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Full text of "La conjuration antichrétienne : le temple maçonnique voulant s'élever sur les ruines de l'Église Catholique"

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LA  CONJURATION  ANTICHRÉTfENNE 


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M'"  Hehri  DELASSUS 

DOCTEUR  EK  THÉOLOGIE 

La  conjuration 

ANTICHRÉTIENNE 

Le  Temple  Maçonnique 

voulant   s'éler>er   sur    les    ruines    de 

rÉgUse  Catholique 


Les  puissances  de  l'enfer  ne  prévau- 
dront pas  contre  Elle. 

(Matth.,  XVI.  18.) 


Société  Saint'Augustin 
Desclée,   De  Brouwer  et   C'" 

LILLE,  41 ,    Rue  du  Metz  -* 

0 


NTHIL  OBSTAT  : 

Insulis,  die  11  Novembris  1910. 

K.  Qdilliet,  s.  th.  d. 

librorum  censor. 


IMPRIMATUR 

Cameraci,  die  12  Novembris  1910. 
A.  Massakt,  vie.  gen, 
Domus  Pontificise  Antistes. 


L'AGENT    DE  LA 
CIVILISATION    MODERNE 


II.  -  CONSTITUTION 
ET  MOYENS  D'ACTION 

DE  LA  FRANC-MAÇONNERIE 


CHAPITRE  XXIII 


VENTES  ET  HAUTE  VENTE 


Le  plan  de  désorganisation  totale  de  la  société 
chrétienne  que  nous  avons  ru  exposé  dans  la  corres- 
pondance des  Encyclopédistes  et  dans  les  papiers 
des  Illuminés,  ne  fut  abandonné  ni  en  1801  ni  en 
1814  ni  en  1870.  Nos  lecteurs  ont  pu  s'en  con- 
vaincre par  le  rapide  exposé  que  nous  avons  fait 
de  l'action  maçonnique  durant  toute  cette  période. 
La  Révolution  de  89  n'avait  pu  le  réaliser  complète- 
ment, et  l'instinct  de  la  conservation  avait  fait  ren- 
trer la  société  sinon  dans  les  voies  les  plus  droites, 
du  moins  dans  celles  qui  paraissaient  devoir  l'éloi- 
gner de   l'abîme   où   elle   avait   failli   sombrer. 

Barruel,  voyant  arriver  la  réaction,  avait  fait  dès 
1798  'cette  prophétie  que  de  Maistre  formulait  de 
son  côté  avec  non  moins  d'assurance  : 

«  Ce  que  les  sectaires  ont  fait  une  première  fois, 
ils  le  feront  encore,  avant  d'éclater  de  nouveau.  Ils 
poursuivront  dans  les  ténèbres  le  grand  objet  de 
leur  conspiration,  et  de  nouveaux  désastres  appren- 
dront aux  peuples  que  la  Révolution  française  n'était 
que  le  commencement  de  la  dissolution  universelle 
que  la  secte  médite.  » 


;U6      l'agent    de   la   civilisation    moderne 

La  dissolution  universelle  par  la  diffusion  dans 
toutes  les  parties  du  monde  de  l'esprit  révolution- 
naire gui  a  eu  en  France,  il  j  a  un  siècle,  sa  pre- 
mière explosion,  apparaît  bien  menaçante,  à  l'heu- 
re actuelle,  à  tous  les  sociologues  et  à  tous  les  hom- 
mes d'Etat  de  l'ancien  et  du  nouveau  monde. 

De  nouveaux  désastres,  plus  étendus  que  ceux 
de  la  fin  du  XVIII^  siècle,  et  plus  radicalement  des- 
tructeurs, s'annoncent  dans  les  idées  qui  ont  cours, 
dans  les  faits  qui  se  produisent  :  faits  prémonitoires, 
qui  nous  instruisent  de  ce  que  ces  idées  renferment 
et  nous  avertissent  de  ce  qu'elles  appellent. 

Aujourd'hui  comme  au  XVIII®  siècle,  elles  sont 
élaborées  dans  les  sociétés  secrètes  et  introduites 
par  elles  dans  tous  les  pays  comme  dans  toutes  les 
classes  de  la  société. 

Nous  avons  vu  les  sectaires  distillant,  avant  89, 
leurs  poisons  dans  les  académies  voltairiennes,  dans 
les  loges  maçonniques  et  dans  les  arrière-loges  illu- 
minées, puis  les  inoculant  au  corps  social  qui  faillit 
en  périr. 

Nous  avons  vu  dans  la  période  qui  s'étend  de 
1802  à  nos  jours,  les  mêmes  idées  reparaître  et 
prendre  corps  tantôt  dans  une  institution,  tantôt  dans 
une  autre.  Aujourd'hui,  on  est  venu  à  ce  point  d'en- 
tendre proclamer  jusque  dans  le  Parlement  la  cer- 
titude d'arriver  cette  fois  définitivement  à  ruiner  la 
religion;  ailleurs  on  ne  s'en  tient  point  là,  mais 
on  dit  qu'il  faut  renverser  tout  l'ordre  social,  abolir 
la  famille  et  la  propriété  pour  substituer  à  tout  ce 
qui  est  depuis  le  christianisme,  depuis  même  le 
commencement  du  monde,  un  état  de  choses  que  l'on 
se  garde  de  définir. 

Ceux  qui  manifestent  ces  desseins  sont  évidem- 
ment  les   héritiers   des   Encyclopédistes   et   des   Illu- 


VENTES  ET  HAUTE  VENTE         317 

minés  et  des  Jacobins,  du  moins  quant  aux  idées 
et  aux  intentions.  Sont-ils  plus  que  cela?  Y  a-t-il 
entre  ceux-ci  et  ceux-là  un  lien  social  aui  en  fait 
un  même  corps,  un  même  être,  continuant  à  vouloir 
au   XX^   siècle   ce   qu'il   a  entrepris    au  XVIIle? 

Le  même  but,  également  avoué  de  part  et  d'au- 
tre et  poursuivi  d'une  manière  continue,  semble  bien 
révéler  la  présence  d'un  seul  et  même  agent. 

Nous  avons  pour  croire  à  cette  identité  plus  que 
des  soupçons  raisonnes.  Nous  possédons,  du  moins 
pour  les  années  écoulées  entre  la  Restauration  et  la 
chute  du  pouvoir  temporel  des  Papes,  des  documents 
semblables  à  la  correspondance  de  Voltaire  et  aux 
Ecrits  saisis  par  la  Cour  de  Bavière.  Par  un  sort 
tout  pareil,  ils  tombèrent  entre  les  mains  de  l'Au- 
torité pontificale,  et  comme  le  gouvernement  de  Ba- 
vière avait  publié  ceux  qu'il  avait  saisis,  les  Papes 
Grégoire  XVI  et  Pie  IX  firent  publier,  comme  nous 
le  verrons,  ceux  que  la  Providence  mit  entre  leurs 
mains. 

Pour  les  temps  qui  ont  suivi  l'usurpation  piémon- 
taise,  c'est-à-dire  ceux  où  nous  sommes,  nous  n'avons 
encore  pour  nous  convaincre  de  la  permanence  de 
cet  organisme,^  que  la  lumière  des  faits,  mais  elle 
n'est  que  trop  éclatante. 

Le  principal  ressort  en  était  situé,  avons-nous  dit, 
au  XVIII^  siècle,  en  Bavière  et  mû  par  la  main  de 
Weishaupt.  A  l'époque  de  la  Restauration,  nous  le 
voyons  transporté  en  Italie.  Aujourd'hui,  son  action 
se  fait  surtout  sentir  en  France,  mais  on  peut  croire 
que  la  main  qui  lui  donne  l'impulsion  est  ailleurs. 

La  maçonnerie  est  cosmopolite.  C'est  dans  tous 
les  pays  du  monde  qu'elle  complote  et  qu'elle  a^it 
contre  l'Eglise  catholique.  Elle  a  juré  de  l'anéantir 
complètement    et   par   conséquent   partout. 


318      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

Mais  si  elle  est  présente  efc  agissante  sur  tous 
les  points  de  l'univers,  elle  ne  se  conduit  point 
partout  de  la  même  façon.  Comme  M.  Claudio  Jan- 
net  le  fait  observer  avec  beaucoup  de  raison,  elle 
a  ses  centres  de  direction  et  ses  théâtres  d' opération. 
Les  centres  de  direction  se  dissimulent  dans  les  pays 
protestants.  Là  sont  les  repaires  les  plus  secrets 
de  la  secte,  là  se  préparent  les  révolutions  qui  doi- 
vent éclater  ailleurs.  Les  théâtres  d'opération  sont 
d'ordinaire  les  pays  catholiques,  et  paiticulièrement 
la  France,  l'Italie,  l'Espagne,  le  Portugal,  en  un  mot 
les  pays  latins  les  plus  imprégnés  de  la  civilisation 
chrétienne,  c'est  contre  eux  que  la  maçonnerie  in- 
ternationale a  toujours  dressé  ses  plus  formidables 
batteries.    (1). 

Pour  l'époque  dont  nous  allons  nous  occuper,  c'est 
l'Italie  qu'elle  révolutionne,  et  ses  principaux  ins- 
truments sont  le  Carbonarisme  et  îa  Haute-Vente, 
à  qui  a  été  donnée  la  mission  confiée  autrefois  à 
rilluminisme. 

Le  Carbonarisme  fut  une  société  plus  secrète  dans 
rassocia,tion  secrète  de  la  Maçonnerie.  «  La  Franc- 
Maçonnerie,  dit  M.  Copin-Albancelli,  est  un  édifice 
truqué  qui,  à  bon  escient,  laisse  voir  aux  profanes 
une   façade  étrange   et  hypocrite,   et  qui  ouvre  à  la 

1.  Il  est  de  l'intérêt  de  la  maçonnerie  internationale,  pour 
le  but  qu'elle  se  propose,  de  maintenir  l'ordre  extérieur 
dans  les  pays  protestants,  tandis  qu'elle  révolutionne  les 
pays    catholiques. 

On  voit  par  là  ce  qu'il  faut  penser  des  tirades  en- 
thousiastes sur  la  supériorité  des  nations  anglo-saxonnes 
du  système  américain,  etc.,  etc.  Dans  une  revue  très 
répandue,  une  plume  naïve  écrivait  récemment,  à  propos  des 
francs-maçons  persécuteurs  :  ce  phylloxéra  ne'  prend  pas 
sur  la  vigne  américaine!  De  telles  déclarations  sont  de 
nature  à  rassurer,  en  les  égayant,  les  chefs  des  sociétés 
secrètes. 


VENTES  ET  HAUTE  VENTE  319 

main  des  F.  •  .  F.  • .  des  appartements,  dont  certaines 
portes  plus  ou  moins  dissimulées  dans  la  muraille 
demeurent  perpétuellement   closes.  » 

De  telle  sorte  qu'il  existe  deux  maçonneries  :  1° 
celle  qu'on  nous  permet  de  voir  parce  qu'on  ne  peut 
pas  faire  autrement,  et  qui  se  manifeste  par  des 
temples  ayant  pignon  sur  rue,  par  des  bulletins, 
des  revues,  voire  même  des  volumes  savamment  cui- 
sinés, par  des  fêtes  et  des  couvents,  par  une  organisa- 
tion i}urement  administrative  de  loges,  de  conseils 
et  d'obédiences. 

S°  Celle  que  l'on  cache  soigneusement,  non  seule- 
ment aux  profanes,  mais  aussi  à  la  grande  majorité 
des  affiliés.  C'est  le  caractère  particulier  de  la  Franc- 
Maçonnerie  de  n'être  point  une  seule  association, 
mais  plusieurs  associations,  organisées  par  superpo- 
sition de  groupes  dont  les  supérieures  constituent 
de  véritables   sociétés   secrètes  pour  les  inférieures. 

La  Charbonnerie,  l'un  de  ces  groupes  supérieurs  aux 
loges  fut  créée  pour  travailler  au  renversement  de 
tous  les  trônes  et  surtout  à  l'anéantissement  de  la 
puissance  pontificale,  clef  de  voûte  de  l'ordre  social. 
La  Haute-Vente  fut  dans  le  Carbonarisme  même  une 
société  plus  secrète  encore,  recevant  des  instructions 
plus  mystérieuses  et  plus  précises  pour  diriger  les 
efforts  et  du  Carbonarisme  et  de  la  Maçonnerie  et  les 
faire  converger  vers  le  but  que  nous  venons  de 
marquer. 

Dans  les  sociétés  chrétiennes,  telles  que  la  sagesse 
des  siècles  et  l'esprit  de  l'Evangile  les  avaient  consti- 
tuées, les  rapports  établis  entre  le  pouvoir  civil  et 
le  pouvoir  religieux  pour  le  bien  du  peuple,  faisaient 
que  l'autorité  temporelle  formait  au  catholicisme  et 
à  l'idée  cnrétienne  un  premier  rempart.  Aussi,  la 
détruire,   en   tuant   les  rois   et  en  brisant  leurs  trô- 


320      l'agent   de   la   civilisation    moderne 

nés,  fut  la  première  œuvre  qu'entreprit  la  Franc- 
Maçonnerie.  Nous  avons  ru  à  quel  jour  et  par  quels 
conspirateurs  fut  décrétée  la  mort  de  Louis  XVI.  L'as- 
sassinat du  duc  d'Enghien  et  du  duc  de  Berry  qui 
suivirent,  la  conspiration  permanente  des  sociétés 
secrètes  contre  les  Bourbons  de  France,  d'Espagne, 
de  Portugal,  de  Naples  et  de  Parme,  partout  termi- 
née par  leur  expulsion  à  travers  des  flots  de  sang 
et  par  les  plus  ignobles  trahisons,  ne  peuvent  laisser 
aucun  doute  sur  le  sens  de  la  devise  maçonnique  : 
Lilia  pedibus  destrue;  et,  comme  le  dit  Deschamps, 
ce  sera  l'éternel  honneur  de  la  plus  ancienne,  de  la 
plus  glorieuse,  de  la  plus  paternelle  des  races  royales, 
d'avoir  été  choisie  comme  premier  but  dans  le  ren- 
versement de  la  religion  et  de  la  société  par  les  fana- 
tiques scélérats  qui,  sous  le  nom  de  Maçons,  de 
Carbonari,  ont  juré  de  les  détruire. 

Renverser  les  trônes  fut  l'œuvre  plus  particulière- 
ment assignée  aux  Carbonari.  A  la  Haute-Vente  fut 
donnée  celle  de  faire  disparaître  le  pouvoir  tem- 
porel des  Papes  et  celle,  plus  hardie  encore  et  plus 
incroyable,  de  corrompre  l'Eglise  catholique  dans  ses 
membres,  dans  ses  mœurs  et  même  dans  ses  dog- 
mes. 

Lors^que  la  chtite  de  Napoléon  eut  amené  en  France 
la  Restauration  des  Bourbons,  la  franc-maçonnerie 
craignit,  malgré  les  précautions  qu'elle  avait  su  pren- 
dre, un  mouvement  de  recul  pour  l'œuvre  révolution- 
naire, dans  l'Europe  entière.  Les  peuples  voyaient 
la  paix  succéder  aux  plus  terribles  guerres,  la  pros- 
périté renaître  du  sein  des  ruines,  le  bonheur,  si 
longtemps  absent,  se  répandre  de  proche  en  proche. 
L'opinion  publique,  revenant  aux  idées  monarchi- 
ques et  religieuses  en  France,  en  Italie,  en  Espagne  et 


VENTES  ET  HAUTE  VENTE  321 

en  Allemagne,  comprenait  que  tous  les  malheurs 
étaient  venus  de  l'abandon  des  principes  sur  les- 
quels   la   société   avait   reposé   jusque-là. 

Les  chefs  suprêmes  de  la  secte  se  dirent  qu'ils 
ne  pouvaient  laisser  s'étendre  et  se  développer  ce 
mouvement  contre-révolfuiionnaire.  Ils  résolurent  non 
seulement  de  l'arrêter,  mais  de  reprendre  l'offen- 
sive. Le  Pouvoir  occulte  fit  rouvrir  les  loges  qui 
s'étaient  fermées,  tandis  que  les  membres  des  arriè- 
re-loges arrivés  au  Pouvoir  versaient  le  sang  à  flots 
et  accumulaient  ruines  sur  ruines.  Il  se  mit  en  me- 
sure de  préparer  la  seconde  phase  de  la  Révolution, 
celle  où  nous  nous  trouvons  qui,  espère-t-il,  réussira 
à  établir  définitivement  la  civilisation  nouvelle  sur 
les  débris  de  toutes  les  institutions  anciennes,  civiles, 
nationales,  religieuses,  en  France,  en  Europe  et  sur 
toute  la  surface  de  la  terre.  De  fait,  nous  avons 
vu  sous  la  royauté  légitime,  comme  sous  la  royauté 
usurpatrice,  sous  la  seconde  et  la  troisième  République 
aussi  bien  que  sous  le  second  Empire,  se  dévelop- 
per un  plan  d'attaque  contre  l'Eglise  et  contre  la 
société,  qui  se  révélait  comme  savamment  étudié 
et  persévéramment  poursuivi,  triomphant  toujours  des 
difficultés  que  faisaient  naître  les  événements  im- 
prévus ou  ceux  qui,  dans  leurs  effets,  se  montrent 
plus   forts   que   toute   puissance   humaine. 

Une  telle  sagesse,  une  telle  persévérance,  un  tel 
succès  révèlent  bien  un  organisme  aussi  puissant 
que  souple  toujours  dans  la  main  des  mêmes,  les 
chefs    de    la    conjuration   antichré tienne. 

Ils  fondèrent  donc  dans  les  années  qui  suivirent 
le  rétablissement  de  l'ordre  les  Ventes  de  charbon- 
niers. 

L'Église  et  le  Temple.  21 


322      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

Carbonari,  Vente  (1)  :  Ces  noms  étranges  furent 
pris  pour  mieux  cacher  le  complot;  les  conspirateurs 
se  présentèrent  comme  associés  pour  un  commerce 
de  charbon  (2).  Les  Ventes  étaient  de  trois  classes 
ou  de  trois  degrés  :  les  Ventes  particulières,  les 
Ventes  centrales  et  la  Haute-Vente.  La  Haute- Vente 
était  composée  de  quarante  membres.  Elle  se  recru- 
tait elle-même  et  exerçait  sur  toute  la  Charbonnerie 
une  autorité  sans  limite  et  sans  contrôle.  Lorsque 
la  création  d'une  Vente  centrale  était  jugée  utile, 
deux  membres  de  la  Haute-Vente  s'adressaient  à  un 
carbonaro,  membre  d'une  Vente  particulière,  qu'ils 
estimaient  propre  à  leur  dessein,  et,  sans  lui  faire 
connaître  qu'ils  appartenaient^  eux,  à  une  société  en- 
core plus  secrète,  ils  lui  proposaient  l'organisation 
d'une  Vente  supérieure  à  celle  dont  il  faisait  déjà 
partie. 

De  même,  pour  former  une  Vente  particulière,  deux 
membres  d'une  Vente  centrale  choisissaient  un  franc- 
maçon  dont  le  caractère,  la  position  sociale  et  le 
degré  d'initiation  pouvaient  assurer  à  la  Vente  l'in- 
fluence voulue.  Sans  faire  connaître  ce  qu'ils  étaient 
eux-mêmes,  ils  lui  proposaient  simplement  de  former, 
avec  lui  et  avec  quelques  autres  maçons  à  recruter, 
une  association  d'ordre  supérieur  à  la  franc-maçon- 
nerie. Des  Ventes  particulières,  en  nombre  illimité, 
étaient  ainsi  rattachées  à  une  Vente  centrale  par  deux 
de  leurs  membres,  qu'elles  ne  savaient  pas  être  en 
rS^pport  avec  une  association  supérieure  à  la  leur;  et 
les  Ventes  centrales,  aussi  en  nombre  illimité,  étaient 
rattachées  de  la  même  manière  à  la  Haute-Vente,  qui 

1.  Carbonarisme  en  Italie,  Charbonnerie  en  France,  Tu- 
gendhund    en    Allemagne,    Communeros    en   Espagne. 

2.  Déjà  Weishaupt  avait  donné  aux  siens  le  conseil  de 
se  dissimuler  en  prenant  les  apparences  de  sociétés  de 
marchands. 


VENTES  ET  HAUTE  VENTE  323 

gouvernait  le  tout  sans  être  aperçue  nulle  part  (1). 
Les  sociétés  secrètes  étaient  ainsi  constituées  en  forme 
de  pyramide  humaine  dont  les  carbonari  tenaient 
le  centre;  les  loges,  la  base;  et  la  Haute- Vente  le 
sonmiet.  Toutes  les  pensées,  tous  les  mouvements, 
étaient  déterminés  par  une  suggestion  pénétrant  dans 
la  masse,  mais  qui  n'était  clairement  consciente  qu'au 
sommet  d'où  elle  descendait  dans  les  régions  infé- 
rieures. L.  Blanc,  après  avoir  loué  l'admirable  élas- 
ticité de  cette  organisation,  nous  apprend  qu'il  fut 
interdit  à  tout  charbonnier  appartenant  aune  Vente 
de  s'introduire  dans  une  autre  Vente.  «  Cette  inter- 
diction était  sanctionnée  par  la  peine  de  mort  ». 
Nous  verrons  que  la  Haute-Vente  n'était  pas  plus 
à  elle-même  son  propre  maître  que  les  Ventes  infé- 
rieures :  elle  recevait  ses  directions  d'un  Comité 
supérieur  dont  elle  savait  l'existence,  puisqu'il  la 
dirigeait,  mais  dont  elle  ignorait  le  siège  et  le  per- 
sonnel. 

Les  Ventes  centrales,  à  plus  forte  raison  les  Ven- 
tes particulières,  se  trouvaient  dans  la  même  situa- 
tion vis-à-vis  de  la  Haute-Vente.  Elles  recevaient  des 
instructions,  des  mots  d'ordre,  sans  savoir  d'où  ni 
de  qui  cela  venait. 

La  charbonnerie  est  justement  appelée  par  L.  Blanc 
«  la  partie  militante  de  la  franc-maçonnerie  (2)  ». 
n  dit  aussi,  et  on  peut  s'en  convaincre,  qu'elle  fut, 
comme  organisation,  «  quelque  chose  de  puissant  et 
de  merveilleux.  » 

Voici,  d'après  M.  Alfred  Nettement,  comment  la 
Charbonnerie   fut   introduite    en   France. 


1.  Saint-Edme,  Constitution  et  Organisation  des  Carbo- 
nari, 2e  édition,  p.  197.  «  La  Haute- Vente  »  était  la  oon- 
tinuation    de    «  l'Ordre    intérieur  »    d'avant    la    Révolution. 

2.  Ij  Histoire    de    Dix    Ans,    p.    98,    4e    édition. 


324      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

Trois  jeunes  gens,  Dugied>  Beslay  et  Joubert,  qui 
avaient  dû  s'exiler  de  France  après  la  conspiration 
du  19  août  1821,  furent  admis  dans  l'une  des  Ventes 
du  Carbonarisme  à  Naples.  Ils  y  étudièrent  la  pra- 
tique des  révolutions  et  on  particulier  le  mécanisme 
de  la  Charbonnerie.  A  leur  retour  en  France,  ils 
provoquèrent  une  réunion  d'intimes  à  cette  loge  des 
Amis  de  la  Vérité,  dont  nous  avons  déjà  parlé.  Ils 
y  firent  connaître  le  fonctionnement  ingénieux  et  re- 
doutable ide  ces  Ventes,  travaillant  dans  l'ombre,  sans 
se  connaître,  à  une  œuvre  commune,  et  mises  en 
rapport  d'une  manière  mystérieuse  avec  le  pouvoir 
suprême  d'où  venait  la  direction.  Après  les  avoir 
entendus,  les  Amis  de  la  Vérité  convinrent  que  cha- 
que membre  présent  étaT^lirait  une  Vente   (1). 

Lorsque  ces  Ventes  furent  assez  nombreuses,  un 
comité  directeur  fut  constitué.  En  faisaient  partie  La 
Fayette,  député  de  la  Sarthe;  son  fils  Georges,  dé- 
puté du  Haut-Rhin;  Manuel,  député  de  la  Vendée; 
Voyer-d'Argenson,  député  du  Haut-Rhin;  de  Corcel- 
les,  père,  député  du  Rhône;  Dupont  (de  l'Eure), 
député  de  l'Eure;  Jacques  Kœcklin,  député  du  Haut- 
Rhin;  M.  de  Beauséjour,  député  de  la  Charente-Infé- 
rieure de  1819  à  1820.  Les  membres  non  députés 
étaient  le  baron  de  Schoen,  Manguier,  Barthe,  Mé- 
rilhou  et  le  colonel  Fabvier.  Ce  fut  ce  Comité  direc- 
teur, ce  furent  ces  purs  patriotes  qui  organisèrent  les 
conspirations  militaires  de  Belfort,  de  Saumur,  de 
la  Rochelle  (2).  Il  avait  en  effet  donné  à  ses  affiliés 
une  organisation  militaire  et  il  enjoignait  à  chacun 
d'eux  d'avoir  un  fusil   et  cinquante   cartouches. 

Le  mystère  dans  lequel  le  Carbonarisme  s'envelop- 

1.  Histoire  de  la  Restauration,   t.  VII,  p.  684. 

2.  Edmond  Biré  dans  la  Gazette  de  France  du  1er  avril 
1906. 


VENTES  ET  HAUTE  VENTE  325 

pait  est  percé  aujourd'hui.  Les  papiers  de  la  Haute- 
Vente  qui  en  était  le  couronnement,  vinrent  en  la 
possession  du  Saint-Siège  sous  le  Pontificat  de 
Léon  Xll,  qui  les  fit  déposer  aux  archives  du  Vati- 
can. Par  quelle  voie  y  sont-ils  arrivés?  Est-ce  par 
la  conversion  de  l'un  des  conjurés?  est-ce  par  un 
coup  heureux  de  la  police  romaine?  On  ne  le  sait. 
Comment  de  là  sont-ils  venus  à  la  connaissance  du 
public,  assez  du  moins  pour  que  l'on  sache  quelle  fut 
l'organisation  de  la  Haute-Vente,  la  tâche  qui  lui 
fut  assignée  et  les  moyens  qu'elle  employa  pour 
remplir  sa  mission?  Le  voici. 

Les  Papes  ont  toujours  eu  l'œil  ouvert  sur  la 
Franc-^Iaçonnerie.  Dès  ses  premières  manifestations 
ils  s'empressèrent  d'avertir  les  rois  et  les  peuples 
de  son  existence,  de  ses  projets,  de  ses  agissements,  et 
cela  par  de  solennelles  Encycliques.  Sur  la  fin  de 
son  Pontificat,  le  pape  Grégoire  XVI,  effravé  du  re- 
doublement d'activité  qu'il  remarquait  dans  les  so- 
ciétés secrètes,  et  voyant  le  danger  que  leurs  machina- 
tions faisaient  courir  à  la  société  civile  et  à  la  so- 
ciété religieuse,  voulut,  peu  de  jours  avant  sa  mort, 
les  dévoiler  à  toute  l'Europe.  Pour  cela,  il  jeta  les 
yeux  sur  Crétineau-Joly.  Le  20  mai  1846,  il  lui 
fit  écrire  par  le  cardinal  Lambruschini  de  venir  à 
Rome  pour  un  projet  de  haute  importance.  L*Jiistorien 
de  la  Compagnie  de  Jésus  allait  s'embarquer  à  An- 
cône  pour  un  voyage  en  Orient.  H  y  renonça  et 
se  rendit  aussitôt  à  l'appel  du  Saint-Père.  Grégoire 
XVI  lui  demanda  d'écrire  V Histoire  des  Société  secrètes 
et  leurs  Conséquences.  Il  lui  fit  remettre  pour  ce  tra- 
vail, par  le  cardinal  Bernetti,  ancien  secrétaire  d*Etat, 
les  documents  en  sa  possession,  et  il  l'accrédita 
auprès  des  Cours  de  Vienne  et  de  Naples  pour  qu'il 


326      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

obtînt  d'elles  communication  d'autres  documents  dé- 
posés dans  leurs  archives  secrètes. 

Crétineau-Joly  se  rendit  d'abord  à  Naples,  et  là  il 
apprit  de  la  bouche  du  roi  la  mort  du  pape.  Pie  IX 
succéda  à  Grégoire  XVl  et  confirma  à  l'historien  la 
mission  qu'il  avait  reçue  de  son  prédécesseur.  Il  se 
rendit  à  Vienne,  reçut  bon  accueil  du  prince  de  Met- 
ternich.  Mais  les  employés  de  la  chancellerie  autri- 
chienne, par  instinct  révolutionnaire  ou  pour  tout 
autre  motif,  ne  se  prêtèrent  qu'à  contre-cœur  à  ses 
recherches.  Cependant,  le  comte  Henri  de  Bombelles, 
Français  d'origine  et  gouverneur  du  jeune  archiduc, 
depuis  empereur  François-Joseph,  ayant  appris  le  mo- 
tif de  son  séjour  à  Vienne,  vint  lui  offrir  ses  services. 
Dans  toute  sa  carrière  diplomatique,  il  s'était  occupé 
des  sociétés  secrètes,  qu'il  avait  vues  à  l'œuvre  en 
Italie,  en  Pologne,  en  Russie.  Il  révéla,  sur  pièces, 
à  l'historien,  des  complots  tels  qu'il  put  lui  dire  : 
«  Osez  divulguer  ces  mystères.  Ce  sera  le  plus  grand 
service  qui  jamais  peut-être  aura  été  rendu  à  la 
civilisation.  Mais  vous  n'irez  pas  jusqu'au  bout.  Si 
le  poignard  des  Carbonari  ne  vous  arrête  pas  en  che- 
min, soyez  sûr  qu'il  se  rencontrera  des  princes  inté- 
ressés  à  vous   condamner   au   silence.  » 

Le  premier  de  ces  princes  fut  Charles-Albert,  roi 
de  Sardaigne,  qui,  par  ambition,  s'était  livré,  dès  sa 
jeunesse,  aux  sociétés  secrètes.  Crétineau-Joly  raconte 
dans  ses  Mémoires,  publiés  en  partie  par  l'abbé 
Maynard  —  c'est  là  que  nous  puisons  ces  renseigne- 
ments, —  l'entrevUe  aussi  secrète  que  dramatique,  qu'il 
eut  à  Gênes  avec  le  roi  sur  là  demande  instante  de 
celui-ci.  Crétineau  ne  voulut  point  lui  promettre  le 
silence  qui  lui  fut  demandé.  Le  roi  alors  s'adressa 
au  Pape.  Pie' IX  avait  hâte  de  connaître  les  matériaux 
recueillis   et  avait   fait  dire   à  l'historien  de   revenir 


VENTES  ET  HAUTE  VENTE  327 

à  Rome  au  plus  tôt.  Lorsqu'il  reçut  la  lettre  du  roi, 
il  en  fut  ébranlé.  Cependant  il  dit  à  CréLineau  de  se 
rendre  à  Naples.  A  Naples,  il  se  heurta  à  un  Car- 
bonaro du  nom  de  Code,  qui  avait  tout  pouvoir  sur 
l'esprit  du  roi.  Il  était  entré  dans  les  ordres,  s'était 
même  fait  religieux,  et  avait  gagné  la  confiance  du 
souverain  à  ce  point  qu'il  était  devenu  son  confesseur. 
A  s6n  instigation,  Ferdinand  écrivit  aussi  au  Pape. 
D'une  note  remise  le  4  décembre  1857  au  cardinal 
Antonelli,  il  résulte  que,  le  21  décembre  1846,  Créti- 
neau  fut  reçu  en  audience  par  Pie  IX.  Le  Pape  lui 
dit  que  sa  charité  de  père  et  son  devoir  de  prince 
s'opposaient  à  la  publication  d'une  histoire  qui,  dans 
les  circonstances  présentes,  pouvait  offrir  plus  d'un 
danger.    Crétineau    s'inclina. 

En  1849,  pendant  que  le  Pape  était  à  Gaëte,  le 
cardinal  Fornari,  nonce  à  Paris,  engagea  l'historien 
à  reprendre  son  travail,  et  Ijai  montra  une  dépêche 
du  cardinal  Antonelli  disant  que  le  Pape  n'avait 
point  fait  défense  de  composer  VHistoire  des  Sociétés 
secrètes,  qu'il  en  avait  seulement  jugé  la  publication 
inopportune  en  1846  et  1847;  mais  que,  vu  le  chan- 
gement des  circonstances,  il  croyait  maintenant  utile 
de  donner  suite  à  l'ouvrage. 

Crétineau  se  remit  à  l'œuvre.  Une  fois  de  plus  il 
fut  arraché  à  son  travail  par  une  lettre  de  Mgr  Gari- 
baldi,  lui  disant  qu'après  le  service  rendu  en  1850 
au  Saint-Siège  par  le  gouvernement  de  Louis  Bona- 
parte, il  n'était  point  possible  de  donner  libre  cours 
à  un  livre  où  ce  nourrisson  des  sociétés  secrètes 
serait   signalé   comme   tel. 

L'ouvrage  était  presqu'achevé,  en  partie  imprimé; 
M.  l'abbé  Maynard  dit  en  avoir  vu  les  épreuves.  De 
dépit,  Crétineau  le  jeta  au  feu.  U Histoire  des  Sociétés 
secrètes,  qui  aurait  projeté  la  lumière  dans  les  profon- 


328     l'agent   de   la   civilisation    moderne 

deurs   mêmes  des   révolutions   qui   agitent  l'Europe, 
était  anéantie. 


Cependant,  bien  des  documents  qui  avaient  servi 
à  la  composer,  ou  leurs  copies,  étaient  restés  entre 
les  mains  de  l'historien.  Il  en  fit  entrer  quelques-uns 
dans  VHistoire  du  Sonderbund,  et  d'autres  dans  le 
livre  intitulé  :  L'Eglise  romaine  en  face  de  la  Révo- 
lution. Dans  le  premier  de  ces  ouvrages,  Crétineau- 
Joly  fut  injuste  et  même  cruel  dans  ses  expressions 
à  l'égard  de  Pie  IX,  relativement  à  la  conduite  ^gue 
le  Pontife  avait  cru  devoir  tenir  dans  cette  déplora- 
ble affaire.  La  grande  âme  de  Pie  IX  lui  pardonna.  Et 
lorsque,  en  octobre  1858,  l'historien  alla  à  Rome  por- 
tant le  second  ouvrage,  partie  en  épreuves,  partie  en 
manuscrit,  il  eut  la  joie  de  le  voir  lu,  approuvé  et  ap- 
plaudi au  Vatican.  Après  sa  publication,  Mgr  Fioramon- 
ti,  secrétaire  des  Lettres  latines,  déclara  officiellement 
ç^ue  toutes  les  pièces  qui  y  étaient  •  publiées  étaient 
authentiques  et  qu'il  les  avait  confrontées  avec  les 
textes.  Puis,  Pie  IX  adressa  à  l'historien,  pour  la 
2me  édition  de  son  livre,  un  Bref  où  il  dit  :  «  Cher 
Fils,  vous  avez  acquis  des  droits  particuliers  à  notre 
reconnaissance,  lorsqu'il  y  a  deux  ans  vous  avez 
formé  le  projet  de  composer  un  ouvrage  naguère 
achevé  et  de  nouveau  livré  à  l'impression,  pour  mon- 
trer, par  les  documents,  cette  Eglise  romaine  toujours 
en  butte  à  l'envie  et  à  la  haine  des  méchants,  au 
milieu  des  révolutions  politiques  de  notre  siècle  tou- 
jours triomphantes  »  (25  février  1861). 

Des  doutes  ont  été  émis  sur  la  loyauté  historique  de 
Grétineau-Joly.  Nous  n'avons  pas  à  les  examiner  ici. 
La  déclaration  du  secrétaire  des  Lettres  latines  et  le 
Bref  de  Pie  IX,  imprimés  en  tête  de  l'ouvrage  en 
plein  règne  du  saint  Pontife,  nous  sont  une  garantie 


VENTES  ET  HAUTE  VENTE  329 

de  l'entière  fidélité  des  documents  insérés  dans  le 
livre  :   L'Eglise   romaine   en  face   de   la   Révolution. 

Ce  n'est  donc  point  sans  raison  que  M.  Claudio  Jan- 
net  a  dit  de  ce  livre,  dans  son  introduction  à  l'ouvrage 
du  P.  Deschamps  :  Les  Sociétés  secrètes  et  la  Société: 
«  Aucun  document  historique  n'offre  plus  de  garan- 
ties d'authenticité.  »  (P.  CVI).  S'il  était  besoin  d'une 
nouvelle  preuve  de  sincérité,  on  la  trouverait  dans 
l'emploi  que  la  Civiltà  cattolica  fit  de  ces  documents, 
sous  les  yeux  du  Pape,  en  1879.  On  peut  ajouter  en- 
core que  L.  Blanc  fit  entrer  dans  son  Histoire  de 
Dix  Ans  des  lettres  d'un  des  membres  de  la  Haute- 
Vente,  Menotti,  lettres  adressées,  le  29  décembre 
1830  et  le  12  juillet  1831,  à  l'un  de  ses  frères  en  con- 
juration,  Misley   (1),   et  publiées  par   Crétineau-Joly. 

Les  documents  insérés  par  lui  dans  L'Eglise  ro- 
maine en  face  de  la  Révolution,  sont  les  Instructions 
secrètes  données  à  la  Haute-Vente,  et  quelques-unes 
des  lettres  que  les  membres  de  cette  Vente  échan- 
gèrent entre  eux  (2).  Rien  ne  peut  mieux  faire  con- 
naître la  constitution  de  la  franc-maçonnerie,  sa  ma- 
nière d'agir,  le  but  qu'elle  poursuit,  et  les  moyens 
qu'elle  emploie  pour  l'atteindre,  aussi  bien  aujour- 
d'hui  g;u'en   1820. 

Metternich,  qui,  dans  sa  correspondance,  parle  à 
plusieurs  reprises,  de  l'action  directrice  exercée  par 
la  Haute-Vente  sur  tous  les  mouvements  révolution- 
naires de  l'époque,  dit,  dans  une  lettre  adressée 
le  24  juin  1832  à  Newmann,  à  Londres,  que  la  Haute- 

1.  Histoire  de  Dix  Ans,  t.  II,  p.  292  et  suiv.,  5c  édi- 
tLon,    1846. 

2.  On  trouvera  à  l'Appendice  ces  Instructions  et  celles 
des  lettres  échangées  entre  les  conspirateurs  qui  ont  été 
publiées  par  Crétineau-Joly.  Nous  ne  donnons  ici  que  les 
fragments  qui  viennent  à  l'appui  de  nos   assertions. 


330      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

Vente  est  la  continuation  de  l'association  des  Illu- 
minés, «  qui  a  pris  successivement,  selon  les  cir- 
constances et  les  besoins  du  temps,  les  dénomina- 
tions de  Tugendbund,  de  Burschenschaft,  etc.  »  Assu- 
rément, personne  n'a  pu  être  mieux  informé  que 
lui. 

Les  sociétés  secrètes  de  l'Illumiiiisme  et  de  la 
Haute-Vente  se  sont-elles  perpétuées  jusqu'à  nos  jours 
après  avoir  pris  d'autres  formes  et  sous  de  nou- 
veaux noms?  Qui  pourrait  le  dire,  même  parmi  les 
francs-maçons,  même  parmi  les  Grands-Orients?  Mais, 
comme  on  pourra  s'en  assurer,  ce  qui  se  passe  sous 
nos  yeux  est  évidemment  la  continuation  de  ce  qui 
a  été  fait  dans  les  deux  périodes  précédentes. 

Avant  d'entrer  dans  le  récit  des  agissements  de  la 
Haute-Vente,  nous  devons  la  faire  mieux  connaître. 

La  Haute-Vente  ne  fut  composée  que  de  quarante 
membres,  tous  cachés,  dans  la  correspondance  qu'ils 
échangeaient  entre  eux,  sous  des  pseudonymes.  «  Par 
respect  pour  de  hautes  convenances,  dit  Crétineau- 
Joly,  nous  ne  voulons  pas  violer  ces  pseudonymes, 
que  pxotège  aujourd'hui  le  repentir  ou  la  tombe.  L'his- 
toire sera  peut-être  un  jour  moins  indulgente  que 
l'Eglise.  » 

C'est  que  ces  conjurés  étaient  pour  la  plupart 
l'élite  du  patriciat  romain  par  la  naissance  et  là 
richesse,  et  celle  du  Carbonarisme  par  le  talent  et 
la  haine  antireligieuse.  Quelques-uns,  comme  on  le 
verra,  étaient  Juifs.  Il  était  nécessaire  que  la  Jui- 
verie  fût  représentée  parmi  eux.  Eckert,  Gougenot- 
Desmousseaux,  d'Israëli,  sont  d'accord  pour  affirmer 
que  les  Juifs  sont  les  vrais  inspirateurs  de  tout  ce 
que  la  franc-maçonnerie  conçoit  et  exécute,  et  qu'ils 
sont  toujours  en  majorité  dans  le  Conseil  supérieur 
des  sociétés  secrètes. 


VENTES  ET  HAUTE  VENTE  331 

Le  chef  des  quarante  avait  pris  nom  Nubius,  l'hom- 
me des  ténèbres  et  du  mystère.  C'était  un  grand  sei- 
gneur, occupant  à  Rome  une  haute  situation  dans 
la  diplomatie,  ce  qui  le  mettait  en  rapports  avec 
les   cardinaux   et   toute   l'aristocratie   romaine. 

Lorsque  la  création  de  la  Haute-Vente  fut  décidée 
par  le  suprême  Conseil,  il  était  tout  désigné  pour 
en  prendre  la  directioîi.  Il  n'avait  pas  encore  atteint 
sa  trentième  année,  et  déjà  les  Loges  d'Italie,  de 
France  et  d'Allemagne  le  savaient  destiné  à  de  gran- 
des choses.  «  Il  est  ici,  et  il  est  là,  dit  Crétineau- 
Joly,  tempérant  ou  réchauffant  le  zèle,  organisant, 
en  chaque  lieu,  un  complot  permanent  contre  le 
Saint-Siège,  tantôt  sous  un  vocable,  tantôt  sous  un 
autre.  »  La  mission  spéciale  que  le  Conseil  suprême 
voulait  confier  à  la  Haute-Vente,  était  précisément 
de  préparer  l'assaut  final  à  donner  au  Souverain 
Pontificat.  Nubius  avait  témoigné  avoir  compris  que 
la  Franc-Maçonnerie  n'est  autre  chose  que  la  contre- 
Eglise,  l'Eglise  de  Satan,  et  que,  pour  la  faire  triom- 
pher de  l'Eglise  de  Dieu,  il  fallait  attaquer  celle-ci 
à  la  tête.  C'est  ce  qui  avait  fait  porter  les  vues 
sur   lui   pour  les   desseins    que   l'on   méditait. 

Voici  le  portrait  qu'en  fait  Crétineau-Joly  : 
«  Nubius  a  reçu  du  Ciel  tous  les  dons  qui  créent 
le  prestige  autour  de  soi.  Il  est  beau,  riche,  éloquent, 
prodigue  de  son  or  comme  de  sa  vie;  il  a  des  clients 
et  des  flatteurs.  Il  est  dans  l'âge  des  imprudences 
et  des  exaltations,  mais  il  impose  à  sa  tête  et  à 
son  cœur  un  tel  rôle  d'hypocrisie  et  d'audace,  mais 
il  le  joue  avec  une  si  profonde  habileté^  qu'aujourd'hui, 
quand  tous  les  ressorts  qu'il  faisait  mouvoir  lui 
ont  échappé  l'un  après  l'autre,  on  se  prend  encore 
à  s'effrayer  de  l'art  infernal  développé  par  cet  homme 
dans   sa   lutte   avec   la   foi   du   peuple.    A   lui    seul, 


332      l'agent    de   la   civilisation    moderne 

Nubius  est  corrompa  comme  tout  un  bagne.  Il  sou- 
rit toujours  dans  le  monde,  afin  de  se  donner  le 
droit  d'être  plus  sérieux  au  sein  des  associations 
secrètes  qu'il  fonde  ou  qu'il  dirige.  On  voit  par 
ses  lettres  adressées  à  des  membres  influents  de 
l'association  occulte,  que,  grâce  à  son  nom,  à  sa 
fortune,  à  sa  figure,  à  son  extrême  prudence  pour 
éviter  toute  question  irritante  ou  politique,  il  s'est 
créé  dans  Rome  une  position  à  l'abri  de  tout  soup- 
çon. 

»  De  Paris,  Buonarotti,  Charles  Teste,  Voyer  d'Ar- 
genson,  Bayard,  le  général  Lafayette,  Saint-Simon, 
Schonen  et  Merilhou  le  consultent  a  la  façon  de 
l'oracle  de  Delphes.  Du  sein  de  l'Allemagne,  de  Mu- 
nich ainsi  que  de  Dresde,  de  Berlin  comme  de  Vienne 
ou  de  Pétersbourg,  on  voit  les  chefs  des  principales 
Ventes,  Tscharner,  Heymann,  Jacobi,  Chodzko,  Lie- 
ven,  Pestel,  Mouravieff,  Strauss,  Pallavicini,  Dries- 
ten,  Bem,  Bathyani^  Oppenheim,  Klauss  et  Carolus 
l'interroger  sur  la  marche  à  suivre,  en  présence  de 
tel  ou  tel  événement  :  et  ce  jeune  homme,  dont 
l'activité  est  prodigieuse,  a  réponse  à  tout,  organi- 
sant en  chaque  lieu  un  complot  permanent  contre 
le  Saint-Siège.  » 

Nubius  garda  le  timon  de  la  Vente  suprême  jus- 
que vers  1844.  A  ce  moment,  on  lui  fit  boire  VAqua 
toffana.  Il  tomba  aussitôt  dans  une  maladie  que  les 
plus  célèbres  médecins  ne  purent  comprendre  ni  arrê- 
ter. Ce  brillant  diplomate,  ce  conspirateur  si  ha- 
bile, sentit  son  intelligence  s'obscurcir  tout  à  coup 
et  sa  vie  s'éteindre  dans  l'idiotisme.  Son  agonie 
dura  quatre  ans.  Il  quitta  Rome  et  alla  se  cacher 
à  Malte,  où  il  mourut  en  1848,  au  moment  où  le 
travail  des  intellectuels  de  la  secte  était  jugé  assez 
avancé  pour  que  l'ordre  de  se  mettre  en  mouvement 
fut  donné  au  parti  chargé  de  l'action. 


VENTES  ET  HAUTE  VENTE  333 

Piccolo-Tigre  (le  petit  tigre),  l'un  des  premiers 
lieutenants  de  Nubius,  était  Juif.  «  Son  activité  est 
infatigable,  dit  Crétinean;  il  ne  cesse  de  courir  le 
monde  pour  susciter  des  ennemis  au  Calvaire.  Il 
est  tantôt  à  Paris,  tantôt  à  Londres,  quelquefois  à 
Vienne,  souvent  à  Berlin.  Partout,  il  laisse  des  traces 
de  son  passage;;  partout,  il  aifilie  aux  sociétés  se- 
crètes, et  même  à  la  Hante-Vente,  des  zélés  sur 
lesquels  l'impiété  peut  compter.  Aux  yeux  des  gou- 
vernants et  de  la  police,  c'est  un  marchand  d'or  et 
d'argent,  un  de  ces  banquiers  cosmopolites  ne  vivant 
que  d'affaires  et  s'occnpant  exclusivement  de  leur 
commerce.  Vu  de  près,  étudié  à  la  lumière  de  sa 
correspondance,  cet  homme  est  l'un  des  agents  les 
plus  habiles  de  la  destruction  préparée.  C'est  le 
lien  invisible,  réunissant  dans  la  même  communauté 
de  trames  toutes  les  corruptions  secondaires  qui  tra- 
vaillent   au    renversement   de    l'Eglise.  » 

Un  troisième,  Gaëtano,  est  un  riche  Lombard  qui 
avait  trouvé  moyen  de  servir  la  secte  et  de  trahir 
l'Autriche,  en  devenant,  à  force  d'hypocrisie,  le  con- 
fident et  le  secrétaire  intime  du  prince  de  Metter- 
nich.  On  n'ignore  pas  que  les  grands  ministres,  les 
rois,  les  empereurs,  ont  toujours  près  d'eux  un  délé- 
gué de  la  secte  qui  sait  leur  inspirer  confiance  et 
les  incliner  à  favoriser,  sciemment  ou  non,  l'exé- 
cution des  desseins  des  sociétés  secrètes.  De  cette 
haute  situation,  Gaëtano  observe  ce  qui  se  passe 
en  Europe;  il  est  au  courant  des  secrets  de  toutes 
les  cours,  et  il  correspond,  suivant  les  indications 
du  moment,  avec  Nubius,  Piccolo-Tigre,  ou  Volpe 
(le  renard),  ou  Vindice  (le  Vengeur),  ou  Beppo;  en 
un  mot,  avec  tous  ceux  qui  ont  pris  à  forfait,  comme 
dit  M.  Crétineau,  l'anéantissement  du  catholicisme 
et   le   triomphe   de   l'idée   révolutionnaire. 


334      l'agent   de   la   civilisation   moderne 

Ils  ne  sont  que  quarante,  mais  choisis  parmi  les 
plus  intelligents,  les  plus  astucieux,  les  plus  en  situa- 
tion d'exercer,  non  seulement  dans  le  monde  maçon- 
nique, mais  dans  le  «  monde  profane  »,  l'influence 
la  plus  puissante  et  la  plus  étendue.  Discutés  et 
triés  sur  le  volet,  il  ne  leur  est  pas  permis  de  décliner 
la  périlleuse  mission  qu'on  leur  donne.  Initiés,  ils 
sont  condamnés  à  s'envelopper  de  mystère,  et  l'abné- 
gation la  plus  absolue  leur  est  imposée.  «  Le  succès 
de  notre  œuvre,  dit  Nubius  —  dans  la  lettre  par 
laquelle  il  annonce  à  Volpe,  qu'il  va  prendre  en  mains 
le  timon  de  la  Vente  suprême,  —  le  succès  de  notre 
œuvre  dépend  du  plus  profond  mystère  ;  et  dans 
les  Ventes  nous  devons  trouver  l'initié,  comme  le 
chrétien  de  Vlmitation,  toujours  prêt  «  à  aimer  à 
être  inconnu  et  à  n'être  compté  pour  rien.  » 

Ce  n'étaient  point  seulement  les  personnages  qui 
composaient  la  Haute-Vente  qui  devaient  s'envelop- 
per de  ténèbres,  mais  la  Haute-Vente  elle-mêm©.  Jus- 
qu'à son  existence,  tout  devait  rester  inconnu  aux 
Ventes  et  aux  Loges,  qui  cependant  recevaient  d'elle 
la  direction  et  l'impulsion.  Nubius,  Volpe  et  les  au- 
tres étaient  accrédités  personnellement  auprès  d'elles; 
elles  obéissaient  à  un  mot,  à  un  signe  de  ces  pri- 
vilégiés de  la  secte;  mais  tout  ce  qu'elles  savaient, 
c'est  qu'il  fallait  exécuter  les  ordres  donnés  sans 
en  connaître  ni  l'origine  ni  le  but.  Ces  ordres  par 
lesquels  était  gouvernée  l'Europe  souterraine  étaient 
ainsi  mystérieusement  transmis,  de  degrés  en  degrés, 
jusqu'à   la  Loge  la  plus   reculée. 

Mazzini,  l'âme  du  Carbonarisme  d'où  avaient  été 
tirés  les  quarante,  Mazzini  lui-même  ne  put  percer 
ce  mystère.  «Par  l'instinct  de  sa  nature  profondé- 
ment vicieuse,   dit   Crétineau-Joly,   Mazzini   se  douta 


VENTES  ET  HAUTE  VENTE  335 

qu'il  existait,  en  dehors  des  cadres  formant  les  so- 
ciétés secrètes,  une  affiliation  particulière.  Il  crut 
devoir  solliciter  l'honneur  d'entrer  dans  cette  avant- 
garde  de  choix.  On  ne  sait  ni  par  qui  ni  comment  il 
adressa  cette  demande;  seulement  une  lettre  de  Nu- 
bius  à  un  personnage  connu  dans  la  Haute-Vente  sous 
le  nom  de  Beppo,  exprime  très  catégoriquement  le 
refus  que  formula  la  Vente  ; 

«  Vous  savez,  lui  mande-t-il,  le  7  avril  1836,  que 
Mazzini  s'est  jugé  digne  de  coopérer  avec  nous  à 
l'œuvre  la  plus  grande  de  nos  jours.  La  Vente  su- 
prême n'en  a  pas  décidé  ainsi. 

»  Mazzini  a  trop  les  allures  d'un  conspirateur  de 
mélodrame,  pour  convenir  au  rôle  obscur  que  nous 
nous  résignons  à  jouer  jusqu'au  triomphe.  Mazzini 
aime  à  parler  de  beaucoup  de  choses,  de  lui  sur- 
tout...; qu'il  fabrique  tout  à  son  aise  des  jeunes 
Itaïies,  des  jeunes  Allemagnes,  des  jeunes  Frances, 
des  jeunes  Polognes,  des  jeunes  Suisses,  etc.,  si  cela 
peut  servir  d'aliment  à  son  insatiable  orgueil,  nous 
ne  nous  y  opposons  pas;  mais  faites-lui  entendre, 
tout  en  ménageant  les  termes  selon  vos  convenances, 
que  l'association  dont  il  parle  n'existe  plus,  si  elle 
a  jamais  existé;  que  vous  ne  la  connaissez  pas, 
et  que  cependant  vous  devez  lui  déclarer  que,  si  elle 
existait,  il  aurait  pris  à  coup  sûr  le  plus  mauvais 
chemin  pour  y  entrer.  Le  cas  de  son  existence  admis, 
cette  Vente  est  évidemment  au-diessus  de  toutes  les  au- 
tres; c*est  le  Saint- Jean  de  Latran  :  caput  et  mater 
omnium  ecclesiarum.  On  y  a  appelé  les  élus  qu'on  a 
seuls  regardés  dignes  d'y  être  introduits.  Jusqu'à 
ce  jour,  Mazzini  en  aurait  été  exclu;  ne  pense-t-il 
pas  qu'en  se  mettant  de  moitié,  par  force  ou  par 
ruse,  dans  un  secret  qui  ne  lui  appartient  pas,  il 
s'expose    peut-être    à  des    dangers    qu'il    a  déjà    fait 


336      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

courir  à  plus  d'un?  Arrangez  cette  dernière  phrase 
à  votre  guise,  mais  passez-la  au  grand-prêtre  du 
poignard  ;  et  moi  qui  connais  sa  prudence  consommée, 
je  gage  que  cette  pensée  produira  un  certain  effet 
sur  le  rufian.  » 

Nubius  ne  se  trompa  point  en  appréciant  ainsi 
Mazzini,  et  on  ne  trouve  plus  trace,  dans  les  archives 
de  la  Vente  suprême,  d'une  communication  quel- 
conque du  pauvre  Joseph  relative  à  cette  demande. 
La  menace  d'un  coup  de  stylet  lui  fit  rentrer,  «  au 
fond   des   entrailles,    le   sentiment   de   son   orgueil.  » 

Enfin,  pour  comble  de  mystère,  les  quarante  de 
la  Haute-Vente,  eux-mêmes,  ne  savaient  d'où  venait 
l'impulsion  à  laquelle  ils  obéissaient,  les  ordres  à 
transmettre   ou   à  exécuter. 

L'un  d'eux,  Malegari,  écrit  au  docteur  Breidenstem 
en  1836  :  «  Nous  voulons  briser  toute  espèce  de 
Joug,  et  il  en  est  un  qu'on  ne  voit  pas,  qu'on  sent 
à  peine  et  qui  pèse  sur  nous.  D'où  vient-il  ?  où  est-il  ? 
Personne  ne  le  sait,  ou  du  moins  personne  ne  le 
dit.  L'association  est  secrète,  même  pour  nous,  les 
vétérans  des  associations  secrètes.  On  exige  de  nous 
des  choses  qui,  quelquefois,  sont  à  faire  dresser  les 
cheveux  sur  la  tête;  et  croiriez-vous  qu'on  me  mande 
de  Rome  que  deux  des  nôtres,  bien  connus  par  leur 
haine  du  fanatisme,  ont  été  obligés,  par  ordre  du 
chef  suprême,  de  s'agenouiller  et  de  communier  à  la 
Pâque  dernière?  Je  ne  raisonne  pas  mon  obéissance, 
mais  je  voudrais  bien  savoir  où  nous  conduisent 
de  telles  capucinades.  »  Voilà  bien  le  vrai  permde 
ac  cadaver.  Et  ce  sont  ces  esclaves  d'un  maître  qui  se 
dérobe  à  tout  regard,  ces  hommes  qui  se  sentent 
toujours  la  pointe  du  poignard  dans  le  dos,  qui 
font  des  lois  contre  les  religieux,  par  horreur,  di- 
sent-ils, du  vœu  d'obéissance! 


CHAPITRE    XXIV 


L'ŒUVRE  PROPRE  DE  LA  HAUTE  VENTE 


Les  Quarante  avaient  donc  reçu  des  instructions 
secrètes  marquant  ce  qu'ils  avaient  à  faire  par  eux- 
mêmes,  la  direction  qu'ils  devaient  donner,  avec  la 
prudence  voulue,  aux  Ventes  centrales,  et  par  elles, 
aux  Ventes  particulières,  pour  obtenir  une  action 
aussi  concertée  et  aussi  vaste  que  possible  en  vue 
du  résultat  à  obtenir. 

Le  but  assigné  à  toute  la  conjuration,  c'était  l'anéan- 
tissement de  l'idée  chrétienne.  Mais  c'était  là  une 
œuvre  de  longue  haleine.  Le  travail  auquel  devaient 
s'appliquer  immédiatement  les  quarante,  c'était  la 
destruction  du  pouvoir  temporel  des   Papes. 

Les  Instructions  débutaient  ainsi  : 

«  Il  est  une  pensée  qui  a  toujours  profondément 
préoccupé  les  hommes  qui  aspirent  à  la  régénéra- 
tion universelle  :  c'est  la  pensée  que  de  I'affranchis- 
SEMENT  DE  l'Italie  doit  sortir,  à  un  jour  déterminé, 
l'affranchissement  du  monde  entier,  la  république 
fraternelle  (la  république  des  Frères  maçons)  et  l'har- 
monie de   l'humanité   (le   genre   humain   tout   entier 

L'Église  et  le  Temple.  22 


338      l'agent    de   la   civilisation    moderne 

sous   la  loi  maçonnique),   pour   la  régénération  uni- 
verselle. » 

Nous  trouvons  ici  la  pensée  dernière  des  sociétés 
secrètes,  le  but  vers  lequel  sont  dirigés  tous  leurs 
efforts  par  le  pouvoir  occulte,  individu  ou  comité, 
qui  leur  donne  l'impulsion  première  :  l'établissement 
sur  la  ruine  de  tous  les  trônes,  y  compris  le  trône 
pontifical  d'une  république  universelle  qui  opérera 
l'affranchissement  du  genre  humain  à  l'égard  de  Dieu 
et  de  sa  loi,  et  la  régénération  de  l'homme,  c'est- 
à-dire  son  retour  à  l'état  de  nature  par  la  répu- 
diation de  tout  l'ordre  surnaturel.  Alors,  au  lieu 
des  deux  sociétés  dont  M.  Waldeck-Rousseau  a  dé- 
ploré la  coexistence,  il  n'y  en  aura  plus  qu'une,  et 
sur  toute  la  terre  régnera  l'harmonie  dans  l'univer- 
selle sujétion  à  Israël. 

Dans  la  pensée  de  celui  qui  avait  donné  aux 
Quarante  les  Instructions  secrètes,  le  renversement 
du  trône  pontifical  était  le  premier  objet  à  pour- 
suivre et  atteindre.  Il  voyait  que  c'est  la  Papauté  qui 
maintient  l'humanité  sous  le  joug  paternel  de  Dieu, 
et  il  s'était  dit  que  du  moment  où  l'Italie  serait 
affranchie  et  le  pouvoir  temporel  des  Papes  anéanti, 
la  Papauté,  n'ayant  plus  de  point  d'appui  sur  la 
terre,  suspendue  en  l'air,  pour  ainsi  dire,  ne  garderait 
plus  longtemps  un  pouvoir  spirituel  qui,  pour  s'exer- 
cer sur  les  hommes,  composés  de  corps  et  d'âme, 
a  besoin  d'instruments  matériels  et  de  ministères  hu- 
mains. 

L'affranchissement  de  Fltalie  ne  pouvait  guère  être 
accompli  que  par  des  faits  de  révolution  et  de  guerre. 
Ces  faits  furent  posés  d'abord  par  Charles-Albert, 
puis  de  1859  à  1870  par  Victor-Emmanuel  avec  la 
complicité  de  Napoléon  III.  Mais  ils  ne  pouvaient  se 


l'œuvre    propre    de    la    haute    vente      3b9 

produire  qu'après  avoir  été  préparés  par  un  mouve- 
ment dans  les  idées.  C'est  cette  tâche  préparatoirs 
qui   fut  imposée  à  la   Haute-Vente. 

Les  Instructions  lui  recommandèrent  tout  d'abord 
de  déconsidérer  le  pouvoir  temporel  et  de  déconsi- 
dérer ses  ministres.  «  Nous  devons  puiser  dans  nos 
entrepôts  de  popularité  ou  d'impopularité  les  armes 
qui  rendront  inutile  ou  ridicule  le  pouvoir  entre 
leurs  mains  »,  entre  les  mains  des  prélats,  agents 
du  Pouvoir  pontifical.  «  Dépopularisez  la  prêtraille 
par  toutes  sortes  de  moyens  »,  disait  un  document 
émané  du  comité  directeur  à  la  date  du  20  octobre  1821. 
Les  Instructions  ne  dédaignent  point  d'entrer  dans  le 
détail  des  moyens  à  prendre  pour  y  parvenir  :  «  Si 
un  prélat  arrive  de  Rome  pour  exercer  quelque  fonc- 
tion publique  au  fond  des  provinces,  connaissez  aus- 
sitôt son  caractère,  ses  antécédents,  ses  qualités, 
ses  défauts  surtout.  Est-il  d'avance  un  ennemi  déclaré 
(de  la  Révolution)  :  un  Albani,  un  Pallota,  un  Ber- 
netti,  un  Délia  Genga,  un  Rivarola?  enveloppez-le 
de  tous  les  pièges  que  vous  pourrez  tendre  sous  ses 
pas;  créez-lui  une  de  ces  réputations  qui  effraient 
les  enfants  et  les  vieilles  femmes.  —  Un  mot  que 
l'on  invente  habilement  et  qu'on  a  l'art  de  répajidre 
dans  certaines  honnêtes  familles  choisies,  pour  que 
de  là  il  descende  dans  les  cafés  et  des  cafés  dans 
la  rue,  un  mot  peut  quelquefois  tuer  un  homme.  — 
Peignez-le,  cruel  et  sanguinaire;  racontez  quelque  trait 
de  cruauté  qui  puisse  facilement  se  graver,  dans 
la  mémoire  du  peuple.  »  (En  d'autres  termes,  déna- 
turez les  actes  de  justice  que  le  pouvoir  est  obligé 
d'accomplir  pour  la  défense  de  la  société). 

L'Italie  ne  pouvait  pas  se  faire  d'elle-même  :  elle 
avait  besoin  du  concours  ou  tout  au  moins  de  l'as- 
sentiment de  l'Europe.  Il  fallait  donc  préparer  par- 


340      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

tout  les  esprits  à  la  chute  du  pouvoir  temporel.  Il 
ne  suffisait  pas  de  le  décrier  là  où  il  s'exerçait, 
il  fallait  soulever  contre  lui  l'opinion  publique  dans 
l'Europe  entière.  Les  Instructions  ne  manquent  pas 
de  le  dire.  Grâce  aux  complicités  qui  lui  avaient  été 
ménagées  dans  tous  les  pays,  dans  toutes  les  classes 
de  la  société  et  jusqu'auprès  des  trônes,  c'est  à 
la  Haute-Vente  que  revenait  cette  besogne.  Elle  pou- 
vait faire  parler  les  journaux,  elle  pouvait  faire  agir 
la  diplomatie.  Relativement  aux  journaux,  les  Ins- 
tructions lui  font  ces  recommandations  :  «  Quand 
les  journaux  étrangers  recueilleront  par  nous  ces  ré- 
cits qu'ils  embelliront  à  leur  tour,  montrez  ou  plu- 
tôt faites  montrer,  par  quelque  respectable  imbécile, 
ces  feuilles  où  sont  relatés  les  noms  et  les  excès 
arrangés  des  personnages.  Comme  la  France  et  l'An- 
gleterre, l'Italie  ne  manquera  jamais  de  ces  plumes  qui 
savent  se  tailler  dans  des  mensonges  utiles  à  la 
bonne  cause.  »  Ces  recommandations  ne  sont  point 
tombées  en  oubli,  elles  sont  observées  chaque  jour 
dans  tous  les  pays  catholiques  pour  rendre  odieux 
et  le  clergé  et  la  religion. 

M.  Bidegain,  dans  son  livre  :  Le  Grand  Orient  de 
France,  ses  doctrines  et  ses  actes,  en  donne  cette 
preuve  pour  notre  France  : 

«  Dans  le  rapport  secret  de  la  Commission  de  pro- 
pagande du  Couvent  de  1899,  le  F.  •  .  Dutillay,  rap- 
porteur, écrivait  ceci  :  «  Une  correspondance  anti- 
cléricale, discrète,  adressée  à  de  nombreux  journaux, 
fait  pénétrer  les  idées  maçonniques  dans  certaines 
régions  où  des  préventions  séculaires  étaient  jus- 
qu'ici profondément  enracinées.  » 

Un  autre  rapporteur  de  la  même  Commission  jus- 
tifiait ainsi  en  1901  des  dépenses  qu'il  proposait 
de    placer    sous    la    rubrique    «  Publicités  ».    «  Entre 


l'œuvre    propre    de    la    haute   vente      341 

elles,  disait-il,  il  en  est  une  que  justifie  l'existenoe, 
le  fonctionnement  d'un  organe  de  propagande,  habi- 
lement conçu,  qui  rend  d'incontestables  services  à 
toute  la  presse  républicaine  et  anticléricale  de  ce 
pays,  d'autant  mieux  que  sa  véritable  origine  de- 
meure  insoupçonnée   du    monde   profane.  » 

«  Cet  organe,  dit  Jean  Bidegain,  est  un  simple 
papier  autographié  intitulé  La  Semaine  de  France. 
Son  auteur  est  Emile  Lemaître,  membre  da  Conseil 
de  l'Ordre,  conseiller  municipal  de  Boulogne-sur-Mer. 
Il  est  remboursé  de  ses  frais  par  le  secrétaire  géné- 
ral lui-même,  qui  signe  le  mandat  de  paiement  com- 
me s'il  touchait  personnellement  ces  sommes.  Le 
nom  de  l'éditeur-rédacteur  de  «  l'organe  de  propa- 
gande habilement  conçu  »,  ne  figure  donc  pas  sur 
les  registres  de  comptabilité. 

»  La  Semaine  de  France,  œuvre  de  prédilection 
du  Grand-Orient,  est  un  riecueil  des  ignominies  dont 
se  rendent  coupables,  paraît-il,  les  prêtres,  moines, 
séminaristes,  etc. 

»  Il  ne  s'agit  là-dedans  que  d'assassinats,  de  vols, 
d'attentats  à  la  pudeur.  Ses  informations  débutent 
toujours  ainsi  :  «  Il  y  a  quelques  jours...  »,  ou  «  Mar- 
di dernier  »,  ou  encore,  «  Dans  son  audience  du  3 
septembre,  la  Cour  d'assises  de...,  etc.  »;  et  l'on 
a  soin  de  ne  pas  préciser  autrement.  C'est  assez 
dire  que  «  l'organe  habilement  conçu  »  réédite  de 
très  anciennes  histoires,  dont  la  répétition  dans  le 
presse  a  pour  conséquence  d'entretenir  ou  de  pro- 
voquer la  haine  du  prêtre.  Je  suis  bien  persuadé 
que  les  très  nombreux  journaux  qui  ont  recours 
à  La  Semaine  de  France  seraient  fort  embarrassés  de 
prouver  l'authenticité  des  événements  aussi  variés 
qu'extraordinaires  dont  ils  lui  empruntent  le  récit. 
Le   procédé    est   tout   à  fait   maçonnique,    tout   à  fait 


342      l'agent    de   la   civilisation    moderne 

juif,  extrêmement  lâche  et  peu  dangereux  pour  celui 
qui  en  use  »  (pp.  192-195)  (1). 

«  Ecrasez  l'ennemi  quel  qu'il  soit,  continuent  les 
Instructions  secrètes,  écrasez  celui  qui  est  puissant 
(contre  nous,  soit  par  le  pouvoir  qu'il  a  entre  les 
mains,  soit  par  son  intelligence  et  l'usage  qu'il  en 
fait,  soit  par  la  force  de  sa  volonté),  écrasez-le  à 
force  de  médisances  et  de  calomnies;  mais  surtout 
écrasez-le   dans   l'œuf.  » 

On  sait  avec  quelle  ardeur  et  quelle  persévérance 
les  journaux  de  toutes  les  nations,  surtout  les  jour- 
naux  français    et   anglais,    s'acharnèrent   alors   à  dé- 

1.  Les  mêmes  pratiques  ont  lieu  en  Espagne.  La  Se- 
maine Religieuse  de  Madrid  eut  connaissance  d'un  Manuel 
distribué  aux  Francs-Maçons  d'Espagne,  et  en  rendit  comp- 
te en  novembre  1885. 

Il  y  était  dit  :  «  L'action  de  la  maçonnerie  doit  s'attacher 
principalement  à  discréditer  les  prêtres  et  à  diminuer  l'in- 
fluence (Qu'ils  ont  sur  le  peuple  et  dans  les  familles.  Pour 
cela,  employer  les  livres  et  les  journaux,  établir  des  cen- 
tres d'action  pour  alimenter  l'hostilité   contre   les   prêtres. 

»  Recueillez  des  notices  et  transmettez-les  aux  jour- 
naux pour  détruire  le  respect  qu'ont  les  ignorants  à  l'égard 
des  .prêtres. 

»  Engagez  les  familles  à  ne  pas  lire  les  journaux  catho- 
liques et  introduisez-y  quelque   feuille  libérale. 

»  Qu'on  ne  se  fasse  pas  scrupule  dans  le  choix  des  moyens 
pour  détruire  le  respect  de  la  religion  et  du  prêtre.  Tous 
les  moyens  sont  bons,  quand  il  s'agit  de  délivrer  l'huma- 
nité des   chaînes   du  prêtre.  » 

Dans  les  résolutions  du  Congrès  de  la  Libre  Pensée  réuni 
à  Genève,  en  septembre  1902,  on  put  voir  comment  les 
sociétés  secrètes  produisent  les  mouvements  d'opinion  : 

lo  Indiquer  aux  journalistes  libres-penseurs  les  campa- 
gnes à  mener  à  la  même  époque,  à  la  même  heure,  sur  la 
même  question;  —  2»  Donner  aux  députés  le  même  mot 
d'ordre,  afin  que,  dans  tous  les  pays,  des  interpellations 
2iient  lieu  en  même  temps  sur  les  mêmes  questions  qui 
seront  l'objet  des  'campagnes  de  presse;  —  3»  organiser 
en  même  temps  des  meetings  dans  les  principales  villes 
du  monde  entier  pour  éclairer  le  peuple. 

Un  exemple  récent  de  la  manière  dont  ces  trois  points 
sont   observés   nous    a  été   donné    dans   l'affaire    Ferrer. 


l'œuvre   propre   de   la.   haute   vente      348 

crier   de    toutes    manières    le    pouvoir   pontifical    et 
les  autres  puissances  légitimes  en  Italie  (1). 

Lorsque  l'opinion  fut  jugée  suffisamment  préparée, 
on  fit  marcher  les  diplomates   (2).  Dès  les  premiers 

1.  Lorsque  M.  Jaurès  vint  dire  à  la  tribune  qiie  la 
France  devait  faire  son  deuil  de  l'Alsace  et  de  la  Lor- 
raine, M.  Ed.  Drumont  publia  un  _  article  où,  dans  un 
contraste  saisissant,  il  montra  combien  est  puissante  1  ac- 
tion des  journaux  pour  former  et  conduire  l'opinion,  au 
gré  des  desseins  des  sociétés  secrètes. 

»  Songez  à  ce  que  doivent  penser  ceux  qui,  sans  avoir 
encore  atteint  l'extrême  vieillesse  aujourd'hui,  étaient  tout 
jeunes  il  y  a  une  quarantaine  d'années.  Tout  le  monde 
alors  avait  une  idée  fixe  :  affranchir  l'Italie,  délivrer  Ve- 
nise de  ses  fers,  mettre  les  Allemands  dehors  :  Fuori  Te- 
descJiH...  Il  fallait  faire  tuer  nos  soldats  et  dépenser  nos 
milliards  pour  délivrer  les  provinces  que  l'Autriche  occu- 
pait. 

»  Dix  ans  après,  Strasbourg  appartient  aux  Allemands, 
comme  Venise,  que  nous  croyions  avoir  pour  mission 
d'arracher  à  ses  oppresseurs.  On  n'a  aperçu  nulle  part  rien 
qui  ressemble  à  la  campagne  infatigable,  incessante,  en- 
treprise jadis  en  France  dans  la  presse,  dans  le  livre, 
dans    les    salons,    pour    rendre    l'indépendance    à  l'Italie... 

»  Pour  arriver  à  ce  résultat,  tout  avait  été  mis  en  œu- 
vre :  la  diplomatie  avec  Cavour,  l'intrigue  avec  le  comte 
d'Arèse,  l'audace  avec  Garibaldi,  le  crime  avec  Mazzini... 
On  remplirait  une  immense  bibliothèque  avec  tout  ce  que 
l'on  a  écrit  là-dessus  en  France.  Les  historiens,  les  ora- 
teurs, les  poètes,  les  romanciers  s'en  sont  mêlés... 

»  C'est  la  Maçonnerie  qui,  par  les  sociétés  secrètes  affi- 
liées, les  Ventes,  les  réunions  de  Carbonari,  l'influence 
exercée  sur  les  hommes  politiques  et  les  chefs  d'Etat  ap- 
partenant à  la  secte,  a  le  plus  contribué  à  délivrer  l'Ita- 
lie du  joug  autrichien...  Aujourd'hui,  la  Maçonnerie  dé- 
clare à  l'immense  majorité  de  ses  loges  que  le  vol  de  nos 
provinces  est  parfaitement  légitime  et  qu'il  n'est  pas  à 
souhaiter   que    la   France   reprenne    l'Alsace-Lorraine.  » 

Aujourd'hui  comme  alors  elle  est  partout  écoutée. 

2.  Voici  le  projet  que  déjà,  en  1813,  la  Charbonnerie  sou- 
mettait   à  r  approbation  de  V Angleterre  : 

«  1.  —  L'Italie   sera  libre   et  indépendante. 

»  2.  —  Les  limites  de  cet  empire  seront  les  trois  mers 

et  les  Alpes. 

»  3.  —  La  Corse,  la  Sardaigne,  la  Sicile,  les  Sept-Iles  et 


344      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

jb'urs  du  pontificat  de  Grégoire  XVI,  l'Europe  com- 
mença à  demander  au  Saint-Siège  les  «  réformes  » 
dont  la  Haute-Vente  avait  fait  proclamer  la  né- 
cessité. 

Dirigé  par  Palmerston,  l'un  des  grands  chefs  de 
la  Maçonnerie,  Louis-Philippe  entraîna  les  ministres 
d'Autriche,  de  Prusse  et  de  Russie,  dans  une  cam- 
pagne diplomatique  contre  le  Saint-Siège.  Une  con- 
férence fut  réunie  et  rédigea  le  Memora7idum,  sorte 
de  mise  en  demeure  adressée  à  la  Papauté.  «  Oh! 
s'écria  Grégoire  XVI,  la  barque  de  Pierre  a  subi  de 
plus  rudes  épreuves,  nous  braverons  certainement 
la  tempête.  Le  trône  du  roi  Philippe  d'Orléans  crou- 
lera, mais  celui-ci  non!  »  Ce  fut  le  commencement 
de  la  campagne  qui  se  poursuivit  sous  Pie  IX  et 
qui  aboutit  à  la  sécularisation  des  Etats-Pontificaux 
et  à  l'occupation  de  Rome. 

Dans  l'allocution  consistoriale  qu'il  prononça  le 
29  avril  1848,  Pie  IX  dénonça  la  pression  exercée 
par  les  puissances  européennes  sur  le  gouvernement 
pontifical  dans  le  but  de  le  faire  pour  ainsi  dire 
abdiquer. 

«  Vous  n'ignorez  pas,  vénérables  frères,  que  déjà, 
vers  la  fin  du  règne  de  Pie  VII,  notre  prédécesseur, 
les  princes  souverains  de  l'Europe  insinuèrent  au 
Siège  apostolique  le  conseil  d'adopter,  pour  je  gou- 
vernement des  affaires  civiles,  un  mode  d'adminis- 
tration plus  facile  et  plus  conforme  aux  désirs  des 
laïques.  Plus  tard,  en  1831,  les  conseils  et  les  vœux 
de  ces  souverains  furent  plus  solennellement  expri- 


toutes  les  autres  îles  situées  sur  les  côtes  de  la  Méditerranée, 
formeront  une  partie  de  l'Empire  romain. 

»  4.  —  Rome  sera  la  capitale  de  V  Empire  et  le  siège  des 
Césars  »  (Saint-Edme,  Constitution  et  organisation  des  car- 
bonari,   1821). 


l'œuvrf  propre  de  la  haute  vente  Ï)4ù 

mes  dans  le  célèbre  Mémorandum  que  les  empereurs 
d'Autriche  et  de  Russie,  le  roi  des  Français,  la 
reine  de  la  Grande-Bretagne  et  le  roi  de  Prusse, 
crurent  devoir  envoyer  à  Rome  par  leurs  ambassa- 
deurs. Dans  cet  écrit,  il  fut  question,  entre  autres 
choses,  de  la  convocation,  à  Rome,  d'une  consulte 
d'Etat  formée  par  le  concours  de  l'Etat  pontifical 
tout  entier,  d'une  nouvelle  et  large  organisation  des 
municipalités,  de  l'établissement  des  conseils  pro- 
vinciaux, d'autres  institutions  également  favorables 
à  la  prospérité  commune,  de  l'admission  des  laï- 
ques à  toutes  les  fonctions  de  l'administration  pu- 
blique et  de  l'ordre  judiciaire.  Ces  deux  derniers 
points  étaient  présentés  comme  des  principes  vitaux 
de  gouvernement.  D'autres  notes  des  mêmes  am- 
bassadeurs faisaient  mention  d'un  plus  ample  par- 
don à  accorder  à  tous  ou  à  presque  tous  les  sujets 
pontificaux  qui  avaient  trahi  la  foi  due  à  leur  sou- 
verain. » 

Les  princes  étrangers,  en  intervenant  ainsi,  bles- 
saient la  souveraineté  dans  son  essence  qui  est  de 
ne  relever  que  d'elle-même,  et  par  là  nuisaient  à 
leur  propre  cause.  Mais  la  secte,  plus  ou  moins 
directement,    commandait   ou    persuadait. 

Pie  IX,  à  son  avènement,  crut  devoir  [tenir  compte 
des  conseils  exposés  dans  le  Mémorandum  et  l'on 
sait  l'effet  qu'ils  eurent  :  ce  fut  de  faire  proclamer 
la   république    à  Rome. 

Ce  qui  n'empêcha  point  la  diplomatie,  après  la 
restauration  du  trône  pontifical,  de  rendre  de  jour 
en  jour  plus  pressantes,  ses  remontrances,  et  l'on 
pourrait  dire  ses  injonctions,  de  mettre  fin  aux  abus. 
Au  congrès  tenu  à  Paris  après  la  guerre  de  Crimée 
furent    dites    enfin    les    paroles    qui   allaient    mettre 


346      l'agent    de   la   civilisation    moderne 

la  France  au   service  du  Piémont  pour  «  affranchir 
l'Italie  »  (1). 

En  même  temps  qu'elles  recommandaient  de  décrier 
la  Rome  papale,  les  Instructions  disaient  qu'il  était 
nécessaire  de  rappeler  les  souvenirs  de  la  Rome 
païenne  et  d'en  faire  désirer  le  retour.  «  Un  siècle 
ne  s'écoulera  pas,  s'écriait  un  agent  plus  ou  moins 
conscient  des  sociétés  secrètes,  l'abbé  Gioberti,  avant 
que  notre  patriie  ne  redevienne  aussi  belle  qu'elle 
l'était  au  temps  de  Scipion  (2).  »  «  Rome  dira  plus 
tard  Mazzini,  n'est  pas  une  cité,  Rome  représente  une 
idée.  Rome  est  le  sépulcre  de  deux  grandes  reli- 
gions qui  ont  donné  autrefois  la  vie  au  monde,  et 
Rome  est  le  sanctuaire  d'une  troisième  religion  fu- 
ture, destinée  à  donner  la  vie  au  monde  de  l'avenir. 
Rome  représente  la  mission  de  l'Italie  au  milieu 
des  nations,  le  Verbe  de  notre  peuple,  l'Evangile 
éternel  de  l'union  universelle  (3).  » 

1.  Quand  Napoléon  III  eut  manifesté  ses  intentions  se- 
crètes par  les  paroles  adressées  en  janvier  1859  à  l'am- 
bassadeur d'Autriche,  Mgr  Pie,  effrayé,  lui  demanda  au- 
dience. L'empereur  dit  à  l'évêgue  :  «  La  France  n'a  paa 
entretenu  à  Rome  une  armée  d'occupation  pour  y  consa- 
crer des  abus.  » 

Mgr  Pie  demanda  la  permission  de  s'expliquer  sur  ce  sujet 
en  toute  liberté.  Il  faut  lire  dans  le  beau  livre  de  Mgr 
Baunard  :  Histoire  du  cardinal  Fie,  les  paroles  coura- 
geuses qu'il  fit  entendre. 

«  Il  se  glisse  des  abus  partout,  et  quel  gouvernement 
peut  se  flatter  d'y  échapper?  Mais  j'ose  affirmer  qu'il 
n'en  existe  nulle  part  de  moins  nombreux  que  dans  la 
ville  et  dans  les  Etats  gouvernés  par  le  Pape.  —  Qu'a 
fait  notre  glorieuse  expédition  de  Crimée?  N'est-ce  pas 
plutôt  à  Constantinople  et  en  Turquie  qu'à  Rome  que 
la  France  serait  allée  pour  maintenir  des  abus?  » 

2.  Gesuita  moderno,   t.   II,   p.   600. 

3.  Voir   le   Monde   du   31    décembre   1864. 


l'œuvre   propre   de   la   haute   vente      847 

«  Il  y  a  toujours  au  fond  du  cœur  de  l'Italien 
(les  Instructions  secrètes  reprennent  la  parole)  un 
regret  pour  la  Rome  républicaine.  Excitez,  échauffez 
ces  natures  si  pleines  d'incandescence,  offrez-leUr  d'a- 
bord, mais  toujours  en  secret  (les  Instructions  parlent 
ici  de  ce  qu'il  y  a  à  faire  auprès  des  jeunes  gens  dans 
les  familles,  les  collèges  et  les  séminaires),  offrez-leur 
des  livres  inoffensifs,  des  poésies  resplendissantes 
d'emphase  nationale;  puis,  peu  à  peu,  vous  amè- 
nerez vos  disciples  au  degré  de  cuisson  voulu.  -Quand, 
sur  tous  les  points  à  la  fois  de  l'Etat  ecclésiastique, 
ce  travail  de  tous  les  jours  aura  répandu  vos  idées 
comme  la  lumière,  alors  vous  pourrez  apprécier  la 
sagesse  des  conseils  dont  nous  prenons  l'initiative.  » 

On  était  en  1819.  Si  les  Instructions  recomman- 
daient de  propager  les  idées,  elles  ne  recomman- 
daient pas  moins  de  ne  point  pousser  encore  à  l'ac- 
tion. «  Rien  n'est  mûr,  disent-elles,  ni  les  hommes, 
ni  les  choses,  et  rien  ne  le  sera  encore  de  bien 
longtemps.  Mais  de  ces  malheurs  (de  ce  qui  était 
déjà  arrivé  j>our  avoir  voulu  trop  tôt  précipiter  le 
mouvement,  et  de  l'intervention  armée  de  l'Autri- 
che que  l'on  voyait  alors  menaçante),  vous  pou- 
vez facilement  tirer  une  nouv^elle  corde  à  faire  vibrer 
au  cœur  du  jeune  clergé.  Ce  sera  la  haine  de  l'étran- 
ger. Faites  que  l'Allemand  (il  Tedesco)  soit  ridi- 
cule   et   odieux    avant   même    son    entrée    prévue.  » 

Un  document,  daté  du  20  octobre  1821,  traçait  la 
stratégie  à  suivre  dans  les  div^ers  pays  de  l'Europe 
pour  «  la  lutte  maintenant  engagée  entre  le  despotisme 
sacerdotal  ou  monarchique  et  le  principe  de  liberté.  » 
Il  disait  spécialement  pour  l'Italie  :  «  En  Italie,  il 
faut  rendre  impopulaire  le  nom  de  l'étranger,  de 
sorte  que,  lorsque  Rome  sera  sérieusement  assiégée 
par    la    Révolution,    un    secours    étranger    soit    tout 


348        L'AiîENT     DE     LA     CIVILISATION     MODERNE 

d'abord   un   affront,   même   pour    les   indigènes   fidè- 
les. » 


La  Haute-Vente  s'efforçait  surtout,  on  vient  de 
l'entendre,  de  gagner  le  clergé  à  ces  idées  d'affran- 
chissement politique;  et  vraiment  elles  avaient  Un 
côté  bien  séduisant  pour  qui  ne  savait  point  les  secrets 
desseins  de  ceux  qui  les  propageaient.  «  Rendez  le^ 
prêtre  patriote  »,  écrivait  Vindice.  Ils  ne  réussirent 
que  trOp',  non  auprès  de  tous,  ni  même  auprès  du 
plus  grand  nombre,  mais  auprès  de  religieux  et  de 
prêtres  séculiers  Influents  qui  entraînèrent  à  leur  suite 
trop  de  naïfs.  Le  P.  Gavazzi,  l'abbé  Gioberti,  le 
P.  Ventura,  l'abbé  Spola,  allèrent  jusqu'à  se  faire 
les  acolytes  de  Mazzini,  lorsque  la  Révolution  eut 
chassé  Pie  IX  de  Rome;  et  ils  eurent  l'impiété  et 
l'audace  de  chanter  le  jour  de  Pâques  V Alléluia 
des  sociétés   secrètes   sur  la  tombe  des  Apôtres. 

Non  satisfaits  de  rencontrer  des  auxiliaires  dans  le 
clergé,  les  conjurés  avaient  visé  plus  haut.  Ils  espé- 
raient rencontrer  un  Pape  qui  servirait  leurs  desseins. 
Après  la  mort  de  Grégoire  XVI,.  ils  crurent  l'avoir 
trouvé  en  Pie  IX  (1).  Appelé  à  l'improviste  au  gou- 

1.  Adam  Mickiewicz  en  a  donné  un  témoignage  curieux  : 
«  Un  ami,  M.  Armand  Lévy,  m'a  raconté  l'impression 
singulière  que  le  commencement  du  règne  de  Pie  IX  fit 
sur  Lamennais,  depuis  douze  ans  séparé  de  Rome,  et  qui, 
huit  ans  plus  tard,  devait  mourir  hors  de  l'Eglise  en 
laissant  comme  testament  politique  cette  préface  à  la  tra- 
duction de  Dante,  où  il  insiste  sur  l'incompatibilité  entre 
le  catholicisme  et  la  liberté.  Un  jour  du  mois  de  novem- 
bre 1846,  dit-il,  le  fougueux  Breton,  parlant  du  nouveau 
pape,  se  mit  tout  à  coup  à  arpenter  sa  chambrette  de  la 
rue  Byrou,  le  geste  rapide  et  l'œil  en  feu,  en  disant  ce  que 
Pie  IX  pouvait  faire,  ce  qu'il  ferait  sans  doute,  ce  que  lui- 
même  ferait  certainement,  s'il  était  à  sa  place  :  «  Je  pren- 
drais la  croix  en  main,  je  marcherais  contre  les  Autri- 
chiens... »  Et  ce  monologue,  qui  n'avait  que  deux  témoins, 
se    poursuivit    ainsi    toute    une    demi-heure,    sur    le    thème 


l'œuvre    propre   de    la    haute   vente      349 

vernail  de  l'Eglise,  Pie  IX  n'avait  point  été  en  posi- 
tion de  découvrir  les  écueils  qui  menaçaient  la  bar- 
que de  Pierre,  et  il  cherchait  instinctivement  le  moyen 
de  les  éviter.  Il  crut  devoir  d'abord  accorder  à  l'opi- 
nion publique  et  aux  instances  des  souverains,  l'am- 
nistie en  faveur  de  ceux  des  Carbonari  frappés  par 
la  justice.  Elle  avait  été  réclamée  à  cor  et  à  cri 
sous  le  règne  de  Grégoire  XVi.  «  Nous  nous  ser- 
virons des  larmes  réelles  de  la  famille  et  des  dou- 
leurs présumées  de  l'exil,  écrivait  Nubius  à  Vin- 
dice,  dès  1832^  pour  nous  fabriquer  de  l'amnistie 
une  arme  populaire.  Nous  la  demanderons  itoujours, 
heureux  de  ne  l'obtenir  que  le  plus  tard  possible, 
mais   nous   la  demanderons   à  orrands   cris.  » 

Quelles  paroles  pourraient  mettre  dans  un  plus 
grand  jour  le  fond  du  cœur  des  révolutionnaires!  Ils 
feignent  de  prendre  intérêt  aux  misères  et  aux  souf- 
frances populaires;  en  réalité,  ils  les  font  naître 
ou  ils  les  exaspèrent  afin  d'en  tirer  profit  pour 
eux. 

Pie  IX  ne  s'en  tint  point  là.  Ne  sachant  pas  encore 
qu'il  ne  faut,  comme  le  dit  Crétineau-Joly,  toucher  à 
la  Révolution  que  pour  lui  abattre  la  tête  (ce  qu'il 
fit  plus  tard  par  le  Syllabus),  il  crut  pouvoir  concé- 
der quelque  chose  de  ce  qu'elle  demandait  par  des 
améliorations  sagement  progressives.  «  Courage,  Saint- 
Père!  »  lui  criait  M.  Thiers,   du  haut  de  la  tribune 


d'une  croisade  pour  l'indépendance  de  l'Italie  et  la  liberté 
des  nations.  Jamais  peut-être  Lamennais  ne  fut  plus  élo- 
quent. Son  âme  s'épanouissait  sous  ce  rêve  de  délivrance 
universelle,  opérée  par  l'initiative  papale.  Ce  qui  avait 
été  le  songe  caressé  de  sa  jeunesse  allait-il  donc  s'accom- 
plir? » 

(Mémorial  de  la  Légion  polonaise  de  1848,  créé  en 
Italie  par  Sdam  Mickiewicz,  publication  faite  d'après  les 
papiers  de  son  père  avec  préface  et  notes  par  Ladislas 
Mickiewicz.   Paris,    1877,   t.    I,   p.    30). 


350      l'agent    de   la   civilisation    moderne 

française,  faisant  écho  aux  ovations  des  révolution- 
naires italiens.  Cependant  Pierre  resta  Pierre,  refu- 
sant ce  qui  ne  pouvait  être  accordé  :  —  Non  possOy 
non  debho,  non  voglio,  —  et  par  la  grâce  de  Dieu  et 
moyennant  le  bras  de  la  France,  il  sortit,  en  vain- 
queur,   de    l'épreuve. 

1 

Cette  déconvenue  ne  porta  nullement  la  secte  à 
abandonner  ses  desseins.  Elle  continua  d'une  part 
à  ruiner  le  trône  pontifical,  d'autre  part  à  répandre 
les  idées  que  préparaient  les  révolutions  destinées 
à  renverser  les  trônes  et  à  mettre  la  souveraineté 
dans  le  peuple.  Cette  deuxième  œuvre  n'était  point 
à  nos  yeux  la  plus  importante. 

«  Cette  victoire  (la  chute  des  trônes,  écrivait  Ti- 
grotto,  le  5  janvier  1846,  deux  ans  avant  la  Révo- 
lution de  48  qui  devait  les  ébranler  tous),  cette 
victoire  qui  sera  si  facile,  n'est  cependant  pas  celle 
qui  a  provoqué  jusqu'ici  tant  de  sacrifices  de  notre 
part. 

»  Il  y  a  une  victoire  plus  précieuse,  plus  durable, 
et  que  nous  poursuivons  depuis  si  longtemps...  Four 
tuer  avec  sécurité  le  vieux  monde  (et  sur  ses  ruines 
établir  une  civilisation  nouvelle),  nous  avons  vu 
qu'il  était  nécessaire  d'étouffer  le  germe  catholique 
et  chrétien  »,  en  d'autres  termes,  anéantir  le  christia- 
nisme dans  les  âmes. 


CHAPITRE  XXV 


PRUD£NGE  MAÇONNIQUE 


«  La  haine  des  conjurés  de  la  Haute- Vente  contre 
l'Eglise,  dit  Crétineau-Joly,  ne  s'évapore  ni  en  tur- 
bulences impies,  ni  en  provocations  insensées;  ils 
eurent  le  calme  du  sauvage  et  l'impassibilité  du 
diplomate  anglais  ».  C'est  bien  cela.  En  rapports 
constants  avec  les  chefs  de  la  franc-maçonnerie  des 
différents  rites  et  avec  les  Juifs  de  tous  les  pays, 
ayant  des  affidés  placés  près  des  souverains  ou 
de  leurs  ministres,  les  Quarante  avaient  une  puis- 
sance d'action  aussi  étendue  que  sûre  d'elle-mêmie. 
Elle   n'en  était  pas   pour   cela  moins   avisée. 

La  plus  pressante  des  recommandations  faite  aux 
Quarante  était  de  n'agir  qu'avec  prudence  et  circons- 
pection. 

Un  document  émané  du  comité  directeur,  à  la  date 
du  20  octobre  1821,  dit  :  «  Nous  ne  prouvons  plus 
marcher  à  l'ennemi,  avec  l'audace  de  nos  pères  de 
1793.  Nous  sommes  gênés  par  les  lois  et  plus  en- 
core par  les  mœurs;  mais,  avec  le  temps,  il  nous 
sera  permis  peut-être  d'atteindre  le  but  qu*ils  ont 
manqué.  Nos  pères  mirent  trop  de  précipitation  en 
tout,  et  ils  ont  perdu  la  partie.  Nous  la  gagnerons  si. 


352      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

en  contenant  les  témérités,  nous  parvenons  à  fortifier 
les  faiblesses.  »  Ce  mot  d'ordre,  nous  l'avons  entendu 
répéter  publiquement,  le  jour  où  la  Maçonnerie  s'em- 
para du  pouvoir.  Et,  depuis,  ne  l'avons-nous  pas 
vue  contenir  toujours  les  témérités,  et,  en  se  for- 
tifiant sans  cesse,  marcher  au  but,  lentement,  mais 
sûrement?  Les  Instructions  secrètes  disaient  de  leur- 
côté  :  «  Pour  atteindre  plus  sûrement  notre  but,  et 
ne  pas  nous  préparer,  de  gaîté  de  cœur,  des  revers 
qui  ajournent  indéfiniment  ou  compromettent  pour 
des  siècles  le  succès  d'une  bonne  cause,  il  ne  faut 
pas  prêter  l'oreille  à  ces  vantards  de  Français  (1)..., 
à  ces  nébuleux  Allemands...,  à  ces  tristes  Anglais... 
Le  catholicisme  a  la  vie  plus  dure  que  cela;  il  a  vu 
de  plus  implacables,  de  plus  terribles  adversaires, 
et  il  s'est  souvent  donné  le  malin  plaisir  de  jeter 
de  l'eau  bénite  sur  la  tombe  des  plus  enragés.  Lais- 
sons donc  nos  frères  de  ces  contrées  se  livrer  aux 
intempérances  stériles  de  leur  zèle  anticatholique; 
permettons-leur  de  se  moquer  de  nos  madones  et 
de  notre  dévotion  apparente  (2).  Avec  ce  passe-port, 
nous  pouvons  conspirer  à  notre  aise  et  arriver  peu 
à  peu  au  terme  proposé  ».  La  Haute-Vente,  nos  lec- 
teurs ne  l'ignorent  point,  avait  pour  mission  de  miner 
le  trône  pontifical  au  temporel  et  au  spirituel,  et 
d'employer,  autant  que  possible,  le  clergé  lui-même 
à  cette  œuvre  de  destraction.  Pour  cela,  il  lui  était 
recommandé  d'user  de  beaucoup  d'hypocrisie.  Elle 
ne  s'en  fit  point  faute. 


1.  On  sait  qae  la  Haute-Vente  avait  son  siège  à  Rome  et 
était    principalement    composée    d'Italiens. 

2.  Pour  mieux  circonvenir  le  monde  ecclésiastigue  de 
Rome,  les  Quarante  avaient  reçu  l'ordre  de  fréquenter  les 
sacrements  €t  d'affecter  les  dehors  de  la  piété.  C'est 
de  cet  ordre  qu'ils  disaient  que  les  cheveux  leur  en  dres- 
saient sur  la  tête. 


PRUDENCE     MAÇONNIQUE  353 

Piccolo-Tigre  piontre  qu'il  s'est  bien  pénétré  de 
ces  Instructions  :  «  Servons-nous,  dit-il,  de  tous  les 
incidents,  piettons  à  profit  toutes  les  éventualités. 
Défions-nous  principalement  des  exagérations  du  zèle. 
Une  bonne  haine  bien  froide,  bien  calculée,  bien 
profonde,  vaut  mieux  que  tous  ces  feux  d'artifice 
et  toutes  ces  déclamations  de  tribune  »  (des  Fran- 
çais, des   Allemands   et  des  Anglais). 

Félice  ne  parle  point  autrement  :  «  Afin  de  don- 
ner à  notre  plan  toute  l'extension  qu'il  doit  prendre, 
nous  devons  agir  à  petit  bruit,  à  la  sourdine,  ga- 
gner peu  à  peu  du  terrain  et  n'en  perdre  jamais. 
Chaque  jour,  les  Carbonari  prophétisent  un  boulever- 
sement général.  C'est  ce  qui  nous  perdra,  car  alors 
les  partis  seront  plus  tranchés,  et  il  faudra  opter 
pour  ou  contre  (1).  De  ce  chaos  naîtra  inévitablement 
une  crise,  et  de  cette  crise  un  ajournement  ou  des 
malheurs  imprévus.  » 

Ce  sont  bien  toujours  les  mêmes  instructions,  il 
n'est  pas  difficile  de  le  voir,  qui  ont  dicté  jusqu'ici 
la  conduite  prudente  de  la  secte. 

Dans  ces  derniers  temps,  les  ouvrages  du  F.  • . 
Bidegain,  publiés  en  même  temps,  que  se  produi- 
sait l'incident  relatif  au  F.  •  .  Piernée,  le  cas  du 
F.  • .  Nicol,  la  démission  du  F.  • .  Doumer,  etc.,  ému- 
rent le  Grand-Orient.  Il  adressa  aux  Vén.  • .  des  LL.  ' . 
départementales  un  «  morceau  d'architecture  »  leur 
prescrivant  de  faire  observer  chacun  dans  son  obé- 
dience la  discipline  et  l'obéissance  maçonniques  en 
même  temps  que  la  discrétion  vis-à-vis  des  profanes. 

1.  Voilà  cer  que  tant  de  catholiq-ues  ne  veulent  point 
encore  comprendre.  La  secte  sera  perdue,  et  elle  ne  le  sera 
que  lorsque  les  partis  seront  nettement  tranchés,  lorsqu'au 
parti  de  Satan  s'opposera  résolument  le  parti  de  Dieu, 
comme  le  demande  avec  tant  d'instance  le  Souverain  Pon- 
tife Pie  X. 

L'Eglise  et  le  Temple.  23 


354      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

En  voici  un  extrait  :  «  Pourquoi  les  Anciens  con- 
servaient-ils avec  un  soin  si  jaloux  les  secrets  de 
leurs  mystères?  Pourquoi  leurs  préceptes  n'étaient- 
ils  pas  écrits?  Pourquoi  la  peine  capitale  était-elle 
réservée  aux  traîtres,  aux  indiscrets  et  aux  renégats?^ 
Parce  qu'ils  savaient,  mes  FF.:.,  que  les  œuvres 
les  plus  grandes  et  les  plus  bienfaisantes  se  fon- 
dent dans  le  silence;  parce  qu'ils  savaient  que  tout 
ce  qui  est  mystérieux  ou  obscur  a  beaucoup  plus 
de  prestige  aux  yeux  du  vulgaire,  et  qu'une  insti- 
tution qui  connaît  le  monde  et  n'est  pas  connue 
de  lui  est  une  puissance  irrésistible.  Aucun  obstacle 
ne  l'arrête.  A  la  longue  elle  accomplit  son  œuvre 
avec  une  sage  lenteur,  mais  avec  la  sûreté  de  la 
goutte  d'eau  qui  creuse  le  granit.  Soyons  discrets 
à  la  manière  antique,  mes  FF.  ; .,  et  nous  aurons 
bien  mérité  de  la  maçonnerie  universelle!  » 

Le  F.  • .  Maréchaux  présenta  au  Conseil  de  l'Ordre 
dans  la  séance  du  20  mars  1906  {Compte  rendu  du  1^^ 
janvier  au  31  mai,  p.  71),  un  rapport  intéressant  sur  la 
question  de  la  création  d'une  imprimerie  maçonnique. 

«  Cette  création,  n'hésite  point  à  dire  le  rappor- 
teur, présenterait  une  foui©  de  dangers.  D'abord,  nous 
imprimons  beaucoup  trop  de  choses;  notus  avons  beau- 
coup trop  de  papiers  en  circulation;  et  le  moyen  le 
plus  sûr  de  diminuer  les  chances  de  divulgation  de  ces 
papiers,  c'est  d'en  diminuer  le  nombre.  »  Il  faut  donc 
avant  tout  s'adresser  à  des  imprimeurs  sûrs.  On  peut 
observer  que  «si  dans  de  grandes  imprimeries  où  la 
surveillance  est  difficile  il  se  produit  des  fuites,  on 
en  rechercherait  vainement  dans  certaines  imprime- 
ries de  province  où  le  patron  et  le  prote  surveillent 
la  composition  et  le  tirage  et  se  font  rendre  toutes 
les  feuiles,  bonnes  ou  mauvaises,  après  tirage  effec- 
tué. »  De  plus  «  ce  qui  rend  dangereux  la  profusion 


PRUDENCE    MAÇONNIQUE  "355 

de  nos  imprimés,  c'est  la  manie  que  nous  avons 
de  les  collectionner  :  les  bulletins,  les  convocations, 
les  circulaires,  et  une  foule  de  documents  dont  la 
correspondance  des  Loges  est  inondée,  devraient  être 
détruits  une  fois  portés  à  la  connaissance  des  Ateliers. 
En  résumé  :  pas  d'imprimerie  maçonnique,  moins 
d'imprimés    et   moins    d'archives    inutiles.  » 

Cette  conclusion  est  adoptée  après  que  le  F.  • .  Le- 
maître  a  déclaré  qu'il  avait  proposé  simplement  «  quel- 
ques casses  de  caractères  et  une  forte  pédale  placées 
dans  le  Grand-Orient,  et  qui  auraient  servi  à  im- 
primer quelques  travaux  simples  ou  encore  dans 
un  cas  urgent.  Four  déjouer  une  conspiration,  par 
exemple,  il  serait  utile  de  posséder  un  outil  de  ce 
genre.  » 

Ainsi  jdonc  ces  hommes  qui  se  disent  chargés  de 
répandre  la  lumière  ne  pensent  qu'à  se  cacher.  On 
n'imprime  qu'une  partie  des  rapports,  on  les  par- 
sème de  lignes  de  points.  On  donne  des  instructions 
pour  incinérer  les  documents.  Cela  ne  suffit  pas.  Tan- 
dis que  les  li^es  ou  associations  quelconques  ne  vi- 
sent qu'à  étendre  leur  publicité,  le  Grand-Orient  ne 
cherche  qu'à  dissimuler  ce  qui  se  dit  et  ce  qui  se 
fait  dans  les  loges.  Il  fabrique  même  de  faux  docu- 
ments pour  mieux  dérouter  le  public.  La  revue  Eiram, 
dans  son  n»  d'avril  1909  (page  3)  faisait  cet  aveu  : 

«  L'Ill.  : .  F.  : .  Bernardin,  membre  du  Conseil  de 
l'Ordre  et  du  Collège  des  Rites,  ne  nous  a-t-il  pas 
déclaré  avoir  calculé  que  206  ouvrages  maçonni- 
ques donnaient  à  la  Maçonnerie  39  origines  diver- 
ses?  » 

En  admettant  qu'un  des  ouvrages  maçonniques  en 
question  ait  dit  la  vérité,  il  s'ensuivrait  donc  que 
la  Maçonnerie  a  menti  dans  38  cas  sur  39,  puisqu'elle 
donne   39   versions   différentes   du  même  fait;   c'est 


356      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

rill.-.   F.-.      Bernardin   lui-même    qui  le  constate... 

«  Seule,  ,dans  l'univers  entier,  dit  Mgr  Ketteler, 
évêque  de  Mayence  (1),  la  Franc-Maçonnerie  reven- 
dique, en  fait  comme  en  principe,  une  position  excep- 
tionnelle vraiment  remarquable.  Seule,  elle  veut 
échapper  aux  débats  de  la  presse  périodique,  et, 
à  part  quelques  exceptions,  elle  y  réussit.  Tandis  que 
la  presse  examine  et  apprécie  tout  ce  qui  intéresse 
l'Humanité;  tandis  que  le  christianisme,  avec  tou- 
tes ses  doctrines  et  toutes  ses  oeuvres,  l'Etat,  avec 
tous  ses  droits  et  ses  constitutions,  sont  sans  cesse 
discutés  et  appréciés;  tandis  que  la  curiosité  pu- 
blique pénètre  jusque  dans,  les  derniers  recoins  de  la 
vie  privée,  la  Franc-Maçonnerie  seule  peut  dire  avec 
l'approbation  de  toute  l'Europe  :  JSe  me  touchez  pas! 
Chacun  craint  d'en  parler  comme  s'il  s'agissait  d'un 
fantôme.  » 

Ce  mystère  dont  la  secte  s'enveloppe  avec  tant 
de  soins  amène  Crétineau-Joly  à  faire  cette  obser- 
vation :  «  Il  existe  une  race  d'insectes  que  les  sa- 
vants appellent  termites.  Ces  termites  rongent  à  l'in- 
térieur les  poutres  d'une  maison;  et,  avec  un  art  ad- 
mirable, ils  savent  laisser  intacte  la  surface  du  bois 
rongé.  Mais  cette  surface  est  si  mince  que  le  doigt 
de  l'homme  en  s'y  appliquant,  fait  craquer  la  pou- 
tre. Ce  procédé  des  termites  est  à  l'usage  des  so- 
ciétés  secrètes.  » 

Cette  .tactique  n'échappa  point  à  la  perspicacité  du 
cardinal  Consalvi.  Le  4  janvier  1818,  il  écrivait  au 
prince  de  Metternich  :  «  Par  tout  ce  que  je  recueille 
de  divers  côtés,  et  par  tout  ce  que  j'entrevois  dans 
l'avenir,   je   crois   (et   vous   verrez   plus   tard   si  j'ai 


1.  Dans  un  ouvrage  publié  vers  1865,  sous  ce  titre  ■ 
Liberté,  Autorité,  Eglise.  Considérations  sur  les  graiidF- 
problèmes  de  notre  époque. 


PRUDENCE    MAÇONNIQUE  857 

tort),  que  la  Révolution  a  changé  de  marche  et  de 
tactique.  Elle  n'attaque  plus  à  main  armée  les  trô- 
nes et  les  autels,  elle  se  contentera  de  les  miner.  » 

Le  Conseil  suprême  doit  bien  s'applaudir  d'avoir 
recommandé  l'usage  de  ce  procédé  il  y  a  trois  quarts 
de  siècle;  il  voit,  nous  voyons  en  quelle  situation 
son  emploi  nous  a  mis.  Et  cela  peu  à  peu,  sans 
que  l'on  songeât  à  ouvrir  les  yeux. 

«  Ici,  disait  encore  le  même  cardinal  au  même 
prince,  j'entretiens  chaque  jour  les  ambassadeurs 
de  l'Europe  des  dangers  futurs  que  les  sociétés  se- 
crètes préparent  à  l'ordre  à  peine  reconstitué,  et  je 
m'aperçois  que  l'on  ne  me  répond  que  par  la  plus 
belle  indifférence  ».  Léon  XII  répandait  les  mêmes 
plaintes  dans  le  sein  du  cardinal  Bernetti  :  «  Nous 
avons  averti  les  princes,  et  les  princes  dorment  en- 
core. Nous  avons  averti  leurs  ministres,  et  leurs  mi- 
nistres n'ont  pas  veillé.  Nous  avons  annoncé  aux 
peuples  les  calamités  futures,  et  les  peuples  ont 
fermé  les  yeux  et  les  oreilles  (1).  » 

Non  seulement  la  Haute-Vente,  en  tant  que  société, 
devait  marcher  avec  la  plus  grande  circonspection, 
mais  il  était  recommandé  à  chacun  de  ses  ouvriers 
d'user  eux-mêmes  de  la  prudence  la  plus  avisée. 
«  Vous  devez  avoir  l'air  d'être  simples  comme  des 
colombes,  disaient  les  Instructions  aux  Quarante, 
mais  vous  serez  prudents  comme  le  serpent.  »  La 
prudence  ainsi  recommandée  consistait  tout  d'abord 
à  se  conduire  de  telle  sorte  que  jamais  le  moindre 
soupçon  sur  ce  qu'ils  étaient  et  sur  ce  qu'ils  fai- 
saient, ne  pût  naître  dans  l'esprit  de  personne.  «  Vous 
savez,    continuent    les    mêmes    Instructions^    que    la 


1.  Crétineau-Joly  :  L'Eglise  romaine  en  face  de  la  Révo- 
lution, II,  p.  141. 


358      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

moindre  révélation,  le  plus  petit  indice,  peut  entraîner 
de  grands  malheurs,  et  que  c'est  son  arrêt  de  mort 
que  signe  le  révélateur  volontaire  ou  involontaire.  » 

Le  rôle  qui  leur  était  assigné  leur  rendait  d'ailleurs 
cette  discrétion  plus  facile  qu'à  d'autres.  Ils  n'avaient 
point,  comme  Mazzini  et  ses  sicaires,  à  jouer  du 
poignard,  à  faire  éclater  les  émeutes,  à  provoquer 
les  révolutions.  Leur  affaire  était  d'agir  sur  les  es- 
prits pour  les  pervertir,  employer  la  parole  et  l'écii- 
ture  à  la  séduction  des  personnes  et  à  la  propa- 
gande des  idées.  Ils  étaient  dans  la  franc-maçon- 
nerie à  la  tête  de  ce  que  l'on  a  appelé  l'armée  des 
pacifiques  ou  des  intellectuels,  composée  des  jour- 
nalistes, des  universitaires,  des  parlementaires  qui 
travaillent  l'opinion  et  qui  préparent  les  uns  à  faire, 
les  autres  à  accepter  les  lois  forgées  dans  le  des- 
sein d'asservir  l'Eglise  en  attendant  qu'elle  puisse 
être   anéantie   (1). 

Le  soin  de  cacher  jusqu'à  l'existence  de  la  Haute- 
Vente,   et  de  détourner  tout  soupçon  des  personnes 

1.  Un.  avocat  saxon,  d'une  rare  vigueur  d'esprit  et  d'uae 
grande  érudition,  M.  Eckert,  a  employé  sa  vie  à  dévoi- 
ler les  mystères  des  sociétés  secrètes  et  à  mettre  au  jour 
de  précieux  documents  sur  leur  action. 

Il  dit  :  «  Toutes  les  révolutions  modernes  prouvent  que 
Vordre  est  divisé  en  deux  "parties  distinctes,  l'une  Pacifique, 
Vautre  Guerrière.  La  première  n'emploie  qrie  la  parole  et 
l'écriture.  Elle  conquiert  au  profit  de  l'Ordre  toutes  les 
places  dans  les  Etats  et  les  Universités,  toutes  les  positions 
influentes.  Elle  séduit  les  masses,  domine  l'opinion  pu- 
blique au  moyen  de  la  presse  et  des  associations. 

»  Dès  que  la  division  pacifique  a  poussé  ses  travaux  assez 
loin  pour  qu'une  attaque  violente  ait  des  chances  de 
succès  dans  un  temps  peu  éloigné  ;  lorsque  les  passions 
sont  enflammées,  lorsque  l'autorité  est  suffisamment  af- 
faiblie, ou  que  les  postes  importants  sont  occupés  par  des 
traîtres,  la  division  guerrière  reçoit  l'ordre  de  déployer  son 
activité. 

»  L'existence  de  la  division  belligérante  est  inconnue  à 
la  grande  partie  des  membres  de  l'autre  division.  » 


PRUDENCE    MAÇONNIQUE  359 

qui  la  composaient,  allait  si  loin  que,  pour  dérouter 
plus  complètement  les  investigations  de  la  police 
du  gouvernement  pontifical,  nos  conjurés  eurent  l'art 
de  lui  livrer  cinq  ou  six  Ventes  particulières  dont 
les  imprudences  pouvaient  devenir  dangereuses.  Ils 
obtenaient  ainsi  un  double  résultat  :  endormir  à  leur 
égard  les  soupçons  de  la  cour  romaine,  et  satis- 
faire une  vengeance  fraternelle,  car,  dans  ces  succur- 
sales de  l'enfer,  si  on  travaille  à  la  même  œuvre,  on 
est  loin  de  s'aimer.  L.  Blanc,  dans  son  Histoire  de 
Dix  Ans,  nous  montre  comment  les  rivalités  du 
F.  • .  Lafayette  et  du  F.  • .  Manuel  amenèrent  l'anar- 
chie dans  la  Charbonnerie.  N'avons-nous  point  yu 
quelque  chose  de  semblable  tout  récemment?  Dans 
l'affaire  des  «  fiches  »,  les  «  Enfants  de  Gergovie  » 
ont  fait  campagne  contre  André,  Berteaux,  Maujan; 
tout  un  groupe  de  maçons  se  sont  associés  à  cette 
campagne  et  plusieurs  loges  commencèrent  à  médire 
du  Grand-Orient.  Ces  discordes  sont  l'un  des  moyens 
dont  la  Providence  se  sert  pour  arrêter  l'essor  de 
la  Révolution  et  retenir  les  peuples  sur  la  pent^ 
de  l'abîme  où  on  veut  les  précipiter. 

Non  contents  de  livrer  quelques  loges  à  la  po- 
lice romaine,  les  trois  membres  de  la  Haute-Vente 
qui  proposèrent  à  leur  chef,  le  25  février  1839,  de 
se  délivrer,  en  le  faisant  assassiner,  des  craintes  que 
les  agissements  de  Mazzini  entretenaient  parmi  eux, 
lui  écrivaient  :  «  Un  jour,  demain  peut-être,  l'opi- 
nion publique  se  révoltera.  Alors  le  sang  inuti- 
lement versé  retardera,  peut-être  pour  de  longues 
années,  les  projets  conçus  par  nous  avec  une  dexté- 
rité si  audacieuse.  Cet  état  de  choses  va  tous  les 
jours  en  empirant,  et  doit  cesser,  sans  quoi  nous 
serions  obligés  de  renoncer  à  nos  plans  contre  le 
siège  de  Rome,  car  la  plus  légère  indiscrétion  peut 


'SQO      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

• 

tout  révéler.  Un  seul  assassinat,  qu'on  n'aura  pas 
réussi  à  couvrir  comme  tant  d'autres,  mettra  sur  la 
trace  de  nos  réunions.  » 

«  Docile  aux  avis  de  Nubius,  dit  Crétineau-Joly, 
la  Haute-Vente  chemina  à  pas  mesurés,  sondant  le 
terrain,  se  rendant  compte  des  obstacles,  les  tour- 
nant sans  jamais  les  attaquer  de  front.  On  l'a  vue 
prendre  tout  à  la  fois  les  masques  de  la  piété,  du 
patriotisme  et  du  dévouement.  Dans  une  existence 
de  complots  non  interrompus,  cette  Vente  n'a  pu 
donner  Une  ombre  d'inquiétude  à  la  police  romaine.  » 
Elle  ne  s'est  jamais  non  plus  laissé  détourner  du 
but  qui  lui  avait  été  marqué;  jamais,  pour  y  arri- 
ver, elle  n'employa  d'autres  moyens  que  ceux  qui 
étaient  dans  ses  attributions  :  la  parole  et  les  écrits, 
en  un  mot,  la  séduction.  Car  c'est  par  la  corruption 
des  idées  et  des  mœurs  que  la  secte  espère  anéan- 
tir l'Eglise,  après  avoir  détruit  son  pouvoir  temporel. 


CHAPITRE  XXVI 


LE  SUPRÊME  ATTENTAT 


Notre  Saint-Père  le  Pape  Léon  XIII,  après  s'être 
appliqué,  dans  son  Encyclique  sur  la  Franc-Maçon- 
nerie, à  faire  connaître  la  doctrine,  les  projets,  les 
actes,  les  progrès,  la  puissance  de  cette  secte,  exhorta 
tous  les  évêques  du  monde  «  à  employer  tout  leur 
zèle  à  faire  disparaître  l'impure  contagion  du  poison 
qui  circule  dans  les  veines  de  la  société  et  l'infecte 
tout  entière  »;  et  il  leur  indiqua  en  ces  termes  le 
principal  moyen  à  employer  à  cette  fin  :  «  Puisque 
l'autorité  inhérente  à  Notre  charge  Nous  impose  le 
devoir  de  vous  tracer  Nous-même  la  ligne  de  conduite 
que  nous  estimons  la  meilleure,  Nous  vous  dirons  : 
En  premier  lieu,  arrachez  a  la  franc-maçonnerie 

LE  MASQUE  DONT  ELLE  SE  COUVRE  ET  FAITES-LA 
VOIR  TELLE  QU'ELLE  EST.  » 

Continuant  à  obéir  à  ce  mot  d'ordre,  nous  avons 
maintenant  à  faire  connaître  le  plus  audacieux  atten- 
tat que  la  secte  ait  jamais  conçu  et  qu'elle  a  essayé 
de    perpétrer. 

Deux  mois  après  avoir  pris  en  mains  le  timon 
de  la  Vente  suprême,  Nubius  s'en  expliquait  ainsi 
à  Volpe  (3  avril   1824)  :  «  On  a  chargé  nos  épaules 


362      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

d'un  lourd  fardeau,  cher  Volpe.  Nous  devons  arriver 
par  de  petits  moyens  bien  gradués,  quoiqu'assez  mal 
définis,  au  triomphe  de  ridée  révolutionnaire  par 
UN  PAPE.  »  Nubius  pensait  qu'un  tel  projet  n'avait 
pu  être  conçu,  et  que  les  moyens  à  employer  pour  le 
réaliser  n'avaient  pu  être  donnés  que  par  Satan 
lui-même,  car  il  ajoute  :  «  Ce  projet  m'a  toujours 
paru  d'un  calcul  surhumain  ».  Il  n'y  avait  en  effet 
pour  avoir  l'idée  d'une  telle  entreprise  que  celui 
qui  avait  déjà  porté  son  audace  plus  haut  encore, 
puisqu'il   s'était  dressé   contre  l'Eternel   lui-même. 

Il  n'avait  point  attendu  jusqu'à  la  constitution  de 
la  Haute-Vente   pour   l'inspirer. 

A  l'époque  où  la  maçonnerie  anglaise  propagea  la 
secte  dans  l'Europe  entière  en  établissant  les  loges 
qui  devaient  préparer  la  Révolution,  le  déiste  an- 
glais Toland  imprima  secrètement  en  1720  et  répan- 
dit avec  un  grand  mystère  un  livre  étrange  écrit  en 
latin  et  intitulé  Pantheisticon  (1).  Il  y  dit  en  pro- 
pres termes  :  «  Beaucoup  de  membres  des  solidarités 
socratiques  (2)  se  trouvent  à  Paris,  d'autres  à  Venise, 
dans   .toutes    les    villes   hollandaises,   principalement 


1.  Dans  ce  livre,  le  F.  :  .  Toland  semble  bien  marquer 
l'un  des  principaux  caractères  de  la  Maçonnerie,  même 
anglaise,  et  dès  ses  origines,  lorscju'il  raconte  ce  qui  se 
passait  dans  les  loges  des  FF.  • .  fondateurs  de  la  Grande 
loge  de  Londres,  célébrant  les  fêtes  des  solstices  et  des  équi- 
noxes.  «  Là,  dit-il,  ne  s'embarrassant  ni  des  cultes,  ni 
des  lois  de  leur  patrie,  ils  discourent  avec  le  plus  libre 
jugement  des  «  choses  sacrées  »,  comme  on  les  appelle, 
et  des  «  profanes  »,  après  avoir  mis  de  côté  certains 
préjugés  ».  Les  rituels  de  ces  premières  loges  anglaises 
désignent  déjà  l'autorité  civile  et  l'autorité  religieuse  sous 
les  noms  de  tyrannie  et  de  superstition,  qu'il  faut  rem- 
placer par  la  liberté  maçonnique  et  la  vérité  maçonnique. 

2.  Les  solidarités  socratiques  avaient  leur  siège  prin- 
cipal  à  Londres. 


LE    SUPRÊME    ATTENTAT  363 

à  Amsterdam,    et   même,   dat-on   s'en   étonner,    dans 
la  cour  de  Rome  »  (p.  42). 

En  1806,  un  militaire,  Jean-Baptiste  Simonni,  ayant 
lu  l'ouvrage  de  Barruel,  lui  écrivit  de  Florence  une 
lettre  où  il  dit  que,  s'élant  trouvé  en  rapports  avec 
des  Juifs  en  Piémont  au  moment  où  ce  pays  était 
en  révolution,  pour  gagner  leur  confiance  et  sai- 
sir leurs  secrets,  il  les  persuada  qu'il  était  né  à 
Livourne  id'une  famille  juive  et  que  bien  que  chré- 
tien d'extérieur  il  était  toujours  juif  par  le  cœur. 
Ils  s'ouvrirent  à  lui  peu  à  peu.  Et  voici  ce  qu'il 
retint  de  leurs  discours  :  La  secte  judaïque  est  au- 
jourd'hui la  puissance  la  plus  formidable,  si  l'on 
considère  ses  grandes  richesses  et  la  protection  dont 
elle  jouit  dans  presque  tous  les  Etats  de  l'Europe. 
Elle  paraît  en  tout  séparée  des  autres  sectes,  réel- 
lement elle  ne  l'est  pas.  Il  suffit  qu'une  d'elles  se 
montre  ennemie  du  nom  chrétien  pour  qu'elle  la 
favorise,  la  soudoie  ©t  la  protège.  Avec  tous  les  au- 
tres sectaires,  les  juifs  ne  forment  qu'une  seule  fac- 
tion pour  anéantir,  s'il  est  possible,  le  nom  chrétien. 
Manés  et  le  Vieux  de  la  montagne  sont  sortis  de 
leur  nation.  Les  francs-maçons  et  les  Illuminés  ont 
été  fondés  par  eux.  En  Italie  et  en.  Espagne  ils  ont 
gagné  à  leur  cause  Une  multitude  d'ecclésiastiques  tant 
réguliers  que  séculiers,  des  prélats,  des  évêques  et 
même  des  cardinaux.  Ils  ne  désespèrent  pas  d'avoir  un 
Fape  de  leur  parti.  Ils  se  promettent  dans  moins  d'uii 
sièele  d'être  les  maîtres  du  monde.  Pour  cela,  ils 
anéantiront  la  famille  des  Bourbons;  à  force  d'ar- 
gent et  de  cabales,  ils  espèrent  obtenir  de  tous  les 
gouvernements  Un  état  civil;  et  alors,  possédant  les 
droits  de  citoyens,  comme  les  autres,  ils  achèteront 
terres  et  maisons,  et  au  moyen  de  l'usure,  ils  parvien- 
dront à  dépouiller  entièrement  les  chrétiens,  à  faire 


364      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

de  leurs  églises  autant  de  synagogues  et  à  faire  régner 
leur  secte  sur  les  ruines  de  toutes  les  autres. 

Barruel  eut  d'abord  la  pensée  de  publier  cette 
lettre,  mais  il  se(  dit  qu'en  saine  critiqU'C,  ce  qui 
s'y  trouvait  exposé  exi'>;erait  des  preuves  impossi- 
bles à  produire.  Il  se  contenta  donc  d'en  présenter 
l'original  au  cardinal  Fesch  pour  être  communiqué 
à  l'empereur  qui  venait  de  convoquer  le  Sanhédrin 
à  Paris.  Desmaretz,  occupé  sur  l'ordre  de  l'empereur 
de  recherches  sur  les  Juifs,  voulut  garder  l'origi- 
nal; Barruel  ne  le  lui  permit  point  et  l'envoya  au 
Pape.  Quelques  mois  plus  tard.  Sa  Sainteté  lui  fit 
écrire  par  l'abbé  Tetta,  son  secrétaire,  que  «  tout 
annonçait  la  véracité  et  la  probité  de  celui  qui  avait 
ainsi  découvert  tout  ce  dont  il  avait  été  témoin.» 
Au  moment  de  la  Restauration,  Barruel  remit  une 
copie    de    cette    lettre    à  Louis    XVIII. 

.  Nous  ne  voulons  en  retenir  ici  que  ce  qui  y  est  dit 
dîu  futur  pape  que  les  Juifs  espéraient  et  le  mettre  en 
regard  de  la  miission  donnée  à  Nubius. 

Pour  animer  le  courage  de  ceux  à  qui  l'œuvre 
titanesque  de  faire  triompher  l'idée  révolutionnaire 
par  un  pape  était  confiée,  les  Instructions  secrètes 
faisaient  de  la  puissance  pontificale  un  tableau  aussi 
séduisant,  que  vrai,  vrai  en  soi,  séduisant  pour  qui 
avait  le  désir  et  l'espoir  de  s'en  emparer  à  son 
profit  :  «  Par  le  bras,  par  la  voix,  par  la  plume,  par 
le  cœur  de  ses  innombrables  évêques,  prêtres,  moi- 
nes, religieux  et  fidèles  de  toutes  les  latitudes,  la 
Papauté  trouve  des  dévouements  sans  cesse  prêts  au 
martyre  et  à  l'enthousiasme.  Partout  où  il  lui  plaît 
d'en  évoquer,  elle  a  des  âmes  qui  meurent,  d'autres 
qui  se  dévouent  pour  elle.  C'est  un  levier  immense 
dont  quelques  Papes  seulement  ont  apprécié  toute 
la  puissance.  Encore  n'en  ont-ils  usé  que  dans  une 


LE    SUPRÊME     ATTENTAT  ^UîT) 

certaine  mesure  ».  Les  conjurés,  en  parlant  ainsi, 
ne  faisaient  que  résumer  l'histoire.  A  toutes  ses 
pages  elle  dit  la  foi  des  chrétiens  en  l'institution  du 
divin  Maître,  leur  aveugle  confiance  en  celui  qu'il 
a  fait  être  son  vicaire  et  qui  leur  parle  en  son 
nom,  leur  dévouement  absolu  au  Pontife  qui  tient 
la  place  du  Christ  au  milieu  d'eux.  Que  quelques- 
uns  d'entre  les  Papes,  à  l'heure  des  grandes  crises 
de  l'Eglise,  n'aient  point  eu  assez  de  foi  en  eux- 
mêmes,  ou  plutôt  en  la  vertu  de  Jésus-Christ  dont 
ils  étaient  investis,  c'est  possible.  Cela  arriva  à  Pierre 
sur  le  lac  de  Génésareth  :  comme  lui,  ils  ont  alors 
senti  les  flots  s'ouvrir  sous  leurs  pieds  jusqu'à  ce 
que  leur  regard,  se  reportant  sur  le  divin  Sauveur, 
ait  puisé  en  lui  avec  un  renouvellement  de  foi, 
une  recrudescence  de  vigueur  et  de.  charité  divines. 

Montrer  aux  membres  de  la  Haute-Vente  la  puis- 
sance du  levier  pontifical,  c'était  peu  pour  le  Con- 
seil suprême  des  sociétés  secrètes;  l'important  et 
le  difficile  était  de  leur  faire  croire  qu'ils  pourraient 
arriver  à  s'emparer  de  ce  levier  et  le  mettre  en 
action  au  profit  du  but  final  de  la  secte,  «  celui  de 
Voltaire  et  de  la  Révolution  française  :  l'anéanlisse- 
ment  à  tout  jamais  du  catholicisme  et  .même  de 
l'idée    chrétienne.  » 

Comment  des  hommes  intelligents,  —  et  certes 
les  Quarante  l'étaient,  Nubius,  leur  chef,  avait  plus 
que  de  l'intelligence,  c'était  un  homme  d'un  génie 
infernal,  —  comment  purent-ils  accepter  de  s'atte- 
ler à  une  si  folle  entreprise  ?  Ils  s'y  mirent,  nous 
le  voyons  par  leur  correspondance,  ils  s'y  mirent 
avec  enthousiasme.  Une  haine  satanique  les  animait 
et  [toute  passion  crée  l'illusion. 

Les  Instructions  étaient  allées  d'abord  au-devant 
des  objections. 


366      l'agent    de   la   civilisation    moderne 

«  Le  Pape,  quel  qu'il  soit,  ne  viendra  jamais  aux 
sociétés  secrètes.  Nous  n'entendons  pas  gagner  les 
Papes  à  notre  cause,  en  faire  des  néophytes  de  nos 
prnicipes,  jdes  propagateurs  de  nos  idées.  Ce  serait 
un  rêve  ridicule,  et,  de  quelque  manière  que  tour- 
nent les  événements,  que  des  cardinaux  ou  des  pré- 
lats, par  exemple,  soient  entrés,  de  plein  gré  ou 
par  surprise,  dans  une  partie  de  nos  secrets,  ce  n'est 
point  jdu  tout  un  motif  pour  désirer  leur  élévation 
au  Siège  de  Pierre.  Cette  élévation  nous  perdrait. 
L'ambition  les  aurait  conduits  à  l'apostasie,  les  be- 
soins du  pouvoir  les   forceraient  à  nous   immoler.  » 

Ce  qfue  la  secte  désirait,  ce  n'était  donc  point  un 
Pape  franc-maçon;  ce  que  la  Haute-Vente  était  char- 
gée de  lui  procurer,  ce  n'était  même  point  un  Pape 
dévoué  à  la  secte;  si  elle  trouvait  un  tel  candidat 
au  .trône  pontifical,  elle  ne  devrait  point  travailler 
à  l'y  faire  parvenir.  Que  voulait-elle?  Les  Instructions 
le  disent  :  «  Ce  que  nous  devons  demander,  ce  que 
nous  devons  chercher  et  attendre,  comme  les  Juifs 
attendent  le  Messie,  c'est  un  Pape  selon  nos  besoins.  » 

Comment  ]e  comprenaient-ils,  ce  Pape  selon  Jeurs 
besoins  ?  Nous  le  voyons  dans  les  Instructions  :  «  Ale- 
xandre VI  ne  nous  conviendrait  pas,  car  il  n'a  jamais 
erré  jdans   les  matières   religieuses   (1).   Un  Clément 


1.  Dieu  donne  l'Infaillibilité  doctrinale  au  Pape,  il  ne 
le  rend  point  impeccable.  C'est  ce  qu'eut  soin  de  faire 
remarquer  Mgr  Régnier  dans  l'Instruction  pastorale  qu'il 
écrivit  sur  le  concile  Œcuménique  du  Vatican.  Comme 
tout  autre  homme,  le  Pape  doit  veiller  à  son  propre  salut 
avec  crainte  et  tremblement.  «  Il  continue  de  confesser  en 
»  se  frappant  la  poitrine,  avant  de  monter  à  l'autel,  qu'il 
»  a  beaucoup  péché  par  pensées,  par  paroles  et  par  ac- 
»  tions.  »  Il  demande  humblement  à  ceux  de  ses  frères 
qui  l'entourent,  de  «  prier  pour  lui  le  Seigneur  notre  Dieu  »  ; 
et  ceux-ci  lui  répondent  :  «  Que  le  Seigneur  tout-puissant  ait 
pitié  de  vous,  et  que,  vous  ayant  pardonné  vos  péchés,  il 
vous   conduise   à  la   vie   éternelle.  » 


LE    SUPRÊME    ATTENTAT  i)67 

XIV,  au  contraire,  sera  notre  fait,  des  pieds  à  la 
tête  (1).  Borgia  a  été  anathématisé  par  tous  les  vices 
de  la  philosophie  et  de  l'incrédulité,  et  il  doit  cet 
anathème  à  la  viguear  avec  laquelle  il  défendit  l'E- 
glise. Ganganelli  se  livra  pieds  et  poings  liés  aux 
ministres  des  Bourbons  qui  lui  faisaient  peur,  aux 
incrédules  qui  célébraient  sa  tolérance,  et  Ganga- 
nelli est  devenu  un  très  grand  Pape  (aux  yeux  des 
philosophes).  C'est  à  peu  près  dans  ces  conditions 
qu'il  nous  en  faudrait  un,  si  c'est  encore  possible. 
Avec  cela  nous  marcherons  plus  sûrement  à  l'assaut 
de  l'Eglise,  qu'avec  les  pamphlets  de  nos  frères  de 
France  et  l'or  même  de  l'Angleterre.  Voulez-vous 
en  savoir  la  raison?  C'est  qu'avec  cela,  pour  briser 
le  roc  sur  lequel  Dieu  a  bâti  son  Eglise,  nous  n'avons 
plds  besoin  de  vinaigre  Annibalien,  plus  besoin  de 
la  poudre  à  canon,  plus  besoin  même  de  nos  bras. 
Nous  avons  le  petit  doigt  du  successeur  de  Pierre 
engagé  dans  le  complot,  et  ce  petit  doigt  vaut  pour 
cette  croisade  tous  les  Urbain  II  et  tous  les  saint 
Bernard   de    la   chrétienté.  » 

Après  avoir  ainsi  tracé  le  portrait  de  ce  Pape 
chimérique,  et  avoir  dit  ce  que  la  secte  pourrait 
attendre  de  celui  qui  le  réaliserait,  les  Instructions 
ajoutent  : 

1.  Clément  XIV  n'a  pas  plus  erré  qae  ses  prédécesseurs  et 
ses  successeurs  sur  le  siège  de  Saint-Pierre;  mais  il  pro- 
mulgua le  célèbre  Bref  Dominus  ac  Bedempto?'  qrii  accor- 
dait aux  princes  coalisés  Vaholition  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  en  refusant  toutefois  de  la  condamner.  «  Ceux  qui 
accusent  la  faiblesse  de  Clément  XIV,  dit  L.  Veuillot,  ne 
se  mettent  pas  à  sa  place,  ne  voient  pas  la  situation  comme 
elle  lui  apparaissait.  »  «  Pauvre  Pape!  s'écria  saint  Al- 
phonse de  Liguori  en  apprenant  la  douloureuse  .nouvelle  : 
Pauvre  Pape!  que  pouvait-il  faire?  »  Et  après  un  mo- 
ment :  «  Volonté  du  Pape,  volonté  de  Dieu!  »  Et  il  s'im- 
posa un  inviolable  silence.  Clément  XIV  mourut  sans  avoir 
vu  la  tranqnillité  s'établir  dans  l'Eglise,  sans  avoir  pu 
la  conquérir  pour  lui-même. 


368      l'agent    de    la    civillsatiox    moderne 

«  Nous  ne  doutons  pas  d'arriver  à  ce  terme  suprême 
de  nos  efforts.  Rien  ne  doit  nous  écarter  du  point 
tracé;  au  contraire,  tout  doit  y  tendre.  L'œuvre  est 
à  peine  ébauchée;  mais  dès  aujourd'hui  nous  devons 
y  travailler  avec  la  même  ardeur  que  si  le  succès 
devait   le   couronner  demain.  » 

Les  Instructions  indiquent  alors  le  grand  moyen 
à  prendre  pour  que  ces  espérances  deviennent  une 
réalité,  le  genre  de  travail  auquel  Ja  Haute-Vente 
doit  s'appliquer  pour  que  ses  efforts  soient  un  jour 
couronnés  de  succès  :  «  Or  donc,  pour  nous  assurer 
un  Pape  dans  les  proportions  exigées,  il  s'agit  d'abord 
de  lui  façonner,  à  ce  Pape,  une  génération  digne  du 
règne  que  nous  rêvons.  »  Suivent  des  instructions 
détaillées  sur  les  moyens  à  employer  pour  corrompre 
les  mœurs  et  les  idées  de  la  jeunesse  laïque  et  sur- 
tout de  la  jeunesse  cléricale.  «  Dans  quelques  an- 
nées, ce  jeune  clergé  aura,  par  la  force  des  choses, 
envahi  toutes  les  fonctions;  il  gouvernera,  il  admi- 
nistrera, il  jugera,  il  formera  le  conseil  du  souverain, 
il  sera  appelé  à  choisir  le  Pontife  qui  doit  régner, 
et  ce  Pontife,  comme  la  plupart  de  ses  contemporains, 
sera  nécessairement  plus^  ou  moins  imbu  des  princi- 
pes italiens  et  humanitaires  que  nous  allons  com- 
mencer  à  mettre    en   circulation.  » 

«Dans  la  voie  que  nous  traçons  à  nos  frères, 
concluent  les  Instructions,  il  se  trouve  de  grands 
obstacles  à  vaincre,  des  difficultés  de  plus  d'une 
sorte  à  surmonter.  On  en  triomphera  par  l'expérience 
et  par  la  perspicacité;  mais  le  but  est  si  beau  qu'il 
importe  de  mettre  toutes  voiles  au  vent  pour  l'attein- 
dre. Cherchez  le  Pape  dont  nous  venons  de  faire  le 
portrait.  Tendez  vos  filets  au  fond  des  sacristies, 
des  séminaires  et  des  couvents.  Le  pêcheur  de  poissons 


LE    SUPRÊME     ATTENTAT  Î^^GD 

devint  pêcheur  d'hommes;  vous,  vous  amènerez  des 
amis  (à  nous)  autour  de  la  chaire  apostolique.  Vous 
aurez  prêché  une  révolution  en  tiare  et  en  chape, 
marchant  avec  la  croix  et  la  bannière,  une  révolu- 
tion qui  n'aura  besoin  que  d'être  un  peu  aiguillon- 
née pour  mettre  le  feu  aux  quatre  coins  du  monde. 
Que  cliaque  acte  de  votre  vie  tende  donc  à  la  décou- 
verte   de    cette    pierre    philosophale.  » 

«  Ce  rêve  des  sociétés  secrètes  s'accomplira  par 
la  plus  simple  des  raisons  :  c'est  qu'il  est  basé  sur 
les  passions  de  l'homme.  Préparons  nos  armes  dans  le 
silence  des  Ventes,  dressons  toutes  nos  batteries, 
flattons  toutes  les  passions,  les  plus  mauvaises  comme 
les  plus  généreuses,  et  tout  nous  porte  à  croire  que 
ce  plan  réussira  un  jour,  au  delà  même  de  nos  cal- 
culs les  plus  improbables.  » 

Tandis  que  les  Mazziniens  travaillaient  au  ren- 
versement des  trônes,  les  Quarante  ne  s'occupaient 
que  de  l'œuvre  qui  leur  avait  été  assignée.  Le  5 
janvier  1846,  le  Petit-Tigre  écrivait  à  Nubius  :  «  Le 
voyage  que  je  viens  d'accomplir  en  Europe  a  été  aussi 
heureux  et  aussi  productif  que  nous  pouvions  l'es- 
pérer. Dorénavant,  il  ne  nous  reste  plus  qu'à  mettre 
la  main  à  l'œuvre  pour  arriver  au  dénouement  de 
la  comédie.  Si  j'en  crois  les  nouvelles  qui  me  sont 
communiquées  ici,  nous  touchons  à  l'époque  tant  dé- 
sirée. La  chute  des  trônes  ne  fait  plus  de  doute 
pour  moi  qui  viens  d'étudier  en  France,  en  Suisse, 
en  Allemagne  et  jusqu'en  Russie,  le  travail  de  nos 
sociétés.  Mais  cette  victoire  n'est  pas  celle  qui  a 
provoqué  tous  les  sacrifices  que  nous  avons  faits. 
Il  en  est  un  plus  précieux,  plus  durable  et  que  nous 
envions  depuis  longtemps.  Vos  lettres  et  celles  de 
vos  amis  des  Etats  Romains  nous  permettent  de 
l'espérer;    c'est   le    but   auquel    nous    tendons,    c'est 

L'Église  et  le  Temple.  24 


870      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

le  terme  où  nous  voulons  arriver.  Pour  tuer  sûre- 
ment le  vieux  monde  (la  civilisation  chrétienne), 
nous  avons  cru  qu'il  fallait  étouffer  le  germe  catholi- 
que, et  vous,  avec  l'audace  du  génie,  vous  vous 
êtes  offert  pour  frapper  à  la  tête,  avec  la  fronde 
d'un  nouveau  David,  le  Goliath  pontifical.  C'est  très 
bien,  maïs  quand  frapperez-vous  ?  J'ai  hâte  de  voir 
les  sociétés  secrètes  aux  prises  avec  les  cardinaux 
de  l'Esprit-Saint.  » 

Petit-Tigre  disait  encore  :  «  Ne  conspirons  que  con- 
tre Rome.  Pour  cela,  servons-nous  de  tous  les  inci- 
dents, mettons  à  profit  toutes  les  éventualités.  La 
Révolution  dans  l'Eglise,  c'est  la  Révolution  eu  per- 
manence, c'est  le  renversement  obli2[é  des  trônes 
et  des  dynasties.  » 

La  Révolution  de  1830  éclata,  elle  n'eut  point 
tout  le  succès  que  la  secte  en  attendait.  Les  Qua- 
rante se  remirent  aussitôt  à  l'œuvre  que  le  vent 
des  émeutes  avait  forcé  de  suspendre  :  c'est-à-diiie 
à  répandre  dans  le  clergé  «  les  doctrines  de  liberté  », 
avec  le  désir  de  voir  le  Pape  se  mettre  à  la  tête  do 
ceux    qui    les    revendiquaient    (1). 

Tandis  que  les  autres  conjurés  travaillaient  ainsi 
au  loin,  Nubius  s'était  réservé  l'œuvre  la  plus  déli- 
cate et  la  plus  difficile.  Tout  ce  qui  était  entrepris 
au  dehors,  devait  demeurer  stérile,  si,  lui,  ne  par- 
venait à  séduire  les  cardinaux  :  car  les  cardinaux 
sont  les  électeurs  du  Pape  et  les  candidats-nés  au 
trône    pontifical. 

Grâce  à  son  nom,  à  sa  fortune,  à  sa  situation  dans 
le  corps  diplomatique  accrédiié  auprès  du  Saint-Siège, 
Nubius  était  en  relations  avec  tout  le  monde  romain. 
«  Je  passe,  écrit-il  au  juif  prussien  Klauss,  je  passe 

1.  Paroles    déjà    rapportées    au    sujet    de    Gioberti. 


LE    SUPRÊME    ATTENTAT  871 

quelquefois  une  heure  de  la  matinée  avec  le  vieux 
cardinal  délia  Somaglia,  le  secrétaire  d'Etat;  je  monte 
à  cheval  soit  avec  le  duc  de  Laval,  soit  avec  le 
prince  Cariati;  je  vais,  après  la  messe,  baiser  la 
main  de  la  pi  incesse  Coria  où  je  rencontre  assez 
souvent  Bernetti  (le  cardinal  qu'ils  redoutaient  Je 
plus).  De  là  je  cours  chez  le  cardinal  Palotta;  puis 
je  visite  dans  leurs  cellules  le  procureur  général 
de  l'Inquisition,  le  dominicain  Jaulot,  le  .théatin  Ven- 
tura, ou  le  franciscain  Orioli.  Le  soir,  je  commence 
chez  d'autres  cette  vie  d'oisiveté  si  bien  occupée 
aux  yeux  du  monde  et  de  la  cour;  le  lendemain, 
je    reprends    cette    c*haîne    éternelle.  » 

Dans  ces  visites,  dans  ces  conversations,  il  ne 
perdait  jamais  de  vue  la  mission  qu'il  avait  reçue, 
le  but  qu'il  s'était  proposé  d'atteindre.  Ceux  de  ses 
complices  qui  se  trouvaient  à  Rome  faisaient  de 
même,  dans  la  mesure  où  leur  situation  le  leur 
rendait  possible.  Qui  aurait  pu  s'imaginer,  dit  Cré- 
tineau-Joly,  que  ces  patriciens,  riches,  considérés, 
vivant  dans  l'intimité  des  cardinaux,  et  ne  s'oc- 
cupant  dans  leurs  conversations  qu'à  améliorer  les 
mœurs  et  les  lois  par  le  progrès,  pouvaient  dans 
l'ombre  tramer  un  complot  contre  TEglise!  Leur  no- 
toriété bien  avérée  les  mettait  à  l'abri  de  tout  soup- 
çon. Ils  se  disaient  libéraux,  mais  avec  l'Eglise  et 
par  l'Eglise  et  encdre  plutôt  par  contenance  que 
par  entraînement.  » 

Nubius  nous  donne  lui-même  un  spécimen  de  sa 
manière  d'être  auprès  des  princes  de  l'Eglise  pour 
mieux  les  trahir.  Deux  carbonari  avaient  été  con- 
damnés à  mort  pour  complot  suivi  de  meurtre.  Ils 
montent  à  l'échafaud  sans  s'être  réconciliés  avec  Dieu. 
Targhini,   du   haut  de   l'échafaud,    s'écrie  :   «  Peuple, 


372      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

je  meurs  innocent,  franc-maçon,  carbonaro  et  im- 
pénitent. »  Montanari  embrasse  la  tête  du  supplicié 
et  au  lieu  de  se  rendre  aux  exhortations  des  prêtres,  il 
leur  dit  :  «  Ceci,  c'est  une  tête  de  pas^ot  qui  vient 
d'être  coupé.  »  Le  peuple,  entendant  cela,  se  met  à 
genoux  et  maudit  ce  scandale  sans  exemple  dans 
la  Ville  Eternelle. 

Là-dessus,  Nubius  écrit  à  Vindice  :  «  Crier  à  tue- 
tête,  sur  la  place  même  du  peuple  à  Rome,  dans  la 
cité  mère  du  catholicisme,  en  lace  du  bourreau  qui 
vous  tient  et  du  peuple  qui  vous  regarde,  que  l'on 
meurt  en  franc-maçon  impénitent,  c'est  admirable, 
d'autant  plus  admirable,  que  c'est  la  première  fois 
que  pareille  chose  arrive...  Nous  avons  donc  des 
martyrs.  Afin  de  faire  pièce  à  la  police  de  Bernetti, 
je  fais  déposer  des  fleurs  et  beaucoup  de  fleurs 
sur  le  fossé  où  le  bourreau  a  caché  leurs  restes. 
Nous  craignions  de  voir  nos  domestiques  compro- 
mis en  faisant  cette  besogne;  il  se  trouve  ici  des 
Anglais  et  de  jeunes  miss  romanesquement  ajitipa- 
pistes,  ce  sont  eux  que  nous  chargeons  de  ce  pieux 
pèlerinage.  Ces  fleurs  jetées  pendant  la  nuit  aux 
deux  cadavres  proscrits  firent  germer  l'enthousiasme 
de  l'Europe  révolutionnaire.  Nous  avons  aussi  de- 
mandé à  un  de  nos  plus  innocents  affiliés  de  la 
franc-maçonnerie,  au  poète  français  Casimir  Dela- 
vigne,  une  Messénienne  sur  Targhini  et  Montarini 
Il  a  promis  de  pleurer  un  hommage  pour  les  mar- 
tyrs et  de  fulminer  un  anathème  contre  les  bour- 
reaux. Les  bourreaux  seront  le  Pape  et  les  prê- 
tres. » 

Voilà  ce  qu'il  faisait  et  ce  dont  il  se  vantait 
auprès  de  ses  amis;  et  voici  ce  que,  dans  le  même 
moment,  il  méditait  de  faire  auprès  des  ecclésiasti- 
ques :   «  J'irai   dans    la   journée   porter   à  Mgr  Piatti 


LE    SUPRÊME    ATTENTAT  873 

mon  compliment  de  condoléance.  Ce  pauvre  homme 
a  manqué  ses  deux  âmes  de  carbonari.  11  a  mis 
pour  les  confesser  toute  sa  ténacité  de  prêtre,  et  il 
a  été  vaincu.  Je  me  dois  à  moi-même,  à  mon  nom, 
à  ma  position  et  surtout  notre  avenir,  de  déplorer 
avec  tous  les  cœurs  catholiques,  ce  scandale  inouï 
à  Rome.  Je  le  déplorerai  si  éloquemment  que  j'es- 
père attendrir  le  Piatti  kii-même.  » 

Que  des  hommes  droits  se  laissent  parfois  prendre 
à  de  telles  hypocrisies,  quoi  d'étonnant  I  Nulle  part 
autant  de  pièges  et  aussi  subtils  ne  doivent  être 
tendus  à  la  simplicité  des  cœurs  honnêtes  qu'à  la 
cour  Pontificale,  parce  que  nulle  part  Satan  n'a  au- 
tant d'intérêt  à  surprendre  la  bonne  foi,  et  nulle 
part  de  telles  surprises  ne  peuvent  servir  à  de  plus 
mauvais   desseins. 

A  l'hypocrisie  ils  joignaient  la  corruption  vénale. 
Nubius,  après  avoir  donné  au  juif  Klauss  le  détail 
de  ses  journées,  disait  :  «  Vous  m'avez  souvent  parlé 
de  nous  venir  en  aide,  lorsque  le  vide  se  ferait 
dans  la  bourse  commune.  Cette  heure-là  est  arrivée 
in  questa  dominante.  Pour  travailler  à  la  future  con- 
fection d'un  Pape,  nous  n'avons  pas  un  papalin,  et 
vous  savez  par  expérience  que  l'argent  est  partout 
le  nçrf  de  la  guerre.  Je  vous  donne  des  nouvelles 
qui  vous  iront  à  l'âme;  en  échange  mettez  à  notre 
disposition  des  thalers,  beaucoup  de  thalers.  C'est 
la  meilleure  artillerie  pour  battre  en  brèche  le  siège 
de   Pierre.  » 


CHAPITRE    XXVII 

INANITÉ  DES  EFFORTS 
CONTRE   LA  CHAIRE  DE  PIERRE. 


Quelle  fut  l'issue   de   cette   infernale   conjuration? 

Deux  ans  avant  la  mort  de  Grégoire  XVI,  le  2  no- 
vembre 1844,  Beppo,  tout  en  s'applaudissant  des  suc- 
cès qu'il  avait  remportés  hors  de  Rome,  faisait  remar- 
quer à  Nubius  que,  pour  faire  le  Pape  voulu,  le 
principal  élément  continuait  à  leur  échapper  comme 
au  premier  jour  :  «  Nous  autres,  nous  marchons  au 
galop,  et  chaque  jour  nous  parvenons  à  enrôler  dans 
le  complot  de  nouveaux  néophytes  :  Fervet  opus. 
Mais  le  plus  difficile  est  encore  à  faire  ou  plutôt 
à  commencer.  Nous  avons  fait  très  facilement  la  con- 
quête de  certains  religieux  de  tous  les  Ordres,  de 
prêtres  d'à  peu  près  toutes  les  conditions,  et  même 
de  certain  Monsignori  intrigants  et  ambitieux.  Ce 
n'est  peut-être  pas  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  ou  de 
plus  respectable;  mais  n'importe.  Pour  le  but  cher- 
ché, un  Frate,  aux  yeux  du  peuple,  est  toujours 
un  religieux,  un  prélat  sera  toujours  un  prélat.  Nous 
avons  fait  un  fiasco  complet  auprès  des  Jésuites.  De- 
puis que  nous  conspirons,  il  a  été  impossible  de 
mettre   la   main   sur  un  fils   d'Ignace.   Nous  n'avons 


INANITE    DES   EFFORTS    CONTRE    ROME  o75 

pas  de  Jésuites  avec  nous,  mais  nous  pouvons  tou- 
jours dire  et  faire  dire  qu'il  y  en  a,  et  cela  arri- 
vera absolument  au  même.  Il  en  est  de  même  des 
cardinaux.  Ils  ont  tous  échappé  à  nos  embûches.  Les 
adulations  les  mieux  combinées  n'ont  servi  à  rien, 
de  sorte  qu'à  l'heure  actuelle,  nous  ùous  trouvons 
aussi  avancés  qu'au  commencement.  Pas  un  seul 
membre  du  Sacré-Collège  n'est  tombé  dans  nos  filets.  » 
En  effet,  dit  Crétineau-Joly,  dans  cette  période  de 
trente  années,  où  la  Haute-Vente  agita  tant  de  noms 
propres  et  fit  le  siège  de  tant  de  vertus,  il  n©  lui 
fut  jamais  donné  de  pouvoir  dire,  même  lorsqu'elle 
régla  ses  comptes  en  secret,  qu'elle  pouvait  placer 
une  espérance  quelconque  sur  un  membre  du  Sacré- 
Collège.  «  La  révolution  a  posé  le  pied  partout,  ex- 
cepté dans  un  conclave.  »  Le  complot,  mené  avec 
tant  d'astuce,  put  aboutir  à  la  perversion  de  plu- 
sieurs clercs,  il  ne  put  même  effleurer  l^  Siège 
Romain. 

Beppo  continue  : 

«  Le  pape  Grégoire  XVI  est  sur  le  point  de  mou- 
rir, et  nous  nous  trouvons,  comme  en  1823,  à  la  mort 
de  Pie  VIL  Que  faire  dans  cette  occurrence?  Renon- 
cer à  notre  projet  n'est  plus  possible.  Continuer  l'ap- 
plication d'un  système  sans  pouvoir  espérer  une  chan- 
ce, même  incertaine,  me  produit  l'effet  do  jouer  à 
l'impossible.  Le  pape  futur,  quel  qu'il  soit,-  ne  vien- 
dra jamais  à  nous;  pouvons-nous  aller  à  lui?  Ne 
sera-t-il  pas  comme  ses  prédécesseurs  et  ses  suc- 
cesseurs, et  ne  f  era-t-il  pas  comme  eux  ?  Dans  ce  cas-là, 
demeurerons-nous  sur  la  brèche,  et  attendrons-nous 
un  miracle?  Nous  n'avons  plus  d'espoir  que  dans 
l'impossible.  Grégoire  mort,  nous  nous  verrons  ajour- 
nés indéfiniment.  » 


376      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

Ces  paroles  de  découragement  n'étaient  que  trop 
justifiées,  d'une  part,  par  l'histoire,  de  l'autre,  par 
les  promesses  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  fai  es 
à  son  Eglise.  Mais  les  hommes  possédés  d'une  pas- 
sion si  satanique  ne  pouvaient  prendre  garde  aux 
leçons  de  l'histoire,  encore  moins  prêter  l'oreille  aux 
paroles   du  divin  Sauveur. 

N'ayant  pu  s'assurer  d'aucun  des  électeurs-candi- 
dats, ils  ne  désespèrent  point  de  pouvoir  agir  sur 
l'esprit  de  l'élu,  ou  du  moins  se  servir  de  lui.  Déjà, 
après  la  mort  de  Léon  XII,  au  conclave  qui  élut 
Pie  VIII,  Chateaubriand,  ambassadeur  de  France,  avait 
exprimé,  au  nom  de  son  gouvernement,  le  désir  de 
voir  le  choix  des  cardinaux  se  porter  sur  un  homme 
qui  saurait  concilier  la  iiolitique  pontificale  avec  les 
idées  nouvelles.  Le  cardinal  Castiglione  répondit  :  «  Le 
conclave  espère  que  Dieu  accordera  à  son  Eglise  un 
Pontife  saint  et  éclairé,  qui  réglera  sa  conduite  selon 
la  politique  de  l'Evangile  qui  est  la  seule  école 
d'un  bon  gouvernement.  »  Et  ce  fut  lui  qui  fut  élu. 
Assurément,  nous  ne  voulons  point  dire  que  Cha- 
teaubriand fût  émissaire  de  la  lïaute-Vente  près  de 
ce  conclave;  mais  nous  avons  ici  une  nouvelle  preuve 
de  la  mystérieuse  influence  que  les  sociétés  secrètes 
excercent  sur  les  Puissances  pour  les  faire  concou- 
rir plus  ou  moins- directement  à  l'exécution  de  leurs 
desseins. 

A  la  mort  de  Grégoire  XVI,  la  révolution  ne  put, 
pas  plus  qu'auparavant,  s'insinuer  dans  le  conclave. 
Pie  IX,  le  grand  et  saint  Pontife  Pie  IX,  fut  élu. 
Il  faut  dire  cependant  que  les  sociétés  secrètes  avaient 
placé  sur  la  tête  du  cardinal  Mastaï  certaines  vagues 
espérances  de  conciliation  avec  «  les  idées  nouvel- 
les. »    «  Crétineau,    dit   M.    l'abbé    Ménard,    m'a    fait 


INANITÉ    DES    EFFORTS    CONTRE    ROME  377 

lire  son  nom  dans  plus  d'un  papier  de  la  secte.  »  Elle 
connaissait  son  grand  cœur,  elle  espérait  le  séduire, 
l'entraîner  par  l'appât  d'idées  à  l'aspect  généreux. 
Elle  l'essaya  et  l'on  a  souvenir  des  ovations  sin^ga- 
lières  et  inouïes  dont  elle  enveloppa  les  commen- 
cements de  son  règne.  L'heure  de  son  avènoment 
au  trône  pontifical  était  critique.  Tout  le  monde 
convenait  qtie  le  régime  si  ferme  de  Grégoire  XVI 
ne  pouvait  pas  être  continué;  même  les  cardinaux 
Lambruschini  et  Bernetli  étaient  d'avis  qu'il  fallait 
essayer  de  quelques  concessions.  Pie  IX  entra  dans 
la  voie  qui  lui  était  montrée,  sans  cependant  céder 
jamais  aucun  des  droits  essentiels  de  l'Eglise.  L'on 
sait  ce  qu'il  en  advint,  et  l'on  sait  aussi  comment, 
instruit  par  sa  propre  expérience  et  éclairé  de  la 
lumière  divine,  'Pie  IX  pulvérisa  le  libéralisme,  c'est- 
à-dire  le  Maçonnisme  avec  le  marteau  du  Sylhbus  (1). 

Non  encore  convaincue  de  l'inutilité  de  ses  efforts 
et  de  la  vanité  de  ses  espérances,  la  secte  crut,  à  la 
mort  de  Pie  IX,  que  son  heure  allait  enfin  arriver. 
Elle   le   dit   hautement   par   la  plume   de   Gambetta. 

Léon  XIII  fut  élu  le  20  février  1878.  Le  lendemain, 
Gambetta  écrivit  à  Un  de  ses  amis,  Spuller  : 


L  Nous  lisons  dans  La  Vie  de  l'Ahhé  Bernard  par  M.  le 
Marquis  de  Ségur,  qu'au  mois  de  mars  1849,  Pie  IX,  étant 
en  exil  à  Gaëte,  reçut  en  audience  le  cardinal  Giraud.  Le 
Saint-Père  était  profondément  affecté  de  tout  ce  qui  se 
passait  à  Rome,  et  le  cœur  débordant  de  tristesse,  il  dit  à 
l'archevêque  :  «  J'ai  fait  des  concessions!  On  ne  cesse 
d'en  abuser  pour  tout  bouleverser.  Je  ne  puis  moi,  leur 
auteur,  les  retirer.  Mais  mon  successeur  le  pourrait  et  le 
ferait.  Je  songe  à  déposer  la  tiare  :  mon  parti  en  est 
pris.  » 

Mgr  Gira,ud  s'efforça  de  le  détourner  de  cette  résolution. 
Pie  IX  fit  mieux,  nous  venons  de  le  voir,  que  de  la  mettre 
à  exécution. 


378     l'agent    de   la   civilisation    moderne 

«  Paris,    21   février   1878. 

»  Aujourd'hui  sera  un  grand  jour.  La  paix  venue 
de  Berlin  est  peut-être  la  conciliation  faite  avec  le 
Vatican.  On  a  nommé  le  nouveau  pape.  C*est  cet  élé- 
gant et  raffiné  cardinal  Pecci,  évêque  de  Pérouse, 
à  qui  Pie  IX  avait  essayé  d'enlever  la  tiare,  en  le 
nommant  camerlingue.  Cet  Italien,  encore  plus  di- 
plomate que  prêtre,  est  passé  au  travers  de  toutes 
les  intrigues  des  Jésuites  et  des  clergés  exotiques. 
Il  est  pape,  et  le  nom  de  Léon  XIII  qu'il  a  pris  me 
semble  du  meilleur  augure. 

»  Je  salue  cet  événement  plein  de  promesses.  Il 
ne  rompra  pas  ouvertement  avec  les  tradiAons  et  les 
déclarations  de  son  prédécesseur,  mais  sa  conduite, 
ses  actes,  ses  relations  vaudront  mieux  que  les  dis- 
cours, et  s^il  ne  meurt  pas  trop  tôt,  nous  pourrons 
espérer    un    mariage    de    raison    avec    l'Eglise. 

»  Léon   Gambetta.  x 

Le  lendemain,  il  écrivit  cette  autre  lettre  : 

«  Paris,    22   février   1878. 

»  Je  sais  un  gré  infini  à  ce  nouveau  Pape  du  nom 
qu'il  a  osé  prendre;  c'est  un  opportuniste  sacré.  Pour- 
rons-nous traiter?  CM  lo  sa?  comme  disent  les  Ita- 
liens. 

»  Léon   Gambetta.  »   (1) 


1.  Ces  lettres  furent  immédiatement  livrées  à  la  publi- 
cité. Le  Figaro  les  réédita  dans  son  numéro  du  23  août 
1894,   affirmant   qu'il   en  avait   vu   le   texte   original. 

En  janvier  1897,  commentant  le  discours  que  M.  Wal- 
deck-Rousseau  venait  de  prononcer  dans  son  pèlerinage  aux 
Jardies,  le  même  journal  les  rappela  encore. 

Enfin,  à  la  mort  de  Léon  XIII,  elles  furent  mises  de  nou- 
veau sous  les  yeux  du  public  par  un  grand  nombre  de 
journaux  de  Paris  et  de   la  Province,   même  par  des  pu- 


INANITÉ    DES    EFFORTS    CONTRE    ROME  379 

La  réponse  fut  qu'à  quatre  reprises  différentes, 
Léon  XIII  confirma  le  Syllahus  de  Pie  IX. 

Dans  une  lettre  adressée,  le  28  août  1879,  aux  tra- 
ducteurs des  Œuvres  de  saint  AlpJwnse,  il  loue  le 
saint  Docteur  d'avoir  réfuté  d'avance  la  plupart  des 
propositions  qui  devaient  être  condamnées  dans  le 
Syllabus. 

Dans  une  lettre  à  Tévêque  de  Périgueux  datée  du 
27  juin  1884,  il  dit  que  le  Syllahus  est  la  règle  où 
les  fidèles  doivent  prendre  les  principes  de  direc- 
tion de  leurs  pensées  et  de  leurs  œuvres  dans  les 
difficultés  présentes. 

Dans  rEncyclique  Immortale  Dei,  il  dit  que  Pie  IX^ 
parmi  les  opinions  fausses  qui  commençaient  à  pren- 
dre vigueur,  en  nota  plusieurs  et  les  réunit  sous 
un  même  titre,  afin  que,  dans  la  confusion  si  granae 
des  erreurs  du  jour,  les  catholiques  eussent  un  guide, 
sûr.  Il  signale  en  particulier  les  Propositions  XIX, 
XXXIX,  LV  et  LXXIX. 

Dans  l'Encyclique  Inscrutabili,  il  confirtna  et  réitéra 
toutes  les  condamnations  de  ses  prédécesseurs,  et 
en  particulier  celles  portées  par  Pie  IX  (1). 

blications  catholiques  telles  que  la  Chronique  de  la  Bonne 
Presse  annexe  de  la  Croix. 

Le  vœu  de  la  secte  fut  exaucé  en  ce  sens  que-  Léon  XIII 
«  ne  mourut  pas  trop  tôt  ».  Dieu  lui  donna  vingt-cinq  ans 
do  règne.  Mais  le  modernisme  en  est  encore  à  attendre  un 
mariage   de   raison   avec   l'Eglise. 

1.  D'ailleurs,  il  est  bon  de  connaître  le  fait  relevé  par 
M.  l'abbé  Hourrat  dans  son  étude  sur  le  Syllahus.  L'idée 
première  de  la  publication  d'un  document  semblable  re- 
viendrait à  Léon  XIII  lui-même,  alors  qu'il  était  arche- 
vêque de  Pérouse.  En  1849,  le  concile  provincial  de  Spo- 
lète  avait  mis  à  son  ordre  du  jour  la  recherche  des  moyens 
les  plus  propres  à  combattre  les  erreurs  nées  de  la  Décla- 
ration des  droits  de  l'homme.  Le  cardinal  Pecci  proposa 
au  concile  la  délibération  suivante  : 

«  Demandons  à  Notre  Saint-Père  le  Pape  de  nous  don- 
»  ner  une  constitution  qui,  énumérant  les  erreurs  concernant 


380      l'agent   de   la   civilisation    moderne 

Léon  XIII  put  dire  un  jour  de  lui-même  avec 
vérité  :  Notre  combat  a  non  se'iileynent  pour  objet 
la  défense  et  V intégrité  de  la  religion^  mais  celle  de  la  société 


»  ce  triple  sujet  (le  Concile  s'était  occupé  particulièrement 
»  des  erreurs  touchant  l'Eglise,  l'autorité  et  la  propriété), 
»  chacune  sous  son  nom  propre  et  sous  une  forme  telle 
»  qu'on  puisse  ainsi  dire  les  embrasser  d'un  seul  coup 
»  d'œil,  leur  applique  la  censure  théologique  voulue  et  les 
>v  condamne  dans  la  forme  ordinaire.  En  effet,  et  bien  que 
»  ces  mêmes  erreurs  modernes  aient  été  déjà  séparément 
»  condamnées  par  l'Eglise,  le  Saint  Concile  est  néanmoins 
»  persuadé  qu'il  y  aurait  un  grand  profit  pour  le  salut 
»  des  fidèles  si  on  les  présentait  ainsi  groupées  en  tableaux 
»  et  sous  les  formes  qu'elles  ont  revêtues  de  nos  jours,  en 
»  leur  infligeant  la  note  spécifique.  » 

Le  texte  complet  des  délibérations  du  Concile  de  Spolète 
est  reproduit  dans  les  Œuvres  'pastorales  de  8.  Em.  le  Gard. 
J.  Fecci,  '  archevêque  de  Pérouse,  aujourd'hui  Léon  XIII 
glorieusement  régnant,  par  Lury.  Tome  II,  pp.  146  et  sui- 
vantes    (Société    St-Augustin,    Lille-Bruges). 

Cette  proposition  du  cardinal  Pecci  est  de  1849.  La  ques- 
tion fut  mise  à  l'étude,  et  en  1852  une  première  commis- 
sion fut  chargée  de  recueillir  et  de  noter  «  les  erreurs 
les  plus  généralement  répandues  par  rapport  au  dogme  et  à 
ses  points  de  contact  avec  les  sciences  morales,  politiques  et 
sociales.  » 

Lors  de  la  publication  de  l'Encyclique  Rumanum  genus, 
nous  rapprochâmes,  dans  la  Semaine  religieuse  du  diocèse 
de  Cambrai,  les  erreurs  signalées  dars  cette  encyclique  de 
Léon  XIII,  des  propositions  condamnées  par  le  Syllabus  de 
Pie  IX  (année  1884,  p.  481).  Le  Temps  fit  la  même  remar- 
que :  «  Cet  écrit,  dit-il,  témoigne  de  l'opposition  dans  laquelle 
persiste  la  Papauté  à  l'égard  de  tous  les  principes  fonda- 
mentaux de  notre  droit  moderne,  tel  que  l'a  créé  la  Révo- 
lution de  89.  Comme  son  prédécesseur  Pie  IX,  Léon  XIII 
n'admet  pas  l'égalité  des  droits  politiques;  il  condamne  le 
principe  de  la  souveraineté  du  peuple;  il  affirme  la  néces- 
sité d'une  religion  d'Etat;  il  s'élève  contre  cette  formule  : 
«  La  loi  est  athée  »;  il  ne  reconnaît  pas  le  mariage  civil 
et  il  proteste  avec  énergie  contre  la  neutralité  religieuse  de 
l'école.  Ce  sont  là,  sous  une  forme  adoucie,  les  doctrines 
mêmes  du  Syllabus.  » 


INANITÉ   DES    EFFORTS    CONTRE    ROME  381 

civile  eUe-7nême,  et  la  restauration  des  principes  qui  sont  le 
fondement  de  la  jiaix  et  de  la  véritable  prospérité  (1). 

La  secte  paraît  bien  n'avoir  pas  désespéré  de  voir 
ses  espérances  réalisées  au  dernier  conclave.  V Acacia, 
dans  son  numéro  de  septembre  1903,  publia  un  arti- 
cle du  F.  • .  Hiram,  intitulé  «  La  mort  de  Léon  XIII  ». 
Il  appelait  de  ses  vœux  un  Pape  qui  «  desserrerait 
les  liens  du  dogmatisme  tendus  à  l'excès,  qui  ne 
prêterait  pas  l'oreille  aux  théologiens  fanatiques  et 
dénonciateurs  d'hérésies,  qui  laisserait  les  exégètes 
travailler  à  leur  guise,  qui  recommanderait  et  prati- 
cjuerait  la  tolérance  à  l'égard  des  autres  religions, 
qui  ne  renouvellerait  pas  l'excommunication  de  la 
franc-maçonnerie.  »  Cette  fois  encore,  la  franc-ma- 
çonnerie a  dû  décompter.  Jamais  Toeuvre  du  Saint- 
Esprit  n'a  été  plus  évidente  que  dans  l'élection  de 
Pie  X  (2). 


1.  Allocution  aux  cardinaux,  27  juin  1878. 

2.  On  a  dit  que  sans  l'intervention  du  cardinal  Pusyna, 
parlant  au  nom  de  l'empereur  d'Autriche,  le  cardinal  Rani- 
polla  eût  été  élu.  La  vérité  est  que  cette  déclaration  eut 
pour  effet  d'accroître  d'une  unité  les  voix  données  à  l'an- 
cien secrétaire  d'Etat.  Il  avait  eu  29  voix  le  2  août  au  ma- 
tin, il  en  eut  30  le  2  août  au  soir.  Une  fois  cette  protesta- 
tion faite,  les  voix  des  cardinaux  se  rallièrent  sur  le  car- 
dmal  Sarto  qui  n'avait  eu  que  5  voix  au  premier  scrutin, 
qui  en  avait  eu  21,  à  son  grand  déplaisir,  le  2  août  au 
matin,   et  qui  en  eut   50   le   4  août. 


CHAPITRE  XXVIII 
CORRUPTION  DES   MŒURS. 


Pour  atteindre  le  but  de  Voltaire,  la  secte  sait 
bien  qu'il  ne  suffit  point  de  renverser  le  pouvoir 
temporel  des  Papes,  ni  même  de  tenter  le  possible 
et  l'impossible  pour  obtenir  un  Pape  à  sa  dévotion, 
il  faut  atteindre  les  âmes.  C'est  en  elles  que  l'idée 
chrétienne  doit  être  étouffée,  qu'elle  doit  mourir. 
Continuant  d'être  et  de  vivre  dans  les  âmes,  un 
jour  ou  l'autre,  nécessairement,  elle  refera  les  ins- 
titutions à  son  image.  Or,  les  âmes  ne  peuvent  être 
vraiment  frappées  de  mort  que  par  la  corruption, 
la  corruption  des  mœurs,  et  surtout  la  corruption 
des  idées.  C'est  pourquoi  le  chef  occulte  de  la  Haute- 
Vente  lui  avait  donné  pour  mission  expresse  d'alté- 
rer les  idées  et  de  dépraver  les  mœurs;  et  cela 
principalement  à  cette  double  source  de  Ix  vie  chré- 
tienne :  la  jeunesse  laïque  et  la  jeunesse  ecclésias- 
tique. Elle  s'y  employa  tout  le  temps  de  son  exis- 
tence. Nul  doute  qu'après  elle  d'autres  furent  char- 
gés de  continuer  son  œuvre.  Nous  la  voyons,  hélas! 
.trop  florissante  pour  en  douter. 

Deux   mois   après   son  arrivée   à  Rome,   le  3  avril 
1824,  Nubius  écrit  à  Volpe  :  «  On  a  chargé  mes  épau- 


CORRUPTION    DES    MŒURS  880 

les    d'un    lourd    fardeau,    cher    Volpe.    Nous    devons 
faire  l'éducation  immorale  de  l'Eglise.  » 

Quatorze  ans  plus  tard,  le  9  août  1838,  dans  une 
lettre  écrite  de  Castellamaie  à  Nubius,  Vindice,  par: 
lant  des  coups  de  poignard  prodigués  par  les  Car- 
bonari,  en  montre  l'inutilité  et  rappelle  que  leur 
mission  à  eux  est  tout  autre;  ce  ne  sont  point  des 
individus,  c'est  le  vieux  monde,  c'est  la  civilisation 
chrétienne  qu'ils  doivent  tuer  :  «  N'individualisons 
pas  le  crime;  afin  de  le  grandir  jusqu'aux  propor- 
tions de  la  haine  contre  l'Eglise,  nous  devons  h  géné- 
raliser. Le  monde  n'a  pas  le  temps  de  prêter  l'oreille 
aux  cris  de  la  victime,  il  passe  et  il  oublie.  C'est 
nous,  mon  Nubius,  nous  seuls  qui  pouvons  suspen- 
dre sa  marche.  Le  catholicisme  n'a  pas  plus  peur 
d'un  stylet  bien  acéré  que  la  monarchie;  mais  ces 
deux  hases  de  Vordre  social  peuvent  crouler  sous 
la  corruption;  ne  nous  lassons  donc  jamais  de  cor- 
rompre. Tertullien  disait  avec  raison  que  le  san^ç 
des  martyrs  enfantait  des  chrétiens.  Il  est  décidé 
dans  nos  conseils  que  nous  ne  voulons  plus  de 
chrétiens,  ne  faisons  donc  pas  des  martyrs,  mais 
popularisons  h  vice  dans  les  multitudes.  Quelles  h 
respirent  par  les  cinq  sens,  qu'elles  U  boivent,  qu'elles 
s'en  saturent.  Faites  des  cœUrs  vicieux,  et  vous  n'aurez 
plus    de    catholiques.  » 

Le  conseil  a  été  entendu.  Dès  les  premiers  jours 
de  la  Restauration,  la  secte,  pour  regagner  le  terrain 
qu'elle  avait  perdu,  s'attaclia  à  dépraver,  à  corrom- 
pre en  grand.  Sous  l'Empire,  Voltaire  et  Rousseau 
n'avaient  trouvé  ni  acheteurs,  ni  lecteurs,  pour  la 
bonne  raison  que  la  réimpression  de  leurs  œuvres 
était  interdite  comme  un  attentat  aux  bonnes  mœurs 
ou   à  la   raison   politique.   La   secte   fit   insérer   dans 


884      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

la  charte  la  liberté  de  la  presse,  et  aussitôt  elle  se 
mit  à  l'œuvre.  Elle  réorganisa  le  colportage,  qu'elle 
avait  fait  si  utilement  fonctionner  à  la  fin  du  XVIII*^ 
siècle,  elle  multiplia  les  éditions  de  Voltaire  et  les 
fractionna  pour  les  mettre  à  la  portée  de  tous.  Depuis, 
elle  n'a  cessé  d'inventer  de  nouveaux  mojens  de 
populariser  le  vice  sous  toutes  ses  formes;  mais 
jamais  elle  ne  l'a  fait  avec  autant  d'audace,  avec 
une  volonté  si  manifeste  qu'en  ces  dernières  années. 
C'est  bien  maintenant  que  les  populations  le  res- 
pirent par  les  cinq  sens,  qu'elles  le  boivent,  qu'elles 
s'en  saturent.  Toutes  les  influences  directrices  de 
l'esprit  public,  l'école  et  la  caserne,  les  chaires  pu- 
bliques, et  le  parlement,  la  presse  et  les  administra- 
tions communales,  préfectorales  et  gouvernementa- 
les concourent  fraternellement  à  pousser  toujours  plus 
loin    la    dépravation    publique    (1).    «  Regardez    bien 

1.  Et  la  famille,  est-elle  sans  reproche?  Pour  ne  signa- 
ler qu'un  seul  point  indiqué  un  jour  par  La  Libre  Parole, 
comment  ne  pas  s'étonner  de  l'incroyable  liberté  laissée 
aux  jeunes  gens  sur  les  plages.  «  Accompagné  d'un  étranger, 
je  me  trouvais  l'un  de  ces  jours  derniers  sur  Une  plage  nor- 
mande. Devant  nous  un  essaim  joyeux  de  jeunes  gens 
et  de  jeunes  filles  faisaient  retentir  le  casino  de  leurs  éclats 
de  rire  continuels.  Je  fis  part  à  mon  compagnon  des  ré- 
flexions que  me  suggérait  ce  spectacle.  «  Il  faut  avouer,  me 
dit  alors  l'étranger,  que  vous  avez  en  France  une  manière 
d'élever  vos  filles,  à  tous  les  points  de  vue  déplorable. 
La  jeune  fille  française  jouit  pendant  trois  longs  mois 
d'une  liberté  à  peu  près  complète.  Aa  milieu  des  jeunes 
gens,  ses  compagnons  de  tous  les  instants,  elle  nage, 
monte  à  cheval,  joue  au  tamis,  fait  de  la  bicyclette  et  se 
repose  le  soir  de  toutes  les  fatigues  de  la  journée  en  dan- 
sant comme  une  enragée.  Pendant  ce  temps,  les  mamans 
sur  la  plage  font  de  la  tapisserie.  L'été  touche  à  sa  fin. 
Alors,  attention!  Au  premier  signal,  vos  jeunes  filles  doivent 
rentrer  dans  le  rang;  elles  doivent  s'abstenir  de  faire 
deux  pas  dehors  autrement  qu'accompagnées  de  la  femme 
de  chambre...  Félicitez-vous  de  compter  encore  des  anges 
avec  un  régime  admirablement  fait  pour  engendrer  des 
démons   » 


CORRUPTION   DES   MŒURS  385 

la  République  et  le  spectacle  qu'elle  donne,  disait 
récemment  M.  Maurice  Talmeyr.  Elle  a  surtout  subi 
une  domination,  la  domination  maçonnique.  Où  cette 
domination  l'a-t-elle  menée?  A  une  transformation 
politique  et  sociale?  Non.  Nous  aurait-elle  au  moins 
donné  la  liberté?  Pas  davantage.  Mais  quelle  est 
alors  l'œuvre  de  la  république  maçonnique?  Une 
œuvre  de  dépravation  pure.  Pornographie  du  livre  (1), 
du  théâtre  (2),  des  salons,  du  journal.  »  Tout  ce 
monde  et  toutes  ces  choses  et  bien  d'autres  encore 
conspirent  à  qui  poussera  plus  loin  la  corruption 
universelle.  L'Etat  voit,  et,  loin  de  réprimer,  il  favo- 
rise. Que  de  preuves  pourraient  en  être,  données! 
Le   26    novembre    1901,    il    inaugurait   à  Montmartre 


1.  Un  romancier  a  donné  pour  post-scriptum  à  sa  der- 
nière œuvre  ces  paroles  :  «  Quelle  humiliation  est  la  mien- 
ne !  Devant  moi,  ma  sœur  dégradée  par  mon  livre  !  Faire 
du  vice  et  appeler  cela  psychologie,  naturalisme,  humanis- 
me, voilà  toute  la  carrière  littéraire  française!  Que  peut 
faire  et  devenir  un  peuple  dont  l'ordure  hystérique  est  Ja 
seule  nourriture  intellectuelle.  Une  littérature  comme  la 
nôtre  est  le  plus  grand  élément  do  corruption  et  de  dé- 
chéance sociale   qui  soit.  » 

2.  Le  romancier  ou  autre  écrivain  corrupteur  s'adresse 
à  vous  seul  à  seul,  tête  à  tête.  Le  dramaturge  met  son 
infamie  en  paroles  qui  volent  de  bouches  en  bouches  et 
des  bouches  aux  oreilles  du  public.  Et  s'il  n'y  avait  là 
que  ce  qui  se  dit!  Par  les  yeux  aussi  bien  fpie  par  les 
oreilles,  l'esprit  s'enivre  de  choses  de  plus  en  plus  ina- 
vouables. Les  théâtres  les  plus  en  faveur  auprès  du  public 
sont  aujourd'hui  ceux  où  s'exhibent  des  femmes  nues, 
ceux  où  la  grossièreté  et  l'impudicité  du  spectacle  sup- 
pléent à  l'insuffisance  du  talent.  Dans  ces  conditions,  n'est- 
il  pas  triste  de  constater  que  les  théâtres  de  la  capitale 
ont  encaissé,  dans  ces  dernières  années,  de  45  à  50  millions 
de  francs!  Au  théâtre  est  venu  s'ajouter  le  cinématographe 
et  le  cinématographe  roulant  qui  se  transfert  de  ville  en 
ville  et  de  villago  en  village.  A  Paris,  le  cinématographe 
a  cinq  millions  de  clients.  La  compagnie  générale  des 
phonographes  et  cinématographes  rapporte  cinq  millions 
de   bénéfices  nets. 

.    L'Église  et  le  Temple.  25 


386  L'AGENT     DE     LA     CIVILISATION     MODERNE 

la  statue  du  juif  Henri  Heine,  qui  exerça  une  si 
funeste  fascination  sur  la  société  du  second  Empire 
et  qui  disait  :  «  Il  faUt,  au  lieu  de  continence  et 
de  rigorisme,  revenir  à  la  joyeuse  licence,  instituer 
des  saturnales,  pratiquer,  par  l'hymen  libre,  l'amé- 
lioration esthétique  de  l'animal  raisonnable.  »  En  jan- 
vier 1902,  M.  Leygues,  ministre  de  l'Instruction  pu- 
blique, imposait  aux  jeunes  filles  pour  préparation 
au  brevet  supérieur  la  lecture  de  «  l'Essai  sur  les 
mœurs  »  de  Voltaire.  Un  mois  auparavant,  un  procès 
était  intenté  à  un  dessinateur  qui  avait  poussé  la 
licence  à  ses  dernières  limites.  Un  des  témoins  put 
dire  :  «  Au  lycée,  fai  été  élevé  dans  V amour  du 
paganisme.  A  l'école  des  Beaux-Arts,  on  m'a  enseigné 
le  culte  du  nu.  L'Etat  seul  est  donc  responsable 
de  m,on  inclination  aphrodisiaque.  »  Que  d'autres  té- 
moignages pourraient  être  ajoutés  à  ceux-là! 

L'éducation  qu'il  fait  donner  aux  enfants  du  peuple 
est  aussi  corruptrice  que  celle  qu'il  donne  aux  artistes. 
Des  livres  d'une  obscénité  révoltante  sont  déposés 
dans  les  bibliothèques  scolaires,  donnés  en  prix.  Les 
gravures  obscènes  se  voient  partout,  mais  particu- 
lièrement à  la  porte  des  lycées  et  des  écoles.  On 
cherche  à  atteindre  par  surprise  les  jeunes  person- 
nes pieuses  aux  lieux  mêmes  où  elles  vont  faire 
leurs   dévotions    (1).   On   a  inséré  .dans   des   croix   et 


1.  De  temps  à  autre,  le  préfet  de  police  adresse  aux 
commissaires  de  police  de  Paris  une  circulaire  leur  enjoi- 
gnant de  dresser  procès-verbal  contre  ceux  qui  exposent 
des  images  contraires  aux  bonnes  mœurs.  On  peut  dire  : 
pure  hypocrisie  ;  car,  le  lendemain  d'une  saisie,  on  constate 
la  présence  des  mêmes  dessins  aux  mêmes  vitrines;  et  cha- 
que jour  le  dessin  se  fait  plus  obscène  et  l'étalage  plus 
cynique. 

Un  Congrès  international  pour  combattre  l'immoralité  a 
été  tenu  à  Cologne  le  26  octobre   1904.   Outre  l'Allemagne 


CORRUPTION    DES    MŒURS  387 

autres  objets  de  piété  des  vues  pholographiques  d'une 
inconvenance  révoltante.  Ces  objets  sont  vendus  à 
la  porte  des  églises,  où  se  rendent  de  nombreux 
pèlerinages,  prr  des  marchands  qui  montrent  comme 
spécimen  d'autres  objets  semblables  contenant  des 
vues  de  monuments  religieux.  C'est  Le  Figaro  qui 
a  signalé  le  fait  en  janvier  1892.  Il  ajoutait  que 
des  collégiens,  des  jeunes  filles,  recevaient,  aux  abords 
d'un  bureau  de  tramways,  de  petites  brochures  inti- 
tulées :  Four  Dieu!  —  Four  la  Fafris f  qu*on  accep- 
tait sans  défiance  et  qui  contenaient  un  tissu  d'inex- 
primables saletés.  Il  n'y  a  dans  une  pareille  propa- 
gande aucune  spéculation  mercantile,  aucun  profit 
matériel.  C'est  l'empoisonnement  calculé  comme  l'ont 
voulu  les  Quarante.  Les  cabarets  et  les  mauvais 
lieux  sont  multipliés  à  plaisir;  et  l'on  déploie  en 
ce  moment  une  activité  et  une  ingéniosité  incroyables 
pour  amener  les  femmes,  et  les  plus  comme  il  faut, 
à  se  faire  dorénavant  habiller  de  la  façon  la  plus 
indiscrète.    Toutes    les    occasions    sont    saisies    pour 


et  l'Autriche  étaient  représentés  l'Angleterre,  la  Belgique, 
les  Etats-Unis,  le  Danemark,  la  Suisse  et  la  France. 

Le  pasteur  Weber,  président,  a  ouvert  ce  congrès  par  un 
discours  sur  les  effrayants  progrès  que  fait  l'empoisonne- 
ment de  la  société  par  la  littérature  immonde.  On  a  alors 
entendu  les  rapports  des  délégués  des  différentes  nations 
sur  la  situation  et  sur  les  lois  de  leurs  pays  à  ce  point  de 
vue.  C'est  M.  Déranger,  sénateur,  qui  a  présenté  le  rap- 
port sur  la  situation  en  France.  Il  n'existe  aucun  pays  dans 
lequel  la  littérature  immorale  soit  aussi  répandue.  Une 
pétition  couverte  de  210.000  signatures,  et  demandant  une 
loi  contre  ce  fléau,  a  été  envoyée  au  président  du  Con- 
seil. A  quand  cette  loi?  Les  délégués  des  autres  nations 
firent  presque  tous  cette  remarque,  que  le  flot  impur  qui 
se  répand  sur  elles  vient  principalement  de  la  France. 

Est-ce  bien  certain?  Ne  serait-il  point  plus  vrai  de  dire 
que  c'est  sur  la  France  que  la  franc-maçonnerie,  qui  a  son 
foyer  chez  les  peuples  protestants,  a  porté  son  plus  puis- 
sant effort? 


388         L'AGENT     DE     LA     CIVILISATION     MODERNE 

répandre  par  la  presse,  dans  toutes  les  classes  de 
la  société,  la  connaissance  et  la  convoitise  des  pires 
débauches.  Pour  ne  parler  que  des  dernières,  «  l'af- 
faire Syveton  »,  et  «  l'affaire  Steinheil  »,  les  con- 
fidences les  plus  éhontées  ont  été  publiées.  Au  long 
de  colonnes  entières,  on  a  pu  lire  des  turpitudes 
qui  n'auraient  pas  été  tolérées,  il  y  a  quelques  an- 
nées, dans  le  feuilleton  le  plus  licencieux.  Que  de 
personnes  qui  n'auraient  pas  voulu  lire  ce  feuilleton, 
lisaient  ces  nouvelles!  Pendant  des  semaines,  jeunes, 
ouvriers,  collégiens,  jeunes  filles,  toute  l'adolescence 
et  la  jeunesse  de  France  ont  pu  vautrer  leurs  mau- 
vais instincts  dans  cette  littérature  nauséabonde.  Qui 
est  là  pour  saisir  l'occasion  et  en  profiter  pour  adres- 
ser aux  journaux  qui  veulent  en  régaler  leur  clientèle 
tout  ce  qui  peut  surexciter  la  curiosité  malsaine 
et  propager   le   vice? 

On  peut  dire  que  les  pouvoirs  publics  actuels 
ne  se  contentent  pas  de  tolérer  l'immoralité  sous 
toutes  ses  formes,  ils  l'instituent.  Depuis  longtemps 
déjà,  au  conseil  municipal  de  Paris,  une  propagande 
incessante  est  faite  en  faveur  de  tout  ce  qui  est 
vice  et  purulence  morale.  Elle  a  abouti  en  1904 
à  une  véritable  révolution  dans  la  police  des  mœurs, 
qu'on, pourra  appeler  la  police  destructive  des  mœurs. 
Tout  un  nouveau  système  de  réglementation,  a  été 
basé  sur  un  rapport  présenté  au  conseil  municipal 
par  un  conseiller  franc-maçon,  le  F.  • .  Turot.  Ce  rap- 
port rappelle  tout  ce  qui  peut  s'exhumer  de  chez 
les  païens  et  de  chez  les  barbares  non  seulement 
pour  excuser  la  débauche,  mais  pour  la  glorifier;  il 
la  met  en  regard  des  rigueurs  du  christianisme  pen- 
sant le  flétrir.  L'organisation  pratique  devait  suivre 
cette   théorie.    Elle    a  suivi.    La    prostitution   est   de- 


CORRUPTION    DES    MŒURS  380 

venue  libre,  légitime,  officielle,  elle  a  été  organisée 
et  protégée.  Des  maisons  de  rendez-vous  oii  toutes 
les  facilités,  toutes  les  occasions  de  corruption  sont 
offertes  aux  mères  de  famille  ont  été  ouvertes  à  la 
suite  de  cet  encouragement  officiel.  Leur  nombre 
a  bientôt  dépassé  cent  cinquante.  Kt  le  rapporteur  vint 
dire  au  conseil  municipal  :  «  Nous  avons  visité  beau- 
coup de  ces  maisons.  Nous  y  avons  rencontré  des 
femmes  appartenant  à  toutes  les  situations  sociales  : 
femmes  de  niédecins,  femmes  d'avocats,  femmes  d'ar- 
tistes... »  Ces  maisons  sont  placées  sur  le  même 
pied,  au  regard  de  la  bienveillance  et  de  la  protection 
des  autorités,  que  les  entreprises  commerciales,  indus- 
trielles ou  intellectuelles  les  plus  véritablement  res- 
pectables. » 

Le  Parlement  rivalise  de  zèle  avec  le  conseil  mu- 
nicipal. Il  a  fait  la  loi  du  divorce.  D'année  en  année, 
il  l'élargit.  Il  prête  l'oreille  à  ceux  qui  lui  deman- 
dent l'abolition  du  mariage  civil  et  l'union  libre. 
Elle  est  envisagée  comme  le  dernier  bienfait  qui 
doit  découler  du  principe  posé  à  la  Renaissance  : 
le  droit  au  bonheur  individuel,  cherché  par  la  cpn- 
science  individuelle.  «  L'union  libre,  a  dit  M.  Briand^ 
et  pourquoi  pas?  »  En  attendant  qu'elle  soit  légiti- 
mée et  légalisée,  l'administration  militaire  a  étendu 
aux  «  compagnes  »  des  jeunes  soldats  les  secours  qui 
étaient   accordés    aux   femmes   légitimes. 

Après  le  conseil  municipal;  après  les  Chambres, 
voici  l'Université.- 

Les  autorités  académiques  sont-elles  bien  rassu- 
rées sur  les  conséquences  que  pourra  avoir  pour 
la  moralité  publique  un  enseignement  qui  vient  d'être 
inauguré?  N'ont-elles  point,  elles  aussi,  obéi  à  des 
suggestions  maçonniques  ? 

En  1901,  M.  le  sénateur  Bérenger  et  M.  le  professeur 


Foarnier  constituèrent  la  Société  de  prévoyance  ou  de 
prophylaxie   sanitaire   et   morale. 

M.  Fournier  a  exposé  ainsi  le  but  de  ces  sociétés  : 
S'adresser  à  la  jeunesse,  et  en  particulier  aux  jeunes 
gens  dans  les  lycées  et  collèges  de  garçons  et  de 
filles,  dans  les  patronages  et  réunions  de  jeunes 
ouvriers  et  ouvrières,  pour  leur  apprendre  à  con- 
naître les  dangereuses  maladies  qui  sont  la  consé- 
quence de  la  débauche.  Il  est  des  sociétaires  qui, 
comme  M.  Pinard,  veulent  que  cet  enseignement  soit 
donné    dès    l'école    primaire. 

La  société  a,  comme  moyens  d'action,  des  distri- 
buteurs de  brochures,  des  affiches  exposées  à  la  vue 
de  tous,  des  conférences  publiques  avec  projecteurs 
oxydriques    et    électriques    et   figures    de    cine. 

Dans  les  lycées  et  collèges  de  garçons  et  de 
filles,  il  y  aurait  des  cours  spéciaux,  auxquels  les 
jeunes  gens  ne  seraient  admis  qu'avec  le  consente- 
ment des  parents.  Mais,  qui  empêcherait  les  exclus 
d'être  instruits  par  leurs  camarades  ou  leurs  com- 
pagnes ? 

Le  Bulletin  de  la  Société  dans  le  compte  rend'i 
de  la  réunion  du  il  janvier  1904  (page  4),  a  fait  con- 
naître qu'à  la  réunion  plénière  du  conseil  supérieur 
de  l'Université,  M.  le  recetur  Liard,  questionné  par 
le  doyen  de  la  Faculté  de  médecine,  a  répondu  : 
«  Non  seulement  on  doit  mais  il  faut  donner  cette 
éducation  aux  jeunes  gens;  et  je  prends  l'engage- 
ment de  faire  tous  mes  efforts  pour  que  tous  les 
élèves  de  l'Etat  reçoivent  cet  enseignement  sous  ré- 
serve de  l'approbation  des  parents.  »  Tous  les  élè- 
ves de  l'Etat,  ce  sera  bientôt  tous  les  jeunes  gens 
de  France,  puisque  le  monopole  de  l'enseignement 
ne  doit  pas  tarder  à  devenir  absolu.  «  Ainsi,  ajoute 
le  professeur  Pinard,   nous   avons  pil  faire   accepter 


CORRUPTION    DES    MŒURS  391 

par  l'Université  le  principe  des  conférences  collecti- 
ves. »  (Ibid.,  p.  35).  Ceci  en  réponse  à  ceux  qui 
disaient  .qu'un  tel  enseignement  ne  pouvait  être  donné 
qu'en  particulier. 

M.  l'abbé  Fonssagiives,  admis  à  se  faire  entendre 
à  l'une  des  réunions  de  la  société  à  la  suite  de  la 
publication  de  son  livre  L'Education  de  la  pureté, 
fit  cette  observation  :  «  Ou  bien  votre  enseign<en:\ent 
sera  incomplet,  il  aura  pour  but  unique  d'effrayer, 
et  il  pourra  produire  de  fâcheux  effets  sur  certaines 
imaginations.  Ou  bien  il  sera  complet,  il  compren- 
dra les  moyens  préservatifs  et  il  pourra  justement 
être  taxé  d'immoralité.  » 

L'enseignement  complet  ne  préserve  nullement.  Dans 
sa  leçon  d'ouverture  de  cours  prononcée  le  31  jan- 
vier 1902,  M.  le  professeur  Landouzy  a  pu  faire  cette 
observation  :  «  Est-ce  que  les  élèves  en  médecine 
en  contact  dès  l'abord  avec  les  maladies  vénériennes, 
n'ignorant  rien  des  risques  qu'ils  courent,  sont  moins 
meurtris  que  leurs  camarades  du  droit  et  des  lettres  ?  » 

Cet  enseignement  est  donc  :  1°  mutile;  2°  sou- 
verainement immoral.  Que  penser  de  ceux  qui  veu- 
lent l'imposer  à  toute  la  jeunesse  de  Franco?  Que 
penser  du  succès  obtenu  dans  l'œuvre  de  démorali- 
sation entreprise  par  la  Franc-Maçonnerie  pour  que 
des  hommes  bien  intentionnés  —  car  il  y  en  a  dans 
cette  société  —  croient  que  l'on  en  soit  arrivé  à  ce 
point  qu'il  soit  devenu  nécessaire  de  généraliser  vm 
tel  enseignement! 

Enfin  cet  enseignement  ne  répond-il  pas  au  vœu 
de  Vindex,  à  son  affirmation  :  «  C'est  la  corruption 
en  grand  que  nous  avons  entreprise.  » 

A  cet  enseignement  donné  dans  les  lycées,  tes 
écoles  et  les  patronages  laïques,  s'en  joint  un  autre 
en  pleine   rue,   que   les   pouvoirs   publics   n'ignorent 


392         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

point,  mais  auquel  ils  n'apportent  aucune  entrave, 
bien  que  de  temps  à  autre  ils  versent  un  pleur  sur 
la  diminution  de  la  natalité   en  France. 

Dans  la  séance  dti  13  novembre  1908,  on  discutait 
à  la  Chambre  des  députés  le  budget  du  ministre 
de  l'intérieur.  M.  Gauthier  de  Clagny  demanda  la 
parole  : 

«  Je  voudrais,  dit-il,  signaler  l'œuvre  détestable 
poursuivie  dans  les  grands  centres  ouvriers  par  la 
Ligue  de  la  génération  consciente,  dont  fait  partie 
M.  Robin,  ancien  directeur  de  Cempuis,  subventionnée 
hier  encore  par  le  Conseil  général  de  la  Seine. 

»  Cette  ligue,  par  des  brochures  (jue  j'ai  entre 
les  mains,  par  des  conférences,  prêche  dans  les  mé- 
nages ouvriers,  le  droit  à  l'amour  libre  et  indique 
les  moyens  de  ne  pas  avoir  d'enfants.  Les  bro- 
chures contiennent  des  descriptions  infâmes,  des  ima- 
ges  obscènes,  des  conseils  abominables  aux  femmes 
et  aux  jeunes  filles.  C'est  une  œuvre  d'empoisonne- 
ment social. 

»  Je  ne  sais  pas  si  le  Parquet  est  désarmé  con- 
tre cette  propagande  désastreuse,  si  les  pouvoirs  pu- 
blics peuvent  l'empêcher,  mais  je  dis  qu'il  est  im- 
possible que  le  gouvernement  de  la  République,  sou- 
cieux de  la  grandeur  du  pays  et  de  son  avenir,  se 
désintéresse  de  cette  situation.  » 

M.  Gauthier  de  Clagny  tendit  à  M.  Clemenceau  qui 
faisait  semblant  de  tomber  des  nues,  un  dossier. 

—  Je   l'étudierai,   dit   celui-ci.   Et   ce  fut   tout   (1). 


1.  En  1902,  une  commission  extraparlementaire  fut  ins- 
tituée pour  étudier  les  causes  et  les  remèdes  du  mal  de  la 
dépopulation  signalé  par  les  statistiques.  M.  de  Foville, 
qui  en  fit  partie,  en  raconte  l'histoire.  Au  bout  d'un  an,  on 
cessa  de  la  convoquer.  «  C'est  l'argent  qui  manque  », 
disait-on,  et  fièrement  l'administration  refusait  celui  que 
lui    offrait    le    docteur    Javal.    L'une    des    brochures,    dont 


CORRUPTION    DES   MŒURS  o93 

Quatre  ans  auparavant,  avait  en  lieu  à  Paris  une 
Exposition  internationale  d'hygiène  et  le  jury  décer- 
nait une  médaille  d'or  à  un  produit  dont  le  pros- 
pectus s'intitulait  :  «  Le  bonheur  pour  tous  ».  Voici 
les  noms  et  qualités  éminentes  des  membres  du 
comité  sous  le  patronage  duquel  cette  poudre  obte- 
nait cette  solennelle  récompense  :  Président  :  Gçr- 
ville-Réache,  député;  vice-président  :  Chauvet,  séna- 
teur; Dubois,  député;  le  président  du  conseil  général 
de  la  Seine;  le  président  du  conseil  municipal  de 
Paris;  Mesureur,  directeur  de  l'Assistance  publique; 
Messimy,    député;    Rivet,    sénateur...   Et   d'autres... 

Le  4  décembre  1904,  M.  Piot,  sénateur  de  la  Côle- 
d'Or,  adressa  au  Président  du  Conseil  une  lettre 
où  il  appelait  son  attention  sur  ce  fait  :  Aux  portes 
de  Paris,  des  municipalités  prêtent  les  salles  des 
mairies  aux  réunions  qui  préconisent  les  théories 
malthusiennes. 

M.  Paul  Robin,  l'homme  de  Cempuis,  paraît  bieo 
être  un  personnage  officiel.  Il  jouit  d'une  copieuse 
pension.  Il .  a  fondé  un  journal  et  un  comité,  que 
nos  gouvernants  ne  peuvent  ignorer,  pour  propager 
dans  les  familles  les  immondes  doctrines  auxquels 
l'indignation    publique    ne    lui    a  plus    permis    d'ini- 


vient  de  parler  M.  Gauthier  de  Clagny,  rédigée  par  un  an- 
cien instituteur  officiel,  se  plaint  de  ne  point  trouver  le 
même  accueil  à  la  campagne  qu'en  ville  et  cela  parce  que 
la  population  y  est  plus  religieuse;  les  citadines,  dit-il, 
n'ont  pas  comme  les  paysannes  «  la  crainte  du  péché  ». 
«  L'expérience  lui  a  appris,  dit-il  encore,  que  le  chant  est  un 
moyen  de  propagande  autrement  fécond  que  les  mémoires 
et  les  bouquins.  Il  cite  le  titre  d'une  chanson  parue  dans 
la  Bibliothèque  ouvrière  socialiste.  A  son  avis,  il  fau- 
drait imprimer  cette  chanson  à  des  milliers  d'exemplaires 
et  les  faire  suivre  de  conseils  et  d'indications.  «  Il  faut 
surtout  indiquer  les  endroits  où  les  préservatifs  les  moins 
coûteux  peuvent  s'obtenir  et  créer  des  dépôts  un  peu  par- 
tout,  chez   des  personnes  dévouées  et  sincères.  » 


394         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

tier  les  enfants  de  l'Assistance  publique.  Le  20  no- 
vembre 1905,  sa  lig'ue  donna  -ane  conférence  publique 
dans  la  salle  des  Sociétés  savantes,  sous  la  prési- 
dence de  M.  Eugène'  Fournière,  chargé  d'un  cours 
d'économie    sociale    à  l'Ecole    polytechnique. 

Quelques  jours  auparavant,  à  Charonne,  le  maire 
de  cet  arrondissement  mit  une  des  salles  de  l'hôtel 
de  ville  à  la  disposition  de  M.  Paul  Robin  et  de 
ses  amis.  Son  journal  fait  savoir  qu'un  grand  nom- 
bre de  médecins,  de  pharmaciens,  d'herboristes,  de 
sages-femmes  sont  à  la  disposition  de  ceux  qui  veu- 
lent mettre   ses   enseignements  en   pratique. 

Il  publie  leurs  noms.  Les  conférenciers  assurent 
que  la  propagande  enrôle  chaque  jour  de  nombreux 
prosélytes  parmi  les  ouvriers,  et  que  les  campa- 
gnes  sont  gagnées  par  les   doctrines  malthusiennes. 

C'est  maintenant  partout  que  ces  missionnaires  de 
la  corruption  prêchent  et  opèrent.  Ils  semblent  obéir 
à  une  direction  commune.  M.  Pierret  a  fourni  des 
renseignements  tristement  curieux  sur  M^  sujet,  9^u 
dernier  Congrès  de  la  Société  d'écouOTnie  sociale. 
Les  fascicules  des  1^^  et  16  avril  1908  de  la  Réforme 
sociale  ont  publié  son  mémoire,  qui  a  pour  titre 
VŒuvre  maçonn'que  de  la  dépopulation  en  France  (1). 
Ils  établissent  d'une  manière  péremptoire  qae  le  mou- 

1.  Voici  la  conclusion  de  la  monographie  publiée  par 
la   Réforme   sociale  : 

Il  y  a  lieu  de  noter  :  1»  que  c'est  avec  le  gouvernement 
de  la  Restauration,  si  dévoué  à  l'Eglise,  que  finissent  les 
natalités  normales  et  que  commence  avec  l'ère  voltairienne 
de  Juillet,  le  dépassement  du  chiffre  des  naissances  par 
c€luL  des  décès;  2»  qu'un  relàvement  de  la  natalité  accom- 
pagne le  second  Empire,  favorable  à  la  religion,  et  la  Ré- 
publique conservatrice,  c'est-à-dire  de  1863  à  1882;  3° 
qu'au  contraire,  une  chute  profonde  de  la  natalité  date  de 
la  République  anticléricale,  donnant,  au  lieu  des  130  nais- 
sances de  1813  à  1822,  deux  tiers  en  moins,  de  1893  à 
1902,  c'est-à-dire  43  seulement. 


CORRUPTION    DES    MŒURS  395 

rement  néo-malthtisien  est  voulu  par  la  Franc-Maçon- 
nerie. Elle  fournit  les  théoriciens,  les  propagandistes 
et  aussi  les  exécutants,  c'est-à-dire  les  ministres,  les 
administrateurs,  les  directeurs  d'école.  Elle  prête  ses 
temples-  pour  qu'on  y  fasse  des  conférences  sur  la 
«  libre  maternité  ».  Elle  publie  ces  conférences. 

Un  des  membres  les  plus  dévoués  de  la  Ligue 
Française  Antimaçonnique,  M.  Emile  Pierret,  auteur 
de  divers  ouvrages  d'économie  sociale  très  remarqués, 
vient  de  publier  une  brochure  abondamment  docu- 
mentée sur  les  causes  de  la  dépopulation  en  France; 
et  cette  brochure,  qui  est  le  résumé  d'un  rapport 
fait  l'année  dernière,  au  Groupe  d'Etudes  de  Paris 
de  la  Ligue  Française  Antimaçonnique,  démontre  jus- 
qu'à l'évidence  que  le  fléau  dont  nous  souffrons  n'est 
pas  seulement  engendré  par  les  conditions  sociales 
et  morales  de  la  vie  française,  mais  qu'il  est  aussi 
et  surtout  le  résultat  d'un  véritable  complot  orga- 
nisé par  la  Maçonnerie. 

M.  Pierret  prouve  que,  sous  le  haut  patronage 
de  celle-ci,  avec  le  concours  avoué  des  personnages 
les  plus  éminents  du  parti  maçonnique,  des  asso- 
ciations se  sont  fondées,  qui  tendent  à  ce  but  cri- 
minel :  encourager  le  dépeuplement  de  la  France. 
Le  F.  • .  Robin  y  est  encadré  par  tout  un  groupe  de 
politiciens  dont  les  noms  sont  tristement  connus  du 
public  :  Aulard,  Henry  Bérenger,  Séailles,  Lucipia, 
Merlou,  Fernand  Gregh,  Trouillot,  Jaurès,  le  président 
Magnaud,  etc.  Et  M.  Emile  Pierret  explique  com- 
ment il  prit  contact  avec  ce  mouvement  dans  une  réu- 
nion de  «  jeunesse  laïque  »  présidée  par  M.  Havet, 
de  l'Institut,  et  dont  les  principaux  orateurs  n'étaient 
rien  moins  que  M.  Anatole  France,  de  l'Académie 
Française,  M.  le  député  Sembat,  et  le  non  moins 
député  Ferdinand  Buisson,  qui  présida  longtemps  aiix 
destinées  de  notre  enseignement   officiel. 


39()  L'AGENT     DE     LA     CIVILISATION     MODERNE 

Voilà  les  FF.  • .  et  les  maçonnisés  de  haut  parage 
dont  se  réclame  le  F.-.  Robin  (1). 

Maintenant  il  est  sérieusement  question  d'abolir 
le  mariage  civil  et  de  déclarer  la  liberté  de  l'amour. 
On  connaît  la  théorie,  de  M.  Briand,  garde  des  sceaux, 
successeur  de  d'Aguesseau.  M.  Briand  considère  que 
le  mariage  moderne  doit  être  envisagé  comme  un  vul- 
gaire contrat  de  louage,  par  exemple  :  bail  de  trois, 
six  ou  neuf  ans,  ou  même  moins,  à  la  volonté  des 
parties. 

Le  Play  a  dit  que  les  hommes  sont  corrompus 
par  les  mstitutions.  «  Ce  mot,  écrit  M.  Lacointa, 
est,  au  regard  de  notre  pays,  d'une  vérité  d'autant 
pMs  saisissante  que  c'est  réellement  en  vue  de  le 
corrompre   qu'une   secte   satanique   l'a   doté   des   ins- 


1.  Il  ne  faut  point  croire  que  ce  soit  en  France  seulement 
que  la  secte  antichrétienne  propage  l'immoralité.  Dans  une 
des  séances  du  Congrès  catholique  allemand,  le  député,  M. 
Rœxen,  a  eu  le  courage  de  dire  : 

«  Les  désastres  causés  par  l'immoralité  qui  s'étale  et 
par  la  propagation  de  la  littérature  obscène  parmi  la  jeu- 
nesse sont  incaJculables  ;  le  mal  a  fait  de  tels  ravages 
que  c'est  la  santé  du  peuple  allemand  tout  entier  qui  est 
en  jeu. 

»  Je  ne  puis  pas,  cela  va  sans  dire,  vous  communiquer 
tous  les  dossiers  que  j'ai  sous  la  main,  mais  je  puis  vous 
assurer  qu'elles  sont  effrayantes  les  perspectives  qu'ils 
ouvrent  sur  l'abîme  de  corruption  dont  toutes  les  couches 
de  la  population  et  —  ce  qui  est  plus  triste  encore  —  tous 
les  âges  sont  contaminés.  La  propagation  des  écrits  immo- 
raux est  énorme,  l'obscénité  qu'ils  renferment  est  diabolique  ; 
un  seul  de  ces  facteurs  suffit,  entre  les  mains  de  person- 
nes jeunes  et  faciles  à  émouvoir,  pour  les  conduire  néces- 
sairement au  péché  et  à  la  perversité  sexuelle,  qui  en- 
gendre ensuite  les  vices  l3s  plus  répugnants. 

»  Il  y  a  pas  longtemps  que,  dans  une  petite  boutique 
de  l'Allemagne,  500.000  photogTaphies  obscènes  ont  été 
saisies  :  60  maisons  allemandes  ne  vivent  que  de  cette 
honteuse  industrie.  En  même  temps  que  les  écrits  ou  les 
images,  les  représentations  obscènes  augmentent  d'effron- 
terie. » 


CORRUPTION    DES   MŒURS  397 

titutions  qu'il  possède  actuellement  (1),  car  elle  sait 
mieux  que  personne  que  le  plus  sûr  moyen  de  former 
des  générations  impies,  c'est  de  favoriser  par  les  pires 
excitations;  les  penchants  bestiaux  et  anarchiques 
de  la  nature  humaine.  » 

Vindice  ne  mentait  point  lorsqu'il  disait  :  «  C'est 
la  corruption  en  grand  que  nous  avons  entreprise.  » 

Pour  qu'elle  soit  profonde  et  durable,  il  faut  qu'elle 
descende  de  haut.  La  Haute-Vente  l'avait  bien  com- 
pris; aussi  s'attachait-elle  à  corrompre  l'aristocratie. 
Et  de  nos  jours  quels  scandales  n'a-t-elle  point  donnés  I 
Sous  l'empire  de   quelles   suggestions? 

Dans  la  lettre  à  laquelle  nous  avons  déjà  lait  des 
emprunts,  Piccolo-Tigre  n'exhortait  point  seulement 
à  faire  entrer  dans  les  loges  le  plus  possible  de 
princes  et  de  nobles,  il  voulait  qu'on  s'attachât  à 
les  corrompre. 

«  Une  fois  qu'un  homme,  dit-il,  un  prince  même, 
un  prince  surtout,  aura  commencé  à  être  corrompu, 
soyez  persuadé  qu'il  ne  s'arrêtera  guère  sur  la  pente. 
Il  y  a  peu  de  mœurs,  même  chez  les  plus  moraux 
(il  lui  plaît  de  dire  ainsi),  et  l'on  va  très  vite  dans 
cette  progression,  »  (ceci  est  vrai).  Il  ne  serait  peut- 
être  pas  impossible  de  trouver  dans  ces  lignes  l'ex- 
plication de  la  chute  dans  le  vice  de  bien  des  princes 
contemporains,  et  peut-être  de  ceux  de  nos  rois  qui, 
par   leurs   mœurs,  ont  désolé   la   France   et   l'Eglise, 


1.  27   juillet   1884.    —   On   établit  le   divorce. 

15  décembre  1904.  —  On  autorise  le  mariage  entre  com- 
plices   adultères. 

13  juillet  1907.  —  On  abrège  le  délai  imposé  aux  di- 
vorcés  avant   de   se   remarier. 

")  juin   1908.    —   On   accorde  le   divorce  de   droit  après 

as   ans   de  séparation. 

5  juin    1908.    —    On   légitime   les   enfants   adultérins. 


898         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

car  ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  que  date  la  franc 
maçonnerie;  toujours  elle  a  eu  le  même  but  et  tou- 
jours et   elle   a  eu   recours   aux  mêmes   moyens. 

De  nos  jours,  qui  ne  voit  à  quels  excès  de  monda- 
nité la  noblesse  est  poussée  par  les  journaux  mon- 
dains, tels  que  le  Figaro,  le  Gaulois,  et  d'autres. 
Se  sont-ils  jamais  demandé  qui  les  inspirait  sous  ce 
rapport  ? 

Dans  notre  société  chrétienne,  la  femme,  le  regard 
fixé  sur  Marie,  maintient  dans  la  famille,  dans  la 
société,  l'arôme  de  la  pureté.  La  vertu  qui  émane 
d'elle,  enveloppe  l'homme,  même  vicieux,  le  force 
à  rune  certaine  retenue  et  parfois  arrive  même  à 
le  tirer  de  sa  corruption.  La  secte  le  sait  biei\;  aussi 
s'emploie-t-elle  de  son  mieux  à  entraîner  le  sexe 
dans  la  fange.  Vindice  ne  nous  le  laisse  pas  igno- 
rer. «  J'entendais  dernièrement,  continue-t-il,  un  de 
nos  amis  rire  d'une  manière  philosophique  de  nos 
projets,  et  nous  dire  :  Four  abattre  le  catholicisme, 
IL  FAUT  commencer  par  supprimer  la  femme.  Le 
mot  est  vrai  dans  un  sens,  mais  puisque  nous  ne 
pouvons  supprimer  la  femme,  corrompons-la.  »  Les 
lycées  de  filles  n'ont-ils  pas  été  créés  dans  l'inten- 
tion de  répondre  à  ce  mot  d'ordre? 

N'est-ce  point  la  même  pensée  qui  a  dicté  les  dé- 
crets Combes,  qui  ont  fait  fermer  tous  les  établis- 
sements tenus  par  les  religieuses  ?  Les  religieuses, 
en  classe,  puis  dans  les  réunions  dominicales,  inspi- 
rent aux  jeunes  filles  le  .respect  d'elles-mêmes,  la 
décence  et  la  pureté.  C'est  par  les  mères  religieuses 
qui  les  ont  élevées,  que  la  foi  et  les  mœurs  chrétien- 
nes se  sont  maintenues  dans  tant  de  foyers,  mal- 
gré tous  les  entraînements  et  toutes  les  séductions. 
Disséminées  partout  dans  nos  villes  et  dans  nos 
vi'lages,   elles  étaient  le  plus  puissant  obstacle  à  la 


CORRUPTION    DES    MŒURS  391) 

grande  entreprise  de  corruption  poursuivie  par  la 
secte.  Elle  résolut  de  les  faire  disparaître.  On  s'est 
demandé  par  quelle  aberration  nos  gouvernants 
avaient  pu  choisir  ainsi  comme  premières  victimes  ces 
femmes  si  dévouées  à  tout  bien,  si  vénérées  des 
populations  au  milieu  desquelles  elles  se  trouvent. 
Il  n'y  a  pas  eu  d'erreur,  il  y  a  eu  calcul  (1). 

Mais  nous  ne  pouvons  tout  dire  sur  ce  sujet  délicat 
de  la  corruption  de  la  femme  et  de  la  corruption 
par  la  femme.  Il  est  bon  cependant  d'avertir  les 
familles  de  prendre  garde  à  qui  s'introduit  chez  elles, 
à  surveiller  ce  qu'y  s'y  passe.  Le  7  décembre  1883, 
le  journal  VEmeufe  de  Lyon  écrivait  :  «  Il  est  temps 
de  renforcer  nos  bataillons  avec  tous  les  éléments 
qui  épouseront  nos  haines...  Les  filles  seront  de 
puissants  auxiliaires;  elles  iront  chercher  les  fils 
de  famille  jusque  dans  le  giron  de  leur  mère  pour 
les  pousser  au  vice,  au  crime  même;  elles  se,  feront 
les  servantes  des  filles  des  bourgeois  pour  pouvoir 
leur  inculquer  les  passions  honteuses...  Il  est  encore 
une  autre  besogne  utile  qui  incombera  à  ces  auxi- 
liaires femmes,  au  milieu  de  ces  familles  ennemies; 
mais  nous  n'en  dirons  rien  et  pour  cause.  Telle 
pourra  être  l'œuvre  des  femmes  attachées  à  la  révo- 
lution. » 

Le  premier  auteur  de  la  loi  qui  a  créé  les  lycées 
de  filles,  le  juif  Camille  Sée,  a  déclaré  que  l'œu- 
vre de  déchristianisation  de  la  France  n'obtiendrait 
son  plein  succès  que  lorsque  toutes  les  femmes  au- 

1.  Ce  qui  est  surprenant,  c'est  qu'une  suggestion  aussi 
longue,  aussi  continue,  aussi  persévérante,  aussi  intensive, 
n'ait  pas  produit  des  résultats  encore  plus  effrayants.  Il 
fallait  que  notre  pays  et  que  le  peuple  de  France  eussent 
en  réserve  une  provision  de  moralité  fort  considérable, 
pour   résister   si  longtemps   à  un  pareil  traitement. 


400         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

raient  reçu  l'éducation  laïque.  «  Tant  que  l'éducalion 
des  femmes,  a-t-il  dit  dans  son  rapport  à  la  Cham- 
bre en  1880,  finira  avec  l'instruction  primaire,  il 
sera  presque  impossible  de  vaincre  les  préjugés,  la 
superstition,  la  routine;  »  lisez  les  traditions  catholi- 
ques, le  dogme,  la  morale.  Et  le  F.  • .  Bienvenu- 
Martin,  ministre  de  l'Instruction  publique,  se  réjouis- 
sant d'avoir  occupé  ses  vacances  parlementaires  à 
l'inauguration  de  nombreux  lycées  et  collèges  de 
filles  en  donnait  cette  raison  :  «  Il  s'agit  de  trans- 
former les  âmes  féminines.  » 

En  janvier  1906,  le  renégat  Charbonnel  eut  une 
interview  avec  le  même  ministre.  La  liaison  en  ren- 
dit compte. 

«  Je  voyage  beaucoup,  dit  le  ministre,  pour  une 
cause  que  j'ai  profondément  à  cœur,  l'éducation  des 
jeunes  filles.  Je  suis  allé  inaugurer  nombre  de  lycées 
et  de  collèges  à  leUr  usage.  Nous  arrachons  la  femme 
au  couvent  et  à  l'Eglise.  »  «  L'homme  fait  la  loi, 
la  femme  fait  les  mœurs.  »  En  entendant  ces  paroles, 
dit  M.   Charbonnel,   je   ne  me   sentis  pas   de  joie.  » 

Ici  encore  l'initiative  avait  été  prise  par  les  loges. 

Le  6  septembre  1900  le  Couvent  du  Grand-Orieïit 
de  France  renvoya  «  à  l'étude  des  loges  la  recherche 
des  moyens  les  plus  efficaces  pour  établir  l'influence 
des  idées  maçonniques  sur  les  femmes,  tenter  de  les 
arracher  à  l'influence  des  prêtres  et  créer  telles  insti- 
tutions   aptes    à  atteindre   ce   but.  »    (1). 

En  exécution  de  ce  vœu  et  d'autres  semblables, 
le  conseil  de  l'Ordre  adressa  à  toutes  les  loges  une 
circulaire  (n^  13),  datée  du  15  décembre  1902,  leur 
disant  :  «  La  puissance  du  cléricalisme  a  été  déve- 
loppée et  consolidée  grâce  à  la  femme,  et  c'est  même 
grâce  à  elle  que  cette  puissance  malfaisante  se  main- 

1.  Compte  rendu  du  Convent  de   1900,  p.   166. 


CORRUPTION    DES    MŒURS  401 

tient  et  s'exerce.  Il  faut  donc  opposer  à  la  femme 
nourrie  d'idées  fausses  et  de  superstitions  ridicules, 
la  femme  forte,  la  femme  maçonnique,  connaissant 
nos  principes  et  nos  aspirations  et  les  inculquant  à 
nos  enfants.  » 

Il  y  a  pis  encore  que  ce  que  nous  venons  de  voir, 
plus  révoltant  et  plus  satanique.  Vindice,  après  avcir 
dit  :  «  Corrompons  la  femme  »;,  ajoutait  :  «  Corrom- 
pons-la avec  l'Eglise  :  Corruptio  optimi  pesswia. 
C'est  la  corruption  en  grand  que  nous  avons  entre- 
prise :  la  corruption  du  peuple  par  le  clergé  et  du 
clergé  par  nous,  la  corruption  qui  doit  nous  conduire 
à  mettre  un  jour  l'Eglise  au  tombeau.  Le  but  est  assez, 
beau  pour  tenter  des  hommes  tels  que  nous.  Le 
meilleur  poignard  pour  frapper  l'Eglise  au  cœur,  c'est 
la   corruption.  A  l'œuvre  donc  jusqu'à  la  fin!  » 

On  s'est  mis  à  l'œuvre.  Qu'un  prêtre  soit  ccrrompu 
ou  que  le  peuple  croie  à  sa  corruption,  c'est  à  peu 
près  la  même  chose  pour  l'effet  que  la  secte  a  en 
vue  :  propager  le  vice,  en  donnant  à  penser  que  la 
vertu  est  impossible,  que  tous  les  hommes  sans  ex- 
ception se  livrent  à  leurs  passions,  et  que  là  où  il 
]^araît  y  avoir  plus  de  retenue,  il  n'y  a  que  plus 
d'hypocrisie.  / 

Aussi,  dès  la  révolution  de  1830,  le  prêtre  fut  re- 
présenté sur  les  théâtres  et  dans  les  romans  comme 
un  être  rempli  de  turpitudes.  A  la  fin  du  second 
Empire,  commencèrent,  et  depuis  que  la  République 
est  devenue  maçonnique,  ont  été  repris,  ces  procès 
scandaleux  qui  ne  sont  la  plupart  du  temps  intentés 
que  pour  permettre  aux  journaux  de  la  secte  d'im- 
puter au  clergé  les  vices  les  plus  honteux.  Il  fallait 
cependant  autant  que  possible  ne  pas  se  contenter  de 
calomnier;  corrompre  effectivement  serr.it  bien  nii."ux; 
et  c'est  pourquoi  a  été  faite  la  loi  des  curés  sac  au 

L'Eglise  et  le  Temple  26 


402       l'agent  de  la  civilisation  moderne 

dos,  qui  livre  l'innocent  lévite  aux  promiscuités  de 
la  caserne;  et  comme  un  an  de  caserne  ne  prodai- 
sait  pas  l'effet  voulu,  on  l'astreignit  à  deux  ans  et 
on  le  fit  assister  aux   conférences  pornographiques. 

Vindice  n'était  pas  seul  à  parler  comme  nous  ve- 
nons de  l'entendre.  Au  même  moment,  ou  à  peu 
près,  Quinet,  professeur  au  collège  de  France,  fit 
tUne  édition  des  œuvres  de  l'immonde  Luthérien,  Mar- 
nix  de  Sainte-Aldegonde,  et  il  en  donna  cette  raison 
dans  la  préface  qu'il  y  mit  :  «  Celui  qui  entreprend 
de  déraciner  une  superstition  caduque  et  malfaisante 
comme  le  catholicisme,  s'il  possède  l'autorité,  doit 
avant  tout  éloigner  cette  superstition  des  yeux  du 
peuple  et  en  rendre  l'exercice  absolument  impossible, 
en  même  temps  qu'il  ôte  toute  espérance  de  la  voir 
renaître.  Pour  réaliser  cette  espérance,  il  s'agit  non 
seulement  de  réfuter  le  papisme,  mais  de  l'extirper; 
non  seulement  de  l'extirper,  mais  de  le  déshonorer; 
non  seulement  de  le  déshonorer,  mais  comme  le  vou- 
lait la  loi  germaine  contre  l'adultère,,  de  «  l'étouffer 
DANS    LA   boue.  »    (Pagcs  31   et  37).    (1). 

Quel  honneur  plus  grand  pour  le  catholicisme  que 
d'avoir  de  tels  ennemis,  et  de  les  voir  réduits  à 
employer  et  à  afficher  de  tels  moyens  dans  l'espé- 
rance d'avoir  raison  de  nous! 

Scipion  Pertrucci,  secrétaire  de  Mazzini,  peignait 
bien  ses  F.  • .  lorsque,  le  2  avril  1849,  il  disait  à 
Paul  Ripari  :  «  //  nosfro  è  un  graii  partito  porco; 
questo  in  famiglia  lo  possiamo  dire.  Notre  associa- 
tion est  un  grand  parti  de  pourceaux.  Ceci,  nous 
pouvons  le  dire  en  famille.  » 

1.  Il  n'est  pas  inutile  de  remarquer  qu'en  1903  le  gou- 
vernement de  la  République  a  fêté  et  même  fait  fêter 
par  les  enfants  des  écoles  le  centenaire  de  la  naissance 
d'Edgar   Quinet. 


CHAPITRE  XXIX 


CORRUPTION  DES  IDÉES 


Pour  arriver  à  «  ranéantissement  de  l'idée  chré- 
tienne )>,  la  corruption  des  mœurs  est  un  moyen 
puissant  assurément,  mais  seulement  de  second  ordre. 
11  peut  même  arriver  qu'au  lieu  de  servir  ceux  qui 
l'emploient,  il  se  mette  à  l'encontre  ée.  leurs  des- 
seins. Plus  le  cloaque  devient  impur,  plus  il'  presse 
les  âmes  qui  n'ont  point  perdu  toute  noblesse,  d'en 
sortir.  Et  où  se  réfugier,  sinon  dans  TEglise,  qui 
fait  de  la  pureté  des  mœurs  l'objet  de  ses  plus 
vives  sollicitudes!  N'est-ce  point  dans  la  ville  la 
plus  corrompue  de  l'empire  romain,  à  Corinthe,  que 
saint  Paul  put,  en  moins  de  deux  ans,  fonder  l'une 
de  ses  plus  belles  Eglises?  Aussi  la  Haute-Vente 
tout  en  favorisant  la  corruption  des  mœurs,  s'atta- 
cha-t-elle  >surtout  à  corrompre  les  idées.  C'est  le 
conseil  qUe  Weishaupt  avait  donné  précédemment  : 
«  Le  grand  art  de  rendre .  infaillible  une  révolution 
quelconque,  c'est  d'éclairer  les  peuples,  c'est-à-dire 
amener  insensiblement  l'opinion  publique  à  désirer, 
à  vouloir,  à  exiger  les  changements,  qui  sont  l'objet 
de  la  révolution  voulue.  »  Il  ajoutait  :  «  Quand  l'objet 
de  ce  vœu  est  une   Révolution  universelle,  tous  les 


i04      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

membres  de  ces  sociétés  tendant  au  même  Lut,  s'ap- 
p'uyant  les  uns  sur  les  autres,  doivent  chercher  à 
dominer  invisiblement  et  sans  apparence  de  moyens 
violents,  non  pas  sur  la  partie  la  plus  éminente, 
ou  la  moins  distinguée  d'un  seul  peuple,  mais  sur 
les  hommes  de  tout  état,  de  toute  nature,  de  toute 
religion.  Souffler  partout  un  même  esprit;  dans  le 
plus  grand  silence  et  avec  toute  l'activité  possible, 
diriger  tous  les  hommes  épars  sur  la  surface  de 
la  terre  vers  le  même  objet.  C'est  dans  l'intimité 
des  sociétés  secrètes  qu'il  faut  savoir  préparer  l'opi- 
nion. » 

Ce  programme  est  encore  suivi  point  par  point. 
Le  vœu  des  sociétés  secrètes  est  bien  toujours 
une  révolution  universelle,  une  révolution  qui  em- 
brasse le  monde  entier  et  qui  puisse  transformer  toutes 
choses,  en  les  attaquant  dans  le  fondement  sur  lequel 
elles  reposent,  la  civilisation  :  détruire  la  civilisation 
chrétienne  pour  établir  sur  ses  ruines  la  civilisa- 
tion  humanitaire,    la    civilisation   maçonnique. 

Et  toujours  aussi  le  moyen  employé  pour  rendre 
cette  révolution  infaillible  c'est  «  d'éclairer  les  peu- 
ples. »  Les  loges  ne  parlent  que  d'éclairer,  de  répan- 
dre la  lumière.  Leur  principale  occupation,  c'est  la 
suggestion.  Elles  amènent  par  là  insensiblement  l'opi- 
nion publique  à  désirer,  à  votJLOiR,  à  exiger  les 
changements  qui  doivent  amener  la  révo^jiition  vou- 
lue, et  la  Tendre  infaillible. 

«  C'est  dans  l'intimité  des  sociétés  secrètes,  dit 
Weishaupt,  qu'il  faut  savoir  préparer  l'opinion.  »  C'est 
là  qu'elle  est  faite  avant  d'être  répandue  au  dehors. 

Il  importe  donc  de  voir  de  près  et  d'étudier  dans 
ses  détails  la  machine  maçonnique  montée  pour  faire 
l'opinion.   Elle  est  admirable,  autant  que  peut  l'être 


CORRUPTION     DES     IDEES  405 

une  chose  mauvaise,  une  chose  créée  pour  prorluire 
le  mal  et  un  tel  mal. 

Les  sophismes  révolutionnaires  sont  d'abord  ré- 
pandus dans  les  loges  sous  l'aspect  qui  les  rend 
séduisants,  avec  la  couleur  qui  leur  donne  l'appa- 
rence   de    la   vérité    devant    produire    le    bien. 

Car  il  ne  faut  point  s'imaginer  qu'à  la  fin  du 
XVIII«  siècle,  on  ait  dit  dans  les  loges,  aux  appren- 
tis et  même  aux  maîtres  :  vous  allez  travailler  avec 
nous  au  renversement  de  la  monarchie,  à  rexj)ro- 
priation  et  à  l'extermination  du  clergé  et  de  la  no- 
blesse. On  leur  faisait  voir  les  désordres  introduits 
clans  la  société  par  le  cours  des  siècles,  et  on 
en  faisait  désirer  la  disparition,  on  leur  montrait 
un  idéal  de  société  parfaite  dans  l'égalité  substituée 
à  la  hiérarchie.  Imbus  de  ces  idées,  les  maçons  se 
faisaient  apôtres,  les  répandaient  dans  leur  entou- 
rage, et  chacun  contribuait  ainsi  à  faire  l'opinion 
.qui,  au  moment  voulu,  devait  éclater  comme  une 
bombe   et  causer  des   ravages   analogues. 

La  secte  use  toujours  du  même  procédé  :  la  sug- 
gestion. Elle  suggestionne  ses  membres,  ceux-ci  sug- 
gestionnent le  public,  le  public  suggestionné  se  prête 
aux  changements  voulus  par  le  Pouvoir  occulte,  si 
même  il  ne  les  exige  ou  ne  les  impose  par  des 
actes  plus  ou  moins  révolutionnaires. 

Suggestion!  ce  mot  dit  peu  de  choses  j)eut-être 
à  l'esprit  du  lecteur.  La  constitution  de  la  maçonnerie 
est  faite  tout  entière  et  admirablement  faite  pour  la 
produire.  Ce  que  nous  devons  donc  étudier  mainte- 
nant afin  de  pouvoir  nous  rendre  compte  de  l'état 
de  corruption  intellectuelle  auquel  notre  société  est 
arrivée,  c'est  la  constitution  de  la  Franc-Maçonnerie 
en  vue  de  la  suggestion.  Comment  elle  se  recrute, 
comment  elle  s'est  organisée,  comment,  par  cet  orga- 


406       l'agent  de  la  civilisation  moderne 

nisme,  elle  arrive  à  répandre  les  idées  qu'elle  vout 
faire  prévaloir  et  les  succès  que  ses  suggestions 
obtiennent  dans  les  diverses  classes  de  la  société. 
On  comprendra  alors  comment  une  association  res- 
treinte à  un  nombre  de  personnes  relativement  mi- 
nime a  pu  s'emparer  de  tous  les  ressorts  de  la  vie 
publique,  arriver  aux  résultats  que  nous  voyons  et 
nourrir  l'espérance  fondée  d'arriver  aux  fins  der- 
nières qu'elle  s'est  proposées  il  y  a  au  moins  deux 
siècles. 

I.  -  RECRUTEMENT  EN  SOCIÉTÉ  SECRÈTE 

C'est  chez  elle  tout  d'abord  et  dans  l'esprit  de 
ses  membres  que  la  Franc-Maçonnerie  opère  la  corrup- 
tion des  idées.  Dès  leur  entrée  en  loge,  elle  s'appli- 
que à  cette  perversion;  elle  la  poursuit  dans  les 
initiations  successives;  elle  l'achève  par  ses  sugges- 
tions* continues. 

Et  d'abord,   comment  se  recrute-t-elle  ? 

Le  membre  de  la  Haute-Vente  qui  se  cachait  sous 
le  nom  de  Piccolo-Tigre,  va  nous  en  instruire.  11  le 
fait  dans  une  lettre  adressée,  le  18  janvier  1822,  à 
une  Vente  piémontaise  qu'il  avait  créée  lui-même  de 
la  manière  que  nous  avons  dite,  en  exposant  la 
constitution   du   carbonarisme. 

«  Four  i^oyager  la  lumière,  il  a  été  jUgé  bon  et 
utile  de  donner  le  branle  à  tout  ce  qui  aspire  à 
remuer    (1).    L'essentiel    est   d'isoler   l'homme   de    sa 


1.  Donner  Je  branle  à  tout  ce  qui  aspire  à  remuer!  Ja- 
mais cette  instruction  n'a  été  mieux  observée  que  de  nos 
jouTs,  du  haut  en  bas  de  la  société.  Ne  peut-on  point  en 
observer  l'effet  jusque  dans  le  clergé?  N'avons-nous  point 
vu,  même  dans  son  sein,  se  lever  des  agitateurs  et  des  agi- 
tés? Savent-ils  d'où  leur  vient  «  le  branle  »  et  à  quelles  fins? 
Piccolo-Tigre  le  dit  :  «  Propager  la  lumière  maçonnique!!  » 
D'autres,    plus    ouvertement,    «  l'idée    démocratique  ». 


CORRUPTION     DES     IDÉES  407 

famille,  de  lui  en  faire  perdre  les  mœurs.  11  est 
assez  disposé  par  la  pente  de  son  caractère  à  fuir 
les  soins  du  ménage,  à  courir  après  des  plaisirs  fa- 
ciles et  des  joies  défendues.  Il  aime  les  longues 
causeries  du  café,  l'oisiveté  des  spectacles.  Entraî- 
nez-le, soutirez-le,  donnez-lui  une  importance  quel- 
conque; apprenez-lui  directement  à  s'ennuyer  de  ses 
travaux  journaliers,  et,  par  ce  manège,  après  l'avoir 
séparé  de  sa  femme  et  de  ses  enfants,  et  lui  avoir 
montré  combien  sont  pénibles  tous  les  devoirs,  vous 
lui  inculquez  le  désir  d'une  autre  existence.  Quand 
vous  aurez  insinué  dans  quelques  âmes  le  dégoût 
de  la  famille,  et  de  la  religion,  —  l'un  va  pres- 
que toujours  à  la  suite  de  l'autre,  —  laissez  tom- 
ber certains  mots  qui  provoqueront  le  désir  d'être 
affilié  à  la  loge  la  plus  voisine.  Cette  vanité  du 
citadin  ou  du  bourgeois  de  s'inféoder  à  la  franc- 
maçonnerie  a  quelque  chose  de  si  universel  que  je 
suis  toujours  en  extase  devant  la  stupidité  humaine. 
Je  m'étonne  de  ne  pas  voir  le  monde  entier  frapper 
à  la  porte  de  tous  les  vénérables,  et  demander  à 
ces  messieurs  l'honneur  d'être  un  des  ouvriers  choisis 
pour  la  reconstruction  du  Temple  de  Salomon.  Le 
prestige  de  l'inconnu  exerce  sur  les  hommes  uno  telle 
puissance,  que  l'on  se  prépare  avec  tremblement  aux 
fantasmagoriques  épreuves  de  l'initiation  et  du  ban- 
quet fraternel.  Se  trouver  membre  d'une  loge,  se 
sentir,  en  dehors  de  sa  femme  et  de  ses  enfants, 
appelé  à  garder  un  secret  qu'on  ne  vous  confie  ja- 
mais, est  pour  certaines  natures  une  volupté,  une 
ambition.  » 

La  franc-maçonnerie,  qui  n'est  que  l'antichambre 
de  sociétés  plus  secrètes,  telles  que  le  carbonarisme, 
a  elle-même  des  antichambres,  où  elle  recherche  les 
dégoûtés  de  la  famille,  les  vaniteux,  les  rebelles, 
pour   les   inviter   à  entrer  chez   elle. 


408      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

La  première  de  ces  antichambres,  c'est  l'école  laïque, 
en    prenant   ce    mot    «  école  »    dans    un    sens    large. 

Dans  son  numéro  du  30  septembre  1903,  La  Yérité 
de  Québec  a  publié  ceci  : 

«  Il  existe  aux  Etats-Unis  une  société  secrète  qui 
compte  au  delà  de  200.000  membres,  recrutés  ex- 
clusivement parmi  les  enfants  et  les  jeunes  gens 
de  14  à  21  ans.  Ses  ramifications  s'étendent  au  Canada, 
au  Mexique  et  dans  le  monde  entier.  Elle  a  son 
rite,  son  alphabet  secret,  ses  insignes,  ses  degrés, 
ses  mots  de  passe,  bref  tout  le  bagage  des  sectes 
maçonniques.  Cette  société  a  pour  nom  The  Corning 
men  of  America.  Nos  collèges  classiques,  dit  la  Vé- 
rité, nos  académies  ne  sont  pas  à  l'abri  du  travail 
fait  par  ces  Corning  men  pour  embaucher  leurs  élè- 
ves. Nous  n'exagérons  rien.  Nous  avons  en  notre 
possession  des  documents  :  certificats  d'admission, 
prospectus,  pamphlets,  etc.,  qui  ne  laissent  aucun 
doute  sur  le  caractère  de  cette  société  et  la  rapidité 
de  ses  progrès.  De  ces  documents  il  résulte  que 
cette  société  d'enfants  et  de  jeunes  gens  a  pour  orga- 
nisateur et  pour  parrain  un  32®  de  la  maçonnerie, 
un  Old  Fellow,  un  Mystic  Shriner.  Le  «  Grand  Secre- 
tary  »  avertit  l'enfant  initié  qu'il  doit  dissimuler  avec 
le  plus  grand  soin  tous  ses  papiers,  notamment  l'alpha- 
bet secret,  ne  les  portant  jamais  sur  lui,  les  chan- 
geant fréquemment  de  place,  etc.,  etc.,  et  cela  sons 
la  foi  d'une  parole  d'honneur,  qui  équivaut,  dit-il, 
au  plus  terrible  des  serments. 

»  Ailleurs  le  même  secrétaire  affirme  que  les  sec- 
tes maçonniques  mettent  gratuitement  h  la  disposi- 
tion de  la  C.  M.  A.,  leurs  salles  de    réunion.  » 

N'avons-nous  point  des  associations  se.ublables  e:i 
Europe  ? 

îl  est  d'autres  antichambres. 


CORRUPTION     DES     IDÉES  409 

«  Sous  le  prétexte  le  plus  futile,  créez,  dit  Piccolo- 
Tigre,  ou  mieux  encore,  faites  créer  par  d'autres 
des  associations  ayant  le  commerce,  l'industrie^  la 
musique,  les  beaux-arts  pour  objets.  Réunissez  dans 
un  lieu  ou  dans  un  autre  vos  tribus  encore  ignorantes  ; 
infiltrez  le  venin  dans  les  cœurs  choisis,  infiltrez-le 
à  petites  doses  et  comme  par  hasard;  puis,  à  la 
réflexion,  vous  serez  étonné  vous-même  de  votre 
succès.  » 

Piccolo  recommandait  aux  membres  de  la  Vente 
qu'il  avait  instituée  en  Piémont,  de  ne  pas  hésiter 
à  placer  ces  associations  de  musique  et  autres  sous 
la  direction  d'ecclésiastiques  :  «  Mettez-les,  disait-il, 
sous  la  houlette  d'un  prêtre  vertueux,  bien  noté, 
mais    crédule    et    facile    à  tromper.  » 

Bien  plus,  il  engageait  à  introduire  des  francs- 
maçons  recmteurs  jusque  dans  les  confréries  :  «  Ne 
craignez  pas  de  glisser  quelques-uns  des  nôtres  au 
milieu  de  ces  troapeaux  (1).  Qu'ils  étudient  avec 
soin  le  personnel  de  ces  confréries,  et  ils  verront 
que  peu  à  peu  il  n'y  manque  pas  de  récoltes  à 
faire.  »  En  effet,  en  Italie,  conUne  dans  l'Amérique 
du  Sud,  les  confréries  fournirent  nombre  de  francs- 
maçons,  et  non  de  ceux  qui  firent  le  moins  de  mal. 
Ces  recommandations  ne  doivent  point  échapper  à 
MM.  les  ecclésiastiques  chargés  de  la  direction  des 
patronages  et  des  cercles,  encore  moins  à  ceux  qui, 
d'eux-mêmes  ou  sous  l'influence  de  certaines  sug- 
gestions, organisent  des  sociétés  de  musique,  de  gym- 

1.  Weishaupt  avait  donné  un  nom  spécial  à  ceux  de  sos 
F.  : .  appelés  à  remplir  ce  rôle.  Il  les  appelait  F.  : .  Insi- 
nuants ou  Enrôleurs. 

«  Par  le  nom  de  F.:.  Insinuant,  dit  Barruel,  il  faut  en- 
tendre ici  r Illuminé  travaillant  à  gagner  des  Frères  à 
son  Ordre.  Il  est  des  Frères  plus  spécialement  chargés  de 
cet  emploi;  ce  sont  ceux  qu'on  pourrait  appeler  les  apôtres, 
les  missionnaires  de  l'Ordre  ». 


410        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

nastique,  etc.  Ils  ne  se  repentiront  jamais  de  trop  de 
perspicacité  et  de  vigilance  sur  les  idées  qui  se  ré- 
pandent parmi  leurs  jeunes  gens. 

C'est,  en  général,  dans  les  sociétés  laïques  que  se 
fait  le  recmtement  des  maçons.  Le  F.  • .  Bourget, 
au  congrès  des  Loges  du  Nord-Ouest  à  Rouen,  enga- 
geait ses  FF.  •  .  à  s'insinuer  dans  le  plus  grand  nom- 
bre possible  de  sociétés,  «  toujours  et  particulière- 
ment dans  les  patronages  laïques,  scolaires  et  de 
bienfaisance,  associations  de  prévoyance,  de  secours, 
de  tir,  et  de  gymnastique,  et  dans  tous  les  groupe- 
ments où  l'idée  démocratique  (l),a  le  plus  de  chance 
de  germer  et  de  se  développor.  » 

Jean  Bidegain,  dans  son  livre  Le  Grand  Orient 
DE  France,  ses  doctrines  et  ses  actes  (p.  281),  dit 
aussi  :  «  Chaque  loge  groupe  autour  d'elle  une  mul- 
titude de  groupes,  de  sociétés  qui  sont  des  succé- 
danés. »  Et  il  montre  l'activité  que  sait  déployer 
le  délégué  de  la  Franc-Maçonnerie  auprès  de  ces 
sociétés  :  «  Le  citoyen  qui  est  franc-maçon  à  dix  heu- 
res du  soir,  organisera  demain  matin,  à  huit  heu- 
res, l'Université  populaire,  délibérera  à  onze  heures 
à  la  section  de  la  Ligue  des  Droits  de  l'Homme,  et 
tonitruera  à  deux  heures  de  l'après-midi  au  groupe 
de  la  Libre-pensée.  Les  Francs-Maçons  sont  les  Maî- 
tres Jacques  de  la  démocratie.  » 

Au  troisième  congrès  des  Loges  de  l'Est  qui  a  eu 
lieu  en  juillet  1882,  les  maçons  ont  reçu  ces  ins- 
tructions : 

«  Quand,  sous  l'inspiration  d'une,  loge,  un  noyau 
de  maçons,  aidés  de  tous  les  amis  profanes,  ont  ainsi 
créé  une  société   quelconque,  ils  ne  doivent  pas  en 

1.  On  a  déjà  pu  remarquer  que  les  francs-maçons  disent 
indifféremment  :  idées  démocraticrues  ou  idées  maçonni- 
ques; propager  les  unes,  c'est,  du  moins,  ouvrir  la  voie 
aux  autres. 


CORRUPTION     DES     IDEES  411 

laisser  la  direction  à  des  mains  profanes.  Tout  au 
contraire  il  faut  qu'ils  s'efforcent  de  maintenir  dans 
le  comité  directeur  de  cette  société  créée  par  eux,  un 
noyau  de  maçons,  qui  en  restent  comme  la  cheville 
ouvrière,  et  qui,  tenant  la  direction  de  la  société 
entre  les  mains,  continueront  à  la  pousser  dans  une 
voie    conforme    aux    aspirations    maçonniques. 

»  Quelle  force  n'aura  pas  la  maçonnerie  sur  le 
monde  profane,  quand  existera  autour  de  chaque 
loge  comme  une  co'uronne  de  sociétés,  dont  les  mem- 
bres dix  ou  quinze  fois  plus  nombreux  que  les  ma- 
çons, recevront  des  maçons  l'inspiration  et  le  but, 
et  uniront  leurs  efforts  aux  nôtres  pour  le  grand 
œuvre  que  nous  poursuivons!   (1)  ». 

Toutefois,  au  couvent  de  1898,  le  rapporteur  de 
la  commission  des  vœux  faisait  cette  recommanda- 
tion :  «  Il  ne  faut  pas  laisser  voir  dans  cette  œuvre 
la   main   de   la  franc-maçonnerie    (2).  » 

La  franc-maçonnerie  a  donc  des  émissaires  par  les- 
quels non  seulement  elle  recrute  s-es  nouveaux  mem- 
bres, mais  souffle  son  esprit  dans  cette  multitude 
d'associations  qu'elle  a  créées  ou  au  sein  desquelles 
elle  a  pu  s'introduire.  Par  eux,  elle  leur  imprime 
ses  directions  et  les  fait  concourir,  sans  qu'elles 
s'en  doutent,  à  son  plan  de  déchristianisation.  «  C'est 

1.  En  1880,  au  mois  de  septembre  ou  d'octobre,  dix  ans 
après  l'entrée  des  Piémontais  dans  Rome,  le  Folchetto, 
dans  un  article  à  la  louange  de  la  franc-maçonnerie,  dit  : 
«  Ce  serait  une  suprême  injustice  de  ne  pas  reconnaître  que 
toutes  ces  associations  (non  maçonniques  mais  maçonnisées) 
qui  n'étaient  que  des  rameaux  du  grand  arbre  maçonnique, 
ont  maintenu  en  vie  pendant  plusieurs  dizaines  d'années  la 
pensée  italienne  (de  l'uTiité  italienne),  et  que  cette  végétation 
qui  a  abouti  à  la  sainte  entreprise  de  la  rédemption  de  la 
patrie,  n'a  trouvé  son  aliment  nulle  part  ailleurs  que  dans 
les  associations  ». 

2.  Les  Fétitions  contre  la  franc-maçonnerie,  pp.  163- 
165. 


412        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

par  cette  plénil'ude  d'organisation,  dit  le  F.  : .  Oo- 
blet  d'Alviella,  que  la  maçonnerie  est  en  état  de  ri- 
valiser avec  sa  grande  ennemie,  l'Eglise  de  Rome  (1).  » 
Waldeck-Rousseau,  parlant  des  congrégations  religieu- 
ses, a  voulu  y  faire  voir  «  un  substratum  d'influen- 
ces cachées,  aujourd'hui  visible  »;  impossible  de 
mieux  caractériser  l'action  que  la  franc-maçonnerie 
exerce  sur  la  société  par  cette  plénitude  d'organisation 
qui  met  entre  les  mains  de  quelques  chefs  mconiïus 
la  direction  non  seulement  de  toutes  les  loges  du 
monde,  mais  aussi  de  cette  multitude  d'associations 
que  la  secte  a  su  établir  autour  d'elle,  qu'elle  ins- 
pire  et   où   elle   se  recrute. 

Ces  sociétés  ne  fournissent  que  des  bourgeois; 
la  maçonnerie  les  reçoit  volontiers,  mais  ne  peut 
s'en  contenter.  «  La  Haute-Vente  désire,  continue  Pic- 
colo-Tigre,  que,  sous  un  prétexte  ou  sous  un  autre, 
on  introduise  dans  les  loges  maçonniques  le  plus 
de  princes  et  de  riches  que  Ton  pourra.  Les  princes 
des  maisons  souveraines,  gui  n'ont  pas  l'espérance 
légitime  d'être  rois  par  la  grâce  de  Dieu,  veulent 
tous  l'être  par  la  grâce  d'une  révolution.  Le  duc 
d'Orléans  (depuis  Louis-Philippe;  ces  lignes  étaient 
écrites  en  1822)  est  franc-maçon;  le  prince  de  Cari- 
gnan  (depuis  Charles-Albert,  roi  de  Sardaigne)  le 
fut  aussi.  Il  n'en  manque  pas  en  Italie  et  ailleurs 
qui  aspirent  aUx  honneurs  du  tablier  et  de.  la  truelle 
symboliques.  Flattez  tous  ces  ambitieux  de  popu- 
larité, accaparez-les  pour  la  franc-maçonnerie  :  la  Ha,u- 
te-Vente  verra  après  ce  qu'elle  en  pourra  faire  d'utile 
à  la  cause  du  progrès.  En  attendant,  ils  serviront 
de    glu    aux   imbéciles,   aux   intrigants,    aux   citadins 


1.  A    la    loge    Les    Amis    philanthropes    de    Bruxelles,    5 
août  1877. 


CORRUPTION     DES     IDEES  418 

et  aux  besofïneux.  C'est  une  magnifique  enseigne,  et 
il  y  a  toujours  des  sots  disposés  à  se  compromettre 
au  service  d'une  conspiration  dont  un  prince  quelcon- 
que   semble    être    l'arc-boutant    (1)  » 

C'est  dans  une  société  secrète  que  les  recrues 
ainsi  captées  sont  introduites,  d'où  qu'elles  vien- 
nent. 

—  Société,  sans  doute,  dira  quelqu'un;  mais  se- 
crète? On  connaît  un  grand  nombre  de  ceux  qui 
la  composent.  Leurs  noms  remplissent  un  gros  vd- 
lume  qui  vient  d'être  publié.  On  connaît  leurs  lieux 
de  réunion  :  les  loges.  On  sait  la  date  de  leur  assem- 
blée générale  annuelle  :  le  convent  ;  et  des  comptes 
rendus  de  leurs  séances  sont  publiés. 

Et  cependant,  malgré  cette  notoriété  et  cette  pu- 
blicité,   la    Franc-Maçonnerie    est    vraiment   une    so- 


1.  Lo  Monde  maçonnique  a  publié,  vers  le  milieu'  de 
l'année  1883,  un  tableau  de  l'histoire  de  l'Espagne  pen- 
dant ce  siècle.  Il  y  dit  que  tous  les  événements  impartants 
cjui  ont  eu  lieu  en  ce  pays  sont  le  fait  de  la  franc-maçonno- 
rie  ;  que  la  reine  Isabelle  et  son  fils  Alphonse  lui  ont  dû 
le  trône,  et  que  c'est  grâce  à  l'énergie  du  Grand-Maître 
que  Ferdinand  VII  a  maintenu  l'abrogation  de  la  loi  sa- 
liqu-e  en  Espagne. 

.11  n'y  a  pas  que  les  usurpateurs  qui  soient  aux  mains 
de  la  franc-maçonnerie.  A  l'avènement  d'Edouard  VII  au 
trône  d'Angleterre,  ÏEvénement  de  Québec  publia  ces  ren- 
seignements : 

«  Albert-Edouard,  prince  de  Galles,  est  le  plus  éminent 
franc-maçon  qui  soit  sur  terre,  non  seulement  du  fait  qu'il 
devient  roi  d'Angleterre,  mais  parce  qu'il  est  grand-maître 
des  grandes  loges  d'Angleterre,  d'Irlande,  d'Ecosse  et  du 
Pays  de  Galles,  et  qu'il  est  aussi  grand  prieur  de  l'ordre 
des  Chevaliers  du  Temple  en  Angleterre  et  grand  patron 
de  l'ordre  Ancient  Accepted  Sçottish  Rite  of  Freemasonry 
dans  le  Royaume-Uni,  ayant  reçu  le  33e  et  dernier  degré 
dans  cette  branche  de  la  franc-maçonnerie. 

»  Il  appartient  à  l'ordre  maçonnique  depuis  .jplus  de 
trente-deux  ans;  et  il  n'y  a  pas,  dans  le  monde  entier, 
de  membre  qui  prenne  une  part  plus  active  à  son  dévelop- 
pement. Dans  la  position  royale  qu'il  occupe  et  par  la 
hauite    fonction    qu'il    remplit    dans    l'ordre    maçonnique,    il 


414     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

ciété  secrète,  et  la  plus  secrète  des  sociétés  existant 
actuellement  dans  le  monde. 

Comment  cela?  M.  Copin-Albancelli  va  nous  l'ex- 
pliquer. 

«  On  doit,  dit-il,  regarder  comme  société  secrète, 
surtout  celle  qui  cache  son  but.  Lorsque  des  hommes 
se  réunissent,  c'est  toujours  en  vue  d'un  but  qui 
leur  est  proposé.  S'ils  croient  que  ce  but  ne  peut 
porter  ombrage  à  personne,  ils  le  déclarent  fran- 
chement  et   leur   société   n'est  pas   qualifiée   secrète. 

»  Mais  lorsque  des  hommes  se  constituent  en  so- 
ciété pour  un  but  qu'ils  sentent  devoir  froisser  des 
intérêts  ou  blesser  des  convictions,  les  mettre  en 
opposition  avec  un  état  d'esprit  ou  un  état  de  choses 


donne  franchement  l'exemple  à  ses  co-sociétaixes  de  l'éga- 
lité que  les  francs-maçons  prônent  comme  existant  entre 
eux  ». 

La  Vérité  de  jQuébec,  après  avoir  reproduit  ces  rensei- 
gnements,  ajoutait  : 

.;:<  Nous  le  savons,  le  nouveau  roi  d'Angleterre  est  un 
maçon  haut  gradé;  de  même  que  la  reine  Victoria  était 
la  protectrice  de  cette  sscte  condamnée  par  l'Eglise.  Mais 
si  haut  gradé  que  soit  Edouard  VII,  il  n'est  probablement  pas 
nu  courant  de  ce  qui  se  passe  dans  les  cercles  intimes  de  la 
franc-maçonnerie.  Les  vrais  chefs  de  la  secte,  qui  ne  sont 
pas  toujours  les  chefs  apparents,  accordent  volontiers  les 
titres  et  les  places  dlionneur  aux  rois  et  aux  princes, 
mais  ils  gardent  les  secrets  maçonniques  pour  eux.  Ils  sa- 
vent  tourner   à  leur   profit  le  prestige   royal,   voilà   tout.  » 

C'est-à-dire,  ils  savent  fort  bien  faire  servir  les  princes  et 
les   rois    maçons    à  rexécution   de   leurs   desseins. 

A  l'appui  de  ce  que  vient  de  dire  la  Vérité  de  Québec, 
observant  que  le  F.  :  .  Edouard  VII,  tout  grand-maître  de 
la  maçonnerie  anglaise  qu'il  soit,  ignore  probablement  bien 
des  secrets,  nous  rappellerons  la  lettre  du  duc  d'Orléans, 
grand-maître  du  Grand  Orient  de  France,  insérée  le  22 
février  1793  au  Journal  de  Paris,  signée  Egalité,  et  lue 
dans  la  tenue  du  Grand  Orient,  le  13  mai  de  la  même  an- 
née : 

«  Voici  mon  histoire  maçonnique.  Dans  un  temps  où  as- 
surément personne  ne  prévoyait  notre  révolution,  je  m'étois 
attaché  à  la  franc-maçonnerie,  qui  offroit  une  sorte  d'image 


CORRUPTION     DES     IDEES  415 

régnant,  ou  bien  ils  déclareront  hautement  l'objet 
de  leur  association,  quoi  qu'il  puisse  s'ensuivre;  ou 
bien,  ils  prendront  des  moyens  pour  que  le  public 
ignore  cet  objet,  ce  but,  celte  fin,  pour  qu'il  s'en 
figure  un  autre  ^que  celui  qu'ils  ont  réellement.  L'as- 
sociation ainsi  constituée  sera  essentiellement  secrète. 
On  sera  obligé  de  dire  :  on  ne  sait  pas  pourquoi  ces 
hommes  se  sont  rapprochés  et  unis,  pourquoi  ils 
ont  entre  eux  des  assemblées;  on  ne  sait  pas  ce 
qu'ils  y  font,  en  vue  de  quoi  ils  travaillent.  Une 
telle  société  est  secrète,  quand  bien  même  elle  ne  ca- 
cherait point  son  existence.  L'existence  d'une  société 
qui  se  cache  finit  toujours  par  être  connue,  quelques 
moyens    qu'elle   prenne    pour    se    dérober   aux   yeux 


d'égalité,  comme  je  m'étois  attaché  au  parlement  qui  offroit 
une  sorte  d'image  de  liberté.  J'ai  depuis  quitté  le  fantôme 
pour  la  réalité.  Au  mois  de  décembre  dernier,  le  secré- 
taire du  Grand  Orient  s'étant  adressé  à  la  personne  qui 
remplissoit  près  de  moi  les  fonctions  de  secrétaire  du  grand- 
maîbre,  pour  me  faire  parvenir  une  demande  .relative  aux 
travaux  de  cette  Société,  je  répondis  à  celui-ci  sous  la 
date  du   5  janvier  : 

«  Comme  je  ne  connois  pas  la  manière  dont  le  Grand 
Orient  est  composé,  et  que,  d'aillfurs,  je  pense  qu'il 
ne  doit  y  avoir  aucun  mystère  ni  aucune  assemblée 
secrète  dans  une  République,  suriout  au  commence- 
ment DE  son  établissement,  JE  NE  VEUX  PLUS  ME  MÊLER 

DU  Grand  Orient,  ni  des  assemblées  des  francs- 
maçons  ». 

En  écrivant  cette  lettre,  Philippe-Egalité  avait  rédigé 
sa  propre  sentence  de  mort.  Quelques  semaines  plus  tard, 
il   avait  la  tète  tranchée  par  le  couteau  triangulaire. 

Louis  Blanc  parlant,  dans  son  Histoire  de  la  Révolution, 
des  princes  placés  a  la  tête  des  Grands-Orients,  confirme 
en  ces  termes  ce  dont  Philippe-Egalité  vient  de  nous  ins- 
truire lui-même  :  «  Ils  savaient  seulement  de  la  franc-ma- 
çonnerie ce  qu'on  peut  en  montrer  sans  péril;  et  ils  n'a- 
vaient point  à  s'en  inquiéter,  retenus  qu'ils  étaient  dans 
les  grades  (les  initiations)  inférieurs,  où  le  fond  des  doc- 
trines ne  paraît  que  confusément  à  travers  V allégorie,  et  où 
beaucoup  ne  voyaient  qu'une  occasion  do  divertissements 
et  de  banquets  joyeux  ».  T.  II,  pp.  82  et  83. 


116  L'AGENT     DE     LA     CIVILISATION     MODERNE 

du  p'ublic  et  de  la  police.  Mais  tout  en  se  manifestant, 
une  société  peut  avoir  un  but  caché,  un  secret  qui 
sera  d'autant  mieux  tenu  (ju'elle  ne  le  confiera  point 
même  à  tous  ses  adhérents.  Telle  est  la  Franc-Ma- 
çonnerie. Elle  a  appelé  à  elle  le  mystère,  elle  s'en 
est  enveloppée;  c'était  pour  elle  nécessité,  car  elje 
se  proposait  la  lutte  contre  l'ordre  de  choses  existant. 
Si  elle  ne  luttait  pas  contre  cet  ordre  de  choses,  elle 
ne  se  cacherait  pas.  Elle  est  une  conspiration,  un 
complot  à  l'état  permanent,  autrement  dit  un  orga- 
nisme de  guerre  contre  la  société  telle  qu'elle  est 
constituée.  » 

Il  y  a  près  de  deux  siècles  que  la  Franc-Maçonnerie 
a  établi  ses  loges  dans  toute  la  France  et  même 
dans  toute  l'Europe.  Or,  on  discute  toujours  sur  le 
but  de  cette  association.  Elle  en  a  donné  trente-six, 
divers  selon  les  temps  et  les  lieux,  modifiant  même 
ses  statuts  selon  l'opportunité  et  les  nécessités  am- 
biantes. Actuellement  encore,  ses  adhérents  ne  sont 
pas  d'accord  lorsqu'on  les  interroge,  et  surtout  ils 
ne  seraient  pas  d'accord  si  on  pouvait  mettre  face 
à  face  les  francs-maçons  de  tous  les  pays  du  monde, 
ou  tous  les  francs-maçons  français  qui  ont  existé 
depuis  deux  siècles.  Si  les  fondateurs  de  l'association 
ou  ses  chefs  actuels  avaient  fait  connaître  à  leurs 
associés  son  véritable  but,  nous  n'aurions  pas  à 
constater  ainsi  des  contradictions  entre  les  déclara- 
tions des  uns  et  des  autres. 

La  Franc-Maçonnerie  ne  cache  pas  seulement  son 
but.  Elle  ne  nous  dit  point  quels  ont  été  ses  fonda- 
teurs, quelle  est  son  organisation.  Elle  nous  dérobe 
ses  modes  d'action;  elle  cherche  à  nous  tromper  sur 
le  caractère  de  l'œuvre  accomplie  par  elle  jusqu'ici. 
On  commence  bien  à  pénétrer  tout  cela,  mais  ce 
n'est  pas  parce  qu'elle  le  dévoile,  mais  à  cause  de 


CORRUPTION     DES     IDÉES  417 

l'observation  à  laquelle  elle  est  maintenant  soumise. 
Pour  elle,  elle  continue  à  s'envelopper  de  voiles,  de 
voiles  non  pas  seulement  épais,  mais  souveraine- 
ment trompeurs  (1). 

«  La  Franc-Maçonnerie  est  mensonge  dans  tout  son 
être  et  dans  toute  son  action  »,  dit  M.  Copin-Alban- 
celli.  Rien  ne  manifeste  mieux  sa  filiation.  Notrc- 
Seigneur  a  dit  de  Satan  :  «  Lorsq;a'il  prolère  le  men- 
songe, il  parle  de  son  propre  fonds  :  car  il  est  men- 
teur et  le  père  du  mensonge.  »   C'est  bien  là  aussi 

1.  La  Franc-Maçonnerie  a  tenu,  en  1894,  un  Congrès 
international  à  Anvers.  Les  divers  rites  avaient  à  exposer 
leurs  vues  sur  les  questions  qui  leur  avaient  été  soumises 
auparavant. 

La  troisième  séance  a  été  consacrée  à  l'examen  de  la 
question  suivante  :  Quelle  est  l'étendue  de  l'obligation  du 
secret  maçonnique? 

Le  F.  • .  Bouvier,  délégué  du  Directoire  du  Régime  Ecos- 
sais rectifié  d'Helvétie,  trouve  qu'  «  il  importe,  pour  réus- 
sir, de  travailler  dans  le  secret,  car  du  moment  que  le  pu- 
blic sait  que  la  Mac.  • .  étudie  et  prépare  une  œuvre,  tous  les 
ennemis  de  notre  Ordre  se  mettent  en  campagne  pour  la 
faire  échouer  sans  s'occuper  de  sa  valeur  et  de  son  utilité, 
mais  uniquement  par  haine  de  la  Franc-Maçonn.  • .  «  Si  la 
Maçonn.  • .  a  encore  une  puissance  aussi  considérable  dai:s 
le  monde,  c'est  parce  que  c'est  une  puissance  occulte.  Nous 
aurions  grand  tort,  au  point  de  vue  du  but  que  nous  pour- 
suivons, d'abandonner  un  système  qui  jusqu'ici  a  été  pour 
nous  un  élément  de  force.  » 

Le  F.-.  Goebel  dit  : 

«...  Nous  n'avons  pas  songé  au  secret  en  ce  qui  concerne 
les  personnes.  J'estime  que  celui-ci  doit  être  inviolable  au- 
dessus  de  tout  autre.  11  doit  être  interdit  à  qui  que  ce  soit 
de  faire  connaître  dans  le  monde  profane  le  secret  des  au- 
tres. Vous  avez  le  droit  de  vous  faire  connaître  comme 
Mac.  • .  ;  vous  avez  le  droit  de  dire  aux  profane  :  «  Je  suis 
Mac.  • .  pour  tels  motifs  ;  mais  vous  ne  pouvez  pas  disposer 
du  secret  de  vos  FF.  • .  Ceux  qui  entrent  dans  un  temple 
maçonnique  doivent  savoir  que  jamais  personne  ne  le  saura 
sinon  .par  leur  propre  volonté.  » 

En  Êongrie  aussi,  dit  le  F.  • .  Bosanyi,  «  le  secret,  quant 
aux  personnes  et  cpiant  à  l'institution,  ne  peut  faire  de 
doute  pour  personne.  Ce  serment  doit  être  tenu  rigoureu- 
sement. » 

L'Église  et  le  Temple.  27 


418     l'agent   de   la   civilisation    moderne 

le  propre  de  la  Franc-Maçonnerie,  de  sorte  qti'on 
peut  leur  appliquer  ce  que  Notre-Seigneur  disait  aux 
Juifs  :  «  Le  père  dont  vous  êtes  issus  c'est  le  dia- 
ble. »  Vos  mensonges  décèlent  votre  origine.  Vous 
voulez  accomplir  les  désirs  de  votre  père,  et  le 
moyen  qui  vous  sert,  c'est  celui  qu'il  emploie. 

Une  société  qui  existe  depuis  des  siècles  a  dû  et 
doit  se  recruter.  Pour  se  recruter,  il  faut  bien  pré- 
senter à  ceux  que  l'on  sollicite  un  motif  d'adhésion, 
un  but  à  atteindre  par  une  communauté  d'efforts.  Mais 
si  la  fin  que  l'on  se  propose  est  telle  qu'elle  ne 
puisse  être  dévoilée,  il  est  nécessaire  d'en  présenter 
une   autre;    d'où   mensonge   même   à  ses   adhérents. 

Même  nécessité  à  l'égard  du  monde  au  milieu  du- 
quel la  société  secrète  se  trouve,  s'assemble  et  agit. 
De  là,  cette  continuelle  diversité  d'attitudes  et  de 
déclarations  dont  l'histoire  de  la  Franc-Maçonnerie 
est  pleine.  Elle  se  dit  religieuse  à  ses  débuts.  Un  des 
premiers  qui  se  déclarèrent  en  France  franc  s -maçons, 
le  chevalier  de  la  Tierra  écrivait  :  «  Représentez- 
vous  un  homme  craignant  Dieu,  fidèle  à  son  Prince; 
rendant  à  chacun  ce  qui  lui  est  dû,  ne  faisant  à 
autrui  que  ce  qu'il  voudrait  lui  être  fait  à  lui-même  : 
Voilà  le  maçon.  Voilà  ses  rnystères,  voilà  son  se- 
cret... »  Après  s'être  dite  religieuse,  elle  s'est  dite 
tolérante.  Le  premier  article  de  ses  statuts  affirme 
qu'elle  a  pour  principe  la  tolérance,  qu'elle  respecte 
la  foi  religieuse  de  tous  ses  adhérents,  et  elle  ajoute 
qu'elle  ne  s'occupe  pas  de  politique. 

Voici   comment   elle    s'exprime  : 

«  Dans  la  sphère  élevée  où  elle  se  place,  la  Franc- 
Ma,çonnerie  respecte  la  foi  religieuse  et  les  opinions 
politiques  de  chacun  de  ses  membres,  elle  interdit 
formellement  ,à  ses  assemblées  toute  discussion  en 
matière  religieuse  ou  politique  qui  aurait  pour  objet 


CORRUPTION     DES     IDEES  419 

soit  la  controverse  sur  les  différentes  religions,  soit 
la  critique  des  actes  de  l'autorité  civile  et  des  di- 
verses formes  de  gouvernement.  » 

Respect  de  la  foi  religieuse  et  pas  de  politique. 
Toute  discussion  «  en  matière  religieuse  ou  politi- 
que »  est  formellement  interdite.  C'est  absolument 
précis. 

Or  ce  n'est  pas  vrai. 

En  fait,  la  Franc-Maçonnerie  n'est  pas  tolérante. 
Elle  ne  respecte  pas  la  foi  catholique.  Au  contraire, 
elle  la  poursuit  d'une  haine  acharnée.  Les  faits  écla- 
tent aux  yeux  de  tous.  Mais  si  elle  se  montre  au- 
jourd'hui antireligieuse,  elle  l'est  de  façon  différente 
dans  les  pays  protestants  et  dans  les  pays  catho- 
liques  (1). 

De  même  pour  la  politique.  Longtemps,  elle  déclara 
ne  vouloir  s'en  occuper  en  aucune  façon;  mainte- 
nant, elle  reconnaît  qu'elle  s'est  rendue  maîtresse 
du  pouvoir.  Toutes  les  formes  du  pouvoir  ont  été 
successivement  adulées  par  elle  et  combattues  par 
elle  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  arrivée  à  cette  république 
qui,  selon  son  aveu  ou  sa  forfanterie,  n'est  que  la 
Maçonnerie   ^  découvert. 

Si  la  Franc-Maçonnerie  est  menteuse  par  fonction, 

1.  Franc-maçonnerie  et  protestantisme  ont  toujours  fait 
bon  ménage.  En  novembre  1905,  à  Mansion-House,  le  lord- 
maire  de  Londres  a  ouvert  la  Loge  maçonnique  n^  3116, 
dite  du  Guildhall,  qui  a  été  consacrée  par  le  grand  se- 
crétaire, assisté  de  l'archidiacre  Sinclair  et  de  sir  Savary, 
faisant  fonctions  de  chapelains.  Parmi  les  fondateurs  de 
cette  Loge,  créée  à  l'Hôtel  de  Ville  de  Londres,  il  y  a  lo 
lord-maire,  ^M.  Vaughan  Morgan,  et  de  nombreux  alder- 
men.  Parmi  les  francs-maçons  présents,  on  vit  les  évêques 
anglicans  de  New-York  et  de  Barking,  le  doyen  anglican 
de  Capetown  et  des  membres  du  Parlement.  L'archidiacre 
anglican  Sinclair,  dans  le  discours  qu'il  a  prononcé,  re- 
marqua que  la  nouvelle  Loge  devait  être  pour  les  mem- 
bres du  Conseil  de  la  Cité  et  pour  les  hauts  fonctionnaires 
qui  sont  mêlés  à  la  vie  si  comj)lexe  du  Guildhall. 


420         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION    MODERNE 

par  nécessité,  si  elle  ne  peut  faire  autrement  que 
de  mentir  pour  se  maintenir  secrète  au  sens  que 
nous  avons  dit,  il  ne  s'ensuit  point  que  tous  les 
francs-maçons  soient  des  menteurs.  Eux-mêmes  sont 
trompés;  ce  qui  fait  que  lorsqu'ils  disent  les  choses 
les  plus  contraires  à  la  vérité,  au  sujet  de  leur 
société,  ils  sont  le  plus  souvent  sincères  vis-à-vis 
d'eux-mêmes. 

Les  loges  ainsi  recrutées  ne  sont,  comme  le  dit 
Piccolo-Tigre  dans  la  lettre  que  nous  avons  citée, 
qu'  «  un  lieu  de  dépôt,  une  espèce  de-  haras,  un 
centre  par  lequel  il  faut  passer  avant  d'arriver  à 
nous  (membres  des  arrière-loges).  En  lui  apprenant 
à  porter  arme  avec  son  verre,  on  s'empare  de  la  vo- 
lonté, de  l'intelligence  et  de  la  liberté  de  l'homme. 
On  en  dispose,  on  le  tourne,  on  l'étudié.  On  devine 
ses  penchants,  ses  affections  et  ses  tendances;  quand 
il  est  mûr  pour  nous,  on  le  dirige  vers  l'une  ou 
l'autre  des  sociétés  secrètes  dont  la  franc-maçonnerie 
ne  peut  plus  être  que  l'antichambre  assez  mal  éclai- 
rée. » 


CHAPITRE  XXX 
CORRUPTION  DES  IDÉES  (suite) 

II.  —  INITIATIONS 

Lorsque  la  maçonnerie  a  attiré  quelqu'un  dans  son 
sein,  si  elle  commençait  par  lui  dévoiler  ses  doc- 
trines •  et  lui  montrer  distinctement  le  but  qu'elle 
poursuit,  le  plus  souvent  elle  lui  causerait  un  étonne- 
ment  et  même  tin  effroi  tel,  qu'il  chercherai!;  à  s'éva- 
der. Elle  procède  plus  prudemment.  D'abord,  le  nour- 
risson des  loges  se  trouve  là  dans  une  atmosphère 
qu'il  ne  peut  respirer  longtemps  sans  que  son  âme 
n'en  soit  intoxiquée.  «  Les  loges,  dit  Piccolo-Tigre, 
discourent  sans  fin  sur  les  dangers  du  fanatisme, 
sur  le  bonheur  de  l'égalité  sociale  et  sur  les  grands 
principes  de  la  liberté  religieuse.  Elles  ont  entre  deux 
festins  des  anathèmes  foudroyants  contre  l'intolérance 
et  la  persécution.  » 

Les  initiations  font  entrer  les  aspirants  dans  l'esprit 
de  la  maçonnerie  mieux  encore  que  les  discours  qu'ils 
entendent. 

Le  premier  but  de  l'ini.iation  est  de  purifier  l'ap- 
prenti de  toute  mentalité  chrétienne,  s'il  en  a  une. 
Le  compagnon,  ainsi  revenu  à  l'état  de  nature,  sans 
préjugés  religieux  et  sociaux,  sera  capable,  en  de- 
venant maUe,  de  prendre  une  menta'i  é  nouvelle. 


422  l'agent     PE     LA     CIVILISATION     MODERNE 

L'enfant  élevé  dans  la  société  chrétienne  voit,  juge 
et  agit  chrétiennement;  le  maçon  né  à  la  lumière 
du  temple  verra,  jugera  et  agira  maçonniquement. 
Point  n'est  besoin  de  lui  suggérer  ses  actes.  Le 
Maître  Parfait,  en  présence  d'un  jugement  à  porter, 
d'une  décision  à  prendre,  jugera  et  agira  d'instinct, 
suivant  les  préceptes  de  la  Maçonnerie,  pour  le  bien 
de  l'Ordre;  à  la  discipline  chrélienne  aura  été  substi- 
tué l'esclavage  maçonnique. 

Dès  les  premiers  pas  qu'ils  font  dans  l'associa- 
tion, elle  leur  dit  qu'elle  a  un  secret  pour  procurer 
le  bonheur  de  l'humanité  et  le  souverain  bien  de 
ses  membres,  et  qu'ils  ne  peuvent  arriver  à  la  con- 
naissance de  ce  secret  que  par  des  initiations  -succes- 
sives. Ces  initiations  '  se  font  par  des  scènes  sym- 
boliques savamment  graduées.  Dans  une  coiumuni- 
cation  confidentielle  adressée,  le  l^'"  mars  1902,  par 
le  Grand  Collège  des  Rites,  suprême  conseil  du  Grand- 
Orient  de  France,  aux  Conseils  Philosophiques  et 
aux   Chapitres   de  la  Fédération,  il  est  dit  : 

«  Nos  symboles  représentent  avant  tout  des  pro- 
cédés d'éduca'ion  philosophique,  en  même  temps  que 
des  signes  de  ralliement.  Sous  des  formes  matéiielles, 
ils  emblématisent  un  certain  nombre  de  vérités  mo- 
rales acceptées  par  tous  nos  adeptes,  et  qu'il  est 
bon  de  leur  rappeler  incessamment,  en  s'adressant 
tout   à  la   fois    à  leur   bon   sens    et   à  leur   raison... 

»  Les  ateliers  supérieurs  doivent  être,  en  quel- 
que sorte,  comme  les  écoles  normales  de  l'Ordre; 
écoles  qui  doivent  se  consacrer  avant  tout  à  l'étude 
de  la  science  maçonnique.  Leurs  membres  iront  en- 
suite porter  dans  les  loges  ce  qu'ils  auront  appris  là. 
Ils  le  feront  avec  tact  et  prudence  (1).  » 

1.  Cette  circulaire  a  été  publiée,  en  entier^  par  Bidegain 
dans   son  livre,   Le  Grand-Orient  de  France,  pp.  142-152. 


CORRUPTION     DES     IDEES  428 

A  chacune  des  initiations,  les  candidats  sont  très 
attentivement  observés.  Il  en  est  gui  s'arrêtent  aux 
apparences  extérieures,  qui  ne  cherchent  point  à  se 
rendre  compte  de  leur  signification,  à  en  pénétrer 
le  mystère.  Ceux-là  sont  laissés  dans  leur  simplicité 
et  forment  la  première  assise  de  la  société,  à  laquelle 
ils  ne  laissent  pourtant  pas  de  rendre  d'importants 
services. 

Ceux  dont  l'intelligence  pénètre  au  delà  du  voile 
des  symboles,  et  qui  témoignent  que  leur  esprit  s'ou- 
vre aux  idées  maçonniques,  sont  invités  à  monter 
plus  haut. 

«  Les  cérémonies  sont  symboliques  —  disait  le 
F.  -• .  Régnier  dans  une  séance  commune  des  loges, 
tenue  à  Lyon,  le  3  mai  1882,  —  pratiquées  par  des 
maçons  intelligents;  leur  signification  porte  ses 
fruits.  »  Et  dans  le  discours  de  clôture  du  Couvent 
de  1883  du  Grand-Orient  de  France,  le  F.  • .  Blatin 
disait  aussi  :  «  La  franc-maçonnerie,  dans  son  sym- 
bolisme perfectionné  par  une  longue  tradition,  et 
qu'elle  peut  encore  moderniser  à  son  gré  sans  por- 
ter atteinte  à  son  Ordre  même,  possède  la  contre- 
partie salutaire  et  le  contre-poison  du  symbolisme 
religieux.  » 

Ces  symboles  sont  à  la  fois  lumière  et  ténèbres; 
ils  sont  conçus  de  telle  sorte  qu'ils  éclairent  ceux-ci 
et  aveuglent  ceux-là.  M.  Gerbet,  depuis  évêque  de 
Perpignan,  a  publié  en  1832,  dans  le  Mémorial  catho- 
lique, les  papiers  d'un  chef  des  sociétés  secrètes, 
saisis  après  sa  mort,  dit-il,  «  par  un  personnage  haut 
placé.  »  Après  avoir  expliqué  ce  qu'est  la  liberté 
et  l'égalité  au  sens  maçonnique,  il  dit  :  «  Telle  est 
la  force  de  notre  doctrine.  Mais  persuadons-nous  bien 
que  nous  ne  pouvons  jamais  l'exposer  tout  à  coup 
au  grand  jour  ni  en  termes  si  formels  à  tout  aspirant. 


424        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

Un  esprit  délié  pourrait  en  tirer  des  consé(juences 
trop  funestes  aux  intentions  qu'elle  couvre.  Aussi,  à 
peine  lui  avons-nous  fait  entendre  ces  deux  mots 
sacrés  :  Liberté,  Egalité  (1),  (ju'aussitôt  nous  de- 
vons savoir  prévenir  ou  du  moins  arrêter  le  cours 
de  ses  réflexions,  contre  lesquels  nos  emblèmes  et 
nos  hiéroglyphes  nous  offrent  un  remède  certain, 
en  les  employant  sur-le-champ  pour  distraire  à  pro- 
pos l'esprit  de  l'aspirant  par  la  variété  des  sujets 
qfu'on  lui  présente  :  ressource  admirable  et  fruit  de 
la  politique  raffinée  de  notre  célèbre  auteur  (fon- 
dateur), trop  versé  dans  la  connaissance  du  cœur 
humain  pour  ne  nous  avoir  pas  préparé,  avec  toute 
l'adresse  imaginable,  la  coupe  enchantsresse  et  mys- 
térieuse que  nous  devons  présenter  et  faire  passer 
sans  cesse  dans  l'âme  de  chaque  frère,  toujours  en- 
veloppée et  sous  une  forme  inno:ente  qui  e:i  déguise 
le  véritable  sens.  » 

L'auteur  distingue  ensuite  entre  les  esprits  péné- 
trants, les  esprits  remuants  et  les  imbéciles.  «  Nous 
devons,  dit-il,  mettre  chacune  de  ces  classes  au  fait 
de  la  doctrine,  mais  non  la  communiquer  à  cha- 
cun en  même  temps  et  de  la  même  manière.  Aux 
premiers,  le  sens  véritable  ne  tarde  pas  à  se  faire 
connaître.  Les  seconds  ne  doivent  être  amenés  à 
cette  haute  connaissance  que  par  degrés,  par  des 
emblèmes  qu'on  leur  propose  à. deviner.  Des  troi- 
sièmes, on  n'exige  autre  chose  que  de  suivre  aveu- 
glément et  sans  réserue,  tout  en  les  tenant  attachés  par 
la  crainte  de  la  violation  du  serment  sacré.  » 

Ces  règles  de  conduite  sont  religieusement  obser- 
vées. Après  chaque  initiation,  on  donne  à  l'initié 
un    délai    de    quinze    jours    pour    préparer   l'explica- 

1.  Voici  que  reviennent  encore  ces  deux  mots  qui  sont 
bien,  non  le  secret,  mais  l'âme  de  la  Franc-Maçonnerie. 


CORRUPTION     DES     IDEES  425 

tion  qti'il  doit  donner  du  grade  qu'il  a  reçu,  pour 
découvrir  le  sens  de  la  cérémonie  dont  il  a  été  le 
héros.  Quoi  qu'il  en  dise,  on  le  complimente  tou- 
jours, sans  lui  faire  connaître  ce  que  l'on  pense 
de  son  explication.  S'il  n'a  pas  compris,  on  le  laisse 
où  il  est,  à  moins  cependant  qu'il  ne  soit  de  ceux 
sur  lesquels  on  a  fondé  quelque  genre  d'espérances. 
Dans  ce  cas,  on  le  fait  passer  par  de  nouvelles  épreu- 
ves, sous  prétexte  de  ^nouveaux  grades  à  lui  con- 
férer, qui  désépaissiront  peu  à  peu  le  voile  qui  cou- 
vre le  mystère. 

Ces  épreuves  ont  varié  avec  le  temps,  avec  les 
obédiences,  et  aussi  avec  les  .fins  plus  immédiates 
que  se  proposaient  les  chefs.  C'est  ce  que  le  F.  • . 
Blatin  vient   de   faire   entendre. 

A  l'hetire  actuelle,  voici  en  quoi  consiste,  au  mi- 
lieu de  beaucoup   d'autres,   l'épreuve  fondamentale  : 

On  amène  devant  tin  cercueil  le  maçon  à  initier;  on 
fait  plus,    on   le   couche   lui-même   dans   le   cercueil. 

Là,  il  entend  dire  qu'il  est  mort,  qu'il  est  bien 
mort,  qu'il  est  pourri,  que  sa  chair  quitte  ses  os. 
Et  de  peur  qu'il  ne  l'oublie,  on  lui  donne  pour  mot 
de  passe,  qu'il  répétera  sa  vie  entière  chaque  fois 
qu'il  entrera  dans  une  loge,  un  mot  hébreu  qui  si- 
gnifie, à  ce  que  l'on  dit  :  La  chair  quitte  les  os  : 
Mac-JBenac.  Dans  un  autre  rite,  on  lui  donne  le 
mot  Mahabone  ou  Moabon:   fils  de  la  putréfaction. 

Chaque  fois  qu'il  entrera  dans  la  loge,  il  fera 
quelques  pas  d'aspect  bizarre,  qui  sont  le  simula- 
cre d'enjamber  un  cercueil.  Cette  initiation  est  celle 
du  grade  de  maître,  celle  qui  fait  le  vrai  maçon. 

Quand  les  témoins  ont  déclaré  que  le  nouveau 
maître  est  bien  mort,  qu'il  est  bien  en  putréfaction, 
que  sa  chair  quitte  ses  os  dans  le  cercueil  symbo- 


426        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

lique,  le  président  de  la  loge  vient  le  tirer  du  cer- 
ctieil.  On  le  déclare  alors  ressuscité,  l'appareil  fu- 
nèbre de  la  loge  fait  place  à  des  illuminations  joyeu- 
ses, et  on  dit  au  nouveau  maître  qu'il  est,  en  per- 
sonne, le  maître  Hiram  ressuscité.  Cet  Hiram  est 
pour  les  francs-maçons  l'architecte  du  Temple  de 
Salomon.  Ce  symbole  de  la  reconstruction  du  Tem- 
ple de  Salomon  —  dans  son  sens  dernier,  celui 
qu'on  ne  révèle  jamais  publiquement,  annonce  la 
reconstitution  du  peuple  juif  en  nation,  mais  en  na- 
tion devenue  maîtresse  de  l'univers. 

Or,  ce  Temple  de  Salomon  ne  sera  construit,  l'E- 
glise ne  lui  cédera  la  place,  le  Dieu  des  chrétiens 
ne  sera  vaincu  qu'à  une  condition  :  cette  condition, 
c'est  que  le  monde  entier,  et  tout  entier,  descende 
au  cercueil  symbolique  d'Hiram  pour  y  recevoir  une 
vie  nouvelle,  après  la  mort  absolue,  la  dissolution 
définitive  de  ce  que  nous  voyons  être  et  vivre  au- 
jourd'hui. 

Le  sens  social  de  l'initiation  est  donc  la  mise  au 
tombeau  du  monde  chrétien  et  la  résurrection  du 
monde  hébreu.  Et  comme  moyen  d'atteindre  ce  but, 
moyen  unique,  révélé  dans  l'initiation  même  comme 
étant  son  enseignement  le  plus  immédiat,  le  plus 
transparent  :  la  destruction  de  tout  l'ordre  de  cho- 
ses   établi    sur   les    principes    du    christianisrhe. 

Le  sens  personnel  est  que  l'initié  mis  au  cercueil 
y  est  bien  mort  en  tant  que  chrétien,  en  tant  que 
citoyen  du  monde  où  le  Christ  est  connu  et  adoré. 
Pas  un  atome  de  chair  qui  tienne  encore  à  la  vie 
selon  l'ordre  de  Dieu,  du  Dieu  .des  chrétiens,  ne 
reste  en  lui.  Nous  savons  de  Dieu  qu'il  est  la  voie, 
la  vérité  et  la  vie.  C'est  en  ce  sens  que  l'initié 
est  déclaré  avoir  perdu  la  vie,  aussi  réellement  que 
la   vie   animale   a  quitté   un    cadavre   dont   la   chair 


CORRUPTION     DES     IDEES  427 

se  dissout.  Le  nom  hébreu  qu'on  lui  donne  en  le 
relevant,  en  fêtant  sa  résurrection,  révèle  le  monde 
nouveau  dont  il  est  devenu  citoyen,  la  civilisation 
nouvelle  au  triomphe  de  laquelle  il  doit  se  "dévouer. 

Celui  qui  comprend  ces  choses  est  marqué  pour 
les  arrière-loges,  dont  le  nombre,  la  composition, 
et  la  mission  assignée  à  chacune  varient  selon  les 
circonstances,  la  marche  de  la  Révolution,  les  pro- 
grès  accomplis    dans    la   construction   du   Temple. 

Les  arrière-loges  étant  ainsi  composées,  des  émis- 
saires leur  portent  en  temps  opporfun  les  directions 
et  les  ordres  d'un  comité  central  et  supérieur,  en 
même, temps  qu'ils  mettent  en  rap^^orts  constants  tous 
les  Grands-Orients.  Ces  émissaires  sont  presque  tous 
Juifs.  C'est  que  le  peuple  juif  trouve  dans  son  or- 
ganisation nationale  des  facilités  pour  remplir  ce 
rôle  que  personne  d'autre  ne  présente.  Il  a  en  effet 
partout  ce  que  le  Kabal  appelle  des  facteurs,  agents 
du  gouvernement  occulte  des  Israélites  s'interposant 
d'un  bout  du  monde  à  l'autre  pour  les  ventes  et 
les  achats,  pour  les  procès  de  leurs  coreligionnaires, 
agissant  près  des  administrations  pour  tout  ce  qui 
est  de  l'intérêt  de  la  race,  secondant  ou  paraly- 
sant les  projets  des  gouvernements,  etc.  Ils  sont 
admirablement  propres  à  être  les  commis-voyageurs 
de  la  Franc-Maçonnerie  et  de  la  Révolution.  Les 
papiers  de  la  Haute-Vente  nous  montrent  Piccolo- 
Tigre  à  Paris,  à  Londres,  à  Vienne,  à  Berlin;  ici  il 
paraît  gentilhomme,  là  banquier,  ailleurs  négociant, 
courtier  et  même  petit  marchand  ambulant;  partout 
commis-voyageur  en  placement  dô  haine  contre  Celui 
que  ses   ancêtres   crucifièrent. 

Bakoumine  fait  ce  portrait  du  maçon  véritablement 
initié,   admis   dans   les   sociétés   plus   secrètes  :   «  Le 


428       l'agent  de  la  civilisation  moderne 

révolutionnaire  est  "un  homme  consacré.  Il  n'a  pas 
d'intérêts  personnels,  pas  de  sentiments,  pas  d'affai- 
res, pas  de  préférence,  pas  de  biens,  pas  même 
de  nom.  Tout  en  lui  est  absorbé  par  un  intérêt 
unique  et  exclusif,  par  une  pensée  unique,  par  une 
passion  unique  :  la  Révolution.  Non  seulement  par 
ses  paroles,  non  seulement  par  ses  actes,  mais  encore 
dans  le  fond  même  de  son  être,  il  a  rompu  à  jamais 
avec  l'ordre  public,  avec  le  monde  civilisé  tout  en- 
tier. Froid  envers  soi-même,  il  doit  l'être  aussi  envers 
autrui.  Tous  les  sentiments  d'affection,  d'amour,  de 
gratitude  doivent  être  étouffés  dans  son  âme  par 
la  passion  unique  et  calme  de  l'œuvre  révolutionnaire. 
Nuit  et  jour,  il  doit  avoir  une  pensée  unique,  poursuivre 
un  seul  but  :  la  destruction  implacable.  Et  accomplissant 
cette  œuvre  froidement  et  sans  relâche,  il  doit  être  prêt 
à  périr  et  à  égorger  de  ses  propres  mains  quiconque  fat 
obstacle  à  ses  desseins.  » 


CHAPITRE  XXXI 
CORRUPTION  DES  IDÉES   (suite) 

III.  —  LA  MACHINE  A  CORROIVIPRE 

Les  créatetirs  de  la  Franc-Maçonnerie,  voulant  fon- 
der une  société  dont  le  but  devait  rester  ignoré, 
bien  qu'elle  se  manifestât  elle-même,  devaient  consti- 
tuer en  elle  un  organisme  dissimulateur  du  but  qu'ils 
voulaient  atteindre,  et  dissimulateur  à  ce  point  que 
la  mise  en  mouvement  de  cet  organisme  produisît, 
pour  ainsi  dire,  automatiquement,  des  apparences  con- 
traires aux  réalités,  c'est-à-dire  des  mensonges.  S'ils 
n'avaient  pas  réussi  à  faire  cela,  la  Franc-Maçon- 
nerie n'aiurait  pu  atteindre  la  fin  qu'elle  s'était  pro- 
posée, elle  n'eût  pas  vécu. 

Cet  organisme,  construit  tout  exprès  pour  créer 
l'illusion  et,  grâce  à  cette  illusion,  produire  l'effet 
voulu,  M.  Copin-Albancelli,  esprit  observateur,  qui 
sait  voir  et  qui  pénètre  jusqu'à  l'inlérieur  des  choses 
qui  se  présentent  à  ses  yeux,  en  a  percé  le  mystère. 
Il  a  démonté  le  mécanisme  et  il  en  expose  toutes  les 
pièces   sous   nos   yeux! 

Il  a  trouvé  tout  d'abord  que  la  Franc-Maçonnerie 
a  une  double  organisation,  l'une  visible,  l'autre  oc- 
culte,  celle-là   servant   à  dissimuler   celle-ci.   L'orga- 


430       l'agent  de  la  civilisation  moderne 

nisation  visible  divise  la  Franc-Maçonnerie  (univer- 
selle en  grands  gro^upements  qui  s'appellent  ici  fédé- 
rations, là,  Grandes  Loges  ou  Souverains  Conseils. 
Le  groupement  le  plus  important  et  le  plus  connu 
qu'il  y  ait  en  France  est  le  Grand-Orient  de  France. 
Ce  sont  des  entités  administratives,  indépendantes. 
Ces  grands  groupements  se  subdivisent  en  groupe- 
ments infiniment  plus  petits,  qu'on  appelle  ateliers  ou 
loges.  Une  loge  est  dirigée  par  ses  officiers,  c'est- 
à-dire  par  le  Vénérable,  le  Premier  et  le  Second 
Surveillant,  l'Orateur  et  le  Secré'.aire.  On  les  appelle 
les  Cinq  Lumières.  Ces  officiers  sont  élus  par  les 
membres  de  la  loge,  chaque  année,  au  mois  de  dé- 
cembre, et  pour  un  an  seulement.  Ils  sont  toujours 
rééligibles.  Notons  en  passant  qu'ils  n'ont  d'autorité 
comme  officiers  que  dans  leur  loge.  Partout  ailleurs, 
ils  sont  obligés  d'obéir  aux  officiers  des  ateliers 
dans  lesquels  ils  pénètrent  au  simple  titre  de  visi- 
teurs, tout  comme  la  foule  des  autres  maçons. 

Le  Grand-Orient  de  France  compte  actuellement 
un  peu  plus  de  vingt  mille  adhérents,  répartis  entre 
quatre  cents  ateliers  environ  de  cinquante  membres 
en  moyenne. 

C'est  aussi  par  l'élection  qu'est  constituée  l'au- 
torité administrative  de  la  fédération  entière.  Tous 
les  ans,  au  mois  de  décembre,  chaque  atelier  nomme 
un  délégué  au  convent  qui  se  réunira  à  Paris  au 
mois  de  septembre  suivant.  Le  convent  nomme  un 
conseil  de  trente-trois  membres  qui  est  pour  ainsi 
dire  le  .comité  exécutif  de  la  fédération  du  Grand- 
Orient.  De  plus,  il  examine  les  questions  qui  sont 
de  l'intérêt  général  de  la  fédération.  Parfois,  il  entre 
en  rapports  avec  les  fédérations  ou  puissances  maçon- 
niques étrangères.  Enfin,  il  s'occupe,  et  avec  plus 
d'ardeur  qu'à  tout  le  reste,  des  questions  actuelles 
d'ordre  politique  et  religieux. 


CORRUPTION     DES     IDÉES  481 

Le  Grand-Orient  est  administré  par  un  Conseil  de 
l'ordre.  Ce  Conseil  de  l'Ordre  est  la  plus  haute 
autorité  administrative  de  la  Franc-Maçonnerie  fran- 
çaise, dans  laquelle  il  n'existe  plus  de  Grand  Maître. 

Telle  est  l'organisation  de  la  Maçonnerie,  comme 
elle  se  présente  à  la  masse  de  ses  adhérents  et  au 
public. 

Mais  il  y  a  chez  elle  un  autre  organisme  moins 
connu^  celui  des  grades.  Lorsqu'un  profane  est  sou- 
mis à  l'initiation,  il  reçoit,  en  même  temps  que  la 
lumière,  le  grade  d'apprenti.  Après  quelques  mois, 
il  peut,  s'il  est  exact  aux  réunions,  être  admis  au 
grade  de  compagnon;  puis,  après  un  autre  délai  éga- 
lement assez  court,  à  celui  de  maître.  Mais  ce  n'est 
pas  par  l'élection  qu'il  est  nommé  à  ces  différents 
grades.  Ce  n'est  plus  d'en  bas,  comme  dans  la  hié- 
rarchie administrative,  qu'il  reçoit  la  poussée;  il  est  at- 
tiré d'en  haut.  Ce  sont  ses  supérieurs  en  grade  qui 
l'appellent  à  eux,  s'ils  le  jugent  digne. 

Il  faut  ici  faire  cette  remarque  importante  que 
le  grade  confère  à  celui  qui  le  reçoit  des  prérogatives 
toujours  existantes,  dans  quelque  lieu  maçonnique 
qu'il  se  trouve.  Je  veux  dire  que,  tandis  qu'un  Orateur, 
un  Premier  Surveillant  ou  un  Vénérable  n*exercent 
les  fonctions  d'Orateur,  de  Premier'  Surveillant  ou 
de  Vénérable  que  dans  leur  loge,  un  compagnon 
a  le  grade  de  compagnon  partout;  un  Maître  jouit 
également  partout  des  prérogatives  de  la  Maîtrise 
qu'il  a  reçue. 

Presque  tous  les  francs-maçons  arrivent  au  grade 
de  Maître  et  y  arrivent  rapidement.  Le  franc-maçon 
Maître   est   reconnu   franc-maçon   parfait. 

Au-dessus  de  la  maîtrise,  il  y  a  les  hauts-grades, 


432       l'agent  de  la  civilisation  moderne 

dont  un  cei-tain  nombre  de  Maîtres  ne  connaissent 
même    pas    l'existence. 

Comment  y  arrive-ton?  Toujours  par  sélection. 

Les  Haut-gradés  ont  à  eux  des  ateliers  autres  que 
les  loges,  et  portant  le  nom  de  chapitres,  conseils,- 
aéropages.  Mais  ils  n'en  continuent  pas  moins  à 
fréq;uenter  les  loges.  Ils  y  sont  même  particulière- 
ment obligés  par  les  règlements.  Lorsqu'ils  y  rencon- 
trent tin  Maître  qiii  leur  paraît  offrir  les  conditions 
requises,  et  qui  a  les  trois  ans  de  grade  nécessaires, 
ils  l'interrogent  pnidemment  et,  s'ils  croient  pouvcir 
compter  sur  son  acceptation,  ils  lui  proposent  de  lui 
servir  de  parrain  dans  un  atelier  supérieur,  dont 
les  membres  auront  d'ailleurs  à  voter  sur  son  ad- 
mission. C'est  ainsi  que  le  principe  de  sélection  exerce 
en  Franc-Maçonnerie  tin  rôle  considérable  sans  que 
s'en  doutent  les  maçons  de  grade  inférieur  qui  sont 
constamment  observés,  mais  à  leur  insu.  C'est  ainsi 
que  le  principe  d'élection  n'est  qu'une  apparence  men- 
songère. En  réalité,  c'est  bien  sur  le  principe  de 
sélection  qu'est  constituée  la  véritable  et  secrète  au- 
torité maçonnique. 

Les  grades  d'apprenti,  de  compagnon  et  de  maître 
forment  la  base  de  la  Maçonnerie.  Sur  cette  base 
s'élèvent  donc  nombre  de  degrés.  Ils  ont  été  trente- 
trois  au  Grand-Orient;  huit  seulement  sont  actuelle- 
ment en  usage.  Les  plus  connus  sont  le  Rose-Croix  (18« 
degré),  le  Kadosch   (30®  degré). 

On  peut  donc  se  représenter  la  Franc-Maçonnerie 
sous  la  forme  d'une  pyramide  dont  les  différentes 
assises  vont  en  se  rétrécissant  de  la  base  au  sommet, 
car  plus  les  grades  sont  élevés,  plus  est  restreint 
le  nombre  de  ceux  qui  en  sont  pourvus. 


CORRUPTION     DES     IDÉES  433 

La  société  des  apprentis,  qui  est  au-dessous  de 
toutes  les  autres,  est  non  seulement  dominée,  mais 
pénétrée  par  toutes.  Les  grades  supérieurs  peuvent 
s'introduire  chez  eux  comme  il  leur  plaît,  et  même 
les  apprentis  ne  peuvent  se  réunir  qu'en  la  compa- 
gnie d'un  maître  qui  les  surveille,  les  inspire,  leur 
apporte  les  suggestions  que  lui-même  a  reçues  de 
plus  haut. 

Au  second  éta^e  se  trouvent  les  compagnons.  A 
leur  initiation  à  ce  grade,  on  leur  a  fait  prononcer 
de  nouveaux  serments,  on  les  a  menacés  de  la  malé- 
diction des  maîtres  s'ils  révèlent  n.on  seulement  aux 
profanes,  mais  aux  apprentis,  ce  qui  est  particulier 
au  grade  de  compagnon.  Ce  grade  constitue  donc  iine 
société  secrète  superposée  à  la  première. 

Arrivé  au  second  étage,  le  compagnon  continue 
à  être  ohservé  par  les  maîtres  et  les  haut  gradés 
sans  qu'il  puisse  s'en  douter,  et,  lorsqu'il  en  est 
jugé  digne,  il  est  appelé  à  devenir  maître. 

Apprentis,  compagnons,  maîtres  consti!uent  la  ma- 
çonnerie inférieure,  appelée  maçonnerie  bleue  qui  se 
réunit   dans   les   Loges. 

Au-dessus  de  ces  Loges,  les  ateliers  supérieurs, 
forment  une  maçonnerie  superposée,  également  à  di- 
vers étages,  plus  ou  moins  nombreux  selon  les  rites, 
les  temps  et  les  nécessités  du  moment. 

Le  livre  si  curieux  du  Philalèthe  (pseudonyme  d'An- 
derson)  the  Long  livers,  dédié  en  1720  aux  grand 
^naître,  maîtres  et  gardiens  et  frères  des  Loges  de 
Londres,  indique  fort  bien  dans  sa  préface  que  déjà 
il  existait  au-dessus  des  trois  grades  traditionnels 
(Apprenti,  Compagnon  et  Maître)  emp  tintés  aux  free- 

L'Église  et  le  Temple.  28 


434        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

masons,  une  illumination  et  une  hiérarchiz  dont  il 
ne  révèle  'pas  la  nature  (1). 

Quels  avantages  l'autorité  supérieure  retire-t-elle 
de   cette    organisation?   Le   voici. 

Un 'maçon  du  premier  degré,  un  apprenti,  a  le  droit 
de  savoir  tout  ce  que  savent  tous  les  autres  apprentis. 
Il  peut  aller  dans  tous  les  autres  ateliers  où  on  tra- 
vaille au  grade  d'apprenti,  mais  non  dans  aucun  des 
ateliers  où  on  travaille  d'un  grade  supérieur  au  sien. 

De  même  d'un  maçon  du  second  degré  ou  compa- 
gnon, de  même  encore,  du  maçon  arrivé  au  grade 
de  maître,  3^  degré.  Il  sait  tout  ce  qui  se.  passe  dans 


1.  La  Franc-Maçonnerie  n'est  pas  seulement,  par  sa 
constitution  même,  un  organisme  dissimilateur  de  ce  qu'elle 
est,  de  ce  qu'edle  fait,  de  ce  qu'elle  poarsuit;  elle  a,  de 
plus,  construit  une  immense  machine,  montée  pour  proje- 
ter constamment  à  travers  le  monde  entier  toutes  sortes 
de   mensonges. 

_  Cette  machine,  c'est  l'ensemble  des  grandes  Agences 
juives  et  des  journaux  d'informations  qui  portent  partout 
les   échos   des   nouvelles    qu'elle   leur  dicte. 

Toujours  la  première  annonce  des  faits  arrive  aux  lec- 
teurs du  monde  entier  présentés  de  façon  à  les  prévenir, 
à  former  en  eux  des  préjugés  contre  le  vrai,  contre  le 
juste  et  le  légitime,  contre  le  bien.  C'est  dans  les  ghettos 
et  dans  les  arrière-loges  que  cette  manipulation  est  faite, 
et  la  nouvelle  ainsi  travestie  s'impose  même  aux  journaux 
à  pavillon   catholique,    grâce   au   monopole   de   la  juiverie. 

Il  en  va  des  réputations  comme  des  nouvelles.  Par  la 
presse,  la  Franc-Maçonnerie  porte  au  pinacle  les  hommes 
les  moins  dignes  d'estime  en  tout  ordre  de  choses.  Léon 
Gambetta  est  un  des  plus  illustres  exemples  de  la  réputa- 
tion mondiale  que  la  secte  parvient  à  donner  aux  siens. 
Son  nom  est  inscrit  dans  les  rues,  sur  les  places  de  toutes 
nos  villes,  si  petites  qu'elles  soient;  son  effigie  est  par- 
tout. Pour  le  plus  grand  nombre,  il  est  grand  patriote,  grand 
politique,  grand  orateur,  sauveur  de  la  patrie,  père  de 
la  démocratie.  Inutile  de  dire  ce  qu'il  fut  en  réalité,  les 
lecteurs  de  ces  pages  sont  assez  instruits  de  l'histoire  con- 
temporaine pour  ne  point  l'ignorer. 


CORRUPTION     DES     IDEES  435 

les  ateliers  où  on  travaille  au  grade  d'apprenti,  et  dans 
ceux  où  on  travaille  au  grade  de  compagnon,  pais- 
qu'avant  d'être  maître,  il  a  fallu  nécessairement  qu'il 
commence  par  être  apprenti  d'abord  et  compagnon 
ensuite.  Il  a  le  droit  d'aller  dans  tous  les  ateliers 
où  on  travaille  aux  grades  d'apprenti  et  de  compa- 
gnon. Il  a  même  le  devoir  âJaller  dans  le  'plus  grand 
nombre  possible,  afin  d'entraîner  les  apprentis  et  les 
compagnons  dans  la  voie  où  il  est  en  avance  sur  eux 
d'un  ou  de  deux  degrés.  Mais  il  ne  sait  absolument  rien 
de  ce  qui  se  dit  et  se  fait  dans  aucun  des  ateliers  où  on 
travaille  à  un  grade  supérieur  au  sien. 

Le  devoir  imposé  aux  grades  supéri^rs  de  fré- 
quenter les  ateliers  où  on  travaille  aux  grades  infé- 
rieurs, pour  y  porter  les  inspirations  qu'ils  reçoi- 
vent eux-mêmes,  est  considéré  comme  essentiel,  in- 
dispensable à  la  transmission  des  dites  inspirations. 

Chaque  maçon  ignore  donc  absolument  tout  ce 
qui  se  dit  et  se  fait  dans  les  a'eliers  supérieurs  à 
ceux  de  son  grade,  car  l'entrée  d3  ces  ateliers  lui 
est  rigoureusement  interdite.  De  sorte  que,  de  même 
que  son  grade  est  une  société  véritablement  secrète 
pour  les  gradés  inférieurs,  les  grades  supérieurs  au 
sien  constituent  des  sociétés  véritablement  secrètes 
pour  lui. 

On  comprend  comment  ceux  qui  composent  le 
groupe  supérieur,  quel  qu'il  soit,  et  quels  qu'ils  soient 
eux-mêmes,  peuvent  faire  circuler  leurs  volontés  dans 
toute  la  pyramide  des  ateliers  maçonniques.  Lors- 
qu'ils ont  élaboré  ensemble  un  projet,  lorsqu'ils  ont 
pris  une  résolution,  s'ils  constatent  que  tel  état  d'es- 
prit régnant  dans  la  nation  et  se  faisant  sentir  dans 
la  Maçonnerie  s'opposerait  à  la  réalisation  de  leur 
projet,  ils  décident  qu'ils  vont  s'attaquer  à  cet  état 


436     l'agent    de   la   civilisation    moderne 

d'esprit  dans  les  groupes  qui  sont  au-dessous  d'eux, 
et  ils  le  font  avec  toutes  les  chances  de  réussite, 
parce  que  leur  groupe  étant  ignoré,  leur  entente 
l'est  aussi. 

On  comprend  aussi  que  les  documents  qui  éma- 
nent des  groupements  supérieurs,  tels  que  ceux  sai- 
sis à  Munich  et  à  Rome,  si  peu  nombreux  qu'ils 
soient,  doivent  nous  être  d'une  incontestable  utilité 
pour  l'étude  profonde  de  la  Maçonnerie,  pour  la 
connaissance  de  la  voie  dans  laquelle  elle  est  pous- 
sée et  de  la  méthode  qu'elle  emploie. 

0.1  co.nprenl  enfin  que  celui  ou  ceux  qai  se  trou- 
vent au  sommet  de  la  pyramide,  la  tiennent  tout 
entière.  Par  eux  et  vers  eux  se  fait  l'ascension; 
d'eux   descendent   les   influences   et   les   suggestions. 

Il  faut  ajouter  que  la  Maçonnerie  dite  des  hauts 
grades  a  elle-même  au-dessous  d'elle,  une  Maçonne- 
rie supérieure  internationale;  de  sorte  qu'elle  n'est 
elle-même,  en  dépit  de  son  titre,  qu'une  Maçonnerie 
subalterne.  Elle  sert  de  canal  de  transmission  aux 
Loges  des  volontés  supérieures  et  d'organisme  de 
triage  agissant  sur  les  membres  assemblés  dans  les 
Loges;  mais  au  point  de  vue  de  l'ensemble  de  la  secte 
qui  couvre  le  monde  de  ses  filets,  elle  est  un  li-eu  de 
dépôt  par  lequel  il  faut  passer  «  avant  d'arriver  à 
lun  autre  monde  secret  »  dont  elle  n'est  que  «  l'anti- 
chambre assez  mal  éclairée  ».  Ce  sont  les  expressions 
de  Piccolo-Tigre  (1). 


1.  M.  Copin-Albanceili  a  dit  comment  il  fut  amené  à 
connaître   l'existence   des  loges   ténébreuses. 

«  J'avais  remarqué,  dit-il,  l'influence  extraordinaire  de 
certains  membres  des  loges  où  je  fréquentais. 

Ce  fut  un  de  ces  personnages  qui  me  fit  signe  un  beau 
jour. 

—  Voulez-vous,  me  dit-il,  venir  chez  moi,  j'ai  à  vous 
parler?  '  '       '>^^ 


CORRUPTION     DES     IDEES  437 

Car,  il  est  nécessaire  de  le  savoir,  la  Franc-Ma- 
çonnerie française  n'est  pas  seule  constituée  sur  le 
type  que  nous  venons  de  décrire  trop  brièvement. 
Dans  tous  les  pays  se  trouve  une  organisation  sem- 
blable et  au-dessus  de  toutes  ces  organisations  natio- 
nales,  doit   se   trouver,    se   trouve   une    organisation 


Et  il  me  fixa  un  rendez-vous.  J'acceptai  et  je  m'y  ren- 
dis. 

L'entrevue  prit  tout  d'abord  une  tournure  que  je  n'avais 
pas  prévue. 

—  Donnez-mci,  dit  mon  interlocuteur,  votre  parole  d'hon- 
neur d'homme,  que  rien  de  ce  qui  vous  sera  confié  ici  ne 
transpirera  au  dehors. 

Je  donnai  ma  parole  d'honneur.  Si  je  parais  la  violer, 
aujourd'hui,  c'est  qu'au  fond  de  ma  conscience  j'ai  décidé 
une  fois  pour  toutes  que  l'intérêt  supérieur  de  mon  pays 
passait  avant  ces   paroles   d'honneur-là. 

—  Que  pensez-vous  de  la  franc-maçonnerie?  me  demanda 
brusquement  mon  interlocuteur. 

—  C'est,  dis-je,  une  bien  grosse  question  pour  qu'on  y 
réponde  aussi  vite. 

—  Eh  bien!  alors,  me  dit-on,  avec  un  sourire,  que  pen- 
sez-vous de  son  œuvre? 

Et  sans  me  laisser  le  temps  de  répondre,  mon  interlocuteur 
continua. 

—  La  franc-maçonnerie,  vous  l'avez  jugée,  n'est,  à  part 
quelques  exceptions,  quelques  rares  exceptions,  qu'un  ra- 
massis d'imbéciles,  de  marchands  de  vins  et  de  «  sous-mar- 
chands de  vins  »,  au  nombre  d'environ  25.000.  Car  nous 
ne  dépassons  pas  ce  chiffre.  Vous  le  savez  fort  bien.  Et 
pourtant,  ces  25.000  médiocrités,  ces  25.000  imbécillités 
tiennent  la  France.  Voilà  leur  oeuvre.  Vous  la  connaissez 
également.  —  Comment  elle  s'est  faite?  C'est  bien  sim- 
ple. Elle  résulte  du  simple  faU  de  son  organisation  et  de 
la  désorganisation  de  nos  adversaires.  Nous  sommes  orga- 
nisés, ils  ne  le  sont  pas.  Nous  savons  où  nous  allons,  ils 
l'ignorent.  Nous  sommes  secrets,  caches,  invisibles,  ils 
sont  visibles  et  sujets  à  tous  les  coups.  En  dépit  de  nos 
mauvais  éléments,  notre  merveilleuse  discipline  nous  a 
fait  ce  que  nous  sommes,  les  maîtres  de  ce  pays,  et  nous 
allons,  nous  allons,  nous  allons  toujours  droit  devant 
nous,  à  la  conquête  de  toutes  les  institutions,  de  toutes  les 
administrations,  de  tous  les  pouvoirs,  sans  que  rien  ne  nous 


438     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

internationale  à  la  tête  de  laquelle  se  tient  oe  qtie 
l'on  .a  justement  appelé  le  Pouvoir  occulte  qui 
dirige  l'action  du  tout  vers  le  but  voulu. 

Au-dessous  de  ce  Pouvoir,  il  existe  donc  trois 
Francs-Maçonneries   superposées. 

En  bas,  la  Franc-Maçonnerie  bleue,  nettement  vi- 
sible, dont  l'existence  est  connue  des  profanes  depuis 
longtemps.  Cette  Maçonnerie  inférieure  n*a  pour  ainsi 
dire  pas  accès  dans  le  Temple  d'Hiram,  elle  est 
maintenue  dans   les  parvis   qu'on  lui  donne  comme 


arrête,  pour  cette  raison  bien  simple,  c'est  que  devant  nous 
il  n'y  a  rien... 

»  Eh  bien  !  s'écria  tout  à  coup  mon  interlocuteur,  main- 
tenant que  je  vous  ai  dépeint  la  franc-maçonnerie,  laissez- 
moi  _  imaginer  un  autre  mode  d'association  secrète.  Elle 
serait  d'abord  très  restreinte.  Elle  comprendrait,  par  exem- 
ple, mille  adeptes  au  maximum.  Chacun  des  membres  aurait 
été  éprouvé,  sous  tous  les  rapports  :  intelligence,  énergie, 
habileté,  souplesse,  ténacité,  etc.,  et  cela,  non  seulement 
pendant  des  jours,  ni  pendant  des  mois,  mais  pendant  des 
années  —  de  longues,  de  patientes  années.  Ce  n'est  pas 
tout  :  à  cet  individu,  mis  pour  ainsi  dire  en  observation 
sous  l'œil  de  l'Occulte,  la  puissance  secrète  qui  l'environne 
aurait  créé  sans  qu'il  le  sût  des  difficultés  de  toute  espèce, 
uniquement  pour  vérifier  et  en  quelque  sorte  pour  expé- 
rimenter scientifiquement  sa  valeur.  —  Dites-moi  donc  ce 
que  pourrait  faire  une  pareille  association  d'hommes  choisis 
dans  de  telles  conditions? 

—  Elle  serait,  m'écriais-je  transporté,  la  maîtresse  du 
monde. 

—  Eh  bien!  reprit  mon  interlocuteur,  je  suis  chargé  de 
vous  apprendre  que  cette  association  existe  et  de  vous  an- 
noncer  que   vous   en   faites   désormais   partie... 

«  Je  ne  vous  dirai  pas,  poursuivit  M.  Copin-Albancelli, 
quelle  fut  la  stupeur  et  même  l'effroi  de  mon  interlocuteur 
quand,  à  ces  mots,  je  me  levai  et  lui  déclarai  tout  net 
que  je  refusais,  en  m'appuyant  sur  les  raisons  qui  me 
déterminaient  à  quitter  la  franc-maçonnerie  elle-même,  com- 
me d'ailleurs  toute  association  secrète,  poursuivant,  par 
des  moyens  plus  ou  moins  puissants,  des  fins  sembla- 
bles. » 


CORRUPTION     DES     IDEES  439 

étant  le  Temple.  Le  Pouvoir  occulte  s'en  sert  pour 
opérer  un  triage  qui  a  pour  objet  de  mettre  à  part 
les  sujets  hypnotisables,  susceptibles  de  devenir  les 
sectaires  dont  le  Pouvoir  occulte  a  besoin  pour 
arriver  à  ses  fins.  CeUx-ci  forment  la  seconde  Ma- 
çonnerie qui  a  à  poursuivre  un  but  partiel  dont  la 
réalisation  préalable  est  indis;: ensable  au  but  gêné: al 
que  le  Pouvoir  occulte  seul  connaît.  Ces  buts  par- 
tiels ne  sont  pas  les  mêmes  dans  tous  les  pays, 
parce  que  le  Pouvoir  occulte  n'y  dispose  pas  des 
mêmes  moyens,  ou  parce  qu'il  n'a  pas  à  y  renverser  les 
mêmes   obstacles. 

Au-dessus  de  ces  deux  Maçonneries  logées  dans  le 
Temple,  il  en  est  une  troisème  cachée  aux  deux 
autres  et  qui  se  terre  dans  les  cryptes  du  Temple. 
Elle  est  chargée  des  actions  d'ensemble  qui  s'éten- 
dent à  divers  pays  ou  à  tout  l'univers  (1). 


1.  Cette  constitution  de  la  Franc-Maçonnerie  a  servi  de 
type  à  l'organisation  d'autres  sociétés  secrètes  créées  sans 
doute  par  des  Francs-Maçons.  Comme  indice,  voici  la  ques- 
tion que  M.  Paul  Laf argue,  gendre  de  Karl  Marx,  'posait  en 
février    1908  : 

«  Que  feriez-vous  si  vous  veniez  à  découvrir  dans  la 
Confédération  générale  du  travail  une  Société  secrète,  igno- 
rée des  Syndicats  et  composée  de  quelques  syndiqués  et 
de  bourgeois,  qui  intriguerait  pour  faire  marcher  les  Syn- 
dicats et  la  Confédération  aux  ordres  d'un  Comité  secret, 
résidant  à  l'étranger,  dont  les  affiliés,  lors  de  la  tenue 
des  Congrès  syndicaux  et  des  séances  du  Comité  confé- 
déral se  réuniraient  secrètement  pour  prendro  les  décisions 
qu'on  doit  leur  faire  voter? 

Et  voici  la  réponse   du  même   Paul  Lafargue  : 

«  L'Alliance  des  Frères  Internationaux,  Société  secrète 
composée  de  quelq;ues  internationaux  et  de  bourgeois,  et 
fondée  par  Bakounine  pour  faire,  non  la  lutte  de  classes, 
mais  «  l'égalisation  des  classes  »  qui  avait  des  Comités 
secrets  en  Italie,  Espagne  et  Belgique,  était  organisée  dans 
l'Internationale  pour  la  diriger  d'après  les  instructions 
du  Comité  directeur  de  Suisse,  où  trônait  Bakounine.  Les 
alliancistes  arrêtaient  en  secret  les  résolutions  qu'on  devait 


440         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

Celle-ci  connaît-elle  le  véritable  but  dont  le  Pou- 
voir occulte  poursuit  la  réalisation?  Connaît-elle  même 
ce  Pouvoir  et  quels  en  sont  les  membres?  On  peut 
dire  :  Non,  quant  aux  membres;  mais  quant  à  son 
existence,  elle  peut,  comme  nous,  l'induirei  des  faits 
produits  depuis  un  siècle  et  particulièrement  en  ces 
dernières  années. 

Comment  le  Pouvoir  occulte  est-il  construit?  D'après 
la  logique  générale  du  système,  ce  ne  saurait  être 
un  homme.  C'est  un  groupe  d'hommes.  Ainsi  seulement 
peut  être  assurée  la  perpétuité  de  l'œuvre.  Qui  peut 
arriver  à  faire  partie  de  ce  groupe  chef?  Celui-là 
seul  qui,  après  les  sélections  multipliées  dont  il  a  é  é 
l'objet,  présente  toutes  garanties  qu'il  sera,  envers 
et  contre  tout,  fidèle  à  l'idée  qui  est  l'àme  de  cette 
extraordinaire  création.  Cela  ne  suffit  point.  Il  faut 
encore  qu'il  soit  dans  une  condition  spéciale,  et  cette 
condition  spéciale  est,  comme  nous  le  verrons,  d'être 
de  race  juive. 

Pouvoir  occulte.  Plusieurs  fois  ce  mot  est  revenu 
sous  notre  plume.  Existe-t-il  vraiment  au  faîte  de 
la  maçonnerie  Un  pouvoir  qui  se  dérobe  à  tous  les 
yeux  ? 

M.  Copin-Albancelli  a  supérieurement  trailé  cette 
question  dans   son  journal  et  dans  ses  livres. 

Lorsque,  dit-il,  il  s'agit  de  percer  le  mystère  dont 
les  fondateurs  de  la  maçonnerie  se  sont  enveloppés, 
une  seule  méthode  est  possible,  une  seule  est  scien- 
tifique, parce  qii'elle  est  adéquate  à  l'objet  de  l'étude 


prendre  aux  Congrès  et  aux  Conseils  de  l'Internationale.  » 
C'est  au  cours  d'une  polémique  avec  Emile  Pouget,  ré- 
dacteur en  chef  de  la  Voix  du  Peuple,  que  Lafargue  fit 
ces_  révélations.  La  lettre  a  été  publiée  par  M,  Pouget, 
mais  après  en  avoir  retranché  toute  la  partie  qui  visait 
les  Frères  internationaux. 


CORRUPTION     DES     IDEES  441 

qti'on  poursuit  :  c'est  le  raisonnement.  Ce  raisonne- 
ment doit  être  établi  sur  l'induction  et  la  déduction; 
cette  induction  et  cette  déduction  devant  elles-mêmes 
reposer  sur  des  faits  positifs  et  hors  de  contestation. 
Une  autre  voie  serait  de  chercher  des  documents. 
Mais  s'il  s'en  produisait,  on  pourrait  dire  avec  assu- 
rance gue,  dissimulation  par  essence,  la  secte  les 
aurait  fabriqués  tout  exprès  pour  tromper  le  public 

et    dérouter    les    chercheurs. 

é 

Raisonnons  donc. 

Il  y  a  un  grand  fait  qui  domine  toute  la  question, 
c'est  l'existence  même  de  la  Franc-Maçonnerie.  Eli© 
existe  depuis  des  siècles.  Quelqu'un  l'a  créée. 
Etant  donné  qu'elle  est  non  seulement  séculaire,  mais 
internationale,  ce  quelqu'un  dispose  de  moyens  d'ac- 
tion puissants  et  universels.  Depuis  deux  siècles  au 
moins  qu'elle  fonctionne  au  milieu  de  nous,  on  ne 
sait  encore  ni  comment,  ni  pourquoi,  ni  pour  le 
compte  de  qui.  On  le  cherche,  on  le  soupçonne,  mais 
c'est  malgré  elle  et  malgré  les  efforts  qu'elle  fait 
pour  se  maintenir  dans  le  mystère,  qu'on  arrive  à 
en  savoir  quelque  chose.  Si  cette  secte  existe,  elle 
a  une  raison  d'être.  Son  fondateur  avait  un  but,  sans 
cela  il  ne  se  fût  point  mis  en  peine  de  créer  un  orga- 
nisme si  vaste,  si  compliqué.  Mais  ce  qu'il  faut 
considérer  surtout,  c'est  qu'il  est  fait  pour  dérouter 
ses  associés  eux-mêmes  et  les  aveugler  tout  en  les 
faisant  servir  à  l'accomplissement  de  ses  desseins. 
La  maçonnerie,  en  effet,  nous  l'avons  vu,  par  sa 
double  organisation,  est  constituée  de  façon  à  per- 
mettre à  une  autorité  invisible  de  s'exercer  sur  elle 
de  la  même  manière  que  l'autorité  maçonnique 
s*exerce  sur  le  monde  profane.  Tous  les  rouages 
de  l'organisation  maçonnique  sont  façonnés  et  agen- 


442         L'AGENT     DE     LJC    CIVILISATION    MODERNE 

ces  pour  transmettre  de  degrés  en  degrés  depuis 
les  arrière-loges  les  plus  secrèt'es  jusqu'au  monde 
profane  des  suggestions,  des  idées  et  des  volontés. 
En  un  mot  toute  la  machine  est  constituée  en  vue 
du  fonctionnement  d'un  pouvoir  dirigeant,  mais  qui 
veut  rester  occulte.  Prenons,  pour  exemple,  la  der- 
nière affaire,  l'affaire  Ferrer.  Une  agitation  univer- 
selle s'est  produite  tout  à  coup.  Elle  n'a  pu  s'exé- 
cuter sans  qu'un  mot  d'ordre  eût  été  lancé.  Or,  un 
mot  d'ordre  suppose  une  volonté  et  un  mécanisme 
ordonné  pour  la  transmission  de  cette  volonté.  Où 
est  la  volonté?  On  ne  la  voit  pas.  Et  comme  l'orga- 
nisme de  transmission  est  évidemment  la  Franc-Ma- 
çonnerie, il  faut  tconclure  que  la  Franc-Maçonnerie  est 
un  corps  ayant  une  tête,  et  que  les  autres  membres 
de  ce  corps  agissent  sous  l'impulsion  que  la  tête 
leur  donne  et  en  vue  des  desseins  que  la  tête  a  conçus. 
Cette  tête,  c'est  le  pouvoir  occulte. 

Un  fait,  entre  mille  autres,  qui  montre  bien  son 
existence  et  son  action. 

La  chute  de  l'indépendance  temporelle  de  la  Pa- 
pauté est  due  à  un  vaste  complot  international  dont  les 
fils  aboutissaient  aux  loges  d'Angleterre,  de  France, 
d'Allemagne  et  d'Italie.  Ce  complot  eût  été  impossible 
à  réaliser  sans  un  plan  conçu  et  une  direction  donnée 
par  Un  état-major  mystérieux,  agent  d'une  force  ca- 
chée qui  concentre  dans  ses  mains  la  puissance  de  la 
haute  maçonnerie,  comme  un  général  concentre  l'ac- 
tion militaire. 

La  Révolution  française  ne  s'explique  pas  en  de- 
hors de  l'action  de  cet  agent  aussi  mystérieux  que 
puissant. 

Lorsque  vous  lisez  les  quatre  gros  volumes  de 
Taine  sur  la  Révolution,  vous  êtes  toujours  tenté 
de  vous  demander  s'il  n'y  a  pas  quelque  chose  der- 


CORRUPTION     DES     IDÉES  443 

rière  la  page.  Les  faits,  les  événements,  les  cho- 
ses, les  gens,  le  drame,  les  acteurs,  tout  cela  passe 
devant  vous  dans  un  tableau  merveilleusement  vivant, 
mais  qui  demeure,  d'un  bout  à  l'autre,  un  véritable 
logogryphe.  Comment  toutes  ces  émeutes  éclatent- 
elles  ainsi  à  point  nommé?  Comment  totit  ce  qu'il 
eût  été  élémentaire  de  faire  pour  le  salut  du  pays 
et  de  la  Monarchie  n'est-il  régulièrement  jamais  fait? 
Comment,  au  contraire,  tout  ce  qu'il  eût  été  élémen- 
taire  d'éviter   n'est-il   régulièrement  jamais   évité? 

Taine  ne  vous  donne  que  l'explication  vague  de 
r  «  Anarchie  spontanée  »  dans  laquelle,  précisément, 
rien  ne  sent  jamais  le  «  spontané  »,  tandis  que  tout 
y  sent  continuellement  le  «  préparé  ».  A  ces  pages 
il  manque  un  mot  :  pouvoir  dirigeant,  pouvoir  occuUe. 

Dans  Une  lettre  pastorale,  écrite  en  1878,  Mgr 
Martin,  évêque  de  Natchitoches,  aux  Etats-Unis,  par- 
lant de  la  conjuration  antichrétienne  qui  s'étend  au 
monde    entier,    disait  : 

«  En  présence  de  cette  persécution  d'une  univer- 
»  salité  jusqu'ici  inouïe,  de  la  simultanéité  de  ses 
»  actes,  de  la  similarité  des  moyens  qu'elle  emploie, 
»  nous  sommes  forcément  amenés  à  conclure  l'exis- 
»  tence  d'une  direction  donnée,  d'un  plan  d'ensemble, 
»  d'une  forte  organisation  qui  exécute  un  but  arrêté 
»  vers   lequel  tout  tend. 

»  Oui,  elle  existe,  cette  organisation,  avec  son  but, 
»  son  plan  et  la  direction  occulte  à  laquelle  elle 
»  obéit;  société  compacte  malgré  sa  dissémination 
»  sur  le  globe;  société  mêlée  à  toutes  les  sociétés 
»  sans  relever  d'aucune;  société  d'une  puissance  au- 
»  dessus  de  toute  puissance,  celle  de  Dieu  exceptée; 
»  société  terrible,  qui  est,  pour  la  société  religieuse 
»  comme  pour  les  sociétés  civiles,  peur  la  civilisation 


444     l'agent    de   la   civilisation    moderne 

»  du  monde,  non  pas  seulement  un  danger,  mais  le 
»  plus   redoutable   des   dangers.  » 

Grâce  à  l'organisme  qtie  nous  avons  décrit,  ce  grou- 
pe chef  a  dans  la  main  toutes  les  Maçonneries  visibles 
€t  invisibles.  Il  exerce  son  influence  à  chaque  degré. 
Des  sphères  supérieures,  les  volontés  du  Pouvoir 
occulte  descendent  dans  les  inférieures.  Chaque  étage 
a  sa  fonction;    chaque   pays   a  son   rôle. 

Conception  étonnante  et  gigantesque!  Organisme 
merveilleux  qui  met  en  jeu  des  êtres  libres  et  les 
conduit  sans  qu'ils  s'en  doutent  vers  un  but  que  la 
plupart  réprouveraient  s'ils  le  connaissaient!  Œuvre 
qui  serait  impossible  à  un  homme  ou  à  quelques 
hommes  venus  de-ci  ou  de-là,  mais  qui  n'est  pas 
au-dessus  des  forces  d'une  race  et  d'une  religion. 


CHAPITRE  XXXII 
CORRUPTION  DES  IDÉES  (suite)      . 

IV.  -  SUGGESTIONS 

Piccolo-Tigre  avait  donné  ce  conseil  aux  membres 
des  Ventes  qu'il  institu  lit  :  «  Infiltrez  le  venin  dans 
les  cœurs  choisis;  infiltrez-le  à  petites  doses  et  comme 
par  hasard.  Vous  serez  étonnés  vous-mêmes  de  votre 
succès.  » 

Comment  et  par  quels  moyens,  faire  cette  infil- 
tration? La  Bévue  maçonnique  répond  :  Par  des  in- 
fluences individuelles  soignsusement  couvertes.  » 

Ces  influences  s'exercent  au  dedans  des  loges  et 
de  là  dans  le  monde  profane. 

Le  Pouvoir  occulte  suggestionne  les  «  ateliers  », 
au  sortir  des  ateliers  les  maçons  suggestionnent  le 
public.  C'est  ainsi  qu'ont  été  répandues  dès  avant 
la  Révolution  les  idées  de  liberté  et  d'égalité  qui 
devaient  la  produire.  De  nos  jours,  nous  avons  vu 
préparer  les  voies  à  l'enseignement  neutre  par  cette 
sentence  :  c'est  le  maître  d'école  qui  a  fait  la  vic- 
toire du  Français.  Cette  autre  sentence  :  «  Nécessité 
du  service  militaire  obligatoire  pour  tous  »  permet- 
tait d'enrôler  les  prêtres,  faisait  délester  l'année,  dé- 


446      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

serter  les  campagnes,  corrompait  la  jeunesse  et  dimi- 
nuait la  natalité.  Toutes  choses  voulues  par  le  Pou- 
voir  occulte  pour  les  fins   que  nous   dirons. 

Comment  ces  suggestions  et  mille  autres  arrivè- 
rent-elles à  s'emparer  de  l'esprit  public? 

Pour  répondre  à  cette  question,  voyons  d*abord  ce 
qui  se  passe  dans  les  loges. 

Nous  savons  que  les  fédérations  maçonniques  Bont 
divisées  en  groupes  appelés  ateliers  et  qui  ne  com- 
prennent chacun  qu'un  nombre  de  personnes  très 
restreint.  Dans  les  grandes  villes,  les  autorités  maçon- 
niques préfèrent  voir  les  Francs-Maçons  fonder  plu- 
sieurs loges  plutôt  que  de  se  réunir  en  une  seule. 
C'est  qfue  la  Maçonnerie  est  une  société  d'enseigne- 
ment et  il  convient  de  n'avoir  à  instruire  ensemble 
qu'un  petit  nombre  d'adeptes. 

Nous  savons  encore  que  les  hauts  gradés,  bien 
qu'ils  aient  des  ateliers  spéciaux,  sont  obligés  à  la 
fréquentation  assidue  des  loges.  Là,  rien  ne  les  dis- 
tingue de  tous  les  autres  maçons  qui  s'y  trouvent 
et  cependant  ils  ont  reçu  une  initiation  supérieure,  ils 
appartiennent  à  un  atelier  d'ordre  supérieur  (1).  Mais 
tous  l'ignorent.  Ils  peuvent  donc  se  mêler  à  la  dis- 
cussion des  questions  proposées,  sans  que  l'on  sache 
qu'ils  ont  à  faire  prévaloir  l'opinion,  qu'ils  apportent 
toute  faite,  de  plus  haut.  Eux-mêmes,  les  hauts  gradés, 
ont   été    suggestionnés    de    la   même   façon   par   des 

1.  Les  hauts  gradés  ne  sont  pas  tous  employés  à  ces 
missions, .  mais  seulement  ceux  qui  sont  reconnus  comme 
les  plus  aptes  à  transporter  les  ins:.Dirations  directrices  ;  ceux 
qui  sont  les  mieux  armés  pour  cela,  par  leurs  aptitudes 
d'abord,  par  le  Pouvoir  occulte  ensuite,  ou  par  ses  inter- 
médiaires. Rien  ne  les  désigne  aux  yeux  des  bas  gradés. 
Ils  portent  dans  les  loges  le  simple  cordon  des  maîtres,  quel- 
quefois même  le  tablier  d'apprenti.  Ils  exécutent  le  pas 
en  entrant  dans  le  Temple.  Ils  jouent  leur  rôle  humblement 
dans  toutes  les  cérémonies  auxqueles  participent  les  maç'Ons 
du  premier  degré. 


CORRUPTION     DES     IDEES  447 

délégués  de  la  maçonnerie  supérieure  appartenant 
à  un  atelier  d'ordre  supérieur^  mais  dont  ils  ignorent 
l'existence,  ou,  en  tout  cas,  dont  les  membres  leur 
sont  inconnus  comme  tels  et  qui,  lorsqu'ils  appa- 
raissent chez  eux,  sont  crus  leurs  pareils.  Le  Pou- 
voir occulte  peut  ainsi  cultiver  avec  succès  et  inco- 
gnito les  intelligences  qui  sont  venues  se  mettre 
à  son  école;  d'autant  mieux  que  parmi  ceux  qui 
ont  été  introduits  dans  les  loges  par  les  recruteurs, 
il  se  fait  une  sélection  automalique,  comme  dit  M. 
Copin-Albancelli,  par  élimination  volontaire.  Le  Pou- 
voir occulte  prit  soin  en  effet  de  n'opposer  aucun 
obstacle  à  la  sortie  de  ceux  qui,  en  raison  de  leur 
caractère  ou  de  leur  attachement  aux  principes  reçus 
dans  leur  éducation,  se  montrent  rétifs  à  l'enseigne- 
ment qui  leur  est  donné.  Les  maîtres  n'ont  donc^  devant 
eux  que  des  écoliers  dociles. 

Que  fait-on  dans  les  réunions  maçonniques?  se 
fait  demander  l'ex-franc-maçon  M.  Copin-Albancelli, 
et  il  répond  :  «  Dans  les  réunions  maçonniques,  on 
commence  par  écouter  des  prédications;  eï  plus  tard, 
on  en  fait  soi-même.  Les  loges  sont  des  lieux  où 
l'on  est  prêché  et  où  l'on  prêche.  »  Cette  réponse 
ne  doit  pas  surprendre;  car  dès  lors  qu'il  s'agit 
pour  le  Pouvoir  occulte  de  jeter  des  suggestions 
dans  l'esprit  des  francs-maçons,  il  n'a  qu'un  moyen 
à  sa  disposition  :   la  prédication. 

Qu'enseigne-t-on  ? 

D'abord,  et  comme  fondement  à  la  doctrine  qui 
viendra  s'édifier  sur  cette  base,  deux  suggestions 
maîtresses  :  1°  La  Maçonnerie  est  une  institution 
sublime,  éternelle  initiatrice  de  tout  ce  qui  se  fait 
de  bon  et  de  grand  dans  l'humanité;  2''  Cette  asso- 
ciation se  heurte  à  un  ennemi  :  le  catholicisme  — 
on  dit  d'abord  :   le  cléricalisme.  —  D'où  la  conclu- 


448     l'agent    de   la   civilisation    moderne 

sion  :  Puisque  le  catholicisme  est  l'ennemi  de  la 
Maçonnerie,  il  est  l'ennemi  de  toutes  les  grandes 
causes  auxquelles  celle-ci  se  dévoue.  En  conséquence, 
quiconque  ai.r.e  ces  grandes  causes  doit  combattre  le 
catholicisme. 

Comment  peut-on  présenter  la  Franc-Maçonnerie 
sous  un  jour  si  beau,  et  le  catholicisme  sous  un  jour 
si  déplorable?  En  faisant  de  la  Franc-Maçonnerie 
l'organe  et  le  défenseur  de  la  Raison. 

Qu'est-ce  que  cette  déesse  à  laquelle  la  Maçon- 
nerie a  offert  tant  de  sacrifices  humains  au  jour 
où  elle  la  faisait  adorer  dans  la  personne  d'une 
prostituée?  Nous  connaissons  des  raisons  individuel- 
les, des  intelligences  humaines  dans  lesquelles  se 
développent  plus  ou  moins  avec  l'âge,  l'étude  et  la 
réflexion,  l'expérience,  la  science  et  la  sagesse.  Mais 
ces  raisons  individuelles  sont  toujours  bornées, 
même  chez  les  plus  savants  et  les  plus  sages. 
La  raison  ainsi  acquise  par  l'étude  et  l'expé- 
rience n'est  autre  chose  qu'un  reflet  dans  l'âme 
humaine  de  la  raison  infinie  qui  est  Dieu.  Est-ce 
Dieu  et  sa  sagesse  infinie  que  les  Francs-Maçons 
veulent  défendre  contre  le  catholicisme  sous  ce  nom  : 
la  Raison?  Il  suffit  de  poser  la  question  pour  la  ré- 
soudre. La  Raison  qu'ils  veulent  nous  faire  adorer 
est  un  fantôme  qu'ils  habillent  de  grands  mots  éblouis- 
sants :  science,  progrès,  civilisation,  liberté,  et  à  la 
poursuite  duquel  ils  mettent  toutes  leurs  dupes.  Sous 
tous  ces  mots  se  cachent  la  contradiction  aux  vérités 
chrétiennes,  l'opposition  à  la  civilisation  née  des  prin- 
cipes posés  dans  le  monde  par  la  prédication  du 
Christ. 

Quand  l'état  d'esprit  voulu  par  la  double  sugges- 
tion que  nous  venons  de  dire  est  bien  entré  dans 
les  têtes,  on  leur  fait  connaître  une  à  une  les  causes 


CORRUPTION     DES     IDÉES  449 

au  succès  desquelles  tout  bon  franc-maçon  doit  tra- 
vailler pour  le  triomphe  de  la  Raison  sur  la  Supers- 
tition et  les  moyens  à  prendre  pour  assurer  la  supré- 
matie de  la  Raison  et  anéantir  le  catholicisme.  A 
ces  moyens,  doivent  collaborer  tous  les  maçons  dignes 
de  ce   beau   titre. 

Là-dessus  viennent  des  études  en  commun  dont  les 
thèmes  sont  fournis  par  les  intermédiaires  sugges- 
tionnés de  plus  haut,  ainsi  que  nous  l'avons  dit. 
Ce  sont  les  différents  aspects,  les  différents  points 
d'une  philosophie  anticatholique,  d'une  science  his- 
torique anticatholique,  d'une  économie  sociale  anti- 
catholiqpe,  et  d'une  morale  anticatholique.  L'étude 
de  la  question  sociale,  par  exemple,  permet  de  sug- 
gestionner toutes  les  idées  quatre-vingt-neuvistes  :  la 
souveraineté  du  peuple,  la  liberté,  l'égalité  et  tout 
le  bagage  démocratique  (1). 

1.  «  J'ai  subi,  dit  M.  Gopin-Albancelli,  celte  intoxication 
lorsque  j'étais  dans  la  Franc-Maçonnerie.  On  m'avait  tout 
d'abord  inoculé  certaines  pensées  par  lesquelles  mon  in- 
telligence avait  été  séduite  et  comme  chloroformée.  L'opé- 
ration s'était  accomplie  sans  çfue  j'eusse  rien  senti.  Ma 
bonne  foi  était  toujours  demeurée  absolument  intacte,  et, 
d'autre  part,  je  m'imaginais  toujours  raisonner  librement. 
En  fait,  je  mâchais  et  remâchais  un  certain  nombre  d'idées 
générales  qu'on  avait  transfusées  en  moi,  et  qui,  justes  et 
vraies  en  apparence  et  théoriquement,  devenaient,  dans 
l'application  qui  en  était  faite,  fausses  et  destructrices.  A 
mesure  que  s'effectuait  cette  inoculation,  je  perdais  de  plus 
en  plus  possession  de  moi-même.  Ce  n'était  plus  moi 
qui  raisonnais.  C'était  quelque  chose  d'étranger  gui 
raisonnait,  ou  plutôt  qui  déraisonnait  en  moi,  comme 
l'absinthe  déraisonne  dans  le  cerveau  de  celui  qui  s'en  est 
enivré.  J'étais  un  halluciné,  un  hypnotisé,  tout  comme  U 
nation.  Et  je  n'ai  qu'à  me  souvenir  pour  avoir  la  certitude 
que  tous  les  autres  Francs-Maçons  étaient  des  hypnotisés 
comme  moi.  C'est  si  vrai  que,  si  j'ai  pu  échapper  aux 
suggestions  qui  avaient  été  jetées  dans  mon  esprit,  c'est  en 
grande  partie  parce  que  j'eus  la  chance  de  me  rendre 
compte,  alors  qu'U  en  était  encore  temps,  du  travail  qui 
était  opéré  sur  moi   et  autour  de  moi.   Un  jour  il  arriva 

L'Église  et  le  Temnlc.  29 


450         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

Ainsi  est  formé  afu  sein  de  l'organisme  maçon- 
ni(jue  tin  état  de  pensée  anticalholique,  non  seulement 
sur  les  questions  générales  que  nous  venons  d'indi- 
qtier,  mais  sur  chacune  des  questions  actuelles  qui 
se  présentent,  ou  que  le  Pouvoir  occulte  soulève, 
telles  la  question  de  l'enseignement,  du  divorce,  de 
la  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'Etat,  etc.,  etc. 

Mais  pour  le  résultat  auquel  il  tend,  le  Pouvoir 
occulte  ne  saurait  renfermer  son  action  dans  l'en- 
ceinte de  ses  loges.  Il  faut  qu'il  crée  également 
un  état  d'opinion  conforme  à  ses  desseins  dans  le 
«  monde  profane.  »  , 

Il  a  pour  cela  tout  d'abord  ses  Maçons.  Pris  dans 
tous  les  milieux,  ils  font  sentir  partout  autour  d'eux 
le  contre-coup  de  l'action  qui  est  incessamment  exercée 
sur  leur  esprit.  Ils  répètent  ou  font  répéter  dans 
les  journaux  et  dans  les  conférences,  dans  les  écoles 
et  dans  les  lycées  ce  qu'ils  ont  entendu  dire  j)ar 
les  prédicateurs  du  Pouvoir  occulte.  «  Etre  Franc- 
Maçon,  disait  le  F.;.  Lafferre  au  banquet  du  Cou- 
vent de  1903,  c'est  être  apôtre.  »  Vous  devez  être 
apôtres,  leur  répète-t-on  sans  cesse.  Ils  n'y  manquent 
point,  et  ils  sont  bien  plus  hardis  pour  répandre 
l'erreur  que  les  bons  pour  défendre  la  vérité.  Le 
journaliste  dans  ses  articles,  le  publiciste  dans  ses 
écrits,  l'auteur  dramatique  dans  ses  pièces,  le  chan- 

qu'ayant  une  série  d'articles  à  écrire  pour  la  Revue  de 
l'Hypnotisme,  je  fus  amené  à  réfléchir  sur  les  suggestions 
qui  sont  répandues  dans  les  milieux  sociaux,  comme  d'au- 
tres le  sont  dans  l'esprit  de  certains  sujets  sur  lesquels 
travaillent  les  hypnotiseurs.  Je  fus  alors  _  frappé  de  ce 
qui  se  faisait  dans  les  loges  et  de  ce  que  j'y  faisais  moi- 
même,  et  je  m'aperçus  que  nous  étions  des  hallucinés  qui, 
une  fois  suggestionnés  par  certains  d'entre  nous,  en  sug- 
gestionnaient d'autres  ensuite.  On  nous  parlait  de  raison 
et  nous  en  parlions  à  notre  tour;  mais,  en  réalité,  il  ne 
s'agissait  que  de  suggestions  jetées  dans  nos  esprits. 


CORRUPTION     DES     IDEES  451 

sonnier  dans  ses  chansons,  le  pornographe  dans  ses 
dessins,  le  professeur  dans  ses  cours,  l'instituteur 
dans  ses  classes,  tous  répandent,  sous  différentes 
formes,  l'enseignement  qu'ils  ont  reçu,  les  idées  dont 
ils  ont  été  imprégnés,  les  mots  d'ordre  qui  leur 
sont  communiqués   (1). 

Il  ne  faut  pas  croire  que  ces  missionnaires  de  la 

1.  Nous  avons  parlé  ci-dessus  de  l'étude  faite  par  MM. 
Cocliiix  €t  Charpentier  sur  la  campagne  qui  a  précédé  les 
élections  de  1789  en  Bourgogne.  Ils  nous  montrent  comment 
la  suggestion  a  agi,  en  ce  moment,  d'un  bout  à  l'autre 
de  la  France  et  ce  qu'elle  a  produit. 

En  89  (écrivent-ils)  la  nation  paraît  se  lever  d'elle-même, 
agir  de  son  propre  mouvement,  sans  rien  devoir  aux  talents 
ni  à  l'autorité  de  personne...  (Le  peuple)  s'assemble  sans 
être  convoqué,  signe  des  requêtes  sans  qu'on  sache  d'où 
elles  viennent,  nomme  des  députés  sans  avoir  entendu  de 
candidats,   se  soulève  sans  suivre  personne. 

Et  pourtant  cette  armée  sans  officiers  manœuvre  avec  un 
ensemble  étonnant  :  on  voit  les  mêmes  démarches  se  faire 
au  même  moment  dans  les  provinces  que  séparent  mœurs, 
intérêts,  dialectes  mêmes,  sans  parler  des  douanes  et  des 
mauvais  chemins.  En  novembre  1788  toute  la  France  de- 
mande le  doublement  du  Tiers  aux  Etats;  en  janvier  89 
le  vote  par  tête  ;  en  mars,  toute  la  France  envoie  'aux  Etats 
des  doléances  si  semblables  qu'on  les  croirait  rédigées  sur 
le  même  canevas,  par  le  même  pamphlétaire^  philosophe  : 
car  les  paysans,  eux  aussi,  parlent  philosophie  dans  leurs 
cahiers,  pour  rester  à  l'unisson.  Au  milieu  de  '  juillet,  au 
moment  de  la  Grande  Peur,  toute  la  France  se  croit  menacée 
par  des  brigands  et  prend  les  armes  ;  à  la  fin  du  mois, 
toute  la  France  se  rassure  :  il  n'y  avait  pas  de  brigands. 
Mais  la  garde  nationale  était  sortie  de  terre  en  cinq  jours, 
elle  obéissait  au  mot  d'ordre  des  clubs,  et  les  communes 
restent  armées. 

Et  ce  ne  sont  là  que  les  grandes  étapes  du  mouvement  : 
même  ensemble  dans  les  détails.  Si  on  voit  une  commune 
signer  une  requête  au  roi,  «  ce  nouveau  Henri  IV  »  et  à 
M.  Necker,  «  notre  Sully  »,  on  peut  être  sûr  de  trouver 
les  habitants  de  telle  autre  commune,  à  l'autre  bout  du 
royaume,  occupés  à  rédiger  la  même  requête  précédée  du 
même  comphment. 

Les  Français  d'alors  semblent  obéir  à  une  sorte  d'har- 
monie préétablie  qui  leur  fait  faire  les  mêmes  actes  et 
prononcer  les  mêmes  paroles  partout  en  môme  temps;  et  qui 
connaît  les  faits  et  gestes  de  tels  bourgeois  du  Dauphiné  'ou 


452      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

doctrine  maçonnique  soient  tous  de  mauvaise  foi. 
Ils  ont  été  fanatisés,  aveuglés,  de  telle  sorte  que 
c'est  parfois,  souvent,  avec  conviction  qu'ils  prêchent 
leurs  erreurs.  Un  grand  nombre  d'entre  eux  sont 
des  croyants;  ils  croient  à  la  mission  de  la  Veuve, 
et  ils  s'en  font  les  apôtres  avec  fanatisme.  On  est 
parvenu  à  leur  persuader  que  la  Science,  le  Progrès, 
la  Civilisation  exigent  la  destruction  du  Christia- 
nisme. Ils  le  croient.  Et  cette  foi  est  une  force  consi- 
dérable chez  ces  ingénus.  «  Il  faut  avoir  vu,  dit 
M.  Copin-Albancelli,  jusqu'où  va  leur  hallucination.  » 
De  même  que  les  hauts  gradés  sont  délégués  dans  les 
réunions  de  la  Franc-Maçonnerie  bleue,  de  même 
des  francs-maçons  sont  délégués  dans  cette  mullitude 
d'associations  qiie  nous  avons  vu  dépendre  d'elle. 
«  Notre  commission,  dit  le  compte  rendu  du  congrès 
maçonnique  d'Amiens  en  1894,  a  estimé  que  ce  moyen 
(d'action  sur  l'opinion  publique  par  les  suggestions 
maçonniques  dans  les  sociétés  à  caractère  inlifférent) 
devait  être  désigné  d'une  façon  toute  particulière 
à  votre  attention.  Il  vous  procurera,  en  effet,  à  vous,; 
l'occasion  de  faire  prédominer  nos  idées  partout  si 
nous  avons  le  talent  d'organiser  ces  sociétés  tout 
en  restant  dans  la  coulisse.  » 

de  r Auvergne,  sait  l'histoire  de  toutes  les  villes  de  France 
au  même  moment. 

Ainsi,  dans  cette  singulière  campagne,  tout  se  passe 
comme  si  la  France  entière  obéissait  au  mot  d'ordre  du 
mi6ux  monté  des  partis,  et  on  ne  voit  pas  de  partis... 

Il  y  avait  un  complot.  Gomment  et  par  qui  fut-il  formé? 
(A.  Gochin  et  Ch.  Charpentier,  La  Campagne  électorale  de 
1789   en  Bourgogne.   Paris,    1904,   pp.   5,   6,  7.) 

Le  F,  : .  Jouaust  a  par  avance  répondu  à  cette  question 
de  MM.  Gochin  et  Charpentier  —  en  ce  qui  concerne  la 
Bretagne  —  qniand  il  a  dit  : 

II  ensemble,  jusqu'alors  incompris,  avec  lequel  toutes  les  villes 
de  Bretagne  se  soulèvent  pour  agir  au  même  instant,  dans  le 
même  but,  s'explique  facilement  par  la  correspondance  inces- 
sante des  Loges  si  nombreuses  dans  cette  province.  »  {Le  Monde 
Mac.'.,    décembre   1859,    p.    479.) 


CORRUPTION     DES     IDEES  453 

Le  F.  • .  Docteur  Savoire,  rapporteur  de  la  Commis- 
sion de  Propagande  du  Couvent  de  Paris  1900  a  dit 
de   même    à  propos    de    ces    sociétés    laïques  : 

«Il  faudrait  que  la  F.-.  M.-,  s'emparât  de  ces 
Associations,  d'une  manière  occulte.  Il  suffirait  qu'un 
certain  nombre  de  F.  • .  M.  • .  entrassent  dans  le  Con- 
seil de  chacune  de  ces  institutions  de  façon  à  y 
exercer  une    influence    'prépondérante...  » 

Le  F.  • .  B latin  disait  à  ses  co-maçons,  au  convent 
de  1892,  «  vous  êtes  un  état-major,  vous  êtes  des 
officiers  qui  n'avez  pas  encore  suffisamment  groupé 
les  troupes  que  vous  devez  mener  au  combat.  Ces 
troupes,  vous  ne  pouvez  les  a^nener  dans  nos  loges, 
mais  il  faut  arriver  à  réunir  autour  de  vous  toutes 
ces  masses  du  suffrage  universel  qui  ne  demandent 
qu'à  être  disciplinées  par  vous.  »  Un  an  avant  que 
le  F.  • .  Blatin  prononçât  ces  paroles,  le  congrès  des 
loges  du  Midi  nous  apprenait  que,  dans  cette  partie  de 
la  France  seulement,  «  la  libre-pensée  comptait  déjà 
six  cents  groupes  dont  la  formation  était  due  pour 
la  plus  grande  partie  à  la  Franc-Maçonnerie.  »  Il  s'agit 
ici  non  plus  des  sociétés  neutres,  mais  de  celles 
qui  ont  elles-mêmes  un  caractère  anticlérical,  telles 
que  la  «  Ligue  de  l'enseignement»,  les  «  Unions  ami- 
cales de  solidarité  »,  les  «  Amicales  d'instituteurs  », 
les  «  Cercles  d'études  »,  les  «  Bibliothèques  popu- 
laires »,  etc.,  etc.  (1). 

1.  M.  Jean  Bidegain,  dans  son  ouvrage  Masques  et  Visages 
maçonniques,   page  303,   écrit  : 

«  La  Franc  Maçonnerie  a  créé  de  toutes  pièces  : 

La  Société  républicaine  des  Conférences  populaires  ; 

Le  Comité  d  Action  pour  les  réformes  républicaines  ; 

La  Ligue  d'Action  républicaine  ; 

Les  unions  de  la  Jeunesse  républicaine  ; 

Les  Unions  fraternelles. 

L'Esprit  de  la  secte  anime  les  Sociétés  dont  les  noms 
sidvent  : 


454        L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

Ces  sociétés  neutres  ou  libres-penseuses,  ont  été 
constituées  par  la  Maçonnerie,  et  elles  ne  le  savent 
pas;  elles  sont  dirigées  par  les  représentants  de  cette 
société  secrète,  et  elles  l'ignorent;  c'est  de  ses  idées 
qu'elles  sont  nourries,  et  elles  ne  s'en  doutent  pas. 
C'est  bien  la  réalisation  du  vœu  formulé  par  la 
Revue  maçonnique  :  «  Il  faut  mer  d'influences  indi- 
viduelles soigneusement  couvertes.  » 

La  Franc-Maçonnerie,  sans  qu'on  y  prît  garde,  a 
donc  créé  autour  d'elle  une  multitude  de  sociétés 
dans  lesquelles  elle  répand  ses  suggestions,  de  même 
que  le  Pouvoir  occulte  les  répand  chez  elle.  Ces 
sociétés  sont  ses  armées  en  mâme  temp?  que  sa  cou- 
verture protectrice,  de  même  qu'elle  est  l'armée  et 
la  couverture  protectrice  du  Pouvoir  occulte  (1).  Com- 

La  Ligue  des  droits  de  ï  homme  ; 

La  Ligue  de  l'Enseignement  ; 

Société  nationale  des  Conférences  populaires  ; 

Association  Foly  technique  ; 

Société  des  Universités  populaires  ; 

Société  pour  V  Instruction  élémentaire  ; 

Union  démocratique  pour  V éducation  sociale  ; 

Cercle  populaire  d- enseignement  laïque  ; 

Patronage  laïque  d'enseignement  populaire  et  d'éducation 
morale  et  civique  ; 

Les  Foyers  du  Soldat  ; 

Les  Foyers  du  Marin  ; 

La  plupart  des  Patronages  laïques,  des  Deniers  ou  Sous 
des  Écoles,  des  Caisses  des  Ecoles  et  des  Bibliothèques 
populaires. 

1.  Outre  les  sociétés  ci-dessus  nommées,  il  en  est  d'autres 
directement  affiliées  à  la  Franc-Maçonnerie  sans  en  être  ce- 
pendant. Voici  sur  ces  sociétés  des  renseignements  précis  et 
authentiques  empruntés  au  Bulletin  maçonnique  d'avril 
1892,   p.   26. 

Des  collectivités  adhérentes.  —  Article  1er.  —  Tou- 
tes les  associations  ayant  une  organisation  permanente 
et  un  fonctionnement  régulier,  telles  que  sociétés  de  libre- 
pensée,  patronages,  ligues  d'enseignement  patriotique  ou 
de  défense  d'intérêts  matériels  ou  moraux,  sociétés  de  pré- 
voyance, de  secours  mutuels  et  philanthropiques  de  toute 
espèce,   sociétés   compagnoniques,    syndicats   professionnels, 


CORRUPTION     DES     IDÉES  455 

ment,  par  ces  milliers  de  sociétés,  et  par  les  sugges- 
tions incessantes  qui  leur  sont  faites,  le  Pouvoir 
occulte  n'arriverait-il  pas  à  détruire  de  fond  en  comble 
la  façon  de  penser  d'une  nation?  Enlever  au  Français 

associations  corporatives,  bibliothèques  populaires,  etc.,  peu- 
vent devenir  groupes  adhérents  de  la  Franc-Maçonnerie  à 
titre  collectif. 

Art.  2.  —  Toute  association  qui  voudra  devenir  groupe 
adhérent  de  la  Franc-Maçonnerie  en  fera  la  demande  à  une 
loge  choisie  par  elle,   sur  laquelle  elle  sera  souchée. 

Art.  3.  —  L'admission  ne  sera  définitive  qu'après  avis 
conforme  de  la  grande  loge  symbolique.  Pour  cela,  la  loge 
transmettra  au  secrétariat  général  l'extrait  du  procès-verbal 
de  sa  tenue  relatif  à  la  prise  en  considération  de  la  de- 
mande du  groupe;  elle  y  joindra  la  liste  des  membres  com- 
posant ledit  groupe,  en  y  indiquant  les  noms,  domiciles  et 
professions.  Chaque  année  elle  fera  connaître  les  modi- 
fications survenues  dans  cette  liste  par  suite  d'admissions 
ou   de   radiations. 

Art.  4.  —  Les  loges  pourront  constituer  avec  les  groupes 
souches  sur  elles,  à  titre  provisoire  ou  permanent,  des 
comités  mixtes  pour  organiser  des  fêtes,  concerts  et  toutes 
réunions  de  propagande  jugées  utiles. 

Signé  :    Friquet. 

En  beaucoup  de  cas,  les  simples  membres  de  ces  sociétés 
adhérentes  ne  soupçonnent  pas  qu'ils  sont  ainsi  enrégi- 
mentés et  souches  à  la  Franc-Maçonnerie.  Ce  sont  leurs 
chefs  qui,  sans  les  avoir  consultés,  ont  disposé  d'eux  et  de 
leurs  noms  et  qui,  ensuite,  les  font  évoluer  dans  le  sens 
maçonnique  comme   des  pantins. 

Longtemps  le  caractère  maçonnique  de  la  ligue  de  l'en- 
seignement fut  caché  et  même  nié,  lorsque  le  moment  fut 
jugé   venu  le   voile   fut   déchiré. 

Au  cinquième  congrès  de  la  Ligue  tenu  à  Lille,  en  1885, 
le  F.; .  Macé  déclarait  ceci  :  «  Autrefois  nous  affirmions 
que  la  Ligue  de  l'enseignement  n'était  pas  une  institution 
politique  et  religieuse.  Aujourd'hui  il  n'en  n'est  plus  ainsi. 
Aujourd'hui  il  faut  affirmer  que  la  ligue  est  bien  une  ins- 
titution maçonnique.  » 

Et  le  F.  • .  Adrien  Duvaud,  au  convenl  de  1898,  déclare 
que  c'est  la  Ligue  de  l'Enseignement  qui  a  fait  voter  les 
lois  scolaires  de  la  République  »,  que  «  c'est  une  institution 
maçonnique  »,  que  «  l'esprit  maçonnique  y  est  toujours 
présent  ».  Et  le  F.  • .  Lecoq,  au  convent  de  1900,  déclarait 
ceci  :  «  Nous  ne  devons  pas  oublier  qu'à  côté  de  la  Franc- 
Maçonnerie  il  y  a  la  fille  de  la  Franc-Maçonnerie,  la  Ligue 
de  l'enseignement. 


456      l'agent    de   la   civilisation    moderne 

toutes  les  traditions  françaises,  leur  en  substituer 
d'autres,  c'est  l'œuvre  à  laquelle  la  Franc-Maçonne- 
rie s'est  attachée  depuis  deux  siècles  avec  le  plus 
de  constance  et  de  sticcès,  afin  d'amener  notre  pays 
à  se  détruire  lui-même. 


CHAPITRE    XXXIII 
CORRUPTION  DES  IDÉES  (suite) 

V.  —  SUGGESTIONS  ANTITRADITIONALISTES 

Par  la  mise  en  œuvre  d'un  organisme  conçu  et 
employé  avec  fane  sagesse  infernale,  le  Pouvoir  occulte 
qui  préside  à  la  Franc-Maçonnerie,  peiït  donc  jeter 
dans  l'esprit  de  la  multitude,  des  suggestions  favo- 
rables à  ses  desseins,  et  les  répéter  sans  cesse. 

Les  principales  suggestions  lancées  dans  le  public 
au  XVIII*^  siècle  furent  celle  de  Végalité  qui  devait 
aifranchir  les  Juifs  et  les  mettre  sur  le  môme  pied 
que  nous,  Français;  et  celle  de  la  liberté  qui  devait 
susciter  la  Révolution.  Nous  en  avons  parlé  dans 
le  livre  Vérités  sociales  et  Erreurs  démocratiques. 

Aujourd'hui,  les  suggestions  de  l'humanitarisme, 
de  l'abolition  des  frontières,  soit  politiques,  soit  dog- 
matiques, tiennent  le  premier  rang.  Elles  ont  pour 
fin  de  détruire  tout  attachement  à  la  patrie  et  à 
la  religion  afin  que  sur  ces  ruines  puisse  s'élever  la 
Jérusalem  de  nouvel  ordre  qui  doit  s'étendre  à  tout 
l'univers.  Nous  en  parlerons  dans  la  seconde  partie 
de  cet   ouvrage. 

Ici  nous  devons  nous  borner  aux  suggestions  anti- 
traditionalistes semées  en  France  afin  de  détruire  la 


458     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

nationalité  française,  car  l'altération  des  traditions 
françaises  dans  l'esprit  des  Fratiçais,  est  la  condition 
préalable,  nécessaire  ati  succès  des  desseins  de  la 
secte,  qui  sont,  on  peut  le  dire,  en  toute  certitude 
l'assassinat  de  la  France. 

Plus  de  cinquante  ans  ont  été  ainsi  employés  à 
suggestionner  l'esprit  public  et  à  préparer  la  Révo- 
lution; et  en  voici  soixante-dix,  employés  de  même 
sorte  à  nous  amener  à  la  situation  actuella  et  à  ce  qtii 
doit  la  stiivre.  Alors  comme  aujourd'hui,  la  secte, 
avant  d'agir,  a  commencé  par  '  créer  un  état  d'es- 
prit nouveau  fondé  sur  le  mépris  et  la  haine  des  tra-i^ 
ditions  de  la  race  française  :  traditions  politiques 
aussi  bien  que  traditions  religieuses,  les  deux  racines 
maîtresses  de  l'arbre  national,  comme  dit  M.  Copin- 
Albancelli.  Les  détruire  par  la  force  était  impossible. 
On  y  arrive  par  la  suggestion  et  le  mensonge. 

A  première  vue,  on  est  porté  à  croire  qu'une  na- 
tion ne  peut  être  vaincue  que  par  les  armées.  C'est 
une  erreur.  A  côté  des  blessures  qui  font  couler  le 
sang  des  veines,  il  y  en  a  d'autres  plus  affaiblissantes 
et  plus  difficilement  curables,  celles  qui  font  couler 
le  sang  de  l'âme.  Où  est  l'âme  d'un  peuple?  dans 
ses  traditions.  C'est  dans  ses  origines  et  dans  les 
traditions  qui  en  ont  surgi,  qu'ont  été  et  que  sont 
les  vraies  sources  de  sa  vie.  Or,  quiconque  examine 
les  faits  de  notre  histoire  contemporaine  peut  se 
convaincre  qu'un  immense  et  incessant  effort  est 
poursuivi  depuis  cent  soixante  ans  pour  tuer  l'âme 
française  par  ce  procédé  :  la  détacher  de  ses  origines 
et  de  ses  traditions,  en  les  lui  faisant  oublier,  en 
lui   en   inspirant  la  haine   et  le   mépris. 

«  Depuis  plus  d'un  siècle,  dit  M.  Gustave  Bord 
dans  la  préface  de  son  livre,  intitulé  :  La  Franc- 
Maçonnerie  en  France,  des  origines  à  1815,  les  his- 


CORRUPTION     DES     IDÉES  459 

toriens  et  les  économistes  se  demandent  comment  un 
pays,  foncièrement  monarchique  et  catholique  comme 
la  France,  a  pu  brusquement  changer  d'idéal  et  de 
foi...  Aucun  historien  de  bonne  f  ji  n'a  mÎ3  en  doute 
que  l'âme  du  pays  ne  fût  royaliste  et  croyante...  Il 
faut  qu'un  mal  plus  terrible  (que  le  déficit  finan- 
cier, etc.)  ait  envahi  ce  qti'on  appelait  alors  l'opi- 
nion publique  :  le  but  de  cette  étude  est  de  prouver 
que  le  mal  qui  devait  contaminer  le  monde  entier, 
n'était  pas  seulement  la  Franc-Maçonnerie,  mais  sur- 
tout l'esprit  maçonnique,  l'esprit  maçonnique  créé 
par  des  suggestions  continues  et  se  répandant  des 
loges  dans  tout  le  monde  profane.  » 

«  Lorsqu'on  veut  qu'un  peuple  vive,  dit  encore  M. 
Bord,  on  ne  détruit  pas  les  sources  de  sa  vie.  On 
n'attaque  pas  haineusement  ses  souvenirs.  Même  dans 
les  cas  où  il  devient  nécessaire  de  choisir  entre 
les  différents  chemins  que  peut  ouvrir  l'avenir,  on 
le  fait  avec  le  respect  qu'on  se  doit  à  soi-même  et 
qu'on  doit  encore  plus  aux  aïeux  par  lesquels  on 
existe;  on  médite  pieusement  les  modifications  dont 
sont  susceptibles  ces  traditions  grâce  auxquelles  ils 
ont  édifié  ce  qu'ils  nous  ont  transmis.  On  fait  en 
sorte,  non  pas  de  tuer  le  passé,  ni  de  le  déshono- 
rer, mais  de  le  relier  aux  conditions  nouvelles  qui 
peuvent  résulter  du  changement  d'âge  des  nations. 
Si,  au  contraire,  on  veut  qu'un  peuple  meure,  rien 
de  plus  logique  que  de  le  fiapper  aux  endroits  où 
sont  les  sources  même  de  ga  \ie. 

»  N'est-elle  pas  singulièrement  impressionnante  cette 
marche  de  la  Maçonnerie,  installée  au  milieu  d'un 
peuple  dont  elle  commence  par  fermer  les  yeux  et 
par  enivrer  la  raison;  puis  qui  supprime  l'un  après 
l'autre  tous  les  organes  de  notre  vie  nationale,  en 
s'attaquant  dabord   à  ceux   dont   le   Pouvoir  occulte 


460      l'agent    de   la   civilisation    moderne 

sent  la  disparition  plus  urgente  pour  lui  :  la  Monar- 
chie, tradition  nationale  politique,  force  qui  main- 
tenait la  cohésion  dans  le  corps  social,  qui  coordonnait 
les  efforts  en  rue  de  la  défense;  puis  le  catholicisme, 
force  ^morale  qpii  donnait  aux  âmes  le  ressort  à  défaut 
duquel  la  meilleure  organisation  reste  inutile,  comme 
serait  une  machine,  même  la  plus  perfectionnée,  dans 
laquelle  il  n'y  aurait  point  de  vapeur.  Ces  destruc- 
tions préalables  accomplies,  l'âme  du  pays  étant  en- 
dormie, sinon  détruite,  et  ses  membres  ou  disjoints 
ou  paralysés,  réduits  à  l'impuissante  défensive,  le 
Pouvoir  occulte  s'en  prend  successivement  aux  idées, 
désormais  sans  support,  de  propriété,  de  famille,  de 
moralité,  qui,  à  défaut  des  institutions  traditionnelles 
et  des  principes  fondamentaux  préalablement  anéan- 
tis, distingueraient  encore  l'homme  de  la  bête.  Il 
veut  que  soit  effacée  cette  dernière  distinction,  et  il 
s'y  acharne  en  proclamant  qu'il  travaille  pour  la 
lumière,  la  justice,  la  civilisation,  le  progrès!  Il  atta- 
que enfin  l'idée  nationale  elle-même,  de  la  façon 
dont  il  a  attaqué  toutes  les  autres,  c'est-à-dire  en 
répandant  subrepticement,  par  fraude  et  mensonge, 
dans  ses  loges,  et  de  là  dans  le  monde  profane,  les 
idées  qu'il  sent  nécessaires  pour  fanatiser  les  uns, 
pour  engourdir  les  autres.  Notre  renoncement  à  toutes 
nos  traditions,  c'est  par  là  que  le  Pouvoir  occulte 
a  résolu  de  nous  tuer,  en  faisant  de  nous  les  arti- 
sans de  notre  ruine.  » 

Cela  commença  avec  Voltaire  et  l'école  encyclopé- 
dique. Ils  préparèrent  la  Révolution  par  une  propa- 
gande d'idées. 

«  Nous  avons  à  craindre,  disait  Mirabeau  à  Cham- 
fort,  l'opposition  de  la  grande  partie  de  la  natioû, 
qui  ne  connaît  pas  nos  projets  et  qui  ne  serait  pas 
disposée   à   nous   prêter   son  concours.   On   lui  fera 


CORRUPTION     DES     IDÉES  46i 

vouloir  et  on  lui  fera  dire  ce  qu'elle  n'a  jamais 
pensé.  Si  elle  en  doute,  on  lui  répondra  comme  Crispin 
au  légataire  :  C'est  votre  léthargie.  La  nation  est  un 
grand  troupeau  qui  ne  songe  qu'à  paître  et  qu'avec 
de  bons  chiens  les  bergers  mènent  à  leur  gré.  Après 
tout,  c'est  son  bien  qu'on  veut  faire  à  son  insu. 
Ni  son  vieux  régime,  ni  son  culte,  ni  ses  mœurs, 
ni  toutes  ses  antiquailles  de  préjugés  ne  méritent 
qu'on  les  ménage.  Tout  cela  fait  honte  et  pitié  à  un 
siècle  comme  le  nôtre  et,  pour  tracer  un  nouveau 
plan,  il  faut  faire  place  nette.  » 

Grâce  à  cet  empoisonnement  des  esprits,  ils  purent 
arriver  à  couper  la  tête  au  roi  et  anéantir  le  culte 
catholique. 

Napoléon  se  rendant  compte  des  nécessités  qui 
s'imposaient,  restaura  la  tradition  religieuse;  et  vou- 
lut* créer  un  nouveau  traditionalisme  politique.  N'ayant 
point  voulu  faire  la  première  de  ces  choses  comme 
le   Pape   l'entendait,    il    ne   put   réussir   la   seconde. 

Apres  la  Restauration,  tout  le  travail  accompli  par 
la  secte  était  à  refaire;  il  fut  repris  de  même  façon. 
Elle  s'attacjiia  d'abord  au  traditionalisme  politique.  Par 
le  libéralisme  et  ses  hypocrisies,  elle  parvint  à  dé- 
trôner les  Bourbons,  à  rétablir  une  République;  puis, 
ne  la  trouvant  point  viable,  à  substituer  de  nou- 
veau au  traditionalisme  politique  français  l'Empire 
qui  en  est  la  contrefaçon.  En  même  temps,  l'unité  ita- 
lienne était  dressée  pour  battre  en  brèche  le  boulevard 
du  catholicisme,  la  Papauté;  et  Napoléon  III  était 
sommé  de  prêter  les  mains  à  cet  attentat  de  tous  le 
plus  funeste.  Et  tandis  qu'il  s'accomplissait,  toute  ,une 
série  d'assauts  étaient  donnés  chez  nous,  avec  autant 
de  patience  que  de  perfidie,  au  traditionalisme  reli- 
gieux. On  sait  ce  qu'il  en  advint. 

La  France  parut  se  ressaisi-  après  la  guerre,  Tin- 


462      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

vasion  et  la  Commune,  et  vouloir  échapper  à  la  Franc- 
Maçonnerie  et  au  Pouvoir  occulte  par  le  retour  au 
traditionalisme  religieux  et  politique.  C'est  ce  que 
marquèrent  les  élections  de  1871.  Mais  la  secte  sut 
semer  entre  les  représentants  de  la  nation  des  divi- 
sions qui  firent  tout  avorter.  Le  traditionalisme  poli- 
tique fut  abattu  en  1874  et  1877,  et  dès  ce  moment 
fut  conduite  lentement,  mais  sûrement,  la  guerre  au 
tmditionalisme  religieux.  Elle  commença  par  l'école 
neutre,  fut  poursuivie  par  l'expulsion  des  congré- 
gations religieuses;  elle  en  est  aujourd'hui  à  la  sépa- 
ration de  l'Eglise  et  de  l'Etat,  en  attendant  qu'elle 
puisse  anéantir  l'Eglise  de  France. 

Tout  ce  qui  a  é  té  tenté  depuis  1880  pour  faire  ou- 
blier aux  Français  ce  qu'ils  ont  été,  ce  qu'Us  sont, 
ce  qu'ils  doivent  être,  a  été  préparé  dans  les  loges. 
Pour  s'en  convaincre  il  n'y  a  qu'à  consulter  le  Bulle- 
tin du  Grand-Orient.  On  y  voit  que  tou'es  les  lois, 
toutes  les  mesurçs  antireligieuses,  antimorales,  anti- 
sociales, prises  par  le  gouvernement  ou  fabriquées 
par  le  Parlement,  ont  été  discutées  et  votées  dans  les 
ateliers  maçonniques  plus  ou  moins  longtemps  avant 
de  l'être  à  la  Chambre  et  au  Sénat.  Lorsque  la  re- 
marque en  fut  faite,  le  Bulletin  du  Grand-Orient 
disparut  du  dépôt  légal,  cessa  d'y  être  porté,  de 
sorte  ,^u'aujourd'hui,  il  est  impossible  d'y  faire  de 
nouvelles  découvertes. 

Donc,  depuis  cent  cinquante  ans,  c'est  toujours 
la  même  marche  inflexiblement  poursuivie  vers  le 
même  but;  ce  sont  toujours  les  mêmes  coups  de 
hache  de  l'invisible  bûcheron  en  vue  de  la  des- 
truction en  France  de  cette  double  racine  de  l'arbre 
français  :  le  traditionalisme  politique  et  le  traditio- 
nalisme religieux.  Aujourd'hui,  l'antitraditionalisma 
religieux  est  poussé  jusqu'à  l'athéisme,  dans  les  écoles 


CORRUPTION     DES     IDÉES  463 

et  l'antitradidonalisme  politique  jusqu'à  la  démoli- 
tion de  l'idée  de  Patrie  dans  l'armée.  Ce  plan  était 
nié  autrefois,  il  ne  l'est  plus,  car  les  francs-maçons 
croient  n'avoir  plus  à  se  gêner,  l'un  des  deux  tra- 
ditionalismes  étant  mort,  disent-ils,  et  l'autre  mou- 
rant. «  Il  nous  plaît  de  constater  que  nous  ne  sommes 
pas  étrangers  à  cette  double  ruine,  disait  en  1902, 
dans  un  chant  de  triomphe,  l'aide-bûcheron  F.'.  Del- 
pech.  Au  point  de  vue  politique,  les  francs-maçons 
ont  varié;  mais  en  tout  temps  la  Franc-Maçonnerie  a 
été  ferme  sur  ce  principe  :  guerre  à  toutes  les  su- 
perstitions, guerre  à  tous  les  fanatismes...  Le  triom- 
phe du  Galiléen  a  duré  vingt  siècles,  il  se  meurt.  » 
Ce  chant  de  victoire  contient  un  mensonge.  Il  dit  : 
guerre  à  toutes  les  superstitions,  à  tous  les  fanatis- 
mes; or,  il  existe  une  «  superstition  »  et  un  «  fana- 
tisme »  que  la  Maçonnerie  n'a  jamais  combattus  : 
c'est  la  «  superstition  »  et  le  «fanatisme  »  juifs. 
Pour  Israël,  contre  le  «  Galiléen  »!  telle  est  la  for- 
mule qui  résume  le  mieux  l'œuvre  maçonnique.  L'au- 
tre point  de  cette  déclaration  —  «  Au  point  de 
vue  politique  les  francs-maçons  ont  varié  »,  —  de- 
mande explication  :  Oui;  la  secte  a  flatté  la  Restau- 
ration, mais  pour  détourner  l'attention  de  ses  ma- 
nœuvres. Elle  a  travaillé  à  l'établissement  du  pou- 
voir personnel  dans  la  personne  des  Napoléons,  mais 
pour  se  servir  d'eux.  Et  pour  ce  qui  est  de  nos  rois^ 
elle  n'a  jamais  cessé  de  porter  dans  son  cœur  et 
d'exécuter,  autant  que  les  circonstances  le  permet- 
taient, ce  mot  d'ordre  qui  lui  a  été  donné  à  l'ori- 
gine :  Lilia  pedïbus  destrue. 

Tout  cela,  la  secte  a  pu  le  faire  grâce  à  son  action 
sur  l'esprit  public  par  les  moyens  ci-dessus  si- 
gnalés. 

Dans   l'ouvrage   déjà  cité-   M.  Bord  donne  le  nom 


464        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

de  «  latomisés  »  aux  personnes  initiées  pu  profa- 
nes qui  sont  imprégnées  de  la  doctrine  maçonnique. 
Les  Romains  appelaient  latomies  des  carrières  où 
l'on  renfermait  des  prisonniers.  Les  «  latomisés  »  sont 
donc  les  captifs  de  la  maçonnerie,  ses  captifs  intel- 
lectuels, ceux  de  l'esprit  desquels  elle  a  pris  pos- 
session. De  ces  captifs  il  y  en  a  beaucoup  plus  dans 
le  monde  profane  que  dans  les  Loges.  Ce  sont  tous 
ceux  en  qui  les  suggestions  maçonniques  ont  plus 
ou  moins  oblitéré  l'idéal  de  nos  aïeux,  l'idéal  qui  a 
fait  la  France.  M.  G.  Bord  fait  cette  observation  qui 
est  aussi  patente  aujourd'hui  qu'avant  la  Révolu- 
tion :  «  Le  latomisé  fut  un  perturbateur  aussi  ter- 
rible que  l'initié,  car  sa  mentalité  était  la  cause  fa- 
tale de  l'ambiance  créée  par  le  dogme  égalitaire.  La 
mentalité  maçonnique  agissait  en  effet  autant  sur  le 
latomisé  que  sur  l'initié,  et  la  plupart  d'entre  eux  ne 
voyaient  pas  exactement  les  transformations  que  la 
maçonnerie  avait  produites  sur  leur  intelligence,  sur 
leur  volonté  et  sur  leur  conscience.  Voilà  précisément 
où  se  trouve  la  force  de  la  Maçonnerie.  Là  aussi  est 
le  danger  qu'elle  présente  ». 

La  France  avait  comme  idéal  la  religion  catholi- 
que et  la  royauté  traditionnelle.  C'est  de  l'union  de 
ces  deux  idées  et  de  ces  deux  faits  qu'est  née  la  pa- 
trie française;  c'est  à  leur  culte  qu'elle  doit  son  dé- 
veloppement, sa  prospérité  et  sa  suprématie  sur  l'Eu- 
rope et  sur  le  monde  civilisé  (1).  Hélas!  combien 
elle  en  est  déchue,  depuis  qu'il  s'est  trouvé  dans  son 
sein  une  association  travaillant  constamment,  et  a^^ec 
tant  de  complices  hors  d'elle,  à  tarir  dans  les  âmes 
ces  deux  sources  de  la  vie  nationale! 


1.  Du  huitième  au  quinzième  siècle,  il  n'y  eut,  de  par 
le  monde,  qu'un  peuple  à  l'apogée  ;  la  France.  Tout  ce 
qu'il  fit  alors  de  grand  naquit  de  la  double  inspiration  reli- 
gieuse et  nationale. 


CORRUPTION     DES     IDEES  465 

Ces  complices,  on  les  trouve  jusque  dans  nos  rangs. 
Pour  ce  qui  est  de  la  tradition  religieuse,  n'est-ce 
point  chez  les  catl:oliques  que  l'Encyclique  Fascendi 
a  dû  aller  chercher  et  condamner  les  fauteurs  ^u 
Modernisme?  Et  que  fait  le  Modernisme?  Il  s'attaque 
hypocritement  aux  racines  mêmes  du  christianisme. 
Comme  le  protestant,  le  moderniste  nie  l'autorité 
divine  de  l'Eglise;  comme  le  rationaliste,  le  moder- 
niste nie  la  divinité  réelle  de  Notre  Seigneur  Jésus- 
Christ;  comme  le  panthéiste  et  l'athée,  le  mo- 
derniste nie  l'existence  réelle  d'un  Dieu  dis'.inct  du 
monde;  comme  le  sceptique,  le  moderniste  refuse 
à  la  raison  humaine  le  pouvoir  de  connaître  réelle- 
ment aucune  vérité.  Et  en  niant  tout  cela,  le  moder- 
niste garde  toute  l'apparence,  toute  la  façade,  toutes 
les  formules  du  catholicisme.  Aussi  Pie  X  a  pu  dire  : 
«  Les  partisans  de  ces  erreurs,  il  n'y  a  pas  aujour- 
à  les  chercher  parmi  les  ennemis  déclarés;  ils  se 
cachent  dans  le  sein  même  et  au  cœur  de  l'Eglise, 
ennemis  d'autant  plus  redoutables  qu'ils  le  sont  moins 
ouvertement.  Nous  parlons  d'un  grand  nombre  de 
catholiques  laïques,  et,  ce  qui  est  encore  plus  à  dé- 
plorer, de  prêtres  qui,  sous  couleur  d'amour  de  l'E- 
glise, se  posent,  au  mépris  de  toute  modestie,  comme 
rénovateurs  de  l'Eglise.  En  phalanges  serrées,  ils 
donnent  audacieusement  l'assaut  à  tout  ce  qu'il  y  a 
de  plus  sacré  dans   l'œuvre  de  Jésus-Christ.  » 

Peut-il  y  avoir  un  péril  plus  grand  pour  la  tradi- 
tion religieuse  et  sa  conservation  dans  notre  pays 
que  celui  qui  est  ici  décrit? 

Le  péril  n'est  pas  moins  grand  pour  la  tradition 
nationale.  Les  Francs-Maçons  estiment  celle-ci  mor- 
te, tandis  qu'ils  ne  voient  encore  qu'à  l'agonie  la 
tradition  religieuse.  Ils  se  trompent.  Le  catholicisme 
n'est  point  mourant  même  en  France;  et  l'idée  mo- 

L'Église  et  le  Temple.  30 


466       l'agent  de  la  civilisation  moderne 

narchique  n'est  point  morte.  Elle  revit.;  elle  se  relè- 
ve des  coups  qui  lui  ont  été  portés  depuis  un  siè- 
cle. Mais  la  secte  n'a  point  jeté  ses  armes;  elle 
continue  le  combat  et  elle  le  poursuit  là  où  elle 
croit  qu'il  sera  plus  décisif.  C'est  pourquoi  elle 
porte  l'attaque  d'abord  dans  les  écoles.  De  Mais- 
tre  a  dit  que  l'histoire,  depuis  la  Réforme,  est  une 
conspiration  contre  la  vérité.  Cette  conspiration  est 
patente  dans  l'enseignement  à  tous  ses  degrés,  aus- 
si bien  à  l'école  primaire  qtie  dans  les  Lycées  et  les 
Universités.  Dans  l'enquête  qui  se  fait  en  ce  moment 
sur  les  livres  classiques,  on  constate  un  égal  achar- 
nement, et  contre  la  vérité  religieuse,  et  contre  la 
vérité  historique  :  à  toutes  les  pages  la  falsification 
voulue  des  faits  et  des  doctrines  est  faite  pour  créer 
dans  l'âme  des  enfants  des  préjugés  indéracinables. 
C'est  la  recommandation  qui  avait  été  faite  à  la 
Haute-Vente  :  «  C'est  à  la  jeunesse  qu'il  faut  aller, 
c'est  elle  qu'il  faut  séduire^  çlle  que  nous  devons 
entraîner  sans  qu'elle  s'en  doute.  » 

Au  sortir  des  écoles,  le  jeune  homme  est  saisi 
par  les  associations;  il  est  catéchisé  par  les  jour- 
naux; il  est  circonvenu  par  des  apôtres  dont  il  ne 
croit  pas  devoir  se  défier  et  qui,  dans  le  fait,  sont 
les  plus  dangereux  parce  qu'ils  se  présentent  sous 
un  visage   religieux   et  patriotique. 

Quel  journal,  quelle  association  plus  acharnés  con- 
tre la  tradition  monarchiste  que  le  Sillon,  pour  ne 
citer  que  lui?  (1)  Les  jeunes  catholiques  qu'il  en- 
traîne par  l'amorce  d'idées  généreuses,  mais  vagues, 
imprécises,  peuvent-ils  se  douter  qu'en  les  hypnoti- 
sant dans   la  contemplation   de  l'idée  démocratique, 


1.  En  plusieurs  provinces,  l'Association  de  la  Jeunesse  ca- 
tholique ne  se  distingue  point  assez  du  Sillon  sous  ce  rap- 
port. 


CORRUPTION     DES     IDEES  467 

le  Sillon  fait  les  affaires  de  la  Maçonnerie?  Peu- 
vent-ils se  douter  que  l'idée  fondamentale  du  Sillon 
est  une  idée  juive,  une  de  ces  idées  qui  sont  employées 
par  la  secte  judéo-maçoimique  pour  asservir  \x  France 
et  saper  le  catholicisme?  Ils  ne  le  peuvent,  car, 
dans  leurs  cercles  d'études,  on  se  garde  bien  de 
porter  leur  attention  du  côté  de  la  secte.  Par  l'étude 
sérieuse,  approfondie  de  la  question  maçonnique,  ils 
verraient  ce  que  la  secte  se  propose,  les  moyens 
qu'elle  emploie  pour  arriver  à  ses  fins,  les  sugges- 
tions qu'elle  croit  utile  de  répandre  pour  se  donner 
des  collaborateurs  parmi  «  les  profanes  ».  Ils  ver- 
raient que  ces  collaborateurs,  elle  les  cherche  de 
préférence  parmi  eux  à  raison  des  qualités  natu- 
relles à  la  jeunesse  et  des  ressources  qu'elle  pré- 
sente pour  l'apostolat  dans  le  présent  et  pour  les 
institutions  à  établir  dans  l'avenir.  Profitant  de  la 
simplicité  et  de  la  candeur  propres  à  leur  âge,  elle 
travaille  à  faire  de  leur  association  une  école  de 
dissociation  anticatholique  aussi  bien  qu'antifrançai- 
se.  N'a-t-on  point  vu  le  Sillon  s'adjoindre  aux  in- 
sulteurs  de  Jeanne  d'Arc?  S'il  est  une  tradition  fran- 
çaise digne  de  respect  et  d'enthousiasme,  c'est  pour- 
tant bien  celle-là.  Ne  voit-on  pas  le  SMon  faire 
partout  alliance  avec  les  protestants,  et  même  avec 
les  Unions  chrétiennes  dont  le  but  avoué  est  d'en- 
traîner la  jeunesse  de  tous  les  pays  du  monde  dans 
une  religiosité 'qui  secoue  le  joug  de  tout  dogme?  Les 
choses  semblables  s'appellent  et  la  haine  de  la  tra- 
dition monarchique  devait  nécessairement  amener 
après  elle  au  moins  l'indifférence  dans  l'ordre  reli- 
gieux. 

Le  Pape,  les  évêques  les  ont  maintes  fois  aver- 
tis pour  ce  qui  regarde  la  religion;  des  hommes  di- 
gnes  de    toute    considération    les    avertissent    peur 


468     l'agent    de   la   civilisation    moderne 

ce  qui  est  de  la  patrie.  Ils  ferment  obstinément 
l'oreille,  tant  la  suggestion  maçonnique  s*est  ptiissam- 
ment  emparée  de  leur  esprit.  Combien  y  en  a-t-il 
parmi   eux   qui  peuvent   s'en   rendent  compte! 

Pour  qui  a  étudié  la  secte  maçonnique,  q^ui  con- 
naît ses  visées  et  les  moyens  d'action  qu'elle  s'est 
donnés,  il  n'est  pas  douteux  que  son  influence  ne 
s'exerce  parfois,  même  dans  les  journaux  réputés 
les  meilleurs.  A  la  manière  dont  sont  traitées  cer- 
taines questions,  on  sent  le  souffle,  l'inspiration  de 
la  secte.  S'il  est  une  question  urgente  entre  toutes, 
c'est  bien  celle  de  l'union  des  catholiques  dans  une 
même  pensée  et  dans  une  même  action.  Dès  les 
premiers  jours  de  son  pontificat,  dans  sa  première 
Encyclique,  notre  Saint-Père  le  Pape  Pie  X  a  mar- 
qué l'unique  terrain  sur  leqiuel  ils  peuvent  s'enten- 
dre et  unir  leurs  efforts.  Il  s'y  est  placé  lui-même, 
les  invitant  à  se  grouper  autour  de  lui  et  s'offrant 
à  les  diriger.  «  En  face  de  la  guerre  impie  qui  a  été 
soulevée  et  qui  va  se  poursuivant  presque  pai'tout 
contre  Dieu...  si  l'on  nous  demande  une  devise  tra- 
duisant le  fond  même  de  notre  âme,  nous  ne  don- 
nerons jamais  que  celle-ci  :  Restaurer  toutes  cho- 
ses dans  le  Christ...  Il  en  est,  et  un  grand  nombre, 
nous  ne  l'ignorons  pas,  qui,  poussés  par  l'amour 
de  la  paix,  c'est-à-dire  de  la  tranquillité  de  l'Ordre, 
s'unissent  et  se  groupent  pour  former  ce  qu'ils  ap- 
pellent le  parti  de  V Ordre.  Hélas!  vaines  espérances, 
peines  perdues!  De  partis  d'Ordre  capables  de  ré- 
tablir la  tranquillité  au  milieu  de  la  perturbation 
des  choses,  il  n'y  en  a  qu'un  :  le  Parti  de  Dieu.  » 
Cette  parole  devait,  ce  semble,  rallier  tous  les  orga- 
nes catholiques  de  publicité.  Mais  non.  Les  plus 
ostentatoirement  catholiques  ont  préféré  au  Farti  de 


CORRUPTION     DES     IDÉES  469 

Dieu,  le  parti  de  V  Ordre,  et  à  l'action,  catholique, 
l'action  libérale!  Et  lorsque  la  constitution  du  Parti 
de  Dieu  demande,  actuellement,  que  chacun  dans 
la  défense  des  droits  de  Dieu,  de  l'Egliso  et  des  âmes 
fasse  abstraction  de  ses  préférences  politiques,  ces 
mêmes  journaux  «  catholiques  »  ont  exigé  préala- 
blement à  toute  entente  et  à  toute  action  commune, 
une  profession  de  foi  républicaine.  Qui  ne  recon- 
naîtrait en  cela  .l'inspiration  maçonnique,  la  sug- 
gestion de  la  secte  qui  nous  a  dotés  de  la  républi- 
que tout  en  déclarant  de  vive  voix  et  par  ses  œuvres 
que  la  République  n'est  autre  chose  que  «  la  maçon- 
nerie à  découvert?  »  Ce  n'est  pas  à  la  légère  que 
M.  Copin-Albancelli  a  dit  :  «  Le  journal  modéré,  pa- 
triote, religieux  même,  peut  avoir,  sans  qu'il  le  sa- 
che, son  ou  ses  francs-maçons  qui  n'y  disent  que 
ce  qu'ils  peuvent  dire.  S'il  n'a  pas  son  ou  ses  francs- 
maçons,  il  a  tel  et  tel  de  ses  rédacteurs  qui  sont 
imbibés,  grâce  à  des  «  influences  individuelles  soi- 
gneusement couvertes  »,  d'esprit  maçonnique  dilué 
dans  la  mesure  où  il  convient  pour  qu'il  soit  assi- 
milable dans  le  milieu  où  il  doit  agir.  Ces  maçonni- 
sants  transmettent  à  leur  tour  à  leurs  confrères  l'es- 
prit qu'ils  ont  reçu.  Et  c'est  ainsi  que  notre  presse, 
même  celle  d'opposition,  est  attaquée  sur  bien  des 
points  par  des  infiltrations  maçonniques  (1).  Il  en 
est  de  même  des   ateliers,   des  salons,   des   groupes 

1.  M.  Louis  Teste  a  raconté  ce  gui  suit  : 
«  Un  de  nos  évêques,  aujourd'hui  archevêque,  étant 
allé  pour  je  ne  sais  plus  quelle  affaire  voir  à  son  bureau 
un  de  nos  confrères,  le  trouva  en  compagnie  de  quelques- 
uns  de  ses  collaborateurs,  qui  lui  furent  aussitôt  présentés; 
mais  deux  d'entre  eux  s'étaient  déjà  précipités  pour  baiser 
l'anneau  épiscopal,  bien  qu'à  Paris  ce  ne  soit  pas  l'usage, 
ce  que  je  constate  sans  l'apprécier.  En  sortant,  l'évêque 
dit  à  la  personne  qui  l'accompagnait  :  «  Ohl  il  y  a  là 
deux  bien  bons  catholiques,  MM.  Untel  et  Untell  »  C'était 
les  deux  Juifs  qui  avaient  baisé  l'anneau.  Je  tiens  l'anec- 


470         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

que  nous  constituons  ».  On  peut  dire  à  coup  sûr 
que  tout  ce  qui  est  marqué  de  l'estampille  «  libé- 
ral »  vient  des  Loges  par  des  voies  plus  ou  moins 
détournées.    En   tout   cas,    il   fait   leurs    affaires. 

Que  conclure? 

Le  Pouvoir  occulte  a  basé  sa  domination  sur  un 
état  d'esprit. 

Cet  état  d'esprit  est  antitraditionaliste.  Antitradi- 
tionalisme religietix  et  antitraditionalisme  politique. 
Il  est  le  résultat  des  divisions  successives  opérées 
chez  nous  depuis  quatre  siècles. 

Lorsqu'un  ouvrier  carrier  veut  briser  un  bloc  de 
pierre,  dit  M.  Copin-Albancelli,  il  commence  par  le 
séparer  en  deux  morceaux.  Il  s'attaque  ensuite  et 
successivement  à  l'un  et  à  l'autre  de  ceux-ci,  qu'il 
subdivise  à  leur  tour.  Il  continue  ainsi,  en  faisant 
des  morceaux  de  plus  en  plus  petits,  jusqu'à  ce 
qu'ils  soient  réduits  à  la  dimension  qui  lui  con- 
vient. 

Tel  est  le  procédé  qui  a  servi  à  réduire  la  France  à 
l'état  où  nous  la  voyons. 

Son  adversaire  commença  par  la  briser  eu  deux 
grands  fragments.  Ce  fut  le  jour  où  il  réussit  à  y 
introduire  le  protestantisme. 

dote    de    première    main    et    j'en    garantis    l'authenticité.  » 
A  ceux  çfui  s'étonneraient  de  ce  qui  est  dit  ici,  il  n'y  a  qu'à 
leur  mettre  sous  les  yeux  la  revue  maçonnique  L'Acacia, 
numéro    de   mars    1908,   page   235  : 

«  Pourquoi,  quand  la  Croix  aura  le  monopole  incon- 
testé de  la  direction  des  catholiq^ues,  ne  nous  en  empare- 
rions-nous pas,  avec  le  concours  des  Juifs,  des  protestants 
et  du  gouvernement,  en  achetant  les  actions? 

»  On  balayerait  alors  toute  la  rédaction  cléricale  «  pour 
en  substituer  une  de  libres-penseurs  malins  qui  conservet- 
raient  d'abord  le  ton  de  la  maison,  puis  le  changeraient 
peu  à  peu.  »  Faire  évoluer  un  journal  sans  que  les  lecteurs 
s'en  doutent,  comme  un  fabricant  de  chocolat  change  son 
cacao,  c'est  V enfance  de  l'art.  » 


CORRUPTION     DES     IDÉES  471 

Le  bloc  catholique  et  monarchiste  français,  après 
qu'il  eut  été  réduit  par  la  brisure  résultant  de  l'éta- 
blissement du  protestantisme,  fut  brisé  à  nouveau 
par  la  philosophie  du  XVIIL'  siècle.  L'éclatement  fut 
même  alors  double  :  il  se  produisit  dans  le  sens 
religieux  et  dans  le  sens  politique.  La  Révolution 
en  fut  la  conséquence  et  après  elle,  à  la  place  de 
ce  bloc  catholique  et  monarchiste  déjà  léduit,  il  y 
eut,  d'une  part,  des  catholiques  et  des  «  philosophes  » 
et,  d'autre  part,  des  monarchistes  et  des  républi- 
cains. 

Survint  l'Empire  qui  fut  une  tentative  de  réagglu- 
tination due  à  l'ambition  et  au  génie  d'un  homme 
appuyés  sur  l'instinct  de  conservation  de  la  nation. 
Lorsque  cet  homme  tomba,  la  tâche  de  la  Restaura- 
tion était  devenue  bien  difficile;  car,  au  lieu  du  bloc 
national  d'autrefois,  il  y  avait  alors  en  France  des 
catholictues,  des  protes'.ants,  des  déistes,  des  athées, 
des  royalistes,  des  impérialistes  et  des  républicains. 
Un  nouveau  morcellement  fut  opéré  lorsque  la  bran- 
che cadette  succéda  à  la  branche  aînée  :  Un  parti 
orléaniste  exista  dès  lors  à  côté  des  autres  déjà  si 
nombreux. 

Depuis  lors,  le  mystérieux  ennemi  n'a  cessé  de 
travailler  dans  le  même  sens.  Il  a  frappé  sans  re- 
lâche et  sans  que  personne  le  vît  agir  sur  les  frag- 
ments produits  par  les  éclatements  successifs  de  l'an- 
cien bloc  français.  Si  bien  que  maintenant  non  seu- 
lement il  y  a  en  France  des  catholiques,  des  pro- 
testants, des  déistes,  des  athées,  des  royalistes,  des 
impérialistes  et  des  républicains,  mais  encore  cha- 
cun de  ces  groupements  se  trouve  subdivisé  en  un 
nombre  sans  cesse  grandissant  de  sous  g;oupements. 
.  Regardez  partout,  à  droite,  à  gauche,  chez  les 
croyants   et   chez   les   incroyants^   chez   les   pat  iotes 


472         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

et  chez  ceux  qui  ne  le  sont  plus,  chez  les  autoritaires 
et  chez  les  libéraux,  dans  tous  les  milieux,  dans 
tous  les  camps,  à  tous  les  degrés  de  l'échelle  so- 
ciale, c'est  la  guerre  incessante,  sans  cesse  renouvelée 
sous  un  prétexte  ou  sous  un  autre. 

Les  germes  en  ont  été  inoculés  aux  générations 
qui  ont  précédé  la  nôtre  par  l'ennemi  masqué  au- 
quel nous  avons  affaire  et  ils  nous  ont  été  transmis 
comme  une  conséquence  inéluctable  d'états  de  cho- 
ses  antérieurs. 

A  ce  déplorable  état  il  n'y  a  qu'une  seule  chose 
à  opposer  :  les  doctrines  vraies  aux  doctrines  fausses;, 
une  contre-propagande  tendajit  à  remettre  en  hon- 
neur, avec  une  constance  inlassable,  les  principes 
de  notre  race,  à  créer  un  esprit  opposé  à  celui  que 
la  secte  n'a  que  trop  fait  prévaloir, 

«  L'Ancienne  France,  dit  M.  Gustave  Bord,  avait 
comme  idéal  la  religion  catholique  et  la  royauté 
traditionnelle.  C'est  de  ces  deux  croyances  qu'est 
née  la  Patrie  française;  des  doctrines  maçonniques 
ont  pu  nous  la  faire  oublier  momentanément,  mais 
je  reste  convaincu  que  la  France  de  demain  repren- 
dra ses  anciennes  traditions  ;  qUe  celles-ci  seront  d'ac- 
cord avec  les  nécessités  du  monde  moderne  et  que 
notre  pays  redeviendra  la  nation  énergique  et  gé- 
néreuse qu'elle  fut  sous  ses  rois.   » 


CHAPITRE  XXXIV 
CORRUPTION  DES  IDÉES  (stiite) 


VI.  -  PROPAGANDE  PAR  LE  COLPORTAGE 
ET  PAR  LES  ÉCOLES 

Ainsi  donc  pour  répandre  les  idées  qu'elle  a  in- 
térêt à  faire  prévaloir,  la  Franc-Maçonnerie  use  tout 
d'abord  «  d'influences  soigneusement  couvertes  »,  in- 
fluences des  hauts  initiés  sur  les  vulgaires  maçons, 
influences  des  maçons  sur  les  sociétés  qu'ils  ont  or- 
ganisées ou  dans  lesquelles  ils  ont  pu  s'introduire, 
et  par  elle  et  par  eux,  influences  sur  l'opinion  pu- 
bliée dans  toutes  les  classes  de  la  société. 

Mais  pour  arriver  aux  résultats  qu'il  veut  obtenir, 
le  parti  occulte  ne  se  contente  point  de'  ces  influences. 

Dans  sa  lettre  du  18  janvier  1822,  Piccolo-Tigre 
se  félicitait  des  ressources  abondantes  qu'il  tirait 
de  Londres  pour  la  propagande  par  la  brochure  et 
le  journal  des  idées  libérales  et  humanitaires, 

«  Des  offres  considérables  m'ont  été  faites.  Bien- 
tôt nous  aurons  à  Malte  une  imprimerie  à  notre  dis- 
position  (1).   Nous   pourrons   donc   avec  impunité,   à 

1.  En  mars  1763,  Voltaire  écrivait  à  Helvétius  :  «  Pour- 
(pioi  les  adorateurs  de  la  raison  restent-ils  dans  le  silence 


474         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

coup  sûr,  et  sous  le  pavillon  britannique,  répondre 
d'un  bout  de  l'Italie  à  l'autre,  les  livres,  brochures, 
etc.,  que  la'  Vente  jugera  à  propos  de  mettre  en  circu- 
lation ».  Le  5  janvier  1846,  le  même  écrivait  de  Li- 
vourne  à  Nubius  :  «  Nos  imprimeries  de  Suisse  sont 
en  bon  chemin.  Elles  produisent  des  livres  tels  que 
nous  les  désirons;  mais  c'est  un  peu  cher;  j'ai  con- 
sacré à  cette  propagande  nécessaire  une  assez  forte 
partie  des  subsides  recueillis.  Je  vais  utiliser  le  res- 
te dans  les  légations   ». 

Maintenant,  la  secte  a  ses  imprimeries  partout,  et 
le  colportage  de  leurs  productions  est  favorisé  par 
les  lois. 

Ln  1881,  la  liberté  complète  du  colportage  fut 
greffée  sur  la  liberté  complète  de  l'imprimerie  et 
de  la  librairie.  Los  vagabonds,  les  repris  de  justice 
reçurent  le  droit  de  répandre  les  brochures  les  plus 

et  dans  la  crainte?  Qui  les  empêcherait  d'avoir  chez  eux 
une  petite  imprimerie  et  de  donner  des  ouvrages  utiles 
et  courts,  dont  leurs  amis  seraient  les  seuls  dépositaires?... 
On  oppose  ainsi,  au  Pédagogue  chrétien  et  au  Fensez-y  bien, 
de  petits  livres  philosophiques  qu'on  a  soin  de  répandre 
partout  adroitement.  On  ne  les  vend  point,  on  les  donne  à 
des  personnes  affiliées,  qui  les  distribuent  à  des  jeunes 
gens  et  à  des  femmes...  » 

*Le  conseil  fut  suivi,  nous  l'avons  vu  plus  haut,  et  ce  fut 
l'une  des  choses  qui  préparèrent  le  mieux  la  Révolution. 
Un  M.  Leroy,  lieutenant  des  chasses  royales,  s'écriait 
en  1789,  dans  un  dîner  raconté  par  Barruel  et  qui  avait 
lieu  chez  M.  d'Angevilliers,  mtendant  des  bâtiments  du 
roi  :  «  J'étais  le  secrétaire  du  comité  à  qui  vous  devez  cette 
Révolution  et  j'en  mourrai  de  douleur  et  de  remords...  La 
plupart  de  ces  livres  que  vous  avez  vu  paraître  depuis 
longtemps  contre  la  religion,  les  mœurs  et  le  gouvernement, 
étaient  notre  ouvrage,  et  nous  Tes  envoyions  à  des  colpor- 
teurs qui,  les  recevant  pour  rien,  les  vendaient  au  plus  bas 
prix...  Voilà  ce  qui  a  changé  ce  peuple  et  l'a  conduit  au 
point  où  vous  le  voyez  aujourd'hui  ». 

De  l'aveu  i^e  M.  Didier,  aveu  fait  à  la  Chambre  des  Dé- 
putés en  1833,  le  conseil  de  Piccolo-Tigre,  renouvelé  de 
Voltaire  en  1822,  eut  à  la  Révolution  de  1830  la  part  qu'il 
avait  eue  à  la  Révolution  de  1798.  (Voir  ci-dessus,  p.<232). 


CORRUPTION      DES     IDÉES  475 

impies  et  Les  plus  immondes.  Et  cependant,  quel- 
ques années  auparavant,  le  préfet  de  police  avait 
établi  que  le  colportage  n'employait  pas  moins  de 
dix  à  douze  mille  agents,  répandant  frauduleusement 
quinze  millions  de  publications  malsaines  et  hon- 
teuses. Ce  n'était  j)oint  assez,  on  décréta  une  liber- 
té plus  complète.  De  plus,  les  auteurs  des  œuvres 
ainsi  colportées  furent  glorifiés  afin  de  leur  donner 
plus  de  crédit  auprès  du  peuple  (1). 

Ce  sont  surtout  les  journaux  qui  servent  à  répan- 
dre les  idées  que  la  secte  veut  semer  dans  le  public. 
Les  feuilles  qui  sont  à  sa  dévotion  sont  légion;  elles 
sont  graduées  avec  un  art  infernal,  pour  toutes  les 
classes  possibles  de  lecteurs,  afin  que  chacun,  se- 
lon le  degré  où  son  esprit  est  parvenu  sur  la  voie 
de  l'erreur,  puisse  se  procurer  le  périodique  atiqUel 
son  esprit  puisse  s'adapter  et  marcher  de  compagnie 
avec  lui.  La  poésie  et  le  roman,  les  beaux-arts  et 
les  sciences,  l'histoire  du  passé  et  l'exposé  des  évé- 
nements présents,  tout  sert,  dans  la  mesure  qui  con- 
vient au  public  auquel  s"adresse  spécialement  telle 
ou  telle  feuille,  à  répandre  les  idées  d'affranchis- 
sement intellectuel,  moral  et  religieux  qui  sont  le 
fond   de   l'esprit   maçonnique. 

Les  congrès  ont  bien  souvent  été  employés  au 
même  but.  C'est  de  l'existence  de  la  Haute-Vente 
que  date  l'impulsion;  qui  leur  est  donnée.  On  sait  com- 
bien,  en  ces  derniers  temps,  ils  se  sont  multipliés, 

1.  Oa  vient  d'ériger  une  statue  à  Eugène  Sue  et  de  célé- 
brer son  Centenaire;  il  a  été  précédé  par  des  réclames 
bamnmesques  en  faveur  de  ses  œuvres.  Tous  les  cinq  ou 
six  ans,  des  journaux  reprennent  ^on  Juif  Errant,  ses 
Mystères  de  Paris,  en  feuilleton;  des  éditions  de  livraisons 
en  approvisionnent  le  marché  sans  reliche,  pour  qu'aucune 
génération  ne  grandisse  sans  avoir  bu  le  poison  qu'elles  con- 
tiennent. 


476         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

SOUS  toutes  les  étiquettes  possibles.  Il  ne  fut  d'a- 
bord question  que  de  congrès  scientifiques.  Le  pa- 
pe Grégoire  XVI  s'y  opposa  avec  une  inébranlable) 
fermeté.  Il  ne  put  éloigner  ce  'fléau  de  l'Italie,  où 
les  princes  se  laissèrent  forcer  la  main;  du  moins 
il  en  préserva  Rome.  Les  congrès  scientifiques  fu- 
rent en  Italie  en  1845  ce  que  furent  en  France, 
deux  ans  plus  tard,  les  banquets  démocratiqfues.  De 
plus,  ils  servirent  aux  esprits  aventureux  à  se  con- 
naître, aux  affidés  à  semer  leurs  idées,  à  la  secte  à 
jeter  le  discrédit  et  le  mépris  sur  les  dogmes  chré- 
tiens. 

Mais  pour  être  profonde,  pour  être  tenace,  pour 
être  générale,  la  propagande  des  idées  doit  être  ert- 
treprise  dès  le  bas  âge,  dans  l'éducation.  Dans  ses 
instructions  au  «Régent»,  Weishaupt  dit  :  «  Il  faut 
pourtant  gagner  à  notre  Ordre  le  commun  du  peu- 
ple :  le  grand  moyen  pour  cela  est  l'influence  sur  les 
écoles...  Vous  devez  sans  cesse  voir  comment  on 
peut,  dans  vos  provinces,  s'emparer  de  l'éducation 
publique,  du  gouvernement  ecclésiastiqlie,  des  chai- 
res d'enseignement  et  de  prédication  ».  Ecrasez  l'en- 
nemi quel  qu'il  soit,  disaient  les  Instructions  aux 
membres  de  la  Haute-Vente,  mais  surtout  écrasez-lé 
dans  l'œuf.  C'est  à  la  jeunesse  qu'il  faut  aller,  c'est 
elle  qu'il  faut  séduire,  elle  qu'il  faut  entraîner,  sans 
qu'elle  s'en  doute...  Allez  à  la  jeunesse,  et,  si  c'est 
possible,  jusqu'à  l'enfance  ». 

Ces  Instructions  n'étaient  point  de  celles  que  les 
membres  de  la  Haute-Vente  dussent  garder  pour  eux 
seuls.  Ils  ne  pouvaient,  à  quarante,  endoctriner  tou- 
te la  jeunesse  européenne.  Elles  devaient  être  trans- 
mises de  proche  en  proche,  plus  ou  moins  expli- 
cites   ou   voilées,    selon   le   degré   d'avancement   des 


CORRUPTION     DES     IDÉES  .  477 

personnes  auxquelles  on  voulait  les  faire  parvenir. 
Elles  étaient  particulièrement  destinées  à  ceux  qui 
s'occupent  de  Tinstruction  de  la  jeunesse,  dans  les 
lycées,  dans  les  collèges,  dans  les  écoles  et  même 
dans  les  séminaires.  Il  n'était  point  nécessaire  que 
toutes  les  personnes  appelées  à  cette  propagande  fus- 
sent engagées  dans'  les  liens  de  la  Maçonnerie;  il  suf- 
fisait, il  suffit  toujours,  qu'elles  aient  l'esprit  ma- 
çonnique; celles-ci  sont  même  considérées  comme  les 
plus. utiles,  parce  qu'elles  inculquent  les  idées  vou- 
lues à  la  jeunesse  qui  leur  est  confiée  sans  se  dou- 
ter du  mal  qu'elles  lui  font. 

Aux  autres,  aux  initiés,  on  recommandait  une  ex- 
trême prudence.  Elle  était  plus  nécessaire  alors  qu'au- 
jourd'hui, plus  dans  les  Etats  pontificaux  que  chez 
nous.  Elle  était  exigée,  surtout  de  ceux  qui,  d'une 
manière  ou  d'une  autre,  directement  ou  indirecte- 
ment, pouvaient  avoir  quelque  influence  sur  l'édu- 
cation de  la  noblesse  ou  du  clergé. 

Le  document  publié  par  Mgr  Gerbet,  après  avoir 
dit  qu'il  faut  s'efforcer  d'entraîner  dans  le  sillon 
maçonnique  les  autorités  civiles  et  militaires,  les 
rois  et  les  princes  eux-mêmes,  ajoute  :  «  et  surtout 
leurs  enfants...  C'est  par  des  auteurs  célèbres,  dont 
la  morale  s'accorderait  avec  nos  desseins,  que  nous 
paralyserons  et  ébranlerons  leur  puissance.  C'est  par 
d'aussi  sages  mesures  mises  à  profit  avec  prudence, 
et  surtouf  appliquées  à  propos  à  de  jeu  le?  cœurs  tiop 
faibles  pour  en  discerner  le  vrai  but,  que  nous  les 
amènerons  à  nous  seconder  pour  le  grand  œuvre  ». 
C'est  ce  que  l'on  n'a  cessé  de  pratiquer.  Pour  ne  ci- 
ter qu'un  exemple,  la  secte  avait  réussi  à  faire  ad- 
mettre conrnie  précepteur  du  prince  Rodolphe,  hé- 
ritier présomptif  de  l'empereur  François-Joseph,  un 
apostat,  croyons-nous,   et  pour  maîtres  des   savants. 


478        l'agent   pe   la   civilisation   moderne 

comme  le  naturaliste  Brehm,  qui  ne  croyaient  ni 
en  Dieu,  ni  en  la  vie  future.  L'on  sait  comment 
cet  infortuné  prince  roula  jusqu'à  l'abîme  le  plus 
profond  du  déshonneur  et  du  désespoir. 

Ici  encore,  nous  voyons  observées  de  nos  jours 
les  instructions  de  Weishaupt.  Voici  celles  qui  avaient 
été  données  à  celui  dont  il  avait  fait  choix  pour 
être  gouverneur  de  l'héritier  présomptif  de  la  cou- 
ronne de  Bavière  en  1785. 

«  I.  On  visera  à  ce  que  les  connaissances  du  prin- 
ce soient  étendues,  mais  non  pas  profondes.  S'atta- 
quer directement  au  sentiment  religieux  inné  à  la 
jeunesse,  serait  imprudent;  en  procédant  indirecte- 
ment, on  obtiendra  d'excellents  résultats.  Il  suffi- 
ra de  montrer  dans  renseignement  une  opposition 
entre  la  science  et  la  foi. 

»  II.  L'éducateur  étudiera  soigneusement  le  carac- 
tère de  son  élève.  Il  est  deux  points  surtout  au  su- 
jet desquels  il  devra  obtenir  une  connaissance  cer- 
taine :  Quels  sont  les  plaisirs  vers  lesquels  le  prince 
se  sent  le  plus  attiré?  Quelles  sont  les  passions  do- 
minantes dans  sa  nature?  Le  gouverneur  aura  soin 
de  nourrir  les  penchants  et  les  passions  du  prince. 
La  jeunesse,  légère  de  sa  nature,  aime  cela,  s'en 
montre  reconnaissante  et  s'attache  à  ceux  qui  agis- 
sent ainsi  avec  elle.  Mais  on  évitera  de  dépasser  une 
certaine  mesure,  afin  d'éviter  que  la  satiété  se  pro- 
duise. Il  faut  maintenir  la  soif.  Les  connaissances 
étendues  et  superficielles  produisent  la  vanité.  On 
la  flattera  :  la  jeunesse  inexnérimentée  se  laisse  tou- 
jours séduire  par  des  louanges. 

»  III.  Une  attention  spéciale  sera  attachée  au  choix 
des  lectures.  On  vantera  les  ouvrages  écrits  dans 
l'esprit    de   la   loge   comme   faisant  époque    dans    la 


CORRUPTION     DES     IDÉES  41^ 

science,  et  comme  perles  littéraires.  Quand  le  public 
se  sera  laissé  prendre  à  ces  manœuvres,  le  gou- 
verneur signalera  au  prince  les  publications  en  ques- 
tion comme  faisant  sensation  et  dignes  d'être  lues 
avec  attention. 

»  IV.  Il  importe  de  donner  à  la  jeunesse,  de  bon- 
ne heure,  au  moyen  de  la  parole  et  des  lectures,  un 
certain  intérêt,  voire  V estime  du  suicide!  On  signale- 
ra le  suicide  comme  l'acte  le  plus  élevé  du  courage 
viril,  surtout  dans  certains  cas  spéciaux.  » 

Le  prince  héritier  de  Bavière,  plus  heureux  que  le 
prince  Rodolphe,  fut  préservé  du  sort  d'une  pareil- 
le éducation. 

C'est  à  ces  précepteurs  surtout  que  les  Instruc- 
tions recommandent  la  prudence  :  «  N'ayez  jamais 
pour  ces  enfants  un  mot  d'impiété  ou  d'impureté  : 
Maxima  debetur  puero  rêver entia.  N'oubliez  jamais 
ces  paroles  du  poète,  car  elles  vous  serviront  de 
sauvegarde  contre  des  licences  dont  il  importe  es- 
sentiellement de  s'abstenir  dans  l'intérêt  de  la  cau- 
se. Pour  la  faire  fructifier  au  seuil  de  chaque  fa- 
mille, pour  vous  donner  droit  d'asile  au  seuil  do- 
mestique, vous  devez  vous  présenter  avec  toutes  les 
apparences  de  l'homme  grave  et  moral  (1).  »  Il  peut 
paraître  étonnant  que  l'on  recommande  ici  de  ne 
pas  dire  un  mot  d'impiété,  alors  qu'il  s'agit  «  d'a- 
néantir  l'idée   chrétienne  »;    mais,    nous    avons   déjà 


1.  Weishaupt,  t.  III,  p.  35,  disait  à  ses  Frères  insinuants: 
«  Le  Frère  insinuant  peut  avoir  tous  les  vices,  mais  ne  doit, 
en  même  temps,  jamais  se  laisser  voir  que  sous  le  plus 
parfait  extérieur  d'honorabilité  et  de  vertu.  Il  lui  est  pres- 
crit de  s'appliquer  «  à  la  perfection  extérieure  ».  II  doit 
voir  comment  il  pourra  s'emparer  de  l'éducation,  des  chaires 
d'enseignement,  du  gouvernement  ecclésiastique.  Il  pourra 
avoir  l'air  de  remplii*  q-uelque  fonction  en  faveur  de  ces 
mêmes  puissances,  dont  la  destruction  doit  être  son  unique 
objet.  » 


480        l'agent   pe   la   civilisation   moderne 

vu  et  l'on  verra  mieux  encore  plus  loin,  par  quels 
mots,  par  quelles  idées  qui,  de  prime-abord  parais- 
sent în offensifs,  la  Maçonnerie  parvient  à  inculquer 
dans  les  esprits,  à  propager  dans  les  masses,  à  fai- 
re régner  dans  la  société  ses  principes  qui  sont  tout 
l'opposé   des   principes    chrétiens. 

Voici  un  fait  qui  montre  bien  que  Voltaire,  Wei- 
shaupt,    Nubius    sont   toujours    fidèlement    obéis. 

Dans  les  premiers  jours  de  juin  1892,  le  corres- 
pondant parisien  du  Courrier  de  Bruxelles  lui  com- 
muniqua ce  qui  suit  : 

«  C'était  à  l'époque  où  les  Chambres  siégeaient  en- 
core à  Versailles  et  où  par  conséquent  sénateurs, 
députés,  journalistes,  habitant  Paris,  étaient  condam- 
nés à  des  voyages  presque  quotidiens.  Je  me  trou- 
vais un  jour  dans  un  compartiment  du  train,  dit 
parlementaire,  en  compagnie  de  M.  Madier  de  Mont- 
jau,  de  M.  et  Mme  Lockroy,  des  enfants  Hugo,  Geor- 
ges et  Jeanne.  On  parla  d'un  jeune  homme  ami  des 
deux  familles,  dont  on  dit  beaucoup  de  bien.  Com- 
me Mme  Lockroy  rappelait  que  cet  adolescent  avait 
eu  longtemps  des  idées  «  réactionnaires  et  clérica- 
les »,  Madier  l'interrompit  :  «  Oui,  oui,  mais  je  lui 
ai  inoculé  le  virus  (1),  et  maintenant  il  l'a  bien  ». 
Jamais  je  n'oublierai  l'air  véritablement  infernal  avec 
lequel  ces  paroles  furent  prononcées.  Toute  la  haine 
antireligieuse  de  Madier'  de  Montjau  apparaissait  dans 
ses  yeux,  sa  voix  sifflante,  son  rictus  de  fanatique  ». 

A  ce  Madier  de  Montjau  le  gouvernement  maçon- 
nique fit  des  funérailles  aux  frais  de  l'Etat! 

Ce  n'est  plus  seulement  les  fils  des  princes  que 
les  F.  • .  Insinuants   ont  mission  de  corrompre  intel- 


1.  «  Inoculer  le  virus  »,  «  infiltrer  le  venin  »,  ce  sont 
les  propres  expressions  employées  dans  les  Instructions 
secrètes    données    aux    Quarante    de    la    Haute-Vente. 


CORRUPTION     DES     IDÉES  481 

lectuellement,  mais  tous  les  enfants  du  peuple.  Des 
instructions  sont  données  en  ce  sens  aux  instituteurs 
par  les  journaux  pédagogiques.  Qu'il  suffise  de  ci- 
ter une  seule  note  de  VAction  scolaire  (n»  d'octo- 
bre 1900).  Elle  pose  cette  question  :  «  Comment  les 
maîtres  laïques  parviendront-ils  à  détruire  l'influen- 
ce du  prêtre?  »  Elle  répond  :  «  Un  entretien  de  quel- 
ques minutes  avec  les  enfants  qui  reviennent  de  l'é- 
glise  suffirait  pour  anéantir  les  ravages  causés  dans 
leur  intelligence  par  les  leçons  du  catéchisme.  En 
les  interrogeant  habilement,  le  maître  saurait  cha- 
que fois  quel  genre  de  poison  le  prêtro  vient  encore 
d'inoculer  à  ses  victimes,  et  le  remède  lui  serait 
aisé  à  appliquer  :  ce  serait  une  petite  conversation 
avec  toute  la  classe,  se  rapportant,  sans  en  avoir  l'air, 
à  la  leçon  du  curé  et  qui  montrerait  nettement  que 
celui-ci  est  un  menteur  effronté  ». 

Il  paraît  incroyable  que  la  seçie  ait  pu  concevoir 
l'espoir  d'atteindre  même  les  séminaristes.  C'est  par 
une  fin  de  non-recevoir  que  beaucoup  nous  ont  re- 
poussé, lorsque,  dans  la  Semaine  religieuse  du  diocè- 
se de  Cambrai,  nous  avons  jeté  un  cri  d'alarme  en 
présence  des  tentatives  faites  récemment  auprès  des 
lévites  par  les  missionnaires  des  idées  nouvelles,  des 
idées  libérales,  démocratiques  et  humanitaires  :  jour- 
naux, conférences,  prédicateurs  laïques  de  retraites 
sociales  aux  jeunes  ecclésiastiques  (1). 

1.  Dans  le  livre  qu'il  a  intitulé  :  A  propos  de  la  sépara- 
tion des  Eglises  et  de  VEtat,  M.  Paul  Sabatier,  protestant, 
ex-ministre,  dit  (pp.  93  et  suiv.)  :  «  Parmi  tous  les  specta- 
cles intéressants  que  nous  offr«  la  vie  actuelle,  je  n'en  vois 
pas  de  plus  grand  que  celui  de  la  rencontre  des  jeunes  ca- 
tholiques avec  les  penseurs  libres. 
_  »  Une  grande  crise  intellectuelle,  religieuse,  morale,  so- 
ciale, se  prépare  dans  beaucoup  de  consciences.  En  mesurer 
l'origine,  la  profondeur  et  la  portée,  ne  sera  sans' doute  ja- 

L'Église  et  le  Temple.  31 


482     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

Nous  parlions  en  connaissance  de  cause.  Déjà,  au 
XVIIP  siècle,  Weishaupt  disait  aux  illuminés  :  «  S'il 
est  intéressant  pour  nous  d'avoir  les  écoles  ordinai- 
res, il  paraît  aussi  très  important  de  gagner  les  sé- 
minaires ecclésiastiques  et  leurs  supérieurs.  Avec  ce 
monde-là  nous  avons  la  principale  partie  du  pays; 
nous  mettons  de  notre  côté  les  plus  grands  enne- 
mis de  toute  innovation  (et  surtout  de  la  grande  in- 
novation voulue  par  la  secte,  le  retour  à  la  civili- 
sation païenne  par  le  naturalisme  et  le  libéralisme); 
et,  ce  qui  est  par-dessus  tout,  avec  les  ecclésiasti- 
ques, le  peuple  et  les  gens  du  commun  seront  entre 
nos  mains  ».  Ainsi,  le  grand  avantage  que  Weishaupt 
trouvait  à  charmer  l'esprit  des  séminaristes  avec  les 
idées  de  liberté  et  d'égalité,  c'est  que  les  sémina 
ristes  devenus  prêtres  les  répandraient  dans  le  peu- 
mais  possible.  Qui  nous  raconterait  l'histoire  du  germe  de 
blé  duranl  sa  germination  dans  le  sein  de  la  terre? 

»  J'ai  pourtant  pu  un  instant  contempler  de  tout  près 
cette  germination  d'une  vie  nouvelle  au  sein  de  la  vieille 
Eglise,  et  j'en  ai  gardé  un  invincible  souvenir.  C'était  il 
y  a  quelques  mois,  chez  un  professeur  de  séminaire  dont 
j'étais  l'hôte.  Le  soir  un  jeune  diacre  me  remet  un  gros 
cahier  manuscrit,  sorte  de  journal  confidentiel  où,  depuis 
trois  ans,  quelques  élèves  de  ce  grand  séminaire  ont  écrit 
leurs  préoccupations,  leurs  angoisses,  leur  idéal,  leurs  rê- 
ves,  leur   foi. 

»  Que  se  passera-t-il  quand  la  France  connaîtra  ce  nou- 
veau  clergé?  » 

Ce  fait,  et  chacune  des  paroles  qui  l'exposent  et  qui  le 
commentent,  parlent  assez  d'eux-mêmes  pour  qu'il  soit  inutile 
de  les  relever. 

M.  Fonsegrive  était  aussi  reçu  dans  les  séminaires  et  admis 
à  prêcher  aux  séminaristes  le  modernisme.  M.  Harmel, 
dans  les  retraites  sociales  pour  lesquelles  il  convoquait 
séminaristes  et  jeunes  prêtres  au  Val-des-Bois,  les  imbibait 
de  l'esprit  démocratique.  Les  abbés  Naudet,  Lemire,  Gar- 
nier,  etc.,  trouvaient  aussi  les  portes  des  séminaires,  grands 
et  petits,  tout  ouvertes  et  y  semaient  à  pleines  mains  leurs 
idées  SUT  le  passé  et  sur  l'avenir  de  l'Eglise. 

Par  quelles  «  influences  soigneusement  couvertes  »  cela 
a-t-il  pu  être  obtenu?! 


CORRUPTION     DES     IDÉES  483 

pie,  les  feraient  adopter  par  cette  partie  de  la  popu- 
lation qui  est  trop  chrétienne  pour  que  la  secte 
puisse  ^atteindre  directement. 

Au  dix-neuvième  siècle,  nous  trouvons  l'es  mêmes 
recommandations  dans  le  document  publié  par  Mgr 
Gerbet  :  «  Il  est  de  la  plus  grande  importance,  y 
ést-il  dit,  pour  le  succès  de  notre  sublime  projet, 
et  pour  en  faciliter  et  mieux  assurer  l'exécution, 
de  ne  rien  négliger  pour  entraîner  dans  notre  ordre 
les  menibres  marquants  dans  le  clergé,  et  tous  ceux 
dont  les  intérêts  seraient  en  opposition  avec  notre 
doctrine.  Il  faut  adroitement,  dans  leur  éducation 
et  sous  les  formes  les  plus  séduisantes,  glisser  le 
germe  de  nos  dogmes  et  les  accoutumer  par  là,  in- 
sensiblement et  sans  qu'ils  s'en  doutent^  au  choc 
qui  doit   les  anéantir.  » 

Les  instructions  données  à  la  Haute-Vente  disent 
à  leur  tour  combien  il  importe  à  la  secte  de  gagner 
l'esprit  des  séminaristes  :  «  Une  fois  votre  réputa- 
tion établie  dans  les  collèges,  dans  les  gymnases, 
dans  les  universités  et  dans  les  séminaires,  une  fois 
que  vous  aurez  capté  la  confiance  des  professeurs  et 
des  étudiants,  faites  principalement  que  ceux  qui 
s'engagent  dans  la  7nilice  cléricale  aiment  à  recher- 
cher vos  entretiens.  Offrez-leur,  tout  d'abord,  des 
livres  inoffensifs,  puis  peu  à  peu  vous  amènerez  vos 
disciples  au  degré  de  cuisson  voulu...  Vous  devez 
avoir  l'air  d'être  simples  comme  des  colombes,  mais 
vous  serez  prudents  comme  le  serpent  ». 

En  parlant  ainsi,  en  donnant  ces  conseils  et  ces 
ordres,  Weishaupt,  l'initié  que  nous  révèle  Mgr  Ger- 
bet et  la  Vente,  ne  faisaient  que  reprendre  le  procé- 
dé qui  avait  réussi  aux  Gnostiq'ues,  aux  Maniché- 
ens, puis  aux  chefs  de  la  Réforme.  Toujours,  pour 
entraîner  le  peuple  hors  des  voies  de  la  vérité  et  du 


484     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

bien,  hors  de  l'Eglise,  il  a  fallu  tout  d'abord  gagner 
une  partie  du  clergé  et  surtout  séduire  la  jeunesse 
cléricale  par  de  généreuses  illusions. 

Tout  en  faisant  exercer  sur  les  séminaristes  cette 
action  directe  et  personnelle,  la  Haute-Vente  se  pré- 
occupait de  la  direction  même  des  séminaires;  elle 
demandait  et  faisait  demander,  dit  Crétrneau-Joly, 
que  l'on  donnât  dans  les  séminaires  une  éducation 
plus  appropriée  aux  besoins  du  siècle  et  aux  inté- 
rêts du  pays.  Elle  se  plaignait  de  voir  l'étude  des 
langues  anciennes  absorber  l'attention  de  la  jeunes- 
se cléricale.  L'étude  de  la  théologie  et  celle  des 
belles-lettres  devaient  être  reléguées  au  second  plan. 
N'avons-nous  pas  entendu  les  mêmes  plaintes  et  les 
mêmes   conseils   en  ces  derniers   temps? 

En  1867,  r Univers  Israélite  (T.  V,  p.  223)  disait 
compter  par-dessus  tout  sur  la  direction  à  donner 
à  l'esprit  des  jeunes  clercs  pour  changer  l'orienta- 
tion intellectuelle  du  monde.  «  Inaugurée  par  la  sa- 
vante et  spéculative  Allemagne,  la  rénovation  des 
études  théologiques  s'acclimate  en  France,  qui,  grâ- 
ce à  son  esprit  généralisateur  et  expansif,  peut  être 
appelée  à  faire  pour  la  synthèse  religieuse  ce  qu'elle 
fit  un  jour  pour  la  reconstitution  civile  et  politique 
du  monde.  Et  tout  Israélite  doit  éprouver  le  désir 
de  coopérer  à  cette  œuvre,  où  sont  engagés  NOS  intérêts  les 
plus  sacrés.  » 

Par  le  colportage,  la  secte  s'efforce  principalement 
de  corrompre  les  mœurs.  Par  l'enseignemeent,  elle 
vise   surtout  à  pervertir  les   esprits. 

Dans  les  séminaires  comme  dans  les  collèges  et 
les  ^universités,  ce  qui  lui  tient  le  plus  à  cœur,  c'est 
d'y  faire  pénétrer  les  principes  de  89. 

Une    douloureuse   énigme    se   pose   ici  :    comment 


CORRUPTION     DES     IDÉES  485 

a-t-il  pu  se  faire  que  la  secte  ait  trouvé  des  person- 
nages de  réputation  hautement  catholique  et  tant 
de  revues  et  de  journaux  catholiques  po^ur  présenter 
au  public  la  «  coupe  enc"hanteresse  et  mystérieu- 
se, »  qui  verse  dans  les  âmes  «  les  grands  princi- 
pes, les  immortels  principes  »?  Savent-ils  d'où  vien- 
nent ces  principes  et  à  quelle  fin  ils  ont  été  in- 
ventés? Au  concile  du  judaïsme  réuni  à  Leipzig,  le 
29  juin  1869,  sous  la  présidence  du  D^  Lazarus  de 
Berlin,  le  D^  Philips  on,  de  Bonn,  appuyé  par  le 
grand  rabbin  de  Belgique,  M.  Astruc,  avait  conclu, 
aux  applaudissements  de  tous  :  «  Le  synode  recou: 
naît  que  le  développement  et  la  réalisation  des  prin- 
cipes modernes  sont  les  plus  sûres  garanties  du 
présent  et  de  l'avewir  du  judaïsme  et  de  ses  mem- 
bres. Ils  sont  les  conditions  les  plus  énergiquement 
vitales  pour  l'existence  expansive  et  le  plus  haut 
développement   du   judaïsme    (1).  » 

1.  Voir  Les  Juifs,  le  judaïsme  et  la  judaïsation  des 
peuples   chrétiens,    par    Gougenot   des   Mousseaux. 

M.  Bidegain,  dans  son  livre  Le  Grand-Orient  de  France, 
ses  doctrines  et  ses  actes,  a  publié  (pages  261  à  276)  une 
circulaire  signée  par  des  Juifs  éminents  :  MM.  Henri  Aron, 
membre  du  Consistoire  central  des  Israélites  de  France; 
Dr  Dreyfus-Bresac,  membre  du  comité  central  de  VAlUanee 
Israélite  Universelle;  Narcisse  Leven,  président  du  comité 
central  de  l'Alliance  Israélite  Universelle,  et  vice-président 
du  Consistoire  Israélite  de  Paris;  Salomon  Reinach,  vice- 
président  du  comité  central  de  V Alliance  Israélite  Universelle. 
Le  but  de  cette  circulaire,  datée  du  14  novembre  1902, 
était  doublf  :  «  1»  appeler  l'attention  sur  les  élections  qui 
se  feront  en  1906;  et  2o  ouvrir  une  souscription  pour  les 
frais  de  cotte  élection  et  de  ses  préparatifs.  »  On  y  trouvait 
les  mêmes  vues  que  celles  exposées  ci-dessus,  dans  YUni- 
vers  Israélite  :  l'égalité  quatre-vingt-neuvième  devant  faire 
des  Juifs  les  égaux  des  Français  et  bientôt  leurs  maî- 
tres. 

«  Nous  consacrant  avant  tout  à  faire  triompher  la  cause 
de  l'égalité  de  tous  les  Français  devant  la  loi,  nous  'n'avons 
voulu  distinguer  qu'entre  les  adversaires  et  les  partisans 
des    principes    de    la    Révolution.    Nous    avons    combattu 


486     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

C'était  dire  :  «  Israélites,  vous  aspirez  à  la  domi- 
nation universelle;  si  vous  voulez  préparer  effica- 
cement les  voies  à  celui  qui  doit  vous  la  procurer, 
vous  n'avez  que  cette  seule  chose  à  faire  :  vous  emplo- 
yer à  développer  les  principes  modernes,  à  les  faire 'en- 
trer dans  les  esprits,  sous  tous  leurs  aspects,  à  en 
tirer  toutes  les  conséquences  qu'ils  renferment;  puis 
à  les  réaliser,  c'est-à-dire,  à  faire  que  ces  consé- 
quences dernières  passent  de  l'ordre  des  idées,  dans 
l'ordre  des  faits,  par  les  lois  que  vous  ferez  faire 
et  par  les   mœurs   que  vous  introduirez. 

Comment  les  «  principes  modernes  »  peuvent-ils 
être  considérés  par  les  Juifs  comme  leur  préparant 
les  voies  à  cette  domination?  Le  voici.  Grâce  à 
l'égalité  civile  et  l'égalité  en  toutes  choses  avec  les 
chrétiens,  les  Juifs  ont  vu  disparaître  la  digue  qui 
les  avait  contenus  jusque-là;  et  alors,  à  l'égal  d'un 
torrent  dévastateur,  ils  ont  fait  irruption  partout  et 
se  sont  emparés  de  tout  :  des  banques,  du  commer- 
ce, de  la  presse  et  des  charges  les  plus  importantes 
dans  la  diplomatie,  dans  l'administration  politique, 
dans  l'armée,  dans  l'enseignement  :  tout  est  tombé 
entre  leurs  mains  ou  dans  les  mains  de  ceux  qui 
dépendent  d'eux.   Et  maintenant  la  société  chrétien- 


les  premiers  (aux  élections  de  1902)  de  quelque  étiquette 
qu'ils  aient  pu  se  couvrir  et  nous  nous  sommes  efforcés 
de  soutenir  les  seconds.  Gomme  nous  ne  revendiquions  pas 
de  privilèges  et  ne  réclamiqns  rien  en  dehors  du  droit  ^com- 
mun, nous  n'avions  eu  besoin,  pour  assurer  la  défense  de 
nos  intérêts,  que  de  leur  demander  de  défendre  leurs  prin- 
cipes et  de  travailler,  en  restant  fidèles  à  eux-mêmes,  à 
la  victoire  de  leurs  propres  doctrines  ».  Et  plus  loin  :  «  Ce 
qui  est  surtout  de  nature  à  nous  rassurer  sur  l'avenir,  c'est 
que  la  lutte  n'est  plus  actuellement  entre  l'antisémitisme 
et  les  juifs,  mais  entre  l'antisémitisme  et  les  principes  de 
la  Révolution...  A  supposer  même  que  nos  intérêts  propres 
fussent  désormais  hors  d'atteinte,  ce  serait  encore  notre  de- 
voir, comme  fils  reconnaissants  de  la  Révolution,  de  pour- 
suivre l'œuvre  commencée  ». 


CORRUPTION     DES     IDÉES  487 

ne  rencontre  dans  les  principes  de  89,  dans  «  les 
droits  de  l'homme  »  qui  sont  inscrits  dans  les  cons- 
titutions des  Etats*  le  plus  grand  empêchement  à 
secouer  le  joug  juif  gui  lui  est  imposé  sous  le  cou- 
vert   de    «  la    liberté  »    et    de    «  l'égalité  ». 

«  Quand  on  s'est  aperçu  que  les  Juifs  étaient  ci- 
toyens, a  écrit  un  Juif  converti  et  prêtre  catholi- 
que, M.  l'abbé  Lémann,  ils  étaient  déjà  en  partie  les 
MAITRES.  »  Crémietix,  fondateur  de  V Alliance  Israélite 
Universelle  s'est  écrié  dans  l'une  de  ses  assemblées  : 
«  Comme  déjà  tout  est  changé  pour  nous,  et  en  si 
peu  de  temps!  »  Et  Disraeli  :  «  Le  Juif  arrive  de 
nos  jours  à  exercer  sur  les  affaires  de  l'Europe  une 
influence  dont  le  prodige  est  saisissant  ».  Aussi,  un 
publiciste.  M.-  Kuhn,  a-t-il  eu  raison  de  dire  :  «  Cet- 
te revendication  des  principes  modernes  en  faveur  du 
Judaïsme  est  des  plus  humiliantes  pour  nos  démo- 
crates. » 

Si  les  organisateurs  d'associations  de  la  jeunes- 
se chrétienne  connaissaient  ces  choses,  la  pousse- 
raient-ils avec  tant  d'ardeur  dans  les  voies  de  la  dé- 
mocratie? Si  les  supérieurs  des  séminaires  avaient 
connu  cette  déclaration  du  concile  que  les  rabbins 
juifs,  avaient  opposée  au  concile  convoqué  par  Pie  IXy 
comme  suite  à  la  publication  du  syllàbus,  qui  dé- 
masque les  «  grands  principes  »  et  les  poursuit  jus- 
que dans  leurs  dernières  conclusions,  s'en  serait- 
il  trouvé  parmi  eux  qui  eussent  laissé  entrer  dans 
leurs  maisons'  les  publications  démocratiques?  au- 
raient-ils autorisé  chez  eux  les  conférences  démo- 
cratiques ? 

Un  rabbin  allemand  s'est  permis  cette  ironie  : 

«  Ces  chrétiens  bornés  et  à  courte  vue  se  don- 
nent de  la  peine  pour  nous  arracher  par-ci  par-là 
une   âriie   et   sont   heureux   comme   des   rois    quand 


488     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

ils  y  ont  réussi.  Mais  ils  ne  voient  pas  que  nous 
aussi  nous  sommes  missionnaires  et  que  notre  pré- 
dication est  plus  habile  et  plus  fructueuse  que  la 
leur.  Ils  ne  comprennent  pas  que  nous  marchons 
contre  eux  de  conquête  en  conquête.  Un  peu  de 
temps  encore  et  tous  ceux  d'entre  les  chrétiens  qui 
ont  véritablement  de  l'éducation  (die  Wahrhaft  Ge- 
bildeten)  n'auront  plus  besoin  du  Christ  et  se  pas- 
seront de  lui  aussi  facilement  que  n^us.  Le  temps 
est  proche  où  la  plupart  des  chrétiens  seront  re- 
tournés à  notre  enseignement  sur  Dieu,  à  notre  mo- 
nothéisme. L'avenir  est  à  nous.  Nous  convertissons 
en  masse  et  d'une  façon  inaperçue.   » 

Comment  et  par  quoi?  Par  les  principes  moder- 
nes, par  les  doctrines  démocratiques  dont  «  la  réa- 
lisation est  la  plus  sûre  garantie  du  présent  et  de 
l'avenir  du  judaïsme.  (1)  » 

M.  Bachem  a  fait  récemment  au  Landtag  prus- 
sien   cette    constatation  : 

«  Le  judaïsme  allemand  travaille  avec  une  puis- 
sance tellement  gigantesque  et  une  persévérance  tel- 
lement constante  à  la  civilisation  et  à  la  science  mo- 
dernes, que  le  plus  grand  nombre  des  chrétiens  (  lit- 
téralement la  plus  grande  partie  du  christianisme) 
sont  menés  d'une  façon  consciente  ou  inconsciente 
par   l'esprit   du  judaïsme  moderne.   » 

Ce   n'est  pas   seulement  en  Allemagne   que   le   ju- 

1.  «  Le  Messie  est  venu  pour  nous  le  27  février  1790  avec 
les  Droits  de  l'homme  »,  a  dit  l'Israélite  Cahen  (Relaté 
dans   les   Archives   Israélites   en   1847). 

M.  le  prince  Louis  de  Broglie  a  conclu  une  étude  sur 
la  question  juive  au  point  de  vue  politique  par  cette  cons- 
tatation :  «  ...  30  Entrés  dans  les  sociétés,  grâce  aux  prin- 
cipes modernes,  ils  sont  devenus  les  adeptes  et  les  propa- 
gateurs les  plus  ardents  de  ces  principes,  les  membres  les 
plus  actifs  de  la  franc-maçonnerie,  les  fils  les  plus  dé- 
voués de  la  libre-pensée.  » 


CORRUPTION     DES     IDÉES  489 

daïsme  travaille  au  développemenj;  et  à  la  réalisa- 
tion des  principes  modernes  de  la  civilisation  anti- 
chrétienne; il  s'y  emploie  bien  plus  en  France.  Et 
d'ailleurs  quels  sont  les  pays  où  ils  ne  régnent  point? 
Quels  sont  les  esprits  qui  n'en  soient  plus  ou  moins 
atteints  ? 

Dans  son  commentaire  de  l'Apocalypse,  Bossuei 
dit  :  «  Je  regarde  dans  l'Eglise  deux  sortes  de  per- 
sécution :  la  première  en  son  commencement,  et  sous 
l'empire  romain,  où  la  violence  devait  prévaloir; 
la  seconde  à  la  fin  dos  siècles,  où  sera  le  règne  de 
la  séduction  ». 

La  séduction  libérale  s'exerce  de  nos  jours  sous 
des  formes  si  cachées  et  si  perfides  que  ceux  qui  en 
sont  victimes  ne  s'en  aperçoivent  même  pas.  Elle 
envahit  peu  à  peu  toutes  les  intelligences  dans  l'or- 
dre ecclésiastique  aussi  bien  que  dans  l'ordre  laï- 
que,  et  cela  dès  les  plus  jeunes  années. 

Ce  dont  nous  avons  été  témoins,  ce  que  nous 
voyons  encore  peut  nous  donner  l'intelligence  des 
paroles  par  lesquelles  le  divin  Sauveur  nous  a  mis 
en  garde  contre  les  séductions  des  derniers  jours  : 
«  Il  s'élèvera  beaucoup  de  faux  prophètes  qui  en 
séduiront  un  grand  nombre...  Si  le  Seigneur  n'avait 
pas  abrégé  ces  jours,  personne  n'eût  pu  échapper.  » 


CHAPITRE  XXXV 
CORRUPTION  DES  IDÉES  (suite) 

VII.  -  LA  PERVERSION  DU  LANGAGE 

Le  grand  moyen  employé  pour  corrompre  les  idées 
a  été  de  pervertir  le  langage. 

La  Franc-Maçonnerie  a  su  faire  adopter  par  le 
public  le  mot  Laïcisation,  au  lieu  de  déchristia- 
nisation; sécularisation,  au  lieu  de  séparation  en- 
tre l'ordre  religieux  et  l'ordre  civil,  dans  la  famille 
et  dans  la  société;  neutralité  scolaire,  au  lieu  d'en- 
seignement athée;  séparation  de  V Eglise  et  de  VEtat, 
au  lieu  d'athéisme  dans  le  gouvernement  et  dans 
les  lois;  dénonciation  du  Concordat,  au  lieu  de  spo- 
liation de  l'Eglise;  désaffectation,  au  lieu  de  confis- 
cation; lois  existantes,  au  lieu  de  décrets  arbitrai- 
res et  illégaux;  tolérance,  au  lieu  de  licence  donnée 
aux  pires  erreurs,  etc.,  ek 

Elle  a  fait  des  mots  cléricalisme,  main-morte,  etc., 
des  épouvantails  ;  et  des  séductions,  des  mots  liberté, 
égalité,    fraternité,     démocratie,  etc. 

«  Ce  sont,  disait  M.  de  Bonald,  des  expressions 
»  à  double  entente,  où  les  passions  trouvent  d'abord 
»  un  sens  clair  et  précis,  sur  lequel  la  raison  s'effor- 
»  ce    en   vain   de   les   faire   revenir   par   de   tardives 


CORRUPTION     DES     IDÉES  491 

»  explications;  les  passions  s'en  tiennent  au  texte 
»  et  rejettent  le  commentaire   (1).  » 

«  Malgré  les  enseignements  donnés  par  la  raison 
et  l'évidence  produite  par  nos  catastrophes,  dit  M. 
Le  Play  cette  phraséologie  abrutissante  fournit  un 
aliment  journalier  aux  tendances  révolutionnaires  in- 
carnées dans  notre  race.  Sous  cette  influence,  pé- 
nètrent de  plus  en  plus,  dans  les  couches  inférieu- 
res de  la  société,  le  mépris  de  la  loi  de  Dieu,  la  hai- 
ne des  supériorités  sociales  et  l'esprit  de  révolte 
contre  toute  autorité   (2).  » 

Mazzini  ne  pensait  pas  autrement  que  M.  le  Play 
sur  ce  point.  Au  rapport  de  Lubienski,  il  disait  : 
«  Les  discussions  savantes  ne  sont  ni  nécessaires, 
ni  opportunes.  Il  y  a  des  mots  régénérateurs  (3)  qui 
contiennent  tout  ce  qu'il  faut  souvent  répéter  au  peu- 
ple :  liberté,  droits  de  l'homme,  progrès,  égalité, 
fraternité.  Voilà  ce  que  le  peuple  comprendra,  sur- 
tout quand  on  opposera  les  mots  despotisme,  pri- 
vilèges,  tyrannie,   etc.  » 

Le  sens  plein  des  mots  :  liberté,  égalité,  progrès, 
esprit  moderne,  science,  etc.,  qui  reviennent  sans 
cesse  dans  les  discours  et  les  articles  des  politiciens 
et  dans  les  professions  de  foi  des  candidats  patro- 
nés  par  la  Loge,  c'est  révolution,  destruction  de 
l'ordre  social,  retour  à  l'état  de  nature  par  l'ané- 
antissement de  toute  autorité  comme  limitant  la  li- 
berté,  destruction   de   toute   hiérarchie,   comme  rom- 


1.  Do  Bonald.  A  l'Institut  national,  séance  du  29  juin 
1805.  Mgr  Darbois,  archevêque  de  Paris,  otage,  rappelait, 
à  ceux  qui  le  collaient  au  mur,  qu'il  avait  toujours  défendu 
la  Liberté.  Un  de  ses  exécuteurs  lui  répondit  :  «  Tais-toi! 
F...    nous   la   paix.   Ta  Liberté   n'est  pas   la  nôtre!  » 

2.  Réforme   sociale,   t.    IV,    p.   29. 

3:  Des  mots  qui  peuvent  servir  à  opérer  la  régénération 
de  la  société,  au  sens  maçonnique. 


492      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

pant  l'égalité,  et  établissement  par  la  fraternité  d'un 
ordre  de  choses  où  tous  les  droits  et  tons  les  biens 
seront  communs.  Les  initiés,  en  prononçant  ces  mots, 
savent  qu'ils  énoncent  tout  un  programme  contre 
les  lois  de  Dieu  et  ses  représentants  sur  la  terre, 
qu'ils  expriment  le  concept  de  l'état  social  dont  J.-J. 
Rousseau  a  donné  la  formule.  Les  antres,  en  les 
répétant  après  eux,  sottement,  préparent  à  l'accep- 
tation de  cet  état  social  ceux  que  la  franc-maçonnerie 
ne  pourrait  atteindre  directement  (1). 

Que  ce  soit  la  direction  suprême  de  la  franc- 
maçonnerie  qui  fasse  le  choix  de  ces  mots,  qui 
les  lance  et  qui  charge  ses  adeptes  de  les  propager, 
il  n'y  a  pas   le  moindre  doute. 

«  Nous  allons  commencer,  avaient  dit  les  Instruc- 
tions secrètes,  à  mettre  en  circulation  les  principes 
humanitaires.  »  Réformes,  améliorations,  progrès,  ré- 
publique fraternelle,  harmonie  de  l'humanité,  régé- 
nération universelle  :  tous  ces  mots  décevants  se 
lisent  dans  les  Instructions.  Piccolo-Tigre  les  fait 
suivre  de  ceux-ci  :  «  Le  bonheur  de  l'égalité  so- 
ciale »    et    «  les    grands    principes    de    liberté.  »   jNu- 


1.  LTJnivers,  dans  son  numôro  du  13  septembre  1902, 
rapportait  qu'au  précédent  pèlerinage  des  Français  à  Rome, 
M.  Harmel,  dans  le  toast  qu'il  prononça  à  Sainte-Marthe, 
s'écria  :  «  Nous  sommes  des  serviteurs  passionnés  de  la 
liberté,  —  oui,  des  serviteurs  passionnés  de  la  liberté,  prêts 
à  donner  notre  vie,  et  à  répandre  notre  smg  pour  la  cause 
sacrée  de  la  liberté!  » 

La  hberté  pour  les  âmes  de  pouvoir  aller  à  Dieu,  leur 
fin  dernière,  sans  entraves,  fort  bien.  Mais  est-ce  ainsi  que 
l'entendirent  les  auditeurs  de  M.  Harmel,  est-ce  bien  cette 
liberté    qu'il   voulait   leur   faire    acclamer? 

Un  mot  d'explication  n'eût  point  été  inutile,  au  lende- 
main du  jour  où  le  chef  des  démocrates  chrétiens  d'Italie 
était  condamné  pour  son  discours  :  Liberté  et  Christia- 
nisme. 


CORRUPTION     DES     IDÉES  493 

bius  ajoute  :  «  L'injuste  réparlition  des  biens  et  des 
honneurs.  »  Résumant  le  tout,  Gaétan  se  réjouis- 
sait de  voir  le  monde  lancé  sur  la  voie  de  la  démo- 
cratie. 

Dans  le  compte  rendu  du  3*^  congrès  des  Loges 
de  l'Est,  à  Nancy,  en  1882,  on  lit  :  «  Dans  les  der- 
niers degrés  (les  plus  hauts  de  la  hiérarchie  macon- 
mque),  se  condense  un  travail  maçonnique  inter- 
national d'une  très  grande  profondeur.  Ne  serait-oe 
pas  de  ces  sommets  que  nous  viennent  les  mots  mys- 
térieux qui,  partis  on  ne  sait  d'où,  traversent  par- 
fois les  foules  au  milieu  d'un  grand  frémissement, 
et  les  soulèvent  pour  le  bonheur  (!)  de  l'huma- 
nité? » 

Il  est  à  remarquer  que  c'est  de  la  langue  fran- 
çaise que  la  maçonnerie  s'est  servi  pour  forger,  ses 
formules  révolutionnaires.  Cela  n'a  point  échappé 
à  de  Maistre,  qui  a  si  bien  connu  la  puissance  mys- 
térieuse de  notre  langue.  Dans  la  troisième  des 
Lettres  d'u7i  royaliste  savoisiefi  à  ses  compatriotes 
écrites  aux  jours  de  la  Révolution,  il  dit  :  «  Le 
règne  de  cette  langue  ne  peut  être  contesté.  Cet 
empire  n'a  jamais  été  plus  évident  et  ne  sera  jamais 
plus  fatal  que  dans  le  moment  présent.  Une  bro- 
chure allemande,  anglaise,  italienne,  etc.,  sur  les 
Droits  de  Vhomme,  amuserait  tout  au  plus  quelque 
valet  de  chambre  du  pays  :  écrite  en  français  e'ie 
ameutera  en  un  clin  d'œil  toutes  les  forces  de  l'uni- 
vers. (1)  » 

Toutes  ces  formules  perfides  ont  été  créées  de- 
puis deux  sièeles.  Sous  le  règne  du  Philosophisme,  ce 
fut  «  tolérance  »  et  «  superstition  »  qui  passèrent 
de  bouche  en  bouche;  sous  celui  de  la  Terreur,  c'est 
«  fanatisme  »    et   «  raison  »;    sous    la    Restauration, 


1.  Œuvres   nnmplètes,   t.   Vil,    pp.    139-140. 


494      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

«  ancien  régime  »,  «  dîme  »,  «  privilèges  »;  sous  le 
second  Empire,  «  le  progrès  »;  lors  de  la  récente 
persécution  en  Allemagne,  «  le  Kulturkampf  »;  en 
France,  au  16  mai,  «  le  gouvernement  des  curés  ». 
Aujourd'hui,  ce  qui  est  le  plus  en  vogue,  c'est,  avec 
le  «  cléiicalisme  »  (1),  «  la  science  »,  «  la  démocra- 
tie »  et  «  la  solidarité  »  :  la  science  contre,  la  foi, 
la  démocratie  contre  toute  hiérarchie  religieuse,  so- 
ciale et  familiale;  la  solidarité  des  plébéiens  contre 
tous  ceux  qui  font  obstacle  à  la  libre  jouissance 
des  biens  de  ce  monde,  riches  qui  les  possèdent  et 
prêtres  qui  en  interdisent  l'injuste  convoitise;  soli- 
darité aussi  entre  tous  les  peuples,  qui,  d'un  bout 
du  monde  à  l'autre,  doivent  s'entr'aider  pour  bri- 
ser le  triple  joug  de  la  propriété,  de  l'autorité  et  de 
la   religion. 

Au-dessus  de  tous  ces  mots,  trône  depuis  un  siè- 
cle la  devise  :  «  Liberté,  égalité,  fraternité  ».  La  sec- 
te la  fait  retentir  partout,  elle  a  obtenu  de  la  faire 
inscrire  sur  les  édifices  publics,  sur  les  monnaies, 
sur  tous  les  actes  de  l'autorité  législative  et  civile. 
«  Cette  formule,  dit  le  F.  • .  Malapert  dans  un  de  ses 
discours  aux  Loges   (2);  fut  précisée  vers  le  milieu 

1.  Le  «  gouvernement  des  curés  »  a  servi  à  faire  passer 
la  liste  de  Gambetta  et  à  constituer  le  gouvernement  des 
francs-maçons.  La  peur  du  «  cléricalisme  »  fait  fermer 
les  yeux  sur  les  pires  tyrannies.  De  peur  d'être  accusés 
de  favoriser  ce  monstre,  des  catholiques  se  défendent  d'être 
des  cléricaux.  Lors  de  la  validation  de  M.  Gayraud,  M.  Le- 
mire  dit  à  la  tribime  :  «  Mon  collègue  et  moi  ne  sommes 
pas  des  cléricaux.  »  Le  27  novembre  1899,  le  même  :  «  Je 
me  permettrai  de  faire  observer  crue  ni  M.  l'abbé  Gayraud, 
ni  M.  l'abbé  Lemire,  ne  sont  ici  les  députés  du  catho- 
licisme. Je  n'ai  pas  accepté  dans  le  passé  et  je  n'accepterai 
pas  plus  dans  l'avenir,  que  la  Chambre  soit  transformée 
en  un  lieu  de  discussions  théologiques  ou  philosophiques  » 
{Journal   officiel   du   28   novembre    1899). 

2.  Chaîne  d'Union,   1874,  p.  85. 


CORRUPTION     DES     IDÉES  49Ô 

du  siècle  dernier  (XVIII^)  par  Saint-Martin  (fonda- 
teur de  rilluminisme  français).  Tous  les  ateliers  Tont 
acceptée,  et  les  grands  hommes  de  la  Révolution  en 
ont  fait  la  devise  de  la  République  française  ».  «  Li- 
berté, égalité,  fraternité,  ces  trois  mots  disposés  dans 
cet  ordre,  dit  encore  le  F.  • .  Malapert,  indiquent  ce 
que  doit  être  une  société  bien  réglée  »,  ce  qu'elle 
sera,  lorsque  le  contrat  social  sera  arrivé  à  ses  der- 
nières conséquences,  aura  porté  ses  derniers  fruits. 
Weishaupt  et  les  siens  ont  dit  ouvertement  ce  qu'ils 
prétendent  tirer  de  cette  formtiîe  :  d'abord  l'abolition 
de  la  religion  et  de  toute  autorité  civile,  puis  l'aboli- 
tion de  toute  hiérarchie  sociale  et  de  toute  propriété. 
Voilà  ce  que  ces  trois  grands  mots  disent  aux  ini- 
tiés, voilà  ce  qu'ils  ont  dans  leur  pensée,  ce  à  quoi 
ils  veulent  nous  faire  arriver.  Ils  ont  fait  adopter 
les  mots;  par  les  mots  ils  insinuent  les  idées,  et  les 
idées  préparent  la  voie  aux  faits.  Il  ne  faut  donc 
point  s'étomier  si,  à  leur  admission  dans  les  Ven- 
tes, les  postulants  au  Carbonarisme  doivent  dire, 
dans  le  serment  qu'ils  sont  obligés  de  prêter  :  «  Je 
jure  d'employer  tous  les  moments  de  mon  existence 
à  faire  triompher  les  principes  de  liberté,  d'égalité, 
de  haine  à  la  tyrannie,  qui  sont  l'âme  de  toutes  les 
actions  secrètes  et  publiques  de  la  Carhoyiara.  Je  pro- 
mets de  propager  l'amour  de  l'égalité  dans  toutes 
les  âmes  sur  lesquelles  il  me  sera  possible  d'exercer 
quelque  ascendant.  Je  promets,  s'il  n'est  pas  pos- 
sible de  rétablir  le  règne  de  la  liberté  sans  com- 
battre, de  le  faire  jusqu'à  la  mort  (1).  »  Voilà  le 
devoir  bien  marqué,  et  bien  tracées  les  étapes  pour 
le  remplir  entièrement  :  répandre  les  mots,  propager 
les  idées,  faire  triompher  la  chose,  pacifiquement, 
si  c'est   possible,   sinon  par   une  guerre  à  mort. 

1.  Saint-Edme,  Constitution  et  orgmisithon  des  Carhonari, 
p.  110. 


496      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

Ce  n'est  point  seulement  parmi  les  classes  dégra- 
dées, ignorantes  ou  souffrantes,  que  cette  phraséo- 
logie exerce  ses  ravages.  Elle  donne  également  le 
vertige  aux  classes  supérieures  de  la  société,  ce  que 
la  secte  estime  bien  plus  avantageux  pour  le  but 
qii'elle  poursuit.  Grâce  à  la  confusion  des  idées  in- 
troduites par  elle  dans  les  esprits,  il  règne  actuelle- 
ment dans  les  classes  qui  sont  appelées  par  leur 
situation  à  donner  à  la  société  sa  direction,  la  plus 
déplorable  divergence  de  vues,  la  plus  parfaite  anar- 
chie intellectuelle. 

Nous  sommes  revenus  à  la  confusion  de  Babel, 
toutes  les  idées  sont  troubles  et,  dans  ce  trouble, 
nombre  de  chrétiens  sont  entraînés  le  plus  facilement 
du  monde  dans  le  sillage  des  erreurs  maçonniques. 
On  ne  se  défie  point  de  ces  courants,  on  s'abandonne 
à  leurs  flots  avec  quiétude,  et  cela  parce  que  la 
plupart  des  mots  (jui  y  entraînent  peuvent  servir  à 
exprimer  des  idées  chrétiennes,  comme  ils  se  prêtent 
à  exprimer  les  idées  les  plus  opposées  à  resj)rit  du 
christianisme.  M.  Le  Play  en  a  fait  la  remarque. 
«  Aucune  formule  composée  de  mots  définis  ne  sau- 
rait satisfaire  à  la  fois,  et  ceux  qui  croient  en  Dieu, 
et  ceux  qui  considèrent  cette  croyance  comme  le 
principe  de  toutes  les  dégradations.  Mais  ce  qui  ne 
peut  être  obtenu  par  un  arrangement  de  mots  défi- 
nis devient  facile  avec  des  mots  vagues  qui  compor- 
tent, selon  la  disposition  d'esprit  de  ceux  qui  les 
lisent  ou  les  entendent,  des  sens  absolument  oppo- 
sés (1).  » 

Parmi  les  mots  en  vogue  aujourd'hui,  il  n'en  est 
point  dont  il  soit  fait  un  plus  fréquent  et  plus  per- 
nicieux usage  que  celui  de  «  liberté  ».  Il  est  à  deux 
faces,   à  la  fois   chrétien   et   maçonnique. 

1.  L'Organisation   du   Travail,    p.    355. 


CORRUPTION     DES     IDÉES  497 

«  La  liberté,  dit  Léon  XIII,  est  an  bien,  bien  excel- 
lent, apanage  exclusif  des  êtres  doués  d'intelligence 
et  de  raison.  »  L'intelligence  leur  donne  la  connàis- 
sance  de  leurs  fins,  la  raison  leur  fait  découvrir  les 
moyens  d'y  parvenir,  et  le  libre  arbitre  leur  permet 
de  saisir  ceux  de  ces  moyens  qui  leur  conviennent 
et  de  les  employer  à  atteindre  la  fin  qu'ils  se  pro- 
posent. Si  tous  les  hommes  voyaient  et  plaçaient 
leur  fin  derrière  là  où  elle  est,  en  réclamant  la 
liberté,  tous  entendraient  demander  ^ue  la  voie  soit 
largement  ouverte  vers  le  Souverain  Bien,  me  soit 
obstruée  par  aucune  pierre  d'achoppement  et  qu'eux- 
mêmes  ne  soient  point  entravés  dans  leur  ascension 
vers  Dieu.  Mais  qui  ne  sait  que  les  fins  que  se  pro- 
posent les  hommes  sont  sans  nombre,  aussi  diverses 
que  sont  divers  les  objets  de  leurs  passions  1  De 
sorte  que  l'appel  à  la  «  liberté  »  peut  jaillir  à  la 
fois  du  cœur  des  plus  grands  saints  et  des  plus 
grands  scélérats,  et  qu'en  la  demandan!  d'une  même 
voix,  ils  semblent  désirer  une  même  chose.  En  réa- 
lité, ils  veulent  des  choses  aussi  diverses  et  même 
aussi  opposées  que  sont  opposés,  d'une  part,  les 
infinis  degrés  qui  portent  l'homme  à  la  plus  haute 
vertu,  d'autre  part,  les  degrés  non  moins  nombreux 
qui   le   font   descendre   vers   la  pii'e   corruption. 

A  ce  cri  «  ILberfcé  »,  l'enfant  indocile,  le  serviteur 
orgueilleux  sentent  s'élever  en  leur  cœur  te  désir 
de  l'indépendance  à  l'égard  des  parents  et  des  maî- 
tres :  les  époux  infidèles  voient  luire  le  jour  où  le 
lien  conjugal  sera  dissous;  le  mauvais  sujet  aspire 
à  un  état  politique  et  social  où  la  cçercition  du  mal 
«l'existera  plus.  Ce  cri  rallie  toutes  les  rébellions, 
excite  toutes  les  convoitises.  Le  chrétien  lui-même 
sent  à  ce  cri  le  joug  du  Seigneur  lui  devenir  plus 
pesant,  ^car  la  concupiscence  originelle  n'est  complè- 

L'Eglise  et  le  Temple.  33 


498     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

tement  éteinte  au  cœur  de  personne,  et  tout  homn:e 
est  plus  ou  moins  ami,  dans  son  mauvais  fond, 
de  la  liberté  pernicieuse.  Pour  tous,  le  cri  de  «  liberté  x 
a  un  charme  malsain,  celui  que  le  père  du  mensonge 
mit  à  l'origine  des  choses  dans  sa  première  ten- 
tation :  Du  eritis  !  vous  serez  dieux,  vous  serez 
vos  maîtres,  vous  ne  relèverez  plus  de  personne. 
Et  comme  l'indépendance  n'est  nulle  part,  ce  cri 
devient  partout  un  appel  à  la  révolte,  révolte  des 
inférieurs  contre  l'autorité,  des  pauvres  contre  la 
propriété,  des  époux  contre  le  mariage,  des  hommes 
contre  le  Décalogue,  de  la  nature  humaine  contre 
Dieu. 

Aussi  parmi  les  mots  en  vogue,  il  n'en  est  point 
dont  il  soit  fait  un  usage  plus  pernicieux  ©t  plus  fré- 
quent que  celui  de  liberté.  Il  sert  à  faire  réclamer 
par  les  foules^  consacrer  par  les  lois,  fixer  dans 
les  institutions,  les  plus  puissants  dissolvants  de 
l'ordre  social.  C'est  la  liberté  de  conscience,  ou  l'in- 
dépendance de  chacun  à  l'égard  de  Dieu;  c'est  la 
liberté  des  cultes,  la  séparation  de  l'Eglise  et  de 
l'Etat,  la  neutralité  et  la  laïcisation,  toutes  choses 
qui  brisent  les  liens  qui  attachent  l'homme  et  la 
société  à  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  à  son  Eglise; 
c'est  la  souveraineté  du  peuple,  c'est-à-dire  Tindépen- 
dance  des  foules  à  l'égard  des  autorités  sociales  et 
civiles;  c'est  le  divorce  et  certaines  dispositions  du 
code  civil  qui  mettent  la  même  anarchie  dans  la 
famille.  Enfin,  pour  pousser  à  toutes  ces  /évoltes, 
pour  faire  obtenir  toutes  ces  indépendances,  'a  liberté 
de  la  presse  qui  travaille  tous  les  jours  à  corrompre 
dans  les  esprits  la  notion  de  la  vraie  liberté  et 
à  insinuer  dans  les  cœurs  l'amour  et  le  désir  des 
libertés   mauvaises. 

Si  les  catholiques  joignent  leur  voix  à  celle  (.le  tous 


CORRUPTION     DES     IDÉES  499 

les  révoltés  pour  réclamer,  eux  aussi,  la  liberté, 
tout  court,  et  non  telle  ou  telle  liberté  définie,  et, 
avant  toutes  les  autres,  la  liberté  pour  les  âmes  de 
n'être  point  entravées  dans  leurs  démarches  vers 
Dieu,  ils  paraîtront  réclamer  la  même  chose  que 
les  révolutionnaires,  et  ils  les  aideront  à  l'obtenir. 
Et   c'est   ce   que   l'on  voit  trop   souvent. 

Au  nom  du  Progrès,  de  la  Civilisation,  du  Droit  nou- 
veau, la  secte  fait  réclamer  par  ses  journaux,  par  les 
associations  qu'elle  inspire,  par  celles  où  elle  a  des 
affidés,  l'abolition  de  telle  ou  telle  institution  ou 
l'établissement  de  telle  autre.  Qui  oserait  s'opposer 
au  progrès,  à  la  civilisation?  Par  crainte  de  paraître 
rétrogrades,  des  catholiques,  au  Parlement,  dans  les 
Conseils  départementaux  ou  communaux,  votent  des 
mesures  contraires  à  leur  propre  manière  d'être  et 
de  penser,  des  mesures  qui  les  tyranniseront  eux- 
mêmes   en   tyrannisant   leurs   frères. 

Dans  un  de  ses  ravissements,  l'apôtre  saint  Jean 
vit  tous  les  peuples  suivre  stupéfaits  la  Bête  à  qui 
le  Dragon  donna  sa  puissance  et  son  trône.  Elle  ou- 
vrit une  bouche  d'où  sortaient  des  mots  semblant 
dire  de  grandes  choses  :  Datum  est  ei  os  loquens 
magna.  En  réalité,  c'étaient  des  blasphèmes  contre 
Dieu,  contre  son  tabernacle  et  contre  ceux  qui  habitent 
le  ciel  de  l'Eglise  :  Blasphemias  ad  Deum,  et  taher- 
naeulum   ejus   et   eos   qui   in   Cœlo   habitant   (1). 

Ces  mots  grandiloquents,  nous  venons  de  les  en- 
tendre, et  nous  savons  quelle  étrange  séduction  ils 
exercent  sur  les  multitudes.  Ce  sont  vraiment,  dans 
la  signification  qui  leur  est  donnée  par  la  Bête,  des 
blasphèmes  qui  portent  la  mort  dans  les  âmes,  qui 
sapent  les  fondements  de  la  société  civile  et  de  la 

1.  Apocalypse,  XU,  1-6, 


500     l'agent   de   la   civilisation    moderne 

société  religieuse  et  qui  veulent  anéantir  le  règne 
de   Dieu   sur  ses  créatures. 

Le  comble  de  l'astuce  déployée  par  la  Bête  et  le 
Dragon  —  c'est-à-dire  par  la  Maçonnerie  et  par  Satan 
—  leur  triomphe  est  de  faire  croire  et  de  fairo  dire 
que  ces  mots,  ils  les  ont  pris  dans  l'Evangile  et 
que,  par  leur  moyen,  ils  veulent  amener  le  règne 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  dans  la  société! 

«  Ce  qu'il  y  a  de  plus  funeste  pour  les  peuples, 
après  la  Révolution,  a  dit  M.  de  Saint-Bonnet,  c'est 
la  langue  qu'elle  a  créée.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  redou- 
table après  les  révolutionnaires,  ce  sont  les  hommes 
qui  emploient  cette  langue,  dont  les  mots  sont  au- 
tant de  semences  pour  la  Révolution...  Ne  jetons 
plus  aux  foules  des  termes  dont  on  ne  leur  explique 
point  le  sens  théologique  et  vrai.  Ils  ne  cessent 
d'engendrer  les  idées  qui  tiennent  les  masses  ien 
ébuUition  et  les   arrachent  au  devoir  de  la  vie...  » 

Rejeter  fièrement  la  langue  déloyale,  voilà  désor- 
mais à  quoi  l'on  reconnaîtra  l'homme  de  cœur. 

»  0  Fronce!  tu  sauras  qu'il  te  vient  des  hommes 
de  cœur  lorsqu'on  cessera  de  te  flatter  et  d'employer 
des  équivoques   (1).  » 

M.  Charles  de  Ribbes  a  dit  aussi  :  «  Le  vrai  seul 
relèvera  la  France,  et  pour  que  ce  vrai  produise 
son  effet  de  régénération,  la  noble  langue  française 
devra  elle  aussi  être  restaurée   (2).  » 


1.  La  Légitimité,   pp.   281-284. 

2.  Le  Play,  d'après  sa  Correspondance,  p.   191. 


CHAPITRE    XXXVI 
CORRUPTION  DES  IDÉES  (suife) 

VIII.  —  L'ESPRIT  MAÇONNIQUE 

Des  suggestions  lancées  dans  le  public  par  la  Franc- 
Maçonnerie  et  des  mots  qu'elle  met  en  circulation,  naît 
l'esprit  maçonnique. 

Dans  une  Instruction  pastorale  adressée  à  son  clergé 
en  1864,  Mgr  Meiridux,  évêque  de  Digne,  disait  : 
«  Telle  est  la  sagesse  avec  laq'uelle  l'esprit  du  mal 
a  dressé  ses  embûches,  qu'il  égare  des  esprits  droits, 
qfu'il  les  fascine  au  point  de  s'en  faire  des  défenseurs. 
Il  s'opère  sous  nos  yeux  ce  qu'on  verra  au  dernier 
jour  :  un  grand  mystère  de  séduction.  Il  semble,  si 
cela  était  possible,  que  les  élus  mêmes  n'y  échap- 
peraient pas.  » 

Un  demi-siècle  s'est  écoulé  depuis  que  ce  cri  d'alar- 
me s'est  fait  entendre.  Combien,  depuis,  le  mouve- 
ment des  esprits  s'est  accéléré  et  rend  l'avertisse- 
ment plus  pressant! 

La  franc-maçonnerie,  au  vu  et  au  su  de  tous,  est 
maintenant  arrivée  à  l'apogée  de  la  puissance.  Elle 
fait  ce  qu'elle  veut,  même  ce  qni,  il  y  a  peu  d'années 
encore,   eût  paru  à  tout  jamais  impossible. 

Pour  expliquer  ce  succès,  il  ne  suffit  point  de  dire 


502     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

que  la  maçonnerie  est  une  société  très  savamment 
organisée,  pourvue  de  moyens  puissants  pour  arri- 
ver à  ses  fins,  et  ayant  souvent  compté  en  son 
sein  des  hommes  d'une  merveilleuse  habileté.  L'E- 
glise qu'elle  veut  détruire  ne  lui  cède  en  rian.  C'est 
la  Sagesse  même  de  Dieu  qui  l'a  constituée  et  orga- 
nisée, et  les  saints  ont  au  moins,  pour  le  bien,  le  zèle 
et  l'inspiration  que  les  suppôts  de  Satan  ont  pour 
le  mal.  Sans  doute,  la  maçonnerie  jouit  du  béné- 
fice que  lui  donne  le  mystère  dont  elle  s'enveloppe. 
Elle  ne  dévoile  point  ses  desseins,  même  à  ceux 
qu'elle  charge  de  les  exécuter.  Mais  si  le  secret  a  pour 
le  mal  ses  avantages,  la  pleine  lumière  du  bien 
et  de  la  vérité  en  a  de  plus  grands. 

Il  faut  donc  chercher  ailleurs  l'explication  de  la 
puissance  à  laquelle  la  franc-maçonnerie  est  par- 
venue. 

Cette  explication  se  trouve,  dans  les  complicités 
qu'elle  se  crée  en  dehors  de  ses  loges,  par  ses  sug- 
gestions. Elle  obtient  par  là  que  tous  ou  presque 
tous,  nous  la  secondions. 

Par  l'organisme  qu'elle  s'est  donnée,  la  franc-ma- 
çonnerie a  trouvé  moyen  de  se  procurer,  dans  tou- 
tes les  classes  de  la  société,  d'innombrables  complices 
qui,  alors  même  qu'ils  la  détestent,  travaillent  avec 
elle  et  pour  elle.  Et  cela,  par  la  propagande  des  idées 
qu'elle  a  intérêt  à  répandre. 

Elle   s'en  vante. 

«  ...  La  franc-maçonnerie,  dit  Une  circulaire,  a  été 
jusqu'ici  une  vaste  école,  où  des  hommes  de  toutes 
les  classes  et  de  toutes  les  opinions,  athées  ou  déistes, 
sont  venus  s'instruire,  se  former  pour  les  bons  com- 
bats de  la  démocratie.  Malgré  la  diversité  de  leurs 
origines  et  de  leur  condition,  des  doctrines  commu- 
nes les  incitaient  à  parler  ou  à  agir,  dans  le  monde 


CORRUPTION     DES     IDÉES  503 

profane,  conformément  aux  enseignements  reçus  dans 
les  loges.  La  franc-maç.  : .  fut  leur  inspiratrice,  et 
cest  grâce  à  leur  coopération  qu'elle  imprégna  la 
société  contemporaine  de  sa  pensée.  Si  notre  Ordre  re- 
nonçait à  son  rôle  historique,  à  sa  mission  de  propa- 
gande parmi  tous  les  hommes  conscients,  sans  excep- 
tion de  croyance  ou  d'opinion,  elle  prononcerait  elle- 
même  sa  condamnation.  »  Qui  parle  ainsi  ?  Le  conseil 
de  l'Ordre  du  Grand-Orient   (1). 

La  secte  viendra  à  bout  de  ses  entreprises,  jelle 
ruinera  tout  l'ordre  religieux,  tout  l'ordre  civil,  tout 
l'ordre  familial,  si  le  public  continue  à  prêter  l'oreille 
à  elle  et  à  ses  organes.  Comme  le  disait  un  jour 
Léon  XIII  aux  pèlerins  français,  la  chose  la  plus 
urgente  est  de  nous  débarrasser  du  joug  de  la  franc- 
maçonnerie.  Et  surtout  du  joug  intellectuel,  qui,  depuis 
deux  siècles  pèse  sur  nous.  Or,  pour  en  débarrasser  le 
pays,  il  faut  d'abord  que  chacun  y  soustraie  son 
propre  cou.  Personne  n'y  portera  les  mains  avant 
d'avoir  constaté  la  présence  de  ce  joug  sur  ses 
épaules.  Il  faut  donc  faire  voir  à  chacun  qu'il  en 
est  chargé,  et  lui  montrer  qu'il  a  contribué  à  en 
charger  ses  frères,  afin  de  lui  donner  la  volonté 
de  s'en  défaire  et  de  les  aider  à  s'en  défaire  à  lour 
tour. 

Qu'est-ce  donc  que  le  Maçonnisme?  C'est  au  fond, 
comme  nous  l€  verrons  dans  la  seconde  partie  de 
cet  ouvrage,   l'esprit  naturaliste. 

La  franc-maçonnerie  poursuit  la  substitution  de 
l'ordre  naturel  à  l'ordre  surnaturel,  dans  les  idées 
et  dans   les  mœurs,  dans  les  personnes  et  dans  les 

i.  Extrait  de  la  circulaire  da  Conseil  de  l'Orire  du  15 
février  1904,  au  sujet  de  la  modification  de  l'article  1er  de 
la  Constitution.  Publié  dans  La  Grand-Orient^  de  France 
ses  doclrines  et  ses  actes,  par  Bidegain,  pp.  15-18.. 


504     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

institutions.  Le  maçonnisme  est  cette  substitution, 
à  ses  divers  degrés  d'avancement  dans  les  âmes  et 
dans  la  société. 

Du  côté  du  cœur,  il  trouve  les  portes  ouvertes 
devant  lui.  La  nature  est  en  chacun  de  nous  avec  les 
concupiscences  et  les  passions  que  le  péché  y  a  per- 
verties. «  Ah!  fidèles,  s'écrie  Bossuet,  ne  craignons 
pas  de  confesser  ingénument  nos  infirmités,  avouons 
que  notre  nature  est  extrêmement  languissante.  Quand 
nous  voudrions  le  dissumelr  ou  le  taire,  toute  notre 
vie  crierait  conti'e  nous...  D'où  vient  que  tous  les 
sages  s'accordent  à  dire  que  le  chemin  du  vice  est 
glissant?  D'où  vient  que  nous  connaissons  par  expé- 
rience que  non  seulement  nous  y  tombons  de  nous- 
mêmes,  mais  encore  que  nous  y  sommes  entraînés? 
au  lieu  que  pour  monter  à  cette  éminence  où  la 
vertu  établit  son  trône,  il  faut  se  raidir  et  bander 
les  nerfs  avec  une  incroyable  contention.  Après  cela, 
est-il  malaisé  de  connaître  où  nous  porte  le  poids 
de  notre  inclination  dominante?  et  qui  ne  voit  que 
nous  allons  au  mal  naturellement  (1)  ?  »  «  Cette  mau- 
dite concupiscence,  dit-il  ailleurs,  corrompt  tout  ce 
qu'elle  touche  (2)  ».  Et  ailleurs  encore  il  signale 
jusque   dans   les   saints   «  cet  attrait   du   mal  ».    (3). 

La  franc-maçonnerie  ne  se  tiompe  pas  en  plaçant 
ses  espérances  sur  la  perversion  du  cœur  humain. 
«  Le  rêve  des  sociétés  secrètes,  disent  les  Instruc- 
tions de  la  Haute-Vente,  s'accomplira  par  la  plus 
simple  des  raisons,  c'est  qu'il  est  basé  sur  les  pas- 
sions- humaines.  »  Tous  les  hommes,  sans  exception, 

1.  Sermon  pour  le  jour  de  la  Pentecôte.  Œuvres  oratoires 
de  Bossuet.  Edition  critiqne  complète,  par  l'abbé  Lebarcq, 
I,   544. 

2.  Ibid.  Sermon  sur  la  Nativité  de  la  Très  Sainte  Vierge, 
p.  177. 

3.  Sermon  pour  le  jour  de  Pâques,  p.  506. 


CORRUPTION      DES     IDÉES  505 

se  sentent,  à  certains  moments,  du  moins  par  les 
tentations  qu'ils  éprouvent,  de  connivence  avec  le 
parti  qui  veut  rendre  à  la  nature  l'empire  que  le 
paganisme  lui  avait  reconnu  et  que  le  chris'ianisme 
travaille  à  lui  ravir.  Cette  disposition  qui  prépare 
la  réalisation  des  desseins  de  la  secte,  peut  bien  être 
appelée  maçonnisme,  maçonnisme  du  cœur,  qui  fait 
incliner  l'homme  vers  tout  ce  qui  flatte  la  nature, 
et  le  fait  contribuer  dans  la  mesure  où  il  s'y  abandonne, 
au  triomphe  que  la  secte  veut  lui  procurer  sur  le 
surnaturel.  L'homme  vertueux  ne  lui  apporte  qu'un 
faible  concours,  parce  qu'il  combat  plus  qu'il  ne 
cède;  mais  la  multitude,  affamée  de  jouissances,  a 
toujours  l'oreille  tendue  vers  qui  lui  promet  de  lui 
en  donner,  et  elle  est  toujours  prête  à  se  ruer  sur 
ses  pas. 

On  peut  encore  appeler  maçonnisme  du  cœur  cette 
pusillanimité  qui  empêche  tant  d'honnêtes  gens,  tant 
de  bons  chrétiens  de  se  montrer  ce  qu'ils  sont.  Tan- 
dis que  les  méchants  s'affichent  et  affirment  avec 
audace  les  erreurs  politiques,  sociales  et  religieuses 
qui  nous  mènent  à  l'abîme,  les  bons  sont  mus  par 
des  peurs  qui  se  résument  dans  celle  d'être  pris 
pour  ce  qu'ils  sont.  Que  de  fois  on  a  vu  cette  crainte 
amener  au  point  de  dire  et  même  de  faire  ce  que 
l'adversaire  veut  faire  dire  et  faire  faire! 

Quand  M.  Boni  de  Castellane  soulevait  contre  lui 
la  presque  unanimité  des  conservateu.s  de  la  Chambre 
en  protestant  contre  la  visite  du  président  de  la 
république  au  roi  d'Italie,  la  grande  majorité  de 
ces  conservateurs  ne  pouvait  pas,  au  fond,  ne  pas 
penser  un  peu  comme  M.  de  Castellane;  mais  la 
terreur  de  paraître  clérical  était  là,  et  ce  qu'il  y  a, 
au  monde,  de  plus  irréfluctîblo,  c'est  la  terreur.  Que 
M.  de  Castellane  eût  proposé  à  ses  collègues  n'importe 


bi)G     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

qfuoi,  ils  l'eussent  peat-ètre  suivi.  Mais  il  leur  pro- 
posait de  se  faire  appeler  «  papalins  »,  quand  Je 
Bloc  leur  reprochait  de  l'être?  Il  allait  d'avance,  et 
sûrement,    à  une   défaite    retentissante. 

Que  de  gens  chez  lesquels  on  trouve  ce  penchant 
à  suivre  l'ennemi,  cette  terreur  de  passer  pour  des 
imbéciles,  s'il  leur  arrivait  de  faire  acle  d'indépen- 
dance et  de  jugement! 

Au  maçonnisme  du  cœur,  vient  se  joindre  le  ma- 
çonnisme  de  l'esprit.  'Il  est  devenu,  de  nos  jours, 
presqu'aussi  général  et  il  est  bien  plus  dangereux, 
parce  que,  n'éveillant  point  autant  que  le  premier 
les  susceptibilités  de  la  conscience,  beaucoup  s^y 
laissent  entraîner,  souvent  sans  le  savoir,  et  s'y 
abandonnent  sans  remords.  Il  est  aussi  plus  pro- 
pice à  la  secte,  il  la  seconde  plus  efficacement^  car 
les  idées  ont  un  empire  plus  étendu  et  plus  durable  que 
les  mœurs.  Aussi  s'y  applique-t-elle  avec  un  soin 
tout  particulier.  «  Il  faut,  —  est-il  dit  dans  les  Ins- 
tructions que  la  Haute-Vente  doit  transmettre  et  faire 
passer  de  proche  en  proche,  —  il  faut  glisser  adroi- 
tement dans  les  espri's  les  germes  de  nos  dogmes.  » 

L'action  exercée  sur  la  jeunesse  par  ceux  qui  l'ins- 
truisent ou  qui  l'approchent,  tant  recommandée  aux 
Quarante  et  par  eux  à  toute  la  secte,  pontribue  assu- 
rément, pour  une  grande  part,  à  la  corruption  des 
idées  dans  la  société  chrétienne.  L'empreinte  reçue 
aux  premiers  jours  de  la  vie  s'efface  difficilement 
et  l'homme  conserve  généralement,  dans  l'àge  mûr, 
les  préjugés  qui  ont  d'abord  pris  possession  de  son 
intelligence. 

Pour  les  adultes,  c'est  par  la  presse  et  par  les 
tribunes  de  tout  genre  et  de  tout  ordre,  que  se 
fait   la   contagion   du   maçonnisme. 


CORRUPTION     DES     IDÉES  507 

Ne  vous  est-il  point  arrivé  de  rentrer,  après  quel- 
que interruption,  en  relations  avec  des  personnes  que 
vous  avez  connues  parfaitement  chrétiennes  d'idées 
et  de  sentiments.  Quelques  instants  d'entretien  vous 
font  demander  :  Est-ce  bien  l'ami  d'autrefois?  Il  ne 
voit  plus  les  choses  sous  le  même  aspect,  il  n'use 
plus  du  naême  critérium  pour  les  apprécier  et  les 
juger;  et  ses  jugements  nouveaux  lui  inspirent  d'au- 
tres sentiments;  il  n'aime  plus  ou  il  n'aime  plus 
autant  ce  qu'il  aimait  autrefois,  il  ne  déteste  plus 
ce  qu'il  détestait;  sa  conduite,  qui  s'inspirait  en  ce 
temps  des  principes  de  la  foi,  est  guidée  aujour- 
d'hui par  un  rationalisme  plus  ou  moins  avoué. 

D'où  vient  ce  changement?  Le  plus  souvent  de 
l'effet  produit  sur  son  esprit  par  le  journal  gu'il  a 
l'habitude  de  lire.  Par  les  journaux  se  produisent  dans 
le  public  des  courants  d'opinions,  des  manières  de 
penser  et  de  faire  qui  gagnent  de  l'un  à  l'autre 
et  finissent  par  constituer  l'atmosphère  morale  où  touB 
se  trouvent  plongés,  l'air  ambiant  que  tout  respirent. 
Les  livres,  les  romans,  les  ouvrages  de  vulgarisation 
scientifique,  les  conversations  et  les  exemples  le  vi- 
cient de  jour  en  jour  et  en  font  un  poison  dont 
les  tempéraments  les  plus  vigoureux  ont  peine  à  se 
défendre.  Que  de  familles  catholiques  s'administrent 
à  elles-mêmes  le  maçonnisme,  franc  ou  raffiné,  par 
les  publications  auxquelles  elles  s'abonnent  inconsilé- 
rément!  Aussi  sont-ils  bien  rares  aujourd'hui  les  es- 
prits entièrement  vides  et  purs  de  naturalisme,  de 
rationaUsme  et  de  libéralisme,  autrement  dit,  d'esprit 
maçonnique. 

La  secte  se  vante  de  .répandre  la  lumière  dans 
le  monde.  Ce  mot  peut  servir  à  faire  bien  compren- 
dre ce  qu'est  le  maçonnisme  et  comment  il  arrive  à 


508        '.AGENT     DE     LA     CIVILISATION     MODERNE 

pénétrer  plus  ou  moins  dans  tous  les  esprits.  La, 
lumière  est  directe  ou  diffuse.  Là  où  le  soleii  envoie 
ses  rayons  sans  rencontrer  d'obstacle,  elle  est  elLe- 
même  dans  la  plénitude  de  son  être  et  dans  toute 
sa.  puissance.  Mais  lorsqu'elle  rencontre  un  écran, 
elle  s'infléchit,  se  répand  obliquement  dans  les  lieux 
circonvoisins  et  s'atténue  de  plus  en  plus  à  mesure 
qu'elle  s'éloigne  du  point  d'incidence,  du  foyer  que 
les  rayons  directs  alimentent.  Ainsi  ia  maçonnerie, 
ce  foyer  ténébreux  d'erreurs  et  de  perversité  antichré- 
tiennes,  étend  son  influence  bien  au  delà  de  ses  Joges, 
répand  la  nuit  dans  les  intelligences  même  très  dis- 
tantes de  son  action,  imprègne  tellement  la  société 
d'idées  fausses,  que  toutes  les  erreurs  se  propagent 
aujourd'hui    comme    d'elles-mêmes. 

Le  maçonnisme  intellectuel,  c'est  donc  un  ensem- 
ble d'idées  émanées  de  la  franc-maçonnerie,  répan- 
dues par  elle  dans  l'atmosphère  des  esprits,  respi- 
rées  et  bientôt  tenues,  professées  et  pratiquées  par 
une  multitude  de  personnes  qui  ne  peuvent  être  appe- 
lées «  maçons  »,  puisqu'elles  ne  sont  pas  inscrites 
sur  les  registres  d*aucune  loge,  qu'elles  ne  se  sont 
pas  fait  initier,  •  qu'elles  n'ont  point  prêté  serment 
à  la  secte;  mais  qui  lui  appartiennent  par  les  idées 
qu'elles  ont  accueillies  dans  leur  intelligence  et  qu'elles 
propagent  autour  d'elles,  par  leurs  écrits,  par  leurs 
discours  et  par  leurs  actes,  par  l'influence  qu'elles 
exercent  sur  l'opinion,  sur  la  vie  de  famille,  sur 
l'enseignement,  sur  les  divertissements  publics  et  les 
œuvres  sociales,  sur  la  législation  et  les  relations 
internationales,  sur  tout,  en  un  mot,  et  qui  contribuent 
ainsi  puissamment  au  progrès  de  l'œuvre  maçon- 
nique qui  est  la  ruine  de  la  société. 

Un  Espagnol,  Don  Sarda  y  Salvaûy,  dans  Un  livre 


CORRUPTION     DES     IDÉES  509 

intitulé  :  Le  Mal  social,  ses  causes,  ses  remèdes,  a  appe- 
lé l'attention  sur  quelques-unes  des  questions  où 
l'esprit  maçonniqfue  s'est  le  plus  donné  carrière  et 
a  fait  les  ravages  les  plus  pernicieux.  Les  principaux 
objets  de  ses  observations  sont  :  la  religion,  l'Etat, 
la  famille,   l'enseignement,    etc.,   etc. 

1°  La  religion.  Nous  avons  entendu  la  maçonnerie 
dire  dans  ses  loges  qtie  le  but  auquel  doivent  tendre 
tcms  ses  efforts  est  d'anéantir  la  religion,  et  même 
toute  idée  religieuse.  En  public,  elle  se  contente, 
généralement  parlant,  de  mettre  dans  les  esprits  cette 
persuasion,  que  la  religion  est  affaire  purement  indi- 
viduelle dont  chacun  décide  dans  son  for  intérieur  : 
l'homme  est  libre  de  servir  et  d'adorer  Dieu  de  la 
manière  qui  lui  paraît  la  meilleure.  Par  là  elle  accré- 
dite, elle  propage  l'indifférentisme  religieux  qui  de- 
vient bientôt  l'absence  de  toute  religion;  elle  pro- 
clame la  liberté  de  conscience,  la  liberté  des  cultes 
et  le  droit  de  les  discréditer.  Beaucoup  de  conserva- 
teurs se  laissent  séduire  au  point  d'appeler  ce  ma- 
çonnisme  un  progrès. 

2°  L'Etat.  L'erreur  relative  à  l'Etat  qu'adopte  le 
maçonnisme  est  celle-ci  :  l'Etat  çst  souverain,  d'une 
souveraineté  absolue.  C'est  en  lui-même,  et  non  en 
Dieu,  qu'il  trouve  la  source  de  son  autorité.  Il  n'a  à 
reconnaître  d'auti'e  sujétion  que  celle  que  lui  impo- 
sent ses  propres  lois.  Il  est  l'auteur  du  droit,  non 
seulement  dans  son  domaine,  mais  dans  celui  de 
la  famille,  de  la  propriété,  de  l'enseignement.  Il  fait 
les  lois,  et  ces  lois  qui  disposent  ainsi  de  toutes 
choses  ne  peuvent  émaner  d'une  autre  autorité  que  de 
la  sienne.  Ce  que  la  majorité  des  suffrag'^s  déclare 
bon  est  bon,  ce  qu'elle  déclare  vrai  est  vrai.  Devant 
ses  arrêts,  il  n'y  a  qu'à  courber  la  tête,  alors  même 
qtie  les  droits  de  la  conscience  chrétienne  sont  outra- 


510     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

gés.  Cela  est  maintenant  admis  par  la  multitude.  Pour 
elle,  dès  que  le  mot  «  loi  »  est  prononcé,  tout  est  dit. 

3°  La  famille.  Le  maçonnisme  approuve  l'institution 
du  mariage  civil  et  tout  ce  qui  en  résulte,  c'est-à- 
dire  qu'il  accepte  que  l'Etat  s'attribue  le  droit  de  sanc- 
tionner, l'union  de  l'homme  et  de  la  femme,  d'en 
déterminer  et  d'en  prescrire  les  conditions,  de  dissou- 
dre le  lien  conjugal  comme  il  l'a  formé.  Il  admet 
que  l'Etat  se  substitue  à  Dieu  qui  a  institué  le  ma- 
riage à  l'origine  des  choses,  à  Notre-Seignetir  Jésus- 
Christ  qui  l'a  élevé  à  la  dignité  de  sacrement,  à 
l'Eglise  le  fondé  de  pouvoirs  de  Dieu  et  du  Christ, 
pour   le   réglementer,   le  reconnaître  et  le  bénir. 

4°  La  puissance  paternelle.  Le  maçonnisme  con- 
sidère l'exercice  de  l'autorité  paternelle  comme  n'ap- 
partenant aux  parents  qu'en  vertu  d'une  concession 
supposée  de  la  loi  civile  qui  peut  le  restreindre  ou 
l'étendre  à  son  gré.  Il  reconnaît  comme  légitimes  les 
droits  q;ue  l'Etat  s'arroge  sur  l'éducation  des  en- 
fants et  la  répartition  des  héritages. 

5°  L'éducation.  En  fait  d'éduca'ion  et  dans  la  di- 
rection qu'il  lui  donne,  le  maçonnisme  part  du  prin- 
cipe de  la  perfection  originelle.  L'enfant,  selon  lui, 
est  naturellement  porté  au  bien  et  n'a  qu'à  suivre 
ses  inspirations  pour  être  bon  et  vertueux.  Cela  est 
contredit,  comme  l'observe  M.  Le  Play,  par  la  plus 
grossière  des  nourrices,  comme  par  la  plus  perspi- 
cace des  mères.  Elles  constatent  à  chaque  instant 
que  la  propension  au  mal  est  prédominante  chez  le 
jeune  enfant.  N'importe,  le  maçonnisme  ne  s'appuie 
pas  moins  sur  ce  faux  dogme  pour  faire  consister  toute 
l'éducation  dans  l'instruction,  pour  interdire  la  cor- 
rection, pour  écarter  l'enseignement  religieux,  pour 
développer  le  sentiment  de  l'orgueil,  et  stimuler  l'am- 
bition. 


CORRUPTION     DES     IDÉES  511 

Dans  l'enseignement,  le  maçonnisme  n'admet  pas 
que  la  science  soit  subordonnée  au  dogme,  la  vérité 
présumée  et  hypothétique  à  la  vérité  fixe  et  abso- 
lue (1).  Il  n'admet  pas  que  celle-ci  serve  de  pierre 
de  touche  pour  vérifier  celle-là.  Le  maçonnisme  trouve 
bon  que  l'enseignement  soit  obligatoire  et  neutro, 
c'est-à-dire  que  l'Etat  fasse  passer  toutes  les  âmes 
sous  le  laminoir  de  son  enseignement  pour  les  ma- 
çoniser  toutes;  et  s'il  proteste  contre  le  monopole  ab- 
solu de  l'enseignement,  s'il  veut  que  soit  conservée 
une  certaine  liberté  permettant  d'échapper  à  l'ensei- 
gnement de  l'Etat,  il  trouve  juste  qUe  celui  qui 
veut  en  user,  non  seulement  se  le  procure  à  ses  frais, 
mais  soit  tenu  de  contribuer  à  renseiççnement  neutre; 
il  trouve  bon  que  l'Etat  ait  le  monopole  des  exa- 
mens, qu'il  ait  le  contrôle  des  livres  de  l'enseigne- 
ment libre,  qu'il  ait  son  Index  et  que  par  la  il 
s'ingère  très  avant  dans  l'enseignement  piétendu  libre. 
Que  l'Eglise  enseigne  ses  dogmes  à  celui  qui  est 
baptisé  et  exige  de  lui  l'adhésion  de  la  Foi,  le  ma- 
çonnisme appelle  cela  oppression  despotique,  servi- 
tude de  la  pensée,  mais  si  l'Etat  impose  l'athéisme, 
c'est  à  ses  yeux,  chose  libérale. 

6°  La  propriété.  Le  maçonnisme  reconnaît  à  TEIat 
le  pouvoir  de  déclarer  nul  le  droit  Je  propriété,  lors- 
qu'il a  pour  objet  les  biens  ecclésiastiques,  la  plus 
sacrée  de  toutes  les  propriétés.  Il  lui  reconnaît  le  droit 
de  faire  des  lois  nour  la  transmission  et  la  jouissance 
de  la  propriété  privée,  et  par  là  il  achemine  les 
esprits   et  les  institutions  vers  le  socialisme  d'Etat. 

7°  La  bienfaisance.  Le  maçonnisme  détourne  l'at- 
tention et  le  cœur  de  l'homme  des  besoins  principaux 

1.  On  voit  à  chaque  instant  les  théories  scientifiques  les 
plus  autorisées,  les  plus  universellement  acceptées,  être 
rangées  tout  à  coup  parmi  les  fiaradoxes. 


512       l'agent     DE     LA     CIVILISATION     MODERNE 

du  pauvre,  de  ceux  de  son  âme.  Il  ne  voit  en  lui 
que  le  corps,  et  parmi  les  œuvres  de  miséricorde, 
il  n'admet  que  celles  qui  ont  le  corps  pour  Oibjet.  Il  veut 
que  le  pain  donné  pour  apaiser  la  faim,  le  vête- 
ment destiné  à  couvrir  la  nudité,  la  visite  faite  à 
l'indigent  ou  à  l'infirme,  le  remède  offert  au  malade, 
n'aient  d'autre  fin  que  le  soulagement  corporel;^  il 
ne  veut  pas  qu'au-dessus  de  cette  fin  immédiate, 
il  y  en  ait  une  autre  :  édifier  l'âme,  la  perfectionner, 
l'aider  à  obtenir  les  biens  qui  lui  sont  propres,  la 
vérité,  la  grâce  de  Dieu,  le  bx)nheur  éternel.  Et  c'est 
pourquoi,  s'il  trouve  mauvaise  la  laïcisation  des  hô- 
pitaux, des  hospices,  des  orphelinats,  c'est  unique- 
ment parce  qu'il  constate  expérimentalement  que  les 
soins  des  laïques  ne  valent  pas  ceux  des  religieux. 
Il  ne  regrette  point  l'absence  des  secours  spirituels, 
il   ne  les   reconnaît  point  comme  bienfaisants. 

Le  maçonnisme  tarit  la  vraie  source  de  la  bienfai- 
sance en  dédaignant  le  vrai,  le  principal  motif  qui 
doit  la  déterminer  :  l'amour  de  Dieu.  Il  veut  que 
l'on  aime  l'homme  pour  l'homme;  il  appelle  cela 
de  la  philanthropie,  il  l'oppose  à  la  charité  divine. 
Pour  obtenir  le  concours  à  ses  œuvres  de  philanthro- 
pie, le  maçonnisme,  ignorant  ou  dédaignant  les  motifs 
d'ordre  supérieur,  a  recours  à  divers  moyens,  tous 
atJssi  misérables  les  uns  que  les  autres.  II  s'efforce 
de  stimuler  la  sensibilité  naturelle,  mais  l'égoïsme 
lui  répond  en  faits,  sinon  en  paroles,  qu'il  est  moins 
désagréable  de  voir  souffrir  son  prochain  que  de 
s'imposer  à  soi-même  des  sacrifices.  Il  ouvre  des 
souscriptions  publiques,  et  il  se  sert  du  respect  hu- 
main pour  y  faire  contribuer  par  la  crainte  du  ridi- 
cule et  de  la  censure.  Il  organise  des  fêtes  de  bien- 
faisance, marchés  publics  de  sensualité,  où  l'on  prend 
occasion  du  malheur  des  autres  pour  se  procurer 
du  plaisir. 


i-.ORRUPTION     DES     IDEES  513 

8°  L'art  n'est  pas  plus  que  le  reste  hors  des  attein- 
tes du  maçonnisme.  L'^art  qu'il  patronne,  qu'il  exalte 
est  celui  qui  exprime  et  qui  surexcite  les  concupis- 
cences qui  animalisent  l'homme,  au  détriment  de 
celui  qui  exprime  les  sentiments  qui  ennoblissent 
l'âme  humaine,  qui  relèvent  sa  dignité.  Le  maçon- 
nisme est,  à  l'heure  actuelle,  tout  à  fait  dominant 
dans  l'art.  La  poésie  et  le  chant,  la  peinture  et  la 
sculpture  s'attachent  de  nos  jours  à  flatter  les  sens, 
à  amener  les  hommes  à  chercher  leurs  joies  dans 
ce  qfui  les  avilit  et  les  souille,  au  lieu  de  les  élever 
aux  joies  de  l'intelligence  et  de  l'âme. 

Immense  est  l'influence  du  maçonnisme  artistique 
et  littéraire.  Il  atteint  toutes  les  classes  de  la  société, 
même  les  plus  infimes,  par  le  feuilleton,  l'affiche^ 
les  statues  officielles,  et  les  amusements  publics  qui 
ne  sont  plus  autre  chose  qu'une  grande  entreprise 
de   corruption   générale. 

On  le  voit,  le  maçonnisme  s'étend  à  tout.  A  l'heure 
actuelle,  sa  contagion  est  si  puissante  et  si  étendue 
que  quiconque  voudra  rentrer  en  lui-même,  faire  l'ins- 
pection de  ses  idées  et  de  ses  sentiments,  devra  recon- 
naître qu'il  en  est  plus  d'un  et  plus  d'une  qui  sont 
altérés  en  lui,  qu'il  n'a  pas  conservé  entière  la  pu- 
reté  de  la  doctrine  et  du   sens  catholique. 

C'est  par  cet  affaiblissement  graduel,  méthodique, 
que  la  secte  espère  arriver  peu  à  peu  à.  anéantir 
l'idée  chrétienne  dans  le  monde. 

Le  journal  V Opinion  nationale  écrivait,  sous  le 
règne  de  Napoléon  III  :  «  Il  existe  en  certaines  par- 
ties de  l'Afrique  et  de  l'Amérique  un  insecte  d'une 
activité  et  d'une  fécondité  effrayantes  :  le  pou  de 
bois.  C'est  une  bête  molle,  blanchâtre,  sans  résis- 
tance, organisée  qu'elle  est  pour  vivre  dans  les  ténè- 

L' Église  et  le  Temple.  33 


514     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

bres.  Cependant,  lorsqu'elle  s'attaque  aux  habitations, 
il  faut  toujours  finir  par  lui*  céder  la  place.  Rien 
ne  peut  l'arrêter.  Sans  bruit,  elle  ronge  solives,  pou- 
tres, madriers  et  jusqu'à  la  rampe  de  l'escalier.  Vous 
appuyez  dessus  sans  défiance  :  le  bois  cède,  sous 
les  doigts.  Les  poux  vont  ainsi  creusant,  creusant 
avec  une  activité  incroyable  et  se  multipliant  chaque 
nuit  par  milliers.  Ils  avancent.  Au  dehors  nulle  trace; 
tout  conserve  l'apparence  de  la  solidité,  jusqu'à  ce 
qu'un  jour,  au  premier  souffle  de  la  tempête,  la 
maison  tombe  en  poussière  sur  ses  habitants  sur- 
pris et  montre,  au  grand  jour,  l'innombrable  et  im- 
monde fourmilière  des  poux,  grouillant  sur  les  rui- 
nes. » 

Cette  vermine,  sous  la  plume  de  yOpinion  nationale, 
c'était  les  Petites  Sœurs  des  Pauvres,  les  Filles  de 
Saint-Vincent  de  Paul  et  autres  congréganistes.  N*est-il 
pas  plus  juste  de  voir  sous  cette  figure  le  maçon- 
nisme  et  son  œuvre?  Les  idées  qui  le  constituent 
sont  bien  ces  termites.  Elles  se  répandent  de  proche 
en  proche  dans  la  société,  la  minent  sans  que  l'on 
s'en  aperçoive.  Au  jour  de  la  tempête  'révolutionnaire, 
on  la  verra  tomber;  et  tous,  ceux  qui  auront  pro- 
pagé ces  idées,  comme  ceux  qui  n'auront  point  réagi 
contre  elles  périront  sous  ses  ruines. 

Combien  de  personnes,  si  elles  voyaient  ce  travail 
obscur  de  destruction,  reculeraient  d'effroi!  Et  c'est 
pourquoi  il  est  nécessaire  et  charitable  de  leur  ou- 
vrir les  yeux,  de  leur  apprendre  à  traduire  devant 
leur  conscience  les  idées  qui  hantent  leur  intelligence, 
et  à  se  demander  si,  de  cet  examen,  il  ne  résulte  pas 
qu'elles  appartiennent,  du  moins  par  quelques  ten- 
dances de  leur  esprit,  à  l'âme  de  la  franc-maçonnerie. 

Car  de  même  que  l'on  distingue  dans  l'Eglise  de 
Dieu   le   corps    et  l'âme,    et   que   l'on  peut  être   du 


CORRUPTION     DES     IDÉES  515 

corps  sans  être  complètement  de  l'âme,  et  récipro- 
quement de  l'âme  sans  être  du  corps;  ainsi  en  va-t-il 
du  Temple  de  Satan.  Le  corps,  ce  sont  les  loges 
et  ceux  qui  s'y  sont  inscrits,  l'âme,  c'est  le  libéralisme 
et  le  rationalisme,  en  un  mot  le  naturalisme.  Tous 
ceux  qui  en  tiennent  appartiennent  à  l'âme  de  la 
secte  dans  la  mesure  où  ils  se  sont  laissé  déchris- 
tianiser l'esprit  ou  le  cœur,   ou  le  cœur  et  l'esprit. 


CHAPITRE  XXXVII 
CORRUPTION  DES  IDÉES  {suite) 

IX.  —  MACONNISME  ET  ÉVANGILE 

Nous  avons  entendu  l'un  des  membres  de  la  Haute- 
Vente  nous  expliquer  comment  il  peut  se  faire  que 
certains  membres  du  clergé  se  laissent  séduire  par 
le  libéralisme;  l'égalitarisme  et  autres  productions 
du  maçonnisme.  «  Ils  se  persuadent,  dit-il,  que  le 
christianisme  est  tme  doctrine  essentiellement  démo- 
cratique. »  Il  n'y  a  point  de  suggestion  qui  ait  eu 
sur  les  esprits  un  empire  plus  étendu  et  plus  funeste. 

L'effort  pour  la  répandre  vient  de  loin,  et  si  on 
remonte  à  sa  source,  on  trouve  qu'elle  a  pour  pre- 
miers auteurs  Weishaupt  et  Knigge,  les  deux  hommes 
qui  ont  donné  aux  sociétés  secrètes  leur  dernière 
et  décisive  impulsion,  ceux  qui  leur  ont  marqué  le 
but  suprême  qu'elles  doivent  s'efforcer  d'atteindre  : 
l'anéantissement  du  christianisme. 

Knigge,  daiî.s  une  lettre  à  Zwach,  expose  que  parmi 
les  élèves  de  l'Illuminisme  il  se  trouve  des  hommes 
qui  ont  besoin  d'une  religion  révélée  pour  fixer  leurs 
idées,  et  d'autres  qui  détestent  toute  révélation.  «  Pour 
mettre  en  actioUj  pour  faire  concourir  à  notre  objet 
ces  deux  classes   d'hommes,   pour  réussir,   il  fallait 


CORRUPTION     DES     IDÉES  517 

trouver  une  explication  du  christianisme  qui  rappelât 
les  superstitieux  à  la  raison  et  qui  apprît  à  nos  sages 
plus  libres  à  ne  pas  rejeter  la  chose  pour  l'abus. 
Ce  secret  devait  être  celui  de  la  maçonnerie  et  nous 
conduire  à  notre  objet.  Pour  réunir  ces  deux  extrê- 
mes, nous  disons  donc  que  Jésus  n'a  point  établi 
une  nouvelle  religion,  mais  qu'il  a  voulu  simple- 
ment rétablir  dans  ses  droits  la  religion  naturelle. 
Son  intention  était  de  nous  apprendre  à  nous  gouver- 
ner nous-mêmes,  et  de  rétablir,  sans  les  moyens 
violents  de  révolution,  la  liberté  et  l'égalité  parmi 
les  hommes.  Il  ne  s'agissait  pour  cela  que  de  citer 
divers  textes  de  l'Ecriture  et  de  donner  des  expli- 
cations vraies  ou  fausses,  n'importe,  pourvu  que  cha- 
cun trouve  un  sens  d'accord  avec  sa  raison  dans  la 
doctrine  de  Jésus.  Spartacus  (Weishaupt)  avait  réuni 
bien  des  données  pour  cela;  j'ai  ajouté  les  mien- 
nes dans  l'instruction  pour  ces  deux  grades  (les  deux 
grades   des   petits   mystères).  »   (1). 

Conformément  à  ces  Instructions  avant  d'admettre 
le  Chevalier  Ecossais  au  grade  d'Epopte,  on  lui  adres- 
sait diverses  questions  auxquelles  il  devait  répondre 
par  écrit. 

«  1.  L'état  actuel  des  peuples  répond-il  à  l'objet 
pour  lequel  l'homme  a  été  placé  sur  la  terre.  Les 
gouvernements,  les  religions  des  peuples  remplissent- 
ils  le  but  pour  lequel  les  hommes  les  ont  adop- 
tés? Les  conduisent-ils  au  vrai  bonheur? 

»  2.  N'a-t-il  pas  existé  autrefois  un  ordre  de  choses 
plus  simple?  Quelle  idée  vous  faites-vous  de  cet 
ancien  état  du  monde? 

»  3.  A  présent  que  nous  sommes  passés  par  toutes 
les  nullités  (par  toutes  les  formes  vaines  et  inutiles 


1.  Ecrits  originaux,  t.  II,  pp.  104  et  ssq. 


518     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

de  gouvernement  et  de  religion),  serait-il  possible 
de  revenir  à  cette  première  et  noble  simplicité  de 
nos  pères? 

»  4.  Comment  faudrait-il  s'y  prendre  pour  rame- 
ner cette  heureuse  période? 

»  7.  Peut-on  connaître  et  enseigner  un  meilleur 
christianisme?  Le  monde  tel  qu'il  est  à  présent  sup- 
porterait-il plus  de  lumière? 

»  9.  En  attendant,  ne  faut-il  pas  semer  la  vérité 
dans  les  sociétés  secrètes? 

»  10.  N'observez-vous  pas  les  mesures  d'une  'édu- 
cation graduelle  dans  cet  art  gue  vous  voyez  trans- 
mis à  notre  Ordre  depuis  les  temps  les  plus  an- 
ciens? » 

Quand  les  réponses  convenables  avaient  été  données 
et  que  le  Chevalier  Ecossais  était  admis  au  grade 
d'Epopte,  l'Hiérophante  lui  disait  dans  la  cérémonie 
de  l'Initiation  :  «  Notre  doctrine  est  cette  doctrine 
divine,  telle  que  Jésus  l'enseignait  à  ses  disciples, 
celle  dont  il  leur  développait  le  vrai  sens  dans  ses 
discours  secrets...  Il  enseigna  à  tout  le  genre  hu- 
main la  manière  d'arriver  à  la  délivrance...  Personne 
n'a  frayé  à  la  liberté  des  voies  aussi  sûres  que 
notre    grand    maître   Jésus    de   Nazareth.  » 

Weishalupt,  en  rédigeant  cette  partie  de  son  rituel, 
chargeait  ses  disciples  de  répandre  cette  persuasion 
que  la  liberté,  l'égalité  et  la  fraternité,  entendues 
au  sens  maçonnique,  ont  eu  pour  inventeur  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ;  que  sa  doctrine  secrète,  celle 
qui  était  vraiment  et  complètement  sienne,  mais  qui 
ne  devait  être  prêchée  ouvertement  que  lorsque  le 
monde  serait  capable  de  l'entendre,  était  la  pure 
doctrine  démocratique,  celle  qui  rejette  toute  auto- 
rité et  maudit  toute  propriété. 

Qu'ils  fussent  persuadés   ou  non,  ses  disciples  ne 


CORRUPTION     DES     IDÉES  519 

manquèrent  point  de  parler  en  ce  sens.  Qu'il  suffise 
de  citer  Camille  Desmoulins,  qui  faisait  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  «  le  premier  sans-culotte  »; 
Gracchus  Babeuf,  qui  lui  donnait  un  rôle  de  parta- 
geux;  et,  plus  près  de  nous,  Proudhon  qui  le  trans- 
figurait en  «  divin  socialiste  »;  Lamennais,  qui  en- 
treprit de  donner  la  démonstration  de  ce  sophisme  : 
que  la  Révolution  française  est  sortie  de  l'Evangile.  (1) 
Weishaupt  ne  s'était  point  trompé.  Donner  au  peuple 
cette  conviction,  que  la  doctrine  démocratique  est 
la  doctrine  même  de  l'Evangile,  la  pure  doctrine 
de  Jésus-Christ,  et  surtout  arriver  à  lui  faire  donner 
cette  conviction  par  des  prêtres,  c'était  assurément 
le  moyen  le  plus  ingénieux  et  le  plus  infaillible  de 
faire  arriver  et  d'asseoir  à  tout  jamais  la  Révolu- 
tion en  vue  de  laquelle  il  avait  fondé  rilluminisme. 
Aussi,  répandre  cette  persuasion  fut  l'une  des  occu- 
pations principales  de  la  Haute-Vente,  héritière  directe 
de  rilluminisme.  Dans  la  Bulle  Ecclesiam  a  Jesu 
Christo,  le  pape  Pie  VIII  en  fit  la  remarque  :  «  Les 
Carbonari  affectent  un  singulier  respect  et  un  zèle 
merveilleux  pour  la  religion  catholique  et  pour  la 
doctrine  et  la  personne  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
qu'ils  ont  quelquefois  l'audace  de  nommer  leur  grand 
maître  et  le  chef  de  leur  société.  » 

Et  Pie  IX,  dans  l'allocation  consistoriale  prononcée 
à  Gaëte,  le  20  avril  1849,  dit  aussi  :  «  Les  chefs  de  la 
faction,  par  un  coupable  abus  des  paroles  et  des 
pensées  du  très  saint  Evangile,  n'ont  pas  craint,  loups 
ravisseurs  déguisés  en  agneaux,  d'entraîner  la  mul- 
titude inexpérimentée  dans  leurs  desseins  et  leurs 
entreprises  et  de  verser  dans  les  esprits  imprévoyants 
le  poison  de  leurs  fausses  doctrines.  » 

1.  Au  moment  où  le  P.  Laoordaire,  Ozanam,  l'abbé  Ma- 
ret,  fondaient  l'Ere  nouvelle,  paraissaient  les  journaux  in- 
titulés :  Le  Christ  républicain.  —  Le  Christ  socialiste. 


520     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

Piccolo-Tigre  a  donné  la  raison  dernière  pour  la- 
quelle cette  tactique  a  été  inventée  et  mise  en  œu- 
vre :  «  La  Révolution  (ou  l'idée  révolutionnaire)  dans 
l'Eglise,  c'est  la  Révolution  en  permanence.  » 

Nos  démocrates  s'y  sont  laissé  prendre. 

Dans  son  numéro-programme,  la  Démocratie  chré- 
tienne, après  avoir  dit  que  «  la  démocratie  a  pour 
principe  fondamental  l'égalité  naturelle  de  tous  les 
hommes  »,  ajoute  :  «  Et  qui  donc  a  fait  prévaloir 
ce  principe  de  l'égalité  naturelle  de  tous  les  hommes, 
qp'aucune  société  païenne  n'avait  reconnue,  et  qui 
trouve  son  plein  développement  social  dans  le  régime 
démocratique  bien  compris?...  Ah!  n'est-ce  pas  Jésus- 
Christ?  Et  lorsque  la  démocratie  vient  donner  à  ce 
principe  de  l'égalité  humaine  son  plein  développe- 
ment social,  nous  chrétiens  ,nous  répugnei'îons  àravè" 
nement  complet  de  la  démocratie?  » 

Et  ailleurs  :  «  La  démocratie  est  bonne,  son  prin- 
cipe est  inattaquable,  puisqu'elle  est  l'état  social  le 
plus  conforme  à  l'esprit  de  l'Eglise,  parce  qu'elle 
a  été  promulguée  par  Jésus-Christ.  » 

«  La  liberté,  l'égalité,  la  fraternité,  sont  des  bien- 
faits  qui  nous   viennent   du  christianisme.  » 

La  liberté  dont  parle  Notre-Seigneur  lorsqu'il  dit  : 
Veritas  liberahit  vos?  Oui,  assurément,  cette  liberté 
est  l'un  des  grands  bienfaits  du  christianisme.  La 
vérité  sur  Dieu,  sur  l'homme,  sur  nos  destinées  que 
sa  Bonté  infinie  a  faites  surnaturelles  et  éternelles, 
cette  vérité  délivre  l'homme  de  l'esclavage  de  Satan 
et  du  monde,  de  celui  de  ses  passions  et  de  ses 
péchés.  Voilà  la  liberté  qui  vient  du  christianisme. 
Mais  non  la  liberté  démocratique  dont  l'essence  est 
de  se  soustraire  à  l'Autorité,  d'en  secouer  le  joug. 
Le   mot   a  été   pris   au   christianisme,   la  chose   aux 


CORRUPTION     DES     IDÉES  521 

passions  de  l'homme,  à  son  orgueil.  Et  ravir  ainsi 
au  christianisme  ses  mots  pour  les  interpréter  dans  le 
sens  du  paganisme,  c'est  mettre  le  comble  à  l'anar- 
chie intellectuelle,  c'est  prendre  la  voie  la  plus  sûre 
pour  mener  les  peuples  à  leur  perte  la  plus  irrémé- 
diable. 

Mêmes  observations  sur  le  mot  égalité.  L'égalité 
des  hommes  appelés  tous  à  la  vie  éternelle,  rachetés 
tous  par  le  sang  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  rece- 
vant toutes  les  grâces  nécessaires  au  salut,  cette 
égalité  vient  du  christianisme.  Mais  est-ce  celle-là  que 
revendique  la  jalousie  démocratique  qui  veut  tout 
abaisser  sous  son  niveau?  l'orgueil  démocratique  qui 
ne  peut  souffrir  de  supérieur  ? 

Et  la  fraternité  que  prêche  la  démocratie,  est-ce  la 
fraternité  des  hommes  en  Jésus-Christ  qui  s'est  fait 
leur  frère  et  qui  leur  a  donné  pour  Père  le  Sou- 
verain Seigneur  qui  est  aux  cieux?  N'est-ce  point 
plutôt  l'humanitarisme  qui  tend  à  un  Etat-Humanité 
par  la  solidarité  universelle? 

«  Quand  on  voit  quelles  sont  les  doctrines  contre 
lesquelles  beaucoup  d'hommes  ont  échangé  les  tré- 
sors de  vérités  cachées  dans  le  Christ,  a  dit  Shelling, 
on  se  rappelle  involontairement  ce  roi  dont  San- 
cho  Pança  raconte  qu'il  avait  vendu  son  royaume 
pour  acheter  un  troupeau  d'oies.  » 

Non,  la  liberté,  l'égalité,  la  fraternité  démocrati- 
ques n'ont  point  été  promulguées  par  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ.  Ce  n'est  point  là  ce  qu'il  a  voulu  faire 
prévaloir  en  venant  sur  la  terre.  On  ne  peut  dire 
que  cette  liberté,  cette  égalité  et  cette  fraternité  soient 
des  bienfaits  qui  nous  viennent  du  christianisme  et 
que  l'état  social  qui  reposerait  sur  elles  serait  le  plus 
conforme  à  l'esprit  de  l'Eglise.  L'état  social  le  plus 


522     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

conforme  à  l'esprit  de  l'Eglise  est  celui  qui  aide  le 
mieux  les  hommes  à  faire  leur  salut. 

Ces  confusions  d'idées  et  les  actions  libérales  qui 
en  sont  la  mise  en  œuvre,  préparent  une  société 
essentiellement  anti chrétienne  ;  car  il  n'y  a  rien  qui 
puisse  s'opposer  plus  efficacement  au  retour  de  notre 
société  révolutionnaire  à  l'esprit  du  christianisme, 
à  cet  esprit  qui,  d'après  Léon  XIII,  —  s'adressant  direc- 
tement aux  démocrates  chrétiens,  —  doit  donner 
à  la  communauté  humaine  une  forme  et  un  carac- 
tère en  harmonie  avec  ceux  que  Dieu  a  établis  (1). 
Dieu  a  établi  la  société  non  sur  la  liberté,  mais  sur 
la  soumission  aux  autorités;  non  sur  l'égalité,  mais 
sur  la  hiérarchie;  non  sur  l'humanitarisme,  mais 
sur  la  divine  charité. 

On  l'a  toujours  dit,  et  rien  de  plus  vrai  :  l'erreur  la 
plus  nuisible  est  celle  qui  est  la  plus  proche  de  la 
vérité,  ou  celle  qui  en  emprunte  les  termes.  Les 
hommes  les  plus  dangereux  sont  ceux  qui  ont  la 
vérité  sur  le  visage  et  l'erreur  dans  le  sein.  Com- 
ment la  jeunesse  se  mettra-t-elle  en  garde  contre  des 
écrivains  et  des  orateurs  honnêtes  et  brillants,  qui 
annoncent  à  tous  le  règne  de  la  liberté  et  de  l'éga- 
lité avec  du  pain  et  des  plaisirs?  Ils  affirment  ap- 
porter en  cela  la  solution  chrétienne  de  la  question 
sociale,  alors  qu'ils  propagent  les  idées  de  la  Révolu- 
tion. C'est  jeter  les  peuples  dans  un  trouble  dont 
ils  ne  pourront  revenir.  «  Si  l'on  parvenait,  dit  M. 
de  Saint-Bonnet,  à  allier  l'esprit  révolutionnaire  à 
l'esprit  religieux,  à  marier  l'orgueil  à  la  vérité,  c'en 
serait  fait  à  jamais  de  notre  civilisation.  Le  socialisme 
chrétien  perdra  tout  s'il  prend  de  la  force  :  il  s'ap- 
proprie  assez   de  vérité  pour  dissimuler  l'erreur  et 

1.  Encyclique    Graves   de   communi. 


CORRUPTION     DES     IDÉES  523 

étouffer  définitivement  la  vérité.  Veuille  Dieu  préser- 
ver notre  clergé  de  l'erreur  la  plus  glissante,  la  plus 
terrible  qui  fut  jamais  !  Le  mirage  est  tel  que  beau- 
coup parmi  les  plus  sages  ne  savent  plus  où  fixer 
leur  esprit.  Comment  désormais  distinguer  la  bran- 
che empoisonnée  de  la  branche  de  l'Evangile  (1)?  » 
«  Chaque  âge  a  son  hérésie,  mais  ici  Ton  enlève  le 
fond  même  du  christianisme,  en  lui  laissant  son  nom. 
L'âme  éprouve  un  frisson.  L'ennemi  du  genre  hu- 
main a  trouvé  une  erreur  qui  porte  le  nom  de  la 
vérité  et  qui  est  capable  d'accélérer  la  fin  des  temps.  » 
M.  de  Montalembert  ne  parlait  pas  autrement  : 
«  Si  la  contagion  socialiste  allait  envahir  jusqu'aux 
enfants  de  l'Eglise  elle-même,  si  une  portion  de  notre 
jeunesse  catholique  avait  le  malheur  d'ouvrir  son 
esprit  et  son  cœur  à  ces  doctrines  fallacieuses,  c'est 
alors  vraiment  que  le  mal  pourrait  sembler  irrépara- 
ble et  qu'il  ne  resterait  plus  qu'à  pleurer  sur  les  rui- 
nes d'une  société  condamnée  à  mourir  dans  les  étrein- 
tes d'une  incurable  anarchie.  » 

«c  C'est  pour  un  prêtre  une  trahison,  disait  encore 
M.  de  Saint-Bonnet,  que  de  faire  porter  la  question 
sociale  ailleurs  que  sur  la  Foi.  » 

Il  y  a  une  dizaine  d'années,  dans  un  numéro  de 
VEclair,  daté  du  6  juillet,  l'abbé  Charbonnel,  qui 
n'avait  point  encore  apostasie,  écrivait  un  article 
intitulé  :  Le  Socialisme  chrétien.  Il  y  invoquait  l'au- 
torité de  saint  Paul,  de  Mgr  Ketteler,  de  Mgr  Ireland, 
de  M.  le  comte  de  Mun,  de  l'abbé  Hitze.  Et  il  terminait 
par  ces  mots  : 

1  M.  Blanc  de  Saint-Bonnet  a  fourni  lui-même  la  lé- 
ponse  :  «  Pour  la  reconnaître,  il  reste  un  signe  certain. 
L'esprit  du  christianisme  se  décèle  immédiatement  :  au 
lieu  d'enfler  le  moi,  il  en  demande  le  sacrifice  ». 


524     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

«  Au  dire  de  Proudhon,  la  question  sociale  est 
»  déjà  soulevée,  mais  elle  est  errante  :  prêehée  au 
»  nom  de  Dieu,  consacrée  par  la  parole  du  prêtre 
»  elle  se  répandra  avec  la  rapidité  de  la  foudre. 
»  C'EST  CE  QUI  ARRIVE  et  l'évolution  a  été  singuliè- 
»  rement  prompte  de  Lamennais  à  Léon  XIIL  Qui 
»  disait  donc  que  l'Eglise  ne  change  pas?  » 

Non,  l'Eglise  ne  change  pas,  elle  dit  aujourd'hui 
ce  qu'elle  a  dit  hier,  mais  ils  sont  bien  dangereux  ceux 
qui  essaient  de  lui  faire  dire  le  contraire  de  ce  qu'elle 
a  toujours  enseigné  et  qui,  pour  cela,  se  présentent, 
sous  le  couvert  du  Pontificat  suprême  et  de  l'infailli- 
bilité   doctrinale  ! 

De  la  persuasion  que  le  christianisme  est  une  doc- 
trine essentiellement  démocratique  est  né  le  désir 
de  la  réconciliation  de  l'Eglise  et  du  siècle  d'abord 
dans  l'ordre  politique,  puis  en  tout  ordre  de  choses. 
Dans  la  lettre  à  son  clergé  sur  le  concile  œcuméni- 
que du  Vatican  (1),  le  cardinal  Régnier  disait  :  «  Le 
catholicisme  libéral  travaille  à  faire  sortir  l'Eglise 
de  ses  voies  traditionnelles  et  séculaires.,  pour  la 
faire  entrer  dans  celles  où  s'est  engagée  la  société 
moderne    et   dont   Dieu    seul   connaît   l'issue.  » 

Les  catholiques  libéraux  se  proclament  volontiers 
les  fils  de  la  société  moderne  qu'ils  déclarent  être 
«  la  moins  imparfaite,  la  meilleure  des  sociétés  qui 
aient  jamais  existé.  »  Ils  répètent  sur  tous  les  tons 
qu'ils  «  l'acceptent  telle  qu'elle  est  »,  et  que  personne 
ne  doit  plus  songer  à  réagir  contre  le  courant  qu'a 
créé  la  Révolution.  La  langue  de  la  Révolution  tie 
leur  fait  pas  peur,  loin  de  là;  ils  ont  habituellement 
sur  les  lèvres  les  formules  des  libertés  à  la  mode. 
Que  dis-je?  De  ces  libertés  que  les  papes  ont  appe- 

1.  Œuvres,  t.   IV,   p.   189. 


CORRUPTION     DES     IDÉES  525 

lées  des  délires  et  des  instraments  de  perversion  et 
de  corruption,  ils  disent  «  qu'elles  sont  sorties  de 
l'Evangile  comme  autant  de  fruits  exquis  »  et  que 
ce  sont  là  «  les  côtés  superbes  de  la  société  moderne  ». 
De  la  Déclaration  des  droits  de  Vhomme,  qui  est 
le  principe  même  de  la  Révolution  et  le  fond  du 
naturalisme,  ils  disent  que  «  nulle  nation  n'a  jamais 
eu  rien  de  pareil  »,  «  qu'il  a  fallu  dix-huit  siècles 
de  christianisme  pour  la  rendre  possible  »,  qu'il  n'y 
a  jamais  eu  d'événement  plus  grand  dans  le  monde  », 
etc. 

La  plupart  de  ces  citations  sont  prises  dans  le  livre 
de  l'abbé  Bougaud  :  Le  Christianisme  et  les  temps 
PRÉSENTS  (1).  M.  Vacherot  avait  une  plus  juste  com- 
préhension des  choses  lorsqu'il  disait  :  «  A  ceux  qui 
croiraient  encore  que  la  Révolution  peut  se  récon- 
cilier avec  la  Religion,  la  démocratie,  qui  est  l'âme 
et  l'esprit  de  la  Révolution,  répond  en  ces  termes  : 
«  Nulle  religion,  même  le  protestantisme,  qui  est  la 
plus  libérale  de  toutes,  n'est  compatible  avec  l'idéal 
de  la  démocratie  (2).  » 

Faut-il  s'étonner  après  cela  que  dans  les  premiers 
jours  de  juin  1885,  le  Figaro  ait  eu  l'insolence  d'adres- 
ser cette  invite  à  Léon  XIII  :  «  Si  Léon  'XIII  se  levait 
avec  le  grand  chiffre  1789  à  la  main  —  tout  à  coup 
de  son  fauteuil  où  il  est  assis  calme,  penseur,  voyant 

1.  Dans  ce  même  ouvrage,  t.  V,  p.  21.  M.  l'abbé  Bougaud 
dit  :  «  Il  n'y  a  pas  de  solution  de  continuité  entre  les 
vérités  de  l'ordre  surnaturel  et  les  vérités  de  l'ordre  naturel; 
celles-ci  plongent  dans  celles-là  et  réciproquement  ».  Et 
plus  loin  :  «  On  monte  du  sens  à  la  raison  comme  on  monte 
de  la  raison  à  la  foi  ».  A  la  page  42  :  «  Sans  doute  la 
foi  est  un  don  de  Dieu  comme  la  vue,  comme  la  raison,  pas 
plus  qu'elles,  pas  moins  ».  Ces  propositions  sont  du  pur 
pélagianisme.  Elles  montrent  ce  que_  devient  la  notion 
du  surnaturel  dans  les  esprits  qui  se  laissent  envahir  par  le 
libéralisme. 

2.  Do  la  Démocratie,   p.   60. 


526     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

—  il  serait  aussi  grand  que  le  Moïse  de  Saint- 
Pierre-aux-Liens.  A  les  voir  assis,  le  Pape  et  Moïse, 
on  juge  de  leur  taille  s'ils  étaient  debout!  Il  a 
COMPRIS  que,  si  son  Eglise  ne  marchait  pas  avec  la 
société  moderne  —  la  société  moderne  marcherait 
sans  son  Eglise.  »  Ce  que  le  Figaro  disait,  toule  la 
clientèle  des  Ignotus,  des  Wolff,  des  Grandlieu,  des 
Millaud,  etc.,  en  un  mot,  tout  le  catholicisme  libéral 
le  pensait. 

C'est  Lamennais  qui  est  le  père  et  le  chef  de  l'école 
à  la  fois  catholique  et  révolutionnaire  de  la  pacifica- 
tion, de  la  conciliation,  de  l'adaptation,  de  l'union 
enfin  et  de  la  fusion  entre  le  Christianisme  et  la 
Révolution.  Selon  lui,  il  n'y  a  de  salut  pour  l'Eglise 
dans  l'avenir  que  là.  Il  faut  qu'elle  s'harmonise  avec 
la  liberté  moderne,  disons  mieux  avec  le  libéralisme 
qui  est  l'hérésie  des  hérésies, 

«  C'est  ici,  dit  M.  Chapot,  le  point  culminant  de 
la  séduction  libérale.  Il  ne  saurait  y  avoir  rien  au- 
delà.  Faire  croire  aux  bons,  faire  croire  au  clergé 
que  le  salut  nous  viendra  du  libéralisme,  c'est  l'apo- 
gée et  le  triomphe  de  la  Révolution. 

»  Voilà  plus  de  soixante-dix  ans  que  cette  nou- 
velle manière  de  comprendre  les  intérêts  de  l'Eglise 
a  tout  envahi.  Elle  trône  au  sein  des  académies, 
elle  siège  dans  les  sanctuaires,  elle  a  toutes  les  fa- 
veurs de  l'opinion  publique;  on  la  considère  comme 
la  garantie  certaine,  infaillible,  de  la  victoire  pro- 
chaine de  l'Eglise  sur  la  terre, 

»  Grâce  à  l'ingénieuse  distinction  entre  la  thèse 
et  l'hypothèse  du  libéralisme,  l'évolution  des  catho- 
liques sur  le  terrain  révolutionnaire  du  droit  commun, 
des  droits  de  l'homme,  de  la  liberté  pour  tous,  du 
ralliement  aux  idées,  aux  institutions  politiques  et 
sociales  du  monde  moderne,  s'est  accomplie.  L'armée 


CORRUPTION     DES     IDÉES  527 

chrétienne  est  passée  tout  entière,  av^c  armes  et  ba- 
gages, sous  les  étendards  du  libéralisme  et  de  la 
Révolution.  C'est  ainsi  que  les  catholiques  de  France 
se  sont  jetés,  tête  baissée,  dans  le  piège  suprême  da 
Satan.  Cet  aveuglement  est  si  profond  et  a  une  por- 
tée si  considérable,  qu'on  peut  à  bon  droit  le  con- 
sidérer comme  le  fait  capital  de  la  Révolution,  et  un 
des  plus  malheureux,  quant  à  ses  conséquences,  de 
toute    l'histoire   humaine. 

»  La  confusion  envahit  tous  les  esprits,  même  les 
meilleurs.  On  en  est  venu  à  ne  plus  distinguer  nette- 
ment les  caractères  du  règne  de  Satan  de  ceux  du 
règne  de  Jésus-Christ,  les  principes  du  christianisme, 
des  principes  de  l'hérésie  de  Satan  (1).  » 

Heureusement   Rome    est   toujours    là. 

La.  lettre  du  Pape  au  cardinal  Gibbons  vint  con- 
damner cette  proposition  :  «  Pour  ramener  plus  faci- 
lement à  la  vérité  catholique  les  dissidents,  il  faut 
que  l'Eglise  s'adapte  davantage  à  la  civilisation  d'un 
monde  parvenu  à  l'âge  d'homme  et  que,  se  relâ- 
chant de  son  ancienne  rigtieur,  elle  se  montre  conci- 
liante à  l'égard  des  aspirations  et  des  exigences  des 
peuples  modernes.  »  C'était,  sous  une  nouvelle  forme, 
la  dernière  des  propositions  que  le  Syllahus  de  Pie  IX 
a  condamnées  :  «  Le  Pontife  romain  peut  et  doit  se 
réconcilier  et  transiger  avec  le  progrès,  le  libéra- 
lisme et  la  civilisation  moderne.  » 

Au  lendemain  de  la  publication  de  cette  Encyclique, 
le  24  mars  1899,  le  Temps,  l'un  des  organes  du  pro- 
testantisme, vint  dire  aux  conciliateurs  de  ne  point 
renoncer  cependant  à  leur  projet  :  «  Ceux  qui,  dans 
le  clergé  comme  chez  les  laïques,  cherchent  un  re- 
nouveau, une  action  sociale  plus  profonde,  une  en- 


1.  Revue    catholique   des   Institutions    et   du    Droit,    sep- 
tembre,  1904.  N.  9,  p.  202. 


528      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

tente  plus  cordiale  avec  la  société  moderne,  n'ont 
aucune  raison  de  se  décourager.  »  La  Civilta  catto- 
lica  disait,  elle  :  «  Celui  qui  louvoie,  celui  qui  tâtonne, 
celui  qui  s'adapte  au  siècle  et  transige,  celui-là  peut  se 
donner  à  lui-même  le  nom  qu'il  voudra,  mais  devant 
Dieu,  et  devant  l'Eglise,  il  est  un  rebelle  et  tm  traître.  » 
Rebelle,  parce  qu'il  veut  aller  à  l'encontre  des  di- 
rections séculaires  de  l'Eglise;  traître,  parce  qu'il 
fait  le  jeu  des  ennemis  de  l'Eglise. 

On  ne  saurait  dire  s'il  est  une  seule  des  possessions 
de  l'Eglise  où  le  recul  ne  lui  soit  demandé  pour 
arriver  à  la  conciliation  :  l'Ecriture  Sainte  ne  de- 
vrait point  maintenir  intacte  son  inspiration,  sa  vé- 
racité, son  authenticité;  la  théologie  devrait  diminuai 
le  nombre  de  ses  dogmes  et  les  soumettre  au  contrôle 
du  scientisme;  la  philosophie,  se  kantiser;  la  poli- 
tique, consacrer  la  souveraineté  du  peuple;  l'écono- 
mique, faire  trouver  le  ciel  ici-bas,  etc.,  etc.  A  tou- 
tes et  à  chacune  de  ces  prétentions,  Léon  XIII  a 
répondu  par  ses  immortelles  encycliques.  La  pre- 
mière, Inscrutabili,  a  dit  que  la  civilisation  qui  ré- 
pugne aux  doctrines  de  l'Eglise  n'est  qu'une  fausse 
civilisation;  celle  commençant  par  les  mots  Quod 
apostolici  a  repoussé  les  conclusions  pratiques  aux- 
quelles cette  fausse  civilisation  doit  aboutir  :  le  so- 
cialisme, le  communisme,  le  nihilisme,  qui  veulent 
établir  l'ordre  social  sur  l'égalité  de  tous  les  hom- 
mes, c'est-à-dire  le  renversement  de  toute  hiérarchie,^ 
l'abolition  du  mariage  et  de  la  famille,  la  négation 
du  droit  de  propriété.  Les  Encycliques  suivantes  sont 
revenues  sur  chacune  de  ces  bases  de  l'ordre  social  : 
Arcanum  divinœ  sapientiœ,  sur  le  mariage  et  la 
famille;  Diuturnum,  sur  le  pouvoir  civil;  Immortale 
Deij  sur  la  constitution  chrétienne  des  Etats;  Liber- 


CORRUPTION     DE^     IDÉES  529 

tas  prœstantissimum,  sur  la  vraie  notion  de  la  li- 
berté :  Sapientiœ  christianœ,  sur  les  devoirs  civi- 
ques des  chrétiens;  Rerum  Novarum,  sur  la  paix 
sociale  et  les  moyens  de  l'obtenir;  Aeterni  pairiSy 
sur  la  philosophie;  Frovideyitissimus  Deus,  sur  l'E- 
criture Sainte,  etc.,  etc.;  et  au  centre  de  cette  sphère 
d'où  la  lumière  rayonne  sur  toutes  les  questions 
agitées  de  nos  jours,  l'Encyclique  sur  l'Eglise,  dé- 
positaire et  docteur  de  toutes  les  vérités,  et  celle 
sur  la  franc-maçonnerie,  fo^er  de  toutes  les  erreurs. 

«  Nous  faisons  tous  nos  efforts,  disait  Léon  XIII 
aux  pèlerins  de  Malte,  le  22  mai  1893,  pour  rame- 
ner sur  le  droit  chemin  la  société  humaine  »;  et 
dans  une  lettre  adressée  le  6  janvier  1896  au  cardi- 
nal Langénieux,  il  exhortait  en  ces  termes  tous  les 
catholiques  à  seconder  ses  efforts  :  «  Les  calholiques 
doivent  s'affirmer  comme  des  fils  de  lumière,  d'au- 
tant plus  intrépides  et  plus  prudents  qu'ils  voient 
une  puissance  ténébreuse  mettre  plus  de  persistance 
à  ruiner  autour  d'eux  tout  ce  qui  est  sacré  et  bien- 
faisant; ils  doivent  prendre  avec  clairvoyance  et  cou- 
rage, conformément  à  la  doctrine  exposée  dans  nos 
Encycliques,  l'initiative  de  tous  les  vrais  progrès 
sociaux,  se  tenir  au  premier  rang  parmi  ceux  qui  ont 
l'intention  loyale,  à  quelque  degré  que  ce  soit,  de  con- 
courir à  faire  régner  partout,  contre  les  ennemis  de 
tout  ordre,  les  éternels  principes  de  la  justice  et 
de  la  civilisation  chrétienne.  » 

Le  refus  de  conciliation  opposé  par  l'Eglise  aux 
ennemis  de  tout  ce  qui  constitue  l'ordre,  ne  porte 
donc  que  sur  l'erreur  et  le  mal 'qu'elle  ne  peut  consa- 
crer, même  au  degré  le  plus  infime.  A  cela,  son 
opposition  est  à  tout  jamais  irréductible.  Mais  c'est 
une  perfidie  de  la  secte,  qui  voudrait  la  conciliation 
dans  l'erreur  et  le  mal,  de  faire  croire  que  l'Eglise 

L'Eglise  et  le  Temple.  34 


530     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

a  en  horreur  les  découvertes  de  la  science  moderne 
et  leur  application  aux  usages  de  la  vie. 

L'apôtre  saint  Paul  a  dit  :  «  Nolite  conformari  huic 
sœculo  (1).  Ne  vous  conformez  pas  au  siècle  présent.  » 
Et  l'apôtre  saint  Jacq'ues  :  «  Quiconque  veut  être 
ami  du  monde  se  rend  ennemi  de  Dieu.  »  Jamais 
l'Eglise  ne  mettra  ces  paroles  en  oubli. 

Les  Instructions  donfiées  aux  Quarante,  sur  les 
moyens  à  employer  pour  corrompre  l'esprit  public, 
furent  si  bien  suivies  et  eurent  tant  de  succès  que, 
dix  ans  après  leup  rédaction,  le  pape  Pie  VIII  dut 
déplorer,  dans  son  Encyclique  du  24  mai  1829,  le 
mal  qu'elles  avaient  déjà  fait. 

Le  23  janvier  1844,  Gaétan  écrivait  à  Nubius  : 
«  Dans  l'espace  d'un  petit  nombre  d'années,  nous 
avons  fait  beaucoup  de  chemin.  La  désorganisation 
règne  partout,  au  Nord  comme  au  Midi,  dans  le  cœur 
des  nobles  comme  dans  celui  des  prêtres.  Tous  ont 
fléchi  sous  le  niveau  que  nous  voulons  imposer  à 
l'humanité  pour  l'abaisser.  Le  monde  est  lancé  sur 
la  voie  de  la  démocratie.  » 

Gaétan  prenait  ses  désirs  pour  des  réalités.  Non, 
il  n'était  pas  vrai  de  dire  que  tous  avaient  fléchi 
sous  le  niveau  que  la  maçonnerie  veut  imposer  à 
l'humanité  pour  l'abaisser.  Il  y  en  avait  pourtant, 
et  il  y  en  avait  assez  pour  que  l'année  suivante,  le 
4  août  1845,  le  cardinal  BernetLi,  dont  la  perspicacité 
avait  effrayé  Nubius,  ait  pu  écrire  à  l'un  de  ses 
amis  : 

«  Un  jour  viendra  où  toutes  ces  mines  chargées  de 
poudre  constitutionnelle  et  progressive  éclateront.  Fas- 
se le  Ciel  qu'après  avoir  vu  tant  de  révolutions  et  as- 


1.  Rom.,   XII,   2. 


CORRUPTION     DES     IDEES  531 

sisté  à  tant  de  désastres,  je  ne  sois  pas  témoin  des 
nouveaux  malheurs  de  l'Eglise!  La  barque  de  Pierre 
surnagera  sans  aucun  doute,  mais  je  sens  le  besoin 
de  me  recueillir  dans  la  paix  avant  d'aller  rendre 
compte  à  Dieu  d'une  vie  si  tourmentée  au  service 
du  Siège  apostolique.  Que  sa  divine  volonté  soit 
faite   et  tout   sera  pour   le   mieux!  » 

Il  n'y  avait  pas  plus  de  vingt  ans  que  la  Haute- 
Vente  avait  commencé  son  œuvre,  s'était  appliquée 
à  mettre  à  exécution  le  plan  qui  lui  avait  été  tracé 
pour  introduire  le  Maçonnisme  dans  l'Eglise,  et  déjà 
le  Pape  et  ses  fidèles  ministres  pouvaient  exhaler 
d'amères  plaintes  en  jetant  un  regard  de  tristesse 
et  de  pitié  sur  ce  qui  aVait  été  fait  et  un  regard 
d'effroi   sur   l'avenir. 

Chose  incroyable,  chose  que  l'on  n'aurait  pu  ima- 
giner :  pour  faire  accueillir  ses  suggestions  par  nom- 
bre d'esprits  qui  ne  demandaient  qu'à  marcher  à  la 
lumière  de  la  vérité,  la  secte  a  trouvé  le  moyen 
de  les  faire  présenter  à  la  jeunesse  sous  le  couvert 
de   l'autorité   du   Souverain  Pontife. 

Lès  Instructions  secrètes  données  à  la  Haute  Vente 
avaient  dit  :  «  Vous  voulez  établir  le  règne  des  élus 
(de  Satan)  sur  le  trône  de  la  prostituée  de  Baby- 
lone  (Rome);  que  le  clergé  marche  sous  votre 

ÉTENDARD  EN  CROYANT  TOUJOURS  MARCHER  SOUS  LA 
BANNIÈRE  DES  CLEFS  APOSTOLIQUES.  » 

Dans  son  livre  Nouveiu  Catholicisme  et  nouveau 
Clergé,  M.  Maignen  n'a  point  hésité  à  signaler  des 
paroles  et  des  faits  qui  montrent  que  cette  illusion 
a  existé   pour  plusieurs. 

«^Qu'il  y  ait  danger  pour  la  foi  et  pour  la  disci- 
pline de  l'Eglise,  dans  ce  besoin  insatiable  de  nou- 
veauté qui  emporte  beaucoup  de  ca'holiques  et  une 


532     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

partie  du  clergé,  il  devient  chaque  jour  plus  difficile 
de  le  contester. 

»  Mais  nous  croyons  apercevoir  un  danger  plus  grand 
dans  la  façon  dont  les  novateurs  prétendent  faire 
prévaloir  leurs  doctrines. 

»  Cette  lactique,  en  effet,  est  mervieilleusement  adap- 
tée à  la  situation  présente  et  à  ce  que  l'on  pour- 
rait appeler  la  mentalité  catholique  depuis  le  Con- 
cile du  Vatican. 

»  Non  seulement  les  modernes  novateurs  ne  pré- 
tendent point  rompre  avec  Rome,  ni  s'insurger  ou- 
vertement contre  l'autorité  pontificale,  mais  ils  ont 
hautement  avoué  le  dessein  d'accaparer,  en  quelque  sorte 
Vinfluenee  de  cette  autorité  même,  et  de  la  faire  servir  à 
V avènement  de  leur  parti. 

»  Dans  le  domaine  de  la  théorie,  il  ne  s'agit  plus 
pour  les  novateurs  de  nier  un  dogme,  mais  de  don- 
ner, selon  l'occasion,  à  tous  les  dogmes  un  sens 
nouveau. 

»  Dans  le  domaine  des  faits,  il  n'est  pas  question 
de  résister  au  Pape,  mais  de  faire  croire  à  l'opinion 
publique  que  les  meneurs  du  parti  sont  les  seuls  fidèles 
interprètes  de  la  pensée  du  Fape. 

»  Pour  parvenir  à  leurs  fins,  les  novateurs  disposent 
de  deux  moyens  puissants  :  l'un  qui  est  de  tous 
les  temps,  l'intrigue,  par  laquelle  ils  s'efforcent  de 
pousser  leurs  partisans  dans  l'Eglise  et  dans  l'Etat; 
l'autre,  très  moderne  et  très  redoutable,  la  presse, 
qu'ils  savent  faire  manœuvrer  habilement  de  façon  à 
créer  ces  sympa.hies  populaires,  ces  courants  d'cpinion, 
d'autant  plus  pernicieux  à  la  vie  de  l'Eglise  qu'ils 
paraissent  plus   inoffensifs    et  plus    spontanés    (1).  » 


1.  Nouveau   Catholicisme   et   nouveau   Clergé,   pages    435- 

436  .  ■    i    :  '    ,       Ml 


CORRUPTION     DES     IDÉES  533 

Feu  M.  Auguste  Sabatier,  alors  doyen  de  la  Fa- 
culté de  théologie  prolestante,  à  Paris,  a  fait  la  même 
observation,  dans  des  lettres  adressées  de  Paris  au 
journal  de  Genève,  le  20  octobre  1898  et  le  19 
mars  1899,  l'une  avant,  l'autre  après  la  publication 
de    l'Encyclique    sur    l'américanisme. 

Après   avoir    observée    que  : 

«  L'américanisme   est   fils    du    libéralisme.  » 

Il  dit  : 

«  Sa  pensée  dominante  est  d'uNiR  le  siècle  et 
l'église,  de  chercher  une  conciliation  entre  la  tra- 
dition de  VEglise  et  les  aspirations  du  siècle,  de 
faire  cesser  le  conflit  entre  la  théologie  des  sémi- 
naires et  les  sciences  modernes.  » 

Il  termine  en  disant  qtie  les  américanistes  espèrent 
triompher  de   toutes  les  résistances. 

Comment?  il  le  dit  encore  :  «  Bn  redoublant  leurs 
protestations  de  soumission  au  Saint-Siège,  en  abri- 
tant tout  cela  sous  la  souveraineté  du  Tape,  en  pro- 
testant  d'une   pleine   obéissance   à  ses   directions.  » 

Ceux  qui  ont  suivi  les  novateurs,  ceux  qui  ont 
observé  leur  attitude  et  leurs  actes,  q;ui  ont  lu  leurs 
écrits,  reconnaîtront  que  M.  Sabatier  a  saisi  sur  le 
vif  leur  tactique.  C'est  d'ailleurs  ce  qu'a  constaté 
Mgr  Lorenzelli,  dans  le  discours  qu'il  prononça  au 
grand  séminaire  de  Soissons  dans  les  premiers  jours 
de  l'année  1902.  Le  nonce  après  avoir  parlé  des 
dangers  qui  menacent  VEglise  catholique  à  Vheure 
présente  et  signalé  «  la  tendance  à  naturaliser  l'es- 
prit du  clergé,  à  accueillir  toute  nouvelle  doctrine, 
toute  nouvelle  méthode  d'action  »,  ne  craignit  point 
d'ajouter  :  «  Cet  esprit  voudrait  se  justifier  par  cer- 
taines paroles  du  Saint-Siège.  » 

Cette  manière  de  faire,   il  n'est  pas  inutile  de  le 


534     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

remarquer,  répond  d'une  manière  frappante  aux  vœux 
qu'exprimaient  les  Instructions  données  à  la  Haute- 
Vente. 

Démocrates  chrétiens  d'abord,  puis  américanistes 
et  enfin  modernistes  n'ont  cessé  d'agiter  la  bannière 
du  Pape  et  de  se  présenter  comme  ses  hérauts,  tout 
en  enseignant  et  en  propageant  de  leur  mi9ux  los 
doctrines  que  le  Saint-Siège  n'a  cessé  de  condamner. 

Ils  ont  pris  leur  point  d'appui  à  Rome  même. 
Des  directions  pontificales,  interprétées  contre  le  sens 
commun,  ils  se  sont  forgé  une  arme  contre  les  dé- 
fenseurs de  la  saine  doctrine;  ils  ont  gagné  des  jour- 
naux, même  ceux  autrefois  les  plus  opposés  au  li- 
béralisme, de  sorte  qu'en  France  et  en  Italie,  en 
Allemagne  et  en  Amérique,  on  a  eu  la  douceur  de  voir 
des  célèbres  champions  de  TEglise  s'appliquer  à  dis- 
simuler les  vérités,  quand  ils  ne  propageaient  pas 
eux-mêmes  les  erreurs  de  l'américanisme,  du  libé- 
ralisme et  de  la  démocratie.  Ainsi  appuyée,  l'audace 
des    novateurs    ne    connut   plus    aucune    crainte    (1). 

Quand  vint  la  condamnation  de  l'américanisme, 
ils  dirent  que  cette  condamnation  avait  été  «  arrachée 
à  la  faiblesse  maladive  du  Saint-Pore.  »  Et  ce  n'est 
point  Le  Figaro  seul  qui  a  parlé  ainsi  (numéro  du 
11  juin  1899).  Le  Sillon,  qui  n'a  pas  eu  à  chan- 
ger, soit  dit  en  passant,  avait  l'audace  de  ces  per- 
fides insinuations  :  «  On  chuchote  bien  des  choses, 
je  ne  l'ignore  pas,  sur  la  façon  dont  l'entourage  du 
Saint-Père  aurait  mis  à  profit,  ces  temps  derniers, 
sa  vieillesse   et  sa  maladie.  » 


1.  En  novembre  1894,  La  Démocratie  chrétienne  publia 
un  article  de  plus  de  40  pages  dont  la  conclusion  était  : 
«  Nous  n'avions  ici  qu'un  but  dans  ce  travail  :  démontrer 
que  le  Pape  a  des  sympathies  et  des  préférences  pour  les 
Chefs,  les  Doctrines  et  les  Œuvres  de  cette  Ecole  que  nous 
pourrions  appeler  désormais  Eccls  pontificale.  Nous  croyons 
avoir  atteint  notre  but.  » 


CORRUPTION     DES     IDEES  535 

Dans  le  Problème  de  Vheure  présente,  bien  d'autres 
faits  semblables   ont  été  rapportés   (1). 

Quels  troubles  de  tels  dires  produisent  dans  les 
esprits  qui  n'ont  point  les  défiances  commandées  par 
le  malheur  des  temps! 

Dans  son  numéro  du  10  avril  1899,  le  Sillon  pu- 
bliait sans  commentaires  une  lettre  où  l'un  des  siens 
commençait  par  lui  rappeler  le  doute  qu'il  avait 
émis  peu  de  temps  auparavant,  à  propos  de  l'Ency- 
clique aux  américanistes.  «  Léon  XIII  pouvait-il  con- 
damner du  même  coup  l'œuvre  entière  de  son  pon- 
tificat? »    Puis    il    en    venait    aux    reproches  : 

«  Maintenant,  vous  lâchez  des  hommes  ou  des  idées 
que  vous  souteniez,  dans  l'espoir,  semble-t-il,  que 
ces  concessions  vous  en  épargnent  d'autres.  Permet- 
tez-moi de  croire  que  c'est  peine  perdue.  On  vous 
délogera  de  vos  derniers  retranchements...  Ne  se- 
rait-il pas  plus  franc  d'avouer  que  le  Pape  semble 
en  train  de  ruiner  peu  à  peu,  —  ou  de  laisser  rui- 
ner et  défaire,  dans  ce  qu'elle  a  d'humain  et  par  suite 
de  destructible,  bien  entendu,  —  l'œuvre  de  son 
glorieux  pontificat?  Cela  peut  et  doit  nous  attrister  : 
cela  ne  peut  ni  ne  doit  nous  décourager.  Mais  pour- 
quoi ne  pas  le  constater?  » 

La  suite  de  l'article  montrait  la  pensée  de  l'apos- 
tasie roulant  dans  l'esprit  de  ces  jeunes  gens  qui 
ont  «  cru  marcher  sous  la  bannière  des  clefs  aposto- 
liques »,  alors  qu'en  réalité  ils  étaient  lancés  sur 
les  voies  ouvertes  par  le  maçonnisme. 

Au  moment  où  la  franc-maçonnerie  arriva  au  pou- 
voir et  qu'elle  jeta  son  cri  de  guerre  :  «  Le  cléri- 
calisme, voilà  l'ennemi  »,  un  des  maçons  les  mieux 
instruits  et  des  plus  capables  de  se  rendre  compte 
des  desseins  et  des  plans  de  la  secte,  dit  à  un  évê- 

1.  Voir   Ire   partie,   chapitre   XXXV. 


536     l'agent   de   la   civilisation    moderne 

que,  qui  le  redit  à  VUnivers:  «  Nos  mesures  sont 
trop  bien  prises,  nous  avons  trop  bien  préparé  nos 
moyens  d'attaque,  nous  nous  sommes  trop  bien 
assuré  toutes  les  alliances,  toutes  les  connivences, 
TOUTES  LES  COMPLICITÉS  de  tout  ce  qui  est  une 
force,  une  influence,  une  puissance,  pour  que  notre 
succès  ne  soit  pas  certain.  » 

Hélas!  tout  a  marché  comme  la  franc-maçonnerie 
l'avait  préparé  et  comme  l'interlocuteur  de  l'évêque 
l'avait  prédit. 


L'AGENT   DE    LA     . 
CIVILISATION    MODERNE 


III.  —  SON  BUT 
LA  CONSTRUCTION  DU  TEMPLE 


LE    TEMPLE 


I.  -  NEF   POLITIQUE 


CHAPITRE   XXXVIII 
VERS  UN  ÉTAT  SOCIAL  NOUVEAU 


Aux  premières  pages  de  ce  livre,  nous  avons  vu 
qu'il  y  a  deux  façons   d'envisager   la  vie  présente  : 

Comme  ayant  sa  fin  en  elle-même. 

Comme  préparant  à  la  vie  éternelle. 

Ces  deux  manières  de  voir  ouvrirent  la  voie  à 
deux  civilisations  : 

La  civilisation   chrétienne. 

La  civilisation  humanitaire. 

Toujours  elles  ont  été  en  conflit.  Mais  ce  conflit 
qui,  depuis  l'apparition  du  christianisme  n'avait  cessé 
d'exister  dans  le  cœur  de  l'homme,  est  devenu  pu- 
blic, social,  du  jour  ou  les  humanistes  ont  fait  por- 
ter les  regards  en  arrière,  vers  le  paganisme  et  se 
sont  proposé  de  le  restaurer. 

Une  société  secrète  s'est  formée  pour  pours'uivre 
la  réalisation  dans  la  société  chrétienne  de  l'idéal 
nouveau,  ou  plutôt  de  l'idéal  ancien  :  jouir  et  mou- 


540     1,'agent    de    la   civilisation    moderne 

rir,  —  en  opposition  à  l'idéal  que  le  Christ  et  son 
Eglise  nous  avaient  fait  admettre  :  mériter  et  vivre 
éternellement  en  participation  de  la  nature  divine, 
de  sa  béatitude  et  de  sa  gloire. 

Nous  avons  suivi  les  développements  de  cette  so- 
ciété depuis  le  XV^  siècle  jusqu'à  nos  jours,  ses 
transformations  et  son  action  incessante  pour  dé- 
truire tout  l'état  de  choses  existant  :  action  poli- 
tique, renversant  et  élevant  les  princes  et  les  régimes, 
selon  qu'elle  pouvait  ,ou  non  les  inspirer,  les  gou- 
verner, les  faire  servir  à  la  réalisation  de  ses  des- 
seins; en  même  temps,  action  morale  sur  les  peu- 
ples par  la  corruption  des  idées  et  des  mœurs.  Nous 
avons  suivi  cette  double  action  incessamment  mise 
en  œuvre  et  courant  de  succès  en  succès,  grâce  à  un 
merveilleux    organisme   supérieurement   manié. 

Nous  avons  à  voir  maintenant  ce  que  la  Franc- 
Maçonnerie  poursui*^,  ce  à  q^uoi  elle  veut  aboutir. 

Déjà,  par  leurs  correspondances  et  par  les  pa- 
piers saisis  à  Munich  et  à  Rome,  nous  avons  entendu 
Voltaire  et  les  Encyclopédistes,  Weishaupt  et  les  illu- 
minés, Nubius  et  ses  conjurés  se  confier  les  Uns 
aux  autres  leurs  desseins,  et  nous  en  avons  vu 
un  premier  essai  de  réalisation  de  1789  à  1800.  Nous 
assistons,  depuis  1830,  et  ^surtout  depuis  1875  à  un 
second  essai,  plus  prudemment  conduit,  plus  astu- 
cieux,  et  par   là   se  tenant  plus   assuré   d'aboutir. 

Quel  doit  être  cet  aboutissement?  C'est  la  q^uestion 
qui  se  pose  maintenant  et  à  laquelle  nous  es:ayerDns 
de  répondre. 

Disons  d'abord  qu'il  serait  erroné  de  croire  que 
tous  les  Francs-Maçons  connaissent  explicitement  l'œu- 
vre à  laquelle  ils  collaborent.  Cette  connaissance  n'est 
point  donnée  complètement  même  aux  ini'.iés  des 
Hauts  Grades,  même  à  ceux  des   arrière-loges.   Cha- 


VERS    UN    ÉTAT    SOCIAL    NOUVEAU  541 

cun,  OU  pMtôt  chaq;uo  équipe  fait  l'œuvre  qui  lui 
est  assignée,  à  la  place  qui  lui  a  été  marquée,  au- 
près des  princes  et  du  clergé,  auprès  des  parlemen- 
taires et  des  fonctionnaires,  auprès  des  journalistes 
et  des  professeurs,  auprès  des  magistrats  et  des  offi- 
ciers, et  encore  au  sein  de  la  multitude.  Mais  en 
accomplissant  la  tâche  qui  leur  est  imposée  l'indi- 
vidu, l'équipe  ignorent  la  place  que  l'œuvre  parti- 
culière à  laquelle  ils  coUaLorent,  occupe  dans  le  p'an 
général,  car  ils  n'en  ont  point  le  tracé  complet  sous 
les  yeux. 

Ce  plan  est  double  :  destruction  et  réédification  : 
destruction  de  la  cité  chrétienne,  édification  de  la 
cité  maçonnique.  La  destruction  nous  en  avons  vu 
les  travaux  et  les  ruines  dans  les  pages  qui  précè- 
dent. Nous  devons  maintenant  assister  à  l'édificL^tlon 
du  Temple.  • ..  Les  mêmes  ouvriers,  !es  mêmes  maçons 
sont  employés  à  ce  second  travail,  mais  ici  apparaî- 
tront dans  une  plus  grande  lumière  les  maîtres  de 
l'œuvre,    et   au-dessus   d'eux   le   Grand   Architecte. 

«  Il  est  absurde,  a  dit  M.  Aulard,  professeur  d'his- 
toire révolutionnaire  à  la  Sorbonne,  de  continuer  à 
dire  :  nous  ne  voulons  pas  détruire  la  religion  quand 
nous  sommes  obliges  d'avouer  d'autre  part  que  ce. te 
destruction  est  indispensable  pour  fonder  rationnel- 
lement la  cité  nouvelle  politique  et  soci:h.  Ne  disons 
donc  plus  :  nous  ne  voulons  pas  détruire  la  religion; 
disons  au  contraire  :  nous  voulons  détruire  la  religion, 
afin  de  pouvoir  établir  en  son  lieu  et  place  la  cité 
nouvelle.  » 

Ordinairement  en  effet  on  ne  démolit  que  pour 
réédifier  :  c'est  bien  la  pensée  de  la  secte  qu'a  traduite 
M.  Aulard.  Elle  veut  élever  un  nouvel  ordre  de 
choses  sur  les  ruines  de  l'ancien.  Elle  a  son  idéal, 
elle  en  poursuit  la  réalisation.  Quel  ost-il?  Elle  lui  a 


542     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

donné  un  nom  :  le  Temple.  C'est  pour  rédification 
de  ce  Temple  que,  depuis  des  siècles,  elle  recruté  des 
maçons. 

Que  doit  être  ce  Temple? 

Le  divin  Sauveur,  apportant  à  la  terre  la  conception 
chrétienne  de  la  civilisation,  n'a  pas  voulu  l'abandon- 
ner aux  hasards  que  court  nécessairement  une  idée 
laissée  à  elle-même,  et  par  conséquent  livrée  flot- 
tante au  souffle  des  fantaisies  et  des  passions  hu- 
maines. Il  l'a  remise  aux  mains  de  la  société  qu'il  a 
élevée  sur  Pierre,  et  il  a  donné  à  celle-ci  la  charge 
de  maintenir  sa  doctrine  dans  sa  pureté,  de  la  dé- 
fendre contre  les  idées  contraires,  de  la  propager 
dans  le  monde  et  de  lui  faire  porter  des  fruits  de 
vie.  Aussi,  le  divin  Maître  s'est-il  comparé  à  un 
architecte  :  «  Tu  es  Pierre,  et  sur  cette  pierre  je 
bâtirai  mon  Eglise,  et  les  portes  de  l'enfer  ne  pré- 
vaudront pas  contre  elle.  » 

Pour  mieux  marquer  son  opposition,  Satan  s'est 
fait  appeler  le  «  Grand  Architecte   (1)  »,  et  en  face 


1.  Le  Grand  Architecte  est  une  de  ces  expressions  que 
la  franc-maçonnerie  excelle  à  créer,  et  qui  ont  pour  elle 
le  grand  avantage  que  tous  peuvent  les  accepter,  parce 
que  chacun  les  comprend  selon  ses  propres  idées.  Pour  les 
juifs  et  les  déistes,  le  Grand  Architecte  de  l'univers,  c'est 
le  Créateur  du  monde;  les  chrétiens  peuvent  y  voir,  s'ils 
le  veulent,  la  Très  Sainte  Trinité;  pour  les  initiés,  c'est 
la  Nature;  au  dernier  degré  d'initiation,  c'est  Lucifer,  le 
Porte-lumière. 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  dit  :  «  Je  suis  la  lumière 
du  monde;  celui  qui  me  suit  ne  marche  point  dans  les 
ténèbres,  mais  il  possède  la  lumière  de  la  vie  :  croyez  à 
la  lumière,  afin  que  vous  soyez  les  fils  de  la  lumière  ». 
Ici  encore  apparaît  la  contrefaçon.  La  maçonnerie  se  dit 
posséder  la  lumière;  ses  loges  sont  le  lieu  de  la  lumière, 
elle  appelle  à  elle  les  hommes  afin  de  leur  communiquer 
la  lumière  dans  ses  initiations,  et  son  maître  et  son  prince 
est  Lucifer,   l'astre   déchu. 


VERS    UN    ÉTAT    SOCIAL    NOUVEAU  548 

de  l'Eglise  il  construit  un  «  Temple  ».  Comme  TEglise, 
ce  Temple  est  à  la  fois  esprit  et  corps  :  corps,  une  so- 
ciété, la  maçonnerie;  esprit,  une  idée  que  la  société 
a  la  mission  de  propager  dans  le  monde  et  de  réa- 
liser par  des  institutions. 

Cette  idée  est  une  conception  de  l'ordre  social 
opposée  à  celle  que  le  christianisme  a  fait  préva- 
loir. 

«  Il  ne  s'agit  de  rieii  moins,  dit  Findel,  que  d'une 
réédification  de  la  société  sur  des  bases  entièrement 
nouvelles,  d'une  réforme  du  droit,  d'un  renouvelle- 
ment complet  du  principe  de  l'existence,  notamment 
du  principe  de  la  communauté,  et  des  relations  réci- 
proques  entre  l'homme  et  ses   semblables   (1)  ». 

Rabaut-Saint-Etienne  avait  dit  avant  lui,  à  la  tri- 
bune de  la  Constituante  :  «  Pour  rendre  le  peuple 
heureux,  il  faut  le  renouveler,  changer  ses  idées, 
changer  ses  lois,  changer  ses  mœurs,  changer  les 
hommes,  changer  les  choses,  tout  détruire,  oui,  tout 
détruire,   puisque   tout  est   à  recréer.  » 

Voilà  ce  que  la  franc-maçonnerie  se  propose  d'ob- 
tenir par  la  Révolution,  qui  en  est  aujourd'hui  au 
second  acte  en  attendant  le  troisième.  Rien  ne  peut 
être  imaginé  de  plus  radical  :  faire  disparaître  le 
principe  sur  lequel  repose  actuellement  notre  exis- 
tence et  lui  en  substituer  un  autre;  puis  tirer  les 
conséquences  de  ce  changement  :  c'est-à-dire  renver- 
ser les  relations  des  hommes  entre  eux,  réformer 
le  droit,  et  réédifier  la  société  d'après  un  principe 
nouveau. 

Quelles  sont  donc  les  bases  entièrement  nouvelles 
sur  lesquelles  la  société  doit  être  réédifiée?  Sur  quel 
principe  nouveau  le  droit  social  doit-il  être  réformé? 

1.  Les  principes  de  la  Franc-Maçonnerie  dans  la  vie  des 
peuples,  p.  163. 


544     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

Jean-Jacqties  Rousseau  l'a  longuement  exposé  dans 
ses  divers  ouvrages,  et  tout  le  monde  sait  que  c'est 
son  Contrat  social  à  la  main  que  les  hommes  de 
89  ont  fait  la  Révolution,  ont  voulu  une  première 
fois  faire  place  nette,  pour  édifier  sur  les  ruines 
de  la  société  chrétienne  le  Temple  maçonnique.  Les 
maçons  du  XX^  siècle  reconnaissent  le  même  maître 
que  ceux  du  XVII^  siècle;  leurs  chefs  ont  le  même 
idéal  et  poursuivent  la  réalisation  du  même  plan. 
«  Si  un  jour  nous  écrasons  l'infâme,  ce  sera  sous 
le  Contrat  social.  »  Cette  parole  fut  dite  au  Con- 
grès des  loges  du  Nord-Ouest,  tenu  à  Amiens  en 
1901,  les  13  et  14  avril,  par  le  F.  • .  Dutilloy,  mem- 
bre du  Conseil  de  l'Ordre  du  Grand-Orient  (1).  C'est 
donc  à  Jean-Jacques  Rousseau  qu'il  faut  recourir  pour 
savoir  ce  que  sera  l'état  social  que  la  maçonnerie 
nous  prépare. 

Le  principe  sur  lequel  repose  rexistence  humaine 
a  été,  de  tout  temps  et  chez  tous  les  peuples,  celui- 
ci.  «  L'homme  est  naturellement  un  être  sociable, 
et  celui  q^ui  demeurerait  à  l'état  isolé  et  sauvage 
serait  un  être  dégradé  (2).  »  C'est  sur  ce  princi- 
pe, posé  de  la  main  de  Dieu  au  fond  de  la  nature 
humaine,  qu'elle  vit  depuis  ses  origines;  c'est  en 
observant  ce  qu'il  prescrit,  que  la  société  s'est  cons- 
tituée et  se  maintient,  que  l'homme  naît  et  grandit. 

Le  christianisme  avait  mis  dans  une  plus  parfaite 
lumière  cette  vérité,  reconnue  par  la  sagesse  des 
nations,  que  la  société  sort  spontanément  de  la  na- 
ture  humaine,   qu'elle   est   le   résultat  de   la   consti- 


1.  Congrès  des  loges  du  Nord-Ouest,  p.  24.  Amiens,  imp. 
Duchâtel. 

2.  Aristote,    Politique,    §  0. 


VERS    UN    ÉTAT    SOCIAL    NOUVEAU  545 

tution,  de  la  manière  d'être  q^ue  Dieu  a  donnée  à 
l'homme.  L'individu  isolé  est  impaissant  à  se  pro- 
curer ce  dont  il  a  besoin  pour  vivre  et  prenlro  son 
développement;  il  ne  peut  le  trouver  q'ue  dans  le 
secours  qu'il  reçoit  de  ses  scmbliblei  et  qu'en  retour 
il  leur  donne,  ^n  un  mot,  dans  les  relations  qui 
naissent  de  l'association.  Et  comme  ses  besoins  sont 
multiples  et  divers,  divers  aussi  sont  les  motifs 
et  les  fins  pour  lesquels  il  s'associe,  multiples  sont 
les    aspects    sous   lesqtiels    l'association   se   présente. 

L'homme  a  das  besoins  physiques,  des  besoins  in- 
tellectuels, des  besoins  religieux.  En  naissant,  il  se 
trouve  ati  seijn  d'une  sodété,  la  famille,  qui  défend 
sa  fragile  existence  contre  les  agents  extérieurs,  et 
lui  procure  la  nourriture  qui  maintient  sa  vie  et 
peu  à  peu  accroît  ses  forces  ; 

Mais  la  famille  ne  peut  non  plus  se  suffire;  elle 
ne  trouve  poi^nt  en  elle  les  ressources  nécessaires 
pour  porter  ses  membres  à  la  perfection  à  laquelle 
chacun  peut  atteindre  au  point  de  vue  physiqne, 
aussi  bien  q^u'au  point  de  vue  intellectuel  et  religieux. 
Et  c'est  pourq'uoi  la  famille  n'es'  pas  plus  isolée  qne 
l'individu  :  elle  aussi  naît  et  vit  au  sein  d'associations 
plus  vastes  qtii  l'environnent  de  leur  probection,  qui 
président  aux  intérêts  généraux  de  bien-être  maté- 
riel, de  culture  intellectuelle  et  de  perfectionnement 
moral  et  religieux,  qui  sont  dans  les  exigences  ou 
du  moins  dans  les  aspirations  de  la  nature  humaine. 
Autant  sont  nombreuses  et  diyerses  ces  exigences 
ou  ces  aspirations,  autant  Tassociation  prend  de  for- 
mes différentes  pour  que  tous  puissent  atteindre  les 
fins  communes  à  l'humanité,  et  les  fins  spéciales 
propres  aux  aptitudes  de  chacun. 

Les  sociétés  à  fin  particulière  et  contingente  pren- 

L'Église  et  le  Temple.  3Î 


1)46      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

nent  leur  origine  dans  les  conventions  que  font  entre 
eux  ceux  q'ui  poursuivent  le  même  but. 

Mais  il  n'en  est  point  de  même  de  la  société  appelée 
à  conduire  tous  les  hommes  à  leur  lin  dernière.  Celle- 
là  a  nécessairement  pour  auteur  le  Dieu  qui  a  assi- 
gné à  l'homme  ses  destinées.  De  fait,  Dieu  l'a  fondée 
aux  origines,  et  la  seconde  Pei-sonne  de  la  Très 
Sainte  Trinité  est  venue  au  milieu  des  temps  lui 
donner  sa  dernière  perfection.  Cette  société  se  nomme 
la  sainte  Eglise  catholique  :  catholique  parce  que, 
virtuellement  du  moins,  elle  embrasse  tous  les  temps 
et  tous  les  lieux  et  que  tous  les  hommes  sont  appe- 
lés à  en  faire  partie,  Dieu  voulant  le  salut  de  tous; 
sainte,  parce  que  sa  mission  est  de  conduire  les  hom- 
mes à  la  sainteté  :  non  pas  seulement  à  la  perfection 
morale,  mais  à  un  état  surnaturel,  à  une  certaine 
participation  à  la  nature  divine,  à  la  vie  divine,  com- 
mencée ici-bas  par  la  grâce  sanctifiante,  achevée  par 
la  gloire  dans  l'éternité   des  cieux. 

La  société  civile  tient  le  milieu  entre  l'Eglise  et 
les  associations  particulières  :  elle  est  plus  néces- 
saire que  celles-ci,  répondant  à  des  besoins  qui  ne 
peuvent  trouver  en  elles  leur  pleine  satisfaction; 
elle  ne  peut  être  aUssi  générale  que  celle-là,  parce 
que  les  diverses  tribus  de  la  famille  humaine,  ayant 
des  aptitudes  et  des  caractères  différents,  demandent 
à  n'être  point  gouvernées  de  la  même  manière.  Dans 
la  formation  des  sociétés  civiles,  il  entre  donc  de 
la  nécessité  et  de  la  convention,  du  divin  et  de 
l'humain;  divin,  ce  qui  est  fondamental,  ce  qui  vient 
des  exigences  de  la  nature;  humain,  oe  qui  est  d'ordre 
secondaire  ©t  variable  comme  les  tempéraments  des 
peuples. 

J.-J.  Roussea:u  s'inscrivit  en  faux  contre  ces  don- 


VERS    UN    ÉTAT    SOCIAL    NOUVJlAU  547 

nées  de  la  raison  et  de  la  foi  ;  et  voici  ce  qu'il  imagina, 
ce  qu'il  consigna  dans  tons  ses  écrits,  et  ce  que  la 
maçonnerie  s'est  donné  la  mission  de  réaliser.  La 
société,  l'état  social,  ne  résulte  point  de  la  consti- 
tution de  l'homme  et  de  l'institution  divine;  c'est, 
dans  le  monde,  une  excroissance  accidentelle  et  l'on 
pourrait  dire  contre  nature,  q'ui  est  survienne  un  beau 
jour  par  le  fait  des   volontés   humaines. 

Les  hommes  vivaient  à  l'état  de  nature,  dit  J.-J. 
Rousseau,  comme  le  font  les  sauvages,  les  animaux, 
et  c'était  l'âge  d'or;  état  de  liberté  et  d'égalité, 
où  les  fruits  étaient  à  tous  et  la  terre  à  personne, 
où   chaque  homme  était  citoyen   de   l'univers. 

Pour  passer  de  l'état  de  nature  à  l'état  social, 
les  hommes  primitifs  firent  un  pacte,  un  contrat, 
«  le  contrat  social  (1)  ».  D'une  part,  chaq;ue  indi- 
vidu se  remit,  sa  personne  et  tous  ses  droits,  entre 
les  mains  de  tous;  d'autre  part,  tous  garantirent  à 
chacun  une  part  égale  des  biens  communs.  L'individu 
donna  à  la  société  tout  ce  q;a'il  a  et  tjut  ce  qu'il  est, 
et  la  société  admit  l'individu  à  la  communion  de 
toute  la  chose  publiqfue,  de  la  république. 

1.  J.-J.  Rousseau  n'est  point,  à  proprement  parler,  l'in- 
venteur du  contrat  social.  C'est  un  protestant,  Hubert 
Languet,  qui,  dans  le  Vindiciœ  contra  tyrannos,  sous  le 
pseudonyme  de  Junius  Brutus,  exposa  pour  la  première 
fois    la    théorie    d'un    «  contrat  »,    origine    de    la    société. 

11  est  aussi  absurde  de  supposer  un  pacte  primitif  fon- 
damental de  la  société  publique,  qu'il  serait  absurde  de 
supposer  un  pacte  constitutif  de  la  famille  entre  le  père  et 
les  enfants.  Bonald  dénonce  le  cercle  vicieux  où  tombe 
Rousseau  :  «  Une  loi,  ne  fût-ce  que  celle  qui  réglerait  les 
formes  à  suivre  pour  faire  la  loi;  un  homme,  ne  fût-ce  que 
celui  qui  l'aurait  proposée,  aurait  toujours  précédé  cette 
prétendue  institution  du  pouvoir,  et  le  peuple  aurait  obéi 
avant  de  se  donner  un  maître  ».  Bossuet  avait  dit  avant 
de  Bonald  :  «  Bien  loin  que  le  peuple  en  cet  état  (sans  loi 
et  sans  pouvoir)  pût  faire  un  souverain,  il  n'y  aurait  même 
pas  de  peuple  ». 


548        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

«  Les  clauses  du  pacte  social,  dit  J.-J.  Rousseau  (1), 
se  réduisent  toutes  à  une  seule  :  V aliénation  tota'!e 
de  chaque  associé  avec  tous  ses  droits  à  toute  la  com- 
munaJuté...-  S'il  restait  qfuelques  droits  aux  particu- 
liers, l'état  de  nature  s'ubsisterait  et  l'association 
deviendrait  nécessairement  vaine...  L'aliénation  se 
faisant  sans  réserye,  l'union  est  aussi  parfaite  q^u'elle 
peut  l'être,  et  nul  associé  n'a  plus  rien  à  réclamer.  » 

Voilà  l'idée  que  la  maçonnerie  se  fait  de  la  so- 
ciété, voilà  le  plan  sur  leq;uel  elle  veut  la  reconsti- 
tuer. Si  longtemps  que  cela  ne  sera  point  compliète- 
ment  réalisé,  c'est-à-dire  si  longtemps  que  les  indi- 
vidus prétendront  conserver  q^uelques  droits,  l'état 
social,  tel  que  le  contrat  l'a  fait,  tel  qu'il  doit  être, 
ne  sera  point  jugé  parfait;  l'éLat  de  nature,  auquel 
le  contrat  a  voulu  mettre  fin,  subsistera  en  quelque 
chose.  Le  progrès,  c'est  donc  la  marche  vers  l'absorp- 
tion complète  de  tous  les  droits  par  l'Etat;  plus  de 
droits  pour  l'individu,  plus  de  droits  pour  la  famille, 
plus  de  droits  à  plus  forte  raison  pour  uue  société 
quelconque  qlii  se  formerait  au  sein  de  l'Etat,  ou  au- 
dessus  de  lui. 

Dans  la  société  démocratique  rêvée  par  la  Franc-Ma- 
çonnerie il  n'y  aura  plus  ou  il  ne  doit  plus  y  avoir 
que  oes  deux  unités  :  l'individu  et  l'Etat.  D'un  côté 
l'Etat  omnipotent,  de  l'autre,  l'individu  impuissant,  dé- 
sarmé, privé  de  toutes  les  libertés,  puisqu'il  ne  peut 
rien  sans  la  permission  de  l'Etat. 

N'est-ce  pas  vers  cela  que  nous  marchons  a  grands 
pas?  et  cette  conception  de  la  société  n'est-elle  point 
l'explication,  et,  pour  nos  maçons,  la  justification 
de  tout  ce  qui  est  actuellement  fait  ou  tenté  contre 


1.  Contrat  social,  livre   I,   ch.   VI. 


VERS    UN    ÉTAT    SOCIAL    NOUVEAU  549 

la  liberté  de  l'Eglise,  contre  la  liberté  des  associa- 
tions, contre  la  liberté  des  familles,  contre  la  liberté 
individuelle  elle-même?  L'Etat  ne  peut,  ne  doit  souf- 
frir aucune  association  autre  qiie  celle  qu'il  est.  Si  des 
événements  passés,  si  des  individualités  puissantes 
ont  créé  au  sein  de  la  société  civile  des  associations 
distinctes,  l'Etat  doit  travailler  constamment  à  rétré- 
cir le  cercle  dans  lequel  ielles  vivent  et  agissent,!  jusqu'à 
ce  qu'il  soit  parvenu  à  les  absorber  ou  aies  anéantu*. 
Selon  Rousseau,  selon  la  Maçonnerie,  c'est  là  son 
droit,  c'est  là  son  devoir,  droit  et  devoir  qui  décou- 
lent directement  du  contrat  social,  et  sans  l'exercice 
desquels  ce  contrat  deviendrait  illusoire  et  bientôt 
caduc. 

Que  l'on  cesse  donc  de  s'étonner  que  dans  cette  so- 
ciété sortie  de  la  Révolution,  pétrie  de  l'idée  révolu- 
tionnaire, l'Etat  veuille  tout  centraliser  et  tout  absor- 
ber, étouffer  toute  initiative  et  paralyser  toute  vie  : 
il  obéit  en  cela  à  sa  loi,  au  principe  d'après  lequel 
il  doit  être  tout,  tout  lui  ayant  été  livré  par  le  con- 
trat initial.  Ce  qui  vit,  ce  qui  se  meut,  ce  qui  est 
en  dehors  de  lui,  ne  l'est  et  ne  le  fait  que  par  une  usur- 
pation dont  il  doit  être  rendu  compte  pour  restitu- 
tion. 

Cette  revendication  doit  s'exercer  surtout  à  l'égard 
des  associations,  parce  qu'elles  sont  plus  puissantes 
que  les  individus,  et  surtout  à  l'égard  des  associa- 
tions qui  ont  un  idéal  autre  que  celui  de  l'Etat  natura- 
liste. Le  pacte  social  a  été  contracté  pour  une  plus 
complète  jouissance  des  biens  de  ce  monde.  S'il 
est  des  sociétés  formées  dans  le  but  de  porter  ailleurs 
le  regard  de  l'homme,  de  l'exhorter  à  se  détacher 
des  biens  présents  pour  ambitionner  et  poursuivre 
d'autres  biens,  ces  sociétés  sont  la  contradiction  vi- 
vante de   la  société   sortie   du   contrat  social,   elles 


550     l'agent    de   la   civilisation    moderne 

doivent  disparaître  avant  toute  autre.  Le  devoir  est 
de  les  tracfuer,  de  les  mutiler  jusqu'à  complet  anéan- 
tissement. C'est  là  l'explication  des  calomnies  ré- 
pandues par  les  humanistes  dans  leurs  écrits  contre 
les  religieux,  et  des  persécutions  sans  cesse  renou- 
velées contre  eux  depuis  la  Renaissance  jusqu'à  nos 
jours,  comme  aJussi  de  la  guerre  à  mort  déclarée 
aujourd'hui  à  la  première  des  sociétés  religieuses, 
à  celle  qui  est  le  fondement  et  le  principe  de  vie 
de  toutes  les  aiutres,  à  l'Eglise  catholique. 

On  constate  actuellement  un  mouvement  de  réac- 
tion contre  l'état  social  institué  en  France  par  la 
Révolution.  On  institue  partout  des  syndicats,  on  re- 
tourne aux  corporations.  Puisse  ce  mouvement  aboutir 
à  la  restauration  de  la  société  dans  son  état  normal! 
Dans  la  société  normalement  organisée,  il  y  a  entre 
l'individu  et  l'Etat  des  sociétés  intermédiaires  qji  en- 
cadrent les  individus  et  qui  par  leur  action  naturelle 
maintiennent  l'Etat  dans  le  domaine  qui  lui  appar- 
tient et  l'empêchent  d'en  sortir.  Ces  sociétés  se  nom- 
ment :  familles,  corporations,  communes,  provinces, 
Eglises.  Que,  dans  ce  régime,  le  plus  faible  des 
individus  soit  lésé  par  l'Etat  ou  par  tout  autre,  aussi- 
tôt c'est  son  association,  c'est  toute  une  collecti- 
vité organisée  qui  se  lève  pour  le  défendre.  Par 
elle,  il  est  fort;  et  parce  gu'il  est  fort,  il  est  libre. 

La  démocratie,  c'est  l'esclavage. 


CHAPITRE   XXXIX 
L'ÉTAT,  SOUVERAIN  MAITRE  DE  TOUTES  CHOSES 


Le  Temple  que  la  maçonnerie  veut  édifier  d'après 
le  plan  cfue  J.-J.  Rousseau  en  a  tracé  dans  son  Con- 
trat social,  c'est  donc  l'Etat  souverain  maître  de 
toutes  choses,  absorbint  en  lui  tous  les  droi's,  aussi 
bien  ceux  des  individus  que  ceUx  de  la  famille,  ceux 
des    associations    que    ceux    de    l'Eglise. 

C'est  là,  dira-ton,  une  utopie  et  une  prétention  aussi 
monstrueuse  qu'irréalisable.  Non,  pour  les  maçons, 
pour  les  révolutionnaires,  c'est  l'idéal,  el  un  idéal 
vers  lequel  on  nous  fait  marcher  à  grands  pas. 

J.-J.  Rousseau  a  dit  qu'en  vertu  du  contrat  social 
qu'il  suppose  à  la  base  de  la  société,  contrairement 
à  l'histoire  et  contrairement  à  la  nature  humaine  qui 
n'en  a  que  faire,  tous  les  hommes  appartiennent  to- 
talement à  la  collectivité,  leur  personne  et  leurs  for- 
ces, leurs  droits  et  leurs  biens.  C'est  ce  que  Jes 
maçons  veulent  réaliser;  c'est  bien  à  cela  que  la  Ré- 
volution veut  aboutir;  c'est  cela  et  cela  seul  qui 
peut  donner  l'explication  de  la  manière  d'être  et 
d'agir  de  l'Etat  contemporain  à  l'égard  de  tout  et 
de  tous.  En  toutes  choses,  il  s'applique  à  restreindre 


552      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

les  droits  particuliers  :  son  dessein  est  de  les  sup- 
primer entièrement. 

D'abord  et  surtout,  le  citoyen  n'a  pas  ]e  droit 
d'être  chrétien.  «  Rien,  dit  Taine,  iriterprétajit  la  pen- 
sée fondamenta,le  du  Contrat  social,  n'est  plus  con- 
traire que  le  christiajiisme  à  l'esprit  social...  Une 
société  de  chrétiens  ne  serait  plus  une  société  d'hom- 
mes, car  la  patrie  du  chrétien  n'est  pas  de 
CE  monde.  »  Il  faut  le  ramener  ici-bas,  il  faut  en- 
fermer ses  penséçis  dans  la  poursuite  des  intérêts 
terrestres,  il  faut  qu'il  soit  tout  entier  à  la  société 
à  laquelle  il  a  été  donné  tout  entier.  Aussi,  voit-on 
le  catholique  traité  en  emiemi  dans  l'Etat  maçon- 
nique. 

Le  citoyen  n'a  pa,s  le  droit  d'être  propriétaire. 
Tout  ce  qu'il  a,  aussi  bien  que  tout  ce  qu'il  est, 
est  devenu  bien  social.  Aussi,  voit-on  \&  droit  de 
propriété  disparaître  peu  à  peu  devant  les  empié- 
tements du  socialisme  d'Eta,t.  Les  impôts  croissent 
et  se  multiplient  sans  cesse.  L'utilité  publique  ex- 
proprie avec  une  conscience  de  jour  en  jour  plus 
légère.  Les  lois  s'essayent  à  répartir  les  gains  entre 
patrons  et  ouvriers.  L'Etat  se  fait  partie  prenante 
dans  les  ventes  et  les  donations,  et  surtout  dans 
les  successions.  Il  parle  maintenant  d'impôts  sur  le 
revenu  et  d'impôts  progressifs,  destinés  à  niveler  les 
propriétés,  à  égaliser  les  fortunes,  ou  plutôt  à  faire 
que  l'Etat  devienne  seul  et  tunique  propriétaire.  Déjà, 
au  XVIIIe  siècle,  il  s'est  emparé  de  toute  la  pro- 
priété ecclésiastique,  et  aujourd'hui  même  il  met 
la  main  sur  celle  qui  s'était  reconstituée  au  siècle 
dernier.  Demain,  il  s'emparera  de  la  même  façon 
des  instruments  de  travail  :  mines,  usines,  champs, 
tout  sera  nationalisé  (1). 

1.  Il  est  à  remarquer  que  la  franc-maçonnerie  n'hésite 
plus  à  se  déclarer  socialiste  et  même  collectiviste.  Le  F.  : . 


l'état,     souverain      MAITRE  553 

Ce  ne  sont  pas  seulement  les  biens  que  l'Etat 
revendique  comme  appartenant  à  la  collectivité,-  mais 
les  forces  de  chacun  :  «  Chaque  membre  de  la  so- 
ciété est  à  elle,  lui  et  toutes  ses  forces.  »  Il  faudra 
bien  qu'à  un  jour  prochain  le  Contrat  se  réalise  aussi 
sous  ce  rapport,  et  que  l'Etat  en  arrive  à  attribuer 
à  chacun  les  fonctions  qu'il  aura  à  remplir  dans  la 
société,  sous  sa  surveillance  et  à  son  bénéfice.  Les 
monopoles  de  l'Etat  qui  vont  de  l'instruction  pu- 
blique à  la  fabrication  du  tabac  et  des  allumettes, 
et  le  fonctionnarisme  qui  peu  à  peu  s'étend  à  tout,; 
sont  un  acheminement  \^rs  cet  esclavage  universel. 

Pour  y  arriver,  il  importe  surtout  de  se  saisir 
des  forces  naissantes,  des  générations  qui  surgis- 
sent. Aussi,  le  premier  souci  do  l'Etat  révolution- 
naire  est  de   s'emparer  de   l'enfance    (1).   «  Les   en- 

Bonnardot,  qui  fut  nommé,  en  1901,  Grand-Maître  de 
la  Grande  Loge  de  France,  proposa  au  Congrès  des  loges 
du  Centre,  tenu  à  Gien,  en  1894,  au  nom  de  la  3^  com- 
mission, de  proclamer  le  principe  de  la  propriété  collective. 
Son  rapport  fut  signalé  à  l'attention  du  Couvent  de  la  même 
année.  La  plupart  des  loges  parisiennes  sont  devenues 
socialistes-réformistes.  La  grande  majorité  des  loges  des 
départements  les  ont  suivies;  un  certain  nombre  sont  déjà 
collectivistes.  Pour  nous  en  tenir  à  La  Fidélité  de  Lille, 
qui  compte  plus  de  deux  cents  membres,  le  prochain  pro- 
gramme d'action  de  la  franc-maçonnerie  y  était  ainsi  dé- 
fini par  son  orateur,  le  8  juillet  1900  :  «  Nous  avons  com- 
battu toutes  les  idées  théologiques,  il  y  a  encore  un  dieu  à 
combattre,  c'est  le  dieu  capital.  »  (Voir  la  pétition  contre  la 
franc-maçonnerie  à  la  11^  commission  des  pétitions  de  la 
Chambre  des  Députés,  pp.  51  et  75.) 

1.  «  Les  enfants  mâles  sont  élevés  depuis  cinq  ans  jus- 
qu'à seize  ans  par  la  patrie.  Ils  sont  vêtus  de  toile  dans 
toutes  les  saisons.  Ils  couchent  sur  des  nattes  et  dorment 
huit  heures.  Ils  sont  nourris  en  commun  de  racines,  de 
fruits,  de  laitage,  de  pain  et  d'eau.  Ils  ne  mangent  pas  de 
viande  avant  seize  ans  accomplis.  Depuis  dix  ans  jusqu'à 
seize  ans,  leur  éducation  est  militaire  et  agricole.  Ils  sont 
distribués  en  compagnies  de  soixante,  etc.  Tous  les  enfants 
conserveront  le  même  costume  jusqu'à  seize  ans;  de  seize 


554        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

fants,  disait  Danton,  appartiennent  à  la  République 
avant  d'appartenir  à  leurs  parents;  l'égoïsme  des  pères 
pourrait  être  dangereux  pour  la  République.  Voilà 
pourquoi  la  liberté  que  nous  leur  laissons  ne  va 
pas  jusqu'à  élever  leurs  enfants  autrement  qu'à  notre 
gré  »;  et  Jules  Ferry,  dans  le  discours  qu'il  pro- 
nonça en  1879  pour  obtenir  le  vote  du  fameux  article 
VII  :  «  Il  existe  un  père  de  famille  qui  les  comprend 
tous  :  c'est  l'Etat.  »  Nous  avons  entendu  répéter  ces 
paroles  à  satiété  depuis  que  de  nouveaux  projets 
de  loi  veulent  mettre  dans  une  sécurité  absolue  les 
instituteurs  et  les  institutrices  chargés  par  l'Etat  de 

jusqu'à  vingt-et-un,  ils  auront  le  costume  d'ouvrier:  de 
vingt-et-un  à  vingt-six,  le  costume  de  soldat,  s'ils  ne  sont 
pas  magistrats.  » 

{Projet  de  loi,  d'après  les  Institutions  de  Saint-Just). 

Le  12  avril  1903,  au  congrès  des  loges  de  l'Afrique  du 
Nord  (de  l'Algérie),  les  F.  : .  CoHin  et  Marchetti  émirent 
ce  vœu  : 

«  Qu'une  disposition,  ainsi  conçue,  soit  ajoutée  au  Code 
civil  :  Défenses  formelles  sont  faites  aux  parents  ascen- 
dants ou  ayants  droit  quelconques,  de  donner  ou  d'ensei- 
gner à  leurs  enfants,  pupilles  ou  descendants,  une  religion 
quelle  qu'elle  soit,  sous  peine  de  déchéance  de  puissance 
PATERNELLE  et  de  puissance  légale.  Et  qu'en  cas  d'in- 
fraction, dûment  constatée,  les  enfants,  pupilles  ou  descen- 
dants, seront  retirés  et  confiés  à  l'Etat,  aux  frais  des  parents 
ou  ascendants  ». 

L'année  précédente,  au  Convent  de  Paris,  une  loge  de 
France,  la  Thémis,  avait  émis  un  vœu  à  peine  diffé- 
rent : 

«  Lorsqu'un  enfant,  âgé  de  huit  ans  révolus  et  au-dessus, 
n'aura  pas  encore  fréquenté  l'école,  les  parents  et  personnes 
responsables,  pourront  être  déchus  de  la  puissance  pater- 
nelle ». 

CondoTcet  offrit  le  premier,  à  l'Assemblée  législative  en 
1792,  un  plan  d'éducation  nationale.  D'autres  suivirent 
en  grand  nombre  sous  la  Convention.  Les  plus  connus 
sont  ceux  de  Saint-Just,  Lakanal,  Michel  Lepelletier,  celui 
accueilli  et  présenté  à  la  Convention  par  Robespierre.  Gar- 
çons et  filles  devaient  être  élevés  en  commun  jusqu'à  l'câge 
de  onze  et  douze  ans,  aux  frais  de  la  République,  sous 
la  sainte  loi  de  l'égalité. 


L  ETAT,     SOUVERAIN      MAITRE  b[)i) 

faire  entrer  dans  les  âmes  juvéniles  les  dogmes  ma- 
çonniques. 

C'est  bien  à  ce  point  de.  vue  du  droit  exclusif 
de  l'Etat  sur  toute  la  jeunesse  que  nous  voyons 
l'Etat  moderne  se  placer.  Sa  législation  la  mieux 
étudiée,  la  plus  serrée,  ses  lois  les  plus  intangibles, 
sont  celles  qui  tendent  à  supprimer  toute  liberté  d'en- 
seignement, à  réunir  sous  la  férule  de  l'Eta^  à  livrer 
à  son  éducation  les  enfants  de  toutes  les  familles, 
de  l'école  dite  maternelle  aux  Facultés.  D'abord,  c'est 
son  intérêt  de  former  les  volontés  par  lesquelles  il 
dure,  de,  préparier  les  votes  qui  le  maintiendront, 
d'implanter  dans  les  âmes  des  passions  qui  lui  seront 
favorables,  des  idées  qui  seconderont  la  construc- 
tion du  Temple.  N'a-t-il  pas  le  devoir  de  pétrir  les 
générations  de  façon  à  les  rendre  aptes  au  plus  par- 
fait fonctionnement  du  pacte  social?  «  L'éducation 
dans  des  régies  prescrites  par  le  souverain  (le  peu- 
ple souverain)  est  une  des  maximes  fondamentales 
du  gouvernement  populaire  »,  dit  J.-J.  Rousseau.  C'est 
par  elle  qu'on  forme  le  citoyen,  «  c'est  elle  qui 
doit  donner  aux  âmes  une  forme  nationale  »;  «  les 
bonnes  institutions  nationales  sont  celles  qui  savent 
le  mieux  dénaturer  Vhomme,  lui  ôter  son  existence 
absolue  pour  lui  donner  une  existence  relative  et 
transporter  le  moi  dans  l'unité  commune  (1).  » 

Dénaturer  l'homme!  Quel  mot  pouvait  mieux  dire 
ce  que  veut  la  secte,  ce  qu'elle  fait  dans  les  écoles 
de  l'Etat? 

Pour  arriver  à  réaliser  son  dessein  sans  trop  d'op- 
position, elle  a  commencé  par  donner  à  la  jeunesse 
l'instruction  gratuite,  aujourd'hui,  elle  y  joint  la  nour- 
riture et  le  vêtement,  dans  les  lycées  aussi  bien  q'ue 

1.  J.-J.  Rousseau,  cité  par  Taine.  L'ancien  régime,  p. 
324. 


556      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

dans  les  écoles  primaires,  espérant  se  rendre  ainsi 
complices    les    intérêts. 

Que  l'on  ne  dise  point  que  le  droit  que  l'Eglise 
refuse  à  l'Etat,  elle  le  revendique  pour  elle-même. 
Non,  l'Eglise  respecte  les  droits  de  la  liberté  natu- 
relle à  ce  point  que  si  un  père,  une  mère  n'appar- 
tiennent point  par  le  baptême  à  sa  juridiction,  elle 
se  regarde  comme  empêchée  d'intervenir  dans  l'édu- 
cation de  l'enfant  jusqu'à  ce  qu'il  soit  en  âge  de  se 
prononcer  selon  sa  propre  conscieince.  L'Eglise  con- 
sidère, comme  un  attentat  contre  le  droit  naturel, 
l'éducation  d'un  enfant  mineur  dans  la  religion  chré- 
tienne contre  la  volonté  expresse  de  ses  père  et  mère 
non  baptisés.  Elle  ne  permet  point  de  le  baptiser. 
Et  alors-  même  que  le  fils  catholique  de  parents 
catholiques  est  arrivé  à  sa  majorité,  elle  ne  l'admet 
point  à  la  profession  religieuse  sans  leur  permission,^ 
s'il  leur  est  nécessaire  pour  subvenir  à  leurs  besoins. 

L'Etat  maçonnique  comprend  que  les  enfants  ne 
pourront  être  complètement  à  lui  aussi  longtemps  qu'il 
n'aura  point  aboli  la  famille;  tant  qu'elle  subsistera, 
le  cri  de  la  nature  protestera  contre  son  intrusion. 
Et  c'est  pourquoi  il  tend  à  la  suppression  du  mariage. 
Dans  la  pensée  des  sectaires,  le  mariage  civil  et  le 
divorce  sont  des  étapes  qui  doivent  conduire  à  l'amour 
libre,  et  par  suite  à  l'Etat,  unique  père  nourricier, 
unique   éducateur  des   générations   à  venir. 

L'abolition  de  la  famille,  la  suppression  de  la  pro- 
priété, l'anéantissement  de  l'Eglise  et  l'étouffement 
de  toute  association  autre  que  celle  qui  est  l'Etat, 
«  tous  ces  articles,  dit  Taine,  sont  des  suites  forcées 
du  contrat  social.  Du  moment  où,  entrant  dans  un 
corps,  je  ne  me  réserve  rien  de  moi-même,  je  iienonce 
par  cela  seul  à  mes  biens,  à  mes  enfants,  à  mon 
Eglise,  à  mes  opinions.  Je  cesse  d'être  propriétaire, 


l'état,     souverain     MAITRE  557 

père,  chrétien,  philosophe.  C'est  l'Etat  qui  se  substi- 
tue à  moi  dans  toutes  ces  fonctions.  A  la  place 
de  ma  volonté,  il  y  a  la  volonté  publique,  c'est-à- 
dire,  en  théorie,  l'arbitraire  rigide  de  l'assemblée, 
de  la  fraction,  de  l'individu  qui  détient  le  pou- 
voir. » 

Tel  est  le  «  Temple  »  que  la  maçonnerie  est  en  train 
de  construire;  où  déjà  elle  nous  a  fait  entrer,  pas 
à  pas,  avant  achèvement;  où  elle  entend  abriter  les 
générations  à  venir  et  l'humanité  entière.  L'entre- 
preneur qtd  a  pris  à  forfait  la  constitue tion  de  ce 
Temple,  c'est  le  régime  parlementaire.  Le  peuple 
souverain  choisit  des  délégués,  les  investit  de  tout 
pouvoir.  Ils  s'assemblent,  la  majorité  est  censée  expri- 
mer la  volonté  générale,  et  cette  volonté  fait  loi. 
Cette  loi  peut  tout  atteindre;  et  en  toutes  choses 
elle  crée  le  droit,  sans  égard  à  qui  ou  à  quoi  que 
ce  soit,  pas  même  à  Dieu,  pas  même  aux  exigences 
de  la  nature  humaine. 

Déjà,  il  y  a  un  siècle,  pour  constmire  ce  Temple, 
les  constituants,  dit  Taine,  firent  trois  mille  décrets; 
et  pour  les  mettre  en  vigueur,  ils  substituèrent  le 
gouvernement  de  la  force  au  gouvernement  de  la 
loi.  L'échafaud  présida  à  la  réédification  de  la  so- 
ciété, à  ce  qui  avait  été  appelé  le  «  renouvellement 
du  principe   de   l'existence   humaine.  » 

Les  choses  ne  se  passeront  point  autrement  si 
l'expérience  nouvelle,  à  laquelle  nous  assistons,  est 
poussée  à  bout.  L'Allemand  qui  fut  le  docteur  des 
Jacobins  et  qui  est  resté  le  docteur  de  nos  maçons, 
a  parfaitement  tracé  la  voie  que  ceux-là  suivirent 
et  dans  laquelle  ceux-ci  se  sont  engagés. 

Dans  le  rituel  que  Weishaupt  composa  pour  les 
cérémonies  de  l'initiation  aux  divers  «grades  de  TIllu- 


558        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

minisme,  il  fait  dire  par  rHiérophante  a  l'Initié  : 
«  0  Frères,  ô  mon  fils,  quand,  assemblés  ici,  loin 
des  profanes,  nous  considérons  à  quel  point  le  monde 
est  livré  aux  méchants  (aux  souverains  et  aux  prê- 
tres), pourrions-nous  donc  nous  contenter  de  sou- 
pirer? —  Non,  Frère,  reposez -vous -en  sur  nous.  Cher- 
chez des  coopérateurs  fidèles;  ils  sont  dans  les  ténè- 
bres, (dans  les  sociétés  secrètes),  c'est  là  que,  soli- 
taires, silencieux,  ou  rassemblés  en  cercles  peu  nom- 
breux, enfants  dociles,  ils  pouisuivent  le  grand 
ŒUVRE  sous  la  conduite  de  leurs  chefs... 

»  Dans  ce  grand  projet,  les  prêtres  et  les  princes 
nous  résistent;  nous  avons  contre  nous  les  constitu- 
tions politiques  des  peuples.  Que  faire  en  cet  état  de 
choses?...  Il  faut  insensiblement  lier  les  mains  aux 
protecteurs  du  désordre  (aJux  rois  et  aux  prêtres) 
et  les  gouverner  sans  paraître  les  dominer.  En  un 
mot,  il  faut  établir  un  régime  dominateur  universel, 
sous  forme  de  gouvernement,  q'ui  s'étende  sur  tout  le 
monde...  Il  faut  donc  que  tous  nos  Frères,  élevés 
sur  le  même  ton,  étroitement  unis  les  uns  aux  au- 
tres, n'aient  tous  qu'un  même  but.  Autour  des  Puis- 
sances de  la  terre,  il  faut  rassembler  une  légion 
d'hommes  infatigables,  et  dirigeant  partout  leurs  tra- 
vaux, suivant  le  plan  de  l'ordre  pour  le  bonheur 
de  l'humanité  (1).  » 

Et  ailleurs  :  «  Comme  l'objet  de  notro  vœu  est 
une  révolution  universelle,  tous  les  membres  de  ces 
sociétés  (secrètes)  tendant  au  même  but,  s'appuyant 


1.  Le  bonheur,  auquel  l'illuminisme  doit  faire  parvenir 
l'humanité,  est  ainsi  exposé  dans  oe  même  discours  :  «  La 
source  des  passions  est  pure;  il  faut  que  chacun  puisse 
satisfaire  les  siennes  dans  les  bornes  de  la  vertu  et  que 
notre  ordre  en  fournisse  les  moyens  ».  La  vertu!  le  bon- 
heur de  l'humanité  !  la  secte  ne  peut  ouvrir  la  bouche 
qui  n'en   sortent   aussitôt  l'hypocrisie   et  le   mensonge. 


l'état,     souverain     MAITRE  009 

les  uns  sur  les  aiutres,  doiArent  chercher  à  domi- 
ner invisiblement  et  sajis  apparence  de  moyens  vio- 
lents, non  pas  sur  la  partie  la  plus  éminente  ,ou 
la  moins  distinguée  d'un  seul  peuple,  mais  sur  les 
hommes  de  tout  état,  de  toute  nation,  de  toute  reli- 
gion. Souffler  partout  un  même  esprit;  dans  le  plus 
grand  silence  et  avec  toute  l'activité  possible,  diriger 
tous  les  hommes  épars  sur  toute  la  surface  de 
la  terre  vers  le  même  objet.  C-et  empire  une  fois 
établi  par  l'union  et  la  multitude  des  adeptes,  qnie  la 
force  succède  à  l'empire  invisible;  liez  les  mains 
à  tous  ceux  q;ui  résistent,  subjuguez,  étouffez  la  mé- 
chanceté dans  son  germe,  écrasez  tout  ce  qui  reste 
d'hommes  qTie  vous  n'aurez  pu  convaincre  (1).  » 

C'est  bien  ainsi  que  l'entendirent  les  hommes  de 
93.  Jean-Bon-Saint- André  disait  que,  «  pour  établir 
solidement  la  République,  il  fallait  réduire  la  popu- 
lation de  moitié.  Geoffroy  jugeait  que  c'était  insuf- 
fisant :  il  voulait  ne  laisser  en  France  que  cinq  mil- 
lions de  citoyens.  «  Nous  ferons  de  la  France  un 
cimetière,  plutôt  que  de  ne  pas  la  régénérer  à  notre 
manière  »,  disait  Carrier.  Ils  en  ont  fait  un  cime- 
tière, et  n'ont  pu  la  régénérer  à  leur  mode.  L'in- 
succès n'a  point  découragé  leurs  successeurs.  «  La 
France  régénérée,  dit  le  F.-.  Buzot,  n'a  point  encore 
atteint  le  degré  de  perfection  que  commandent  les 
doctrines  de  la  franc-maçonrerie  et  le  génie  des  philo- 
sophes. Mais  le  mouvement  est  donné,  entraînant, 
IRRÉSISTIBLE;  LE  GRAND  ŒUVRE  S'ACCOMPLI- 
RA (2).  »  Ils  prétendent  l'accomplir  non  seulement 
en  France,  mais  dans  le  monde  entier.  «  Il  faut, 
leur  a  dit  Weishaupt,  établir  un  dominateur  univer- 

1.  Barruel,    t.    III,    ch.    II    et    IX. 

2.  Tableau  philosophique,  historijue  et  moral  de  la  franc- 
maçonnerie. 


560  l'agent    PE     LA     CIVILISATION     MODERNE 

sel,  une  forme  de  gouvernement  qui  s'étende  sur 
tout  le  monde  ».  Ils  y  travaillent,  nous  le  verrons. 
Ce  régime  dominateur  uni\nersel  dont  ils  poursui- 
vent l'établissement,  ils  l'appellent  le  régime  de  la 
démocratie,  ou  la  république  universelle. 

La  théorie  de  J.-J.  Rousseau  sur  le?  origines  de  la 
société,  sur  sa  constitution  rationnelb,  sur  ce  qu'elle 
sera  lorsque  le  contrat  social  aura  produit  toutes  ses 
conséquences,  n'est  point  restée  à  l'état  spéculatif. 
Depuis  un  siècle,  nous  approchons  de  jour  en  jour 
du  terme  qu'il  nous  a  marqué,  où  il  n'y  aura  plus 
ni  propriété,  ni  famille,  ni  Etat  indépendant,  ni  Eglise 
autonome.  Sur  l'emplacement  qiue  les  ruines  faites 
par  la  Révolution  laissaient  libre,  Napoléon  I-^  ]^^\^^^ 
«  à  saible  et  à  chaux,  dit  Taine,  la  société  nouvelle, 
d'après  le  plan  tracé  par  J.-J.  Rousseau.  Toutes  les 
masses  du  gros  œuvte,  code  civil,  université,  con- 
cordat, administration  préfectorale  et  centralisée,  tous 
les  détails  de  l'aménagement  et  de  la  distribution 
concourent  à  un  ef  _et  d'e.isemble  qui  est  V omnipotence 
de  VEtat,  Vomniprésence  du  gouvernemeyit,  Vaboli- 
tion  de  Vinitiative  locale  et  privée,  la  suppression  de 
l'association  volontaire  et  libre,  la  dispersion  gra- 
duelle des  pletits  groupes  spontanés,  rinterdiction  pré- 
ventive des  longues  œuvres  héréditaires,-  rextincti:>n 
des  sentiments  par  le3quels  l'homme  vit  au  delà  de 
lui-même,  dans  le  passé  et  dans  l'aVenir.  Dans  cette 
caserne  philosophique,  —  dans  cte  temple,  disent 
les  maçons  —  nous  vivons  depuis  quatre-vingts 
ans  (1).  »  J^e  grand  œuvre  avance,  il  s'accomplira 
d'autant  mieux  qUe  sa  continuation  est  aux  mains 
de  la  foule  et  de  ses  mandataires,  c'est-à-dire  des 
aveugles   et  des    irresponsables. 

1.  La  Révolution,   III,  p.   635. 


l'état,     souverain     MAITRE  5G1 

Un  individu  recule  devant  les  conséquences  der- 
nières de  ses  eireurs  lorsqu'il  voit  où  elles  le  con- 
duisent. Un  peuple  livré  à  lui-même,  comme  Test 
tout  peuple  soumis  au  régime  républicaiii,  ne  peut  le 
faire.  Ce  sont  les  plus  logiques  qui  se  font  en- 
teïidre  des  foules,  surtout  lorsque  cette  -  logique  est 
d'accord  avec  les  passions  et  promet  à  la  masse 
l'entrée  en  possession  des  biens  qu'elle  convoite  : 
ce  sont  ceux-là  que  le  suffrage  universel  porte  au 
pouvoir.  Et  si  les  premiers  arrivés  s'épouvantent 
et  n'osent  réaliser  le  programme,  ils  sont  supplantés 
par  d'autres,  et  par  d'autres  encore,  jusqu'à  ce  que 
viennent  ceux  qui  met'ent  résolument  la  main  aux 
hautes  œuvres  que  les  princiies  commandent.  Déjà 
nous  a\tons  vu  les  opportunisles  balayés  par  les  radi- 
caux; ceux-ci  déménagent  dev'ant  les  socialistes,  et 
du'  sein  du  socialisme  s'élèvent  les  anarchistes,  les 
nihilistes  et  les  patastrophards   (1). 

M.  Winterer,  dans  son  livre  Le  Socialisme  con- 
temporain, fait  une  observation  dont  pe: sonne  ne 
peut  nier  le  bien  fondé. 

«  Enlevez  Dieu  tet  la  vie  future,  Tiiomme  s::ns  Disu 
se  trouve  placé,  avec  S'^s  passions,  en  face  de  la 
vie  mortelle,  avec  l'inégalité  des  conditions  et  l'iné- 
galité de  la  jouissance.  Cet  homme  demandera  au 
banquet  de  la  vie  la  part  que  réclament  ses  passions. 
Il  ressentira  les  barrières  qu'oppose  à  ses  passions 
la  société  actuelle  basée  sur  la  foi  en  Dieu  et  en 
la  vie  future;  il  s'irritera  contre  l'obstacle,  et  la 
haine  sociale,  avec  toutes  les  haines  qui  l'accompa- 
gnent, entrera  dans  son  âme  ».  Dans  combien  de  cœurs 
gronde  actuellement  cette  haine  !  Elle  pousse  l.;s  mas- 

1.  Catastrophards,  c'est  le  nom  que  se  sont  donné, 
devant  le  tribunal  de  la  Seine,  ceux  qui  ont  fait  l'émeute 
du   2  mats    1901. 

L'Église  et  H  Temple.  3^ 


562         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

ses  à  se  ruer,  aussitôt  que  faire  se  pourra,  sur  ce 
qui  reste  de,  l'ordre  social!  Et  cela  par  toute  l'Eu- 
rope, et  non  seulement  dans  le  vieux  monde,  mais 
en  Amérique  et  en  Oc^anie;  et  non  seulement  chez 
les  miséreux,  mais  chez  les  intelLecLuels!  Qu'il  suffise 
de  nommer  Elisée  Reclus  pour  la  France,  Karl  Marx 
pour  l'Allemagne,  Bakouninc  et  le  pri.ice  Krapotkine 
pour  la  Russie,  Most  pour  les  Etats-Unis,  elC;  etc.  Tons 
sont  d'accord  pour  dire  que  le  dogme  de  la  souve- 
raineté du  peuple  exige  :  1°  une  révolution  politique, 
qui  amène  au  pouvoir  les  masses  populaires  par 
le  suffrage  universel;  2°  une  révolution  économiqi^e, 
qui  introduira  la  propriété  commune;  3°  une  révo- 
lution démocratique,  qui  supprimera  les  pa-ento  et 
livrera  les  enfants  à  la  République  (1). 

Nous  y  allons. 

Quel  est  l'homme  intelligent  qui  ne  soil  effrayé 
des  ruines  déjà  amoncelées  en  tout  ordre  de  choses, 
et,  en  entendant  les  clameurs  des  meutes  prêtes 
à  se  jeter  sur  ce  qui  reste  de  l'ordre  social,  ne  se 
pose  à  l'heure  actuelle  ces   terriblss   questions  : 


1.  En  octobre  1882,  on  inaugurait  un  groupe  scolaire  à 
Ivry-sur-Seine.  Parmi  les  assistants  officiels,  on  comptait 
un  grand  nombre  de  représentants  des  loges  maçonnigues. 
Le  F.  : .  C.  Dreyfus  prononça  l'allocution  ;  on  y  trouve 
ces  paroles  :  <  C'est  la  franc-maçonnerie  qui  prépare  les 
solutions  que  la  démocratie  fait  triompher.  De  même  que  nos 
glorieux  ancêtres  de  1789  ont  inventé  l'égalité  civile  des 
hommes  devant  la  loi  (on  sait  comment  elle  est  pratiquée),  de 
même  que  nos  devanciers  de  1848  ont  réalisé  l'égalité  poli- 
tique des  citoyens  devant  l'urne  du  suffrage  universel,  de 
•même  la  maçonnerie  doit  préparer,  pour  la  fin  du  XIXe 
siècle,  l'égalité  sociale,  qui  rétablira  l'équilibre  des  forces 
économiques  et  ramènera  l'union  et  la  concorde  au  sein  de 
notre  société  si  divisée  ».  (Cité  dans  le  Monde  du  4  octo- 
bre 1882).  Nous  en  sommes  donc  à  la  Révolution  écono- 
mique; la  démocratique,  qui  doit  la  suivre  et  qui  livrera 
les  enfants  corps  et  âme  à  la  République,  est  fort  avan- 
cée. 


l'état,    souverain    MAITRE  :>i;:î 

Les  biens  que  le  Créateur  a  mis  à  la  disposilion 
des  hommes,  mais  que  le  travail,  l'ordre,  la  tempe 
rance,  l'économie  ont  répartis  entre  les  familles,  se 
ront-ils  encore  demain  la  propriété  de'  c  ^ux  qui  les 
ont  ainsi  acquis,  ou  seront-ils  universellement  possé- 
dés paa*  l'Etat,  qui  en  distribuera  les  fruits  selon 
les  lois  qu'il  lui  plaira  de  faire? 

Demain,  y  aura-t-il  encore,  entre  l'homme  et  la 
femme,  mariage,  c'est-à-dire  contrat  passé  sous  le 
regard  de  Dieu  et  sanctionné  par  lui,  engagement 
sacré  et  indissoluble  ?  Y  auia-t-il  encore  la  famille  avec 
la  possibilité  de  transmettre  à  ses  enfa;nts,  non  seu- 
lement son  sang,  mais  son  âme  et  ses  biens? 

Demain,  que  sera  la  France?  Que  deviendra  l'Eu- 
rope? Réduite  à  l'état  de  poussière  par  la  démocratie, 
ne  serart-elle  point  une  proie  facile  à  3a  franc-maçon- 
«erie  internationale  et  ju:laïquo  cpii  marche  à  la  con- 
quête du  monde,  et  calcule  déjà  le  nombre  d'années 
qu'il  lui  fajudra  encore  pour  arriver  à  faire  de  tous 
les   Etats  une   Répu])Iique  universelle? 

Voilà  ce  que  prépare  le  mouvement  des  idées  et 
des  faits  qui  hantent  les  esprits  et  dont  nous  sommes 
témoins. 

Si  le  cours  des  choses  actuelles  n'avait  point  ses 
sources  dans  un  passé  lointain,  on  pourrait  moins 
s'effrayer,  croire  qu'il  n'y  a  en  tout  cela  que  des 
faits  accidentels.  Mais  il  n'en  est  point  ainsi.  L'état 
actuel,  gros  de  l'avenir  que  nous  venons  de  dire,  est 
ie  produit  nà!urel  d'une  idée,  jelée  comme  une  g:aine 
sur  notre  sol  il  y  a  cinq  siècles.  Elle  y  a  germé. 
Nous  avons  vu  ses  prcm'è  es  pousses  sortir  de  terre; 
elles  ont  été  cultivées  secrètement  et  soigneusement 
par  une  société  qui,  plusieurs  fois  déjà,  a  servi  au 
monde  leurs  fmits  trop  hâtivement  cueillis;  aujour- 
d'hui elle  les  voit  arriver  à  maturité  :  fruits  de  mort 


564        L'AGENT    DE    LA    CIVILISATION    MODERNE 

qui  portent  la  corruption  dans  les  foudemcnta  même 
de  l'ordre  social.  : 

Ce  que  la  Renaissance  a  conçu,  ce  q;ae  la  franc-ma- 
çonnerie a  élevé,  la  France  révolutionnaire  a  reçu 
de  la  Puissance  des  ténèbres  la  mission  do  le  mani- 
fester au  monde.  Il  semble  qu'on  ait  voulu  le  sym- 
boliser sur  les  nouver.eo  monnaies.  CetLe  femme  éclie- 
velée,  coiffée  du  bonnet  phrygien,  qui,  sous  les. aus- 
pices de  la  République,  jette  à  tous  les  vents  les  grai- 
nes de  la  liberté,  de  l'égalité  et  de  la  fraternité, 
aux  rayons  d'un  soleil  levant  appelé  à  éclairer  le 
monde  d'un  jour  nouveau,  c'est  bien  la  maçonnerie 
confiant  à  tous  les  s-ouffles  de  l'opiniony  les  idées 
qui  préparent  les  esprits  à  accepter  l'orure  nouveau, 
qu'elle  médite  depuis  si  longtemps  d'établir  dans 
le  monde. 


CHAPITRE   XLII 
LA  RÉPUBLIQUE  UNIVERSELLE 


Le  Temple  maçonnique,  dont  nous  avons  vu  le  plan, 
doity  dans  la  pensée  de  &es  architectes,  étendre  ses 
constructions  sur  l'univers  entier.  Lorsque  1'  «  ap- 
prenti »  demande  à  êtie  reçu  «  compagnon  »,  on  lui 
pose  entre  autres  ces  questions  : 

D.  —  Quelles  sont  la  longueur  et  la  largeur  de 
la  loge? 

R,  —  Sa  longueur  est  de  l'Orient  à  l'Occident;  sa 
largeur  du  Midi  au  Nord. 

D.  —  Que  signifient  ces  dimensions  ? 

R.  —  Que  la  franc-maçonne: ie  est  universelle,  et 
qu'elle  s'éteuLlra  un  jour  sur  to:ite  l'humanité    (1). 

1.  En  1907  parut  la  première  année  d'un  annuaire  pu- 
blié par  le  «  Bureau  international  des  relations  maçonni- 
ques ». 

Le  caractère  international  de  la  maçonnerie  s'affirme 
dans  le  titre  même  de  la  publication  qui  présente  un  as- 
semblage bizarre  de  français,  d'allemand  et  d'anglais.  Nous 
le  reproduisons  :  «  Annr.ai.e,  Vrai  ndcr,  Annual,  delà,  der. 
of.  Maçonnerie  universelle,  Wellfraumerei,  Universel  Ma- 
sonry,  1907.  Première  année,  Erste  Jakr,  First  Year  ». 
Cet  annuaire  a  paru  chez  Buchler,  l'éditeur  des  publications 
maçonniques  en  Suisse  et  a  pour  auteur  le  F.  : .  Martier 
la  Tente,   président  du  Bureau  international. 

D'après  cet  annuaire,  il  existe  dans  le  monde  106  puis- 


:)G()        l'agent   pe   la   civilisation   moderne 

Ce  n'est  pas  par  un  vain  caprice,  dit  le  F.  • .  Clavel, 
que  nous  nous  donnons  le  titre  de  «  Maçons  ».  Nous 
bâtissons  le  plus  vaste  édifice  qui  fût  jamais,  puisqu'il 
ne  connaît  d'autres  bornes  que  celles  de  la  terre  (1).  » 
[1  n'en  peut  être  .autrement,  puisque  la  maçonnerie 
ne  se  propose  rien  moins  que  de  changer  les  bases 
sur  lesquelles  repose  la  société  humaine  :  faire  dé- 
pendre d'un  contrat  ce  qui  est  de  droit  naturel  et 
divin,  fixer  sur  la  terre  los  destinées  de  l'homme, 
le  doter  d'une  civilisation  e!;  d'institutions  propres 
à  le  tenir  asservi  à  la  matière.  Aussi  bien  que  l'E- 
glise catholique,  la  maçonnerie  doit  vouloir  appli- 
quer sa  conception  de  la  vie  à  l'humanité  entière. 
Il  y  a  toutefois  entre  elles  une  différence.  L'Eglise 
aspire  sans  doute  à  faire  de  tous  les  hommes  Une 
famille   de   frères,   et   à  ençrlobér   le   monde   dans   la 


■sancos  maçonniques  régulières.  On  appelle  «  puissance  rna- 
çonnigue  »  une  confédération  de  Loges  ayant  à  sa  tête 
une  grande  Loge,  un  Grand-Orient  ou  un  Suprême  Con- 
seil. 

Voici,   pour  les   principaux   pays   d'Europe,   le   dénombre- 
ment  des   Loges  : 

Pays  Loges  Membres 


Angleterre 

2607 

150.000 

Irlande 

450 

15.000 

Ecosse 

1012 

50.000 

France  (Gr.-Or.) 

396 

27.000 

France    (Gr.-Loge) 

81 

5.100 

Hollande 

91 

2.093 

Suède 

35 

12.295 

Norvège 

13 

3.900 

Suisse 

33 

3.670 

Danemark 

29 

4.500 

Espagne 

59 

2.594 

Allemagne 

495 

60.145 

Hongrie 

61 

2.594 

Resterait  à  faire  le  dénombrement  des  loges  de  l'Améri- 
que,  de  l'Asie  et  de  l'Océanie. 

1.  Tableau  philosophique,  histoyique  et  moral  de  la  franc- 
maçonnerie,   par  le  F.  :  .   Bazot,   pp.   20-28. 


LA     RÉPUBLIQUE     UNIVERSELLE  ^         567 

vaste  unité  chrétienri'e.  C'est  la  mission  que  lui  a 
donnée  son  divin  Fondateur.  Seulement,  elle  n'a  ja- 
mais eu  la  pensée  de  supprimer  la  personnalité  des 
divers  peuples;  loin  de  là,  elle  s'est  toujoure  appli- 
quée à  étudier  la  physionomie  spéciale  de  chacun 
d'eux,  la  mission  particulière  que  la  Providence  lui  a 
dévolue,  pour  l'encourager  et  aider  à  y  répondre. 
Il  n*en  est  point  de  même  de  la  maçonnerie  :  son 
principe  cosmopolite  es',  essentiellement  cont  a:li:toire 
avec  le  princi;:e  national. 

«  Effacer  panni  les  hommes,  dit  le  F.  - .  Clavel, 
la  distinction  de  rang,  de  croyance,  d'opinion,  de 
PATRIE;...  faire,  en  un  mot,  de  tout  le  genre  humain 
une  seule  et  même  famille  :  voilà  le  grand  œuvre 
qu'a  entrepris  la  franc-maçonnerie,  et  auquel  l'ap- 
prenti, le  compagnon  et  le  maître  sont  appelés  à 
associer  leurs  efforts  (1)  »  :  une  S2ule  et  môme  famille, 
non  dans  l'unité  d'une  même  foi  et  la  communion 
d'une  charité  s'étendant  de  chacun  à  tous  et  de  tous 
à  chacun,  mais  sous  la  domination  d'une  même  s^cte. 
Pour  arriver  à  cette  domination,  la  maçonnerie  em- 
ploie tous  ses  membres  à  travailler,  les  uns  direc- 
tement, les  autres  inconsciemment,  à  la  constitution 
lente  et  graduée  d'un  Etat,  d'une  république  com- 
prenant le  monde  entier  :  Etat  Humanité,  République 
universelle. 

Le  Temple  de  la  nature,  disent  les  maçons,  a  abrité 
le  genre  humain  aux  jours  de  son  bonheur.  La  cu- 
pidité, l'ambition  et  la  superstition  —  lisez  :  la  pro- 
priété, l'autorité  civile  et  la  religion  —  ont  renversé 
l'ancien   édifice.    Les   maçons   unissent   leurs   efforts 


1.  L'int^m^tionalsme,  l'hu  nanitarisme  son'  aclue'lement 
les  deux  suggestions  q;ue  la  maçonnerie  s'efforce  de  faire 
entrer  dans  toutes  les  têtes;  même  dans  l'esprit  de  la 
jeunesse    catholi(iue,    par   le   Sillon. 


568         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

pour  le  relever  sur  les  ruiaes  de  la  famillej^  de  l'Etat 
et<4e  l'église.  • 

Le  Temple,  à  réé(iifief  estcoavenaclemont  appelé  la. 
République,  la  République  humanitaire.  La  Républi- 
que, c'est  le  pouvoir,. des  biens,  les  personnes  de- 
venues choses  communes.  La  République  humani- 
taire, c'est  la  République  :éunissant  l'humanité  dans 
un  tout  indivisible.  C'est,  comme  l'a  dit  Billaud- 
Varennes,  la  fusion  de,  toutes  les  volontés/  de  tous 
les  intérêts,  de  tous  les  efforts  pour  que  chacun 
trouve,  dans  C3t  ensemble  de  ressources  communes, 
une  part  égale  à  -sa  -mise. 

Dès  leur  entrée  dans  l'Ordre,  la  secte  présente 
aux  maçons  cette  idée,  mais  dans  une  sorte  de  nuage, 
qu'elle  dissipera'  peu  à  peu  au  cours'  des  initiations 
successives.  L'article  2  cie  la  Constilution  dui  G-and- 
Orient  dit  :  «  La  franc^maçonnerie  à  pour  devoir  d'é- 
tendre à  tous  les  membres  de  l'humanité  les  liens 
fraternels  qui  unissent  les  fran es  maçons  sur  toute 
la  surface  du  globe.  »  Dès  le  grade  d'apprenti,  elle 
fait  dire  au  réeipiendaire  par  le  Vénérable  :  «  Puis- 
siez-vous,  fiièle  à  jajui.is  aux  engagôneents  que.  vous 
venez  de  contracter,  nous  aider  à  achever  l'œuvre 
sublime  à  laqueLe:  travaillerr:;  les  maçons  de^  uiè  tant 
de  siècles,  celle  surtout  de  la  réunion  des'  hommes 
de  tous  les  pays,  dé  tous/ les  caractères,  de  toutes 
les  opinions  civiles  et  religieuses,  ren  une  seule 
famille  d'amis  et  de  frères  (1)!  »:  Elle  ne  leur  dé- 
voile pas  autrement  sa  pensée,  mais  s'ils-  se  mon- 
trent dignes  de  communications  plus  .  explicites,  ils 
sauront  bientôt,  comme  l'observe  M.  Prache,  dans 
son  rappoit  sur  les  pétitions  aili'jssées  à  la  Chambre 


1.  Ragon,    Cours,...    p.    110. 


LA    RÉPUBLIQUE.  IJNIVERSZLLE  [)C9 

des  Députés  contre  la  franc-maçonner'e;  que,  «  so- 
ciété cosmo^rolite  et  humanitaire,  la  niaçonneiie  :êve 
d'établir  une  Républi:^ue  universelle  (1).  »  Le  rap- 
porteur renvoie  au  compte-rendu  du  Cornent  de  1895, 
page  209,  où  il  est  dit  :  «La  franc-maçonnene  s'ef- 
force de  préparer  les  Etats-Unis  non  seulement  d'Eu- 
rope,  mais   de   la   terre   entière    (2)«  » 

Quatre  ans  auparavant»  en.  novembre  1891,  un 
congrès  international  de  la  paix  universelle  s'était 
réuni  à  Rome.  «  On  nous  as:ure,  e'it  alors  le  Moni- 
teur de  Borne,  que,  derrière  ce  masque,  se  cache, 
pour  une  partie  des  congressistes,  un  dessein  très 
particulier.  D'après  nos  informations,  ce  ne  serait 
rien  moins  que  l'établisseir.ent  d'une  Ré^;ublic^ue  uni- 
verselle, sur  les  ruines  des  empires  et  des  royau- 
tés, comme  garantie  absolue  et  efficace  :de  la  paix 
imivcrselle.  Il  est  évident,  pour  tout  observât :ur  im- 
partial, que  les  maçons,  surtout  les  francs-maçons 
Français  et  Italiens,  sans  parler  des  Espagnols  et 
des  Portugais,  tendent  de  toutes  les  fibrrs  de  leur 
âme  vers  cet  idéal.  Il  serait  asiez  remarquable  que 
Rome,  capitale  du  royaume  d'Italie,  devier.ne  le  foyer, 
le   laboratoire  de  la   République   universelle.  » 

<<  Peuples,  soyez  frères!  s'écrie  le  F.-.  Bazot,  se- 
crétaire du  Grand-Orient.  L'Univers  est  votre  pa- 
trio!  »  Bien  avant  lui,  Danton,  à  la  fête  annivcrsaie 
du  serment  du  jeu  de  Paume,  20  juin  1790,  avait 
dit  :  «  Le  patriotisme  ne  doit  avoir  d'autres  bases 
que  l'univers.  » 

En  1825,  un  aulre  franc  maçon  célèbre,  Blu.iiehna- 
gen,  disait  :  «  L'Ordre  de  la  |ran"c-maçonnerie  a  fini 

1.  C'est  l'espoir  de  la  paix  universelle  et  étemelle:  que 
la  Maçoancrie  fait  miroiter  .au3{  yeux  des  simples  pour  .pré- 
parf^r  les  esprits  à  admettre  l'idée  d'une  république  mon- 
diale. 

2.  La  pétition  contre  la  franc-maçonnerie,  p.   221. 


570     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

son  enfance  et  son  adolescence.  Maintenant  il  est 
homme,  et  avant  que  son  troisième  siècle  soit  ac- 
compli, le  monde  connaîtra  ce  qu'il  est  réellement 
devenu.  Puisque  le  monde  entier  est  le  temple  de 
l'Ordre,  l'azur  du  ciel  son  toit,  les  pôles  ses  mu- 
railles, et  le  Trône  et  l'Eglise  S3S  piliers,  alors  les 
puissants  de  la  terre  s'inclineront  d'eux-mêmes,  et 
abandonneront  à  nous  le  gouvernement  du  monde  et 
aux  peuples  la  liberté  que  nous  leur  préparons. 

»  Que  le  Maître  de  l'univers  (Is  prince  do  ce  monde, 
Satan),  nous  doinne  seulement  un  siècle,  et  nous 
serons  arrivés  à  ce  but  ainsi  désigné  à  l'avance.  Mais, 
pour  cela,  il  faut  que  rien  ne  ralentisse  le  travail, 
et  que,  jour  par  jour,  notre  bâtisse  s'élève.  Plaçons, 
sans  qu'on  s'en  aperçoive,  pierre  par  pierre,  et  le 
mur  invisible  s'élèvera  solidement  toujours  plus 
haut  (1).  » 

Que  de  pierres  ont  été  placées  depuis  1825!  Com- 
bien de  gouvernements  révolutionnaires  ont  surgi 
depuis  lors!  L'Italie  est  unifiée  sur  les  ruines  du 
pouvoir  temporel  et  des  souverainetés  légitimes;  la 
Prusse  est  devenue  rAllemiagne  impériale;  l'Autriche 
s'annexe  des  populations  slaves.  L'idée  capitale  du 
règne  de  Napoléon  III,  c'est  le  principe  des  natio- 
nalités. Héritier  de  la  traJdition  napoléonienne  et  ré- 
volutionnaire, frotté  d'ailleurs  de  carbonarisme,  il 
consacra  à  ce  .principe  toute  son  influence  et  toutes 
ses  forces.  Après  Sedan,  après  l'unité  italienne  «t 
l'unité  allemande  faites  contre  nous,  après  l'effondre- 
ment de  son  trône,  il  s'acharnait  encore  à  défendre 
et  à  glorifier  ce  principe  qu'il  avait  ainsi  énoncé 
dans  sa  proclamation  de  Strasbourg  au  peuple  fran- 
çais :  «  J*ai  voué  mon  existence  à  rac:omplis::emcnt 
d'une   grande   mission.    Du   rocher   de    Sainte-Hélène 

1.  Cité  par  Pachtler,  Der  Cœtze  der  Humanitœl,  p.  450. 


LA    RÉPUBLIQUE     UNIVERSELLE  571 

un  regard  du  soleil  mourant  a  passé  sur  mon  âme; 
je  saurai  garder  ce  feu  sacré;  je  saurai  vaincre  ou 
mourir  pour  la  cause  des  peuples.  » 

Aujourd'hui,  par  suite  des  événemonts  que  cette 
idée  a  produits,  l'Europe  entière  tient  tous  ses  hom- 
mes valides  sous  les  drapeaux,  armés  d'engins  d'une 
puissance  telle  que  le  monde  jusqu'ici  n'avait  pu 
en  avoir  l'idée.  Elle  est  prête  pour  le  conflit  qui 
donnera  à  l'un  de  ses  peuples,  avec  la  suprématie 
sur  les  autres,  le  pouvoir  de  subjuguer  toutes  les 
races. 

Des  lettres  bien  intéressantes  furent  publiées  en 
1888  par  VOsservatore  cattolico  de  Milan.  L'auteur 
de  ces  lettres,  revenant  de  Rio-de-Janeiro,  en  1858, 
se  trouvait  sur  le  même  vapeur  avec  un  dij)lomate 
européen  et  le  ministre  des  Affaires  Etrangères  du 
Brésil,  lequel  était  Giand-Maître  des  loges  de  son 
pays.  Un  jour,  en  conversant  a\^c  îe  diplomate  eu- 
ropéen, le  ministre  brésilien  lui  dit  :  «  Le  temps 
viendra  et  vous  !e  AeiTez  de  vos  propres  yeux,  Mon- 
sieur le  baron,  où  il  n'y  aura  en  Europe  que  trois 
monarchies  :  une  romaine,  sous  la  maison  de  Sa- 
voie, une  allemande,  sous  la  maison  de  Hohenzol- 
lern;  une  slave,  sotis  la  maison  de  Romanof-Got- 
torp.  Mais  ne  croyez  pas  que  nous,  maçons,  nous 
ayons  aucfun  intérêt  au  maintien  de  ces  dynasties. 
Quand  le  nègre  aura  fini  sa  hesog7ie,  il  pourra  s'en 
aller.  Ces  trois  monarchies  ne  peuvent  être  que  le 
pont  q;:i  nous  coîidtiira  aux  gandes  républiques  eiur'o- 
péennes,  desquelles  naîtra  enfin  la  grande  républi- 
que DE  l'humanité,  qui  reste  l'objectif  des  initiés.  » 

Un  franc-maçon  des  plus  hauts  g:ades,  Grand-Maî- 
tre du  Grand-Orient  de  Beyrouth  et  professeur  à 
l'Université  de  Hcidelberg,  un  des  hommes  qui,  par 
leur    enseignement  et   par   leurs   écrits,    ont   le   plus 


572     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

coQitribué  à  jiefber  ia  classa  cultivée  dâtiS  Je  Guturkampf 
et  dant  les  ouvi^ages  sont  traduits^  à  peu  près  dans 
Joutes  les  langues,  M,  BluntschJi,  e:i,seigne  aussi  que 
I'Etat  moderne  futur  doit  ejnbr'asser  rhumanité  tout 
entière.  Comme  ses  livres  uXa  Théorie  générale  de 
VEtat,  La  Folitique,  Le  Droit  d:s  Gens,  s'adressent  à 
tousj  aiux  initiés  comme  à  ceux  qui  ne  le  sont  pas, 
il  n'y  dit  point,  comment  ce  résultat  pourra  ètrj  o-:tenu. 
Mais  il  lut  plus  explicite  dans  un  discours  qu'il  pro- 
nonça en  1873,.  à  Zurich,  devant  la  loge  Modestia. 
Là  il  dit  ouvertement  que  c'est  des  efforts  réunis 
des  loges  maçonniques  .  du  monde  entiei,  que  l'on 
doit  attendre  la  formation  de  cet  Etat  qui  embrassera 
rhumanité  entière. 

Aux  discours,  la  secte  joint  l'action.  En  1869,  il  ce 
/orm^  à  N|ew-York  vç^3  association  appelée  L/Allian:e 
républicaine  universelle,.  da^RS^  le  but  de  réunir  tous  les 
Etats  du  monde  en  une   soûle  république. 

«Le  but.de  l'association  est  d'affirmer  le  droit 
de  tout  pays  à  se  gouvierner  en  Républiqut,  et  par 
conséquent  le  droit  c!e  tous  les  républicains  de  s'unir 
entre  eux  pour  former  une  solidar-té  ré;:ublicaine. 

»  Pour  appliquer  les  vérités  sus-énoncées,  on  pro- 
posa de  former  une  seule  association  fraternelle  de 
tous  les  hommes  à  principes  libres,  qui  désirent  pro- 
mouvoir, dans  la  mesure  de  leurs  forces,  la  recon- 
naissance et  le  développement  du  véritalle  républi- 
canisme dans  tous  hs  pays  et  chez  tous  les  peuples, 
Cette  association  fraternelle  doit  être  composée  de 
sections. distinctes,  dont  chacune  comprendra  les  mem- 
bres d'une  même  nationalité,  Américains  et  Euro- 
péens. 

»  Ces  sections,  en  conservant  leur  indi.idr.alité 
respective,   seront  autant   de  représentations   des  fu- 


LA  REPUBLIQUE  UNIVERSELLE         ^û 'à 

iures  répulîiques,  tandis  que  leurs  futurs  délégués, 
réunis  dans  un  conseil  central,  représenteront  Ja  soli- 
darité des  républiques,  dont  la  réalisation  est  le  but 
suprême  proposé  aux  travaux  de  l'Alliance  (1).  » 

M.  Prache,  dans  son  rapport  sur  les  pé'itions  contre 
la  franc-maçonnerie,  a  un  chapitre  pour  montrer 
«  comment  s'établissent  et  se  resserrent  les  liens 
entre  la  maçonnerie  française  et  les  maçonneries 
étrangères,  pour  travailler  avec  ordre  au  but  que 
toutes  poursuivent  ».  Il  y  a  :  1°  des-  «  garants  d'ami- 
tié »  entre  elles  toutes;  2°  des  relations  spéciales, 
que  l'on  pourrait  dire  personnelles^  enlre  certaines 
loges  françaises  et  les  puissances  maçonni:;ues  étran- 
gères; 3°  le  fonctionnement,  au  Grand-Orient  de  Fran- 
ce, d'une  commission  des  relations  extérieures.  Les 
rapports  de  cette  commission  ne  sont  pas  iiirprimés, 
à  cause  —  dit  le  F.;  .  Dequaire,  exposant  au  Cou- 
vent du  10  septembre  1894  les  travaux  du  Conseil 
de  l'Ordre  —  «  des  aperçus  déliats  qu'ils  renferment 
sur  les  relations  du  Grand-Orient  avec  diverses  fédé- 
rations de  l'univers  »  ;  mais  le  Bulletin  du  Grand- 
Orient  de  cette  même  année  nous  montre  le  Grand- 
Orient  de  France  en  relations  «  avec  les  Suprêmes 
Conseils  en  général,  avec  les  Suprêmes  Conseils  de 
Charlestown,  et  de  Lausanne  en  particulier;  avec 
la  Grande-Loge  d'Angleterre  sur  tous  'les  points  du 
globe;  avec  le  Grand-Orient  d'Italie;  avec  le  très 
fraternel  Grand-Orient  espagnol  et  la  Grande-Loge 
suisse  Alpina;  avec  les  cfiverses  maçonneries  du 
bassin  de  la  Méditerranée;  avec  les  ateliers  et  puis- 
sances maçonniques  régulières  qui,  sur  tous  les  points 
du    globe,    combattent   parallèlement   avec    le    Grand- 


1.  Gautrelet,  pp.  184  et  seq.  Dans  les  pages  suivantes, 
l'auteur  suit  les  développements  de  l'Alliance  en  Allemagne, 
en  Italie,  en  France,  etc. 


574      '.'agent    de    la    civilisation    moderne 

Orient  de  France,  pour  le  succès  final  de  l'œuvre 
maçoîinique  universelle  (1).  »  Sur  quoi  portent  ces 
relations?  «  Les  innombrables  lignes  de  point  qui 
constellent  les  documents  maçonniques,  dit  M.  Pra- 
che,  lorsqu'il  s'agit  des  relations  extérieures,  mettent 
hors  d'état  d'étudier  complètement  la  question.  »  Il 
relève  néanmoins  plusieurs  choses  intéressantes,  que 
l'on  peut   voir   dans   son   livre,   page   195   à  204. 

M.  Bluntschli,  dans  sa  Théorie  générale  de  VEtat, 
nous  révèle  sans  aucun  doute,  le  but  de  cette  entente 
entre  toutes  les  loges  du  monde.  Il  y  enseigne  que 
le  progrès  consiste  à  «  supprimer  tous  les  petiis  Etats, 
et  qu'au-dessus  des  grandes  puissances,  comme  l'Au- 
triche et  la  France,  il  y  a  les  puissances  mondiales 
qui  ont  conscience  de  leurs  droits  et  de  leurs  devoirs 
vis-à-vis  de  l'humanité  entière.  »  «  Pour  que  l'huma- 
nité accomplisse  ses  destinées,  dit-il  encore,  il  faut 
que  les  peuples  qui  la  composent  puissent  accomplir 
les  leurs.  »  Ces  destinées,  c'est,  «  pour  les  peuples 
qui  ont  conscience  d'eux-mêmes  et  qui  se  sentent 
Une  vocation  politique  et  des  qualités  viriles,  »  de 
se  développer  au  détriment  des  autres,  de  ceux  qui 
n'ont  que  des  qualités  féminines.  «  C'est  là  leur  droit 
saint  entre  tous  les  autres.  »  Il  ajoute  :  «  L'humanité 
progressive  ne  trouve  pas  sa  pleine  satisfaction  dans 
les  Etats  particuliers,  elle  les  consume.  Si  VEtat 
universel  se  fonde  un  jour  sur  les  bases  de  l'humanité 
entière,  on  peut  espérer  qu'il  durera  aussi  longtemps 
que    l'humanité    elle-même  »    (p.    86-87). 

Voilà  donc  à  quoi  travaillent  les  Grands-Orients 
du  monde  entier  dans  leurs  relations,  voilà  à  quoi 
le  Pouvoir  occulte  les  pousse  et  les  dirige  :  à  consu- 
mer les  Etats  particuliers  pour  arriver  à  la  constitu- 

1.  Bulletin  du  Grand-Orient,  août-septembre  1894,  p. 
118. 


LA    REPUBLIQUE     UNIVERSELLE  575 

tion  d'un  Etat  universel.  C'est  aux  petits  Etats  qu'on 
s'est  attaqué  d'abord.  La  RévoluUon  française  et  le 
premier  Empire  s'y  sont  employés;  ils  ont  fait  dispa- 
raître une  multitude  de  Principautés,  et  nous  avons 
vu  récemment  le  Piémont  consumer  tous  les  petits 
Etats  d'Italie,  et  la  Prusse  nombre  de  petits  Etats 
allemands.  Bientôt  il  n'y  aura  plus  que  des  «  grandes 
puissances  ».  La  maçonnerie  dit  maintenant  qu'il  faut 
distinguer  parmi  elles.  Il  en  est  qui  ont  ou  à  qui 
l'on  peut  donner  «  conscience  d'elles-mêmes  »,  qui 
ont  ou  à  qui  l'on  peut  suggérer  «  une  vocation  pu- 
blique »,  qui  ont  enfin  «  les  qualités  voulues  pour 
se  développer  au  détriment  des  autres  ».  Il  en  est 
d'autres  à  qui  on  ne  reconnaît  que  des  «  qualités 
féminines  »,  comme  la  France  (1)  et  rAutiiohe.  Lors- 
que les  premières,  en  accomplissement  de  «  leurs 
droits  et  de  leurs  devoirs  »  vis-à-vis  de  l'humanité, 
auront  fait  disparaître  les  secondes,  l'Etat  universel 
sera  bien  près  d'être  fondé  sur  la  base  large  de  l'hu- 
manité entière. 

On  le  voit,  le  Pouvoir  occulte  de  la  franc-maçonnerie 
a  l'art  d'employer  les  Puissances  à  leu:  mutuelle  des- 
truction, pour  élever  son  Temple  sur  les  ruines  •  de 
toutes.  Déjà  en  1811,  J.  de  Maistre  avait  pénétré  ce 
dessein.  Il  écrivait  de  Saint-Pétersbours  à  son  roi, 
ancêtre  de  Victor-Emmanuel  cfui  fut  un  instrument 
si  utile  aux  mains  de  la  secte  :  «  Votre  Maiesté  ne  doit 
pas  douter  un  instant  de  l'existence  d'une  grande  et 
formidable  secte  qui  a  juré  depuis  longtemps  le  ren- 


1.  La  France,  sortant  des  mains  de  ses  rois,  était  si  peu 
considérée  comme  une  puissance  féminine,  que  c'est  d'elle 
que  la  franc-maçonnerie  fit  d'abord  choix  pour  bouleversor 
l'Europe  par  les  guerres  de  la  Révolution  et  de  l'Empire. 
Aujourd'hui,  la  socte  emploie  tout  son  savoir  et  toute  sa 
puissance  à  la  «  féniiniser  »,  en  lui  enlevant  sa  foi  et  en 
désorganisant   son   armée. 


576     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

versement  de  tous  les  trônes;  et  c'est  des  princes 
mêmes  dont  elle  se  sert,  avec  une  habileté  infernale, 
pour  les  renverser...  Jjk.vois  ici  tout  ce  que  nous  avons 
vu  ailleurs,  c'est-à-dire  .une  force  cachée  qui  trompe 
la  souveraineté  et  la  force  de  s'égorger  de  ses  propres 
mains...  L'action  est  incontestable,  quoique  l'agent 
ne  soit  pas  encore  entièrement  connu.  Le  talent 
de  cette  secte  pour  enchanter  les  gouvernements  est 
un  des  plus  terribles  et  des  plus  extraordinaires 
phénomènes  qu'on  ait  vus  dans  le  monde  (^1).  » 

L'agent  est  maintenant  universellement  connu  :  c'est 
le  franc-maçon  et  au-dessus  du  franc-maçon,  le  Jcif. 
La  Bévue  maçonnique,  dans  son  numéro  de  janvier 
1908,  faisait  cet  aveu  :  «  L'activité  hébraïque  dans 
une  partie  de  la  maçonnerie  peut  être  envisagée 
de  différentes  manières.  L'esprit  hébreu,  par  sa  trempe 
historique,  est  un  ferment,  une  levure;  qui  met  en 
mouvement,  d'une  façon  souvent  fort  utile,  la  pâte 
de  la  civilisation  occidentale.  »  Ce  ferment  agit  sur 
la   masse    maçonnique,    et   par   elle    suï    le    monde. 

«  Les  Juifs,  si  remarquables  par  leur  instinct  de 
domination,  par  leur  science  innée  du  gouvernement, 
dit  M.  Bidegain,  ont  créé  la  franc-maçonnerie,  afin 
d'y  enrôler  les  hommes  qui  n'appartiennent  pas  à 
leur  race,  s'engageant  néanmoins  à  les  aider  dans 
leur  œuvre,  à  collaborer  avec  eux  à  l'instauration 
du  règne  d'Israël  parmi  les  hommes. 

»  Est-il  utile  de  répéter  à  de  bons  Français  quo  les 
Juifs  jjui,  disent-ils,  n'ont  point  perdu  leur  foi  en 
la  reconstruction  du  Teiiiple,  cachent,  sous  cette  pa- 
role symbolique,  sous  cette  revendication  '  de  leur 
nationalité,  la  volonté  de  faire,  du  monde  entier, 
un  temple  gigantesque  où  les  enfants  d'Israël  soient 
prêtres  et  rois,  et  où  tous  les  hommes  de  tous  les 

1.  Œuvres  complètes,  t.   XII,   p.   42. 


LA    RÉPUBLIQUE    UNIVERSELLE  577 

climats  et  de  toutes  les  races,  rédaits  à  la  servitude 
par  l'organisation  capitaliste,  travailleront  à  la  gloire 
de  Javeh.  Tout  cela  peut  se  dire,  mais  ne  se  prouve 
pas,  ne  peut  encore  se  prouver.  Ceux-là  seuls,  qui 
crnt  vécu  dans  l'intimité  de  l'Ordre  maçonnique,  qui 
en  ont  deviné  la  pensée  secrète,  —  non  cette  pensée 
que  disent  les  hommes,  mais  celle  qui  se  dégage  des 
faits,  des  symboles,  des  coutumes,  —  ceux-là  seuls, 
peuvent  avoir  la  profonde  conviction  de  cette  vé- 
rité. 

»  C'est  ^râce  à  d'immenses  et  patients  travaux, 
que  les  Israélites  ont  pu  acquérir  la  situation  prépon- 
dérante qu'ils  occupent  aujourd'hui.  C'est  par  de 
savantes  et  subtiles  intrigues  qu'ils  travaillent  à  leur 
triomphe  définitif.  La  domination  financière  et  po- 
litique du  Juif  ne  pourra  s'établir  définitivement  qu'a- 
près la  destruction,  dans  tous  les  pays  —  par  les 
loges,  par  la  presse,  par  les  moyens  divers  que  pro- 
curent l'argent  et  la  ruse  —  de  toujtes  les  institutions, 
de  toutes  les  forces,  de  toutes  les  traditions,  qui  for- 
ment  comme   l'ossature   de  chaque   patrie   (1).  » 

Et  plus  loin  :  «  Les  Juifs  ne  pourront  achever, 
dans  l'avenir,  leur  œuvre  de  s;)oliation  et  de  dénatio- 
nalisation, qu'au  moyen  des  groupements  dits  ré- 
))ublicains,  tels  que  la  Ligue  des  Droits  de  l'Homme 
ou  le  Comité  radical  et  radical-socialiste  —  et  sur- 
tout de  la  franc-maçonnerie.  Grâce  à  leur  or  et  à 
leur  ruse,  ils  dirigent,  d'une  manière  secrète,  ces  so- 
ciétés politiques  vers  le  but  qu'ils  poursuivent  avec 
une  inlassable  énergie  :  la  domination  universelle 
du  peuple  d'Israël  (2).  » 

1.  Jean    Bidegain,    18G-189. 

2.  Ibîd..   256. 


L'Eglise  et  le  Temple. 


CHAPITRE   XLI 
LIDÉE  DE  RÉPUBLIQUE  UNIVERSELLE  EN  FRANGE 


Elle  a  pris  naissance  dans  les  Loges,  il  y  a  près  de 
deux  siècles. 

Dans  un  discours  prononcé  en  1740  à  une  tenue, 
le  duc  d'Antin  dit  :  «  L'amour  de  la  patrie,  mal  en- 
tendu et  poussé  à  l'excès,  détruisait  souvent  dans 
ces  républicfues  (antiques)  guerrières  l'amour  de  Thu- 
manité  en  général...  Le  monde  entier  n'est  qu'une 
grande  république,  dont  chaque  nation  est  une  fa- 
mille, et  chaque  particulier  un  enfant...  » 

En  1792,  fut  publié  à  Paris  un  livre  ayant  pour 
titre  La  République  universelle.  L'auteur  Anacharsis 
Kloost  était  le  baron  J.-B.  Hermann,  Marie  de  Kloost, 
né  à  Guardenthal,  au  duché  de  Clèves.  Les  sociétés 
secrètes  n'eurent  pas  de  membre  plus  zélé.  Il  témoi- 
gna de  bonne  heure  une  grande  sympathie  aux  Juifs. 
Il  dit  dans  son  livre  :  «  Nous  trouverons  de  puissants 
auxiliaires,  de  fervents  apôtres  dans  les  tribus  ju- 
daïques qui  regardent  la  France  comme  une  seconde 
Palestine.  Nos  concitoyens  circoncis  nous  bénissent 
dans  toutes  les  synagogues  de  la  captivité.  Le  Juif 
avili  dans  le  reste  du  monde  est  devenu  citoyen 
français,  citoyen  du  monde  par  nos  décrets  philoso- 
phiques »    (pages    186-187). 


l'idée  de  république  universelle  en  FRANCE  579 

'Fixé  à  Paris  avant  1779,  Anacharsis  Kloots  fut  de 
ceux  qui  préparèrent  le  plus  activement  la  Révolu- 
tion. On  le  vit  paraître  le  19  juin  1790,  à  l'Assemblée 
nationale  avec  une  troupe  de  36  étrangers  qualifiés  : 
V Ambassade  du  genre  humain.  Son  livre  sur  la  Répu- 
blique universelle  lui  valut  de  l'Assemblée  législative 
le  titre  de  citoyen  français  1792.  Sa  doctrine  peut 
se  résumer  en  une  phrase  :  «  Le  genre  humain  vivra 
en  paix  lorsqu'il  ne  formera  qu'un  seul  corps,  la 
nation  unique.  » 

On  peut  constater  aujourd'hui  l'existence  de  la 
même  pensée.  Le  même  esprit  persévère,  maintenu  et 
au  besoin  ravivé  par  la  même  secte. 

Ce  qui  se  passe  en  France  depuis  vingt-cinq  ans, 
et  tout  particulièrement  la  désorganisation,  en  ces 
'derniers  temps,  de  l'armée  et  de  la  marine,  par 
ceux-là  mêmes  qui  président  aux  destinées  du  pays, 
montre  les  progrès  de  cette  idée.  Pour  tous  ceux  qui 
n'ont  point  connaissance  des  pensées  dernières  de 
la  synagogue,  la  construction  du  Temple  qui  doit 
abriter  tous  les  peuples,  en  d'autres  termes,  l'éta- 
blissement d'une  République  humanitaire  sur  les  rui- 
nes de  toutes  les  patries  est  une  douloureuse  énigme. 
Il  est  donc  nécessaire  de  montrer  que  la  maçonnerie 
française  au  moins  dans  les  hauts  sommets  comiaît 
ce  dessein  de  la  maçonnerie  cosmopolite,  et^  pour 
sa  part,   travaille   à  sa  réalisation. 

M,  Prache,  dans  le  rapport  que  nous  avons  déjà 
cité,  dit  (page  191)  :  «  Ouvrons  le  compte  rendu 
de  la  Conférence  maçonnique  internationale  tenue 
à  Anvers  en  1894;  nous  lisons  à  la  page  35,  dans 
un  discours  de  l'un  des  représentants  du  Grand- 
Orient  de  France,  le  F.  • .  Dequaire,  actuellement  ins- 
pecteur d'Académie  à  blende,  cette  invite  adressée 
à  toutes  les  autres  maçonneries  de  l'univers  :  «  Notre 


580         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

maçonnerie  croit  à  la  nécessité  d'exercer  sur  l'opi 
nion  nationale,  et,  par  cette  opinion,  sur  la  marche 
de  notre  gouvernement,  son  influence,  qui,  par  l'ac- 
tion politique,  grandit  en  puissance  au  profit  du 
programme  maçonnique  universel.  »  «  Il  y  a  donc, 
conclut  M.  Prache,  un  programme  maçonnique  univ^er- 
sel,  »  Quel  est  ce  programme?  Quelle  est  l'œuvre 
à  laquelle  doivent  travailler  les  loges  de  France,  de 
concert  avec  les  loges  de  toutes  les  parties  du  monde? 
M.  Prache  le  trouve  dans  ces  paroles  du  même  F.-. 
Dequaire  :  «  La  grande  mission  de  la  France  est  de 
présider  à  l'œuvre  de  V organisation  de  la  démocratie, 
en  un  mot,  à  l'organisation  de  la  RépuhlijUG  univer- 
selle. »  Et  il  renvoie  au  Coinpte  rendu  des  travaux  du 
Grand-Orient  du  16  janvier  au  28  février  1897,  p.  10. 

Quelques  citations  montreront  que  les  loges  fran- 
çaises ne  refusent  point  le  concours  qui  leur  est  de- 
mandé. Nous  ne  remonterons  pas  au  delà  de   1848. 

Garnier-Pagès,  ministre  de  la  seconde  République, 
déclara  publiquement  que  «  les  maçons  voulaient  ache- 
ver l'œuvre  glorieuse  de  la  République;  et  que  cette 
Ré]3ublique  était  destinée  à  être  établie  dans  toute 
l'Europe  et  sur  toute  la  surface  de  la  terre.  » 

J.  Weil,  franc-maçon  juif,  écrivit  :  «  Nous  exerçons 
une  influence  pressante  sur  les  mouvements  de  notre 
temps  et  sur  les  progrès  de  la  cinlisation  vers  la  répu- 
blicanisation  de  tous  les  peuples.  » 

Un  autre  juif,  Louis  Bence,  disait  dans  le  même 
temps  :  «  D'une  main  puissante  nous  avons  secoué 
les  piliers  sur  lesquels  est  basé  l'ancien  édifice  de 
manière  à  le  faire  gémir  (1).  » 

Crémieux,  le  fondateur  de  V Alliance  Israélite  Uni- 
verselle, recevant,  en  qualité  de  membre- du  gouverne- 

1.  Voir  Mgr  Meuriri,  La  Franc-Maçonnerie,  synagogue 
de  Satan,  pp.  197-198. 


l'idée  de  république   universelle   en  FRANCE     581 

ment  j)rovisoire,  les  délégués  de  la  franc-maçonneiie, 
leur  dit  :  «  La  République  fera  ce  que  fait  la  maçon- 
nerie; elle  deviendra  le  gage  éclatant  de  l'union 
des  peuples  sur  tous  les  points  du  globe,  sur  tous  les 
côtés  de  notre  triangle;  et  le  Grand  Architecte  sou- 
rira à  cette  noble  pensée  de  la  République  qui,  se 
répandant  de  toutes  parts,  réunira,  dans  un  même 
sentiment,  tous  les  Jiabitants  de  la  terre  (1).  »  Il 
n'est  pas  inutile  de  rapprocher  de  ces  paroles  celles 
qu'un  maçon  allemand  disait  en  ce  même  moment 
dans  la  loge  de  Gœttingue,  Au  Compas  d'Or:  «  La 
grande  époque  prédite  si  souvent  est-elle  enlin  arri- 
vée, où  notre  association  doit  se  transformer  en 
alliance  universelle  entre  les  membres  de  l'huma- 
nité?... La  liberté  que  réclame  la  génération  ac- 
tuelle, c'est  la  suppression  de  toutes  les  barrières 
(ou  frontières),  devenues  superflues  lorsque  tous  les 
hommes  seront  réunis  en  un  seul  Etat.  » 

Jean  Macé  publia,  en  cette  même  année  1848,  un 
opuscule  intitulé  :  Les  Vertus  d'un  Républicain.  Il  y 
dit  :  «  Le  vent  ^ui  passera  sur  la  France  se  char- 
gera d'emporter,  par  delà  les  fleuves  et  les  monta- 
gnes, les  germes  fécondants  destinés  à  faire  éclore 
les  républiques.  Nous  ferons  la  conquête  du  monde 
sans  quitter  nos  femmes  et  nos  enfants  ».  Jean  Macé 
fut  Tun  des  plus  grands  propagateurs  de  l'idée  de 
la  République  universelle,  comme  il  fut  l'organisateur 
de  la  Ligue  universelle  de  VEnseignemeyit,  agent  de 
l'internationalisme,  aussi  bien  que  de  l'Alliance  Israé- 
lite Universelle  ellie-même.  Malgré  cela,  la  loge  La 
Fraternité  des  Peuples^  avant  de  s'intéresser  à  la 
Ligtie  de  l'Enseignement,  cita  à  sa  barre  M.  Jean 
Macé,   parce   qu'   «  il   paraissait  à  quelques-uns   être 

1.  Histoire  du  Grand-Orient  de  France,  par  Jouaust, 
pp.    502-505. 


582       l'agent  de  la  civilisatiOxN  moderne 

Français  avant  d'être  membre  de  l'humanité  »;  et 
M.  Macé,  par  une  lettre  dont  il  fut  donné  lecture  à  la 
tenue  du  22  juin   1867,   la  rassura  pleinement. 

Victor  Hugo  prêta  aussi,  dès  1848,  sa  voix  sonore  à 
l'union  des  peuples,  à  la  confusion  des  races,  à  oe 
point  qu'on  l'appela  «  ïe  barde  de  l'humanitarisme  ». 
Présidant  le  congrès  de  la  Paix  qui  eut  lieu  à  Pajis 
en  1849,  il  signifia,  au  nom  de  l'Evangile,  devant  deux 
mille  personnes,  à  la  France,  à  l'Angleterre,  à  la 
Prusse,  à  l'Autriche,  à  l'Espagne,  à  la  Russie,  qu'un 
jour  les  armes  leur  tomberaient  des  mains.  11  déclara 
entrevoir  les  Etats-Unis  d'Europe  tendant  les  bras 
aux  Etats-Unis   d'Amérique  par-dessus   les  mers   (1). 

Plus  tard,  il  s'écriait  dans  les  Châtiments:  «  Plus 
de  soldats  l'épée  au  poing!  plus  de  frontières!  » 
Dans  sa  préface  au  Paris-Guide,  il  acclamait  les 
Allemands  comme  nos  «  concitoyens  dans  la  cité 
philosophique  »,  «  nos  compatriotes  dans  la  patrie- 
liberté  ».  Le  l^'^  mars  1871,  à  l'Assemblée  de  Bor- 
deaux, il  souhaitait  à  la  France  de  reconquérir  la 
rive  gauche  du  Rhin,  mais  pour  le  plaisir  d'en  faire 
présent  à  l'Allemagne  en  lui  disant  :  «  Plus  de  fron- 
tières! Le  Rhin  à  tous!  Soyons  la  même  République, 
les    Etats-Unis    d'Europe,    la   paix   universelle    (2).  » 

Déjà  en  1859,  lors  du  départ  de  Napoléon  III 
pour  la  guerre  d'Italie,;  observe  M.  Goyau,  à  qui  nous 
avons   emprunté   la  plupart   de   ces   citations,   tirées 

1.  Actes    et    paroles.    Avant    Vexil,    II,    pp.    160-161. 

2.  Actes    et    paroles.    Depuis    Vexil,    1870-71,    p.    90. 
C'est  aux  eavirons  de   1850  que  la  formule  «  Etats-Unis 

d'Europe  »  apparut  dans  l'histoire.  On  la  trouve  sur  les 
lèvres  de  Victor  Hugo  dans  le  discours  par  lequel,  en 
1849,  il  ouvrit  le  congrès  de  la  Paix  tenu  à  Paris.  Elle 
apparaît  en  même  temps  en  Italie  et  en  Belgique.  Au 
congrès  de  Lausanne,  en  1869,  Victor  Hugo,  qui  présidait 
encore,  employa  une  autre  formule  :  «  Nous  voulons  la 
grande    République    continentale.  » 


l'idée  de  république  universelle  en  FRANCE  583 

de  son  livre  :  L'idée  de  Patrie  et  r Humanitarisme, 
les  ouvriers  parisiens  acclamaient  l'empereur,  parce 
qu'ils  voyaient  dans  cette  guerre  la  réalisation  de 
l'idée  de  l'émancipation  des  peuples  et  de  la  frater- 
nité   entre   les   peuples   émancipés. 

C'est  que  ces  idées,  répandues  dans  le  public  par 
les  journaux  et  par  la  suggestion  des  loges,  péné- 
traient déjà  profondément  dans  la  masse  du  peu- 
ple. Aux  approches  des  entreprises  de  la  Prusse 
sur  tous  ses  voisins,  elles  furent  propagées  avec 
plus  d'ardeur.  En  1864,  M.  Boutteville,  professeur 
à  Sainte-Barbe,  proclamait  que  la  maçonnerie  devait 
construire  «  le  Temple  symbolique  de  la  République 
universelle  ».  La  Ruche  maçonnique  expliquait  com- 
ment cela  pouvait  se  faire.  Elle  souhaitait  que  l'unité 
maçonnique,  prélude  de  l'unité  universelle,  émanât 
d'un  centre  unique,  lequel  donnerait  l'impulsion  in- 
tellectuelle et  administrative  aux  centres  secondaires, 
un  pour  chaque  Etat.  Rebold  énonçait  le  projet  d'une 
confédération  maçonnique  universelle  conduisant  dans 
un  temps  donni  à  la  con!éd 'ration  de  l'hjmanité  (1). 

Deux  ans  plus  tard,  en  juin  1866,  Varlin,  qui  devait 
devenir  le  communard  de  1871,  adressait  un  mani- 
feste aux  travailleurs  parisiens  où  on  lisait  :  «  La 
démocratie  monte...  monte  et  grandit  sans  cesse... 
La  démocratie  n'est  ni  française,  ni  anglaise;  elle  n'est 
pas  plus  autrichienne  qu'allemande;  les  Russes  et 
les  Suédois  en  font  partie  comme  les  Américains  e.t 
les  Espagnols;  en  un  mot,  la  démocratie  est  univer- 
selle! » 

Aux  congrès  de  Genève,  de  Lausanne,  do  Berne, 
du  Havre,  qui  eurent  lieu  à  cette  époque,  le  cri 
le  plus  fréquemment  répété,  fut,  avec  celui  de  haine 
à  l'Eglise   catholique  :   «  Plus   de   frontières!  » 

1.  Histoire    des    trois    granides    loges,    pp.    552-662. 


584       l'agent  de  la  civilisation  moderne 

La  maçonnerie  fait  répandre  cette  ldé3  jusque  dans 
les  écoles.  M.  Edgar  Monteil,  le  préfet  que  l'on  sait, 
dans  son  «  Catéchisyne  du  Libre-Fenseur,  dédié  à  la 
franc-maçonnerie  universelle,  association  internatio- 
nale et  fraternelle,  force  organisée  »,  salue  les  temps 
futurs  où,  «  le  progrès  aidant,  les  frontières  seront 
abaissées,  où  on  ne  connaîtra  plus  que  la  Société.  »  11 
redit  la  même  chose  dans  son  Manuel  d'Instruction 
laïque. 

Les  feuilles  pédagogiques,  publiées  par  des  ins- 
pecteurs d'académie,  telles  que  Le  Volume,  L'Ecole 
nouvelle,  La  Mevue  de  V Enseignement  'primaire,  L'U- 
nion coopérative,  L'Ecole  laïque,  etc.,  se  montrent 
■ennemies  déclarées  de  nos  institutions  militaires.  «  Ar- 
rachez, renversez,  proscrivez,  dit  L'Ecole  laïque,  tout 
ce  qui,  dans  vos  ouvrages^  sur  vos  cahiers  eu  dans  vos 
classes,  célèbre  la  gloire  du  sabre.  »  «  A  vous,  l-es 
instituteurs,  dit-elle  encore,  de  faire  pénétrer  ces  idées 
dans   les   cerveaux   des   paysans.  » 

La  Revue  de  V enseignement  primaire  est  actuelle- 
ment dirigée  par  M.  Hervé,  —  l'homme  du  drapeau 
dans  le  fumier.  —  Elle  ne  compte  pas  moins  de 
qfuatorze  mille  instituteurs  abonnés,  et  donne  le  ton 
à  plus  de  trente  mille.  C'est  des  bureaux  de  VEn- 
seignement  primaire  que  sortent  les  Bulletins  des 
soixante  Amicales  d'instituteurs  et  d'institutrices.  En 
1904,  elle  publia  dans  la  partie  destinée  aux  élèves, 
les  paroles  et  la  musique  de  V Internationale,  avec  le 
fameux  couplet  : 

S'ils    s'obstinent,    ces    cannibales, 
A   faire  de   nous   des  héros, 
Ils  sauront  bientôt  que  nos  balles 
Sont  pour  nos  propres  généraux. 

Le  même  M.  Hervé  doana  cet  avertissement  au 
pays,  en  avril  1905,  dans  le  Fioupiou: 


l'idée  de  république  universelle  en  FRANCE  585 

«  Nous  déclarons  que,  quel  que  soit  le  gouver- 
nement qui  sera  agresseur,  nous  nous  refuserons  à 
donner  une  goutte  de  notre  sang.  Nous  sommes 
décidés  à  répondre  à  l'ordre  de  mobilisation  par  la 
grève  des  réservistes  (1).  » 

Il  y  a  quelques  années,  deux  journaux.  L'instruc- 
tion primaire  et  L'Union  pédagogique  française,  es- 
sayèrent de  relever  le  culte  du  drapeau  national. 
Ces  deux  organes  ne  trouvèrent  pas  de  clientèle  par- 
mi les  cent  mille  instituteurs  formés  par  M.  Buis- 
son. 

L'internationalisme  va-t-il  s'infiltrer  jusque  dans  les 
associations  de  jeunes  gens  catholiques  ?  Dans  la  con- 
férence publique  qu'il  donna  le  23  mars  1903  dans 
la  salle  des  Mille-Colonnes,  M.Marc  Sangnier,  voyant 
son  auditoire  imbu  d'idées  humanitaires,  crut  devoir 
lui  faire  ces  avances  :  «  Nous  aimons  passionnément 
la  France,  mais  nous  la  considérons  comme  le  champ 
d'expérience  de  l'humanité,  et  nous  sommes  en  quel- 
que   sorte    des   patriotes    internationalistes    (2).  » 

1.  La  majorité  du  corps  enseignant  dans  l'enseignement 
primaire  est  gangienée  non  seulement  par  rinternationa- 
lisme,  mais  par  le  socialisme.  En.  1904,  à  la  suite  du 
discours  prononcé  le  3  juin,  par  M.  Chaumié,  ministre 
de  l'instruction  publique,  au  sujet  de  l'introduction  dans 
certaines  écoles  du  Manuel  d'histoire  de  M.  Hervé,  la 
Revue  de  V Enseignement  primaire  écrivait  :  «  Nous  som- 
mes quelque  trente  mille  instituteurs  socialistes  en  Fran- 
ce... Ajoutez  à  cela  trente  ou  quarante  mille  radicaux- 
socialistes...  Il  ne  faudra  pas  vous  étonner  si,  dans  quel- 
ques années,  votre  successeur  se  trouve  à  la  tête  d'une 
petite  armée  de  quatre-vingt  mille  éducateurs  socialistes.  » 

2.  Le   Sillon,   n»    du    4  juin    1903,    p.    406. 

Les  Juifs  sont  internationalistes  depuis  leur  dispersion. 
Est-ce  qu'il  n'est  pas  absolument  logique,  absolument  na- 
turel de  penser  que  l'internationalisme  juif  n'est  pas  ab- 
solument étranger  à  l'internationalisme  révolutionnaire  ? 
Ça  l'est  d'autant  moins  qu'on  voit  actuellement,  en  France, 
les  journaux,  révolutionnaires  «  actionnés  »  par  los  Juifs, 
et  en  Russie,  les  révoltes  organisées  par  les  mêmes  juifs. 


*586         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

Mais  on  ne  se  borne  point  à  semer  l'idéo,  on  tra- 
vaille à  sa  réalisation,  et  tout  d'abord  en  paraly- 
sant les  nations  marquées  pour  disparaître  les  pre- 
mières. Qui  peut  .avoir  oublié  les  efforts  qui  furent 
faits^  après  la  victoire  de  la  Prusse  sur  l'Autriche, 
pour  empêcher  la  France  de  tenir  son  armée  en 
état  de  résister  à  l'assaut  qui  allait  lui  être  livré  (1)! 

En  mai  1869,  Gambetta  posant  sa  candidature  à 
Paris  contre  Carnot,  laissait  inscrire  dans  son  cahier 
électoral  «  la  suppression  des  armées  permanentes, 
cause  de  ruine  pour  les  finances  et  les  affaires  de 
la  nation,  source  de  haine  entre  les  peuples  et  de 
défiance  à  l'intérieur  ».  Jules  Simon  disait  dans  le 
même  temps  :  «  Quand  je  dis  que  l'armée  que  nous 
voulons  faire  serait  une  armée  de  citoyens  et  qu'elle 
n'aurait  à  aucun  degré  l'esprit  militaire,  ce  n'est  pas 
une  concession  que  je  fais,  c'est  une  déclaration  et 
une  déclaration  dont  je  suis  heureux.  Car  c'est  pour 
qu'il  n'y  ait  pas  en  France  d'esprit  militaire  que 
nous  voulons  avoir  une  armée  de  citoyens  qui  soit 
invincible  chez  elle  (!)  et  hors  d'état  de  porter  la 
guerre  au  dehors.  S'il  n'y  a  pas  d'armée  sans  es- 
prit militaire,  que  nous  ayons  une  armée  qui  n'en 
soit  pas  une.  »  L'année  précédente,  il  avait  dit  (Séance 
du  17  juillet  1868)  :  «  L'armée,  puisqu'on  dit  qu'il 
en  faut  une...  »  Les  gauches  applaudissaient,  elles 
réclamaient  le  désarmement  universel,  de  sorte  que 
M.  Caro  put  écrire  d'elles,  au  moment  de  nos  dé- 
sastres, qfu'elles  avaient  «  préparé  de  toutes  leurs 
forces,  en  fait,  le  désarmement  de  la  France.  »  C'est 
bien  ici  le  cas  de  redire  le  mot  de  M.  Montégut  :  «  Une 
sorte  d'émulation  patricide  règne  dans,  le  camp  de 
la  démocratie   (2)?  » 

1.  Voir  Groyau  :  L'idée  de  la  Patrie  et  V Humanitarisme, 
chap.   I. 

2.  Libres    opinions    morales    et    historiques,    p.    367. 


l'idée  de  république  universelle  en  FRANCE  587 

On  le  voit,  ce  n'est  nullement  Hervé  qui  a  in- 
venté l'Hervéisme.  Il  s'est  borné  à  répéter  sur  le 
militarisme  et  soir  l'armée  les  paroles  que  les  répu- 
blicains plus  ou  moins  affiliés  aux  loges  n'ont  cessé 
depuis  quarante  ans  d'imprimer  dans  leurs  journaux 
et  de  clamer  dans  leurs  meetings. 

Dans  son  ouvrage  sur  Vidée  de  Pairie  et  VHuma- 
nitarisme,  M.  Georges  Goyau  nous  montre  Buisson 
pérorant  au  Congrès  de  Lausanne,  en  1869.  «  Il  fallait, 
disait-il,  aller  dans  les  villages,  y  distribuer  de  petits 
papiers  et  de  petits  livres  contre  la  guerre,  contre 
toutes  les  livrées,  contre  le  Dieu  des  armées,  contre 
les  conquérants;  et  sa  conclusion  fut  qu'on  ne  de- 
vait point  craindre  les  poursuites,  la  prison,  «  et 
qu'un    jour    il    faudrait    refuser    de    se    soumettre.  » 

N'est-ce  pas  là  de  l'hervéisme  en  plein?  Quand 
J.  Ferry  sera  ministre  de  l'Instruction  publique,  il 
n'aura  rien  de  plus  pressé  que  d'appeler  près  de 
lui  ce  Buisson  et  de  lui  confier  la  réforme  de  l'en- 
seignement primaire. 

Dans  nos  désastres,  quelques-uns  saluaient,  semb!e- 
t-il,  l'acheminement  à  la  réalisation  de  leur  rêve. 
Le  Siècle  du  10  juillet  1870,  dans  un  article  signé 
d'Henri  Martin,  appelait  Garibaldi  en  France  et  di- 
sait :  «  Garibaldi  vaut  plus  qu'une  armée  et  plus 
qu'un  peuple,  car  il  vient  au  nom  de  tous  les  peu- 
ples et  il  apporte  avec  lui  le  droit  universel,  l'idéal 
de  l'universelle  humanité.  »  Trois  mois  plus  tard, 
un  futur  député  de  Tours,  Armand  Rivière,  escorté 
d'une  délégation,  présentait  à  Garibaldi  et  à  quel- 
ques députés  républicains  d'Espagne,  les  hommages 
de  la  démocratie  tourangelle  et  disait  :  «  Lorsque, 
républicains  français, .  italiens,  espagnols,  nous  au- 
rons vaincu  l'ennemi  commun  (non  la  Prusse,  mais 


588         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

le  sacerdoce  catholique),  nous  aurons  jeté  les  fon- 
dements de  cette  grande  fédération  à  laquelle  vien- 
dront s'associer  nos  frères  les  démocrates  allemands 
et  qui  formera  bientôt  les  Etats-Unis  d'Europe.  »  Et  ces 
garibaldiens,  trouvant  un  drapeau  prussien  enseveli 
sous  des  cadavres,  le  renvoyaient  à  l'armée  prus- 
sienne en  disant  :  «  Nous  sommes  venus  pour  dé- 
fendre la  République  française  au  nom  de  la  fraternité 
humaine,  dont  nous  n'avons  jamais  entendu  exclure 
le  peuple   allemand   (1).  » 

En  avril  1860,  Garibaldi,  se  préparant  avec  la  con- 
nivence de  l'Angleterre  à  son  expédition  en  Sicile^ 
avait  été  reçu  Grand-Maître  de  la  franc-maçonnerie 
italienne.  Ceux  qui  le  recevaient  lai  dirent  :  «  Dis 
maintenant  avec  nous  notre  serment  suprême.  »  Et  il 
dit  :  «  Je  jure  de  n'avoir  d'autre  patrie  que  la  pa- 
trie universelle;  —  je  jure  de  combattre  à  outrance, 
toujours  et  partout,  les  bornes  frontières  des  nations^ 
les  bornes-frontières  des  champs  et  des  ateliers;  et 
les  bornes-frontières  des  familles.  Je  jure  de  ren- 
verser, en  y  sacrifiant  ma  vie,  la  borne-frontière  où 
les  humanicides  ont  tracé  avec  du  sang  et  de  la  boue 
le   nom   de   Dieu   (2).  » 

La  Commune  manifesta  les  m.êmes  sentiments  que 
les  Garibaldiens  Dans  sa  proclamation  du  28  mars 
1871,  elle  disait  aux  Prussiens  :  «  Prêchez  d'exemple 
en  prouvant  la  valeur  de  la  liberté,  et  vous  arri- 
verez au  but  prochain  :  la  République  universelle  (3)  ». 
Dès  la  première  séance,  le  28  mars,  Delescluze  écrit 
à  la  garde  nationale  :  «  Votre  triomphe  sera  le  saJut 

1.  Les  Etats-Unis  d'Europe.  Revue  publiée  par  Charles 
Lemonnier,    1er   mars    1877. 

2.  L'Ennemie  sociale,  par  M.  Rosen,  de  race  juive. 

3.  Réimpression  du  Journal  officiel  de  la  Commune, 
30   mars,   p.    106. 


l'idée  de  république   universelle   en   FRANCE     589 

pour  tous  les  peuples.  Vive  la  République  univer- 
selle! (1)  ».  Ce  cri  se  retrouve  dans  presque  tous 
les   manifestes   des   communards. 

Arrivons  aux  jours  présents.  Le  juif  Alfred  Naquet 
publia  en  1901  un  livre  sous  ce  titre  :  L'Humanité 
et  la  Patrie.  Un  Espagnol,  M.  Lozano,  le  résame 
ainsi  :  «  Le  patriotisme  du  Français  véritable  consiste 
à  n'avoir  point  de  patrie.  »  M.  Naquet  y  reproche 
à  Gambetta  de  n'avoir  pas  eu  assez  souci  de  la 
défense  républicaine,  pour  avoir  pris  exclusivement 
à  cœur  la  défense  du  territoire.  Il  dit  que  quand 
l'homme  ne  sera  plus  empêtré  dans  les  lisières  na- 
tionales, chaque  membre  de  la  communauté  aura  une 
part  plus  grande  à  la  consommation  et  une  somme 
plus  grande  de  jouissances,  —  ce  que  promet  la 
civilisation  maçonnique.  —  Sa  conclusion  est  que, 
sur  les  décombres  des  patries  nivelées,  se  fondera 
la  République  des  Etats-Unis  de  la  civilisation,  dont 
la  France  ne  sera  qu'un  canton;  de  sorte  que,  deux  mil- 
le ans  après  l'infructueux  essai  du  Christ  pour  réaliser 
la  Paix  universelle,  l'avènement  définitif  du  Messie- 
humanité  —  lisez  l'Antéchrist  —  marquera  le  triom- 
phe de  l'ancien  rêve  judaïque.  f 

Le  22  juin  1902,  a  eu  lieu  à  Saint-Mandé  un  ban- 
quet franco-italien  sous  la  présidence  d'honneur  de 
M.  Jaurès,  dont  les  déelarations  à  la  Chambre  au 
sujet  de  i'Alsace-Lorraine  ont  eu  du  i^tentissement 
dans  l'Europe  entière,  et  sous  la  présidence  effective 
de  MM.  Cerutti  et  Sadoul.  Dans  leurs  toasts,  ils  ont 
exprimé  l'espoir  que  cette  fête  consacrerait  bientôt 
l'union  de  tous  les  peuples.  Leurs  paroles  ont  été 
accueillies  par  les  cris  de  :  «  Vive  l'Internationale!  » 
M.  Jaurès,  lui,  a  dit  :  «  Je  me  félicité  que  les  deux 

1.  Ihid.,  p.  527. 


590      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

peuples  soient  rapprochées  à  l'heure  où  Tua  et  l'au- 
tre secouent  le  joug  de  la  tyrannie  cléricale.  » 

En  1905,  parut  un  livre  intitulé  :  Four  la  Faix. 
Le  Journal  des  Instituteurs  en  donna  le  programme 
en  ces  termes  :  «  Faire  la  guerre  à  la  guerre.  Anéan- 
tir les  'frontières,  qui  ne  sont  que  des  préjugés. 
Assurer  au  prolétariat  du  monde  une  ère  de  justice 
et  d'humanité..  »  Après  avoir  fait  l'exposé  de  cette 
belle  thèse,  le  Journal  des  Instituteurs  l'approuve  : 
«  Nous  qui  avons  toujours  considéré  les  guerres  et 
leur  histoire  comme  un  non-sens  et  un  crime,  nous 
ne  pouvons  qu'applaudir  à  l'apparition  de  Pour  la 
Paix.  » 

Une  association  internationale  ayant  pour  devise  : 
«  Ni  frontières,  ni  Dieu  »,  paraît  avoir  actuellement 
pour  chefs,  en  France,  les  députés  Jaurès  et  Pres- 
sensé;  en  Italie,  les  députés  Enrico,  Ferri  et  Bovio; 
en  Espagne,  Soriano.  Son  but  est  de  travailler,  sous 
les  auspices  des  mânes  de  Garibaldi,  à  l'union  des 
Etats  latins  sous  le  rédme  républicain,  pour  la  guerre 
au  catholicisme.  On  aura  ainsi  franchi  l'une  des  éta- 
pes qui  doivent  conduire  au  but  ultime  que  la  syna- 
gogue a  assigné  aux  sociétés   secrètes. 

Ces  idées  et  ces  projets  viennent  des  prophètes 
de  la  Révolution,  de  J.-J.  Rousseau,  nous  l'avons 
montré,  et  auparavant  de  Weishaupt. 

Dans  le  discours  que  l'Hiérophante  adresse  à  celui 
qu'il  initie  au  grade  d'Epopte,  nous  lisons  :  «  A  l'ins- 
tant où  les  hommes  se  réunirent  en  nation  (en  vertu 
du  contrat  social),  le  nationalisme  ou  l'amour  national 
prit  la  place  de  l'amour  général.  Avec  la  division 
du  globe  et  de  ses  contrées,  la  bienveillance  se  res- 
serra dans  des  limites  qu'elle  ne  devait  plus  fran- 
chir. Alors  ce  fut  une  vertu  de  s'étendre  aux  dépens 


l'idée  de  république  universelle  en  FRANCE  591 

de  ceux  qui  ne  se  trouvaient  pas  sous  notre  empire. 
Cette  vertu  fut  appelée  le  patriotisme.  Et  dès  lors, 
pourquoi  ne  pas  donner  à  cet  amour  des  limites 
plus  étroites  encore?  Aussi  vit  on  alors  du  patriotisme 
naître  le  localisme,  l'esprit  de  famille  et  enfin  l'égoïs- 
me.  Diminuez,  retranchez  cet  amour  de  Ja  patrie, 
les  hommes  de  nouveau  apprennent  à  se  connaître 
et  à  s'aimer  comme  hommes...  Les  moyens  de  sor- 
tir de  cet  état  d'oppression  et  de  remonter  à  l'ori- 
gine de  nos  droits,  sont  les  écoles  secrètes  de  la 
philosophie  (les  enseignements  donnés  dans  les  ar- 
rière-loges). Par  ces  écoles,  un  jour,  sera  réparée 
la  chute  du  genre  humain;  les  princes  et  les  na- 
tions disparaîtront  sans  violence  (  ?)  de  de:5sus  terre. 
La  raison  alors  sera  le  seul  livre  dos  lois,  le,  seul 
code  des  hommes  (1).  » 

Jamais,  dira-ton,  ceUe  république  universelle  ne 
pourra  se  réaliser.  L'Empire  romain  lui-même  n'a 
pu  arriver  au  terme  de  son  ambition,  dans  les  limi- 
tes restreintes  que  lui  offrait  le  monde  alors  connu. 

A  cela,  M.  Favière  répondait  récemment  :  «  Les 
causes  de  l'effondrement  de  l'Empire  romain  furent 
d'ordre  purement  économique.  L'Empire  périt  par  la 
pénurie  des  ressources  matérielles.  Il  arriva  qu'on 
ne  put  plus  gouverner  ni  défendre  un  empire  dé- 
mesuré, qui  n'avait  que  des  courriers  pour  porter  les 
ordres  de  Constantinople  à  Cadix.  »  Aujourd'hui  il 
n'en  est  plus  de  même.  Ce  qui  alors  était  impossible 
est  devenu  réalisable.  «  Ce  sont  les  chemins  de  fer, 
continue  M.  Favière,  c'est  la  navigation  à  vapeur 
et  le  télégraphe,  c'est  surtout  l'immense  puissance 
contributive  de  l'Etat  moderne  sustentant  de  ver- 
tigineux budgets,  qui  permettent  à  la  Russie  la  con- 

1.  Barruel,   t.   III,   p.   184. 


592     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

quête  de  l'Asie  centrale,  aux  Etats-Unis,  la  mise 
en  valeur  de  leur  immense  territoire,  et  à  l'Angleterre 
l'exploitation  d'un  empire  dispersé  aux  quatre  vents 
de  la  Planète  (1).  »  Que  ces  forces,  ces  puissances, 
qui  n'ont  point  encore  dit  leur  dernier  mot,-  soient  aux 
mains  d'un  homme  de  génie,  tel  que  Napoléon,  ou 
d'un  plus  puissant  esprit  encore,  assisté  par  les  Puis- 
sances infernales,  tel  que  sera  l'Antéchrist,  et  l'Etat- 
Unique,  embrassant  la  totali:é  du  genre  humain,  ne 
tardera  point  à  être  une  réalité.' 


1.  Réforme   sociale,    1903.   Le   Progrès. 


CHAPITRE    XLII 

LA  RÉPUBLIQUE  UNIVERSELLE  EN  VOIE 
DE  FORMATION 


A  la  mort  de  l'empereur  Joseph,  Léopold,  son 
successeur,  appela  près  de  lui  le  professeur  Hoffmann, 
q^u'il  savait  avoir  été  sollicité  de  consacrer  sa  plume 
à  la  cause  de  la  Révglution.  Celui-ci  lai  rapporta 
que  Mirabeau  avait  déclaré  à  ses  confidents,  avoir 
en  Allemagne  une  correspondance  très  étendue.  Il 
savait  que  le  système  de  la  Révolution  embrasserait 
l'univers;  que  la  France  n'était  que  le  théâtre  choisi 
pour  une  première  explosion,  que  les  propagandistes 
travaillaient  les  peuples  sous  toutes  les  zones,  que 
les  émissaires  étaient  répandus  dans  les  quatre  par- 
ties du  monde  et  surtout  dans  les  capitales  (1). 

D'autres  Conventionnels  témoignèrent  plus  d'une 
fois  être  dans  le  secret  des  ambitions  ultimes  de 
la  secte.  Un  député  du  Cantal,  Milhaut,  parlant,  à 
la  Loge-Club  des  Jacobins,  de  la  réunion  de  la  Savoie 
à  la  France,  saluait  le  renversement  de  tous  les 
trônes,  «  suite  prochaine,  disait-il,  du  succès  de  nos 
armes    et   du   volcan   révolutionnaire  »;   et    il    expri- 

1.  Barruel,   t.  V,   p.   224. 

L'Église  et  le  Temple.  38 


594        L'AGENT     DE     LA     CIVILISATION     MODERNE 

mait  le  vœu  que,  de  toutes  les  Conventions  nationales 
qui  seraient  établies  sur  les  ruines  de  tous  les  trônes,; 
un  certain  nombre  de  députés  extraordinaires  formas- 
sent, au  centre  du  globe,  une  Convention  universelle 
qui  veillerait  sans  cesse  au  maintien  des  droits  de 
l'homme  par  tout  l'univers  (1).  En  d'autres  termes, 
elle  aurait  pour  mission,  de  veiller  à  maintenir  les 
hommes  dans  la  Révolution,  dans  leur  révolte  contre 
Dieu,  dans  l'ordre  purement  naturel.  Remarquons, 
en  passant,  qu'un  même  nom,  peu  modifié,  —  Cou- 
vent, Convention,  —  sert  à  désigner  les  assemblées 
générales  de  la  franc-maçonnerie,  l'Assemblée  révo- 
lutionnaire, de  1789  et  l'Assemblée  à  venir  des  dé- 
putés  de  toutes  les  parties  du  monde   (2). 

1.  Cité  par  Thiers,  Histoire  de  la  Révolution,  t.  IV,  p. 
434. 

2.  Le  gouvernement  des  loges  a  servi  de  type,  aux 
hommes  de  la  Révolution,  pour  réorganiser  la  France. 
«  Le  gouvernement  de  la  franc-maçonnerie,  dit  le  F.:.  Ra- 
gon  {Cours  philosophique,  pp.  7,  9,  377  et  suiv.)  était  au- 
trefois divisé  en  départements,  en  loges  provinciales,  qui 
avaient  leurs  subdivisions.  L'Assemblée  nationale,  consi- 
dérant la  France  cojnme  une  grande  loge,  décréta  que 
son  territoire  serait  distribué  suivant  les  mêmes  divisions. 
Les  municipalités  ou  communes  répondent  aux  loges  ;  elles 
correspondent  à  un  centre  commun  pour  former  un  can- 
ton. Un  certain  nombre  de  cantons,  correspondant  à  un 
centre  nouveau,  composent  un  arrondissement  ou  district, 
actuellement  une  sous-préfecture,  et  plusieurs  sous-préfec- 
tures forment  un  département.  Les  grandes  loges  de  pro- 
vince avaient  un  centre  commun,  dans  la  Constituante.  » 
C'est  l'ébauche  de  la  façon  dont  sera  organisée  la  Répu- 
blique universelle. 

Le  F.  : .  A.  J.  Régnier,  dans  un  discours  aux  Conférences 
maçonniques  de  Lyon,  prononcé  le  22  mai  1882,  a  dit 
de  même  :  «  Le  régime  républicain  est  calqué  sur  nos 
institutions.  »  Et  le  Bulletin  maçonnique,  livraison  de  dé- 
cembre 1890,  pp.  229,  230  :  «  La  préoccupation  de  la 
maçonnerie  a  toujours  été  d'amener  dans  Vordre  politi- 
que l'avènement  de  la  forme  républicaine,  et  dans  l'ordre 
philosophique  le  triomvhe  de  la  libre-pensée.  On  peut  dire 
qu'elle   n'a   jamais    failli    à  sa   mission.  » 


RÉPUBLIQUE  UNIVERSELLE  EN  VOIE  DE  FORMATION      595 

A  la  fin  du  XV1II<^  siècle,  ce  projet  de  gouverner 
le  genre  humain  tout  entier,  par  une  Convention  uni- 
que, placée  au  centre  du  monde  et  composée  des 
députés  des  Conventions  établies  dans  les  anciens 
royaumes  réduits  à  l'état  de  départements,  pouvait 
paraître  fou.  Mais  aujourd'hui,  à  l'entrée  du  XX® 
siècle,  où  nous  voyons  le  globe  entier  sillonné  par 
les  fils  télégraphiques,  les  chemins  de  fer,  et  les 
steamers,  le  messie  attendu  par  les  Juifs  pourrait 
facilement  tenir  le  monde  entier  dans  sa  main,  et 
le  gouverner  par  une  Convention  centrale  en  rapport 
avec  des   Conventions  locales. 

On  peut  voir  dans  Deschamps,  t.  II,  p.  150  et  suiv., 
l'aide  que  la  Convention,  puis  Napoléon,  reçurent  de 
la  franc-maçonnerie  en  Allemagne,  en  Belgique,  en 
Suisse  et  en  Italie,  pour  essayer  de  former  les  Etats- 
Unis  d'Europe,  acheminement  vers  l'Etat-Humanité  (1). 
Le  projet  n'a  jamais  été  abandonné;  l'exécution  a 
subi  plus  d'une  fois  des   reculs,  mais  pour  être  re- 

1.  La  duchesse  de  Dino,  qui  vivait  dans  une  intimité  de  fa- 
mille avec  la  Cour  de  Prusse,  a  noté  —  c'est  à  la  date  du 
25  juin  1860,  pendant  l'entrevue  solennelle  de  Bade  — 
un  entretien  entre  l'empereur  des  Français  et  le  prince 
régent  de  Prusse,  qui  sera  le  futur  empereur  d'Allemagne, 
Guillaume  Jer^  proclamé  à  Versailles  dans  la  grande  ga- 
lerie de  Louis  XIV  ! 

C'est    Napoléon    III    qui    parle  : 

«  Que  pour  en  finir  avec  les  révolutions,  il  fallait  faira 
partout  de  grands  Etats;  que  l'Italie  devait  redevenir  V Em- 
pire romain  ;  que  l'Allemagne  devait  devenir  V Empire  prus- 
sien; que  les  petites  populations  françaises,  de  langue  et 
de  mœurs,  qui  longent  les  frontières  de  la  France  :  la 
Belgique,  le  canton  de  Vaud,  ceux  de  Neuchàtel  et  de 
Genève,  devaient  rentrer  dans  V Empire  français;  qu'alors 
les  nationalités  seraient  satisfaites,  les  ambitions  aussi; 
que  les  imaginations  auraient  de  l'espace,  que  ce  qui  fai- 
sait les  révolutions  étaient  les  petits  qui  voulaient  devenir 
grands;  que  du  jour  où  il  n'y  aurait  que  des  grands,  en 
petit  nombre,  mais  unis  entre  eux.  on  aurait  bon  marché  des 
révolutionnaires  ;  que  les  grands  Empires,  c'est  la  paix  !  » 


590         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

prise  aussitôt  que  les  circonstances  le  permettaient. 
L'unification  de  l'Italie,  l'unification  de  l'Allemagne, 
les  ambitions  des  Etats-Unis,  appelés  peuL-être  à  re- 
cueillir de  l'Angleterre  l'empire  des  mers,  le  mouve- 
ment qui  agite  l'Extrême-Orient  font  progresser  de 
jour  en  jour,  sur  tous  les  points  du  globe,  la  mar- 
che vers  l'unité  politique.  Avant  cent  ans,  cinquante 
peut-être,  deux  ou  trois  empires,  grossis  par  la  «  con- 
sumation  »  des  nationalités  de  second  ordre,  pourront 
se  heurter  dans  un  conflit  suprême  pour  laisser  le 
vainqueur  libre  et  maître  de  disposer  à  son  gré  des 
destinées  du  monde.  N'est-ce  point  le  pressentiment 
qui  s'est  élevé  dans  tous  les  esprits  éclairés,  qui  a 
été  manifesté  partout,  dès  qu'a  éclaté  la  ^guerre  entre 
la  Russie  et  le  Japon? 

«  Renverser  toutes  les  frontières,  dit  M.  Claudio 
Janet  dans  la  continuation  de  l'ouvrage  du  P.  Des- 
champs, abolir  toutes  les  nationalités,  en  commen- 
çant par  les  petites,  pour  ne  faire  qu'un  seul  Etat; 
effacer  toute  idée  de  patrie;  rendre  commune  à  tous 
la  terre  entière,  qui  appartient  à  tous;  briser,  par 
la  ruse,  par  la  force,  tous  les  traités;  tout  préparer 
pour  une  vaste  démocratie  dont  les  races  diverses, 
abruties  par  tous  les  genres  d'immoralités,  ne  seront 
que  des  départements  administrés  par  les  hauts  grades 
et  par  l'Antéchrist,  suprême  dictateur  devenu  leur 
soûl  dieu  :  tel  est  le  but  des  sociétés  secrètes.  » 

Pour  s'en  tenir  à  ce  qui  se  passe  sur  notre  confi- 
nent, il  n'est  point  douteux  que  le  plan  de  la  maçon- 
nerie est,  à  cette  heure,  de  subordonner  les  nations 
catholiques   aux   puissances   protestantes. 

Dans  son  numéro  du  29  août  1902,  le  Gaulois  a 
reproduit  un  article  de  VOpinion  ?iatîonale  qui  remonte 
au  mois  de  juillet  1866.  On  y  applaudissait  au  triom- 
phe do  la  Prusse  à  Sadowa  et  on  disait  : 


RÉPUBLIQUE  UNIVERSELLE  EN  VOIE  DE  EORMATION      597 

«  Nous  sojiiïnes  pour  ramoindiissemerit  de  l'Au- 
triche, parce  que  l'Autriche  est  une  puissance  catho- 
lique qui  doit  être  supplantée  par  la  Prusse,  boule- 
vard du  Protestantisme  dans  le  centre  de  l'Europe. 
Or,  la  mission  de  la  Frusse  est  de  protestaniiseï'  V Eu- 
rope, comme  la  mission  de  Vltalie  est  de  détruire 
le  pontificat  romain.  Voilà  les  deux  raisons  pour 
lesquelles  nous  sommes  tout  à  la  fois  pour  l'agran- 
dissement de  la  Prusse  et  pour  l'agrandissement  de 
l'Italie.  » 

«  L'unité  de  l'Allemagne,  disait  Le  Siècle  de  son 
côté,  c'est,  comme  l'unité  de  l'Italie,  le  triomphe 
de  la  Révolution.  »  La  Liberté  appuyait,  elle  aussi, 
la  «  Politique  de  la  prédominance  d'une  Prusse  pro- 
testante en  Europe.  » 

Mais  comme  la  pensée  du  pouvoir  occulte  est  de 
substituer  «  une  Jérusalem  de  nouvel  ordre  »  à  la 
double  cité  des  Césars  et  des  Papes,  si  la  haute 
juiverie  travaille  maintenant  à  anéantir  les  nations 
catholiques  elle  est  persuadée  que  celles-ci  détruites, 
le  reste  tombera  de  lui-même  et  Israël  pourra  éta- 
blir son  universel  empire.  Dans  le  monde  entier,  les 
sociétés  secrètes  favorisent  l'Angletene,  la  Prusse, 
l'Amérique  du  Nord,  au  détriment  de  la  France,  de 
l'Autriche  et  de  l'Espaiine.  L'Autriche  a  reçu  un  coup 
que  l'on  a  cru  mortel  à  Sadovva;  la  France  une  bles- 
sure cruelle  à  Sedan  et  une  plus  cruelle  encore  lors- 
qu'elle fut  livrée  à  la  franc-maçonnerie  par  l'Assem- 
blée nationale.  Mais  d'un  jour  à  l'autre  elle  pou- 
vait se  relever.  Il  fut  décidé  que  le  coup  de  grâce 
devait  lui  être  porté;  mais  ce  coup  devait  être  pré- 
paré. L'affaire  Dreyfus  a  rempli  ce  rôle  de  prépara- 
tion. Elle  a  désorganisé  l'année,  elle  a  déballé  sous 
les  yeux  des  voisins  tous  nos  plans  de  défense, 
elle    a  fomenté    la    guerre    civile,    elle    a  fait    de    la 


598        l'agent   pe   la   civilisation   moderne 

France   une   proie   jugée   facile   désormais   à  dépecer 
par  l'Angleterre  et  l'Allemagne   (1). 

Dès  qu'une  nation  est  ainsi  choisie  pour  «  con- 
sumer »  les  autres,  selon  le  mot  de  Bluntschli,  la 
maçonnerie  s  applique  à  lui  donner  «  conscience  d'elle- 
même  »,  «  le  sentiment  de  sa  vocation  politique  », 
autres  mots  du  même,  à  exalter  le  sentiment  patrio- 
tique et  à  dépraver  ce  même  sentiment  chez  les  peu- 
ples qu'elle  a  condamnés.  Le  socialisme  est  patrio- 
tique en  Allemagne,  avec  Bebel,  internationaliste  en 
France,  avec  Jaurès.  L'un  et  l'autre  obéissent  sans 
doute  à  l'impulsion  d'un  seul  et  même  moteur,  qui 
veut  déprimer  ceux-ci,  surexciter  ceux-là,  pour  rendre 
pins  facile  et  plus  certaine  la  victoire  de  ceux  qu'elle 
veut,  pour  le  moment,  agrandir  et  élever. 

Dans  les  Questions  Historiques,  M.  Fustel  de  Cou- 
langes  fait  la  comparaison  entre  la  manière  d'écrire 
l'histoire  en  Allemagne  et  en  France  depuis  cin- 
quante ans.  Il  y  oppose  la  différence  des  sentiments 
des  historiens  allemands  et  des  historiens  français 
vis-à-vis  de  leur  pays  :  «  Le  premier  devoir  d'un 
grand  peuple  est  de  s'aimer  et  de  s'honorer  dans 
ses  morts...  Le  véritable  patriotisme  n'est  pas  l'amour 
du  sol,  c'est  l'amour  du  passé,  c'est  le  respect  de 
ceux  ^qui  nous  ont  précédés.  Nos  historiens  ne  nous 
apprennent  qu'à  les  maudire  et  ne  nous  recommandent 
que  de  ne  pas  leur  ressembler...  Nous  nourrissons 
au  fond  de  notre  âme  une  sorte  de  haine  incons- 
ciente à  l'égard  de  nous-mêmes...  C'est  une  çorte 
de  fureur  de  nous  calomnier  et  de  nous  détruire, 
semblable  à  cette  manie  de  suicide  dont  vous  voyez 
certains   individus    tourmentés.  »   Mépriser  ainsi   son 

1.  On  riait  à  gorge  déployée,  avant  la  iiuerre  de  1870, 
des  cartes  Allemandes  qui  annexaient  par  avance  nos  pro- 
vinces de  l'Est  à  l'Allemagne.  A-t-on  raison  de  rire,  à 
présent,  des  cartes  Anglaises  qui  octroient  à  l'Angleterre 
nos  provinces  de  l'Ouest? 


RÉPUBLIQUE  UNIVERSELLE  EN  VOIE  DE  FORMATION     599 

passé  n'est  assurément  point  chose  naturelle  pour 
un  peuple.  Et  alors  une  question  se  pose  :  D'où 
cela  vient-il? 

«  Les  Allemands,  dit  le  même  auteur,  ont  tous 
le  culte  de  la  patrie,  et  ils  entendent  le  mot  patrie 
dans  son  sens  vrai  :  c'est  le  Vaterland,  la  terre  des 
ancêtres.  C'est  le  pays  tel  que  les  ancêtres  l'ont 
eu  et  l'ont  fait.  Ils  aiment  ce  passé  et  ils  n'en  parlent 
que  comme  on  parle  d'une  chose  sainte.  » 

Ce  n'est  pas  de  cet  œil,  mais  «  d'un  œil  haineux  », 
que  la  France  révolutionnaire  envisage  le  sien.  Quelle 
nation,  en  Europe,  eût  été  pourtant  capable  de  mon- 
trer une  histoire  plus  ancienne  ou  plus  glorieuse? 
Engoué,  depuis  1815,  de  l'Angleterre  et  de  l'Alle- 
magne, notre  libéralisme  s'est  fait  l'apologiste  de 
la  race  germanique  aux  dépens  de  la  nation  fran- 
çaise. 

Y  a-t-il  quelque  chose  de  changé?  En  Allemagne, 
non  certes.  En  France,  «  vieille  France  »  est  tou- 
jours presque  une  injure.  Sur  les  traces  de  Michel  et 
et  de  ses  élèves,  notre  histoire  est  devenue  moins 
l'histoire  d'une  nation  déterminée  que  celle  du  labo- 
rieux enfantement  de  89.  Un  jeune  Français  candi- 
dat au  baccalauréat  était  dispensé,  il  y  a  quatre 
ans,  de  savoir  l'histoire  de  son  pays  avant  1610. 
Depuis,  la  dispense  a  été  étendue  jusqu'à  1715,  et  il 
y  en  a  qui  demandent  maintenant  que  la  date  soit 
abaissée   jusqu'à   1789. 

On  sait  les  beaux  résultats,  à  l'intérieur  et  à  l'exté- 
rieur, qu'a  donnés  l'histoire  telle  qu'elle  fut  pratiquée 
chez  les  Prussiens.  «Au  dedans,  constate  Fustel,-  elle 
faisait  taire  les  partis  et  fondait  une  centralisation  mo- 
rale plus  vigoureuse  que  ne  Fest  notre  centralisation 
administrative.  Au  dehors,  elle  ouvrait  les  routes  de 
la   conquête,    et   elle   faisait   à  l'ennemi   une    guerre 


600     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

implacable  en  pleine  paix.  »  C'est  ainsi  que,  vingt 
ans  d'avance,  elle  avait  mis  la  main  sur  l'Alsace- 
Lorraine.  Fustel  ajoutait  :  avant  que  l'Allemagne  s'em- 
pare de  la  Hollande,  «  l'histoire  démontre  déjà  que 
les  Hollandais  sont  des  Allemands.  »  Elle  prouvera 
aussi  bien  que  la  Lombardie  est  une  «  terre  alle- 
mande »,  et  que  Rome  est  «  la  capitale  naturelle  de 
l'empire    germanique.  » 

Aujourd'hui,  comme  avant  la  guerre,  l'histoire  est 
la  servante  de  la  grandeur  allemande;  elle  continue 
à  pétrir  une  âme  commune  au  jeune  empire  et  à  se 
faire  sur  toutes  les  frontières  la  fourrière  du  panger- 
manisme. On  en  sait  quelque  chose  à  Prague,  à  Zu- 
rich, à  Nancy,  à  Luxembourg,  à  Amsterdam. 

Les  Universités  allemandes  et  d'Autriche  sont  de- 
venues des  foyers  de  pangermanisme.  Les  premiers 
disciples  de  M.  de  Schœnerer  furent  des  étudiants 
de  Vienne.  Actuellement,  deux  cris  se  font  enten- 
dre. «  L'Allemagne  une  »  et  «  Rompons  avec  Ro- 
me 1  »  La  Prusse,  la  Prusse  protestante,  s'annexera 
ainsi  non  seulement  toutes  les  parties  de  l'Allemagne, 
mais  la  France  et  les  autres  pays  cire  on  voisins. 

La  propagande  s'exerce  sous  les  formes  les  plus 
variées  :  action  politique,  action  par  la  presse,  par 
le  colportage,  action-  par  la  prédication  protestante 
qui  se  fait  l'auxiliaire  du  «  germanisme  ».  L'Alle- 
magne, en  un  mot,  ne  néglige  rien  pour  être  prête 
quand  le  moment  sera  venu  de  compléter  l'exécu- 
tion du  plan  pangermanique. 

Des  manifestations  constantes,  en  Allemagne,  révè- 
lent les  projets  ambitieux  des  pangermanistes,  qui 
se  croient  maintenant  assez  forts  pour  avouer  leurs 
rêves  de  domination  universelle  et  surtout  de  con- 
quête prochaine  de  la   France. 

Un  professeur  de  Magdebourg  a,  dans  cinq  Confé- 


RÉPUBLIQUE  UNIVERSELLE  EN  VOIE  DE  FORMATION      GOl 

rences  officielles,  exposé  en  novembre  1909  le  plan 
des   pangermanistes. 

«  Avec  l'accroissement  continu  de  notre  population^ 
dit  le  professeur  docteur  Waetig,  il  est  absolument 
nécessaire  que  notre  pays  cherche  à  se  procurer  des 
contrées  où  il  pourra  écouler  le  trop-plein  de  sa 
population. 

»  Je  ne  vois  actuellement  que  deux  moyens  d'arri- 
ver à  ce  résultat,  car,  à  mon  avis,  notre  avenir  ne 
se   trouve  pas  sur  mer,   mais   sur   terre. 

»  Il  est  possible,  presque  certain,  que  les  Fran- 
çais en  arrivent  à  ne  plus  occuper  dans  le  monde 
qu'une  place  secondaire.  Il  nous  faut  donc  profiter  de 
cette   reculade   fatale. 

»  Le  premier  moyen  serait  l'infiltration  :  inonder 
les  pays  latins  d'hommes  venant  de  chez  nous.  Le 
résultat  est  certes  lointain,  mais  certain,  et  je  vois- 
très  bien  Paris  ou  Bruxelles  restant  capitales  de  pays 
non  annexés,  mais  parlant  allemand;  une  telle  in- 
filtration ne  doit  pas  être  seulement  tentée  vers  l'Est, 
et  je  ne  considère  la  politique  de  germanisation 
de  la  Pologne  que  comme  un  essai,  un  moyen  de 
se  faire  la  main. 

»  L'infiltration  devant  durer  trop  longtemps,  allons 
plus  loin.  Pourquoi  ne  chercherions-nous  pas  à  acqué- 
rir ces  territoires  dont  nous  avons  besoin,  par  la 
force  des  armes?  Pourquoi  ne  tenterions-nous  pas 
de  substituer  notre  gouvernement  aux  régimes  exis- 
tants chez  nos  voisins?  Sans  chercher  à  provoquer 
de  conflits,  nous  devons  profiter  de  toutes  les  occa- 
sions cfui  nous  sont  offertes  pour  fondre  sur  l'ennemi 
héréditaire. 

»  En  un  mot,  c'est  vers  l'Ouest,  vers  la  France, 
que  nous  devons  tourner  et  c'est  là  que  uous  de- 
vons  coloniser...  » 

Non   contente    de    vouloir   conquérir   les   pays   cir- 


602     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

convoisins,  l'Allemagne,  qpoique  protestante,  prétend 
à  prendre  la  place  de  la  France  comme  protectrice 
des  chrétiens  en  Orient,  et,  s'il  le  faut,  de  protectrice 
du  Pape  à  Rome.  Les  discours  et  les  démarches  de 
son  empereur  ont  clairement  manifesté  ces  inten- 
tions. 

Pour  ne  rappeler  que  l'un  de  ses  discours,  ne  l'a- 
t-on    point    entendu    dire    à  Brème    en    mars    1905  : 

«  Notre-Seigneur  Dieu  ne  se  serait  jamais  donné 
autant  de  peine  pour  notre  patrie  allemande  et  son 
peuple,  s'il  ne  nous  avait  destinés  à  de  grandes  cho- 
ses :  nous  sommes  le  sel  de  la  terre;  mais  aussi  nous 
devons  nous  montrer  dignes  de  l'être.  Aussi,  notre 
jeunesse  doit-elle  apprendre  le  renoncement,  se  gar- 
der de  tout  ce  qui  n'est  pas  bon  pour  elle,  de 
ce  qui  est  importé  de  peuples  étrangers,  et  rester 
fidèle  aux  moeurs,  à  la  règle  et  à  l'ordre,  au  respect  et 
à  la   religion. 

»  L'Empire  universel,  tel  que  je  l'ai  rêvé,  doit 
consister  en  ceci,  a^^ant  tout,-  que  l'empire  allemand, 
nouvellement  fondé,  doit  jouir  de  la  plus  absolue 
confiance  de  tous,  comme  un  voisin  tranquille,  lojal 
et  pacifique;  et  si  un  jour  peut-être  on  devait  par- 
ler dans  l'histoire  d'un  empire  universel  allemiand  ou 
d'un  empire  universel  des  Hobenzollern,  il  n'aurait 
pas  été  fondé  sur  des  conquêtes  par  l'épée,  mais 
par  la  confiance  mutuelle  des  nations  aspirant  aux 
mêmes  buts.  En  un  mot,  comme  l'a  dit  un  grand 
poète  :    «  Limité    au    dehors,    infini    au    dedans!  » 

Qu'on  ne  prenne  pas  cette  idée  de  la  domination  uni- 
verselle réservée  à  la  race  germanique  pour  une  exa- 
gération oratoire  :  Gruillaume  II  n'a  fait  qu'exprimer 
un  sentiment  commun  à  tous  les  Allemands,  et  qu'on 
retrouve  au  fond  des  discours  de  Bebel  à  Amster- 
dam,   comme    dans    les    harangues    impériales. 


RÉPUBLIQUE  UNIVERSELLE  EN  VOIE  DE  FORMATION      603 

Quiconque  observe  rAllemagne  voit  avec  quelle 
assurance  elle  prépare  sa  domination  aussi  étendue 
que  possible  par  tous  les  moyens  à  la  fois,  par  l'idée 
comme  par  la  puissance  militaire,  par  le  commerce 
et  l'industrie  comme  aussi  par  ses  émigrations.  Dès 
à  présent,  l'Allemagne  est  la  seconde  des  grandes 
puissances  commerciales  du  monde.  La  colonie  alle- 
mande est  aux  Etats-Unis  une  puissance  politique 
de  premier  ordre,  et,  dans  l'Amérique  du  Sud,  elle 
forme  presque  la  majorité  dans  les  provinces  méridio- 
nales du  Brésil. 

La  même  puissance  occulte  qui  enivre  rAllemagne 
déprime  la  France.  A  la  distance  de  quarante  ans,  l'on 
voit  maintenant  comment  la  Prusse  et  la  France 
étaient  travaillées  depuis  des  années,  pour  être  aptes 
à  jouer  le  rôle  de  vainqueur  dévolu  à  l'une  et  de 
vaincue  dévolu  à  l'autre.  Que  la  France  eût  été  en 
1870  le  jouet  des  sociétés  secrètes,  nous  en  avons 
une  preuve  dans  les  révélations  faites  en  1872  par 
M.  de  Giers  et  publiées  deux  ans  plus  tard  par  un 
grand  nombre  de  journaux  sans  aucune  réclama^ 
tion  de  celui   qui   était  mis   en  cause. 

«  Un  soir,  en  1872,  à  Stockholm,  dans  le  fumoir 
de  la  baronne  X...,  nous  étions  quatre  ou  cinq  cau- 
sant familièrement.  Parmi  nous  se  trouvait  M.  de 
Giers,  ancien  ministre  des  Affaires  étrangères  en 
Russie,  ambassadeur  de  Russie  à  Stockholm.  On  par- 
lait du  sujet  qui  préoccupait  encore  tout  le  monde  : 
des  causes  de  la  défaite  de  la  France.  M.  Y...  émit 
l'opinion  que  la  maçonnerie  avait  joué  un  rôle  im- 
portant  et  peu   flatteur.  » 

M.  de  Giers  prit  alors  la  parole  : 

«  Je  ne  voulais  pas,  dit-il,  aborder  le  premier  cette 
»  question    délic-ate;    mais    puisqu'elle    est    soulevée. 


604        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

»  je  puis  vous  affirmer  que  je  connais  bien  Le  rôle 
»  que  joua  la  F.-.  M.-,  dans  cette  guerre. 

»  J'étais  alors  accrédité  à  Berne;  il  y  avait  dans 
»  la  ville  une  agence  parfaitement  organisée  et  fonc- 
»  tionnant  avec  une  précision  toute  prussienne,  pour 
»  les  informations  concernant  la  répartition  des  trou- 
»  pes  françaises,  leurs  déplacements,  la  quantité  de 
;>  munitions,  de  vivres,  etc.,  etc.,  et  mille  indications 
»  des  plus  infimes  et  détaillées,  que  des  Français 
»  affiliés  à  la  F.  .  M.  ■ .  communiquaient  aux  loges, 
»  et,  chose  étrange,  ces  renseignements  parvenaient 
»  avec  une  rapidité  prodigieuse,  par  dépêches  chiffrées, 
»  à  V agence  prusienne  maçonnique  de  Berne. 

»  J'ai  étudié  à  fond  cette  colossale  organisation 
)>  pour  en  faire  un  rapport  détaillé  à  mon  gouverne- 
»  ment. 

»  C'était  invraisemblable,  n'est-ce  pas?  Et  cepen- 
»  dant,  rien  de  plus  vrai  et  du  plus  palpitant  intérêt 
»  alors.  '' 

»  La  nation  française  avait  été,  paraît-il,  condamnée 
»  par  la  Haute-Maçonnerie  internationale,  et  ni  meil- 
»  leure  organisation  militaire,  ni  talents  stratégiques, 
»  ni  bravoure  incontestable  des  troupes,  n'auraient 
»  matériellement  jamais  pu  triompher.  C'était  une 
»  guerre  d'AVEUGLES   à  voyants!  » 

Cette  accusation  formulée  si  nettement  et  venant 
d'un  homme  qui  a  occupé  les  plus  hautes  fonctions 
dans  la  diplomatie,  habitué  à  la  discrétion  et  à  la 
mesure,  à  ne  parler  qu'à  bon  escient,  a  par  elle- 
même  une  trop  poignante  éloquence,  pour  qu'il  soit 
besoin  d'y   rien  ajouter. 

Abattue,  la  France  se  releva  cependant  avec  assez 
de  vigueur  pour  donner  à  craindre  qu'elle  ne  reprît 
son  rang  à  la  tête  de  la  civilisation.  Elle  fut  alors 
condamnée   à  la   République,    et   par   la   République 


RÉPUBLIQUE  UNIVERSELLE  EN  VOIE  DE  FORMATION      605 

à  la  plus  complète  énervation  de  toutes  ses  forces 
religieuses,  politiques,  militaires  et  civiles,  afin  que 
toute  résistance  lui  soit  devenue  impossible  lorsque 
sera  venue  l'heure  de  se  jeter  de  nouveau  sur  elle. 
La  publication  de  la  correspondance  de  Bismarck  a 
achevé  de  montrer,  et  la  part  qu'il  avait  prise  à 
l'établissement  de  la  République  (1),  et  le  profit  qu'il 
on  attendait,  et  les  complicités  qu'il  trouvait  à  l'in- 
térieur pour  l'accomplissement  de  ses  desseins.  Le 
1er  novembre  1877,  le  comte  Herbert  de  Bismarck 
écrivait  au  comte  Henckel  de  Donnesmarck,  l'ancien 
gouverneur  d'Alsace-Lorraiiie,  le  mari  de  la  Païva  dont 
on  sait  le  rôle  dans  les  dernières  années  de  l'Empire, 
et  enfin  l'agent  secret  de  Bismarck  en  France  dans 
la  lutte  entre  le  parti  conservateur  et  le  parti  oppor- 
tuniste :  «  Les  relations  que  vous  entretenez  avec 
Gambetta  sont  d'un  très  grand  intérêt  pour  mon 
père,  mais  il  ne  croit  pas  opportun  pour  le  moment 
de  lui  faire  parvenir,  fût-ce  même  par  votre  intermé- 
diaire, des  communications  ou  des  ordres.  »  Deux 
mois  après,  les  ordres  arrivaient,  et  la  guerre  au 
cléricalisme  commençait.  Elle  devait  bientôt  être  sui- 
vie de  la  guerre  à  la  magistrature,  puis  de  la  guerre 
à  l'épargne  (2),  puis  de  la  guerre  à  l'armée;  et  tout 

1.  Le  comte  d'Arnim  s'est  expliqué  là-dessus  avec  une 
clarté  (fui  ne  laisse  rien  à  désirer.  Ambassadeur  à  Paris, 
il  ne  voulait  pas  obéir  à  Bismarck  qui  lui  ordonnait  de 
travailler  au  triomphe  des  partis  de  gauche.  «  Bismarck 
m'a  frappé,  écrivait-il  après  sa  disgrâce  et  son  procès, 
parce  que  je  refusais  d'accélérer  l'arrivée  de  Gambetta  au 
pouvoir.  » 

2.  M.  Paul  Dahn,  explorant  la  situation  de  l'Autriche- 
Hongrie  et  faisant  le  relevé  des  divers  éléments  qu'il  y 
trouvée,  soit  hostiles,  soit  favorables  ta  l'Allemagne,  a  écrit 
dans  le  Deutftchhmd  nach  Osien  :  «  Bontoux  inquiétait 
Bismarck  plus  qu'une  armée  de  300.000  hommes.  Que  n'a-t- 
on dit  de  l'œuvre  granchose  de  Cecil  Rhodes,  le  Napoléon 
du    Cap?    Bontoux    nous    gagnait,    sans    tirer    un    coup    de 


606     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

cela  accompagné  de  prostrations  devant  les  aiutres 
puissances  et  de  l'abandon  de  notre  protectorat  en 
Orient. 

«  Le  drame  qui  se  joue  depuis  trente  ans,  a  dit 
M.  Copin-Albancelli,  n'est  autre  chose  que  l'assas- 
sinat de  la  France,  ourdi  par  le  pouvoir  occalte  juif, 
agissant  par  la  franc-maçonnerie.  Si  nous  ne  parve- 
nons à  faire  comprendre  cela  à  temps  à  la  majo- 
rité des  Français,  la  France  est  perdue.  » 

Mais,  hélas!  comme  le  dit  M.  Bidegain  :  «  Ceux 
qui  dirigent  secrètement  l'Ordre  maçonnique  ont  si 
habilement  pétri  les  cerveaux  de  leurs  disciples  de- 
venus leurs  serviteurs  inconscients,  qu'ils  trouvent 
dans  la  maçonnerie  un  instrument  admirable  pour 
le  coup  d'Etat  juif  qui  consacrera  la  dénationali- 
sation de  notre  patrie  et  la  définitive  dépossession 
des  Français  de  France   (1).  » 

Dans  une  interview  qu'il  eut  avec  un  rédacteur  du 
Soleil  (2),  M.  de  Marcère  dit  de  même,  à  l'occasion 
du  Congrès  antimaçonnique  qui  tint  ses  assises  aux 
premiers  jours  de  l'année  1902  :  «  Il  n'y  a  pas  à 
se  le  dissimuler,  cest  en  France  tout  particulièrement 
que  se  porte  V effort  de  la  désorganisation  maçonique,  et 

CELA  POUR  UNE  BESOGNE  QUI  ÉVIDl^^MMENT  CORRESPOND  A 
LA   RÉALISATION   D'uN   PLAN   IMMENSE,  OÙ  il  est  clair  qUe 

nous  avons  été  sacrifiés  » . 

Ce  qui  est  infiniment  douloureux,  c'est  de  voir 
que  la  France  prête  elle-même  les  mains  à  la  réa- 
lisation de  ce  plan.  Nous  disons  la  France.  Non.  Mais 

fusil,  r Autriche-Hongrie,  et  les  Balkans,  et  l'Orient.  Il 
marchait  à  pas  de  géant,  non  pas  du  rêve,  mais  de  la 
réalisation  de  ce  plan  savamment  conçu.  C'est  Bismarck 
qui  l'a  brisé,  aux  applaudissements  de  Français  ravis  de 
cette  défaite  du.  cléricalisme!  » 

1.  Bidegain.  Le  Grand-Orient  de  France.  Ses  doctrines 
et    ses    actes,    p.    114. 

2.  Voir  le  Soleil  du   14  février   1902. 


RÉPUBLIQUE  UNIVERSELLE  EN  VOIE  DE  FORMATION      607 

ceux  qui  la  gouvernent  et  qui  sont  délégués  au  pou- 
voir pour  effectuer  les  uns  après  les  autres  les  divers 
points   de   la   désorganisation   maçonnique. 

V Armée.  —  Ce  fut  vraiment  un  travail  colossal 
que  'celui  que  la  France  entreprit,  après  la  guerre, 
pour  se  relever  et  pour  reprendre  son  rang  dans 
le  monde.  Loi  du  recrutement  ;  loi  d'organisation  ; 
loi  des  cadres  pour  ne  citer  que  les  lois  constitutives. 
Edification  de  casernements  et  d'établissements  sur 
tout  le  territoire;  reconstitution  de  l'armement  des 
troupes  et  de  l'artillerie;  construction  des  *  systèmes 
défensifs  de  la  frontière  du  Nord-Est  et  de  celle  du 
Sud-Est  et  de  l'intérieur;  élaboration  des  règlements 
généraux  et  des  règlements  particuliers  d'armes;  créa- 
tion de  l'Ecole  de  Guerre  et  réforme  des  Ecoles  mili- 
taires; constitution  de  l'Etat-Major  de  l'armée,  com- 
prenant les  bureaux  de  la  mobilisation,  de  la  statis- 
tique, des  opérations,  des  chemins  de  fer.  Tout  cela 
fut  accompli,  tandis  que  les  troupes  se  reformèrent, 
reprirent  confiance.  En  vérité,  chaque  année  était 
une  année  de  progrès,  et  quand  la  pensée  se  reporte 
sur  ce  que  le  dévouement  de  tous  ceux  qui  servirent 
alors  parvint  à  faire,  on  éprouve  un  sentiment  de 
très  vive  admiration,  vis-à-vis  d'une  œuvre  que  seul 
l'amour  de   la  Patrie   réussit   à  mener  à  bien. 

Mais  bientôt  vinrent  des  hommes  qui  entreprirent 
de  détruire,  par  ordre,  tout  ce  qui  constituait  l'Armée  : 
la  discipline,  le  respect  des  chefs,  la  confiance  réci- 
proque, le  sentiment  du  divin,  l'abnégation  et  jus- 
qu'à l'amour  de  la  patrie.  C'est  cela  d'abord  qu'ils 
s'appliquèrent  à  détruire,  parce  qu'ils  savent  que, 
bien  plus  que  l'armement  le  plus  perfectionné  et  que 
les  effectifs  les  plus  considérables,  ce  sont  les  vertus 
de  nos  officiers  et  de  nos  soladts  qui,  à  travers 
les  siècles  ont  constamment  fait  la  force  de  l'armée 
française. 


'608      l'agent    de    la.   civilisation    moderne 

Mais  ils  ne  négligèrent  point  le  reste  (1).  Le  minis- 
tère de  la  guerre  fat  confié  à  des  ingénieurs,  à  des 
agents  de  change,  à  des  hommes  d'affaires  ou  à  des 
militaires    justement    méprisés. 

Aussi  ce  n'est  plus  seulement  les  devoirs  militaires 
que  le  soldat  doit  remplir,  que  les  officiers  doivent 
enseigner  dans  ce  temps  si  court  de  deux  années,  c'est 
encore  les  devoirs  du  citoyen.  Par  sa  circulaire  d'oc- 
tobre 1905,  M.  Berteaux  les  a  obligés  à  faire  des 
conférences  sur  la  solidarité,  la  mutualité  et  les  pro- 
grès de  l'esprit  laïque;  ils  doivent  conduire  leurs 
hommes  aux  musées,  aux  usines,  etc.,  car,  dit  la 
circulaire,  «  l'armée  n'est  pas  surtout  le  plus  grand 
organe  de  la  défense  nationale,  elle  doit  être  aussi 
un  puissant  organe  de  progrès  social.  La  Ligue  ma- 
çonnique de  l'enseignement  (congrès  de  Biarritz  en 
octobre  1905  et  d'Angers  en  août  1906)  s'empressa 
d'applaudir  à  cette  innovation  que  la  loge  avait  ins- 
pirée. 

Il  faudrait  parler  ici  de  «  l'affaire  Dreyfus  »  et 
■de  ses  suites.  Mais  n'est-elle  pas  présente  à  l'es- 
prit de  tout  bon  Français?  Tous  ne  savent-ils  pas 
-que  c'est  du  mois  de  janvier  1895  que  s'est  ouverte 
la  période  des  manœuvres  odieuses  que  les  enne- 
mis de  la  Patrie  n'ont  cessé  depuis  de  tramer  contre 
l'armée,  pour  «  tout  chambarder  »  comme  ils  ont 
eu   l'audace   de   dire. 

La  marine.  —  Que  dire  d'elle?  De  1871  à  1909 
elle   nous   a  coûté   très   exactement  9.012.214.001   fr. 


1.  Lors  de  la  discussion  de  la  loi  concernant  le  recru- 
tement des  officiers  et  les  écoles  militaires,  1908,  le  général 
Kessler  écrivit  :  «  Le  nouveau  projet  de  loi  déposé  à  la 
Chambre  sur  le  recrutement  des  officiers  n'est  qu'une  suite 
du  travail  de  démolitioai  de  l'armée  française  commencée 
depuis  plusieurs  années  déjà,  par  voie  législative,  avec 
une  VOLONTÉ  et  une  méthode  que  la  menace  perma- 
nente   du    danger    extérieur   est    impuissante    à  entraver. 


RÉPUBLIQUE  UNIVERSELLE  EN  VOIE  DE  FORMATION      609 

C'est  du  moins  le  chifîre  qu'accusent  les  rapports 
officiels  de  la  rue  Royale  et  du  Palais-Bourbon.  «  Nous 
avons  dépensé  dix  milliards,  nous  a  dit  M.  Emma- 
nuel Brousse  à  la  tribune,  reprenant  les  conclusions 
du  rapport  fait  par  la  commission,  et  aujourd'hui 
nous  n'avons  pas  de  marine.  »  De  fait,  après  un 
pareil  effort,  la  France  est  tombée  au  sixième  rang 
des    puissances    navales    du    globe. 

Ici,  la  trahison  —  ce  mot  s'impose  —  s'est  mon- 
trée sous  une  autre  forme,  sous  la  forme  de  catas- 
trophes qui  n'ont  cessé  de  se  produire  (1). 

1.  Août  1900.  —  Le  cuirassé  d'escadre  «  Brennus  » 
coule  sur  la  côte  du  Portugal  :  43  victimes;  1.700.000 
francs. 

Octobre  1900.  —  Le  transport  «  Caravane  />  est  coulé 
au    large    de'    Tagamatsu  :    3  morts;    3  millions. 

Février  1903.  —  Le  contre-torpilleur  «  Espingole  »  coule 
près  de  Saint-Tropez  :  2  millions  100.000  fr.,  y  compris 
les   frais  de   s'&.uvetage  inutile. 

Janvier  1904.  —  Le  transport  «  Vienne  »  coule  :  52  morts; 
2.500.000    francs. 

Mars  1904.  —  Le  croiseur  «  Léon-Gambetta  »  brise  ses 
hélices  et  déchire  sa  coqne  :  600.000  francs  de  répara- 
tion. 

Février  1905.  —  Le  croiseur  «  Sully  »  se  perd  dans 
la  baie  d'Along  d'où  il  n'a  pu  être  retiré  :  30.300.003 
francs. 

Juillet  1905.  —  Le  sous-marin  «  Farfadet  »  coule  en 
Tunisie  :    14    morts,    500.000    francs. 

Avril  1906.   —  Explosion  sur  la  «  Couronne  »  :  4  morts. 

Juillet  1906.  —  Explosion  d'une  chaudière  à  bord  du 
«  Jules-Ferry  »  :    2  morts. 

Octobre  i906.  —  Le  sous-marin  «  Lutin  »  coule  en 
rade  de  Bizerte  :  16  morts  :  Renflouement  et  réparations, 
800.000   francs. 

Novembre  1906.  —  A  bord  du  «  Charles-Martel  »  une 
torpille    éclate  :    1  mort. 

Novembre  1906.  —  L'  «  Algésiras  »  brûle  dans  l'ar- 
senal   de    Toulon  :    3  tués;    1.500.000    francs. 

Février  1907.  —  Le  torpilleur  «  339  »  a  un  accident  de 
chaudière  dans   les  parages   de   Quiberon  :  9  morts. 

Février  1907.  —  Le  «  Jean-Bart  »  se  perd  sur  la  côte 
occidentale   d'Afrique  :   6.500.000  francs. 

L'Église  et  le  Temple  39 


610      l'agent    de   la   civilisation    moderne 

C'est  la  seconde  fois  depuis  un  siècle  que  la  marine 
française  est  démantelée.  A  la  veille  de  la  prise 
de  la  Bastille,  ce  fut  en  faveur  de  l'Angleterre,  cette 
fois    il    paraît    que    c'est    au    profit    de    l'Allemagne. 

L'aviation.  —  En  mars  1910,  lors  de  la  discussion 
du  budget,  fut  prononcé  un  discours  qui  se  résume 


Mars  1907.  —  Explosion  de  1'  «  léna  »  à  Toulon  :  105 
morts;  35.000.000  francs. 

Mars  1907.  ~  Le  torpilleur  «  Epée  »  aborde  le  «  263  »  : 

2  morts. 

Août    1907.    —   Explosion   à  bord    de   la    «  Couronne  »  : 

3  morts. 

Février  1908.  —  Accident  à  bord  du  «  Descartes  »  : 
5  morts. 

Février  1908.  —  Explosion  à  bord  de  la  «  Jeanne-d'Arc  x 
au   Maroc  :    4.  morts. 

Août  1908.  —  Explosion  à  bord  de  la  «  Couronne  »  : 
9  morts. 

22  septembre   1908.   —  «  Latouche-Tréville  »  :   13  morts. 

Bilan  :  288  officiers  et  matelots  tués.  85  millions  de 
pertes. 

Le  rapporteur  du  budget  de  la  marine  de  cette  année, 
M.  Chaumet,  déclare  que  nous  n'avons,  à  l'heure  actuelle, 
et  malgré  tant  de  milliards  consacrés  à  la  flotte  depuis 
quarante  ans,  que  l'effectif  réel  suivant  :  cuirassés,  15; 
garde-côtes,  5  ;  croiseurs  cuirassés,  21  ;  contre-torpilleurs, 
64;    torpilleurs,    162;    submersibles    et    sous-marins,    68. 

Il  ajoute  qu'en  1916,  il  ne  nous  restera  que  les  6  cui- 
rassés type  «  Patrie  »  du  programme  de  1900  —  qui  se- 
ront a^.ors  bien  vieillis,  et  les  6  cuirassés,  type  «  Danton  », 
du  programme  de  1906  qui,  seuls,  auront  moins  de  dix 
ans  d'âge.  Quant  aux  croiseurs  cuirassés,  seul  V  «  Edgar- 
Quinet  »  et  le  «  Waldeck-Rousseau  »  auront  alors  moins 
de  dix  ans. 

Deux  ans  plus  tard,  en  1919,  il  ne  nous  restera  plus 
un  seul  navire  âgé  de  moins  de  dix  ans.  La  France  aura 
cessé  d'avoir  une  marine  cuirassée.  Elle  ne  possédera  plus 
que  quelques  vieux  navires  propres  à  constituer  une  esca- 
dre de  la  mort,  mûre  pour  un  Tsou-Sbima  futur...  En  ces 
années  de  1908  à  1920,  l'Allemagne  qui,  patiemment,  mé- 
thodiquement, poursuit  l'augmentation  de  sa  flotte,  possé- 
dera autant  de  tonnes  de  cuirassés  que  l'Angleterre  en 
compte  actuellement.  Le  Japon  et  les  Etats-Unis  auront, 
à  cette  époque,  accru  leur  flotte  dans  des  proportions 
pareilles. 


RÉPUBLIQUE  UNIVERSELLE  EN  VOIE  DE  FORMATION  611 

en  ces  quelques  mots  :  Messieurs,  nous  sommes  le 
pays  de  Faviation,  le  pays  où  elle  est  née  et  d'où 
elle  a  pris  son  vol,  mais  nous  sommes  en  même 
temps  celui ,  où  elle  n'a  rien  produit  d'utile.  L'Alle- 
magne a  toute  une  flotte  aérienne,  et  nous  n'avons 
pas  même  un  dirigeable   (1). 

Les  forces  morales  de  la  France  sont  aussi  amoin- 
dries que  ses  forces  physiques.  Inutile  de  parler 
de  la  guerre  faite  à  la  religion  et  à  ses  ministres. 
La  magistrature,  le  ministre  de  la  justice  a  dû  re- 
connaître en  mars  1910  qu'elle  est  «  gangrenée  »,  le 
parlement  ne  l'est  pas  moins,  et  tout  est  employé 
pour  gangrener  jusqu'aux  moelles  toutes  les  classes 
de  la  société. 

II  n'y  a  à  tout  cela  d'autre  explication  que  celle 
donnée  par  M.  de  Marcère  :  «  Tout  l'effort  de  la  désor- 
ganisation maçonnique  se  porte  sur  la  France,  pour 
la  réalisation  d'un  plan  immense  où  nous  avons  le 
rôle  de  sacrifiés. 

»  D'après  ce  plan,  nous,  Français,  devons  être  les 

1.  La  France  a  inventé  les  dirigeables  et  elle  n'en  a 
pas,    tandis   que   l'Allemagne   en   a  trente-huit. 

La  France  avait  aussi  inventé  des  SQUS-marins  :  le  dé- 
sordre qui  a  régné  à  la  Marine  a  permis  au  secret  des 
sous-marins  de  filer  à  l'étranger,   qui  en  a  plus   que  nous. 

La  France  avait  aussi  inventé  la  mélinite  et  même 
un  détonateur  spécial  pour  la  faire  exploser  :  mélinite  et 
détonateur  ont  filé  à  l'étranger,  par  certains  intermédiaires 
suspects  du  ministère  de  la  Guerre,  et  c'est  l'inventeur  de 
la  mélinite,  Turpin,  qui  a  expié  en  prison  le  crime  d'avoir 
dénoncé  cette  trahison. 

La  France  a  inventé  le  canon  de  75  à  tir  rapide  sur 
affût  fixe.  Son  inventeur  primitif,  le  colonel  Déport,  a  dû, 
comme  les  officiers  aérostiers,  quitter  l'armée  pour  l'in- 
dustrie privée  qui  l'en  récompense  mieux  que  ne  l'a  fait 
l'Etat  français. 

La  France  avait  aussi  organisé  un  incomparable  service 
de  renseignements  militaires,  qui  lui  permettait  de  se 
tenir  sur  ses  gardes  :  les  officiers  qui  avaient  organisé  ce 
service    ont    été    couverts    d'opprobre. 


612     l'agent    de   la   civilisation    moderne 

premières  victimes.  Après  nous,  viendra  le  tour  des 
autres  Puissances  catholiques,  puis  celui  des  Puis- 
sances protestantes  qui  se  seront  partagé  nos  dé- 
pouilles. Alors  pourra  être  entrepris  le  grand  œuvre 
de  la  République  universelle  avec  les  instruments 
et  par  les  moyens  qui  se  présenteront  à  ce  mo- 
ment. » 


CHAPITRE  XLIIÏ 
POUR  QUELLE  RACE   ET  PAR   QUELS   PEUPLES  ? 


Il  y  a  quelques  années,  l'historien  Treitschke  de- 
mandait : 

«  A  qui  appartiendra  le  sceptre  de  l'Univers?  Qui 
imposera  ses  volontés  aux  autres  nations,  affaiblies 
ou  en  décadence?  N'est-ce  pas  l'Allemagne  qui  aura 
la  mission  d'assurer  la  paix  du  monde?  La  Russie^ 
colosse  immense  et  en  formation,  aux  pieds  d'argile, 
sera  absorbée  par  ses  difficultés  économiques  et  inté- 
rieures. L'Angleterre,  plus  forte  en  apparence  qu'en 
réalité,  verra  sans  doute  ses  colonies  se  détacher 
d'elle  et  s'épuisera  en  des  luttes  stériles.  La  France, 
toute  à  ses  discordes  intestines  et  aux  luttes  des 
partis,  s'enlizera  de  plus  en  plus  dans  une  déca- 
dence définitive.  Pour  l'Italie,  elle  aura  assez  à  faire 
si  elle  veut  assurer  un  peu  de  pain  à  ses  enfants. 
L'avenir  appartient  donc  à  l'Allemagne,  à  laquelle 
viendra  se  joindre  l'Autriche,  si  elle  tient  à  vivre.  » 

Ainsi   pense   l'Allemagne. 

L'Angleterre  a  des  espérances  semblables.  Ayajit 
l'empire  des  mers  et  étant  résolue  de  le  garder  à 
tout  prix,  aucun  peuple,  pense-t-elle,  n'est  en  me- 
sure  de  prendre   sur  elle   l'hégémonie   mondiale. 


614      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

Les  Etats-Unis  ont  la  même  ambition.  «  Le  cen- 
tre de  gravité  de  l'activité  humaine  se  déplace  rapi- 
dement, et  dans  un  avenir  qui  n'^est  pas  éloigné, 
l'Amérique  conduira  le  monde.  »  Ainsi  parle  Mgr 
Ireland,  l'un  des  interprètes  les  plus  fidèles  de  l'âme 
américaine   (1). 

Qu'en  sera-t-il?  C'est  le  secret  du  Pouvoir  occulte. 
Mais  c'est  plus  encore  le  secret  de  Dieu.  En  aucune 
question,  en  aucune  occasion,  il  n'a  été  plus  vrai 
df  dire  :  l'homme  propose  et  Dieu  dispose.  Les  am- 
bitions, non  plus  les  ambitions  de  frontières,  comme 
autrefois,  mais  les  ambitions  de  races  sont  partout 
éveillées,  armées,  prêtes  à  risquer  l'enjeu  de  l'em- 
pire   universel. 

Le  Pouvoir  occulte  observe  depuis  des  siècles.  Il 
a  ses  hommes  près  de  tous  les  souverains,  dans 
les  ministères  de  tous  les  gouvernements,  dans  la 
diplomatie  et  dans  les  armées  des  divers  peuples.  Par 
eux,  depuis  qu'est  ouverte  l'ère  de  la  Révolution, 
il  surveille,  il  suggère,  il  donne  des  impulsions  aux- 
quelles les  Etats  obéissent,  celui-ci  de  gré,  celui-là 
de  force. 

«  Les  gouvernements  de  ce  'siècle,  dit  lord  Beacons- 
field,  qui  était  en  situation  de  le  savoir  mieux  que 
qui  que  ce  soit,  n'ont  pas  affaire  seulement  aux 
gouvernements,  aux  empereurs,  rois  ou  ministres, 
mais  encore  aux  sociétés  secrètes  dont  il  faut  tenir 
compte.  Au  dernier  moment,  elles  peuvent  mettre  à 
néant  tous  les  arrangements,  elles  ont  des  agents 
partout,  des  agents  sans  scrupules,  elles  se  servent 
même  de  l'assassinat  (2),  et  peuvent,  s'il  le  faut, 
amener  un  massacre  »  (3). 

1.  Discours  sur  l'avenir  du  catholicisme  aux  Etats-Unis. 

2.  Discours  prononcé  à  Ayles-Bury,  le  20   septembre  1876. 

3.  L'Univers  a  publié,  dans  son  numéro  du  10  août 
1909,    une    conversation    que    l'un    de    ses    rédacteurs,    M. 


POUR  QUELLE  RACE  ET  PAR  QUEL  PEUPLE   615 

Par  ces  sociétés,  les  gouvernements  quelles  favo- 
risent peuvent  en  tout  cas  susciter  chez  ceux  de 
leurs  voisins  qui  pourraient  les  troubler  dans  leurs 
opérations  des  difficultés,  des  troubles  et  même  des 
révolutions. 

Nous  en  avons  eu  un  exemple  tout  récent,  après  bien 
d'autres   antérieurs   qu'il   est  inutile   de  rappeler. 

En  1899,  à  l'époque  de  la  guerre  du  Transvaal, 
le  fils  de  M.  Chamberlain,  ministre  des  colonies 
d'Angleterre,  écrivit  à  l'un  de  ses  amis  une  lettre  qui 
fut  publiée  par  un  journal  suisse.  Il  y  disait  :  «  Pour 
ce  qui  est  de  la  France,  outre  les  assurances  du  gou- 
vernement,   nous    sommes    garantis   de    toutes    repré- 


Edouard  Bernaert,  a  eu  avec  un  membre  militant  du  parti 
nationaliste  russe.  Celui-ci  lui  rappela  d'abord  qu'un  mi- 
nistre russe  venait  de  déclarer  à  la  tribune  que  le  chiffre 
officiel  des  nationalistes  morts  par  le  poignard  et  le  revolver 
était  de  plusieurs  milliers. 

Puis  il  ajouta  : 

«  Du  25  août  1908  au  15  octobre,  plus  de  trente-cinq 
annonces  de  morts  subites,  dont  il  est  facile  à  chacun  de 
relever  les  noms,  ont  paru  dans  le  «  Novoie  Vremia  ». 
Sur  ces  trente-cinq  annonces,  vingt-cinq  concernaient  des 
personnages  militants  du  parti  monarchiste  russe.  Encore, 
la  liste  est-elle  forcément  incomplète.  L'impression  géné- 
rale est  que,  dans  toutes  ces  morts,  la  Franc-Maçonnerie 
et  la  puissance  juive  ont  la  main... 

»  Tous  ceux  que  je  vous  ai  nommes  sont  morts  en 
moins  d'un  an  de  temps.  Schvvanebach,  contrôleur  d'Etat, 
membre  du  Conseil  des  m'inistres,  un  des  adversaires  de 
Witte  et  un  des  chefs  de  la  droite  du  Conseil  d'Etat,  se 
sent  tout  à  coup  fatigué;  et,  sur  le  conseil  des  médecins, 
s'en  va  à  l'étranger.  Il  arrive  à  Marienbad.  A  peine  y 
est-il  arrivé  qu'une  fièvre  étrange,  dont  les  médecins  du 
pays  n'avaient  jamais,  avant  ce  jour,  connu  un  cas,  le 
terrasse,  comme  celle  qui,  à  Resen,  avait  terrassé  Kislows- 
ky.  En  quelques  jours,  il  meurt  (septembre  190.S).  Quel- 
ques jours  avant  lui  était  mort,  du  même  mal  étrange,  un 
autre    adversaire    de    Witte,    l'ex-contrôleur    d'Etat    LobkD. 

»  Un  mois  plus  tard,  en  octobre  1908.  c'est  le  tour,  à 
Weimar,  d'un  autre  traditionaliste,  George  de  Bartienieff, 
vice-président  de  l'Association  des  hommes  russes,  homme 


616        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

sailles  de  Fachoda  par  les  événements  intérieurs  qui 
vont  s'y  dérouler  :  si  nous  ne  pouvons  guère  compter 
sur  l'affaire  Dreyfus,  qui  est  usée;  si  le  procès  de 
la  Haute-Cour  ne  semble  pas  créer  une  sensation 
suffisante  pour  absorber  entièrement  l'attention  de 
la  nation,  nous  savons  que,  dès  la  rentrée  du  Par- 
lement de  Paris,  le  gouvernement  introduira,  avec 
l'appui  de  la  majorité,  différents  bills  contre  les 
catholiques,  qui,  par  leur  violence,  pourront  plonger 
la  France  dans  un  état  de  surexcitation  extrême; 
nous  savons  qu'on  est  décidé  à  l'éviction  de  plu- 
sieurs des  plus  importants  des  ordres  de  religieuses 
et  que  rien  que  cela  suffira  pour  nous  mettre  à 
l'abri  de  ce  côté-là  ». 


énergique  autant  qu'instruit,  et  dont  la  santé,  quelques 
mois  à  peine  plus  tôt,  était  citée  comme  un  exemple.  Au 
retour  d'un  voyage  à  Saint-Pétersbourg,  il  se  rend  à  Wei- 
mar.  Il  y  est  pris  d'un  mal  étrange.  Un  premier  télégramme 
annonce  aux  siens  que  sa  température  baisse;  un  deuxième 
annonce  sa  mort. 

»  A  peu  près  dans  le  même  temps  mourait  le  prince 
Lobanoff-Rostowsky,  membre  de  la  droite  du  Conseil  d'E- 
tat. Mort  subite,  comme  celle  des  autres;  fièvre  maligne 
—   et  anonyme. 

»  Le  cas  typique  s'est  produit  en  1907.  La  victime, 
cette  fois-là,  était  le  vice-président  de  l'Union  du  peuple 
russe  de  Moscou,  M.  Léon  de  Kislowsky.  En  janvier  1907, 
s'étant  rendu  de  Moscou  à  Resen  pour  assister  à  une 
assemblée  de  nobles,  il  succombait,  en  quelques  jours,  aux 
attaques  d'une  fièvre  étrange,  dont  les  médecins  du  pays 
n'avaient  jamais,  avant  ce  jour,  connu  un  cas.  L'an- 
tipyrine  qu'on  lui  donnait  pour  tout  remède  venait,  notez 
ce  point,   d'une   pharmacie   juive... 

»  Personne,  chez  nous,  ne  s'y  trompe  :  on  se  trouve  en 
présence  d'une  suite  de  crimes  politiques.  Il  n'y  a  pas 
jusqu'à  l'analogie  des  circonstances  des  décès  dont  je 
voas  parle  qui  n'accusent  l'intervention  d'une  volonté  tou- 
jours la  même,  employant  à  ses  fins  un  moyen  toujours 
identique.  » 

En  France,  à  l'occasion  de  l'attentat  sur  M.  Real  de! 
Sarte,  on  a  pu,  du  haut  de  la  tribune  parlementaire,  rap- 
peler nombre  de  morts  mystérieuses  et  demander  d'où 
elles    provenaient. 


POUR  QUELLE  RACE  ET  PAR  QUEL  PEUPLE   617 

Quel  jour  ces  paroles  jettent  sur  la  politique  géné- 
rale extérieure,  et  en  particulier  sur  ce  qui  se  passe 
chez  nous,  en  cette  France  constamment  troublée 
et  divisée,  agonisant  presque  sous  l'effort  des  traîtres, 
jqui,   de   l'intérieur,   favorisent   l'étranger! 

Sans  doute,  le  pouvoir  occulte  a  à  compter  avec  des 
vues  et  des  volontés  qui  viennent  contrarier  les  sien- 
nes. Mais  les-  moyens  dont  il  dispose  lui  permettent 
à  la  longue  de  tirer  également  profit  de  ce  que  ces 
volontés  ont  produit. 

Peut-on  par  ce  qui  s'est  passé  aux  siècles  précé- 
dents et  par  ce  que  nous  avons  sous  les  yeux,  se 
faire  une  idée  de  la  marche  que  suit  le  Pouvoir 
occulte  avec  le  concours  des  puissances  à  son  ser- 
vice ? 

La  première  œuvre  a  été  de  dissoudre  la  chré- 
tienté, de  briser  l'unité  catholique.  Ce  fut  accom- 
pli au  XVI«  siècle  par  les  hérésies  et  les  schismes. 

La  seconde,  celle  qui  s'achève,  est  de  subordon- 
ner les  nations  catholiques  aux  nations  protestantes. 
Pour  cela,  il  y  a  eu  entente,  plus  ou  moins  ou- 
verte entre  l'Angleterre  et  la  secte.  Au  XVIII®  siè- 
cle, l'Angleterre  a  semé  les  loges  sur  tous  les  points 
de  l'Europe.  En  retour  les  loges  suscitèrent  partout 
les  révolutions  pendant  lesquelles  l'Angleterre  put 
s'élever  sans  obstacle  au  point  de  grandeur  et  de 
puissance  où  nous  la  voyons.  Déjà  elle  avait  pu 
s'emparer  de  Gibraltar,  cet  incomparable  point  stra- 
tégique qui  lui  donnait  la  clef  de  la  Méditerranée. 
Elle  installe  ses  loges  de  surveillance  navale  à  Cadix, 
Barcelone,  Lisbonne  et  autres  ports  de  mer.  Sous 
Louis  XV  et  Louis  XVI,  elle  parvient,  par  des  moyens 
identiques  à  ceux  employés  aujourd'hui,  à  détruire 
notre  flotte  et  à  s'emparer  de   nos  colonies.   De  nos 


618      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

jours  la  complaisance  ou  la  trahison  de  nos  gouver- 
nants lui  ont  sacrifié  Fachoda,  l'Egypte,  et  nos  pê- 
cheries   de    Terre-Neuve    (1). 

La  prépondérance  des  nations  protestantes  sur  les 
nations  catholiques  se  poursuivait  d'ailleurs  par  les 
guerres  de  îa  Prusse  contre  l'Autriche  et  contre  la 
France,  par  l'annexion  de  l'Amérique  du  Sud  à  l'Amé- 
rique du  Nord  au  détriment  de  l'Espagne,  par  le 
sacrifice  qu'a  fait  la  France  de  l'admirable  posses- 
sion du  canal  de  Panama,  qui  commande  les  évolu- 
tions économiques  de  l'avenir,  à  l'unité  américaine, 
et  par  celui  de  la  presqu'île  indo-chinoise  qui  sera 
fait  avant  dix  ans  à  l'unité  asiatique. 

Il  semble  que  les  conquêtes  de  Napoléon  en  exal- 
tant la  France,  soient  venues  traverser  ce  plan.  Mais, 
à  quoi  ont-elles  abouti?  à  rendre  la  Fille  aînée  de 
l'Eglise  moins  grande  et  plus  faible  qu'elle  n'était, 
à  raviner  l'Europe,  à  abattre  les  frontières  des  petits 
Etats   et  à  semer  partout  les   idées   révolutionnaires. 

En  même  temps  qu'il  abaisse  les  nations  catho- 
liques au  profit  des  nations  protestantes  par  la  diplo- 

1.  Lors  de  la  conquête  de  l'Algérie,  sitôt  suivie  de 
la  révolution  de  1830,  un  membre  du  gouvernement  fit 
cette  déclaration  au  Parlement  anglais  :  «  L'Angleterre  pour- 
rait entreprendre  une  guerre  contre  la  France.  Mais  il  y 
a  un  autre  moyen  :  ce  serait  de  rendre  la  possession  de 
ce  pays  inutile  entre  des  mains  rivales,  ce  serait  de  la 
rendre  plus  qu'inutile,  ce  serait  de  la  rendre  préjudiciable 
au  possesseur...  Notre  pays  verrait  se  ranger  sôus  sa 
6ajinière,  pour  prendre  part  à  la  lutte,  tous  les  hommes 
qui,  justement  ou  injustement,  ne  sont  pas  satisfaits  de 
la  condition  actuelle  de  leur  patrie...  Il  existe  entre  les 
mains  de  la  Grande-Bretagne  un  Pouvoir  plus  terrible 
'peut-être  quon  nen  vit  jamais  en  action  dans  l'histoire 
humaine. 

»  (Ecoutez  !)  La  conscience  de  posséder  cette  force  fait 
notre  mérite.  L'Angleterre  est  comme  le  maître  des  Vents 
dont    parle    le    poète  : 

«  Celsa  sedit  iEolus   arce.  » 


POUR  QUELLE  RACE  ET  PAR  QUEL  PEUPLE   619 

matie  et  la  guerre,  le  Pouvoir  occulte  prépare,  par 
la  propagande  des  principes  de  89,  l'établissement 
en  tous  pays  du  gouvernement  républicain  et  de 
la  souveraineté  du  peuple  (1).  Lorsqu'elles  jugent 
le  moment  venu,  les  sociétés  secrètes  soulèvent  les 
passions,  excitent  les  révoltes,  font  éclater  les  révo- 
lutions et  proclament  la  République.  Si  longtemps 
que  la  Franc-Maçonnerie  voit  chez  un  peuple,  le 
monarque  se  prêter  à  l'exécution  de  ses  desseins, 
elle  le  soutient,  elle  augmente  son  pouvoir  par  une 


1.  N'est-il  pas  bien  remarquable  que  dans  les  toasts 
échangés  à  Cowes,  en  août  1909,  entre  l'empereur  de 
Russie  et  le  roi  d'Angleterre,  oelui-ci  ait  déterminé  les 
conditions  dans  lesquelles  Albion  consentirait  à  prêter  son 
concours  à  son  ancienne  ennemie?  Edouard  VII  a  fait 
comprendre  que  la  sympathie  de  l'Angleterre  n'irait  qu'à 
une  Russie  dotée  d'une  vraie  Douma,  c'est-à-dire  d'un  régime 
représentatif,  d'un  régime  reposant  sur  les  principes  de 
89. 

Mn  peu  auparavant,  tout  à  coup,  sans  que  l'événement 
fût  le  moins  attendu,  la  Turquie,  elle-même,  s'était  méta- 
morphosée   en    pays    libéral,    constitutionnel. 

«  J'ai  posé,  dit  un  rédacteur  du  Temps,  à  Refik  bey  une 
question  sur  le  rôle  que,  selon  certains,  la  Franc-Maçon- 
nerie aurait  joué  dans  ces  événements.  Voici  ce  qu'il  a 
répondu  : 

«  Il  est  vrai  que  nous  avons  eu  l'appui  moral  de  la 
»  Franc-Maçonnerie  italienne.  Il  existe,  à  Salonique,  plu- 
»  sieurs  loges  :  la  «  Macedonia  risorta  »  (la  Macédoine 
»  ressuscitée),  et  la  «  Labor  et  Lux  »,  qui  dépendent  du 
»  Grand  Orient  d'Italie;  la  «  Veritas  ».  du  Grand  Orient 
»  de  France,  la  «  Perseveranza,  »  du  Grand  Orient  d'Es- 
»  pagne,  et  la  «  Philippos  »  du  Grand  Orient  de  Grèce, 
»  celle-ci  ayant  un  but  exclusivement  nationaliste.  A  vrai 
»  dire,  les  deux  premières,  seules,  nous  ont  vraiment  servi. 
»  Elles  ont  été  pour  nous  des  refuges.  Nous  nous  y  réunis- 
»  sions  oommp'  maçons,  car  beaucoup  d'entre  nous  font 
»  partie  de  la  Maçonnerie,  mais  en  réalité  pour  nous 
»  organiser.  De  plus,  nous  avons  pris  une  grande  partie 
»  de  nos  adhérents  dans  ces  loges  qui,  par  le  soin  avec 
»  lequel  elles  faisaient  leurs  enquêtes,  servaient  ainsi  de 
»  crible  à  notre  Comité.  » 


620        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

bureaucratie  plus  concentrée  et  une  augmentation  de 
puissance  militaire.  C'est  ce  qui  se  voit  en  Prusse 
et  aussi  en  Italie.  Il  n'en  sera  point  toujours  ainsi. 
Pour  l'Italie,  c'est  certain  :  elle  sera  mise  en  ré- 
publique comme  le  seront  l'Espagne  et  le  Portugal. 
Pour  la  Russie,  la  voilà  déjà  livrée  au  parlementa- 
risme. 

En  sera-t-il  de  même  de  la  Prusse,  de  l'Angle- 
terre ? 

En  novembre  1872,  VUnivers  reçut  d'une  source 
très  sûre  une  série  de  communications  fort  précieu- 
ses sur  un  conciliabule  des  sociétés  secrètes  tenu 
à  Locano  les  29-31  octobre.  Là  étaient  représentés 
les  Grands-Orients  de  Rome,  de  Naples,  de  Palerme, 
de  Florence,  de  Turin,  de  Gênes.  Félix  Pyat  y  était 
délégué  pour  la  France,  Kossuth  pour  la  Hongrie, 
Klapka  pour  la  Suisse,  le  général  Etzel  pour  la 
Prusse.  Le  général  Etzel  présida.  Il  y  dit  .  «  M.  de 
Rismarck  est  intéressé  plus  qu'on  ne  pense  à  tra- 
vailler dans  le  sens  de  la  démocratie.  Pour  le 
moment,  V Allemagne  demeure  forcément  en  dehors 
du  mouvement  républicain  ;  mais  la  raison  en  est 
très  simple:  elle  n'a  pas  achevé  son  unité.  Le 
grand  chancelier  a  fait  une  grosse  besogne,  et,  quel- 
que pressé  qu'il  soit,  il  faut  du  temps.  Or,  pendant 
que  la  France,  l'Italie,  l'Espagne,  tout  le  monde  la- 
tin enfin  sera  dans  les  convulsions  d'une  transfor- 
mation sociale,  il  accomplira  plus  facilement,  croit-il, 
les  exécutions  souveraines  qu'il  a  méditées  et  por- 
tera le  dernier  coup  à  l'Empire  d'Autriche.  Cela  fait, 
on  verra  l'Allemagne  entière  acclamer  la  Républi- 
que et  envoyer  promener  son  Empereur.  » 

Le  général  Etzel  ajouta  à  ces  communications  :  «  M. 
de   Bismarck   est   à  nous   entièrement,   et   le   jour  où 


POUR  QUELLE  RACE  ET  PAR  QUEL  PEUPLE   621 

nous  le  verrons  titubant,  nous  lui  retirerons  notre 
confiance.    Il    le    sait    très    bien.  » 

La  secte  aurait-elle  voulu  tout  récemment  faire 
sentir  à  Guillaume  II  qu'il  n'avait  point  à  «  titu- 
ber »?  (1)  Le  monde  vit  avec  stupéfaction  l'Allemagne 
faire  comparaître  son  Empereur  devant  le  tribunal 
des  représentants  et  le  faire  condamner  par  eux  à 
l'unanimité!  Un  mois  auparavant,  qui  n'aurait  souri 
si  on  lui  avait  annoncé  la  séance  historique  du 
Reischstag  ? 

Reste  l'Angleterre.  Le  Pouvoir  occulte  veut-il  con- 
tinuer  à  employer   ses   services? 

Le  roi  Edouard  VII  a  bien  semblé  dans  toute  sa 
conduite  poursuivre  la  résolution  d'accéder  à  la  pré- 
sidence des  Etats  européens,  vouloir  réaliser  l'impé- 
rialisme de  Chamberlain.  Mais  pouvait-il  compter  que 
sera  continuée  l'aide  que  la  Maçonnerie  internatio- 
nale a  accordée  à  son  pays  depuis  deux  siècles? 

Quelque  chose  de  semblable,  de  plus   grave  peut- 


1.  Le  27  octobre  1908,  le  «  Daily  Telegraph  »  repro- 
duisit une  série  de  conversations  de  l'Empereur  allemand 
avec  divers  personnages  anglais,  conversations  qui  avaient 
trait  surtout  à  la  politique  étrangère  de  l'Allemagne  de- 
puis une  dizaine  d'années.  Cette  publication  remua  toute 
l'Europe.  En  Allemagne,  la  presse  de  tous  les  partis  s'em- 
para de  l'incident  qui  fit,  en  même  temps,  à  la  tribune  du 
Reichstag,    l'objet   de    violentes    discussions. 

D'une  façon  presque  unanime,  l'Empereur  fut  blâmé. 
Des  discours,  des  articles,  des  caricatures,  qui  eussent,  peu 
auparavant,  exposé  leurs  auteurs  à  des  poursuites  justi- 
fiées pour  délit  de  lèse-majesté,  mirent  impunément  en 
cause,  de  la  façon  la  plus  outrageante,  la  personne  de 
1  Etnpereur.  Les  journaux  Israélites  se  distinguèrent,  en- 
tre tous.  A  leur  tête  s'est  trouvé  le  juif  Max  Hardon,  ré- 
dacteur à  la  «  Zukunft  ».  Trouvant  son  journal  insuffisant, 
il  parcourut  les  grandes  villes  de  l'Allemagne  pour  y  don- 
ner des  conférences  dont  la  personne  de  Guillaume  II 
était  toujours  l'objet  principal. 

Depuis  nous  avons  vu  les  émeutes  pour  réclamer  le  suf- 
frage universel. 


6  22        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

être   que   ce   qui  venait  de   se   passer  en  Allemagne 
a  commencé   en   Angleterre. 

Tous  les  peuples,  à  raison  du  rôle  que  l'Angle- 
terre a  dans  le  monde,  ont  suivi  avec  anxiété  les 
péripéties  fle  la  lutte  électorale  qui  a  eu  lieu  à  la 
fin  de  l'année  1909.  Le  courant  révolutionnaire  allait-il 
emporter  l'Angleterre  à  son  tour?  Asquith,  Lloyd  Geor- 
ges et  leurs  collègues  se  montrèrent  décidés  à  rui- 
ner le  pouvoir  de  la  Chambre  des  lords  qui,  sem- 
blable au  sénat  romain,  a  tendu  toutes  les  forces 
nationales  à  acquérir  la  domination  des  mers  et  des 
terres  les  plus  éloignées.  Allaient-ils  réussir?  Le  sort 
futur  du  globe  semblait  dépendre  tout  entier  de  la 
victoire  ou  de  la  défaite  du  patriciat  britannique. 
A  l'heure  où  nous  écrivons,  rien  n'est  définitivement 
obtenu  et  Edouard  VII  vient  de  mourir  (1).  Le  mi- 


1.  Au  lendemain  de  ses  funérailles,  Edouard  Drumont 
écrivit  : 

«  Ce  sera  une  vision  q-ui  demeurera  inoubliable  pour 
ceux  gui  en  auront  été  les  témoins  que  ce  cortège  de  sou- 
verains à  cheval  accompagnant  le  cercueil  d'Edouard  VII  : 
le  kaiser,  le  roi  de  Danemark,  le  roi  d'Espagne,  le  roi 
de  Portugal,  le  roi  de  Grèce,  le  roi  de  Norvège,  le  roi 
des   Belges. 

»  Tout  ce  qui  a  constitué  l'organisation  du  Passé,  tout 
ce  gui  a  fait  la  gloire,  la  magnificence,  l'éclat  de  ce 
Passé,  tous  ceux  qui  furent  les  représentants  de  la  société 
d'autrefois  étaient  rassemblés  là  comme  dans  une  éblouis- 
sante   synthèse... 

»  A  la  vision  de  tous  ces  porteurs  de  couronnes,  accourus 
pour  s'associer  à  l'apothéose  d'un  des  leurs,  on  pourrait 
opposer   une    autre    vision. 

»  Dans  dix  ans,  dans  cinq  ans  peut  être,  où  seront  les 
brillants  figurants  de  ces  fêtes  de  la  Mort?  Quelles  révolu- 
tions auront  secoué  ce  vieil  ordre  européen  qui  semble  vou- 
loir s'admirer  une  dernière  fois  lui-même  dans  la  pompe 
de   ces    funérailles? 

»  Roosevelt  est  là  et  fait  songer  aux  Felsenburgh  de 
Benson  dans  le  Maître  de  la  Terre.  M.  James  S.  Barcus, 
nous  apprend  le  Radical,  vient  de  publier  une  brochure, 
■qui   a  beaucoup   de   succès   aux   Etats-Unis,   et   qui  a  pour 


POUR  QUELLE  RACE  ET  PAR  QUEL  PEUPLE   623 

nistère  s'appuie  sur  une  majorité  où  les  éléments 
révolutionnaires  ont  le  rôle  prépondérant.  Vont-ils 
emporter  l'Angleterre,  après  qu'ils  lui  ont  servi  à 
emporter  les  nations  qui  faisaient  obstacle  à  son  am- 
bition? Les  faits  actuels  ne  tranchent  pas  la  question. 
Ils  n'ajournent  pas  non  plus  indéfiniment  la  solu- 
tion. Le  problème  est  posé;  il  continuera  d'agiter 
les  esprits,  en  Angleterre  et  ailleurs. 

S'il  a  suffi  de  porter  une  main  téméraire  sur  les 
prérogatives  et  les  privilèges  de  l'aristocratie  pour 
que  la  vieille  Angleterre  apparût  ébranlée  sur  ses 
bases,  que  pourrait-il  advenir  de  l'empire  d'Allema- 
gne  assurément   moins   fortement   cimenté! 

Aussi  le  Pouvoir  occulte,  c'est-à-dire*  le  gouverne- 
ment secret  qui  dirige  la  race  juive  vers  les  desti- 
nées auxquelles  elle  se  croit  appelée  depuis  tant 
de  siècles  et  qu'elle  compte  atteindre  de  nos  jours, 
ce  pouvoir  suit,  on  n'en  peut  douter,  d'un  regard 
attentif  tous  les  événements.  Or,  il  semble  actuel- 
lement porter  son  attention  sur  le  développement 
de  la  puissance  américaine  et  l'exaltation  de  ses 
ambitions  (1).  Il  n'ignore  point  non  plus  ce  qui  se 
passe  en  '  Asie.  Peut-être  a-t-il  aidé  le  petit  peuple 
japonais  à  battre  le  colosse  russe.  Il  favorise  peut- 
titre  :  Théodore  Boosevelt,  premier  président  du  Monde.  — 
Prophétie. 

»  L'auteur  suppose  qu'à  l'issue  de  la  Conférence  tenue 
à  La  Haye  en  1900,  M.  Roosevelt  se  sera  vu  décerner 
le  titre  de  président  des  nations  confédérées.  Les  services 
qu'il  a  rendus  à  la  cause  de  la  paix,  la  connaissance 
que  sa  qualité  d'ex-président  des  Etats-Unis  lui  a  donnée 
des  ConfédcratioTis  sont,  aux  yeux  de  M.  Barcus,  des 
titres  suffisants  pour  légitimer  l'élection  de  M.  Roosevelt 
au   poste  de   premier   magistrat  du  monde.  » 

l.M.  Bargy,  dans  son  livre  :  La  Beligion  dans  la  so» 
ciété  aux  Etats-Unis,  dit  :  «  La  République  des  Etats- 
Unis  est,  dans  la  pensée  des  Juifs  d'Amérique,  la  Jérusa- 
lem   future.  » 


624         l'agent  de  la  civilisation   moderne 

être  l'alliance  des  Etats-Unis  et  du  Japon.  Il  sait* 
combien  de  milliers  d'hommes  peut  fournir  la  Chine 
et  combien  il  sera  facile  dans  quelques  années  de 
les  jeter  sur  l'Europe  armés  des  engins  de  guerre 
qu'elle   nous   aura  empruntés. 

De  son  alliance  avec  la,  Franc-Maçonnerie,  l'An- 
gleterre a  tiré  son  hégémonie  sur  les  mers,  et  par 
elle  a  conquis  son  empire,  le  plus  grand  qui  soit,  qui 
ait  été;  de  son  côté,  la  maçonnerie  internationale 
a  mis  au  service  du  Pouvoir  occulte  la  puissance  de 
destruction  que  l'Angleterre  tenait  d'elle. 

Cette  entente  et  cette  collaboration  seront-elles  éter- 
nelles? A  l'heure  actuelle  l'une  et  l'autre  prennent 
leurs  dispositions  pour  la  prochaine  conflagration. 
Mais  cette  conflagration,  si  elle  fait  les  Etats-Unis 
d'Europe,  ne  créera  point  encore  la  république  uni- 
verselle; et  pour  achever  la  réalisation  de  son  rêve, 
le  Pouvoir  occulte  médite,-  peut-être,  de  briser  avec 
l'Angleterre  et  de  traiter  avec  l'Amérique  (1)  ou 
avec   la   race  jaune. 


1.  M.  Edouard  Drumont  faisait  tout  récemment  ces  ob- 
servations : 

«  Ce  dont  il  faut  bien  se  pénétrer,  c'est  que  les  Etats- 
Unis  d'aujourd'hui  ne  ressemblent  plus  du  tout  aux  Etats- 
Unis   d'il   y  a   seulement   vingt   ans. 

»  Il  y  a  eu,  surtout  depuis  la  guerre  avec  l'Espagne, 
une  transformation  radicale  des  mœurs,  des  idées  et  des 
sentiments  de  ce  pays.  Les  Etats-Unis  étaient  naguère 
une  grande  démocratie  laborieuse  et  pacifique;  ils  sont 
devenus  peu  à  peu  une  démocratie  militaire,  orgueilleuse 
de  sa  force,  avide  d'agrandissements  et  de  conquêtes;  il 
n'y  a  peut-être  pas  dans  le  monde  entier  d'impérialisme 
plus  ambitieux,  plus  résolu  et  plus  tenace  que  l'impéria- 
lisme américain.  Chez  ce  peuple,  qui  eût  haussé  les  épau- 
les autrefois  si  on  lui  eût  parlé  de  la  possibilité  d'une 
guerre  avec  une  puissance  quelconque,  il  n'est  question 
actuellement  que  de  dissentiments,  de  conflits  et  d'aven- 
tures. 

»  On  sait  les  progrès  énormes  qu'a  faits  en  ces  der- 
nières années  la  marine   américaine.   Quant  au  budget  mi- 


POUR  QUELLE  RACE  ET  PAR  QUEL  PEUPLE   625 

La  nation  juive  n'a  d'autre  moyen  d'action  pour 
la  réalisation  de  ses  projets  que  la  parole  et  l'ar- 
gent. Il  lui  faut  de  plus  une  force.  Cette  force,  l'An- 
gleterre la  lui  a  prêtée  jusqu'ici,  elle  la  prêtera  en- 
core vraisemblablement  pour  le  prochain  boulever- 
sement. Mais  après? 

Tout  homme  intelligent,  capable  d'observer,  de  sui- 
vre les  événements,  do  leur  demander  leurs  causes 
et  leurs  suites,  surprend  partout  les  prodromes  de 
formidables  événements  qui,  semble-t-il,  doivent  chan- 
ger la  face  du  monde. 

Le  Pouvoii  occulte  qui  les  a  préparés  en  bien  des 
points,  les  conduira-t-il  à  son  gré?  Arrivera-t-il  à 
constituer   cette   République   universelle   qui   fera  du 

litaire  des  Etats-Unis,  il  dépasse  aujourd'hui  quinze  cents 
millions.  C'est  un  chiffre  singulièrement  significatif  dans 
un  pays  qui,  il  y  a  si  peu  de  temps  encore,  ne  voulait  pas 
entendre   parler   d'avoir  une   armée. 

»  Remarquez  également  combien  l'action  diplomatique 
des  Etats-Unis  est  différente  de  ce  qu'elle  était  jadis.  Au 
lieu  de  se  borner  à  maintenir  l'intaiigibilité  de  la  doctrine 
de  Monroë,  la  grande  République  a  la  prétention  mainte- 
nant de  jouer  partout  son  rôle  de  puissance  mondiale.  Elle 
no  veut  pas  que  nous  intervenions  dans  les  affaires  amé- 
ricaines, mais  elle  intervient  à  chaque  instant  et  à  tout 
propos  dans  nos  affaires  d'Europe.  On  n'a  pas  oubhé  le 
mauvais  goût  et  le  sans-gêne  avec  lesquels  Roosevelt,  il 
y  a  deux  ou  trois  ans,  voulut  s'immiscer  dans  les  affai- 
res intérieures  de  la  Roamanie,  à  propos  des  Juifs.  Il  est 
vrai  que  les  Etats-Unis  sont  en  voie  de  devenir  une  puis- 
sance juive,  puisque  dans  une  seule  ville,  comme  New- 
York,  il  y  a  près  d'un  milhon  d'Hébreux  1  Ajoutez  à  cela 
la  fermentation  continue  de  toutes  ces  races  juxtaposées, 
mais  non  fusionnées,  qui  bouillonnent  perpétuellement  sur 
ce  vaste  territoire,  comme  en  une  immense  cuve':  la  ques- 
tion chinoise,  la  question  japonaise,  la  question  nègre, 
presque  aussi  aiguë  aujourd'hui  qu'elle  l'était  à  la  veille 
de  la  guerre  de  sécession.  Tout  cela  fait  ressembler  la 
République  américaine  à  un  volcan  gigantesque  qui  lance 
déjà  des  jets  de  fumée  et  des  bouffées  de  lave,  en  atten- 
dant l'éruption  qui  ne  peut  manquer  d'éclater  tôt  ou 
tard...  » 

L'Église  et  le  Temple.  40 


626         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

juif  le  maître  du  monde  ?  Quelle  que  soit  l'intelligence 
avec  laquelle  il  a  su  tirer  parti  de  tout,  et  l'ha- 
bileté avec  laquelle  il  a.  séduit  les  princes  pour  me- 
ner ceux-ci,  ^  leur  perte  et  ceux-là  au  faîte  de  la 
puissance  rêvée,  il  est  au-dessus  de  lui  une  plus 
grande  habileté,  une  intelligence  plus  pénétrante  et 
une  puissance  qui   surpasse  sa  puissance. 

Au-dessus  de  lui,  au-dessus  de  tout,  il  y  a  Dieu, 
Dieu  tout-puissant.  Il  a  créé  le  monde  pour  sa  gloire, 
la  gloire  inexprimable,  inconcevable,  qui  lui  sera 
éternellement  rendue  par  toutes  ses  créatures,  sans 
exception,  quoique  diversement,  les  unes  en  mani- 
festant sa  bonté,  les  autres  en  manifestant  sa  justice. 
Jusqu'au  jour  des  suprêmes  ré  tribu  lions,  il  les  laisse 
à  leur  libre  arbitre,  de  telle  sorte  cependant  que 
les  méchants  comme  les  bons,  le  mal  comme  le 
bien,  servent  à  l'accomplissement  des  desseins  de 
la  sagesse  infinie. 

Ce  que  M.  Donoso  Cortès  a  dit  du  démon,  nous 
pouvions  l'entendre  ici  du  Pouvoir  occulte  :  «  Lucifer 
n'est  pas  le  rival,  il  est  l'esclave  du  Très-Haut.  Le 
mal  qu'il  inspire  ou  qu'il  introduit  dans  l'âme  et 
dans  le  monde,  il  ne  l'introduit  pas,  il  ne  l'impose 
pas  sans  la  permission  du  Seigneur;  et  le  Seigneur 
ne  lui  laisse  cette  licence  que  pour  châtier  les  im- 
pies ou  pour  purifier  les  justes  par  le  fer  brûlant 
de  la  tribulation.  De  cette  sorte,  le  mal  même  arrive 
à  se  transformer  en  bien  sous  la  conjuration  toute 
puissante  de  celui  qui  n'a  d'égal  ni,  pour  la  puis- 
sance, ni  pour  la  grandeur,  ni  pour  le  prodige;  qui 
est  celui  qui  est,  et  qui  a  tiré  tout  ce  qui  est  en 
dehors   de  Lui,   des  abîmes   du  néant  »   (1). 

1.  L'Eglise  et  la  Révolution.  Un  proverbe  provençal 
exprime  la  même  pensée  à  sa  manière  :  «  Lou  diable  porte 
pèire.  »  Le  diable  même  apporte  sa  pierre  pour  l'édifice 
du  Seigneur  ».  (Voir  Mistral  dans  son  poème  de  Nerto.) 


POUR  QUELLE  RACE  ET  PAR  QUEL  PEUPLE   627 

Satan,  la  synagogue  et  la  maçonnerie  poursuivant 
leur  dessein  avec  un  succès  qui,  sans  doute,  paraîtra, 
à  une  certaine  heure,  se  réaliser  complètement.  Le 
Souverain  Maître  de  toutes  choses,  les  attend  à  ce 
jour,  pour  réaliser  ce  que  David  a  vu  et  entendu 
il  y  a  trente  siècles  dans  l'une  de  ses  extases  pro- 
phétiques :  «  Les  nations  s'agitent  en  tumulte,  et 
les  peuples  méditent  de  vains  projets.  Les  rois  de 
la  terre  se  soulèvent  et  les  princes  tiennent  conseil 
contre  le  Seigneur  et  contre  son  Oint.  «  Brisons  leurs 
liens,  disent-ils,  et  jetons  loin  de  nous  leurs  chaî- 
nes »,  Celui  qui  est  a,ssis  dans  les  cieux  rit  et  se 
moque    d'eux. 

»  Le  Seigneur  m'a  dit  :  «  Tu  es  mon  Fils,  je  t'ai  en- 
gendré de  toute  éternité.  Demande,  et  je  te  donnerai 
les  nations  pour  héritage  et  pour  domaine  les  extré- 
mités de  la  terre.  » 


LE  TEMPLE 


IL   -  NEF  RELIGIEUSE 


CHAPITRE  XLIII 


TRANSFORMATION   DU   JUDAÏSME 


Faire  de  tous  les  Etats  de  l'ancien  et  du  nouveau 
monde  les  départements  d'une  seule  et  même  répu- 
blique, assujettir  tous  les  peuples  au  gouvernement 
d^une  Convention  tmique  n'est  qu'un  côté  du  plan 
que  s'est  tracé  le  Pouvoir  occulte  qui  dirige  la  secte 
judéo-maçonnique  et  par  elle  le  mouvement  révolu- 
tionnaire. 

Le  plan  entier  a  été  exposé  en  1861,  dans  les 
Archives  Israélites  avec  un  stylet  qui  en  grave  tous 
les  caractères  dans  l'esprit  (1).  «  Tel  Jésus  s'est  substi- 
tué d'autorité  aux  dieux  établis  et  a  trouvé  sa  plus 
haute  manifestation  dans  le  sein  de  Rome;  tel  un 
Messianisme  des  nouveaux  jours  doit  éclore  et  se 
développer;  telle  une  Jérusalem  de  nouvel  ordi-e, 
saintement  assise  entre  l'Orient  et  l'Occident  doit 
se  substituer  à  la  double  cité  des  Césars  et  des  Payes.  » 
La  Jérusalem,   qui   doit  se   substituer  à  la  cité   des 

1.  XXV,   p.  600,    651. 


630     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

Césars,  c'est,  nous  l'avons  vu  dans  les  chapities 
précédents,  la  république  universelle.  La  Jérusalem 
de  nouvel  ordre  qui  doit  se  substituer  à  la,  cité  des 
Papes,  c'est  le  messianisme  des  nouveaux  jours  que 
nous  avons  maintenant  à  étudier.  Telles  sont  les  deux 
nefs  du  Temple  que  le  Pouvoir  occulte  construit  par 
l'action  combinée  des  Juifs  et  des  maçpns  avec  lo 
concours  des  protestants  qui  ne  voient  point  que  leur 
haine  de  Rome  les  pousse  à  leur  propre  ruine.  In- 
ternationalistes, démocrales  et  modernistes  travaillent 
plus   ou   moins   consciemment   à  la  même   œuvïe. 

Dans  la  construction  de  la  nef  religieuse  du  Tem- 
ple, le  rôle  des  Juifs  devient  plus  apparent  que  dans 
la   construction   de   la   nef   politique. 

Les  paroles  ci-dessus  rapportées  fui-ent  prononcées 
dans  l'une  des  premières  assemblées  de  V Alliance 
israélite  universelle  par  son  fondateur,  M.  Crémieux  : 
«  Sous  ce  nom  grotesque,  dit  M.  Edouard  Drumont, 
il  y  eut  un  Nazi  juif,  un  prince  de  la  JuiVeriej  qui 
exerça  l'influence  la  plus  profonde  sur  l'évolution 
du  peuple  prédestiné,  et  mena  de  fi^nt,  comme  un 
premier  ministre,  la  politique  intérieure  et  la  poli- 
tique extérieure.  »  Souv^erain  grand-maître  du  rita 
écossais,  Président  de  V Alliance  israélite  universelle, 
Chef  important  de  la  démocratie  française,  Crémieux 
incarna  la  révolution  maçonnique  en  ce  qu'elle  eut 
de  plus  complet.  Il  prépara  et  annonça  hautement, 
dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  le  règne  mes- 
sianique, l'époque  attendue  depuis  si  longtemps  où 
toutes  les  nations  seront  soumises  à  Israël.  Avant 
de  mourir,  Crémieux  indiqua  l'inscription  qu'il  vou- 
lait voir  figurer  sur  son  tombeau  : 

A  ISAAC-ADOLPHE    CRÉMIEUX 
PRÉSIDENT    DE    l'aLLIANCE-ISRAÉLITÉ-UNIVERSELLE 


TRANSFORMATION    DU    JUDAÏSME  631 

Ce  fut  son  œuvre,  en  effet,  la  grande  œuvre  qu'il 
glorifiait  en  ces  termes  :  «  L'institution  la  plus  belle 
et  la  plus  féconde  qxii  ait  été  fondée  dans  les  temps 
modernes.  » 

Telle  qn'elle  est  constituée  actuellement,  car  elle 
a  dû  être  précédée  d'essais  et  d'expériences  (1)  — 
V Alliance  Israélite  universelle  ne  date  que  du  mois 
de  juillet  1860.  Elle  est  ou^^rte  au  genre  humain 
tout  entier,  sous  la  haute  direction  d'Israël,  son  pro- 
gramme est  «  l'anéantissement  de  l'erreur  et  du  fa- 
natisme et  l'union  de  la  société  humaine  dans  une 
fraternité  solide  et  fidèle.  »  Sa  première  assemblée 
générale  eut  lieu  le  30  mai  1861.  Elle  est  gouvernée 
par  un  comité  central  qui  réside  à  Paris.  Il  se  com- 
posait d'abord  de  40  membres,  il  en  compte  main- 
tenant 60,  afin  de  donner  une  plus  nombreuse  repré- 
sentation aux  Juifs  des  contrées  éloignées.  A  V Alliance 
se  rattachent  d'innombrables  sociétés  juives  répan- 
dues dans  le  monde  entier.  De  plus,  elle  agit  plus 
ou  moins  directement  sur  cette  multitude  de  chré- 
tiens et  même  de  catholiques  qui,  nous  l'avons  vu, 
propagent  les  idées  qu'elle  a  intérêt  de  répandre  et 
travaillent  à  la  construction  du  Temple  par  l'em- 
pire que  ces  idées  exercent  sur  eux  et  sur  ceux  qui 
les  écoutent.  C'est  elle  qui  dispose,  par  l'argent, 
de  toute  la  grande  presse  européenne,  sauf  de  rares 
exceptions.  Elle  eut,  avant  la  guerre,  le  3  février 
1870,  une  assemblée,  dont  Edouard  Drumont  e  cru 
pouvoir  dire  :  «  Cette  réunion  eut  l'importance  his- 
torique du  fameux  couvent  de  Willemsbad  où  furent 
résolues  la  mort  de  Louis  XVI  et  celle  du  roi  de 


1.  Dès  l'année  1831,  il  s'est  formé,  en  Allemagne,  une 
association  de  Juifs  et  de  chrétiens,  dont  le  but,  comme 
celui  de  V Alliance  est  de  fonder  la  civilisation  religieuse, 
morale  et  sociale   des   Israélites. 


632     ï.'agenï   de   la   civilisation    moderne 

Suède.  C'est  là  qu'on  décida  l'écrasemerit  de  la 
France.  » 

«  Les  romans  publiés  sur  la  Compagnie  de  Jésus, 
donnent  r.n  peu  l'idée  de  ce  qu'est  en  réalité  V Alliance 
Israélite  universelle.  —  C'est  encore  Drumont  qui 
parle.  —  Ce  qui  n'est  pas  vrai  pour  les  Jésuites, 
l'est  pour  elle.  »  Les  Juifs  eux-mêmes  ont  fait 
ce  rapprochement.  L'un  des  orateurs  de  l'Assemblée 
générale  du  3  février  1870  y  a  dit  :  «  En  assistant 
hier  à  votre  séance,  j'ai  pensé  au  Juif  errant  d'Eugène 
Sue,  à  cette  scène  où  Rodin  dépouillant  sa  corres- 
pondance trouve  des  lettres  ées  quatre  coins  du 
monde.  La  comparaison  entre  ces  deux  sociétés  est 
juste,  quant  à  l'extension  et  à  l'étendue  de  ses  rap- 
ports avec  le  m'onde,  mais  elle  s'arrête  là.  Ah!  quelle 
différence  entre  ces  deux  œuvres  :  l'une  a  des  res- 
sorts pour  opprimer,  l'autre  pour  affranchir;  l'une 
s'étend  pour  étouffer  la  liberté,  l'autre  pour  la  don- 
ner; l'une  veut  éteindre  les  lumières,  l'autre  les  ral- 
lumer; l'une  répand  le  froid  et  la  mort,  l'autre  la 
chaleur  et  la  vie.  »  (Bravos).  L'Alliance  se  donne 
le  beau  rôle  comme  le  fait  toujours  la  Franc-Ma- 
çonnerie et  dans  les  mêmes  tenues.  L'histoire  du 
temps  présent  et  du  temps  passé  est  là  pour  dire 
que  ce  n'est  point  à  elle  qu'il  appartient. 

L'Alliance  israélite  traite  d'égal  à  égal  avec  les 
Puissances.  Elle  leur  envoie  des  notes,  des  protes- 
tations, des  ultimatum  que  les  souverains  reçoivent 
avec  humble  docilité   (1)  :  la  France  juive  en  four- 

1.  «  Tout  à  l'heure,  Israël  dispersé  depuis  dix-huit  siè- 
cles sur  la  surface  du  globe,  n'avait  plus  de  centre,  plus 
de  représentants,  plus  de  défenseurs  des  intérêts  com- 
muns; maintenant  tout  est  changé.  Uns  société  florissante 
(l'Alliance  l.  U.)  et  qui  trouve  accès  auprès  des  trônes 
LES  PLUS  PUISSANTS,  est  là  toujours  prête  à  revendiquer 
ses  droits,  à  combattre  ces  hommes  qui  sont  tout  à  la 
fois  les  ennemis  de  notre  race  et  ceux  de  la  lumière  et  de 
la    liberté  »    {Archives    israélites,    XIV,    p.    655,  1867.) 


TRANSFORMATION    DU    JUDAÏSME  C)3S 

nit  les  preuves  et  Crémitetix  s'-en  est  vanté  dans 
les    assemblées    qu'il   présidait. 

Que  veut-elle?  que  poursuit-elb?  Le  «  Mesianisins 
des  nouveaux  jours,  la  Jérusalem  de  nouvel  ordre, 
dont  l'empire  doit  s'étendre  au  monde  entier,  de 
l'Orient  à  l'Occident,  sur  les  ruines  de  la  cité  des 
Césars  et  de  la  cité  des  Papes,  c'est-à-dire,  de  tout 
l'ordre   politique   et   de   tout   l'ordre   religieux. 

Que  faut-il  entendre  par  ce  Messianisme  des  nou- 
veaux  jours? 

Les  Archives  Israélites  et  VUnivcrs  Israélite  ïious 
l'expliquent  :  c'est  une  transformation  du  judaïsme 
qui  en  fera  la  religion  de  tous  les  peuples  gouvernés 
par   une    seule    et   même    Convention. 

Pour  qui  observe,  l'heure  où  nous  sommes  pré- 
sente le  plus  soudain  et  le  plus  inattendu  des  spec- 
tacles :  celui  de  la  marche  du  juif. 

Depuis  la  dispersion,  depuis  dix-neuf  siècles,  le 
Juif  au  point  de  vue  religieux  était  immobile,  et 
voici  que  tout  s'ébranle,  tout  s'éloigne  de  la  source 
talmudique  où  le  Juif  puisait  sa  foi  devenue  im- 
muable. «  Aujourd'hui,  dit  le  juif  Bernard  Lazare, 
les  Juifs  d'Europe  «  ont  oublié  le  sens  des  anti- 
ques cérémonies;  ils  ont  transformé  le  judaïsme  rab- 
binique  en  un  rationalisme  religieux  :  ils  ont  dé- 
laissé les  observances  familières,  et  l'exercice  de 
la  religion  se  réduit  pour  eux  à  passer  quelques 
heures  par  an,  dans  une  synagogue,  en  écoutant 
des  hymnes  qu'ils  n'entendent  plus.  Ils  ne  peuvent 
pas  se  rattacher  à  un  dogme,  à  un  symbole  :  ils 
n'en  ont  pas,  en  abandonnant  les  pratiques  talmti- 
diques,  ils  ont  abandonné  ce  qui  faisait  leur  unité, 
ce  qui  contribuait  à  former  leur  esprit.  Cette  mar- 
che, il  est  vrai,  est  à  peine  sonsible  dans  les  régions 
de   l'Orient;   elle   est   d'une   rapidité   prodigieuse   en 


634         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

certaines  contrées  occidentales.  »  Il  faut  voir  en  cela, 
dit  M.  Gougenot  des  Motisseaux,  «  le  signe  éclatant 
d'une  époque  nouvelle  et  le  présage  d'événements 
grandioses.  » 

«  Voici,  nous-  disent  les  hommes  du  progrès  judaï- 
que, que  les  effluves  de  la  liberté  chassent  devant 
eux  les  nuages  de  l'immobile  orthodoxie  et  le  Tal- 
mud  qui,  depuis  son  apparition  avait  joui  d'une  au- 
torité inco7itestée,  se  voit  dédaigné  et  repoussé.  Non 
seulement  «  l'antique  code  de  Moïse  et  le  Talmud 
ne  sont  plus  du  goût  de  la  majorité,  mais  les  simu- 
lacres mêmes  de  l'orthodoxie  offusquent  des  my- 
riades d'Israélites.  »  C'est  un  journal  allemand  et 
protestant  La  Croix,   qui  fait  cette  constatation. 

Un  fait  entre  plusieurs  rapportés  par  M.  Gouge- 
not des  Mousseaux,  montre  jusqu'où  va  chez  les 
juifs  libéraux,  le  mépris  de  l'orthodoxie.  Un  jour- 
naliste belge,  juif  et  librcrpenseur,  Bérard,  fut  sur- 
pris au  théâtre  par  le  choléra  qui  l'expédia  hor^ 
de  ce  monde.  Ses  coreligionnaires  de  la  libre-pensée 
le  portèrent  au  cimetière  Israélite,  et  là,  le  grand 
rabbin  de  Belgique,  Aristide  Astruc,  déposa  sur  sa 
tombe  «  un  juste  tribu  dé  regrets  et  dC estime  pour 
cet  amant  passionné  de  la  liberté  religieuse.  »  Le 
Moniteur  des  solidaires  traita  de  méprise  ou  d'in- 
conséquence cette  intervention  du  grand  rabbin  à 
l'enterrement  d'un  libr^^penseur.  M.  le  rabbin  lui  ré- 
pliqua :  «  Bérard  était  maître  de  la  libre-pensée,  nous 
le  savions.  Le  judaïsme  n'exclut  personne  de  ses 
temples  pendant  la  vie,  ni  de  ses  cimetières  après  la 
mort...  Bérard  a  pu  devenir  libre-penseur  en  restant 
Israélite.  » 

«  On  nous  juge  toujours  au  dehors,  disent  les  Ar- 
chives israélites  (1),  avec  les  habitudes  d'Eglise  éta- 

1.  XV,    p.    677,    année    1867. 


TRANSFORMATION    DU    JUDAÏSME  635 

blie  et  officielle  dont  le  christianisme  nous  offre  le 
modèle.  Nous  sommes,  au  contraire,  le  type  le  plus 
absolu  de  démocratie  religieuse,  et  chacun  de  nous 
est  le  juge  suprême  de  la  foi.  » 

La  réforme  ne  porte  point  seulement  sur  le  dogme  : 
les  progressistes  Veulent  la  disparition  prohibitive 
du  sabbat,  etc.,-  etc.  L'Univers  israélité  va  même 
jusqu'à  dire  :  «  Qui  sait?  Peut-être  vont-ils  jusqu'à 
se  flatter  in  petto,  que  la  circoncision,  ce  cachet 
divin  que  nous  portons  sur  notre  chair,  selon  la 
poétique  expression  du  Talmud,  sera  rayée  par  un  trait 
de  plume  (1).  »  En  même  temps,  une  autre  feuille 
juive,  la  Neuzeit,  attaque  avec  violence  dans  l'an- 
tique capitale  de  l'empire  allemand,  à  Vienne,  «  la 
vie  israélité  tout  entière,  le  Talmud,  le  Schoulchan 
Arouch,  les  traditions,  les  cérémonies  religieuses  du 
foyer  domestique.  » 

«  Nous  voulons  marcher,  s'écrient  les  voix  tumul- 
tueuses des  réformistes.  Nous  ne  saurions  être  pour 
un  statu  quo  béat  et  inintelligent  dont  il  existe  etn.- 
core  des  coryphées!  L'immobilité  n'est,  en  ce  mo- 
ment surtout,  le  droit  ni  l'avantage  de  personnie. 
Unir  le  passé  au  présent  de  manière  à  préparer 
Vavenir  par  d'utiles  améliorations  faites  à  propos, 
c'est  le  secret  de  la  durée  pour  nos  croyances.  De- 
puis un  demi-siècle,  on  a,  malgré  les  cris  et  les 
protestations  de  ce  qui  s'intitule  l'orthodoxie,  réa- 
lité nombre  de  changements  avantageux  taxés  à  l'ori- 
gine de  subversifs  et  d'impies,  et  l'on  n'est  pas 
au  bout  de  cette  féconde  transformation  »  (2).  «  Une 
religion  n'est  à  nos  yeux  ni  une  morale  inflexible, 
ni  une  matière  inerte  qui  se  prête  à  d'incessantes 
expériences;  c'est  un  être  vivant,  perfectible,  ayant, 


1.  Univers    israélité,    VIII,    pp.    358-359,    année    1868. 

2.  Archives    Israélites,    XIX^   p.    835,    1866. 


636      l'agent   de   la   civilisation    moderne 

dans  le  passé  des  racines  qu'il  ne  faut  pas  couper 
et  se  renouvelant  avec  une  lenteur  nécessaire  »  (1). 

Ces  pensées  sontrelles  celles  de  tous  les  Juifs  de 
nos  jours?  Non;  nous  l'avons  dit,  les  Juifs  des  con- 
trées orientales  sont  encore  à  peu  près  ce  qu'ils 
étaient  il  y  a  des  siècles.  Mais  eux  aussi  sont  ti'a- 
vaillés.  Voici  un  fait  qnii^  montre  bien  les  influences 
que  Y  Alliance  Israélite  sait  employer  poux  amenjer, 
même  dans  ces  pays,  la  transforma'ion  du  judaïsme 
et  préparer  l'avenir  du  genre  humain,  tel  qu'elle  le 
conçoit,  le  veut  'et  l'espère. 

Le  10  mars  1908,  M.  Brice,  ministre  de  France  à 
Addu-Abbeba,  écrivit  à  M.  Pichoii,  ministre  des  Affai- 
res étrangères,  que  le  6  du  même  mois,  M.  Roux, 
consul  de  France,  avait  présenlé  sur  son  ordre,  à 
Ménélick,  MM.  Nahoum  et  Eherlm.  Rendant  compte 
de  cette  entrevue  avec  l'empereur,  M.  Nahoum  dit  : 
«  Je  suis  arrivé  à  parler  de  la  renaissance  d'Israël 
et  de  la  floraison  de  l'Ethiopie  dans  les  temps  mo- 
dernes. Les  Israélites  continuent  de  marcher  vers 
le  progrès,  grâce  à  leur  organisme  vivant  qui  lest 
V Alliance,  qui,  en  travaillant  dans  ce  but,  travaille 
aussi  pour  l'humanité   en   général.  » 

On  voit  ici  le  gouvernement  de  la  France  charger 
ses  représentants  d'introduire  auprès  de  l'empereur 
d'Ethiopie  les  délégués  de  V Alliance  israélite  uni- 
verselle, afin  que  ceux-ci  puissent  l'entretenir  de  cet 
«  organisme  vivant  »  qui  fait  marcher  Israël,  et,  en 
général,  l'humanité,  vers  le  progrès. 

En  Occident,  s'il  y  a  des  Juifs  réformistes,  il  y  a 

1.  Archives  israélites,  XX,  p.  879,  année  1866.  Qui  no 
serait  frappé  de  la  ressemblance  de  ce  langage  avec  celui 
des  catholiques  modernistes  condamnés  par  Pie  X!  Nous 
verrons  plus  loin  qu'il  n'y  a  dans  ces  deux  régions  ju- 
daïque et  cathO''iqxie  qu'ui  seul  et  même  mouvement 
d'idées. 


TRANSFORMATION    DU    JUDAÏSME  G37 

aussi  les  Juifs  orthodoxes;  mais  les  premiers  sont  de 
beaucoup  les  plus  nombreux  et  les  seconds  fléchis- 
sent, leur  orthodoxie  n'est  plus,  que  l'ombre  de  celle, 
de  leurs  frères  d'Orient  ou  de  celle  de  tous  les  juifs 
d'autrefois.  M.  Gougenot  des  Mousseaux.  en  donne 
des  preuves  nombreuses  et  frappantes  (1). 

Cependant,  remarquons-le  de  nouveau,  il  ne  faut 
pas  croire  que  le  juif,  parce  qu'il  renie  les  croyances 
de  ses  pères,  n'est  plus  un  juif.  Tout  en  s©  libé- 
rant de  sa  foi,  le  juif  conserve  et  maintient  avec 
un  soin  jaloux  sa  nationalité.  Les  réformistes,  aussi 
bien  que  les  orthodoxes,  à  qtielque  échelon  qu'ils 
se  soient  arrêtés,  brûlent  également  du  zèle  de  tenir 
haut  et  ferme  l'étendard  national  du  judaïsme;  pas 
plus  ceux-là  que  ceux-ci  n'abandonnent  l'idée  et  l'es- 
poir de  soumettre  le  genre  humain  tout  entier  à  leur 
joug.  «  Vos  observances  surannées,  disent  los  réfor- 
mistes aux  orthodoxes,  empêchent  le  judaïsme  de  se 
faire  accepter  et  nous  font  ainsi  manqu-er  un  pro- 
sélytisme que  nous  devons  exercer,  »  en  vue  de  cette 
domination   (2). 

En  1886,  la  place  de  Grand  rabbin  de  France 
devint  vacante.  Deux  concurrents  se  présentèrent  : 
Salomon  Klein,  grand  rabbin  de  Colmar,  orthodoxe, 
et  Isidore,  grand  rabbin  de  Paris,  progressiste.  Les 
Archives  Israélites  se  prononcèrent  pour  celui-ci,  pour 
cette  raison  :  «  Toute  candidature  qui  nous  ramener  ait 
à  l'ancien  système  d'étroite  casuistique,  et  qui  pré- 
tendrait immobiliser  les  errements  talmudiques  ferait 
OBSTACLE  A  l'avenir  DU  JUDAÏSME,  et  doit  être  écar- 
tée »   (3).   L'avenir  du   judaïsme,   voilà  bien   ce   qui 


1.  Les  juifs,  le  judaïsme  et  la  judaïsation  des  peuples  chrétiens. 

2.  archives    israélites,    X,    p.    448,    année    1867. 

3.  Archives  israélites,  p.  533.  Année  1868,  XII.. 


638         l'agent  de  la  civilisation  moderne 

reste  plus  vivant  que  jamais  au  cœur  de  toute  la 
race  d'Israël,  ce  que  tous  veulent  assurer.  Les  pro- 
.gressistes  prétendent  avoir  piis  pour  l'atteindre  la 
voie  la  plus  sûre,  et  ceux  qu'ils  persuadent  de  se 
mettre  à  leur  suite  se  comptent  par  myriades  de 
plus    en   plus    nombreuses. 

Ce  qu'ils  veulent,  ce  n'est  point  seulement  une 
transformation  du  judaïsme,  son  appropriation  aux 
besoins  du  temps;  ils  ont  l'ambition  d'être  aussi, 
au  sein  de  l'humanité,  un  ferment. 

Le  rationaliste  Klubert  nous  le  dit  dans  son  livre  : 
Du  Droit  de  la  Confédération  germanique:  «  En 
face  du  judaïsme  rabbinique  ou  du  talmudism^,  s'élève 
un  judaïsme  réformé  non  rabbinique,  préparé  par 
Moïse  Mendelson.  Ce  judaïsme  se  transformera,  se- 
lon toute  vraisemblance,  en  un  pur  déisme  ou  une 
religion  naturelle,  dont  les  représentants,  n'auront 
pas  besoin  d'appartenir  à  la  race  judaïque  »  (1).  Et 
à  quoi  tend  ce  prosélytisme?  «  Chacun,  suivant  sa 
conscience,  conservera  les  pratiques  du  culbe  rendu 
au  Dieu  unique  et  immatériel,  ou  les  réformera 
d'après  les  principes  d'un  israélitisme  libéral  et  hu- 
manitaire. Grâce  à  l'ampleur  de  cette  liberté  prati- 
que, le  progrès  jaillira  et  la  religion  universelle  res- 
sortira sans  qu'aucune  conscience  ait  été  autrement 
troublée.  »    (2). 

Dans  ces  phrases,  on  peut  voir  l'ébauche  du  plan 
de  la  Jérusalem  de  nouvel  ordre,  de  l'israélisme 
humanitaire,  que  l'Alliance  Israélite  universelle  s'ef- 
force de  promouvoir,  de  la  religion  de  l'avenir,  qui, 
dans  leur  pensée  doit  être  le  vrai  catholicisme,  la 
vraie  religion  universelle. 

Isilaël  se  transforme  donc,  et  il  dit  le  faire  dans  un 


1.  Kluber,   4e   édition,   §  516,   note   4. 

2.  Archives    Israélites,    III,    pp.    118-119,    année    1868. 


TRANSFORMATION    DU    JUDAÏSME  639 

but  de  prosélytisme  :  «  Nos  observances  surannées 
empêchent  le  judaïsme  de  se  faire  accepter  et  nous 
fait  ainsi  manquer  un  prosélytisme  que  nous  de- 
vons exercer.  » 

Depuis  de  longs  siècles,  Israël  avait  cessé  de  faire  du 
prosélytisme.  Il  s'y  remet,  et  avec  une  telle  passion,  Un 
tel  désir  de  réussir,  que  pour  amener  les  autres  à  lui, 
il  commence  par  se  débarrasser  lui-même  de  tout 
ce  qui  le  différencie. 

Convaincu  qu'en  matière  religieuse  l'esprit  est  tout 
et  la  forme  peu  de  chose,  le  juif  Hippolyte  Rodri- 
gue, cité  par  les  Archives  Israélites  (1)  s'adresse 
successivement  aUx  trois  filles  de  la  Bible  :  au 
judaïsme,  au  christianisme  et  à  l'islamisme.  Il  les 
exhorte  et  les  conjure  de  mettre  de  côté  les  formes 
extérieures  du  culte  qui  les  séparent,  mystères,  sacre- 
ments, etc.,  et  de  s'unir  sur  le  terrain  qui  leur  est 
commun,  de  l'unité  de  Dieu,  et  de  la  fraternité  uni- 
verselle. 

«  Que  partout  des  temples  s'élèvent,  r;"'cevant  dans 
leur  enceinte,  tous  les  hommes  sans  distinction  d'ori- 
gine religieuse!  Que  tous  les  coeurs  remplis  des  mê- 
mes sentiments  d'amour,  s'épanchent  devant  le  mê- 
me Dieu,  père  de  tous  les  êtres.  Que  tous  soient 
nourris  des  mêmes  principes  de  vertu,  de  morale 
et  de  religion,  et  les  haines  des  sectes  disparaî- 
tront, et  l'harmonie  régnera  sur  la  terre,  et  les  temps 
messianiques,   prédits   par  les  prophètes,   seront  réa- 


U Alliance  Israélite  universelle  a  été  créée  en  Vue 
de  cette  réalisation,  et,  dès  ses  premiers  jours,  elle 
se  félicitait  du  succès.  «  VAlUance  Israélite  univer- 
selle commence  à  peine,  et  déjà  son  influence  salu- 
taire se  fait  sentir  ^u  loin.  Elle  ne  s'arrête  pas  à  notre 

1.  XIV,   pp.    628-629,    1866. 


640       l'agent  de  la  civilisation  moderne 

culte  seul,  elle  s'adresse  à  tous  les  cultes.  Elle  veut 
pénétrer  dans  toutes  les  religions^  comme  elle  pénètre 
dans  toutes  les  contrées...  La  religion  juive  est  la 
mère  des  religions  qui  répandent  la  civilisation.  Ainsi, 
à  mesure  que  la  philosophie  émancipe  l'esprit  hu- 
main, les  aversions  religieuses  contre  le  peuple  juif 
s'effacent...  Eh  bien!  messieurs,  conlinuons  notre 
mission  glorieuse;  que  les  hommes  éclairés,  sans 
distinction  de  culte,  s'unissent  dans  cette  Association 
israélite  universelle,  dont  le  but  est  si  noble,  si  sa- 
gement civilisateur...  Faire  tomber  les  barrières  qui 
sépai"ent  ce  qui  doit  se  réunir  un  jour:  voilà,  Mes- 
sieurs, la  belle,  la  grande  mission  de  notre  Alliance 
israélite  universelle.  Marchons  fermes  et  résolus  dans 
la  voie  qui  nous  est  tracée.  J'appelle  à  notre  asso- 
ciation nos  frères  de  tous  les  cultes;  qu'ils  viennent 
à  nous,  avec  quel  empressement  nous  irons  vers  eux! 
Le  moment  est  venu  de  fonder  sur  une  base  indes- 
truclible   une   immortelle   association  »    (1). 

«  Et  comme  les  temps  sont  enfin  venus  où  les 
faits  s'empressent  de  répondre  aux  paroles,  le  plus 
vaste,  le  plus  merveilleux  des  temples,  un  temple 
dont  les  pierres  sont  vivantes  et  douées  de  pensée, 
s'élève  pour  recevoir  dans  son  élastique  enceinte, 
sous  la  bannière  à  jamais  sacrée  de  la  raison,  et 
de  la  philosophie,  tout  ce  que  le  genre  humain  ren- 
ferme dans  son  sein  de  généreux,  d'hostile  au  mys- 
tère et  à  l'ignorance,  de  vrais  fils  de  la  lumière 
et  de  la  liberté.  Ce  temple  abritera  dans  son  enceinte 
la  religion  juive,  qui  survit  à  tout  et  que  rien  n'ébran- 
le; religion  élargie  et  digne  de  Vhumayiité  tout  en- 
tière y>  (2). 


1.  Discours    de    Crémietix    à  VAUiance    israélite    univer- 
selle.    . 

2.  Archives   israélites,   XXIV,   p.    1074,    1866. 


TRANSFORMATION    DU    JUDAÏSME  641 

M.  Gougenot  des  Mousseaux  a  ainsi  résumé  une 
page  de  VUnivers  Israélite,  (V.  p.  223,  1869}.  «  Il  ne 
reste  plus  guère  aux  enfants  du  progrès  qtu'à  potasser 
du  pied  une  religion  vermoulue  (le  catholicisme)  et 
le  jour  de  sa  chute  se  fait  pressentir.  »  Et  voici 
la  raison  qu'il  en  donne  :  «  Inaugurée  par  la  savante 
et  spéculative  Allemagne,  la  rénovation  des  études 
théologigues  s'acclimate  en  France,  qui,  grâce  à  son 
esprit  généralisateur  et  expansif,  peut  être  appelée, 
à  faire  pour  la  synthèse  religieuse  ce  qu'elle  fit  un 
jour  pour  la  reconstitution  civile  et  politique  du 
monde.  Et  tout  Israélite  doit  éprouver  le  désir  de 
coopérer  à  cette  œuvre  où  sont  engagés  ses  intérêts 
les  plus  sacrés   (1). 

Dans  la  pensée  d*Israël  il  faut  donc  que,  refondue, 
comme  le  furent  par  la  Révolution  le  droit  et  l'his- 
toire, la  théologie  romaine  s'accorde  avec  la  phi- 
losophie judaïque.  Il  faut  que  d'un 'bout  à  l'autre 
le  la  terre,  une  croyance  hoslile  au  surnaturel,  c'est- 
t-dire  vraiment  antichrétienne,  et  digne  des  clartés 
lo  la  science  moderne  lie  et  cimente  les  uns  aux 
autres  les  membres  <le  la  grande  famille  humaine. 
Homme  ou  idée,  le  Messie  que  le  juif  attend,  arrive, 
son  jour  est  proche. 

Telle  est  l'ambition,  telîe  est  l'espérance  d'Israël. 
Nous  ne  disons  point  du  juif  d'aujourd'hui,  car  il  a 
toujours  eu  la  prétention  de  dominer  le  genre  humain 
tout  entier;  mais  aujourd'hui  il  précise  ses  moyens 
et  se  croit  à  la  veille  d'aboutir. 


1.  Le  Juif,  le  Judaïsme  et  la  jî(daisation  des  peuples  chrét- 
tiens,  f.  323. 


L'Église  et  le  Temple 


CHAPITRE  XLIV 
L'ISRAÉLITISME  HUMANITAIRE 


Un  isiaéli  isme  libéral  e':  human; taire,  Voilà  donc 
ce  que  tend  à  devenir  la  religion  des  Juifs.  Et  voilà 
ce  que  les  Juifs  les  plus  actifs,  les  plus  avancés, 
voilà  ce  que  V Alliance  israélite  universelle  propose 
aux  hommes  de  toute  religion  et  de  tout  pays  et 
ce  qu'elle  espère  bien  leur  faire  adopter. 

Un  effort  bien  puissant  est  fait  en  ce  moment,  sur 
tous  les  points  de  l'univers,  pour  ameher  le  genre 
humain  tout  entier  à  cette  religion  humanitaire.  Nous 
sommes  loin  de  pouvoir  exposer  ici  cette  eonspi- 
ration  sous  tous  ses  aspects,  il  y  faudrait  un  au- 
tre livre.  Nous  en  dirons  assez  pour  faire  comprendre 
à  quelle  profondeur  sont  sapés  les  fondements  de  la 
civilisation  chrétienne^  et  cela  sur  toute  l'étendue 
de  la  terre. 

L'idée  d'une  religion  humanitaire  commença  à  se 
manifester  à  la  même  époque  que  celle  de  la  Répu- 
blique universelle,  c'est-à-dire  vers  la  fin  du  XVIIP 
siècle;  mais  elle  avait  été  conçue  antérieurement. 
Un  écrivain  franc-maçon,  Henné  am  Rym  dans  son 
ouvrage    Allemeine   Eulturgeschicht    (T.    IV,    p.    214) 


l'israélitisme  humanitaire  643 

dit  :  «  La  conception  de  rhumanisme,  dans  son  sens 
le  plus  haut  et,  pouvons-nous  dire,  tout  à  fait  mo- 
derne, fut  propagée  en  1641  en  Angleterre  par  le 
frère  Moiave  Amos  Komensky  qui  s'y  éîait  réfugié  et 
qui  y  avait  fait  paraître  en  1639  son  Frodomus  Pan- 
sophiœ.  Il  professait  et  propageait  la  tolérance  géné- 
rale de  toutes  les  religions  et  l'amour  de  l'humanité 
se  manifestant  par  la  bienf:iisince.  Animé  d'abord  de 
l'espérance  de  réunir  en  un©  seule  toutes  les  croyan- 
ces chrétiennes,  quand  il  se  fut  convaincu  de  l'im- 
possibilité de  réaliser  ce  projet,  il  rejeta  toute  dif- 
férence confessionnelle  et  se  plaça  sur  la  hauteur 
de  rhùmanité  pure  et  dépouillée  de  tout  préjugé. 
«  Dans  sa  Pansophiœ,  Amos  Komensky  parle  d'un 
temple  de  la  sagesse  à  construire  et  il  dit  :  «  Parce 
que  cette  œuvre  ne  doit  pas  servir  aux  chrétiens 
seulement,  mais  à  tous  ceux  qui  sont  nés  hommes;, 
elle  pourrait  être  nommée  la  Pansophie  ou  sagesse 
humaine.  » 

A  cette  même  époque,  on  vit  un  personnage  dont 
le  vrai  nom  est  inconnu,  mais  qui  se  fit  appeler 
Eyrénée  Philalète,  parcourir  la  France,  l'Angleterre, 
la  Hollande,  l'Amérique.  En  tous  ces  pays,  il  par- 
lait d'une  nouvelle  religion  «humanitaire»  qui  devait 
"établir  prochainement  dans  le-  monde  et  compren- 
dre toutes  les  nations.  «  Ses  écrits,  dit  Claudio  Jan- 
net,  qui  renvoie  à  l'Histoire  Hermétique  de  Lenglet- 
Dufernoy  (I,  402),  ont  une  teinte  judaïque  très  pro- 
noncée. L'humanitarisme  s'y  donne  déjà  comme  de- 
vant  remplacer   le   christianisme.  » 

«  Au  siècle  suivant,  observée  M.  Joseph  Lemann  (1), 
le  philosophisme  commence  à  se  mettre  à  l'exécu- 
tion  de   ce   plan   d'enfer.    Il  y   emploie   deux   maxi- 

1.  L'entrée  des  Israélites  dans  la  société  et  les  États  chrétiens, 
d'après  des  documents  nouveaux,  ch.  IV. 


G44      l'agent    de   la   civilisation    moderne 

mes  qui,  après  plus  d'un  siècle,  n'ont  rien  perdu  de 
leur  prestige  :  «  Toutes  les  religions  sont  bonnes  », 
«  les  Juifs  sont  des  hommes  comme  les  autres.  »  La 
première  de  ces  maximes  avait  pour  but  d'abais- 
ser le  christianisme,  la  seconde  de  relever  les  Juifs, 
l'une  et  l'autre  de  préparer  le  terrain  pour  un  temps 
plus  ou  moins  éloigné  à  la  religion  humanilaire;  car 
du  moment  où  on  n'admettait  entre  les  religions 
ni  infériorité,  ni  supériorité,  il  n'y  avait  plus  à  con- 
sidérer en  chacun  et  en  tous  que  l'humlanité  et  à 
proclamer   les    «  Droits    de   l'homimie  ». 

On  sait  comment,  depuis  le  rétablissemeiit  du  culte 
en  France,  cette  égalité  entre  les  religions  fut  établie, 
maintenue  et  développée  piar  Napoléon  qui  mit  les 
sectes  protestantes  sur  le  même  pied  que  l'Eglise 
catholique,  par  Louis-Philippe  qui  fit  entrer  les  Juifs 
dans  cette  confusion,  par  Napoléon  III  qui  y  admit 
les  musulmans.  Nous  voyons  mlaintenant  comment, 
sous  la  troisième  république,  la  supériorité  a  été  ré- 
tablie en  faveur  des  juifs  el  des  protestants,  qui  ont 
toutes  les  forces  gouvernem3ntales  à  leur  service  pour 
persécuter  ceux  des  catholiques  qui  n'entrent  point 
dans  le  mouvement.  Il  ne  pouvait  en  être  autrement. 
L'Eglise  catholique  possède  et  professe  la  pleine  vé- 
rité. Un  secret  instinct  le  dit  même  à  ceux  qui  sont 
les  plus  éloignés  de  nous. 

Permettre  à  toutes  les  religions  fausses,  aux  hé- 
résies, aux  schismes,  aux  monstruosités  de  l'orgueil 
et  même  de  l'immoralité,  de  vtenir  se  ranger  sur 
la  même  ligne,  prétendre  à  la  même  considération, 
c'était  autoriser  d'avance  la  ligue  légale  de  toutes 
les  erreurs,  de  toutes  les  monstruosités,  contre  la 
religion  catholique,  contre  les  établissements  catho- 
liques, contre  la  vie  catholique.  Cela  ne  s'est  pas 
fait   attendre.    Cela  dépasse   même   tout   ce   que   les 


L^SRAÊLITïSME   HUMANITAIRE  045 

bons  pouvaient  redouter,  tout  ce  cfae  les  méchants 
pouvaient  se  promettre. 

Ici  encore  nous  nous  trouvons  en  présence  do  l'exé- 
cution du  plan  élaboré  au  couvent  de  Wilhemsbad, 
Il  est  tout  entier  exprimé,  dans  los  paroles  que  le 
comte  de  Virieu,  de  retour  de  ce  congrès,  dit  au 
comte  de  Gilliers.  Il  concluait  en  disant  combien  il 
serait,  difficile  au  catholicisme  de  ne  pas  succom- 
ber sous  l'assaut  qui  allait  lui  être  livré. 

De  Maistre,  qui  vit  et  prévit  tant  de  choses,  n'igno- 
rait rien  de  ce  plan.  Il  en  avertit  Alexandre  I^^ 
dans  un  mémoire  qu'il  lui  adressa  en  1816,  Il  y  dit  : 
«Il  y  a  très  certainement,  selon  toutes  les  appa- 
rences, des  sociétés  proprement  dites,  organisées  pour 
la  destruction  de  tous  les  trônes  et  de  tous  les 
autels.  » 

II  ajoutait  que  les  juifs  tiraient  un  grand  parti 
de  ces  sociétés.  Il  etit  pu  dire  qu'ils  en  étaient 
l'âme. 

En  1860,  l'heure  sembla  venue  de  se  mettre  résolu- 
ment à  l'œuvre;  le  juif  Crémieux,  chargé  de  pré- 
parer les  voies  au  règne  de  l'humanitarisme,  institua 
V Alliance  israélite  universelle,  comme  nous  l'avons 
vu  ^u  chapitre  précédent. 

Le  moyen  le  plus  puissant  peut-être  inventé  pour 
réaliser  son  programme,  pour  se  procurer  les  pier- 
res vivantes  qui  doivent  entrer  dans  la  construction 
du  Temple,  c'est  l'école  neutre. 

N'est-ce  pas  upe  chose  prodigieusement  étonnante 
que  de  voir  tous  les  Elats,  ca'holijues  oa  protestants, 
monarchies  ou  républiques,  promulguant,  à  peu  près 
en  même  temps,  les  mêmes  lois  pour  imposer  la  neu- 
tralité !au  point  de  vue  religieux,  dans  l'enseigne- 
ment de  la  jeunesse?  Comment  expfiquer,  en  dehors 


646     l'agent   de   la   civilisation   moderne 

de  la  conjumtion  •  antichrétienne,  un  tel  accord  pour 
une  chose  si  nit)nstrueuse,  let  dont  les  effets  ont 
été  bientôt  si  funestes,  que  plusieurs  Etats  se  sont 
hâtés  de  corriger  leur  législaiion  sur  ce  point? 

Mais  laussi,  quoi  de  plus  efficace  que  cette  neutralité 
scolaire  pour  atteindre  le  but  visé  par  V Alliance 
Israélite  universelle?  Les  enfants  élevés  dans  l'igno- 
rance des  vérités  religieuS'es  appartiennent  par  le  fait 
à  risraélitisme  libéral  et;  humanitaire;  ils  sont  les 
éléments  tout  faits  de  la  «  religion  universelle  »,  de 
ce  «  catholicisme  »  qui  perme'tra  l'accomplissement 
des    destinées   d'Israël. 

La  preuve  que  le  Juif  est  l'instigateur  de  ce  mou- 
vement, nous  la  trouvons  dans  le  livre  qu'a  pu- 
blié un  inspecteur  d'Académie,  M.   Pajot. 

Après  avoir  dit  que  les  élèves  des  écoles  norm^iles 
y  perdent  infailliblement  la  foi  et  qu'il  est  par  consé- 
quent nécessaire  de  remplacer  la  foi  «  par  une  forte 
culture  morale  indépenda7ite  de  tout  enseignement 
confessionnel,  »  il  prend  le  langage  de  V Alliance  Israé- 
lite universelle,  et  il  dit  :  «  Que  cette  culture  morale 
est  aussi  une  foi,  une  religion,  mais  une  religion 
supérieure  à  toutes  les  autres,  et  dans  laquelle  elles 
peuvent  et  doivent  se  confondre.  A  côté,  et  nous  ne 
craignons  pias  de  dire  au-dessus  des  religions  qui 
divisent  les  esprits,  il  y  a  place  pour  une  religion 
vraiment  universelle,  acceptable  pour  tous  les  es- 
prits pensants  et  qui  renferme  les  religions  parti- 
culières  comme  le  genre  renferme  les  espèces  1  (1)  » 

N'est-ce  point  mot  pour  mot  le  langage  des  Ar- 
chives israélites  et  de  V Alliance  israélite  universelle 'f 

Cette  conformité  de  'langage,  de  pensées  et  de  vœux 
entre   ce   fonctionnaire   de  l'Université   et  la  grande 

l._  Avant  d'entrer  dans  la  vie.  Aux  instituteurs  et  insti- 
tutrices,  consd's  et  directions  pratiques. 


l'israélitisme  humanitaire  647 

machine  vivante  et  parlante  construite  par  les  juifs 
modernes  pour  broyer  tout  ce  qu'il  y  a  de  positif  en 
toute  religion  quelle  qu'elle  soit,  n'est-elle  pas  bien 
digne  d'attention? 

La  tâchie  que  l'Alliance  Israélite  universelle  s'est 
donnée  à  accomplir,  pour  préparer  l'édification  du 
Temple,  est  donc  d'introduire  dans  le  catholicisme  et 
en  ce  qui  reste  de  ferme  dans  les  autres  religions, 
des  éléments  de  dissolution  qui  les  amèneront  à 
se  confondre  toutes  dans  une  Vague  religiosité  hu- 
manitaire. 

Les  dogtoeis  forment^  pour  ainsi  dire,  l'ossature 
des  religions,  et  c'est  aussi  par  eux  qu'elles  se  dis- 
tinguent et  se  tiennent  séparéies  les  unes  des  autres. 
Le  grand  effort  des  apôtres  de  la  religion  humani- 
taii^e  doit  donc  être  de  les  fa^ire  disparaître.  Il  s'y 
porte  en  effet.  Un  synode  protestant  tenu  à  Clairac, 
en  octobre  1903,  exprimait  parfaitement  leur  des- 
sein et  leur  but  dans  ce  vœu  :  «Que  les  baniè- 
res  soient  abaissées  entre  les  Eglises,  afin  de  faciliter 
la  collaboration  fraternelle  au  service  de  l'huma- 
nité. » 

C'est  en  Amérique  surtout  qu'a  pris  corps  le  pro- 
jet de  l'élablissément  d'une  religion  huraani'aire,  de- 
vant se  substituer  aux  religions  existantes.  Depuis 
longtemps  on  y  ti^av'aille  à  abaisser  les  barrières  dog- 
matiques et  à  unifier  les  confessions  de  façon  à  favo- 
riser les  voies  à  l'humanitarisme. 

Le  terrain  est  propice.  D'après  le  P.  Forbes,  S. -.T., 
dent  cinquante  sectes  officiellement  inscrites  com- 
prennent sept  à  huit  millions  de  protestants,  mem- 
bres actifs  des  Eglises  aristocratiques.  En  dehors 
de  ces  Eglises  officielles,  il  y  a  quarante-cinq  mil- 
lions d'indifférente. 


648        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

Pai'mi  ceux  qui  ont  conservé  le  sentiment  reli- 
gieux, il  en  est  beaucoup  qui  sont  empoi-tés  p^ 
les  sectes  les  plus  échevelées.  Enfin,  on  compte  en 
Amérique  huit  cent  mille  francs-maçons  (1)  et  dix 
millions  de  spirites.  Dans  un  tel  milieu,  l'humanita- 
risme peut  se  donner  carrière. 

Dans  cette  miasse  d'infidèles,  voici  d'après  le  Ca- 
tholio  Directory  de  Milwaukee,  la  population  catho- 
lique des  Etats-Unis.  Elle  était  en  1906,  de  12.651.944, 
soit  189.131  de  plus  que  l'année  précédente.  Le  nom- 

1.  En  octobre  1905,  VAlpi}m,  publication  maçonnigue  in- 
ternationale, lançant  l'idée  de  célébrer,  en  1917,  par  unij 
fête  générale  à  Londres,  le  deux  centième  anniversaire  de 
la  création  de  la  Franc-Maçonnerie  en  Angleterre,  donna  ce 
renseignement  :  «  Le  grand  développement  qu'a  pris  la 
F.  •  .-M.  • .  'dans  les  Etats-Unis  d'Amérique  est  démontré 
par  le  fait  que  plus  de  87  o/o  des  membres  de  la  Chambre 
des  représentants  et  80  o/o  des  sénateurs  appartiennent  à  des 
loges.  » 

A  l'occasion  de  la  dernière  élection  à  la  Présidence  des 
Etats-Unis,  le  Saint-Paiil-Wanderer  (no  2123)  publia  un 
article  qui  fut  reproduit  par  le  CathoUc  Fortnightly  Beview 
de  Saint-Louis.  Il  y  était  dit  que  les  deux  candidats,  MM. 
Bryon  et  Taft,  étaient  l'un  et  l'autre  francs-maçons.  Et  la 
Vérité  de  Québec  ajoutait  que  depuis  la  fondation  des  Etats- 
Unis,  la  règle,  sauf  de  rares  exceptions,  a  été  que  leurs 
Présidents  appartinssent  à  la  Franc-Maçonnerie.  Le  premier, 
Washington,  a  été  élu  d'abord  secrètement  par  ses  frères 
avant  d'être  désigné  au  choix  populaire.  Le  F.-.  Limou- 
sin, parlant  dans  un  journal  du  rôle  considérable  que  la 
Franc-Maçonnerie  joue  aux  Etats-Unis,  écrit  :  «  Elle  a  été 
le   moule    où    s'est   formée   la   société    américaine  ». 

Le  nombre  des  Francs-Maçons  aux  Etats-Unis  que  nous 
reproduisons  ci-dessus  est  celui  qui  a  été  donné  par  le 
P.  Forbes.  Mais  le  l«r  mars  1908,  le  CathoUc  Forttiightly 
Beview  affirmait,  d'après  l'Encyclopédie  des  Fraterniié.'i 
d'Amérique,  que  les  Loges  maçonniques  seules  augmentent 
annuellement  d'une  moyenne  de  trente  mille  membres,  hom- 
mes et  femmes,  et  que  le  chiffre  actuel  de  toutes  les  so- 
ciétés secrètes  à  tendances  antichrétiennes  :  Loges  des  trois 
Rites,  Triangles  sataniques,  loges  socialistes  et  anarchistes, 
Odd  Fellows,  chevaliers  de  Pythias,  etc.,  etc.,  peuvent  s'éle- 
ver aux  Etats-Unis  à  plus  de  huit  millions,  y  compris 
les   sœurs   de  toute  espèce. 


l'israélitisme  humanitaire  649 

hre  des  membres  du  clergé,  régulier  et  séculier,  est 
de  14,484,  se  décomposant  ainsi  :  séculiers,  10.789; 
réguliers,  3.695.  Un  caMinal,  14  archevêques  et  90 
évêques.  Les  églises  sont  au  nombre  de  11.814.  Et 
1.066.207  fréquentent  4.281  écoles.  Ces  chiffres  ne 
s'appliquent  qu'aux  Etats-Unis  continentaux,  et  ne 
tiennent  compte  ni  de  Porto-Rico,  ni  des  Philippines. 

Plus  que  le  nombre,  ce  qu'il  importe  de  connaître, 
c'est   la   disposition  d'esprit. 

Un  livre  a  été  publié  récemment  :  La  religion  dans 
la  société  aux  Etats-Unis,  par  un  écrivain  français, 
M.  Henry  Bargy.  M.  Brunetière,  dans  un  article  qu'il 
publia  len  décembre  1902  dans  la  Bévue  des  Deux- 
Mondes,  lui  rend  ce  témoignage  qu'il  a  1res  habi- 
lement décrit  les  transformations  qui  s'opèrent  en 
ce  moment  même  au  sein  du  pro!estantisme.  M.  Bru- 
netière marque  ainsi  le  terme  de  cette  transforma- 
tion :  «  L'évolution  qui  prépare  en  Amérique  l'unité 
du  christianisme  est  un  effet  du  positivisme  ».  En 
effet,  dans  la  pensée  d'Auguste  Comte,  «  religion  » 
et  «  sociologie  »  ne  font  qu'un.  Sa  sociologie  n'est 
qu'un  effort  pour  réaliser  le  royaume  de  Dieu  sur  la 
terre;  c'est-à-dire  diviniser  l'homme  ou  humaniser 
Dieu.  »  M.  Bargy  donne  de  cette  évolution  ^—  et 
nous  les  ferons  connaître  d'après  lui  —  les  origines, 
le  développement  et  le  caractère.  Le  résultat  est  ce 
qu'il  appelle  parfois  la  religion  américaine,  d'au- 
tre   fois    LA    RELIGION    HUMANITAIRE. 

La  Religion  américaine,  telle  qu'elle  nous  est  pré- 
sentée dans  ce  livre,  n'est  point  tout  à  fait  ce  que 
M.  l'abbé  Klein,  dans  sa  Vie  du  F.  Jlecker,  et,  après 
lui,  Mgr  O'Connell  et  Mgr  Keane,  ont  baptisé  du 
nom  d'américanisme  (1).  L'américanisme  est  ce  que 

1.  Voir  V Américanisme  et  la  conjuration  an tî  chrétienne, 
pp.   306-308. 


650     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

quielques  catholiques  ont  laissé  entrer  dans  leur  ca- 
tholicismie  de  l'idéal  religieux  américain;  mais  cet 
idéal  ne  se  réalise  complètement  que  dans  les  ssctes 
protestantes  qui  se  partagent  les  populations  de  l'Amé- 
rique, et  dans  le  judaïsme  libéral. 

De  cet  «  idéal  américain  »,  ou  de  celte  «  religion 
américaine,  »  M.  H.  Bargy  donne  cette  définition  par 
le  fait  :  «  Toutes  les  Eglises  des  Etats-Unis,  pro- 
testantes, catholiques,  juives  et  indépendantes  ont 
quelque  chose  de  commun.  Elles  sont  plus  voisines 
entre  elles,  qfue  chacune  d'elles  ne  l'est  avec  son 
Eglise-mère  d'Europe;  et  l'ensemble  de  toutes  les 
religions  d'Amérique  forme  ce  que  l'on  peut  appeler 
la  religion  américaine.  »  Ces  lignes  sont  les  premières 
qlii  se  lisent  en  tête  du  livre  de  M.  Henri  Bargy. 
Le  livre  tout  entier  est  pour  démontrer  le  bien  fondé 
de  cette  assertion. 

Nous  avons  à  faire,  dès  maintenant,  des  réserves 
sur  la  miention  de  l'Eglise  catholique  au  milieu  des 
Eglises  protestantes  et  juives.  Il  n'est  point  vrai  de 
dire  que  l'Eglise  catholique  en  Amérique  est  plus 
voisine  des  sectes  protestantes  que  de  l'Eglise  ro- 
maine; mais  il  est  exact  que  des  chrétiens  qui  con- 
servent le  nom  de  catholiques  se  rapprochent  trop 
des  protestants,  —  en  Amérique  plus  qu'ailleurs.  La 
facilité  aviec  laquelle  les  familles  catholiques  con- 
fient l'éducation  de  leurs  enfants  aux  Universités 
neutres  ne  fera  qu'aggraver  le  mal.  Le  R.  P.  B. 
Caselly,  S.  J.,  dans  un  article  reproduit  par  le  Ca- 
thoUe  Morrer  de  Baltimore,  a  dit  en  avril  1906  : 
«  Il  y  a  en  ce  moment  au  moins  deux  mille  étudiants 
catholiques,  garçons  et  filles  dans  ces  Universités.  » 

Les  origines  de  la  Religion  américaine  doivent  ê'ie 
attribuées,  selon  M.  Bargy,  aux  Puritains.  Le  terme 


l'israélitisme  humanitaire  651 

en   sera   dans   un   christianisme   élargi   jusqu'à   l'hu- 
mani  taris  me. 

Il  croit  pouvoir  poser  ces  deux  assertions  :  «  La 
République  des  Etats-Unis  est,  dans  la  pensée  des 
Juifs  d'Amérique,  la  Jérusalem  future  ».  «  L'Amé- 
ricain croit  sa  nation  Velue  de  Dieu  ».  Et  il  ajoute  : 
Dans  cette  confiance  patriotique  des  Américains,  les 
Juifs  ont  reconnu  la  leur.  Leur  orgueil  national  est 
venu  s'appuyer  sur  celui  de  leurs  nouveaiux  com- 
patriotes. Les  uns  comme  les  autres  attendent  de 
leur  race  le  salut  de  la  terre  (1).  » 

1.  M.  l'abbé  Klein,  dans  le  récit  qu'il  publia  dan  s  le 
Correspondant  (10  février  et  10  mars  1904)  de  son  voyage 
en  Amérique,  reconnaît  qu'il  y  a  six  cent  mille  juifs 
dans  la  ville  de  New-York.  Il  ajoute,  il  est  vrai,  que  c'est 
la  moitié  de  ce  qu'il  y  a  dans  les  Etats-Unis;  mais  les  gens 
bien,  informés  assurent,  au  contraire,  que  la  même  propor- 
tion   se    retrouve    dans    les    autres    villes    de    l'Union. 

Cette  émigration  des  juifs  aux  Etats-Unis  répond  bien 
à  oe  que  dit  M.  Bargy,  que  la  République  des  Etats-Unis  est, 
dans  la  pensée  des  juifs  d'Amérique,  la  Jérusalem  future. 

Un  journal  juif,  la  Zntung  des  Judenstams,  dans  son 
numéro  du  13  octobre  1905,  laisse  entendre  que  les  Juifs 
finiront  par  conquérir  le  Nouveau-Monde.  «  Dans  un  tel 
pays,  avec  des  possibilités  illimitées,  où  il  n'y  a  pas  de 
religion  d'Etat,  et  où  on  ne  vous  demande  ni  votre  origine 
ni  votre  nationalité,  un  peuple  actif,  sobre,  studieux  et 
plein  d'initiative  peut  aller  loin...  Actuellement,  le  nombre 
des  Juifs  se  trouvant  au  premier  plan  de  la  vie  publique,  est 
de  plus  de  900.  Le  fait  est  d'autant  plus  réconfortant  qu'il 
n'y  a  qu'un  petit  pour  cent  de  la  population  juive  qui 
vive  depuis  plus  d'un  âge  d'homme  aux  Etats-Unis;  et  ce- 
pendant il  fiaut  au  mcins  un  âge  d'homme  pour  jouer  un  rôle 
dans  la  vie  d'un  peuple.  » 

Ce  quo  non  ascendum  est  digne  d'attention.  A  la  suite  de 
la  campagne  menée  par  les  Juifs  en  1907  pour  l'abolition 
de  la  fête  de  Noël  da.ns  les  écoles  des  Etats-Unis,  le  Central 
cathoHc  publia  ce  défi  porté  à  la  chrétienté  par  le  juif  Israël 
Rosenstoin  :  «  Si  les  chrétiens  s'irritent  et  veulent  renverser 
l'ordre  donné  par  la  Commission  scolaire  de  New-York, 
les  .forces  juives  coahsées  peuvent  précipiter  une  terrible 
catastrophe  financière,  dont  l'issue  sera  que  nous  attraperons 
plus   encore   que  ce   que  nous  demandons   maintenant!  » 


652        l'agekt  de  la  civilisation  moderne 

Cet  orgueil  national  est  partagé  même  par  des 
membres   du   clergé. 

«  Dans  le  cours  de  l'histoire,  a  dit  Mgr  Ireland, 
la  Providence  a  choisi  tantôt  une  nation  tantôt  une 
autre,  pour  servir  de  guide  et  de  modèle  au  progrès 
de  l'hiimaniié.  Qjand  s'ouvril  l'èra  chrétienne,  c'était 
Rome  toute-puissante  qui  menait  l'avant-garde.  L'Es- 
pagne prenait  la  direction  du  monde  à  l'heure  où 
l'Amérique  s'apprêtait  à  entrer  dans  la  famille  des 
peuples  civilisés.  Maintenant  que  commence  à  poin- 
dre sur  V horizon  ïère  la  plus  grande  qu'on  ait  en- 
core vue,  de  quelle  nation  la  Providence  va-t-elle 
faire  choix  pour  guider  les  destinées  de  V humanité  ? 
Cette  noble  nation,  je  la  vois  qui  m'apparait. 
Géante  de  stature,  gracieuse  dans  tous  ses  traits, 
pleine  de  vie  dans  la  fraîcheur  et  le  matin  de  sa  jeu- 
nesse, di^ne  comme  une  matrone  dans  la  prudence  de 
sa  démarche,  les  cheveux  ondulants  au  souffle  chéri 
de  la  liberté,  c'est  elle,  on  n'en  saurait  douter  en 
la  voyant,  c'est  elle  la  reine,  la  conquérante,  la 
maîtresse,  l'iNSTiTUTRiCE  des  siècles  a  venir...  Ses 
enfants  lui  sont  venus  de  tous  les  pays;  ils  ont 
construit  un  monde  nouveau,  un  monde  qui  incarne 
en  lui  les  espérances,  les  ambitions,  les  rêves  des 
prêtres   et   des   voyants   de   l'humanité. 

»  La  nation  de  l'avenir  1  ai-je  besoin  de  la  nom- 
mer? Nos  cœurs  frémissent  d'amour  pour  elle. 

»  0  mon  pays,   c'est  toi. 

Douce    terre    de    liberté, 

C'est  toi-même  que  je  chaate  »  (1). 

Les  Juifs  ont  dit  :  «  Le  développement  et  la  réa- 
lisation des  principes  modernes  sont  les  conditions 
les  plus  énergiquement  vi'ales  pour  l'extensijn  expan- 


1.  Voir  V Américanisme  et  la  conjuration  anti  chrétienne, 
pp.    187-190. 


l'israélitisme  humanitaire  G53 

sive  et  le  plus  haut  développement  du  judaïsme  (con- 
cile juif  de  1869). 

De  leur  côté,  les  Américanisles  nous  disent  :  «  Les 
idées  américaines  sont  celles  que  Dieu  veut  chez 
tous    les    peuples    civilisés    de    notre   temps.  » 

«  L'influence  de  l'Amérique,  continue  Mgr  Ireland, 
s'étend  au  loin  parmi  les  nations,  antant  pour  la 
solution  des  problèmes  sociaux  et  politiques  que  pour 
le  développement  de  l'industrie  et  du  commerce.  Il 
n'y  a  point  de  pays  au  monde  qui  ne  nous  emprunte 
des  idées.  L'esprit  de  la  liberté  américaine  déploie 
son  prestige  à  travers  les  océans  et  les  mers,  et 
prépare  le  terrain  pour  y  planter  les  idées  et  les 
mœurs  américaines.  Cette  influence  croîtra  avec  le 
])rogrès  de  la  nation.  Le  centre  de  gravité  de  l'acti- 
vité humaine  se  déplace  rapidement,  et  da7is  un 
avenir  qui  n'est  pas  éloigné,  I'Amékique  conduira 
LE  MONDE  ».  (L'avenir  du  catholicisme  aux  Etats- 
Unis). 

M.  Bargy  ne  prête  donc  pas  gratuitement  ses  pen- 
sées aux  autres,  lorsqu'il  dit  que  les  Américains 
voient  le  salut  de  la  terre  se  préparer  dans  «  l'évolu- 
tion religieuse  qui^se  fait  sentir  aux  Etals-Unis,  et  qui 
prépare  une  religion  de  l'humanité  où  viendraient 
se  confondre  toutes  les  religions  existantes.  »  On 
a  lu  les  premières  lignes  du  livre,  celles-ci  sont  les 
dernières.  Le  livre  tout  entier  marque  les  phases  de 
cette  évolution. 

M.  Bargy  fait  remonter  les  origines  de  la  religion 
américaine  à  l'époque  où,  sur  d'autres  indices,  nous 
avons  reporté  nous-même  les  origines  de  l'humani- 
tarisme, c'est-à-dire  au  XVII^  siècle.  «  Le  christia- 
nisme américain,  dit  M.  Bargy,  a  reçu  des  premiers 
colons  son  caractère.  La  colonisation  par  les  Puritains 
date  de  leur  émigration  en  Hollande  où  ils  vécurent 


654     l'agent   de   la   civilisation   moderne 

douze  ans  avant  de  passer  en  Amérique.  C'est  en 
Hollande  qu'est  né  le  christianisme  américain.  La 
premièro  Eglise  protss'ante  d-i  Nouveau-Monde,  celle 
de  Plymouth  (1620),  ne  fut  autre  que  l'Eglise  de 
Leyde  fondée  en  1608  aux  Pays-Bas  par  des  sépara- 
tistes anglais  sous  la  conduite  de  John  Robinson. 
L'histoire  de  l'Eglise  de  Leyde,  c'est  déjà  l'histoire 
des  Eglises  d'Amérique  :  «  Un  effort  vers  plus  de 
tolérance  pour  plus  de  solidarité  ».  «  Le  traité  de 
la  communion  religieuse  »,  écrit  en  1612  par  Ro- 
binson, est  le  premier  témoignage  d'un  esprit  nou- 
veau en  religion...  Robinson  mit  son  Traité  sous 
l'invocation  de  saint  Paul,  cet  apôtre  de  la  tolérance 
dont  s'inspirent  tant  de  prédicateurs  du  Nouveau- 
Monde   (1).  » 

Quel  est  cet  esprit  nouveau  en  religion?  On  vient 
de  le  dire,  c'est  un  esprit  de  tolérance  en  ce  qui 
concerne  le  dogme,  afin  d'arriver  à  une  plus  par- 
faite solidarité  entre  les  hommes  de  toute  race  et 
de  toute  condition.  C'est  donc  un  esprit  humanitaire. 
«  La  religion  des  Puritains  est  faite  pour  l'homme 
et  non  pour  Dieu.  Ils  sont  dévots  de  la  religion 
en  ce  qu'elle  a  de  social,;  ils  n3g!i^eiit  ce  quelle  a  de 
dogmatique.  » 

Ce  fut  d'abord  comme  un  instinct  qui  gagna  l'une 
après  l'autre  toutes  les  sectes  protestantes  résidant 
en  Amérique.  De  1820  à  1830  ce  devint,  avec  Chan- 
ning,  un  système  philosophique  qui  prit  le  nom  d'Uni- 
tarisme.  Son  auteur  le  caractérise  :  «  Une  religion 
qui  refuse  de  se  définir.  »  Son  seul  dogme  est  l'in- 
différence aux  dogmes.  «  Nous  n'avons  suivi  qu'un 
système  :  exclure  la  controverse  ».  Ayant  ainsi  écarté 
la  vérité   révélée,   il   fit   de   sa   religion  une  philan- 

1.  M.  Bargy  fait  ici  allusioa  à  la  Congrégation  des  Pau- 
listes   fondée  par  le   P.   Hecker. 


L'ISRAÉLITISME    HUMANITAIRE  655 

thropie  :  «  Le  perfectionnement  de  l'homme  par  le 
perfectionnement  de   la  société.  » 

De  1830  à  1840  se  forma  le  groupe  des  Transcen- 
dantalistes.  «  A  côté  des  Unitaires  et  plus  haut  qu'eux, 
dit  M.  Bargy,  ils  incarnent  ce  qui  caractérise  l'Amé- 
rique :  l'union  du  sentiment  chrétien  et  de  la  raison 
positive;  ils  réconcilient  l'esprit  évangélique  et  l'es- 
prit rationaliste  en  les  faisant  servir  tous  deux  à 
l'action  sociale...  Conciliateurs  par  excellence,  ils  per- 
soiinifient  l'horreur  américaine  des  controverses  et 
des  polémiques...  Ils  concilient  toutes  les  contradic- 
tions apparentes  :  chrétiens  et  rationalistes,  individua- 
listes et  socialistes.  Ils  sont  typiquement  améri- 
cains. » 

«  L'influence  des  Transoendantalistes,  dit  encore  M. 
Bargy,  comme  celle  des  Unitaires,  s'est  répandue  par- 
tout :  on  la  reconnaît  dans-  les  sociétés  de  culture 
morale,  dans  les  Eglises  libérales,  et  même  dans 
les  Eglises  orthodoxes;  dans  la  littérature  et  le  jour- 
nalisme; dans  l'éducation,  dans  •  le  courant  d'idées, 
insaisissable  et  tout-puissant,  qui  fait  la  façon  de 
sentir  et  de  penser  d'un  peuple.  » 

Après  avoir  passé  des  Puritains  aux  Unitaires  et 
des  Unitaires  aux  Transcendantalistes,  le  christianis- 
me américain  a  trouvé  son  terme  dans  la  «  Société 
de  culture  morale  »,  Society  for  Ethical  Culture. 
C'est  le  type  de  l'Eglise  sans  dogme.  Elle  n'enseigne 
plus  à  mourir,  mais  à  vivre;  elle  est  une  école  d'éner- 
gie pratique,  qui  fait,  du  perfectionnement  de  l'homme 
par  le  perfectionnement  de  la  société,  l'objet  même 
du  christianisme  transformé.  En  un  mot,  le  christia- 
nisme dans  la  transformation  que  la  religion  huma- 
nitaire veut  lui  faire  subir,  ne  sera  rien  autre  chose 
que   le   socialisme. 


650     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

«  La  vraie  forme  et  la  forme  vraiment  moderne  de 
la  religion^  dit  un  jeune  publicisle  italien,  M.  Guillaume 
Ferrero,    c'est   le   socialisme   allemand  »   (1). 

Et  M.  Brune tière  reprend  :  «  Pourquoi  le  «  socia- 
lisme iallemand  »?  C'est  le  «  socialisme  »  en  général 
qu'il  faut  dire  — •  en  France  aussi  bien  qu'en  Alle- 
magne, en  Italie  comme  en  Angleterre,  le  socialisme 
sans  épithète,  le  socialisme  des  foules  :  je  veux  dire 
le  socialisme  considéré,  non  dans  les  programmes  ou 
à  travers  l'éloquence  des  politiciens  qui  s'en  font 
une  carrière  et  une  voie  d'accès  aux  jouissances  du 
pouvoir,  mais  dans  les  aspirations  de  ces  masses 
populeuses  qu'agitent,  que  soulèvent  et  qu'entraî- 
nent ses  prédica'eurs.  Moins  français,  plus  international 
et  plus  universel  que  notre  rév^olution,  ce  que  le  so- 
cialisme aspire  à  réaliser,  c'est  proprement  «  le 
royaume  des  cieux  »  sur  la  terre,  c'est  le  rêve  de 
l'universelle  fraternité  dans  l'universel  amour.  Ce  n'est 
point  après  la  mort,  ni  dans  une  autre  vie,  dont 
celle-ci  ne  seiait  que  la  voie  douloureuse,  mais  sur 
terre  et  demain,  que  le  socialisme  promet  à  ses  adep- 
tes la  réalisation  du  royaume  des  cieux...  Ce  qu'il 
y  a  de  certain,  c'est  que  ces  espérances  n'étant  pas 
conçues  comme  immédiatement  réalisables,  maïs  dans 
un  avenir  indéterminé,  l'enthousiasme  qu'elles  ins- 
pirent à  ceux  qui  les  partagent  est  lui  tout  seul 
une  manière  de  religion  (2).  » 

Le  socialisme  est  bien,  en  effet,  la  forme  concrète 
de  la  reUgion  humanitaire;  ou,  si  l'on  veut,  le  terme 
de  la  civilisation  moderne,  si  elle  parvient  à  supplan- 
ter  pour   un   temps    la   civilisation   chrétienne. 

1.  M.  Gougenot  des  Mousseaux  (p.  97)  dit,  que  dès  l'an- 
née 1831,  il  s'est  formé  en  Allemagne  une  association  de 
juifs  et  de  chrétiens  doat  le  but  est  de  fonder  la  civilisation 
religieuse,  morale  et  sociale  des  Israélites. 

2.  Revue    des    Deux-Mondes,    décembre    1902,    p.    873. 


CHAPITRE  XLV 

D'AMÉRIQUE  LA  RELIGION  HUMANITAIRE 
SE  RÉPAND   EN  EUROPE 


La  «  Société  de  culture  morale  »  avait  été  fondée 
à  New- York  par  M.  Félix  Adler,  chargé  de  cours  , à 
l'Université  Cornell.  Bientôt  des  sections  ou  asso- 
ciations semblables  furent  établies  en  1883  à  Chi- 
cago, en  1885  à  Philadelphie,  en  1886  à  Saint-Louis. 
D'Amérique,  le  mouvement  se  propagea  en  Europe. 
M.  Fouillée  représente  la  France  dans  l'organe  pu- 
blié pour  toutes  ces  sociétés,  l'International  Journal 
of  Ethies,  qui  fut  créé  à  l'instigation  de  M.  Adler. 
La  société  de  Londres  (1891)  fut  l'œuvre  d'un  Amé- 
ricain, M.  Stanton  Coit.  En  1895,  une  société  fut 
fondée  en  Autriche,  à  Vienne,  et  une  en  Suisse.  Celles 
de  l'empire  Allemand  furent  fondées  par  Adler  lui- 
même,  et  elles   sont  au  nombre  de  seize. 

Faut-il  y  rattacher  l'association  des  «  cogitants  »,  dont 
la  presse  nous  a  révélé  l'existence  à  l'occasion  du 
congrès  qu'ils  tinrent  à  Berlin  en  juin  1899? 

Le  but  paraît  bien  le  même,  c'est  de  réuniç  les 
«  partis  de  réforme  religieuse  et  sociale  »,  et  de  «  fon- 
der la  religion  de  l'avenir.  »  Leur  président  est  aussi 
un  Juif.  Comme  moyens  d'atteindre  cette  fin,  le  con- 

L'Église  et  le  Temple.  42 


658         L'AGENT     DE     LA     CIVILISATION     MODERNE 

grès  a  préconisé,  lui  aussi,  «  la  libération  d8  la  con- 
trainte dogmiatique  »,  la  création  d'une  religion  affran- 
chie du  dogme.  Il  a  'adopté  la  résolution  que  voici  : 

«  Considérant  que  la  vieille  foi,  par  suite  de  sa 
contradiction  avec  la  science  moderne,  est  condamnée 
à  disparaître  tôt  ou  tard,  le  congrès  pour  l'union 
des  partis  de  réforme  religieuse  et  sociale  exprime 
le  vœu  que  le  gouvernement  ne  reconnaisse  plus  à 
l'avenir  l'organisation  ecclésiastique  traditionnelle  (1). 

»  En  second  lieu,  le  congrès  invite  tous  ceux  qui 
pensent  librement  à  donner  leur  adhésion  à  la  reli- 
gion de  la  science  et  de  la  conscience  progressives, 
c'est-à-dire  à  la  religion  des  «  cogitants  »,  afin  de  hâter 
le  triomphe  de  l'idée  correspondant  à  l'esprit  mo- 
derne. 

»  Enfin,  lé  congrès  estime  qu'il  est  nécessaire  de 
faire  sans  retard  de  l'agitation  en  ce  sens  dans  toute 
l'Allemagne.  » 

Nous  ne  savons  si  les  «  cogitants  »  se  ramifient 
dans  les  autres  pays;  mais  il  existe,  sur  tous  les 
points  du  monde,  une  association  qui  n'en  diffère 
guère  :  Les  Unions  chrétiennes  des  jeunes  gens.  La 
Réforme  Sociale  en  a  parlé  dans  son  numéro  du 
l^r  juillet  1893,  dans  celui  du  16  novembre  1896^ 
dans  celui  du  1^^  juillet  1902  et  dans  celui  du  16  fé- 
vrier 1903.  Ce  dernier  numéro  a  publié  une  commu- 
nication faite  par  M.  Em.  Sautier,  secrétaire  général 
de  cette  association  pour  la  France. 

Voici  les  renseignements  que  nous  trouvons  là  et 
ailleurs  : 

Ces  Unions,  fondées  il  y  a  un  demi-siècle,  se  sont 
rapidement  développées  sur  toute  la  surface  du  globe. 

Un  employé  de  commerce,  Georges  Williams,  fonda 

1.  C'est  chose  fait  on  France  par  la  loi  de  séparation 
de  l'Eglise  et  de   l'Etat. 


RELIGION   HUMANITAIRE   D'AMÉRIQUE   EN   EUROPE    6Ô9 

la  pi^mière  Union  anglaise  en  1844  et  fut  appelé 
le  «  Père  des  Unions  ».  Cook  fonda  l'Union  de  Paris 
en  1852.  En  1906,  l'œuvre  comptait  en  France,  cinq 
mille  membres  répartis  entre  113  Unions.  Il  y  a  des 
Unions  paysannes  dans  le  Gard,  la  Charente  et  la  Ven- 
dée, des  Unions  ouvrières  à  Roubaix  et  au  Creu- 
sot.  Les  Unions  sont  fédérées  en  groupes  régionaux, 
dont  les  réunions  forment  l'Alliance  française.  L'Al- 
liance française  n'est  qfu'une  province  de  l'Alliance 
internationale,  qtii  comptait  alors  7.000  Unions  com- 
prenant 600.000  jeunes  gens. 

En  1878,  la  huitième  «  conférence  universelle  », 
réunie  à  Genève  créa  un  comité  central  international 
qui  comprend  onze  membres.  11  est  inspiré  lui-même 
par  une  Commission  délibér'ative  composée  de  vingt 
et  un  conseillers,  appartenant  aux  nationalités  sui- 
vantes :  Amérique,  Allemagne,  Autriche,  Belgique,  Da- 
nemark, Espagne,  France,  Grande-Bretagae,  Hollande, 
Hongrie,  Indes,  Italie,  Japon,  Norvège,  Océanie,  Russie, 
Suède  et  Suisse  (1). 

L'âme  de  tout  groupement  est  son  secrétaire  gé- 
néral, et  le  lien  fédératif  entre  toutes  les  Unions 
est  constituée  par  ces  secrétaires.  Ils  doivent  être 
de 5  «  apôti^s  adroi's  et  expérimen'és  ».  Depuis  1899 
les  secrétaires  généraux  échangent  en  des  «  confé- 
rences »  les  résultats  de  leur  expérience  person- 
nelle  (2). 

1.  L'Alliance  universelle  des  Unions  chrétiennes  a  ainsi 
dressé  sa  statistique  : 

unions     membres      secrétaires    bâtiments      valeurs 

1907  :    7031  761056  2604  1001     201667821  fr. 

1908  :    7835  8(30573  2864  1067     221997140  fr. 
2.807  Unions  (avec  103.981  membres),  ne  sont  pas  ra: ta- 
chées  à  l'Alliance   universelle. 

En  France,  l'Alliance  compte  125  Unions,  32  groupes 
indépendants  et  15  associations  d'étudiants  ou  de  lycéçns. 
^  2.  Voir  Les  cinq  premières  années  des  Unions  chrétiennes  de 
jeunes  gens  de  France,  par  Roger  Merlin. 


660       l'agent  de  la  civilisatioiN  moderne 

Il  y  a  trois  catégories  de  secrétaires  généraux  : 
1*^  Les  secrétaires  'permanents,  véritables  ministres, 
qui  ont  sous  leur  direction  un  territoire  considéra- 
ble; 2°  Les  secrétaires  itinérants,  visiteurs  de  grou- 
pes, fondateurs  de  sections  nouvelles;  3°  Les  secré- 
taires locaux,  placés  à  la  tête  d'une  Union  et  en 
faisant  leur  chose.  Une  allocation  de  6.000  à  15.000 
francs  les  dispense  de  tout  souci  d'avenir,  en  même 
temps  que  la  haute  considération  que  leur  témoigne 
la  Société  protestante  les  entretient  dans  leur  dévoue- 
ment et  les  récompense  de  leurs  efforts.  Il  y  a  quel- 
ques années  a  été  créée  à  Springfield  une  véritable 
Ecole  normale,  à  eux  destinée,  et  où  on  les  pré- 
pare à  leur  futur  apostolat.  A  l'heure  actuelle,  un 
huitième  des  secrétaires  d'Unions  chrétiennes  sort  de 
cette  maison  et  le  nombre  ira  en  augmentant.  Une 
autre  école  a  été  fondée  à  Genève,  en  1896  et  plu- 
sieurs en  Amérique.  Pour  ceux  qui  ne  sont  point 
formés  dans  ces  écoles,  on  les  attache  comme  auxi- 
liaires à  l'un  de  leurs  aînés,  qui  a  mission  de  les 
former. 

On  compreaid  la  puiss^ce  d'une  telle  organisa- 
tion. 

Les  Unions  favorisent  le  mélange  des  classes,^  mais 
elles  associent  aussi  entre  eux  les  jeunes  gens  que 
rapprochent  les  communautés  d'intérêt;  de  travail  ou 
d'études.  C'est  ainsi  qu'il  existe  des  Unions  chré- 
tiennes pour  les  étudiants,  jusque  dans  les  Univer- 
sités des  'pays  d'Extrême-Orient.  A  Tokio,  à  Nan-King, 
à  Péking,  à  Séoul  en  Corée,  à  Calcutta,  il  existe  des 
associations  exclusivement  composées  d'étudiants  chi- 
nois, japonais,  indous  ou  coréens  (1).  Il  y  en  a  aux 

1.  VElan,  daas  son  numéro  du  1er  avril  1901,  donnait 
cette   information  : 

«  Les  Unions  japonaises  projettent  d'entreprendre  Une 
œuvre  spéciale  parmi  les  soldats  tant  que  durera  la  guerre. 


RELIGION   HUMANITAIRE   D'AMÉRIQUE   EN   EUROPE    661 

Etats-Unis  pour  les  employés  de  chemins  de  fer. 
En  France,  elles  sont  particulièrement  établies  dans 
les  villes  de  garnisons,  et  à  chacune  de  ces  Unions 
est  annexée  une  œuvre  militaire  que  l'on  se  garde  bien 
de  mettre  en  interdit.  La  France  chrétienne  (numéro 
du  28  janvier  1904)  affirme  que  ces  Unions  et  les 
œuvres  militaires  annexées  reçoivent,  de  bienfaiteurs 
américains,  les  capitaux  qui  leur  permettent  de  fonc- 
tionner  et    de    faire    de    la    propagande. 

Il  y  a  même  des  Unions  chrétiennes  de  jeunes 
filles.  C'est  ce  que  nous  a  appris  le  Chrétien  belge, 
dans  son  numéro  du  4  juin  1904.  Il  informait  que 
le  lundi  de  la  Pentecôte,  une  centaine  d'unionistes 
s'étaient  réunis  dans  le  temple  de  Charleroi.  Un  rap- 
port sur  la  marche  de  ces  Unions  qui  fut  lu,  montre, 
dit  ce  journal  protestant,  que  cette  marche  est  «  ré- 
jouissante ».  L'assemblée  a  ensuite  applaudi  au  pro- 
jet d'une  fédération  des  trois  groupes  sectionnaires, 
Hainaut,    Brabant,    Liège. 

Les  protestants  unitaires  ont  institué  à  Genève,  en 
1900,  un  Corïiité  international  et  des  Conférences 
universelles. 

Après  avoir  tenu  ses  congrès  œcuméniques  à  Lon- 
dres  et   à  Amsterdam,   l'Unitarisme   a  choisi   Genève 


Lo  héros  de  la  bataille  de  Chemulpo,  le  oontre-amiral 
Uriu,  a  été,  pendant  deux  ans,  président  de  l'Union  Chré- 
tienne des  Jeunes  Gens,  pendant  qu'il  fréquentait  l'Ecole 
navale  d'Annapolis  aux  Etats-Unis.  M.  Kataoka,  qui  vient 
de  mourir,  était  président  de  la  Chambre  basse  du  Parle- 
ment  japonais   et   président   de   l'Union   de    Tokyo.  » 

A  l'occasion  de  la  guerre,  les  protestants  ont  étabH  des 
te7ites  unionistes  en  Mandchourie.  La  première  a  été  ins- 
tallée à  Antoken,  vis-à-vis  de  Wiju.  Elle  peut  contenir 
deux  cents  soldats  et  porte  en  grands  caractères  l'ins- 
cription Union  chrétienne  des  jeunes  gens.  Le  soir,  la 
môme  inscription  se  lit  sur  une  quantité  de  lanternes  ja- 
ponaises; quatre  grands  drapeaux  japonais  sont  déployés 
dans  certaines  occasions.  Les  secrétaires  de  l'œuvre  sont 
au  nombre  de   trois. 


662     l'agent   de    la   civilisation    moderne 

comme  siège  de  la  troisième  de  ses  assemblées,  qui 
s'est  tenue  en  ceftte  ville  au  milieu  de  septembre 
1905.  Le  nom  officiel  de  l'assemblée  était  Congres  in- 
ternational du  Christianisme  libéral  et  progress'f.  Le 
Comité  genevois  d'organisation  estime  que  «la  haute 
importance  d'une  réunion  pareille  dans  l'antique  cité 
de  Calvin  ne  saurait  échapper  à  aucune  des  âmes 
de  la  tendance  unitaire.  Il  compte  sur  le  concours 
dévoué  de  tous  ceux  auxquels  est  chère  l'indépendance 
absolue  de  la  prière  religieuse  »  (1). 

Le  Christianisme  au  XX^  siècle,  dans  son  numé- 
ro du  17  mars  1904,  avait  fait  savoir  qu'une  réu- 
nion avait  eu  lieu  le  vendredi  précédent  à  l'Union 
de  Paris,  salle  André,  à  l'effet  de  prendre  les  pre- 
mières  mesures   pour   l'organisation   de   ce   congrès. 

Dans  un  rapport  à  la  jeunesse  catholique  de  Be- 
sançan,  M.  de  Montenach  a  dit  :  «  Les  Unions  dé- 
clarent exister  en  dehors  de  toute  organisation  ecclé- 
siastique et  conserver  une  complète  neutralité  vis- 
à-vis  des  différentes  dénominations  ecclésiastiques.  » 

Nous  retrouvons  donc  ici  l'esprit  et  les  tendances 
de  la  «  Religion  américaine  »,  dont  tout  le  credo  est 
la  foi  au  bien  »  et  qui  accueille  les  gens  de  toute 
religion    comme    les    gens    sans    religion. 

On  s'efforce  en  ce  moment  de  grouper,  sur  toute 
l'étendue  du  territoire  français,  la  jeunesse  catholi- 
que. On  ne  prend  peut-être  point  assez  garde  aux 
idées  de  ceux  qui  s'introduisent  çà  et  là  dans  l'Asso- 
ciation de  la  Jeunesse  catholique.  Pour  ce  qui  est 
du  Sillon,  on  sait  qu'il  a  contracté  avec  les  «  Unions 
chrétiennes  »  une  union  aussi  intime  qu'indissolu- 
ble. Plusieurs  de  leurs  «  secrétaires  »  sont  rédac- 
teurs habituels  de  VEveil  démocratique  et  autres  pu- 


1.  Semaine  religieuse  de  Genàve,  24  décembre  1904). 


RELIGION   HUMANITAIRE   D'AMÉRIQUE   EN   EUROPE    G63 

blications  sillonnistes.  L'esprit  des  Unions  chrétiennes 
se  répand  donc  chez  nous  par  le  Sillon  et  aussi  par 
certains  émissaires  qui  s'introduisent  dans  les  Asso- 
ciations de  la  jeunesse  catholique.  Rien  n'exige  de 
la  part  du  clergé  et  des  catholiques  une  surveillance 
plus  active. 

Un  livre  a  été  publié,  il  y  a  un  peu  plus  de  cinq 
ans,  sous  ce  titre  :  Jeunesse.  Il  a  été  couronné  par 
l'Académie  française,  l'exemplaire  que  j'ai  sous  les 
yeux  est  de  la  vingt^septième  édition  (1).  Là  se 
trouve  le  pur  esprit  des  Unions  chrétiennes  qui  n'est 
autre  que  l'esprit  voulu  par  V Alliance  Israélite  univer- 
selle. 

Le  dernier  chapitre  est  intitulé  :  La  Foi.  «  Se  re- 
constituer une  foi,  dit  l'auteur,  et  pour  cela  se  rendre 
compte  comment  naît  la  foi,  est  un  des  besoins  les 
plus  sérieux  et  les  plus  profonds  de  la  jeunesse.  » 

Si  la  jeunesse  catholique  a  besoin  de  se  reconsti- 
tuer  une  foi,   c'est  donc   que   la  foi  reçue  a  été  ou 


1.  L'auteur  de  Jeunesse  est  le  pasteur  Wagaer,  de  Paris. 
II  y  a  près  de  vingt-cinq  ans  qu'il  prêche  à  Paris  l'évan- 
gile de  la  solidarité  sans  dogmes  et  qu'il  a  l'ambition  de 
faire  du  christianisme  un  supérieur  humanisme.  Outre  Jeu- 
nesse, il  a  publié  Justice,  Vaillance,  Auprès  dit  Foyer, 
VAme  des  choses,  la  Vie  simple.  Ces  livres  sont  traduits 
dans  toutes  les  langues  civilisées,  et  font  pour  ainsi  dire 
h  ce  pasteur  un  diocèse  universel.  Ses  allocutions  de  cha- 
que dimanche  sont  sténographiées,  traduites  par  ses  amis 
d'Amérique  et  reproduites  chaque  semaine  dans  cinquante 
journaux    des    Etats-Unis. 

La  Vie  simple  fut  lue  par  le  président  Roosevelt.  Il  y 
trouva  la  reproduction  de  son  idéal,  et  le  dit  dans  deux 
discours  publiés,  à  Banyor  (Maine)  et  à  Philadelphie.  Il 
écrivit  en  même  temps  à  l'auteur  :  «  Je  prêche  vos  li- 
vres à  mes  concitoyens.  Venez  me  voir  à  la  Alaison-Blan- 
che  »  (Automne  1902).  D'autres  lettres  pressantes  lui  vin- 
rent d'Amérique,  il  se  mit  cà  apprendre  l'anglais  et  partit 
le  10  septembre  1904.  Le  25  il  se  trouvait  en  présence 
d'un  auditoire  de  12.000  personnes.  Il  fit  150  conféren- 
ces, et  200.000  auditeurs   l'applaudirent  successivement.  A 


664         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

doit  être  abandonnée.  L'auteur  dit  en  effet  :  «  On 
entend  communément  par  foi,  radhésion  à  un  corps 
d'e  doctrine  qui  se  présente  à  nous  avec  un  carac- 
tère d'autorité.  Dieu,  à  une  certaine  époque,  aurait 
révélé  la  vérité  aux  hommes,  une  fois  pour  toutes. 
La  révélation  ainsi  faite  constitue  un  bloc  dont  cer- 
tains hommes  et  certaines  sociétés  sont  les  déposi- 
taires. Représentant  la  vérité  divine,  ils  réclament 
la  même  soumission  que  Dieu.  Il  ne  s'agit  pas  de 
peser,  d'examiner,  de  discuter  ce  qu'elles  nous  appor- 
tent, mais  de  le  recevoir  à  genoux,  au  milieu  du 
silence  imposé  à  notre  être  tout  entier,  malgré  ses 
répugnances  et  ses  révoltes.  Toutes  les  vieilles  croyan- 
ces autoritaires  en  sont  là.  Ce  premier  point  d'où 
elles  parlent  et  qui  entraîne  le  reste,  est  le  gros  point 
litigieux  sur  lequel  elles  se  séparent  de  l'esprit  mo- 
derne. Mais,  hâtons-nous,  d'ajouter  que  l'esprit  mo- 
derne se  rencontre  ici  avec  le  Christ  et  l'Evangile... 
Le    Christ  est   un   inconnu,    non   seulement   dans   le 


Washington  il  fut  présenté  à  l'assemblée  par  M.  Roosevelt 
lui-même. 

Reçu  ensuite  dans  l'intimité  du  Président,  il  dit  :  «  La 
doctrine  foncièrement  humaine  et  haute  contenue  dans  mes 
écrits  créait  d'emblée  un  terrain  commun  entre  tous  mes 
auditeurs  :  pasteurs  variés,  très  souvent  aussi  (j'en  étais 
ravi),  prêtres  catholiques,  professeurs,  industriels,  médecins, 
etc.  Nous  avons  fraternisé  par-dessus  toutes  les  barrières 
d'intérêts,  de  classe  et  de  credo. 

—  Toutes   les   barrières. 

—  ]\Iais  oui.  Par  exemple  j'ai  parlé  à  la  synagogue  Em- 
manuel-Temple devant  un  auditoire  de  2500  Israélites.  A 
Saint-Paul  j'eus,  avec  l'archevêque  Ireland,  une  longue 
conversation.  En  parlant  à  cœur  ouvert  avec  ce  patriar- 
che du  catholicisme  libéral,  je  sentis  une  fois  de  plus 
que  la  religion  du  cœur  ne  connaît  point^  d'exclusions. 
Combien  de  fois  n'avais-je  pas  eu  la  même  impression  en 
causant  en  France  avec  des  prêtres  d'un  catholicisme^  sans 
anathèmes  !  Tin  de  mes  grands  regrets,  c'est  de  n'avoir  pn 
faire  à  New-York  la  conférence  demandée  par  les  Dames 
de   Saint-Vincent-de-Paul   au   profit   de   leurs    œuvres. 


RELIGION   HUMANITAIRE   D'AMÉRIQUE   EN   EUROPE    6G5 

monde,  mais  même  ,dans  les  Eglises  qui  se  récla- 
ment de  lui.  Si  quelque  chose  est  obstrué,  terni,  dé- 
vié de  sa  ^direction  première,  c'est  bien  le  vieil  Evan- 
gile... Dans  sa  pensée,  comme  dans  sa  pratique, 
dans  sa  façon  d'interpréter  le  monde  comme  dans 
sa  manière  de  régler  l'activité  humaine,  l'Evangile 
dépasse  à  tel  point  toutes  les  Eglises  qui  se  sont 
réclamées  de  lui,  qu'il  est  dans  Vavenir  bien  plutôt 
que  dans  le  passé.  Et  plus  on  fixe  son  attention  sur 
ce  sujet,  moins  on  peut  s'empêcher  de  constater  une 
grande  affinité  eatre  cet  Evangile  oublié  et  les  meil- 
leures aspirations  de  l'esprit  moderne.  » 

Que  dit  donc  l'esprit  moderne?  quel  est  le  fond 
de  sa  pensée,  là  où  il  se  trouve  d'accord  avec  l'Evan- 
gile et  avec  le  Christ?  L'auteur  nous  le  montre  en 
ceci  :  «  L'homme  est  en  évolution,  et  avec  lui  la 
nature  entière,  de  l'atome  et  de  la  cellule  vers  la 
vie  parfaite.  Sa  loi  c'est  le  devenir  (ainsi  souligné). 
Et  quand  il  prend  conscience  de  ce  fond  de  sa  des- 
tinée, le  sens  qui  prend  la  vie  dans  son  ensemble, 
qui  enveloppe  tout  ce  détail  dont  nous  sommes  faits 
dans  la  grande  volonté  qui  est  au  fond  des  choses 
est  le  sens  religieux.  »  Du  sens  religieux  naît  la 
piété  et  de  la  piété  la  foi. 

«  La  foi,  sommet  de  la  vie,  de  toute  la  vie,  est 
la  synthèse  totale  de  l'induction  humaine.  Toutes 
nos  expériences  et  celles  du  passé  vivifiées  à  tra- 
vers notre  âme,  se  condensent  ensemble  et  constituent 
pour  nous  la  révélation  personnelle  que  nous  a  fait 
la  vie  :  voilà  la  foi. 

»  La  piété  est  de  vouloir  faire  la  volonté  du  Père; 
et  la  foi,  de  sonder  sa  vie,  afin  de  réaliser  ce  qui 
est  en  elle  et  d'accomplir  la  volonté  dont  elle  est 
issue.  » 

D'après  tout  cela,  la  foi  que  la  jeunesse  chrétienne 


GGG      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

doit  «  reconstituer  »  en  elle  paraît  bien  être  la  foi 
des.  panthéistes  par  laquelle  «  le  fil  de  l'évolution 
humaine   est  maintenant  jenoué.  » 

Le  panthéisme,  l'évolutionisme,  telle  est  donc  la 
religion  de  l'avenir,  la  religion  vers  laquelle  la  jeu- 
nesse est  engagée  à  se  porter.  «  Certaines  religions 
sont  bonnes  pour  abriter  les  vieux  égoïsmes,  les 
sénilités,  les  puérilités,  ou  encore  pour  soustraire 
aux  bruits  du  dehors,  les  cœurs  déçus  ou  même 
pour  endormir  doucement  les  consciences  et  les  in- 
telligences. Celle-ci  est  surtout  faite  pour  la  vie  et 
pour  les  vivants.  Elle  nous  jette  en  pleine  action, 
en  pleine  mêlée  :  elle  nous  fait  faire  un  beau  départ 
avec  vaisseaux  brûlés  derrière  nous.  Point  de  regard 
en  arrière!  c'est  énergique,  viril,  joyeux.  Cela  sonne 
et  vous  enlève  comme  le  clairon  des  batailles!  » 

Après  ces  paroles  emphatiques,  l'auteur  en  vient  aux 
conseils  pratiques.  Un  mot  les  précède  pour  servir 
de  tampon  et  amortir  le  coup  qu'ils  doivent  porter. 

«  Lorsque  l'on  appartient  par  la  naissance  à  un  mi- 
lieu religieux,  c'est  un  devoir  de  lui  vouer  une  grande 
reconnaissance.  Aimer  son  Eglise  est  bon  comme 
aimer  sa  famille  et  son  pays.  —  Mais  ici  se  présenté 
un  écueil  :  l'esprit  de  parti  en  religion,  l'esprit  exclu- 
sif. Jeunes  croyants,  fuyez-le  comme  la  peste!  Mieux 
vaudrait  être  seul  que  de  cultiver  en  commun  l'es- 
prit d'exclusion  et  l'orgueil  spirituel.  Comme  en  tou- 
tes choses,  ce  temps-ci  demande,  sur  le  terrain  de 
la  foi,  une  grande  largeur.  Le  devoir  de  l'heure 
présente  est  de  fraterniser,  et  les  Eglises  particulières, 
quelle  que  soit  leur  raison  d'être,  ne  sont  bonnes 
qu'à  la  condition  de  «  nous  préparer  à  l'Eglise  uni- 
verselle. » 

»  Il  y  a  des  heures  dans  l'histoire  où  il  faut  être 
l'homme    d'une    cause    particulière,    définie,    où    il  y 


RELIGION   HUMANITAIRE   D'AMÉRIQUE   EN   EUROPE    607 

a,  en  un  mot,  un  trou  à  faire  en  un  certain  sens,  et 
où  il  convient  de  s'enrégimenter.  Aujourd'hui,  le  de-* 
voir  pressant  est  de  franchir  les  murs  de  séparation 
et  de  se  tendre  les  mains  par-dessus  les  clôtures. 
Retrouver  l'humanité,  redevenir  des  hommes,  si  cela 
est  le  mot  d'ordre  en  pédagogie,  en  politiqfue,  sur 
le  terrain  social,  .combien  plus  ne  devraiL-on  pas 
s'en  souvenir  sur  le  terrain  religieux,  le  plus  large 
de  tous,  et  ;que  l'étroitesse  d'esprit  parvient  à  mor- 
celer et  à  rétrécier  d'une  si  lamentable  façon.  Que 
la  jeunesse  le  comprenne!  » 

Ce  livre,   il  est  bon  de  le  redire,   a  été  couronné 
par   l'Académie   française   et   la   propagande    qui   en 
est  faite  est  telle   qu'en   ses   trois  premières  années   ' 
il  est  arrivé  à  sa  vingt-septième  édition. 

A  toutes  ces  jassociations  qui  écartent  le  dogme 
et  ^montrent  lia  perfection  de  la  morale  dans  le  progrès 
humanitaire,  il  faut  joindre  comme  tendant  au  même 
but  l'enseignement  de  l'histoire  des  religions  et  les 
congrès   de  l'histoire   des   religions. 

Le  premier  de  ces  congrès  a  eu  lieu  à  Paris,  en 
1900,  le  second  à  Bâle,  du  30  août  au  2  septembre 
1904.  Toutes  les  nations  de  l'Europe,  de  FAmérique, 
de  l'Asie  y  étaient  représentées  par  des  pait-sans  des 
formes   religieuses    les   plus   diverses. 

M.  Albert  Réville,  directeur  de  la  Bévue  de  l'His- 
toire des  JReligions,  était  à  ce  congrès  en  qualité  de 
délégué  de  lia  Faculté  de  théologie  de  Paris  et  de 
représentant  du  ministre  de  l'Instruction  publique  et 
du  ministre  des  Affaires  étrangères.  Il  a  dit  ce  que 
le  gouvernement  de  la  République  a  fait  depuis  vingt- 
cinq  lans  pour  favoriser  ce  genre  d'études,  qui  «  dans 
les  soixante  dernières  années,  a  pris  un  développe- 
ment international  sans  cesse  grandissant,  et  que  les 


668      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

siècles  précédents  n'avaient  pu  prévoir  ».  Il  a  fondé 
en  1880  une  chaire  spéciale  d'histoire  des  religions 
au  collège  de  France,  suivie,  peu  d'années  après, 
par  celle  d'une  section  non  moins  spéciale  dans  l'Ecole 
des  Hautes-Etudes  organisée  à  la  Sorbonne.  Vers  le 
même  temps,  M.  Guinet,  avec  l'assentiment  des  Pou- 
voirs publics,  a  doté  la  capitale  d'un  Musée  d'Histoire 
des  religions  (1). 

Des  professeurs  des  Universités  d'Upsal,  de  Balti- 

1.  Ce  musée  des  religions  a  été  inauguré  par.  M.  le 
Président  de  la  République,  le  26  novembre  1889.  Il  avait 
été  construit  aux  frais  de  l'Etat  au  prix  de  trois  millions, 
sur  un  terrain  donné  par  la  ville  de  Paris  et  estimé  un 
million.  M.  Guinet  a  consacré  l'immense  fortune  que  son 
père  avait  faite  avec  le  bleu  d'outre-mer,  à  rechercher  et 
à  acquérir  tous  les  objets  de  culte,  images,  livres  sacrés, 
etc.,  pouvant  servir  à  l'étude  des  religions,  et  il  a  placé 
dans  ce  Pandemonium,  dans  un  ordre  méthodique,  toutes 
ces  collections  que  l'on  estime  avoir  une  valeur  de  dix  mil- 
lions. La  bibliothèque  se  compose  de  plus  de  quinze  mille 
volumes,  dont  un  grand  nombre  de  manuscrits  indous,  sur 
feuilles   de  palmier. 

Des  salles  sont  mises  à  la  disposition  des  travailleurs. 
Des  conférences  sont  faites  plusieurs  fois  par  semaine,  et 
une  double  publication  périodique  les  Amiales  du  Musée 
Guinet  et  la  Mevue  de  l'Histoire  des  religions  portent  au 
loin  l'enseignement  que  l'on  peut  tirer  de  ce  rassemblement 
d'idoles  et  de  livres.  Outre  les  Annales  et  la  Eevue,  le  Musée 
Guinet  publie  une  bibliothèque  de  vulgarisation  dont  les 
divers  volumes  contiennent  l'exposé  de  toutes  les  reli- 
gions. 

Lors  des  noces  d'argent  de  ce  Musée  auxquelles  prit  part, 
avec  M.  le  Président  de  la  République,  le  ministre  de  l'Ins- 
truction publique,  La  Raison  dit  l'impression  qu'il  produit, 
généialement  sur  ceux  qui  le  visitent  :  «  On  y  peut  suivre 
pas  à  pas,  siècle  par  siècle,  les  fantaisies  de  l'imagination 
de  l'humanité,  exaltée  ou  tremblante  dans  l'enfantement  de 
ses  dieux.  On  les  voit  mortes,  se  métamorphoser,  vieillir 
et  disparaître. 

«  On  constate  que  les  religions  sont  bien  des  créatures 
humaines,  que  ce  n'est  point  le  Dieu  de  la  Bible,  comme 
l'enseignent  les  Eghses,  qui  a  fait  l'homme  à  son  ima^e, 
mais  bien  l'homme  qui  a  fait  tous  les  dieux  à  la  sienne, 
celui  de  la  Bible  comme  les  autres.  » 


RELIGION   HUMANITAIRE   D'AMÉRIQUE   EN   EUROPE    G69 

more,  de  Tûbinge,  d'Oxford,  de  Paris,  de  Strasbourg 
et  d'autres  prirent  la  parole  et  avec  eux  le  grand- 
prêtre  des  Parsis  de  Bamberg  en  costume  blanc  et 
manteau  rouge  brodé  d'or.  Leurs  communications  ont 
porté  sur  toutes  les  religions  vivantes  ou  mortes 
des  peuples,  des  pays  et  des  époques  les  plus  va- 
riées. 

M.  Albert  Réville  formulant  les  conclusions  a  dit  : 
«  Les  uns  peuvent  voir  dans  l'histoire  des  religions  la 
démonstration  prolongée  de  la  vanité  de  toutes  les 
conceptions  religieuses  sans  exception.  Les  autres  dis- 
cernent lau  contraire,  dans  cette  évolution  déjà  plu- 
sieurs fois  millénaire,  les  lignes  fondamentales  et 
constantes  qui  indiquent  une  marche  très  accidentée, 
mais  continue  vers  la  simplification  et  la  spiritualisa- 
tion  des  croyances  religieuses.  » 

On  ne  peut  douter  de  l'œuvre  de  désagrégation 
dogmatique  que  ces  congrès  de  religion  produisent 
dans  l'esprit  des  masses. 

Aux  Congrès  des  religions  et  aux  Congrès  de  l'histoi- 
re des  religions  est  venu  s'adjoindre  l'enseignement  pu- 
blic et  officiel  de  «  l'histoire  des  religions  ».  Depuis 
une  trentaine  d'années,  des  chaires  de  cet  enseigne- 
ment ont  été  fondées  sur  tous  les  points  de  l'Europe. 
Le  mouvement  est  parti  d'Allemagne.  Lessing  en  a 
été  le  promotçur.  La  Hollande  a  été  la  première  à  mar- 
cher officiellement  dans  cette  voie.  A  partir  du  1^^ 
octobre  1877,  l'enseignement  de  la  théologie  fut  sup- 
primé dans  les  trois  Facultés*  de  l'Etat  et  fit  place 
à  l'étude  des  religions.  En  Angleterre,  des  conférences 
sur  ce  sujet  sont  données  dans  l'abbaye  de  West- 
minster. En  Suisse,  une  chaire  de  l'histoire  des  reli- 
gions a  été  introduite  dans  l'Université  de  Genève. 
La  Belgique  a  voulu  aussi  avoir  sa  chaire  des  reli- 
gions. A  Rome,  le  gouvernement  italien  a  également 


G70     l'agent    de    la    civilisation    modernf 

établi  une  chaire  pour  cet  enseignement.  L'Autriche- 
Hongrie  a  suivi  le  mouvement  :  l'histoire  des  reli- 
gions y  est  devenue  matière  obligatoire  de  l'ensei- 
gnement. L'Ecosse  a  consacré  à  ce  même  objet  un 
legs  de  deux  millions,  etc. 

En  Fiiance,  ce  furent  MM.  Littré  et  Maurice  Verner 
qui  commencèrent  la  campagne.  Le  9  juillet  1879, 
Paul  Bert,  appuyé  par  J.  Ferry,  demanda  et  obtint 
une  loi  'supprimant  les  Facultés  de  théologie  et  créant 
à  la  Sorbonne  une  chaire  de  l'histoire  des  religions. 
Par  décret  du  30  janvier  1886,  cet  enseignement  fut 
aussi  introduit  dans  l'Ecole  pratique  des  Hautes- 
Etudes. 

En  1906,  une  pétition  a  été  adressée  au  Parlement 
par  «  le  groupe  d'études  et  de  propagande  rationa- 
listes »,  dont  font  partie  MM.  Aulard,  Louis  Havet, 
Paul  Reclus,  le  Pasteur  Maurice  Verner,  etc.,  deman- 
dant la  création  d'un  enseignement  de  l'histoire  des 
religions  semblable  à  celui  institué  en  1886  à  l'Ecole 
des  Hautes-Etudes,  non  seulement  dans  les  lycées,  mais 
dans  les  écoles  primaires. 

«  D'une  p^rt,  écrivent  les  pétitionnaires,  il  faut  en- 
seigner à  la  jeunesse  les  faits  historiques  que  VEglise 
lui  cache  et  lui  montrer  sous  son  vrai  jour  l'his- 
toire des  religions  et  celle  de  la  papauté.  Ces  notions 
seront  distribuées  par  l'enseignement  primaire  et  se- 
condaire. D'autre  part,  il  faut  poursuivre  les  tra- 
vaux de  critique  religieuse  que  les  réformateurs  et 
les  encyclopédistes  oht  entrepris  avec  des  méthodes 
insuffisantes  et  des  documentations  incomplètes. 

»  A  Paris,  l'enseignement  supérieur  de  l'histoire 
des  religions  existe  (au  Collège  de  France,  où  une  chaire 
de  l'histoire  générale  des  religions  a  été  créée  par 
Ferry  en  Sorbonne,  à  l'école  pi^atique  des  Hautes- 
Etudes,  etc.,  etc..  En  province,  il  faudra  uji  jour,  au 


RELIGION   HUMANITAIRE   D'AMÉRIQUE   EN   EUROPE    671 

moins  deux  chaires,  dans  chaque  faculté,  soit  qua- 
rante-huit en  tout  :  une  chaire  d'histoire  du  judaïsme 
et  des  religions  issues  de  la  Bible,  christianisme  et 
islamisme,  et  une  chaire  d'histoire  des  autres  religions. 

»  Pour  commencer,  on  pourrait  se  borner  à  créer 
d'abord  une  conférence  d'histoire  des  religions  bi- 
bliques à  Lille,  Nancy,  Lyon,  Bordeaux  et  Toulouse... 
Le  moment  est  particulièrement  favorable  pour  insti- 
tuer l'enseignen.ent  dont  il  s'&git.,La  suppression  des 
facultés  de  théologie  protestante  de  Paris  et  de  Mon- 
tauban  Va  fournir  immédiatement  les  disponibilités 
suffisantes  pour  créer  ces  conférences  de  Lille,  de... 

»  Dans  l'enseignement  secondaire,  la  conférence  se- 
ra faite  par  un  professeur  de  philosophie  ou  d'histoire. 
Pour  lui  faire  place  dans  l'enseignement  yrimaire, 
il  faudra  élaguer  un  peu  le  programme  actuel...  dire 
ce  que  l'histoire  sait  des  livres  nommés  Ancien  et 
Nouveau  Testament,  la  croissance  du  dogme  chrétien... 
la  création  relativement  récente  de  l'évêché  de  Rome... 
le  long  combat  de  la  République  contre  le  clérica- 
lisme... l'a  lutte  de  l'Eglise  contre  le  progrès  des 
sciences,  p^rce  que  toutes  lui  i:)araissent  contredire  Li 
texte  de  ses  livres  sacrés >  etc. 

»  Cet  enseignement  iiura  des  sanctions,  car  l'Etat 
laïque  a  le  droit  d'exiger  de  tous  les  jeunes  gens  qui 
lui  demandent  un  diplôme  de  fin  d'études,  qu'ils 
témoignent  de  conniaissances  précises  et  scientifiquer. 
sur  des  faits  qui  ont  tenu  une  place  aussi  considérable 
dans  les  civilisations  dont  la  nôtre  est  issue.  » 

A  voir  comment  une  même  pensée  éclate  partout 
en  même  temps,  comment  à  la  même  heure,  pour 
ainsi  dire,  les  gouvernements  des  divers  pays  votent 
des  lois  et  allouent  des  forïds  pour  un  enseigne- 
ment auquel  personne  n'avait  songé  jusque-là,  il  est 
difficile  de  ne  point  penser  qu'un  mot  d'ordre  a  été 


672     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

donné,  et  ce  mot  d'ordre  d'où  peut-il  venir,  si  ce 
n'est  des  régions  supérieures  de  la  franc-maçonnerie, 
la  seule  puissance  aujourd'hui  écoutée  et  obéie  par 
tous  les  gouvernements? 

L'enseignement  donné  du  haut  des  chaires  univer- 
sitaires est  bientôt  répandu  par  les  mille  voix  de 
lia  revue,  du  journal  et  du  livre,  sur  tous  les  points 
de  lia  France  et  de  l'Europe.  Des  Facultés,  il  se 
répland  dans  les  lycées,  puis  dans  les  écoles  primaires 
et  de  là  dians  une  multitude  de  familles  (1). 

«  Vous  n'ignorez  pas,  disait  M.  l'abbé  de  Bro^lie, 
en  ouvrant,  en  1889,  son  cours  d'apologétique  chré- 
tienne, que  tantôt  clairement  avouée,  tantôt  voilée 
sous  les  formes  transparentes  d'un  respect  apparent 
qui  recouvre  le  dédain,  cette  idée  qu'il  n'y  a  aucune 
religion    qui    puisse   porter    légitimement,    d'une    ma- 


1.  Aucune  occasion  n'est  perdue  pour  faire  entrer  dans 
le  public  ce  qui  est  enseigné  dans  ces  chaires.  Tous  ceux 
qui  ont  visité  l'exposition  du  centenaire  de  ^  89  ont  pu 
remarquer  l'importance  qu'y  avait  prise  l'iiistoire  des  reU- 
gions.  On  a  pu  en  effet  y  voir  réunis  des  statues,  des  au- 
tels, des  modèles  de  temples,  des  amulettes,  des  objets  de 
toute  nature  qui  rappelaient  les  pratiques  religieuses  des 
divers  peuples.  Sur  l'Esplanade  des  Invalides,  s'élevait 
un  modèle  de  la  célèbre  pagode  d'Angker;  elle  a  même 
été  inaugurée  avec  un  certain  éclat;  des  conférences  y  ont 
été  données  sur  les  religions  de  la  Chine;  on  a  même  offert 
au  public  le  spectacle  d'une  procession  et  d'un  office  boudhi- 
que. 

«  Si  l'on  avait  dit,  écrit  M.  l'abbé  de  Broglie,  à  quel- 
ques-uns des  érudits  qui  étudiaient  obscurément,  il  y  a  deux 
siècles,  les  dieux  de  certains  peuples  païens...  qu'un 'jour 
viendrait  que  la  science  modeste  à  laquelle  ils  s'étaient 
dévoués  deviendrait  un  des  grands  sujets  de  l'attention  du 
public...,  on  les  aurait  sans  doute  beaucoup  étonnés.  Si 
l'on  avait  ajouté  à  cette  prédiction...  qu'on  trouverait  à 
côté  de  cette  étude  bienveillante  du  paganisme  la  critique 
tantôt  acerbe,  tantôt  dédaigneuse,  du  Dieu  de  la  Bible  et 
de  l'Evangile,  du  seul  vrai  Dieu  que  la  raison  des  peuples 
civilisés  puisse  accepter,  la  surprise  aurait  été  bien  plus 
grande  encore  »   (Problèmes,   pp.    1  et   2.) 


RELIGION   HUMANITAIRE   D'AMÉRIQUE   EN   EUROPE    678 

nière  exclusive,  le  titre  de  vraie  religion,  règne  dans 
un  grand  nombre  d'esprits,  parmi  nos  contemporains; 
que  cette  pensée  est  surtout  dominante  parmi  ceux 
qui  s'occupent  de  créer,  de  développer,  de  propager 
l'enseignement  de  l'histoire  des  religions;  et  que  cet 
enseignement,  si  prôné  de  nos  jours,  semble  avoir 
pour  but  principal,  sinon  unique,  de  détruire  la  no- 
tion  même  d'une   religion   vraie.  » 

La  conclusion  de  ce  qui  précède  est  qu'il  existe 
en  projet  et  en  voie  de  formation  une  leligion  nouvelle, 
religion  de  l'avenir,  disent  les  uns,  religion  du  XX^ 
siècle,  disent  les  plus  impatients,  religion  qualifiée 
américaine,  de  ce  qu'elle  a  trouvé  en  Amérique  ses 
origines,  son  développement  et  les  zélateurs  qui  veu- 
lent l'introduire  en  Europe,  religion  humanitaire,  par 
le  but  qu'elle  poursuit,  qui  est  de  substituer  l'homme 
à  Dieu. 

Des  sociétés  nombreuses  et  actives  se  sont  formées 
dans  ce  but,  et  nous  les  avons  rencontrées  partout. 
Leurs  membres  sont  imbus  de  ces  deux  idées  :  1° 
qu'une  religion  absolument  universelle  doit  s'établir 
sur  les  ruines  de  toutes  les  religions,  et  cela  par 
l'abaissement  des  barrières,  par  l'effacement  des  dog- 
mes; 2°  que  cette  religion  universelle  doit  être  une 
religion  sociale,  une  religion  humanitaire,  une  reli- 
gion de  progrès  humain,  allant  jusqu'à  procurer  à 
l'honmie  le  paradis  sur  la  terre.  Ces  idées,  les  mem- 
bres de  ces  diverses  sociétés  les  répandent  dans  un 
public  de  plus  en  plus  nombreux  et  préparent  ainsi 
l'opinion  à  désirer  le  nouvel  ordre  de  choses  voulu 
par  le  Pouvoir  occulte  des  Juifs  pour  asseoir  sa  do- 
mination sur  tout  le  genre  humain. 

Toutes  les  fois  qu'une  œuvre  de  propagande  est 
à  faire,  c'est  toujours  vers  la  France  que  les  yeux 
se  tournent. 

T/Egiise  et  le  Temple.  4'î 


674         L'AGENT     DE     LA     CIVILISATION     MODERNE 

Déjà,  en  1820,  Channing  disait  attendre  de  notre 
pays  «  la  religion  de  l'avenir  ».  «  Je  crois,  écrivit-il 
à  Sismondi,  que  quand  la  religion  reparaîtra  parmi 
vous,  elle  se  montrera  sous  une  forme  plus  divine; 
je  crois  que  la  France,  après  tant  d'efforts  vers  le 
progrès,  ne  reprendra  pas  sa  théologie  vermoulue... 
Un  moyen  d'y  restaurer  le  christianisme  est  d'en 
montrer  l'harmonie  avec  l'esprit  de  liberté,  de  philan- 
thropie, de  progrès^  et  de  faire  voir  que  ces  principes 
exigent  pour  leur  entier  développement,  l'aide  du 
christianisme...  L'œuvre  se  fera-t-elle  par  une  action 
silencieuse   ou   par  de   grandes   convulsions?  » 

Les  grandes  convulsions  s'annoncent  de  toutes  fa- 
çons, et  si  elles  éclatent,  il  faut  espérer  de  la  misé- 
ricorde de  Dieu  qu'elles  serviront  à  ouvrir  les  yeux 
et  à  faire  rentrer  dans  les  voies  traditionnelles  et 
dians  la  lumière  de  la  pleine  vérité.  Mais,  en  atten- 
dant, l'œuvre  avance.  Il  n'y  a  qu'à  regarder  autour 
de  soi  pour  voir  les  efforts  puissants  qui  sont  faits 
pour  introduire  le  modernisme  dans  les  esprits,  pour 
introduire  dans  le  monde  la  religion  de  «  l'huma- 
nité. » 


LE  TEMPLE 


III.  —  LES  MAITRES  DE  L'ŒUVRE. 


CHAPITRE   XLVII 

I.  —  LES  JUIFS,  LEUR  ACTION  DANS 
LA  CHRÉTIENTÉ. 


En  toute  construction,  les  maçons  sont  guidés  dans 
leurs  travaux  par  des  contremaîtres,  des  directeurs, 
et  ces  directeurs  veillent  à  la  bonne  exécution  des 
plans  dressés  par  l'architecte. 

Il  n'en  va  pas  autrement  dans  l'édification  du  Tem- 
ple de  Salomon.  Là  aussi,  il  n'y  a  point  que  des 
ouvriers,  mais,  au-dessus  d'eux,  des  maîtres  de  l'œu- 
vre et  un  architecte.  Déjà  bien  souvent  nous  avons 
surpris  l'interv^ention  des  juifs  dans  l'œuvre  maçonni- 
que. Ce  sont  eux  qui  ont  conçu  l'idée  d'une  réptiblique 
universelle  et  d'une  religion  humanitaire  pour  asseoir 
leur  domination  sar  tout  le  genre  humain.  Depuis 
cinq  siècles,  ils  enrôlent,  ils  organisent  en  des  socié- 
tés secrètes  superposées  les  unes  aux  autres,  les 
ouvriers   adonnés   aux  destructions   et  aux   construc- 


676         l'agent   pe   la   civilisation   moderne 

tions  nécessaires  à  cette  double  œuvie;  et  ils  ont 
pris  sur  eux  iassez  d'ascendant  et  assez  de  pouvoir 
pour  les  maintenir  à  leur  besogne  malgré  les  diffi- 
cultés et  les  traverses,  ou  les  y  ramenet  et  arriver 
aux  résultats  que  nous  avons  pu  constater  dans  les 
pages  qui  précèdent. 

Le  moment  est  donc  venu  de  porter  noire  atten- 
tion sur  ce  qui,  en  ce  moment,  préoccupe  le  plus 
les  esprits  éclairés  qui  cherchent  à  se  rendre  compte 
de  l'état  aotuel  de  la  France,  de  l'Eglise  et  du  monde  : 
lia  question  juive.  Depuis  un  demi-siècle,  son  im- 
portance croît  de  jour  en  jour.  Elle  est  étudiée  par  les 
théologiens  et  les  philosophes,  les  historiens  et  les 
hommes  politiques,  les  économistes  et  tout  le  pu- 
blic. Depuis  surtout  que  M.  Edouard  Dmmont  a  attiré 
l'attention  de  ce  côté  que  de  travaux  sont  venus 
démontrer  la  gravité  croissante  du  problème  juif! 

Nous  ne  pouvons  le  traiter  ici  dans  toute  son 
ampleur,  mais  tout  ce  qui  précède  appelle  des  éclair- 
cissements que  nous  ne  pouvons  refuser  à  nos  lec- 
teurs. I 

Nous  avons  vu  la  conjuration  antichrétienne  mani- 
fester sa  présence  dans  les  deux  mondes,  employer 
piartout  la  même  tactique,  frapper  aux  mêmes  points, 
souvent  en  même  temps.  Mgr  Martin,  évêque  aux 
Etats-Unis,  conclut  de  là  à  l'existence  d'une  direc- 
tion centrale,  d'un  but  arrêté  vers  lequel  tout  tend, 
d'un  plan  d'ensemble  pour  l'atteindre  et  d'une  forte 
orgianisation  qui  l'exécute.  Nous  avons  vu  cette  orga- 
nisation dans  sa  structure  et  son  fonctionnement  au 
eours  de  plusieurs  siècles.  Mais  qui  a  construit  la 
machine?  et  qui  la  fait  fonctionner?  Le  nombre  de 
ceux  qui  nomment  le  juif  s'accroît  de  jour  en  jour. 
Se  trompent-ils? 
En  remontant  aux  origines  de  la  conjuration  anti- 


LES  JUIFS,  LEUR  ACTION  DANS  LA  CHRÉTIENTÉ  G77 

chrétienne  en  France,  nous  avons  trouvé  d'abord  Vol- 
taire, les  encyclopédistes  et  les  francs-maçons  ex- 
portés par  lui  de  l'Angleterre  chez  nous.  Nous  avons 
constaté  qu'en  même  temps  s'introduisaient  chez  nous 
des  idées  en  contradiction  avec  celles  que  l'éducation 
familiale,  politique  et  religieuse  y  entretenaient  |de- 
puis  des  siècles.  De  chez  nous,  ces  idées  se  sont  ré- 
pandues chez  les  autres  nations,  qui  avaient  une 
même  civilisation,  et  cela  avec  une  rapidité  mer- 
veilleuse. Comment  expliquer  sans  un  .agent  de  propa- 
gande, répandu  partout,  cette  invasion  à  laquelle  s'op 
posaient  la  culture  française,  la  mentalité  européenne, 
la  vigilance  des  pouvoirs  spirituels  et  la  difficulté 
des   communications  ? 

La  supposition  de  l'intervention  des  juifs  donne 
une  réponse.  Ils  avaient  intérêt  à  se  faire  les  agents 
de  ti'^ansmission  des  idées  maçonniques,  puisqu'elles 
enseignaient  l'égalité  des  races  et  que  la  leur  était 
partout  repoussée  comme  ennemie,  seuls,  eux  seuls 
dans  le  monde  avaient  cet  intérêt.  De  plus,  ils  avaient 
la  possibilité  d'être  efficacement  ces  agents  parce 
qu'ils  avaient  des  communautés  partout,  que  depuis 
longtemps  ils  lavaient  l'habitude  d'organiser  des  grou- 
pements secrets  et  qu'ils  en  connaissaient  le  manie- 
ment et  la  force. 

Plus  tard,  nous  avons  vu  des  juifs,  membres  de  la 
Haute-Vente,  entretenir  des  relations  avec  leurs  core^ 
ligionnaires  de  tous  les  pays.  Nous  avons  rencontré 
d'autres  juifs  dans  toutes  les  révolutions  opérées  par 
les  sociétés  secrètes.  Nous  avons  vu  que  les  fonda- 
teurs, les  propagateurs  et  les  zélateurs  de  toutes 
les  associations  à  caractère  universel,  fondées  pour 
saper  le  christianisme  et  renverser  les  barrières  dog- 
mJatiques  et  morales  qui  le  séparent  des  fausses  reli- 
gions, V Alliance  religieuse  univer selle,  la  Ligue  uni- 


678     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

verselle  de  renseignement,  etc.,  les  Unions  chrétiennes 
de  jeunes  gens,  à  liaquelle  on  peut  bien  joindre  le 
le  Sillon,  etc.,  et  au-dessus  d'elles  toutes,  V Alliance 
israélite  universelle,  ont  été  et  sont  de  rtace  Israélite. 
Ce  sont  des  juifs  iallemands  qui  sont  à  la  tête  du 
mouvement  socialiste.  Jules  Simon  qui  avait  du  sang 
juif  dia,ns  les  Veines  est  l'un  des  fondateurs  de  V Interna- 
tionale. L'un  des  créateurs  du  Nihilisme  russe  est  un 
juif  Hertzen,  et  c'est  un  juif  allemand  Deutz  qui  lui 
a  donné  la  première  impulsion.  Le  pope  Gapone  est 
d'origine  juive,  et  l'on  sait  quelle  grande  part  les 
juifs  ont  prise  dans  les  tentatives  de  révolution  fai- 
tes en  Russie  à  lia  faveur  de  la  guerre  contre  le 
Japon.  La  main  du  juif  a  également  été  signalée 
dians  la  révolution  qui  a  suivi  et  qui  a  introduit  le 
p'arlementajisme  dans   le  pays   de   l'autocratie. 

Il  y  a  quarante  ans,  en  1870,  M.  de  Camille  écrivit 
de  Bologne  'au  journal  Le  Monde  (2  avril  1870). 
«  J'accomplis  en  ce  moment  une  tournée  en  Italie, 
que  j'^i  visitée  il  y  a  quinze  ans,  et  jo  viens  d'y 
rencontrer  une  de  mes  anciennes  connaissances.  Cet 
homme,  je  le  savais,  dans  le  temps,  mêlé  active- 
ment aux  affaires  de  l'ordre  maçonnique  el  occupant 
une  place  élevéïe  dans  une  loge  de  la  Haule-Italie. 
J'ai  demandé  à  cet  homme  où  il  en  était  avec  son 
ordre  miaçonniqUe,  et  voici  sa  réponse  :  «  J'ai  quitté 
mia  loge  et  l'ordre  définitivement,  parce  que  j'ai  ac- 
quis la  conviction  que  nous  n'étions  que  l'instrument 
des  juifs  qui  nous  poussîaient  à  la  destruction  totale 
du  christianisme.  C'est  à  cela  que  la  foule  des  adep- 
tes, qui  n'y  voit  pas  grand  chose,  est  menée  par  les 
juifs  qui  dirigent  tout.  » 

Le  Monde  faisait  suivre  cette  lettre  dont  on  n'a 
ici  qu'un  très  court  extrait  de  cette  conclusion  :  «  Ce 
témoignage,    joint    à  tant    d'autres,    autorise    donc    à 


LES  JUIFS,  LEUR  ACTION  DANS  LA  CHRÉTIENTÉ  679 

penser  que  la  grande  conspiration  antichrétieiine,  qui 
nous  enveloppe,  est  conduite  plar  les  anciens  ennemis 
du  Christ,  et  par  les  descendants  de  ceux  qui  l'ont 
mis  à  mort.  » 

Lia  nation  juive  est  d'ailleurs  la  seule  à  se  trou- 
ver dans  les  conditions  nécessaires  pour  remplir  un 
tel  office;  Sa  dispersion  depuis  dix-neuf  siècles  sur 
toute  la  surface  de  la  terre,  la  situation  qui  lui  fut 
faite  chez  tous  les  peuples,  l'amenèrent  à  chercher 
les  moyens  de  maintenir  sa  nationalité,  sa  foi,  ses 
espérances  et  de  pourvoir  à  ses  intérêts  (1). 

Pour  cela,  elle  dut  se  constituer  en  une  société 
bien  disciplinée,  gouvernée  par  des  chefs  religieuse- 

1.  Il  y  a  une  nation  juive.  Les  Juifs  eux-mêmes  ne 
cessent  de  le  déclarer. 

Cri' mieux  par'aiit  de  l'Alliance  israélito  universelle,  écri- 
vait ; 

«  L'alliance  n'est  pas  une  alliance  française,  allemande, 
ou  anglaise  :  elle  est  juive,  elle  est  universelle.  » 

En  1870,  le  même  Crémieux  revenant  de  présider  un  con- 
grès israélite  à  Berlin  disait  de  tous  les  Juifs  des  différents 
pays  qui  y  avaient  pris  part  : 

«  Point  de  sentiment  de  rivalité,  un  concours  entier, 
spontané,  sans  réserve.  La  différence  de  nationalité  n'existe 
pas.  » 

En  1895,  les  étudiants  juifs  de  Bohême,  naturalisés  au- 
(rlchions,  publièrent  à  Prague  u:ie  déclaration  dans  laquelle 
on  peut  lire  cette  phrase  : 

«  Les  juifs  ne  sont  ni  des  Allemands,  ni  des  Slaves, 
ils  sont  un  peuple  à  part...  Les  juifs  ont  été  et  restent 
un  peuple  autonome  par  l'unité  de  la  race,  de  l'histoire, 
de   la    conception,    du    sentiment.  » 

En  1864,  les  Archives  Israélites  écrivaient  : 

«  Israël  est  une  nationalité.  L'enfant  issu  de  parents  Israé- 
lites est  israélite.  La  naissance  lui  fait  incomber  tous  les 
devoirs  d'un  Israélite.  Ce  n'est  pas  par  la  circoncision  que 
nous  recevons  la  qualité  d'Israélite.  Non,  la  circoncision 
n'a  aucune  analogie  avec  le  baptême  chrétien.  Nous  ne 
sommes  pas  Israélites  parce  que  nous  sommes  circoncis  ; 
mais  nous  faisons  circoncire  nos  enfants  parce  que  nous 
sommes  Israélites.  Nous  acquérons  le  caractère  d'Israélite 
par  notre  naissance,  et  nous  ne  pouvons  perdre  ce  caractère, 
ni  nous  en  démettre.  L'Israélite  qui  renie  sa  religion,  même 


680        L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

ment  obéis  et  protégée  par  la  loi  du  secret  la  plus 
rigoureuse. 

Grâce  à  cette  organisation,  les  juifs  durant  ces  dix- 
neuf  siècles,  eurent  toujours  entre  eux,  d'un  bout 
du  monde  à  l'autre,  des  rapports  très  actifs.  L'éten- 
due presque  universelle  de  leur  commerce,  l'habi- 
lité et  Itei  discrétion  de  leurs  agents  procurait^nt  aux 
chefs  de  la  nation  des  moyens  sûrs  et  nombreux 
de  donner  des  mots  d'ordre,  de  les  faire  parvenir 
sans  difficulté  dans  les  pays  les  plus  éloignés,  et 
par  là  d'obtenir  une  action  commune  et  persévérante 
en  vue  du  résultat  à  obtenir  (1). 

Réduite  à  elle-même  et  sans  alliance  avec  la  jui- 
Verie,  jamais  la  Franc-Maçonnerie  n'eût  pu  accom- 
plir ce  que  nous  lui  savons  vu  faire. 

Ici  revient  l'observation  faite  pour  le  XVIII^  siè- 
cle. Les  idées,  les  intérêts,  les  convoitises  des  divers 
peuples   qui  habitent  les  deux  hémisphères  ne  sont 


celui  qui  sa  fait  baptiser,  ne  cesse  pas  d'être  Israélite.  Tous 
les    devoirs    d'un    Israélite    continuent    à  lui    incomber.  » 

N'est-ce  pas  bien  là  une  conception  patriotique,  nationa- 
liste ? 

'«  Le  Juif,  disent  encore  les  Archives  Israélites,  est  d'un 
inexorable  universalisme.  » 

Inexorable!  Par  conséquent,  aucune  naturalisation,  au- 
cun droit  civil  et  politique  ne  fera  jamais  d'un  juif  un 
Français. 

1.  Le  7  avril,  Bernard  Lazare  reconnaît  lui  aussi  l'exis- 
tence de  la  nation  juive  en  tant  que  nation,  et  il  affirme 
expressément   que  cette  nation  a  un   gouvernement. 

Les  Juifs  ne  sont  pas  un  etlinos,  mais  ils  sont  une 
nationalité,  ils  sont  de  types  variés,  cela  est  vrai,  mais  quelle 
est  la  nation  qui  n'est  pas  diverse?  (P.  272.)^ 

Si  les  Juifs  ne  sont  pas  une  race,  ils  ont  été  jusquà  nos 
jours   une   7iation.    (P.  392.) 

Partout  ils  voulaient  rester  Juifs,  et  partout  ils  obte- 
naient des  privilèges  leur  permettant  de  fonder  un  Etat 
dans  VEtat.  (P.  7.) 

Les  Juifs  entrèrent  dans  les  sociétés  modernes  non  com- 
me des  hôtes,  mais  comme  des  conquérants.  (P.  223.) 


LES  JUIFS,  LEUR  ACTION  DANS  LA  CHRÉTIENTÉ     G81 

point  identiq[ues.  Ces  peuples  sont  gouvernés  par  des 
autorités,  des  dynasties  qui  n'ont  ni  les  mêmes  ten- 
dances, ni  les  mêmes  ambitions.  Si  la  Franc-Ma- 
çonnerie n'était  composée  que  d'individus  apparte- 
nant à  ces  divei"s  pays,  chacun  aurait  eu  les  pen- 
sées de  son  milieu  :  l'unité  de  vues,  la  correspon- 
d'ance  des  efforts  vers  un  but  opposé  aux  traditions 
de  la-  nationalité  propre  et  à  la  foi  de  la  religion 
nationale  ne  seraient  pas  possible.  Il  faut  donc  que 
les  Francs-Maçons  reçoivent  leurs  inspirations  du  de- 
hors et  que  les  impulsions  viennent  d'une  religion 
et  d'une  nationalité  ennemies. 

Tout  s'explique  si  les  cadres  de  la  Franc-Maçon- 
nerie sont  fournis  par  la  juiverie.  Les  individus 
formant  ces  cadres  reçoivent  les  suggestions  du  Pou- 
voir occulte  de  leur  race,  les  transmettent,  et  après 
que  les  suggestions  ont  préj^aré  les  esprits  à  la  do- 
cilité,  viennent  les  directions. 

Un  indice  bien  frappant  de  cette  subordination  de 
la  Franc-Maçonnerie  à  la  juiverie,  se  trouve  dans  le 
symbolisme  commun  à  l'une  et  à  l'autre,  symbolisme 
adopté  dans  les  pays  catholiques,  comme  dans  les 
contrées  protestantes,  chez  les  infidèles,  comme  chez 
les  chrétiens. 

Ce  qui  ne  donne  p'as  moins  à  réfléchir,  c'est  le 
genre  d'œuvres  accomplies  par  la  Franc-Maçonnerie. 
Tout  en  elle  est  coordonné  à  ce  double  but,  l'abaisse- 
ment des  frontières  et  l'abolition  du  dogme.  On  ne 
voit  pas  pourquoi  et  comment  l'idée  de  ces  deux 
destructions  serait  venue  dans  l'esprit  des  Français 
et  des  chrétiens,  si  elles  n'étaient  suggérées  d'ailleurs. 
Mais  plus  rien  n'étonne,  si  on  la  suppose  suggérée 
par  les  juifs.  Elle  est  alors  le  fruit  naturel  des  deux 
grandes   passions   d'Israël,   depuis   la   dispersion  :   la 


682      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

haine  du  Christ  et  de  son  œuvre  et  l'ambition  d'as- 
servir le  genre  humain. 

Dès  les  premiers  jours  du  christianisme,  les  juifs 
ne  laissèrent  point  ignorer  que  la  haine  qu'ils  avaient 
conçue  contre  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ei  qui  les 
aviait  portés  à  cet  excès  de  le  crucifier,  persévérerait 
dans  leurs  cœurs. 

Ils  firent  mourir  ses  disciples  Etienne,  Jacques  le 
Majeur  et  Jacques  le  Mineur,  Mathias,  coupables  uni- 
quement de  prêcher  la  doctrine  du  Sauveur  et  de 
lia  confirmer  par  des  miracles.  Ils  s'opposèrent  avec 
i^age  à  la  propagation  de  l'Evangile,  tantôt  fouettant 
les  Apôtres  (Act.  V,  40),  tantôt  excitant  Saùl  contre 
les  disciples  (Act.  VIII,  3);  puis,  après  la  conver- 
sion de  celui-ci,  ils  le  persécutèrent  p^r  leurs  calomnies 
et  leurs  blasphèmes  (Act.  XIII,  45),-  piar  des  sédi- 
tions soulevées  contre  lui  (Act.  XIII,  50  et  XVII,  5) 
à  ce  point  que  les  païens  eux-mêmes,  tel  Gallion, 
proconsul  d'Achaïe,  durent  soit  l'arracher  à  leurs 
barbares  violences  (Act.  XVIII,  12  et  XX,  31),  soit 
mettre  à  néant  leurs  accusations  mensongèieià  et  cri- 
minelles (Act.  XXIV,  9,  10).  L'an  65,  à  Jérusalem, 
ils  le  traînèrent  hors  de  la  ville  pour  le  tuer.  Lysias 
le  délivra,  il  dut  cependant  leur  accorder  cette  satis- 
faction de  l'enchaîner,  et  même  s'il  en  avait  eu]  le 
pouvoir  de  le  battre  de  verges  (Act.  XXIV,  7). 

Les  juifs  furent  cause  des  premières  persécutions 
des  plaïens  contre  les  chrétiens.  «  Les  synagogues 
sont  les  sources  d'où  découle  la  persécution  v>  a  écrit 
Tertullien.  Et  de  nos  jours,  un  protestant,  M.  Jean 
■  Réville,  affirme  la  même  chose  en  ces  termes  :  «Les 
(premiers)  chrétiens,  issus  du  Judaïsme,  n'avaient  pas 
de  pires   ennemis   que  les  Juifs  »  (1). 

Dès  l'an  44,  Agrippa  mit  sa  puissance  à  leur  ser- 

1.  La  Religion  à  Rome  sous  les  Sévères,  Paris,  1886. 


LES  JUIFS,  LEUR  ACTION  DANS  LA  CHRÉTIENTÉ     683 

vice.  Néron  était  entouré  d'esclaves  juifs,  Poppée  était 
à  demi-juive.  L'historien  dos  Persécutions,  M.  Paul 
Allard,  se  range  au  sentiment  de  saint  Clénient  qui 
attribue   à  leur  jalousie,   la  première  persécution. 

Lorsqiie  l'empereur  Sévère,  publia  l'édit  par  le- 
quel il  interdisait  la  propagande  juive  et  chrétienne, 
cet  édit  fut  si  peu  observé  à  l'égard  des  juifs  et  si 
cruellement  obéi  contre  les  disciples  du  Christ  que 
l'on  vit  des  chrétiens  trop  lâches  pour  braver  les 
supplices  et  trop  attachés  cependant  au  cu-te  du  Dieu 
unique  pour  brûler  de  l'encens  devant  les  idoles, 
se  réfugier  au  sein  du  judaïsme. 

Sous  la  persécution  de  Dèce,  les  juifs,  dit  M.  Paul 
Allard  (1)  assistent  avec  une  curiosité  ardente,  avec 
une  joie  hiaineuse,  à  l'épreuve  imposée,  aux  chré- 
tiens. On  entendait  partout  leui^s  voix,  s'élevant  avec 
l'accent  du  triomphe.  Ils  se  plaisaient,  comme  le 
leur  reprocha  un  martyr  (2)  à  piétiner  lâchement  sur 
des  ennemis  tombés.  Comme  au  temps  de  Polycarpe, 
ce  fut  alors  la  colonie  juive  qui  se  montra  l'enne- 
mie la  plus  acharnée  des  chrétiens.  Le  peuple  païen 
regardait  curieusement,  mais  les  juifs  prenaient  part, 
jouaient  un  rôle  actif. 

Julien  l'apostat,  reconnut  vite,  chez  les  juits,  ses 
meilleurs  alliés  dans  la  guerre  sourde,  incessante,  qu'il 
fit  aux  chrétiens  :  «  Leurs  inimitiés  séculaires,  dit 
saint  Grégoire  de  Nazianze,  les  désignaient  pour  auxi- 
liaires à  celui-ci  »  (3);  et  ceux-ci  se  hâtèrent  de 
mettre  à  profit  les  dispositions  de  l'empereur  pour 
assouvir  de  nouveau  leurs  haines  tiaditionnelles.  On 
les  vit  en  Egypte,  en  Asie,  incendier  impunément  les 
basiliques    chrétiennes. 

1.  Histoire  des  persécutions,  l,  p.  373  et  siiiv. 

2.  Passio  S.  Pionii  et  sociorum  ejus,   4. 

3.  Oratio,   v.   3. 


€84       l'agent  de  la  civilisation  moderne 

On  sait  que  l'apostat  voulut  les  rassembler  de 
nouveau  en  corps  de  nation,  rendre  à  Jérusalem  son 
caractère  de  ville  sainte  et  pour  cela  relever  le  Tem- 
ple. Saint  Jean  Chrysostome  dit  qu'il  avait  mandé 
près  de  lui  les  principaux  d'entre  les  juifs  et  que 
c'est  à  leur  suggestion  qu'il  avait  conçu  l'idée  de 
donner  un  démenti  public  à  la  prophétie  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ,   telle   qu'elle  était  interi>rétée. 

Après  les  persécutions,  les  juifs  donnèrent  à  leur 
haine  un  autre  cours.  Déjà  le  judaïsme  s'était  intro- 
duit dans  l'Eglise  même  pour  y  porter  le  trouble, 
la  division  et  l'hérésie.  Ce  fut  l'œuvre  de  Simon 
le  Mage,  des  Gnostiques,  de  Manès  et  de  ses  adhérents 
ou  de  ses  émules.  Ce  fut  l'œuvre  de  tous  \es  héré- 
siarques, non  pas  qu'ils  aient  été  tous  de  race  jui- 
ve, mais  tous  ont  suivi  ses  inspirations.  Nous  en 
avons  pour  garant  Bernard  Lazare,  ce  juif  qui  fut 
l'un  des  grands  agents  de  l'affaire  Dreyfus  et  à  qui 
la  Républiqpie  en  reconnaissance  éleva  une  statue. 
Dans  son  livre  L'Antisémitisme,  son  histoire,  ses  cau- 
ses (1),  il  dit:  «  Ce  sont  ces  rationalistes  et  ces 
philosophes  (juifs)  qui,  du  X®  au  XV^  siècle,  jusqu'à 
la  Renaissance,  furent  les  auxiliaires  de  ce  qu'on 
peut  appeler  la  Révolution  générale  de  l'humanité.  » 
«  Les  juifs  laverroïstes  furent  les  ancêtres  directs  des 
hommes  de  la  Renaissance.  C'est  grâce  à  eux  que 
s'élabora  l'esprit  de  doute  et  aussi  l'esprit  d'investi- 
g'ation.  Les  platoniciens  de  Florence,  les  aristotéliciens 
d'Italie,  les  humanistes  d'Allemagne  vinrent  d'eux. 
C'est  grâce  à  eux  que  Pomponazzo  composa  des  trai- 
tés contre  l'immortalité  de  l'âme,  grâce  à  eux  encore 
que    chez    les    penseurs    du   XVI®    siècle,    germ^   ce 


1.  Cet  ouvrage,  comme  son  titre  l'indique,  a  été  écrit 
pour  combattre  celui  d'Edouard  Drumont.  Les  aveux  que 
nous    en  recueillons   ici   sont   donc   doublement   précieux. 


LES  JUIFS,  LEUR  ACTION  DANS  LA  CHRÉTIENTÉ  G85 

théisme  qi:i  corresponclit  à  une  décadence  du  catholi- 
cisme ».  C'est  donc,  d'après  Bernard  Lazare,  aux  juifs 
qu'il  faut  attribuer  l'origine  et  le  principe  de  la 
civilisation  moderne  et  du  conflit  qui  depuis  lors 
n'a  cessé  entre  elle  et  la  civilisation  chrétienne  après 
avoir  été  préparé  par  eux  durant  des  siècles. 

«  La  Réforme  en  Allemagne  comme  en  Angleterre, 
c'est   toujours   le   même   juif   qui   parle,   fut   un  de 
ces   moments    où   le   christianisme  se   retrempa   aux 
sources  juives.   C'est  l'esprit  juif  qpii   triompha  avec 
le  protestantisme  ».  «  L*exégèse,  le  libre  examen  sont 
fatalement  destructeurs,  et  ce  sont  les  juifs  qui  ont 
créé  l'exégèse  biblique,  ce  sont  eux  qui    les  premiers 
ont  critiqué  le  symbole  et  les  croyances  chrétiennes.  » 
Un  autre  juif,  M.  Damiesteter,  résume  ainsi  tout 
ce  qui  peut  être  dit  à  ce  sujet  :  «  Le  juif  s'entend 
à  dévoiler   les   points   vulnérables   de   l'Eglise,    et   il 
a  à  son  service,  pour  les  découvrir,  outre  Fïntelligence 
des  Livres  saints,  la  sagacité  redoutable  de  l'oppri- 
mé. Il  est  le  docteur  de  l'incrédule;  tous  les  révoltés 
de  l'esprit  viennent  à  lui  dans  l'ombre  ou  à  ciel  ou- 
vert (1).   Il  est  à  l'œuvre  dans  l'immense  atelier  de 
blasphèmes  du  grand  empereur  Frédéric  et  des  prin- 
ces de  Souabe  ou  d'Aragon  :  c'est  lui  qui  forge  tout 
cet   arsenal    meurtrier   de    raisonnement   et    d'irouie 
qu'il  léguera  aux  sceptiques  de  la  Renaissance,  aux 
libertins  du  grand  siècle,  et  le  sarcasme  de  Voltaire 
n'est  que  le   dernier  et  retentissant  écho   d'un   mot 
murmuré    six    siècles   iauparavïint,    dans    l'ombre    du 
Ghetto,    et  plus   tôt  encore,   au  temps   de    Ce! se   et 
d'Origène,  ïlu  berceau  même  de  la  religion  du  Christ.  » 
Ayant  pris  une  grande  part  dans  la  Renaissance  (2), 

1.  De  nos  jours   les  rapports   de   M.   Loisy   avec   le   juif 
Joseph   Reinach   ont  été   rendus    publics. 

2.  M.   Flavien  Brenier  a  magistralement  montré   que   les 
bumaiiistcs  italiens  étaient  inspirés  par  les  Juifs. 


686      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

dans  la  Réforme,  dans  le  philosophisme,  dans  tou- 
tes les  hérésies,  les  juifs  n'en  eurent  pas  une  moin- 
dre dans  la  Révolution  (1),  la  preuve  à  en  donner 
serait  longue,  contentons-nous  de  ces  aveux  de  Ber- 
nard Lazare  :  «  Le  juif  a  l'esprit  révolutionnaire; 
conscient  oti  non,  il  est  un  agent  de  révolution  ». 
«  Pendant  la  période  révolutionnaire,  les  juifs  ne  res- 
tèrent p'as  inactifs.  Etant  donné  leur  petit  nombre  à 
Piaris,  on  les  Voit  occuper  une  place  considérable, 
comme  électeurs  de  section,  officiers  de  légion,  ou 
assesseurs,  etc.  Il  faudrait  dépouiller  les  archives  des 
provinces  pour  déterminer  leur  rôle  général.  »  «  Pen- 
dant la  seconde  période  révolutionnaire,  celle  qui 
pai't  de  1830,  ils  montrèrent  plus  d'ardeur  enccxre 
que  dans  la  première.  En  travaillant  pour  le  triom- 
phe du  libéralisme,  ils  travailljèrent  pour  eux.  Il  est 
hors  de  doute  que  piar  leur  or,  par  leur  énergie, 
p'ar  leur  talent,  ils  soutinrent  et  secondèrent  la  révo- 
lution européenne...  On  les  trouve  mêlés  au  mou- 
vement de  lia  jeune  Allemagne;  ils  furent  en  nombre 
dans  les  sociétés  secrètes  qui  formèrent  l'armée  com- 
battante révolutionnaire  dans  les  Loges  maçonniques, 
dans  les  groupes  de  la  Charbonnerie,  dans  la  Haute- 
Vente  romaine,  partout,  en  France,  en  Allemagne,  en 
Suisse,   en  Autriche,  en  Italie.  » 

1.  La  revue  anglaise  The  Mouth,  dans  son  numéro  d'oc- 
tobre 1896,  attribuant  aux  Juifs  les  causes  de  mort  qui 
sont  en  nous,  disait  :  «  Les  Juifs  n'essaient  même  pas  de 
dissimuler  que,  dans  leur  éternelle  haine  du  christianisme, 
secondée  par  les  chefs  de  la  Franc-Maçonnerie,  ils  ont 
.  été  les   auteurs   de   la  Révolution.  » 

Le  journal  juif  Haschophet  revendiquait  dernièrement 
encore  la  Révolution  comme  une  œuvre  purement  sémitique, 
dans  un  article  intitulé  :  L'agonie  d^  l'univers  romain  : 
«  C'est  en  vain,  disait-il,  que  la  tiare  lutte  contre  le  sceptre 
de  la  Révolution  juive  de  1793;  elle  voudrait  en  vain  se 
délivrer  de  l'étreinte  de  fer  du  colosse  sémitique  qui  l'en- 
serre; tous  ses  efforts  sont  inutiles.  Le  danger  est  imminent 
et  le  catholicisme  meurt  à  mesure  que  le  judaïsme  pénètre 
les  couches  de  la  société.  » 


LES  JUIFS,  LEUR  ACTION  DANS  LA  CHRÉTIx^.NTÉ     G87 

En  France,  en  ces  derniers  temps,  les  persécuteurs 
n'ont  pias  eu  d'amis  plus  fervents,  d'inspirateurs 
plus  écoutés  que  certains  Juifs  comme  Lévy-Créniieux, 
Hugo  Oberndoffer,  Hemmerdingor,  Von  Reinach,  Arton 
et  Cornélius  Herz.  C'est  à  ce  dernier,  juif  allemand, 
que  demandaient  conseil  les  Freycinet,  les  Floquet, 
les  Rouvier;  c'est  que  sur  le  tableau  de  la  Haute 
jMaçonnerie  internationale,  Herz  figurait  au  l'^^  mars 
1881  dans  la  liste  des  Inspecteurs  généraux  avec 
cette  mention  :  «  Pour  les  relations  générales  d'An- 
gleterre, France  et  Allemagne.  » 

«  Qu'ant  à  leur  action,  et  à  leur  influence  dans  le 
socialisme  contemporain,  dit  encore  Bernard  Lazare, 
elle  fut  et  elle  est,  on  le  sait,  fort  grande  ».  Bien  qu'il 
ne  nous  apprenne  rien,  ce  juif  ne  se  fait  pas  faute  de 
donner  les  preuves  de  son  assertion,  en  montrant  chez 
tous  les  peuples  les  partis  socialistes,  internatio- 
nalistes, nihilistes,  fondés  par  les  juifs  ou  du  moins 
soutenus   p!ar  eux. 

Il  vient  de  nous  les  faire  voir  dans  l-es  loges  et  les 
aiTière-loges,  il  dit  ailleurs  :  «  Il  est  certain  qu'il 
y  eut  des  juifs  au  berceau  même  de  la  Franc-Maçon- 
nerie, des  juifs  klabbalistes,  ainsi  que  le  prouvent 
certains  rites  conservés.  Très  probablement  pendant 
les  (années  qui  précédèrent  la  Révolution  française, 
ils  entrèrent  en  plus  grand  nombre  encore  dans  les 
conseils  de  cette  société  et  fondèrent  eux-mêmes  des 
sociétés  secrètes.  »  C'est-à-dire  des  arrière-loges,  pour 
de  là,  dominer,  inspirer  et  diriger  toute  la  secte. 

Après  ce'a  nos  lecteurs  conviendront  que  VUnivers 
israclite  n'a  rien  dit  de  trop  dans  son  numéro  du 
26  juillet  1907  (p.  585)  :  «  On  rencontre  à  presque 
tous  les  grands  changements  de  la  pensée  .une  action 
juive,  soit  éclatante  et  visible,  soit  sourde  et  latente. 
Ainsi,  l'histoire  juive  longe  l'histoire  universelle  sur 
toute  son  étendue  et  la  -pénètre  yar  mille  trames.  » 


688      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

Dans  son  livre  :  Le  judaïsme  et  la  judaïsation  des 
peuples  chrétiens,  M.  Gougenot  des  Moussaux  ra- 
conte ce  qfui  suit  (1). 

Un  de  nos  amis,  homme  d'Etat,  au  service  de 
la,  grande  puissance  germanique,  un  de  ces  rares 
protestants  qui  sont  restés  fidèles  à  la  dévotion  du 
Christ,    nous    écrivait   au    mois    de    décembre    1865  : 

«  Depuis  la  recrudescence  révolutionnaire  de  1848, 
je  me  suis  trouvé  en  relations  avec  un  juif,  qui, 
par  vanité,  trahissait  le  secret  des  sociétés  secrètes 
auxquelles  il  était  associé  et  qui  m'avertissait  huit 
à  dix  jours  d'avance  de  toutes  les  révolutions  qui 
allaient  éclater  sur  un  point  quelconque  de  l'Europe. 
Je  lui  dois  l'inébranlable  conviction  que  tous  ces 
griands  mouvements  «  des  peuples  opprimés  »  etc.,  etc., 
sont  combinés  par  une  demi-douzaine  d'individus  qui 
donnent  leurs  ordres  aux  sociétés  secrètes  de  l'Eu- 
rope entière  : 

»  Le  sol  est  tout  à  fait  miné  sous  nos  pieds.  » 

Il  ne  faut  point  plus  de  preuves  que  nous  venons 
d'en  donner,  —  et  elles  pourraient  être  multipliées 
—  pour  établir  que  depuis  le  commencement  de  l'ère 
chrétienne,  le  juif  a  été  et  est  vraiment  en  toutes 
choses  et  sur  tous  les  points  le  grand  révolutionnaire 
et  le  grand  hérésiarque.  Il  détruit  pour  détruire,  par 
haine  de  ce  qui  existe,  mais  aussi  dans  l'espoir 
d'édifier  sur  ces  ruines  le  Temple  qiie  nous  avons 
dit  :  la  Jérusalem  de  nouvel  ordre,  assise  entre  l'O- 
rient et  l'Occident  pour  se  substituer  à  Ta  double 
cité  des  Césars  et  des  Papes,  c'est-à-dire  la  Répu- 
blique universelle  et  la  Religion  humanitaire  dont 
il  veut  être  le  pontife  et  le  souverain. 


1.  Page  367. 


CHAPITRE  XLVIIl 


LES  JUIFS  :  LE  TERME  DE  LEUR  AMBITION 


Pour  annoncer  le  règne  du  Messie  futur,  les  pro- 
phètes avaient  employé  des  expressions  grandioses 
qui,  à  première  vue,  pouvaient  éveiller  l'idée  d'une 
domination  temporelle.  A  l'époque  de  Notre-Sei.gn.eux, 
ces  prophéties  recevaient  généralement  des  docteurs 
une  interprétation  conforme  à  cette  idée  :  le  Messie 
doit  être  un  roi  temporel  et  sa  royauté  une  domination 
terrestre.  A  sa  venue,  les  puissances  adverses  doi- 
vent s'élever  contre  lui,  et  leur  extermination  doit 
se  faire  par  les  armes.  On  lit  dans  les  Targums  de 
Jonathan  sur  Isaïe  :  «  Les  peuples  sont  broyés  par 
le  Roi  messie  ».  La  conséquence  de  cette  lutte  vic- 
torieuse était,  dans  la  pensée  des  juifs  de  ce  temps, 
l'établissement  à  Jérusalem  d'un  grand  royaume  fondé 
piar  Dieu  lui-même  et  qui  devait  dominer  le  monde 
entier.  Saint  Jérôme  (In  Joël,  III,  8)  rappelle  ces 
idées  encore  en  faveur  parmi  les  Israélites  de  son 
époque. 

Ces  idées  sur  le  futur  royaume  palestinien  entrè- 
rent jusque  dans  le  monde  païen  et  furent  signalées 
p^r  Tacite  (Hist.  V,  13)  et  Suétone  (Vespas.,  4). 

C'est   ce   qui   explique   comment  à  la   suite   de   la 

L'Église  et  le  Temple  44 


690     l'agent   de    la   civilisation    moderne 

multiplication  des  pains,  les  Galiléens  crurent  avoir 
trouvié  en  Jésus  lei  Messie  temporel  qu'ils  attenda,ieflit 
et  songèrent  à  s'emparer  de  Lui  pour  le  faire  roi  (Joan. 
VI,  15).  Cest  ce  qui  explique  également  l'indigna- 
tion des  juifs  devant  la  prétention  de  Jésus  à  être 
le  Fils  de  Dieu,  alors  qu'il  semblait  à  leur  orgueil 
si  méprisable  et  qu'ils  ne  voyaient  en  Lui  aucune 
aptitude    à  réaliser    les    aspirations    nationales. 

La  ruine  de  Jérusalem,  leur  dispersion  dans  le 
monde,  ne  fit  point  perdre  aux  juifs  leurs  espérances. 

Saint  Jérôme,  qui  connaissait  à  fond  les  doctrines 
judjaïques,  dans  son  commentaire  sur  la  prophétie  de 
Dlaniel  qui  montre  la  petite  pierre  se  détachant  du 
haut  de  la  montagne  pour  briser  la  statne  de  Na- 
buchodonosor,  écrit  :  «  Les  juifs  tournent  ce  pas- 
sage à  leur  avantage,,  et  refusent  de  reconnaître  le 
Christ  dans  cette  pierre.  Elle  ne  désigne  pour  eux 
que  le  peuple  d'Israël  devenu  tout  d'un  coup  assez 
fort  pour  renverser  tous  les  royaumes  de  la  terre 
et  fonder   sur  leurs   ruines,   son  empire  éternel.  » 

Cette  idée,  cette  espérance,  cette  conviction  d'être 
la  «  première  aristocratie  du  monde  »  et  de  tirer 
de  là,  le  droit  à  l'universelle  domination  est,  a  tou- 
jours été  le  centre  de  toutes  leurs  pensées.  Saint 
Jérôme  vient  de  nous  dire  ce  qu'ils  pensaient  d'eux- 
mêmes  au  IV^  siècle,  au  XV^,  le  docte  rabbin  Abra- 
hanel,  ministre  des  finances,  en  Espagne  et  en  Por- 
tugal, sous  Ferdinand  le  catholique,  annonçait  dans 
ses  commentaires  sur  Jérémie  (chap.  XXX)  le  pro- 
chain avènement  et  règne  du  Messie  où  s'accomplira 
l'exterminJation  des  chrétiens  et  des  gentils.  Et  Reu- 
chlin  à  lia  même  époque,  disait  aussi  :  «  Les  juifs 
attendent  avec  impatience  le  bruit  des  armes,  les 
guerres  et  la  ruine  des  royaumes.  Leur  espoir  est 
celui  d'un  triomphe  sembliable  à  celui  de  Moïse  sur 


LES     JUIFS   :     LE     TERME     DE     LEUR     AMBITION        691 

les  Chiananéens  et  qui  serait  le  prélude  d'un  glo- 
rieux retour  à  Jénisalem,  rétablie  dans  son  antique 
splendeur.  Ces  idées  sont  l'âme  des  commentaires 
rabbiniqiies  sur  les  prophètes.  Elles  ont  été  tradition- 
nellement transmises  et  inculquées  d'ans  l'esprit  de 
cette  nation.  Et  ainsi,  de  tout  temps,  les  Israélites 
se  sont  prép&rés  à  cet  événement,  terme  suprême 
des  aspirations   de  la  race  juive.  » 

De  nos  jours,  Bernard  Lazare  a  aussi  dit  de  ceux 
de  sa  race  :  «  Peuple  énergique,  vivace,  d'un  orgueil 
infini,  se  considérant  comme  supérieur  aux  autres 
nations,  le  peuple  juif  voulut  être  une  puissance. 
Il  avait  instinctivement  le  goût  de  la  domination, 
puisque  par  ses  origines,  par  sa  religion,  par  sa 
qualité  de  race  élue  qu'il  s'était  de  tout  temps  attri- 
buée, il  se  croyait  placé  au-dessus  de  tous.  Pour 
exercer  cette  autorité,  les  juifs  n'eurent  pas  le  choix 
des  moyens.  L'or  leur  donna  un  pouvoir  que  tou- 
tes les  lois  politiques  et  religieuses  leur  refusèrent, 
et  c'était  le  seul  qu'ils  pouvaient  espérer.  Détenteurs 
de  l'or,  ils  devenaient  les  maîtres  de  leurs  maîtres, 
ils  les  dominaient,  et  c'était  aussi  Tunique  façon  de 
déployer  leur  énergie,  leur  activité.  » 

C'est  cet  esprit  de  domination  qui  les  a  toujours 
rendus  odieux  à  tous  les  peuples.  «  Ajmd  ipsos,  dit 
Tacite  (1),  fides  ohstinata,  misericordia  in  promptu, 
sed  adversus  omnes  alios  hostile  odium  »,  et  saint 
Paul  dans  son  Epître  aux*  Thessaloniciens  a  dit  aussi 
d'eux  :    «  Et    omnibus    hominibus    adversanlur.  » 

Un  livre  qu'ils  placent  au-dessus  de  la  Bible  elle- 
même  a  puissamment  servi  à  entretenir  cet  esprit 
chez  eux,  jusqu'à  nos  jours,  le  Talmud.  M.  Auguste 
Rokling,  professeur  à  l'Université  de  Prague  l'a  tra- 
duit.  Quelques   lignes   suffiront  à  en  faire  connaître 

1.  Histoire,   v.   5. 


692         l'agent  de  la  civilisation   moderne 

l'esprit.  «  Lia  domination  sur  les  autres  peuples  doit 
être  le  partage  des  juifs.  —  En  attendant  la  Venue 
du  Messie,  les  juifs  vivent  dans  l'état  de  guerre 
continuelle  avec  les  autres  peuples.  Quand  la  vic- 
toire sei'a  définitive,  les  peuples  accepteront  la  foi 
juive  (1).  —  Les  non  juifs  n'ont  été  créés  que  poar 
servir  les  juifs  nuit  et  jour.  —  Dieu  donne  toute 
puissance  aux  juifs  sur  les  biens  et  le  sang  de 
tous  les  peuples. .  —  L'argent  du  non  juif  est  !un 
bien  sans  maître,  en  sorte  que  le  juif  a  le  droit 
d'en  prendre  possession.  —  Dieu  nous  a  ordonné 
d'exercer  l'usure  envers  le  non  juif,  de  façon  que 
nous  ne  lui  prêtions  pas  assistance,  mais  que  nous 
lui  fassions  du  tort.  —  Les  juifs  seuls  sont  des 
hommes,  les  autres  nations  ne  sont  que  des  variétés 
d'animaux.  —  Les  âmes  des  non  juifs  viennent  de 
l'esprit  impur  et  les  âmes  d'Israël  viennent  de  l'esprit 
de  Dieu  (2).  »  Le  p^euple  judaïque  régnant  éternelle- 
ment sur  tout  l'univers,  ayant  tous  les  Goïms  (3) 
pour  esclaves.  Voilà  depuis  trois  mille  ans,  le  rêve 
de  ce  peuple,  le  but  qu'il  poursuit  à  travers  toutes 
les  vicissitudes  et  par  tous  les  moyens.  Joseph  Lé- 
man a  fort  bien  dit  :  «  L'imagination  d'Israël  n'a  ja- 
mais cessé  d'être  hanté  par  un  rêve  de  domination  uni- 
verselle. »  Des  pages  et  des  livres  entiers  du  Tal- 
mud  expriment  les  sentiments  qui  agitent  l'âme  juive, 

1.  Rapprocher  ces  paroles  des  chapitres  ci-dessus  :  Le 
temple.    Nef    politiqiie.    Nef    religieuse. 

2.  Le  Juif  selon  le  Tahnud,  par  Rohling.  Edition  fran- 
çaise par  Pontigny.  Editeur  Savine. 

3.  Goï,  Goim,  ne  signifie  pas  «  le  chrétien  »,  «  les  chré- 
tiens »,  mais  le  «  non  juif  »,  les  «  non  juifs  ».  Goïm  sont 
les  Turcs,  les  Chinois,  les  Nègres,  etc. 

De  même  le  mot  «  juif  »  n'est  plus  un  nom  de  reli- 
gion, de  culte,  mais  un  nom  de  peuple.  Les  juifs  de  nos 
jours  sont  en  grand  nombre  libres-penseurs,  cabalistes, 
occultistes,    spirites,    etc. 


LES     JUIFS   :     LE     TERME    DE    LEUR    AMBITION       693 

dont  les  lignes  ci-dessus,  ne  donnent  qu'une  bien 
faible  idée  (1). 

Telles  sont  les  convictions  que  le  Talmud  et  l'ensei- 
gnement qui  en  est  donné  ont  fait  entrer  dans  la 
conscience  juive.  Là  est  le  principe  de  l'action  que  le 
juif  s'efforce  d'exercer  au  sein  des  autres  peuples, 
la  source  de  ses  espérances,  la  justification  de  son 
orgueil  et  de  l'ambition  qui  veut  assujettir  tous  les 
peuples    à  son    empire. 

L'heure  de  ce  triomphe  et  de  cette  dominô^tion 
approche,  pensent-ils.  L*un  d'eux,  le  fondateur  de 
YAMlaiice  Israélite  universelle,  créée  pour  en  hâter 
la  venue,  s'écriait  il  y  a  quelques  années,  dans  un 
discours  aux  délégués  de  cette  association.  «  Comme 
déjà  tout  est  chlangé  pour  nous,  Messieurs,  (depuis 
notre  affranchissement  par  la  Révolution)  et  en  si 
peu  de  temps!  Lorsque  j'étais  enfant,  les  juifs  ne 
comptaient  pour  rien,  et  à  mesure  que  l'âge  est  venu, 
je  les  ai  vus  conquérir  dans  toutes  les  carrières,  une 
position  élevée...  Courage,  mes  amis,  redoublez  d'ax- 
deur;  quand  on  a  si  vite  et  si  bien  conquis  le  pré- 
sent,   que   l'avenir   est   beau!  » 

Cet  avenir,  ils  pensent  le  toucher.  Ils  l'attendent 
surtout  des  idées  qu'ils  ont  semées  dans  la  société 
chrétienne  :  liberté,  égalité,  démocratie,  principes  de 
89. 

Le  29  juin  1869,  au  moment  où  s'ouvrait  le  Con- 
cile du  Vatican,  les  juifs  voulurent  avoir,  eux  aussi, 
leur  concile.  Ils  le  tinrent  à  Leipzig,  sous  la.  prési- 
dence du  D^  Lazarus,  de  Berlin.  Y  figuraient  les  re- 


1.  On  peut,  pour  s'en  faire  une  idée  plus  complète,  recDU- 
rir  à  l'ouvrage  de  M.  Grougenot  des  Mousseaux,  le  chapitre 
IV  et  le  chapitre  V  avec  ses  cinq  divisions.  On  peut  lire 
aussi  l'ouvrage  du  rabbin  converti,  M.  Drach.  Particulière- 
ment 2e  lettre,  page  99. 


094      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

présentants  de  l'Allemagne,  de  la  Russie,  de  la  Tur- 
quie, de  l'Autriche,  de  l'Angleterre,  de  la  France, 
des   Pays-Bas,    etc.,    etc. 

Lia  conclusion  en  a  été  donnée,  aux  applaudisse- 
ments de  tous,  plar  le  D^  Philipson,  de  Bonn,  appuyé 
piar  le  grand  rabbin  de  Belgique,  M.  Astruc.  Elle  fut 
ainsi  formulée  :  «  Le  Synode  reconnaît  que  le  dé- 
veloppement et  la  réalisation  des  principes  moder- 
nes sont  les  plus  sûres  garanties  du  présent  et  de 
l'avenir  du  judaïsme  et  de  ses  membres.  Ils  sont  les 
conditions  les  plus  énergiquement  vi'.a'es  pour  l'exis- 
tence expiansive  et  le  plus  haut  développement  du 
judaïsme.  » 

Déjà  nous  avons  rapporté  ces  paroles;  mais  elles 
ont  une  importance  capitale  et  il  est  bon  de  les 
considérer  de  plus  près. 

Les  principes  modernes  ont  été  formulés  dans  la  Dé- 
claration des  droits  de  l'homme.  Ils  procèdent  tous 
du  principe  des  principes  :  l'égalité.  Tous  les  hom- 
mes sont  égaux.  Un  Anglais  ne  doit  être  pour  ^n 
Français  que  l'équivalent  de  tout  autre  Français,  étant 
l'un  et  l'autre,  membres  de  la  famille  humaine,  hom- 
mes, n'ayant  d'autres  droits  que  les  droits  qui  ap- 
piartiennent  à  l'homme. 

C'est  le  juif,  aidé  par  la  Franc-Maçonnerie  qui  a 
répiandu  et  fait  admettre  cette  idée  dans  les  amiées 
qui  ont  précédé  la  Révolution.  Idée  nouvelle,  car, 
jusque-là,  il  y  avait  des  Français,  des  Anglais,  des 
Allemands,  des  Russes,  comme  il  y  avait  eu  des 
Grecs,  des  Romains,  des  Barbares  ayant  chacun  leurs 
lois,  leur  constitution  et  les  droits  qu'elles  confèrent 
aux    nationaux    à  l'exclusion    des    étrangers. 

Les  juifs,  considérés  étrangers  dans  tous  les  pays 
du  monde,  lavaient  im  souverain  intérêt  à  changer 
cet  état   dé   choses,   à  se   faire   prendre   et   accepter 


LES    JUIFS   :    LE     TERME    DE    LEUR    AMBITION       G95 

comme  nationaux  partout  où  ils  se  trouvaient.  C'est 
ce  qu'ils  obtinrent  par  la  Déclaration  des  droits  de 
l'homme  et  ils  viennent  de  nous  dire  le  parti  qu'ils 
en  ont  tiré,  les  espéj^ances  qu'elle  leur  fait  concevoir 
pour  un  prochain  avenir. 

Il  n'est  pas  étonnant  que  le  concile  des  juifs  ait 
reconnu  que  d^ns  ces  «  Principes  modernes  »  se  trou- 
vent «  les  plus  sûres  giaranties  du  présent  du  judaïsme 
et  de  ses  membres  ».  Si,  en  effet,  les  nations  ve- 
naient à  reconnaître  leur  erreur,  à  repousser  cette 
égalité,  la  condition  des  juifs  redeviendrait  ce  qu'elle 
était  autrefois,  race  à  part,  race  infusible;  i-S  seraient 
de  nouveau  traités  pour  ce  qu'ils  sont,  traités  partout 
comme   étiiangers. 

Aussi  le  concile  a-t-il  voté  le  développement  et 
la  réalisation  des  principes  modernes,  leur  dévelop- 
pement dans  les  esprits  et  leur  réalisation  de  plus 
en  plus  parfaire  dans  les  institutions. 

Rien  de  plus  facile  pour  lui.  Il  forme  au  sein 
de  chacun  des  Etats  de  ce  monde  un  Etat  particulier. 
Partout,  il  a  l'aide  des  associations,  secrètes  ou  non 
secrètes,  composées  d'hommes  de  toutes  les  croyances 
ou  plutôt  de  toutes  les  incroyances.  Il  exerce  sur 
ces  sociétés,  dont  quelques-uns  de  ses  chefs  sont 
l'âme  soigneusement  enveloppée  de  mystère,  un  em- 
pire qui  lui  permet  de  les  faire  travailler  à  son 
profit,  soit  en  répandant  les  idées  qu'il  a  intérêt 
à  propager,  soit  en  faisant  les  lois  ou  établissant  les 
institutions  que  ces  idées  appellent.  Il  a  Timmensité 
sans  cesse  croissante  de  ses  richesses  et  par  elle 
les  leviers  qu'il  se  forge  pour  former  l'opinion,  pour 
la  soulever,  pour  faire  éclater  les  événements  dont 
il  attend  l'avancement  de  sa  cause.  Il  a  l'inflexibilité 
de  son  vouloir  et  lia  flexibilité  de  son  aptitude.  Il 
a  de  singuliers  et  merveilleux  privilèges  d'intelligence 
en  rapport  avec  ses  ambitions. 


696       l'agent  de  la  civilisation  moderne 

Aussi  ne  devons-nous  pas  nous  étonner  de  voir 
combien  grand  est  le  nombre  des  chrétiens^  qui  dans 
la  presse  et  dans  l'enseignement,  dans  l'administration 
et  dans  tous  les  corps  civils  et  politiques,  se  font 
les  coopérateurs  des  juifs  dans  la  propagande  des 
grands  principes.  Ils  ne  savent  sans  doute  pas  ce 
que  le  juif  attend  de  leur  collaboration;  ils  ignorent 
ce  que  doit  produire  le  développement  des  principes 
modernes  dans  l'esprit  des  masses,  et  leur  réalisation 
dans  les  institutions  politiques  et  sociales.  Le  con- 
cile de  Leipzig  ne  l'a  pourtant  point  caché.  Ce  déve- 
loppement, cette  réalisation  sont,  a-t-il  dit,  «  les  con- 
ditions les  plus  énergiquement  vitales  pour  l'existence 
expansive  et  le  plus  haut  développement  du  judaïs- 
me. » 

Quelle  est  cette  énergie  de  vie  que  le  judaïsme 
attend  pour  lui,  pour  sa  race  de  la  propagande  des 
idées  modernes  et  du  fonctionnement  des  modernes 
institutions  qui  en  découlent,  suffi^age  universel  et  ce 
qui  s'en  suit?  Et  quel  est  le  plus  haut  développement 
auquel  le  judaïsme  espère  et  que  doivent  lui  procurer 
ces  idées  et  ces  institutions  énergiquement  vitales 
pour  lui? 

Ce  développement  n'est  rien  moins,  inutile  de  le 
répéter,  que  l'hégémonie  du  juif  sur  toute  la  race 
humaine,  sa  domination  sur  tous  les  peuples,  devenus 
sujets,   esclaves  d'Israël. 

«  Comme'  déjà  tout  est  changé  pour  nous!  et  en 
si  peu  de  temps!  »  s'écriait  Crémieux  après  trois 
quarts  de  siècle  seulement  de  fonctionnement  des 
principes  modernes.  'Et  l'abbé  Lémann,  de  race  juive  : 
«  Quiand  on  s'est  aperçu  que  les  juifs  étaient  ci- 
toyens, ils  étaient  déjà  en  partie  les  maîtres.  »  Il 
écrivait  cela  bien  avant  l'affaire  Dreyfus  qui  a  fait 
voir  à  tous  ceux  qui  ne  sont  point  inféodés  aux  juifs 
que  ceux-ci  sont  vraiment  nos  maîtres. 


LES    JUIFS   :    LE    TERME    DE    LEUR    AMBITION       607 

Avant  eux,  Disraeli,  autre  juif,  bien  placé  pour 
connaître  la  vérité  de  ce  qu'il  avouait,  écrivait  :  «  Le 
juif  arrive  de  nos  jours  à  exercer  sur  les  affaires 
de  l'Europe  une  influence  dont  le  prodige  est  sai- 
sissant. » 

Beiaucoup  de  juifs  aujourd'hui  n'attendent  point  d'au- 
tre Messie,  que  les  principes  de  89.  Ils  disent  avec 
M.  Cahen  :  «  Le  Messie  est  venu  pour  nous,  le  28 
février  1790  lavec  les  Droits  de  l'homme  ».  89  est 
leur  hégire.  Les  principes  modernes  sont  considérés  par 
eux  comme  l'idée  messianique  et  ils  n'appellent  rien 
d'autre,  ni  homme,  ni  arme  pour  conquérir  l'univers. 
Ces  principes  nivellent  tout  chez  leurs  adversaires  et  pn 
font  une  proie  facile;  à  eux  ils  donnent  Tavantage 
de  jouir  partout  de  deux  nationalités;  celle  d'em- 
prunt qui  leur  donne  to'us  les  droits  des  citoyens 
du  pays  où  ils  se  sont  introduits,  et  la  leur  propre 
qui  leur  permet  de  s'entendre  d'un  bout  à  l'autre  du 
monde  et  de  concentrer  leur  action  pour  arriver  à 
tout  dominer   (1). 


1.  Le  Prince  Louis  de  Broglie  a  conclu  une  étude  sur  La 
question  juive  au  point  de  vue  politique,  par  cette  cons- 
tatation :  «  ...  30  Entrés  dans  les  sociétés,  grâce  aux  prin- 
cipes modernes,  les  Juifs  so-nt  devenus  les  adeptes  et  les 
propagateurs  les  plus  ardents  de  ces  principes,  les  membres 
les  plus  actifs  de  la  Franc-Maçonneri'e,  les  fils  les  plus 
dévoués  de  la  libre-pensée.  » 

Si  les  chefs  du  Sillon,  et  même  de  l'Associatioa  catho- 
lique de  la  jeunesse  savaient  ces  choses,  pousseraient-ils 
nos  jeunes  chrétiens  avec  tant  d'ardeur  dans  les  voies  de 
la  démocratie?  Un  rabbin  allemand  s'est  permis  à  leur 
égard  cette  ironie  :  «  Ces  chrétiens  bornés  et  à  court?  vue 
se  donnent  de  la  peine  pour  nous  arracher  par  ci  par-là  une 
âme.  Et  ils  ne  voient  pas  que  nous  aussi  nous  sommes 
missionnaires  et  que  noire  prédication  est  plus  habile  et 
plus  fructueuse  que  la  leur...  L'avenir  est  à  nous.  Nous 
convertissons   en   masse   et   d'une  façon  inaperçue.  » 

M.  Bachem  a  fait  récemment  au  Landtag  prussien  cette 
déclaration  :   «  Le  judaïsme  allemand  —  la  chose  est  en- 


i')'Ji^       l'agent  de  la  civilisation  moderne 

Cependant  l'immense  majorité  des  juife  reste  fidèle 
à  l'antiqoe  croyance  ainsi  exposée  par  l'éiiiinent  rab- 
bin Drach  dans  son  livre  V Eglise  et  la  Synagogue. 

«  D'après  la  doctrine  enseignée  par  les  maîtres 
d'Israël,  le  Messie  doit  être  un  grand  conquérant, 
qui  soumettiia  les  nations  à  la  servitude  des  juifs. 
Ceux-ci  reprendront  la  Terre  Sainte,  triomphants  et 
chargés  des  richesses  qu'ils  auront  arrachées  aux  in- 
fidèles. Alors  tous  les  peuples  setront  assujettis  aux 
juifs  et  à  ceux-ci  appartiendront  les  biens  et  la  puis- 
sance des  vaincus  (1).  C'est  par  un  salut  à  ce  même 
triomphateur  et  par  l'espérance  des  biens  qu'il  doit 
procurer  à  son  peuple  que  les  rabbins  finissent  d'ordi- 
nJaire  leurs  discours.  » 

Ceux-là  même  qui  tournent  en  mythe  le  Messie, 
tels  les  rédacteurs  des  Archives  iraélites,  ne  peuvent 
se  mettre  en  opposition  ouverte  'avec  les  vrais  croyants 
et   sont   souvent   obligés   de    leur   laisser   la   parole. 

Le  21  miars  1864,  les  Archives  publièrent  une  lettre 
d'un  orthodoxe  de  Nancy  où  l'on  voit  bien  qu'ortho- 
doxes ou  non,  tous  les  juifs  comptent  sur  la,  domi- 
nation universelle  qu'ils  croient  leur  être  promise 
par  le   Souverain  Maître. 

«  Messieurs,  je  suis  de  ceux  qui  pensent  que  notre 
génér'ation  ne  verra  pas  le  jour  de  la  grande  répara- 

core  plus  vraie  en  France  —  travaille  avec  une  puissance  tel- 
lement gigantesq  16  et  avec  une  pers5v^rance  tellement  cons- 
tante à  la  civilisation  et  à  la  science  modernes  qtie  le 
plus  grand  nombre  des  chrétiens  sont  menés  d'une  façon 
consciente  ou  inconsciente  par  l'esprit  du  judaïsme  mo- 
derne. » 

1.  Dans  l'école  où  j'étais,  à-  Strasbourg,  nous  raconte  M. 
Drach,  les  enfants  prirent  la  résolution  de  faire,  à  la  pre- 
mière apparition  du  Messie,  main  basse  sur  toutes  les 
boutiques  de  confiseries  de  la  ville...  J"ai  dressé  longtemps, 
à  part  moi,  l'état  des  lieux  d'une  ber.e  boutique  au  coin 
de  la  Place  d'Armes,  s.ir  laquelle  j'avais  jeté  mon  dévolu  ». 
Drach.  Deuxihne  l:ttre,  p.  319.  Paris,   1827. 


LES    JUIFS  :     LE     TERME    DE    LEUR    AMBITION       G09 

tion  promise.  Et  pourtant  j"e  ne  voudrais  pas  affirmer 
le  contraire  en  présence  des  événements  et  des  trans- 
formations auxquelles  nous  assistons  depuis  ces  quinze 
dernières  années! 

»  Vous  dites  :  nous  ne  croyons  cette  idée  —  du 
Messie  et  de  son  retour  triomphal  à  Jérusalem  —  ni 
réalisable,  ni  acceptable!  Avez-vous  bien  réfléchi  à 
la  gravité  de  ces  paroles?  car  elles  coyistîtuent  la 
négation  complète  de  notre  foi  et  de  notre  mission 
DANS  LE  monde!  Telle  n'est  certes  pas  votre  pensée; 
mais  il  convient  qu'un  organe  de  l'importance  des 
Archives  ne  puisse  être  considéré  comme  n'ayant  pas 
toute  lia  conscience  des  devoirs  co^mme  des  espérances 
d'Israël.  Gomment!  vous  ne  croyez  pas  à  la  mission 
-finale  de  la  maison  de  Jacob?  Jérusalem  serait  pour 
vous  un  vain  mot?  Mais  ce  serait  h  renversement  im- 
médiat de  notre  culte,  de  notre  tradition,  de  notre 
raison  d'être;  et  à  ce  compte,  il  faudrait  aussitôt 
brûler  tous  nos  livres  sla.crés...  Notre  rituel,  ordinaire 
ou  extriaordinaire,  toujours  nous  parle  de  la  mère- 
patrie.  En  nous  levant,  en  nous  couchant,  en  nous 
7nettant  à  table,  nous  invoquons  notre  Dieu  pour  qu'il 
hâte  notre  retour  à  Jérus^alem,  sans  retard  et  de  nos 
jours!  ce  seraient  donc  là  de  vaines  paroles?  La 
répétition  générale,  universelle,  de  ces  paroles  n'au- 
rait donc  plus  de  sens?  ce  serait  de  pure  forme? 

»  Heureusement  qu'il  n'en  est  pas  ainsi;  et  vous 
voyez,  cher  IMonsieur,  que,  si  bdaucoup  d'entre  nous 
ont  oublié  d'importance  du  retour,  Dieu  nous  a  suscité 
des  frères  nouveaux  qui  comprennent  parfois  mieux 
que  nous-mêmes,  ce  miracle,  unique  dans  la  vie  du 
monde,  d'un  peuple  tout  entier  dispersé  depuis  dix- 
huit  cents  ans  dans  toutes  les  parties  de  l'univers 
sans  se  confondre  ni  se  mêler  nulle  paît  avec  les 
populations    au    milieu    desquelles    il    vit!    Et,    cette 


700         L'AGENT     DE     LA    CIVILISATION     MODERNE 

conserviation  incroyable,  faite  pour  ouvrir  les  yeux 
aux  plus  aveugles,  n'aurait  aucune  signification,  au- 
cune vlaleur  pour  nous  et  pour  le  monde? 

»  ...Mais  regardons  l'horizon,  et  considérons  trois 
signes  éclatants  qui  nous  frappent.  Trois  mots,  trois 
choses  ont  le  privilège  d'occuper  tous  les  esprits 
et  d'absorber  l'attention  du  temps  présent  :  nationa- 
lités, CONGRÈS,  SUEZ. 

»  Eh  bien!  la  clef  de  ce  triple  problème  (des  peu- 
ples qui  entrent  en  possession  d'eux-mêmes  pour  s'uni- 
fier, et  unifier  à  l'aide  du  fil  électrique  et  de  la 
vapeur,  les  diverses  régions  du  monde),  la  clef  de 
cette  triple  solution,  c'est  Israël,  c'est  Jérusalem! 
Je  l'ai  dit  plus  haut,  toute  la  religion  juive  est  fondée 
sur  Vidée  nationale.  —  Et  qu'ils  en  aient  ou  non 
conscience  —  il  n'est  pas  une  pulsation,  pas  une 
aspiration  dés  fils  d'Israël  qui  ne  soit  vers  la  patrie.  Je 
le  répète,  il  faudrait  fermer  depu.is  le  premieir  jus- 
qu'au dernier  de  nos  livres,  s'il  fallait  chasser  Jéru- 
salem   de   nos  pensées! 

»  Et  ces  aspirations,  ces  pensées  ne  sont  pas  seule- 
ment une  chose  intime,  personnelle  ,à  notre  race,  mais 
c'est  un  besoin  universel;  c'est  la  réalisation  des 
paroles  des  prophètes;  que  dis-je?  des  paroles  de 
Dieu... 

»  Encore  un  mot,  cher  Monsieur.  Nous  approchons 
du  jour  anniversaire  de  la  sortie  d'Egypte  des  Israé- 
lites nos  pères.  C'est  la  soirée  du  20  avril  que,  par 
toute  la  terre,  un  peuple  disséminé  depuis  bientôt 
deux  mille  ans,  le  même  jour,  à  la  même  heure  sou- 
dain, se  lève  comme  un  seul  homme.  Il  saisit  la 
coupe  de  bénédiction  placée  devant  lui,  et  d'une  voix 
fortement  accentuée,  il  redit  par  trois  fois  le  magni- 
fique toast  que  voici  :  Tannée  prochaine  dans  Jéru- 
salem.   Direz-vous    encore   que   le   rétablissement  de 


LES    JUIFS   :     LE     TERME    DE    LEUR    AMBITION       701 

la  nation  juive  n'est  ni  réalisable  ni  acceptable.  — 
Lévy  BuRG.  » 

Il  faudrait  reproduire  cette  lettre  en  entier.  Citons-en 
encore  du  moins,  ce  passage  qui  montre  que  dans  la 
pensée  des  juifs,  le  retour  à  Jérusalem  emporte  leur 
domination  sur  tout  le  genre  humain  par  une  Con- 
vention ou  un  tribunal  chargé  de  gouverner  tous 
les  hommes.  «  N'est-il  pas  naturel,  nécessaire  de 
voir  un  tribunal  suprême,  saisi  des  grands  démêlés 
publics,  des  plaintes  entre  nations  et  nations,  jugeant 
en  dernier  ressort,  et  dont  la  parole  fasse  loi?  Et 
cette  parole,  c'est  la  parole  de  Dieu,  prononcée  par 
ses  fils  aînés  (les  Hébreux)  et  devant  laquelle  s'incli- 
nent avec  respect,  tous  les  princes,  c'est-à-dire  Tuniver- 
salité  des  hommes   »  (1). 

Peuple,  il  vous  faut  un  juge  suprême,  infaillible. 
Reconniaissez  en  moi  non  seulement  le  peuple-roi, 
mkis   le   peuple-pape. 

Comme  complément  de  cette  lettre,  peut  être  re- 
produit un  extrait  d'un  rapport  que  fit  le  docteur 
Becchanan,  en  1810,  à  l'Eglise  anglicane.  «  Pendant 
mon  séjour  en  Orient,  j'ai  partout  trouvé  des  juifs 
animés  de  l'espoir  de  retourner  à  Jérusalem  et  de 
voir  leur  Messie...  Ils  croient  que  l'époque  de  leur 
délivrance  n'est  pas  très  éloignée  et  regardent  les 
révolutions  qui  agitent  l'univers  comme  des  présages 
de  liberté.  Un  signe  certain  de  notre  prochain  affran- 
chissement, disent-ils,  c'est  qu'en  presque  tous  pays, 
les  persécuteurs  suscités  contre  nous  se  ralentissent. 
Israël  croit  donc  proche,  très  proche,  le  moment  où 
les  prophéties  messianiques  vont  se  réaliser  dans 
le  sens  qu'il  leur  a  toujours  donné.  » 

Devons-nous  redouter  de  voir  leur  rêve  se  réaliser? 

La  tradition  chrétienne  nous  parle  de  l'Antéchrist 

1.  Archives  Israélites,  1864,  pp.  335  à  350. 


702     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

et  lui  donne  les  mêmes  caractères  que  les  juifs  don- 
nent à  leur  Messie. 

Or,  comme  l'observe  M.  des  Mousseaux,  «  sous  nos 
yeux,  d'un  bout  à  Vautre  ds  la  terre,  le  monde  poli- 
tiq;ue,  le  monde  économique  et  commercial,  conduit 
ou  entilaîné  par  les  sociétés  du  monde  occulte  dont 
les  juifs  sont  les  princes,  ,se  sont  mis  à  brasser 
à  la  fois  de  toutes  parts  et  avec  une  inlassable  ardeur, 
la  grande  unité  cosmopolite.  Ainsi,  se  nomme,  dans 
le  langage  'du  jour,  le  système  d'où  sortirait  l'abo- 
lition de  toutes  frontières,  de  toutes  patries,  ou,  si 
l'on  veut,  le  remplacement  de  la  patrie  particulière 
de  chiaqfue  peuple  par  une  grande  et  universelle  pa- 
trie  qui   serait  celle   de   tous   les   hommes  »   (1). 

La  république  universelle  et  la  religion  humani- 
taire appelent  une  langue  commune.  Plusieurs  es- 
sais sont  faits  en  ce  moment  pour  la  créer  et  la  faire 
adopter  :  l'Ido,  le  Volapuck,  l'Espéranto.  Beaucoup 
estiment  que  ce  sont  là  des  tentatives  judéo-maçonni- 
ques, rentrant  dans  les  moyens  employés  par  la  secte 
pour  préparer  le  nivellement  des  esprits  et  des  na- 
tions. Entre  d'autres  signes  qui  le  donnent  à  penser, 
l'étoile  maçonnique  n'e:t-elle  pas  l'insigne  préféré  des 
Espérantistes  ?  Le  créateur  de  l'Espéranto,  le  D^"  Za- 
menonhof,  est  un  juif.  Il  y  a  toujours  à  se  défier  de 
ce  qui  vient  d'eux   (2). 

1.  De  plus,  nous  l'avons  vu,  le  remplacement  de  toutes 
les  religions  par  la  religion  humanitaire  q;ui  serait,  elle 
aussi,  la  religion  de  tous  les  hommes. 

2  La  langue  universelle  existait  pour  la*  chrétient'^,  elle 
existe  encore  au  service  de  la  civilisation  catholique  :  le  latin. 
Reclus,  quoique  nullement  chrétien,  dans  son  livre  Le 
partage  du  mond^,  dit  d'elle  (pp.  294  et  suiv.)  :  «  Sa  gloire 
étemelle  c'est  d'avoir  modelé  les  hommes  après  les  avoir 
commandés  du  verbe  le  plus  sonore,  le  plus  concis,  le  plus 
fin,  le  plus  impérial  qui  fût  jamais;  c'est,  en  traînant 
à  sa  suite  la  science,  la  philosophie,  l'art  des  Grecs,  d'avoir 


LES    JUIFS   :     LE     TERME    DE    LEUR    AMBITION        TO^Î 

Or,  cette  unité  réclame  une  tète.  Et  donc  les  juif:? 
no  so  contenteraient  point  d'espérer,  d'appeler  de  !eurB 
vœux  leur  Messie  dominateur  du  monde,  ils  lui  pré- 
pareraient les  voies  par  tout  ce  travail  séculaire  au- 
quel ce  livre  à  fait  assister  ses  lecteurs. 

C'est  ainsi  que  nous  avons  pu  les  appeler  les  maî- 
tres de  Vœuvre. 

Ce  serait  le  grand  œuvre  du  Pouvoir  occulte  qui 
est  à  la  tête  de  toutes  les  sociétés  secrètes  qui  cou- 
vrent lo  monde  (1),  qui  les  inspire  et  qui  dirige  l'ac- 
tion de  toutes  vers  le  but  que  lui  connaît  bien,  mais 


instruit  l'Occident  et  par  l'Occident  le  monde;  c'est  d'avoir 
donné  aux  idiomes  qui  s'assujettissent  l'orbe  des  terres,  les 
mots  de  toutes  les  connaissances  qui  élèvent  l'homme  au- 
dessus  de  l'animalité  :  arts,  sciences  morales,  sciences  so- 
ciales, sciences  politiques,  sciences  économiques,  le  droit, 
l'histoire,  la  géographie,  les  mathématiques;  c'est  d'avoir 
été  et  d'être  resté  la  langue  du  cathoUcisme  universel. 
Bref,  le  plus  précieux  trésor  de  l'humanité  civilisée,  c'est 
le  latin,  et  le  plus  souvent,  ne  l'oublions  pas,  du  latin  qui 
a  passé  par  l'idée  française. 

1.  Il  ne  faut  point  croire  que  les  relations  des  Juifs  avec 
la  Franc-Maçonnerie  soient  renfermées  dans  les  limites  de 
l'Europe  et  de  l'Amérique.  (Voir  ci-dessus).  Les  sociétés 
secrètes  se  rencontrent  sur  tous  les  points  du  monde  et 
paraissent  bien  obéir  partout  à  une  seule  et  même  di- 
rection. 

Les  relations  de  la  Franc-Maçonnerie  européenne  avec 
la  Chine  ont  pu  être  constatées  par  les  Français  dans  leurs 
expéditions  au  Tonkin  et  dans  l'Annam.  Des  cens  fort  bien 
renseignés  assurent  que  les  déceptions  que  la  République 
y  a  rencontrées  sont  atlribuables  à  la  société  Tien  Si  Hevl 
(Ciel  et  Terre).  Les  endroits  traversés  par  l'armée  fran- 
çaise étaient  pleins  de  signes  mystérieux  et  de  menaces 
maçonniques  à  l'adresse  des  initiés  européens  qui  étaient 
conjurés  de  ne  pas  user  de  leurs  armes  contre  leurs  frères 
orientaux. 

Deux  sociétés  secrètes  terrorisent  la  Cochinchine,  la 
Nghia  hung  et  la  Nghia  hou.  La  première  a  pour  bannière 
la  couleur  jaune  et  la  seconde  la  couleur  verte.  Dans  l'une 
et  dans  l'autre  on  se  réunit  dans  des  pvTgodes  spéciales,  on 
est  lié  par  un  secret  absolu,  on  se  soutient  jusqu'à  la  mort. 


704      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

qu'il  cache  autant  que  possible  aux  chrétiens  dont 
il  a  fait  ses  serviteurs  et  ses  instruments. 

Par  eux,  ou  du  moins  avec  leur  concours,  il  tra- 
vaille, dès  maintenant,  à  une  entière  expropriation 
afin  que,  n'étant  plus  attachés  à  rien,  les  peuples 
les  laissent  s'emparer  de  tout  :  nous  avons  vu  les 
Français  désappropriés  de  leurs  traditions,  écouter 
ceux  qui  s'efforcent  de  les  désapproprier  de  leur 
nationalité,  et  même  de  leur  religion.  Ils  sont  en 
train  de  se  dépouiller  même  de  leurs  richesses. 

M.  Emile  Cahen,  auditeur  au  Conseil  d'Etat,  vient 
d'être  chargé  par  le  ministre  du  travail  de  recher- 
cher les  causes  des  crises  (économiques.  Juif  lui- 
même,  il  ne  fera  pas  figurer  parmi  œs  causes-  les 
grandes  razzias  juives.  Nous  avons  été  amenés,  — 
par  qui,  et  comment?  —  à  confier  à  l'étranger  trente 
six  milliards  de  notre  avoir.  C'est  M.  Arthur  Meyer 
qui  donna  ce  chiffre.  La  liquidation  de  la  fortune  de 


Ces  maçoiiiieries  indigènes  sont  absolument  ennemies  de 
la  France. 

Un  Chinois,  qui  séjourna  en  France,  Ting-Toung-ling,  pu- 
blia, en  1864,  un  livre  sur  la  Franc-Maçonnerie  chinoise. 
Il  se  fit  affilier  en  France  à  la  R.  • .  L,  • .  La  Jérusalem 
des  Vallées  égyptiennes.  M.  de  Rosny,  professeur  à  l'Ecole  des 
langues  orientales  à  Paris,  fut  chargé  de  servir  d'interprète 
au  récipiendaire.  Il  apprit  de  lui  qu'il  existe  en  Chine  des 
associations  identiques  à  celles  de  nos  loges  et  également 
liées  entre   elles   par  des   serments  inviolables. 

M.  de  Rosny  se  mit  également  en  rapports  avec  un 
autre  franc-maçon  chinois  d'un  grade  plus  élevé,  Sun-young. 
Sa  conclusion  est  qu'en  Asie  comme  en  Europe  la  Franc- 
Maçonnerie  est  à  la  fois   philosophique   et  révolutionnaire. 

Le  vice-roi  du  Yun-nan  avoua  à  M.  François,  consul 
de  France,  que  les  sociétés  secrètes  sont  à  ce  point-  puis- 
santes en  Chine  que  lui-même  était  obligé  de  leur  servir 
d'instrument.  Il  ajouta  qu'elles  sont  internationalisées  pour 
les  étrangers  qui  sont  en  Chine. 

On  voit  comment,  au  moment  propice,  le  monde  entier 
pourra  être  soulevé  et  bouleversé  pour  la  satisfaction  des 
ambitions   d'Israël. 


LES    JUIFS   :     LE     TERME    DE    LEUR    AMBITION       705 

la  France,  sa  transformation  en  papier,  c'est-à-dire 
bientôt  en  feuilles  mortes,  c'est  l'une  des  choses  qui 
doivent  contribuer  à  la  faire  disparaître  comme  na- 
tion; et  l'on  sait  que  c'est  d'elle,  de  la  fille  aînée 
de  l'Eglise,  que  le  Pouvoir  occulte  veut  triompher  tdut 
d'abord.  Mais  les  autres  peuples  sont  aussi  sous  l'ac- 
tion   de   cette   pompe   aspirante   qu'est   le   judaïsme. 

Le  D^  Riatzinger  a  fort  bien  dit  :  «  L'expropriation 
de  la  société  par  le  capital  mobile  s'effectue  avec 
autant  de  régularité  que  si  c'était  une  loi  de  la 
nature.  Si  on  no  fait  rien  pour  l'arrêter,  dans  l'espace 
de  cinquante  ans,  ou,  tout  au  plus  d'un  siècle,  toute 
la  société  européenne  sera  livrée,  pieds  et  poings 
liés,  à  quelques  centaines  de  banquiers  juifs.  »  Toute 
la  société  européenne,  c'est  trop  peu  dire,  l'Amérique 
et  l'Asie,  seront  également  à  la  merci  des  banquiers 
juifs.  Le  Krack  américain  a  bien  montré  que  leur 
pouvoir  est  ixussi  grand  dans  le  nouveau  monde  que 
dans  l'ancien,  et  personne  n'ignore  que  le  Japon 
et  la-  Chine  commencent  aujourd'hui  à  leur  deman- 
der les   moyens  de  se  «  civiliser  ». 

M.  Gougenot  des  Mousseaux  montre  dans  son  li\^re 
«  l'immensité  »,  l'énormité  de  la  puissance  que  le  juif 
doit  à  son  or,  à  son  art  inimitable  de  le  faire  sien, 
à  l'instinct,  au  talent,  au  génie  dont  il  est  doué 
d'élever  iau-dessus  de  toute  hauteur  son  nid  et  de 
l'équilibrer  de  telle  sorte  que  l'ébranler  ce  soit  ébran- 
ler le  monde. 

Jamais  autant  que  de  nos  joujs,  la  finance  ne  fut 
le  nerf  de  la  guerre  et  Je  la  paix,  l'âme  de  la  politi- 
que et  de  l'industrie,  du  commerce  et  du  bonheur  des 
familles,  et  jamais  cette  puissance  n'eut,  autant  que 
de  nos  jours,  pour  domicile  ou  pour  citadelle,  le  coffre- 
fort  du  juif,  ne  s'y  concentra  d'une  manière  atissi 
prodigieuse  et  aussi  formidable. 

L'Église  et  le  Temple.  45 


706      l'agent    de   la   civilisation    moderne 

Et  par  l'or,  le  juif  nous  possède,  parce  que  l'or- 
gueil, le  luxe,  la  luxure,  la  soif  de  toute  puissance, 
et  de  toute  jouiss^ance  se  sont  emparés  de  nos  âmes. 
Il  ne  lâchera  prise  qlie  devant  la  résurrection  de 
l'éducation  chrétienne,  qui  inspire  à  l'homme  humi- 
lité, modération,  honnêteté,  sobriété,  dévouement, 
égards   et  respect  pour  le  faible  et  le  pauvre. 

Le  P.  Ratisbonne  (1),  de  race  juive,  constate  que 
«  les  juifs  dirigent  la  bourse,  la  presse,  le  théâtre, 
la  littérature,  les  administrations,  les  grandes  voies 
de  communication  sur  terre  et  sur  mer;  et  par  l'as- 
cendant de  leur  fortune  et  de  leur  génie,  ils  tiennent 
enserrée  à  l'heure  qu'il  est,  comme  dans  un  réseaa, 
toute  la  société  chrétienne.  » 

D'ans  ces  conditions,  qu'adviendrait-il,  demande  M. 
Gougenot  des  Mousseaux  «  si  quelque  agitateur,  si 
quelque  conquérant,  levant  l'étendard  du  Messie  et 
le  front  couronné  de  l'auréole  qu'y  jetterait  le  jour 
glorieux  de  la  victoire,  se  donnait  pour  le  désiré 
d'Israël?  La  très  grande  majorité,  le  véritable  noyau 
de  la  race  judaïque  l'acclamerait.  Quant  à  la  mino- 
rité moins  croyante,  l'évéinement  reconstruirait  ^a  foi 
défaillante  sur  le  modèle  de  la  foi  de  ses  pères.  » 

Et  nou  seulement  cela,  mais,  continue  M.  Gouge- 
not des  Mousseaux,  si  par  la  toute  puissance  des 
révolutions  modernes,  un  homme  se  trouvait  maître 
tout  à  coup  des  volontés  et  des  forces  d'un  peuple, 
pourrions-nous  nier,  indépendamment  du  langage  pro- 
phétique des  Ecritui-es  et  de  l'Eglise,  que  dans  les 
circonstances  préparées  de  longue  date  par  les  révo- 
lutionn'aires  du  monde  entier,  un  seul  homme,  un 
de  ces  coryphées  de  révolution  qui  fascinent  et  en- 
traînent les  multitudes,  puisse,  en  un  instant,  se 
trouver   sur  les   lèvres,   dans   les  vœux   et   à  la   tête 


1.  Question  juive,  page  9 


LES   JUIFS    :   LE   TERME    DE   LEUR   AMBITION        707 

des  peuples  ardents  à  tourner  les  merveilleuses  apti- 
tudes de  sa  personne  vers  le  but  final  de  leurs  aspira- 
tions »,  de  ces  aspirations  à  la  jouissance  sans  bor- 
nes  qu'enflamme  la  civilisation  moderne?   (1). 

M.  des  Mousseaux,  ajoute  :  «  Lorsque,  dans  le  do- 
maine de  la  pensée,  chaque  agent  destructeur  a  rem- 
pli s'a  tâche,  avec  quelle  vélocité  de  foudre  —  dans 
le  siècle  de  la  vapeur  let  de  l'électricité,  c'est-à- 
dire  dans  un  siècle  de  miraculeux  raccourcissements 
de  temps  et  d'esp'ace  —  viendront  fondre  sur  nous 
les  événements  les  plus  gros  de  surprises!  événe- 
ments qui  ne  cesseront  de  paraître  aussi  lointains, 
aussi  impossibles  à  ceux  qui  ne  savent  ni  voir  ni 
croire,  que  le  semblait  aux  contemporains  de  Noé, 
le  déluge  universel,  la  veille  même  du  jo^ur  où  ce 
cataclysme,  si  longtemps  prophétisé,  bouleversa  la 
terre. 


1.  Il  faut  lire  en  entier  ce  chapitre  XII  du  livre  :  «  Le 
Juif,  le  Judaïsme  et  laJudaïsation  des  peuples  chrétiens.  » 


LE    TEMPLE 


IV.  —  LE  GRAND  ARCHITECTE 


CHAPITRE   XLIX 

I.  =  SATAN  :  SA  RENTRÉE  DANS  LE  MONDE 
CHRÉTIEN 


Au-dessus  des  maçons  et  au-dessus  des  maîtres 
de  l'œuvre,  y  a-t-il  uu  ordonnateur  suprême  des  dé- 
molitions religieuses  et  sociales  et  un  architecte  de 
ledifice  auquel  elles  doivent  faire  place,  l'artiste- 
ingénieur  du  Temple  qui  doit  s'élever  sur  les  raines 
de  l'Eglise? 

M.  le  comte  d'Anthémarre  a  établi  dans  la  Bévue 
catholique  des  Institutions  et  du  Droit  que  «  l'Etre 
suprême  en  présence  et  sous  les  auspices  duquel  la 
Révolution  a  proclamé  les  «  Droits  de  l'homme  »  et 
voulu  établir  «  le  culte  de  la  nature  »  n'était  point, 
dians  la  pensée  des  principaux  auteurs  de  la  Décla- 
ration et  de  la  religion  nouvelle,  le  Dieu  qu'adore  le 
ciel  et  la  terre,  mais  Satan  (1)  désigné  sous  ce  nom 

1.  «  Le  génie  du  mal,  dit  M.  Joseph  Lemaiin,  porte  diffé- 
reoits  noms  dans  l'Ecriture.  L2  principal  est  Satan.  Satan 


SATAN,   SA   RENTRÉE    DANS    LE   MONDE  700 

d'Etre  suprême  ou  de  «  Grand  architecte  »  dans  le 
langage  plein  de  mensonge  et  d'obscurités  calculées 
que  les  loges  se  sont  fait  pour  cacher  aux  profanes 
leurs  pensées  et  le  but  qnie  la  secte  poursnit.  C'est 
à  ce  dieu  qne  les  vrais  initiés  veulent  élever  le 
Temple  symbolique  où  ils  espèrent  pouvoir  réunir 
tous  les  humains  sous  un  même  sceptre  et  dans  un 
même  culte. 

Pour  ce  culte,  ils  ont  déjà  jeté  leur  dévolu,  sur 
nos  sanctuaires,  comme  l'avaient  fait  les  théophilan- 
thropes iaprès  l'inauguration  qui  en  fut  faite  par  Ro- 
bespierre. «  Si  les  vieilles  architectures  élevées  par  la 
foi  des  siècles  restent  debout,  ,a  dit  un  des  chefs 
de  lu  secte,  le  triangle  y  logera  la  solennité  de  ses 
rituels;  les  curés  de  Notre-Da,m6  céderont  leurs  pres- 
bytères aux  pasteurs  du  Grand-Orient.  »  Et  le  F.  • . 
Blatin  à  la  seconde  séance  du  convent  de  1883.  «  Dans 


en  hébreu  signifie  adversaire,  l'adversaire!  Le  diable,  qxii 
est  aussi  son  nom,  signifie  calomniateur,  accusateur  men- 
songer. Il  est  appelé  également  le  Démon,  qui  veut  dire 
mauvais  génie,  tentateur. 

»  Il  est  le  Démon,  le  Diable,  par  rapport  aux  hommes,  les 
tentant,  les  calomniant,  les  accusant  mensongèrement.  Mais 
il  est  Satan  par  rapport  à  Dieu;  l'adversaire  contre  Dieul 
Son  rêve  est  d'être  usurpateur.  Il  a  été  l'usurpateur  dissi- 
mulé à  l'époque  de  la  déclaration  des  droits  de  l'homme. 
Il  est  maintenant  l'usurpateur  avoué  par  l'apostasie  offi- 
cielle. » 

Calomniateur,  accusateur  mensonger.  Oui;  et  pax  là  le 
diable  se  montre  bien  le  père  et  le  docteur  de  la  Franc- 
Maçonnerie   et  de  ses  suggestions. 

Mauvais  génie  tentateur.  Oui,  encore,  et  chacun  de  nous 
ne  le  sait  que  trop. 

Adversaire  de  Dieu,  contre  Dieu.  Non.  Satan  est  une  in- 
telligence trop  haute  pour  vouloir  se  mesurer  contre  l'Infini. 
Mais  adversaire  de  Jésus-Christ,  l'Homme-Dieu,  le  prin- 
cipe de  l'ordre  surnaturel  dans  lequel  l'orgueil  de  Lucifer 
et  de  ses  suivants  ne  leur  a  point  permis  d'entrer  let 
qui  maintenant  soustrait  les  chrétiens,  les  disciples  et  les 
membres  du  Christ  à  leur  domination.  Ce  que  nous  verrons 
plus  loin.  I    '  1    l  "* 


710  l'agent   de  la   CIVILISATIO-'V   MODERNE 

ces  édifices  élevés  de  toutes  parts,  depuis  des  siècles 
aux  superstitions  religieuses  et  aux  .suj)rématies  sacer- 
dotales, nous  serons  peut-être  appelés  à  notre  tour 
à  prêcher  nos  doctrines;  et  au  lieu  des  psalmodies 
cléricales,  qfui  résonnent  encore,  ce  seront  les  mail- 
lets, les  batteries  ot  les  acclamations  de  notre  ordre 
qui  en  feront  retentir  les  larges  voûtes  et  les  vastes 
piliers  »  (1). 

L'année  suivante,  le  24  février  1884,  le  F.  : .  Masson, 
délégué  de  la,  loge  Les  amis  de  V indépendance  repro- 
duisit le  vœu  du  F.  • .  Blatin,  en  invoq'uant  son  au- 
torité. 

Ces  paroles  sont  autre  chose  qu'une  vaine  jac- 
tance. 

Déjà,  nous  sommes  témoins  des  premiers  efforts 
de  la  secte  pour  arriver  à  son  but.  Nos  églises  ne 
nous  'appartiennent  plus.  Notre  présence  n'y  est  plus 
que  tolérée.  Quand  cessera  le  bon  plaisir  de  la  secte, 
nous   devrons   les   éviacuer. 

En  'attendant  le  jour  où  elle  jugera  bon  d'en  pren- 
dre possession,  elle  dispose  les  esprits  à  accueillir 
cette  transformation,  en  faisant  disparaître  peu  à  peu 
le   nom   de   Dieu   et  en   glorifiant   Satan. 

La  première  partie  du  programme  est  visible  :  tou- 
tes les  lois,  et  particulièrement  la  loi  scolaire,  sont 
faites  pour  la  réaliser.  La 'mise  en  pratique  du  second 
article  doit  être  plus  discrète.  On  y  tend.  On  sait 
l'affreux  salut  adressé  à  Satan  par  Proudhon  et  ce'ui 
non  moins  odieux  proféré  par  Renan.  Michelet  a  pro- 
phétisé son  triomphe  et  Quinet  voulait  «  étouffer  le 

1.  Dans  la  discussion  du  projet  de  loi  sur  la  séparation 
de  l'Eglise  et  de  l'Etat,  M.  Groussau  rapporta  ces  paroles. 
M.  Limousin,  directeur  de  V Acacia,  dans  une  lettre  au  Figaro, 
parut  mettre  en  doute  l'exactitude  de  cette  citation.  M. 
Groussau  écrivit  aussitôt  au  Figaro  :  «  J'en  ai  le  texte 
sous  les  yeux  dans  le  «  Bulletin  du  Grand-Orient  de  Fran- 
ce ».   pp.    526,    631,    645.  » 


SATAN,    SA    RENTRÉE    DANS    LE    MONDE  711 

christianisme  dans  la  boue  »,  afin  que  la  religion 
de  Stitan  pût  prendre  sa  place. 

Son  culte  commence  à  se  dessiner.  Le  nom  de 
temple  donné  par  les  francs-maçons  à  leurs  lieux 
de  réunion,  l'autel  qui  s'y  trouve,  les  ornements  que 
portent  les  dignitaires,  les  cérémonies  qu'ils  accom- 
plissent, tout  cela  indique  un  culte,  un  culte  qui 
s'adresse  à  tout  autre  qu'à  Dieu,  à  ses  anges  et  ses 
saints   (1). 

Lia  religion  satanique  a  ses  hymnes,  même  hors 
des  temples  mjiçonniques  :  l'infâme  chanson  qui  met 
sur  les  lèvres  du  peuple  chrétien  le  vœa  de  voir 
le  Christ  relégué  à  l'écurie  et  la  Vierge  à  la  voirie. 
Elle  a  ses  sacrements.  Il  y  a  le  baptême  maçonniquo 
qui  fait  les  «  louveteaux  »;  il  y  a  l'enterrement  ma- 
çonnique dit  «  civil  »,  et  il  y  ^  le  mariage  maçonni- 
que   (2).   «  La   chaîne  d'union,   journal   de  la  franc- 

1.  En  1893,  le  palais  Borghèse  cà  Rome,  fut  donné  en 
location  au  Grand-Orient  d'Italie.  Deux  ans  plus  tard,  en 
vertu  d'une  clause  inscrite  dans  le  bail,  la  franc-maçon- 
nerie reçut  l'intimation  de  délotçer  de  la  partie  du  palais 
qu'elle  occupait.  Le  Corriere  Nazionale  publia  alors  ce 
qui  suit.  Le  chargé  d'affaires  de  la  famille  Borghèse  s'étant 
présenté  pour  visiter  ces  appartements  et  les  mettre  en 
état  d'être  occupés  par  D.  Scipion  Borghèse  et  la  duchesse 
de  Ferrari,  une  salle  restait  fermée  et  ne  put  être  ouverte 
que  sur  menace  d'invoquer  la  force  publique  pour  enfoncer 
la  port?.  Elle  se  trouvait  transformée  en  «  temple  satani- 
que ».  Le  journal  en  donna  cette  description  :  «  Les  murs 
étaient  tendus  de  damas  rouge  et  noir;  sur  le  fond  il  y 
avait  une  grande  tapisserie  sur  laquelle  se  détachait  la 
figure  de  Lucifer.  Tout  près  était  une  espèce  d'autel 
ou  de  bûcher;  çà  et  là  des  triangles  et  autres  insignes  ma- 
çonniques. Tout  autour  étaient  rangés  de  magnifiques  siè- 
ges dorés  ayant  chacun  au-dessus  du  dossier  une  espèce 
d'œil  transtarent  et  éclairé  à  la  lumière  électrique.  Au 
milieu  de  ce  temple,  il  y  avait  quelque  chose  ressemblant 
à  un   trône.  » 

2.  Au  couvent  de  1890,  à  la  quatrième  séance,  celle 
du  11  septembre,  vint  la  question  des  rites  funèbres  négli- 
gés depuis  certain  nombre  d'années.  Il  sembla  d'abord  aux 


712     l'agent    de   la   civilisation    moderne 

maçonnerie  universelle  »,  dans  son  n°  de  janvier- 
février  1881,  nous  a  initiés  aux  rites  de  ce  sacrement 
des  famiJles   vouées   à  Satan. 

Cette  religion  a  aussi  ses  docteurs.  La  Tribune 
pédagogique,  journal  fait  par  des  instituteurs  pour 
les  instituteurs,  leur  a  parlé  de  Satan  en  ces  termes  : 

«  Pour  l'Eglise  catholique,  Satan,  c'est  l'ennemi. 
A  ce  titre,   il  est  sympathique  à  beaucoup  de  gens. 

»  Satan,  c'est  non  seulement  la  négation  de  toute 
foi  religieuse,  mais  encore  la  diffusion  de  toute  science. 
Dans  le  cerveau  des  penseurs,  il  est  l'esprit  d'examen, 
de  critique  et  de  recherche  philosophique,  représen- 
tant la  science  et  la  philosophie  liguées  contre  l'obscu- 
rantisme. 

»  Mais  Satan,  à  titre  de  protestation  contre  la  doc- 
trine ecclésiastique,  représente  encore  la  nature.  Il 
met  iau  ,cœur  du  jeune  ,homme  ce  qu'il  y  a  de  meilleur 
au  monde  et  de  plus  doux:  les  amoureux  désirs. 
Il  allume  en  nous  toutes  les  généreuses  passions  : 
si  nous  valons  quelque  chose,  c'est  à  lui  que  nous 
le  devons.  » 

Ne    l'oublions    pas,    c'est   un   journal    pédagogique 

membres  du  Convent  que  la  maçonnerie  doit  s'efforcer 
d'atteindre  au  plus  vite  son  but  par  l'agitation  politique 
et  que  l'argent  dont  elle  dispose  a  un  meilleur  emploi 
dans  cette  direction  que  dans  les  manifestations  symboli- 
ques. Mais  ce  point  de  vue  ne  satisfit  pas  le  petit  nombre 
des  hauts  initiés.  Ils  sentirent  d'instinct  un  péril  dans 
l'abandon  des  rites,  et  ils  s'y  opposèrent.  «  C'est  que, 
comme  l'observe  M.  Georges  Bois,  si  la  maçonnerie  est 
en  dernière  analyse,  sous  son  dernier  secret,  une  manifes- 
tation du  satanisme,  elle  ne  saurait,  sous  peine  de  n'être 
plus  elle-même,  se  passer  d'un  culte,  ni  éviter  d'insulter 
en  le  contrefaisant  le  culte  rendu  à  Dieu.  Les  cérémonies 
maçonniques  du  baptême,  du  mariage,  du  rite  funèbre 
imitent  avec  effort  les  cérémonies  du  culte  catholique,  en 
attendant  le  jour  où  .  la  maçonnerie  triomphante  pourrait 
prendre  possession  des  églises  et  des  cathédrales  des  ca- 
tholiques. »  ' 


SATAN,    SA    RENTRÉE    DANS    LE    MONDE  713 

qui  dicte  ces  leçons  aux  instituteurs  pour  qu'ils  les 
répètent  aux  enfants. 

Les  ma^çons  italiens,  plus  hardis  que  ne  le  sont, 
aujourd'hui  du  moins,  les  maçons  de  France,  ont 
fondé  à  Ancône  un  journal  Intitulé  II  Lucifer o,  à  Li- 
vourne,  un  autre  journal  VAteo.  «  Satan  est  notre 
chef  »,  ont  dit  les  rédacteurs  de  ces  journaux  dans 
leur  profession  de  foi.  Ils  ont  même  osé,  le  mardi 
du  carnaval  de  1882,  amener  Satan  sur  le  théâtre 
à  Alfieri,  et  à  Turin,  pour  lui  chanter  des  hymnes,  lui 
offrir  «  leur  encens  et  leurs  vœux  »,  et  annoncer  au 
peuple  son  arrivée  «  sur  un  char  de  feu  »  et  son 
règne  prochain   sur  toute  la  terre. 

L'hymne  de  Giosue  Carducci  exprime  le  vœu  que 
désormais  l'encens  et  les  hommages  des  hymnes  s'a- 
dressent à  Satan,  «  l'insurgé  contre  Dieu  »  (1). 

1.  Parmi  les  choses  troublantes  de  ce  temps  ci,  en  voici 
une  qu'il  faut  signaler  à  une  particulière  attention  : 

Un  abonné  de  l'Avvenire  d'italia  ayant  émis  la  pro- 
position de  faire,  le  premier  jour  de  l'an  1905,  un  pieux 
pèlerinage  à  la  maison  de  ce  poêle  de  Satan,  vice-grand- 
maître  de  la  franc-maçonnerie  italienne,  la  feuille  démo- 
crate chrétienne  de  Bologne  s'est  empressée  de  manifester 
sa    pleine    approbation. 

«  L'illustre  poète,  a-t-elle  dit,  n'ignore  pas  que  notre 
admiration  pour  lui  est  d'autant  plus  sincère  que  nous 
l'avons  combattu  quand  nous  l'avons  cru  de  notre  devoir. 
Notre  hommage,  en  ce  moment,  et  notre  initiative,  n'en 
feront  que  mieux  voir  le  légitime  orgueil  que  nous  met- 
tons à  porter  en  toute  matière  cette  sérénité  et  cette  objec- 
tivité  qui   ennoblissent   la   mission   du  journalisme.  » 

Giosue  Carducci  jouit  depuis  longtemps  de  la  faveur 
des  démocrates  chrétiens  :  ses  Œuvres  figuraient  au  nombre 
des  livres  en  vente  à  Rome  dans  les  bureaux  de  la  Société 
de  culture  de  l'abbé  Romolo  Murri,  alors  qu'il  était  encore 
considéré   par   les   démocrates    chrétiens    comme    leur   chef. 

Voici  plus  étonnant  encore.  Les  Italiens  ont  fêté,  en  1909, 
le  centenaire  de  la  naissance  de  Carducci.  A  cette  occasion, 
l'Université  de  France  l'a  glorifié  en  Sorbonne.  Mais  ce 
qui  passe  tout,  c'est  que  l'un  des  plus  qualifiés  parmi  nos 
journaux  catholiques  a  consacré  son  Premier-Paris  du  22 
juin  1909  à  l'éloge  du  chantre  de  Satan.   «  Ce  pnôte  n'est 


714      l'agent    de    la   civilisation    moderne 

Le  22  juin,  à  rinauguration  du  monument  de  Maz- 
zini  à  Gênes,  fut  portée  dans  le  cortège  une  ban- 
nière noire,  dont  Ija  hampe  était  surmontée  d'une 
statue  de  Lucifer.  Après  cette  démonstration,  le  cer- 
cle anticlérical  de  Gênes  adressa  à  VUnita  cattolica 
de  Turin,  une  lettre  iannonçant  que  l'on  se  proposait 
de  poser,  quand  le  moment  serait  venu,  la  bannière 
de  Satan  sur  toutes  les  églises  d'Italie,  notamment 
sur  le  Vatican. 

De  nouveau,  le  20  septembre  1883,  dans  deux  fau- 
bourgs de  cette  même  ville  de  Gênes,  à  Gaprona 
et  à  San  Fruttuoso,  des  bannières  noires,  sur  les- 
quelles avait  été  biodée  l'image  de  Satan  triompha- 
teur, furent  portées  en  grande  pompe.  Le  journal 
VEpoca  dit  le  lendemain  :  «  Croassez  tant  que  vous 
voudrez,  ô  noirs  corbeaux  agonisants!  désormais  vos 
malédictions,  vos  sermons,  vos  légendes  ne  sont  plus 
qu'un  écho  de  cavernes  désertes.  Satan  ne  tardera 
pas  à  triompher  sur  toute  la  ligne.  » 

Dans  le  consistoire  du  30  juin  1889,  Léon  XIII  s'est 
vu  obligé  de  protester  contre  l'exhibition  publique 
du  drapeau  de  Satan  dans  la  ville  sainte  (1).  C'était 

pas  seulement  le  plus  grand  nom  de  la  littérature  italienne 
récente,  il  s'apparie  aux  plus  illustres  du  passé  ».  Ôti  a  ici 
un  exemple  bien  remarquable  des  «  influences  soiîçneiiso- 
ment  couvertes  »  qui  parviennent  à  glisser  ce  qu'ils  veu- 
lent dans  les  milieux  les  plus  catholiques. 

1.  Quand  Léon  XIII  eut  parlé,  la  «  Rivista  délia  Masso- 
neira  Italiana  »,  tome  XVI,  pp.  356-357),  dit  :  «  Vexilla 
»  régis  prodeunt  Inferni  »,  a  dit  le  Pape.  Eh  bien!  oui, 
»  oui,  les  drapeaux  du  Roi  des  Enfers  s  avancent...  » 
La  même  «  Rivista  délia  Massonneira  Italiana  »,  avait 
dit  précédemment  :  X,  p.  265,  col.  1,  lignes  37  et  suiv., 
col.    2,    lignes    1  à    25  : 

...«  Le  génie  de  l'Avenir,  notre  Dieu  à  nous,  porte 
»  en  nous  le  germe  de  la  nouvelle  Loi  du  Bien...  Son  âme 
»  nie  que  le  bien  être  social  se  trouve  à  fuir  l'animalité 
»  humaine  (sic)  car  le  bien-être  social  est  réellenient  la 
»  conséquence    de    l'animalité    humaine    (sic).    L'édifice    so- 


SATAN,    SA    RENTRÉE    DANS    LE    MONDE  715 

à  l'inauguration  de  la  statue  de  Gioidano  Bruno,  moine 
apostat  et  perdu  de  mœurs. 

C'est  partout  que  le  culte  de  Satan  cherche  à 
s'introduire. 

En  octobre  1905,  un  riche  Allemand  des  Etats-Cni^; 
M.  Herman  Menz  a  élevé  une  statue  à  Satan  sur 
un  monticule  qxii  se  dresse  au  milieu  de  sa  propriété 
de  campagne,  à*peu  de  distance  de  New-York.  La 
statue  est  haute  de  cinq  mètres,  sans  compter  le  pié- 
destal. Elle  représente  Lucifer  «  accroupi  comme  un 
faune  sur  un  rocher  et  prêt  à  bondir  sur  le  monde; 
soiu  front  est  orné  des  deux  cornes  traditionnelles 
et  l'une  des  mains  se  cramponne  au  manche  d'une 
fourche.  »  M.  Herman  Menz  distribue  gratuitement 
des  brochures  où  il  proclame  sa  foi  en  un  diable 
unique. 

En  janvier  1906,  un  club  de  New-York  le  Thirteen 
inscrivit  solennellement  le  diable  au  nombre  de  ses 
membres  à  vie. 

Chez  nous  (aussi,   Satan  est  glorifié  publiquement. 

L'ex-abbé  Charbonnel,  adonné  au  spiritisme,  alors 
qu'il  portait  encore  la  soutane,  est  venu  à  Lille  faire 
une  conférence,  présidée  par  le  F.  • .  Debierre,  et  là, 
dans  la  chapelle  des  Rédemptoristes,  il  a  proféré  les 
pires   blasphèmes   contre   Dieu   et   glorifié   Satan. 

Un  Canadien,  M.  J.  Chicoyne,  a  raconté  dans  la 
Vérité  de  Québec,  lors  de  la  mort  de  Louise  Michel, 
ce  qu'il  avait  vu  et  entendu  chez  nous  en  1880. 

»  cial  qui  s'écroule  a  besoin  d'une  pierre  angulaire  (trian- 
»  gulaire).  C'est  lui  Notre  Dieu  qui  la  posera.  Et  cette 
»  pierre  angulaire  sera  sur  la  terre  et  non  pas  dans  les 
»  Cieux. 

»  Saluez  le  génie  rénovateur,  vous  tous  qui  souffrez,  le- 
»  voz  haut  les  fronts,  mes  FF.-,  car  il  arrive,  lui,  Satan- 
»  le-Grand.  » 


716        L  AGEx\T     DE     LA     CIVILISATION     MODERNE 

La  vierge  rouge  revenait  de  l'exil.  Une  grande 
démonstration  en  son  honneur  fut  organisée  le  18  sep- 
tembre. M.  J.  Chicoyne  s'y  rendit,  en  compagnie 
de  deux  journalistes  piarisiens  et  un  Ltixembourgeois. 
La  salle,  présidée  par  M.  Rochefort,  pouvait  contenir 
cinq  mille  assistants.  Le  mot  de  Blanqui  :  «  Ni  Dieu 
ni  maître  »  y  servât  de  thème  aux  tirades  les  plus 
hideuses. 

«  L'un  des  plus  éclatants  succès  oratoires  de  la 
réunion  fut  remporté  par  un  espèce  d'énergumène 
qui   se  fit  l'apologiste   de   Lucifer. 

«  Si  la  légende  des  anges  rebelles  pouvait  être 
»  acceptée,  dit-il,  leur  chef  devrait  être  un  objet  de 
»  vénération.  Il  fut  le  premier  être  qui  sut  résister 
»  à  l'autorité.  Il  peut  être  le  patron  de  tous  ceux 
»  qui  luttent  pour  la  liberté  et  l'émancipation.  » 

«  Vive   Satan!  »   cria   quelqu'un  dans   la  foule. 

«  Vive  S'atan!  »  répétèrent  cinq  mille  voix  avec 
une  chaleur  et  un  entrain  tenant  du  délire. 

»  C'était  un  spectacle  peu  banal  que  de  voir  une 
pareille  multitude  prise  d'un  tel  vertige  pour  accla- 
mer l'ange  déchu.  » 

Avant  que  la  populace  n'ait  poussé  ces  cris,  le 
monde,  le  monde  des  académies  avait  entendu  son 
journal,  le  Journal  des  Débats  (n°  du  25  avril  1855) 
réclamer  la  réhabilitation  du  démon. 

«  De  tous  les  êtres  autrefois  maudits,  que  la  tolé- 
rance de  notre  siècle  a  relevés  de  leur  anathème, 
Satan  est,  sans  contredit,  celui  qui  a  le  plus  gagné 
au  progrès  des  lumières  et  de  l'universelle  civilisa- 
tion. Le  moyen-âge  qui  n'entendait  rien  à  la  tolé- 
i^ance,  le  fit  à  plaisir  méchant,  laid,  torturé...  Un 
siècle  iaussi  fécond  que  le  nôtre  en  réhabilitations 
de  toutes  sortes  ne  pouvait  manquer  de  raisons  pour 
excuser   un   révolutionnaire    malheureux    que   le    be- 


SATAX^    SA    RENTRÉE    DANS    LE    MONDE  717 

soin  d'action  jeta  dans  les  entreprises  hasardeuses... 
Si  nous  sommes  devenus  indulgents  pour  Satan,  c'est 
que  Satan  a  dépouillé  une  partie  de  sa  méchanceté 
et  n'est  plus  ce  génie  funeste,  objet  de  tant  de  haines 
et  de  terreur.  Le  mal  est  évidemment  de  nos  jours 
moins  fort  qu'il  n'était  autrefois.  Permis  au  moyen- 
âge,  qui  \'ivtat  continuellement  en  présence  du  mal 
fort,  armié,  créuelé,  de  lui  porter  cette  haine  im- 
placable... Nous  qnii  respectons  l'étincelle  divine  par 
tout  où  elle  reluit,  nous  hésitons  à  prononcer  des 
arrêts  exclusifs,  de  peur  d'envelopper  dans  notre  con- 
damnation quelqu'atome   de   beauté.  » 

Ce  que  nous  dirons  plus  loin  sur  la  religion  de 
Satan,  celle  où  la  civilisation  moderne  voudrait  ra- 
mener les  chrétiens,  c'est-à-dire,  le  culte  de  la  na- 
ture, fera  comprendre  les  raisons  de  ce  plaidoyer  du 
journal  des  mondains  et  des  intoUectuels  en  faveur 
de  Lucifer.  » 


Cette  inclination  pour  Satan  vient  des  juifs. 

Dès  lavant  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  mais  Sur- 
tout depuis  la  dispersion,  certains  juifs  ont  pratiqué 
les  doctrines  et  les  rites  de  la  Kabbale  noire  on 
magique,  qui  n'est  autre  chose  que  la  cfuintessence 
de  l'idolâtrie,  la  religion  et  le  culte  direct  des  es- 
prits déchus,  des  démons,  enseignant  les  moyens  de 
se  mettre  en  ilapports  immédiats  avec  eux.  «  Il  est 
certain,  dit  le  F.  • .  Eliphaz  Lévy,  que  les  juifs,  dépo- 
sitaires les  plus  fidèles  des  secrets  de  la  Kabbale, 
ont  été  presque  toujours,  en  ma.gie,  les  plus  grands 
maîtres  du  moyen  âge  ».  Ce  n'est  point  sans  raison 
que  deux  fois,  dans  l'Apocalypse,  le  pharisien  et  sa 
descendfcmce  ont  été  nommés  par  le  divin  Sauveur  «  la 
synagogue  de  Satan  »,  c'est-à-dire  l'Eglise  du  diable. 

C'est   donc    des    juifs    que   les    Francs-Maçons    ont 


7J8      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

reçu  le  culte  qui  dans  leur  pensée  doit  un  jour 
remplacer  le  culte  du  Christ.  «  Leurs  chefs  réels, 
dit  M.  Gougenot  des  Mousseaux,  vivent  dans  une 
étroite  et  intime  alliance  avec  les  membres  militants 
du  judaïsme,  princes  et  initiateurs  de  la  Haute-Kab- 
bale ».  «  Ce  sont  les  juifs,  dit  aussi  le  professeur 
de  magie  Eliphaz  Lévy,  qui  après  en  avoir  reçu  le 
dépôt  des  Chaldéens  sabéistes,  issus  de  Cham,  et  qui, 
d'après  une  opinion  fort  accréditée  dans  la  science 
(magique)  étaient  les  héritiers  de  la  doctrine  des  fils 
de  Caïn,  nous  enseignèrent  cette  science  ».  «  La  Kab- 
bale juive,  dit  de  son  côté  Mgr  Meurin,  dans  son 
livre  La  Franc-Maçonne7'ie,  synagogue  de  Satan  (1) 
—  et  tout  son  ouvna,ge  est  pour  prouver  cette  asser- 
tion —  la  Kabbale  juive  est  la  base  philosophique 
et  la  clef  de  la  Franc-Maçonnerie.  »  Le  prêtre  apostat, 
Eliphaz  Lévy,  que  nous  venons  de  citer,  ajoute  aux 
paroles  reproduites  que  «  les  rites  religieux  de  tous 
les  illuminés,  Jacob  Bœhme,  Swedenborg,  Saint-Mar- 
tin, sont  empruntés  à  la  Kabbale,  et  que  toutes  les 
associations  maçonniques  lui  doivent  leur-s  secrets 
et   leurs    symboles.  » 

L'Osservatore  Bomano  ne  pense  pas  autrement.  Le 
1er  octobre  1893,  il  publia  un  article  sur  la  Franc- 
Maçonnerie  où  il  dit  :  «  La  Franc-Maçonnerie  est  sa- 
tauiqiie  en  tout  :  dans  son  origine,  dans  son  organi- 
sation, dans  son  action,  dans  son  but,  dans  ses  moyens, 
dans  son  code  et  son  gouvernement,  parce  qu'elle 
est  devenue  une  seule  et  même  chose  avec  le  ju- 
dlaïsme.  Et  même  elle  est  la  plus  grande  force  et 
la  principale   armée   du   judaïsme,   cherchant  à  ban- 


1.  Introduction,  p.  7.  Voir  aussi  les  trente  dernières 
pages  du  livre  de  M.  Gougenot  des  Mousseaux  :  Le  Juif, 
le  Judaïsme  et  la  Judaïsation  des  peuples  chrétiens. 


SATAN,  SA  RENTRÉE  DANS  LE  MONDE     719 

nir  de  la  terre  le  règne  de  Jésus-Christ  pour  lui  substi- 
tuer le  règne  de  Satan  »  (1). 

En  1888,  M.  Bossane,  ancien  receveur  des  postes 
a  Saint-Fjélicien,  dans  l'Ardèche,  donna  sa  démission 
de  membre  de  la  Loge  des  amis  des  hommes  à  An- 
nonay.  Avec  un  rare  courage,  il  tint  à  ce  que  sa 
démission  fût  publique;  et  pour-  la.  faire  connaître, 
il  écrivit  une  lettre  au  Cour,rier  de  Tournon,  où  il 
dit  :  «  Fiatigué  d'avoir  assisté  à  des  réunions  tenues 
à  Annoriay,  Lyon,  Valence,  Vienne,  Genève  et  Lau- 
sanne, sans  avoir  rien  appris,  et  ne  voulant  pas  en- 
trer djans  les  grades  suprêmes  pour  n'avoir  pas  de 
serments  à  garder,  j'ai  pu  me  mettre  en  relations 
avec  de  hauts  dignitaires  de  nationalités  différentes. 
Ce  que  j'ai  appris  et  ce  que  l'on  m'a  laissé  deviner 
est  épouvantable...  Le  culte  maçonnique  est  le 
CULTE  DE   Satan  »  (2). 

Dans  certaines  arrière-loges,  Satan  reçoit  un  culte 
c-alqué  sur  le  culte  que  les  catholiques  rendent  à 
Dieu  (3).  Ragou,  l'un  des  écrivains  maçonniques  qui 


1.  Jusqu'aux  temps  marqués,  les  Juifs  sont  et  seront 
la  nation  et  l'instrument  de  prédilection  de  Satan.  De- 
puis leur  déicide,  ils  sont  sa  propriété,  à  peu  près  au 
môme  titre  que  l'humanité  depuis  le  péché  d'Adam  jusqu'à 
la  Rédemption.  Le  crime  des  Juifs  a  été  comme  un  second 
péché  originel  sur  cette  race.  Sanguis  ejus  super  nos  et 
super  filios  nostros  ! 

2.  11  ajoute  :  «  De  plus,  la  Franc-Maçonnerie  poursuit 
l'anéantissement   de    la    France.  »  ^, 

Ceux  qui  désirent  s'instruire  sur  le  culte  que  la  Maçon- 
nerie rend  au  démon,  peuvent  lire  les  cent  dernières  pages 
du  second  volume  de  La  Cité  antichrétienne  au  XIX^  silcle, 
par  Dom  Benoît.  V.  Palmé. 

3.  Il  est  une  section  des  chevaliers  Kadosch  qui  rend 
un  culte  à  Eblis.  Eblis  est  en  Orient  le  nom  du  démon. 
Ce  nom  est  particulièrement  attribué  au  serpent  qui  sédui- 
sit Eve.  Leur  œuvre  est  de  faire  disparaître  l'hérésie  du 
Nazaréen  et  de  faire  régner  Eblis  sur  tout  le  genre  humain. 
Ils   se  révèlent  par  là   Juifs   Kabbalistes,   om   disciples  des 


720     l'agent    de    la    civilisatjox    moderne 

ont  déployé  le  plus  d'intelligence  et  de  zèle,  a  pu- 
blié, en  1844,  à  Paris,  sous  le  pseudonyme  Jean- 
Marie  de  V.,  un  livre  intitulé  :  La  Messe  et  ses 
mystères  comparés  aux  mystères  anciens,  ou  Com- 
plément de  la  science  ifiitiatique.  Par  un  renversement 
du  vrai,  toutes  les  parties  de  la  messe  y  sont  pré- 
sentées comme  des  adaptations  chrétiennes  des  céré- 
monies antiques  reprises  dans  les  arrière-loges;  tou- 
tes les  fêtes  chrétiennes  sont  rapprochées  des  fêtes 
du  paganisme;  les  litanies  du  Saint  Nom  de  Jésus, 
les  litanies  de  la  T.  S.  Vierge  sont  comparées  aux 
invocations  qui  accompagnaient  les  processions  païen- 
nes. "SI.  l'abbé  Ribet,  dans  sa  Mystique  divine,  dit 
aussi  :  «  Il  n'y  a  guère,  entre  le  sabbat  des  francs- 
miaçons  et  celui  des  sorciers,  que  des  différences 
accidentelles,  le  fond  est  le  même,  savoir  :  le  culte 
de  Satan,  la  profanation  des  choses  saintes,  les  dé- 
bordements  de  l'impudicité.  » 

M.  Serge  Basset,  rédacteur  au  Figaro,  avait  expri- 
mé des  doutes  sur  la  pratique  diabolique  des  messes 
noires  dans  les  arrière-loges.  Il  reçut  le  lendemain 
une  lettre  signée  Bl.  Ocagn,  l'invitant  à  se  trouver 
le  jeudi  suivant,  à  neuf  heures  du  soir,  sur  la  place 
Saint-Sulpice,  un  numéro  du  Matin  à  la  main.  IJ 
s'y  rendit,  une  femme  vint  le  prendre  et  le  conduisit 
en  voiture  de  l'autre  côté  de  la  Seine.  Où?  Il  ne  put 


Juifs  Kabbalistes.  Le  signe  des  chevaliers  Kadosch  consiste 
à  montrer  du  doigt  le  ciel  et  à  l'abaisser  vers  la  terre 
pour  montrer  que  ce  qui  est  en  haut  doit  être  précipité  en 
bas.  Le  vulgaire  de  l'Ordre  comprend  par  là  que  l'ordre 
social,  fondé  sur  l'autorité  et  sur  Dieu  sera  jeté  à  terre  pour 
être  remplacé  par  celui  de  la  pure  matière.  Les  Kabbalistes 
veulent  dire  que  le  Nazaréen  sera  plongé  dans  les  enfers  et 
qu'Ebhs  régnera  dans  les  cieux.  En  attendant  ils  exercent 
leur  haine  sur  des  hosties  qui  leur  sont  livrées  pour  les 
trente  deniers  et  apportées  des  messes  matinales  entre  les 
feuillets  d'un  livre  ou  dans  un  mouchoir. 


SATAN,    SA    RENTRÉE    DANS    LE    MONDE  l'^l 

le  dire.  Le  27  mai  1899,  il  donna  dans  le  Matin 
le  compte-rendu  de  la  soèr\e  à  laquelle  il  avait  assisté. 
Sur  un  iautel  se  trouvait  lun  bouc  vivant  devant  lequel 
l'assemblée,  hommes  et  femmes,  chantait  «  Gloria 
in  profwidis  Satanil...  »  Un  officiant  se  revêtit  d'un 
costume  sacerdotal  et  commença  une  parodie  de  la 
messe.  Il  s'interrompit  comme  fait  le  prêtre,  pour 
prononcer  un  discours,  et  il  dit  :  «  Nous  sommes 
ici  pour  refaire  la  royauté  de  Satan,  le  Grand,  le 
Be^u,  le  Suave.  A  force  d'outrager  le  Christ,  nous 
abolirons  sa  gloire  et  nous  replacerons  le  proscrit 
dans  sa  suréminente  dignité.  Un  jour,  le  Prince  de 
ce  monde,  Satan,  notre  maître,  triomphera  du  Christ 
et  sera  adoré  comme  vrai  Dieu.  »  Après  le  discours 
vint  le  sacrifice,  où  l'obscène  le  disputa  à  l'horrible, 
et  une  immonde  priàpée  suivit  le  sacrilège  et  se 
consomma   dans   le   sang   (1). 

1.  Mgr  Méric  reçut,  à  l'occasioa  de  ce  rjcit,  uae  lettre 
lui  demandant  ce  gu'il  fallait  en  croire.^  En  réponse,  il  le 
reproduisit  dans  sa  Revue  du  Monde  i:icisible,  et  il  ajO'uta  : 
«  Notre  excellent  ami  M.  Lidos  nous  a  affirmé  souvent 
la  réalité  de  ces  messes  noires;  il  nous  a  indiqua  sur  la 
paroisse  de  Saint-Sulpice  et  ailleurs,  les  lieux  où  l'on 
pouvait  s'assurer  de  ces  parodies  sacrilèges  et  de  ces 
pratiques  infâmes  qui  expUquent  le  vol  trop  souvent  cons- 
taté des  hosties.  Elles  prouvent  aussi  la  réalité  substantielle 
de  Satan  contestée  par  des  esprits  légers  et  orgueilleux. 
Cependant,  nous  ne  réproduisons  cpi'à  titre  de  document  et 
sans  nous  prononcer  sur  la  question  de  fond,  l'article  du 
journal  de  Charleroi  (qui  avait  reproduit  le  Matin)...  Nous 
cro^-ons  à  l'adoration  de  Satan  dans  la  messe  noire,  devant 
la  croix  renversée,  nous  croyons  aux  profanations  des  Sain- 
tes Espèces  et  aux  scènes  abominables  d'immoralité  sata- 
nique  dont  il  est  parlé  dans  ce  récit.  »  Bévue  du  Monde 
invisible.  Juillet  1899. 

Mgr  Méric  ne  donna  dans  ce  numéro  que  la  première 
partie  du  compte-rendu  du  Matin.  II  lui  répugna  de  donner 
la  suite  au  numéro  suivant.  11  reçut  de  France,  de  Belgique, 
des  Antilles  danoises,  des  lettres  lui  en  demandant  la  con- 
tinuation. Un  habitant  de  Tours  lui  écrivit  :  «  Je  crois  à 
ces  messes  avec  Gorres,  Ribat  et  tous  les  mystiques  et  théolo- 

L  Eglise  et  le  Temple.  46 


722     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

Satan  Veut  toujours  obtenir  de  la  part  des  hom- 
mes l'adoration  qu'il  a  briguée  dès  le  commencement  : 
«  Je  monterai  au  ciel,  j'établirai  mon  trône  au-des- 
sus des  astres  de  Dieu;  je  m'assiérai  sur  la  montagne 
de  l'Alliance  aux  côtés  de  l'Aquilon,  je  me  placerai 
au-dessus  des  nuées  les  plus  élevées,  et  je  serai 
semblable  au  Très-Haut  (1).  » 

Il  a  obtenu  du  paganisme  ce  qu'il  désirait.  Mais 
Jésus-Christ  est  venu  et  a  mis  dehors  le  prince  de  ce 
monde. 

Depuis,  il  n'a  cessé  de  faire  effort  pour  y  rentrer. 
A  cette  iin,  il  s'est  principalement  servi  des  juifs.  Car, 
comme  le  dit  fort  bien  le  P.  Bonniot,  le  démon 
n'entre  d'ans  le  monde  matériel  que  sous  le  bon 
plaisir  du  tenancier  ou  du  Seigneur;  le  Seigneur  : 
Dieu;  le  tenancier  :  l'homme  à  qui  Dieu  l'a  donnée 
terram  dédit  flliis  Jiominum.  Adam,  par  son  péché, 
lui  en  a  ouvert  la  porte.  Jésus-Christ  l'en  a  chassé, 
egredietur  foras.  Mais  il  reste  toujours  loisible  à 
l'homme  de  l'y  r'appeler,  soit  simplement,  dans  son 
âme  par  le  péché,  soit  pour  des  rapports  extérieurs 
par  l'emploi  de  certaines   observances. 

Ce  n'est  point  Dieu  qui  alors  déchaîne  Satan,  mais 
notre  impiété  et  notre  infidélité.  Les  démons  n'ont 
jamais  eu  et  n'auront  jamais  d'entrée  dans  notre 
monde  —  nous  le  démontrerons  plus  loin  —  qu'au- 
tant que  l'homme  a  voulu  ou  voudra  leur  en  donner. 

Aussi  bien  qu'autour  des  fidèles,  ils  rôdent  comme 
des  lions  rtigissants  autour  des  peuples  qu*ils  n'ont 

gieas.  Il  n'est  pas  inutile  d'en  parler,  ne  serait-ce  que  pour 
provoquer  des  amendes  honorables  et  des  réparations.  » 
Un  autre  correspondant  de  Paris  :  «  Nous  avons  fait  une 
enquête  :  les  informations  de  l'informateur  du  Matin  sont 
puisées  à  bonne  source.  Les  faits  racontés  dans  cet  article 
sont  réels.  »   Bévue  du  Monde   invisible.   Février   1900. 

1.  Is.   XIV. 


SATAN,    SA    RENTREE    DANS    LE    MONDE 


9?. 


pu  retenir  sous  leur  joug  pour  reconquérir  sur  eux 
leur  ancien  empire. 

Leur  désir  est  de  rendre  l'état  du  genre  humain 
pire  qu'avant  la  venue  du  Jésus-Christ  (Luc,  XI,  26), 
A  l'heure  actuelle,  ils  sont  par  notre  faute  plus  nom- 
breux et  plus  puissants  qu'ils  ne  le  furent  jamais 
depuis  le  sacrifice  du  Calvaire.  C'est  pourquoi  Léon 
XIII  et  Pie  X  nous  font  prononcer  chaque  jour  au 
pied  de  l'autel  l'exorcisme  qui  a  pour  but  de  repousser 
en  enfer  Satan  et  les  esprits  mauvais  que  Voltaire 
a  évoqués  par  son  crî  sata^nique  tant  de  fois  répété 
dans  tes  loges  (1). 

Il  est  un  autre  exorcisme,  plus  explicite,  ^7^  sata- 
nam  et  angelos  apostaticos,  qui  fut  édité  par  Léon 
XIII,  il  y  a  dix  ans,  et  confié  par  lui  à  la  piété  du 
clergé.  Peut-être  sont-ils  trop  peu  nombreux  ceux 
qui  le  formulent  ou  ne  le  récitent-ils  que  trop  rare- 
ment. 


1.  Ce  n'est  pas  la  première  fois  qu'il  se  fait  une  invasion 
de  satanisme  dans  la  chrétienté. 

Ali  XVe  siècle,  la  Réforme,  première  manifestation  de 
la  conjuration  antichréli  hne,  fut  pri'cédce  d'un  extraordi- 
naire développement  de  la  magie.  Le  protestantisme,  en 
s'épanouissant,  la  favorisa  partout  et  il  amena  le  déborde- 
ment de  sorcelierie  q  i  pendant  le  XVIIe  siècle  pesa  comme 
un  cauchemar  sur  TAUemagne,  l'Angleterre  et  l'Ecosse, 
tandis  que  les  pays  de  race  latine  étaient  à  peu  près  in- 
demnes. 

A  son  tour,  la  Révolution  a  été  précédée  d'une  fièvre 
de  satanisme.  Partout  se  montrèrent  les  magnétiseurs,  les 
nécromanciens,  comme  on  disait  alors.  Les  nobles  cor- 
compus  s'étaient  fait  initier  aux  rites  par  lesquels  on  in- 
voquait Satan,  et  dans  I  s  villages  comme  dans  les  villes, 
on  se  livrait  à  toutes  les   pratiques   des   sciences  occultes. 

Mais,  jamais,  depuis  le  paganisme,  Satan  ne  se  vit, 
comme  il  l'est  aujourd'hui,  invité  à  rentrer  dans  le  do- 
maine d'où  la  Croix  du  Divin  Rédempteur  l'avait  chassé. 


CHAPITRE  L 
SATAN.  SES  CONSTRUCTIONS  ACTUELLES 

I.  —    LA  GNOSE. 

Satan  chassé  de  notre  monde  par  la  croix  du  divin 
Rédempteur  y  est  appelé  par  nos  contemporains  et  il 
y  entre.  Il  y  rentre  non  seulement  pour  y  tenter  les 
hommes  individuellement,  mais  pour  rétablir  son  em- 
pire sur  la  race  humaine,  pour  •reconstituer  son  royau- 
me. 

Nous  avons  vu  dans  les  chapitres  précédents  une 
multitude  d'associations,  dont  plusieuis  couvrent  tou- 
tes les  parties  du  globe,  occupées,  sous  son  inspira- 
tion, à  détruire  la  religion  chrétienne,  en  s'attaquant 
à  son  ossature,  c'est-à-dire,  en  cherchant  à  faire  dis- 
paraître toute  vériLé  dogmatique,  tout  ce  qui  cons- 
titue la  religion  révéléo,  l'ordre  surnaturel. 

Il  est  d'autres  associations,  tout  récemment  insti- 
tuées qui,  commencent,  elles,  à  relever  le  culte  et  la 
religion  de   Satan. 

De  même  qu'aux  temps  du  paganisme,  il  y  avait  Un 
culte  secret  et  une  doctrine  ésotérique  q;ui  n'apparte- 
nait qu'aux  initiés,  livrant  au  vulgaire  ce  qu'il  pou- 
vait porter  et  donnant  satisfaction  à  ses  instincts 
religieux  dans  le  naluralisme;  nous  voyons  renaître 


SATAN.  SES  CONSTRUCTIONS  ACTUELLES    725 

aujourd'hui  des  pratiques  et  des  dogmes  qui  consti- 
tuent et  consiitueront  pour  les  initiés  une  religion 
proprement  luciférienne,  tandis  que  le  public  est  et 
sera  amené  peu  à  peu  à  une  religion  simplement 
naturelle. 

Nous  parlerons  plus  loin  de  cette  religion  naturelle, 
nous  avons  à  nous  occuper  ici,  en  deux  chapitres,  de 
la  religion  satanique  :   la  Gnose  et  le   Spiritisme. 

Comme  le  dit  M.  Georges  Bois  (1),  avocat  à  la 
Cour  d'appel  de  Paris,  «  la  franc-maçonnerie  n'est 
que  la  plus  commune  et  la  plus  vulgaire  des  initia- 
tions pratiquées  autour  de  nous.  Il  en  est  diverses 
autres  plus  discrètes,  plus  profondes,  d'un  recuutement 
plus  choisi.  Si  on  parcourt  Paris  ou  qfuelques  gran- 
des villes,  en  ouvrant  des  yeux  avertis,  on  ne  peut 
ne  pas  voir  çà  et  là,  trop  fréquemment,  les  traces 
presque  cultuelles,  si  on  peut  le  dire,  d'un  démonisme 
qui  n'est  déjà  plus  secret  (2).  » 

M.  Huyssmians  dans  la  préface  qu'il  mit  au  livre 
de  M.  Jules  Bois,  Le  satanisme  et  la  magie,  dit  aussi: 
K  Des  gens  que  l'on  rencontre  dans  la  rue,  qui  sont 
semblables  à  tout  le  monde,  en  somme,  se  livrent 
en  secret  aux  opérations  de  la  magie  noire,  se  lient, 
ou  au  moins  essaient  de  se  lier  avec  les  esprits 
des   ténèbres,   pour,    en   un  mot,   faire  le   mal.  » 

Après  avoir  parlé  des  vols  d'Hosties,  dont  il  re- 
cueillait au  fur  et  à  mesure  qu'ils  y  paraissaient,  les 
récits  dans  les  Semaines  religieuses,  M.  Huyssmans 
demande  :  «  Sont-ce  des  gens  isolés  ou  des  associa- 
tions démoniaques  qui  commandent  ces  forfaits  ou 
en  profilent?  Avons-nous  affaire  à  des  sataniques  ou 

1.  Ne  pas  confondre  M.  Georges  Bois,  ancien  rédacteur 
de  La  Vérité,  qui  vient  de  mourir  comme  il  a  vécu,  c'est-à- 
dire  très  chrfc'tiennement,  avec  M.  Julos  Bois  dont  il  sera 
ici  fréquemment  question. 

2.  Revue  du  Monde  invisible,   janvier   1904. 


726     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

à  des  lucifériens?  »  (1)  Il  opine  poar  la  secle  des 
lucifériens  ou  des  Palladistes;  «  cfui  englobe,  dit-il, 
le  vieux  et  le  nouveau  monde,  cpii  possède  un  an- 
tipape avec  sa  curie  et  qui  poursuit  ce  but  d'abat- 
tre le  catholicisme  partout  et  de  préparer  le  règne 
de  l'antéchrist.  » 

Il  est  à  noter  que  les  principaux  dans  les  diffé- 
rentes sectes  dont  nous  par'.erons  ci  dessous  sont  géné- 
i^alement  francs-maçons  et  d'autant  plus  élevés  en 
gi^ade  dans  la  maçonnerie  qu'ils  sont  initiés  davantage 
aux  mystères  de  leur  secte  respective.  Depuis  que 
la  maçonnerie  du  Grand  Orient  de  France  se  voit 
découverte,  que  l'on  connaît  son  organisation  et  ses 
agissements,  depuis  surtout  qu'elle  est  ouvertement 
engagée  dans  la  lutte  politique  et  sociale,  il  s'est 
formé  derrière  elle,  et  pour  ainsi  dire  en  seconde 
ligne,  une  franc-maçonnerie  plus  mystérieuse  qui  re- 
met en  honneur  tous  les  anciens  rites  des  Templiers, 
des  Albigeois,  des  Cathares,  des  Gnostiques,  etc.  Ces 
rites  ne  sont  pas  vides  de  sens  et  le  culte  qu'ils 
constituent  n'est  pias  sans  objet.  C'est  la  religion 
du  diable.  Elle  constitue  pour  la  société  actuelle  le 
plus  terrible  danger. 

Cette  secte  se  divise  en  plusieurs  branches,  Kabba- 
listes,  Théosophes,  Martinistes,  Occultistes,  Lucifériens 
proprement  dits.  Celle  qui  a  le  plus  d'étendue  et  em- 
brasse le  plus  grand  nombre  d'individus,  est  celle 
des  spirites.  M.  Jules  Bois  affirme  que  les  adhérents 
de    ces    diverses    sociétés    sont   plus    nombreux    que 


1.  Le  satanisme  est  le  culte  du  démon.  Le  Luciférisme 
est  la  dernière  poussée  de  la  Gnose  et  de  l'Albigéisme.  Pour 
lui,  le  Diaii  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  est  le 
dieu  mauvais,  hostile  au  progrès,  irrité  contre  le  progrès 
s^cientifique.  Lucifer  est  le  dieu  bon,  le  pivot  de  l'évolu- 
tion universelle,  l'aiguillon  des  é'ans  passionnels.  Les  révo- 
lutionnaires  sont  ses  saints. 


SATAN.  SES  CONSTRUCTIONS  ACTUELLES    727 

les  juifs  et  les  protestants  réunis.  «  Dans  chaque 
ville,  dit-il,  de  Belgique,  de  France,  d'Italie,  de  Hol- 
lande, d'Angleterre,  (je  parle  des  pays  qu'en  Europe 
j'ai  particulièrement  visités)  il  existe  des  groupes 
spirites.  En  dehors  et  à  côté  se  forme  une  petite 
élite    qui    est    occultiste,   martiniste    ou    théosophe.  » 

L'occultisme  échappe  aux  définitions  précises.  On 
peut  dire  que  c'est  une  philosophie  tenue  secrète, 
généralement  exprimée  par  des  symboles.  La  magie 
est  la  fille  de  l'occultisme.  Mages  et  occultistes  usent 
de  procédés  qu'ils  prétendent  scientifiques  pour  se 
mettre  en  rapports  avec  les  «  puissances  occultes  ». 
Les  jeunes  gens  sont  attirés  dans  ces  associationsi 
par  la  curiosité  d'expériences  qui,  penseri-ils,  vont 
leur  faire  découvrir  les  «  forces  ignorées  de  la  na- 
ture ».  On  leur  dit  qu'il  existe  un  «  entraînement  » 
qui  permet  chez  les  hommes  arrivés  à  un  certain 
degré  d'évolution  de  développer  l'échelle  actuelle 
de  réception  des  sens  et  pour  eux  d'agrandir  in- 
définiment le  monde.  Quand  les  pouvoirs  intérieurs 
de  l'homme  seiont  ainsi  développés,  la  nature  révé- 
lera ses  énergies  cachées  :  les  humains  ne  seront  plus 
des  «  mortels  »,  ils  auront  placé  le  pied  sur  le  che- 
min  de   la  divinité. 

Téosophie,  occultisme,  maitinisme,  etc.,  sont  des 
formes  diverses  de  l'antique  gnose  des  deux  ou  trois 
premiers  siècles  du  christianisme,  fondée  par  les  juifs 
pour  étouffer  la  doctrine  chrétienne  dans  son  ber- 
ceau. Elle  fut  réorganisée  en  France  en  1890  par 
Jules  Doinel,  revenu  après  ses  égarements  au  catho- 
licisme avec  des  marques  non  équivoques  d'une  vraie 
conversion. 

Le  Gnosticisme  a  aujourd'hui  une  organisation  hié- 
rarchique, comme  nous  le  verrons.  Il  a  aussi  une 
doctrine   renouvelée   de    l'ancienne   Gnose.    Il   public 


728     l'agent    de    la    civilisation    moderni: 

deux  revues.  La  Gnose,  revue  mensuelle  des  sciences 
ésotériques.  C'est  l'organe  d'un  groupe  gnosticfue  di- 
rigé par  le  D^*  Fabre  des  Essarts  qui  se  dit  successeur 
de  feu  Doinel  et  se  fait  appeler  Synesius,  archevê- 
que de  Paris  et  évêque  de  Montségur.  Le  Réveil 
gnosiique^  autre  revue  paraissant  tous  les  deux  mois, 
est  l'organe  du  Di"  J.-B.  Bricaud  se  disant  :  S.  B. 
Jean  II,  souverain  Patriarche.  Le  siège  de  cet  or- 
gane est  à  Lyon.  La  plupart  des  initiateurs  de  ce  mou- 
vement  gnostique    sont   lyonnais. 

Les  gnostiques  ont  fondé  plusieurs  librairies  pour 
répandre  leurs  publications  et  toutes  celles  qui  s'y 
rattachent,  c'est-à-dire,  la  réédition  ou  traduction  des 
œuvres  des  anciens  hérétiques. 

Pour  être  admis  dans  la  Gnose;  il  faut  confesser 
les  deux  dogmes  fondamentaux  de  la  Gnose  restau- 
rée :  la  foi  à  l'émanation  et  le  saint  par  la  science 
(Gnose).  Le  dogme  de  l'émanation  est  opposé  à  ce- 
lui d'un  Dieu  créateur.  Le  salut  par  la  science)  est 
opposé  au  salut  par  la  foi. 

On  entre  dans  l'Egase  gnostique  par  l'imposition 
des  mains  de  l'évêque  gnostique.  Ceux  qui  l'ont  re- 
çue sont  appelés  les  Pneumatiques.  Il  y  a  un  se- 
cond degré,  celui  du  diaconat;  et  un  troisième,  l'épis- 
copat.  L'évêque  est  élu  par  l'assemblée  des  fidèles 
et  des  diacres.  Son  élection  est  soumise  à  l'approba- 
tion du  Très-haut  synode  composé  de  tous  les  évê- 
ques  et  de  toutes  les  Sophies  (Les  femmes  élevées 
en  grade  dans  la  Gnose);  et  il  a  pour  président  à 
vie,  !e  patriarche  gnostique,  chef  temporel  de  l'Eglise 
gnostique  dont  Sophie  céleste,  lisez  Luciter,  est  le 
chef  spirituel  et  invisible.  L'évêque  élu  reçoit  ses 
pouvoirs  de  juridiction  par  «n  sacre.  Chaque  évêque 
gouverne  son  diocèse  composé  de  plusieurs  groupes 
auxquels  sont  préposés  un  diacre  et  une  diaconesse. 


SATAN.  SES  CONSTRUCTIONS  ACTUELLES    720 

Le  Patriarche  correspond  aTe3  les  Paissances  maçon- 
niques qui  le  reconnaissent.  Ils  ont  un  culte  qu'il  est 
inutile  de  décrire.  Qu'il  suffise  de  dire  que  le  rituel 
gnostique  est  imprégné  de  liturgie  catholique.  Les 
formules  catholiques  masquent  l'œuvre  liuciférienne. 
Lucifer  s'y  entend  attri'buer  les  textes  sacrés  et  la 
prière  qu'on  ne  doit  dire  qu'à  Dieu.  Les  cérémonies 
catholiques  sont  adaptées  au  dogme  Valentinien  (1). 
Les  ornements  épiscopaux  dont  se  servent  les  prélats 
gnostiques  offrent  plus  d'un  point  de  ressemblance 
avec   ceux  des   prélats   légitimes. 

La  théosophie  se  dit  l'essence  même  des  religions 
passées,  présentes  et  futures.  Son  bureau  central  est 
à  Londres.  Elle  s'est  répandue  peu  à  peu  sur  le  globe, 
aux  Jndes,  en  Australie,  en  Nouvelle-Zélande,  aJix 
Etats-Unis,  aux  Antilles,  en  Suède,  en  Allemagne,  en 
Italie,  en  Hollande,  en  Angleterre  et  en  France  (2). 

La  section  française  a  son  siège,  59,  rue  de  La  Bour- 
donnais; elle  comprend  25  branches  et  un  certain 
nombre  de  centres  en  activité;  elle  publie  le  Bulle- 
tin de  la  Section  française  de  la  Société  théosophi- 
que  (3). 

En  mai  1907,  M.  Chacornac  a  organisé  un  congrès 
occultiste  dans  l'amphithéâtre  du  Grand-Hôtel  des  so- 
ciétés savantes,  à  Paris.  Ce  congrès  a  émis  le  vœu  : 
1°  que  les  pouvoirs  publics  favorisent  officiellement 
l'application  de   la  Psychothérapie   à  la  régénératKon 


1.  Valentin,  hérésiarque  du  Ile  siècle,  est  l'un  des  au- 
teurs de  la  Gnose    et  du   dogme  de  rémanation. 

2.  Jules  Bois.  Le  monde  invisible.  Mme  Blavalski  est  con- 
sidérée comme  la  fondatrice  de  la  secte  des  Théosophes,  di- 
rigée actuellement  par  une  Américaine,  Mme  Besant. 

3.  Voir  l'Année   occultiste,   p.  283. 


730     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

morale  de  l'enfance  et  des  détenus  de  toute  catégo- 
rie (1); 

2°  Que  des  conférences  publiq;ues  soient  données 
dans  les  villes  par  les  occultistes  suivies  de  sous- 
criptions pour  la  fondation  de  biblioithèques  occul- 
tistes; 

3°  Qu'une  agence  de  renseignements  pour  l'occul- 
tisme soit  fondée  pour  concentrer  les  expériences  et 
signaler  les  méfaits  commis  par  le  fanatisme  reli- 
gieux. 

Il  a  décidé  qu'il  appartient  à  toutes  les  fraterni- 
tés et  individualités  occultistes  de  répandre  autour 
d'elles  dans  la  masse,  les  lois  «  de  l'univers  et  de 
la  connaissance  suprême,  afin  que  ces  lois  devien- 
nent la  base  de  l'évolution  de  la  société  liumaine  pour 
guider  les  foules  vers  un  idéal  social  de  Progrès,  et 
de  Fraternité  ». 

Il  a  résolu  d'augmen'er  les  moyens  de  prop: guide 
des  études  des  sciences  occultes,  et  cela  par  tous 
les  moyens  possibles. 

Trois  ans  avant  la  réorganisation  de  la  Gnose,  le 


1.  Le  15  octobre  1903,  la  Fédération  lyonnaise  et  ré- 
gionale des  spirites  tint  la  première  de  ses  conférences  à 
Lyon,  à  la  salle  des  Folies-Bergère.  Huit  cents  personne? 
s'y  trouvaient.  Un  ordre  du  jour  fut  voté  à  l'unanimité 
moins  six  voix,  engageant  M.  Combes  à  poursuivre  jus- 
qu'au bout  l'œuvre  de  la  laïcisation,  et  formant  le  vœu 
que  le  spiritisme  occupe  enfin  dans  le  monde  la  place 
qui  lui  revient. 

L'un  des  chefs  les  plus  actifs  et  les  p'u3  écoutés  de  la 
religion  spirite  s'est  aussitôt  efforcé  de  donner  à  ce  vœu 
une  première  réalisation,  en  adressant  à  M.  Combes  un 
mémoire  concluant  à  l'introduction  du  spiriiisme  dais  l'en- 
seignement public,  et  en  particulier,  à  ce  que  cette  étude  soit 
rendue  obligatoire  dans  tous  les  lycées.  Dans  ce  mémoire, 
il  dit  que  ni  l'Eglise,  ni  l'Université,  ne  répondent  aux 
besoins  des  âmes  pour  résoudre  le  problème  de  la  destinée 
humaine  et  pour  fournir  une    orientation    aux   esprits. 


SATAN.  SES  CDNSTR'JCnONS  ACTUELLES    781 

Martinisme  avait  été  restauré  par  le  D'"  Papus,  de  son 
vrai  nom  Encausse,  un  des  lucifériens  les  plus  dan- 
gereux du  siècle.  Le  Martinisme  avait  été  fondé  en 
1754  par  un  Juif  portugais  Martinez  de  Pasq^uelly; 
son  premier  disciple  avait  été  Louis  Claude  de  Saint- 
Martin,  ce  qui  fait  que  la  secte  a  une  double  raison 
pour  s'appeler  le   «  Martinisme  ». 

Le  Martinisme  dérive  directement  de  la  Kabbale 
juive.  Il  eut  une  grande  part  dans  les  horreurs  de 
la  Révolution.  A  l'heure  actuelle,  le  Martinisme  en- 
globe la  plupart  des  groupes  occultistes  et  sans  lui 
la  gnose  n'aurait  jamais  pu  arriver  de  la  théorie  à  la 
réalisation.  Le  D'^  Papus  en  est  le  Grand-Maître  à 
vie,  et  il  préside  un  suprême  conseil  dont  les  mem- 
bres sont  élus  à  perpétuité.  Il  réunit  autdur  de  lui 
des  jeunes  gens  instruits  dont  plusieurs  sont  deve- 
nus des  maîtres  en  science  magique.  Puis  il  réalisa 
cette  entreprise  colossale  de  fonder  des  groupes  éso- 
tériques  qui  aujourd'hui  sont  répandus  par  tout  l'uni- 
vers civilisé  et  sont  une  pépinière  de  hauts  lucifé- 
riens. Papus  dirige  une  reVue  intitulée  Hiram,  et  il  a 
fondé  un  Institut  de  Hautes-Etudes  hermétiq'ues.  Les 
cours  durent  trois  ans  et  donnent  droit  à  des  diplô- 
mes. Il  n'a  jamais  moins  de  cent  cinquante  élèves. 

Le  martinisme  compte  aussi  trois  degrés.  Ce  qui 
fait  la  puissance  de  l'ordre,  c'est  que  l'initiateur  peint 
n'être  connu  que  de  deux  personnes  :  celui  qui  l'a 
initié  lui-même  et  celui  qu'il  initie.  Ainsi  s'établit 
la  chaîne  du  silence  si  nécessaire  aux  associations 
occultes.  Dans  le  sein  même  de  l'ordre  bien  des  F.  • . 
n'arrivent  à  connaître  qu'un  petit  nombre  d'entre  eux. 
L'initiateur  a  pour  devoir  de  ne  pas  perdre  de  vue 
celui  ou  ceux  qu'il  a  initiés. 

A  part  ces  trois  degrés,  l'ordre  en  comprend  un 
autre   qui   constitue   une   sorte   de   tiers-ordre   marti- 


732     l'agent    de    la    civilisation    moderne 

niste.  Les  initiés  à  ce  tiers-ordre  pullulenl  dans  le 
monde  parisien.  Il  crée  des  entrées  au  martinisme 
dans  les  salons,  les  rerues,  les  journaux  et  prépare 
sa  dictature  sur  le  monde  universitaire. 

Ce  tiers-ordre  est  appelé  des  «  Rosicruciens  ».  Or 
il  existe  une  société  qui  s'intilule  Frères  rosicruciens 
de  la  Rosace.  Elle  a  pour  organe  une  revue  men- 
suelle fondée  le  25  octobre  1906,  Les  entretiens  idéa- 
listes qui  s'affirme  nettement  catholique  et  même 
prétend  combattre  le  modernisme  (voir  la  déclara- 
tion placée  en  tète  du  n»  du  25  janvier  1910);  et 
cependant  il  suffit  de  lire  ses  principaux  articles, 
notamment  ceux  de  son  directeur,  M.  Paul  Vuillaud, 
pour  constater  qu'elle  enseigne  toutes  les  erreurs 
des  néognostiques  et  des  théosophes  (1).  D'ailleurs, 
la  revue  ne  dissimule  pas  sa  sympathie  pour  les 
sciences  occultes;  elle  annonce  l'envoi  gratis  à  ses 
lecteurs  d'importants  catalogues  de  livres  sur  les 
sciences  occultes. 

Nombre  de  catholiques  sont  séduits  surtout  par 
cette  affirmation  que  nous  avons  déjà  trouvée  sur  les 
lèvres  de  Weishaupt  :  Toutes  les  religions,  sans  en 
excepter  la  religion  catholique  ont  un  enseignement 
ésotérique.  Et  c'est  cette  doctrine  secrète  de  Jésus- 
Christ,  aujourd'hui  inconnue  de  l'Eglise  officielle  qu'il 


1.  Les  prouves  surabondent.  Dès  la  troisième  livrai- 
so;],  M.  Vuilaud  annonce  la  première  traduction  française 
du  Zohar,  livre  ésotérique  des  Hébreux.  Dans  cet  article, 
il  ne  craint  pas  d'avancer  que  «  les  systèmes  religieux  et 
philosophiques  se  retrouvent  tous,  pour  ce  qu'ils  ont  de 
vrai,  dans  la  théosophie  cabalistique  ».  Il  ajoute  :  «  Les 
notions  fournies  par  la  Sagesse  Cabalistique  sont  identiques  à 
celles  que  la  théologie  chrétienne  nous  enseigne  »  page  106. 
Cette  assertion  est  répétée  plus  loin  sous  une  autre  forme 
(p.  109)  et  l'auteur  ajoute  que  «  la  Cabale  fut  calomniée  ». 

C'est  surtout  dans  une  série  d'articles  intitulés  Mysta- 
gogiques,  que  M.  Paul  Vulliand  expose  plus  ouvertement 
son  système  (Voir  cahiers  XXXIII,  XXXIV,  XXXV,  XXXVI. 


SATAN.  SES  CONSTRUCTIONS  ACTUELLES    733 

s'agit  de  communiquer  poiu  initier  à  la  véritable 
sagesse,  à  la  Gnose,  g':  préparer  l'avènement  du  vrai 
catholicisme,    de    la   religion   vraiment  universelle. 

Voici  qui  est  souverainement  digne  d'attention.  Dans 
le  cahier  XL,  M.  Pierre  de  Cresinoy  fit  des  discours 
de  Marc  Sangnier,  qui  venaient  d'être  publiés  en 
volume,  un  éloge  plein  de  flatteries  outiées,  adres- 
sées à  l'auteur.  Il  faut  rapprocher  ce  cahier  de  celui 
du  25  mai  1909  où  se  trouve  le  compte  rendu  du  con- 
grès du  Sillo7i.  De  son  côté,  VEveil  démocratique 
du  13  juin  1909,  répondant  aux  compliments  de  Paul 
Vuillaud,  nous  apprend  que  la  revue  Les  Entretiens 
idéalistes  est  l'organe  d'un  groupe  deFrères  dits  Eosi- 
cruciens  de  la  rosace  (1).  Jamais  la  revue  de  Vuil- 
laud n'avait  laissé  échapper  cet  aveu.  On  savait  donc 
au  Sillon  ce  que  les  lecteurs  et  abonnés  des  Entretiens 
idéalistes   ignorent,    s'ils    ne    sont   pas    affiliés. 

Que  l'on  veuille  bien  comparer  maintenant  une 
brochure  de  Maurice  Boue  de  Villiers  intitulée  Les 
secrets  de  la  Rose-Croix  et  faisant  partie  de  la 
Bibliothèque  des  Entretiens  idéalistes,  qu'on  compare 
cette  brochure  avec  le  livre  de  Marc  Sangnier  La 
Vie  profonde;  c'est  le  même  état  d'âme,  le  même 
idéalisme  morbide,  le  même  érotisme  macabre.  Qu'on 
rapproche  les  poésies  si  fréquemment  publiées  dans 
les  Entretiens  des  théories  du  Sillon  sur  la  chasteté, 
sur  l'amour,  il  y  a  identité  de  fond  et  de  forme, 
et  l'on  se  dira  que  les  Eveils  et  visions  de  la  Vie 
profonde  qui  avaient  paru  seulement  l'œuvre  dMn 
esprit  malade  et  d'une  imagination  déréglée,  devien- 
nent l'indice  d'une  initiation  au  moins  partielle  à 
d'abominables  mystères. 

C'est  par  le  caractère  idéaliste  de  la  démocratie  du 
Sillon  que  se  rejoignent  les  sillonnistes  et  les  rosicru- 

1.  A  rapprocher  ce  nom  de  celui  de  Rose-croix. 


734      l'agent    de    la    civilisation    moderne 

ciens.  Les  gnostiques  voient  dans  l'aspiration  aussi 
ardente  que  vague  des  silonnistes  vers  le  «  progrès 
par  la  démoeratie  »,  un  courant  favor'able  à  leurs 
idées  d'ascension  vers  la  Science  ou  la  Gnose.  Les 
sillonnistes  subissent  l'influence  des  théosophes  et 
des  gnoSciques,  quand  ils  rêvent  d'une  ascension  de 
la  démocratie  vers  un  idéal  de  vertu  qui  la  rendra 
vraiment   capable   de   se   gouverner   elle-même. 

Il  suffit  de  lire  le  numéro  de  janvier-février  1910  du 
Béveil  gnostique  pour  se  rendre  compte  jusqu'à  quel 
point  ces  hérétiques  attendent  et  prédisent  un  nouvel 
âge  d'or.  Ce  sont  ces  fo'les  espérances  semées  dans 
le  peuple  par  les  mille  organes  des  sectes  qui  expli- 
quent comment  les  meneurs  socialistes  peuvent  impu- 
nément promettre  des  réformes  évidemment  chiméri- 
ques. La  foule  croit  vaguement  à  un  noiuvel  ordre  de 
choses  quasi-messianique  et  voit  dans  le  progrès  dé- 
mocratique l'aurore  du  bonheur  paradisiaqiuje  retroii- 

vé    (1). 


1.  D'après  ces  hérétiques,  l'histoire  de  rhumanitô  com- 
prend neuf  époques,  à  travers  lesquelles  la  matière  inanimée 
s'élève  sous  l'action  de  la  «  matière  astrale  »  jusqu'à  la 
divinité. 

La  première  époque  est  celle  du  Brahmanisme,  la  seconde 
celle  de  la  religion  des  Egyptiens,  la  troisième  est  l'époque 
chrétienne,  la  quatrième  l'époque  révolutionnaire  (nous  y 
sommes),  la  cinquième  sera  c^lle  de  la  république  univer- 
selle ;  les  époques  six,  sept  et  huit  marqueront  dans  l'histoire 
de  l'humanité  des  époques  tellement  supérieures  à  ce  que 
nous  pouvons  concevoir,  qu'elles  ne  peuvent  actuellement 
être  définies;  enfin  la  neuvième  époqu3  sera  celle  de  la  na- 
ture divinisée. 

Voilà  le  rêve  fantastique  qui  est  au  fond  de  touf-és  ces  dé- 
clamations sur  le  Progrès  et  sur  l'ascension  de  l'humanité. 
Vodlà  à  quel  mirage  se  laisse  prendre  plus  ou  moins  in- 
consciemment le  Sillon. 

Quand  Marc  Sangnier  proclame  que  la  démocratie  est 
l'aboutissement  nécessaire  du  christianisme,  qu'elle  doit 
élever  l'humanité  à  une  «  organisation  sociale  qui  tend 
»  à  porter  au  maximum  la  conscience  et  la  responsabilité 


SATAN.  SES  CONSTRUCriOXS  ACTUELLES    735 

A  l'heure  où  nous  écrivons,  le  Sillon  annonce  qu'il 
vient  de  se  réorganiser.  •  11  reste  ce  qu'il  était,  moins 
une  organisation  qu'un  esprit.  Et  l'on  voit  quel  es- 
prit! 

Quel  puissant  levier  sur  la  société  chrétienne  Satan 
tient  en  ses  mains  par  toutes  les  sociétés  que  nous 
venons   de  signaler! 

Il   nous   reste  à  parler  des  spirites. 

»  civique  de  chacun  »,  ces  paroles  n'auraient  qu'une  si- 
gnification chimérique  et  déclamatoire  si  elles  ne  répon- 
daient à  un  état  d'esprit  depuis  longtemps  créé  et  entretenu 
chez  ses  auditeurs  comme  en  lui-même.  Or  cet  état  d'esprit, 
c'est  la  Franc-Maçonnerie  kabbalistique  et  théosophique  qui 
l'a  créé  et  c'est  à  elle  et  non  pas  au  christianisme  qu'il  pro- 
fite. 

La  démocratie  n'est  pas  pour  eux  une  forme  de  gouver- 
nement, c'est  un  degré  de  l'échelle  mystérieuse  par  la- 
quelle l'humanité  s'élève  vers  l'infini.  La  République  uni- 
verselle que  ce  progrès  prépare  sera  autant  supérieure  à  la 
chrétienté  du  moyen-âge  que  celle-ci  le  fut  au  brahmanisme 
et  au  monde  païen.  Elle  sera  faite  de  la  fusion  de  toutes 
les  Eglises,  de  l'abolition  de  toutes  les  patries,  de  la  suppres- 
sion de  la  proipriété  privée  et  de  la  destruction  de  la  fa- 
mille. Voilà  l'idéal  démocratique  plus  ou  moins  nettement 
entrevu,  mais  salué  de  loin  avec  un  enthousiasme  égal  par 
les  gU'Ostiques  et  les  sillonnistes,  disons  mieux,  par  tous  les 
démocrates  modernes  de  toutes  les  écoles  et  de  toutes  les 
dénominations. 


CHAPITRE  LI 


SATAN.  SES  CONSTRUCTIONS  ACTUELLES 


II.  -  LE  SPIRITISME 

Satan  a  donc  de  nos  jours  une  église  occulte  avec 
ses  fidèles,  ses  cérémonies,  sa  liturgie,  opposée  à 
la  sainte  Eglise,  aux  fidèles  du  Christ,  à  la  liturgie 
romaine,  à  la  religion  du  Fils  de  Dieu  fait  Homme. 
C'est  là  un  fait  indiscutable;  Satan  exerce  un  empire 
redoutable   sur  une  niasse   de  iDerdition. 

La  majeure  partie  de  cette  masse  est  formée  par 
les  spirites.  Eux  aussi  appartiennent  à  la  Gnose  par 
ses  principaux  dogmes. 

Le  spiritisme  n'est  pas  d'hier  :  ses  pratiques  rem- 
plissent tous  les  temps,  tous  les  lieux,  mais  surtout 
les  temps  et  les  lieux  païens.  Cicéron  (1)  nous  ap- 
prend que  son  ami  Appius  faisait  des  consultations 
des  morts  sa  pratique  habituelle;  et  que,  dans  le 
voisinage  d'Arpinum,  était  le  lac  Averne,  d'où  l'on 
faisait  «  surgir  du  sein  des  ténèbres  les  ombres  des 
morts  encore  tout  ensianglantées.  »  Il  y  avait  partout 
des  Orachs  des  morts.  On  les  évoquait  sur  les  bords 
du  fleuve  Achéron  en  Thesprotie,  à  Phigalée  en  Arca- 

1.  Tusculanes,    I,  16. 


SATAN.  SES  CONSTRUCTIONS  AITUELLES    737 

die,  au  cap  ïénare,  à  Héraclée  dans  le  Pont,  à  Cumes. 
Ce  n'est  peint  seulement  la.  populace  qui  ajoutait  foi 
à  ces  pratiques.  Péiiandre,  l'un  des  sept  sa.ges,  en- 
voie consulter  l'âme  de  sa  femme  qu'il  a  fait  égor- 
ger (1).  Pausanias  évoque  lui-même  l'âme  d'une  jeune 
fille  qu'il  a  tuée  (2);  les  magistrats  de  Sparte  font 
évoquer  par  des  nécromanciens  de  Thessalie  l'âme 
de  ce  même  Pausanias  (3);  Libo  Drusus  est  mis  à 
mort  par  Tibère  pour  avoir  commis  un  crime  de 
lèse-majesté  pendant  qu'il  se  livrait  à  la  nécromancie; 
le  grammairien  Apion  évoque  l'ombre  d'Homère  pour 
l'interroger  sur  sa  patrie  et  ses  parents   (4). 

Ces  mêmes  évocations  furent  pratiquées  au  moyen 
âge  par  les  sorciers  et  les  mages  (5).  Elles  ont 
pris  de  nos  jours  une  fréquence,  des  accroissements, 
et  une  importJance  qui  autorisent  les  plus  inquié- 
tantes   prévisions. 

Le  spiritisme  peut  donc  se  définir  un  système  de 
relations  extra-naturelles  des  hommes  aVec  les  purs 
esprits.  Le  spiritisme  possède  et  emploie  les  moyens 
de  franchir,  à  volonté,  dit-il,  la  barrière  qui  sépare 
notre  règne  humain  de  celui  des  purs  esprits,  et  c'est 
la  coordination  plus  ou  moins  heureuse  de  ces  moyens 
qui  constitue  tout  système  de  spiritisme. 

Assurément,  les  cas  de  tromperie  ou  d'erreur  sont 
fréquents,  mais  les  faits  bien  caractérisés  comme 
extra-naturels  sont  si  nombreux  qu'ils  ne  peuvent 
se  compter  et  ont  é'é  si  parfaitement  observés  que  Je 
doute  à  leur  égard  n'est  point  possible. 

1.  Hérodote,  V,  92. 

2.  Plutarquo,  Vie  de  Cimon. 

3.  Plutargue,  Des  délais  de  la  justice  divine. 

4.  Pline  l'Ancien,  XXX,  6. 

5.  Nous  n'avons  pas  à  fare  remarqti.r  que  les  démons 
ne  sont  pas  les  maîtres  des  âmes,  et  que,  pour  répondre  aux 
évocations  qui  leur  sont  adressées,  ils  n'ont,  eux,  qu'à  se 
présenter  en  personne  sous  des  noms  supposes. 

L'Église  et  le  Temple.  47 


788        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

On  cherche  à  les  revêtir  d'une  apparence  scienti- 
fique, ou  à  les  rejeter  en  bloc  dans  le  domaine  de  la 
prestidigil^ition.  Assurément  il  y  a  des  fraudes.  Mais, 
dit  le  D^  Grasset,  il  est  faux  de  conclure  que  tous  les 
médiums  fraudent  et  qu'un  médium  convaincu  de 
fraude  en  certains  cas  fraude  nécessairement  dans 
tous   les   cas. 

D'iautre  part,  les  phénomènes  spirites  ne  peuvent 
pas  être  reproduits  à  volonté,  ce  qui  ne  permet  pas 
de  les  classer  dans  le  domaine  de  la  science.  On  ne 
peut  leur  appliquer  les  procédés  habituels  et  rigoureux 
du  contrôle  scientifique.  D'abord,  il  faut  un  mé- 
dium (1).  De  plus  quand  on  a  le  médium,  l'expérience 
ne  réussit  pas  toujours,  il  y  a  un  mystère  dansi  le 
déterminisme  qui  multiplie  les  échecs.  «  Les  phé- 
nomènes sont  rebelles  à  la  discipline  »,  dit  Maxwel. 
«  Dans  des  conditions  identiques,  dit  Charles  Richet, 
cette  incertitude  des  résultats  jette  l'incertitude  sur 
la  science  même.  »  Cela  met  entre  les  faits  physi- 
ques et  les  faits  spirites,  un  critérium  de  distinction 
tout  à  fait  infaillible.  Les  premiers  son!  produits  par 
la  nature  seule  ou  par  rintervenftion  de  l'homme 
qui  lui  commande  en  lui  obéissant,  c'est-à-dire  qui 
obtient  ses  manifestations  par  des  procédés  imités 
de  son  action  même.  Il  étudie  la  vapeur,  l'électricité 
et  il  les  met  en  œuvre  pour  sa  locomotion  ou  pour 
ses  messages,  en  observant  strictement  leurs  habi- 
tudes et  en  canalisant  leur  cours  naturel.  Voilà  la 
physique. 

Mais  si  en  touchant  simplement  ,une  table,  si  même 


1.  Médium,  être,  homme-milieu.  On  appelle  ainsi  la  per- 
sonn:^,  homme  ou  femme  qui,  dans  le  spiritisme,  est  l'inter- 
médiaire entre  le  monde  terrestre  et  le  monde  des  esprits  et 
sert  à  leurs  manifestations.  On  appelle  médium  à  maté- 
rialisations, celui  qui  obtient  des  manifestations  corpo- 
relles. 


SATAN.    SES    CONSTRUCTIONS    ACTUELLES         739 

en  conceviant  intérieurement  un  désir,  j'obtiens  la 
présence  et  lia  conversation  d'un  être  intelligent  et 
libre  et  de  plus  invisible  qui  devine  mon  désir  et 
mia  pensée,  je  vois  très  clairement  que  j'ai  affaire 
à  un  pur  esprit  (1). 

M.  Jeanniard  du  Dot  raconte  qu'en  1849,  les  cinq 
évêques  d'une  province  réunis  pour  tiaiter  différents 

1.  M.  Jacques  Brieu,  le  critique  occultiste  bien  connu 
du  Mercure  de  France,  distingue  entre  les  phénomènes  d'or- 
dre purement  psychique  et  d'ordre  spirite.  Son  point  de 
départ  est  le  fait,  son  but  est  le  fait,  son  critérium  de 
certitude  est  le  fait.  Les  faits  demeurent  tandis  que  s'effon- 
drent les  théories  les  plus  ingénieuses,  les  systèmes  les  plus 
savants. 

Ces  faits  sont-ils  1°  Certains?  Oui,  s'ils  sont  existants 
pour  tous,  savants  et  ignorants. 

2°  Hétéronomiques  ?  Oui,  s'ils  sont  autre  chose  qu'un  jeu 
de  l'imagination,  une  idée  subjective,  un  rêve,  une  opinion. 

3°  Obsen^ables?  Oui,  s'ils  tombent  sous  nos  sens  et  peu- 
vent être  saisis  par  nos  instruments. 

5»  Irréductibles?  Oui,  s'ils  ne  se  ijdu'sont  pas  à  d'autres 
plus  simples  ressortissant  d'une  science  dôjà  existante  ou 
ne  sont  pas  des  inductions  tirées  des  faits. 

«  Les  sciences  psychiques  et  le  spiritisme  proprement 
dit  rossortent  ils  des  sciences  avec  lesquelles  ils  présen- 
tent le  plus  de  points  de  contact,  la  physiologie  et  la  psy- 
chologie? Non,  car  la  physiologie  et  la  psychologie  ont 
seulement  pour  objet  d'études  les  facidtcs  de  l'esprit  et  les 
fonctions  du  corps  à  l'état  normal;  tandis  qus  les  phéno- 
mènes qu'étudient  le  spiritisme  et  les  sciences  psychiques 
sont  anormaux,  exigent  la  présence  d'un  être  anormal,  un 
médium. 

»  La  production  des  phénomènes  spirites  semble  néces- 
siter l'intervention  de  forces  ou  d'êtres  intelligents  normaux. 

»  Il  sera  souvent  difficile  de  discerner  si  un  fait  appar- 
tient au  spiritisme  ou  aux  sciences  psychologiques,  mais  n'en 
est-il  pas  de  même  pour  un  grand  nombre  de  faits?  qui 
déterminera  exactement  par  exemple,  la  limite  émanant  des 
faits   psychologiques  et  des   faits   physiologiques? 

»  La  distinct'on  des  phénomènes  psychiques  et  des  faits 
physiologiques  est  possible  et  même  légitime,  s'il  y  a  un 
fait  caractéristique  qui  permette  de  les  différencier,  si 
l'intervention  de  forces  ou  d'êtres  étrangers  au  monde  phy- 
sique est  un  fait  indestructible,  le  phénomène  est  d'ordre 
spirite,  il  vient  de  forces  ou  d'êtres  intelligents  inconnus  ». 


740        i/agent  de  la  civilisation  moderne 

points  de  doctrine  ou  de  droit  ecclésiastique  voulurent 
se  rendre  compte,  p'ar  eux-mêmes,  du  phénomène  des 
tables  tournantes.  Quiand  ils  virent  la  table  tourner, 
ils  y  placèrent  un  chapelet  et  un  bréviaire.  La  table 
renversa  ces  objets  avec  fureur;  puis  elle  poussa 
jusqu'à   la  porte   l'évêque   du   lieu. 

La  pensée  de  Satan  paraît  bien  être  de  se  mani- 
fester de  nos  jours  p'Ius  qu'il  ne  l'a  fait  à  auoane 
époque  du  christianisme;  mais  sa  taciique  est  de 
s'abriter  derrière  la  science.  Mille  savants,  mathé- 
maticiens, physiciens,  chimistes,  etc.,  sont  entrés  dans 
ie  domaine  de  l'occulte  avec  la  pensée  de  le  sou- 
mettre à  leurs  expériences  et  de  saisir  ses  lois.  Cette 
espérance  que  Satan  a  fait  naître  rentre  bien  dans 
son  dessein  qui  est,  comme  nous  le  verrons  dans 
la  dernière  partie  de  cet  ouvrage,  de  ramener  l'hom- 
me dans  l'ordre  purement  naturel  et  de  l'y  enfermer 
tout  en  le  dominant. 

C'est  en  Amérique,  en  l'année  1847,  que,  par  la 
permission  de  Dieu  et  par  des  motifs  de  sagesse  infi- 
nie qu'il  ne  nous  est  point  donné  de  pénétrer,  le  prince 
des  ténèbres  recommença  de  nos  jours  cette  longue 
série  de  manifestations,  qui  devaient  s'étendre  au 
monde  entier  et  dont  le  dernier  mot  est  loin  d'être 
dit. 

La  famille  Fox,  installée  dans  une  maison  de  Hy- 
derville,  petit  village  de  l'Etat  de  New-York,  reçut 
en  mars  la  visite  d'un  esprit  qui  fit  retentir  la  mai- 
son de  coups  mystérieux.  Etonnés  d'abord  et  même 
terrifiés,  les  habitants  de  la  maison  hantée  se  lais- 
sèrent bientôt  aller  à  la  curiosité  et  interrogèrent. 
Aux  claquements  des  doigts  des  jeunes  filles  répon- 
dirent des  claquements  de  doigts.  Un  premier  moyen 
de  communication  était  établi  avec  le  frappeur  qui, 
par  là,  se  révélait  comme  un  être  intelligent. 


SATAN.  SES  CONSTRUCTIONS  ACTUELLES    741 

La  famille  Fox  se  transporte  à  Rochester;  l'esprit 
la  suit  et  conquiert  dans  cette  ville  un  champ  d'opé- 
rations plus  vaste,  un  plus  grand  nombre  de  témoir.s 
qui  deviennent  bientôt  des  apôtres;  car  il  suit  chez 
eux  ceux  à  qui  il  s'est  manifesté  une  première  fois, 
et  i!  multiplie  ainsi  lo3  théâtres  de  ses  marifestations. 
Nous  n'avons  point  à  dire  ici  les  différentes  formes 
que  prennent  ces  manifestations,  ni  les  différents 
moyens  de  communication  et  de  conversation  que 
les  esprits  ont  suggérés  successivement  à  ceux  qui 
se  mettaient  en  communication  avec  eux;  nous  vou- 
lons seulement  suivre  le  spiritisme  dans  son  ex- 
tension. 

En.  1853,  c'est-à-dire  six  ans  après  les  débuts,  cinq 
cent  mille  personnes  étaient  en  Amérique  en  corres- 
pondance suivie  avec  «  les  âmes  des  morts  »,  et 
en  rapports  entre  elles  par  douze  revues  ou  jour- 
naux. 

Il  y  a  quelques  années,  d'après  le  calcul  de  M. 
Babinet,  il  y  avait,  rien  qu'en  Amérique,  soixante 
mille  médiums.  En  1855,  Emma  Harding-Button  es- 
timait à  12  millions  le  nombre  des  adeptes  dans  la 
seule  Amérique.  Un  peu  plus  tard,  le  juge  Edmunds, 
sénateur  et  président  de  la  Cour  de  l'Etat  de  New- 
York,  accusait  trois  millions  de  nouveaux  adhérents. 
Combien  sont-ils  aujourd'hui?  Il  n'était  pas  exagé- 
ré de  porter,  dès  1870,  le  nombre  des  spirites  du 
globe  à  une  vingtaine  de  millions. 

«  Ce  qui  a  fait  l'extraordinaire  vogue  da  spiritis- 
me, observe  Jules  Bois  (1),  c'est  sa  thaumaturgie 
à  proximité,  populaire.  Tout  devient  simple.  Dieu  poar 
tous    à  la   dose    de   chacun  :    Dieu   démocrate!  » 

Les  spirites  ont  des  Congrès  internationaux  :  Ils 
eurent  lieu  à  Bruxelles  en  1884,  à  Barcelone  en  1886, 

1.  Le  monde  invisible,  307. 


.  742        l'agent  de  la  civilisation  moderne 

à  Paris  en  1889.  En  1889,  centenaire  de  la  Révo- 
lution, le  Congrès  s'est  réuni  au  Grand-Orient  :  nou- 
velle preuve  des  rapports  secrets  qui  existent  entre 
la  franc-maçonnerie,  les  Juifs  talmudiques  et  Satan. 
Le  Congrès  du  centenaire  comptait  cinq  cents  mem- 
bres. 

Au  Congrès  de  1900,  furent  invités,  par  un  abbé 
Julio,  «  tous  les  catholiques  des  deux  mondes,  prê- 
tres et  laïques,  qui  ne  peuvent  rester  étrangers  au 
renouvellement  scientifique  qui  entraîne  l'humanité 
vers  la  fin  glorieuse  que  lui  a  montrée  le  divin 
Maître    (1).  » 

«  Le  Congrès,  dit  M.  Durville,  a  tenu  ses  ass-ises 
à  l'hôtel  des  Agriculteurs  de  France,  au  milieu  d'une 
affluence  considérable  de  magnétiseurs,  de  spirites, 
d'hermétiques,  de  théosophes  et  de  spiiitualistes  in- 
dépendants, venus  ici  en  qualité  de  délégués  de  so- 
ciétés ou  de  groupes  de  toutes  les  parties  du  mon- 
de, dont  ils  étaient  les  représentants...  Les  spirites 
ont  exposé  les  grandes  lignes  de  leur  religion  dans 
ce  Congrès  international,  dont  ils  avaient  pris  lini- 
tiative  et  qu'ils   ont  su  mener  à  bonne  fin.  » 

M.  Denis,  qui  avait  déjà  présidé  le  Congrès  de 
1889,  fut  de  nouveau  chargé  de  présider  celui  de 
1900.  En  prenant  le  fauteuil,  M.  Denis  dit  :  «  Au 
Congrès  de  1889,  le  spiritisme  voyait  encore  devant 
lui  de  nombreux  obstacles,  la  marche  était  hésitante. 
Aujourd'hui,  le  nombre  des  adeptes  s'est  multiplié, 
le  public  et  la  presse  sont  curieux.  Nous  avons  des 
adeptes  dans  le  monde  de  la  science  et  dans  les  rangs 
les  plus  élevés  de  la  société...  Les  puissances  occultes 
sont  à  l'œuvre,  elles  soutiennent  l'action  des  hom- 
mes... Après  la  période  de  diffusion,  doit  venir  la  pé- 
riode d'organisation...  L'heure  présente,  l'heure  à  la- 


1.  Revue  du  Monde  imisibh,  septembre  1899. 


SATAN.  SES  CONSTRUCTIONS  ACTUELLES    743 

quelle  nous  sommes,  est  une  heure  pleine  d'espéran- 
ces et  de  promesses;  les  masses  sont  agitées  par 
le  sourd  travail  de  la  pensée;  les  intelligences  et 
les  consciences  sont  à  la  recherche  d'un  idéal  nou- 
veau... Le  spiritisme  est  un  germe  puissant  q^ui  se 
développera  et  qui  amènera  une  transformation  des 
lois,  des  idées,  des  forces  sociales...  Le  spiritisme  doit 
contribuer  à  transformer  la  science...  Il  amènera  une 
transformation  des  religions...  Il  en  sera  de  même 
de  l'enseignement...  Il  influera  puissamment  sur  l'é- 
conomie sociale  et  la  vie  publique...  Le  spiritisme  ne 
peut  plus  être  arrêté  dans  sa  marche  :  il  a  j)énétré 
dans  l'esprit  et  dans  le  cœur  de  millions  d'hommes.  » 
(P.  32  et  42). 

Ces  derniers  mots  n'étaient  point  une  forfanterie. 

Dans  le  Problème  de  Vheure  présente  nous  avons 
donné  de  nombreux  renseignements  sur  le  nombre 
des  spirites,  leurs  organes  de  publicité,  leur  pro- 
pagande, en  France  et  dans  tous  les  pays  du  monde. 
Notre  intention  n'est  point  d'y  revenir  ici,  d'ailleurs 
les  chiffres  donnés  alors  ne  seraient  plus  exacts,  ils 
grossissent  de  jour  en  jour,  et  nous  ne  connaissons 
point  d'ouvrage  qui  tienne  à  jour  les  progrès  de  la 
secte.  Nous  nous  contenterons  de  quelq'ues  obser- 
vations. 

La  terre  est  donc  couverte  de  spirites.  On  les  trou- 
ve partout  sur  tous  les  continents,  ils  pénètrent  dans 
tous  les  milieux  et  prêtent  leur  concours  à  toutes 
les  œuvres  de  satan.  La  Gnose  s'est  recrutée'  dans 
leurs  rangs,  parmi  les  spirites  intelligents,  lettrés, 
appartenant  aux  fonctions  libérales  ou  au  grand  mon- 
de  (1). 

1.  M.  Gaston  M^^ry,  fondateur  de  VEcho  du  merveilleux, 
a  publié,  le  10  septembre  1907,  dans  la  Libre  Paroi-',  un 
article  ou  il  dit  que  comme  au  temps  de  Cagliostro,  l'aris- 
tocratie interroge  les  esprits.  Elle  se  sert  pour  cela  dans  ses 


744      l'agent    de   la    civilisation    moderne 

Pour  la  propagation  de  leurs  doctrines,  les  spirites 
comptent  surtout  sur  les  femmes.  Dans  le  rapport 
qu'il  lut  à  la  séance  générale  de  clôture  du  congrès 
international  de  1900,  séance  qui  avait  réuni  toutes 
les  écoles  spirites,  le  Dr  Papus  dit  :  «  C'est  aux 
femmes  que  nous  devons  le  succès  de  nos  congrès, 
et  c'est  justement  qu'on  dit  que  celui  qui  a  les  fem- 
mes pour  lui  est  sûr  de  la  victoire.  Ce  sont  elles  qui, 
entre  les  sessions,  préparent  les  réussites  par  leur 
incessant  apostolat.  Ce  sont  elles  qui,  abeilles  in- 
fatigables, vont  partout  butiner  le  miel  de  la  vérité. 
Sachons  ne  pas  être  ingrats,  en  ce  jour  de  joie,  et 
rendons  à  la  femme  justice  pour  le  succès  de  l'idée 
spiritualiste  à  travers  toutes  les  classes  sociales.  » 
Ces  pauvres  femmes  sont  attirées  dans  le  spiritisme 
par  leur  cœur,  par  le  désir  de  rentrer  en  communication 
avec  les  êtres  qu'elles  ont  aimés,  leurs  enfants,  leur 
mari.  Une  fois  séduites  par  les  illusions  que  Satan 
leur  donne,   elles  se  font  ses  apôtres. 

Ce  que  se  proposent  les  chefs  du  mouvement  spi- 
rite  c'est  donc  de  faire  passer  la  direction  religieuse 
de  l'humanité,  du  magistère  de  l'Eglise  aux  Esprits 
devenus  nos  familiers  et  nos  guides;  et  ceux-ci  pré- 
parent les  voies  au  règne  universel  de  leur  Maître, 
Lucifer.  Avec  les  curieux,  avec  les  imprudents,  avec 
les  amateurs  de  nouveautés,  ils  arrivent  à  grouper 
des  disciples  venus  de  toutes  les  religions  et  de  toutes 

salons  du  Ouija,  planchette  en  bois  verni  sur  laquelle  sont 
inscrits  l?s  lettres  de  l'Alphabet.  Un  pedt  appareil,  en 
forme  de  soucoupe  retouraîe,  munie  d'une  flèche  indicatrice 
est  placée  sur  cette  planchette.  «  Je  connais  des  salons, 
dit- il,  ou  périodiquement  on  donne  des  sîances  de  spiritisme. 
Des  dames  lisent  les  sermons  du  diable  à  leurs  invités,  et. 
même  les  réunissent  en  volumes.  Il  n'y  a  pas  à  Paris  moins 
de  trois  ou  quatre  librairies  spéciales,  où  les  gens  du  monde 
et  même  les  autres,  peuvent  s'approvisionner  de  cette  htté- 
rature  d'outre-tombe,  vendue  à  tous  les  prix,  dans  im 
but   évident   de   propagande.  » 


SATAN.  SES  CONSTRUCTIONS  ACTUELLES   745 

les  contrées  du  monde.  Ils  forment  ainsi  une  nou- 
velle Eglise  à  laquelle  ils  donnent  un  culte  nouveau, 
une  religion  nouvelle. 

«  Par  le  spiritisme,  a  dit  au  Congrès  de  1900  le 
pasteur  Boversluis,  le  christianisme  sera  consommé 
(arrivera  à  sa  perfection),  mais  non  le  chrstianisme 
des  églises,  des  dogmes  et  des  rites...  Alors  point 
de  prêtres,  point  de  contrainte  de  conscience!  Alors 
point  de  zélateurs  aveugles;  point  d'adoration  de  l'au- 
torité d'un  livre;  point  de  confessionnalisme;  point 
de  système  dogmatique;  point  d'infaillibilité  d'un  hom- 
me ou  d'un  livre.  Alors  point  de  peur  pour  un  Dieu 
cruel,  point  de  médiation  de  saints  entre  Dieu  et 
l'homme.  »  Le  pasteur  appelle  cela  un  christianisme 
purifié    et  simplifié. 

Le  programme  de  cette  nouvelle  religion  comprend 
deux  parties  :  l'œuvre  de  destruction  et  l'œuvre  d'é- 
dification.  !«  Destruction  de  l'Eglise  catholique  et 
anéantissement  de  la  foi  en  Jésus-Christ;  —  Révo- 
lution sociale  par  l'anarchie  qui  soulèvera  les  pro- 
létaires contre  les  classas  supérieures;  —  Renverse- 
ment des  idoles,  c'est-à-dire  des  faux  dieux  (les  trois 
Personnes  de  la  Très  Sainte  Trinité),  des  rois  et  de 
toute  aristocratie,  noblesse,  clergé,  propriétaires.  2» 
Edification  d'un  culte  fondé  sur  la  Vérité  et  la  Maison, 
auquel  sera  donné  le  nom  de  christianisme  (christian- 
science). 

L'association  spirite,  appelée  Christian  science,  a  été 
fondée  à  Boston,  en  1879,  par  Mistress  Eddy,  qui,  pour 
cette  raison,  est  appelée  la  mère  de  christian-scien- 
ce  (1).  D'Amérique  elle  s'est  répandue  partout.  Tren- 

1.  En.  déœmbre  1907,  l'agence  Reuter  de  Concord  (New 
Hampshire  N.  S.  .A)  publia  une  dépêche  annonçant  que  Miss 
Eddy  avait  reçu  du  gouvernement  français  le  brevet  d'officier 
d'académie. 


746       l'agent  de  la  civilisation  moderne 

te-trois  ans  après  sa  fondation,  elle  comptait  six  cent 
mille  scientistes.  Ils  ont  un  temple  à  Paris,  rue  Pas- 
quier.  Leur  église  métropolitaine  pour  l'Europe  est 
à  Londres.  Ils  établissent  partout  des  églises  ou  du 
moins  des  locaux  de  services  religieux.  L'almanach 
de  New-York  World's  pour  1897  indiquait  123  églises 
et  131  locaux  de  service.  L'année  suivante,  le  Chris- 
tian-Science-Journal comptait  250  églises  et  127  lo- 
caux de  services.  Ainsi,  en  un  an,  123  nouvelles  égli- 
ses s'étaient  élevées.  En  1905  la  Christian-Science 
comptait  908  églises  ou  sociétés  aux  Etats-Unis,  au 
Canada,  au  Mexique,  aux  Philippines,  en  France, 
en  Angleterre,  en  Norwège,  en  Suisse,  en  Italie,  aux 
Indes,  en  Chine  et  ailleurs.  L'église-mère  est  à  Bos- 
ton et  compte  34.000  membres.  La  mère  de  scien- 
tisme compte  que,  «  dans  moins  de  cinquante  ans, 
la  Christian-science  sera  la  foi  religieuse  dominante 
dans  le  monde.  » 

Le  nom  de  chrétienne  donné  à  une  secte  qui  se 
propose,  premièrement,  de  détruire  la  religion  de  No- 
tre-Seigneur  Jésus-Christ,  paraît  assez  étonnant;  mais 
les  explications  font  entendre  que  le  Christ  de  la 
christian-science  n'est  autre  que  «  l'universel  esprit» 
ou  «  le  grand  agent  magique  »,  en  d'autres  termes, 
Lucifer.  La  christian-science  est  donc  proprement  la 
religion  de  Satan,  à  laquelle  doivent  faire  aboutir 
toutes  les  évocations  spirites. 

Le  Dr  Gibar,  dans  son  livre  Les  Choses  de  Vautre 
Monde,  rapporte  que,  dans  une  séance  chez  M.  Nus, 
la  table  dit  :  «  La  religion  nouvelle  transformera  les 
voûtes  du  vieux  monde  catholique  déjà  ébranlées  par 
les  coups  du  protestantisme,  de  la  philosophie  et  de 
la  science.  »  Cette  transformation,  c'est  la  substi- 
'tution  du  règne  de  Satan,  au  règne  de  Nôtre-Seigneur 
Jésus- Christ 


SATAN.  SES  CONSTRUCTIONS  ACTUELLES   747 

C'est  là  que  vient  aboutir  l'immense  travail  de 
dissolution  religieuse  dont  ce  livre  expose  les  mul- 
tiples agents. 

«  Le  travail  qui  s'accomplit,  dit  un  autre  spirite, 
est  le  prélude  d'une  rénovation  philosophique  et  ma 
raie  qui  embrassera  le  globe  entier.  » 

Aussi,  comme  l'a  constaté  Mgr  Méric,  les  esprits 
évoqués  font  les  plus  grands  efforts  pour  donner 
aux  spirites  du  monde  entier  ce  mot  de  ralliement  : 
Haine  à  l'Eglise  catholique,  à  l'éternelle  ennemie  qu'il 
faut  détruire.  Satan  imprime  par  là,  sur  ceux  qui  se 
font  siens,  son  caractère,  le  caractère  de  la  Bête, 
comme  dit  l'apôtre  saint  Jean.  Quand  on  lit  les  revues 
et  les  ouvrages  des  chefs  du  mouvement  spirite,  on 
est  frappé  de  l'extrême  violence  des  sentiments  de 
colère  et  de  Jiaine  qu'ils  manifestent  contre  le  dogme 
catholique  et  contre  l'Eglise,  contre  le  clergé  et  contre 
la  papauté.  Ils  cherchent  à  entraîner  leurs  disciples 
dans  un-e  campagne  violente  contre  le  catholicisme. 
Ils  ne  cessent  de  dire  :  Le  catholicisme  est  fini!  Le 
catholicisme  est  mort!  Ils  ne  se  contentent  plus  de 
propager  les  idées  qui  leur  sont  inculquées  par  les 
démons,  ils  veulent  anéantir  le  catholicisme  et  lui 
substituer  le  spiritisme  dans  la  conscience  humaine 
et  dans  la  société;  en  un  mot,  fonder  une  religion 
nouvelle. 

L'un  des  médiums  les  plus  en  vue  à  raison  de  sa 
situation  sociale  et  de  la  culture  de  son  esprit,  la 
princesse  Marie  Karadja,  fille  d'un  sénateur  suédois, 
a  publié  deux  livres  :  Phénomènes  spirites  et  Vues 
spiritualistes,  puis  L'Evangile  de  Vespoir.  Elle  y  dit 
que  le  spiritisme  doit  remplacer  les  différents  spi- 
rituaîismes  et  la  religion  se  substituer  aux  différentes 
religions.    Elle    exprime    ainsi    sa   pensée  : 

«  L'humanité    est    un    immense    bâtiment    où    cha- 


748      l'agent    de   la   civilisation    moderne 

que  religion  représ-ente  une  fenêtre  —  grande  ou  pe- 
tite —  par  laquelle  pénètre  le  même  soleil.  Les  hom- 
mes qui  se  trouvent  dans  ce  iîâtiment  se  répartissent 
auprès  des  différentes  fenêtres  et  se  querellent  entre 
eux,  prétendant  que  l'une  donne  plus  de  lumière  que 
l'autre,  et  chacun  affirme  que  la  vraie  lumière  ne 
saurait  entrer  qu'à  la  fenêtre  où  il  se  trouve  lui- 
même. 

»  C'est  la  mission  du  spiritisme  d'abattre  toute  la 
muraille  qui  sépare  les  différentes  fenêtres.  » 

Abattre  toutes  les  murailles!  Que  de  fois  nous 
avons  entendu  cê  mot  sortir  de  toutes  les,  associations 
que  Satan  emploie  à  renverser  l'Eglise  de  Jésus-Christ 
pour  édifier  son  temple  sur  ses  ruines. 

Deux  choses  sont  à  faire,  dit  l'esprit  qui  révéla 
à  AUan  Kardec  la  mission  qu'il  lui  donnait  :  démolir 
et  bâtir.  Que  de  démolisseurs  nous  avons  vus  à  l'œu- 
vre au  cours  de  cette  étude!. Qu'ils  s'entendent  ou  ne 
s'entendent  pas,  des  différents  points  du  chantier  de 
démolition  où  chacun  se  trouve  placé,  ils  obéissent 
à  un  même  maître. 

Un  général,  qui  signe  A,  publiait,  il  y  a  quelques 
années,  dans  la  Revue  scientifique  et  morale  du  Spi- 
ritisme, une  communication  reproduite  dans  la  Bévue 
du  Monde  invisibh  (n°  de  mai  1902).  Il  était  dit  que 
«  les  esprits  évoqués  sont  les  architectes  de  l'édifice 
de  l'avenir  et  qu'ils  laissent  aux  manœuvres  le  soin 
d'en    établir    les    grossières    fondations.  » 

Ces  manœuvres,  ce  sont  tous  ceux  que  nous  avons 
vus  à  l'œuvre  au  cours  de  cette  étude,  juifs  et  francs- 
maçons,  et  aussi,  il  faut  bien  le  dire,  ces  chrétiens 
et  ces  catholiques  modernistes  qui  travaillent  à  abat- 
tre les  barrières  dogmatiques.  Tous  ceux  qui  font 
brèche  à  la  foi  catholique,  qu'ils  le  veuillent  ou  ne 
le   veuillent   point,    font   partie    de   l'armée    du   mal. 


SATAN.  SES  CONSTRUCTIONS  ACTUELLES    749 

travaillant,  sous  les  ordres  de  Satan,  à  rétablir  son 
empire  renversé  par  la  Croix  et  fonder  son  Temple, 
son  EgMse  qu'il  prétend  bien  faire  universelle,  effec- 
tivement catholique. 

Satan  triomphera-t-il  ?  Parviendia-t-il  à  se  faira  éle- 
ver des  temples  sur  tous  les  points  de  l'univers  et 
à  s'y  faire  adorer  par  tous  les  hommes? 

Les  Juifs  verront-ils  bientôt  le  Messie  temporel 
qu'ils  appellent  de  leurs  vœux  depuis  deux  à  trois 
mille  ans,  se  rendre  enfin  à  leurs  prières  et  leur 
donner   l'empire   sur   tout  '  le   genre   humain  ? 

Les  Francs-maçons  parviendront-ils  à  faire  passer 
le  niveau  égalitaire  sur  toutes  les  têtes  et  sur  to-u- 
tes  les  consciences  et  pourront-ils  réaliser  leur  rêve 
de  paix  universelle  par  la  suppression  de  tous  les 
dogmes  qui  mettent  des  frontières  dans  le  monde 
des  âmes  et  la  dénaturation  de  toutes  les  nationalités 
qui  en  établissent  d'autres  entre  les  intérêts  tempo- 
rels ? 

Voilà  la  question  qui  se  pose  au  point  de  notre 
étude  où  nous  sommes  parvenu.  Il  n'est  assurément 
pas  de  problème  d'un  plus  poignant  intérêt.  On  peut 
ajouter  qu'il  n'en  est  pas  de  plus  troublant  pour  qui 
considère  ce  qui  est  déjà  fait  dans  l'ordre  des  idées 
et  même  dans  l'ordre  des  faits. 

Il  devient  angoissant  lorsque  l'esprit  s'élève  à  con- 
templer la  marche  du  monde  à  l'époque  où  nous  som- 
mes et  la  vitesse  accélérée  que  prennent  les  événe- 
ments. 

La  réponse  ne  peut  être  donnée  avec  certitude.  Elle 
dépend  des  conseils  de  la  sagesse  divine  et  aussi 
des  démarches  de  la  liberté  humaine,  choses  qui  nous 
sont   inconnues,   qu'on   peut  à  peine   soupçonner. 

Cependant,  il  est  possible  de  conjecturer.  Mais  pour 
le   faire  congrûment  et  avec   espoir   d'atteindre   une 


750     l'agent    de    la   civilisation    moderne 

solution  plausible,  il  est  nécessaire  de  prendre  les 
choses,  nous  ne  dirons  pas  d'un  peu  haut,  mais  de 
très    haut. 

Notre  étude  sur  l'antagonismo  entre  la  civilisation 
chrétienne  et  la  civilisation  moderne,  nous  a  amené 
à  dire  qu3  le  démon  y  joue  un  rôle.  Nous  avons  vu 
les  sociétés  secrètes  se  multiplier,  enrôler  d'innom- 
brables adeptes  et  aboutir  toutes  à  des  rapports  avec 
lui. 

Nous  9,vons  vu  les  sociétés  plus  occultes  dominer  et 
diriger  la  Franc-Maçonnerie,  et  la  Franc-Maçonnerie 
gouverner  les  Etats  e':  donner  l'impulsion  à  tout  le 
mouvement  moderniste. 

Satan  est  donc  le  premier  moteur  de  la  civilisation 
moderne,  en  tant  qu'elle  est  opposée  à  la  civilisation 
chrétienne. 

Pourquoi  et  comment  a-t-il  pris  ce  rôle?  Que  se 
propose-t-il  ?  C'est  la  réponse  à  cette  double  ques 
tion  qui  nous  permettra  de  conjecturer  quelle  peut 
être  l'issue  de  la  situation  actuelle,  situation  telle 
qu'elle  fait  dire  avec  raison  :  Le  monde  ne  peut  rester 
en   cet  état.  • 


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