condition  indispensable 
d'existence.  Aussi,  comme  il  en  avait  été  pour  la  Compagnie 
de  Colbert,  dut-elle  munir  ses  vaisseaux  d'artillerie  ;  c'était 
là  une  fâcheuse  nécessité  pour  ses  opérations  commerciales, 

Vergue  de  civadière 54  pieds  17,50  mètres 

Vergue  de  grand  tiunier 54  17,50 

Vergue  de  petit  tiunier 49  15.90 

Vergue  barrée 53  17,20 

Vergue  de  perroquet  de  foufîue 34  11 

Vergue  de  grand  perroquet 34  H 

Vergue  de  petit  perroquet 30  9,70 

Vergue  de  perruche 22,6  pouces  7,30 

Vergue  de  contre-civadière 34  11 

(1)  Arcliives  de  l'Arsenal  de  Lorieiit. 


LA    MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES 


519 


car  la  capacité  disponible  pour  les  car^^aisons  se  trouvait 
ainsi  réduite,  et  par  contre  les  équipages  étaient  plus  nom- 
breux qu'il  n'eût  été  nécessaire  ;  mais  elle  était  généralement 
admise  et  les  Compagnies  étrangères  de  leur  côté  n'avaient 
garde  de  s'en  départir.  Vaisseaux,  flûtes,  frégates  et  corvet- 
tes étaient  donc  percés  pour  un  certain  nombre  de  pièces,  et 
en  étaient  armés  d'une  manière  permanente  ;  à  vrai  dire, 
leur  armement  ordinaire  ne  comprenait  pas  le  nombre  total 
de  pièces  qu'ils  pouvaient  recevoir  ;  on  se  contentait  de 
compléter  leurs  moyens  de  défense  en  temps  de  guerre  ou 
lorsqu'une  opération  militaire  était  décidée  (1).  Les  vaisseaux 
avaient  ainsi  d'ordinaire  de  20  à  40  canons  ;  mais  nous  pou- 
vons noter  pendant  la  guerre  de  Sept  Ans  :  le  Vaillant  de  56 
canons,  le  Fortuné  et  le  Vengeur  de  (50,  le  Bien- Aimé  de  68. 
Les  flûtes  avaient  également  de  20  à  40  canons,  les  frégates 
de  10  à  30  canons,  les  corvettes  de  6  à  10,  enfin  les  bateaux, 
brigantins  ou  senaus  avaient  de  4  à  10  pièces. 

En  compensation  de  ces  charges  d'ordre  militaire,  la  Com- 
pagnie reçut  comme  ses  aînées  le  droit  de  faire  naviguer  ses 
bâtiments  sous  le  pavillon  blanc  uni  de  la  marine  royale  ;  en 
outre,  une  ordonnance  du  29  janvier  1737  les  autorisa  à 
arborer  la  flamme  de  guerre  et  à  remplir  les  fonctions  de 
commandant  de  rade  lorsqu'il  ne  se  trouvait  au  mouillage 
avec  eux  aucun  navire  de  l'Etat. 

La  construction  d'un  vaisseau  de  600  tonneaux  à  Lorient 
coûtait  en  moyenne  à  la  Compagnie  190.000  livres;  l'arme- 
ment deux  tiers  en  plus,  soit  75.000  livres,  ravitaillement  la 

(1)  C'est  ainsi  que  pour  fournir  une  escadre  à  La  Bourdonnais,  la 
Compagnie  arma  en  guerre  à  deux  reprises  en  1741  et  1745  cinq  de 
ses  navires.  La  transformation  n'était  pas  longue,  mais  les  instruments 
ainsi  obtenus  ne  donnaient  pas,  si  l'on  en  croit  La  Bourdonnais,  toute 
satisfaction  au  point  de  vue  militaire  :  «  c'étaient  des  coffres  bourrés 
d'artillerie.  » 


520'  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   IX 

moitié  de  l'armement,  soit  37.500  livres  (i).  La  valeur  pour 
laquelle  les  unités  de  celte  flotte  entraient  dans  les  bilans  de 
la  Compagnie  était  naturellement  variable  suivant  leur  âge, 
Timporlance  de  leur  armement  etc.  ;  au  bilan  de  1732  on 
voit  figurer  ainsi  :  le  Héron  i240.379  livres,  le  St-Louis  90.635 
livres,  le  Griffon  229.440  livres,  la  Duchesse  296.173  livres, 
le  Ja&on  156.075  livres,  \e  Bourbon  252.338  livres,  V Argonaule 
164.974  livres,  la  Galatée  99.501  livres,  le  Roy  al- Philippe 
257.752  livres,  la  Légère  56.990  livres,  V Hirondelle  36.920  li- 
vres, etc.  (2). 

Flotte  de  la  Compagnie  des  Indes  (3)  (1719-1769), 
I.  Vaisseaux. 


ton.  can.  lancem' 

ton.  can.  lancem' 

Philibert  {i).   . 

.       800  30  1731 

Diic-de-Béthune  . 

600  20    1747 

Auguste  .    .    . 

.       900  34    1745 

Montaran    .    .    . 

900  22    1748 

Prince  .... 

.       900  34    1745 

Espérance    .    .   . 

850  20  1723 

(1)  D'après  M.  Gulliu.  Le  Duc-de-Bourgogne  de  1050  tonneaux 
construit  à  Lorienl  en  1752,  coûta  254.740  livres  de  construction, 
109.744  livres  d'armement,  et  110.808  livres  d'avitaillement.  Archives 
de  l'Arsenal  de  Lorient. 

(2)  Archives  Nationales,  F12,  644. 

(3)  Cette  liste  embrasse  sinon  la  totalité  du  moins,  croyons-nous,  la 
très  grande  majorité  des  bâtiments  de  la  flotte  de  la  Compagnie  des  Indes. 
Elle  a  été  établie  par  nous  d'après  la  collection  des  rôles  d'armement 
conservée  aux  Archives  de  l'Arsenal  de  Lorient.  Nous  avons  mentionné 
pour  chaque  navire  son  tonnage,  son  artillerie,  la  date  de  son  entrée 
dans  la  flotte,  et  quand  nous  n'avons  pu  la  trouver,  la  date  de  sa  pre- 
mière campagne  (ce  dernier  chiffre  en  italique).  Un  certain  nombre  de 
navires  ont  porté  le  même  nom  :  nous  l'avons  également  mentionné  en 
note.  Nous  devons  faire  observer  que  pour  le  tonnage  et  l'artillerie, 
quelquefois  même  pour  la  classification  du  navire,  ces  archives  offrent 
d'assez  sensibles  divergences.  Enfin  nous  n'avons  pas  fait  figurer  les 
bâtiments  simplement  allVétés  par  la  Compagnie,  notamment  pendant 
les  périodes  de  guerre. 

(4)  Le  premier  Philibert  fit  naufrage  dans  le  Gange  en  1739,  le  se- 
cond fut  condamné  en  1755. 


LA    MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES 


521 


Rouilla 

900  32 

1746 

Pondichéry  (10). 

800  20 

1754 

Jason  (1) .   .    .   , 

700  30 

1719 

Comte  -  d'Argen- 

Hercule  (2) .    .    . 

700  30 

1719 

son 

1000  16 

/74S 

Machault.    .    . 

600  30 

1746 

Berryer   .... 

900  26 

1759 

Maréchal-de-Sax 

3      7U0  20 

ni8 

Vaillant  .... 

1100  56 

1761 

Chevalier-Marin 

480  18 

/74S 

Comte-d' Artois   . 

1200  20 

1759 

Puysieulx    ,    . 

700  20 

1749 

Condé  (11)  .    .    . 

1000  18 

1753 

Maurepas  (3)  . 

600  20 

1749 

Berlin 

900  28 

1760 

La-VUleflix.    . 

655  20 

i74S 

Duc-de-Choiseul. 

900  24 

1762 

Achille.    .    .    . 

1500  24 

1745 

Paix 

900  22 

1732 

Reine    .... 

600  20 

1749 

Beaumont.   .    .    . 

900  22 

1762 

Glorieux  .    .    . 

.       528  16 

1730 

Villevaitlt   .    .    . 

900  22 

1762 

Duc -de-Parme. 

600  20 

1750 

Ajux 

580  18 

1763 

Saint-Priest    . 

600  20 

1750 

Saint- Louis  (12), 

1100  12 

1752 

Compagnie  -  des 

Comte  -  de  -  Pro- 

Indes. .    .    . 

600  20 

1750 

vence    .... 

1490  12 

1756 

Bourbon  (4).   . 

600  20 

1751 

Duc  -  de-  Penthiè- 

Lys{5).     .   .   . 

1050  20 

1751 

vre 

900  20 

1740 

Silhouette    .   .    . 

600  20 

1752 

Duc-de- Praslin  . 

600  14 

1764 

Indien  (6)    .    .    . 

600  20 

1751 

Duc-de -Dur  as .    . 

900  20 

1766 

Phélypeaux.    . 

660  18 

1752 

Marquis -de- Cas- 

Neptune  (7).    . 

543  16 

1719 

tries 

700  20 

1765 

Duc-de-  Bourgo 

Laverdy  .... 

700  20 

1766 

gne 

1050  20 

1733 

Marqids-de-San- 

Prince-de-Conli{ 

3)     600  20 

1753 

ce 

500  14 

1766 

Duc-d'0rléuns{9) 

.     1100  20 

1753 

Dauphin  (13)  .    . 

973  16 

1720 

(1)  Naufragé  en  1735.  Un  second  (550  tx)  fut  pris  en  1745. 

(2)  Le  premier  Hercule  fut  pris  à  la  même  affaire  (1745). 

(3)  Le  premier  Maurepas  fut  brûlé  le  13  juin  1745  après  un  combat. 

(4)  Le  premier  Bourbon  (300  tx)  fit  campagne  de  1722  à  1744. 

(5)  Le  premier  Lys  (800  tx)  fut  condamné  en  1748. 

(6)  Le  premier  Indien  (230  tx)  est  signalé  en  1724. 

(7)  Il  y  eut  également  deux  Neptune  ;  la  dernière  campagne  du  se- 
cond est  de  1758. 

(8)  Le  premier  P rince- de-Conti  (320  tx)  fit  naufrage  en  1746. 

(9)  Le  premier  Duc- d'Orléans  (220  tx)  périt  devant  Madras  en  1746. 

(10)  Le  premier  Pondichéry  fut  échoué  et  brûlé  sur  la  côte  indienne 
en  1745. 

(11)  Il  y  eut  deux  Condé  ;  le  premier  fit  campagne  de  1734  à  1741. 

(12)  Le  premier  Saint-Louis  fit  campagne  de  1721  à  1745. 

(13)  Pris  en  1745  ;  un  second  prit  la  mer  en  1749. 


522 


TROISIEME    PARTIE.    CHAPITRE    IX 


Mascarin  .  .  . 
Bi'isson.  .  .  . 
Actionnaire.   . 

Sage 

Duc-de-Chartres 
Centaure  (i)   . 
Brillant  (2)     . 
Argonaute  (3) 

Mars 

Apollon  (4)  . 
Aimable  .  .  . 
Fulvy  .... 
Duc-d'  Aquitaine 
Saint-Conteiil  . 
Séchelles.  .  . 
Duc-de-Bernj  . 
Moras  .... 
Vengeur  .  .  . 
Bien- Aimé  .  . 
Fortuné  (5)  . 
Gange  .... 
Robuste  .  .  . 
Triton  (6j  .  . 
Duc-dii-Mainc . 
Américain  .  . 
Saint-Géran  . 
Chauvelin.  .  . 
Duc-d'Anjou  . 
Fleury  (7)  .  , 
Raisonnable.   . 


350    8 
700  20 

1200  18 
400  20 
600  32 

1500  66 
550  34 
600  30 
700  32 
600  30 
550  30 
600  30 

1200  20 
600  20 
900  26 

1000  26 
900  26 

1300  60 

1490  68 

1100  60 
600  20 

1600  60 
550  26 
320  24 
200  12 
700  26 
600  24 
600  20 
850  20 
600  20 


^745 
1766 
1767 
1762 
1719 
1751 
47H 
4726 
1727 
1746 

1740 

1754 

1755 

1755 

1755 

1756 

1756 

1757 

1757 

l7o4 

1758 

1720 

1719 

1720 

^757 

1733 

1731 

1736 

1758 


Marquis- de -Beu 

vron.  .  .  . 
Annibal  .  .  . 
Saint- Albin.  . 
Comte  -de-Tou 

louse.   .   .    . 
Pan  te  h ar train. 
Duc-de-Noailles 
Royal-Philippe 
Fier .    .    . 
Jupiter .   . 
A  lexandre 
Griffon.   . 
Cavalier  . 
Solide  .    . 
Africain  . 
Maure  .    . 
Foudroyant 
Aventurier 
Profond  . 
Heureux . 
Montmartcl 
Maréchal  -  d'E. 

trées .  .  . 
Héron  .  .  . 
Marquis-de-L 

say.  .  .  . 
Favori  (8)  . 
Diligent  .  . 
Mercure  (9) 


600  24  1766 
200  14  1720 
300  30    1720 


600  24 
230  16 
300  18 
300  18 
400  20 
560  24 
340  20 
450  20 
400  24 
330  24 
400  18 
325  24 
400  18 
340  16 
300  16 
600  30 
600  24 


1720 
1719 
1720 
1723 
1726 
1720 
1719 
1732 
1732 
1719 
1719 
1719 
1719 
1719 
1719 
1768 
1766 


300  22  1719 
450  20  1731 

600  30  1747 
600  40  1744 
400  20  1726 
560  30  /7i7 


(1)  Le  premier  Centaure  se  perdit  en  1750. 

(2)  Le  premier  Brillant  fut  condamné  vers  1755. 

(3)  Condamné  vers  1755. 

(4)  Le  premier  Apollon  (500  tx)  fil  campagne  de  1722  à  1743. 

(5)  Un  premier  Fortuné  (300  tx)  est  signalé  en  1725. 

(6)  Un  second  Triton  de  350  tx  et  14  canons  fut  lancé  en  1747. 

(7)  Condamné  en  1755. 

(8)  Pris  par  les  Anglais  à  Aciiem  en  1745. 

(9)  Condamné  en  1755. 


LA    MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES   INDES 


523 


II.  Frégates. 

ton.  can.  lancem' 

ton.  can.  lancemt 

Subtile  (1)  . 

,       190   16    1758 

Duchesse  .... 

550  20  1732 

Gracieuse.  .    . 

260  18    1759 

Utile 

140  14  1733 

Diligente .    .    . 

.       450  18    1756 

Cerf 

200    8     1751 

Fidèle  .... 

.       400  20  1738 

Aurore 

200  12  1728 

Duc-d' Aiguillon 

.       iOO    8    1762 

Amphitrile  .    .    . 

550  18    1720 

Calypso    .    .    . 

.       250  10  1763 

Sirène  

250  34    1719 

Valeur.    .    .    . 

.      380  28  {736 

Méduse 

330  24  1728 

Cybèle  .... 

.       170  22  1747 

Thélis 

630  36    1720 

Favorite  .    .    . 

.      380  22  1743 

Badine 

380  24    1720 

Comtesse  .    .    . 

.      270  28  1737 

Junon  

450  12  1724 

Légère  .... 

.       300  20  i730 

Vénus  

290  10  1728 

Hirondelle  (2). 

.       180    6  1731 

Dryade.   .    .    . 

280    8  1723 

Bristol .... 

.       400  24  1748 

Flore 

320  12  1723 

Diane   .... 

.       250  18  1724 

Néréide    .... 

180    8  1729 

Sainte-Reine    . 

140    8  1732 

Atalante  (9).   .    . 

500  34  1729 

Mutine .... 

.       260  18    1719 

Vierge-de-Grâce . 

360  26    1720 

Treize-Cantons 

.       470  14  1730 

Marquise-de-Mar- 

Minerve.  .    .    . 

.       560  34  1724 

beuf 

360  24  1768 

Fière{3)   .    .    . 

160    6    1750 

Saint-Michel    .    . 

290  12  1730 

Astrée  (4).    .   . 

.       200    8    1751 

Courrier  -   d'Or- 

Galatée (5)  .    . 

.       400  12    1752 

léans 

130  10  1727 

Renommée    .    . 

.       310  10  1738 

Courrier   -    de   - 

Hermione.    .    . 

.       450  14    1755 

Bourbon  .    .    . 

130  10  1723 

Danaê  (6).    .    . 

.       400  14    1754 

Sérieuse  .... 

120    0  1723 

Gloire  (7).    .    . 

.       310  18  1736 

Henriette.    .    .    . 

300  16  1739 

Sylphide  .    .    . 

.       600  30    1750 

Vestale 

200  10  1737 

Volant .... 

.       200  10  1738 

Union 

550  38    1719 

Expédition  (8). 

.       290  24    1757 

Insulaire  (10).   . 

320  24    1744 

Saint-Luc.   .   . 

.       500  18  1756 

(i)  Prise  par  les  Anglais  en  1761.  —  (2)  Naufragée  en  1749, 

(3)  La  première  Fière  fut  prise  en  1745. 

(4)  La  première  Astrée  fit  campagne  de  1726  à  1732. 

(5)  La  première  Galatée   de  275  tx  fit  campagne  de  1720  à  1733. 

(6)  La  première  Danaé  de  558  tx  fit  campagne  de  1721  à  1733. 

(7)  La  première  Gloire  fut  prise  par  les  Anglais  en  1746. 

(8)  La  première  Expédition  de  120  tx  fut  prise  en  1746,  la  seconde 
pendant  la  guerre  de  Sept  Ans.  —  (9)  Naufragée  en  1738. 

(10)    L'Insulaire  fut  construite  par  La  Bourdonnais  à  l'île  de  France. 


524 


Dromadaire  (1) 
Massiac 
Adour  . 
Elépliaul 
Chameau 
Outarde 
Baleine 
Gérai  dus 


Résolution 
Naïade  (4) 
Pénélope . 


OISIÈME    PARTIE 

.    —    CHAPITRK    IX 

III.  Flûtes. 

ton.  can.  lanceii' 

ton.  cm. 

laocem* 

520  20  /727 

Boulin 

600  20 

1758 

900  24    1758 

Boullongne  (2)  . 

600  20 

1758 

600  30  r/60 

Gironde 

600  20 

1723 

630  20    1719 

Durance  .... 

600  20 

1725 

750  12    1719 

Bellonne  (3).  .    . 

450  10 

1723 

500  14    1766 

Seine  

500  10 

1719 

800  40    1719 

Loire  

5.-J0  12 

1719 

325    8  1748 

Charolais.   .   .    . 

400  14 

1733 

IV.  Corvettes. 

126  10      — 

Mignonne    .    .    . 

70    6 

1759 

150    4  i747 

Fine 

70    6 

1759 

250    8    1757 

V .  Senaus  et  Brigantins. 


Curieux  .  . 
Saint-Pierre 
Colombe  .  . 
Chasseur  .  . 
Paon.  .  .  . 
Saint-Charles 
Cygne  .  .  . 
Zéphyr.  .  . 
Deux-Frères 
Protée  .  .  . 
Alouette  .  . 
Ours .... 
Biche  .  .  . 
Aigle  .  .  . 
Belette .    .    . 


110  12 
00  12 
35    4 


35  4 

70  6 

140  8 

80  4 

30  4 

120  8 

150  8 

30  4 

35  4 

35  4 

70  8 

35  4 


1769 
1747 
1751 
1747 
1729 
1747 
1 736 

1719 
1723 

1752 
1752 
1734 
1 152 


Léopard  .    .    . 
Saint- Andnl   . 
Alcyon.    .    .    . 
Marie   .... 
Saint-Edouard 
Rubis    .... 
Nécessaire    .    . 
St-Jean-Baptiste 
Aquilon   .    .    . 
Cerf-  Volant    . 
Phénix.    .    .    . 
CupidoJi  .    .    . 
Mignon.   .    .    . 
Bonne-Aventure 
Sainte-Elisabeth 


35    4 

70  8 
70  8 
35  4 
70    8 

120  12 
80  10 

100  12 
35  4 
40  4 
70  4 
35  4 
40  6 
70    8 

120  12 


^727 
1726 
1725 
1719 
1719 
1719 
1769 
1767 
1723 
I7i0 
1736 
1732 
1732 
1723 
1719 


(1)  Il  y  eut  probablemeal  deux  Dromadaire,  deux  Eléphant,  et  deux 
Chameau. 

(2)  Le  Boullongne  fut  pris  par  les  Anglais  en  1761. 

(3)  La  Bellonne  fil  côle  à  Madaf^ascar  en   1725. 

(4)  La  Naïade  se  perdit  en  1748. 


LA    MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  525 

Enfin,  celle  flotle,  qui  en  1720  complaît  103  navires,  réduite 
ultérieurement  à  des  dimensions  mieux  appropriées  aux  opé- 
rations de  la  Compagnie,  atteignait  en  1737  35  navires,  et  en 
1769,  au  moment  de  la  suspension  de  son  privilège  :  28  vais- 
seaux et  frégates  dont  15  de  900  à  1.200  tonneaux  et  13  de  500 
à  700  tonneaux,  plus  2  senaus  de  110  tonneaux, en  tout  30  bâ- 
timents estimés  valoir  ensemble  4.010.854  livres  (1).  C'est 
dire  que  la  Compagnie  eut  un  nombre  à  peu  près  constant 
de  navires  pour  exercer  son  commerce. 

Le  Règlement  pour  la  marine  de  la  Compagnie,  du  16  sep- 
tembre 1733  (2),  divisait  ses  services  maritimes  en  deux 
classes  :  la  première  et  la  seconde  navigation,  et  réparlissait 
sa  flotte  entre  elles  suivant  le  tonnage  des  bâtiments.  La 
première  navigation,  qui  comprenait  les  voyages  dans  l'Océan 
Indien  (Inde,  Chine,  les  Iles,  Moka),  était  réservée  aux  navires 
ayant  au  moins  450  tonneaux;  la  seconde  navigation,  qui 
comportait  les  autres  voyages  :  Amérique  et  côte  occidentale 


(1)  D'après  l'abbé  Morellet  et  le  comte  de  Lauraguais.  Leur  valeur 
était  portée  par  la  Compagnie  elle-même  (relevé  du  sieur  Jaume)  à 
6.309.816  livres. 

(2)  Le  llèglement  touchant  la  marine  de  la  Compagnie  des  Indes, 
arrêté  en  l'assemblée  d'administration  du  16  septembre  1733  (in-4°  de 
90  pages,  imprimerie  royale,  1734)  est  un  véritable  code  de  marine  en 
30  titres  à  l'usage  particulier  de  la  Compagnie.  Il  réglementait  en  effet  la 
composition,  la  hiérarchie,  l'avancement,  les  traitements,  les  ports- 
permis,  les  congés  du  personnel  de  sa  marine  et  ses  rapports  avec  les 
employés  des  comptoirs.  Il  fixait  également  tous  les  détails  du  service 
des  vaisseaux  :  l'armement,  l'arrimage,  les  vivres,  les  dépenses,  la  dis- 
cipline, les  formalités  à  remplir  en  cas  de  mort,  les  soins  à  prendre  en 
cas  de  maladie,  l'économie  de  l'eau  potable  et  de  la  poudre  à  canon,  la 
comptabilité  des  écrivains,  le  jet,  les  relâches,  les  avaries,  le  désarme- 
ment, les  prises,  etc.  Il  a  été  analysé  par  M.  Doiieaud  du  Plan  dans  la 
Revue  maritime  de  juin  1889. 


526  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    IX 

d'Afrique,  élail  desservie  par  les  navires  de  tonnages  infé- 
rieurs (1). 

A  des  navires  qui  pouvaient  avoir  à  rendre  les  services  de 
vaisseaux  de  guerre  et  qui  étaient  affectés  de  tout  temps  à 
des  voyages  aussi  importants,  il  fallait  un  personnel  nom- 
breux el  expérimenté.   La  Compagnie   occupait  ainsi  une 
véritable  population  de  marins,  dont  l'organisation  était  mi- 
nutieusement réglée.  Elle  recrutait  ses  ofticiers  dans  la  petite 
noblesse  et  la  bourgeoisie,  ordinairement  dans  des  familles 
attachées  de  père  en  fils  à  son  service.  Elle  entretenait  à  cet 
effet   à  Lorienl  une    compagnie  dMnfanterie  dans  laquelle 
les  jeunes  gens  qui  se  destinaient  à  la  servir  entraient  comme 
cadets  enire  15  et  18  ans  ;  ils  débutaient  ensuite  dans  le  ser- 
vice actif  en  qualité  ^'enseignes  ad  honores  ;  ils  étaient  alors 
considérés  comme  volontaires  et  ne  touchaient  pas  de  trai- 
tement. Entre  leurs  voyages,  et  tout  en  acquérant  l'instruction 
pratique  sur  les  vaisseaux  de  la  Compagnie,  ils  passaient 
successivement  deux  examens  à  Lorient  devant  les  maîtres 
de  sciences  et  d'arts  qu'y  possédait  la  Compagnie.  Après  le 
deuxième  ils  étaient  nommés  seconds  enseignes  et  suivaient 
dès  lors  la  hiérarchie,  dans  laquelle  l'avancement  avait  lieu 
à  l'ancienneté. 

Les  différents  grades  de  cette  hiérarchie  étaient  les  sui- 
vants :  second-enseigne,  premier-enseigne,  second-lieute- 
nant, premier-lieutenant,  capitaine.  Un  enseigne  ne  pouvait 
passer  lieutenant  qu'après  trois  campagnes,  dont  une  comme 
premier-enseigne;  un  second-lieutenant  ne  pouvait  être  pre- 
mier-lieutenant que  dans  colle  des  deux  navigations  où  il 
avait  servi  dans  le  premier  de  ces  grades  ;  les  capitaines 
remplissaient  les  fonctions  de  capitaine  en  premier  et  de 

(1)  Le  Règlement  dit  de  450  à  600  tonneaux  pour  la  première  navi- 
gation, de  200  à  350  pour  la  seconde. 


LA   MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  527 

capitaine  en  second  ;  ils  ne  pouvaient  de  même  être  capitai- 
nes en  premier  que  dans  la  navigation  dans  laquelle  ils 
avaient  exercé  un  commandement  en  second. 

Les  appointements  des  capitaines  étaient  de  200  livres  par 
mois  pour  la  première  navigation,  de  150  pour  la  seconde  (1)  ; 
les  appointements  des  autres  officiers  étaient  les  mêmes  dans 
les  deux,  savoir  :  premier-lieutenant  120  livres,  second-lieu- 
tenant 90  livres,  premier-enseigne  60  livres,  second-enseigne 
50  livres.  Les  officiers  de  la  première  navigation  touchaient 
à  terre  un  traitement  moitié  moins  fort  qu'à  la  mer  ;  ceux  de 
la  seconde  navigation  n'en  touchaient  aucun  (2).  En  outre 
les  officiers  avaient  droit  à  un  porl-permis,  en  vertu  duquel 
ils  pouvaient  rapporter  en  France  une  certaine  quantité  de 
marchandises  que  la  Compagnie  se  chargeait  de  vendre  pour 
leur  compte  :  il  s'élevait  à  16,000  livres  pour  un  capitaine, 
5.333  pour  un  premier-lieutenant,  3.200  pour  un  second-lieu- 
tenant (3),  etc. 

(1)  Les  capitaines  recevaient  25  sols  de  frais  de  table  par  jour  pour 
chacun  de  leurs  commensaux,  40  sols  pour  les  passagers  admis  à  leur 
table,  24  sols  pour  ceux  des  autres  tables,  15  sols  pour  les  passagers 
de  l'office.  Le  passage  gratuit  était  accordé  par  la  Compagnie  à  ses 
employés  et  à  leur  famille  ainsi  qu'aux  missionnaires  français. 

(2)  Après  un  embarquement  les  officiers  avaient  droit  à  un  séjour 
à  terre  d'une  annéf  pour  la  première  navigation,  de  six  mois  pour  la 
seconde. 

(3)  En  temps  de  guerre  le  port-permis  était  augmenté  de  12.000  livres 
pour  les  capitaines,  4.000  livres  pour  les  premiers-lieutenants,  2.400 
livres  pour  les  seconds-lieutenants.  Un  état,  cité  par  M.  Gultru,  donne 
les  chilTres  suivants  en  piastres  : 

Capitaine  en  premier 2.000 

—        en  second 1.000 

1"  lieutenant 800 

2"  lieutenant .  500 

le'  enseigne 300 

2*  enseigne 200 


b28  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IX 

Avec  les  officiers  de  vaisseau  les  élals-majors  comprenaient 
encore:  un  aumônier  (1),  un  chirurgien-major  et  un  écri- 
vain (2). 

Le  nombre  d'officiers  affectés  à  chaque  navire  variait  sui- 
vantla  navigation  à  laquelle  celui-ci  appartenait,  suivant  son 
importance  et  suivant  les  circonstances  ;  ainsi,  en  théorie,  un 
vaisseaudela  première  navigation  devait  avoir  9  officiers  dont 
un  capitaine  en  premier, un  capitaine  en  second,  un  premier- 
lieulenanl,  un  second-lieutenant,  un  premier-enseigne,  un 
second  enseigne,  un  aumônier,  un  chirurgien,  un  écrivain. 
Mais  il  en  était  souvent  différemment  et  la  plupart  avaient 
de  onze  à  seize  officiers. 

Une  ordonnance  de  1723  imposait  à  la  Compagnie  d'entre- 
tenir un  corps  de  100  officiers  de  vaisseau  dont  25  capitaines, 
25  premiers-lieutenants,  25  seconds-lieutenants  et  25  ensei- 
gnes. Mais  ce  chiffre  était  un  minimum,  il  fut  dépassé  par  la 
Compagnie,  et  elle  ne  pouvait  agir  autrement  ;  ainsi  en  1747 
elle  avait  279  officiers,  en  1756,  316  (3). 

Au-dessous  des  officiers  composant  les  états-majors  des 
bâtiments  de  la  Compagnie,  et  que  Ton  appelait  les  officiers- 
majors,  existait  une  hiérarchie  d'officiers-mariniers  ;  ceux-ci 
se  recrutaient  parmi  les  pilotins,  dont  le  rôle  et  le  grade  cor- 

(1)  Appartenant  ordinairement  à  l'une  des  congrégations  suivantes  : 
carmes,  capucins,   jacobins,  cordeliers  et  récollels. 

(2)  Les  écrivains  constituaient  un  corps  hiérarchisé,  correspondant 
au  commissariat  de  la  marine  actuel  ;  les  différents  grades  étaient  : 
élève-écrivain,  écrivain-ordinaire,  écrivain-principal,  écrivain-géné- 
ral. Sur  les  petits  navires  les  fonctions  d'écrivain  étaient  remplies  par 
un  enseigne. 

(3)  Il  ne  semble  pas  que  les  officiers  de  la  marine  des  Indes  aient 
possédé  un  uniforme,  du  moins  pendant  une  grande  partie  de  l'exis- 
tence de  la  Compagnie  ;  les  Archives  de  rArse'ml  de  Lorient  contien- 
nent en  etïet  une  pétition  du  12  janvier  1757  par  laquelle  ces  officiers 
sollicitent  la  création  eu  leur  faveur  »>  d'un  habit  uniforme  ». 


LA    MAKINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  529 


respondaienl  à  ceux  des  enseignes  ad  honores  ;  ils  éfeient 
ensuite  répartis  par  spécialités  dans  les  différents  corps  de 
maislrance  :  1"  maîtres  d'équipage,  seconds-maitres,  bos- 
semen,  et  quartiers-maîtres  ;  2°  premiers-pilotesJ  seconds- 
pilotes,  troisièmes-pilotes,  et  aides-pilotes  ;  3°  maîlresfchar- 
pentiers ,  seconds-charpentiers,  Iroisièmes-charpentfers  ; 
4°  maîtres-calfats,seconds-calfals,  troisièmes-calfats  ;  5°  maî- 
tres-voiliers ;  6"  maîlres-canonniers  ,  seconds-canonniers , 
et  troisièmes-canonniers.  Enfin  les  navires  de  la  Compagnie 
comptaient  encore  des  officiers  non  mariniers  (l'armurier,  le 
maître-valet,  le  tonnelier,  etc.). 

La  Compagnie  entretenait  une  véritable  armée  de  matelots, 
car  pour  chaque  armement  elle  avait  besoin  de  2.000  hommes 
environ  et  parfois  de  4.000  I  Le  recrutement  n'en  devait  pas 
être  chose  facile  ;  il  avait  lieu  en  partie  par  engagements 
directement  obtenus  par  la  Compagnie  ;  mais  le  nombre 
n'en  était  pas  suffisant  à  beaucoup  près,  et  l'on  dut  recourir 
au  service  des  Classes  pour  y  suppléer.  Celle  mesure,  très 
défavorablement  vue  par  Louis  XIV  et  ses  minisires,  n'avait 
été  qu'exceptionnellement  accordée  à  la  Compagnie  des 
Indes  Orientales  ;  cependant  le  dénuement  dans  lequel  celle- 
ci  était  tombée  dans  ses  dernières  années  lui  avait  rendu 
très  souvent  ce  secours  nécessaire.  La  Compagnie  des  Indes 
dut  y  recourir  dès  sa  formation  (1),  et  le  gouvernement  royal, 


(1)  Le  maréchal  d'Estrées  mandait  le  27  août  1719  à  M.  de  Clairam- 
bault,  ordonnateur  au  port  de  Lorient  :  «  Son  A.  R.  a  accordé  à  Ja 
Compagnie  des  Indes  la  permission  de  prendre  pour  l'armement  de  ses 
vaisseaux  des  matelots  par  autorité...  ;  ainsi  vous  ferez  commander  la 
quantité  qui  vous  sera  demandée  par  ses  Directeurs  ou  préposés  et 
vous  donnerez  ordre  aux  commissaires  des  Classes  dt  f^ire  ces  levées 
avec  justice  par  rapport  aux  matelots  et  bonne  volonté 'pour  la  Com- 
pagnie. »  Archives  de  l'Arsenal  de  Lorienl. 

"l'Wt.  -34 


530  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IX 

devenu  moins  économe  de  celte  imporlanle  ressource  qu'il 
eût  dû  réserver  à  la  seule  marine  royale,  consentit  sans  dif- 
ficulté à  mettre  au  rang  d'une  règle  ce  qui  n'avait  d'abord 
été  qu'une  simple  tolérance.  Une  ordonnance  de  1723  pres- 
crivit à  cet  effet  à  la  Compagnie  de  faire  connaître  au  début 
de  chaque  année  au^ministre  de  la  marine  le  nombre  d'hom- 
mes ,dont  elle  avait  besoin  pour  ses  armements  (1),  et  elle 
dut  s'engager  d'autre  part  à  payer  aux  équipages  qu'elle 
reçut  par  cette  voie  une  solde  supérieure  d'un  quart  à  celle 
qu'ils  eussent  touchée  dans  la  marine  royale.  Enfin  une  or- 
donnance de  1744  l'autorisa,  en  raison  des  exigences  plus 
grandes  du  service  du  Roi  en  temps  de  guerre,  à  lever  des 
équipages  à  l'étranger. 

Tel  était  le^personnel  des  navires  de  la  Compagnie  ;  son 
importance  pour  chacun  d'eux  variait  nécessairement  avec 
celle  du  service  ;  ainsi  un  vaisseau  de  800  tonneaux  devait  ré- 
gulièrement avoir  un  personnel  de  205  hommes,  élal-major 
compris  ;  un  vaisseau  de  700  tonneaux  :  185  hommes  ;  de 
600  tonneaux  :  155  ;  de  500  tonneaux  :  135  ;  de  400  à  500  ton- 
neaux :  115;  de  300  à  400  tonneaux  :  95  ;  de  200  à  300  ton- 
neaux :  60.  Mais  nous  citerons  les  exemples  suivants,  qui  ne 
sont  pas  tous  conformes  aux  chiffres  susdits  : 


(1)  «  Monseigneur,  écrivaient  par  exemple  les  Directeurs  au  ministre 
de  la  marine  le  20  août  i739,  vous  avez  eu  la  bonté  d'accorder  à  la 
Compagnie  la  permission  d'engager  500  matelots  de  gré  à  gré  dans  le 
déparlement  de  Saint-Malo  (ce  qui  s'exécute  acluellemenl),  pour  les 
premiers  navires  à  qui  nous  faisons  prendre  la  mer  ;  cependant  comme 
nos  armements  seront  beaucoup  plus  considérables  cette  année  que  les 
précédentes  et  que  nous  craindrions  d'épuiser  le  département  de  Saint- 
Malo  en  y  ayant  encore  recours,  nous  vous  supplions  de  vouloir  bien 
nous  accorder  la  levée  de  400  iiommes  d'aulorilé  ilans  les  autres  dépar- 
tements de  Bretagne,  auxquels  il  sera  payé  un  quart  en  sus  des  salaires 
qu'ils  gagnent  au  service  du  Roi.  »  Archives  Coloniales  C-,  30. 


LA   MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  531 

Le  Duc  de  La  La  La 

Bourgogne  Baleine  Renommée  Pénélope 

Vaisseau  de  Flùle  de  Frégale  de  Coi-\'elte  de 

1.050  Ix  800  U  310  Ix  250  ix 

OfQciers-majors  ....  16  9  11  8 

Officiers-mariniers  ...  36  19  17  13 

Officiers  non-mariniers  .  8  3  4  3 

Volontaires  et  pilotins     .18  4  3  2 

Matelots 186  60  48  33 

Mousses 21  11  4  2 

Domestiques 5  4  3  3 

Total 290  110  90  64  (1) 

Le  corps  d'officiers  formé  au  service  de  la  Compagnie  fui 
remarquable  à  bien  des  points  de  vue  ;  il  fut  pour  l'Etal  une 
pépinière  de  bons  marins, rompus  aux  difticullés  de  leur  mé- 
tier par  une  navigation  incessante  ;  et  celui-ci  recourut  plus 
d'une  fois  à  leurs  services  pour  suppléera  l'insuffisance  du 
nombre  et  de  l'expérience  de  ses  propres  officiers  (2).  Cepen- 
dant entre  les  deux  marines  régnait  une  liostiiité  qu'avec  la 
rudesse  des  mœurs  maritimes  de  cette  époque  elles  ne  pre- 
naient nullement  soin  de  cacher,  et  les  officiers  rouges  de  la 
marine  du  Koi  traitaient  avec  un  souverain  mépris  les  officiers 

(1)  ArcUives  de  L'Arsenal  de  Lorient.  Ces  quatre  armements  sont  de 
Tannée  1759,  par  conséquent  en  temps  de  guerre  maritime. 

(2)  On  peut  citer  à  ce  propos  l'alfaire  curieuse  et  peu  connue  de  la 
Vilaine.  Après  la  bataille  navale  des  Cardinaux  (1759),  sept  des  vaisseaux 
de  M.  de  Conflans  se  réfugièrent  dans  la  Vilaine  pour  échapper  aux  An- 
glais ;  après  qu'ils  y  fussent  restés  longtemps  et  inutilement  immobili- 
sés, le  ministère  donna  Tordre  formel  à  leurs  commandants  d'avoir  à  en 
sortir  au  plus  tôt  ;  mais  la  descente  de  la  rivière  était  une  opération 
délicate,  les  croiseurs  anglais  surveillaient  toujours  la  côte,  et  ces  offi- 
ciers préférèrent  ne  pas  risquer  Tavenlure.  Le  gouvernement  eut  alors 
recours  à  la  Compagnie  des  Indes  et  lui  demanda  de  désigner  quelques- 
uns  de  ses  capitaines  pour  tirer  les  vaisseaux  du  Roi  de  leur  ridicule 
situation.  La  jalousie  eut  plus  d'effet  que  la  menace  :  les  vaisseaux 
furent  enfin  délivrés  sans  accident  de  leur  longue  captivité  par  leurs 
propres  officiers  ! 


532  TROISIÈME    PARTIE.    CIIAPITRE    IX 

bleus  de  la  marine  des  Indes.  Le  Roi  leur  rendit  meilleure  jus- 
lice  que  ses  officiers  el  lorsque  la  Compagnie  fui  supprimée, 
il  leur  ouvrit  l'entrée  de  sa  propre  marine  avec  les  grades  dont 
ils  étaient  titulaires  dans  la  marine  des  Indes. Beaucoup  d'en- 
tre eux  méritent  une  mention  spéciale  parleurs  services  mili- 
taires ou  scientifiques.  A  côté  de  La  Bourdonnais  dont  il  est 
inutile  de  rappeler  les  titres  de  gloire,  il  est  bon  de  citer  :  des 
Essarts  qui  fut  le  lieutenant  de  d'Estaing  dans  sa  campagne 
dans  les  mers  deTInde  en  1759  (1);  Dufresne-Marionqui  après 
avoir  servi  sous  d'Aché  dans  l'Inde,  fit  en  1771  comme  com- 
mandant du  i(/ar^Mis-c?e-Casfnes  un  voyage  d'exploration,  au 
cours  duquel  il  découvrit  les  îles  du  Prince-Edouard,  Marion 
etCrozet(2);  Guyot-Duclos,  qui  prit  part  à  Texpédilion  de 
Bougainville  comme  second  de  la  Boudeuse  (1766-1769)  ; 
Filhol-Camas,  qui  servit  sous  Suffren  et  trouva  une  mort  glo- 
rieuse à  Trafalgar  où  il  commandait  le  Berwick  ;  Coudé  (3)  et 
Troublet  de   Villejégu  (4),   qui   devinrent  contre-amiraux  ; 

(1)  Eu  octobre  1759,  le  comle  d'Estaing  parti  de  l'Ile  de  France  avec 
deux  navires  de  la  Compagnie,  le  Condé  et  l'Expédition,  s'empara  de 
plusieurs  navires  de  la  Compagnie  anglaise,  bombarda  le  comptoir  an- 
glais de  Bandar-Abbas,  et  leurs  factoreries  de  Sumatra  ;  il  tomba  mal- 
heureusement dans  une  croisière  anglaise  en  rentrant  en  France  el  fut 
fait  prisonnier.  D'Estaing  n'était  pas  un  homme  de  mer, mais  un  officier 
d'infanterie  ;  il  était  parti  pour  l'Inde  avec  Lally-Tollendal  et  avait  été 
pris  par  les  Anglais  au  siège  de  Madras  ;  prisonnier  sur  parole  el  sous 
la  condition  de  ne  plus  combattre  dans  l'Inde,  il  se  retira  à  l'Ile  de 
France  ;  c'est  à  la  suite  de  ces  événements  qu'il  fit  la  glorieuse  campa- 
gne que  nous  venons  de  rappeler  ;  il  est  donc  juste  d'associer  à  son 
nom  celui  de  des  Essarts  qui  en  fut  le  chef  maritime. 

(2)  Dufresne-Marion  fut  massacré  par  les  Néo-Zélandais  (1772).  Les 
îles  Marion  portent  son  nom,  les  îles  Crozet  celui  de  son  lieutenant. 
Le  Marqiiis-de-Castries  était  accompagné  du  Mascarin  que  commandai» 
le  chevalier  de  Clesmeur. 

(3)  Mort  en  1822. 

(4)  Mort  en  1829. 


LA    MARINE    DR    LA    (X)MPAGNIE    DES   INDES  533 

Bouvet, vice-amiral  (1)  ;  Thévenard, minisire  de  la  marine  (â). 
La  partie  la  plus  iniporlanle  de  la  vie  maritime  de  la  Com- 
pagnie des  Indes  était  le  long  et  dangereux  voyage  qui  con- 
duisait ses  navires  dans  l'Océan  Indien  ;  ici  encore  les  pro- 
grès furent  peu  sensibles  et  les  traversées  restèrent  jusqu'à 
la  fin  de  l'existence  de  celte  Compagnie  aussi  dures,  aussi 
dangereuses  que  les  avaient  connues  ses  débuts.  11  fallait 
plus  de  quatre  mois  pour  aller  aux  Iles,  cinq  mois  pour 
atteindre  Pondicliéry  ;  les  navires  de  la  Compagnie,  alourdis 
par  leur  artillerie,  naviguaient  assez  mal  ;  un  examen  souvent 
insuffisant  de  leur  navigabilité  avait  lieu  à  leur  départ;  les 
précautions  sanitaires  n'étaient  pas  non  plus  satisfaisantes, et 
la  maladie  décimait  trop  fréquemment  leur  personnel.  D'au- 
tre part,  la  science  nautique  n'avait  pas  fait  de  très  grands 
progrès  ;  les  erreurs  de  route  n'étaient  pas  rares  et  il  arrivait 

(1)  Mort  en  1832. 

(2)  Mort  en  1815.  —  Ce  corps  n'était  cependant  pas  sans  défauts  ; 
Bernardin  de  St-Pierre  disait  au  cours  de  son  voyage  à  l'Ile  de  France 
sur  le  Marquis- de-Castries  (1768)  :  «  Il  m'a  paru  qu'il  n'y  a  pas  assez 
de  subordination  parmi  les  ofllciers.  Les  supérieurs  craignent  le  crédit 
de  leurs  inférieurs  ;  comme  la  plupart  des  places  s'obtiennent  par  la 
laveur,  je  ne  crois  pas  que  l'autorité  puisse  être  établie  parmi  eux  d'une 
manière  raisonnable.  »  M.  Cultru  cite  cette  opinion  de  Dupleix  :  «  Je 
sais,  dit-il,  d'où  vient  la  perte  fréquente  des  vaisseaux  de  la  Compagnie. 
Son  choix  dans  le  corps  de  la  marine  n'est  pas  plus  scrupuleux  que  pour 
celui  des  autres  corps  ;  la  protection  et  l'ancienneté  décident  plus  chez 
elle  que  le  mérite  et  la  capacité.  »  Le  même  auteur  relève  dans  une  note 
confidentielle  conservée  aux  Archives  Coloniales  les  appréciations  sui- 
vantes portées  par  les  Directeurs  :  sur  les  39  capitaines  en  service 
en  1768,  15  sont  cotés  bons  ou  très  bons,  d'autres  moins  bien  notés, 
10  sont  jugés  mauvais  ;  entre  autres  :  de  la  Lande  qui  a  perdu  la  Baleine 
et  échoué  M.  Godeheu  à  Négapatam  ;  de  Pallière-Christy  qui  a  fait 
deux  erreurs  de  pilotage  en  allant  au  Brésil  ;  Dufay  de  la  Branchère 
qui  s'est  montré  «  sans  ressources  »  dans  un  coup  de  vent;  deux  capi- 
taines sont  traités  de  poltrons,  d'autres  (et  c'était  un  défaut  fréquent) 
sont  convaincus  d'être  «  grands  pacolilleurs  ». 


534  TROISIKMK    PARTIE.    CHAPITRE    IX 

encore  qu'un  navire  allai  comme  au  siècle  précédent  rallier 
la  côte  américaine  en  voulant  gagner  le  cap  de  Bonne-Espé- 
rance :  de  cet  étal  de  choses  résultaient  des  retards,  des 
accidents  qui  rendaient  des  plus  pénibles  ces  trajets  ce- 
pendant si  souvent  parcourus  par  les  vaisseaux  de  la  Com- 
pagnie, 

Ecoulons  Bernardin  de  St-Pierre  qui  partit  de  Lorient  pour 
l'Ile  de  France  le  3  mars  1768  à  bord  d\i  Marquis-de-Caslries, 
vaisseau  de  la  Compagnie  de  700  tonneaux  de  jauge  (1).  «  Je 
viens  de  voir,  dil-il,  le  lieu  qui  m'est  réservé  ;  c'est  un  petit 
réduit  en  toile  dans  la  grande  chambre.  11  y  a  quinze  passa- 
gers :  la  plupart  sont  logés  dans  la  sainte-barbe,  c'est  le  lieu 
où  l'on  met  les  cartouches  et  une  partie  des  instruments  de 
l'artillerie  ;  le  maitre-canonnier  a  l'inspection  de  ce  poste  et 
y  loge  ainsi  que  l'écrivain,  l'aumônier  et  le  chirurgien-major. 
Au-dessus  est  la  grande  chambre  qui  est  l'appartement  com- 
mun où  l'on  mange.  Le  second  étage  comprend  la  chambre 
du  conseil,  où  communique  celle  du  capitaine  ;  elle  est  déco- 
rée au  dehors  d'une  galerie,  c'est  la  plus  belle  salle  du  vais- 
seau (2).  Les  chambres  des  officiers  sont  à  l'entrée,  pour 
qu'ils  puissent  veiller  aux  manœuvres  qui  se  font  sur  le  pont. 
L'équipage  loge  sous  les  gaillards  et  dans  l'entrepont,  prison 
ténébreuse  où  l'on  ne  voit  goutte  ».  Dès  le  départ  la  ration 
d'eau  de  chaque  passager  était  réduite  à  une  bouteille  par 
jour  :  un  mois  après,  le  scorbut  (3)  faisait  son  apparition  et  ne 
cessa  dès  lors  de  gagner  de  jour  en  jour.  Le  26  mai  on  s'es- 

(1)  Bernardin  de  Saint-Pierre,  Voyage  à  file  de  France. 

(2)  Toutes  ces  pièces  superposées  occupaienl  l'extrémité  arrière  si 
volumineuse  des  vaisseaux  de  celle  époque  :  t*  le  château  de  poupe  ». 

(3j  lîernardin  de  Saint-Pierre  attribue  avec  raison  celte  terrible  ma- 
ladie à  la  mauvaise  qualilé  de  l'eau  et  des  aliments  ;  les  officiers,  mieux 
nourris  que  l'équipage,  étaient  toujours  atteints  les  derniers. 


LA    MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES 


535 


limait  à  200  lieues  du  Cap,  cependant  le  12  juin  la  sonde  ne 
trouvait  pas  encore  le  fond  ;  on  le  sentit  le  lendemain,  mais 
on  connut  par  là  qu'on  avait  fait  une  erreur  d'estime  de  200 
lieues  !  Le  23  juin,  dans  le  canal  de  Mozambique,  un  coup  de 
vent  furieux  s'éleva  ;  le  navire  prit  la  cape,  mais  son  grand- 
mât  fut  foudroyé  et  l'officier  de  quart  tué  ;  bientôt  il  n'obéit 
plus  à  son  gouvernail  et  se  mit  en  travers  ;  il  sortit  cependant 
de  ce  terrible  passage, mais  la  maladie  et  l'épuisement  avaient 
fait  des  ravages  affreux  dans  son  personnel  :  la  pénurie 
d'hommes  valides  était  telle  qu'on  dut  employer  à  la  manœu- 
vre les  domestiques  et  même  les  passagers  !  Le  Marquis-de- 
Caslries  avait  une  cargaison  de  mais  qu'il  transportait  au 
Bengale  et  la  vase  dont  ils  étaient  encore  encroûtés  (1)  exha- 
lait des  miasmes  pestilentiels  !  L'eau  potable  était  corrompue 
et  pleine  de  vers  (2).  Le  11  juillet,  le  scorbut  avait  atteint 
tout  le  monde  :  il  y  avait  70  malades  et  les  morts  se  succé- 
daient. Quand  le  vaisseau  entra  le  14  dans  la  rade  de  Port- 
Louis  de  l'île  de  France,  il  avait  80  malades  et  11  personnes 
étaient  mortes  depuis  le  départ!  11  présentait  un  spectacle 
pitoyable  :  «  quelques  matelots  semblables  à  des  spectres 
assis  sur  le  pont;  des  écoutilles  ouvertes  s'exhalait  une  vapeur 
infecte;  les  entreponts  pleins  de  mourants,  les  gaillards 
couverts  de  malades  qu'on  exposait  au  soleil  et 'qui  mou- 
raient en  nous  parlant  ». 

Faisons  la  part  du  coloris  dont  Bernardin  de  St-Pierre  sait 
si  bien  rehausser  le  paysage  ;  les  faits  qu'il  raconte  sont 

(1)  Dans  les  ports  on  conserve  les  mâts  en  les  immergeanl. 

(2)  On  conservait  alors  la  provision  d'eau  dans  des  barils  de  bois  ; 
Bernardin  de  Saint- Pierre  proposait  d'en  remplir  des  citernes  de  plomb 
qui  serviraient  en  même  temps  de  lest  aux  navires.  On  distillait  aussi 
l'eau  de  mer  en  cas  de  besoin  avec  des  ciicui  biles  ;  mais  les  résultats 
n'en  étaient  guère  satisfaisants  et  l'on  évitait  autant  que  possible  d'y 
recourir. 


r)3fi  TROISIKME    PARTIE.    CHAPITRE    IX 

exacts,  et  les  récils  sont  nombreux  qui  relatent  pareils  évé- 
nements (1)  ;  la  traversée  avait  été  dure,  mais  elle  ne  fut  pas 
unique  ;  voilà  comment  on  allait  aux  Indes  dans  la  seconde 
moitié  du  xvm«  siècle  ! 

Les  conditions  pénibles  dans  lesquelles  s'accomplissaient 
ces  voyages  étaient  connues  des  populations  maritimes  qui 
les  redoutaient,  et  elles  entravaient  fort  le  recrutement  des 
équipages  de  la  Compagnie.  Le  gouvernement  royal  s'en 
émutetleministredela  marine  Maurepas  écrivait  au  comman- 
dant de  Port-Louis:  «  Je  vois  toujours  avec  peine  les  gran- 
des pertes  dans  les  voyages  que  ces  vaisseaux  font,  et  ce  qui 
en  réchappe  est  exténué  et  obligé  d'aller  au  retour  à  l'hôpital, 
où  la  plupart  périssent  malgré  les  soins  qu'on  a  d'eux.  Il  est 
bien  à  craindre  que  de  pareilles  perles,  qui  se  renouvellent 
tous  les  ans,  ne  dégoûtent  les  gens  de  mer  du  service  de 
cette  Compagnie  ;  ce  sera  un  malheur  pour  elle,  mais  l'Etat 
en  reçoit  un  plus  grand  mal  par  la  perle  de  ces  naviga- 
teurs (2).  »  Cependant  la  campagne  de  la  Reine,  arrivée  à 
Lorient  à  la  fin  de  1736,  coula  encore  la  vie  à  30  hommes, 
et  le  ministre  écrivait  cetle  fois  au  Contrôleur  Général 
Orry  (3)  :  «  La  mortalité  est  très  grande  dans  le  personnel 
naviguant  de  la  Compagnie,  il  faut  y  remédier...  La  Compa- 
gnie a  bien  un  hôpital  à  Lorient,  mais  ces  marins  le  crai- 
gnent, préfèrent  rentrer  chez  eux  et  meurent  en  route;  il 
faut  qu'elle  ait  un  hôpital  aus.si  bien  tenu  que  ceux  du  Uoi 

(1)  Lorsque  le  Saint-Gcran  arriva  en  1744  devant  l'Ile  de  P>ance  où 
il  devait  si  tragiquement  périr,  il  avait  déjà  perdu  10  personnes  au  cours 
de  sa  traversée,  et  il  avait  encore  100  hommes  si  malades,  qu'ils 
n'eurent  pas  la  force  de  monter  sur  le  pont  pour  essayer  de  se  sauver  ! 
Procès-X'crbaux  du  naufrage. 

(2)  M.  de  Maurepas  à  M.  Marias,  '^7  octobre  1734.  Archiver  de  V Ar- 
senal de  Lorient. 

(3)  M.  de  Maurepas  à  M.  Orry,  août  1737.  Ibid. 


LA    MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  537 

dans  les  ports  de  guerre,  où  ces  niatelols  soient  bien  soignés 
jusqu'à  leur  guérison  ;  cela  facililera  leur  recrulemenl  à  la 
Compagnie...  » 

Les  dangers  naturels  que  présentaient  ces  longues  navi- 
gations n'étaient  pas  non  plus  négligeables;  les  orages  delà 
région  équaloriale,  les  tempêtes  du  Csip  et  du  canal  de  Mo- 
zambique, les  moussons  et  les  typhons  de  l'Océan  Indien  en 
marquaient  chaque  étape  d'un  péril  nouveau.  C'est  un  typhon 
qui  jeta  La  Bourdonnais  à  la  côte  de  Madagascar,  c'est  un 
ouragan  de  mousson  qui  désempara  sa  flotte  devant  Madras 
(1746),  et  bien  des  traversées  furent  terminées  par  un  sinistre 
de  semblable  nature  ;  c'est  la  Bellonne  qui  se  perd  sur  la  côte 
de  Madagascar  en  1725,  le  Jason  sur  la  côte  bretonne  en  1735, 
la  Victoire  à  Porlendick  et  VAlalantc  dans  l'Océan  Indien  en 
1738,  le  Philibert  à  l'embouchure  du  Gange  en  1739,  la  Du- 
chesse sur  la  côte  indienne  en  1740,  le  Prince-de-Conti  sous 
Belle-Ile  en  1746,  la  Naïade  à  Java  en  1748,  V Hirondelle  à 
Pondichéry  en  1749,  le  Centaure  au  cap  des  Aiguilles  en  1750, 
V Espérance  sur  les  îles  Glénans  en  1751,  etc.  Deux  de  ces 
événements  de  mer  ont  eu  un  retentissement  plus  grand:  le 
premier  est  la  triste  fin  du  Prince  qui  parti  de  Lorient  le 
10  juin  1752  sous  le  commandement  du  capitaine  Morin  fut 
détruit  en  pleine  mer  par  un  incendie  à  la  hauteur  de  l'Equa- 
teur. Il  avait  à  bord  300  personnes  dont  un  détachement  d'in- 
fanterie sous  les  ordres  de  M. de  la  Touche, le  brave  lieutenant 
de  Dupleix  :  sur  ces  300  infortunés, onze  seulement  parvinrent 
à  gagner  dans  un  canot  la  côte  du  Brésil  ;  de  la  Touche  périt 
dans  ce  sinistre  et  Dupleix  attendit  en  vain  le  renfort  qu'il 
lui  amenait  (1).  Le  second  a  été  immortalisé  par  un  récit 


(1)  Relation  de  la  perte  du  vaisseau  le  Prince  adressée  à  M.  Godeheu 
commandant  du  port  de  Lorient,  par  M.  Lafond,  2«  lieutenant. 


538  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    IX 

célèbre  :  c'est  le  naufrage  du  Sainl-Géran .  Le  Saint-Géran, 
vaisseau  de  800  tonneaux  (1),  partit  de  Lorient  le  :24  mars 
1744  à  destination  de  l'Ile  de  France  ;  il  périt  en  arrivant 
devant  cette  île  le  18  août  1744  dans  des  circonstances  dra- 
matiques dont  Bernardin  de  Saint-Pierre  a  fait  un  récit  bien 
connu  (2).  ITnous  montre  le  vaisseau  «  avec  son  pont  chargé 
de  monde,  ses  vergues  et  ses  mâts  de  hune  amenés  sur  le 
lillac,  son  pavillon  en  berne,  mouillé  entre  l'île  d'Ambre  et 
la  terre  en  deçà  de  la  ceinture  de  récifs  qui  entoure  l'île  de 
France  et  qu'il  avait  franchie  par  un  endroit  où  jamais  vais- 
seau n'avait  passé  avant  lui  »  ;  puis  ses  câbles  se  rompent 
«  et  il  est  jeté  sur  les  rochers  à  une  demi-encâblure  du  ri- 
vage ».  Son  équipage  désespérant  d'être  secouru  se  jette  à  la 
mer  sur  des  vergues,  des  planches,  des  cages  à  poules,  des 
tables, des  tonneaux  ;  «  mais  une  montagne  d'eau  d'une  effroya- 
ble grandeur  s'engouffra  entre  l'île  d'Ambre  et  la  cote  et 
s'avança  en  rugissant  vers  le  vaisseau  qu'elle  menaçait  de 
ses  flancs  noirs  et  de  ses  sommets  écumanls...  ;  tout  fut  en- 
glouti I  »  En  vérité  le  Saint-Géran  ne  fut  point  victime  d'un 
ouragan,  mais  d'une  faute  de  navigation.  Le  navire,  qui  avait 
trop  couru  au  nord,  reconnut  le  17  au  soir  l'île  Ronde  à  la 
pointe  nord  de  l'île  et  mit  à  la  cape  pour  attendre  le  jour  avant 
de  gagner  la  terre  ;  mais,  dans  la  nuit,  on  s'en  approcha  plus 
qu'il  n'était  prudent  ;  avant  qu'on  eût  pu  réparer  cette  faute, 
le  Sainl-Géran  talonna,  la  mer  qui  était  houleuse  le  prit  en 
travers  et  le  poussa  sur  les  récifs  :  le  grand  màt  s'abattit  et 
brisa  la  chaloupe  que  l'on  mettait  à  l'eau  ;  le  mât  d'artimon 

(1)  Nous  n'avons  pu  trouver  aux  Archives  de  C Arsenal  de  Lorient  ni 
la  date  du  lancement  de  ce  navire  célèbre,  ni  ses  caractéristiques  ;  mais 
nous  y  avons  relevé  la  trace  de  cinq  arnicmenls  successifs  en  1737, 
17;i8,  17o9,  174--2,  enfin  17i/i. 

(2)  Bernardin  de  Sainl-Pierre,  Paul  et  Yiryinie. 


LA    MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  539 

el  le  mât  de  misaine  tombèrent  à  leur  tour;  le  navire  se 
rompit  par  le  milieu  et  coula  !  Il  y  avait  plus  de  cent  malades 
à  bord  ;  les  valides  seuls  étaient  montés  sur  le  pont,  et  se 
jetèrent  à  la  mer,  mais  huit  d'entre  eux  seulement  parvin- 
rent à  gagner  l'ile  d'Ambre  !  Le  naufrage  avait  eu  lieu  entre 
cet  îlot  désert  et  la  terre,  en  un  point  qui  porte  encore  le 
nom  de  «  passe  du  Sainl-Géran  »  (1). 


(1)  Le  récit  de  Bernardin  de  Saint-Pierre  a  été  longtemps  tenu  pour 
imaginaire,  et  la  surprise  fut  grande  quand,  en  1821,  on  retrouva  aux 
archives  de  la  Réunion  les  procès-verbaux  de  cet  événement  qui  furent 
publiés  en  1822  par  les  Annales  maritimes  et  coloniales.  M.  Lemon- 
tey  a  publié  depuis,  grâce  à  la  même  source,  une  Elude  sur  ta  partie 
historique  du  roman  de  Paul  et  Virginie.  Mais  les  Archives  de  l'Arse- 
nal de  Lorient  possèdent  également  un  document  fort  intéressant,  le 
dernier  rôle  d'armement  du  Sainl-Géran,  relatif  à  ce  voyage  de  1744 
qui  devait  avoir  une  fin  si  tragique  ;  nous  ne  croyons  pas  qu'il  ait  en- 
core jamais  servi  à  éclairer  cette  histoire.  Il  porte  en  litre  :  «  le  Saint- 
Géran,  armé  le  24  mars  1744,  péri  sur  les  îles  d'Ambre  en  arrivant  à 
l'Ile  de  France  le  18  août  1744,  suivant  déclaration  du  nommé  Aimé 
Garret,  bosseman  dudit  vaisseau,  échappé  au  naufrage,  revenu  par  la 
Fière  prise  par  les  Anglais.  »  Nous  lui  empruntons  les  détails  suivants  : 

Officiers-majors:  Gabriel  Rictiard  de  la  Marre  capitaine,  Jean-Fran- 
çois Malles  le""  lieutenant,  Arnoud  Perret  de  Perramont  2=  lieutenant, 
Louis  de  Longchamps-Montandre  1<='^  enseigne,  Jean -Laurent  Lair 
2^  enseigne,  Charles-Henry  Bouëlte  enseigne  surnuméraire,  R.  P.  Mar- 
tin Bùrck,  carme  du  couvent  des  Billettes  à  Paris,  aumônier,  Pierre  Le 
Louet,  chirurgien-major. 

Les  passagers  admis  à  la  table  étaient:  MM.  Branhô  le  Marin,  Del- 
val  ingénieur,  Péan  sous-marchand.  Guigné,  Grayle,  de  Villarmoy  ; 
Mlles  Anne  Mallet,  Jeanne  Nézet  créole.  Caillou. 

Les  seuls  survivants  de  cette  catastrophe  furent  :  Alain  Ambroise 
bosseman,  Pierre  Tassel  2*=  bosseman,  Aimé  (]arrel  2<^  quartier-maître, 
Jean  Page,  Jean  Janvrin,  Thomas  Chardon  matelots,  Jacques  Le  Guen 
charpentier,  René  Verges  canonnier.  Les  disparus  furent  au  nombre  de 
9  officiers  majors,  20  officiers  mariniers  et  non  mariniers,  4  pilotins, 
110  matelots,  19  mousses,  4  domestiques  et  15  passagers,  en  tout 
181  personnes. 

C'est,  dit-on,  un  épisode  de  ce  terrible  événement  relatif  à  Mlle  Cail- 


540  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    IX 

La  Compagnie  des  Indes  ne  trouva  pas  seulement  à  em- 
ployer sa  flotte  dans  les  opérations  commerciales  delà  paix; 
en  sa  qualité  de  Compagnie  souveraine  elle  eut  à  plusieurs 
reprises  un  rôle  militaire  à  jouer,  dont  celle-ci  fut  l'instru- 
ment. Nous  en  avons  sij^nalé  de  nombreux  exemples  au  cours 
des  précédents  chapitres  et  nous  nous  contenterons  de  rappe- 
ler ici  brièvement  l'expédition  de  M.  delà  Higaudière  en  1724 
au  Sénégal,  organisée  pour  reprendre  aux  Hollandais  lile 
d'Arguin,  et  à  laquelle  prirent  part  cinq  navires:  V Apollon, 
le  Ducdu-Maine,  le  MarcchaltfEslrées,  la  Mutine  et  V/'Sspé- 
rance  ;  celle  de  M.  de  Pardaillan  pour  délivrer  Malié  en  17312, 
qui  se  composa  aussi  de  cinq  navires:  \e  Diligent, \e  TrilonM 
Vierge-de-Grâce,  la  Badine  et  la  Danaé  ;  et  celle  qui  fut  con- 
fiée à  la  Bourdonnais  en  1741  aux  premières  menaces  d'un 
conflit  avec  l'Angleterre,  pour  faire  la  chasse  au  commerce 
anglais  dans  la  mer  des  Indes,  qui  comprit  également  cinq 
bâtiments  :  le  Fleury,  le  Brillant,  V Aimable,  la  Renommée  et 
la  Parfaite  et  se  dispersa  sans  avoir  eu  à  faire  usage  de  ses 
canons.  En  1745,  au  lendemain  delà  déclaration  de  guerre,  la 
Compagnie  arma  une  nouvelle  escadre  qu'elle  envoya  à  La 
Bourdonnais  et  qui  compta  cinq  vaisseaux  encore:  V Achille 
de  la  mnrine  royale  armé  à  ses  frais,  le  Duc  d'Orléans,  le  Lys, 
le  Saint-Louis  et  le  Phénix.  On  connaît  les  événements 
auxquels  ils  étaient  appelés  à  prendre  part  et  le  dénouement 
tragique  de  cette  campagne.  Enfin,  au  début  de  la  guerre  de 
Sept  ans,  la  Compagnie  organisa  une  expédition  plus  consi- 
dérable encore  que  les  précédentes,  qui  fut  placée  sous  le 
commandement  du  comte  d'Aché  et  porta  dans  l'Inde  Lally- 
ToUendal  et  ses  troupes  (1).  En  toutes  ces  circonstances  la 

Ion  qui  inspira  à  Bernardin  de  Saint-I*ierre  le  loucliant  re'cit  de  la  mort 
de  Virginie, 
(t)  Sur  la  composition  de  celle   expe'dilion,  voir  la  noie,  p.  407. 


LA    MAEUNE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  o41 

marine  de  la  Compagnie  des  Indes  remplit  le  rôle  de  la  ma- 
rine royale  et  ne  se  montra  pas  inférieure  à  elle  dans  celte 
tâche.  Si  les  dépenses  qu'elles  occasionnèrent  eurent  sur  les 
destinées  de  cette  Compagnie  une  influence  néfaste,  c'est  là 
une  raison  de  plus  pour  reconnaître  les  services  qu'elle 
rendit  ainsi  à  la  cause  publique.  Par  là  aussi  la  Compagnie 
des  Indes  a  droit  à  une  place  éminenl,e  dans  Thistoire  mili- 
taire de  la  France  et  si  les  résultats  de  sa  collaboration  avec 
l'Etat  n'ont  pas  été  victorieux,  la  faute  n'en  a  pas  été  à  elle, 
car  on  lui  laissa  pour  sa  part  une  charge  qui  dépassait  ses 
forces. 

La  Compagnie  des  Indes  eut,  par  suite  de  ce  même  rôle,  à 
subir  des  pertes  répétées  dans  les  deux  terribles  guerres  qui 
traversèrent  son  existence.  La  guerre  de  Succession  d'Autri- 
che débuta  par  une  cruelle  série  de  pareils  événements  et 
les  escadres  anglaises  s'emparèrent  successivement  du  Fa- 
vori à  Achem  le  4  décembre  1744,  du  Dauphin,  de  l'Hercule, 
du  Jaso7i  dans  le  détroit  de  Banka  le  5  février  1745,  de  la 
Fière  sur  la  route  de  l'Inde  le  9  février  1745,  du  Maurepas 
sur  la  côte  d'Afrique  le  12  juin  1745,  de  la  Henriette  dans 
l'Atlantique  nord  le  22  juillet  1745,  de  la  Charmante  à  Louis- 
bourg  le  2  août  1745,  du  Saint-Gervais  sur  la  côte  même  de 
France  le  21  octobre  1745,  du  Héi^on  et  de  l'Expédition  sur 
la  côte  indienne,  enfin  de  la  Gloire  en  1746  ;  en  1747  nouveaux 
désastres  :  le  Philibert,  la  Thélis  et  l'Apollon  furent  capturés 
avec  le  convoi  de  M.  de  la  Jonquière  le  14  mai,  et  six  autres 
navires  après  un  combat  malheureux  soutenu  par  M.  d'Al- 
bert 1  Bref,  lorsque  la  paix  fut  rétablie ,  la  Compagnie 
avait  à  déplorer  la  perte  de  29  de  ses  navires  !  La  guerre  de 
Sept  ans  amena  naturellement  une  nouvelle  série'de  mal- 
heurs ir^ic/Jérfî^ionjqui  ramenait  en  France  le  comte  d'Estaing 
après  sa  brillante  campagne,  tomba  aux  mains  des  Anglais, 


542  TUOISIÈME    PAHTIE.    CHAPITRE    IX 

puis  ce  furent  le  Sainl-Priesl,  le  Boullongne,  la  Subtile,  le 
Villevault,  le  Boulin,  la  Compagnie-des- Indes  ;  chacune  de  ces 
prises  étail  pour  la  Compagnie,  dans  la  situation  financière 
où  elle  se  trouvait  alors,  un  véritable  désastre  et  il  n'est  pas 
douteux  que  ce  facteur  n'ait  été  l'un  des  plus  influents  de 
l'impuissance  à  laquelle  elle  fut  réduite  dans  ses  dernières 
années.  Il  est  juste  d'ajouter  que  si  la  Compagnie  eut  beau- 
coup de  prises  à  déplorer,  elle  en  fit  de  son  côté  à  la  Compa- 
gnie anglaise  un  certain  nombre  ;  c'est  ainsi  que  pendant  la 
guerre  de  Sept  ans  l'escadre  de  d'Aché  amarina  successive- 
ment le  Grantham,\e  Parnassus,VExperimenl,  Vlndunlry, 
\e  Liltle-Dicky,  le  Swan;  en  1761  le  Massiac  revint  à  Lorient 
avec  une  prise  anglaise,  la  Pénélope. 

Naufrages  et  captures,  ces  deux  sources  de  déficit  semblent 
donc  avoir  atteint  pour  la  Compagnie  un  taux  fort  élevé  ; 
une  statistique  que  nous  avons  reproduite  (1)  met  en  regard 
d'un  cliiffro  total  de  761  départs  celui  de  585  retours  seule- 
ment, ce  qui  ferait  un  déchet  de  4  navires  par  an  pour  une 
flotte  qui  fui  en  moyenne  de  30  à  40  bâtiments.  Cependant 
Necker  aflirmait  en  1769  que  le  taux  des  pertes  maritimes 
ne  dépassa  jamais  3  0/0.  Nous  devons  ajouter  que  la  durée 
des  vaisseaux  de  la  Compagnie  était  fort  courte  :  elle  l'éva- 
luait elle-même  à  quatorze  années  ou  six  voyages  seulement 
pour  la  première  navigation;  les  traversées  qu'ils  avaient  à 
accomplir  étaient,  à  vrai  dire,  très  rudes,  et  le  séjour  dans 
les  mers  d'Asie  très  pénible  ;  néanmoins  on  peut  trouver 
cette  rapidité  de  leur  usure  exagérée  et  penser  qu'en  prenant 
plus  de  soins  de  leur  construction  la  Compagnie  eût  pu  réa- 
liser de  ce  chef  une  grande  économie  (2). 

(1)  V.  page  499. 

(2)  Les  étals  de  la  Compagnie  évaluaient,  nous  l'avons  dit,  le  coût  de 
la  conslructioa  d'un  vaisseau   de  600   tonneaux  à  187.150  livres  en 


LA    MAMNE    DE    LA^COMPAGNIE    DES    INDES  543 

Celte  élude  trop  rapide  de  l'organisa  lion  marilime  de  la 
Compagnie  des  Indes  ne  serait  pas  complète,  si  nous  ne  di- 
sions quelques  mois  de  Lorient  qui  fui  le  foyer  de  celle  acti- 
vité. Nous  avons  vu  Law  en  prendre  possession  (1)  el  installer 
l'Occident,  puis  la  Compagnie  des  Indes  dans  le  cadre 
qu'avait  créé  sous  le  règne  précédent  la  Compagnie  des  Indes 
Orientales.  La  marine  royale  qui  s'y  était  établie  en  fut  dé- 
sormais exclue  et  les  bâtiments  qu'elle  avait  ajoutés  à  l'ar- 
senal durent  être  cédés  par  elle  à  la  nouvelle  occupante. 
Celle-ci  y  resta  maîtresse  absolue  jusqu'à  la  fin  de  son  exis- 
tence ;  la  forteresse  de  Port-Louis  demeura  entre  les  mains  de 
l'Etat,  mais  l'arsenal  de  Lorienl,  sa  rade,  les  batteries  qui  la 
défendaient  (2)  furent  remis  à  la  Compagnie,  qui  reçut  avec 
celte  propriété  la  mission  d'administrer  el  de  défendre  ce 
territoire. 

Elle  ne  tarda  pas  à  entreprendre  de  nouveaux  travaux, 
construisit  des  magasins,  une  vaste  salle  des  ventes,  des 

moyenne,  son  armement  à  74.000  livres,  son  avitaillement  à  37.500  li- 
vres. La  solde  de  l'équipage  pendant  une  campagne  coûtait  en  outre 
52.000  livres,  et  il  fallait  compter  une  dépense  de  2.400  livres  de  ra- 
doub annuel  par  100  tonneaux  de  jauge.  Gliaque  voyage  coîitail  ainsi 
177.900  livres  en  moyenne  et  les  six  voyages  1.067.400  livres  ;  en  ajou- 
tant à  cette  somme  le  coût  de  la  construction,  on  voit  qu'il  fallait  amor- 
tir en  quatorze  ans  1.254.550  livres  en  moyenne. 

(1)  Une  lettre  du  ministre,  en  date  du  9  août  1719,  donna  l'ordre  de 
remettre  les  magasins  de  la  Marine  à  la  Compagnie  «  qui  paraissait  si 
pressée  d'entrer  en  possession  »,  que  le  Conseil  du  Roi  désirait  qu'on 
allât  très  vite.  Cependant  le  Directeur  désigné  par  la  Compagnie,  M.  de 
Rigby,  se  plaignit  vivement  que  les  officiers  du  Roi  affectassent  d'opé- 
rer leur  déménagement  avec  une  lenteur  désespérante.  Archives  de 
V Arsenal  de  Lorient. 

(2)  La  Compagnie  reçut  les  batteries  de  (làvres  et  de  Larmor  qui  dé- 
fendaient dès  cette  époque  l'entrée  de  la  rade,  et  l'Fltat  lui  vendit  même 
des  canons  et  des  munitions  qui  étaient  cependant,  paraît-il,  indispen- 
sables au  port  de  Brest  :  elle  éleva  par  la  suite  de  nouveaux  ouvrages 
dans  l'île  St-Mictiel  au  milieu  de  la  rade  el  à  Kernével. 


544  TROISIÈME  l'AKTIK.    CHAPITRE    IX 

bureaux,  une  tour  de  surveillance,  d'élé^'anls  pavillons  pour 
ses  Direcleurs;  les  chantiers  de  construction  qui  bordaient 
le  Scorff,  ai^randis  et  multipliés,  reçurent  sans  relâche  des 
navires  nouveaux  et  fournirent  à  la  Compagnie  la  respectable 
flotte  dont  nous  avons  essayé  de  retracer  l'aspect  ;  dans  les 
anses  de  la  rivière,  des  forêts  de  mâts  reposaient  dans  la 
vase,  l'arsenal  reçut  des  quais  spacieux,  et  des  ateliers  de 
toute  sorte  y  furent  installés  pour  fournir  aux  navires  les 
pièces  les  plus  diverses  de  leur  armement. 

Dans  ce  cadre  régnait  une  activité  continuelle  :  «  le  bruit 
des  charpentiers,  le  tintamarre  des  caifats,  le  mouvement 
perpétuel  des  chaloupes  en  rade  inspiraient,  dit  Bernardin 
de  Saint-Pierre,  je  ne  sais  quelle  ivresse  maritime  ;  l'idée 
de  fortune  qui  semble  accompagner  l'idée  des  Indes  ajoutait 
encore  à  cette  illusion  »  (1). 

Pendant  ce  temps,  Lorient  devenait  une  ville  importante, 
qui  en  1738  obtint  du  Roi  l'organisation  municipale  (2)  ;  elle 
comptait  une  population  nombreuse  et  active  de  marins  et 
de  commerçants  qui  avaient  déserté  pour  elle  la  vieille  cité 
de  Port-Louis  ;  à  l'époque  du  départ  des  vaisseaux,  l'activité 
faisait  place  à  une  hâte  fébrile,  et  la  ville  s'emplissait  des 
troupes  de  marins  engagés  par  la  Compagnie  ;  puis,  à  l'épo- 
que des  ventes  périodiques,  elle  voyait  accourir  pour  y 
prendre  part  les  plus  riches  négociants  de  la  France  et  de 
l'étranger. 

Le  plan  de  ses  fortifications  était  tracé  depuis  1709,  mais 
en  1747  elle  n'était  encore  protégée  que  par  un  simple  mur 
d'enceinte  qui  ne  joua  aucun  rôle  dans  l'échec  subi  par  les 
Anglais.  Cette  leçon  détermina  la  Compagnie  à  melireà  exé- 
cution les  travaux  depuis  longtemps  attendus  et  une  massive 

(1)  Bernardin  de  Saint-Pierre,  Voyage  à  l'Ile  de  France. 

(2)  Edilde  juin  1738. 


LA   MARINE    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  H45 

muraille  à   la  Vauban  en  til  une  place  forle  respectable. 

A  Paris,  la  Compagnie  des  Indes  délibérait  el  décidait,  à 
Lorientelle  exécutait  ;  entre  la  capitale  et  le  port,  des  cour- 
riers incessants  circulaient,  emportant  des  ordres  et  rappor- 
tant des  nouvelles  (1).  Lorienl  constitua  de  tout  temps  un 
département  particulier  dans  l'administration  de  la  Compa- 
gnie ;  il  était  confié  à  un  Directeur  qui  y  possédait  les  fonc- 
tions de  commandant  de  la  marine.  Ce  poste  fut  occupé  suc- 
cessivement par  MM.  de  Rigby  (2),  1719-1723,  la  Franquerie, 
1723-1727,  de  Fayel  (3),  1727-1 Ï31  ,  Duval  d'Espréménil, 
1731-1740,  Duvelaër,  1740-1748,  Godelieu  de  Zaimont,  1748- 
1753,  Godeheu  d'Igoville,  1753-1761,  Rotli,  1761-1765,  et  de  la 
Vigne-Buisson,  1765-1769. 

L'administration  de  Lorient  comprenait  encore  :  un  contrô- 
leur, un  trésorier,  un  capitaine  et  un  lieutenant  de  port,  un 
maître  d'équipages,  un  inspecteur  des  ateliers  et  consomma- 
tions, un  garde-magasin  général  de  l'arsenal,  un  garde-ma- 
gasin du  désarmement,  un  garde-magasin  des  vivres,  un 
garde-magasin  des  cargaisons  (4).  Les  différents  travaux 
étaient  répartis  entre  un  grand  nombre  de  services  :  la  di- 
rection générale,  le  contrôle,  l'inspection,  la  caisse,  les  di- 
rections de  l'artillerie,  du  génie,  des  troupes,  le  bureau  des 
armements,  la  recette  des  bois,  le  bureau  des  officiers 
de  port,  le  bureau  des  ouvriers,  l'hôpital,  la  chapelle. 
Enfin  l'arsenal  comprenait  le  magasin  général,  le  maga- 
sin des  vivres,   le  magasin  des  cargaisons,  la  corderie,  la 

(1)  Tous  les  départs,  toutes  les  arrivées  de  vaisseaux  ainsi  que  la 
composition  de  leurs  chargements  étaient  transmis  aussitôt  à  Paris  à  la 
Compagnie,  qui  en  donnait  avis  à  son  tour  au  Contrôle  Général. 

(2)  Capitaine  de  vaisseau  de  la  marine  royale. 

(3)  Capitaine  de  frégate. 

(4)  D'après  l'ordonnance  de  1723. 

W.  -35 


46 


TROISIEME    PARTIE.    CHAPITRE   IX 


forge,  l;i  voileiie,  la  loiiiiL'llerie,  ralelier  des  bois  de  cons- 
truction, l'alelier  des  bois  de  mâture,  la  scierie,  l'alelier  de 
peinture,  la  poudrière.  La  Compagnie  avait  à  Lorient  le  dépôt 
des  différents  corps  qu'elle  employait  ;  elle  y  possédait  une 
compagnie  d'infanterie,  qui  servait  en  même  temps  d'école  à 
ses  jeunes  officiers  ;  elle  y  entretenait  des  «  maîtres  de  scien- 
ces et  d'arts  »  dont  un  maître  d'hydrographie,  un  ingénieur, 
un  maître  à  dessiner,  un  maître  d'écriture,  un  maître  à  dan- 
ser, un  maître  appareilleur  de  pierres,  un  maître  conducteur 
des  ouvrages  de  maçonnerie,  un  maître  peintre  et  un  maître 
sculpteur.  Le  corps  des  écrivains  qui  y  résidait  se  compo- 
sait de  2  écrivains  généraux,  10  écrivains  principaux,  31  com- 
mis principaux  aux  classes,  6  commis  ordinaires  aux  clas- 
ses, 62  écrivains  ordinaires,  13  élèves-écrivains.  Enfin  le 
corps  de  santé  attaché  à  l'hôpital  comprenait  2  médecins, 
1  chirurgien-major  et  12  chirurgiens. 

Telle  était  dans  ses  grandes  lignes  l'organisation  du  très 
important  arsenal  de  la  Compagnie  des  Indes,  qu'elle  avait 
tiré  du  néant  et  dont  elle  avait  fait  en  un  siècle  un  des  ports 
les  plus  actifs  et  les  mieux  agencés  du  royaume.  Aussi  est-il 
à  peine  besoin  de  dire  que  le  gouvernement  royal,  qui  en 
avait  eu  quelque  temps  la  jouissance,  ne  cessa  de  regretter 
l'abandon  qu'il  en  avait  consenti,  regarda  toujours  sa  prospé- 
rité avec  envie,  et  recourut  en  mainte  occasion  aux  ressour- 
ces qu'il  lui  offrait  pour  ses  armements  et  que  ne  présen- 
taient pas  ses  propres  arsenaux.  Lorsque  après  les  désastres 
de  la  guerre  de  Sept  Ans,  la  Compagnie,  dépouillée  d'une 
grande  partie  de  son  domaine  colonial,  fut  contrainte  d'adop- 
ter des  réformes  importantes  pour  reconstituer  son  com- 
merce détruit,  l'Etat  s'empressa  de  lui  proposer  la  rétroces- 
sion de  Lorient  en  lui  laissant  la  jouissance  de  ses  magasins 
et  de  ses  ateliers  (Edit  d'août  1764).  Les   deux  marines  s'y 


LA    MARINE    DE    LA   COMPAGNIE    DES    INDES  547 

trouvèrent  donc  de  nouveau  cùle  à  côle,  mais  celle  situation 
ne  dura  pas  et  les  inconvénients  qu'un  premier  essai  avait 
provoqués  sous  Louis  XIV  n'eurent  pas  le  temps  de  se  pro- 
duire, car  en  17691a  suspension  de  la  Compagnie  ruina  la 
majeure  parliede  son  activité.  Le  rôle  de  Lorienl  dans  le 
commerce  des  Indes  n'était  cependant  pas  terminé,  il  garda 
en  effet  le  monopole  des  retours, et  les  négociants  particuliers 
y  vinrent  tenir  la  place  qu'avait  occupée  jusque-là  la  Compa- 
gnie (1). 

(1)  Lorienl  qui  n'a  aujourd'hui  qu'une  activité  moyenne  comme  port 
de  commerce  et  n'est  qu'un  port  militaire  de  second  ordre,  a  gardé  de 
son  passé  d'assez  nombreux  vestiges.  Ses  armes  sont  toujours  celles  que 
lui  donna  la  Compagnie  des  Indes  :  un  navire  tourné  vers  une  étoile 
d'or,  et  sa  devise  est  encore  «  Ab  oriente  refulgel  ».  Sa  principale  église 
fut  construite  par  la  Compagnie  dès  les  dernières  années  du  règne  de 
Louis  XIV  et  c'est  elle  qui  l'enserra  à  la  fin  de  son  existence  de  l'épaisse 
murriille  qui  n'y  laisse  pénétrer  sous  une  porte  à  pont-levis  qu'une  seule 
voie  d'accès;  une  rue  y  porte  encore  le  nom  d'Orry;  enfin  un  boulet 
soigneusement  entretenu  dans  le  mur  d'une  chapelle  y  rappelle  l'atta- 
que anglaise  de  1747.  Mais  c'est  dans  l'Arsenal  surtout  qu'il  faut  y 
chercher  son  souvenir  ;  bien  que  l'incendie  l'ail  ravagé  plus  d'une  fois 
on  y  voit  encore  la  Corderie  construite  par  la  Compagnie  de  Colberl  en 
1676,  une  partie  des  Magasins  Généraux,  la  Tour  de  la  Découverte 
élevée  en  1733,  les  pavillons  de  l'entrée  qui  servaient  d'hôtel  aux  Di- 
recteurs et  qui  sont  maintenant  la  Préfecture  maritime,  la  Cour  des 
Ventes,  immense  bâtiment  que  la  Compagnie  n'acheva  point  et  qui 
sert  aujourd'hui  de  caserne,  la  Chapelle  et  enfin  l'Hôpital.  Lorienl  semble 
pourtant  avoir  quelque  peu  oublié  la  grande  Compagnie  qui  le  créa  et 
qui  fut  si  longtemps  sa  vie  et  sa  richesse  ;  il  faut  un  œil  prévenu  pour 
lire  sur  ses  pierres  les  souvenirs  de  ce  passé  déjà  lointain  ;  rien  n'y 
rappelle  au  passant,  comme  il  serait  permis  de  le  souhaiter,  que  dans 
ce  cadre  naquit,  vécut  et  expira  cette  Compagnie  dont  l'histoire  contient 
pourtant  tant  de  noms  glorieux  et  tant  de  pages  instructives. 


CHAPITRE  X 


LES  FINANCES  DE    LA  COMPAGNIE  DES  INDES. 


Situation  financière  de  la  Compagnie  après  la  liquidation  du  Système. 
—  Son  capital,  ses  actions.  —  Ses  revenus  financiers  :  la  Ferme  des 
Tabacs.  —  Etude  comparée  de  la  situation  financière  en  1725,  1736, 
1743.  —  Les  bilans  annuels.  —  Cours  des  actions  à  la  Bourse  de 
1725  à  1769.  —  Intérêts  servis  aux  actionnaires.  —  Influence  des 
guerres  de  la  Succession  d'Autriche  et  de  Sept  Ans  sur  la  situation 
financière  de  la  Compagnie,  —  Progression  de  sa  dette  et  de  ses 
différentes  charges.  —  Ses  opérations  :  emprunts  perpétuels,  viagers 
et  amortissables,  loteries,  appels  de  fonds  aux  actionnaires.  —  Les 
subventions  de  l'Etat  :  la  Rente  sur  le  Roi,  —  Situation  de  la  Com- 
pagnie en  1756.  —  Réformes  financières  en  1764.  —  Situation  dé- 
taillée de  la  Compagnie  en  1769. 


La  Compagnie  des  Indes  sortit  du  Système  avec  une  situa- 
lion  financière  assez  complexe,  dont  l'examen  attentif  esl 
nécessaire  pour  comprendre  son  histoire,  apprécier  les  cir- 
constances qui  accompagnèrent  sa  chute  et  les  polémiques 
qu'elle  suscita  ;  l'imporlance  du  point  de  départ  est  ici 
incontestable. 

Le  capital  de  la  Compagnie,  tel  qu'il  fut  fixé  définitivement 
par  l'arrêt  du 22  mars  1723,  s'élevait  à  112  millions  délivres. 
Il  était  constitué  par  56.000  actions,  ou  plus  exactement  par 
48.000  actions  entières  de  2.000  livres  chacune,  et  80.000 
dixièmes  d'action  de  200  livres.  Le  Roi  se  reconnaissait 
débiteur  envers  elle  d'une  rente  de  3  millions  de  livres  par 


LES    FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  549 

an  (1)  ;  mais  bientôt  il  préféra  s'en  libérer  en  rendant  à  la 
Compagnie  la  Ferme  des  Tabacs,  dont  le  produit  fut  officielle- 
ment estimé  en  celte  occasion  à  2  500.000  livres  par  an,  et  le 
Domame  d'Occident,  qui  fut  évalué  333.333  livres  (arrêt  du 
23  mars  1723)  (2). 

Ce  dernier  cependant  ne  figura  pas  longtemps  dans  les  re- 
venus de  la  Compagnie,  car  il  lui  fut  enlevé  parl'édit  de  juin 
1725,  qui  reconnut  le  Roi  débiteur  à  nouveau  envers  elle  de 
300.000  livres  de  rente.  Enfin,  par  un  second  édit  de  juin  1725, 
elle  reçut  pleine  et  entière  décharge  «  pour  toutes  les  opé- 
rations passées  »,  et  n'eut  plus  désormais  aucune  responsa- 
bilité à  assumer  du  fait  du  Système  qui  l'avait  vue  naitre. 

Certaines  obligations  lui  furent  imposées  à  l'égard  de  ses 
actionnaires  ;  en  effet  le  revenu  de  chaque  action  devait  se 
composer  de  deux  parts  ;  l"  une  pari  fixe,  indépendante  des 
fluctuations  du  commerce,  et  assurée  par  ses  revenus  pure- 
ment financiers,  laquelle  devait  être  de  150  livres  (3),  soit 
7  1/2  0/0  au  taux  primitif  des  actions  ;  2°  une  pari  variable, 
proportionnelle  aux  bénéfices  commerciaux.  Ces  obligations 
représentaient  une  dépense  totale  annuelle  de  8.400.000  livres 
au  minimum,  en  ne  comptant  que  la  part  fixe.  Pour  y  satis- 
faire, la  Compagnie  pouvait  à  ce  moment  compter,  en  dehors 
du  produit  de  son  commerce,  sur  1  million  de  livres  comme 
revenu  du  Domaine  d'Occident  et  sur  6  millions  comme 
revenu  des  Tabacs  (4). 

(1)  Rente  à  3  0/0  des  100  millions  de  billets  d'Etat  remboursés  par 
l'Occident. 

(2)  Le  Domaine  d'Occident  fut  accordé  à  la  Compagnie  à  charge  de 
payer  les  appointements  des  gouverneurs,  intendants  et  officiers  établis 
par  le  Roi  dans  retendue  de  ce  Domaine  et  la  solde  des  troupes  qui 
l'occupaient. 

(3)  Cependant  pour  la  première  année  (17^3),  elle  ne  devait  être  que 
de  100  livres,  soit  5  0/0. 

(4)  M.  F.evasseur. 


550  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   X 

Mais  deux  nouveaux  privilèges  vinrent  s'ajouter  à  ces  deux 
premières  sources  de  revenus  :  ce  fut  le  monopole  de  la 
vente  du  café  en  France  (arrêt  du  31  août  1723)  et  celui  de 
l'établissement  des  Loteries  (arrêt  du  lîi  février  1724).  Ce 
dernier  lui  fut,  il  est  vrai,  retiré  en  même  temps  que  le 
Domaine  d'Occident,  mais  la  Compagnie  eut  néanmoins  le 
temps  do  tirer  parti  de  Timportanto  concession  qu'il  consti- 
tuait (1)  ;  un  arrêt  du  20  juin  1724  l'autorisa  en  effet  à  pro- 
céder au  tirage  d'une  première  loterie  dite  loterie  composée, 
dont  les  billets  purent  être  payés  soit  en  espèces,  soit  en 
actions  de  la  Compagnie,  et  dont  les  lots  consistèrent  en 
renies  viagères  pour  une  somme  totale  de  1.146.368  livres, 
créées  à  cet  effet  et  représentant  à  10  0/0  un  capital  de 
11.463.680  livres  (2). 

L'édit  de  juin  1725  lui  relira  le  monopole  de  l'organisa- 
tion des  loteries,  le  gouvernement  ayant  dû  réfléchir  qu'il  se 
privait  par  là  d'une  source  trop  importante  de  bénéfices  ;  la 
Compagnie  organisa  néanmoins  depuis  celte  date  un  certain 
nombre  de  loteries,  car  l'Etat  ne  s'en  réserva  pas  cette  fois 
le  privilège. 

La  Ferme  des  Tabacs  resta  dès  lors  le  seul  revenu  vrai- 

(1)  On  sait  que  les  loteries  furent,  dès  le  règne  de  Louis  XIV  et  pen- 
dant tout  le  xvm«  siècle,  l'objet  d'un  extraordinaire  engouement  :  les 
lots  en  étaient  dilTérenles  sommes  en  espèces  ou  des  titres  de  rente  ; 
le  gouvernement  avait  été  de  bonne  lieure  attiré  par  les  gains  considé- 
rables que  ces  opérations  rapportaient  à  leurs  organisateurs,  et  dès 
1700  avait  créé  une  Loterie  Royale,  dont  il  y  eut  par  la  suite  plusieurs 
tirages  en  1704,  1705,  1707,  etc.  La  Régence  renchérit  naturellement 
sur  cette  nouvelle  passion  et  en  accordant  le  monopole  des  loteries  à  la 
Compagnie,  le  Roi  lui  faisait  un  cadeau  précieux.  Lorsque  ce  monopole 
lui  eût  été  retiré,  la  Loterie  Royale  fut  réorganisée,  et  garda  pendant 
tout  le  xviii*  siècle  une  prospérité  regrettable  au  point  de  vue  de  la 
moralité  publique. 

(2)  Les  actions  retirées  par  ce  moyen  furent  brûlées  en  présence  des 
actionnaires.  Archives  Nationales,  ADIX,  385. 


LES    FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  551 

ment  fixe  dont  fût  assurée  la  Compagnie,  car  on  peut  faire 
figurer  le  monopole  du  café,  qu'elle  exploitait  commerciale- 
ment elle-même  en  grande  partie,  avec  celui  des  autres  pro- 
duits des  Indes  dont  il  ne  se  distinguait  pour  ainsi  dire 
point.  La  Compagnie  exploita  elle-même  la  Ferme  des  Ta- 
bacs jusqu'en  1730  (1  )  ;  à  cette  date,  et  en  raison  des  frais  que 
cette  régie  lui  coûtait,  elle  fut  autorisée  à  passer  bail  pour 
8  années  avec  la  Ferme  Générale  qui  se  chargea  dès  lors  de 
son  exploitation  (arrêt  du  l^*" octobre  1730).  Le  bail  fut  conclu 
le  5  septembre  1730,  moyennant  une  redevance  annuelle,  due 
par  la  Ferme  à  la  Compagnie,  de  7  millions  et  demi  pour  les 
4  premières  années  et  de  8  millions  pour  les  4  dernières  ; 
enfin  il  fut  renouvelé  en  1738  pour  six  nouvelles  années  à  ce 
dernier  prix  ;  nous  verrons  plus  loin  quel  fut  le  régime  qui  lui 
succéda.  La  situation  financière  de  la  Compagnie  au  31  jan- 
vier 1725  est  ainsi  établie  par  l'abbé  Morellet  (2)  : 

Capital   (en   y  comprenant  les 
100  millions  dus  par  le  Roi).  143.640.987  livres 

A  déduire  : 

Dettes 4.255.046  livres 

Fonds  morts  (3)  et  mauvaises 

créances 2.089  774      «  6.439.440       » 

(1)  Revenu  des  Tabacs  de  1725  à  17.30  : 

1725-1726 7.898.504  livres 


1726-17-27 7.014.648     — 

1727-1728    7.338.238     — 

1728-1729 7.502.979     — 

1729-1730 7.079.862     — 

d'après  {'Encyclopédie  Méthodique. 

(2)  Morellet,  Mémoire  sur  la  situation  actuelle  de  la  Compagnie  des 
Indes,  Paris,  1769. 

(3)  Morellet  désigne  par  ce  terme  une  partie  des  capitaux  fixes,  no- 
tamment les  immeubles.  Il  les  fait  venir  en  déduction  du  capital,  parce 
qu'ils   ne   donnent  jar   eux-mêmes,  dit- il,  aucun  bénéfice,  et  ne  sont 


552  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    X 

Principal  des  rentes    viagères 

de  la  loterie  (1) 94.620  livres 

Reste  :  capital  libre    ....  137.201.547  livres 

Revenus  : 

Produit  des  Tabacs 8.000.000  » 

Rente  sur  le  Roi 300.000  »            8.290.538     » 

A  déduire  rente  viagère  de  la 

loterie 9.462  » 

Le  partage  dudit  revenu  entre  les  actions  donne  un  divi- 
dende de  148  livres  (2). 

Au  cours  des  cinq  années  suivantes  (1725-1730),  les  bilans 

annuels  accusèrent  successivement  un  capital  de  : 

138.360.000  livres au  29  mars  1726 

138.800.000     >  au  11  juin   1727 

141.246.000     »  au  30  avril  1728 

142.093.000     .)  au  30  avril  1729 

143.425.000     »  au  29  avril  1730 

Ces  chiffres  manifestent  donc  sur  le  capital  de  1725  d'abord 
un  certain  fléchissement,  dû  aux  dernières  conséquences  du 
Système  et  aux  dépenses  d'établissement  auxquelles  la  Com- 
pagnie eut  à  faire  face  (constitution  plus  raisonnable  de  sa 
flotte,  entretien  de  la  Louisiane,  conquête  et  fortification  de 
Mahé).  Mais  en  1727  un  relèvement  se  produit  et  en  1730  le 
capital  a  presque  atteint  à  nouveau  le  chiffre  de  1725. 

Un  arrêt  du  2  mai  1730  autorisa  la  Compagnie  à  organiser 

pas   rinstrumenl  immédiat  du  commerce,  dont  ils  constituent  au  con- 
traire une  charge  par  leur  entretien. 

(1)  Il  y  a  sur  le  fait  de  cette  loterie  une  obscurité  que  nous  n'avons 
pu  dissiper.  Morellet  place  en  l'année  1724  une  loterie  composée  au 
capital  de  11.463.680  livres  et  consistant  en  rentes  viagères  pour  un 
chiffre  total  de  1.146.368  livres.  Mais  en  1725  il  ne  compte  que  9.462  li- 
vres de  rentes  viagères  provenant  d'une  loterie  à  100  livres  le  billet  et 
au  capital  de  94.620  livres.  Cependant  nous  croyons  qu'il  n'y  eut  qu'une 
loterie  entre  1724  et  1730. 

(2)  Il  s'agit  ici  de  la  partie  fixe  du  dividende  ;  cependant  on  sait  que 
la  Compagnie  devait  servir  150  livres  à  ses  actionnaires. 


LES    FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  533 

une  seconde  loterie  destinée  à  rembourser  et  à  retirer  de  la 
circulation  25.000  actions  :  le  but  que  l'on  voulait  atteindre 
était  de  remédier  aux  fluctuations  incessantes  de  la  valeur 
des  litres  «  qui  alarmaient  les  familles  »,  et  d'amener  graduel- 
lement celte  valeur  à  3.000  livres,  chiffre  auquel  on  espérai! 
voir  les  actions  se  maintenir  définitivement.  La  loterie  devait 
être  tirée  chaque  mois  pendant  8  années  et  3  mois,  à  raison 
de  330  actions  à  rembourser  chaque  fois  (1).  En  celle  même 
année  1730,  la  Compagnie  obtint  d'être  relevée  du  nionopole 
du  commerce  de  la  Barbarie,  et  en  1731  elle  se  libéra  d'une 
obligation  plus  lourde  encore,  nous  voulons  parler  de  la  Loui- 
siane, dont  elle  fit  rétrocession  au  Roi,  en  se  reconnaissant 
débitrice  envers  lui  d'une  somme  de  1.150.000  livres  paya- 
bles en  10  années.  Puis  la  période  dé  dix  années  qui  s'éten- 
dit de  1730  à  la  guerre  de  Succession  d'Autriche  (1741)  fut, 
comme  nous  l'avons  déjà  remarqué,  l'époque  de  la  plus 
grande  prospérité  commerciale  delà  Compagnie  ;  ses  impor- 
tations, ses  armements  firent  des  progrès  constants  et  ses 
bilans  lemoignent  d'un  accroissement  notable  de  son  capital 
social  (2)  : 

143.425.000  livres au  29  avril  1730 

142.600.000      »  au  29  avril  1731 

135.800.000      »  au  30  juin  1732 

139.600.000   »  )>     1733 

142.900.000   »  »     1734 

145.000.000   »  »     1735 

(1)  Tous  les  numéros  d'actions  «  devaient  être  mis  dans  une  boîte 
pour  être  tirés  au  sort»  ;  les  remboursements  devaient  avoir  lieu  sur  le 
pied  suivant:  1.300  livres  par  action  en  mai  et  juin  1730,  1.4C0  livres 
jusqu'à  la  fin  de  1730,  1.500  livres  en  1731...  et  ainsi  de  suile  jusqu'à 

3.000  livres  en  décembre  1736  {Archives  Nationales,  AD]X,  385)  ;  ce- 
pendant cette  opération  ne  paraît  pas  avoir  été  exécutée  complètement. 

(2)  Ce  tableau  est  emprunté  à  Demis:  «  Histoire  des  Compagnies  de 
commerce  »  (manuscrite).  Bibliothèque  Nationale,  Mss;  Fr.  8036. 


554 


TROISIEME    PARTIE. 


147.700.000  livres 
152.000.000      » 
154.800.000      » 
159.400.000      .> 
161.900.000      » 


AH 

ITRl 

3  X 

au 

30 

juin 

1736 

» 

1737 

» 

1738 

» 

1739 

» 

1740 

D'autre  pari,  l'abbé  Morellel  fixe  de  la  façon  suivante  la 
situation  au  30  juin  1736  : 


Capital  (en  y  comprenant  les 
100  millions  du  Roi).    .    .    . 

A  déduire  : 

Dettes 

Fonds  morts  et  mauvais  effets. 
Principal  de  la  loterie  de  1724. 
Principal  d'une  nouvelle  loterie. 

Reste  :  capital  libre  .... 

Revenu  indépendant  du  com- 
merce avec  la  charge  des 
rentes  viagères  (1.412.046  1.). 

Ce  qui  donnait  aux  5t.  134  ac- 
tions un  dividende  de   .    ,    . 


8.411.125  livres 
8.196.125     » 
94.620     .. 
3.174.260(1)» 


158.040.138  livres 

29.876.130      .. 
128.163.008      ~ 

6.973.112      » 
136  livres  (2) 


Ce  tableau  provoque  un  certain  nombre  d'observations. 
Morellet  attribue  en  effet  un  capital  de  158.000.000  livres 
à  la  Compagnie,  alors  que  Demis  en  mentionne  un  de 
147.700.000  livres,  à  la  même  date  ;  la  différence  est  sensible. 
En  outre  le  capital  libre  s'élève,  suivant  les  calculs  du  pre- 
mier, à  128.163.303  livres,  alors  que  celui  de  1725  était  de 

(1)  Nous  ne  savons  pas  à  quelle  époque  exacte  eut  lieu  cette  loterie, 
car  il  ne  semble  pas  s'agir  ici  de  celle  de  1730-1736  mentionnée  précé- 
demment.Le  total  des  lots  s'élevaà  1.317.426  livres  en  rentes  viagères, 
ce  qui  représentait,  à  10  0/0,  un  capital  de  13.174.260  livres.  Morellet 
ajoute  qu'elle  fut  très  onéreuse  à  la  Compagnie,  caria  moitié  seulement 
des  extinctions  devait  lui  profiter,  la  seconde  moitié  devant  accroître  la 
part  des  rentiers  survivants  ;  c'était  par  conséquent  une  sorte  de 
tontine. 

(2)  La  Compagnie  servait  toujours  cependant  150  livres 


LES    FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  555 

137.201.547  livres:  soil  une  diminution  de  9.038.244  livres 
sur  les  fonds  dont  la  Compagnie  pouvait  disposer  pour  son 
commerce.  Il  en  est  de  même  des  revenus  indépendants  du 
commerce,  qui,  déduction  faite  des  rentes  viagères,  ne  s'élè- 
vent plus  qu'à  6.973.112  livres  au  total,  soil  une  diminution 
de  1.317.426  livres  sur  le  chiffre  de  1725;  cependant  ni  les 
Tabacs  ni  la  rente  servie  par  le  Roi  n'avaient  diminué  et  ce 
résultat  était  dû  seulement  à  l'accroissement  des  rentes 
viagères. 

Enfin,  des  56.000  actions  qui  composaient  en  1723  le  capital 
de  la  Compagnie,  il  n'en  restait  plus  que  51. 134  en  1736, 
grâce  à  l'exercice  de  la  faculté  laissée  aux  actionnaires  d'é- 
changer leurs  titres  contre  des  rentes  viagères  et  d'acheter 
les  billets  de  loterie  avec  ces  mêmes  titres,  enfin  par  l'amor- 
tissement organisé  par  l'arrêt  du  2  mai  1730  (1).  La  Compa- 
gnie avait  ainsi  4.866  dividendes  de  moins  à  fournir  chaque 
année  ;  néanmoins,  étant  donné  le  revenu  libre  dont  elle  dis- 
posait en  1736,  elle  n'eût  dû  fournir  pour  dividende  aux 
51.134  actions  restantes  que  136  livres,  alors  qu'elle  était 
tenue  de  donner  150  livres  ;  ce  qui  faisait  14  livres  par  action 
ou  715.876  livres  au  total  qu'elle  devait  se  procurer  sur  ses 
bénéfices  commerciaux  pour  remplir  cet  excédent. Heureuse- 
ment, elle  avait  à  ce  moment  environ  6  millions  de  livres  de 
bénéfices  de  ce  chef  (2). 

Les  dernières  années  de  cette  première  période  (1725-1745) 
ouvrirent  pour  la  Compagnie  des  Indes  l'ère  des  difficultés  :  ce 
furent  d'abord  les  sièges  de  Pondichéry  et  de  Mahé  par  les 

(1)  Gel  ainorlissement  ne  semble  pas,  nous  l'avons  dit,  avoir  fonc- 
tionné jusqu'au  bout,  puisqu'au  lieu  de  25.000  actions,  il  ne  s'en  trou- 
vait amorti  que  4.866,  en  1736  date  à  laquelle  il  eût  dû  être  terminé. 

(2)  Le  lolal  annuel  des  dividendes  servis  par  la  Compagnie  pendant 
celte  période  1725-1740  oscille  entre  7.533.626  livres  au  minimum 
(1731-1732),  et  8.320.592  livres  (1728-1729). 


556  TROISIÈME    PAKTIK.    —    CHAPITRE    X 

Mahratles  ;  puis  la  déclaration  de  guerre  survenue  en  1741 
amena  les  premières  crainlps  d'une  inlervenlion  de  l'Angle- 
terre et  occasionna  à  la  Compagnie  les  frais  de  l'expédition 
confiée  à  La  Bourdonnais,  qui  s'élevèrent  sans  profil  à  4  ou 
5  millions.  Enfin,  après  l'ouverture  des  hostilités  (1744),  l'en- 
voi d'une  nouvelle  escadre  de  cinq  navires  armés  en  guerre, 
et  la  perte  de  cinq  autres  navires  capturés  avec  leur  charge- 
ment complet  par  l'escadre  anglaise  de  Barnett,  avant  même 
que  les  premiers  coups  de  canon  eussent  été  tirés  en  Asie, 
furent  pour  ses  finances  des  charges  écrasantes  qui  fui-ent 
malheureusement  suivies  de  plus  considérables  encore. 

En  1743,  c'est-à-dire  à  la  veille  de  ces  événements,  la  si- 
tuation de  la  Compagnie  se  présentait  comme  il  suit  : 

Capital  (y  compris  la  rente  du 
Roi 186.359. 130  livres 

A  déduire  : 

Dettes 19.607. 164  livres 

Fonds     morts     et    mauvaises 

créances 28.364.778     )^         63.H7.432     » 

Principal  des  deux    émissions 

de  rentes  viagères 15.051.870     « 

Reste  :  capitallibre  ....  123.241.698     » 

Revenu  indépendant  du  com- 
merce, défalcation  faite  des 
rentes  viagères 6.785.451      » 

Donnant  aux  50.269  actions  un 

dividende  de 135  livres 

Le  capital  nominal  seul  avait  donc  subi  un  accroissement 
satisfaisant,  mais  la  prospérité  qu'il  paraissait  annoncer 
devait  être  jugée  entièrement  trompeuse,  si  l'on  en  croit 
Morellet. 

En  déduisant  de  ce  capital,  en  effet,  les  dettes,  les  fonds 
morts,  les  mauvaises  créances,  le  piincipal  des  renies  viagè- 
res, qui  atteignent  ensemble  la  somme  énorme  de  63  millions, 


LES    FINANCES    t>E    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  557 

on  constate  une  dimiiiuLion  du  capital  disponible  de  4.922.605 
livres  sur  celui  de  1736,  el  de  1 3.959.849  livres  sur  celui  de 
1725,  soit,  en  chiffres  ronds,  une  diminution  de  14  millions 
depuis  les  débuts  de  son  exploitation  !  Les  éléments  de  ces 
charges  étaient  en  premier  lieu  les  dettes, contractées  dans  les 
Indes  en  majeure  partie  (principalement  pour  l'acquisition  de 
Mahé),  lesquelles  avaient  considérablement  augmenté,  puis- 
que de  4.255.046  livres  elles  avaient  passé  en  18  années  à 
19.607.164  livres,  soit  plus  que  quadruplé,  et  ceci  dans  une 
période  de  paix  qui  ne  devait  pas  se  représenter,  alors  que 
l'activité  du  commerce  était  très  satisfaisante  et  que  les  béné- 
fices s'accroissaient  chaque  année. Morellet  reproche  en  outre 
particulièrement  à  la  Compagnie  l'augmentation  exagérée 
des  fonds  morts  par  la  construction  de  magasins,  d'hô- 
tels, etc.,  dont  l'utilité  était,  dil-il,  contestable,  et  qui  avait 
fait  passer  leur  valeur  de  2.089.774  livres  en  1725  à 
28.364.778  livres  en  1743,  c'est-à-dire  l'avait  plus  que  décu- 
plée. Enfin  les  rentes  viagères  avaient  subi  pendant  ce 
même  temps  un  accroissement  considérable,  puisque  leur 
capital  à  10  0/0  atteignait  15  millions  de  livres. 

Les  revenus  de  la  Compagnie  étaient  aussi  peu  satisfai- 
sants, car  ils  s'élevaien,  seulement  à  6.785.451  livres,  soit 
une  diminution  de  1.505.087  livres  sur  ceux  de  1725(1). 

Donc, malgré  une  prospérité  apparente,  la  Compagnie  étai 
déjà,  suivant  Morellet,  dans  une  situation  défavorable  avant 
que  l'ère  des  difficultés  sérieuses  se  fût  ouverte  pour  elle  ! 

Il  est  assez  délicat  de  contester  les  chiffres  donnés  par 
l'abbé  Morellet  qui  avait  à  sa  disposition  des  documents  que 

(1)  Morellet  en  a  défalqué  le  service  des  rentes  viagères  ;  le  revenu 
brut  s'élèverait  donc  à  8.290.638  livres  ;  le  calcul  paraît  bien  exact,  car 
la  Compagnie  avait  en  chiffres  ronds  :  8.000.000  de  livres  des  Tabacs 
et  300.000  livres  du  Roi. 


558  TROISIÈME    PARTIE.    CIJAPITHE    X 

nous  ne  possédons  plus  ;  on  peut  cependant,  croyons-nous, 
leur  faire  quelques  objections,  Morellet  n'est  peut-être  pas 
tout  à  fait  dans  son  droit  de  vouloir  juger  la  situation  de  la 
Compagnie  indépendamment  de  ses  opérations  commercia- 
les ;  nous  entendons  bien  que  sa  constitution  même  favori- 
sait cette  manière  de  voir;  mais,  s'il  est  juste  de  ne  tenir 
compte  que  des  revenus  purement  financiers  pour  établir  le 
dividende  fixe  qui  eût  dû  être  servi  aux  actionnaires,  à  la 
place  de  celui  que  le  gouvernement  imposait  à  la  Compa- 
gnie, il  ne  semble  pas  qu'il  le  soit  autant  pour  évaluer  la  si- 
tuation générale  de  celle-ci, et  qu'on  puisse  séparer  complè- 
tement dans  ses  bilans  ce  qui  lient  à  son  monopole  principal 
de  ce  qui  se  rapporte  à  ses  privilèges  accessoires.  Or,  sises 
charges  avaient  crû  depuis  1725,  ses  bénéfices  commerciaux 
avaient  suivi  aussi  une  marche  ascendante, et  son  revenu 
total,  loin  d'être  en  diminution,  était  incontestablement  en 
progrès, ainsi  qu'en  font  foi  les  tableaux  suivants  : 

1725 

Tabacs 7.898.504  livres 

Rente  sur  le  Roi 300.000 

Privilèges 192.200  (1) 

Bénéfices  commerciaux 4,221.156 

Total 12.611.960  1. 

A  déduire  : 

Rentes  viagères 9.462 

Dividendes 8.400.000 

Intérêts  de  la  dette  (2) 212.752 

Total 8.622,214  1. 

Reste 3.989.746  ïï 

(1)  Gel  article  est  emprunté  au  tableau  de  V Encyclopédie  Métho- 
dique ;  il  faut  comprendre  sous  celte  dénomination  les  droits  de  ton- 
neau, de  nègres,  etc.  {Encycl.  mélhod.  Dictionnaire  du  Commerce, 
art,    France). 

(2)  Morellet  ne  les  a  pas  fait  ligurer  dans  ses  estimations,  nous  pen- 
sons devoir  les  rétablir  pour  u'ouiellre  aucun  élément. 


LES    FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  559 

1736 

Tabacs 8.000.000  livres 

Renie  sur  le  Roi 300.000 

Privilèges 132.815 

Bénéfices  commerciaux 6.944.240 

Total 14.377.055  1. 

A  déduire  : 

Rentes  viagères 1.412.046 

Dividendes 7.670.100 

Intérêts  de  la  dette 420.556 

Total 9.502.702  1. 

Reste 4.874.353  1. 

1743 

Tabacs 8.000.000 

Rente  sur  le  Roi 300.000 

Privilèges 361.626 

Bénéfices  commerciaux 10.367.559 

Total 19.029.185  1. 

A  déduire  : 

Rentes  viagères 1.505.187 

Dividendes 7.540.350 

Intérêts  de  la  dette 980.358 

Total "      11.025.895  1. 

Reste 8.003.290  1. 

Malgré  ses  charges  grandissantes,  exagérées  même  si  l'on 
veut,  la  Compagnie  voyait  donc  ses  revenus  augmenter  (1), 
et  par  suite  se  trouvait  en  état  de  les  supporter,  tout  en  amé- 
liorant sa  situation  générale.  Son  commerce  ne  lui  était  donc 

(1)  Disons  tout  de  suite  que  la  Compagnie  avait  à  prendre  sur  ce 
revenu  les  frais  d'administration,  l'abonnemeal  à  la  Ferme  Générale, 
l'amortissement  de  son  capital  fixe  ;  mais  l'abonnement  à  la  Ferme  a 
cessé  en  1736  et  la  Compagnie  s'est  trouvée  dès  lors  déchargée  d'une 
dépense  de  25.000  livres  par  an  ;  d'autre  part,  ni  son  administration, 
ni  son  matériel  n'ont  éprouvé  de  modifications  importantes,  et  ces  frais 
ont  par  conséquent  suivi  une  marche  régulière  qui  n'a  pas  été  plus 
rapide  que  celle  des  bénéfices. 


î)60  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    X 

pas  nuisible  en  pleine  paix,  comme  l'attirme  Morellet  qui 
étaye  sur  ce  résultat  inexact  son  principal  grief  contre  l'exis- 
tence même  de  celle  Compagnie.  Celte  constatation  est  donc 
importante  ;  sans  doute,  une  administra  lion  mieux  dirigée  eût 
pu  obtenir  des  résultats  plus  avantageux,  et  la  Compagnie  ne 
lirait  pas  de  son  immense  monopole  tout  le  profit  qu'elle  eût 
dû  en  recevoir;  mais  il  paraîtrait,  à  priori,  bien  étrange 
qu'en  possession  d'un  pareil  commerce  et  de  débouchés  si 
bien  assurés,  elle  n'eût  pas  réussi  à  réaliser  des  bénéfices  et 
ne  fût  parvenue  qu'à  s'endetter  ;  ses  progrès,  certes,  étaient 
lents,  mais  il  esl  permis  de  croire  que  si  des  difficultés  d'or- 
dre extérieur  n'étaient  pas  venues  les  arrêler,  cette  situation 
se  fût  maintenue  de  longues  années  encore,  sans  succès 
éclatant  sans  doute,  mais  sans  dénouement  fatal  :  ce  sont  les 
guerres  avec  l'Angleterre  qui  onl  provoqué  la  ruine  de  la 
Compagnie  et  légitimé  sa  suppression. 

Avant  de  terminer  l'examen  de  celle  première  période  de 
rhistoire  de  la  Compagnie  des  Indes,  disons  quelques  mots 
de  ses  actions.  Elles  constituaient  des  titres  au  porteur,  cir- 
constance qui  provoquera  plus  tard  de  graves  reproches  de 
la  part  de  Necker,  et  étaient  susceptibles  d'être  fractionnées 
en  un  certain  nombre  de  subdivisions.  11  y  avait  en  effet 
dans  la  circulation,  à  l'origine,  des  actions  entières  et  des 
dixièmes  d'action  (1);  plus  lard,  il  y  eut  également  des 
seize  vingt-cinquièmes  d'action,  des  huitièmes  d'action  et 
des  vingt-cinquièmes  d'action.  La  Compagnie  les  renouve- 
lait tous  les  qualre  ans  et  livrait  aux  propriétaires  des  litres 
garnis  de  huit  coupons  ;  le  payement  des  dividendes  se  fai- 
sait par  semestre  (2).  Elles  avaient  été  officiellement  cotées 

(1)  48.000  actions  entières  et  80.000  dixièmes  d'action. 

(2)  Il  existe  aux  Archives  Nationales,  dans  le  cartonnier  DVI,  5  (Piè- 


LES    FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES 


561 


au  début  2.000  livres,  mais  leur  valeur  en  Bourse  (1)  subit 
par  la  suite  d'incessantes  fluctuations  et  elles  furent  même 
fort  longtemps  au-dessous  de  leur  valeur  nominale  qu'elles 
n'atteignirent  qu'en  1736  ;  leur  cours  au  l®'"  janvier  de  chaque 
année  est  ainsi  donné  par  Morellet  : 


1725 


680  livres      1736 


1736. 

2.085 

livres 

1737  .  . 

.  2.110 

— 

1738  .  . 

2.056 

— 

1739  . 

2.268 

— 

1740. 

.  2.316 

— 

1741  . 

1.986 

— 

1742  . 

2.024 

— 

1743  . 

2.101 

— 

1744  . 

1745  . 

1.978 
1.173 

— 

1726 711  — 

1727  1.032  — 

1728  1.329  — 

1729  1.420  — 

1730  1.330  — 

1731 1.548  — 

1732  1.776  — 

1733  1.517  — 

1734  1.199  — 

1735  1.521  — 

On  voit  qu'en  1725  elles  constituaient,  avec  un  dividende 
de  150  livres,  un  placement  de  22  0/0,  et  qu'en  1740  elles 
donnaient  encore  6  1/2  0/0, taux  satisfaisant,  car  l'intérêt  resta 
à  5  0/0  une  grande  partie  du  xvni'  siècle  (2).  En  1741  com- 
mence, par  contre,  un  fléchissement  qui  ira  jusqu'au  chiffre 
atteint  en  1745, pour  faire  place  alors  à  une  hausse  nouvelle  : 
les  causes  de  cette  baisse  sont  faciles  à  comprendre  ;  on  re- 
marquera cependant  le  relèvement  momentané  de  1742,  pro- 
cès relatives  à  la  liquidation  de  la  Compagnie  des  Indes)  des  exemplai- 
res de  ces  différents  titres. 

(1)  On  sait  que  la  Bourse  fut  créée  par  un  arrêt  du  24  septembre 
1724;  mais  le  marché  n'en  était  ouvert  à  l'origine  qu'aux  effets  de  com- 
merce proprement  dits  (lettres  de  change,  billets  à  ordre...);  un  arrêt  du 
26  février  1726  permit  d'y  négocier  les  actions  de  la  Compagnie  des 
Indes. 

(2)  D'Avenel,  La  fortune  privée  à  travers  sept  siècles. 

W.  —  36 


562  TROISlfcMK    PARTIK.    CHAPITRE    X 

voqué  sans  doute  par  l'espoir  que  la  neulralilé  pourrait  être 
conclue  avec  la  Compagnie  anglaise.  La  valeur  moyenne  des 
actions  des  Indes  pendant  cette  première  période  fut  de 
1.626  livres  environ,  ce  qui  représente  avec  le  dividende  de 
450  livres  un  taux  moyen  de  9,22  0/0. 

Avec  l'année  1744,  nous  entrons  dans  la  seconde  période 
de  l'histoire  financière  de  la  Compagnie  ;  sa  situation  devient 
de  jour  en  jour  plus  difticile  et  Tinlervenliondu  gouvernement 
royal  dans  ses  affaires  devient  en  même  temps  de  plus  en 
plus  étroite.  Dès  le  début  de  la  guerre  la  Compagnie  eut  re- 
cours à  ses  actionnaires  pour  suppléer  à  Tinsuffisance  de  ses 
ressources;  l'assemblée  générale  du  23  juin  1745  approuva  un 
emprunt  de  500  livres  par  action,  faisant  au  total  25  millions 
de  livres  ;  le  produit  des  Tabacs  fut  affecté  jusqu'à  due  con- 
currence à  la  garantie  du  payement  des  intérêts  annuels  (1). 
Mais  les  Directeurs  ne  reçurent  que  200  livres  sur  chaque  ac- 
tion et  10  millions  en  tout,  et  ce  fut  insuffisant  (2). 

En  effet,  les  premières  prises  faites  par  les  Anglais  causè- 
rent à  la  Compagnie  une  perle  que  l'on  peut  évaluer  à  5  ou 
6  millions  ;  elles  ruinèrent  tout  bénéfice  et  ouvrirent  l'ère 
des  déficits;  puis  les  frais  de  l'escadre  de  La  Bourdonnais,  la 
perle  d'une  partie  de  celle-ci  devant  Madras,  les  dépenses 
des  opérations  de  Dupleix,  furent  pour  la  Compagnie  de  très 
lourdes  charges;  aussi,  se  reconnaissant  impuissante  à  les 
supporter,  fit-elle  appel  au  Roi. 

Elle  demanda  une  avance  de  40  millions  (3),  mais  le  minis- 

(1)  Une  assemblée  antérieure  (du  30  janvier  1745)  avait  demandé  au 
Roi  l'autorisation  d'aliéner  1.500.000  livres  de  rente  sur  la  Ferme  des 
Tabacs  pour  gager  cet  emprunt. 

(2)  Les  Directeus  émirent  aussi  5.032  billets  de  loterie  à  700  livres 
qui  rapportèrent  2.200.000  livres. 

(3)  A  titre  d'indemnité  pour  n'avoir  point  été  protégée  par  les  armes 
du  Roi,  pour  la  défense   de  ses  comptoirs,  pour  les  bénéfices  commer- 


I 


LES  FINANCES    DE  LA    COMPAGNIE  DES    INDES  563 

1ère  refusa,  et  lui  offrit  de  lui  retirer  la  Ferme  des  Tabacs  et 
de  reconnaître  en  échange  l'Etat  débiteur  envers  elle  d'une 
dette  de  180  millions  de  livres  au  lieu  de  100  millions  (1), 
constituant  une  rente  annuelle  de  9  millions  au  lieu  de 
300.000  livres. 

Or,  jusque-là  la  Compagnie  avait  joui  de  300.000  livres  de 
rente  et  des  revenus  des  Tabacs  qui  s'élevaient  à  8.000.000  de 
livres  depuis  1734  ;  elle  avait  donc  de  ces  deux  chefs  un  re- 
venu de  8.300.000  livres  ;  en  se  reconnaissant  débiteur  envers 
elle  d'une  rente  de  9.000.000  de  livres,  l'Etat  lui  faisait  don  en 
réalité  de  700.000  livres  de  rente.  On  doit  supposer  que  la 
Compagnie  vil  dans  cette  ressource  immédiate  de  700.000  li- 
vres une  compensation  suffisante  de  la  perte  des  Tabacs, 
mais  ce  fut  de  sa  part  une  mauvaise  opération  !  L'Etat  avait 
depuis  longtemps  des  remords  d'avoir  abandonné  les  Tabacs 
dont  le  produit  avait  augmenté  depuis  20  ans  et  devait  assu- 
rément augmenter  encore;  en  accroissant  de  80  millions  en 
capital  sa  dette  envers  la  Compagnie  pour  les  racheter,  on 
peut  sans  présomption  le  soupçonner  d'avoir  tenu  ce  détes- 
table raisonnement  qu'une  dette  en  perpétuel  est  chose  sans 
importance  parce  qu'on  n'est  jamais  obligé  de  la  payer.  L'opé- 

ciaux  qu'elle  ne  pouvait  réaliser,  etc. ..  Le  ministre  Machault  repoussa 
ces  prélenlions  (mémoire  concernant  les  demandes  de  la  Compagnie  des 
Indes  au  Roi,  et  mémoire  du  Syndic  de  Fonlpertuis,  Archives  Colonia- 
les). 

(1)  Cette  augmentation  était  ainsi  justifiée  par  M.  de  Machault  dans 
un  état  hiomologué  par  arrêt  du  9  mai  1747  : 
31.000.000  livres,  pour  la  cession  du  monopole  des  Tabacs. 
30.000.000  livres,  pour  améliorations  et  dépenses  faites  dans  cette 
exploitation. 

6.047.952  Uvres,  pour  indemnité    du   monopole    du  commerce    à 
Saint-Domingue. 

6.596.576  livres,  pour  arriéré  des  droits  de  tonneau  depuis  1731. 
5.826,472  livres,  pour  droits  de  nègres. 


564  TROISIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE  X 

ration  se  réduisait  alors  à  ceci  :  il  déboursait  par  an  9  mil- 
lions, mais  il  s'assurait  le  bénéfice  de  8  millions  qui  pour- 
raient s'accroître  plus  tard.  Or  il  donnait  déjà  300.000  livres 
à  la  Compagnie  ;  en  réalité,  comme  nous  l'avons  dit,  il  ne 
sacrifiait  que  700.000  livres,  qu'il  espérait  bien  voir  couvrir 
bientôt  par  les  bénéfices  de  sa  nouvelle  acquisition.  La  Com- 
pagnie, pressée  par  le  besoin,  accepta,  et  l'édit  de  juin  1747 
consacra  le  marché  ;  on  peut  dire  que  le  gouvernement  royal 
abusa  de  la  pénible  situation  où  elle  se  trouvait  pour  le  lui 
imposer. 

Cette  ressource,  pour  laquelle  elle  abandonnait  ainsi  un 
revenu  assuré  et  important,  ne  suffit  naturellement  pas  à 
combler  les  déficits.  En  effet,  la  paix  signée,  la  Compagnie 
se  vil  chargée  d'une  dette  écrasante  de  35  millions,  occasion- 
née par  la  seule  perte  de  29  de  ses  navires  au  cours  de  cette 
guerre  désastreuse  !  Un  arrêt  du  13  mai  1748  dut  l'autoriser 
à  faire  une  nouvelle  constitution  de  1.200.000  livres  de  rentes 
viagères,  représentant  un  capital  de  12  millions  de  livres, 
emprunté  par  la  voie  d'une  loterie  à  tirages  échelonnés  (1). 
Les  ressources  qu'elle  obtint  ainsi  furent  employées  à  payer 
une  partie  des  frais  de  la  guerre  et  des  9  millions  qu'elle 
devait  au  Roi  (notamment  pour  le  droit  d'induit)  (2).  On  com- 
prend à  l'examen  de  cette  difficile  situation  que  la  Compagnie 
ait  appris  avec  une  profonde  terreur  que  la  guerre  n'était  pas 
terminée  dans  l'Inde  et  que  de  nouvelles  dépenses  vien- 
draient encore  creuser  le  gouffre  du  déficit;  malheureuse- 
ment, elle  ne  voyait  ainsi  qu'une  face  des  choses  ;  le  gou- 
vernement royal  qui  était  mieux  placé  qu'elle  pour  voir  la 
situation  sous  son  véritable  aspect,  non  seulement  ne  la 
détrompa  point,  mais  lui  donna  tout  son  appui. 

(1)  Les  renies  viagères  devaient  être  prises  sur  la  rente  servie  par 
le  Roi.  Archives  Nationales .  ADIX,  385. 

(2)  Dû  par  la  Compagnie  à  l'Etal  pour  les  escortes  qu'il  lui  fournissait. 


LES    FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  565 

Les  comptes  fournis  par  Dupleix  firent,  en  effet,  apparaître 
une  nouvelle  brèche  à  réparer,  mais  relativement  peu  impor- 
tante, car  si  les  dépenses  de  l'Inde,  depuis  la  paix  d'Aix-la  - 
Chapelle  jusques  et  y  compris  l'année  1754,  s'étaient  élevées  à 
31.708.756  roupies,  les  recettes  avaient  atteint  30.501.121  rou- 
pies ;  il  ne  restait  donc  à  payer  qu'un  solde  de  1.201.635  rou- 
pies, environ  3.350.000  livres.  Cela  ne  valait  vraiment  pas  la 
peine  de  ruiner  son  œuvre  et  de  perdre  l'empire  de  l'Inde  (1)1 

Entre  les  deux  guerres,  il  n'y  eut  pour  la  Compagnie,  qui 
en  avait  tant  besoin  pourtant,  qu'un  insuffisant  répit.  Cepen- 
dant le  cours  de  ses  actions  pendant  celte  période  (1745- 
1756)  donne  lieu  à  des  remarques  intéressantes:  Morellet  le 
présente  comme  il  suit  : 

1745 1.173  livres 

1746 1.262     — 

1747 1.310     — 

1748 1.348     — 

1749 1.658     — 

1750 1.821      - 


1751  .  .  . 

.  .  1.885  livres 

1752  .  .  . 

.  .  1.845  — 

1753  .  .  . 

.  .  1.765  — 

1754  .  .  . 

.  .  1.781  — 

1755  .  .  . 

.  .  1.623  — 

1756  .  .  . 

.  .  1.500  - 

Il  y  eut  donc,  chose  remarquable,  un  relèvement  constant 
au  cours  même  de  la  guerre,  qui  s'accentua  naturellement 
depuis  la  paix  d'Aix-la-Chapelle  et  se  maintint  jusqu'à  l'an- 
née 1751  ;  puis  une  baisse  se  produisit  sous  l'influence  des 
alarmes  causées  aux  actionnaires  par  les  guerres  de  Dupleix 
et  des  discussions  qui  commençaient  à  se  faire  jour  sur  l'exis- 
tence même  de  la  Compagnie  (2)  ;  l'ouverture  des  hostilités 

(1)  Mémoire  de  Dupleix  {Archives  Nationales)  cite'  par  M.  Bon- 
nassieux,  op.  cit. 

(2)  L'assemblée  des  actionnaires  du  24  de'cembre  1751  approuva  le 
projet  d'un  emprunt  de  18  millions  en  rente  amortissable  à  5  0/0  et 
l'aliénation  de  900.000  livres  de  rentes  à  prendre  sur  la  renie  du  Roi 
pour  être  affectées  au  payement  des  arrérages.  Le  fond  d'amortissement 


î)66  TROISIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE   X 

en  1755  ne  fil  qu'accentuer  un  mouvement  qui  était  déjà  des- 
siné (1). 

Les  dividendes  avaient,  eux  aussi,  été  gravement  affectés 
par  ces  événements;  en  1744,  la  Compagnie  s'était  trouvée 
pour  la  première  fois  incapable  de  fournir  à  ses  actionnaires 
les  150  livres  qui  lui  étaient  imposées;  ni  celte  année  ni  la 
suivante  il  n'y  eut  de  dividende  versé  :  c'est  alors  que  couru- 
rent les  inquiétants  bruits  de  banqueroute  rapportés  par 
d'Argenson,  En  1746,  et  bien  que  les  bénéfices  de  son  com- 
merce ne  se  fussent  nullement  relevés,  la  Compagnie  annonça 
un  dividende  de  70  livres,  elle  le  servit  également  l'année 
suivante  et  pendant  les  années  1748  et  1749.  En  17501a  silua- 
lion  s'était  améliorée,  car  les  opérations  ordinaires  avaient 
repris  leurs  cours  el  les  bénéfices  commerciaux  s'étaient 
relevés  à  plus  de  8  millions,  aussi  le  dividende  put-il  être 
porté  à  80  livres,  ce  qui  ne  représentait  encore,  il  est  vrai, 
que  4  1/2  0/0,  l'aclion  étant  à  1.821  livres  au  l"  janvier  de 
cette  année  ;  mais  la  Compagnie  ne  pouvait  raisonnablement 
faire  davantage,  et  il  fut  maintenu  à  ce  chiffre  pendant  les 
années  suivanles  ;  d'ailleurs,  dès  l'année  1752,  les  actions 
subirent  une  baisse  lente  mais  continue,  et  en  1756  elles  des- 
cendirent à  1.500  livres,  à  la  déclaration  delà  guerre  de  Sept 
Ans  ;  le  dividende  représentait  alors  5,  33  0/0. 

devait  se  composer  du  sol  pour  livre  du  produit  net  des  ventes,  des 
arrérages  des  rentes  viagères  éteintes  et  de  ceux  des  billets  remboursés  ; 
le  remboursement  devait  avoir  lieu  par  voie  de  loterie.  Cette  délibéra- 
tion fut  consacrée  par  l'arrêt  du  4  janvier  1752  {Arch.  Nat.  ADIX,  385). 
C'est  par  erreur,  croyons-nous,  que  M.  Gullru  place  cet  événement 
en  1750.  Le  remboursement  en  fut  suspendu  en  1759  ;  il  restait  en 
1791  10.341  billets  en  circulation.  Archirca  Natiniales,  DVI,  5. 

(1)  En  novembre  1752  le  Roi, suivant  M.  Gullru, tint  donnera  la  Compa- 
gnie un  secours  de  6.500.000  livres  ;  en  1753,  M.  de  Silhouette  estimait 
ses  besoins  à  24  millions  au  moins  (Rapport  au  garde  des  sceaux,  5  oc- 
tobre 1753).  Voir  sur  cette  crise:  d'Argenson,  Mémoires,  t.  Vil,  passim. 


LES    FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  567 

Le  bilan  de  celle  même  année  1756,  à  la  veille  de  la  lutte 
décisive  où  devait  disparaître  la  puissance  coloniale  de  la 
Compagnie,  établissait  ainsi  sa  situation  : 

Capital  (y  compris  les  180  mil- 
lions de  la  renie  du  Roi)   .   .  297.208.795  livres 

A  déduire  : 

Dettes 69.431.404  livres 

Fonds     morts      et     mauvaises 

créances 62.853.526      >>        t58.993.070     » 

Principal  des  rentes  viagères  .     26.708.140     « 

Reste  capital  libre 138.215.725     » 

Revenu  indépendant  du  com- 
merce, défalcation  faite  des 
rentes  viagères  et  autres 
charges 4.274.611     » 

Morellet  accompagne  ce  tableau  de  nombreuses  observa- 
tions qu'il  convient  d'examiner.  Il  fait  remarquer  que  le  ca- 
pital disponible  est  en  augmentation  sur  celui  des  années 
1725,  1736  et  1743;  ce  résultat,  déterminé  par  l'augmentation 
de  la  rente  du  Roi,  s'était  produit  malgré  l'accroissement  de 
la  dette  de  la  Compagnie  qui  avait  grossi  de  49  millions  de- 
puis 1743,  ainsi  que  des  renies  viagères  dont  le  capital  s'était 
élevé  de  11  millions  et  demi  (1).  Aussi  Morellet  s'empresse-l- 

(1)  M.  de  Silhouette,  commissaire  du  Roi  auprès  de  la  Compagnie, 
écrivait  au  contrôleur  général  Séchelles  :  «  Il  est  un  fait  qui  paraît 
d'abord  une  énigme  incompréhensible  et  que  je  me  reprocherais  de  ne 
pas  vous  mettre  sous  les  yeux.  J'ai  observé  que  par  les  bilans  des 
30  juin  1751,  1752,  1753,  la  Compagnie  est  restée  avec  des  millions  de 
bénéfice  et  cependant  je  crois  voir  sensiblement  que  ses  moyens  dimi- 
nuent et  que  ses  délies  augmentent.  Celte  énigme  ne  me  paraît  pou- 
voir s'expliquer  qu'en  supposant  qu'on  porte  au  crédit,  et  comme  aug- 
mentation, des  articles  qui  devraient  être  passés  au  débit.  S'il  n'en  est 
point  ainsi,  j'ignore  comment  on  peut  résoudre  cette  énigme.»  —  Il  pa- 
raît en  effet  assez  étrange  que  le  commissaire  du  Roi,  dont  on  connaît 
le  rôle  dans  la  Compagnie,  ne  puisse   s'expliquer  de  pareils  faits,  s'il 


508  TROISIKME    l'ARTIE.    —    CIIAIMTRK    X 

il  de  démontrer  «  qu'il  ne  faut  rien  conclure  de  celte  aug- 
mentation en  faveur  de  la  Compaj^nie,  et  que  celte  époque 
(1743-1756)  fournit  au  contraire  la  preuve  de  sa  dégradation  ». 
En  effet,  dit-il,  le  Roi  a  augmenté  pendanl  ce  laps  de  temps 
sa  délie  envers  la  Compagnie  de  80  millions  et  les  inlérêls 
qu'il  lui  a  payés  ont  atteint  au  total  6.300.000  livres  ;  il  lui 
a  fait  remise  des  dividendes  qui  lui  devaient  revenir,  soit 
2.485.476  livres,  enfin  il  l'a  autorisée  à  retenir  1/10®  sur  les 
renies  viagères,  soit  1.604.829  livres;  au  total:  90.390.305 
livres,  telle  est  la  somme  reçue  de  lui  par  la  Compagnie  pen- 
danl ces  neuf  années  I  Son  capital  aurait  donc  dû  être  aug- 
menté de  cette  somme,  et  s'élever  à  227. 591.852  livres;  mais 
il  n'esl  que  de  138.215.725  livres,  il  présente  donc  un  déficit 
de  89.376.127  livres. 

Le  raisonnement  de  Morellet  est  en  grande  partie  un  so- 
phisme. Sans  doute  le  Roi  a  augmenté  sa  dette  envers  la  Com- 
pagnie de  80  millions  et  son  capital  a  été  élevé  d'autant  ; 
mais  en  même  temps  il  lui  a  retiré  les  Tabacs,  dont  ces 
80  millions  représentaient  l'équivalent,  et  en  réalité  il  n'a 
augmenté  le  capital  de  la  Compagnie  que  du  capital  des 
700.000  livres  de  rente  annuelle  en  excédent,  soit  à  5  0/0 
14  millions.  Quant  aux  sommes  reçues  par  la  Compagnie 
pendant  ces  neuf  années,  elles  ne  s'élèvent  pas  à  90  millions, 
mais  à  10.380.305  livres,  se  répartissanl  ainsi: 

6.300.000  livres  en  neuf  années  de  service  des  700.000 
livres  de  rente. 

2.485.476      —    de  la  remise  des  dividendes  dus  au  Roi. 

1 .604.829  —  provenant  de  la  retenue  du  dixième  sur 
les  rentes  viagères. 

Nous  y  ajouterons  les  14  millions  d'augmentation  du  capi- 

est  vrai  qu'ils  se  fussent  passés  (Mémoire  en  date  du  5  octobre   1753, 
cité  par  M.  Cultru,  op.  cit.). 


LES    FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  S69 

lai,  qui  n'ont  apporté  par  eux-mêmes  aucun  secours  à  la 
Compagnie,  uniquement  parce  que  dans  l'établissement  du 
capital  de  1725  a  figuré  le  capital  de  la  dette  du  Koi,  et  nous 
arrivons  à  un  total  de  24.380.305  livres  qui ,  ajouté  aux 
137.201.547  livres  de  capital  libre  en  1725,  eût  dû  faire 
161. 581. 852  livres, ce  qui  donne  un  déficit  de  23.366.127  livres. 
Evidemment  la  Compagnie  est  en  fâcheuse  situation,  mais  il 
importe  de  ne  pas  en  exagérer  les  proportions  et  cette  perle 
est  normale,  étant  données  les  très  lourdes  charges  que  la 
guerre  lui  a  laissées  (1). 

Enfin, pour  le  revenu  de  la  Compagnie,  estimé  par  Morellet 
à  4.274.611  livres  nel,  nous  ferons  le  même  calcul  que  pour 
les  bilans  précédents,  sous  le  bénéfice  des  observations  déjà 
présentées  : 

1756 

Tabacs Néant 

Renie  sur  le  Roi 9.000.000 

Privilèges Ne'ant 

Commerce 8.561.512 

Total 17.561.512 

A  déJuire  : 

Renies  viagères 2.403.733 

Dividendes 4.039.282 

Inlérèls  de  la  délie 3.471.570 

Total 9.914.535 

Resle 7.446.977 

Soit  un  déficit  de  556.513  livres  sur  le  revenu  de  1743,  mais 
un  excédent  sur  ceux  de  1725  et  de  1736  de  3.457.231  livres 
et  de  2.572.624  livres. 

En  résumé,  nous  croyons  pouvoir  dire  que  la  situation  de 

(1)  Le  capital  disponible  de  1736  était  déjà  en  diminution  de 
9.038.244  livres  sur  celui  de  1725,  celui  de  1743  le  fut  de  13.959.849 
livres  sur  le  même  capital. 


570  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    X 

la  Compagnie  était  grave,  mais  nullement  désespérée ,  et 
qu'une  nouvelle  période  de  paix  lui  eùl  permis  d'amorlir 
ses  lourdes  charges  tout  en  relevant  son  commerce;  mais  la 
faculté  ne  devait  pas  lui  en  être  laissée. 

En  effet,  une  nouvelle  guerre  s'ouvrit  qui  rendit  inutiles  les 
efforts  qu'elle  avait  faits  pour  réparer  ses  premiers  désastres 
et  la  conduisit  à  sa  ruine.  Dès  le  début  des  opérations  deux 
de  ses  navires  devinrent  la  proie  des  Anglais,  puis  elle  dut 
armer  et  équiper  en  guerre  une  flotte  qui  conduisit  dans 
l'Inde  Lally-Tollendal.  Pour  subvenir  à  ces  dépenses,  il  fal- 
lut créer  de  nouvelles  ressources.  Les  Directeurs  proposèrent 
de  contracter  un  emprunt  ;  il  fut  approuvé  par  l'assemblée 
générale  du  19  septembre  1755  et  autorisé  par  un  arrêt  du 
121  octobre.  On  émit  aussitôt  des  rentes  perpétuelles  à  5  0/0 
pour  12  millions  de  livres,  ce  qui  ajouta  une  charge  an- 
nuelle de  600.000  livres  aux  précédentes  obligations  déjà  si 
lourdes.  Mais  la  Compagnie  ne  put  faire  de  nouvel  effort  et 
ce  fut  le  Roi  qui  dut  envoyer  à  Lally  les  quelques  secours 
qui  lui  furent  adressés  et  qui  malheureusement  ne  lui  par- 
vinrent point. 

La  paix  revint  après  une  série  de  désastres  pour  la  Com- 
pagnie :  la  ruine  de  ses  comptoirs  de  l'Inde  et  du  Sénégal, 
la  perte  d'un  grand  nombre  de  ses  vaisseaux,  la  destruction 
de  son  commerce.  Le  traité  de  Paris  lui  rendit  ses  comptoirs, 
mais  on  sait  dans  quel  état;  Pondichéry  était  rasé,  Saint- 
Louis  restait  aux  mains  des  Anglais  ;  il  fallut  reconstituer 
l'œuvre  d'un  siècle  de  travail  et  la  Compagnie  n'avait  plus 
de  ressources! 

Elle  se  mit  néanmoins  courageusement  à  l'ouvrage  ;  il  fut 
décidé  que  les  dettes  seraient  liquidées  ,  car  il  importait 
avant  tout  de  connaître  l'étendue  de  sa  détresse  ;  les  dettes 
criardes  purent  être  payées  avec  les  revenus  réguliers  ;  on 


LES    FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  571 

obtint  du  Roi  qu'il  renonçât  à  la  propriété  des  11.835  actions 
et  des  11.835  billets  de  l'emprunt  de  1745,  qu'il  possédait(l)  ; 
par  contre,  la  Compagnie  s'engagea  à  payer  les  dépenses 
occasionnées  par  la  guerre  dans  l'Inde,  évaluées  à  70  millions 
environ.  Elle  fut  autorisée  à  faire  à  ses  actionnaires  un  appel 
de  400  livres  par  action  qui  lui  procura  les  premiers  fonds 
dont  elle  avait  besoin  ;  puis  un  édit  du  mois  d'août  1765 
approuva  l'émission  d'un  emprunt  sous  forme  de  loterie  dont 
le  total  des  lots  fut  fixé  à  477.000  livres  de  rentes  viagères. 
Le  commerce  s'était  relevé  et  ses  bénéfices  avaient  passé  de 
2  à  6  millions  ;  mais  le  gouffre  des  deltes  de  la  guerre  ne 
pouvait  être  comblé  par  ces  faibles  ressources  et  l'on  dut 
songer  à  contracter  un  nouvel  et  plus  important  emprunt. 
Il  fut  fixé  à  12  millions  de  livres  et  eut  lieu  comme  précédem- 
ment par  voie  de  loterie  ;  cependant  il  ne  consista  pas  cette 
fois  en  rentes  viagères,  mais  en  obligations  remboursables 
dans  un  délai  de  cinq  ans  avec  intérêt  de  5  1/2  0/0.  Celte 
opération,  autorisée  par  les  lettres-patentes  du  19  juillet  1767, 
réussit  bien  et  l'emprunt  fut  couvert  rapidement,  ce  qui 
prouve  beaucoup  en  faveur  du  crédit  que  la  Compagnie  avait 
conservé  et  de  l'habileté  de  sa  nouvelle  administration  (2). 

(1)  Avec  les  dividendes  et  intérêts  qui  lui  étaient  dus,  à  la  charge  de 
continuer  les  pensions  constituées  par  le  Roi  sur  ces  revenus  et  qui 
s'élevaient  à  72.000  livres. 

(2)  Quelques  détails  sur  cette  loti  rie  permettront  de  se  rendre  compté 
de  ce  genre  d'opération  si  fréquent  au  xviii*  siècle  ;  elle  fut  d'ailleurs 
une  des  plus  importantes  qu'ait  organisées  la  Compagnie.  Il  fut  émis 
30.000  billets  de  400  livres  payables  comptant  ;  un  tirage  général  eut 
lieu  le  15  janvier  1768,  dans  lequel  furent  tirés  1.000  lots  supérieurs  à 
400  livres,  dont  un  de  200.000  livres,  un  de  150.000  livres,  un  de 
100.000  livres,  un  de  80.000  livres,...  300  de  600  livres  et  532  de 
500  livres,  pour  une  somme  totale  de  i. 713.000  livres.  Ces  lots  n'é- 
taient payables  qu'au  15  décembre  1768,  cependant  on  pouvait  les  ré- 
clamer immédiatement  moyennant  une  retenue  de  5  0/0,  En  outre,  au 
mois  d'août  de  chacune  des  années    1768  à  1772  inclus,  il  devait   être 


572  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    X 

Dès  lors  les  événements  se  précipitèrent;  nous  les  appré- 
cierons ailleurs  et  nous  nous  bornerons  ici  à  mentionner  les 
deux  dernières  opérations  faites  parla  Compagnie.  Un  arrêt 
du  6  avril  17G9  autorisa  une  loterie  nouvelle  au  capital  de 
11.100000  livres,  divisé  en  37.000  billets  et  comprenant 
3.700  lots  pour  une  somme  totale  de  711.670  livres  qui  devaient 
être  prélevées  sur  le  produit  de  la  vente  prochaine  (1).  L'an- 
née suivante,  des  lettres  patentes  du  9  février  autorisèrent  le 
tirage  d'une  seconde  loterie  au  capital  de  12  millions,  dont 
les  lots  devaient  cette  fois  consister  en  rentes  viagères  ré- 
parties en  4.000  lots  pour  un  chiffre  de  40.000  billets  (2). 

fait  un  tirage  d'un  certain  nombre  de  lots  de  400  livres,  égaux  par 
conséquent  au  prix  des  billets  :  2.000  la  première  année,  puis  4.000, 
5.000,8.000  et  10.000  la  dernière.  Soit,  en  comptant  les  1.000  lots 
du  tirage  général,  30.000  lots  pour  une  somme  totale  de  13.313.000  li- 
vres. Chacun  des  tirages  partiels  donnait  lieu  en  outre  à  la  distribution 
d'un  certain  nombre  de  primes  par  la  voie  du  sort  :  au  premier  tirage, 
par  exemple,  200  primes  sur  les  2.000  lots,  dont  une  de  4.000  livres, 
une  de  2.000  livres  etc.  ;  au  second  400  primes,  au  troisième  500,  au 
dernier  i.OOO,  la  valeur  de  ces  primes  augmentant  du  premier  au  der- 
nier tirage  et  le  dernier  comprenant  notamment  une  prime  de  60.000 
livres,  une  de  50.000  livres,  une  de  40.000  livres,  etc. 

Les  lettres  patentes  qui  autorisaient  cette  opération  invitaient  tous  les 
sujets  du  Roi  à  y  prendre  part  et  même  les  étrangers,  à  l'égard  desquels 
le  Roi  renonçait  à  exercer  les  droits  d'aubaine  et  confiscation  qui  pour- 
raient lui  appartenir. 

En  somme, c'était,  à  peu  de  cliose  près,  ce  que  l'on  appelle  aujourd'hui 
un  emprunt  amortissable  à  lots  ;  mais  on  ne  présentait  pas  alors  cette 
opération  comme  on  le  fait  à  notre  époque. 

(1)  C'était  cette  fois  une  loterie  pure  et  simple  :  le  billet  était  à  300 
livres  et  il  y  avait  un  lot  de  100.000  livres,  un  de  50.000  livres,  un  de 
20.000,  etc.. L'opération  avait  été  approuvée  par  l'assemblée  des  action- 
naires du  3  avril  1769  :  le  tirage  en  devait  avoir  lieu  le  1""  août  {Ar- 
chives Nationales  ADIX,  385). 

(2)  Le  billet  était  encore  di^  300  livres  :  les  36.000  billets  qui  ne  sor- 
tiraient pas  devaient  donner  droit  cependant  à  une  rente  viagère  de 
20  livres,  et  un  tirage    ultérieur  de  1.800  primes  devait  être  fait  en 


LES    FINANCES    DE  LA    COMPAGNIE    DES     INDES  o73 

En  1768,  l'année  qui  précéda  sa  chiUe,la  Compagnie  obte- 
nait encore  un  bénéfice  commercial  de  6.386.000  livres  ;  le 
prix  de  ses  actions  en  Bourse  était  de  1.227  livres,  et  elles 
rapportaient  un  dividende  de  80  livres,  soit  6,52  0/0.  Ces 
titres  avaient  subi  depuis  1756,  date  à  laquelle  nous  avons 
arrêté  notre  précédent  examen, les  variations  que  présente  le 
tableau  suivant  : 


livres 

livres 

livres 

livres 

1756. 

.     1.500, 

dividende 

80 

1763. 

838, 

dividende  40 

1757. 

1.493 

— 

80 

1764.   . 

932 

—          20 

1758. 

1.407 

— 

80 

1765.   . 

1.367 

-          80 

1759. 

1.275 

— 

40 

1766.   . 

1.317 

-          80 

1760. 

792 

— 

40 

1767.  . 

1.263 

—          80 

1761. 

751 

— 

40 

1768.   . 

1.227 

-          80 

1762. 

725 

— 

40 

1769.   . 

.   -          60 

On  voit  à  son  inspection  que  l'effet  de  la  guerre  de  Sepl- 
Ans  fut  tout  autre  sur  les  actions  des  Indes  que  celui  de  la 
guerre  précédente,  puisque  loin  de  subir  comme  alors  un 
relèvement  continu,  elles  fléchirent  cette  fois  d'une  façon 
très  grave,  sans  néanmoins  redescendre  aussi  bas  qu'elles 
avaient  été  en  1723  à  la  sortie  du  Système.  Le  retour  de  la 
paix,  les  réformes  dont  l'administration  de  la  Compagnie  fut 
l'objet  en  1764,  eurent  sur  leur  valeur  une  heureuse  in- 
fluence ;  mais  elle  ne  put  durer,  et  l'approche  de  l'échéance 
de  son  privilège,  ainsi  que  les  discussions  déjà  violentes 
auxquelles  il  donnait  lieu,  en  maintinrent  le  cours  assez  bas 
pour  justifier  toutes  les  critiques.  Enfin  notons  que  la  valeur 
moyenne  du  titre  pendant  cette  dernière  période  fut  de  1 .145 
livres  et  le  dividende  moyen  de  60  livres,   soit  5,24  0/0. 

leur  faveur  :  le  tirage  de  la  loterie  fut  fixé  au  début  de   mai  1770 
{Archives  nationales,  ibid.}. 


574  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    X 

Dès  le  début  de  l'année  1769,  la  Compagnie,  à  bout  de 
ressources  malgré  ses  précédents  emprunts,  dut  recourir 
encore  une  fois  à  l'assistance  du  gouvernement  royal.  Mais 
les  états  de  situation  qu'elle  fournit  au  contrôleur  général 
Maynon  d'Invau  pour  justifier  ses  demandes  de  secours  fu- 
rent communiqués  par  celui-ci  à  l'abbé  Morellet,  l'un  des  Eco- 
nomistes les  plus  en  vue  à  ce  moment,  et  ce  dernier  les  pu- 
blia dans  les  circonstances  que  nous  examinerons  bientôt, 
en  les  accompagnant  des  critiques  les  plus  sévères.  Cette 
publication  faisait  ressortir  la  situation  de  la  Compagnie  sous 
un  jour  si  défavorable,  que  la  mesure  prise  bientôt  après  par 
le  gouvernement  à  son  égard  ne  rencontra  dans  l'opinion 
publique  aucune  opposition  sérieuse,  comme  il  parait  l'avoir 
quelque  peu  craint  (1). 

(1)  Au  dernier  moment,  ainsi  que  nous  le  dirons  ultérieurement,  on  vit 
paraître  un  projet  de  transformation  de  la  Compagnie  en  Caisse  d'Es- 
compte :  il  importe  de  dire  quelques  mots  à  ce  sujet.  Le  but  des  Caisses 
d'Escompte,  qui  jouèrent  un  rôle  important  dans  l'histoire  financière  du 
xviii'^  siècle,  était  de  réglementer  et  de  diriger  le  taux  de  l'intérêt  en 
escomptant  les  lettres  de  change  et  les  autres  effets  de  commerce  ;  on 
se  faisait  alors  à  ce  sujet  des  idées  très  exagérées.  La  Compagnie  des 
Indes  prit  une  part  importante  à  la  création  d'une  première  Caisse 
d'Escompte  en  1727  ;  son  capital  fut  en  effet  fourni  en  partie  par  le 
gouvernement,  en  partie  par  la  Compagnie  ;  mais  le  premier  ne  tarda 
pas  à  retirer  ses  fonds,  tandis  que  la  Compagnie  maintint  les  siens. 
Cette  Caisse  escompta  le  papier  à  6,  puis  à  5  0/0,  et  fut,  paraît-il,  pros- 
père ;  cependant  elle  disparut  en  1759.  Une  seconde  Caisse  d'Escompte 
fut  fondée  par  le  banquier  Panchaud,  en  vertu  d'un  arrêt  du  !*■■  janvier 
1767,  mais  elle  n'eut  pas  de  succès  ;  cependant,  pour  la  soutenir,  son 
fondateur  proposa  aux  Députés  des  actionnaires  à  l'assemblée  du  29  mars 
1769  de  cesser  l'exploitation  du  monopole  commercial  de  la  Compagnie 
des  Indes  et  de  la  fondre  avec  sa  Caisse  d'Escompte  qui,  agrandie  de 
la  sorte,  escompterait  les  effets  à  4  0/0.  Son  projet  fut  repoussé  et  la 
Caisse  d'Escompte  disparut.  Une  troisième  devait  être  instituée  le 
24  mars  1776  avec  un  capital  de  12  millions,  qui  fut  suppriuiée  à  son 
tour  par  un  décret  de  1793,  Necker  ayant  échoué  dans  le  projet  de  la 


LES    FINANCES    DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  o75 

Situation  de  la  compagnie  des  Indes  en  1769. 
Actif. 
Chapitre  I.  —  La  rente  sm^  le  Roi,  au  capital  de  180  mil- 
lions de  livres,  donnant  un  revenu  annuel  de  9  millions.  Mais 
il  fallait  en  déduire  les  rentes  perpétuelles  et  viagères  dont 
elle  était  grevée,  soit  : 
Kenles  perpétuelles  : 

livres  livres 

258.625  au  capital  de     5.172.500,  provenant  des  billets  d'em- 
prunt créés  en  1745. 
900.000  »  18.000.000,  rentes  à  5    0/0  créées   en 

1751. 
600.000  »  12.000.000,  rentes  à  5   0/0   créées  en 

175.5. 
964.985  »  24.124.646,  rentes    à  4   0/0  créées   en 

1764. 
2.9.53.740  »  59.074.800,rentes  assurées  à  36.921  ac- 

lions. 

Total  ;    5.677.350  »  118.371.946 

Rentes  viagères  : 

1.146..368  (1)     »  11.463.680,  créées  en  1724  sous  forme 

de  loterie. 
909.361  9.093.610,  créées  en  1748  sous  forme 

de  loterie. 
470.668  »  4.706.680,  créées  en  1765  sous  forme 

de  loterie. 
419.102  »  4.191.020,  emprunt  viager  cà  10  0/0 

(1765). 
57.400  »  574.000,  au  profit  de  M.  de  Bussy 

et  autres. 
72.000  »  720.000,  de  pensions  créées  par  le 

Roi  (1764). 


Total  :    3.074.899  »  30.748.990 


Au  total  :  8.752.249.        »  149.120.936  (2). 

transformer  en  Banque  Nationale  qu'il  présenta  à  l'Assemblée  Consti- 
tuante. 

(1)  Morellet  reproche  à  la  Compagnie  de  n'avoir  pas  tenu  compte  en 
établissant  ce  chiflre  du  dixième  qu'elle  a  été  autorisée  à  retenir,  mais 
qu'on  peut  la  forcer,  dit-il,  à  payer  ;  il  le  remplace  donc  par  celui  de 
1.273.742  livres. 

(2)  Morellet  ajoute  à  ce  premier  chapitre  61.000  livres  de  pensions 


576  TROISIÈMK    PARTIE.    —    CHAPITRE    X 

Déduction  faite, il  reste  de  la  rente  du  Roi  30.879.064  livres 
en  capital  et  247.74:2  livres  en  rente  annuelle.  Mais  sur  la  dite 
somme  il  y  a  4.955.020  livres  en  capital,  libres  pour  la  rente 
et  pour  le  capital,  et  25.924.044  livres  qui  ne  sont  libres  que 
pour  la  rente,  le  capital  étant  hypothéqué  pour  le  payement 
des  rentes  viagères. 

Chapitre  H.  —  Elfets  mobiliers  et  immobiliers. 

Meubles  : 

28  vaisseaux  et  frégates  et  2  senaus,  en  tout  30  na- 
vires       4.010.854  livres 

Effets  de  marine  à  Lorient  estimés  au   26  avril 

1769  (1) 3.2i2.775     » 

1.349  noirs  aux  îles  de  France  et  Bourbon  (2),  esti- 
més 1.000  livres  par  lêle 1.349.000     » 

Et  autres  effets,  munitions,  etc 

Total  des  meubles 10.156.648      » 

Immeubles  : 

L'hôtel  de  Paris  (3) 1.000.000  livres 

Les  magasins  de  Lorient  (4) 6.701.532  » 

Magasins  et  bâtiments  achetés  aux  Iles  depuis  1764.  42.400  » 
—               —        dans  l'Inde,  évalués  2   mil- 
lions     pour  mémoire 

Total  des  immeubles 7.743.939  » 

Total  des  effets  mobiliers  et  immobiliers.  17.900.587  » 

constituées  par  la  Compagnie  qu'elle  n'y  fait  pas  figurer  parce  que  cette 
dépense  rentre  dans  les  dépenses  ordinaires  ;  elle  n'en  pèse  pas  moins, 
dit-il,  sur  les  actionnaires;  soit  en  capital  :  610.000  livres. 

(i)  Morellet  prétend  que  cette  estimation  a  été  faite  pour  leur  valeur 
d'achat  et  non  pour  leur  valeur  actuelle  ;  il  diminue  donc  ce  chiffre  de 
15  0/0,  ce  qui  le  ramène  à  2.730.862  livres. 

(2)  Morellet  ramène  leur  nombre  à  829  et  leur  valeur  à  500  livres  sur 
la  foi  d'une  lettre  reçue  de  l'île  de  France  :  cet  article  est  ainsi  réduit  à 
414.500  livres. 

(3)  Morellet  n'estime  l'hôtel  de  Paris  que  800.000  livres,  d'après  un 
rapport  du  député  des  actionnaires  Jaume. 

(4)  Morellet  croit  cette  estimation  très  exagérée  et  accuse  la  Compa- 


LES    FINANCES   DE   LA    COMPAGNIE    DES    INDES  577 

Chapitre  III.  —  Fonds  circulant  dans  le  commerce. 

En  caisse  à  Paris  et  Lorient  en  argent  et  effets  à 

recouvrer  avant  le  31  décembre  1769 10.716.574  livres 

Marchandises  à  Lorient  ou  en  route  pour  Lorient.  1.609.771  » 

Fonds  en  caisse  au  Bengale  après  1770 7.376.000  » 

Fonds  en  caisse  à  Pondichéry  après  1770 425.140  » 

Produit  espéré  des  ventes  de  1769  et  1770(1)  .  .  45.240.000  » 
Retours  des  cinq  expéditions  faites  aux  Iles  depuis 

1764 5.379.649  n 

Total  des  fonds  circulants 71.151.730      » 

Chapitre  IV.  —  Dettes  actives  provenant  du  commerce . 

Sommes  dues  par  les  particuliers  aux  Iles 3.020.100  livres 

»  par  le  Roi  (départements  de  la  ma- 
rine et  des  finances) 3.060.295      » 

»         par  la  Marine  pour  fournitures  aux 

lies     7.056.746      » 

»  par  les  Finances  pour  droits  de  ton- 
neau en  1768 775.406      » 

par  les  Finances  pour  droits  d.e  noirs.  120.000 

»  par  le  Roi  pour  les  bâtiments,  noirs, 
effets  d'artillerie  dont  il  a  pris 
possession  aux  Iles  en  1767.  .  .        7.625.348      » 

Total  des  dettes  actives 16.962.112      ~ 

Récapitulation.  Total  de  l'actif 136.873.493  livres 

gnie  d'avoir  pour  l'obtenir  ajouté  à  la  valeur  primitive  des  bâtiments 
les  dépenses  de  leur  entretien  :  il  réduit  en  conséquence  cet  article  de 
3.351.539  livres. 

(1)  Morellet  reproch  d'une  part  à  la  Compagnie  de  faire  figurer 
ainsi  à  son  actif  de  simples  espérances,  alors  qu'elle  ne  devrait  y  comp- 
ter que  la  valeur  des  marchandises  au  départ  ;  d'autre  part  d'avoir 
exagéré  ces  bénéfices,  car  il  dit  que  le  dernier  retour  de  Chine  n'a 
donné  que  68  0/0  de  profit,  et  celui  de  l'Inde  que  58  0/0,  ce  qui  réduit 
les  ventes  prochaines  à  43.320.000  livres.  Cette  observation  est  justi- 
fiée, mais  les  bénéfices  de  la  dernière  campagne  avaient  été  plus  élevés 

w.  —  37 


578  troisième  partie.  —  chapitre  x 

Passif. 

Les  dettes  hypothécaires  ayant  été  déduites  directement 
au  chapitre  I"""  de  l'actif,  il  ne  reste  que  les  dettes  ordinaires. 

1°  Dettes  antérieures  à  1764.  --  Lettres  de  change 
tirées  sur  la  Caisse  de  Paris  par  les  établissements 
de  l'Inde  à  la  date  du  28  février  1768  pour  acquit- 
ter les  dettes  de  la  Compagnie 1.429.951  livres 

A  cette  date,  restait  à  liquider  dans  l'Inde  ....         5.625.308      » 

—  à  payer  à  l'île  de  France  .  .  .        1.461.375     » 

—  —     à  l'île  Bourbon  .  .  .  .         1.877.101      » 
Dû  à  l'ancienne  Compagnie,  payable  en  contrats  à 

4  0/0 433.000      .. 

Créances  prétendues  par  les  héritiers  Dupleix  .  .  .        pour  mémoire 
2°  Dettex  nouvelles  à  payer  en  1769,  1770,  1771  et 

1772 69.677.860 

Total  du  passif 82.136.537  (1) 

Récapitulation  et  balance  (2)  : 

Actif 136.895.493  livres 

Passif 82.136.537     » 

Reste 54.756.956     ~ 

L'abbé  Morellet  n'admet  pas  que  ces  états  présentent  la 
véritable  situation  delà  Compagnie.  Après  un  examen  minu- 
tieux des  articles  qui  les  composent,  il  réduit  le  chiffre  du 

que  Morellet  ne  le   rapporte  :  suivant  le  comte  de  Lauraguais,  les  re- 
tours de  l'Inde  avaient  donné  en  effet  66  0/0. 

(1)  Morellet  passe  en  revue  les  différents  articles  du  passif,  comme  il 
l'a  fait  pour  l'actif;  ses  observations  étant  conçues  dans  le  même  esprit, 
nous  nous  bornerons  à  indiquer  qu'il  en  élève  le  total  à  88.136.537  li- 
vres, soit  6.000.000  d'excédent. 

(2)  Arrêté  par  nous  Députés, Syndics  et  Directeurs  de  la  Compagnie, 
en  l'hôtel  de  la  Compagnie,  le  2  juin  1769.  Signé  :  duc  de  Duras,  du 
Vaudier,  La  Rochette,  de  Bruny,  du  Pan,  de  Clonard,  Jaume,  Moracin, 
Lhéritier  de  Brutelte,  Louis  Julien,  Duval  d'Espréménil,  de  Méry  Darcy, 
Le  Moine,  Risleau,  de  Rabec,  Sainte-Catherine. 


LES    FINANCES   DE    LA    COMPAGNIE    DES    INDES  o79 

capital  disponible  à  39.2^3.534  livres,  ce  qui  fait  ressortir  une 
diminution  de  97.978.013  livres  sur  le  capital  primitif,  et  de 
98.992.191  livres  surcelui  de  1756  (l).Ilesldifficiledecontrôler 
l'exactitude  des  critiques  qu'il  adresse  à  la  Compagnie  et  par 
suite  des  diminutions  qu'il  fait  subir  à  ses  évaluations  ;  nous 
nous  bornerons  donc  à  mettre  en  regard  de  ses  conclusions, 
qu'en  admettant  comme  exact  le  chiffre  du  capital  disponible 
présenté  par  la  Compagnie,  soit  54.756.956  livres,  celui-ci  est 
lui-même  en  perte  de  82,444.591  livres  sur  le  capital  libre 
en  1725  et  de  83.458.769  livres  sur  celui  de  1756  1 

Enfin,  si  après  l'examen  de  la  situation  présente  de  la  Com- 
pagnie, on  se  livrait  à  celui  de  la  situation  à  venir  dans  les 
conditions  où  la  Compagnie  se  trouvait  alors,  on  arrivait  au 
résultat  suivant  (2)  : 

1769 

Dépenses 36.852.304  1. 

Recettes 36.852.304  (3) 

Equilibre. 

1770 

Dépenses 22.111.879  1. 

Recettes 9.000.000    

Manque 13.151.379  livres 

(1)  Les  résultats  définitifs  qu'il  oppose  à  la  situation  présentée  par  la 
Compagnie  sont  les  suivants  : 

Actif:  en  contrats 42.205.118  livres 

en  argent 72.482.440      » 

en  fonds  morts 12.672,513      » 

127.360.071      » 
Passif 88.136  537     .; 

Balance  eu  faveur  de  l'actif 39.223  534      » 

(2)  D'après  les  états  exposés   par   le  comte  de  Lauraguais, 

(3)  Produit  des  ventes  de  cette  année  et  du  restant  de  la  dernière 
vente. 


580  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRÉ    X 

1771 

Dépenses 14.304.841  1. 

Recettes 22.620.000  (1) 


Reste 8.315.159  livres 

1772  et  les  années  suivantes  (2). 


Dépenses 14.163.780  I. 

Recettes 97.130.854 


Reste 82.967.074  livres 

Balance 

Reste 91.382.233  livres 

Manque 13.151.379    » 

Actif  de  la  Compagnie  après  l'extinction  complète  des  ren- 
tes viagères  :  78.230.854  livres. 

Telle  était  la  situation  financière  que  présentait  la  Compa- 
gnie des  Indes  au  moment  où  son  privilège  arrivait  à  terme  ; 
elle  était  incontestablement  difficile,  et  la  Compagnie  ne  pou 
vait  guère  espérer  se  relever,  si  le  gouvernement  royal  ne  lui 
en  facilitait  pas  les  moyens.  Celui-ci  se  servit  au  contraire 
de  cet  état  de  choses  pour  suspendre  l'exercice  de  son  privi- 
lège, et  la  liquidation  commença  aussitôt.  Elle  se  terminera, 
comme  on  le  verra  et  comme  il  est  très  important  de  le 
remarquer,  de  la  façon  la  plus  honorable  pour  la  Compa- 
gnie. 

(1)  Vente  de  1770. 

(2)  Jusqu'à  l'extinction  totale  des  rentes  viagères. 


QUATRIÈME  PARTIE 

QUATRIÈME  PHASE.  —  LES  DERNIERS  TEMPS 

ET    LA    FIN    DE     LA     COMPAGNIE    FRANÇAISE 

DES  INDES 


CHAPITRE   PREMIER 


CHUTE    DE  LA  COMPAGNIE  DE  LAW. 


Première  attaque  contre  le  privilège  de  la  Compagnie  des  Indes  :  le 
mémoire  de  M.  de  Gournay  (1755).  —  La  Compagnie  arrive  au  terme 
de  sa  concession.  —  Conversion  en  Caisse  d'Escompte  proposée  par 
le  banquier  Panchaud.  —  Le  mémoire  de  l'abbé  Morellet.  —  Part 
prise  par  le  gouvernement  royal  et  en  particulier  par  le  contrôleur 
général  Maynon  d'Invau  à  cette  attaque  décisive  contre  la  Compa- 
gnie. —  La  Compagnie  charge  Necker  du  soin  de  la  défendre.  — 
Suspension  de  son  privilège  par  l'arrêt  du  13  août  1769,  —  Inter- 
vention du  Parlement.  —  Situation  faite  à  la  Compagnie  dans  le 
nouvel  état  de  choses. 


La  seconde  moitié  du  xviu"  siècle  fui  marquée  en  France 
par  la  rupture  de  l'équilibre  qui  s'était  conservé  jusque-là 
entre  les  institutions  et  les  idées  ;  les  institutions,  à  quelque 
ordre  qu'elles  appartinssent,  ne  s'étaient  encore  transformées 
que  fort  lentement,  les  idées  les  dépassèrent.  Deux  courants 
se  manifestèrent  parmi  elles  :  l'un  s'attaqua  au  régime  poli- 


582  QUATRIEME    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

tique  el  l'on  sait  quel  en  fui  le  résullat  ;  le  second  se  heurta 
à  la  situation  économique  dans  laquelle  se  trouvait  alors  la 
France,  elsi  ses  effets  furent  moins  retenlissanlsjls  ne  furent 
pas  de  moindre  importance.  Le  royaume  était  alors  écono- 
miquement, plus  encore  que  politiquement,  sous  un  état  de 
choses  suranné  ;  le  protectionnisme  de  Colberl,  défiguré  par 
de  successives  retouches,  gênait  et  affaiblissait  ce  qu'il  eût 
dû  soutenir  el  fortifier.  Les  vieilles  idées  des  Mercanlilistes, 
auxquelles  Vauban,  Boisguillebert,  d'Argenson,  avaient  ap- 
porté les  premiers  démentis,  soulevaient  alors  de  constantes 
objections,  assez  vagues  encore,  car  on  pressentait  plus  qu  on 
ne  concevait  clairement,  et  si  l'on  se  refusait  à  admettre  les 
métaux  précieux  comme  la  richesse  par  excellence,  on  n'était 
pas  encore  bien  sûr  de  leur  trouver  un  remplaçant.  Peu  à 
peu  cependant  ces  idées  se  précisèrent,  s'assemblèrent,  pri- 
rent corps  ;  elles  trouvèrent  pour  se  répandre  des  porte- 
paroles  hardis  et  convaincus,  ce  furent  les  Physiocrates  (1). 
Tanlôt  favorisés  par  les  pouvoirs  publics,  tantôt  persécutés 
par  eux,  ceux-ci  acquirent  rapidement  dans  une  société  avide 
de  conceptions  philosophiques  nouvelles  une  influence  consi- 
dérable ;  en  gens  avisés,  ils  ne  bornèrent  pas  d'ailleurs  leurs 
efforts  à  des  revendications  théoriques,  mais  s'efforcèrent  de 
faire  passer  immédiatement  dans  la  pratique  la  réalisation 
de  leurs  idées.  Les  échecs  successifs  qu'ils  subirent  ne  firent 
qu'accroître  leur  audace,   et  leur  persévérance  en  assura 

(1)  Nous  rappelleron.'?  brièvement  que  la  première  manifestation  im- 
portante de  la  science  économique,  le  Mercantilisme,  avait  déjà  rencontré 
en  France  a  la  fin  du  xvu'  siècle  et  dans  la  première  moitié  du  xvm*, 
des  contradicteurs  avec  Vauban,  Bois^juillebert  el  d'Argenson.  Celle 
opposition  grandit  avec  Gournay  el  prit  avec  Quesnay  une  forme  défini- 
tive. Celui-ci  groupa  autour  de  lui  un  certain  nombre  de  disciples  aux- 
quels on  donna  plus  tard  le  nom  de  Physiocrates,  et  qui  se  nommaient 
eux-mêmes  les  Economistes  (Marquis  de  Mirabeau, Turgol, abbé  Baudeau, 


CHUTE    DE    LA    COMPAGNIE    DE    LAW 


58:^ 


le  succès  final  :  Berlin,  puis  Turgot  (1)  firent  de  la  doc- 
trine nouvelle  l'inspiratrice  de  leur  administration  et  mar- 
quèrent leur  passage  aux  affaires  par  la  lutte  contre  les  sé- 
culaires entraves  de  la  liberté  économique.  La  plus  connue 
des  victoires  du  Physiocralisme  est  la  suppression  du  régime 
corporatif  qui  fut  l'œuvre  de  Turgot  ;  une  seconde, non  moins 
importante  et  poursuivie  par  Berlin  et  Turgot, fut  la  libération 
du  commerce  des  grains  ;  une  troisième  couronna  une  guerre 
implacable  au  dernier  et  au  plus  important  vestige  du  Gol- 
berlisme  :  la  Compagnie  des  Indes,  dont  le  monopole  était 
aux  yeuY  des  Pliysiocrates  un  monstrueux  édifice,  élevé  en 
un  âge  de  barbarie  économique,  et  dont  la  ruine  devait  con- 
sacrer le  triomphe  d'une  ère  nouvelle.  La  Compagnie  des 
Indes,  minée  par  l'infiltration  incessante  de  leurs  idées  dans 
la  société  française,  ébranlée  par  leurs  attaques  combinées 

Mercier  la  Rivière,  Dupont  de  Nemours,  Letrône,  abbe'  Morellet, etc.). 
La  doctrine  physiocratique  dont  les  principes  furent  posés  par  Ques- 
nay,  mais  à  laquelle  tous  apportèrent  leur  collaboration,  a  éle'  malgré 
ses  erreurs  et  ses  exagérations  le  fondement  de  la  science  économique 
moderne.  Elle  était  cependant  surtout  une  thèse  sociale,  car  son  but 
principal  était  de  poser  les  règles  d'un  gouvernement  idéal  basé  sur  la 
nature  des  choses  {Ex  nalura  jus,  oi'do  et  leges),  et  elle  comportait  l'af- 
firmation de  l'existence  de  lois  naturelles,  bonnes  et  nécessaires,  et  de 
la  présence  dans  l'homme  lui-même  d'un  ressort  puissant,  l'intérêt  per- 
sonnel, agissant  toujours,  quand  il  ne  subit  pas  de  contrainte,  dans  le 
sens  de  l'intérêt  général. —  C'est  de  ces  principes  que  découlait  la  thèse 
économique  des  Physiocrates  :  l'intérêt  personnel  doit  être  laissé  libre 
d'agir  à  sa  guise  et  la  concurrence  est  la  condition  même  du  progrès  : 
par  suite,  suppression  de  toutes  les  entraves  à  la  liberté   du   travail 

(monopoles,  corporations,  prohibitions,  droits  de  circulation,  etc ). 

Un  second  point  que  nous  ne  pouvons  développer  était  que  la  terre  est 
la  source  de  toutes  les  richesses  et  que  l'industrie  agricole  est  seule  es- 
sentielle à  la  vie  des  sociétés.  Ajoutons  enfin,  que  dans  leur  théorie  de 
la  valeur,  les  Physiocrates  établirent  que  la  monnaie  n'est  qu'un  inter- 
médiaire, et  que  l'Etat  ne  doit  pas  intervenir  pour  régler  sa  circula- 
tion par  quelque  moyen  que  ce  soit. 

(1)  Berlin  (1759-1763),  Turgot  (1774-1776). 


584  QUATRIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

avec  une  habileté  remarquable,  abandonnée  par  le  gouver- 
nement qui  avait  pris  cependant  la  majeure  part  à  sa  ruine, 
succomba  dans  celle  lutle .  Plus  que  la  chute  de  ses  colonies, 
plus  que  la  dette  énorme  accumulée  par  deux  {guerres  sou- 
tenues coup  sur  coup,  plus  que  les  sottises,  les  maladresses 
et  les  vices  même  de  son  administration,  les  théories  physio- 
cra tiques  ont  triomphé  de  la  grandiose  conception  de  Colbert, 
elle-même  moulée  sur  un  organisme  bientôt  deux  fois  sécu- 
laire. 

La  première  attaque,  faite  sous  l'influence  des  tendances 
nouvelles  contre  son  monopole,  date  de  la  période  difficile 
pour  elle  qui  se  place  entre  les  deux  guerres  ;  époque  où  gra- 
vement atteinte  par  la  première,  elle  se  voyait  entravée  dans 
la  réparation  de  ses  pertes  par  les  guerres  de  Dupleix.  Celte 
opposition  vint  de  M.  de  Gournay  (1),  le  célèbre  intendant 
général  du  commerce,  et  se  manifesla  sous  la  forme  d'un  mé- 
moire (2)  adressé  par  lui  au  contrôleur  général  Moreau  de 
Séchelles  sous  le  titre  d'  «  Observations  siw  le  rapport  fait  à 
M.  le  Contrôleur  Général  par  M.  de  S.  le  26  juin  <7o5  sur 
Vétat  de  la  Compagnie  des  Indes  (3).  »  Le  rapport  visé  avait  été 
communiqué  par  le  Contrôleur  à  Gournay,  lui-même  nous 
l'apprend,  et  sa  situation  même  explique  son  intervention. 
Le  mémoire  de  Gournay  est  important  :  c'est  la  première  ap- 
préciation portée  par  la  science  économique  sur  cette  Com- 

(1)  Jean-Claude  Vincent,  seigneur  de  Gournay  (1712-1759),  intendant 
du  commerce  en  1751.  Il  traduisit  les  ouvrages  des  économistes  an- 
glais Cliild  et  Culpeper  et  eut  sur  Turgot,  qui  fut  son  secrétaire,  une 
grande  influence.  On  lui  doit  la  formule  célèbre  :  Laissez  faire,  laissez 
passer. 

(2)  On  le  trouvera  joint  à  celui  de  Morellet  par  les  soins  de  ce  der- 
nier dans  la  2°  édition  de  son  propre  mémoire.  Paris,  1769. 

(3)  Il  s'agit  ici  d'un  rapport  du  commissaire  du  Ko!  près  de  la  Com- 
pagnie, M.  de  Silliouelte. 


CHUTE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  LAW  585 

pagnie,  c'est  en  même  temps  sa  première  escarmouche  avec 
les  Physiocrates  dont  Gournay  fut  le  précurseur  incontesta- 
ble ;  enfin  il  doit  être  mentionné  que  les  œuvres  de  Gournay 
ne  sont  pas  nombreuses  (I)  et  que  l'on  trouve  dans  ce  bref 
ouvrage  les  qualités  qui  le  distinguent:  sa  clairvoyance,  plus 
grande  parfois  que  celle  des  Pliysiocrales,  son  caractère 
pratique  et  pondéré  (:2). 

Il  juge  tout  de  suite  la  situation  de  la  Compagnie  très  mau- 
vaise et  en  cherche  les  causes  :  sa  régie,  dit-il,  est  peu  con- 
forme à  l'esprit  du  commerce  ;  elle  fait  des  dépenses  très 
étrangères  à  son  objet  (3)  ;  depuis  2o  ans  elle  ne  travaille  pas 
sur  son  propre  fonds  et  emprunte  sans  cesse  à  un  taux  très 
onéreux  (4)  ;  enfin  les  Directeurs,  au  lieu  de  s'occuper  uni- 
quement du  bien  des  affaires  générales,  se  livrent  au  négoce 
pour  leur  compte  et  remplissent  leur  charge  avec  négli- 
gence (5).  Dès  le  début,  voilà  donc  la  guerre  nettement  dé- 
clarée ;  mais  Gournay  ne  s'en  lient  pas  là.  Ces  mêmes  Direc- 
teurs, dit-il,  ne  s'entendent  pas  sur  ses  besoins  actuels  et 

(1)  Dupont  de  Nemours  lui  attribue  l'inspiration  d'un  ouvrage  paru 
en  1758  sous  le  litre  de  Considérations  sur  le  commerce,  les  Compagnies 
et  les  maîtrises,  et  le  pseudonyme  de  :  de  Flsle. 

(2)  Alors  que  Quesnay  est  spéculatif  et  abstrait,  Gournay  n'est  au 
contraire  nullement  théoricien. 

(3)  Il  s'agit  des  dépenses  nécessitées  parles  guerres  de  Dupleix  ;  on 
sait  que  M,  de  Silhouette  était  l'adversaire  déclaré  de  cette   politique. 

(4)  12  ou  15  0/0  ajoute  Gournay.  11  semble  que  cette  appréciation  soit 
quelque  peu  exagérée  :  la  Compagnie  avait  fait  alors  4  emprunts  au 
plus,  5  en  comptant  celui  dont  il  était  alors  question,  et  si  elle  les  avait 
faits  à  10  0/0,  c'est  qu'ils  consistaient  en  des  rentes  viagères  qui  sont 
ordinairement  à  un  taux  plus  élevé  que  les  rentes  perpétuelles,  parce 
qu'elles  ne  se  servent  que  pendant  un  temps  limité  par  la  vie  du  ren- 
tier. Quand  la  Compagnie  empruntait  en  perpétuel,  c'était  au  taux  de 
4  ou  5  0/0. 

(5)  Gournay  déclare,  il  est  vrai,  et  cet  aveu  a  son  importance, 
«  qu'il  n'a  aucune  connaissance  de  l'intérieur  de  la  Compagnie  ». 


586  QUATRIEME    l'ARTIK.     —     CHAPITRE    PREMIER 

sur  le  moyen  d'y  pourvoir  (1).  Il  propose  donc  d'adoplerune 
mesure  radicale  :  liquider  le  commerce  et  les  dettes  de  la  Com- 
pagnie et  déclarer  le  trafic  de  l'Inde  ouvert  à  tous.  L'esprit 
d'économie  nécessaire  pour  réussir  dans  le  commerce, 
ajoule-l-il,  ne  peut  se  perpétuer  que  chez  les  particuliers; 
une  Compagnie  ne  peut  l'avoir,  et  une  Compagnie  qui  siège 
à  Paris  encore  moins,  car  c'est  la  brigue  et  la  faveur  qui  diri- 
gent le  choix  des  Directeurs  I  11  faut  donc  que  tôt  ou  tard  les 
Compagnies  abandonnent  le  commerce,  sinon  c'est  le  com- 
merce qui  les  abandonne. 

Les  dépenses  d'exploitation,  forcément  considérables  dans 
une  Compagnie,  l'obligent  à  ne  se  livrer  qu'à  des  trafics  très 
rémunérateurs  et  à  délaisser  les  autres  qui  n'ont  pour  elle 
aucune  utilité:  cet  état  de  choses  «  resserre  donc  le  com- 
merce ».  Ces  frais,  au  contraire,  sont  toujours  moindres  chez 
les  particuliers,  et  leur  permettent  de  se  contenter  d'un  béné- 
fice moins  important  :  «  le  commerce  s'étend  »  par  suite,  et  au 
lieu  des  20  vaisseaux  de  la  Compagnie, on  en  verrait  100  partir 
tous  les  ans  pour  les  Indes,  où  de  nouvelles  branches  du 
commerce  seraient  rapidement  ouvertes  ! 

Que  faire  alors  de  la  Compagnie  ?  La  réduire  du  rôle  actif 
qu'elle  possède  à  un  rôle  purement  passif.  Elle  abandonnera 
le  commerce,  et  gardera  la  charge  d'administrer  ses  comp- 
toirs actuels  et  le  soin  de  les  défendre,  en  percevant  sur  le 
commerce  particulier  des  droits  suffisants  pour  l'indemniser 
et  lui  procurer  au  surplus  un  bénéfice  déterminé  I  Gournay 
propose,  à  cet  effet,  un  droit  de  5  0/0  sur  les  importations 


(1)  MM.  G.  (Gilly)  et  de  V.  (Verzure)  les  eslimaienl  à  32  millions, 
MM.  C.  (Clacsseu)  et  M.  (Michel)  à  00.  Les  uns  proposaient  un  em- 
prunt en  perpétuel,  les  autres  un  emprunt  viager  ou  une  loterie,  ou 
encore  le  doublement  du  chilTre  des  actions.  Gournay  estime  tous  ces 
moyens  dangereux. 


CHUTE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  LAW  587 

dans  l'Inde  (1),  et  la  perception  en  France  d'un  droit  de  30  li- 
vres par  tonneau  d'exportation,  et  d'un  droit  d'importation  de 
o  0/0  sur  les  retours  des  Indes,  10  0/0  sur  ceux  de  la  Chine, 
3  1/2  0/0  sur  ceux  des  Mascareignes.  La  Compagnie  rece- 
vrait le  droit  de  faire  transporter  gratuitement  15  à  20  ton- 
neaux par  navire  de  300  tonneaux  en  efïets  pour  l'entretien 
de  ses  comptoirs.  Enfin  le  commerce  particulier  pourrait 
armer  dans  tous  les  ports  du  royaume,  mais  les  retours  ne 
pourraient  s'effectuer  qu'à  Lorient,  Dunkerque  et  Marseille 
pour  faciliter  le  contrôle  (2). 

Resterait  à  liquider  la  situation  de  la  Compagnie  ;  c'est  ici 
qu'apparaît  l'esprit  pratique  de  Gournay.  Il  propose  de  vendre 
le  matériel  devenu  inutile  :  vaisseaux  et  magasins  ;  avec  le 
produit,  22  millions  environ,  on  rembourserait  une  partie 
de  la  dette  qu'il  évalue  à  55  millions.  Le  reste  de  celle-ci, 
33  millions,  serait  converti  en  rente  perpétuelle  à  4  0/0,  à 
prendre  sur  la  rente  servie  par  le  Roi.  On  aurait  ainsi  tout 
remboursé,  et  la  situation  financière  de  la  Compagnie  serait 
la  suivante  :  sur  les  9  millions  de  rente  que  le  Roi  continue- 
rait à  lui  payer,  elle  prélèverait  4  millions  pour  le  payement 
des  dividendes  de  ses  actions,  1.750.000  livres  pour  celui 
des  intérêts  des  rentes  actuellement  servies  par  elle,  et 
1.320.000  livres  pour  celles  qu'elle  créerait  afin  d'éteindre  sa 
dette,  soit  en  tout  7.070.000  livres,  et  il  lui  en  resterait 
1.930.000  livres  qu'elle  appliquerait  au  payement  d'une  partie 
de  ses  rentes  viagères.  Or,  celles-ci  s'élevant  à  2.500.000  li- 


(1)  «  On  pourra  imposer,  ajoute-t-il,  aux  particuliers  qui  trafiqueront 
avec  l'Inde,  de  n'y  porter  que  des  marchandises  du  royaume,  alors  que 
la  Compagnie  en  porte  souvent  d'étrangères  ;  ce  sera  plus  conforme  au 
bien  de  l'Etat.  » 

(2)  Nous  attirons  l'attention  sur  cette  proposition  ;  on  verra  qu'elle 
fut  reprise  plus  tard  avec  succès. 


588  QUATRIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

vres,  il  n'en  resterait  plus  que  570.000  à  payer  chaque  année  ; 
celte  somme  serait  facilement  couverte  par  les  droits  perçus 
par  la  Compagnie,  et  elle  pourrait  en  outre  rembourser  l'em- 
prunt hypothécaire  en  rentes  constituées  dont  elle  est  grevée 
et  dont  l'équivalent  rendu  disponible  serait  réparti  entre  les 
actionnaires  en  augmentation  de  leurs  dividendes. 

Gournay  termine  cet  intéressant  mémoire  par  ces  mots  : 
«  celte  proposition  augmentera  considérablement  notre  navi- 
gation, nos  manufactures,  et  la  culture  de  nos  terres,  toutes 
ces  choses  sont  la  source  des  richesses  ;  elles  se  tiennent  en- 
tre elles  et  découlent  naturellement  d'un  commerce  libre  ;  on 
ne  peut  jamais  se  les  promettre  des  commerces  exclusifs  (1).  » 
Tel  est  dans  ses  points  principaux  le  projet  de  Gournay.  On 
en  comprendra  aisément  l'importance,  comme  on  en  appré- 
ciera le  sens  pratique.  La  modération  qu'il  y  montre  n'est 
pas  moins  remarquable  ;  elle  ne  se  retrouvera  guère  dans  les 
attaques  ultérieures  des  Physiocrales  et  l'on  rencontrera  chez 
eux  ce  dont  Gournay  se  garde  soigneusement  :  les  dévelop- 
pements excessifs  donnés  à  un  principe  primordial,  qui  sou- 
vent dépassent  les  limites  d'un  raisonnement  sérieux. 

Les  propositions  de  Gournay  étaient  réalisables  ;  nous 
dirons  plus  :  si  l'on  eût  pu  prévoir  les  désastreuses  consé- 
quences de  la  guerre  qui  menaçait  déjà,  son  plan  eût  été  le 
seul  parti  à  prendre,  et  la  Compagnie  des  Indes  eût  terminé 
alors  son  rôle  commercial  d'une  façon  bien  plus  satisfaisante 
qu'elle  ne  le  pourra  faire  en  1769. 

Ce  mémoire  eut  un  certain  retentissement,  car  c'était  la 

(I)  On  doit  noter,  en  effet,  que  les  idées  de  Gournay  diffèrent  assez 
notablement  de  celles  de  Quesnay  sur  un  certain  nombre  de  points  : 
il  repousse  noLammenl  la  théorie  de  celui-ci  sur  la  Stérilité  des  inditslries 
autres  que  l'af^ricullure,  et  refuse  de  voir  en  la  Tirrc  l'unique  source 
de  la  ricliesse.  Cette  citation  en  fournit  un  témoignage  intéressant. 


CHUTE  DE  LA.  COMPAGNIE  DE  LAW  589 

première  fois  que  Ton  parlait  officiellement  de  la  suppression 
de  cette  Compagnie,  que  l'on  était  habitué  à  regarder  comme 
une  institution  définitive,  comme  un  véritable  service  pu- 
blic. La  guerre  qui  s'ouvrit  l'année  suivante  détourna  cepen- 
dant les  idées,  et  la  voix  de  Gournay  n'eut  pas  d'écho  immé- 
diat ;  mais  pendant  ce  répit  des  adversaires  nouveaux  se 
levèrent  contre  la  Compagnie  en  raison  même  de  ses  mal- 
heurs. Les  disciples  de  Quesnay  eurent  bientôt  formé  une 
école  dont  les  opinions,  sans  cesse  accrues  de  nouveaux 
théorèmes,  devinrent  trop  importantes  et  trop  accréditées 
puisqu'on  n'en  tînt  pas  compte.  Lorsque  la  paix  fut  rétablie, 
la  Compagnie  ruinée  fut  surprise  dans  sa  très  louable  tenta- 
tive de  relèvement  par  une  opposition  sourde  d'abord,  puis 
de  plus  en  plus  ouverte  et  qui  du  petit  cénacle  des  Econo- 
mistes, où  elle  avait  pris  naissance,  gagna  rapidement  tous 
les  milieux  éclairés  :  le  gouvernement,  la  Cour,  la  finance  et 
le  commerce.  Longtemps  avant  l'année  1769,  des  bruits  de 
ruine,  de  faillite,  de  dissolution  flottèrent;  on  répétait  les 
aphorismes  des  Physiocrates  sur  la  libération  du  commerce, 
sur  l'injustice  des  monopoles,  on  parlait  de  dilapidation,  de 
rais  immenses,  de  torts  pour  l'Etat  ;  les  mieux  informés  col- 
portaient la  nouvelle  que  M.  de  Choiseul  avait  juré  la  perte  de 
la  Compagnie,  et  qu'elle  ne  pouvait  tarder  à  se  réaliser,  car 
son  privilège  touchait  à  sa  fin.  Une  circonstance  nouvelle 
rendit  bientôt  ces  bruits  vraisemblables  :  ce  fut  l'arrivée  au 
Contrôle  Général  de  M.    Maynon  d'invau  (1),  succédant  à 
M.  de  Laverdy.  Maynon  d'invau  était  un  familier  du  duc  de 
Choiseul  et  un  ami  de  Gournay.  Son  ministère  devait  être 
court,  car  ses  réformes  financières  rencontrèrent  en  M.  de 
Maupeou  un  adversaire  acharné  contre  lequel  il  ne  fut  pas  le 

(1)  27  septembre  1768. 


590  QUATRIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

plus  fort  ;  il  eut  néanmoins  le  temps  de  consommer  la  ruine 
de  la  Compagnie  des  Indes  contre  laquelle  ses  tendances  li- 
bérales trouvèrent  presque  aussitôt  un  rôle  où  s'affirmer. 

La  Compagnie  avait  retrouvé  depuis  la  paix  une  certaine 
activité,  et  l'emprunt  contracté  en  1767  dans  des  conditions 
favorables  avait  permis  d'éteindre  une  bonne  part  de  la  dette 
de  la  guerre,  près  de  65  millions  diront  plus  lard  ses  dé- 
fenseurs ;  mais  les  ressources  dont  elle  avait  besoin,  absor- 
bées par  cet  emploi  et  par  la  reconstitution  de  son  com- 
merce, lui  manquèrent  complètement  en  1769  :  il  ne  lui  restait 
rien  pour  continuer  ses  opérations  et  armer  ses  navires,  et 
l'on  songea  à  contracter  un  nouvel  emprunt  I  Auparavant 
on  fit  auprès  du  Contrôleur  Général  une  démarche  pour  ob- 
tenir le  remboursement  de  14  millions  avancés,  paraît-il, 
l'année  précédente  au  Trésor,  imprudente  libéralité,  que 
certains  considérèrent  dès  lors  comme  un  piège  habilement 
tendu  à  la  Compagnie  (1)!  Maynon  d'invau,  en  effet,  refusa 
tout  remboursement  et  se  déclara  opposé  au  nouvel  em- 
prunt ;  M.  de  Choiseul  lui-même  l'appuya  hautement.  En 
imposant  à  la  Compagnie  cette  situation  insoluble,  on  l'ac- 
culait à  la  ruine  !  Alors  revint  à  l'esprit  de  beaucoup  le  pro- 
jet exposé  par  Gournay  quatorze  années  plus  tôt,  de  trans- 
former la  Compagnie  en  une  administration  étrangère  à  toute 
opération  commerciale.  A  l'assemblée  des  Députés  des  action- 
naires du  29  mars  1769  (2),  le  banquier  Panchaud  se  fît  le 

(1)  D'après  un  mémoire  anonyme  paru  en  1785  sous  le  titre  de  :  Let- 
tre à  M.  le  marquis  de  X.  (de  Castries),  sur  le  rétablissement  de  la  Com- 
pagnie des  Indes. 

(2)  Dans  l'assemblée  générale  du  14  mars  1769  les  actionnaires 
avaient  élu  sept  Députés  chargés  de  les  représenter  auprès  des  Direc- 
teurs et  des  Syndics  dans  ces  graves  circonstances.  Ces  Députés  furent 
MM.  Duval  dEspréménil,  Lhéritier  de  Brulette,  Julien,  Dupan,  de  la 
Rochette,  Jaume  et  Panchaud. 


CHUTE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  LAW  o91 

porle-parole  de  celte  opinion,  et  lui  un  mémoire  signé  avec 
lui  par  le  comte  de  Lauraguais  (1).  MM.  Dupan  et  La  Ro- 
che tte. 

On  ne  pouvait  plus,  y  élail-il  dit,  conserver  le  moindre 
espoir  de  continuer  les  opéralions  commerciales,  et  la  situa- 
tion de  la  Compagnie  était  irrémédiablement  compromise  (2)  ; 
il  fallait  en  prendre  son  parti  et  se  hâter  de  la  résoudre,  tan- 
dis qu'on  pouvait  le  faire  sans  désavantage.  Le  moyen  qu'in- 
diquait Panchaud  consistait  à  obtenir  du  Roi  la  suspension 
de  l'exercice  du  privilège  de  la  Compagnie  et  à  renoncer  au 
commerce  des  Indes  qui  deviendrait  libre  désormais.  On 
ferait  un  appel  de  fonds  (3),  dont  une  partie  serait  consacrée  à 
payer  les  dettes  de  la  Compagnie  et  l'autre  à  constituer  le 
capital  d'une  Caisse  d' Escompte, ^oni  le  succès  était  assuré  (4). 
Les  actionnaires  de  la  Compagnie,  qui  consentiraient  à  faire 
l'apport  (5)  que  Ton  sollicitait  d'eux,  participeraient  aux  bé- 

(1)  Le  comte  de  Lauraguais  n'était  qu'actionnaire.  Ce  fut  lui  qui,  à 
l'en  croire,  rédigea  ce  mémoire  ;  il  le  publia  sous  le  titre  de  :  Mémoire 
sur  la  Compagnie  des  Indes,  précédé  d'un  discours  sur  le  commerce  en 
général.  Paris,  1769. 

(2)  En  1764,  disaient-ils,  raclif  était  de  230  millions  et  le  passif  de 
188.  En  1771  l'actif  était  estimé  devoir  s'élever  à  287  millions,  et  le 
passif  à  234,  mais  alors  que  l'augmentation  de  l'actif  n'était  qu'éven- 
tuelle et  pouvait  être  en  déficit  sur  celle  estimation,  celle  du  passif  était, 
dès  le  moment  actuel,  très  certaine.  D'autre  part,  les  importations  an- 
nuelles s'élevaient  en  chiffres  ronds  à  11  millions,  mais  les  dépenses 
devaient  être  évaluées  à  10  millions  ;  il  ne  pouvait  donc  être  tenu  compte 
que  d'un  bénéfice  de  1  million, et  il  faudrait  avec  cette  faible  somme  ré- 
munérer le  capital  social.  Tous  ces  calculs  furent  reproduits  par  l'abbé 
Moreilet. 

(3)  De  600  livres  par  action,  qui  donnerait  pour  36.921  actions 
22  millions  environ. 

^4)  Elle  devait  escompter  à  4  0/0  tous  les  effets  à  échéance  fixe  ayant 
2  mois  de  cours;  le  capital  dont  elle  disposerait  devait  lui  permettre  de 
faire  5  à  600.000  livres  d'affaires  chaque  jour. Voir  lanote  1,  page  574. 

(5)  On  devait  leur  laisser  pour  se  décider  un  délai  de  deux  mois, 
passé  lequel  la  souscription  serait  ouverte  au  public. 


î)92  QUATRIÈME    PARTIE.    —  CHAPITRE    PREMIER 

néfices  de  celte  institution  nouvelle  :  les  autres  conserve- 
raient leurs  anciens  titres  qui  seraient  transformés  en  sim- 
ples actions  rentières  de  1.600  livres  chacune, rapportant50/0, 
soit  80  livres,  dont  le  payement  serait  assuré  par  les  9  mil- 
lions de  rente  payée  par  le  Roi  comme  précédemment. 

Celle  proposition  trouva  dans  l'assemblée  un  adversaire 
déterminé  et  éloquent,  Duval  d'Espréménil  (1);  son  opposi- 
tion triompha  de  Thésilation  de  ses  collègues  et  le  projet  de 
la  Caisse  d'Escompte  fut  repoussé  (2).  On  revint  à  celui  d'un 
emprunt,  et  puisque  le  gouvernement  royal  ne  voulait  pas 
permettre  une  souscription  publique,  on  arrêta  le  plan  d'un 
emprunt  par  voie  de  loterie  à  10  0/0  au  capilal  de  11  millions  ; 
un  arrêt  du  Conseil  du  6  avril  1769  en  autorisa  le  tirage. 

Mais  il  devait  être  inutile  et  on  leurrait  ainsi  la  Compagnie  ; 
le  gouvernement  reçut  en  effet  communication  du  projet  de 
Caisse  d'Escompte;  Maynon  d'invau  et  Ghoiseul  l'accueilli- 
rent avec  faveur  comme  une  solution  qui  satisferait  le  plus 
grand  nombre  des  intérêts,  et  le  fameux  monopole  qui  trou- 
blait le  sommeil  des  Economistes  se  trouverait  en  même 
temps  vaincu  !  Mais  comme  le  rejet  de  cette  proposition 
montrait  que  celui-ci  avait  encore  des  partisans  convaincus, 
on  décida  de  frapper  l'opinion  publique  par  un  coup  décisif 
qui,  en  étalant  au  grand  jour  la  situation  difficile  de  la  Com- 
pagnie, forcerait  les  dernières  hésitations.  Le  chef  qui  devait 
mener  cet  assaut  fut  choisi  par  Maynon  d'invau  dans  la  pha- 
lange des  Economistes,  ce  fut  l'abbé  Morellet. 

Morellel  était  alors  l'un  des  Physiocrates  les  plus  en  vue  ; 

(1)  D'Espréménil  (Jean-Jacques  Duval)  était  le  fils  du  conseiller  de 
Pondichéry  qui  fut  gouverneur  de  Madras.  Il  était  avocat  du  Roi  au 
ChtUelet  et  devait  quelques  années  après  jouer  un  rôle  important  dans 
le  procès  de  réhabilitation  de  Lally-Tollendal. 

(2)  Il  le  fut  par  4  voix  contre  3  (celles  de  ses  trois  auteurs). 


CUUTE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  LAW  593 

c'était  un  esprit  fin  servi  par  une  plume  liabile  ;  on  avait 
apprécié  déjà  son  talent  littéraire,  sa  dialectique  souple  et 
précise  ;  il  accepta  la  mission  de  livrer  contre  k  Compao'nie, 
dont  il  avait  jadis  indirectement  défendu  le  monopole,  la 
bataille  décisive  où  celle-ci  devait  trouver  sa  fin  (1). 

Maynon  d'Invau  mil  à  sa  disposition  les  situations  de  la 
Compagnie  des  Indes  qui  étaient  naturellement  en  sa  posses- 
sion, puisque  celle-ci  était  dans  son  département  ;  il  lui  com- 
muniqua aussi  les  Mémoires  de  Gournay  et  du  banquier 
Panchaud. 

Le  rôle  de  Morellet  était  simple  :  il  devait  publier  ce  qui 
dans  ces  pièces  attestait  le  mauvais  étal  des  affaires  de  la 
Compagnie,  pour  démontrer  au  public  qu'elle  ne  pouvait 
subsister  davantage,  et  d'autre  pari  faire  voir  qu'on  avait 
tout  intérêt  à  établir  la  liberté  dans  le  commerce  des  In- 
des (2).  Point  n'était  besoin  pour  le  premier  point  de  falsifier 
les  chiffres  ;  ils  n'étaient  que  trop  éloquents,  et  nous  ne 
croyons  pas  du  reste  que  Morellet  s'en  fût  chargé  ;  mais  on 
demandait  à  son  habileté  d'en  tirer  le  meilleur  parti  possi- 

(1)  Morellet  (1727-1819)  s'était  fait  connaître  en  1758  par  un  mémoire 
dans  lequel  il  défendit  la  liberté  de  la  fabrication  des  to'.k'-  p^'iites  en 
France  et  réclama  en  même  temps  des  droits  élevés  sur  l'importation 
des  toiles  étrangères  {Réflexions  sur  les  avantages  de  la  libre  fabrication 
des  toiles  peintes  en  France).  Ce  plaidoyer  protectionniste,  très  remarqué, 
ne  l'empêcha  pas  d'entrer  bientôt  après  dans  le  cénacle  des  Economistes 
et  de  devenir  l'un  des  plus  écoutés  d'entre  eux.  Morellet,  comme  la  plu- 
part des  Physiocrates,  collabora  à  la  Grande  Encyclopédie.  On  a  encore 
de  lui,  en  dehors  de  ses  4  mémoires  sur  la  Compagnie  des  Indes,  une 
réfutation  du  livre  de  l'abbé  Galiani  {Dialogues  sur  le  commerce  des 
blés,  1770),  et  une  analyse  de  l'ouvrage  de  Necker  sur  le  même  sujet  : 
[Législation  et  commerce  des  grains,  1775). Morellet  fut  un  des  derniers 
survivants  de  cette  École  :  il  mourut  en  effet  en  1819. 

(2)  Morellet  reconnut  lui-même  dans  son  Examen  de  la  Réponse  de 
Necker  qu'il  était  ai^ouÉ/  du  ministre.  La  question  n'est  pas  douteuse. 

W.  -  38 


H94  QUATIIIKME    PARTIE.    THAPITRE    PREMIER 

ble.  Pour  le  second  poinldc  ce  [)rogiaiiiiiie,  Maynon  d'Invau 
avait  confiance  dans  les  convictions  libérales  de  Moreliet  et 
dans  son  talent  pour  les  faire  valoir  :  sur  aucun  d'eux  son 
attente  ne  fut  trompée. 

Le  mémoire  de  Moreliet  (1)  est  un  document  d'une  très 
grande  importance;  il  détermina  la  chute  de  la  Compagnie 
des  Indes,  bien  qu'elle  fût  déjà  décidée,  en  lui  donnant  un 
prétexte  et  en  apportant  à  cet  événement  le  retentissement 
qu'il  devait  avoir;  il  a  en  outre  en  lui-même  une  certaine 
valeur  au  point  de  vue  économique  et  financier  ;  à  ce  dernier 
surtout,  car  il  est  la  seule  étude  que  nous  ayons  sur  la  Com- 
pagnie à  cet  égard.  Qu'il  soit  une  œuvre  de  parti,  c'est  incon- 
testable, car  Moreliet  avait  un  but  qu'on  lui  avait  assigné  ; 
on  doit  reconnaître  cependant  que  ce  but  était  conforme  à 
ses  convictions. 

Moreliet  déclare  tout  d'abord  qu'il  voit  dans  la  question  du 
maintien  ou  de  la  suppression  du  monopole  de  la  Compagnie 
des  Indes  deux  intérêts  en  présence  :  celui  des  actionnaires 
et  celui  de  l'Etat  ;  il  les  étudie  à  tour  de  rôle. 

Esl-il  de  l'intérêt  des  actionnaires  de  continuer  l'exploita- 
tion du  privilège  ?  Non,  parce  que  le  capital  de  la  Compagnie 
et  par  suite  leur  propre  revenu  n'a  cessé  de  décroître  depuis 
17 25, et  qu'il  ny  a  aucune  chance  de  voir  la  hausse  se  produire 
ni  même  la  baisse  s'arrêter.  Les  actionnaires  ont  d'ailleurs 
toujours  été  trompés  sur  la  situation  réelle  de  la  Compagnie, 
car  on  leur  présentait  des  bilans  inexacts  (2).  Les  dividendes, 


(1)  Abbé  Moreliet,  Mémoire  sur  la  situation  actuelle  de  la  Compa- 
gnie des  Indes,  Paris,  17G9. 

(2)  Principalement  en  ce  qu'on  y  faisait  figurer  les  capitaux  morts 
parmi  les  capitaux  de  commerce.  Nous  avons  dit  ce  qu'il  fallait  enten- 
dre par  ces  termes. 


CHUTE    DE    LA    COMPAGNIE    DE    LAW  59Î) 

d'autre  pari,  ont  toujours  éle  aibiUaires  (1),  el  la  plupart  du 
temps  la  Compagnie  n'était  pas  en  état  de  les  fournir.  Morel- 
let  étudie  à  Fappui  de  cette  opinion  la  situation  de  la  Com- 
pagnie à  cinq  époques  importantes  de  son  histoire  :  en  1725, 
1736,  1745,  1756  et  enfin  1769,  et  il  expose  celte  dernière 
dans  le  plus  grand  détail  d'après  les  documents  fournis  par 
la  Compagnie  elle-même.  Il  en  critique  les  articles  les  uns 
après  les  autres,  refait  les  calculs  el  aboutit  à  la  constatation 
d'un  capital  disponible  de  39  millions  au  lieu  de  celui  de  54 
millions  déclaré  par  elle,  soit  une  perle  de  70  millions  el  dem  i 
sur  son  capital  de  1725  et  de  85  millions  sur  celui  de  1756  (2). 
D'où  proviennent  donc  ces  désastreux  résultats  ?  Les  parti- 
sans du  monopole  en  rejettent  la  responsabilité  sur  les 
guerres  que  la  Compagnie  a  eu  à  soutenir,  mais  Morellel 
assure  qu'ils  tiennent  à  l'essence  même  du  privilège. 

D'autre  part,  les  actionnaires  ne  peuvent  garder  l'espoir  de 
voir  celte  situation  s'améliorer,  caries  bénéfices  commer- 
ciaux de  la  Compagnie  depuis  1725  accusent  une  décrois- 
sance constante  :  ceux  du  commerce  de  l'Inde,  notamment, 
ont  passé  successivement  de  96  0/0  (1725-1736)  à  93  0/0  (1736 
1756),  88  0/0  (176G;,  59  0/0  (1767)  et  58  0/0  (1768)  (3),  et  ces 
diminutions  ne  sont  pas  accidentelles  ;  elles  tiennent  à  l'état 


(1)  Morellet  omet  de  mentionner  que  cette  fixation  n'était  pas  impu- 
table à  la  Compagnie,  puisqu'elle  fut  faite  par  le  gouvernement  royal 
en  1723. 

(2)  Voir  pour  tous  ces  calculs  le  chapitre  précédent, où  nous  les  avons 
réunis  et  étudiés. 

(3)  Ces  chiffres  sont  d'ailleurs  en  contradiction  avec  ceux  donnés  par 
le  comte  de  Lauraguais  pour  le  commerce  du  Bengale,  «  le  moins  avan- 
tageux de  tous  »  à  cause  de  la  concurrence  plus  active  de  la  Compagnie 
anglaise.  Cependant  le  comte  de  Lauraguais  n'est  pas  plus  que  Morellet 
pour  la  continuation  des  opérations  commerciales  de  la  Compagnie  : 
1765  :  108  0/0  ;  1766  :  95  0/0  ;  1767  :  85  0/0  ;  1768  :  66  0/0. 


59fi  QUATRIÈME    PARTIE.    —    CnAPI-mK    PREMIER 

troublé  de  ce  pays,  dont  les  Mahralles  veulent  chasser  tous 
les  Européens  (1),  el  d'autre  part  à  la  concurrence  victorieuse 
de  la  Compagnie  anglaise  qui  achète  ses  marchandises  300/0 
meilleur  marché  dans  l'Inde,  et  peut  les  revendre  en  Europe 
à  des  prix  inférieurs  aux  nôtres.  Quant  au  commerce  de  la 
Chine,  il  a  lui-même  baissé,  car  il  atteignait  104  0/0  de  1725 
à  1736,  141  0/0  de  1736  à  1748,  et  il  est  tombé  à  67  0/0  en 
1768! 

Les  actionnaires  rCont  donc  pas  d'espérance  à  conserver  ; 
mais  en  admettant  qutls  puissent  en  avoir,  peuvent-ils  conti- 
nuer l'exploitation  du  monopole^  Non,  car  les  fonds  disponi- 
bles sont  insuffisants.  Il  faudrait  emprunter,  et  ils  se  trompent 
quand  ils  croient  que  30  millions  pourront  leur  suffire  ;  il  en 
faudrait  au  moins  60,  qu'ils  ne  trouveront  pas,  car  ils  ne 
peuvent  fournir  d'hypothèque,  tout  leur  capital  étant  déjà 
engagé.  On  ne  manquera  pas  sans  doute  de  leur  présenter 
des  projets  ingénieux  ;  mais  ce  sont  là  «  les  tètes  de  l'hydre  :  il 
faut  les  couper  en  un  coup  »  !  On  dit  que  le  Roi  peut  sauver 
la  Compagnie,  s'il  le  veut  ;  mais  il  ne  doit  pas  le  faire  ;«  d'ail- 
leurs toute  entreprise  de  commerce  qui  ne  se  soutient  pas  par 
elle-même  est  à  la  lettre  dans  l'impossibilité  absolue  de  sub- 
sister. » 

Passant  au  deuxième  intérêt  en  cause,  Morellet  se  demande 
ensuite  :  si  l'Etat  a,  de  son  côté,  avantage  à  soutenir  la  Com- 
pagnie? Non,  car  elle  lui  a  toujours  été  à  charge.  De  1723  à 
1747,  il  lui  a  donné  130  millions;  en  1747,  il  s'est  reconnu 
débiteur  de  80  nouveaux  millions  en  une  rente  dont  elle  a  joui 

{\)  «  Le  nabab  du  Bengale  veut  jeter  tous  les  Européens  à  la  mer 
et  les  Anglais  eux-mêmes  ne  peuvent  pas  faire  grand  fonds  sur  l'étal 
dans  lequel  ils  sont  aujourd'hui  dans  l'Inde..  ;  ils  en  seront  chassés!  » 
Le  don  de  prescience  ne  figurait  pas,  on  le  voit,  parmi  les  qualités  de 
Morellet. 


CHUTE    DE    LA    COMPAGNIE    DE    LAW  597 

conslammenl  depuis  et  qui  lui  a  procuré  ainsi  44  millions  au 
total:  de  sorte  qu'on  peut  estimer  à  376  millions  les  dons 
que  l'Etat  lui  a  faits,  c'est-à-dire  à  8  millions  et  demi  par  an, 
alors  que  ses  ventes  montaient  seulement  en  moyenne  à 

9  millions  et  demi  !  Si  l'on  ajoute  à  toutes  ces  avances  les 

10  millions  de  frais  que  la  dernière  guerre  a  coûté  à  l'Etat 
dans  l'Inde  (1),  on  doit  reconnaître  que  le  Roi  a  plus  fourni 
à  la  Compagnie  que  celle-ci  n'a  fait  de  bénéfices  commer- 
ciaux I 

Ainsi,  ni  les  actionnaires,  ni  l'Etat  n' ont  intérêt  à  conserver 
le  monopole  de  la  Co^npagnie,  et  sur  cette  conclusion  se  ter- 
mine la  première  partie  du  mémoire  de  Morellet.  Dans  une 
seconde  partie,  il  met  en  regard  de  ces  résultats  les  bien- 
faits delà  liberté  du  commerce  ;  c'était,  on  s'en  souvient,  la 
seconde  partie  de  sa  mission  ;  il  faut  reconnaître  aussi  qu'elle 
est  moins  bien  remplie  que  la  première,  car  Morellet,  délais- 
sant les  chiffres  qui  donnent  tant  de  force  à  son  argumenta- 
tion, reste  désormais  dans  des  considérations  générales  dont 
la  valeur  est  parfois  criliquable.il  trouve,  en  effet,  ici  l'opinion 
des  agents  de  la  Compagnie  qui  ont  séjourné  dans  l'Inde  et  en 
connaissent  le  commerce  ;  ces  témoignages  l'embarrassent 
et  il  reconnaît  «  qu'ils  ont  assemblé  les  raisons  les  plus  fortes 
qu'on  puisse  opposer  à  la  liberté  »  ;  mais  il  leur  refuse  le 
droit  de  se  faire  écouter,  car  le  seul  fait  d'avoir  appartenu  à 
la  Compagnie  «  détourne  l'esprit  insensiblement  du  chemin 
de  la  vérité  ».  Il  est  permis  de  trouver  celte  récusation  un 
peu  rapide  I 

Ces  défenseurs  de  la  Compagnie  ont  objecté  que  les  com- 
merçants  particuliers  ne    trouveraient  dans  l'Inde  aucune 

(i)  Cet  argument  paraît  souverainement  injuste  pour  la  Compagnie  ; 
on  verra  que  NecUer  sut  le  relever. 


598  QUATHlicME    PAUÏIE.    CHAPITRE    PREMIER 

protection,  qu'ils  succomberaient  par  suite  sous  les  coups 
des  Anglais  el  des  Hindous  ?  Erreur,  répond  Morellel.  —Le 
commerce  particulier  ne  trouvera  pas  de  correspondants, 
d'agents  déjà  établis  dans  l'Inde  ?  Il  s'en  créera.  —  Personne 
ne  s'occupera  de  ménager  ses  intérêts  auprès  des  indigènes  ? 
L'appât  d'un  profit  à  faire  en  suscitera. —  Il  ne  trouvera  pas  de 
marchandises  toutes  fabriquées?  Il  en  sera  quitte  pour  faire 
ses  premières  cargaisons  moins  complètes.  —  Les  roitelets 
hindous  lesurchargeront  de  droits  plus  élevés  que  n'en  payait 
la  Compagnie?  Il  se  tournera  vers  ceux  qui  le  traiteront  le 
plus  favorablement  et  cette  préférence  fera  relâcher  les 
autres  de  leur  rigueur  ;  d'ailleurs  il  se  contentera  de  profits 
beaucoup  moindres,  sans  cesser  pour  cela  de  s'étendre. —  Les 
Anglais  le  vexeront?  II  achètera  l'exemption  de  ces  vexations; 
et  même  en  l'achetant  fort  cher,  il  pourra  faire  encore  de 
grands  profits.  S'ils  continuent,  on  formera  des  établisse- 
ments à  distance  des  leurs  ;  on  aura  pour  soi  les  indigènes 
et  toutes  les  autres  nations  qui  s'appuieront  les  unes  sur  les 
autres  contre  la  plus  puissante  !  «  Si  l'on  demande,  ajoute 
Morellet,  quelles  assurances  on  peut  avoir  que  les  choses  se 
passeront  ainsi,  je  dirai  que  ces  espérances  sont  fondées  sur 
une  grande  vérité  qu'on  ne  peut  méconnaître,  la  force  puis- 
sante de  l'intérêt  particulier  !  * 

Le  commerce  particulier  a  d'abord  moins  de  frais,  car  il 
n'a  ni  directeurs,  ni  syndics  ni  gouverneurs  à  entretenir  et 
n'a  pas  à  craindre  que  de  nombreux  agents  n'édifient  à  son 
détriment  leur  fortune  particulière.  La  Compagnie  a  10  mil- 
lions de  frais  pour  15  millions  de  retours,  soit  70  0/0.  Que 
le  commerce  particulier  épargne  30  à  40  0/0  de  ces  frais,  il 
n'y  a  pas  d'obstacle  qui  puisse  l'arrêter. 

Morellet  convient  néanmoins  qu'il  faudra  aider  les  com- 
merçants, voire  même  par  des  subterfuges!  Ainsi  ils  trai- 


CHUTE    DE    LA    GUxMPAGME    DE    LAW 


59Ô 


teronl  avec  les  mêmes  marchands  qui  commercent  aujour- 
d'hui avec  la  Compagnie  ;  les  comptoirs  actuels  de  celle-ci 
pourront  continuer  à  être  leurs  points  de  ralliement;  on 
laissera  même  subsister  le  nom  de  Compagnie,  parce  que  tou- 
tes les  possessions  et  les  privilèges  dont  jouissent  les  Fran- 
çais leur  ayant  été  accordés  sous  ce  nom,  il  y  aurait  lieu  de 
craindre  que  les  princes  hindous  n'en  prennent  prétexte  pour 
les  révoquer,  et  les  autres  Compagnies  pour  troubler  leurs 
opérations  (1)  :  «  Le  privilège  exclusif  aura  ainsi  malgré  lui 
frayé  la  roule  à  la  liberté.  »  Eh  quoi  !  ce  monopole  parasite 
aura  donc  eu  son  utilité?  Ce  n'est  point  là,  semble-t-il,  la 
condamnation  d'un  régime  si  mauvais  en  son  essence  même  ! 
Pourquoi  alors  Morellel  a-t-il  reproché  si  sévèrement  à  la 
Compagnie  ses  frais,  ses  guerres,  ses  déboires,  puisque  ainsi 
elle  «  frayait  la  voie  »,  puisqu'elle  aura  été  un  précédent  qu'il 
reconnaît  lui-même  nécessaire,  car  il  ajoute:  «  Le  commerce 
exclusif  aura  été  une  espèce  d'essai,  une  préparation  à  la 
liberté  générale  du  commerce.  » 

Il  va  plus  loin,  car  c'est  aux  employés  mêmes  de  cette 
Compagnie,  dont  il  apprécie  l'expérience,  qu'il  recourt  pour 
entretenir  les  choses  dans  cet  état  :  «  Les  employés,  les  in- 
téressés dans  l'ancienne  Compagnie  seront  les  premiers  à 
continuer  le  commerce  et  le  feront  comme  le  faisait  la  Com- 
pagnie elle-même.  »  Morellet,  dont  l'esprit  prompt  et  avisé 
prévoit  toutes  les  objections,  aperçoit  vile  la  réponse.  Est-ce 
loyal  de  détruire  la  Compagnie  et  de  se  servir  de  son  œuvre, 
de  son  expérience,  de  son  nom  ?  Les  actionnaires  ne  vont-ils 
pas  refuser  de  contribuer  à  l'établissement  d'une  liberté  qui 
s'élève  sur  leur  ruine.  Mais  il  les  menace  de  représailles,  et 


'  (1)  On  a  vu  que  plus  haut  Morellet  écartait  de'daigneusement  cette 
même  objection  ;  il  y  a  là  une  contradiction,  mais  elle  n'est  point  isolée. 


fiOO  QUATRIKAtE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREAJIER 

va  jusqu'à  prétendre  qu'on  pourrait  les  forcer  à  continuer 
sans  privilège  le  commerce  de  l'Inde,  et  que  le  Koi  pourrait 
leur  dire  :  «  'Vous  avez  gagné  en  des  temps  favorables,  il  faut 
que  vous  sachiez  perdre  aujourd'hui  !  » 

Tels  sont  les  arguments  réunis  par  Morellet  en  faveur  de 
la  liberté  du  commerce  de  l'Inde  :  au  milieu  d'exagérations, 
de  données  théoriques,  parfois  d'un  certain  illogisme,  il  y 
avait  là  des  vérités  incontestables  et  par-dessus  tout  une 
aspiration  vers  la  liberté  qui  devait  trouver  et  trouva  dans  le 
public  de  cette  époque  un  écho  immense.  Il  passe  ensuite  en 
revue  les  différents  commerces  exploités  par  la  Compagnie  : 
Moka,  Surat,  le  Malabar,  le  Coromandel,  le  Bengale  et  la 
Chine,  dans  le  but  de  prouver  qu'ils  ne  peuvent  que  prospérer 
sous  le  règne  de  la  liberté. 

Que  ferons-nous  enfin  de  notre  situation  actuelle  dans 
l'Inde  déjà  si  diminuée,  presque  anéantie  ?  Les  défenseurs  de 
la  Compagnie  déclarent  que  si  le  commerce  particulier  n'ar- 
rive pas  à  s'implanter  dans  l'Inde  dès  le  début,  il  n'y  réussira 
jamais,  et  que  «  d'ici  à  la  fin  des  siècles  on  ne  verra  plus  un 
seul  vaisseau  français  passer  le  Cap  »  ! 

Morellet  croit  au  contraire  indifférent  que  le  commerce 
s'établisse  en  deux  ou  en  dix  ans,  car  la  durée  des  Etats 
comprend  des  siècles  et  il  ne  faut  point  se  presser.  Politique 
très  critiquable  !  Savoir  attendre  en  fait  de  prépondérance 
commerciale  équivaut  à  laisser  prendre  sa  place  par  les 
autres  !  Nulle  part  le  proverbe  anglais  :  Le  temps,  c'est  de 
l'argent,  n'est  de  mise  plus  qu'en  cette  matière. 

Morellet  ne  croit  pas  non  plus  qu'une  Compagnie  puissante 
soit  utile  pour  résister  aux  entreprises  des  Anglais,  que  les 
partisans  du  monopole  représentent  comme  ne  devant  pas 
souffrir  que  le  commerce  français  se  rétablisse  dans  l'Inde. 
Le  Roi  suffira  à  proléger  nos  nationaux,  et  en  cas  de  conflit 


CHUTE    DE    LA    COMPAGNIE    DE    LAW  601 

la  Compagnie  anglaise  trouvera  devant  elle  non  plus  la  Com- 
pagnie, mais  la  nation  française  tout  entière,  et  il  doute 
«  qu'elle  soit  assez  déraisonnable  pour  s'y  risquer  ».  Cette 
objection  lui  paraît  donc  «  dictée  par  une  pusillanimité 
honteuse  !  —  N'est-il  pas  bien  étrange  qu'on  imagine  qu'une 
nation  puissante  comme  la  France  ne  pourra  pas  faire  jouir 
ses  citoyens  du  droit  des  gens  et  de  la  foi  des  traités  !  »  Tout 
cela  est  fort  bien,  en  effet,  quand  on  peut  appuyer  son  droit 
sur  le  canon  de  ses  vaisseaux,  mais  la  France  n'a  plus  de 
marine  depuis  la  guerre  de  Sept  Ans  et  Morellel  l'a  ou- 
blié !  (1). 

Le  mémoire  à  peine  terminé,  Maynon  d'Invau  s'en  empara, 
et  tout  fut  habilement  combiné  pour  lui  faire  produire  un 
grand  effet.  Il  fut  aussitôt  imprimé  fâ)  et  communiqué  aux 
ministres;  les  partisans  de  la  Compagnie  protestèrent  même 
qu'il  n'eût  été  à  dessein  livré  au  public  qu'assez  lard  pour 
qu'elle  n'eût  pas  le  temps  d'y  faire  une  réponse  convenable 
avant  l'assemblée  des  actionnaires  où  ses  destinées  devaient 
être  décidées.  Morellet  crut  devoir  se  défendre  de  ce  calcul  ; 
en  fait,  la  Compagnie  ne  connut  son  mémoire  que  quinze 
jours  avant  celte  assemblée,  fixée  au  8  août.  C'était  peu  pour 
détruire  l'effet  d'une  attaque  terrible  dont  le  public  s'était 
emparé  avidement.  Une  seule  personnalité  parut  pouvoir  par 
son  importance  et  son  talent  en  contrebalancer  les  résultats, 
c'était  Necker  ;  ce  fut  donc  à  lui  qu'on  demanda  de  prendre 
la  défense  de  la  Compagnie. Necker,  à  cette  époque, n'était  pas 
arrivé  au  faite  de  la  célébrité  à  laquelle  il  était  appelé,  car 
il  ne  devait  entrer  au  ministère  qu'en  1776  ;  mais  il  avait  déjà 
un  renom  bien  établi  de  financier  et  d'administrateur  habile  : 

(1)  Morellet  termine  par  la  protestation  «  que  ce  n'est  pas  la  Com- 
pagnie qu'il  attaque,  mais  la  liberté  qu'il  défend  », 

(2)  Aux  frais  du  Roi. 


602  QUATRIEME    PARTIR.    CHAPITRE    PREMIER 

le  gouvernement  avait  eu  recours  à  lui  comme  banquier  dans 
ses  moments  de  détresse,  et  sa  grande  fortune,  sa  qualité 
d'ambassadeur  de  la  République  de  Genève  lui  avaient  donné 
une  place  fort  en  vue  dans  la  société  parisienne.  Il  avait  été 
Syndic  de  la  Compagnie,  et  l'un  des  plus  actifs  à  la  tirer 
d'une  situation  difficile  en  1764  ;  son  projet  de  réformes  avait 
été  alors  préféré  à  celui  de  M.  de  Choiseul  (1),  et  il  en  avait 
dirigé  ensuite  l'exécution  avec  une  grande  habileté. 

Quoiqu'il  fût  surtout  un  financier,  Necker  n'était  pas  resté 
indifférent  aux  graves  questions  économiques  que  l'on  discu- 
tait alors  avec  passion;  mais  l'influence  des  Physiocrales 
n'avait  pas  eu  de  prise  sur  lui,  et  bien  qu'il  dût  reprendre 
plus  tard  au  ministère  plusieurs  des  réformes  de  Turgot,  il 
restait  attaché  aux  principes  du  protectionnisme  alors  en 
vigueur  (2)  et  même  à  la  vieille  doctrine  mercantile  dont  il 
repoussait  seulement  certaines  conséquences  (3).  Necker 
était  donc  bien  le  champion  qu'il  fallait  à  la  Compagnie,  et 
il  présenta  sa  défense  à  l'assemblée  du  8  août  1769  (4). 

Son  argumentation  est  beaucoup  moins  serrée  que  celle 
de  Morellet,  et  son  tort  principal  peut  paraître  de  n'avoir  pas 
cru  devoir  tabler  sur  des  chiffres  comme  l'avait  fait  son  ad- 

(1)  C'est  ce  qu'affirme  un  mémoire  que  nous  avons  cité  {Lettre  à 
M.  le  Marquis  deX...  etc.)  Il  semble  qu'il  s'agisse  en  l'espèce  du  projet 
de  Caisse  d'Escompte  présente  par  Panchaud  et  agréé  par  Choiseul. 

(2)  Il  devait  le  montrer  en  défendant  en  1775  avec  l'abbé  Galiani  contre 
les  Physiocrales  la  réglementation  du  commerce  des  grains  (//é^»s/a//on 
et  commerce  des  grains). 

(3)  Necker  admet  que  la  richesse  réside  dans  les  espèces  monnayées, 
et  qu'il  faille  par  conséquent  les  attirer  dans  le  pays  ;  mais  il  veut  évi- 
ter les  moyens  qui  accroîtraient  ces  espèces  au  détriment  de  la  Popu- 
lation, ('  base  de  la  puissance  nationale  »  ;  on  ne  doit  donc  pas  exporter 
les  subsiiitances,  mais  seulement  les  produits  manufacturés . 

(4)  Réponse  au  Mémoire  de  M.  l'abbé  Morellet  sur  la  Compagnie  des 
Indes,  Paris,  1769. 


CHUTE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  LAW  603 

versaire  :  il  est  vrai  que  beaucoup  des  calculs  de  Morellel 
étaient  exacts,  mais  il  y  en  avait  de  faux,  et  si  Necker  les 
relève,  il  ne  le  fait  point  avec  assez  d'énergie,  et  reste  un  peu 
trop,  senible-t-il,  dans  des  considérations  générales.  Il  faut 
reconnaître  que  le  peu  de  temps  qui  lui  fut  laissé  pour  celte 
réponse  (1)  ne  lui  permettait  de  donner  à  celle-ci  «  ni  l'éten- 
due ni  la  correction  »  que  comportait  l'importance  du  sujet. 
Son  plaidoyer  contient  néanmoins  des  choses  fort  justes,  et 
sur  plusieurs  points  il  répond  victorieusement  aux  critiques 
exagérées  de  Morellet. 

Necker  se  propose  de  prouver  que  loin  d'avoir  été  à  charge 
à  VElat,  la  Compagnie  lui  a  rendu  de  grands  services,  et  que 
loin  de  s'être  enrichis  aux  dépens  de  la  nation  les  actionnaires 
ont  fait  pour  elle  de  grands  sacrifices. 

Morellet  avait  déclaré  que  les  privilèges  exclusifs  sont  tou- 
jours à  la  piste  de  l'industrie,  qu'ils  l'arrêtent  ;  Necker  re- 
connaît que  cela  est  vrai  en  général,  mais  qu'il  y  a  des 
exceptions:  un  gouvernement,  dit-il,  juge  qu'un  établisse- 
ment sera  utile  à  l'Etal,  mais  les  débuts  en  seront  coûleux  et 
les  résultats  lents  à  venir  ;  il  hésite  à  le  tenter  lui-même,  mais 
il  est  tout  disposé  à  y  concourir,  et  si  ses  finances  ne  lui  per- 
mettent pas  un  concours  pécuniaire,  il  accorde  un  privilège. 
Pourvu  que  la  durée  de  celui-ci  n'excède  pas  la  mesure  de 
l'encouragement  nécessaire  à  l'entreprise,  loin  de  nuire  à 
l'industrie,  il  lui  sera  utile  I  D'ailleurs,  si  une  pareille  conces- 
sion violait  manifestement  les  droits  de  la  société,  comment 
toutes  les  nations  de  l'Europe,  même  les  plus  attachées  à  la 
liberté,  auraient-elles  confié  le  commerce  des  Indes  à  des 
Compagnies  privilégiées?  Là  fut,  en  effet,  l'origine  de  cette 
Compagnie  qu'on  attaque  aujourd'hui  et  non  pas  la  cupidité 

(1)  Elle  a  du  être,  dil-ii,  préparée  en  quinze  jours. 


604  QUATHliiME    PAHTIE.    —    CHAPITRE    PREUIER 

de  quelques-uns!  La  preuve  en  est,  ajoute  Necker  :  «qu'il 
fallut  échauffer  les  esprits  par  le  patriotisme  et  les  aiguillon- 
ner par  la  vanité  (1).  » 

Morellet  prétend  établir  que  la  Compagnie  a  été  à  charge 
à  l'Etat,  en  opposant  le  chiffre  total  de  ses  ventes  qu'il  évalue 
à  300  millions,  à  celui  des  sommes  fournies  par  le  Roi,  soit 
376  millions.  Mais  d'abord  le  chiffre  des  ventes  est  de  600 
millions  et  non  de  300  ;  puis  le  Roi  n'a  rien  fourni  à  la  Com- 
pagnie qu'il  ne  lui  ail  dû  ;  enfin  les  termes  de  cette  compa- 
raison sont  mal  choisis,  car  ce  qui  importe,  c'est  d'une  pari 
le  chiffre  des  bénéfices  réalisés  et  non  celui  des  ventes,  d'au- 
tre part,  ce  ne  sont  pas  les  sommes  reçues  du  Roi,  qui  indi- 
quent seulement  un  sacrifice  fait  par  le  Trésor  ;  or  l'Etat  peut 
gagner,  même  quand  le  Trésor  du  Prince  s'appauvrit  et  inver- 
sement I  Ce  qu'il  faut  mettre  en  balance,  c'est  l'utilité  respec- 
tive du  privilège  et  du  commerce  particulier  vis-à-vis  de  la 
nation,  et  la  Compagnie  aura  été  utile  à  la  nation,  si  elle  lui 
a  procuré  sur  les  étrangers  un  bénéfice  que  le  commerce 
particulier  ne  lui  aurait  pas  fourni  ! 

Or,  la  Compagnie  a  toujours  gagné  dans  ses  opérations 
commerciales,  et  son  bénéfice  a  toujours  été  de  35  à  45  0/0 
sur  les  exportations  et  de  90  à  140  0/0  sur  les  importations  ; 
d'autre  part,  ses  pertes  maritimes  n'ont  pas  excédé 3  0/0. 

A  quoi  donc,  peut-on,  il  est  vrai,  se  demander,  ont  été  em- 
ployés des  bénéfices  qui  dépassent  singulièrement  les  divi- 
dendes touchés  par  les  actionnaires  ?  A  faire  les  frais  de  la 
souveraineté  de  la  Compagnie,  à  construire  des  établisse- 

(1)  Là  est  en  outre,  suivant  Necker,  la  justification  de  l'intervention 
de  l'Etat  dans  les  aflaires  de  la  Compagnie  au  moyen  des  commissaires 
du  Roi,  et  de  la  nomination  des  Directeurs  par  le  gouvernement.  Ce 
serait  au  contraire  injuste,  si  la  Compagnie  n'était  .<  qu'une  société 
d'hommes  travaillant  pour  leur  intérêt  propre  ». 


CHUTE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  LAW  605 

menls,  des  porLs,  des  forlificalions.  Si  le  commerce  avait  été 
libre,  c'est  l'Etat  qui  eût  dû  les  faire,  et  puisqu'ils  l'ont  été 
par  la  Compagnie  sur  ses  profils  et  sur  les  fonds  de  ses  ac- 
tionnaires, elle  a  soulagé  par  là  l'Etat  d'une  dépense  très 
considérable  ! 

Qu'on  vante  par  contre  la  puissance  du  commerce  parti- 
culier, ce  qu'il  eût  fait  à  la  place  de  la  Compagnie,  Necker  ne 
veut  point  accepter  celle  discussion  ;  on  ne  répond  à  des 
possibilités  que  par  des  possibilités  et  cette  guerre  d'imagina- 
tion ne  convient  pas  à  si  grave  sujet.  Mais  qu'on  n'affaiblisse 
pas  au  moins  les  services  rendus  par  la  Compagnie.  «  Elle  a 
créé  Lorient  et  nos  établissements  de  l'Inde,  changé  deux 
lies  incultes  et  désertes  en  deux  colonies  commerçantes  et 
cultivées,  relevé  ces  établissements  ruinés  par  la  dernière 
guerre.  Elle  nourrit  4.000  matelots  et  entretient  un  corps 
respectable  d'officiers  de  marine.  Voilà  les  dommages  qu'elle 
a  causés  au  Trésor  royal  et  ses  crimes  envers  l'Etat  !  » 

Necker  reproche  à  Morellet  de  laisser  au  compte  de  la 
Compagnie  les  pertes  qu'elle  a  faites  aux  Indes  et  de  vouloir 
lui  retrancher  les  bénéfices  qu'elle  a  réalisés  sur  le  Tabac  (1). 
«  Singulière  jurisprudence,  dit-il,  et  je  doute  qu'aucune  mai- 
son de  commerce  puisse  défendre  son  capital  contre  une  dis- 
tribution pareille  I  » 


(i)  Morellet  prétend,  en  effet,  que  l'Etal  pourrait  réclamer  à  la  Com- 
pagnie 130  millions,  sous  prétexte  que  la  Compagnie  n'eût  dû  percevoir 
sur  les  Tabacs  que  2  millions  d  /2  par  au,  chiffre  pour  lequel  celle  Ferme 
lui  fut  concédée.  Mais  il  s'est  bien  gardé,  dit  Necker,  de  citer  tout  en- 
tier l'arrêt  de  1725  dont  il  s'autorise,  et  qui  enlève  à  l'Etat  tout  recours 
contre  la  Compagnie  en  cas  de  plus-value  des  Tabacs.  Cet  arrêt  dit  eu 
effet  «...  sans  néanmoins  que  la  dite  évaluation  (2.500.000  livres)  puisse 
opérer  aucune  garantie,  recours,  ou  autre  action  tant  contre  le  Roi  que 
contre  la  Compagnie  en  cas  de  plus  ou  de  moius-value  du  bénéfice  du 
dit  privilège.  » 


606  QUATRIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

Moreiiet  a  critiqué  les  droils  de  tonneau,  la  cession  des  ac- 
tions et  des  billets  du  Koi  consentie  par  lui  en  1764  ;  mais  ce 
ne  furent  là  que  de  justes  et  insuffisantes  compensations  de 
ses  dépenses  et  de  ses  pertes  dans  les  guerres  de  l'Inde.  Il 
est  vrai  que,  suivant  Moreiiet,  la  guerre  n'a  été  portée  aux 
Indes  que  pour  soutenir  le  privilège  de  la  Compagnie  ;  mais 
Necker  s'indigne  avec  raison  de  cette  manière  de  voir.  «  Quoi, 
Monsieur,  ce  n'est  pas  pour  défendre  nos  colonies  ?  Ce  n'est 
pas  pour  protéger  le  commerce  et  les  établissements  de  la 
nation?  Le  privilège  n'est  autre  chose  que  le  moyen  qui  a  été 
jugé  le  meilleur  pour  exercer  le  commerce  et  diriger  les  colo- 
nies de  l'Inde  ;  mais  c'est  uniquement  ce  commerce  et  ces 
colonies  qui  attirent  la  défense  du  Souverain  I  »  Aussi  bien, 
cette  guerre  a-t-elle  été  faite  par  Tordre  exprès  de  Sa  Majesté 
et  la  Compagnie  ne  fut  à  proprement  parler  pendant  ces  an- 
nées désastreuses  :  «  que  le  bureau  de  la  guerre  au  dépar- 
lement de  l'Inde  »  (1). 

11  serait  donc  plus  conforme  à  la  justice  de  proposer  la 
réforme  de  la  Compagnie  que  sa  destruction,  et  celte  réforme 
est  possible.  Depuis  1725  les  actionnaires  n'ont  jamais  eu  la 
nomination  des  Directeurs,  et  depuis  1730  les  commissaires 
du  Roi  ont  pris  dans  l'administration  la  place  la  plus  consi- 
dérable. «  Rien  n'a  été  conduit,  peuvent  dire  les  actionnai- 
res, ni  par  nous,  ni  par  nos  représentants.  Nous  n'avons  su 
que  nous  étions  actionnaires  que  par  les  retranchements  de 
nos  dividendes.  »  Il  est  temps  de  songer  à  leur  rendre  le 
ressort  puissant  de  l'esprit  de  propriété.  Aussi  Necker  se 
plaint-il  que  les  actions  soient  au  porteur  ;  les  actionnaires 
sont  anonymes,  une  fois  sortis  de  l'assemblée  on  ne  les 
connaît  plus,  et  même  aux  assemblées  un  simple  porteur 

(1)  On  ne  peut  douter  que  cette  protestation  de  Necker  ne  soit  abso- 
ment  justifiée. 


CHUTE  DE  LA  COMPAGNHS  DE  LAW  007 

d'actions  peut  prendre  la  place  du  vrai  propriétaire  ;  en  em- 
pruntant un  nombre  de  titres  suffisant  on  arrive  même  à 
se  faire  nommer  Directeur  et  il  est  impossible  de  découvrir 
ces  fraudes  1 

Enfin  la  présence  du  commissaire  du  Roi,  auquel  la  con- 
duite des  affaires  est  soumise,  fait  obstacle  à  l'esprit  d'éco- 
nomie, t  car  l'homme  du  gouvernement  n'y  a  aucun  motif 
pressant.  »  Morellet  refuse  à  la  Compagnie,  il  est  vrai,  la 
possibilité  de  trouver  les  fonds  qui  lui  font  défaut.  Pourquoi 
le  pourrait-elle  moins  que  les  particuliers  qu'on  veut  lui 
substituer  ?  Elle  a  37.000  actions,  50  millions  de  capital  et  un 
commerce  en  activité  ;  quelles  sûretés  pourraient-ils  donner, 
qu'ellene puisse  elle-même  présenter  !  Si  on  réformait  la  Com- 
pagnie dans  le  sens  d'une  plus  grande  influence  donnée  aux 
actionnaires,  elle  trouverait  bien  vite  le  crédit  dont  elle  a 
besoin  «  car  l'argent  a  besoin  de  l'emprunteur,  comme  l'em- 
prunteur cherche  l'argent;  il  n'est  question  que  d'établir 
entre  eux  des  rapports  convenables  ».  C'est  ce  qu'on  a  voulu 
faire  en  1764,  «  et  tout  imparfaite  que  cette  réforme  ait  été  », 
elle  a  rehaussé  le  crédit  de  la  Compagnie  en  dépit  de  la 
dernière  guerre;  aussi  l'emprunt  du  mois  de  juillet  1767, 
contracté  à  5  1/2  0/0,a-t-il  été  couvert  rapidement,  bien  que 
les  fonds  publics  présentassent  alors  l'appâl  d'un  intérêt  de 
7  à  7  1/2  0/0  avec  hypothèque  !  et  les  emprunts  de  la  Com- 
pagnie n'ont  jamais  prêté  à  la  spéculation,  ce  qu'il  faut  tou- 
jours rechercher.  Morellet  reprocii^  encore,  il  est  vrai,  à  ces 
emprunts  de  détourner  les  capitaux  des  autres  placements  ; 
mais  ce  ne  serait  un  mal  que  si  l'argent  était  rare  ;  quand  il 
n'est  que  «  resserré  »,  tout  emprunt  qui  le  fait  sortir  donne 
le  signal  de  la  confiance  et  seconde  le  succès  des  autres  pla- 
cements, bien  loin  de  les  gêner. 

Necker  termine  par  ce  jugement  qui  s'applique  si  justement 


608  QUATRIEME  PARTIR.  CHAPITRE  PREMIER 

aux  développemeiils  présenlés  par  MorelleLa  l'appui  du  prin- 
cipe de  la  liberté  commerciale  :  «  il  me  semble  qu'il  faut  se 
défier  un  peu  du  penchant  irrésistible  qu'ont  la  plupart  des 
hommes  pour  les  maximes  générales  qui  les  séduisent, en  ne 
les  obligeant  à  classer  dans  leur  mémoire  qu'un  petit  nom- 
bre de  principes,  à  l'aide  desquels  ils  peuvent  juger  beau- 
coup de  choses  avec  peu  de  peine,  tandis  que  la  nature,  se 
refusante  notre  paresse,  a  placé  continuellement  l'exception 
à  côté  de  la  règle,  l'erreur  auprès  de  la  vérité,  et  le  faux  près 
du  vraisemblable...  »  (1) 

Quelle  fut  l'importante  réunion  des  actionnaires,  au  cours 
de  laquelle  Necker  prononça  cette  défense,  nous  n'avons  pas 
sur  ce  point  de  témoignages  précis  ;  mais  il  est  aisé  d'y  sup- 
pléer, il  devait  y  avoir  parmi  les  assistants  une  certaine  émo- 
tion soulevée  par  les  divulgations  de  Morellet,  auxquelles  on 
nelesavaitpas  sufflsammenlpréparésetqui  durent  ruiner  bien 
des  illusions  ;  il  y  eut  aussi  chez  eux  une  certaine  animosité 
contre  le  ministère,  surtout  contre  le  Contrôleur  qu'on  disait 
résolu  à  perdre  la  Compagnie.  Les  rectifications  apportées  par 
Necker,  sa  valeur  comme  financier  rassurèrent  sans  doute  ; 
on  reprit  confiance  et  puisqu'il  croyait  des  réformes  encore 
nécessaires,  on  résolut  de  les  obtenir.  D'autres  voix  se  firent 

(1)  En  septembre  1769,  c'est-à-dire  après  l'arrêt  qui  suspendit  la 
Compagnie,  l'abbé  Morellet  crut  devoir  encore  répondre  aux  critiques 
que  Necker  avait  faites  de  son  premier  Mémoire  {Examen  de  la  ré- 
ponse de  M.  N.  au  mémoire  de  M.  Vabbc  Morellet  sur  la  Compagnie  des 
Indes,  par  l'auteur  du  Mémoire,  Paris).  Il  y  reproche  à  Necker  de 
n'avoir  pas  répondu  à  ses  principaux  arguments,  à  savoir  que  la  Com- 
pagnie avait  toujours  vu  décroître  ses  capitaux,  et  qu'elle  ne  pouvait 
trouver  par  elle-même  les  ressources  dont  elle  avait  besoin.  Il  affirme 
enfin  qu'il  a  voulu  sauvegarder  les  intérêts  des  actionnaires  et  ceux 
du  public  qui  peut  le  devenir.  Ce  dernier  Mémoire  fut  encore  très  con- 
sidérable, car  Morellet  est  aisément  prolixe,  mais  il  n'eut  sur  les  évé- 
nements aucune  influence. 


CHUTE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  LAW  609 

d'ailleurs  entendre  après  la  sienne.  Le  comte  de  Lauraguaia 
prolesta  à  son  tour  contre  les  conclusions  de  l'abbé  Morel- 
lel(1)  :  «J'ose  le  dire,  s'écria-l-il,  il  n'y  a  qui  que  ce  soit  qui 
puisse  conclure  raisonnablement  du  mémoire  de  M.  l'abbé 
Morellet  :  1°  que  la  Compagnie  ne  peut  exister  sous  une  autre 
forme  ;  2°  qu'il  est  du  bien  del'Elat  qu'elle  n'existe  pas  ;  3°  que 
si  elle  est  anéantie,  la  liberté  du  commerce  pourra  s'établir 
et  le  rendre  plus  florissant  qu'il  n'était  auparavant.  Quant  à 
moi ,je pense  quel  a  siluationactuelle  delà  Compagnie  dépend 
de  causes  étrangères  à  l'état  où  elle  devrait  être  aujour- 
d'hui (2).  >) 

On  décida  de  faire  imprimer  et  de  répandre  dans  le  public 
la  réponse  de  Necker,  puis  un  dernier  orateur  proposa  trois 

(1)  Mémoire  sur  la  Compagnie  des  Indes,  Paris,  1769. 

(2)  Il  parut  au  cours  de  celte   anne'e  un  certain  nombre  de  mémoires 
sur  cette  question  qui  méritait  en  eiïet  de  passionner  les  contemporains. 
Nous  voulons  citer  seulement  celui  d'un  des  principaux  Physiocrates, 
Dupont  de  Nemours,  qui  parut  sous  ce  titre  :  Du  commerce  et  de  la 
Compagnie  des  Indes  (Paris,   1769).  Il  voit  dans  la  situation  où  est  ré- 
duite cette  Compagnie  «  un  grand  exemple  des  dangers  auxquels  s'ex- 
pose un  Etat  qui  préfère  les  combinaisons  étroites  d'une  politique  mer- 
cantile, exclusive  et  jalouse  aux  simples  et  saintes  lois  de  la  Justice...  « 
Morellet  a  le  tort,  selon  lui,  de  considérer   un  peu  trop   la  Compagnie 
«  comme  un  corps  qui  se  serait  conduit  lui-même  et  auquel  on  pourrait 
imputer  personnellement  toutes  ses  fautes  et  tous  ses  mallieurs  »  ;  mais 
les  défenseurs  de  la  Compagnie  ont,  par  contre,  beaucoup  trop  adopté 
cette  idée.  Ils  ont   voulu  être  corps,  et  par  esprit  de  corps  justifier  à 
toute  force  mille  choses  auxquelles  ils  n'avaient  point  de  part.  Quoi- 
qu'ils ne  soient  au  fond  que  des  rentiers,  ils  ont  combattu  avec  animo- 
sité  pour  l'honneur  d'un  commerce  qu'ils  n'ont  réellement  pas  fait. 
Dupont  de  Nemours   est  d'avis   qu'il   faut  que  la  France  abandonne  le 
commerce  de  Vlnde,  pour  se  fournir  auprès  des  étrangers  des  produits 
asiatiques,  «  dont  il  serait  absurde  d'interdire  l'usage  »  ;  nous  les  achè- 
terions ainsi  meilleur  marché  qu'à  nos  nationaux,  et  les  capitaux  que 
nous  n'emploierions  plus  à  ce  commerce  seraient  disponibles  pour  amé- 
liorer la  culture  de  notre  sol. 

W.  —  39 


CIO  QUATRIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

formes  d'emprunt  entre  lesquelles  on  pouvait  choisir  ;  l'as- 
semblée décida  de  les  soumettre  au  Roi,  ce  qui  montre  bien 
que  les  actionnaires  n'avaient  pas  encore  perdu  tout  espoir. 
Cependant,  cinq  jours  à  peine  après  cette  réunion,  le  di- 
manche 13  août  1769,  à  Compiègne,  le  sort  de  la  Compagnie 
des  Indes  se  décidait  au  Conseil  du  Roi.  Maynon  d'Invau 
exposa  la  situation  ;  le  Roi  et  les  ministres  avaient  lu  le  mé- 
moire de  Morellet  dont  le  Contrôleur  développa  sans  doute 
les  arguments  ;  puis  il  étudia  les  trois  projets  d'emprunt  et 
les  rejeta  les  uns  après  les  autres  comme  impraticables  ou 
trop  lents  à  produire  des  résultats  ;  il  conclut  que  la  Com- 
pagnie ne  pouvait  plus  faute  de  fonds  faire  le  commerce  des 
Indes,  et  que  les  colonies  des  îles  de  France  et  Bourbon,  et 
les  sujets  de  S.  M.  aux  Indes  allaient  se  trouver  de  ce  fait 
sans  subsistances  (1).  Sur  ce  rapport  un  arrêt  fut  aussitôt 
rendu  dont  l'article  premier  ruinait  le  monopole  de  la  Com- 
pagnie :  «  Vexercice  du  privilège  exclusif  de  la  Compagnie 
des  Indes  aux  îles  de  France  et  de  Bourbon,  aux  Indes,  à  la 
Chine  el  dans  les  mers  au  delà  du  cap  de  Bonne-Espérance, 
sera  el  demeurera  suspendu  jusqu'à  ce  qu'il  en  soit  par  S.  M. 
autrement  décidé  (2).  » 

Cette  nouvelle,  aussitôt  connue,  frappa  les  actionnaires  de 
la  Compagnie  d'une  profonde  indignation  ;  ainsi,  il  était  bien 
vrai  que  la  perte  de  celle-ci  était  résolue  depuis  longtemps, 
puisque  sans  discuter  sérieusement  ses  propositions,  sans 
lui  laisser  le  temps  de  se  défendre,  on  décidait  la  suspension 
de  son  privilège  !  Ce  dénouement,  particulièrement  rapide, 
émut  d'ailleurs  d'autres  intérêls  que  ceux  de  la  Compagnie, 
et,  sans  l'avoir  sollicité,  elle  trouva  aussitôt  un  auxiliaire 

(1)  Préambule  de  l'arrêt. 

(2)  Arrôl  du  Conseil  concernant  le  commerce  de  l'Inde,  à  Compiègne, 
13  août  1769,  Archives  Nationales.  —  Cet  arrêt  avait  8  articles. 


CHUTE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  LAW  611 

influent.  Dès  le  19  août  le  Parlement,  saisi  par  la  Chambre 
des  Enquêtes,  nomma  des  commissaires  pour  aviser  au  sujet 
de  cet  arrêt  qu'il  jugeait  c  contraire  aux  formes  établies  dans 
cette  monarchie,  par  lesquelles  le  Souverain  manifeste  à  ses 
sujets  sa  volonté  légale  >  (1),  et  de  nature  à  porter  un  préju- 
dice considérable  à  *  nombre  de  citoyens  actionnaires  de 
cette  Compagnie  qui, en  raison  de  son  existence  déjà  ancienne, 
méritait  une  attention  particulière  »  ! 

Les  commissaires  résolurent  d'entendre  conlradictoire- 
ment  les  représentants  de  la  Compagnie  des  Indes  et  les 
députés  du  commerce  ;  mais  cette  enquête  fut  assez  déconcer- 
tante. M.  de  Bruny,  Syndic  de  la  Compagnie  et  parlant  en  son 
nom  (2), déclara  qu'elle  reconnaissait  comme  exacts  les  calculs 
de  Morellet  et  se  soumettait  à  la  sagesse  du  gouvernement  et 
de  la  Cour.  Grave  déclaration  t  Necker  n'avait  pourtant  point 
parlé  en  son  nom  particulier  en  protestant  contre  les  révéla- 
lions  de  Morellet,  et  la  Compagnie  avait  alors  hautement  ré- 
clamé justice.  Cependant  elle  s'est  résignée  et  se  soumet 
maintenant  au  sort  qui  lui  est  faiti  Les  représentants  du 
commerce  particulier,  au  nom  desquels  M.  Marion,  député 
de  Paris,  prit  la  parole,  réservaient  aux  commissaires  d'au- 
tres surprises  ;  ils  déclarèrent  en  effet  «  n'avoir  pas  d'opinion 
fixe  »  sur  la  question  du  commerce  de  l'Inde,  et  ajoutèrent 

(1)  Si  les  édils  et  les  de'clarations  émanés  de  l'autorité  royale  étaient 
soumis  à  l'enregistrement  par  le  Parlement,  les  arrêts  ne  l'étaient  pas 
obligatoirement  et  le  gouvernement  avait  par  suite  tendance  à  légiférer 
par  des  arrêts,  puisque  de  celte  façon  il  évitait  le  contrôle  du  Parlement. 
On  comprend  ainsi  pourquoi  celui-ci  s'émeut  de  ce  fait  que  le  Roi  ait 
cru  pouvoir  prendre  par  voie  d'arrêt  une  mesure  aussi  grave  que  la 
suspension  de  la  Compagnie  des  Indes. 

(2)  Comparurent  pour  la  Compagnie  :  MM.  de  Clonard,  de  Bruny,  du 
Vaudier,  Syndics  ;  Lemoyne,  de  Méry  d'Arcy,  de  Rabec,  de  Sainte-Ca- 
therine, Directeurs  ;  Duval  d'Espréménil,  Lhéritier,  Julien,  Dupan, 
de  la  Rochette,  Jaume,  Députés  des  actionnaires. 


G12  QIIATHIKMF,    PARTIR.    CirAPITIiK    PREMIER 

que  la  destruction  du  privilège  était  une  «  question  nouvelle 
qu'ils  ne  pouvaient  résoudre  d'une  façon  absolue  ». 

Ainsi  la  Compagnie  accepte  l'arrêt  qui  la  frappe,  et  le  com- 
merce particulier,  qui  ne  s'attendait  nullement  à  celte  au- 
baine, preuve  qu'il  n'avait  aucune  part  au  mouvement  déter- 
miné contre  la  Compagnie  par  le  gouvernement  et  les  Eco- 
nomistes, l'accueille  sans  enthousiasme  et  montre  la  plus 
complète  irrésolution  ! 

Le  Parlement  fut  sans  doute  peu  instruit  par  ces  déposi- 
tions du  véritable  état  de  la  question,  mais  i)  décida  de  faire 
au  Roi,  sur  l'arrêt  lui-même,  «  très  bumbles  et  très  respec- 
tueuses représentations  ». 

Elles  eurent  lieu  le  3  septembre  à  Compiègne,  où  le  pre- 
mier président  vint,  accompagné  de  deux  présidents  de 
chambre,  les  adresser  au  Roi  de  vive  voix,  suivant  l'usage. 
Le  Parlement  ne  tenait  pas  d'une  façon  expresse  à  la  conser- 
vation de  la  Compagnie,  puisque  celle-ci  rendait  elle-même 
les  armes;  mais  il  demandait  qu'on  ne  portât  pas  atteinte 
par  un  acte  sans  forme  à  un  établissement  public  fondé  sur 
des  lois  dûment  vérifiées  ;  il  refusait  de  laisser  spolier  les 
intéressés  de  cette  Compagnie  (1),  et  désirait  qu'on  remplaçât 
le  régime  existant  par  un  autre  qui  fût  praticable,  ce  que  n'é- 
tait pas,  disait-il  avec  raison,  celui  de  l'arrêt  du  13  août  (2). 
Enfin  il  rendait  justice  à  l'œuvre  d'intérêt  national  accomplie 
par  la  Compagnie  et  qu'affectaient  de  méconnaître  ses  enne- 
mis :  «  Cette  Compagnie  présente  dans  le  point  de  vue  général 

(1)  «  Quoi?  disail-il,  on  a  omis  avec  affectation  d'assurer  les  aclion- 
naires  de  la  disposition  des  vaisseaux  et  des  effets  de  la  Compagnie  1 
C'est  altaquLM-  la  propriété,  sinon  par  une  disposition  directe,  du  moins 
par  une  réticence  affectée.  Celte  propriété  fait  partie  de  l'existence  du 
citoyen.  Le  Parlement  doit  au  Roi  de  réclamer  avec  force  contre  de 
pareils  actes  de  pouvoir  absolu  !  » 

(2)  V.  infrà,  p.  617,  note  2. 


CHUTE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  LAW  613 

de  son  existence  le  magnifique  projet  de  porter  la  gloire  du 
nom  français  et  la  puissance  de  V.  M.  jusqu'aux  exlrémilés 
du  monde.  Sa  marine  a  fourni  des  sujets  distingués  à  votre 
marine,  ses  vaisseaux  sont  toujours  prêts  à  soutenir  les 
droils  de  la  souveraineté,  dont  il  a  plu  à  V.  M.  lui  confier  la 
défense  dans  une  parlie  du  monde.  Les  différentes  secousses 
qu'elle  a  éprouvées  ont  été  occasionnées  moins  par  les  varia- 
tions de  son  commerce  que  par  les  guerres  que  l'Etal  a  eu 
à  supporter.  Sa  situation  actuelle  est  une  suite  de  la  situa- 
tion fâcheuse  des  finances  de  l'Etat,  et  peut-être  l'effet  de 
l'impression  de  l'autorité  qui  a  toujours  dirigé  et  souvent 
ordonné  ses  opérations.  »  Noble  et  raisonnable  langage  qui 
fait  honneur  à  la  fois  à  la  Compagnie  et  au  Parlement. 

Le  Roi  reconnutqu'ily  avait  dans  le  régime  établi  par  l'arrêt 
du  13  août  des  dispositions  à  modifier  ;  il  déclara  qu'il  n'avait 
nullement  l'intention  de  léser  les  actionnaires  et  que  ceux-ci 
garderaient  la  jouissance  de  tout  ce  qui  leur  appartenait.  Le 
Parlement  dut  se  contenter  de  cette  demi-satisfaction.  Bien- 
tôt, en  effet,  un  arrêt  du  6  septembre  vint  modifier  le  premier 
sur  les  points  qui  avaient  soulevé  déjà  nombre  de  protesta- 
tions. Le  privilège  de  la  Compagnie  resta  suspendu  et  la 
route  des  Indes  fut  désormais  ouverte  aux  négociants  parti- 
culiers. 

Quelle  était  la  situation  faite  à  la  Compagnie?  Elle  fut,  dans 
son  principe,  assez  mal  déterminée,  car  la  mesure  qui  la 
frappait  n'était  pas  une  suppression,  mais  seulement  la  sus- 
pension  de  l'exercice  de  ses  droils  (1)  ;  cependant  certains 

(1)  Celle  décision  mérile  de  retenir  l'allention.  Le  privilège  de  la  Com- 
pagnie était  à  terme,  elle  devait  donc  prochainement  en  demander  le 
renouvellement  pour  pouvoir  subsister  :  si  elle  ne  le  faisait  pas  ou  que 
celui-ci  lui  fûl  refusé,  ledit  privilège  devait,  semble-t-il,  s'évanouir.  La 
solution  admise  esl  un  moyen  terme  :  le  privilège  lui-même  n'est  pas 


614  QUATRIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

points  étaient  fixés  d'une  manière  plus  nette.  La  Compagnie, 
en  effet,  qu'elle  lut  suspendue  ou  supprimée,  devenait  étran- 
gère au  commerce  lui-même  entre  les  Indes  et  la  France  ; 
mais  elle  gardait  une  part,  assez  mince,  il  est  vrai,  aux  rela- 
tions qui  allaient  s'établir  sous  ce  régime,  car  c'était  à  elle, 
à  son  administration  de  Paris,  de  délivrer  aux  commerçants 
les  passeports  dont  ils  devaient  se  nantir  avant  de  mettre 
leurs  navires  en  mer.  Ses  comptoirs  conservèrent  leur  per- 
sonnel qui  passait  seulement  de  son  service  à  celui  du 
Roi,  et  reçut  de  celui-ci  confirmation  de  ses  fonctions.  De 
même  le  Roi  ouvrit  l'entrée  de  sa  marine  au  corps  naviguant 
de  la  Compagnie  avec  des  grades  équivalents.  L'administra- 
tion centrale  de  la  Compagnie:  Syndics  et  Directeurs,  continua 
également  à  fonctionner,  tant  pour  assurer  la  délivrance  des 
passeports  que  pour  conduire  la  liquidation  qui  s'ouvrit  aus- 
sitôt. Enfin  un  arrêt  du  17  février  1770,  complété  par  celui  du 
8  avril  suivant  (1),  fixa  la  situation  respective  du  Roi  et  de 
la  Compagnie. 

La  Compagnie  céda  au  Roi  ses  immeubles,  ses  meubles  et 
ses  droits^  à  la  seule  exception  de  la  partie  de  son  capital 
qui  se  trouvait  hypothéquée  en  faveur  des  actions  par  Tédit 
de  1764.  Le  Roi,  de  son  côté,  se  reconnut  débiteur  d'une  rente 
perpétuelle  de  l.i200.000  livres,  représentant  un  capital  de 
30  millions,  pour  se  libérer  de  toutes  les  sommes  qu'il  devait 

tombé,  son  exercice  seul  est  intéressé  par  l'arrêt  et  cet  exercice  est  sms- 
pendu  jusqu'à  nouvel  ordre.  Il  faut  en  conclure  que  la  jouissance  du 
privilège  lui-même  ne  disparut  pas  à  l'expiration  normale  de  sa  conces- 
sion ;  sinon,  en  effet,  cette  mesure  était  inutile.  Tout  paraît  prouver  que 
le  gouvernement  royal  voulut  éviter  de  se  trouver  en  présence  de  cette 
alternative  :  renouveler  le  privilège  de  lu  Compagnie,  ou  refuser  ce  re- 
nouvellement. 

(1)  Arrêt  du  8  avril  1770  homologuant  la  décision  de  l'assemblée 
des  actionnaires  en  date  du  7  avril.  Archives  Nationales.  ADIX,  385. 


CHUTE  DE  LA  COMPAGNIE  DE  LAW  615 

a  la  Compagnie  (1  )  ;  il  s'engagea,  en  outre,  à  payer  désormais 
toutes  les  pensions,  toutes  les  rentes  constituées  par  elle. 
La  Compagnie  reçut  l'autorisation  d'ouvrir  une  loterie  au 
capital  de  12  millions  pour  achever  l'entier  payement  de  ses 
dettes.  Enfin  il  fut  décidé  que  les  actionnaires  feraient  un 
dernier  apport  de  400  livres,  moyennant  lequel  le  capital  des 
actions,  qui  avait  été  fixé  à  1.600  livres  en  1764,  fut  élevé  à 
2.500  livres,  et  leur  dividende  fut  porté  de  80  livres  à  125 
livres  (2). 

(1)  Edit  de  février  1770,  portant  création  d'un  contrat  de  1.200.000 
livres  de  rente  perpétuelle  au  principal  de  30  millions,  au  profit  de  la 
Compagnie  des  Indes,  Archives  Nationales.  ADIX,  385.  Cette  rente  re- 
présentait le  montant  des  dettes  du  Roi  ainsi  évaluées  : 

i°  Gratifications  sur  les  importations  et  exporta- 
lions,  droit  de  noirs,  indemnité  pour  les  cafés  depuis 
1764 12.500.000  livres 

2°  Vaisseaux,  magasins,  comptoirs,  droits  cédés 
par  la  Compagnie  au  Roi 17.500.000      » 

Total 30.000.000      .. 

(2)  La  suspension  de  la  Compagnie  provoqua  la  parodie  suivante 
d'une  scène  de  Mithridate  :  «  On  voit  au  milieu  du  théâtre  la  Compa- 
gnie des  Indes  nue  en  cbemise  ;  elle  est  suspendue  par  une  corde  sous 
les  aisselles,  elle  tient  en  main  son  privilège.  Le  corps  des  actionnaires 
est  représenté  par  deux  d'entre  eux  qui  s'essuyent  les  yeux  avec  leurs 
mouchoirs.  »  Mémoires  secrets  de  Bachaumont  (cités  par  M.  Bonnas- 
sieux). 


CHAPITRE  il 


LA  COMPAGNIE    UE  GALONNE. 


Le  commerce  libre  ;  ses  conditions  :  les  passeports,  obligation  d'effec- 
tuer les  retours  à  (.orient  ;  ses  résultats.  —  Les  affaires  de  l'Inde  : 
luttes  d'Haï(ler-Ali  et  de  Tippo-Sahib  contre  la  Compagnie  anglaise, 
ouverture  de  la  guerre  d'Amérique,  nouvelle  chute  de  nos  comptoirs 
indiens,  campagne  de  Suffren,  traité  de  Versailles.  — M.  de  Galonné 
rétablit  la  Compagnie  des  Indes  (arrêt  du  14  avril  1785).  —Prétextes 
de  ce  rétablissement;  raisons  de  la  distinction  faite  entre  cette  Com- 
pagnie et  la  Compagnie  suspendue  en  1769.  —  Restrictions  apportées 
à  l'étendue  de  ses  droits.  —  Organisation  de  la  Compagnie  nouvelle. 
—  Protestations  du  commerce  particulier.  —  Premières  opérations 
commerciales  de  la  Compagnie. 


Le  commerce  avec  l'Asie  élail  ainsi  désormais  accessible  à 
tous  les  négocianls  particuliers,  pour  le  profil  desquels  les 
Economistes  avaienlmené  le  combat  et  remporté  la  victoire  ; 
mais  la  longue  possession  de  ce  trafic  par  la  Compagnie  leur 
avait  ûté,  semble-il,  jusqu'à  l'idée  même  de  faire  ces  opéra- 
tions pour  leur  compte  et  ils  n'y  étaient  nullement  préparés. 
L'opinion  que  ce  commerce  était  une  opération  ruineuse, 
un  mal  nécessaire,  une  entreprise  où  l'on  engouffrait  des  ca- 
pitaux sans  grande  chance  de  succès,  avait  d'ailleurs  bon 
nombre  de  partisans  et  ceux-là  considéraient  la  Compagnie 
comme  remplissant  un  véritable  service  public  en  apportant 
en  France  les  marchandises  des  Indes  dont  on  no  pouvait  se 
passer,  beaucoup  plutôt  que  coninie  Jouissant  d'un  mono- 
polo lucratir. 


LA    COMPAGNIE    DE   GALONNE  617 

La  situalioii  à  laquelle  étaient  soumis  les  armateurs  n'était 
pointd'ailleurssansdifficullés;  les  restrictions  y  étaient  nom- 
breuses et  Ton  sait  qu'en  matière  commerciale  toute  tracas- 
serie administrative  a  un  efïel  désastreux.  Or,  il  fallait  que  les 
négociants,  avant  de  faire  partir  leurs  navires,  se  procuras- 
sent un  passeport  (1)  dans  les  bureaux  de  la  Compagnie  :  sim- 
ple formalité,  il  est  vrai,  car  ce  passeport  était  gratuit, exempt 
de  toute  forme  compliquée  et  ne  pouvait  être  refusé;  néan- 
moins c'était  à  Paris  seulement  que  la  Compagnie  le  déli- 
vrait, ce  qui  pouvait  causer  aux  armements  des  relards  fort 
préjudiciables  (2).  En  outre,  on  ne  pouvait  armer  pour  l'Asie 
dans  un  porl  quelconque  du  royaume,  et  seuls  les  ports  ou- 
verts au  commerce  avec  les  colonies  pouvaient  être  choisis 
comme  lieux  d'armement  (3)  ;  cette  mesure  était  destinée  à 
assurer  le  contrôle  de  ce  commerce,  et  d'ailleurs  il  n'y  avait 

(1)  Celte  formalité  du  passeport  s'imposait,  étant  donnée  la  politique 
coloniale  en  vigueur;  il  était  déjà  exigé  pour  l'inlercourse  coloniale. 

(2)  Celte  question  du  passeport  fui  une  des  plus  difficiles  à  régler  ; 
l'arrêt  du  13  aoijl  1769  avait  décidé  que  pour  l'obtenir  les  négociants 
devraient  adresser  au  minisire  de  la  marine  ou  à  la  Compagnie  un  mé- 
moire, qui  devait  être  communiqué  aux  députés  du  commerce,  et  ceux-ci 
pouvaient,  s'ils  le  jugeaient  nécessaire,  prendre  des  renseignements 
avant  de  donner  leur  avis  :  ce  n'élait  que  lorsque  celui-ci  était  obtenu, 
que  le  passeport  pouvait  être  délivré  (art.  4).  —  L>es  réclamations  nom- 
breuses se  firent  entendre,  le  Parlement  lui-même  protesta  «  contre 
cet  esclavage  qui  anéantissait  tout  commerce  ».  l/arrèl  du  6  septembre 
1769  modifia  en  efTel  ces  formalités  ;  on  supprima  la  demande  au  minis- 
tre pour  la  réservera  la  Compagnie,  et  rou  abandonna  l'inlervenlion 
des  députés  du  commerce  (art.  1"). 

(3)  L'arrêt  du  13  août  1769,  qui  le  décidait  (art.  7),  soumettait  d'une 
façon  générale  le  commerce  de  l'Inde  à  toutes  les  formalités  prescrites 
et  lui  octroyait  tous  les  avantages,  exemptions  et  entrepôts  établis  pour 
le  commerce  des  îles  d'Amérique.  Or  à  ce  commerce  étaient  seuls  ouverts 
les  ports  de  Dunkerqtte,  Calais,  Saint-Valéry,  Dieppe,  le  Havre,  Rouen, 
Honfleur,  Caen,  Cherbounj,  Granville,  Saint-Malo,  Morlaix,  Brest,  Van- 
nes, Nantes,  la  Rochelle,  B'^rdeaux,  Libourne,  Bayonne,  Celte  et  Mar- 
seille. 


618  QUATRIÈME    PARTIE.    CHAPITRE   II 

pas  de  raison  pour  mellre  ces  commerçants  en  dehors  du 
droil  commun,  puisque  les  comptoirs  des  Indes  devenaient 
des  colonies  royales  en  échappant  à  la  Compagnie.  Arrivés 
à  destination  les  commandants  des  navires devaientfaire  viser 
leur  passeport  par  les  autorités  coloniales. 

Les  entraves  étaient  plus  nombreuses  encore  pour  les  re- 
tours ;  on  ne  pouvait  en  effet  les  effectue?'  qu'au  seul  port  de 
Lorient  (1),  et  la  faculté  d'entreposer  les  cargaisons  pendant 
six  mois  dans  ses  magasins  n'était  pas  un  avantage  suffisant 
pour  contrebalancer  les  inconvénients  de  cette  restriction 
fort  gênante  pour  les  armateurs  des  autres  ports  de  France, 
obligés  de  faire  suivre  leurs  bâtiments  sur  lest  de  Lorient  à 
leur  port  d'attache.  On  pouvait,  il  est  vrai,  après  avoir  touché 
à  Lorient  et  fait  dans  les  24  heures  la  déclaration  du  charge- 
ment prescrite,  repartir  pour  Nantes,  où  il  jouissait  du  même 
avantage  d'entrepôt  (2). 

Enfin,  et  l'on  ne  pouvait  espérer  qu'il  en  fût  autrement,  le 
gouvernement  n'ayant  pas  renoncé,  même  pendant  ses  crises 
de  physiocratie  à  sa  politique  douanière  protectionniste,  les 
importations  elles-mêmes  étaient  placées  comme  précédem- 
ment sous  une  surveillance  très  sévère. Les  unes,  dont  l'entrée 
était  permise,  payaient  les  droits  d'entrée  ordinaires  (3)  et 
en  outre  un  droit  spécial  nouvellement  établi  :  le  droil  d'in- 
duit, de  5  0/0  ou  de  3  0/0  suivant  qu'elles  provenaient  de 
rinde  ou  des  Mascareignes.  Les  autres  (4),  dont  l'entrée  était 


(1)  Arrêt  du  13  août  1769,  article  5. 

(2)  Cet  avantage  avait  été'  accordé  par  l'arrêt  du  6  septembre  1769. 

(3)  L'arrêt  du  13  aoùl  1769  annonçait  la  promulgation  d'un  tarif 
spécial  (art.  6).  L'arrêt  du  6  septembre  lui  substitua  le  droit  d'induit 
(art.  9).  Sa  perception  fut  organisée  par  un  troisième  arrêt  du  29  no- 
vembre 1770. 

(4)  Ce  furent,  comme  précédemment,  et  en  vertu  de  l'arrêt  du  6  sep- 


LA    COMPAGNIE    DE    GALONNE  6!9 

prohibée,  devaient  êlre  réexportées  et  payaient,  ainsi  que 
les  marchandises  permises  destinées  à  l'étranger,  le  seul 
droit  d'induit  précité. Ajoutons  quelesimporlateurs  pouvaient 
recourir  à  leur  gré  à  des  ventes  publiques  ou  particulières. 

Telle  était  la  situation  faite  aux  négociants  particuliers. 
Comment  en  tirèrent-ils  parti? 

Les  documents  dont  nous  pouvons  nous  servir  sont  assez 
nombreux,  mais  ils  ne  concordent  pas  entre  eux  ;  il  faut 
remarquer  d'ailleurs  qu'ils  nous  sont  fournis  tantôt  par  des 
partisans,  tantôt  par  des  adversaires  du  commerce  privilégié, 
ce  qui  leur  enlève  malheureusement  de  leur  impartialité  ;  les 
discussions,  en  effet,  restèrent  passionnées  pendant  les  quel- 
ques années  de  cette  première  expérience  de  la  liberté. 

D'après  un  état  produit  devant  l'Assemblée  Nationale 
en  1790,  le  commerce  particulier  aurait  expédié,  au  cours  des 
seize  années  que  dura  ce  régime  (17(39-1785),  340  bâtiments 
d'un  tonnage  total  de  148.045  tonneaux,  soit  une  moyenne 
annuelle  de  21  navires  et  de  9.309  tonneaux  (1).  Un  second 
état,  relatif  aux  seules  années  1774,  1775  et  1776,  donne  le 
chiffre  de  118  navires  et  de  57.190  tonneaux,  soit  une  moyenne 
de  29  navires  et  de  14.297  tonneaux  par  an.  Enfin  la  valeur 

tembre  1760,  les  toiles  de  coton  peintes  ou  imprimées,  les  toiles  de  coton 
blanches  propres  à  la  teinture,  les  soieries,  les  tissus  d'écorce,  etc.. 

(t)  Ces  étals  sont  empruntés  au  Mémoire  des  députés  du  commerce 
paru  en  1786.  Ces  armements  se  réparlissaient  comme  suit: 

Lorient 195  vaisseaux    87.335  tonneaux 

Saint-Malo 19         —  7.730        — 

Marseille 37         —  12.950        — 

Bordeaux 33        —  14.720        — 

Nantes 16  -  6.150         — 

La  Rochelle,  Rochefort.    ...       18         —  9.280        — 

Le  Havre,  Hontleur 3         —  850        — 

Brest,  Vannes 4        —  3.555        — 

Aux  Indes 15        —  6.585        — 


620  QUATRIÈME   PARTIE.    CHAPITRE    II 

des  importations  aurait  atteint  dans  les  bonnes  années 
33  millions  de  livres.  Il  est  juste  d'ajouter  que  ces  résultats 
furent  établis  par  les  adversaires  du  monopole  et  que  les 
partisans  de  celui-ci  en  contestèrent  énergiquement  l'exacti- 
tude, opposant  au  chiffre  de  340  navires  celui  plus  modeste  de 
145  et  leur  reprochant  d'avoir  fait  figurer  dans  le  premier  des 
navires  affrétés  par  le  Roi  et  par  la  Compagnie  hollandaise. 

Chaptal  donne,  d'autre  pari,  le  chiffre  de  20.294.000  livres 
comme produitmoyen annuel  du  commerce  des  Indes  pendant 
les  mêmes  années,  calculé  sur  sept  années  consécutives  (1). 

Enfin  VEncyclopédie  Méthodique,  à  laquelle  nous  avons 
fait  déjà  des  emprunts,  nous  fournit  les  chiffres  suivants  pour 
les  importations  net  d'escompte  de  1709  à  1777  (2)  : 

Années  Inde  Cliine  Total  dos  ventes 

1771 3.256.620  5.173.712  8.430.332 

1772 9.180.129  4.699.843  13.879.973 

1773 8.711.734  5.822.047  14.533.782 

1774 8.475.691  8.575.808  17.051.500 

1775 10.906.218  10.912.593  21.818.812 

1776 19.402.422  6  504.327  25.906.749 

1777 16.616.061  10.110  327  20.727.288 

Totaux  ....    .  76.540.778  51.798.660  128.448.439 

Année  moyenne  .    .    .  10.935.082  7.399.808  18.335.491 

Nous  trouvons  dans  le  même  ouvrage  une  statistique  des 
permissions  délivrées  par  la  Compagnie  de  septembre  1769 
à  juin  1776  ;  le  nombre  total  en  est  de  187  vaisseaux,  dont  : 

48     au-dessous     de  300  tonneaux, 

46  »  de  400         » 

37  de  400  tonneaux  à  000    » 

30  de  600    »    à  900    » 

20  de  900    »    et  plus. 

(1)  Chaplal,  l)e  Vlmiusliie  française,  1819,  l.  I. 

(2)  Encyclopédie   Mélhodique,    Diclionnaire  des  Finances,    article 
Inde. 


LA    COMPAGNIE    DE    GALONNE  621 

De  ces  bâtiments  il  était  revenu  121  seulement  en  jan- 
vier 1778,  soil  un  déchet  de  70,  le  tiers  des  permissions  ac- 
cordées ;  à  la  vérité,  quelques  armateurs  n'avaient  pas  pro- 
filé de  leur  passeport,  et  quelques  bâtiments  avaient  été 
envoyés  avec  le  dessein  de  les  maintenir  dans  la  mer  des 
Indes  ;  mais  le  plus  grand  nombre  des  manquants  avaient 
péri  par  insuffisance  de  précautions,  ou  avaient  été  vendus 
dans  l'Inde,  faute  de  moyens  de  leur  procurer  une  cargaison 
de  retour.  D'ailleurs,  sur  ces  187  navires,  131,  soit  près  des 
trois  quarts  étaient  inférieurs  à  600  tonneaux, alors  qu'il  était 
reconnu  que  pour  faire  utilement  ce  commerce,  il  fallait  em- 
ployer des  tonnages  de  600  tonneaux  et  plus.  Enfin  les  arma- 
teurs de  plus  de  100  de  ces  vaisseaux  y  avaient  perdu  des 
fonds  et  il  n'y  avait  guère  que  ceux  qui  avaient  fait  le  com- 
merce avec  la  Chine  qui  eussent  réalisé  des  bénéfices. 

L'auteur  de  l'article  auquel  nous  empruntons  ces  ren- 
seignements est  franchement  défavorable  au  commerce 
libre,  tel  du  moins  qu'il  est  organisé  par  les  arrêts  de  1769. 
11  prétend  démontrer  que  si  le  commerce  de  l'Inde  n'était  pas 
rémunérateur  pour  la  Compagnie,  il  est  simplement  ruineux 
pour  les  négociants  particuliers.  Il  suppose,  à  cet  effet,  l'ex- 
pédition d'un  vaisseau  de  600  tonneaux,  armé  pour  le  Ben- 
gale avec  900.000  livres  de  fonds  embarqués  en  espèces,  et 
504.500  livres  de  frais  d'armement,  soit  une  mise  dehors  to- 
tale de  1.404.500  livres.  En  estimant  à  1.020.000  livres  la 
dépense  des  marchandises  prises  dans  l'Inde,  la  cargaison 
donnera  avec  70  0/0  de  bénéfice  une  vente  brute  de 
1.734.000  livres  ;  mais  il  faut  déduire  de  ce  chiffre  le  droit 
dMndull,  les  droits  de  douane,  l'intérêt  des  fonds  empruntés, 
l'assurance  du  navire  et  de  la  cargaison,  les  frais  de  désar- 
mement et  de  vente,  qui  réduisent  le  produit  net  à  1.231.670  li- 
vres   seulement,  soit   une  perte    de  172.830   livres  ou  de 


622  QUATRIÈME   PARTIE.    —    CHAPITRE    II 

12  1/2  0/0  sur  la  mise  dehors  !  Il  estime,  en  oulre,  que  la 
perle  sur  le  commerce  du  Coromandel  alleinl  20  1/2  0/0  ! 

Ce  témoignage,  qu'il  est  permis  de  croire  impartial,  car  ce 
collaborateur  de  V Encyclopédie  Méthodique  ne  plaide  nulle- 
ment pour  le  rétablissement  de  la  Compagnie  auquel  on  ne 
peut  songer,  dit-il,  mais  seulement  pour  une  diminution  des 
droits  fiscaux  «  qui  ruinent  ce  commerce  »,  prouve  tout  au 
moins  qu'une  certaine  réaction  se  produisit  après  quelques 
années  seulement  d'exercice  du  commerce  libre,  et  que  les 
partisans  de  la  liberté  n'avaient  pas  été  complètement  récom- 
pensés de  leurs  luttes.  Cependant,  sur  le  fond  même  de  la 
question,  il  n'y  a  rien,  croyons-nous,  à  conclure  de  celte 
première  expérience.  Ce  n'est  pas  en  onze  années  de  paix, 
coupées  en  deux  tronçons  par  une  guerre  de  cinq  ans,  qu'un 
commerce  aussi  important  que  celui  des  Indes  pouvait  s'or- 
ganiser ;  mais  il  est  permis  de  dire  que  l'élan  1res  remar- 
quable fourni  par  notre  marine  marchande  en  ces  quelques 
années,  quelle  qu'en  soit  la  valeur  exacte,  promettait  déjà 
pour  un  avenir  prochain  de  très  heureux  résultats. 

La  guerre  d'Amérique  vint,  en  effet,  apporter  encore  une 
fois  la  perturbation  dans  nos  relations  commerciales  avec 
les  Indes.  La  lutte  reprit  avec  l'Angleterre,  mais  celle-ci  fut 
pour  nous  ce  que  n'avaient  point  été  les  précédentes,  non  seu- 
lement glorieuse,  mais  victorieuse.  L'escadre  de  d'Orvilliers 
tint  tète  à  celle  de  Keppelà  Ouet:sanl  (27  juillet  1778),  bataille 
indécise  qui  fit  trembler  le  cabinet  de  Londres,  surpris  de  ce 
relèvement  inattendu  de  noire  puissance  navale  ;  puis  Bouille 
s'empara  de  Saint-Domingue,  d'Eslaing  de  la  Grenade,  Gui- 
chen  résista  trois  fois  avec  succès  à  Rodney  et  enleva  sous 
ses  yeux  un  convoi  de  60  navires  portant  50  millions  ;  Lamot- 
le-Picquet  amarina  une  autre  flotte  qui  portail  en  Angleterre 
le  butin  fait  à  Saint-Eustache,  prise  par  les  Anglais  à  l'Espa- 


LA    COMPAGNIE    DE    GALONNE  623 

gne,  mais  que  Bouille  leur  reprit  bientôt  ;  enfin  la  campagne 
du  comte  de  Grasse  dans  les  eaux  américaines  contribua  uti- 
lement au  succès  des  opérations  de  Washington,  malgré  la 
glorieuse  défaite  des  Saintes,  où  l'amiral  dut  se  rendre  à  son 
adversaire  Rodney  (1782). 

La  guerre  avait  repris  aussi  dans  l'Inde  ;  une  puissance 
nouvelle  s'y  était  lentement  élevée,  en  effet,  celle  d'Haïder- 
Ali,  nabab  de  Bangalore  qui  avait  combattu  avec  nous  sous 
Trichinopoli  en  1754  et  envoyait  encore  à  Lally  en  1761  un 
corps  de  7.000  cavaliers.  Aidé  par  une  petite  troupe  française 
qui  se  réfugia  auprès  de  lui  après  la  prise  de  Pondichéry,  il 
s'empara  de  l'autorité  réelle  de  tout  le  royaume  de  Mysore, 
dont  le  sultan  incapable  le  reconnut  pour  son  premier  mi- 
nistre. Les  succès  de  sa  politique  qui  annexa  à  ce  royaume 
la  nababie  de  Kanara,  étendit  son  protectorat  sur  le  Malabar 
et  conquit  les  Maldives,  émurent  bientôt  les  Anglais  qui 
soulevèrent  contre  lui  les  Mahrattes  et  le  soubab  du  Deccan. 
Ilaïder-Ali  résista  victorieusement  et  leur  imposa  une  paix 
avantageuse,  puis  il  se  retourna  contre  le  nabab  du  Carnatic 
soutenu  par  la  Compagnie  anglaise,  battit  les  troupes  euro- 
pénnes  que  celle-ci  lui  opposa,  la  chassa  de  Mangalore  et  de 
Cuddalore,  et  la  força  à  lui  offrir  à  son  tour  un  traité  d'al- 
liance ;  le  nabab,  de  son  côté, dut  se  soumettre  à  payer  tribut 
(1767).  Haïder-Ali,  qui  disposait  alors  d'une  armée  de  90.000 
hommes  commandée  par  des  officiers  français,  était  le  maître 
incontesté  de  l'Inde  méridionale.  La  guerre  reprit  cependant 
entre  lui  et  les  Mahrattes  (1769),  et  il  faillit  y  trouver  sa  perte  ; 
mais  les  divisions  de  ses  ennemis  le  sauvèrent  encore  ;  il  les 
défit  de  nouveau,  les  poursuivit  dans  le  Carnatic,  dont  il  prit 
uneà  une  les  places;  les  Anglais, encore  une  fois  vaincus, du- 
rentreculerellaCompagnie  trembla  de  nouveau.  Il  fallut  toute 


624  QUATniKME    PARTIE.    CHAPITRE    H 

l'énergie  de  Warren  llastings  (1)  pour  éviter  une  ruine  com- 
plète de  la  puissance  anglaise  ;  il  envoya  des  i-enforls  à  Ma- 
dras sous  les  ordres  de  Goote,  l'adversaire  de  Lally-Tollendal, 
officier  habile  et  opiniâtre  ;  Ilaïder-Ali  fut  pour  la  première  fois 
battu,  Négapatam  et  Cuddalore  lui  furent  reprises  (1780). 
Les  Anglais  profilèrent  de  ces  succès  et  de  la  réouverture  des 
hostilités  en  Europe  pour  nous  enlever  une  seconde  fois  Pon- 
dichéry  qu'ils  craignaient  de  voir  trop  vite  se  relever  de  ses 
ruines;  mais  Haïder-Ali  se  déclara  aussitôt  noire  allié,  et 
pendant  qu'il  envahissait  à  nouveau  le  Carnalic,  l'escadre 
de  M.  de  Suffren  apparaissait  sur  la  côte  indienne  (1781)  (2). 
Cette  nouvelle  campagne  de  mer,  habilemenl  menée  par 
l'illustre  amiral,  fut  glorieuse  pour  noire  pavillon  ;  quatre 
victoires  successives  sur  les  flottes  anglaises  de  Johnston  et 
de  Hughes  nous  rendirent  maitres  des  eaux  indiennes  (3),  et 

(1)  Warren  Haslings  (1732-1818)  fut  le  premier  gouverneur  général 
de  rinde  anglaise  (1772-1785). 

(2)  L'escadre  envoyée  par  le  gouvernement  royal  avait  eu  comme  com- 
mandant primitif  M,  d'Orves  qui  décéda  pendant  la  traversée  et  que 
Suffren  remplaça.  Celle  force  navale  comprenait  12  vaisseaux  :  le  Hé- 
ros, VOrient  et  VAnnibal  de  74  canons  ;  le  Vengeur,  le  Sévère,  le 
Sphinx,  le  Bizarre,  V Artésien,  VAjax,  le  Brillant  de  64  ;  le  Flamand  et 
le  Uannihal  de  50,  (ce  dernier  avait  élé  enlevé  au.x  Anglais  au  début 
de  la  campagne)  ;  3  frégates  :  la  Fine,  la  Bellonne  et  la  Pourvoyeuse  ; 
et  3  corvettes  ;  la  Subtile,  la  Sylphide  et  la  Diligente. 

(3)  Suffren  battit  d'abord  Johnston  dans  la  baie  de  l^orto-Praïa  aux 
îles  du  Gap- Vert  (16  avril  1781),  ce  qui  lui  permit  de  mettre  en  état  de 
défense  la  ville  du  Cap  pour  le  compte  des  Hollandais,  nos  alliés,  avant 
l'arrivée  des  Anglais  ;  il  se  présenta  ensuite  devant  Madras  que  la  pré- 
sence de  l'amiral  Hughes  ne  lui  permit  pas  de  bombarder  ;  mais  la 
bataille  qui  s'engagea  entre  les  deux  Hottes  se  termina  par  la  retraite 
des  Anglais,  et  nous  réoccupàmes  Pondichéry  à  la  faveur  de  ce  succès  ; 
une  troisième  bataille  (dite  du  Provédien)  eut  lieu  le  23  mars  1782  et 
s'acheva  encore  par  la  retraite  de  l'amiral  Hughes  ;  le  6  juillet  1782, 
SufTren  battit  complètement  celte  fois  son  adversaire  devant  Négapatam 
il  s'empara  ensuite  de  Trincomali  qu'occupaient  les  Anglais,  et  Hughes 


LA    COMPAGNIE    DE   GALONNE  625 

les  opérations  de  Suffren  combinées  avec  celles  d'Haïder- 
Ali  allaient  détruire  la  puissance  anglaise  et  réédider  un 
empire  français  ;  mais  la  mort  d'IIaïder-Ali,  la  paix  signée  en 
Europe  anéantirent  ces  espérances.  Le  traité  de  Versailles 
(3  septembre  17S3)  nous  rendit  du  moins  nos  comptoirs  avec 
des  territoires  un  peu  plus  étendus  qu'en  1763  ;  mais  combien 
chétive  était  celle  compensation  de  la  perte  de  l'avenir  répa- 
rateur que  celle  paix  nous  coulait  (1)  I 
Elle  ramena  cependant  dans  la  mer  des  Indes  nos  navires 

qui  accourut  à  son  secours  fut  battu  une  cinquième  fois  (2  septembre 
1782)  !  Une  telle  série  de  victoires  n'était-elle  pas  une  revanche  écla- 
tante des  échecs  de  l'incapable  d'Aché  ?  Les  opérations  sur  terre  furent 
moins  heureuses  :  Bussy  fut  chargé  par  le  gouvernement  de  conduire 
dans  l'Inde  une  expédition  ;  mais  celle-ci  partit  en  quatre  détachements 
et  les  Anglais  en  capturèrent  trois  !  Bussy,  qui  était  vieux  et  affaibli,  se 
vit  assiégé  dans  Gondelour  par  les  Anglais  et  Suffren  accourut  à  temps 
pour  repousser  ceux-ci  et  embarquer  notre  petit  corps  de  troupe. 

(1)  Nos  possessions  indiennes  devaient  être  occupées  de  nouveau  par 
les  Anglais  en  1793,  puis  en  1804  ;  mais  elles  nous  furent  rendues  défi- 
nitivement en  1815,  sous  la  condition  toujours  renouvelée  de  ne  pas  les 
fortifier  et  de  n'y  entretenir  que  les  troupes  nécessaires  à  la  police.  Elles 
n'ont  subi  depuis  cette  date   aucune  modification  nouvelle   et  elles   se 
composent  encore  des   cinq  territoires   de  Pondichéry,  Chandernagor, 
Mahé,  Karikal  et  Yanaon,  et  des  huit  loges  de  Masulipatam,  Calicut, 
Swat,  Balasor,  Dacca,  Cassiinbazar,  Patna  et  Jougdia.   Les  territoi- 
res offrent    une   superficie    de  56.000  hectares  et   une  population   de 
282.000  âmes  ;  quant  aux  factoreries,  à  l'exception  de  Surat,  de  Calicut 
et  de  Masulipatam  où  nous  entretenons  quelques  agents,  les  autres  sont 
louées  à  l'administration  anglaise.  Aux  points  de  vue  industriel  et  agri- 
cole nos  colonies  hindoues  n'offrent  qu'un  intérêt  médiocre  ;  elles  nous 
sont  surtout  utiles  pour  le  recrutement  des  travailleurs  à  destination  de 
nos  autres  colonies.  Ce  sont,  hélas,  de  tristes  résultats  pour  une  politi- 
que coloniale  de   deux   siècles  et  demi  !    «  Attachons-nous  cependant, 
comme  le  dit  excellemment  M.  Gaffarel,  à  ces  hum  blés  débris  de  notre 
fortune  passée  et  envoyons  un   fraternel  salut  à  ces  villes  qui  seraient 
devenues  des  capitales  si  nous  avions  écouté  nos  Dupkix,  nos  Bussy  et 
nos  Suffren  !  »  Qui  sait  si  l'avenir  ne  nous  en  suscitera  point  d'autres  ? 

VV.  —  40 


626  QUATRIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    II 

de  commerce  qui  depuis  cinq  années  ne  la  fréquentaient 
plus  ;  mais  les  négociants  particuliers  ne  devaient  point 
profiter  longtemps  de  la  liberté  qui  leur  était  rendue.  A  peine, 
en  effet,  les  préliminaires  de  la  paix  étaient-ils  signés  en 
janvier  1783,  que  le  gouvernement  royal  organisait  une  expé- 
dition commerciale  dont  il  surveilla  tous  les  apprêts.  •  On 
s'était  aperçu,  dit  un  auteur,  que  le  royaume  était  dépourvu 
des  marchandises  de  l'Inde  nécessaires  pour  sa  consomma- 
tion cl  pour  le  trafic  avec  l'olraiiger;  mais  on  crut  que  l'on 
n'était  pas  assuré  d'une  promptitude  suffisante  en  s'adressant 
au  commerce  particulier  (1).  » 

Le  gouvernement  royal  s'adressa  donc  à  un  riche  armateur, 
le  sieur  Grandclos-Meslé,  qui  fut  autorisé  à  emprunter  pour 
les  frais  de  l'expédition  3  millions  de  livres  au  compte  du 
Roi  (arrêt  du  7  février  1783)  ;  il  reçut  la  direction  de  la  cam- 
pagne et  la  marine  royale  lui  fournit  deux  vaisseaux.  L'em- 
prunt, organisé  par  l'Etat  lui-même,  fut  rapidement  couvert  ; 
le  Roi  souscrivit  le  premier  et  invita  les  villes  maritimes  à 
l'imiter.  Les  bénéfices  du  retour  devaient  être  employés  à 
encourager  le  commerce  de  l'Inde  et  à  rembourser  certains 
créanciers  de  la  Compagnie  des  Indes.  Mais,  chose  plus  grave, 
le  gouvernement  royal  décida  qu'il  ne  serait  pas  délivré  de 
permissions  pour  l'Inde  et  pour  la  Chine  avant  le  retour  de 
l'expédition. 

La  Compagnie  des  Indes  était  tombée  sous  le  ministère  de 
Choiseul,  mais  ce  ministre  n'avait  pas  lardé  à  être  disgracié 
(1770)  et  Maynon  d'Invau  l'avait  suivi  bientôt  dans  la  retraite  ; 
l'arrivée  de  l'abbé  Terray  au  Contrôle  des  Finances  ouvrit  une 
période  d'hostilités  déclarées  contrôles  Economistes  etamena 
la  destruction  des  mesures  libérales  du  ministre  Laverdy. 
La  mort  de  Louis  XV  provoqua  la  chute  de  ce  nouveau  minis- 

(1)  Guyot,  Répertoire,  art.  Compagnie. 


LA    COMPAGNIE    DE    GALONNE  627 

tère  el  Louis  XVI  éleva  Turgot  au  pouvoir.  Une  nouvelle 
période  de  faveur  commença  pour  le?  idées  physiocraliques, 
mais  elle  dura  à  son  tour  fort  peu  el  la  réaction  se  produisit 
bientôt  plus  violente  que  jamais.  Celle  époque  est  donc,  au 
point  de  vue  économique,  un  flottement  continuel  entre  la 
politique  protectionniste  traditionnelle,  et  les  nouvelles  ten- 
dances libérales.  L'entrée  de  Necker  au  Contrôle  accentua 
encore  celle  situation  (1776)  ;  il  arrivait  aux  affaires  avec  un 
programme  de  réformes  surtout  financières  ;  mais  il  ne  pou- 
vait avoir  oublié  ses  opinions  économiques,  et  l'ancien  Syndic 
de  la  Compagnie  des  Indes  pouvait  la  relever  de  la  suspension 
qui  l'avait  frappée  et  détruire  l'œuvre  des  Physiocrales.  Il 
en  fut  sollicité,  mais  la  guerre  d'Amérique  absorba  ses  soins 
et  rendit  cette  restauration  sans  objet  :  ce  n'était  certes  pas 
le  moment  propice,  en  effet,  car  les  guerres  lui  avaienl  tou- 
jours été  funestes  I  Un  certain  revirement  s'était  d'ailleurs 
produit  dans  les  idées  de  Necker,  et  en  1773  dans  son  Eloge 
de  Colbert,  après  avoir  exposé  les  raisons  de  la  protection 
accordée  par  celui-ci  au  commerce  de  l'Inde  à  cause  du  bon 
marché  des  toiles  qu'on  s'y  procurait  alors,  il  ajoutait  :  •  Mais 
depuis  cette  époque  toutes  ces  proportions  ont  changé  ;  les 
toiles  des  Indes  ont  coûté  beaucoup  plus  à  la  France,  tant  par 
la  hausse  du  prix  de  la  main-d'œuvre  que  par  les  vexations 
exercées  par  les  souverains  de  ce  pays  el  les  grandes  dépen- 
ses de  guerre  et  de  souveraineté  que  ces  établissements  ont 
occasionnées.  Dès  lors,  l'économie  politique  ne  peut  plus 
conseiller  ce  commerce  ;  il  serait  préférable  de  favoriser  en 
France  l'établissement  de  ces  manufactures...  »  Cette  ma- 
nière de  voir  no  devait  pas  l'encourager  beaucoup  à  rétablir 
la  Compagnie  des  Indes  ;  mais  en  1781  Necker  tomba  à  son 
tour  sur  la  publication  du  Compte  rendu  de  l'état  des  Finances^ 
qui  souleva  contre  lui  la  même  cabale  que  contre  Turgot,  el 


628  QUATRIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

lorsque  le  Irailé  de  Versailles  eùl  ramené  la  paix,  un  nou- 
veau conlrôleur-général,  M.  de  Galonné,  entra  au  niinislère. 

L'expédition  organisée  par  le  gouvernement  royal  en  1783 
donna  des  résultats  avantageux,  qu'explique  fort  bien  la 
pénurie  de  produits  des  Indes  dans  laquelle  devait  se  trou- 
ver le  marché  français  après  cinq  années  d'interruption  de  ce 
comniorce.  Les  armateurs  qui  l'avaient  fait  jusqu'à  la  guerre, 
et  il  y  avait  parmi  eux  de  très  importantes  maisons  (1),  con- 
çurent de  ce  succès  les  plus  belles  espérances,  puisque,  d'une 
part,  le  gouvernement  marquait  ainsi  un  grand  intérêt  pour 
leurs  opérations  et  leur  promettait  son  appui,  et  que,  d'au- 
tre part,  l'interdiction  qui  pesait  sur  eux  allait  enfin  être  le- 
vée. Ces  espérances  furent  singulièrement  déçues  ;  au  lieu 
d'un  essor  nouveau  donné  à  leur  commerce,  ce  fut  sa  des- 
truction que  provoqua  le  succès  de  cette  campagne. 

Le  i4  avril  17  8 5,  en  effet,  un  arrêt  du  Conseil  du  Ro  i  rétablit 
la  Compagnie  des  Indes  (2).  Les  prétextes,  sinon  les  raisons 

(1)  Notamment  la  maison  Rabaud  de  Marseille,  qui,  en  cette  même 
année  1785,  recevait  de  l'Inde  4  navires  qui  lui  procurèrent  un  bénéfice 
moyen  de  70  0/0.  Mémoire  des  députés  du  commerce,  1786. 

(2)  Il  est  à  remarquer  que  la  Compagnie  de  Galonné  fut  établie  par 
un  simple  arrêt,  alors  que  les  Compagnies  précédentes  avaient  toutes 
fait  l'objet  d'un  édit  ;  en  outre,  cette  mesure  législative  ne  fut  pas  con- 
sacrée par  l'enregistrement  du  Parlement  :  c'était  un  arrêt  sur  requête 
non  communiqué.  Ce  fait  souleva  aussitôt  de  vives  protestations  ;  l'on 
prétendit  que  cet  élablissemenl  était  illégal,  et  cette  objection  sera  re 
prise  quelques  années  plus  tard  par  les  adversaires  de  la  Compagnie  à 
l'Assemblée  Nationale.  Ses  défenseurs  répondirent  que  le  privilège  du 
commerce  des  Indes  ayant  été  simplement  suspendu  en  1769,  était  resté 
«  existant  mais  dormant  »,  qu'un  sim|)le  arrêt  devait  donc  suffire  pour 
en  relever  l'exercice  et  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  à  enregistrement  ;  on  se 
rendit  compte  cependant  de  l'irrégularité  de  cette  situation,  et  les  arrêts 
des  14  avril  1785  et  21  septembre  1786  promirent  formellement  l'éta- 
blissement de  lettres  patentes  :  «  toutes  lettres  sur  ce  nécessaires  seront 
expédiées  »,  mais  il  n'en  fui  rien  fait. 


LA    COMPAGNIE    DE    GALONNE  629 

de  cette  mesure  inattendue  étaient  donnés  par  le  préambule 
de  cet  acte  :  c'était  «  le  peu  de  combinaison  qui  présidait 
aux  expéditions  des  particuliers  elle  peu  d'assortiment  de 
leurs  cargaisons.  »  On  reprochait  ainsi  au  commerce  particu- 
lier d'être  incapable  d'approvisionner  le  royaume  d'une  façon 
satisfaisante,  argument  depuis  bien  longtemps  invoqué  en 
faveur  du  commerce  privilégié  et  qui  n'était  point  sans  sou- 
lever de  graves  questions  économiques.  Les  commerçants 
prolestèrent  vivement;  mais  ils  ne  furent  point  écoutés,  et  le 
gouvernement  qui  s'était  en  1769  montré  si  empressé  à  dé- 
truire la  Compagnie,  témoigna  pour  son  rétablissement  d'une 
égale  obstination  contre  laquelle  toutes  les  plaintes  vinrent 
se  briser. 

11  prétendit  d'ailleurs  constituer  une  Compagnie  nouvelle, 
distincte  de  la  Compagnie  suspendue  en  1769,  dont  \e'&  pri- 
vilèges seuls  étaient  restaurés  pour  être  conférés  à  la  nouvelle 
société.  L'arrêt  disait  en  effet  formellement  :  «  Le  privilège  de 
la  Compagnie  des  Indes  et  de  la  Chine  (1),  qui  a  été  suspendu 
par  arrêt  du  Conseil  du  13  août  1769,  continuera  de  demeurer 
sans  effet  à  l'égard  de  ladite  Compagnie  »  (art.  1),  et  la  précau- 
tion qu'il  prenait  n'était  pas  superflue,  car  cette  Compagnie 
fonctionnait  encore,  on  le  sait,  non  plus  pour  l'exercice  de 
ses  droits  commerciaux,  mais  pour  la  délivrance  des  passe- 
ports aux  négociants  particuliers  d'une  part,  et  pour  la  liqui- 
dation de  sa  situation  financière  de  l'autre.  Il  devait  donc 
exister  désormais  deux  Compagnies  des  Indes  :  l'ancienne 
Compagnie  qui  ne  délivrerait  plus  de  permissions,  mais  qui 

(1)  La  Compagnie  de  Law,  supprimée  en  1769,  ne  porta  jamais  le  nom 
de  Compagnie  des  Indes  et  de  la  Chine.  Celte  dénomiiialion  inexacte 
est  apparemment  un  souvenir  de  la  séparation  de  ces  deux  parties  de 
son  privilège  qu'avait  subie,  on  s'en  souvient,  la  Compagnie  de  Golbert. 
Nous  avons  signalé  à  plusieurs  reprises  ces  confusions. 


630  QUATRIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE    II 

poursuivrait  sa  liquidalion,donl  rien  ne  viendrait  la  détour- 
ner, et  la  nouvelle  Compagnie  qui  reprenait  les  vues  et  les 
droits  de  la  précédente  et  qui  lui  fui  à  cet  e/fel  subrogée  dans 
l'exercice  de  son  privilège. 

On  comprend  fort  bien  que  le  gouvernement  royal  ne  vou- 
lût point,  en  restaurant  le  principe  du  privilège,  charger  la 
Compagnie  reconstituée  de  la  situation  difficile  qu'elle  avait 
en  1769.  il  fallait  construire  sur  de  nouveaux  frais  pour 
avoir  quelque  chance  de  succès  et  pour  dissiper  dans  l'opi- 
nion publique  le  nuage  défavorable  qu'y  avait  laissé  le  dé- 
nuement final  de  la  Compagnie  de  Law.  11  faut  ajouter  que  sa 
liquidation  se  poursuivait  dans  de  bonnes  conditions  et  qu'il 
importait  de  ne  pas  compromettre  cette  situation,  comme  il 
était  urgent  de  n'en  point  distraire  son  personnel. 

Ces  raisons  expliquent  la  décision  à  laquelle  s'arrêta  M.  de 
Galonné  de  constituer  une  Compagnie  nouvelle.  Nous  devons 
d'ailleurs  faire  remarquer  que  celle-ci  eut  plusieurs  caractè- 
res très  différents  de  ceux  de  la  Compagnie  de  Law  et  qui 
méritent  de  retenir  l'attention. 

Le  premier  et  le  plus  important  de  ces  caractères  est  qu'elle 
ne  reçut  point  de  droits  de  souveraineté  sur  les  pays  dont  le 
commerce  lui  était  concédé  à  titre  de  monopole,  et  qui  restè- 
rent comme  sous  le  régime  éphémère  qui  l'avait  précédée, 
partie  intégrante  du  domaine  colonial  du  royaume  lui-même. 
11  y  avait  donc  de  ce  fait  entre  cette  Compagnie  et  les  Com- 
pagnies antérieures  une  différence  très  importante,  et  celle- 
ci  s'expliquait  aussi  fort  bien,  car  on  était  alors  convaincu 
par  les  événements  qui  avaient  marqué  l'existence  de  la  der- 
nière de  ces  Compagnies,  qu'on  ne  pouvait  songer  désormais 
à  confier  la  défense  de  nos  possessions  coloniales  à  une  so- 
ciété vouée  fatalement  à  l'impuissance  militaire  :  interpréta- 
tion inexacte,  d'ailleurs,  de  ces  événements,  en  ce  que  le 


LA.   COMPAGNIE    DE    GALONNE  631 

gouvernement  royal  affectait  de  méconnaître  les  torts  qu'il 
avait  eus  personnellement  dans  l'œuvre  commune. 

En  second  lieu, la  Compagnie  nouvelle  n'avait  pas  le  carac- 
tère d'une  société  financière,  comme  l'avait  eu  la  Compagnie 
de  Law;  aucun  des  privilèges  fiscaux  que  celle-ci  avait  pos- 
sédés :  les  Tabacs,  le  café,  le  domaine  d'Occident,  les  loteries, 
ne  lui  fut  accordé  ;  ici  encore,  l'expérience  avait  appris  au 
gouvernement  royal  que  ces  administrations  ne  pouvaientélre 
ainsi  engagées  au  profit  d'une  entreprise  particulière  sans  in- 
convénients graves  pour  elle  et  pour  lui. 

Enfin  la  durée  de  son  privilège  était  beaucoup  moins  élendue 
qu'elle  ne  l'avait  été  pour  les  précédentes  Compagnies  ;  on 
renonça  à  ces  longues  concessions  qui  liaient  les  mains  à 
l'Etat,  et  l'on  voulut  se  réserver  la  possibilité  de  revenir 
encore  à  la  liberté,  si  cette  rénovation  du  privilège  prouvait 
par  son  insuccès  la  décrépitude  de  cette  vieille  conception 
économique.  Par  contre,  et  ce  fut  une  opportune  innovation, 
la  durée  de  celte  concession  ne  devait  porter  que  sur  les 
années  de  paix,  sur  lesquelles  seules  on  pouvait  compter 
pour  exercer  le  commerce  de  l'Inde  avec  profit  ;  la  Compa- 
gnie reçut  pour  ce  motif  une  concession  de  sept  années  de 
paix  (art.  53). 

Malgré  ces  dissemblances  celle-ci  avait,  comme  les  précé- 
dentes Compagnies, le  monopole  du  commerce  avec  les  Indes 
«  soit  par  mer,  soit  par  terre  »  (1),  et  ce  domaine  était  théori- 

(1)  Cette  mention  nouvelle  fut  provoquée  par  une  circonstance  pre'- 
cise  :  un  négociant  de  Marseille  avait  proposé  au  gouvernement  royal  de 
faire  venir  les  produits  de  l'Inde  par  Suez,  en  s'engageanl  à  les  vendre 
dans  le  Levant.  Le  gouvernement  entra  dans  ces  vues,  mais  la  Compa- 
gnie qui  se  constituait  en  ce  moment  s'y  opposa  et  s'offrit  h  faire  elle- 
même  ce  trafic,  ce  qui  lui  fut  accordé.  Elle  prit,  par  mesure  de  com- 
pensation, ce  négociant  comme  directeur  à  Marseille  el  lui  fil  un  traite- 
tementde  12.000  livres  ;  mais,  malgré  sa  promesse  elle  n'essaya  même 


632 


QUATRIEME    PARTIE.    —    CHAPITRE    II 


quemenl  presque  aussi  vasle  qu'il  Tavail  été  jadis,  car  il 
s'étendait  «  depuis  le  cap  de  Bonne-Espérance  jusque  dans 
toutes  les  mers  des  Indes  Orientales,  côtes  orientales  d'Afri- 
que, Madagascar,  îles  Maldives,  mer  Ilouge,  Mogol,  Siam,  la 
Chine,  Cochinchine  et  le  Japon  ».  On  remarquera  cependant 
qu'elle  ne  reçut  aucun  privilège  dans  l'Atlantique,  soit  en 
Afrique,  soit  en  Amérique,  et  que  les  lies  Mascareignes  res- 
tèrent cette  fois  étrangères  à  son  monopole  ;  les  particuliers 
conservèrent  le  droit  de  négocier  avec  ces  îles  sous  la  con- 
dition d'en  demander  passeport  à  la  Compagnie  (1), et  d'effec- 
tuer leur  retour  au  seul  port  de  Lorient,  comme  il  en  avait  été 
pendant  les  années  précédentes  (art.  5)  (2).  11  en  était  de 
même  pour  le  commerce  d'Inde  en  Inde,  mais  seulement  pour 
les  habitants  des  îles  de  France  et  Bourbon  et  sous  la  même 
condition  d'obtenir  un  passeport  ;  les  armateurs  de  la  mé- 
tropole ne  devaient  point  en  jouir  (art.  6)  (3).  Seuls  également 
les  habitants  de  ces  iles  reçurent  le  droit  de  faire  la  traite 
des  nègres  pour  les  leur  procurer  ;  néanmoins  il  fut  stipulé 
que  si  la  Compagnie  renonçait  à  se  livrer  elle-même  à  ce  com- 
merce, elle  pourrait  autoriser  les  armateurs  français  à  le  faire 
dans  l'étendue  de  sa  concession,  c'est-à-dire  sur  la  cAte  orien- 
tale d'Afrique  et  à  Madagascar  (art.  9).  La  peine  de  la  confis- 
pas,  paraît-il,  de  faire  ce  commerce  [Mémoire  des  députés  du  commerce, 
1787,  V.  infrà,  p.  640,  note  2). 

(1)  Elle  ne  pouvait  d'ailleurs  le  refuser. 

(2j  Les  Directeurs  de  l'ancienne  Compagnie  cessèrent  par  suite  de 
délivrer  des  passeports  au  commerce  particulier  (art.  2). 

(3)  Il  faut  en  conclure  que  les  négociants  de  la  mélropole,  qui  pou- 
vaient commercer  avec  les  Iles,  ne  pouvaient  néanmoins  y  charger  les 
produits  de  l'Inde,  sans  quoi  ils  eussent  pu  facilement  faire  échec  au 
monopole  delà  Compagnie.  Cette  décision  fut  cependant  très  critiquée, 
et  l'on  objecta  que  les  Iles  ayant  peu  de  productions,  les  navires 
venant  de  France  n'y  pourraient  pas  tous  trouver  chargement,  ce  qui 
détruirait  vile  ce  commerce. 


LA    COMPAGNIE    DE    GALONNE  633 

cation  était,  enfin,  comme  elle  l'avait  toujours  été,  attachée 
à  la  violation  du  privilège  de  la  Compagnie  ;  les  armements 
particuliers  en  cours  et  les  expéditions  en  route  avaient  un 
délai  de  24  mois, à  dater  de  leur  départ,  pour  effectuer  leur  re- 
tour à  Lorient  sous  le  régime  précédemment  en  vigueur. 

Telle  fut  l'étendue  du  privilège  accordée  la  nouvelle  Com- 
pagnie :  celle-ci  présentait  donc  avec  les  Compagnies  qui  l'a- 
vaient précédée  des  différences  importantes  ;  cependant, quel- 
que mesquine  qu'elle  pùl  paraître  auprès  d'elles,  dépourvue 
de  grandeur  et  de  puissance,  réduite  au  rang  d'une  simple 
maison  de  commerce  à  monopole,  elle  était  bien  encore  la 
Compagnie  des  Indeii,  car  elle  était  unie  à  la  Compagnie  de 
Lato,  comme  celle-ci  V avait  été  aux  précédentes,  par  V identité 
du  but  poursuivi,  et  celle  du  jwincipe  appliqué  ;  seuls,  les 
moyens  qui  lui  furent  donnés  étaient  moindres  que  ceux  dont 
avaient  disposé  ses  aînées  ;  mais  la  cause  de  cette  différence 
devait  élre  cherchée  dans  les  circonstances  présentes,  et  si  la 
situation  laissée  à  la  Compagnie  de  Law  par  la  guerre  de  Sept 
Ans  n'avait  point  été  si  difficile,  il  est  permis  de  croire  que  le 
gouvernement  royal  se  fût  contenté  de  la  remettre  en  posses- 
sion de  ses  privilèges,  suspendus  par  lui  sous  l'influince  des 
idées  libérales  qu'il  affectait  maintenant  de  renier. 

La  séparation  ne  fut  que  superficielle  et  ne  fut  poussée  que 
jusqu'au  point  où  il  était  nécessaire  d'aller  pour  que  les 
lourdes  obligations  contractées  dans  des  guerres  désastreuses 
ne  vinssent  pas  arrêtera  nouveau  le  commerce  de  l'Inde  que 
l'on  voulait  rajeunir;  mais  on  eut  soin  de  ne  pas  dépasser 
cette  limite  et  la  nouvelle  Compagnie  fut  formellement  in- 
vestie de  la  faculté  de  jouir  du  privilège  qui  lui  était  concédé 
sous  la  même  dénomination  que  l'ancienne,  et  reçut  le  droit 
de  se  servir  de  ses  armes  et  de  ses  sceaux  (art.  53). 

Son  capital  social  fui  fixé  il  20  millions  de  livres  et  divisé  en 


634  QUATRIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    II 

portions  d'intérêt  (1)  de  1.000  livres  chacune  ;  ses  affaires  furent 
confiées  à  12  administrateurs  (2)  qui  fournirenl  6  millions  de 
ce  capital,  à  raison  de  500  portions  d'inlérôl  chacun,  el  les 
14  millions  restants,  représentés  par  14.000  portions  d'intérêt, 
furent  offerts  en  souscription  publique  (art.  16)  (3).  Par  une 
fâcheuse  imitation  des  précédents  errements,  l'arrêt  institua 
un  commissaire  du  Roi  auprès  de  la  Compagnie,  assisté  d'un 
premier  commis.  Le  bilan  devait  être  établi  tous  les  ans  (4) 
et  soumis  au  Contrôleur  Général  (art.  24)  ;  les  dividendes  ne 
pouvaient  être  fixés  que  d'après  les  bénéfices  nets  réalisés  el 
la  somme  à  prélever  sur  ceux-ci  à  cet  efïet  devait  être  volée 
par  les  actionnaires  (art.  25).  Il  devait  être  tenu  chaque  an- 
née par  ceux-ci  deux  assemblées  générales,  l'une  pour  y  être 
rendu  compte  des  armements  de  la  Compagnie,  l'autre  des 
retours  et  des  ventes  (art.  39). 

L'Etal  promit  de  mettre  à  la  disposition  de  son  adminis- 
tration un  hôtel  à  Paris  (5)  ;  il  lui  céda  dans  le  port  de  Lorienl, 
où  la  marine  royale  avait  repris  sa  place  en  1769,  la  jouissance 
des  hôtels,  magasins,  ateliers  et  quais  qui  lui  seraient  né- 
cessaires pour  toute  la  durée  de  son  privilège  (art.  35)  (6)  ; 

(1)  Ce  nom  de  Portions  iC intérêt,  subslitué  à  celui  d'. lettons,  était 
destiné  à  distinguer  les  litres  de  la  nouvelle  Compagnie  de  ceux  de 
l'ancienne. 

(2)  On  remarquera  de  même  que  le  tilre  û' Administrateur  fut  sul>s- 
tilué  à  celui  de  Directeur. 

(3)  Celle-ci  fui  confiée  à  MM.  Girardol,  Hailer  el  C'%  banquiers  à 
Paris,  et  Bérard  à  I^orienl. 

(4)  A  partir  du  mois  de  décembre  17iS7. 

(5)  Le  Roi  mit  en  etl'el  à  la  disposition  de  la  Compagnie  un  hôtel  de 
la  rue  de  Graminonl  ;  l'ancienne  Compagnie  continuait  à  occuper  celui 
de  la  rue  Neuve  des  l*etils-Cliamps. 

(6)  Un  traité  fui  passé  entre  la  Marine  cita  Compagnie,  qui  permit 
à  celle-ci  de  faire  aborder  ses  vaisseaux  aux  quais  de  l'Arsenal  el  de 
vendre  ses  marchandises  dans  les  magasins  de  l'ancienne  Compagnie. 
Notons  en  outre, qu'unédildu  t4  mai  1784  availérigé  Lorienlenpor< /"rane. 


LA    COMPAGNIE    DE    GALONNE  635 

enfin  elle  fui  mise  en  possession  des  comptoirs,  loges  et  ma- 
gasins uliles  à  son  commerce  dans  les  établissements  du  Roi 
au  delà  du  cap  de  Bonne-Espérance  (art.  37). 

Une  clause  nouvelle  obligea  la  Compagnie  à  assurer  ses 
expéditions  contre  les  risques  de  mer  et  de  guerre  (art.  29); 
elle  fui  autorisée,  selon  l'usage,  à  exporter  les  espèces  d'or  et 
d'argent,  nonobstant  les  ordonnances  qui  prohibaient  leur 
sortie,  à  charge  d'en  faire  connaître  au  Contrôleur  Général  le 
montant  annuel  (art.  30).  Le  Roi  prit  l'engagement  formel  de 
protéger  ses  vaisseaux,  fût-ce  parla  force,  et  de  lui  fournir 
les  officiers  et  les  équipages  dont  elle  aurait  besoin  (art.  31). 
Cette  dernière  stipulation  est  remarquable  :  c'est  la  première 
fois  qu'elle  figure  dans  la  constitution  d'une  Compagnie  pri- 
vilégiée française,  car  jusque-là,  nous  Tavons  dit,  ce  n'avait 
été  qu'une   tolérance   plus  ou  moins  largement  accordée. 

Enfin,  pour  achever  cet  examen,  disons  que  le  droit  d'in- 
duit, établi  en  1769  sur  les  importations  des  Indes,  fut  sup- 
primé (art.  45). 

Ainsi  fut  reconstituée  la  Compagnie  des  Indes,  simple  mai- 
son de  commerce  munie  d'un  monopole  et  non  plus  souve- 
raine maîtresse  d'un  immense  empire,  réduite  à  des  propor- 
tions modestes  et  garantie  contre  plusieurs  des  défauts  de 
ses  aînées  par  quelques  sages  prescriptions. 

Des  arrêts  postérieurs  vinrent  organiser  st)n  exploitation, 
tandis  que  se  créaient  ses  premières  ressources  ;  un  arrêt  du 

et  que  celte  siluatioii  fut  conservée.  On  sait  que  celle-ci  consiste  essen- 
tiellemenl  à  reculer  la  ligne  des  douanes  à  la  liuiile  extérieure  delà 
localité  intéressée,  de  manière  que  tes  marchandises  soumises  aux  droits 
y  puissent  être  manutenliomiées  en  toute  liberté  et  ne  soient  assujetties 
à  les  payer  qu";i  leur  sortie  du  port  franc  pour  l'intérieur  du  pays.  Le 
port  de  Marseille  était  déjà  sous  ce  régime  depuis  1069,  mais  la  fran. 
chise  accordée  à  Lorient  ne  fut  que  partielle  et  ne  porta  que  sur  les 
salaisons,  le  riz  et  le  tabac  d'Amérique. 


636  QUATRifcME    PARTIE,    CHAPITRE    II 

15  mai  nomma  ses  douze  administrateurs,  un  autre  du  19  juin 
fixa  la  division  de  son  travail.  Son  administration  fut  répartie 
en  neuf  déparlements,  dont  sept  furent  établis  à  son  hôtel 
de  Paris  et  deux  au  port  de  Lorient.  Le  Roi  désij^na,  pour 
remplir  les  fonctions  de  commissaire  auprès  d'elle,  M.  de 
Boullongne,  conseiller  d'Etal  (1)  ;  les  douze  administrateurs 
nommés  par  le  gouvernemenl  lui-même,  el  non  par  les  action- 
naires, conformément  à  la  tradition  établie  depuis  1723, 
furent  MM.  Gourlade,  Bernier,  Bézard,  de  Mars,  Dodun,  Sa- 
balier,  Desprez,  Montessuy,  Gougenot,  Bérard  aine,  Bérard 
cadet  et  Périer.  Huit  d'enlre  eux  siégèrent  à  Paris  et  s'y  par- 
tagèrent les  déparlements,  les  qualre  autres  représentèrent 
la  Compagnie  à  Lorienl  (2).  Enfin  il  fut  créé  un  poste  d'admi- 
nistrateur à  Pondicliéry  qui  fut  donné  à  M.  Moracin. 

L'arrêt  du  19  juin  1785  partagea  les  affaires  enlre  les  neuf 
départements  suivants  (3)  :  1°  Secrétariat  (ouverture  des  pa- 
quets, correspondance  générale,  rédaction  des  ordres  et  des 
procès-verbaux,  expédition  des  passeports,  brevets  et  com- 
missions) ;  —  2"  Caisse  (receltes  et  dépenses  en  espèces,  paye- 
ment des  dividendes,  dépôt  des  perlions  d'intérêt)  ;  —  3** 
Achats  en  Europe  (achat  des  marciiandises  pour  les  cargai- 
sons el  les  armements,  des  matières  d'or  el  d'argent,  affrè- 
tements et  assurances)  ;  —  4"  Complabilité  (tenue  des  li- 
vres, confeclion  du  bilan)  ;  —  5"  Contentieux  (observation 
des  arrêts  et  règlements  consacrant  les  droits  de  la  Cumpa- 

(1)  A  la  chute  du  iniiiisU're  Galonné  on  1788,  M.  de  Boullongne  céda 
la  place  au  contrôleur  f^^énéral  l.amberl  lui-même  ;  la  présence  d'un  pre- 
mier commis,  qui  le  romplac^'ait  elTeclivement  auprès  de  la  Compagnie, 
jusliliait  cette  simplificalion  ;  on  peut  y  voir  aussi  ritUenlion  d'exercer 
sur  elle  un  contrôle  plus  direct. 

(2)  Ce  furent  MM.  Gourlade,  Périer,  Dodun  el  Bérard  cadet. 

(3)  Ces  déparlemonts  com|)renaienl  chacun  2,  3  ou  4  adminislraleurs. 
Chacun  d'eu.\  liguruil  ainsi  dans  plusieurs  déparleuienls. 


LA    COMPAGNIE    DE    GALONNE  637 

gnie,  discussion  des  droils  des  Fermes)  ;  —  6"  Agence  (soUi- 
cilalions  auprès  du  commissaire  du  Roi,  formation  de  la 
balance  du  commerce  de  la  Compagnie)  ;  —  7°  Archives  (dé- 
pôt des  papiers,  entretien  de  l'hôtel  de  Paris). 

A  Lorient  se  trouvaient  les  deux  derniers  départements  : 
S"  Ventes  (réception  et  disposition  des  marchandises  dé- 
barquées, apposition  des  plombs  et  bulletins,  ventes  publi- 
ques) ;  —  9°  Armements  (armements,  désarmements,  traités 
d'affrètement,  correspondance  avec  l'administration  de  Paris). 

Cette  énuméralion  permet  de  se  rendre  compte  que 
celte  administration  fut  conçue  et  réglée  d'une  façon  sage  et 
prudente  (1),  que  rien  n'en  fut  laissé  au  hasard,  ni  remis  à 
une  date  ultérieure  ;  il  ne  devait  point  ainsi  se  produire  de 
désordre  ni  de  confusion,  et  son  fonctionnement  devait  être 
dès  le  début  d'une  parfaite  régularité.  En  fait,  la  Compagnie 
de  Calonne  se  montra  dans  sa  très  courte  existence  très  ha- 
bile et  très  heureuse  dans  la  gestion  de  ses  intérêts. 

Pendant  ce  temps  la  souscription  publique  qui  devait  four- 
nir la  majeure  partie  de  son  capital  était  conduite  avec  suc- 
cès ;  malheureusement  la  spéculation  s'en  mêla  (2),  et  les  né- 

(1)  On  pourra  consulter  les  Almanachs  Royaux  des  années  1786, 1787, 
1788,  etc. . . ,  qui  fournissent  en  cette  matière  de  pre'cieux  renseigne- 
ments. 

(2)  Elle  donna  lieu  en  effet  à  la  célèbre  affaire  d'Espagnac,  qui  nui- 
sit beaucoup  au  crédit  de  la  Compagnie.  Au  début  de  l'année  1787, 
le  bruit  se  répandit  qu'un  certain  abbé  d'Espagnac  possédait  45.000 
portions  d'intérêt  de  la  Compagnie  des  Indes  ;  or  il  ne  pouvait  s'en 
trouver  au  total  sur  le  marché  que  34.000!  Mais  d'Espagnac  avait 
organisé  avec  quelques  complices  une  vaste  spéculation,  en  accaparant 
presque  toute  l'émission  (32.000  actions,  avoua-t-il)  et  en  aclietant  en- 
suite à  terme  une  grande  quantité  de  ces  mêmes  titres  que  ses  débiteurs 
devaient  bien  être  forcés  de  lui  acheter  pour  les  lui  livrer  ;  il  était 
ainsi  absolument  maître  de  leur  prix.  Le  gouvernement,  craignant  de 
graves  perturbations  du  marché  financier,  intervint  quelques  jours  avant 
l'échéance  de  ces  marchés  ;   M.   de  Calonne  exila  l'abbé  d'Espagnac 


638  QUATRlfeME    l'ARTfK.    —    CHAPITRE    II 

gocianls  des  villes  maritimes  qui  voulurenls'y  intéresser  ne 
le  purent  point,  ce  qui  souleva  parmi  eux  un  très  vif  mécon- 
tentement. 

La  Compagnie  s'était  mise  sans  retard  à  constituer  sa  flotte, 
et  le  Roi  pour  lui  témoigner  son  intérêt  avait  autorisé  la  Ma- 
rine à  lui  céder  un  de  ses  vaisseaux,  le  Dauphin  (arrêt  du 
20  mai  1785)  (1).  Elle  clierclia  à  obtenir  des  armateurs  la  ces- 
sion de  leurs  gros  navires,  dont  ils  n'avaient  plus  l'emploi, 
la  navigation  des  Indes  pour  laquelle  ils  avaient  été  cons- 
truits leur  étant  désormais  fermée  (2).  D'autre  part,  elle  fai- 
sait respecter  ses  nouveaux  privilèges  avec  une  certaine 
âpreté  qui  provoqua  bien  des  murmures  ;  elle  obtint  ainsi 

u  dans  ses  terres  »  et  subrogea  le  Tre'sor  à  ses  droits.  Mais  l'afTaire  ne 
fut  pas  terminée  si  vile,  car  la  liquidation  des  marchés,  confiée  à  deux 
banquiers  parisiens,  MM.  Heller  et  le  Couteulx  de  la  Norraye,  soufTrit 
d'interminables  difficultés.  En  1790,  l'Assemblée  Nationale,  résolue  à  en 
finir, décida  que  les  liquidateurs  rendraient  compte  des  sommes  qu'ils 
avaient  reçues  du  Trésor  pour  procédera  leurs  opérations  ;  mais  ceux-ci 
déclarèrent  qu'ils  n'avaient  pas  de  comptes  à  rendre,  que  ces  sommes 
ne  leur  avaient  pas  été  avancées,  mais  qu'elles  avaient  été  sacrifiées  par 
le  Trésor,  qu'ils  n'avaient  pas  agi  comme  banquiers,  mais  comme  com- 
missaires du  Roi  ;  par  une  circonstance  fâcheuse  ils  ne  pouvaient  cepen- 
dant fournir  la  preuve  qu'ils  eussent  réellement  reçu  cette  qualité  !  Le 
tribunal  de  cassation  reçut  enfin  connaissance  de  cette  affaire  et  la 
bonne  foi  des  deux  banquiers  fut  reconnue,  mais  non  sans  peine.  Quant 
à  l'abbé  d'Espagnac,  cette  aventure  ne  le  guérit  pas  de  la  spéculation, 
et  il  finit  sur  l'échafaud  en  1793  à  la  suite  de  malversations  commises 
par  lui  comme  fournisseur  des  armées. 

(1)  Le  Dauphin  avait  été  armé  à  Lorient  par  MM.  Gourlade,  Bérard 
et  Périer  pour  le  compte  du  gouvernement  royal.  La  Compagnie  obtint 
que  le  vaisseau  lui  fût  cédé  et  que  l'expédition  en  cours  fut  transportée 
à  son  profit  ;  les  armateurs  furent  nommés,  à  litre  de  dédommagement, 
administrateurs  à  Lorient  (Archives  Nnlionalcs,  ADIX,  41). 

(2)  L'alTaire  n'aboutit  pas  ;  la  Compagnie  prélendit  ensuite  qu'ils 
avaient  exigé  des  prix  exagérés;  mais  ces  négociants  répondirent 
qu'elle  n'avait  pas  voulu  au  contraire  les  leur  acheter  ou  en  avait  olTert 
des  prix  dérisoires. 


LA    COMPAGNIE    DE    GALONNE  639 

qu'on  retînt  à  Marseille  la  Vicomtesse- de- Besse,  de  la  maison 
Rabaud,  qui  dès  le  commencement  d'avril  était  entrée  en  ar- 
mement pour  rinde  avec  une  cargaison  de  draps  et  de  mé- 
taux (1);  elle  s'opposait  au  déchargement  de  V Atlas  qvà  arriva 
à  Lorient  fin  avril,  du  Cléomène  et  du  Consolateur  qui  y 
rentrèrent  en  mai,  et  ce,  en  dépit  des  dispositions  contraires 
de  l'arrêt  du  14  avril  (2). 

Le  gouvernement  royal  continuail  à  la  favoriser:  un  arrêt 
du  10  juillet  relira  aux  négociants  particuliers  la  faculté  d'in- 
troduire en  France  toutes  toiles  et  mousselines  étrangères  et 
en  conféra  le  monopole  à  la  Compagnie,  ce  qui  força  les  pre- 
miers, malgré  le  délai  qui  leur  avait  été  accordé  pour  effectuer 
leurs  retours,  à  en  écouler  le  produit  à  l'étranger  ou  à  le 
cédera  la  Compagnie  elle-même,  et  celle-ci  reçut  en  outre  le 
monopole  du  droit  d'achat  de  ces  articles  auprès  des  nations 
européennes,  dont  elle  profila  aussitôt  en  achetant  les  pro- 
ductions des  Indes  à  Londres,  à  Lisbonne  et  à  Copenhague 
pour  fournir  à  ses  magasins  de  Lorient  un  premier  approvi- 
sionnement (3). 

Tous  ces  faits  furent  relevés  avec  amertume  par  le  com- 
merce particulier  qui  fit  entendre,  le  premier  moment  de 
stupeur  passé,  une  explosion  de  plaintes  contre  la  décision 
du  gouvernement  et  contre  les  procédés  de  la  nouvelle 
Compagnie.  Ses  députés  s'en  firent  les  interprètes  et  présen- 
tèrent ses  griefs  au  Roi  (4).   L'intérêt  public,   disaient-ils 

(1)  Ce  navire  fut  retenu  plus  d'un  an  à  Marseille  et  la  Compagnie  ne 
consentit  à  son  dépari  qu'à  la  condition  que  le  retour  serait  à  son  pro- 
fit; les  propriétaires  ne  purent  obtenir  du  gouvernement  qu'il  leur  don- 
nât raison  et  durent  affréter  un  navire  étranger  pour  aller  prendre  à 
Pondichéry  la  cargaison  de  retour  qu'ils  avaient  commandée. 

(2)  Cette  fois  le  Roi  donna  tort  à  la  Compagnie  et  leva  l'interdiction. 

(3)  Ces  achats  s'élevèrent  à  10  millions  de  livres. 

(4)  «  Mémoire  des  Députés  des  principales  villes  de  commerce  du 


G40  QUATRIÈME    PAUTIK.    —    CHAPITRE    II 

dans  leur  mémoire,  réclame  la  liberté  du  commerce  de 
l'Inde,  el  le  vœu  de  la  nation  s'est  manifesté  à  ce  propos  à 
l'Assemblée  des  Notables  ;  la  liberté  du  commerce  est  néces- 
saire à  l'agriculture,  à  l'industrie  et  à  la  navigation,  tandis  que 
le  privilège  exclusif  dessèche  ces  sources  de  la  richesse. 
L'Etal  a  fait  à  la  nouvelle  Compagnie  des  sacrifices  énormes, 
et  a  mis  l'industrie  française  sous  le  joug  des  convenances 
de  cette  association  qui  n'a  pas  craint  de  se  placer  sous  la 
protection  des  puissances  étrangères,  de  faire  leur  commerce 
et  d'entretenir  leurs  relations  dans  l'Inde  !  Les  maux  qui  ré- 
sultent de  cette  situation  sont  graves,  el  ils  empirent  tous  les 
jours. 

La  Compagnie,  émue  par  celle  attaque,  y  répondit  aussi- 
tôt (1),  justifiant  la  reconstitution  du  privilège  par  l'intérêt  de 
l'Etat,  el  par  la  nécessité  des  assortiments  que  le  commerce 
particulier  s'était,  disait-elle,  montré  incapable  d'assurer, 
protestant  contre  l'accusation  d'avoir  reçu  de  l'Etat  des  sa- 
crifices, el  de  s'être  placée  sous  la  protection  étrangère. 

Celte  polémique  continua  les  années  suivantes,  el  toutes 
les  opérations  de  la  Compagnie  furent  sévèrement  critiquées 
par  ses  adversaires  ;  ceux-ci  ne  craignirent  point  de  prendre 
à  partie  le  ministre  lui-même,  responsable  de  celte  restaura- 
tion (2).  «  M.  de  C.  (3),  disaient-ils,  n'ayant  pas  de  principes 
d'administration  bien  arrêtés,  a  pu  être  entraîné  par  l'intérêt 

royaume  (10  juin  1785).  La  ("liambre  de  commerce  de  Marseille  pro- 
testa également  ;  Pondiciiéry  lui-môme  envoya  un  mémoire.  V.  Mt'- 
moires  relatifs  à  la  discussion  chi  privilège  de  la  nouvelle  Compagnie 
des  Indes,  Paris  1787.  Bibl.  de  l'Arsenal,  Paris. 

(i)  Réponse  des  Administrateurs  de  la  Compagnie,  4  aoîil  1785. 

(2)  Réplique  des  Députes  des  Villes  de  Commerce,  1787.  Ce  Mémoire 
ctimmo  le  précédent,  fui  tout  au  moins  inspiré  par  Morellet,  qui  reprit 
la  plume  à  plusieurs  reprises  à  celte  époque  contre  la  Compagnie  des 
Indes. 

(3)  M.  de  Galonné. 


LA    COMPAGNIE    DE    GALONNE  641 

particulier  toujours  actif  et  toujours  adroit  auprès  des  minis- 
tres, à  établir  la  nouvelle  Compagnie  »,  et  ils  s'efforcèrent  de 
lui  montrer  les  fâcheux  résultats  de  son  initiative.  Le  capital 
de  20  millions  qu'il  lui  avait  fixé,  était  d'abord,  à  leur  avis, 
très  insuffisant  et  les  négociants  qu'elle  avait  dépossédés  en 
employaient  davantage  à  leurs  opérations  ;  avec  une  telle 
pénurie  de  fonds  elle  ne  pourrait  «  que  se  traîner  dans  la 
carrière  »,  sans  rendre  à  la  nation  aucun  service  (1).  Ils  dénon- 
cèrent aussi  un  grave  périldont  cette  reconstitution  du  mo- 
nopole était  la  cause  directe  :  c'était  la  fâcheuse  obligation  où 
s'étaient  vus  contraints  déjà  un  certain  nombre  de  négo- 
ciants de  mettre  leurs  navires  sous  pavillon  étranger  pour 
continuer  ce  commerce.  Jamais  pareille  chose  ne  s'était  ren- 
contrée, et  déjà  cette  façon  d'agir  se  répandait  rapidement  ! 
Il  y  en  avait  eu  un  exemple  à  Marseille  en  1786,  et  l'on  venait 
d'en  voir  quatre  dans  la  seule  première  moitié  de  1787.  Ces 
bâtiments  naviguaient  sous  les  couleurs  toscanes,  sardes, 
portugaises  et  suédoises,  et  les  inconvénients  de  celte  situa- 
lion  étaient  multiples  ;  car,  même  en  supposant  que  la  car- 

(1)  L'explication  donnée  par  ce  Me'moire  du  chiffre  de  ce  capital 
mérite  d'être  mentionnée  :  les  promoteurs  de  la  Compagnie  avaient 
conçu  le  projet  de  traiter  avec  la  Compagnie  anglaise  pour  la  four-' 
niture  annuelle  à  Lorient  d'une  quantité  déterminée  de  produits  de 
l'Inde,  et  cette  combinaison  ne  nécessitait  en  effet  aucune  dépense  im- 
portante. La  Compagnie  fut  créée  ;  mais  M.  de  Galonné  refusa  d'autoriser 
ce  traité  et  le  capital  se  trouva  par  suite  insuffisant  pour  le  but  nouveau 
donné  à  son  commerce.  Par  compensation,  le  gouvernement  s'engagea 
à  indemniser  la  Compagnie  de  toute  perte  excédant  10  0/0  pendant  les 
deux  premières  années  (ce  sont  les  sacrifices  énormes  dont  se  plaignaient 
les  députés).  La  Compagnie  reconnut  l'exactitude  de  cette  révélation  ; 
mais  elle  déclara  qu'elle  espérait  bien  ne  pas  avoir  recours  à  l'indem- 
nité. —  Un  mémoire  anonyme,  publié  en  1790,  ajoute  qu'une  décision 
du  Roi  du  27  février  1785  autorisa  la  Compagnie,  d'après  le  résultat 
de  sa  première  expédition, à  continuer  l'exercice  de  son  privilège  ou  aie 

lui  remettre  [Archives  Nationales,  ADIX,  385). 

W.  —  41 


G42  QUATRIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    II 

gaison  d'exporlalion  el  les  approvisionnements  fussent  four- 
nis parla  France,  les  équipages  étaient  étrangers  et  leurs  sa- 
laires étaient  perdus  pour  nos  nationaux.  En  outre,  leur  re- 
tour s'accomplissait  dans  quelque  port  voisin  de  la  fron- 
tière française,  que  leur  cargaison  ne  lardait  pas  à  passer 
frauduleusement,  de  sorte  que  la  Compagnie  elle-même  se 
trouvait  lésée  par  cet  état  de  choses  (1). 

Ce  fut,  on  le  voit,  au  milieu  d'une  opposition  incessante 
que  celle-ci  entreprit  l'exercice  de  ses  droits  ;  elle  ne  s'en  dé- 
couragea pas,  carie  gouvernement  royal  continuait  à  lui  ga- 
rantir son  appui  et  à  lui  donner  des  preuves  de  son  intérêt. 
Les  critiques  dont  elle  était  l'objet  provoquèrent  même  d'im- 
portantes mesures  à  son  égard,  car  son  capital  fut  porté  de 
20  à  40  millions  (2),  et  20.000  nouvelles  portions  d'intérêt 
furent  ainsi  ajoutées  aux  premières.  En  même  temps,  pour 
faciliter  leur  placement,  le  privilège  de  la  Compagnie,  qui  ne 
portait  plus  que  sur  6  années  de  paix  à  ce  moment,  fut  élevé 
à  15  années,  décision  qui  mit  le  désespoir  dans  les  rangs 
des  défenseurs  du  commerce  libre. 

La  Compagnie  avait  alors  réuni  les  moyens  d'action  qui 
lui  étaient  nécessaires,  et  son  premier  armement  comporta 
onze  navires,  qui  partirent  de  Lorient  au  cours  de  l'année 
1786: 

le  Dauphin de  700  tonneaux 

le  Calonne de  350         — 

le  Boullongne de  240         — 

la  Reine de  925         — 

le  Maréchal- de-Ségur  ....    de  517         — 

(1)  La  Compagnie  répondit  encore  à  celle  attaque  par  un  mémoire  : 
Idées  préliminaires  sur  le  prioilège  exclusif  (de  l'adminislraleur  Gou* 
genol,  1787). 

(2)  Arrêt  du  21  septembre  1786. 


LA    COMPAGNIE    DE    GALONNE  643 

le  Baron-de-Breteuil de  529  tonneaux 

le  Miromesnil de  S29         — 

le  Marquis-de-Castries .  ...  de  492         — 

le  Comte-d'Artois de  S67         — 

\q  Comte-de-Vergennes   .    .    .  de  319         — 

le  Comte-de-Provence  ....  de  822  — 

Trois  de  ces  navires  étaient  à  destination  de  la  Chine,  qua- 
tre de  Pondichéry  et  Moka,  trois  de  Chandernagor,  et  un  du 
Malabar.  En  outre,  la  Compagnie  envoyait  150.000  piastres  à 
ses  agents  de  Pondichéry  pour  armer  un  douzième  vaisseau 
à  destination  de  Suez  et  de  Moka.  Le  total  de  ces  armements 
s'élevait  à  18  millions  de  livres  environ. 

En  mai  1786,  la  Compagnie  annonça  une  première  vente 
des  marchandises  de  l'Inde  qu'elle  s'était  procurées  en  Eu- 
rope pour  une  somme  de  5  millions  ;  en  octobre  une  seconde 
vente  eut  lieu.  Au  cours  de  Tannée  suivante,  elle  reçut  ses 
premiers  retours  (1).  Ses  armements  ne  furent  pas  moins 
actifs,  car  ils  atteignirent  10.667.750  livres  en  1787-1788  et 
14.823.409  livres  en  1788-1789. 

La  Compagnie  avait  construit  de  nouveaux  vaisseaux  :  la 
Roy  aie- Elisabeth, \e  Necker,  la  Bretagne,  le  Duc-de-Norman- 
die  (2),  elles  progrès  de  son  commerce  provoquaient  de  nou- 
velles craintes  chez  les  négociants,  qui  demandèrent  à  être 
assurés  que  les  lies  Mascareignes  ne  seraient  pas  rattachées, 
comme  le  bruit  en  avait  couru  déjà,  à  son  monopole.  Ses  opé- 

(1)  Le  Dauphin  revint  avec  40.800  livres  de  soie  de  Nankin  ;  mais 
après  avoir  mis  en  vente  celte  cargaison,  la  Compagnie  la  relira  et  ne 
consentit  à  l'y  remettre  que  plusieurs  mois  après  sur  les  plaintes  du 
commerce  [Réplique  des  députés  du  commerce). 

(2)  M.  de  la  Ville  le  Roux  se  plaignit  à  la  tribune  de  l'Assemblée 
Constituante  que  la  Compagnie  eût  acheté  deux  vaisseaux  en  Angleterre; 
mais  on  ne  donna  pas  suite  à  cette  plainte. 


644  QUATRIÈME   PARTIE.    —    CHAPITRE    II 

rations  commerciales  étaient  si  bien  conduites  qu'elle  fut 
bientôt,  paraît-il,  la  seule  Compagnie  européenne  qui  fût 
approvisionnée  des  toiles  imprimées  de  l'Inde,  et  les  étran- 
gers vinrent  en  foule  se  les  disputer  aux  ventes  de  Lorient  (1). 
Enfin  elle  était  créancière  de  l'Etat  pour  une  somme  de  deux 
millions  et  demi  en  droits  non  perçus  et  en  avances  dans 
l'Inde  (2). 

Cette  prospérité  fut  cependant  brusquement  arrêtée,  et  les 
efforts  qui  l'avaient  provoquée  ne  trouvèrent  point  leur  ré- 
compense. La  Compagnie  de  Calonne  offre,  en  effet,  plus 
d'intérêt  dans  son  principe  même,  par  le  lien  qui  l'unit  aux 
Compagnies  qui  l'avaient  précédée,  par  les  améliorations 
réalisées  dans  son  organisation,  enfin  par  le  remarquable 
essor  qu'elle  prit  en  quelques  années,  malgré  les  difficultés 

qui  l'entourèrent,  que  par  l'importance  réelle  de  ses  opéra- 
tions. 

L'année  1789,  qui  ouvrit  pour  la  France  une  ère  nouvelle, 
vil  grandir  encore  l'hostilité  que  la  Compagnie  n'avait  pu 
désarmer  et  qui  devait  triompher  bientôt  par  la  suppression 
du  commerce  privilégié,  puis  par  la  destruction  de  cette  Com- 
pagnie elle-même. 

(1)  Lettre  de  l'administrateur  Goiirlade  à  M.  Huber  à  Paris,  16  dé- 
cembre 1791.  Archives  Nationules,  T. 38. 

(2)  La  Compagnie  contribua  pour  4  millions  à  l'expédilion  organisée 
par  le  gouvernement  royal  sous  le  commandement  de  M.  de  la  Pérouse, 
et  qui  devait  avoir  une  fin  si  tragique  (1785). 


CHAPITRE  m 

SUPPRESSION  DD  COMMERCE  PRIVILÉGIÉ.  —  CHUTE  DE  LA  COM- 
PAGNIE DE  CALONNE.  —  LIQUIDATION  DES  DEUX  DERNIERES 
COMPAGNIES. 


I.  —  Les  Cahiers  des  Etats-Ge'néraux  et  la  Compagnie  des  Indes.  — 
Discussion  et  suppression  du  privilège  du  commerce  de  l'Inde  par 
l'Assemblée  Constituante. —  La  Compagnie  de  Calonne  continue  ses 
opérations  sans  monopole.  —  Sa  suppression  est  prononcée  par  la 
Convention. 

II.  —  Organisation  de  la  liquidation  de  la  Compagnie  de  Law.  —  Trans- 
fert de  cette  opération  à  la  Trésorerie  Nationale.  —  L'Etat  se  charge 
des  pensions  de  retraite  constituées  par  la  Compagnie.  —  Ses  actions 
sont  converties  en  rentes  sur  le  Grand-Livre. 

III.  —  Ouverture  de  la  liquidation  de  la  Compagnie  de  Calonne.  — 
Réintégration  des  actionnaires  dans  leurs  droits. —  La  Compagnie  ré- 
clame à  l'Etat  le  payement  d'une  dette  que  les  gouvernements  succes- 
sifs refusent  de  reconnaître. —  La  Compagnie  des  Indes  au  xix*  siècle. 
—  Dernière  assemblée  de  ses  actionnaires  et  partage  du  reliquat  de 
son  actif  (15  mai  1875). 


§1 

Au  moment  où  s'accomplirenl  les  élections  aux  Etats- 
Généraux,  prologue  du  drame  qui  devait  s'aciiever  par 
la  destruction  de  l'ancienne  France  et  dans  lequel  la  Com- 
pagnie des  Indes  ne  devait  pas  être  épargnée,  il  importe  de 
bien  savoir  quelle  était  sa  silualion.  il  y  avait  en  présence 
alors  deux  Compagnies  :  Tune,  la  Compagnie  de  Law,  pour- 
suivait lentement  sa  liquidation,  et  malgré  son  grand  passé 
elle  était  déjà  presque  oubliée  du  public  ;  l'autre,  la  Compa- 


646  QUATRIÈME   PARTIE.    —    CHAPITRE   HI 

gnie  de  Galonné,  continuait  ses  opérations  commerciales 
dans  des  conditions  favorables,  grâce  à  une  habile  adminis- 
tration, et  l'avenir  pouvait  être  envisagé  par  elle  avec  con- 
fiance malgré  les  oppositions  qui  ne  cessaient  de  se  pro- 
duire contre  son  privilège. 

Les  cahiers  des  Etats-Généraux  présentèrent  un  grand 
nombre  de  vœux  tendant  à  la  suppression  de  tous  les  mo- 
nopoles et  privilèges  :  cette  aspiration,  alors  générale,  n'est 
point  faite  pour  surprendre,  et  la  Compagnie  des  Indes  fut 
elle-même  directement  visée  par  un  assez  grand  nombre  de 
corps  électoraux,  qui  l'attaquèrent  —  les  uns,  au  nom  de 
principes  généraux,— les  autres,beaucoup  moins  nombreux, 
pour  des  griefs  particuliers  et  précis.  C'est,  par  exemple,  le 
tiers-état  de  la  sénéchaussée  de  Vannes  (1),  celui  de  la  pa- 
roisse de  Martigues  (2)  dans  la  sénéchaussée  d'Âix-en-Pro- 
vence,  le  clergé  de  Péronne  (3),  la  communauté  de  Saint- 
Cloud  (4)  et  le  tiers-état  du  bailliage  de  Troyes  (5),  qui,  en 
réclamant  la  suppression  de  tout  privilège  exclusif,  ajoutent  : 
«  notamment  la  Compagnie  des  Indes  »,sans  justifier  d'ail- 
leurs ce  vœu  par  aucun  commentaire;  c'est  la  paroisse  de 
Ballainvilliers  (6),  qui  ne  connaît  la  Compagnie  que  très  va- 
guement, et  demande  sa  suppression  avec  celles  delà  caisse 
de  Poissy  et  de  la  régie  des  cuirs.  Le  tiers-état  de  Rouen  (7) 
l'associe  dans  son  vœu  de  proscription   avec  la  Compagnie 


(1)  Archives  parlementaires,  série  I,  t.  VI,  p.  109  et  116. 

(2)  Ibid.,  p.  343. 

(3)  Ibid.,  t.  V,  p.  354. 

(4)  Ibid.,  p.  68. 

(5)  Ibid.,  t.  VI,  p.  85. 

(6)  Ibid.,  t.  IV,  p.  342.  —  Ballainvilliers  est  dans  rarrondissemenl  de 
Corbeil. 

(7)  Ibid.,  t.  V,  p.  601. 


SUPPRESSION    ET    LIQUIDATION  647 

du  Sénégal,  alors  que  la  ville  de  Marseille  (I)  qui  n'a  garde 
d'oublier  ses  intérêts,  demande  «  l'abolition  delà  Compagnie 
des  Indes  et  autres  exclusivement  privilégiées,  à  l'exception 
de  celle  d'Afrique  à  Marseille,  qui  est  plutôt  un  établissement 
politique  que  commercial.  »  Le  tiers-état  de  Ploërmel  (2), 
plus  précis,  émet  le  vœu  «  que  son  privilège  disparaisse 
comme  préjudiciable  au  commerce  général  du  royaume  et 
en  particulier  à  celui  de  la  province  de  Bretagne  w.  Même 
note  à  la  sénéchaussée  de  Rennes  (3),  dont  les  réclamations 
sont  d'ailleurs  fort  sages  quant  aux  réformes  à  apporter  au 
droit  maritime  et  au  commerce  de  mer.  D'autres  sont  plus 
timides,  et  ne  sollicitent  qu'un  examen  de  la  question  :  le 
tiers-état  du  bailliage  de  Senlis  (4)  «  veut  qu'il  soit  mis  sous 
les  yeux  des  Etats-Généraux,  pour  délibérer  s'il  est  avanta- 
geux ou  non  de  conserver  le  privilège  exclusif  de  la  Compa- 
gnie des  Indes.  »  Le  tiers-état  de  Tours  (5)  demande  «  que 
l'on  prenne  pour  cette  suppression,  qu'il  désire,  l'avis  des 
chambres  du  commerce  et  des  manufactures  ».  Enfin  la  no- 
blesse de  Rouen  réclame  seulement  «  si  l'état  des  finan- 
ces ou  la  nature  des  engagements  ne  permettent  pas  dès  le 
moment  actuel  de  supprimer  les  privilèges  de  la  nouvelle 
Compagnie,  qu'il  soit  pris  les  voies  les  plus  sùrespour  arrê- 
ter les  jeux  effrénés  sur  les  actions  (6)  et  effets  prétendus  pu- 
blics, et  détruire  jusque  dans  son  principe  un  agiotage  hon- 
teux (7).  » 

(1)  Archives  parlementaires,  t.  III,  p.  706. 

(2)  Ibid.,  t.  V,  p.  384. 

(3)  Ibid.,  série  I,  t.  V,  p.  549. 

(4)  Ibid.,  p.  739. 

(5)  Ibid.,  t.  VI,  p.  53. 

(6)  Ibid.,  t.  V,  p.  596.  —  Ce  vœu  fait  allusion  à  l'affaire  d'Espagnac. 

(7)  La  suppression  du  commerce  privilégié  fut  également  réclamée 
par  un  certain  nombre  d'autres  cahiers,  notamment  ceux  du  tiers-état 


048  QUATRIÈME  PAnTiE.  —  ciiapitrf;  m 

Il  aurait  été  intéressant  de  connaître  les  vœux  de  la  ville 
de  Lorient,  mais  ils  ne  nous  ont  pas  élé  conservés  ;  on  sait 
seulement  que  Lorient  fut  spécialement  invité  par  le  Roi  à 
envoyer  aux  Etals  un  député  qui  fut  choisi  parmi  ses  négo- 
ciants par  l'assemblée  de  la  sénéchaussée  d'Hennebont  (1). 
Enfin  l'assemblée  générale  de  Pondichéry  désigna  pour  la 
représenter  MM.  Beylié  de  Kerjean  et  Louis  Monneron  avec 
la  qualité  de  Députés  des  colonies  françaises  des  Indes  Orien- 
tales et  la  mission  de  réclamer  la  libération  du  commerce  de 
rinde  (2). 

Ce  ne  fut  cependant  que  dans  les  premiers  mois  de  l'année 
1790  que  l'Assemblée  Constituante  aborda  la  question  de  ce 
commerce  dont  ces  vœux  réclamaient  la  discussion  au  nom 
d'intérêts  différents  (3).  Elle  fut  débattue  d'abord  au  sein 

d'Amiens,  d'Auxerre,  de  Bordeaux,  de  Brest,  de  Castelnaudary,  de 
Draguignan,  de  la  Rochelle,  de  Lyon,  de  Meaux,  de  Montargis,  de 
Monlfort-l'Amaury,  de  Montpellier,  de  Nantes,  de  Nemours,  de  Pamiers, 
de  Riom,  et  de  Toulon  ;  ceux  du  clergé  d'Auxerre  et  de  Monlfort- 
l'Amaury  ;  ceux  de  la  noblesse  de  Lyon,  de  Monlforl-l'Amaury,  de 
Péronne,  de  Paris  intra-muros  et  de  Verdun  (Cf.  Deschamps,  La  Cons- 
tituante et  les  colonies), 

(1)  Lettre  du  garde  des  sceaux  du  29  mars  1789.  Ce  député  fut  M.  de 
La  Ville  Le  Roux,  qui  le  fut  ensuite  à  l'Assemblée  Constituante  ;  sa  cor- 
respondance fort  intéressante  est  conservée  aux  Archives  municipales 
de  Lorient,  où  elle  forme  deux  gros  registres  manuscrits. 

(2)  D'autre  part,  M.  Léger,  commissaire-ordonnateur  du  Roi  à  Pondi- 
chéry, fut  convoqué  aux  Etais  comme  faisant  fonctions  d'intendant  de 
l'Inde  française.  L'assemblée  électorale  de  Pondichéry  élut  encore 
9  députés  suppléants. 

(3)  Le  discours  prononcé  par  NecUer  à  l'ouverture  des  Etals-Généraux, 
le  5  mai  1789,  fil  cependant  allusion  à  celle  question  ;  il  s'y  montrait 
même  très  favorable  à  la  libération  du  commerce  de  l'Inde. 

La  discussion  du  commerce  de  l'Inde  ne  vint  qu'après  l'élaboration 
d'une  nouvelle  législation  politique  et  administrative  des  colonies  qui  lit 
l'objet  des  décrets  des  8  et  28  mars  1790.  Cette  discussion  ouvrait 
l'étude  de  leur  législation  commerciale. 


SUPPRESSION    ET    LIQUIDATION  649 

d'une  des  commissions  de  l'Assemblée:  le  Comité  d'agricul- 
lure  et  de  commerce,  qui  entendit  pour  s'éclairer  les  admi- 
nistrateurs de  la  Compagnie  nouvelle  et  les  députés  du 
commerce,  et  cette  enquête  terminée,  chargea  M.  Hernoux, 
député  de  Dijon,  de  présenter  à  l'Assemblée  un  projet  de 
décret. 

Dans  la  séance  du  18  mars  1790  (1),  celui-ci  se  déclara, 
au  nom  de  la  Commission,  favorable  au  commerce  libre,  et 
proposa  l'abrogation  du  privilège  accordé  à  la  Compagnie 
des  Indes.  Il  repoussait  d'abord  l'opinion,  assez  répandue 
alors,  suivant  laquelle  le  commerce  de  l'Inde  était  désavan- 
tageux pour  la  France,  parce  qu'il  se  faisait  moyennant  une 
constante  exportation  de  numéraire,  expression  toujours 
renouvelée  de  la  doctrine  mercantile.  «  On  pourrait  se  con- 
vaincre, ajoutait-il,  que  ce  commerce  est  moins  désavanta- 
geux qu'on  ne  le  croit  communément,  si  on  faisait  attention 
que  les  espèces  que  nous  envoyons  en  Asie  ne  sont  autre 
chose  qu'une  marchandise,  qui  nous  a  été  donnée  à  nous- 
mêmes  en  échange  des  fruits  de  notre  sol  et  des  produits  de 
notre  industrie,  et  que,  si  nous  parvenions  à  nous  sevrer  des 
marchandises  de  l'Inde,  nous  serions  obligés,  pour  les  rem- 
placer fort  imparfaitement,  d'employer  telle  partie  de  ce  sol 
et  de  celte  industrie  qui,  dans  l'état  actuel,  nous  procure 
peut-être  au  delà  de  la  valeur  des  espèces  que  nous  envoyons 
dans  l'Inde.  »  Observation  fort  juste  qui  contient  en  germe 
la  grande  loi  économique  mise  en  lumière  par  J.-B.  Say 
quelques  années  plus  tard  (2)  :  les  produits  s'échangent  contre 

(1)  La  campagne  contre  la  Compagnie  fut  alors  reprise  dans  le  public 
par  un  mémoire  anonyme  du  15  février  1790,  adressé  à  «  Messieurs  les 
défenseurs  et  administrateurs  de  la  Compagnie  des  Indes  »,  et  portant 
pour  épigraphe  :  «  Quousque  tandem  abutere...»  .4rc/i.  IVa^  ADIX,  385. 

(2)  J.-B.  Say,  Traité  cf économie  politique,  1803. 


650  QUATRIÈME    PARTIE.    CliAI'ITUE    III 

les  produits,  el  dont  Adam  Smilh  el  les  Physiocrales  avaient 
déjà  eu  l'inluilion.  Le  rapporteur  exposa  ensuite  les  argu- 
ments du  monopole:  l'importance,  la  durée,  la  cherté  des 
armements,  la  difficulté  de  se  procurer  dans  l'Inde  les  élé- 
ments des  cargaisons  de  retour,  si  l'on  n'y  possédait  des 
agents  actifs  et  nombreux,  la  nécessité  de  proportionner  les 
importations  en  Europe  aux  besoins  de  la  consommation,  de 
composer  des  assortiments  judicieux  pour  fournir  le  marché 
français  d'une  façon  satisfaisante.  Il  reproduisit  pour  les  ré- 
futer les  arguments  de  l'abbé  Morellet  dont  l'influence  est 
visible  dans  ce  rapport, comme  dans  toute  la  discussion  qui  va 
suivre,  el  les  reproches  adressés  à  la  Compagnie  par  le  com- 
merce particulier.  Elle  n'évite  pas  le  défaut  d'assortiment, 
elle  charge  ses  navires  au  profit  de  l'étranger,  elle  ne  peut  se 
contenter  de  bénéfices  modérés  en  raison  de  ses  frais  consi- 
dérables, elle  conduit  enfin  les  négociants  particuliers  à 
poursuivre  leurs  opérations  sous  pavillon  étranger.  «  Après 
un  examen  scrupuleux,  dit-il  en  terminant,  votre  comité  a 
pensé  que  le  commerce  libre  est  plus  utile  à  l'Etat  »,  et  il 
proposa  en  son  nom  de  prononcer  la  révocation  du  privilège 
accordé  à  la  Compagnie  et  la  libération  du  commerce  de 
l'Inde,  avec  les  deux  restrictions  que  le  port  de  Lorient  serait 
seul  ouvert  aux  retours  parce  qu'il  était  le  seul  approprié  à 
cet  usage,  et  que  le  droit  d'/ndult  serait  rétabli  sur  le  même 
pied  qu'en  1769,  avec  exemption  pour  la  Compagnie  jusqu'au 
1"  janvier  1792. 

La  discussion,  ouverte  le  26  mars  1790,  fut  longue  et  tumul- 
tueuse. On  vit  les  administrateurs  delà  Compagnie  des  Indes 
el  les  députés  de  ses  actionnaires,  émus  par  cette  attaque, 
paraître  à  la  barre  de  l'Assemblée,  pour  se  plaindre  qu'ils 
n'eussent  pu  faire  entendre  leur  défense  auprès  du  Comité 
et  demander  que  la  question  de  la  révocation  fût  ajournée  à 


SUPPRESSION    ET    LIQUIDATION  651 

la  prochaine  législature.  L'Assemblée  se  rendit  à  leurs  récla- 
mations et  l'ajournement  fut  volé  jusqu'après  l'achèvement 
de  la  Constitution.  Mais  le  lendemain  même,  les  députés  du 
commerce  parurent,  eux  aussi,  pour  protester  contre  l'ajour- 
nement, et  la  discussion  immédiate  qu'ils  réclamèrent  fut 
votée  à  son  tour  en  dépit  du  vote  précédent  ! 

La  discussion  fut  donc  reprise.  Elle  dura  trois  jours:  les 
1",  2  et  3  avril  1790,  et  fut  l'occasion  d'une  lutte  oratoire  re- 
marquable. L'abbé  Maurj^  reprocha  à  la  Commission  de  n'a- 
voir vu  dans  la  Compagnie  des  Indes  que  le  privilège  exclu- 
sif et  d'avoir  considéré  celui-ci  comme  incompatible  avec  les 
principes  de  la  Constitution  nouvelle:  pure  illusion,  dit-il, 
car  les  privilèges  sont  partout;  si  on  les  frappe  d'anathème, 
le  commerce  de  la  France  sera  lui-même  anéanti  ;  d'ailleurs, 
le  projet  de  décret  lui-même  en  érige  un  au  profil  du  port  de 
Lorient!  A  son  avis,  «  le  commerce  de  l'Inde  était  un  fléau 
pour  la  France  et  plus  il  serait  florissant,  plus  l'Etal  serait 
pauvre  »  !  L'abolition  du  commerce  exclusif  était  en  outre  un 
piège  à  nous  tendu  par  l'Angleterre  :  «  si  les  négociants  an- 
glais, dit-il,  si  fiers  de  leur  liberté,  ont  maintenu  leur  Compa- 
gnie, qui  sommes-nous  pour  donner  à  ce  peuple  des  leçons 
de  sagesse?  »  Enfin  il  invoqua  en  terminant  le  témoignage 
inattendu  du  Physiocrate  Dupont  de  Nemours,  dont  il  lut  un 
mémoire, adressé  en  1786à  M. deCalonne. Dupont  deNemours, 
dans  ce  curieux  ouvrage,  proposait  en  effet  la  création  d'une 
Compagnie  Messagère  des  Indes,  desservie  par  des  vaisseaux 
du  Roi,  et  qui,  transportant  en  France  les  produits  des  Indes 
avec  un  fret  inférieur  à  celui  des  autres  nations,  devait,  assu- 
rail-il,  attirer  à  Lorient  la  plus  grande  partie  du  commerce 
de  l'Asie.  L'opération  ne  devait  exiger  aucune  avance.  Le 
Roi  mettrait  la  Compagnie  Messagère  en  possession  des  im- 
meubles de  la  Compagnie  des  Indes  et  lui  fournirait  six  vais- 


652  QUATRIKME    PARTIE.    CHAPITRE    III 

seaux.  La  CoKipagnie,  pour  couvrir  les  frais  du  premier  arme- 
ment, émellrail  un  emprunt.  Elle  annoncerait  un  fret  de  15  0/0 
meilleur  marché  que  celui  de  la  Compagnie  anglaise,  et  à  ce 
prix,  son  commerce  ne  larderait  pas  à  employer  24  vaisseaux 
qui  formeraient  pour  le  Roi  une  escadre  toute  prête  à  le  ser- 
vir dans  l'Océan  Indien,  sans  qu'il  lui  en  coûtât  rien.  Dupont 
de  Nemours  s'offrait  enfin  pour  diriger  cette  entreprise  mer- 
veilleuse ;  mais,  ajouta  l'abbé  Maury,  le  Conseil  des  Finan- 
ces répondit  à  son  auteur  :  <^  En  tout,  ce  projet  de  Compagnie 
est  une  chimère  ;  on  ne  peut  pas  se  faire  ridiculiser  par  toute 
l'Europe  en  l'entreprenant  !  » 

Dupont  de  Nemours  (1)  se  tira  adroitement  de  cette  atta- 
que qui  le  mettait  en  si  étrange  contradiction  avec  ses  prin- 
cipes économiques,  en  montrant  un  disciple  de  Quesnay 
entreprenant  de  constituer  lui-même  une  Compagnie  à  mo- 
nopole !  Il  déclara  que  ses  24  vaisseaux  «  devaient,  au  pre- 
mier bruit  de  guerre,  faire  main  basse  sur  le  Bengale,  et  qu'en 
divulguant  ce  projet,  on  avait  compromis  les  intérêts  de  la 
Patrie  »  !  Cette  réponse  fut  accueillie  par  d'unanimes  applau- 
dissements, car  l'Assemblée  était  fort  portée  à  la  «  Sensibi- 
lité. » 

L'abbé  Bérardier,  grand-maître  du  collège  Louis-le-Grand, 
plaida,  lui  aussi,  la  cause  de  la  Compagnie  :  sa  destruction, 
dit-il,  serait  la  ruine  totale  de  notre  commerce  dans  l'Inde. 
Une  Compagnie  peut  seule  rétablir  la  gloire  de  la  France 
dans  cette  contrée,  et  il  serait  ignominieux  de  renoncer  à  la 
puissance  que  nous  y  avons  eue  (2). 

M.  de  Clermont-Tonnerre  jugeait  le  moment  inopportun 

(1)  Dupont  de  Nemours  était  membre  de  l'Assemblée  Nationale. 

(2)  La  Compagnie  des  Indes  a  succombé  en  1769,  dil-il,  non  sous  le 
poids  de  ses  propres  fautes,  mais  sous  l'ingratitude  du  gouvernement 
qui  lui  devait  70  millions  et  sous  les  spéculations  des  Economistes. 


SUPPRESSION   ET   LIQUIDATION  653 

pour  supprimer  la  Compagnie.  Duval  d'Espréménil  entreprit 
de  faire  l'apologie  de  la  Compagnie  de  Law.  Le  commerce  de 
rinde  devait  être  exercé,  à  son  avis,  par  une  Compagnie  sou- 
veraine, jouissant  d'une  puissance  territoriale.  C'était  le  prin- 
cipe de  Dupleix  et  celui  que  les  Anglais  n'avaient  pas  cessé 
de  suivre  depuis  lors.  Le  commerce  particulier  était  donc 
condamné  parce  principe  (l),etla  Compagnie  nouvelle  aussi; 
mais  comme  celle-ci  s'en  approchait  davantage,  il  fallait  la 
garder:  «  L'Europe  commerçante  est  attentive  à  notre  déli- 
bération, s'écria-t-il,  et  l'Angleterre  est  à  la  porte  qui  nous 
écoule  !  (2)  » 

D'autre  part,  MM.Nairac,  Bégouen,  etDupré  proclamèrent, 
au  contraire,  la  nécessité  de  délivrer  le  commerce  de  cette 
restriction  funeste  à  la  richesse  de  la  France. 

Enfin  la  discussion  fut  close,  après  une  nouvelle  apparition 
des  députés  du  commerce  de  Bordeaux,  qui  vinrent  lire  une 
adresse.  L'ajournement  fut  repoussé  par  385  voix  contre  275 
après  deux  épreuves  douteuses,  et  la  question  fut  mise  aux 
voix  sous  cette  forme  :  «  Le  commerce  de  l'Inde  au-delà  du 
cap    de   Bonne-Espérance    est    libre    pour  tous    les  Fran- 

(1)  «  Il  est,  tout  à  la  fois  et  rorcément,  l'esclave,  le  facteur,  et  le  tri- 
butaire de  la  Compagnie  anglaise  ;  M.  Pitt  le  sait  bien  !  » 

(2)  M.  Malouet  produisit  encore  en  faveur  de  la  Compagnie  des  argu- 
ments fort  plausibles.  Il  s'est  élevé  dans  l'Inde,  dit-il,  une  grande  puis- 
sance, celle  de  Tippo-Sahib,  qui  a  recherché  noire  alliance.  Ne  serait-il 
pas  tenté  de  croire  que  nous  renonçons  au  commerce  de  l'Inde  ?  Ajour- 
nons donc  notre  décision  ;  nous  ne  devons  en  ce  moment  ni  défendre  la 
Compagnie  ni  la  ruiner  ».  M.  Lecouteulx  de  Canteleu  vint  soutenir 
cette  opinion  :  «  Au  moment  oii  vous  avez  ajourné  la  question  du  privi- 
lège, dit-il,  trois  courriers  sont  partis  pour  Londres  ;  lorsque,  le  len- 
demain, vous  êtes  revenus  sur  celte  décision,  d'autres  courriers  ont 
été  expédiés.  La  Compagnie  anglaise,  dans  la  prévision  de  la  destruc- 
tion prochaine  de  la  Compagnie  française,  et  pour  décourager  le  com- 
merce libre,  a  pris  des  résolutions  tendant  à  développer  le  plus  possible 
les  exportations  d'Angleterre.  » 


654  QUATRIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE   III 

çais.  »  Le  vole  fui  lumultueux,  enfin  le  présidenl  déclara  le 
décrel  adoplé(l).  De  vifs  applaudissemenls  accueillirent  celle 
nouvelle  el  les  dépulés  du  commerce  lémoignèrenl  bruyam- 
ment leur  allégresse  du  haut  de  leur  tribune  (2). 

Celte  décision  consacrait,  non  la  destruction  de  la  Compa- 
gnie^ mais  la  perle  de  son  monopole.  Elle  élail  mise  désormais 
sur  le  même  pied  que  les  commerçants  particuliers  el  pou- 
vait continuer  ses  opérations,  sans  se  distinguer  en  rien  d'une 
maison  de  commerce  ordinaire  (3). 

Il  restait  à  organiser  le  commerce  de  l'Inde  définitivement 
libéré,  et  celte  organisation  nous  intéresse,  car  elle  touchait 
la  Compagnie  comme  les  négociants  ses  concurrents.  Elle 
fut  élaborée  par  le  même  Comité  et  soumise  à  l'Assemblée 
par  son  rapporteur,  M.  de  Fontenay,  député  d'Aix,  dans  la 
séance  du  28  juin  1790.  Ce  ne  fui  d'ailleurs  que  la  reproduc- 
tion du  projet  de  décrel  déposé  en  mars  par  M.  Hernoux,  el 
dont  l'ajournement  avait  été  décidé  après  la  question  de 

(J)  Décret  des  3  avril-2  mai  1790  pour  la  liberté'  du  commerce  de 
l'Inde  au-delà  du  cap  de  Bonne-Espérauce  :  «  L'Assemblée  Nationale  a 
décrété  et  décrète  que  le  commerce  de  l'Inde  au-delà  du  cap  de  Bonne- 
Espérance  est  libre  pour  tous  les  Français.  «  Duvergier,  t.  I,  p.  169. 

(2)  Moniteur  officiel,  séance  du  3  avril  1790. 

(3)  Il  semble  bien  résulter  de  l'examen  attentif  de  celle  importante 
discussion  que  les  dépulés  de  l'Assemblée  Nationale  se  trouvèrent  pris 
entre  la  crainte  de  paraître  renier  les  principes  de  liberté  el  d'égalité 
qu'eux-mêmes  avaient  naguère  proclamés  et  une  bésitalion  visible  sur 
l'opportunité  de  la  suppression  de  la  Compagnie.  Le  parti  de  l'ajourne- 
ment  semble  avoir  eu  parmi  eux  un  grand  nombre  de  partisans;  mais 
les  députés  du  commerce,  dont  l'intervention  fut  incessante  jusqu'à  la 
fin,  exploilèrent  avec  une  très  grande  habileté  cette  indécision  pour 
obtenir  par  une  pression  à  peine  dissimulée  un  résultat  conforme  à  leurs 
intérêts.  L'apparition  au  dernier  moment  des  députés  de  Bordeaux,  qui 
vinrent  lire  à  la  barre  une  adresse  déclamatoire,  ne  fut  qu'une  mise  en 
scène  adroitement  combinée  pour  vaincre  les  dernières  hésitations  des 
«  Pères  de  la  Liberté  ». 


SUPPRESSION    ET    LIQUIDATION  655 

principe  adoptée.  «  Les  produits  des  Indes,  déclara  le  rap- 
porteur, doivent  être  soumis  à  des  taxes,  parce  qu'ils  sont 
destinés  à  la  consommation  de  luxe  et  qu'il  importe,  d'autre 
part,  de  proléger  contre  eux  nos  productions  nationales,  tout 
au  moins  à  titre  provisoire,  jusqu'à  ce  que  notre  industrie  se 
soit  perfectionnée.  »  Lorient  devait  être  maintenu  comme 
unique  port  de  retour,  parce  qu'aucun  autre  n'offrait  d'une 
part  aux  négociants  un  marché  aussi  actif  des  produits  des 
Indes,  d'autre  part  à  l'État  plus  d'avantages  contre  la  fraude, 
enfin  des  magasins  aussi  considérables  et  un  personnel  aussi 
habitué  à  la  manutention  de  cette  catégorie  de  marchandises. 
Les  commerçants  devaient  être  assujettis  à  l'obligation  de 
procéder  par  adjudication  publique  à  la  vente  des  marchan- 
dises, pour  lesquelles  les  droits  prévus  étaient  basés  sur  la 
valeur;  mais  ils  pourraient  disposer  des  autres  à  leur  gré.  Le 
droit  d'induit  devait  être  converti  en  une  taxe  de  3  0/0  sur  les 
toiles  de  coton  unies,  et  de  o  0/0  sur  les  autres  tissus  blancs. 
Enfin  le  tarif  proposé  devait  être  mis  en  vigueur  dès  le  l^""  juil- 
let 1790. 

M.  Nairac  ouvrit  la  discussion  en  protestant  contre  le  taux 
excessif  des  droits  de  ce  tarif  et  les  formalités  rigoureuses 
adoptées  par  la  Commission.  Il  réclama  également  contre  le 
monopole  que  l'on  voulait  accorder  à  Lorient,  qu'il  prétendit 
plus  propre  à  la  fraude  que  tout  autre  port,  et  c'est  sur  celte 
question  du  port  de  retour  que  porta  la  discussion.  Mirabeau 
s'éleva,  lui  aussi,  contre  le  choix  d'un  port  exclusif:  ^<  C'est 
raisonner,  dit-il,  comme  ceux  qui  ont  recréé  la  Compagnie  des 
Indes;  ils  ont  dit:  le  commerce  sera  libre  pour  tous  ceux 
qui  voudront  le  faire...  en  s'associant  à  la  Compagnie  des 
Indes  !  »  puis,  avec  quelque  inconséquence,  il  plaida  la  cause 
de  Marseille,  que  l'on  doit  choisir,  dit-il,  si  l'on  veut  fixer  un 
port  exclusif,  parce  qu'il  est  franc  et  qu'étant  sur  la  Méditer- 


G56  QUATRIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IH 

ranée,  il  peut  fournir  des  nations  délaissées  par  nos  concur- 
rents étrangers,  comme  la  Turquie  (1). 

On  vit  ensuite  à  la  tribune  M.  de  La  Ville  Le  Roux  qui  dé- 
fendit Lorient,  puis  M.  Decrélol  qui  réclama  l'ouverture  du 
port  du  Havre  aux  retours  des  Indes  ;  en  somme,  les  intérêts 
particuliers  parlent  ici  plus  haut  queTintérél  général.  L'idée 
d'ouvrir  aux  retours  des  Indes  un  second  port  sur  la  Médi- 
terranée réussit  cependant  à  triompher  (2)  ;  mais  on  repoussa 
Marseille  dont  M.  Bégouen  montra  les  inconvénients  résul- 
tant de  sa  situation  même  de  port  franc  (3),  et  après  avoir 
hésité  entre  Celte  et  Toulon,  l'Assemblée  adopta  un  article 
ainsi  conçu:  Les  retours  ne  pourront  avoir  lieu  provisoire- 
ment que  dans  les  ports  de  Lorient  et  de  Toulon  (15  et  19  ju  1- 
lel  1790)  (4).  Enfin,  le  28  août,  un  article  nouveau  (5)  fut 
adopté  comme  suit  :  Les  armements  pourront  se  faire  dans 
tous  les  ports  ouverts  au  commerce  des  îles  d' Amérique  et  dans 
les  mêmes  conditions  (6).  Puis,  ces  deux  articles  votés,  tout 
le  reste  du  décret,  qui  en  comprenait  trente  au  total,  fut 
ajourné. 

(1)  «  M.  de  Mirabeau  a  fait  un  très  long  discours,  où  il  a  excité  les 
diverses  passions  de  l'Assemblée  qui  en  a  ordonné  l'impression,  malgré 
tous  les  anachronismes  et  toutes  les  fables  dont  il  est  rempli.  »  Corres- 
pondance de  M.  de  La  Ville  Le  Roux. 

(2)  Elle  fut  émise  par  Malouet. 

(3)  1-ies  retours  de  l'Inde,  dit-il,  suffisant  à  peine  à  notre  propre  con- 
sommation, nous  n'avons  pas  à  les  réexporter  et  par  conséquent  nulle- 
ment besoin  d'un  port  franc. 

(4)  Article  4  du  décret.  «  Je  pense,  dit  M.  de  La  Ville  Le  Roux,  que 
Toulon  n'ayant  pas  de  négociants,  il  fera  peu  de  tort  à  notre  ville  qui 
continuera  exclusivement  à  recevoir  les  retours  de  l'Inde.  » 

(5)  Article  1"  du  décret. 

(6)  Un  arrêt  du  31  octobre  1784  avait  ouvert  au  commerce  des  colo- 
nies, outre  les  ports  admis  à  ce  droit  par  les  lettres  patentes  de  1717, 
tous  ceux  qui  pouvaient  recevoir  à  marée  moyenne  des  navires  de 
150  tonneaux. 


SUPPRESSION    ET    LIQUIDATION  657 

Cet  ajournement  fui  d'assez  longue  durée,  et  les  proposi- 
tions faites  par  le  Comité  en  juin  1790  furent,  en  outre,  assez 
profondément  remaniées.  Ce  ne  fut,  en  effet,  que  l'année  sui- 
vante que  la  situation  du  commerce  de  l'Inde  fut  définitive- 
ment réglée  par  l'adoption  du  tarif  des  droits  nouveaux  et 
l'organisation  de  leur  perception  (décret  des  20  juin-6  juil- 
let 1791)  (1).  Aucune  discussion  importante  ne  fut  soulevée 
cette  fois,  caries  passions  s'étaient  un  peu  calmées,  et  le  re- 
tard était  déjà  assez  considérable  pour  qu'on  ne  l'aggravât 
pas.  Ce  décret,  qui  assimilait  à  beaucoup  de  points  de  vue  le 
commerce  des  Indes  à  celui  des  colonies  d'Amérique,  com- 
prenait 24  articles,  dont  les  principales  dispositions  étaient 
les  suivantes  :  les  armements  pouvaient  être  effectués  dans 
tous  les  ports  de  France  ouverts  au  commerce  des  colonies  ; 
au  contraire,  les  retours  des  Indes  ne  pouvaient  avoir  lieu 
qu'à  Lorient  et  Toulon,  conformément  au   décret  du  23  août 
1790,  et  en  cas  de  déchargement  forcé  dans  un  autre  port,  la 
cargaison  devait  être  déposée  dans  un  magasin  sous  la  garde 
des  employés  de  la  régie,  pour  être  transportée  ensuite  à  Lo- 
rient ou  à  Toulon  exclusivement  par  mer.  Une  faculté  géné- 
rale de  deux  ans  d'entrepôt  était  accordée  dans  ces  deux 
ports  aux  produits  de  ce  commerce;  les  toiles  rayées  ou  a 
carreaux  et  les  guinées  bleues  avaient  cinq  années  d'entre- 
pôt. Les  droits  prescrits  par  le  nouveau  tarif  devaient  être 
acquittés  par  les  importateurs  dans  le  port  du  retour,   ainsi 
qu'un  droit  spécial  de  50  sous  par  tonneau  pour  indemnité 
de  l'emploi  des  magasins  appartenant  à  la  nation  (2).  Les 
marchandises  soumises  aux  droits  et  destinées  à  être  réex- 

(1)  Archives  parlementaires,  série  I,  t.  XVIII,  p.  401.  —  Duvergier, 
I,  p.  396. 

(2)  Les  magasins  du  port  de  Lorient  furent  retirés  à  ta  Compagnie 
nouvelle  qui  n'en  avait  que  la  jouissance,  el  proclamés  propriété  natio- 
nale. 

W.  —  42 


658  QUATIUKMK    l'AIlTIE.    CIIAPITIIK    III 

portées  devaient  les  acquitter  intégralement;  mais  la  moitié 
devait  leur  en  être  restituée  à  leur  rembarquement  pour 
l'étranger  ;  la  réexportation  ne  pouvait  en  effet  avoir  lieu  que 
par  mer.  Le  droit  d'induit  était  supprimé  ;  de  même  les  tissus 
précédemment  soumis  à  la  marque  en  étaient  exemptés,  et 
les  poinçons,  matrices  et  presses  consacrés  à  cet  usage 
durent  être  remis  à  l'Etat  parla  Compagnie  des  Indes,  pour 
être  brisés.  Enfin  cette  Compagnie  fut  dépouillée  d'un  droit 
de  prélèvement  qui  lui  avait  été  accordé  par  l'arrêt  de  son 
établissement  sur  les  tissus  étrangers  saisis,  et  ce,  rétroac- 
tivement à  la  date  du  3  avril  1790,  à  laquelle  son  privilège 
avait  été  supprimé.  Les  procès  intentés  par  elle  au  com- 
merce particulier  pour  les  importations  de  celui-ci  furent 
déclarés  éteints,  et  elle  ne  pouvait  former  désormais  aucune 
action  nouvelle  en  raison  de  son  privilège. 

Telle  fut  la  situation  faite  à  la  Compagnie  des  Indes,  ainsi 
passée  au  rang  d'une  simple  maison  de  commerce.  Il  ne  fau- 
drait pas  croire  que  ces  coups  successifs  aient  provoqué  chez 
elle  un  découragement  assez  profond,  pour  qu'elle  cédât  com- 
plètement la  place  aux  commerçants  particuliers,  comme 
ceux-ci  sans  doute  l'cMissent  souhaité.  Les  administrateurs 
et  les  acliormaircs  décidèrent  au  contraire  la  continuation 
des  opéralions  commerciales  (1),  et  celles-ci  furent  effective- 
ment poursuivies,  maigre  la  situation  beaucoup  moins  favo- 
rable dans  laquelle  elles  devaient  désormais  s'accomplir.  A 
l'assemblée  générale  du  19  mai  1791,  le  rapporteur  constatait 
le  succès  de  cette  détermination  et  déclarait  qu'on  avait  Irouvé 
auprès  des  pailiculieis  tout  le  fret  qu'on  avait  voulu  (2).  A 

(t)  Assemblée  des  acliniinairps  tiii  25  août  1790. 

(2)  D'aprôs  les  archives  de  sa  liqiiidalion,  la  Compagnie  reçut  le 
19  décembre  1701  une  cunsliliilion  nouvelle  en  consL'(|uonce  de  la  déci- 
sion diTniitivemcnl  prise  de  poursuivre  les  opéralions  commerciales  à 
litre  de  compagnie  parliculière. 


SUPPRESSION    ET   LIQUIDATION  659 

celle  de  l'année  suivante,  qui  se  tint  le  25  avril  1792,  le  bilan 
qui  fut  présenté  aux  actionnaires  établissait  un  actif  de 
i4.293.G271ivrespour  un  passifde  4.804. 7501ivres,soitunexcé- 
dent  de  10.208.877  livres.  Un  fonds  de  2  millions  et  demi 
était  réparti  dans  les  comptoirs  de  l'Inde,  de  la  Chine  et  des 
Iles  ;  les  magasins  de  Lorient  contenaient  pour  5  millions 
et  demi  de  marchandises  appartenant  à  la  Compagnie  ;  le 
vaisseau  le  Citoyen ,  arrivé  de  Pondichéry  le  10  décembre 
1791  avec  un  chargement  complet,  était  en  réarmement  (1), 
et  la  Royale-Elisabeth  venait  d'arriver  avec  une  cargaison  de 
2.116.177  livres,  chiffre  qui  égalait  les  plus  beaux  retours 
de  l'ancienne  Compagnie. 

L'année  1793,  qui  fut  marquée  par  tant  d'événements  im- 
portants, fut  fatale  à  celle  prospérité.  Le  bilan  présenté  aux 
actionnaires  à  l'assemblée  du  10  avril  de  celte  année  offrait 
avec  celui  de  1792  une  très  notable  différence  de  chiffres. 
L'actif  s'élevait  en  effet  à  48.622.944  livres  et  le  passif  à 
40.817.002  livres,  de  sorte  que,  malgré  cette  élévation  qui 
prouvait  un  accroissement  très  grand  du  chiffre  d'affaires  de 
la  Compagnie,  l'excédent  disponible  n'élail  plus  que  de 
7.80S.942  livres,  soit  une  réduction  de  2.402.905  livres  sur 
l'année  précédente.  Il  n'y  avait  là,  à  vrai  dire,  rien  de  bien 
surprenant,  car  la  France  était  en  proie  aux  plus  graves  dif- 
ficultés, ayant  à  tenir  léle  à  une  coalition  formidable  ;  la  Bre- 
tagne était  ravagée  par  la  guerre  civile  ;  l'activité  commer- 
ciale était  partout  ralentie.  Ce  ne  fut  point  cependant  la  crise 
économique  qui  détermina  la  chute  de  la  Compagnie. 

Aucune  mesure  législative  nouvelle  n'avait  été  prise  à  son 
égard  depuis  le  décrel  de  juin  1791  ;  il  semblait  qu'on  l'eût 

(1)  Le  Necker  était  parti  le  16  décembre  1791  ;  la  Dretaç/ne  et  le  Dmc- 
de-Normandie  étaient  également  en  armement.  Archives  Nationales, 
t.  38. 


OCtO  QUATIUKMK    PAllTIi:.    CIIAIMTIIK    IM 

oubliée  après  avoir  détruit  son  privilège.  Il  n'en  élail  rien 
cependant,  car  celte  année  même  un  député  de  Toulouse, 
Jullien,  lança  contre  elle  à  la  tribune  de  la  Convention  la  ri- 
dicule accusation  d'avoir  prêté  à  l'infortuné  Louis  XVI  «  des 
sommes  énormes  pour  faire  la  contre-révolution  »,  et  réclama 
une  enquête  qui  lui  fut  accordée.  Un  décret  du  26  juillet 
1793  ordonna  en  conséquence  l'apposition  des  scellés  sur  les 
bureaux  de  la  Compagnie  à  Paris  et  sur  ses  magasins  de 
Lorient  (1).  Mais,  du  moment  que  l'intérêt  politique  était  en 
jeu,  on  ne  s'arrêta  point  là  et  un  nouveau  décret  du  8  octo- 
bre 1793  (17  vendémiaire  an  11)  prononça  purement  et  sim- 
plement la  suppression  de  la  Compagnie  et  défendit  à  toute 
société  de  prendre  à  l'avenir  le  titre  de  Compagnie  des  In- 
des (2).  Enfin,  par  un  surcroit  de  précaution  assez  ordinaire 
à  celte  époque,  les  administrateurs  delà  Compagnie  furent 
arrêtés  et  emprisonnés,  plusieurs  montèrent  même  sur  l'é- 
chafaud  et  les  autres  ne  durent  leur  salut  qu'à  la  réaction  du 
9  thermidor  (M  juillet  1794). 

A  celte  date  pourrait  s'arrêter  cette  histoire,  car  celle  der- 
nière chute  do  la  Compagnie  des  Indes  ne  sera  point  suivie 
comme  les  précédonles  d'une  résurrection.  Le  décret  du 
17  vendémiaire  an  11  clôt  ces  annales  longues  de  près  de  deux 

(1)  Suivant  le  Dictionnaire  de  la  llcvoliilion  française,  il  y  avait  à 
Lorient  au  compte  de  la  Compagnie  pour  15  millions  de  marchandises  ; 
ce  chifTre  paraît  très  exagôrt^. 

(2)  AnT.  l"^"".  —  Les  compagnies  Bnancières  sont  et  demeureront  sup- 
primées ;  il  est  défendu  à  tous  banquiers,  négociants  et  autres  person- 
nes de  former  aucun  établissement  de  ce  genre  sous  aucun  prétexte  et 
sous  quelque  déminiinalion  fpie  ce  soit. 

AnT.  3.  —  A  dater  du  jour  de  la  publioalion  du  présent  décret,  la 
Compagnie  dos  Fndes  ne  pourra  expédier  aucun  vaisseau  pour  le  com- 
merce lie  rinde,ct  aucune  société  de  négociants  français  ne  pourra,  dans 
aucun  cas  et  sous  aucun  prétexte,  prendre  le  litre  de  Compagnie  des 
Indes,—  Duvergier,  t.  VI,  p.  2()i. 


SUPPRESSION    ET    LIQUIDATION  66 1 

siècles  et  ferme,  on  peut  le  dire,  l'ère  du  grand  commerce 
marilime  de  l'ancienne  France. 

Tout  n'est  point  fini  cependant  pour  l'historien  :  un  si  gros 
héritage  ne  pouvait  se  liquider  par  une  simple  mesure  légis- 
lative, et  il  nous  reste  à  suivre  en  effet  la  liquidation  de  ce 
long  passé,  délicate  opération  dont  l'importance  et  la  durée 
sont  encore  presque  entièrement  méconnues. 

§11 

Nous  avons  déjà  fait  observer  que  la  liquidation  de  la  Com- 
pagnie de  Law,  commencée  dès  la  suspension  de  son  privi- 
lège en  1769  et  confiée  depuis  cette  époque  à  sa  propre  ad- 
ministration réduite  au  strict  nécessaire,  s'était  poursuivie 
patiemment  et  paisiblement  pendant  la  période  de  liberté 
du  commerce  des  Indes  (1770-1785).  Cette  opération  se  pré- 
sentait sous  l'aspect  suivant  : 

Acdf: 

1»  Contrats  de  rente  sur  le  Hoi  et  sur 

les  particuliers 210.248.596  livres 

2"  Sommes  à  recouvrer  en  argent.    .    .  44.388.438      » 
3'^  Dettes  actives  aux  Indes,  aux  lies  et 

en  Amérique 8.124.773      » 

4°  Effets  mobiliers  et  immobiliers.    .    .  1.839.868  »_ 

Total.    .   .  264.551.675 

Passif: 

1°  Contrats  de  rente  perpétuelle  .   .   .  152.947.000  livres 

2»  Contrats  de  rente  viagère 44.580.970      » 

3°  Engagements  de  la  Caisse  payables 

en  argent • 46.786.157 

4°  Dettes  en  France  provenant  d'enga- 
gements et  de  traites  des  comptoirs.  4.120-170      » 

Total.    .   .  248.434.837      » 


662  QUATUIKMK    l'AIlTIK.    CHAITIME    III 

Excédent  de  l'actif  sur  le  passif.    .   .   .  16.116.838  livres 
Plus-value  des  effets  remis  au  Roi.  .    .        4.000.000      » 
Valeur  actuelle  du  renibourseineiit  des 

actions  (1) 10.000.000     » 

Total.    .    .      30.000.000      » 

Ainsi  la  situation  de  la  Compagnie,  quand  cetle  liquidation 
serait  complètement  effectuée,  devait  être  très  satisfaisante, 
puisque  l'Etat  enlrerait  en  possession  d'une  valeur  de  30  mil- 
lions qui  couvrirait  largement  ses  dépenses  et  les  aléas. 

Les  créanciers  de  la  Compagnie  avaient  été  invités  à  re- 
mettre entre  les  mains  du  Contrôleur  Général  une  copie  de 
leurs  litres;  d'autre  part,  toutes  les  demandes  formées 
contre  la  Compagnie  furent,  pour  la  simplification  des  procé- 
dures, évoquées  directement  au  Conseil  du  Uoi.  Les  opéra- 
tions de  cette  liquidation  se  poursuivirent  lentement  et  non 
sans  difficultés.  Ainsi,  au  I'''"  avril  1783,  la  Caisse  de  liquida- 
tion avait  acquitté  149.450.000  livres  de  dettes,  et  il  lui  en 
restait  par  conséquent  98  millions  à  solder  :  d'autre  part,  elle 
avait  réalisé  sur  l'actif  150.400.000  livres,  dont  138.680.000  li- 
vres étaient  en  espèces  et  11.720.000  livres  en  contrats  de 
rente  ;  mais  les  recouvrements  dans  les  comptoirs  n'avaient 
pu  encore  être  effectués  à  cause  de  la  guerre  d'Amérique 
alors  pendante.  Ces  opérations  étaient  conduites  par  trois  des 
anciens  Directeurs  de  la  Compagnie  restés  en  fonctions  à  cet 
effet,  et  qui  avaient  sous  leurs  ordres  six  chefs  de  bureau  et 
vingt-sept  commis  (2)  En  outre,  sept  personnes  étaient  char- 

(1)  Le  remboursement  s'operail  au  moyen  de  la  retenue  d'un  dixième 
sur  tes  rentes  des  actionnaires. 

(2)  La  Caisse  de  liquidation  fui  installée  dans  les  bureau.x  mômes  de 
l'Hôlel  de  la  Compagnie,  rue  Neuve-des-Pelils-Cliamps  ;  en  1787  elle 
les  quitta  et  fut  transférée  rue  d'Amboise.  Les  trois  Directeurs  étaient 
MM.  de  Méry  d'Arcy,  de  Rabec  et  de  Sainte  Catherine  ;  chacun  louchait 


SUPPRESSION    ET    LIQUIDATION  66H 

gées  de  la  liquidalion  à  Lorienl,  huit  ù  Pondichéry  el  trois  à 
l'île  de  France.  Celle  organisation  étail  complétée  au  sein  du 
Conseil  du  Hoi  lui-même  par  deux  bureaux  des  commissions 
exl7'ao7\li)iaires  :  \e  neu.w[ëme  bureau  «  pour  les  conlesla- 
lions  au  sujet  des  actions  de  la  Compagnie  des  Indes  et  des 
concessions  de  terres  à  la  Louisiane  accordées  par  ladite 
Compagnie  et  associés  auxdites  concessions,  »  et  le  dixième 
bureau  «  pour  juger  en  dernier  ressort  toutes  les  demandes  et 
contestations  dans  lesquelles  la  Compagnie  des  Indes  sera 
partie,  concernant  les  billets  provenus  des  différents  em- 
prunts faits  sur  des  actions  de  ladite  Compagnie  ».  Chacun  de 
ces  bureaux  était  composé  de  deux  conseillers  et  de  treize 
maîtres  des  requêtes  (1). 

Celte  administration  poursuivit  les  opérations  dont  elle 
était  chargée  tandis  que  la  nouvelle  Compagnie  des  Indes, 
dont  elle  était  absolument  indépendante,  faisait  à  son  tour 
le  commerce  des  Indes  à  titre  de  monopole,  occupait  ses 
anciens  magasins  de  Lorienl  el  ses  comptoirs  des  colonies. 
En  1790, au  moment  où  l'Assemblée  Nationale  enlevait  à  cette 
dernière  son  privilège,  son  Comité  des  Finances  examinait  les 
opérations  de  la  liquidation  de  la  première,  elle  14  août  1790 
M.  Lebrun,  rapporteur  de  ce  Comité,  déclarait  que  celle  liqui- 


10.000  livres  d'appointemenls  el  10.000  livres  de  pension  du  Roi.  Il  y 
avait  en  outre  un  secrétaire  ge'néral,  M.  de  Varigny,  et  un  caissier 
géne'ral,  M.  de  Mory,  assisté  lui-même  d'un  caissier  du  comptant  el 
d'un  caissier  pour  le  renouvellement  des  actions  et  billets  d'emprunt. 
Le  travail  était  réparti  entre  six  bureaux  :  inspection  des  livres  et 
Inde,  confection  des  livres,  contentieux,  bureau  de  l'adjoint,  suite  des 
liquidations  et  correspondance,  archives.  Enfin  un  commissaire  du  Roi 
fut  spécialement  désigné  jusqu'en  1785  pour  présider  à  ces  opérations  ; 
partir  de  cette  date  ce  fut  le  même  que  celui  de  la  nouvelle  Compa- 
gnie. 
(1)  Cf.  Alinanach  Royal  pour  Tannée  1786. 


664  QUATRIÈME    PARTIK.    —    CIIAI'ITHE    III 

dation  élail  presque  entièrement  achevée  et  qu'il  était  par 
conséquent  inutile  de  conserver  plus  longtemps  une  adminis- 
tration aussi  dispendieuse.  Il  proposa  donc,  au  nom  du  Co- 
mité, un  décret  en  sept  articles  qui  fut  adoplé  sans  discussion 
par  l'Assemblée  (1).  La  liquidation  de  la  Compagnie  des  Indes 
était  par  ce  décret  enlevée  à  la  Caisse  alors  en  fonctions,  qui 
était  supprimée,  et  elle  était  confiée  à  un  bureau  spécial  de 
l'administration  du  Trésor.  Le  service  des  intérêts  des  ac- 
tions et  des  rentes  viagères  devait  être  assuré  provisoire- 
ment par  les  Payeurs  des  rentes.  Les  agents  du  Trésor  dans 
rinde  et  à  ITle  de  France  étaient  chargés  de  poursuivre  le 
recouvrement  des  créances  et  le  payement  des  dettes.  Le 
bureau  de  liquidation  de  Lorient  était  supprimé.  Enfin  le 
ministre  des  Finances  était  invité  à  présenter  le  plus  tôt 
possible  un  projet  des  mesures  à  prendre  pour  accélérer  la 
liquidation  (2), 

L'année  suivante  (179i),  le  Trésor  Royal  devint  la  Trésore- 
rie Nationale  et  fut  réorganisé  ;  les  opérations  de  la  liquida- 
tion changèrent  encore  une  fois  de  mains  par  la  réunion  du 
bureau,  qui  en  était  chargé  depuis  le  décret  du  14  août  1790, 
à  la  Direction  Générale  de  la  Liquidation  au  ministère  des 
Finances  (3).  C'était  ainsi  définitivement  à  l'administration 

(1)  Projet  de  décret  pour  la  liquidation  de  l'ancienne  Compagnie  des 
Indes,  séance  du  14  août  1790,  M.  Lebrun,  rapporteur.  Décret  relatif  à 
la  liquidation  de  l'ancienne  Compagnie  des  Indes  et  au  payement  des 
intérêts  des  actions  et  des  pensions  viagères  payées  ci-devant  à  la  Caisse 
de  celle  Compagnie.  —  Bulletin  des  Lois,  t.  V,  p.  156. 

(2)  Le  décret  comprenait  une  dernière  clause  :  «  les  archives  de  la 
Compagnie  seront  transportées  en  lieu  sûr,  »  Elles  furent  sans  doute 
transportées  ;  mais  il  paraît  certain  que  le  lieu  choisi  ne  fui  pas  sûr. 

(3)  Décret  des  16  aoùl-13  novembre  1791,  organisant  la  Trésorerie 
Nalionale.  De  la  complabililc  :  litre  IV,  art.  M.  —  Duvergier,  t.  lll, 
p.  248.  l/à  partie  administrative  fut  réunie  au  ministère  de  l'Intérieur. 


SUPPRESSION    ET    LIQUIDATION  665 

de  l'Elat  qu'était  confié  le  soin  de  terminer  la  liquidation,  de 
faire  valoir  les  droits  de  l'ancienne  Compagnie  des  Indes  et 
de  faire  honneur  à  ses  obligations.  En  conséquence  le  ser- 
vice de  ses  litres  incomba  à  l'administration  des  Finances  et 
ce  furent  les  agents  de  la  Trésorerie  qui  en  effectuèrent  le 
renouvellement  (1)  et  procédèrent  à  un  tirage  des  actions 
remboursables  en  août  1792  (2). 

Un  décret  des  19-21  septembre  1792  vint  régler  la  question 
importante  des  pensions  de  retraite  faites  par  la  Compagnie 
à  ses  anciens  serviteurs,  marins  et  soldats.  L'Assemblée 
Législative,  dont  celte  mesure  fut  un  des  derniers  actes,  dé- 
clara que  «  les  citoyens  qui  avaient  servi  l'Etat  sur  les  vais- 
seaux de  la  ci-devant  Compagnie  des  Indes  en  qualité  de 
soldats,  caporaux,  sergents,  canonniers,  matelots,  cliarpon- 
liers  etc.,  avaient  acquis  des  droits  à  la  reconnaissance  na- 
tionale et  qu'il  était  instant  de  les  faire  jouir  des  récom- 
penses qu'ils  avaient  méritées  ».  Elle  décida  en  conséquence 
qu'ils  jouiraient  de  ces  pensions  sur  le  même  pied  que  lest 
sous-officiers  et  soldats  des  armées  françaises,  tel  qu'il  était 
fi.xé  parle  décret  du  30  avril  1792,  et  l'exéculion  en  fut  con- 
fiée au  Conseil  de  THùtel  des  Invalides  (3). 

L'Assemblée  Législative  s'honorait  en  reconnaissant 
comme  dette  de  l'Etat  celle  contractée  par  la  Compagnie 
envers  les  vétérans  des  guerres  de  Dupleix  et  de  Lally,  der- 

(1)  Décret  des  9-25  juillet  1792,  réglant  le  mode  de  renouvellement 
des  litres  d'actions  et  de  portions  d'action  de  la  Compagnie  des  Indes. 
—  Duvergier,  t.  IV,  p.  288. 

(2)  Décret  du  14  septembre  1792,relatif  au  remboursement  des  actions 
et  portions  d'action  de  l'ancienne  Compagnie  des  Indes.  —  Duvergier, 
t.  IV,  p.  524.  Le  montant  des  remboursements  fui  de  1 .177.200  livres. 

(3)  Décret  des  19-21  septembre  1792,  relatif  au  traitement  des  citoyens 
qui  ont  servi  l'Etat  sur  les  vaisseaux  de  la  ci-devant  Compagnie  des 
Indes.  —  Duvergier,  t.  IV,  p.  555. 


666  QUATRIKME    PARTIK.    CIIAITTIIK    III 

niers  lémoiiis  d'une  époque  glorieuse,  où  la  fortune  de  la 
France  avait  été  bien  servie  entre  leurs  mains. 

Enfin, lorsqu'au  cours  de  raiinée  suivante,  la  loi  des24aoûl- 
13  septembre  1793  créa, sur  l'initiative  de  Cambon,  le  Grand- 
Livre  de  la  Dette  Publique,  dont  le  but  était  d'unifier  celle 
Dette,  la  Compagnie  des  Indes  fut  directement  intéressée  par 
cette  mesure,  car  ses  actions,  dont  le  service  incombait  à 
l'Etal,  figuraient  au  nombre  des  engagements  divers  qu'il 
s'agissait  de  remplacer  par  un  titre  unique  et  définitif.  Tous, 
on  le  sait,  furent  convertis  en  vertu  de  cette  loi  en  des  titres 
de  rente  perpétuelle  produisant  intérêt  à  5  0/0,  et  en  particu- 
lier, son  article  31  disposait  en  ces  termes  :  «  Les  proprié- 
taires des  actions  et  des  seize-vingt-cinquièmes  d'action  de 
l'ancienne  Compagnie  des  Indes  seront  crédités  (sur  le 
Grand-Livre  de  la  Dette  Publique)  du  produit  net  des  cou- 
pons d'une  année  desdiles  actions  (1). 

«  Ainsi  finit  donc  la  Compagnie  de  Lato,  la  plus  impoi'lante 
des  sociétés  successives  qui  constituent  par  leur  réunion  la  Com- 
pagnie française  des  Indes.  Sa  liquidation  s'acheva  sans  in- 
cidents  par  les  soins  de  V Administration,  et  ses  actionnaires 
se  confondirent  désormais  dans  le  troupeau  immense  des  ren- 
tiers de  l'Etat. 


(1)  Préalablemenl  à  la  promulgalion  de  la  loi  sur  le  Grand-Livre,  des 
mesures  furent  prises  pour  eu  préparer  rexéculion.  Des  de'crels  pres- 
crivirent en  effet  la  présentation  des  litres  au  porteur  sur  l'Etal  ou  sur 
les  compagnies  et  sociétés  d'actionnaires  ;  les  actions  de  la  Compagnie 
des  Indes  furent  soumises  à  celte  obligation.  Un  dernier  décret  des 
18-19  juillet  1793  prorogea  de  trois  mois  le  délai  accordé  pour  cette  pré- 
sentation, en  faveur  des  titres  nouveaux  de  la  Compagnie  des  Indes 
échangés  contre  les  anciens,  en  vertu  du  décret  des  9-25  juillet  1792. 
—  Duvergier,  t.  VI,  p.  32. 


SUPPRESSION    ET    LIQUIDATION  669 


^    III 


Restait  la  Compagnie  de  Caloniie,  et  l'histoire  de  cette  der- 
nière devait  être  longue  encore,  bien  qu'elle  eût  perdu  toute 
activité  commerciale  en  cette  même  année  qui  vit  disparaître 
les  derniers  vestiges  de  son  aînée.  En  effet  ses  bureaux  et 
ses  magasins  avaient  été  mis  sous  séquestre  en  exécution  du 
décret  du  26  juillet  1793  ;  puis  sa  suppression  elle-même 
avait  été  accomplie  par  celui  du  8  octobre  1793  (17  vendé- 
miaire an  II)  ;  enfin  le  ministre  des  Contributions  Publiques 
nomma  des  commissaires  auxquels  dut  être  présenté  par  la 
Commission  des  FMnances  l'état  des  sommes  dues  par  la 
Compagnie  à  la  nation.  Cependant  les  opérations  de  la  li- 
quidation n'étaient  pas  encore  commencées  et  l'on  ne  put 
aller  si  vite  en  besogne  (1). 

Ce  ne  fut  en  effet  que  l'année  suivante,  le  3  septem- 
bre 1794  (17  fructidor  an  II),  qu'un  nouveau  décret  inter- 
vint pour  régler  le  mode  de  liquidation  de  la  Compagnie.  Il 
fut  rendu  sur  le  rapport  de  M.  Ramel,  l'organisateur  de  la 
«  Banqueroute  »  de  1797.  Pendantcet  intervalle,  les  magasins 
de  la  Compagnie  étaient  restés  sous  scellés,  et  toute  opt-ration 
avait  été  interrompue.  Quatre  commissaires  furent,  en  exé- 
cution de  ce  décret,  nommés  pour  prendre  connaissance  de 
l'actif  et  du  passif  de  la  Compagnie,  calculer  les  sommes  dues 
par  elle  à  la  République  et  celles  dues  par  le  Trésor  à  la  Com- 
pagnie s'il  y  avait  lieu,  se  faire  remettre  les  vaisseaux,  et 
exercer  le  droit  de  préemption  sur  les  marchandises  et  effets 

(1)  Le  1.3  janvier  1794,  le  député  Amar  porta  à  la  tribune  de  la  Con- 
vention contre  P\ibre  d'Egianline,  Chabot,  Delaunay  et  Bazire  l'accusa- 
tion d'avoir  falsifié  le  précédent  décret  relativement  à  la  liquidation  de 
la  dette  de  la  Compagnie.  Les  quatre  députés  incriminés  furent  traduits 
devant  le  tribunal  révolutionnaire,  reconnus  coupables,  condamnés  à 
mort,  et  exécutés  le  5  avril  1794. 


668  QrATRIKME    PAIITIE.    CIIAIMTIIK    III 

d'armemenl  qui  pounaienl  être  utiles  à  la  nalion.  Les  ad- 
uiinislraleurs,  syndics  el  préposés  «  de  la  ci-devanl  nouvelle 
Compagnie  des  Indes  »  leur  rendirent  leurs  comptes  el  ceux 
qui  se  trouvaient  en  état  d'arrestation  (il  y  en  avait  un  certain 
nombre)  obtinrent  à  cet  etTet  leur  élargissement  provisoire 
sous  la  surveillance  d'un  garde.  Puis  les  administrateurs 
rendirent,  au  cours  d'une  dernière  assemblée  générale,  ces 
mômes  comptes  aux  actionnaires  et  reçurent  leur  approba- 
tion ;  les  commissaires  assistèrent  d'ailleurs  à  ladite  assem- 
blée comme  représentants  des  intérêts  de  la  République,  «  à 
raison  des  actions  qui  lui  étaient  échues  par  confiscation, 
déshérence,  défaut  de  visa  ou  de  transcription  ».  Les  mar- 
chandises prises  par  droit  de  préemption  furent  estimées 
préalablement  sur  le  pied  du  dernier  Maximum  el  les  vais- 
seaux expertisés  par  les  soins  de  la  Commission  de  la  Marine. 
Les  commissaires  reçurent  enfin  la  mission  de  visiter  les 
lieux  concédés  à  la  Compagnie  en  France  (les  magasins  de 
Lorient)  et  d'en  prendre  réception  dans  l'état  prescrit  par 
l'arrêt  du  Conseil  du  14  avril  1785;  ceux  des  comptoirs  de 
l'Inde  furent  reçus  par  les  commissaires  civils  de  la  Républi- 
que dans  celte  colonie.  Tous  les  effets  et  les  marchandises 
appartenant  à  la  Compagnie,  qui  ne  furent  pas  pris  pour  le 
compte  de  l'Etal,  furent  vendus  par  ses  propres  agents  en 
présence  des  commissaires  el  le  produit  de  leur  vente  fut 
versé  avec  tout  l'actif  de  la  Compagnie  à  la  Trésorerie  Natio- 
nale, pour  faire  fonds  à  la  liquidation  (1).  Les  dettes  de  la  Com- 
pagnie envers  l'Etat  el  envers  les  particuliers,  une  fois  payées 
sur  le  montant  de  cet  actif,  le  reliquat  de  celui-ci  devait  élre 
partagé  entre  les  actionnaires  au  marc  la  livre  de  leurs  ac- 

(1)  La  loi  du  17  germinal  an  II  ordonna  le  depûl  dans  un  délai  de  dix 
jours  de  tous  les  papiers  de  la  Compagnie  au  taureau  de  la  Complabililc 
(Cour  des  Comptes),  en  même  temps  ipie  ceux  de  la  I''erme  Générale. 


SUPPRESSION    ET    UOriDATION  009 

lions  sans  aucune  retenue,  l'Elal  lui-même  comptant  à  cet 
effet  parmi  eux  et  dans  la  même  proportion  qu'eux.  Enfin 
tous  les  créanciers  de  la  Compagnie  furent  invités  à  produire 
leurs  titres  avant  le  21  décembre  1794  (1*""  nivôse  an  III),  et  le 
payement  des  sommes  dues  par  la  Compagnie  fut  suspendu 
jusqu'à  cette  date. 

Les  dispositions  du  décret  du  3  septembre  1794  furent  exé- 
cutées, à  l'exception  de  celle  relative  au  partage  de  l'actif.  Les 
actionnaires  n'attendirent  pas  d'ailleurs  celle  satisfaction 
pour  protester  avec  une  courageuse  indignation  contre  les 
mesures  qui  les  atteignaient  injustement,  et  ils  portèrent  à 
la  Convention  une  pétition,  oi^i  ils  se  plaignaient  que  leurs 
administrateurs  eussent  été  emprisonnés,  leurs  vaisseaux  et 
leurs  marchandises  vendus  ou  retenus  par  les  agents  de 
l'Etat  au  mépris  de  leurs  propres  droits.  Ils  réclamaient  leur 
réintégration  dans  la  plénitude  de  ceux-ci  et  Tautorisation 
de  reprendre  les  fonds  déposés  à  la  Trésorerie  Nationale 
(18  mai  1795-28  floréal  an  III). 

Celte  démarche  eut  en  apparence  tout  le  succès  qu'en 
pouvaient  espérer  ses  auteurs,  car  une  loi  leva  presque  aus- 
sitôt le  séquestre  des  effets  de  la  Compagnie,  rendit  à  ses 
administrateurs,  reconnus  innocents,  l'exercice  de  leurs  pou- 
voirs et  ordonna  qu'il  leur  serait  remis  le  montant  de  l'actif 
de  la  Compagnie,  réserve  faite  de  ce  qui  était  dû  par  elle  à  la 
Nation  (Loi  du  13  juin  1795-24  messidor  an  III). 

Malheureusement  celte  mise  en  possession  fut  purement 
théorique  :  les  vaisseaux,  les  eiïels  d'armement,  les  marchan- 
dises, tout  avait  été  dispersé,  cl  la  Compagnie  no  put  rentrer 
en  jouissance  de  son  aciif.  Elle  ne  se  résigna  point  cependant 
à  celte  impuissance  qui  lui  rendait  tout  espoir  de  relèvement 
iînpossible.  Elle  réclama  avec  une  remarquable  persévérance 
les  22  millions  auxquels  elle  estimait  la  detlo  de  l'Etal  envers 


(i70  QTJATItlKMK    PARTIK.    CHAI'ITUF,    III 

elle,  aux  différents  gouvernements  qui  se  succédèrent  depuis 
lors  :  à  la  Convention,  au  Directoire,  au  Consulat,  à  l'Empire 
lui-même.  Ce  fut  en  vain  :  elle  ne  put  obtenir  d'aucun  d'eux 
qu'il  consentit  à  liquider  celte  dette.  Par  la  voix  de  son  con- 
seil, Cambacérès,  elle  sollicita  un  secours  qui  lui  fut  de  même 
refusé.  Quand  le  liquidateur  nommé  par  ses  actionnaires, 
M.  Dangirard,  mourut  en  1810,  on  jeta  ses  archives  pêle-mêle 
dans  un  grenier  de  la  Banque  de  France.  Cependant  ses 
actionnaires  n'avait  pas  perdu  tout  courage  (1)  ;  en  1820,  ils 
obtinrent  d'une  Compagnie  anglaise  le  paiement  d'une  assu- 
rance contractée  sur  un  de  leurs  navires  capturé  en  1703  et 
ils  reçurent  ainsi  1 .327.000  francs,  qui  permirent  de  distribuer 
un  dividende  de  21  francs  par  action  en  1825  (2)  et  un  second 
de  3  fr.  80  en  1839. Mais  parmi  les  actionnaires  primitifs  beau- 
coup étaient  morts  et  leurs  héritiers  restèrent  inconnus  ; 
beaucoup  d'actions  no  furent  donc  point  représentées  et  il 
resta  428.838  francs  disponibles  au  compte  de  la  Compagnie 
à  la  Banque  de  France.  A  cette  somme  se  bornait  d'ailleurs 
tout  son  actif,  puisque  l'Etat  refusait  de  faire  droit  à  ses  pré- 
tentions. La  Compagnie,  dont  l'existence  était  ainsi  purement 
nominale,  ne  cessa  cependant  pas  d'être  représentée  par  un 
liquidateur  chargé  de  ses  intérêts  jusqu'en  1853;  mais  à 
cette  date  mourut  le  dernier,M.  Odier.régenl  de  la  Banque  de 
France  ;  «  dès  lors  la  Compagnie  tomba  en  oubli  et  demeura 
sans  aucune  représentation  »  (3). 

(1)  Lors  de  la  conclusion  avec  l'Angleterre  (i'uii  traité  qui  re'gla  la 
question  de  la  Renie  de  l'Inde  (7  mars  1815),  les  actionnaires  de  la 
Compagnie  proleslrrenl  contre  la  violation  de  leurs  droits;  mais  leurs 
demandes  lurent  repoussées.  (Say,  Diclionnairc  des  Finances). 

(2)  «  La  lifiuidation  de  la  Compagnie  fut  enfin  opérée,  dit  M.  Bonnas- 
sieux,  le  9  août  1826,  dans  la  dernière  assemblée  tenue  par  les  porteurs 
de  ses  actions  ;  une  dernière  répartition  de  2i  francs  par  action  fut  en 
môme  temps  allouée.  Ainsi  finit  la  Compagnie  des  Indes.  »  Bonnassieux, 
op.  cil.  On  va  voir  que  celte  ariirmalion  est  inexacte. 

(3)  Rapport  de  M,  Godin,  liquidateur. 


SUPPRESSION    ET   LIQUIDATION  671 

Cependant  ce  ne  fui  que  momentané  ;  en  1860,en  effet, trois 
actionnaires,  MM.  Godin  avocat,  Davillier  président  de  la 
Chambre  de  commerce  de  Paris  et  de  Rémusat  requirent  de- 
vant le  tribunal  civil  de  la  Seine  la  nomination  d'un  adminis- 
trateur provisoire,  et  une  décision  du  tribunal  désigna  M.  Go- 
din pour  remplir  ces  fonctions.  Celui-ci  déploya  une  grande 
activité,  retrouva  les  archives  de  la  Compagnie,  soUicila  et 
obtint  le  versement  des  428.000  francs  d'actif  à  la  Caisse  des 
Dépôts  et  Consignations. La  liste  des  actionnaires  comprenait 
756  titulaires,  représentant  39.738  actions  de  600  livres  (1)  ;  ils 
furent  invités  à  se  faire  connaître,  mais  29  seulement,  repré- 
sentant 4.226  actions,  répondirent  et  composèrent  une  assem- 
blée générale  qui  se  tint  le  30  novembre  1861.  Celle  assem- 
blée approuva  les  comptes  qui  lui  furent  présentés  par  l'ad- 
ministrateur provisoire  qu'elle  nomma  liquidateur,  et  lui 
donna  mission  d'obtenir  la  clôture  de  celle  interminable 
liquidation  et  le  partage  de  l'actif  restant  entre  les  actionnai- 
res connus. 

Mais  l'administration  des  Domaines  intervint  aussitôt  par 
une  tierce  opposition  (23  juin  1863).  Elle  prétendit  que  l'Etat 
était  actionnaire  de  la  Compagnie  et,  en  outre,  ?,on  créaiicier 
pour  une  somme  importante  en  impôts  et  loyers  remontant 
à  1790-1793  ;  enfin  elle  réclama  la  part  des  actionnaires  in- 
connus comme  biens  vacants.  La  question,  qui  inquiéta  fort 
la  seconde  assemblée  des  actionnaires,  tenue  le  19  novembre 
1863,  fut  cependant  tranchée  en  faveur  de  la  Compagnie  par 
le  tribunal  de  la  Seine  qui,  le  28  mars  18G5,  déclara  l'Etat 
non-recevable  en  ses  prétentions.  L'administration  des  Do- 

(1)  On  a  vu  qu'il  y  avait  ou  40.000  actions  (désignées  à  l'origine  sous 
le  nom  de  portions  d'intérêt)  de  1.000  livres  chacune  ;  mais  il  avait  été 
opéré  deux  remboursements:  l'un  de  250  livres  en  1791,  l'autre  de 
150  livres  en  1793.  —  Kapporl  de  M.  Godin,  liquidateur. 


672 


QlIATniKMK    PAniIK.    Cil  A  l'ITRK    III 


maines  acquiesça  et  les  sommes  en  dépôt  à  la  Caisse  des 
Consignations  redevinrent  disponibles.  Mais  celle  satisfac- 
tion ne  résolvait  pas  la  queslion  la  plus  importante,  à  savoir 
la  reconnaissance  par  l'Etal  de  la  dette  que  la  Compagnie 
lui  attribuait  envers  elle  et  qui,  depuis  1790,  atteignait  avec 
les  intérêts,  75  millions  de  francs  !  Les  actionnaires  n'en  de- 
mandaient pas  tant;  ils  réclamaient  seulement  17.465.779  fr., 
«  pour  avances  faites  dans  l'Inde  au  département  de  la  ma- 
rine et  des  colonies,  pour  expropriation  de  numéraire,  vais- 
seaux, objets  d'armement  et  marchandises  dont  le  gouver- 
nement de  la  République  s'était  emparé  en  1788  et  en  Tan  II 
pour  cause  d'urgentes  nécessités  publiques  ».  De  ce  côté, 
malheureusement,  la  Compagnie  nohlint,  comme  jadis,  au- 
cune satisfaction  ;  carie  ministre  des  Finances  lui  opposa  le 
21  juin  18G4,  que  le  décret  du  25  février  1808  avait  anmdé 
sans  distinction  toutes  les  créances  envers  VEtat  antérieures  à 
Van  V  {\).  Le  Conseil  d'Etat,  devant  lequel  la  Compagnie  se 
pourvut  (2),  rejeta  sa  requête  par  arrêt  du  20  novembre  1865, 
et  cette  décision  fut  convertie  en  décret  le  6  décembre  sui- 
vant. 


(1)  Décret  du  25  février  180S  sur  la  liquidation  de  la  délie  publique. 
—  Duvergier,  l.  XVI. 

(2)  Section  du  Contentieux,  ^7  août  1864  —  M.  Godin  prolestait  en  ces 
termes  contre  l'application  à  la  Compagnie  du  décret  du  25  février  1808  : 
\.°  Ce  décret,  disait-il,  avait  eu  pour  but  de  délivrer  l'Administration 
des  réclamations  non  justifiées  faites  par  d'anciens  fournisseurs,  et  ne 
pouvait  être  appliqué  à  la  Compagnie  des  Indes  qui  avait  rendu  à  l'E- 
tat d'importants  services.  2»  La  déchéance  n'avait  jamais  été  appliquée 
par  le  Conseil  d'Etat  à  des  cvéances  justifiées,  quoique  ho»  liquidées. 
3'  Or  la  créance  d\ine  niiture  exceptionnelle  réclamée  par  la  Compagnie 
avait  été  ,/»s/t/îcc  par  elle  en  temps  utile,  car  la  Compagnie  n'avait 
cessé  de  la  faire  valoir  en  l'an  III,  en  l'an  IV,  en  l'an  VI,  en  l'an  VII,  en 
1804,  en  1805;  la  déchéance  résultant  du  décret  de  1808  no  pouvait 
donc  pour  ces  raisons  lui  être  appli(|uée. 


SiriMMtESSION    Kr    LIQUIDATION  07.*^ 

Avec  une  persévérance  digne  d'un  meilleur  sort,  la 
Compao-nie,  ayant  échoué  par  la  voie  conlentieuse,  adressa 
au  Sénal  un  recours  gracieux.  Sa  pétition  fit  l'objet  d'un 
rapport  de  M.  Delangle,  vice-président  du  Sénat,  en  avril 
1866  (1).  Le  rapporteur  reconnut  l'intérêt  que  méritait  la 
Compagnie  des  Indes,  déclara  que  ses  infortunes  étaient 
dignes  de  pitié,  et  qu'elle  avait  rendu  à  l'Etat  d'incontestables 
services  ;  il  admit  même  que  ses  prétentions  fussent  légiti- 
mes en  elles-mêmes  ;  mais  il  se  refusa  à  recherclier  pourquoi 
leur  liquidation  n'avait  pas  été  accordée,  car  la  déchéance 
invoquée  par  le  ministre  des  Finances  rendait,  dit-il,  toute 
discussion  inutile.  «  11  n'y  aurait  pas  de  finances,  pas  d'ad- 
ministration possibles,  si  la  barrière  élevée  contre  des  récla- 
mations que  le  temps  a  couvertes  de  son  oubli  pouvait  être 
rouverte  I  »  Ses  conclusions  furent  adoptées  sans  opposition. 

Une  nouvelle  assemblée  des  actionnaires  eut  lieu  peu  de 
temps  après,  le  16  mai  1866;  cette  fois  16.924  actions  s'y 
trouvaient  représentées.  Le  liquidateur,  M.  Godin,  leur  sou- 
mit les  comptes  suivants  : 

Capital  déposé  à  la  Caisse  des  Dépôts 428.8H.S  francs 

Intérêts  liuidés  jusqu'au  30  avril 72.681)       " 

Total 501.527       » 

De  celte  somme  il  ne  restait  disponible  que 301.117       » 

Sur  lesquels  il  convenait  de  prélever  pour  dividendes.  87.172       » 
Le  reliquat  d'actif  à  partager  entre  les    actionnaires 

était  donc  de 303. 915 

Ce  qui  devait  donner  à  chacune  des  16.924  (2)  actions 

représentées 17       » 

(1)  V.  Moniteur  du  21  avril  1866. 

(2)  Nous  avons  constaté  sur  la  liste  des  titulaires  qu'un  nombre  assez 
considérable  d'entre  eux  étaient  de  nationalité  suisse  ;  le  gouvernement 
de  la  Confédération  helvétique  fi^Hirail  lui-même  parmi  eux,  probable- 
ment comme  successeur  aux  biens  vacants. 

W.  —43 


674  QIIATIIIKMR    l'ARTIK.    CHAI'ITRK    III 

La  liquidation  serait  ainsi  terminée  ;  mais  il  n'en  fui  rien 
fait  (1).  L'assemblée  crut,  en  effet,  devoir  garder  un  fonds  de 
réserve  el  ne  vola  qu'une  répartition  de  15  francs,  qui  devait 
laisser  disponible  50.000  francs  environ.  Puis  une  opposition 
se  produisit  do  la  part  d'un  actionnaire,  bientôt  suivie  d'au- 
tres oppositions,  et  le  payement  de  ce  dividende  de  15  francs 
qui  avait  été  commencé,  fut  lui-même  arrêté. 

Une  nouvelle  assemblée  générale  fut  tenue  le  27  janvier 
1867.  Le  liquidateur,  M.  Godin,  était  mort,  el  les  actionnaires 
lui  choisirent  comme  successeur  M.  Chaulin,  avocat.  L'as- 
semblée maintint  sa  délibération  précédente  louchant  la 
répartition  d'un  dividende  de  15  francs,  et  autorisa  le  liquida- 
teur, après  payement  des  dividendes  de  21  francs  el  de  3  fr.  80 
aux  actionnaires  qui  ne  les  avaient  pas  encore  touchés,  à 
répartir  le  reliquat  entre  les  actionnaires  connus,  sans  avoir 
égard  aux  droits  des  intéressés  qui  ne  s'étaient  pas  fait  con- 
naître. Enfin,  abandonnant  ses  prétenlions  à  une  indemnilé  de 
la  part  de  l'Etat,  elle  déclara  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  pour  le 
liquidateur  d'en  poursuivre  le  recouvrement,  et  repoussa  le 
projet  formé  par  M.  Godin  d'une  pétition  à  adresser  à  l'Empe- 
reur. 

Une  dernière  assemblée  se  tint  huit  ans  plus  tard,  le  15  mai 
1875.  Dans  riiilervalle,  un  nouvel  administrateur  provisoire, 
M.  Harouel,  avait  dû  être  nommé  par  le  tribunal  (2)  à  la  place 
de  M,  Chaulin,  lui-même  décédé  ;  cette  assemblée  le  nomma 

(1)  On  trouvera  aux  Archiver  Nationales  le  très  important  rapport  de 
M.  Godin  à  l'assemblée  de  18G6,  contenant  une  partie  des  détails  qui 
précèdent  (ADXI,  60).  Pour  le  surplus,  el  pour  les  événements  des 
dernières  années  (1866  à  1875),  nous  devons  les  renseignements  que 
nous  présentons  ici,  et  que  uous  avoua  toutes  mtVon.s-  de  croire  absolu- 
ment inédits,  à  l'obligeance  de  M»  Fontana,  notaire  à  Paris,  qui  a  bien 
voulu  nous  autoriser  à  consulter  les  archives  de  son  étude. 

(2)  Jugement  du  27  mai  1869. 


SIPPRESSIOX    ET    LIQIIDATIOX  075 

à  son  tour  liquidateur  et  approuva  définitivement  la  répar- 
tition qui  lui  fut  de  nouveau  proposée  du  reliquat  de  l'actif 
déposé  à  la  Caisse  des  Dépôts,  une  fois  le  payement  du  divi- 
dende de  15  francs  achevé  (1).  Elle  l'autorisa  en  outre  à  re- 
mettre aux  Archives  Nationales,  à  titre  de  don  et  à  charge  de 
les  communiquer  aux  actionnaires  à  toute  réquisition,  les 
registres  et  papiers  composant  les  archives  de  la  liqui- 
dation (2). 

(1)  L'opposition  formée  par  certains  actionnaires  avait  été  précédem- 
ment levée  ;  il  n'y  avait  donc  plus  d'obstacle  à  cette  opération.  Les 
décisions  de  cette  dernière  assemblée  furent  homologuées  quelque 
temps  après  ;  le  dépôt  des  pièces  d'homologation  est  en  elTet  du  15  mai 
1875. 

(2)  Nous  les  avons  signalés  :  ils  figurent  sous  la  cote  F'265.429 
à  65.957,  soit  528  cartonniers  et  registres. 


CONCLUSION 


Nous  avons  ainsi  suivi  pendant  les  deux  cent  soixanle-dix 
années  de  son  existence,  dont  cent  cinquante  furent  remplies 
par  une  activité  réelle,  cette  Conipaj^nie  qui  joua  dans  l'his- 
toire de  notre  politique  coloniale  un  rôle  si  important.  Il  nous 
reste  à  dégager  de  cette  étude  les  enseignements  qu'elle  nous 
parait  comporter. 

Nous  avons  dit  des  deux  premières  sociétés  qui  la  compo- 
sent, celle  de  1604  qui  entra  dans  la  voie  de  la  réalisation, 
mais  y  fui  bientôt  arrêtée  sans  avoir  pu  mener  à  bien  sa  pre- 
mière expédition,  et  celle  de  1615  dont  les  opérations  sont 
restées  entourées  jusqu'ici  d'une  fâcheuse  obscurité,  tout  ce 
que  l'on  peut  conclure  de  leur  courte  destinée.  Elles  offrent, 
malgré  l'absence  de  résultats,  le  témoignage  que  dans  le 
grand  mouvement  économique  qui  porta  les  nations  mariti- 
mes de  l'Europe  à  exploiter  les  richesses  des  Indes  mises  à 
leur  portée  par  la  découverte  d'une  route  nouvelle,  la  France 
ne  demeura  point  en  arrière.  Le  mode  lui-même  de  cette 
exploitation  ne  fut  pas  imaginé  par  le  gouvernement  royal, 
car  la  forme  exclusive  avait  été  déjà  donnée  à  ce  trafic  par 
le  Portugal,  l'Angleterre  et  la  Hollande,  les  trois  peuples  les 
plus  commerçants  de  cette  époque,  et  cet  exemple,  autant 
que  les  raisons  d'être  intrinsèques  de  cette  organisation,  dé- 
terminèrent sa  conduite  et  provoquèrent  ces  premiers  essais. 

Leur  insuccès  no  le  rebuta  point  ;  il  manquait  jusque-là 
en  effet,  pour  l'application  de  ce  principe,  une  base  suffisam- 
ment solide  ;  or  elle  fut  bientôt  constituée  par  la  vaillante  so- 
ciété dieppoise  qui  avait  aùdacieusemenl  entrepris  le  com- 


678  CONCLUSION 

merce  de  Madagascar,  et  si  les  résultais  de  celle  lentalive 
prématurée  lurent  mauvais,  celle-ci  eul  du  moins  comme 
conséquence  de  poser  les  assises  définitives  de  laCompai;nie 
française  des  Indes,  dont  l(;s  destinées  devaient  être  si  gran- 
des. On  ne  peut  nier  que  si,  pour  d'autres  contrées  mieux 
civilisées,  le  principe  du  libre  trafic  pouvait  être  mis  en  com- 
paraison avec  celui  du  commerce  exclusif,  cette  situation  ne 
se  présentait  pas  à  Madagascar  dont  la  mise  en  exploitation 
devait  exiger  l'intervention  directe  d'un  Etal  ou  d'un  manda- 
taire muni  de  son  autorité  el  de  ses  moyens  d'action.  La 
Compagnie  d'Orient  qui  fut  ce  mandataire  manqua,  à  vrai 
dire,  de  ces  moyens,  el  leur  défaut  la  conduisit  à  un  échec 
complet  de  son  entreprise.  Ce  résultat,  nous  l'avons  dit,  ne 
doit  pas  étonner:  la  colonisation  de  Madagascar  dans  les 
conditions  où  on  l'entreprenait,  el  avec  le  but  chimérique 
que  l'on  y  cherchait  ne  pouvait  être  couronnée  par  le  succès  ; 
mais  les  efforts  infructueux  de  la  Compagnie  d'Orient,  el  ceux 
de  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  qui  lui  succéda  dans 
celle  lâche  ingrate,  eurent  du  moins  pour  résultat,  el  celui- 
ci  est  considérable,  de  créer  à  la  France  sur  la  grande  ile  des 
droits  dont  la  revendication  complète,  pour  s'être  fait  long- 
temps attendre,  n'en  a  pas  moins  accru  finalement  noire 
domaine  colonial  d'une  de  ses  plus  belles  conquêtes. 

La  Compagnie  de  Colbert,  qui  ne  consacra  avec  raison  à 
celte  œuvre  qu'une  partie  de  son  existence,  mais  y  usa  mal- 
heureusement une  ardeur  el  des  ressources  qui  eussent  été 
plus  fécondes  dans  l'Inde  même,  a  occupé  dans  les  phases 
successives  de  la  grande  entreprise  nationale  dont  nous 
avons  retracé  l'histoire  une  place  très  importante  ;  il  convient 
donc  d'en  résumer  ici  les  principaux  caractères.  Elle  joua 
d'abord  dans  la  politique  économique  de  son  fondateur  un 
rôle  prépondérant,  et  fut  élevée  par  lui  au  rang  des  inslilu- 


CONCLUSION  (;79 

lions  essentielles  du  royaume,  silualion  qui  était  déjà  celle 
de  ses  rivales  anglaise  et  hollandaise  et  qui  lui  donna  pour 
accomplir  sa  mission  une  autorité  et  une  sécurité  également 
indispensables.  Son  capilal  avait  été  judicieusement  fixé  par 
ses  statuts,  mais  celui  qu'elle  réunit  effectivement  (et  au  prix 
de  quelles  difficultés  1)  fut  très  insuffisant.  Avec  les  ressources 
qu'il  lui  procura,  elle  dut  vivre  au  jour  le  jour,  n'ayant  ja- 
mais dans  sa  caisse  que  la  somme  nécessaire  au  prochain 
armement,  et  forcée  de  compter  strictement  sur  les  bénéfices 
du  précédent  pour  satisfaire  à  ses  obligations  les  plus  impor- 
tantes. Cependant  elle  fit  des  dépenses  de  premier  établisse- 
ment considérables,  et  le  gouvernement  royal  lui  imposa 
bientôt  le  service  d'un  intérêt  exagéré  à  ses  actionnaires. 
Malgré  cette  situation  financière,  grave  dès  le  début,  la  Com- 
pagnie de  Colbert  pouvait  subsister  ;  certes,  son  développe- 
ment ne  pouvait  dans  ces  conditions  être  que  fort  lent,  et  sa 
conduite  devait  être  fort  prudente;  mais  son  succès  n'était 
point  impossible,  si  rien  ne  venait  s'opposer  à  ce  qu'elle  sui- 
vît la  destinée  qui  lui  avait  été  tracée.  Or  les  obstacles  furent 
accumulés  devant  elle  !  Son  commerce,  après  quelques  an- 
nées d'exercice,  fut  gravement  atteint  par  les  prohibitions 
qui  frappèrent  les  tissus  de  l'Inde,  et  la  privèrent  par  là  de  la 
plus  importante  partie  de  ses  transactions.  Nous  avons  in- 
sisté sur  la  difficile  solution  de  cet  antagonisme  d'intérêts, 
auquel  se  heurta  Colbert,  entre  les  industries  françaises  et 
la  Compagnie  française.  Protéger  les  uns  sans  nuire  aux 
autres,  est  l'écueil  que  la  politique  protectionniste  rencontre 
sans  cesse  sur  sa  route  ;  mais  jamais  peut-être  celui-ci  ne 
présenta  dans  noire  histoire  économique  une  apparence  plus 
fâcheuse.  Quoiqu'il  fût,  au  fond,  do  cet  antagonisme,  la  Com- 
pagnie dont  les  intérêts  parurent  moins  indispensables  à  la 
prospérité  nationale  fut  sacrifiée,    sinon   par  Colbert  lui- 


(»H()  CONCLUSION 

même,  du  moins  par  ses  successeurs.  Elle  n  en  eût  pas  si 
fçravement  souffert  assurément,  si  Colberl,  qui  y  voyait  une 
solution  de  ce  délicat  problème,  eût  réussi  à  lui  créer  une 
clientèle  étrangère;  mais  les  efforts  qu'il  fil  dans  ce  but 
échouèrent  devant  la  situation  prépondérante  déjà  prise  par 
les  Compagnies  rivales  sur  les  marchés  européens,  et  l'ab- 
sence de  débouchés  extérieurs  fut  pour  cette  Compagnie  une 
cause  importante  de  stagnation.  Enfin  la  politique  même  de 
Louis  XIV  n'exerça  pas  sur  ses  destinées  une  moins  grande 
influence  ;  à  peine  était-elle  sortie  des  difficultés  du  début 
que  la  série  des  grandes  guerres  de  ce  règne  s'ouvrit  et  ruina 
ses  premiers  résultais.  Trois  fois,  avec  de  courts  intervalles 
de  paix,  les  opérations  maritimes  vinrent  lui  fermer  la  mer, 
isoler  ses  comptoirs  et  les  livrer  sans  défense  aux  ennemis 
de  l'Etat,  qui  étaient  en  môme  temps  pour  elle  des  rivaux 
intéressés  a  sa  perte,  les  Hollandais  et  les  Anglais.  Il  serait 
sans  doute  exagéré  d'atlribuer  à  cette  unique  cause  la  mau- 
vaise fortune  de  la  Compagnie  de  Colberl;  mais  il  serait  puéril 
de  nier  son  influence  à  côté  de  celle  des  causes  que  nous 
avons  précédemment  menlionnées.  En  fut-il  d'autres  encore  ? 
Sans  doute, les  agents  qu'elle  choisit  pour  gérer  ses  intérêts 
en  Asie  ne  furent  pas  tous  à  la  hauteur  de  celle  mission  ; 
Mondevergue  était  un  incapable  et  Marcara  un  intrigant; 
mais  Caron, quels  que  fussent  ses  torts,  fut  pour  elle  un  utile 
serviteur,  Baron  fui  un  gouverneur  habile,  Martin  un  admi- 
nistrateur de  premier  ordre.  En  France, d'autre  part, la  Direc- 
tion Générale  ne  semble  pas  avoir  joué  un  rôle  bien  impor- 
tant. Colberl  et  ses  successeurs.  Le  Pellelier  clPonlchartrain, 
considérèrent  celle  Compagnie  comme  un  instrument  de  la 
polilique  royale  et  la  dirigèrent  personnellement.  Que  devons- 
nous  conclure  enfin  de  la  détresse  dans  laquelle  se  passèrent 
les  dernières  années  de  son  privilège?  Hien,à  notre  avis,  car 


CONCLUSION  681 

le  royaume  tout  entier  élail  alors  ruiné  el  épuisé,  el  elle  ne 
pouvait  échapper  à  cette  situation  générale.  Les  négociants 
nialouiiis  la  soutinrent,  il  est  vrai,  de  leur  activité  ;  leur  au- 
dace, leurs  succès  peuvent  être  à  bon  droit  admirés  ;  mais 
Dupleix  qui  servit  sur  leurs  vaisseaux  déclarera  plus  tard 
qu'ils  n'eussent  pu  continuer  longtemps  avec  la  même  ardeur 
et  qu'ils  se  fussent  ruinés  à  ce  trafic,  comme  !a  Compagnie 
elle-même. 

L'œuvre  accomplie  par  celle-ci  n'est  cependant  pas  né- 
gligeable ;  elle  abandonna  Madagascar,  mais  les  efforts 
qu'elle  y  dépensa  ne  le  furent  point,  nous  l'avons  dit, en  pure 
perte,  elles  résultats  qu'elle  obtint  mnlgré  ses  déboires  dans 
la  péninsule  hindoue  furent  importants  pour  la  France. 
Caron  el  ses  successeurs  organisèrent  la  plupart  des  comp- 
toirs qui  étaient  appelés  à  une  si  grande  destinée,  et  si  l'Inde 
française  d'aujourd'hui  n'est  plus,  hélas,  celle  de  Dupleix, 
elle  est  à  peu  de  chose  près  celle  de  François  Martin. 

Ces  résultats,  acquis  au  prix  de  grandes  difficultés,  étaient 
cependant  sur  le  point  de  péj'ir,  faute  de  ressources  chez  la 
Compagnie  et  de  clairvoyance  dans  ses  intérêts  chez  le  gou- 
vernement royal,  quand  l'intervention  de  La w  les  sauva  d'une 
perle  complète.  La  reconstitution  de  la  Compagnie  des  Indes 
fui  une  des  conséquences  utiles  du  Système,  qu'achetèrent 
malheureusement  bien  des  ruines  et  des  bouleversements. 
Law  lui  donna  par  le  chiffre  de  son  capital,  par  l'importance 
de  ses  revenus  réguliers  et  de  ses  moyens  d'action  des  élé- 
ments de  succès  qui  la  soutinrent  au  milieu  des  difficultés 
qu'elle  devait  rencontrer  plus  tard  et  qui  furent  aussi  graves 
que  celles  du  précédent  règne.  Sans  doute,  son  programme 
primitif  était  démesuré,  el  à  vouloir  s'y  conformer  entière- 
ment, elle  risquait  de  trouver  une  fin  prématurée  ;  mais 
l'abandon  des  parties  nuisibles  fut  judicieusement  réalisé 


682  CONCLUSION 

après  la  chute  du  Syslèuie,  el  elle  ne  conserva  que  celles 
qui  pouvaient  réellement  assurer  sa  fortune. 

Le  rôle  historique  de  la  Compagnie  de  Law  a  été  considé- 
rable, car  elle  a  été  pendant  cinquante  années  l'instrument 
de  notre  politique  coloniale  sur  deux  continents  ;  celte  dif- 
ficile mission  s'est  malheureusement  terminée  par  la  ruine 
des  intérêts  qui  lui  avaient  été  ainsi  confiés,  et  quoiqu'elle 
n'en  soit  pas  le  principal  auteur,  la  part  de  responsabilité 
qui  peut  lui  être  imputée  dans  ce  résultat  désastreux  est 
d'une  recherche  délicate.  Tout  n'a  pas  été  dit  encore  sur 
l'œuvre  de  Dupleix  qui  marque  le  point  culminant  de  l'his- 
toire de  cette  Compagnie,  et  l'on  a  déjà  battu  en  brèche  une 
partie  de  ce  que  la  tradition  nous  en  avait  transmis.  Cepen- 
dant, que  la  rolitique  de  Dupleix  lui  ail  été  suggérée  par  la 
conduite  de  ses  prédécesseurs  ou  qu'elle  lui  appartienne  en 
propre,  qu'elle  ait  été  complètement  constituée  dès  ses  pre- 
mières entreprises,  ou  qu'elle  se  soit  lentement  formée  sous 
l'influence  des  événements  auxquels  il  fut  mêlé,  un  fait  n'en 
reste  pas  moins  indiscutable  :  Uupleix  a  voulu  donner  l'em- 
pire de  l'Inde  à  la  France  et  il  a  élé  entravé,  puis  arrêté  dans 
l'exécution  de  cette  œuvre.  Nous  avons  cherché  à  définir 
brièvementles  parts  respectives  du  gouvernement  de  Louis  XV 
el  de  la  Compagnie  des  Indes  dans  le  fait  même  de  cette  in- 
tervention ;  nous  avons  dit  que  l'opinion  publique  en  France 
ignora  l'état  des  choses,  que  la  Compagnie  partagea  trop 
cette  ignorance  et  reçut  d'autre  part  du  gouvernement  royal, 
avec  lequel  elle  était  étroitement  unie,  une  direction  nette- 
ment opposée  à  des  aventures  coloniales  dont  on  ne  compre- 
nait pas  l'importance  véritable.  Elle  se  prêta  à  un  désaveu 
qui  ne  fut  pas  décidé  par  elle,  et  cette  conduite  a  provoqué 
de  nos  jours  d'unanimes  protestations  contre  son  élroitesse 
d'esprit  et  le  peu  d'élévation  de  ses  sentiments.  Les  a-l-elle 


CONCLUSION  083 

cependant  coniplclcnienl  merilées  ?  La  politique  de  Dupleix 
était  celle  d'un  gouverneur  de  colonie  royale,  mais  peut-être 
pas  celle  d'un  ai;ent  supérieur  d'une  Compagnie  de  com- 
merce, et  celle-ci  dont  le  mandat  était  d'entretenir  des  rela- 
tions commerciales  avec  l'Inde,  d'y  créer  des  comptoirs,  de 
les  administrer,  d'agrandir  même  son  champ  d'opérations 
par  des  acquisitions  pacifiques  utiles  à  son  commerce,  avait- 
elle  au  même  degré  celui  de  conquérir  les  armes  à  la  main 
l'empire  de  l'Inde  à  la  France  ?  Cependant  le  plan  de  Dupleix 
était  justifié  par  l'état  de  ce  pays  ;  mais  s'il  fallait  que  la 
puissance  française  s'y  implanlât  d'une  façon  plus  complète, 
sous  peine  d'une  prompte  exclusion,  c'est  que  le  moment 
était  venu  de  modifier  un  régime  qui  ne  répondait  plus  aux 
nécessités  nouvelles, et  de  substituer  à  la  Compagnie  souve- 
raine, qui  avait  jusque-là  utilement  préparé  les  voies,  le  pou- 
voir royal  lui-même.  Celte  substitution,  il  est  vrai,  devait 
être  accomplie  peu  à  peu,  si  l'on  ne  voulait  pas  compromettre 
des  résultats  péniblement  acquis  ;  les  premiers  actes  en  de- 
vaient être  voilés,  et  c'est  ce  qui  justifiait  précisément  une 
assistance  militaire  et  pécuniaire  importante  de  sa  part  envers 
la  Compagnie. 

Le  gouvernement  de  Louis  XV,  retenu  par  de  graves  com- 
plications en  Europe,  ne  voulut  pas  comprendre  la  nécessité 
de  son  intervention.  Il  préféra  maintenir  l'état  de  choses 
antérieur  et  entraver  l'exécution  d'une  politique  qui  ne  pou- 
vait convenir  à  la  Compagnie  seule.  Les  causes  qui  avaient 
déterminé  la  conduite  do  Dupleix  n'en  subsistèrent  pas 
moins,  et  le  gouvernement  anglais  qui  comprit  mieux  ses 
intérêts,  et  par  sa  puissance  maritime  possédait  des  moyens 
d'action  supérieurs  aux  nôtres,  adopta  cette  politique  et 
fournit  à  sa  Compagnie  l'appui  nécessaire  pour  triompher 
de  sa  rivale.  On  sentit  en  France,  mais  trop  lard  et  pas  assez 


CONCLUSION 


complètemenl,  la  faute  que  l'on  cotiimellail  ainsi  el  l'expé- 
dilion  de  Laliy-Tollendal,  trop  mesquinemeiil  mesurée  el 
laissée  sans  secours  sérieux  après  son  dépari,  ne  suffit  pas  à 
la  réparer.  L'empire  que  loul  seniblail  nous  promellre  nous 
glissa  ainsi  subilement  des  mains,  el  il  suffil  pour  cela  après 
maints  succès  de  deux  échecs  subis  coup  sur  coup  :  la  ba- 
taille de  Wandiwash  el  la  capitulation  de  Fondichéry  !  Lois- 
que  le  mal  fut  accompli,  le  gouvernement  royal,  qui  n'avait 
pas  voulu  enlroi)rendrc  cette  substitution  quand  il  était  temps 
de  le  faire  el  qu'il  avait  des  colonies  importantes  à  protéger, 
s'y  décida,  alors  qu'aucune  cause  pressante  ne  l'y  poussait 
plus.  Quelle  que  fût  la  valeur  des  pi-incipes  qui  le  dirigèrent 
alors,  l'application  qu'il  en  fit  fut  inopportune.  Il  ne  pouvait 
se  charger  sérieusemeiil  de  l'administration  et  de  la  défense 
des  comptoirs  de  l'Inde  et  de  l'Afrique  exposés  chaque  jour 
à  devenir  la  proie  de  l'Angleterre,  quand  la  reconstitution 
de  ses  forces  maritimes  el  de  ses  finances  devait  absorber 
pendant  longtemps  ses  soins  ;  cette  mesure  devait  èlre  prise 
dans  la  prospérité  el  non  dans  l'adversité,  et  si  la  Compagnie 
avait  été  jugée  par  lui  capable  de  se  tirer  seule  d'affaires 
quand  elle  avait  un  empire  à  défendre,  elle  ne  l'était  pas 
moins  quand  il  ne  lui  restait  plus  que  quelques  factoreries  h 
exploiter  ! 

Le  rôle  politique  de  la  Compagnie  de  Law  n'est  pas  le  seul 
que  nous  devions  étudier  ici,  car  sa  place  dans  la  vie  écono- 
mique  de  la  France  au  xvni^  siècle  fut  aussi  très  considé- 
rable. Le  maintien  qui  fut  par  elle  réalisé  du  régime  du  mo- 
nopole pour  la  partie  la  plus  importante  de  notre  commerce 
maritime  fut-il  un  bien  ou  un  mal?  L'approvisionnement  du 
marché  français  en  productions  asialiijues  et  africaines 
aurait-il  élé  mieux  ou  même  également  assuré  par  le  ré- 
t'ime  de  la  libre  concurrence?  Enfin  tous  les  intérêts  écono- 


CONCLUSION  685 

miques  de  la  France  auraiont-ils  été  mieux  servis  sous  ce 
dernier  régime?  11  ne  s'agit  point  ici  seulement  d'une  dis- 
cussion de  principes,  et  le  tort  des  Physiocrales  fut  précisé- 
ment de  ne  voir  qu'un  côté  de  celte  importante  question. 
Dans  l'état  où  se  trouvaient  alors  les  marchés  de  l'Asie,  que 
se  disputaient  âprement  des  Compagnies  étrangères  pour- 
vues de  la  puissance  militaire  et  d'une  organisation  très 
complète, étant  donnés  d'autre  part  les  événements  politiques 
qui  à  deux  reprises  troublèrent  si  profondément  la  paix  en 
Europe,  on  peut  répondre  négativement.  Les  Compagnies  de 
commerce,  qui  ont  été  la  préparation  nécessaire  à  la  liberté 
du  commerce  européen  dans  les  paysneufs,  n'avaient  pas  en- 
core achevé  leur  rôle  ni  donné  tous  les  résultats  qu'on  en 
devait  attendre,  et  nos  commerçants  dénués  d'appui  sérieux 
eussent  été  facilement  écartés  par  des  rivaux  puissants. 

La  Compagnie  française  n'a  d'ailleurs  pas  été  libre  de  rendre 
tous  les  services  dont  elle  était  susceptible;  son  commerce 
souffrit  des  limites  étroites  dans  lesquelles  ne  cessa  de  le 
maintenir  la  politique  prohibitive  du  gouvernement  royal  et 
que  ne  rencontrait  pas  chez  elle  la  Compagnie  anglaise.  Elle 
suffit  cependant  à  fournir  à  la  consommation  intérieure  les 
produits  coloniaux  qu'elle  était  autorisée  à  importer;  mais 
elle  eut  le  tort  de  ne  pas  chercher  avec  assez  d'ardeur  des 
débouchés  à  l'étranger  comme  elle  pouvait  y  prétendre,  car 
l'une  de  ses  deux  rivalesdu  début  était  alors  moins  à  craindre. 
La  fraude,  contre  les  progrès  de  laquelle  le  gouvernement 
fut  impuissant  à  la  défendre,  prit  d'ailleurs  des  proportions 
telles  qu'elle  vil  baisser  sensiblement  ses  bénéfices  malgré 
le  monopole  qui  devait  les  maintenir,  et  qui  porta  seul  aux 
yeux  de  ses  adversaires  la  responsabilité  de  cette  situation. 

Mais  le  caractère  principal  de  cette  Compagnie,  caractère 
qui  lui  fut  imprimé  dès  le  début  par  Law,  son  fondateur,  fut 


68f')  CONCLUSION 

d'êlre  une  société  financière  en  même  temps  qu'une  entre- 
prise commerciale.  Ses  actionnaires  ne  furent  pas  des  com- 
merçants, mais  des  rentiers,  et  ses  privilèges  financiers,  dont 
la  gestion  absorba  une  trop  grande  partie  de  ses  soins,  ne 
lui  furent  attribués  que  pour  leur  fournir  des  revenus  fixes 
et  réguliers.  Les  charges  qui  résultèrent  pour  elle  de  cette 
situation  furent  très  lourdes,  car  elle  dut  servir  constamment 
des  dividendes  supérieurs  aux  bénéfices  de  ses  opérations 
commerciales  et  les  ressources  qu'elle  dut  se  créer  pour  sou- 
tenir son  commerce  ou  réparer  les  brèches  causées  par  la 
guerre  ne  firent  qu'accentuer  cette  fâcheuse  tendance  qui 
nuisait  à  son  but  principal.  Ce  fut  là  un  défaut  grave  ;  celte 
Compagnie  était  destinée  à  entretenir  nos  relations  commer- 
ciales avec  une  partie  du  monde,  à  créer  et  à  administrer  nos 
colonies,  non  pas  à  devenir  une  annexe  de  l'Etat  pour  le  ser- 
vice de  ses  renies.  Or  elle  posséda  beaucoup  trop  ce  dernier 
caractère  ;  ses  actionnaires  ne  lui  en  connurent  pas  d'autres, 
et  en  même  temps  que  la  gestion  de  leurs  intérêts  la  détour- 
nait de  ses  véritables  fins,  leur  intervention  dans  ses  affaires, 
quand  elle  se  produisit,  causa  le  plus  grand  dommage  à  la 
politique  coloniale  de  la  France. 

Enfin  l'influence  exercée  sur  son  administration  par  le 
gouvernement  royal  fut  excessive  et  nuisit  aussi  à  sa  fortune. 
Il  détruisit  chez  elle  par  une  direction  de  tous  les  instants 
l'esprit  d'initiative  et  le  sentiment  de  la  responsabilité,  mit 
souvent  dans  ses  places  des  favoris  sans  valeur  et  lui  dicta 
une  conduite  souvent  contraire  à  ses  véritables  intérêts  ;  enfin 
son  intervention  dans  les  affaires  de  l'Inde  fut,  nous  l'avons 
dit,  désastreuse,  il  manqua  au  devoir  qu'il  eût  dû  accepter  de 
la  soutenir  effectivement,  s'arrêta  à  des  demi-mesures  et  l'en- 
traîna à  sa  ruine. 

La  Compagnie  de  Calonne  qui,  après  le  brusque  abandon 


CONCLUSION  687 

d'une  politique  traditionnelle,  releva  le  monopole  du  com- 
merce des  Indes,  occupe  enfin  une  situation   particulière 
dans  celte  histoire.  Elle  ne  posséda  pas,  en  effet,  les  princi- 
paux caractères  de  ses  devancières,  bien  qu'elle  fût  leur 
héritière  directe,  et  formât  incontestablement  le  dernier  an- 
neau de  cette  longue  chaîne.  Celte  reconstitution  tardive  et 
incomplète  du  commerce  privilégié  était-elle  d'ailleurs  justi- 
fiée ?  Le   gouvernement  royal  qui  avait  fait  une  faute  en 
supprimant  la  Compagnie  précédente  à  un  moment  inoppor- 
tun, et  en  cédant  à  des  tendances  libérales  qui  ne  l'altaquaienl 
pas  moins  que  la  Compagnie  elle-même,  pouvait-il  espérer 
réussir  dans  une  réaction  également  inopportune?  La  Com- 
pagnie nouvelle,  sans  grandeur,   et  sans  ressources  suffi- 
santes, ne  pouvait  justifier  d'une  façon  satisfaisante  le  mo- 
nopole qu'elle  recevait  et  les  faveurs  dont  on  raccompagnait. 
Aussi  devait-elle  voir  s'amasser  contre  elle  plus  de  haines 
encore  que  son  aînée.  Sa  vie  fut  courte,  car  elle  fut  arrêtée 
bientôt  par  des  événements  au  cours  desquels  elle  ne  pouvait 
être  épargnée  ni  pour  son  nom  ni  pour  son  principe.  Elle  fut, 
malheureusement  aussi,  spoliée  injustement,  et  ses  longues 
et  vaines  revendications  ont  tristement  clos  les  annales  de  la 
Compagnie  française  des  Indes.  La  déchéance  qui  lui  fut 
opposée  était  sans  doute  fondée  sur  la  sauvegarde  d'intérêts 
supérieurs  ;  mais  il  est  permis  de  regretter  qu'on  n'ait  pu 
donner  une  fin  plus  digne  à  cette  héritière  d'un  long  passé 
qui  fut,  malgré  des  faiblesses, glorieux  et  utile  pour  la  France. 
La  Compagnie  des  Indes  appartient  à  un  étal  de  choses 
déjà  bien  loin  de  nous  ;  mais  l'histoire  est  faite  de  continuels 
recommencements  et  les  enseignements  du  passé  le  plus 
démodé  peuvent  toujours  devenir  féconds.  Le  nom  de  la 
Compagnie  des  Indes  a  cessé  il  y  a  moins  de  trente  ans  de 
répondre  à  une  réalité,  et  quelques  années  plus  tard  le  prin- 


688  CONCLUSION 

cipe  même  des  compagnies  de  commerce  était  mis  de  nou- 
veau en  discussion  en  France.  On  crul  voir  bionlfil  renaître 
ces  grands  corps  que  l'on  pensait  disparus  à  jamais  et  dont 
le  dernier  venait  de  terminer  son  existence  dans  un  complet 
oubli.  L'exploitation  de  notre  empire  colonial  reconstitué 
réclamait  on  effet  des  moyens  d'action  prompts  el  puissants 
que  l'on  crut  trouver  dans  le  rajeunissement  et  l'adaptation 
aux  institutions  et  aux  exigences  modernes  des  compagnies 
de  commerce  créées  au  début  duxvn^  siècle.  Ces  tendances 
n'ont  pas  abouti  ;  mais  peut-être  ce  résultat  n'est-il  pas  défi- 
nitif. Enfin  il  est  un  autre  intérêt,  aussi  important  que  le  pré- 
cédent, dont  l(>s  espiits  se  montrent  aujourd'hui  justement 
préoccupés  et  que  le  souvenir  de  cette  activité  passée  peut 
modestement  servir.  La  situation  du  commerce  maritime  de 
notre  pays  au  détjut  du  xx"  siècle  est  en  effet  des  plus  graves  ; 
tant  de  voix  autorisées  se  sont  élevées  pour  nous  l'apprendre 
qu'il  n'est  point  possible  d'en  douter.  La  France  perd  chaque 
jour  davantage  sa  place  dans  cet  empire  de  la  mer  dont 
Richelieu  disait  :  «  On  ne  peut  sans  lui  ni  faire  la  guerre,  ni 
profiter  de  la  paix  I  »  Nous  voulons  croire  cependant  que 
cette  décadence  n'est  pas  définitive;  on  s'est  attaché  à  en 
scruter  les  causes,  on  cherche  dès  maintenant  avec  la  plus 
louable  énergie  à  en  arrêter  les  progrès  :  puisse  le  succès 
couronner  ces  efforts,  que  justifie  d'ailleurs  ce  fait  démontré 
par  l'histoire,  qu'il  est  dans  notre  caractère  national  des 
sources  intarissables  de  vitalité,  dont  les  ralentissements 
ont  toujours  été  suivis  d'une  nouvelle  recrudescence.  Mais  il 
importe  que  chacun  apporte  à  cette  œuvre  l'offrande  de  sa 
bonne  volonté  ;  c'est  pourquoi  à  l'heure  où  les  navires  des 
nations  étrangères,  infiniment  plus  nombreux,  hélas,  que 
les   nôtres,  sillonnent  les    mers  d'Asie,    nous  avons    cru 


CONCLUSION  689 


salulaire  dévoquer  le  souvenir  d'une  époque  trop  oubliée 
où  les  grands  vaisseaux  de  la  Compagnie  des  Indes,  molle- 
menl  inclinés  sous  l'effort  de  leurs  voiles  blanches,  portaient 
dans  ces  contrées  lointaines  l'honneur  et  les  intérêts  de  la 
France. 


W    -  41 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages 

Préface vi 

Avant-propos xxi 

Archives  et  bibliographie xxvii 

Introduction. —  Le  Commerce  des  Indes  et  les  Compagnies 'privilé- 
giées  

I.  —  Relations  historiques  entre  l'Europe  et  l'Asie.  —  Les  Indes, 
importance  du  commerce  des  Indes.  —  La  péninsule  hindoue.  — 
Arrivée  des  Européens  aux  Indes.  —  L'empire  portugais. 

il.  —  La  Compagnie  hollandaise.  —  La  Compagnie  anglaise. 
III.  —  Le  commerce  des  Indes  au  point  de  vue  économique.  —  Période 
portugaise  avec  monopole  de  l'Etat.  —  Echec  de  la  constitution  du 
commerce  particulier,  création  des  Compagnies  de  commerce  privilé- 
giées. —  Raisons  de  cette  organisation  :  causes  d'ordre  pratique, 
économique,  politique  et  social. 

PREMIÈRE  PARTIE 

PREMIÈRE  PHASE.  —  LES  ORIGINES 
DE  LA  COMPAGNIE  FRANÇAISE  DES  INDES 

CHAPITRE  PREMIER.  —  Création  de  la  Compagnie  des 

Indes   par   Henri   IV.     —    La 
Compagnie  des  Moluques.    .    .       51 

Activité  du  commerce  maritime  français  aux  xvi"  et  xvn^  siècle.s.  — 
Premiers  voyages  aux  Indes,  expédition  des  frères  Parmentier  (1520), 
campagne  du  Corbin  et  du  Croissant  (1601).  —  Henri  IV  accorde 
une  charte  à  Gérard  Le  Roy  et  à  Antoine  Godefroy  (1604).  —  L'hosti- 
lité de  la  Hollande  met  fin  à  leurs  préparatifs.  —  Renouvellement 
du  privilège  (1611).  —  Fusion  opérée  par  le  gouvernement  royal, 
création  de  la  Compagnie  des  Moluques  (1615).  —  Causes  de  l'échec 
de  ces  deux  premières  Compagnies. 


0U2 


TAHLK    DES    MATIKRKS 


CHAPITRE  II.  —  Richelieu  et  sa  politique  maritime.  — 

La  Compagnie  dOrient 68 

Richelieu  expose  son  plan  aux  Notables  (1626).  —  Essai  de  constitution 
d'une  Compagnie  du  Morbihan.  —  Compagnie  particulière  de  Rigault 
et  Rézimont  à  Dieppe  (1633).  —  Richelieu  la  transforme  en  Compa- 
gnie privilégiée  sous  le  nom  de  Compagnie  d'Orient  (1642).  —  Dé- 
viation de  nos  ambitions  sur  le  commerce  des  Indes  :  colonisation  de 
Madagascar.  —  Fondation  de  Fort-Dauphin  ;  Pronis,  Etienne  de 
Flacourt.  —  Détresse  de  la  Compagnie,  elle  abandonne  sa  colonie.  — 
Intervention  du  duc  de  laMeilleraye  (1654);  scission  de  la  Compa- 
gnie d'Orient.  —  Ses  projets  étaient-ils  chimériques  ?  Pourquoi  elle 
a  échoué. 

DEUXIÈME  PARTIE 
DEUXIÈME  PHASE.  —  LA  COMPAGNIE  DE  COLBERT 

CHAPITRE  PREMIER.  —  Colbert,  sa  politique  commer- 
ciale, création  de  la  Compa- 
gnie des  Indes  Orientales  .    .      99 

Le  Golberlisme.  —  Place  occupée  par  les  Compagnies  de  commerce 
et  en  particulier  par  la  Compagnie  des  Indes  Orientales  dans  ce 
Système.  —  Création  de  la  Compagnie.  —  Son  origine,  élaboration 
et  consécration  de  ses  statuts.  —  Déclaration  d'août  1664.  —  Cons- 
titution de  son  capital. 

CHAPITRE  II.  —  La  Compagnie  des  Indes  Orientales  à 

Madagascar 133 

Premières  opérations  de  la  Compagnie.  —  Etablissement  des  relations 
avec  Madagascar.  —  Expédition  de  M.  de  Beausse  (1665).  —  Ex- 
pédition de  M.  de  Mondevergue  (1666).  —  Les  premiers  pas  dans  la 
péninsule  hindoue.  —  François  Caron,  son  plan.  —  Premières  diffi- 
cultés :  l'affaire  Mondevergue,  l'afTaire  Marcara.  —  Colbert  recherche 
l'appui  des  nations  étrangères   contre  les  Hollandais, 

CHAPITRE  III.  —  La  Compagnie   des    Indes    Orientales 

dans  rinde 156 

La  Compagnie  abandonne  ses  projets  sur  Madagascar.  —  Organisation 
de  notre  premier  comptoir  indien  à  Sural  par  François  Caron  (1667). 


TABLE    DES    MATIERES  693 

—  Les  premiers  Directeurs  dans  l'Inde,  —  Cre'alion  de  Pondichéry, 
Chandernagor  et  d'autres  comptoirs.  —  Exécution  du  plan  de  Caron- 

—  Expédition  de  M.  de  la  Haye  (1670)  ;  prise  et  perte  de  San- 
Thomé  (1673-1674).  — La  guerre  de  Hollande  arrête  le  développe- 
ment de  la  Compagnie,  destruction  de  ses  comptoirs  par  les  Hollan- 
dais. —  Mort  de  Colbert  (1683).  —  Les  guerres  incessantes  et  la 
prohibition  de  l'importation  des  tissus  de  l'Inde  ruinent  le  commerce 
de  la  Compagnie.  —  Dernières  années  de  son  privilège  ;  elle  cède 
l'exercice  de  ses  droits  aux  Malouins. 


CHAPITRE  IV.  —  Organisation  et  administration  de  la 

Compagnie  des  Indes  Orientales  .   .     188 

Administration  centrale.  —  Les  Syndics  provisoires.  —  La  Direction  Gé- 
nérale, les  Chambres  Particulières. —  Les  assemblées  d'actionnaires. 
—  Affaires  contentieuses.  —  Organisation  du  domaine  colonial.  — 
Acquisition  de  Madagascar.  —  Le  Gouverneur  Général  et  le  Conseil 
Souverain.  —  Organisation  des  comptoirs.  — Obligations  imposées  à  la 
Compagnie.  —  Modifications  apportées  à  cette  organisation. 

CHAPITRE  V,  —  Commerce  de  la  Compagnie  des  Indes 

Orientales 217 

Le  commerce  des  Indes  :  épices,  drogues  et  autres  produits.  —  Echec 
de  l'exploitation  de  Madagascar.  —  Fondation  des  comptoirs  de 
l'Inde  :  principaux  commerces  de  la  péninsule  :  les  tissus  de  coton, 
les  soieries,  le  poivre.  —  Echec  de  l'établissement  de  la  Compagnie 
dans  l'Archipel  asiatique  ;  tentative  au  Siam  ;  projets  sur  le  Japon  et 
sur  la  Chine.  —  Primes  et  exemptions  de  droits  accordées  à  la  Com- 
pagnie.—  Prohibition  de  l'importation  des  toiles  de  coton  et  des  soie- 
ries des  Indes  (1686).  —  Situation  faite  par  celte  politique  économique 
à  la  Compagnie.  —  Traités  avec  les  Malouins. 

CHAPITRE  VI.  —  Marine  et  opérations  maritimes  de  la 

Compagnie  des   Indes  Orientales.    .   .     241 

Formation  de  sa  flotte.  —  Les  premières  expéditions.  —  Choix  d'un 
arsenal:  création  du  port  de  Lorient.  —  Armements  et  retours 
annuels.  —  Opérations  de  la  Compagnie  pendant  les  guerres  mariti- 
mes.— Dernière  période  d'aciivité  (1698-1702).  —  Désorganisation 
de  sa  flotte  et  délaissement  de  Lorient. 


694  TABLE    DES    MATifeRES 

CHAPITRE  VII.  —  Organisation  financière  de  la  Compa- 
gnie des  Indes  Orientales 264 

Composition  de  son  capital.  —  Actions,  souscription,  versements.  — 
Subventions  du  Roi.  —  Quel  cliiiïre  ce  capital  atteignit-il  en  réa- 
lité ?  —  Réformes  de  1675  et  de  1684.  —  Appels  de  fonds,  prêts 
consentis  par  le  Roi.  —  Intérêts  servis  aux  actionnaires.  — Emprunts 
pour  les  armements  annuels.  —  Détresse  finale. 

TROISIÈME  PARTIE 
TROISIÈME   PHASE.   —  LA  COMPAGNIE  DE  LAW. 

CHAPITRE  PREMIER.  -  Origine  et  éléments  de  la  Com- 
pagnie de  Law.  —  Tableau  des 
Compagnies  de  commerce  éta- 
blies sous  le  règne  de  Louis 
XIV 281 

La  Compagnie  des  Indes  Occidentales  :  son  origine,  sa  place  dans  la 
politique  de  Colbert.  —  Multiplication  des  Compagnies  après  la  mort 
de  Colbert.  —  Commerce  de  l'Afrique.  —  Commerces  de  la  Chine  et 
des  Mers  du  Sud.  —  Commerces  de  l'Amérique  du  Nord  et  des  An- 
tilles. —  Premiers  essais  de  colonisation  de  la  Louisiane.  —  Création 
de  la  Compagnie  d'Occident. 

CHAPITRE  II.  -  Le  Système  et  la  Compagnie  des  Indes.    297 

Place  occupée  par  la  Compagnie  dans  le  programme  de  réformes  (înan- 
cières  et  sociales  de  Law.  —  Création  et  accroissements  successifs 
de  la  Compagnie  des  Indes.  —  Les  émissions  des  Indes.  —  Coloni- 
sation de  la  Louisiane  :  procédés  et  résultats.  —  Chute  du  Système- 
—  Efforts  de  Law  pour  en  dégager  la  Compagnie.  —  Liquidation  du 
Système  et  mise  en  tutelle  de  la  Compagnie  des  Indes. 

CHAPITRE  Ilf.    —  Histoire  de  la  Compagnie  des  Indes 

jusqu'à  la  paix  d'Aix-la-Chapelle.    .     329 

La  Compagnie  des  Indes  est  déchargée  des  suites  du  Système.  —  Son 
domaine  colonial.  —  L'Inde  pendant  le  Système.  —  Gouvernement 
de  Lenoir  et  acquisition  de  Mahé.  —  Rétrocession  de  la  Louisiane 
et  concentration  des  efforts  de  la  Compagnie  en  Asie.  —  Situation 
politique  de  l'Inde  ;  l'empire  mogol  et  les  princes  hindous  ;   les  Euro- 


TABLE    DES    MATIÈRES  695 

péens  ;  la  Compagnie  anglaise  et  la  Compagnie  française.  —  Gouver- 
nement de  Dumas.  —  Nomination  de  Dupleix  (1740).  —  Ouverture 
de  la  guerre  de  Succession  d'Autriche.  —  Dupleix  et  La  Bourdonnais. 

—  Prise  de  Madras  (1746).  —  Siège  de  Pondichéry  (1748). 

CHAPITRE  IV.  —  La  politique  de  Dupleix  et  les  guerres 

de  l'Inde 362 

La  politique  d'intervention  ébauchée  par  Dumas,  réalisée  par  Dupleix. 

—  Conquête  du  Carnatic  et  établissement  de  notre  influence  au  Dec- 
can.  —  Le  désastre  de  Trichinopoli  (1752).  —  Deuxième  conquête 
du  Carnatic  et  deuxième  siège  de  Trichinopoli.  —  Arrivée  de  Godeheu 
et  rappel  de  Dupleix.  —  Traité  de  Sadras  (1754). 

CHAPITRE  V.  —  Le  gouvernement  royal,  la  Compagnie 

et  les  affaires  de  llnde 383 

Premières  difficultés  sous  les  gouvernements  de  Lenoir  et  de  Dumas  ; 
l'acquisition  de  Mahé  et  de  Karikal.  — Désastreux  effets  de  la  guerre 
de  Succession  d'Autriche  sur  le  commerce  de  la  Compagnie  :  pertes 
maritimes,  attaque  de  Lorient.  —  La  politique  de  Dupleix  est  incom- 
prise. —  Accord  conclu  avec  la  Compagnie  anglaise.  —  La  mission 
de  Godeheu  ;  parts  respectivement  prises  par  le  gouvernement  royal 
et  la  Compagnie  à  la  chute  de  Dupleix  et  la  ruine  de  son  œuvre. 

CHAPITRE  VI.  —  La  guerre  de  Sept  Ans,  l'expédition  de 
Lally-Tollendal.  —  Ruine  du  domaine 
colonial  de  la  Compagnie  des  Indes.     400 

Gouvernement  de  Duval  de  Leyrit  :  maintien  de  la  politique  de  Dupleix. 

—  Ouverture  de  la  guerre  de  Sept  Ans  et  reprise  delà  lutte  avec  la 
Compagnie  anglaise.  —  Le  gouvernement  royal  et  la  Compagnie  orga- 
nisent en  commun  une  expédition  (1757).  —  Le  plan  de  Lally-Tol- 
lendal. —  Ses  premiers  succès  :  prise  de  Gondelour  et  du  fort  Saint 
David.  —  Ses  revers  :  siège  de  Madras,  perte  de  Masulipatam,  siège 
et  capitulation  de  Pondichéry  (1760-1761).  —  Traité  de  Paris  (1763). 

CHAPITRE  VII .  —  L'administration  de  la  Compagnie  des 

Indes 423 

I.  —  L'administration  centrale  ;  ses  origines  :  l'Occident  et  la  Compagnie 
des  Indes  Orientales  ;  ses  successives  transformations.  —  Organi- 
sation du  29  août  1720.  —  Organisation   du  23  mars  1723:  le  Con- 


696  TABLE    DES    MATIERES 

seil  des  Indes.  —  Organisation  du  30  août  1723.  —  Organisation  du 
23  janvier  1731. —  Organisation  définitive  du  11  juin  1748. —  Régie 
des  affaires  de  )a  Compagnie  :  les  départements,  les  bureaux,  les 
assemblées  d'administration,  —  Les  acteurs:  le  Commissaire  du  Roi, 
les  Directeurs,  les  Syndics,  les  Actionnaires.  —  Réforme  de  cette 
administration  par  l'édit  d'août  1764. 
II.  —  L'administration  coloniale.  —  Ses  principes;  sa  constitution: 
gouvernements  et  comptoirs.  —  Les  Gouverneurs  et  les  Conseils.  — 
Le  personnel  colonial.  —  Troupes  de  la  Compagnie.  —  Etude  parti- 
culière des  possessions  de  la  Compagnie  en  Amérique,  en  Afrique  et 
en  Asie. 

CHAPITRE  VIII.  —  Le  Commerce  delà  Compagnie  des 

Indes 472 

Le  commerce  de  la  Louisiane;  son  abandon  par  la  Compagnie.  —  Le 
commerce  de  Saint-Domingue.  —  Le  castor  du  Canada.  —  Le  com- 
merce de  la  Barbarie.  —  Le  commerce  du  Sénégal  et  de  la  Guinée  : 
la  traite  des  nègres.  —  Les  îles  Mascareignes  :  efforts  de  la  Compagnie 
pour  développer  leur  richesse.  —  Moka  et  le  commerce  des  cafés.  — 
L'Inde:  exploitation  de  ses  différentes  productions.  —  Le  commerce 
de  la  Chine.  — Tableau  général  du  commerce  de  la  Compagnie  des 
Indes  :  expéditions,  retours,  prix  d'achat  et  de  vente,  bénéfices 
annuels. —  Situation  commerciale  de  la  Compagnie  en  France.  —  Per- 
sistance du  régime  prohibitif  à  l'égard  des  tissus  des  Indes.  —  La 
marque,  l'entrepôt,  les  ventes  publiques.  —  Les   droits  de   douane. 

—  La  contrebande  et  sa  répression.   —  La  Compagnie  a-t-elle  fourni 
d'une  façon  satisfaisante  le  marché  français  des  produits  des  Indes  ? 

CHAPITRE  IX.  —  La  Marine  de  la  Compagnie  des  Indes.     513 

Création  de  la  flotte  de  la  Compagnie  :  ses  éléments  constitutifs.  — 
Tonnages  et  artillerie.  —  Tableau  de  la  flotte  de  la  Compagnie  de 
1719  à  1769.  —  Le  personnel  naviguant:  les  officiers,  leur  recrute- 
ment, leur  hiérarchie,  leur  valeur  ;  les  équipages:  ils  sont  fournis 
à  la  Compagnie  par  le  service  des  Classes.  —  Organisation  des  servi- 
ces maritimes  de  la  Compagnie  :  première  et  seconde  navigation.  — 
Les  voyages  et  les  conditions  dans  lesquelles  ils  s'accomplissaient  ; 
les  événements  de  mer  et  les  naufrages.  —  Rôle  militaire  joué  parla 
Compagnie  dans  les  guerres  maritimes  ;  pertes  qu'elles  lui  causèrent. 

—  L'arsenal  de  la  Compagnie,    développement   et  organisation  de 
Lorient. 


TABLE    DES   MATIERES  697 

CHAPITRE  X.    —   Les   Finances    de  la  Compagnie  des 

Indes 548 

Situation  financière  de  la  Compagnie  après  la  liquidation  du  Système. 
—  Son  capital,  ses  actions.  —  Ses  revenus  financiers  :  la  Ferme  des 
Tabacs.  —  Etude  comparée  de  la  situation  financière  en  1725,  1736, 
1743,  —  Les  bilans  annuels.  —  Cours  des  actions  à  la  Bourse  de 
1725  à  1769.  —  Intérêts  servis  aux  actionnaires.  —  Influence  des 
guerres  de  la  Succession  d'Autriche  et  de  Sept  .Ans  sur  la  situation 
financière  de  la  Compagnie.  —  Progression  de  sa  dette  et  de  ses 
différentes  charges.  —  Ses  opérations  :  emprunts  perpétuels,  viagers 
et  amortissables,  loteries,  appels  de  fonds  aux  actionnaires.  —  I.es 
subventions  de  l'Etat  :  la  Rente  sur  le  Roi.  —  Situation  de  la  Com- 
pagnie en  1756.  —  Réformes  financières  en  1764.  —  Situation  dé- 
taillée de  la  Compagnie  en  1769. 


QUATRIEME    PARTIE 

QUATRIÈME  PHASE.  —   LES    DERNIERS    TEMPS    ET    LA 
FIN  DE  LA  COMPAGNIE  FRANÇAISE  DES    INDES 

CHAPITRE  PREMIER.  —  Chute  de  la  Compagnie  de  Law  .     581 

Première  attaque  contre  le  privilège  de  la  Compagnie  des  Indes  :  le 
mémoire  de  M.  de  Gournay  (1755).  —  La  Compagnie  arrive  au  terme 
de  sa  concession.  —  Conversion  en  Caisse  d'Escompte  proposée  par 
le  banquier  Panchaud.  —  Le  mémoire  de  l'abbé  Morellet.  —  Part 
prise  par  le  gouvernement  royal  et  en  particulier  par  le  contrôleur 
général  Maynon  d'Invau  à  cette  attaque  décisive  contre  la  Compa- 
gnie. —  La  Compagnie  charge  Necker  du  soin  de  la  défendre.  — 
Suspension  de  son  privilège  par  l'arrêt  du  13  août  1769.  —  Inter- 
vention du  Parlement.  —  Situation  faite  à  la  Compagnie  dans  le 
nouvel  état  de  choses. 

CHAPITRE  II.  —  La  Compagnie  de  Galonné 616 

Le  commerce  libre  ;  ses  conditions  :  les  passeports,  obligation  d'effec- 
tuer les  retours  à  Lorient  ;  ses  résultats.  —  Les  affaires  de  l'Inde  : 
luttes  d'Haïder-Ali  et  de  Tippo-Sahib  contre  la  Compagnie  anglaise, 
ouverture  de  la  guerre  d'Amérique,  nouvelle  chute  de  nos  comptoirs 
indiens,  campagne  de  Suffren,  traité  de  Versailles.  —  M.  deCalonne 


698  TABLE    DES    MATIÈRES 

rétablit  la  Compagnie  des  Indes  (arrêt  du  14  avril  1785).  —  Prétex- 
tes de  ce  rétablissement  ;  raisons  de  la  distinction  faite  entre  cette 
Compagnie  et  la  Compagnie  suspendue  en  1769.  —  Restrictions 
apportées  à  l'étendue  de  ses  droits.  —  Organisation  de  la  Compagnie 
nouvelle.  —  Protestations  du  commerce  particulier,  —  Premières 
opérations  commerciales  de  la  Compagnie. 

CHAPITRE  III.  —  Suppression  du  commerce  privilégié. 

—  Chute  de  la  Compagnie  de  Galonné. 

—  Liquidation   des    deux    dernières 
Compagnies 645 

I.  —  Les  Cahiers  des  États-Généraux  et  la  Compagnie  des  Indes.  — 
Discussion  et  suppression  du  commerce  de  l'Inde  par  r.\ssemblée 
Constituante.  —  La  Compagnie  de  Calonne  continue  ses  opérations 
sans  monopole.  —  Sa  suppression  est  prononcée  par  la  Convention. 

II.  —  Organisation  de  la  liquidation  de  la  Compagnie  de  Law .  —  Trans- 
fert de  celte  opération  à  la  Trésorerie  Nationale.  —  L'Etat  se  charge 
des  pensions  de  retraite  constituées  par  la  Compagnie.  —  Ses  ac- 
tions sont  converties  en  rentes  sur  le  Grand-Livre. 

III.  —  Ouverture  de  la  liquidation  de  la  Compagnie  de  Calonne.  — 
Réintégration  des  actionnaires  dans  leurs  droits.  —  La  Compagnie 
réclame  à  l'Etat  le  payement  d'une  dette  que  les  gouvernements  suc- 
cessifs refusent  de  reconnaître.  —  La  Compagnie  des  Indes  au 
xix«  siècle.  —  Dernière  assemblée  de  ses  actionnaires  et  partage 
du  reliquat   de  son  actif  (15  mai  1875). 

Conclusion 677 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES 


Acadie,  castor  d'  —  293,  477; 
Compagnie  d'  — ,  293. 

Aché  (d),  amiral,  405  ;  son  rôle 
dans  la  guerre  de  Sept-Ans, 
407,  411,  415. 

Achem,  royaume  d'  — ,  20,  350  ; 
commerce  d' — ,  4'.-)2  n.  2,  497. 

Actionnaires  de  la  Compagnie 
de  Colbert  :  assemblées,  194, 
211,  270  ;  —  étrangers,  197  ; 
créanciers  des  — ,  197  ;  appels 
de  fonds  aux  —,  212,  275  ; 
réclamations  des  —,  213,  215  ; 
de  la  Compagnie  de  Law  :  élec- 
toral, 425,  431  ;  assemblées, 
428,  437,  442,  443,  450  ;  éligi- 
bilité,445,  447  ;  plaintes  des  —, 
448  ;  appels  de  fonds  aux  — ,571, 
615  ;  députés  des — ,  590  ;  in- 
térêts des  —  d'après  Morellet, 
594,  597  ;  réformes  jugées  né- 
cessaires à  leur  égard  par  Nec- 
ker,  606  ;  de  la  Compagnie  de 
Calonne  :  assemblées,  658,  659, 
671,  673,  674  ;  recherche  des 
— ,  671  ;  réclamations  des  — , 
672. 

Actions  de  la  Compagnie  de 
Colbert  :  chiffre,  123,  265  ;  na- 
ture, 266  ;  valeur,  275  ;  de 
l'Occident,  303,  304  ;  de  la 
Compagnie  de  Law  :  émissions, 
308,  312,  313  ;  chiffre,  314,  325, 


548  ;  réduction,  320  ;  baisse, 
321  ;  visa,  324,  325  ;  revenu, 
549,  561,  566,  573  ;  rembour- 
sement, 533,  555,  662  ;  nature, 
560  ;  cours,  561,  565,  573  ; 
fixation  définitive,  615  ;  conver- 
sion en  titres  sur  le  Grand- 
Livre,  666  ;  de  la  Compagnie  de 
Calonne:  634,  637,  671,673, 
674. 

Afrique,  (Compagnie  d'  —  ),  288, 
309,  331. 

Anjouan  (île  d'— ),  258. 

Archipel  asiatique,  24  n.  2, 
74  ;  productions,  218;  tentative 
d'établissement  de  la  Compa- 
gnie de  Colbert, 227  ;  commerce 
au  xviii^  siècle,  497. 

Arcot,  capitale  du  Carnatic,  338, 
366,  370,  412,  416,  418. 

Arguinfîleet  fort  d'— ),  463,540. 

Armes  de  la  Compagnie  de  Col- 
bert, 202  ;  de  la  Compagnie 
d'Occident  et  de  la  Compagnie 
des  Indes  (de  Law),  295  ;  de  la 
Compagnie  de  Calonne,  633. 

Assiente  (Compagnie  de  1'—), 
290, 482 . 

Balance  du  commerce,  base 
du  Colbertisine,  102,  105. 

Balapatam,  comptoir,   147,224. 

Balasor,  comptoir,  171,  225,  421, 
467. 


700 


TABLE    ANALYTIQUE    DES    MATIÈRES 


Bandar-Abbas,  comptoir,  169, 
226. 

Bangkok.  Tentative  d'établisse- 
ment de  la  Compagnie  de  Col- 
berl  à  —,  17,  1778. 

Banka  (île).  Projet  d'établisse- 
ment   d'un  comptoir,  l''i6,   227. 

Bantam,  comptoir,  146,  227. 

Barbarie.  Compagnie  de  — ,288  ; 
commerce  de  la  —  concédé  à  la 
Compagnie  de  Law,  331  ;  ré- 
trocession de  la — ,  334;  comp- 
toirs de  — ,  465. 

Baron,  directeur  dans  l'Inde, 
162,  174. 

Bastion  de  France,  288  ;  Com- 
pagnie du  — ,  288. 

Beaulieu.  Expéditions  dans  la 
mer  des  Indes,  64. 

Beausse  (de),  président  du  Con- 
seil  (le  Fort-Dauphin,  135,137. 

Beauvallier  de  Courchant , 
gouverneur  intérimaire  de  l'Inde, 
fonde  le  comptoir  de  Mahé,  333, 
384  ;  gouverneur  de  Bourbon, 
/jôO  n.  1. 

Belle-Ile,  cédée  à  la  Compagnie 
des  Indes,  318  ;  occupée  par  les 
Anglais,  421. 

Bengale,  8  ;  commerce  du  — , 
224,  489,  492,  502  n.,  600  ;  éta- 
blissements français  au  — ,  225, 
467,  625  n . 

Berryer  (Louis),  secrétaire  des 
Conseils  royaux,  sou  rôle  dans 
la  création  de  la  Compagnie 
de    Colbert,  110  n.,    117,    119. 

Boullongne  (de), commissaire  du 
Roi,  036. 

Bourbon  (duc  de),  323,  330  n.  2. 

Bourbon  (île),  prises  de  posses- 
sion,   16,  81  ;    débuts     de    la 


colonisation,  163  ;  dans  le  pa- 
trimoine de  la  Compagnie  de 
Law,  331  ;  rendue  au  Roi,  422 
n.  ;  administration,  468  ;  com- 
merce, 486. 

Bourdonnais  (Mahé  de  lai,  gou- 
verneur des  Iles,  350  ;  porte 
secours  à  Mahé,  351  ;  expédi- 
tion dans  rinde,  351;  352,  354, 
355,  356  ;  rivalité  avec  Dupleix, 
357,  388  ;  son  procès,  358. 

Bourreau-Deslandes,  agent  de 
la  Compagnie  de  Colbert,  fonde 
Chandernagor  et  Balasor,  171, 
225. 

Brigantin,  242  n.,  518,524. 

Brûlart  (président), correspondant 
de  Colbert,  125. 

Bussy  (de), lieutenant  de  Dupleix, 
361  ;  conquiert  le  Deccan,  369, 
401  ;  rôle  pendant  la  guerre  de 
Sept-Ans,  409,  414,  417  ;  expé- 
dition contre  Gondelour,  624 
n.  3. 

Cadeau,  industriel,  directeur  de 
la  Compagnie  de  Colbert,  113, 
136. 

Café,  220  ;  —  de  Bourbon,  486  ; 

—  de  Moka, 487;  indemnité  des 

—  s  551,  n.  1. 

Cahiers  des  Etats-Généraux,  sur 
le  privilège  de  la  Compagnie  des 
Indes,  646. 

Caisse  d'Fscompte,  574  n.  ; 
projet  de  transformation  de  la 
Compagnie  des  Indes  en  — ,  574 
n.,  591,  592. 

Calicut,  9,  160,  224  ;  loge  fran- 
çaise de  -,  466,  489,  625  n. 

Calle  (la),  comptoir  de  F^arbarie, 
2S8,  465. 

Galonné  ^de),  Contrôleur  des  Fi- 


nances, reconstitue  la  Compagnie 
des  Indes,  628,   630,  640. 
Canada.  Compagnie  du  — ,  293  ; 

castor  du  — ,  477. 
Canton,  commerce  de  — ,    230, 

493  ;  comptoir  de  — ,  471. 
Carnatic(nababie  du  —  ),  338  ;  sa 
possession  disputée  par  les  Com- 
pagnies, 365,  369,  312,  375, 
401,  412. 
Caron,  directeur  de  la  Com- 
pagnie de  Golbert,  145  ;  fonde 
le  comptoir  de  Surat,  146,  159, 
222,  jette  les  bases  de  notre 
commerce  dans  l'Inde,  146^ 
223  ;  tente  un  établissement  à 
Ceyian,  165,  227  ;  conduite  de 
Colbert  envers  lui,  168;  établit 
le  comptoir  de  Bantam,  228  ; 
projets  sur  la  Chine  et  le  Ja- 
pon, 229. 
Cassimbazar,  soie  de  — ,  224  n. 

5;  loge  de  —,225,  421,  625. 
Castor.   Compagnie  du  — ,  293  ; 
commerce    du    — ,    293,    302  ; 
acquis    par  la  Compagnie   des 
Indes,  330  ;  enlevé  à  la  France, 
421. 
Ceyian,    8   ;    la   (Compagnie    de 
(Colbert    tente  de   s'y  installer, 
227. 
Chambre    de    Direction    Géné- 
rale (C'«  de  Golbert),  190  ;  —  s 
Particulières,  190,  21B  ;  —  du 
Commerce,    —   du    Tabac    (G'" 
de  Law),  429. 
Champmargou     (de),    gouver- 
neur de  Fort-Dauphin   pour  la 
Meilleraye,  97  n.  2,    comman- 
dant d'armesde  l'île  pourlaCom- 
pagnie  de  Colbert,  135,  209  n.  1 . 
Chandernagor.    Fondation    de 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERES 
I 


701 


—  171,  225  ;  sa  propriété 
reconnue  par  le  Mogol  à  la  Com- 
pagnie, J77;  gouvernement  de 
Dupleix,  345  ;  pris  par  les  An- 
glais, 402  ;  rendu  à  la  Compa- 
gnie, 421  ;  administration,  466, 
467;  commerce.  V.  Bengale, 
Charpentier,  4  n.,  112  ;  Relation, 

112  n.  1  ;  Discours,  114. 
Charrier,  prévôt  des  Marchands 
de    Lyon  ,     correspondant    de 
Colbert,  128. 
Chine,  commerce  de  la  —  229, 
230,  238,  471,  493,  495,   596, 
621,   632  ;  Compagnie  de  la  — 
183,  230,  238,  290,  305. 
Cochinchine, commerce  de  la  — , 

492  n.  2,  496,  632. 
Colbert ,    expose   son     plan     à 
Mazarin,  100;  sa  politique  éco- 
nomique,  101,   102,  104,   108, 
281  ;  sa  sollicitude  pourles  ques- 
tions maritimes,  104    n.  ;  pré- 
side à  la  création  de  la  Compa- 
gnie des  Indes  Orientales,  113, 
117,  118,   120,  122,  124  ;  —  et 
la  Compagnie  hollandaise,  150  ; 
cherche    une    clientèle     étran- 
gère  à  la  Compagnie,  151  ;  sa 
conduiteà  l'égard  de  Caron, 166  ; 
autorise  la  Compagnie  à  délivrer 
des  permissions,  173  ;  —  et  la 
Compagnie  des  Indes  Occiden- 
tales, 281,  284,  285  ;  suite  don- 
née à  ses  projets   par  ses  suc- 
cesseurs, 287. 
Colbertisme,  102  ;  critiques  qu'il 
a  soulevées,  106  ;  son  véritable 
but,  106. 
Colonisation,  procédés  de  —  de 
la  Compagnie  de.s  Indes,  92,204, 
310,  454. 


702 


TABLE    ANALYTIQUE    DES    MATIERES 


Comité  Secret,  441. 

Commissions  extraordinaires 
du  Conseil,  663. 

Compagnie  d'Acadie,  293. 

Compagnie  d'Afrique  ou  du 
Bastion  de  France,  288,  331  ; 
son  privilège  acquis  par  la  C'*^ 
des  Indes,  309. 

Compagnie  de  l'Assiente,  "^90, 
482. 

Compagnie  de  Barbarie,  288. 

Compagnie   du  Canada,    293 

Compagnie  du  Castor,  293. 

Compagnie  de  la  Chine,  dé- 
membrement de  la  Compagnie 
des  Indes  Orientales  230,  238, 
290,  493;  réunie  à  la  Compagnie 
d'Occident,  305. 

Compagnies  de  Commerce. 
Causes  de  la  constitution  des 
—  36  et  suiv. 

Compagnie  de  la  France  Equi 
noxiale,  284. 

Compagnie  de  Guinée,  289. 

Compagnie  des  Iles  d'Améri- 
que, 284. 

Compagnie  des  Indes  (an- 
glaise). Fondation,  24  ;  cons- 
titution, 25;  développements, 30; 
situation  en  Asie  avant  les  guer- 
res de  l'Inde,  341  ;  rapports  avec 
la  Compagnie  française,  346  ; 
période  de  rivalité  armée,  353  ol 
suiv.  ;  conditions  obtenues  au 
traité  de  Sadras,  381  ;  réouver- 
ture des  hostilités,  nouvelle 
lutte  contre  la  Compagnie  fran- 
çaise, 401  et  suiv.  ;  guerre  con- 
tre Haïder-Ali,  623. 

Compagnie  des  Indes  (fran- 
çaise) {Voir  ce  mot  à  la  fin 
de  la  table  p.  712). 


Compagnie  des  Indes  (hollan- 
daise/. Fondation,  18;  cons- 
titution, capital,  18;  développe- 
ments, 19;  empire  colonial,  22 
n.  ;  décadence,  23  ;  chute,  24  ; 
sert  de  modèle  à  Colbert,  188  ; 
sa  situation  au  xvni*  siècle,339. 

Compagnie  des  IndesOcciden- 
tales.  Sa  constitution  pour- 
suivie parallèlement  à  celle  de 
la  Compagnie  des  Indes  Orien- 
tales, 122,  283  ;  son  domaine, 
110,  284,  331  ;  elle  renonce  à 
son  monopole,  285  ;  révocation 
de  son  privilège,  285  ;  peut-on 
la  mettre  en  parallèle  avec  la 
Compagnie  des  Indes  Orientales? 
286  ;  son  rôle  dans  le  Pacte  Co- 
lonial, 286  n.  2. 

Compagnie  des  Mers  du  Sud. 
291. 

Compagnie  du  Morbihan  (ou 
des  Cent  Associés),  71. 

Compagnie  de  la  Nouvelle 
France,  284. 

Compagnie  d'Occident.  Créa- 
tion, 294,  302  ;  constitution, 
295,  303,  425  ;  émission  de  ses 
actions,  304  ;  acquisition  de  la 
Ferme  des  Tabacs,  304  ;  acqui- 
sition des  privilèges  des  Com- 
pagnies du  Sénégal,  des  Indes 
Orientales  et  de  la  Chine,  305  ; 
devient  la  Compagnie  des 
Indes,  306  ;  la  Compagnie  des 
Indes  héritière  de  ses  droits, 
325. 

Compagnie  de  Saint-Domin- 
gue, 202  ;  son  privilège  acquis 
par  la  Compagnie  des  Indes, 
o22. 

Compagnie  du  Sénégal,  280  ; 


TABLE    ANALYTIQUE   DES    MATIÈRES 


703 


son  patrimoine  acquis  par  l'Oc- 
cident, 305. 

Comptabilité  de  la  Compagnie 
de  Colbert,  196  ;  de  la  Compa- 
gnie de  Law,  441 . 

Conseil  des  Indes,  326,330,428; 
— s  des  colonies,  207,  454  ;  — 
Souverain  de  Fort-Dauphin,  135, 
162,  207;  —  Supérieur  de  Su- 
rat,  162,207,  208;  — Supérieur 
de  Pondichéry,  208,  466. 

Constituante  (Assemblée  Natio- 
nale — )  Question  du  commerce 
de  l'Inde,  648  ;  supprime  le 
monopole ,  654  ;  organise  le 
commerce  libre  ,  656 ,  657  ; 
organise  la  liquidation  de  la 
Compagnie  de  Law  ,  664  ; 
comité  d'Agriculture  et  de  Com- 
merce de  1'—,  649  ;  comité  des 
Finances  de  V — ,  663. 

Contrôle  Général.  Rapports  de 
la  Compagnie  des  Indes  avec 
le  — ,176,  441  ;  liste  des  Contrô- 
leurs Généraux,  451 . 

Convention  (Assemblée  de  la — ). 
Ordonne  une  enquête  sur  la 
Compagnie  des  Indes,  660  ;  or- 
ganise sa  liquidation,  667  ;  lève 
le  séquestre  établi  sur  ses  effets, 
669  ;  refuse  de  reconnaître  une 
dette  de  l'Etat  envers  elle,  669. 

Coromandel,  8  ;  commerce  du 
— ,  225,  600  ;  possessions  de  la 
Compagnie  des  Indes  au  — , 
465. 

Corvette,  242  n.,  517,  523. 

Crozat,  239  ;  obtient  la  concession 
de  la  Louisiane,  294  ;  rétrocède 
la  Louisiane,  302  ;  chargé  de  la 
liquidation  du  Système,  323. 

Deccan,  7,  14  ;  soubabie  du  —,   | 


337,  338  ;    succession    du    — , 
365  ;  conquête  du  —,  369. 

Départements  de  la  Compagnie 
de  Colbert,  196  ;  de  la  Compa- 
gnie de  Law,  427,  429,  432, 
434,  435,  438,  450  ;  de  la  Com- 
pagnie de  Calonne,  636. 

Directeurs  de  la  Compagnie  de 
Colbert  :  élections,  139,  191  ; 
durée  des  fonctions,  193  ;  res- 
ponsabilité, 197  ;  remplacement, 
211,  212  ;  —  Généraux  dans 
l'Inde,  201  n.  ;  —  à  Lorient, 
251  ;  de  la  Compagnie  de 
Laïc  :  nombre,  425,  430,  434, 
435  ;  fonctions,  427,  432,  438, 
489;  valeur,  445;  liste  des — , 

451  ;  —  Généraux  des  comptoirs, 

452  n.  ;  —  à  Lorient,  545; 
de  la  Compagnie  de  Calonne  : 
nombre,  634  ;  fonctions,  636  ; 
protestation  des  —  à  l'Assem- 
blée Nationale,  650  ;  emprison- 
nés, 660,  669. 

Dividendes  de  la  Compagnie  de 
Colbert,  274,  276,  277  ;  de  la 
Compagnie  de  Law,  310,  314, 
315,  549,  552,  554,  555,  556, 
560,  561,  566,  573,  615;  de 
la  Compagnie  de  Calonne,  634, 
070,  674. 

Domaines(  Administration  des—). 
Intervention  dans  la  liquidation 
de  la  Compagnie  de  Calonne, 
671. 

Douane.  Droits  de  —  appliqués 
à  la  Compagnie  des  Indes,  231, 
507. 

Drogues  (commerce  des  — ),  219, 
237,  331. 

Dumas, gouverneur  de  l'Inde,  suc- 
cède à  Lenoir,  342  ;  intervient 


704 


TAULK    ANALYTIQIK    DES    MATIKKES 


dans  les  affaires  intérieures  de 
rinde,  342,  384  ;  obtient  la  con- 
cession de  Karikal,  343  ;  défend 
Pondichéry,  343  ;  rentre  en 
France,  346  ;  siège  au  conseil 
des  Directeurs,  385. 

Dupleix,  gouverneur  de  Ghander- 
nagor,  344  :  gouverneur  de 
rinde,  346,  385  ;  fortifie  Pon- 
dichéry, 348  ;  négocie  la  neu- 
tralité avec  la  Compagnie  an- 
glaise, 349;  querelle  avec  La 
Bourdonnais,  35G,  388  ;  défend 
Pondichéry,  360  ;  sa  politique, 
362  ;  fait  alliance  avec  les  prin- 
ces indiens,  366  ;  désavoué  par 
la  Compagnie,  372,  374,  394  ; 
remplacé  par  Godeheu,  377  ; 
rentre  en  France,  379. 

Dupont  de  Nemours,  582  n  ; 
mémoire  sur  la  Compagnie  des 
Indes,  609  n.  2:  projet  d'une 
Compagnie  Messagère,  651  ;  ré- 
pond à  l'abbé  Maury,  652. 

Duval  de  Leyrit,  gouverneur  de 
l'Inde,  maintient  la  politique  de 
Dupleix,  400  ;  adjoint  à  Lally- 
Tollendal,  407  ;  sa  conduite  à 
l'égard  de   celui-ci,  418,  419  n. 

Duvelaër,  directeur  de  la  Com- 
pagnie des  Indes,  395,  441  n., 
452,  545. 

Epices,  4,  28,  41,  75  ;  commerce 
des  —,  218,  226,  33i. 

Equipages  de  la  Compagnie  des 
Indes,  59,  135,  529,  536. 

Espagnac  (affaire  d'— ),637  n.  2. 

Espréménil  (d"),  gouverneur  de 
Madras,  359  ;  syndic  de  la  Com- 
pagnie des  Indes,  451  ;  direc- 
teur de  la  Compagnie  des  Indes, 
452,455  ;  (Duval  d' — ),  député  à 


l'Assemblée  Nationale,  592,  653. 

Estaing  fd'),  lieutenant  de  Lally- 
Tollendal,  s'empare  de  Divicotta, 
408  ;  fait  prisonnier  à  Madras, 
413  ;  campagne  dans  la  mer  des 
Indes,  532. 

Factoreries,  12. 

Faye  (de),  directeur  de  la  Compa- 
gnie des  Indes  Orientales,  143, 
157,  159. 

Fermanel,  n^^enl  de  Golbert,129. 

Ferme  Générale.  Le  bail  de 
la  —  acquis  par  la  Compagnie 
des  Indes,  310  ;  bénéfices,  315  ; 
le  bail  est  rompu,  323;  droits 
payés  par  la  Compagnie  à  la 
—  pour  son  commerce,  505  ; 
abonnement  de  la  Compagnie  à 
la  —,  508. 

Flacourt  (de),  gouverneur  de  Ma- 
dagascar, 77  n.,80;  prend  pos- 
session de  l'île  Bourbon,  81  ; 
abandonné  par  la  Compagnie, 
82  ;  secouru  par  La  Meilleraye, 
85  ;  rentre  en  France,  87  ;  né- 
gocie un  accord  entre  la  Com- 
pagnie et  La  Meilleraye,  89  ; 
sa  mort,  91 . 

Flûte,  242  n.,  516,  524. 

Fontenay  (de),  député  à  l'As- 
semblée Constituante,  654. 

Fort-Dauphin.  Fondation,  77: 
premiers  effets  de  la  coloni- 
sation, 78  ;  difficultés,  78  ; 
abandon  de  la  colonie  par  la 
Compagnie  d'Orient,  82;  nou- 
veaux déboires,  97  n.  2;  état 
en  1664,  157  n. 

Fortia  (de),  intendant,correspon- 
dant  de  Colbert,  129. 

Foucquembourg  ,  agent  de  la 
Compagnie  d'Orient,  76,  78. 


TABLE    ANAXYTIQUE    DES   MATIÈRES 


705 


Fouquet,  surintendant,  son  rôle 
dans  la  Compagnie  d"Orient,  86 
n. 

France  (ile  de — ,  ou  Maurice), 
79,  340  n.,  469. 

France  Equinoxiale,  284  : 
Compagnie  de  la  — ,  284. 

Frégate,  242  n.,  516,  520. 

Fulvy  (Orry  de),  commissaire  du 
Roi,  344,  385,  444,  451. 

Godefroy  (Antoine),  trésorier  de 
France,  directeur  de  la  Compa- 
gnie des  Indes,  56,  57. 

Godeheu,  envoyé  dans  l'Inde» 
376,  396  ;  négocie  avec  la  Com- 
pagnie anglaise,  378,  381  ;  ses 
instructions,  397  ;  rentre  en 
France,  400,  441  n.,  452,  543. 

Godin,  liquidateur  de  la  Compa- 
f;nie  de  Galonné,  671,  673,  674. 

Golconda,  capitale  du  Deccan, 
338,  369. 

Gomme, commerce  de  la  —  481. 

Gorée,  comptoir,  463  ;  pris  par 
les  Anglais,  puis  rendu,  421. 

Goujon,  directeur  de  la  Compa- 
gnie de  Colbert,  159,  160. 

Gournay  (de),  intendant  du  com- 
merce ,  son  mémoire,  584  et 
suiv.,  593. 

Gouverneur,  —  Général  (C'e  de 
Colbert),  201,  207,  209  ;  —  s 
des  comptoirs  (Cie  de  Law),452, 
454  ;  —  s  de  l'Inde,  201,  466. 

Grand-Livre ,  inscription  des 
actionnaires  de  la  Compagnie 
des  Indes  sur  le  —  666. 

Guinée.  Compagnie  de  — ,  289  ; 
gouvernement  de  la — ,453,  462, 
464  ;  directeurs  en  —,  464  n.  1. 

Haïder-Ali, nabab  de  Bangalore, 
623,  625. 


Haye  (de  la)  amiral,  reçoit  le 
commandement  d'une  expédi- 
tion aux  Indes,  ses  instructions, 
161  ;  séjour  à  Fort-Dauphin  , 
163;  s'empare  de  San-Thomé, 
165  ;  assiégé  dans  cette  ville, 
capitule,  168. 

Hébert,  gouverneur  de  l'Inde, 
201  n.  d,  332. 

Hernoux,  député  a  l'Assemblée 
Constituante,  649, 

Hôtels  de  la  Compagnie  des  In- 
des :  Compagnie  de  <^olbert, 
190  n.  ;  Compagnie  de  Law, 
425  :  (jûmpa-nie  de  Calonne, 
634. 

Hourque,  242  n. 

Iles  d'Amérique.  Colonies  fran- 
çaises des  —,  283,  285,  286 
n.  2,  617  ;  Compagnie  des  — , 
284. 

Inde.  Aspect,  7  ;  histoire  in- 
térieure, 8,13;  débuts  de  la 
puissance  française  dans  1'  — , 
146,  159  ;  gouverneurs  et  di- 
recteurs de  la  Compagnie  de 
Colbert  dans  i'  —,  201  n.  1  ; 
grandes  divisions  du  commerce 
de  r  — ,  221  ;  situation  de  1'  — 
française  au  début  du  xviii«  siè- 
cle, 331  ;  état  intérieur  de  1'  — , 
335  ;  les  Compagnies  européen- 
nes dans  I'  —,  339;  adminis- 
tration des  comptoirs  de  V  — 
sous  la  Compagnie  de  Law, 
465  et  suiv.  ;  commerce  de  1'  — 
par  la  Compagnie  de  Law,  488  ; 
r  —  française  actuelle,  625 
n.  1. 

Inde  en  Inde  (Commerce  d'), 
4!»2  n.  3,  632. 

Indes.  Etendue  de  ce  terme,  5  n.  ; 

\V.   -  45 


706 


TABLE    ANALYTIQUE    DES   MATIERES 


commerce   des    —,   218,  219  ;  j 
Compagnies   des  —  V.  Gompa-   i 
gnies,   et  32  n .  3  ;  navigation 
aux  — ,V.  Navigation. 

Induit  (droit  d'),  564,  685,  650, 
655,  658. 

Interlopes  (Commerçants),  482. 

Jabach,  banquier,  directeur  de  la 
Compagnie  de  Colbert,  112. 

Japon.Projets  d'établissement  au 
—,  229  ;  commerce  du  —,  229, 
496,  632. 

Karikal.  Acquisition,  343,  384  ; 
au  traité  de  Sadras,  381  ;  pris 
par  les  Anglais,  418  ;  rendu  à  la 
Compagnie,  421  ;  administra- 
lion,  467. 

Lally  -  ToUendal  (de).  Reçoit 
le  commandement  d'une  expédi- 
tion, 402;  son  plan,  403  ;  prise 
de  Gondelour  et  du  fort  St- 
David,  408  ;  abandon  du  Dec- 
can ,  409  ;  expédition  contre 
Tanjore,  410  ;  conquête  du  Car- 
natic,  412;  siège  de  Madras,  413; 
bataille  de  Wandiwash,  417  : 
capitulation  de  Pondichéry,4l9. 

Lauraguais  (de),  mémoire,  577 
n.  1,  591,  609. 

Law  ,  298  ;  le  Système  de 
— ,  299  ;  fonde  la  Banque 
Générale,  300  ;  fonde  l'Occi- 
dent, 302  ;  fonde  la  Compagnie 
des  Indes,  305  ;  acquiert  Je 
bail  des  Fermes,  310  ;  acquiert 
la  Recette  des  Finances,  311  ; 
s'engage  à  rembourser  les  det- 
tes de  l'Etat,  312  ;  nommé  Con- 
trôleur Général,  818  ;  réunit  la 
Banque  à  la  Compagnie,  319  ; 
cherche  à  sauver  la  Compagnie, 
322;  sa  fuite,  323. 


Législative  (Assemblée).  Règle 
la  question  des  pensions  de 
retraite  de  la  Compagnie  des 
Indes,  665. 

Lelièvre,  de  Hontleur,  fait  une 
expédition  aux  Indes,  64. 

Lenoir.  gouverneur  de  l'Inde, 
332,  3S4,  466  n.  1. 

Liquidation   du   Système,  323, 

663  ;  de  la  Compagnie  de  Col- 
bert, 279  n.  3  ;  de  la  Compa- 
gnie de  Law,  614,  629,  645,  661, 

664  ;  de  la  Compagnie  de  Ca- 
lonne,  667,  670,  674. 

Lorient.  Fondation  de  — ,249  ; 
la  Compagnie  de  Colbert  à 
—,  250  ;  la  Compagnie  d'Oc- 
cident à  — ,  515  ;  la  Compagnie 
de  Law  à  —,  318,  505,  526,  543, 
545  ;  attaqué  par  les  Anglais, 
389  ;  rétrocédé  au  Roi,  546  ; 
souvenirs  de  la  Compagnie  des 
Indes  à  — ,  547  n .  ;  le  com- 
merce libre  à — ,  6l8,619n.,633, 
634  n .  6,  656,  657  ;  la  Com- 
pagnie de  Galonné  à  — ,  634, 
636,  637,  642,  662  ;  député  de 
—  aux  Etats-Généraux,  648  ; 
magasins  de  —  proclamés  pro- 
priété nationale,  657  n.  2,  660, 
668. 

Loteries  de  la  Compagnie  des 
Indes,  550,  553,  564,  571,  572. 

Louis  XIV.  Son  rôle  dans  la 
constitution  de  la  Compagnie 
des  Indes  Orientales,  110  n., 
reçoit  les  fondateurs  de  cette 
Compagnie,!  18;  préside  à  l'élec- 
tion des  Directeurs  Généraux, 
139. 

Louisiane.  Premiers  essais  de 
colonisation,  293  ;  son  étendue, 


TABLE    ANALYTIQUE    DES    MATIÈRES 


707 


294  ;  concédée  à  Grozat,  294  ; 
concédée  à  la  Compagnie  d'Occi- 
dent, 294,302,  473;  !a-pendaiit 
le  Système,  315,  473  ;  la— dans 
le  domaine  de  la  Compagnie  de 
Lavv,  330,  474  ;  rétrocession  de 
la  — ,  334,  475  ;  administration, 
453,  461  ;  commerce,  473. 

Macao,  comptoir  portugais,  10, 
13  n.,  229,  339,493. 

Machault  (de).  Contrôleur  Géné- 
ral, 402,  441,  451. 

Madagascar.  Entreprise  de  sa 
colonisation,  74,  95  ;  résultats 
de  la  Compagnie  d'Orient  à  — , 
93  n.  ;  causes  de  l'échec  de 
cette  Compagnie,  95  ;  ses  pro- 
ductions, 95  ;  nommé  île  Dau- 
phine,  140  ;  abandon  de  sa  co- 
lonisation, 157  ;  réunion  à  la 
couronne,  176  ;  la  Compagnie 
de  Colbert  à  -,  204,  205,  206  ; 
la  Compagnie  de  Law  et  —,468, 
484  ;  son  commerce  compris 
dans  le  privilège  de  la  Compa- 
gnie de  Calonne,  632- 

Mahé.  Fondation  du  comptoir 
de  — ,336,  384  ;  assiégé  par  les 
Mahraltes,344;  tombe  aux  mains 
des  Anglais,  420  ;  rendu  à  la 
Compagnie,  421  ;  administra- 
tion, 468  ;  commerce,  489. 

Mahrattes.  Adversaires  du  Mo- 
gol,  14,  336  ;  menacent  Pondi- 
chéry,  174  ;  assiègent  Pondi- 
chéry,  343. 

Malabar.  Commerce  du  —,  223, 
489,  600  ;  possessions  françaises 
au  —,  468. 

Maldives  (îles),  8,  226  n.  2, 
i90  n.  2,  632. 

Malouins,  exercent  le  commerce 


des  Indes  avec  la  permission  de 
la  Compagnie,  185,  215,  237, 
262,  306,  345. 

Marcara,  agent  de  la  Compagnie 
de  Colbert  dans  l'Inde,  147  ;  ses 
démêlés  avec  Caron,  147  ;  ren- 
tre en  France,  son  procès,  166 
n.  1. 

Marque  apposée  sur  les  tissus 
des  Indes,  236,  505,  506,  658. 

Martin  (François),  gouverneur 
de  l'Inde ,  ses  mémoires  aux 
Archives  Nationales,  111  n.  ; 
fonde  Pondichéry,  170  ;  assiégé 
dans  cette  ville  par  les  Hollan- 
dais, capitule,  J80  ;  emmené 
prisonnier  à  Batavia,  181  ;  re- 
vient en  France,  182  ;  rentre  à 
Pondichéry,  182;  sa  mort,  185. 

Martin  (de  Vitré),  sa  relation  55. 

Mascareignes  (lies).  La  Bour- 
donnais gouverneur  des  — , 
344,  349,  469,  485  ;  adminis- 
lioii  des  — ,  468  ;  commerce  des 
-,  484  ;  libération  du  com- 
merce des  — ,  610,  632. 

Masulipatam,  comptoir,  sa  fon- 
dation, 147,  226  ;  pris  par  les 
Hollandais,  169  ;  relevé,  171  ; 
sa  propriété  reconnue  à  la  Com- 
pagnie française,  368  ;  stipulé 
indivis  au  traité  de  Sadras,38i  ; 
pris  par  les  Anglais,  414  ;  loge 
accordée  par  le  traité  de  Paris, 
4^1,625  n.  ;  administration, 467  ; 
commerce, 489. 

Maury  (abbé),  député  à  l'Assem- 
blée Constituante,  651. 

Maynon  d'Invau  ,  Contrôleur 
Cénèral,  589,  592,  601,  610,626. 

Mazarin.iLe  cardinal  de — )  et  la 
Compagnie  d'Orient,  84,  96. 


708 


TABLE    ANALYTIQUE    DES    MATifcRES 


Mazarin  (duc  de) ,  cède  ses 
droits  à  la  Compagnie  de  Col- 
bert,  91,  120. 

Meilleraye  (maréchal, duc  de  la), 
son  intervention  dans  la  colo- 
nisation de  Madagascar,  84,  97. 

Mercantilisme,  43  n . ,  101,  582  ; 
Néo-,  328. 

Merguy.  Tentative  d'établisse- 
ment de  la  Compagnie  de  Col- 
bert  à— ,177,  178. 

Mogol    (empire).    Constitution, 
14  ;   son    état   au   xviii"  siècle, 
335. 

Moka.  Comptoir  de  —  470  ; 
commerce  de  — ,  487,600. 

Moluques  (îles).  Productions  , 
218;  Compagnie  des-,  V. Com- 
pagnie française  des  Indes. 

Mondevergue  (de),  gouver- 
neur de  l'île  Dauphine,  140  ;  son 
expédition,  142  ;  sa  conduite  à 
Fort-Dauphin  dénoncée  à  Col- 
bert,  143  ;  rentre  en  France, 
i63  ;  son  procès,  sa  mort,  164, 

Montaubon  (de),  conseiller  à 
Fort-Dauphin,  135  ;  remplace 
de  Beausse,  137. 

Moras,  Contrôleur  Général,  404; 
ses  instructions  à  Lally-Tollen- 
dal,  406  ;  commissaire  du  lioi, 
451 , 

Morbihan.  Compagnie  du  — , 
71. 

Morellet  (abbé),  593  n.  1  ;  ac- 
cepte la  mission  d'attaquer  la 
Compagnie  des  Indes,  593  ;  son 
mémoire,  594  et  suiv.  ;  réponse 
à  Necker,  608  n.  ;  influence  sur 
la  discussion  du  commerce  de 
l'Inde  à  l'Assemblée  Nationale, 
650. 


Plairac,  député  à  l'Assemblée 
Constituante,  653,  655. 

Navigation  aux  Indes,  37,  242, 
252,  525,  533,  534,  536,  621  ; 
première  et  seconde  — ,  525. 

Necker,  —  réformateur  de  la 
Compagnie  des  Indes,  450  n.  2  ; 
défenseur  de  la  Compagnie,  ré- 
pond à  Morellet,  601  ;  son  mi- 
nistère, l'Eloge  de  Golbert,627. 

Nègres.  Traite  des  —,  285,  289  ; 
la  traite  des  —  et  la  Compagnie 
de  Law,  480  ;  la  traite  des  — 
et  la  Compagnie  de  Calonne, 
632;  droit  de    -  511  n.  1. 

Ning-Po,  ouvert  au  commerce 
européen,  2o0,    493. 

Nouvelle-France,  283  ;  Compa- 
gnie de  la  —,  284. 

Nouvelle -Orléans  (la).  Fon- 
dation, 316  ;  administration, 
461. 

Occident.  Domaine  d' — ,  326, 
549  :  Compagnie  d' — .  V.  Com- 
pagnie. 

Officiers  de  la  Compagnie  des 
Indes:  — de  troupes,  360,  459; 
—  de  mer,  526,  531 . 

Orient  (Compagnie  d'  — ).  V. 
Compagnie  française  des  Indes. 

Orry,  Contrôleur  Général,  385  : 
instructions  à  La  Bourdonnais, 
387  ;  réforme  de  l'administration 
de  la  Compagnie,  436. 

Pacte  Colonial,    106,  286  n.  2. 

Panchaud,  banquier,  propose  la 
conversion  de  la  Compagnie  des 
Indes  en  Caisse  d'Escompte, 590. 

Pardaillan  [i\e\  chef  d'escadre, 
333,  351,  38 'i. 

Pâris-Duverney,  311  :  dirige  la 
litltiidalion  du  Système.  324. 


TABLE    ANALYTIQUE    DES    MATIERES 


709 


Parmentier  (frères).  Voyage  aux 
Indes,  54. 

Particulier  (Commerce  — ),  pro- 
teste contre  le  monopole  du  com- 
merce des  Indes,  67,  172,  638, 
639,  640  ;  résultats  du  —,  619, 
620. 

Passeport  pour  le  commerce  de 
l'Inde,  614,  617,  629,  632. 

Paulmier  de  Gonneville  . 
Voyage  aux  Indes,  53. 

Pégou  (Birmanie),  commerce  du 
—,  492  n.  3,  497. 

Pelletier  de  la  Houssaye  (Le), 
commissaire  du  Conseil  Royal, 
321  ;  Conlruleur  Général,  323, 
451. 

Pensions  de  la  Compagnie  des 
Indes,  continuées  par  l'Etat, 
665. 

Philippines,  commerce  des  — , 
492  n.  3,  i96. 

Physiocrates,  Physiocratis- 
me,  582,  583,  585,  588,  589, 
592,  609  n.  2,  627,  650,    651. 

Pièce  d'Inde,  480. 

Poivre.  Epice,  618  ;  commerce 
du  —  à  Madagascar,  94,  188, 
219;  commerce  du  —  au  Mala- 
bar, 213,  489. 

Poivre  (Pierre),  intendant  de 
l'île  de  France,  485  n.  3. 

Pondichéry.  Fondation  de  — , 
170;  pris  par  les  Hollandais, 
180  ;  rendu  à  la  Compagnie 
française,  182  ;  situation  à  la 
chute  de  la  Compagnie  de  Gol- 
bert,  332  ;  assiégé  par  les  Mah- 
ratles,  343  ;  assiégé  par  Bosca- 
wen,  360  ;  pris  par  les  Anglais, 
419  ;  rendu  à  la  Compa<.'nie 
française,  421  ;    administration 


de  —,  208, 210,  466  ;  commerce 
de  —,  226,  489,  490. 

Pontac  (président  de),  correspon- 
dant de  Colberl,  125. 

Port-Louis,  du  Morbihan,  90, 
248,  250  ;  de  l'île  de  France, 
469,  485    n.  3,  535. 

Portendick.  Echelle  de  —,  463, 
commerce  de  — ,  481. 

Portugais,  empire  des  —  aux 
Indes,  6,  10,  U,  13  n.  ;  Colberl 
recherche  leur  alliance,  152  ; 
leur  situation  en  Asie  au  xviii* 
siècle,  339. 

Poudre  d'or,  commerce  de  la  — 
au  Sénégal,  481  ;  —  en  Guinée, 
289,  482. 

Prévostière  ^de  la),  gouverneur 
de  riiide  française,  201,  332. 

Prohibitions  sur  les  tissus  des 
Indes,  235,  504,  618. 

Pronis,  premier  gouverneur  de 
Madagascar,  76  ;  les  colons  se 
révoltent  contre  lui,  79  ;  agent 
de  la  Meilleraye,  85. 

Protectionnisme  de  Colbert , 
105,  582. 

Pyrard  (de  Laval),  sa  relation, 
.55. 

Québec,  comptoir  de  la  Compa- 
gnie des  Indes  à — ,  462. 

Rajapur,  comptoir  de  la  Compa- 
gnie de  Colbert,  209   n.  3,  224. 

Réexportation  des  tissus  prohi- 
bés, 231,  506. 

Rente  du  Roi,  548,  549,  555, 
563,  567,  614  ;  —  de  l'Inde, 
670  n.  1. 

Retours  des  Indes.  Question 
des  —,  587,  618,  650,  055,  6.56. 

Réunion   (Edit  de),  307. 

Rézimont  (de  Dieppe),  fonde  une 


710 


TABLE    ANALYTIQUE    DES    MATIERES 


société  pour  )e  commerce  des 
Indes,  72  ;  directeur  de  la  Com- 
pagnie d'Orient,  73  ;  nouveau 
voyag-e  à  Madagascar,  77. 

Richelieu.  Plan  exposé  à  l'As- 
semblée des  Notables,  69  ; 
obtient  de  la  Hollande  la  liberté 
du  trafic  des  Indes  pour  nos  na- 
tionaux, 70;  sa  mort  est  une 
perte  pour  la  Compagnie  d'O- 
rient, 96. 

Rigault,  capitaine  de  marine,  fait 
un  voyagea  Madagascar (163ii), 
72  n.  1  ;  directeur  de  la  Com- 
pagnie d'Orient,  78. 

Roy  (Gérard  Le),  créateur  d'une 
Compagnie,  56  ;  reçoit  des  let- 
tres patentes,  57  ;  Compagnie 
de  — .  V.  Compagnie  française 
des  Indes. 

Sadras  (traité  de),  381  ;  il  reste 
lettre  morte,  382,  400. 

Saint-Domingue.  Compagnie 
de  — ,  292,  322  ;  commerce 
de  —  concédé  à  la  Compagnie 
des  Indes,  330  ;  difficultés  ren- 
contrées par  cette  Compagnie, 
831,  483;  elle  renonce  à  l'ex- 
ploiter à  titre  de  monopole,  331  ; 
comptoir  de  la  Compagnie  des 
Indes  à  — ,  453,  462  ;  commerce 
de  —,  475. 

Saint-Louis  (du  Sénégal),  comp- 
toir français  de  — ,  289  ;  tombe 
aux  mains  des  Anglais,  421  : 
chef-lieu  de  la  concession  de  la 
Compagnie  des  Indes  au  Séné- 
gal, 463  ;  son  commerce,  481. 

Sainte-Luce  (baie),  établisse- 
ment de  la  Compagnie  d'Orient, 
7(),  77. 

San-Thomé,  pris  par  l'amiral  de 


la  Haye,  165  ;  siège  et  capitu- 
lation de  —,  168  ;  bataille  de  —, 
359. 

Séchelles  (de),  Contrôleur  Géné- 
ral, 404,  584. 

Senau,  242  n.,  518,  524. 

Sénégal.  Compagnie  du  —  , 
289,  305;  acquisition  par  la 
Compagnie  des  Indes,  305,  331  ; 
occupation  par  les  Anglais,  421  ; 
gouvernement  du  — ,  45:3,  462  ; 
directeurs  au  —,  463  n.  1; 
commerce  du  — ,  480. 

Seychelles  (îles),  prise  de  pos- 
session (les  — ,  470  n.  2. 

Siam.  Tentative  d'établissement 
de  la  Compagnie  de  Colbert, 
177  ;  commerce  du  — ,  496. 

Silhouette  (de),  commissaire  du 
Roi,  396,  445,451,584  n.  3. 

Société  de  Saint-Malo,  Laval  el 
Vitré,  55. 

Soie.  Commerce  de  la  —  dans 
l'Inde,  224,  489  ;  en  Chine,  229, 
493  ;  industrie  de  la  —  en 
France ,  233  ;  prohibition  de 
l'importation  de  la  — ,  237  n.  2  ; 
droits  d'entrée  sur  la  — ,  507. 

Soieries  de  l'Inde,  224,  489  ;  de 
la  Chine,  229,  493;  prohibition 
de  l'importation  des  — ,  235  ; 
fraudes,  .509. 

Souchu  de  Rennefort  ,  117 
n.  2,  136  n.  2,  138. 

Sud  (mers  du  — ).  Terminologie, 
238;  commerce  des  —,  238, 
478  n.  4;  Compagnie  des  — , 
291. 

SufFren.  Sa  campagne,  624. 

Surat.  Fondation  du  comptoir 
de  —,  146,  159,  222  ;  siège  du 
Conseil  Supérieur,  162,  207  ;  son 


TABLE    ANALYTIQUE    DES    MATIÈRES 


711 


abandon,  185,  223  ;  la  Compa- 
gnie de  Law  à  — ,  466  ;  com- 
merce de—,  221,  488,  600. 
Syndics.  Compagnie  de  Colbert  : 
—  provisoires,  119,  124,  134, 
139,  191  ,  193  ;  —  des  villes 
de  province,  191  ;  Compagnie 
de  Law  :  institution  des  — ,  431, 
447;  nominalion  des  — ,  431, 
443,  450  ;  nombre  des  — ,  431, 

435,  437,  450;  rôle  des—,  431, 

436,  438,   440,   443,   447  ;  liste 
des  — ,  451. 

Système  (de  Law),  300,  305,  312, 
315,  318  ;  liquidation  du  —,323; 
situation  de  la  Compagnie  à  la 
sortie  du  —,  325,  548  ;  la  Com- 
pagnie des  Indes  est  déchargée 
des  opérations  du  — ,  330  ;  com- 
merce de  la  Compagnie  des  In- 
des sous  le  — ,  473  ;  marine  de 
la  Compagnie  des  Indes  sous  le 
—,  514. 

Tabacs  (Ferme  des).  Acqui- 
sition par  l'Occident,  304  ;  béné- 
fices des  — ,  310,  315  ;  retirés 
puis  rendus  à  la  Compagnie  des 
Indes,  324,  325  ;  régie  des  — 
par  la  Compagnie  des  Indes, 
433,  550  ;  rétrocession  des  —  à 
l'Etat,  563. 

Tarifs.  —  de  t66i,  231,  507  ;  — 
de  1667,  232  ;  —  appliqués  à  la 
Compagnie  de  Law,  507  ;  —  ap- 
pliqués au  commerce  libre,  618, 
655,  657. 

Tellichéri,  comptoir  de  la  Com- 
pagnie de  Colbert,  209  n.  3, 
224. 


Thé.  Commerce  du  —,    220,  291 

n.   2,  493,  49 i. 
Tissus    de     coton.     Commerce 

des  —,221,225,  488,489,  644; 

difficultés    qu'il  soulève,   232  ; 

prohibition  de  leur  importation, 

235,  504  ;  industrie   des   —  en 

France,  233. 
Tonkin.    Expédition  au  — ,  229 

n.  ;  commerce  du  — ,  4%. 
Tonnage,  244  n.  2,  515. 
Tonneau  (droits  de),  accordés  à 

la  Compagnie  de  Colbert,  231  ; 

—  accordés  à  la  Compagnie  de 
Law,  511  n .  563  n 

Trésorerie  Nationale.  Kole 
dans  la  liquidation  de  la  Com- 
pagnie des  Indes,  664,  668. 

Trichinopoli,36ô,  371,  375,  401. 

Troupes  de  la  Compagnie  de 
Colbert,  135,  201,  209  ;  —  de  la 
Compagnie  de  Law,  360  n., 
366  n.  2,  371  n.  458,  460. 

Vaisseau,  242,  n.,  516,  520. 

Ventes,  236,  237,  499,  500,  506, 
508,  604. 

Ville  le  Roux  (de  la),  député 
de  Lorient  aux  Etats-Généraux, 
643  n.  2,  656. 

Villeroy  (de) ,  gouverneur  de 
Lyon, correspondant  de  Colbert, 
128. 

Visa  du  duc  de  Noailles,  298,  327  : 

—  consécutif  au  Système,  324, 
Wydah,   chef-lieu   du  gouverne- 
ment de  la  Guinée,  464. 

Yanaon.  Acquisition  de  — ,  368  ; 
comptoir  de  — ,  421,  467,  625 
n.l. 


712 


TABLE    ANALYTIQUE    DES   MATIERES 


Compagnie  des  Indes  (française),  créée  par  Henri  IV,  57, 

l»  Compagnie  de  Le  Roy  et  Godefroy,  56  :  reroil  une  cl)arte,  57; 
caractères  principaux,  58;  prépare  une  expédition,  60;  est  arrêtée  par 
riiostilité  de  la  Hollande,  61  ;  obtient  le  renouvellement  de  son  privi- 
Ipge,  61  ;  causes  de  son  échec,  66. 

2°  Compagnie  des  Moluques,  63;  incertitude  sur  son  action,  63  ; 
causes  probables  de  son  échec,  66. 

3»  Compagnie  d'Orient.  Origine,  71  ;  constitution  en  compagnie  pri- 
vilégiée, 73;  sa  mission,  73,  75;  ses  opérations,  76;  fondation  de 
Kort-Dauphin,  77;  difficultés  de  cette  entreprise,  78;  gouvernement 
de  Flacourl,  80  ;  la  Compagnie  abandonne  sa  colonie  à  elle-même, 
82,  84  ;  intervention  du  duc  de  la  Meilleraye,  84,  88;  la  Compagnie 
fait  renouveler  son  privilège,  88  ;  négociations  avec  la  Meilleraye,  89  ; 
la  Compagnie  cesse  ses  opérations,  91  ;  intérêt  qu'elle  présente,  92  : 
moyens  d'action  dont  elle  disposa,  résultais,  93;  son  entreprise  pou- 
vait-elle réussir?  94  ;  elle  cède  ses  droits  à  la  Compagnie  de  Colbert, 
1J9. 

4"  Compagnie  des  Indes  Orientales  Compagnie  de  Colbert). 
Sa  place  dans  l'œuvre  de  Colbert,  107  :  motifs  et  occasion  de  sa  créa- 
tion,108,111  ;  «  Discours»  de  Charpentier, 114;  rédaction  et  approbation 
des  statuts, 117  ;  règlement  de  la  situation  avec  Ja  Compagnie  d'Orient, 
119  ;  édit  d'août  1664,121  ;  constitution  du  capital,  123  ;  la  Compagnie 
envoie  des  ambassadeurs  en  Asie,  133  ;  expédition  de  M  ,  de  Beausse, 
134  ;  première  assemblée  générale,  139  ;  expédition  de  M.  de  Monde- 
vergue,  141  ;  François  Caron,  son  plan,  145  ;  premiers  établissements 
dans  l'Inde,  création  du  comptoir  de  Surat,  146;  l'alfaire  Mondever- 
gue,  148  ;  Colbert  cherche  une  clientèle  étrangère,  151  ;  la  Compa- 
gnie abandonne  la  colonisation  de  Madagascar,  157  ;  expédition  de 
M.  de  la  Haye,  161  ;  guerre  de  Hollande,  conquête  de  San  Thomé, 
165  ;  sa  perle,  destruction  de  nos  comptoirs  par  les  Hollandais,  168  ; 
création  de  nouveaux  comptoirs:  Pondicbéry,  Chandernagor,  170  ; 
stagnation  des  affaires  de  la  Compagnie,  elle  accorde  des  permissions 
aux  commerçants  particuliers,  172  ;  gouvernement  de  Baron,  174  ; 
tentative  d'établissement  au  Siam,  177  ;  opérations  de  la  Compagnie 
pendant  la  guerre  de  la  Ligue  d'Augsbourg,  179  ;  siège  el  capitula- 
lion  de  Pondichéry,  180;  relèvement  momentané  de  la  Compagnie, 
182  ;  renouvellement  de  son  privilège,  187. 

Administration,  188;  le  Syndicat  Provisoire,  192;  la  Direction  (Géné- 
rale, 193  ;  les  Chambres  Particulières,  19Ô  ;  régie  des  affaires  de  la 
Compagnie,  195;  all'aires  conlentieuses,  19(5;  administration  du  do- 
maine colonial,  199  ;  droits  de  souveraineté,  200  ;  obligations  de  la 
Compagnie,  203  ;  situation  des  Français  dans  ses  possessions,  204  î 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERES 


713 


le  Conseil  Souverain,  207  ;  les  Conseils  Particuliers,  208  ;  organisation 
militaire,  209  ;  personnel  commercial,  209  ;  réformes  de  celte  admi- 
nistration, 211  ;  ingérence  du  gouvernement  royal  dans  les  affaires  de 
la  Compagnie,  213. 

Commerce,  217  :  le  commerce  des  Indes  :  épices,  drogues,  218  ;  gran- 
des divisions  commerciales  de  Tlnde,  221;  échec  de  rétablissement 
de  la  Compagnie  dans  l'Archipel,  227  :  projets  sur  la  Chine  et  le 
Japon,  229  ;  primes  et  exemptions  accordées  à  la  Compagnie,  231  ; 
elle  fait  concurrence  aux  industries  françaises,  232;  prohibition  du 
commerce  des  tissus  des  Indes,  235  :  traités  avec  les  sociétés  d'arma- 
teurs malouins,  238. 

Marine,  241  ;  constitution  de  la  flotte  de  la  Compagnie,  243  ;  premiers 
voyages,  246,  247  ;  choix  d'un  port,  création  de  Lorient,  249  ;  expé- 
ditions et  retours  annuels,  252  et  suiv.  ;  opérations  de  la  Compagnie 
en  temps  de  guerre,  258  ;  relèvement  de  son  activité,  260  ;  chute  dé- 
finitive et  délaissement  de  Lorient,  262. 

Financer,  264;  composition  et  division  du  capital,  265:  nature  et 
comptabilité  des  actions,  266  ;  souscriptions,  versements,  266  ;  sub- 
vention du  Roi,  ses  conditions  ,  267  ;  chitîre  réellement  atteint 
par  le  capital,  268  ;  ressources  de  la  Compagnie,  269  ;  dépenses  des 
armements,  269  ;  réforme  financière  de  1675,  272  ;  appels  de  fonds 
aux  actionnaires,  274  ;  déchéance  des  actionnaires  en  retard,  leur  rem- 
placement, 275  ;  intérêts  imposés  par  le  gouvernement,  274,  276  ; 
répartitions  supplémentaires  faites,  puis  rapportées,  277  ;  emprunts 
pour  les  armements,  accroissement  de  la  dette,  insolvabilité  de  la 
Compagnie,  278. 

5"  Compagnie  des  Indes  (Compagnie  de  Law  .Origine  et  éléments, 
281  ;  Compagnie  des  Indes  Occidentales,  282,  284  ;  autres  Compagnies 
créées  sous  le  règne  de  Louis  XIV, 288  et  suiv.;  Compagnied'Occident 
294  ;  le  Système  de  Law,297  ;  constitution  de  la  Compagnie  des  Indes, 
306  ;  émissions  de  ses  actions, 308  et  suiv.;  elle  acquiert  le  bail  des  Fer- 
mes, 310:  elle  acquiert  la  recette  des  Finances,  311  ;  elle  s'engage  à 
rembourser  les  dettes  de  l'Etat,  312  ;  réunion  de  la  Banque  à  la  Com- 
pagnie, 319  ;  chute  du  Système, mise  en  tutelle  de  la  Compagnie,  323  : 
situation  de  la  Compagnie  à  la  sortie  du  Système,  325  ;  étendue  de 
sa  concession,  330;  l'Inde  pendant  le  Système,  332;  gouvernement 
de  Lenoir,  acquisition  de  Mahé,  332  ;  la  Compagnie  renonce  à  la 
Barbarie  et  à  la  Louisiane,  334  ;  situation  intérieure  de  l'Inde,  335  ; 
les  Européens  en  Asie,  339;  rapports  avec  la  Compagnie  anglaise, 
341  ;  gouvernement  de  Dumas,  acquisition  de  Karikal,  342  ,  nomi- 
nation de  Dupleix,  344  ;  ouverture  de  la  guerre  de  Succession  d'Au- 
triche, 349;  expédition  de   La  Bourdonnais,  351  ;  prise  de   Madras, 


714 


TABLE    ANALYTIQUE    DES    MATIERES 


356;  rivalité  de  Dupleix  et  de  La  Bourdonnais,  357;  siège  de  Pon- 
dichéry,  360  ;  traité  d'Aix-la-Chapelle,  361  ;  la  politique  de  Dupleix, 
363  ;  il  s'allie  aux  princes  indiens,  366  ;  conquête  du  Carnatic, 
acquisition  de  Masulipatam,  Yanaon  et  Divi,  368  ;  conquête  du 
Deccan,  369  ;  désastre  de  Trichinopoli,  371  ;  rappel  de  Dupleix,  376  ; 
négociations  avec  la  Compagnie  anglaise,  378  ;  traité  de  Sadras,  381, 
le  gouvernement  royal,  la  Compagnie  et  les  affaires  de  l'Inde, 
383  ;  les  instructions  de  La  Bourdonnais,  387  ;  la  Compagnie  et 
la  guerre  en  Europe,  attaque  de  Lorient,  389;  pertes  maritimes, 
390  ;  la  politique  de  Dupleix  incomprise,  392  ;  il  est  entravé  dans 
ses  desseins,  393,  394  ;  accord  avec  la  Compagnie  anglaise,  395  ; 
mission  de  Godeheu,  396  ;  gouvernement  de  Duval  de  Leyrit,  main- 
tien de  la  politique  de  Dupleix,  400  ;  expédition  de  Lally-ToUen- 
dal,  402  ;  mission  de  Lally-Tollendal,  406  ;  prise  de  Gondelour  et  du 
fort  Saint-David,  407,  408  ;  échec  devant  Tanjore,  411  ;  siège  de  Ma- 
dras, 412;  bataille  de  Wandiwash,  417;  siège  et  capitulation  de 
Pondichéry,  418  ;  ruine  du  domaine  colonial  de  la  Compagnie, 
420,422. 

Administration  :  Administration  centrale,  423  ;  caractère,  424  ;  formes 
successives,  425,  426,  427,  430,  435,  437  ;  régie  des  affaires  courantes, 
439;  comité  secret,  441  ;  comptabilité,  441  ;  correspondants  en  pro- 
vince et  à  l'étranger,  442  ;  assemblées  générales,  443  ;  Commissaires 
du  Roi,  444  ;  Directeurs,  445  ;  Syndics  447  ;  Actionnaires,  448- 
Administration  coloniale,  452  ;  classification  des  possessions  de  la. 
Compagnie,  453  ;  les  gouverneurs,  454  ;  les  conseils,  leur  compétence 
455  ;  personnel  commercial,  457,  organisation  militaire,  troupes,  458  ; 
étude  des  différentes  parties  du  domaine  de  la  Compagnie  :  Loui- 
siane, 461  ;  Saint-Domingue,  462;  Sénégal,  462;  Guinée,  464  ;  Bar- 
barie, 465  ;  Inde,  465  ;  Mascareignes,  468  ;  Moka,  470  ;  Canton,  471. 

Commerce,  472;  commerce  pendant  le  Système,  315,  473  ;  Louisiane, 
473  ;  Saint-Domingue,  475  ;  Castor,  477  ;  Barbarie,  478  ;  Sénégal, 
480  ;  Guinée,  482  ;  Madagascar,  les  Mascareignes,  484  ;  Moka,  com- 
merce des  cafés,  487  ;  Surat,  488  ;  Malabar,  Coromandel,  Bengale, 
489  ;  Chine,  493  ;  envois  et  retours  annuels,  498  ;  commerce  de  la 
Compagi.,.  en  France,  503  ;  prohibitions,  504  ;  marque  505  ;  ventes, 
oOô  ;  répression  de  la  fraude,  508;  droits  de  tonneau,  de  nègres  et 
de  café,  511. 

Marine.  Marine  sous  le  Système,  513;  composition  de  la  Hotte  de  la 
(ïompagnie,  516  et  suiv.  ;  première  et  seconde  navigations, 525  ;  étals- 
majors,  hiérarchie,  appointements,  ports-permis,  527  ;  équipages, 
528  ;  voyages,   533  et  suiv.  ;  naufrages,  537  ;  opérations  militaires, 


TABLE    ANALYTIQUE    DES    MATIÈRES  715 

540  ;  perles  causées  par  les  guerres,  541  ;  organisation  du  porl  de  Lo- 
rienl,  543. 
Finances.  Capital,  composition  et  division,  548;  la  Compagnie  déchar- 
gée des  opérations  du  Système,  549  ;  exploitation  des  Tabacs,  550  ; 
situation  en  1725,  551  ;  en  1736,  554  ;  en  1748,   556;  revenus  de  la 
Compagnie  de  1725  à  1743,  558  ;  cours  des  actions,  dividendes,  561^ 
565,  573  ;  rétrocession   des   Tabacs,   563  ;   situation  en    1756,  567  ; 
en  1769,  575  ;  loteries,  550,  552,  564,  571,  572,  575  ;  emprunts  per- 
pétuels, 570,  575. 
Chiite  de  la  Compagnie  de  Law,  581  ;  mémoire  de  M.  de  Gournay,584  ; 
situation  difficile  de  la  Compagnie  en  1769,590  ;  projet  de  transforma- 
tion en  Caisse  d'Escompte,  591  ;  mémoire  de  l'abbé  Morellet,   594  et 
suiv.  ;  réponse  de  Necker,  602  et  suiv.  ;  dernière  assemblée, 608  ;  sus- 
pension du  privilège,610  ;  enquête  et  remontrances  du  Parlement, 611  ; 
situation  faite  à  la  Compagnie  sous  le  régime  nouveau,  613;  liquida- 
tion de  la  Compagnie, 614, 661  ;  transfert  de  cette  opération  à  l'adminis- 
tration du  Trésor,  664  ;  l'Etat  se  charge  des  pensions  accordées  par  la 
Compagnie,  665  ;  inscription  des  actionnaires  au  Grand-Livre,  666. 
6"  Compagnie   des  Indes   (Compagnie    de  Galonné).  Création, 
628  ;  situation   vis-à-vis   de  la  Compagnie  de  Law,  629  ;  différences 
avec  les  précédentes   Compagnies,  630  ;    étendue  de   son   privilège, 
621  ;  statuts  et  organisation,  633;  régie  de  ses  affaires,  636;  protes- 
tations du  commerce  particulier,  639  ;  opérations  commerciales,  642; 
les  cahiers  des  Etats-Généraux  et  le  privilège  de  la  Compagnie,  646; 
discussion  du  privilège    à   la  Constituante,  648  ;    sa  suppression, 
653  ;  la  Compagnie  continue   son    commerce,  658  ;   sa  suppression 
décrétée  par  la  Convention,  660;  ouverture   de  la  liquidation,  667; 
vente  de  ses  biens,  668  ;  réintégration    des   actionnaires   dans   leurs 
droits,   669;  poursuite  de  ces   droits  et  opérations  de  la  liquidation 
dans  la  première  moitié  du  xix*  siècle,  670  ;  la  Compagnie  n'est  plus 
représentée,  670  ;  reprise  des  opérations,  recherche  des  actionnaires, 
671  ;  opposition  de  l'administration  des  Domaines  au  partage  de  l'ac- 
tif,   671  ;  échec  des   revendications    de   la   Compagnie    au   Conseil 
d'Etat,  672;  échec  du  recours  gracieux  au  Sénat,  673;  dernièr^îs  as- 
semblées et  partage  du  reliquat  de  l'actif,  674. 


ERRATA 


Page  XVIII,  ligne  3,  au  lieu  de  :  1  vol.,  lire  :  5  vol. 

—  79,  ligne  12,  au  lieu  de  :  1846,  lire  :  I6i8. 

—  226,  note    1,  ligne  1,  au    lieu  de  :  San   Rome,  lire  :  San  Thomc. 

—  244  note  2,  ligne  8  au  lieu  de  1  me.  830,  lireiJ  me.  830, 

—  245  note,  ligne  12  au   lieu  de    1   me.  830,   lire  :    2  me,  830  ; 

ligne  13  lire  :   ne   mesurerait  aujourd'hui   que  509 
tonneaux  net  et  560  brut. 

—  498,  note    1,  ligne  1,  lire  :  sont  empruntés  à  Raynal  par  le  Dic- 

tionnaire  

—  532,  note    1,  ligne  4,  au  lieu  de  :  Bndar   Abbas,  lire  :   Randar- 

Abbas. 

—  585,  noie  1,  ligne  1,  lire:  d'un    ouvrage    de    Clicquot-Blenache 

paru... 


Imp.  J.  Thevenot.  Saint-Dixier  ^Haute-Marne). 


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Weber,   Henry 

^*'.  '         ^89  La  cor^pasTiie  française  des 

W-  ■'    ^--^      E5WA3       Indes 


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