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Full text of "La conquête de Jérusalem"

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COLLECTION 

DES POETES FRANÇAIS DU MOYEN AGE 



LA CONQUETE DE JERUSALEM 



POEME DU XIII* SIECLE 



TIRE A 250 EXEMPLAIRES : 

200 sur papier vélin. 
50 sur papier vergé. 



Tous droits réservés. 



IMPRIME CHEZ GOUSSIAUME DE LAPORTE, A CAEI^. 



LA CONQUETE 

DE JERUSALEM 

FAISANT SUITE A LA CHANSON D'aNTIOCHE 

PAR LE PELERIN RICHARD 

ET RENOUVELEE PAR GRAINDOR DE DOUA! 

AU xin^ siEc^e 

TAR C. HIPPEAV 




CHEZ AUGUSTE AUBRY 

\K SOCIETE DES DIBLIOFHILES FRANÇAIS 



j?,; / J- 




INTRODUCTION. 



SA prise d'Antioche par les héros de la 
3première Croisade a été racontée dans un 
'tpoëme du xii^ siècle publié en 1848 par 
M. Paulin Paris. L'intérêt que présente à plusieurs 
égards cette branche importante du grand cycle 
épique du Chevalier au Cygne a fait regretter plus 
d'une fois que l'on n'eût pas mis au jour celle qui 
contient le récit de la prise de Jérusalem. 

En la publiante aujourd'hui , je crois rendre un 
double service. J'ajoute un poème de plus à la col- 
lection des œuvres de nos trouvères du moyen-âge, 
et j'offre aux historiens des Croisades un texte qui, 
bien qu'écrit en vers, doit prendre place à côté des 
chroniques sur lesquelles sont fondées presque 



M INTRODUCTION. 

loules les relations connues de cet événement mé- 
morable. 

L'immense retentissement qu'eut en Europe la 
première Croisade ne pouvait manquer d'exciter 
la verve poétique des trouvères et des troubadours. 
Pendant que les clercs, les chapelains de quelques- 
uns des princes engagés dans la glorieuse expédi- 
tion, en consignaient avec plus ou moins de fidé- 
lité et de talent le souvenir dans leurs chroniques 
latines, les récits versifiés en langue vulgaire 
donnaient satisfaction à l'ardente curiosité des 
peuples. 

Le prieur du Vigeois fait mention d'une chanson 
sur la Croisade, composée avant l'année H37 par 
le chevalier Guillaume Bechada ; un autre récit , 
composé, au rapport d'Ordéric Vital, par Guil- 
laume IX, comte de Poitiers, parti pour la Terre- 
Sainte en 1201, deux ans après la prise de Jéru- 
salem, rappelait plus tard les malheurs et les 
tristes aventures des Croisés qui avaient accom- 
pagné ce prince. Dans le temps même où le plus 
estimé des auteurs de chroniques , Tudebode (1), 



(i) Le troisième volume de Fimportânt recueil des historiens 
des Croisades contient une appréciation des différents chroniqueurs 
dont les œuvres ont été déjà publiées par Bongars. Tudebode, né 
à Civray en Poitou, était probablement parti avec Hugues de Lusi- 



INTRODUCTION. VU 

racontait en latin les diverses circonstances du 
siège et de la prise d'Ântioche et de la conquête 
des Lieux-Saints , dont il avait été témoin lui- 
même ; nous savons qu'un poète , aussi présent à 
la première croisade , le pèlerin Richard , compo- 
sait sous une forme épique le^ récit des mêmes 
événements. Cette Chanson d'Antiochej célèbre 
dans le Midi au point que la chanson des Albi- 
geois avait réglé son rhythme sur le sien (l), ne 
nous est parvenue que dans une version renouvelée 
par un autre trouvère , Graindor de Douai. Elle 
fut bientôt suivie du récit poétique de la prise de 
Jérusalem et d'autres poèmes écrits en l'honneur 

gnan et Gaston de Béarn, réunis pins tard à Etienne de Blois. Les 
autres auteurs de Chroniques mentionnés dans V Histoire des Croi- 
sades de Michaud, dans l'Introduction de la Conquête de Jérusalem 
et dans V Histoire des Croisades de Charles Mills, traduite de Tan- 
glais par M. Paul Tiby, sont : Foucher de Chartres, Raymond 
d'Agiles, révéque Baudry, Raoul de Caen, Guibert de Nogent, 
Albert d'Aix et Robert le Moine. On sait que l'histoire de Guillaume 
de Tyr est, de tous les ouvrages composés au moyen-âge sur l'ex- 
pédition des Croisades, celui que les savants mettent au premier 
rang. 

(1) Senhors, esta canso est faita d'aital guia 

Com sela d'Aotiocba e ayssis versifia. 

Cette chanson des Albigeois est en effet, comme la Cluinson 
d^Antioche et notre poëme de la Conquête de Jérusalem, écrite en 
vers de douze syllabes et divisée en couplets monorimes. 



VIII INTRODUCTION. 

de Godefroi de Bouillon, celui de tous les princes 
chrétiens que Ton s'accordait à considérer comme 
le plus pieux et le plus brave. D'après le procédé 
suivi par les nombreux auteurs de chansons de 
gestes , on vit se grouper autour du poëme pri- 
mitif diverses branches dont l'ensemble forme un 
cycle complet. Ce cycle , dont la Chanson (TAn- 
Hoche peut être considérée comme ayant formé le 
noyau et le centre , est désigné sous le nom de 
Roman du chevalier au Cygne ou dé Godefroi de 
Bouillon. Il était achevé en 1268, date que porte 
un des manuscrits /qui en contient toutes les 
branches. 

Elles sont au nombre de cinq : 1® Hélias , 
écrit vers Tannée 1192, Histoire des Ancêtres de 
Godefroi de Bouillon; 2^ les Enfances, ou les 
Premiers exploits de Godefroi de Bouillon ; 3^ la 
Chanson d'Antioche; 4° les Chétifs^ aventures 
de quelques Croisés prisonniers des Sarrazins ; 
5*^ la Conquête de Jérusalem; 6*^ le Récit des 
combats livrés aux Croisés, maîtres de la Ville 
sainte, par l'armée du Soudan. Plus tard, au 
xiv* siècle, furent composés deux poèmes d'un 
^ caractère tout différent et ayant pour titre, 

l'un Baudoin de Sebourg, et l'autre le Bâtard 
de Bouillon. 



INTRODUCTION. IX 

La légende entière du Chevalier au Cygne a été 
soumise vers le milieu du xiv® siècle à un nouvel 
et dernier remaniement , de la part d'un poète 
flamand, dont le baron de Reiffenberg a publié 
l'œuvre en l'accompagnant de nombreux com- 
mentaires (1). Il est inutile d'insister sur les 
motifs qui doivent faire préférer à ce travail les 
versions plus voisines du temps où fût composé le 
thème primitif. 

Les trouvères qui ont entrepris de faire con- 
naître l'origine et de célébrer les premiers exploits 
du conquérant de Jérusalem, écrivirent à une 
époque où les rudes accents de la poésie des 
chansons de geste s'étaient amollis sous l'in- 
fluence des riantes fictions des romans de la Table- 
Ronde. Ils ont donc appliqué à celui qu'ils ont si- 
gnalé comme l'auteur de la famille de Godefroi de 
Bouillon , un de ces contes merveilleux dont on 
peut faire remonter la source à des traditions 
orientales. 

Uii roi qui s'est égaré à la chasse, rencontre 
une femme d'une ravissante beauté, dont il est 
épris et dont il fait son épouse. Elioxe, c'est le 

(1) L*bistolre da Chevalier au Cygne est racontée dans le Dolo- 
palhos par le 7« sage de Rome. Voir à ce sujet Leroux de Lincy, 
Bibliothèque de r École des Chartes, t. Il, p. 445. 



X INTBODUCTION. 

le nom de cette femme, est fée : elle apprend à 
son mari qu'elle mettra au monde six fils et une 
fille; ils porteront tous à leur naissance une 
chaîne d'or à leurs cous. C'est de l'aîné de ces 
enfants que naîtra le prince destiné à enlever aux 
Musulmans la ville de Jérusalem. Pendant l'ab- 
sence du roi, attiré par une guerre lointaine, 
Elioxe meurt en donnant le jour, comme elle 
l'avait prédit, à sept enfants jumeaux. Comme 
dans tous les contes ayant un pareil début, la 
mère du roi n'est qu'une affreuse marâtre : elle 
fait écrire à son fils que sa femme est accouchée 
de sept dragons qui, à peine nés, se sont envolés 
pour ne plus reparaître. Cependant, l'un de ses 
serviteurs avait reçu l'ordre d'exposer les enfants 
dans une forêt voisine. Touché de compassion, il 
s'était contenté de déposer les coffres, dans lesquels 
la reine les avait fait enfermer, à l'entrée de la 
grotte d'un ermite. Celui-ci les recueille et en 
prend soin. Ils étaient auprès de lui depuis sept 
ans, lorsqu*un des sénéchaux du roi, recevant 
l'hospitalité du bienfaisant ermite, aperçoit les 
enfants et remarque avec étonncment leurs colliers 
d'or. Il va raconter le fait à la vieille reine, qui 
lui ordonne de retourner à la forêt et d'enlever, 
pour les lui apporter, ces précieux ornements. Dès 



INTRODUCTION. XI 

que Tordre est exécuté, les six enfants sont chan- 
gés en cygnes ; 

11 sont trestot sis 
Blanc oisei devenu : si se sont en l'air mis ; 
Il sont blanc, s'ont lonc cols et si ont les pies bis. 

Aussitôt, prenant leur vol, ils se dirigent vers 
le palais même du roi, où ils peuvent se jouer sur 
une vaste pièce d'eau mise à leur disposition. La 
ils voient, quelques jours après, arriver leur sœur; 
qui, ayant gardé son collier d'or, n'a pas comme 
eux subi de métamorphose ; ils la reconnaissent 
et la comblent de caresses. Amenée devant le roi, 
elle raconte comment ses frères ont été changés 
en oiseaux, après que son sénéchal leur avait 
enlevé leurs colliers. Ce récit éveille les soupçons 
du roi qui, interrogeant sa mère, finit par décou- 
vrir la vérité. Par ses ordres, cinq de ces colliers 
sont remis au cou des cygnes qui, sur-le-champ, 
reprennent leur première forme. Par malheur, le 
sixième collier a été fondu*par l'orfèvre de la mé- 
chante reine : un seul des enfants conservera donc 
la forme d'un cygne; et c'est lui qui, placé par 
son frère aîné, Hélias, à la proue d'un vaisseau, 
qui les conduit dans des contrées lointaines, de- 
vient l'occasion du nom de chevalier au Cygne, 
conservé par Hélias. 



XJI LYTRODUCnON. 

Le poëme raconte ensuite comment Hélias, 
ayant épousé l'héritière de Bouillon, devient Taîeul 
de Godefroi et de ses frères Eustache et Baudouin, 
par le mariage de sa fille Ida avec le comte Eus- 
tache de Boulogne. 

Ida apprend en songe qu'elle sera mère d'un 
roi, d'un duc et d'un comte : Godefroi, roi de Jéru- 
salem , Beaudouin , duc de Rohais et d'Edesse , 
Eustache, comte de Boulogne, réalisent cette pré- 
diction. Un jour, elle avait enveloppé sous le man- 
teau qu'elle portait ses trois jeunes fils : son mari 
entre chez elle et demeure surpris et mécontent 
de ce qu'elle reste assise en sa présence. « Qu'est 
ceci, madame, lui dit-il, vous aviez coutume de 
vous lever devant moi, et vous ne voulez plus 
le faire; pourquoi donc? — Sire, lui répond-elle, 
n'en soyez pas étonné ; car, par la foi que je vous 
dois, je vous suis supérieure : j'ai là, sous mon 
mantel, un duc, un comte et un roi. 

Godefroi, celui qui devait être roi, d'après cette 
gracieuse légende, méritait bien de trouver un 
poète qui racontât ses premiers exploits; « ses 
Enfances, » selon l'expression de nos Trouvères. 
C'est l'objet d'une seconde branche, ayant pour 
auteur Renaut, qui se nomme deux fois et qui a 
dû écrire son poëme dans les premières années du 



INTRODUCTION. im 

xiii« siècle, avant la bataille de Bouvines (1). Pen- 
dant que le fils du comte de Boulogne fait acte de 
chevalerie, il se passe dans l'Orient, à Nicée, une 
scène ijitéressante. Le calife Corbaran a réuni les 
chefs de ses guerriers pour les exciter à s'armer 
contre les Chrétiens. La femme de Corbaran, la 
vieille Calabre, demande à parler. Son art magique 
lui a révélé que trois frères, descendants du che- 
valier au Cygne, devaient, à la tête d'une armée 
de Français, conquérir Jérusalem (2). Cornumaran 
veut aller s'assurer par lui-même de la vérité d'une 
prédiction à laquelle le calife n'attache aucune im- 
portance. II part pour la France, afin de voir les 
trois frères et surtout ce terrible Godefroi de 
Bouillon, qu'il doit plus tard avoir pour adversaire. 
Il le trouve au milieu des magnificences d'une 
brillante fête (je passe sous silence toutes les autres 
particularités de ce singulier voyage), et il est 
pénétré d'admiration pour le guerrier français ; 
il part en avouant que personne n'est plus digne 
que lui de l'empire du monde. Il y a certainement 
quelqu'habileté à faire louer le chef futur de la 



(i) C'est ropinion de M. P. Paris dans VHisloire littéraire de la 
France, t. XXU, p. 400. 

(2) Cette prédiction de Calabre se trouve dans Robert le Moine 
et dans le récit de Baudry. 



XIV INTRODUCTION. 

Croisade par rennemi même qu'il devra rencon- 
trer plus tard sons les murs d'Antioche et de 
Jérusalem. 

Nous quittons ici le domaine de la fiction pour 
celui de l'histoire, que Ton trouvera certaine- 
ment beaucoup plus poétique. Pierre l'Hermite 
entre en scène : le poëte rappelle rapidement 
la prédication et les préparatifs de la première 
Croisade, le départ des bandes populaires et des 
armées régulières, rangées sous les ba^nniéres des 
princes et des barons, le désastre du mont de 
Civetot, les tristes aventures des compagnons de 
Pierre l'Hermite. 

Le savant éditeur de la Chanson (ÏAntioche qui, 
le premier, a fait comprendre l'importance de ces 
compositions poétiques, bien à tort négligées par 
tous les historiens des Croisades, a résumé, dans 
l'introduction de cette admirable branche du che- 
valier au Cygne, et dans le XXIP volume de' 
VHistoire littéraire de la France^ les faits racontés • 
dans le poème qu'il a publié; les personnes étran- 
gères à la connaissance de la langue du xm^ siècle 
ont pu lire aussi la traduction élégante et fidèle 
qu'en a faite M"'® la marquise de Saint-Aulaire. 
C'est entre le récit de la prise d'Antioche et celui 
du siège de Jérusalem que l'auteur de la chanson, 



INTRODUCTION. XV 

renouvelée du pèlerin Richard, soit Graindor de 
Douai, soit tout autre rajeunisseurj a placé l'épi- 
sode des Chétifs. 

Il suppose que les six chevaliers pris avec cent 
soixante*-dix de leurs compagnons, au Pui-de- 
Civetot, ont été obligés de suivre le roi Corbaran. 
Ces six guerriers sont Harpin de Bourges (1), 
Richard de Caumont, Beaudouin et ErnouU de 
Beauvais, Jean d'Alis et Tévéque de Forez. 

Je n'ai point à entrer ici dans le détail des 
aventures assez peu intéressantes qui sont l'objet 
de ce poëme des Chétifs. Ils sont obligés de tra- 
vailler comme des manœuvres à la reconstruction 
des murailles de la ville d'Oliferne. Quelle que 
soit leur patience, il est des moments où Finso- 
lence et les exigences de leurs maîtres oomblent 
la mesure, et Richard de Caumont, en particu- 



(1) D*après le pèlerin Richard Jes six chétifs seraient des compa- 
pagnons de Pierre l'Hermite, partis ccnnme lui en 1097. C'est une 
confusion. Harpin de Bourges ne partit pour la croisade qu'en, 
1101 avec le comte de Poitiers, et fut réellement fait prisonnier 
en 1103 dans un combat livré près d'Ascalon. Le poëte n'a pas 
distingué les deux expéditions dont les résultats avaient été 
également désastreux, et il a fait de tous les croisés retenus par les 
Sarrazins des compagnons de Pierre THermite. Nous savons que 
Guillaume IX avait raconté en langue vulgaire les désastres de 
son armée, et il est probable que plus d'un détail de son récit 
sera passé dans le poëme des Chétifs. 



XVI . INTRODUCTION. 

lier, dont la vaillance et la vigueur ont fait une 
vive impression sur le cœur de la vieille Galabre, 
finit par tomber un beau jour sur ses surveillants. 
Ses compagnons volent à son secours. Ils sont 
pris, chargés de chaînes et condamnés à périr. 

Leur supplice se prépare : heureusement pour 
eux, Corbaran d'Oliferne, vaincu sous les murs 
d'Antioche, a l'idée de prouver que c'est à la valeur 
prodigieuse des Français que doit être attribuée la 
défaite de l'armée persane. Il a donc défié les plus 
braves guerriers du Soudan de pouvoir vaincre en 
champ clos un seul chevalier chrétien. Richard de 
Caumont, que la vieille Galabre a fait chercher 
pour combattre à la fois contre Golias et Sorgalé, 
sort vainqueur de cette lutte périlleuse (1). 

Sorgalé avait rassemblé toutes ses forces pour 
porter à Richard de Gaumont un coup qui devait 
être mortel. Le glaive lui échappe des mains. 
Aussitôt il lui crie merci. « Je voulais te tuer, dit- 
il à son adversaire ; mais Dieu t'a garanti : je ne 
crois plus en Mahomet ; je crois en Jésus-Ghrist 
qui naquit d'une vierge. » Le guerrier français 
passe aussitôt de la colère à la pitié, il prend son 

(1) On prétend que c*est en souvenir de ce combat soutenu par 
un seul guerrier contre deux que la famille de Richard de Caumont 
ajouta à son nom celui de Nonpar. 



INTRODUCTION. XVH 

casque, le remplit d'eau, la bénit et la verse sur 
la tête du Sarrazin ; il arrache un brin d'herbe, le 
divise en trois parts, le donne au Turc qui l'avale 
avec recueillement et lui dit ensuite avec tran- 
quillité : « Maintenant, prends ton épée fourbie et 
me conpe la tète. » « Sarrazin, reprend Richard, 
ta croyance est bonne : abaisse la ventaille de ton 
blanc haubert, je te trancherai la tête avec ta 
propre épée. Je le fais bien malgré moi, mais 
j'exécute ton commandement. » Dieul s'écrie le 
poète, comme Richard pleurait et quel grand deuil 
il menait ! 

Le branc al Turc a pris, coatremont l'a levé : 
De méesme s'espée 11 a le clef coupé : 
Vencue a la bataille : Deu en a mercié. 

Le Tasse s'est-il souvenu de Richard de Caumont 
dans le dernier combat de Tancrède contre 
Clorinde ? 

Cette victoire délivre les Chétifs : ils se dirigent 
vers la Syrie. Leur voyage est une succession de 
combats contre les animaux féroces des montagnes 
qui séparent la Perse de la Turquie d'Asie. C'est 
une bête de trente pieds nommée le Satenas^ qui, 
après avoir dévoré Emoult de Beauvais, est tuée 
par Beaudoin, frère d'ErnouIt ; puis le loup Papion, 



XVni INTRODUCTION. 

un singe, des léopards, des lions, et enfin des 
païens qui s'opposent à leur passage. Us franchis- 
sent enfin le Taurus et se réunissent aux Croisés, 
vainqueurs d'Antioche, sous les murs de Jéru- 
salem. 

C'est au moment où ils vont rencontrer l'ar- 
mée de Godefroi que commence notre poëme (!)• 

Le siège de la ville sainte, les combats livrés 
autour de ses murailles, l'énergique résistance 
des Sarrazins, la lutte suprême entre l'étendard 
de Mahomet et la croix de Jésus-Christ, l'entrée 
de l'armée chrétienne dans Jérusalem, le massacre 
des ennemis, l'élévation de Godefroi, puis enfin la 
grande victoire remportée sur l'innombrable armée 
conduite par le soudan de Perse contre les croisés 
assiégés à leur tour dans Jérusalem ; tels sont les 
événements auxquels nous fait assister cette Jé- 
rusalem délivrée du xui® siècle, qui peut sans désa- 
vantage soutenir sur plusieurs points la compa- 
raison avec celle du grand poète italien^du xvi^. 

Aucune fiction ne pourrait s'élever à la hauteur 
des réalités saisissantes dont le poëme nous offre 
le tableau. Il ne se distingue pas seulement par 

(1) Rien n'empôcûe de penser, comme l'a conjecturé M. Paulin 
Paris, que le poëme sur la croisade de Guillaume Bechada ait été 
utilisé par Tauteur. 



I INTRODUCTION. XIX 

l'habileté de la versification^ l'aisance du récit, la 
clarté du style, mérites assez communs alors pour 
que la composition des longs poèmes fut devenue 
une sorte de mécanisme. Grâce aux habitudes con- 
tractées par les versificateurs, pendant les deux 
siècles les plus épiques de notre histoire, les 
formes de l'épopée sont le cadre naturel dans 
lequel viennent se ranger et s'ordonner les événe- 
ments. Il n'a fallu à l'auteur aucun effort pour 
donner à son œuvre ce genre d'intérêt. Tous les 

' sentiments qu'éprouvent les personnages qu'il 

met en scène sont les siens ; la foi qui les anime 

> est sa foi ; l'intervention de Dieu et des saints, 

protecteurs nés de la croisade, ne fait pour lui 
l'objet d'aucun doute. Il a vu lui-même, ou il a 
cru voir, la milice sacrée, conduite par saint 
Georges ou saint Denis, accourir avec ses blanches 
bannières au secours des chrétiens qui faiblissent, 
et répandre la terreur parmi les mécréants mis 
en fuite. Et combien cette simple histoire versi- 
fiée ne remplit-elle pas les conditions de l'épopée 
plus complètement que les œuvres méditées, étu- 
diées, factices des siècles littéraires! Le trouvère 
du xm® siècle demeure, pour l'intérêt véritable 
qu'il sait donner à ses récits, supérieur (nous le 
verrons) à l'homme de génie qui, jaloux de rivali- 



XX INTRODUCTION, 

ser aveo I|omëre ou Virgile, demandait à un art, 
trop savant et trop subtil, ce genre de mérite que 
préfèrent les siècles épris avant tout des beautés 
littéraires, des grâces du style et de l'harmonie 
des vers. 

Il ne serait pas aisé d'imaginpr un plan plus 
simple, une distribution mieux entendue des ma- 
tières, des épisodes plus appropriés à l'action. 
Des repos ménagés avec une certaine habileté, des 
temps d'arrêt indiqués toutes les fois que se pré- 
pare quelqu'événement décisif, ont permis à l'édi- 
teur de distinguer, sous le nom de chants, les 
principales parties du poëme, ainsi que l'avait 
fait M. P. Paris, pour la Chanson d'Antioche. 

Cette distribution en huit chants, quoiqu'ima- 
gînée pour rendre plus claire et plus accessible 
la lecture de notre poëme, n'est donc pas entiè- 
rement arbitraire. Elle ne fait que marquer d'une 
manière plus tranchée des divisions indiquées 
dans quelques manuscrits, soit par une courte 
introduction, soit par une vignette ou une grande 
lettre ornée. Les arguments qui précèdent chacun 
des chants, suffiront pour faire remarquer l'art 
avec lequel ces récits épiques sont ménagés et 
comment chaque chant forme un ensemble ayant 
un intérêt spécial. 



INTRODUCTION. XXt 

Le premier nous met immédiatement en pré- 
sence de Tarmée des croisés, arrivant en vue de 
Jérusalem. « Ils aperçoivent, dit le poète, la tour de 
David, le temple et la porte Saint-Etienne. Us 
sont saisis de respect, leurs visages s'inondent de 
larmes. Ils se jettent à genoux, baisent la terre, 
mordent le sable. « C'est par là, se disent-ils les 
uns aux autres, que passa Jésus qui souffrit pas- 
sion, et les saints Apôtres, et tous ses disciples. 
Bien heureux sommes-nous d'avoir souffert tant 
de misères, la faim, la soif, les grands vents 
et l'orage, la neige et les glaces, puisque nous 
voyons aujourd'hui la ville et le riche donjon où, 
pour nous racheter, un Dieu se soumit à la mort! j» 

Mais ils n'ont pas le temps de se livrer à une 
longue contemplation. Ils sont bientôt forcés de 
descendre de ce mont Emmaûs, d'où jamais chré- 
tien n'a pu contempler l'imposant spectacle offert 
à ses regards, sans éprouver jusqu'au plus pro- 
fond de son cœur une émotion indicible. 

Ils se répandent dans les environs de la ville, où 

les Sarrazins ont porté le ravage et la destruction, 

pour y chercher les vivres dont ils ont besoin et l'eau 

qu'ils ne peuvent trouver dans les torrents desséchés 

et les citernes vides. Les femmes qui, partout, se 

sont prêtées, avec un admirable dévouement, à par- 

II 



XXII INTRODUCTION. 

tager et à adoucir leurs souffrances, leur apportent 
de Teau. Les Captifs sont maintenant avec eux, mais 
ce faible renfort ne peut leur suflSre pour soutenir 
l'attaque des ennemis sortis de Jérusalem afin de 
leur enlever le faible butin qu'ils ont pu recueillir. 
L'émir d'Ascalon arrête dans leur marche Tan- 
crède et Boémond, accourant, avec Raymond de 
Saint-Gilles, auprès de Godefroi de Bouillon. De 
terribles combats s'engagent. Saint Georges les 
arrache à une mort certaine, et grâces à son 
secours, ils peuvent demeurer maîtres de ce pre- 
mier champ de bataille et conserver le butin, 
également partagé entre tous. 

Le second chant s'ouvre par une scène admi- 
rable : 

Pierre THermite, monté sur son âne, conduit 
les barons et princes sur la colline qui domine la 
vallée de Josaphat. Il promène ses regards sur Jé- 
rusalem : « Beaux seigneurs, dit-il aux barons, 
j'ai visité, jadis, la ville sainte; voyez, ici, le 
mont des Oliviers, et la porte dorée par laquelle 
Jésus entra dans la ville, où le suivirent enfouie les 
enfants des Juifs, étendant sous ses pieds les 
riches tapis et les branches d'olivier ; voici le pré- 
toire où il fut jugé, la colonne où il fut attaché, 
conspué et souffleté ; voici le mont Calvaire où on 



INTRODUCTION. UIII 

le cruciûa. ^ Et il contiDue^ d'un ton inspiré, 
cette revue des Saints-Lieux, en évoquant chacun 
des grands souvenirs qu'ils rappellent. 

L'émotion qu'il éprouve passe dans l'âme du lec* 
teur, lorsque le poète nous montre les comtes, les 
barons, les évêques, les abbés, tous les hommes 
de prix tendant, en pleurant, leurs mains vers 
Dieu, lui adressant de pieuses actions de grâces 
et exprimant, avec ferveur, leur joie d'être arrivés 
devant celte ville de Jérusalem, pour laquelle ils ont 
éprouvé tant de souffrances, qu'un seul moment 
leur fait oublier. 

Rien de semblable dans les beaux vers du 
Tasse qui, en parlant des Lieux-Saints, n'a su 
que ce que lui apprenaient les livres, et n'a pu 
exprimer aucun de ces élans du cœur, que la vue 
seule peut inspirer. 

M. de Chateaubriand vante l'exactitude avec 
laquelle le poëte italien a indiqué la position de 
Jérusalem et mentionné les diverses localités qui 
l'environnent. C'était un faible mérite. Si l'auteur 
de ritinéraire de Paris à Jérusalem avait connu 
notre poème, il aurait certainement compris que 
l'auteur qui fait montrer, aux chefs de l'armée des 
Croisés, par Pierre l'Hermite, les lieux consacrés 
par la religion, et verse avec eux des pleurs d'at- 



XXIV INTRODUCTION. 

tendrissement, produit un effet plus poétique et 
plus saisissant que ne le font des vers simplement 
élégants, dont on ne peut constater que l'exacti- 
tude topographique (1). 

Un cri d'admiration et une prière d'action de 
grâces, en présence des Lieux-Saints, montrés par 
un pauvre ermite, aux princes chrétiens, valent 
mieux et sont bien plus dans la situation que la 
description la plus savante. 

Quelques vers suffisent à notre trouvère pour 
peindre les souffrances que font éprouver aux 
Croisés les rayons mortels d'un soleil brûlant, et 
la soif qui les dévore. 

Il fait moult grand cbaud et les français désirent Teau. 

Les dames leur en apportent dans des vases 
qu'elles pressent sur leurs poitrines haletantes ; 
elles marchent sur le sable bouillonnant. Il en est 
plus d'une qui n'a pas de souliers, le sang coule 
de leurs pieds et de leurs talons déchirés... Elles 
en louent Dieu le Père rédempteur. 

La description que fait le Tasse, de cette sèche- 



(I) Gerusalem 80vra due colli è posta 

DHmpari altezza e vulti fronte à fronte ; 

Va per lo mezzo suo valle interposta 

Che tei distingue e l'un dell' altro monte, etc. 



INTRODUCTION. XXV 

resse mortelle n'a pâs moins de cent vers. C'est 
un passage célèbre, dans lequel il rivalise avec les 
grands poètes de l'antiquité ayant décrit la peste 
ou la famine, avec cette élégante recherche, qui 
est le mérite suprême de la poésie classique : 

D*un pinceau délicat Tartiflce agréable 

Du plus affreux objet fait un objet aimable (1). 

Le poète du xm® siècle est plus touché des souf- 
frances des Croisés que jaloux de procurer à ses 
lecteurs une satisfaction littéraire. 

Cependant, à l'intérieur de Jérusalem, les as- 
siégés sont partagés entre la crainte et l'espérance. 
Le roi Corbadas et Cornumaran, son fils, sont 
encore pleins d'ardeur. Le vieux Lucabel, oncle 
de ce dernier, frémit en voyant les formidables 
préparatifs du siège. Les Sarrazins ont aperçu, 
comme. lui, trois éperviers fendant rapidement les 
airs à la poursuite d'une pie ; ils ont vu Gode- 
froi, qui tenait son arc tendu, percer. tour à tour, 
de ses flèches, les trois oiseaux de proie: C'est un 
triste présage pour les assiégés. L'auteur n'a pas 
besoin, pour faire attendre Tévénement qui doit 
mettre fin à la glorieuse expédition, d'imaginer 

(i) Voir GierosolUna liberaia, canto XIU. 



XXVI IM'UOUL'CTION. 

des aventures étrangères à révénement et de com- 
poser ingénieusement des épisodes pour donner 
plus de consistance à un sujet trouvé trop pauvre. 
On comprend très-bien, en voyant le parti que 
le trouvère français en a tiré, combien sont 
faux et ridicules et les enchantements d'Ismen , 
et l'intervention d'Armide, merveilleuses inven- 
tions pour lesquelles le sévère Boileau a félicité 
le Tasse, 

D'avoir de son sujet égayé la tristesse. 

Moins prévenu en faveur de ces aimables fic- 
tions, imaginées pour charmer les loisirs d'une 
cour spirituelle et somptueuse , le goût moderne 
leur préfère ces sentiments vrais, ces accents du 
cœur , cette expression naïve des passions hu- 
maines, qu'il considère comme étant bien plus 
dans les conditions de l'épopée, non-seulement 
que le clinquant du Tasse, mais encore qu'une 
grande partie de l'or de Virgile. 

L'armée des Croisés s'est partagée en dix corps 
qui vont se ranger les uns après les autres autour 
des murs de Jérusalem. Le roi les voit du haut 
de la tour de David. A mesure que chaque troupe 
se met en marche sous la conduite de ses chefs 
pour aller occuper la place que ceux-ci ont 



INTRODUCTION. XXVII 

choisie, l'évéque de Mautran leur adresse une 
courte harangue et les bénit. Le roi sarrazin à son 
tour leur jette sa malédiction au nom d'Apollon , 
de Mahomet et de Tervagan. 

Leur air martial, leur démarche intrépide et 
fière effraient les assiégés. Des pigeons lâchés par 
eux doivent porter au Soudan d'Egypte des billets 
où Ton implore leur secours. Ces messagers ailés 
volent au-dessus du camp des Croisés, qui per- 
cent les uns de leurs flèches et prennent les au- 
tres vivants. Ils détachent des cous des premiers 
les billets dans lesquels les ennemis font part de 
leur détresse et, attachent aux cous des autres, 
qu'ils mettent en liberté, des billets portant des 
avis contraires. 

Les chers mentionnés par le trouvère sont ceux 
dont les noms sont inscrits dans Thistoire aussi 
tnen que dans ses vers. Avant tous, Godefroi de 
Bouillon, pui^ Hugues-le-Grand, le frère du roi 
de France (1), Baudouin et Eustache, Dreux de 
Mâcon, Raymond de Saint-Gilles, Enguerrand de 
Saint-Paul , Raimbaud Creton , Thomas de La 
Fère, Thomas de Marne, Robert du Perche, Robert 
de Normandie, Richard de Caumont, Boémond et 

(1) On sait que Hugues le Maine ne prit aucune part à la prise de 
Jérusalem; il avait quille la croisade après la conquête d'Antioche. 



XXVIU INTRODUCTION. 

Tancrède , les six Chétifs , dont le rôle ne sera 
pas le moins brillant, et enfin les deux ingénieurs 
Nicolas et Grégoire , les directeurs des travaux de 
siège, les constructeurs des machines qui en as- 
surent le succès, oubliés des chroniqueurs qui 
mentionnent seulement Gaston de Béarn, sous 
les ordres duquel ils travaillèrent sans doute. 

Mais au milieu de cette milice d'élite que le 
poète nous montre composée de guerriers égaux 
en piété et en valeur, et dont l'héroïsme se pro- 
duit dans des récils ornés de couleurs assez uni- 
formes, malgré le soin qu'il prend d'assigner à 
chacun la part de gloire qui lui est due , le poète 
n'oublie pas qu'une place importante doit être 
donnée à cette multitude qui forme la plus grande 
partie de l'armée, à ces simples soldats de pied 
que le peuple des villes et des campagnes a en- 
voyés aussi à la Croisade. Ce corps que le Tasse 
distingue des autres par le nom d'Aventuriers qu'il 
leur donne et dont fait partie son illustre Renaud, 
ne diffère chez lui du reste de l'armée que par un 
degré supérieur de bravoure. Du reste , tous sont 
nobles, généreux, magnanimes et couverts de ri- 
ches armures. L'élément populaire, comme on le 
dirait aujourd'hui, n'y parait pas. 

Il est représenté dans notre poème par ces 



INTRODUCTION. XXIX 

Tafurs, ces truands, ces ribauds, restes des bandes 
de Gautier-sans-Avoir et de Pierre THermite, qui 
forment, avec les nobles chevaliers de Raymond, 
de Hugues de Vermandois et de Godefroi de 
Bouillon, un singulier contraste. Ils sont ici tels 
que nous les a montrés le pèlerin Richard au 
siège d'Ânlioche, rebelles à toute autre autorité 
que celle de leur chef, le roi Tafur, portant fière- 
ment leurs guenilles et leurs haillons, armés de 
piques, de massues, de maillets de fer, de plomées, 
de couteaux tranchants, toujours au premier rang, 
jaloux de sh porter sur les endroits les plus pé- 
rilleux (1). Ils sont pour les Sarrazins un objet de 
terreur. Ils le savent et font tout ce qu'ils peuvent 
pour augmenter l'espèce d'horreur qu'ils inspirent. 
Ce sont eux qui, lorsque les vivres manquent, 
n'hésitent pas à faire rôtir la chair des Sarrazins 
et à s'en repaître ouvertement. Le poète les a vus à 
l'œuvre, et tout pénétré encore des sentiments 
qu'ils inspirent, il raconte leurs faits et gestes en 
semant ses récits de traits d'une effrayante énergie, 
bien faits pour frapper Timagination d'auditeurs 
avides de pareilles peintures (2). 

(i) Ils rentraient dans Tarmée régulière aussitôt gu*on avait pu 
leur fournir des armures suffisantes. 
(2) L'idée de manger de la chair humaine ne semble pas trop 



INTRODUCTION. 

Les auteurs des chroniques n'ont pu passer sous 
silence la part prise à la prise d'Antioche et de 
Jérusalem par cette troupe indisciplinée. Mais les 
princes et les nobles barons attirent presqu'exclu- 
sivement Tattention des Raoul de Caen, des 
Tudebode et des Raymond d'Agiles ; quant à la 
foule sans nom qui les suivit et les précéda plus 
d'une fois, ils ne la mentionnent qu'en passant. Ils 
s'étaient cependant trouvés à tous les sièges et 
à toutes les batailles avec leurs femmes et leurs 
enfants, ces soldats, ces misérables piétons, 
ces geudons, restes des six cent mille pèlerins 
partis les premiers pour la Croisade, dans cet élan 
de piété qui faisait dire à la princesse Anne 
Gomnène que TEurope entière semblait s'être 
arrachée de ses fondements pour se précipiter sur 
l'Asie. C'étaient autant que les autres, plus que 
les autres, les Croisés véritables. Les soldats de la^ 

répugner aux farouehes guerriers du moyen-âge. Quand Renaud 
de Montauban revient chez son père, celui-ci lui adresse de vio- 
lents reproches parce quMl a osé faire la guerre à Charlemagne, 
son suzerain. « Pourquoi, s*écrie le père, faites-vous la guerre au 
roi Charlemagne? Ne pouvez- vous attaquer les chevaliers du roi, 
dont vous aurez rançon ? La terre est-elle vide de gras moines 
que vous pourrez mettre à contribution, et dont vous pourrez, 
si vous voulez, manger la chair belle et savoureuse ? > 

Les plaisanteries de ce genre ne sont pas rares dans nos chan- 
sons de gestes. 



INTRODUCTION. XXXI 

meute Perron formaient donc une partie essen- 
tielle de l'armée. Leurs chefs naturels, Pierre 
THermite et le roi des Tafurs, avaient même, sur 
quelques-uns des chefs de la Croisade, les Boémond, 
les Tancrède et les Raymond de Saint-Gilles, par 
exemple, une supériorité qu'il est juste de recon- 
naître. Ils ne songeaient qu'à chasser les Sarrazins, 
ennemis du Christ, de la Terre-Sainte, à délivrer 
le tombeau du Sauveur des hommes, à élever 
sur les murs de Jérusalem la croix triomphante, 
tandis que ces princes rêvaient des conquêtes et ne 
voyaient dans la Palestine qu'un vaste territoire et 
des principautés dont ils devaient se disputer la 
possession. 

Tout est prêt pour l'assaut. Quatre fois la ville 
est attaquée ; quatre fois les assaillants sont re- 
poussés. Les machines et les engins , dont le ma- 
nuscrit de l'Arsenal donne une idée assez conforme 
aux descriptions du poëte, sont brisés par les 
pierres que jettent les Sarrazins, ou brûlés par 
le feu grégeois. Une grêle de traits, des flots 
d'huile et de poix bouillante tombent du haut 
des murailles, et Godefroi est obligé de donner le 
signai de la retraite. Mais ils reviendront bientôt ; 
les Sarrazins n'en doutent pas, et Cornumaran 
s'échappe de Jérusalem pour aller chercher l'ar- 



XXXII INTRODUCTION. 

mée du Soudan de Perse. Un intéressant épisode 
termine le quatrième chant. Baudouin, le jeune 
frère de Godefroi, aperçoit la troupe de Cornuma- 
ran qui s'éloigne en toute hâte de la ville. Il se 
met à sa poursuite, l'atteint, engage avec lui un 
combat meurtrier ; mais il ne peut arrêter le fu- 
gitif, et, tandis que celui-ci s'éloigne, il s'embar- 
rasse dans les herbes d'un marais rempli de sang- 
sues, et il est ramené tout sanglant sous la tente 
de son frère. 

C'est dans le cinquième chant que sont racon- 
tés, avec des détails que l'on ne trouverait pas 
ailleurs, Tassaut définitif et la prise de Jérusalem. 

Un ermite apprend à Robert de Normandie 
que les croisés trouveront dans les environs de 
Bethléem, auprès du castel de Gaston, le bois des 
béliers, les pierres et les claies dont ils se servi- 
ront pour effondrer les murailles et pratiquer les 
trouées par lesquelles ils entreront dans la ville. 
Ce seront les pauvres gens qui la prendront, 
dit-il : 

Et cil la prenderont de plus povre façon : 
Gbou est seneflance de grant demonstrison, 
Que Damledex n*a cure d'orguel ne de félon. 

Ce ne sont pas les chapelains des princes eroi* 



INTRODUCTION. XXXIU 

ses qui feront, dans la conquête de la Terre 
Sainte, la part si belle au populaire. Le continua- 
teur de Richard-le-Pèlerin n'a pas oublié un autre 
détail intéressant : les femmes aussi n'ont pas 
craint d'unir vaillamment leurs efforts à ceux des 
assiégeants. « Les dames y étaient^ dit le poète, 
chacune d'elles les bras nus, la robe déchirée, 
portait de l'eau aux combattants; plus d'une avait 
sa manche remplie de pierres ; chacune s'écriait 
à haute voix : Que celui qui a besoin de boire, 
pour Tamour de Dieu, nous le dise, volontiers il 
en aura, au nom de sainte Marie ! » 

Leurs paroles enflamment tous les courages ; les 
assiégeants font des prodiges de valeur. 

Mais voici venir le roi des tafurs et ses ribauds : 
ils traînent après eux une claie immense ; ils se 
jettent dans le fossé qui protège les murs de la 
ville, élèvent leui* claie au-dessus de leurs têles 
pour se proléger contre les projectiles lancés sur 
eux; et puis, avec des pelles, des houes et des 
picois, creusent la terre, mettent les murs en 
pièces, démolissent les pierres et le ciment. Le 
roi des tafurs veut entrer le premier dans Jérusa- 
lem, Thomas de Marne le supplie de lui céder cet 
honneur : il se fait enlever sur le fer des lances et 
jeter dans la ville. Le roi des tafurs le suit, tous 



XXXIV INTRODUCTION. 

deux coupent les courroies qui retenaient les 
portes, les soulèvent, et les ribauds se précipitent 
dans la ville , tandis que, portés par les machines 
et les ponts-levis qui s'abaissent; les chevaliers 
s'emparent des remparts. 

Les historiens ne sont pas d'accord au sujet de 
ceux des Croisés qui les premiers pénétrèrent dans 
Jérusalem. M. Michaud, l'historien des Croisades, 
nomme d'abord Godefroi de Bouillon, précédé de 
deux frères Lethalde et Engelbert de Tournai , 
suivi de Baudouin du Bourg, d'Ëustache, de Raim- 
baud Creton (1), de Guicher, de Bernard de 
Saint-Vallier et d'Amenjeu; tandis que par un 
autre côté arrivaient Tancrède, les deux Robert , 
Hugues de Saint-Paul, Girard de Roussillon, 
Louis de Mouson, Lambert de Montaigu et Gaston 
de Béarn. Chacun des chroniqueurs a tout na- 
turellement décerné cet honneur à celui des 
princes croisés qu'il avait accompagné. Je croi- 
rais volontiers que la ville ayant été attaquée 
de plusieurs côlés à la fois, les témoins mêmes 
du glorieux événement n'ont pu déterminer avec 



(i) La part prise à la croisade par Raimbaud Creton, tige de la 
famille d'Estourmel, a été mise en lumière par M. Paulin Paris 
dans la Chanson d'Antioche, et par M"* la marquise de Saint-Au- 
laire, dans sa traduction de ce poëme. 



INTAODUGTION. XXXV 

précision la partie des murailles qui fut forcée la 
première. Il est plus que probable que plusieurs le 
furent dans le même temps, et qu'il y eut par 
conséquent sur chacune de ces parties des guer- 
riers arrivés les premiers. Nous avons tout autant 
de raisons pour nous en rapporter au récit de 
notre trouvère que pour adopter les versions 
données par les historiens (i). 

Ce qui nous intéresse le plus , c'est ce qui va se 
passer dans la ville- où entrent des guerriers qui 
n'ont pas eu besoin d'être animés contre les Sar- 
razins par le ressentiment qu'ont fait naître les 
fatigues d'un long siège. Ce sont des mécréants , 
des ennemis de Dieu , non moins détestables que 
les Juifs ; ils ont insulté la croix triomphante , 
ils seront tous massacrés I 

Cette immense destruction des Sarrazins , des 
femmes, des vieillards, des enfants, exécutée sans 
pitié par les vainqueurs qui les égorgent dans les 
maisons, dans les temples, dans les rues, où leur 
sang coule à si grands flots , que les chevaux des 
vainqueurs y entrent jusqu'au ventre , n'est pour 
le Tasse qu'un détail sur lequel il glisse rapide- 

(1) Dans notre poëme, les premiers entrés à Jérusalem sont 
Thomasde Marne, le roi Tafur.Tancrède, Boémond,Eustache et Raim- 
baud Creton. 



XXXVI INTRODUCTION. 

meDt en quelques vers d'une harmonieuse élé- 
gance. 

Le trouvère français est plus fidèle à la vérité , 
et son récit confirme sur ce point les témoignages 
des chroniqueurs du temps et ceux des princes 
mêmes qui transmirent ces détails à l'Europe. Il 
n'est que trop vrai que leur piété farouche n'é- 
pargna personne, et que c'est en glorifiant Dieu 
et en rendant à Jésus-Christ des actions de grâces^ 
qu'ils égorgèrent presque de sang-froid leurs en- 
nemis vaincus et désarmés. 

Après cette horrible exécution , les sentiments 
de la piété se réveillent dans ces âmes farouches; 
Godefroi de Bouillon le premier se rappelle qu'il 
est dans la Ville sainte, et le guerrier sans pitié 
fait place à l'homme de foi humble et repentant. 
Suivi de Thomas de Marne et de Robert de Flan- 
dres, il court adorer le saint sépulcre et s'age- 
nouiller dans le temple ; par ses ordres , chacun 
s'occupe de faire disparaître les traces de la san- 
glante conquête, de purifier tous les lieux où avait 
été répandu le sang des infidèles. 

C'est à Godefroi de Bouillon que les chefs des 
Croisés, impatients de revoir leur patrie , confient 
le soin de défendre la ville. 

Ici l'imagination du poëte ne peut se résigner à 



INTRODUCTION. XXXVfl 

la donnée commane, qui fait décerner par les 
barons la couronne à celui qu'ils ont jugé, après 
une solennelle enquête, le plus digne de la porter. 
Il n'y a rien de bien poétique dans une élection 
faite au scrutin, même après l'enquête dont parle 
Guillaume de Tyr. L'évêque deMautran, interprète 
du vœu unanime de l'armée, commence par offrir 
la couronne à celui que l'on nomme le bon duc de 
Bouillon. Celui-ci déclare qu'il ne l'acceptera 
qu'après qu'elle aura été présentée aux plus hauts 
barons ; et, là-dessus, l'évêque appelle tour à tour, 
par devant le saint temple, Robert-le-Frison, Ro- 
bert de Normandie, Boémond et Hugues-le-Maine. 
Tous refusent : ils sont depuis trop longtemps, di- 
sent-ils, hors de leur pays et de leurs familles ; 
qu'un autre qu'eux commande à Jérusalem. Il faut 
pourtant bien qu'avant de se séparer, ils donnent 
un chef aux soldats qui garderont les Saints-Lieux ; 
c'est Dieu qui en décidera. 

La nuit, tous sont réunis, par les soins de 
l'évêque de Mautran, dans l'intérieur du temple: 
ils se couchent à terre, priant et pleins de tris- 
tesse. Chacun d'eux tient à la main un cierge. 
Une obscurité profonde règne autour d'eux ; il n'y 
a dans la nef qu'une lampe qui doit rester allumée 
la nuit et le jour. 



XXXVUl INTAOPUCTION* 

Toqt h coup, une vive lueur illumine io temple : 
le tonnerre épl^le, âes écl»ir3 silionuent Tair, et 
le cierge qu^ porte Godeffpi de Bouillon s'en*- 
flamme eq jeiant un vif ^clat- C'est lui que le 
S6i|[neur (Jésigue/It ne peut refuser de se rendre 
au:i( vçmx de ses cpm paginons et à l'ordre de 
Dira ; mais il ne veut pas porter sur sa tète une 
couronne d'or aux lieux où J^sus-GIxrlst porta 
une couronne d' épines. On va chercher dans le 
Jardin d'Abraliam la branche dune plante vul- 
gaire, nommée espic^ et le roi des Tafurs la lui 
pose sur la tête. 

La plupart des barons ne tardent pas à se mettra 
en roule, laissant au milieu des périls qqi vont 
l'assaillir le nouveau roi, qui a recours en valu 
aux prières les plus pressantes pour les retenir au 
moins pendant quelques jours. 

Ces grands événements n'ont point épuisé la 
verve de l'auteur de la Clianson de Jérusalem. Il 
lui reste encore à raconter les batailles que vien- 
nent livrer aux chrétiens, assiégés à leur tour, 
dans la ville de Jérusalem, les armées du Soudan 
d'Egypte, amenées par le fier Cornumaran. Cette 
bataille d'Âscalon, plus terrible que toutes celles 
qui ont précédé la prise d'Antioche et de Jérusalem, 
est aussi l'objet des deux derniers chants du Tasse ; 



INTRODUCTION^ XXXIX 

mais occopé da soin de chercher un dénoûtnent 
aux amoQTS ûe Renaud et d'Armide, il n'attache 
qu'une importance secondaire aux efforts surhu- 
mains que les chrétiens eurent à faire pour re- 
pousser une attaque si redoutable, t^our ta vérité 
des détails et Tintérêt du récit, il est au-desâoùs 
de Robert le Moine, celui de tous les chroniqueurs 
qui a donné, sur ce dernier cpiàode de la conquête^ 
des renseignements qui se rapprochent le plus de 
ceux que nous fournit notre poëte. 

Nulle part^ la puissance do Soudan de Perse, la 
magnificence et la richesse de ses armes, de ses 
parillons et de ses chevaux de guerre, le respect 
qu'il inspire^ son autorité sans bornes sur ses sol- 
dats, les splendeurs du culte de Mahomet, n'ont 
été mieux décrits que dans les derniers chahts 
du trouvère français. 

Le Soudan veut attirer les Croisés hors des murs, 
dans la plaine, où ses troupes pourront faciloment 
les entourer et les écraser par leur nombre. Il fait 
porter autour des murailles tout ce que son trésor 
contient de plus riche et de plu? précieux. Gode- 
froi est trop avisé pour donner dans ce piège 
grossier. Mais Pierre l'Hermite et les Tafurs ne 
peuvent résister à la tentation. La vue de si beaux 
trésors, étalés orgueilleusement par les mécréants^ 



XL INTRODUCTION. 

les met hors d'eux-mêmes. « Que diable est ceci, 
s'écrie le roi des ribauds, sommes donc en prison ? 
Ils nous apportent leurs trésors et nous n'oserions 
les prendre 1 Sortons, par Saint-Lazare ! Mort ou 
vif, j'arriverai jusqu'au milieu de leur camp. Mon 
cheval court vite, j'irai tuer l'amiral au milieu 
de son pavillon. Que m'importe de mourir si je 
fais ce que je veux ? 

Moi ne caut se je muir, puisc'aurai fait mon bon f 

Pierre l'Hermite obtient des barons qu'on le 
laisse partir avec ses amis, les sujets du roi Tafur. 
Eux-mêmes lui apportent des armes, lui font en- 
dosser le haubert, lui lacent son casque ; il refuse 
les chausses de fer, suspend une large épée à son 
côté, saisit une énorme perche et monte à cheval; 
il s'y assied avec tant de force qu'il rompt les 
élriers et brise les sangles de sa selle. Quel che- 
valier t s'écrie son compagnon le roi Tafur, et les 
voilà bientôt au milieu de l'armée des Persans. 
Les ribauds seraient promptement exterminés, si 
Baudouin ne venait à leur secours ; ils peuvent, 
grâce à lui, rentrer dans la ville. Quant à Pierre 
l'Hermite, il se laisse emporter par son ardeur 
jusqu'à la tente du Soudan et il est pris, après une 
résistance désespérée, non sans avoir tué un grand 



INTRODUCTION. XU 

nombre d'ennemis et épouvanté les Sarrazins par ses 
regards farouches et les mouvements désordonnés 
de ses bras gros et forts. 

« Qui es-tu, lui demande le Soudan?— c Vous 
allez le savoir, lui répond-il. Au delà et en deçà de 
la mer, on m'appelle Pierre : je suis né à Amiens, 
c'est là qu'est ma maison. « Le Soudan lui oiTre 
le choix d'avoir la tête coupée ou d'adorer Maho- 
met. Le rusé Picard n'hésite pas à sauver sa vie en 
jurant tout ce qu'on veut, sauf à se mettre en 
mesure avec la religion au moyen d'une restriction 
mentale. Ce moyen ferait horreur à nos barons ; le 
trouvère le .trouve tout naturel quand il s'agit de 
Pierre l'Hermite. C'est, au reste, à sa présence au 
milieu des Sarrazins que sont dus une foule de dé- 
tails qui donnent de l'intérêt au récit. Le Soudan 
le relient auprès de son étendard ; il se fait nommer 

• 

par lui les chefs de l'armée chrétienne qui vien- 
nent successivement prendre place sur le champ 
de bataille où va se décider le sort des deux ar- 
mées. Pierre ne manque pas de rehausser la valeur 
invincible de nos illustres chevaliers, et rit tout 
bas des vaines menaces du Soudan, qui ne doute 
pas du succès et se promet bien de les mettre tous 
à mort et d'emmener leurs soldats pour peupler 
son empire. Si le Tasse n'avait pas emprunté à 



iUl LNTBODUCtIO.X. 

riliade éB moyen habile d'énumérw les différente 
corps d'armée, il aurait pu eii trouter le tâodèle 
dans le poëme de notre trouvère, qui n'atâil cer- 
tainement pas cherché ses inspirations dans 
Homère. 

Nous arrivons à cette sanglante bataille de Rames 
(}ui, selon toutes les apparences, devait être fatale 
à Tarmée chrétienne. Le Soudan fait lever son 
riche étendard : mille clairons retentissent à la 
fois et font trembler la terre depuis Rames jusqu'à 
Jaffa. Tout l'orient semble s'être rendu là à la voix 
de « l'amiral de Persle. d Dans l'énumération des 
différentes nations accourues sous ses drapeaux, et 
la description des lointains pays d'où elles sont 
sorties, le trouvère trouve des couleurs variées 
pour peindre l^aspect étrange que présentent ces 
çoldals aux formes bizarres ou monstrueuses, sou- 
venir des fabuleuses traditions qui, depuis Alexan- 
dre, peuplent l'Orient d'hommes, de femmes et 
d'animaux fantastiques. La mêlée s'engage et Ton 
ne peut refuser au poëte le mérite d'avoir su rajeu- 
nir, par la grandeur de la mise en scène, la variété 
des moyens, le nombre des épisodes, un sujet déjà 
traité avec tant de complaisance par tous les au- 
teurs de chansons de gestes. 
Il faut un dénoûment à ce drame dont le der- 



nier s^cte n'est pas le moins intéressaiit. La victoire 
sur des pi^e^is dix fois plus nombreqi^ que le$ 
soldats ^0 Goilofroi ^e Bouillon, serait impossible 
saps la puissance miraculeuse de la vrait» croii^, 
qui^ portée par l'évoqua de Mautran au milieu des 
ennemis, les frappe de terreur, et sans l'inter'- 
vention d^ martyrs de la foi, protecteurs nés 
des héros ^e la Croisade, saint Henis, saint domi^ 
nique, saint Maurice et saint Georges, qm, péné- 
trant jusqu'au pavillon du Soudan, ren^nt 1» 
liberté à Pierre rHçrmile. Celui-ci se h^ite de bri- 
ser à coups de hache Tétendard du chef des ln&- 
dèles et court se joindre à Tarmée des Croisés. 
L'amiral de Perse est mis en fuite; ses quatorze Gis 
ont été successivement tués ; il se jette dans un 
vaisseau et regagne la mer (1). 

Mais ce n'est pas ce Soudan qui représente la 
puissance dont vient de triompher la valeur fran- 
çaise. Au chef de la croisade l'auteur a opposé 
dans tout son poëme le plus fier et le plus intrai- 
table des Sarrazins, Cornumaran, le fils du roi 
Corbadas, le modèle de TArgant du Tasse. 

(1) Robert le Moine dit que le grand étendard du Soudan de 
Perse qui avait une valeur de vingt marcs d'or, fut offei t au 
temple par Robert de Normandie. L*épée du ehef des SanraEins fut 
achetée 60besans. 



XLIV INTRODUCTION. 

Longtemps il a soutenu le courage des assiégés ; 
quand il a compris qu'ils engageaient une lutte 
inégale, il est allé chercher une armée auxiliaire, 
et il a amené sous les murs de Jérusalem tout 
l'empire d'Orient. Il voit périr, les uns après les 
autres, son père Corbadas, Lucabel son vieil oncle, 
tous ses parents, tous ses compagnons. Il suc- 
combe enfln lui-même sous les coups du comte 
Baudouin. Les vainqueurs rentrent avec joie dans 
la ville et rendent à leurs morts les derniers de- 
voirs. Un lion les a tous transportés dans une 
caverne à laquelle ce miracle fait donner le nom 
de charnier du lion. Baudouin, plein d'estime pour 
l'ennemi qu'il a vaincu, fait en quelques mots son 
oraison funèbre : <c Pour tout le trésor de Chahu, 
dit-il à ses amis, j'aurais voulu le prendre vivant. 
Je ne l'ai jamais vu vaincu ou recréant. Je veux 
voir le cœur de ce terrible ennemi qui ne trembla 
jamais. i> Il en remplit un casque jusqu'aux bords ; 
tous les barons s'approchent pour le regarder : 
<i Jamais homme, s'écrient-ils^ n'eut un si grand 
cœur t Quel dommage qu'il n'ait pas voulu adorer 
Dieu et servir la sainte Vierge t » 

On ne peut mieux finir : l'éloge donné par les 
vainqueurs à un ennemi abattu relève la grandeur 
de leur courage et l'importance de l'œuvre qu'ils 



INTRODUCTION. XLY 

viennent d'accomplir. Ils peuvent alors rendre 
au Seigneur de solennelles actions de grâces et 
se prosterner devant le saint Sépulcre. 



Les différentes branches du Chevalier au Cygne 
sont réunies dans les manuscrits suivants de la 
Bibliothèque impériale : 

Anciens fonds , n^ 7190. 

Id. n* 7193. 

Id. n« 7628. 

Suppléments français , n^ 105. 
Id. no 540. 

Le manuscrit de la Bibliothèque de l'Arsenal qui 
les contient porte le n^ 165. 

C'est d'après le n^ 7628 qu'a été édité le pré- 
sent volume. 

Le manuscrit 105 est le seul qui donne une 
suite à la bataille d'Ascalon ; un récit de la prise 
de Damas , de Césaréë et de Saint-Jean-d'Âcre , 
de la mort de Godefroi, empoisonné, suivant une 
tradition populaire , par le patriarche de Jéru- 



XLVI INTRODUCTION. 

salem; enfin, des règnes des deux Baudouin, 
d'Amaury et de Baudouin-le-Lépreux (1). 

Le poëme composé au xiy" siècle par un trou^ 
vère flamand, a été publié en 1846 et en 1848, 
par le baron de Rieffenberg, dans le recueil in- 
titulé : Monuments pour servir à t histoire des pro- 
vinces de Namur , de Hainaut , de Luocernbourg , 
t. IV et V. Le vi® volume, formant le m<* du poëme, 
a été publié depuis. Un glossaire y a été ajoaté par 
M. Cachet. 

Occupé, moi-même^ de la publication d'un glos- 
saire complet de la langue romane , je n'ai 
pas jugé nécessaire de donner en particu- 
lier celui du poëme dont je publie aujourd'hui le 
texte. Je n'y ai pas joint, comme le font quelques- 
uns des éditeurs de nos poèmes du moyen-âge, 
un examen comparatif des différents manuscrits, 
et un recueil de variantes. Je suis loin de con- 
tester l'utilité d'un pareil travail ; mais il n'entre 

(1) Les derniers vers de notre manuscrit 7628 annoncent cette 
continuation pour laquelle on est obligé de recourir au manus- 
crit 108: 

Or conunencbe canchons, jt meillor n*eo orrôsi 
Comment Acre fut prise et les autres chités, 
Et Sur et Tabarie où Turc avaient mes ; 
Ensi corn des barons fu li temples peuplés 
Et Tospltaus assis, ou Jbesus fu sacrés : 
Au temple pour senrir s'est Harpins adonés. 



INTRODUCTION. XLVU 

point dans le plan d'une publication qui n'a pour 
but que d'éditer, avec tout le soin possible, les 
textes des meilleurs manuscrits, et de rendre ac- 
cessible à un plus grand nombre de lecteurs la 
connaissance de ces poêles du xn^ et du xui^ siècle, 
dont l'étude offre tant d'intérêt au triple point de 
vue de la langue, de la littérature et de l'bistoire. 

C. HIPPEAU. 




REMARQUES ET CORRECTIONS. 



p. ao. Les huit premiers vers de la strophe XXV peuvent être 
supprimés comme faisant double onploi avec la strophe 
XXVI. 

p. 34. Après le premier vers, un point; après le second, une 
virsfule. 

P. 67, V. 1644. Li rois fu bias et clers, li&ez : U jors. 

P. 9S, V. 8S82. Si com i puist, lisez : Si c*on i puist. 

P. 99, V. S479. Par dedens, lisez : Par de dedens. 

P. 143, V. 3861. De piuisior, lisez : De prlnsoir. 

P. 162. Les 387 vers, de 4020 à 4406, manquent dans le ms. 7616. 

P. 180, v. 4533. XXX ans des esté, lisez : de s'este. 

P. 906, V. 5129. A sa maisnie, lisez : sa maisnie. 

P. »9, v. 5766. Li rois fais, lisez : fait. 

P. ^258, V. 6478. Pietoral, lisez : pectoral. 

P. 276. Les feuillets 194 recto et verso sont lacérés en partie. La 
prière de Godefroi qu'ils contiennent se retrouve presque 
textuellement dans le poème de Guillaume d*Orange. 

P. 303, V. 7633. Frères, lisez : fierès. 

P. 314, V. 7682. Mahomet, lisez : Mahomes. 



CHANT PREMIER. 



Q^RGUMENT. 

Godefroi de Bouillon et les Croisés arrlTent devant Jérusalem. — 
Leurs sentiments à Taspect des Saints-Lieux.— Gomumaran, flls de 
Corbadas, roi des Turcs, sort de la ville.— Il attaque les Croisés au 
val de Josaphat— Situation critique des Croisés.— L*eau leur manque. 

— Ils réclament le secours du comte de Saint-Gilles. — Arrivée 
d'Harpin de Bourges et des autres Chéiifs,^Joie et succès des Croisés. 
—Exploits de Jehan d*Alis, de Richard de Chaumont, de Baudouin de 
Beauvais, de Tévéque de Forez.— Les Turcs sont forcés de rentrer à 
Jérusalem. — Arrivée du comte de Saint-Gilles avec Boémond^ Tan-^ 
crède et les autres barons.— Les dames apportent de Teau aux 
Croisés.— Boémond et Tancrède vont piller aux environs de Césarée. 
— L*amiral d'Ascalon les attaque.— Saint GÎBorges vient à leur secours, 

— Combats autour de Saint-Georges-de-Rames. — ûs retournent 
auprès de Godefroi chargés de butin. — Partage égal entre tous les 
Croisés. 




LA CONQUÊTE 

DE JÉRUSALEM 



CHANT PREMIER 



I. 



jedens Jérusalem s'armèrent li félon ; 
■ .L. mile i furent li orgeillox gloton ; 
I^Si se contr'a tendaient au temple Salemon. 
Richars et 11 caîtif chevalcent à bandon. 
Alor mort chevalchoient, pas ne vos mentiroo; 
Mais Dex les en gari par son saintisme noD : 
Qui en lui a QaDce ja n'aura se bien non. 
A la mahomerie estoient no baron ; ' 
De l'ost s'est dessevrés Godefrois de Buillon, 
» Robers de Nonnendie et Robers le Frison, 
Et Robers de Rosoi, qui cloce del talon, 



4 Lk gonqvAte de Jérusalem. 

Esieules d'Âubermarle, le fiex an ccmte OdOB^ 
X. mile chevaliers; onqaes n'i ot geudoD. 
Et ont tant exploité le yal et le troton, 
Virent la tor David, le temple et le donjoa, 
La porte saint Esteule, le carnier de lion ; 
Jherusalem enclinent par grant devocion. 
Chascuns en ot moillié la face et le menton, 
Il baisoient la terre, morjoient le sablon. 

20 Li .1. contoit à Vautre et dit en sa raison : 
c Par chi passa Jhesus, qui soSri passion, 
« Si benéoit apostre et tôt si compaignonl 
c Bon avomes soffert tant persecucion, 
c Et tant faim et tant soif, tante consurrexon, 
« Les grans vens et Forage, le noif et le glachon, 
€ Quant or véons la vile et le riche donjon 
c Où Dex recoilli mort, por no rédemption ! » 
Puis montent es chevax, chascuns prent à l'archon ; 
Et aquellent la proie entor et environ 

so Del val de Josaphas, dusc'à monte Sion. 
De si c'a Syloe n'i ot arestoison. 
Par devant Belanie fu grant Tochision, 
Là où Dex suscita le cors saint Lasaron. 
Tant ftt grande la proie que nombrer nel set on 
De cameus et de bugles et de maint cras motao. 
Droit au mont Olivet font lor arestoison. 
S'or s'en pueent venir à lor salvacion. 
Qu'il ne pergent lor proie sans grant dampnacion. 
Bien devront Damledeu rendre grant guerredon. 

40 Mais ains ne sera vespres, ne solax à escon, 
N'i volroit U meudre estre por Fonor de SoiscHil 



CHANT PREUBB. 8 



II. 



Moult fu grande la proie que Franc ont acoillie; 
Arrière s'en repairent, ne se targierent mie, 
Le val de Josapbas droit à Sainte Marie, 
Là où la mère Deu fu morte et sepelie. 
Li rois de Jhersalem fait soner la bondie : 
Che est .i. cors d'arain qui les paiens ralie ; 
Sus en la tor David, où Taigle d'or flambie. 
Le sona par vertu cil qui Tôt en baillie. 

50 .V. grans leues pleniers en ot on bien Toïe, 
Que l'os s'en estormit à la mahomerie ; 
Li rois s'en issî fors par moult grant seignoriet 
Cornumarans issi, o sa grant compaignie. 
.L. mile furent la pute gent haïe. 
Armés d'anbers et d'elmes, es destriers de Surie. 
Por rcscorre lor proie lor font une envaie. 
Tant orible et tant laide, se Dex me beneie, 
S'or ne defiFent cascuns et calenge sa vie, 
Sa teste i laissera, sans autre garantie. 

60 Car ce fu grans meschiés, nel mescreés vos mie. 
De .X. mile à .l., queque nus vos en die. 

Moult f u grande la proie que Franchois acoillirent. 
Le val de Josaphas arrière revertirent. 
Chil de Jherusalem à bataille en issirent. 
Païen et Sarrasin qui moult fort s'esbaudireot ; 
•L. mile furent qui Damledeu haïrent. 
Sonent tabors et timbres, cil cor d'arain tentirent, 
Ches valées resonent et cil tertre bondirent. 



6 LA GONQUÊTE DE JâlUSALEll. 

Por rescorre lor proie, en no gent se fbrirent, 
70 Et nos Franc crestien moult bien les recoillirenl ; 
Il faisoit moult grant caut et Franc Taige desirrent. 



III. 



Moult fu grans la destreche el val de Josaphas. 
Chil de Jérusalem s'en issirent )e pas, 
Por rescorre lor proie se ferirent el tas, 
Et Franchois les recoillent as lances et as dars. 
Quant les lances sont fraites et volent par esclas, 
Là véissiés d'espées sor ces elmes grans glas, 
Detrencher ces vers elmes, escus et talevas. 
Dex i tant fort les destraint la maisnie Judas, 
80 Petit trovent en ans no Franchois de solasi 
Mais li dus Godefrois en jure saint Tomas , 
Li quens Robers de Flandre, mon seignor saint Lucas, 
Miex volroit estre en bière TRains ou à Arras, 
Que ja Turc en eussent néis .i. molon cras. 
Dont escria li dus Saint Andreu de Patras, 
Les baron Saint Sépulcre, auquant Saint Nicholas ; 
Or i ferés. Baron, cest gex n'est mie à gas : 
Qui en Deu a fiance, il ne doit estre masi 



IV. 



Mult fu grans la destrece, Seignor, à icel jor, 
90 Que Franc mistrent la proie fors de cel val major, 
Là où Sainte Marie, la mère au creator, 
Fu morte et sepelie, et tôt li angelor 



CHANT PREMIER. 

L'emportèrent el cbiel devant nostre Seignor. 
Dexi com fort les destraint celé gent paienori 
As ars et as saietes les engrossent entor; 
Là véissiés bersés, Dexl tant bon vavassor, 
Tant bon cheval navrer, et tant bon milsoldort 
Là péussiés véoir tant prince et tant contor, 
Qui fièrent des espëes à .n. mains, en Testor. 
100 Li solaus luisoit cler, si rendoit grant calor. 
Tant par erent destroit auquant et li plusor, 
Tant desirroient Tiaue nostre franc poignéor, 
L'escloi de lor chevax boivent et la suor 
Et le sanc par destrece! Hé Dex i com grant dolori 



V. 



Li estors fa malt fors et li caples pesans. 
Dex I tant fort les destraint li rois Cornumarans 
Et Corbadas ses pères, li viex canus ferrans i 
La véissiés berser destriers et auferrans, 
Âler par les valées lor boiax traïnans. 
110 Qui son cheval perdoit moult fu grains et dolans ; 
En Testor remanoit à pié corne serjans. 
Francbois se deffendoient as bons espiés trenchans. 
Quant les lances sont fraites, si traient fors les brans ; 
As Turs trenchent les testes, les costes et les flans; 
De sanc et de cherveles estoit covers li cans. 
Par devers Saint Esteule, que Dex par ama tant. 
Devers mont Olivet, sont no Franc regardant 
Et virent nos caitis sor les chevax corans, 
Richart et sa compaigne où vienent chevalchant ; 



8 LA omnotn de itoOAALEai. 

120 Les escns et les armes virent reflambians^ 
Les enseignes de paile es lances balians. 
Seignor, c'estoit Richars, li chevaliers vaillans, 
Harpins et sa compaigne, qui est en Dea creane. 
Qui vienent de prison (Jhesus lor fu garans). 
De la chit d'Oliferne, où maint rois Gorbarans, 
Où avoient esté .xv. jors et .m. ans. 
Jhesus les en jeta, tex i fu ses conmans ; 
Qui en lui a fiance mal iert desconfortans ; 
Cbele fiere bataille fist Franchois esmaians. 



VI. 



130 ' Seignor, or escotés, franc chevalier vaillant, 
Si com no Franchois erent en la destrece grant, 
Corn Turc les angoissoient as ars de cor traiant, 
As saietes d'achier et à lor dars trenchant. 
De si à Saint Esteule les mmierent ferant. 
As espëes d'achier sor les elmes frapani, 
A lor lances agûes, lor dievax ociant. 
Sus s'aresta la proie à .i. tertre rampant : 
Iluec prirent estai li hardi combatant, 
Li prinche et li baron^ qui en Deu sont créant. 

iM Nus ders ne porroit dire, ne joglerres qui chant 
L'angoisse des barons, sor lor cors deffendant. 
N'i avoit chevalier, tant riche, ne manant. 
Qui n'éust grant péor de la teste perdant. 
A haute vois escrient : c Saint S^ulcre aidant! » 

Es Rcèert le Frison, à esperon brochant, 
A Godefroi s'en vint et li vait escriant : 



€BAKT pRunn. 

< Sre dofi» dist li quens, entendes mon samblant. 

f Vaé$ vous eele eschiele, qui là vient cheyalchant, 
« Qui là est arestée en costë cel pendant? 
190 « Par le mien escient, ce sont Arrabiant, 

< Une gent orgeillose et moult outrequidant. 

c S'er perdions no proie, corn maternent en chant, 

< lliex yolroie estre mors, por Deu le raemant ! » 
--« t Ja Dex, ce dist li dus, ne nos i hache tant, 

c Que li Turc de la proie soient mais jor tenant I 
i Trametons .n. mesages, à esperon brochant, 
c Au conte de Saint GiUe, à Tangré le Puillant, 

< Qu'il nos facent secors por Deu del ciel le grant. 

c Se tost ne nos secorent, qu'il nous voisent tarjant, 
160 c Jamais ne nous verront li prince conbatant I » 
A cest mot va li j. envers l'autre enclinant. 

VII. 

Dist li dus de Bâillon : < Qui porrons envoier 

c Au conte de Saint Gille, nostre besoing noncier ? > 

Dist Tomas de la Fere, qui moult fist à proisier : 

< Antiaume de Ghalons et de Chartres Foebier ; 
( Car cbtl sont bien creaule et loial chevalier. » 
Qui là veist les Turs et poindre et destrengier. 
As espées trenchans férir et caploier, 

Et no Franc encontre aus, au fer et à i'achier ; 
170 Qui véist Godefroi ses grans cox enploier, 
Ces Sarrasins abatre, ocirre et detrenchier. 
Tel poindre commencha sor la gent l'aversier. 
Tant orible et tant aigre, bien le puis tesmoignier, 
Dont perdirent les testes plus de ,vii,» archier; 



10 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Et li prince s'escrient : « Quel yavassor terrier! 
c Dex li doinst longe vie 1 car li alons aidier I » 
Et Antiaumes s'en tome tôt .i. autre sentier. 
Enfresi c'a l'ost Deu ne s'i volt atargier. 
A la mahomerie, où s'ert faite logier, 

t '0 Ses noveles conta dant Raimont le guerrier, 
Buiemont et Tangré, que Dex puist conseillier, 
Et le riche Bamage, que Dex aime et tient chier. 
Que secorent no gent, qu'il en ont grant mestier. 
f Envoies lor secors, pensés de l'esploitier; 
c N'onques mais en tel leu ne porent ostoier. » 

Quant li Baron oïrent parler le mesagier, 
Del duc et des barons la parole noncier, 
Là pëussiés oîr .i. si grant destorbier, 
Tant evesques plorer et tant riche princhier, 

190 Tante jente pucele, tante franche moillier; 
Et sospirent forment, que nel pueent laissier 
Des larmes de lor cuer lor poitrines moillier. 
Là péussiés véoir, mentir ne vos en quier, 
En plorant endosser tant blanc hauberc doblier 
Et tant espëe chaindre et tant elme lachier, 
De fin or reluisant contre soleil raihier. 

Quant il furent armé , chascuns monte el destrier, 
Trestot rengié s'en tornent, n'ont seing de l'atargier. 
S'or ne s'i gardent Turc, li quivert pautonier, 

200 Qui sont à Saint Esteule defors le mur plenier, 
Par le mien escient ! Mex porront bargegnier 
El repairier ariere, que iluec archoier; 
Ja ne seront gari por trait ne por lanchier 
Nés estuece morir trestos sans recovrier. 



CHANT PREMIER. 11 



VIII. 



Des loges se partirent no chevalier vaillant, 
Li prince et li baron qui en Deu sont créant ; 
Les dames portent Tiaue que Franc vont desirrant, 
Contre lor cuers as cols sor le sablon boillant. 
Assës i ot de teles qui n'ont soUier cauchant ; 
2fo Des pies et des talons lor va li sans colant : 
Damledeu en loerent, le père raamant. 
Bniemons et Tangrés chevalchoient devant ; 
Lor mains à lor maisseles, tenrement vont plorant 
Et Damledeu le père mult dolcement proiant, 
Qu'il garisse le Duc par le son saint commant, 
Et le conte Wistasse et Bauduin l'enfant 
Et Robert le Frison et Robert le Normant. 

< Hé Dexl dist Buiemons, porai jo vivre tant 

< Que soie ensamble au Duc, à l'espée trenchant I 
220 c Dexl done moi .i. don, se toi vient à talant, 

< Quel truise sain et sauf et délivre et vivant I 

c Chertés, tant i ferroie de mon acherin brant, 
c Qui jo ferroie à colp, de mort n'auroit garanti » 
Or chevalcent ensanble et Franchois et Puillant, 
Les lances sor les feutres, lor gonfanons pendant ; 
Et li cheval aloient moult grant fierté menant. 
Les tentes et les tref remanoient séant . 
S'esgardent li malade, qui i sont moult dolant ; 
Les dames portent l'iaue que Franc vont desirrant. 
2M Chi lerrai del secors qui venoit chevalchant; 
Si vos dirai del duc le hardi combatant. 



12 LA GONQOAtB de JÉRimALEM. 

Godefroi de Bâillon que Dex parama tant. 

Venus est as caitis, à espérons brochant ; 

Et quant il les aproche, si lor vait escriant : 

c Va! quels gens estes vos? Créés en Deu le granl, 

« Le fil Sainte Marie, le glorios poissant? 

t Ou créés Apollin, Mahon et Tervagant, 

< lees malvaises idles que croient li Persant? » 

Et Richars respondi, qui estoit par devant, 
2fto Moult richement armés sor .i. destrier corant, 
Et Harpins de Boorges qui Taloit costiant, 
Et li antre caitif après lor dos sevant : 

Et vos, sire, qui estes, qui Deu aies nomant? 

Bien a passé .m. ans, que n'en oïmes tant; 

Ne nos celés, biax sire, que vos aies querant. 

Comment nos vont no gent et no baron Normant ? » 
— < Godefroi de Buillon me va on apelant; 

Venus sui d'otre mer, le sépulcre querant ; 

Ichi nos combatons à la gent mescreant, 
250 c Qui ne croient en Deu le Père raamant. » 
Et Richars respondi, ne se va pas tarjant : 

Et nos somes caitif le fort roi Corbarant, 

Escapé de la chartre, qu'il avoit moult puant. 

Nus clers ne porroit dire, ne joglerres qui chant. 

Les dolors et les paines c'avons eu vivant. » 



IX. 



Moult fu grans la leèce, en vérité vos di. 
Que li caitif demainent, quant le duc ont oï. 
Ausi a fait li Dus, qui le cner ot hardi. 



CHANT PREKIIR. 13 

Que cil croient en Deu et el Siint Esperi. 
260 Dist li Dos Godefrois : c Franc chevalier, merchi ; 

< Yés com Turc nos destraingnent, Persant et Arrabi, 
i Gheste gent sarrasine, qui Jh^u malëi, . 

« Qui ce ne rolent croire que de Yirge nasqui^ 

< Ne qu'il recoilli mort, ne onques surrexi : 

< Por iceste créance sont il trestot pari. 

< Nos chevax nos ont mort, moult somes afeb)i ; 

< Seigttor, or nos aidiés, de par Deu vos en pri, 
9 Et par icele mort que il por nos soffri, 

( Ens en la sainte crois là on le cleuSchi, 
270 c Ens el mont de Cauvaire, quant son sanc espandi ! » 
Dont s'escrient ensamble no chaitif à .i. cri : 

« Sains Sépulcre, aïde ! com or somes gari ! » 

En Tester se ferirent com chevalier hardi, 

Trestot à esperon; chascuns .i. Turc feri. 

Qu'il li percha l'escu, Tauberc li porfendi, 

Le pis et la coraille tôt outre li rompi. 

Que chascuns des Franchois .i. Turc mort abati. 

Et li autre .vn". des chaitîfs autresi. 

Là péussiés véoir tant fort espié brandi, 
28i Tant fort escu troé, tant hauberc dessarti, 

Tante teste colper, tant bus trancher par mi. 

Et Dans Johans d'AIie a son espié brandi, 

.1. jentiex chevaliers, qui fu nés de Berri ; 

Gompains estoit Riebart et les chaitis ausi« 

Fiert si .i. amiral que l'escu li parti; 

Fiex estoit de Barbas, j. amiral Persi ; 

Ghil chiet mors à la terre, sor son escu flori ; 

L'arme s'en est alée : Dianle l'onl ravi. 



14 LA GONQUÊTE DB xARUSUKIf. 

Il saisi le destrier corant amanevi, 
290 .1. de ses compaignons erroment le tendi. 
Ghe fa .i. des chaitis qui tost le requelli. 
Isnelement monta, qu'estrief n'i atendi ; 
Puis se fiert en la presse, au brant d'acier forbi ; 
Et fiert .1. amiral, qui en Deu ne créi ; 
Très parmi la cherrele le fer dedens senti. 
Ghil chiet mors à la terre de Deu le maléi ; 
L'arme s'en est alée ; Diaule l'ont ravi : 
Esramment l'enporterent en infer le haï. 

X. 

Dans Richars de Chaumont ne vait pas atarjant; 
900 Broche des espérons le destrier auferrant 
Et a brandi la hanste, au gonfanon pendant, 
Et vait ferir .i. Turc, sur l'escu par devant ; 
Trestot li porfendi le clavain par devant ; 
Parmi le cors li guie son bon espié trenchant ; 
Tote plaine sa lance, l'abat mort el pendant. 
A haute vois s'escrie : c Baron, ferés avant; 
c Seignor, car vos vengiés de la paiene jant 
« Qui vos ont fait soffrir tante dolor pesant i » 

XL 

Dans Harpins de Boorges sist armés el destrier 
510 Et broche le cheval des espérons d'ormier. 
Dex i com il fu armés de bon hauberc doblier, 
De vert elme gemé et d'escu de quartier, 
A .1. lion tôt blanc comme flor de morier. 



CBÀNT PREMIER. 15 

Et a brandi la hanste au fer trenchant d'achier; 

Un ensaigne i pendoit, de vermel paile chier. 

Et vait ferîr .i. Turc que il vit aprochier : 

Tant corn hanste li dure l'abat mort del destrier. 

Li cors caï à terre, assés ot destorbier, 

Et Harpins de Boorges commencha à huchier : 

S20 c Sains Sépulcres avant I Dex i venës nos aidier i b 
Tant feri de Tespié, que il le fist froissier. 
Quant Tespiex li brisa, trait Tespée d'achier ; 
Puis a traite Tespée qu'il ne fist pas forgier. 
Et vait férir .i. Turc desor le capelier 
Qu'il li trenche la coiffe et le hiaume d'achier. 
Chil caï mors à terre, envers el sablonier : 
« Outre, dist-il, quivers ! Dex te doinst encombrier I » 
Qui li véist Paiens et ces Turs detrenchier, 
A Tespée trenchant ferir et caploier, 

sso Qui il consent à colp, mors est sans recovrier. 



XII. 

Bauduins de Biauvais fu chevaliers hardis. 
Dex i corn il fu armés el bon destrier de pris I 
Yestu ot à son dos .i. bon clavain eslis 
Et lachié .i. vert elme, qui fu à or bumis ; 
Li chercles de fin or, à perres tos massis ; 
En son ot .i. topasse del flun de paradis. 
Moult l'ama Corbarans, li rois poestëis ; 
Bauduin le.dona qui moult fu ses amis. 
Qui ochist le serpent eus el mont de Tygris; 
Devant ot la contrée gaste et le païs. 



16 LA GOMQUtrS Dt UtRUSALEM. 

H ot chainte l'espée dont ti bnns fa forMs ; 
Abrabans li dona li viex (^hanus florin; 
.1. Juis le foija el mont de Sinaîs 
Gorbarans li dona li bons ratsax esiis. 
 son col ot la targe, ob n'estoit pas eacris 
Li grans nons de ihesu, mais *i. lions peiis. 
Ensement tînt Tespié dont li ftis fa fraisnis ; 
Une ensaigne i avoit d'nn moult riche samis. 
Les langes d'or Tenbatent as poins et à son pis ; 

S50 Et broche le cheyal des espérons massis ; 
Et flert .1. amiral qui ot à non PaVrîs. 
Nés estoit de Bandas, de grant terre saisis ; 
Ses pères Justamons ilaec l'atoit iramis 
Le roi de Jursalem, por garder le paîs^ 
Por aidier à deffendre encontre nos marcbis. 
Bauduins le flert si sot son escu voltis, 
Desos la bocle d'or li est frais et croissis; 
Li clavains de son dos derox et dessartis ; 
Parmi le cuer li passe le penon vert et bis, 

360 Chil chiet mort à la terre, s'a les archons guerpis ; 
L'arme emportent Diaule en ynfer à tos dis. 
 haute vois escrie : ■ Dex père, Jhesus Cris f 
c Car nos venés aidien ce soit vostre mercist » 
Tant feri de Tespié, que il f a tos croissis ; 
Puis a traite Tespée au brant, qui'st coloris^ 
Et fiert a. amiral sor Telme, qni'st floris; 
Enfresi que es deos li a tôt son brant mis* 
Il chiet mors à la terre, par delës j* larris. 
Puis en refent .i. autre enfresi el chervis. 

S70 Ensement oom li leus faisoit parc es berbis, 



Faisoit li jjeniiei: bers os qaiyers maljâis, 
Paien morent et braient, es les vos descoQfis. 

XUI. 

Es jdant Johaii d'Alis, gai ne $*atarge mie, 
Dex i corn il fu armés el destrier de Surie ) 
Yestu ol .1. clavai^ dont )a ^aile est polie, 
Corbarans le d.ona |e roi de TEberie 
Lachié ot en son chief .h elme de Pavie, 
Et cheix^Ie de fin ^or qui luist et reQanxbie ; 
Et a chainj;e Tespée trepcha^ft et b^n forbie, 
S80 Et broche le cheval., s'a I^ hansjLe bfandie, 
Où Tensaigne pendoit, de soie d*Aumarie, 
Les langes de fin or dusc'as poins li balie. 
Et fiert .1. amiral sor la targe florîe 
Que tote li porfent, la broigue m de^sartie, 
Av fejT d'achier U trenche et le cgaur et le fie, 
Si que ij^pjrt le ti:e.l).uche en la l?in(Je enhermie : 
t Out;:e, dist-il, .(j[,uiyerSj li corjs Peu te mjaldieî » 
L'aruxe emportent DiauJe e^ lor couAestablie. 
Li jenXiex chevaMerjç à ha^te yoi^ g'escrie : 
sso « Ferés, franc /^JiBy^lie^ de ]a terre ')%q\ 
« Dex j «e.corés wç \m^ J)aj?a<e Sainte Marie ! ;i 

JLi quens Roberg def landres, ^ l?i .chère hardie, 
Et li dus Godefrois qu^ en Jiie^u $.e fie, 
Et li riches Barnages de Frai^ce la garnie, 
Quant conurexit Ricl^art et daut Johan d'Alie» 
Et Fochier de Melans et Renaut de Pavic, 
Et Harpin deBap.rges et la Deu compaignie, 

2 



18 '^ LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Et l'abë de Fescamp de la riche abeie, 
L'evesque de Forois qui les païens castie, 

ftoo Au bon espië trenchant en toli .x. la vie, 
Et li autre chaitif, tuit i fièrent à hie, 
Tos se fièrent es Turs ensamble à une hie 
Ensement com li leus qui li grans fains aigrie. 
Qui se fiert es tropiax de la grant berquerie 
Et fait parc environ et en mileu tornie ; 
Chele que il saisit sempres Ta depechie : 
Ainsi font li caitif entre la gent haïe. 
Quant no Baron les voient ferir par aatie, 
Ônques n'i ot celui qui de joie n'en rie 

kio Et de sa bêle main l'a de Deu benéie. 

XIV. 

Li Estors fu moult grant et fors la caploison. 
Es vos par la bataille dans Richars le Frison, 
Et Tomas de la Fere, à la clere fachon, 
Et le riche Barnage del roiaume Charlon, 
Qui se fiert eus es Turs, trestot à abandon ; 
N'i a cel qui n'ocie ou Turc ou Esclavon, 
Sarrasin ou Persant, ou Beduin félon. 
Et Harpins de Boorges et Richars de Ghaumon 
Et Dans Johans d'Alie et li Deu compaignon 
«20 Refierent ensement la maisnie Hahon. 
Li vesques de Forois, sor le cheval gascon, 
A I com il fu armés d'un hauberc fremillon, 
D'un vert elme jemé de l'ovre Salemon, 
Et d'espée trenchant, c'ot pendue au giron! 



CHANT PREMIER. 19 

L'espié tint en sa main, au vermel gonfanon ; 
Une crois i ot d'or, por vraie entension ; 
Les langes d'or l'enbatent de si à Fesperon. 
Devant lui encontra l'amiral Pharaon, 
Niés le roi Gorbadas, nés de Cafarnaon, 

ftso De moult grant tenéure et de grant région. 
Li vesques le feri par tel devision, 
Que Tescu li porfent et l'auberc li deron. 
Il li Irenche le pis, le foie et le polmon, 
Et le cuer ens el ventre, la rate et le regnon; 
Si le trébuche mort devant lui el sablon. 
9 Outre, dist-il,qaivers, ja t'arme n'ait pardon I i 
Il saisi le destrier et monta en l'archon 
A fin or tresjeté, de Tovre Salemon. 
Li frains et li lorains et li autre boton 

4M Yaloient de fin or, ce saichiés, maint mangon. 
Dist Richars li Frisons et li dus de Buillon : 
c Chi a bon coroné ! por Deu, car li aidon I » 
Et Sarrasin destendent, Persant et Esclavon, 
Traient espessement et font grant huéson. 



XV. 



Moult fu grant la bataille pleniere et adurée; 
Li vesques de Forois l'a moult bien afflée. 
Qui l'amiral ocist de si grant renomée. 
Richars et li caitif, no gent bon éurée, 
Venquirent la bataille, c'est vérités provée. 
ftso Tôt entor l'amiral fu moult grans l'aûnée 
De Turs et de Persans, celé gent desréée. 



90 LA CONQfiûn DE JÉRCSALEH. 

Là ot maint cfaevel triit, mainte barbe tirée, 
Et maint pis debatu» mainte face «sgratée : 
La dolor que cil font ne puet estre contée. 

Es vos Gomumarant; en sa main tint Tespée; 
En son cuer s'en ferist, se ne li fast ostée ; 
Lors Téissiés accorre mainte france esposée^ 
La porte St Esteule ont li Turc entorée, 
La caaine de fer en travers bien fermée, 
m Et Franchois s'en repairent, notre gent honorée. 
Si amainent la proie, mais obier l'ont acatée. 

Li qaens de Normendie ne puet avoir sevrée 
De l'espée, sa main estoit tote estonée ; 
L'enhendéure tint en sa main bien serrée, 
Qu'il ne l'em puet partir dusqu'ele fu temprée. 
En j. poi de caude iaue et de vin arosée. 
Desore la monjoie, à demie loée, 
Enoontrent Buiemont et sa gent bien armée. 
Les dames portent Tiaue, que Franc ont desirxée. 
ft7o Assës i ot de tex qui l'escume ont jetée 
Parmi la boche fors» pour l'iaue desirrée. 
Tôt entor nos caitis fu moult grans l'aûnée; 
Et content lor novele, qui bien fu escotée ; 
Iluec ot des Franchois mainte larme plorée; 
A la mahomerie est li os retornée : 
Ghele finit fu no gent richement conréée. 

XVI. 

No Baron s'en r^airent à la mahomerie ; 
La proie qu'il unainent fu moult biai départie, 



CHANT PRKmEH. 21 

Selonc ce que chascans ert de gnnt seignorie. 

480 Onques n4 ot le povre qui de joie ne rie ; 
Tote fu li os Dea sasée et repleqie. 
Tant par fa travaillé la grant oheralerie, 
El li riches Bamages, qui en Jbesu s'afle, 
C'ainc ni ot eschargaite oele noit eetablte, 
Âins se gisent armé aval la praerie; 
Ne demandent pas qeute, mais la terre adnreie, 
Linceus, ne quevecex, ne soie d'Aumarie, 
Mais les escus as chiés et la broigne vestie. 
Buienlons se leva à mienuit série ; 

490 Grant dol ot en son cuer, ne le mescréés mie, 
Por ice qu'il ne fu en la grant chevalchie, 
El val de Josaphas contre la gent haïe, 
Qui Deu n'aiment, ne croient le fil Sainte Marie, 
Et que Juis penërent en la crois par envie. 
Il vesti en son dos la grant broigne treslie, 
Et lâcha en son chief .i. elme de Pavie, 
Et a chainte Vespëe trenchant et bien forbie, 
Et pendi à son col une targe florie ; 
L'espié prist en sa main, où Tensaigne balie, 

500 Qui fu d'un riche paile, et fais fu en Rossiç. 
A .X. mil chevaliers, los de sa seignorie, 
Issi la nuit de Tost, à ce c'ot de maisnie ; 
Ala devant Cesaire, s'a la proie acoUie. 
Ariere s'en repairent tôt le val de Surie ; 
De si c'a Caïphas n'i a- règne sachie. 
De SOS la tor dès mosches en la lande enhermié. 
Es les Turc de Cesaire trestot à une hie 
S'en issent à bataille ; li cors Deu les maldie i 



28 LA GONQUÊTB DB JÉRUSALEai. 

Se oel Sire n'en pense, qui tôt a en baillie, 
MO La proie qu'il enmainent mal i fu acoillie ; 
Ja n'en revenra pies à lor herbergerie. 
Paien et Sarrasin ont la cité garnie 
Et ont mis .x. mesages ens en une galie ; 
A Escalone envoient por secors, por aïe ; 
Et drecherent lor voiles et li vens les en gie, 
Plus tost c'une saiete quant ele est esqueillie. 
Vinrent à Escalone, quant terce fu fomîe, 
Lor galie ariverent au port lès le navie. 

XVIL 

Li mesages arrivent, n'ont mestier d'arestaire; 
520 Chascuns ot despoillié .i. bliaut de Cesaire ; 
Vinrent à l'amiral, por faire lor clamaire. 
Ilueques véissiés chascun plorer et braire. 
Et rompre les chevox et lor pelice vaire. 
c Ahi I amirax sire, frans hom et debonaire, 
c Ja te mandent secors li baron de Cesaire. 
c Lor proie ont acoilli une gent de malaire 
t Si coverte de fer, ne crient lanchier ne traire f » 
Quant li amirax l'ot, si dreche son viaire; 
Et fait soner .i. timbre sus en la tor plenaire. 

« 

XVIII. 

550 Quant li amirax ot les dis des galios, 

La clamor de Cesaire et de Franchois les mos. 
Il fait soner son timbre et en graisle et en gros. 
Li amirax s'arma et ses escus fu d'os, 



CHANT PREMIER. 23 

Orlës de riches perres, del flun de Libanos ; 

Ses haubers fa moult riches, c'ot vestu en son dos. 

Là vint .1. Sarrasins félons et estricos, 

Et li dus d'Escalone, Tamirax Fanios, 

Jamais ne finera si iert jostés as nos. 

XIX. 

Buiemons et Tangrés orent fait lor cembeU 
Par de devant Gesaire, contreval le ruissel ; 

MO Des cameas et des bugles furent fait li flocel, 
Des berbis et des chievres et de maint' riche aignel. 
No baron s'en repairent par devant Mirabel. 
 St Joire de Rames trovent Tautel moult bel ; 
Surien le gardoient et cil de Nasarel. 
A St Joire de Rames parvinrent no baron, 
Baiemons et Tangrés et tôt si compaignon, 
A trestote la proie dont il i a foison. ,j^ 

Il descendent à pié et font lor oraison 
Et bâtent lor poitrines par grant afflicion ; 

550 Réclament Damledeu et son saintisme non, 
Et le Baron St Pierre, St Joire le prodon. 
Que de tos lor pechiés lor face le pardon. 
Ensi com il faisoient lor grant afiQicion, 
Es les Turs d'Escalone, poignant tôt le sablon, 
Armés sor lor chevax, de diverse fachon. 
L'amirax fu armés sor le blanc arragon, 
Covert d'un blanc diaspre, teste, col et crépon ; 
Et portoit Toriflambe, Tensaigne et le dragon. 
Les langes d'or li bâtent de si à Tesperon. 



ii LA CONQUÊTE I^ iÊttt^^ALEM. 

500 Paiene genl chevàticent à force et à bahdon ; 
L'amiral vont seyant entor et environ. 
Là péassiés véoir tant hattberc fremillon, 
Tant vert elifie gemé et tant fier esclavon^ 
Et tante roide glaive et tàfit riche penon, 
De cendax entailliés de vermel siglaton. 

Quant no baron les virent, chascuns monte en Tar- 
Et embrache Tescu, par grant aatison. [chon 

Buiemons les conforte, si lor traist .i. sarmon : 
t Seignor, cô dist li bers, franc chevalier Baron, 

570 t Tôt somes d'une terre et d*une nassion ; 
« Nos n'avomes chaste!, fermeté, ne donjon, 
« Où puissons repalHer, ne avoir garison. 
f Et vés soi* nos venir paiéns à esperon, 
t Qui ne croient en Deu, ne en surrexion, 
c Ne que requellist mort, ne soffrist passion^» 
t Por ûôs tos rachâter de rinfernal prison. 
r^ Seignor, qui ci morra s'ait la benéichon 
c Que Dex dist as apostres, au Jor d'Assension : 
t Qui chl rechevra mort, s'aura le guerredon, 

580 c Au grant jor del juise^ à Tasolution. » 
A ce que li Bers ot flnée s*orison, 
Es les Turs de Cedaire brochant à esperon, 
Et no gent vont eneontre, nés prisent .i. boton. 
Si près furent josté à la geste Mahon, 
Que Tuns ptiet ferir Tautre de son poing el caon. 
Là véissiés d'espée» si flere caploison, 
Tante teste colpée, tant pis et tant mentoil, 
Dont li cors sont fine en grant perdicion. 
A cel pûindré sont mort bien im^ iglolon, 



CHANT PRËAHm. 28 

590 Dont Diaule ont lés armes mises en bardtron, 
Que jamais n'en Istront, par nule raenchon. 



XX. 



Li estors furent fort et li caple sont fier ; 
Et 11 Turc les acoillent à traire et à lanchier. 
Là péussiés vèoir tante large perchier, 
Et tant elme derompre, tant haubert desmailler, 
Et tant paien verser, tant quivert losengier, 
Et tant cheval navrer et tant corant destrier, 
Dont les règnes sont rotes et quèent el terrier. 
Hé Dei î com se deffendent notre vavassor fier I 

MO Et Buiemons les guie, que Jhesus puisl aidier I 
Qui Véist le baron l'ensaigne desploîer, 
Qui il consent à colp, ne li valt .i. denier 
Bons escus et fors broignes ne li face perchier 
Le fer et la coraille, au trenchant fer d'achier. 
Là oïssiés les Turs glatir et abaier ; 
Ja s'en fussent fui, li glouton pautonier, 
Quant il virent venir le grant secors plenier. 
A destre regardèrent vers le castel Gaiffler, 
Virent les Turs de Jaffes, bien sont xv millier, 

610 Moult richement arme el chascuns ot destrier. 
Chele fiere bataille fist no gent esmaier : 
Buiemons les conforte et prist à castoier : 
t Seignor, ce dist li bers, nobile chevalier, 
t Por Tamor Deu de gloire, vos voil à tos proihier, 
t Et por le Saint Sépulcre, ne vos caut d*esmaier. 
< Mais rechevës les Turs au fort et au legier ; 



S6 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

c Car chil qui chi morra en aura tel loier, 
c Qu'en paradis celestre le fera Dex colchier, 
c Avec les ignocens servir et aaisier. 

XXI. 



620 c Seignor, dist Buiemons, oies quel aventure I 
c Tôt avions desroté iceste gent taphure, 
c Se ne fussent icil ( c'aient mal aventure 1 ), 
c Qui chi vienent frapant plus tost que Temblëure. 
c Voies com il nos chaignent d'orgeillose chainture ! 
c Qui bien les requerra, sa vie iert caste et pure, 

< Devant Deu en ira, en présent, sa faiture I 

c Seignor, dist Buiemons, ne vos quier à celer : 
c Qui por Deu rechoit mort, moult par se doit vanter 

< En paradis celestre le fera Dex poser, 

650 c Ensamble avec les angles et cocher et lever. » 
Qui la véist les Turs Testandart aporter 
Et Tor fin et Targent luire et estinceler. 
Les perres precioses corne fus embraser 
Et as lances trenchans nos barons encontrer, 
Les listes des blasons et perchier et troer, 
Et as espées nues sor ces elmes capler. 

Buiemons nel puet mais soffrir ne endurer : 
A .V. mile Franchois, que Dex puist alever, 
Ala à Testandart ferir et- bastoner ; 

6fto Par force et par poeste le fist tôt cravanter. 
Là oîssiés les Turs et glatir et usler; 
Les cors et les buisines et tentir et soner ; 
Et sore nos Franchois et ferir et huer. 



CHANT PREMIER. 27 

Ja fassent no Baron et no gent au Qner ; 
Mais Dex, qui al besoing velt sa gent conforter, 
650 Lor tramist tel secors qui bien fist à loer. 
Qui dont véist St Joire nos barons arester 
Et oïst Buiemont et hucher et crier : 
c Sains Sépulcres aieue I St Joires, riches ber ! » 
Ensement com li chiens demene le sengler, 
Quant il s'esqeut as chiens et il les fait rurser; 
Ausi faisoient Turc no Franchois démener. 
Par le mien escient, ne péussent durer, 
Se Dex nés secorust qui tôt puet governer. 

XXII. 

Seignor, or escotés, franc chevalier vaillant, 
660 Si come Franchois erent en la destreche grant. 
Que Turc les angoissoient as ars de cor traiant, 
A lanches acherées et à maint dart trenchant, 
Ensement com li chien vont le sengler menant, 
Quant il saut des espiés et il le vont menant : 
Tôt ausi vont li Turc nos Franchois debotant. 
Ne péussent durer, de ce soies créant. 
Se Dex nés secorust par le son saint commant. 
Atant es vos Saint Joire à esperon brochant 
Saint Barle et Saint Démisse, sor le blanc ataignant, 
670 Saint Denise de France, o compaignie grant. 
Une eligion d'angeles, comme faucon volant. 
Qui se fièrent es Turs, moult en vont trébuchant : 
Chascuns i cheta mort Sarrasin, ou Persant, 
Ou Turc, ou Beduin, ou païen mescreant. 



26 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Quant no Baron les voient, si sont lié et joiant. 
Tex jut navrés à terre, qui sali en estant, 
Et rembrache Tescu et relieve le brant. 
Saint Joires laisse corre et flert si Tamirant, 
Que le cuer de son ventre en .ii. moitiés li fanl : 
680 c Que ce est vif diable? » dient li Suriant, 

c Yers les fers de lor lanches ne somes deffendant! » 
Il lor livrent le dos, si guerpissent le camp. 

Buiemons les encauche et Saint Joires devant 
Et li riches Barnages après esperonant ; 
Des mors et des navrés est la terre covrant ; 
Li os est estormie et deriere et devant, 
Enfresi qu'en la mer les enmainent ferant. 
Quatre mile en noierent en une onde flotant, 
Dont Diaule ont les armes en ynfer le puant. 

XXIII. 

090 Es Saint Joire de Rames, devant son bel mostier, 
En la large campaigne où sont li sablonier : 
Là fu grans la bataille et li esters plenier, 
De Turs el de Persans, que Dex doinst enconbrier, 
Qui ce ne volent croire qu'en la disne moillier 
Presist Dex char et sanc, ne fesist bautîsier. 
Buiemons les encauce, ne les volt pas laissier, «^ 
Et Saint Joires de Rames ques faisoit trebuchier , 
Enfresi qu'en la mer ne finent de cachier. 
Quatre mile en ocient contreval le rochier, 

700 Dont les armes enportent Diable et aversier. 
Qui là véist Saint Joire venir et repairier, 



CHANT PREUEB* 90 

Par palagre de mer venir et repairier, 

Saint Joire et Saint Domin l'un vers l'autre adrecbier, 

L'un bohorder à Tafatre, com fussent esprevier. 

Et Buiemons s'escrie et comence à huchier : 

« Saint Joire, riche Ber, com vos doi avoir chier I 

« Vostresaintismeglise vos ferai essauchierl » 

« Seignor, dist Buiemons, nobile chevalier, 

< Moult devons Damledeu amer et tenir chier, 

710 c Qui nos a fait nos vies en nos cors alongier. 
c Ore, Baron, as testes pensés del rooigaier, 
c As ooes des chevax noer et atachier; 
c Devant Jérusalem les voirons caroihier, 
c Très parmi les hans murs là dedens balencbier : 
« Ghe sera une chose ques fera esmaihier. • 
Les haubers et les armes, et les ars de cormieir, 
Les espées trenehaos et les dars por lanchier 
Trestot en font porter ; nés i voiront laissier. 
Qui là véist no geot descendre ens el porrier, 

720 Les espées deschaindre, les elmes deslachier, 
Et les haubers fors traire et de lor dos sachier ; 
.XV. mile cameus et autretans somiers 
En ont fait de lor armes et tresser et carchier 
Puis accoillent la proie et entrent el sentier. 

XXIV. 

Est^ vos nos Barons à St Joire arestés; 
.XXX. mile somîers ont carchiés et tressés 
De blans faaui)ens treslis, de fors escus boclés, 
Et d'espées trenchans et de dars enpenés. 



30 LA G(»<IQtâTB DE JÉRUSALEM. 

Puis acoillent la proie, dont il i a assés, 
7S0 Et entrent el chemin qui fu grans et quarrés. 
Par desor Mirabel es les acheminés. 
Et vinrent à Tost Deu : grans solaus ert levés, 
Et li dus de Buillon lor est encontre aies ; 
Et Tomas de la Fere, li prox et li sénés, 
Et Dans Hues li Haines sor son cheval armés. 
Dist li dus Godefrois : « Buiemont, dont venës ? 
c Quel venoison est ce que vos nos aportés ? . 
c Où presistes la proie dont vos tant amenés ? » 
Et respont Buiemons : c Orendroit le sarés. 
740 c En la plaine de Bames avons paiens trovés ; 
X c Ses avons desconfis, Dex en soit aorés I 
c Ghist avoirs qui chi est soit à tos présentés, 
c As povres et as riches départis et donés. 
c Qui n'a nule arméure nos Ten donrons assés, 
c Et haubers et vers elmes, et bons brans acherésl » 
Dexl la riche parole, com il fu escotésl 
De .XXX. mile Frans fu si li dus loés 
Por icele parole, qui fu prise en grans grés ; 
Et sont venu as loges et descendent as très. 

XXV. 

750 Li Prince et li Baron sont descendu à pié, 
Tost furent de lor dos li blanc hauberc sachië, 
Les espées deschaignent, elmes ont deslachié. 
De sanc et de chervelle estoient tôt soillié. 
La nuit fist Teschergaite, tant quil fut esclairié, 
Li vei^que, et li abé et li autre clergié 



CHANT PREHIER. 31 

Ont cantée les messes et Jhesum graciié, 

La sainte lelanie et dit et yerseillié. 

Buiemons et Tangrës, et ior grant conpaignie, 

Sont descendu a pié à lor herbergerie, 
700 El li riches Barnages, qui en Jhesum se fie. 

La nuit Teschergaita, la grant broigne vestie, 

Li bons dus de Buillon, desc'à l'aube esclairie; 

Li yesque et li abé et li autre clergie 

Ont cantée la messe et dit la letanie. 

Chel jor fist Buiemons sa riche départie : 

Qui volt avoir cheval, ne fort broigne treslie, 

Ne espée trenchant, ne fort targe florie, 

Buiemons li dona ; ce fu grant seignorie ; 

Tote fu li os Deu sasée et replenie ; 
7-70 Onques n*i ot si povre qui de joie ne rie ; 

Carcent muls et somiers, s'ont lor voie acoillie, 

Tôt droit vers Jursalem la grant voie enhermie. 

L'avangarde lor fist li Dus de Normendie, 

Chil à la brune char, à la chère hardie. 

Vinrent à la monjoie, Jursalem ont choisie. 

Adont sont descendu en mi la praerie. 

XXVI. 

Li Prince et li Baron sont descendu à pié 
Tost furent de lor cauces li avant pié taillié, 
Par desos les chevilles colpé et rooignié, 
780 Orent tant le sablon et passé et marchiê, 

Qui tant par est trenchans, que moult sont traveillié; 



32 LA CONQUÊTE DE lÉBUSALEM. 

Vinrent à la monjoie, si sont ag^i)oillié : 
Jherusalem enclinent par moult grant am^stié. 

xxvn. 

Tôt droit à la monjoie parvinrent m Baron, 
Li vesque et li abé, de grant religion. 
Chantent alléluia, hudamus te Dewn ! 
De hautes queriieles oïssiés la lechon. 
Baivier et Alemant cantoient lor canchon. 
Là péussiés véoir la maisnie Jhesum, 

790 Mordre et baisier la terre par granX devocion,. 
Li .1. disoit à l'autre et traioit k sarmoa : 
c Par chà pajssa Jhesus quant vint à passion, 
c Si benéoit apostre et tôt si cojipaignQU ; 
c Bon avomes soSert tant mal por le son non, 
c Et tant fain et tant soif, tant perseciucion» 
c Les grans vens et Torage, la noii et leglachon, 
c Quant la sainte chitë à nos iex esgardon, 
f Où Dex recoilji mort, por no rédemption! >> 
Sor les murs de U chit, par grant aatison, 

800 Ot tante riche ensaigne de vermei siglaton, 
£t de pailes à or, de cendaus d'orion ; 
Paien et Sarrasin, PersaAt et Esclavon, 
Estoient sor le mur, entor et environ. 

xxvin/ 

Tôt droit à la monjoie sont Franchois arres^té^ 
Et Oint Jherusalem moult parfont encline : 



CHANT PRBHIER. 33 

De joie et de leëce qu'il virent la chité, 
Les murs et les batailles et la grant fremôtë; 
Plorereat tenrement 11 prince et li chasé^ 
Et 11 povre et li riche, li chevalier membre. 

810 Voient la tor David, Testandart sus levé, 
Que Sarasin i orent et drechié et posé, 
Et l'aigle qui reluist corn solaus embrasé, 
Et le paile tendant que Turc orent trové. 
.XX. aunes ot de lonc et .xx. en ot de lé. 
Là ert la lois escrite que tienent li malfé, 
Chele gent sarrasine, quivert et deffaé. 
Mult furent cil prodome et vassal aduré 
Qui là mistrent le sieje par vive poesté, 
Où il nen avoit herbe, ne rivière, ne pré, 

820 Fontaine, ne sorjon, de si à Syloé ; 
Ghest une iaus salée où petit a bonté. 

XXIX. 

Seignor, celé fontaine est mult forment salée 
Et est par escriture Syloé apelée. 
À bochiaux et à canes fu à Tost aportée ; 
À somiers et à asnes conduite et amenée. 
Li prince et li baron de France Fonerée, 
La burent volentiers et à grant conseurrée ; 
Ne demandoient pas la canbre bien parée, 
 boire les bons vins coiement, à celée, 
830 Por mengier cras capons, ne venison pevrée, 
Menjuent char wascrue, mal quite et mal salée, 
Par paines, par travax et par grant conseurrée, 

3 



e^RGUMENT. 

Pierre THermite montre Jérusalem et les lieux saints aux barons 
français, en leur rappelant les principaux événements de la vie du 
Christ.— Pieuse ardeur des Croisés.— Conseil tenu par les princes. 
— Avis donnés par Thomas de La Fère, le comte de Flandre, Boé- 
mond et Tancrède. — Ils attaquent la porte de Saint-Ëtienne. — 
Hugues du Maine conseille de différer le siég^e jusqu*à ce qnlls 
aient construit des machines. — Godefroi et son ost se postent sur 
le monl Sion, Girars de Gournai et Thomas de Marne au val de 
Josaphat, le comte de Saint-Gilles au mont Olivet, Richard de 
Normandie devant la porte Çaint-Ëtienne , le comte de Flandre 
devant la porte de David , Boémond et Tancrède à Bethléem , le 
comte Witasse au Charnier des lions.— Autre avis de Hugues du 
Maine pour se procurer de Teau et des provisions également répar- 
ties entre tous. — Corbadas et son fils voient ces préparatifs. — 
Craintes du premier. — Confiance du second. — Godeiîroi tue trois 
oiseaux de proie à la poursuite de deux colombes.— Les assiégés y 
voient un présage funeste pour eux. — Conseil tenu par le Roi Cor- 
badas, Lucabel et Malcolon.— Comumaran hasarde une sortie. — Il 
est aperçu par Harpin de Bourges.— Combat sanglant.— Comumaran 
et sa troupe rentrent dans la ville. — Les assiégés préparent une 
vigoureuse défense. — Ënumération des principaux barons de la 
Croisade. — Le roi et le corps des Tafurs. — Les Croisés se prépa- 
rent à un assaut général. 




CHANT DEUXIEME 

I. 

8M SfiR35î^r coinmiénche cahch'ons de bien enluminée : 

Onques tel ne fu faite, ne si bobe escotée. 

II. 

1 

Dans Perres li Hermites sor son asne monta : 
Les barons et les princes ayoc lui enmena, 
Et le riche barnage, que Dex mult honera ; 
Et desor Josaptias le grant tertre puia. 
Jherusalem la ville sorvit et esgarda ; 
As barons et as princes le dist et devisa : 

Dedens le sainte vile, biax Seignors, fu jo ja ; 

Yés là mont Olivete, là où Dex demanda 
850 c L'asnesse et le faon et on li amena. 

Veés la portes oires^ par où Jhesus entra 

Dedens le sainte vile, et on li despoilla 

Et le vair et le gris et il desor monta. 

Li enfant as Juïs grans torbes i ala ; 

Ens en mileu des rues, stemebant in via 

Les rains des oliviers et de ramis palma. 

La chités fu plorans, la terre si ploia 



38 lA gonquAte de jéecsaleii. 

Sos les pies Jhesu Crist, aine puis ne redrecha. 
Yeés là le prétoire, là on le plaidoia, 

MO c Oîi Judas le Tendi quand de lui se sevra. 

.ixx. deniers em prist, aine plus n'en demanda. 
Et veës là l'estaque, là où on le lia, 
Et le leu ensement, là on le coloia : 
Yeés monte Calvaire, là où on le guia, 
Baron, à ieel jor qu'on le crueefia. 
Quant Longis son costé de la lance pereha. 
Et li sans en corut de si qu'en Golgoia. 
Yeés là le sépulcre où Joseph le posa; 
Li jentiex soldoihiers son seignor le rova : 

870 c .vil. ans l'avoit servi, aine plus ne demanda: 
Ghe furent grans soldées que li rois li dona. 
Yeés là le saint temple que Salemons fonda. 
Là erent li apostre, quant Dex les conforta. 
Et il dist Pax vobis, dont les enlumina. 
Yeés la letanie où il les doctrina 
De nonante-neuf langes que il lor enseigna. 
Yés là monte Syon, ilueques dévia 
Le mère Jhesu Grist, quant del siècle passa. 
Et vës chi Josaphas, là où on la porta ; 

880 c Si est la sepolture, là où on la po&a. 
Or deprions la Dame, si eome Dex Tama 
Quant ses benëois angles el chiel la convoia, 
Nos pechiés nos pardoinst li rois qui tôt cria. 
Les grans et les petis com chascuns fais les a. » 
Ament Dex i sire Perei » chascun d'ax s'escria. 



CHANT DEUXIEHE. 



39 



III. 



890 



900 



Li conte et li baron et li prinche marchis, 
Li yesque et li abé, li haut home de pris, 
Tendent lor mains vers Deu et crient à haus cris : 
Jhesum Nasareum! Dois sire Jhesus Cris i 
Bon avomes laissié nos fiés et nos païs, 
Et nobles manandises et nos biax edefis, 
Et nos jentiex moilliers, dont faisions nos delis. 
Et nos bêles maisnies et nos enfans petis, 
Quant or véons la vile où Jhesu fu traïs, 
Batus et laidengiés, férus et escopis. 
Issi com ce fu Yoirs, que tu fus surrexis, 
Au tier jor el sépulcre, quant vos i fustes mis, 
Lai nos prendre venjance de tes max anemis. 
Des Turs et des Persans et de ces Arrabis, 
Dont cil mur sont covert qui sont de perre bist i 
A iceste parole se sont as chevax pris, 
Yestu orent haubers, lachié elmes burnis, 
Et chainte les espées, as riches brans forbis, 
Pendu ont à lor cox les fors escus voltis ; 
Us saisirent les lances et les espiés fraisnis, 
Les ensaignes de paile et de riches samis 
Ventelent et flaelent au vent qui fu seris : 
Avis estoit chascun qu'il fust en paradis. 
Dans Perres li Hermites les a à raison mis : 



40 U GONQUéTE DE JERUSALEM. 



IV. 



MO c Seigmr, che dist dans Perres, nobile chevalier, 
Li prinohe et li baron et 11 riche guerrier, 
Li yesque et li abé, qui sevent te mestier 
Le cors de Jhesu Crist sacrer et portraitier, 
Gardés vers Jursalem, dont li mur sont plenier, 
Lea hautes tors de perre, de caus et de mortier, 
Les fors portes bendées et de fer et d'achier ; 
Bien devons Damledeu amer et tenir chier. 
Qui chi voira conquerre le gloriox loihîer, 
Le benéichon Deu envers lui desrainier, 

MO c Chascuns penst de bien faire et de lui efforchier 
Car chil qui chi morra en aura tel loihier, 
Em paradis céleste le fera Dex colchier 
A^ec ses ignocens servir et aaisier I » 



V. 



Dist Tomas de la Père, à la hardie chiere : 
Si m'ait Dex de gloire, ne sai en quel manière 
Puissons prendre par force ceste cité pleniere, 
Qui'st si fors et espesse, de si dure quarriere i 
Li fossé sont parfont et dure la terriere, 
Et li tors en est haute plus d'une arbalestiëre. 
930 t Ichî nen a forest, fontaine, ne rivière, 

Ne chi nen a tramois, ne forment, ne gaschiere; 
Chele terre est déserte, coverte de bruiere. 
Li os est si destroite et li aige tant chiere. 



MO 



.c. sols en vent on bien carchie une soffliere. 
Ichi n'a point de laigne, boscage, ne* rapière, 
Dont on fâche bolir pot de fer ne candiere. 
Mais par la foi que doi à mon seignor St Perre, 
Miex volroie estre mors et avoc mis en bière, 
Ke chelte fiere gent hardiement ne quiere, 
De m'espée trenchant à mes .11. mains ne fiere. 
Nel saront si garder li fil à Taversiere 
De- cftaus qui chi mwront n'estuet foire pfoiere, 
Lor armes fera salves Jhesus, lî' vrafis jngiere^. » 



VI. 



Chedist H qnens de Flandres: < Se Dex me benéie, 
Merveille moi de Den, le fil Sainte Marie, 
Qui chi se heberja en ceste desertie. 
Ghe déust estre- ci bone terre coltié, 
Enehens i déust croîstrej li petre etie tubie, 
fiaringaus et gingenbres et la rose florie, 

950 € Herbes medibinaus, qui à cors d'ome aïè. 
Miex aim dei bore d'Arras la grant castelerie, 
Et d'Aire et dé St Pol lia grant caroièrte 
EtJdfe mes biaus viviers là rtche pcscherife, 
Que tôte ceste terre,. ne la chité aûtiè. 
Mai&par là foi' que dei àGlimencbain', m'amie, 
N'a B&uduin mon fil, où mes cuers s'ttïtfelie, 
Miex* volnxie estre pnsj ott' issus fbrs dfe vîc, 
C'à^ oelë ' riche portfe, où li pailesbalie; 
Né^lônfâce otiwidh)it une vittie enVâïè; 

060 c Apsrmïia vos semontMe'chèviaflë^ie; 



42 LA eONQUiTE DE lÉRlISALEli. 

t Aine puis que Dex fu nés, li fiex Sainte Marie, 

t Ne fu chités fermée en tele desertie. 

c Ichi nen a forest, ne point de praerie, 

t Fontaine, ne sorjon, ne nule pescherie : 

< Bien doit qui morra chi, s'arme estre replenie, 
« Devant Deu en ira cantant, teste florie. » 

VII. 

Par devant Josaphas, es grans tertres roons, 
Fu tenus li concilies des nobiles barons, 
De vesques et d'abés, de maintes régions; 

970 Voient Jherusalem, les murs et les donjons. 
Les hautes tors de perre, les vermax siglatons, 
Là dedens la chité les Sarrasins félons 
Et aler et venir, et wider ces maisons, 
Porter or quit en place et ces riches mangons, 
Volent emplir le temple que fonda Salemons 
De femes et d'enfans, de petis enfanchons. 
— c Seignor, franc chevalier, ce lor dist Buiemons, 
c Trestotes les chités que conquises avons 
« Sont febles à cestui, que de fi le savons. 

980 c Andioche la bêle, où fu mors Gardons, 

c Ains n'en pot .i. garir de tos ses conpaignons, 
c Qu'il ne fust mors ou pris, come roges lions, 
c Là éusmes destreches, mais ci graindres aurons. 

< Car jo ne voi rivière, ou loger pëussons, 

i Forest, ne praerie, dont nos chevax paissons; 
c Cha defors la chité grans disetes aurons, 
c Mais por l'amor de Deu les paines sofferrons 
c Por ce c'après nos vies les armes garrirons. » 



CHANT deuhehe. 43 



VIII. 



Après parla Tangrés, li prox et li hardis : 
990 c Ahi, Buiemont sire, que ce est que tu dis? 
c En la plaine de Rames mainte fois me desis, 
c Quant nos chevalchions de sor nos arrabis, 
c Que se Dex te soffroit que tu tant fusses vis, 
c Que yéisses la vile où Jbesus fu trais, 
c Batus et coloiés, férus et escopis, 
c Où il recoilli mort por nos dolens, caitis, 
c Mangeroies la terre comme gastiax rostis, 
c Ou blanc pain buleté ou fouache à tamis i 
t Or vos voi si destroit, dolent et entrepris ! 
1060 c Ne vos esmaiés mie, Dex nos sera amis. 
« Nos beverons Tescloi et le sanc des roncis, 
c Et cil qui che set bien qu'il iert sans et garis 
c Porquist onques côars, recréans n'esmaris, 
c Mais tos jors del mex faire soit tos jors talentis. i 
— c Seignor, ce dist Tangrés, n'en soit ja consaus pris : 
< Tost et isnelement soit li assaus bastis, 
« Environ le chité, à martiax et as pis; 
« Se Turc ovroient jà ne porte, ne postis, 
c Par aucune aventure fussent à nos salis, 
1010 t A rentrer se porroient tenir por entrepris : 
c Avoc els m'en iroie, com li lor anemis, 
c Enfresi c'au saint temple durroit li feréis i » 

A iceste parole ont les ados saisis. 
.LX. mile graisle i furent bien oïs. 
Sempres ares assaut dolerox, ce m'est vis ; 



tt LA GONQBiTB DE léMMALEM. 

Se Damledex n'en pense, li rois de paradis, 
Dont il morront .x. mile des plus amanevisi 



ÏX. 



De lor chevax descendent Baiemons et Tatigi^s, 
Li qlijiens de Normendie, et Tomas li sedés, 

1020 Et li riches bamages, qui pfûx est et sénés, 
A martiaûs et as henes et as pis acherés, 
Tôt droit à Saint Esteule, où il fu lapidés^ 
A perres et à fondes et feras et rués. 
Là vinrent les compaignes des hardis aloses ; 
J'assalassent par force as murs et as fossés. 

Es vos Huon' Le Mkine, sor son cheval armés. 
Que il àvoit conquis sos Andioche es prés, 
Govert d'un blanc diapré, les flans et \eÉ cosiés ; 
Et dist^Hues li Mlaines : « Franc chevalier, estes I 

1090 c PbramdrDeu'de gloire, envers moi entendes. 
« Sot assalés as portes, chertés c'est vérités, 
c' Li domages des nos n-ert janiaift restorés: » 



X. 



Che dist Hues^ li Mailles, qui quens fu de Perone, 
Frère le roi)de France, qui portoit la corone : 
« Cheste vile est plhs fors que ne soit Bsoaldïie, 
c* Antiocheilà beie; Dtiras, ûe Avaloiie : 
c Nosassaus'sàfDs-eiigien ni valroît'uaepoÉie. > 
Pist li dus Godéfrois': cQesle'pafroie^es bonev » 



fWAwr Kiasiiav. 4S 



Kl. 



Che dist Hues li Maines, li quens de Yermendois : 
loM c Seignor, franc chey^lie;*, nel tenës à gabois 
Nos somes trestot frère, as anchianes lois ; 
PH#ftfll^le 1IYPD& ^q£(e^»:^ vmm faio$«t mains sois, 
Les YeM P| k^ of ftgQs^ las pluies et les noîB, 
{11. p9,i;n^is^$ 1^^ terrée 0I pas^sâs mains daatrois : 
Yé^ çl}\ |b^ru$aJem, oA ii|&uU a granl défais 
Qe l)^ute$ tpr$ de perre, de murs sarr^sinois. 
Nos ass^u^ 390$ engi^jïg. a'i valroit mi$ j. pois. 
Ja verriiés n^prir à graut dolor Franchois, 
Angevins et Bretpns, et £$C05 et Anglais, 
1C6) c Provincl^a^ et Gascoi^s, Pisans et Genevois. 
Mais prjimp>$ 9Q? targone; si ferons que cortois. 
Par engieng covient prendre ces murs et ces bef- 
Ma part voirai avoir 4^ ces pales grijois. » [frois. 
— c Chertés, c>st biens affaire, dist li dus Godefrois, 

f U qupft^ de ïormwdiç et Roberi U Titiois. » 



XII. 



Di§t U 4»s Gpdefrois : « Oiiê», aeignor baron; 
t Gbertps ç'ç^\ bpn conseil df l prou Maine Huon : 
f ^fi s\ e^t bon affaire que soa conseil créon. 
f Or pfi^r4^& ppr j)çu, comment nos le feron ; 
1060 f Par con (ait^ Buaniore la cité prenderom. 
c ^(^ ni'eQ ii?ai Ipg^r droit h monte Syon 
* ^\ I4 S6Qt de md terre et de mm nascioa* 



46 lA CONQUÊTE DE lÉRUSALEH. 

c Ilaeques ferai tendre mon riche paveillon, 
Et par nuil et par jor la porte garderom. 



1070 



c 



c Ne se porront garir là dedens li gloton. » 



XHI. 

Dlst Girars de Cornai et de Marne Tomas : 
Et nos relogerons el val de Josaphas, 
Trestot droit à Saint Père, qu'est en Galileas, 
Là où il s'en fuï quant ses compains Judas 
Fist prendre Jhesu Crist et mener à Pilas. 
L'aige de Syloe, à .xxx. somiers cras, 
Ferons venir à Tosl Tambléure et le pas ; 
Ses ferons départir as feules et as las. 
Les engiens ferai faire dont li mur seront quas ; 
Ne se porront laiens garir li Satenas i » 

XIV. 



Dist li quens de Saint Gille : c Et jo relogerai 
c Droit à mont Olivete ; là mon tref tenderai ; 
c En la terre d'Arrabe la vi taille querrai; 
€ La rivière del flun sovent recherquerai; 
1080 c Quanque porrai conquerre à Tost aporterai, 
c As povres et as riches igaument en donrai, 
c Nient plus que au plus povre, à ma part n'en tenrai. 
c Les riches portes oyres très bien vos garderai. 
c Paiens et Sarrasins de là agreverai. 
c Les engiens ferai faire, dont les murs percherai. » 
— c AmiSy bon fuissiés nés! dist Girars de Gomai. 



CHANT DEUXIÈVE. 47 

XV. 

— c Seignor, ce dis! Richars, li dus de Normendie, 
< Ichi à St Esteule, se Dex me benéie, 
t Ferai tendre mes tentes, jo et ma compaignie ; 
iMO c A celé riche porte, où li paiies balie, 
c lert faite de ma gent mainte dure envaïe. 
c Se Turc issent cha fors, qu'ils nos facent salie, 
€ Tant i voirai ferir de m'espée forbie, 
c C*ayoc aus m'en irai, soit savoirs ou folie, 
c Et quant venra au vespre, que nuis iert enserie, 
c Vos eschergaiterai, la grant broigne vestie, 
« A .X. mil chevaliers, dusc'à l'aube esciarcie. 
« Quanque porrai conquerre à l'ost Deu iert partie, 
c As povres et as riches, ne vos mentirai mie. » 

XVI. 

itoo El dist li quens de Flandres qui le cuer ot hardi : 
c Et nos relogerons à la porte David, 
c A la gent de ma terre, si com nos somes chi, 
Et au main et au soir et au plain miedi 
lërent li Turc por nos fièrement envaï ; 
Et quant venra au vespre, qu'il sera anuiti. 
Vos enchergaiteront .x. mile fervesti : 
Quanque porrai conquerre à l'ost iert départi, » 



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XVII. 

— € Seignor, ce dist Tangrés et li prox Buiemons : 
< Par dedens Bellien nos reherbergerons ; 



18 U GONQDAtE 0E ^U8ALEai. 

Il 10 c Eus es maistre chemin nos très tendre ferons, 
c Qaanque porrons conqoerre à Tost Deu partirons. » 
Et dist li quens Witasses : « Oies, seignor barons ; 
€ Et Ms relo^rons au carnier de lyons ; 

< Par dedeos la marine la vitaille ^oerrons, 
c Et as Sur «t à Yaffes de si que Âlenchons, 

c Voire dusc'à pors d'Acre, anchois que H'&n aions, 

c Par devers Nasareth nos en repaierrons. 

< Le grant chemin de Naples après recberqnerons ; 
c La fontaine des mais à Tost aporter ons ; 

1120 f As poYPes et as riches igaument en dûnrons, 
c Autretanl oom as riches as plus petis garchoHs, » 

XVIII. 

Che dist H»es M Maines, qui mult fist à proisier, 
(A merveille Tamoient li vaillant chevalier, 
Car il les savoit bien loialment conseiller.) 
Stfîgnor, dist li qneas Hues, btea fait à merchiio*, 
Del pain, de la vitaille soient tôt parchonier ; 
Ne voisent mie à rote à Tiaue li somiei*, 
Mais as riches eompaignes apresté con guerrier, 
Et si soiefit à Tiaue au tresser, au carchier : 
iiso c Et quant il seront mis arrière el repairier, 
Si ait chaseuns de nos en Tiane .i. botellier, 
Et si, li face biien jurer et âanchier 
Si le départira, jà n'en prendra loihier, 
Ne or fin, ne besant, ne argent, ne orïnier. 
Volés le vos ensi loer et flanchier? » 
— c Oïl, gentiex quens sire »,comHiencent à huchier. 



CHANT DEIJXIJafE. 49 



XIX. 



Seignor, or escotés, franche gent honerée, 
Si com la confrarie fu dite et porparlée ; 
Et li prince et li conte Torent bien creantée 

1140 Et plevie par foi et sur les sains jurée, 
Li pains et la vitaille départie et donëe 
Que à lor encient soit partie et livrée. 
Tost et isnelement f u la vile visée. 
Là péussiés véir tante aucube levée, 
Tant tref, tant paveillon et tant aigle dorée. 

Or commence canchons de bien enluminée : 
Âinc tele ne fu faite ne si bone cantée ; 
Si com la sainte vile fu prise et conquestée , 
Et com Tomas de Marne, à la chère membrée, 

1150 Le blanc hauberc el dos, la ventaille fermée, 
Le fort escu au col, el poing destre Tespée, 
Se laissa ens caïr entre la gent desvée. 



XX. 



Franc ont Jherusalem la fort vile assegie, 
Là péussiés véoir tante aucube drecie, 
Tant tref, tant paveillon, et tant aigle fichie. 
Et tant penon luisant où li fer cler flambie. 
Li jors est trespassés, la nuit est asserie ; 
Li rois fu en la tor, qui estoit bateillie. 
Et prist Cornumarant par la main deliie. 
1160 Puis vint à la fenestre de fin marbre entaillie : 

4 



KO LA gonquAte de iér^alem. 

< Biax fiex, ce dist li rois, ceste gent esragie 
« Venue est d'otremer, s'ont lor terre laissie, 

< Fièrement ont la notre, biax chiers fiex, assegie ; 
c Ma proie m'ont tolue, dont ma geni est irie. 

c Fiex, done moi conseil, conforte ma maisnie. 
c Gonment me contenrai vers ceste gent haïe? 

XXI. 

c Biax fiex Comumarans, dist Gorbadas li rois, 
Passé à v« ans que ont sorti Grijois 
Surien et Hennin, Pateron, Jenevois, 

1170 « Franc venroient sor nos, que tu or venir vois, 
For vengier lor seignor, qui chaiens fu destrois, 
Et batus et loiés et férus en la crois. 
Mais li Jttïs le firent, mais ce fu sor no pois. 
Fiex, or poés véir à vos iex les Franchois, 
Angevins et Bretons, et Escos et Englois, 
Provenchax et Gascoins, Pisans et Genevois. 
Si sont armé de fer, ne criement arc turcois^ 
Ne saiete entoschie, ne lanche demanois. 
Fiex, done moi conseil, si com tu faire dois : 

11 ff Gomment me contenrai encontre ces Franchois? » 
— c Père, dist li vaslës, mar vos esmaierois. 
Tant com jo puisse chaindre mon brant sarrasinois 
Et porter mon escu par la guige à orfrois, 
Ne de glaive ferir, ne lanchier demanois* 
Nos somes bien garni dusc'à .lx. mois. 
De pain, de vin, de char, de forment, de tramois ; 
Ghité avons si fort de riche mur cauchois, 
Sos ciel nen a assaut que jo crieme .n. nois. 



CHANT DEUXdHE. 61 

xxn. 

Pere, dist li ?aslès, n'aies soing de targier, 
1190 c Tant com jo puisse chaindre mon brant forbi 
Et porter mon escu et monter el destrier, [d'achier. 
Nos somes bien garni dusc'à .i. an entier. 
Chastel avons si fort de cans et de mortier, 
Sos ciel nen a assaut que je prist .i. denier. 
Franchois ne porront mie longement ostoihier ; 
La destrece de l'iaue les fera eslongier, 
Lor paveillons destendre et lor très defflchier. » 

XXIII. 

Li rois de Jhersalem fa en la tor plus grant, 

A la maistre fenestre de fin marbre luisant ; 
1200 Et voit Tost des Franchois environ lui lojant, 

Paveillons et aucubes à cordes paissonnant ; 

Ot ces chevax henir et ces murs braidissant ; 

Bachelers et meschins aler escremissant; 

Et dames et puceles aloient carolant. 

La gent le roi Taphur à ces murs gaidonant. 

c Ahif dist-il, chaitif i com me faites dolant! t 
Es le duc Godefroi ajrtaé sor Tauferranl, 

Et Tomas de la Fere, le hardi combatant, 

Et le conte Witasse et Bauduin l'enfant, 
1210 Où aloient la plache et le leu esgardant 

Où porroient drechier la periere jetant. 

Entres qu'il l'esgardoient, estes vos lor atant 



82 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

De la grant tor David .m. oiselés volant; 
Par desor le pomel aloient aroant, 
A .n. blans colombiax mult sovent ajetant. 
Li dus tenoit .i. arc fort, et fier et traiant. 
La saiete descoche, par si droit avisant, . 
Que tos .m. les oisiax a férus maintenant. 
Del colp caïrent mort lès l'estandart luisant, 
1920 Delës la sinagoge Mahom et Tervagant. 

Li dus maine grant joie ; Franchois s*en vont riant; 

Li plusor sevent bien que vait senefiant : 

Chest grans senefiance, que Dex lor vait mostrant. 

Corbadas le mostra son fils Gornumarant, 
Et Tuns paiens à l'autre le dist en conseillant : 
c Chaiens serons destruit, ja n'en aurons garanti • 
-* c Voire, dient li autre, bien est apparissant I » 

XXIV. 

Li rois de Jhursalem vit les oisiax caïr, 
Que le dus de Buillon traist par si gfant aîr. 
1390 Parmi les .m. escofiQes fist la saiete issir. 
Corbadas apela Lucabel de Montir, 
Qui frère ert de son père ; grant terre ot à baillir. 
vii^ ans ot passés ; blans ert corn flor de lis. 
Aine plus sage paien rie pot nus hom véir, 
Nq mex séust le tort fors del droit départir. 
Li rois de Jursalem le vait as dois saisir : 
« Freré, dit Corbadas, vex noveles oïr? 
« J'ai véu .m. oiisiax à .i. sol colp ferir : 
« Venés ent avec moi, si les alons véir. » 



CHANT DEUXIÈME. 83 

« 

1240 Andoi li roi s'en tornent, qui mult sont en désir; 
 l'estandart en vienent où Mahon seut séir, 
Joste la sinagoge où li rois soit tenir 
Ses plais et ses oiances por ses drois départir. 
Là virent les oisiax à la terre gésir. 
Plus de .vn. mile Turs i véissiés venir : 
Tôt aval Jursalem font la terre frémir. 

XXV. 

Aval Jherusalem fu mult grans Testormie 

Devant la sinagoge de la mahomerie ; 

Dejoste l'estandart qui luist et reflambie, 
1250 Fu mult grans Tassamblée de la gent paienie. 

Corbadas se drecha, qui la teste ot florie, 

Oians tos a parlé ; bien f u sa vois oïe : 
Seignor, franc Sarrasin, Mahomes nos oblie : 
Quant il consent que Franc ont ma terre msic. 
Ja ont pris Andioche qu'est de grant seignorie. 
Rodomans le me dist, .i. Turs de Valérie, 
Que devant Andioche, en mi la praerie, 
Furent mortes les os d'Arrabe et de Persie, 
Aine n'escapa paiens, fors doi roi de Nubie, 
12M c Et Corbarans lor sires ques chaela et guie. 
Gorbarans li vassax en ot au cuer grant ire. 
Brohadas emportèrent, qui la teste ot trenchie. 
Puis en fu Corbarans retés de félonie : 
Car Sodans li mist sus qu'il ot sa gent traïe. 
Une bataille en prist, par mult grant arramie. 
D'un Franc contre .11. Turs, et fu grant estotie. 



54 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Puis en fa la bataille et faite et acomplie ; 
Li Frans ocist les Turs à Tespée forbie. 
Moult en est nostre lois durement affeblie 
1270 € Et la crestientés durement resbaudie, 
Et por ce et por el est sor nos enrohie. 
Or ont chi environ no chité assegie 
Et lor tentes tendues et pris herbergerie ; 
Bien a de lonc lor os une leue et demie. 
Se jo de Mahomet n'ai secors et aïe, 
Cheste riche chités iert gaste et eschillie. 
Ensorquetot, seignor, nel lairai ne tos die, 
j. trait vi jo hui faire dont li cuers me tramie : 
De sor ma tor de marbre qui'st de perre polie, 
1280 f Âloient .m. escofOes, volant à une pie ; 

Quant .m. blanc colombel fisent une envaïe ; 
Li escoffle ont por ce l'agace deguerpie, 
As colons se geterent tôt troi à une hie. 
Doi crestien venoient lès cel mur de porphie : 
Li .1. tenoit .i. art, la saiete encochie. 
Li droit traist as escoffles la saiete enflechie, 
Qui tos .m. les ocist ; ce fu grans diablie! 
Vés ici où il gisent Tuns lès l'autre sans vie. t 

Lors s'abaissa, ses prist, contremont les balie ; 
1296 Chascuns ot del fer rot et le cuer et le fie ; 

Tôt troi sont espéé comme haste embrochie. 

€ Seignor, dist Corbadas, dites que senefie? » 

Paien se teurent tôt ; chascuns teste embronchie. 

Malcolon le conseille Lucabel en l'oïe : 

€ Chaiens serons destruit; jà n'aurons garandie. 

« Ghil qui cest trait à fait iert de grant seignorie : 



CHANT DEUXIÈME. 8$ 

f Rois iert de Jursalem. Si'n aura la baillie; 
c De si qu'en Andioche corra sa seignorie. i 

Quant Malcolons Tentent, s'a la chère baissie ; 
1300 Plains fu de maltalent, s'a la color noircbie. 

Es vos Cornumarant poignant par la cauchie; 
A sa vois qu'il ot clere mult hautement s'escrie : 
c Hé ! rois de Jursalem, ta gent est endormie, 
c Quant là defors as Frans n'as fait une envaïel » 
— c Biax fiex, dist Corbadas, laissiés votre folie : 
c Tel chose ai hui yéu dont li cuers m'atenrie. > 

XXVI. 

Lucabiax se drecha, qui .c. ans ot passés; 
La barbe ot loi^« et dure, les grenons grans et lés; 
Mult ot bel le visage et fu bien colorés ; 
isio Aine plus sages paiens ne fu de mère nés ; 
Mult fu bien des .vn. ars et duis et doctrines. 
Malcolon apela. lès lui s*est acostés. 
Lucabiax Tôt moult chier et cil ert ses privés; 
L'uns tint l'autre à la main et furent lés à lés ; 
Et li barnages est entor ans assamblés. 
Lucabiax a parlé : c Corbadas, cha venës : 

Rois es de Jursalem et sire et avoés. 

Cornumarans mes niés en doit estre chasés ; 

Rois, vos estes mes frères et jo sui li ainsnés. 
1320 c Vos demandés conseil et si le requerés : 

De si à le matin respit nos en donés. 

Et jo vos di por voir que adont le sarés, 

Et le trait des oisiax que vos ici veés. * ^ 



K6 U CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

— f Frère, dist Corbadas, volentiers Faverés. 
Mais por Mahom vos proi ; de moi aider pensés. 
Que bien soit deffendue contre Frans ma cités. 
Car se il cestui prenent, tos suis desiretés. 
Lor Sires fu chaiens traveilliés et penés 
Et batus à Testache et en la crois cloés : 
1S30 « Là el mont de Cauvaire, que devant vos veés. 
Quant il fu de la crois devant vespres ostés. 
En cel sépulcre fu et covers et posés. 
Che dient Crestien que ce est vérités 
Que au tier jor après qu'il fu resucités. 
Mais oies que jo di et quex est mes pensés : 
S'il fust Sires del chiel, jà si ne fust tués 
Et si vilment ocis, traveilliés, ne menés! i 

— f Frère, dist Lucabiax, té9 fu sa volentés : 
Or soies affiance que puis que jo fui nés 

1S40 c Ai véu ses miracles en pluisors lex assés, 
Et contrais redrechier, avules ralumés ; 
En maint lex a Franchois garandis et tensés. » 

— f Sire, dist Corbadas, jo quit vos radotes I 
Tos estes esragiés, se vos ice créés : 
Gardés que devant moi n'en soit mais mos sonés. 
Bientost en feriiés mes homes effréés. » 

— f Sire, dist Malcolons, en prodon emparlés. 
Voslre fil qui ci est à gaiter commandés, 
A .X. mile paiens, et chascuns soit armés. • 

1S50 Et Corbadas respont : < Dit avés que sénés : 
c Chist consaus doit bien estre otroiés et gréés. » 

La nuis est revenue et li jors trespassés; 
En la grant tor David est Corbadas montés. 



CHANT DEUXIÈME. B7 

Ses frères Lucabiax en est o lui aies, 
Et li rois Malcolons et des antres assés. 
As fenestres de marbre es les vos acotés 
Et regardent Franchois, lor loges et lor très. 
Grand luminaire voient de chierges embrasés, 
Aval par lés herberges cors et graisles sonés : 
i960 D'Apollin les maldist qui fait croistre les blés. 
Cornnmarans, ses fiex, ne' s'est asséurés, 
Ains s'est isnelement de ses armes armés, 
Por gaiter Jursalem, à .x. mil Turs armés. 

XXVII. 

La nuis fa bele et clere et li airs fu seris : 
Très devant le sainl temple, desor .i. marbre bis, 
S'arma Cornumarans,à .x. mil Arrabis. 
Il vesti .1. clavain d'an blanc haûberc treslis ; 
La maie en est mult riche à clavain d'or assis. 
Elme sarragochant li ont el chief assis; 

1S70 A .X. botonchiax d'or fu serrés et lasnis. 
Puis a chainte l'espée dont li brans fu forbis, 
Que fist Mateselans en l'isle d'Orféis. 
Puis li ont amené Plantamor l'arrabis, 
Ja por .XX. leues corre ne mas ne alentis. 
Oies de sa faiture comment ert coloris : 
Il ot la teste maigre, blance com flor de lis. 
Et plus roges les iex que nus carbons eslis ; 
Narines grans et amples, les os gros et traitis. 
Les jambes fors et roides, pies copés et voltis ; 

1S80 Larges fu par les ars et s'ot tôt noir le pis. 



88 LA GONQI^TE DE iâlUSALEII. 

L'un costé avoit bai et li autres fu bis ; 
Et la crupe quarrée, gotée corn pertris. 
Et que jà vos diroie? Quant il est ademis. 
Ne s'i tenroit lévriers que tost fust escoillis : 
Li frains estoit mult riches qui el chief ert assis ; 
Li estrief et les chengles furent de cuir bolis. 
Li bers Cornumarans est es archons salis, 
A son col a pendu .i. escu yert et bis. 
Il rot fait contrefaire à .i. de ses caitis. 
1390 Puis a saisi la lanche, la hanste ert de jarris : 
.X. mile Turs enmaine ; chascuns ert fervestis. 

XXVIII. 

Cornumarans chevalche iriés, il et sa gent ; 
Par la porte David s'en issent coiement. 
Mais anchois qu'il i entrent, ierent grain et dolent. 
Se Dex garist Harpin et son grant hardement, 
N'i volroit li mieudre estre por Tor de Bellient I 

No baron sont en Tost, qui Deu aiment forment. 
Bel trait que li dus fist estoient tôt joient. 
A Harpin de Boorges proierent dolcement 
1400 Que il gaitast la nuit desc'à Tajornement; 
Et li bers lor otroie, qui volentiers le prent. 
A .vc. chevaliers qui sont de fier talent, 
Vers la porte David chevalchent esroment ; 
Et devers St Esteule fu, por esgardement. 
Dans Richars de Chaumont, qui n'a pas le cuer lent 
De Sarrasins ochirre et de mettre à tormeat. 
^v6. chevaliers ot, de fier contenement, 



CHANT DEUXIÈME. S9 

Et devers portes oires refarent bien .v. cent. 
Là fu Jehans d*AIis et Fochers de Meulent ; 
iMo Et devers l'antre porte, si corn li puis descent, 
Là fu li quens Esteules où Ânbemarle apent, 
A .v«. chevaliers qui farent de jovent. 
La nuis fu li os Deu en grant tooillement. 

XXIX- 

La nuit font li baron Tost Deu eschergaiter. 
Devers les .nn. portes sont .v«. chevalier. 
Dans Harpins de Boorges commença à proier : 

< Ahil Jérusalem i Dex me doinst tant veillier 

< Que jo puisse laiens le sépulcre baisier, 

« Et la crois aourer, estraindre et embrachier, 
1420 f Où Dex laissa son cor pener et traveillerf 

< Grant dol ai en mon cuer quant i sont aversier ! 

« Dex doinsl que vers els puisse le mien cuer esclai- 
Lor s'afice li bers sor Tauferrant destrier, [rierl » 
Par isi grant vertu qu'il le flst archoier; 
Et estraint vers son pis son escu de quartier. 
Moult ot vers Sarrasins le cuer et gros et fier. 

Cornumarans s'en ist, qui ne se volt targier. 
Par la porte David vienent el sablonier, 
Enfresi c'a l'ost Deu quident aler lanchier; 
iMo Mais ains lor avenra merveillox encombrierl 
De ses .x. mile Turs s'en r'iront peu entier. 

Dans Harpins a véu lor elmes flamboier; 
Dist à ses compaignons : c Or ai ce que jo quier : 
i Yés chi paiens issus, pensés de Deu vengier, 



c 
f 



60 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Qui por nos se laissa pener et traveillier : 
Tenés vos trestot coi, sans traire et sans lanchier, 

( Tant que de la chité les paissons eslongier. » 

Qui dont véist no gent estraindre et formiier; 

Plus golosent les Turs que Taloe esprevier. 
im Tant chevalchent )i Turc, qui Deus doinst encombrier. 

Que Franchois les choisirent envers ax aprochier ; 

Loins furent de la porte le trait à .i. arcbier. 

Dont s'escria Harpins et commence à huchier : 

c Sains sépulcre, aïde t ferés, franc chevalier ! i 

Puis hurte le cheval des espérons d'ormier. 

Et vait ferir Gorban qui estoit fiex Brehier ; 

Desos la bocle d'or li fist fendre et perchier 

Et le hauberc del dos derompre et desmaillier. 

Parmi le gros def cuer li fist Tespié baignier : 
1450 Mort rabat del cheval lès .i. gaste sentier. 

Chascuns de nos barons fait le son trebuchien 
Cornumarans lait corre le cheval prinsautier 

Et vait ferir Harpin .i. colp grant et plenier ; 

El pis sor son escu fist sa lance froissier : 

Mais nel pot mie abatre, ne movoir del destrier. 

De son poindre passe outre et traist le brant d'achier, 

 .n. de nos barons fist les archons wuider. 

11 escrie • Damas I » por sa gent rallier. 

XXX. 

Mult fu fors la bataille et li caple sont grant. 
1460 Là pèussiés véir fier ester et pesant. 

Mais trop fu grans la force de la gent mescréant, 



CHANT DEUXIÈHE. 61 

« 

Plas d'une grant archie vont no gent recalant. 
As ars turcois les bersent, mult les vont damachant; 
Enfresi qu'as herberges les enmainent ferant. 
Iluec ont pris Richar et Fochier le Normant ; 
Et Rogier du Rosoi et Paien TAlemant, 
Antiaume d'Avignon et Bauduin Tenfant, 
Et .xim. des autres, c'ont envoie avant : 
A grans mâches plomëes les vont mult laidëiant. 

1A70 Li quens Harpins le voit, moult ot le cuer dolant; 
Il crie : t Dex aïde I sains sépulcres avant I 
c Nos compaignons enmainent li quivert mescréant I 
c S'es en laissons mener, moult somes recréant i » 
Lors rehurtent es Turs, chascuns tint nu le brant. 
Hais n'i valt lor eflfors le montant d'an besant. 
Francbois oent la noise, arment soi li auquant ; 
Mais por noient le font, car trop vont atarjant. 
Tôt en fussent mené no chevalier vaillant. 
Quant Richars de Cbaumont i est venus poignant. 

1480 Ausi com li ostoirs es ânes avolant, 
Quant il les a vëues et il i vient bruiant : 
Tôt aussi vint Richars eus es Turs eslaissant. 
Qui il consent à colp, il n'a de mort garant, 
•xiin. en a ocis à Tespée trenchant. 
Cex qui nos Frans enmainent est venus au devant. 
Sachiés que de nul bien n'es va araisonant ; 
A l'espée d'achier les vait si démenant, 
Que les prisons guerpissent, si s'en toment fuiant ; 
Et Richars et li son les vont bien encauchant ; 

i.oo De mors et de navrés vont la terre covrant. 
Li os est estormie et deriere et devant. 



62 LA GONQUiTB OB lÉBVSALEM. 

Et jd (fat Vf» diroie, chaseun baron nomant? 
En .1. mottlt poi de terme, en i ot armé tant, 
Que se trestout li Turc qai sont en Oriant 
Fassent o ans josté, par le mien esciant, 
Ne les dotftssent-il ne c'un petit eofant I 
Dont oïssiés buisines et maint graille sonanl. 
.1. Sarrasins apele le roi Comumarant : 
« Héi rois de Jursalem, por c'atarges-ta tant? 

isoo € Tôt sont ocis ti home, poi en i a vivant : 
c Se plus i demorés, ce iert folie grant ; 
t Ja n'i porra aidier li pères son enfant. 
« Yés chi Tost des Franchois qui tôt vienent brniant. i 
Gornumarans Toi ; si tome Tauferrant ; 
Droit vers Jherusalem s'en vait esperonant. 
Et Richars et Harpins le vont après sevant ; 
Hais il ne Tatainsissent de si en Oriant. 
A la porte David vait li Tars atarjant; 
 Richart est gaenchis qui Taloit ataignant ; 

1510 De Tespée le fiert grant colp en trespassant; 
Amont parmi son elme, qu'il li vait porfendant. 
Li espée guenchi, si vait escolorjant, 
Et li Turs s'en passe outre ! plains fa de maltalant, 
Quant il n'ocist Richart qui l'venoit encanchant. 

XXXI. 

Li rois Gornumarans fu chevaliers vassaus. 
Malt fa prox et hardis et isniax ses chevax. 
A Harpin laisse corre Plantamor les grans sans, 
Grant colp li vait doner sor son elme à esmax. 



CHANT DEUXIÈME. 03 

Que tôt li porfendi e»fresi qu'as nasais. 
1I2Q Se Dex ne li aidast, li Père espiritaus, 

De Haipiii de Boorges fu li dois coniflninaus i 

Li quens s'est escriés : t Fels, quivers, desloiass, 

c Mar i avés guenchi t II vos en yenra maus ! » 

Il tint traite Tespée, dont d'or sont li senau». 

Le Turc quide ferir; mais ne li valt .n. ans. 
Es Tos l'ost apaignant et par mons et par vax : 

Qaant voit Cornumarans, malvais est ses estaus ; 

Plantamor point et broche par les esperonax. 

A la porte Davi est venus les grans saus; 
i5:;o En Jérusalem entre très parmi les portaus. 

Gbil qui cha fors remestrent orent malvais ostaus, 

Aine pies n'en escap'a, ne de bons ne de maus. 

De la porte David font fermer les portaus ; 

Très devant le saint temple fu sonés li apiax ; 

Et des viex et des joules fu li dels communaus. 

Corbadas i acort, Malcolons l'amiraus ; 

Après i est venus li sages Lucabiax. 

Là véissiés esprendre plus de mil estavax. 

Comumarans s'escrie : c Garnissiés ces crestiaus, 
\M c Et porches et bretesques, aléoirs et murax ; 
c Car demain par malin commenchera l'assaus. 

< Anuit m'est avenu .i. damages mortaus : 

< Au besoing m*ont fali nostre malvais Dex faus. 
c Mais tant les ferai batre de fus et de tinax, 

c De machues plomées, de bastons et de pax, 
( Que jamais n'aront cure de tresches ne de bax. 

< Ahi Jherusalem, chités emperiaus I 

« Vos estes bien garnie de delis et d'ortaus, 



c 
c 



64 lA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

c Et de bêles contrées et de riches yingnanx, 
15M < D'or fiD, de dras de soie, de pailes de cendausi » 
De l'ire c'ot li rois est devenus vermaus; 
Mainte bele paiene i ront ses atacaus. 
Lucabiax s'escria : c Drechiés ces mangoniaxi 
c Ne vos esmaiés mie, biax frère Corbadiax I 
Ains mengerons char crue et ostoirs et gerfaus 
QaeJursalemsoitprise,s'eniertmainsFranchoiscaus 
c Et mains de lor escas deperchiés por grans trax ; 

< Et mains chaitis ocis et rués à bersaus. 
c Or manderons secors au roi Hariagaus 

1500 c Et au roi d'Orient et si venra Ferraus ; 

c Chil amenra Tempire de si qu'en Guinebaus. 

XXXII. 

€ Ne vos esmaiés mie, dist Lucabel, baron, 
€ Car au riche Sodant .i. mes envoieron ; 
f Tel ost i trametra, si fière ne vit on 

< L'empire d'Oriant et cet de val Béton. 

c Mais alons tost as murs et si les garnisson, 
c Les murs et les bretesches con por deffension : 
c SeFranchoisnos assalent très bien nos deffendoni » 
Et Païen respondirent : c Yostre plaisir ferom. • 
1570 Lors font soner laiens .mi. cors de laiton. 
Là véissiés de Turs à planté et foison, 
Qui portent caillox bis et quarrax et moilon ; 
Les aléoirs garnissent enter et environ. 
La nuis est trespassée, li jors vint à bandon. 
Crestien sont en Tost, que Dex face pardon I 



CHANT DEUXIÈME. 65 

Devant Jérusalem, en .i. large sablon, 
S'asamblerent li prince, li conte et li baron. 
Premiers i est venus Godefrois de Buillon, 
Bauduins et Witasses et Droes de Moscou, 

1680 Et Raimons de Saint Gille et Gautiers d'Âvalon, 
Robers de Normendie et Robers le Frison, 
Tangrés, li viex marchis, o le duc Buiemon, 
Engerans de Saint Pol et Hue au noir grenon. 
Et Tomas de la Fere et Girai-s del Donjon ; 
Li quens Rolrox del Perche, qui aine n*ama félon; 
S'i vint Tomas de Marne, qui cuer ot de lion. 
Et Harpins de Boorges et Richars de Cbaumon, 
Bauduins de Biauvais qui fu de grant renon, 
Et Dans Johans d'Âlis et Foques d'Âlenchon ; 

1590 Li vesque et li abé de grant religion ; 

S'i vint li rois Taphurs, il et si compaignon. 
Bien furent .v. millier, tex corn nos vos diron. 
Gnques n'en i ot .i. de si riche fachon. 
Qui ait cote vestue, mantel, ne pelichon; 
Nen ont sollier em pié, cape, ne chaperon. 
Ne chemises en dos, ne cauche, ne cauchon ; 
Mais chinces et drapiax : ce sont lor siglaton ; 
Les chiés ont herupés, de chevox ont foison ; 
Lor mustel sont rosti de fu et de charbon, 

1600 Lor jambes sont crevées, lor pié et lor talon. 
Chascuns porte en sa main ou machue, ou baston, 
Plomées, ou martiax, ou picois, ou bordon, 
Ou gisarme acherée, ou grand hache à plain poing. 
Li rois porte une faus qui est de cel fachon. 
Que il nen a paien de si à Besenchon, 

5 



66 LA GONQDAtB de JteVSALEII. 

Se li rois le ferait de la hache à bandon, 
Que il ne porfendist enfresi qu'el polmon. 
Li rois n'avoit vestu paile, ne siglatoo ; 
Mais .1. sac ot vestu, onques n'i ot giron. 
1510 Bien fa tailliés par cors, mais aine n'i ot manchon. 
En mileu fa perchiés, de trox i ot foison; 
A cordeles noëes Tatacha environ. 
Son col ot affichié del chief d'un esperm ; 
.1. chapel ot de fileilles, où il ot maint boton. 
Li rois ot de no gent moull grant esgardison ; 
Chascuns de nos barons en drecha le menton. 
Li vesques de Haltran li fist benéichon. 
c Amis, cil te garisse qui soffri passion, 

• Et qui de mort à vie suscita Lasaron! » 

1020 — c Seignor, ce dist li rois, faites vos chi sermon? 
( Cheste sainte chité por quoi ne Vassalon ? 

• Poi avons esploitié, se nos ne la prenon. 

XXXIII. 

Bêle est la matinée, moult fist cler cal matin ; 
Là furent en Tost Deu conte, duc palasin, 
Franchois et Borgeignon, Mansel et Angevin, 
Loherenc et Vascon, Breton et Poitevin. 
Li rois Taphurs parole, n'ot pas cuer de frarin : 
« Seignor que faisons nos? trop metons en oublin 
< D*assalir ceste vile et la gent de put lin; 
1650 c Bien nos contenons tôt comme faus pèlerin 
Mais par icel seignor, qui de Tège fist vin, 
Li jor qu'il sist as noces de Saint Archedeclin, 



c 
< 



CHANT DEUXIÈIIE. 67 

< &û n'i aToit que moi et chax qni sont frarin, 

< Si n'aeointerent onques paien si mal voisin t 

c Chose qui n'est bien faite ne valt .i. angevin : 
t Ja n'iert ovre bien faite s'il n'i a bon defin. 
« Qui cherqueroit la terre dusc'à Tiauedel Ring, 
€ Ne troveroit ensemble tant bon vassal meschin, 

< Com il a en cest ost : Dex lor doinst bon destin, 
1640 « Que nos puissons destruire le lignage Gain, 

c Et ceste chité prendre et le palais marbrin t » 
Lors point avant H quens de sos .i. aubespin, 

Jherusalem esgarde ; si li flst .i. enclin. 
Li rois fu biax et clers, moult fist caut et serain. 

Es le duc Godefroi el destrier ehastelain, 

El ses frères Wilasse sist de sor a. aubain. 

Devant ans fait porter ji. buisines d'arain. 

Entor aus assamblerent maint riche castelain; 

Li vesques de Mautran tint la lance en sa main, 
1650 Dont Jhesus ot perchié son costé soverain. 

Il a parlé en haut, ne sambla pas vilain. 
Baron, franc crestïen, por Deu soions chertain, 
En ceste sainte vile, qui est de marbre plain, 
Soffri mort Jhesu Cris, qui fu fiex Mariain ; 
Et qui por lui morra, si vivra de vif pain. 
En vie pardurable iert sans soif et sans fain. 
Ânuit nos assalirent chil chien fil à putain. 
La merci Deu de gloire, qui flst Adan, Evain, 
Petit en eschapa ne soient pris à Vaim. 
1660 ft Mort en gisent .vn. mil aval en cel cavain. 
Se vos me volés croire, comme vo capelain, 
A perrieres turcoises les gèlerons par main 



68 LÀ CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

c Dedens Jherusalem parmi cel mur calchain. 
c Pais assalons la vile anuit o Tendemain. • 
Quant no Baron Toirent, chascuns tira son frain. 

XXXIV. 

No Baron s'escrierent tos ensamble à .i. glas, 
• Dient à haute vois : c Chist mos n'est mie à gas t 
f Drechiés ces mangoniax, ne vos atargiès past > 
Et il si firent sempres, dont oïssiés grant glas. 

1670 Grigoires l'engingneres, qui fu nés à Arras, 
Estacent les perrieres et il et Nicholas, 
Qui ert moult sages maistres et fu nés à Duras; 
De joste portes oires atacherent lor mas; 
Les flèches entenerent et chevillent les bras ; 
Les fondes atacherent destrenchies par las. 
A chascune des flèches ot .x. cordes poignas, 
Où fondefQent les Turs là dedens par esclas ; 
Li chervel, les boeles envolent à .l quas ; 
De sanc et de cliervele fu mult grans li misas. 

1680 Paien i sont corut, grans fu li aûnas : 

c Ahi 1 Mahomet, sire) comment nos vengeras 
• De ches chaitis dolens, des fiex au Satenas, 
« Qui nos volent destruire et faire sers et mas, 
( Et nos chités conquises et nos paiens tos arst 
« Voirement nos dist voir califfes de Baudas 
« Qu'encor venroit .i. poples qui nos feroit tos quas I i 

Es vos iluec venu le fort roi Corbadas, 
L'amiral Lucabel, Malcolon et Butras. 
S'i vint Cornumarahs et ses niésQuinquenas. 



CHANT DEUXIÈME. 69 

1690 f Hé! rois de Jursalem, dist ses fiex, que feras? 
« De la chité deffendre quel conseil prenderas, 
i Si prenent Jursalem qui est faite à compas? 
i Perdu avons Barbais, Le Cahaire et Damas; 
< Mais ains que Franchois Taient les metons en tex 
t Que aine encor n'alerent à si dolerox pas! » [las, 

Et dist à Lucabel : c Oncles, quant sortiras 
c Del trait des .m. oisiax que tu acreantas? » 
— < fiiax niés, dist Lucabiax aparmain le sauras, 
c Mais jo sai bien por voir que tu t'en corcheras. » 

XXXV. 



1700 



1710 



Biax niés, dist Lucabiax, dirai toi vérité. 
Je fai bien affiance, tu m'en saras mal ^ré ; 
Mais le voir en dirai, puis que Tm'as conmandé. 
Chil qui ces .m. oisiax a ocis et tué 
Rois iert de Jursalem et de tôt le régné : 
De si en Andioche corra sa poesté. » 
Quant rot Cornumarans s'en a .i. ris jeté : 
Par Mahomet! dist-il, tu as le sens desvé. 
Ja ceste n'avenra entre tôt mon aé. 
Tant com jo puisse chaindre mon riche brant letré. 
Or me verres sovent issir de la cité 
El Franchois estormir coiement en emblé ! » 
— < Biax flex, dist Corbadas, tu as le sens desvé; 
Li issirs là deffors n'est mie à salveté, 
Car trop ont crestïen en ax grant-poesté. 
Mais soies cha dedens ensemble o mon barné, 
Por la vile deffendre, si aurés m'amisté; 



70 LA CONQUÊTE DE lÉAUSALEH. 

f Tant corn estes o moi sui'-jo à sëurté. » 

Dist Cornumarans : a Sire, yos Tavés commandé 
c Et jel ferai ensi tôt à vo volentéi » 

1720 En la grant tor David ont .i. timbre soné ; 
En après icel timbre j. cor d'arain corné. 
Sus el mont de Calvaire sont paien assamblé, 
Et tôt li carpentier que on i a trové. 
Puis lor a sor lor iex et proie et rové 
Que chascuns d'ax esploite d'ovrer à grant plenté, 
Li fevre les saietes dont Franc seront bersé, 
Engaignes et fausars, haches d'achier tempré; 
Et li carpentier facent max de fraisne enhastés, 
Et grans lances poignax, où fer seront fermé; 

17S0 Et de fer et d'achier et loié et frété, 

Dès Tun chief dusqu'en l'autre moult richement bendé, 

Qu'il ne soient. par armes ne trenchié ne colpé. 

Dont establissent gardes; s'a sa gent ordené. 

.L. mile furent Sarrasin tôt armé. 

Li .XXV. mile sont de sor le mur monté, 

Et Franchois les esgardent, s'ont Monjoie escrié. 

< Or chevalier as armes! n'i ait plus demoré) » 

Et il si firent sempres, n'i ot plus aresté; 

Chascuns isnelement s'arma devant son trë^ 

1740 Et puis a chaint Tespée au senestre costé. 
Chil qui a bon cheval ne l'a mie oublié, 
Âins i monta moult tost quant il l'ot commandé. 
Et chascuns a son cors à son pooir armé. 



CHANT DEDXlèliE. 71 

XXXVL 

Or s'arment crestïen qui miex miex communai. 
Sonent cors et buisines et graisles de métal, 
Que tôt en retentissent et li pui et li val. 
Devant Jherusalem s'asamblent ens el gai. 
Es le duc Godefrois armé sor son cheval, 
Tes fu covers de fer, dusqu'en l'esperonal. 

1750 Si vint li quens de Flandres, au penon de cendal ; 
Et dans Hues li Maines tint Tensaigneroial. 
Buiemons et Tangrés sont baron natural. 
Là véissiés ensamble maint nobile vassal : 
Bien sont .l. mil, armé sor lor cheval. 
.X. batailles devisent por faire lor estai. 

Es vos le roi Taphur parmi .i. sablonal, 
A .X. mile ribax : chascuns tint hoe ou pal, 
Ou gisarme, ou picois, d'achier poitevinal ; 
Portent max et flaiaus, tandeiQes et maint gai. 

1100 Cex a seignié li vesques de Deu Tesperital : 
( Baron, or à Tassant I Dex vos destort de mail 
< Et qui por lui servir en icest jor morra, 
c En son saint paradis li prestera ostal, 
c Avoc saint Miquiel Tangele et o saint Gabrial. » 

Li rois Taphurs s*apuie par delës .i. costal. 
Par devers Saint Esteule s'arestent en .i. val. 
Anqui aurés assaut, onques hom ne vit tal. 



72 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

XXXVII. 

Devant Jherusalem fu moult grant l'asamblée. 

Là véissiés tant prince qui a la teste armée, 
!'"<> Godefroîs de Buillon. à la chère membrée, 

Et dans Hues li Maines, qui l'enseigne a portée; 

Robers de Normendie qui noirs ert com pevrée; 

Si ert Robers de Flandres, qui bien fiert de Tespée; 

Et Raimons de Saint-Gille qui aine n'ama meslée 

Se ne fu as paiens, celé gent deffaée. 

Avoc ax fu li vesques dont nos barons agrée. 

Chil ont les .x. eschieles chascune devisée. 

A Raimont de St Gille fut Tune commandée ; 

lui ot .X. mil homes de chax de sa contrée, 
1780 Armés à lor pooir, comme gent désertée; 

Car maint fain ont sotîert et maint aspre jornée; 

Del vent et de la pluie ont la char grumelée ; 

Chascuns ot le vis pale, face descolorée. 

Mais fier sont et hardi et de bone pensée ; 

Ni a celui ne jurt la grant vertu nomée, 

Que chascuns volroit miex sa vie avoir finée 

Qu'il fuïst por paiens une aune mesurée. 

Li vesques de Mautran a haut sa main levée ; 

De cel Seigneur les saigne, qui fist ciel et rosée : 
1790 Li quens Raimons s en torne, s*a sa gent escriée ; 

Par devers Saint Esteule a sa gent ordenée ; 

Li rois Tafurs n'ert loins d'iluec c'une ruée. 

i 



CHANT TROISIÈME. 



Q^RGUMENT. 

Le roi Gorbadas et son frère Lucabel considèrent du haut d*une 
tour les préparatifs des assiégeants.- L'évéque de Mautran apporte 
aux Croisés ia sainte lance. — Le duc de Bouillon divise Tarmée en 
dix échelles, ayant chacune à sa tête un des plus renommés che- 
valiers. — Travaux de siège par Nicolas de Duras et Grégoire Tin- 
génieur. — Le roi Tafur est désigné pour monter le premier à Tas- 
sant avec ses ribauds. — Ils sont repoussés.— Le roi est blessé.— 
Combats devant les portes de David et de Saint-Étienne. — Mort de 
Gautier de Flandre.— Le feu grégeois brûle les machines.— La nuit 
suspend Tassant. — 11 recommence le lendemain au point du jour. 
— Boémond conduit ses gens à la recherche des provisions néces- 
saires aux assiégeants, manquant de tout.— Rencontre d'une troupe 
de païens, commandée par le roi Gracien, apportant de riches 
provisions aux assiégés. — Boémond Tattaque, le renverse de son 
cheval et lui laisse la vie à condition qu'il se fera chrétien.— Joie 
au camp des Croisés. — Les dames s*y associent et rendent grâces à 
Dieu. — Gracien et ses soldats prisonniers sont amenés. — Gracien 
reçoit le baptême.- Ses soldats refusent de suivre son exemple.— 
Les chrétiens les égorgent au nombre de sept cents. — Leurs corps 
sont jetés dans la ville par-dessus les murailles. — Désespoir de 
Gorbadas.— Cornumaran le réconforte.— Il fait venir quatorze pri- 
sonniers chrétiens, parmi lesquels sont Harpin de Bourges et Richard 
de Caumont. — Il les fait battre. — Leur sang coule. — On les jette 
dans une prison à demi morts. — Jésus les guérit. — • Les assiégés, 
sur Tavis de Lucabel , lâchent des pigeons porteurs de lettres 
adressées au sultan de Damas, pour réclamer son secours. — Les 
pigeons volent au-dessus du camp des Croisés, qui les aperçoivent 
et les tuent à coups de flèches, à Texception de deux qu'ils pren- 
nent vivants. — Us les lâchent avec de fausses lettres adressées au 
sultan. 



/ 

/ 



CHANT TROISIÈME. 




nqui orfés assaut et mult ruîste medlée, 
Ëtcanchon mult sainlisme ; tele ne f u cantée : 
Si corn le sainte vile fu prise et conquestée, 

Où ii chars Damledeu fa plaiée et navrée, 

Et mise ens el sépulcre et cochie et posée, 

Et d'iluec au tier jor si fu resusitée. 

Mt)uli puet cil e&tre liés qui par bone pensée 
1800 Ya baisier le sépulcre outre la mer salée 1 



I. 



Devant Jherusalem fu notre gent mirable. 
Li vesques de Maltran ot le cuer moult estabte; 
Et tenoit en sa main une verge d'airable; 
N'estoit mie vestu de cendal ne de pale, 
Mais de haire o la char; nel tenés mie à fable. 
Grant dol ot del sépulcre dont paien font estable ; 
Damledeu en jura, le Père esperitable. 
Que s'il puet, ja nen iert tenus à menchonchable. 
Que encor ne cant messe el temple sor la table; 
1810 Si en getera cex qui servent au diable. 



76 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 



II. 



Li vesques de Mautran n'ot cure de revel ; 

Il et no .VI. baron furent à .i. apel. 

Une bataille esligent, aine n*i ot jovencel; 

Ains furent tôt veillart; à pié sont sans potrel ; 

N'i a cel qui n'ait broigne et hauberc à claveK 

Les enseignes sont grans, n'i ot nul penoncel. 

Chascuns a chaint le brant dont trenchent li cotel. 

Li vesques de Maltran ot en son doit Tanel ; 

Si les seigna de Deu et de saint Daniel. 
1820 Li quens Rotrox del Perce les conduist le valcel, 

Droit à Jérusalem dont li mur furent bel. 

Defors sont aresté de sos .1. gardignel, 

Et jurent Damledeu, qui forma Daniel. 

S'il trovent Sarrasins, qu'il en feront maisel. 

Sarrasins les esgardent del mur et del cretel. 

Or sachiés n'i a cel n'ait machue ou flael, 

Ou gisarme acherée, molue de novel. 

Ou plomée à caaine, que on tient à noiel, 

Por Jursalem deffendre, le mur et le castel. 
18S0 Anqui i feront corre de sanc si grant ruissel 

Dont on feroit bien moire .1. petit molinel. 

Aval Jherusalem sonerent mil frestel, 

Et timbres et buisines et cors et calemel. 

Corbadas apela son frère Lucabel : 

« Or voies là defors tant bon cheval isnel, 

f Tant prince, tant baron, tant duc et tant dansel. 

< Jà assauront as murs, mais dur sont li quarrel : 



CHANT TROISIÈME. 77 

c Ne criement maus d'achier, ne picois, ne martel. 
< Ja n'en abateront le montant d'un cotel. 
iMo c Alons en celetor, si verrons le cembel, 
c Ânqui porrés véoir jeter maint mangonel. » 
Puis montent en la tor qui fu du tans Abel. 
As fenestres s'apuient, taillies à chisel. 



m. 



Li rois de Jursalem est aies acoster 

À une des fenestres, por Tassant esgarder ; 

Et no jentil baron, que Jhesus puist salver, 

Devisent lor eschieles et font bien ordener. 

.X. mile chevaliers font d'une part sevrer ; 

N'i a celui qui n'ait hauberc et elme cler, 
1850 Ou escu ou roele, ^or son cors garander : 

A dant Tomas de Marne les baillent por guier, 

Et Huon de Saint Pol qui moult fist à loer : 

S'i fu Rambaus Cretons et Engerans li ber. 

Là péussiés véoir tant penon venteler, 

Tant hauberc et tant elme luire et estinceler. 

As murs de Jursalem font lor gent aroter. 

Là véissiés buisines, cors et graisles soner. 

Anqui voiront as murs moult fer assaut livrer. 

Li vesques de Mautran commencha à parler : 
1860 c Baron, cil vos garisse qui se laissa pener 

« En ceste sainte vile, por son pople salver, 

< Et il le nos doinst hui, se lui plaist, conquester, 
« Et le son vrai sépulcre des paiens délivrer, 

< Dont Turc ont fait estaules, bien Tai oï conter! 



78 LA COW^Otn DE lÉRUSALEH. 

< Bien nos en deveroit ens en nos eners penser, 

< Qu'ensi volent paien desor nos tos régner t 

< Qui cki morra por Deu, bien le puis affremer, 

< Li rois qui maint el chiel le fera coroner, 

« Ensamble avoe les angeles et cocher et poser. 
1870 c Tos les maus c'arés fait, en dit et em penser, 
« Vos en fais jo ichi de par Deu pardoner. » 

Puis a faite la lance devant lui aporter, 
Dont Jhesus se laissa et plaier et navrer. 

Quant crestïen la voient, si pristrent à plorer ; 
Chascun, à sa voix haute, commencha à crier : 
c Ahil Jérusalem com nos fais desirrerf » 
Puis distrent à Tévesque : < Car nos laissiés a 1er 

< La chité assalir, trop nos fait contrester. » 

— « Seignor, dist Godefrois, ne vos caut à haster, 
1880 € Car on assaura ja ; s'orrés les cors soner. » 
L'amirax Lucabiax se prist à esgarder, 
De la grant tor David qui fu de marbre cler, 
Et voit la lanche Deu si contre mont ramper, 
Que ce li fust avis c'au chiel doive hurter, 
Et sor la gent Tafur moult sovent aramper. 
Dont s'out bien afflance et sans point de fauser, 
Que cil voiront premiers en Jursalem entrer. 
Mais dans Tomas de Marne fera de lui parler, 
Qui as grans fers des glaives se fist dedens ruer. 
1890 Chil i entra premiers, bien le puis affremer, 
Ensi com orrés dire, se volés escoter. 
Et tant faites por moi que jo voille conter. 
Huimais orrés canchon gloriose canter ; 
Ja de nule meillor ne cantera jogler : 



CHANT TItOISIÈlfE. 79 

Si corn Tomas de Marne se fist amont leyer, 
Le flael de la porte à Tespée colper, 
Puis ala le sépulcre véoir et aourer ; 
Et Robers avoc lui, qui Flandres dut garder. 
Bien lor doit nostre sires cel fait guerredoner t 
1900 L'amirax Lucabiax fu de joste .i. piler : 
De ce qu'il Tôt véu prist color à muer, 
De peur et de dol commence à tressuer ; 
Car bien sot que paien nel porront endurer. 
Yolentiers s'en issist, s'il s'en pëust embler. 



IV. 



Che fu .1. samedi que solaus rai jeta : 

Li rois de Jursalem as fenestres esta ; 

De la grant tor Davi les Franchois esgarda. 

lui fu Lucabiax qui mult forment Tama ; 

Voient l'ost des Franchois dont merveilles i a. 
mo No baron et li vesques une eschiele josta ; 

Et furent bien .x. mil, si com on les nonbra : 

Chascuns à son pooir son cors bien achesma. 

Bauduin de Biauvais Godefrois les bailla; 

Et Robert de Chaumont tos les abandona ; 

Et,Harpins de Boorges avoques les guia, 

Et dans Johans d'Alis en lor compaigne ala. 

Li vesques de Mautran sa main amont leva ; 

De Damledeu les saigne, qui le mont estora. 

As murs de Jursalem celé eschiele s'en va ; 
1920 Par devers Saint Esteule trestote s'aresta; 

Ilueques s'aresterent, mais nus n'i assaurra, 



80 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEH. 

Desque por assalir li grans cors sonera. 
Li rois de Jursalem les escomenia 
De son Deu Âpoilin et del pooir qu'il a ; 
Et jure Mahomet ja nul n'en assaura 
De si que à son pié chascuns s'aclinera, 
Adonques à premiers Mahomet priera. 
Et Apoilin aussi que il lor pardonra. 
Il quide bien voirs soit, si faite créance a ; 

19S0 Mais ains verra ses murs c'om ii abatera I 
Godefrois de Buillon les barons apela; 
Li dus 8st autre eschiele et bien la devisa. 
Et furent bien .x. mil, si com on les esma. 
Chascuns ou pic ou hoe en sa main portera. 
Ou martel, ou picois, de coi au mur ferra ; 
Li quens Lambers del Liège celé gent condurra. 
Chex benëi li vesques, de sa main les soigna : 
c Baron, chil vos garisse qui tôt le mont cria, 
c Et en la Sainte Yirge pucele s'aombra, 

1940 < Et les quarante jors de son gré géuna I » 
Puis a prise la lance, à .u. mains Tonpoigna ; 
Devant en mi son pis Testrainst et embracha. 
A haute vois escrie : < Baron, or i parra I 
< Qui hui en icest jor Damledeu vengera 
c En son saint paradis son chief coronera ; 
c Tos les maus c'avés fais, Dex les vos pardonra. » 
Dont s'escrient ensamble : « Ja Turs n'i garira, 
« Ne por aus la chité à prendre ne sera ! » 
Devant monte Syon li evesques torna; 

1950 De la vile assalir chascuns s'apareilla. 

Mais ains qu'il l'aient prise, grant damage i aura; 



CHANT TROISIÈME. ^ 81 

Car tel mil en morront dont grans dels avenra, 
El moult puet estre liés qui iiuec dévia ; 
Car Damledex de gloire la soie arme satva. 
Moult fut icel jor caut, car aine tens ne venta. 
Tant esploitent li prince et chascuns se hasta, 
Que fait ont les eschieles si com on enseigna. 
Or devisent entr'ax qui paiens assaura 
As murs de Jursalem et qui ains i ferra. 
i960 Et distliquens de Flandres: o Li quens Tafurs l'aura : 
c Car bien a .m. semaines que on li otroia. » 



V. 



Or ont no crestien assamblé lor bataille; 
Ensamble o els en mainent Torgueil et la piétaille. 
Nicholas et Gringoires orent fait une entaille 
Très devant portes Oires et bien covert d'escaille ; 
De cloies et de cuirs ont fait une ventalHe. 
Là seront li archier, par itel devisaille 
Ne doteront paiens vaillant .i. oef de quaille ; 
Et si trairont à aus, qui soit bel^ ne qui quaille ; 
1970 Et tex se mostrera au mur à sa bataille, 
Qu'il en aura perchié le cuer et la coraille. 
Plus voloient saietes que par vent nefet paille ; 
Se Damledex nel fait, petit quit qu'il lor vaille, 
Ains que l'assaus remaigne,por voir vos di, sans faille, 
N'i volroit li meudre estre por tote Cornoailie ! 
Car chil de Jursalem ont fait une bataille; 
Devant la tour David fu faite l'assamblaille ; 
Fu grijois geteront por ardoir lot sans faille. 

6 



82 * LA GONQDÊTE DE JÉRUSALEM. 

Hais por noient le font, chascuns en vain trayaille ; 
1080 Car toi furent destruit ens en la defmaille : 
Mais le meillor en orent ens en la commençaille. 

Vl. 

Li Rois de Jursalem fu en sa tor haataine ; 
S'a véu les eschieles, com chascune se paine 
Des murs avironer tôt contreval Taraine; 
D'ÂpoUin les maldist et de sa main les saigne, 
Qu'il soient hui entré en dolente semaine. 
Et li jentiex barnages, qui Jhesus guie et maine, 
Mandent le roi Tafur, par parole chertaine, 
Qu'il aura de l'assaut cel jor premiers Testraigne. 

1990 Li rois ot la novele, nel tint mie à vilaine : 
Il a juré le cors Marie Madalaine 
Qu'il fera paiens traire dolente quarantaine. 
Or s'acesme la gens qui n'estoit pas vilaine. 
Hé Dex! Il i avoit tant fil de castelaine, 
Tant prince et tant baron de la terre sovraine; 
Mil graisles font soner ensamble à une alaine 
Et puis le maistre cor qui bondist com seraine. 
Les eschieles destoilent conme ruis de fontaine ; 
La lance Damledeu fu el chief premeraine. 

2000 Miedis ert passés, ja estoit none plaine. 

Quant l'assaut commencha de notre gent foraine. 

VIL 

Li jors fu biax et clers et li solaus luisans; 
Li ribaut assalirent, qui mult orent d'ahans. 



(XANT TROISlftlIE. 83 

Estandeffles lor getent les gran&cailiors pesans; 
A hoes et as pelés foent comme foans ; 
Tant emplent des fossés, sans menchonge disans, 
Qae bien i péust estre .i. grans cars carians. 
Et païen les bersoient as ars de cor traians. 
Mil et .yu9. ribaut en vont lor cors sanglans, 
201O Et navrés ens es testes, es costes et es flans. 
Mais onques por toi ce n'en fu .i. reculans: 
A& mars en sont aie, trestot lor jex voians. 
Li rois Tafurs tenoit .i. pLc, qui ert moult grans ; 
As .IL mains fiert au mur, comme proxetvaillans. 
Moult ot des s'iem o soi, mais ne sai dire quans; 

Chascuns del bien picher est forment esploitans. 

.1. tel trou font el mur, qui mult fa lés et grans; 

Li Turc lor getent ëve, qui tote estoil bolans, 

•x. en ont escaudé^s, dont Tangoisse fu grans. 
2020 Li rois Tafurs le voit, ses cuers en fu dolans ; 

Sa gent fist traire arrière très en mileu des cans ; 

En .XX. lex de la char issoit del roi li sans. 

Esvos .u. de nos princes, de sor les auferrans ; 

Le roi Tafur demandent qaés estoit ses samblans. 

c Rois, moult estes navrés, serés vos garissans? » 

— « Seignor, ce dist le rois, moult par sui desirrans 

< Que en Jérusalem fust chascuns herberjans. 

c Tant me doinst Jhesus vie que j'i soie manans, 

< Et baisier le sépulcre, où il fu suscitans t » 

VIII. 

20SO Devant Jherusalem fu mult grans l'aatie : 
Crestien font as murs sovent mainte envaïe. 



'84 LA CONQUÊTE DE lÉRCSALEBf. 

Godefrois de Bâillon à haute vois s'escrie : 

« Baron, or del bien faire, france gent seignorie r 

« Vés ici le chité où Dex ot mort et vie; 

< Por cestui avons nos mainte nuit aveillie ; 
« Du vent et de Tore avons la char noirchie; 

< Et maint soif, et maint froit, et mainte grant haschie. 
( Or gart chascuns sa paine que bien soit emploie. 

u Se la chité n'avons en la notre baillie, 
20fto c p^e pris quanqu'avons fait le montant d'une alie î » 
— < Hé Dex i ce dist li vesques. Dame sainte Marie f 

< Car vos preigne pitiés de nostre baronie, 

c Qui tant mainte mesaise auront por vos sentie f » 
Li quens Hues li Maines a la parole oïe, 

Et prist le maistre cor, s'a soné Testormie. 

Dont véissiés maint prince poindre lance baissie, 

Desi c'as maistres portes n'i ot règne sachie. 

En la porte David qui'st de caisne roillie, 

Fiert li dus Godefrois de la lance alongie: 
2050 Enfresi que as poins Ta trestote froissie. 

Environ lui avoil mouU grant chevalerie; 

Et li Turc se deffendent, que Damiedex maldiei 

Iluec ot mainte perre et jetée et galie; 

Grans cox douent no gent es elmes de Pavie : 

Qui bien est conseuis n'a talent qu'il en rie; 

Car li chiés li perchoie et estroue l'oïe. 

Li rois Cornumarans fu as murs de porfie. 

Jherusalem escrie, s'a sa gent esbaudie : 

« Dites, caitif franchois, vos aies à folie: 
2060 f Ne pris tos vos assaus une pome porriel » 

Godefrois tint .i. arc, la saiete encochie ; 



CHANT TROISIÈME. 85 

Droit à Cornumarant Ta traite et envote; 

Le ciavain li deront, la char li a trçnchie, 

Ens el destre costé a la flece baignie : 

Et li Turs la traist fors, que maltalens aigrie; 

Sor paien de Biauvais iert ja s'ire vengie. 

D'un grant quarrel le fiert, sor Telme de Pavie, 

L'elme li embara, la teste li esmie; 

Mort rabat el fossé; Tarme s'en est partie; 
2070 Et sains Miqex li angeles Ta moult tost requeillie, 

Très devant Damledeu et mise et convoie : 
Li vesques de Maltranen dist la letanie: 

« Or esforcés l'assaut par moult grant estotie t > 

Là péussies véir si grant carpenterie, 

De cors et de buisines si grande mélodie, 

Et tel noise et tel cri de la gent paienie. 

Que on Toïst de joins une leue et demie. 

La porte Saint Esteule fu en .vu. lex brisie; 

Mais li Turc par dedens l'ont bien rapareillie ; 
2080 A grans baus par dedens bordée et rafaitie. 

Or est plus fors assës devers celé partie. 



IX. 



Par devers Saint Esteule fu emplis li fossés; 
.V. toises de parfont fu emplis et rasés, 
lluec est li engiens et conduis et menés ; 
De cloies estoit fais et de cuirs bien bordés. 
Tant l'empaignent et botent c'al mur fu acostés, 
Et par dedens l'engien qui estoit bien cléés 
Mucent .x. chevaliers ; es les amont montés. 



86 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Li chiés de lor eschiele fu au mur acostés. 

2090 As perches et as lances fa tant amoat levés, 
Que li maistre las ert en a. cretel botes. 
Tant s'abaissent et coisent^ aine mes n'i fu sonés. 
Mil furent et .v^, chascuns tôt ferarmés 
Et tenoient guisarmes et grans max enhanstés, 
Haches et grans plomées et marteau» acherés, 
Dars molus et trenchans et flaiax acoplés* 
Quant païen Taperchoivent, celé part sont tornés, 
Es cofiniax d'arain est li fus aportés. 
Dex gart cex de Tengien, qui en crois fu penésf 

2100 Huimais orrës assaut, onques mais mt fu tés. 
Uns chevaliers de Flandres (Gantiers est apelés). 
Monta amont l'eschiele, si fist que fox provés ; 
Enfresi c'au cretel n'est gaires arestés, 
El Franchois assaloient environ de tos lés, 
Traient pex et engaignes et quarriax enpenés 
Li mangonel jetoient les grans cailtox plomés ; 
Et dedens et defors ot assés de navrés. 
De Tangoisse de soif en i ot mil pasmés 
Le jor i ot de sanc maint des nos abevrés, 

2110 A Dex! tant i soffri celé crestientés 

De grans fains, de grans sois, de grans caitivetést 
De Tescloi boit sovent tôt li plus aloses, 
Que nus n'en porroit dire ne clérs, tant fust letrés, 
Lor max, ne lor grevances, ne lor av^sités. 
Or oies de Gautier^ qui fu aiûont montés. 
Dpi jentil chevalier, corn il ert ajoriiés, 
Uns turs d'une grant hache li a les poins colpés. 
Li bers trébuche aval, tos fu ses cors froës 



CHANT TROISIÈME. 87 

Devant Deu ens el chiei est ses chiés coronés. 

2120 Hé Dext com grant damage que si tost est finést 
En l'ost nostre seignoren est .i. mes aies, 
Qui dist que Gautiers d'Aire estoit mors et fines. 
Quant li quens Robers l'ot, moult en est aïrés. 
Adonc fu li assaus trestos renovelés : 
Hais dont ne fu pas prise la saintisme chités. 
Li fus grijois estoit dedens Tengien getés; 
En plus de .xv. lex fu moult tost alumés. 
Chil s'en issirent fors qui soffert ont assés, 
Car il voient Tengien qui estoit embrasés 

21S0 Et li demorers plus n'ert mais lor salvetés. 
Franc sonent le retrait, li assaus est remés. , 
Et Turc vienent as murs, s ont les trox estopés, 
Fors là où il estoit par là dedens terrés. 



X. 



Li assaus est remés, Testors est départis: 
Franc se traient arrière, très en mi le larris 
Moult i ot de no gent navrés et malbaillis: 
Che ne fu pas merveille s'il en i ot d'ocis t 
Car li assaus fu grans et li esté quéis. 
De l'angoisse et del soif en i ot de malmis, 
2U0 L'escloi de lor chevax boivent et des roncis ; 
Li sans qui vient à terre fu moult tost recoillis; 
Tans mains hom le bevoit volentiers, ngn envis. 
Hé Dexl là n'ot mestiers jeus, ne gabois, ne ris. 
Bauduins de Biavais fu navrés ens el pis : 
Et Harpins de Bohorges devant en mi le vis, 



' 



4 



88 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Et Richars deChaumont estoit el chief malmis, 
Et d'une grant plomée férus Johans d'Alis, 
Si que li bers en ert encor los estordis. 
Li vesques de Mautran les a à raison mis : 
2150 t Baron, franc crestien, par Deu de Paradis, 
« Ne vos esmaiés mie, soit li uns l'autre amis : 

< Se cbascuns n'a ses aises, ces bons et ses delis, 

< En Deu aies fiance, qui nos tient à ses fis. 

( En gloire parmanable iert cbascuns fait s'eslis: 

« Tôt serés coroné devant Jbesu et mis ; 

« Et gardés Deu vengier ne soit nus resortis, 

« Mais tos jors del miex faire soit cbascuns manevis f n 

Et Crestien respondent adonques à baus cris. 

Que ancbois mengeront la char de lor roncbis 

2160 Que Jursaiem ne prenent, où Dex fu mors et vis, 
Et le verai sépulcre où il fu surrexis; 
Si le délivreront des félons arrabis. 
Bien ait de Deu la terre où tex gens fu norris 
Et li pères i soient qui's ont engenéis. 
Ha Dex I celé parole les a tos resjoïs. 
Li jors est trcspassés, li soirs est asseris; 
La nuit jurent à camp, mais n'ont ne vair, ne gris, 
Ne Voiles, ne lincbeus, ne cendax, ne samis. 
Mais les escus as cox et les baubers vestis, 

2170 Et les brans as costés, enrungiés et malmis. 
De sanc et de cbervele mailentés et sanis. 
Le nuit les a gaitiés Buiemons li marcis, 
A .X. mil cbevaliers, qui les cuers ont hardis, 
N'i a cel ne venist o lui de son pais. 
Tant gaiterent la nuit que jors fu esbaudis, 



CHANT TROJSIÈHR. 89 

Et li solax leva qui fu encoloris; 
El Turc se rapareillent contre loranemis, 
Aine n'en i ot .i. sol, qui tant i fu hardis, 
Qui de la crieme d'ax ne soit espoeris ; 
2180 Ne porquant del deffendre est chascuns enheudis. 



XL 



Bêle est la matinée et li solaus luist cler. 
Crestien se levèrent, que Jhesus puist salver I 
Grant soffrete ont de boire, ne vos quier à celer, 
Li baron et li prinche en font enlr'ax parler. 
Dist li dus Buiemons : < Conment perrons errer 
a De rêve dont no gent ont si grant desirrer? 
• Se consaus n'en est pris, il ne porront durer. 
« Car faisons de no gent fervestir et armer ; 
a Si voisent droit au flun, por de Tiaue aporter. 

2190 Dist li dus Godefrois: « Cosins, moult estes ber. 
Dont a fait aval Tost et banir et crier : 
Que tôt voisent au flun por de Tiaue aporter, 
Es box sur les somiers les facent amener. 
Quant crestien le sorent, si se corent armer ; 
.XV. mile somiers font avec els mener. 
Et si vont por vitaille serjant et bacheler, 
As casaus sor les Turs, s'il les poent trover. 
Li barnages s'entorne, si pense de Tesrer. 
Oies une aventure ; aine n'oïstes sa per. 

2200 .1. roi paien encontrent, o lui .m. mil Escler : 
Grasciens ot à non et vint d'Acre sor mer. 
\ Quatre mile somiers fait devant lui mener : 



\ 
-^ 



90 LA CONQUÊTE DR! JÉRUSALEM. 

Tôt sont camei et bugle, grans fais puent porter ; 
De pain, de vin, de char les avoit fait trosser. 
Et de bone ève doice les grans buires raser. 
Cornuraarans l'ot fait par .i. colon mander, 
Qui li porta .i. brief qu'il ot fait sééler. 
Aine li rois Grasciens ne s'en pot esquiever : 
Car si le volait Dex, por son pople asaser. 

2210 Buiemons les connut à .i. pui avaler : 

Ses compaignons les monstre et fait tos cois ester ; 
Ens en une cavée les fait eslroit serrer ; 
Et no chevalier font lor chevax rechengler. 
Chascuns restraint la guige de son escu bocler; 
Isnelement' remontent sans plus de demorer ; 
Les espiés abaissierent, n'ont cure del lever, • 
Que li Turs nés perchoivent as penons venteler : • 
Et Grasciens chevalce, qui ne sot s'i garder, 
Et .X. mil Turs o lui et moult se volt pener. 

22^ Deriere lui ot fait ses somiers aroter : 
Il et si compaignon pensent d'esperoner; 
Car en Jérusalem voiront estre au soper, 
Por no gent crestienne, et coiement entrer. 
Mais ja ne s'en porra Cornumarans vanter. 
Ne li rois Corbadas à Lucabel gaber. 
Se li bers Buiemons peut sos lui randoner, 
Il fera ja le roi de son cheval verser, 
Et amenra à l'ost, qui qu'en doie peser, 
A tote la vitaille dont se porront disner 

2280 .XV. jors tos entiers, et de boivre assaser. 



CHANT TR0I8IÈBIE. 91 



Xîl. 



Li rois paiens chevaice devant el front premier; 
Li Vax e&toitparfons, prèsestoit del sentier. 
Derier son dos venoient aroté li somier. 
Onques mex ne fu pris colons en colombier 
Que Turc furent cel jor; n'i ot nul recouvrier. 

Buiemons ist del gait,il et si clievalier; 
Puis escrie Monjoie et broce le destrier, 
Et a brandi la hanste, qui estoit de pomier, 
Fiert le roi Grascien sor l'escu de quartier, 
22âo Desos la bocle à or li fist fendre et perchier 
Et le clavain de\ dos derompre et desmaiilier. 
Damledex :e gari qu'en char nel pot tochier. 
Tote plaine sa lance Tabat el sablonier 
Et li rois le saisi, si le prist à l'estrier. 
Il li cria merci et commence à proier : 

< Jentiex homne m'ocire, ja me voil bauptisier ; 

< Et cresrai enJhesum qui lot a à jugier, 
« Qui en Jherusalem se laissa traveillier 

< Et loier à l*estache et puis crucefiier : 

2250 t En celui voil jo croire, j'en ai granl desirrier. » 
Quant Buiemons Tentent, aine puis nel volt tochier; 
A .un* de ses homes le iist moult tost baiilier; 
Et quant païen le voient n'ot en aus qu'aïrier. 
En fuies sont tornè por lorvie alongier; 
Lor somiers encontrerent qui les font detriier. 
Et no baron les fièrent, n'ont cure d'espargnier. 
De sanc et' de chervele i font lor brans soillier. 



92 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Dont oïssiés païens à haute vois huchier : 
« Ahil Mahomet sire I car nos venés aidierî 

2260 ( Aies merci des armes, or en ont grant mestiert » 
Dont véissiés no gent de sor ans affichier, 
Ochirre et decolper as espées d*achier ; 
Des mors et des narrés ûrent le val jonchier : 
Onquesdes .ira. mile ne remestrent entier 
Que solement.vn». porles chevax cachier. 
A cex ont fait les mors sor les somiers carchier 
Et à fortes coroies et estraindre et loier. 
Puis s'arotent ensamble tôt le chemin plenier : 
Les somiers et les bugles cacent H peonier. 

2270 Tant esploitent ensamble li vassal droiturier , 
C'a Tost Deu repairierent, quant vint à Tanuitier. 
hk oïssiés tel joie, tel noise et tel tempier 
Et de pitié plorer tant vaillant chevalier, 
Et tante damoisele, tante franche moillier, 
Maint prinche et maint baron par dolchor lermiier ; 
Dont véissiés le duc estraindre et enbrachier 
El col et en la fâche soventes fois baisier. 
Les dames oïssiés soventes fois huchier : 
< Sire Dex t or avons auques no desirrier. 

2280 c AhiJherusalemt tant faites à proisierf 
« Damledex nos i doinst encore herbergier, 
( Si corn i puist son cors sacrer et prinseignier, 
c Et le son saint sépulcre faire bel netiier; 
« Si ferons nos encor, se Dex velt.cex aidier, 
€ Qui ont le mer passée por le son cors vengier. 
« Tos jors aurions les cuers à vos servir entier. » 
Hé Dex 1 ceste parole flst no gent renhaitier. 



CHANT TROISIÈME. 93 



XIII. 



Or est la nuit venue et li jors est fines. 

L'ost Damiedeu gaita Buiemons et Tangrés, 
3290 A .X. mil chevaliers, cbascuns fu ferarmés, 

Enfresi qu'el demain que jors fu ajornés. 

Li aube fu crevée et li oscurs passés, 

Et li jors esbaudis et li solaus levés. 

Dont se liëve par Tost notre crestientés ; 

Et li baron assemblent, que Dex ot moult amés. 

Puis fu tos li gaains devant aus aportés ; 

Ingaument fu par Tost et partis et donés, 

Cbascuns selon son estre, selon ses poestés. 

Adont fu sains sépulcres buchiés et reclamés. 
2300 Li vesques de Maltran les a tos sarmonés : 

« Seignor, ce dist li vesques, en vers moi entendes. 

< Or a cbascuns vitaille à .xv. jors asés ; 

« Por Deu or l'espargnomes et le boire gardés ; 
( En dedens sera prise ceste bone chités. i 
Et il ont respondu : < Se com vos commandés ; 

< Dex nos em prest victoire, qui en crois fu penés t » 
Li baron et li prince ont les prisons mandés ; 
Crestien i corurent, si les ont amenés. 

.vn». en i avoit en grans seiers noés. 
2510 Devant venoit lor sires, n'ert pas espoentés ; 
Vestu ot .1. samit, à or fu colorés 
Et fu estrois el cors, largement gironés; 
En plus de .xxx. lex estoit à or bendés ; 
D'un mantel moult très riche fu li rois affublés ; 



LA GONQDÉn DE JÉRUSALEM. 

La pêne en estoit grise, vers com rosiax pelés, 

Et fu d*un riche simble tôt entor gironés 

Et de martre vermeille ert par de sos listés. 

Li tassel sont de brasmes, les ataches sont tés 

Qu'eles valent mil sols de deners monéës. 
2S20 D'une vert esmeraude estoit ses cols fremés; 

Le poil ot bai et cort et fu recherchelés. 

Moult ot bel le visage et fu bien colorés; 

Les iex ot vàirs el chief ; gros les avoit asés; 

El pis estoit espës, graisles par les costés; 

Les jambes avoit graisles, les pies voltis et lés ; 

Lesmains avait plus blanches que ne soit flor de prés ; 

Moult estoit de bel grant et s'estoit bien molles ; 

.L. ans 01 li rois, tex estoit ses aés. 

Ahi Dex î com grant joie s'il est crestienést 
2330 Quant il voit nos barons, si les a enclines, 

En son sarrasinois les a haut salués: 

Et 11 duc Buiemons est contre lui aies, 

Entre ses bras le prist, asés fu acolés ; 

Puis fu .1. latiniers isnelement mandés. 

Par chelui li demande qués estoit ses pensés, 

S'il velt crestiens estre et en ège levés. 

Il respont qu'il croit Deu, bien a .xii. ans passés. 

< Hé Dex t dist Buiemons, tu soies aourés I » 

Li vesques de Mautran à les fons aprestés, 
2540 Après ce fu li rois de ses dras desnués, 

Iluec est baulisiés et en iaue levés. 

Mais ses non ne li fu cangiës, ne remués ; 

Puis fu en Tostpar lui mains bons consaus.donés. 

Les autre Turc s'escrient: « et car nos ochiés ; 



GHANT TROISIÈIfS. 95 

< Chascuns de nos velt miexqueseschiés soitcolpës 

< Que Mahons fust par dos guerpis et defflës. y» 
Li dus Godefrois Tôt, si est avant passés. 

As ribaus les livra, cil les ont decolés, 

Et tos nus despoilliés, quant il les ont tués. 
2350 Devant Jherusalem ont les Turs traînés, 

A mangoniax turcois les ont laiens getés. 

Les cors ont escorchiés et overs et salés ; 

Puis les pendent en haut, ses ont amont levés. 

En la grant tor David est Corbadas montés, 

A une des fenestres est li bers acotés : 

De ce qu'il a véuest forment aïrés. 

Et cil de Jhersalem ont les timbres sonés, 

Por les Turs c'om lor ot balenchiés et rués ; 

Et li rois Corbadas s'en est jus dévalés, 
2360 De la grant Tor David descendi les degrés. 

Forment est estormie tôt por tôt la cités. 

xrv. 

Dedens Jherusalem fu mult grans Testormie 
Des Turs qui sont jeté, chascuns en brait et crie. 
Quant li Rois Corbadas a la novele oïe, 
Isnelement avale de la grant tor antie; 
lui fu Lucabiax, qui la teste ot florie; 
Parmi la maistre rue ont lor voie guencie ; 
Plus de mil paiens trovent gisant par la cauchie, 
Qu'il n'i avoit chelui n'ait la teste trenchie. 
28'7o Li Rois de Jursalem no gent esquemenie. 
Et a maudit la terre où ele fu norrie. 



96 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Lors deront ses chevox, s'a sa barbe sachié : 
( Ahi, fait-il, chailisl nos n4 garirons mie! 
— « Sire, dist Tamirax, ne vos esmaiés mie ; 
« Soies baus et haitiés, faites chère hardie ; 
( Anchois qu'il aient pris Damas ne Tabarie, 
« Ne Sur, ne Eschalone, ne At;re la garnie 
« Auront li crestien grant soffrete d'aïe 1 » 
Es vos Cornumarant poignant par la cauchie ; 

2380 Armés estoit li rois, tint l'espée forbie, 
Des cox qu'en ot donés fu tainte et enoschie, 
Et de sanc, de chervele estoit enmailentie : 
N'ot si hardi paien en trestote Turquie. 

Par devers saint Esteule ont la porte garnie 
Et les trox estopés par moult grande maistrie : . 
Plus fort sont or que ains devers celé partie. 
Très devant le saint temple fu la place vestie 
De Turs et de paiens et de gent de Persie ; 
Chascuns maine grant dol et plore et plaint et crie 

2S90 Et maldient Franchois et la lor compaignie. 



XV. 



Très devant le saint temple fu la geste Mahon 
Et demainent grant dol et moult font ploroison. 
Li Rois de Jursalem deront son auqueton 
Et descire sa barbe et deront son gernon. 
tucabiax le conforte et li rois Malcolon. 

Es vos Cornumarant qui l'a mis à raison : 
« Sire por coi plorés?Avés vos se bien non? 
« — Biax fiex, ce dist le rois, ne sai que ï celisson : 



csktiT TRôtsiiÈiie. f7 

€ Jo t6s di vraiemefnt, Jérusalem perdfom t 
2M0 « Hôult nos ont mesbailli cil crestien felôU: 
Car jo vi dès ersotr )à sus de cel donjon 
GrascieA amener loiô corne gaignon ; 
Bien furent avoc lui plus de mil Esdavon ; 
Yitaille m'amenoient à plenté et foison ; 
Wi le vi baptisier, n'en dirai se voir non : 
Âinc nul de tos ses homes ne vint à raenehon. 
Qu'il n'ait colpé la teste par de sos le menton. 
Les cors en ont getés en no despislon, 
Et les testes flchies es pex parlesablon: 
2M0 c Mais ne m'en sai clamer, biax àex, se à Vos non. » 
Quant Cornumarans Tôt, tôt tainst conme charbon, 

Et jure Mahomet ja'n aura venjoîson. 

Les chaitis fait venir qu'il avoit en prison ; 

.XHii. en i avoit de moult povre fachon ; 

Car n'ont cote, ne chape, ne cauche, ne canchon. 

Ne n'ont solier en pies, ne mance, ne manchon. 

Chil furent amené dès la muete Perron, 

Là où Harpins fu pris et Richars de Chaumont. 

Li troi estoient né del bore de saint Droon, 
2420 Li quars de Yalénchienes et li quins de Dijon ; 

Et li autre doi furent del chastel de Buillon. 

Près estoient parent dant Robert le frison 

Et le duc Godefroi, qui cuer a de lion. 

L'uns avoit non Henris et li autres Simon. 

Chascuns de ces .xmi, ert en .i, caeignon 

Lachiés parmi le col entor et environ ; 

Grans moffles ont es bras et buies de laiton. 

Tant les fist li rois batre iluequds du baston 

7 



98 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Que li clers sans lor file del chief dusqu'al talon. 
2450 Après les fait mener poignant d'un aguillon, 
Parmi Jherusalem, au temple Salemon ; 
Et chil reclaiment Deu et sa mère à haut ton : 

< Gloriox sire père, qui soffri passion, 

« PiexDex, regardés nosl car d'anui trop soffron. 

< Désormais, en bon gré la mort recheveriom ; 

< Car li cors sont por vos en grant destrucion. > 
Au repairier passèrent par devant le perron, 
Où li cors de Jhesu fu gaitiés à larron ; 
Chascuns se agenoille, si a dit s'oroison ; 

2U0 Et li Turc qui les gardent i corent à bandon ; 
De grans mâches les fièrent entesées de pion ; 
Rompoient lor la char de si au vif braon, 
C'on véoit de chascun caïr le grant braon ; 
Mais puis les délivra Jhesus par son saint non, 
Si com oïr porrés es vers de la canchon. 

XVI. 

Et tant sont li caitif batu et démené 
Que Dex ne fist nul home n'en éust pietié. 
Li Rois de Jursalem a après commandé 
Que el fous de la chartre soient tost ravalé; 
2M0 Et il si furent sempres, puis qu'il Tôt commandé, 
Ains por els avaler n'i ot corde aporté, 
Ains sont l'un avant l'autre et empaint et bote. 
€ Aies, font-il, chaitif, tant nos aurés pené, 

< Jamais de nul de nos ne serés regardé. 



c 



Or verrons de vo Deu s'il a grant poesté; 



'^ 



CBANT TROISIÈIIE. 99 

< Se vos n'estes ocis et tôt eschervelé t » 

 moult grande merveille doit estre raconté : 
Car la charte ert parfonde .nu. lances d'esté. 
Or oies le miracle que Dex i a mostréi 
Âinc n'en i ot .1. sol cuir éast entamé ; 
Et chascuns des grans cox ot son cors trespassé. 
Dex les rechut aval trestot à salveté, 
Joret nuit sont de Fangele là dedens conforté, 
Que che qu'il ont mestier lor trove à grant plenté. 
Il i ont là dedens .m. semaines esté, 
Dusque Jhesus le yolt qu'il en furent jeté. 

Jchi larromes d'ax : n'en iertor plus parlé, 
Très c'a une autre fois qu'il iert renovelé. 

Très devant le saint temple sont paien assamblé, 
2M0 Et amiral et prince de grant auctorité. 

Cornumarans se dreche, qui le cuer ot iré, 
Sor .1. perron monta, oiant tos a parlé : 

Seignor, vos me tenés por vo droit avoé ; 

Après le roi mon père doi avoir le régné ; 

JUais crestien m'en ont grant partie gasté : 

Chaiens nos ont assis dedens ceste chité. 

Ja m'i ont assali et lor efTors mostré. 

Et féru à cel mur, tant qu'il l'ont effondré. 

Mais on ne l'avoit mie par dedens terré ; 

Or sont si rafailié etli trou restopé 

Et les portes garnies et li beffroi cléé, 

Et tôt li aléoir de quarriax areslé, 
a Que ne crient lor assaut .ui. deners monéé. 

Mais nos avons petit et d'à vaine et de blé; 

Li camel et li asne nos en ont moult usé, 



2480 



100 LA GONQIlÉra MS lÉRIBALEaf. 

i Et li autre befitaille car n'ont riens pafitaré. » 
— c Bîax niés, dist Lucabiax, vos dites Térité : 
PIuisofB fois VUS avons maint bon eonseil doné ; 
Encor parierai-jo, se il vos vient à gré : 

2M0 < J'ai le teste florie, si sni degrant aé. 
Au tans le roi Erode que il ot decolé 
Les petis enfanchons à son brant acheré, 
Dis<N6ni li prophète, Usage home letré. 
Que uns poptes venroit de grant auctorité, 
Qai conqu^rroit nos terres et nos prospérité : 
Orsontchi pareffors en no£ terres entré. 
Ja ont conquis de terre, et de lonc et de lé, 
.mi. Jornées grans, ce dist on par verte. 
Or quit bien que li dit en seront avéré : 

2500 u Qui as Frans se combat bien a le sens desvét » 
Quant Gornumarans Tôt, le vis ot alumé. 



XVII. 



2510 



< — Biax niés, dist Lucabiax, vérité vos voil dire: 
c Jo voi bien que no loi nos abaisse et empire. 

« Faites faice nos^briés et nos Chartres escrire. 

c Bien avons cbi colons affaitiés tos à tire ; 

< Chés briés lor loierons as cox, enpriens en chire ; 
( Si mandons i Damas c'en nos^enyoit l'empire, 

a A Sur, à Tabarie, gart nus ne l'ost desdire, 

c Et s'il ne nos secorent serons nos à martire. 

€ Bien voi que nus de nos n'ara talent de rire : 

< Ja n'en escapera li meudres, ne li pire, 

< Qu'il ne nos fâche tos detrencher et ochirre. 



2520 



25S0 



CHANT TROISlilafB. 101 

c II n'i a si hardi qn\ n'ait mestier de mire. 
« Qui les Franchois prendra ardoir les fâche en chire, 
c Ou en ëve bollir, ou dedens l'oie frire ; 
ff Par ce, les poons miex abaire et desconfire 
c Et cacher de no terre à dolor et à tire, t 
Cornumarans respont : c Dit m'avés grant remire I » 

XVIIL 

~ c Biax niés, dist Lucabiax, entendes ma pensée. 
Li colon sevent bien chi prendre lor volée, 
As casaus chi entor contreval la valée. 
Il n'issirent de mue la semaine est passée. 
Faites faire vos brés en chire enséélée ; 
Si soit dedens escrite tote votre pensée : 
G'on vos viegne secorre sans nule demorée ; 
Et qui les brés lira n'en face recelée ; 
Savoir le fâche avant par parole mandée. 
As prinches et as rois, dusqu'en la mer betée, 
A l'amiral Sodant la raison soit contée : 
Qu'il li prengne pitié de la gent ei^arée. 
Et de Jherusalem, la fort cité loée, 
C'asis ont crestien, celé gent deffaéa» 
S'il la prenent par force, c'est vérité provée, 
DestruitQ ierl paienie et ta terre gastée, 
Et la lois Mahomet honie et vergondée. 
Soient anuit tôt pris très devant l'ajomée ; 
A chaseun colon soit la chartre au col fremée, 
Et par devant la gorge en la plume botée, 
QueFranehois n'es perchoivent, cela gent parjurée ; 



102 LÀ GONQUâTE DE lÉRtSALEM. 

2M0 c Puis les tairons aler tôt d'une randonée : 

< Chascuns ira tel leu où sera arestée ; 
€ Par iceste aventure sera avant portée. 

i Et si soit ens escrite la chartre soit muée, 
€ Si refache autre faire en chire enséélée; 
c Li colons le raport aval de randonée. 

< Si en iert la cliités moult plus asséurée 

< Et le gens plus hardie et plus resvigorëe! • 
Çornuraarans respont : < Geste raison m'agrée; 

ff Ensi iert ele faite corn Tavés devisée. » 



XIX. 



2550 Li rois Cornumarans nes'atarja noient; 
Ses brés a fait escrire tôt et isnelement ; 
Ensi com crestien, par lor efforcement. 
Ont Jursalem assis et assalent sovent; 
Et mande ppr aide de si en Orient: 
« Que on secors li face, c'on n'a large noient. 

< Tôt droit en Babilone, à l'amiral Sodent, 

< Et au roi Àbreham, delà le pont d'argent; 

c S'amaint le roi desÀsnes, qu'il tient à son parent; 
« Se le fâche savoir au fort roi Corbarent, 
2560 € Estevenon le noir, qui maint vers Orient, 
c Calcatrais, l'amiral des puis de Bocident 
( Et cex de Coroscane et le roi Glorient, 
c Ganebaut d'Odierne, Rubin et Murgalent, 
c Et le roi de Monuble, où aine nen ot forment. 
« (Plus sont noir cil del reigne, se l'estoire ne ment, 
( Que suie destrempée, ne pois, ne arrement, 



CHANT TROISIÈME. 103 

c Et n'ont de blanc sor ans ne mais Toil et la dent : 
i Tôt vivoient d'espisces, de chucre et de piment 
c Et d'autres bones herbes dont il i a forment.) 
2570 c N'i laissent à semondre dusc'à l'arbre qui fent 
c Sarrasin, ne paien, ne roi, ne amirent, 
< Qu'il ne viegne au secors tost et isnelement. > 
Quant li bref sont escrit, n'i font arestement ; 
Les colons aporterent, dont i ot plus de cent; 
Les brés lor ont pendus ens es cox esroment. 
Or penst Dex de nostre ost, par son commandement! 
Car se li colon volent as cans, à salvement, 
Il feront assamblcr .i. si grant parlement, 
Dont tote li os Deu iert livrée à tormentt 



XX. 



2580 Or s'en vont li colon par desor l'ost volant. 

Franchois les ont perchus, moult les vont esgardant ; 
Li .1. le dist à l'autre et vait au doit mostrant : 
€ Voies vos ces colons! pécha n'en virent tant; 
c Et si sont tôt plumé ens es testes devant! > 
Li os s'en estormi, et vait moult formiant. 
Tôt no baron estoient en .i. pré verdoiant. 
Par devers portes oires aval en .i. pendant. 
D'endroit Jherusalem, vont entr'ax devisant 
Comment le porront prendre et par con fait sanblant ; 

2500 Et où il drecheront la perriere jetant. 
els ert Graciens, que Dex ot fait créant. 
No baron regardèrent vers le chiel maintenant, 
Et voient les colons desor lor chiés volant, 



lOfk LA CONQUÊTE DE JÛUISALEM. 

Que Dex i envoia par son disne commant. 
Graciens s^escria : « Franc chevalier vaillant, 

< Che sonl li mesager à la gent mescreanl; 

< Chascuns de ces colons a brief au col pendant; 
« Il vont querre secors, jel sai à esciant; 

( Se il pueent voler et voisent à garant, 
2600 < Il feront chi venir Tempire d'oriant) » 

Quant no baron loïrent, si se vont escriant : 

c Qui or saura bien traire si aura .i. besantt » 

Li os Deu s'estormi etderiere et devant; 

Li archier as colons vont moult forment traiai^t; 

Les gens le roi Taphur as tandeffles ligqant. 

Et jo que vo diroie? Tos les vont ochiant, 

Ne mais solemenl .m. : chil s'en vont randonant: 

Altretant valent cil conme tôt fesissant. 

Sarrasin les esgardent, moult en furent dolant; 
2610 Et de cex qui s'en volent furent lié et joiant. 
Li dus Godefrois sist de sor .i. auferrant, 

Et dans Hues li Maines, de sor .i. sor bauchant. 

Li quens Robers de Flandres, sor Morel le corant; 

Chascuns tint .i. faucon, si s'en tornent poignant; 

Après les colons vont à espérons brochant; 

Et li colon s'en vont très parmi l'air volant, 

Et de liés à autres à terre raséant. 

Delès mont Olivete es les vos ataignant, 

Les faucons ont jetés et cil s'en vont bruiant ; 
2620 As colons s'agetërent, si les vont consevant. 

Mais li colon s'asislrent à terre maintenant, 

Delès une musterne se vont atapissant. 

Ne s'osent removoir d'iluec pe tant ne quant. 



GliANT TEWdafS. lOH 

Et no baron le^ prenent, as mains les vent cobrant : 
Isnelement remontent, ne 8e vont delaiant. 
Arrière s'en repairent par devers Belliant. 

XXI. 

No baron descendirent devant les maistres très, 
Et li barnages est entor ans assanblés. 
Au vesque de Maltran les ont tos délivrés ; 

2630 Chascun des mors colons estoit li briés ostés. 
Et li dus de Bâillon et Robers li membres 
Et dans Hues li Haines qui prox fu et sénés, 
Orent à lor colons les lor briés desnoés. 
Moult par fu bien chascuns repeus et abeuvrés. 
En .1. baril l^s mistrent qui esloit treuetés. 
ji. serjans les commandent qui bien les ont gardés. 
El li bons vesques a nos barons apelés, 
Puis lor a dit: « Seignor, merveille oïr porrés 
« Que cest brief senifient, que vos ici véés. 

2640 c Li rois a ses barons tos ensamble mandés ; 
c Qui sont dusc'au sec arbre, en viron et en lés : 
f Or avons lor escris ; Dex en soit aourésJ » 

Dist li dus de Buiilon : < Biax sire, or en pensés, 
i Tost et isnelement .m. briés nos escrivés : 
« Que Cornumarans mande par trestos ses régnés 
< Que bien gardent la terre en viron et en lés ; 
c Car des Frans ne se dote, ne de lor poestés; 
« Et qu'il mandent arrière totes lof volontés. » 
Si les a fait li vesques com il les a rov^s. 

265Q Les colons raporterent, as cox lor ont fermé^s ; 



106 Là CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Droit à Mont Olivete les a on aportés, 

Ilaec en droit les mistrent : es les vos ent volés. 

De si à Belinas n'en fa .i. retornés. 

En une maison vinrent où jà avoient mes. 

.1. sarrasins les prist qui ot non Ysorés ; 

Les colons a esquis, si a les brés trovés. 

.1. paien les fist lire, qui estoit bien letrés, 

• En Jursalem n'a garde, que fors est la cités 

« Et que on gart sa terre, ses bors et ses chités ; 

9660 c Que les chaitls de France a ja tos afamés. » 
Quant H pàiens Tentent, li cuer li est levés. 
Autres brés refisl faire, durement s'est hastés ; 
Gornumarant manda salus et amistés : 
c Anchois que la quinsaine, ne li mois soit passés, 
€ Si fera il semonre .c. mile Turs armés; 
c Dont il sera vers Frans garandis et tensés, 
< Et li caitif destruit et chascuns desmembrés, 
c Et lor lois abaissie et Mahons alevés. » 
Dont a pris les colons, les briés lor a botes 

2670 Par de desos les gorges et moult très bien fermés ; 
Dont les mist à la voie, ses a acheminés. 
Ains Tuns colons de Tautre ne se fu dessevrés. 
Dusc'à Tost des Franchois où Dex les a guiés. 
No baron les gaitoient qui les ont arestés ; 
A lor faucons volans les ont espoentés. 
Et li colon s'asistrent as tentes lés à lés. 
^ Là les pristrent li Franc, qui les ont délivrés 
Au vesque dé Maltran, qui fu de grans bontés. 
Et li vesques les prist, qui bien fu doctrines, 

2680 Ce qu'il trova es briés lor a tôt devises. 



CHANT TROISIÈUE. 107 

Et dient no baron : < Dex en soit aourésf 

« Quant nos savons des Tursiorcuers et lor pensés. » 

Li colon sont repris si lor ostent les briés 
Au vesque de Maltran dist on : a Sire or lisiés. » 
Et li bers les a lis, quant les ot desploiés. 
Puis escrit autres briés, ne s'est mie atargiés 
Que cil de Damas mandent: ce Sodans est corechiés 
€ Vers le roi Corbadasest durement iriés; 
« Fâche le miex qu'il puet, ja par lui n'ert aidiés. » 
a Après les a li vesques estroitement ploies 
2600 c En Jursalem les a Tendemain renvoies. 
Corbadas se leva quant jors fu esclairiés 
Et fait soner .i. timbre s'a païens ralliés, 
Droit devant le saint temple en une place vies, 
lluec fu Lucabaus et Malcolons, ses niés ; 
Si fu Cornumarans en estant sor ses pies. 
Ja orra tex noveles dont il iert corechiés 

XXII. 

Très devant le saint temple fu la place vestue; 
Mainte bêle paiene i véissiés venue, 
Cbascune en drap de soie estroitement cousue, 
2700 Por oïr les noveles fu chascune esméue. 
Corbadas se drecha, qui la teste ot chanue 
Il i vint Lucabiax, s'a la presse rompue ; 
Les briés li a balliés et del lire l'argue ; 
Li amirax les prist en sa main tote nue. 
Quant ot véu la letre, tos li sans li remue, 
Une verge tint d'or, as pies li est queue. 



106 LA CONQUÊTE DE ifoCflALEM 

Il a parlé en haut, sa vois fu eonnéue : 

< Par Mahomet I dist-il, ci a maie ateno se : 
c De l'amiral Sodant avons perda Fajuel 

2710 c Or est chaseun de nos doble painc crëae 
c Se Mahomés nel fait, no chités est perdue » 
Quant Ciornumarans Tôt, si prist une maehue 
Ja en ferist son oncle, quant on Ti a tolua 

XXIII. 

Très devant le saint temple véissiéa dol mener, 
Dont péussiés véoir sarrasins assambler» 
Li rois de Jursalem commeneha à plorer, 
Ses chevox à derompre et sa barbe à tirer* 
Cornumarans, ses fiex, le prist à conforter. 
« Sire, dist li vallës, tôt ce laissiés ester : 

< Tant com jo soie vis, ne vos estuet doter. 
2720 € Or me verres sovent chevalcher et esrer, 

f Et Franchois estormir, ocirre et craventer. 
c Ja n'en porrai .i. prendre ne face déceler. 
« Aies en ceste tor là de desus ester; 
« Laissiés-moi covenir de Jursalem garder : 
c Que ja por nul assaut n'i verres Frans entrer. » 
— < Biax fiex, dist Corbadas, bien le voil créanter. » 
En la grant tor David commeneha à monter : 
. As fenestres de marbre vait li rois acoter ; 
lui fu Lucabiax, que il pot moult amer, 
27S0 Bien porent les assaua véoir et esgarder. 
Et Cornuniarans fist .mi. graisles soner. 
Dont véiseiés paiens fervestir et armer 



CHANT TROISIÈME. 109 

Et par desor les murs et venir et aler ; 
Drecher ces mangoniax et perrieres jeter. 
Ne perre ne baston ne péussiés ruer 
Qui ne caist sor elme de paien ou d'Esceler. 
Onques por bien deffendre ne vi gent si border. 
Cornumarans a fait le maistrc cor soner 
Dont véissiés paiens et renger et serrer 
2740 Et Fun encontre Tautre et venir et aler. 
Or porrës fier assaut oïr et escoter : 
S'ès nostres ne remaint, ja s'en porront vanter. 




CHANT QUATRIÈME. 



QéRGUMENT. 

Godefroi de Bouillon ordonne un assaut général. -^ Partage de 
Tarmée assiégeante en onze corps : la ville est investie.— Les ingé- 
nieurs Grégoire et Nicolas dressent des machines que les assiégés 
embrasent avec le feu grégeois.— Les Tafurs montent à l'assaut. — 
Ils sont repoussés.— Enguerrand de Saint-Paul et Etienne de Lucheu 
montent sur les échelles et sont renversés. — Un troisième assaut 
est tenté en vain par les Normands et les Bretons, commandés par 
Josseran, Thomas et Foucher de Meulant. — Quatrième assaut : 
Raimbaut Creton, Hervis et Hongier L'Allemand. — Ces deux der- 
niers sont pris. — Deux chefs sarrasins, Malcolon et Ysabras, tom- 
bent au pouvoir des Croisés. — Trêve pour réchange des prison- 
niers. — Cornum^ran sort secrètement de Jérusalem pour aller 
chercher du secours auprès du roi de Perse.— Baudouin le poursuit, 
s'enfonce dans un marais où tout son corps est couvert de sang- 
sues. — Il en sort ensanglanté et rejoint Tarméç des Croisés.— 
— Gomumaran arrive chez le Soudan de Perse. 



CHANT QUATRIEME. 



I. 



i solaus fu moult biax et jors fu esclarcis : 
(^^^^No baron ont véu les Turs si aatis : 
jt ^DIC^ô t Enter Jherusalem ont les murs tos porpris. 
N'i a celui d'ax tos qui ne fust engramis. 
Dist II dus de Buillon : c Trop vos Yoi amatis ; 
c D'assalir déust estre chascuns pros et garnis : 
c Trop nos ont sarrasin longement abaubis ; 
2750 € Faites ces cors soner el non de saint Denis, 
i Si soit Jherusalem par vertu assalis t » 

Et li baron respondent : < Benéois soit ses dis I • 
— f — Seignor, dist li quens Hues, or oies mes avis: 
( Nuirons pas tôt ensamble à .i. abatéis, 
a Mais de ctiascune eschiele soit .i. assiax bastis. 
c Dès que li un assaillent au mur d'araine bis, 
c Li autre lès deffendent as ars de cor massis. 

< Quant cil ierent lassé et chascuns alentis, 

< Puis viegne autre secors, armés et fervestis ; 
2700 c Par .X. fois soient .xv. en .i. sol leu assis : 

( Cbe sachiés que de Turs i aura moult d'ocis. 

< Ja puis n'en overront ne porte, ne palis. > 

8 



114 LA CONQUÊTE DE léRUSALEM. 

Chist consaus fu loés et créantes tosdis. 
Chascuns à son pooir est armés et garnis. 
Es vos le roi Tafur très parmi .i. larris 
À .X. mile ribaus armés et fervestis ; 
Portent beaes et mâches et grans fausars et pis, 
Gisarmes et maehues, et max de fer Iraitis, 
Trenchans miséricordes et cotiax coléis, 

2770 Et piomées de courroie à cbaaines assis. 
Li autre portent fondes et ont les cailiox bis. 
De tex i a assés qu'encor ne sont garis 
Des plaies qui fu faite à l'autre assanbléis. 
Li rois Tafurs estoit en .xxx. lex bki^mis, 
El chief et es espaulles et el* bras et el vis ;. 
Par trestotes ses plaies avoit estopes mis, 
Et tenoit une faus d'achier qui fu burnis. 
Li mances fu de fraisne bien bendés et massis ; 
Cbapel ot en.son chief d'un cuir qui fu bolis 

2780 Et d'un gambeson ert estroitement vestis. 

Très devant le saint temple s'escria à baus cris : 
« Seignor, porDeu vos proi, le roi de Paradis, 
« Que le premier assaut aie sor ces caitis, 
€ Qui ce ne volent croire que Dex fu surrexis. 
< Tos lesjorsdema vieen estrai vosamisi » 
No baron Totriierent, mais il le font envis ; 
Car tôt, si oom estoient, sont d'armes desg^trnis. 
Li vasques de Mautran, qui fu prodon esli^, 
Les soigna tos de Deu qui en la crois fu mis, 

2790 Et après commanda nus ne fust si hardis 
Que il asealir voist, si iert li cors bondis. 
Li rois Tafurs s'en tome, quant le congié ot pris; 



Ses ribaus enmena, quant il fu fervestis. 
Li vesques de Maltran les a ios benéis. 



il. 



Après font nb baron autre eschîéle rentier. 
Trestôf fiifeàt vaslet et nobile escjdleï. 
Engerràn de Saint Pbl ont fait Gotifanonier ; 
Mais If roi^ des Tafiïrs lé voira comtdefnchier : 
Li Vesqùés de Sfaltran le vait à tos nonchier : 

< Baron, ne vos liiovés, portrait ne ^or lanchler, 
i t)'e i^i que vos orrés le grant cor ^raisloihîeh » 
Et Engerrans s'en tome et si vaslet legier. 
Devant /herusalèfû s'âlëreût arengîer, 

Et regardent! les murs qui sont haut et plenîer, 
Et ïe saintismè temple qu-îl virent ftambolhier; 
Et ch^'scui^ Fèncliha et commence à huchier 
Que Déx'le^' liàist encore là dédens hérbergîer 
Et son disne sépulcre acoler et baisier. 
« He T^èi diii Engerrans vos en voil-jp prôhier: 
asio a Gardés c*à* Tasaillir nen i' ait nul lanler ; 
i Se jo atf mui* férir voi no ^ent renhaitier,- 

< Et monter contremont et ramper et puier, 
« Âdont auroie-jo chertés mon desirrier. » 

Et cil li respondirent : c Ja n'en estuet plaidier ; 
a Que se nos les eschieles pooris as murs pnier, 
a Se nos n'alons amoàt, poi nios dbit on proisiér. 
Li rois de Jursalem s'est aies apoier 
A une dés fiédestres de son palais plenier : 
Franchôis esfcoméiiie tfApfolliïi Taversier. 



116 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 



m. 



2820 Après font no baron une eschiele vaillant. 
Il i furent Breton et Franchois et Normant ; 
Bien furent .x. millier hardi et combatant. 
Li quens Robers lor sires les bailla Josserant 
Et Tomas son cosin et Fochier de Mêlent. 
Cex benéi li vesques de Deu le tôt poissant, 
Et dist : c Nus ne se move d'assalir tant ne quant, 
i Tant qu*il orront le cor à haute vois sonant. » 
Et cil li respondirent : c Ce soit à Deu commant. » 
Le vesque ont encline, si s*en tornent atant. 

2880 Devant Jherusaleoi vont terre porprenant ; 
De joste l'autre eschiele se vont tôt arenjant. 
La chité resgarde^ent et le mur haut et grant 
Et le saintisme temple que Dex parama tant. 
N'i a cel de pitié n'ait le cuer sospirant ; 
La chité enclinerent, des iex vont lermiant : 
c Ahi Jérusalem t com nos aies penant t » 
Li rois fu as fenestres de fin marbre luisant ; 
Franchois escomenie de son Deu Tervagant. 



IV. 



Après ont no baron une eschiele choisie : 
28fto Là furent Bolenois, que Jhesus benéie, 

Flament et Borgeignon, une gent moult hardie. 

Bien furent .xv. mil d'une connestablie. 

Li bons dus et li vesques, qui l^s ont en baillie, 



CHANT QUATRIÈME. 117 

Lor ont baillié Hervin qui les chaele et guie, 

Et Huon rAIemant, qui n'a pas coardie, 

Et dant Raimbaut Creton, qui les paiens castie. 

N'ot tex .m. chevaliers de si qu'en Romanie. 

Cex a seignié li vesques de Deu le fil Marie ; 

Après lor commanda et dolcement lor prie 
2850 Que nus d'ax ne se move por faire Tassalie, 

Dusque del maistre cor sonera la bondie. 

Li baron li otroient et chascuns s'umelie; 

Dont s'en torna no gent par moult grant aatie. 

Devant Jherusalem ont la terre saisie; 

La chité regardèrent et les murs de porfle, 

Et le saintisme temple qui luist et reflambie, 

Qui près est del sépulcre où Dex ot mort et vie. 

Chascuns d'ax l'enclina et de cuer s'humelie : 

c Ahi Jherusalem ! sainte chité antie t 
2860 c Quex dels est et quel rage que t'ont gent paienie! 

i Damledex nos doinst force, que t'a ions em baillie! / 

t Jo monterai premiers dist Hongers de Pavie. 

« Et jo, ce dist Hervins, ne vos en faurai mie. » 

Et dist Raimbaus Créions: « S'entre la gent haïe 

« Puis venir par lassus, en celé cit antie, 

< Jo m'i quit moult chier vendre à i'espée forbiel » 
Li rois de Jursalem fu en sa tor garnie ; 

Nos franchois esgarda qui font lor establie, 

Por assalir as murs dont la perre est naïe. 
2870 De son Deu Apollin tos les escomenie. 



/ 



m 



LA CONQUÊTE DE JâHQSALEM. 



V. 



Après ont non baron autre çscbielp ajostée : 
Geste fa la sisisme ; moult par fu bien armée, 
De pele3 et de hoes garnie et aprestée ; 
Et si ot mainte glaive, maint arc et mainte e$pée, 
Iluec furent Franchois, une gent renomëe j 
A .XX. mil ferarmës ont lor escbiele esmée : 
Li quens Hues li Maines, à la cbere membrée, 
A (iant Tomas de Marne Ta bailUe et livrée. 
Cex a seignié li vesques de la vertu nqmée ; 

2880 Apres lor commanda que ne facent buëe, 
Por assalir as murs, ne force, ne criée, 
De si que del grant cor entendent la menée. 
Dans Tomas li otrie, si U fait enclinée, 
Puis enmaine s'eschiele, l'oriflambe )eyée« 
Devant Jherusaleiii ont porpris la terrée; 
La cbité regardèrent, qui fu et grans et lée. 
Où Dex de mort à vie fist la resusitée. 
Li bers Tomas de Itlarne Ta de cuer encUnée : 
c Ahi t fait-il, chités com es boneûréel 

2890 c Dex nos doinst raemplir no bon et no. pensée 
t De vos prendre et conquerre, c*avons tant desirrée ; 
« Qu'encor soit el sépulcre bêle messe cantéel 

< Ha Dex t com aura cbil bone paine endurée, 

< Et com boue aventure li sera destinée, 
« Qui de tote cest ost aura la renomée, 

< Et de prendre la vile aura premiers l'entrée I 
c Bien volroie morir à la porte passée, 



CHANT QUATBIÈWB, U9 

t Se. m'i dévoie faire eus jeter à volée, 
« Si entrerai premiers, itex est ma pensée! » 
2M0 Dont regarda paiens, s*a la teste crollée. 
Li cuers U monte el pis, s*a sa vertu doblée. 
Se açlont fust entr*ax, ja donasl tel colée 
Dont teste à sarrasin fust de bus dessevrée. 
Li rois de Jhursalem fu en sa tor quarrée ; 
Et resgarde no gent, bien la voit aprestée : 
U les escommunie par moult grant aïrée. 



VL 



La semé eschiele firent no baron nataral. 
Là furent Provincel et maint autre vassal ; 
S'i ot des Loherens et de cex de Marcal, 

2910 Gascons et Poitevii^, tôt furent parigal. 

Bien furent .x. milliers, aine n'i orent cheval. 
Dans Raimons de Saint-Gille, qui le cuer ot loial, 
Lor a baillié Antiaume et Girart de Toral 
Et dant Bernart de Dors, Gui le Poitevinal, 
Et Johan de La Fère, Roger le Senescal. 
Là péussiés vëoir mainte beue et maint pal 
Et mainte riche ensaigne de paile et de cendal. 
Cex a seignié li vesques de Deu Tesperital. 
Après si lor commande, nel tiegnent mie à gas, 

3920 Que nus w se remore, por trait, ne por assal, 
Dusqu'il orra son^r le grant cor dansai :, 
Chil lor otroient tuit, puis s'entorneiU ingal; 
Devant Jherusalem ont pqrpri^ lor estai. 
La cbité regardèrent, le mux et le terraU 



120 LA GONQUÊTE DE lÉRUSALEIl. 

Et le saintisme temple, où avoit tant d'elmal, 
Qui près ert del sépulcre où Dex prist son ostal. 
N'i a ces qui de larmes n'ait moillié le frontal, 
c Abi chitésl font-ii, saintisme natural, 
c Qués dels est et quel ire que t'ont cuer desloial ! 
2«J5o c Dex nos laist tant véoir que bridons lé mural, 

< Et Dex i soit sacrés et messe corporal. » 
Li rois de Jursalem fu en sa tor roial, 

Et a véu francbois,qui se rengent aval, 
Qui devant le cbité sont ens el sablonal, 
Por abatre del mur la perre et le terrai : 
De Mahon les maudist et fait grant batestal : 

< Abi, fait il, cbaitif, Mabomes vos doinst mal ; 
c Ne pris votre assalir le montant d'un esmal t 

< Les iex vos crèverai à mon esperonal t 
2M0 c Et si vos ferai mètre à l'estacbe au bersal I 



VIL 



L'uitisme eschiele firent no baron esroment. 
Gbil i furent de Puille,de Galabre ensement, 
Et tôt cbil de Sesille ; moult par i ot grant jent; 
Et li Venissien qui moult ont bardement. 
Bien furent .xx. milliers, se l'estoire ne ment. 
Buiemons et Tangrés, qui celé escbiele apent, 
A Huon l'ont baillie et Bemart de Meulant, 
Et Gerin de Pavie et Ricber son parent. 
Cbascuns ot bone terre et moult bon cbasement. 
2950 Là pëussiés véoir tant escu à argent, 

Tant hauberc et tant elme et tant bon garnement. 



CHANT QUATRIÈHE. 121 

Mais tôt furent à pié maint et commùnalment, 
Portent heues et pelés, por oster le chiment, 
Et grans picois d'achier, por piquier ensement, 
Glaives et cros de fer por sachier roidement. 
Cbex a seignié li vesques, de Deu le tôt puissent. 
Âpres si lor commande et très bien lor deffent 
Que ja nus ne se move por envaïssement, 
Dusqu'il orront le cor retentir hautement. 
2900 Et cil li otroioient, si s'en vont esroment; 
Devant Jherusalem; li .i. d*ax Tautre atent. 
La chité resgarderent et li mur qui resplent, 
Et le saintisme temple, que ont paiene gent. 
Qui près est del sépulcre et del saint monument , 
Où Dex resusita, ce sachiés vraiement. 
Chascuns d'ax Tenclina de cuer mult dolcement ; 
Ni a cel qui ne plort et n'ait lejcuer dolent, 
Por la pitié de Deu de son martirement. 

< Chités t font il, mar fus quant t'ont chil chien purlent: 
2970 c Dex nos laist tant véoir par son commandement 

< Que te puissions avoir, ce soit prochainement, 
« Et li sons cors i soit sacrés mult hautement! i 
Li rois de Jursalem fu en sa tor au vent, 
Contreval les eschieles a resgardé sovent; 
Moult les voit aatis, d'assalir ont talent; 
D'ApoUin les maldist et quanqu'à lui apent. 

VIII. 

La novisme eschiele ont no baron establie ; 
De la gent ordenée l'ont bien faite et garnie 



112 LA QomuBtm w HMoiua^m. 

De Tefl^nes et d'abés et de autre elergie. 

asM Tote oele eampaigne fa de blans dras veatie; 
ChaacuBa a erois yermeille ens el pis atacbia. 
Et devant en aa robe une espane croisie. 
Tôt furent désarmé n'ont baubero, ne quirie, 
Ne glaive, ne aaiete, ne eapée forbte. 
A chascun a li vesqaes une oublie baillie : 
(Chest li oors Damledeu que preaires saorefie.) 
Li vasques de Forois tos les cbaele et guie ; 
Par totes les eschieles no gent acomenie; 
Puis si s'est trais arrière s'a tote l'ost seignie. 

29M Tôt ensanàble conmencent la sainte letanie. 
Si qu'en la tor David a oa la noise oïe. 
Li rois ert as fenestres de marbre et de perde 
Et dist à Lucabel : « Jo ne sai que jo die, 
« L'aval voi une esdiiele tôt ensamble baatie ; 
c Qui as autres es boches a ne sai coi i^uchie? 
-m < Frère, dist l'amiral, c'est lor avoerie : 
€ Par ce quident avoir moult lor Deu en aïe^ ; 

< N'ont mais gaixle de nos, tote Fos est baudie ; 
c Or poés la véoir bêle chi^valem : 

sooo c Aine ne véistes mais nute gent si bardie. 
c Or poës bien savoir no ohités iert saisie; 
c Car aine à drap de soie» n'h pale d'Aumarie 
c C'aions pendu aa nmrs: pax devers lor bailMe, 

< Encor n'i a Franchois pieche n'en ait manie i 

— c Cest voirs, dist Cori^adas, Mahomes les maldie i » 



CHANT QUATiaàlfB. 123 



IX. 



La disme eschiele firent no baron aprester. 
Mais n'est pas establie por traire ne jeter : 
Les clames qui alerept le sépulcre aourer 
Maint et communalment s'alerent ordener. 
8010 Et dist li une à l'autre, nel vos quier à celer : 

< Piecha que nous passasmes decha outre la mer, 
c Chascune à son mari, que Dex li puist salver; 

c Pais lor avons vëu tant grant mal endurer, 
a Maint castel et maint mur pechoier et quasser. 
€ Or sont venu la vile voirement conquester, 

< Ob Dex laissa son cors traveiller et pener, 
c Et ferir de la lance et plaier et navrer. 

c Or iert hui prodefame qui s4 porra proiier. 

< Et la vile assalir et no gent renheudar. v» 
S020 Cheste sainte parole fi&t no gent renheuder. 

Les caillox et les perres prenent à monceler. 
Donc véissies ces dame^ çt venir et aler ; 
En pos et en baris Tiaue prendre et porter. 
Chelui qui soif aura ei^ voiront abevrer. 
Devant Jherusalem en alerent ester ; 
La chité commencherent forment à esgarder, 
Et 1^ s^io^Usme tempte, qui moult reluisoil clor, 
Qui prè§ çrt 4el sépulcre, où Dex volt susciter. 
Chascune Vaoura et prisirentà plorer: 
3080 « Ahi 11 chités, font-eles, com faites à loer l 

« Dex prest uo gent vertu qu'il i puissent entrer, 
% fit baisier te sepukre que devons aourer le i 



124 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Adont les véissiés la chité encliner. 

Li rois de Jursalem fu dejoste .i, piler; 
De la granl tor David prist Frans à esgarder ; 
L'amiral Lucabel en prist à apeler. 
Savés quel gent ce sont que voi là assambler? 

— « Frère, dist Lucabiax, ja nel vos quier cbeler; 
c Femes sont as cbaitis, qui ne volent chesser 

S040 a De nostre loi laidir, bonir et vergonder. » 
Quant Corbadas Toï, le cbief prist à croUer, 
Et dist à Lucabel : « Jes en ferai mener 
« A l'amiral Sodant, où me voil racorder; * 
« Sa grant terre déserte en fera restorer ; 
c Chascune face prince ou amiral doner, 

< Tôt à lor voienté les face marier. » 

— « Frère, dist Lucabiax, laissiés vo deviser: 
t Car ains verres les murs de Jursalem verser, 

< Et la gent crestiene dedens la vile entrer, i 
9050 Quant Corbadas Tentent, le sens quide desver. 



X. 



Li barnages de France, qui Dex face pardon, 
Orent les .x. eschieles faites par devison. 
L'onsisme firent faire de Tost Deu li baron. 
Ne sai que devisasse de cbascun d'ax le non ; 
Bien Tavés oï dire devant en la cancho*». 
.XV. millier i furent, que de fi le savon ; 
Cbascuns estoit armés de moult rice facbon. 
N'i a cel n'ait ensaigne, ou baniere, ou penon. 
Le Gommandisse mistrent sor le duc de Buillon 



CHANT QUATRIÈHE. 125 

S060 Et de sor son cosin dant Robert le Frison. 
Cbil doi s'en sont torné très parmi le sablon ; 
Au roi Tafur en vienent, si dient lor raison : 
< Sire, vos assaurrés el non saint Siméon, 
i Quant vos orrés soner le grant cor de laiton. » 
Et il a respondu « à Deu bènéichon I f 
Dont s*entornent li prince, n'i font demoroison ; 
As esquiers ont dit et fait devision, 
Caprès le roi Tafur porront faire lor bon. 
Puis s'en vont as Normans, n'i font arestoison, 

3070 Et as Loevisiens, qui furent compaignon : 
Dient c'après ribaus porront faire lor bon : 
Et dist Raimbaus Cretons: « forment ledesirron. > 
Dont s'en revont li conte, cbascuns tint .i. baston ; 
Et vinrent as Franchois qui sont de grant renon ; 
Dient c'après Normans facent d'assaut foison. 
D'assaillir la chité où Dex prist passion, 
Et d'abatre la tor, la perre et le moilon ; 
Puis lor ont fait de Deu grant absolucion. « 
As barons s'en repairent le grandisme trotton: 

9080 Anqui orrés assaut ; aine si fer n'oït hom. 

XL 

Devant Jherusalem sont no baron armé ; 
Nicbolon de Duras ont devant aus mandé ; 
Entre lui et Grigoire avoient apresté 
.1. engieng à bretesches et de cloies bordé, 
De bares traversaines bien roillié et bendé. 
Des archers i mena grant foison et plenté; 



12( LA GONQAân^ 0K IÉAV8ALEM. 

Por traire 9 cëx de&r ftars serèfit à ^tfit'éfë; 
Mais Vetigieng orent siis^ isaflydtâ^dnmie IrdrdCrj 
Que Ture an t\i grijois roTent tost edb'i^asér : 

80M Or a esté .n. fois lor engiens alumé. 

Les eschieles sbnt faites ie cmr de btfef tatifé, 
Par en eoâte et en lés ont grans perces botfir^ 
Por la tenir j^ius droit an mu> de la obité. 
À chascune bataille en oAt< une donë. 
Nicholas et Gringoires ont .1. motonf ferrév 
Sor fas et sor roeles loié et fenesfré. 
Puis l'ont devant Tengierig et conduit et mfené; 
Âssés près de la porte rés à rés del fossé. 
Mais ne lor valut mie .1. dener monêé, 

51M Que li Turc là dedens ont tôt ce esgardé, 
.1. autre engilsng i ont contre cel apresté. 
De fu grijois seront cil de fors alumé, 
Et de la pois bolant cil dedens éscaudé. 
Tôt ce consenti Dex, li rois de majesté, 
Que.il voit que sa gent fusfeent iluec grevé', 
Et à sa vile prendre traveillié et lassé, 
Por ce qu'il ot son cors traveillié et pené. 
Et son costé perchié et plaie et navré : 
Che fu seneflance qu'il lor a demostré 

siio C'on n'a pas Damledeu por petit conquesté. 



XI. 



Huimais orrés assaut fièrement démené. 
Li bons dus de Buillon qui moult ot de fierté 
A pris le maistré cor ; par vertu l'a soné. 



Li rois Tafurs s'escrie: ribaut sont destelël 

Là Téissiés des lignes Màînt caillou tandeflé; 

À picois et à houes ont tote jor houé ; 

Onques' M s'ar^^férefûH, si tinrent àu fés^ê; 

Plus de mil et :vrt. c. éh- ioUt ënÉ foelé ; 

Puis se prenent aiS miirs, sî ont amont f aïûplél 
8180 Aine por traiÉ de perriere, rie put quarrèî létê', 

De si au pîè M mur tte» fut'ehi! afelsté. 

Puis drecent lor eschieltes par iiie poesfé. 

Li rois Tafurs i monte, mais chîer Vdt compère. 

Car .ï. Turs le fiert si d'un flafel acoplé, 

Que contreva^I lemui* l'abati el fossé. 

Mai^ Dbx le garaïKli, nen a mie affolé. 

Chil as ars d^è rerigieng Fowt auques garaiitiié. 

As saietBs d'afchier i ont maiïit Taré bersé. 

Pilet et quarel volent comme phiié en éstfe ! 
8150 Li rois Cornumarans ai s*ens&igne escrié; 

Et Turc traient et lancent, conme gent deffsfé; 

Del mur ont li ribaut une toisé effondré : 

Moult fu fors li assaus, longement a duré. 
Li bons dus de Buillon a le retrait soné* 

Et li ribaut s*en issént, soillié éttempestë. 

Le roi Tafur enportent trestot ensangteiilè, 

Que del colp del fliaiel ot le nés escrevô, 

Le cbervel et le chief malmis et affolé. 

Là véissiés maint princtie éntor lui assàdblé : 
sifto Le roi Tafur colcherent en .i. escu listé ; 

A .n. mires le baillent, qui tbst Tout rédi^i^é. 



123 LA œNQCÉTE DE lÉRUSALEBI. 



XII. 



Bien le firent ribaut la première envaïe : 

Li bons dus de Buillon resone Testormie : 

Qui véist esquiers et la bachelerie. 

Assaillir aigrement à moult grant aatie. 

Là où li ribaut orent la terre deffoïe, 

Entrent li esquier tôt à une bondie. 

Doi et doi d'un escu ont lor teste garnie; 

N'i a cil qui n'ait pelé, ou picois, ou coignie ; 
5150 Contremont vers le mur ont la rocbe puïe , 

Dejoste l'autre eschielle ont la lor estachie, 

Puis loient l'une à l'autre, ce fu moult grans voisdie. 
Engerrans de Saint-Pol, à la chère hardie, 

Monta premiers amont, (ce fu grant baronie). 

Et Esteules sor l'autre, qui après fu drechie. 

Sor chascune en ot .v.: Dex lor soit en aïe î 

Anchois que il descendent, auront mestier d'aïe ! 

Car Turc furent amont qui la pois ont bolie ; 

Desor aus la geterent, nés espargnerent mie : 
3160 Là où la pois fut caude lor est la car bruie. 

Après lor ont jeté mainte perre massie : 

N'i a cil parmi l'elme n'ait la teste croissie. 

Engerrans ot la char en .mi. lex perchie ; 

Mais adès monte amont; ce fu grans estotie. 

Cornumarans tenoit une mâche empoignie, 

A grans broches de fer menuement flchie. 

Tant atent qu'Engerrans ot sa teste avanchie ; 

Tôt rés à rés del mur l'ot contremont drechie; 



CHANT QUATRIÈME. 129 

Cornumarans le fiert à .11. mains lès Toïe, 
si7o Si que tôt li quassa son elme de Pavie; 
La coiffe li a tote en la teste enbroïe, 
Ou il volsist ou non, a Teschiele widie ; 
Et tôt chil qui avoient celé eschiele empoignie 
Gaïrent avec lui tôt à une bondie. 

Esteules de Lucheu ol moult la char hardie: 
L'autre eschiele monta, qui qu'en plorl, ne qu'en rie, 
Et li autre après lui, que li bers maine et guie. 
Li Turc traient et lancent, que li cors Deu maldie ; 
Iluec ont mainte perre jetée et envoie : 
8180 Ysabras de Barbais a la cane alongie, 

Par moult grand vertu Ta et botée et lanchie ; 
Et fiert Estevenon sor la targe florie. 
L'auberc li a fausé et perchié la quirie : 
Plain pié li a el cors la grant cane lanchie ; 
' De Teschiele l'abat lui et sa conpaignie. 
A icel colp perdirent .xv. des nos la vie, 
Dont chascune arme en est en paradis florie. 
Li rois de Jursalem à haute vois s'escrie : 
c Di va 1 malvais chaitif, dolente gent faillie, 
5190 f Tôt votre assaut ne pris une pome porrie! 

c Ou vos voilliés, ou non, iert ma chités garie i » 
Li dus sona le cor par moult grant arramie ; 
Les navrés emportèrent loins d'iluec une archie. 
Iluec vinrent les dames chascune rebrachie ; 
Ghelui qui soif avoit ont la boche moillie ; 
Chascun ont abevré ; ce fu moult grans aïe. 
Se les dames ne fussent, moult fust l'os malbaillie. 

9 



aà 



U CONQUÊTE DE iÉRDSALEH. 

XIII. 

A chel assaut le firent moult bien' li esq'uier. 
Mais 11 ribâut fbrnirent assés miex le premier. 

3200 Li dus Godefrojs sone le grant cor montenier ; 
Dont véissiés Nbrmans et Bretons desrengier. 
Là où li ribaut firent les fossés trebuchîer, 
Passèrent por le mur abatre et pechoier. 
Par force sont rampé cohtremont le terrier, 
Enfresi que au mur nevolrent atargier. 
Une toise et demie en ont ifait depechier : 
Poi prisent sarrasins, se Dex lor velt aidier. 

Normant vont lor éschiele par force al murdrechier ; 
De joste les .11. autres les vont au mur puier ; 

8210 Mais n'i ot si hardi qui monter ost premier j 

Au mur fièrent et maillent à lor grans pis d'achier ; 
Et chil de Tengieng traient à la gent aversier. 
Tant maint en i ont fait teste et coste sainier. 
Li baron s'escrierent : t Or avant chevalchier! 
♦ Ch'ascuns se soloit si et vanter et proisier, 
c Se ja bex li donoit Jursalem aprochier, 
i Cas dens inordroit les niurs, s'il estoient d*achier : 
i Or vos véons ensanble de monter atargier! » 
Les dames lor escrieni : a Ne soies pas lanierl » 

S220 Dont véissiés Normans et Bretons renhaitier. 
Josserans et Tomas, chil furent U premier, 
Et Foques de itèlans, c'ôn fist gonfanonîer. 
Or montèrent amont; Dex lor doinst repairier I 
Li Turc lor feront ja merveillox enconbrier. 



CSBMm QVÂTRlftHB. ISA 

Sor le mur ont porté .l gîtant bauch de ofajelier; 

.XXX. Tdit le levèrent, chascuns à son loviec ; 

Contreyal l'ont jeté, por les no& domagier, 

Quanque H fust conseut a fait vis trebuchier; 

.vu. des nos a ocis ; là ot grant deslorbier. 
S2S0 Lv fiers Gomumaràns commencha à h.uchier : 

c Faites Venir des autres, cist n'oni seing de plaidier. 

c Quidiés vos chaiens soient pastorel ne bergier ? 

« Par monDeuApollinyqui tôt puet jiUBtichiier, 

i Mar passastes chà outre, por m'onor calengier : 

i Ainsque Taies conquise, le conperrés moult chier! • 
El roi de Jhersalem n'avoit qu'eslééchier. 

Qui en la tor David s'ert aies apoier. 

Li bons daâ de Bâillon fîst le eor grailloibier 

Et Bretom et Normant ont fait Tassaul laiis&ier; 
S2U) Et li baron i vienent por elsà renhaiiier. 

As navrés baillent mires, ses font sœf co&bier. 

Qui dont véist les dames de lor dras escdrcbier. 

Et de Tun corre à l'autre aler et repairier^ 

Cex qui avoient soif d'iaue rasasiier ; 

Che sa^biés qu'en l'ost Dea en avoient mestier ! 



XIV. 



Bien te firent Normant, moult fu fiers H assais ; 
Mais eDcior le fist miex l'eschiele des ribax ; 
Que tôt au premerain firent as murs grans traus. 
Et le fossé emplirent à pelés et à paus ; 
825f Gonme gent desarmée soff rirent moult de fiiax. 
Li jors fu bial et clers et li solax fu caiis : 



132 LA GONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Hautement fu sonés li grant cors de metaus. 
Flamenc et Bolenois, qui les cuers ont loiaus. 
Se mistrent el fossé as houes communax ; 
Enfresi que as murs puierent les terraus. 
Chascuns de Tassalir fu en poi d'ore caus ; 
Et paien se déffendent et gietent grans quarriax. 
Les elmes lor pechoient, qu'il ont et clers et biax ; 
Del traire et del lanchier fut moult fiers li assaus, 
S200 Et ces fors sarrasines lor jetoient caillaus. 



XV. 



Li jors fu biax et clers et li solaus raia ; 
Et li assaus fu grans et li cris esforcha. 
Hongiers li Alemans hautement s'escria : 
< Baron, or del bien faire t ne vos atargiés jat • 
Flamenc erent arrière, chascuns d'ax s'avancha ; 
Lor eschiele drecherent, tant que .mi. en i a. 
Et dans Raimbaus Creton3 contremont s*en ala, 
Et Herviex de Cherel sur une autre monta, 
Et Hongiers sor la tierche, qui pas ne s'oblia ; 
3270 Et Martins sor le quarte, à .u. mains Tenpoigna. 
Or les ait Dex en garde qui le mont estora. 
Que se il nés secort, ja nus n'en descendra ! 
Isabras tint .i. croc; à Hongier le lancha. 
El coler del hauberc les branchons en ficha. 
Et dans Margans li viex dant Herrin acrocha, 
A mort les a sachiés à Taide que il a. 
Rainbaus Gretons le voit, moult forment l'en pesa. 
n tint Tespée nue, contremont la haucha : 



CHANT QUATRIÈHE 133 

.1. sarrasin en fiert, que le chief li colpa. 
3280 Païens de Cameli .i. autre en craventa ; 

Hongier guident vengier, mais noient ne valra. 

UnsTurs d'une machue dant Raimbaut assena, 

Si que tôt estordi aval le trébucha. 

Paien de Cameli .i. autres Turs frapa ; 

Ou il volsist, ou non, aval le craventa. 

Dusqu'el fons del fossé chascuns d'ax roela. 

Che fu moult grant miracle que Dex i demostra. 

Si soef sont quéu que nus d'ax mal n'en a. 

Dont efforcha li cris et decha et dQ là. 
S290 Les dames s'escrierent : Baron, or i parra 

t De la vile conquerre où Dex resusita ; 

t Tosjors aura s'amor qui bien le vengera ! • 

Quant li dus voit Hongier, tos li sans li mua, 

Que li Turc orent pris ; moult forment l'en pesa. 

Et Hervin avoc lui que moult forment ama : 

11 prist le maistre cor, hautement le sona. 



XVI. 



Li dus prist hautement à soner la menée ; 
Et quant il Tôt cornée, autre fois l'a sonée ; 
Et la tierche autresi à moult grant alenée; 
SMO Che est senefianche n'i ait mais arestée, 
Tôt voisent à l'assaut sans nule demorée. 
Dont desrengent Franchois de la terre salvée, 
De Puille et de Calabre et de mainte contrée. 
Là péussiés oïr tel noise et tel criée ; 
Et chil de Tengieng traient plus menu que rosée. 



•134 LA CONQUÊTE 'DE 'lÉRUSALEM. 

Li qoens^Robers descent, à la chiere membrée, 
Et li das de Buillon, à k trenchaat espée. 
eis tu H quens (Hues qui rensaigne a portée: 
Tangrës et Buiemons, chaseuns la teste armée, 
9310 S'enentrent el fossé à moult grant randonée. 
Dont vëissiés no gent durement aïrëe. 
Au mur piquent et maillent, s'ont la perfe*lroée. 
Li sarrasin lor ont pois caude aval jetée 
Et la chire'bolant desos aus destrempée. 
Se ne" fussent les targes que chaseuns a levée, 
De no gent i éust durement escaudée. 

Seignor, or escotés miracle enluminée . 
Com Hongiers escbapa, et par quel destinée, 
EtHervins autresi, de la* gent deffaée. 

XVII. 

3520 Fors fu Jherusâ^em, lit mur fort environ ; 

Fièrement i assaillent li prince et li baron ; 

Lor engien aprochierent^ por hurter au moton ; 

Le mur quident abatre, ne lort valt .i. boton, 

Que dedensi l'ont terré à caus et à sablon. 

Et Hervin et Hongicr ont pris li Turc félon. 

Mener les en quidoient en la tor, en prison ; 

Mais Hongiers TAIemans, qui cuer ot dU' lion, 

Parmi les flans eabrache l'amiral Maloolon, 

Et Hervins saisi^t l'autre ; moult par Sst que prodon. 
3330 Chil fu rois de Barbais, Ysabras avait non. 

Jus des murs les jetèrent, ou volsistent ou non. 

6he fu moult grans vertus^ de mort ont garison. 



SMO 



CHANT QUATRIÈME. i35 

Maucolon a saisi le bon dus deBuilIon; 
Ysabras acorul à Robert le Frison, 
Merchi li a crié hautement à cler ton : 
Jentiex hom, ne m'ochirre, por Deu et por son non! 
Se tu en vuels avoir de nos .11. raenchon, 
Ja n'en demanderas ne t'en aconpiisson. 

— i Tu garras, dist li quens, si com nos te diron ; 
Que r aïons .11. des nostres por vos .n. de prison. » 

Et respont li paiens : t Ce ne pris .1. boton : 
Miex volroie estre mors ou tués d'un bâton, 
Que f uissomes rendu por si poi d'acoison : 
Encore avons des vostres .xrai. en cel donjon, 
Qui furent amené des la muete Perron ; 
Les .xnn. et le .11. qui tement vos rend ron. 
Et après desor ce, dels mules d'Arragon 
Ares de frans besans de pur or sans laiton, 
Et .V. pailes roiaus et .1. vert siglaton ;' 
Que nos avons en garde ceste grant région, 
Et de cest covenant no loi vos en juron, 
Et sor no loîauté le vos acreantoni » 

— « Voire, dist Malcolon, et de sore Mahon, 

i Que ne renoieroie por ardoir en chafbon! » 
Quant li bons dus Tentent, si baissa le menton, 
Coiement en a ris par desos le blason. 
Dist au conte Robert : c Oies quel folisonl 
c Bien avons encontre, pris avons bon poisson ; 
t Sonés tost le retrait, arrier nos remeton ; 
3300 c , Dusc'à une autrefois que nos i rasauron. 

c Se Deu plaist et saint Père, adont le prenderon. i 
Li quens Robers a dit: c A peu beqéichont » 



3850 



136 LA CONQUÊTE DE JÊRUSÀLEll. 

Le retrait a soné clerement à haut ton, 
Franchois laissent l'assaut la noise et la tenchon ; 
Les .n. paiens enmainent dedens lor paveillon. 

xvin. 

Hervins, chil de Cherel et Hongiers TAIemans 
Sont sor les murs amont entre les mescrëans, 
Empur les blans haubers et tienent nus les brans. 
Taint et emmailentés de chervele et de sans : 
9S70 Fièrement se deffendent, moult fu fiers lor sanblans. 
Mais trop fu grans la force des paiens mescréans ; 
As grans machues grosses, as grans flaiaus pesans. 
Vont ferir nos barons es elmeset es flans; 
Et cil fièrent sor aus, qui les cuers ont vaillans. 
.XV. Turs ont ocis. Or lor soit Dex garans ! 

A haute vois s'escrie li fiers Cornumarans : 
t Crestien, rendes vos par ités covenans, 
c Que ja .1. sol de vos n'iert des testes perdans ; 
t Vo deffense n*est prox, ne valt mie .11. gans. 
SS80 c Se Mahon volés croire, tos vos ferai manans. i 

Quant no baron oïrent le roi* et ses commans. 
Bien voient que lor force n'est mie covenans ; 
A lui se sont rendu, qui sor tos est poissans. 

Franchois furent as tentes, moult i ot de dolans. 
Droit au tref Godefroi, qui estoit haus et grans, 
Dont ii pomiax estoit et clers et reluisans. 
Là sont mené li Turc, qui les cuers ont vaillans. 
Moult i ot de nos princes, mais ne sai dire quans. 
Li Turc sorent parler et latin et romans/ 



CHANT QUATRIÈME. 

3S90 Car apris lor estoit grant piecha de lonc tans, 
A justichier avoient grant terre de Persans; 
Durement les amoine li amirax Sodàns. 



137 



XIX. 



Li Turc entrent el tref qui fu de paile bis ; 

De Tost i assamblerent li prince et li marchis 

Por oïr des paiens lor raisons et lor dis. 

Li bons dus de Buillon les a à raison mis : 
Paien, car créés Deu, qui en la crois fu mis, 
Et qui fu nés de Virge et de mort surrexis. 
Tos les jors de ma vie en serai vos amis. » 
Moo Ysabras li respont, qui noirs ot les sorcis : 
Par Mahon I jo ne sai se por ce serai vis, 
Et se vos nos doniés tôt Tor dusc'à Paris, 
Ne seroit nus de nos à vo loi convertis. 
Moult est puissans nos Dex, mais or fu endormis ; 
S'il estoit esveilliés, de ce soit chascuns fis, 
Jà puis ne demorriés en trestot cest païs. » 
Quant li bons dus Tentent, s'en a jeté .i. ris. 

Atant, es Gracien en .i. pelichon gris ; 

Bien reconnut les rois, que près d'ax fu norris. 
Mio II les ala baisier, en la face et el vis, 

Yoiant tos nos barons, les a lès lui assis. 

Dist au duc de Buillon : c Chi avés tex .n. pris, 

Qui sont fort et puissant dus c'au jor del juïs. 

S'il volent, Jursalem ares, jel vos plevis. 

— c Taisiés, dist Malcolons, malvais hon relenquis, 

< Miex voiroie de nos que chascuns fust ocis, 



433 I^ CONQUÊTE DE 4RIISALEM. 

flt Qa'il eussent la tor qt^e fist faire David, 
c Ne le temple son fil, qui si est hautbastis. 
c Mais por nos .n. rendrons dus c'a .xvi. chaitis 
5420 c Et .II. mules carchiés d'or fin et de samis, 
« Et de bon vin ferré mil et .v«. ronchis. • 
Dist lit dus Godefrois: « Se je sui de ce fis, 
a Tôt en.irés délivre, ja ,n*en seitnws.malmis. » 
— t Oïl, dist Ysabras, Içiauipent vos plevis. 
c Que tôt nos coyens iert et nos dis aconplis. » 

XX. 

— ,« Sçignor, dist Ysabras,,ç,n vers moi. entendes : 
t Javoil de mon covent soies asséurés; 
c Une corde ens es, flans à chasçun lacherés, 
c Sor une eschiele au çiur :monter nos laisseras, 

saso i Tant c'aions as p^iens nos coveps dçvisés, 
i Et que ravoir aions et les Fr^qs délivrés, 
i S'il ne le volçijt faire, aval nos sachçrés : 
c 3i ait chascuns la teste et les membres colpës. • 
Dist 11 dus de Buillon : c Si iert com devises ; 
f Mais g'irai avec vos fervestus.. et ^rmés. » 

A la porte David a on les Turs menés ; 
Une eschiele drecherent, es les vos ^us montés. 
Chascuns fu d'une corde pgirmi les flans noés, 
Et li dus de Buillon est avec els aies, 

S440 L'espée tote nue, dont li brans fu letrés, 
Que s'as paiens estoit 11 talens rc^mués, 
; Por desloihier, la corde, dont chascuns çjst bendés, 
To^t lor seront el cors li brans d'açhier botes. 



9' 



GHÀNT . QUATBIÈMB. 439 

De ix. mile franohois fu li dus;bi6U gardés. 

Ysabras de Barbais e^t dusc'al mur montés; 

Gornumarant apale, chil est à lui aies : 
Sire, dist Ysabras, en sus de moi estes, 
Ne de vos, ned'autrui ne voil 6stre adesés, 
Dusque mes eovens soit asiFranchoisaquités. 
34S0 c Les .xiiii. chaitis qu-envo prison avés 
Et Ji. autres chaitis qui ci furent montés, 
Et de bon vin ferré .vu. x. barex rasés. 
Et .11. mules d'arrabe d*or et d'argent trossés. 
Toi ce donrés por nos, se vos tant nos amés. » 
Quant rot Gornumarans, li cuers li est levés 
Hél dist il, Hahon, Sire, tu soies aourést 
Ne volsisse cex perdre por .xmi. ehitéat » 

Dont s'est isnelement as Franchois .ttrevés 

Desi que li solaus iert del jor esconsés ; 
3460 Isnelement et tost est d'ilueques jLornés ; 

De la granl tor David a puié les degrés. 

Les chaitis fist ataindre, ses a desprisonës ; 

Ghascuns fu tos haitiés queDex les.ot salves. 

Richement! fu chascuns vestus et conréés. 

De riches (dras de soie sor les muls «feutrés. 

Et Hongiers et Hervins refurent achesmés. 

Et li autres avoirs fu- iluec aportés. 

De la porte David ont les murs acos tés; 

Les Franchois ont mis fors et Tavoir arotés. 
3/^70 Après en ont la porte et les flaiaus tornés. 

Et à grans fus de caisne bien rolUiés et harrés. 

Et li prison s'en vont que* Dex a délivrés. 

Quant li baron les voient, grans déduis fu menés. 



140 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Moalt i fa sains sépulcres huchiés et reclamés, 
c Seignor, dist Ysabras, somes bien aquitës? . 

— c Oïl, ce dist H dus, à Damledeu aies, 
c Par isci que ce soit la soie yolentés. » 
Les Turs ont desloiés, es les vos eschapës. 
Par desore les murs es les laiens entrés ; 

3480 Gornumarans les a baisiés et acolés. 
Aval Jherusalem ont mil timbres sonés, 
Por amor des .n. rois fu Mahons célébrés : 
Et no baron descendent as loges et as très. 
Tôt aval la grant ost fu moult grans la plentés, 
De vins et de mengiers est chascuns asasés. 
La nuis est revenue, li jors est trespassés; 
L'ost Damledeu gaita Buiemons et Tangrés. 
A .vn". chevaliers les vers elmes fremés. 
Mais li Turc celé nuit les ont bien enchantés, 

M90 Que li fus grijois est en lor engiens botes; 
Ars en est li motons, espris et alumés. 
Et ausi les eschieles sont arses es fossés : 
Aine ne les pot rescorre nus bon de mère nés; 
Et de lor paveillons i ot ars et bruslés. 
Or sont paiens plus fort c'ainc ne furent d'assés. 
Dont véissiés nos gens corechox et irés. 
Li vesques de Mautran les a reconfortés : 
t Baron, franc crestien, or ne vos démentes; 
€ Toi ce nos consent Dex par ses disnes bontés ; 

S500 c Et quant ses commans iert, Jherusalem prendrés. 

— t Sire, font li baron, tôt ce est vérités 

c Chascuns soit de bien faire baus et asséurés. i 



> 



CHANT QUATRiiaiE. 141 



XXI. 



Or ont nos crestien en Tost moult grant plenté. 

Turc en Jherusalem se sont tôt assamblé, 

Très devant le saint tempie venu et aûnë. 

Enmi Jherusalem ont le roi amené ; 

lui fu Lucabiax qui le poil ot meslé. 

Et des autres paiens i ot à grant plenté. 

Cornumarans se drece, premerains a parlé : 
3510 c Seignor, franc sarrasin, or oies mon pensé. 

« Vos m'avés bien servi et je vos ai aimé. 

c Franchois nos ont assis, qui moult ont de fierté, 

< Qui prendront, se il pueent, par force ma chité ; 

i Et je volroie miex avoir le chief colpé 

c Que si vilment m'eussent del tôt desireté. 

i Jo irai secors querre à Sodant TAmiré ; 

c Ja ne porra laissier qu'il n'ait de moi pité ; 

c Et se jo ai s'aïde, sachiés par vérité, 

i Vos me r'arés arrière anchois .i. mois passé. 
S520 c Assés avés ohaiens et pain et vin et blé, 

c Et li Franchois là fors sont auques agrevé, 

c Et d'assalir as murs sont durement lassé. 

( N'asaurront mais as murs, si seront respassé. 

c Ains vos arai l'empiré d'orient amené. » 
Corbadas ot son fil, .i. sospir a jeté; 

11 deront ses chevox, s'a son grenon tiré ; 

Por la pitié de lui a tenrement ploré^ 

Et por le dol qu'il ot s'est .mi. fois pasmé ; 

Et quant il se redreche, hautement a parlé : 



1^ LA GON(ii}ii% De JÏiiU^lElf. 

85S0 c Ahi Jherusalemt Tant j ors vos ai gardé, 
« Or pert por vos mon fll, que jo ai tant amé I 
c Mal fus grijois éust le sépulcre alumë 
é Et lia chîté JWtidue et te muï< cràvettté 1' 
i De celié ter DaVid quî de marbre est listé 
i Fussent' dr H qUâri^el frait et* esquârteléf 
i Moi ne caùtdei marie, qù^attt mësDB*ifr'â flausé. » 

Li rois tint .i. cotel trehchant et affilé ; 
Ja s'en ferist él cuér, qu^nt on li a osté. 

Cormimafans ses fiex Ta bien réconforté^, 
354» Et baisié étt' la face, estraint et accolé. 

Li rois dé J'huTsalem ot moult le cuer irié. 
Jherusalém Maudit, le temple et tôt le sié, 
Et le sépulcre Deù qui tant Fa traveillié : 
Cornumarans ses fiex Ta forment renhaitié : 
i Ahi, rois jentie^i: hom, as tu h senfs cangié? 
i Sachiès que li Franchois sont tôt à mort jugié ; 
i Châscùil vos ferai prendre et si ierent loié ; 
t Puis soient en ta chartre jeté et trebuchié. 
i L'empire t'amenrai dusc'à Meque le sié! * 
S550 Quant li roîs Tentendi, s'a son'chief redrechié : 
Gelé fause proiàesse l'a fait joiant et lié. 

xxn. 

, Che dist Cornùmaram : « Ne vos esmaiés mie ; 
« Jo irai secors querre l'amiral ie Persie. 
« Ne lairai sarrasin en trestote Aumarie, 
« Ne dé si au âee arbre, n'eti tôte Esclavonîe, 
« Oue ri'amaigfié avoti moi et seront en ift'aïe. » 



ClIÀNt QtATRIËUE. 143 

— Biax fiex, dist Côrbadas, doritvifen^sileih'afie: 
Contnent porrés isseï^ dé la chilé garnie, 
Que Franc né vos perchoiVent, la putie gent haie? » 
8560 Cornumaransréspbnt: t Droiseslque le vosdife: 
Anquenuit de pluisior iert ma gent fervestie ; 
D'une part la chilé soit li os estormie, 
Et jo m'en irai fors à une autre partie, 
Tos armés de mes armes, chàint Tespéé fôrbie ; 
Et menrai Plan'tamor, mon destrier de Nubie, 
Et s'aral à mon col ma targe à or fforié, 
Et porterai mon cor ;' quant fiere eh TabéHé, 
Sel soneraî af force, bien iert la vois oïe : 
Dont porrés bien savoir ma vie aurai gariè. » 
8570 Sarrasin s'escrierent bas et à vois série : 

< Bien dist Cornumarans, nos Dei àoii en s'aïe ! » 
Li jors est trespassés, la nuit vint asserie ; 

La nuit gaita l'ost Ûeu Rôbérs de Ko'rmeridi'e, 

A .\^. chevaliers c'ot en sa' conpàîgnie ; 

Et Turc et Sarfasin ne s'atargèrent m'ïe. 

Devant la tor David ont fait lor establie, 

A .XV. DdîleTurs por faire une envaïe. 

Cornumarans s'arma par moult grant seignorié; 

Il vestL .1. clavain dont la maile est treslîe, 
8580 Et lâcha .i. vert elme qui luist et reflambie. 

Au Col li ont pendu sa targe à or vernie. 

Plantamor li amainent, qui fu nés à Nubîè, 

Par le frain li présente Butors de Saloiliè. 

Cornumarans i saut, feghe n'a enpoignîè; 

Puis saîsist .i. esplé, par fierté le paumie; 

Et prist le cor Erode, dont haute eu est i'oïe. 



144 LA œNQUÉTE DE JÉRUSALEai. 

Glerement Tôt on bien d'une leue et demie, 
La porte saint Esteule li ont desveroiilie ; 
A la porte David revont à une hie; 
KM Par là issent li Turc por faire la sallie. 

XXIII. 

Li Turc s'en sont issu par la porte Davi, 
Et devers saint Esteule Cornumarans issi ; 
Tant qu'il oï la noise .i. petit atendi. 
Li Turc vienent en l'osl, si ont levé le cri, 
Puis ont close la porte, nus d'ax n'i esperi ; 
Et Cornumarans broche Plantamor l'arrabi : 
Parmi l'ost s'empassa, c'on ne Ta desmenli ; 
Par devers l'aberic son chemin acoilli. 
Doi chevalier rencontrent armé et fervesti : 

8600 Bien voient qu'il est Turs, quant il l'ont desenti. 
A haute vois li crient : c N'en irés mie ensi ! » 
Cornumarans les ot, mais aine n'en ralenti, 
Aine por nule parole li sans ne li fali ; 
Ains broche Plantamor, s'a son espié brandi; 
Fiert .i. de nos Franchois, que l'escu li parti 
Et l'auberc de son dos derol et dessarti. 
Parmi le gros del cuer li mist l'espié forbi, 
Tant com hanste li dure, del cheval l'abati. 
Quant ses conpains le voit sot le cuer engrami ; 

aMo Vers Cornumarant broche, mais n'a mie fali ; 
Si le ôert sor l'escu que tôt li a croissi. 
Tant fu fors li clavains que maile n'en rompi, 
Et Cornumarans broche Plantamor l'arrabi, 



CHANT QUATRIÈME. 14K 

Plus tost s'en passa outre que ars ne destendi. 

.LX. leues longes alast ains miedi, 

Se ne fust Tencoubriers qui devant lui sali. 

Li chevaliers s'escrie : c Sains sépulcres, merchi ! 

< Ahi! baron francbois, corn estes alenti! 

« Se chil Turs vos eschape, mal serés escharni t > 
Î620 Li bons dus de Buillon en a la vois oï ; 
Il n'ot mie le cuer pesant, ne estordi, 
Plus tost vint là corant que chevrox ne sali : 
La lune raia cler et si fait moult seri. 
Au chevalier en vint qu'il trova esbahi. 

XXIV. 

La nuisfu bêle et coie et la lune luist cler, 
Et li dus de Buillon lait le cheval aler 
Et vient au chevalier qu'il a oï crier. 
Cil point encontre lui, si li prent à crier 
Que là s'en vait .1. Turs les noveles conter 
3630 A Tamiral de Perse, por secors amener. 

( Mon compagnon a mort orendroit, au joster, 

< Et jo le feri si ma lance fis quasser: 

( Mais onques ne le poi del cheval remuer, 
( Ne onques por mon colp n'en laissa son aler. 
c Plus tost fait desos lui le cheval randoner 
c C'archers ne fait saiete, quant il en doit berspr. 

Quant li dus Tentendi, n'ot en lui c'aïrer ; 
De maltalent et d'ire commencba à trambler, 
Et mire le sépulcre qu'il voira aourer, 
8<uo Nel iairra qu'il nel seuche por la teste à colper 1 

10 



14ê LA GONQtJÉtB 6B JÉRUSALEM. 

Après le roi chevalce, or le puisl Déx salver f 
Cornumarans s'en vail, li jéntiex et H ber ; 
Quant vint en Taberie, si conmenche à corner, 
Si c'on Toï très bien en Jberusalem cler. 
Paien enconmencherent grant joie à (f emeaer ; 
Et li chevaliers vient, si commence à crier : 
« Ahi ! Buiemont, sire, trop poés demorer: 
c( Li bons dus de Buillon, que tant soliés amer, 
c Encauche .i. sarrasin, mais nel puet abiter. > 

sdso Et quant Buiemons Tôt, .i. graisle fait soner. 
Dont véissiés les princes sor les chevax monter 
Et saisir les escus et les espiés cobrer. 
Buiemons s'en torna o cex qu'il volt mener. 
As autres chevaliers rova bien l'ost garder. 
Après le duc chevalceiit, n'i volrent demorer. 

Chi le lairai .i. poi de nos barons ester. 
Et del duc Godefroi qui tant fait à loer; 
Et quant lex en venra, bien en sarons parler. 
Del fier Cornumarant vos voirons or conter, 

3060 Si comil dut en Taube l'aberie passer. 
Bauduinsde Rohais le covint encontrer: 
A l'ost Deu s'en aloit, li dus l'ol fait mander ; 
Sor son cheval séoit, en Perse n'ot son per. 
En sa conpaigne furent .un. mil bacheler. 
Armé d'auberc et d'elme, hardi comme sengler. 
Bauduins de Rohais vit le Turc dévaler, 
A .1. petit valcel, où il devoit passer; 
Vers lui point le cheval, qu'il le volt encontrer. 
Cornumarans le voit, si conmence à doter , 

8670 Car ses conpaîgnons voit après lui randoncr. 



CHANT QUATRIÈME. 147 

N'est iriie de merveille s'il n'i volt demorer. 
Plantamor laisse corre, que aine ne pot lasser, 
Par les esperonax en fait le sanc voler. 
Oui véist au cheval celé terre acoler, 
Ne s'i tenist oisiax, ne faucons, por voler. 
Bauduins li escrie: « Ja n'i porrés durer! 
« Se Dex salve Prinsaut sos moi d'enbecoTier, 
« A l'osl vos ramenrai, qui qu'en doie peser. » 
Qui véist le baron le destrier taloner, 

3680 Des espérons à or poindre et esperoner, 
El Prinsaut TArragon de sos lui randoner. 
Et les grans s'aus porprendre et la terre apasser, 
De trop isnel cheval li péust ramembrer. 
Bien se puet au paien, s'il ne chiet, ajoster. 
Ains que li solaus puist ne luisir, ne lever, 
Porra li Frans au Turc une perre jeter. 
Li destriers au paien commencha à suer ; 
Cornumarans le voit, le sens quide desver; 
En corant prist le rois son cheval à fréter, 

3690 Et l'oreille et le front à sa main essuer; 

Che fu mult grant merveille que il ne pot lasser: 
Et li chevâx conmence alaine à recovrer. 

XXV. 

Or s'en vait le paiens, s'a sa voie tenue, 
Et Bauduins Tencauche, qui son cheval ar^ue ; 
N'a mais de tofe ses homes oïe, ne véue. 
Pririsaus li cort plus tost que vens ne cache nue ; 
Cornumarant ataint lès une roche ague. 



148 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Bauduins li escrie, que granl paine a eue: 

c Paien, torne vers moi, granl dolor t'est créuet 
5700 Gomumarans Tentent, tos li sans ii remue, 

Quant il voit que sa gent n'est avoc lui venue. 

Plantamor li trestorne, de joster s'esvertue, 

Qui plus H vait bruianl que faucons après grue. 

Et Bauduins le fiert, que sa targea croissue; 

Tant est fors li clavains, maile n*en est rompue; 

La hanste qui fu roide lia el pis croissue: 

Et li Turs se tint bien, del destrier ne remue. 

Bauduin ra féru de sa cane esmolue ; 

Li escus ne li vaut le rain d'une chéue : 
S710 Le hanberc li fausa, là ot desconvenue. 

Le fer li a conduit lès la char tôle nue. 

Li quens. s'est escriés : < Saint sépulcres ajue! » 

XXVi. 

Quant li quens Bauduins sol que cil Tôt féru. 
Moult ot grant maltalent, si a trait le branc nu. 
Aine que Cornumarans ait son brach estendu. 
For traire fors s'espée, Ta li quens si féru. 
Amont parmi son elme, qu'il ot à or balu, 
Par forche le feri et par ruiste vertu, 
La coiffe li trancha del clavain qui fors fu, 
5720 Tout trancha de la teste corn il a conséu ; 
S'il l'éust bien ataint, tôt l'éust porfendu. 
Quant li rois voit son sanc à la terre caû, 
Sa costume estoit tele qu'il doblait sa vertu: 
L'escu a enbrachié et tint le branc tôt nu ; 



CHANT QUATRIÈME. 149 

Yajt fertr Bauduin parmi son elme agu, 
Que les Hors et les perres en a jus abatu ; 
La coiffe li trancha del blanc hauberc menu. 
Damledex le gari, qu'en char ne Ta feni, 
Que s'il éust le conte à plain colp conséu, 

3730 Enfresi qu'ens es dens Téust tôt porfendu. 
Cornumarans s'escrie : « De cha vos ai sentu : 
€ Quidiés vos que je eusse mon cuer si esperdu 
t Que por .i. sol Franchois guerpuisse mon escu ? 
c Mar passastes cha outre venger vo Deu Jhesu, 
< Et li autre chaitif, qui tôt sont mescrëu. 
t Ne vos aura mestier, car tôt seront vencu, 
i Se jo puis repairier, et mort et confondu ! 
f Car jo vois secors querre à Tamiral Chahu : 
t Tôt ameiMrai l'empire dus c'a Bones Artu : 

37fta c Franc ierent escorchié et li conte pendu. » 
Quant li quens Bauduins a le Turc entendu, 
Que il vait secors querre, grantire en a eu: 



c 



Paien, cedist li quens, porc'as tant atendu? 
c Car me di qui tu es, se t'arme ait ja salu. » 

XXVII. 

Dist li quens Bauduins : c Païens à moi entent, 
c Car me di com as non; ne me celer noient. » 
— « Jo l'otroi, dist li rois, por itel covenant 
i Que tu me rediras le ton non ensement > 

Dist li quens Bauduins : c Jo l'otroi bonement. » 
3750 M — Vassal, ce dist li rois, j'ai non Cornumarent, 
c Et sui fiex Corbadas, qui Jursalem apent ; 



180 . LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

( Soie est la seignorie et après |ui l'atent. 

f À moi apent la terre et tôt le cbasement. 

c Or me di qui tu es, ne me celer noient; 

c Et puis fai que ijaex pues, et jo tôt ensement. > 

— « Paien, ce dist li quens, moult es de ijaate gent : 

< J*ai a non Bauduin, se cil qui dist ne mept, 

« Frère au duc de Buillon, qui moult a hardement, 

< Et le conte Citasse qui moult a le cors gent. » 
5700 Et dist Cornumarans: ç Tu as maint bon paient: 

c Bauduins sera rois, jel sai à escieat. 

c Or nos reconbatons, laissons cest parlement. > 

Cornumarans saisi son escu à argent, 

Ja ferist 4e Tespée moult angoisseusement, 
^ Quant il voit sa n^aisnie qui del tertre descent; 

Bien voit ses demorers n'est mie à salvement. 

Plantamor point et broche, qui les grans saus porprenr 

Et Bauduins Tencauche, qui nel fait mie lent. 

Or Tait Dex en sa garde par son commandement î 
5170 Car anct^ois qu'il retort aura le cuer dolent. 

XXVIII. 



Cornumarans chevalche à grant esperonée 
Et U quens Bauduins le suit de randonée, 
Çor Prinsaut TArragon, qui a grant alenée. 
Or l'ait Dex en sa garde, qui flst ciel et rosée I 
Car anchois qu'il retort aura la char navrée, 
En plus de .xv. lex percie et entaniée. 
Li rois Cornumarans a sa gent encontrée ; 
Bien furent .x. miliers, chasçiins la tes^^ armé^, 



CHANT QUATRIÈME. 181 

Et voQt par Taberie por garder la contrée. 
3780 Cex condaist Orcanais, roriflanbe levée. 

Comumarans les voit, grant joie en a menée ; 

Bien connait Orcanais, s'ensaigne a escriée ; 

Et Sarrasin li mènent, comme gent aïrée. 

Lor seignor reconnurent, qui sa targe ot troée, 

Et tenoit en son poing tote nue s'espée. 

L'elme voient trenchié, le teste ensanglentée, 

N'i a celui d'ax tos n'ait la color muée. 

Vers Bauduin guenchissent, comme gent aïrée. 

Li rois point tos premiers, qui cist secors agrée. 
3790 Bauduins voit les Turs dont la terre e%t poplée ; 

Grant peur ot de mort, c'est vérités provée. 

Il a guenchi Prinsaut, s'a la règne virée. 

Cornumarans li crie : « Vostre vie est finée! 

€ Trop avés encauchié, tart est la retornée : 

c Ains le vespi*e sera chele teste colpée. » 

Dist li quens Bauduins : c Âins Tarés comperée, 

t Se Dex me velt aidier, petit pris vo pognée. » 
Es vos ses compaignons poignant parmi la prée ; 

Aine n'i ot trêve prise, ne parole mandée ; 
3800 Chascuns baisse la lance, à Tensaigne fresée, 

Et vont ferir les Turs par moult grant aïrée. 

Là ot tant banste fraite, tante targe troée; 

Sarrasin et paien muèrent, gole baée. 

Li quens Bauduins ot une lance trovée 

D'un Turc qui gisoit mors ; li a del poing ostée ; 

Vers Cornumarant broche, la règne abandonée; 

Tel colp |i a doné sor sa targe listée, 

Toi estendu Tabat par delës une arée ; 



182 LA GONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Et saisist Plantamor par la règne dorée. 
5810 Ja menast le destrier à la crupe teullée, 

Quant Orcanais le fiert de la lance acherée, 

Et .xiiii. païen tôt à une huée, 

Si que lote sa large li ont del col ostée. 

Mais Dex gari le conte et sa vertu nomée : 

Aine ne guerpi estrief, ne la sele afeutrée. 

Plantamor a laissié tôt coi en mi la prée, 

Et fiert .1. Sarrasin, Fanin de Valsecrée 

Trestot l'a porfendu de si en la corée. 

Mort rabat del cheval ; l'arme s'en est alée ; 
M20 .1. Turs prist Plantamor par la règne noée ; 

Cornumarant le tent delès une cavée, 

Et il saut de la terre en la sele dorée : 

Ja sera la bataille del tôt renovelée. 

Li pais estoit gastés et la terre escaudée. 

De lex en lex estoit menuement crevée ; 

Moult (îst mal à no gent, ains qu'il l'aient passée. 

N'i a chelui d'ax los n'ait la chère escaifée. 

XXIX. 

Moult fu grans la bataille à l'esCOr comenchier. 
Franchois ne porent mie soffrir Tester plenier; 
2850 N'erent que .nii. mil li nostre chevalier, 
Et li Sarrasin erent encore .x. millier, 
Estre cex des montaignes qui lor vienent aidier. 
Li quens Bauduins fist ses homes rallier; 
A Jursalem arrière s'en quida repairier; 
Mais n'i troverent voie, ne chemin, ne sentier. 



CHANT QUATRIÈME. 183 

Corniimarans s'escrie : t Mar en iront entier. » 

Li quens Bauduins l*ot, n*ot en lui c'aïrier ; 

Bien se péust des Turs sevrer et eslongier, 

Mais ne laissast ses homes por la teste à trenchier. 
3840 Li quens les apela, ses prist à araisnier : 

t Seignor, mi conpaignon, ne nos caut d'esmaihier: 

< Chascunspenst del bien faire et de son cors vengier. 

« Se nos poons deffendre de si à Tanuitier, 

« Ja puis nés doterons vaillissant .i. denier. » 

Lors chevalcent serré par delès .i. rochier. 

Un vies castelet voient, qui siet en .i. vivier: 

Li rosel sont entor créu grant et plenier ; 

La terre ert desos sèche et crues le sablonier. 

Moult i avoit sansues entor por ombroier; 
3850 Car Tardors del solel les i faisoit muchier. 

Quant il pluet, dont se vont en Tiaue refroid ier. 

Qui laiens entrera, mort iert sans recovrier. 

Bauduins de Roliais ne s'i sot proli gaitier. 

A ses compaignons dist : t Jo vos voil tos proihier 
Que en cel castelet vos faites tost cachier, 
Et jo irai là fors en cel ros embuischier; 
Que quant Sarrasin ierent d'assalir plus manier, 
Poihderai à l'ost Deu ces noveles nonchier : 
Il ne m'ataindront ja, car moult ai bon destrier. » 
3860 Si compaignon respondent : « Bien fait à otriier. » 

De si c*au castelet ne volrent atargier ; 

Là dedens se feront de païens assegier. 






164 u gomqoAte pe jArusalem. 

XXK. 

Bauduins et si home sont au castel torné ; 

Là tornerent as Turs, s'ont Monjoie escrié ; 
. Pais se sont el castel a a. effrois entré* 

Et li qaens Baudains a le cheval torné, 

Mist soi ens el rosel coiement, à celé. 

Or Tait Dex en sa garde, par la soie bonté t 

Les sansues le sentent, s'ont grant siffle jeté, 
3870 Des crevacbes issirent et del rosel cave \ 

Le bon destrier saisirent es flans et el costé ; 

En plus de .xxx. lex ont le cuir entamé. 

Li païen à la mote ont grant assaut livré : 

Chil dedens se deffendent com vassal aduré; 

Aine Turc ne lor forfirent .i. dener monéé; 

Car la rosière Tôt entor avironé. 

Où Bauduins estoit, qui moult a enduré. 

Des sansues poignaqs ot tant sor lui rampé. 

Et très parmi les mailes de son hauberc entré, 
880 Che fa vis c'en Tëust tôt de poivre salé : 

En plus de .^^ lex li ont le cors navré. 

Le sanc U ont suchié et des vaines osté ; 

Che fu moult grans iperveille que ne Tont aflfolé. 

Mais Dex ot del baron et manaide et pité. 

Cornumarans en a Oreanais apelë : 
Lassus en celé tor, n'a pas d'un Franc entré, 
Qui moult m'a hui cachié et durement navré, 



c 

€ 



fl Et ses chevaus le mien estanchié et lassé. 



c 



Il est en la rosière, jel sai de vérité. 



CHANT QUATjaifiME. IKK 

S890 c Botes ens tost le fu, ja l'aurés alumé. » 
Et il si firent lues, n'i ot plus arestë. 
Tost orent li rosel espris et embrasé. 
Bauduins voit le fu qui giete graut clarté, 
Grant péor a de mort, s'a Jhesum reclamé. 
€ Pater alpha et om^ qui me fesistes né^ 
« Soies bui en m'aïde, se il vo vient à gré, 
« Que moi et mon cheval guerpiss^nt cist malfé ; 
« Car de mon destrier crieng que n'aient affolé. » 
Lor chieent les sansues, n'i ont plus demoré ; 

5900 Et Bauduins s'en torne, Tespu devant torné. 
L'espée ens el poipg destre qui giete grant clarté. 
Quant vint fors del rosoi, si a esperoné. 
Cornumarans le voit, s'a païens escrié : 
c Or tost, franc Sarrasin I Yés le ci escapé t » 
Dont véissfés iQaint Turc après lui arrpté. 
Anchois que il retornent ierent grain et iré. 
Car il encontreront Bu^emont et Tangré, 
Godefroi de Buillon et Robert le membre 
Et le conte Witasse, qui l'ensaigne a porté. 

XXXI. 

soio Or s'en vait Bauduins à espérons brochant, 
I^i costé et li flanc li aloient sainant. 
Et son destrier ausi, dont plus li vait pesant; 
Car il crient desos lui ne li voist estanchant. 
Mais por noient s'en dote, car l'alaine a bruiant. 
Et Cornumarans broche Plantamor le corant. 
Au monter l'arberie vint le conte ataignant. 



186 < LA GONOUÉTB DE JÉRUSALfaf. 

Par le mien essient ja s'entreferissant, 

Quant no baron le voient, si se vont escriant : 

Cornumarans Toi, moult ot le cuer dolant. 
3920 A Bauduin jeta son espié *en ianchant ; 

Après dist au Franchois : t Al malfé te commaiil » 

Encontre les païens s'en est tornés fuiant; 

Lors a H Turs genchi son destrier auferrant. 

Puis les a escriés à sa vois qu'il ot grant : 

c Baron, garissiés vos! Yés ci Franchois poignant : 

< Plus sont de .xxx. mil, par le mien esciant. 

t Qui son cors puet salver amer doit Tervagant. » 

Il broche Plantamor, s'i s'en torna atanU 

Il n'a garde d'ataîndre de si qu'en Oriant ; 
S9 Et li autre paien s'en tornent maintenant ; 

Es puis et es monlaignes s'aloient reponnant. 
A tant es vos les princes où vienent randonnant ; 

Bauduin ont trové, qui le cors ot sanglant. 

Quant le dus voit son frère, moult sevaitmerveillanl; 

Yolentiers le baisast et alast conjoiant. 

Mais il li escria : < Ne vos aies tarjant ; 
. . t Secorés tost mes homes, en cel val là devant! » 

No baron s'en vont outre, à esperon brochant. 

Les Turs qu'il ont trovés au castel assaillant 
3940 Ont tos mors et ocis, n'en ala nus avant. 

Chii del castel s'en issent haut, et lié et joianl. 

Quant vienent à nos princes, si les vont acolant ; 

Et no baron ausi s'en tornerent a tant. 

A Bauduin s'en vienent, qui ja s'aloit pasmant, 

Et Prinsaut l'Arragon de sanc esvanissant. 

No baron descendirent, moult tenrement plorant. 



CHANT QUATRIÈME. 1B7 

Godefrois prist son frère, sel leva en estant. 
Il 11 baise le col, moult le vait regretant : 
< Frère, qui vos a mort forment m'a fait dolant. > 
S950 Li bers Thomas de Marne ot .i. brief moult vaillant ; 
Sor le cbief Bauduin Testendit en croissant, 
Dont se leva li bers sor ses pies en drechant. 
Li baron et li prince s'en vont esbaudissant ; 
Sor .1. cheval le montent, qu'il sorent bien ambiant. 
Prinsaut font traire en destre, soef en aregnant. 
A Tost Deu repairierent ains le solel colchant; 
D'assalir la chité se vont aatissant. 
Bauduin font mengier et il vait garissant ; 
Et Prinsaut TArragon gardoient doi serjant. 

XXXII. 

• 

S960 En Tost est revenue la Jhesu compaignie ; 
D'assalir la chité est forment aatie. 
Li rois Cornumarans de noient ne s'oblie. 
Ses mesaigiers envoie par tote Taberie. 
Dodequin de Damas a sa charlre envoie. 
Que ses chastiax garnisse Damas et Tabarie. 
Dont chevalcha li rois la terre de Surie 
Et vint au pont d'argent, s'a sa voie acoillie. 
Tant a li Turs aie, que li diables guie. 
Qu'à Sodant est venus el règne de Persie. 

8970 Par desos Sarmesane, en une praerie, 
A trové l'Amirant, qui li cors Deu maldie, 
Aupatris l'Aumachor, qui fu rois de Nubie, 
Et li rois Calcatras del règne de Surie. 



tSS LA GONODATK DB JÉlMdALBII. 

Ghasciiiis avoit ja s'ost conmandée et baillie. 

Car l'amirax Sodans a ja novele oie 

Que Crestien avoient Jberusalem saisie; 

EûYoier i devoit les os de paienie. 
Es vos Gornumarant, qui plore et brait et crîe, 

De Plantamor descent, s'a la presse partie. 
8980 Là où il voit Sodant, à ses pies s'umelie, 

I<a jambe li embracbe et si li a baisie. 

Macabres Ten redrece, qui la teste ot florie, 
Dites» Gornumarant, biax fiex, chère hardie. 
Corn fait Jberusalem, ma chité la garnie, 
Que Yostre père tient Corbadas en baillie? 

— « Par Mahom, Amirax, Franchois l'ont assegie! 
Il ont del mur brisié une lance et demie, 
Et de nos Turs ont il à maint tolu la vie. 
S'il n'ont prochain secors, il ne duerront mie. » 
sgoo — € Biax niés, secors ares et ma force et m'aie, 
Et .1. si grand secors, se ma gent est coillie. 
Que tos les mangeroient se ch'estoit chars bolie. 
Par force voil aler outre mer à Pavie ; 
France voirai conquerre et tote Normendie! » 

Il le quide bien faire, que ses cuers li affie : 

Mais malement connoist la Deu chevalerie : 

Jberusalem prendront, venresdi, ains conpiie. 



CHANT CINQUIÈME. 



Q^RGUMENT. 

Conseil tenu par les Croisés. — Un saint ermite leur apprend com- 
ment ils pourront prendre Jérusalem.— Sur ses indications, de nou- 
velles machines sont construites. — Assaut général. — Exploits de 
Raimbaut Creton, de Thomas de Marne et des Tafurs. — La porte 
Saint-Étienne est forcée, la ville est prise. — Massacre général des 
Sarrasins.— La terre est souillée de sang. ^Les femmes sarrasines 
subissent la loi du vainqueur. — Godefroi se dirige vers le saint 
temple. — Le roi Corbadas capitule, quitte la tour de David et sort 
de la ville. — Joie des Croisés. — Ils proclament Godefroi roi de 
Jérusalem.— Sur son refus, la couronne est successivement offerte 
à Robert-le-Frison, à Robert de Normandie, à Hugues du Maine.— 
—Jeûne général.— Les chefs se confessent et se réunissent pendant 
la nuit dans le temple pour y attendre la volonté de Dieu. — Le 
cierge de Godefroi de Bouillon est allumé par le feu du ciel* — Ce * 
miracle le désigne pour roi.— Il est obligé d'accepter.— Les autres 
princes se disposent à partir. — Godefroi cherche en vain à les 
retenir.— Ils sont attaqués devant Tabarie par Dodequin de Dama^ 
et quinze mille Turcs.— Ils arrivent en Galilée.— Une colombe leur 
apporte une lettre de Godefroi, les priant de revenir au secours de 
Jérusalem menacée par une armée innombrable qu'amène Cornu- 
maran. » Ils retournent sur leurs pas. 




CHANT CINQUIÈME. 

►eignor, bon Creslien, droit est que je vos 4ie 
De la sainte chité, que Dex a otroïe 
ft^oo J^^^^A cex qui por lui ont soffert mainte haschie. 
.1. malin se leva Robers de Normendie; 
Au vesque de Mautran et à sa compaignie 
Prist conseil comment iert la perriere drechie. 



I. 



Robers de Normendie est .i. matins levés ; 
Tos les barons de l'ost a ensamble mandés, 
t Seignor, ce dist li quens, .i. petit m'entendes ; 
< Par amor Damledeu, et car vos porpensés 
« Gonment puist estre prise ceste sainte cbitës. 
c Gornumarans en est por le secors aies; 
wio c Ja ne garderés Tore que vos le reverrés, 
c Et l'empire de Perse, qui tos est apressés. » 
Li vesques de Mautran, qui fu bons clers letrés, 
A dit à nos barons : c Seignor or escotés. 
« Anuit me fu .i. dis de par Deu devises ; 
c Que el mont Olivet est .i. sains hom fermés 
c En une roche bise, bien a .x. ans passés. 
« Ja ne prendrons la vile, se par lui ne Tavés. 

il 



162 LA GONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

« Jo VOS proi en droit Deu que vos lot i aies. 

c Ains que vos reveigniés, tel conseil i aurés 
4020 c Dont li murs iert perchiës et prise la cités. > 

— « Sire, font li baron, si corn vos coninandés. » 

Des herberges s'en issent, es les vos arotés. 

£1 mont Olivet vieneni; partot ont qais assës; 

Ne l'i troverent mie: es les vos retornés : 

II i ert, mais tel fa la Jhesu volenlës. 

Al vesque s'en repairenl, moult fu cascuns irés: 

c Maistre, font li baron, or nos avës gabés; 

c Par mon cief à musars et à fols nos tenés, 

• Qui ça nos faites querre dont vos rien ne savést » 
w»o — • Seignor, ce dist li vesques, certes ains est vertes. 

t Or en venés o moi ; se vos ne l'i trovés, 

t Jo vos otroi à tos qu'eus en .i. fu m'ardës. 

t Mais nus pies et en langes cascuns de vos venés. > 

Di3t li dus de BuilLoa: c Si ert com dit avés. » 

Lors descendirent tôt des destriers seiomës. 

Cascuns de sa cemise est moult tosl desnués; 

Après les a li vesques de Damedea saines, 

A loi de pèlerins es les vos atomes. 



II. 



Seignor, or escolés glorieuse cbançon, 
iMMo Com la cités fu prise, où Dei prist passion, 
Et tote délivrée die la geste Mahon. 

Dirait au moula Olivet coaversoit un» sains hom ; 
De. la gloire Deu vit et gist en oridoa. 
Par le vesque manda no gent en avisos ; 



CHANT ONQUiillE. 163 

Cbe fa un dîeaieoce que i ¥ont no baron. 
Al jor que ao&tre Sire sivi porcession 
Avec^ se» sains aposteles^par grant devocion. 
Li barnage» de France, qui Dex face pardon, 
Le siTi ice} jor desci que al perron, 

«050 Ois li bermites gist de grant religion. 
il apela no gent, si Ta mise à raison: 
« Oré&, bon Cre^en, Dex vos face pardon t 
« Quar assalés la vile demain, sans okison. 
« L'aval par de delà le castel dant Gaston, 
« Troverés le mairien dont ferés le moUon, 
« Et une grant perriere qui cloée ert en son. 
f El boa de Betlëem troverés le plançon, 
c Dont vos ferés les cloies entor et environ ; 
c Pui» assalés la vtle à force et à bandon ; 

Mi t Et cil la prenderont de plus povre façon. 
« Chou est senefiance de grant demonstrison, 
t Que Damedex n'a care d'orguel, ne de félon. » 



in. 



Quanti U hermites ot nos barons sermoné, 
De Deu les benéist et il s'en est torné. 
Mais l'hermites lor ot à trestos conmandë 
Gardent le diemence ne soient aovré ; 
Et il li otroierent volontiers et de gré; 
Por çou sont toute jor del assaillir gardé. 
El deixiain au lundi, quant il fu axorné, 
ao7o Se sont tôt no baron fervesti et armé; 

Les earpentiers de l'ost ont ensamble mandé, 



164 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Nicolon de Duras n'i ont mie oublié. 

Gringoires fu avoec, qui le poil ot mellé. 

Cet castel dant Gaston en sont no prince aie ; 

Par delà en .i. val ont le mairien trové, 

Dont on fera Tengien, quant on Tara dolé. 

Bien ot plus de .xxx. ans c'on Tôt illuec jeté; 

Aine puis par cels del règne n'en i ot bauc osté, 

Ne aine ne porent estre cargié^ ne remué. 
kW9 Car Damedex le vaut et si Tôt destiné. 

As mairiens ont li prince lor cevals acoplé; 

.un", et .XIV. en i ont anoé; 

A l'ost nostre Segneur ont cascun fust mené; 

L'un mairien avant l'autre conduit et traîné, 

A la porte David en la place jeté. 

Là l'ont li carpentier drechié et eschaplé; 

Un grant molton en fisenl, si l'ont devant ferré ; 

Et puis drechent l'engien, si l'ont devant baré, 

A fors baus traversains et roillié et bendé. 
ft09o El bois de Belléem ont la verge colpé, 

De coi il ont l'engien por deseure cloé, 

Et por le feu grigois espessement pierre. 

Nicoles et Grigoires l'ont moult bien carpenté, 

Car il en ont esté autrefois engané ; 

Sor grandisnes roieles l'ont cargié et mené. 

Et Turc le contrefîsent laiens en la cité : 

Droit encontre le lor ont lor engien fremé. 

Mais ja ne lor vaura .i. dener monéé; 

Aillors ira l'engiens ains qu'il soit avesprél 
Moo Et s'en seront li mur pechoié et quassé. 
Che fu .1. merquesdi que on Tôt apresté. 



CHANT GINQUIÈIIE. 165 

La nuit après compile, quant tôt sont aquéé, 
Par devers saint Estiene ont lor engien mené, 
Par en coste la porte, rés à rés del fossé; 
De quirs Tont par devant espessement horde; 
Trestote chele nuit l'ont entr'els bien gardé, 
A .mi. milliers d'omes, tant qu'il fu ajorné. 



IV. 



Seigneur, or escotés, nobile chevalier, 
Glorieuse chançon qui moult fait à prisier, 
4110 Com Jursalem fa prise à cel assaut premier. 

A .1. joisdi matin, quant jors dut esclairier, 
Se levèrent par l'ost li conte et li princhicr, 
Li vesque et li abé, serjant et escuier ; 
S'i ot mainte puchele, mainte franche moillier. 

Li solaus se leva, que Dex fist caut raier. 

Es vos à nos barons .i. bacheler legier. 
Qui lor vint ces noveles tos ensamble nonchier, 
Que Nicole et Grigoires ont ja fait caroier, 
Par devers saint Estiene font lor engien drechier^ 
M20 Et une grant perriere lever et estachier, 
Dont il quident le mur abatre et pechoier. 

Quant no baron Tentendent si prendent à huchier: 
« Dame Dex, sire Père, qui tôt as à baillier, 
< Consent nos, se toi plaist, Jursalem gaaigniert » 

Et Dex lor a empli à tos lor desirier. 
Godefrois de Buillon ne se vaut atargier; 
Le maistre cor a fait soner et grailloier; 
Dont s'armèrent par l'ost Franchois et Berruier, 



166 LA GONQDAtB de lÉRUSALEai. 

Et Flamenc li ewâge, et Normant et Pouhier, 
ftisd Gascons et Poitevin et Loherenc li fier, 

Li Saisne et li Galois et Brebencon guerrier, 

Et Puillan et Romain, qui moult font à proisier. 

Là Tëissiës mainte arme luisir et ondoier, 

Et pegnons et ensegnes contremont balloier. 

Et amont el lever del soleil flanboier. 
Moult i ot grant compaigne, bien fait à resoignier ; 

Une leue tenoient aval le sablonier. 

Cascuns ot de bien faire tôt son corage entier; 

Onques mais d'assaillir ne furent si manier, 
ftiao Li rois de Jursalem s*est aies apuier 

A une des fenestres de son palais plenîer: 

No barnage regarde; n'ot en lui qu'aïrîer; 

D'Âpollin les maudist qu'il lor doinst enconbrier. 
Es vos le roi Tafur, qui commence à huchier : 

t Oh. sont li povre gent qui d'avoir ont mestier? 

« Vienent tost avoec moi, s'aront douzain denier. 

t Car jo en vaurai hui, se Deu plaist, gaaignier, 

€ Dont on poroit .vu. muls et trosser et cargier ! • 
Tant en a joste à lui, qu'il furent .x. millier, 
uso El bos de Belléem vont la verge ta illier, 

De coi li rois Tafurs fist faire .i. grant cloier; 

Par là desous vaura le mur fralndre et perchier, 

Et abatre la piere, la cax et le mortier. 

Si fist li rois le jor, car Dex li volt aidîer. ^ 

Huimais porrés oïr assaut grant et plenier: 

Aine ne cessa le jor dus c'al soleil colchier. 



OHAlfT GINQCatK. 187 



V. 



Ghe ftt par .i. jôisdh 4^^ jôrs fa esclairds, 
Que no Crestien obt tos lor engièns baslis, 
Par devers saint Estieiie dreciés et eslablis ; 

UM Et li Turc par dedans ont tos leë murs porpris^ 
Si con par eax deffendre, ert bien cascuns garnis 
De plomées de fer et de grans mais tk*aitis, 
De qaarrels, d'arbalestes et d'ars de cor vauiis, 
Et de plom et de pois, qui ensamble ert boiis. 
Par devers saint Estiene, qui por Deu fu marti^s, 
Fu nos moitons menés, estechiés et assis. 

Que que François devisent lor asaut el larri^, 
Ot drechie une estache al mur d'araine bis, 
Par de devers la tor que fist faire Davis. 

M70 Uns escuiers i monte, qui ta preus et hardis; 
Gosins germains estoit à dant Jehan d*AliS) 
Uns Sarrasins li trance les poins del brant forbis ; 
Cil ne se pot tenir, si ert aval galls. 

Raimbaus Grêlons i monte iriés et engramis; 
Rës à tés del cretel a del Turc )e cief pria ; 
Li bers estoit tôt seuls, s'est aval revertis. 
A l'ost nostre segneur s^en est levés li crid 
Que jà i a des nos navrés et mal baillis, 
Et un franc esçuier qui assailloitocis. 

M80 Quant no baron l'entendent, es les vos effréis; 
Il font soner les grailles, si ont les cors bondis* 
Franchois oient la noisé, es les tôs estormid. 
Li armé vont avant, cascuns tos ahatis; 



168 ' LA GONQOtTE DE JÉaUSALEM. 

Ja ert Jérusalem par esfors asaillis. 

Li vesques de Mautran a nos gens benéis, 

De Damedeu les saine, qui en la crois fu mis ; 

Et tenoit en sa main la lance Jhesu Gris, 

Dont en la sainte crois ses bels cuers fu partis. 

A no gent la mostra, tos les a resbaudis. 
A190 Gascuns à Jursalem s'en va tos ademis ; 

Les barbacanes coupent et les grans roilléis, 

Et les baus traversains que Turc i orent mis. 

Aine ne les contretintne bare, nepostis; 

Dusc'al maistre fossé ont les bailes conquis ; 

Et la periere jeté et fiert al mur tosdis ; 

Le ciment en abat et les perrons massis, 

Et li Turc se deffendent, cascuns tos ahatis ; 

Getent pieres et fus, grans caillaus et grans pis. 

Et traient d'arbalestes quarels d'acier burnis ; 
4200 Plus menu vont saietes que pluie ne greslis. 

Li Turc jetenl pois caude et le pion coulëis ; 

' Puis ont le feu grigeois alumé et espris ; 

Sor no gent le geterent ens en un lancéis. 

Delor escus ardoit li tains et li vernis. 

Ja nés tensast haubers, tant fust fors ne treslis. 

Ne targe, ne quarriaus, ne wambisons massis, 

Qu'il ne fussent tôt ars, ja ne fust uns garis. 
Mais li vens est moult tost sor les Turs revertis ; 

Moult en ot sor le mur d'enbrasés et bruis. 
4210 Or en est tos li maus de ^sor eus tos guencis : 

Par le mien esciant, n'en eschapast uns vis, 

Se ne fust que cascuns estoit d'aisil garnis. 

Par icel fu li fus eslains et amatis. 



CHANT GINQUIÈIIE. 109 



VI. 



Moult fa grans li assaus et ruiste renvaïe, 
Et defors et dedens muèrent à grant haschie. 
Les dames i éstoient, cascune rebrachie ; 
Aine n'i ot une seule n'ait sa robe escorchie; 
Cascune porloit eue ; che fu moult grans voisdie ; 
Et tote i ot de pieres avant sa mance enpiie; 

ft32o Cascune à son pooir à haute vois s'escrie : 
c Qui mestier a de boire, por Deu si le nos diet 
f Yolentiers en aura el non sainte Marie; 
« Or desfende cascuns et son cors et sa vie : 
« Cil qui bien le fera, s'ert en la conpaignie 
« El ciel avoec les angles en pardurable vie : 
c Illuec aura cascuns sa pensée aconpliel » 
E Dext celé parole fist no gent rehaitie ; 
Saint Sepucre escrierent haut à une bondie. 
Aine desci au fossé n'i ot resne sachie ; 

0230 Plus de .M. en i salent ensamble à une hie. 
Es vos atant poignant Robert de Normendie, 
Et le duc de Buillon, à la chiere hardie ; 
Tangrés et Buiemons sont en lor compaignie. 
là quens Hues li Maines tint Tespée forbie; 
Avoec lui fu Tomas qui Marne a en baillie, 
Li quens Rotrols del Perche, qui n'a pas coardie, 
Esteules d'Aubemarle sisl el bai de Surie, 
Et tôt li autre prince, o lor chevalerie. 
Sont venu à la porte, cascuns lance baissie. 

ft2Ao Mais li Turc là dedens lor ont bien chalongie : 



ITd LA GONQIOAît DB jéimALOI. 

Là ot mainte saiete d'arc turcois descocie, 
Et mainte grosse piere et ruée et salie ; 
Qui bien est consens n'a talent qu'il en rie. 
, As fondefles i ot mainte teste qiiassie. 
Tôt no baron descendent des destriers de Surie ; 
Cascuns prist pic d'acier ou grant mail, ou qtxi^nie ; 
La porte saint Estiene ont par force trenchii^. 
Ja i fuisent entré et la cités saisie; 
Mais Turc orent amont autre porte estâchie, 
ft»o Ki pendoit à chaaine grant et grosse et furnie, 
Et estoit contremont bien fremée à peulîe. 
Li Turc l'ont desserée, si l'ont desveroillie, 
Et la porte chiet jus, par si grant aramie. 
Que H murs en crolla et la terre en formie. 
.111. chevaliers consuît au caïr d'aramie ; 
Enfresci qu'en la terre les trença et esmie. 
Saint Michius prist les armes, devant Deu les enguie. 



VIL 



Moult furent no baron coureços et dolant; 
La porte saint Estiene ont trenchie devant; 
4260 Mais li Turc ont laisié l'autre aler en colânt. 
.ni. de nos chevaliers consivi en alant; 
Enfresci qu'en la terre les ala esmiant. 
Saint Michius en porta les armes en chantant. 
Godefrois de Buîllon vint à l'engien corant ; 
Les fossés fist emplir à peles, en foant; 
. Puis fist l'engien mener près del mur en bâtant. 
Li dus monta amont, moult se vaitescriant: 



€HAffT (ssçioûm. (71 

c Ahi I géHtiùs barnages, frane cheTalier vailhnt, 

c Por amor Damedeu) n'aies mie alentant 
km c D'assaillir la eité, mais qnimiexpuetaTaût! » 

François se resvértuent et vont resbandîsant. 

Tant mainent le molton par force en conduisant , 

Que près dalès Vengien le vont al mur hourdant, 

Et la periere jeté grans pieres en ruant. 

Del mur ont abatu une lance devant, 

Et Turc et Sarasin se vont bien desfenJant ; 

Fièrent de grans ploméas et de dars en lançant, 

Et de grans max de fer, de pieres en botant. 

Ou Franc vuellent, ou non, le mur vont bien gardant. 
4380 Les baus et les mairiens misent en traversant ; 

Puis jetent la poi caude et soufre et pion boHant. 
No gent se trait ariere, le plom vont mouU dotant; 

.n. lances lonc del mur les vont Turc reculant. 
Es vos le roi Tafur et ses ribaus corant ; 

Lor cloîer amenoient à cordes traînant. 

Onques ne s'arestèrent par assaut, tant ne quant, 

Ens es fossés sont mis, qui sont parfont et grant. 

Et à pies et à mains vont contremont rampant ; 

Lor cloier ont conduit moult près del mur rasant ; 
4290 Puis Testançonnent bien de sor els en pendant, 

Qu'il ne crieme quarrel ne pierre en fondeflant. 

A pelés et à houes vont par de sos foant ; 

Le mur ont depeciés, les quarrels vont estant ; 

Le ciment, le moilon à picois escroisant ; 

Car en .xl. lens les va on assalant. 

Moult se desfendent bien, por vie raemant. 

Li bons Tomas de Marne descent del aaferrant 



172 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Et vient an roi Tafur; forment li va priant 
Qu'il le laist assaillir o lui, par covenant 

ftsoo Que ses hom devenra de tôt son fief tenant, 
Et encontre tos homes le traira à garant. 
Li rois li otroia ; grant joie en va menant : 
lUuec li fist bornage, si quel virent auquant. 
Paien et Sarrasin se vont moult escriant, 
Por lor Turs resbaudir et forment glatissant. 
Quant voient que nos gens les vont si destraignant, 
Fu grigeois lor geterent, espris et tôt ardant ; 
Le molton lor ont ars, dont Franchois sont dolant. 
Li fus fiert en Tengien, tôt Taloit bruisant ; 

Mio Quant li dus Godefrois i est venus poignant ; 
A vin fort aisillié le va tôt restaignant : 
De cel sont no baron moult forment mervellant. 

Li jors trait à déclin, solaus va esconsant, 
Et Franchois d'assaillir se vont moult retraiant. 
Che ne fu pasmervelle, car moull erent lasant. 
Les dames les aloient d'eue douce abevrant; 
Grant mestier en avoient, moult par erent soillant. 
Et li pluisor s'aloient de Tangoise pasmant. 

VIIL 

Moult fu grans li assaus, bien en doit on parler ; 
0820 Âins que nos gens péussent Jursalem conquester, 
Lor covint moult grans paines et grans max endurer. 
Li jors fu biax et clers^ si prist à avesprer, 
Et Franchois se retraient, n'i porent plus durer. 
Li bons dus de Buillon conmenca à crier : . 



CHANT GINQUIÂIIE. 173 

< Ahi f jentius barnages ) com faites à blasmer i 
i Al venir ceste part, vous oï tos vanter 
c Qui devant Jursalem vous porroit amener, 
« Tant que cascuns péusl les murs avironer, 
« S'on les avoit d'acier fait faire et manovrer, 

ftsso f Les vauriés vos manger et as dens entamer ; 
« Et or vos voi ensamble del prendre couarder ! 
c Mais par cel saint sepucre, que jo voel aorer, 
« Où li cors Jhesu Grist se laissa reposer, 
c Jamais de cest engien ne me verres torner. 
t S'ert pris Jérusalem, qui tant nos fait grever, 
• Si que par mi cel mur vaurai ens dévaler! » 

Quant li baron l'entendent, commencent à plorer; 
Et dist li uns à l'autre : c Jentius dus t com les berl » 
La parole le duc fist no gent renheuder ; 

ftsfto Aine la nuit as herberges n'en osa uns râler. 
Entor l'engien remesent, por le franc duc garder. 
La nuis est revenue, li jors prist à passer. 
Et defors et dedens oïssiés cors soner. 
Grailles et calimels et buisines corner, 
Et timbres et esquieles et flagos flajeler. 
Et rotes et flahutes, et viieles vicier; 
Sarrasin et paiens et glatir et uller. 
En la grant tor David les grailles organer. 
Tôt en viron les murs estailles alumer; 

ftwe Qui's oïst, à mervelles les péust escouter. 
Toute nuit se gaitaient desci c'al ajorner. 

Et ribaut ne finoient tote nuit de croser. 
Tant que dedens le mur fisent le trau aler; 
Puis le font .i. petit par devant estouper. 



Dua qu'il Tient à l'asaut, a'osent outre passer. 
Le Tenreadi matin» quant selaaa i^i lever, 
Rasalenl Be& t^aroa, m vaurent demiMier; 
Al aiir et i la porte vont maillier et hurter, 
Et paien se deafendent» moult sont près d'afoler. 

«SOS A Vore de midi, si corn l'oî conter, 

El point que Aostre sire laissa s(hi cors ley^ 
Enis en la vraie erois, por son pale salver, 
A celé hore tôt droit usent no gent user, 
Del mur de Jursalem ua gran pan jus verser. 
U bons dus de Bâillon se volt dont mouJt pener ; 
Le poat del engien 6st de sor le mur jeter. 
Si c'on i pot très bien et venijr et aler. 
Sarrasin et paien le quidierent colper; 
Mais li dus de Bâillon lor fu à rencontrer : 

^370 lUuec le véissiés moult fièrement capter. 
Plus de .XXX. paiens fiist les testes colper, 
Del aban que il ot conmença à suer ; 
Bien se contint li dus à guise de sengler. 

Li rois Tafurs s'avance n'il voU plus demorer ; 
Il vaura priimerains en Jursalem entrer» 
Mais dans Tomas de Marne se fisJi dedens jeter! 



IX. 



Al pirendre lursaiem fu moutt grans la mellèe. 
Li bons dus de Builloo, à la chiere menbrée, 
Fu piè a pië as Turs et tint traite yespée: 
4S80 De sanc et de cervele fu taiate et maillentée. 
Tangrés et Baienaons jetent aor la déée, 



St teiit mmi da nos princes, caseimsla teisM année. 
l^noontiQ 0te est U fouo des Sftrradins alèe. 
El Vi V9Î9 des Talors a sa geot escriée : 
c Or del enlifer^ bair^^n,, la ïUe est coaquestéel p 
Toiaas de Marae ¥oU li Turc H'airant dudrëei : 
S^el foes^ fa i$m^ la ebiere ot sangleoiée ; 
A U porte s'en vient qui fut grans et quarée; 
Par eBCOste^ eus el mur ot de la pderre ostèe. 
AMo Li bers eseria Marne ! a sa geoit ordenée.; 
A .XXX. chevaliers qui soatde sa couLrèei 
Se fist as fers des lances ruer en sa volée : 
Cba fa Qiioult grans mervelle^ moult doit estra loé« : 
TaAt com durra U siècles sera maiâ ramAnbrëe. 



X. 



Al pteodre Jursaleiii furent le caple^ fier. 
Li bons Tomas de Marne fist forment à prisier ; 
Deaer les fiera des lances se fist amoai puier, 
Et desore le mur eontremont balenckr. 
Quant soF les^aléors s'ot (ait si balencier, 
Moo Isnelemeiit saut sus et trait le brant d'acier. 
Lès la porte dévale, contreval le terrier. 
Mais ançois qa'il soit jus ara grant eoiconbrier ; 
Car une beduine U vint à Tencontirier ; 
D'une grande machue le fiiert el hanepier. 
Si que toi li embare son bon elme veygier. 
Ou il le vuelle, ou non, le fist jus trebuchier. 
Et li Turc i acourent por son cors damagier ; 
A lor espëes nues le quident detrenchier. 



176 lA (SmiOÈTE 0E JÉRUSALEM. 

Quant H rois des Tafurs commencha à huchier : 
mo € Sains sépulcres, aïdei ferés, franc chevalier! 

c Prise est Jérusalem; n'i a mais recovrier! » 

Qui dont véist ribaus ces paiens damachier 

Et Tun mort de sus Tautre abatre et trebuchier. 
Mais dant Thomas de Marne n'ivolrent pas laissier. 

Li bers avoit .i. brief, qui moult fait à proisier; 

Tant com il Tait sor lui, nel puet on damachier. 

Thomas Toit la paiene, à la mâche d'achier : 

Che fu la beduine, qui le fist esmaihier. 

Le baron apela, si conmence à huchier: 
M20 c Jentiex hom, ne m'ochire: ta mort te voit nonchier : 

c Ja ne te porront Turc ne paien damachier. 

c Tes sires l'ochirra qui t'a à justichier. > 

Quant Thomas Tentendi, le sens cuide cangier. 

Il tint le brant tôt nu, dont li poings fu d'ormier; 

Si fiert la beduine qu'il la fist trebuchier. 

Dont oïssiës grant noise, grant cri et grant tempier. 

Thomas fu à la porte, le flael vait trenchier ; 

Et li rois des Tafurs li est corus aidier. 

La porte à la polie commencent à sachier, 
A430 Tant que tote la lievent, puis la vont atachier 

Plus de .XXX. ribaus à fort corde loier. 

Dont Yéissiés ribaus par ces rues cachier, 

Ces Sarrasins ocirre, ferir et trebuchier. 

Li clergiés commencha Jhesum à graciier : 

Te Deum laudamus (c'est Deu glorefiier). 



CHANT CINQUIÈMB. 177 



XI. 



Che fa j. venresdi, si com lisant trovon, 
Jhemsalem conqaistrent no crestien baron ; 
A l*eare qae Jhesus i soffri passion. 
Entrèrent en la rille nos Franctiois à bandon. 

«MO Thomas i entra primes, ensi com nos qnidon : ' 
Mais li rois des Tafurs, se vos voir en dison, 
I fnst anchois entrés tos seuls sans conpaignon : 
Par ce devint Thomas cel jor son liges hom. 

Seignor, or escotés gloriose canchon : 
En Jhersalem entrèrent li prince et li baron ; 
Paien s'en vont fuiant por qaierre garison. 
Fièrement les encauche li bons dus de Buillon. 
En sa conpaigne avoit Tangrë et Buiemon 
Et son frère Witasse et dant Rainbaut Creton. 

M50 Aval parmi la rue font tel ochisou. 

Qu'en sanc et en chervele fièrent dusc'au talon. 
Sarrasin escrierent: « Aidiés, sire Mahon! 
c Aies merchi des armes et faites vrai pardon t 
c Car li cors sont tornë à grant destrucion. 
c Eh t Cornumarant sire, jamais ne vos verron : 
a Com dolorox secors las, caltif, atendon ! > 
Paien crient et braient et huslent com gaignon. 
Mainte bêle paiene vestue d'auqueton 
Veissiés grant dol faire et crier à haut ton : 

M60 « Ahi, Jherusaiem, à grant tort vos perdom I » 
Li rois de Jursalem fa el maistre donjon. 
Sus en la tor David, joste j. marbrin perron. 

12 



i 



178 LA Cmifànt iPB JltSIISALEIf. 

Iluec delort ses poins, deront son aaqueton, 
Et délire sa barbe et fiache son grenon, 
•nn. fois se pasma, trestot en .l randon, 
Lucabias Yw redrec^, qr^i i»tif^m £irps* 



XII. 



Prise est Jherasalem et la cité saisie. 

Là véifisiés païens fïxiv par la oaocbie; 

Chascuns fuit com il puet, por garandir sa Yîe. 
M70 Crest^n les Oichient et fojtf gna^t desceplie; 

De sanc et de cbervele est la terre iw^çim* 
Le jor se proya bien Robers de Normandie; 

Si firent tôt li autre, por ce ne di }0 mie ; 

De Turs et de païens font grant carpenterie. 

Tex i a sa seror, ou sa fille, on sa mie, 

Que por péor de mort Ta en Testor laissia. 

Moult fu la sainte vile ioel jor e^tormie; 

Sarrasin et païen morent à grant hascbie. 

Par devers Portes oires fuit une eompaignie; 
M80 Gex cachoit li quens Hues qui ne les amoit mie ; 

Tôt à pié sans escu tint Tespée forbie ; 

lui ot maint baron qui la ehar ot hardie. 

Encontre Portes oires, que Dei( a benéde, 

Ont coQSOTi le$ Turs, nés espargnerent mie ; 

Del sanc as mescrëans est la terre soillie ; 

Les Sarrasîms ploi^ent, cbascnne brait et crie^ 

Et maldient la terre, où tex gent f u norie ; 

Vers la» grant tor David oot lor voie aooillie ; 

Gba^cuoe a ^m avoir et sa maison guerpî«. 



cmm cxNQi^BaiiE, 179 

U90 Li ribaat les saisirent, mainte en ont efforcie ; 
Ghascuns en fait son bon, apcës l'a despoillie ; 
Ne mais fors la chemise ne li a pas laissie. 
Et jo que yos diroie? Tant dura renvaïe, 
Qa'ainc n'i remest .l sols de la gent paienLe, 
Fors cex qui en la tor David s'en est fuie. 
Li barrages de France ne s'aféure mi^ ; 
Ghascuns prist son ostel, sa maison a saisie. 

XIII. 

Queque Franchois se painent de )or cors aaisier, 
Ghascuns saisist maison, ou palais ou solier. 

A500 Lî bons dus de Buillon ne s'i volt atargier. 
Ne Robers le Frisons, qui moult fist à proisier,. 
Et dans Thomas de Marne, qui tant ot le cuer fier. 
Âinc cist .m. n'entendirent à establer destrier, 
Ains s'en Tont au sépulcre, por bel faire et nier, 
Et le saintisme temple que Dex par ot tant chier. 
Ghascuns ot en sa main d'un chier paile ,h quartier ; 
Très devant le saint temple se vont agenoillier ; 
Âinc n'i laissiereni porre, ne festu, ne ordier. 
Ne suie, ne busquete, ordure, ne boier. 

ftsi Qui véist les barons le sépulcre baisier 

Et plorer tenrement estraindre et embrachier, 
Et puis aler au temple l'autel apareiller. 
Où Jhesus fu offert, quant s'i ala cochier : 
Quant to ce orent fait, mis sont ei repairier . 
Defors le temple trovent .i. tort palais plenier ; 
N'i avoit nul Franchois venu por harbergi^, 
Gar Dex l'avott gardé por ces .m. aaisier. 



180 LA GONQtÉTE DE JÉRUSALEM. 

XIV. 

Qaant li dus de Bâillon ot l'autel escoé, 
Il et les doi baron bien l'autel acesmé, 

«520 A rissir fors de l'uis ont .i. palais troTé, 
Où nus de nos barons n'avoit encpr esté. 
Chil qui li palais fu tint en sa main la clé. 
Tôt ensi corn il dist, .xxx. ans ayoit passé, 
N'avoit véu des iex lumière, ne clarté ; 
Sovent avoit le temple fremé et desfremé ; 
Bien sot que no gent ont Jursalem conquesté. 

Quant il oï le duc, merci li a crié. 
Li dus tenoit le paîle que il avoit colpé; 
De maintenant li a en mi le vis jeté. 

«530 Tantost comme li pailes ot as iex adesé. 
Si li furent el chief maintenant ralumé. 
Grant joie ot en son cuer, si a le duc conté 
Qu'il n'avoit véu gote, .xxx. ans ot des esté, 
Et or a par cel paile lumière recovré. 
Li Dus a pris le paile, si Ta renvolepé. 
Et li paiens l'en a sus el palais mené. 
Isnelement lor a son trésor deffremé. 
Son cors et son avoir lor a abandoné ; 
Et li dus le tensa et mist à salveté. 

0540 Puis fu il baptisiés el temple Domine. 
Li baron sont venu ensamble et aûné. 
Si ont à l'autre pople et dit et devisé 
Que tos les paiens mors getent de la cité ; 
Et il si firent lues; n'i ont plus aresté. 



CHANT ONQUIÈIIE. 181 

Fors de Jherasalem ont les paiens jeté, 
Ens en .i. mont les ont espris et alumé, 
Et de sore le vent les ont trestot venté ; 
Et nos cretlens ont à honor enterré. 

Li yesques de Mantran a la messe chanté; 
4»o Après ont maintenant le maistre cor soné. 
Aval Jherasalem sont Franchois adobé, 
Li baron et li prince fervestu et armé ; 
Devant la tor David ont lor engien mené. 
Et la perriere assise et la fonde aprestë. 

Quant Corbadas le voit, Franchois a apelé ; 
Les barons et les princes bien a chascun nomé. 



XV. 



Li rois de Jhersalem fu dolens et irés ; 

Nos barons apela ses a araisonés : 

c Seignor, dit Corbadas, envers moi entendes. 

Mo c Geste tors est monlt fors, à envis la prendrés, 
c Ains i aura des vostres et malmis et navrés, 
c Qu'ele soit abatae, ne li chimiers ostés. 
c Baron, car me laissiés aler à salvetés, 
c Et tote ma maisnie que vos ici veés. 
c Geste tor vos rendrai, se vos le conmandés, 
c Mais que vos sauf conduit orendroit me livrés. 

No baron li otroient, es le vis avalés. 
.vu. mil et .un<^. les a on bien esmës. 
De Jherasalem issent, es les acheminés ; 

«570 Le chemin vers Barbais en est li rois aies. 
Moult se clamoit sovent caitis, maléurés. 



m LA GONQUftTE DE xAUttALEM. 

Se Lacabidx ne fast, ilaec se tuât Urès. 

Or s'ea Tout toi ensanble^ »i les condaitt malfès t 
Et li Baron de France, que Dex a moaU amës. 
Ont la chitë conquise et les palais fermée 
Dont fù tôt li hamoB là deden» aportés* 
Les dames vont an temple, s'ont grans dedoisBienfis^ 
Es maisons et es mes fa Tencens enbrasés ; 
Te Deum laudamus fa hautement cantés ; 
tksso Moult par fa nostre sire graciles et Ioës« 



XVI. 



Jherusalem f u prise et la grant tor rendue. 
Ha Dex ! com grant léèce i a le jor éuei 
Âinc n'ot en la chité sale, maison, ne rue, 
Ne fust encortinée et de paile vestne. 
Li vesques de Maltrao dist la messe apsoluie# 
Gel jor devint l'oblée la etaar Deu tote pure, 
Si que apertement i fu le jor yëue. 
Ha Dexi cel jor i oft ttainte lerme espandue; 
Après la sainte miesse, fu Tofrande rendue. 
ft5M Li yesques de Mautran Ta prise et reehéue ; 
As povres le départ et à la gent menue ; 
Âinc n'en rolt retenir Taillant une ebéue. 
Puis a seigaié no gent de Deu qui fist la nue ; 
Dont s'en yont as ostex ta bone gent eremue ; 
.XY. jors'ont li prince mouU riche cort tenue. 
 .1. josdi matin, quant l'aube est aparue, 
Se leva li bamages qui Damedex ajue. 
Très devant le saint temple, en une place terbue, 



Sont ensamble la gent qui aine ne fat vencue, 
ftooo Ne matée en. bataille, m piv Turc recréue, 
Âins ont por Deu vengier mainte tor abatue. 
Des pâjAé0, desr travaux ont là char confMdM : 
Jamal» n^oré^t Ut géM eu ^«t siectô véué^. 

XVIL . 

Trèsr derant le saint temple fa no gent honerée. 
Li vesqne de Maatran a Festoie affublée 
Et tint le sainte lance de devant lui levée, 
Dont Dex ot en la crois sa disne char navrée. 
Nos barons apela, si dist raison membrée : 
c Seignor, eeste chité vos Tavés conquestée ; 

Mio c Or i covenroit roi dont ele fust gardée, 
c Et la terre environ vers les paiens tensée, 
c Et par qui sainte glise i soit rengenerëe. » 

Li prinche respondirent : c C'est vérités provée. » 
Dont s'escria li poples tôt à ane buée : 
c Au bon duc de Bâillon soit la yile livrée I » 
Et li vesques retorne, quant oï la criée ; 
Le bon duc regarda, si li fist enclinée : 
c Sire, venés avant, por la vertu nomée, 
c Rechoif Jherusalem la fort cité loée. » 

MM «* i Sire, ce dist li dus, ja ceste n'ert pensée! 
« Chi a tant riche prince^ de si grant renomée ; 
c Ja ne prendrai sor moi avant d'ax la posnée. 
c Jo voil qu*ele soit ains as autres présentée. » 
Âdonc ot en la place mainte lerme plorée. 



184 LA CONQUÊTE DE JÉRCSALEM. 

XVIIL 

Li vesques de M altran ot le duc de Buillon, 
Qui de Jherusalem ne velt prendre le don. 
II en a apelé dant Robert le frison. 
« Car renés oris avant, jentiez fiex à baron, 
M80 f Prenés Jherusalem et Tonor environ. > 
— c Sire, ce dist liquens, ja ne le bailleron. 
c Quant jo tornai de Flandres, sans menlir vos dison, 
a Climenchain affiai, à la clere fachon, 
a Que si tost corn seroie au temple Salemon, 
« Et baisié le sépulcre et faite m'oraison, 
c Me metroie el repaire, n'i aurait acoison : 
« Ne poons demorer, se nos fois ne menton; 

< Car plëust ore à Deu et à saint Simion 

« Que jo fusse à Arras en ma maistre maison, 
MAO c Et Bauduins, mes fiex, me tenist au giron! 
a Anqui le baiseroie .c» fois en .i. randon. 
a Quimedonroit tôt l'or qui'st dusqu'enpré Noiron, 
ce Ne revenroie jo en ceste région! » 

Quant li vesques Tentent, si baissa le menton ; 
Ha Dex! adont i ot si fiere ploroison. 
(( Ahi I ce dist li vesques, chités de grant renon ! 

< Com sont de vos rechoivre cist prince en grant fri- 
c Et si en ont sofferl grant persécution. [chon. 
« Ahi I verai sépulcre ! quel honte vos faison ! 



CHANT ONQin&IK. 185 



XIX. 



0650 Li vesques de M aatran ftt drois en son esté, 

Très devant le saint temple de fin marbre listé ; 
Robert de Normendie a par non apelé : 

a Sire, venés avant, por Den de majesté: 
Rechoif Jherusalem et la grant digneté ; 
Si porterés corone el temple Domine. 
C'est li plus haus roiaumes de la cristienté, 
Yoite de tôt le mont, jel sai de vérité; 
Por ce que Dex i ot son bel chief coroné, 

a Doit Jursalem avoir sor le mont poesté. 
MM c Sire, rechevés le por sainte charité! 

S'en seront votre ami essauchié et monté. » 

— « Sire, ce distRobers,jan'ert par moi pensé: 
Car jo ai moult grant terre environ et en lé, 
Ensorquetot jo ai et plevi et juré 
Que si tost com j'auroie le sépulcre aouré. 
Me metroie el retor ; ensi Tai créante. 
Qui me donroit tôt For qui'st dusqu'en dur esté, 
Ne remainroie jo, tant ai mal enduré I 
Trestos. li cors me delt, tant ai Tauberc porté; 
0670 < Mes palmes ai cueillies et mon oirre apresté : 

« Le matin m'en irai, quant il iert ajorné. » 

Li bon vesques l'entent, s'a .i. sospir jeté. 

Adont i ot grant dol et fait et démené. 



u GOMWin ra xbnuujBii. 



XX. 



Ll tesf net de Mratran fa sur 1« psit^ffléd^ 
Tris devant te saiût temple, ttouie par i M de $ent. 
Baiemont apela to9t et isneleiMiit s 
c Sire^ tenèi avant, por Den omnipotent t 
c Rechoif Jheraftalèm et ronor qn'i apent 
c Si sercmt amonté trestot votre parent, 
c Monll poés e&tre Héd s'avés Jheniéalent ; 
c Car Jhesns, qui fa nés de Ylrge vraiement, 
c Ens en ceâte chité soffri le gr^nt tonnent. 
« Et car le pren, blan sire^ s'en tien le cha^ement. » 
— « Sire, diet Buiemons, jo n'en ferai noient : 
c Moie est Paille et Calabre et l'onor (jù'i apent 
f Mais de cesté à tenir n'ai encor nvl talent, 
c Ne de Jherasalem ôorages ne me pfônt, 
c Que ja en soie roi^ en trestot mon jovent. 
c Mes palmes ai coillies en Vatt saint Âbrébent, 
Moe c Fresées et estraintes de soie à fil d'arg'ént ; 
* Le matin moverai, se Det le me eonsmt. y 
Quant li vesqttes Toï, monlt ot le caer dolent ; 
Ha Dexf adont i ot «l si fait ploremont. 

XXI. 

Li vesqaes de Mantran fa drois en son €»tat. 
Très devant le saint temple sor .i. perron igal. 
Huon le Maine apele, qui le cuer ot loial ; 
< Sire, venés avant, por Deu l'espirital. 



c Preftéd Ihèra^alem ceste dté rôial ; 
€ Det i sôtfrl por nos pàiié nioft et tratàl. » 
ft7oo — c Sire, dis! li qaens Hues, trop ai soffert dé mal ; 
« Jâ ne saroie sains en cest pals jomal ; 
« Car la terre est trop eaude de Tardor del solat. 
« Mes palmes ai côillies fresées de cendal : 
« Le matin moverai, quant chanteront li gai. > 
Ahi Dexi dont demainent Une dolôr itÀl. 

XXII. 

Lî vêsques de Mautran qui sages tû des lois. 
Très derant le saint temple fa en estant tos drois. 
Oiant tos nos barons s'escrie à haute rois : 
< Ahi Jherasalem I eom: baisse hui rostre droisi 
«71 c Ja ftt en tos coehiés li cors Beu en la crois, 
a Por Yo» a tos eis poples soffert et fains et sois, 
é Ains que tos éussomes, soffrimes grans déstrois. 
c Or ne vos velt garder, ne Normans, ne Tyhois. 
c Or puet bien chascuns dire : fait avons mal esplois, 
f Quant chascuns de nos princes s'escondist à sa fois. 
« Ahi Jhepusalem i com ci a grans aUdls i » 
Dont plora tenrement li bons dus Godefrdis. 

xxm. 

Très devant le saint temple ot graût assanbleaient ; 
De larmes i ol fait moult grani espandement ; 
vm Ki 0t celui n'éust k son cuer grant tonnent 
Li véflques de Mautran parla moult sagement: 



188 lA (xmjiotnL de sébco&aism. 

♦ 

« Seignor baron, merchi por Deu omnipotent. 

< Conquis avons par force moalt riche tenement, 
a La chit de Jursalem, terre de Bellient, 

« Où Dex nasqui por nos et fist espandement 

< De son presiox sanc et fist racatement. 

a En Surie en venismes por prendre v^ngement 

« De cel qui le menèrent et traïrent vilment. 

« Yés le duc Godefroi et Robert le Normant, 
ft78o « Hues et Buiemons, cil n'en volent noient. 

a Ahil seignor baron, corn faites malementi 
Jeûnons hui por Deu et vivons saintement. 
Et veillons anquenuit trestot communalment, 
Nus-genox et nus-cotes sor le dur pavement, 
Et chascuns ait .i. chierge fait tôt novelement : 
En qui chierge Dex velt que li fus en resplent, 
Chelui fera on roi, si Totroit bonement. 
Et on le sacrera com roi signorément. 
Et donra on corone, voira d'or ou d'argent. 



» 



XXIV. 

vjM No baron ont oï le gloriox sarmon ; 
Onques n'éust celui, pargrant devocion, 
N'éust hauberc ou haire sor le pur siglaton, 
Ou le lange, ou le sac, par grantdovocion. 
En iaue et en pain vivent por icele acoison, 
Que Dex gart la cité où soffri passion. 

Por Deu, seignor, oés del bon duc de Buillon. 
Il vest haire et hauberc, sos le pur auqueton ; 
El cordoan qu'il cauce, par verte le dison, 



CHANT ONQinJaiE. 189 

II n'i avoit semele del talon dasqu'en son ; 
4750 Puis est aies au vesque prendre confession ; 
Ausi font tôt li autre, comme sage baron. 
Li yesques lor a fait tos absolucion. 

XXV- 

L'eure de mengier vint ; ele n'atarja mie; 
Napes ont aporté la fors bacelerie, 
Et iaue avoques pain ; cil lor a benëie, 
Qui le jor canta messe à moult grant seignorie. 
Iluec a le pain frait et la croste et la mie. 
Li yesques de Hautran .m. fois s'acomenie 
Et li autre aulretant, que plus n'en i ot mie. 
ftioo Del mengier lievent sus et chascuns Deu gracie. 
Au temple s'en vont tôt et cil les maine et gie, 
Qui Tonor del Hatran avoit en sa bail lie : 
c Seignor baron, fait-il, ne vos esmaiés mie : 
« Or veillons chi huimais, que Dex nos face aïe t 
c Et chascuns ait .i. chierge d'une Ib. et demie : 
c Ja n'i aura lumière, se Dex me benéie, 
c Se Dex ne li envoie, li fiex sainte Marie. » 
Et chascuns des barons tôt son plaisir otrie. 

XXVI. 

Li solax déclina, li jors pert sa valor; 
«770 La nuis est revenue, qui maine tenebror. 
El temple sont entré li noble poignéor ; 
Chascuns se colce à terre, claime soi pechéor. 



190 LA GOMH^ W UtoUSALiai. 

Grant »fiUcîw Si^Qt U pobila coatOF; 
Li vesque et U sibè, U grant ^ U Pieiipr. 
En tôt liB templa n'<mt cand^le, ne laor, 
Fors une sole lampe qui plaine ept de splendor, 
Qui ardoit tôt adës et la nuit et le jor. 

Entresque no baron $e gisent en fréor, 
A mienuit lor giete une grans resplendor : 
«780 Li yens esiaint la lampe par forirO et par ?igQr. 
Dont orent no baron moult orib}e péor. 
Es vos .h graut tonoirre, parmi la haute tor, 
Qui tos fist nos baroQs vis cair en fréor. 
Puis i vint •!• eclistres, par isi grant ardor, 
Que il esprist le cbierge qui fu au duc major, 
Qui Dex Yoloit douer le roiaume et Tonor 
De terre de Surie, por tenir en valor. 

XXVIl. 

A la clarté del chierge qui fu grans alumée, 
Revinl cuers à no gent, qui fu espoenlèe ; 
4790 Voient le chierge au duc jeter grant embrasée, 
Que Dex i envoia par bone destinée : 
No baron salent sus tQt à une huée : 
Bien sorent que Dex ot lor proiere escotée. 
Li bons dus de Buillon a la color muée ; 
Des biax iex de son chief li caï la rosée; 
Lés la face li est mainte lerme ayalée. 
Il a parlé en haut, s'a la tpste levée : 
« Ahi Jherusatooit sainte eité Ipée» 
« Ja me f u^ea y<^ primea otroïe et douée. 



0K4VT «filMdlIC, 191 

Moo « Jo pri h cel m$nQT qii inaittt ahm ^a j»alTâe> 
« Que il me doidftt Ttetoû^ ?er» la «eot dcfffate i » 
Ha DteR) «$te parole i no^ taToos agrâe ; 
Tnastot U coneiit «us, duuseuas brace levée. 
« gîre du$ 4e BaillM, hum de graat ranomée, 
f Benéoto $oU li pei^$ qui â$t teie «ogem*éel 
t Abi Jberudalem t or sarés yo$ gardée 
« Del mïllQV ^ehe^alii^r Qui aiofi cfa»lii$i^|; espéei 



c 



Pdr ceattti serein vps vera les paîeos tençée. 
« Or ?0â requerront cil d'otre la mers^lée, 
4910 « ûuaat or i^r|; li dus roi$ de terre Qalii^e: 

Bien bui Ha por yo$ l^ii aod^ile aluméel » 



c 



XXVÏII. 

Moult par fu grans la joie quie firent no baron ; 
Entre lor bras ont pris le bon duc de Buillon. 
Li vesque et U abé de grant religion 
Au maistre autel Toff rirent, par grant devocion. 
Là où Dex fu offert à guise d'enfandion. 
Li vesques de Forois lor Qst beaèicbon 
Le roi en ont porté en grant porcessiou» 
t Sire, dient li prioce, no9 vos eoroneron I • 
4820 Et li dus respondi une gente raison ; 

D'or n'ot pas la cprone Godefrois de Bâillon. 
« Seignor, bien le saichiésji ne nos penseroa, 
« Que en mon ehief ait ja corone d'or en som: 
« Car JbeauiS Tôt d'espines qui soffri passions 
n Ja la moi» n'ert d'or» d'arjent, ne de laiton. > 
De Fort saint Hatoebam fist w%m .l planchon 



192 U OONQCftTE DB JiRUSALEH. 

(De chà mer et de là Eêpie Tapeloit on) : 
De che fa coronës Godefrois de Bâillon ; 
Por amor Jhesa Grist le fist de tel fachon : 

«8N c -. Qui li metra el chief, ce dist Drex de Mascon ? » 
— c Seignor,cedistIi Yesqaes,deno li plushaus hom. » 
— c Ch'ert li rois des Taf ars, ce dist Raimbaus Greton : 
c Gar nos n'avons plus roi, de verte le savon, 
< Gil le doit coroner par droite esgardoison. » 
Li rois prist la corone, qui fu de saint renom. 
Si le mist eus el chief Godefroi de Buillon. 

Quant Godefrois fu rois, moult par i ot grant ton ; 
Li vesque et li clergie canterent Te Deum. 
Li baron font homage le roi par devison. 

48M Dist li dus Godefrois : c Entendes ma raison : 
c Yés ci le roi Tafur, qui'st devenus mes h'om ; 
c Jursalem voil tenir de lui et de son don. 
c Ja n'en tenrai d'autrui vaillissant .l boton, 
c Fors solement de Deu qui soffri passion. » 
Li prince respondirent : c Aine n'amastes félon. » 
Li rois Tafurs tenoit en sa main .i. baston ; 
Le roi Godefroi rent l'onor et le roion ; 
Après li a baisié en plorant l'auqueton. 
Li rois tint .vul jors corl el temple Salemon, 

M50 Et de la tor David ol faite sa maison. 

Au nosme, s'apresterent li prince et li baron ; 
Lor palmes ont fresées d'orfrois, de siglaton ; 
Du repairier arrière erent en sospechon. 
Li rois les apela, si les mist à raison : 
c Seignor, vos en aies, bien sai que vos est bon ; 
c Et moi laissiés tôt sol en ceste région . 



CHANT CINQUIÈME. 193 

c Eacor avons à prendre ces cosliax environ, 
c Acre, Sucre, Escalone, où a maint Tare félon ; 
t Qaanqae nos avons fait ne vall .i. esperon. 
ikfioo c Mais prenons bon conseil, por Deu et por son non, 
< Sor la paiene gent ces castiax conqueron : 
c Et qui morra por Deu, si aura vrai pardon. » 
Quant li prince l'entendent, ne dient o ne non, 

ê 

Chascuns se teut tos cois, si baissa le menton. 

XXIX. 



4870 



Très devant le saint temple fu li rois en estant ; 
Nos barons apela s'es vait araisonant : 
c Seignor, ce dist li rois, por Deu de Belliani, 
c Aler vos en volés, bien est aparissant; 
c Et moi laissiés tôt sol entre gent mescrëant. 
c Encor n'avés conquis Sur, ne Acre la grant, 
c Damas, ne Tabarie, qui mouit par sont vaillant ; 

• Belvais, ne Escalone, Barbais, ne le Tolant. 
t Ja pèlerins n'ira baigner au flan Jordant, 

t Se nos Jherusalem alons ores perdant. 

• Tos nos pèlerinages ne nos valt mie .i. gant, 
c Mais prenés bon conseil, si soies remanant, 

< En ceste sainte terre nostre seignor servant. » 
Quant no baron l'entendent, tôt en sont enbroncha n t 



XXX. 



Très devant le saint temple fu moult grand li barnés. 
Mso Li rois Godefrois a nos barons apelés : 

13 



J94 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEll. 

t Seignor, jo voi très bien, râler yos en volés ; 

< En ceste sainte terre tôt sol me laisserés, 

c Des castiax chi entor à prendre avons assés. 
c Mais prenés bon conseil, por Deu si demorés, 

< En ceste sainte vile nostre seignor serves. » 

Et dist li qnens de Flandres : k la mar en parlerës : 

< Sire roi Godefroi, moult grant tort en avés. 

c Ghascnns n'est pas d'achier, ne de fer manovrés, 
c Qae il paist tant soffrir, comme vos devises. 

mo < Jo méismes.ai tos debrisiés les costës. 
c En .XX. lex desor moi en est li cuirs aies ; 
c Les costes et les Bans ai ros et entamés, 
t Bien a passé .11. ans, mes chiës ne fu lavés, 
c Jo pren d'aler congié, car tos sai aprestés. 
c Mais s'il vos plaist, biax sire, avec nos en venés. » 
Dist li rois Godefrois : c A Damledeu aies : 
t Or soit Dex avoc moi et sainte Trinités, i 
Dont s'est li rois Tafurs hautement escriés : 
c Sire, jo remanrai vos en ces régnés, 

4900 c .X. mile ribaus que vos ici veés, 

c Et de moi et d'ax tos moult bone aide ares ! » 
Dist li rois Godefrois : « Sire, merchis et grés. » 
El li quens de Saint Gille se rest lues présentés, 
Autresi est Witasses et Bauduins remés ; 
Frère estoient le roi, Witasses ert ainsnés : 
A .X. milliers a on les chevaliers nombres, 
Estre tos les ribaus que on n'a pas nombres. 
Qui moult mex i valoient que li autre d'assés. 
Franchois prenent congié, es les vos arotés. 

4910 Au départir i fu moult grans li dels menés. 



C3IANT aNQUlÈMB. 195 

Li barn^ges s'en torne tristes et abosmés ; 
Tôt droit eaGerichob es les acheminés, 
Là où Dex géuna, li rois de maïstés, 
La sainte quarentaine, si com oï avés ; 
N'i menja que .n. fois, ce est la vérités. 
Ghascuns dist s'oroison, si est outrepassés ; 
Desi au flun Jordain n'i fu régnas tirés ; 
Et vinrent au perron qui'st vermax colorés, 
Où Dex fu baptiziés et sains Johans levés. 
4920 Ghascuns se despoilla, si est el flun entrés ; 
Après sont revestu; es Içs acheminés. 

XXXI. 

Or chevalcent ensanble la Jhesus conpaignic ; 
Tôt contremont le flun ont lor voie acoillie ; 
Onques ne s'aresterent desi à Tabarie. 
Dode(][uins de Damas lor fist Une envaïe ; 
A .XV. mile Turs a no gent assali^. 
Et no baron lor vienent, chascuns lance baissie ; 
Sarrasin et paien morent à grant haschie. 
Ilueques fu Monjoie fièrement resbaudie : 
um Quant ataignent les Turs, conrois n'est de lor vie. 
Dont s'en fuit Dodequins, sa gent est desconfie ; 
Desi qu'à Tabarie n'i ot règne sachie. 
Le pont lievent amont, la porte egt verroillie. 
Hautement s'escria Robers de Normendie : 
c Dodequin de Damas, rendes nos Tabarie ; 
c Et se vos ce ne faites, moult est corte vo vie I » 
Dodequins respondi : c Jo n'en renderai mie : 



196 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

t Cornomarans me sire le m'a à foi baillie ; 

< Par Mahomet! Franchois, jo n'en mentirai mie. 
jiMo c Cornumarans cfaeyalce, à la chère hardie; 

c fbte les os amaine del règne de Persie ; 

c .LX. rois i a de la loi paienie ; 

c De lonc dure li os .iri. leues et demie. » 
Quant no baron Ventendent, chascans Monjoie es- 

Dont vëissiés la vile fièrement assalie. [crie, 

A pelés et à houes ont la terre foïe : 

Li baron et li prince ont corné l'estormie; 

Dont assaillent as murs, chascuns à une hie. 

Iluec ot mainte perre jetée et envoie, 
mo Quant voient no baron la vile n'ert brisie. 

Et que li assalirs ne lor valt une alie, 

Le retrait ont soné, si laissent TenvaYe; 

Outre s'en sont torné ; guerpi ont Tabarie. 

Onques ne s'aresterent de si en Galelie. 

Puis vont véoir la table que Dex ot benéie, 

Où il ses sains apostres repeut et sa maisnie. 

xxxn. 

Li barnages de France s'est tendus et logiés : 
De sor mer Galilée s'est chascuns herbergiés ; 
Puis vont véoir la table où Dex fu en son siés, 
^960 Où il les sons apostres ot tos assasiés. 
Et bien .v. mile gens, ce raconte li briés. 
N'i ot que .v. poissons et .n. pains, ce sachiés; 
.xn. corbeilles plaines remestrent de reliés ; 
Et si fu bien chascuns de mengier aaisiés. 



CHANT aNQUIÉME. 197 

Là fist Dex grans vertus, il en soit graciles! 
Li uns le mostre à Tautre, moult se fait chascuns liés. 
La nuit i sejornerent, s'est chascuns herbergiés. 
El demain par malin, quant jors fu eclairiés, 
S'est levés li barnages et vestus et cauchiés. 
m^ Chascuns ert de Terrer trestos apareilliés; 
Quant .1. colons lor fu de par Deu envoies; 
.1. brief lor aporta qui fu estroit loiés. 
Le vesque de Forois fu donés et bailliés. 
A haute vois escrie : « Sains sépulcres aidiés t » 
Et dist à nos barons : c Por Deu, ne vos targiés; 
c D'aler en Jhersalem soit chascuns avanciés ; 
€ Car au roi Godefroi sort une paine griëst > 

XXXIII. 

Moult fu prodon li vesques, si fist moult à loer. 

Nés estoit de Forois, «i l'avoit à garder. 
»98o Quant il ot lu les letres, si commence à plorer, 

Et dist à nos barons : c Vos covient retorner, 
le roi Godefroi en Jursalem entrer; 
Car n'a paien remés dusc'à la roge mer, 
Ne Turc, ne Sarrasin, qui armes puist porter, 
Que cil Cornumarans n'ait fait tos asambler; 
Et jor et nuit chevalcent et ne finent d'esren 
Onques Dex ne flst home qui les péust nombrer, 
Les cens et les milliers ne savoir, ne esmer : 
.Lx. rois i a, qui trestrot sont Escler. > 
900 t Par cest brief le nos fait nostre sires mander 
Que por la soie amor vos covient endurer 



198 



5000 



5010 



5020 



LA GONQtÊTE DE JÉRUSALEM. 

Iceste grant bataille, onqaes ne fu sa per : 
Et se ceste poons par nos cors affiner, 
Bien porra puis li rois Jherusalem garder. » 
Li rois Robers de Flandres commencha à crier : 
c Barota, renhaitons nos, Dex nos velt esprover : 
f Devant ceste bataille n'en perrons nos aler« 
c Or verrons qui prox iert as paiens decôlper : 
c Dex velt que nos aillons le temple délivrer i » 

Quant no crestien oient ceste raison conter, 
Et que il lor covient arrière retorner^ 
Li pluisor ne le volent otroier, ne gréer ; 
Plus de .XXX. milliers volent de l'ost iorhev. 
Li quéns de Normendie lor vint devant ester. 
Et dans Hues li Maines et Buiemons H ber : 
Seignor, font li baron, volés vos parjurer, 
Qui sans nos en volés outre la mer passer ? 
Se vos ensi le faites, pol vos doit Dex amer : 
Si m'aït Dex, seignor, nel déassiés penserl 
Bonement déussiés nos voloirs créanter. 
Por Tamor au Seignor, qui se laissa peûer. 
Et ferir de la lance et plaier et navrer. 
Et mètre ens el sépulcre et cocher et poser, 
Et d'iluec au tier jor de mort resuciter ; 
A infer en ala la porte deffremer, 
Ghe fu por ses amis de la prison jeter. 
Seignor, ce soffri Dex por nos armes salver i 
Por cel seignor, vos proi qui se laissa pener. 
Que vos ïie faites l'ost, ne les barons trobler. 
Car li .1. ne doit l'autre en nul endroit fauser. i 
Quant li poples l'oï si faitement parler, 



^ 



CHANT CINQUIÈME. 199 

Cex qui retorner volent oïssiés renheuder. 
A haute vois escrient : c Faites ces cors soner ! 
< Tôt sont mort Sarrasin, se les poons trover. » 
Quant li vesques Toi, Deu prist à mercier. 
Dont vëissiés par Tost grant joie démener; 
Chascuns saisi ses armes por son cors adober. 
Ciiil feront as paiens lor corage trambler. 

xxxtv. 

Par Tost Deu sont li prince et li baron armé; 
50S0 Maint et communalment se resont adobë ; 
La vitaille est carchie et li somier trossé. 
Là oïssiés maint cor et maint graisie soner : 
Droit vers Jérusalem se sont tôt aroté. 
Mais ainchois qu'il i viegnent, sachiés par vérité, 
Aura devant la vile maint ruiste colp doné, 
Maint Franc et maint Paien ocis et decolpél 




CHANT SIXIÈME. 



Q^RGUMENT. 

L'armée conduite par Comumaran arrive devant Jérusalem et 
assiège les Croisés. — Ceux-ci sortent de la ville. — Combats 
acharnés.— Gomumaran et le comte de Saint-Gilles sont faits pri* 
sonniers.— Saint Georges et saint Maurice viennent au secours des 
princes chrétiens. —Les Sarrasins sont mis en fuite. — Us arrivent 
dans les plaines de Rames. — Corbadas apprend que son fils est 
prisonnier.— Il se rend ai^rès du Soudan de Perse.— Description de 
sa tente. <-^ Satan vient au milieu des Infidèles, qui se prosternent 
devant lui. — Le Soudan harangue ses soldats, les remplit d^ardeur 
et leur prédit la ruine des Chrétiens.— Des messagers sont envoyés 
à Godefroi pour obtenir l'échange des prisonniers. — Godefroi fait 
passer et repasser tour à tour devant Gornumaran les soldats et 
les ribauds» richement vôtus ou couverts de leurs armes habituelles. 
— Cette ruse porte Teffroi dans le cœur de Gornumaran. — U est 
échangé contre Raymond de Saint-Gilles. — L'armée du Soudan se 
met en marche pour aller attaquer les Croisés. 



CHANT SIXIÈME. 




hi hirai de Tôst Deu; tôt sont acheminé. 
Del fier Cornutnârâîil Vos dirai vérité. 
Tant a et jor et nuit chevalbhié et erré, 
^m lai .G. mile Turc, qni bien sont acesmé, 
Qu'à Barbais sont vetlu droit à .i. ajorné ; 
Es clians de fors la vile a son père acontré, 
Bt ses homes o lui dolent et esgarè. 
Cornumàrans venoit, le gonfanon fremë, 
Devant ses compaigiions ,h arpent înesuréi 
Quant a véu son père, si Ta bien ravisé; 
Des espérons à or a Plahtamor hurté ; 
Vint poignant à son père, moult Ta haut salué. 
En après racola, si li a demandé : 
5050 c Sire comment vos est? ne me soit pas celé. » 
— € Blax flex, dist Gorbadas, ja vos sera conté. 
Perdu ai Jursalem, .xii. jbrs a passé. 
Ens en la tor David m'orent Franc enserré. 
Lôrs orent lor engien conduit et aiiiené 
Et la perriere assise, la grant fonde acesmé ^ 
Tost eussent le mur percié et effondré 
Et mes homes destruis, ocis et afolés. 
Mais nel vdil pas soffrir, moult tost lôr oi liVré. 



204 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

« Godefroi de Bâillon ont à roi coroné ; 

50M c Li o$t s'en est alée et li baron torné. 
« Peu a chevalerie remés en la cité, 
c Or ai perdu ma terre et tote m'ireté. 
c S'or tenoie a. colel trenchant et afllé, 
c Par Mahomet, mon Deu, ja m'auroie tué I > 
Quant Cornumarans Tôt, si Ta reconforté. 
Il a prise sa main, si li a afié 
Que mais ne mengera s'aura Franchois tué. 
Hais anchois avéra longement jéuné, 
Et percié le hauberc et son cors sanglante. 

S070 Li fiers Cornumarans a s'ensaigne eserié ; 
Puis prist le cor Herode, hautement Ta sonë. 
Cil de Barbais s'en issent, contre lui sont aie. 
Des Franchois sont ensanble li Sarrasin clamé. 
Et dist Cornumarans : « Soies à séurté : 
c Car d'ax vos vengerai tôt à vo volentë. » 



I. 



Moult fu grande la joie de la gent mescréue; 
Cornumarans s'escrie, sa vois ont entendue : 

< Père, chevalce tost, sans nule arestéue, 

< Encontre l'Amiral qui nos vient en ajue. 
5080 c Une tel ost amaine, tele ne fu véue. 

€ Morte est Crestientés, et tote confondue t 
c L'Ami rax a juré sa grant barbe chenue, 

< Que les barons de France metera en tel mue, 

< Por l'amor^Brohadas, qui la teste ont tolue, 
« Que jamais ne verront solel, clarté, ne nue. 



CHANT SnUÈKE. 205 

Sa grant chartre parfonde sera d'ax ravestue ; 
En sa terre déserte iert l'autre gent menue, 
Là seront atelë por traire à la charue ; 
Cil qui bien ne traira auravla char batue, 
sooo c A corgies noées et plaïe et férue. 
Tôle sera lor lois abaissie et queue; 
Jherusalem aurons, que il nos ont tolue, 
Et Nique et Andioche, qui est ausi perdue. 
Corbadas ot son fil ; de joie s'esvertue. 



II. 



Dist Cornumarans : c Père, ne vos caut demenier : 

< Aies encontre Tost, cha la faites torner, 

< Ens es plaines de Rames la faites osteler. 

c Jo m'en irai devant, por les Franchois garder. 

c Péor ai que nés puisse en Jursalem trover. 
MM < Jo ne voil c'uns tos sols en puist vis escaper. » 

Puis prist le cor Herode hautement à soner; 

Dont véissiés paiens après lui aroter. 

Bien furent .c. millier, Sarrasin et Escler. 

Dusqu'en Jherusalem ne volrent arester. 

Cornumarans les guie, qui fu jentiex et ber. 

El val de Josaphas les a fait tos armer 

Et monter es chevax et les escus cobrer; 

.L. mile en fist ens el val arester. 

La proie ont acoillie qu'il en quident mener; 
5tii Cil ont levé le cri qui la durent garder , 

Si que on les ot bien en Jherusalem cler. 

Ens en la tor David le vait .i. mes conter; 



JK)6 LA oonquAtb de itiausALiai. 

Li rois Godefrois Tôt; n'ot en lai o'aïrer. 
Dist au coDte Raimont : « Or tost de l'adober I » 
Sas en la tor amont fist j. graisle soner. 
Dont Téissiés les princes les haubers endosser 
Et salir es chevax qu'il ont fait enseler. 
Ghascuns a cbaint Tespée o le brant d*acbier cler ; 
Les escus ont as cox, plus sont fier que sengler ; 
5120 Les glaives ont es poins, pensent d'esperoner ; 
Le roi Tafur commandent Jbemsalem garder, 
Et dant Perron TErmite que moult doivent amer. 
Li rois poinst tos premiers, or le puist Dex salvert 
Car se Jhesus n*en pense, qui se laissa pener, 
Ancbois, mais qu'il retort, estra près d'afoler I 



m 



Devant Jberusalem fu la proie acoillie : 
Gornumarans Tenmaine, à la chiere bardie, 
A .L. mil Tars de la gent paienie. 
Es le roi Godefroi poignant à sa maisnie; 
51S0 Bien furent .mi. mil, de bone gent bardie. 

Tant com cbevax puet corre, cbascuns lance baissie. 
Se vont ferir es Turs, nés espargnerent mie. 
Là ot tant Iianste fraite, tante targe croissie, 
Et tant poing et tant pié, tante teste trenchie. 
Li bons rois Godefrois à haute vois s'escrie : 
i Baron, or del bien faire I Sains sépulcres aïe t 
« Mar s'en iront gabant la pute gent baïet o 
Lors brocbe le destrier, s'a la banste brandie 
Et fiert Gornumarant sor la targe ilorie. 



/ 



CHANT SIXIÈUB. 807 

51A0 De S08 la bocle d'or II a fraiie et croissie. 

Tant fa fors li olayains maile n'en est mentie. 

De Plantamor l'abat en la lande enhermie. 

Ja li trenchast la teste, à Tespée forbie, 

Quant Sarrasin li vienent, poignant à une hie; 

Plus de .X. mile Turs, tos d'une conpaignie. 

Sovent ont escrié Damas et Tabariel 

Là oïssiés tel noise et tel carpenterie, 

Tel bruit et tel criée de la loi paienie, 

C'en les oïst très bien d'une leue et demie. 
5150 Del val de Josaphas ont Turc la noise oie ; 

A l'estor sont venu tôt à une bondie. 

Plus d'une arbalestée ont no gent resortie. 

Cornumarans remonte el destrier de Hongrie ; 

Le cor Herode sone, s'a sa gent rallie. 

Sor le roi Godefroi ont fait une envaïe. 

Cornumarans lait corre Plantamor de Surie ; 

De Raol de Halape a la lance saisie ; 

Vers le roi Godefroi point, la lance baissie. 

De la lance le Sert sor la targe florie, 
5160 Sos la bocle li perce, mais il ne caï mie : 

El pis sor le hauberc a la lance croissie ; 

Et li rois se tint bien ; Jhesu ot en aïe ; 

Fiert le roi Murgalant, qui sire ert de Claudie ; 

L'elmes, ne li clavains, ne li yalt une alie. 

Enfresi qu'ens el pis est l'espée glacie ; 

Mort l'abat det cheval sor Terbe qui verdie« 

Puist ocist Danemont et Flambart de Tumie, 

Et le roi Brincebaut et Calquant d'Aumarie. 

.xun. en a ocis et tos tolus la vie. 



208 LÀ GONQDÊTB DE JÉRUSALIOI. 

sno Cornumarans le Toit; tos li vis Yen noirchie; 
Il escrie Damas! s'a sa gent renbaitie. 

Là ol mainte saiete d'arc turcois descocie. 
Sarrasin sor no gent est forment renbaitie. 
Et li .1. et li autre morent à grant bascbie. 
Hais trop i a paiens, mal est Tovre partie; 
Des mors et des navrés est la terre joncbie. 



IV. 



Moult fu fors la bataille et li capte sont grant : 
Mais trop par i avoit de la gent mescrëant ; 
Ne le porent soffrir no Crestien vaillant. 

51M Sarrasin les enmainent vers Jursalem ferant; 
Devant la maistre porte vont no gent atarjant ; 
Vers les Turs sont guenci, moult en vont ociant. 
Cornumarans s'escrie : t Sarrasin, or avant t 
< Par MabonI cist caitif mar en iront gabant. » 
Il tint le cor Herode, moult le vait baut sonant ; 
Dusqu'en Jberusalem vont li no reculant. 
Ilueques lor avint .i. enconbriers moult grant : 
Le conte de Saint Gille ont pris li mescréant ; 
A grans macbes plomées moult le vont laidoiant. 

M90 La bataille est remese, li Turc s'en vont atant. 
En Jberusalem entrent no Crestien dolant 
Les portes ont fremëes, Turs s'en vont repairant, 
Et li rois Godefrois descent de l'auferrant. 

Es le roi des Tafurs qui li vint au devant, 
Et dant Perron l'ermite le bardi conbatant : 
« Sire, font-il au roi, con vos est covenant, 



CHANT UXiillEi 909' 

c Avës rescox la proie aa fier Gornamarant? t 
— « Par foi, ce dist li rois, Dex me vait oubliant: 
a Le conte de Saint Cille enmainent li Persant; 

ftiM « Jamais tant com jo vive n'aurai mon cuer joiant. • 
Dist Perres lihermites: c Ne leva démentant; 
« Car par la foi que doi Jhesu de Belliant 
c Ne renmcnronlUTurc; s'ierentgrainetdolant. » 
Et dist li rois Tafurs : c Jo Taloie pensant, 
c Baron, adobës vos, n'aies plus atarjant. i 
Il font soner a. graîsle; Franchois yienent atant; 
N'I a cel ne port hache ou gisarme trencbant. 
Ou cotel acherin, ou machue pesant. 
De Jherusalem issent, li rois chevalce avant, 

1210 Et ses frères Witasses sist sor .i. cheval grant. 
Et li quens Bauduins sor Prinsaut le corant; 
La lance porte droite, le gonfanon pendant. 
Devant trestos les autres vait li quens randonant ; 
El val de Josafas vait les Turs consevant. 
Il lor a escrië: « N'enirés, souduianii » 
Comumarans Tesgarde, bien le vait ravisant; 
Bien reconnut Prinsaut à Talaine bruiant, 
Quant ala secors quierre & l'amiral Sodant ; 
S'a lui ne vait joster, ne se prise .i. besant. 

&220 Plantamor point et broche, l'espié vait brandissant, 
Or iert d'ax .u. la joste, si que T verront auquant. 



V. 



Quant li quens Bauduins vit le cheval guencir. 
Il a brandi la lance, si est aies ferir, 

14 



flS LA OONQVÉtC iB iÊÊmUM. 

EiCtthitmftnia» (ftt, iiel tcrtl pà* riêmiiàff 
Qoé lof èBCû» I ^ font ffldfe^ èH tfi^iëk^ 
El tes MiMk» de fruités hniM et de^f flh 
Si roidem^fH se liurtene et pa^éï grtrilt Mf^ 
0» il tollteat ôd 11611^ I09 éMiit Jii6 ëdl^. 
Ains c'àntMi se péttsseM di^éiMi*, nfe ite&Mttf, 

BiM Yéisrtés GrëMfens el Sàf Ht^ds tetrir ; 
Fier eétoi" péttâstés esgardér et Hit, 
L'on sdfrasid soi* Tattlre trèMctiiéféC cift 
Et Iê9 nfttrë^ Q^fer, àbàiër et ^tatir. 

Datte PlBrrè^ li Heiwited i ûéh pkt ^ani ifli" : 
Qui il conseat à eolp ÉdirefS iiël {met gàrit:, 
Et Ribàilt i férc^ieiit, que moult ^dht èû âëiit 
De VvtH et dé Pdiéns ooifro et ieac&tLtt: 
Dont péussiéft véfoif fier eétot é&avtiit; 
Del cdtilo des é&pèé^ fbtit la terrer Efôiidif; 

mi WUM leùie f\ëiâête^ {Hiet on la fioise^ cfîr. 

Ou Tare VeHIeilt ou iion, le» f6ût H tib gùentir 
Plus d'une àitélëstée él àrlere sortir. 
Li quelle BàdêtiiiM 6ôf t Cbtttùr&diHtti iïi^H^; 
Par les flftns YéûhtAcM, tôt coi te t^iiil mit: 
Car (f ilt^ en avant Id ?olait gatàndir. 



tT. 



Quant Comumarans voit que li quens Ta saisi, 
Isnelement et tost a traitrle brant forbi; 
Et Bauduins Testraint, à terre Tabati. 
t^ féf M ^àit/f^ài i)loignMft fer ètklU 
ssM Et son frère WitÀ^, qfût ïé e^ttéi' et' UeMH. 



Cornumarânliescrrent: é Ken irés ïniè énéit 
€ Anqui mëk pénâukié^itX M (6^ DitiU 
* Sic^lpètfbfttWoirmtônïèHWâttil H 
Quant Cornuit^airans Tôt,' le rof cria iatitH ; 
De là où jut' à terre' s'ès^éé II téndi,^ 
Et li reis GoOefrôié la prist et i^eéoilfî. 
Comumaraiis ^ë dtëchè, pfi^ôn ir si pjte^i. 
Lï rois le èsC montei» s6r i. trdfadf nnîfcf 
Et PlantJlfflfoh É^éii fuît trèspartoî i. la'if^H; 
El ta) ûèJiMTà^ fe|^Mtrent iirrabi. 
Quant dé'Gornitfmsfi^anf le Viréût déiganifi, 
Dont eisiiés grant noise eff ^^artl/ plor et ^i<à^ dri : 
Comàtt^ram regretenft fiel si' niéflidf àiii?. 
Dist li rois Sircaiftàné : c Mal éoËièA éiciiml 
€ Pris est Go^rntfniaranfs, Prarichoi^ Teti (ftrt Avt 
c Se reni làiss(!»As ïnen^ér, bfén Séromés' fâfllï. • 
Paiénf soneM lor grais)és^ s^o'nt lor fabér boddi. 
A bataifté chetàtceïit irfé et ëng'i^aMI, 
Et no franc Creslien, qui DeiL a' hSaëîy 
mo Droit fers* Jlieru^além soni! atriér réVc¥tr. 
Li quensi BauduiAs ïnonte sor Priiisàul lé^ ffort, 
Que li roi^ (teà lûtavs par lé ttiM 1! tèbdU 



tii. 



Vers lôrsaiem chevalcber Ta JHe^n ébrij^af^^; 
Serrëement ckéVafldh'éAtJ 9 batâfiïïé'elldbKè. 
Li Rftaiut viyÂt deVaÀf, 11 rofd les i^Më'eé gifié, 
El Perres li hermites, à la barbe florie, 
Et li rois Godefrois à la chère hardie, 



<|2 LA CONQUÊTE DE JÊRUSALEII. 

Fa en Tarière garde lui et sa conpaignie; 
Et Sarrasins lor vienent tôt à une bondie. 

52M Tai^t sonerent de graisles, que la terre en formie. 
Et li rois r'a Honjoie hautement escriie; 
Et li quens BauJuins tint l*espée forbie, 
Et ses frères Witasses le brant qui resclarcie. 
Tôt Iroi li frère jurent le fil sainte Marie 
Que mex Yolroit chascuns la teste avoir trencie. 
Qu'il fuist por Paiens une lance et demie. 

Es le roi Succamant qui hautement s'escrie : 
c Par Mahomet I Franchois, vos aies à folie : 
c Rendes Cornumarant, ou tôt perdrés la vie t 

52M « Car demain seront chi les os devers Persie; 
c Aine ne f u si grans gens véue ne oïe ; 
c Nos avons dant Raimpnt qui moult a baronie, » 
< Demain sera pendus ains que Tost soit logie. » 

Quant Bauduins Tentant s'a la color noirchie. 
Il broche le destrier, des espérons Taigrie, 
Mist la main à Tespée, del fuerre Ta sachie, 
Fiert le roi Sucamant sor Telme qui verdie. 
Les perres et les flors contreval en esmie, 
La coiffe li trencha de la broigne tireslie. . 

5S0O Li brans d'achier gûenci à destre lès Toïe, 
L'oreille li trencha et trestote Toïe, 
Et le brach et Tespaulïe devers destre partie. 
Que li ppins et Tespëe vole en la praerie. 
Li rois cai à destre sor Therbe qui verdie: 
S'il ot péor de mort, ne vos meryeilliés mie. 



CHANT SIXIÈME. 213 



VIIl. 



Quant li rois Sucamans voit s'oreille perdue, 
Et le brach et le poing o Tespée molue, 
A haute vois s'escrie: c Mahomet sire, aïue! 
t Apoliin, riche Deul quel perte ai rechéuet ' 

5S10 « Jamais parmi n'ert terre ne honors maintenue! > 
Là ot tant hanste fraite, tante targe fendue 
Et tant pië et tant poing, tante teste tolue. 
Des mors et des navrés est la terre vestue. 
Bien i fièrent Franchois sor la gent mescréue, 
Et Perres li hermites, à la barbe chanue. 
Et li rois des Tafurs et l'autre jent menue. 
De ferir sor Paiens chascuns d'ax s'esvertue. 
Mais la force des Turs i est poignant venue : 
Se cil Sire n'en pense qui se mist en la nue, 

55M Ja i aura des nostres moult grant desconvenue; 
Car Turc les ont menés ferant parmi la rue. 
Jà fust la proie prise et la cités perdue; 
Mais li rois Godefrois, qui proece salue, 
L'a moult bien garantie à l'espée esmolue. 



IX. 



A la porte David furent li caple grant : 
Ja i fussent entré li Paien maintenant; 
Mais li rois Godefrois à l'espée trenchant 
A l'entrer de la porte lor est venu devant. 
Qui il flert de l'espée tôt le vait porfendant. 



^4 LA 0099^ W 

S8M Son frère Wi tasse escrie et Bauduin l'enfant: 
c Que faites vos, mi frère? Ne vos aies tarjantt 
c On dist que de l'osl Deu estes li plus vaillant; 
f Ifp 4^tj6f pas Ifi wort, mais ^lëf ^a qi^erai^tt > 
Quant si tv^vj^ roïrei|t, mouU se vpnt refli^ilant. 
Saint sépulcre pscrierept, .c cbçyali^r opa^/intt 
« Cesie gjenjt s^^rr^sinç jpar j^'en i^^^n^ g^jbantt » 
jQui i^ont yéj4 les frere^ pplç gent mes^cr/^apt 
Ôchirre et detrenchier et livrer à torman^; 
De la porte les mainent .i. arpçnt reculant. 

58M> Es vos le roi T^fur et ^^pt Perrpq çri^Bt} 
N'i a cel pe port l)ap)^e, pi^ maphms pe^^t, 
Ou cotel^ 01^ plongée, j^ çaaine pend^pï, 
Ou plancbon, ou picois, ou ^)e$i)6 poignant. 
Li rois Tafurs tenqi^ une grapt faps trepçl^^^l; 
Entre Paiens se mist, t^nt en yait de^repc^m, 
Qui i\ cpn^u^ ^ çqlp ne puet ^ler ^vantj 
Et Perres l\ hermites Taloit de prë§ §^vapt 
Et tenoit une hache dont la lemele ert gr;int: 
Une aune et j. quartier ot de loqçpar d^yapt; 

5850 Plus trenche que r^sqirs quç fevres v<iit molant. 
Li colp Perrpn Terjif ite n^ s^pbl^pt pas id^nfatpt. 
Celé part où il torne vont Turc amenuisant ; 
Testes et bras et pies va^t li bers decolpant. 
Entre le roi Tafur et Perron le ferrant 
Et lor ûera niaisnie qui tôt s^nblent tif^apt, 
Plus d'une arbalestée vont les Turs reculant. 
Ne finent fie c^phier dusp'^u roi.^pcam^ptî 
Aine n'i guenci Paiens, i^ais tos dis vont fuient. 
Et W '4u^ §9.defrqi^ Ifis vaU bien encipcli^J, 



MM Et li autres barnages à esperon brochant : 
Des mors et des navrés ^nt la terre covrant. 
Or penst Dex de no gent par son disne commanti 
IlonU ^paMoept \^ Tanii ti^p an to%i feliant; 
fà n*e^ Feterqepon^ s'ionent grain et dolaot. 
Sarwin gt PaJAH vpnt lor gr^iales eaaaftt, 
. Et Qi^U fin p^it d'ivre se ypnl tant raliaai, 
Bien wài ,w, mile de la geot mea«péant. 

X. 

Qmmt Jheniaaleiii fur^ftl li eaple fier. 
Tara ont aonâ lorgraislea por lor gent raliiev; 

m Bien sont al* mil de la gent Pavertier. 
P iaïaaiés maint Tare glatir et abaier: 
Tel i)oîs0 font entp'ax et .i. si fart tempiar. 
Que de grans .im. leues eîsHiéi le noister. 

El premier ohief devant ohevalcênt li avdliéf , 
Por deseonflr les nos à lor ars de eormiar. 
Plus eapte que la noif qui vole après tevrier, 
Yéisfii^ |ea aaietes sor ne gent deseoobier ; 
gt cil as gavetos oanmenoent à lanchier. 
A maint des née ant fait teataa et bras saignîar ; 

380 PI49 d'une arbllestie laa reculent arrier. 
Quant li roia Godefroia voit no gent si caohier, 
Pe mallalent et d'ire quide vis esragier. 
Il ^mbraobe Vesou et tint le brant d'aehier. 
Qui véist le baron Sarrasin detrencbier ^. 
Et Tun mqrt do'vs l'autre verser: et Crabntfbier : 
Sains jergea, Sain^ Qamins» li aontvequ aidler 
Et Mmt w fc>r eompalgna plus de .%ïït. millier. 



216 LA CONQUÊTE DK JÉRtSALiai. 



XI. 



Si tost coin li rois fa sor son cheval montés, 

I est Tenus Sains Jorges, poignant tos abrievés,- 

Et s'i fa Sains Morisses sor .i. cheval armés. 

Et furent .xxx. mil, plus blans que Sors des prés. 

Dist Sains Jorges au roi : < Amis, esperonésl 

« Cist vos Tienent en aide que vos ici veés ; 

« Se vos estes prodons, ja le nos mostrerés. > 

Lor broche le cheyal, poignant en est tomes; 

Tos ses bons conpaignons en a o loi menés; 

Et li rois Godefrois est après ax aies. 

Li conpaignon saint Jorge ont les Tars escrîés; 

 l'abaissier des lances les ont desbaretés ; 
S4M Plus de .XX. mil Paiens i véissiés versés ; 

Et li autre en ont bien .xxx. mil craventés. 

Paien toment en fuies; li esters est fines. 

Hais li rois Sucamans n'est mie asséurés; 

Sor .1. destrier d*arrabe en fu devant portés. 

Ses fiex Barbais Ten guie, qui'st de lui trop irés; 

Et U qaens de Saint Gille en est o lui menés. 

Se Damledex n'en pense, moult iertmal ostelés. 

Qr s'en fuient Paien; es les vos arotés; 

De si qu'as plains de Rames n'en est .i. arestés; 
Mit Là guencirent Paien, s'ont lor chevax tomes; 

Uuec fu li esters et fiers et adurés. 

Moult i ot Sarrasins ocis et decolpés; 

Enfresi que au vespre n'est li esters fines ; 

Et Sains Jorges guenci, si s'en est retomés. 



CHANT SIXIÈME. 217 

Le roi et tôt ses homes en a o lui menés; 

Des armes as Paiens ont lor chevax trossés, 

Et s'enmainent la proie : Dex en soit aourés! 

Saîns Jorges les a tos conduis à salvetés 

Dusqu'en Jherusalem, es les vos ens entrés. 
5U0 Les portes ont barées et les huis bien fremés. 

Adont primes s'ert d'ax Sains Jorges dessevrés. 

Li rais et li baron ont lor cors desarmés. 

Dont fu Comumarans isnelement mandés; 

Un fors aniax li ont entor les pies fermés. 

Li rois dist à ses frères: « Cornumarant gardés. »* 

Baudains respondi : « Si com vos commandés. » 

Sos en la tor David en est li rois montés. 

Les napes furent mises, li mangiers atomes. 

Li chevalier s'asistrent par ces rens lès à lès : 
5M0 Del boire etdel mengier fu moult grans li plentés. 

Li autre s*en tornerent el bore, à lor ostés. 

Chele nuit est chascuns dormis et reposés. 

Jherusalem gaita Dans Ferres li barbés, 

Atot .nn. mil homes garnis et aprestés. 

Tant ga itèrent la nuit que jors fu ajornés. 

Li Turc es plains de Rames ont lor fus alumés ; 

.XXX. mil et .vii«. en i ot d'escapés. 

Celé nuit ont Raimont tant batu les costés, 

Qu'en .XX. lexde la char en est li sans volés. 
54M Bien fu estroit loiés, si ot les iex bendés. 

El demain par matin quant solax fu levés 

Ont Turc saisi lor armes, si se sont ferarmés. 



S(18 LA GONQDtTIB I>« Oim^Um 



XII, 



Puis que 9^Ux l^asf^ m i9n fusl asçliirifU 
Forent Paieo armé, 3'Qnt tea^^us 84m^ 
A Cauc9iro epTDiarent j9^t^9Q?Qt lor mrâ ; 

Por l'estor ^qvoieFent d'Apre ei de œl ptli i 

A Erodd m^pdarenl del ^çeor» (uf^l ginfiids 

t Car ens ^ plains da Iiamfi9 l^s opi Pr^nc AMtltia; 

« El val de Jfosafos (11 Cornumarani pm, » 

5|M A Pelinaa ^nvpîeQt; et aiDor» lor eçcrU; 

ÇU gui y<^Bt dévora Acr^ ont peUt Turi» (Q^ilHi; 
N'i a rem^ Paten qui ne s'en soit fûts, 
A Cauquerie n'ot Persant m Ai^abiAf 
Les çastiax out trovés et vm et deseonSPi 
pt cil de 3elinas out lor ostei gerpis. 
A Barbais, k Pâmas, opt lor avoirs fufjs/ 
Xor firmes, lor maiauies et lor eafana petji ; 
Aine n'i et Sarrasin, qui taut par (uat hardUi 
Qui por le primo d'ax ne fuat espéurto. 

8M0 Encor n'ert Corbadas de Barbais departiSi 
Quant il oi la uovele que aes Ook estoit pris. 
Quant Sarraçin U distrent, monlt ce clama eiitis; 
11 dçront aea çbevox et depleoe son vis ; 
Eu plua de .?ci^. lej^ en est U sans aalia. 
< Hors, distr^iU Qù oMu? Car vjen et si m'ooU t 
t Ahii Cornumarans, biax dois flex, »)ro amUt 
« Vos eatirés U meudres de Tura ^ d'Afwbift ; 

c Aine si bardis Paiens ne fa ne mors ne ris! » 



fium nu^im* tlB 



XIII. 



Quant li mis Corbadas a la noreU dlê^ 
M70 Qae ses iiex esieit pris, U)s li sans U fiormie ; 
Il a d6stort ses poîns, s'a sa barbe $acbie( 
A sa vois qia'tl oi elere moult hiutemenl s'eacrie : 
c Ahi CornumaraBsl biax fiex, cfacre bardial 
f Jamais ne vos verrai ! maie mort, car m'i»^e i » 
— c Frère, dist Lueabiax, ao vos démentes mie; 
i Mais alons contre Tost qui nos vient en aïe ; 
c Morte iert Crestientés et lor lois abaissie. 
f Et li rois Godefrois ajt la test^ trei)cbie. 
i II n'i a Crestien qui s'ire ait aco|Ilie 
5«M c Qui ja Cornumarant par maltalenj;des.diel » 
A iceste parole sonerent Testormie. 
Chi) de Barbais s'en issent tôt à une bondie? 
Contre l'Amiral vont, Corbadas le^ enguip, 
L'ost Codant encontrerent à loée et demie. 
Dès le premerain chief où ele ert herbergie, 
Ot bien ,vii. l^ues lopges dusc'à l'autre partie. 
S'a .V. Jeues de lé, si com ele est logie. 
Tant a point Corbadas le mulet de Surie, 
Qu'il vint au tref godant, qui sire ert de Persie. 
SMC Devant une fontaine ert sa tente drecie, 
En çoste et ep yirçn ot bêle praerie. 

Oies conment la tente fu faite et establie; 
Jamais de si bon tref i^n iert parole oïe. 
Cbe fu roi Alixandre, au jor qu'il fu en vie. 
Ses 0¥res qui i aant n'est hèm qui nanAre an die, 
Ma bonnes Oamalios le flst {Mif trîflEirie, 



210 LA CONQUÊTE DB JteUSALEM. 

Par Tart de nigremance et par encanterie. 
Dès la première loi que Dex ot eslablie, 
I sont tôt li estoire paint d'ovre d'or polie; 
96M A cristal et à jaffes failicement ordie. 
Li jors et li solaus et la lune esclarcie. 
Les iaues et la terre et la mers qui ondie, 
Li poissons et les besles et li vens qui balie» 
La visons des estoiles, qui parmi Tair ternie ; 
Dex ne fist créature ne soit el tref bastie, 
A or et à asur visablement traitie. 

XIV. 

Moult fu riches li très, nus ne vit son parai. 

.XXX. quartiers i ot, tôt sont fait à esmal, 

Qui plus cler reframboient que ne font estaval. 
5510 Li .vn. art i sont paint à .i. plait gênerai, 

Qui desputent ensanble et de bien et de mal. 

Moult sont fait li quartier à ovre principal; 

Li maistre lac enlor sont trestot de coral ; 

Tôt li paisson estoient d'ivoire de roal, 

Li auquant d'ebenus, li pluisor de mirai. 

Et les cordes sont faites de soie enperial ; 

Dures sont el serrées plus que fers, ne mêlai ; 

Nés porroil trenchier arme d'acier poitevinal : 

Chascune est si legiere que ne poise .i. poitral; 
5520 Et le tref et les cordes trairoient doi cheval. 



XV. 



iloult est riches li très, bien en doit on parler, 
Mabomes Gomelins le fist tôt manovrer ^ 



CHANT SIXIÈME. 2S1 

Le tref toi environ ot fait moull bien ovrer, 

D'une liste à topasce, qui moult fait à loer; 

Moult i flst ricties perres en basme séeler, 

Qui si grant vertu ont, com jo vos sai conter : 

Hom qui le jor le voie ne puet on envoûter, 

Ne de puison ne d'erbe son cors envenimer. 

Tant i ot riches perres ens mis au manovrer, 
55S0 Esmeraudes, jagonces, por Tovre estinceler, 

Et autres riches perres, qui moult font à loer, 

C'on nel puet visalment véoir ne esgarder. 

Li très fu fais d'un paile c'ainc ne pot on trover 

Si bon, ne son parel ; sydor l'oï nomer. 

Ârans tissa le paile en .i. isle de mer; 

Por ce la fisl Pallas en iregne muer. 

Tote sovine file quant ele velt ovrer ; 

Le fil trait de son ventre, quant el Ta fait filer. 

L'estache qui'st si dure flst Corbadas fonder, 
5540 Dcl plus fin or d'Arrabe .mi. fois esmerer. 

Ne le porroit .i. hom en ses bras acoler; 

Mahomes Gomelins i fist sa loi fonder. 

Dex volt estre par force por sa loi affermer. 

Par le mont se quida faire Deu apeler : 

Nostres Sires nel volt soffrir ne endurer. 

A .1. josdi s'ala d'un fort vin enivrer; 

De la taverne issi ; quant il s'en volt aler, 

En une place vit .i. fumier reverser; 

Mahomes s'i colcha, ne s'en volt trestomer : 
5550 Là l'estranglerent porc, si com j'oï conter; 

Por ce ne velt Juis de char de porc goster. 

Droit à Mecque le firent Salehadin porter . 



îff LA GONOOÉlta M ifeOSiOEM. 

A .1. riehe Jai^, c|îi) moMC sot d'eàtantei'. 
En ralfflaine to firent eH métra et dèélei^ : 
ITest i eie)^ ne i terre; en l'air lé fontfohlèr. 
Encere le tant li H Païen 9wet; 
Sel serrent et honorent SarraeM el Edcler. 
C'est arts qui l'esgarde que iV 4oîe ve4ery 
Et à II geai paiene de s» boohe^ parler. 

XVI. 

ma Li très Sodant de Pèrsë fist forment à prM^iet. 
Li pomiax fa desore d'un escharbocle ehier^ 
De .XY. lenes lon^'es le voH on flanbbihier. 
L'image d'Apollin firent desus drechiét*^ 
.1. baston en sa main, por Franchois nraneohîèr. 
Maboikieii Gometin ont fait )08 abaissieir 
Del befroi où f) ert, tfii tos* eitoH d'onniei*, 
•xmi. roi d'Aufriqùetecorenténlbrachier. 
Enmi le tref te mtslrentde sos .i. paile dtier: 
Olant Sodant de Périe i énirà l'aversieY. 

5570 Si que païen l'oli^ent taborer et norsièr: 

< Païen, dlst Satenas, venës vos apoïhier 

c Cha avant) près de moi, car jo vos votl nonchier 

c Que la loi crestiene ferai jus* Irebachier. 

i Damtedex garrt son cHiet; la terre ai à baillietf. 

c Moie ert la conmandie, tôt ai è justiéhier, 

< Maf i trovûpài home qui Dex i doiiist loier : 

i Car jo vos doins tes vrngnes et lea blés k séièi'; 
c Les hérbeis et tes flors et les piéè por fauehiéi* ; 

< Moi doit on aféufrei^ seiVir et îfraoifier: ^ 



ftsso Quant PaiM VeûiettiitéHi, ioûi m â^etiditliér; 
Devant lut i'ëh tbébètent ptti9 dé itta. lliilUef : 
Li A. fikhtt^ k Tâùlfe à prist à dOn^eillef ; 

< En tel 0èù doit C)rhcfôii^,c(ai Savent VdUàidièr. » 
Moalt fa grande l'offnthde, qiiânt vint au rédréëhier. 
Les béé^nfr ne pdttassent, Je (Jdit, .dû. àoiùiêf ; 
Califiefà Tâ'postmleâ (Jontnénce à préschier. 

* O^^dèt ptëtidre .ïi. téiaë^ q[(ii li'a d'une inôillier, 
é Ot .iti., (m .niï., ùû .V., (ior nd foi èssaùchief ; 

t Càt ï'fâitcfhôis sbtii Vétiù nos terres catengier: 
&509 « laîi tiSt]Kf àtiâ dôtiùiàùdé ^ù^ésr aillons délrenciiier. i 

XVII. 

Califfe? fàpd^tdtes fU dejosté Mahôm; 

Et dist â^ SaMsiùs : c Oies ({ùô nos dirôâi. 

é Li Sddàiis Te cmmande et tiôs te conmandôn : 

< Chà^stftins d'oins engefit*et* soit tiiais ëîi sospecon ; 
t Car f randhorîs sont vetnl en ceste région. 

k ^U H Sôdaùs^ dônniànde ôôlrre (es aillon : 

• Notre terré déserte toté en restoerron ! » 

Et dist li Atâtlâiné : t Ce ïhe sàiiiblè raison. » 
Paiétt sont ëscrië : t Ënsamble Tolroion'. » 

ktktit es Cortbadlas étftrë el iKaveillôn, 
Li ssfges Ludabfal et ti vie^ Clarlôii. 
Cbasdaiïs de^tort ses poins, défont sôù à'ti(|ùéton; 
f W dal mâhreiït étttr'àx, alùd èî grànt ûè vit-oii. 
As p^éÀ godant â;e ïûistfefit trestol à éendillorï ; 
Ctf^bad^s^ a bài^i le plë et fe tâfoù. 
GàftebâdfiM'éïl (trécbà, lî frères ttùèîon, 



224 u gonqu£te de jébusalem. 

• 

De la loi paienie erl H plus sages hom. 
Li Sodans Tapela, si l'a mis à raison : 
f Dites-moi, Corbadas, avés vos se bien non ? » 
s6to Chil fa si abaubis qu'il ne dist o ne non. 
Il ne desist .i. mot por Tor de Besançon I 
c Sire, dist Lucabiax, ne sai que l'celisson: 
c Cornumarant son fil dès ier perdu avon ; 
c Ens en la tor David l'ont Franchois en priscm. t 
Dist li Sodans : c Taisiés, car demain le r'auron; 

< Tôt seront Franc mené en grant caitiveson^ 
c Et les femes qu'il ont as Turcs marieron. » 

Quant Corbadas l'entent, si haucha le menton 
Et dist à l'Amiral : c Se nos ce faision, 
9620 c Quitement arons France le rolalme Charlon. » 
Li Sodans se drecba, sa main leva amont : 
c Seignor, dist l'Amirax, jo fas deffension 

< Que Paiens ne menjust de pain ne de poisson, 
c Ne boivre vin, ne iaue, ne claré, ne poison, 

a Ne ne soit en séant, ne ne voist en maison, 
c Tant que Cornumarans soit jetés de prison. » 
Paien sont escrié : c Bone deffension 
c A fait li Amirax sor la geste Mabon. 
« Or puet très bien savoir li frères Phelipon, 
£630 c Robers de Normendie et li dus de Buillon, 
f Li quens Robers de Flandres, c'en apele Frison, 
• Que mal seront bailli, se nos les ataignon; 

< Chascuns perdra la teste par desos le menton; 

< Ja n'i aura .i. sol qui viegne à raaençoni » 
Lors font soner mil graisles et mil cors de laiton. 
Tant carchent dras et armes et autre garnison. 



aum sBriaoL ttS 

Les Bomiers vers Barbais enmainent H gâudoft. 
Quant furent arolé, se mentir n'en Toiom, 
CovBrIe en fu la terre .vu. leues environ* 

5M0 Chil bon cheval braiJissent et cil mur arragon, 
Et li olifant muietii et font tel braiilison, 
Et cil braquet glatissent, s'abatent cil gaigium, 
Et osloir et girfaut mainrnl tel batifon^ 
Mahon conduisi devant Calcatnis et Noiron 
El Danebors d'Averse et l'amirax Corbon. 
L'uns cbevalce .i. serpent et Tautres .l iioft^ 
Et li tiers .i. galant et li quara .i. gnfon ; 
Et Canebaus seoit sor le fil d*un dragon : 
Chil condaist l'oJiffânt qui ehevaiehoit Mahon. 

5050 Li dtacob canloient clerement à haut ton; 
Et salent as esptes Persant et Esclavon. 
La noise que il maineni de .x. teuas ot on. 

xvin. 

Moult par sont grans les os l'amirantdePersie; 
Tant i soneot de gmisles ensanble à une hie. 
Que li mont et H val el la terre en formie; 
La noise en ot on bien .x. ieues et demie. 
Li Sodans se séoit desus une augalie, 
Qui tôle ert faite d'or et d*ovne salâtrte. 
Sor son chief ot tendu .i. paile d'Aumarte, 
9060 Por la calof del ciel, qui deeor ans aigrie, 

•Xii. Turc le tenoient par fnouii grande maistrie. 
Li fiedans thevalchoii j. mni nair cenme pie ; 
Tant asibioît soa vet desos lui n'en sent mie; 



2i6 LA gonqu£te de Jérusalem. 

Ses chevols neVen crolle, ses pailes n'en bàliè. 

Li Amiraus avoit une jupe vestie; 

De sadoine ert li dras plus vermax d'une alie. 

La forréure en est de beste marmorie ; 

Ja nus bon qui la port n'aura mal en Toïe, 

Nen ert enpoisonés por nule encanterie; 
5070 Ne la chars de sor lui navrée, ne plaïe. 

.M. ans girroit en terre, ains qu'ele fust porrie. 

De'perres presioses fu la jupe closie; 

Qui tant reluisent cler, la terre en refianbie. 

.1. topasse ot Sodans à son col, qui verdie ; 

Le jor que on le voie n'ert veue përie ; 

Desor son pis gisoit sa grant barbe florie, 

Dusque vers le braiol blance con flor negie. 

Par derrier ses espaulles ert sa crîne vergie, 

A .nu. fiex d'ormier galonée et trenchie, 
5680 A botons jafTarins Tavoit estroit ploie ; 

Li cbapiax de son chief valoit tote Pavie. 

Plus de .L« roi de la loi paienie 

Vont entor l'Amiral ; lor espée ont sachie. 

Que paiens n'i aproche une lance et demie. 
Dusc'à Sur et à Acre est la gens eslormie, 

A Damas, à Cesaire et dusc'à Tabarie, 

Que li Sodans venoit o l'ost d'Esclavonie. 

Plus de .G. mile Turc de la loi paienie 

Vont encontre Sodant, à moult grant chevalchie. 
5090 Riche présent li font, chascuns l'aoure et prie. 

Or penst Dex de no gent, li fiex sainte Marie ! 

Car se li secors targe, malement ièrt baillie. 
Oies des Turs de Rames, qui li cors Deu maUlie : 



CHANT smiME. '227 

A Jhenisalem Yienent à bataille arramie ; 
Par devers Saint Esteule ont fait une envaïe. 
No baron s'en issirent, poignant à une hie : 
Ja sera la bataille fièrement enyaïe. 

XIX. 

Devant Jherusalem ont Turc le cri levé : 

No baron s'en issirent, poignant tôt abrievë ; 
5700 Li rois Godefrois a dant Perron apelé. 

c Sire, por Deu, vos proi, de garder la cité, t 

Dist Perres li hermites : < Jel fas outre mon gré. i 

Li rois s'en ist poignant, bien a son cors armé, 

El val de Josafas a Marbrin encontre ; 

Fiex estoit Sucamant, le fort roi coroné. 

Qui Bauduin trencha le flanc et le costé. 

Bien reconnut le roi, quant il Tôt avisé ; 

Ne Tatendist à colp por .i. mui d'or pesé. 

De si loins corn le voit, li a merci crié ; 
5710 Et li rois le saisi par le canfrain doré : 

Mais de mort ne de vie ne l'a asséuré ; 

A .im. chevaliers l'a li rois conmandé. 

En Jhersalem ariere l'en ont cil amené. 
Quant Sarrasin le voient, en fuies sont torné ; 

Onques puis por joster, n'i ot lance levé; 

Par effors de ceval en sont outre passé. 

Les puis et les montaignes en vont comme desvé ; 

Ghascuns de bien fuir a bone volenté. 

Et li rois Godefrois en a sa gent guié ; 
5720 En Jhersalem arrière en sont tôt retorné ; 



LA GOMQptffB Dl JtaJSALEM. 

Et Turc tas eu A. tsrito m sont toi arastt^ 

De juste .1. desniftaot feno el aflnè. 

Li un BMl plaint à Tautre; forment sont démente. 

c Seignor, ce diu Alis, moult sômes engnné I 

< Perdu avon Harbrin, fil Sucamant l'ainsné, 

< Del fiex Cornumarant devons moult estre iré : 
i Amenés le Franchois, si ait le chief colpé. » 

•— c Par moQ ehief, no ftH'ont^ dtst le ûer flalcoé ; 
c Aiûs Aurons m âosao«tres per lai enquiiéé. > 



XX. 



57M 01^ ti flex Maleoé : f Ptr mon chief ne ferèAs 1 
f Mais se on m*en vsit croire, a. mesager pnenons; 
f Droit en Jherusalem lai^ns envoiefons; 
€ Au roi et à ses fibres trêfos demandeix>ns; 

< Après, se il conmande, cesl Franchois li rendrons, 
c Mais que Comumarant ou Marbrin enr'aions f > 
Sarrasin s'escrierent t aidiés cest, Saint Mahtmf » 
Au roi ont envoie Margot et Faosaron; 

Si fu li rois Quarrobles, frère au Roge lion ; 
Avoc eis en alerent dasc'A .t. Esciavon ; 
57«o Porlent rains d^olivers et si portent colons: 
C'est de pais et d'amor signiOcacions* 
Au tref Godefroi Yienent, si ont dit lor raisons : 
c Sire, font li mesage, savés qné nus quèrons? 
c Que vos rendes as Tnrs .i. do tos .n. prisons : 
f II vos rendront te lor qu'ist apelès Ramoas ; 

< Et se vos ce ne faites, demain le penderons^ 
i Ou à trestot le moins le chief li eolperoi». » 



■ — -Il >. v 



GHANT snuiaiB. 289 

— i Seignor, ce dist H rois, et nos conseillerons : 
< Por .1. de ces paiens le Conte r'averons, » 

5750 Et dist Ferres i>rmite : < oies que nos disons : 
f Ja se Deu plaist por Turc le Conte ne perdrons; 
Mais l'un rendrons por l'autre, se faire lepoons. 
c Se Dex le nos rendoil, nos Ten gracierions, 
c Sire roi, pensés ent por Deu et por ses nonsf > 
Li rois vint as mesages, si lor dist son respons: 
c Seignôr, Cornumarant ou Marbrin renderons, 
«t Lequel que vos voirés. mais le nostre r'aions : 
« Et de si i trots jors les trêves créanton&. 
Li mesagers respondent c et nos les aiBons. » 

5760 Congié prenent au roi, vont s>nt à espérons. 
Et li rois Godefrois mande ses conpaignons : 
Li auquant ont bliaus, li autre siglalons; 
Tôt portent en lor mains vergeles et bastons ; 
Fièrement se contienent, regars ont de lions. 
Li rois fais as Ribans vestir les auquetons, 
Puis affublent mantiax de riches rermeillons. 

XXL 

Quant Ribaut sont vestu, mbnlt i ot bêlégdnt: 
If avoient pas a pris si riche garnement, 
.vu. millier sont par conte et si furent .vu. cent. 
5770 Li rois Godefrois fu hom de grant escient : 
Tos les affait passer devant Cornumarent : 
Et par devant Marbrin, qui fu fiex Succament; 
Et râtienent ariere parmi le pavement. 
.X. fois i sont passé et trestote lor gent 



1 



230 LÀ CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Et à chascune fois muoient vestement. 

Ce fu moult grant voisdie, sachiés le vraiemenL 

Cornumarans conseille à Marbrin coiement : 
Moult par a ci passé de chevaliers forment ; 
Jo n'i cuidasse mie de la moitié tant gent; 
57M c Bien se deffenderont contre cex d'Orient. 
Encor sont il .g. mil par le mien escient! 
Moult par est Godefrois de fier contenement ; 
Che fusl moult grant lèece s'il créist Tervagenl : 
A moiliier ii douasse la fille le Sodent. 
Ja puis n'auroient Franc nis j. deffendement. 
Car le tenissons nos de là le pont d'argent^ 
Jamais n'en revenroit, s'aurait fait no talent. 
Ou il perdroit la teste, sans nul rachatement. > 

— c Taisiés vos, disl Marbrins, parlés plus coiement ; 
5790 c Car se Francbois nos oent, moult ira malement ; 
Ja prendront de nos .ii. moult cruel vengement. » 

Li rois a fait Ribaus desvestir coiement ; 

Chascuns r'a endossé son povre garnement ; 

Les machues as cox, revienent en présent; 
. Doi et doi vont ensamble moult orgeillosement, 

Par devant les paiens tôt ordenéement. 

Li rois Tafurs i fu et Perres ensement : 

Chascuns porte .i. fausart, dont li achiers resplent. 

Li Ribaut regardoient les Turs iriement, 
5800 Lor macbures crolloient et rechignent lor dent. 

Dist Marbrins : < Par'Mabon ! fox est qui ces atenl t 

• Bien resemblant diaule, ysdeus sont durement ! 

< Qui cist atainderont livré sont à torment; 

« Je quit ce sont diaule, ou luilon; ou serpent. 



CHANT SIXIÈME. 231 

« Toi sont d'une sanblance, bien resanblent parent! 
Che dist Cornumarans : f cbist manjuent no gent! > 
Quant Marbrins Tentendi, si grans péors le prent, 
Que ii cors et li membre en furent tôt sullent : 
Ne volsist iluec estre por tôt lor d'Orient. 

XXII. 

3810 Moult furent li Paien por Ribaut effréé ; 
Marbins a tel péor près n'a le sens desvé. 
Li rois Cornumarans a le roi apelé, 
Le conte de Robais, Witasse le senë : 

< Seignor, dist li Paiens, par vostre loiauté, 
c Serons nos por Raimont anbe doi rachalé? 
« Por vo Deu vos proi jo qu'en dites vérité, 

« De Tocirre ou dei vivre qu'en avés enpensé ? » 
Dist li rois Godefrois : c Nos avons créante ; 

< L'uns de vos iert délivres, si l'avons devisé. » 
5S20 Li Paien mesaigers ont Raimont amené ; 

Au roi Godefroi l'ont maintenant présenté. 
Puis ont Cornumarant requis et demandé, 
Et li rois lor rendi, si l'a desprisoné. 
. Quant il Toi as Paiens rendu et délivré, 
Bauduins de Robais l'a forment acolé, 
Moult li prie qu'il croie Jhesu de majesté, 
Sa terre s'aura quite et tote s'irelé. 
Et dist Cornumarans : < Ja par moi n'ert pensé ! 
• Miex volroie le chief avoir del bus sevré, 
5830 c Et cbascun de mes menbres avoir del cors osté, 

< Que J'eusse Mahon guerpi et adossé! > 



' 



m U GONQUtri DE JÉRUSALEM. 

Li qiient Baaduins Tôt, de pi lié a ploré; 

Cornumarans se dreche; s'a congié denioflé. 

D'iluoques k .m. jors s'est as Frans atrevé. 

Ck)rnumaran9 monta, vait s'ent de la chitA, 

Et li rois Godefrois l'a à Deu commaûdè. 

Cornumarans les a au partir defTié: 

f Ja, ce dist, en sa vie n'ierent de lui amë; 

f Mar i auront fiance, ne nule séurté; 
BM» < Car ja n'amera Franc, ne II Crestientéi » 

Lors est d'ax deparlis, s'a le cheval linrté. 

Et tôt li mesagier en sont o lui aie, 

El II rois et li autre ont grant joie mené, 

Por le conte Raimont, que il ont raCiitè. 

Tant l'ont sovent baignié el d'erbes meciné. 

Qu'il l'ont de sa dolor gari et respassé. 

Moult ont nostre seignor graciié el loé. 

Mais de l'ost de Persie sont moult espoenté : 

N'est mie de merveille, s'il en sont effréé ; 
&8M Car si grans os ne fu, ce dist on, par verte. 

Jherusalem gaitoient chascune nuit armé. 
Chi lairai ore d'ax, n'en sara or parlé, 

Dusc'à petit de lerme i serai relorné. 
Tant a Cornumarans clievalchié et e.^ré. 

Qu'il vîntes plains de Rames, s'a ses Turs eûcoûtré. 

Isnelement les guie^ n'i a plus aresté ; 

Et ont tant chevalchié, point et esperoné, 

Qu'aji .X. leuesde Rames ont l'Empire eûcotitré. 

Tant par fu grans li os à Sodanl Tamiré, 
5860 Que Toi en sont covert li pui el li régné; 

Et li val et li mont jonchié et aresté, 



Dés qtie Dex ot Adan de la terre formé, 
Et Evain sa tnollier ausi de son costé, 
Ne vit on si grant ost, ce dit on par rerté. 
Bien sont x. et «l., que roi et atnirè ; 
Par .XXX. fois .c. mil sont Sarrasin nonbrë. 

XXIU. 

A dis leues de Rames fa Tost Sodant logié. 

De trés^ do pa veillons n*est hom qui nombre en die; 

.vn leues et demie tint lor herbergérie ; 
5870 Tos en est le païs et la terre vestie, 

Des pomiax et des aigles li païs reflatibie. 

Desor .i. faudestuef de Tovre salalrie 

Se séoit Tamirax^ par moult grant sei^norid. 

Enlor lui sont .c. roi de la loi paienie. 
Es vos Comomarant poignant et sa maisnie ; 

Descendus est à pié del destri^T de Nubie; 

El pafeillon s'en entre^ s'a la presf^e partie; 

Et vient devant Sodant, à ses piôs s'umelie. 

Ja li éust la jambe et la chause baissie, 
sssa Quant Canebaus l'en dresse, qui la teste ot florie. 

Corbadas voit son fil, Mahomet en mercle 

Et disl au roi Sodant : t Grans est vu seignoriè ; 

< Bien est par tôt le mont faite vo cômmandie; 

< Il n*est nus hom el mont qui l'osasi véer miet i 
Por Cornumarant fu, li os moult esbaudie, 

Et Mahon célébrés et la joie effôrcie. 

Quant là feste fu bieu célébrée et Jotd, 
Gornomanns parla ; bien fa sa vois Me : 



5M0 



234 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Par Mahoai Amirax, ne lairai ne vos die; 
Tôt sont ocis mi home et ma gent desconfie. 
En Jherasalem a moult grant chevalerie ; 
Le jor que jo i ving, lor fls une envaïe, 
El yal de losafas, oi la proie acoiliie, 
Crestien s'en issirent, à bataille estaJblie; 
Fièrement se contienent et par fiere arramie. 
Mainte lance i ot fraite, mainte targe croissie ; 
Pjris fui et retenus, ne sai que plus en die; 
Et li rois Succamans le destre lés n'a mie ; 
Bauduins li trancha à Tespée forbie. 
Vers les cox as Franchois ne valt arme une alie. 
Lor eçpées sont totes devant le pont croisie. 
Quant li rois Godefrois a la soie sachie, 
Se.il fiert .1. des nos sor Telme qui verdie, 
Et lui et le cheval tranche com rain d'alie ; 
Si soef li toit l'arme, que li cors n'en sent mie. 
Marbrin a en prison en la grant tor antie : 
.L lor conte presismes, dant Raimont de St-Gille, 
For celui fui rendus, Marbrin ont en baillie : 
Mais s'il ne croit Jhesu, moult est corte sa vie. 
59to Quant li Sodans l'entent, tos li sans li formie : 
Mahomet en jura, que il aore et prie, 
Que le matin sera la cités assegie. 
Et se il ne se rendent, la cités iert froissie. 
Et dist Cornumarans : « Jo ai trêves plevie; 
c Enfresi c'a trois jors, ma foi en ai plevie. 
t Miex volroie estre mors que ele fust mentie : 
« Ains que ce viegne au jor, iert si no lois hauchic 
c Et la gent Godefrois de nostre ost esmaïe, . 



CHANT SIXIEME. S3K. 

< Qa*il se rendront à nos, s'iert la cités saisie; 
5920 « Prisons les enmenrons el règne de Persie ; 

€ Nostre terre déserte sera d*ax raenplie, 
« Et des oirs qui naistront poplée et arengie. 
^ < No lois en iert montée et la lor abaissie ; 

< Par la terre de France ira no conmaudie, 
f Et s'il i a celui qui vo commant desdie, 

< De maintenant li ert la teste réoignie 1 v> 

— c Par MahonI bien a dit, distli rois de Nubie. » 
Geste raison laissiërent; la nuis est aprochie ; 
Paien vont à lor tentes, grans fa la tabarie ; 
5930 D'estives et de cors font tele meloudie. 
Près de Jherusalem en est la vois oïe. 
Or ait Dex no gent, li fiex sainte Marie, 
Car si le secors targe, malement iert bailliet 

XXIV. 

Moult par fu grans la noise la nuit en l'ost menée ; 
Mainte lanterne i ot esprise et alumée. 
Del fu qui reluist clerc est la terre enbrasée. 
Que grandismes .x. leues en reluist la contrée. 
El demain par matin, quant l'aube fu crevée. 
Ont lor très destendus, lor vitaille tressée 
5940 Et lor armes carchies et lor chose aprestée. 
Li Sodans commanda que Tost soit tote armée, 
De si es plains de Rames n'i ait fait arestée. 
Lors s'arment Sarrasin, sans nule demorée : 
Plus de .XX. mile cors soaent à la menée; 
Dusqu'en Jherusalem en est la vois alée. 



9M LA COHqotn DE JâlUBALBi. 

La gent nostre Seignor en fu moull effréée, 

Et li os de Persie est trestote arotèe. 

•vu. leaes environ en est terre poplée. 

Li Sodanschevalcha par moult niîste pognée, 
am De sor le Maigreroor, à la teste eslelée. 

Qui onqnes por ahan n'ot la quisse soée; 

Miex cort puis et montaignes c*autres chevax valée; 

Plus a les ongles durs que nnle fans temprèe; 

Bien corust .xxx. leues tôt d'une i*andonëe, 

Et si portast de fer plus d'one grant carée. 

Li chevax fu envers d'une porpre roée; 

La sele en ert d*lvoire, à topasses ovrèe; 

Mainte esmeraude i ot en basme enséelée, 

Qui plus relnisoit clerqne candoile embrasée. 
59M Devant son pis gisoit sa grant barbe meslée, 

Dusque sor le braiol, blance com flor de prée; 

Par derrier les espaulles ot sa crine jetée, 

A botons jaiïarins trechie et galonée; 

El ot d*un riche chercle sa teste coronée, 

Qui valoit de fln or une mine combli^è. 

Yestu 01 l'Amirals sa grant jupe forrëe : 

Ne sai que jo vos face de lui plus devisée ; 

Aine si bone ne fu véue, n'e-'gardée. 

Es destrois d'Acilant fu faite et porpensée; 
5970 Iluec Tovra Paullas. o lui Morge la fée. 

Li Amirax tenoit une verge qnarrëe ; 

Del plus fln or d'Ârrabe dedens éloit crosée, 

A perres pre^ioses ert toie botonée ; 

De lex en lex estoit porlaillie et troée. 

Quant li vens s'i feroit, par chacune bofféè, 



CHANT SIXIÈME. 237 

Aine ne fa chans, ne note, ne vois n'i soit cantée. 
Ne nule mobudie, qui n'i soit orgenée. 
Si com Sodans clievalclie est l*amertë jetée, 
Li bosmes et li jons, la rose encolorée. 

9980 .G. et .L. Turc de la gent delTaée 

Vont entor TAniiraut, chascuns traite l'espëe; 
N'i a cel n'ait à lui sa raenchon donée. 
Hoult par fu grans li os, quant ele fu armée ; 
Par puis et par monlaignes est tote acheminée; 
Dès l'un cliief dusc'a l'autre ot près d'une jornée. 
Sonent cors et buisines, graisles à la menée, 
Que li mont en tentissent, s*i respont la valée. 
Des destriers auferrans est tel porre levée. 
Que de Jlierusalem en voit on la nublée : 

9990 La gent nostre Seigneur en est moult effréée. 
Ce n'est mie merveille, s'ele est espoentée. 
Qu'aine si grans os ne fu véue, n'esgardée. 
Li Amirax en a sa grant barbe jurée: 
Ja ne relornera s'ara France gastée. 
Et la gent crestiene prise et encaénée: 
Qui ne cresra Malion, sa teste aura colpée t 

Mais se Damiedeu plaist, sa barbe iert parjurée ! 
Se Dex garist les princes de la terre salvée. 
Qui vers Jlierusalem ont fait la relornée; 

eooo II ont del flun Jordain dusc'à l'iaue passée; 
Tote sera h os Sodant desbarelée 
Et la paiene gent desconfite et matée. 



CHANT SEPTIÈME. 



a^RGUMENT. 

Les Sarrasins font porter des objets précieux autour des murs de 
Jérusalem, pour attirer les Croisés hors de la ville.— Godefroi de 
Bouillon s^efforce de retenir ceux-ci; — Mais Pierre J'Hermite 
prend les armes et va attaquer le camp des inlld^les en compagnie 
des Tafurs. — 11 est assailli de tous cOtés, et, malgré sa défense 
énergique, tombe au pouvoir des ennemis. — Il est amené devant 
le Soudan, qui i^engage à renier sa foi et à adorer Mahomet. — 
Pierre se conforme en apparence à ce qu*on lui demande. -^D^après 
ses conseils, le Soudan envoie un message à Godefroi pour rengager 
à rimiter et lui faire, s*il y consent, les offres les plus brillantes.— 
Le roi fait passer iVmée des Oroisés devant fe messager, que cette 
vue remplit de terreur. •— Godefroi défle un Turc, qu'il coupe en 
deux, ainsi que son cheval, avec son épée.— Douleur du Soudan en 
apprenant cette nouvelle. — Il vient avec son armée innombrable 
assiéger Jérusalem. — Godefroi encourage les Chrétiens à attaquer 
résolument les ennemis. — Il adresse à Dieu une longue prière. — 
Renouvellement du miraiie du cierge embrasé par le feu du ciel.* 
Les barons qui a\ aient quitté la ville après le couronneaient de 
Godefroi de Bouillon viennent le rejoinJre.— L*armée des Croisés se 
range en bataille hors des murs de Jérusalem, dans la plaine de 
Rames.-- Le Soudan se fait nommer par Pierie l'Hermile les chefs 
des différents corps à mesure qu'ils se présentent. 



CHANT SEPTIÈME. 




uimais orrës canchon de bien enluminée; 
Onques par jogléor ne fa meadre contée ; 
Et si est ventés, en la Bible est trovée. 



I. 



Li Amirax chevalce o son empire grant ; 
.G. et .L. mile sont ens el chief devant. 
Chil conduient les Dex Mahon et Tervagant 
Et le riche trésor à Tamiral Sodant. 

0010 Califfes en apele Canebaut et Morgant 
Et le Tiel Amulaine, son frère l'Amustant, 
Ector le fil Aresne, et le roi Gloriant, 
Calcatras l'Aupatris des puis de Bocidant, 
Et le viel Aeroffle, Toncle Cornumarant, 
Le roi de Quegneloigne et son frère Rubant, 
Comuble de Monnoble et son frère Ataignant; 
Et Miradas de Cordes, Lucifer TAmirant : 
En sa compaigne estoient Lunor de Moriant, 
Butor et Danemont, Marjari le puissant, 

0ttt Galaffre et Estele, Corbon et Sospirant, 
Fabur et Halcoé, le frère Solimant : 

16 



242 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Atoc ax apela le fier Cornumarant: 

« Seignor, ce dist Califfes, entendes mon sanblant. 

< Faites faire vos chasses fors mètre, jel commant; 

c Les riches filateres de Tor Ârrabiant, 

€ Et le vaisselement qui tant par est vaillant. 

« .X. mil Paien les portent vers Jarsalem ayante 

i Et vos, à .G. mil Turs, les aies porsevant. 

« Se Franchois voient Tor, moult riront covoitant; 

MM « Por le prendre istront fors, et vos venës poignant; 
c Les testes lor colpës ileuques maintenant, t 
— e Par MahonI dist Codris, cest mos n'est pas d'enfant I 
c L'apostoles Califfes dist conseil avenant! 

Dont vont isnelement les cofres deffremant. 
Le trésor et les pailes en vont li Turc traiant, 
El les grans filateres de Tor Arrabiant. 
Entre lor bras le vont li Sarrasin portant, 
A granl porcession et clerement cantant; 
Li Achopart aloient environ carolant : 

0040 Tôt ce font par engien li quivert mescréanl. 
.LX. mile furent tôt bon archer devant, 
Et autre .c. millier tuit eslit et poissant. 
Qu'il n'i avoit celui n'ait bon cheval corant. 
Et clavain et bon elme et espée trenchant, 
Dart molu et grant cane et machue pesant. 
Toi chil sevent de loins le trésor l'Amiranl. ; 
Gonfanoner ont fait del fier Cornumarant. 
Chil aist sor Plantamor, qui si cort desrubant. 
Par isi grant vertu vait li Turs chevalchant, 

6050 Que les fers des esiriers vait desos lui plotauL 
Moult aloit son espié par fierté paumoiant 



CHANT SEPTIÈilB. 343 

Et le roi Godefroi, Baudoin manechalnU 
Mais or les ait Dex pat* son disne conmantt 
Se li rois et si homd sdnt chà defors issaiit, 
Tôt seront mort et pris, ja n'en auront gai'anl. 
Mar voit on maint avoir que on vait oOTôitant. 



II. 



Ll Amirax cbeyalee et ses rlces barnéd. 
De si es plains de Rames n'en est .t arestë^ ; 
Mais li trésors en est à Jursalem portés. 
0000 Par deters Saint Esteule, qui por Deu h tués, 
A eaillaus et à perres ocis et lapidés. 
Iluec est li trésors tos mis et assanbléSé 
Li diacob disoient : i Gha tos mains catolé^l r 
Et li rois Qodefrois est sor les murs montéls^ 
Bauduins de Rohais qui prox fu et membi^és, 
Et li rois des Ribaus et Perres li barbés ; 
Gbcfraliôr et Ribaut, gent i ayoit assés. 
Par devant sor le mur est li rois acotés : 
Li bons rois Godefrois les en a apelés. 
0070 c Seignor, dist il à aus, .i. petit m'entendes. 
« Jo vos proi qu'il n'i ait nul de vos si osés 
« Que de la cité isse, por chose que veés. 
t Cest engieng que Turc font de lor or esgardés 
c Li agais des Païens n'est mie loins remës; 
« Il ne requerent mais que nos issons as prés, 
« Por prendre le trésor qui là est amassés. 
< Hais se Jhesus de gloire nos avoit tant amés 
i Qu'il péust estre pris encore et conquestés, 



244 LA GONQCÉTB DK lÂRUSALKK. 

i Iganment Yos seroU partis et deyisés. » 
OM» Et Franchois respondirent : < Sire, à vos Tolontés ; 
i Ja por nule aventare n'ert yos commans yëës. » 
Quant li rois les ot bien haitiés et confortés. 
Sas en la tor Dayid en est tos seûs montés ; 
Et Yoit Paiens et Tars tendre loges et très. 
Le paîs et la terre yoit coyrir des armés. 
Li Rois reclame Deu et ses saintes bontés. 
« Dex, dist*il, sire Pères, car yos pregne pités 
a De yo petite gent, qui por yos sont remés, 
« Por garandir la yile où yos cors fa percés, 
6090 c Et le disne sépulcre où yos cors fu posés. 

< Sire Dex, s'il yos plaist, onques ne consentes 
c Que mais i soit Diaules senris ne honerés ; 

€ Et s'il est Dex ensi que soffrir le yolés, 

t Que par les mescrëans soit prise yo cités, 

c Et yos poples i soit ocis et affolés : 

c Dont yos proi jo, biax sire, que yos de ce m'oés, 

c Que tôt premièrement i soit mes chiés col pés: 

i Car miex yoil estre ocis que en prison menés! 

< Hé, Barnages de France, où estes yos aies? 
0100 c En ceste sainte terre tôt so( guerpi m'ayés : 

tt Assés i sui tos sols encontre tant malfés t 

a En tel point me guerpistes, jamais ne me yerrésl 

< Se pris ert li sépulcres ne à honte livrés, . 
c Moult en iertabaissie sainte Crestientési » 

Adont plora li rois, s'a ses chCYOx tirés, 
Onques Dex ne fist home qui de mère soit nés. 
Se il yéist le roi, ne l'em presist pités. 



CHANT SEPTIÈME. 248 



III. 



Quant li rois Godefrois ot finée sa plainte, 
A lai sol et à Deu a dit parole mainte : 
0110 Et voit Vost des Paiens dont la terre est achainte; 
A Deu dist sa proiere ; n'i ot parole fainte. 
Et quant il Tôt finée, sa bone espëe a chainte. 
Et puis l'a trait del fuerre en son poing Ta estrainte: 
< Espéet dist li rois, encor vos ferai tainte 
c De sanc à Sarrasin, dont la vie iert estainte ; 
i Anchois que jo i nniire, i ferai tel empainte, 
i Se Deu plaist et sa mère, dont m'arme sera sainte! > 



IV, 



Quant li rois Godefrois ot fine s'oroison, 
L'espéemist el fuerre, quant ot dit sa raison, 
oiao Puis a levé sa main, si flst benéichon; 
Les degrés avala contreval le donjon ; 
Venus est à sa gent; qui sont en grant frichon. 
II liont demandé: < Sire quel le feron? 
« Se vos le comandés, por cel trésor iron. » 
— € Seignor, ce dist li rois, se vos plaist no feron : 

< Nus nen istra là fors, cha dedens nos tenon, 
t Car engigner nos volent cil Sarrasin félon : 

< Se nos issons là fors, jamais n'i entreron. 

< Mais soions trestot coi et si les esgardon. 

oiso < Se Paien nos assalent, très bien nos deffendon, 

< Et le bien et le mal cba dedens prenderom. » 



Wi LA CONQUÊTE DE HÈRUSALEM. 

Li rois Tafurs Tentent, si fronchi le grenon; 

Par maltalent en jure le cors saint Lasaron, 

S'il ne le laist issir, jamais n'estra ses bon, 

Et s'ira totes voies, ou il le voille, ou noa. 

S'il s'en devoit aler coiement à larron. 

"- a Qu'est ce, dist-il, diaule I Somes noseQ prispn? 

< Lor trésor nos aportenl et prendre ne l'oson ! 

< Se jo ai qui m'en croie, nos le gaaigneron t 

unà < Nos savons tôt de voir que tôt de mort morron, 
« Et celui por Jhesu conquérant le soffron , 
a Que nos de devant Deu reproche n'en aion. 
ç( Issons nos ent là fors, de par saint Lasaron t 
c 0\\ tôt z]iort, ou tôt vif, onques el n'en faispQ. 
« Car se jo ai cheval, qui me port de randon, 
t Sodant irai ocirre dedens son paveillon; 

< Moi ne caut, se jo muir, puis c'aura! fai mon bon t » 
Et Ribaut s'escriërent : « Et nos tôt vos sevron ; 

« f^ por péor de mort chertés ne vos fauron i t 
01M Dist li rois Godefrois: « Or parlés par raison. 
« Miex voiroie estre mort que nos vos i perdqa : 
t {^0s trêves sont encore, ce seroit traïson t 

Quan que Tafur mejioient lor noise et lor tenchon. 
Es vos Cornumarant poignant à esperon, 
.G. mile sont o lui, que Turc, queEscIavoq; 
Dusqu'encontre no gent vint poignant de randon ; 
A haute vois s'escrie: « Les trêves vos rendon; 



fl 



Tôt serés jnoTi et pris, se n'aourés Mahon i 
< Mener vos en ferai en grant caitiveson; 
6160 c Et Sodans fera pendre vostre hermite Perron, 
i l^ .1. 3pls n'en vpnra de vos à raenchon I » 



CHANT SEPnBKB. tl7 

Dist li rois Godefrois: < Se Deuplaist, si fèron. » 
A haute rois s'escrie: < Or aux armes, baron! 
< Mais jo vos proi par Den qae trop nés encauchon, 
( Le maistre cor sona de St-6ille Raimom 

V, 

Quant Raimons de St-6illes le maistre cor sona, 
La gent nostre Seignor moult tost s'apareilla ; 
Dans Perres li bermites Godefroi apela. 
• Sire, par vostre amer, serai jo armés ja. » 

6170 Isnelement et tost son haubert endosa, 
Et li rois Godefrois son elme li lâcha. 
Hais ains cauche de fer TErmites ne csiqpha, 
A son flanc senestrier .i. brant d'acier chaint a ; 
.1. cheval li amainent et Perres i montât 
Et li quens Bauduins son escu li puira, 
Et §es frères Witasses la lance li bailla. 
Pères la sent légère, à terre la jeta: 
Un^ grant perche a prise, par devant Tagiûsa, 
La mort Deu a jurée autre ne portera t 

0180 Quant Perres fu armés, fiere coutenanqe a; 
Par isi grant vertu es cheval s'aflcha. 
Que li estrief rompirent et la selle quassa. 
< Qexl dist li rois Tafurs, quel chevalier chi a I 
€ Bien a passé .v. ans sor cheval ne monta, 
. « Ne ne vesti haubert, ne de lance jo&ta, 
( Ja des armes porter bien ne si aiderai » 
Et Perres a juré la mort que si fera ; 
Se il ataial Païens, tant en trébuchera. 



248 LA GfflfQtlÉTE DE JÂRCSALEIf. 

Qae li riches Sodans s*ea esmerveillera. 
61M Perres est descendas, son cheyal rechengla. 
Et li rois Godefrois dolcement li aida. 

Quant Perres fa montés, si dist : c Or i paiTa, 
i Qui de ceste bataille le pris en avéra, 
c Moult sera chil bonis, qui por Paiens faura. » 
Au retorner arrière dist qu'il le gabera. 
Bien s'afiche dans Perres que il s*esproTera ; 
Se ses cbevax ne cbiet, Gomumarant prendra. 
Mais se Dex nel secort, ja n'en retorneral 



VI. 



De Jherusalem ist li rois et sa maisnie ; 

oaN Tant com cbevax puet corre, à plain cors d'escollie, 
Se vont ferir es Turs, nés espargnerent mie. 
Là oissiés tel noise de la gent paienie, 
De lances et d'espées si grant carpenterie. 
Que .n. leues pleniers a on la noise oie. 

Dans Perres li bermitesi à la barbe florie, 
Sist sort un bon destrier, des espérons Taigrie. 
L'escu prist as enarmes, s'a l'espée brandie. 
Par le mien escient ja i aura folie I 
A l'esmovoir qu'il fist, a la perce brandie : 

«210 Car ne la sot porter encontremont drechie ; 
Entre lui et l'archon l'a en travers cochie, 
Et ses cbevax s'en va par moult grant arramie. 
Vers le trésor l'emporte li destrier de Nubie. 
Or l'ait Dex en sa garde, li flex sainte Marie I 
Païen li vont devant, qui li cors Deu maldie ; 



CHANT SEPTIËIIE. 119 

En mi la gregnor presse est la perce croissie ; 
Son destrier li ont mort la pute gente haïe« 
Quant Perres li hermites voit sa perce froissie, 
Et son cheval voit mort, n'a talent que il rie : 
0220 Isnelement et tosta Tespée sachie; 

Sa targe qu'il tenoit a ens el camp laissie: 
A .n. mains flert grans cox de Tespée forbie ; 
Fièrement se deffent, mais n'aura point d'aïe : 
Car loins est de no gent plus d'une grant archie : 
Moult est Perres enclos de la gent paienie. 



VIL 



Quant Perres fu enclos de la gent l'aversier, 
Se il en fu dolens, nus n'en doit merveillier. 
A .11. mains flert grans cox de l'espëe d'achier ; 
A .1. perron qu'il vit s'est aies apoier ; 

0380 Par devant se deffent, qu'il n'a garde derier. 
Qui là véist Perron Sarrasins delrenchier 
Et l'un mort desus l'autre abatre et trebuchier, 
Por noient i venist nus meudres chevalier. 
Et Paien l'assalirent, bien furent doi millier : 
Mais n'i ot si hardi qui l'osast aprochier. 

Quant il voient l'Ermite si lor gent damagier, 
Arrière se sont trait li félon losengier. 
Car Perron redoterent, qui le corage ot fier. 
Qui ausi les regarde com les volsist mengier. 

oMo Or dirons de no gent (Dex puist Perron aidierl) 
Qui sont ens en l'estor et merveillox et fler. 
Del caple des espées, del cri et del noisier 



mo LA cosmtrK DK ateusALsai. 

Font SOS lor pies le terre croller et formiier. 

Là Téissiés le roi Godefroi bien aidieri 

Ses frères et les autres as brans les rens oberquier ; 

Au ferir des espëes sanblent bien cbeyalier. 

Ou Turc veillent, ou non, lor font le camp laissier; 

Ferant les ont menés le trait d'un arc manier ; 

Dus c*otre le trésor ne finent de carchier. 

0250 Hais onques .i. sol point n*en volrent manoer. 
Quant voient Sarrasin ne s'en voiront earohier, 
Lor ensaigne escrierent, si tornent li archier. 
Moult angoissent no gent de traire et de lanchier. 
Nés puet garir haubers, tant soit menus maillés. 
Ne lor facent les flans et les costes sàinier. 
A ioel poignéis nos ont ocis Gautier, 
Godescal et Simon, et d'Estampes Rogier, 
Et Acart de Monmartre, jet Rohart de Poitier, 
Et Guion d'Aubefort et son frère Rainier. 

mo Moult i ot de no gent iluec grant destorbier. 

Quant li rois voit ses homes iluec amenuisier. 
De maltalent et d'ire quide vis esragier: 
Jherusalem cria : « or avant chevalier 1 
« Ghascuns penst de sa vie et de lui calengier i » 
Dont mssiés la noise et le cri efforchier. 
Qui il fierl de l'espée sor son elme d'achier 
Tôt le vait porfendant enfresi qu'el braier» 
Si frère et tôt li autre sont del ferir manier, 
En sanc et en chervele firent lor brans J^aigoier. 



(MKJST SEPTIÈIDE. 3B1 



VIII. 



0270 HottU fa grans li estors et miste U bataille. 
Es vos te roi Tafur, avoo lui sa piétaille: 
Chascuns porte cotel ou hache qui bien taille; 
Moult durement i flert sor Turs la ribaudaille. 
Il lor trenchent les testes et traient la corailIe« 
Turc traient plus menu que vens ne pace paille. 
Et li rois des Tafurs fièrement s'i travaille, 
De la faus acherée si fort les esperpaille 
Qui il ataint à colp n'a talent qu'il s'en ailla. 
Ausi U fuient Turc come leus berbialle; 

6280 Aine n'i et si hardi qui encontre lui aille ; 
Ne Tatendist li mendres, por tote Cornoaille I 
Cornumarant apele TAmirant de l'Escaille : 

< Par Mahomet no Deu t Ne quit que riens nos vaille ; 
c Car ci nos sont venu ne sai quele frapaille, 

< Qui ochient no gent et font grant decipaille; 
c Che sont de cex d'infer aucune diablâillei » 

Quant TAmirax Toï, s'embroncha la ventailte. 
De la péor qu'il ot, trestos s'en escolaille ; 

< Par Mahomet I dist-il,jo sai de voir, sans faille, 
«200 c Tôt serons desconfit ens en la definaille : 

« Mal nos est encontre ens en la commench&ille. > 



IX. 



Quant Cornumarans voit li Hibaut sont venu, 
Il escrie Damas, et tint le brant tôt nu ; 



1 



28Î LA gonquAte de JÉBUSàLEII. 

PUnUmor point et broche qui randone menu ; 
Avoques lui estoient .xn. mil mescréa, 
Sor les Ribaus sont tôt à espérons venu. 
Là ot mainte saiete d'arc turcois destenda ; 
Moult en i ot d'ocis, car d'armes erent nu : 
Ja fassent les Ribaus et mort et confondu, 

esM Mais li quens Bauduins les a bien secoru. 
Là ot maint colp d'espée sor Sarrasins féru, 
Et maint poing et maint pié et maint menbre tolu : 
Des mors et des navrés sont tôt li camp vestu. 
Li rois Godefrois tint le brant d'achier molu. 
Des espérons à or a brochié Ghapalu; 
Comumarant encontre, moult grant colp l'a féru 
Amont parmi son elme, qu'il ot à or batu, 
Que les flors et les perres en a jus abatu. 
Li espée guenci, si descent par vertu; 

0»it Devers senestre part tôt contreval Tescn ; 
Tôt colpa, outre en outre, quanqu'il a conséu 
S'il l'éust bien ateint, tôt l'énst porfendu. 
Quant Gomumarans ot Godefroi connéu, 
ITatendist l'autre colp por tôt l'or qui ains fu ; 
Outre sevait poignant, à plain cors estendu ; 
Et li rois Godefrois vait ferir Malagu. 
Fiex estoit Agolant et niés l'amiral Hu ; 
En .n. moitiés le trence en travers par le bu ; 
L'une moitié emporte li bons destriers grenu. 

6810 De si à l'ost Sodant ne sera mais tenu. 
De cel colp furent moult Sarrasin esperdu. 
En fuies sont torné li quivert mescréu. 
Cbil ne seront huimais en bataille vén, 



CHANT SEPTIËIfE, 253 

Ne por poindre après aus ataint ne conséu. 
Et li rois s'en repaire, car le camp a vencu. 
Mais de tôt le trésor n'ont il .i. point méu. 
« Hélas i ce dist li rois qael perte avons éul 
• Jamais ne serai lié quant Perron ai perdu i » 



X. 



Dedens Jherusalem fu grans li dels menés; 

MM Por dant Perron l'Ermite en i ot maint pasmés; 
Et li rois des Tafurs s'est sovent démentes, 
Sovent se claime las, caitis, maleurés: 
Hais li rois Godefrois les a reconfortés. 
• Seignor, por amor Deul envers moi entendes, 
c II puet estre moult liés s'il est por Deu fines, 
c Une rien vos dirai, et vos bien m'en créés: 
c Por tant comme jo vive, n'ert prise la cités, 
c Chertés mex ameroie tos estre desmenbrés, 
c Que mais i fust Diaules servis ne honerés. 

esM c Bone créance aies, Diex iert nos avoésl 
c Se il nos veit aidier, ja mar vos doterés. i 

Quant li rois les ot bien haitiés et confortés. 
Son frère Witasse apele: c De Tiaue me calfés^ 
c Ne puis ester m'espée, si m'est le poings enflés, i 
— c Sire, ce dist Witasses, si com vos commandés. » 
Tant fu li bras le roi et ses poins caudumés. 
Que moult à très grant paines li est li bras ostés. 
Puis commanda Antiaume, à .vn. mile d'armés, 
Fust la chités gaitie : ses dis fu avérés. 

esso Ghi lairai de no gent que Dex a mouU amés; 



SM LA GONQQÉTB Dfl l]ia«8ALEIf« 

Si dirai de Perron^ qui estoit adossés 

A une perre bise^ où il art acoslés. 

De Turs et de Persans i fa moult apressés ; 

As ars turcois de cor estoit sovent bersés; 

Hais Jhesus le garda, n'erl mie encor narrés. 

Es vos Cornumarant poignant tos abrievés ; 

A haute vois s'escrie: c Yeillars, n'i duerrésl 

• Ja vos ferrai el cors, se vos ne vos rendes, 
< De cest fausart trenchant que vos ici veés« 

0800 c Rendes vos orendroit ou aparmainmorrés! 
c A Sodant vos rendrai par ces grenons mealés. » 
Et dist Perres Termites c se Deu plaist, no ferés; 
. c Ainchois que m'aies pris, moult chier le comperrés. 

• Moult par serés hardis, se à colp m'atendé& » 
Il est passés avant, ses bras fu entesés. 
Cornumarans cort sus, ausi com fust desvés. 

Li bers guenci arrière, qu'il n'i fu adesës. 
.1. fausart tint trenchant, à Perron fu jetés ; 
Très parmi le wi bus li est outre passés : 
Par vertu l'a empaint, l'Ermites est versés. 
Cornumarans s'escrie: t Gel veillart me tenésl » 
6S70 Sarrasin le saisirent, de .c. pars fu cobrés. 
Les poins li ont loiés et les .n. iex bendés ; 
Moult fu vilainement et sachiés et boutés. 
Sor .1. cheval le trossent, à l'osten fu portés; 
Au maistre tref Sodant iluec fu présentés^ 

Li Amirax commande que lues fust desarmés. 
Si fa il maintenant et ses elmes ostés. 
Moult estoit li bermites grans et gros et quarrés: 
Le barbe ot longe et drue, les grenons Imis et lés ;. 



CHANT «ipniiiK. 918 

Et la tate loetie, les ohevox eomeslés. 
0S8O Car il rroit .n. atis qu'il n'ot esté lavés^ 
A itue^ n'a lissiTe^ ne peigniés, ne gravés* 
Tos e&toit ses visages tains et enmaiientés. 
Grant ot Teliitroilléure et si othàut le nés; 
Plus fu fiers li Hermites que ors deschaenës. 
Perres estrainst les dens^ s'a les grenons levés^ 
Moult a les Aaiuachors et les rois regardés: 
Il rebrache ses manches, .nu. fois s'ert molles^ 
Ja saisist rAmiral, quant il li fu ostés. 
Ganebaus li escrie : « Amis tos cois estes, 
0S90 c Ja serés detrenchiés, se vos vos i movés* » 
Li Sodans li demande: i Amis, dont es tu nés? 

Et quës est tes lingnages et tos tes parentés? 

Dites moi qui vos estes, gardés ne me celés. 

— c Sire, dist li Hermites, tôt le voir en erres. » 



XI. 



Li Amirax Sodans en apela Perron : 

< Dites moi, Biax amis, conment avés vos noat 
« Sire, dist li Hermites, janel vos celeroii. 

< Dechà mer et de là Perron m'apele on : 

c Si fui nés à Amiens et s'i ai ma maison. * 
Moo Ains que Perres éust finée sa raÎBon, 

Le covint lues pasmer dedens le paveillon. 

Quant TAmirax le voit, s'apela Lucien ; 

Cb'ert li plus sages mires c'onques eréist bos hem. 

«^ Or tost, dist li Sodans, faites une poison : 

« 6«rî99és moi cest Franc, sans graaidenioroison. » 



c 

« 



ÎSn LA GONQDATE OE JÉaUSALBIl. 

Chil deffrema son coffre, s'en traist marabion : 
C'est nne saintisme herbe qae trora Sàlemon, 
Qni jeta les .vu. sages de chartre et de prison. 
Puis que Perres en ot trespassé le menton, 

eut Li sana sa grant plaie, dont peroit li polmon ; 
Plus fu sains et legiers qu'esperriers ne faucon. 
Sor .h buffet d'ivoire, dont sont d'or li timon. 
Le fist seoir Sodans, en costé Rubion : 
Et de l'autre partie rova seoir Tahon. 
Gorsubles siet à destre, et l'aupatris Mabon, 
Et si sist TAmiraus et TAmustaus Noiron, 
Et li riche Amulaine sist de sor .i. tolon. 
Qui tos ert de fin or de l'ovre Salemon ; 
Et li autre s'asistrent entor et environ ; 

MM De jont et de mentastre ot entr'ax grant foison, 
Et de flors d'aiglantiers, moult doce floroison, 
Li jons desos le basme jut, espars par Selon : 
•XXX. chierge embrasé ardent devant Mahon. 
•G. et .L. roi, persant et esclavon, 
Siéent aval le tref ; tôt regardent Perron, 
Son cors et sa faiture, son vis et sa fachon ; 
Et dist li .L à l'autre : < Bien sauble cist félon 
c Ch'est de cex qui menjuent les nos sor le carbon; 
c Plus a trenchans les dens c'alesne, ne ponçon : 

MM c Voies com il requigne et fronchist le grenont 
« Bien resemble aversier et del regart dragon, 
c N'avoit ore en cest tref solemenl se lui non, 
c Plus tost auroit jeté .i. Turc en son goitron, 
< Que nen aurait .i. leus .i. quartier de moitonl t 

Moult furent Sarrasin por Perron en frichon. 
De Turs et de paiens ot grant esgardison. 



CHANT SEPTIEME. 287 



XII. 



Quant Perres li Hermites ot Paiens marmarer. 
Moult se crient et redote qu'il nel voillent tuer. 
H rebrache ses manches, si vait .i. Turc cobrer ; 

6M0 Tel colp del poing li done parmi Tos del glander, 
Devant les pies Sodant le fait mort craventer. 
Paien li corent sus, Sarrasin et Escler ; 
As espées d'achier le volent decolper, 
Quant l'Âmirax Sodans commencha à crier : 
c Mar i aura celui qui ja Tost adeser. » 
En romans commencha Perron à demander 
S'il voloit Mahomet servir et aorer 
Et la loi crestiene guerpir et deffler. 
t Perres, se tu le faiô, Damas te voil doner; 

(Vtôo c Puis venras avoc moi por France conquester ; 
c Tote ceste grant ost avéras à garder. 
« A cest premier esté, en irons outre mer ; 
« Por Grestien destruire, voirai outre passer; 
« A Aix, à la chapele, me ferai coroner. 

Quant Perres l'entendi, Icchief prist à croUer, 
Et dist à TAmiral : t Bien le voil créanter: 
< Aies tost, si me faites Mahomet aporter. > 
Li Amirax commande c*on li face amener, 
Savoir s'il se porroit ja vers lui amender. 

6460 c Oïl , ce dist dans Perres, s'il me velt escoter, 
c Ains que de moi deparce, le quit faire plorer. 



17 



/ 



3B8 U C(mO^^ DE lÉRUSALEK. 

xm. 

Mâli^rm fa aportës ens el tref rAmiral. 

Dé Tor qui i reluist, des perres de cristal, 

Hesclarcist tos li très el paveillon roiaL 

Devant lui sont espris plas de mil estaval. 

Dans Pèrres l'eBclina, mais il pensoit tôt al. 

Après ont aporté .i. grant tor de métal ; 

.1. Sarrasins i entre qui fait grant batestal. 

Et Perres le rencline, mais tôt se tient aval. 
wiù Soef reclaime Deu, le Père espirital, 

Que eneor le delirt de la gent criminal. 

Sodans li fait offrir .ï, cor yvorial, 
. .1. ceptre de fin or, où îl ot .i. coraL 

Et une riche coupe qui fut faite à esmal. 

Sarrasin en font joie et grant fesie «t grakil bal ; 

Moult ont offers besans et chier pailes roial. 

Perron font confremer au roi Mariagal : 

A reculons l'en mainent de si au piétoral : 

Le tor li font hurter desos le mentonal. 
64S6 Moult grant joie demaine Sedans et Corbadas. 

XIV. 

Quant Perres li Hermiles ot Mahon aoré, 
Et à la loi paiene Forent Turc confermé, 
Sa commandise tote li a lirois doné. 
De sor .i. faudestuef Ta joste lui posé. 
De cex de Jursalem lor a moult demandé, 



CHANT SEPTIÈUE. 2S9 

Et del roi Godefroi qne il ont coroné ; 
Se il Sert si d'espëe» com on li a conté. 

— « Oïl, ce dist dans Ferres, jo vos di par verte ; 
c Encontre ses grans cox n'a arme poesté ; 

6490 < Et tant par est hardis ne crient roi, n'amiré. 

< Moult plus que jo ne di est plains de grant bonté. > 
Atant es Sucamant que on a amené, 

Qui n'ot mie del brach, ni del destre costé. 
Après vient li chevax qui le Turc ot porté, 
Que li rois Godefrois avoit par mi colpé: 
La sele et li archon sont tôt ensanglanté. 
Sucamans voit le roi ; merci li a crié : 
€ Di val dist TAmirax, qui t'a si contée? 

— € Par Mahon! dist il, Sire, li Franchois deffaé, 
6500 c Bauduins de Rohais, à son brant acheré, 

< Qui li Yiex des montaignes a sa fille doné ; 
(( Frère au roi Godefroi, qui tant nos a pené, 

< A nostre loi destruite et Mahon vergondé I 

< Yeés comment il m'a féru et assené, 

< Et cest cheval ausi en moitié tronchonë ; 
« Autresi le trencha com .i. rainsel pelé; 

< Et mon fil enmenerent, si l'ont emprisoné, 
c Ens en la tor David pris et encaené. 

c Mais par celé grant foi que jo vos ai porté, 
6510 € Se ne m'en faites droit, ja me verres tué. » 
Quant Sodans l'entendi, forment l'en a pesé ; 
Mahomet Gomelin en a assés juré, 
Que se il l'endemain ne rendent la chilé, 
Jamais n'erenl de mort garandi ne tensé. 
Escorcher les fera et tos ardoir en ré ; 



200 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEIf. 

De tôt lor de cest mont ne seront rachaté. 
•I. latimier a tost li Sodans apelë ; 
Et Perres li Hermites li a forment loé 
En Jhersalem envoist, s'a Godefroi mandé : 
6520 c Qu'il viegne tost à lui, si n'i ait demoré ; 

< A la loi paienie aura le chief colpé; 
c Se il nen a son Deu guerpi et deffié. 

< Et se Mahon veltcreire, ilant Tai enamé 
• Mon oir ferai de lui, s'aura mon ireté; 

c Car ja n'aura secors de la Crestienté. 

c Bien a plus de .11. mois qu'il sont outrepassé ; 

c Et se il ce ne fait, bien sace de verte, 

< Qu'à ors et à lions iert ses cors dévorés. 



XV. 



Quant l'Âmirax Sodans ot carchié son mesage, 
65S0 Li Turc li ont loé,^qui furent li plus sage, 
Que il face mener son bon destrier d'Arrage, 
Covert d'un riche paile, de l'ovre de Cartage, 
La sele l'Amulaine où ot d'or une carge, 
A esmax i sont fait oise), poisson marage; 
Moult est bone la sele de riche ovre salvage, 
Onques hom n'ala tant par terre, ne par nage. 
En camp, ne en maison, par mer, ne par boscage. 
Conques véist si bone, tant alast en voiage. 

< Amirax, dist Califfes, si envoies vo targe ; 

6M0 c Riches est l'escharbocle qui siet el haut estage; 
« Forment sont convoitox Franchois en lor corage ; 

< Se il par coyoitise i tornent le visage. 



CHANT SEPTIÈME. 261 

c Dont porrés bien savoir, poi voira lor barnago. 
c S'il vienent en estor, il i auront damage: 
t Car qui est coveteus, sovent i a hontage. » 
— c Par Mahomt dist Sodans, cest conseil tien à sage. » 
Isnelement manda son bon destrier d*Arrage; 
Bien le fist conréer au roi Marin TAufage. 

XVI. 

Li Amirax fist bien conréer son destrier; 

6550 N*i ot ne frain ne sele ne fust faite à ormier ; 
Toi sont à reilles d*or portendu li estrier, 
Mainte esmeraude i ot et maint topasse chier. 
Li poitrax del cheval fist forment à proisier ; 
N'a si riche home en France qui Tpéust esligier. 
Car venims ne pot home qui le port entechier, 
Plus fu blans li chevaxque nois c'en voit negier; 
Et la teste ert plus roge que carbons en brasier. 
D*un vermel siglaton, ovré à eschequier, 
Fu covers li chevax ; menu Tôt fait trenchier; 

6560 Le blanc par mi le roge vëissiés blanchoier. 
Li frains qu'il a el chief valt Tonor de Poitier. 
En la chité l'envoie por le roi essaier. 

Par le mes li manda : c Bien se doit esmaier, 
< Qu'à lions le fera dévorer et mengier 
« Et ambe .n. ses frères deffaire et escorchier, 
t S'il ne volent lor Deu déguerpir et laissier; 
i Et les autres chaitis fera estroit loier ; 
« A bersaus seront mis, s'i trairont li af chier. » 
Li mesages s'en lorne qui n'a seing de targier. 



262 LA CONQUÊTE 0E JÉRUSALEM. 

6570 En sa main emporta le rain d'un olivier 
Et le cheval enmaine moult orgeillox et fier ; 
Dusqu'en Jherusalem ne fine de coitier. 
Li rois fu sor le mur, bien le vit chevalchier, 
Et dist à ses barons : c Yés là .i. mesagier, 
c Qui nos vient cha dedens, je ne sai coi nonchier. 
c Li chevax que il maine valt Tor de Monpeslier; 
« Savés que jo vos voil commander et proihier? 
c Que ne preniés del son vaillissant .i. denier : 

< Mar i aura celui qui ja Tost aprochier : 

6580 < Car bien sai c'6n envoie nostre affaire espiier. > 
Et cil li respondirent: c Ce fait à otroïer. » 
Li mes vint à la porte, si conmence à huchier : 
Et H rois Godefrois le fist dedens laissier. 
Très devant le saint temple ot .i. palais plenier ; 
Là firent le mesaige mener et convoier. 
 .1. anel ala son cheval atachier; 
Et li rois Godefrois manda son latimier; 
Puis commanda ses homes moult bien apareillier. 

XVIL 

Très devant le saint temple ot .l palais vallant. 
6590 Iluec ont amené le mesagier Persanl : 
Le latimier le roi ont fait venir avant; 
Tôt en sarrasinois parole au mescréant, 
Et li paiens li conte del Sodant tôt le mant, 
Après Ta dit au roi hautement en oiant; 
Trestot oiant le pople, nel dist pas coiemant; 

< Que li rois Godefrois voist au riche Sodant, 



6610 



6610 



6620 



CHANT sEPTicaie. 

Si çi^ Mahomet, Jupin et TervagaM, 

Et se il ce ne tà\ty bien sace à esçiani,, 

A lions le fera âeyorer en n^enjant; 

Et si frère seront ocis en esçorcbant, 

£t U autre seront loié en estraignant, 

Au bersal seront mis, s'i trairont li auquant ; 

Car ja de TOiSt de France, ce diât, n'aront garant : 

Et se vos à sa loi volés estre apendant, 

De vos fera son oir, si tenrës Qriant. » 

Dist li rois Godefrois : < Ne place à Den le grant, 
Que jo me rende à lui, en trestot mon vivant! 
De Jherusalem rendre n'ai encoi' nu) talant; 
Tant com puisse ferir de mon acherin brant, 
Miex voil perdre la teste que ja Païens s'en vant. 

Puis dist au latimier : c Dites que jo li mant : 
Par droit doivent Paien estre à Franchois rendant, 
Des caveges des chiés envers els racbatant. 
Et jo li mant très bien, ce sace à esciant, 
Que se Dex me garist, que jo trai à garant, 
Dusqu'el règne de Perse, m'en irai conquérant, 
Dusqu'à Meque la vile ne lairai craventant , 
Tor, ne maison de perre ne voise trébuchant. 
Les candeilles, qui sont devant Mahon ardant, 
Meterai au sépulcre où Dex fu suscitant, 
Et Mahon Gomelin, en qui il sont créant. 
Livrerai as Ribaus, s'en feront lor conment. 
Les bras et les costés li iront debrisant ; 
Si en trairont les perres et l'or Arrabiant ; 
Et l'Amiral méisme, s'il ne laist Tervagant, 
Jo li ferai crever ses .il iex en forant. 



26& LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

< Et le chief li tolrai, à m'espée trenchant. 

c Jo nel pris, ne ne Tain, le montant d'un besant. 
Tôt ce que li rois dist et aloit devisant 
0080 A fait au mesagier trestot dire en oiant. 

Atant es vos ses homes, doi et doi ordenant; 

Richement sont vestu chascuns d'un bogerant ; 

Ayoc sont li Ribaut, qui moult ont fier talant. 

Par devant le mesage sont trestot arestant; 

Mais onques au cheval n'en fu .i. regardant; 

Par .L huis s'en issirent, par autre sont entrant. 

D'autres dras sont vestu, qui sont desconnissant ; 

Bien sont .x. fois passé, trestot en .i. tenant, 

Et à chascune fois aloient dras canjant. 
oofto Après s'en vont Ribaut de lor dras despoillant ; 

Yestent saqiax et chinces que tôt vont descirant. 

Et portent grans machues; bien resanblent tirant. 

Le mesagier regardent, moult le vont requignant, 

Et li rois des Tafurs vait les ïex ruïllant; 

Sovent bée le geule et vait les dens croissant. 
Quant les voit li mesages, de péor vait tramblant; 

Ne volsist iluec estre por tôt Tor d'Oriant. 

Tel péor a de mort, tos s'en vait detorjant. 

Li menbre et tos iFcors li aloient faillant ; 
0050 Dont volsist estre el tref à l'Amiraut Sodant. 

xvin. 

Grant péor a li Turs, quant Ribaus voit venu ; 
Ne volsist iluec estre por tôt l'or qui ains fu ; 
Ausi tranble ses cors com fièvres ait eu. 



CHANT SEPTIÈME. 268 

Sovent rove congié, dist a trop atendu, 

Ja s'en yolsist fuïr, quant Ribaut Tont tenu. 
Quant li rois Godefrois voit le Turc esperdu, 

Par devant lui àterre li à l'or espandu; 

Plus de .XXX. besans tôt aval le palu. 

Li Baron i passoient et sovent et menu. 
6660 Li mesagiers a tôt esgardé et véu ; 

Bien a tôt cel affaire en son cuer retenu : 

Le Sodant le dira, s'il puet, por coi ce fu. 

Li rois mande Marbrin, on Tamaine tôt nu; 

Il Ta bien fait vestir d'un drap qui moult chiers fu ; 

Moult dolcement li prie que il croie en Jhesu. 

Li paiens li respont : < Fol plait avés méu ; 

€ Car jo ne li fauroie por tôt l'or qui ains fu, 

c Que guerpisse Mahon ne la soie vertu, 

€ Tervagan, n'Apollin, por vo Deu malostru; 
6670 € Ja ne cresrai en Deu, que Jeu aient pendu! • 
Quant li rois Godefrois a le Turc entendu. 

Qu'il ne velt croire en Deu, grant ire en a eu; 

Ses armes li fist rendre, armé l'a et vestu; 

Puis li fist li rois chaindre le bon brant esmolu, 

En son chief li lachierent a. bon vert elme agu; 

Puis li ont amené^i. bon destrier crenu ; 

Marbrins i est montés, à son col son escu ; 

Li rois li fist baillier .i. roist espié molu. 

Franchois s'en esmerveillent, ne sevent por coi fu : 
6680 Mais ja verront le roi essaier sa vertu ; 

Ja donra si grant colp, à plain brach estendu. 

Conques en tôt cest siècle ne vit si grant féru. 

Tôt cil qui l'esgarderent en furent conméu. 



LA GONQOAn I» jâl1»ALEH. 

Li rois vest son hauberc, qui mailiés fa menu ; 
En son chief mist son elme, qui fa roi Malagu ; 
(N'ot si félon paien, dusc'as Bones Artu.) 
Son brant d'acier demande et on li a tendu. 

< Hél dist-il, riches brans, benëois soies lui 

c Maint colp en ai doné et maint ester Tencu; 
eaoo c Maint Turc et maint Paien colpé parmi le bu ; 
c De vostre bon servise vos rende Dex sala, 

< Que ja après ma mort ne l'aient mescréu. » 
A son col peut li rois son bon doré escu. 

XIX. 

Quant li rots Godefrois ot son cors acl^esmé, 
Capalu son cheval li a on amené ; 
Li rois saut en la sele, qu'à estrief n'en sot grë. 
Mais onques n'i ot lance, ne espié noielé ; 
Car s'il jostast au Turc, ce li samblast vilté. 
Devant mont de Calvaire en sont trestot aie : 

6700 Le mesagier i ont et conduit et mené, 
Et le riche cheval que il ot amené. 
Moult par a grant péor de ce qu'a esgardé : 
En une riche plache se sont tôt assanblé. 
Es soliers, es bretesches sont li auquant monté. 
Et li rois Godefrois a Marbrin apelé. 
c Amis, car croi en Deu de sainte majesté : 
c Mes bons amis seras, s'aras grant ireté. » 
— c Par Hahon t dist Marbrins, ja ne sera pensé, 
c Que jo croie en celui c'on ait mort et tué. 

07»o c Yeés mont de Calvaire, où Juis l'ont penél 



CHANT SEPTIÈME. 267 

c Ja ne cresrài Jhesum ; n'a point de poesté. d 

— € Ses or, ce dist H rois, que jo ai en pensé? 

< Por ce que devant moi as Jhesu Grist blasmë, 
€ Ne te lairoie Tivre, tant qu'il fust avespré, 

f Por tôt l'or de ce mont, tant t'ai coilli en hé! 
c Mais grant avantage ai à ton oes esgardé, 
c Car tant atenderai que tu auras josté, 

< Et de ton brant d'achier après grant colp doné* 
« Si tu me pues ocirre, moult auras bien ovré : 

( Quitement t'en iras et tôt à salveté; 
6720 c Et se tu ne m'ocis n^n en as affolé, 

< .1. sol cop te donrai de mon brant acheré. t 

— € Par Mahon t dist Marbrins, jo Totrie et sel gré. » 

XX. 

En sus se traist li Turs, s'a le cheval hurté, 
Et a brandi l'espié au fer trenchant quarré; 
Fiert le roi Godefroi sur l'escu d'or listé; 
Desos la bogie à or li a fràit et troé, 
Son espié li conduist dejoste le costé. 
Damledex le gari, nen a mie navré, 
Aine n'en guerpi estrief, ne la règne noé. 
6730 € Par mon chief, dist li rois, bien m'avés assené : 
€ Or ferés l'autre colp, si avérés joé. • 
Marbrins a trait l'espée, s'a le roi avisé; 
Grant colp l'en a doné sor son elme jemé. 
Mains aine ne l'empira .i. denier monéé. 
Dist li rois Godefrois : t Vo jeu avés fine, 
t Or ferrai jo le mien, bien vos ai avisé. 
« J'en vengerai Jhesu c'oiant moi as blasmé. » 






268 LÀ GONQUiTE DE JÉRUSALEM. 

Mist le main à son brant, del f uerre Ta jeté. 
Quant Tespëe fu traite, moult jeta grant clarté ; 
9740 Vers le Turc s'aprocha par ruiste poesté; 
Li paiens est covers de son escu listé: 
Et li rois Godefrois a haut le brant levé. 
Tant Testraint et branloie, le cors a tressué. 
En traiant a le brant contreval avalé; 
Le Turc en a féru par ruiste poesté ; 
L'elme li a fendu et tôt esquartelé; 
La coiffe ne li valt .i. denier monéé. 
Si vait bruiant Tespée corn vens encontre oré ; 

■ 

Dusqu'en la forcéure Ta fendu et colpé, 
672M (Che fu moult grans miracles que Dex i a mostrë) 1 

Et en .II. moitiés trenche le destrier pomelé, ' 

Tôt abat en .i. mont et a jus cravanté. 

Moult fu bone Tespée n'en a point esgruné. 

Dont sont li crestien tôt ensanble escrié : 

c Benéois soit le père qui tel oir a porté I t 

Bauduins et Witasses.ront forment acolé; 

Le brach li ont baisié qu'il ot ensanglanté. 

En caut vin et en iaue ii ont le brach temprë ; 

Car del grant colp Tavoit blechié et desnoé. 
0700 Quant on li ot le brach et le poing caudoné, 

Desor j. somier ont le Sarrasin trossé, 

Et son cheval ausi sor .i. autre cordé. 

Li mesaigers lor a et plevi et juré 

Que il le rendera à Sodant TAmiré. 

De Jherusalem ist ; es le vos arolé. 

Moult demaine grant joie, quant lor a eschapé. 

Que li Ribaut ne Tout mengié et estranlé ; 

Mahomet Gomelin en a moult aoré. 



CHANT SEPTIÈME. 269 



XXI. 



Or se yait li mesàiges, s'a sa voie tenue ; 
0770 De la péor qu'il ot tos li sans li remue. 
Devant le tref Sodant est la place vestue 
De Turs et de Paiens, celé gent mescréue. 

Li Soudans i faiso^faucons traire de mue. 
Atant es le mesage, qui la presse a rompue. 
Si com li somiers vait, est sanglente la rue. 
Li mesages s'escrie, qui péor ot eue : 
t Ahi ! Amirax sire, com grant desconvenue 
c Nos a fait Godefrois, qui li sons Dex ajuei 
c Cest cheval et cest Turc, quant sa broigne ot vestue, 
6780 c Trencha tôt à .i. colp, com un rain de céue. 
€ Et Franchois sont si fier, tex gens ne fu véue. 
t Aine à mon cheval prendre n'i orent main tendue; 
€ Le fin or vi jeter desor en mi la rue : 
« Ausi passoient sus corne sor l'erbe drue. 
€ Or, ne argent ne prisent plus que fçr de came, 
t Une gent moult averse est o le roi venue, 
€ Plus ont trenchans les dens que alesne molue; 
c Chil menjuent vo gent com peurée mossue. » 
Quant Sodans Tentendi, tos li sans li remue, 
0790 Et Perres en a ris, à la barbe chanue. 



t 



XXIL 

Che dist li messagiers : « Amirax, riche sire, 
Dedens Jherusalem à .i. si grant empire, 



Vlù LA GONQtÉTE DE JÉRUSALEM. 

« Tant en vi à mes iex, que n'en sai nombre dire, 

c Bien vos mande li rois, qu'en pois caudeou en cire 

f Fera vo cors ardoir, ou escauder, ou frire, 

€ Ou, à trestot le mains, detranchier et ocirre. 

< Bien quide no grant ost mater et desconSre. 

< Dos c'a Meque la grant ne laira tor ne vire ; 
• Les candeliers fera apporter, ch'oï dire; 

680O f De tôt vostre trésor voira le miex eslire ; 
« Au sépulcre en voira faire maint filatire ; i 

Quant li Sodans Tentent, parfondement sospire ; 
A sa main prent sa barbe, si la desache et tire ; 
Anchois qu'il la guerpisse, en sont .c. poil à dire. 

XXIII. 

Quant Sodans a oï le mesagier parler, 
De maltalent et d'ire commence à escumer ; 
Aine Paiens ne le vit ne covenist trambler. 
Perron l'ermite fait en uns aniax fremer, 
A .rai. rois paiens le commande à garder, 
6810 Qu'il ne se puist de lui fuïr, ne escaper : 
.XXX. cors buglerés fait l'Amirax soner. 

Dont véissiés Paiens fervestir et armer, 
Et vestir les haubers et les elmes fremer; 
Et chaindre les espées et les escus cobrer, 
Et saisir les espiés et es chevax monter, 
Devant le tref Sodant venir et aûner. 
Le Sarrasin colpé prennent à esgarder, 
Et maldient celui qui tel colp set douer. 

Li Amirax Sodans a fait son ban crier: 



MO R Mar i lairont Paiehs, Sârrasiti ne Escler 
< Qui piist laAcé, ne âne» ne saieté porter ; 
c Envers JhemsateiH les covient tos aler, 
c La chità assalir et les mars effondrer, 
c Qui Godefroi prendra, bien s'i gart d'affoler, 
c Mais derant moi le faites trestot Tif amener ; 
1 S'en ferai tel justice com saurai deviser, t 
Li roi paien ont fait lor eschieles joster; 
Et furent bien .l.; à tant les puis nombrer ; 
En chascane poet on .xsx. mil Turs nombrer. 

6830 .L. rois paiens les commande à guier ; 
Puis est assis as tables as escës, por joer 
A le riche Amulaine d'otre la roge mer. 
Et li os chemina, aine ne fina d'esrer; 
Dusqu'à Jherasalem ne volrent arester. 
Dont oïssiés buisines et cors d'arain soner. 
Et ces félons Paiens et glatir et usler. 
De la noise qu'il mainent font la terre trambler, 
La chité et le mur et le temple croller. 
On puist chex qui ens sont nostre* Sires salvert 

6840 Car ja auront assaut, nus hom n'oï sa per. 

XXIV. 

Jherasalem assalent Sarrasin etPersant; 
Godefrois et si home se vont bien défendant; 
Moult ont mort et ocis de la gent mescréant ; 
Qui li rois i conseut il n'a de mort garant. 
Mais de la gent averse i avoit venu tant. 
Que tôt en sont covert li pui et li pendant; 
Ch'est avis nos barons adës voisent croissant. 



272 LÀ CONQUÊTE DE iÉRCSALEM. 

là assaas est moult griés et li cri sont moult grant ; 

Ghil de Siglai s'en Tont amont le mur rampant, 
6850 Et li autre s'en vont adës desos crosant , 

A picois et à hoes la pierre esquartelant ; 

En plus de .xv. lex vont le mur pechoiant. 

Crestien les ocient et vont jus crarentant. 

De glaives et de lances dedens lor cors botant : 

Mais cil de Siglai vont tos dis amont rampant; 

Ja fust la cités prise, par le mien esciant. 

Quant li rois et si frère lor sont venu devant. 

As espëes d'achier en vont tant ociant, 

Que li fossé desos en vont trestot rasant. 

Chil de Siglai assalent, par moult fier maltalant, 
•600 De maltalent et d'ire aloient abaiant ; 

Environ sos les murs aloient glatissant. 

Quant plus ne poent faire, de dol vont escumant ; 

Le .1. demorjoit l'autre etaloit requignant. 

D'autre part assaloit la gent Cornumarant; 

Fièrement lesescrie et aloit semonant; 

Et cil de l'asalir se vont esvertuant. 

Del mur ont abatu une lanche tenant. 

Qui miex miex, qui ains ains, aloient ens entrant. 
Es vos le roi Tafur et si Ribaut corant. 
6870 Là où li Turc entroient, là vienent ahiant, 

A cotiax acherins les vont esboelant; 

Fors de Jherusalem les mainent reculant. 

Li pluisor de machues les vont eschervelaiit. 

Tos tans fièrent entr'ax à tas demaintenant; 

A grans mâches de fer les vont jus craventant, 

Et à grandes plomëes contre terre ruant. 



CHANT \ SEPTIÈME. 273 

Del sanc as Sarrasins i ot plenté si grant, 
Contreval le fossé en vont li ruis corant. 
Mais ne quit qu'il lor vaille .i. denier vaillissant; 
6880 Car en .lx. lex vont li Turc assalant. 
Ja fust la cités prise, par le mien esciant, 
Mais la nuis aprocha, solax vait déclinant. 
S'encore fust el chiel solax aparissant, 
Prise fust la cités : ce fust dolor moult grant ! 
Sarrasin se repairent, car jors lor vait faillant ; 
Devers les plains de Rames sonent li cor Sodant : 
Là retornent Païen et en vont chevalchant; 
A lor très descendirent, lor cors vont desarmant. . 
Li pluisor sont navré et blechié li auquant. 
pm Sodant Tala conter li frères TÂmirant, 

Que Jursa^em fust prise^ se jors ne fust faillant; 
Le matin s'en fuiront, ains que jors soit levant. 
Quant Tamirax Toï, s'apela Roboant ; 
c Aies, faites venir Mahon et Malquedant. » 
.G. et .L. roi furent, sans le Sodant; 
Si lor a fait jurer et premiers TAmustant, 
La mort de6odefroi,sans nul rachatemant, 
Et que tôt soient prest, quant orront son conmant. 
Car aine à tel dolor n'ochistrent Turc Reliant, 
6900 Gom il fera morir no gent et de plus grant. 
' Li roi se sont torné après le sarrament ; 
Ghascuns est repairiés à son hèrbergemant. 
Or penst Dex de nostre ost, par son disne conmaïit! 
Qui sont en Jhersalem corecbié et dolantt 
La bataille covoitent, moult la vont desirrant, 
Et il Taveront tele, par le mien esciant. 
Que aine ne fu si fiere dès que Dex fist Adant. 

18 



274 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 



XXV. 



6920 



Dedens Jherusalem fa oo Crestieotés; 

Et s'en i ot forment et plaies et nayrés* 
6910 El temple Salemon en est li rois entrés. 

Ses barons et ses homes en a o lui menés. 
Quant il furent laiens, si les a apelés : 

<( Seignor, ce dist li rois, à moi en entendes. . 

a Li barnages en est arrière retornés, 
Par le mien escient^ chascuns est mer passés. 
Entre gent Sarrasin sui ci endroit remés ; 
Por poi que ne fu hui prise cette chités. 
Moult est li poples grans, qui ci est assamblés. 
Et cbascuns; de nos est por amor Deu remés, 
Por garandir la vlle^ où ses cors fu penés, 
Et le digne sépulcre où ses (r^rslia sosés. 
Jo ne sofferrai mais ses murs sai1:édtamés. 
Le matin en istrons, quant solat iert levés. 
Dchait qui cba dedens sera mais enserës^ • i : 
Autresi sera prise ceste sainte cités,; : : ::: r\l 
Miex nos vient à honor avoir les chiës coipës 
Que en caitivoison en soit chascuns menés l » 

Quant no baron Toirent, chascuns est escriés: 
Sire rois Godefrois, tu es nos avoés;. 
Ja ne t'en faura .i. por estre desmembrés. 
N'i a cel ne volsistmiex fust ses chiéscolpts 
Qu'il fuïst por Paiens .nn. pies mesurés. » 

— « Seignor, ce dist li rois, à vos ostex aies. 

« Quant vos aurés mengié, colcbiés vos et donnés; 



6930 



OMO 



6950 



6060 



CHANT SEPTIÈIIE. 275 

Car anuit, se Deu plaist, de moi gaitiés serës ; 
Et demain par matin vos calchiés et vestes^ 
Tost et isnelement vos baubers endossés, 
Et cbaingniés les espées et les elmes fermés, 
Et prenés les escus, sor vos chevax montés. 
Quant chascuns de tos iert fervestus et armés, 
Por amor Deu vos proi, qui en crois fu penés. 
Que li .1. ait à l'autre ses meffais pardonés ; 
S'iert chascuns de bataille baus et asséurés. » 
Dist li quens de saint Gille: < Si iert corn dit ayés; 
« Ne vos esmaiés mie, Dex iert nos avoés. » 
— € Par foi, dist Bauduins, n'iere anuit desarmés ; 
Mes haubers desvestus, ne mes elmes ostés ; 
Si sarai comment iert li esters affinés. 
Jo ne sai que ce doit, si sui asséurés 
C'om se fusse à Buillon et encor plus assés. 
Or soies à fiance, por voir, si me créés, 
Ains que de la semaine i ait .m. jors passés. 
Verres tant de paiens ocis et decolpés, 
Onques, tant n'en vit hom qui de mère fust nés. 
Quidiés vos que Dex ait ses amis obliés ? 
Nos les desconfirons à nos brans acherés. 
Ne vos esmaiés mie, se d'ax est li plentés. 
S'uns bons lévriers estoit d'une lasse jetés, 
S'éust .n. miles lièvres en .i. camp assamblés, 
Ses desconfiroit il, c'est fine vérités. 
Encor valt .i. prodons .g. malvais redotés t » 
Hé Dex i ceste parole les a si renheudés t 
Chascuns devant le roi s'est iluec présentés, 
Qu'il veilleront o lui : Il les a merciés. 



i76 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Droit au sépulcre Deu es les acheminas. 
Mainte candeille i fu et mains chierges portés. 
Mais tôt furent estaint, n'en est .i. alùmés, 
A terre s'est chascuns cochiës et aclinés. 
Or oies grant miracle, ja greignor n'en orrës : 
6970 Anchois que li rois fust de s'oroison levés, 
Devers le chiel amont descendi la clartés, 
Dont li chierges le roi fu moult tost enbrasés. 



XXVI. 

Tôt entor le sépulcre sont Franc à oroison ; 

Moult i avoit candeilles et chierges environ ; 

Et li rois Godefrois estoit à genoillon ; 

Sa candeille avoit mise par delës un perron. 

Où Dex resucita, après sa passion. 

Li bons dus Tenclina, si dist uneoreson: 
€ Sire Dex, dist-il, Père, par vo saintisme non, 
6980 € Qui fesis chiel et terre et mer, par devison, 

(I Besles, oisaus volans, iaue dolce et poisson, 

< Et fesistes Adan de terre de limon, 

f A garde li baillastes Paradis environ, 
. < Et fesis sa moillier ; Evain Tapele on. 

« De tote créature donas Adan le don, 

t Fors le fruit du pomier, dont ot deffension. 

€ Eve l'en fist mengier, par grant caitiveson ; 

« Tôt ce fu par l'engien du Satenas félon. 

c Puis furent longement en grant perdicion 
6990 c Et tote la lignie en painne et en frichon. 

« Car n'estoit sains ne sainte qui tant i fust prodon, 



CHANT SEPTIÈME. 277 

Nel convenist aler en infer à bandon. 

Pitiés vos en prist, Dex, si venistes el mon : 

Par Tangle Gabriel fesis anoncion, 

Qu'en la Virge Marie prendroies mansion, 

Li salus furent dis el temple Salemon 

A la pucele Virge, qui fu en sospeçon ; 

La parole otroia par grant devocion ; 

Maintenant i presis vraie incarnacion. 
700O t La Virge vos porta sans malvaise okison. 

Dusc'au jor del Noël, que eustes nasquison; 

En Bellien nasquistes, à guise d'enfançon ; 

Li .m. rois vos requistrent, cascuns de son wion ; 

Or et mirre et encens offrirent à ton pon, 

Et vos les requellistes par grant devocion. 

 rentrée vos mist li uns en son giron ; 

Chil qui te desirra ce fu sains Simeon. 

Lors dist: « Ntinc dimittis^ àDeu, Servumtuum, » 

Et ce est à entendre : « Dex, moult vos desiron » ! 
7010 « Sor Tautel fastes mis, là ot rice ofrison. 

Herodes li tyrans, qui'n ot mal gueredon, 

Por vos fist déceler maint petit enfançon ; 

Chil qui por vos morurent ont el ciel mansion ; 

Iluec sont coroné ; ignocent ont à non. 

.XXX. ans alas par ter^e puis, Dex, corn .i. autre hom; 

Li Apostre avoc toi, por dire lor leçon. 

En Betane de mort suscitas Lasaron, 

Et heii)çriastes, Dex, en la maison Simon. 
« Sire père propisses, cbe fu par vostre don. 
7020 € Marie Madalaine, à la clere fachon, 

S'aprocha tant de vos, par desos .i. leson. 



278 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALSai. 

c Que vos pies embracha, ses mist $os son menton; 
tt Des termes de son cuer ûst tele fondoison, 

Qu'ele les vos lava entor et environ. 

As chevox de son chief, en fist essuéson ; 

D'un oignemeni; les oinst par bone enteBCicn. 

Ele Qst moult que sage, s'en a bon guerredon, 

Car de tos ses pechiés li fesistes pardon, 

Lassus en ton saint Ghiel, où aine n'entra félon. 
7030 c Dex, en la sainte Crois soffristes passion. 

Et Longis vos feri de la lance à bandon : 

Il n'avait aine vëu, que de fi le set on, 

Li sans li vint par l'anste duso'as poins de randoa ; 

Il le terst à ses iex, si ot alumeson : 

Il vos cria merci, pargrant devocion, 

Et vos li pardonastes ; si ot remission. 

El sépulcre fus mis etgaitiés à larron ; 

Àl tiers jor en après, eus surrexion ; 

Ainfer enalas, n'i ot deffension ; 
louo « S'en getastes Adan, Noé et Aaron, 

Jacob et Esau, et maint aulre prodon ; 

Puist montastes el cbiel, au jor d'Assension ; 

Ens en ta majesté, où est ta mansion; 

Les clés de Paradis conmandas k Perron. 

As Apostres desis la prédication. 

Que le saint Evangille nonchassent par le mon; 

Dex, si com ço est voirs, et nos bien le créon, 

Si voirement, biax Sire, nos fai demostroison 
<i Se nos arons victoire, vers la geste Hahon. » 
7050 A iceste parole, es vos un blanc colon 
Qui aporta .i. brief, loiet en quarreignon, 



CHANT SEPTIÈME. 279 

Et del chierge le roi esprist le limegnon, . 
Et puis trestos les autres, si que cïer i vit on. 
Adont i ot de joie moult fiere ploroison. 

XXVII. 

Quant li rois Godefrois ol s'orison flnée, 
Envers nostre seignor a sa cope clamée. 
Es vos .1. blanc colon, volant de randonée, 
Qui li a devant lui sa candeille alumée, 
Et puis revient as autres; chascune a enbrasée. 

7«ao Le roi done une chartre, il Ta desvolepée. 
A .1. clerc la mostra qui fu de sa contrée ; 
Quant il ot lut les lettres, grant joie en a menée ; 
Le roi en apela à moult grant alenëe : 
« Godefrois, sire rois, hom de grant renomée, 
« Nostres Sires vos mande que Vos est retornée ; 
c Ja ont del flum Jordain dusc'à Tiaue passée : 
( Le matin seront chi ains la caurre levée. » 
Quant li rois Tentendi, merveilles li agrée, 
E il et tôt li autre ont grant joie menée. 

7070 Adont ot au sépulcre faite mainte acolée, 
D'amor et de pitié mainte lerme plorée. 
Tote la nuit veillierent desi à Tajornée ; 
Aine n*i ot hauberc trait, elme, coiffe, n'espée ; 
La gent nostre seignor fu tote nuit armée. 
Tant gaiterent la ville que Taube fu crevée ; 
Puis montent es chevax, sans nule demorée, 
De Jherusalem issent, chascuns lance levée, 
Et li quens de s* Gille a la cité gardée : 



280 LA CONQUÊTE DE JëRCSALEM. 

Et li rois chevalcha à grant esperonée, 
708Ô Près de Jherusalem ont Tost Deu encontrée. 
Li quens Hues li Maines tint la lance fresée. 
Et cil de Normendie qui aine n*ama posnëe, 
Se ne fu vers paiens, celé gent meserrée, 
Li quens Thomas de Marne, qui bien flert de Tespée, 
Et tôt li autre prince de la terre salvée 
Chevalcent a .i. front le sablon et Testrée. 
L'ensaigne Godefroi ont moult bien avisée, 
Au dragon, qui avoit la qeue gironée. 
Li .1. la mostre à l'autre : « Vés Tensaigne dorée 
7090 t Au bon duc Godefroi \ Hé Dex I quel destinée I » 

Contre li vont poignant à moult grant alenée, 
Et li rois encontre aus, qui le secors agrée. 
Li .1. cort l'autre sus, chascuns brache levée . 
A Dext adont i ot faite mainte colée t 
Outre vers Belléem, s'est li os ostelée : 
Or est la sainte vile auques asséurée. 

Au riche Sodant fu la novele contée, 
Que l'ost des Crestiens est tote retornée. 
Quant li Sodans l'oï, s'a la teste crollée, 
710C De maltalent et d'ire a la color muée; 
Et li jentiex barnajes de la terre honerée 
Ont au riche Sodant la bataille mandée, 
Enmi les plains de Rames, où bêle est la contrée; 
Et li Amirax l'a otroïe et gréée, 
Et d'une part et d'autre l'ont moult bien affiée. 
Qu'en la plaine de Rames, qui moult est grans et lée, 
Soit faite la bataille ; ensi est devisée. 
Au venresdi matin lor est aterminée. 



CHANT SEPTIÈME. 281 

Anqui orrés bataille moult fiere et adurée; 

7tto Aine ne fu si orible vëue n*escotée. 

Li escris le tesmoigne, c'est vérités provée, 

Que onques en .n. jors ne pot estre finée. 

Prise fu la bataille, ne doit estre celée, 

Aval Tostdes païens estlanovele alée. 

Ferres a la parole oïe et escotée ; 

Sovent reclame Deu et sa vertu nomée: 

c Sainte Marie, Dame, roïne coronée, 

t Que n'ai or de mes pies ceste caaine ostée î . 

t A cest Turc qui me garde douasse tel colée 

7120 f Que les iex li fesisse voler enmi la prée. 
< Se ne sui a Testor, maie iert ma destinée t » 
De ce qu'est renbiés a sa colpe clamée. 

xxvm. 

Prisp fu la bataille al jor de venresdi 
Et d'une part et d'autre et juré et plevi : 
Li os nostre Seignor revint .i. samedi. 
Quant ele fu logée, plus fu de miedi. 
Li baron et li prince et li clerc revesti 
Sont aie au sépulcre, chascuns d'ax i offri. 
La nuit i ont veillé ; dès qu'il est esclairci, 
71S0 Li vesques de Maltran porcession sévi, 
Et li autres barnages qui Jhesus benéi. ' 
Après la sainte messe, sont no gent départi ; 
A lor ostex s'en vont, de mengier raempli. 
En Belléem oïrent la grant messe au lunsdi. 
Les .m. jors ont lor armes et lor haubers blanchi. 



S8t U CONQUÊTE DE léRtSALEM. 

Lôr escus enarmës et lor brans reforbié 
Ghascuns à son pooir a son cors bien garni ; 
Et Turc et Sarrasin faisolent autresi : 
La bataille desirrent cil qni pins sont hardi. 
71M Mais grant poor avoient li coart, li fali. 

XXIX. 

Monlt bien est achesmëe la sainte conpaignie 
Encontre la bataille, ne Tont pas resoignie. 
De par Deu fu au vesque une raison nonchie 
Qu'il portassent la crois , où sa chars fu plaïe. 
Et la saintisme estache où sa chars fu loïe 
Et la lanche autresi, dont ele fu percie. 
Li vesques de Maltran a pris no baronle. 
Les vesques, les abés et puis l'autre clergie ; 
A la crois les enmaine, qui li fu enseignie. 

7150 Li vesques de Uautran Ta premerains saisie, 
Et Tabès de Fescamp ; si l'ont amont drechie. 
' Encor ert del sanc Deu arosée et baignie. 
Là ot des cuers des ventres mainte lerme sachîe, 
Et li conte et li prince et l'autre baronie 
Devant la crois se colcent tôt à une bondie ; 
Ghascuns d'ax l'aoura et de cuer s'umelie ; 
Moult sovent ont la terre acolée et baisie. 
De si qu'à l'estache ont porcession sevie. 
Des loiens ot entor une moult grant partie, 

7160 De coi nostre Sire ot la soie char loïe. 
Te Deum i canterent et puis la letanie. 
Adont fu li os Deu si flere et si hardie, 
Qu'il ne doutent la mort vatllissant une alie. 






CHANT SEPTIËIUE. 28^ 

Il n'i avoit celui qui moull soveut ne die : 
c Car nos alons conbatre enyers la gent haïe I » 
— c Seignor, font li baron, or ne vos hastëa mie : 
c Venresdi le ferons, se Dex nos done vie. 
« Sachiés ceste bataille n'ert pas de gaberie: 
€ Car aine ne fu si flere véue ne oïe. » 
7170 Apres a dit Robers li dus de Normendie : 
c Baron, pléust à Deu, le fil sainte Marie, 
c Que chi fussent tôt cbil de la loi paienie; 
c Si con chex covre terre et mers clol et tornie I 
c Tôt i seroient mort yenresdi ains conpliel » 
Li rois Godefrois Tôt, ne puet muer n'en rie. 
Et li autres barnages moult forment s'umelie; 
La bataille desirrent, cbascons Va covoitie* 

XXX. 

La gent nostre seignor fist forment à loer; 
Lor elmes font forbir et tor haubers roller; 

7180 Et escus et roeles de norel enarmer, 

Et les brans resclarchir, lor seles radober, 
Chascun jor se faisoient vraiement confesser. 
Al venresdi matin, el point de rajomer, 
Font en la tor David le maistre cor soner. 
Dont véissiés no gent fervestir et armer, 
Et chaittdre les espées et maint elme fenner, 
Caucher cauces de fer, ces haubers endosser. 
Li vesques de Mautran vait la messe canter 
Desore le sépulcre, où Dex volt susciter ; 

7190 Et li jentiex barnages si Tala esicoter. 



281 LA GONQCÂTE DE JÉRUSALEH. 

Après la sainte messe, quant ele dut finer, 

Li .1. vait baisier l'autre et vait la pais doner ; 

Tût se colcent à terre, por Jhesu reclamer. 

Ghascuns vait le sépulcre baisier et acoler. j 

Defors Jherusalem s'alerent ordener, 

Et tûtes les batailles renger et deviser. 

La vraie crois ont fait par devant aus porter. 

Et la lanche, dont Dex laissa son cors forer. 

Et l'estache, où Juis le firent femoer, 
7200 Son bel cors et ses bras estraindfe et malmener. 

As portes oissiés le saint clergié canter; 

Parmi la porte en issent rengië et tôt serer. 

Là pëussiés véoir tant penon venteler, 

Tant escu et tant elme luire et estinceler. 

Et les chevax henir, frémir et braidoner : 

Bien fu Tost Deu armée, bien fait à redoter. 

Mais ne s'i arment prince, ne domaine, ne per ; 

Por ce c'as dëerains se voiront adober. 

Defors les rens s'ala Godefrois conréer, 
7210 Et li autre baron, qui moult font à doter. 

Là péussiés véoir tant haubert endosser, 

Lâcher tante ventaile et tant elme fermer, 

Et chaindre tant escu et es chevax monter, 

Ensaignes et bçinieres contre vent venteler ; 

Forment estoient beles ques péust esgarder. 

Dusque vers Jaffes font lor avant gaYde àler. 

XXXI. 

Li bons rois Godefrois premerains s'adoba : 
Il vesti .1. porpoint et Tauberc endossa ; 



CHANT SEPTIÈKE. 285 

Et a cauchié ses cauces, mie nés oblia ;- 
7220 Bauduins et Witasses son elme li lâcha; 

Puis a chainte Tespée, que durement ama; 

Son escu à son col, sorCapalu monta; 

En Tensaigne qu4l porte .i. dragon paint i a. 
Quant li rois fu montés, es estriers se ficha. 

Par isi grant vertu, que sos lui archoia. 

Puis a levé sa main, de Jhesu se soigna ; 

Devant la vraie crois o s'eschiele passa ; 

Et chasGuns qui y passe de bon cuer Tenclina. 

Li vesques de Vautran à Deu les conmanda ; 
7230 Puis a hauchié le bracb, de la crois les soigna. 

Godefrois et s'eschiele bêlement chemina ; 

De si es plains de Rames onques ne s'aresta. 
Li Amirax Sodans devant son tref esta, 

Sor une casse d'or qui grant clarté jeta ; . 

Perres sist devant lui et Sodan Tapela. 

.L. rois d'Arrabe tôt environ lui a. 

« Di-moi, Perron Termites, quele eschiele est or là? 

( Se tu ses qui il sont, ne me celer tu ja. » 

Perres a respondu que le voir Ten dira : 
7240 < Sire, ce est li rois qui le paien colpa. 

c Godefroi a à non, qui sa mère engenra 

c Li Chevaliers au chisne, c*à Nimaie ariva. 

c Tex chevaliers ne fu, ne jamais ne sera. » 
Quant le Sodant Toï, forment s'en aïra; 

De maltalent et dire con senglers escuma. 



286 LA GONQCâTB DE IAKDSALEII. 

XXXII. 

Après s'arma Robers, li das de Normendie. 
11 a lachié ses cauches, la maile en est treslie ; 
Tost et isnelement a sa broigne vestie, 
Et lâcha .i. vert elme, qui fu fais à Pavie. 

7250 Au senêstre costé chaint Tespée forbie ; 
Puis a pris son espié, par fierté le palmie ; 
Et jure Damledeu, le fil sainte Marie, 
Que, s'il puet encontrer l'Amirant de Persie, 
Ja nel garira elmes, ne targe à or burnie, 
Que tôt ne le porfende de si que en Toîe. 
Devant lui fait soner .i. cor à la bondie. 
s'eschiele s'entorne, s'a sa Yoie acoillie; 
Devant la vraie crois sa gent enmaine et gnie. 
Li quens Robers l'aoure et après Ta baisie. 

7200 Là péusiés véoir tante ensaigne lacie. 

Tant hauberc et tant elme, où li ors reflanbie, 
Et tante bone targe, tante espèe forbie, 
Et tant cheval corant, tant destrier de Hongrie. 
Ghascuns porte la teste de sos Telme enbronchie ; 
Moult resembloient gent de bien faire haitie. 
De si es plains de Rames n'i ot règne sachie. 

Li Sodans les esgarde, ne puet muer n'en rie. 
Puis a dit à Perron : < Ne me celer tu mie : 
€ Qui est or celé eschieie, qui nos est aprochie ? > 
7270 Dist Perres li hermites: « Nel laira nel vos die. 
a Robers de Normendie a non chil qui les guie, 
c Qui le roge lion ocist, à grant hascbie, 



< Très devant Andiocbe, en mi la praerie : 

< N'a jneillor che?alier dusc'as pors d'Aumarie. » 
— € ParMahom,di8tSodans, or ai merveille oïe, 

< Jo ne les pris trestos une pome porriet » 

XXXIÏl. 

Li quens Hues li Haine est moult tost adobés ; 

Et Dans Thomas de Marne s'est avoc lui armés. 

Ils vestent les haubers s'ont les elmes fermés, 
7280 Et chaignent les espées as senestres costés, 

Et montent es chevax corans et abrievés. 

Les espiés ont coisis. trenchans et affilés : 

Ghascuns Qt en s'eschiele mil chevaliers armés. 

Devant la vraie crois est li quens trespassés, 

Dolcement Taoura, si Ta baisié assés. 

Et Thomas et li autre i ont les chiés tornés; 

Âtot Telme luisant est chascuns enclines. 

Li vesques de Mautran les benéi assés; 

Puis brochent les chevax : Es les vos arotés. 
7290 Li quens Hues s'en tome, s'a ses homes guiés. 

Là péussiés vèoir tans fors escus bogies. 

Et tans haubers treslis, et tans elmes jemés; 

De si es plains de Rames n'en est i. arestés. 
Li Amirax Sodans les a bien esgardés 

Dist à Perron Termite: c Ains ne me le celés ; 

< Qui sont ore ces gens qui là sont assamblés? 

« Noblement se contienent,mouUest granslorfiertés. 

Et dist Ferres Termites: € Aparm^^in le sarés ; 
« Frêne est au roi de France cil ques a amenés: 



288 lA GONQUÉTE DE JÉRUSALEIf. 

78H « Âins meudres chevaliers ne fa de mère nés. 
c II ocist Solimant, SOS Andioche es prés. » 

— c ParMahop, dist li rois merveille oïr poés : 

< Bien les orent mi Deu à cel jor obliés ! 

< Jo nés pris mie tos .n. deners menées ; 
c moi les enmenrai pris et enchaénés : 

f Mes desers d'Âbilant en sera repoplés. » 

— « Par mon chief ce dist Perres, quant de ci partiras, 

< Par le mien escient, ne vos en gaberésl » 

XXXIV. 

Baimons s'adoba et Tangrës le Puillans ; 

7310 Lor chances lor lâcha Antiaumes et Morans ; 
Et vestent en lor dos les haubers jaserans. 
Et chaînent les espées à lor senestres flans, 
Er lacent en lor chiés les vers elmes luisans, 
Et montent es chevax arrabis et corans. 
Ghascuns ot en s'eschiele mil chevaliers vaillans ; 
Et pendent à lor cox les fors escus pesans ; 
Les espiés ont saisis as gonfanons pendans. 
Devant la vraie crois est chascuns trespassans ; 
N'i a cel ne Taorl et ne soit enclinant. 

7320 Li vesques de Maltran, qui est bons clers sachans, 
De Deu les benéi, qui sor tos est poissans. 
Li cosin s'en tornerent à espérons brochans 
Et lor chevalerie qui moult par estoit grans» 
Là péussiés véoir tans vers elmes luisans, 
Et tans haubers saffrés, et tans escus pesans. 
Et tante grosse lance, tans confanons pendans : 



CHANT SEPIIÈME. 289 

Desi es plains de Rames n'en est .i. arestans : 
Bêlement se rangèrent aval parmi les chans. 
N'i a celui d'ax tosne soit forment jurans 

7330 Que il feront Paiens corechos et dolans. 

Dist à Perron Termite : < Es tu chés connissans? 
€ Noblement secontienent, moultest fiers lor sanblans; 
c Mar furent que chascuns n'est en Mahon créans. » 
Perres a respondu : « J'en iere voir disans : 
c Ghist a à non Tangrës, ses pères est Puillans ; 
c En sa conpaigne maine Longebars et Toscans, 
c Moult volontiers ocient Sarrasins el Persans : 
« Et icele autre eschiele, qui si est fiere et grans, 

7340 f Buiemons a à non ; moult par est conbatans ; 
c Plus desirre bataille que or fins, ne besans. 
— < Qui chaut? fet Tamirax, quejo nés pris .n. gans 
€ Par Mahomet mon Deu, en qui jo sui créan»^ 
c D'ax ocirrai le plus, si enmenrai auquans ; 
« S'en ferai restorer les desers d'Abilans, 
a Ou jes ferai ardoir, itex est mes conmans. » 
<— < Parmonchief,cedistPerres, jan'en serés gabans ; 
c De vo genjt iert anqui petis li remanansl » 

XXXV. 

Li quens Rotrox del Perce s'arma hastivement; 
7350 Et Esteules de Blois, qu'il tenoit à parent, 
Et li quens de Yendosme, au fier contenement ; 
Li quens Lambert del Liège et Hues de Glarvent, 
N'i a celui ne soit armés moult richement. 
Entr'ax ont .mi. eschieles de moult très fiere gent. 

19 



260 lA GONQO^E DK lÉfttJSALBIl. 

Là péiissiéd yèoir tant riche gârnemêkit, 

Tant hauberc et tant elme, od li finB ors rosplctil ; 

Li ors quisl en lof armes relnist tant clerement. 

Devant la Vraie crois vont ordonéement ; 

Ki à ce! ne l'aort de cuer moult lïetiient. 
7Md Li Tesqnes de Mautran les seigna bonement, 

Del glorioK del chiel, qui fist et mer et vent. 

Les eschieles s'en toment tôt ordonéement 

De si es plains de Rames n'i ot arestemenl. 
Li Sodans se sëoit devant son tref an vent. 

Perron Termite apete, si demande sovent : 

c Qai sont ore ces gens? Ne le cheler noient. 

t Noblement se contienent et vont moult fleremcnl. » 

Et Perres respondi : <t Jel dirai voirement ; 

t Ciie est Rotrot dd Perce, qui moult a fier tatent, 
7S7Ô I El Esteale de Blots à cel destrier bàttûent, 

c Et li quens deTendosmei à cel fauve ensëment ; 

€ Yés là Lambert del Liège, à cet bai d'Orient ; 

t Pins désire bataille que à boire peument t 

< Hni feront de vo pople moult grant deslruiement : 

< Ja por pèor de mort ne fuiront u arpentl » 
Quant TAmirax Toi, si respondi briement : 

f Par Hahom Gomelin, à qui mes cuers apent, 
c Je nés pris mie tos vaillant .i. chien purlent 
€ Tos les ferai ochirre à dol et à tormenl. » 

XXXÏV. 

7880 Esteules d'Aubemarle s'est hastés de Tarmer^ 
Et Hues de saint Pol, qui mott fait à loer, 



CHANT SE^IÈHE. 391 

Et Engerrans, ser flex, qui cuer ot de sengler. 

Et tôt li autre prince n*ont seing de demorer. 

Li vesques de Hautran fist son cors adober; 

Haubert ot et vert elme qui moult reluisoit cler; 

Sor son cheval monta, qui moult fait à loer ; ' 

L'EstoIe entor le coi, sos son escu bocler. 

Le clergié et les dames font Jhersalem garder 

Et .11. .c. chevaliers ; ne sont pas bacheler, 
7S90 Yeillart sont et chanu, forment sont à doter; 

Moult remainent envis, mais ne l'osent véer. 

De Jherusalem ont fait les portes fremer. 

Li vesques de Hautran fist .11. graisles soner ; 

Dont véissiés no gent bêlement aroter, 

Et Tune en costé Tautre par mesure serrer. 

Le Roi Tafur ont fait par devant ax aler, 

Et Tafurs et Ribaus qui moult font à doter. 

Le vesque de Mautran firent la crois porter, 

OU Dex laissa son cors travailler et pener, 
7aoo Et ferir de la lanche et plaier et navrer. 

Et li vesques de Nobles qui Guis se fist clamer; 

Ichil porta Testache, si com j'oï conter. 

Où Dex soffri son cors et loihier et bender ; 

La lanche Damledeu font .1. abé porter. 

Or chevalchent ensanble; Jhesus les puist salver! 

De si es plains de Rames ne volrent arestcr. 

Si com la vraie crois dutens el camp entrer, 

Trestos cex des eschieles conmencent à plorer, 

Et si conmencent tôt des chiés à encliner. 
7410 Li Amirax Sodans les prist à esgarder; 

Dist à Perron l'Ermite : « Amis, ne me celer: 



292 LA GONQuAtE de JÉRCSiULEM. 

c Qui sont ore ces gens que là roi aûner? 
c Aine mais teles ne ?i, si m'i ont fait penser. 
Et dist Ferres l'Ermites : c Ja nel vos quier celer; 
« C'est li rois des Tafnrs o qui jo suel aler ; 
c Et vés là les Ribans qui moult font à doter. 

Qui votre gent menjuent sans poivre et sans saler; 

Et c'est la vraie crois que là veés lever ; 
c Et la lanche dont Dex laissa son cors forer; 
7420 ff Et veés là Testache où on le flst lier, 

c Son bel cors et ses bras et estraindre et noer. 

< Or vos di jo por voir, que ne puct eschaper 

< Que n'aies la bataille, ne puet mais demoreri > 



c 
c 



CHANT HUITIÈME. 



Q^RGUMENT. 

Le Soudan fait la revue de son année, commandée par cinquante 
rois. — Le combat s*engage. — Godefroi tue le ûis aine du Soudan. 

— Mort de Renault de Beauvais. — Exploits de Robert de Nor- 
mandie. — Enveloppé par les Turcs, il est sauvé par Tancrède 
et Boémond. — Roger du Rosoi tue un autre fils du Soudan. - 
Rotrou du Perche, Hugues le Maine, le comte de Vendôme, Lambert 
de Liège, Thomas de Marne, Hugues de Saint Pol, se signalent.— 
Engeran, fils de ce dernier, est tué. — Les chrétiens cèdent an 
nombre. ^ L'évéque de Mautran les rassure en leur montrant la 
vraie croix. — Gornumarant tue Richard de Gournay. — Baudoin 
poursuit les ennemis jusqu'à la tente du Soudan : celui-ci se fait 
armer. — Longue description des pièces de son armure. — Combat 
acharné. — Boémond tue Corbadas, Tancrède Lucabel, son frère. 

— Sept rois tombent sous les coups de Baudoin de Beauvais et de 
Richard de Caumont. — Les Sarrasins jetent sur les croisés le fea 
grégeois. — L'évoque du Puy Téteint à l'aide de la vraie croix. — 
Comumaran est tué par Baudoin. —Les barons chrétiens réunissent 
toutes leurs forces pour attaquer la grande armée du Soudan. — 
Ils sont repousses. — Saint Georges et saint Maurice viennent à 
leur secours à la tête d'une armée d'anges. — Pierre l'Ermite est 
délivré. — Le Soudan et son armée prennent la fuite. — A la prière 
de l'évéque de Mautran le jour se prolonge pour que leur défaite 
soit plus complète. — Baudoin les poursuit jusque devant Acre. 

— Raimbaut Creton le rencontre environné d'ennemis. — 11 reste 
courageusement auprès de lui pour le défendre. —Ils sont délivrés. 

— Il ne reste plus un seul ennemi dans tout le pays. — Cn miracle 
a réuni au Charnier des lions les soldats chrétiens qui ont péri dans 
la bataille. — Les Croisés rentrent à Jérusalem, après avoir rendu 
les derniers honneurs au fils de Hugues de Saint-Pol et au roi Gop> 

numaran. 




CHANT HUITIEME, 



l. 



|uantSodansvoitQOgentdecûiib9tre«rangier, 
De maltalent et d'iro guide vis esragier : 
Son estandart conmande isnelemtnt dre- 

Et ses homes armer et bien apareiller, [chier, 

Dont oïssiés buisines soner et graiioihier ; 

Mil cors sonent ensemble, qui tôt sont montenier ; 
74Ap De Rames dasc*à Jaffes font la terre hochier ; 

Chenelex oïssiés glatir et abaihier, 

Et la gent de Siglai asler com aversier. 

Sor .1. char tôt de fer font ]*estendart drechier. 

Moult fu longe la verge, li pies estoit d*ormier. 

Assés i averoient doi home à embrachier. 

De .X. pieches fu faite ; Tune fu d'olivier, 

Et la seconde fu d*un fust c'en dit chessier ; 

hà tercbe fu de caisne, la quarte d'aiglentier ; 

La quinte d'ebenus, la siste de perier, 
im Le sepme fu d'auborc, Tuitisme d'aliier, 

La noeme fu d'yvoire, d'un os saintisme chier, 

Et la disisme pieche fu trestote d*ormier. 

Tos fu Testandars oins de basme de basmier : 



296 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Ghe fist faire Sodans por le soef flairier. 
Et si ne puet porrir, ne fraindre, ne brisier ; 
.L. toises longes i puet on brachoier. 
Onques nus bom de char ne vit si baut clochier. 
Lassas siet Apollins, en sa main .i. sautier. 
Où la lois est escrite dès Âdan le premier. 

7450 Sovent le fait li vens là amont torniier, 

.1. baston en sa main, por Franchois manechier. 
Samblant fait à son doit de la loi enseignier : 
Par l'art de yngremanche li font dire et nonchier, 
Que tôt Grestien doivent à Sodant aploihier. 
En son la teste, avoit .i. escarboncle cbier; 
.vn. leues en voit on la clarté flanboier. 
Là se vont em bataille Sarrasins raloihier ; 
Sodans li Amirax en apela Brehier, 
Chil fu ses mainsnës fiex, si Tôt de sa moillier ; 

7W0 Encore en i a .xm., qui tôt sont chevalier. ^ 

Sodans les appela, si lor prist à proier 
De Brohadas, lor frère, hardiement vengier. 



H. 



Moult par fu grans la noise des Sarrasins félons. 
Sodans li Amirax apela Sinadont : 
Ghe fu ses mainsnés fiex, si ot les chevox blons ; 
L'autres ot non Brehier, et cil fu li secons; 
L'uns ot non Acherins, H autres Clorions, 
Et li tiers Lucifer, et Tautres Lucions ; 
f^i quins ot non TAufages, li sistes Danemons, 
7470 Et li sepmes Corsubles, li huitismes Corbons, 



7480 



7490 



CHANT HUITIÈME. 297 

Li novismes Sanguins, li disismes Tahons, 
Li onsismes Barrés, li dosismes Braimons, 
Li tresismes des frères ot à non Rubions: 
N'i a cei ne soit sires de .xx. mil Esclavons. 
Mi fil, ce dist Sodans, or oies mes raisons: 
De Brohadas vengier durement vos proions » 
Et chil li respondirent : « Yostre conmant ferons ; 
La teste Godefroi ains la nuit vos rendrons, 
Le barnage de France as espiés ocirrons, 
Les contes et les dus, les princes, les barons, 
El roialme de Perse o nos les enmenrons, 
Et s'il est vos plaisirs, ses enprisonerons. 
El règne d'Oriant enmenrons Buiemons, 
Et des autres plus riches avec lui enmerrons; 
Cre^tientés estra mise à confusions. 
Sire Amirax, biax père, congië vos demandons : 
« Tans est de la bataille, aler nos en volons. » 
— c Âlés, dist TAmirax et nos vos conmandons 
c A Mahon Gomelin et tôt vos conpaignons. d 
Li fil Sodant montèrent es chevax Arragons. 
De cors et de buisines fu moult grans Tiresons, 
.G. mil Turs enmenerent defors les paveillons; 
Moult par fu grans la noise des Sarrasins félons. 



in. 



Moult par f u grans la noise de la gent mescrëant ; 
Sonent cors et buisines et cil cor d*oliffant; 
Aval Tost se vont Turc et Paien adobant. 
L'Amirax en apiele TAupatris et Morgant 



296 U GOI«QUÉTB DE lÉRWALEH. 

Et le viel Aayroffle, roncla Gk^raumarant, 
Et le roi Calcatras, Ganebaut Tamirant» 

75H Et le viel Amalaine, son frère rAmusUnt^ 
Ector, le fil Areaiie, et le viel Gloriaat, 
Galcatras VAupatris des pors de Bochidant» 
Le roi de Quegneloing et son frère Morgant : 
a Devises mes escbieles, fait-il, jet vos conmant. » 
Et cil respondent : c Sire, tôt à rostre talant, » 
Parmi Tost des Païens s'en vont esperonant; 
.L. eschieles firent ; por voir en i ot tant i 
Et en chascane farent .c. mil Arrabiant : 
.L. roi les guient de la gent mescréant. 

7510 La première eschiele est de cex de Bocidant 
Pins sont noir c*arremens (à malfés les commant). 
El n'ont de blanc sor aus mais qne Toil «t la dant. 
Li chevax où il sist fa cornus par devant; 
Ains ne vëistes tor, qui's éust si poignant ; 
Covers fu dusqu'en terre d'un paile escarimant. 
En l'autre eschiele furent li mor de moriant : 
Cil sont plus noir que poivre que on vait destempraut. 
Bien farent .g. millier, par le mien esciant. 
En la terche sont Bogre et la quarte Aufriquant, 

7520 En la quinte sont Mor, en la siste Agolant, 
En la sieme Esclavon, en l'uisme Samordant, 
En la nosme Escharbocle, en la disme jaiant. 
Ces .TL eschieles vont ensanble glatissant ; 
Conme gaignon aloient nostre gent abaiant. 
L'apostoiles Califfes les vait benéissant 
De Mahon Gomelin et d'Apollin le grant. 



CHANT HUITIÈME. 109 



IV. 



Li Amirax conmande ses eschieles joster. 

.X. en flst d'une part bêlement ordener : 

En l'une sont Paien, en l'autre sont Escler ; 
7530 En la terce Persant, en la quinte Blasfer, 

En la quinte Indois, en la siste Bosmer : 

C'est une gent averse d'otre la roge mer. 

Il n'est hom s'entr'ax non, qui i puist abiter. 

La sepme fu d'Aufras, l'ulsme de cex d'Oper, 

La nosme de Tabars, qui dens ont de sengler ; 

C'est une maie gent, el siècle n'a sa per. 

Or i a .XX. eschieles, tant en ont fait joster ; 

A i'ajoster ensamble les oïssiés usler. 

Qui là fust, à merveille les péust escoter, 
7540 Aine de si laide gent n'oï nus bon parler. 
Anqui porrés bataille oïr et escoter 

Onques nus hom n'oï si grande, ne sa per. 



V. 



Bêle fu la jornie ; moult fist cler cel matin. 
Paien huslent et braient et mainent grant huslin. 
Li Amirax apele Calquant d'otre marin, 
.X. Eschieles devist de la gent ApoUin ; 
L'une est des Michomans, l'autre est de cexd'Arbrin. 
La terce eat des Marois, la quarte est des Fabins, 
La quinte est d'une gent qui maine grant hustin ; 
7550 De cex de Baridane la firent Sarrasin ; 



300 LA gonquAte de lâmsALsai. 

C'est une gent averse, qui ne goste de vin. 
Tôt mainent desos terre, parfont en sosterrin. 
Ghil manjuent la graine, le poivre et le comin ; 
Les roches i sont hautes et ii perron marbrin. 
Aine ne vestirent dras de lange, ne de lin ; 
Velu sont conme wiautre, s'ont abai de mastin. 
Et si corent plus tost que chevrox par gaudin. 
Li sires qui les guiea non Âlipantin: 
Sor .1. cheval séoit, c'en apele Delfin. 
7SM Miex noeroit par mer que nus poissons en Rin. 
Gel jor nos jeta mort de Glarmont Bauduin: 
Et Tangrés le r'ochist à son espié fraisnin. 
Âpres regeta mort le riche Amustadin, 
Et le roi de Yalnuble et le frère Sanguin. 

VI. 

Les autres .x. eschieles fist j ester TAupatris : 
Li une est des Yndois, et l'autre de Lutis ; 
Et la terche des Gauffres, la quarte des Norris ; 
La quinte des Basclois, l'autre des Antecris, 
Ghascuns porte cotel affilé coléis. 
7570 Chele eschiele guia Estormarans li gris, 
Sor ,1. cheval séoit c'en apele Pertris, 
Plus-cort puis et montaignes c'autre chevax larris. 
La teste avoit plus roge que nus charbons espris. 
Et l'autre cors tôt blanc ; mais noir avait le pis. 
Gel aura Buiemons, ains que jors soit fenis. 
L'apostoiles Galiffes a les Turs benéis : 
Or i a .XXX. eschieles des quivers maléis. 
Et après ices .xxx. en refont autre dis. 



CHANT HUFriÈSIE. 301 



VIL 



Les autres .x. eschieles font par devision : 
7580 En Tane sont Marin, en Tautre Fransion, 

Ichil sont d'une terre, France Tapele on. 

Mahomes Gomelins si Fapela par non. 

De là Oriant'siet en Tabitation ; 

La tierche fu d'Europe, la quarte d'Esnaon ; 

La quinte d'Argalie, la siste d'Abaion ; 

La sesme de Salnvages, Tuitisme d'Arragon ; 

La nosme des Espès qui sont de tel fachon : 

Bës ont corne becues et testes de gagnon, 

Et es pies et es mains ont ongles corn lion. 
7590 Quant il crient ensanble, si font tel glatison, 

Que la terre en tombist .m. leues environ; 

Por les taisir, les fiert TAmirax d'un baston. 

Et la disme eschiele est de cex de Bucion : 

Chest une gent averse, cornu sont con moton ; 

Chascuns porte en sa main grant machue de pion. 

Chil fesissent des nostres moult grant ocision, 

Se ne fust Godefrois et li autre baron. 

As espées en firent si grant destrucion, 

Que lor cheval feroient en sanc dusc'au feslon. 
7600 Or aproche bataille ; si fiere n'oï hom , 

Ne tele ne fu faite dès le tans Salemon. 

VllL 

Dis Eschieles retint Sodans li Amiraus : 
Là furent cil de Perse, et cil de Guinesbaus, 



lût LA GONQOilS DE lÉRUSALEH. 

Li Turc, li Ârrabi qui oreat bons cbevaus, 
Paiens et Sarrasins, qui traient as bersaus. 
Et tos cex d'Oriant : cex menra Ganebax. 
S'i furent Âmoraine, qai destriers orent taus; 
Plus tost en vont coranl que ne vole gerfaus : 
Totes lor armes furent à or et à esmax ; 
7010 Et ont bones espëes (Dex lor trameche maxl) ; 
Et Turs et Aufriquans qui moult sont bons vassax; 
Âvoc sont Esclavon : cex tien jo à plus biaus. 
Or furent bien .l.; cex conduist Lucabiax. 



IX. 



Quant les eschieles furent trestotes ajostées, 

Les .X. retint Sodans qui mex furent armées. 

•G. et .L. mile furent bien as espées; 

Et les autres s'entoment, es les vos arotées. 

Aval les plains de Rames sont moult bien ajostées. 

Par .XX. fois .a milliers; tant ont lor gens esmées. 
7«o Dont OLssiés de cors isi fieres menées, 

Que li pui en lentissent, li mont et les valées ; 

Dont oïssiés ensaignes fièrement escriées. 

La gent nostre seignor ont les lances levées. 

Les ensaignes de pailes ont au vent ventelées. 

Chil vert elme reluisent et ces targes dorées^ 

Lor chiés saignent de Deu, s*ont lor copcs clamées ; 

Les escus et les targes ont moult près d'ax serrées ; 

De devant les poitrines en chantel atornées. 

Nos eschieles se sont parties et sevrées : 
7650 A bataille chevalchent; es les vos arotées; 



CHANT Humèiie. 303 

Li firons devant duroit bien .\jl arbatestées ; 
Sovènt rdclaement Deu et ses tertus nomèes. 
Haimais orrés batailles frères et adurées. 

X. 

A Tassambler des os fu moult grans la criée. 

Li vesques de Mautran a haut la crois levée ; 

A no gent la mostra, si Ta desvolepée : 

Adonques n'i ot plus parole devisëe. 

L'uns lait corre vers l'autre, par moultgrant randonée. 

Godefrois vaît devant, la ventaille fermée, 
7M0 Sinagon encontra et sa compaigne armée : 

Ch'ert uns des fiex Sodant de sa moillier Tainsnée. 

Li .1. guencist vers l'autre , à moult grant randonée ; 

Grand cox se vont doner, sans nule demorée. 

La laflche Sinagon est ronpue et froée ; 

Ains li rois ne se mut de la sele dorée. 

Le Païen feri si, c'est vérités provée, 

Sos la bocle li perce sa grant targe listée. 

Parmi le cuer li mist Tensaigne à or brosdée ; 

Mort l'abat del cheval ; l'arme s'en est alée ; 
7050 En ynfer le puant font diaule ostelée. 

Et li rois Godefrois a renseigne escriée : 

€ Ferés, franc Chrestien, sor la gent deffaée, 

f Qui aine ne volrent croire en la vertu nomée. 

c Ghist primiers cox est nostres à iceste assanblée I » 

Dont oïssiet tel noise et une tel criée ; 

Là ot tant poing, tant pié, tante teste colpée. 

Tant chevalier ocis, qui gist gole baée ; 

Tant cheval estrater, tante sele tornée, 



304 LA GONQUAtE de JÉRUSAUai, 

Dont li seignor gisoient estendu en Testrée ; 
Del sanc qui des cors ist est Terbe ensanglentée. 
7000 Li Turc traient as ars plus menu que rosée. 

XI. 

Moult fu grans la bataille et fiers li capléis ; 

Des «XY. fiex Sodant est li ainsnés ocis. 

Atant es les .xini. poignant totarramis: 

Chascuns amaine o soi .xx. mile fervestis. 

Quant voient mort lor frère, grans fu li ploréis ; 

Hautement le regretent. t Marfustes, dois amis! 

c Sinagon, que ta mort moult nos a affeblis ! 

c Che a fait Godefrois, à Tescu d'or vernis 1 

c Mais s'il est encontrés, ja'n ert venjance pris! > 
7070 Lors font soner lor graisles, lor tabors ont bondis. 

Lucifer point et broche le destrier ademis ; 

A haute vois escrie : f où estes vos fu ïs ? 

c Godefrois, malvais hom, contrefais et falis ! » 

Al maltalent qu'il ot vait ferir Anséis, 

.1. cortois damoisel, qui estoit nés de Pis. 

Par de desos la bocle li est l'escus croissis, 

Et li haubers del dos derox et dessartis. 

Mort rabat del cheval, très enmi le larris. 

Sains Michex en porta l'arme en saint Paradis : 
7680 Luchifer s'escria, s'est arere guenchis : 

« Ferés, franc Sarrasin, sor ces Frans maléis, 

c Qui ce ne volent croire que Mahomet soit vis I > 

Lor conmenche Testor et li abatéis. 

Et d'une part et d'autre et la noise et li cris; 

Des plains pordecha Acre les a on bien oïs. 



GHANT HtlTIÂHE. 305 



XII 



Aval les plains de Rames fat la bataille âere. 

Es poignant Acheté parmi la sabloniere ; 

Chil estoit &e\ Sodant, de sa famé ptemiei'e. 

Armés sor .1. cheval de moult riche manière, 
7600 Covert d'un riche paile, col et chiés et crupiere ; 

Son elme et son clavain fist Clôt de la Rochiere ; 

Li escus de son col est plus durs d'une pierre. 

A haute vois escrie : « Godefroi, li lechiere ! 

f Mort m'avés mon chier frère, conmefel et trichioro! 

c Se jovos puis trover, mar passastes Bavière; 

€ De vos ferai anqui une novele bière ! » 

Al maltalent qu'il ot, fiert Odon del Mohiere. 

Ses escus ne li valt le rain d'une feuchiere, 

L'auberc lideronpi, dont la maile ert dobliere. 
7700 Parmi le gros del cuermist l'ensaigne pleniere; 

Mort l'abat del cheval très parmi la rochiere. 

Puis escria Damas 1 si retorna ariere; 

.u. des nos a ocis, en mi la sabloniere. 

Dont efforce li cris de la gent aversiere : 

Plus menu vont saietes que pluie ne rivière. 

Aval les plains de Rames ot de sanc tel rivière, 

Qae li cheval i soillent de si à l'estriviere. 

XIH. 

Aval les plains de Rames furent li caple flei*. 
Atant es vos poignant Galiant et Brehier, 

30 



306 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

7710 Lucion et l'Âufage, Danemont et Goihier, 
Clariel et Tabon, Rubion le legier, 
Fausaron, Esmeré el Sanguin le gaerrier. 
Moult demainent grant noise as lances abaissier. 
Là oissiés maint Turc glatir et abaier. 
Et celé gent averse usler corn aversier, 
Ghenelex oïssiés et glatir et noisier, 
Soner cors et buisines et graisles graisloihier. 
Mais li jentiex barnages, qui Jhesus puist aidier. 
Ne volrent aine Tester doter» ne resoignier ; 

7720 Ains les requièrent bien au fer et à Tacbier. 
Là Téissiés le Roi Godefroi bien aidier; 
Ses frères ambes .il as brans les rens cherquier; 
Puis que Dex vint en terre, por le mont prééchier, 
Ne vit on en bataille tant vaillant chevalier. 
Dont véissiés ces Turs ocirre et detrenchier 
Et l'un mort desus l'autre verser et trebuchier. 
Iluec avint as nostres a. mortel enconbrier; 
A Renaut de Biauvais ont ocis son destrier. 
Hé Dexl com grant domage, quant l'estut trebuchier! 

77-0 Et li bers se redreche, qui le corage ot fier ; 
Il embrache Tescu et tint la brant d*achier. 
En la presse d'estros conmence à caploier. 
Qui il consent à colp n*a de mire mestier. 
S'il auques péust vivre, forment s'i vendist chier. 
Mais Lucifer le fiert devant, à l'encontrier. 
Qu'eus el cors li a fait son dart d'achier lancliier. 
Li bers trébuche à terre. Hé Dex, quel destorbierl 
Dex ait merchi de s'arme, c'oren a grant mestier, 
Et secore nos gens de mortel encombrier t 



CHANT HUITIÈHE. 307 

77fto Trois pelés a pris d'erbe por lui communiier ; 
ÂdoQt s'en parti Tarme del vaillant chevalier* 
Em paradis le 8st Damledeu herbergier, 
Witasses l'a véu ; le sens quide cangier ; 
Il est passés avant ; ja le voira vengier. 



XIV. 



Witasses de Boloigne Renaut a cognéu, 
Que Lucifer a mort, grant ire en a eu. 
Son cheval point et broche, qui randone menu, 
Et a brandi Tespié au fer trenchant molu ; 
Vait ferir Lucifer devant sor son escu ; 

7750 Desos la bocle à or li a frait et fendu, 
Et Tauberc de son dos desmalié et rompu; 
Parmi le gros del cuer li mist Tespié molu ; 
Mort Tabat del cheval à la terre estendu : 
« Outre, dist-iU paiens qui vers ; mal aies-lu t » 
Puis feri Acheré parmi son elme agu^ 
Que les flors et les perres en a jus abatu, 
Enfresi qu'ens el pis l'a trestot porfendu. 
Li bers estort son colp, mort Tabat estendu. 
Après ochist Princeple, le fil Tamiral Hu» 

7700 Es vos roi Godefroi poignant sor Chapalu, 
Witasse a escrié: t Frère, or vos ai véu: 
€ De ces grans cops sanbiés nostre aiol qui ja fu, 
c Le chevalier au chisne, qui le Saisne ot vencu. 
c Se jo jamais vos fail,ja m'arme n'ait salu! 
€ Huimais poignons ensanbleyamis^etjoel tu^ 
c Dex! où est Bauduins? Ne sai se l'ai perdu! » 



308 LA GONQUÊTB DE JÉRUfiALEIf. 

Àtantes le poignant parmi le pré herbu, 
Sor Prinsaut Tarragon, qui le poil ot cbantt. 
Devant son frère a mort .i. des fiex Maiagu, 
7no Et .!• des fiex Sodant, c'en apelait Corsu. 
Sanguin a encauchié, mais ne l'a conseuu. 
Quant li quens ne l'atainst, grant ire en a eu ; 
En mi sa voie encontre le roi Marchepalu ; 
La teste li trencha ausi corn a. séu. 



XV. 



Moult fu grans la bataille et ruiste Tenvaïé. 

Atant es vos poignant Robert de Normendie: 

Venus est à l'ester, o fiere conpaignie. 

La lance porte droite, où Tensàigne balie. 

Tant com chevax puet corre à plain, de grant r<àyie, 
rm S'eslaisse en mi les Turs qui Damiedet maldie ; 

Fiert le roi Atenas, qui sire ert d'Ësclaudie t 

Tote li fent et peree sa grant targe florie, 

Et la broigne li a ronpue et desmailie ; 

Le cuer li a perchié, l'arme s'en est partie. 

Et li Diaule l'ont en infer herbergie. 

Li Paiens chiet à terre, qui estoit de Nubie. 

Robers a escrié : c Dame sainte Marie! » 

Mist la main à l'espée, del fuerre l'a sachie ; 

Tôt en fendi a. Turcenfresi qu'en l'oïe. 
7790 Apt*ës celui a mort l'amiral de Nubie : 

Moult bien i fiert li dus, car maltalens l'aigrie. 

Des Paiens qu'il oehist est la terre jonchie. 

Plus li fuient li Turc que le faucon la pie : 



CHANT miITIÈME, 309 

Et li bers les encauche plas d*une grant traitie. 

Mais se Jhesus n'en pense, moult est courte sa vie. 

Car si est entreclos de la gent paienie, 

N'a mais de tes ses homes véue ne oïe. 

Endroit ju. ombres est gent paiene guenphie, 

Là où la mère Deu fu lasse et traveillie; 
7800 Iluec se reposa et dist la prophesie 

Que Dex i fesist ombre : si fist sa commandie ; 

Maintenant fu la terre entor lui ahombrie \ 

N'i abita solaus d'une lance et demie. 

Chil ombres est vers Jaffes, par devers Cauquerie. 

Là fu de Turs enclos Robers de Normendie. 

Mainte saiete i ot desus lui descochie. 

Tant en ot en ses armes et traite et enfichie, 

8'eles fussent ensanble, on nés enbrachast mie. 

Del bon conte Robert ne sai que jo vos die ; 
7810 Se Damledex n'en pense, moult est corte sa vie, 

Car plus a de quarrax sur lui d'une brachie. 

Sarrasin Iq bersoient et font grand huerie. 

Aval les plains de Rames ot si grant crierie, 

De cors et de buisines si grande mélodie. 

Que de si devers Acre la terre en reformie. 

Se Damledex n'en pense, li fiex sainte Marie, 

h iert Crestientés durement malbaillie 

Et à dolor tornée la Deu chevalerie. 

Car tant par i avoit de la gent paienie, 
7820 Que ,vii. leues plenieres en est terre carchie. 



310 LA GONOUÉTE DE JÉRUSALEM. 

XVI. 

Raiste fu la bataille et li caple sont grant; 
Robert de Normendie ont enclos li tirant. 
As ars turquois le bersent et vont de loins traianl; 
Desos lui li ont mort son destrier au ferrant, 
Et li bers sali sus, qui le cuer ot vaillant. 
L'escu tint devant lui et traist tôt nu le brant. 
MouU se vait as Paiens ruistement deffendant. 
Turs ne Tose aprocher d'une lance tenant. 
Si chevalier Taloient parmi l'estor querant ; 

78sd Quant nel porent trover, moult en furent dolant. 
A Robert le Frison en vont doi mes plorant : 
« Sire, secorés nos, por Deu le raamant ! 
« Robert de Normendie enmainent li PersantI 9 
Quant li quens Tentendi, moult ot le cuer dolant. 
Saint Sépulcre escria : t Chevalier, or avant I 
€ Qui le conte faura, jel tieng à recréant I » 
Puis fait soner .1. graisle, si s'en torna atant: 
Geste gent maléoite mar s*en iront gabant! 
Si chevalier estoient de ferir desirrant. 

78fto Buiemont le dist on et Tangré le Puillant, 

Que Sarrasin enmainent dant Robert le Normant; 
Quant Buiemons Ventent del cuer vait sospirant: 
Tangré a escrié : t Sonés cel oliffant ! 
t N*i gariront Paien desi en Oriant ! » 
Li Baron s'en tornerent à espérons brochant; 
Apres Robert de Flandres s'en vont esperonaat ; 
En la presse des Turs se ferirent bruiant ; 
As lances abaissier,en abatirent lant. 



CHANT HUITIÈME. 311 

Que tôt cil qui le virent en furent merveillant, 
7850 Puis traient les espées par monlt fier maltalant; 

Testes et bras et pies lor aloient colpant. 

Nos barons nés espargnent, mais tos tans vont ferant; 

Onques ne s*aresterent en mileu, tant ne quant, 

Mais as bons brans d'achier vont tel caple faisant, 

Ne redotent Paiens .i. denier vaillissant. 

Robert de Normendie ont trové tôt sanglant; 

Buiemons li amaine j. destrier auferrant 

Et li dus i monta, qui cuers ne vait faillant. 

Quant il fu à cheval, ne se vait pas faignant : 
78eo Maintenant a ocis .i. Turc en trespassant. 

Et li baron Tenbracent, qui moult le vont baisant, 

Et Robers li Frisons de ses bras acolant. 
Es vos par la bataille le fier Cornumarant, 

A .XXX mile Turs de la gent mescrëant; 

Entre no gent se flert, moult en vait ociant, 

Damas et Tabarie vait sovent escriant. 

XVII. 

Por rescorre Robert ot maint grant colp doné, 
Maint Turc et maint Paien ocis et decolpé. 
Es vos par la bataille apoignant Esmeré, 
7870 Le fil Sodant de Perse, antan Tôt adobé. 
Sa lance porte droite, le gonfanon fermé, 
Godefroi de Buillon a sovent escrié : 
« Malvais homi moult me poise, quant nevos ai trov(^, 
• La mort de mes .m. frères fert ja guerredonél » 
En sa conpaigne furent .xx™. Paien armé ; 
M'i a celui ne (iegne ou chastel, ou chité. 



312 LA CONQUÊTE DE iJ^RUSALElf. 

Très enmi la bataille a Rogier encontre, 
Icelai de Rosoi, qui fa de tel bonté. 
Le cheval laisse corre, si a à lui josté; 

7IM Del cheval Tabat jus, si Ta forment navré. 
Quant Rogiers de Rosoi se senti a terré, 
isnelement saut sus, trait le brant acheré ; 
Ains qu'Esmerés guenchist, Ta si Rogiers frapé. 
Amont parmi son elme qu'il ot à or gemé, 
L'elme li a fendu et tôt esquartelé. 
Enlre col et escu a Tespée avalé, 
Que le brach et Tescu a ensamble colpé. 
Del grant colp trébucha li Sarrasins el pré, 
El Rogiers de Rosoi a le cheval cobré ; 

7890 Ens en sa main senestre tint le règne noé 
Et sali es archons, qu'à estrief n'en sot gré. 
Quant Sarrasin le virent, si ont le cri levé. 
Moult demainent grant dol, tôt li frère Esmeré ; 
Mahomet Gomelin en ont forment juré, 
Que por lor frère en ierent .xx*". Franchois tué. 
Lors s'en sont trestot .xi. rengié en mi le pré. 
Lor eschieles mandèrent, si ont lor cors soné. 
Bien furent .xxx. mil, quant furent ajosté, 
Trestot de gent averse, bien resamblent Malfë. 

7900 Or soit Dex en aide nostre Crestienté; 
Car à ceste bataille seront forment grevé. 
Deu auroQt à ami, s'il en sont escapé. 

XTIII. 

Moult fu grans la bataille et fiere la meslée; 
Des cors et des buisines retentist la contrée. 



CHANT huitième:. 313 

.XL. en i avoit, tôt de gent desréée. 
Les eschieles aprochent de la gent deffaée: 
Li pluisor en sont noir assés plus que pevrée, 
Et li auquant cornu ; chascuns porte plomée ; 
Et si ont une eschiele de noire gent barbée: 

7910 Cil sont assés plus noir que suie destemprée. 
Chele eschiele est as nos premièrement jostée ; 
 Tajoster i ot grant noise démenée. 
Là ot tant poing, tant pié, tante teste colpée, 
Li sans qui des cors ist chiet ens en mi la prëe, 
Si que li herbe vers en est ensanglentée. 

Es vos Rotrou del Perce et sa conpaigne armée 
Et dant Huon le Maine, qui Tensaigne a portée ; 
Et li quens de Yendosme, o cex de sa contrée, 
Li quens Lambers de Liège, qui bien flert de Tespée, 

7920 Lor gent ont tôt ensanble rengie et ordenée. 
Puis font soner li conte .x. cors à la menée. 
Li quens Hue esperone, s'a Monjoie escriée; 
Tant com chevax pot corre à plain de randonée, 
Se vait ferir li qnens entre la gent barbée ; 
Âins que Tespié brisast en fist mainte eminsée: 
 plus de .XXX. en flst salir la boélée. 
Quant li espié brisa, si a traite Tespée; 
.1. Turc en a fendu de si qu'en la corée. 
Li quens Rotrox del Perce i fiert à grant irée; 

7950 Moult est no gent sor Turs de ferir engressée ; 
Icele eschiele ont morte ocise et affolée, 
Et de si à .m. ombres les ont ferant menée ; 
Là fu Sainte Marie, por le caut reposée: 
Iluec a de Turs mors plus d'une grant navée. 



314 LA GONQUèTE DE JÉRUSALEM. 



XIX. 



Moult fa grans la bataille, si fiei*e ne vit on. 

L'eschiele d'Oriant vint poignant de randon : 

Plus sont de .xxx. mil li encrismé félon. 

Comicas les conduist des puis de Hontribon. 

Li chevax où il sist ert plus blans d*un colon, 
7M0 ji. cornes ot el chief, par devant ens el fron ; 

Poignans sont et agûes assés plus d'un ponction ; 

Les pies avoit fendus devant dusc'au talon, 

Ensement corn .i. bues et d'autretel fachon. 

Plus a les ongles durs d'achier et de laiton, 

Et si coroit plus tost qu'esperviers ne faucon. 

Li païens l'ot covert d'un vermeil siglaton ; 

Si portoit .1. ensaigne, où avoit .i. dragon. 

Cornicas point et broche le destrier Arragon , 

Et li chevax li lance plus d'un esmerillon. 
79M II a brandi la lance, destort le gonfanon, 

Et fiert Tomas de Marne sor l'escu à lion, 

Desos la bocle à or li pechoie et confon. 

Mais aine ne li fausa son hauberc fremillon; 

De la lanrhe qu'il porte volèrent li tronchon. 

Et Thomas se tint bien, aine ne canja archon ; 

A l'espée en quida prendre la venjoison. 

Mais li Turs s'en passe outre, ne le prise .i. boton. 

Car ses chevax li cort plus d'un alerion. 

Quant Thomas Ta vëu, si froncha le grenon ; 
7900 Plus est d'ire vermax que ne fu .i. charbon ; 

Al maltalent qu'il ot vait ferir Clarion; 



CHANT HUITIÈME. 315 

Chil estoit fiex Sodant, rois erl de Monbrandon ; 

Âinc elmes ne escus ne li fist garison. 

Trestot Ta porfendu enfresi qu'el polmon ; 

Il a estort son colp, mort l'abat de Tarchon. 

Puis ocist ses .11. frères Brehier et Lucion. 
Es poignant Engerran et de saint Pol Huon : 

Sor son escu devant ala ferir Tahon. 

Il estoit fiex Sodant et tint Perse en son non. 
7970 Engerrans le feri par tel devision, 

Que l'escu li percha con .1. pan d'auqueton. 

Li baubers ne li valt .1. hennin pelichon; 

Son espié li conduist droit parmi le polmon ; 

Mort l'abat del cheval, n'i fist arestoison. 

Puis a traite Tespëe, qui li pent au giron; 

Parmi l'elme en feri son frère Clarion; 

Tôt le fendi li quens enfresi qu'el polmon. 

Âpres celui a mort .1. paien Maltriblon, 

Puis en r'abat .i autre qui Danemons ot non ; 
7980 Tôt chil estoîent frère, fil Sodant le Baron ; 

N'i a mais que .11. vis que nos vos nomeron : 

C'est Sanguins et TÂufages, moult sont andoi félon ; 

Quant voient mort lor frère, si reclaiment Mahon; 

Elli autre Paien font si grant usieson. 

Que dusc'au tref Sodant en oï on le son, 

XX. 

Quant li Aufages voit si ses frères morir. 
De maltalent et d'ire quide le sens marir; 
Son cheval esperone par merveillox aïr, 



316 LA CœfQUÉTE DE JÉRUSALEH. 

D*ttn fousart que il porte vail Eagerran ferir ; 

mo Son escu de son col li fait fendre et croissir 
Et le hauberc del dos derompre et dessartir ; 
Parmi le gros del pisli fistrespié salir; 
Le cuer qu'il ot el ventre li fist en .n. partir. 
Il Tempainst par vertu, si le fait jus caïr. 
Engerrans de saint Pol reclama saint Espir, 
Qu'il ait marchi de s*arme s'il li vient à plaisir, 
Et secore son pople, que il nés laist morir, 
A la gent mescrëant mater et desconfir; 
Sa main leva amont, por sonchief benéir, 

8000 Sa main contre Oriant l'a fait Dex définir. 
Si com li arme dut fors de son cors issir, 
Nostre Sires le fist saint Michiel recoillir, 
En son saint Paradis et mettre et assëir ; 
Iluec le fait des sains et des angeles servir ; 
Che est drois, que por lui sofTri li cors martin 

Moult fu dolens li pères, quant mort le voit jesir; 
Tant fort detort ses poins, le sanc en fait issir ; 
De dolor et d'angoisse conmencha à frémir: 
c Dex i dist-il, por coi as mon fil laissié morir, 

8010 c Quant ilestoit cha outre por vos venus servir? » 
Là véissiés maint prince et maint baron venir, 
Qui venoient au cors, por Engerran véir, 
Dont péussiés grant dol por le baron coisir; 
Hues tort si ses poins, le sanc en fait salir ; 
S'espée traist del fuer, qu'il se voloit ferir ; 
Quant Robers li Frisons li cort des poins tolir: 
Le dol que Hues maine ne porroit nus soffrir ; 
Li baron et li prince de dol quident morir, 



CHANT HtlTtÈttlS. 317 



XXL 



QaantEngerrans fa mors, moult i ot grant dolor; 
8020 Maint baron et maint princlie en plorerent le jor. 

Sor son escu cochèrent le vaillant poignëor^ 

Isnelement le portent bien loing, fors de Vestor; 

Arrière en la bataille repairent par iror, 

Chascuns tint en son poing le bon brant de color. 

Parla mort Engerran sont en moult grant esror. 

Hues chil de saint Pol si sKst el milsodor; 

L'Aufege vait querant entre gent paienor ; 

Entre cex rencontra, qui tienent à seignor, 

Ne fustmie si liés por trestote s'onor, 
80S0 Ne por tote la terre d'Inde superiori 

XXII. 

Quant Hues de saint Pol a TAufage véu, 
A esperott li vient, entesé le brant nu ; 
Amont parmi son elme li a grant col féru, 
Que les flors et les perres II a jus abatu ; 
La coiffe de Tauberc ne li a riens valu : 
Enfresi qu'ens el pis Ta trestot porfendu. 
Puis a estort son colp, mort Tabat estendu I 
c Outre ! dist-il, Paiens! maléois soies-tu 1 
c De la mort d'Engerran as guerredon eu ! > 
S040 Dont oissiés grant noise et grant cri et grant hu; 
Plus de .c. mile Turc sont celé part venu. 
Là furent li Espec, qui tôt furent beccu ; 



318 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Bés ont conme becues et lor cors sont velu ; 
Em bataille s'aherdent à la gent com à glu. 
Qaant voient nos Kibaus, sore lor sont coru. 
Et as bés et as ongles lor ont le cuir tolu ; 
Les boëles lor sachent par les ventres del bu. 
Gel jor ont li Ribaut moult pesme jor eu. 

XXIII. 

Quant li rois des Tafurs vit de la gent salvage^ 
MM Qui de ses homes font tel martire et tel rage. 
De maltalent et d'ire à poi que il n'esrage. 
A sa maisnie escrie : c Ne soies mie ombrage t 
c N'aies mie péor de celé gent marage ; 
c 11 n'ont hauberc, ne elme, escu, lance, ne targe. 
« Soviegne vos de Deu qui fist oisel volage I » 
Quant Ribaul Tont oï, si seignent lor visage ; 
Hardemens et proece lor revint en corage ; 
As cotiax et as haches en ont fait tel domage. 
Que li mont des ocis gisent aval l'erbage. 

XXIV. 

806) Dès que li Ribaus ont les Becus assentis, 

Si lor trenchent les testes, et les bras et les pis ; 
Et cil mainent des bés .i. si grant glatéis. 
Et abaient et huslent et demainent tex cris. 
De Saint-Jorge de Rames les a on bien oïs. 
Et li rois des Tafurs en a bien .c. ocis ; 
Et li Ribaus les ont à haches desconfis. 



CHANT HUITIÈME. 319 

Aval les plains de Rames a tel abatéis. 
Que en lor sanc feroient enfresi c'as pomis. 
Li Becca s'esmaiberent, es les vos départis. 
8070 Plus tost s'en vont fuiant que cbevax ne roncbis, 
De si à Testandart n'en est .i. resortis, 
Au mestre tref s'arestent Tamiral des Persis, 
Où jooit as escbés au frère TAupatris. 
Quant il voit les Beccus devant lui affuis, 
Moult les a manecbiés, si en ont forment ris; 
Mais dusc'à poi de terme en sera plus maris, 
Quant il orra noveles de ses .xiui. fils, 
Dont chascuns est li cuers ens el ventre partis. 

XXV. 

Moult fu grans la bataille, bien fait à ramenbrer; 

8060 Onques puis ne devant ne vit nus bon sa per. 
Là péusiés véoir tant ruiste colp doner, 
Et tant escu percbier, tant elme esquarteler ; 
Paiens et Sarrasins morir et cravenler, 
Abaier et glatir et conme chiens usler. 

Es poignant Cornicas d'otre la roge mer ; 
El cheval sist Cornu, plus le fait randoner, 
Qu'esmerillon ne vole, por aloe encontrer. 
Ochis nos a Raol et Roger au joster. 
Quant Bauduins le voit le sens quida desver; 

8090 Le cheval conmencha forment à galoper. 
Et le destrier au Turc prist moult à goloser. 
S'il le pooit avoir, il nel volroit doner, 
Qui d*or fin li volroit .iiii. fies peser. 



310 LA gonouAte DB ifoUSALEaC. 

Prinsant esperona ; moult le fist tost aler ; 

Ains li roitf Cornicas ne s'i sot si garder. 

Que li quens Bauduins ne fusl à rencontrer. 

Amont parmi son elme li vait tel colp doner. 

Que les flors et les perres en fait jus cravanter ; 

Enfresi qu'el menton li fait le brant coler 
stM Le destrier a saisi, s*en fist le roi verser. 

Bauduins est guencis, mist soi el retorner. 

De Prinsaut descendi, el Cornu vait monter ; 

Puis conmanda le son à son barnas mener. 

Bien en sus de la presse le yit*on randoner ; 

Plus tost fait Bauduins le Cornu desteler. 

Que Espreviers ne vole, quant il doit oiseler. 

Or puet séurement et venir et hurler ; 

Bien se puet as Paiens, se il volt, ascosler, 
. Et parmi la grant presse et venir et aler. 
8110 Anqui fera as Turs le Cornu conperer. 

Saint sépulcre escria : t Ja n'i porront durer; 

c Ceste gentmaléoite qui Deu ne veult amer ; 

€ Venés avant, Baron, ja les verres mater I » 

Dont oïssiésMonjoie hautement escrier. 

Saint sépulcre et saint Jorge hautement réclamer ; 

Plus d'une arbalestée font les Turs reculer. 

XXVI. 

Moult fu grans la bataille, orgeillose et estraigne. 
Li cri sont efforchié et li ester engraigne. 
Estes vos à liant les mors de Moriaigne. 
8120 Nichomas et Aufraisetcex de Buriaigne. 



CHANT HUmilIE* 32i 

Velu sont con mastin, moult par ont laide Jiâigne ; 
Qui chiet entre lor mains, moult fait maie bargaigne ; 
Hais li jentiex barnages de la terre sovraigne^ 
As espées d'achier. moult forment en méaigne.; 
Des mors et des navrés covre si la canpaigne, 
N'i verriés de terre fors boiaus et entraigne. 
Ghascuns de lor chevaus en sont yermel et baigne ; 
Li Hor tôt desconfit fuient aval la plaigne. 

XXVII. 

ê 

Après icele eschiele, revient une autre gent. 

8130 Ghe sont et Gauffre, et Bogre et Cheneleu puUenr. 
Quant li hom est porris. si le menjue où vent. 
As poitrines lor tienent li menton et li dent : 
Avec cex sont venu tôt chil de Bocident : 
Ghil mainent .x. jornée3 de là l'arbre qui fent, 
Une fois ens en Tan, por renovelement, . 
Se vait chascuns baigner el flove de jovent. 
Onques chil ne mengerent de nul grain de froment; 
Aine parler n'en oïrent ne n'en sevent noient, 
Trestot vivent d'espèces, n'ont nul habilement, 

81M Et sont lait et hisdeus ; de conbattre ont talent. 
Se Damledex n'en pense, par son conmandement, 
Chist feront de no pople moult grant destruiement. 

XXVIII. 

Es vos le roi des Asnes, à esperon brochant : 
Tote sa gent venoit après lui rechignant. 

21 



322 LA coHQeire œ JâmsALEM. 

Itei noise demenoîeat et tempesle si graiit, 
Qœ lot li plain do Rames en aioient crollant* 
Lt os Don s'en esmaia, moutt se Tait fonniant. 
Se Dex ne les lensast, qui les vait confortant, 
Tôt fussent à martire, ja n'éossent garant. 

SIM Li Tosques de M altinn lor aporta devant 

Et Tabès de Fescamp, la lance au fer ^endtant, 
Et li vesques de Nc^les l'estache où li tirant 
Bâtirent Damledeu, chascuns à son vergant. 
Tant qu'il ot son bel cbief et son cors tôt sanglant. 
A haute YOis s'escrie li vesques de Mautrant: 
c Tomes cha tos vos iex, franc chevalier vaillant, 
c Ne vos esmaiés mie, mais soies renhaitant: 
c Yès chi la vraie crois qui vos sera garant, 
c Gardée n'aies wimais .i. sol pas reculant 

8t6o c Hais les quivers ferir voist qui miex miex avant; 
c Toe les max c'avés fais tôt en vostre vivant, 
c Vos pardoîns jo de Deu, le père tôt poissant; 
c Et se por lui morés, sachiés à esciant 
c En son saint paradis en irés tôt cantanlt > 

Quant Grestien oïrent le vesque de Haltrant, 
Maint et conmunalment se vont resbaudissant; 
Aine n'i ot si coart bataille ne demant. 
De sor la gent averse vont à main tas ferant ; 
A cens et à milliers les vont esboëlant. 

8170 Et jo que vos diroie? tant en vont ociant, 

Que hom nel porroit dire, ne joglerres qui chant. 
Paien crient et huent, forment vont glatissant ; 
Ja tornassent en fuies, par le mien esciant, 
Quant il lor sont venu li malostru galant, 



CHANT HUITÏàlfE. 323 

Chascuns d'ax porte macbe, grosse lanche et pesant 
Sor nos Crestiens fièrent, moult en vont ocianC. 

Li vesque de Maltran i vint esperonant : 

La vraie crois tenoit devant lai en estant ; 

Bien Favoit atachie au cel de Tauferrant. 
8180 Li galant Tesgarderent, tôt vont esbloîssant. 

Des grans mâches s'ocient et vont eschervelant. 

Le fu grijois ont pris sel getent maintenant, 

Li .1. Taloit sor Tautre espessement jetant. 

Et jo que vos diroie? si se vont ochiant. 

De .XV. mil ne furent que .y^, escapant ; 

Sor l'autre gent averse qui là fu remanant 

Maine li vens le fu et tôt la vait bruslant. 
Es vos por la bataille le fier Gomumarant, 

A .XXX. mile Turs de la gent mescréant, 
8190 Plantamor point et broche et tint tôt nu le brant 

Fiert Girart de Gomai parmi Felme luisant ; 

Li elmes ne la coife ne li furent garant ; 

Enfresi qu'el menton le vait tôt porfendant. 

Mort l'abat del cheval, puis se vait randonant. 

Li quens Bauduins broche le Cornu al devant ; 

L'espée tote nue vait le Tare encalohant. 

Aine ne le volt guerpir de si al tref Sodant; 

Aine ne l'osa atendre, dépens se mist esrant. 

Bauduins vit Perron à Testandart séant ; 
8200 N'ose à lui arester, sel salue en alant ; 

Puis broche le Cornu, si s'en torna atant ; 

Et li chevax l'enporte plus tost d'oisel volant. 

N'aroit garde d'ataindre de si qu'en Oriant. 

Et Cornumarans vint au tref le roi poignant ; ' 



324 lA OONQDÉTE DE JÉRUSALEM. 

A haute vois s'escrie : c Que fais tu, Amirant? 
c Tôt sont OGis ti home, poi en i a vivant 1 
c Et U Bogre et li Hongre et li Popeliquant 
c Et li Amoravi, qui tant furent vaillant, 
c Par le mien esciant, poi en i a vivant ! » 
m% A iceste parole, es vos Sanguin esrant. 
Environ lui venpient .xx. Mor de Moriant; 
Qui à lor mains venoient lor chevox detirant. 
Margot et ApoUin à haute vois bûchant, 
Et Mahon et Jupin et lor Deu Tervagant. 
Devant son père vint Sanguins ses poins traiant. 
Et li Mor avoc lui, chascuns palmes bâtant. 
Devant Sodant se mistrent trestotagenoillant; 
Et quant Spdans les voit, si se vait escriant : 
Par Mahon I c'avés vos? ce lor dist TAmirant, 



c 



c Moult vos voi malbaillis par mon Deu le poissant t » 



XXIX. 

Sanguins, li fiex Sodant, s'est moult haut escriés : 
c Amirax, sire père, moult estes malmenés! 
c Perdu avés vos fiex, jamais ne les verres ! 

< Li barnages de France les vos a mors jetés f • 
Quant Spdans Tentendi .im. fois s'est pasmës ; 

Et quant il se redreche, si s'est haut escriés : 

< Or tost, dist TAmirax, mes armes m'aportés ! » 
Et cil ont répondu : € Si com vos commandés. » 

Ses armes li aportent Corsus et Barufflés. 
•so Demaintenant li ont sus la terre jetés 
.1. tapis fais à or, de grant richesse ovrés 



CHANT HUITIÈUE. 326 

Et desor le tapis .i. pailes colorés. 

Là s'asist rAmirax, qui fa de graûs bontés. 

Ses cauches li caucha li rois Matusalés ; 

D'un clavain closéis, aine nus bon ne vit tés; 

Les bendes en sont d'or, si les fist Salatrés, 

.1. moult sages Juïs, qui fu des ars perés. 

As clox d'argent estoit chascuns claviax rivés : 

Ses espérons li cauche l'Amirax Josués ; 
82ao Puis vesti .i. hauberc, qui fu d'antiquités ; 

.XX. et .v. ans fu ains que Dex fu aorés, 
Dès le tans Israël, et Galans li sénés. 
Là apristrent la forge dont chascuns fu parés; 
Moult fu riche la broigne, chascuns pans fu saffrés, 
De fin or et d'argent menu estincelës. 
Et li cors dé desore tos à listes bendés. 
La coiffe est tote d*or, moult a grans dignetés ; 
Ja hom qui Tait el chief n'ert de côlp estonés. 
En sa ventaille a perres qui gietent grans clartés ; 
8250 A .XXX. las d'or fin fu ses elmes fermés ; 
Hahomes Gomelins fu par dessus molles, 
Et li non d'Apollin escris et devises, 
Tervagans et Jupins et Mabons li ainsnés. 
Hom qui le jor le voie ne puet estre avulés. 
S'espée li aporte TAmirax Estelés ; 
.1. diables la fist qui ot à non Barrés, 
Es puis de Loquiferne, où il fu enserrés. 
.1. an et .1. demi fu li achiers temprés. 
Quant Tespée fut faite, s'en ocist .u. malfés, 
En Enfer les avoient à .1. plait ranpognés. • 
Plus fu noire l'espée que arremeas treulés ; 



3M LA CONQUÊTE M IÉR1»ALEH. 

N'i avoit point de crois, mais li brans fa letrés. 

Hisdense avoit k non, si fa ses noas només, 

Ce raconte mes maistres, et ce est yerités. 

Li foriax fti d'iroire à perres eslelës, 

Et les renges de soie, d'orfrois li sorbaudrés; 

Une toise ot li brans et demi pië fo lés. 

Plas trenehe qne rasoirs, quant il est affilés. 

Li Amirax l'a chainte à son senestre lés. 
S27S Gel jor en a as nos mains niîstes cox donés. 

Au col li pent sa targe ses oncles Bauf amés : 

.XXX. bocles i ot en basme prin^pés. 

Sa targe ot d'or fin trestos les bors orlés ; 

Que par arme ne fast .i. point escartelés. 

De cuir d'oliffant fu par deden& enarmés, 

Et defors fti de cerf et de paile forrës. 

Le M aigremor amament, moult f u bien enselé» ; 

De fraim et de lorain richement acesmés^ 

N'eslijast ti hamois Tamirax Cadroés, 
S280 De la moitié d'Espaigne ne fast mie achaté». 

De .niL fors sorcengles fu ti dievax cenglés ; 

Li estrief sont de elierf, .mi. fois fu tanés ; 

Li anel en sont d'or, .x. pox ont mesurés. 

Par son estrief senestre est li Sod^ns montés ; 

A son estrief tenir ot .xx. rois coronés. 

De lui à gré servir est ohascuns moult penés. 

.1. espié a saisi, dont li fers fu quarrés» 

Hoult fu fors et tenads, tos fu envenimés ; 

Nus horan'en puetgarirpor qu'il en soit navrés. 
8290 .1. «dragons fu desus, à .v. clox d'or fermés ; 

Sor son pis gist sa barbe, blance con fl^r de prés ; 



GUANÏ HUlTièMË* ^27 

Tds ses ventres devant en est acovetés. 
Par tel a!r s'aficbe es esiriers noielés, 
Que li Maigremors est de sos lui tressués. 
Mottlt fu fier rAmirax et si ot inanlt biautés; 
Or sachiés affiance, et û est vérités. 
Que ne fu plus biax princes véus, ne esgardéa. 

Moult par fu grans la noise quant Sodans fu armés ; 
Dont fu à Testandart h maistre cors sonés. 
8300 Là véissiés Paiens venus et assamblés ; 
Cors et tabors et timbres et moniax cornés» 
Que grandismes .x. (eues en est li sons aies. 

XXX. 

Quant Sodans fu armés, moult fu grans la criée ; 
Sonent cors et buisines ensamble à la menée. 
Chascuns des Amirax a s'eschiele guiée 
L'Amulans sist el Blanc, à la crupe teullé€, 
C'est li riches chevax dont on fist Tesgardée 
Dedens Jérusalem i no gent la senée. 
Sodans sist sor le Maigre, à la crupe teullée, 
8310 Qui coroit .xv. lenes tôt une randonèe. 
Li amirax Sodans, à la barbe meslée, 
En a juré sa lor, que il a tant amée. 
Que se Paiens i fuit, la teste aura colpée. 
Or ait Dex no gent et sa vertu nomée I 
Anqui auront bataille moult âere et adurée: 
Onques ne fu si fiere véue^ n'esgardée, 
Ne jamais ne sera, tant com Dex ait durée. 



328 LA CONQUÊTE DE lâtUSALEM. 

XXXI. 

Les eschieles chevalcent, Sodans les fait gaier 
A .LX. Amîrax et rengier et serer; 

8st« Devant es plains de Rames fait son trésor porter. 
Devant nos Crestiens et mètre et aûner, 
Por ce que il râlassent et carchier et tresser : 
Mains aine n'i ot celui qui deignast i torner ; 
Plus amoient assës Paiens à decoper. 
Li Amirax conmande sa gent esperoner. 
A cest mot s'eslaiscberent plus de .c. mil Escler; 
Là font Arrabiant lor chevax randoner. 
Mais li jentiex ba mages, qui Jhesus puist salver, 
La bataille des Turs ne voiront refuser. 

8330 Moult fu grande la noise, quant vint à Tassanbler. 
Là péussiés véoir tant ruiste colp doner. 
Et tant escu percher, fraindre et esquarteler, 
Paiens et Sarrasins morir et decolper, 
Tréncher pis et coràiiles et hiaumes enbarer ; 
En mil lex oïssiés enseignes escrier, 
' Les plaisors véissiés les boiax traîner; 
Et tant escu perchier, fraindre et esquarteler, 
fies uns contre les autres et venir et aler, 
Et Turs et Sarrasins sovent traire et berser : 

8340 Qui là fust, à merveille les péust esgàrder; 
Assés éust dur cuer qui n'estéusl Irambler. 
Car les cris péust on oïr dusc'à la mer. 



CHANT HUITIJBIIB. 329 



XXXII. 



Es vos par la bataille apoignant Gorbadas. 
Bien f u armés 1 i rois, et sist sor Glorias ; 
De Glarmont en Auvergne nos ocisl Nicholas; 
Après ocist Berart, le cosin dant Thomas, 
Sor nos Crestiens fiert de l'espëe à main tas. 
Quant Sodans Ta véu, si s'escrie à .i. glas : 
c Par Mahomet, dist il, Jherusalem r'auras, 
8850 c Que Franchois t'ont tola. Il fil au Satenasf 

< Les plus riches barons meterai en mes las, 
c En prison les menrai, conme caitis et las; 

< Godefroi de Buillon enmenrai à Bandas. 

< Ja n'en eschapera li maigres, ne li cras. 

< Quant de ci tornerotit nel tendrout mie à gasi 
Buiemons de Sesille en entendi le glas. 

A haute vois escrie : c Qnivers, mal le pensas f 

< Se Deu plaint et sa mère, anqui le conperras. 
Vers le paien s'en va assës plus que le pas. 

XXXIII. 

8880 Buiemons point et broche le destrier de Gastele ; 
Et tint l'éspée nue qui luist et estincele; 
Mais tote fu soillie en sanc et en chervele. 
Gorbadas Sert sor Ferme que tôt li eschantele ; 
Ausi li fent et colpe com .i. pan de goneie ; 
La coiffe ne li valt vaillant une ceneie; 
Canqu'ataint âe l'escu li tronche et es(|uart6le. 



330 u GONgviTB w iérosalem. 

I^ cner li a trenchié par desos la mamele, 
Li espèe descent par derant la forcele, 
Tôt aval les archons en ca! la boele. 
8I10 Baiemoils s'escria : c Gesèe teajance es! bêle ! 
< A Coraumarani ierl malraise la Mvele. » 
Saint sepalcreescria: < Ferés avant, obaele! 

xxxrv. 

Es vos par la bataille apoignant La^abel ; 
La lance porte droite» destort le peneacel , 
Et broche le cheval, Tesen tint en eantel, 
Sor son eseu devant vait ferir Daniîel ; 
Icil ftt del lignage le roi Gharlon Martel. 
Li escns de son col ne li valt .1. manlel, 
L'auberc li a fausé, com .1. pan de burel. 

8S80 Parmi le eors li mîst son espiô à noal ; 
Mort l'abat del cheval delès .1. arbresel. 
Fnis a traite Tespée, dont trencheat li colel, 
Ocis nos a Raol et Guion de Monbel : 
De no Grestienté nos faisoit lait maisel. 
Tangrts l'a esgardé, ne li fa mie bel : 
De l'espée d'achier li dona tel beudel 
Son élme li treneha et fendi le chervel. 
Aine net garl escus, ne bauberc à clavel. 
Trestot Ta porfénda de si el haterel, 

8800 Mdrt l'abat des archons très en mi le prael ; 
Tangrès s'en passa ontre^ poignant desas Morel, 
Amont desus son elme^ ala ferir Plnel 
Si li fendi le cors qn'en issent U boel. 



CHANT WJITiÉlIfi. 9it 

L'Amustant encontra droit en mi .i. prael ; 
La teste en fist voler trè» enmi .i. valchel ; 
Saint sépulcre escria : t Ferés, franc jovencel I » 
Dont péussiés Tëoir d'espées te) cembel, 
Li vesques de Mautran jura saint Dadiiel 
Que ne furent tex gens puis que Dex fist Abel. 
MOG Paien et Sarrasin font sonér lor apel ; 
Sonent gratsies d'arain, timbres et calemel. 
Aine ne fu tel bataille dès le tans Israël, 
Gom Crestien soffrirent: là n'ot point de reTeL 

XXXV. 

Moult fu grans la bataille, et merveillose et dure ; 
Sarrasins ont trové Grestienté moult sure ; 
.G. mil en i ont mort : ce fu bone aventure. 

Es vos Gornumarant, poignant grant àléure ; 
Son père trova mort de desor Ferbé drue ; 
D'angoisse tressua et escume d'ardure» 
8410 Planlamor esperone, s'issi de Tambléure ; 
Amont parmi son elme fiert Guion d'Autemura, 
Que tôt Ta porfendn dusqu'en ta feutrënre, 
Et son cheval ansi : onques nti ot jointure ; 
Tôt abat en .i. mont de desor l'erbe drue« 
Grant merveille est de Deu que il énsi Tendure; 
Au ferir de Tespée fait grant desconflture. 
Mais il le conpefra, ains que nuis soit veaiia. 
Car li quens Baiidoins en prendra la droiture. 



332 LA CONQUÊTE DE lÉRUSÀLEM. 



XXXVI. 



Moult fu grans li estors et la bataille amere ; 

Li fiers Gornumarans ot grant dol de son père ; 

Il a traite Marglaie, dont la lemele ert clere ; 

Devant Droon d'Amiens li a ocis son frère. 

Puis a ocis Garnier de Le Val de Rivere, 

Et Garin de Baufort et Doon de Belqere. 

Au conte Baudain fa la novele amere ; 

Ne porra remanoir que li Turs nel conpere ; 

Sodans chevalce afiforce et fait moult laide chère ; 

Dejoste lui aloit Habon li encantere ; 

Iluec n'avoit mestier harpe ne viélere. 

XXXVII. 



8450 Li Amirax Sodans fu moult de grant fierté. 

Venus est à Testbr o son riche barné ; 

Plus farent de .c. mil en sa conpaigne armé ; 

Tôt entor lui aloient et roi et amiré. 

On li a rote faite, il a esperoné: 

.Lx. mile Turc sont après lui aie, 

Qui aval la bataille Tout tote jor gardé. 

Le conte de Blansdras a Sodans encontre : 

Grant colp li a féru sur son escu listé; 

Desos la bocle d*or Ta fendu et troé, ^ 
8H0 Et Vauberc de son dos ronpu et depané. 

La lance li conduist dejoste le costé, 

Tote plaine sa lanche Ta del cheval porté ; 



CHANT HUTIÂME. 333 

L'espié retraist à lui, quant il Toi adenté. 
De son poindre passe outre, s'a le cheval burté. 
Tant con çhevax pot reiMre ala ferir Tangré ; 
Très enmi son escu li a l'espié froé; 
Ne estrief, ne archon, n'a li bers remué. 
Quant Tangrés voit Spdant, si la bien avisé; 
De Tespée d'achier li agrant cop doné, 

8450 Amont parmi son elme, si qu'il l'a estoné. 
Mais por ice n'a il tant ne quant refusé. 
Le Maigremor guenci, s'ala ferir Guirré ; 
Par desor les espaulles li a le chief colpé. 
Et li Arrabi poingnent, si ont le cri levé. 
Le fu grejois ardant ont sor no gent jeté : 
Lor garnement esprenent, lor escu sont bruslé. 
Et li chevax sos aus chient mort etpasmé. 
Là ot maint Crestien ocis et affolé. 
Es de Nobles le vesque et de Fescamp l'abé, 

8400 Et la lanche et l'estache ont ens el fu posé ; 
Trestot demaintenant es vos le fu torné 
Sor la gent paienor ; tant en ot enflambé, 
Li .G., ne li millier ne seront ja conté. 

XXXVIIL 

Es vos par la bataille Bauduin de Biauvais 
Et Richart de Chaumont, qui aine n'ama malvais; 
Les destriers esporonent et si ont les brans trais. 
En mi la gregnor presse se fièrent à estais : 
Qui ataignent à colp, lors en font fin et pais. 
Dans Richars de Ghaumont vait ferir Orcanais 



334 LA GOMQDÉn m rismkiJBM. 

im Et BaHihiiDS féri Banfnmè de Rohais ; 

Les vers elmes d'achier lor ont trenchiés et frais. 
Que mors les trebucheftnt par delès .i. jarrais. 
Après ont mort Corsnble, Atenas de Luoais, 
Et Tabon et Toiron et Gondelot de Rais 
•vu. rois ont si baillis, ja n'en lèveront mais. 

Honlt fa grans li estors, aine ne fu ovre en pais : 
Hé Dext Là ot le jor tans brans osquiés et frais; 
Del sanc as Sarrasins i fa si grans II tais, 
Qae li cheval i soillent lor pies et lor jarrais» 

XXXIX. 

S48« Moalt fa fors la bataille et li caple sont grant. 

Les gens à l'aversier se vont resvertuant. 
Es vos par la bataille TAmuIaine poignant; 

Sor le blaAc cheval slst, à Talaine bruiant ; 

C'est H riches chevax dont on flst le presant 

A no gent Crestiene dedens Jherasalant. 

Li Tars le laisse corre parmi .i. desrabant ; 

Le Conte de Yendosme fiert sor Tescu devant ; 

Dès Funchief dusqu'en l'autre le vait tôt porfendant; 

Li haubers de son dos ne lui valut .i. gant, 
8490 Parmi le cors li mist le gonfanon pendant. 

Il ne Ta mie mort, mais il le laist atant. 

Godefrois de Bullion i vient esperonant ; 

Quant voit quéu le conte, moult ot le cuer dolant; 

Tant cacha l'Amulaine, qu'il li vint au devant ; 

Si grant colp li dona, sans menchonge disant, 

Amont parmi son elme, qu'il ot à or luisant, 



CHANT NUITi&lie. 335 

Que les flors et les pierres en ya jus craveniatit ; 

Eafresi qu'ens el pis (e valt tôt porfetidant^ 

Mort rabat del ehetal, puis le vait ranprognant : 
8500 c Outre, dist'-il, quivers, trop t'aloies vantant! > 

Le blanc cherai saisi qu'il aloit covoitant; 

Puis est venus au Conte, moult tost esperonant. 

Gapalu H bailla, qu'il paramoit tant; 

Si monta sor celui qui fu al meseréant 

En mi Païens se Sert, en la presse plus grant ; 

A Tespée d'achier lor vait grans cox douant. 

Le sanc et la chervele leur vait jus espandant. 
Es vos la maistre eschiele à rAmiral Sodant : 

Ghe sont li Esclavon de Taval d'Oriant ; 
8510 Tant sonerenl de graisles la terre en vait crollant. 

As dars et as fausars vont les nos ociant; 

Fu grijois lor jetèrent ens el vis tôt ardanl. 

Maint escu lor ont ars, maint hauberc jaserant. 

La gent nostre Seignor aloient alasçant, 

Quant ti vesque del Pui i est venus poignant ; 

Là vraie crois tenoit devant lui en estant ; 

Par la bataille vait no gent reconfortant: 

€ Baron, renhaitiés vos, n'aies mie faillant ; 

« Tôt serés coroné en gloire permanantl » 
8520 Quant Grestien l'oïrent, moult se vont renhaitant. 

« Saint sépulcre escrierent: Chevalier, or avant! 

€ Geste gent Sarrasine mar s'en iront gabant f » 

Desor la gent averse, qui Deu n'ont à garant. 

Là où li fus ardoit vint li vesques poignant ; 

La vraie crois i mist, tôt le vait estaignant; 

Et Turc as ars turcois vont le vesque traiani. 



336 lA oonquAte de jébusalem. 

Mais les saietes Tont arrier ressortissant ; 
Aine ne ii porent faire nul mal, jel vos créant. 
Car de la vraie. crois avoit moult bon garant. 
85N Si corn li vesques vait, 11 Turc vont reculant, 
Et Grestien les fièrent à tas demaintenant; 
De sanc et de chervele Tont la terre covrant. 
Es vos par la bataille le fier Cornumarant: 
Plantamor point et broche, à Talaine bruiant; 
Ochis nos a Guillaume et Perron de Ghalant 
Damas et Tabarie rait sovent escriant ; 
On ae le puet ataindre plus d'un oisel volant : 
Se Damledex n'en pense moult ira malement. 



XL. 



Quant ii quens Bauduins a le Paien véu 
8u« Que si ocist no gent, grant ire en a eu : 

Des espérons à or point le cheval Cornu. 

Cornumarans le voit, ne Ta pas atendu ; 

Plus tost s*en vait fuiant que ne fait chers ramu ; 

Et Bauduins Tencauche afiTorce et à vertu, 

Sor le Cornu cheval qui randone menu. 

Bien a une loée Cornumarant sévu 

Endroit .m. ombres Ta atlaint et conséu. 

Bauduins 11 escrie (cil Ta bien entendu): 

c Sarrasins, se ne tomes, ja le ferrai el bu! » 
85M Quant Cornumarant voit n*i a que lui venu, 

Plantamor li guenci et trait le branc molu. 

Grans cox se vont doner, chascuns sor son escu . 

Mais li quens Bauduins Ta premerains féru, 



CHANT HinniiiB. 33^ 

Amont parmi son elme, qu'il ot à or batu ; 
Les perres et les Sors en a jus abatu, 
La coiffe H trencha del bauberc qui bons fu, 
Enfresi qu*ens es dens Ta trestot porfendu. 
Li bers estort son colp, si Ta mort abatu : 
€ Outre, fait il, Paiens, maléoi» soies tu I 
8560 c De Perron de ChaloH yos rent ci le salu. » 
Planta^ior a saisi, le ban cheval crenu, 
Et Tespée Murglaie li a deschaint de! bu. 
Puis retorna arrière, à plain cors estendu ; 
À Witasse, son frère, a Plantamor rendu ; 
Et cil nel rendist pas por le trésor Chaii. 
Li quens Bauduins a le bon brant retenu. 

Quant Sarrasin le voient, grant dol en ont eu ; 
De cors et de buisines ont levé si grant hu, 
Dësqu'en Jherusalem a on tes cris ou. 



XLI. 



8570 Hors est Cornumarans, à la chère hardie; 
Grant dol en ont mené celegent paienie; 
.c. millier le regretent, n'i a celui ne die : 
€ Ahi, Gornumarant, hom de grant seignorie, 
€ Gom par est grans damages qu'estes issus de vie f 
€ Aine si hardi Paienn'ot en tote Turquie, 
< Ne mex séust ferir d'une espée forbie. 
( Siret qui vos a mort Mahomes lemald'ief t 

Li Amirax Sodans a la novele oïe; 
Très devant Testandart a soné l'estormie. 

8580 Sarrasins et Persans et Paiens i ralie ; 



338 lA omiquAte de Jérusalem. 

Bien furent .c. millier encore en establie. 

Ja sera nostre gent fièrement envaîe, J 

Se Damledex n'en pense, 11 ûen sainte Marie. 1 

Li vesques de Maulran à haute vois s*escrie : 

c Dex t secorés no gent et no chevalerie, 

c Qui tante grant mesaise auront porvos senliet • 

Atant es vos poignant Robert de Normendie, 
Et Robert le Frison, qui n'a pas coardie ; 
Tangrés et Buiemons sont en lor conpaignie, 

8590 Et li rois Godefrois sor Blanchart de Surie. 
Et Bauduins séoit el Cornu de Rossie, 
Et Witasses chevauche PIantamor.de Nubie. 
Avoc cex fu Thomas, qui Marne ot en balllie, < 

Esleules d'Aubemarle, à la broigne treslie, 
Et Thomas de la Fëre, et Joiffrois de Pavie, 
Li quens Rotrox del Perche, qui sa targe ot croissie. 
Et dans Hues li Maines que Jhesus benéie ; 
Et Hues de saint Pol, qui li cuers moult gramie, 
Por Engerran son fil, de qui il n*avoit mie. 

MM Bauduins de Biàuvais fu en sa conpaignie, 
Et Richars de Chaumont trait Tespée forbie, 
Et Harpins de Boorges ot la soie sachie ; 
Enfresi qu'eus es poins estoit de sanc soillie. 
Tote ensamble s'ajoste la sainte conpaignie; 
N'i a cel n'ait l'espée en chervel toeillie. 
' Encontre Paiens vont à moult grant aatie : 
Ja sera la bataille fièrement conmenchie. 



CHANT HumiKE. 339 

XLII. 

Quant Franc et Sarrasin se furent ajosté, 

D'espëes et de dars i ot maint colp doné ; 
Mio Paien morent ensamble à dol et à viltë. 

No baron s'esbaudissent, si se sont escrié : 

« Seignor, or del ferir I trop avons enduré ! » 

De si à l'estandart ont Sarrasins mené. 

Là sont li Arrabi vers les nostres torné ; 

La grant forche des Turs lor vienent tôt serré. 

Iluec ont maint cheval ocis et affolé. 

Ja fussent Crestien mort et desbareté, 

Car durement éstoient de caploihier lassé ; 

Li vesques de Maltran a sor destre gardé, 
020 Et voit une conpaigne qui chevalcent serré. 

Et voit bien qu'il estoiènt plus de .c. mil armé. 

Plus lont blanc que la flors, quant ele naist el pré ; 

Sains Jorjes fu devant, qui Tensaignea porté, 

Et li bers sains Morisses, le gonfanon fremé. 

N'i a celui d'ax tos n'ait .i. penon fresé. 

Amont desus la lance, à crois d'or estelé. 

Par Testandart s'en vienent, si ont Perron trové. 

Sains Jorges s'abaissa, si l'a desprisoné; 

Et Perres sali sus, s'a son cors adobé. 
86S0 Et sains Jorges s'en torne et li autre arroté ; 

Et Perres li hermites a .1. hauberc trové; 

Tost et isnelement Ta li bets endossé ; 

Voit la hache Sodant, qui pendoit en son tré ; 

Dans Perres Ta saisi, s'a Testandart colpé. 



aAO LA GONdDATB W lÉM^ALEK. 

Devant lui a véu .1. cheval aregné ; 

Dans Perres i monta yav l'estrief noielé, ^ 

Et Sarrasin l'acueillent qui bien l'ont avisé. 

Mais qnaitf yQimX les aftg^I^s, en. faiea softi torné. 

Sanguin, le fit^ ^o^U a Perres; encontre ; 
86M Tôt le fent de la h^he dusa'au neu del bajràri. 

HauteniiBBt s'escria, s'alhesu reclan^. 

Paien. voient le&angetes, si sont espoenté, 

N'i vols^sk li m(9udre estre por .1. mui d'or comblù. 

Il ont tome les dos, en fuies sont torné. 
Quant Sodans l'a véu tôt a le sanc mué ; 

A sa vois qu'il ot clere a hautement parlé : 

i Ahi I Mahomet, Sire, tant jo vos. ai amé, | 

c Et de tôt. TBO pooir servi et honoré ; 

c Se jamais en ma terre revieft à salveté, 
8650 c Jo vos ferai ardoir en .1. fa embrasé ; 

€ Toi seront debrisié vo Itenc et vo costé. * 

c Jamais par moi n'estras servis, ne honorés 1 

c MaldQhès ait li Dex qui sa gent a fausé ! » 

XLIIL 

Sodans voit ses Paiens fuïr à esperon ; 
Et Franchois les ocient afforce et à bandon: 
Durement les ocient, n'i ot espargnoison. 
A haute vois s'escrient: c Aidiés, sire Mahon ! » 
Et li Spdans fait dol, ja gregijor n;aùra hom, 
f Hé ! dist il, Apolfin, à quel perdicion 
8660 f l^aissiés aler mes hommes, par malyaiso acoison? 
€ Tôt vo cors fis jo d'or, ni ot point de laiton ; 



é"% 



CHANT HUmÈHE. 34l 

c Or m'en avés rendu moult malvais guerredon ; 

i Et Mahon Gomelin retien jo à félon, 

c Qui ne le m'avoit dit tant com fui en maison ; 

• Mais se puis repairier à ma salracion, 

« Que jo ne soie oôb, ne menés èii prison, 
« Chaliffe Taposiole! jamais ne Vos verrou 1 

• Lasf âia gent toi lâenêr à gfant confusion ; 
«670 « Ne jo Aé lor puis faire garant, ne tension ! 

L'Aumustant en at)éie et lé viel Rubion : 
« Vés no gent desconflre, car de fi le savon ; 
i Jeléô le fu gHjois et si nos gàrissom : 

< Car à nostré eslatidart mais ne repaierron t 

< Bien saî que colpés est par l'hërmite Perron : 

< Moult fui fox, quant de lui entrai en ndrrëction : 
c Yeés con faite gent nos seut à esperon : 

• Qui son cors ptiet gaf ir fait a bohe lechon, » 
Doiil jetèrent le fu li encrismé ïfeloh; 

8080 La terre art et esprent, s'i&n volettt li btasoh ; 

Caliifes voit le fu qui fu au paveillon; 

Bien voit que Sarrasin li'énl mais deffension. 

A Mahon Gomelin vint poignant de randon. 

Le chief li a osté, par desus le menton ; 

Puis monte el dromadaire, si s'enfuit à bandôn ; 

Onques n'i atendi ne per, ne conpaignon ; 

Enfresi qu'en Aacre n'i fist arestoison ; 

En la pieche d'uil paile mit le chief de Mahon ; 

Puis démena sor lui moult grande ploroison. 
8090 Et li jentiex barnajes, qui Dex faehe pardon, 

De Turs et de Persans font grant ocision. 

Que li cheval fcroient el sanc, dusc'an feston : 

Paien tornent en fuies ; n'i a rescossion. 



342 LA GONQOfrTB DE JÉRUSALEM. 



XLIV. 



Or s'en furent Paien ; n'i a nul recovrier ; 

Aine ne quistrent chemin, ne voie, ne sentier. 

Ghascuns fuit, qui mex puet, por sa vie alongier ; 

Et Franchois les assalent, li vassal droiturier. 

A main tas les ochient des espëes d'achier ; 

En sanc et en cherveles firent lor brans soiliier. 
87M Es vos Huon le Maine, poignant sor son destrier, 

Et le roi Godefroi, de sor le blanc corsier, 

Et Witasse son frère, sor Plantamor le fier, 

Et Robert le Frison, que Dex aime et tient chier, 

Robert de Normandie, le vaillant chevalier, 

Tangré et Buimont, qui bien font à proisier. 

Et li autres barnages, qui Jhesus puist aidier. 

Chil vinrent au devant la gent à Taversier ; 

A lor espées nues les corent detrenchier ; 

Onques à lor herberges ne porent repairier. 
8710 Quant li Sodans le voit, le sens quide cangier. 

Amont parmi son elme ala ferir Rogier, 

Que les flors et les perres en fist jus trebuchier ; 

Trestol l'a porfendu enfresi qu'el braier ; 

Puis a eslort son colp, mort le fait trebuchier ; 

L'arme de lui fist Dex en gloire herbergier. 

Dont jeta jus Sodans sa grant targe d'ormier ; 

A espérons s'en fuit, por se miex efforchier. 

Et Sarrasins o lui, plus de .xxx. millier. 

Li destrier auferrant levèrent tel porrier, 
8720 Que li jors qui clers ert en covint espoissier ; 






œànt huitième. 343 

Et li solaus abaisse, si prist à anuitier. 
Franchois ne sorent mais Paiens où encalcbier. 
Li vesques de Mautran prist Jhesum à proier, 
Que Dex par son conmant fesist jor esclairier : 
Et Dex li a emplie moult tost son desirrier. 
Plus tost vait la nuis outre que ne vole esprevier ; 
Et li solaus leva; Dex le fist esclairier. 
Quant Crestien le virent, n'i ot qu'eslééchier. 
Dont vëissiés Paiens durement esmaier, 
8730 Mahom et Apollin moult durement huchier, 
Et Tamiral Sodant, qu'il lor venist aidier ; 
Mais por noient Tapelent, n'i a que corechier. 

XLV. 

Por les barons de France fist Dex vertu moult grant, 
La nuit fist trespasser et le jor mist avant, 
Et Turc et Sarrasin s'en tornerent fuiant ; 
En plus de .c. parties s'alerent départant; 
Cbascuns fuit qui miex puet por lui traire à garant ; 
Et li jentiex barnages, que Dex parama tant, 
Tos tans fièrent sor aus, à tas de maintenant, 
8740 De sanc et de cberveles la terre vont covrant, 
A cens et à milliers les vont esboëlant. 
Et à grandes macbues contre terre ruant. 
Del sanc qui de3 cors ist i ot plenté si grant 
Aval les plains de Rames en vont li rus corant. 
Li quens Hues li Maines conséu Malquidant ; 
Grant colp li a doné sor son elme luisant, 
Que les flors et les perres en vait jus craventant ; 



\ 



344 LÀ CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

La coiffe del bauberc ne li vait mie .i. gant ; 

Eafresi qu'el menton ie vait toi porfendant; 
8750 Et li rois Godefrois, à Tespée trenchant,' 

Porfendi TAmustant dosqu'ens el pis devant; 

Et Perres li hermites vint son fil ataignant. 

De la bâche à ai. mains le fiert en trespassant; 

Tôt le fent et decolpe dusqu'en Tarchon devant. 

Franchois en ont grant joie, qui le vont ravisant, 

Et li quens Bauduins vait Sodant encaucbant, 

Sor le cbeval Cornu, à l'alaine bruiant; 

Et ot en sa conpaigne maint cbevalier vaillant ; 

.n. leues decha Acre s'alerent arestant. 
87M Bauduins lor escrie: < N'en irés, soduianti » 
Quant Sodans Ta oï, sa gent vait escriant : 

« 6aron) ternes vers cex qui nos vienent sevantl 

c Poi en i a venu ; navré sont li auquant ; 

< Mar en estordra .i., par mon Deu TervagantI » 
Quant Sarrasin oïrent lor seignor TAmirant, 

Vers Bauduin guencbirent par moult fier maltalant. 

XLVI. 

Quant Sarrasin oïrent Sodans est escriés, 
Vers Bauduin le conte ont les chevax tomes : 
Uuec fu li esters et fors et adurés; 
8770 Moult i ot Sarrasins ocis et decolpés. 

Mais li quens Bauduins est moult mal enganés, 
Que de ses conpaignons ne l'en est .i. remés, 
Que Sarrasin nés aient ocis et affolés. 
Sos dant Raimbaut Greton fu ses chevax tués, 



i 



GifANT HUITIÈME. 348 

Et H bers saut em pies, com chevaliers membres, 
L'espée ens el poing destre ; fièrement est molles. 
Par devant sa poitrine est ses escus tomes ; 
Tant a de Sarrasins ocis et decolpés, 
Que Paiens ne le voit n'en soit espoentés. 
8780 Dont s'est Raimbaus Gretons fièrement eseriés : 
« Bauduin de Rohais, où estes vos aies? 
« Jentiex flex à Baron et car me secorés ! 
« Hé! barnage de France^ quel damage i ares, 
t Que moi, ne Bauduin jamais vif ne verres! » 

Atant i vint li quens, poignant tos abrievés 
Sor le cheval Cornu, qui aine ne fu lassés; 
Joste Raimbaut Creton s'est li quens acostés : 
« Raimbaut, ce dist li quens, sor cest Cornu montés : 

< Au Roi et aus barons ces noveles contés, 
8790 « Que devant Acre sui de Turs avironés. 

Et dist Raimbaus Cretons : c Sans moi n'i demorrés ; 

< Miex aim ensamble o vos me soit li chiës colpés 
« Que jo soie de vos partis ne dessevrés. 

c Las ! Que porroit dont dire de France li barnés? 
« Jamais en nule cort ne seroie honeris. 
c Par moa chief, jo n'iroie por estre desmembrés ! » 
Dist li quens Bauduins : < Biax Sire, si ferés. » 
Del Cornu descendi et li cris est levés. 
Et le Cornus escape, en fuies est tomes. 
8800 En sa voie a de Turs plus de .xx. craventés. 
Paien li ont fait voie, il est outre passés. 
Plus tost vait li chevax, ses règnes traînés, 
. Que fodres nen escape quant le cachent orés. 
De si qu'en la bataille n'ert il mais arestés. 



346 LA CONQUÊTE DE lÉRUSÀLEM. 

Sarrasin ont les contes ans .11. avironés ; 
As ars et as fausars les ont trais et bersés ; 
Lor escus lor perchèrent, les haubers ont fausés ; 
Chascuns fa ens el cors et plaies et navrés. 
Or les secore Cil qui en crois fa penés : 
a8i« Se il ore n'en pense, par ses disnes bontés, 
Ja nus nen iert de mort garandis et tensés. 

XLVIl. 

Bauduins de Rohais et dans Raimbaus Créions 
Sont ambedui à pié entre les Turs félons. 
Sodans i est venus à coite d'esperons. 
Hautement apela anbes .u. les barons. 
« Dites va, fait Sodans, conment est vostre nons ? » 
— « Par foi, dist Bauduins, volontiers le dirons : 
« J'ai à non Bauduins et c'est Raimbaus Créions. > 
Quant Sodans Tentendi, si tainst con .1. carbons : 
8S20 c Par Mahomet! dist il, diables est Baillons, 

< Tu en es et ti frère : cuer avés de lions ! 

c Par vos est m'os tornée à grans deslrucions : 

i Jherusalem conquis et temple Salemons; 

« Godefrois en est rois, s'en tient les régions : 

« Moult est par lui deslruite la loi que nos tenons. 

< Mais de vos .n. por lui la venjance prendrons ; 
€ A coliax acherés escorcher vos ferons, 

c Et puis em pois bolant les cors de vos métrons, 
c Ou à trestot le moins les chiés vos colperon?, » 
M50 Distli quens Bauduins: c Se Deu plaist, vis serons. > 
Raimbax Crestons escrie: c Bauduin, car ferons! 



CHANT HUITIÈME. 347 

< Tant com nos somes vif assés en ocions. 

< Que ja après no mort reproche n'en aions. » 
Qui dont vëist ensamble ans ai. les conpaignons, 

Sarrasins et Paiens colper et pies et pongs; 
Turs ne les ose atendre plus c'aloe faucons. 
Ensement lor guencissent conme li oisellons 
Fait devant Tesprevier, tant qu'il est en buissons. 
Mais trop par i avoit de Paiens grans foisons, 
8M0 Qui envers aus venoient, brochant à espérons ; 
As ars turcois les bersent et font grans huesons. 

XLVHI. 

Moult furent no barons de Paiens apressé. 
Par devant Bauduin ont Jiaimbaut craventë. 
D'un dart trenchant d'acier l'ont ens el cors navré ; 
Et li quens Bauduins l'a amont relevé. 
Si feri .1. Paien, qu'il l'a par mi colpé. 
Li AmiraK Sodans a Paiens escrié : 
c Gardés cist doi caitif ne soient escapë; 
« Car il et lor lignage m'ont durement grevé, 
8850 « Mes .XV. fiex. ocis et mon règne gasté. » 

Quant Sarrasin Toirent, si ont .1. cor soné ; 
Les barons r'envaïrent par vive poesté. 
Se or n'en pense Dex par sa disne bonté, 
Anqui seront no prince à martire livré. 

Mais li rois Godefrois a le Cornu trové, 
Qui fuit les plains de Rames, ses règnes traîné ; 
Quant ne voit Bauduin, tôt a le sanc mué : 
A sa vois qu'il ot clere a Jhesu reclamé. 



3U LA GONQDAtB DC JÉRimALElf. 

Tant cacha le Ck)rna sor le blanc affilé, 
8800 Qu'il et si conpaignon Tont pris et aregnë. 
Là véissiés maint poing et maint chevoil tiré, 
c Baudttîn! dist li rois, or sai de vérité 
« Que Paien vos ont mort, li qnivert deffaé ; 
t Mais par cel saint Sépulcre, où ai mon cors voué, 

• Se vos estes vis pris, c'on vos en ait mené, 

c Ki gariront li Turc en caslel, n'en chité ! > 
Es vos Perron l'hcrmîte poignant tôt abrievé : 

Tint la hache à .ti. poins, dont maint Turc ot colpé ; 

I/estandart en avoit à terre reversé. 
8870 Le roi Godefroi a hautement escrié : 
, « Sire, jo vi ton frère, droit vers Acre torné ; 

< Il et Raimbaus Créions cachoient l'Amiré : 

a En lor conpaigne furent maint chevalier armé. > 

Quant li rois l'entendi s'en a Deu aouré ; 

Witasses prist .i. cors, hautement l'a soné ; 

Envers Acre s'en sont tôt li baron torné. 

Se li Turc les atendent, mal seront ostelé. 

XLIX. 

Or chevalcent li prinche à grant esperonée; 
Tout droitement vers Acre ont fait la retomée ; 
8880 De cors et de buisines font soner la menée, 
Que li mont en tentissent, li pui et la valée. 
Sodans a bien oï la noise et escotée, 
Et vit par devers Rames la porriere levée. 
Et dist as Sarrasins : i La bataille est finëe 1 

• Li os des Franchois vient, j'ol soner la menée; 



GBiNT iinniiiE. 349 

c Metons bos ttede»s Acre, sans nule dentorée, 

• De tos cex qu'il trovroBt iert lor vie ftnée t > 

Quant Paiene gent Tôt, moult en est effréée; 

De Raimbaut et del Conte ont laissié la mesiée, 
8890 Enfresi qu'en Aacre n'i ot fait arestée. 

Les l^ares oat drecbies et la porte fermée ; 

Une galie a on à Sodaat aprestëe ; 

Là entra rAmlrax, à la baxbe meslée, 

Et .vu. .G. Arrabi de la gent meserrée. 

La teste Mahomet ont bien envolepée 

Dedens .i. blanc Sidoine, puis Tout estroit bendée; 
Puis ont traite lor ancre, s'ont lor voile leyée : 
.XXX. mil Turs remestrent, qui ont Acre gardée ; 
Abraham l'a Sodans baiUie et délivrée. 
8900 Or s'en vait la galie par haute mer salée ; 
Moult prent bon oré et la mers fu temprée ; 
Dusqu'el port de Siglai ne sera arestée. 
Et U j^Q^^x barnages de la terre salvée 
Orent tant chevalchié, à grant esperonée, 
Qu'il trovent Bauduin, qui la char ot navrée. 
Et dant Raimbaut Creton, la soie ensanglentée. 
Quant les ont vis trovés, grant joie en ont menée.* 
Des barons et des princes i ot gtant assamblée ; 
Chascuns monte el cheval, à la sele dorée; 
8910 Li jors vait à déclin, si revient Favesprée; 
Et nostre gent s'en est arrière relornée ; 
Dusc'as très as Paiens n'i ot fait arestée. 
Moult i trove yitaille nostre gent honorée, 
Et bons vins et clarés et avaine vanée. 
La nuis fu li os Deu richement conréée. 



380 LA CONQUÊTE DE JÉRUSALEM. 

Après mengier s'est tote dormie et reposée : 
Buiemons les gaita desi à Tajornëe. 



L. 



El demain, quant li aube se prist à esclairier. 
Se levèrent par Tost li conte et li princhier, 

89s« Li duc et li baron, li vaillant chevalier; 
Tôt le trésor ont fait et trosser et carchier; 
Les tentes et les pailes portèrent li somier; 
Par conte en i ont fait .xxx. mile carchier. 
Sans l'autre bestiaille, que nus ne set proisier, 
Que bugles, que cameus, que roncins, que somier. 
Par le mien escient bien furent .g. millier. 
Uestandart en ont fait mener et charier ; 
Et le cors de Mahom, qui tos estoit d'ormier. 
Gel porta Tolifans qui le cors ot plenier ; 

89S0 As bons martiax le firent Tendemain depechier. 
Droit vers Jherusalem pensent de Tesploitier, 
Et li rois et li prinche font le camp reverchier; 
Les navrés qui sont vif font es escus cochier, 
Et auquans de lor mors qu'il avoient plus chier. 
A Engerran pof ter véissiés dol plenier, 
Ces chevaliers plorer, ces chevox esrachier; 
Ses pères fait tel dol, nus nel pot solagier. 
Qui véist le baron son bliaut depechier : 
c Biaxfiexl dist li quens Hues, en si grant enconbrier 

8M0 t Vivera mais vos pères, qui tant vos avoil chier! 
c Ja Damiedex ne place, qui tôt a à bailler, 
« Que jo puisse tant vivre que il doit anuitier! » 



CHANT HUITIÈME. 351 

• 

Qui li véist les iex et la boche baisier, 
Estraindre et acoler ; ne s'en puet sasiier. 
Qui n'en éust pitié, cuer éust d'aversier. 
Là véissiés maint prince plorer et iermoihier 
Aine por la morX Reliant ne vit on dol si fier. 
Li quens Hues li Maines le prist à araisnier : 
" t Hal Hues de Saint Pol, porDeu, vos voil proier 
8050 c Qu'entrelaissiés cest dol, bien le devés laischier. 
f Se vostre fiex est mors, ce est por Dcu vengier! 
« El chiel avec les angeles Ta ja fait herbergier. » 
Aine tant nel sot li quens blandir ne adolchier, 
Que Hues de Saint Pol se volsist acoisier, 
Mais tos dis plus et plus conmenche à efforchier. 



LI. 



Moult fu ^rans la dolor à Engerran porter ; 
Aine desi c'al mostier ne pot li dels finer. 
Li vesques de Mautran vait là messe canter ; 
Après la sainte messe, vont le cors enterrer, 
8960 Joste le maistre autel, par dejoste .1. piler. 
Qui là véist son père sor la tombe plorer, 
Et embraclier la terre, et as dens engoler : 
€ Biax dois fie\ Engerran, or m'estuet dessevrer 
< De vostre cors, amis, poi doi ma vie amer ! 
€ Ja Damledex ne plache que voie Tavesprer, 
c Tant que mes las de cuers puist en mon cors crever. » 

Li dels que Hues maine fait maint home plorer. 
Dist li rois Godefrois : t Sire, laissiés ester : 
Car por dol ne puet on nule riens conquester. 



392 lA oonquAte de jékosalem. 

8v7t c Gh'est Toirs qu'en to fil ot moult vaillani bacheler, 
« Nas meudres chevaliers ne pot armes porter : 
i Or Ta en son service JhesH Cris fait flner. 
< Se Dex Ta rechéu, ne vos en doit peser ; 
c Or sachiés aiBance, s'on le qHîdoit trover 
« Sain et sauf et en vie, bien le puis affier, 
c Sor Païens le querrions dusqu'en la roge mer ; 
• Mais tos nos convenra après le conte aler. i 
Li rois a fait Huon sus en la tor mener ; 
Li rois i envoia pour lui reconforter 

8M0 Le vesque de Mautran, qui raison sot mostrer. 
Dont font tôt li baron lor eschec aporter, 
Très devant le saint temple mettre et amonceler ; 
Igalment le font tôt et partir et doner: 
Aine ne povre, ne riche» ne volrent dessevrer. 
Chascuns d'ax en a tant, riches se peut clamer. 
S'il Tavoit en sa terre et le sëust garder, 
loi jors s'en porroit vivre et autrui honorer. 
Et li prince et li conte pristrent Deu à loer; 
Jherusalem ont fait richement encenser, 

899« El sépulcre et el temple les cherges alumer ; 
.m. jors i sejornerent por lor cors déporter. 



LU. 



Dedens Jhersalem est la Deu conpaignie ; 
De la bataille fut moult forment traveillie. 
Se ele fu lassée, ne vos merveilles mie ; 
Car si ruiste bataille ont par lor cors forme, 
Conques ne fu si grans véue ne oïe. 



CHANT HUXTl&KB. 363 

.in. jfors i demora te Deu cbevaterie. 
Le matin se leva Robers de NQnniKidîe» 
Et Robers le Frisons, à la chère hardie ; 
Tangrès et BuiemoAs sont en lor conpaignie; 
Li QQens Hues ïi Maines, qui est sans félonie, 
Bauduins et Witassesi, qui Jh^sus benéîe. 
Et li rois Godefrois et l'autre baronie. 
El temple Salemon, dont la pierre est polie, 
S'asemblerent li prince de la terre joïe. 

LUI. 



Moult f u grans l'asamblée el temple Salemon ; 
Li quens Hues U Maines conmencha sa raison : 

< Seignor, por amor Deu, dites quel le feron? 
c La bataille de Rames, Deu lo, vencue ayon* 

9010 « Se Tos le conmandés à Caucaire en alon ; 

< As chastiaus metons gardes, qui ci sont environ. 

< Alons Cesaire prendre» Jaffes et Calenchon, 
c Et à Acre sor mer le passage faison. 

< Entor ceste marine le païs destruiron 

< De la gent maléoite qui croient en Mahon. » 
— e Par foi I moult dites bien, ce dient li baron; 

< Se li rois le coRmande,nos autre Totroion. » 
Dont respont dolcement Godefrois de Buillon : 

i Seignor, c'est grans aumosne, se ensi le faison. 
0020 c Dex vos en sace gré qci vint à passion I > 
Li prince se départent, si vont à lor maison ; 
Richement se conroient à moult grande foison. 
El demain, quant del jour parurent li brason, 

23 



3S4 LA GONQVÊTE DE JÉRUSALEM. 

Ens en la tor David, sus el maistre donjon. 
Ont fait soner .i. graisle et .i. cor de laiton ; 
Aval Jherusalem s'armèrent li baron. 
Là péassiés véoir tant hanberc fremillon. 
Et lâcher tant ensaigne, fremer tantgonfanon, 
Tant cheval ensieler, auferrant et gascon. 
D030 Dans Hues de saint Pol fu moult en grant frichon 
Por amor d'Engerran de prendre vemoison : 
Moult tost se fust armés sor le vair Arragon, 
De Sarrasins confondre est en grant sospechon ; 
Miex les aime à destruire que à boire poison. 



LIV. 



Aval Jherusalem sont li baron armé; 
N'i a celui n'ait tost son hauberc endossé* 
Chascuns a chaint l'espée au senestre costé. 
De Jherusalem isâent et rengié et serré; 
Hais n'ont mie lor ost de la moitié mené ; 
9M0 .XX. et .v. mile furent, à tant se sont esmé. 
Or les ait Dius en garde, li rois de maïstét 
Li pluisor sont blechié et li auquant navré. 
Parmi les plains de Rames ont lor chemin torné ; 
Mais il n'i ont trové Sarrasin,' ne Esclé ; 
Li vif diable en ont le pais délivré. 
Et .1. lions en ot nos Crestiens porté 
El carnier del lion (si Ta on apelë), 
Trestos l'un delès l'autre mis et amoncelé. 
N'ont que Cornumarant en mi le camp trové. 
Moult s'en sont merueillé li prince et li chasé; 



CHANT HUITlSafE. 3K5 

De Damledeu se saignent,, si sont outre passé. 
A Saint Jorge de Rames s'en sont premier tome; 
Hais il n'i trovent Turc, ne Paien deffaé ; 
Entresi c*à Chesaire se sont outre passé; 
A espérons brochant en sont laiens entré ; . 
Quant n4 trovent nului^ arrier sont retomé ; 
.c. chevaliers i laissent, por garder la cité ; 
Le pais on cherquié et de lonc et de lé, 
De Jaffe à Galenchon sont venu et aie, 
9000 Mais aine en tôt cel jor n'ont Paien encontre. 
Quant li prince le voient, Jhesum en ont loé. 
Mais Hues de Saint Pol en a le cuer iré; 
Devant les autres a forment esperoné; 
Ne d'une part ne d'autre n'ont Sarrasin trové : 
A Acre s'en alast, mais on li a véé. 



LV. 



Quant li prince ont véu que Turc se sont fui, 
Les chastiax ont trovés et vuis et desgarni, 
De Jursalem à Acre n'a remés Arrabi, 
Galenchon et Cesaire et Jaffe ont bien garni, 
9070 Et les autres castiax de la marine ausi. 
A Acre ne sont mie à celé fois verti ; 
A Jhersalem repairent, ains la nuit, au seri. 
Le fier Cornumarant n'ont pas mis en oubli ; 
En Jhersalem l'emportent no Crestien hardi ; 
Très devant le saint Temple, que Salemons;basti, 
Sont assamblé li prince, li conte et li marci, 
Li vesque et li abé et li clerc autresi. 



3B6 LA GOKQDÉTE DE XAltAALBM. 

c Seignor, te dist 1! rois, olës 40e jo vM di ; 

â Dbx «ffarit tlex mâraeles, ains si Mes nié Vi ; 
BO80 i Li Turc dies plains dé Rattiésf se séiit ti^éstdt tuï : 

c Et lot no Crediièn itônt asftés ^ré»dë chi. 

c .1. lioiif les a ibii, par la Ibesiï Hierchi, 

c Ens eu .1. bel cafAier, on^ùèë plnialbel lie vi. 

c Fontieiit poet estre liés qui I)eu a bieà senri. • 
Quant 1! poples Tenten't, de jôie ^ ttemî; 

Li vesque et li abé 8é éoni M retesti , 

Au camier del Uonl pbricésdièii sévi. 

Là tr6verefit nos Frans qui sont enseveli. 

Te Deum lauâimus caïiterent a baut cri ; 
9090 tluçques canta messe II véiâqties afti lunsdl ; 

Là Mi m CfÉistîen Danriedett biea setvi. 



LVI. 



Moult furent lié 11 prince de che qu'il ont véu : 
De deVânt le saint teinple o(nt Concilie tenu, 
Que demain motra l'os, n'arà plus atenda. 
Acre iront assalir afforce et à rertti; 
Ja ne lairont dedens Sarrasin mescréu. 
Li rois GofdéfrOls Tôt, grant jdfie en à eu ; 
Gornumarant manda, si frère i sont coru ; 
Coraumarant aportent dedesôr uû escii, 
9100 Mis l'ont devait les princes desor .1. arc vôlu. 
Et dist li .1, à l'autre: « Gist Sarrasin màr fû ) » 
— c Voire, ce dist li rois, moult àvoît grant vertu; 
c Maint ruisté colp a hui de j'espëé fèrû, 
c Mais encore Sert chil miex qui si Ta porfendu. 



CHANT HUITIÈME. 3K7 

— c Sire, dist Bauduins, se m'arme ait ja salu, 
< Nel Yolsisse avoir mort por le trésor Chahu t 

« Car aine nel vi d'eçtor recréant ne vencu. » 
Distà .n. chevaliers: c Despoilliés le tôt nu; 
c Puis li fendes le cors à .i. cote! mola ; 
9110 « Car véoir voil son «uer, qu€ n'oiainc esperdu. » 

LVIÎ. 

Gornumaranta lait'Bai;id«Liiis desairmer ; 

A .1. cotel trencfaa«tli fait le.caer osier; 

.1. elme en péust on emplir et araser. 

Tôt li baron s'asamblent por le cuer esgarder ; 

Et dist li .1. à Tautre: « Moult fu cist Paiens ber; 

c Onques mais si grant cuer ne pot nus hom mirer. 

c Mar ta 4}tte il ne volt Damledeu aourer, 

« Et la Virge puchele servir et honerer. 

— t Voire, dist Bauduins, por voir le puis conter» 
9120 < Se il crëist en Deu, onques ne f u tex ber, 

€ N'ainc ne vi chevalier qui mex séust joster, 
€ Ne Mr, ne cacher, salir, ne trestorner; 
« De Tespëe savoit moult ruisle colp doner, 
€ Et quant ert en ester, moult fièrement capler. » 

En .!• paile li font son cuer envoleper. 
Après, li font el cors arrière reboter ; 
Et puis en une bière moult richement poser. 
Defors Jherusalem Talerent enterrer. 



3S8 LA GONQUêTE DE JÉRDSALEil. 



Lvm. 

La bataille fa faite et li cans affinés 
9iH Et Gornnmarans est à honor enterrés. 
A Tostel est chascnns dormis et reposés 
Et à sa volenté richement conréés : 
Moult demaine granl joie li nobiles bamés. 

Adont fa nostre Sires graciles et loés, 
Et II yerais sépulcre des barons bonerés. 



FIN DB Là GONQUIÊTB DE JIÎRUSALEM. 




TABLE. 



Pages. 

Introduction I 

CHANT TREMIE^, 

Godefroi de Bonillon et les Croisés arrivent devant Jéru- 
salem. — Leurs sentiments à Taspect des Saints-Lieux. ^ 
Gomumaran, fils de Corbadas, roi des Turcs, sort de la ville. 
— Il attaque les Croisés au val de Josaphat. — Situation cri- 
tique des Croisés. — L*eaa leur manque. —Ils réclament le 
secours du comte de Saint-Gilles. — Arrivée d'Harpin de 
Bourges et des autres Chélift.'^ Joie et succès des Croisés. — 
Exploits de Jehan d'Alis, de Richard de Caumont, de Bau- 
douin de Beauvais, de révoque de Forez. —Les Turcs sont 
forcés de rentrer à Jérusalem. — Arrivée du comte de Saint- 
Gilles avec Boémond, Tancrède et les autres barons. — Les 
dames apportent de Teau aux Croisés. — Boémond et Tancrède 
vont piller aux environs de Césarée. — L'amiral d'Ascalon les 
attaque.— Saint Georges vient à leur secours. —• Combats au- 
tour de Saint-Georges-de-Rames. — Ils retournent auprès de 
Godelroi chargés de butin.— Partage égal entre tous les Croisés. 3 

CHANT //. 

Pierre THermite montre Jérusalem et les lieux saints aux 
barons français^ en leur rappelant les principaux événements 



300 TABLK. 

de la fie da Gbrist. — Piease ardeur des Croisés.-- Conseil 
tenu par les princes. —Avis donnés par Tbomas de La Fère, 
le comte de Flandre, Boémond et Tancrède. — Us attaquent la 
porte de Saint-Etienne. ^Hugues le Haine conseille de dif- 
férer le siège jus(iu*à ce qu*ils aient construit des machines.— 
Godefroi et son ost se postent sur le mont Sion, Girard de 
Gournai et Thomas de Marne au yal de Josaphat, le comte de 
Saint-Gilles au mont Olivet, Richard de Normandie devant la 
porte Saint-Etienne, le comte de Flandre devant la porte de 
0avid, Boémond et Tancrède à Bethléem, le comte Witasse 
au Charnier des lions. —Autre avis de Hugues le Maine pour 
se procurer de Teau et des provisions également réparties 
entre tous.— -Gorbadas et son fils voient ces préparatifs.— 
Craintes du premier. -r-Ganflance du second.— Godefroi tue 
trois oiseaux de proie à la poursuite de deux colombes. — Les 
assiégés y voient un présage funeste pour eua:.— Qonsdil t^tt 
par le-Foi Gorbadas, Lucabel et Maloolon* — O^numaraB 4ka- 
sarde une sortie.— Il est apei!cu par Karpin do BcNii^ges.— 
Combat sanglant — Gornumaran et sa troupe runtrent da»s la 
ville. ^ Les assiégés préparent une vigsooreiue -défettse. — 
ËnumératioB des principaux barons de 1a Croisade. — Le roi 
et le corps des Tafitrs. — Les Croisés se prépaient à un assaut 
général 37 



CHANT ///. 

Le roi Cortiadas et son frère Lucabel considèrent du haut 
d*une tour les préparatifs des assiégeants. — L'évéque de Mau- 
ti*an apporte aux Croisés la sainte lance.— Le duc de Bouillon 
divise l*armée en dix échelles, ays^t chacune à sa tête un des 
plus renommés chevaliers.—Travaux de siège par Nicolas de 
Duras et Grégoire ringénieur.— Le roi Taftir est désigné pour 
monter le premier à Tassant avec ses ribauds. — Us sont re- 
poussés.— Le roi est blessé.— Combats devant les portes de 
David et de Saint-Ëttenne.— Mort de Gautier de Flandre.— Le 



feu gré0iplt brMe les madiinefi. -^ JU mai «upadA i^iBMii. 
— li -nopiontiiee le leBdetniln au fMîilt idu Jttr.'^iaûéiDOBd 
oonduk jesgens àla neheueliedes praviaimM néeessaiffes aali 
assiôgwttts^ inanquant ^ tout. r^ReneoiiIre dPHUe troiQ» :dB 
païens., «pmtnaaddB inif le ml (katien, apportent :4e ficlies 
proYiai0Ba«uxaaslè0èi. -^fioâmand Faltefae, le ranveree de 
son cbeval «é lui laleae la^vie à eendHioa tin*il se 4eta Oaér 
tien, -r Jolfi au oamp 4es< Ofoiiéak«**-,l^ taOM ^y aaaodeiit et 
rendent grâces à Dieu. — Gracien et ses soldats prisonniers 
sont amenés. — Gracien reçoit le baptême. — Ses soldats re- 
fusent de suivre son exemple. -HlaiAtAtiens les égorgent an 
nombre de sept cents. — Leurs corps sont jetés dans la ville 
parHlêflnM les aonimllies. '*- Bésespeir 4e c:ort>adae.«^GovBU-» 
maran le neonftiitBw-^Il^àit ^mùr fuatone pttonni«rs chré- 
tiens, parmi lesquels ssnt Herpin de Bourges et Riehatd de 
Gaunioiil.-<»Il les fait batlra.<^ Leur sang ooQle<»*-On «les jette 
dans une prison à demi morts.*^ JésusChrist les guérift^^Hiei 
assiégés, sur l^vis de Lucabel, lâclMUt des pigeons porteim 
de lettres adrassées an sultan de 'Damas, powr «éMmeir «m 
secours. — Les pigeons volent au-dessus du camp des CMisés, 
qui les aperfeivent et les tumt à coupe de flédhes, àirexeepo 
tion de deux qu'ils prennent vivants. — Ht les iâélieM avec 
défausses lettres adressées au Sultan *75 



CHANT IV, 

Godeflpoi de BoulHon ordonne un assaut généhil.— Tartane 
de Tarmée assiégeante en onze corps : la ville est investie. 
—Les ingénfeurs Grégoire et BHcolas dressent 'des machines 
que les assiégés embrasent aveo le feu g^geois. — Lesfafurs 
montent i rassaut.— Us sont repoussés. — Bnguerrand de 
Saint-Tanl et Etienne deLufiheu montent stor les élâietles et 
sont renversés. -^n troisième assaut est teikié en vain'par les 
Nèimands et lee -Bretons, ixmimandés par loeseran, nonaas 
etFoucher de Menlant.— Quatrième assaut: Raimbaut Creton, 



/ 



y 



9R TABLB. 

HenriB et Hbugler L'Allemand. — Ces deiax derniers sont pris. 
—Deux chefs Sarrasins, MalcolOQ et Tsabias, tmnbent aa poa- 
.Yoir des Creusés. —Trèyé pour rédiânge des prisonniers. — 
Gomnmaran sort secrètement de J^usalon poar aller cher- 
cher du seooôrs auprès du roi de Perse. — Baudouin le pour- 
suit, s'enfmoedans le marais oh tout son corps est couverl 
de sangsues.— n en sort ensanglanté çt r^oint Tannée des 
Ckoisés. — Oomtmùtfan aiirive chas le soudan de Perse 113 



CHANT V, 

Conseil tenu par les Creusés. — Un saint ermite leur apprend 
comment ils pourront prendre Jérusalem.--^ur ses indications, 
de nouvelles machines sont construites.— Assaut général. — 
Exploits de Raimbaut Creton, de Thomas de Marne et des 
Tafurs. — La porte Saint*Étienne est forcée, la ville est prise. 

— Massacre général des Sarrasins.-* La terre est souillée de 
sang.— Les femmes sarrasines subissent la loi du vainqueur. 

— Godefiroi se dirige vers le saint temple. — Le roi Ck>rba- 
das capitule, quitte la tour de David et sort de la ville. — 
Joie des Croisés. — Ils ptociament Godefroi roi de Jérusalem. 

—Sur 900. refus, la couronne est successivement offerte à 
Robert-le-Frison, à Robert de Normandie, à Hagues le Maine, 
-^eûne général.— Les chefs se confessent et se réunissent pen- 
dant la nuit dans le temple pour y attendre la volonté de 
Dieu. — Le cierge de Grodefroi de Bouillon est allumé par le 
feu du ciel. — Ce miracle le désigne pour roL— Il est obligé 
d'accepter. — Les autres princes se disposent à partir.— Gode- 
fn^ cherche en vain à les retenir.— Ils sont attaqués devant 
Tàbarie par Dodequin de Damas et quinze mille Turcs. — Ils 
arrivent en Galilée.— Une colombe leur apporte une lettre de 
Godefroi, les iiriant de revenir au secours de Jérusalem me- 
nacée par une armée innombrable qu'amène Gornumaran. — 
Ils retournent sur leurs pas.. •. iûi 



TABLE. 363 



CHANT VI. 

ê 

L*armée conduite par Gomamaran arrive devant Jérusalem 
et assiège les Croisés. ^ Ceux-ci sortent de la ville. — 
Combats acharnés. — Gomumaran et le comte de Saint-Gilles 
sont faits prisonniers. ^ Saint Georges et saint Maurice vien- 
nent au secours des princes chrétiens.— Les Sarrasins sont mis 
en fuite. — Ils arrivent dans les plaines de Rames.— Corbadas 
apprend que son fils est prisonnier. — Il se rend auprès du 
Soudan de Perse.— Description de sa tente. — Satan vient au 
milieu des Infidèles, qui se prosternent devant lui. —Le Son- 
dan harangue ses soldats^ les remplit d*ardeur et leur prédit 
lamine des Chrétiens. —Des messagers sont envoyés à Gode- 
froi pour obtenir réchange des prisonniers. — Godefroi fait 
passer et repasser tour à tour devant Cornumaran les soldats 
et les ribauds, richement vêtus ou couverts de leurs armes ha- 
bituelles. — Cette ruse porte l'effroi dans le cœur de Cornu- 
maran. — Il est échangé contre Raymiond de Saint-Gilles* — 
L*armée du Soudan se met en marche pour aller attaquer les 
Croisés K» 



CHANT VII. 

Les Sarrasins font porter des objets précieux autour des 
murs de Jérusalem, pour attirer les Croisés hors de la ville. 
— Godetei de Bouillon s'efforce de retenir ceux-ci.— Biais 
Pierre THermite prend les armes et va attaquer le camp des 
infidèles en compagnie des Tafurs. — Il es assailli de tous 
o^tés, et, malgré sa défense énergique, tombe su pouvoir des 
ennemis. — Il est amené devant le Soudan, qui l'engage à 
renier sa foi et. à adorer Mahomet. — Pierre se oonforme en 
appaienoe à oe qu'on ' lui demande. «^ D'après ses oonsdls» le , 







Soudan envoie on message à Godefroi pour rengager à rimiter 
et loi faire, 8*11 y consent, les offres les plus brillantes.— Le roi 
fait passer Farmée des Croisés devant le messager, que cette 
vue remplit de terreur.— Godefiroi défie «n Turc, qull coupe 
en deux, ainsi que son cheval, avec son épée. —Douleur du 
Soudan en appreo^^nt cette nouvelle. — Jl vient avec 40a di;mée 
innombraJiie assiéger Jérusalem. — Godefroi encourage les 
Clirétieii^ à attaquer résolument les ennemis. -* U adresse à 
Dieu m^e longue prière. ^Renouv^^çflaent du p^ir^cle dn 
ci^0 epil^^ par le feu du ciel. •*- Les barons qui avalent 
quitta U vUle après le couio^pemeat de Go^roi de Bouillon 
vienniRit le r^indre.^L>rmée de» GrQisé^ se range çnb^taiUe 
bors des murs de iérnsalemiy dans la plaine de Rames. -'- Le 
Soud^4e f|dt nomiqer par Pierre THermite les obefs 4es dif- 
férents Q9KPS À mesure qu'ils se présentent*-* : ^^ 



CffANT VJII. 

Le Seadan llUt la revue de son année, «ommao^ée par cla- 
quante lois. *- Le eombat s'engage. -- âod^roi i«e le dis aîné 
du Sandan.r*»ilort de fieBaalt de Beaniiais. fnfitpieitS'^ Bobert 
de Normandie. -- Enveloppé par les Turcs,, il est sanvé par 
Tancrède et Boémond. —Roger du Hosoi tue un autre fils du 
Soudan. --Rotron du Percbe, Hugues le Maine, le comte de Yen- 
dôme, Lambert de Liège, Tbomas de Mavne, Hugues de Saint 
Pol, se signalent.— Enguerrand, fils de ce dernier, est tué. — 
Les ebiétieiis eèdepi au aombre. r-.L*éV'éque de flantran les 
rassuie*finieur monlrant la vraie croix. ?- Gonramaran tne 
Richard de^joumaT.-mandQuiiipcmrsttit les enneais jue^^À 
latente du.^udan.: oeUiiiCi se âtit aneer. -r Longneidcaorlp- 
tiondes pièces -de aDn?arminFe.-*€oabat acharné. r-<Boèmood 
tue GoriM4a8, VanarèderLiicabe),:SOQl)r^.--<Sept sois tombent 
sous les fioups de :Qaudodin deBeauvals et ;de Riehasd 4e Qau- 
mont ^ Les Samsins letenieur leaCielsés le feu grégeois. -^ 
J^*èvé<jne du Pny ^étéintà. l^de deiaviais ccûîil. *-€onm- 



TABLE. 365 

maran est Mi pàf Bàudoiiin.— Les barons ehi^eBst^nissent 
toutes leurs forces pour attaquer la grande armée dû Soudan. 
—Ils sont recoussés.~Salnt Georges et saint Maurice viennent 
à leur secours à la tête d*une armée d'anges.— Pierre TErmlte 
est délivré.— Le Soudan et son armée prennent la fuite.— A la 
prière de Tévéque de Mautran le jour se prolonge pour que 
leur défaite soit plus complète.— Baudouin les poursuit jusque 
devant Acre. — Raimbaut Greton le rencontre environné d'en- 
nemis. — 11 reste courageusement auprès de lui pour le dé- 
fendre. — Us sont délivré». -* U ne reste plus un seul ennemi 
dans tout le pays. — Vn miracle a réuni au Charnier des lions 
les soldats chrétiens qui ont péri dans la bataille.— Les Croisés 
rentrent à Jérusalem, après avoir rendu les derniers honneurs 
au fils de Hugues de Saint-Fo) et au roi Gonramaraa S93 




CE PRESENT LIVRE 

fut acheve d'imprimkr a caen 

Ȉk goussiaume de LAPORTE 

FOUK A, AUBRY, UBUraB 
A PARIS r. 




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