Urquhart, David
La crise
DC
266
.5
U8
LA CRISE. •
LA FRANCE
DEVANT
LES QUATRE PUISSANCES.
/
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET,
RUE DE VAUGUtARD, N" 9.
LA CIRISE.
LA FRANGE
DEVANT LES
QUATRE PUISSANCES;
PABIS, LE 20 SEPTEMBRE 1840.
PAR D. URQUHART,
ANCIEN PREMIER SECRETAIRE D'AMBASSADK A CONSTANTINOPLE ;
Auteur de « La ïnr([me et ses Ressources, » etc., etc.
« I^pus marcherons par Conslantinoplç sur Paris. »
( Gazette de Moscqw. )
— — a^«®««
A PARIS,
LIBRAIRIE DE P. DUFART,
RCK DES SAINTS-pÈRES , ^° I.
1840.
Ar'rt A 9 1975
CONSÉQUENCES
DU TRAITÉ DU 15 JUILLET 1840.
Dans ce traité il y a :
1°. Rupture de l'alliance de la France avec l'Angleterre.
2°. Alliance entre l'Angleterre et la Russie.
3". Renouvellement de l'alliance pour le partage de la
Pologne, plus l'Angleterre.
4°. La souveraineté des Dardanelles enlevée à la Porte.
5°. L'occupation de Constantinople stipulée par le droit
public de l'Europe.
6°. La France armant , sans parler. Le reste de l'Europe
alarmé armant contre la France.
7°. La prostration de la France devant la Russie.
8°. Par cette prostration de la France , la domination de
la Russie confirmée sur ses alliés.
9°. En Angleterre, un seul homme devient, par ce
traité, l'arbitre des deux partis qui la divisent, et les
met dans la dépendance de la Russie.
10°. Domination maritime de la Russie. — Guerre de
vingt ans en Europe. — Les Cosaques à Paris, —
à Constantinople, — à Rome.
TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS L'APPENDIX.
Traité d'Unkiar Skelessi Page 53
Observations sur ce Traité, écrites en 1834 61
Traité du 15 juillet 1840 71
Note de lord Palmerslon à M, Guizot , 17 juillet 1840, . . 83
Note de M. Guizot à lord Palmerston , 24 juillet 86
Note de lord Palmerston, le 10 septembre 1840 89
Discussion à la Chambre des Communes , 6 août 91
Lettre de M. Urquhart sur la flotte russe, 25 septembre.. 106
LA FRANCE
DEVANT
LES QUATRE PUISSANCES.
« C'est quand la paix aura été conclue que l'Europe
doit en connaître les conditions. Les réclamations se-
ront tardives alors , et on souffrira patiemment ce
qu'on ne pourra plus empêcher. »
( Dépêche réservée du prince de Lieven au comte
de Nesselrode, Londres rr juin 1829.)
L'Europe était partagée entre deux alliances : d'un
côté la Russie, l'Autriche et la Prusse, ou l'alliance alf-
solutisle; de l'autre, l'Angleterre et la France, ou
l'alliance constitutionnelle. Tout à coup l'Angleterre
renonce à l'une pour s'unir à l'autre; mais l'Angleterre
n'a subi à l'intérieur aucun changement qui justifie ces
nouveaux rapports avec des alliés et avec des ennemis.
Elle a donc sacrifié toutes ses sympathies à quelque
grand intérêt politique, à un intérêt qui est d'accord
avec les vues de la Russie, qui a dicté le changement.
En France, les hommes d'Etat les plus distingués l'ont
reconnu, et le peuple entier le sent, les vues de la
Russie sont hostiles à la France, et lui deviendraient
fatales par leur triomphe. Si ces vues étaient déjà dan-
gereuses pour la France alors que la Russie était seule ,
et s'il n'y avait de sécurité, de paix, qu'autant que la
2 LA FRANCE
Russie était contenue par la France et l'Angleterre
unies, quelle est la position de la France quand l'Angle-
terre l'abandonne, et adopte comme siens les desseins
de la Russie?
Un traité est signé contre la France par le reste de
L'Europe , et la France , qui n'a pas su prévoir l'évé-
nement, l'apprend comme une simple nouvelle. Aussi-
tôt la France arme, et se prépare à la guerre avec une
hâte et sur une échelle dont son histoire n'offre pas
d'exemple; mais elle ne dit rien ao sujet du traité
contre lequel elle prépare ses armements.
Jamais une pareille position ne s'était présentée au
monde; jamais on n'avait vu le Gouvernement d'un
grand peuple armer ce peuple pour éloigner les consé-
quences d'un pacte formé à son insu et sans en avoir
même préalablement exigé la communication]
Un traité est signé contre la France, et la France
arme pour en empêcher éventuellement l'exécution.
Mais puisqu'elle n'en a pas exigé <i'a(^<9r^ l'annulation,
de quel droit viendrait-elle s'opposer à ce qu'il fût exé-
cuté? Ne pas résister au traité comme attentatoire en
lui-même à ses droits, et ne pas en requérir l'abroga-
tion , c'est abandonner la position de défense légitime ,
c'est donner à ses armements le caractère d'agression.
Ou bien l'acte des quatre Puissances, le traité, est
dangereux pour la France, ou il ne l'est pas. S'il n'y a
pas danger, le Gouvernement sacrifie les intérêts du
pays par des armements sans but; s'il y a danger, il
trahit ses devoirs eu n'allant pas saisir et étouffer le
mal, s'il ne s'attaque à sa source, et ne s'assure à lui-
même et à ses successeurs le droit de résister. J^'t
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 3
France ne proteste pas contre le traité; par là même
elle s'y soumet. Ses armements deviennent dès lors un
fait étranger à la question diplomatique. Mais si la sou-
mission de la France était nécessaire à l'existence du
traité , ses armements et ses menaces sont nécessaires à
son accomplissement.
La question est si grave, et le moment si pressant, que
je sens n'avoir pas besoin d'apologie pour les observa-
tions que j'adresse au public français sur cette crise qui
intéresse également la France et l'Angleterre, et dans
laquelle la décision du Gouvernement français va d'un
moment à l'autre assurer la paix aux deux pays, la
justice à l'Europe, ou bien plonger l'Angleterre et la
France dans une destruction commune qui établira la
domination de la Russie sur l'Europe et l'Asie. La
grandeur du danger n'est pas dans la force de notre
ennemi commun , car alors tout avertissement serait
vain ; — elle n'est pas dans l'insuffisance de nos moyens,
car alors notre cause serait désespérée. Notre force n'a
jamais été ni comptée ni essayée. Le danger est dans cette
sécurité, qui permet à une main faible, mais intelli-
gente, de saper dans l'ombre les fondements des deux
empires. —
La solution des difficultés actuelles était donc facile,
pourvu qu'on se mît face à face avec elles. Si la France
avait compris que ce traité était fait contre elle, que
c'était une œuvre de fraude conçue dans le dessein de
sacrifier l'Empire ottoman , ce pacte tombait de lui-
rnême; que dis-je? il n'eût jamais été tenté. Mais je ne
vois en France SLVLcnnQ pensée diplomatique; je ne vois
que des gens qui comptent le nombre des armées , et
4 LA FRANCE
fondent leurs calculs dans une question de droit et de
puissance sur une propagande en matière de forme de
gouvernement.
J'essaierai en peii de mots de faire comprendre que le
traité du i5 juillet entraîne la chute de la Turquie;
— que les conséquences du traité ne peuvent être em-
pêchées par des actes subséquents de la France; —
qu'une déclaration contre le traité aurait eu pour effet,
en Angleterre , l'abrogation de cet acte , en même
temps qu'elle préparait les voies à une nouvelle alliance
entre la France et l'Angleterre, pour mettre un terme
aux desseins ambitieux de la Russie; — que, de plus,
c'était là la seule voie ouverte au Gouvernement fran-
çais, et qu'aucun autre moyen ne pouvait assurer la
paix.
Le traité du 1 5 juillet est le complément d'un autre
traité signé le 8 juillet i833, àUnkiar Skelessi. Ce traité
excita les alarmes de l'Europe; la France et l'Angle-
terre s'unirent pour protester. Il troublait les relations,
portait atteinte à l'indépendance de l'Empire ottoman ,
et plaçait cet empire sous le joug de la Russie par une
stipulation qui nécessitait l'occupation de sa capitale
sous certaines conditions. Mais comme ce traité n'avait
été fait que pour un certain nombre d'années , les Puis-
sances européennes s'imaginèrent qu'à l'expiration du
terme assigné à sa durée le danger cesserait, qu'alors
la Turquie pourrait reprendre avec les autres États ses
relations libres et indépendantes, et que les droits et
l'influence qu'il avait donnés à la Russie expireraient
ainsi d'eux-mêmes.
Ce traité devait durer huit années. Nous approchions
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 5
du terme, lorsque tout à coup il est remis en vigueur
par le traité signé à Londres le i5 juillet i84o.
La ressemblance entre les deux traités, dans l'objet
de leurs stipulations , se trouve aussi dans la forme sous
laquelle on les a présentés, et l'espèce de résistance
qu'ils ont provoquée. Il importe de les comparer.
La Turquie, menacée par un vassal fait un appel à
l'Angleterre pour obtenir son appui , et à cette fin elle
invoque les bons offices de l'Autriche. Rebutée à Lon-
dres, elle fait le même appel à la France. Le Gou-
vernement turc montre ainsi sa prédilection pour l'An-
gleterre, la France et l'Autriche, et fait preuve de la
plus grande défiance envers la Russie, qui est prête,
à trois jours de distance, et offre avec instance un
secours que la Porte repousse. La Russie s'immisce
dans la négociation en pressant l' Angleterre d'ac-
corder le secours qui lui est demandé. Nonobstant
le refus de la France et de l'Angleterre , le Gouver-
nement turc ne fait aucune démarche auprès de la
Russie, et c'est par les gazettes qu'il apprend la nou-
velle qu'une escadre russe fait voile pour Constan-
tinople. Il découvre alors que le Sultan , dans un
moment de dégoût et de désespoir, a conclu en se-
cret un arrangement qui permet cette expédition. La
Porte supplie alors l'Angleterre et la France de la
protéger contre la protection russe, s'engageant, si
la France et l'Angleterre, ou l'une des deux, lui pro-
mettent du secours , à exiger le rappel de la flotte
russe à Sébastopol. L'ambassadeur français en fait la
promesse, mais il est bientôt désavoué par son Gou-
vernement. Ce n'est qu'après ce dernier effort que
6 LA FRANCE
la Porte se voit réduite à chercher protection dans
les bras de la Russie. L'arrangement conclu entre le
Sultan et le pacha d'Egypte , l'escadre russe fait
voile pour Sébastopol, et c'est alors qu'on apprend
qu'un traité secret a été signé (le 8 juillet i833)
entre la Russie et la Porte, Il parvient à la con-
naissance du public par la voie d'un journal , le
Morning Herald. Interpellé dans la Chambre des
Communes, le ministre anglais répond qu'il n'a reçu
aucune communication à ce sujet; mais il n'en con-
teste point ïauthenticité. L'empereur de Russie dé-
clare également que la connaissance lui en est par-
venue sous la forme d'une simple nouvelle. Les Gou-
vernements anglais et français protestent contre ce
traité secret; la Russie répond qu'elle agira comme
si ces protestations étaient non avenues. L'ambassa-
deur anglais à Constantinople , dans une série de notes
échangées avec la Porte, prouve que ce traité est un
traité offensif contre l'Angleterre. Une escadre anglaise
et française fait voile pour le Levant. Après cette dé-
monstration de l'insulte que la Russie leur avait faite,
les deux Gouvernements se déclarent satisfaits. Leurs
escadres rentrent à Malte et à Toulon, et le Gouver-
nement russe leur communique alors officiellement le
traité.
Le traité du i5 juillet i84o paraît soudain sans
aucun événement qui le motive. La France, de nou-
veau, l'apprend comme une simple nouvelle. On pro-
cède à son exécution avant que la France en con-
naisse l'existence. Au lieu de protester, la France cette
fois arme. Un acte en exécution du fiaité s'accom-
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 7
plit sur la côte de Syrie; cet acte viole en lui-même le
droit des gens : alors le traité est publié dans le
Morning Herald. Ija France garde le silence et dès
lors le traité lui est officiellement communiqué.
En voilà assez pour montrer la ressemblance qui
existe dans la manière dont se sont produites ces deux
transactions parallèles, et qui sont sans précédents dans
l'histoire de la diplomatie.
Nous allons maintenant faire ressortir les points par
lesquels les deux traités diffèrent entre eux.
Le traité d'Unkiar Skelessi fut signé après que la
Porte, menacée d'un grand danger, avait reçu de la
Russie des secours que la France avait refusé de lui
donner.
Le traité de Londres crée le danger dont les con-
séquences doivent amener l'occupation de Constanti-
nople.
Le premier était un traité signé après que la Russie
avait retiré ses troupes ; le second sanctionne leur
retour.
Le premier stipule l'exclusion des vaisseaux français
des Dardanelles, sous certaines conditions seulement;
le second stipule leur exclusion absolue et irrévocable ,
en temps de paix comme en temps de guerre.
Le premier était un traité fait contre l'Angleterre
aussi bien que contre la France, et ces deux Puis-
sances protestèrent d'un commun accord. Par sort
existence même, il donnait à la France la garantie
d'une union permanente avec l'Angleterre pour ré-
sister en commun aux vues de la Russie, si ouverte^
ment avouées.
* LA FRANCE
Le i5 juillet i84o, l'Angleterre s'unit à la Russie
pour accomplir le dessein contre lequel , de concert
avec la France, elle protestait en i833 '. .
Le traité du i5 juillet est le traité d'Unkiar Skelessi
renouvelé, et dix fois plus alarmant et plus insultant
que dans ses premières stipulations, non pour la France
seule, mais pour l'Angleterre, pour l'Europe, pour le
monde entier!
L'Angleterre qui, par la position géographique de
ses possessions, a des intérêts diamétralement opposés
à ceux de la Russie ; l'Angleterre que ses sympathies po-
litiques mettent en opposion directe avec la Russie,
l'Autriche et la Prusse; l'Angleterre s'unit à ces Puis-
sances! Elle s'unit contre la France, et le prétexte de
cette union est le renouvellement du traité d'Unkiar
Skelessi. Et la seule raison que le ministre anglais
allègue pour justifier cette mesure , est qu'elle a amené
de la part de la Russie l'abandon volontaire de ce traité.
Il fallait opérer un schisme dans l'Empire ottoman
pour réaliser ces objets que l'on avait en vue, mais
il fallait créer ce schisme en Europe avant de le
transporter en Orient , et schisme en Europe c'était
schisme entre la France et l'Angleterre. L'exclusion de
la France est donc devenue la base du traité entre les
Puissances européennes, et un motif de plus pour décider
l'Autriche et la Prusse à y entrer, croyant par là dé-
' Quoique le ministre anglais eût rédigé alors sa protestation de
manière à sembler s'opposer à la Russie sans s'y opposer ; de sorte que
cette résistance simulée ne faisait que donner à la Russie l'occasion de
traiter avec dédain la protestation de l'Angleterre et de la France.
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 9
tacher l'Angleterre de la France. L'exclusion de la
France fournit en outre le moyen de bouleverser la Tur-
quie, et par suite, un prétexte pour stipuler, et les
moyens pour accomplir l'occupation de Constantinople.
La race musulmane tout entière , exaspérée par cette
convention , se soulèvera contre son souverain , qui l'a
admise ou à qui on l'a imposée. Le Gouvernement
turc se trouve affaibli par cette protection, les pré-
paratifs de la France , le langage de son ambassadeur
à Constantinople , le secours qu'elle paraît devoir don-
ner au pacha d'Egypte mettent le comble à la dégra-
dation et aux alarmes de ce Gouvernement, et le jet-
tent dans les bras et à la merci de l'ennemi qui lui
offre sa perfide protection. Tandis que la soumission
subséquente de la France établit la conviction qu'il est
impossible de résister à la Russie, puisque aucune Puis-
sance n'ose le faire.
Mais, dira-t-on, «si la résistance apparente de la
France a eu pour effet d'avancer ainsi l'objet du traité,
la soumission définitive de la France ne tendra-t-elle
pas à empêcher une rupture, et à forcer Méhémet-
Ali à accepter les conditions du traité?» Nullement.
La Russie, qui a amené la crise actuelle, et qui tient «
évidemment dans sa main les incidents et les acteurs
principaux ou subordonnés, aura soin aussi d'amener
le résultat qu'elle désire. Dans la première révolte
de Méhémet-Ali, ce fut elle qui le fit triompher; ainsi
aujourd'hui elle lui assurera un succès siiffisant pour
que le traité s'accomplisse et mette la Turquie ruinée
h ses pieds.
• D'ailleurs, le caractère et la position de Méhémet-
10 LA FRANCE
Ali ne permettent pas d'espérer qu'il se soumettra; il
comprend la position des Puissances européennes; il
sait que toutes les parties contractantes ont des intérêts
opposés à ceux de la Russie; il sait que leurs peuples
sont peu disposés à la guerre; et comme il voit la
France prendre une attitude hostile au traité, il doit
le traiter avec mépris, considérer comme dupes ceux
qui l'ont signé , et entretenir la ferme confiance qu'il
ne sera jamais exécuté; car il est certain pour lui que
si on essaie de l'exécuter, il en résultera une guerre
européenne.
Mais aussi son indignation , comme homme , est
soulevée contre des procédés aussi perfides. Méhéraet-
Ali a été un sujet rebelle, il a causé à son pays et à sa
race des maux incalculables. Mais il est des événe-
ments , comme il y a des dangers , qui retrempent
l'âme; et si un danger, fait par sa grandeur pour in-
spirer le courage ou pousser au désespoir, a jamais
menacé un empire ou un peuple et ranimé le patrio-
tisme d'un homme, certes c'est bien celui qui, sous
le nom de traité protecteur, menace aujourd'hui la
race ottomane. Mais ce traité élève Méhémet-Ali au
plus haut point que puisse rêver l'ambition. Un acte
d'agression , non de la part de son souverain , mais de
la part de l'implacable , de l'éternel ennemi de son sou-
.verain, de sa race et de sa foi, le pousse à la révolte,
et sa révolte devient légitime. Tout Musulman tournera
ses yeux vers lui, comme vers son seul refuge; il verra
en lui , non plus le ministre de la volonté d'un autre ,
non plus le dépositaire du pouvoir du monarque ;
ses sentiments se changeront soudain en admiration
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 11
et en respect. Par le traité, ce seul nom, et Méhé-
met-Ali, » est devenu dans toute la Turquie, dans tout
l'Orient, une puissance; et cette puissance, Méhémet-
Ali la sent en lui-même. 11 ne peut descendre de cette
haute élévation périlleuse où on l'a placé à dessein , et
c'est encore ainsi que le traité, par le seul fait de son
existence, réalise les désastres en vue desquels il a été
signé.
Cette importance qu'on lui a donnée en Europe, cette
position suprême qu'on lui a faite, ne devient-elle pas
pour lui une source nouvelle de force et de résolution ?
un danger de plus ajouté aux dangers qui écrasent la
Turquie? Quatre Puissances sont coalisées pour le mena-
cer; — et lui, le vieux Méhémet-Ali de Cavalla, défie
quatre souverains, en s'efforçant de défendre le sien!
Arbitre des destinées du monde, il peut, par son
défi seul, répandre les flammes et les ravages de la
guerre d'un bout à l'autre de cette Europe, dont la
perfidie et l'inimitié ont, pour obéir au Moscovite,
pesé de tout leur poids sur le nom et la fortune de son
pays.
C'est ainsi que la Russie s'est amplement assuré dans
le traité le moyen de l'exécuter, et qu'elle a complè-
tement soumis à son vouloir « ces incidents et ces su-
balternes» auxquels la France elle-même se reconnaît
subordonnée. Le Gouvernement français se bercerait
en vain de l'espoir qu'il échappera, par la soumission
de Méhémet-Ali, au danger et aux difficultés où l'a
placé sa propre incapacité, et non la Russie. Mais en
supposant que Méhémet-Ali se soumette aujourd'hui,
demain on ferait surgir une autre couîmotion , on trou-
12 LA FRANCE
verait un autre Méhémet-Ali pour accomplir le traité.
Et si la France , forte aujourd'hui de son exclusion
même, allait s'associer à un tel pacte, elle ne ferait
que contribuer à réaliser les conséquences fatales qu'elle
peut aujourd'hui prévenir d'un seul mot.
Toutefois, on ne peut bien apprécier les résultats de
ce traité qu'avec une connaissance parfaite de la condi-
tion actuelle de la Turquie. Le peuple turc diffère des
peuples européens : c'est pourquoi les Européens ne
peuvent juger sans se tromper aucune question orien-
tale, et par là même aucune question européenne où il
s'agit de l'Orient; c'est là le secret de la force de la Rus-
sie et du pouvoir qu'elle exerce sur l'Europe.
Le Gouvernement turc s'est soumis à ce traité; mais
le peuple turc est-il déjà préparé à subir l'occupation
de Constantinople? S'il en était ainsi, le traité serait
inutile. Le traité donnera-t-il d'un seul coup à la Russie
le pouvoir d'occuper Constantinople? Voilà désormais
la question.
En i833 , l'Europe retentit de la nouvelle que Con-
stantinople était occupée par une armée russe , — et
elle acceptait cette nouvelle sans inquiétude *. Cette
armée, de dix raille hommes, était retranchée sur la
montagne du Géant, à seize milles de Constantinople,
protégée par le Bosphore qui la séparait de la capitale.
Cette capitale contient six cent mille habitants.
Si la Turquie était morte , pourquoi cette coalition
' Un des premiers hommes d'État de l'Angleterre , en annonçant
celte occupation, déclara qu'elle délivrait l'Angleterre de tout embar-
ras au sujet de la Turquie.
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 13
pour l'assassiner? Si des complices n'étaient pas néces-
saires, la Russie aurait-elle des alliés'? Ces alliés con-
somment le sacrifice en croyant sauver la victime. Le
traité de Londres est ainsi l'arrêt de mort d'un empire,
obtenu de l'Europe, sous prétexte que cet empire ne
vit plus.
Certes, l'ambition la plus vaste pourrait se contenter
des fruits déjà produits par le traité. Ne fût-ce que de
soulever la France contre l'Angleterre, et de la préparer
ainsi pour l'alliance russe, ce résultat seul vaudrait une
conquête; mais elle acquiert en outre la certitude de
posséder la Turquie, et de jeter pour vingt ans la guerre
au milieu de l'Europe. Et tandis qu'elle met en péril
l'existence de toutes les autres nations, la Russie, froide,
indifférente et éloignée, n'expose rien dans une partie
où le prix est l'empire du monde. La paix est détruite,
la guerre cesse d'être pour les autres nations un dernier
moyen de salut, elle n'est plus qu'un instrument de des-
truction entre les mains de la Russie.
L'existence , dans une mer fermée comme la mer
Noire, d'une force maritime russe, qui, sans contre-
poids, et à l'abri de toute observation, menace la cote
septentrionale de la Turquie et sa capitale même, est
une position à laquelle nous nous sommes accoutumés ,
et dont le danger est augmenté , ou plutôt dont tout
' « Si une fois nous discutions avec nos alliés les articles d'un traité
avec la Porte , nous ne les contenterions que quand ils croiraient nous
avoir imposé d'irréparables sacrifices.» [Dépêche réservée dit prince de
Lteven, ^ juin 1839.)
Onze années ont bien changé les situations !
14 LA FRANCK
le danger consiste en ce que nous nous y sommes ac-
coutumés. En 1791, la Prusse déclara que Texistence
de cette force maritime de la Russie était incompa-
tible avec la paix de V Europe. En 1809, l'Angleterre
stipula comme de son libre consentement que ses vais-
seaux ne passeraient pas les Dardanelles, mesure qui
doubla le danger d'une flotte russe dans la mer Noire,
puisqu'elle diminuait les chances d'un appui quelcon-
que donné à la Turquie contre son action, et qu'elle
rendait manifeste et indubitable l'aveuglement de l'Eu-
rope et sa soumission aux vastes desseins du Cabinet de
Saint-Pétersbourg, aveuglement et soumission qui sem-
blaient augmenter à mesure que ces desseins devenaient
plus manifestes et plus alarmants.
D'après le traité de Londres, du 6 juillet 1827, la
Russie devait envoyer un contingent dans la Méditer-
ranée ; et sous le prétexte de ne pas passer les Dar-
danelles, elle saisit cette occasion de faire entrer dans
la Méditerranée une partie de la flotte de la Baltique.
Mais quand elle chercha à envoyer un plus grand nom-
bre de vaisseaux que celui qui était fixé pour son con-
tingent, le Gouvernement anglais était encore, à cette
époque, si convaincu du danger d'une augmentation de
ses forces dans la Méditerranée, qu'il exigea le rap-
pel de ces vaisseaux.
La bataille de Navarin montra les escadres anglaise
et française unies à celle de la Russie pour détruire,
au milieu de la paix , la puissance maritime des Turcs ,
doublant encore par là la force déjà doublée de l'es-
cadre russe dans la mer Noire : alors vint le blocus
des Dardanelles par une force russe venue de la mer
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 15
Baltique, avec le consentement de l'Angleterre et de
la France, et dont la présence n'avait été tolérée dans
la Méditerranée qu'à la condition expresse de n'y exer-
cer aucuns droits belligérants.
Le traité d'Unkiar Skelessi stipula alors, que sur la
demande de la Russie^ et dans le cas où elle serait elle-
même en danger, les vaisseaux de toute autre Puissance
seraient exclus des Dardanelles.
Dans ces arrangements , les Dardanelles seules
sont mentionnées, mais il n'y est pas question du pas-
sage du Bosphore , menant de la mer Noire à Constan-
tinople. Dans le traité du i5 juillet, il est stipulé
qu'aucun vaisseau étranger ne passera les Dardanelles
ni le Bosphore. Le mot Bosphore avait été soigneuse-
ment omis tant que la Russie sentait qu'on pouvait faire
usage contre elle d'une stipulation quelconque; main-
tenant, elle peut l'introduire hardiment, puisqu'il y a
un traité public , européen , qui stipule l'occupation de
Constantinople.
La Russie a introduit ce mot pour conserver l'ap-
parence d'une justice égale pour tous, pour aveu-
gler par là la nation anglaise, et avoir au besoin un
prétexte pour retenir sou escadre dans la mer Noire
et pour faire venir des forces additionnelles de la Bal-
tique.
Ce traité d'Unkiar Skelessi ne fermait les Dardanelles
aux vaisseaux des Puissances étrangères qu'à la de-
mande de la Russie. Par ce traité la Russie avait la
faculté de descendre les Dardanelles, même quand elle
en demandait la clôture à d'autres Puissances. Ses vais-
seaux étaient dans l'habitude de remonter ce détroit et
10 LA FRANCE
(le le descendre. Le traité d'Unkiar Skelessi fut extor-
qué par des menaces et comme la condition à laquelle
la Russie évacuait le Bosphore; la Turquie donc fai-
sait une concession immense, et qu'il était en sa puis-
sance de faire ou de refuser. Mais l'opinion que sous
l'empire de ce traité les vaisseaux de guerre ne pou-
vaient pas passer les Dardanelles est entièrement erro-
née. Cette impression a été produite par la déclaration
faite à la Chambre des Communes par le ministre des
affaires étrangères, mais faite en termes ambigus. L'évi-
dence des faits*, cependant, suppléa bientôt à l'ambi-
guïté du langage.
Une ambassade fut envoyée de Londres à Saint-Pé-
tersbourg à travers les Dardanelles ; elle descendit de
la frégate et fut mise à bord d'un bateau à vapeur
de l'amirauté pour montrer que la frégate ne pouvait
pas entrer dans la mer Noire, et le steamer déposa
ses canons. — Quelques jours avant ce spectacle vrai-
ment merveilleux, un vaisseau de guerre autrichien
était entré dans la mer Noire sans difficulté et sans
commentaire. Mais immédiatement après cet événe-
ment, un vaisseau de guerre français, pour lequel un
firman avait même été accordé^ fut empêché par l'am-
bassadeur français de se rendre à sa destination. Quelle
nation pouvait espérer d'emporter une question mari-
' Il est peut-être superflu d'ajouter que ce ne fut pas là une déci-
sion du Gouvernement anglais, car les collègues du ministre des af-
faires étrangères ignoraient comme le public ce qui se faisait, et si
leurs pensées se portaient sur ce sujet , ils croyaient que le secrétaire
d'État des affaires étrangères était alarmé des actes de la Russie, et
que son actikvité à les déjouer sortait même des règles de la pru-
dence.
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 17
time aussi importante que celle-là quand l'Angleterre
se soumettait? et une fois que l'Angleterre s'était sou-
mise, elle était unie avec la Russie contre quiconque
essaierait de naviguer sur l'Euxin. Le traité du i 5 juil-
let enlève à la Porte la domination des Dardanelles,
dont elle avait joui jusqu'ici sans contrôle, non par les
termes exprès du traité, mais par le protocole annexé
qui RÉSERVE à la Porte le droit d'accorder des firmans
aux petits vaisseaux de guerre. Vraiment tout ceci
semble un rêve ! les droits politiques et territoriaux
les plus importants au monde, la navigation des Dar-
danelles, sont, au mépris des Puissances de l'Europe,
enlevés à l'État souverain auquel ils appartiennent, et
remis par ces Puissances elles-mêmes au Cabinet de
Saint-Pétersbourg.
Par ce traité, même sans «occupation,» la Russie
est maîtresse de la Méditerranée, et par-là maîtresse
des affaires; et elle s'empare de la domination des mers,
non pas seulement en commun avec la Puissance qui a
jusqu'à présent été en possession de cette domination
et qui a su la maintenir, mais comme sa protectrice.
Nous ne prenons pas la question au point de vue an-
glais, mais au point de vue français : eh bien , la France
ne voit-elle pas dans cet événement l'établissement de la
suprématie de la Russie , non-seulement en Turquie , en
Egypte , et sur la côte d'Afrique , mais aussi en Espa-
gne, en Italie et dans l'Adriatique? Bientôt elle ne gar-
dera que par tolérance , Alger et la Corse ; elle dépen-
dra du bon plaisir de la Russie, non-seulement pour
l'exportation des subsistances qu'elle tire du sud et de
l'est, et pour leur passage à travers les Dardanelles, mais
2
18 LA FRANCE
encore pour leur introduction dans les ports de France.
Tout le sud de l'Europe dépend d'elle également pour
les matériaux de guerre, pour les céréales, et pour les
objets de première nécessité ; le commerce de l'Inde, de
l'Asie et de l'Afrique est sous sa garde. Au nord , par
la réaction de sa suprématie dans la Méditerranée, la
Russie entre en pleine possession de toutes les res-
sources de la Grande-Bretagne, dont naturellement
elle disposera d'une manière absolue en cas de guerre ,
puisqu'elle a pu en disposer, ainsi que nous l'avons
vu, en plaine paix, et même pendant que l'alliance
entre la France et l'Angleterre subsistait.
Supposons le cas d'hostilités immédiates : La Russie
a armé, équipé et discipliné quarante-cinq vaisseaux
de ligne et trente frégates qui peuvent être concentrés
dans la Méditerranée. La Turquie a dix vaisseaux de
ligne, et l'Angleterre douze dans la Méditerranée, et
huit autres qui seront bientôt prêts. Voilà donc un total
de soixante-quinze vaisseaux de ligne. Assurément alors
Gonstantinople tombe; Alexandrie devient la proie de
la Russie, et les dix vaisseaux de ligne du Pacha, ajoutés
aux autres, font quatre-vingt-cinq vaisseaux de ligne
tout équipés à sa disposition. L'occupation de Gon-
stantinople entraîne après elle la possession (en fait)
de tout cet immense littoral qui s'étend de Scodra
aux bouches du Nil et qu'habitent cent quarante mille
marins. La guerre , une fois déclarée , elle dispose des
trésors de Gonstantinople , et des centaines de millions
de subsides de Londres ! Et que peut faire la France ?
attaquer la Prusse? attaquer l'Autriche? En les atta-
quant, même en les menaçant pendant la paix, elle les
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 19
jette encore plus avant dans la dépendance de la Rus-
sie. L'Autriche et la Prusse n'arment pas; c'est qu'elles
sont décidées. La France arme, parce que, ne voyant
pas la route qu'elle doit suivre, elle est indécise et
alarmée. Si la Prusse et l'Autriche étaient alarmées,
elles armeraient aussi , et la France pourrait alors avoir
quelque espérance qu'elles feraient défection. La France ,
avec un pareil avenir devant elle, attend que l'Angle-
terre soit compromise par les actes de son ministre,
et, pensée profonde, elle fortifie Paris!
Si à ces moyens d'action extérieure sur la France
que la Russie possède, on ajoute la marche ordinaire
de cette Puissance, pervertissant l'opinion, corrom-
pant les hommes publics, fomentant les mécontente-
ments intérieurs, et profitant de chaque erreur di-
plomatique de ses rivaux; — si l'on considère l'intel-
ligence supérieure que révèlent en elle les événements
et les résultats récents, je ne crois pas trop avancer
en disant que, par suite de ce traité, l'indépendance
de la France pourrait recevoir les plus graves atteintes
sans qu'elle pût tirer une épée ou lever un bras pour
sa défense.
Ce traité présente donc à la France les plus grands
dangers qui puissent, par anticipation, menacer une
nation. Ce n'est pas l'œuvre d'un conquérant, mais
d'un système; ce n'est pas le résultat d'un système d'un
jour, mais d'un système qui existe depuis des siècles;
un système qui n'a pas éprouvé de changement, mais
qui a procédé de la corruption secrète à l'agression ou-
verte, de l'influence diplomatique à la domination poli-
20 LA FRANCE
tique. Jusqu'à présent, il a rencontré de la résistance
dans les intentions de l'Europe , et des traités ont été
faits pour arrêter ses progrès, et tous les Gouverne-
ments et tous les hommes d'Etat ont déclaré qu'il y
avait à cette tolérance de l'Europe et à ces succès, une
limite que la Russie ne pourrait pas franchir; cette li-
mite c'était la tentative de s'emparer de Constanlinople.
Soudain , et sans qu'il y ait de changement apparent ou
de raison , l'Europe s'unit pour la soutenir, des traités
sont faits pour l'avancement de ses fins , et une coalition,
qui convient d'avance qu'elle occupera Constantinople,
s'applique à préparer les voies par lesquelles cette occu-
pation sera effectuée.
Mais ceux qui voient le danger supposent que la Rus-
sie n'a fait que tromper le ministre anglais, et qu'en
signant ce traité, il a eu en vue honnêtement, quoi-
qu'on se trompant, le maintien de l'Empire ottoman,
par la réduction du pacha d'Egypte, et la guérison de
la plaie que cette séparation inflige à la Turquie.
Pour empêcher la possibilité d'une erreur aussi fa-
tale, les considérations suivantes montreront que le
ministre anglais avait des moyens légitimes pour obte-
nir cet objet, et qu'ils furent soigneusement évités,
tandis qu'il préparait des différends dont l'existence
devait un jour justifier l'intervention.
Les mouvements intérieurs de l'Empire ottoman n'ont
d'importance qu'autant qu'ils fournissent à la Russie
des prétextes d'intervention. Le danger qui résulte d'un
déchirement quelconque dans l'Empire ottoman nous
intéresse donc à cause de la Russie, et de la Russie
seulement. Mais l'intervention est une violation du
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 2t
droit des nations. C'est donc, indépendamment du
danger, un devoir pour toute Puissance de protéger la
Turquie contre une pareille atteinte à ses droits et à
sa vie. Du moment que l'intervention russe est sanc-
tionnée par les autres Puissances, et qu'elles aident
à cette intervention (quel qu'en soit le prétexte ou
l'objet), l'indépendance de l'Empire ottoman est par
ce fait même détruite, et détruite au profit de la Rus-
sie. Jusqu'à ce jour, la résistance à cette intervention
de la Russie a été la politique avouée de l'Angleterre :
c'a été le vœu de la France exprimé dans toutes ses dé-
clarations, et la détermination expresse de l'Autriche,
qui, en i836, la soutint même par des menaces.
Le traité du i5 juillet est la contradiction de toute
la politique suivie jusqu'à ce jour, et n'est pas autre
chose qu'un partage de l'Empire ottoman, consommé
par les mêmes Gouvernements et par les mêmes hom-
mes qui ont cent fois protesté contre l'intervention ,
et exprimé les plus vives alarmes pour l'ambition russe ;
il est un partage de l'Empire ottoman, puisqu'il con-
voque l'Europe à une intervention pour garantir au
pacha d'Egypte des droits et des possessions qui n'ap-
partiennent qu'à son souverain, comme, d'autre part,
il donne aux Puissances des droits sur la clôture des
Dardanelles et du Bosphore qui n'appartiennent qu'au
Sultan.
Le traité est censé fait contre le Pacha, et il lui con-
fère des droits presque souverains, des droits, en un mot,
tels que ceux aux moyens desquels des portions de la
Turquie, de la Perse et de la Pologne ont passé ou pas-
sent actuellement sous la domination de la Russie. Ces
22» LA FRANCE
choses, la France les a dites, je le sais; mais il est évi-
dent qu'elle ne comprenait pas la valeur de ce qu'elle
disait; autrement, au lieu d'entendre des paroles, nous
eussions vu des actes.
Nous avons vu en Turquie des centaines de pachas
rebelles, conquérir des provinces, défaire des armées,
s'avancer jusqu'à la capitale même, faire et défaire des
sultans, et cependant le résultat a toujours été invaria-
blement le même , leur triomphe ou leur destruction a
servi également à rétablir ou même à fortifier l'unité
de l'Empire. Par le cours naturel des événements, au
bout de quelques années l'Egypte et la Syrie seraient
retournées au Sultan. Elles seraient retournées au
Sultan si Ibrahim était entré à Constantinople en 1 833.
Les Puissances européennes s'interposent pour arrêter
le Pacha et font une convention pour fixer les limites
et pour régler le différend entre les parties. Elles souf-
frent ensuite, sans faire la moindre remontrance, que
le Pacha n'accomplisse pas ses engagements et qu'il
s'agite d'une manière menaçante pour son souverain ;
alors, sous main, elles excitent le souverain à attaquer
le Pacha , tandis que le ministre coupable de cette per-
fidie assure d'abord la Chambre des Communes qu'il
n'y aura pas de collision, et déclare ensuite que tous les
efforts ont été faits pour l'empêcher. Par des intrigues
diplomatiques, et par des intrigues diplomatiques seu-
lement, au moment où le souverain meurt soudaine-
ment , une bataille est livrée , l'armée turque est perdue ,
et la flotte turque est conduite en Egypte. Ce triple
désastre ne suffit pas pour abattre l'Empire; les Puis-
sances prétendent alors prendre le plus vif intérêt à,
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 23
la Turquie, et lord Palmerston lui assure qu'il va exiger
la restitution de la flotte. Là-dessus elles s'adressent col-
lectivement à la Porte, promettent d'amener un arran-
gement, et mettent la Porte dans V impossibilité d'ar-
ranger ses différends avec l'Egypte sans les consulter.
Elles usent de ce pouvoir pour empêcher un arrange-
ment, et tandis qu'elles marchent droit au traité par le-
quel elles séparent les possessions du pacha d'Egypte de
celles du Sultan, elles parlent de \ intégrité de l'Em-
pire ottoman. La Russie a toujours parlé de l'intégrité
de la Perse et de l'intégrité de la Pologne !
Mais nous nous sommes exprimés comme si les Puis-
sances avaient agi de concert : il n'en est cependant pas
ainsi. En i833, l'Angleterre et la France protestaient
ensemble contre la Russie ; l'Autriche et la Prusse se
tenaient à part. En i835, la proposition faite par la
Russie d'un protectorat exclusif sur la Turquie, ren-
contrait de la part de l'Autriche une résistance décisive,
de sorte que l'Autriche, la France et l'Angleterre sem-
blaient être unies ensemble contre la Russie. En 1837
et i838, l'Autriche s'éloignait des deux parties, soup-
çonnant connivence entre le ministre anglais et la
Russie. Après la mort du Sultan et après la perte de
la flotte et de l'armée , le ministre anglais propose à
la France une mesure décisive contre la Russie. Le
Gouvernement français , effrayé , propose que commu-
nication en soit faite à l'Autriche. Alors, cette pro-
position de recourir à une mesure décisive est retirée
insensiblement; mais les trois Puissances continuent à
se consulter sur les mesures à adopter La Russie et la
Prusse sont invitées à se réunir. La Russie prête un
24 LA FRANCE
moment l'oreHle, puis, bientôt, se retire en protes-
tant. Enfin , la Russie rouvre les négociations à Lon-
dres par une proposition directe. Le ministre anglais
feint d'abord de la répugnance ; la proposition est re-
poussée par l'Autriche , elle l'est également par la
France. Quelques mois s'écoulent en conférences à
Londres. Soudain les communications cessent à l'égard
de l'ambassadeur de France ; puis apparaît inopiné-
ment un traité signé par quatre Puissances qui con-
sacre le plan proposé par la Russie comme contre-partie
des propositions que lord Palmerston avait faites à la
France, pour faire forcer les Dardanelles par une flotte
anglo-française, propositions qui avaient ouvert la né-
gociation.
L'on vit ainsi l'Angleterre proposer à la France une
mesure à prendre sans le concours d'autres Puissances,
la France demander le concours de l'Autriche; la
même demande adressée à la Prusse et à la Russie; la
Russie se séparer alors des quatre Puissances , puis re-
venir avec une proposition qu'elle adresse à l'Angle-
terre; ces deux Puissances, une fois réunies, rallier à
elles l'Autriche et la Prusse et signer enfin un traité
dont est exclue la France. De tels faits sont-ils croya-
bles? et s'ils sont constants , quels moyens ont été mis en
œuvre pour les réaliser?
Ce moyen , c'est que, d'un bout à l'autre de cette trans-
action , la Russie a été soutenue invariablement par le
ministre anglais, qui commençait par faire semblant de
lui opposer de la résistance et finissait par se dévouer
ouvertement à ses vues. Et cependant cette solution
de tant do contradictions apparentes, pas un homme
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 25
d'Etat, pas un homme en Europe ne paraît l'avoir
trouvée.
Ce n'est pas tout. Un traité de commerce, con-
clu en i836, avait fait espérer de grands avantages
pour la Turquie et pour l'Europe; il devait rétablir la
paix et la sécurité en Orient. L'un des objets de ce
traité était de rétablir en Egypte les habitudes (cou-
tumes) administratives communes à la Turquie, et de
mettre fin aux monopoles et aux autres vexations qui
forment la base du système financier du Pacha, et qui
sont autant de violations directes des anciens traités
de la Porte avec les divers Etats de l'Europe. L'un des
arguments mis en avant pour obtenir l'assentiment du
ministre anglais au principe de ce traité, était que
son adoption suffirait, à elle seule, sans l'intervention
d'aucune Puissance et sans donner au Pacha aucun
sujet légitime de plainte, pour réduire son pouvoir et
lui ôter tous moyens de nuire à son souverain. C'eût
été, d'ailleurs, indépendamment de toute intention
politique, le maintien et l'application pure et simple
des anciens droits de l'Angleterre, dont l'abandon ne
pouvait résulter que d'une intention manifeste, opposée
précisément au désir prétendu de réduire le pacha
d'Egypte. Le projet de traité fut d'abord repoussé
obstinément , puis adopté de mauvaise grâce , pour
être ensuite différé pendant deux ans, puis, enfin,
remis sur le tapis, mais dénaturé de façon à ne plus
réaliser les objets qu'il avait eus en vue, tandis que les
prétextes les plus frivoles étaient admis de la part du
Pacha pour en empêcher l'application en quelque ma-
nière que ce fût en Egypte.
Ste LA FRANCE
Ainsi, l'on avait en son pouvoir les moyens néces-
saires pour réduire le pacha d'Egypte, moyens légitimes
autant que conformes aux droits préexistants de l'An-
gleterre qu'il s'agissait simplement de mettre en vigueur.
Ces moyens furent abandonnés , les droits de l'Angle-
terre sacrifiés. N'est-ce point là une autre série d'actes
par lesquels le ministre de la Grande-Bretagne contri-
buait à maintenir cette prépondérance du Pacha , qui
devait devenir le prétexte du présent traité ' ? Pour
juger ce traité lui-même , il suffit de jeter les yeux sur
l'article 6 de l'acte additionnel : il assure au Pacha la
liberté de continuer dans sa province le même système
d'administration qui forme en même temps sa puis-
sance offensive et l'un des germes les plus puissants de
désorganisation de la société musulmane.
Le ministre anglais a lui-même refusé d'adopter
les mesures qui pouvaient réaliser les buts avoués de
' Les négociants anglais d'Alexandrie trouvant que le commerce
russe jouissait d'avantages qui n'étaient point partagés par le com-
merce de la Grande-Bretagne , adressèrent , il y a quelque temps ,
des réclamations au consul anglais. Cette circonstance réveilla sur
cette place un vif intérêt. Pour ajuster la question , les deux nations
furent mises sur pied d'égalité, c'est-à-dire que le commerce russe
se vit dépossédé des privilèges dont il jouissait. C'est que la Russie
abandonnait ses privilèges plutôt que de les laisser partager à l'An-
gleterre.
On avait vu pareillement la Russie, par le traité d'Andrinople,
obtenir pour ses sujets l'affranchissement de toute taxe prélevée dans
l'intérieur du pays. La Porte, exaspérée par la confusion que ce pri-
vilège portait dans tout son empire, recourut à la mesure désastreuse
des monopoles. Les sujets russes portèrent plainte à leur ambassadeur
contre cette atteinte portée à leurs droits ; la Russie n'eut garde
d'écouter leur plainte. Le but qu'elle s'était proposé était réalisé. —
L établissement des monopoles était en lui-même une arme dont la
poignée était empoisonnée.
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 27
la politique qu'il feignait de suivre, savoir : la réduc-
tion du pouvoir de Méhéraet-Ali ou sa réconciliation
avec le Sultan , afin d'empêcher V intervention de la
Russie. Lorsque la France se montra disposée à adop-
ter ces mesures, ce fut lui qui l'en détourna. Il vs'op-
posa de même à l'Autriche lorsqu'elle témoigna des
dispositions semblables; enfin , il déjoua secrètement les
mesures mêmes qu'il feignait d'adopter et dont l'effet
eût été de rendre inoffensif le pouvoir du Pacha. I^e
présent traité, produit de longues déceptions, n'est donc
autre chose qu'un piège tendu au peuple anglais et à
son Gouvernement , au Gouvernement français et à sa
nation, à la Turquie et à l'Egypte, qui, toutes, sont
ou deviendront ses victimes.
Mais si ce traité, dont les résultats seront si prodi-
gieux pour la Russie et si funestes à l'Europe , a été
consenti par l'Autriche et l'Angleterre , et signé par
elles en dépit de la France , il faut donc que la Russie
possède une supériorité d'intelligence tellement décidée,
qu'elle ne laisse plus à ses adversaires ni une chance
de succès ni la possibilité de mettre au jour ses sourdes
menées. On est alors , malgré soi-même , amené à
penser que, pour accomphr de si vastes desseins, la
Russie a dû employer principalement la corruption , et
qu'elle a dû la diriger surtout sur les acteurs principaux
du grand drame. Après cela il reste encore à découvrir
par quels moyens déguisés les hommes que la Russie
s'est donnés pour agents à Londres et à Vienne, ont
su vaincre la résistance, ou conquérir l'appui de leurs
Gouvernements respectifs.
L'Autriche n'a, dans cette question, aucun intérêt
28 LA FRANCE
positif à faire triompher; elle se réunit uniquement
pour empêcher le mal. L'intérêt de l'Autriche est de-
puis, longtemps le maintien de la paix. Elle seule s'est
efforcée de résister à la Russie et de protéger contre
elle l'Empire ottoman. Lui en imposer sur la portée
réelle du traité était impossible. Il est donc évident
que l'Autriche n'a cédé à un mal très-grave que parce
qu'elle avait en vue d'empêcher quelque mal plus grave
encore. Il faut croire que, voyant l'Angleterre et la
Russie décidées à accomplir leur projet au risque même
d'amener la guerre, elle a pensé rendre cette guerre im-
possible en laissant la France toute seule.
La nation anglaise sait très-bien que la Russie est
son ennemie et la France son alliée naturelle, que son
union avec la France peut seule la mettre en état de
contenir les envahissements de la Russie. C'est bien là
l'opinion universelle du peuple anglais et de la majorité
de son Cabinet. Comment donc l'intérêt de l'Angleterre
n'a-t-il point été entendu dans une détermination si
grave, si énergique, adoptée en son nom, exécutée à
l'aide de sa puissance ?
Je suis forcé de reconnaître, avec un sentiment
mêlé de honte et d'indignation, que la nation anglaise
est morte à tout intérêt dans ce qui est une affaire iia-
tionale.
La nation tout entière se partage en factions absor-
bées par des questions de politique intérieure ; elle est
ainsi neutralisée, rendue impuissante; les chefs des dif-
férents partis sont compromis sur les questions exté-
rieures par des fautes qu'ils n'ont pas su dénoncer, et
devenus solidaires d'actes qu'ils n'ont pas su empêcher.
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 29
Les complications infinies dont on les a embarras-
sées avec art, ont rendu ces questions inintelligibles,
et les font depuis longtemps échapper à tout contrôle.
Ce n'est donc jamais qu'après l'accomplissement des
événements que l'on parvient à connaître les inten-
tions qui les ont dirigés. A cet égard, les débats du
Parlement ont dû prouver à l'évidence que la nation
n'exerce aucun contrôle sur son Gouvernement ; et la
transaction qui nous occupe prouve pareillement
que les membres eux-mêmes du Gouvernement n'exer-
cent aucun contrôle effectif sur celui de leurs col-
lègues qui dirige les affaires étrangères. Et, d'ail-
leurs , comment s'étonner qu'un seul homme devienne
l'arbitre des décisions du Cabinet, quand deux ou trois
votes à la Chambre des Communes décident de l'exis-
tence du Gouvernement? De même que le Cabinet
dicte la loi à la majorité qui le soutient à raison de
l'exiguïté même et de l'incertitude de cette majorité ,
de même il arrive au ministre qui s'étant fait une
position à lui, sait, par un jeu habile sur deux partis
dont les forces sont presque égales, se donner tour
à tour l'appui de l'un ou de l'autre, et se faire ar-
bitre souverain de tous les deux. Mais un ministre des
affaires étrangères ne peut atteindre une position qui
domine ainsi le ministère même dont il fait partie, que
s'il s'appuie sur la confiance de la nation, ou sur l'as-
sistance de l'étranger dans ce qui concerne les actes de
son département ; de deux choses l'une : ou il est sou-
tenu fortement à l'intérieur dans la défense des intérêts
nationaux contre les attaques du dehors, ou bien l'ap-
pui secret d'un pouvoir étranger vient affenuir sa po-
30 LA FRANCE
sition ministérielle alors qu'il sacrifie les intérêts de sa
nation. Un ministre des affaires étrangères peut seul
réaliser cette supposition, et c'est par ce fonctionnaire
seul que l'Etat peut de cette manière être mis en dan-
ger '.
Ce traité, de l'aveu même des membres du Cabinet,
ne leur a-t-il point été imposé contrairement à l'opi-
nion personnelle de chacun d'eux ? N'a-t-il point été
imposé à la nation malgré l'opinion de tous? Et pour-
tant le Cabinet a accepté la responsabilité de la mesure
que ses convictions repoussaient, et la nation a vu en
silence s'accomplir l'œuvre qu'elle répudiait! Douterez-
vous encore que ce ne soit là une mesure imposée à la
nation entière par la volonté d'un seul homme en con-
nivence avec l'étranger ?
Mais l'intelligence même se refuse à concevoir une
position pareille , et la France est réduite à considérer
la nation anglaise, qui, dans ce cas, est victime elle-
même, comme agissant de sa propre volonté, et comme
un ennemi perfide. Sous cette impression, la France
doit nécessairement river les fers qui enchaînent l'An-
gleterre au lieu de les briser. Elle doit supposer que quel-
que motif secret explique cette conduite de l'Angleterre,
car c'est bien l'Angleterre qu'elle voit dans cet acte du
ministre anglais. Elle cherche quelque chose qui se laisse
admettre comme le motif de cette conduite. Et s'il est
impossible de ne pas voir que toutes les conséquences
■ Vatel décrit ainsi une position semblable de la Pologne : « La na-
tion s'est mise ainsi dans l'impossibilité d'agir, en sorte que ses con-
seils sont à la merci du caprice ou de la trahison d'un seul mi-
nistre. » < ;
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 31
rigoureuses du traité sont autant d'atteintes faites aux
plus graves intérêts de l'Angleterre, cela devient une
raison de plus de chercher quelque intention secrète
et déguisée qui explique la détermination adoptée. On
a imaginé en France trois prétextes dont l'Angleterre
pourrait se payer en échange de l'abandon de Constan-
tinople aux Russes, qui est de l'aveu de tout le monde
la conséquence nécessaire du traité. A l'instant où le
traité fut connu , tout homme en France s'écria : L'An-
gleterre est jouée par la Russie, et l'on peut dire qu'il
n'est pas un homme en France qui ne soit aujourd'hui
persuadé que l'un ou l'autre de ces trois projets est, au
fond, le motif secret qui a guidé l'Angleterre dans la
conclusion du traité.
Examinons la valeur de ces prétendus projets.
Le premier consiste à faire occuper la Syrie par
l'Angleterre pour établir sa communication avec
l'Inde.
Le second suppose que la Russie ayant fait en Asie
de si grands progrès qu'elle menace l'Inde, l'Angle-
terre , pour ajourner un si grave danger, se résigne à
lui sacrifier Constantinople.
Le troisième, enfin, se fonde sur ce que l'Angleterre
est jalouse de la marine et du commerce français , et
souhaite par conséquent une guerre entre la Russie et
la France.
A l'appui du premier de ces buts, l'on vous dit que
l'Angleterre a fait des efforts répétés pour obtenir une
libre communication par le cours de l'Euphrate et par
l'Isthme de Suez. L'un de ces projets a échoué; par
32 LA. FRANCE
Suez la communication est incertaine. Je me bornerai
à rapporter le fait suivant. L'un et l'autre de ces pro-
jets avaient été recommandés avec insistance au Gou-
vernement anglais par des personnes qui agissaient en
opposition avec le ministre. Un firman pour la naviga-
tion sur l'Euphrate fut enfin demandé par l'ambassa-
deur anglais à Constantinople , et un refus lui fut
adressé par l'intermédiaire de son drogman ; il en
rendit compte aussitôt à Londres, et sur-le-champ le
Gouvernement se hâta de déclarer l'expédition aban-
donnée. Mais, dès le lendemain, et par suite de me-
sures que je prenais moi - même pour déjouer celles
que des agents anglais et russes (Dragomans) avaient
adoptées pour amener ce refus, le firman désiré était
accordé par le Sultan. L'expédition partit en consé-
quence, et. obtint un plein succès; mais un accident
arrivé à l'un des bâtiments employés fournit l'occasion
d'abandonner l'entreprise et de sacrifier le colonel
Chesney, dont les efforts persévérants avaient su vaincre
tous les obstacles. En voilà assez pour juger du désir du
secrétaire d'Etat des affaires étrangères d'ouvrir la
communication avec l'Inde par la Syrie. Mais admettre
qu'il pût entrevoir la possibilité d'aucun avantage,
d'aucune acquisition pour l'Angleterre dans la Médi-
terranée, par suite d'un acte qui, en livrant Constan-
tinople aux Russes, fait de la France un ennemi de
l'Angleterre, ce serait commencer par admettre que
ce ministre avait perdu la raison.
Une supposition plus absurde, s'il est possible, ou
plus insensée, serait que l'Angleterre s'unît à la Russie
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 33
pour ajourner un conflit avec cette puissance dans
rOrient. Il faudrait pour cela que la Russie renonçât,
au moins en apparence , à ses vastes desseins sur l'Asie
centrale, tandis que l'Angleterre abandonnerait sa poli-
tique agressive en Chine et en Afghanistan. L'Angle-
terre, alors, commencerait par recouvrer sa position
en Perse, et dans ce cas, assurément, ce ne serait pas
trop que de demander la production de quelque con-
vention qui pût justifier et balancer, aux yeux de la
nation anglaise, les sacrifices effrayants qu'on lui de-
mande et les dangers auxquels on l'expose. Quels sont
les faits? L'expédition russe sur Rhiva continue, — la
suprématie de la Russie en Perse s'affermit , — l'expé-
dition anglaise contre la Chine s'avance, — pendant que
l'influence russe s'enracine dans cet empire. L'Angle-
terre est exclue de la Perse, et pas un mot n'est dit, au
Parlement ni ailleurs , qui soit de nature à rassurer
aucunement.
Voyons , enfin , le dernier motif allégué. — La jalou-
sie de la Grande-Bretagne contre le commerce et la
marine française, et le désir de les détruire.
Pour désirer détruire une chose il faut qu'il y ait
des raisons de la craindre ; il faut que le désir de
détruire soit proportionné au danger que fait naître la
lutte. Mais dans ce cas, n'est-ce pas bien plus la marine
russe que l'Angleterre aurait intérêt de détruire , tant
à raison de sa force numérique que de sa position
défensive, des facilités qu'elle a pour l'attaque, et par-
dessus tout, des desseins du cabinet qui en dispose? Il
y a folie, en vérité, à parler de jalousie de la part de
l'Angleterre pour toute autre marine que celle de la
• 5
34 LA FRANCE
Russie; et d'ailleurs, n'y a-t-il pas folie égale à parler
d'intention menaçante de la part de l'Angleterre, quand
son ministre a pris soin de disperser ses forces navales,
et de les rendre insuffisantes même pour sa propre
défense dans les éventualités que fait naître le traité?
Mais ici encore je puis certifier un fait, qui ne sera
pas moins concluant que celui que j'ai opposé au soup-
çon concernant les vues de l'Angleterre sur la Syrie. Il
est constant que le ministre anglais, à qui ces beaux
desseins patriotiques sont prêtés par les journaux du
Gouvernement y pressait lui-même le Gouvernement
français, en i835, d'augmenter sa marine'. Le pré-
texte était la crainte de la Russie; en réalité, son
objet était de préparer cette infériorité de la marine
britannique , et ces périls pour l'Angleterre qui devaient
finalement la jeter dans les bras de la Russie.
Le même ministre demandait naguère la coopération
de la France pour forcer les Dardanelles, pouvait -il
douter que la France refuserait? Aussi n'hésita-t-il pas
à rouvrir par cette proposition même les négociations,
dont la conclusion fut un traité avec la Russie contre
la France pour fermer les Dardanelles.
Hormis de vagues propositijj>ns sur le maintien de
l'Empire ottoman, sur les desseins secrets de la France
sur l'Egypte , ou sur la tendance de cette puissance à
s'allier à la Russie , jamais un mot ne fut prononcé par
' L'augmentation de la marine anglaise fut une mesure que lord
Palmerston fut forcé par le feu Roi de prendre pour arrêter la Russie.
— A la chambre des communes , ce ministre fît entendre que c'était
contre la France que cette mesure avait été adoptée ! — J'apprends au-
jourd'liui ce surcroît de perfidie qui est dit dans le texte.
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 35
le ministre anglais, soit comme argument, soit même
comme prétexte de sa politique. Aussi , n'ëtait-il appuyé
par les convictions d'aucun de ses collègues. Il eut, au
contraire, à vaincre l'opposition de chacun d'eux; il
l'emporta, mais ce fut en répondant de la soumission
de la France ' , en y ajoutant la menace de se retirer
du Cabinet , si sa pensée n'était pas adoptée.
Ce traité n'a donc l'appui d'aucun intérêt, d'aucune
opinion, d'aucune volonté, qui se puisse dire celle de
la nation anglaise. Il est l'acte individuel d'un ministre
sans foi ; mais il ne tardera pas , si la France reste in-
habile à comprendre la position , à devenir un acte de
l'Angleterre.
A moins que la France ne comprenne cet abaisse-
ment de l'Angleterre , elle ne peut apprécier ni le
danger véritable qui la menace, ni les moyens qu'elle
possède pour se sauver elle-même en sauvant l'Angle-
terre. Mais les mêmes causes d'ignorance et d'erreur
sont malheureusement la plaie de ces deux nations , et
l'histoire ainsi que la carte de l'Europe suffiront pour
démontrer à la postérité (si nous échouons à faire péné-
trer cette vérité dans l'esprit des hommes du présent) ,
que le triomphe de la Russie n'est dû qu'à l'incapacité
' Lord Palmerston, fortifié par la note de M. Guizot, qui annonce
la soumission de la France, s'exprima dans la Chambre des Communes,
le 6 août, en ces termes :
« J'ai la satisfaction de vous annoncer que toutes les communications
que nous avons reçues du Gouvernement français , depuis ce temps (la
signature du traité ) , m'ont amené à la plus forte conviction qu'il n'y
a aucun fondement à ces alarmes que l'on s'étudie soigneusement à
répandre dans l'esprit du public, ni à l'opinion que la France entre-
tienne aucun sentiment hostile envers les Puissances engagées dans
cette convention, »
36 LA FRANCE
de tout ce qui lui est opposé. La France s'étonne de
l'abaissement de l'Angleterre , et l'Angleterre à son tour
n'a-t-elle pas raison de s'étonner de la lâcheté de la
France? L'Europe est tenue en suspens et alarmée par
la servilité de la Porte ; mais le Gouvernement turc que
doit-il penser de la conduite de l'Europe?
Et tandis que chacun se contente d'incriminer et
d'injurier les autres, voyons-nous quelque part des
indices de connaissance et d'appréciation des choses à
leur valeur ou d'expérience mise à profit? En vérité,
il ne saurait plus y avoir d'espoir de salut que dans un
sentiment général et spontané de la dégradation de
notre société , et dans un retour sincère sur les causes
de cette dégradation commune des nations dont cha-
cun de nous fait partie et dont tous les individus sem-
blent frappés d'imbécillité. Ce qui se passe en Angle-
terre dépasse, en vérité, tout ce qui s'était vu à au-
cune époque précédente et dans aucune autre nation,
sans en excepter la Pologne à l'époque d'anarchie qui
précéda son démembrement. Mais, si nous attribuons
ce qui arrive à l'ab&issement moral et intellectuel des
nations et à l'espèce de paralysie dont semblent frappés
les gouvernements, il faut également l'expliquer par
une cause qui est, s'il est possible, bien plus alarmante
encore.
Faisons une supposition : — Un homme d'Etat en
Angleterre , membre de l'opposition , se déclare le par-
tisan décidé de la Russie , s'efforce à contraindre le
Gouvernement (tory de 1828-29) ^ coopérer avec la
Russie dans ses attaques contre l'Empire turc (ayant
précédemment poussé un autre ministère à justifier les
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 37
attaques de la Russie contre la Perse) ; cet homme de-
vient ministre des affaires étrangères, et, à l'instant,
professe une politique anti- russe, et s'appuie sur la
France pendant dix ans qu'il est au timon des affaires;
il ne rencontre d'opposition d'aucune part, tous les ré-
sultats de son administration sont invariablement pré-
judiciables à l'Angleterre et profitables à la Russie
seule; enfin, des documents officiels démontrent, à
l'évidence et sous des dehors d'opposition, une conni-
vence secrète avec la Russie. — Ne supposeriez-vous
pas que cet homme s'est servi d'une influence étran-
gère pour obtenir le pouvoir et pour le conserver?
Et, dans ce cas, n'est-il pas évident que la Russie et
l'Angleterre, en paraissant opposées l'une à l'autre, tan-
dis qu'elles agissaient de concert, mettaient toutes les
nations du monde dans une position fausse vis-à-vis de
ces deux Puissances également? Ce que je dis n'est point
une supposition, je n'ai raconté que des faits.
Pendant l'année i835, après cinq années de rela- \
tions intimes et avec le ministre et avec les affaires, \
des événements incompréhensibles me suggérèrent l'idée '
de trahison. Cette pensée, je ne l'ai pas cachée. Forcé
d'obéir alors à une volonté supérieure, le ministre pa-
rut changer de conduite; je crus à la sincérité de ce
changement; mais bientôt le voyant déjouer toutes
les mesures qu'il avait paru adopter, ayant d'ailleurs
acquis une connaissance plus générale des affaires, je
sentis mes convictions antérieures renaître avec une
force nouvelle; je les vis vérifiées et confirmées par cha-
que nouvel événement ; je les vis enfin partagées par
d'autres fonctionnaires de la Couronne que moi-même.
38 LA FRANCE
Mais on se demande quel motif un homme , placé
dans une situation si élevée, peut-il avoir pour trahir
son pays? A de telles objections je n'ai rien à répondre;
mes convictions résultent de l'examen de ses actes et
non de ses motifs. Les documents et les preuves abon-
dent ' pour quiconque comprend le devoir de se rendre
raison de ses opinions.
L'Angleterre a rompu avec la Perse; elle envoie une
armée pour renverser le Gouvernement de Caboul, et
la justification que le ministre anglais présente au Par-
lement, pour la rupture avec la Perse et la guerre avec
Caboul, c'est que ces deux pays sont soumis à l'influence
de la Russie. Et dans ce moment même où il fait de
l'influence russe un motif de guerre, il s'allie à la Rus-
sie pour le maintien de l'Empire ottoman, et stipule
l'occupation de Constantinople par les Russes!
On ne peut imaginer un cas de trahison plus mani-
feste par la contradiction des paroles et des actes , par
la contradiction des intentions avouées et des résultats
obtenus.
Si la cause de la guerre avec le Caboul était vmie ,
la Russie s'unirait-elle avec l'Angleterre? et si l'objet
du traité du i5 juillet était vrai, la Russie figurerait-
elle parmi les alliés? Le prétexte d'hostilité envers la
Russie dans l'Asie centrale, d'amitié avec elle dans la
Turquie, est également controuvé , et, dans les deux
cas, sert à assurer la domination russe dans l'un et dans
l'autre pays.
' Documents diplomatiques présentés au parlement anglais sur :
i". la frontière entre les États-Unis et les possessions anglaises ; a", sur
les affaires de la Grèce; 3°. l'affaire du Vixen; 4°. sur la Perse, etc.
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 39
Dans ce système, tout se lie, rien n'échappe à l'im-
mense ambition qui en est l'âme, et à la profonde dis-
simulation qui en est l'instrument ; pas un acte qui ne
soit un crime, pas une parole qui ne soit un mensonge.
Mais ce système, si effrayant déjà par sa haute intelli-
gence du mal, que ne peut-il quand il a pour lui son
ennemi même, l'ennemi-né de ses desseins et de ses
progrès, et le seul appui de ses victimes?
Accord effrayant, qui unit pour le même forfait le f
fer de l'ennemi et l'égide du protecteur! Puissance du
secret et du crime qui prépare la tombe où vont s'en-
sevelir nation sur nation! Crime qui triomphe parce
qu'il accable l'esprit humain par son énormité; secret
qui est assuré, parce qu'on n'ose se le dire! Là, donc,
est le danger de l'Europe, et c'est dans sa découverte
seule que se trouve le salut.
Il est évident que, si la France ignorait ce secret,
il lui était, par cela même, impossible d'apprécier à sa
juste valeur aucun événement du monde.
Il en est qui nous disent : « Cette question est pure- /
« ment anglaise. » Quoi ! la connivence du ministre ,
anglais qui livre a la Russie la puissance de V Angle- I
terre f serait une question purement anglaise? Mais
pourquoi vous plaindre alors d'un traité qui livre à la
Russie Constantinople?
Personne en France ne peut plus douter que la guerre
ne naisse de ce traité. Au lieu de s'en prendre au
traité lui-même et à ceux qui l'ont fait, les préparatifs
et les armements de la France se font dans l'idée de
résister à telle ou telle autre conséquence de son
accomplissement, c'est pourquoi la guerre se fera,
AO LA FRANCE
n'en doutez pas, entre l'Angleterre et la France,
guerre qui ne se bornera pas aux mers du Levant;
elle s'étendra à toute l'étendue du globe, à tous les
intérêts gigantesques de chacune de ces deux nations ,
tant au dedans qu'au dehors ; elle mettra en péril leur
existence même , et dans cette guerre, la France n'aura
pas affaire à l'Angleterre seule , mais à la Prusse et à
l'Autriche également.
Par sa note du 24 juillet ', c'est-à-dire par l'aban-
don de ses droits et le sacrifice de la position d'attaquée
que lui faisait le traité , la France adopte inconsidéré-
ment une attitude de menace et de propagande qui met
contre elle tous les gouvernements, et qui, en provo-
quant l'hostilité de tous, tend à attirer sur elle-même,
sur ses institutions et sur sa Couronne, cet esprit de pro-
pagande dont elle menace les autres pays. La France
devient l'agresseur de tous dès l'instant où , en vue d'é-
ventualités douteuses du traité, elle se met en armes
sans avoir préalablement dénoncé ce traité lui-même
comme violateur de tous les droits , et comme une me-
sure d'agression qu'elle est tenue de repousser. Quelle
différence dans les positions respectives, si vous posez
le débat à Londres , et non sur cette terre inconnue
de l'Orient! Là vous trouvez le mal à sa source. Vous
y découvrez un crime , vous y mettez au jour la fraude ,
vous avez pour vous toutes les sympathies du peuple
anglais prêtes à s'unir à vous, et à reconnaître que
Dans la note du 24 juillet (Mémorandum ) , il est dit que la France,
à l'égard de cette question , ne consulte pas son propre intérêt ( ! ) , et
que c'est là une question de système sur laquelle on peut avoir des
opinions diverses ( ! ! ).
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 41
VOUS le délivrez à la fois des pièges de la trahison et
des dangers de la guerre.
Par cette inconcevable démarche du ili juillet, tout
espoir est-il donc perdu? En face d'un pouvoir si faible
en réalité que l'est celui de la Russie, en face de moyens
aussi criminels que ceux dont cette puissance a fait
usage contre l'Angleterre, contre la France, contre
l'Europe , le cours funeste des événements peut tou-
jours encore être arrêté sans difficulté , pourvu que
dans l'un de ces pays se trouvent réunis l'intelligence
qui sait juger les événements et l'élan qui naît de cette
intelligence.
La France , en ne séparant pas le peuple anglais de
son ministre , devient l'ennemie de l'Angleterre , et
force l'Angleterre à devenir son ennemie , et fournit
ainsi à ce ministre le moyen d'étouffer les soupçons qui
se réveillent contre lui dans toute l'Angleterre , en pré-
cipitant sa patrie dans une guerre avec la France.
L'Angleterre n'a pas moins que la France été sur-
prise par ce traité. L'opinion publique en Angleterre
ne lui était pas moins opposée que celle de la France.
Si le Gouvernement français avait su à l'instant l'atta-
quer sur le point même oii il venait de se conclure, il
n'aurait eu à combattre qu'un seul homme; mais, par
sa note du 24 juillet, il s'annula. Les collègues de
lord Palmerston ne comprenaient rien à la position de
l'Angleterre à l'égard de la Russie ; leur opposition se
fondait uniquement sur leur désir de ne point compro-
mettre l'alliance française: mais comme le Gouverne-
ment français ne résistait pas, les membres du Cabi-
net anglais se virent paralysés dans leur opposition.
42 LA FRANCE
Avant de prendre cette résolution, lord Palmerston
s'était assuré le duc de Wellington, dont on avait su
habilement exploiter les vieux souvenirs de rivalité
contre la France, et de défiance pour les idées révolu-
tionnaires dont ce peuple et son ministre actuel sont
désignés comme les dangereux fauteurs. Les autres
chefs du parti conservateur se trouvent ainsi, toujours
par le silence de la France , placés précisément dans la
même situation , à l'égard de leur chef principal , que
les membres du Cabinet à l'égard du ministre des af-
faires étrangères ; en voyant la coalition fermement ré-
solue d'agir, et la France non résolue de s'y opposer, on
les voit de jour en jour se rapprocher de l'opinion du
duc de Wellington et l'accepter comme la leur propre.
Le public anglais , non moins ému de cette rupture
soudaine avec notre principal allié , attendait pareille-
ment de sa part quelque mesure, et du moins un lan-
gage clair et décidé; pénétré de son inhabileté à juger
une question aussi compliquée, il attendait la décision
de la France pour former et exprimer une opinion.
L'attitude passive et inerte de la France a changé ces ap-
préhensions du premier moment en une crainte d'avoir
obéi à une impression vaine et erronée. Voyant d'ailleurs
les deux grands partis politiques s'accorder sur ce point,
il dut penser que la politique sur laquelle ils tombaient
d'accord était une politique habile et nationale.
L'Angleterre est ainsi conduite pas à pas, par la
France , à s'associer à cette politique , et préparée in-
sensiblement à se voir compromise par les conséquences
de mesures qui ont pour elle, maintenant, ou parais-
sent avoir l'approbation tacite de la nation, des trois
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 43
Puissances, et de la France elle-même. Cette impression
a dû devenir universelle depuis la publication de cette
étrange note de M. Guizot, du a4 j^'^^^t. Ajoutez à
cela que l'on aura grand soin de ne mettre au jour les
conséquences du traité qu'au fur et à mesure qu'elles
deviendront inévitables. Ainsi, chaque jour est autant
de gagné pour accoutumer l'esprit public en Angleterre
à un sentiment hostile et dédaigneux pour la France;
et je me trompe fort, ou, d'ici à la réunion du Parle-
ment, le ministre qui est aujourd'hui tout- puissant
saura mettre à profit l'absence de contrôle sur les actes
du Gouvernement, pour compromettre la nation an-
glaise d'une manière irrévocable.
La Russie peut maintenant dormir en paix. Par ce
traité, elle s'est rendue maîtresse du temps; désormais
le temps seul lui suffit pour élever sa fortune sur les
ruines d'un monde.
Et nous qui avons travaillé pour détourner ces désas-
tres; nous qui les avons annoncés longtemps avant qu'ils
apparussent, et avons lutté contre eux, tandis que
leur poids croissant nous accablait; nous qui avons
essayé à la fois d'arrêter notre propre pays dans sa
marche insensée, et d'ouvrir les yeux de la France aveu-
glée,— n'avons-nous pas le droit de nous tourner vers
le Gouvernement français, et de lui dire : «En sacri-^
fiant la France vous nous avez perdus. Si vous aviez
accompli envers vous-même ce que vous dictait le plus
simple devoir, vous nous eussiez mis à même de sauver
l'Angleterre; — si seulement vous eussiez dit à l'Angle-
terre, comme le voulait la probité autant que la politi-
que, que ce traité était en réalité un traité contre la
44 LA FRANCE
France; — si vous eussiez fait voir qu'il était la rupture
de notre alliance avec vous, ce traité eût été déchiré
avant d'être rendu public. — Si vous nous eussiez dit :
ce traité est russe, et que, nous démontrant les desseins
de la Russie, vous vous fussiez montré résolu de les
combattre et de leur résister seul, plutôt que de céder
aux menaces de l'Europe devenue son esclave , ou aux
séductions coupables par lesquelles on essaierait de vous
entraîner, le peuple anglais vous eût compris et se fût
levé comme un seul homme pour s'unir à vous sous la
bannière de la justice.»
C'était l'unique moyen de salut. Comment , si la
France ne protestait pas contre la rupture de son alliance
avec l'Angleterre , le peuple anglais pouvait-il renver-
ser l'homme qui venait de briser cette alliance ? Com-
ment pouvait-il savoir h temps que cette alliance était
détruite? Si la France avait su parler, il se fût réveillé
de son inertie; les collègues de lord Palmerston eussent
secoué leur coupable déférence, et cette faiblesse même,
que la Russie a si habilement préparée pour l'Angle-
terre dans toutes les parties du monde afin de la réduire
à lui demander protection , fût devenue une raison nou-
velle pour repousser cette tutelle désastreuse.
Cette position de la France devenait admirable; car
son Gouvernement, en la sauvant elle-même, en affran-
chissant l'Europe, devenait en même temps le sauveur
du pays qui l'avait perfidement attaqué, et dont l'in-
dépendance est perdue désormais par le triomphe de
cette trahison.
Au lieu de cela vous vous armez ; — mais les arme-
ments ne touchent pas la question diplomatique. La
DEVANT LES QUATRE PUISSANCES. 45
France tout armée, mais gardant le silence, que peut-
elle attendre du temps, — sinon que la nation anglaise
se mette tout entière contre elle? On arme sans s'ex-
pliquer, c'est qu'apparemment on ne sait que dire. Il
était facile de signer une ordonnance pour lever cinq
cent mille hommes ; autre chose était d'exposer, dans
une note diplomatique , des raisons d'Etat.
M. Thiers hésite à compromettre la nation française
avant la réunion des Chambres; — lord Palmerston se
hâte de compromettre la nation anglaise avant que le
Parlement se rassemble.
M. Thiers craint d'agir au dehors, retenu par sa
responsabilité au dedans; — lord Palmerston sait que
c'est son triomphe au dehors qui assurera son pouvoir
au dedans.
Lord Palmerston agit, — M. Thiers attend : lord
Palmerston sait où il va , — M. Thiers est conduit par
les événements.
L'indécision de M. Thiers a rendu lord Palmerston
tout-puissant. Hélas ! le renversement de M. Thiers
n'amènerait aucun avantage pour la France , car il est
vraisemblablement le meilleur homme qu'elle possède.
Il y a des événements qui se réalisent parce qu'ils ont
été prédits. Il y a des prédictions qui ne se réalisent
pas, par cela même qu'elles ont été faites.
REFLEXIONS.
« Suivant sa coutume, il ( le duc de Wellington ) écarte
« et redoute même l'examen de la situation où il se
« trouve , et charge les événements du soin d'aplanir
« les difficultés ' . »
Ces mots employés par un ambassadeur russe pour dé-
peindre un premier ministre en Angleterre , ne s'appli-
quent-ils pas également à tous les ministres et à toutes
les nations de l'Europe? Toutes marchent de surprise en
surprise, se fiant toujours à l'avenir, n'osant pas envisa-
ger le passé, et ne songeant pas même à l'examiner.
L'Europe ressemble à la place publique d'Athènes , ne
s'agitant que pour recevoir les nouvelles de ce que
faisait Philippe.
Dans cette situation d'attente, l'Angleterre a été
surprise de se trouver choisie pour être l'instrument
autant que la France a été surprise de se trouver dési-
gnée pour être la victime.
Ce n'est pas dans la grandeur du génie de la Russie ,
c'est dans la dégradation de l'intelligence de l'Europe
qu'il faut chercher l'explication d'une situation aussi
désastreuse. Le mal n'est pas dans notre position maté-
rielle, mais dans nos esprits, et c'est ce qui en rend la
découverte si difficile; mais c'est aussi ce qui fait qu'une
fois le mal découvert, la guérison est prochaine.
' Dépêche réservée du prince de Lieven.
RÉFLEXIONS. 47
La puissance intellectuelle de la Russie a été exer-
cée principalement en nous amenant à commettre des
actes injustes; c'est par là qu'elle a su à la fois dégrader
le caractère des hommes et des nations , et obscurcir
leur intelligence.
La France doit répudier le passé si elle veut que l'ave-
nir présente quelque espoir de sécurité; elle doit res-
pecter des lois que tous les hommes révèrent, si elle
veut redevenir assez puissante pour résister à l'injus-
tice, ou seulement s'élever jusqu'à la pensée de le faire.
La France peut-elle comprendre que V inleivention
est une violation du droit des gens, elle qui ne fait
partout qu'intervenir? Ou la France ignore la valeur et
la tendance de ses propres actes, ou elle méprise les
droits les plus sacrés.
Quel est le Français qui oserait admettre que l'inté-
grité de l'Empire ottoman est nécessaire à l'existence
souveraine de la France, s'il n'a pas répudié l'agres-
sion de la France sur Alger, et ses prédilections en
Egypte pour tout ce qui n'est pas turc ?
En vertu d'un traité, un acte de piraterie est com-
mis; la France doit résister à l'acte ou bien se soumettre
au traité, il n'y a pas d'autre alternative. Si elle ré-
siste , elle ne peut le faire qu'en s'appuyant sur le droit
international, et en se déclarant pour son inviolabilité;
mais si elle osait parler de droits, les alliés ne riraient-
ils pas d'elle avec mépris et ne citeraient-ils pas aussi-
tôt « le Mexique» et « Buenos- Ayres»?
Quel doit donc être le résultat des menaces et des
insultes faites à une nation qui n'a ni le sentiment ni
l'appui du droit? N'est-ce pas, de là, pousseï; à de
48 RÉFLEXIONS.
nouveaux expédients de violence, expédients qui ne
serviront qu'à justifier les quatre Puissances, en rejetant
sur elle l'agression ? Et c'est aussi ce qui est arrivé. Elle
est menacée par un traité amené par la Russie , mais
dont l'exécution n'est possible qu'avec le concours de
l'Angleterre , de l'Autriche et de la Prusse. On a ob-
tenu leur consentement en les trompant. — La France
reconnut tout d'abord la main de la Russie, et quand
elle dénonçait les autres cours comme dupes et vic-
times, sa première impression était simple et vraie;
mais ce furent des pensées d'un moment, des semences
pour lesquelles le sol n'était pas préparé, et qui se des-
séchèrent en y tombant. La France alors s'écrie : « Ré-
volutionnons les provinces rhénanes et l'Italie! » N'est-
ce pas là river les fers, en justifiant les terreurs par
lesquelles la Russie enchaîne l'Autriche et la Prusse? et
comme s'il ne suffisait pas de ce spectacle d'immoralité
et de folie, elle s'écrie un moment après : « Partageons
la Turquie et la Saxe, et par là acquérons l'amitié de
l'Autriche et de la Prusse ! » De sorte que , non con-
tente d'effrayer ses ennemis par l'insurrection , elle me-
nace leurs voisins avec des projets de spoliation.
Si ces pensées n'étaient émises que dans des jour-
naux, quoique rejetées par la sagesse d'un Cabinet et
par la probité instinctive d'un peuple, ne voyez- vous
pas combien les desseins de la Russie seraient servis
par la haine et par le mépris qu'elles doivent soule-
ver contre la France ? Mais quand nous voyons que
pas un homme en France ne considère ces pensées
comme criminelles ou folles, quand nous voyons qu'elles
sont partagées par les hommes influents et qu'elles in-
RÉFLEXIONS. 49
spirent les conseils secrets du Cabinet, pouvons-nous
espérer que les évënements aplaniront les difficultés qui
entourent ou diminueront les dangers qui menacent la
France ?
En traçant l'histoire des progrès de la Russie , qui
est l'histoire de la faiblesse et de la corruption hu-
maine , il est étrange de voir chaque victime tomber à
son tour par les mêmes moyens , méprisables en appa-
rence, sans que le sort de l'une soit un avertissement
pour l'autre.
Si la Russie vous ressemblait par l'esprit, vous lui
ressembleriez par les destinées. La Russie serait-elle ce
qu'elle est si elle ne trouvait en vous-mêmes les moyens
dont elle use contre vous ? La Russie a des fins et non
des principes, et ce sont vos vaines disputes sur les
mots qui lui font réaliser ces fins. Pensez-vous qu'elle
n'a pas calculé d'avance que la France, perdant de vue
les faits, irait courir après les vaines spéculations, et
négligerait ses intérêts pour discuter des principes?
Ce résultat qu'elle a travaillé avec tant de soin à
amener, n'est-il point réalisé quand la France se con-
tente de dire : « Ceci est une attaque à mes principes. »
Ce seul mot Ae principes n'ôte-t-il pas à la France
tout moyen d'échapper à la difficulté en mettant un
nuage entre elle et la vérité? Ce mot d'ailleurs ne ré-
veille-t-il pas l'hostilité de l'Autriche et de la Prusse,
courant également après des fantômes et se perdant
dans les nuages ; car l'Autriche et la Prusse sont, à l'égal
de la France, et malgré les différences qui les distin-
guent , gouvernées par les folies du siècle ; siècle dans
lequel tout ce qui ennoblit l'homme et tout ce qui fait
60 RÉFLEXIONS.
la valeur des sociétés, la justice, le droit international,
les devoirs, et par cela même les droits du citoyen sont
foulés au pied, et où ceux qui se disent libres et ceux
que régit le despotisme se perdent également dans de
vagues discussions sur des formes de gouvernement
et de lois qui résument en elles , et perpétuent la con-
fusion qui les produit. Tandis que la France croit ex-
pliquer sa position par l'intention des alliés d'attaquer
ses principes, elle se fait, peut-être même à son insu,
une situation de laquelle elle se croira heureuse de sor-
tir en s'alliant à la Russie contre l'Angleterre.
Deux grandes nations sont ainsi amenées insensible-
ment à prendre l'une envers l'autre la position de gla-
diateur. Pas un seul homme en France n'a cherché ni
prévu cette situation ; un seul en Angleterre l'a pré -
parée de longue main. Tous, celui-là seul excepté,
l'abhorrent. Aujourd'hui que ce danger est devant
eux , qui les empêche de se donner la main ? Un seul
homme les sépare.
POST-SCRIPTUM.
25 septembre.
Depuis que ces pages ont été écrites, et pendant leur
impression, j'ai appris les détails d'une négociation qui
eut lieu entre la France et la Russie en i83o, et qui
aboutit à un arrangement par lequel la France admet-
tait la prise de possession de Constantinople par la
Russie, et consentait à concourir aux mesures que la
Russie devait prendre pour amener ce résultat.
La Russie ne devait, en aucune manière, procéder
par des moyens violents; mais comme l'Empire turc
tombait de lui-même en dissolution, la Russie ne devait
aider à cette dissolution que peu à peu et d'une manière
pacifique, c'est à-dire par uhe succession de traités.
La Prusse et l'Autriche devaient prendre part à cet
arrangement. La France devait être protégée par la
Russie contre la puissance maritime de l'Angleterre. On
lui garantissait la possession des provinces rhénanes,
avec Anvers et la Belgique. La Hollande devait garder
le Luxembourg ; la Prusse trouverait une compensation
dans le Hanovre et dans tout ou partie de la Saxe; l'Au-
triche recevrait pour sa part les provinces turques sur
le Danube.
Cette négociation fut révélée par le prince de Poli-
gnac lui-même, lors de la révolution de Juillet , y?(5;^r
prouver qu'il avait servi les intérêts de la France. On
sait que des documents relatifs à cette affaire furent alors
jetés au feu par une personne dont le nom est distingué
dans la diplomatie française , et qu'il jugeait qu'ils suffi-
62 POST-SCRIPTUM.
raient pour faire monter le prince Polignac sur l'écha-
faud.
Les raisons que lord Palmerston a fait valoir jus-
qu'ici sont que le traité sauverait la Turquie du danger,
et que la France s'y soumettrait.
Pour justifier les mesures actuelles, il devra dire que
la France résistera, et qu'il y a danger pour la Tur-
quie; de sorte que de toute nécessité, il amènera gra-
duellement, et pour sa justification même, un projet
de partage d« la Turquie, avec exclusion de la France.
Après ce qui est arrivé, nous n'avons aucune raison
de supposer qu'un tel avenir ou une telle immoralité
ne soient bien calculés pour la nation anglaise. 11 pa-
raît cependant que quelques-uns des collègues de lord
Palmerston commencent à s'alarmer et songent à l'ar-
rêter dans sa route. Mais que peuvent-ils faire? le
renvoyer? Le traité subsiste, et pèse sur l'Angleterre
comme un lourd fardeau , entre les mains du ministre
qui lui succédera, au milieu de complications qu'il ne
pourra débrouiller, et ayant contre lui lord Palmerston
dans l'opposition. Il n'y a de salut qu'en prouvant
QUE LA MAIN QUI A SIGNÉ CETTE ŒUVRE EST UNE MAIN
CRIMINELLE. C'est le seul moyen de permettre à la lu-
mière du jour d'éclairer cette infâme trahison, qui
devient d'autant plus fatale qu'elle s'accomplit par des
agents qui ne savent pas qu'ils coopèrent à une trahi-
son. Si lord Palmerston se retirait du Cabinet, le sys-
tème n'en serait pas moins debout s'il n'est détruit dans
sa personne même.
APPENDIX.
TRAITÉ D'UNKIAR SKELESSI.
(Copie communiquée au Gouvernement britannique par le
prince de Liéven, le 16 janvier 1834, et déposée sur le burfeaU
de la Chambre des Communes, d'après le désir exprimé par son
adresse, votée le 19 février 1836.)
Au nom de Dieu tout-puissant. . «;
Sa Majesté Impériale le très-haut et très-puissant
Empereur et Autocrate de toutes les Russies, et Sa
Hautesse le très-haut et très-puissant Empereur des
Ottomans , également animés du sincère désir de main-
tenir le système de paix et de bonne harmonie heureu-
sement établi entre les deux empires, ont résolu d'éten-
dre et de fortifier la parfaite amitié et la confiance qui
régnent entre eux, par la conclusion d'un Traité d'al-
liance défensive.
En conséquence, Leurs Majestés ont choisi et nommé
pour leurs plénipotentiaires, savoir : Sa Majesté l'Em-
pereur de toutes les Russies , les très-excellents et très-
honorables le seigneur Alexis comte Orloff, son am-
bassadeur extraordinaire près la Subfime Porte Otto-
mane, etc., etc.; et le seigneur Apollinaire Bouteneff,
son envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire
près la Subhme Porte Ottomane, etc., etc., etc.
Et Sa Hautesse le Sultan des Ottomans, le très-illustré
et très-excellent, le plus ancien de ses visirs, Hosrew
Mchmet-Pacha , Seraskier, commandant en chef des
64 TRAITÉ d'UNKIAR SKELESSI.
troupes de ligne régulières , et gouverneur général de
Constantinople , etc. , etc. ; les très-excellents et très-
honorables Ferzi Akhmet-Pacha , mouchir, et comman-
dant de la garde de Sa Hautesse, etc., etc.; et Hadji
Mehmet Akif-Effendi , Reis-effendi actuel, etc., etc.
Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs,
trouvés en bonne et due forme, sont convenus des ar-
ticles suivants :
Article i^"^. Il y aura à jamais paix, amitié et al-
liance entre Sa Majesté l'Empereur de toutes les Rus-
sies et Sa Hautesse l'Empereur des Ottomans , leurs em-
pires et leurs sujets , tant sur terre que sur mer. Cette
alliance ayant uniquement pour objet la défense com-
mune de leurs Etats contre tout empiétement. Leurs
Majestés promettent de s'entendre sans réserve sur tous
les objets qui concernent leurs tranquillité et sûreté
respectives, et de se prêter à cet effet, mutuellement ,
des secours matériels et l'assistance la plus efficace.
Art. 1. Le traité de paix, conclu à Andrinople le
1 septembre 1829, ainsi que tous les autres traités qui
y sont compris , de même aussi la convention signée à
Saint-Pétersbourg le 14 avril i83o, et l'arrangement
conclu à Constantinople les 9 et 21 juillet i832 , relatif
à la Grèce, sont confirmés dans toute leur teneur par
le présent traité d'alliance défensive , comme si lesdites
transactions y avaient été insérées mot pour mot.
Art. 3. En conséquence du principe de conservation
et de défense mutuelle, qui sert de base au présent traité
d'alliance, et par suite du plus sincère désir d'assurer
la durée, le maintien et l'entière indépendance de la
TRAITÉ DUNKIAR SKELESSI. 55
Sublime Porle, Sa Majesté l'Empereur de toutes les
Russies, dans le cas où les circonstances, qui pourraient
déterminer de nouveau la Sublime Porte à réclamer
l'assistance navale et militaire de la Russie, viendraient
à se présenter, quoique ce cas ne soit nullement à pré-
voir, s'il plaît à Dieu, promet de fournir, par terre et
par mer, autant de troupes et de forces que les deux
hautes parties contractantes le jugeraient nécessaire.
D'après cela, il est convenu qu'eu ce cas les forces de
terre et de mer, dont la Sublime Porte réclamerait le
secours, seront tenues à sa disposition.
Art. 4- Selon ce qui a été dit plus haut , dans le cas
où l'une des deux Puissances aura réclamé l'assistance
de l'autre, les frais seuls d'approvisionnement pour les
forces de terre et de mer qui seraient fournies, tombe-
ront à la charge de la Puissance qui aura demandé le
secours.
Art. 5. Quoique les deux hautes parties contrac-
tantes soient sincèrement intentionnées de maintenir
cet engagement jusqu'au terme le plus éloigné, comme
il se pourrait que dans la suite les circonstances exi-
geassent qu'il fût apporté quelques changements à ce
traité, ou est convenu de fixer sa durée à huit ans, à
dater du jour de l'échange des ratifications impériales.
Les deux parties, avant l'expiration de ce terme, se
concerteront , suivant l'état où seront les choses à cette
époque, sur le renouvellement dudit traité.
Art. 6. Le présent traité d'alliance défensive sera
ratifié par les deux hautes parties contractantes, et
les ratifications en seront échangées à Constantinople
56 TRAITÉ D'UNKIAR SKELESSI.
dans le terme de deux mois, ou plus tôt si faire se
peut.
Le présent instrument , contenant six articles , et
auquel il sera mis la dernière main par l'échange des ra-
tifications respectives, ayant été arrêté entre nous , nous
l'avons signé et scellé de nos pleins pouvoirs, et délivré
en échange contre un autre pareil entre les mains des
plénipotentiaires de la Sublime Porte Ottomane.
Fait à Constantinople, le -^^ l'an i833 (le 20 de
la lune de Safer, l'an 1249 de l'Hégire.)
Signé j Comte Alexis Orloff (l. s.);
A, BoT]TENEFF ( L. S.).
ARTICLE SÉPARÉ DU TRAITÉ D'ALLIANCE.
En vertu d'une des clauses de l'article i*"^ du traité
patent d'alliance défensive conclu entre la Cour impé-
riale de Russie et la Sublime Porte , les deux hautes
parties contractantes sont tenues de se prêter mutuel-
lement des secours matériels et l'assistance la plus effi-
cace pour la sûreté de leurs États respectifs. Néan-
moins, comme Sa Majesté l'Empereur de toutes les
Russies , voulant épargner à la Sublime Porte Ottomane
la charge et les embarras qui résulteraient pour elle de
la prestation d'un secours matériel , ne demandera pas
ce secours si les circonstances mettaient la Sublime
Porte dans l'obligation de le fournir, la Sublime Porte
Ottomane, à la place du secours qu'elle doit prêter au
besoin , d'après le principe de réciprocité du traité pa-
TRAITÉ D'UNKIAR SKELESSI. 57
tent, devra borner son action en faveur de la Cour im-
périale de Russie à fermer le détroit des Dardanelles,
c'est-à-dire à ne permettre à aucun bâtiment de guerre
étranger d'y entrer sous un prétexte quelconque.
Le présent article séparé et secret aura la même force
et valeur que s'il était inséré mot à mot dans le traité
d'alliance de ce jour.
Fait à Constantinople, le f.^";" l'an i833 (le 20 de
r ' 8 juillet V
la lune de Safer, l'an 1 249 de l'Hégire.
Signé j Comte Alexis Orloff (l. s.);
A. BOUTENEFF (l. S.).
( Les traités de la Russie avec la Turquie ont de l'importance ,
non pour leurs stipulations patentes , mais pour leur action
désorganisatrice à laquelle l'appui de l'Europe est aveuglé-
ment accordé. Ainsi le traité d'Unkiar Skelessi a produit les
plus funestes efifets , sans que jamais l'occasion d'appliquer ce
traité se soit présentée. Voilà ce qu'il est important de com-
prendre pour bien juger la portée du traité du 15 juillet.
J'avais indiqué d'avance les conséquences du traité d'Unkiar
Skelessi : on n'a pas tenu compte alors de l'avertissement,
peut-être y réfléchira -t-on aujourd'hui.)
OBSERVATIONS
SUR LE TRAITÉ d'uNKIAR SKELESSI ,
Extraites de iiV Angleterre) la France, la Russie et la Turquie, »
publiée en i834.
«Ce traité qu'on présente comme arraché par l'im-
portunité de la Porte tomba sur cette dernière comme
un coup de foudre. Il sortait du ministère des affaires
étrangères à Saint-Pétersbourg, où depuis longues an-
nées sans doute il attendait une occasion favorable.
« Le traité du 8 juillet fut présenté à la Porte comme
la convention d'Akerman, non pour être discuté, mais
pour être approuvé et accepté.
« On viola dans cette circonstance toutes les formes
de la courtoisie internationale ; les individus qui étaient
soupçonnés d'encourager une opposition furent mena-
cés en particulier au nom de l'Empereur, « qui n apprit
l'existence de ce traité que comme nouvelle du jour; »
enfin les ministres ottomans ne renoncèrent à toute
opposition que lorsqu'ils virent qu'elle ne ferait qu'at-
tirer des malheurs sur leurs personnes, sans aucun
avantage pour le pays.
«Cependant le traité, qui i.<< n'intéressait nullement
ni la France ni V Angleterre^ » avait une si haute impor-
tance pour la Russie que le comte Orloff fit clairement
comprendre au Gouvernement turc que sa signature
était la condition du départ de l'armée russe. ,
« Un autre moyen d'entraîner la Porte fut employé :
60 OBSERVATIONS
on promit que la moitié des six millions de ducats dus à
la Russie serait remise , et l'on insinua que peut-être
l'Empereur, flatté de la confiance qu'on lui montrerait,
renoncerait à la somme entière. Une pareille négocia-
tion, des arguments et des faits pareils, n'ont pas be-
soin d'un seul mot de commentaire.
«Persuadé , d'après ce qui a été dit en divers lieux de
ce traité, que la nature n'en a pas été comprise , nous
allons indiquer les différents avantages qu'en a retirés
la Russie, et qui le rendent si important pour cette
Puissance.
« La Russie est actuellement protectrice légitime du
Sultan , et le cas échéant, tout appel qu'il ferait à une
autre nation le rendrait coupable d'une infraction aux
traités. La Turquie a appris à ses dépens les tristes
conséquences de tout ce qui pourrait devenir motif de
réclamations russes , réelles ou simulées ; elle a appris
la nécessité de ne donner à la Russie aucun motif
même de discussion. Le fait d'une protection (\\.\\ dé-
grade le Sultan aux yeux de son peuple est devenu
patent par la solennité d'un traité.
« Le gant ainsi jeté par la France et l'Angleterre, et
retiré ensuite par ces Puissances , sans avoir obtenu la
moindre concession ni la moindre réparation, a valu
à l'Empereur une victoire diplomatique supérieure à
grand nombre de celles qu'on remporte sur les champs
de bataille. Son influence sur l'Autriche et la Prusse
s'en est accrue , et le Gouvernement turc est resté con-
vaincu qu'il n'y avait plus de moyen de changer cet
état de choses , et que pour conserver son existence
actuelle il lui fallait uniquement avoir recours à l'in-
SUR LE TRAITÉ D'UNKIAR SKELESSI. 61
(lulgence que les devoirs du protectorat inspireraient à
l'Empereur »
« Pour couronner le merveilleux de cette étonnante
histoire, on publie ces exemples de la modération de
l'Empereur comme pour calmer les alarmes et faire taire
les protestations de la France et de l'Angleterre, à l'oc-
casion du traité du 8 juillet : aux marques non équivo-
ques de leur défiance succède bientôt le témoignage
formel de leur satisfaction ; leurs flottes , après une
démonstration utile seulement à la Russie', sont rap-
pelées à Malte et à Toulon. C'est ainsi qu'on proclame
le triomphe diplomatique de la Russie , qu'on la délivre
de toute crainte de responsabilité pour le passé, qu'on
légalise toutes ses acquisitions , qu'on reconnaît l'au-
thenticité de sa modération , et qu'on lui garantit l'in-
dulgence des Puissances alliées. Quelle ne doit pas
être la vitalité de la Turquie, puisqu'elle existe en-
core ! »
OBSERVATIONS
SUR LE TRAITÉ d'uNKIAR SKELEJSJ.
(Extrait du Portfolio , vol. III , p. 5io. )
Aussi longtemps que la Turquie restera dans son état
actuel de dépendance à l'égard de la Russie, cette der-
nière conservera le même pouvoir sur les fonctionnaires
' Une des conséquences de cette démonstration fut que Méhcmet-
Ali prêta l'oreille aux suggestions de la Russie, qui étendit ainsi son
influence au delà de la Méditerranée et jusqu'aux I)ords de l'Océan
indien.
62 OBSERVATIONS
de la Porte , les obligera à coopérer à ses volontés, et ils
ne pourront s'y opposer efficacement tant que Con-
stantinople ne sera pas garantie contre les menaces conti-
nuelles au moyen desquelles la Russie résout toutes les
difficultés et fortifie toutes les mesures qui tendent à la
destruction de la Porte, tant que le traité qui lie au-
jourd'hui la Turquie à la Russie , comme l'esclave est
lié à son maître , ne sera pas anéanti.
On s'est généralement imaginé que tout le poids du
traité d'Unkiar Skelessi se trouvait dans l'article séparé
et secret , attaché à ce traité.
Cet article a comme de raison son importance , car
le fait seul d'un engagement secret contracté entre
deux États a dès longtemps été considéré dans la pra-
tique des affaires comme un acte d'hostilité envers les
autres Puissances dont il peut concerner les intérêts.
L'article secret en question équivaut à une déclaration
de guerre à laquelle la Russie a forcé la Porte de se réu-
nir contre l'Angleterre et la France , qui lui firent en
vain leurs remontrances.
Nous croyons, toutefois , que l'importance beaucoup
trop grande qu'on a donnée à cet article a trop dé-
tourné l'opinion publique des autres points bien plus
graves du traité lui-même , et que c'est là ce qui l'a
fait considérer comme lettre-morte tant que la guerre
n'est pas formellement déclarée entre la Russie et quel-
que autre puissance européenne. — Nous disons Jbr-
mellement, car nous pensons, qu'à toute autre époque
de l'histoire , les actes réitérés de la Russie auraient
déjà été envisagés comme de franches hostilités.
Le préambule du traité dit : « L'Empereur de toutes
SUR LE TRAITÉ d'UNKIAR SKELESSI. 63
les Russies et l'Empereur des Ottomans ont résolu d'é-
tendre et de fortifier la parfaite amitié et la confiance
qui régnent entre eux, par la conclusion d'un traité
d'alliance défenswe.n
La nécessité d'une alliance défensive n'aurait pu ré-
sulter que du danger réel ou prétendu d'une attaque
domestique ou étrangère. Or, comme aucun danger
réel ne semble pouvoir menacer la Turquie de la part
d'aucune puissance européenne, si ce n'est de la Russie
elle-même, cette dernière a dû faire accroire au Sultan
que l'Angleterre est cette puissance hostile , puisqu'elle
a témoigné de l'indifférence pour son salut, et lui a
refusé des secours contre un traître et un rebelle, qui
avait alors même l'appui moral de l'Angleterre par
la présence de son agent diplomatique en Egypte.
C'est ainsi que nous sommes devenus un instrument
entre les mains de la Russie, et que nous lui avons fait
atteindre une position et une influence, qu'autrement
ses armes , sa puissance et ses millions ne lui auraient
jamais procurées.
Certes, c'est bien à l'Empereur de Russie à dire : «Do-
rénavant, il n'y aura plus de guerre entre la Russie et
la Turquie ! «
Le premier article du traité est de la teneur sui-
vante :
« Il y aura à jamais paix, amitié et alliance entre
Sa Majesté l'Empereur de toutes les Russies et Sa Ma-
jesté l'Empereur des Ottomans, leurs empires et leurs
sujets, tant sur terre que sur mer. Cette alliance ayant
uniquement pour objet la défense commune de leurs
64 OBSERVATIONS
États contre tout empiétement , Leurs Majestés pro-
raettent de s'entendre sans réserve sur tous les objets
qui concernent leurs tranquillité et sûreté respectives ,
et de se prêter a cet effet , mutuellement^ des secours
matériels et l'assistance la plus efficace. »
Nous considérons cet article comme le plus important
de tous dans le traité.
Il donne à la Russie le droit d'entretenir avec la
Porte des communications sans réserve sur tous les
objets que l'envoyé russe croira pouvoir concerner la
tranquillité et la sûreté, soit de la Turquie, soit de la
Russie, ou bien se rattacher aux relations intérieures
ou extérieures de la Porte ; et à moins que celle-ci ne
s'explique sans réserve aucune vis-à-vis de l'envoyé,
sur chaque point, il ne pourra plus être dit qu'on
s^ entend. Or, la moindre réserve de la part du Divan
sur une question que le ministre de Russie interpré-
terait comme dangereuse pour la tranquillité de la Tur-
quie, équivaudrait de fait à une infraction au traité
d'alliance et à un motif d'hostilité.
Par ce traité d'Unkiar Skelessi, la Russie réclame
pour elle le droit d'intervenir dans tout ce qu'elle pré-
tend pouvoir concerner la tranquillité de la Turquie ;
elle doit donc y décider virtuellement du choix et du
renvoi des ministres , des ambassadeurs, des amiraux et
des généraux. Toute la diplomatie turque doit se diriger
d'après les conseils de la Russie. Les relations entre la
Sublime Porte et ses dépendances, soit principautés
chrétiennes, soit provinces et pachaliks musulmans
d'Egypte, de Syrie, de Tunis et de Tripoli, doivent
SUR LE TRAITÉ D'UNKIAR SKELESSI. 65
être conduites selon les ordres de la Russie, qui de
plus doit y exercer son contrôle sur l'administration de
l'intérieur et des finances, aussi bien que sur les affaires
des diverses croyances religieuses; autrement, un pré-
texte se présentera bien vite au Cabinet de Saint-Pé-
tersbourg pour s'emparer de Constantinople , puisque
le Sultan aura manqué à ses engagements. Nous voyons
ainsi que ce traité, dans toute son étendue, est loin
d'être une lettre-morte, même avant que les projets de
la Russie soient suffisamment mûris , et qu'en même
temps il renferme précisément le principe de vie qui
hâte la maturité de ces projets.
Ainsi, quand la Russie atteignait bientôt après un
but auquel elle avait visé longtemps, celui de placer la
nation arménienne sous la dépendance religieuse d'un
patriarche résidant dans une de ses provinces, elle ne
faisait que réaliser un des objets pour lesquels le traité
d'Unkiar Skelessi avait été conçu.
Lorsqu'elle forçait la Porte de mettre à mort de
jeunes officiers qui regardaient une décoration russe
comme un emblème de honte et d'humiliation , elle ne
faisait qu'atteindre un autre objet du traité, qui con-
sistait à détruire tous les sentiments de nationalité,
auxquels le Sultan avait dû jusqu'à ce jour la stabilité
de son trône.
L'article dont nous parlons est l'instrument le plus
complet que l'esprit ait pu inventer pour assurer à un
Etat la domination suprême sur les destinées d'un au-
tre. Il donne à la Russie le pouvoir de fomenter des
troubles intérieurs en Turquie par le moyen de tous
le plus odieux, c'est-à-dire par l'intervention étran-
5
66 OBSERVATIONS
gère, et de plonger ce pays dans la guerre civile, l'anar-
chie et la mésintelligence avec les autres Puissances, dès
qu'il plaira à l'Autocrate de se faire appeler au secours
du Sultan, comme ami, protecteur et allié, et de lui
prouver cette amitié et cette confiance, avec lesquelles
Cortez soutenait jadis la dignité et ï indépendance de
l'infortuné Montezuma.
Nous n'avons cependant touché encore qu'au pre-
mier article du traité.
Le second stipule que, non-seulement le traité d'An-
drinople et la convention de Saint-Pétersbourg du
i4 avril i83o, mais aussi les arrangements relatifs à la
Grèce, conclus à Constantinople le 21 juillet i832,
sont confirmés dans toute leur teneur par le présent
traité d'alliance défensive, comme s'ils y étaient insérés
mot pour mot.
Ainsi tous les arrangements qui restent a être con-
certés entre la Grèce et la Turquie, résultant des délais
dans la délimitation des frontières ou ayant rapport au
droit d'émigration et à la vente respective des proprié-
tés turques et grecques, doivent dépendre désormais de
la manière dont la Russie et la Porte s'entendront
sans réserve, et la Russie s'assure par là, jusqu'au
dernier moment, la direction de la quadruple alliance
du 7 mai, et peut continuer à faire de l'Angleterre,
de la France, de la Bavière et de la Grèce, de simples
instruments pour favoriser ses vues et ses empiéte-
ments en Orient.
Le troisième article dit : « Dans le cas où les cir-
constances (provenant, comme de raison, de l'envoyé
russe) qui pourraient déterminer de nouveau la Su-
SUR LE TRAITÉ D'UNKIAR SKELESSI. 67
blime Porte à réclamer l'assistance navale et mili-
taire de la Russie, viendraient à se présenter, l'Empe-
reur promet de fournir, par terre et par mer, autant de
troupes et de forces que les deux hautes parties con-
tractantes le jugeraient nécessaire. » On ne fournira
donc pas ce que la Turquie, mais ce que les deux hau-
tes parties contractantes jugeront nécessaire, c'est-à-
dire ce que la Russie, agissant envers la Turquie selon
la teneur compulsive du traité, et après s^être en-
tendue a^^ec elle sans réserve, aura décidé. Cette seule
circonstance, que la Russie aura à prononcer sur le
chiffre des forces à envoyer en Turquie, prouve déjà
évidemment que c'est la Russie qui a dicté le traité.
L'article se termine ainsi : « D'après cela il est convenu,
qu'en ce cas les forces de terre et de mer dont la Su-
blime Porte réclamerait le secours seront tenues à sa
disposition, »
Par cette clause , la Russie obtient un prétexte con-
venable pour tenir une flotte et une armée dans le voi-
sinage de Constantinople, afin d'être en état d'occuper
promptement la capitale , lorsqu'une des occurrences
se présenterait , qu'elle est toujours en mesure de faire
naître en temps opportun.
Nous appelons maintenant l'attention de nos lecteurs
sur l'article séparé et secret ; mais nous les prions d'ob-
server avant tout les faits suivants : le traité patent et
l'article séparé et secret portent la même date ; ils ont
été communiqués ensemble au Gouvernement britan-
nique par l'ambassadeur russe à Londres. Cela n'eut
lieu cependant que six mois après leur ratification,
T'Empereur s'étant assuré daas l'intervalle que ses au-
68 OBSERVATIONS
gustes alliés se soumettraient à toute insulte qu'il se
permettrait à leur égard.
En vertu d'une des clauses du premier article du
traité patent, « cette alliance ayant uniquement pour
objet la défense commune de leurs Etats contre tout
empiétement, Leurs Majestés promettent de s'entendre
sans réserve sur tous les objets qui concernent leur
tranquillité et leur sûreté respectives, et de se prêter
à cet effet mutuellement des secours matériels et l'assi-
stance la plus efficace;» — d'après cela les deux hautes
parties contractantes avaient réciproquement à se four-
nir des secours matériels et efficaces pour se garantir la
tranquille possession de leurs Etats. Cependant, voyons
ce que dit l'article séparé : « Comme Sa Majesté l'Em-
pereur de toutes les Russies, voulant épargner à la
Sublime Porte ottomane la charge et les embarras qui
résulteraient pour elle de la prestation d'un secours
matériel, ne demandera pas ce secours, si les circon-
stances mettaient la Sublime Porte dans l'obligation de
le fournir; la Sublime Porte ottomane, à la place du
secours qu'elle doit prêter au besoin , d'après le prin-
cipe de réciprocité du traité patent , devra borner son
action en faveur de la cour impériale de Russie à fermer
le détroit des Dardanelles, c'est-à-dire à ne permettre
à aucun bâtiment de guerre étranger d'y entrer sous un
prétexte quelconque. »
La raison principale, qui fait qu'on a si complètement
méconnu la portée de ce traité, consiste dans l'idée
qui s'est établie très-généralement en Europe, que ce
traité n'aurait d'efficacité qu'en temps de guerre.
Mais son texte ne fait pas même allusion au mot de
SUR LR TRAITÉ D'UNKIAR SKELESSI. 69
guerre. I.e secours que la Turquie est tenue de fournir
doit être fourni , au besoin , c'est-à-dire dans le cas où
des circonstances quelconques porteraient la Russie à
juger nécessaire la clôture des Dardanelles, circon-
stances qu'il est en son pouvoir de provoquer à tout
instant.
Nous trouvons absolument impossible d'exposer dans
les limites que nous nous sommes tracées tous les
modes infinis par lesquels ce traité donne à la Rus-
sie le pouvoir d'exercer sur l'Angleterre un contrôle
nuisible, sans que le mot de guerre soit même men-
tionné, si ce n'est comme une chose que l'Angleterre
doit éviter
Le Sultan espère pouvoir secouer son joug à l'aide
de l'Angleterre. Mais, dès qu'une armée d'occupa-
tion ne courra plus le risque d'être exterminée par la
haine nationale, on trouvera aisément l'occasion de l'en-
voyer à Constantinople, puisque le droit de l'y en-
voyer se trouve déjà établi dans le traité d'Unkiar
Skelessi. La seule chose qui rend ce traité lettre-
morte jusqu'à un certain degré, c'est l'esprit de natio-
nalité des Turcs.
Maintenant supposez que la Russie veuille faire du
tort à notre commerce , eh bien , au lieu de nous donner
satisfaction , elle nous fermera les Dardanelles par son
traité.
Prenons un autre exemple. La Russie guerroie contre
des populations indépendantes habitant les bords de la
mer Noire, elle bloque leurs côtes; l'Angleterre ne
reconnaît pas ce blocus. Si un navire anglais est coulé
70 OBSERVAT. SUR LE TRAITÉ D'UNKIAR SKELESSI.
à fond en faisant ce commerce , obtiendrons-nous iine
réparation ?
Des complications infinies peuvent s'élever par suite
de nos rapports avec ces diverses populations des côtes
de la mer Noire; comment, dans chaque cas particu-
lier, l'Angleterre parviendra-t-elle à protéger les inté-
rêts de ses sujets? Certes ce n'est que par la présence de
ses vaisseaux de guerre dans la mer Noire qu'elle pourra
prévenir les insultes et les dommages de son commerce.
L'absence de la flotte britannique dans ces parages, au
moment où les intérêts anglais s'y trouvent menacés ,
est le meilleur commentaire pratique du traité d'Unkiar
Skelessi. L'historien de la cour de Russie, Raramsin ,
traçant un rapide tableau de la politique de son pays,
explique admirablement le traité dont nous nous sommes
occupés , en nous montrant ce que signifient les mots
de paix , confiance et amitié dans la bouche de l'auto-
crate moscovite.
« Rien ne varie dans le caractère et les vues de notre
« politique étrangère. Nous tâchons d'être partout en
« paix et de faire nos acquisitions sans guerre en nous
« tenant toujours sur la défensive. Nous ne nous fions
« pas à l'amitié de ceux dont les intérêts ne sont pas
« d'accord avec les nôtres, et nous ne perdons pas l'oc-
« casion de leur nuire sans violer ostensiblement les
« traités. »
;0({ 3:)} .
TRAITÉ DE LONDRES, 15 JUILLET 1840. 71
CONVENTION
Conclue entre les Cours de la Grande - Bretagne ^
d' Autriche , de Prusse d'une part y et de la Sublime
Porte ottomane de Vautre, pour la pacification
du Levant j sigîiêe a Londres , le \^ juillet i84o.
Au nom de Dieu très-miséricordieux,
Sa Hautesse le Sultan ayant eu recours à LL. MM,
la reine du royaume-uni de la Grande-Bretagne et
d'Irlande , l'empereur d'Autriche , roi de Hongrie et de
Bohême, le roi de Prusse et l'empereur de toutes les
Russies , pour réclamer leur appui et leur assistance au
milieu des difficultés dans lesquelles il se trouve placé
par la suite de la conduite hostile de Méhémet-Ali ,
pacha d'Egypte, difficultés qui menacent de porter
atteinte à l'intégrité de l'Empire ottoman et à l'indé-
pendance du trône du Sultan; Leurs dites Majestés
réunies par le sentiment d'amitié qui subsiste entre
elles et le Sultan , animées du désir de veiller au main-
tien de l'intégrité et de l'indépendance de l'Empire
ottoman , dans l'intérêt de l'affermissement de la paix
de l'Europe , fidèles à l'engagement qu'elles ont con-
tracté par la note remise à la Porte par leurs représen-
tants à Constantinople, le 27 juillet iSSg, et désirant
de plus prévenir l'effusion du sang qu'occasionnerait
la continuation des hostilités qui ont récemment éclaté
en Syrie entre les autorités du Pacha et les sujets de
Sa Hautesse.
Leurs dites Majestés et Sa Hautesse le Sultan ont
résolu, dans le but susdit, de conclure entre elles une
72 TRAITÉ DE LONDRES, 15 JUILLET 1840.
convention , et ont nommé à cet effet pour leurs
plénipotentiaires, savoir :
S. M. la reine du royaume-uni de la Grande-Bre-
tagne et d'Irlande, le très-honorable Henri-Jean vi-
comte Palmerston, baron Temple, pair d'Irlande, con-
seiller de S. M. B. en son conseil privé, chevalier
grand-croix du très-honorable ordre du Bain, membre
du Parlement, et son principal secrétaire d'État , ayant
le département des affaires étrangères;
S. M. l'empereur d'Autriche , roi de Hongrie et de
Bohême, le sieur Philippe, baron de Nieuman, com-
mandeur de l'ordre de Léopold d'Autriche , décoré de
la croix pour le mérite civil , commandeur des ordres
de la Tour et de l'Epée de Portugal , de la croix du
Sud de Brésil , chevalier grand-croix de l'ordre de
Saint-Stanislas de seconde classe de Russie , son con-
seiller aulique et plénipotentiai^'e près S. M. britan-
nique;
S. M. le roi de Prusse, le sieur Henri-Guillaume,
baron de Bulow, chevalier de l'ordre de l'Aigle-Rouge
de première classe de Russie, grand-croix de l'ordre
de Léopold d'Autriche et de Guelph de Hanovre , che-
valier grand-croix de l'ordre de Saint -Stanislas de
seconde classe, et de Saint- Wladimir de quatrième
classe de Russie, commandeur de l'ordre du Faucon de
Saxe-Weimar, son chambellan, conseiller intime, actuel
envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près
S. M. britannique;
S. M. l'empereur de toutes les Russies, le sieur
Philippe baron de Brunow, chevalier de l'ordre de
Sainte-Anne de première classe, de Saint-Stanislas de
TRAITÉ DE LONDRES, 16 JUILLET 1840. 73
première classe, de Saint-Wladimlr de troisième classe,
commandeur de l'ordre de Saint-Etienne de Hongrie,
chevalier de l'ordre de l'Aigle-Rouge et de Saint-Jean
de Jérusalem, son conseiller privé, envoyé extraor-
dinaire et ministre plénipotentiaire près S. M. britan-
nique;
Et S. M. le très-majestueux, très-puissant et très-
magnifique sultan Abdul-Medjid, empereur des Otto-
mans, Chekib-Effeudi, décoré du Nichan-lftechar de
première classe, Bevlikdgi du divan impérial, conseiller
honoraire du département des affaires étrangères, son
ambassadeur extraordinaire près S. M. britannique. ,
J^esquels s'étant réciproquement communiqué leurs
pleins pouvoirs, trouvés en bonne et due forme, ont
arrêté et signé les articles suivants ;
Article premier. Sa Hautesse le Sultan s'étant en-
tendu avec LL. MM. la reine du royaume-uni de la
Grande-Bretagne et d'Irlande, l'empereur d'Autriche,
roi de Hongrie et de Bohême, le roi de Prusse et l'em-
pereur de toutes les Russies, sur les conditions de
l'arrangement qu'il est de l'intention de Sa Hautesse
d'accorder à Méhémet-Ali, conditions lesquelles se
trouvent spécifiées dans l'acte séparé ci - annexé ,
LL. MM. s'engagent à agir dans un parfait accord et
d'unir leurs efforts pour déterminer Méhémet-Ali à
se conformer à cet arrangement , chacune des hautes
parties contractantes se réservant de coopérer à ce but
selon les moyens d'action dont chacune d'elles peut
disposer.
Art. a. Si le pacha d'Egypte refusait d'adhérer au-
74 TRAITÉ DE LONDRES, 15 JUILLET 1840.
susdit arrangement , qui lui sera communiqué par le
Sultan avec le concours de leurs dites Majestés , celles-ci
s'engagent à prendre , à la réquisition du Sultan , des
mesures concertées et arrêtées entre elles, afin de
mettre cet arrangement en exécution; dans l'intervalle,
ayant invité ses alliés à se joindre à lui pour l'aider à
interrompre la communication par mer entre l'Egypte
et la Syrie, et empêcher l'expédition de troupes,
chevaux, armes, munitions et approvisionnements de
guerre de tout genre d'une de ces provinces à l'autre ,
LL. MM. la reine du royaume-uni de la Grande-Bre-
tagne et d'Irlande, et l'empereur d'Autriche, roi de
Hongrie et de Bohême, s'engagent à donner immédia-
tement à cet effet les ordres nécessaires aux comman-
dants de leurs forces navales dans la Méditerranée.
Leurs dites Majestés promettent en outre que les com-
mandants de leurs escadres, selon les moyens dont ils
disposent, donneront, au nom de l'alliance, tout l'appui
et toute l'assistance eii leur pouvoir à ceux des sujets
du Sultan qui manifesteront leur fidélité et obéissance
à leur souverain.
Art. 3. Si Méhémet-Ali, après s'être refusé de se
soumettre aux conditions de l'arrangement mentionné
ci-dessus , dirigeait ses forces de terre ou de mer vers
Constantinople, les hautes parties contractantes, sur
la réquisition qui en serait faite par le Sultan à leurs
représentants à Constantinople, sont convenues, le
cas échéant, de se rendre à l'invitation de ce souverain,
et de pourvoir à la défense de son trône au moyen
d'une coopération concertée en commun, dans le but
TRAITÉ DE LONDRES, 15 JUILLET 1840. 75
de mettre les deux détroits du Bosphore et des Darda-
nelles ainsi que la capitale de l'Empire ottoman à l'abri
de toute agression. Il est en outre convenu que les
forces qui en vertu d'une pareille atteinte recevront la
destination indiquée ci-dessus, y resteront employées
aussi longtemps que leur présence sera requise par le
Sultan; et lorsque S. H. jugera que leur présence aura
cessé d'être nécessaire, lesdites forces se retireront si-
multanément et rentreront respectivement dans la mer
Noire et la Méditerranée.
Art. 4- II est toutefois expressément entendu que
la coopération mentionnée dans l'article précédent , et
destinée à placer temporairement les détroits des Dar-
danelles et du Bosphore et la capitale ottomane sous la
sauvegarde des hautes parties contractantes contre
toute agression de Méhémet-Ali , ne sera considérée
que comme une mesure exceptionnelle adoptée à la
demande expresse du Sultan, et uniquement pour sa
défense dans le cas seul indiqué ci-dessus. Mais il est
convenu que cette mesure ne dérogera en rien à l'an-
cienne règle de l'Empire ottoman , en vertu de laquelle
il a été de tout temps défendu aux bâtiments de guerre
des puissances étrangères l'entrée dans les détroits des
Dardanelles et du Bosphore; et le Sultan, d'une part,
déclare, par le présent acte, qu'à l'exception de l'éven-
tualité ci-dessus mentionnée, il a la ferme résolution de
maintenir à l'avenir ce principe invariablement établi ,
comme ancienne règle de son empire, et tant que la
Porte se trouve en paix , de n'admettre aucun bâtiment
de guerre étranger dans les détroits du Bosphore et des
Dardanelles; d'autre part, LL. MM. la reine du royaume-
76 TRAITÉ DE LONDRES, 15 JUILLET 1840.
mii de la Grande-Bretagne et d'Irlande, l'empereur
d'Autriche, roi de Hongrie et de Bohême, le roi de
Prusse et l'empereur de toute les Russies, s'engagent à
respecter cette détermination du Sultan , et à se confor-
mer au principe ci-dessus énoncé.
Art. 5. La présente convention sera ratifiée, et les
ratifications en seront échangées à Londres dans l'espace
de deux mois, ou plus tôt, si faire se peut.
En foi de quoi les plénipotentiaires respectifs l'ont
signée et y ont apposé le sceaux de leurs armes.
Fait à Londres, le i5 juillet, l'an de grâce i84(>.
Palmerston, Nieuman, Bulow,
Brunow, Chekib.
ACTE SÉPARÉ
Annexé a la Convention conclue a Londres, le
\^ juillet j entre les Cours de Grande-Bretagne y
d'Autriche y de Prusse et de Russie , d'une part y
et la Sublime Porte ottomane, de Vautre.
Sa Hautesse le Sultau a l'intention d'accorder et de
faire notifier à Méhémet-Ali les conditions de l'arran-
gement ci- dessous :
L
Sa Hautesse promet d'accorder à Méhémet-Ali, pour
lui et ses descendants en ligne directe, l'administration
du pachalik d'Egypte; et Sa Hautesse promet, en outre,
d'accorder à Méhémet-Ali , sa vie durant , avec le titre
de pacha d'Acre, et avec le commandement de la for-
TRAITÉ DB LONDRES, 15 JUILLET 1840. 77
teresse de Saint-Jean- d'Acre, l'administration de la
partie méridionale de la Syrie dont les limites seront
déterminées par la ligne de démarcation suivante:
Cette ligne, partant du cap Ras-el-Nakhora , sur les
côtes de la Méditerranée, s'étendra de là directement
jusqu'à l'embouchure de la rivière Seisaban, extrémité
septentrionale de la Tibérias, longera la cote occiden-
tale dudit lac, suivra la rive droite du fleuve Jourdain
et la cote occidentale de la mer Morte, se prolongera
de là en droiture jusqu'à la mer Rouge, en aboutissant
à la pointe septentrionale du golfe d'Akaba, et suivra
la côte occidentale du golfe d'Akaba, et la côte occi-
dentale du golfe de Suez jusqu'à Suez.
Toutefois le Sultan, en faisant ces offres, y attache
la condition que Méhémet-Ali les accepte dans l'espace
de dix jours, après que la communication en aura été
faite à Alexandrie par un agent de Sa Hautesse, et qu'en
même temps Méhémet-Ali dépose entre les mains de
cet agent les instructions nécessaires aux commandants
de ses forces de terre et de mer de se retirer immédia-
tement de l'Arabie et de toutes les villes saintes qui s'y
trouvent situées, de l'île de Candie, du district d'Adana
et de toutes les autres parties de l'Empire ottoman qui
ne sont pas comprises daqs les limites de l'Egypte et
dans celles du pachalik d'Acre, tel qu'il a été désigné
ci-dessus.
II.
Si dans le délai de dix jours fixé ci-dessus, Méhémet-
Ali n'accepte point le susdit arrangement, le Sultan
retirera alors son offre de l'administration viagère du
78 TRAITÉ DE LONDRES, 15 JUILLET 1840.
pachalick d'Acre, mais Sa Hautesse consentira encore
à accorder à Méhémet-Ali pour lui et ses descendants
en ligne directe l'administration du pachalik d'Egypte,
pourvu que cette offre soit acceptée dans l'espace des
dix jours suivants, c'est-à-dire dans un délai de vingt
jours, à compter du jour où la communication lui aura
été faite, et pourvu qu'il dépose également entre les
mains de l'agent du Sultan les instructions nécessaires
pour ses commandants de terre et de mer de se retirer
immédiatement en dedans les limites et dans les ports
du pachalik d'Egypte.
III.
Le tribut annuel à payer au Sultan par Méhémet-Ali
sera proportionné au plus ou moins de territoire dont
ce dernier obtiendra l'administration , selon qu'il ac-
cepte le premier ou le second ultimatum.
IV.
Il est expressément entendu de plus que dans la pre-
mière comme dans la seconde alternative Méhémet-Ali
(avant l'expiration du terme fixé de dix ou vingt jours)
sera tenu de remetti-e la flotte turque, avec tous ses
équipages et armements, entre les mains du préposé
turc, qui sera chargé de la recevoir; les commandants
des escadres alliées assisteront à cette remise.
Il est entendu que dans aucun cas Méhémet-Ali ne
pourra porter en compte ni déduire du tribut à payer
au Sultan les dépenses pour entretien de la flotte otto-
mane pendant tout le temps qu'elle sera restée dans
les ports d'Egypte.
TRAITÉ DE LONDRES, 15 JUILLET 1840. 79
Tous les traités et toutes les lois ds l'Empire otto-
man s'appliquent à l'Egypte et au pachalik d'Acre, tel
qu'il a été désigné ci-dessus, comme à toute autre par-
tie de l'Empire ottoman ; mais le Sultan consent qu'à
condition du paiement régulier du tribut sus -men-
tionné, Méhémet-Ali et ses descendants perçoivent au
nom du Sultan et comme délégué de Sa Hautesse dans
les provinces dont l'administration leur sera confiée; il
est entendu, en outre, que moyennant la perception
des taxes et impôts susdits, Méhémet-Ali et ses descen-
dants pourvoieront à toutes les dépenses d'administra-
tion civile et militaire desdites provinces.
VI.
Les forces de terre et de mer que pourra entretenir
le pacha d'Egypte et d'Acre faisant partie des forces de
l'Empire ottoman , seront toujours considérées comme
entretenues pour le service de l'Etat.
VIL
Si, à l'expiration du délai de vingt jours à lui ac-
cordé à partir de la communication du traité , Méhé-
met-Ali n'accepte pas les arrangements qu'on lui pro-
pose et le pachalik héréditaire de l'Egypte , le Sultan
sera le maître de retirer cette offre et de suivre telle
marche que ses intérêts et les conseils de ses alliés
pourront lui suggérer'.
' Le traité de Londres du i5 juillet donne l'article VII qui n'avait
pas été publié avec le traité.
80 TRAITÉ DE LONDRES, 15 JUILLET 1840.
VIII.
Le présent acte séparé aura les mêmes force et va-
leur que s'il était inséré mot à mot dans la convention
de ce jour : il sera ratifié et les ratifications en seront
échangées à Londres en même temps que celles de
ladite convention.
En foi de quoi les plénipotentiaires respectifs l'ont
signée et y ont apposé les sceaux de leurs armes.
Fait à Londres, i5 juillet, l'an de grâce 1840.
5>^/ze : Palmerston , Nieuman, Bulow, Brunow,
Ghekib.
PROTOCOLE
Signe Cl Londres par les plénipotentiaires de Leurs
Majestés ^ etc.^ le \6 juillet 1840.
En apposant sa signature à la convention de ce jour,
le plénipotentiaire de la Sublime Porte ottomane a
déclaré :
Qu'en constatant, par l'art. 4 de ladite convention,
l'ancienne règle de l'Empire ottoman, en vertu de la-
quelle il est défendu de tout temps aux bâtiments do
guerre étrangers d'entrer dans les détroits des Darda-
nelles et du Bosphore, la Sublime Porte se réserve
comme par le passé de livrer des firmans aux bâtiments
légers sous pavillon de guerre, lesquels sont employés
selon l'usage au service de la correspondance des léga-
tions des puissances amies.
TRAITÉ DE LONDRES, 15 JUILLET 1840. 81
Les plénipotentiaires des Cours de Grande-Breta-
gne , etc., ont pris note de la présente déclaration pour
le porter à la connaissance de leurs cours.
Signé: Palmerston, Niedman, Bulow, Brunow.
PROTOCOLE RÉSERVÉ,
Signé a Londres le i^ juillet iS^o, par les plénipo-
tentiaires des Cours de la Grande-Bretagne, etc.
Les plénipotentiaires des Cours de la Grande-Bre-
tagne, etc., ayant, en vertu de leurs pleins pouvoirs,
conclu et signé en ce jour une convention entre leurs
souverains respectifs pour la pacification du Levant;
Considérant que , vu la distance qui sépare les ca-
pitales de leurs Cours respectives, un certain espace de
tennps devra s'écouler nécessairement avant que l'é-
change des ratifications de ladite convention puisse
s'effectuer et que des ordres fondés sur cet acte puis-
sent être mis à exécution ;
Et lesdits plénipotentiaires étant profondément pé-
nétrés de la conviction que , vu l'état actuel des choses
en Syrie, les intérêts d'humanité, aussi bien que les
graves considérations de politique européenne qui
constituent l'objet des sollicitudes communes des Puis-
sances signataires de la convention de ce jour, récla-
ment impérieusement d'éviter, autant que possible,
tout retard dans l'accomplissement de la pacification
que ladite transaction est destinée à atteindre;
Lesdits plénipotentiaires, en vertu de leurs pleins
pouvoirs, sont convenus entre eux que les mesures
6
82 TRAITÉ DE LONDRES, 15 JUILLET 1840.
préliminaires mentionnées en l'art. 2 de ladite conven-
tion , seront mises en exéeution tout de suite , et sans
attendre l'échange des ratifications , consentent formel-
lement par le présent acte , avec l'assentiment de leurs
Cours, à l'exécution immédiate de ces mesures.
Il est convenu, en outre, entre lesdits plénipoten-
tiaires , que Sa Hautesse le Sultan procédera de suite à
adresser à Méhémet-Ali la communication et les offres
spécifiées dans l'acte séparé annexé à la convention de
ce jour.
Il est convenu, de plus, que les agents consulaires
de la Grande-Bretagne, d'Autriche, de Prusse et de
Russie se mettront en rapport avec l'agent que le Sul-
tan y enverra , pour adresser à Méhémet-Ali la com-
munication et les offres sus-mentionnées, que lesdits
consuls porteront à cet agent toute l'assistance et tout
l'appui en leur pouvoir, et qu'ils emploieront tous
leurs moyens d'influence auprès de Méhémet-Ali, à
l'effet de le déterminer d'accepter l'arrangement qui lui
sera proposé par ordre de Sa Hautesse le Sultan.
Les amiraux des escadres respectives dans la Médi*-
terranée recevront les instructions nécessaires pour se
mettre en communication à ce sujet avec lesdits con-
suls.
Signé : Palmerston, Nietjman, Bolow, Brunow.
Ce protocole d'une conférence qui a eu Heu depuis
la première publication du traité, le 1 7 septembre 1 8^0.
Présents: les plénipotentiaires de la Grande-Bretagne,
J
TRAITÉ DE LONDRES, 15 JUILLET 1840. 83
de l'Autriche, de la Prusse, de la Russie et de la Tur-
quie. Les plénipotentiaires des Cours de la Grande-Bre-
tagne, de l'Autriche, de la Prusse et de la Russie,
après avoir échangé les ratifications de la convention
conclue le i5 juillet dernier, ont résolu, pour mettre
dans sa véritable lumière le désintéressement qui a guidé
leurs Cours dans la conclusion de ce traité, de décla-
rer que dans l'exécution des obligations que la con-
vention ci-dessus mentionnée impose aux Puissances
contractantes, ces Puissances ne chercheront ni
augmentation de territoire, ni influence exclusive, ni
avantages commerciaux pour leurs sujets que ceux de
toute autre nation ne pourraient pas également ob-
tenir. Les plénipotentiaires des Cours ci-dessus men-
tionnées ont résolu de consigner cette déclaration dans
ce présent protocole.
Le plénipotentiaire de la Porte ottomane , en payant
un juste tribut à la bonne foi et à la politique désinté-
ressée des Cours alliées, a pris connaissance de la décla-
ration contenue dans le présent protocole et s'est chargé
de la transmettre à sa Cour.
MEMORANDUM
D'une communication a faire a V ambassadeur de
France a Londres de la part du secrétaire dfÉtat
des affaires étrangères de Sa Majesté Britannique.
« Le Gouvernement français a reçu dans tout le cours
des négociations qui ont commencé pendant l'automne
de l'année dernière, les preuves réitérées les plus claires
84 NOTE DE LOKD l»ALMERSTOIN
et les plus incontestables, non-seulement du désir des
Cours de l'Autriche, de la Grande-Bretagne, de la
Prusse et de la Russie , d'arriver à un accord avec le
Gouvernement français pour les arrangements néces-
saires à la pacification , du Levant , mais aussi de l'im-
portance que ces Cours attachaient à l'effet moral que
l'harmonie et l'action combinées des cinq puissances
produiraient dans une affaire si grave qui se rattache
si étroitement à la conservation de la paix européenne.
Les quatre Puissances ont vu avec regret que tous leurs
efforts pour atteindre à ce but restaient infructueux ;
et , bien que récemment encore elles aient proposé à la
France de se réunir à elle pour l'exécution d'un arran-
gement entre le Sultan et Méhémet-Ali, arrangement
basé sur des vues que l'ambassadeur de France à Lon-
dres avait émises vers la fin de l'année dernière, le
Gouvernement français a cru ne devoir pas s'associer à
cette combinaison , faisant dépendre sa coopération avec
l€s autres Puissances de conditions que ces Puissances
ont regardées comme incompatibles avec le maintien de
l'indépendance et de l'intégrité de l'Empire ottoman et
de la tranquillité future de l'Europe. Dans cet état de
choses , il ne restait aux quatre Cours que cette alter-
native , ou abandonner les glandes affaires qu'elles
s'étaient engagées à arranger, aux chances de l'avenir
et manifester ainsi leur impuissance et exposer la paix
européenne à des dangers toujours croissants, ou bien
se décider à marcher sans la coopération de la France
et amener, au moyen de leurs efforts réunis, une solu-
tion des complications dans le Levant, conformément
aux engagements que les quatre Cours avaient con-
A M. GUIZOT. 85
tractés envers le Sultan et qui devaient assurer la paix
future. Placées entre cette alternative et profondément
convaincues de la nécessité pressante d'une prompte
décision qui correspondît aux intérêts importants en
jeu , les quatre Cours ont regardé comme un devoir de
se prononcer pour la dernière de ces deux alternatives.
Elles ont par conséquent conclu une convention avec
le Sultan , afin de résoudre d'une manière satisfaisante
les complications qui existent actuellement dans le
Levant.
«En signant cette convention , les quatre Cours ne
pouvaient que sentir le regret le plus vif de se trouver
momentanément séparées de la France dans une affaire
si essentiellement européenne; mais ce regret a été
diminué par les déclarations réitérées du Gouvernement
français qu'il n'avait rien à objecter contre l'arrange-
ment que les quatre Puissances cherchent à faire adop-
ter par Méhémet-Ah ; que dans aucun cas la France ne
s'opposerait aux mesures que les quatre Puissances,
d'accord avec le Sultan , jugeraient nécessaires pour
obtenir le consentement du pacha d'Egypte , et que
le seul motif qui empêchait la France de s'associer
aux autres Puissances, était dicté par des considérations
de divers genres, qui rendaient impossible au Gou-
vernement français de prendre part aux mesures coer-
citives contre Méhémet~Ali.
«Les quatre Cours nourrissent l'espoir fondé que leur
séparation d'avec la France à ce sujet ne sera que de
courte durée, et qu'elle ne portera aucune atteinte
aux relations de bonne amitié qu'elles désirent si vive-
ment conserver avec la France. Elles s'adressent en
86 NOTE DE LORD PALMERSTON A M. GUIZOT.
outre avec instance au Gouvernement français pour
obtenir au moins son appui moral, bien qu'elles ne
puissent attendre de lui une coopération matérielle.
L'influence du Gouvernement français à Alexandrie est
puissante. Les quatre Puissances ne pourraient-elles pas
espérer et même exiger de l'amitié du Gouvernement
français qu'il employât son influence auprès de Méhé-
met-Ali pour engager ce Pacha à accepter les condi-
tions de l'arrangement qui lui serait proposé de la
part du Sultan ? Si le Gouvernement français pouvait
contribuer efficacement de cette manière à mettre fin
aux complications dans le Levant, ce Gouvernement
acquerrait un nouveau droit à la reconnaissance et à
l'estime de tous les amis de la paix.
«Au ministère des affaires étrangères, le i5 juil-
let 1840. (Jour de la conclusion du traité.)»
MEMORANDUM
Adressé au vicomte de Palmerston par M. Guizotf
le ^[^ juillet 1840.
«La France a toujours désiré, dans l'affaire d'O-
rient, marcher d'accord avec la Grande-Bretagne, l'Au-
triche, la Prusse et la Russie. Elle n'a jamais été mue
dans sa conduite que par l'intérêt de la paix. Elle n'a
jamais jugé les propositions qui lui ont été faites que
d'un point de vue général , et jamais du point de vue
de son intérêt particulier, car aucune puissance n'est
plus désintéressée qu'elle en Orient. Jugeant de ce point
de vue, elle a considéré comme mal conçus tous les
NOTE DE M. GUIZOT A LORD PALMERSTON. 87
projets qui avaient pour but d'arracher à Méhëmet-Ali,
par la force des armes les portions de l'Empire turc
qu'il occupe actuellement. La France ne croit pas cela
bon pour le Sultan, car on tendrait ainsi à lui donner
ce qu'il ne pourrait ni administrer ni conserver. Elle ne
le croit pas bon non plus pour la Turquie en général
et pour le maintien de l'équilibre européen ; car on af-
faiblirait, sans profit pour le suzerain, un vassal qui -
pourrait aider puissamment à la commune défense de
l'Empire. Toutefois, ce n'est là' qu'une question de sys-
tème sur laquelle il peut exister beaucoup d'avis divers.
Mais la France s'est surtout prononcée contre tout pro-
jet dont l'adoption devait entraîner l'emploi de la force,
parce qu'elle ne voyait pas distinctement les moyens
dont les cinq Puissances pouvaient disposer.
«Ces moyens lui semblaient ou insuffisants, ou plus
funestes que l'état de choses auquel on voulait porter
remède. Ce qu'elle pensait à ce sujet, la France le pense
encore, et elle a quelques raisons de croire que cette
opinion n'est pas exclusivement la sienne. Du reste, on
ne lui a adressé, dans les dernières circonstances, au-
cune proposition positive sur laquelle elle eût à s'expli-
quer. Il ne faut donc pas imputer à des refus qu'elle n'a
pas été en mesure de faire la détermination que l'An-
gleterre lui communique, sans doute au nom des quatre
Puissances. Mais au surplus, sans insister sur la ques-
tion que pourrait faire naître cette manière de procéder
à son égard, la France le déclare de nouveau : elle
considère comme peu réfléchie, comme peu prudente,
une conduite qui consistera à prendre des résolutions
sans moyen de les exécuter, ou à les exécuter par des
88 NOTE DE M, GUIZOT
moyens insuffisants ou dangereux. L'insurrection de
quelques populations du Liban est sans doute l'occasion
qu'on a cru pouvoir saisir pour y trouver les moyens
d'exécution qui jusque-là ne s'étaient pas montrés. Est-
ce un moyen bien avouable, et surtout bien utile à
l'Empire turc, d'agir ainsi contre le vice-roi? On veut
rétablir un peu d'ordre et d'obéissance dans toutes les
parties de l'Empire , et l'on y fomente des insurrec-
tions! On ajoute de nouveaux désordres à ce désordre
déjà général , que toutes les Puissances déplorent dans
l'intérêt de la paix. Et ces populations, réussirait-on à
les soumettre à la Porte après les avoir soulevées contre
le vice-roi? Toutes ces questions, on ne les a certaine-
ment pas résolues. Mais si cette insurrection est compri-
mée , si le vice-roi est de nouveau possesseur assuré de
la Syrie, s'il n'en est que plus irrité, plus difficile à
persuader, et qu'il réponde aux sommations par des re-
fus positifs, quels sont les moyens des quatre Puissances?
Assurément , après avoir employé une année à les cher-
cher, on ne les aura pas découverts récemment, et on
aura créé soi-même un nouveau danger, le plus grave
de tous.
« Le vice-roi , excité par les moyens employés contre
lui, le vice-roi que la France avait contribué à retenir,
peut passer le Taurus et menacer de nouveau Constan-
tinople. Que feront encore les quatre Puissances dans
ce cas? Quelle sera la manière de pénétrer dans l'Em-
pire pour y secourir le Sultan? La France pense qu'on a
préparé là, pour l'indépendance de l'Empire ottoman
et pour la paix générale, un danger plus grave que
celui dont les menaçait l'ambition du vice-roi. Si toutes
A LORD PALMERSTON. 89
ces éventualités, conséquence de la conduite qu'on va
tenir, n'ont pas été prévues , alors les quatre Puissances
se seraient engagées dans une voie bien obscure et bien
périlleuse. Si au contraire elles ont été prévues, et si
les moyens d'y faire face sont arrêtés, alors les quatre
Puissances en doivent la connaissance à l'Europe, et
surtout à la France, qui s'est toujours associée au but
commun, à la France, dont encore aujourd'hui elles
réclament le concours moral , dont elles invoquent l'in-
fluence à Alexandrie. Le concours moral de la France,
dans une conduite commune, était une obligation de
sa part; il n'en est plus une dans la nouvelle situation
où semblent vouloir se placer les Puissances. La France
ne peut plus être mue désormais que par ce qu'elle doit
à la paix et ce qu'elle se doit à elle-même. La conduite
qu'elle tiendra, dans les graves circonstances où les
quatre Puissances viennent de placer l'Europe , dépen-
dra de la solution qui sera donnée à toutes les ques-
tions qu'elles viennent d'indiquer. Elle aura toujours en
vue la paix et le maintien de l'équilibre actuel entre les
Etats de l'Europe. Tous ses moyens seront consacrés à
ce double but. »
NOTE. -"■"'•""'' '*
Le soussigné a eu l'honneur, le 17 juillet, d'informer
Son Excellence M. Guizot, qu'une convention sur les
affaires de Turquie a été signée le 1 5 de ce mois par
les plénipotentiaires d'Autriche, de la Grande-Breta-
gne, de la Prusse et de la Russie , d'une part, et par
le plénipotentiaire de la Porte , de l'autre part. Les ra-
90 NOTE DE LORD PALMERSTON A M. GUIZOT.
tifications de cette convention ayant à présent été
échangées, le soussigné a l'honneur de transmettre à
Son Exe. M. Guizot, pour l'information du Gouverne-
ment français, copie de cette convention et de ses
annexes.
Le soussigné ne peut faire cette communication à
Son Exe. M. Guizot , sans de nouveau lui exprimer les
très-sincères regrets du Gouvernement de S. M. , que
les objections qui ont empêché le Gouvernement fran-
çais de prendre part aux mesures à l'exécution des-
quelles cette convention ait pourvu, aient créé un
obstacle qui a empêché la France d'être partie contrac-
tante dans cet acte. Mais le Gouvernement de S. M. a
la confiance que le Cabinet des Tuileries verra dans les
dispositions de cette convention des preuves incontes-
tables que les quatre Puissances , en prenant les enga-
gements qu'elle contient , ont été animées par le désir
désintéressé de maintenir, à l'égard de la Turquie, les
principes de politique que la France, dans plus d'une
occasion , a distinctement et solennellement déclaré
être les siens, et qu'elles n'ont pas cherché à obtenir,
pour les arrangements qu'ils ont en vue, quelque avan-
tage exclusif, pour elles-mêmes , et que le grand objet
de leur but est de maintenir l'équilibre de puissance
existante en Europe , et d'écarter les événements qui
pourraient troubler la paix.
Foreign-Office , 1 6 septembre i84o.
Palmerston.
SÉANCE DE LA CHAMBRE DES COMMUNES,
le 6 Août.
(Le 24 juillet , lord Palmcrston est sommé par M. Hume de nier
l'accusation faite contre lui d'avoir signe avec les quatre
Puissances une convention contre la France et au profit de la
Russie. Lord Palmerston se refuse à toute explication , vu << la
position actuelle , délicate et compliquée. » Le même jour ou
le lendemain , il a dû recevoir la note de M. Guizot. Le chan-
gement complet de sa position par suite de cette note se
manifeste dans la discussion qui suit. Le discours de lord
Palmerston produisit l'effet le plus merveilleux en Angleterre ;
à l'instant toute alarme cessa, on ne s'intéressa plus à la
transaction excepté pour s'étonner de la violence des journaux
démentis par les paroles du Gouvernement.)
M. Hume, appelant l'attention de la Chambre sur
les relations de l'Angleterre avec la France au sujet des
affaires d'Orient, dit :
Chacun sait en quelle situation critique nous nous
trouvons vis-à-vis de la France et de la Russie; mon
seul but en ce moment est de détruire l'effet des paroles
prononcées par lord Palmerston à la dernière séance.
Lord Palmerston a nié que l'intervention de la Grande-
Bretagne fût pour rien dans l'insurrection des Druses.
Or, il y a sur le bureau de la Chambre des pièces qui
prouvent le contraire , et que les autorités britanniques
sont intervenues. Je dois d'abord citer une dépêche
de M. Mandeville, résident à Constantinople en l'ab-
sence de lord Ponsonby, en date du 29 mars i833, et
92 SÉANCE
qui prouve que Méhémet-Ali est de droit gouverneur
de la Syrie. Cette dépêche dit : « Le Sultan a daigné
concéder à Sa Hautesse Méhémet-Ali le gouvernement
de toute la Syrie. » Ainsi, l'autorité de Méhémet-Ali
existe en Egypte et en Syrie depuis huit ans; elle a été
établie avec la ratification des cours de France et d'An-
gleterre; les autorités anglaises dans le Levant ont tou-
jours agi dans cette conviction, et lord Palmerston a en
tort de dire la dernière fois que l'autorité de Méhémet-
Ali n'était pas pleinement établie en Syrie. En réponse
à une insinuation de Méhémet-Ali, qu'il se rendrait in-
dépendant de la Porte, le colonel Campbell dit dans
une dépêche : « Je lui répondis de se tenir satisfait du
statu quo réglé à Rutahiah , et de remettre aux grandes
Puissances tout arrangement pour l'avenir, m Je pense
avoir prouvé, continue M. Hume, que Méhémet-Ali
est de facto gouverneur de Syrie. Quoi qu'il en soit ,
l'insurrection est maintenant terminée. Quant à la
guerre dans laquelle on veut précipiter l'Angleterre
sans en calculer les conséquences, je puis dire que je
viens de voir un officier, arrivé de Beyrouth avec l'A-
lectOy qui m'a dit que le capitaine Napier, du Powerful,
avait dit que s'il fût arrivé à temps il serait intervenu.
J'espère que lord Palmerston sera en état de contredire
ceci; car J€ ne puis croire qu'un officier serait ainsi
intervenu de son propre mouvement, dans l'état actuel
de nos relations avec la France.
Je demande donc si une convention a été signée
entre l'Angleterre, la Prusse, la Russie et l'Autriche, et
s'il est possible qu'une copie en soit déposée sur le bu-
reau de la Chambre avant son ajournement ; si la con-
DE LA. CHAMBRE DES COMMUNES. 98
vention a été signée, je dois dire que je «e connais pas
de politique plus désastreuse pour l'Angleterre. Un des
plus grands maux de l'administration de lord Castle-
reagh a été son système d'intervention avec les Puis-
sances étrangères; et M. Canning , quand il arriva aux
affaires , déclara que la politique de l'Angleterre serait
la non intervention. Lord Grey a suivi le même prin-
cipe. Or, ce que je reproche à la politique actuelle du
Gouvernement, c'est qu'elle entre dans la sainte-al-
liance des despotes de l'Europe, nom si odieux aujour-
d'hui ; c'est qu'elle s'éloigne de l'alliance avec la France,
le seul pays constitutionnel comme nous , et cela pour
aider les projets de la Russie.
J'espère que lord Palmerston pourra nier les ordres
que l'on dit avoir été donnés à la flotte anglaise, et qui ,
s'ils étaient vrais, entraîneraient des hostilités immé-
diates. C'est à lord Ponsonby, à lui seul , je le crois ,
que nous sommes redevables de ce risque. D'après les
frais que fait le Gouvernement français, la guerre me
paraît imminente. Le Gouvernement anglais joue, à
mon avis, le jeu de la Russie. J'espère encore que lord
Palmerston ne fera rien qui ait pour effet d'encourager
les projets de la Russie, ou ses progrès dans l'Asie
Mineure,
Méhémet-Ali a offert de restituer tout ce qu'il a con-
quis à l'exception de la Syrie. Notre agent à Constan-
tinople a fait ajourner la conclusion d'une paix. Je pro-
teste contre la clôture de la Chambre avant qu'elle ait
reçu des explications ultérieures. J'espère que si des
hostilités doivent avoir lieu, soit avec Méhémet-Aii,
soit avec la France, le Parlement sera convoqué sans
94 SÉANCE
délai, avant que le pays ne soit engagé dans la guerre.
Je propose donc une humble Adresse à Sa Majesté
pour la prier de faire déposer au Parlement copie de
la convention conclue entre les quatre Puissances.
Lord Palmerston. Je rends justice à la manière
calme dont mon honorable ami, M. Hume, a exposé
son opinion. Je professe une opinion certainement aussi
sincère, mais directement et diamétralement opposée à
la sienne. Or, quand deux personnes se trouvent avoir
des opinions également sincères, mais opposées, les évé-
nements seuls peuvent donner raison a l'une ou à
l'autre. Mais, aussi forte est la conviction de M. Hume
que la conduite du Gouvernement ne fait qu'aider les
projets intéressés de la Russie en Orient, aussi forte
et sincère est la mienne que cette conduite même a un
résultat opposé. Je saisirai cette occasion de contredire
une assertion qui a été avancée ici ce soir : c'est la nou-
velle de l'arrivée des Russes à Rhiva. Je suis aussi cer-
tain que l'armée russe n'a pas atteint Khi va que je suis
certain d'être dans cette Chambre ; car elle a rencontré
des obstacles dans les neiges, et, après avoir fait quel-
ques marches au delà de la frontière de Russie, elle a
renoncé à son expédition et a rebroussé chemin.
M. Hume a mentionné quelques dissentiments entre
son opinion et la mienne dans une récente occasion,
mais sans les établir distinctement. M. Hume a dit que
1 Angleterre avait garanti à Méhémet-Ali la possession
de la Syrie. Je nie complètement ce fait. J'ai agi, dit-il,
avec Méhéraet-Ali, sur cette base; cela est vrai, mais
ce n'est pas là une garantie. Le consul-général en Syrie
est sans contredit sous la dépendance de celui d'Egypte ;
DE LA. CHAMBRE DES COMMUNES. 95
mais ce dernier agit en vertu d'un exequatur An Sultan
comme souverain d'Egypte et de Syrie , et ce fait seul
prouve que nous considérons l'Egypte et la Syrie,
comme des portions de l'Empire turc, et que le Sultan ,
et non Méhémet-Ali, est pour nous souverain de la
Syrie.
Je puis d'ailleurs affîmer que , quelles que soient les
causes de l'insurrection de Syrie, les autorités anglaises
n'y sont pour rien. Lord Ponsonby, en juin dernier,
quelque temps après le commencement de la révolte , a
envoyé à Beyrouth son drograan pour prendre des in-
formations, pas autre chose. Je présume qu'ensuite il
est retourné à Constantinople. M. Hume a dit d'abord
que nous avions excité l'insurrection, ensuite que le
capitaine Napier est arrivé à Beyrouth avec l'instruc-
tion de prendre part à l'insurrection. Le fait est qu'il
est allé là pour protéger les intérêts britanniques , et
c'étaient là ses seuls ordres. Il n'a pas reçu d'instruc-
tions de Londres; il a été envoyé par l'amiral Stopford
pour protéger les intérêts anglais. Il est parfaitement
vrai qu'une fois là il s'est adressé au commandant égyp-
tien pour le déterminer à mettre fin à des scènes de
dévastation et de cruauté exécutées par l'armée égyp-
tienne , mais sans entrer aucunement dans la question
de savoir si les habitants du Liban avaient tort ou rai-
son. La réponse fut que les insurgés eux-mêmes se
livraient à ces cruautés. Toutefois , j'ai raison de croire
que les remontrances du capitaine Napier n'ont pas été
inutiles.
M. Hume demande qu'une copie de la convention
soit déposée sur le bureau de la Chambre. Qu'une con-
96 SÉANCE
vention ait été faite, cela est certain; mais on sait que
des pièces de cette nature ne sont complètes et obli-
gatoires que quand les souverains contractants ont si-
gné, et jusqu'à ce que les ratifications aient été échan-
gées, nous ne pouvons publier cette convention. Or,
ces ratifications ne sont pas encore échangées. Je ne
doute nullement qu'elles ne doivent l'être , mais jusque-
là, la publication de la convention ne serait pas con-
forme aux usages établis.
M. Hume dit que nous abandonnons l'alliance de la
France, et que nous nous embarquons dans une nou-
velle sainte-alliance contre les libertés de l'Europe, et
dans la poursuite d'intérêts contraires à ceux de l'An-
eleterre , et utiles seulement à la Russie. Je donne la
plus entière contradiction à l'opinion et aux con-
clusions de M. Hume. Je nie qu'il y ait aucune dispo-
sition de la part du Gouvernement de Sa Majesté à
abandonner cette alliance ; cette union intime avec la
France, à laquelle j"ai toujours attaché la plus grande
importance, comme également liée aux intérêts des deux
pays , et essentielle à la paix de l'Europe. Et bien que
dans cette occasion particulière , le dissentiment entre
la France et les autres Puissances ait été jusqu'à em-
pêcher le Gouvernement français de s'associer à l'ar-
rangement qui était l'objet de la convention, cepen-
dant j'ai une confiance et une espérance bien fon-
dées y que ce dissentiment temporaire ne sera pas de
nature a influencer les sentiments modérés des deux
pays y qu'il ne rompra point les traités fondés sur des
intérêts durables et permanents , et qu'il ne peut mener
à rien qui ressemble à un sentiment permanent d'iios-
DB LA CHAJIBRE DES COMMUNES. 97
tilité entre deux pays qui ont tant d'intérêts communs.
Je dirai plus, et je suis heureux d'avoir l'occasion de le
dire, parce qu'on *a assuré le contraire (Mouvement.
— Ecoutez!) : Rien n'a été caché à la France; aucun
effort n'a manqué de notre part pour parvenir à un
accord d'opinions. Nous avions négocié depuis un an
avec la France sur le principe général du maintien de
l'Empire turc sous la dynastie actuelle. Il n'y a jamais
eu aucun différend sur ce point : le Gouvernement fran-
çais l'avait établi de la façon la moins équivoque; et,
au mois de juillet, il avait déclaré aux Puissances qu'il
considérait ce principe comme indispensable au main-
tien de la paix, et qu'il s'opposerait à toute combinai-
son qui l'attaquerait.
Dans le discours du Trône, au commencement de cette
année , la France a déclaré que « sa politique avait tou-
jours été d'assurer l'intégrité de l'Empire ottoman dont
l'existence est si essentielle au maintien de la paix gé-
nérale. » Ainsi les grandes Puissances sont aussi d'ac-
cord que M. Hume et moi sur ces principes généraux.
11 y a bien dissentiment sur la tendance des mesures
destinées à atteindre ce but, mais ce sont là des dissen-
timents secondaires; les événements prouveront qui^
avait raison. Mais quand les États sont d'accord sur
le principe fondamental , les mesures d'exécution ne
peuvent amener une rupture entre eux.
M. Hume dit que notre politique ne tend qu'à affai-
blir l'Empire turc. Comme nous voulons lui rendre la
Syrie, je ne comprends pas comment c'est l'affaiblir.
M. Hume au contraire veut laisser au Pacha la Syrie,
ce qui le mènerait inévitablement à se déclarer indé-
" 7
98 SÉANCE
pendant. Si cela n'est pas un démembrement de l'Em-
pire, qu'est-ce donc? Cette politique ne mènerait qu'à
constituer un État indépendant hostile à la Porte. La
Porte chercherait alors un secours étranger, et d'où
viendrait-il? non de la France, non de l'Angleterre,
selon la politique de M. Hume; il ne viendrait donc
que de la Russie; et ainsi la politique de M. Hume pla-
cerait inévitablement le Sultan sous l'influence de cette
puissance dont M. Hume est si jaloux. Et l'on sait à
quel prix protection est donnée par un Etat puissant à
un État sans force.
Quant au traité d'Unkiar Skelessi , qui est exclusive-
ment entre la Russie et la Porte, /é? Gouvernement russe
nous a spontanément déclare j au commencement de
la négociation y que^nous nous trompions sur les 'vues
que nous lui supposions, et que si les autres Puissan-
ces 'Voulaient substituera ce traité spécial un arran-
gement qui donnerait a la Turquie cet appui que la
Russie lui donnait au refus des autres Puissances y il
s'engagerait à ne pas faire valoir son traité particu-
lier. Ainsi, du moins, la politique du Gouvernement
anglais, d'accord avec celle des autres pays, a mené
immédiatement à la conclusion que le traité séparé en-
tre la Russie et la Porte serait regardé comme non
avenu.
Quand M. Hume dit que nous entrons dans une nou-
velle Sainte-Alliance pour troubler la paix de l'Europe,
il oublie que le traité n'a rieu de commun avec la pre-
mière alliance, et que les parties contractantes ne sont
seulement pas les mêmes. L'Angleterre n'a jamais fait
partie de la Sainte-Alliance , et la France n'y était certes
DE LA. CHAMBRE DES COMMUNES. 99
pas étrangère. C'est le désir le plus vif et le vœu lo
plus sincère des cinq Puissances, y compris la Turquie,
d'obtenir l'accession de la France à la convention, et
elles ont cru de leur devoir de faire tous les efforts
possibles pour l'obtenir, parce que l'accession de la
France donnerait une influence morale infinie à cette
alliance, et qu'il serait alors plus facile d'exécuter les
mesures jugées essentielles à la paix de l'Europe.
C'est avec le plus grand regret que nous nous som-
mes vus dans l'impuissance d'obtenir le concours de la
France; \na.hj'aila satisfaction de pouvoir annoncer
que toutes les communications que nous avons reçues
du Gouvernrment français depuis ce temps nous ont
amenés à la plus forte conviction qu'il n'y a aucun
fondement a ces impressions que l'on s'étudie soi-
gneusement a répandre dans l'esprit public, ni à
l'opinion que la France entretienne aucun sentiment
hostile envers les Puissances engagées dans cette
convention ; et j'ai la confiance et l'espoir, et la plus
vive conviction que le dissentiment momentané qui
existe n'aboutira à aucune interruption de la paix «t de
l'amitié qui ont si longtemps existé entre les deux na-
tions. (Écoutez! écoutez!) La France est une grande
«t puissante nation. La France a de grands intérêts
qui lui sont propres. La France est gouvernée par des
hommes bien trop sages et trop éclairés pour vouloir
capricieusement, et sans juste cause ni provocation,
troubler la paix de l'Europe , et convertir en un théâtre
de guerre le terrain que la France, comme l'Angleterre,
a un si grand intérêt à maintenir pacifique. Si, en
entrant dans la convention, nous eussions montré la
100 SÉANCE
plus légère ombre d'hostilité envers la France, qui eût
pu être saisie par l'esprit le plus jaloux, ou qui pût
être tournée en intention hostile en quelque façon ,
alors nous pourrions partager les appréhensions de
(juelques personnes sur les conséquences. Mais, avec
la confiance que nous avons de n'avoir pas eu dans
l'idée le plus léger sentiment d'hostilité envers la
France , nous avons aussi assez de confiance dans le
Gouvernement éclairé de la France pour ne pas partager
les craintes que l'on manifeste. Tout ce que je puis
ajouter , c'est que je ne puis consentir à la motion de
mon honorable ami M. Hume, parce que le traité n'est
pas complet; mais que lorsqu'il sera ratifié, il sera
porté devant le Parlement ; et alors j'ai la pleine con-
fiance que, lorsque l'on verra le but auquel tendait le
Gouvernement et les motifs qui dirigeaient sa con-
duite, quand on connaîtra les moyens par lesquels il a
cherché à parvenir à ce but, je pourrai convaincre,
même M. Hume, que le Gouvernement n'a eu pour
objet que les intérêts non-seulement de ce pays, mais
de l'Europe en général; et que la conduite qu'il a cru
devoir adopter était la mieux calculée pour empêcher
que les malheureux événements qui ont eu lieu récem-
ment dans le Levant ne devinssent un danger sérieux
pour la paix générale de l'Europe.
M. Leader. Je ne ferai que quelques observations
sur l'importante question soumise en ce moment à la
Chambre. Tout homme qui a jeté les yeux sur les
journaux français a dû nécessairement voir que la na-
tion française se croyait trahie et insultée, et sur le
point d'être sacrifiée aux autres grandes Puissances de
DE LA CHAMBRE DES COMMUNES. 101
l'Europe. Un tel sentiment, quelle qu'en soit d'ailleurs
la source, ne peut que mener aux conséquences les
plus dangereuses; car on ne saurait nier que c'est à
l'union seule de la France et de l'Angleterre qu'on doit
la paix de l'Europe. Quoiqu'on ait dit que rien en cette
affaire n'avait été caché à la France , cependant je crois
savoir que vers la fin de la négociation , il y a eu ce
qu'on pourrait appeler un manque de cette courtoisie
officielle généralement en usage dans ces sortes de né-
gociations, et que la convention avait été signée sans
que le représentant de la France en ce pays sût le jour
de la signature. Je sais très-bien que lord Palraerston
peut dire que la France n'ignorait pas que les négocia-
tions avançaient, et qu'ainsi donc on n'a nullement
cherché à lui rien cacher. Sans doute , puisque toutes
les Puissances ont discuté l'affaire. Mais enfin les jour-
naux français affirment que le traité a été signé sans
offrir à l'autorité française en ce pays une occasion fa-
vorable de se joindre au traité, ou de faire connaître
ses motifs pour demander de nouveaux délais. Voici ce
que je crois qu'on aurait dû faire : les représentants des
quatre Puissances signataires de la convention auraient
dû dire à l'ambassadeur de France à Londres : «Vous
savez ce qui se fait ici depuis longtemps, vous connais-
sez les négociations entamées , et tel jour notre inten-
tion est de signer la convention. »
Les journaux français affirment qu'on n'a rien fait de
semblable. C'est, me répondra-t-on, une pure affaire
de forme dans des négociations de cette importance.
C'est possible; mais on ne devrait pas oublier que mal-
heureusement les Français sont très-chatouilleux sur.
lOa SÉANCE
le point d'honneur, ce dont certes je suis loin de Ie&
blâmer. Aussi n'ont-ils pas manqué de regarder cette
omission comme un affront fait à leur représentant en
ce pays; et c'est à ce sentiment qu'il faut attribuer
l'amertume du langage de leurs journaux. J'espère que
tout eela n'est qu'une erreur, et que rien n'a été fait
pour justifier ce sentiment , qui , grâce à l'influence de
ces journaux, s'est rapidement répandu dans tous les
rangs du peuple français. La France, en ce mo-
ment, n'accuse ni la Russie, ni la Prusse, ni l'Au-
triche ; elle n'accuse que l'Angleterre. Et pourquoi ?
parce que la France s'imagine qu'il y a de la part de
l'Angleterre dans tout ceci quelque chose comme une
trahison , d'autant plus qu'après avoir vécu dix ans
dans l'alliance la plus étroite avec la France, après
avoir agi ensemble comme les nations les plus civili-
sées de l'Europe, ayant les Gouvernements les plus
éclairés et les plus libéraux, après avoir été unies par
tous les liens et tous les intérêts, l'Angleterre aurait
abandonné cette alliance pour aller se réunir dans cette
négociation avec les Puissances les plus despotiques de
l'Europe. Je ne prétends pas savoir quelles ont été dans
tout ceci les intentions de lord Palmerston, quels avan-
tages cette convention lui a fait entrevoir pour nous
dans l'Orient; quant à moi, j'avoue que je ne connais
pas d'avantage qui puisse compenser une rupture de
l'Angleterre avec la France. Aussi, je regrette sincère-
ment que cette affaire ait excité en France le moindre
sentiment hostile contre nous; car je le déclare, non-
seulement en mon nom , mais au nom du peuple an-
glais, il n'existe pas en ce pays le moindre sentiment
DE LA CHAMBRE DES COMMUNES. 103
hostile contre la France. Bien loin de là, je crois que
non-seulement le Gouvernement, mais tout le pays dé-
sire sincèrement rester l'ami et l'allié de la France. Je
crois que chaque jour on reconnaît en France et eu
Angleterre , qu'il est de l'intérêt des deux pays de res-
ter étroitement unis, que les deux nations commencent
à mieux apprécier leurs bonnes qualités réciproques et
à ne plus se choquer de la différence de leurs coutumes
et de leurs manières. Non , la France n'a pas besoin
d'être rassurée sur les sentiments d'un pays où l'on
veut si sincèrement son amitié , et j'espère bien que ces
négociations ne sont pas un acheminement vers un
changement dans la politique des deux nations. Un tel
projet ne saurait entrer dans la tête du ministère ac-
tuel , pas même dans la tête d'un ministère tory. T.a
France serait-elle abandonnée par nous, parce qu'elle
est trop libérale pour s'allier avec les Gouvernements
despotiques? Non , jamais je ne le penserai!
J'aime donc à croire que lord Pahnerston va nous
dire que jamais on n'a pu songer à faire un affront à la
France, et que tous les soupçoiîs de trahison conçus^
en France disparaîtront promptement devant l'assu-
rance que le gouvernement anglais n'a pas le moins
du monde eu l'intention de se retirer de l'alliance
française, et qu'au contraire il ne désire rien tant que
de rentrer dans les meilleurs termes avec le peuple
français.
Lord Palmerston. La Chambre me permettra peut-
être, après ce que vient de dire M. Leader, d'ajouter
encore un mot pour expliquer ce qui s'est passé.
M. Leader a exprimé l'espérance qu'il n'y avait
104 SÉANCE
point eu défaut de courtoisie ni dissimulation inju-
rieuse envers la France dans le cours de ces négocia-
tions. Voici exactement ce qu'on a fait. Pendant huit
ou dix mois, à plusieurs reprises, on a dit à la France
que les autres Puissances désiraient agir de concert
avec elle pour cet objet; mais que s'il survenait une
telle différence d'opinion , quant aux mesures à adopter,
qu'il fût impossible à la France de s'associer avec les
quatre autres Puissances, alors, et ce cas arrivant, la
France ne devrait pas être surprise qu'elles agissent sans
elle.
Eh bien, voilà ce qui a été déclaré à la France non-
seulement une fois, mais plusieurs.
Pendant que les négociations se suivaient, il y a eu
des projets et des contre-projets mis en avant entre la
France et les autres puissances. L'une d'elle proposait
un plan contre lequel la France a élevé les objections;
il a été proposé un autre plan auquel l'Angleterre n'a
point donné son assentiment. C'est alors que le Gou-
vernement britannique a offert un parti moyen. La
France n'a pas voulu non plus y adhérer; et alors,
\ deux ou trois mois avant que la convention fût signée,
1 un arrangement distinct a été offert à la France; on
\ a tracé les limites dans lesquelles marcheraient les
quatre Puissances pour suivre la direction désirée par
la France, et suivant lesquelles on demandait sa coopé-
ration.
Après deux mois de réflexions et de délibérations, le
Gouvernement français a déclaré son refus en exposant
des raisons dans le détail desquelles il n'est point néces-
saire d'entrer. Les quatre Puissances se sont donc dé-
DE LA. CHAMBRE DES COMMUNES. 105
terminées conformément à la déclaration faite d'abord
à la France, à s'entendre pour mettre cet arrangement
à exécution.
C'eût été sans contredit se départir de toutes les
règles, si, après la détermination exprimée par la
France, elles s'étaient retirées et avaient dit : « Qoique
vous ne puissiez être partie dans cet arrangement , les
quatre autres Puissances le compléteront sans vous.»
Je n'hésite pas à le dire, un tel langage eût équivalu a
une menace, c'eût été un procédé inconvenant de la
part des autres Puissances, surtout après la détermina-
tion à laquelle, après de mûres réflexions, le ministère
français était arrivé.
J'ajouterai simplement que lors de la convention
entre la France et l'Angleterre , relativement à la Bel-
gique, cette convention n'a été communiquée au Gou-
vernement belge qu'après sa ratification, tandis que,
dans la circonstance actuelle , le traité a été ern^oyé à
la France deux jours après sa signature.
M. Leader. Un mot d'explication : je n'ai pas pré-
tendu que l'on ait fait quelque chose d'équivalent à une
menace, mais je pense qu'il aurait fallu avertir le gou-
vernment français que la convention serait signée un
certain jour.
LETTRE SUR LA FLOTTE RUSSE,
ADRESSEE AU Momîng Herald.
Paris, 25 septembre 1840,
Je viens de lire, dans le Morning-Chronicle du
23 septembre, un article évidemment sorti de la plume
de lord Palmerston. Cet article, médité pendant huit
jours , contredit l'exposé des faits que je vous ai adressé
dans une lettre qui a paru dans vos colonnes le 1 5 de
ce mois.
L'auteur de cet article s'exprime ainsi : «M. Urquhart
était en possession du traité du i5 juillet , car c'est par
lui qu'il vint à la connaissance des journaux.» Cette
assertion est fausse , et l'auteur de l'article savait qu'elle
était fausse, 11 contredit ensuite ce que j'avais avancé ,
savoir : que le traité ne contenait aucune stipulation
relativement au nombre des troupes, et que les alliés
n'avaient aucun pouvoir pour faire retirer ces troupes.
Et à l'appui de cette contradiction, il cite l'article du
traité oîi il est dit que « lorsque Sa Hautesse ne jugera
plus leur présence nécessaire, les troupes se retireront
simultanément y et rentreront dans la mer Noire et dans
la Méditerranée.» «Il est clair, ajoute l'auteur de cet
article, que la coopération réglée par consentement
mutuel doit précéder l'emploi des forces de la part du
Sultan, et que les forces doivent se retirer simultané-
ment. Pas un mot sur l'occupation de Constantinople
par les Russes. »
LETTRE SUR LA FLOTTE RUSSE. 107
Cela ne confinne-t-il pas ce que j'ai avancé ? Il n'y
a pas de stipulation, quant au nombre de troupes, et
il dépend du Sultan d'exiger leur retraite; il ne dépend
pas des alliés de considérer séparément ou de décider
collectivement si elles seront rappelées. Le Sultan doit
décider, décider au moment où les troupes russes seront
à Constantinople, quand les alliés doivent se retirer.
L'auteur de l'article cite alors le passage suivant do
ma lettre : «Dans les traités précédents, qui excluaient
les vaisseaux de guerre étrangers de la navigation des
détroits au-dessus et au-dessous de Constantinople , il
n'avait été fait mention que des Dardanelles seulement,
et aucunement du Bosphore qui donnait accès aux vais-
seaux de la Russie. Le traité actuel , qui stipule l'intro-
duction d'une flotte russe à travers les Bosphores,
stipule en même temps l'exclusion des vaisseaux do
guerre du Bosphore aussi bien que les Dardanelles. Jl
est évident , par conséquent , même d'après les termes
du traité, que l'exclusion qui porte sur le Bosphore est
nulle et non avenue; mais la stipulation qui défend lo
passage des Dardanelles peut avoir été faite pour avoir
un prétexte d'amener l'escadre russe de la Baltique dans
le Levant.»
Il cite ensuite Tarticle 1 1 du traité de janvier 1 809,
entre la Grande-Bretagne et la Porte, conçu comme
suit :
«Comme il a été de tout temps défendu aux vaisseaux
de guerre d'entrer dans le canal de Constantinople,
savoir, dans le détroit des Dardanelles et dans celui do
la mer Noire (Bosphore), et comme cette ancienne
règle de l'Empire ottoman doit être de même observée
108 LETTRE SUR LA FLOTTE RUSSE.
dorénavant, en temps de paix, vis-à-vis de toute Puis-
sance quelle qu'elle soit, la Cour britannique promet
aussi de se conformer à ce principe. »
«Voilà donc, observe-t-il , quelles sont les connais-
sances diplomatiques de M. Urquhart. m
Dans le traité de 1809, l'Angleterre stipule, pour
elle-même, et, de son propre consentement, s'exclut
elle-même du seul détroit par lequel elle puisse passer
les Dardanelles.
Le traité d'Unkiar Skelessi est le traité auquel le cas
actuel avait rapport; et ni dans ce traité, ni dans
aucun autre, on ne trouvera stipulée l'exclusion des
vaisseaux de la Russie ou leur admission , ou la ferme-
ture des Dardanelles contre elle.
L'auteur continue : « Le traité d'Unkiar Skelessi
donnait aux vaisseaux de guerre russes un privilège
qui était réfusé a tous les autres. Mais la stipulation
du traité du 1 5 juillet détruit virtuellement celle du
traité d'Unkiar Skelessi, en reconnaissant l'ancienne
exclusion du Bosphore et des Dardanelles de tous les
vaisseaux de guerre étrangers. »
Le traité d'Unkiar Skelessi ne donnait aucun privi-
lège aux vaisseaux de guerre russes. Le traité d'Un-
kiar Skelessi ne fait aucun mention du Bosphore ; le
traité d'Unkiar-Skelessi donne à la Russie la faculté
^obtenir de la Porte l'exclusion des vaisseaux des
autres Puissances.
L'auteur continue encore : «Mais, dit M. Urquhart,
comme s'il voulait tâter la France, la stipulation qui
regarde le passage du Bosphore peut avoir été mise
pour avoir prétexte d'amener l'escadre russe de la Bal-
LETTRE SUR LA FLOTTE RUSSE. 109
tique clans le Levant. ****** Si les alliés, en mettant à
exécution le traité, rencontraient de la part d'une
Puissance quelconque des hostilités injustifiables ,
nous supposons qu'on a peu de raison de douter que la
coopération ne dût s'étendre à la méditerra.née, dans
LAQUELLE UNE FLOTTE RUSSE FERAIT SON APPARITION.
C'est un résultat sur lequel ceux à qui M. Urqhuart s'in-
téresse, feraient bien de calculer. »
Voilà donc la réalisation de mes prévisions, voilà
l'explication de ce système d'insultes dirigées contre la
France, afin que le danger d'une collision pût fournir
un prétexte pour l'événement annoncé maintenant pour
la première fois, l'ouverture du Sund, pour laisser sor-
tir cette force maritime russe jusqu'à présent l'appui
secret du ministre pour être employée à protéger cette
faiblesse de sa patrie, que dès longtemps il avait pré-
parée , et à laquelle il met le comble aujourd'hui par la
rupture de son alliance avec la France.
Voilà, certes, un résultat que la France et l'Angle-
terre auraient dû prévoir à temps ; mais celui qui a pré-
paré ce crime avait calculé que ni l'Angleterre ni la
France ne s'apercevraient de ce résultat avant son ac-
complissement. Et aujourd'hui, avec pleine sécurité,
il indique lui-même avec mépris l'aveuglement des vic-
times dont il ne craint pas plus en ce moment l'indi-
gnation qu'il n'en a craint l'imprévoyance. Et comme ,
par un raffinement de cruauté dans son crime triom-
phant, il choisit l'occasion de me répondre pour an-
noncer cette catastrophe que, seul, j'avais prévue,
que, seul, j'avais travaillé à arrêter; tandis que lui,
seul.aussi, né sur le même sol, travaillait à l'accomplir.
110 LETTRE SUR LA FLOTTE RUSSE.
Un protocole additionnel vient de paraître, répé-
tant la déclaration que les cours alliées ne recherche-
ront aucun avantage, soit territorial, soit commercial,
soit de toute autre nature.
Cette déclaration fut d'abord faite dans le traité
du 6 juillet 1827, pour la pacification de l'Orient,
traité qui a amené treize années de convulsions, la ba-
taille de Navarin , la guerre de Turquie, le traité d'An-
drinople, traité par lequel des provinces entières furent
arrachées à la Turquie, les bouches du Danube et la
cote méridionale de la mer Noire , et les montagnes de
l'Arménie livrées à la Russie ; et cette longue suite de
conquêtes diplomatiques sur la Turquie et sur l'Eu-
rope, vient aboutir au traité du 1 5 juillet.
J'ai appris aujourd'hui qu'en i83o des négocia-
tions avaient eu lieu entre la France et la Russie, et
qu'après un échange de quatorze notes on avait ar-
rêté les conditions d'après lesquelles la Russie, avec le
consentement de la France , aurait ajouté Constanti-
nople à son empire , non par un choc ou par la guerre,
mais par une succession de traités. Cet arrangement
fut brisé par la révolution de Juillet. La Russie a changé
d'instruments. Elle n'a pas de concessions à faire à l'am-
bition d'une nation, et maintenant , au moyen du con-
cours dans lequel elle a forcément entraîné un seul
ministre , elle obtient Constantinople. Et quel avenir
se présente à nos yeux? Une guerre européenne de
vingt ans , s'il faut un si long temps pour accomplir
l'œuvre de la destruction ; et alors nous aurons la paix
imposée par la lance du Cosaque , et les Baskirs cam-
peront sur nos ruines.
i
LETTRE SUR LA FLOTTE RUSSE. 111
Demain le Cabinet de Londres s'assemble pour sanc-
tionner le passage de la flotte russe de la Baltique dans
la Méditerranée, et l'article auquel je réponds a été
écrit pour annoncer cet événement et pour y préparer.
Lord Palmerston , dans une circonstance précédente , a
assuré ses collègues, afin d'obtenir leurs concours à ce
traité, que la France se soumettrait. Pressé à une autre
époque de prendre des mesures décisives touchant la
Hotte de la Baltique, il répondit qu'elle était arrêtée
par les glaces pendant un tiers de l'année. Demain il
dira à ses collègues que le danger d'une collision entre
la France et l'Angleterre est prochain , et que par con-
séquent la présence d'un contingent russe sur le lieu de
l'action serait une précaution sage et prudente. Ses
collègues lui opposeront ou pourront lui opposer le
langage pacifique de la France, la note de M. Guizot,
et demanderont de retarder au moins la mesure jusqu'à
ce qu'il survienne un danger plus évident. Lord Pal-
merston répondra que la flotte de la Baltique se trouvant
enfermée pendant la saison qui va venir, il serait pru-
dent de l'amener dans l'Océan, où en effet elle ne sera
pas plus dangereuse que là où elle est maintenant.
Ainsi donc, lord Palmerston se donne une double
force par la note de M. Guizot et par les armements
de M. Thiers. La soumission de la France, prouvée par
la note, subjugue ses collègues; la résistance de la
France, annoncée par ses armements, justifie l'ouverture
du Sund. Au moment où cette longue ligne de batteries
flottantes déferlera dans l'Océan du nord, le canon qui
ébranlera les murs d'Elseneur annoncera au monde
que le trident d'Albion a été déposé à coté de la lance
112 LETTRE SUR LA. FLOTTE RUSSE.
brisée de la Pologne; que la Russie est maîtresse de
rOcéan, dont le sceptre est désormais arraché à la
Grande-Bretagne; que la Grande-Bretagne a été sou-
mise , non par la guerre , mais dans la paix ; qu'elle n'a
pas même été soumise, qu'elle a été cédée, sans chamj)
de bataille , ni échafaud ; mais nous aurons des champs
de bataille et des échafauds, des champs de bataille
ensanglantés par des gladiateurs; et des échafauds pour
les patriotes.
Mais vous attendez encore autre chose de la protec-
tion de cette flotte. Qu'elle entre dans la Méditerranée,
et vous verrez alors le peuple français, exaspéré par
votre trahison, se servir de la Russie^ même à ses
propres dépens, pour satisfaire sa vengeance, et se
jeter dans les bras d'une alliance russe; cette flotte,
placée là pour tenir en équilibre les haines interna-
tionales, portant l'alarme tantôt ici, tantôt là, jusqu'à
ce que l'animosité mutuelle soit à son plus haut point,
et que la Russie puisse donner avec sécurité le signal
de la destruction de la France et de l'Angleterre , l'une
par l'autre.
Quelle sera alors l'attitude de l'homme qui vous a
placés dans cette position? Vous l'avez déjà vu, seul,
sans parti , sans ami , contrôler la volonté d'un Cabinet,
réduire au silence la voix d'un Sénat; vous avez vu ce
Cabinet assumer sur lui la responsabilité des actes de
ce ministre , et le Sénat se soumet à l'accomplissement
de sa volonté; seul, vous l'avez vu, d'un coup et inopi-
nément, séparer l'Angleterre de la France, et la jeter
aux pieds de la Russie. Et cela , il l'osa et le fit pendant
que la flotte russe était tenue en réserve et cachée dans
LETTRE SUR LA. FLOTTE RUSSE. 113
les brouillards lointains de la Baltique. Cette flotte
russe, une fois dans l'Océan, son union avec une flotte
anglaise ne dépendra-t-elle pas du maintien de lord
Palmerston au pouvoir? Et qui alors osera s'opposer
à ce qu'il aura résolu? qui osera refuser ce qu'il lui
plaira de livrer? Si la chute de l'Angleterre ne vous
émeut pas, pensez du moins à ia liberté menacée;
quiconque a des motifs de craindre doit se hâter. Le
Parlement lui-même, s'il était assemblé, s'ébranlerait
à cette heure.
Si§,nè: David URQUHART.
FIN.
Il
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Urquhart, David
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