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Full text of "La deffence et illustration de la langue francoyse"

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LA 



DEFFENCB ET ILLUSTRATION 



DK LA 



LANGUE FRANCOYSE, 



PAR JOACHIM DU BELLAY; 



PBic&oéE d'upt 



DISCOURS SUR LE BON USAGE 



LA LANGUE FRANÇAISE, 

PAR PAUL AGKERMANN, 
I?un des auteuss du Vocabulaire de l'Académie, 




PARIS. 

CROZET, LIBRAIRE DE LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE, 

QVAl MALAQVAIS, M° l5. 



1839. 



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LA DEFFENCE ET ILLUSTRATION 

DE LA LANGUE FRANCOYSE^ 

PAR JOACHIM DU BELLAY; 

FatfcéDiB d'un 

DISCOURS SUR LE BON USAGE 

DR 

LA LANGUE FRANÇAISE. 

PAR PAUL ACKERMANN. 



IMPRIMEBIV DE TERKDOLO, 

rue Madame , n* 30. 



LA 

DEFFENGE ET ILLUSTRATION 

DB hk 

LANGUE FRANCOYSE, 

PAR JOACHIM DU BELLAY; 

TuicàitiE d'un 

DISCOURS SUR LE BON USAGE 

DE 

LA LANGUE FRANÇAISE, 

PAR PAUL AGKERMANN. 




PARIS. 

CROZET, LIBRAIRE DE LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE, 

QUAI MALÀQUAIS, M* l5. 

1839. 



DISCOURS 

SUR LE BON USAGE 

DE LA LANGUE FRANÇAISE, 

PAR PAUL ACRERMANN. 



< Un beau style n*est tel que par le nombre 
Hiiini' de Térités qu'il présente. Toutes les beautés 
intellectuelles qui 8*y trouTent, tous les rapports 
dont il est composé sont autant de vérités aussi 
utiles, et peut-être plus précieuses pourFespril hu- 
main, que celles qui peuvent faire le fond du sujet.* 

BtiFPOif, Vite* de réception à VAcad, françaiie» 

— « Scribendi rcclc sapere est principium et fons. » 

lion A T., (te Àrl, poef., v. 309. 



'*v> 



PREFACE. 



On n'a jamais bien déterminé ce que c'est que la langne 
française classique, et quels sont ses écrivains. Il est pénible 
de voir dans les grammaires et les dictionnaires, à Tappui d'nn 
terme, d'one location , citer les deux Rousseau et des au- 
teurs aujourd'hui en vogue , comme on fait La Fontaine et 
Voltaire. Quels sont donc nos écrivains classiques, et à quoi 
reconnatt-on qu'une locution est correcte, qu'un mot est 
français? 

I^' Académie française prépare, dit-on , un admirable tra- 
vail, un Dictionnaire historique, critique et é^'inologique de 
la langue française : mais à quelle époque prend-elle la 
langue ? Si elle remonte au-delà d'Amyot, elle empiète évi- 
demment sur les glossaires et sur les domaines de r Acadé- 
mie des Inscriptions et Belles-Letires. Quel est donc son point 
de départ? quelles sont ses vues générales sur Tfaistoire de 
kl langue? 

Aujourd'hui plus que jamais il faut se fixer sur l'unité, la 
précisîoD et les règles de notre langue^ qui a tant faibli depuis 
le milieu du siècle dernier. 

L'étude plus générale et le progrès toujours croissant des 
sciences mathématiques et d'observation, la tribune, et les 
journaux politiques toujours écrits avec précipitation, les ar- 
ticles reproduits journellement des Journaux étrangers, Timi- 
tation maladroite des littératures du Nord et du vieux style, 
ont introduit dans la langue française nKMlerne une foule de 
nouveaux mots et de locutions inusitées; enfin les hommes les 
plus éminents du mouvement qu'on nomma romattOquc 



VI 11 

ont à Tenvi dénaturé la langue précise et limpide du dix- 
septième siècle. Cette jeune école , hardie mais aventureuse, 
s'est perdue par Torgueil, et après avoir lancé de si belles 
flammes, elle ne jette plus maintenant que de la fumée et des 
scories. 

Depuis 1835 il y a une réaction sensible contre les écri- 
vains incorrects et contre les grammairiens ignorants et sys- 
tématiques, et l'on penche visiblement à reprendre la langue 
du dix-septième siècle, en acceptant les nouveautés légi- 
times qu'y a introduites le tems; mais ce mouvement sera 
vain , s'il n'est secondé et dirigé par des hommes qui ont 
des lumières spéciales et un jugement sain et courageux. 

Dans notre désir de voir la langue se rasseoir et se régé- 
nérer de plus en plus, nous avons abordé la question de 
V autorité et celle des a^e^, les croyant capitales aujourd'hui 
dans la littérature. Nous ne pouvons partager l'opinion de 
ceux qui disent : tout est perdu. Sans doute beaucoup de mai 
est fait, mais comme la nation est encore pleine dévie, 
c'est une erreur funeste de désespérer de l'avenir. 

Nous devons dire un mot sur notre réimpression de la Def- 
fence et iUustration de ia iangue francoyse de Joachim 
du Bellay. C'est un des plus précieux opuscules littéraires 
du seizième siècle ; l'auteur, ami de Ronsard , l'écrivit pour 
appuyer les tentatives de la nouvelle école poétique , et faire 
rendre à la langue vulgaire l'empire que le latin usurpait en- 
core. Cette Deffense est elle-même un monument de notre 
langue dans la période qui prépara le français de Balzac et 
de Pascal. 

L'édition originale de la Deffence et iUustration dt ia 
iattgue francoyse est devenue tellement rare qu'on ne ia 
trouve plus dans le commerce. Pour posséder cet ouvrage^ il 
faut Tacheter dénaturé dans son orthographe , dans son lan- 
gage même , et enfoui dans un gros volume de vers d'un mé- 
rite fort inégal. Nous avons cru faire plaisir aux amateurs de Du 



Bellay et du XVP siècle de réimprimer cette De/f^nee, si jus- 
tement estimée et recherciiée des connaisseurs. Le texte que 
nous donnons est collationné sur un exemplaire de l'édition 
originale^ appartenant à la bibliothèque de l'Arsenal, et dont 
voici le titre exact : La Deffmice et iiitistration de (a iangite 
francoysCf par J. A. D. B. Imprimé à Paris pour Arnouit 
l'Angelier, 15Zi9. In-S» (sans pagination). Nous en avons 
conservé Tortiiographe, mais en y introduisant la distinc- 
tion de Vu et du i; , de l'i et du j , et sans nous asservir à la 
ponctuation et aux lettres capitales qui y surabondent d'après 
l'usage du tems; pour tout le reste, l'orthographe de l'édi- 
tion originale est exactement reproduite. 

Beaucoup de savants, en réimprimant aujourd'hui de vieux 
textes, ont l'habitude de placer sur les e inaccentués alors , 
les accents que nous y mettons aujourd'hui : nous avons cru 
devoir nous éloigner de cette méthode, qui est évidemment 
erronée. Qui m'assure.que du tems de mon vieil auteur on pro- 
nonçait les e comme aujourd'hui ? Il faudrait par des preuves 
solides avoir établi à l'avance leur prononciation. 

Dans l'édition que nous suivons. Il y a parfois un accent 
sur a, troisième personne du singulier du présent de l'indi- 
catif du verbe avoir, mais le plus souvent il n'y en a pas ; 
nous avons cherché à l'enlever partout, pensant que cette 
Irrégularité venait de Timprimeur, et parce qu'ici l'accent 
n'influe en rien sur la prononciation du mot (1). 

Quelques mots nous ont paru être des fautes palpables, 
provenant sans doute de la négligence de l'imprimeur ; nous 
avons rétabli entre [] la leçon qui était certainement celle de 
l'auteur. 

Du Bellay avait approuvé, sans les adopter toutes, les 
simplllicatlons orthographiques réclamées par plusieurs de 



(i) A la pag<: 85, ligne lo, libcz a au lieu de à. 



SCS contemporains : «Quanta l'Orthographe, dit-il lout à 
j> la fin de son livre, j*ay plus suyvy le commun et antiq' usaige 
» que la raison, d'autant que cete nouvelle (mais légitime à 
» mon jugement) façon d'écrire est si mal receuc en beau- 
» coup de lieux, que la nouveauté d'icelle enst peu rendre 
» Pœuvre non gueres de soy recommendable, mal plaisant , 
» voyre contemptible aux lecteurs. » Après sa mort les édi- 
teurs de ses œuvres y mirent l'orthographe de l'année de 
chaque impression nouvelle, et rétablirent ainsi nombre d'^ 
qui ne furent définitivement supprimées qu'au XVIII* siècle, 
et que Du Bellay avait déjà rejetées de son orthographe ; ils 
firent plus, ils rajeunirent son langage, substituant person- 
nage, h personnatge, transportèrent à transportarent, et 
ainsi de suite. Nous n'avons pointcommiscette faute, et nous 
espérons qu'on nous en saura gré. On rencontrera dansl'on- 
vrage de Du Bellay quelques mots écrits de deux manières : 
c'est un reste des fluctuations et des irrégularités de l'ortho- 
graphe du moyen-âge • défaut peu sensible dans l'édition 
originale, mais qui s'accrut dans les éditions posthumes. 
Nous n'avons pas cru devoir faire disparaître le petit nombre 
d'irrégularités que présente sous ce rapport l'édition que 
nous suivons, dans une réimpression faite seulement pour les 
amateurs et non pour les écoles. 

Enfin, toujours dans l'intention d'agréer au lecteur, nous 
avons rappelé en note au bas des pages quelques passages 
d'Horace, de Cicéron et de Virgile que Du Bellay avait mê- 
lés à sa composition, et que nous avons reconnus; le lec- 
teur instruit en trouvera peut-être qui nous ont échappé. 
Ces emprunts nous font voir que Du Bellay connaissait bien 
ceux dont il repoussait l'idiome, et que l'étude des anciens 
n'a pas été sans influence sur la maturité de la langue 
française. 

Paris, 20 avril iSiSp. P. A. 



XI 

OUVRAGES A CONSULTER 

SUR L'HISTOIRE , LA PURETÉ ET L'UNIVERSALITÉ 
DE LA LANGUE FRANÇAISE. 



Illustration de la langue française, par Jean Palsgravc. 
Londres^ 1530, ia-fol. 
Je n'ai pu prendre connaissance de cet Cfavrage. 

La Deffence et illustration de la Langue Francoyse, par 
J. A. D. \V, (Joachim Du Bellay.) Paris, Arnoult l'Angelier, 
15Zi9,in-8-. 

Apologie povr la Langue Françoise ^ en laquelle est ample- 
ment déduite son origine et excellence ; le moyen de l'enrichir 
et augmenter selon les anciens Grecs et Romains; Cobseruation 
de quelques manières de parler françaises; une exhortation aux 
Français d'escrire en leur langue, etc., par J. A, D. B. (Joa- 
chim Du Bellay.) Paris, Lucas Breyer, 1580, in-S**. 

C'est la meilleure réimpression de l'ouvrage de Du Bellay ; 
elle n'est cependant pas parfaitement exacte. 

Lettres d'Estienne Pasquier. La seconde Lettre do liv. I, 
datée de 1552, adressée à M. de Tournebu, roule sur l'emploi 
de la langue française dans la littérature. 

Oraison de Jacq. Tahureau au Roy, de la gramleur de son 
règne, et de l'excellance de la langue française , etc. Paris , 
V* Maurice de la Porte, 1555 , in-4*. 

Devis de la langue française fort exquis et singulier, par A. 
M. Sieur de Moystardieres. Paris, Jean de Bordeaux, IST'i, 
in-&^ 

Jrt poétique français, — Avec le QuintilHoimian, sur la dé- 
fense et illustration de ta Langue Françoise, Lyon, Bcnoist Ri- 
gaud, 1576, in-18. 



XII 

Devx dialogves du nouueau langage François , italianizé, et 
autrement desguizéj piinci paiement entre les courtisans de ce 
temps: De plusieurs nouueautez, qui ont accompagné ceste 
nouueaute de langage : De qiielques courtisanismes modernes ^ et 
De quelques singularitez courtisanesques (par Henry Estienne). 
Sans date, in-S"". 

Project du livre intitulé De la Precellence du langage fran- 
f(n5, par Henry Estienne. Paris, Mamert Pâtisson, 1579, in-8*. 

La Langue françoyse de Jean Godart^ Parisien; première 
partie. Lyon, Nicolas Jvllieron, 1620, in-8*. 

Remarques sur la langue françoise , par Claude Favre de 
Vaugelas, de l'Académie française. Préface. Paris, 1647, 
'u-4". 

La défense de la poésie et de la langue françoise (en vers), 
adressée à M. Perrault ^ par J. Desmarets. Paris, Nicolas Le 
Gras, 1675, in-12. 

Considérations en faveur de la langue françoise, par l'abbé 
de MaroUes. Paris, 1677, in-4". 

De l'Excellence de la langue françoise, par M. Charpentier, 
de l'Académie Françoise. Paris, V« Bilaine , 1683 , 2 vol. in-8». 

C'est un ouvrage verbeux et déclamatoire, où sont noyées 
quelques bonnes idées. 

Bibliothèque universelle et historique de l'année 1687, t, VJI, 
p, 181-195. 

On y examine si la langue française a plus gagné que perdu 
depuis Amyot. 

L'Art de bien prononcer et bien parler la langue françoise, 
par le sieur J, H. ( J. Hindret. ) Paris, V'' Cl. Thiboust, 1687, 
ia-12. 

Des tnots à la mode, et des nouvelles façons de parler : avec 
la suite traitant du bon et du mauvais usage dans les manierez 



XUl 

de s'exprimer f etc., par François de Cailliere, de l'Académie 
françoise. Paris, 1693, in-12. 

Ce li?re est bien fait et agréable à lire. 

Du bon et mauvais usage, dans les manières de s^expritner. 
Des façons de parler bourgeoises, et en qvoy elles sont différentes 
de celles de la cour, suitte des mots à la mode. Paris, Claude 
Barbin, 1693> 2 vol. 

IjC Dictionnaire de r Académie françoise. Paris, Jean-Bap- 
tiste Coignard , 1694, 2 ?ol. în-fol. V. la Préface placée à la 
tête du tome 1. 

Manière de parler la Langue Françoise selon ses differens 
styles , avec la critique de nos plus célèbres Ecrivains en Prose 
et en Fers : et un petit Traité de l'Ortographe et de la Pronon- 
dation Françoise , par André Renaud, Prêtre Docteur en théo- 
logie. Lyon, 1694, in-A". ( V. t. 1, p. 167 et sui?. ) 

Je n'ai pu prendre connaissance de cet ouvrage. 

Le sort de la langue française (par de Lionniere). Paris, 
V* Claude Barbin, 1703, in-l2. 

Ce dont il est le moins question dans ce livre, c'est de la lan- 
gue française, mais on y parle longuement de l'origine et de la 
^splendeur de la monarchie française. 

Traité des langues, où l'on donne des principes pour juger 
du mérite et de l'eœceUence de chaque langue, et en partictdier 
de la langue françoise, par le sieur Frain du Tremblay, de 
l'Académie d'Angers. Paris, J.-B. Delespine, 1703^ in-12. 

Maximes sur le ministère de la chaire et discours académi- 
ques, par feu le R. P. Gaichiés, prêtre de l'Oratoire, et membre 
de l'Académie de Soissons. Paris, 1739, in-12. On y trouve, 
p. 234-247, un Discours sur le progrès de la langue Fran- 
çoise. 

Dictionnaire du vieux langage françois ; avec Un coup- 



XIV 
d*mt sur l'origine^ sur les progrès de la langue et de la poésie 
française , des fragmens des troubadours et des autres poètes , 
depuis Charlemagne jusqu'à François P', par Lacombe. Sup- 
plément. Paris, chez Nie. Aug. Delalain^ 1767, in-8\ 

L'auteur dans son coup ^d' œil a vu les choses de travers, si 
l'on me permet de continuer la métaphore. Dans cette préface, 
comme dans son Dictionnaire, il marche sans critique et sans 
règle. Il compte les époques de la langue française d'après les 
règnes de nos rois^ et prend la langue provençale pour un dia- 
lecte français. Un glossateur est jugé, quand il peut donner les 
vers suivants comme étant duYII* siècle : 

« Por aiiior de vos pri, saigaos Baruii 

Si ce vos tuit escorer la leçun 

De seiat Ësteve le glorieux Baron , 

Escutet la pcr bone eatencion , 

Ki à ce jor receu la passion 

Saint Esteve fut pleins de gran botvté, 

Emment tôt cels qui creignent Dieu , 

Fesoit miracle o nom de Dieu mendé , 

As contrat et au ces , à tos donc santé , 

Por ce haïreùt au teins li juve. » 

C'est du français du XIII* siècle. 

Dictionnaire philosophique, par Voltaire; voyez rartiele 
François, Français, t. IV, p. 483-504, et Tarticle Langues, t. v, 
p. 511-540. (Œuvres de Voltaire, édit. Beochot.) 

Mémoire sur l'origine et les révolutions de la langue fran^ 
çoise, par Duclos, dans les Mémoires de l'Académie des In- 
scriptions et Beltes^Lettres , t. XV, p. 565, et t. XVll, p^ 171 
(1751). 

Ces deux Mémoires ont été réimprimés, sans nom d'auteur, 
sous le titre de Discours sur l'origine et les révolutions des langues 
celtique et française. Paris, Saugrain et Lamy, 1780, in-8'. 



XV 

De la langue française comparée aux langues anciennes. 
C'est le cbap. 3 du liv. I de la première partie du Cours de Lit- 
térature de Laharpe. 

Lettre de l'auteur de l'Anatomie de la langue française^ à 
M. le baron de B*"* (liernstorf), du musée de Paris, à l'occa- 
sion du Discours (de Rivarol) sur l'universalité de la langue fran- 
çoise (par M. De Sauseuil). Londres et Paris, Guillot, 1785, 
in-12. 

L'Esprit dé la langue française, et la cause de l'universalité 
de cette langue, etc. Dijon» 1787. 

Je n'ai pu prendre connaissance de cet ouvrage ; on le dit de 
nulle valeur. 

De l'Universalité de la langue française , par A. C. de Riva- 
rol. Paris, Cocheris, an V (1797) , in-A^. 

Dissertation sur les causes de l'Universalité de la langue 
françoise , et la durée vraisemblable de son empire , par 
iM. Schwab. Traduit de l'aUemand par D. Robelot. Paris, 
Lamy, 1805, in-8\ 

En 1783 , rAcadémie de Berlin avait proposé pour sujet de 
concours les trois questions suivantes : 

Qu'est-ce qui a rendu la langue françoise nouvelle? 
Pourquoi mérite-t-elle cette prérogative? 
Est-il à présumer qu'elle la conserve? 

La dissertion de Rivarol et celle de Schwab furent toutes deux 
couronnées. 

Discours sur l'origine et les pvgrès de la langue françoise, 
et sur ses caractères^ par J.-B.-Fr. Gérusez, 1800, in-8*. 

Je n'ai pu prendre connaissance de cet ouvrage. 

Essai sur les meilleurs ouvrages écrits en prose dans la lan- 
gue françoise, et particulièrement sur les Provinciales de Pascal, 
par François de Neufchateau. 

Cet estimable opuscule est placé à la tête d'une édition des 



XVI 

Lettres Provinciales. Pari», F. Didot Taïaé, 1816, 2 vol. iii-8% 
tome 1. 

Grammaire Générale et raisonnée de Port-Royal , par Ar- 
uauld et Lancelot ; précédée d'un Essai sur l'origine et les 
PROGRÈS DE LA LANGUE FRANÇOISE, par M. Petitot, 2' édition. 
Paris, Bossange et Masson, 1810, Id-8*. 

Dans cette prolixe dissertation de M. Petitot, le st}leest assez 
élégant, mais l'auteur manque de vues, et ne fait guère que répé- 
ter ce qui a été dit avant lui. 

Histoire de la Langue ^on^at^e, par Gabriel Henry. Paris, 
Leblanc, 1812, 2 vol in-8». 

Ouvrage verbeux, oratoire, vague, plein de banalités; ot y 
remarque cependant de l'éiiidition; l'auteur avait beaucoup lu, 
et son livre a le mérite de donner les titres de beaucoup de traités 
grammaticaux français ; mais il faut se défier de ses indications 
bibliographiques. 

Supplément au Glossaire de la langue romane ^ par J.-B. Ro- 
quefort ; précédé de deux dissertations inédites ; l'une sur l'Ori- 
gine des François; l'autre sur le Génie de la langue Fran- 
çoise, par M. Auguis. Paris, Chasseriau et Hécart,.1820, 
in-8*. 

Essai sur l'universalité de la langue française, ses causes, ses 
effets et les motifs qui pourront contribuer à la rendre durable, 
par C. N. Allou. Paris, Firmin Didot, 1828, in-8. 

Dictionnaire de l'Académie française, sixième édition. Paris, 
Firmin Didot frères, 1835, 2 vol. in-4". V. la Préface placée à 
la tête du tome 1. 

Histoire abrégée de la langue et de la littérature française, 
par F. Barthe. Paris, Hachette, 1838, in-8». 



DISCOURS 



SUR LE BON USAG;e 



DE LA LANG£EFEANÇAISB. 




L'homme que son talent naturel appelle à être orateur ou 
poète 5 n'a point apporté en naissant un discernement parfait de 
la propriété des termes 5 mais seulement un instinct vague du 
choit des expressions. La délicatesse de son goût est plutôt en 
germe que développée. Il cultivera et assurera ce goût par une 
lecture réfléchie des auteurs dont le style est précis et délicat^ et 
en observant conunent parlent les personnes dont le langage réu- 
nit ces deux qualités! Il faut qu'il apprenne à distinguer le dialecte 
littéraire des langages provinciaux 5 les expressions qui convien- 
nent aux différ ents styles ^ la langue écrite du parler néglig/ , Un 
géftlë Ibéme supérieur^ quelque goût qu'il ait reçu delanature, 
ne peut se passer de cette observation approfondie. On apprend à 
devenir écrivain par le commerce des bons auteurs , comme on se 
forme à la politesse par l'usage du monde él^nt La politesse des 
manières^ ainsi que celle de l'esprit 5 exige d'abord un tact natu- 
rel; mais toutes deux veulent impérieusement de la culture. Nul 
n'est en droit de dédaigner cette étude. Louis XIY et d'autres 
personnages célèbres, connus par leur ton exquis, se plaisaient à 
traiter, à discutei* des cas de politesse; sentaient le besoin d'ob- 
servations et de réflexions pour étendre et assurer leur jugement. 

La même méthode et la même étude conduisent à la perfection 
des manières et à celle du langage ; il y a même entre eUes une 
liaison intime : conûnent supposer, en effet, dans une société des 



propos délicats et des manières grossières ? Ces grands écrivains 
du dix-septième siècle, si clairs, si nerveux, si élégants, étaient 
des personnes de bon ton, et s'étaient appliqués avec un soin 
extrême à connsdtre le bon usage des mots. Mais trop souvent 
l'étrangeté et la violence du style ont pris la place du naturel et 
de la délicatesse. On a oublié, ce semble, que to^ écrivain, 
même de génie, s'abaisse par la grossièreté, rebute par la recher- 
che et l'apprêt , et diminue l'influence légitime de ses écrits en 
dédaignant la pureté du langage. 

Le but de ce discours est d'enseigner comment et où l'on peut 
apprendre la politesse et la pureté de la langue française. Je ne 
suis pas capable d'instruire d'^emple, mais je puis indiquer les 
modèles /enseigner les sources de l'Usage. Je vais entrer dans 
^elquç^ cansidéralions philosophiques, puis j'examinerai cbez 
qui se trouve le bon usage écrit de la langue; enfin, arrivé à 
notre époqoe, je rediercherai quelles sont les causes ée la cor- 
ruption de réloquence actuelle, et où l'on peut, de nos jours, ren- 
contrer des personnes qui parlent purement la langue française. 



iiliHil'fl^lfl ï. — Diverêîté littéraire de$ Langms* 

On prête à tofon cette phrase, qui n'est pas prédsénie&t b 
sienne : «Le style c'est l'homme. » Ncn, le style n'est pas rhomme, 
mais comme il et^ prodait par l'esprit hunoain, il révèle une par-* 
tie de l'homme. Ainsi, srion le génie partiailka* de chaque indi- 
vidu» son style v^iera, et offrira avec cebii de ises compatriotes 
des miances, des di£lérences plus ou moins sensibles, il en est de 
même des peuples ; et de la diSërenœ es» génies nationaux natt 
préside eiHièfement la "vm^ tittéraîre des langues. Je dis pres- 
que entièrement, car il esl é^s difierences gramnonticdes qui 
viennent de l'oFeille et noii de l'eqprit. 

Sel<w que l'Esprit ou la Réflexion, l'ïmagioalion ou le Senti- 



ffieût prédoHiiAMit^ se mâangent ou s'^xduent chez un bomnie, 
son style en porte les traces. Il en est de mène pour toute une 
langue 9 selon la natùt^ d'esprit de la foule. Je vais présenter 
qudques exemples; et dès le premier Ton pouira voir combien, 
malgré le nombre et la force de certaines influences communes 
entre deux peuples , ces deux peuples peuvent différer profondé- 
ment de génie et de style. Les Français sont une nation mo- 
derne et en grande partie d'origine germanique. L'éducation 
chrétienne et l'instruction classique eidstent chez nous comme 
chez les AUemands, et à peu près d^mis la même époque* Ils li- 
sent m» ouvrages et les ont toujours lus ; ainsi nos auteurs ont 
dû beaucoup influer sur leur littérature. Us ont conune nous 
l'article et les v^bes auxiliaires. Cependant û n'est pas un tra- 
ducteur qui n'ait pu observer comUen il est difficile de rendre 
en français un auteur allemand. Des écrivains fort éiégasts sont 
plats traduits en allemand, quoique avec soin, et même malheur 
arrive aux auteurs allemands traduits dans notre langue. Quelle 
est donc r^pliotion de ces deux faits singuliers? £Ue est, si je 
ne m'afbuse, dans la diversité d'esprit des deux, nations. L'Âl-^ 
lemand est essentîdlement contemplatif et raduetif : son génie lit- 
téraire se compose d'une certaine dose de réflexion et d'imagi- 
nation ; mais il manque en générdjd'esprit , et c'est ce qui fait à 
l'égard de la France, de l'Italie et de l'Angleterrei son infériorité 
relative en Bltérature. Le Français, au contraire , est d'une con- 
ception vive, promte, nette, saisissant bien en toutes choses 
les contrastes et les ressemMances. L'mtélligence est sa faculté la 
plus vive. C'est l'esprit géométrique, dédodif fM exceflenee. 
llhas sommes les disciples d'Aristote et de Descartes. Aussi la lit- 
térature française s'est-elle placée au premier rang bien plus par 
Tesprit et ta régularité que par l'imagination. Un étranger , 
homme phis réfléchi cpi'iniJpiré, plus grave que badin, qui ne 
pouvait parvenur à écrire i^pportablement le français, qu'on 
lui avait cependant fait cultiver dès son enfance, frappé de la {rfiy- 
siomnnie de nos auteurs, me dit un jour qu'il croyait qu'il est 



- 4- 
impossible de bien posséder notre langue^ si Ton n'est homme 
d'esprit. H suffit d'être homme de sens; mais sa remarque était 
profonde^ il méritait de savoir le français. 

X^hez aucun peuple l'intelligence n'a plus été séparée de l'ima- 
gination que chez les Français ; chez les AUemands au contraire 
la liaison est intime. Cette différence de proportions, de relation 
entre le3 facultés en met une aussi grande dans le style. Il estpres- 
que impossible, si l'on est d'une de ces deux natures-là, qu'on s'ex- 
prime avec un parfait naturel dans un style élaboré par des es- 
prits de l'autre trempe. Avant que j'eusse fait aucune de ces 
réflexions, longtems je fus sans pouvoir me rendre compte de 
l'impression que fesait sur moi le style de J.-J. Rousseau ; je 
ne savais qu'y redire; mais il me semblait voir en lui un homme 
condamné à être orateur dans une langue qui n'est pas la sienne, 
mais qui y est parvenu. 

C 'est que, bien que Rousseau eût beaucoup d'esprit, il avait 
encore davantage d'imagination et de réflexion, et une vie senti- 
mentale bien différente de celle du Parisien. Même fait se remar- 
que dans Montaigne, qui a eu plus d'imagination qu'aucun autre 
philosophe français, et plus de méditation philosophique que tous 
ses prédécesseurs. A force d'esprit et de vigueur il parvint à 
briller dans notre langue, mais ce ne fut pas sans peine. C'est que 
l'activité d'imagination et de réflexion était, chez ces deux hom- 
mes, unie à l'intelligence dans une proportion exceptionnelle 
.pour la France. De semblables génies sont pour une littérature ce 
, que les conquêtes sont pour une nation : elles étendent ses domai- 
nes, mais en altérant son unité. 

Il est un peuple qui fut favorisé par excellence, dont la langue 
satisfit aux plus grands plaisirs de l'oreille et à tous les besoins 
de la pensée. Le peuple qui la parlait, également méditatif et in- 
spiré,-poëte, orateur et philosophe, posséda dans le plus haut de- 
gré connu ce juste équilibre des facultés qui fait le grand écri- 
vain. II eut à la fois la justesse de goût et la puissance complète 
de création; c'était un mélange d'inspiration et de méditation, 



de poésie et de philosophie, de naïveté et de réflexion, de délica- 
tesse et de force. J'ai nommé les Grecs, restés uniques jusqu'au- 
jourd'hui pour la Tariété, la force et la perfection du talent litté- 
raire. Les Latins, qui vinrent après eux, eurent plus de juge- 
ment que d'imagination, et, rivaux des Grecs en quelques par- 
ties, ils sont demeurés dans d'autres incomplets et même nuls. 
La langue et la civilisation des Grecs et des Romains étaient 
pourtant sœurs. li y a entre les Italiens et les Français une rela- j 
tion à peu près analogue. Chez nous l'esprit Fa emporté, chez les' 
Italiens l'imagination. 

De la différence intime qui est entre la poésie et l'éloquence, 
Tune se rattachant plus à l'imagination, l'autre à l'esprit, naît une 
diversité marquée à! élégance entre les poètes et les orateurs. 
Comme cette différence n'a point encore été .développée par les 
grammairiens, je vais essayer d'expliquer en quoi elle consiste. 

L'art, comme je Tiens de le dire, se présentant sous une dou- 
ble face, U se propose aussi deux objets différents : la prose veut 
expliquer, la poésie veut plaire; l'une cherche la clarté et l'au- 
tre l'effet ; par conséquent il leur faut à toutes deux des ressour- 
ces différentes de langage. Les langues poétiques sont riches en 
synonymes du genre au genre; les langues scientifiques le sont 
dans les mots qui expriment les variétés du genre. Celui qui parle 
pour dire ce qu'il sait recherche surtout la précision qui donne 
la clarté à son discours; l'homme [qui chante veut faire admirer 
ce qu'il voit ou communiquer une émotion. Trop de précision 
nuirait à ce dernier, qui doit laisser une certaine latitude à rkna- 
gination de son auditeur; un certain vague, soutenu pourtant 
parla justesse, convient à ses expressions; il lui faut un grand 
nombre d'adjectifs et de verbes dont le sens soit large; il 
recherche Fà-propos et Fabondance des métaphores; le pre- 
mier pour être élégant s'énquiert de la propriété rigoureuse et du 
degré de dignité dès expressions. Les associations d'idées attachées 
aux mots consacrés par Fusage chez les peuples orateurs appar- 
tiennent et vont à l'intelligence, tandis que chez les peuples poètes 



— 6 — 

eUes consisteat surtout en nuauces qui frappent rimaginati(m« 
Il ira sans dire que cette délinûtation ne p^ut être absolue ; j'ex- 
prime des, généralités et montre ce qui domine d'un c;ôfeé et de 
l'autre. L'orateur, pour revêtir son style d'une élég«[icea€Complie9 
a besoin de^quelques nuances poétiques; il peut même selon le 
genre d'éloquisnce les multiplier et les renforcer. 

Lç style poétique et le style positif se séparent encore de la ma^ 
nièrela plus sensible par la construction des phrases^ L'une eiJge 
rinversio42 l'autre y répugne ; c'est d'un côté La Fontaiiie, de 
l'autre la prose de Voltaire et du Code civii; te premier remar- 
quable par le choix des tournures pittoresques^ tefl^ dew autres 
par la précision et la clarté. Il faut remarquer que la j^éf- 
senceourabsencededédinaisons^ la richesse des formes dttiyerbe, 
comme aussi Tharmonie de certains mots, q^ pour eett« raison 
on peut ou l'on ne peut pas rejeter à la fin de hphrpse, déterm-* 
nent beaucoup l'ea^ploi fréquent ou k difficcdté des inversions; 
mais il n'est pas de langue cpû ne puisse, sdon le genre de h 
composition, selon l'art et la tournure d'esprit de l'auteur» per- 
mettre l'emploi dominant di^ style inversif on de la o(Mistru^n 
directe.. Un démonstrateur a besoin d'être logique et précis, te 
poète d'avancer ou de sm^ndre l'^t qu'il veut produire sur 
l'imagination. U faut donc, comme le veut te nature de toute lot- 
gue, hisser aux écrivains , seten les convenances de leur ai^et^ 
une grande latitude dans le choiiç des tounmres« 



Ghapitrv il — Phases, époques cTune Umgue littéraire^ 

J.a même diversité qui peut exister dans le caractère littéraire 
de deux langues, se retrouve dans les phases successives de 
chacune d'elles, et toute littérature développée et mûrie a eu ses 
tems plus poétiques et ses tenis plus philosophiques. Comme le 
fonds emporte la forme, à mesure que les idées, le ton, et les cou- 



— 7 — 
kttKs changent dans une fiuâ-aturc^ le langage eit reçdit des alté- 
rations. Le prenner caractère de l-usagef c^est Wêtt^ friable. 
Lea réfdutions danales idée», les sentiments, les mœurs, les ift- > 
atitutki>ns pdSdqnes apportent dés swtbstittttic^ de tocotions et des ' 
dbaagemeo^s dans k valeur deamôts. 

Jusqu'à préseùt on est tôiijota^ parti, pour dfêOnir les phases 
Ëtléraireà d'une langiiev de Tannée âe l'aj^ari^tii des oofrages 
eét^ives y mais ce raofen: est tonft4-feil itK^Igsani. 

RigmiffeinsBienii parlant, ill^y stpas M siyle prepi^é à eha^ 
(|ue éj^&qoBB^ k dBoxgie ailnée^ I^tHif rait^on- êk& pav e%em{^e que 
dcnffi Faanée %^$ù û f a«ai^ «n& mlt^ éommâoS^ de s^le, une 
emièfè cenformité. daim> im mouvements el f emploi éed^ termes ? 
l^n assnnément , et la rassois e» est fort simple : les g^ératiORS, 
tout eftseaoecédatfÊ, viveiil: ensemble^ et dâms <;ef£é^^ même année 
1630 il y avdit des vieMfca^^ àa^ iionnfi^' mdi^, àm jtmta 
gôn» el des adokscettt^ Maie> dira^-t^^xn, M sulfit-it pas de vf^re 
ensemble pour offrir les mêmes.(|âaAlfés^ éë langs^ et de sCylêl? 
San» douiez e^ts^ intoence^ est graitfik^, Aiaig il éii eét une plus / 
Icirte^ encore^ Bnfgénèrai Félat de nwiFe sl^ë s^'e^s^i^bé'p^ nos 
leetQr€i»et sMiinprefiàlQinaitdeiiiKSy ce m«t im moin^ fiss^ f^ 
pisi^aanfisa; <9dies éia jonrnc^oifinaiC^siir mXMBSCjdSe^qiifê poUi^y 
«MHtfiSfflus on. moins deiMifemenl; e& lày cottne ailkM», la 
isaifiott du pfié86Ht est dtms- 16 pasié ? oi! fo piIssé dfnn vtdMttd 
n'est pas celui d'un jeune homsin 

&'eal derquùl^à Urent&ann qoe ttalrè ioiagînaftion prenéses 
confeur», que nott^ eognr sTesti éauiy qœ la {dupart de m» idées 
ont germé, et que par conséquent se sont jetées les bases de 
notre style. Au-delà de cet âge, les habitudes d'oreille et d'ex- 
pression sont à peu près fixées ; nous perdons la tendreur néces- 
saire pour recevoir des impressions vives, profondes et fertiles; 
il ne nous reste plus que celles du jeune âge, qui dès lors semr 
blent fermer la porte à toute influence nouvelle. Les homme3 
aiment et conservent les locutions à la mode dans leur jeunesse. 
Aussi les ouvrages des jeunes gens n'influent guère sur le 



_ 8 — 

style des hommes faits et des vieillards, bien qu'ils soient 
compatriotes et contemporains* Les jeunes gens au contraire, 
communicatifs, souvent élevés en conunun, se trouvent pour toute 
leur génération à peu près sous l'impression des événements du 
jour et des idées nouvelles ; ils vivent longtems de la vie com- 
mune, pendant que l'homme de pensée cherche à s'isoler quand il 
se reconnaît assez fort pour marcher seul, et se maintient aussi 
roide dans le mouvement que le jeune homme y est chaud, tendre 
et flexible. Ainsi, à la même année, il y a pour les deux ou troisgé- 
nérations qui peuvent alors écrire, des styles propres et distincts, 
et, si l'on peut s'exprimer ainsi, dans la même langue des phases 
contemporaines. Ainsi la date de l'apparition d'un livre n'expli- 
quant pas à quelle période il appartient, le plus sûr est de 
grouper les auteurs par date de naissance. Pour fixer les épo- 
ques de la languelrançaise nous partirons donc de ces deux prin- 
Ccipes : l'esprit change le style; les fondements du style sont jetés 
quand l'esprit prend son assiette. 

Les premiers tems de toute littérature sont barbares, puis la 
poésie fleurit et l'art se développe. Chez nos auteurs le style poéti- 
que est dominant depuis Froissard jusqu'à Rabdais inclusive- 
ment. Puis apparaît l'esprit philosophique, positif, méthodique. La 
naissance de notre prose précise, régulière et oratoire date des 
premiers écrits de Calvin. Les écrivains protestants suivirent 
cette école, qui a fini par l'emporter. 

Calvin, Ronsard et Montaigne préparèrent la langue du dix- 
septième siècle. Descartes et Corneille déterminèrent son carac- 
lère^général. 



— 9 — 

Ghap. III. — Première époque, ou tenu archéologiques. 
Avant 1330. 

La Chanson de Roland , par Turold ; R. Wace (né vers 1 1 ao] ; Voyage 
de Gharlemagne à Jérusalem ; le Roman de la Tiolette, par Gibert de 
Montreuil ; Sermons de saint Bernard ; Gérard de Ylane ; Yillehar- 
douin (né vers 1 167) ; Thîebaut, comte de Champagne (né en laoi) ; 
le Roman de Renart; Guillaume de Lorris (né vers laio?) ; Pierre de 
Fontaines (né vers laio?); Join ville (né vers iaa4); Philippe de 
Beaumanoir (né versiaSo?); Aucassin et Nicolette; Jean de Meung 
(né vers ia5of), etc. 

Les plus anciens ouvrages que nous ayons en langue française 
paraissent se rapporter à la seconde moitié du douzième siècle. ( 
C'était alors la langue d'oïl, parlée au nord de la Loire. Dans les ^ 
Ihèmes de ses mots elle variait, pour ainsi dire^ de village à vil- 
lage. Feu à peu, par suite des circonstances politiques et du mou- 
vement de la population, il se forma dans l'Ile-de-France, dont 
Paris était la capitale, un dialecte général, qui avait réuni, en les 
harmonisant, les variétés du langage d'oïl (1). Au quinzième siè- 
cle il est déjà dominant ; les mots se sont adoucis, et la phrase se 
dénoue et se cadence. Enfin au dix-septième siècle, la langue at- 
teignit sa dernière perfection sous le double rapport de la forme 
des mots et de la propriété des termes. 

Les monuments littéraires abondent au treizième siècle, mais la 
langue y est tellement dépourvue de toute espèce d'harmonie et 
dans les mots et dans leur assembk^e, il y a en outre si peu d'art 
dans les compositions poétiques, elles sont en général si vides d'i- 
dées, si prolixes, que la lecture en est insoutenable. Notre vi^mc 
et sage Yillehardouin n'est lisible que pour des historiens ou des 
grammakiens. Je défie un lecteur ordinaire, un poëte, une femme 
de Ure d'un bout à l'autre avec plaisir un livre de cette ^x)que 

(1) Voyez Recherches sur ie» formes grammaticales de la langue fran^ 
çaise et de ses dialectes, au treizième siècle, par M. G. Fallot , oh. 1. 



— 10 — 

dans le texte original, même Joinville* Cette littérature rentre dans 
le domaine de Térudition^ et est inaccessible au puUic^ EDe est 
barbare, et ce serait à peu près taon» perdu que d'y aller chercher 
aucune richesse pour notre langue actuelle. 



( 



Chap. IV, •*« Ténu ofieiens ùtt poétitjms. Émvains 
nésckiSWàîàSO. 

Froîssard (né en i333) ; Histoire de Bertrand Du Guesclm (publiée par 
Ménard);les Mémoires de Boncicaut; Alain Ghartier (i386); Chroni- 
ques, par Monstrelet (né vecs 1390); Charles d'Orléans (1:591); ^rlin 
PEnchantenr; Jehan de Paris ; le Petit Jehan de Saintré;riivoc«t>Fa» 
theHh ; Jacques du Glèrcq (liiil; Olivier de la Marche (14^6). 

A la fin du quatorzième siècle et au commencement du quia- 
2iène, dans Froissard et dans Boucîcaut, la langue commence à 
ser débrouiller, à se dégrossir, les mots sont moins rudes et varient 
moins, la phrase prend de la cadence, et Ton peut encore aujour- 
d'hui lire ces deux auteurs avec plaisir et avec fruit Roucicaut 
surtout ^t admirable. La phrase y est nette ^ forte j^ a^ant d^ 
une certaine symétrie et un conunencement d'harmonieu. Les 
toomures les ptas harfies et les plust vives y abondent,^ les locu- 
tions les plus gracieuses y sont semées avec profusion. Le qnin- 
zfeme sièclb est véritablement Hge poétique de la langpe, et qui 
voudrait traduire Homère devrait faire soa bréviaire daceitaiiuk 
mitenrsrde ce siècle. 

Lemérite épique de Froissard est connu; je vais citer deux 
ftagments qui montreront la force et la grâce du style de& Ué^ 
moires de Boucicaut. 



— II — 

FRAGMENTS DE L^HISTOIKE DE BOUaCACT. 

Ch. l^III. Cy parle dtamowr, en detnorutrcmt for quelte 
mattiereks bons doivent aimer pauy devenir meitlew^9. 

— « Mais sais-tu la cause pourquoy tu qui veux aimer trouves 
en amour communément tant d'amertumes et de maulx? C'est 
pour ce que tu ne mets mie ton cœur en la vie amoureuse pour 
cause de mieulx en valoir, ne pour vertu ; mais seulement pour 
délectation que toa corps «n a ou.^pere avoir., Et^^ pour ce que 
teSe folle plaisance et délectation est chose qui durer ne peult, 
toute chose qui est fondée dessus ne peult estre seure et à peine 
sepeult garder : mais ce qui est fondé sur vertu est très durable, et 
en vient bleuet joie. Toutainsy que ie puis bailler exemple du vin, 
lequel est desoy très bon et qui resjoûit le cœur de Thomme et le 
reconforte et soustient, et assiez de bonnes choses en sont faictes ; 
mais si discrètement il u'ea prend et que gloutement et en dé- 
lectation, plus que de raison de son corps: il luy destoumefe 
sens et le ramené comme à nature debeste,. qui n'a nuUe raison^ 
et luy trouble la veûe, si n'estmie à la coulpe du vin.,, mais de 
celuy qui follement en use. -^ ... » 

€e fragment peut donner une idée de la pbHosopfiie morale et 
de F^oquence philosophique dutems. Les passages smvants, où 
notre auteur raconte Ki défaite ées chevafiers franças par Un 
Turos , quand ils furent abandonnés dans la bataffle des Hou- 
g9f»s leurs éS&én , feront connaître son ton et sa manière épiques. 

Gh. XX¥. De la fiere bataUls que endi^ da^Bm^ne^ 
qm feut dûA Chrestiens eamre les T^res^ 

— « Mais peu estoient contre si grande quantité. Mais ne 

croyez que pourtant ib recubssent ne gauchissent ; ains tout ainsi 
comme le sanglier, quand il est atainct, plus se fiche avant tant 
phs se sent envahy, tout ainsi nos vaillans François vainquirent 



la force des pieux et de tout^ et passèrent oultre comme courageux 
et bons combatans. 

» Hal noble contrée dé François, ce n'est mie de maintenant que 
tes Taillans champions se monstrent hardis et fiers entre toutes les 
nations du monde; car bien Font de coustume dés leur premier 
commencement^ comme il appert par toutes les Histoires, qui des 
faicts de batailles, où François ayent esté font mention, et mes- 
mement celle des Romains et maintes autres, qui certifient par 
les espreuves de leurs grands faicts que nulles gens du monde 
oncques ne feurent trouvez plus hardis ne mieulx combatans, plus 
constans ne plus chevalereux que les François. Et peu trouve l'on 
de batailles où ils ayent esté vaincus que ce n'ait esté par trahi- 
son, ou par la faute de leurs Ghevetains, et par ceulx qui les deb- 
voiènt conduire. Et encores osay-je plus dire de eulx que, quand 
il advient que ils ne s'employent en faicts de guerre et que ils sont 
à séjour, que ce n'est mie leur coulpe, ains est la faulte de ceux à 
qui il appartiendroit de les embesongner. Si est dommaige quand 
il advient que gent tant cheval eureuse n'ont cheiOs selon leur vail- 
lance et hardiesse : car choses merveilleuses feroient. 

— « Quand le bon mareschal veid celle envahie (l'armée du 
roi de Hongrie), et que ceulx qui les debvoient secourir les 
avoient délaissé, et que si peuestoient entre tant d'ennemis, adonc 
cognent bien que impossible estoit de pouvour résister contre ai 
grand ost, et qu'il convenoit que le meschef tournast sur eulx. 
Lors fèut comme tout forcené, et dict en lui-mesme que puisque 
mourir avec les autres luy convenoit, que il vendroit cher à ceste 
chiennaille sa mort. Si fiert le destrier des espérons, et s'aban- 
donne de toute sa vertu au plus dru de la bataille, et à tout la 
tranchante espée que il tenoit, fiert à dextre et à senestre si gran- 
des collées que tout abatoit de ce qu'il atteignoit devant soy. 
Et tant alla, ainsi faisant devant lui , que tous les plus hardis 
le redoutèrent et se prirent à destourner de sa voye ; mais 
pourtant ne laissèrent de lui lancer dards et espées ceulx qui 
approcher ne l'osoient : et luy, comme vigoureux, bien se sa- 



— i5 —': 

voit deffendre. Si vous poignoit ce destrier, qui estoit grand 
et fort et qui bien et bel estoit armé, au milieu de la presse , par 
tel randon (impétuosité) qu'àson encontre les alloit abatant. Et tant 
alla ainsi faisant tousjours avant (qui est une merveilleuse chose 
à racompter, et toutesfois eUe est vraye, comme tesmoigiient 
ceulx qui le veirent) que il transpercea toutes les batailles des Sar- 
rasins, et puis retourna arrière parmy eulx à ses compaignons. 
Ha! Dieu, quel chevalier I Dieu luy sauve sa vertu! Dommaige 
sera quand vie luy faudra; mais ne sera mie encores, car Dieu le 
gardera. » 

Ch. XXVII. Comment les nouvelles veindrent en France 
de la dure desconfiture de nos gens, 

«Apres ceste mortelle desconfiture, fut la grand pitié des 
Chrestiens François et autres qui estoient là allez pour servir le 
Comte de Nevers et les autres Seigneurs, Chevaliers et Escuyers, 
si comme Chappellalns, Clercs, varlets, paiges et aultres gens qui 
nes'armoient mie, et mesmement d'aulcuns Gentilshommes qui 
eschapperent à la bataille. Si n'estoit pas petit Fesbahissement 
de eulx trouver en tel party sans chef, entre les mains des Sarra- 
sins. Si estoient comme brebis esparses, sans Pasteur, entre les 
loups. Adonc prist à fuir qui fuir peut hastivement au fleuve du 
Danube, à refuge, comme si ce feust lieu de leur sauvement, 
comme gent esperduë et que peur de mort chassoit de péril en 
aultre. Là, se fichèrent es bateaux que ils trouvèrent qui premier 
y put venir; mais tant les chargeoient que à peu n'enfondroient 
et que tous ne perissoient ensemble. Les autres, qui advenir n'y 
pouvoient, despouilloient leurs draps, et à na^er se mettoient. 
Mais la plus grande part en périt, pourceque trop est cette rivière 
large et courante. Si ne leur pouvoit durer haleine tant que ils 
feussent arrivés ; et des noyés en y eut sans nombre. 

» De ceulx qui eschapperent en revint en France aulcuns Gen- 
tilshommes et autres, qui rapportèrent les douloureuses nou- 
velles; et aussi les propres messagers que le Comte dç Nevers en- 



~ i4 - 
wjfa laïuBac delDoufgôDgne sonpere^etles aiiltresSeligneufs ^lEssi 
k leurs pereB «t parens. 

» Quand ces nouvelles furent sceûes et publiées^ nul ne pour- 
roit deviser le grand deuil qui feut mené en France ^ tant du Duc 
de Bourgongne, qui de son fils se doubtoit que pour argent ne le 
peust r'avoîr et que on le feist monrir : cooune des autres pères, 
mères, parens et parentes des aultres Seigneurs, Chevaliers et 
EscfFf ers, qui morts y esteient. Et commença le deuil, grand par 
tout le Royaume de France, de ceuk à qui il touchoit; et mesme- 
ment généralement chascun plaignoit la noble Ghevalerie, qui 
estok comme la fleur de France, qui perle y e^it. Le duc de 
Bourgongne, avec le dueil qu'il menoit pour la doubte de son fils, 
moult plaignoit piteusement et regretoit ses bons nourris Gentils- 
hommes, qui morts estoient en la compaignée de son; dict fils. Le ^ 
Duc de Bar grand deuil demenoit pour ses enfans, et faire le deb- 
voit, car oncques puis ne les veid. f Les meres^en estoient comme 
hors du sens ; mais aux piteux regrets de leurs femmes nul aultre 
ne se compare. La Comtesse de Nevers, la bonne preude femme, 
qui de grand amour aime son seigneur, à peu que le coeur ne lui 
partoit; mais aulcune espérance pouvoit avoir du retour. N'eut 
pas moins de demi la saige et vaillante Dame la Comtesse d'Eu, 
fille du Duc de Berry. Rien ne la pouvoit reconforter ; car quoy 
que on luy dist, le cœur luy disoit que plus ne verroit son sei- 
gneur, laquelle chose advint, dont de deuil pensa;mourir, qusmd 
elle sceut son trespas. La belle et bonne Baronnesse de Coucy 
tant plora et plaignît la mort de son bon Seigneur que à peu que 
cœur et vie ne lui partoit; ne oncques puis, qui que l'aist requise, 
marier ne se voulut, ne celuy^ deuil de son cœur ne partit. La 
fille au Seigneur de Coucy, qui perdu y avoit son père et son mari 
Messire Henri de Bar dont elle avoit deux beaux fils, avoit cause 
de deuil avoir, et croy bien que elle n'y faillit mie. Et tant d'au- 
tres Dames et Damoiselles du royaume de France, que grand pi- 
tié estoit d'oûir leurs plaintes et regrets, lesquels ne sont mie à 
plusieurs d'elles, quoy que il y ait ja grand pièce, encore finis, 




— lo- 
ue à leur vie croy que ils ne finiront : car le cceor qui aime bien 
cle léger pas n'od)Iie. 

» Si firent tons Nosseigneurs faire le Service solemnelement en 
lenrsChappelles pour les bons Seigneurs, Chevaliers etEscuyers, 
et tous les Chrestiens, qui là estoient morte. Le Roy en fit faire 
le sdenanel Service à Nostre-Dame de Paris, où il fut, et tous 
Nosseigneurs avec lui. Et estort grand pitié à oûir les cloches son- 
ner de par toutes les Eglises de Paris, où l'on chantoit et fesoit 
prières pour eux, et chascun à larmes et plaintes s'enalloit priant. 
Mais peult bienestre que mieux eussions besoing que ils priassent 
pour nous, comme ceulx qui sont, si Dieu plaist, Saincts en Pa- 
radis. » 

(Histoire de M" Jean deBovcicavt^ mareschaldeFrance^ etc., 
^escripte du Tivant dv dict mareschal. Paris. Abraham Pacard. 
1620. 1 vd. in-A.) 

Français de Neufchâteau^ dans un discours qui ^rt^ pcétsce 
à une édition des Lettres Provinàaks y passe en revue, 
sous le rapport de la pureté du style , les grands écrivaà^ cpa «m 
précédé Pascal. Il parle des principaux auteurs finançais knpriaié» 
au quinzième siècle. C'est domm^ que les Mémoires de B(mci- 
caut, ne l'ayant été qu'en 1^30, il ait né^é d^em parier. 



CHAP. V. — Écrivains nés de 1434) à 1500. 

Fr. Villon (i45i} ; Philippe de Coimoes (i445}; Olivier Sasselin (né 
vers i45o ?) ; Jean^arot ( i463 ) | Oct. de Saint-Gelais (né vers i466] ; 
Jean Lemairede Belges (né vers 147^) ; Rabelais (1 483) ; Victor Bro- 
dOftn(iié vers 1490?); Mdia de Saint-Gelàls (1491); Marguerite de 
Vaiois (i49»); <îl- Maroi {lirfi). 

lid langue est géttérakment pure dana les auteurs du quator- 
zième et du quinzième siècle : ils écrivirent naturellewient , popu- 



— i6 — 
lairement^ et c'est même par là qu'ils pèchent; du reste^ le bon 
usage, dans ces temps, n'est pas encore assez déterminé et fixé, 
pour qu'on puisse juger rigoureusement les auteurs d'après ce 
point de vue. Cependant la précision dans l'emploi des termes, 
qualité distinctive de notre littérature classique , ne leur est pas 
inconnue. Ils sont trop souvent plats et empêtrés, mais ils ren^-^ 
contrent fréquemment en s'exprimant un tour gracieux et hardi. 
L'inversion, nécessaire à la poésie, est fréquente chez eux. Il y a 
dans tous les écrits de cette époque une fraîcheur native, et 
comme un parfum de poésie. Dans Rabelais, qui naquit en 14Bâ, 
et dont La Fontaine, Molière, Voltaire, Courier, ont tant profité, 
la prose inversive est arrivée à un aussi haut point de perfection 
qu'au dix-septième siècle la prose directe dans Descartes-^ Voiture 
et Balzac. Quiconque voudra employer fréquemment l'inversion 
dans sa prose, ne peut choish: un meiQeur modèle que Rabelais. 
Courier l'a fait de nos jours avec un rare bonheur; mais malheu- 
reusement, depuis la fin du seizième siècle, par l'influence de 
la science etde la philosophie, par le développement de l'esprit 
géométrique et démonstratif de la nation, la plupart de nos au- 
teurs, rendant la langue de plus en plus régulière, mais roide et 
plate, ont écrit dans les principes d'une phraséui^e systéma- 
tique, proscrivant l'inversion, en dépit de tout le quinzième 
siècle^ et souvent au mépris de la concision, de la grâce et de 
l'harmonie. 

Clém. Marot est, je crois, le seul poëte antérieur à Ronsard qui 
ait exercé de l'influence sur notre littérature classique. Il a eu 
pour disciples, dans la poésie légère: Voiture, La Fontaine, 
J.-B. Rousseau, Le Brun; dans l'ode religieuse il fut le maître 
de Conrart, disciple qui surpassa son maître. 

Dans son genre, il fut certainement un grand poëte, quoiqu'on 
trouve fréquemment dans ses poésies de la puérilité, des fa- 
daises, des ordures et du bel esprit. « On remarque chez lui, dit 
» Laharpe, un tour d'ei^rit qui lui est propre. La nature lui avait 
» donné ce qu'on n'acquiert point ; elle l'avait doué de gracerSon 



~- 17 — 
» Style a vraiment du charme^ et ce charme tient à une naïveté de 
«tournure et d'expression qui se joint à la délicatesse des idées et 
» des sentiments. Personne n'a mieux connu que lui , même de 
» nos jours^ le ton qui convient à l'épigramme, soit celle que nous 
» appelons ainsi proprement^ soit celle qui a pris depuis le nom de 
» madrigal, en s'appliquant à Tamour et à la galanterie. Personne 
n n'a mieux connu le rhy thme du vers à cinq pieds et le vrai ton 
«du genre épistolaire, à qui cette espèce de vers sied si bien. 
» C'est dans les beaux jours du siècle de Louis XIV, que Boileau 
»adit: 

Imitons de Marot Télégant badinage. 

» 11 fut, sans doute, beaucoup plus élégant que tous ses contem- 
»porains; mais, conmië le choix des termes n'est pas ce qui do- 
» mine le plus dans son talent, et que son langage était encore peu 
» épuré, on aimerait mieux dire, ce me semble : 

• Imitons de Marot le charmant badinage. • 

La substitution de La Harpe était bien inutile, car Marot n'est 
charmant que là où il est élégant. « Pour peu, ajoute-t-il, qu'on 
i>soit fait à un certain nombre de mots et de constructions qui 
Mont vieilli depuis, on lit encore aujourd'hui avec un très-grand 
» plaisir une partie de ses ouvrages ; car il y a un choix à faire , et 
»il n'a pas réussi dans tout. Ses psaumes, par exemple, ne sont 
» bons qu'à être chantés dans les églises protestantes. » {Cours de 
Littérature, seconde partie, liv. ï, ch. 1. ) 

Le catholique La Harpe ne blesse pas moins la vérité que les 
convenances. Depuis longtems on ne chantait plus dans les églises 
protestantes les psaumes de Marot, mais bien sa version remaniée 
par Conrart, l'un des fondateurs de l'Académie Française, version 
elle-même retouchée pardes pasteurs protestants. Cette traduction 
des Psaumes, à la vérité, est faible dans le plus grand nombre des 
pièces, mais elle est écrite dans l'excellent français du dix-septième 
siècle, et souvent pleine de naturel, de grâce et d'élévation. Enfin 
une bonne partie des psaumes attribués à Marot appartient à 



— i8 — 
Théixl. de Bèze. Mais mâaie daiit» k vieille Iràdutiioû de Marot 
Poil trouve enodre dès beautés , et sa naïveté ne messred pas ton- 
joars an sof et. Je me contenterai d'en dtér un exemple : 

PsàMie VIII. 

O Rostte Dieu et Seigneor àminble, 
Combien toa nom est grand et admirable 
Par tout ce val terrestre spacieux» 
Qni 'ta puissance csleve sur les cieux ! 

En tont se voit ta grand'vertu parfatcte , 
Jusqu'en la bouche aux enfants qu'on allaictc ; 
Et rens|mr là confus ei abbata 
Ton ennedû qui nie ta vertu. 

Mais qnahd je voy et contemple en courage 
Les cieux, qui sont de tes doigts haut ouvrage, 
Estoiles, Lune et signes différcns, 
Que tu as faits et assis en leur» rangs : 

Adonc je di à .part moi (ainsi comme 
Tout esbahi) et qu'est-ce que de l'homme ? 
D*avoir daigné de luy te souvenir 
Et de vouloir en ton soin le tenir \ 

Tn l'as fait tel que pins il ne luy reste 
Fors estre un Ange, en Tayant quant au reste 
Abondamment de gloire environné. 
Rempli de biens, et d'honneur couronné. 

Régner ie faôs sur les œuvres tant belles 
De tes deux mains, comme seigneur d'icelles. 
Tu as de vray, sans quelque exception. 
Mis sous ses pieds tout en snjection. 

Brebis et boeufs, et leurs peaux et leurs laines. 
Tous les troupeaux des bauts monts et des plaines, 
En général tout<;6 bestes cherchans 
A pasturer et par bois et par champs, 



— »9 — 

Oisenas de 4'«ir qui volent el qui chantent, 
Foiâsons de mer> ceux qui nagent et hantent 
Par les sentiers de mer grands et petits : 
Tu les as tous à Thomme assujettis. 

O nostre Dieu et Seigneur amiable, ■ 
Gomme à bon droict est grand et admirable 
L'excellent bruit de ton nom précieux, 
Par tontœ val terrestre spacieux! 

Voltaire, avant La Harpe, avait déjà critiqué l'expression si 
juste de Boileau. Rappelant qqe c'est Montaigne qui, de son 
tems, a le plus r^Nuidu à l'étranger l'estime pour notre littéra- 
ture^ il dit : « Marot, qui avait forgé le langage de Montaigne, 
n'a presque jamais été connu hors de sa patrie. — Le judicieux 
Despréaux a dit : « Imitez de Marot l'élégant badinage. » J'ose 
croire qu'il aurait dit le naï/*badinage, si ce mot plus vrai n'eût 
rendu son vers moins coulant » {Discours ée FoUaire à sa re- 
€epti<mà L'Académie Française ^ 1746.) 

J'oserai répondre à cela : Marot n'a forgé aucun langa^; il 
écrivait savamment la langue de la cour, et c'est ce qui le rend 
élégant pour son tems. C'est lUontaigne qui a forgé lui-même 
son français, si l'on peut s'exprimer ainsi. C'est faire une étrange 
confusion que de ne pas distinguer le langage de Montaigne de 
celui de Marot. 

Au dix-huitième siècle on nommait style marotique tout ce qui 
rappelait l'ancien langage, comme anciennement on appela Goths 
tous les peuples du Nord. Voltaire, qui dans sa Pticelle sut si 
heureusement en^)loyer les archaïsmes, ne les concevait pas daqs 
des écrits d'un auti^ genre. Voici comme il s'exprime à cet 
égard : « Un style qu'on appelle marotique fut qudque temps à 
la mode. Ce style est la pierre sur laquelle on aiguise aisément le 
poignard de la médisance. Il n'est pas propre aux sujets sérieux, 
parce qu'étant privé d'articles, et étant hérissé de vieux mots, il 
n'a aucune dignité; mais, par ces raisons-là même, il est très- 



20 

propre aux contes cyniques. » {Mémoire sur la Satire, t. 38, 
p. Zl.Édit. Beuchot.) 

Nos anciennes épopées et quelques poésies de Clotîlde de Sur- 
Tiile prouvent que le style de la poésie noble comporte parfaite- 
ment les constructions dites marotiques et l'emploi des vieux 
mots; et sans cela, bien des vers de Corneille et de Racine se- 
raient aujourd'hui du st}'le marotique. 



Chapitre YI. — Transition de l'âge ancien à la renaissance. 
Écrivains nés de 1500 à 1520. 

Olivétan (ué Ters i5oo); Montluc (né vers i5oo];Bonaventare Despcrier 
(né vers i5oof ); G. D'Aurigny (né vers iSeoF) ; Galvra (iSog); GiUes 
Gorrozct (i5io) ; Borderîe (né vers i5io?) ; Amyut (i5i5) ; N. P. de 
de Granvelle (i5i7); Théod. deBéze (i5 19) ; les Mémouresde Vieille- 
Ville ; Maarice Scëve (né ver» i5aof]. 

Vers cetems, certaines règles de grammaire, établies depuis 
(rois siècles, furent définitivement abolies pour faire place à celles 
qui ont été consacrées par le dix-sepiième siècle. On commence 
à voir dans nos auteurs la période à quatre membres jusqu'alors 
inconnue ; avant le quinzième siècle le style avait été en général 
coupé et décousu. 

L'esprit et les études philosophiques entrent dans la littérature, 
et l'éloquence prend une physionomie toute nouvcHe dans les ou- 
vrages du réformateur Calvin. Avec lui commence véritablement 
le style philosophique et régulier qui, perfectionné par Lanoue, 
Coëfieteau, Balzac, Descartes, Larochefoucault, Pellisson et Pascal, 
a fini par dominer dans la prose française. Calvin écrivit avec natu- 
rel, simplicité et noblesse ; la langue, dans ses ouvrages, a conservé 
un reste de ses anciennes allures , mais elle en prend visiblement 
de nouvelles. Bossuet estimait l'éloquence de Calvin , et Patru n'a 
pas hésité à nommer ce théologien l'un des Pères de la langue 
française. 



Âmyot nous ramène aux vieilles formes et à l'antique naïveté. 
Son élocution e^t abondante^ pure et aisée» exemte de système 
et de néok^isme. Montaigne dit de lui : « Je donne avec raison, 
» ce me semble « la palme à Jacques Àmyot sur tous nos écrivains 
nfrançois pour la naïveté et pureté du langage. » (Essais, liv. Il, 
ch. 4.) Yaugelas ne fesait pas un cas moins grand de la pureté 
de son style. Pour lui, ce simple traducteur était une autorité. 
Yoici comment il en parle dans la Préface de ses célèbres A^- 
marques : « Quelle gloire n'a point encore Amyot depuis tant 
» d'années, quoy qu'il y ait un si grand changement dans le lan- 
«gage? QueUe obligation ne luy a point nostre langue, n'y ayant 
«jamais eu personne qui en ait mieux sceu le génie et le carac- 
» tere que luy, ny qui ait usé de mots, ni de phrases si naturelle- 
9 ment Françoises, sans aucun meslange des façons de parler des 
» Provinces, qui corrompent tous les jours la pureté du vray lan- 
«gage François. Tous ses magasins et ses thrésors sont dans les 
»GEuvres de ce grand homme, et encore aujourd'huy nous n'a- 
»von6 gueres de façons de parler nobles et magnifiques, qu'il ne 
»nous ait laissées; et bien que nous ayons retranché la moitié de 
» ses phrases et de ses mots, nous ne laissons pas de trouver dans 
» l'antre moitié presque toutes les richesses dont nous nous van- 
9 tons, et dont nous faisons parade. Aussi semble*t-il disputer le 
«prix de l'éloquence Historique avec son Autheur, et faire dou- 
» ter à ceux qui savent parfaitement la langue Grecque et la Fran- 
» çoise, s'il a accreu ou diminué l'honneur de Plutarque en le tra- 
«duisant. » 

D'Olîvet semble avoir songé à la pureté du^yle d' Amyot, lors- 
que, parlant de la pureté inaltérable de Racine, et de cette fraî- 
cheur de style toujours la même au bout de tant d'années ^ il dit : 
«Je l'attribue surtout à ce que Racine suivait exactement le conseil 
«que donnait César, de fuir comme un écueil toute expression 
«qui ne serait pas marquée au coin de l'usage le plus certain et le 
»plus connu. Racine, peut-être, n'a pas employé un terme qui 
• ne soit dans Amyot. » {Remarques sur Racine , XIX.) D'A^ 



— 22 — 

guesseaa^ P.-L. Courier, et probablement attôsi Bemâfdih de 
Saint-Pierre ayaîrat fait une étode approfondie an français d'A- 
myot. On peut dire de ce traducteur original ce que Voltaire 
disait de Fénelon, que son style est flatteur et sa prose admirable, 
encof' qt^un peu troinante. Du reste,' pour les locutions et 
les tournures , c'est le guide le plus sûr que Ton puisse choisir au 
seizième siècle. Je considère les ouvrages de Cet écrivain comme 
un champ fertile en beaux archaïsmes. Quelques écrivains du 
quinzième siècle, Rabelais, Marot et Amyot seront entre les 
mains de vrais artisans du langage des sources éternelles de 
jeunesse poUr notre langue. La Fontame, excellent guide, nous 
est un exemple de ce qu'on peut tirer de nos vieux auteurs, pour 
renouveler la langue et lui rendre de la fraîcheur. Amyot en par- 
ticulier, plein de justesse et de grâce, a une flexibilité de style 
qui, depuis cent ans, a presque disparu de notre littérature, et 
que par la méditation de ces vieux auteurs on pourrrait peut-être 
lui rendre, dans la poésie du moins. De stupides granmiairiens 
se sont efforcés de Teii bannir. Par leurs prédications et avec l'aide 
du tems le charme a opéré, et depuis le milieu du siècle dernier, 
notre langue n'a cessé de gagner en roideur. La pureté de la lan- 
gue est nécessaire, elle est divine. Il fallut la demander à grands 
cris après le débordement néd(^que du seizième siècle; mais elle 
n'est pas inhérente à la construction directe, qui s'allie, comme 
on l'a trop bien vu depuis cent ans, avec tous les barbarismes. 
On né doit pas taire qu'à la suite de Malherbe et de Vaugelas sont 
venus des puristes durs, ignorants et étroits, qui ont chassé une 
à une toutes les richesses poétiques et toutes les grâces de la 
langue. 
Le P. Aapin, dans un estimable ouvrage, écrivait en 1691 s 
« Un trop grand soin d'être si fort régulier, si exact et si juste 
dans le discours , est quelquefois dangereux : il Mgue celuy qui 
parle et celuy qui escoute. . . . — On expose mesme nostre langue, de 
la manière dont on la traite àujourd'huy, à perdre sa force et son 
abondance, pour vouloir trop conserver sa douceur et sa delica- 



— a3 ^ 

tesse. » {Réflexions sur l'usage de l'éloquence de ce temps, p. 48 
et 494 

Fénelon donnait des regrets m Tieax langage. Consulté par 
M, Dacier^ secrétaire perpétuel^ au nom de l'Académie Française, 
au sujet de son Dictionnaire, il répondit par une lettre dans la* 
quelle on remarque le passage suivant i 

« Notre langue manque dHm grand nombre de mots et de 
^phrases: il semble même qu'on l'a gênée et appaume depuis 
» environ cent ans en voulant la purifier. Il est vrsu q4'eUe étoit 
» encore un peii iAforopie et trop verbeuse. Mais te vieui langage 
» se (ait rep*et|eF, quand nous le retroovcms dans Marot, dans 
» Âmyot, dans le cardinal d'Ossat, dans les ouvrages les plus en- 
•joués et dans les plus sérieux : il avoit je ne sais quoi de court, 
» de naïf, de hardi, de vif et de passionné. On a retranché, si je 
» ne me trompe, plus de mots qu'on n'en a introduit, » {Lettre 
écrite à If Académie Française, édition de 1787, în-4% t. III , 
p. 317, et 318.) 

!»"• Goumay, Ménage, ta Bruyère, Bayle, Rollin^ Marmon- 
td, Françoisde Neufchâteau, et plusieurs autres hommes instruits 
et d'un esprit poil , ont fait entendre les mêmes regrets. 

D'Ollvet, ce traducteur de Cicéron, cet ami de Voltaire, ce cri- 
tique re^ectueux de Racine, cet écrivain didactique, cet homme 
classique, disait: «Nos neveux, s'ils sont sages ^ ne feront pas 
» comme nous, qui avons perdu par caprice une infinité d'anciens 
«mots, pour les remplacer par d'autres moins propres et moins 
«significatifs. On a voulu épurer notre langue depuis François I. 
«Peut-être a-t-on fait comme ces médecins qui, à force de sal- 
Dgner et de purger, précipitent leur malade dans un état de foi- 
«blesse d'où il a bien de la peine à revenir. » {Renwrques sur 
Racine, XIIl, 1767.) 



'> 



~ 24 - 

Chapitre VII, Renaissance, Écrivains nés de 1520 
à 1545. 

L. Leroy; Roosard (né eD'*i5a4)> Joaeètim do Bellay (né vers i5a4); 
Louise Labë (i526) ; Brantôme (né vers iSa/) ; Remy Belleaa ( iSaS) ; 
Henry Estiennc (i5a8) ; Estienne Pasquier (iSap); Gui da Faar de 
dePibrac (1539); Jean Bodin (i53o] ; F. de La Noue (i53i}; Baïf 
(iSSa); Jodelle (iSSaj; Montaigne (i535); Passerat (i534);Vau- 
quelîn de La Fresnaye (i536) ; D'Ossat (i536),' Scévole de Sainte- 
Marthe (i536) ; ; Pierre Pithon (1639); Serres du Pradel (iSSg); Nie. 
Rapin (né vers i54o) ; Jean de la Taille (né vers i54o) ; Amadis Jamya 
(né vers i54o) ; Charron (i54i) ; Simon Goulard (i543) ; Salluste du 
Bartas(i544). 

L'époque dans laquelle nous entrons est celle des emprunts^ 
de l'imitation et du néol(^sme. La célèbre Pléiade, dont Ronsard 
était le roi, y fait son apparition et la domine. On ne saurait re* 
fuser à cette école une grande puissance littéraire, la verve, l'a- 
bondance des idées, la richesse des images, enfin une force réno- 
vatrice dont avait besoin notre vieille littérature. Joachim du 
Bellay, ami et émule de Ronsard, dans son beau discours inti- 
tulé Défense et Illustration de la Langue française, s'éleva éner- 
giquement contre ceux qui rejetaient l'emploi de la langue vul- 
gaire dans la haute littérature. Il demanda que les Français 
fissent aussi bien que les anciens, des comédies et des tragédies ^ 
s'employassent à étudier nos vieux poëmes et nos anciennes chro- 
niques, afin de composer des épopées sur d'anciens sujets natio- 
naux, ou d'écrire l'histoire à l'imitation de Tite-Live, de Thucy- 
dide et de Salluste. Il fit sentir que pour égaler les anciens, il 
faut surtout les étudier, les imiter, non dans des compositions 
latines, mais dans la langue française. . 

Déjà Calvin fesait renaître l'éloquence simple et grave des 
anciens. Ronsard, dont la poésie n'est pas sans quelque rapport 
avec celle des Méditations ^ créait l'ode pastorale ou champêtre, 
et fesait prendre à l'élégie un essor plus élevé. 



--^ 25 — 

Que l'on compare la pièce suivante aux vers de Marot^ et l'on 
verra quel pas immense Ronsard fit faire à la langue; mais 
quand il pindanse , il traîne le lecteur sur des rocs et des épines. 

Marie au Tombeau. 

Gonime od void sur la branche au moU de May la rose, 

Ed sa belle jeunesse, en sa première fleur, 

Rendre le Ciel jaloux de sa vive couleur. 

Quand TAube de ses pleurs tu point du jour l'arrose : 

La Grâce dans sa feuille et l'Amour se repose, 
Embasmant les jardins et les arbres d'odeur; 
Mais, battue ou de pluie ou d'excessive ardeur, 
Languissante elle meurt, feuille à feuille dëclose* 

Ainsi en ta première et jeune nouveauté , 
Quand la terre et le Ciel honoroient ta beauté, 
La Parque t'a tuée, et cendre tu reposes : 
Pour obsèques reçoy mes larmes et mes pleurs , 
Ce vase plein de laict, ce pannier plein de fleurs, 
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses (i}. 

Gomme cela est pittoresque et gracieux 1 quelle manière large 1 
quelle souplesse dans le Ters t Si jamais sonnet valut un poème y 
n'est-ce pas celui-ci? et il y en a vingt comme cela dans Ronsard. 

A cette même époque^ féconde en poètes, en théolc^ens, 
en jurisconsultes, où de nouvelles idées et de nouvelles passions 
agitent l'Europe, Montaigne, plein des moralistes anciens, et . 
jetant dans le style une énergie familière et de vives images, ap- 
prit aux Français à douter et à observer, et fut un des pères de la 
langue. Pour un homme de tact , il y aurait au moins autant à 
puiser pour l'éloquence et pour la richesse de la langue dans 
Montaigne que dans Àmyot et Rabelais. Ses Essais n'ont pas été 



(i) V. Œuvres choisies de Picrrâ de Ronsard , par G. A. Sainte-Beuve. 
Paris, i8a8, in-8<», p. 6o. 



— 26 — 

inutiles, non-seulement pour les idées , mais pour l'art d'écrire, 
à Descartes, à Mzac, à Pascal, à La Bruy^e et à J.-J» Rous- 
seau. 

Yers ce tems on commence à faire des remarques sur les locu- 
tions françaises : Henri Ëstienne, né à Paris en 1528 , publie un 
traité des Conformités du François et du Grec^ et la Précellence 
du François sur l'Italien; Rabelais avait déjà critiqué le néolo- 
gisme outré dans un chapitre de son roman satirique. 

Marot et Ronsard recommandent l'emploi de la construction 
directe, l'un des caractères de notre langue; Joachim Du Bellay \ 
présente la cour connue la seule eschole oii on apprend à bien et / 
proprement parler^ 

JL[an 1539, François T' consacre par une ordonnance l'usage 
de la langue française dans les tribunaux, et l'impose dans l'en- 
seignement aux pr(tfesseur$ du Collège de France. 

Le XVI" siècle fut réellement l'époque décisive pour la matu- 
rité et la suprématie du français de Paris. Tout lui fit placé : la 
langue d'oc, déjà oubliée, les dialectes du langage d'oïl, et le 
latin des savants et des gens de loi. 

Mais cette époque si féconde pour la littérature, et q«i pré- 
para la philosophie moderne, est, il faut le dire, ehes presque 
tous les poètes et dans phisieura prosateurs, dangereuse pour Pé^ 
tude de la langue ; il faut avoir un goût sûr pour y puiaer, mais 
alors les richesses sont abondantes. Les styles sont souvent mé-» 
langés ; ces auteurs sont communs et apprêtés, mîgnards et pé^ 
dantesques. Ils se lisent avec moins d'agrément que leurs prédé- 
cesseurs, parce que leur style sent la traduction et Phnitation. Par 
eux les traditions du langage furent interrompues. Une néologie 
baroque et inutile fut mise dans to poésie. Rcmaard lui-même, ee 
poëfie si iu^iré et si gracieux, foi^ea des mots. R^ny Bdlean est 
plein d'une afféterie détestable. Il faut en général se défier de la 
Pléiade , de plusieurs prosateurs, entre autres de Le Roy, dit 
Regius , si périodique et si nombreux. Montaigne eut au plus 
haut degré la richesse des idégi^et des images, la science de la 



— a7 — 
phrase ; mais ses métaphores, que François de Neufch^teaua trop 
admirées, sont souvent sans noblesse et même incohérentes, et 
les termes qu'il emploie ne sont pas toujours pris dans le bon 
usage. Il avait plus de force d'éloquence et de vivacité d'esprit 
que de justesse et dégoût dans les détails du style ; il force le sens 
des mots ; oa sent qu'il avait appris le français plus par la lecture 
que dans les sociétés de Paris. 

Cependant cette génération fournît encore quelques écrivains 
chez qui la langue est saine et pure ; tels sont La Noue, Passerat 
et d'Ossat. Mais en général si cette époque est classique pour 
les études, il s'en faut de beaucoup qu'elle le soit pour la langue. 
Elle vit, à la vérité, s'élever l'éloquence philosophique et l'élo- 
quence religieuse ; la langue gagna de la symétrie et de nouveaux 
mots, mais elle perdit de sa vivacité, de sa hardiesse et de sa 
grâce. Heureusement quelques hommes du dix-septième siède 
ont rattaché leur langue à celle du quinzième. 

Sallùste Du Bartas fut le dernier et le plus enflé des poëtes 
de la nouvelle école. Quoiqu'il ait des parties du poète, son nom 
doit rester conune celui d'un écrivain dépourvu de tout naturel. 
Sa principde qualité est l'abondance périodique. Il vise au bril- 
lant, au magnifique, mais n'atteint que l'extraordinaire et le 
phébus. Qui lirait quelques pages d'Amyot, puis de Du Bartas, 
ne pourrait croire que ces deux hommes fussent de même paysi 
et de même siècle; c'est que prq)rement ils n*en sont pas; Tun 
est de l'Ile-de-France, et l'autre des bords de la Garonne; de 
plus il y a eu entre eux l'école que nous nommons de la renais^ 
sance. Son origine gasconne se trahit à une certaine allure étran- 
gère dans le style, à un fort goût de terroir qui n'est pas celui 
d'Ile-de-France ou de Boui^ogne. Le vers de Boileau esl bien 
vrai: 

Tout a riiumenr gasconne en un auteur gascon. 

Jrt poétique^ 



28 



Chapitre VIII.—TroiMtWo» delà renaissance à l'âge classique. 
Écrivains nés de 1545 à 1580. 

Ocsportes (i546); MorDay(i549) ; D'Aubigné(i55o]; Charles IX(i55o); 
lean Savaron (i55o)| Gilles Durant (i55o}; Marguerite de France 
(iSSa] ; Bertaud (i65a) ; Henri IV (i553} ; Malherbe (né vers i555) 
Anne d'Urfé (1555; ;J.-D. Dnperron (i556); Guiil. Dnvair (i556) 
Sully (i56o)( Pierre-Matthieu (i 563); Mademoiselle Gournay (i566) 
Saint François de Sales (1567); Honore d'Urfé (156;) ; Gnill. Grestin 
(né vers 1570?); Hardy (né vers 1570?) ; Régnier (i573); Goeffeteau 
(1574); Ghassignet (1678); Henri de Roban (1579); Jean de Lio- 
gendesi poète (i58o]. 

Les aatears de cette génération commencent & se distinguer 
par une certaine sagesse de style qui ne fit que s'accroître chez 
leurs successeurs. L'époque est fertile en écriYains distingués; ce 
sont les protestants Momay et d'Aubigné^ Rapin et Régnier, dis- 
ciples d'Horace ; Marguerite de France, Desportes, Bertaud, 
Goeffeteau, le célèbre Malherbe, él^ve et censeur de Ronsard, 
et le biblique Ghassignet. 

Les poètes de la Pléiade n'étaient pas seulement disciples des 
Grecs et des Latins, ils imitèrent beaucoup les Italiens ; c'est aussi 
par là qu'avait débuté Malherbe, mais il laissa bientôt Tansillo 
pour s'attacher exclusivement à Horace et à la Bible. De nos 
jours, on a beaucoup contesté le mérite de Malherbe. Je ne veux 
point ici discuter la valeur de ses poésies ; je ne défendrai pas sa 
tendance oratoire, dont il faut se défier; La Fontaine avoua qu'il 
avait failli se gâter par son imitation ; mais je dirai qu'on trouve 
encore dans ses odes une naïveté, un tour heureux y comme disait 
Boileau, dont ses disciples se sont trop écartés. Jamais Rousseau 
n'a pu dire avec cette molle aisance, avec cette grâce familière 
et noble : 

Mais elle était du monde, où les plus belles choses 

Ont le pire destin ; 
Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses « 

L'espace d'un matin. 

(Consolation, à M. Du Perrier (1599).) 



— 29 — 
Malherbe , dont le goût littéraire n'est pas sûr et constant , et 
que je suis loin de regarder comme on modèle en poésie, mais 
qui était doué d'un sens grammatical excellent, possédait le 
style, connaissait le tour et l'élégance poétiques. 11 a fait entrer 
dans l'ode héroïque la noblesse et la majesté. 



GhâPITIŒ IX. — Jge classique : Jeunesse. Écrivains nés 
de 1580 à 1613. 

Maynard (i582) ; Taugelas (i585] ; Racan (iSSg) ; Herberay des Essarta 
(né yers 1590?) ; Jean de Lingendes, évêque (iSpo); Théophile 
Viand (1590); Claude de Lingendes (1591); Brebeuf (i595); Balzac 
(i594); Descaries (1696) ; Malleville (1597); Voiture ^1598); Guill. 
Golletet (1598); Gombauld (né Ters 1600?); Adam Billaut (né vers 
1600F); Gombemlle (1600); G. de Scudery (1601); Lemoyne (160a); 
La Rochefoucauld (i6o3) ; Conrart (i6o5j ; Sarrasin ( né vers i6o5 ) ; 
Patru (i6o4); Mairet (i6o4) ; D'Ablancourt (1606}; Pt Corneille 
(1606); Mademoiselle de Scudery (1607) ; Mézerai (1610); Scarron 
(1610); Benserade (i6to); Saint-Pavin )né vers 1610?) ; La Calpre- 
nède (né Ters 1610 ? ) Â. Ârnauld (1612) ; Saint-ÉTremond (i6t3} ; 
Gharlerai (i6i5). 

Après Rabelais et Marot, la littérature se trouvait dans un état 
anali^e à celui où on la vit après Voltaire. Elle avait tourné 
longtems sur elle-même et s'était affadie. Le vieil esprit français 
était épuisé; l'esprit chevaleresque avait même disparu ; il fallait 
du nouveau. La poésie épique n'était plus comprise , et les jolis 
riens, dont notre littérature a toujours été encombrée, deman- 
daient, pour plaire au public ennuyé, à être produits dans un goût 
nouveau. L'érudition et les événements de ce siècle fécond en 
bouleversements, se chargèrent de ces soins; avec les mœur^et les 
idées changea la littérature. De la renaissance classique et reli- 
gieuse sortit une nouvelle poésie. Désormais nous avons, non 
pas des épopées, malheureusement on oublia le conseil de Du 



— 3o — 

Bellay, mais des odes^ des discours, des tragédies, des coioédies 
et des chansons noarelks. Voilà pour le fond ; mais la bngue où 
en est-elle? 

Vers Tan 1600, la langue française fixa son unité et prit 
une forme constante. Dès lors il n'y a plus dans les mots qu'une 
légère fluctuation, qui, à ce faible degré, est seulement un signe 
que la langue vit, et ne nuit en rien à sa conservation. Nous 
assistons à son épuration définitive, et elle se voit en cet état 
dans les ouvrages de Compile et de ses contemporains. Elle a 
gagné à peu près toute sa douceur, sa netteté et sa régularité. 

Vers ce tems, les hommes d'un goût fin et d'un esprit judi- 
cieux dans la msAîèré grammaticale sentirent que la maturité de 
la langue arrivait, et qu'il importait de déterminer ce que c'est 
que l'usage, et où se trouvait le bon usage de la langue française. 
Malherbe après Henri Estienne , et ensuite Vaugebs, furent ces 
utiles critiques. 

La langue avait à la fois besoin d'être réparée et fixée^ car les 
érudits, secondés par les courtisans italiens et gascons, l'avaient 
gâtée. Il se fit bientôt une réaction générale contre eux et contre 
l'école de Jionsard« Plus énergiquement que tous les poètes ses 
contemporains, Malherbe, par ses écrits et par ses remontrances, 
protesta contre la corruption de la langue. Il se constitua le chef 
de la réaction parisienne et populaire contre la langue idultérée 
et pédante dAors à la jxiode dans le inonde cidtivé. Il fit com- 
prendre que la langue françahe n'est autre que la laigoe du 
peuple de Paris. « J'aiq[>rends, disatt-il, tout mon frasiçais à la 
place Maubert » Ainsi, renvoyât à la frontière les termes 
translatés >nial à propos du grec et du latin^ les mots forgés et ks 
l^ro^cialisDâes, il rendit à notre littérature un service signalé. 

Vaugelas vint ensuite, qui, trouvant la cour délivrée des Gas- 
cons, et 'le français de Paris reconnu comme seul légitime dans 
la littérature et les lois, nous apprit à distinguer le hel usage et 
Vusage commun. Il fit très-bien sentir qu'à Paris xaême il y avait 
une populace parlant un français détestable; que ceux qui wu- 



— 3i — 

iaient employer purement la langae devaient se régler sar le lan- 
gage des honnêtes gens, des gens de cour et de condition, et 
seulement encore sur le langage de la plus saine partie de la cour 
et des auteurs. 

L'Académie française, fondée pour le perfectionnement de la 
langue, en entreprit le Dictionnaire, et déclara dans la préface de 
la première édition que la langue française avait atteint sa per-- 
fection. Voici comment elle l'explique : 

« On dira peut-^iStre qu'on ne peut jamais s'asseurer qu'une 
Langue rivante soit parvenue à sa dernière perfection ; mais ce n^a 
pas esté le sentiment de Gicéron, qui après avoir fait de longues 
réflexions sur cette matière, n'a pas fait difQculté d'avancer que 
de son temps la Langue Latine estoit arrivée à un d^ré d'excel- 
lence où l'on ne pouvoit rien adjouster. Nous voyons qu'il ne s'est 
pas titm^ié, ^ peut-estre n'aura-t^)n pas mmns de itiisonde 
penser la mesme chose en faveur <le la Langue Françoise, si fon^ 
reut bien considérer la Gravité et la Variété de ses Nombres, la 
juste cadence de ses Périodes, la douceur de sa Poésie, la régula^ 
rite de ses vers, Pharmonie de ses Rimes, et surtout cette Gon- 
struction directe, que sans s'esloigner de l'ordre naturel des pen- 
sées, ne laisse pas de rencontrer toutes les délicatesses que l^rt 
est capable d'y apporter. G'est dans cet estât où la Langue Fran- 
çoise se trouve aujourd'huy qu'a esté composé ce Dictionnaire. » 
{Dictionnaire de l'Académie, !'• édition in-f". , 1. 1.) 

Parmi les écrivains de cette génération, La Rochefoucauld a 
un style si juste et si court, si régulier, si d^agé, qu'on le croi- 
rait contemporain de Voltaire ; cela vient sans doute de ce qu'il 
vécut à la cour et écrivit tard ; mais il est quelquefois trop sim- 
ple et trop nu. Balzac n'est pas un prosateur du premier ordre, 
mm il est.plein d'art, et cherche la noblesse et l'atticisme. Racan 
et Benserade ont beaucoup de détails de style charmants. Voiture 
ne fut pas toujours niaturel, mais c'était un homme *d'un goût 
grammatical très-délicat, bel esprit, à la vérité, par conséquent 
souvent fade et recherché, mais spirituel, d'une imagination vive 



— 3a — 
et gracieuse, et ayant parfaitement tourné un certain nombre 
de lettres et de pièces de vers. Il a été estimé de La Fontaine, 
de Boileau, de La Bruyère, et de Voltaire, dont parfois il a déjà 
le tour galant et flatteur. 

Descartes, Voiture, Corneille et La Rochefoucauld sont les 
plus grands écrivains de l'époque. Voiture a rattaché la langue 
de son tems à celle de Marot, et renouvelé le style badin. Pour 
Corneille, esprit énergique, grave et sublime, il créa le style de 
la tragédie, et, à part quelques tirades alambiquées, demeure 
chez nous comme un des modèles de la haute éloquence; il a des 
traits sublimes que rien n'égale, et rencontre parfois, en de- 
meurant français, la concision et la force du latin. Son éloquence 
a exercé l'influence la plus grande sur notre littérature. « Il y a 
«grande apparence, dit Voltaire, que sans Pierre Corneille, le 
» génie des prosateurs ne se serait pas développé.» {Siècle de 
I,0Mt5X/r,chap. 32,t. n,p. S15, édit. Beuchot.) Corneille, 
quelquefois embarrassé, a des scènes entières d'une haute élé- 
gance. Voltaire, dans ses Commentaires sur Corneille, a con- 
danmé des expressions qui sont excellentes. L'auteur de la Hen- 
riade et de Mahomet ne concevait pas, ne comprenait pas le 
na!f et le familier dans la haute poésie. 



Chapitre X. — Age classique, — Virilité. — Écrivains nés 
de 1613-1655. 



Le Maistre de Sacy (i6i3) ; Retz (i6i4) ; La Sablière (i6i5); Bassy-Ra- 
batln (1618); Tallcmaot-des-Réauz (né vers iSiq) ; La Fontaine 
(1631): René Rapin (i6ai); MoUère (i6aa); Pascal ( 1633 ); Pel- 
lisson (i6a4); Segrais (i6a4) ; P. Nicole (i6a5); Chapelle (1626); 
madame de Sévigné (1627) ; Bossaet (1627) ; fionhours (1628) : Re- 
gnîer-Dçsmarets (i632) ; Bourdaloue (i632); Fléchier Ci632); ma- 
dame La Fayette (i632) ; madame Deshouliéres (i634); madame de 
Maintenon (i635}r Boileau - Despréaux (i636); Qainaait (i636) ; 
Boursaalt (i638); Mallebranche (i638); Racine (1639); Chaulieu 



- 55 -- 
(iô39HS«*ïVRéal<l|Ç3a)5CI- FJWUry <ie4Q)^ SsJBQoé (»^&)f (iiitfiniyèire 

(iV^); Féneion (i65ij; A. de Ufosse (né vers i653}; L. de Sacy (i654); 
Vepgîer(i655}; Vertot (i655). 

jLâptincipde oocupatioii des ém^mmn^Aeih^Bk 16iB ftfl 
de« démer à la langue Pamté ér la précisioii, Me préelsiè» qeàiût 
de touftes st^rles, ietqese démentît Jaoiatbi Cb^eillô seul seûïtrtè 
iibsW)êtrepas:pi(éoieciipé> téôioiiiibeattceiap'de paisiigeffdé>stt9 
tEiagâèKbv:iei(tti}e^aiitras>kSi>dix pnnà&c» vém ê^M^ûft'aee. hes 
pvosàteairs' «irtoon^ ctieribiMit lâippécisioà, s'alttaoWireiit à 
rewjre de pltis en plus notre langae explicative. G«tte don- 
Ue^el précieuse qualité^qoi ne cessa» de s'accit^re ja^qu'att 
milieu 4xl dix^^nilième ^de^ a iait^ la langue Ursaoçaise cks^ 
sique un des plus précieux instruments de la pensée' huiHAine^ 
Cette .proue si tégulière^ si préciaey n'est .pa» toMJouFS complai- 
sante à l'esprit ^ maïs eUe l'ioblige par oda mime à \m utile trairàîl. 
JDiins leistyle {Mosophiqpie et piKiitif, il n'y a chez nous qu'une 
manière d'exprimer sa pensée qui sôit bonne, notre kpgue' la 
fouritity quelquetfiétapbytsiqae qu<e soit ifidse, maisr ilfaul la oher-: 
eli(^r.:i^a Bruyère, (poiavut.taiiC^diélès/nesaoïirces de kilaa*- 
gue, arriva k^ei^Xe obsenratton, seuteotent il eut tort dai'Sélettdre 
à. toutes. les Jangues : « Entre toutes k& expressions qui peuvent 
» nendiia imç s^e de nos pensées, il n'y en a qu'tee qui soit la 
»J)cmiier oit. ne la;rèQcontre pas^toujomls én.piurlaatou en éori-* 
»\9sAji H esterai nécdifnoim qtt'^Ue eânste^vq^é-tio^ ^ quin^ 
» l'est point est foible, et ne satisfait point ua homme d!^prkqui 
» yeut.se;. faire enjl,endre. ^)) (^^5 Caractères, çhap. 1.) 

^Lprsqu'un écpyaiu. français ne s'exprime pas clairement, sur- 
tou); s'ijl ^çjçit pQ prose, où rien ne gêne la phrase, il ^t bien à. 
croire. que sçi. pensée n'a pas ^té nette, mais qu'il a eu seulement 
unei,deipi-idée,.unejneur^ Ainsi le grand avanjage de la Ijanguç 
frap^aisej,,ay2fatage précieux, inestimable, c'est qu'elle contrs^int 
à pi^çsçr avec netteté ;.elle force à l'analyse : il est conoune impos- 
si\]i^ d'ei^rimer sa pensée; en français si l'on ne s'est pas bien 

' V " ' ' 3 



midu compte de oeqijt'oa vent ike. (^est une pkfn de loucfae 
pour la justesse des idéesw « La correction, dît Atidriéût^ a«n 
français un avantage particulier : c'est qu'elle amène en partie la 
justesse des pensées, la conséquence et la solidité des raisonne- 
Bft^ut». Notre langue^^eft général, a me naBche lai métkiditue 
«tiSïf^gdiire, lao^stmeti^m yj^at presqueionjotaes stconiiirBK 
a<ii{ r^ks de la aaint logique^ que^si Fm pe»t y imd caisoiiiier 
«n^.éctrJ^raattO&ri^tâflaenty au ûmats nepeuMm g^ère^ y faite' de 
faille .de ^oifttruGtiwa f^i ne aoit en mêoie tempsiAnelMliQ de 
TsàamMMBA.'yr aitttt#: en.étudiant aai kague,, en lacultivant^. un 
fiançais cultive soa jugement et le perfectionne ; etiéciprofWH 
meut uu j^^mem: saio et^exereé le conduit. è éviter les fmm 
ttmxsB h Jaogne. » {J(nii^n»t es l'École Poùytechnùiue , t. nr^ 

p. ttaetlMO . 

Mais aussi. aoHS devoss remarqua que cette hngoe manque 
d'âfaondatice es de souplesse. De grands auteots s'y sont iixmés 
gênés,, Montaigne, Molière, Êoileau, Paul^Louis Godrier; les 
trois derfiders&'eii sont titrés^ à force de traçai ^ et les deux pre- 
mteé^en forçant parfois la langue. Le premier beme dans l'ex- 
]»«6fci<iii était pwirenx Péaerglé et laviiuieilé, et il paraît que 
notre kïigue se r^ose à emieilier toujours ces deux qualités. Il 
eàt falla à ces auteur» Fari merveilleux de: La fVfiittune et de 
Racine ; mai» de. t»ls artisans sont aussi rares que les grands, pen- 
semis. Ceux-ci fiirçnt à la fôj» de gramds^areisteé et des hommee 
d'une rare iuteltigpnce : La Fontaine était un pvrfond penseur, 
et Racine un grand logicien. 

Peut-être la gêne dont nous venons de parler tient-ellb en 
partie à ce que la néologie du seizième siècle fut souvent mala- 
droite et dééiaigna trop le passé ; Pérudition fit une brusque Inva- 
sion dans la littérature ; les pensées vinrent plus Tite que lés res- 
sourcés du langage, et firent négliger la recherche des anciennes 
locutions: dans le mili^ de ce siède, on aima trop le néolo- 
gisme et trop peulësârchaï^es. Il nous a manque un Dante, qiâ, 
venant au moment du débrouillement de la langue, assemblât 



— 55 — 
émafioa sljrlÀla ridiesse de» lœntkMiB ei des iburft^misKdte l^ttgé 
|^«éli9te^;etle»i|liaKté»feialktérlt^ ÎMfaHmiïé^ 

tébpMàiwem m «t|EiB2{bit> Mrdi^ saopie ec tavié, QUjestiMit èi 
aaif àH la foia Cedifre^ catmoB H^mëve chez to»6fèai, «àuiMi 
DnâedieiilefrlilaiieiB, enniiielapBiUe eOâAttemftitieylÉt cteVMfii 
pbaf Béoala «mste |)ttKiîère tt iit^^iâiàbleAsi te tatifirfîiiMeit 

txÛtÊmtr^ùaèaimki eeaiiMMnigeit fiureiit«6iiqp0Bé»ft taifiÉ Kl iHMi'ffli 
«bnittëiiœnlsiit^iisiSfige «iaÉsiqueyiiMt^aiis lé pettjpte èl poiu^ le 
peopto'^ Mârpar des hontiiies de cour «t peir k ecdtr^ kmâ 
cfÉieBt-^l.bieni^poU'etbieaacadéonqùe^ ' 

^0i»:1Mittaiem prodint tnit d'œavi«»é|^iqtte8 weHetéieAfliÈ 
otitniftiiiràmtdaBs.'tegeiire.galant et graeieox^ dais léq«el 
pe«tf^-êireiiietea^iis(MpaB8é^lesafi^^ Qœl i^Ëbiittiettt 

délicat, quel charmant langage dans les irers suivants de La Sa*^ 
bBèfe : 

« Je ne sais pas, Iris, à quoi mon cœur s'attend ; 
Je ne sàu pas ce qu^ii doit craindre ; . ' 
' Mills {«feiiistrîsté^ et ttébonteut 

• ' Séris iàVdiv 8ti}ei de me ^inM^ - 
Avèo aoUle benl^ tx^oi me Bouffiez chtt Toas ; 

P'uD Tisage obligeant et doux 
Vous recevez mes vœux, mes soins et mes hommages-: 
De quoi suis-je donc affligé P' 
' Ai- je vu' 'd'ans vos yeux de Cuistres présages ? 
EOiftii ditès^thoi ce que f «{ ^ 

. ^Ma^tigqaim , iv l^ .19* 

je n Wtreprendrai p& d'apprécier chacînn des anteors de cette 
riche et brillante période ; tiinC d'habiles critiques ont passé par 
<^ champ et y ont fait moisson, qu^il n'y a plus rien à glaner. 
Les auteurs de ce tems sont nos écrivains classiques^ c'est tou-: 
jours chez eux qu'il faudra étudier les lois de la langue française, 
et plus on s'exprimera d'après les règles secrètes qui ont présidé 
à leur style, plus on écrira purement. Sans doute ils ne 
sont pas infaillibles; Molière et surtout Bayle ne sont pas ton-» 



— 36 — 

> Gorreels ; tous les mots qu'eniploie âénecé ne sont pa» 
.>4fO)rinatk)ii légithoe; peut-^étre y a-4^ ansâ dans les^aaixés, eà 
e( là, qudqueseiipi^essKKBSy queli|iies:tbuiiiiiiresr-cpn ne sont 
pas.des ateiUeurelB ; daais toujours est^il qa'on ne peut. les. con^ 
damier que d'après les règles que ces écrivaôlis eux^-mêiBes 
iKHosâQniientodcaâioB d'étaUir. Dans l'art du langage^ quieslà la 
fois de créalîoB et d^arrapgement, le goût précéda toujours la 
tmsfmi et la primera sans cesse, ou malheur à Fart de la parole! 
Baciiieiet siirlmt ia Foutaktey par leur admirdJ)le travail mir la 
Uagne» se $0»$ âefés; au-dessus de tousleuvs contea^KWIàaK» : 
l'unnous présentant Pidéal de Pél^ancè :daiis le style uoUe; 
l'antrey -dans sa rictiesse de mots, d'images et de tournure», mous 
nsM^nlraot comment on peut atteindre avec les. locutiona du style 
kiplus faa)ilteF,> ua style q^telque&H» ncAIe et de la plus vasle 
richesse fNoétiquei. . . 

Cette époque fut celle où la langue, déjà très-précise, avtttt 
retenu cependant cette proportion de niorbidesse et d'élégance 
poétique qui ajoute une grâce et un charme particulier au style 
ferme et précis de l'orateur.; On 5'en aperçoit par la latitude qu'on 
avait encore dans l'emploi de beaucoup de mots, dont l'usage 
restreignit depuis et fiïa dé plus e» phis les applications (1). 

C'est vers ce tems que notre langue a le plus donné à nos 
auteurs l^s qualités du style grec, lequel, même dans la prose, 
conserve une fleur poétique^ qui manqua toujoprs aux prosa- 
teurs latins, presque tous moins curieuse de la grâce qu'appliqués 
à être forts, majestueux et jw-écis. Toutefois sous ce rapport ils 
n'o^t pas surpassé les Grecs,. dont le génie, plus riche que l'esprit 
latin, mais aussi ferme, conserva toujours,, et mit à tout ce qu'il 
fit, dans la mesure dQnnée par le goût, un divin parfum 4^ 
()oésie. PpurqifQj nous soinmes-nous toujours si peu inspirés de 



(i). Telles sont les prépositions à et de, "plus fréqueniment employées 
qae de nos jotirs et qu'au dtx-hinfiéme siècle; et les mots expliquer, 
drwur^ adresset^f 'âétrj fettàc \'som , courage , génie , amitié , état , etc. 



-^7 - 

nas vieux auteurs et âes éen^ns grecs?!! y adaus la littérature 
greccpieiineknesttre pourJegoût^ de^sourcegaboudautesysap^desT 
et pùres^ propres^ an plus haut degré à te rêreillet et aie rali^- 
imr> à retremper ootre esprit^ et à redonner de la vie à'notr^ 
idiôiDe corrdmpn et desséché. • 

) C'est en méditant ces âmm medèles, c'est éntepu^hafitileur 
slyfe rtnpleet oméynatîird et sévère ^qoe fiôus piarvietiéf^ôn^ à' 
ratoâquérii^ qQèl(](ue5-'unes des qualités de eetté période si riche 
dé i^nsée et de poésie, si belle, si féconde, qid produisit Là' 
Foi^ainey Molière, Pascal, Sév^é, Bossuet, Malebraâdïe , 
ftoileau. Racine,' La Brayère, Regnard, Féneton. Que de justesse 
d'esprit, que de biâUmC, quedéfostie et de jgrace! Ofii (mC-^ils' 
pris .leur langue, et qu'est^elle devenue!.;. 



tHAPrrRÊ'Xl, -- Age classique. Maturité. 
^ Écrivains nés de \^^^ à il i^, 

Fontenelle (1657)1; rRoUia (i6€i); MaÏMiUon (i663); Jacques Sanrîo 
(.1667); Lçsage<v6^8};4'A|tuessfa^(i668); J.-B. Rousseau (167D) ; 
Da Cerceau ( 1.670); L? Motte (i|572); Le Grand (ifijî); GvèJ^iUen 
(1674); Saint-Simon (1676); Meseoguy (1677); de Maii^n (1675)» 
Destouches (1680); Madame de Tencin (1681) ; D'Olivet (168a). 

Moncrif (1687); Marivaux (i688); PSron (1689); Montesquieu (1689); La 
Chaussée (1693) ; L. Racine (169*) ; Madame de Staal ( 1693) ; Madame 
de Grafigny (1694); Voltaire (1694); Panard (1694); Prévost (1697); 
Maupertuis (1698); Duclos (1704); BufiPon (1707); Mably (1709); 
Gresset (1709)"; Collé (1709) ; Lefranc de Pompignan (1709); Favart 
(1710); P.-J. Bernard (Gentil) (1710). '^ 

La langue française achève de se développer. £Uç atteint dans 
Yoltaire un degré de clarté,, de ^précision, de convenapce et de 
dégagé , qui a placé cet écrivain au-dessus de tpus nos prosateurs ; 
et compaeCicéron fut l'orateur romain,. Voltaire fat l'orateur pa- 
risien. Dans son. genre d'éloquence, qui était le genre siinple, il 
a su prendre tous les tons avec une égale perfection de stj^ljs, et il 



j — 58 — 

lire poor nous le mpdèle de l'€irali»ir famMier. Pourie moB^ 
TeneiJitdiaalyH poor la propriété et la conf^nance des termiBs^it 
esl^iP» PiTaqQaîsi^ que ik% Ciséwn eJie8tkysIiatiiis^fC^^|''lm.qttr 
atoiP^iM:.'C0|iati notre l«Qg)i9> je »e dirai im en pcofondeitry 
mais en étendue; et quiconque Toudm def<^ir proHitenr français 
dotj^pn^idre ¥Qlt9ire pour lectun» jottroaUèni; Baassea^iîéHes 
irsi^édji^a i^t fymk Bnrnwhs ^ p^mloriaier à ia Juate 4qh 
qiieoi^9 non lopios que Haobie 0t Cmm&i^'i f^^^ là imp^^éiie 
)0]>iu9 grjaQdsrantagQliK^riiir^dQPQSi tragédies Massiques, i^laift 
la (tolPP de Voltaiiwii^ pon^Mirtait p9$ le riUuoe ; sous ce rafipMtft 
il doit iltre cpiQpl^ par Bo98uet , qui, dans saf simplicité^, iest Is 
plp&i^TaiU: $t te^os cad^ioé de nos proaaienre. 

Mais Bossuet, par. sqii cafaeti^rfiipleia d^ardeur et dfénergie, ci 
gardé quelquefois dans ses mouTements oratoires un reste de 
brusquerie, dont Massillon fut toujours exemt. Les qualités de 
ces trois hommes, réunies sur une seule tête, npujs OKHitreraient le 
parfait orateur, dont Racine est peut-être le modèle humain. 
Racine, né pour le plaisir de l'oreille et de l'esprit. Racine qui 
excella dans le discours, le djalo^e et ta narratioii^ dans le comi* 
que ec le tragi<]pie, danslepoëme dramatique, Tfaymne etFépi- 
gramme. G^est ce poëte heureut que démandait Bofleau, qui, 
fort^ noble et aisé, pût 

P*i#pe Tolx légère 
PâjMter da grave «a douy, du pU^8««t «n &èv^re. 

Aussi est-il aimé du del et ch^rides lecteurs doi)t le goilit est 
élevé et délicat. 

Il est à remarquer, dans cette période, que les protestants, qui 
étaient les prosateurs les plus purs du seizième siècle, sont deve- 
nus incorrects. Mais si Bayle et Jacques Saurin.ne se sont point 
placés au rang de nos premiers écrivains du dix-septième siècle, 
où leur génie les appelait, c'est sans doute parce qu'ils n'hahi- 
taiehc point Paris, mais vivaient dans l'exil, au milieu des étran- 
, geri^. l!ls eurent ce qu'on appela le style réfugié. 



- ^9 - 

L'ode a p^(|tt la molle ai^nceet la.grace que lui avaient 
conservées Malherbe ^t Cpurard. J.^ft^. B^UiSsej^Us célèbre par 
quelques belles odes et par de& épigrammles mordantes, est quel- 
qœfms ificorpëct^ souvent dur, presque toujours tendu. Il prend 
le inèUTement oratoire pour la cbàlèur poétique, et met dans l'ode 
la coutexture de phrase du style didactique. 

Im mauvais auteurs conlemporaina.d^ Racine m sont que plats 
ci D^Ugé^; ils sont en retard «t non m décadieiice ;. mais J^^B. 
Rousseau était un esprit faux^ qui finit par devenir un écriv^n 
abmbiqué et barbare. La Motte, beaucoup phis prosaïque que 
lui, est le pins dur des versificateurs. Grâûllon est incorrect, 
enBé et bel esprit. 

Le style de l'époque classique est parvenu à son dernier degré 
de perfectiou, et déjà se moatrent dans la littérature des symp- 
tômes de décadence. Vdtaire dans la tragé^e, Rousseau dans 
l'ode, Bu£fon dans la prose ont tendu la langue autant qu'elle 
peot l'être; le scepticisme et le bel esprit s'infiitrant cbns la iitté- 
ratune j deviennent des germes de mort pour la poésie. M. Ville- 
main a dit W9ec sa justesse et son diarme hiMtuels, en p^rlanil^e 
Fontenc^ : « Il n'a pa$ renoncé à toutes l€B àfiéctations du bel 
esprit. Tantôt il lès chçrcfae dans le contraste d'un terme familier 
awc une idée savante, d'une expres^on gaiaiite et mondaine avec^ 
de sérieuses éludes. Tantôt il rend avec subtilité une pensée corn'- 
mune, ou fak une plabanterie lade et 430Btour&ée« Quek[uefoîa> 
même il est «bséur à tafce de finesse. Il a €« caraelère particulier, 
renatiqné dans d'^aulées ^tëratures, d'avoir g^ la diotion avant 
la iangne, et de composer isomwBt de» phrases recherchées a^éc 
des^ef pressions tr^-^pu^es et des tours indigènes. 

Vit Sous: €e rapport, iimafq[ue'lamâhedééaé»iceqtie PUne ou 
Sénèque. Hais en même temps, et céite diftrenae «si due tout à 
kibis Bi'isfluenee des sciences et à la supériorité de sa raison, il af 
souvent use bette «t heuieuse netteté que è^rit-xn-ne av«o diâ^ 
eÉétioa^ et ne surcharge pas. Il est mêaie quelquefois' siaa^^, 
oui, simple, quoique Fontenelle. » {Tableau du XVIII* ^litr/e, 
l'?ptfrft>jl:8ffef<wi.) 



CHAPimB XH Écrivains nés de 1710 à 1759." '- 

Jge classique. DètadenJce. Ré&tim. ' ' 

• • • ■ ' * ' ', ■ '. ' , • 

J,-J[, B|0iift8e$va (171»); jRaynal(i7i3);Oî4et'ot (i7^p); M«49«i^ Sli<^<)t>Q«ft 
{1714); Condillac (1716); VaayenRrgqç9^^i^i.5J; B.9[rthf^eMj^[ijiO)'f. 
Saint-Lambert (1716); Fréron (1719); Marmontel (1719) ; Sedainci 
{1719); Ch, Bonnet (1720); Desmàhîs (1722); Le Brun (1729); Palissot 
(i73o)i Legouvè (i73(y)jBêaurtiâr6hai8 (1732); ThoifaasYiTSi); Côhir- 
. de9n(i752); Bfaifilâfire (i;35)t Dacis<i733); Bonkt (1754); Hfa3hièi<e 
•<ij«35). . •.. ; ;. .' ... .1 :. •,.-. .. 

BaillyCijSS); Bernardin de Si^int-Pierre (1737); BfeUIle (i'j^S); JU Harpe 
(i7?9); Gham.fort (^iji\);CondoTcet {i-^ih); Léonard (1744)? Boucher 
(1745); Madame de Genlis (1746); Maury (1746); Mirabeau (174.9); 
Berquin (1750) ; Gilbert (1751); Bertin (1762); L.-Ph. Ségur (175S); 
Pigault-Lebrun (i753y;J.dcMaistre.(i755); Parrty (ijSS); Destutde 
•Tfacf (1754),- Plflwîan {ly&S); Yoltiey (lySS)'; Louis XVIÏl {if^S)i 
Vils (i755};ColIin'Hariçyill§ {n;$$);Uadàme Boland i%7^)i h^xomu 
, guière (1756); Rjvarol (1757); La Fayef te (1767); Tergniaux (17^59), 

. Tout se ti^t datis.la littérature ^ tout a ses coDséqueucësiiLe 
tems de Rossuet et de Bourdatoue semUaiit bien.éloig^ dîone 
époqpue où ri^nersûit un «esprit anti^catholique ; cé|)eQ<lflntisiroay 
regarde de bien près^ on verra qu'elle produisis; les: Cmtes d6 
I^a Fontaine^ k Lvtrinàe Boileam^ l'éiûcurién Chantteu, ot 
enAn le sceptique Bayle. Voilà qui préludait bien aux^^grammes. 
de J. -S. Kousseaù centre les moiiiesy ^ixe^ Lettres Fwaanes^ h 
l^Esjnii det JL(m et mt dialiribes de Veilàû-e. ËÉinême tems 
B^uage^» Beausobr^ Jacques Saurin combati^ientl'égUaerâmaine.' 
Blf^s ,à y oltdÂi e. siu'tout est du&la mne du christiaiusnie |Mieitif aib 
Fr^pce; U {ut te fléaudas cto-étâensv J.^J. Rousseau^ le mû-&lir- 
dateur duration^Jisoû^ laodâmo, aâbeva^ par. sa dialeciiqpaeipuis^. 
saute, l'<e«Yre,d^de^Mcti€fU9 ^ flap^;lesJoBdeinentsde lamo- 
narobie. SniQu parurënL Mûrabeau et Robespierre: l'œuvre :é8t 
achevée, la rume accomplie; et cette immense et prddigieusé ré^ 
vdatiofi. a eu pour point de départies épigrammes lancées parles 
trodbadours el|ks trouTi^res contre les mpines eD les hommes de» 
loi. du moyen-âgé, ' ' p ' ''^ " ' ' • 

Voilà quels furent la nature et le succès de la pbiiôâDpbieiraîi- 



çaiBe^ qiDaélèpr09epie*toùttii»4âqQe.''Voy(^ rtidi^- 

cbe chixgoût. OoioiDe FéÉeUn' l'a fort bien MÉiatt|ii4i hiftàè 

été eweàktàdvtbel-^spnlo. (îttitt'est pas > (tuer «oùs lès atiittùîi latUd 
eiL 8a|nt paru , maîsi de sont des écrîvaitis Aéà 'dèrùKet^s lèiti^ 
AtdbeniBiiseniéBi Ils 'far«nt aifec te» Attlal^^, b^atnt^tirhift {W 
éseenënee/les maîtres dn^ipoëtes i««(te&Gâi]fx?;> lè» Prorençaok 
fiurent'àteuvitooi^les pvemlevs'pibdéliesidëi^ poSte^'itaHëtié. Ail 
trdlÂèine siècle les inmiièreA ata8fiii> conuèenoèrail à 'donoer daoa 
te belt^e^rit ;■ an seimme -siècle et an:oomiiiéncem«nt dti^ 4it^ 
septièrtle. les pointes luniBi-rsviiiirent. en Houle let d'Espagne,- et 
dfltalie;! An dixfseptîèoie siècle le bdespritstfêcômba seiâi^lôs 
o6u|te;de. MoUèreet ide! Boileawuv et néamnbins plusfettrs* dé "nM 
plus'escetifints éërivains^f i» seconde «mokié^dltsset^tièilie^^ 
elèv qui ittt chez nous kpémt^ de Tarieidubôn sens, -éë tont 
l'esscntisdesoiirègne* UavaitabotidédansTM artft; Malberbeyavtit 
sacrifié.; it débon!te:dafi8 Vôiisre el d^ns P«||Stênellè; Gb^nëillë et 
même La Fètitaine, IVaôine, La Bniyèr(^%*èiiif\iniént pas <kmiplêi 
tement ^ratats.* Balzào^ Fléehier, D'Âgtiesseatt, Mbbtesqaieu ^ 
Biiflony-hommes graves; son t des beaux-diprill ;> il^ V€«leùtbrittèr; 
et dans dès gedrésoili îl faôt êtrcf 6iaiple:"l^«rinl tm hilmmes éM^ 
nemment spirituels^ dehx anf eUrsidé la'g^^^îion qui soi^l; itnni^ 
dîâtement llolière et Doileatr^ iLeiSage et Vbhalrel ont mérité cette 
lofiange qB'aTec-infiiiiin^t d'e$prit ils ontévité^l'écneil du M- 
esprit; Voltaire a trop dé mniemses «lideTbétbbiqtferdând'^esffiA* 
^é(/tW«t danÉs sà^Her&icfdêp il est qtidquefôis iriôlem etgroftier 
dansses.satiresj mais^jamais Une ddnàedans le bâ-eis(n*itV^ 1 ''•' 
< im autrés-dêfoutsqni trbp*;sonvient'dB< gâlé ïidtré littérature, 
même an dil-sëpïïèttie siècle, sont fa rhêlW-iqWPetla pédan- 
terié^. Phisieurs sWircs dèBôilean Hë sont^otfethose ^e dès thè- 
mes de rhétorique, qnMlfe'ànMiseà développerpoor ftiiré'bnMferson 
bonésprit et pour bien parlét<; tebessontla'l^^re^^iSfctrl^Hmiitnéet 
cetlëéur là Femme. Bien qdé lé boii'seMAaefllOiie^lât mi^ dààs 
téa compositions des T«^lt^'piqua\ites, leilr but n'est'pas âériëux. 



- 4î> - 

lioul. Qçi qiaî lie tmch^ ni à la. médèdHae ni tox lettre», il tiemUa 
o'iiViQlr cberQbé qu'«in t^sle pour écrire affiéc esfuât fit «n Ihb 
9^}^; F4»(ilQa a Uliioér l'ioieonv^iiiaaoe du récit de Théramèie 
aar la m^ d'BippoIyie; m efiet^ il est Uea loi^ et trop kgi^ 
fq^QBieot arrange p^iur la situaHoa. J^oeerais àuiai hasafder qiMdf- 
^^^ dw4^ sur h'i^Ué pso&iie do poitipeiiic diicQQrs.de MJttxf 
date à:afi$ ;fiifaats 4 esi^ca aiaai qu'un grand p(^que parle dans 
son conseil? yadmirafaie redit de k niort de Polyphonte, dans 
la Méfvpeôe YoltaiFe, nie parait aussi d'une longueur dépiaoéeJ 
On voulait tQujoura:étaler une bienséance maje^neuse /Pactiçit 
ti^agipe était da^s laxoulisse^ «t Ton venait la réeher sur. la 
iwsèie ; cfala lésait briller l'étoquence de l'auteur, et siirtaut eeUe de 
V'^tmr, loujonr» lort sexigeant sur ce point ; et la scène y conune 
l'on 8ait> embarrassée, de speciateurs, était une des pdndpales 
isauses de ce défait ^ en eoipéchant le déploiement du spectacle. 

<Fl§oeloq9 qui crîljqua m justement Racine dans le TéUnùufmy 
tombe à tm^ inMant dans le défont qu'il a repris. Il y a dans ce 
p^êm^ i^nrabondaocede discourâd'one morale tantôt étevée^tant&t 
puérile. DlieniQr donne des conseils et des éclaircissements à Ido^ 
m^né(i«ories soins qui caus^lapro^péritéd'un État etûivureem 
Py^^rowsemont delà pepulaticoi^ «t pour le toucher par un doux 
«pe^tacjei il parte^ ainsi : i( Cependant la mère et toute la famOlé 
»|nigpaire lin repas: eimple à so&^nx et à ses chers énlantsviqnl 
i>doiyeiit)ie{ve»ir'&Mg|}ésd» travail da la Journée; Elle a soin.de 
risraire sies Tadb^s et ses bn4)ia^ et en voit couler des rulssèauv 
»de lait £lie fait un grasdiâu autour duquel toute la famiUo 
» innocente et paisse prend pViisir à çbanter tout le soir m nt- 
» tendant le do^if: pfçmmej); 1^ pr^[Kire des fromagea, desi^bâ** 
» figues, |3t des fruits conseryép dims la même fraipl^mr que ai 
»op Tenait d^ Je» -c^eî]Mr'< L^ beiigfir rerânt avec sa flû^^ 01 
* ctonte \ la iamllle assemblée les nooyi^es diapasons qu'B a ap<^ 
«priseS'daiia lea; tiame^ux voiains, etc. » {TéUmffqm,}i^, XUO 

.(1 fout avouer q^ ces deux grapds personn^^^ avaient du 
goût pour l'idylle. 



-43 - 

II est téméraire , sims àmté , de cntiquer le ohef^^d'œuvre d\ia 
aussi l)eati gétdeqne edui de Féoêlëii ^ m^, ifuoi^^'ipie rod td&id 
pour JGStifier toutes lei» moràivè^in' TMéinêUiueyfiy tfiîrateiBiP 
jours à répondre que si c'est un poème , il y a trop de seÀfâÉ^ ^ 
et que sA c'eà un traité de mérale^ il y a trop dë'&middis éf^de 
poésie. Af^ quel touî' âiinçtis I quelle riehâ imagii^tfoul qiicOë 
noblesse de cœur dans ce roman hépoique 1 ^ ^' ^^ 

Fléchier, Buffon, les deux Rousseau ^ Raynal, Le firtiii; 
T&omas/ Delille.ont dénné dans la ïhëtofique/ J;-»J. Rousseau , 
(^î est le iM précurseur dès RoÂantft[nès, nous a ôffoné^' dans 
la Ndîwéile Hêt&ise^ le prototype du roman mliflàe et ï)édaût. * ' 

Mais lès îlcrivains'de cette époque sont, en général, loiii de 
val^îrcenx deis denx pfrécédéntes. Le Brun, notre \Pindarey et 
Parny, lé dangereux apôtre de la doctrine du plaisir^ sent #^x<;d- 
teftts pdlte», mais iln^y a qu'ettK,ét malgré tout leur inérite, Je ne 
puis les égaler à La Fontaine^t à Racine; ches le^ prâ62^té«5 
mfême infériorité. s ■ 

J.-l< Rousseau, dans sa Nouvelle Héknse, est souvent loui^d et 
incorrect ; il eut le malheur de venir fort tard à Paris, et se res- 
sentit toujours d'avoir passé sa jeunesse à MrèMtger. Mkigréses 
grandes qualités d'écrivain^ et seç «flFedrts ooftânods pour s'amé- 
liomr, il n'a jamais attdnt à Patticisiiie et 1 la porçtède étyle 
de Voltaire. Mirabeau est plqs grandûralakr que grand éôrivoin, 
Bernanlifi de Sain1.r.Fierre est loiv de Fénelon. La xiécadence-est 
évideUtû, et oela^ne dent pas seuiement au goût, cria vient aussi 
des principes BttéraireB., £n wicilesprincîpaiix si^^KS^: '' 

1* Les idées sur la prose et la poésie Sè ^ouljleiit; la prose 
abonde dans la poésie, et les vefs4aiis la proser ^^à on avait 
en la sotoe de dire, pour Iouaf des vers: Beau ^onme icfe là 
prose. Voilà quie trisifr louange; les* vers dsrPntdoà Hré& La 
Motte sont: beanx «oouiia de h.prase. .Les théories sur la 'prooe 
poétique ont perdu la proKifnnçaiae. 
. 2** La critique littéraire .prend une iextenûon .qf|i n'a cessé de 
s'a(3cro!tre depuis^ «t qui augmente tbus ie^joursau monfedtoti 



j'écms ces . Ug|i(9&. On :Y0yAit tout enseiable au dis -huitième 
si^Q La lUt^t^r l^'Olivet^ DestoD^ines, Voltige, Diderot^ Fré* 
roiQk>^MQrm<mtelvP9UssQtyfTbQma9 5 I^^^H^ €baiié)rt et 

'.a^j itpp<if#iQQ (]i9s,g^re$ l>âttodb etrecherebés daiis h littéra* 
ttro:: la IfQiipdQ iutimis>.k$ drame préteiitieai^ Le roiAAa entre 
dans le drame^ et les çoufessioas dans le roman.. f L'élégie sdra^ 

4** Q^ n'a plus la juste idée du bon usage de h langue^ les 
Uttsr en, sortent, d'autre? sont d'étroits, puristes» Le sens créateuj: 
Ta £[e perdant de plus ^n plus.; la langue élégante des salons est 
uc^ comioe ks nçiG^urs. Mannontel». auteur, contemporain, écri- 
vait ayçc^ pfi tact.pn^^ique : « Le terme propre est devenu 
>MC0Qifpu^; le ;tpur> naturel est u$é; l'épitfaète la {klus hardie et 
»l?plua ft^tOiiAlefit plus qu'un mot parasite et vague ;i'expresr 
i>eÂ^.fig^ré€i ^tîiemie;; rélégance.a perdu.sâfletir:etâiron 
«veut donner au style un peu d'éclat, il faudra bientôt tirer de 
)f4(iw>des mots auxUiair)es,:accumu)epde8 métaphores» afin.de 
ose rendre él^ange> de peur d'être commun en iQsant êtise natut 
•Tel. » : {iUmemsde l,ittérature,dxl. V&hmi) v - 

MsSs Rousseau fut l'oratéhir providentid' dont leîsi éqrits nen-- 
t^afisèrent'pcRir Fîavenir la sécheresse des savants et" le sensua- 
Usineidè Diderot j;râo(pient corrupteur du dit-huitième siècle. 
Retournant au ton et aux images cbmnpêtres, il commence une 
réaction contre le goût «et les» moeurs de Paris; aVec lui naît une 
nouvelle -.école, de prpse, qut>fut continuée et modifiée par '^per- 
m^rdin de Saint rPierre. , ; ! 

:i «Sons le rapport f^elalaagae.et du style, dit Al. Yilleteaia, 
Bernardin de Saint-Pierre avait babileiaent rétrogradé vers uii au* 
trC siècte. ^ki^itànt)de nouveauté dané ses images,. il a de l'ar- 
ohaispie dans sa manière d'émre. La littératore, depuis lesiècie de 
Louis XIV, avait toujours été s'éparant, cherchant Félégance, la 
nobleflie^'lâ dignité des fermes. Bufifon, si grand écrivain d'aflleurs, 
avait!djt<!. « Ayez du scrupule sur le choix des expressions, del'at- 



Àfebtioln â ni&iioiûaièr iescfaôseâ cfue^r les termes Ms plus géné- 
» raiix » ; cWà-dîre sc^éi p6ili{iëàx, eï soyez vague.' Àticontraire^ 
Bernardin de SaintrJPierreyiùalg^ré Içtour bril^ ^e Son iiha^ba* 
tionj ne craint pas les tonnes, jûpgles^^.particjaÙers^ les n^ 
ppces des.cbqises. JSo^e^Epre^ijç^p jcoloçéjs B'em^tjj^;^ inolns fanû- 
lièi«.«^-Son,kiDgagei'n'est past digue et poi^peuir^ .iHHQme un 
langage de.eabiàet-on de tbéâtm- Lés îmagiBs basseï^ et<H<r0S;qui 
abondent d^nà'nd^iieîixàùteutis ne M i^éjiUighéit pas. Écdràin 
si harnionieux et si pur^ il a baisisê d'un W la dignité au beau 
style. Gomme J.-J. Rousseau^ et peut-être plus que lui ^ il luùove 
imi: la.la«»iUai^té des cp^parj^j^^^^ .If^p^ffçi^^q^^l.^es 
images $ JSQ» d^ain paprjj^ rîKjJ^i^s^ ^tJ,^iàsi^y^^^n^,Umfmie^ 
lormes, dtepj^ia leJuxejitesfMJiai^ jus^'à cfij^ d^ilJiv,iT?8iqSi^ 
si^te, l'oîrt itaBW»é;|v^r^.i^]i?eUttéral3ared^ Xyi««i^l0y.:W.^ 
éfeve de Montaignç içjCd'ànïyota « {Tftbkmdu Mjn^^4ffe>, 

3^. par^., 8* %^«. }* ... .i.;.) lw.-'î :,i:/r;.: ': .m'\^ 

. l'antipathie 4e yojlt^iç .4?ontre RciBsseiyjt,. j^e )dédain; ^e l^ffça 
pfOjûir; \^ «Mivrages d€^ Bçi^ai^dm de §aint-.Çiqrre s'i^i(pUq|i^gpt 
iQfki^najQlt jia^dlemefiitj )a chaumièr^e du^ jj^^^n y^it^ 
^ubsijt^çri au fibjteau du sçig^^ur;^ :/:';, . 



'i .j 



GHABm£>&IIIj — Nmssmcis. et déi?eioppemm (kui'éscde.v) 
r(muMiiî^Émmimnh:dépUisA7k9: ^i.i 

Andrieux (1769); Parseval-Grandmaison(i759);Rouget-de-Lislë (1760); 

Hofimao (1760)5 De Ronald ( ); Surville (nîé vers 1760?); Bârnâvè' 

71761); Rayiioaàrà(i76i);Foiïtài](éi'Ci'^6i') ; Dlésaugîertr (lyé^Y; An- 

(i;65}*; BëréllOuii^(l76^};1l;4^'delGhmlie¥^(K^Ô4)t 3j;;dèriMiBètdQ» 

.(iyiS,i)X Wrat <i,764] ; AftomU i.i766)>j(MîMla*ae:dô .?t«iel:jPû_%ia 

., (i766),;;Bep^*, Conatant (4767) ; La.çfe^UeJ[i7(5;;); Al. Duval ^1767); 

, |>ap8auU (17.69) ; Napoléon Bonaparte (176^); Michaad (1709); Guvier 
(17169); Babur-Lormian (1770); Lamarque (1770); Antignac (1770); 
ÔhénedôUé (né vers 1770?); N.-L'. Létnercier (i77ay{ Madame Gotin 



-46 — 

t»;î7^) J ^* J>«>« (W^)i P.-L- Courrier. (17^?)} A. Gooffé (aé ver» 
*775); J?.oy (1775); De Saint- Victor (né vers 1775); J.-L. Bumouf 
(1775) ; Roger (1776); De Martignac (1776); Ballanche (1776) ; M. Th. 
tieelerc (1777); D'Allarde, dit Francis (1778); Etienne (1778). 
De déranger (17^6); P.'-tti. Sègar (1780); LameD'Dai8](i7ér}'; lîfillevoîe 
ti78à'3; De Màrdfiânfgy (itS'i) ; De Bttfante (17^5 Ch. Ifodlcr (i;«5J| 

'(»78y)iDfcCor«wfcio(i7»«;^<im0 (i7»5)i S«»ibe(*;f90i ViUijjiiaiil 
■ .(.'T^Ol V« CousiQ(i79») 5 De Lamartine {17^»); Cas. Delavignc (1794); 
Aug, Tlûerry {•..*,);,JEm. Debraux (1796); Jouffroy (179Q» Thier» 
(1798); A. Carrel(i8oo). 

PlîMieui^ boimnésl de la géiléralioil précédente et de k Bouyett» 
avaient senti que la fittérature s'épuisait; que la langtteift'cisait; et 
qvt'à Màit àOer poiseF éè h vie poâr toiate» ûeà% (pdl)ue patt« 
l^omtânésiétM.-^J. Cb^érdeinenrèiteiiCdaîtifrlalFolèdasIdqae» ëtu*- 
dianff nos ^anids écrivains postérieniD à Malberbcf et les anteots 
latins. De Surville rentra dans la langue et h poésie dtf qodn- 
liëtne siècle; aJ Cfcéàier ^adia les butkiiiasted |;ré(» et l6if 41é- 
giaqties latins, renonv^a le mètre et les couleurs; M. dé GM^ 
teatibriant, niàifteureusement peu correct et tift peu M-^titi 
continua la vole de poésie champêtre et reBgietise ouverte par 
J.>J. Rousseau et par Bernardin de Saint-Pien*e. En même tems 
étaient nées et s'étaient développées l'éloquence militaire et l'élo- 
quence poétique ; nous eûmes Mirabeau et Napoléon. Courier se 
forma sur Amyot, Rabelais et Hérodote; M. Ck Nodier, dans 
une langue abondante^ aisée et correcte , créa le roman que l'on 
pourrait appeler romantique. 

JLacbi^nsoa avait été renouvelée par Rouget-de-Lisle^ Désaugiers 
et Béranger;. l!ode le fut par M. de Lamartine çt M. V.^Hugo, 
et la Critiqué lîtïôraire par. M. Villemaiiii dans de câèbres .le- 
vons, où brillaient à la fois l'érudition et lé goût. Aff« Augustin 
Thierry et M. Gotisin, écrivaiustdu premier ordre par ta pureté 
êi ta siniplicité du stylé, par i^ii]spiratH)n et la pensée, jetaienl 
une vie nouvellç, l'un dans l'histoire, l'autre dans la philôsop&te, 
Lç^,Gjpii;?ictèré de cette époque est donc la fin de la littérature 



- 4; - 
classigue^ Péléyati^a deia tr'àmm el ite JoQnHnm^pplitiÉiveft^ 
et;,r^aritioa..de te IjHératore dite r(nhantiquip,m upiinot tdiile 
iuie.r^Qvati^-litlérwe;.-. . ..; .... ut ; ;:î. /n /:=:") ..•.•.;' 

, Maû friiièîeiir» de. cca éectiaiiisi ji'oiitfa8)étjé paB fa i i è wi it)B>». 
tarda;. oi> .9e pelit lis dissMiofer^il y a de fapprél; dans .Sbt^ 
o^din de Saint^inrre^ AnëréoChénier, Mw 4lv€halsarim»it eli 
PdUlrl'OHi^'GfOiimeF; elqn^iUy es .i^eocorebiei» davantage dan» 
dfapâ^ éeHvabis pins jeuà»^ etIeiiÉs élèves ;. ;. 

Aujourd'hui le public paraît lassé du débordement èMérak^ 
qi|i a swri U, révokilion de jjuiOel^Mltérajtim^ui a Jwl^pient reçu 
\emxnomd'éckçifelé0^ïaéia»d'épilepfique. 
: . Il8eiip4de!d»nandcrqittticpie ehosé^de ph» oaimeçiy de phti 
philosophique, .de; phis reposé, é^fim gai. Oa ne :v0ut phtô de 
la bouffissure ^p^ l'ineorrectioa nMiiHitiquey m de b froideur^ 
de la fadeuir et ^ Taf^arat des «hiteiirs^fFéteiidtiS'chssiqiBes du 
dix-huitième sièole et de TEmpira 

De lalectQTeet.de la rei^éBeatationdestra^édieBchssiftfàs^t 
dwidrame» modemcs, des critîpies qui en ont été faites^ il^mfcst 
resté la conviction que la mise en scène de l'ancienne tragédie ne 
eoMent phKr 'Mjotrà'hui ; les^tragédlés ne Mvént pli» êtr«lii4tes 
popr la eoor >it la viUe^ pour mk pnUlc d*ei^eeptloift^; BfÂte> pout* 
le peuple. L'exigence des» trois unités et des chiq aévesesi hetifeu- 
sèment baniile^ le tfaéâl^ â'est assurédient plus^ timide; mais h 
rhétorique, sous son «ôuveatt^^dég^ii^efficsit, y m pias gourâiée 
que jatanis. La €omé£é n'a pas été qllitlée par Madl^âût; il É^ 
fast que ▼ieiUii* et changer d'habits. Quel triste speétacle f è^ oMé 
du drame <i^ p^ône la débaache, l'adultère et le suidde, nog 
avtears ooaaii^es basent le civisme, et toui*nent en riiyiiinle fe 
désir d« Festimë publique. 

Quant i nos éjtopées des tïbis derniers sîèdes, fer tie en est 
fausse , il faut fes rejeter en bfoc, sauf i y retrouter de beaux âé* 
toils'i et ret^iii^nefà nos épopées chevaleresque^, t FAridsie, àvi 
Tàséeèt àHomère. 

L'épopée et l'ode ne doivent plus, comme la Henriade et les 



- 48 - 
odesiie:t^8seafirv^«faditster «nx seigûeurs: et aux belles dame^ 
dé]» dourymais à toute la nation; c^e è^fiervatiôH est Impor- 
tante^ car, comme l'a dit Cicéron, rorateni^ se r^|ie snt lé gôftt 
dc«ofi}ai]iUlûiDe; nSemi^.onmmmielofi%ien^ 
audiiorufmpirv^^iia: Qmnes çmm4fm fkio6f(aii'wlmt;i)olunta- 
temx0onÊm\fm mék^^ ëtùd^oritm arié^ 

tnumet:inutànt totas- se^fmgumù'et accommoékiM: {Orùtor'; 
cap. lY.) Le peuple veut de la poésie, et'fion des discoQ» de 
rbétormaeii' : ■^..^■:\^-i . • • ;1 ;• • 
< Qui< atijourd'liui saienraât i^dtét les aveiltnres méHfeiRëoses dd 
nos héros du moyen-âge, bien traduire' Homère et Aridsie, 
cÉfinteh les 'gloires de' la Aépnblique,'les merveilles de ^industrie 
ndodernieyile bonbgùr domesiik}i}è, la vie pasKralê, éCies^lbiiànges 
de Dieu^ trouverait un diamp^ neuf et un publili enthousiaste. 
fia littérature doit se placer èko& la société que nous ont faite 
nos révolutions politiques et intellectueDes, et, en évitant les 
vîdSes {répétitictBS mythologiques et épicuriennes, conserver aivec 
respecttlfis vrais usages de la langue, et lui rendre une sève nou« 
velle.- • ...' ■• •■'' ôj"-:. ' •;/'■ 

Mpi^iK m^p^ la poissance de taleqt de uûs.meilieurs'éQrilrâsii» 
loodemie^j pane-sa^cait méconnsâtre la grande pHturbatioin<qiit 
s'est liMt^.dacHSjJs^ lfi[i)^e^ depuis cent ans, et les dangers qu'efkf 
court La .déca4enqaclas9iqi|e a commencé au dernîer siècle la 
connqiiUonde lalapgu^^iMwsayons vu Marmontd faire remai^iaer 
qi^' d^sQ^^nns^Jangi^e ét^it déjà tr^-usée, qu'on, était blasé 
a|v-vl^sîplu8}b^»^press^oiis* Voltaire criait à Jaifin.de ^ via 
que la.b^barif ja^^vait detoutes p^^, Son bois^ l^o^ sof^érieur 
lffi.)ni)9^^i|;. c^nstlf^ J|i|térature lles^rit fr<uiç;ajj3> baissant et m 
faussant ; il prévoyait le règne des extravagants et ^^pbistes. 
4igour4'^qi ou flèche .plus. que par l'incorrection : le faui;, le 
hm^A l'i^Çpl^çnt, .le^^ispordaiit sont dans touljes.les poésies.: 
D^ansla^cqnçqptiûndestivres compoe dansl'empjiQi des mots^ |a 
précision française se perd ; on retombe dans les^éfau^ du tr^* 
zi^n|« §ifiçjç« :; ,.. ., .• •■ . . . ■ .. « 



-49- 

Les locutions provinciales et étrangères ont débordé par la tri- 
bune et les journaux; le langage scientifique le plus sec , le plus 
dur^ s'infiltre partout, jusque dans les romans. Les littérateurs, 
les écrivains légers sont devenus systématiques ; ils perdent à créer 
une détestable langue qui soit à eux le tems qu'ils devraient em- 
ployer à apprendre celle qui a existé long-tems avant eux (1). 

Dans ce chaos de locutions, la critique du grammairien litté- 
rateur nous semble être devenue une nécessité de jour en jour 
plus forte. Plus il y a d'activité et d'audace dans la création, plus 
il doit y avoir d'habileté et de vigilance dans la critique. Un bon 
granmiairien n'est pas moins utile dans l'État qu'un vérificateur 
des monnaies et qu'un vrai philosophe. 



(i) Voîci quelques échantillons du style du jour ; ils feront juger dans 
quel état nos plus grands écrivains ont mis la langue; lecture faite, on 
ne sait si on doit en rire ou s'attrister. 

« Equitable et moral , le protestantisme est exact dans ses devoirs, mais 
sa bonté tient plus de la raison que de la tendresse ; il vêtit celui qui est 
nu , mais il ne le réchauffe pas dans son sein. » 

(Études ou Discours historiques, t. I, Préface^ czxxi.) 

« Deux partis dominèrent alors dans la Péninsule : le premier empor- 
tait presque tout le peuple des campagnes, entr'excitè des prêtres 
et fondu en bronze par la foi religieuse et politique; le second compre- 
nait les libérales ^ gentdite plus éclairée, mais, à cause de cela, moins 
pétrifiée par les préjugés ou consolidée par la vertu. » 

( Congrès de Vérone, 1. 1 , p. 8. ) 

« Plagiaires aussi de l'empire, les Espagnols empruntèrent le batail- 
lon sacré à la retraite de Moscow, ainsi qu'ils étaient bouffonesques 
de la Marseillaise , des sanculotides , des propos de Marat et des diatri- 
bes du Vieux Gordelier, toujours rendant les actions plus viles ^ le 
langage plus bas. » 

(76., t. I,p. 6oet6i. ) 

«Si Louis XVIII n'eût été roi, il aurait été membre de l'Académie, 
et il était féru à l'esprit de l'antipathie des classiques contre les roman- 
tiques. » 

{Ib., t. 1, p. 243.) 

4 



Chapitre XIV. — Conservation matérielle. 

Toute laugue se compose de deux éléments : V harmonie des 
mots, et leur sens; il y a donc deux côtés par lesquels on doit 
soigner sa perfection et veiller à sa conservation. Lorsqu'une 
langue est arrivée à ce degré de douceur et de régularité qui est 
le signe de sa maturité (1 ), elle n'est pas invariablement fixée dans 
chacune de ses syllabes^ et il leur reste une certaine latitude de 
mutations. C'est ainsi qu'on a dit tantôt droite tantôt rfrèf, etc., 
sans que l 'intégrité de la langue en fût altérée . Aujourd'hui, sous ce 
rapport, notre langue est aussi bonne qu'elle a jamais été, et l'on 
peut affirmer que depuis deux cents ans elle n'a rien perdu de 
sa perfection matérielle ; la langue de la saine partie de Paris a 
encore tout son agrément et sa force ^ et par son inflnaice le 
français des villes de la province a considérablement gagné; le 
dialecte de Paris devient de plus en plus la langue du royaume. 
Il est cependant un endroit par lequel il court des dangers : c'est 
parle développement du langage scientifique, qui , en s'accrois- 
sant, se remplit de plus en plus de mots d'une harmonie barbare^ 
et qui s'introduisent peu à peu dans la langue usuelle et litté* 
raire; c'est un effet du mouvement du siècle. Il est donc néces- 
saire que les auteurs et les grammairiens veiUent à maintenir dans 
toute sa force la perfection matérielle de la langue. Je vais entrer 
à ce sujet dans quelques détails. 



«Triompher sur le même sol où les armées de l'homme fattîque 
avaieat eu des revers, faire en six mois ce qu'il n'avait pu faire en sept 
ans, c'était un véritable prodige. » 

(/6., t.II,p.4>5.) 

(t) Cf. G. Fallot, Recherches sur tes Formes Grammaticales de la 
Langue Française et de ses dialectes au XIII* siècle ; Introduction. 



Le peuple a pour ses difTérentes espèces de inots^ pour toute 
la langue 9 un goût d'harmonie absolu, auquel il soumet tous les 
termes qui sont à son usage ; c'est le lit de Procnste , qui déter- 
mine aussi la valeur prosodique des syllabes. La langue française 
à été faite avec la langue latine; c'est donc dans les analogies 
qui nous Tienaeiit du latin que se trouve la régularité formeUe 
ide nos mots ; presque tout ce qui sort de là est barbatisme de 
son. Et ^pourtant il y a éans noire langue bien des barbarismes 
de ce genre qtt'U est impossible d'expulser* Mais d'où viennent- 
ils ? A côté du peuple qui suit seulement son insftÎBCt d'oreille et 
de goût, c'est^-dire qui écoute les vraies lois du langage, il y a 
les savante q«i , pour leurs beiioins , ou môme sans besoin , font 
des emprunts aux langues étrangères; mais connue ils n'ont pas 
le tact du peuple, ^ son exigence d'harmonie uniforme dans les 
syllabes et dans leur combinaison, ils transportent dans la gan- 
gue natîotaledes mots de forme exotique. J'en vais donner quel- 
<|aes exemples qui rendront sensible ce que j'avance. Du latin 
strieius^ le fieuple a fait tétroit let étroitement; et les gens de loi 
nous ont donné les hoKiiUes mots Jtmtet sitriciement. Obser- 
vons^ à cette occasion, qu'il est contraire ,à l'oreifle du peupk de 
«ommenoer ai^cun .mot par ^ «ou sp; il a toujours eu soin d'an- 
tépo^qr 1» é: de ^p^^ilafait espoir; û»staius,/àai. Lesmots^pt- 
rittÂét^ statiom, etc., n'ont pas passé du peuple daês la littérature, 
laais sont venus de l'éoole. Le et final , conude dans cocf > eseact, 
^tkt, est également cootraire à revphonie ; et déjà le t final ne se 
prononce plus dans respect, et le r m le t dans aspect, instinct ^ etq. 
Le peuple a fait ton^r presque tous les <: qui se trouvaient au 
milieu des mots latins; de directus, il a fait droit; de factum, 
fait; aussi, par cela seul, on ppurrait affirmer que les mots secs 
tt laids de rfiefett?tt^«e, éclectique, technique, viennent encore de 
fécole, si on ne le savait à l'avance (1). La désinence iste, em- 



^r) hes stfbstnQlifd longs et grêles de fuêU/iiUé, suseeptibUiié, iniutma- 
nitèy intUiiilé, wcceMibifitéy per$pioui4éy êuficrficittltme^ ^ st^perstitieusc- 



— 52 — 

pruntée au grec, a passée depuis quelques années^ dans le peuple^ 
parce qu'elle est commode, assez douce, et qu'elle a servi dans 
nos tems de révolution à distinguer des partis, bonapartiste, car- 
liste, etc.; mais elle est loin d'y être aussi commune que la ter- 
minaison latine ien , qui y répond à peu près. La désinence 
ique, charmante chez les Grecs, parce qu'elle était suivie d'un os 
qui soutenait la voix et l'oreille, car on disait ikos^ est fort laide 
chez nous, parce que ce os harmonieux a disparu. C'est pour- 
tant celle que nos savants substitueraient, si on les laissait faire, 
à la belle terminaison en al, qui nous vient du latin, et qui est 
toute populaire. Depuis un tems, les verbes en iser semblent se 
multiplier; mais cette forme est barbare, quand elle s'applique à 
des racines latines, et est peu élégante en général, même dans 
les mots tirés du grec : qui est-ce qui emploie poétiser, dramati- 
ser, et beaucoup d'autres verbes semblables? Cette désinence 
peut être tolérée dans certains verbes empruntés du grec ; on est 
obligé de la conserver dans quelques mots latins, transformés en 
verbes français harmonieux et utiles, et pour lesquels l'usage a 
établi une longue {H*escription : tels sont autoriser, diviniser , im- 
mortaliser, trancjuilliser, etc. ; mais en général il faut la repous- 
ser , elle n'est pas populaire, ni d'origine latine. Le peuple l'a même 
enlevée dans certains mots : di agoniser, v. n., il a fait agonir, 
V. a. : « agonir quelqu'un de sottises, » c'est-à-dire le mettre à 
l'agonie en l'accablant de sottises ; j'ai même entendu des ou- 
vriers dire sympathir, au lieu de sympathiser : c'est que le peu- 
ple forme ses verbes simplement en er ou en tV, et non point en 
iser. Conservons religieusement les formes de la langue , sans 



ment, substitution^ tacticien, épileftique, logistique, artistique, styptique, 
épispastique ; les mots lourds de prononciation, modernisation, adaptation, 
subtilisation, homologation, obstruction, extinction, extraction, substruc- 
tton, homogénéisation, transsubstantiation, irréalisabilité, inconstitutionna- 
liié, épittolographe, acatateptique, astérisque, antarctique, administra- 
trice, autocratrice, sont encore des mots faits par les savants. 



-- 53 — 

quoi tous les idiomes connus y feront invasion, briseront ses 
formes constitutives ; toute forme de mot pourra ôtre considérée 
comme française, et la langue française aura vécu. 



Chapitre XV. — Conservation logique, 

La langue se conserve aussi par le sens des mots, par la logi- 
que. Chaque mot, par son origine et son premier emploi, a une 
capacité logique^ si Ton peut dire ainsi, d'où se tireront ses ac- 
ceptions futures. Les emplois heureux et nouveaux qu'on peut 
faire d'un mot sont trouvés dans des moments d'inspiration 
par les personnes qui ont la conception vive et nette et le sens 
délicat. Donner par calcul et arbitrairement des nuances parti- 
culières aux mots, comme raisonner sur leurs acceptions et sur 
leur position dans la phrase avec la rigueur des mathématiques, 
c'est s'abuser complètement. L'orateur, de cette manière, 
émousse en lui le sens délicat du langage ; ses paroles deviennent 
obscures ou trompeuses, parce qu'il attache aux termes qu'il em- 
ploie un autre sens que son auditoire, car celui qui lit ou écoute 
ne comprend les mots que dans le sens consacré par l'usage, ou 
que l'instinct de l'intelligence peut leur atti^ibuer dans une cir- 
constance donnée. 

Ainsi le public et les grammairiens doivent repousser les barba- 
rismes^ parce qu'ils perdent la langue et la justesse de l'esprit; 
et l'écrivain doit les fuir, parce qu'ils sont une source d'obscu- 
rité et d'ennui. Mais aujourd'hui l'on ne pense point à cela ; on a 
l'habitude d'être ennuyeux. Chaque écrivain veut forcer l'em- 
ploi des mots, être excentrique par son langage. L'improvisa- 
tion de la tribune, par une cause opposée, fait courir à la langue 
' les mêmes dangers. 

Un même désordre, par un amour aveugle de l'ordre^ a lieu 
dans renseignement grammatical : depuis un siècle, la plupart 



— 54 — 



( 



de iios grammairiens; substituant au goût les raisounements, ont 
renirersé le fondement de la grammaire : 

« Et le raisonnement en bannit la raison. ■* 

(MoLiJcRK, Les Femmes Savantes^ 11, 7.) 

La grammaire doit tirer ses règles, non de la spéculation, mais 
des usages du peuple et de l'inspiration des grands écrivains. 



CHAt^l3fïiE XV T. — Où est aujourd'fiui le bon usage? 

Mais, dira-t-on, où trouver^ en France, le bon usage de la lan- 
gue? Est-ce dans l'usage général? dans l'usage de Paris ou de 
la Touraine? et à Paris, est-ce aux Tuileries ou dans les rues 
qu'on parie le mieux ? Voici mon opinion en deux mots, qu'en- 
suite je développerai : Le peuple fait loi^ l'écrivain fait choix. 
Oui sans doute pour le gros de la langue, il faut suivre l'usaga 
général, mais, entendons- nous bien, l'usage des provinces de 
langue d'oïl; tout le reste est barbare: ainsi un Picard, un 
Parisien et un Franc-Comtois se comprennent parfaitement; 
mais lorsqu'on veut parler la langue avec perfection, il faut suivre 
l'usage des habitants lettrés de Paris, et de race parisienne. Dès 
le douzième siècle déjà, « on ne reconnaissait comme bon langage 
»françois que celui des habitants de l'Ile-de-France. » {Histoire 
littéraire de la France, t. XVIII, p. 846.) Un enfant qui, même à 
Paris, est élevé par des parents étrangers ou provinciaux, en con- 
serve souvent une empreinte. 

La cour ne doit plus faire loi , comme du tems de Louis XIV ; 
ce n'est plus là que se rencontre l'élite des écrivains et des hom- 
mes d'esprit de la France ; d'ailleurs cet usage était beaucoup 
trop restreint : il porta préjudice à la poésie épique, à la poésie 
pastorale et à l'ode; et en effet, où une vie n'est pas, son lan- 
gage ne peut s'y trouver. 



— 55 — 

La Chambre des Députés est composée de provinciaux; parmi 
les habitants mômes de Paris, il y a beaucoup d'étrangers : cer- 
tains faubourgs de Paris renferment une populace ramassée jde 
tous les coins de la France, et qui jargonne d'une manière dé- 
testable et ridicule. Ce n'est donc pas là qu'il faut aller chercher 
le bon usage. 

Si l'on Teut indiquer avec précision où est le bon usage parlé, 
je dirai qu'on le trouve surtout au Théâtre- Français pour la 
pvnonctation , et dans l'Académie Française pour la propriété 
des termes. C'est là qu'on entend parler et s'exprimer confor- 
mément à l'usage de la plus saine partie de Paris. Il faut suivre 
l'accent et la prosodie de Paris, dont le dialecte est le plus riche 
et le plus cultivé. Il est essentiel à l'unité et à la durée de la langue 
que le français de la capitale smt dominant , et d'autant plus né- 
cessaire que la prosodie variant de province à province, et l'or- 
thographe étant irrégulière, compliquée et presque convention- 
nelle , sans cette loi l'ordre disparaît, et la langue tombe dans une 
sorte de chaos. Il faut une langue commune dans l'État, comme 
un seul système de poids et mesures. 

L'Orléanais et la Touraine sont, ce me semble, après Paris, 
les provinces otf l'on parle le meilleur français. 

Ce n'est pas toutefois que la prononciation générale de Paris 
soit parfaite : la lettre r y est fréquemment mal prononcée ; mais 
cela me paraît tenir plutôt à une faiblesse d'organe qu'à un goût 
particulier d'articulation ; dans le discours familier, les Parisiens 
ont une tendance à affaiblir et à user la langue , en supprimant 
lesr, les f et les s de liaison, en retranchant nombre d'/ mouillées, 
et l'une des consonnes finales dans les mots qui en ont deux, par 
exemple IH et IV dans les terminaisons en ble, en bre, en fre, etc. 
Plus on descend dans la population de Paris, plus ce vice a de 
force et d'effet : le petit peuple dit artisse^ Jugusse, pour artiste, 
Auguste, etc. ; il emploie aussi des termes de jargon, qui ont des 
tems de vogue, et dont il faut s'abstenir avec un soin extrême. 

Mais les défauts de la prononciation commune de Paris , 



— 56 — 

qui viennent d'un parler vif et négligé et du grand mouve- 
ment de cette capitale , sont trop connus pour n'être pas com- 
battus dans toute bonne éducation ; malheureusement, sous ce 
rapport, toute la France laisse beaucoup à désirer. Pourquoi, par 
exemple, n'a-t-on pas des maîtres de prononciation comme on a 
des maîtres de chant ? Ce qui est inhérent à la nature de l'homme, 
indispensable à ses besoins et extrêmement agréable, un talent 
qui est nécessaire aux poètes, qui fait admirer celui qui le pos- 
sède, qui aide à monter aux honneurs, qui constitue et main- 
tient les nationalités, est dédaigné, négligé , oublié ; et cependant 
n'y a-t-il pas, sans comparaison, plus d'utilité et plus d'agrément, 
ne se fait-on pas plus d'honneur en bien parlant, que par les arts 
frivoles du chant et de la dause ? 

L'Académie, pour l'autorité grammaticale, a remplacé la cour 
d'autrefois, mais avec ce désavantage qu'elle n'est composée que 
d'auteurs, et manque de femmes. Pour le langage familier, son 
Dictionnaire est très-bon, et notamment l'édition de 1835. Sans 
s'écarter du bon usage actuel, elle a retenu, dans ses phra- 
ses d'exemple et ses définitions, la tradition du dix-septième et 
du dix-huitième siècle. Au reste, de même que Yaugelas, à la 
cour, ne prenait pour autorité que la plus saine partie de la cour, 
il faut aussi , quand on fréquente les membres de l'Académie 
Française, choisir ses autorités. Mais cela est insuffisant, il faut 
consulter l'usage de la ville, et avoir soi-même de l'oreille et du 
goût. Il faut dans la société polie de Paris, et même aussi chez les 
artisans, s^attacher à discerner les personnes qui parlent avec dé- 
licatesse et justesse, et qui sont de Paris. Nos auteurs, plus na- 
turels dans la conversation que dans leurs écrits, les femmes, dont 
le langage est plus libre de système que celui des honunes, l'es- 
prit plus naïf, plus vif, plus fin et plus délicat, peuvent au litté- 
rateur qui vit à Paris, et presque tous y vivent, fournir une ample 
moisson d'observations grammaticales relatives au bon usage. 
Ceci est de rigueur pour un prosateur. 

Je serais moins rigoureux pour un poète. Celui qui aurait 



~ 57 - 
assez de sûreté dans le sens trouverait une riche provision de for- 
mes et de locutions dans le vieux langage des provinces de langue 
d'oïl; mais il doit toujours s'astreindre à la prosodie de Paris, et 
y connaître le bon usage actuel. 

En général, pour être correct et élégant il faut : proscrire l'em- 
ploi systématique des mots; concilier la nouveauté et la tradition, 
la langue écrite et la langue parlée ; puiser à la fois à la ville et à 
la campagne, dans la rue et dans les salons. 11 est visible que l'é- 
légance de la cour influa sur celle des écrits de Racine, de Mas- 
sillon et de Voltaire, comme le langage populaire et campagnard 
sur celui de La Fontaine^ ce grand écrivain ayant senti sans 
doute que le ton et les locutions pastorales ne se rencontrent 
point à Paris. 

Pendant le dix-septième siècle et la première moitié du dix- 
huitième, la plupart des bons auteurs fréquentaient la cour. Il en 
résultait pour le goût action mutuelle : la cour formait son langage 
sur le style des bons auteurs, et les écrivains se conformaient dans 
l'emploi des locutions à l'usage de Ja cour. Depuis, tout a changé : 
on serait fort embarrassé de dire où s'est trouvé , depuis l'année 
1789,1e bon usage dans la conversation. Les révolutions so- 
ciales et intellectuelles qui depuis cette époque se sont opérées à 
Paris ont amené des perturbations dans la langue et fait changer 
de place le bon usage. 

Aujourd'hui que l'Académie a remplacé la cour, que par le 
gouvernement représentatif, toute la province est comme entrée 
dans Paris, il faut dans l'emploi des mots distinguer et concilier 
l'usage de l'Institut et celui des villes, la langue politique et la 
langue littéraire et usuelle. 



— 58 — 

Chapitre XV ïL — Auteurs qui font autorité 
dans la langue écrite. 

Les auteurs les plus naturels, les plus purs, c'est-à-dire qui 
ont le plus sui?i le bon usage de leur tems, et par suite les plus 
corrects et les plus élégants, sont ceux du quinzième siècle et du 
siècle de Louis XIV. Mais au quinzième siècle, la langue n'était 
pas formée. Pour la propriété des termes, la nature des méta- 
phores et la contexture de la phrase, il faut surtout s'attacher aux 
auteurs nés de 1585 à 1710 ; ils excellent dans le tissu du style, 
art que nous avons perdu. L'éloquence académique, dont le dé- 
veloppement a été si grand au siècle dernier, nous a donné de plus 
en plus le goût des expressions générales et abstraites. Bossuet, 
La Bruyère, Féndon, peignent, et nous employons le crayon gris. 
Ils ont eu aussi grand soin d'écarter de la littérature le style scien- 
tifique, en ces deux points imitateurs des anciens, qu'ils n'ont pas 
surpassés, ni peut-être même égalés, à cause de l'infériorité de 
l'instrument grammatical. Nous devons être rigoureux à ban- 
nir les mots techniques , et sobres dans l'emploi des locutions 
abstraites. Les langues nées du latin, langues d'emprunt, faites 
en partie dans les écoles de théologie et de philosophie , sont par 
elles-mêmes beaucoup plus métaphysiques que celles des an- 
ciens ; ainsi, nous devrions plus qu'eux encore veiller au choix 
des termes dans l'éloquence et la poésie. 

Les mots que nous employons sont presque tous tirés du latin, 
l'un emprunté pour le droit, l'autre pour la théologie ; de sorte 
que beaucoup de termes, très-français, n'ont jamais eu dans notre 
langue qu'un sens abstrait. Dans le latin, dans l'allemand, cha- 
que terme abstrait eut d'abord et conserva une acception ma- 
térielle : contrepoids aux abus de l'usage, et qui, nous manquant, 
nous force à être plus sévères dans le discours, et plus soumis à 
l'autorité. La base logique de notre langue est dans le latin, où nous 
retrouvons la valeur primitive et positive de chacun de nos mots. 



-59 ~ 
Cet état de choses rend donc l'usage plus étroit et plus rolde dans 
le français. Par là se distinguent tristement les langues dérivées 
dfis langues originales ; aussi ^ pour peu que nous ne soyons pas 
préciS; c'est-à-dire tenus au bon usage^ nous nous égarons. Les 
langues originales ont encore cet avantage que la dérivation logi- 
que y suit la dérivation motale^ ce qui très-souvent n'a pas lieu 
dans notre langue : ainsi logiquement éducation est le substantif 
à' élever, quoique dans la dérivation motale ils ne soient pas en 
parenté, mais viennent de deux racines différentes. Soyons donc 
attachés à la précision, qui vient du bon usage; elle est la chaîne 
salutaire qui nous empêche de tomber. 

Veut^on sentir la supériorité du goût et du langage des Latins, 
comparativement à nous ?Salluste dit : Felutipecora^qucB natura 
prona atque ventri obedientia finxit, {Bell. Catil,, § 1.) Nous 
disons : « La brute^ que la nature a asservie à ses appétits, » Veut- 
il dire que l'ambition contraignit beaucoup d'hommes à devenir 
faux, à être hypocrites, à ne cultiva l'amitié que par intérêt, à 
avoir plus de politesse que de probité, voici comme il s'expriqoe : 
« Ambitio multos mortales falsos fieri subegit ; aliud clausum 
» in pectore^ aliud in lingua promptum habere (avoir une chose 
» dans le coeur, une autre sur les lèvres ) ; amicitias inimicitias- 
» que non ex re, sed ex commodo astumare , magisque vultum 
ïi quant ingenium bonum habere. » {Ib,, § 10), La différence 
pardt sans peine. Sous ce rapport-là le Télémaque est un des 
meilleurs livres qu'ait produits la littérature française; dans les 
détails du style, pour la force, le naturel et la bçauté, il égale 
les anciens orateurs. Bacine a manqué à cette qualité quand il dit 
dans Esther : 

« Là tu verras d'Ëftther la pompa et les honneurs, 
9 Et sur le trône assis ie sujet de tes pleurs. » 

(jécie I, se, 1, vers i6.} 

Aujourd'hui plus que jaQfiais nous eatassons dans nos dis- 
cours gonflés les substantifs abstraits; on n'y trouve point d^s 
chaque détail des faits et des images palpables. Montaigne cher- 



— 6o ~ 
cha beaucoup à composer sa phrase d'images ei de mois emprun- 
tés à la vie sensible et au monde matériel ; mais on aperçoit la re- 
cherche. Fénelon possédait la juste mesure du mélange de sub- 
stantifs abstraits et d'images sensibles qu'il faut dans l'éloquence; 
il s'était formé chez les Grecs, surtout par l'étude d'Homère et 
des tragiques : la lecture des poëtes apprend aux orateurs à colo- 
rer leur style et à mettre de l'imagination dans l'expression. 

On peut accorder les mêmes éloges à Bossuet et à La Bruyère, 
qui a porté plus loin que personne, dans notre prose classique , 
la variété des tours et la force métaphorique. 

Nos écrivains classiques, qui sont en général bons logiciens, 
tombent quelquefois dans l'incohérence des métaphores, vice 
qui gâte le fond même du style; elles avortent sous leur plume, 
comme par une faiblesse de l'imagination. Massillon, logicien 
égal à Racine, aussi éminent que lui par le talent de la déduc- 
tion et des transitions, n'eut pas toujours la main ferme dans 
les figures. Dans son Petit Carême ^ si renommé par le fini du 
style, j'ai remarqué le passage suivant; il s'agit de l'ambition : 
(1 Ce penchant infortuné, qui souille tout le cours de la vie des 
hommes, prend toujours sa source dans les premières mœurs ; 
c'est le premier trait empoisonné qui blesse l'ame ; c'est lui qui 
efface sa première beauté, et c'est de lui que coulent ensuite tous 
ses autres vices. » {Sermon pour le !•' dimanche de carême, 
1" partie, ) 

Je ne crois pas qu'on trouvât rien de semblable dans Bossuet 
ni dans Fénelon. 

Dans notre ancienne littérature, je mettrais en première ligne, 
comme sources d'étude de la langue française, au quinzième siè- 
cle, Boucicaut; puis Rabelais, malgré le jargon. Cl. Marot, Cal- 
vin, Âmyot, Montaigne, malgré ses impropriétés de termes, et 
enfin Malherbe. 

Parmi les écrivains français, depuis Malherbe jusqu'à nos 
jours, ceux qui ont le mieux connu les usages et le génie de leur 
langue me paraissent être La Fontaine, Racine et Voltaire. La 



— 6i — 

Fontaine est notre plus heureux archaïste. Il a même poussé la 
hardiesse etPhabileié jusqu'à faire un peu ce qu'ont fait des Grecs, 
des Allemands et des Italiens^ à introduire dans ses vers des mots 
de forme dialectale. 

Immédiatement après eux, je placerais par ordre de date Des- 
cartes, Corneille, Pascal, Sévigné, Bossuet, Boileau, La Bruyère, 
Fénelon, Massillon, Le Sage, Buffon etBéranger. D'autres les 
égalent pour le talent de la composition et la pureté grammati- 
cale; mais comme ils n'ont pas eu au même degré le don de 
création dans le style, je ne puis les mettre sur leur ligne. 

Au seizième siècle, la langue est à son plus haut degré de force 
dans Montaigne et d'Âubigné ; dans Corneille pour l'âge classi- 
que, et immédiatement après lui, dans Bossuet, Pascal, La 
Bruyère, Molière, Boileau et Lebrun. 

Dans La Fontaine, le français égale en souplesse l'italien et 
l'allemand. Cette langue montre toute son élégance, au seizième 
siècle, dans Marot et Amyot, au dix-septième dans Racine et 
Massillon, au dix -huitième dans Voltaire; son aisance et sa 
grâce, dans La Fontaine, Fénelon et Voltaire; dans Voltaire, 
son plus haut degré de précision, de clarté et de facilité. Pour 
bien écrire en français, il faut lire et relire ces admirables écri- 
vains, et quitter ses locutions pour les leurs. 

Pour la phrase en elle-même, dans le style coupé, Voltaire est 
notre premier modèle, puis, par ordre de date, La Fontaine, Mo- 
lière, Sévigné, Fénelon et Lesage ; pour l'art de la période, c'est 
Bossuet, qui dans son style, à la fois plein et serré, a su, comme 
Cicéron, parfaitement placer les respirations, les mots de chute, 
et les mots à effet ; après lui je recommanderais Massillon et Flé- 
chier, mais leurs périodes sans fin sont aussi formées de membres 
trop longs, et ils sont loin d'avoir au même degré que Bossuet le 
sentiment du rithme delà langue. Le français, ayant une prosodie 
moins forte que le latin et l'allemand, ne comporte pas des phrases 
aussi longues, ce qui, joint à son manque de cas, le rend moins 
propre au style périodique. Pour modèles d'un style tantôt coupé, 



-64- 
nos traductions, loin d'avoir assoupli la langue, semblent avoir 
contribué à lui donner de la roideur, tant elles sont peignées et 
oratoires. 

Il faut se renaettre à l'étude, je dirais volontiers à l'imitation 
des historiens et des orateurs de la Grèce et de Rome; ils nous 
seraient plus profitables qu'aux écrivains des deux derniers 
siècles, puisqu'aujourd'hui nous avons, comme les Grecs et les 
Romains, la vie publique, inconnue à nos pères. 

Ce que j'ai dit de l'effet des traductions peut s'étendre à toutes 
les parties de la littérature. Une philosophie judicieuse donne à 
la langue la précision ; les grammairiens, la sévérité et la régula- 
rité; les orateurs, la facilité et la noblesse ; les poëtes, la richesse, 
la beauté et la variété. Là poésie , par son inspiration et son 
rithme , a surtout de l'efficacité, quand la langue s'use, pour la 
renouveler et en rouvrir la source ; c'est à elle de recréer le mou- 
vement et les détails du style ; ainsi, au crépuscule comme à l'au- 
rore d'une littérature, la poésie est l'école des prosateurs. Aussi- 
tôt qu'une locution du style simple vieillit, elle tombe dans le do- 
maine de la poésie ; le poète est ainsi non-seulement créateur, mais 
conservateur, et la plus grande faute qu'il puisse faire , c'est de 
chercher à interrompre les usages delà langue. Et de plus, comme 
la langue est l'instrument de la pensée, on peut dire qu'un poète 
élégant, quelque frivole qu'il soit, est un homme utile pour l'in- 
telligence, par cela seul qu'il entretient la langue dans un état 
sain. Il n'y a donc pas seulement des moyens grammaticaux pour 
conserver la langue ; une langue est généralement saine dans une 
partie de la littérature, lorsque le genre fleurit; l'inspiration est 
toujours le meilleur guide dans le style. 

La poésie légère est presque nulle aujourd'hui, parce qu'il n'y 
en a plus dans les esprits, parce que la vraie poésie vient de la 
vie, et que notre vie est fort prosaïque^ quoique très-agitée. Il 
n'y a plus de poésie légère et épique que dans les rangs inférieurs 
du peuple, qui lit les vieux romans chevaleresques, et chante ses 
amours et Napoléon. 



\ 



— 65 — 

Âussi^ dans la belle littérature^ le style est faussé ^ mahde, 
perdu , et la prose y est peut-être encore plus gâtée que la poésie ; 
on manque de naturel, parce qu'on a de faux principes, de mau- 
vaises habitudes, des exemples dangereux, et parce qu'on vise aux 
effets extraordinaires. Mais heureusement on s'est lassé des 
hommes qui ont tant fait pour nous blaser et pour corrompre le 
goût; on commence à ne plus suivre des parleurs qui n'ont pas 
même fd en leur honnêteté. Quand une littérature en est là ^ le 
seul bon parti pour tout le monde, c'est de faire ce qiie font les 
jeunes gens sensés d'aujourd'hui, de revenir au simple et au na- 
turel. Les journaux, les écrits périodiques ont beaucoup rendu 
notre littérature flasque par la prohxité ; on devrait oublier qu'on 
écrit à tant la colonne. Nous aurions besoin d'aliments sains et 
d'un régime fortifiant. Il n'y a point de salut dans les matières 
de goût sans la justesse, le naturel et la simplicité. Que l'on me 
permette^ à cette occasion, de rapporter sur le naturel une page 
d'Andrieux; elle est elle-même un modèle de netteté, d'aisance 
et de simplicité. 

« Le naturel doit se trouver dans tous les genres : c'est la vé- 
rité des expressions, des images, des sentiments, mais une vérité 
parfaite, et qui parait n'avoir coûté à l'écrivain aucune peine, au- 
cun ^ort. La moindre affectation détruit ce natarel si précieux; 
dès qu'une expression recherchée, une image forcée, un senti- 
ment exagéré se présentent, le charme est détruit. 

» Le défaut le plus ennemi du naturel, et celui daos lequel nous 
autres Français nous tombons le plus aisément, c'est 4e vouloir 
montrer de l'esprit mal à-propos. Nous, cherchoni» des traits bril- 
lants où il ne faudrait que de la justesse. 

» Les anciens ont eu plus de naturel que les modernes ; c'est un 
naturel admirable et enchanteur, qui donne un si grand prix aux 
chefs-d'oeuvre d'Homère, de Théocrite, de Sophocle; il semble- 
rait que, dans ces temps reculés, les hommes fussent plus près de 
la nature, et qu'ils la sentissent mieux; ils n'avaient pas besoin 
de pensées si fines, ni d'expressions si recherchées; ils nevou- 

5 



— 66 — 

laient que des sentiments vrais^ des imagés fidèles ; lem*s langues 
se prêtaient m\ plus sknples détails^ et admettaient des expres- 
sions communes dans le style le plus relevé; leur extrême sim- 
jdidté nous paraîtrait peut-être trop nue; il nous faut plus de 
recherche^ plus d'ornements : notre langue est dédaigneuse^ «t 
ne se plie qu'avec peine^ dans le genre noble, à l'expression naïve 
des choses ordinaires ; elle rejette même de ce genre beaucoup de 
termes comme trop bas, en sorte qu'il faut user de périphrases : 
Voltaire disait assez plaisamment que notre langue est une gueuse 
fière,À qui il faut faire i'aum&ne malgré elle. 

»0u peut dire que le naturel est, dans les ouvrages de littéra- 
ture des auci^s, et surtout des Grecs, ce qu^il est dans leurs 
belles statues, une imitation fidèle de la nature, sans recherches^ 
sans efforts; la pose de la plupart des figures antiques est simple^ 
vraie; leur expression souvent tout unie; rien d'affecté, rien 
d'extraordinaire; lés artistes, comme les poètes, comme les ora- 
teurs, ne voulaient pas alors faire des tours de force, et courir 
mal à propos après de grands effets. » ( Andrieux, Journal de 
l'École Polytechnique, t. IV, pag. 115 et 116 (1810). 

Pour bannir de notre littérature les pensées fauses et le faux 
goût, lé ton xpprêtéf les tirades indigestes et incohérez^s, pour 
y ramener la vie et le naturel, il faut Une renaissance intdlec- 
tuelle et une réforme morale chez les littérateurs : les auteurs et 
leurs œuvres périront bientôt, i» laproWté et Pinstructicm leur 
manquent. Il y a aujourd'hui, au lieu de «es qualités, la vanité, 
la morgue et la cupidité. Mais on devrait sans cesse se répéter 
cette vérfté : Bien vivre apprend à bien penser ^ bien penser à 
bien parler; et réciproquement: Bien parler apprend à bien 
penser, et même, à la longue, penser avec jusftesse conduit à des 
principes 'honnêtes. On a besoin d'une langue ^your penser; et 
(^s l'instrument est en bon état, mieux ^mi travaille. 



^67 - 



Chapitre XVIII. — Conclusion, 

Lorsqu'un peuple, pur de tout contact avec des nations cor*» 
rompues, est dans sa première jeunesse, n'ayant à combattre que 
sa grossièreté et son ignorance, chacun , rempli pour ainsi dire 
de la sève nationale, suit la pente de son caractère et de son génie^ 
et contribue, sans s'en rendre compte, à la force de la vie com- 
mune. Une nation semblable, dans les mœurs, la politique et la 
littérature, a un long et bel avenir. Mais quand un peuple a 
vieilli parmi les courtisanitô et sous le joug des despotes; quand 
il n'est arrivé à la liberté que peu à peu et par des crises violen- 
tes, la foi est usée, le scqnicisme règne, et la nation est énervée. 
Cependant, chez ce peuple vieilli se trouve un certain nombre 
d'homm€S énergiques, purs, qui, frappés du tableau que leur pré- 
sente la société^ s'écartent du torrent, cherchent dans le passé de 
saints exemples, et placent dans l'avenir de dignes espérances ; 
d'autres, enchaînés par la volupté, attestant le plaisir et la 
faiblesse de l'homme, se plongent dans la vieille corruption et 
dans une ignoble mollesse. Ainsi, dans cette société, l'on voit 
d'un côté d'infâmes hontes, et de l'autre des vertus héroïques. 
Telle était Rome sous ses empereurs; telle a toujours été ia 
France : mais les voix de Pascal, de Féneloa et de La Bruyère, 
de Massillon, de Voltaire et de Rousseau, les cris des amis de 
l'humanité ont été entendus; mais nous avons encore l'Évangile 
et la presse libre. Aujourd'hui, de toutes parts, les hommes qui 
ne sont point avilis ou sans foi convient les coeurs nobles et les 
mains pures à l'œuvre commune, à la régénération nationale. Là 
est l'avenir de notre littérature; c'est là une œuvre digne des in- 
telligences supérieures, l'emploi des conducteurs de l'immanlté. 
Que le cri de réforme se fasse entendre de toutes parcsl Expli- 
quant aax Français et à tous les hommes les droits du citoyen, 
HMHitroQs que leur exercice est un devoir, leur négligence «ne 



-^ 68 — 

îneftie funeste. O vous, hommes de cœur et de raison,^ démas- 
quez dans son égoïsme et flétrissez, soirs sa cofo'onne de roses,, 
la doctrine du plaisir; montrez à nu le cœur séché et rongé 
par elle ; appliquez un fer brûlant sur les bouches vénales : alon» 
la France renaîtra comme une digne fille de Dieu, et notre litté- 
rature sera un mets divin pour les hommes. 

Depuis les premiers bégaiements de notre poésie jusqu'au ro- 
man de ta Rose, depuis le roman de la Rose jusqu'à Désaugiers, 
la galanterie et la moquerie sont le fond et la vie de la plupart 
de nos poésies et de nos romans : aussi que de fadeur, que de 
libertinage eft dé scepticisme dans toute notre littérature ! Si ces 
qualités y régnaient sans partage, ne faudrait il pas la condamner 
au feu comme pernicieuse à l'humanité ? Heureusement il s'est 
trouvé dix justes pour conjurer la colère du ciel ; mais ces dix 
justes morts, que deviendra la cité coupable? Est-ce la théorie 
de l'art pour l'art, et le scepticisme romantique, sous son manteau 
catholique, qui ramènera les mœurs et le bon goût? Sont-ce des 
hommes chez qui est mort tout amour pour les enfants, pour l'é- 
pouse, pour la patrie, qui feront une langue saine, qui compose- 
ront des poèmes fortifiants et doux au cœur, qui dans leurs écrits 
feront reluire la vérité ? 

. Concluons que pour relever la langue il faut aujourd'hui rele- 
ver la littérature , si enfoncée dans l'ornière et le bourbier, si 
rongée de ses vieux ulcères. 

Rappelons aux journalistes que l'ignorance et le pédantisme 
sont funestes et ridicules; que la légèreté des jugements est con- 
damnable; que la camaraderie sans bornes a égaré le public et 
perdu les auteurs : l'homme est si faible, que la louange qu'il a 
fait préparer lui-même l'empoisonne. Il faut de la fraternité, mais 
non des coteries: sans doute l'amitié est sainte, mais la justice 
l'est encore plus. 

L'avidité des libraires a fait porter depuis vingt ans le charlata- 
nisme littéraire à un degré honteux et inouï; à force d'abuser le 
public, ils l'ont dégoûté, et ils ont tué du même coup la librairie et 



-6ô- 

ta littérature. Que les auteurs s'instruisent par l'étude^ se réfrènent 
sur la vanité et l'avidité, qui leur fait composer un volume par mois, 
le trouvant toujours trop bon pour un public arrogamment méprise 
par eux, mais qui leur rend bien leur mépris. Que les auteurs qui 
sont dans le besoin cherchent à côté de h littérature des moyens 
d'existence et une conscience indépendante : aujourd'hui, il ne 
faut plus être homme de lettres par état, si l'on né veut pas s'ex- 
poser à vendre sa phifisë et son honneur. 

Il est toujoui^'igiioblsë^ il est odieux, au milieu dés pi^ofoudos 
misères qui nous entourent^ de faire de Tm* son dieu , et de la 
volupté fcu religioîi ; la vie de plaisir et l'exercice sérieux du talent 
sont même incompatibles ; 

Qui sliidct optatam cuisu contin^cre mclara» 
iMutia tuUt fecHqiTe puer , sudavil et alàît , 
Âbstiniiit venere et vino. 

(HoH., i>« /^Wtf /^oef., V. 4i2-4i4.) 

La mission est grande et belle, non moins que celle du prêtre* 
chrétien et du philosophe de l'antiquité ; mais quel compte à ren- 
dre! La renommée est une seconde obligation d'êtr<& vertueux. 
Tout homme dont le nom est répété est exposé aux regards et aux 
dJscoursdu public ; plus un auteur a de talent et de réputation, 
plus il est dangereux ou bienfesant. Ses écrits vont entretenir les 
pensées intknes de l'homme et de la mère de famille, les causeries 
du jeune homme et les rêveries de la jeune fille; corrompu et au 
fond de Tabîme, il ne peut y rester seul ; il y fait descendre par 
des chemins glissants et rapides les âmes faibles et passionnées ; il 
a vécu pour la ruine morale ou pour lëîsDillut de tous ceux qui l'ont 
lu. L'écrivain est donc responsable pour lui et pour plusieurs des 
exemples qu'il donne et des principes qu'il professe. Qu'est-ce 
que les lettres, quel est leur prlxj si elles ne servent à nous rendre 
meilleurs et plus respectables ? Ne doivent-elles pas faire grandir 
la moralité de l'auteur et du public ? Qu'il y ait, je l'accorde, quel- 



— co- 
ques esprits badins et frivoles^ dont les récits ou les productions 
amusent dans les moments perdus; mais qu'ils soient en. petit 
nombre dans une littérature^^ et surtout qu'ils soient amusaAls I 

Enfin, souvenons-nous que l'homme marche avant le liltéra^ 
teur, mais aussi que le grand écrivain, comme le chef politique, 
par l'autorité de son exemple et de sa parole, vaut à lui seul plu- 
sieurs hommes. Il a aussi plus de mérite à vaincre son cœur que 
le simple citoyen, car quiconque a eu plus de combats à rendre, 
vainqueur recueillera plus de gloire et un bonheur inaltérable. 
Le public, toujours juste à la longue, tient compte aux hommes 
supérieurs par leur position et leurs talents, des périls qu'ils ont 
courus et surmontés; et les vertus des grands écrivains ont tou- 
jours reçu de la postérité leur tribu légitime d'hommages. Que 
cette gloire est encourageante ! Quelle plus noble ambition que 
celle de conduire les hommes à la vertu en charmant leur esprit? 
Mais reconnaissons aussi que la philosophie, la religion et la 
liberté ne suffisent pas à former une bonne littérature ; il faut y 
Joindre l'imagination, le sentiment des convenances sociales et 
littéraires, et le tact grammatical, qui ne peut se dévelqpiper que 
par l'étude du Bon Usage. 



NOT£ DU CHAPITRE I^. 



J'ai parlé de la version des Psaumes par Coarart. Voici deux 
passages de cette version trop peu connue et trop peu appréciée ; 
ou y reconnaîtra U belle langue du dix-septième siècle. 



Psaume 90^ 



Toujours, Seigneur , tu fus notre retraite, 

Notre secours, notre sûre défense ; 

Avant qu'on vit des hauts monts la naissance, 

Et même avant que la terre fût faite, 

Tu fus toujours vrai Dieu comme tu Tes, 

Et comme aussi tu dois l'ûtre à jamais. 

D'un mot tu peux nos faibles corps dissoudre, 
Si tu nous dis : Créatures mortelles 1 
Cessez de vivre et retournez en poudre. 
Mille ans k toi qui l'Éternel t'appelles 
Sont comme à nous le jour d'hier qui fuit, 
Ou seulement une veille en la nuit. 

Dès que sur eux tu fais tomber l'orage. 

Ils s'en vont tous comme ud songe qui passe 

Qu'avec le jour un prompt réveil efface ; 

Ou, comme aux champs, on voit un verl herbage, 

Frais le matin, dass sa plus belle fleur. 

Perdre le soir sa grftce et sa couleur. 

Ces strophes montrent la grâce de l'inversion dans la poésie 
noble, et prouvent qu'il est possible, qu'il n'est pas choquant 
d'entrelacer des rimes féminines. 

Psaume 1Q4. 

n faut, mon Ame, il faut avec ardeur 
De rÉternel célébrer la grandeur. 



— ya - 

Dieu Toat-Poissant, seul digne de mémoirer 

Je te contemple environné de gloire. 

Geint de lumière et paré richement 

De ta splendeur comme d'un vêtement. 

Four pavillon à ta majesté sainte, 

Ta main forma ées cieux la vaste enceinte*. 

Ton haut palais est d'eaux tout lambrissé. 
Pour toi la nue est un char exhaussé ; 
Les vents ailés, lorsque tu te promènes, 
Pour te porter redoublent leurs haleines. 
De ces esprits aussi prompts que légers ... 
Quand il te plaît tu tais tes messagers ; 
Et, si tu veux exercer la justice, . 
Les feux brûlanssont prêts à tou servie». 

Tu fis la terre et P'assis fermement. 
Son propre poids lui sert de fondement ; 
Rien ne l'ébranlé, et Ton la voit paraître 
Telle aujourd'hui qu'an jour qui la vit naître. 
Auparavant d'un grand abîme d'eau ' 
Tu la couvrais comme d'un noir manteau. ' 
Les eaux flottoient encor sur les montagnes 
Gomme elles ftint dans les basses campagnes. 

Mais d'un seul mot, qu'il te plut proférer. 
Toutes soudain tu les fis retirer ; 
Ta forte voix, qui forme le tonnerre. 
Avec frayeur leur fit quitter la terre ; 
Alors on vit mille monts se hausser, 
Mille vallons à leurs pieds s'abaisser. 
Tous se hâtant pour occuper la place 
Qu'il t'avait plu leur marquer par ta grâce» 

La mer alors sous tes yçux se forma,. 
Et dans ses bords toute se renferma, ■ 
N'osant franchir les bornes éternelles 
Qui de ses flots sont les gardes fidèles. 
Entre les monts tu fis sourdre les eaux. 
Tu fis partout couler mille ruisseaux, 
Qui, descendant des plus hautes collines. 
Vont réjouir les campagnes voisines. 



- 73 - 

Là, quand le jour commence d'éclairer , 
Les animaux vont se desaltérer ; 
TousàTenvi, même Tâne sauvage, 
Gourentken foule à ce commun breuvage. 
Le long des bords de ces ruisseaux courants 
On voit voler mille oiseaux différents. 
Qui, se posant sous le sombre feuillage, 
Font tour-à-tour entendre leur ramage. 

Tu fis la lune et tu réglas son cours , 
Pour nous marquer et les mois et les jours ; 
Et le soleil, au moment qu'il se lève , 
Sait où le soir sa carrière s'achève. 
Tu couvres l'air d'un voile ténébreux. 
Qui de la nuit rend le visage affreux ; 
Et c'est alors que les bêtes sauvages , 
Sortant des bois, cherchent les pâturages. 

Le lionceau, dans son besoin pressant, 
Après la proie en fureur rugissant, 
A toi, Seigueur, auteur de la nature. 
Pousse des cris pour avoir sa pâture. 
Puis, le soleil nous ramenant le jour. 
Tigres , lions , rentrent dans leur séjour ; 
Tous s*en revont dans leur demeure sombre. 
Pour y trouver du repos et de l'ombre. 



LA DEFENSE ET ILLUSTRATION 
LA LANGUE FRANGOYSE. 

PAR JOACHIH DU BELLAY. 



L'autheur prye les lecteurs différer leur jugement jusques à la 
fin du livre 9 et ne le condamner sans avoir premièrement bien 
Teu, et examiné ses raisons. 



Ets oioivbç aptaroç àfiùvsfj^cci iiipï ità.rpYn , 

EiTrsv ofJLTfipilotv eweîTcvj xoytTcov. 
Êv oè xAlos /it^'âpivro-^ à/AÛvsirdat Tt^pi yXônvra 

Ti^ç Ttccrpirii , xa'yw j»yj/*i 7ray5(MJtàciJV 
BeAÀài' ws yoOv aiO Ttpàyovoi ftXonécrptSsi âvSpii 

llxOUffOCV, TtKTpîm y^Ç TTS/^l flUp'JKfMVOt, 

OwTWs xal TrocTjO^iQS ffù srjVYiyopicov Tvsjil yAwTTvj«, 



A MONSEIGNEUR 



Veu le persoDDaige que tu joues au spectacle de 
toute l'Europe, voyre de tout le monde, en ce grand 
théâtre romain; yeu tant d'affaires et telz, que seul 
quasi tu soutiens : ô Thonncur du sacré Collège ! pe- 
cheroy-je pas (comme dit le Pindare latin) contre le 
bien publicq', si par longues paroles j'empeschoy' le 
tensque tu donnes au service de ton Prince, au profit 
de la patrie, et à l'accroissement de ton immortelle 
renommée ? Epiant donques quelque heure de ce peu 
de relaiz, que tu prens pour respirer soubz le pesant 
faiz des affaires francoyses (charge vrayement digne 
de si robustes épaules, non moins que le ciel de celle 
du grand Hercule), ma Muse a pris la hardiesse d'en- 
trer au sacré cabinet de tes saintes et studieuses oc- 
cupations : et la, entre tant de riches et excellens vœuz 
de jour en jour dédiez à l'image de ta grandeur, pen- 
dre le sien humble et petit, mais toutesfois bien heu- 
reux, s'il rencontre quelque faveur devant les yeux de 
ta bonté , semblable à celle des Dieux immortelz, qui 
n'ont moins agréables les pauvres presentz d'un bien 
riche vouloir que ces superbes et ambicieuses offran- 
des. C'est en effect, la Deffence et Illustration de nostre 
langue francoyse ; à l'entreprise de laquele rien ne m'a 
induyt, que l'affection naturelle envers ma patrie ; et 



- :8 - 

à te la dédier, que la grandeur de ton nom : afin qu'elle 
se cache (comme soubz le bouclier d'Ajax) contre les 
traîctz envenimez de ceste antique ennemye de vertu, 
soubz Tumbre de tes esles; de toydy-je, dontrincom-^ 
parable scavoir, vertu, etconduyte, toutes les plus 
grandes choses, de si long tens de tout le monde 
sont expérimentées, que je ne les scauroy' plus au vif 
exprimer, que les couvrant (suyvant la ruse de ce noble 
peintre Tymante) soubz le voyle de silence, pource^ 
que d'une si grande chose il vault trop myeux, comme 
de Carlhage disoit T. Live, se taire du tout, que d'en 
dire peu. Recoy donques avecques ceste accoutumée 
bonté, qui ne te rend moins amyable entre les plus 
peliz que la vertu et auctorité venembie entre les 
plus grands, les premiers fruictz, ou pour myeulx dire, 
les premières fleurs du printens de celuy, qui, en toute 
révérence et humilité, bayse les mains de ta R. S. ; 
priant le Ciel te départir autant d'heureuse et longue 
vie , et à tes haultes entreprises estre autant favora- 
ble, comme envers toy il a été libéral, voyre prodi- 
gue de ses grâces. A Dieu , de Paris ce. 45. de Fé- 
vrier, 1549. 



LA DEFENSE ET ILLUSTRATION 



DE 



LA LANGUE FRANCOYSE* 



LIVRE PREMIER. 



Chapitre 1". — De l'Origine des Langues. 

Si la Nature (dont quelque personnaige de grand'renommée 
non sans rayson a douté si on la devoit appeller mère ou marâ- 
tre) eust donné aux hommes un commun vouloir et consentement^ 
outre les innumerables conunoditez qui enfeussent procedées, 
l'inconstance humaine n'eust eu besoii^ de se forger tant de ma- 
nières de parler ; laquéle diversité et confusion se peut à bon 
droict appeller la Tour de Babel. 

DonquQ^ les Langues ne sont nées d'elles mesmes en façon 
d'herbes^ racines et arbres ^ les unes infirmes et débiles en leurs 
espèces, les autres saines et robustes et plus aptes à porter le faiz 
des conceptions humaines ; mais toute leur vertu est née au monde 
du vouloir et arbitre des morteiz. iCela, ce me semble^ est une 
grande raison pourquoy pu ne doit ainsi louer une langue, et blâ- 
mer fautre , veu qu'elles viennent toutes d'une mesme source et 
origine, c'est la fantasie des honmDies;^^et ont été formées d'un 
mesme jugement, à une mesme fin , c'est pour signifier entre 
nous les conceptions et intelligences de l'esprit. Il est vray que 
par succession de tens, les unes, pour avoir été plus curieuse- 
ment reiglées, sont devenues plus riches que les autres : mais cela 
ne se doit attribuer à la feUcité desdites langues, ains au seul arti- 
fice et industrie des hommes. Ainsi doucques toutes les choses 



— 8o — 

qu^ la nature a crées ^ tous les arg et sciences^ en toutes les quatre 
parties du monde, sont chacune endroict soy une mesme chose ; 
mais pource que les hommes sont de divers vouloir^ Hz en parlent 
et écrivent diversement. 

À ce propos^ je ne puis assez blainer la sotte àrrç^nce et té- 
mérité d'aucuna de notre naticm, qui ù'etans rien moins que 
Grecz ou Latins^ deprisent et rejeteiitd'un sourcil plus questoî- 
que toutes choses écrites en francois ; et ne me puys assez 
émerveiller de l'étrange opinion d'aucuns scavans^ qui pensent 
que nostre vulgaire soit incapable de toutes bonnes lettres et eru- 
dition, comme si une invention pour le languaige seulement de- 
voit estre jugée bonne ou mauvaise, A ceux la je n'ay entrepris de 
satisfaire ; à ceux-cy je veux bien, s'il m'est possible, faire changer 
d'opinion par quelques raisons, que brefvement j'espère deduyre: 
non que je me sente plus cler voyant eli cela pu autres choses 
qu'ilz ne sont, mais pource que Tafféction qu'ilz portent aux lan- 
gues estrangieres , ne permet qu'ilz veillent faire sain et entier 
jugement de leur vulgaire. 



Chapitre II. — Que la Langue fràncoyse ne doit estre nommée 
barbare. 

Pour commencer donques à entrer en matière, quand à la si- 
gnification de ce mot Barbare: Barbares anciennement etoint 
nommez ceux qui* îneptement parloint grec. Car comme les 
étrangers venans à d'Athènes s'efforcoint de parler grec, ils 
tumboint souvent en ceste voix absurde ^âp^apaç. Depuis les 
Grecz transportarent ce nom aux meurs brutaux et cruelz, ap- 
pellant toutes nations, hors la Grèce, Barbares ; ce qui ne doit en 
rien diminuer l'excellence de notre langue, veu que ceste arro- 
gance greque, admiratrice seulement de ses inventions, n'avoit 
loy ny privilège de légitimer ainsi sa nation, et abâtardir les au- 



— 8i — 

très, comme Ânacharsis disoit que tes Scythes etoint barbares 
entre les Athéniens, mais les Athéniens aussi entre les Scythes. 
£ t. quand la barbarie des meurs de notz ancéstres eust deu les 
mouvoir à nous apeller Barbares, si est ce que je ne voy point 
pourquoy on nous doive maintenant estimer tdz, veu qu'en civi- 
lité de meurs, équité de lois, magnanimité de couraiges, bref, en 
toutes formes et manières de vivre, non moins louables que pro- 
fitable^, nous ne sommes rien moins qu'eux, mais bien plus, veu 
qu'ilz sont telz maintenant, que nous les pouvons justement 
apeller par le nom qu'ilz ont donné aux autresjpEncores moins 
doit avoir lieu, de ce que les Romains nous ont appeliez Barbares, 
veu leur ambition et insatiable faim de gioyre, qui tachoint non 
seulement à subjuger, mais à rendre toutes autres nations viles 
et abjectes auprès d'eux, principalement les Ganioys, dont ilz ont 
receu plus de honte et dommaigeque des autres. 

A ce propos, songeant beaucoup de foys d'où vient que les gestes 
du peuple romain sont tant célébrés de tout le monde, voyre de si 
long intervale préférés à ceux de toutes lés autres nations ensem- 
ble, je ne treuve pdnl plus grande raison que ceste cy : c'est 
que les Romains ont eu si grande multitude d'écrivains, que la plus 
part de leur [leurs] gestes (pour ne dire pis) par l'espace de tant 
d'années, ardeur de batailles, vastité d'Italie, incursions d'estran- 
gers, s'est conservée entière jusques à nostre tens. Au contraire 
les faiz des autres nations, singulièrement des Gauloys, avant 
qu'ilz tumbassent en la puyssance des Francoys, et les faiz des 
Francoys mesmes, depuis qu'ilz ont donné leur nom aux Gaules, 
ont été si mal recueilliz, que nous en avons quasi perdu non seu- 
lement la gloire, mais la memoyre (1). A quoyà bienaydé l'envie 



« Atheniensium res gestae, fiicuti ego existumo, satis amplae, magnîQ- 
cseque fuere; veram aliquànto miDores lamen quam famâ feruntur. Sed 
quia provenere ibi scrtptorummagnaingeDia, perterrarum orbem Athe» 
DÎensiam facta pro maxumis celebrantur. Ita eoruai qui ea fecere vir« 

6 



— 82 — 

des Romains, qui comme par une certaine conjuration conspirant 
contre nous, ont exténué en touf ce qu'ilz ont peu notz louanges 
belliques, dont ilz ne pouvoint endurer la clarté; et non seiAe- 
ment nous ont fait tort en cela, mais pour nous rendre encor' 
plus odieux et contemptibles, nous ont apellez brutaux, cruelz' 
et Barbares. Quelqu'un dira, pourquoy ont-ilz exempti^esGrecz 
de ce nom? pource qu'ilz se feussent fait plus grand tort qu'aux 
Grecz mesmes, dont ilz avoint emprunté tout ce qu'ilz avoint 
de bon, au moins quand aux sciences et illustration de leur langue. 
Ces raysons me semblent suffisantes de faire entendre à tout 
équitable estimateur des choses que nostre langue (pour avoir 
été nommes Barbares ou de noz ennemis, ou de ceux qui n'a- 
voint loy de nous bailler ce nom) ne doit pourtant estre depri- 
sée mêlâmes de ceux aux quelz elle est propre et naturelle, et qui 
en rien ne sont moindres que les Grecz ou Romains. 



Chapitre III. -^Pourqmy ta Langue francoyse n^est si riche 
que la greque et latine. 

Et si nostre langue n'est si copieuse et riche que la greque ou 
latine, cela ne doit estre imputé au defaultd'icelle, comme si d'elle 
mesme elle ne pouvoit jamais estre sinon pauvre et stérile : mais 
bien on le doit attribuer à l'igaorance de notz majeurs, qui ayans 
(comme dict quelqu'un, parlant des anciens Romains) en plus 
grande recommandation le bien faire que le bien dire, et mieux 
aymans laisser à leur postérité les exemples de vertu que les prê- 



tas tanta habetur, qaantum verbis eam potuere extollcre praeclara ii>- 
genia. Ât popolo romano nunquain ea copia fuit.* 

Sallcst., Beli. CatiL, ek & 



— 83 — 

ceptes, se sont privez de la gloire de leurs bien faitz (1), et noms 
dufruict de l'immitationd'iceux : et par mesme moyen nous ont 
laftsé nostre langue si pauvre etnue^ qu'elle a besoing des orne- 
mentz^ (et s'il fault ainsi parler) des plumes d'autruy. 

**■ Mais qui voudroit ^jre que la greque et romaine eussent tous- 
jOurs eti en l'excellence qu'on les a vues du tens d'Homère 
et de Demosthene^ de Virgile et de Ciceron ^Et si ces aucteurs 
eussent j«gé que jamajg pour quelque diligence et culture qu'on 
y eust peu faire, elles n'eussent sceu produyre plus grand fruict, 
se feussent ilz tant eforcez de les mettre au point ou nous les 
voyons maintenant? Ainsi puys-jedire de nostre langue^qui com- 
mence encores à fleurir saïis fructifier, ou plus tost, comme une 
plante et vergette, n'a point encores fleury, tant se fauk (ju'elle 
ait apporté tout lé fruict qu'elle pouroit bien produyre. Cela cer- 
tainement non pour le defaultde la nature d'elle, aussi apte à en- 
gendrer que les autres, mais pour la coulpe de ceux qui l'ont eue en 
garde, et ne l'ont cultivée à suffisance : ains comme une plante 
sauvaige, en celuy mesme désert ou elle avoit commencé à nai- 
tre, sans jamais l'arrouser, la tailler, ny défendre des ronces et 
épines qui luy faisoint umbre, l'ont laissée envieillir et quasi 
mourir. Que si les anciens Romains eussent été aussi negligens 
à la culture de leur langue quand premièrement elle commença à 
pululer, pour certain en si peu de tens elle ne feust devenue si 
grande. |Mais eux, en guise de bons agriculteurs, l'ont première- 
ment transmuée d'un lieu sauvaige en un domestique ; puis affin 
que plus tost et mieux elle peust fructifier, coupant à l'eutour les 
inutiles rameaux, l'ont pour échange d'iceux restaurée de rameaux 

' francz et domestiques magistralement tirez de la langue greque, 
les quelz soudainement se sont si bien entez et faiz semblables à 



(i)« Optumus quisqae facere quam dicere, sua ab aliis benefacla lau- 
darî , quam ipse aliorum narrare inalebat. » 

SALtosT. BelL CatiU , ch. 8. 



- 84 - 
leur tronc, que désormais n'apparoissent plus adoptifz, mais na* 
turels. De la sont nées en la langue latine ces fleurs et ces fruictz 
colorez de cete grande éloquence , avec ces nombres et cete l)«i-> 
son si artificielle^ toutes lesquelles choses, non tant de sa propre 
nature que par artifice, toute langue a coutume de produyre. 

Donques si les Grecz et Romains, plus diUgens à la culture de 
leurs langues que nous à celle de la nostre, n'ont peu trouver en 
^ icelles, sinon avecques grand labeur et industrie, ny grâce, ny 
j^ nombre, ny finalement aucune éloquence, nous devons nous 
émerveiller si nostre vulgaire n^est si riche comme il pourra 
bien estre, et à^ la prendre occasion de le mépriser comme chose 
vile et de petit prix? Le tens viendra, peut estre, et je l'espère 
moyennant la bonne destinée francoyse, que ce noble et puissant 
royaume obtiendra à son tour les resnes de la monarchie, et que 
nostre langue (si avecques Francoys n'est du tout ensevelie la lan« 
gue francoyse) qui commence encor' à jeter ses racines, sortira 
de terre, et s'eievera eu telle hauteur et grosseur, qu'elle se 
poura égaler aux mesmes Grecz et Romains, produysant cpmme 
eux des Homeres, Demosthenes , Yirgiies et Cicerons , aussi bien 
que la France a quelquesfois produit des Pericles, Nicies, Alci-. 
biades, Themistocles, Césars et Scipions. 



Chapitre IV. — Que la Langue francoyse n'est si pauvre que 
beaucoup l'estiment.^ 

Je n'estime pourtant nostre vulgaire, tel iju'il est maintenant, 
eslre si vil et abject, comme le font ces ambicieux admirateurs des 
langues greque et latine, qui ne pensereânt^ et feussent ilz la 
mesme Pithô déesse de persuasion, pouvoir rien dire de bon, si 
n'etoit en langaige étranger et non entendu du vulgaire. Et qui 
voudra de bien près y regarder, trouvera que nostre langue fran- 
coyse n'est si pauvre qu'elle ne puysse rendre fidèlement ce qu'elle 



— 85 — 

emprunte des autres; si infertile, qu'elle ne puysse produyre de 
soy quelque fruict de bonne'invention , au moyen de rinduslrie 
et diligence des cultiveurs dicelle, si quelques uns se treuvent 
tant amys de leur pays et d^eux mesmes qu'ilz s'y veillent em- 
ployer. 

Mais à qui^ après Dieu^ rendrons nous grâces d'un tel béné- 
fice, sinon à nostre feu bon roy et père Francoys premier de ce 
nom et de toutes Y^tuz ? Je dy premier^ d'autant qu'il a en son 
noble royaume premièrement restitué tous les bons ars et sciences 
en leur ancienne dignité ; et si à nostre langaige, au paravant 
scabreux et mal poly, rendu élégant , et si non tant copieux, qu'il 
ponra bien estre pour le moins fidèle interprète de tous les au« 
très. Et qu'ainsi soit, philosophes, historiens , m^cins, poètes, 
orateurs grecz et latins ont appris à parler francois. 

Que diray-je des Hébreux ? Les saintes lettres donnent ample 
temoingnaigedece que je dy. Je laisseray encest endroict les su- 
perstitieuses, raisons de ceux qui soutiennent que les mystères 
de la théologie ne doyvent estre découverts et quasi comme pro- 
" pbanez en }angaige vulgaire, et ce que vontalleguantceuxqui sont 
d'opinion contraire ; car ceste disputation n'est propre à ce que 
j'ay entrepris, qui est seulement de montrer que nostre langue 
. n'a point eu à sa naissance les dieux et les astres si eaneniis 
qu'elle ne puisse un jour parvenir au poinct d'excellence et de 
perfection, aussi bien que les autres, entendu que toutes sciences 
se peuvent fidèlement et copieusement traicter en icelle, comme 
on peut voir en si grand nombre de livres grecz et latins, voire 
biaiitaliens,espaignohset autres, traduictz en francoys par maintes 
«t excellentes plumes de nostre tens. 



— 86 — 

Chapitbe y. — Que les Traductions ne sont suffisantes pour 
donner pei^fection à la langue francoyse. 

Toutesfois ce tant louable labeur de traduyre ne me semble 
moyen unique et suffisant pour élever nostre vulgaire à l'égal 
et parangon des autres plus fameuses langues ; ce que je pretens 
prouver si clerement, que nul n'y vouldra^ ce croy je, contre- 
dire, s'il n'est manifeste calumniateur de la vérité. 

Et premier, c'est une chose accordée entre tous les meilleurs 
aucteurs de rethorique, qu'il y a cinq parties de bien dire, l'inven- 
tion, Teloquution, la disposition J)a mémoire et la pronuntiation. 
Or pour autant que ces deux deniieres ne s'aprennent tant par le 
bénéfice des langues, comme elles sont données à chacun selon la 
félicité de sa nature , augmentées et entretenues par studieux 
exercice et continuelle diligence ;|pour autant aussi que la dispo- 
sition gist plus en la discrétion et bon jugement de l'orateur qu'en 
certaines reigles et préceptes, veu que les evenementz du tens , 
la circunstance des lieux , la condition des personnes et la diver- 
sité des occasions, sont innumerables : je me contenteray de par- 
ler des deux premiers, scavoir de l'Invention et de l'Eloquution. 

L'office donques de l'orateur est de chacune chose proposée 
élégamment et copieusement parler. Or ceste faculté de parler 
ainsi de toutes choses ne se peut acquérir que par l'intelligettce 
parfaite des sciences, les queles ont été premièrement traitées 
par les Grecz^ et puis par les Romains imitateurs d'iceux. Il fault 
donques nécessairement que ces deux langues soint entendues 
de celuy qui veut acquérir cete copie et richesse d'invention, 
première et principale pièce du harnoys de l'orateur^ Et quand à 
ce poinct, les fidèles traducteurs peuvent grandement servir, et 
soulaiger ceux qui n'ont le moyen unique de vacquer aux langues 
estrangeres. 

Mais quand à l'Eloquution, partie certes la plus difBcile et sans 
la quelle toutes autres choses restent comme inutiles et sembla- 



-87- 
blés à un glayire encores couvert de sa gayne^ l'eloqnution, dy |e, 
par la quelle principalement un orateur est jugé plus excellent, 
€t un genre de dire meilleur que l'autre, comme celle dont est apellée 
lamesme éloquence, et dont la vertu gistauxmotz propres, usitez 
et non aliéneS'du commun usaige de parler, aux métaphores, a- 
l^ories, comparaisons, similitudes, énergies, et tant d'autres 
figures et ornemeus, sans les quelz tout oraison et poëme sont 
nudz, manques €t débiles : je ne croyray jamais qu'on puisse bien 
apprendre tout cela des traducteurs, pour ce qu'il est impossible 
de le rendre avecques la mesme grâce dont l'autheur en a usé; 
d'autant que chacune langue a je ne^scay quoy propre seulement 
à elle, dont si vous efforcez exprimer le naïf en une autre langue, 
observant la loy de traduyre, qui est n'espacier point hors des li- 
mites de l'aucteur, vostre diction sera contrainte, froide est [et] de 
mauvaise grâce JjrEt qu'ainsi soit, qu'on me lyse un Demosthene 
€t Homère latins, un Ciceron et Vergile f rancoys^ pour voir s'ilz 
vous engendreront telles affections, voire ainsi qu'un Prothée vous 
transformeront en diverses sortes, comme vous sentez, lisant ces 
aucteurs en leur langues : il vous semblera passey [passer] de l'ar- 
dente montaigne d'Aetne sur le froid sommet de Caucase. Et ce 
que je dy des laïques latine etgreque, ce [se] doit réciproquement 
dire de tous les vulgaires, dont j'all^ueray seulement un Pétrar- 
que, duquel j'ose bien dire, que si Homère et Virgile renaissans 
avoint entrepris àe le traduyre, ilz ne le pouroint rendre avec- 
ques la mesme grâce et naïfveté, qu'il est en son vulgaire tos- 
can. Toutesfois quelques uns de notre tens ont entrepris de le 
faire parler francoy s. 

Yoyla en bref les raisons, qui m'ont fait penser que l'office et 
diligence des traducteurs, autrement fort utile pour instruire les 
ignorans des langues étrangères en la congnoissance des choses, 
n'est suffisante pour donner à la nostre ceste perfection, et comme 
font les peintres à leur tableaux, ceste dernière main que nous 
desirons. Et si les raisons que j'ay alléguées ne ' semblent assez 
fortes, je produîray pour mes garans et deffenseurs les anciens 



— 88 — 

ancteurs romains^ poètes principalement et orateurs, les quelz 
(combien que Ciceron ait tradoyt quelques livres de Xenophôn et 
d'Arate, et qu'Horace baille les préceptes de bien traâûyfe) oiit 
vacqué à ceste partie plus pour leur étude et profit particulier, que 
pour le puUier à l'amplification de leur langde, à leur glmre^ et 
conunodité d'autruy. Si aucuns ont veu quelques œuTres de ce 
tens la, soubz tiltre de traduction , j'entens de Ciceron, de Vir- 
gile, et de ce bienheureux siècle d'Auguste, ilz me pourroint 
démentir de ce que jfe dy. 



Chapitre VI. — Des mauvais Traducteurs, et de ne traduyre 
Les poètes. 

Mais que diray-je d'aucuns, vrayement mieux dignes d'estre 
appelles traditeurs que traducteurs ? veu qn'ilz trahissent ceux 
qu'ilz entreprennent exposer, les frustrant de leur gloire, et par 
mesme moyen seduysent les lecteurs ignorans, leur montrant le 
blanc pour le noyr ; qui, pour acquérir le nom de scavans, tra- 
duysent àcredict les langues, dont jamais ilz n'ont entendu les pre- 
miers elementz, comme l'hébraïque et la grecque ; et encor' pour 
myeux se faire valoir, se prennent aux poètes, genres d'aucteurs 
certes, auquel si je scavoy, ou vouloy' traduyre, je m'addroiçseroy' 
aussi peu, à cause de ceste di vinité d'i nvention, qu'ilz ont plus 
que les autres, de ceste grandeur de style, magnificence de motz, 
gravité de sentences, audace et variété de figures, et lâil' autres 
lumières de poésie , bref ceste énergie, et ne scay quel esprit, 
qui est en leurs escriz, que les Latins appelleroient Genius^ tot^ 
tes les quelles choses se peuvent autant exprimer en traduisant, 
comme un peintre peut représenter l'ame avec le cors de celuy 
qu'il entreprend tyrer après le naturel? 

Ce que je dy ne s'adroisse pas à ceux^ qui , par le commande- 
ment des princes et grands seigneurs, traduysent les plus fameux 



-89- 

poëtes grecz et latins^ pour ce que Tobeissance qu'on doit à telz 
personnaiges ne reçoit aucune excuse en cet endroit : mais bien 
j'entens parler à ceux qui de gayeté de cœur (comme on dicl) en- 
treprennent telles choses légèrement^ et s'en aquitent de mesme. 
O Apolon! O Muses! prophaner ainsi les sacrées reliquesde l'an- 
tiquité P Mais je n'en diray autre chose. Cduy donques qui vou- 
dra faire œuvre digne de prix en son vulgaire , laisse ce labeur 
de traduyre, principalement les poètes, à ceux qui de chose la- 
borieuse et peu profitable, j'ose dire encor' inutile, voyre per- 
nicieuse à l'acroissement de leur langue, emportent à bon droict 
plus de molestie que de gloyre. 



Chapitre VIÏ. — Comment les Romains ont ennchy leur 
langue. 

Si les Romains, dira quelqu'un, n'ont vaqué à ce labeur de 
traduction, par quelz moyens donques ont ilz peu ainsi enrichir 
leur langue, voyre jusques à i'egaller quasi à la greque ? Immitant "\ 
les meilleurs auteurs grecz, se transformant en eux, les dévorant ; j 
et, après les avoir bien digérez, les convertissant en sang et nôu- 
riture, se proposant, chacun selon son naturel et l'argument 
qu'il voulolt élire, le meilleur aucteur , dont ilz observoint dili- 
gemment toutes les plus rares et exquises vertuz, et icelles comme 
grephes, ainsi que j'ai dict devant, entoint et apliquoint à leur 
laogtte. Cela faisant, dy-je> les Romains ont baty tous ces beaux 
ecriz, que nous louons et admirons si fort, égalant ores quelqu'un 
d'icenx, ores le pr^rant aux Grecz. Et de ce que je dy font 
bonne preuve Ciceron et Virgile, que voluntiers et par honneur 
je nomme tousjours en la langue latine, des quelz comme l'un se 
feut entièrement adonné à l'imttiitation des Grecz, contrefist et 
exprima si au vif la copie de Platon, la vehefnence de Demostheiie, 
et la joyeuse douceur d'ïsocrate, que Molon Rhodian l'oyant 



— 90 — 
quelquefois déclamer^ s'écria qu'il emportoil l'éloquence grec- 
que à Rome. L'autre immita si bien Homère, Hésiode et Thëo- 
crlt , que dq)uis on a dict de luy que de ces troys il a surmonté 
i'un^ égalé l'autre^ et aproché si près de l'autre , que si la félicité 
des argumens qu'ils ont traitez eust esté pareille, la palme se- 
roit bien doutepse. 

Je TOUS demande donq', vous autres qui ne vous employez 
qu'aux translations, si ces tant fameux aucteurs se fussent amusez 
à traduyre, eussent-ilz élevé leur langue à Texcellence et hauteur 
ou nous la voyons maintenant ? Ne pensez donques, quelque di- 
ligence et industrie que vous puissiez mettre en cest endroit, faire 
tant que nostre langue encores rampante à terre puisse hausser 
la teste et s'élever sur piedz. 



Chapitre VIII. — D'amplifier la Langue francoyse par 
l'immitaiion des anciens aucteurs greczet romains. 

Se compose doncq' celuy qui voudra enrichir sa langue, à l'im- 
mitation des meilleurs aucteurs grez et latins ; et à toutes leurs plus 
grandes vertuz, comme à un certain but, dirrigela pointe de son 
style : car il n'y a point de doute, que la plus grande part de l'ar- 
tifice ne soit contenue en l'immitation ; et tout ainsi que ce feut le 
plus louable aux anciens de bien inventer, aussi est-ce le plus 
utile de bien inmiiter, mesmesà ceux dont la langue n'est encor' 
bien copieuse et riche JMais entende celuy qui voudra immiter, 
que ce n'est chose faale de bien suyvre les vertuz d'un bon auc- 
teur, et quasi comme se transformer en luy, veu que la nature 
mesme aux choses qui parussent tressemblables, n'a sceu tant 
faire , que par quelque notte et différence elles ne puissent estre 
discernées. Je dy cecy, pour ce qu'il y en a beaucoup en toutes 
langues, qui, sans pénétrer aux plus cachées et intérieures parties, 
de l'aucteur, qu'ils se sont proposé, s'adaptent seulement au premier 



— 9ï — 
regard, et s'amusant à la beauté des motz, perdent la force des 
choses. Et certes, comme ce n'est point chose vicieuse, mais 
grandement louable, emprunter d'une langue étrangère les sen- 
tences et les motz, et les approprier à la sienne : aussi est ce 
chose grandement à reprendre, voyre odieuse à tout lecteur de 
libérale nature, voir en une mesme langue une telle immitation 
comme celle d'aucun scavans mesmes, qui s'estiment estre des 
meilleurs quand plus Hz ressemblent un Heroet ou un Marot. 

Je t'amonneste doncques (6 toy, qui desires l'accroissement de 
ta langue, et veux exceller en icelle) de non immiter à pié levé, 
comme n'agueres a dictquelqu'un, les plus fameux auteurs d'IceUe^ 
ainsi que font ordinairement la plus part de notz poètes francoys, 
chose certes autant vicieuse , comme de nul profictà nostre vul- 
gaire, veu que ce n'est autre chose (ô grande libéralité!) sinon luy 
donner ce qui estoit à luy. Je voudroy' bien que nostre langue 
feust si riche d'exemples domestiques que n'eussions besoing d'a- 
voir recours aux étrangers. Mais si Vii^ile et Cîceron se feussent 
contentez d'immiler ceux de leur langue, qu'auront les Latins 
outre Ennie ou Lucrèce, outre Crasse ou Anthoine ? 



Chapitre IX. — Response à quelques objections 

Apres avoir le plus succintement qu'il m'a été possible, 
ouvert le chemin à ceux qui désirent l'amplification de notre 
langue, il me semble bon et nécessaire de repondre à ceux qui 
l'estiment barbare et irreguliere, incapable de cete élégance et 
copie^ qui est en la greque et romaine : d'autant, disent ilz , 
qu'elle n'a ses declinations, ses piez et ses nombres, comme ces 
deux autres langues. 

Je ne veux alléguer en cet endi-oict ( bien que je le peusse faire 
sans honte) la simplicité de notz majeurs^ qui se sont contentez 
d'exprimer leurs conceptions avecquesj^aroles nues, sansartetor- 



^ 92 — 
nement, nonimmitansla curieuse diligence des Grecz, auxquelzla 
Muse avoit donné la bouche ronde ( comme dict quelqu'un) c'est 
à dire parfaite en toute élégance et venusté de paroles ^ comme 
depuis aux Romains immitateurs des Grecz : mais je. diray bien 
que nostre langue n'est tant irreguliere qu'on voudrait bien 
dire 9 veu qu'elle se décline , sinon par les noms^proiioms, 
et participes^ pour le moins par les verbes^ en[tous leurs tens, mo- 
des et personnes. Et si elle n'est si curieusement reiglée, ou plus 
tost liée est [et] gehinée en ses autres parties^ aussi n'ha elle point 
tant d'hetheroclites et anomaux, monstres étranges de la grecque 
et de la latine. Quand aux piedz et aux nombres, je diray au se- 
cond Livre, en quoy nous les recompensons. Et certes ( comme 
dict un grand auteur de rethorique, pariant de la félicité qu'ont 
les Grecs en la composition de leurs motz), je ne pense que telles 
choses se facent par la nature desdites langues, mais nous favori- 
sons toujours les étrangers. Qui eust gardé notz ancestres de va- 
rier toutes les parties déclinables, d'allonger une syllabe et ac- 
coursir l'autre , et en faire des pieds ou des mains ? Et qui 
gardera notz successeurs d'observer telles choses, si quelques 
scavans, et non moins ingénieux de cest aage entreprennent de 
les reduyre en art? comme Ciceronpromettoit de faire au droict 
civil : chose qui à quelques-uns a semblé impossible, aux autres 
non. Il ne faolt point icy alléguer l'excellence de l'antiquité : et 
comme Homère se plaignoit que de son tens les cors estoint 
trop petiz, dire que les espris modernes ne sont à comparer aux 
anciens. L'architecture, l'art du navigaige et autres inventions 
antiques certainement sont admirables , non toutefois, si on re- 
garde à la nécessité mère des ars, du tout si grandes qu'on doy ve 
estimer les cieux et la nature y avoir dépendu toute leur vertu , 
vigueur et industrie. Je ne produiray pour temoings de ce que 
je dy, l'imprimerie seur des Muses et dixième d'elles, et ceste 
non moins admirable que pernicieuse foudre d'artillerie, avec- 
ques tant d'autres norf^n tiques inventions, qui montrent vérita- 
blement que par le long c<^rs des siècles les espris des homfties ne 



\ 






-95- 
sont point $i sèatardiz qu'on voudroit Men dire : je dy senle^ 
ment qu'il n'est pas impossible que nostre langue puisse recevoir 
quelquesfeys cest ornemetit et artifice^ aussi curieux qu'il est aux 
Grecz est [et] Romains. Quand au son et je ne scay quelle naturelle 
douceur (comnae ih disent)^ qui est en leurs langues, je ne ?oy 
point que nous l'ayons moindre, au jugement des plus délicates 
oreillesJ|ll est bien Tray que nous usons du prescrlpt de nature, 
qui pour parler nous a seulement donné la langue. Nous ne vo- 
missons pas notz paroles de l'estommac, comme les yvroingnes; 
nous ne les étranglons pasde la goi^e, commeles grenoilles;nousne 
les découpons pas dedans le palat, comme les oyzeaux ; nous ne 
les siflons pas des lèvres, comme les serpens. Si en telles manières 
de parler gist la douceur des langues, je confesse que la nostre 
est rude et mal sonnante. Mais aussi avons nous cestavantaigede 
ne tordre point le bouche en cent mile sortes comme les singes^ 
voyre comme beaucoup mal se souvenans delVlmerve, qui jouant 
quelquefois de la fluste, et voyant en un myroirladeformité de ses 
lèvres, la jeta bien loing, malheureuse rencontre aux presump- 
tueux Marsye, qui depuis en feut ecorché. 

Quoy donques, dira quelqu'un, veux-tu à l'exemple de ce 
Marsye, qui osa comparer sa fiuste rustique à la douce lyre d'Apo- 
lon , égaler ta langue à la grecque et latine ? Je confesse que les | 
aucteurs d'icelles nous ont surmontez en scavoir et facmide, es i 
quêtes choses leur a été bien facile de vaincre ceux qui ne repu- j 
guoint point. Mais, que par longueet diligente immitation de ceux 
qui (Hit occupé les premiers ce que nature n'ha pourtant dénié 
aux autres, nous ne puissions leur succéder aussi bien en cela 
que nous avons déjà fait en la plus grand' part de leurs ars mé- 
caniques et quelquefois en leur monarchie, je ne le dyrai pas ; 
car telle injure ne s'etendroit seulement contre les espris des 
honimes, mais contre Dieu, qui a donné pour loy inviolable à 
toute chose crée, de ne durer perpétuellement, mais passer sans 
fin d'un état en l'autre, étant la fin et corruption de l'un , le 
commencement et génération de l'autre. Quelque opiniâtre re- 



^^. 



-94- 
I^lquera encores ; ta langue tarde trop à recevoir ceste perfec-* 
tioii. Et je dy que ce retardement ne prouve point qu'elle ne 
puisse la recevoii' ; aincois je dy qu'eUe se poura tenir cer- 
taine de la garder longuement, l'ayant acquise avec si longue 
peine, sùyvant la loy de nature, qui a voulu que tout arbre qui 
naist , florist et fructifie bien tost, bien tost aussi envieillisse |et 
meure ; et au contraire, celuy durer par longues années, qui a 
longuement travaillé à jeter ses racines. 



Chapitre X. — Que la Langue francoyse n'est incapable de la 
'philosophie y et pourqvmf les anciens estoint plus scavans que 
les hommes de notre aage» 

Tout ce que j'ay dict pour la défense et illustration de notre 
langue, apartient principalement à ceux qui font profession de 
bien dire, comme les poëteset les orateurs. Quand aux autres 
parties de literature, et ce rond de sciences, que les Grecz ont 
ont nommé Encyclopédie, j'en ay touché au commencement une 
partie de ce que m'en semble : c'est que l'industrie des fidèles 
traducteurs est en cest endroict fort utile et nécessaire ; et ne les 
doit retarder, s'ilz rencontrent quelquefois des motz qui ne peu- 
vent eslrereceus en la famille francoyse, veu que les Latins ne se 
sont point eforcez de traduyre tous les vocables grecz, comme 
rhétorique, musique^ arithmétique, géométrie, phylosophie, et 
quasi tous les noms des sciences, les noms des %ures, des herbes, 
des maladies, la sphère et ses parties, et generallement la plus 
grand' part des termes usitez aux sciences naturelles et mathéma- 
tiques. Ces motz la donques seront en notre langue comme 
étrangers en une cité, aux quels toutesfois les periphrazes servi- 
ront de truchementz. Encores seroy' je bien d'opinion que le sca- 
vant translateur fist plus tost l'office de p araphras te que de tra- 
ducteur, s'efforceant donner à toutes les sciences qu'il voudra 



-95- 
traiter^ rornemetit et lumière de sa langue^ comme Giceron se 
vante d'avoir fait en la phylosophie^ et à l'exemple des Italiens^ 
qui l'ont quasi toute convertie en leur vulgaire, principalement 
la Platonique. £t si on veut dire que la phylosopfaie est un faiz 
d'autres épaules que de celles de notre langue, j'ay dict au com- 
mencement de cet œuvre, et le dy encores, que toutes langues 
sont d'une mesme valeur, et des mortelz à une mesme fin, d'un 
mesme jugement formées. Parquoy ainsi comme sans muer de 
coutumes ou de nation, le Francoys et l'Alemant, non seulement 
le Grec ou Romain, se peut donner à phylosopher : aussi je croy 
qu'à un chacun sa langue puysse competemment communiquer 
toute doctrine. 

Donques si la phylosophie semée par Aristote et Platon au fer- 
tile champ atique etoit replantée en notre pleine francoyse, 
ce ne seroit la jeter entre les ronces et espines, ou elle devint 
stérile ; mais ce seroit la faire de loingtaine, prochaine, et d'étran- 
gère, citadine de notre republique^t paravanture ainsi que le» 
episseries et autres richesses orieniales que l'Inde nous envoyé, 
sont mieulx congnues et traitées de nous, et en plus grand prix 
qu'en l'endroict de ceux qui les sèment ou recueillent : semblable- 
ment les spéculations phylosophiques devietidroient plus fami- 
lières qu'elles ne sont ores, et plus facilement seroient entendues 
de nous, si quelque scavant homme les avoit transportés de grec 
et latin en notre vulgaire, que de ceux qui les vont (s'il fault 
ainsi parler) cueillir aux lieux ou elles croissent. 

£t si on veut dh-e que diverses langues sont aptes à signifier 
diverses conceptions, aucunes les conceptions des doctes, autres 
celles des indoctes; et que la grecque principalement convient si 
bien avecquœ les doctrines, que pour les exprimer il semble 
qu'elle ait été formée de la mesme nature, non de l'humaine 
providence : je dy qu'icelle nature, qui en tout aage, en toute 
province, en toute habitude, esttousjours une mesme chose, ainsi 
comme voluntiers elle s'exerce son art par tout le monde, non 
moins en la terre qu'au ciel, et pour estre ententive à la produc- 



-96- 
tipn des creatares raisonnables, n'onblie pourtant les iraisonna- 
bles, mais avecques uo égal artifice engendre cetes cy et celles 
la : aussi est elle digne d'estrecongnqe et lovée de toutes person- 
nes et en toutes langues. Les oyzeaux, les poissons et les bestes 
terrestres de quelquonque manière , ores aveçques un son, ores 
avecques l'autre, sans distinction de paroles, signifient leurs af- 
fections : beaucoup plus tostnous hommes derrions faire le sem- 
blable, chacun airecques sa langue, sans avoir recours aux autres. 
I^ écritures et langaiges ont été trouvez, non pour la conserva- 
tion de la nature, la quelle (conune divine qu'elle est)n'amestlerde 
nostre ayde : mais seulement à nostre bien et utilité, affin que pre- 
sens, absens, vyfs et mors, manifestaus l'un à l'autre le secret 
de notz cœurs, plus facilement parvenions à notre propre félicité, 
qui gist en l'intelligence des sciences, non point au son des pa- 
roles: et par conséquent celles langues et celles écritures de- 
vroint plus estre en usaige, les queles on apprendroit plus facile- 
ment. 

LasI et combien seroit meilleur qu'il y eust au monde un seul 
langaige naturel, que d'employer tant d'années pour apprendre 
des n[iQt9 ! et ce jusques à l'aage bien souvent que nous n'avons 
plus ny le moyen, ny le loisir de vaquer à plus grandes choses. 
Et certes songeant beaucoup de foys d'où provient que les hom- 
mes de ce siècle généralement sont moins sçavans en toutes scien- 
ces et de moindre prix que les anciens, entre beaucoup de ray- 
sons je treuve cete-cy, que j'oseroy' dire la principale, c'est l'é- 
tude des langues greque et latine, Car si le tens que pous 
consunions à «^prendre les dites langues estoit employé à l'étude 
des sciences, la nature certes n'^t point devenue si brehaigne, 
qu'elle n'enfentast de nostre tens des Platons et des Aristote^ 
Mai9 nous, qui ordinairement affectons plus d'estre veuz jscavans 
que de l'estre, ne consumons pas seulement nostre jeunesse en 
ce vain exercice^ mais comme oou^ repentps d'avoir laissé le 
berceau et d'estre devenu? hon^mes, retournons ^ncpr' en en- 
fance, et par l'espace de xx ou xxx ans ne faisons autre 



those qu'apprendre à parler, quigrecyqui latin, qni hebreov Les* 
quelz ans fin», et finie avecqueseuxceste i^igueor et promptitude., 
qni natureUement règne en l'esprit des jeunes hommes, alors 
flons procurons estrelaictzphylosophesi, quand pour les midadies^ 
troubles d'afaires domestiques « et autres empescheiuentz qu'a- 
meine le tens, nous ne sommes plus aptes à la spéculation des 
choses. Et bien souvent étonnez de la difficulté et l'ongueur 
[longueur] d'apprendre des raotz seulement, nous laissons tout 
par désespoir, et hayons les lettres premier que nous les ayons 
goûtées, ou commencé à les aymer 

Faut il donques laisser l'étude des langues? Non : d'autant 
que les ars et sciences sont pour le présent entre les mains dés 
Qrecz et Latin». Mais il se devrolt faire à l'avenir qu'on peust 
parler de toute chose par loue le monde et en toute langue. J'en- 
tens bien que les proffesseurs des langues ne seront pas de mon 
opinion, encores moins ces vénérables Druydes, qui pour l'am- 
bicieux désir qu'ils ont, d'estre entre nous ce qu'estoit le philo- 
sophe Aoacharsis entre les Schytes, ne craignent rien tant que le 
secret de leurs mystères, qu'il fauit apprendre d'eux, non autre- 
ment que jadis les jours des Chaldees^ soit découvert au vul-^ 
gaire, et 'qu'on ne crevé (c(Mame dict Ciceron) les yeux des cor- 
neilles. A ce propo8> il me souvient a^oir ouy dire mainte^ois à 
quelques uns de leur acadeinie, que le roy Francoys (jedy celuy 
Francoys» à qui la France de doit moins qu'à Auguste Romme)^ 
avoit déshonoré les sciences, et laissé les doctes en mespris. G 
tens! è mceursl 5 crasse ignorancel n'entendre point que tout 
ainsi qu'un n»l, quand il s'etent plus loing est d'autant phis per- 
nicieux, aussi est un bien plus profitable^ quand plus il est com- 
mun ! £t s'ilz veulent dire (comme aussi disent ilz) que d'autant 
est un td bien moins excellent et admirable entre les hommes > 
je repondray qu'un si grand appétit de gloire et. une telle envie 
[ne] devrdt régner aux coulomnes de la republique chrestienne , 
mais bien en ce roy ambicieux, qui se plaignolt à son manstre 
pource qu'il avait divulgué les sciences acroamatiques, c'est à dire, 

7 



I 



~ 98- 
qui ne se peuvent apprendre qae par l'audition da pfecq^teur. 
Mais qiM^y ? ees geans ennemis du ciel, vealent ik limiter la puis- 
sance des dieux , et oe qu'iiz'ônt par un singulier beô^ce donné 
aux hommes, restreindre et enserrer ep la niain de ceux qai n'en 
scauroient faire bonne garde? Il me souvient de ces reliques, 
qu'on voit seulement par une petite vitre, et qu'il n'est permis tou- 
cher avecques la main. Ainsi veuUentilz faire de tontes les discipli- 
nes, qu'ilz tiennent enfumées dedans les livres greczs et latins, ne 
permettant qu'on les puisse voir autrement, ou les transporter de 
ces paroles mortes en celles qui sont vives et volent ordinaire- 
ment par les bouches des hommes. 

J'ay (ce me semble) deu assez contenter ceux qui disent quç 
nostre vulgaire est trop vil et barbare pour traiter si hautes ma-' 
tierês que la philosophie. Et s'ilz n'en sont encores bien sàUsfaiz, 
je leur demandera^ pourquoy donques ont yoyaigé les anciens 
Grecz par tant de païz et dangers , les uns aux Indes pour vojr 
les Gymnôsophistes, les autres en Egypte pour emprunter de ces 
vieux prestres et prophètes ces grandes richesses, dont la Grèce 
est maintenant si superbe ? Et toutesfois <;es nations, ou la phylo- 
sophie a si voluntiers habité , produysdint (ce croy-je) des per- 
sonnes aussi barbares et inhumaines que nous sommes, et des 
paroles aussi étranges que les nostres. Bien peu me soucyroy-je 
de l'elegance d'oraison qui est en Platon et en Âristote, si leurs 
livres sans rayson etoint ecriz. La phylosophie vrayement les 
a adoptez pour ses filz, non pour estre nez en Grèce, mais pour 
avoir d'un hauk sens bien parlé et bien écrit d'elle. La vérité si 
bien par eux cherchée, la disposition et Tm^dre des choses, la 
sententieuse breveté de l'un et la divine copie de l'autre est 
propre à eux, et non à autres ; mais la nature, dont ils ont si ïm\ 
parlé, est mère de tous les autres, et ne dédaigne point se faire 
congnoitre à ceux qui procurent avecques toute industrie enten- 
dre ses secrets, non poilr devenir Grecz, mais pour estre iaiz 
phylosophes. 
Yray est que pour avoh* les ars et sciences tousjour^ été en 



ia puissance de& Greaft RomaÎDs, plus stHdienu de ce qui peiu 
rendre les bomines immorlelz que les auti^es^ nous croyons cfUe 
par eux seulement elles puy^sent et doy vent estre tctfictëes. iMais 
le tens viendra paraventnre (et je suplye au Dieu tresbon et 
tresgrand que ce soit de nosire aage) que quelque bonne per- 
sonne, non moins hardie qu'ingénieuse et scavante^ non ambi- 
ciease, uan cralgoant l'envie ou bayne d'aucun, nous otera cete 
iauli^ per»Ma$4on donnant à notre langiie la fieuc et le fruict des 
bmne^ ]&itv^; autrement si l'affection, que nous portons aux 
langiies etraogerês (quelque excellence qui $oit en elles), empes- 
c&oU cete notre si grande félicité, elles si'roittt dignes^ venta- 
b|^x)ent non d'egvie mais de bayne, qon de fatigue m^is de faa- 
cberie; elles ^eroint dignes finalement d'estre nm appriseis, 
mais reprifvssi dp cetix qui ont plu$de besoing du vif intellect de 
Tesprit que du son des parojes mortes. 

Voyla qu^nd auxdjsci{dinefi, Je reviens aux poètes et orateurs, 
principal object de la matière q^e je traite, qui est l'ornement 
et illustration de notre langue. 



Chapitre XL — Qu'il est impossible d'égaler les anciens en 
leurs langues^ 

"l^m\e& personfie^ ^ bpa esprit ei^endrpot asseye qqc cela 9 
qqe j'ai ^içt pourl^ deffensede fiççlire lai)giie, a'est pqur de- 
couraiger aiicqn de greq^iç et latine: c^^ tan^ s'en fault qiie je 
soye de cete opinion ^ qtie je cpnf^e et soi^stiepi^ cekiy ne pou- 
voir faire oeuyr^ excellent e^ son yuJIgsiire, qui ^it Ignorant de 
cseis deux langçw^, pu qpi n'ient^i^de la Ifitipepçur le moiiis.\i>Ws 
je serpy' bien à'^m qu'aprea te afoir apprises, 0» pe depri- 
s^|;làs»eunç, §( qaeçîejtty qui p^r une inclination ntturelle Lce 
qp'pnpentjpger pairies oauvres latineaet thoacanes de Pétrarque 
et Bocqice, voire d'aucuns scavans bommes de nostre teps) se 



— 100 — 

^enlirôit plus propre à écrire en sa langue qu'en grec ou en 
laiiu^ s'etudiast plus tost à se rendre immortel entre les siens, 
écrivant bien en son vulgaire, que, mal écrivant en ces deux 
autres langues, estre vil aux doctes pareillement et aux indoctes, 
i^lais s'il s'en trouvoit encores quelques uns de ceux^ qui de sim- 
^)Ies paroles font tout leur art et science, en sorte que nommer 
fa laugue greque et latine, leur semble parler d'une langue di- 
vine , et parler de la vulgaire, nommer une langue inhumaine, 
incapable de toute érudition , s'il s'en trouvoit de telz, dy je, qui 
voulussent faire des braves, et depriser toutes choses écrites en 
francoys, je leur demanderoy' voluntiers en ceste sorte: Que pen- 
sent donq' faire ces reblanchisseurs de murailles , qui jour et 
nuyt se rompent la teste à immiter : que dy je immiter ? mais trans- 
crire un Tirgile et un Ciceron? bâtissant leurs poèmes des he- 
mystyches de l'un, et jurantenleurs proses aux motz et sentences 
de l'autre, songeant (comme àdict quelqu'un) des perés con- 
scriptz, des consuls, des tribuns, des comices, et toute l'antique 
Rome, non autrement qu'Homère, qui en sa Batracomyomachie 
adapte aux raz et grenouilles les magnifiques tiltres des dieux et 
déesses. Ceux la certes méritent bien la punition de celuy, qui 
ravy au tribunal du grand Juge, repondit qu'il etoit ciceronien. 
Pensent-ilz doncq' je ne dy égaler, mais approcher seulement de 
ces aucteurs, en leurs langues ? recuiliant de cet orateur et de 
ce poëte ores un nom, ores un verbe, ores un vers, et ores une 
sentence : comme si en la façon qu'on rebatist un vieil édifice, 
il s'attendoint rendre par ces pierres ramassées à la ruynée fa- 
brique de ces langues, sa première grandeur et excellence. 

Mais vous ne serez ja si bons massons (tous qui estes si grands 
zélateurs des laùgues greque et latine) que leur puissiez rendre 
celle forme, que leur donnarent premièrement ces bons et excd- 
ieiis architectes ; et si vous espérez (comme fist Esculape des 
membresd'Hippolyte) que par ces fragmentz recuilliz, elles puys- 
sent estre resuscitées, vous vous abusez , ne pensant point qu'à 
4a cheute de si superbes édifices conjointe à la ruyne fatale de ces 



deux puissantes moaarchies, une partie devint poudre, et l'autre 
doit estre en beaucoup de pièces, lesqueles vouloir réduire en 
un seroit chose impossible : outre que beaucoup d'autres parties 
sont demeurées aux fondementz des vieilles murailles, ou égarées 
par le long cours des siècles, ne se peuvent trouver d'aucun. Par. 
quoy venant à redifier cete fabrique, vous serez bien loing de luy 
restituer sa première grandeur, quand, on souloit estre la sale^ 
vous ferez paraventurè les chambres , les etables ou la cuysine, 
confundant les poi*tes et les fenestres, bref changeant toute la 
forme de l'édifice. Finablement j'estimeroy' l'art pouvoir expri- 
mer la vive énergie de la nature, si vous pouviez rendre celé fa- 
brique renouvelée semblable à l'antique , étant manque l'idée, 
de la quele faudroit tyrer l'exemple pour la redifier. Et ce (afin 
d'exposer plus clerement ce que j'ay dict) d'aulant que les aur 
ciensusoint des langues, qu'ilz avoint succées avecquesle laict de- 
la nourice , et aussi bien parloint les indoctes comme les doc- 
tes, sinon que ceux cy aprenpint les disciplines et l'art de bien 
dire, se rendant par ce moyen plus eloquens que les autres. Yoyla 
pourquoy leurs bien heureux siècles, etoint si fertiles de bon$ 
poètes et orateurs. Yoyla pourquoy les fenunes mesmes aspir 
roint à ceste gloire d'éloquence et érudition, comme Sapbo, 
Coryune, Cornelie, et un miiier d'autres, dont les noms sont coo- 
joings avecques la mémoire des Grecz et Romains. 

Ne pensez donques inunitateurs, troupeau servil, parvenir au 
point de leur excellence, veu qu'à grand' peine avez vous appris 
leurs motz, et voyla le meilleur de votre aage passé. Vous de- 
prisez nostre vulgaire, paraventurè non pour autre raison, sinon 
que des enfance et sansetnde nous l'apprenons, les autres avecques 
grand peine et industrie. Que s'il etoit , comme la greque et 
latine, pery et mis en reliquaire de livres^ je ne doute point qix \ 
ne feust (ou peu s'en faudroit) aussi dificile à apprendre comme 
elles sont. J'ay bien voulu dire ce mot, pour ce que la curiosité 
humaine admire trop plus les choses rares et difficiles à trouver, 
bien qu'elles ne soinl si commodes pour l'usaige de la vie , comme 



ks odenrs et les gëiriMs^ qne les Gommuiieset nécessaires^ comme 
le pain et le vin. Je ne Yoy pourum qu'on doyve estimer une lan- 
gue plus excellente que Tautre seulement pour estre plus diffi- 
cile^ si on ne vouloit dire que Lycopèron feust plus excellent 
qn'Homere, pour estre plus obscur^ et Lacrece que Virgile^ pour 
ceste méâme raison. 



CHAPlTItE XÎI. — Deffence ek l'cmeiewr. 

Ceux qui penseront que je soye trop grand admirateur de m^ 
langue, aillent voir le premiei* livre des Fins des Biens et de» 
Maulx , fait par ce père d'éloquence latine Ciéeron, qui au com- 
mencement dudict livre, entre autres choses, repoiid à ceux qui 
deprisoint les choses écrites en latin et les aymoint niyeux 
lire en grec. La conclusfion du propos est, qu'il estime la langue 
latine non seulement n'estre pauvre, comme les tlômains esti- 
moyent lors, mais ehcor' estre plus riche que la greque. Quel 
ornement, dit il, d*orayson copieuse ou elegaiite, a defailly, je 
diray à nous, oti aux boîis orateurs, oti aux pbëtes, deptiil? qu'ils 
ont eu quelqu'un qu'ils peussent iiniiliter ? Je ne veux pas donner 
si hàult lôs à notre langue, pour ce qu'elle n'a point' eritoî^ àes 
Cicerons et tir^iles ; mais j'oise bien asseurer que M les scàVàife 
boiiiities de nôtre nation la daignoiut autant ëstimei* que (es 
Romains faisoint la leur, elle pouroit quelqtiesfoys, et bten tbst, 
se tîieitre au rant dés plus fameuses. 

il est tens de clore ce pas, afin de touthèf paHitiliieréttieiàt les 
princiipaux poractz de Paiiiplificatîon et ornement dé nôtre langue. 
En quoy , lecteili-, ne t'ébahis , si je ne parlé de t'orateUI* comme 
du poète; car outfe que lés vertus de l'un soUt pour lai plus 
grand' part communes à l'autre^ je U'ignorè point qu'Etlëhne 
Dolet , homme de boU jtîgement en notre vtilgài*-é, a formé l'Ora- 
teur ïrancoys, que quelqu'un, peut estre, amy delà mémoire de 
l'auteur et dé la Fraiicë, nlettra de bref et fidèlement en lumière. 

Fin du premier Livré de la deffense et illustration 
de la langue françoysc. 



-^ 




— io5 
LA DEFENSE ET ILLUSTRATION 



DE 



LA LANGUE FRANCOYSE. 



LIVRE SECOND. 



CHAPITRE I". — De i'IntemûM de toMieur. 

Pour ce qoe te po6te et l'orateur sont comme \é& deux piliers 
qui A>Qtfehb€nt Pedifice dé chacune hngufe, hissant celuy que 
j^ehtens avoir été baty par les autres, j'ày bien voulu , poïé le 
devéir en qtioy je duys obligé à la patrie, lelleîhënt quëllëmétit 
ébaucher çduy qui restât , espérant cpic par nioy, où par une 
plus docte niàin , il potirà recevoir sa perfection. Or ne veux-je, 
en ce faisant, feindre comme une certaine figure de poète, qu'on né 
puisse ny des yeux, ny des oreilles, ny d'aucun sens apercevoir, 
mais comprendre seulement de la cogitation et de la pensée (1) : 
commeces idées, que Platon con^tituolt en toutes choses, auxque- 
les, ainsi qu'à une certaine espèce imaginative, se réfère tout ce- 
qu'on peut voir (2). Cela certainement est de trop plus grand sca- 
voir et loysir que le mien; et penseray avoir beaucoup mérité des 



, i) Qaod iieque oCuHft, neqae auribns, neque nilo sensu percipi potest, 
cogilationc lambin et mente complectininr. Uicbeo, OraUrr. , c. i . 

(i) Cujns iifi^ cagUftiat» speciem refertiiittir câ quasftub ocuiosipsa 
cadUQt. Ibid. 



inienS; si je leur montre seulement avecques le doy le cbemia 
qu'ilz doyvent soyvre pour attaindre à l'excellence des anciens , 
ou quelque autre peut estre, incité par nostre petit labeur, les 
conduyra avecques la main. 

Mettons donc pour le commencement ceqve nous avons ^ ce 
me semble, assez prouvé an I livre : c'est que sans Timitation 
des Grecz et Romains, nous ne pouvons donner à notre langue 
l'excellence et lumière des autres plus fameuses. Je scay que 
beaucoup me reprendront , qui ay osé le premier des Fran- 
çois introduire quasi comme une nouvelle poésie, ou ne se tien- 
dront plainement sadsfaictz tant pour la breveté, dont j'ay voulu 
user,;'qtte pour la diversité des espris, dont les uns treuvent bon 
ce que les antres treuvent mauvais. Marot me plaist, dit quel- 
qu'un, pour ce qu'il est facile et ne s'eloingne point de la com- 
mune manière de parler; Heroet, dit quelque autre, pour ce que 
tous sesyers sont doct^, graves et elabourez; les autres d'un au- 
tre sedelectent. Qu'and [quand] à moy, telle superstition ne m'a 
point retiré de mon entreprinse , pour ce que j'ay tousjours es- 
timé notre poésie francoyse estre capable de quelque plus hauH 
et meilleur style que celuy dont nmis sommes si longuement con- 
tentez. Disons donqaes breven^ent ce que nous sen]j)le de nolA 
poètes fraiicoys.. 



Chapitre II. — Des Poètes francoys^ 

De tous les anciens poëtes francoys, quasi un seul Guillaumo^ 
du Lauris, et Jan de Meun, sont dignes d'estre leuz, non tant 
pour ce qu^il y ait en eux beaucoup de choses, qui se doyvent 
immiter des modernes, comme pour y voir quasi comme une pre- 
mière imaige de la langue francoyse, vénérable pour son anti- 
quité. Je ne doute point que tous les pères cryroint la honte estre 
perdue, si j'osoy' reprendre ou emender quelque chose en ceux 
que jeunes ilz ont appris ; ce que je ne veuxfaire aussi. Mais bien 



— loa — 

800tiens-je que cduyest trop grand admirateur de rancienneté, 
qui veut defrauder les jeûnes de ieur gloire méritée ^ n'estimant 
rien comme dict Horace , sinon ce que la mort a sacré : comme 
si le tens , ainsi que les vins, rendoit k» poésies meilleures^ Les 
(dus recens mesmes ceux qui ont esté nommez par Clément Ma- 
roc en un certain epygramme àSsdel, sont assez congneuzpar 
leurs œu?re& J'y renvoyé leis lecteurs pour eii faire jugement. 
Bien dyrai'-je que Jan le Maire de Belges me semble avoir pre- 
mier illustré et les Gaules et la langue francoyse 9 tuy donnant 
beaucoup de mots et manières de parler poétiq ues ^ qui ont bien 
senry mesmes aux pkis excellens de notre tens. Quand aox mo- 
dernes, ilz seront qudquesfoys assez nommez; et si j'en voidoy^ 
parler , ce seroit seulement pour iiaire changer d'opinion à quel- 
ques uns^ 00 trop iniques , ou trop sévères estimateurs des cho- 
ses, qui tous les jours treuvent à reprendre en troys ou quatre 
de» meiHeurs, disant» qu'en l'un default ce qui est le commen* 
cernent de bien écrire, c'e gLlesca voir, et atiroit augmenté sa 
gloire de la moitié, si de la moitié il eust diminué son livreyL'au* 
tre, outre sa ryme, qui n'est par tout bien riche, est tain dénué 
de tous ces délices et omementz poétiques /^qu'il mérite plus le 
nom de phylosopbe que de poète. Un autre, pour n'avoir encores 
rien mis ^lumière soobz son nom, ne mérite qu'on luy donne 
le premier Ileui et semble (disent aucuns) que par les ecriz de 
ceux de son tels, il veille eternizer son nom, non autrement que 
Demadeest ennobly par la contention de Demosthene, et Hor- 
tense de Ciceron. Que si on en vouloit faire jugement au seul 
rj^port de la renommée, on reudroit les vices d'iceluy cgaulx, 
voyre plus grand que ses vertuz, d'autant que tous les: jours se 
lysent nouveaux ecriz soubz son nom , à mon avis aussi éloignez 
d'aucunes choses, qu'on m'a quelquesfois asseuré estre de hiy, 
comme en eux n'y a ny grâce, ny érudition. Quelque autre vou- 
lant trop s'doingner du vulgaire , eçt tumbé en obscurité aussi 
difficile à eclersir en ses ecriz aux plus scavans , comme aux plus 
ignares. 



>. 



— loG 

^'oyia une partie de ce que j'oy dire en beaucoup de lieux des 
nœiileurs de notre langue. Que pleust à Dieu te naturel d'un 
chacun estre aussi candide à louer tes ?ertnz , coinne diligent à 
oUenrer les viees d'autniy. Là tourbe de ceux (hors mis cinq bii 
six) qui suivent les principaux^ comme port'enseignes» est si 
imd instruicte de toules choses , iqne par leur moyen nostre vui^ 
gaire n'a garde d'étendre gueres Iwng les bornes de son empire. 
Et si j'eMy' du nombre de cte anciens critiques juges dès poëmés^ 
bOBBÊoe un Aristarque et Arfetbpbane, ou (s'il fiiuk àt&si parier) 
ut» sei^nt de bande çn liotre langue francoyse, j'^i mettroy' 
beaucoup hors, de la bataille, si mal armez que , se fiant en eux, 
noès serions trop eloingnezde la ricUHre ou nous deTons aspirer* 

Je ne doute pbint que beaûcbup , princifiiateniênt de ceux qui 
sont accommodez à Topinion Tulgaire, et dont les tendres oreilles 
ne peuvent rien souffrir au desavantaige de ceux (|u'ilz ont desfa 
recela comme oractes v troaverrottt mauvais de ce que ymm si li-* 
brement parier, etquasi coiBme juge souverain pronuticér de nota 
poêles francoys; mais si j'ai dict bien du inal, je m'eâ riipporte 
à ceux qui sont plus amè de te vérité 4«ie de Platon ou Socrate> 
et ne sont imitateurs des Pytagoriques, qui, pour tefutes raisoni^ 
n'alteguoittt sinon , cetny te l'in dit 

QltaHd à mby , si j'etoy' eaquis de ce que me semble de notz 
liseiileurs pôëtes francoys, je diroy' à Texômide des Stoî<{iies, qui 
interroguez si Zenon , si Cleaute, si Chrysippe sont saiges, re- 
pondent ceulx-te certainement avoir été grands et vénérables, 
n'avoir eu toutefois ce qui est le plus excellent eu là nature de 
l'homme : je respondroy', dy-je, qu'ilz ont bien écrit, qu'ite oot 
illustré notre langue, que là France leur est oUigée; mais aussi 
diroy-je bten qu'on pouroit trouver en notre langue (si quelque 
seataiit homme y vouteit mettre la main) une forihe de poésie 
beaucoup plus exquise, la queie il faudroit chercher en ces vieux 
Grecz et Latins, non point es aticteurs francoys , pource qu'en 
ceux*çy ou nescauroit prendre que bien peu, coiiinie te peau 
et la couleur, en ceux la on peut prendre la chair, les oz, les 



nerfz, et le sang; Et si quelqu'un, mal aysé à contenter, ne vouloit 
prendre ces raisons en pâyeiâent, je diray (afin de n'estreveu 
examiner les choses si rigoreusement sans cause) ^u' aux au- 
tres ars et sciences la médiocrité peut mériter quelque louange , 
mais aux poètes ny les dieux , ny lés hommes^ ny les coulonnes 
n'ont point concédé estre médiocres (1), suyrant l'opinion d'Ho- 
i*ace, qùë je île puis assei souvent iiomiher^ pour ce qu'es choses que 
je traicte, il me scnible avôît le éerveau rtïyeux purgé et le nez 
meilleur que les autres. Au fort^ comme Demosthene reponditquel- 
q]tt<^fôisâ£tbifiês, qtii l'avdt l^d de ce()u'ilusoitdeitiotz après 
et nldes^ de telles cboâes ne dépendre 1^ fortunes de Grèce (2). 
anaâ dittiy-je^ si qwelqd'dh sb fâche de quoy je parle si librement, 
que de la ne defjeiAlenl les tictoires du roy Henry, à qui Dieu 
teille dotiiiéi' la felidl^ d'AugvISte et la bonté de Traian. 

J 'al bien rmhï, léiiteâr âuidiètit de la làtigue ffànçoyée, demeu- 
rer li^guemem en eete partie, qtil te semblera, peut estre ^ eon- 
f faire à ce qbë j'ay promis, Veu que je ne ptiÈe assez haultenlent 
mit qm tiemiietit le prétiliër lieu en nostre tulgaire, qui avoy' 
entrepris de le louer et deffenâre : toutesfoys je croy que tù ne 
le tréiiveiiis poiût étrange, à tu consMëres que je ne le puis 
nliteut àefëfidrëi qti'fttribttabt la pautreté d'iceluy^ nm à son 
prt^re et natutel , biai^ à la négligence de ceux qui en ont pris 



(i) . . • Gerrît» uiediaili él foifrabîle robi» 

Recte concedi 

Sed tameii in pretio est. Mediocribus esse poclis 
Non Di, non bomines, non concessere columnae. • 

Hua AT., De Art, poet,^ v, 568-575. 

(a) « Reprehendit iliischiacs qnasdain (verba; et etngitat ; i1<ud6nsqn«^ 
dira, odiusa, intolcrabilia e^se dictt. — Itaqne se purgaas jocatur De- 
inosthenes ; ncgat in eo positas esse fortunas Graecia; : bue an illo verbo 
usus sit , bue ail illuc luanuni porrexerit. » 

CicEfio, Oralor.j cap. IV. 



— 108 — 

le gouvernement , et ne te puis mieux persuader d'y écrire, 
qu'en te montrant le moyen de renrichir et illustrer, qui est 
rimitatiott des Grecz et Romains. 



Chap. III. — Que le Naturel n'est suffisant à celuy qui en 
poésie veult faire œuvre digne de l'immortalité. 

Al aïs pour ce qu'en toutes langues y en a de bons et de mm- 
vais, je ne veux pas, lecteur, que sans élection et jugement tu te 
prennes au premier venu. Il vauldroit beaucoup mieux écrire 
sans immitation , que ressembler un mauvais aucteur : veu mesmes 
que c'est chose accordée entre les plus scauans , le naturel faire 
plus sans la doctrine, que la doctrine sans le naturel. Toutesfois 
d'autant que l'amplification de nostre langue (qui est ce que je 
traite) ne se peut faire sans doctrinfi...£t-sans'^1idition, je veux 
bien advenir ceux qui aspirent à ceste gloire, d'immiterles bons 
aucteurs grecz et romains, voire bien italiens , hespagnolz et au- 
tres jfp uju tout n^e crire pnîpt^^ftmr)^ ^ fioy^ cfl nime.on dil ^ à 
ses muses. Qu'on ne m'allègue point icy quelques uns des nos- 
TrSTqui sans doctrine, à tout le moins non autre que médiocre, 
ont acquis grand bru}t en nostre vulgaire. Ceux qui admirent 
volunliers les petites choses , et deprisent ce qui excède leur ju- 
gement, en feront tel cas qu'ilz voudront : mais je scay bien que 
les scavans ne les mettront en autre ranc que de ceux qui par- 
lent bien francoys, et qui ont (comme disoit Ciceron des anciens 
aucteurs romains) bon esprit , mais bien peu d'artifice.yQu'on 
ne m'allègue point aussi que les poëtes naissent, car cela s'entend 
de ceste ardeur et allégresse d'esprit , qui naturellement excite 
les poëtes, et sans la quele toute doctrine leur seroit manque 
et inutile Certainement ce seroit chose trop facile, et pourtant 
contemptîble, se faire éternel par renommée , si la félicité de na- 
ture donnée mesmes aux plus indoclcs , etoit suffisante pour faire 



— lOl) — » 

chose digne deriiumortalité. Qui veut voler par les mains et bou- 
ches des hommes, doit longuement demeurer en sa chambre, et 
qui désire vivre en la mémoire delà postérité, doit comme mort 
en soymesmes, suer et trembler maintes fois , et autant que notz 
poètes courtizans boyvent, mangent et dorment à leur oyse , en- 
durer de faim, de soif, et de longues vigiles. Ce sont les esles \ 
dont les ecriz des hommes volent au ciel. 

Mais afin que je retourne au commencement de ce propos, 
regarde nbstre immitateur premièrement ce ux qu'il voudra im- 
miter , et ce qu'en e ux il poura , et qui se doit immitér , pour ne 
faire comme ceux , qui voulans aparoitre semblables à quelque 
grand seigneur , immiteront plus tost un petit geste et façon de 
faire vicieuse de luy, gnpfïfts y^f f|iy pt hnnn^ gFtiC^ffi ^^^"'^ toutes 
choses, fault qu'il ait ce jugement de cognoitr e ses torçfig . et ten- 
ter combien ses epaules peuvent porter (1) , 'qu'il fonde [sonde] 
diligemment son naturdTeTse compose à i'immitation de celuy 
dont il se sentira approcher de plus pi*es : autrement son ini- 
mitationressembleroit celle du singe. 



Ghap. IV. Quelz genres de Poèmes doit élire le poète francoys. '^ 

Ly donques et rely premièrement, ô poète futur, fueillette de 
main nocturne et journelle. les exemplaires grecz et latins (2), 
puis me laisse toutes ces vieilles poésies francoyses aux Jeuz Flo- 



(i) « Sumite materiam vcstris qui scrîbitis squam 

Viriburi, et versate diù quid ferre récusent, 
Quid valeant humeri. 9 

HoBAT.f De Àrl. poci.^\^ 38-4o. 

(a) . . « "V us exeniplarîa grseca. . 

Nocturna versate maii', versai e diurna. » 

Ibid., V. 968-369. 



— IIO — 

raudeThooloiixeeC au Puy deRgoan : comiw Boncleaiix, BjI- 
lades, Vyrdaîi, Chanlz Royaaii, Chansons, ec antres tdks <>pîs- 
séries, qoioomunpèot le gonst de nostre langue, ec ne servent 
si nonàpoilerlenMingaaige de notre ignorance. Jétetoy àcesf^ 
sans Epigrammes, non point comme font atgonrd'hny nn tas de 
(aîsenrs de contes nouveaux, qa\ en nn dizain sont oonteas n'a- 
voir rien dict qui vaille aui IX premiers vers, ponrven qu'au 
dixiesme il y ait le petit mot pour rire : mais à rimmitatimi d'un 
Martial, on de quelque autre bien approuvé, si la lascirité ne te 
plaist, mesle le profitable aieoques le dciate. Distlle avecques nn 
style coulant et non scabreux ces pitoyables élégies, à l'exem- 
ple d'un Ovide, d'un Tibule et d'un Properce, y entremeslant 
quelqnesfois de ces taUes anciennes , non petit ornement de poé- 
sie. Chante moy ces Odes, incongnues encor* de la muse fran- 
coyse, d'un lac bien accordé au son de ki lyre grequeet romaine, 
et qu'il n'y ait vers, ou n'iqwoisae quelque vestige de me et 
antique érudition. Et quand à ce, te fourniront de matière les 
louanges des dieux et des hommes vertueux, le discours hu\ 
des choses mondaines, la soltcitute des jeunes hommes , conune 
l'amour, les vinslibres, et toute bonne chère ( j^. Sur toutes choses, 
prens garde que ce genre de poème soit eioingné du vulgaire, 
enrichy et illustré de motz propres et epiibetes non oysifz , orné 
de graves sentences, et varié de toutes manières de couleurs et 
ornementa poétiques, non comme nn : Laissez la verde couleur. 
Amour avecques Psychés, G combien est heureuse, et aigres telz 
oHvraiges, mieux dignes d'astre nommez chansons vulgaires, 
qu'odes ou vers lyriques. 

Quand auxEpistres, ce n'est un poëmequi puisse grandement 
i*nrichir nostre vulgaire, pource qu'elles sont yoIud tiers de cho- 

(i) Masa dédit fidibus Divos, puerosquc Deorum, 

Et juTCUuin cuias, et Itbvra vioa rcfcrrc. 

Ihrai, De Àrl.pocl., v, 83-85, 



111 — 



ses familières et domestiques, si tu ne les voulois faire à Timmi- 
tationd'Ëlegies comme Ovide, ou sentencieuses et grayes, comme 
Horace. Autant te dy-je des Satyres, que les Francoys, je ne scay 
comment, ont apellées Coqz àl^Asne^ e$ quelz je t^ conseille aussi 
peu t'exercer, cofume je te veux estre aligne de n^l dire, si tu 
ne voulois, à l'escompte dea aiiciena, en vers héroïques (c'est h 
dire de X k Xï > ejt non ^ulemei^t de VIÎlTTk ) soute le 
Qom deSatyre^ et qqq de çe^ ipf piQ «ippcdlAtion de Coq h T Aane, 
tai$0r modestement les vices de ton teas , et pardopaer au?( jioois 
des personnes vicieuses. Tuhaapourcecy Horace, qui, selon Quin- 
tiliao^, tiei|t 1^ premier lieu eutr^ les satyriques. Sonne moy cea 
beaux ^onni^ts, nQu^iojnudo^e que plaisante invention italienne, 
conforme de çk(m à l'Ode ^ et dilTerente d'elle seuJernent pouc 6{i 
que Je Sionnet 9 certaine ^ers reiglez ôt limitez , et l'Ode peut cou^ 
rir pa^r^jpaîgs^mggieres de wrs librement, vQyre en inventer Ji^ 
plaisir à l'exemple d'Horace, qui a chanté en XIX sortes 
de vers, comme disent les graminairieDs, Pour te Sonnet donques 
tu as Pétrarque et quelques moderne» Italiens^ 

ChaQte moy d'une musette bien résonnante etd'upe flustebien 
JQÎQte ces plaidantes E cclogues rustiqu es, à l'exemple de Thëocrit 
et de Yi^ite, Marines, à l'exemple de Sennezar gentil homme 
neapoUtain, Que pleust aux Muaea, qu'en toutes les espèces de 
po^io, quej'ay nommées, nous eussions beaucoup de telles immi* 
l^ons qu'^t eete Ecclcuue sUr la naisi^nce du fdz de Monseirt 
gafAir le Pauphin , ^ mon gr^ uo dea iqetUeiirs petiz ouvraig^^ 
que fict oinques Alarot. Adopte moy Aussi en la famillo fr»nçoy$e 
ces coutens et mignars Hegd ecasyll ables, à l'exemple d\in Catulle, 
d'un Pputan et d'un Second: ce que tu pouras faire, sinon en 
quantité, pour le moins en nombre de syllabes. Quand aux Co- 
médies et Tragédies^ si les royset les republiques les vouloint res- 
tituer en leur ancienne dignité, qu'ont usurpée les Farces et 
Moralitez, Je seroy' bien d'opinion que tu t'y employasse», el si 
tu te veux iaire pour l'ornement de ta langue , tu scais ou tu en 
doibs trouver les archétypes. 



^ ni ^ 

Chap. V. — Du long Poème francoys, 

bonques , ô toy, qui doué d'une excellente felicilé de nature ^ 
kistruict de tous bons ars et sciences, principalement naturelles 
etmatheaiatiques, versé en tons genres de bons ancteurs grec£ 
et latins, non ignoitant des parties et offices de la vie humaine^ 
Hon de trop baulte condition, ou appelle au régime publiq', nott 
aussi abject et pauvre, noû troublé d'afoires domestiques, mais 
en repos et tmnqniiité d'esprit, acquise premièrement par la 
magnanimité de ton couraige , puis entretenue par ta prudence 
et saige gouvernement, 5 toy 3 dy-je , orné de tant de grâces et 
perfections, si tu as quelquefois pitié de ton pauvre langaige, si 
tu daignes l'enrichir de tes thesors, ce sera toy véritablement qui 
lui feras hausser la teste , et d'un brave sourcil s^egaler aux su^ 
perbes langues greque et latine, comme a fait de nostre tensen 
son vulgaire un Ariosle italien, que j'oseroy' (n'estoit la saine-- 
tetédes vieulx poëmes) comparer ù un Homère et Virgile.' Comme 
hiy donq' , qui a bien voulu emprunter de nostre langue les noms 
et l'hystoire de son poëme, choysi moy quelque un de ces beaux 
viealx romans francoys, comme un Lancelot^ un T ristan, ou au- 
tres, et en fay renaître au mond e ua^admiraMe Iliade et labo- 
rie fiSe Eneïde . Je veux bien en passant dire un mot à ceulx qui 
ûe s'empioyent qu'à orner et amplifier notz Romans, et en font 
des livres, certainement en beau et fluide langaige, mais beaucoup 
plus propre à bien entretenir damoizelles qu'à doctement écrire ; 
je voudroy' bien, dy-je, les avertir d'employer ceste grande élo- 
quence à recuillir M'iifiiiiiininlf d( <nin('i£][i<Mii<|iii,j>fiaiiMrpTri| 
et comme a fait Tite Live àès Annale;» et autres anciennes chro- 
niques romaines, en bâtir le'cors entier d'une belle histoire, y 
entremesiant a propos ces belles conclons et harangues, à l'im- 
mitatîpn de celuy que je viens de nommer, de ThucidfSe, Saluste, 
ou quelque autre bien approuvé, selon le genre d'écrire ou ilz se 
sentiroint propres. Tel œuvre certainement seroit à leur immor- 



•- 1 i3 — 
telle gloire, honneur de la France et grande illustration^ de 
nostre langue. 

Pour reprendre le propos que j'avoy' laissé : quelqu'un, peut 
estre, trouverra étrange que je requière une si exacte perfection 
en celuy qui voudra faire unlgng poëme, yeu aussi qu'à peine 
se trouveiToint, encores quiuzfeussent instruictz de toutes ces cho? 
vses, qui voulussent entreprendre un œuvre de si laborieuse Ion* 
gueur et quasi de la vie d'un homme. Il semblera à quelque au- 
tre que,, voulant bailler les moyens d'enrichir nostre langue, je 
iacele contraire, d'autant qse je retarde plus tost, et refroidis 
Tetude de ceux qui etoint bien affectionnez à leur vulgaire, que 
je ne les incite, pource que, débilitez par desespoir, ne voudront 
point essayer ce àquoy ne s'attendront de pouvoir parvenir. Mais 
c'est chose convenable, que toutes.choses soint expérimentées de 
tous ceux qui désirent attaindre à quelque hault point d'excel- 
lence et gloire non vulgaire. Que si quelqu'un n'a du tout cete 
grande vigueur d'esprit, cete parfaite i nteUigence des discipline s, 
etTôule^ il^ auiPés commoditez que j'ay nommées , tienne pourtant 
le cours tel qu'il poura ; car c'est chose honneste à celuy qui 
aspire au premier ranc , demeurer au second, voire au troizieme. 
Non Homère seul entre les Grecz, non Yirgile entre les Latins, 
ont acquis loz et réputation. Mais telle a été la louange de beau- 
coup d'autres, chacun en son genre, que pour admirer les cho- 
ses haultes, on ne laissoit pourtant de louer les inférieures (1). 



(i) «Yereor ne si Id quod vis expressero, euniqoc oratoram quem qux- 
ris cxpressero , tardem studia multorum, qni desperatione débilita ti , 
experiri id nolcot» quod se assequi posse difidant. Sed par est omnes omnia 
oxperiri, qui res magnas et magno opère expetendas concupiverunt. 
Quodsi quem aut natura sua, aut illa praestantis ingenii vis forte de- 
ficier, aut minus instructus erit magaarum artium disciplinis ; teneat ta- 
men eum cursum. quem poterit : prima enim sequentem, honeslum est 
in secundis tertiisque consistere. Nam in poetis, non Ilomeri solo locus 
est, ut de Grxcis loquar, aut Archiloco, aut Sophocli, aut Findaro ; sed 
horum vci secundis, \v\ eliam infrasecundos. ■ Cicero, Orator, ca^\ I. 

8 



- ii4~ 
Certainement si nous avions des Mécènes et des Aagustes, les 
deux et la nature ne sont point si ennemis de nostre siècle, que 
n'eussions encores des Virgilcd. L'honneur nourist le s ars ; nous 
sommes tous par la gloire enflammez à l' étude dess cîences : et 
ne s'elevent jamais les choses qu'on voit estre dep risto; de tous» 
Les roys et les princes devroint, ce me. semble ravoirHiemoire 
de ce grand empereur, qui vottloit plus tost la yeneraUe puis- 
sance des UÀx estre rompue^ que les œuvres de Virgile, condam- 
nées au feu par le testament de l'aucteur, {eussent bridées. Que 
diray-je de cet autre grand monarque^ qui desîroit {dus k re- 
naître d'Homère qvie legaing d'une grosse battaille? et quel- 
quefoys étant près du tumbeau d'Achile, s'écria hanltement : 
ô bienheureux adolescent, qui as trouvé un tel bucdnateur de 
tefldoangesl Et à la vérité , sans la divine muse d'Homère, le 
mesme tumbeau, qui couvroit le corps d'Acbile, eust aussi acca- 
blé son renom ; ce qu'avient à tous ceux qui mettent l'asseurance 
de leur immortalité au marbre, au cuyvre, aux coUosses, aux 
pyramides, aux laborieux édifices, et autre» choses non mdn» 
subjectes aux injures du ciel et du tens, de la flamme et du fer, 
que de fraiz excessifz et perpétuelle sollicitude. Les altechemëntz 
de Venus, la gueule et les ocieuses plumes ont; cbassQ d'entre 
les hommes tout désir de l'immortalité : rn^î» eiicores est-ce 
chose plus indigne que ceux qui d'ignorance et toutes, espèce» 
de vices font leur plus grande gloire, se moquent de ceux, qui en 
ce tant louable labeur poétique employent les heures, quelesi 
autres consument aux jeuz , aux baings , aux banquez et autres 
telzmenuz plaisirs. Or neantmoins quelque infelicité de siècle ou 
nous soyons, toy, à qui les Dieux et les Muses auront été si fa- 
vorables, comme j'ay dit , bien que tu soye depourveu de la fa- 
veur des hommes , ne laisse pourtant à entreprendre un œuvre 
digne de toy, mais non deu à ceux, qui, tout ainsi qu'ilz ne font 
choses louables, aussi ne font ilz cas d'estre louez. Es^re le fruict 
de ton labeur de l'incorruptible et non envieuse postérité : c'est 
la gloire, seule échelle par les degrez de laquele les raortelz d'un 
pié léger montent au ciel, et se font compaignons des Dieux, 



ii5 



Chap. VI. — D'inventer des Motz, et quelques autres choses 
que cknt obseiver de [le] poète francoys. 

Mais de peur que le vent d'affeetion ne pousse mon navire si 
avant en cete mer que je soye en danger du nauflfrage, repren- 
nant la route que j'avoy' laissée , je veux bien avertir celuy qui 
entreprendra un grand œuvre^, qu'il ne craigne point d'in venter» 
adopter et composer àl'immitation des Gre^^, quelques vofAs 
francoys, comme ClcèrôTï !»« mm tt'avull' fill en sa langue^ Mais 
si les Grecz et Latins eussent esté supersticieux en cet endroit > 
qu'auroint-ilz ores de quoy magnifier si haultement cete copie 
qui est en leurs langues? Et si Horace permet qu'on pnysse en 
un long poème dormir quelquesfois, est -il deffendu en ce me^me 
endroict user de quelques motz nouveajQx, mesmes quand la né- 
cessité nous y contraint? Nul s'il n'est vrayment du tout ignare^ 
voire privé de sens commun, ne doute point aue Jes choses 
n'ayent premièrement été, puis après les mot s avoit ray oiri été 
inventez pour les signifier : et par conséquent aux nouvelles cho- 
ses estre nécessaire imposer nouveaux motz , principalement es 
ars dont l'usaige n'est pdnt encores commun et vulgaire, ce qui 
peut arriver souvent à noslre poëte, au quel sera necessabre em- 
prunter beaucoup de choses non encor' traitées en nostre lang ue. 
Les ouvriers (afin que je ne parle des sciences libérales) jusques 
aux laboureurs mesmes, et toutes sortes de gens mécaniques, ne 
pouroint conserver leurs métiers, s'ilz n'usoint de motz à eux uzi- 
tez et à nous incongneuz. Je suis bien d'opinion que les procu- 
reurs et avocatz usent de termes propres à leur profession , sans 
rien innouer ; mais vouloir oter la liberté à un scavant homme, 
qui voudra enrichir sa langue, d'usurper quelquesfois des voca- 
bles non vulgaires, ce seroit retraindre notre langaige, non en- 
cor' assez riche, soubz une trop plus rigoreuse loy que celle que 
les Grecz et Romains se sont donnée. Les quelz, combien qu'ilz 



— ii6 — 

feussent sans comparaison plus que nous copieux et riches ^ 
neantmoins ont concédé aux doctes hommes user souvent de motz 
non acoutumez es choses non acoutumées. 

Ne crains donques^ poète futur^ d'i nnover quelc| [ues termes, en 
un long poëmé principalement, avecques modestie toutesfois, 
analogie et jugemenf de Toreille, et ne te soucie qui le treuve 
bon ou mauvais, espérant qfîie la postérité l'approuvera, comme 
celle qui donne foy aux choses douteuses, lumière aux obscures, 
nouveauté aux antiques, usaige aux non acoutumées, et dou- 
ceur àttx après et ffrdes. Entre autres choses gegarde bien nostre 
pnptp d'iisi^ r de ïinms prnprps latins ougreçzT'cBSSê vrayment 
aussi absurde que si tu appliquons une pièce de velours verd à 
une robe de velours rouge^ Mais seroit-ce pas une chose bien 
plaisante user, en un ouvraige latin, d'un nom propre d'homme 
ou d'autre chose en francoys? comme Jan currit^ Loyrefluit, 
et autres semblables. Accommode do no^esjtelz nom s pjppres, de 
quelque langue que ce soit, à l'usaige de ton vulgaire, suyvant 
les Latins , qui pour ùpàxl^ç ont dit Herciiîês , pour 0>î(yevç 
Theseus, et dy Hercule, Thésée, Achile, Ulysse, Virgile, Ci- 
ceron, Horace. Tii doibz pourtant user en cela de jugement et 
discrétion , car il y a beaucoup de lelz noms qui ne se peuvent 
approprier en francoys, les uns monosyllabes , comme Mars ; les 
autres dissylhibes^ comme Venus; aucuns de plusieurs syllabes, 
comme Jupiter , si tu ne voulois dire Jove ; et autres infinitz , 
dont je ne te scauroy' bailler certaine reigle. Parquoy je ren- 
voyé tout au jugement de ton oreille. 

Quand au reste , use lïemotz purement francoys , nQ e_ toutes - 
fois tropconotomnâ, n on point aussf jr^p niP^'^**^ > si tu ne vou- 
lois quelquefois usurper, et quasi comme enchâsser ainsi qu'une 
pierre précieuse et rare, quelques motz antiques en ton poëme, 
à rex^ûplÊ.Je.3^île, qui a usé de ce mot olli, pour lUi, aulai 
pour aute, et autres. Pour ce faire, te faudroit voir tous ces vieux 
roman&.«t4U)fitesLf£an^oys , ou tutrouverras un ajourner y pour 
faire jour (que les praticiens se sont fait propre) , anuytei-, pour 



— 117 — 
faire nuyt, assener^ pour frapper ou on visoit et proprement, 
d'un coup de main, isnel^ pour léger, et mil' autres bons mbtz 
que nous avons perdus par notre négligence. Ne doute point que 
le modéré usaige de telz vocables ne donnas grande majesté tant 
au vers comme à la prose, ainsi que font les retiques des sainclz 
aux croix et autres sacrez joyaux dédiez aux temples. 




Chai». VII. De la Rythme, et des Fers sans rythme.. 

Quand à la, rythme, je suis bien d'opinion qu'elle sof 
pour ce qu'elle nous est ce qu'est la q uantité aux Grec» et L atînsl 
Et bien que n'ayons cet usaige de piez comme eux, si est-ce que 
nous avons un certain nombre de syllabes en chacun genre de 
poème, par les quelles, comme par chesnons, le vers francois lié 
et ench aîné, est contraint de se rendre en cete étroite prison de 
rythme, sous la garde le plus souvent d'une couppe féminine, 
façjieux et rpde geôlier et iaoongnu des autres vulgaires. 

Quand je dy que la rythme doit estre riche, je n'entens qu'elle 
soit contrainte et serablaWe à celle d'aucuns, qui pensent avoir 
fait un grand chef d'œuvre en francoys, quand ilz ont rymé ua 
imminent et un eminent y un misericordieusement et un meU)- 
cUeusementf et autres de semblable farine, encores qu'il n'y. ait 
sens ou raison qui vaille. l\lais la rythme de notre poëte sera 
volontaire, non forcée ; rec eue^, n on appellée ; propre, non aliène ; 
naturelle, non adc^tive; bref, elle sera telle que le vers, tum- 
bant en icelle , ne contentera moins Poreille que une bien armo- 
nieuse musique tumbante en un bon et parfait accord. Ces équi- 
voques donq' et ces simples rymez avecques leurs composez , 
comme un baisser et abaisser, s'ilz ne changent ou augmentent 
grandement la signification de leurs simples , me soint chassez 
bien loing; autrement qui ne vou^foitmgkr sa rythme comme 
l'ay dit, il vaudroit beaucoup mieux ne rymer point, mais faire 



I 



— ii8 — 

des Ycrs libres, comme a fait Pétrarque en quelque endroit, et 
de notre tensle seigneur Loys Aleman, en sa non moins docte 
que plaisante agriculture. Mais tout ainsi que les peintres^t sta- 
tuaires mettent plus grand' industrie à fsàie beaux et l)îen pro- 
portionnez les corps qui sont nuds, que les autres : aussi fau- 
droit-il bien ces vers non rymez, feussent bien char nuz etiyrv 45 n z , 

Je n'ignore point que quelques uns ont fait une division de 
rythme, l'une en son, et l'autre en écriture, à cause de ces dyph- 
tbongues ai, eij m, faisant conscience de rymer maître et près- 
tre, fontaines et Atfienes , connoitre et naitre: mais je ne veulx 
que noitre poëte regarde si supersticieusement à ces petites cho- 
ses, et Itty doit suffire que le s deux dernières syllabes soint uni- 
_sopes^^ qui arriveroit en la plus gran^' part, tant en viix qu'en 
écriture, si l'orthographe francoyse n'eust point été depnrvée par 
les praticiens. £t pource que Loy sJJ^^reL n on nàoins am^^ément 
que doctement a traité cete partie, lecteur, je te renvoyé à son 
livre; et feray fin à ce propos, t'ayànt sans plus averty de ce 
mot en passant, c'est que tu t e gardes df * x^Vimt^v les motz mani- 
festement Umgs avecques les brefz, aussi manifestement brefz, 
comme un jmse et trace , un motfre et mettre, une cfievelûre et 
hure , un baM et bat , et ainsi des aiUres. 



Chap. VIIÏ. De ce mot Rythme; de l'invention des vers rymez; 
et de quelques autres antiquitez usitées en notre langue. 

Tout ce qui tumbe soubz quelque mesure et jugement de l'o- 
reille, dit Ciceron , en latin s'appelle nuinerv^, en grec, §m^^ç 
non point seulement au vers , mais à l'oraison ^parquoy impro- 
prement notz anciens ont astrainct le liom du genre soubz l'es- 
pèce, appellant rythme céte consonance de syllabes à la fin des 
vers, qui se devroit plus tost nommer ©powTsXcuTov , c'est à dire 



/ 
/ 



(comnie I 
d' estime j 



-M9- 
finissant de mesmes, Tane des espèces du rythme/Ainsi ie^ vi»^> 
encores qn'ilz ne finissent p<»iit en un mesnae son ^ généralement 
se peuvent apeller rythiae, d'autant (pie la signification de ce 
mot pv^ftoç est fort ample^ et emporte beaucoup d'aotrestermes, 

COmmexavùv, fiérp^viUkoç euywvov, «xoXov5e«, raÇtÇj crùyi^ptfTiç, rei- 

gle, mesure, melpdieiise consonancede voix, consequu^n, ordre, 
et comparaison.|Or quand à Tantiquité de ces vers que nous ap- 
pelions rymez^ et ^^le les antres vulgaires ont empruntez de 
nous^ si on adjoute foy à Jan le Maire de Belges, diligent re- 
chercheur de l'antiquité, Bardus v. roy des Gaules eh îeai in- 
venteur, et introduysit une secte de portes nommez Bardes, les 
quelz chantoint mélodieusement leurs rymes avecques instru- 
mentz, louant les uns et blâmant les autres, etetoint 
temoingne Dyodore Sicilien en son vi. Livre) de si grand' 
entre les Gaullois, que si deux aru^es ennemies etoint prestes à 
combattre, et les ditz poëtes se missent entre deux, la bataille 
cessoit, et moderoit chacun son ire.,,,^.,,^ 

Je pourroy' alléguer assez d'autres antiquitez, dont notre lan- 
gue aujourd'huy est ennoblie, et qui montrent les Histoires n'es- 
tre iaulses, qui ont dit les Gauttes anciennement avoir été floris- 
santes, non seulement en Vraies, mais en toutes soit^âe sciences 
"^ïîonnes lettres. Mais cela requiert bien un œuvre entier; et ne 
seroit, après tant d'excellentes plumes , qui en ont écrit mesmes 
de nostre tens, que retixtre, comme on dit, la toile de Pénélope. 
Seulement j'ay bien voulu, et ne me semble mal à propos, mon- 
trer l'antigui ti^dr di ani g h onr i n fort Tulçnirnn m nnfn^ Inn^iif ^ et 
non moins anciennes entre les Créez : rune^t^^£eteiny^|;g|Qa^^ 
lettres en un propre nom, qui porte quelque devise convenable à 
Ta personne, comme en JRANÇOYS DE VALOYS . de façon 
suys royal; H ENRY P^ VAL OYS , roy es de nul hay. L'autre 
est en jin epigra mme , ou quelque autre œuvre poétique, une 
certaine élection â'es lettres capitales, disposées en sorte qu'elles 
portent ou le nom de l'autheur, ou quelque sentence. 

Quand à l'inversion de lettres, que les Grecz appellent «vay/ïa^- 



^ 



o ■ 



liKTKTfioç, rinterprete de Lycophron dit en sa vie : en ce tens là 
ilorissoit Lycophron , non tant pour la poésie que pour ce qu'il 
f afsoitdes Anagrammati$i BgS4,.ffTfimple du nom du roy Ptolomée : 
mùUiiaToç, àno /aActo?, c'est à dire emmiellé, ou de miel; delà 
royne Arsinoë, qui feut femme dudit Ptolomée, àpfnvorjy àpocç hv, 
c'est à dire la violette de Juno. Artemidore aussi le Stoîque a 
laissé en son livre des Songes un chapitre de l'Ans^rammatisme, 
ou il monstre que par l'inversion des lettres on peut exposer les 



Quand à la disposition des Lettre» capitales, Eusebe , au livre 
de la préparation evangdique, dit que la Sybille Erythrée avoit 
prophetizé de Jesuchrtst, préposant à chacun de ses vers cer*. 
taines lettres, qui declaroint le dernier advenement de Christ. 
Les dites lettres portoint ces motz: JESUS. Chbistus. Servator. 
Crux. Les vers feurent translatez par Saint Augustin (et c'est ce 
qu'on nomme les xv signes du jugement) les qnelz se chantent 
encor' en quelques lieux. Le& Grecz appellent cete préposition de 
lettres au commencement des vers oLxp^ç-zixiç» Ciceron en parle 
au livre de Divination, voulant prouver par cete curieuse dili- 
gence , que les vers des Sibylles etoint faits par artifice et non par 
inspiration divine. Cete mesme antiquité se peut voir en tous les 
argumens de Plaute, dont chacun en ses lettres capitales porte le 
nom de la comédie. 



CHAP. IX. — Observation de quelque matiieres de parter 
fràncoyses, 

J'ay déclaré en peu de paroles ce qui n'avoit encor' été (que 
je saiche) touché de noiz rhetoriqueurs fraocoys. Quand aux 
couppes féminines, apostrophes, accens, 1'^' masculin et l'e fé- 
minin, et autres telles choses vulgaires, notre poëte les ap- 
prendra de ceux qui en ont écrit! Quand aux espèces de vers. 



— 121 — 

(ju'ilz veulent limiter, elles sont aussi diverses que la fantasie des 
hommes et que la mesme nature/Quand aux vertuz et vices du 
poëme, si diligemment traitez par les anciens comme Aristote, 
Horace, et après eux Hieronyme Vide; quand aux figures des 
sentences et des motz, et toutes les autres parties^de l'eloquution, 
les lieux de commisération, de joye, de tristesse, d'ire, d'admi- 
ration, et toutes autres commotions de l'ame : je n'en parle point 
après si grand nombre d'excellens phylosophes et orateurs qui en 
ont traicté, que je veux avofr été bien leuz et releuz de nostre 
poëte, premier qu'il entreprenne quelque bault et excellent ou- 
vraige. £t tout ainsi qu'entre les aucteurs latins, les meilleurs sont 
estimez ceux qui de plus près ont immité les Grecz , je veux aussi 
que tu t'eforces de rendre, au plus près du naturel que tu pourasj 
1^ phrase et manière de p arler latine . et en tant que la propriété 
de l'une et l'autre langue le voudra permettre. Autant te dy-je de 
la grequc , dont les fa çons de parler sont fort approchant es de 
n otre vulgaire, ce que mesmes on peut congnoitre par les Arti- 
^cles, incongneuzde la langue latine. 

Use donques hardiment de rinfini t if pour le no m, comme l'al- 
ler, le chanter, le vivre rie mourir ; de l'adiectif substantivé» ^ 
comme le liquide des eaux, le vuide de l'air, le fraiz des umbres, 
l'épes des forestz, l'enroué des cimballes, pourveu que telle ma- 
nière de parler adjoute quelque grâce et véhémence : et non pas, 
le chault du feu , le froid de la glace , le dur du fer , et leurs sem- 
blables; "^^"^rbtiii l^li rartirTfii quiiif^"" leur nature n'ont point 
d'infmitilza^es eux, aveçgues de s infinitifa , comme tremblant 
de mourir, et volant d'y aller, pour craignant de mourir, et se 
hâtant d'y aller; des nomsjHour les adverbes, comme ilz com- 
battent obstinez, pour obstinéement, iTîSle^ pour légèrement; 
et mil' autres manières de parler, que tu pouras mieux observer 
par fréquente et curieuse lecture, que je ne te les scauroy' dire. 

Entre autres choses je t'averty' user souvent de la figure Anto- 
NOMASIE , aussi fréquente aux anciens poètes , comme peu risîtiîir-— 
voire mcongnue des Francoys. La grâce d'elle est quand on de- 



— laa — 

^^^s igae te nom ée croelaue chose par ce qui lay est prop re, comme 
le Père focdroyant pour Jupit er , le Dieu deux fois'né pour Bac- 
chus, la Vierge chasseresse pour Dyane. Cete figure a beaucoup 
d'autres espèces, que tu trouverras chés les rheloriciens, et a fort 
boBAe grâce, principalement aux descriptions, comme Depuis 
ceux qui voyent premier s rougir PAurgr e jusques la ou Thetis 
reçoit en ses ondes le filz d'Hyperion, pour Depuis l'Orient jus- 
ques à roccident. Tu en as assez d'autres exemples -«s Grecz et 
Latms, mesmes en ces divines expériences de Virgile, comme 
du fleuve glacé, des douze signes du Zodiaque d'Iris , des douze 
labeurs d'Hercule, et autres. 

Qu and aux Epithetes, qui sont en notz poètes francoys la plus 
grand' part ou froids, ou ocieux , ou mal à propos, je veux que 
_tu en uses de sorte que , sans^ euXjjjEg.,gue^ tu diras seroit beau- 
,coup momifrerc omme ia flamme dévorante, les souciz mordans, 
la gehinnante sollicitude ; et regarde bien qu'ilz soii ^^ convena- 
^Mes^non^ jgjolemenî.àjeu^^ , mais aussi à ce que tu 

deojjiaa» afin que tu ne dies l'eau' undoyante, quand tuTâ veux 
décrire impétueuse, ou la flamme ardente, quand tu la veux mon- 
trer languissante. Tu asHoracfi^£^|[^les Latins fort heureux en 
cecy comme en toutes choses. 

Garde toy aussi de tumber en un vice commun mesmes aux 
plus excellens de nostre langneTc ^st Wmîs^on des Articles. Tu 
as exemple de ce vice en infiniFendroictz de ces petites poësies 
francoyses. J'ay quasi oublié un autre ^fault bien usité et de 
très mauvaise grâce : r'pst q\}^nA^ en la quadrature d es vers lu^r^^ 
roïques la sentence e st troB,^bcii p te mc atxoppée, comme Si non 
que tu en montres un plus seur. 

Voyla ce que je te vouloy' dire brevement de ce que tu doibz 
observer tant au vers comme à certaines manières de parler, peu 
ou point encor' usitées des Francoys. Il y en a qui fort supersti- 
cieusement entremeslent les vers masculins avecques lesfeminins, 
comme on peut voir aux Psalmes traduictz par M arot : ce qu'il a 
observé (comme je croy') afin que plus facilement on les peust 



' I 



— 123 — 

chanter sans varier la musique pour la diversité des meseures 
qui se trouverroint à la fin des vers. Je treuve cete diligence 
fort bonne , pourveu que tu n'en faces point de religion jusques 
à contreindre ta diction pour observer telles choses. Regarde 
principalement qu'en ton vers nV aitr ien dur^ hvulaue''^o5're^ 
^^fl n^t ; qug Tj^ périodes soimMenjoinctz^minf^ç renY^ bien 
ren aplissan s Toreille^ et td z qa'ik n'excèdent point ce terme et 
EiïT, que naiuréliénaent nous sentons^ soit en lisant ou écoutant. 



Chap. X. — De bien prononcer tes vers^ 

Ce lieu ne me semble mal à propos dire un mot de la prononcia- 
tion, que lés Grecz appellent ^my.ptfftç [vnwptmç] afin que s'il t'a- 
vient de redter quelquesfois tes vers, tu les prononces d 'jin son dis^ 
tinct, noacon&i z ; viril, non efféminé ; avecques une voixaccom- 
. modé<g à toutes lès affec tionsqne tu voudras exprimer ^n tes versTîlt 
certes conune icelle pronuncIaïïonT efTést^ ^ à la mat ière 

que Ion [l'on] traite, Toyre p» le jugement de Demosthene, est le 
{â-inclpal de Forateur , aussi n'est-ce peu de chose que de pro- 
nuncer ses Ters de ponne grâce; veu que la poësie (comme dit 
Ciceroa) a été inventée par observation de prudence et mesure 
"^"'l^rHIlfi'î I tltlUt if |"r^"^"^ est tressuperbe, comme de celles 
qui repudiejit toutes choses après et rudes , non seulement en 
composition et ^ucture de motz., mais aussi en modulation de 
voix. Nous lisons cete grâce de proi^uncer avoir été fort excel- 
lente en Virgile 9 et tdle qu'un poëte de son tens disoit que les 
vers de luy , par luy pronuncez, etoint sonoreux et graves; par 
autres, flacqqes et effeminez. 



124 — 

Chap. xi. — De quelques obsei^ations oultre l* Artifice, avec- 
ques une Invective contre les mauvais poètes francoys. 

Je ne demeurera y longuement en ce que s'ensuit, pour ce que 
nostre poëte , tel que je le veux , le poura assez entendre par son 
bonjogement, sans aucune s traditions de reigles. Du tens don- 
quesetdu lieu qu'il fault élire pour la c^itation , je ne luy en 
bailleray autres préceptes, que ceux que son plaisir et sa disposi- 
tion luy ordonneront. Les uns ayment les fresches umbres des 
forestz, les clairs ruisselez doucement murmurans parmy les 
prez ornez et tapissez de verdure. Les autres ^e délectent du se- 
cret des chambres et doctes études. Il fault s'accommoder à la 
saison et au lieu. Bien te veux-je avertir de c hercher la snlîtyydft 
et le silence amy des. jnuses. qui aussi (afûn que ne laisses passer 
cete fureur divine , qui quelquesfois agite et echaufie les espris 
poétiques, et sans la quele ne fault point que nul espère faire 
chose qui dore) n'ouvrent jamais la porte de leur sacré cabinet, 
sinon à ceux qui hurtent rudement. 

' Je ne veux oublier l'E gaendation^^p artie certes la plus uljle de 
notz études. L'office d'elle est ajouter, oter , ou muer à loysir ce 
que cete première impétuosité et ardeur d'écrire n'avoit permis 
defaireJ(pourtantest il nécessaire, afin que noz ecriz, comme 
enfans nouveaux nez, ne nous flattent, les i ^mettre à pa rt , les 
revoir s ouvent, e t, en la manière des ours, à force de lécher leur 
donner forme et façon de membres , non immitant ces importuns 
versificateurs, nommez des Grecz poujoTroéTayoe, qui rompent à 
toutes heures les oreilles des misérables auditeurs par leurs nou- 
veaux poèmes. Il ne fault pourtant v estre t rgp suoerstic ieux . ou 
(comme les elephans leurs pptlz) ftst f <> \ a^ s à finfant^r i^s vers. 
Sur tout nous convient avoir quelque scavant et fidèle compai- 
gnon, ou un amy bien familier, voire trois ou quatre, qui veillent 
et puissent congnoitre noz fautes , et ne craignent point blesser 
nostre papier avecques les ungles. Encorcs te veux-je advertir do 



— 120 — 

/hanter quelquesfois^ non seulement lesscavans, mais aussi toutes 
sortes d^o uvriers et gen s mécaniques, comme marinières [mari- 
niers] , fondeurs, peintres, erigraveurs^1Srâtiires;scavoir leurs in- 
ventions, les noms des matières, des ôutilz, et les termes usitez en 
leurs ars et métiers, pour tyrer de la ces belles comparaisons et vi- 
ves descriptionstle toutes choses. Vous semble point, messieurs, 
qui êtes si ennemis de vostre langue, que nostre poëte ainsi armé 
puisse sortir à la campaigne, et se montrer i^r les rancz, avec- 
ques les braves scadrons grecz et romains? 

Et vous autres si mal équipez, dont l'ignorance a donné le ridi- 
cule nom de Rymeursà nostre langue (comme les Latins appellent 
leurs mauvais poètes versificateurs), oserez vous bien endurer le . 
soleil, la poudre» et le dangereux labeur de ce combat ? Je suis 
d'opmion que vous réllHôk au bàgà'gêTvecques ïès paiges et la- 
quais , ou bien (car j'ay pitié de vous) soubz les fraiz umbraiges , 
aux sumptueux palaiz des grands seigneurs et cours magnifiques 
des princes, entre les dames et damoizelles, ou votz beaux et mi- 
gnons ecriz, nom [non] de plus longue durée que vostre vie, se- 
ront receuz , admires et adorés, non point aux doctes études et \ 
riches byblyotheques des scavans. Que pleust aux muses, pour le . ç^^-L-^ 
bien que je veux à nostre langue , que volz ineptes œuvres feus- / 
sent bannys, non seulement de la (comme ilz sont) mais de toute y 
la France. Je voudroys bien qu'à l'exemple de ce grand monar- 
qfte, qui défendit que nul n'enlreprist de le tirer en tableau sinon 
Apelie, ou en statue sinon Lysippe (1), tous roys et princes ama- 
teurs de leur langue deffendissent^ par edict exprès^ à leurs sub- 
jectz de non mettre en lumière œuvre aucun , et aux impri- 
meurs de non l'imprimer, si premièrement il n'avoit enduré la 
lyme de quelque scavant homme, aussi peu adulateur qu'etoit ce 



(i) Edicto veluit dc quis se, praeter Apellem, 

Pingcref, .aut aiius Ljsippo duccret aéra 
Fortis Alexaadri vultnm simulantia. 



\ 



HoaAT., EpisloLy lib. II, ep. i, v. 259- a4i* 



— 126 — 

Quintilie, dont parle Horace en son art poétique, ou, et en infi- 
niz autres endroitz dudit Horace, on peut voir les vices des poè- 
tes, modernes exprimés si au vif, qu'il semble avoir écrit, non du 
tens d'Auguste, mais de Francoys et de Henry. Les medicins, 
dict il, promettent ce qui appartient aux medicins, les fevures 
taictent [traictent] ce qui appartient aux fevures, mais nous écrivons 
ordinairementdespoemes, autantles indoctes comme lesdoctes(l). 
Yoylapourquoy ne se fault émerveiller, si beaucoup de scavans ne 
daignent au jour d'huy écrire en nostre langue, et si les étrangers ne 
la prisent comme nous faisons les leur peurs] , d'autant qu'ilz voyent 
en icelle tant de nouveaux aucteurs ignorans^ ce qui leur fait penser 
qu'elle n'est capable de ^[u?gf8^3|orngi^^ 
bien je désire voil* secliêr Ces tnntens, châtier ces Petites jeu- 
nesses, rabbattre ces Coups d'essay, tarir ces Fontaines, bref abo- 
lir tous ces beaux tiitres assez suffisans pour dégoûter tout lecteur 
scavant d'en lire d'avantaige. Je ne souhaite moins que ces De- 
pourveuz, ces humbles Ësperans, ces Banniz de lyesse^ ces Es- 
claves, ces Traverseurs soient renvoyés à la Table ronde, et ces 
belles petites devises aux gentilzhommes et damoyselles, d'où 
on les a empruntées. 

Que diray plus? Je supplie à Phebus Apollon que la France, 
après avoir été si longuement stérile , grosse de luy , enfante l^en 
tost un poëte, dont le lue bien resonnant face taire ces enrotrées 
cornemuses, non. autrement que les grenoilles, quand on jette 
une pierre en leur maraiz. Et si non obstant cela , cette fièvre 
chaude d'écrire les tormentoit encores, je leur conseilleroy' ou 
d'aller prendre medicine en Anticyre, ou, pour le mieux, se 
remettre à l'étude, et sans honte, à l'exemple de Caton qui en 



(i) Navem agcrc ignarus navis timet ; abrotonum segro 

Non audet, nisi qui didicit, dare ; quod raedicornm est 
Promittunt mcdici ; tractant fabrilia fabri : 
Scribimus indocti doctique poemata passim? 

lIonAT., EpistoL, lib. II, v. 114-117. 



127 — 

sa vieillesse apprist les lettres greques. Je pense bien qo'en par^ 
lant ainsi de notz rymeurs^ je sembleray à beaucoup trop mordant 
et satyrique, inais véritable à ceux qui ont scavoir et jugement, et 
qui désirent la santé de nostre langue, ou cet ulcère et chair cor- 
rumpue de mauvaises poésies est si invétérée , qu'dle m se peut 
oter qu'avec le fer et le cautère. 

Pour conclure ce propos, saiches, lecteur, que celuy sera vérita- 
blement le poëte que je cherche en nostre langue, qui me fera in- 
digner, apayser, ejouyr, douloir, aymer, hayr, admirer^ éton- 
ner, bref, qui tiendra la bride de me» affections, me tournant 
ça et la à son plaisir. Yoyla la vraye pierre de touche ou il fault 
que tu épreuves tous poèmes et en toutes langues.) Je m'attens 
bien qu'il s'en trouverra beaucoup de ceux qui ne treuvent rien 
bon, sinon ce qu'ilz entendent et pensent pouvoir immiter, 
aux quelz nostre poëte ne sera pas agréable; qui ôkoat qu'il n'i a 
aucun plaisir et moins de proût à lire telz ecriz; que ce ne sont 
que fictions poétiques ; que Marot n'a point ainsi écrit. A teb, 
pource qu'ilz n'entendent la poësie que de nom, je ne suis déli- 
béré de repondre , produysant pour deffence tant d'excellens ou- 
^raiges poétiques grecz, latins et italiens, aussi aliènes de ce 
genre d'écrire, qu'ilz approuvent tant, comme ilz sont eux mes- 
mes eloingnez de toute bonne érudition. Seulement veux- je ad- 
monnester celuy qui aspire à une gloyre non vulganre, s'elbiogner 
de ces ineptes admirateurs, fuyr ce peuple ignorant, peuple en 
nemy de tout rare et antique scavoir ; se contenter de peu de lec- 
teurs, à l'exemple de celuy qui pour tous auditeurs ne deman 
doit que Platon ; et d'Horace, qui veult ses œuvres estre leuz de 
trois ou quatre seulement , entre les quelz est Auguste. 

Tu as^ lecteur, mon jugement de nostre Poëte francoys , le quel 
tu suyvras , si tu le treuves bon , ou te tiendras au tien , si tu en 
as quelque autre. Car je n'ignore pomt combien les jugeméntz 
|ies hommes sont divers, comme en txmtes choses, principalement 
en la poësie, la quelle est comme une peinture, et non moins 
qu'elle subjecte à l'opinion du vulgaire. Le principal but ou je 



(• 



— ia8 — 

vise, c'est la deffence de notre langue^ l'ornement et amplification 
d'icelle, en quoy si je n'ay grandement soulaigé l'industrie et la- 
beur de ceux qui aspirent à cete gloire , ou si du tout je ne leur 
ay point aydé^ pour le moins je penseray avoir beaucoup fait^ si 
je leur ay donné bonne volunté. 



Chap. XII — Exhortation aux Francoys d'écrire en leur lan- 
gue; avecqties les Louanges de la France. 

Donques, s'il est ainsi ^ que de nostre tens les astres^ comme 
d'un accord^ ont par une heureuse influence conspiré en l'hon- 
neur et accroissement de notre langue^ qui sera celuy des sca- 
Tans qui n'y voudra mettre la main^ y rependant de tous cotez 
les fleurs et fruictz de ces riches cornes d'abundance greque et 
latine? ou , à tout le moins, qui ne louera et approuvera l'indus- 
trie des antres? Mais qui sera celuy qui la Tonldra blâmer? 
Nul, s'il n'est vraymenl ennemy du Nom francoys. Ce prudent et 
vertueux Themistocle Athénien montra bien que la mesme loy 
naturelle, qui commande à chacun défendre le lieu de sa nais- 
sance, nous oblige aussi de garder la dignité de notre langue, 
quand il condamna à mort un herault du roy de Perse, seulement 
pour avoir employé la langue attique aux commandemens du Bar- 
bare. La gloire du peuplg f(>^^ |ftîj[]| nVi?t mnindrft (rnimnft a dit 
auelqu'unLgB A^am gli Ticatio n d e son ^^jffg^ig ^ gu^ dp sfîallmïïps ( 
car la plus haulte excellêncede leur république, voire du tens 
d'Auguste, n'etoit assez forte pour se deflendre contre P injure du 
tens par le moyen de son Gapitole, de ses Thermes et magnifiques 
palaiz, sans le bénéfice de leur langue, pour la quele seulement 
nous les louons, nous les admirons, nous les adorons. 

Sommes-nous donques moindres que les Grecz ou Romains, 
qui faisons si peu de cas de la nostre? Je n'ay entrepris de faire 
comparaison de nous à ceulx la, pour ne faire tort à la vertu fran- 



— >i^9 — 
coyse, la conférant à la vanité gregeoyse; et moins à ceux cy , 
pour la trop ennuyeuse longueur que ce seroit de repeter l'ori- 
gine des deux nations, leurs faictz, leurs loix^ meurs et manières 
de vivre , les consulz, dictateurs et empereurs de Tune, les roys, 
ducz et princes de l'autre. Je confesse que la fortune leur ait quel- 
quesfoys été plus favorable qu'à nous : mais aussi diray-je bien 
(sans renouTcler les vieilles playes de Romme^ et de quele excel- 
lence 5 en quel m^rix de tout le monde, par ses forces mesmes 
elle a été précipitée) (l igue la Franc e, soit en repos ou en guerre, 
est de long intervalle à préférer a l^'îiàlîe V 'Serve" mâmfënant et 
Tîîeïîenaîre diTce^^ commander. Je ne par- 

leray icy de la temperie de l'air, fertilité de la terre , abundance 
de tous genres de fruictz nécessaires pour l'ayse et entretien delà 
vie humaine, et autres innumerables conmioditez ^ que le Ciel, 
plus prodigalement que libéralement, a elargy à la France. Je ne 
conteray tant de grosses rivières, tant de beUes forestz^ tant de 
villes non moins opulentes que fortes et pourveuës de toutes mu- 
nitions de guerre. Finablement je ne parleray de tant de métiers, 
arz et sciences, qui florissent entre nous, comme la musique, 
peinture, statuaire, architecture, et autres, non gueres moins 
que jadis entre les Grecz et Romains. Et si pour trouver Tor et 
l'argent, le fer n'y viole point les sacrées entrailles de nostre an- 
tique mère; si les gemmes, les odeurs et autres corruptions de la 
première générosité des honunes, n'y sont point cherchées du 
marchant avare : aussi le tigre enraigé, la cruelle semence des 
lyons, les herbes empoisonneresses , et tant d'antres pestes de la 
vie humaine, en sont bien éloignées. Je suis content que ces fe- 
Ucitez nous soient communes avecques autres nations, principa- 
lement l'Italie : mais quand à la pieté, rel igion, intégrité de 
meurs, magnanimité de couraîges , et toutes cëTTëftuz rares et 



(i) « Ut paulatim immutata, ex pulcherruraa, pessuma ac Ilagitiosis- 
suuia facta sit. » Sallust., Bcii^ CalU, , cb. 5. 



/. 



— ï3o — 

antiques (qui est la vraye et solide louange), la France a tous* 
jours obteDU sans controverse le pr emier lieu {Vf."' 

Pourquoy donques sonames-nous si grands admirateurs d^au- 
truy ? pourquoy sommes nous tant iniques à nousmesmes? pour- 
quoy mandions nous les langues étrangères, comme si nous avions 
honte d'user de la nostre? Gaton Faisné (je dy celuy Gaton, dont 
la grave sentence a été tant de foys approuvée du sénat et peuple 
romain) dist à Posthumie Albin, s'excusant decequeluy, homme 
romain, avoit écrit une Hystoire en grec : Il est vray qu'il t'eust 
Miu pardonner, si par le décret des Âmphyctioniens tu eusses 
■--^ été contraint d'écrire en grec ; se moquant de Fambicieuse curio- 
sité de celuy qui aymoit mieulx écrire en une langue étrangère 
qu'en la sienne. Horace dit que Romule en songe l'amonnesta, 
lorsqu'il faisoitdes vers grecz, de ne porter du bovsen la for est, 
ce que font ordinairement ceux qui écrivent en grec et en latin (2). 

(i) Hic ver assiduum, atqoe alienis mensibos aestas ; 
Bis ^avidœ pecudes, bis poipis utiiis arbos. 
At rabids tigres absunt, et ssva leonum 
Semina ; nec mijteros fallunt aconita legcntes. 



Adde tôt egregias urbes operumque laborenii 
Tôt dongesta manu pricruptis oppid'a saxis, 
' lluinina aotiquos subterlabentia maros» 

Salve, magna parens fragum, Saturnia tellus, 

Magna virûiD. • Vibgil,, Géorgie, Ub. II, v. 149 174* 

André Gbéaier a imité encore de pl,ui» près ce poétique éloge du 
l'lta4iu dans V Hymne à la France^ qai commence par ce vers : 
« France, ô i>«lle contrée, 6 terre gënéreose 1 • 

(3) f Atquiego, quam Graecos facercm, natUB marc citra, 
Versiculos, vetuit me tali voce Quirînus, 
Post mediam noctem visus, quum somnia vera : 
In sylvam non ligna feras insanius, ac si 
Magnas Grsecorum roalis implere catervas. » 

HoaAT., Sermonum. I. I, sat. x, v. 3i-55. 



— i3i — 

Et quand la gloire seule, non l'amour de la vertu, nousdevroit in- 
duire aux actes vertueux , si ne voy-je pour tant qu'elle soit 
moindre à celuy qui est excellent en son vulgaire, qu'à celui qui 
n'écrit qu'en grec ou en latin. Vray est que le nom de cetuy cy 
(pour autant que ces deux langues sont plus fameuses) s'etent en 
plus de lieux : mais bien souvent comme la fumée, qui, fort grosse 
m commencement, peu à peu s'evanouist parmy le grand espace 
de l'air, il se perd; ou, pour estre opprimé de l'infinie multitude 
des autres plus renommez, il demeure quasi en scilence et obscu- 
rité. Mais la gloire de cetuy la , d'autant qu'elle se contient en 
ses (imites et n'est divisée en tant de lieux que l'autre, est de 
plus longue durée, comme ayant son siège et demeure certaine. 

Quand Ciceron et Virgile se misrent à écrire en latin , l'élo- 
quence et la poësie etoint encor' en. enfance entre les Romains, 
et au plus haut de leur excellence entre les Grecz. Si donques 
ceux quej'ay nommez, dedaignans leur langue, eussent écrit en 
grec« est-il croyable qu'ilz eussent égalé Homère et Demosthene? 
Pour le moins n'eussent ilz été entre les Grecz ce qu'ilz sont 
entre les Latins. Pétrarque semblablement et Boccace, com- 
bien qu'ilz aient beaucoup écrit en latin, si est-ce que cdal 
n'eust été suffisant pour leur donner ce grand honneur qu'ilz ont 1 
acquis, s'ilz n'eussent écrit en leur langue. Ce que bien congnois- 
sans» maintz bons espris de notre tens, combien qu'ilz eussent 
ja acquis un bniyt non vulgaire entre les Latins, se son t neant- 
moins convertiz à leur langue mntAmpHp^ '"^'«"ifiii ^Hifing^rT"^ 
ont beaucoup plus grande jjiison d'â ^oj^r , ^ ^a»gq^ latine que 
nous n|avog3» Jo me contenteray de nommer ce docte cartfînâi 
PiëfreBembe, duquel je doute si onques homme immita plus 
curieusement Ciceron , si ce n'est paraventure un Christofle 
LongueiL Toutefois parce qu'il a écrit en italien , tant en vers 
comme en prose, il a illustré et sa tangue et son nom trop plus 
qu'ilz n'estoint auparavant. 

Quelqu'un, peut estre, déjà persuadé par les raisons que 
j'ay alléguées, se convertiroit voluntiers à son vulgaire, s'il avoil 



— 102 



quelques exemples domestiques : et je dy que d'autant s'y doit il 
plus tost mettre, pour occuper le premier ce à quoy les autres 
ont failly. Les larges campaignes greques et latines sont déjà si 
pleines, que bien peu reste d'espace vide. Ja beaucoup d'une course 
légère ont attaint le but tant désiré; long temps [tens] y a que le 
prix est gaigné. Mais, ô bon Dieu, combien de mer nous reste 
encores , avant que soyons parvenuz au port! combien le terme 
de nostre course est encores loing! Toutesfoys je te veux bien 
avertir que tous les scavans honmies de France n'ont point mé- 
prisé leur vulgaire. Celuy qui fait renaître Aristophane, et faint 
si bien le nez de Lucian, en porte bon témoignage. Â ma volunté 
que beaucoup^ en divers genres d'écrire, volussent faire le sem- 
blable, non point s'amuser à dérober l'ecorce de celuy dont je 
parle, pour en couvrir le boys tout vermoulu de je ne scay que- 
les lourderies, si mal plaisantes qu'il ne fandroit autre recepte 
pour faire passer l'envie de ryre à Democrite. Je ne craindray 
point d'aleguer encores pour tous les autres ces deux lumières 
frauGoyses, Guillaume Budé et Lazare de Bayf , dont le pre- 
mier a écrit, non^moins amplement que doctè!nent, l'Institution 
du Prince, oeuvre certes assez recommandé par le seul nom de 
l'ouvrier ; l'autre n'a pas seulement traduict l'Electre de Sopho- 
cle, quasi vers pour vers, chose laborieuse, coiYime entendent 
ceux qui ont essayé le semblable : mais d'avantaige a donné à 
nostre langue le nom d^epigrammes et à^ élégies, avecques ce beau 
mot composé, aigredoulx, afin qu'on n'attribue l'honneur de ces 
choses à quelque autre. Et de ce que jedy m'a asseuré un gen- 
tilhomme mien amy, homme certes non moins digne de foy 
que de singulière érudition et jugement non vulgaire. Il me sem- 
ble. Lecteur amy des muses francoyses, qu'après ceux que j'ay 
nommez , tu nç doys avoir honte d'écrire en ta langue : mais en- 
cores doibs-tu , isi tu es amy de la France, voyre de toymcsmes, 
t'y donner du tout, avecques cete généreuse opinion, qu'il vault 
mieux estrc un Achille entre les siens qu'un Diomede, voyrc 
bien souvent un Thcrsile, entre les autres. 



— i53 — ' 
f . ^ 
Concltision de tout l'Oeuvre. 

Or sommes nous , la grâce à Dieu , par beaucoup de periiz et 
de flots étrangers, renduz au port, à seoreté. Nous avons échappé 
du miUieu des Grecz, et par les scadrons romains pénétré jus- 
ques au seing de la tant désirée France. La donques Francoys, 
marchez couraigeusement vers cete superbe cité roipaine : et des 
serves dépouilles d'elle (comme vous avez fait plus d'une fois) 
ornez voz temples et autelz. Ne craignez plus ces oyes cryardes« 
ce fier Manlie et ce traître Camile, qui soubz umbre de bonne 
foy, vous surprenne tous nudz contans la rançon du Capitole. 
Donnez en cette Grèce menteresse , et y semez encor' un coup la 
fameuse nation des Gallogrecz. Pillez moy sans conscience les 
sacrez thesors de ce temple Delphique, ainsi que vous avez fait 
autrefoys ; et ne craignez plus ce muet Apollon, ces fauk oracles, 
ny ses flesches rebouchées/ Vous souvienne de voire ancienne 
iMai^seille, secondes Athènes, et de voire Hercule Gallique, ti- 
rant les peuples après luy par leurs oreilles avecques une chesne 
attachée à sa langue. 



Fin de la De/fence et illustration 
de la Langue Francoyse. 



AU LECTKUR. 



Amy lecteur, lu trouverras étrange, peut cstre, 
de ce que j'ay si brevement traité un si fertil et copieux 
allument comme est Tillustration de nostre poésie 
francoyse, capable certes de plus grand ornement que 
beaucoup n'estiment. Toutesfois tu doibz penser que 
les arz et sciences n'ont receu leur perfection tout à 
un coup et d'une mesme main , aincoys par succes- 
sion de longues années, chacun y conférant quelque 
portion de son industrie, sont parvenues au poîn tde leur 
excellence. Recoy donques ce petit ouvrage, comme 
un desseing et protraict de quelque grand et laborieux 
édifice, que j'entreprendray (possible) deconduyre, 
croissant mon loysir et mon scavoir, et si je congnoy' 
que la nation francoyse ait agréable ce mien bon vou-- 
loir, vouloir, dy-je, qui aux plus grandes choses a 
tousjours mérité quelque louange. Quanta l'Orthogra- 
phe, j'ay plus suyvy le commun et antiq' usaige que la 
raison, d'autant que cete nouvelle (mais légitime à 
monjugement) façon d'écrire estsimal receue en beau- 
coup de lieux, que la nouveauté d'icelle eust peu ren- 
dre l'oeuvre non gueres de soy recommendable, mal 
plaisant, voyre contemptible aux lecteurs. Quand aux 
fautes , qui se pouroint trouver en l'impression , 
comme de lettres transposées, omises ou superflues,^ 
la première Edition les excusera, et la discrétion du 
lecteur scavant , qui ne s'arrestera à si petites choses. 

A Dieu, amy Lecteur*. 



A L'AMBICIEUX ET AVARE ENNEMY 
DES BONNES LETTRES. 

SONNET. 



Serf de Faveur, esclave d'Avarice, 
Tu n'eus jamais sur toy mesmcs pouvoir, 
Et je me veux d'uo tel maitre pourvoir. 
Que l'esprit libre en plaisir se nourrisse. 

L'air, la fortune, et l'humaine police 
Ont en leurs mains ton malheureux avoir. 
Le juge avare icy n'a rien à voir, 
Ny les troys seurs , ny du Tens la malice. 

Regarde donc qui est plus souhaitable 
L'ayse ou l'ennuy, le certain ou l'instable. 
Quand à l'honneur, j'espère estre immortel : 

Car un cler nom soubz Mort jamais ne tumbe. 
Le tien obscur ne te promet rien tel : 
Ainsi tous deux serez soubz mesme tumbe. 

Cablo musa beat. 



TABLE. 



Phéfàce, page vu. 

Ourrages û consulter sur l'histoire^ la pureté et Tuniversalité 
de la langue française, p. xi. 

DlSCmiRS SUR LE BON USAGE DE Lk LANGUE FRANÇUSE, p. I. 

Chapitre I*'. Diversité littéraire des laif^ues^ p. 2. 
•Jhap. It. Phases, époques d^une langue littéraire, p. 6. 
€hap. lïl. PrCtfiièfe épcrque, ôli tetns archéologiques. 

AToiit i53o,.p. 9. 
Chap. IV. Tems anciens ou poétiqUea. Écrilrftins nés de i35o 

à 1430, p. ajOi 
ChaP' V. Écrivains néâ de i^do hi/^QfOyf, i§. 
CflbAF. YI. TrfttttitftOû :de Vàf€ ancien i ta renaissance. Écri - 

Tains nés de i5oo â «53d> p. ao. 
Chap. Vli. Reiuiisâânoe* ÉerirâtnBiiéBde aSaoà 1 54^, p. a4* 
Chap. YIII. Tcaevition de 1|^ miUissance à l'fige classique. 

ÉcfUobisiiéede i545 à i58o, p. a8. 
Chap. IX. Age classique. Jeunesse. Écrivains nés de i58o ù 

«£i3, p. i»9. 
Chap. X. Age classique. Virilité. Écri vains ries de 161 5 à 

1655, p. ^2. 
Chap. Xt. Age classique. Maturité. Écrivains nés de i655 à 

1710, p. 37. 
Chap. XII. Age clas^que. Décadence. Uéaction. Écrivains 

nés de 1710 à 175^ p. 40' 
Chap. XlTt. Naissance et développement ée Técole roman- 
tique. Écrivains nés depuis 1759, p. 4^- 
Cha*. XIV. Conservation matérielle de la langue, p. 5o. 
Chap. XV. Conservation logique, p. 53. 



10 



— i38 — 
Ghap. XVI. Où est aujourd'hui le bon usage? p. 54- 
Chap. XYIl. Auteurs qui font autorité daos la langue écrite, 

p. 58. 
Chap. XVIII. Conclusion, p. 67. 
Noie du chapitre IX, p. 71. 



La Dbffence et Illustration de la langue FBANCOYàfe, par 

Joachim Du Bellay, p. ^5. 
A Monseigneur le Reyerendissime Cardinal Du Bellay, p. 77. 
LIVllE I. Chap. I. De TOrigiae des Langues, p. 79. 

Chap. II. QtMe la Langue francoyse ne doit éstre nommée 

barbare, p. 8o. 
Chap. III. Pourquoy la Langue francoy^se n'est si riche que 

la greque et latine, p. 82. 
Chap. IV. Que la Langue francoyse n*est si paurre que beau- 
coup Testimeot, p. 84. ' 
(]|IAP. V. Que les Traductions oc sont suffisantes pour donner 

perfection à la langue francoyse^ p. 86. 
Chap. VI. Des mauvais Traducteurs, et de ne traduyre les 

poêles^ p. 88. 
Chap. VII. Comment les Romains, ont enrichy leurlangue,^ 

P-% 
Chap. VIII. D'ampliûer la Langue francoyse par Timmita- 
tion des anciens auctei^rs çreci, çt ^romains, 

P-90- . :; 

Crap. IX. Response à quelques objections, p. 91* 

(hiAP. X. Que la Langue francoyse n'est incapable de la phi- 
losophie^ et pourquoy les a^cieps estointplus 
scavans que les homncijes de notre aage, p. 94. 

(]hap. XL Qu'il est impossible d'égaler Içs Anciens en leursi 
langues, p. 99. 

Chap. XII. Deffence de Tauteur, p. 102. 



— i39 — 
LIVRE II. Chap. I. De rinlention de l'aucleur, p. io3. 

Chip, II. Des Poètes francoys, p. io4« 

Chap. IIT. Que le naturel n'est suffisant àceluy qui en poë-< 

sie veult faire œuvre digne de rimmortalilé, 

p. 108. 
Chap. IV. Quelz genres depoëmesdoitelire le Poète francoys, 

p. 109. 
Chap. V. Du long poëme francoys, p. 112. 
Châp. VI. D'inventer des motz, et quelques autres choses 

que doit observer le Poëte francoys, p. 1 15. 
Chap. VII. De la Rythme, et des Vers sans rythme, p. 117. 
Chap. VIH. De ce mot Rythme, de rinvention des Vers ry- 
mez, et de quelques autres antiquitez usitées 
en notre langue, p. 118. 
Chap. IX. Observation de quelques manières de parler fran- 

coyses, p. 120. 
Chap. X. De bien prononcer les vers, p. i23. 
Chap. XI. De quelques observations oultre l'Artiûce, avec 

une Invective contre les mauvais poètes fran - 

coys, p. 124. 
Chap. XIL Exhortation aux Francoys d'écrire en leur lan- 
gue ; avecques les Louanges de la France, p. 128. 
Conclusion de tout l'oeuvre, p. i55. 
Au lecteur, p. i34. 

A TAmbicieux et avare enqemy des bonnes lettres. Sonnet, 
p. i55. 



FIN DE LA TABLE. 




JL-i- 



On trouve chez ie 7némç JAëpàà^e: 



m 



NoTio]>is ÉLBMBNv^Es DE LINGUISTIQUE, OU Hîstoire abrégée de la parole 
et de récriture ; par Ch, Nodier, de l'Académie française. — De Vim- 
ptHmerie de CrapeleU 1 vol. iii-8. 8 fr. 

Essai sur l'analyse physique des langues; par P. Ackérmann. 1838» 
ii^Ç. 2fr. 

llEdiÉRGUES SUR LES FORMES GRAMMATICALES DE LA LANGUE FRANÇAISE ET DS 

SES DiALEGT^^ AU TREIZIÈME SIECLE , par Gustavc Fallot ; publiées par 
p. Ackérmann. 1 vol. 111-8^ ( Imprimerie royale. ) 15 fr. 

Gloss4ji% DE LA LANGUE ROMANE, par Roquefort , avec le supplément. 
3 vol. in- 8. !\3 fr. 

Lextque romain, par Raynouard. 1836-38^ gf, m 8. 1. 1 et 2 (il y en aura 
"#six). Chaque volume. ' 15 fr. 

Observations philologiques et grammaticales sur le roman de Rou , et 
sur quelques règles de la langue des trouvères au douzième siècle ; 
par Raynouard. 1829 , in-8» hfr. 

Recherches sur les sources antiques de la littérature française ; par 
M. Berger de Xivrey. 1829 , in-8. 5 fr. 

Histoire de la passion de Jésus-Christ , par Olivier Maillard , publiée 
comme monument de la langue française au xv« siècle, par M. 6. Pei- 
gnot. -^ Imprimerie de Crapelet , 1828 , gr. in-8 , pap. vél. cart. 9 fr. 

Nouvelles recherches sur les patois, et en particulier sur ceux de l' Isère ; 
par M. Champolion-Figeac. 1809, in- 12, pap. véh 6 fr. 

V0CARULAIRE austrasien, par Dom Jean- François. Metz^ 1773, 'ih-8, 
rare, 10 fr. 

Dictionnaire Rohchi- Français , par H écart; 3«. é^^t.-^ f^aUnciennes ^ 483Ô, 
in.8. ^':^: 8 fr. 

Dictionnaire Wallon- Français, bu Recueil de mots et de proverbes fran- 
çais, etc. ; par^Cambresiet. Lièges 1787, in-8. 6 fr. 

Proverbes et dictons populaires; publiés. par M. Crapelet, 1834, gi< 
in-8. pap. vel. cart. . * r ?- 18 fr, 

Glossarium eroticum lingue latinjb, à P. ( Pierrugues) , 1826^ gr. 
in.8. ' 8 fr. 

Majansii tractatus de hispana progenib vocis ur, Madridiif 1779 , in 8. 

6 fr. 

Grammaire Arabe, par Silvestre de Sacy , seconde édit. , 2 vol. gr. in-8. 

( Imprimerie royale. ) 40 fr. 

Dictionnaire Galibi , précédé d'un Essai de grammaire. Parts , 1763 , 

in-8, rare. 7'fr. 



ET V^ BOK ASSORTIMENT D ANG^ENNE LlBflAlRIE. 



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Imprimerie de Terzdolo, rue Madame, n" 30* 



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