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Full text of "La dictature du prolétariat; les ravages du bolchévisme en Hongrie"

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LA  DICTATURE 
DU  PROLÉTARIAT 


LES  RAVAGES  DU  BOLCHÉVISME  EN  HONGRIE 


ARMAND  LEBRUN 


Est-ce  cela  que  vous  avez  voulu  ? 
(message  des  communistes  à  la  Conférence  de  la  Paix) 


LIBRAIRIE   FÉLIX  ALCAN. 

108  BOULEVARD  SAINT-GERMAIN 
PARIS 


LA  DICTATURE 
DU  PROLÉTARIAT 

LES  RAVAGES  DU  BOLCHÉVISME  EN  HONGRIE 


PAR 

ARMAND  LEBRUN 

64  gravures  et  20  illustrations  colorées 


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IMPORTE  DE  HONGRIE 


LIBRAIRIE   FÉLIX  ALCAN. 

108  BOULEVARD  SAINT-GERMAIN 

PARIS 


Tous  droits  (traduction  et  reproduction 
des  gravures)  réservés. 


Hornyânszky  V.,  Budapest. 


PREFACE. 


En  dépit  de  la  défaite  qu'il  a  essuyée  en  Pologne,  le  bolchévisme 
russe  médite  un  retour  offensif.  Il  persiste  à  vouloir  déchaîner  la  , révo- 
lution mondiale"  pour  établir  la  domination  universelle  du  prolétariat.  La 
tempête  qui  secoua  l'Est  Européen  se  répercute  maintenant  en  Occident. 
Elle  y  soulève  dans  le  monde  ouvrier  la  fameuse  vague  de  paresse  qui 
dissimule  mal  des  aspirations  et  des  exigences  extrêmes;  elle  se  mani- 
feste un  peu  partout  sous  forme  d'une  épidémie  de  grèves.  La  „III^  Inter- 
nationale" recrute  des  adhérents  même  en  France,  dans  ce  pays  que  sa 
grande  victoire  semblait  devoir  mettre  à  l'abri  des  mécontentements  qui 
grondent  dans  les  profondes  couches  sociales;  le  monde  anglo-saxon, 
qui  avait  tiré  tant  de  profits  de  la  guerre,  se  voit  également  de  plus  en 
plus  secoué  par  la  fièvre  extrémiste.  Dans  les  pays  vaincus  de  l'Europe 
Centrale,  les  revendications,  que  les  souffrances  de  la  guerre  ont  rendu  plus 
violentes  encore,  ne  se  bornent  plus  au  monde  ouvrier  seulement  ;  elles 
ont  inficié  la  mentalité  de  larges  couches  „ bourgeoises":  celles  des  fonc- 
tionnaires publics,  des  employés  du  commerce  et  des  transports,  des 
professions  libérales,  etc. 

On  perçoit  les  bruits  avant-coureurs  d'un  mouvement  universel  qui 
pourrait  —  si  l'on  n'y  prend  garde  —  retarder  encore  le  retour  aux  con- 
ditions normales,  perpétrer  l'état  de  surexcitation  chez  les  peuples  que 
la  guerre  mondiale  a  si  durement  éprouvés. 

Les  nations  occidentales  ne  semblent,  pas  se  rendre  un  compte 
bien  exact  de  tout  ce  qui  pourrait  survenir  si  les  hommes  politiques, 
qui  président  aux  destinées  de  l'Europe  et  de  l'Amérique,  n'imaginent  un 
moyen  propre  à  conjurer  le  danger  et  ne  prennent,  d'urgence,  des  mesu- 
res faites    pour   apaiser  les   passions  qui  grondent  dans  les  couches 


agitées  des  masses,  pour  rétablir  l'état  normal  dans  les  âmes  et  pour 
restaurer  la  vie  économique  bouleversée. 

Les  signes  précurseurs  du  péril  qui  menace  l'Europe  donnent  un 
regain  d'actualité  à  la  question  de  savoir  ce  qu'est  le  bolchévisme.  Par- 
tant, ceux  qui,  de  près,  ont  vu  les  bolchevistes  à  l'oeuvre,  ont  aussi  le 
devoir  d'exposer  au  public  occidental  ce  qu'ils  ont  vu. 

J'ai  séjourné  en  Hongrie  pendant  la  tempête  bolchevique  qui  y  a 
sévi  du  21  mars  au  1^"^  août  1919.  En  ma  qualité  d'étranger,  j'ai  béni- 
ficié  d'une  immunité  presque  complète  ;  j'ai  pu  circuler  librement  dans 
la  capitale  et  en  province  soumises  à  la  dictature  du  prolétariat.  J'eus 
l'occasion  de  m'entretenir  avec  quelques-uns  des  hommes  détenteurs  du 
pouvoir  aussi  bien  qu'avec  les  bourgeois  que  la  terreur  rouge  faisait 
trembler.  Je  crois  donc  être  à  même  de  présenter  un  exposé  authentique 
de  tout  ce  qui  s'est  passé  sous  le  régime  de  Bêla  Kun  en  Hongrie. 

Désireux  de  faire  connaître  la  vérité  pure  et  simple,  je  n'aurai  garde 
d'exagérer  quoi  que  ce  soit.  Les  phases  de  la  bourrasque  rouge  ont 
été  trop  terribles  pour  qu'il  faille  les  dramatiser.  Je  n'aurais  qu'à  les 
évoquer  dans  l'ordre  où  elles  se  succédèrent,  si  je  voulais  inspirer  la 
haine  "des  bolchevistes  aux  bourgeois  français.  Mais  telle  n'est  pas  mon 
intention.  Elle  consiste  plutôt  à  montrer  ce  qui  menace  les  pays  occi- 
dentaux â  leur  tour.  Il  importe  de  faire  entrevoir  aux  foules  ouvrières 
de  ces  pays  les  résultats  qu'elles  peuvent  attendre  de  la  vague  léniniste 
qui  s'efforce  de  s'étendre  partout. 

Je  me  propose  donc  de  rapporter  sine  ira  et  studio  ce  que  les 
disciples  hongrois  de  Lénine  et  de  Trotzki  ont  fait  dans  leur  pays;  tour 
à  tour,  je  ferai  connaître: 

les  décrets  par  lesquels  le  bolchévisme  hongrois  a  établi  la  dicta- 
ture rouge; 

les  assauts  qu'il  a  livrés  au  trésor  public  et  aux  grands  établisse- 
ments financiers; 

les  résultats  qu'il  a  obtenus  en  socialisant  les  usines  et  qui  devin- 
rent plus  funestes  aux  ouvriers  qu'aux  patrons; 


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les  résistances  qu'ils  ont  provoquées  chez  les  cultivateurs,  qui  ont 
affamé  les  villes  et  déterminé  la  défaite  du  bolchévisme; 

les  mesures  qu'ils  ont  prises  contre  le  commerce  et  qui  bouleversèrent 
la  vie  de  toute  la  population,  celle  des  petites  gens-surtout; 

les  échecs  subis  parle  bolchévisme  seront  expliqués  par  les  décla- 
rations authentiques  de  ses  chefs  mêmes. 

Présentant  aussi  les  portraits  de  ses  protagonistes,  je  ferai  connaître 
enfin  les  atrocités  perpétrées  par  ses  terroristes,  les  „ enfants  de  Lénine", 
dont  les  crimes  finirent  par  écoeurer  tous  les  honnêtes  ouvriers. 

Comme  c'est  à  ces  derniers  surtout  que  je  désirerais  faire  connaître 
la  vérité  sur  le  bolchévisme,  je  m'appliquerai  a  exposer  les  faits  avec  la 
plus  grande  impartialité.  Je  produirai  les  preuves  irréfutables  sur  l'authen- 
ticité rigoureuse  des  événements  si  saisissants  et  si  instructifs  dont  la 
Hongrie  fut  le  théâtre  dans  ce  monde  renversé  du  régime  bolchéviste. 

L'auteur. 


COMMEMT  LE  FAIT  A-T-IL  PU  SE  PRODUIRE? 

Le  peuple  hongrois  bolchéviste  !  Ce  peuple,  que  ses  rivaux  et 
détracteurs  avaient  dépeint  à  Paris  et  à  Londres  comme  un  peuple  „de 
paysans",  un  peuple  „ retardataire",  «instrument  docile  de  ses  magnats 
et  de  sa  gentry",  oppresseur  des  „ jeunes  démocraties"  slaves  !  Com- 
ment subit-il,  pendant  quelques  mois  seulement,  la  dictature  du  prolé- 
tariat? Comment  un  pays  agricole  pouvait  il  se  plier  à  l'hégémonie  des 
ouvriers  d'usine?  Comment  cette  classe  pouvait-elle  concevoir  pareille 
aspiration  dans  un  pays  dont  le  gouvernement  passait  pour  être  réfrac- 
taire  à  toutes  les  idées  sociales  modernes? 

Tout  comprendre,  c'est  tout  pardonner! 

Pour  expliquer  ce  qui  est  arrivé  il  faut  exposer  quelques  vérités 
sur  la  Hongrie.  Certes,  l'agriculture  constitue  la  principale  occupation 
du  pays  ;  elle  nourrissait  6457o  de  la  population  d'avant-guerre.  Cepen- 
dant, les  produits  mi-ouvrés  et  finis  de  l'industrie  n'en  constituaient 
pas  moins  497©  des  exportations  de  l'ancienne  Hongrie.  Dans  la 
Hongrie  mutilée  par  la  ligne  de  démarcation  de  M.  Clemenceau  et  où 
le  cyclone  rouge  a  pu  sévir,  l'agriculture  ne  nourrit  plus  que  56*47o 
de  la  population.  Le  reste,  c'est  a  dire  :  le  peuple  des  villes,  était  sur- 
abondamment saturé  d'idées  modernes  et  avait  imposé  au  Parlement 
hongrois  les  progrès  sociaux  et  économiques  du  XIX^  siècle,  créé  une 
industrie  très  développée  et  mis  sur  pied  un  commerce  extérieur  de  4 
milliards  par  an. 

La  grande  Hongrie  vivait  bien  sous  le  régime  du  cens  électoral 
restreint;  mais  la  réforme  électorale  d'avant-guerre  avait  triplé  déjà  le 
nombre  des  votants  et  l'Assemblée  Nationale  actuelle  est  issue  du 
suffrage  universel  étendu  aux  femmes.  S'il  est  exact  que  le  suffrage 
universel  avait  été  revendiqué  par  la  classe  ouvrière,  il  n'en  est  pas 
moins  vrai  que  c'est  précisément  cette  classe  qui  le  mutila  lorsqu'elle 


Comte  Michel   Kârolyi,  président  de 

la  république  qui  a  livré  la  Hongrie 

aux  communistes. 
Tibor  Szâmuelly  (Samuel),  journaliste, 

l'homme    le    plus  sanguinaire   du 

régime  bolchéviste. 


Bêla  Kun  (Kohn),  employé-infidèle  d'une 
caisse  d'assurance  ouvrière,  chef 
de  file  des  communistes  hongrois. 

Joseph  Pogâny  (Schvi^arcz),  journaliste, 
qui  se  plaisait  à  s'appeler  le 
Napoléon  rouge. 


Alexandre    Garbai,    ouvrier  -  maçon,  DésiréBokânyi,tailleurdepierres,com- 

président  du  conseil  des  commis-  missaire  de  la  prévoyance  sociale, 

saires.  commandant  d'un  corps  de  l'armée 

rouge. 

Charles  Vantus,  employé  d'une  caisse  Pierre    Âgoston    (Augenstein),    pro- 

de  secours,  commissaire  de  l'agri-  fesseur    d'université,   commissaire 

culture.  substitut   des   affaires    étrangères. 


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s'emparait  du  pouvoir.  Le  pays  comptant,  avant  la  guerre,  plus  de  5000 
fabriques  qui  occupaient  500,000  ouvriers  environ,  les  problèmes 
sociaux  devaient  nécessairement  préoccuper  la  législation  en  Hongrie 
tout  aussi  bien  que  dans  les  pays  d'Occident.  L'assurance  ouvrière  en 
cas  de  maladie  et  d'accidents  y  était  parfaitement  organisée  et  le  gou- 
vernement préparait  déjà  l'assurance  de  l'ouvrier  contre  l'invalidité  et 
le  chômage.  Sans  doute,  le  régime  laissait  encore  à  désirer;  mais  avant 
de  satisfaire  toutes  les  exigences  des  socialistes  il  fallait  bien  que  l'on 
commençât  par  consolider  la  jeune  industrie  nationale.  Or,  les  frais 
causés  par  Tentretien  des  oeuvres  de  prévoyance,  que  ses  concurrents 
supportaient  assez  ellègrement,  —  l'auraient  vite  écrasée. 

Un  fait  demeure  à  retenir  :  au  point  de  vue  financier  et  industriel, 
ainsi  qu'à  celui  du  niveau  intellectuel  général,  de  l'intensité  de  la  vie 
scientifique  et  artistique,  la  Hongrie  s'assimilait  aux  nations  occidentales 
et  devançait  de  beaucoup  tous  ses  rivaux  d'Orient.  A  Budapest,  par 
exemple,  dans  cette  ville  si  élégante,  si  progressiste,  la  vie  est  incom- 
parablement plus  animée  et  plus  cultivée  qu'elle  ne  l'est  à  Bucarest,  à 
Belgrade  ou  à  Sophia. 

Mais  alors,  comment  était-ce  possible  que  cette  ville  subît  le 
bolchévisme?  Le  mystère  parait  inexplicable. 

Je  cherche  à  le  tirer  au  clair.  J'ai  observé  le  peuple  de  cette  ville 
pendant  la  terrible  tourmente  qu'était  la  guerre  mondiale.  Celle-ci  fut 
une  lutte  inégale  contre  les  plus  grandes  puissances  du  monde,  sous 
la  formidable  pression  du  blocus  de  famine.  De  plus,  on  avait  la  vague 
et  troublante  conviction  d'être  guetté  par  les  ennemis  intérieurs  qui 
méditaient,  préparaient  et  annonçaient  tout  haut  le  démembrement  total 
de  l'Autriche-Hongrie.  Et  pourtant,  le  peuple  hongrois  ne  montrait  ni 
crainte,  ni  découragement.  Les  rues  de  Budapest  présentaient  l'aspect 
gai  et  animé  des  temps  de  paix.  Les  bulletins  de  guerre  annonçaient, 
presque  toujours,  de  grandes  victoires.  Ici,  l'Allemagne  passait  pour 
être  invincible  :  on  dissimulait  soigneusement  à  ce  bon  peuple  les  revers 
de  la  brillante  „carte  de  guerre":  la  censure  éliminait  toute  allusion  à  une 
défaite  et  le  public  n'eut  jamais  l'occasion  de  lire  des  journaux  français 
ou  anglais.  Il  était  d'autant  plus  confiant  que  le  blocus  de  famine  ne 
lui  valait  que  peu  ou  prou  de  désagréments.  Sans  doute,  les  vivres  se 


venaient  chaque  jour  un  peu  plus  chers;  mais  il  y  en  avait  en  abon- 
dance. Et  comme  tout  le  monde  gagnait  de  l'argent;  que  l'industrie, 
alimentée  par  les  fournitures  de  guerre,  se  développait  à  vue  d'oeil; 
que  les  cultivateurs  obtenaient  des  prix  de  plus  en  plus  élevés,  nul  ne 
s'inquiétait:  théâtres  et  cafés- concerts  faisaient  le  maximum. 

Ce  n'est  qu'en  janvier  1918  que  l'on  commençait  à  avoir  des 
appréhensions.  Evidemment,  on  venait  de  terrasser  la  Roumanie  et  la 
Serbie;  mais  le  front  occidental  donnait  des  signes  de  défaillance. 
A  la  Chambre,  les  orateurs  de  l'extrême  gauche  se  mirent  à  critiquer 
l'alliance  avec  l'Allemagne,  à  réclamer  la  conclusion  de  la  paix  et  le 
suffrage  universel.  Le  comte  Tisza  qui,  —  le  fait  est  avéré  aujourd'hui- 
avait  combattu  l'ultimatum  envoyé  à  la  Serbie  et  la  guerre  des  sous- 
marins,  mais  à  qui  il  répugnait,  à  lui,  la  loyauté  personnifiée,  de 
fausser  compagnie  aux  alliés,  dut  donner  sa  démission.  C'était  comme 
un  premier  désaveu  de  la  politique  suivie  jusqu'à  ce  jour.  Le  public 
chuchotait  sur  des  possibilités  de  défaite.  Cependant,  la  nation  tint  bon; 
elle  était  même  résolue  d'aller  jusqu'  au  bout  parce  qu'elle  sentait  que 
la  paix  trancherait  dans  le  vif.  Mais  lorsque  „le  poing  cuirassé"  alle- 
mand se  détendit,  les  orateurs  d'extrême  gauche  se  vantaient  tout  haut 
d'être  „les  amis  de  l'Entente".  Ils  firent  entendre  que  leur  arrivée  au 
pouvoir  pourrait  conjurer  encore  le  danger  de  l'anéantissement  qui 
menaçait  la  Hongrie.  Ils  devaient  savoir  pourtant  qu'il  était  beaucoup 
trop  tard,  que  les  diplomates  et  généraux  russes  qui  avaient  déchaîné 
la  guerre  mondiale  —  les  révélations  publiées  à  St.  Pétersbourg  l'attes- 
tent —  avaient  préparé  de  longue  main  la  déchéance  de  la  Hongrie. 
Cette  déchéance  —  toute  la  presse  slave  la  proclamait  depuis  60  ans  — 
avait  été  décidée  depuis  30  ans  et  la  défaite  des  diplomates  et  des 
généraux  russes  ne  modifia  la  décision  prise  qu'en  faveur  des  derniers 
adhérents  à  l'Entente.  Même  une  nouvelle  orientation  de  la  politique 
hongroise  à  la  veille  de  la  guerre  n'y  eut  rien  changée.  L'homme  qui 
se  noie  se  cramponne  à  un  brin  de  paille:  lorsque  le  bloc  des  Puis- 
sances centrales  se  desagrégea,  quant  on  apprit  en  Hongrie  la  capitu- 
lation des  Bulgares  et  l'effondrement  du  front  allemand,  le  public  de 
Budapest,  tombé  des  nues,  cruellement  déçu  dans  toutes  ses  espérances, 
se  tourna  vers  le  comte  Michel  Kârolyi  dont  il  connut  toutes  les  imper- 

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fections  et  tous  les  défauts,  mais  en  qui  il  croyait  voir  «l'ami  de 
l'Entente".  On  lui  avait  bien  annoncé  la  catastrophe  sur  le  Piave,  mais 
on  lui  avait  laissé  ignorer  que  l'armistice  conclu  avec  le  général  Diaz 
respectait,  temporairement  du  moins,  les  frontières  de  la  Hongrie  encore 
protégées  par  l'armée  d'Orient.  On  savait  seulement  que  le  29  octobre 
les  Croates,  qui  s'étaient  vantés  pendant  la  guerre  d'avoir  fourni  les 
plus  vaillants  régiments  à  l'Autriche-Hongrie,  venaient  de  proclamer 
leur  séparation  d'avec  la  Hongrie.  Le  comte  Kârolyi  se  rendit  à  Belgrade, 
négocier  ^l'armistice  au  nom  de  la  Hongrie  indépendante".  Le  général 
Franchet  d'Esperay  lui  administra  une  douche  glaciale.  Cependant,  le 
public  de  Budapest  se  releva  vite  de  ce  coup;  il  trouvait  une  fiche  de 
consolation  dans  la  défaite  des  puissances  centrales  qui  venait  de  rendre 
à  la  Hongrie  son  indépendance  perdue  en  1526;  cette  indépendance, 
pour  laquelle  les  Râkôczi  et  Kossuth  avaient  lutté  avec  un  élan  si 
admirable  et  avec  si  peu  de  succès.  La  Hongrie  ne  formera  plus  une 
moitié  d'une  grande  puissance?  Peu  importe!  „Mon  verre  sera  petit, 
mais  je  boirai  dans  mon  verre"  —  se  disait  on. 

Puis  les  messages  à  la  Hiob  venaient;  ils  étaient  avec  chaque 
jour  de  plus  en  plus  navrants.  Les  Serbes  occupèrent  le  Banat  et  la 
Bâcska,  ces  deux  greniers  de  l'Europe.  En  décembre  1918,  les  Tchèques 
envahirent  la  Hongrie  du  Nord  et  occupèrent  la  ville  de  Kassa,  cette 
métropole  de  reliques  des  grands  rois  hongrois.  En  janvier  1919,  ils 
prirent  pied  sur  la  rive  nord  du  Danube,  de  Pozsony  à  Komârom. 
Pozsony  !  la  cité  antique  qui  avait  entendu  retentir  le  fameux  Moriamur 
pro  rege  nostro  et  écouté  les  superbes  débats  parlementaires  de  l'ère 
des  reformes  de  1825  a  1848.  Komârom!  La  «forteresse  vierge"  si 
glorieusement  défendes  par  Klapka  en  1849,  et  la  ville  qui  avait  vu 
naître  Maurice  Jôkai,  ce  Dumas  père  des  Hongrois.  La  désillusion  était 
saturée  d'amertume,  mais  le  brin  de  paille  était  toujours  là.  Le  comte 
Kârolyi  promit  d'engager  une  vigoureuse  campagne  de  propagande  et 
se  faisait  fort  d'entrer  quand  même  dans  les  bonnes  grâces  de  lEntente. 
Ses  ministres,  qui  étaient,  dès  avant  la  guerre,  entrés  en  rapports  avec 
les  «nationalités",  se  flattaient  de  faire  revenir  les  Roumains,  Serbes 
et  Slovaques  aux  idées  qu'ils  avaient  professées  lorsque  la  Triple-Alliance 
semblait  encore  dominer  l'Europe. 

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Entre  temps,  la  révolution  d'octobre  imitait  Saturne  et  mangeait  ses 
propres  enfants.  Les  ministres  radicaux  se  voyaient  rélégués  au  second 
plan  ou  forcés  à  se  démettre  ;  les  socialistes,  qui  avaient  recherché  leur 
alliance  pour  s'emparer  du  gouvernail,  reclamèrent  un  gouvernement 
purement  socialiste.  Ceux-ci  furent  stimulés  par  les  communistes  dont 
les  rangs  —  très  clairsemés  jusque  là  —  avaient  grossi  par  l'appoint 
des  prisonniers  de  guerre  rentrés  de  Russie.  La  propagande  bolchéviste 
russe,  qui  se  proposait  de  déchaîner  la  révolution  universelle,  trouvait 
que  la  Hongrie  vaincue,  mutilée,  menacée  d'anéantissement,  se  prêterait 
mieux  que  tout  autre  pays  à  l'idée  d'une  guerre  d'extermination  contre 
„le  capitalisme".  Lénine  renvoyait  dans  leur  pays  les  soldats  hongrois 
que  la  faim,  le  désespoir,  la  mentalité  détraquée  par  la  défaite  et  par 
les  souffrances  endurées  en  Sibérie  avaient  poussés  dans  les  rangs  de 
l'armée  rouge.  Pour  commencer,  il  avait  renvoyé  Bêla  Kun,  devenu  un 
disciple  fanatique  et  montrant  des  aptitudes  d'agitateur  de  première  force. 

Bêla  Kun  rentra  donc  à  Budapest  le  19  novembre  et  ne  tarda  pas 
de  se  mettre  à  l'oeuvre.  Comme  entrée  en  matière  il  combattit  les 
socialistes  qu'il  estimait  trop  modérés.  Il  organisa  des  assauts  contre 
les  bureaux  de  deux  journaux  bourgeois  et  lorsque  les  socialistes 
s'avisèrent  de  désapprouver  cet  acte,  il  en  lança  un  troisième  contre 
les  bureaux  de  l'organe  socialiste  Népszava.  Ce  fait  prouve  que  le 
bolchévisme  hongrois  n'avait  pas  ses  racines  dans  le  monde  socialiste 
de  Budapest,  mais  qu'il  était  d'origine  purement  russe.  Et  c'est  tellement 
vrai,  que  le  parti  socialiste  se  coalisait  avec  les  radicaux  contre  les 
communistes  qu'il  excluait  de  son  sein.  Bêla  Kun  fut  arrêté  sous  le 
coup  d'une  inculpation  de  sédition.  Les  gardiens  de  paix,  exaspérés 
par  l'assassinat  de  quatre  de  leurs  camerades  accourus  au  secours  des 
bureaux  du  Népszava,  profitèrent  de  l'occasion  qui  se  présentait  pour 
„passer  à  tabac"  Bêla  Kun  si  copieusement  qu'une  constitution  moins 
robuste  que  la  sienne  y  eût  infailliblement  succombé.  Cependant, 
Bêla  Kun  ne  tarda  pas  d'être  relâché  et  reprit  son  agitation  :  les  organes 
à  sa  solde,  tels  que  le  «Journal  Rouge",  le  «Soldat  Rouge",  le  „Prolé- 
taire"  prêchaient  ouvertement  l'extermination  de  la  bourgeoisie.  Le  gouver- 
nement du  comte  Kârolyi  les  laissait  faire,  car  le  comte  Kârolyi  s'était 
déjà  lié  trop  intimement  avec  les  socialistes  extrémistes. 

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AFFICHES  BOLCHÉVISTES. 


C'est  la  production  socialiste  qui  assure  le  bien-être. 


AFFICHES  BOLCHÉVISTES. 


Ne  craignez  rien!  La  marche  triomphale  de  l'armée  rouge 
en  mai  et  juin  1919. 


Les  excitations  bolchévistes  éveillaient  un  vif  écho  dans  les  soldats 
renvoyés  dans  leurs  foyers.  Ces  hommes  qui  avaient  enduré  les  plus 
atroces  souffrances  de  la  guerre,  en  revenaient  avec  des  sentiments  de 
haine  féroce  contre  les  capitalistes,  les  "mercantis"  et  autres  profiteurs 
de  la  lutte  mondiale.  Ils  se  dispensaient  de  saluer  leurs  officiers  qui  les 
avaient  tant  de  fois  contraints  d'affronter  la  mort.  Ils  allaient  jusqu'à 
forcer  les  officiers  d'arracher  leurs  signes  distinctifs  de  grade.  Et,  fait 
plus  triste  encore,  ces  dispositions  et  velléités  à  la  révolte  se  réper- 
cutaient jusqu'à  dans  le  personnel  de  la  police. 

La  bourgeoisie,  réduite  à  l'impuissance,  suivait  avec  stupeur  ces 
agissements  dont  elle  ne  discernait  pas  encore  toute  la  portée.  En 
revanche,  elle  se  sentait  atteinte  en  pleine  figure  lorsqu'elle  comprit  la 
vanité  des  espérances  que  les  ministres  du  comte  Kârolyi  avaient  fait 
miroiter  à  ses  yeux  et  qui  s'envolaient  en  fumée.  Le  18  mars,  le  public 
eut  connaissance  du  décret  par  lequel  le  colonel  Stead,  substitut  du 
commandant  en  chef  des  forces  interalliées  du  Danube,  ^ordonnait",  que, 
de  Pozsony  jusqu'à  Baja,  c'est  à  dire  sur  tout  le  parcours  hongrois  du 
fleuve,  la  navigation  danubienne  serait  monopolisée  par  les  Tchèques 
qui,  jamais,  n'avaient  été  riverains  du  fleuve. 

Ce  fait  monstrueux  fut  annoncé  a  la  population  de  Budapest  par 
des  affiches  portant  les  mots  suivants: 

On  nous  escamote  j'usqu'  au  Danube! 

Pour  combler  la  mesure,  on  apprit  la  note  du  19  mars  par  la- 
quelle le  lieutenant  colonel  Vyx  fit  connaître  la  nouvelle  ligne  de 
démarcation.  Stupéfié,  on  constatait  que  cette  nouvelle  ligne  dépassait 
de  beaucoup  celle  qui  avait  été  stipulée  dans  l'armistice  de  Belgrade 
et  livrait  aux  Serbes  de  vastes  territoires  habités  par  des  populations 
purement  magyares .  . .  Bien  que  le  lieutenant-colonel  affirmât  que 
cette  ligne  de  démarcation  ne  signifiait  pas  encore  la  future  frontière 
politique,  qu'elle  ne  servait  qu'un  but  stratégique  temporaire,  le  public 
n'y  ajoutait  aucune  foi  et  les  sombres  prévisions  qui  l'assaillirent  se 
virent,  en  effet,  confirmées  par  la  note  de  M.  Clemenceau  en  date 
du  13  juin. 

Le  comte  Michel  Kârolyi,  si  rudement  désavoué  par  l'Entente, 
était  arrivé  au  bout  de   son   rouleau,   et  lorsque  deux  simples  journa- 

2  17 


listes,  complices  de  Bêla  Kun,  lui  présentèrent  un  manifeste  d'abdication, 
il  s'empressa  d'y  apposer  sa  signature.  Pour  éviter  les  responsabilités 
encourues  du  fait  de  la  nouvelle  ligne  de  démarcation,  il  poussait  la 
Hongrie  dans  le  goufre  du  bolchévisme  et  remit  le  pouvoir  „f/e  coeur 
léger",  à  Bêla  Kun, 

La  bourgeoisie  ignorait  encore  le  fait;  mais  alors  même  qu'elle 
l'eût  su,  elle  ne  se  serait  certainement  pas  exposée  pour  sauver  Kârolyi, 
qui  avait  si  odieusement  trahi  sa  patrie.  Frappé  à  mort  dans  son 
patriotisme,  elle  s'était  abimée  dans  une  apathie  complète.  Peut-être 
caressait-elle  un  instant  l'espoir  insensé  que  la  force  déchaînée  de 
la  plèbe  se  retournerait  contre  la  conquête  étrangère  qui  ne  lui  laissait 
plus  rien  à  espérer,  rien  à  perdre.  Puis,  à  tout  prendre,  que  pouvait 
elle  ?  La  police,  forte  de  2600  têtes,  lui  inspirait  une  confiance  limitée  ; 
les  15,000  soldats  qui  peuplaient  les  casernes  de  la  capitale  étaient 
contaminés  par  le  virus  bolchéviste.  Il  ne  lui  restait  qu'à  se  résigner .  .  . 

Et  voilà  comment  Bêla  Kun  devint  le  maître  de  Budapest. 

Le  jour  oii  il  dut  abandonner  le  théâtre  de  ses  forfaits,  je  demandais 
à  un  collègue  hongrois  pourquoi  la  métropole  hongroise  avait  toléré 
si  longtemps  le  règne  de  cet  homme.  Il  me  répondit: 

„Une  fois  de  plus,  le  peuple  hongrois  a  repris,  dans  l'histoire  de 
l'Europe,  son  rôle  traditionnel.  C'était,  en  effet,  par  la  Pannonie  que 
déferlaient  sur  l'Europe  les  flots  de  la  migration  des  peuples  dont 
l'avalanche  anéantit  l'antique  civilisation  romaine.  En  Pannonie  surtout, 
le  chaos  fut  à  son  comble.  Vers  la  fin  du  IX^  siècle,  une  dernière 
poussée  conduisit  les  Magyars  dans  la  vallée  du  Danube.  Après 
quelques  excursions  jusqu'au  Rhin,  ils  s'établirent  dans  le  bassin  du 
premier  de  ces  fleuves  et,  les  premiers,  y  fondèrent  un  État  consolidé 
qui  s'est  maintenu  jusqu'en  1819  dans  ses  frontières  de  989,  y  rétablit 
l'ordre  en  introduisant  la  civilisation.  Durant  toute  cette  longue  période, 
cet  État  formait  le  rempart  de  l'Europe,  soutint  le  terrible  choc  de 
l'invasion  Mongole  qui  s'est  arrêtée  ici.  Après  150  années  d'une  lutte 
acharnée  livrée  par  Jean  Hunyadi  et  son  fils  Mathias  Corvin,  il  succomba 
sous  les  ruées  des  conquérants  ottomans.  A  la  suite  d'une  nouvelle 
période  de  150  ans  absorbés  par  d'incessants  combats,  la  vague  ottomane 
se  vit  enfin  refoulée  à  son  tour. 

18 


Deux  femmes  prolétaires  déclarent  à  la  propriétaire  de   la   maison   qu'elles 
sont  devenues  les  maîtresses  de  céans. 

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«Depuis  un  siècle,  le  peuple  hongrois  monte  la  garde  contre  le 
colosse  russe;  il  a  largement  contribué  aux  efforts  ayant  pour  but  le 
terrassement  de  la  puissance  des  Tzars. 

„A  présent  c'est  encore  sur  le  corps  du  peuple  hongrois  que  le 
bolchévisme  russe  essayait  de  franchir  la  première  étape  de  la  carrière 
qu'il  ambitionne.  Nous  avons  subi  ce  fléau  et  l'Occident  est  à  même 
de  prendre  connaissance,  au  prix  de  nos  souffrances,  à  nous,  de  tous 
les  dangers  qu'entraîne  à  sa  suite  cette  nouvelle  invasion  des  barbares 
d'Orient." 

Voilà  ce  que  m'a  conté  mon  collègue  hongrois. 

Il  paraît  cependant  que  l'Occident  n'a  pas  encore  saisi  l'immensité 
du  péril  qui  le  menace.  Nous  essaierons  de  lui  présenter  quelques- 
uns  de  ses  aspects. 


21 


LE  PROLÉTARIAT  S'EMPARE  DU  POUVOIR. 

Pour  trouver  un  fait  analogue  au  bouleversement  que  la  Hongrie 
a  subi  au  début  de  l'an  1919,  il  faut  remonter  de  mille  ans  dans 
l'histoire;  c'est  à  dire:  à  la  période  de  la  Migration  des  peuples. 
Au  déclin  de  1918,  deux  tiers  de  ses  territoires  furent  envahis  par  les 
ennemis  qui  lui  ravirent  12  millions  de  ses  habitants  sur  20  et  la 
majeure  partie  de  ses  richesses  naturelles:  forêts,  mines,  cours  d'eau 
etc.  Ce  fut  une  catastrophe  pareille  à  l'invasion  mongole  du  XIII®  et 
à  la  conquête  ottomane  du  XVI''  siècle.  A  cette  différence  près,  toute- 
fois, qu'en  mars  1919  le  bouleversement  politique  entraînait  une 
destruction  complète  de  la  vie  sociale  et  intellectuelle  qui  n'a  d'égale 
que  dans  l'avalanche  des  races  barbares  se  déversant  sur  l'Empire 
romain  dont  elle  détruisait  la  haute  civilisation. 

Evidemment,  la  destruction  ne  fut  et  ne  pouvait  rien  avoir  de  défi- 
nitif puisqu'elle  n'a  duré  que  cinq  mois  à  peine  et  que  le  phénix 
hongrois  s'est  relevé  de  ses  cendres  ;  il  a  les  ailes  coupées,  c'est  entendu, 
mais  il  n'en  demeure  pas  moins  plein  de  vie  et  de  sève.  Pourtant,  la 
tendance  de  renverser  l'édifice  social  de  fond  en  comble  s'est  mani- 
festée avec  une  véhémence  inouïe,  et  les  forces  qui  tentèrent  de  rema- 
nier la  Hongrie  d'abord  puis  incendier  l'Europe  entière  ensuite,  ne  sont 
pas  encore  réduites  à  l'impuissance.  Elles  s'exercent  encore  sur  d'immen- 
ses territoires  de  la  Russie:  le  feu  qu'elles  ont  allumé  se  propage  plus 
ou  moins  visiblement  et  couve  dans  les  centres  industriels  en  Occident; 
il  pourrait  y  éclater  si  l'on  n'y  prend  garde  .  .  . 

Il  importe  donc  de  donner  à  l'Occident  un  avertissement  qui  lui 
ouvre  l'horizon  sur  quelques  aspects  de  ce  danger. 

Nous  avons  exposé  déjà  que  le  public  de  Budapest  avait  bien 
reçu  quelques  avertissements,  mais  qu'il  n'a  pu  les  comprendre;  peut- 
être  l'invasion  lavait- il,  de  propos  délibéré,  mis  dans  l'impossibilité 
d'y  parer  à  temps. 

Le  21  mars  au  matin,  ce  peuple  se  réveilla  bolchéviste  malgré  lui. 
Des  affiches  rouges  collées  à  profusion  à  tous  les  coins  de  rue  l'en 

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Tolérance  religieuse  des  bolchévistes. 


instruisaient.  La  harangue  si  chère  à  Lénine  „A  tous"  le  lui  disait 
clairement.  Le  texte  en  signifiait  laconiquement  que  la  république  des 
soviets  était  constituée;  quiconque  s'aviserait  de  résister  à  main  armée 
encourait  la  peine  de  mort. 

Cependant  et  à  l'effet  de  ménager  certaines  craintes,  l'affiche  ajoutait- 
elle  que  tout  acte  de  pillage  ou  de  brigandage  serait  également  frappé  de 
la  peine  de  mort.  On  ne  voulait  pas  déchaîner  la  plèbe  parce  que 
l'on  se  proposait  d'organiser  le  pillage  méthodique.  On  ne  voulait  pas 
encore  s'en  remettre  à  l'ivresse  que  la  victoire  causerait  à  la  lie  de  la 
population.  Alors,  quelques  initiateurs  théoriciens  de  la  destruction 
suggérèrent  le  décret  No.  IL  du  nouveau  régime  :  il  interdisait  l'ivresse 
physique,  source  de  tant  de  crimes  passionnels;  il  frappait  d'une  amende 
de  50,000  courronnes  le  débit  et  de  quatre  semaines  de  prison  la 
consommation  des  boissons  alcooliques. 

Le  régime  tâtonnait  et  prit  des  mesures  de  précaution.  Le  décret  No  III. 
frappait  le  port  „illicite"  d'armes  d'une  peine  de  cinq  années  de  prison  et 
d'une  amende  de  50,000  couronnes.  Bien  entendu,  le  port  d'armes  était  illicite 
pour  la  bourgeoisie  qu'on  voulait  rendre  inoffensive  dès  le  premier  moment; 
il  était  autorisé  et  même  obligatoire  pour  les  ouvriers  „ organisés". 

La  remise  des  pouvoirs  eut  lieu  sans  accroc  :  le  comte  Kârolyi 
l'avait  bien  préparée.  Son  ministre  de  la  guerre,  Linder,  avait  déclaré 
dès  son  arrivée  au  pouvoir  qu'il  ne  voulait  pas  voir  de  soldats. 
En  effet,  les  officiers  se  virent  enlever  leurs  grades  :  on  leur  arra- 
chait simplement  les  pattes  d'épaule;  les  soldats  ne  portaient  l'uni- 
forme que  parce  qu'ils  manquaient  de  vêtements  civils;  la  discipline 
avait  disparu,  les  armes  s'engagèrent  au  service  de  la  destruction;  le 
personnel  de  la  police  était  inficié  par  le  nouvel  esprit.  Bêla  Kun  s'en 
inquiétait  d'autant  moins  que  la  force  armée  dont  il  avait  besoin  pour 
plier  la  population  entière  a  ses  ordres,  s'organisait  rapidement  :  elle  se 
recrutait  dans  la  classe  ouvrière,  bien  organisée  et  habituée  à  obéir 
aux  orateurs  de  ses  réunions.  Le  „ lever  de  rideau"  se  fit  sans  encombre, 
les  figurants  du  drame  occupèrent  leurs  places.  C'étaient,  en  majeure 
partie,  des  personnages  peu  connus;  mais  le  public  ne  tarda  pas  de 
connaître  leurs  noms  et  leurs  qualités.  Nous  en  parlerons  aussitôt  que 
nous  aurons  signalé  les  rôles  joués  par  eux. 

25 


Il  faut  reconnaître  que  le  drame  à  été  joué  avec  beaucoup  de  verve 
et  un  grand  élan:  les  acteurs  parlaient  peu;  en  revanche,  ils  agissaient 
promptement  et  sans  fatiguer  le  public  par  de  longues  réflexions.  Le 
bon  Dieu  avait  mis  six  jours  à  créer  le  monde  :  Bêla  Kun  s'en  contentait 
de  cinq  pour  le  renverser.  Le  27  mars  le  journal  officiel,  „La  République 
des  Soviets",  publia  le  décret  No.  IX.  portant  «socialisation"  de  toutes 
entreprises  d'industrie,  de  mines  et  de  transport  qui  occupaient  plus  de 
20  ouvriers;  il  les  plaçait  toutes  sous  le  contrôle  des  ouvriers  qui  y 
travaillaient. 

Le  même  No  du  journal  officiel  publiait: 

le  décret  No.  X.  portant  que  toute  maison  de  rapport  constituait 
propriété  de  la  république,  que  tous  les  loyers  en  devaient  être  versés 
au  commissariat  des  finances,  c'est  a  dire  :  au  fisc  de  la  commune  ; 

le  décret  No  XIL  plaçait  tous  les  établissements  de  finance  sous 
l'administration  du  fisc.  Ils  ne  pouvaient  rembourser  aux  déposants  que 
107o  de  leur  avoir  et,  en  tous  cas,  les  remboursements  ne  pouvaient 
excéder  2000  couronnes  par  mois;  sauf  à  vérifier  que  les  versements 
étaient  destinés  à  payer  des  salaires  et  des  matières  premières.  Notons 
entre  parenthèse  que  les  ouvriers  des  usines  disposaient  eux-mêmes  des 
dépôts  appartenant  à  leurs  patrons  ;  quant  à  la  procédure,  nous  en  par- 
lerons plus  tard. 

Les  décrets  No.  XIII.  et  XIV.  (toujours  de  la  même  date),  auto- 
risaient le  fisc  à  ouvrir  les  safes  des  banques  ;  les  sommes  d'argent  qui 
y  étaient  gardés  furent  portées  au  compte  créditeur  des  titulaires  et  l'on 
y  laissa  les  bijoux  et  autres  valeurs:  pour  le  moment,  on  se  bornait 
à  les  enregistrer.  Les  propriétaires  ne  s'en  inquiétaient  pas  moins  et  tel 
d'entre  eux  aurait  lancé  au  Foreigne  Office  de  Londres  le  cri  de  détresse 
des  naufragés  sur  l'Océan:  5.  O.  S.,  qui  veut  dire:  Save  our  soûls; 
cette  fois-ci  il  signifiait  cependant:  Save  our' —  safes! 

Deux  jours  après,  le  décret  No  XV.  autorisait  la  Commission  des 
Logements  à  réquisitionner  les  appartements  de  plus  d'une  pièce  par 
locataire  adulte;  les  pièces  «superflues",  y  compris  le  mobilier  plus  ou 
moins  luxueux  qui  s'y  trouvait,  furent  attribuées  à  des  prolétaires  dont 
les  enfants  considéraient  les  tapis  lès  plus  précieux  comme  lieux 
d'aisance  et  le  clavier  des  pianos  comme  bancs  à  s'asseoir  dessus. 

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Le  décret  XIV.  paru  le  28  mars,  autorisait  le  commissariat  de  la 
production  sociale  à  saisir  chez  les  joailliers  tous  bijoux  dont  la  valeur 
excédait  la  somme  de  500  couronnes,  et  un  décret  du  30  mars  intimait 
à  tout  particulier  l'ordre  de  livrer  au  dit  commissariat  tous  joyaux  d'une 
valeur  supérieure  à  2000  couronnes.  Les  bijoux  ainsi  réquisitionnés  furent 
restitués,  cependant,  attendu  que  les  bijoutiers  étrangers  refusaient  de  les 
acheter.  Les  bijoux  dont  on  dérobait^  l'existence  au  cours  des  perqui- 
sitions domicilières  se  virent  „communisés"  au  profit  des  organes  de 
la  police  bolchéviste. 

Le  décret  XXL  publié  le  29  mars,  refondait  le  régime  de  l'assu- 
rance ouvrière.  Le  décret  XXV.  socialisait  les  Compagnies  d'assurances 
et  stipulait  que  les  assurances  échues  ne  seront  payables  que  jusqu'à 
concurrence  de  2000  couronnes. 

Les  bolchévistes  ne  perdaient  pas  leur  temps:  en  une  dizaine  de 
jours  à  peine  ils  réalisaient  des  „ réformes"  dont  l'étude  et  la  mise  au 
point  eussent  exigé,  partout  ailleurs,  des  dizaines  d'années  ;  abstraction  faite 
des  discussions  dans  la  presse  et  au  Parlement  bien  entendu. 

Etude  !  Discussion  !  Le  bolchévisme  n'y  songeait  même  pas  :  il 
dictait  simplement.  La  décade  sus-indiquée  lui  avait  suffi  pour  rédiger 
et  arrêter  la  constitution  de  la  république  des  soviets.  Le  décret  du  2 
avril,  qui  portait  le  No.  XXVIIL,  l'imposa  toute  faite:  Minerve,  la  sagesse 
personnifiée,  sortit  de  la  tête  de  Jupiter-Béla  Kun  toute  armée  .  .  . 

Le  texte  de  cette  constitution  ne  s'imposait  plus  aucune  réserve. 
Il  exprimait  que  la  république  des  soviets  s'était  donné  comme  but  de 
faire  cesser  le  régime  capitaliste  et  de  lui  substituer  le  système  de  la 
production  sociale  en  vue  d'assurer  la  domination  des  ouvriers  sur 
leurs  anciens  oppresseurs.  On  constatera  en  passant  que  le  nouveau 
régime  comportait  également  des  oppresseurs  et  des  opprimés,  qu'il 
n'opérait  qu'un  simple  déplacement  de  dames  sur  le  damier:  plus  ça 
changeait  et  plus  c'était  la  même  chose  ! 

Le  Congrès  des  «Soviets  des  ouvriers,  soldats  et  paysans"  exerce 
le  pouvoir  suprême.  Empruntée  au  bolchévisme  russe,  cette  sainte  Tri- 
nité dut  subir,  en  Hongrie,  une  modification  essentielle.  Le  premier 
décret  de  Bêla  Kun  avait  encore  flatté  les  ouvriers  ruraux;  mais  on 
s'aperçut  bien  vite  que  le  peuple  des  campagnes  n'avait  pas  le  moindre 

29 


entendement  pour  le  nouveau  régime.  Aussi,  ce  peuple  était-il  tenu 
en  laisse  et  ne  pouvait-il  envoyer  au  congrès  central  que  des  indi- 
vidus désignés  par  les  commissaires  de  Budapest.  Les  soviets  des 
soldats  avaient  bien  aidé  Bêla  Kun  à  s'emparer  du  pouvoir,  mais  comme 
l'armée  s'était  disloquée,  ses  soviets  ne  jouaient  plus  qu'un  rôle  effacé. 
La  classe  des  ouvriers  industriels  s'emparait  du  pouvoir  et  préparait  la 
dictature  du  Prolétariat  urbain. 

Celle-ci  culbuta  tout  d'abord  les  principes  les  plus  essentiels  de 
la  Grande  Révolution  :  Uégalité  devint  un  leurre,  la  nouvelle  constitution 
retirait  le  droit  de  vote:  1.  à  ceux  qui  occupaient  des  ouvriers  salariés, 
2.  à  ceux  qui  vivaient  de  leurs  revenus,  3.  aux  commerçants,  4.  aux 
prêtres  et  aux  moines. 

Pour  ce  qui  est  de  la  liberté  et  de  la  fraternité,  le  bolchévisme  les 
a  en  horreur  dès  qu'il  ne  s'agit  plus  d'ouvriers  industriels.  Toutes  les 
autres  classes  de  la  nation  étaient  soumises  au  régime  de  la  terreur 
sur  laquelle  la  petite  classe  régnante  tentait  d'asseoir  sa  dictature. 

Les  premiers  jours  d'avril  apportaient  toute  une  série  de  nouveaux 
décrets  qui  portaient  la  socialisation  c'est  à  dire  :  la  confiscation  au  profit  des 
salariés  intéressés  ou,  pour  mieux  dire,  au  profit  des  meneurs  du  régime  : 

des  maisons  de  commerce  en  gros, 

de  la  propriété  foncière,  grande  et  moyenne, 

des  fabriques  de  médicaments  et  des  pharmacies, 

des  maisons  de  transports  locaux  et  internationaux, 

des  sources  d'eaux  minérales, 

des  sanatoria, 

des  hôpitaux, 

des  ateliers  de  photographie,  et 

des  cinémas  .  .  . 

Voulant  donner  satisfaction  tout  d'abord  aux  ouvriers  industriels, 
le  régime  en  fixa  les  salaires.  A  cet  effet,  et  au  mépris  des  principes 
de  l'égalité  et  du  nivellement  général,  les  ouvriers  furent  classés  en 
cinq  catégories  selon  qu'ils  étaient  manoeuvres  ou  que  leur  travail 
exigeait  des  aptitudes  et  des  connaissances  spéciales;  ils  variaient,  en 
outre  —  ce  qui  était  plus  naturel  déjà  —  selon  l'âge  des  ouvriers  et 
selon  le  temps  qu'ils  avaient  passé  dans  leurs  occupations. 

30 


Sigismund   Kunfi  (Kunstâdter),  prof- 

fesseur  et  journaliste,  commissaire 

de  l'instruction  publique. 
Eugène  Landler,  avocat,  commissaire 

des    transports,    commandant    en 

chef  de  l'armée  rouge. 


Guilleaume  Bôhm,  courtier  en  machi- 
nes à  coudre,  généralissime  de 
l'armée  rouge. 

Alexandre  Csizmadia,  agriculteur, 
commissaire  de  l'agriculture. 


31 


Joseph  Haubrich,  ouvrier  métallur- 
giste, commandant  de  la  force  armée 
de  Budapest. 

Joseph  Fiedler,  ouvrier  ferblantier, 
commandant  de   la   police   rouge. 


Bêla  Szântô  (Schreiber),  terroriste, 
commissaire-substitut  de  la  guerre. 

Bêla  Vâgô  (Weisz),  employé  dans  l'ad- 
ministrations  d'un  journal  du  soir, 
secrétaire  du  syndicat  des  garçons 
de  restaurant,  commissaire-substitut 
de  la  guerre. 


32 


AFFICHES  BOLCHÉVISTES. 


Prolétaire!  Défends  la  république  des  Soviets! 


AFFICHES  BOLCHÉVISTES. 


Chaque  usine  doit  former  son  bataillon  ! 


Plus  tard  on  comprit  que  l'on  avait  absolument  besoin  des  fonction- 
naires publics.  On  essayait  de  les  gagner  en  augmentant  leurs  appointe- 
ments et  l'on  se  résignait  même  à  assimiler  les  employés  bourgeois 
aux  ouvriers  des  fabriques.  La  première  catégorie  —  ou  caste  — 
donnait  droit  a  170  cour,  par  semaine  après  deux  années  de  service; 
après  15  années  de  service  leurs  appointements  devaient  augmenter  sus- 
sessivement  jusqu'à  concourence  de  320  cour.  Ce  maximum  fut  porté 
à  400  cour,  pour  la  deuxième  caste,  à  500  pour  la  troisième,  à  600 
pour  la  quatrième  et  à  650  cour,  par  semaine  pour  la  cinquième  caste. 

Se  voyaient  rangés  dans  les  quatrième  et  cinquième  catégories  les 
ouvriers  dont  le  travail  exigeait  des  connaissances  toutes  spéciales, 
ou  des  aptitudes  de  propagandiste,  ainsi  que  les  chefs  responsables  des 
grandes  administrations  et  ceux  des  départements  ministériels  appelés 
commissariats  ;  c'est  à  dire  :  les  meneurs  et  gros  bénéficiaires  du  régime. 

Le  décret  du  19  mai  créa  le  Comité  consultatif  des  affaires  écono- 
miques, avec  sections  spéciales  pour  le  matériel  de  production,  Tagri- 
culture,  l'élevage,  la  direction  technique  de  la  production  socialiste,  les 
finances,  l'approvisionnement  public,  les  services  de  transport  et,  enfin, 
pour  la  protection  ouvrière.  Mais  comme  ce  comité  se  bornait  à  des 
délibérations  plus  ou  moins  théoriques,  il  fallait  créer  (décret  du  4  juin) 
une  direction  centrale  pour  les  diverses  branches  de  l'industrie. 

Nous  pourrions  citer  encore  beaucoup  d'autres  décrets,  caries  17 
„commisariats"  de  ce  petit  pays  qu'était  la  république  des  soviets 
hongrois  rivalisaient  de  zèle  pour  contribuer  de  leur  mieux  au  boule- 
versement complet  des  anciennes  institutions  et  lois  et  hâter  ainsi 
l'établissement  et  l'organisation  du  nouveau  régime  en  assurant  le  bien- 
être  de  la  nouvelle  classe  régnante.  Mais  abstraction  faite  de  cette 
énumération  qui  serait  trop  fastidieuse,  elle  ne  présenterait  aucune 
utilité,  attendu  que  ces  décrets  n'engageaient  que  le  papier  sur  lequel 
on  les  imprimait.  Sur  toute  la  ligne,  ils  se  heurtaient  contre  les  dures 
réalités,  rebelles  à  la  dictature  de  Bêla  Kun  et  se  voyaient  rélégués 
bientôt  au  second  plan  grâce  aux  mille  et  une  petites  préoccupations 
chères  aux  meneurs. 

Toutefois,  avant  de  passer  à  ces  réalités  et  à  ces  préoccupations, 
nous  croyons  devoir  esquisser  les   tendances  générales  et  principes, 

3  33 


proclamés  par  les  bolchévistes  et  ayant  inspiré  tous  les  décrets  que 
nous  venons  d'énumérer,  ainsi  que  ceux  que  nous  sommes  dans 
l'impossibilité  de  mentionner  faute  de  place. 

Et  il  est  d'autant  plus  indispensable  d'esquisser  ces  principes 
que  tous  les  décrets  qui  touchaient  pourtant  à  des  intérêts  primordiaux, 
avaient  été  élaborés  et  imposés  au  public  sans  aucune  étude  ni  discus- 
sion publiques  préalables,  sans  exposés  de  motifs  ni  commentaires, 
uniquement  en  vertu  du  sic  volo,  sic  jubeo,  stat  pro  ratione  voluntas. 

Enfin,  le  13  juin,  c'est  à  dire:  presque  trois  mois  après  son  avè- 
nement, le  bolchévisme  hongrois  se  décida  à  publier  son  programme. 
Trois  mois!  De  toute  évidence,  ce  ne  serait  pas  de  trop  pour  rédiger 
un  programme  qui  entreprend  la  transformation  en  tous  points  des 
institutions  politiques  et  sociales  séculaires,  de  la  vie  culturelle  et  éco- 
nomique d'un  pays.  Mais  ceux  qui  ont  opéré  en  quelques  jours  cette 
transformation  —  ne  fut-ce  que  sur  le  papier  —  auraient  dû  commen- 
cer par  l'exposé  de  leur  programme.  Heureusement,  le  public  ne  perdait 
rien  pour  avoir  attendu  trois  mois:  les  actes  qu'il  avait  subis  furent 
d'une  atrocité  telle  qu'il  ne  s'impatientait  pas  outre  mesure  à  en  entendre 
le  commentaire  théorique.  Toutefois,  notre  impartialité  nous  oblige  à 
entendre  le  plaidoyer  du  bolchévisme. 

Nous  le  trouvons  dans  le  programme  que  le  parti  des  ouvriers 
socialistes-communistes  —  l'unique  parti  du  régime,  car  on  n'en  tolérait 
pas  d'autre  —  publia  le  13  juin  1919.  Nous  en  relevons  les  passages 
suivants  : 

La  guerre  mondiale  a  anéanti  les  moyens  de  production  au  point 
que  l'on  ne  pourra  satisfaire  aux  besoins  des  consommateurs  qu'en 
éliminant  de  la  production  tout  intérêt  privé  et  en  la  reconstituant 
suivant  une  méthode  la  plus  économique.  Le  prolétariat  ne  pourra 
subvenir  à  son  existence  qu'en  s'emparant  du  pouvoir  politique  à  l'effet 
de  reconstruire  la  production  conformément  à  ses  intérêts.  Or,  ce  but 
ne  pourra  être  atteint  que  si  le  prolétariat  hongrois  se  rallie  au  prolé- 
tariat de  tous  les  autres  pays  avec  la  volonté  de  préparer  la  révolution 
mondiale;  pour  aider  à  la  préparation  de  celle-ci,  sa  principale  tâche 
consiste  dans  la  propagande  par  le  fait.  Partout,  le  seul  moyen  à 
appliquer  pour  que  le  prolétariat  puisse,  à  la  suite  de  l'écroulement  du 

34 


Zoltân  Rônai,  avocat,  commissaire  de 

la  justice. 
Jules  Hevesi,   commissaire- substitut 

des  usines  socialisées. 


George  Nyisztor,  cultivateur,  com- 
missaire de  l'agriculture. 

Anton  Dovcsâk,secrétairedes  syndicats 
des  ouvriers  métallurgistes,  commis- 
saire-substitut des  usines  socialisées. 


35 


George  Lukâcs,  fils  du  directeur 
d'une  grande  banque,  commissaire 
de  l'instruction  publique. 

Maurice  Erdélyi,  directeur  d'un  so- 
ciété coopérative  commissaire  de 
l'approvisionnement. 


Eugène  Varga  (Weisz),  professeur 
d'école  de  commerce,  commissaire 
des  finances. 

Eugène  Hamburger,  secrétaire  central 
du  parti  socialiste  commissaire- 
substitut  de  l'agriculture. 


36 


capitalisme,  passer  au  régime  du  socialisme:  c'est  la  dictature  du  pro- 
létariat. Elle  est  appelée  à  briser  la  résistance  des  exploiteurs,  à  empê- 
cher leur  réorganisation.  Et  puisque  les  exploiteurs  pourraient  user  de 
leurs  droits  politiques  pour  revendiquer  leurs  privilèges,  il  faut  confis- 
quer ces  droits  dont  la  totalité  est  réservée  aux  travailleurs.  Les  moyens 
de  production,  la  main  d'oeuvre,  ainsi  que  les  matières  premières 
devront  relever  d'une  direction  centrale,  technique,  financière  et  écono- 
mique que  VÉtat  prolétaire,  s'appuyant  sur  les  syndicats  ouvriers,  confie 
au  Comité  Consultatif  Economique  Supérieur.  L'administration  des 
diverses  usines  incombera  toutefois  aux  ouvriers  de  chaque  atelier; 
toute  propriété  foncière,  grande  ou  moyenne,  devra  être  exploitée  par 
les  sociétés  coopératives  de  cultivateurs  .  .  . 

Nous  nous  abstenons  de  toute  critique,  les  faits  eux  mêmes  se 
chargeant  de  ce  soin.  Nous  nous  bornerons  à  une  seule  remarque  qui 
est:  le  dernier  passage  que  nous  empruntons  au  programme  contenait 
le  germe  de  la  maladie  qui  devait  l'emporter.  In  cauda  venenum.  Sans 
doute,  les  petits-cultivateurs  étaient  heureux  d'apprendre  que  la  grande- 
propriété  serait  morcelée  ;  mais  lorsqu'on  vint  leur  dire  qu'ils  devaient 
cultiver  ces  propriétés  au  profit  de  sociétés  coopératives  ou  de  la 
communauté,  ils  se  sentirent  déçus  et  engagèrent  la  lutte  qui  allait 
épuiser  toutes  les  forces  du  bolchévisme.  Le  peuple  des  campagnes  — 
qui  constitue  l'épine  dorsale  de  la  nation  —  n'est  rien  moins  que 
bolchéviste;  la  majorité  des  populations  urbaines  l'est  moins  encore,  si 
c'est  possible.  Seule  la  classe  ouvrière  industrielle  s'est  laissé,  après  les 
hésitations  que  nous  avons  mentionnées,  séduire  par  les  phrases  et 
les  promesses  des  bolchévistes.  Mais  à  son  tour,  elle  ne  tardait  pas 
de  comprendre  qu'on  avait  surpris  sa  bonne  foi,  que  le  bolchévisme 
russe,  introduit  par  Bêla  Kun  à  Budapest,  n'avait  rien  de  commun 
avec  les  idées  socialistes  et  n'était  susceptible  en  rien  de  servir  les 
vrais  intérêts  de  la  production  industrielle  et  ceux  des  ouvriers. 

Pour  devenir  viable,  le  régime  Lénine  tendait  à  englober  au  moins 
une  grande  partie  des  pays  producteurs.  Dès  la  première  étape,  il  a 
échoué  en  Hongrie.  En  fera-t-il  une  nouvelle  expérience  ?  C'est  la  grave 
question  qui  doit  préoccuper  l'Occident. 


37 


LES  BOLCHEVISTES  ET  LA  CLASSE  OUVRIERE. 

Le  parti  communiste  hongrois  s'est  constitué  en  décembre  1918. 
En  janvier  1919,  il  méditait  déjà  un  grand  coup  et  en  fixa  l'exécution 
pour  le  26  janvier.  Ce  jour  là,  il  voulait  mettre  le  feu  aux  quatre  coins 
de  Budapest  et  profiter  du  désarroi  pour  organiser  le  massacre  dans 
les  quartiers  élégants.  Le  coup  rata  et  les  communistes  s'en  prirent  aux 
bureaux  de  l'organe  socialiste  qu'ils  tentèrent  de  saccager.  En  même 
temps  ils  engageaient  une  violente  campagne  dans  les  rangs  ouvriers. 
Ils  les  persuadèrent  de  „ socialiser"  d'abord  la  célèbre  usine  d'électricité 
Ganz,  puis  plusieurs  autres  fabriques,  sans  autre  forme  de  procès, 
simplement  par  un  effet  de  leur  volonté. 

Le  gouvernement  n'osait  pas  s'y  opposer  et  décida  de  créer  un 
„ ministère  de  la  socialisation".  Sur  ce,  la  Népszava,  organe  socialiste, 
du  12  mars  1919,  exposa  aux  ouvriers  que  „la  socialisation  ne  pourrait 
se  faire  en  quelques  semaines,  qu'elle  devait  être  préparée  de  longue 
main,  sinon  elle  risquait  d'aboutir  à  la  plus  sauvage  anarchie  qui  ren- 
drait la  production  industrielle  très  problématique". 

Le  lendemain,  le  parti  socialiste  estima  nécessaire  de  lancer  une 
proclamation  formelle  pour  avertir  les  ouvriers  que  „la  sauvagerie  bar- 
bare n'était  pas  le  moyen  propre  à  créer  un  meilleur  état".  Que  „le 
petit  camp  des  contre-révolutionaires  rouges  ne  comptait  que  des  aven- 
turiers rentrés  dans  le  pays  aux  frais  de  l'étranger,  qu'il  obéissait  à  un  état- 
major  d'enfants  menés  sur  une  fausse  route". 

Mais  le  gros  des  ouvriers  industriels  de  Budapest  avait  déjà  passé 
au  camp  rouge  où  on  lui  prodiguait  les  promesses  les  plus  séduisantes. 

Le  21  mars  Budapest  se  réveillait  sous  le  régime  de  Bêla  Kun. 
Cependant,  pour  ne  pas  trop  effaroucher  la  population.  Bêla  Kun  cède 
la  présidence  à  Alexandre  Garbai,  socialiste  modéré.  Ce  chef  de  cabinet 
se  bornait  toutefois  à  régner:  il  ne  gouvernait  point.  Son  nom  servait 
d'enseigne  au  cabaret  qui  allait  débiter  les  boissons  les  plus  toxiques. 

38 


Henri  Kalmâr  (Kohn),  commissaire 
pour  les  Allemands. 

Alexandre  Szabados  (Freistadl),  jour- 
naliste, président  du  Conseil  de  la 
Production  littéraire. 


Auguste    Stefan,    commissaire    pour 
les  Ruthènes. 

Etienne  Lâday,  avocat,  commissaire- 
substitut  de  la  justice. 


39 


Nuitamment  on  raccole  des  otages  dans  les  quartiers  élégants. 


40 


Nous  avons  déjà  énuméré  les  premiers  actes  du  nouveau  régime, 
mais  nous  avons  omis  d'indiquer,  et  pour  cause,  le  grand  mouvement 
populaire  qui  a  porté  Bêla  Kun  au  pouvoir.  Je  me  trouvais  bien  à 
Budapest  le  21  mars,  mais  je  n'ai  discerné  aucune  de  ces  éruptions  de 
masses  qui  précède  habituellement  de  pareils  événements  :  le  bolché- 
visme  s'était  faufilé  dans  la  ville  et  l'avait  hypnotisée  pour  ainsi  dire. 
Par  la  suite,  il  s'y  est  maintenu  grâce  à  une  fausse  apparence  de  force, 
grâce  aussi  à  l'apathie  résignée  de  la  bourgeoisie  et,  grâce  aux 
promesses  qu'il  fit  à  la  classe  ouvrière.  Il  profita  de  cet  état  des  esprits 
pour  desarmer  les  bourgeois,  organiser  la  garde-rouge  qu'il  recrutait 
dans  les  bas-fonds  des  couches  inférieures  et  qui  était  appelée  à  rem- 
placer la  police. 

Nous  parlerons  plus  tard  des  27  commissaires  et  commissaires- 
substituts  membres  de  gouvernement  bolchéviste.  Tout  d'abord,  nous 
croyons  devoir  établir  la  manière  dont  cette  révolution  s'est  pris  pour 
se  considérer  gouvernement  „de  par  la  volonté  du  peuple".  Dans  cet  ordre 
d'idées,  il  importe  de  constater  que  les  élections  générales  qui  devaient 
consacrer  la  révolution  du  21  mars  —  du  moins  après  coup  —  ont  été 
la  carricature  la  plus  grotesque  d'une  consultation  populaire. 

Ces  élections  générales  eurent  lieu  à  Budapest ...  en  mai.  La  nou- 
velle constitution  avait  décrété  le  suffrage  universel  à  cela  près  que 
le  gros  de  la  bourgeoisie  se  vit  spolié  de  son  droit  de  vote.  Par  contre, 
ce  droit  était  acquis  à  toutes  les  femmes  adultes  ;  y  compris,  bien  entendu 
et  surtout,  les  femmes  à  la  journée  et  les  servantes,  à  l'exception  des 
bourgeoises  instruites.  Les  prolétaires  seuls  jouissaient  du  droit  de  vote, 
comme  de  juste,  puisque  le  régime  s'appelait  la  dictature  du  prolétariat. 

Mais  la  rnanière  dont  le  peuple  était  appelé  à  exercer  ce  droit  fut 
d'un  genre  tout  noveau:  au  moment  du  vote  on  remit  aux  électeurs 
la  longue  liste  que  les  meneurs  avaient  préparée  et  imprimée  d'avance 
et  qui  portait  les  noms  de  tous  les  législateurs  désignés  pour  représenter 
au  «Congrès  des  soviets"  la  ville  de  Budapest.  Les  prolétaires  avaient 
bien  le  droit  de  modifier  la  liste  des  candidats  officiels;  mais  les  très  rares 
bourgeois  admis  au  vote  qui  auraient  osé  d'introduire  des  modifications 
dans  la  liste  officielle  couraient  le  risque  de  passer  pour  contre-révolu- 
tionnaires. Chaque  électeur  remit  sa  liste  à  la  commission  qui  fonction- 

41 


nait  sans  aucun  contrôle  et  qui  dépouillait  les  bulletins  de  vote  au  gré 
de  son  caprice. 

Voilà  comme  cela  se  passait  à  Budapest.  Je  n'ai  pas  vu  les  élec- 
tions en  province,  mais  je  crois  pouvoir  affirmer  que  le  contrôle  y  était 
bien  plus  faible  encore. 

La  critique  que  j'exerce  cependant  sur  cette  étrange  campagne 
électorale  ne  m'empêche  pas  d'avouer  que  le  Congrès  des  soviets  qui  en 
est  issu  n'a  pas  manqué  d'orateurs  indépendants  et  prononçant  les  plus 
sévères  accusations  contre  les  actes  de  corruption  et  les  mesures  insen- 
sées des  commisaires  de  Bêla  Kun.  Un  des  plus  populaires  orateurs 
des  réunions  socialistes  d'avant-guerre,  jouait  un  prélude  très  énergique 
dans  les  délibérations  de  ce  Congrès. 

Le  12  juin,  çest  à  dire:  à  la  veille  de  ce  Congrès,  il  écrivit  dans 
le  Népszava:  „l\  est  juste  que  l'on  confie  aux  ouvriers  intelligents  les 
grandes  tâches  de  l'État  prolétaire.  Pour  le  moment,  l'exécution  en  est 
cependant  très  défectueuse:  des  gens  dépourvus  de  talent,  qui  se  sont 
assimilés  au  nouveau  régime,  qui  ont  le  verbe  haut  et  qui  se  posent 
en  partisans  de  la  dictature  du  prolétariat,  ont  occupé  les  postes  diri- 
geants et  en  expulsent  les  hommes  sérieux  qu'ils  réduisent  à  l'inaction. 
Comme  dans  le  passé,  la  protection  sévit  sur  toute  la  ligne  et  nous 
assistons  à  la  naissance  d'une  nouvelle  bureaucratie  plus  ignominieuse 
encore  que  celle  de  jadis.  Dans  les  bureaux  comme  dans  toutes  les 
branches  de  la  production,  ces  gens  là  ne  font  que  du  mal.  Certes,  le 
capitalisme  a  empêché  de  donner  une  bonne  éducation  aux  masses, 
mais  cela  ne  signifie  aucunement  que  l'on  doive  confier  les  emplois 
importants  à  des  analphabets." 

Bien  que  l'aveu  de  ce  socialiste  éprouvé  soit  précieux,  il  est  loin 
de  contenir  toute  la  vérité.  Le  choix  défectueux  de  ses  organes  exécutifs 
que  Népszava  reproche  au  régime,  était  une  conséquence  inhérante 
au  système  qui  s'évertuait  à  éliminer  de  la  production  industrielle  l'élé- 
ment bourgeois  même  qui  l'avait  créée  et  organisée.  On  expulsait,  du 
jour  au  lendemain,  les  chefs  qui  avaient  fondé  les  fabriques  non  seule- 
ment à  l'aide  de  leurs  capitaux,  mais  encore  et  surtout  grâce  à  leur 
savoir  et  à  leurs  expériences.  Les  ouvriers  ne  tardèrent  pas  de  le  comp- 
rendre: bientôt  ils  réclamèrent  d'abord  les  directeurs  techniques  et  les 

42 


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43 


Soldats  rouges  tirent  sur  les  moniteurs  des  contre-révolutionnaires,  le  24  juin. 
A  A  Phot.  :  „Érdekes  Ujsâg"  Budapest  (Hongrie). 


ingénieurs,  puis  les  directeurs  commerciaux  dont  le  départ  causait  de 
graves  désordres  dans  les  rouages  de  la  production. 

Mais  le  mal  était  fait.  Les  commissaires  bolchévistes,  aveuglés  par 
leur  ardeur  d'asseoir  solidement  le  règne  du  prolétariat,  avaient  livré  les 
usines  aux  appétits  des  ouvriers  auxquels  ils  avaient  accordé  les  salaires 
excessifs  mentionnés  dans  un  précédent  chapitre.  Ayant  décrété  la  jour- 
née de  huit  heures  et  l'égalité  des  salaires,  la  rapidité  de  cette  trans- 
formation devait  fatalement  se  venger. 

Les  commissaires  du  peuple  qui  comparurent  devant  le  congrès 
des  soviets,  ouverts  le  16  juin  1919,  se  voyaient  contraints  de  faire  des 
aveux  édifiants. 

Eugène  Varga,  commisaire  à  la  production  socialiste,  exposait  que  le 
nouveau  régime  avait  donné,  dans  le  domaine  de  la  production  industrielle, 
les  pires  résultats  qu'on  pût  imaginer.  La  production  du  charbon  avait  baissé, 
comparativement  au  temps  du  régime  Kârolyi,  de  10  à  38Vo;  dans  la 
fabrique  Wôrner  de  50Vo  et  aux  ateliers  d'aeroplans  de  Mâtyâsfôld  de  75Vo. 

Varga  attribua  ce  déclin  de  la  production  au  relâchement  de  la 
discipline  dans  les  fabriques.  Comme  les  salaires  étaient  les  mêmes  pour 
tous  les  ouvriers  d'une  même  catégorie,  les  ouvriers  plus  habiles  ne  se 
souciaient  point  de  se  livrer  à  des  efforts  qui  ne  leur  valaient  pas  un 
surcroît  de  rémunération;  ils  se  plaçaient  bonnement  au  point  de  vue 
capitaliste:  Quiconque  travaille  mieux,  veut  obtenir  des  salaires  supé- 
rieurs. Et  comme  on  les  leur  refusait,  ils  lâchaient  pied. 

A  la  séance  du  17  juin,  le  commissaire  Jules  Hevesi  fournit  de 
plus  amples  explications  encore:  les  fabriques  devaient  être  dirigées  par 
les  soviets  d'usine;  or  les  membres  de  ceux-ci  n'osaient  exercer  leurs  fonc- 
tions disciplinaires  par  crainte  de  ne  pas  être  réélus  :  ils  laissaient  faire 
les  ouvriers  ce  que  bon  leur  semblait. 

Les  conséquences  qui  devaient  se  produire  du  fait  des  salaires 
excessifs  et  de  la  diminution  effrayante  dans  le  rendement  du  travail 
individuel  ne  se  firent  pas  attendre.  La  production  devint  de  plus  en 
plus  coûteuse.  Les  phases  successives  de  la  production  subissant  une 
influence  réciproque,  et  le  renchérissement  des  produits  mi-ouvrés,  des 
outils  et  des  machines  se  répercutant  dans  les  prix  des  produits  finis, 
c'était  la  vis  sans  fin. 

45 


Nous  nous  bornerons  à  en  citer  quelques  exemples. 

Dans  les  mines  de  charbon  le  rendement  par  jour  d'un  mineur 
était  de  706  qu.  m.  en  octobre  1918,  de  309  qu.  m.  en  mai  1919; 
dans  la  même  période,  le  salaire  du  mineur  était  monté  de  10*04  à 
585  couronnes  par  jour. 

L'extraction  dans  les  charbonnages,  qui  était  été  de  1.500  wagons 
par  jour,  descendit  à  650  wagons. 

Le  prix  de  revient  de  100  kilos  de  fonte  était  de  50-80  couronnes 
en  octobre  1918;  il  était  monté  à  2,700  couronnes  en  juin  1919. 

Pendant  la  guerre,  une  batteuse  coûtait  200,000  couronnes;  sous 
le  règne  des  prolétaires  elle  se  payait  1.400,000  couronnes. 

En  1914  une  charrue  à  vapeur  valait  70,000  couronnes;  en  juin 
1919:  1.100,000  couronnes. 

Le  prix  d'une  locomotive  avait  passé  de  120,000  couronnes  à 
2.400,000;  celui  d'un  chaland  de  125.000  couronnes  à  1.300,000. 

En  juin  1918  telle  fabrique  de  machines  payait  à  un  ouvrier 
70  couronnes  par  semaine  et  en  obtenait  des  produits  d'une  valeur  de 
300  couronnes;  juin  1919  le  salaire  avait  sauté  à  300  couronnes  et  le 
rendement  baissé  à  90  couronnes. 

A  l'usine  Ganz  le  prix  de  revient  d'une  machine  représentait  35 
fois  sa  valeur  de  temps  de  paix. 

En  juin  1918,  les  444  ouvriers  de  telle  fabrique  de  machines  livraient 
1870  quintaux  métriques  de  produits;  en  juillet  1919,  les  400  ouvriers 
de  la  même  fabrique  n'en  fournissaient  plus  que  35  quintaux  métriques. 

Les  commissaires  de  la  république  des  soviets  se  rendaient  compte 
de  l'impossibilité  qu'il  y  avait  à  continuer  ainsi:  la  hausse  des  prix 
mangerait  les  plus  gros  salaires  qu'on  pourrait  payer  aux  ouvriers.  Ils 
prirent  donc  le  parti  d'exiger  dans  toutes  les  fabriques  une  sévère  compta- 
bilité qui  serait  appelée  à  mettre  un  terme  au  gaspillage  insensé  que  les 
„ soviets"  pratiquaient  dans  les  usines,  et  interdirent  jusqu'  aux  commis- 
saires délégués  dans  les  usines  de  critiquer  ou  de  contrecarrer  les  dis- 
positions ordonnées  par  les  ingénieurs  et  mécaniciens.  Un  décret  devait 
imposer  aux  ouvriers  l'ancienne  discipline  et  mettre  un  terme  aux  abus 
de  certains  éléments  nouveaux  qui  ab  maient  les  machines  et  les  outils, 
gaspillaient  les  matières  tout  en  réclamant  de  forts  salaires. 

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AFFICHES 

BOLCHÉ 

VISTES. 


Lâche  ou  scé- 
lérat quicon- 
que se  cache 
et  décourage 
les  autres. 


Donnez-nous 
des  vivres, 
sans  quoi 
nous  n'avons 
pas  de  force 
pour  vous 
fournir  des 
outils,  des 
vêtements. 


AFFICHES 

BOLCHÉ- 

VISTES. 


Soldats  rouges!  En  avant! 


On  enjoignait  aux  conseils  des  usines  de  tenir  une  comptabilité 
rigoureuse  qui  ne  laissait  pas  de  devenir  gênante  pour  certains  commissaires 
ayant  contracté  l'habitude  de  considérer  les  stocks  de  l'usine  comme 
leur  propriété  privée  .  .  . 

Evidemment,  la  socialisation  des  fabriques  représentait  un  grand 
succès  remporté  sur  le  capitalisme,  mais  il  ne  rassurait  pas  les  auteurs 
de  la  réforme.  Aussi  longtemps  que  les  fabriques,  ces  créations  de  l'esprit 
d'initiative  du  capitalisme  étaient  là,  leurs  anciens  propriétaires  pouvaient 
conserver  l'espoir  de  les  revendiquer  un  jour.  Pour  parer  à  cette  éven- 
tualité, il  importait  donc  de  les  confondre  dans  la  propriété  commune 
qui  absorberait  tous  les  moyens  de  production  du  pays.  On  empruntait 
le  raisonnement  des  grands  trusts  :  la  production  devait  être  spécialisée 
dans  les  diverses  usines,  dirigée  d'après  un  plan  général  qui  embras- 
serait toute  la  branche  et  la  rendrait  plus  économique.  On  organisa 
donc  toute  une  série  d'administrations  appelées  à  diriger  la  production: 
un  Comité  Consultatif  supérieur  avec  des  départements  pour  chaque 
branche  de  la  vie  économique,  des  centres  administratifs  pour  chaque 
branche  de  l'industrie,  en  vue  de  réglementer  la  production  sur  un  plan 
d'ensemble  pour  la  branche  intéressée.  Comme  ces  administrations 
voulaient  exécuter  la  besogne  des  anciens  patrons  et  directeurs,  ils 
demandaient  à  chaque  usine  toutes  sortes  de  relevés  hebdomadaires 
détaillés  sur  les  matières  premières,  combustibles,  matériaux  accessoi- 
res, machines  et  outils  dont  elles  auraient  besoin  la  semaine  suivante; 
sur  les  travaux  qu'elles  se  proposaient  d'exécuter,  le  nombre  d'ouvriers 
qu'elles  devaient  occuper,  les  fonds  qui  seraient  nécessaires  au  payement 
des  salaires  et  d'autres  dépenses. 

Ces  relevés  furent  exigés  dans  le  but  de  pouvoir  distribuer  aux 
usines  avec  esprit  de  suite  les  matières  premières,  matériaux  et  outils  dont 
elles  auraient  besoin  et  d'être  à  même  de  leur  prescrire  ce  qu'elles  devaient 
produire  pour  satisfaire  aux  exigences  de  la  communauté.  En  un  mot: 
elles  voulaient  se  charger  de  la  besogne  qui,  sous  le  régime  capita- 
liste, incombait  aux  patrons,  directeurs  techniques  et  économiques  des 
nombreuses  usines  en  exploitation. 

Quiconque  a  jamais  vu  le  travail  si  compliqué  auquel  on  se  livre 
dans  les  bureaux  d'une    seule   grande   usine,   s'imaginera   facilement 

4  49 


combien  les  dites  administrations  centrales  devaient  être  débordées  en 
recevant  les  volumineux  rapports  envoyés  chaque  semaine  par  les  huit 
cent  fabriques  existant  rien  qu'  à  Budapest.  On  avançait  bien  que 
ces  administrations  centrales  dresseraient  des  statistiques  complètes  pour 
leurs  branches  respectives,  mais  il  était  évident  que  cette  besogne  ne 
pouvait  s'exécuter  alors  même  que  l'on  eût  eu  le  loisir  de  recruter  et 
de  former  un  personnel  capable  et  rompu.  Or,  loin  d'en  être  ainsi,  ce 
personnel  que  l'on  s'obstinait  à  vouloir  improviser  du  jour  au  lendemain, 
se  recrutait  —  au  dire  de  l'organe  des  socialistes  —  des  pires  éléments. 

Jamais  aucune  bureaucratie  n'a  été  expéditive;  mais  celle  du  bolché- 
visme,  qui  prétendait  accomplir  les  travaux  de  milliers  de  patrons  et 
directeurs  d'une  haute  compétence  acquise  au  cours  d'une  longue  vie 
d'études,  de  labeur  et  d'expériences,  était  fatalement  vouée  à  l'échec 
puisque,  toujours  au  dire  du  Népszava,  elle  se  composait  d'anal- 
phabets  qui,  de  plus,  manquaient  de  tout  scrupule;  et  elle  aurait 
fatalement  échoué  même  si  l'on  avait  réussi  à  s'assurer  le  concours  des 
spécialistes  indispensables. 

Les  ouvriers  sérieux  qui  entendaient  faire  leurs  besognes  habitu- 
elles, se  voyaient  convoqués  sans  cesse  aux  réunions  politiques  ou 
par  les  nombreuses  administrations  où  l'on  avait  besoin  soit  de  leurs 
connaissances,  soit  de  leur  concours  politique.  Alors  ce  fut  le  gâchis  com- 
plet dans  l'industrie.  Et  les  ouvriers  étaient  les  premiers  qui  devaient 
en  pâtir. 

Il  est  facile  à  voir  que,  si  l'industrie  dépérissait  sous  le  bolché- 
visme,  par  contre  le  syndicalisme  triomphait.  A  la  veille  de  la  guerre 
on  comptait  en  Hongrie  107,400  ouvriers  affiliés  aux  divers  syndicats, 
bien  que  la  grande-industrie  en  occupait  près  de  500,000  ;  sans  compter 
ceux  qu'occupait  la  petite-industrie.  Les  services  militaires  enlevèrent 
aux  syndicats  près  de  la  moitié  de  leurs  membres.  En  1917,  le  mouve- 
ment ouvrier  ressuscité  portait  le  chiffre  des  syndicalistes  à  159.884.  On 
assista  alors  à  la  formation  des  syndicats  d'employés  par  les  établis- 
sements financiers,  de  photographie,  de  pharmacie,  des  cheminots,  des 
employés  de  bureaux.  A  la  fin  de  1918,  les  syndicats  englobaient  déjà 
721,437  membres  dont  331,221  femmes,  respectivement  591.771  ouvriers 
manuels.  Plus  tard  on  vit  se  former  le  syndicat  des  concierges,  celui  des» 

50 


LES  TERRORISTES  LES  PLUS  SANGUINAIRES, 
exécutés  le  20  octobre  1919. 


Joseph  Cserni,  commandant  des  „en- 
fants  de  Lénine". 

Eugène  Vajda  qui  s'est  masqué  comme 
prêtre  pour  obtenir  les  confessions 
des  contre-révolutionnes  qu'il  liv- 
rait aux  bourreaux. 


Otto  Korvin  (Klein),  employé  de 
banque,  chef  du  corps  de  détec- 
tives de  la  commune. 

Alexandre  Papp,  substitut  de  Cserni, 
chez  les  , enfants  de  Lénine". 

(Photographies  faites  par  ordre  de  la  police  royale.) 


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^employés  de  ménage"  et  celui  des  fonctionnaires  publics  socialistes. 
Après  l'avènement  de  Bêla  Kun,  tous  les  fonctionnaires  étaient  tenus 
d'adhérer  à  ce  dernier  syndicat.  Les  écrivains  et  les  journalistes  durent 
en  former  un  autre.  Presque  toutes  les  professions  se  voyaient  forcés  à 
suivre  ces  exemples  :  les  bolchévistes  ne  reconnaissaient  le  droit  à  la 
vie  qu'aux  seuls  travailleurs  syndiqués,  A  cette  époque,  les  syndicats 
ouvriers  hongrois  comptaient  déjà  1.421,000  adhérents.  Ceux  qu'i  n'a- 
vaient pas  réussi  à  se  faire  admettre  dans  un  syndicat  quelconque,  se 
voyaient  éconduits  aux  guichets  de  distribution  des  bons  de  vivres. 
C'était  le  cas  pour  les  avocats  par  exemple  (la  ville  de  Budapest  en 
comptait  plus  de  1400),  dont  les  fonctions  étaient  considérées  superflues. 
Tout  pour  les  travailleurs,  rien  pour  les  oisifs:  telle  était  la  devise. 
Aussi  le  conférencier  d'un  café  —  concert  qui  crut  pouvoir  imiter  les 
chansonniers  irrévérencieux  de  la  Grande  Révolution  française  —  se 
permit-il  la  plaisanterie  suivante: 

—  Vous  avez  connu  le  trop  célèbre  avocat  X.  qui  vient  de  mourir. 
Eh  bien  il  s'avisa  de  vouloir  entrer  au  paradis.  Mais  Saint-Pierre,  qui 
monte  la  garde  à  la  porte  du  ciel,  lui  réclama  sa  carte  de  syndicaliste. 

—  Je  n'ai  fait  partie  d'aucun  syndicat,  répondit  l'avocat. 

—  Alors  va-t-en  au  diable  !  répliqua  St.  Pierre,  grognard. 

Le  pauvre  avocat  s'en-fut  aux  enfers;  mais  lorsqu'il  se  présenta 
chez  Charon,  celui-ci  réclama  à  son  tour  la  carte  de  syndicaliste. 

—  Sans  carte  de  syndicat  nul  ne  peut  pénétrer  en  enfer! —  fit-il. 
Remontez  à  la  surface  et  procurez  vous  cette  carte. 

—  Et  si  on  me  la  refuse? 

—  Repassez  dans  quinze  jours  .  .  .  dici  là  nul  n'en  aura  plus 
besoin  .  .  . 


53 


ANEANTISSEMENT  DU  COMMERCE 
ET  DES  FINANCES  PUBLIQUES. 

A  la  suite  des  premiers  résultats  donnés  par  la  socialisation,  la 
classe  ouvrière  ne  tarda  pas  de  comprendre  que  les  patrons  organisa- 
teurs et  les  directeurs,  tant  techniques  que  commerciaux,  étaient  un  mal 
nécessaire.  Aussi  bien,  le  commissariat  de  la  production  socialiste  finit-il 
par  les  obliger  à  reprendre  leurs  postes  et  à  remettre  sur  pied  le  méca- 
nisme détraqué  par  les  «commissaires  de  production"  des  usines. 

Quant  au  commerçant  qui  avait  fourni  les  matières  premières,  les 
outils,  les  moyens  accessoires,  et  qui  avait  acheté  les  produits  de  l'usine, 
on  le  considérait  décidément  comme  un  mal  superflu^  un  intermédiaire 
«parasite"  qui  s'interposait  entre  la  production  et  la  consommation  pour 
renchérir  l'un  et  l'autre.  Le  nouveau  régime  résolut  donc  d'éliminer  cet 
intermédiaire  et  de  se  charger  lui-même  de  la  distribution  aux  consom- 
mateurs des  produits,  directement,  sans  frais  de  courtage  comme  sans 
perte  de  temps. 

Le  décret  du  2  avril  (No.  XXXI.)  déclare  que  toute  maison  de 
commerce  occupant  plus  de  10  personnes  devait  être  socialisée  et  ses 
stocks  confisqués  au  profit  de  la  communauté.  Les  autres  commerçants 
furent  obligés  à  fermer  leurs  magasins  pour  en  dresser  l'inventaire  et 
donner  au  commissariat  de  la  production  socialiste  la  possibilité  de 
se  renseigner  sur  les  stocks  de  marchandises  disponsibles,  d'organiser 
la  distribu  ion  de  tous  les  produits  en  connaissance  de  cause.  Ce  décret 
signifiait  la  ruine  à  peu  près  complète  de  dizaines  de  milliers  de  commer- 
çants. Nous  pourrions  nous  arrêter  ici  un  instant  et  nous  apitoyer  sur  le 
sort  fait  aux  cent  mille  individus  qui  à  Budapest,  vivaient  du  commerce. 
Mais  nous  ne  voulons  pas  nous  attarder  sur  des  effusions  d'ordre  senti- 
mental. Puisque  le  bolchévisme  promit  de  remanier  le  monde  au  profit 
des  masses  populaires,  nous  voulons  bien  admettre  que,  pour  faire  une 

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omelette,  il  faut  casser  des  oeufs.  Et  si  le  bolchévisme  avait  réussi 
à  asseoir  sur  une  base  solide  le  bien-être  des  grandes  masses,  nous 
eussions  dû  lui  pardonner  ce  qu'il  avait  fait  avec  les  parasites  de  la 
vie  économique.  Le  premier  aspect  en  fut  peu  édifiant:  les  20  ou  30 
mille  magasins  de  Budapest,  fermés  du  jour  au  lendemain,  prêtaient  à 
cette  ville,  si  animée  encore  la  veille,  un  aspect  navrant.  Je  m'expliquai 
le  fait  par  le  mot:  „à  la  guerre  comme  à  la  guerre".  La  promenade 
dans  les  rues  sera  un  peu  monotone  ;  qu'à  cela  ne  tienne  ! 

Dès  les  premières  heures  cependant  j'éprouvai  une  déception  après 
l'autre.  J'eus  besoin  de  certains  menus  objets,  de  vivres,  d'ustensiles 
quelconques,  d'articles  de  ménage,  d'accessoires  pour  mon  costume, 
de  linge  . . .  que  sais-je  encore  !  Impossible  d'acheter  quoi  que  ce  fût. 
Quelque  pressant  que  pût  être  le  besoin  de  tous  objets  que  je  voulais 
acheter,  je  dus  y  renoncer:  tous  les  magasins  étaient  fermés.  Il  fallait 
attendre  que  les  dizaines  de  mille  inventaires,  portant  chacun  sur  des 
centaines  et  même  des  milliers  d'objets  fussent  dressés.  Enfin,  après 
une  pénible  attente  de  plusieurs  semaines,  les  magasins  ouvraient  à 
nouveau  leurs  portes.  Les  „ commissaires  de  la  production  socialiste" 
se  voyaient  obligés  à  déclarer  au  congrès  des  soviets  que  le  commerce 
était ...  un  mal' nécessaire,  pendant  la  période  de  transition  au  moins. 
En  premier  lieu  ils  durent  admettre  le  commerce  pour  les  victuailles 
qui  eussent  forcément  péri  si  on  avait  voulu  attendre  que  le  débit  en 
pût  être  confiée  à  des  organisations  de  vente  officielles;  il  fallait  rouvrir 
les  papeteries,  puisqu'on  prétendait  vulgariser  les  connaissances  utiles, 
les  drogueries  puisqu'elles  servaient  la  santé  publique.  Par  contre,  on 
interdit  aux  libraires  de  vendre  les  livres  que  l'on  se  proposait  soit  de 
confisquer  pour  les  bibliothèques  populaires,  soit  de  mettre  à  l'index 
comme  ouvrages  «dangereux". 

C'est  que,  si  le  bolchévisme  est  libre  penseur,  il  n'admet  pas  que 
d'autres  aussi  pensent  librement. 

Les  débits  de  boissons  spiritueux  ne  furent  pas  socialisés,  mais 
rigoureusement  interdits  et  poursuivis  avec  une  ardeur  fanatique;  le  vin 
ne  figurait  que  sur  la  table  des  commissaires. 

Le  commerce  des  meubles  fut  centralisé.  Tous  les  meubles  — 
même  ceux  des  appartements  privés  —  fuient  mis  à  la  disposition  du 

57 


régime  pour  être  répartis  entre  les  prolétaires.  Un  office  central  des 
meubles  avait  le  droit  exclusif  de  vendre  les  meubles  au  prix  de 
revient  plus  20%  de  provision  au  profit  de  l'office.  Le  commerçant 
qui  avait  acheté  les  meubles  chez  les  fabricants  ou  chez  les  menui- 
siers touchait  en  tout  3  à  400  couronnes  par  semaine,  comme  un 
ouvrier  de  II!.  catégorie  «ayant  quelques  connaissances  spéciales". 
Les  capitaux  qu'il  avait  déboursés  ne  comptaient  pour  rien.  Cependant, 
les  fonctionnaires  de  l'office,  ainsi  que  d'autres  personnages  influents  du 
régime  paraissent  avoir  disposé  des  plus  beaux  meubles  en  leur  faveur 
personnelle. 

En  ce  qui  concerne  la  distribution  des  matériaux  nécessaires  à  la 
production  industrielle,  elle  incombait  d'abord  à  un  Comité  supérieur 
qui  en  arrêtait  les  principes,  puis  aux  comités  créés  pour  les  princi- 
pales catégories.  Ainsi  il  y  eût  des  offices  de  distribution  pour  les  fers, 
les  combustibles,  les  métaux,  les  matières  textiles,  les  vêtements,  13 
offices  pour  les  divers  produits  manufacturés,  un  office  pour  le  matériel 
de  l'hygiène  etc. 

On  devine  sans  difficulté  que  le  fonctionnement  de  cette  organi- 
sation devait  être  forcément  laborieux  et  compliqué.  En  premier  lieu 
pour  les  usines  qui,  ayant  besoin  de  nombreux  produits,  se  voyaient 
obligées  de  partir  à  la  découverte  des  bureaux  de  tous  ces  offices  et 
devaient  solliciter,  pour  le  moindre  article,  des  bofls  de  livraison, 
découvrir  ensuite  les  dépôts  dispensateurs  des  articles  en  question, 
mais  dépourvus  du  nécessaire  la  plupart  du  temps. 

Il  est  vrai  que,  en  attendant  l'organisation  définitive  du  régime, 
ces  dépôts  étaient  gérés  par  des  commerçants  appelés  à  disparaître  et 
à  être  dépossédés;  il  est  donc  naturel  qu'ils  mettaient  peu  d'empres- 
sement à  livrer  à  des  prix  dérisoires  les  marchandises  qu'ils  avaient 
payées  assez  cher. 

Dans  la  plupart  des  cas,  les  bons  de  livraison  étaient  de  simples 
chiffons  de  papier  et  les  usines,  qui  manquaient  de  telle  matière,  chômaient 
pendant  des  jours  et  des  semaines;  cette  circonstance  ne  devait  pas 
les  empêcher  d'ailleurs  de  payer  aux  ouvriers  les  gros  salaires  stipulés. 

La  petite-industrie  n'était  pas  bien  vue  par  le  régime  qui  avait  en 
horreur  ces  „ patrons"  que  Ton  ne  pouvait  encore  socialiser.  Aussi  les 

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Les  deux  Hollâns  jetés  dans  le  Danube,  en  22  avril  lyiy. 


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offices  de  distribution  usaient-ils  de  tous  les  prétextes  permettant 
d'éconduire  les  artisans  qui  sollicitaient  des  matériaux.  En  revanche, 
mon  cordonnier,  mon  tailleur,  mon  menuisier  n'acceptaient-ils  aucune 
commande,  sauf  le  Ccis  où  je  leur  fournissais  la  matière  première  et 
les  accessoires  indispensables.  On  reconnaîtra  que  cette  manière  d'agir 
favorisait  étrangement  la  production.  Le  14  juillet  un  orateur  exposait 
en  séance  du  Conseil  d'économie  publique  que  la  distribution  des 
matières  „se  faisait  très  lentement,  avec  des  pertes  énormes  de  temps 
et  beaucoup  de  travail  stérile".  Il  s'en  prit  aux  sabotage  des  commer- 
çants, mais  il  dut  admettre  aussi  que  le  personnel  distributeur  avait 
été  recruté  en  observation  des  principes  politiques  et  non  en  raison  de 
la  compétence  des  candidats;  parce  que  les  hommes  rompus  au  métier 
n'inspiraient  pas  la  confiance  politique  voulue. 

Un  autre  orateur  expliquait  l'échec  des  offices  distributeurs  par 
„le  manque  de  sens  moral  et  de  scrupules"  ainsi  que  par  de  nombreux 
abus  qui  révoltaient  jusqu'aux  ouvriers  eux-mêmes;  et  à  un  point  tel 
que  les  commerçants  dépossédés,  les  petits-industriels  persécutés 
pouvaient  concevoir  la  légitime  espérance  de  voir  le  régime  s'écrouler 
bientôt,  grâce  à  ses  propres  fautes,  ce  qui  leur  permettrait  de  reprendre 
possession  de  leurs  fonds  de  commerce. 

Les  commissaires  s'en  doutaient  bien  un  peu  et  se  livraient  à 
de  nouveaux  efforts  pour  étayer  leur  régime  par  une  centralisation  plus 
rigoureuse  encore  de  la  production.  Ils  eurent  recours  au  raisonnement 
des  grands  trusts  et  expliquèrent  que,  pour  être  économique,  la  pro- 
duction devait  être  centralisée.  Mais  le  vrai  motif  qui  les  inspirait  fut 
d'en  faciliter  le  contrôle.  Pour  y  arriver,  ils  supprimèrent  des  centaines 
d'ateliers  et  de  petits  magasins,  espérant  de  la  sorte  enlever  à  leurs 
propriétaires  tout  espoir  de  retour  à  leur  droit  et  à  leur  propriété. 

Le  résultat  fut  un  desastre  pour  ...  les  acheteurs,  tant  pro- 
létaires que  bourgeois  :  tous  durent  faire  la  queue  devant  les  rares 
offices  de  distribution  et  attendre  de  longues  journées  avant  de  pouvoir 
acheter  une  paire  de  souliers,  une  casquette,  un  chapeau,  une  cravate, 
un  canif,  ou  les  cent  autres  choses  dont  ils  avaient  besoin. 

Le  problème  de  la  distribution  des  biens  était  d'autant  plus 
laborieux  que  le  blocus,  infligé  à  la  Hongrie  pendant  les  quatre  années 

61 


de  la  guerre,  avait  vidé  les  rayons  des  magasins  et  que  l'industrie^ 
disloquée  par  le  nouveau  régime,  était  manifestement  impuissante  à 
satisfaire  les  besoins  pressants  du  public.  Les  demandes  devenaient  si 
impétueuses  qu'il  fallait  les  enrayer.  Alors  on  imagina  un  moyen  assez 
simple  :  on  décréta  que  les  magasins  ne  délivreraient  des  marchandises 
qu'aux  travailleurs  syndiqués.  Tout  pour  l'ouvrier!  disait-on.  Mais 
comme  presque  tout  le  monde  s'était  empressé  d'adhérer  à  quelque 
syndicat,  on  décrétait  que  l'achat  de  chaque  objet  devait  être  autorisé 
par  un  organe  du  soviet.  Les  locataires  furent  sommés  d'avoir  à  élire 
pour  chaque  maison  de  rapport  un  „homme  de  confiance"  ;  celui-ci 
devait  être  un  ouvrier  manuel  ou,  à  défaut,  socialiste  de  la  veille. 
C'est  à  dire  :  un  homme  ayant  adhéré  au  parti  socialiste  non  pas  sous 
la  pression  de  la  révolution,  mais  en  1918  déjà.  Il  en  résulta  que  le 
locataire  qui  avait  besoin  d'une  aiguille,  d'une  pelote  de  fil,  d'une 
paire  de  souliers,  d'une  cuiller  ou  d'un  objet  quelconque,  devait  obtenir 
l'autorisation  de  «l'homme  de  confiance  de  sa  maison",  pour  faire  la 
queue  devant  l'office  de  distribution  .... 

Encore  qu'absurde,  ce  procédé  constituait  un  excellent  moyen 
pour  chicaner  le  bourgeois  et  même  le  travailleur  qui  s'était  avisé  de 
formuler  une  critique  sur  les  abus  et  les  faits  imputés  au  régime.  Or, 
ces  critiques  devenaient  de  plus  en  plus  fréquentes,  chaque  jour  un 
peu  plus  vives.  Sans  doute,  les  ouvriers  touchaient  de  gros  salaires, 
mais  en  revanche  on  ne  leur  donnait  presque  rien  pour  leur  argent. 
D'abord  parce  que  le  commerce,  réduit  à  l'impuissance  et  voué  à  la 
ruine,  ne  pouvait  rien  importer  de  l'étranger.  Ensuite,  parce  que 
l'industrie,  paralysée  du  fait  des  énormes  frais  de  revient,  délaissée 
par  les  ouvriers  appelés  à  remplir  des  milliers  de  postes  de  confiance, 
ne  livrait  presque  rien.  Enfin,  parce  que  l'argent  se  dépréciait  à  une 
allure  vertigineuse. 

Or,  cette  dépréciation  avait  été  prévue;  bien  plus,  elle  figurait  même 
au  nombre  des  théories  communistes  comme  un  but  qu'il  fallait  atteindre. 
Le  capital  :  voilà  l'ennemi  qu'il  fallait  fraper  à  mort.  Tout  ouvrier  qui  ne 
dépensait  pas  tout  son  salaire  et  se  livrait  à  faire  des  économies  devint 
ipso  facto  suspect  de  vouloir  faire  revivre  le  capitalisme.  Le  bolchévisme 
n'a  pas  besoin  de  percevoir  des  impôts:  il  se  passe  des  capitaux  puisqu'il 

62 


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AFFICHES  BOL-    «   /C^v^  fv 
CHÉVISTES.  V  El  D  1/ 


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Défendez 
le  règne  des 
Prolétaires. 


4  PROLEIAROK  HATALMAT 


Ziiamgp^rozi 


Infâmes!  c'est 
cela  que  vous 
avez     voulu. 


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dispose  de  tous  les  moyens  de  production  et  se  procure,  sans  bourse 
délier,  tout  ce  dont  il  a  besoin.  Un  des  premiers  décrets  financiers  du 
régime  bolchéviste  stipulait  l'exemption  d'impôts  de  toute  propriété 
rurale  de  moins  de  50  hectares.  N'osant  pas  effaroucher  les  masses  pay- 
sannes, le  régime  renonçait,  de  coeur  léger  à  une  des  plus  importantes 
sources  de  revenus,  attendu  que  50  hectares  de  bonne  terre  hongroise 
représentaient  à  cette  époque  près  d'un  million  de  couronnes  et  rappor- 
taient, grâce  aux  prix  surélevés  des  produits  alimentaires  du  sol,  cent 
mille  couronnes  au  moins  par  an.  Le  régime  avait  socialisé  toutes  les 
usines,  ces  excellents  contribuables;  mais  ces  usines  travaillaient,  nous 
l'avons  constaté  déjà,  avec  des  pertes  effarantes  et  se  précipitaient  vers 
la  ruine  complète  à  une  vitesse  plus  effarante  encore.  Le  régime  avait 
exproprié  les  propriétés  bâties  ;  mais  comme  les  grands  appartements  qui 
rapportaient  les  gros  loyers  avaient  été  réquisitionnés  pour  les  familles 
prolétaires,  que  d'autre  part  le  régime  s'était  empressé  d'abaisser  les 
loyers  des  petits  logements,  les  seuls  qui  devaient  subsister  d'ailleurs, 
les  maisons  de  rapport  ne  produisaient  presque  plus  rien.  Le  régime 
avait  bien  confisqué  les  trésors  des  bijoutiers,  mais  il  ne  trouvait  pas 
d'acquéreurs  pour  les  bijoux.  En  province  on  rançonnait  bien  les  richards 
dont  on  avait  trouvé  les  noms  et  les  adresses  sur  les  registres  des  receveurs 
de  contribution,  mais  ces  rafles  s'opéraient  au  profit  des  soldats  rouges 
improvisés  percepteurs  ...  La  douane  ne  rendait  rien,  nul  ne  voulant 
importer  dans  un  pays  oii  le  gouvernement  confisquait  tous  les  stocks 
des  commerçants.  Le  commissariat  de  la  production  socialiste  eut  beau 
organiser  un  Office  du  Commerce  extérieur  qui  devait  importer  des 
marchandises  étrangères:  ces  marchandises  ne  pouvaient  sortir  de  leurs 
pays  d'origine  qu'en  contrebande.  Une  enquête  faite  sur  la  gestion  de 
cet  office  établit  que  le  chef  en  avait  confié  à  ses  amis  des  centaines 
de  millions  en  vue  d'achats  à  faire  en  Autriche  et  ailleurs  ;  mais  ces  amis, 
empêchés  de  remplir  leur  mission,  avaient  souvent  négligé  de  rendre 
les  grosses  sommes  confiées  à  leur  probité. 

Or,  le  régime  éprouvait  un  besoin  urgent  pour  cet  argent  à  l'en- 
droit duquel  il  affectait  un  si  profond  mépris:  les  usines,  qui  produi- 
saient peu,  n'en  payaient  pas  moins  de  gros  salaires;  les  fonctionnai- 
res convaincus  s'occupaient  de  politique,  les  autres,  qui  appartenaient  à 

5  65 


l'ancien  régime,  pratiquaient  le  sabotage  ou  furent  écartés.  En  tout  état 
de  cause,  ceux-ci  comme  ceux-là  tenaient  à  toucher  de  gros  appointe- 
ments. Les  gens  de  la  garde-rouge,  qui  devaient  étouffer  toute  velléité 
contre-révolutionnaire  de  la  bourgeoisie,  ainsi  que  les  soldats  de  l'armée 
rouge  qui,  après  quatre  années  de  guerre  mondiale  avaient  pour  charge 
de  faire  la  petite  guerre  aux  Tchèques,  Serbes  et  Roumains  et  devaient, 
au  surplus,  tenir  en  échec  les  masses  mécontentes  de  la  population 
urbaine,  ne  pouvaient  se  contenter  de  la  solde  dérisoire  d'autrefois  (on 
connaît  le  vers:  „Au  service  de  l'Autriche,  le  militaire  n'est  pas  riche!"); 
aussi  demandaient-ils  à  être  payés  au  même  taux  que  les  ouvriers  d'usine. 
On  leur  versait  donc  solde  et  salaires  sans  sourciller. 

La  propagande  politique  dans  le  pays  et  à  l'étranger  absorbait,  elle 
aussi,  de  fortes  sommes  ;  la  majeure  partie  des  fonds  alloués  aux  com- 
missariats de  l'instruction  publique,  des  affaires  intérieures,  et  de  la 
production  socialiste  s'abîmait  dans  ce  gouffre  sans  fond. 

Finalement,  le  commissaire  des  finances  aux  abois  proposait  à  la  séance 
du  12  juin  du  Congrès  des  Soviets  de  frapper  de  taxes  de  consommation 
très  élevées  :  le  pain,  la  viande,  les  comestibles  :  c'est  à  dire  :  il  rétablit 
précisément  les  taxes  que  les  socialistes  avaient  combattues  de  tout 
temps  comme  anti-sociales,  parce  qu'elles  grevaient  les  petites-existences 
beaucoup  plus  lourdement  que  les  gens  à  fortune.  Il  est  juste  de  dire 
que,  dans  la  pensée  du  commissaire  Jules  l,engyel,  ces  taxes  étaient 
appelées  à  ne  grever  que  les  bourgeois  et  à  offrir  un  excellent  moyen 
pour  les  saigner  à  blanc.  Heureusement,  le  citoyen  Lengyel  n'eut  pas 
le  loisir  de  réaliser  sa  belle  idée. 

Le  moyen  dont  le  bolchévisme  hongrois  a  usé  pour  se  tirer  d'em- 
barras est  universellement  connu:  il  fabriquait  des  milliards  de  faux 
billets.  Et  comme  il  était  pressé,  il  interdit  rigoureusement  toute  tenta- 
tive de  grève  dans  les  imprimeries  chargées  de  la  fabrication  des  faus- 
ses coupures  de  la  Banque  d'Autriche-Hongrie  et  des  billets  fiduciaires 
émis  par  la  Caisse  d'Epargne  Postale. 

Mais  comme  ces  billets  n'étaient  couverts  par  aucune  en  aisse 
métallique,  le  public  les  refusait.  Alors  on  les  lui  imposait  par  voie  de 
décret.  On  s'abstint  toutefois  de  créer  une  loi  sur  cette  transaction  qui 
émit  des  billets  fiduciaires  jusqu'à  concourence  de  près  de  six  milliards 

66 


de  couronnes.  On  décréta  même  que  ces  coupures,  c'est  à  dire  :  les  billets 
blancs,  formeraient  la  seule  monnaie  fiduciaire  ayant  cours  légal;  qui- 
conque refuserait  de  les  accepter  ou  exigerait  en  payement  les  anciennes 
coupures  (les  billets  bleus),  encourait  la  confiscation  de  son  argent,  de 
fortes  amendes  et  la  prison.  A  maintes  reprises,  la  garde-rouge  fouillait 
à  l'improviste  les  passants  dans  la  rue  et  confisqua  leurs  billets  bleus. 
Les  journaux  du  régime  démontraient  au  public  que  les  billets  blancs 
avaient  pour  base  tous  les  immeubles  socialisés  du  pays  et  représen- 
taient, par  conséquent,  une  valeur  plus  réelle  que  les  billets  de  la 
Banque  d'Autriche-Hongrie.  Néanmoins,  les  paysans  refusaient  d'accep- 
ter les  billets  blancs  et  exigeaient  que  l'on  payât  les  vivres  en  billets 
bleus.  Les  bolchévistes  n'osant  pas  appliquer  leurs  décrets  dans  les 
campagnes,  les  soldats  et  les  ouvriers  d'usines  métallurgiques  ne  tar- 
dèrent pas  d'exiger  leurs  salaires  en  billets  bleus  ;  les  seuls  qui  eussent 
cours  dans  les  campagnes.  De  leur  côté,  les  commissariats  ramassaient 
tous  les  billets  bleus  qu'ils  pouvaient  accaparer,  car  la  propagande 
politique  à  l'étranger  ne  pouvait  se  faire  qu'au  moyen  des  coupures 
bleues. 

Ci-après  nous  reproduisons  un  relevé  officiel  de  la  gestion  des 
finances  publiques  de  la  république  des  soviets  *  hongrois  pendant  les 
133  jours  de  sa  durée: 

Recettes  Dépenses 

en  couronnes 

Présidence 305,000  3.498,000 

Dette  publique 1.892,000  31.680,000 

Petits  commissariats  (justice,  nationalités) 13.388,000  74.586,000 

Commissariat  des  Affaires  étrangères 777,000  10.623,000 

Commissariat  des  Affaires  intérieures  (sourtout  la  pro- 
pagande)      3.232,000  195.713,000 

Commissariat  des  Finances  (impôts  perçus)      ....  260.706,000  189.365,000 

Commissariat  de  la  Production  socialiste 15.626,000  74.679,000 

Commissariat  de  l'Agriculture 75.659,000  88.407,000 

Instruction  publique  et  „comité  des  produits  de  presse" 

(Propagande  bolchéviste) 2.923,000  230.412,000 

Commissariat  de  la  Prévoyance  sociale 1.536,000  159.911,000 

Commissariat  de  la  guerre 114  770,000  3.307.372,000 

Garde-rouge .  2.817,000  514.162,000 

Totaux  du  budget  473.631,000  4.889.408,000 

5*  67 


Le  lecteur  aura  sans  doute  remarqué  que  les  recettes  n'ont  atteint 
que  4736  millions  et  que  le  militarisme  rouge  a  englouti  3'3  milliards 
sur  un  total  de  4*89  milliards  de  dépenses. 

Les  exploitations  en  régie  ont  donné  des  résultats  pitoyables  : 

Recettes  Dépenses 

Chemins  de  fer 71.300,000  667.600,000 

Postes  et  télégraphes 28.251,000  100.637,000 

Forges  de  l'État 77.411,000  84.463,0U0 

Les  Fondations 37.414,000  28.284,000 

Achats  et  ventes  en  commission  île  commerce  extérieur 

officiel) 26.369,000  1.486.826,000 

Fonds  de  roulement  (transitoires) 1.886  751,000  1.886.751,000 

Avances  aux  directoires  de  province 1.109,000  62.882,000 

On  voit  que  le  déficit  a  atteint  près  de  6  milliards.  On  l'a  comblé  par 
des  emprunts  (extorques  à  la  Banque  d'Autriche-Hongrie,  billets  blancs  et 
autres)  jusqu'à  concurrence  de  6,500.000,000  couronnes. 

C'était  claire  comme  le  bon  jour  ! 


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Assassinat  du  général  de  brigade  Oscar  Ferry  et  trois  autres  officiers 
supérieurs  de  la  gendarmerie. 


ADMINISTRATION,  JUSTICE,  VIE  INTELLECTUELLE  ET 
APPROVISIONNEMENT. 

Nous  avons  présenté  le  régime  économique,  le  bien  être  matériel 
que  la  république  des  soviets  assurait  si  peu  à  la  population.  Le 
moment  est  venu  de  parler,  au  moins  sommairement,  des  autres 
branches  de  la  vie  publique,  du  milieu  moral  et  intellectuel  créé  par 
le  bolchévisme. 

Mais  avant  de  passer  à  cet  exposé,  quelques  mots  de  rigueur  sur 
les  dirigeants.  Nous  avons  déjà  dit  que  le  chef  du  gouvernement, 
Alexandre  Garbai,  se  bornait  à  régner  sans  gouverner.  Avant  la  guerre, 
ce  maître  ouvrier-maçon  fut  un  des  principaux  orateurs  aux  réunions 
socialistes;  on  avait  besoin  de  son  autorité  pour  rassurer  les  ouvriers 
sérieux.  Se  prêtant  à  ce  rôle,  il  fut,  au  demeurant,  l'instrument  du 
véritable  chef:  de  Bêla  Kun  (Kohn).  Celui-ci  assuma  la  direction  des 
affaires  étrangères,  charge  d'autant  plus  importante  que  le  Soviet  hongrois 
se  considérait  comme  simple  membre,  sorte  de  section  de  la  Troisième 
Internationale.  Journaliste  de  profession,  il  avait  été  adjoint  de  Lénine 
qui  le  dépêcha  en  Hongrie  à  l'effet  d'y  frayer  le  chemin  à  la  révolution 
universelle.  Fidèle  exécuteur  des  ordres  venus  du  Soviet  moscovite,  il 
dirigeait  le  mouvement  avec  un  courage  et  une  décision  farouches, 
inébranlables.  N'ayant  rien  à  perdre  et  un  monde  à  gagner,  il  voulait 
briser,  par  tous  les  moyens  à  sa  disposition,  toute  tentative  de  résistance. 
C'est  en  prison  qu'il  réussit  à  s'emparer  du  pouvoir.  Inutile  de  parler 
plus  longuement  de  lui  ;  qu'il  suffise  de  savoir  que  c'était  lui  qui 
inspira  presque  toutes  les  mesures  déjà  exposées,  qu'il  personnifiait  le 
régime.  Il  est  l'objet  de  ce  livre  tout  entier. 

Après  lui  vint  Eugène  Landler,  un  des  rares  intellectuels  du  régime, 
avocat  de  profession  et  défenseur  légal  attitré  des  communistes,  jusques 

71 


et  y  compris  Bêla  Kun.  Au  début,  on  lui  confia  les  affaires  intérieures 
qu'il  abandonna  pour  les  chemins  de  fer,  pour  les  troquer  ensuite 
contre  de  commandement  d'un  corps  d'armée.  Finalement  il  fut  nommé 
généralissime  de  l'armée  rouge. 

Aux  affaires  intérieures,  on  lui  adjoignait  Bêla  Vâgô,  qui  connais- 
sait le  pays  pour  avoir  été  employé  —  dans  les  bureaux  de  l'admini- 
stration d'un  journal. 

L'agriculture  eut  à  sa  tête  un  collège  de  quatre  membres:  un 
poète  rural,  Alexandre  Csizmadia,  bientôt  mis  à  la  porte  parce  qu'il 
n'avait  pas  assez  d'entendement  pour  les  beautés  du  régime;  Georges 
Nyisztor,  ouvrier  agricole  à  la  journée,  qui  s'était  complu  à  beaucoup 
pérorer  dans  les  réunions  populaires  ;  Charles  Vantas,  agitateur  com- 
muniste et  Eugène  Hamburger  qui,  secrétaire  général  du  parti  socialiste, 
s'était  distingué  par  ses  harangues  aux  travailleurs  de  la  terre. 

Faute  de  spécialiste,  la  gestion  des  finances  incomba  à  Eugène 
Varga  qui  avait  enseigné  l'histoire  dans  un  lycée.  Un  autre  professeur 
de  lycée,  Sigismond  Kunfi  (Kunstâdter),  devint  commissaire  pour 
l'instruction  publique  du  fait  d'avoir  livré  le  pouvoir  à  Béla  Kun.  Il  ne 
tardait  cependant  pas  de  se  voir  supplanté  par  son  propre  substitut: 
George  de  Lukàcs,  fils  d'un  richissime  directeur  de  banque,  qui  ambition- 
nait la  haute  direction  de  la  vie  scientifique,  littéraire  et  artistique. 
Pendant  quelque  temps,  ces  deux  coryphées  eurent  pour  collègues 
Tibor  Szamaelly,  héros  du  chapitre  suivant,  et  Alexandre  Szabados, 
ancien  directeur  du  journal  socialiste,  qui  se  chargeait  d'organiser  la 
^production  littéraire"  se  bornant  d'ailleurs  à  la  propagande  commu- 
niste. Désiré  Bokànyi,  ex-tailleur  de  pierres  et  orateur  consacré  des 
palabres  socialistes,  s'improvisait  commissaire  pour  la  prévoyance  sociale, 
et  Pierre  Àgoston,  professeur  de  droit,  se  contentait  d'être  l'adjoint  de 
Béla  Kun  aux  affaires  étrangères.  Joseph  Pogàny  (Schwarcz),  journaliste 
insignifiant  qui,  s'étant  introduit  au  service  de  presse  du  Grand  État- 
Major  pendant  la  guerre,  en  avait  profité  pour  désorganiser  l'armée 
en  y  sapant  la  discipline,  cause  principale  du  succès  de  la  révolution 
Kârolyi.  Il  était  donc  tout  indiqué  pour  devenir  commissaire  pour  la 
Guerre.  Béla  Szdntô,  auquel  se  joignit  plus  tard  Tibor  Szamuelly, 
furent  ses  substituts   et   devinrent  les  acteurs  les  plus  sanguinaires  du 

72 


bolchévisme  hongrois.  Les  services  judiciaires  sont  supprimés,  mais  on 
désigne  un  commissaire  pour  la  justice  :  Zoltàn  Rônai  qui,  par  excep- 
tion —  est  homme  de  métier.  Guillaume  Bôhm,  qui  avait  été  monteur 
de  machines  à  coudre,  devient  commissaire  de  la  production  socialiste , 
d'abord,  puis  ministre  de  la  guerre,  ensuite  général-en-chef  de  l'armée 
rouge  et,  enfin,  «envoyé  extraordinaire"  de  la  république  hongroise 
près  de  la  république  de  l'Autriche-AUemande. 

Pas  de  spécialiste  expert  dans  les  commissariats:  telle  était  le 
mot  d'ordre  ;  il  suffisait  d'être  communiste  pour  avoir  qualité  de  figurer 
à  la  tête  des  départements  administratifs:  puisqu'il  ne  s'agissait  que 
de  destruction  .... 

Les  seize  commissaires  avec  leurs  treize  substituts  constituaient 
le  „Conseil  de  gouvernement''  qui  usurpait  le  pouvoir  au  profit  exclusif 
de  la  classe  ouvrière  de  Budapest.  Celle  ci  jouissait  de  tous  les  privi- 
lèges et  tyrannisait  toutes  les  autres  couches  et  classes  sociales  de  la 
nation.  La  dictature  du  prolétariat  urbain  :  tel  était  le  principe  unique 
qui  régit  la  Hongrie.  Une  fraction  infime  s'arrogeait  tous  les  droits  de 
la  souveraineté  populaire. 

La  justice,  cette  base  fondamentale  de  tout  État,  se  voyait  travestie 
en  carricature  par  le  fait  que,  la  majorité  du  peuple  étant  privée  de 
tous  droits,  la  fraction  dominante  exerçait  une  dictature  sans  bornes 
et  absolument  arbitraire.  Les  juges  experts  en  jurisprudence  sont 
renvoyés  et  les  services  judiciaires  transmis  à  137  Jribunaux  révolution- 
naires" ;  les  juges  communistes,  tous  analphabètes,  ne  connurent  d'autre 
loi  que  l'intérêt  du  prolétariat,  aucune  criminalité  sinon  celle  des 
contre-révolutionnaires,  des  bourgeois  et  paysans  osant  critiquer  la 
dictature. 

Les  faits  que  les  lois  séculaires  de  tous  les  pays  désignent  comme 
crimes  changeaient  de  caractère  :  la  spoliation  d'un  bourgeois  commise 
au  profit  soit  de  la  communauté,  soit  d'un  individu  prolétaire,  devint 
une  vertu,  un  acte  louable  tendant  à  détruire  le  capitalisme,  but 
suprême  vers  lequel  gravitaient  tous  les  efforts  du  bolchévisme.  Le  vol, 
le  cambriolage,  la  fraude  et  l'assassinat  étaient  flétris  comme  actes 
criminels;  à  moins,  toutefois,  d'avoir  profité  au  prolétariat.  Quant  aux 
crimes  perpétrés  avant  l'avènement  du   bolchévisme,  ils  furent  déclarés 

73 


^altribuables  aux  abus  de  l'ancien  régime".  Sur  16,143  procès  criminels 
en  cours  13,812  furent  annullés  sous  prétexte  que  les  inculpés  ou 
condamnés  avaient  été  „ victimes  du  capitalisme".  Et  à  ce  titre,  les 
détenus  des  maisons  de  force  et  autres  établissements  pénitentiaires  se 
voyaient  relâchés.  Au  surplus,  les  juges  des  tribunaux  révolutionnaires 
manquaient  plutôt  d'orientation  sur  la  criminalité  :  tel  pickpocket  se  vit 
condamné  à  mort,  alors  que  tel  voleur  à  la  tire  en  fut  quitte  pour  une 
simple  admonestation;  tel  bourgeois  surplis  en  état  d'ivresse  endossait 
8  ans  de  prison  ou  500,000  couronnes  d'amende  ;  des  gens  qui  avaient 
osé  émettre  un  avis  défavorable  sur  le  régime  ou  sur  Bêla  Kun,  se 
voyaient  infligés  5,  8,  et  même  15  années  de  travaux  forcés.  Un  officier 
de  la  garde-rouge  qui  voulait  maintenir  la  discipline  entre  ses  subor- 
donnés, eut  8  années  de  travaux  forcés  en  récompense.  Tous  les  juge- 
ments étaient  prononcés  sans  instruction  au  préalable:  le  président 
accordait  une  minute  à  la  défense;  à  moins  que  le  défenseur  ne 
s'évertuât  à  mettre  en  relief  des  circonstances  aggravantes  pour  le 
bourgeois  inculpé.  Au  contraire,  tel  soldat  de  la  garde-rouge  qui  avait 
tué  un  enfant  pris  en  flagrant  délit  de  vol  de  quelques  branches  de 
bois,  ou  le  fonctionnaire  bolchéviste  qui  avait  mis  à  sac  l'appartement 
réquisitionné  d'un  bourgeois,  furent  acquittés.  Les  tribunaux  ne  con- 
naissaient qu'une  seule  prescription;  faire  montre  d'une  extrême  indul- 
gence pour  les  prolétaires  et  demeurer  intraitable  envers  les  bourgeois. 
La  procédure  était  absolument  arbitraire,  puisque  toutes  les  lois  avaient 
été  abolies.  Le  sort  d'un  accusé  dépendait  de  la  bonne  ou  de  la 
mauvaise  humeur  des  juges  qui  s'amusaient  pendant  les  audiences  à 
débiter  de  rudes  propos  prétendus  plaisants;  à  l'adresse  du  bourgeois 
bien  entendu.  Il  convient  de  reconnaître  cependant  que  le  travail  était 
expéditif .  La  dénonciation  d'un  prolétaire  quelconque  suffisait  pour  traduire 
le  bourgeois  en  justice,  pour  le  juger  (sans  instruction)  et  pour  l'exécuter 
dans  les  24  heures.  Il  n'y  eut  des  retards  que  dans  les  cas  oii  l'accusé 
était  censé  avoir  connaissance  d'une  des  conspirations  que  le  bolché- 
visme  ombrageux  soupçonnait  innombrables,  et  semblait  fournir  ainsi 
des  motifs  suffisant  à  un  sursis.  Dans  ce  cas  les  gens  de  la  garde- 
rouge  appliquèrent  à  l'accusé  les  tortures  les  plus  atroces  du  moyen- 
âge  pour  lui  extorquer  des  jjaveux". 

74 


Exécution  d'un  paysan  contre-révolutionnaire. 
Phot.  :  „Érdekes  Ujsâg'  Budapest  (Hongrie). 


75 


Exécution  d'un  contre-révolutionnaire  devant  le  monument  de  Kossutii  à 

Kecskemét. 
7q  Phot.  :  „Érdekes  Ujsâg"  Budapest  (Hongrie) 


Ici  nous  touchons  à  la  limite  de  ce  qui  s'appelait  le  service  judi- 
ciaire du  bolchévisme,  car  ces  supplices  faisaient  déjà  partie  du  système 
de  terreur  que  nous  allons  traiter  dans  un  chapitre  spécial. 

Nous  ne  parlerons  pas  des  tribunaux  civils;  nous  avons  déjà  fait 
connaître  la  mentalité  du  bolchévisme:  la  propriété  c'est  le  vol.  D'après 
cet  axiome,  le  code  civil  devait  être  mis  sens  dessus-dessous  et  le  monde 
complètement  renversé.  Le  créancier  qui  s'avisait  de  devenir  demandeur, 
devint  ipso  facto  un  accusé.  On  dissimulait  ce  principe  sous  la  thèse 
suivante:  „ l'individu  qui  ne  travaille  pas,  n'a  aucun  droit  de  posséder 
quoi  que  ce  soit;  cette  propriété  fut-elle  le  résultat  d'une  vie  de  travail". 

Bref,  le  bolchévisme  s'acharnait  contre  toutes  les  institutions  du 
passé,  s'en  prit  jusqu'à  l'institution  de  la  famille  en  déclarant  que  l'en- 
fant illégitime  devait  être  mis  au  pied  d'égalité  avec  l'enfant  légitime  ; 
et  en  occupant  ce  point  de  vue  il  arriva  à  la  conclusion  stupéfiante  que 
le  concubinage  était  légal  au  même  degré  que  le  mariage  conclu  en 
bonne  et  due  forme.  Ses  tribunaux  se  contentaient  du  moindre  pré- 
texte invoqué  par  le  mari  pour  prononcer  le  divorce  tout  aussitôt  .  .  . 
Il  propageait  ces  principes  dans  les  écoles  déjà  oii  l'on  s'appliquait  à 
^éclairer"  les  garçons  et  les  fillettes^  sur  la  vie  sexuelle,  à  les  exciter 
contre  leurs  parents,  «bourgeois  à  mentalité  dessuète". 

Inutile  de  dire  que  l'enseignement  religieux  fut  entièrement  sup- 
primé; les  religieuses  furent  expulsées  non  seulement  de  leurs  écoles, 
mais  aussi  de  leurs  institutions  de  charité.  Elles  n'y  étaient  tolérées  qu'à 
la  condition  de  renier  leur  voeu  religieux  et  leur  voeu  de  . .  .  chasteté  .  .  . 
Celles  d'entre-elles  qui  n'y  obtempéraient  que  pour  la  forme  durent 
s'exécuter  pour  de  bon  !  .  .  . 

Constatons  encore  en  passant  que  le  viol  des  femmes  et  des  jeunes 
filles  se  pratiquait  fréquemment  et  leurs  auteurs,  les  terroristes,  n'en  furent 
aucunement  inquiétés  lorsqu'il  s'agissait  de  bourgeoises  ou  de  paysannes 
contre-révolutionnaires. 

Comment  se  fait-il,  demandera  le  lecteur,  —  que  le  peuple  hon- 
grois ait  toléré,  ne  fût-ce  que  pendant  des  semaines,  un  régime  qui 
commit  pareilles  atrocités.?  Nous  y  repondrons  dans  le  chapitre  qui  traitera 
de  la  terreur  rouge.  Qu'il  suffise  de  constater  cependant  que  le  grand 
public  ignorait  alors  la  plupart  de  ces  abus  révoltants.  On  chuchotait 

77 


beaucoup  il  est  vrai,  mais  on  le  fit  avec  une  fouie  de  précautions,  car 
le  régime  avait  à  sa  solde  des  espions  qui  formaient  légion  et  infes- 
taient non  seulement  les  rues,  mais  encore  les  maisons  et  appartements 
particuliers.  Les  «hommes  de  confiance",  les  employés  de  ménage,  les 
concierges,  les  desservants  des  cafés  et  restaurants  étaient  presque  tous 
disposés  à  dénoncer  leurs  bourgeois  et  à  les  livrer  aux  tribunaux  révolu- 
tionnaires. Les  faits  cités  plus  haut  ont  été  constatés  au  cours  des  enquê- 
tes après  la  chute  du  bolchévisme,  aux  audiences  publiques  lorsque 
l'on  fit  leur  procès  aux  communistes. 

La  presse,  à  laquelle  eût  incombé  le  devoir  de  révéler  ces  igno- 
minies, était  impuissante:  le  bolchévisme  avait  eu  soin  de  la  réduire 
au  mutisme  le  plus  complet.  Pour  commencer,  il  lui  imposa  une  censure 
d'une  sévérité  draconienne.  C'était  là  d'ailleurs  un  procédé  dont  on  avait 
usé  souvent  au  cours  de  la  guerre,  lorsque  la  censure  militaire  suppri- 
mait non  seulement  toute  allusion  à  une  défaite  subie,  mais  aussi  toute 
indiscrétion  sur  des  abus  commis  autour  les  fournitures  militaires.  Cepen- 
dant, loin  de  se  contenter  de  supprimer  toute  critique  de  ses  faits  et 
gestes,  le  bolchévisme  obligeait  encore  les  journaux  à  publier  des  articles 
écrits  par  le  „ bureau  de  presse"  et  è  les  faire  signer  par  l'un  ou  l'autre  des 
rédacteurs  qui  avaient  signé  dans  le  journal  les  articles  parus  avant  un  an. 

On  ne  saurait  dénier  toute  ingéniosité  à  cette  manière  de  se  faire 
glorifier  par  la  presse  adverse.  Les  journalistes  ayant  fini  par  protester 
contre  un  abus  de  pouvoir  qui  était  destiné  à  discréditer  les  hommes 
les  plus  estimés  de  la  presse  hongroise,  le  gouvernement  prit  le  parti 
de  supprimer  en  bloc  tous  les  Journaux  bourgeois  ;  non  seulement  les  orga- 
nes politiques  quotidiens,  mais  aussi  toutes  les  gazettes  et  revues  s'occu- 
pant  de  science,  de  littérature,  d'agriculture,  de  commerce,  d'industrie 
ou  de  sport.  Cette  tâche  achevée,  le  commissaire  de  l'instruction  pub- 
lique se  retourna  contre  l'Académie  des  Sciences  et  les  sociétés  scienti- 
fiques qu'il  entendait  également  inféoder  à  la  propagande  communiste. 

C'est  que  le  bolchévisme  parlait  énormément  de  la  nécessité  qu'il 
y  avait  d'éclairer  les  ouvriers  et  de  , féconder  la  production  au  moyen 
des  progrès  accomplis  par  la  science";  mais  il  avait  en  horreur  les 
intellectuels  bourgeois.  Il  voulut  bien  admettre  que  le  .travail  physique 
et  le  travail  intellectuel  étaient  de  valeur  égale,  mais  un  de  ses  comités 

78 


de  la  production  socialiste  se  ventait  dans  son  rapport  d'avoir  astreint 
à  des  travaux  physiques  quelques  milliers  d'ouvriers  intellectuels;  tels 
que  :  généraux,  juges  de  la  haute  cour,  avocats,  professeurs,  commer- 
çants etc.  dont  les  fonctions  antérieures  étaient  supprimées  sous  le 
régime  bolchéviste. 

Etrange  façon  d'activer  le  progrès  dans  les  sciences,  de  rehausser 
et  féconder  la  production  ! 

Il  nous  serait  facile  de  citer  des  centaines  de  faits  par  les 
quels  le  régime  bolchéviste  exaspérait  le  peuple  hongrois;  non  seule- 
ment les  classes  bourgeoises  et  le  peuple  des  campagnes,  mais  aussi 
les  ouvriers  qui  avaient  gardé  leur  bon  sens  et  leurs  sentiments  de 
patriotisme,  malgré  les  belles  promesses  communistes.  Mais  il  nous 
semble  que  les  faits  sommairement  exposés  ci-avant  suffiront  pour 
édifier  l'opinion  publique  de  l'Occident  sur  la  valeur  des  théories  bol- 
chévistes.  Pensant  alors  d'avoir  suffisamment  mis  en  éveil  l'attention  de 
ceux  qui  sont  appelés  à  étudier  ces  théories,  nous  avons  le  devoir  de 
leur  indiquer  les  sources  auxquelles  ils  pourront  puiser  pour  se  docu- 
menter à  fond  sur  les  tendances  et  les  méthodes  du  bolchévisme.  Ce 
sont  les  livres  que  M.  Charles  Huszdr,  ancien  président  du  conseil,  et 
M.  dr.  Gustave  Gratz,  actuellement  ministre  des  affaires  étrangères,  ont 
écrits  avec  le  concours  des  publicistes  les  plus  compétents  de  Hongrie. 
Nous  avons  dû  nous  borner  à  présenter  au  public  étranger  quelques 
aspects  du  bolchévisme  qui  rêve  de  renouveler  en  Occident  la  tentative 
qui  a  si  piteusement  échoué  en  Hongrie. 

Les  Hongrois,  qui  ont  passé  par  cette  maladie,  sont  immunisés 
contre  son  terrible  virus  en  raison  de  toutes  les  souffrances  qu'elle 
leur  a  values.  Cependant,  il  nous  faut  mentionner  encore  le  principal 
sujet  de  mécontentement,  celui  qui  finit  par  révolter  la  classe  ouvrière 
de  Budapest  même  :  il  s'agit  du  ravitaillement  public. 

Les  bolchévistes  soupçonnaient  le  danger  qui  menaçait  leur  régime 
de  ce  chef  et  confièrent  l'organisation  du  ravitaillement  public  à  M.  Maurice 
Erdélyi,  le  seul  homme  capable  et  intégre  du  régime.  Mais  les  efforts  que  fit 
cet  homme  intelligent  et  scrupuleux  demeuraient  stériles  devant  l'irré- 
médiable désarroi  que  le  système  avait  suscité  dans  la  production  agri- 
cole et  industrielle  autant  que  dans  les  finances  publiques.  Les  salaires 

79 


hors  de  proportion  que  les  ouvriers  prélevaient  sur  le  capital  et  sur  les 
réserves  des  entreprises  industrielles  et  commerciales  avaient  eu  pour 
résultat  immédiat  une  hausse  rapide  des  prix  dans  tous  les  articles. 
Et  cette  hausse  s'accéléra  encore  et  prit  une  allure  vertigineuse  au  fur 
et  à  mesure  que  se  dépréciait  la  monnaie  fiduciaire:  la  couronne.  Au 
début  du  régime,  cette  couronne  valait  encore  54  centimes;  à  sa  chute 
elle  s'était  abimée  à  4  centimes.  Le  régime  eut  beau  tenter  de  soutenir 
le  cours  de  la  couronne  par  la  force  brutale  de  ses  sbirres,  les  paysans 
refusèrent  obstinément  d'accepter  en  payement  les  coupures  blanches: 
les  bourgeoises,  qui  faisaient  le  pèlerinage  dans  les  campagnes  se  voyaient 
forcées  d'offrir  des  robes,  chemises,  jupons,  ustensiles  de  cuisine, 
matelas,  souliers  ou  tapis  pour  faire  l'acquisition  d'un  peu  de  viande, 
d'un  peu  de  lait  ou  de  quelques  fagots  de  chauffage.  Telle  paysanne 
exigeait  pour  son  dindon  „une  grande  boite  qui  fait  de  la  musique 
quand  on  tape  dessus"  ;  c'est  à  dire  un  piano  ! 

Le  pain  fut  rationné.  Les  arrivages  de  boeufs,  veaux,  moutons  et 
porcs  étant  devenus  de  plus  en  plus  rares;  il  fallait  fermer  les  portes 
des  boucheries  pendant  deux  et  même  trois  jours  de  la  semaine.  Plus 
tard  il  n'y  eut  plus  de  viande  du  tout.  Les  restaurants  à  la  mode  même 
ne  pouvaient  offrir  à  leurs  clients  que  des  légumes.  Et  quels  légumes!  De 
ceux  qui,  autrefois  figuraient  sur  les  menus  des  cabarets  de  bas  étage  ! 
Les  pâtes  cuites  à  l'eau,  mets  favoris  du  peuple  de  Budapest,  avaient 
disparu:  les  restaurants  manquant  de  farine,  de  sucre,  de  graisse  et  de 
beurre.  La  lait  devint  un  luxe:  il  n'y  en  eut  pas  même  assez  pour 
les  nourrissons  et  les  malades.  .  . 

La  garde-rouge  réquisitionnait  bien  dans  les  villages  quantités  de 
bétail,  de  graisse,  de  beurre,  de  lait;  cela  suffisait  tout  juste  pour  les 
commissaires,  leurs  adjoints  favoris  et  les  ouvriers  des  grandes  usines. 
Le  reste  de  la  population  mourait  de  faim  ;  les  ménagères  durent  faire 
la  queue  devant  les  rares  magasins  à  vivres  et  rentrer  bredouilles  la 
plupart  du  temps.  A  5  heures  du  soir,  les  gens  affamés  se  postèrent  à 
l'entrée  des  restaurants  pour  y  accaparer  une  ou  deux  places  et  avoir 
ainsi  le  droit  de  se  mettre  ...  à  la  queue  devant  les  guichets  où  l'on 
vendait  les  ,bons  à  manger  pour  un  plat  ou  deux".  Il  fallait  faire  vite, 
car  au  bout  de  trois  quarts  d'heures  il  ne  restait  plus   rien   pour   les 

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clients  attardés.  Comme  boisson  on  ne  servait-que  de  l'eau;  la  bière  et 
le  vin  étaient  prohibés. 

Le  menu  était  maigre;  en  revanche,  il  était  épicé  par  les 
grossiers  propos  des  desservants  qui  se  moquaient  des  clients  bour- 
geois et  leur  servaient  les  mets  sans  nappes  ni  serviettes.  Personne  n'y 
fit  attention:  les  bourgeois  et  leurs  dames  étaient  habitués  à  s'entendre 
insulter  par  les  prolétaires  de  tous  genres:  conducteurs  des  tramways, 
personnel  des  administrations  et,  surtout,  par  les  gens  de  la  garde-rouge. 
Que  de  fois  les  femmes  prolétaires  criaient  à  1'  oreille  de  dames  bien 
vêtues  qu'on  finirait  „par  leur  arracher  leurs  robes  de  velours,  leurs 
blouses  de  soie  et  leurs  chapeaux".  La  menace  dut  faire  rêver,  car  elle 
avait  été  suivie  d'exécution  assez  souvent  déjà  sous  le  régime  Kârolyi. 

Budapest  est  une  ville  qui  raffole  d'arts.  Dotée  d'une  dizaine  de 
théâtres  et  d'autant  de  caf es-concerts,  on  y  arrangeait  encore  chaque 
jour  plusieurs  grands  concerts  vocaux.  Le  bolchévisme,  qui  se  torturait 
le  cerveau  pour  inventer  tous  les  jours  une  nouvelle  chicane  à  l'adresse 
de  la  bourgeoisie,  décréta  soudain  que  les  théâtres,  les  cafés-concerts  et 
grands  concerts  étaient  réservés  aux  prolétaires  munis  de  la  fameuse 
carte  de  syndiqué.  Pour  consommer  des  gâteaux  dans  la  célèbre  confi- 
serie Gerbeaud  ou  se  promener  dans  la  ravissante  île  Ste  Marguerite, 
pour  prendre  un  bain  d'étuve  dans  les  grands  établissements  de  bains 
de  Budapest,  il  fallait  encore  exhiber  la  fatidique  carte  de  syndicaliste. 

Jadis,  les  bourgeois  et  bourgeoises  de  Budapest  avaient  contracté 
la  mauvaise  habitude  de  passer  leur  après-midi  et  leur  soirée  dans  les 
cafés;  le  bolchévisme  les  privait  même  de  cet  innocent  plaisir:  comme 
les  cafés  servaient  de  lieux  de  réunion  aux  bourgeois,  ils  durent  fermer 
leurs  portes  de  10  heures  du  matin  jusqu'à  16  heures  puis  à  20  heures. 
Dès  cette  heure,  les  rues  de  Budapest,  d'habitude  grouillant  de  gaité 
et  d'animation,  devenaient  désertes.  A  22  heures  il  fallait  éteindre  toute 
lumière  jusque  dans  les  appartements  privés.  Un  étudiant  en  médecine, 
Bêla  Madarâsz,  qui  préparait  son  examen  vers  minuit,  se  vit  entraîné 
au  poste  sous  l'inculpation  „d'avoir  fait  des  signaux  à  des  contre-révo- 
lutionnaires". Il  a  été  exécuté:  sa  petite  lampe  avait  fait  peur  au  bolché- 
vistes  ....  C'est  que  leur  conscience  s'alarmait  au  moindre  rayon  de 
lumière  .  .  .  

6*  83 


LA  TERREUR-ROUGE  ET  L'EUROPE. 

On  connaît  la  boutade  par  laquelle  Henri  Rochefort  débuta  dans 
la  presse  du  second  Empire:  „La  France  compte  40  millions  de  sujets, 
sans  compter  les  sujets  de  mécontentement".  Dans  la  petite  Hongrie 
bolchéviste,  ces  derniers  sujets  furent,  on  l'a  vu,  innombrables.  Et  il 
est  certain  que  les  sujets  mécontents  étaient  beaucoup  plus  nombreux 
que  les  prolétaires  qui  en  étaient  les  bénéficiaires. 

Bêla  Kun  l'avait  bien  prévu.  Aussi  décida-t-il  de  maintenir  son 
régime  par  la  terreur,  soutien  unique  des  minorités  tyranniques.  Dès 
le  début  il  avait  chargé  son  ami  Joseph  Cserni  d'organiser  un  corps 
de  gardes  appelés  à  terroriser  la  capitale.  Cserni  recruta  les  soldats 
communistes  les  plus  féroces  et,  enrôlant  des  malfaiteurs  que  le  régime 
avait  relâchés  des  maisons  de  force,  en  porta  l'effectif  successivement 
à  600  têtes.  La  troupe  portait  le  nom  suggestif  û\enfants  de  Lénine". 
Cserni  les  admit  à  la  condition  d'être  „cruels  comme  des  fauves"  et 
leur  garantit  l'impunité  pour  le  sang  bourgeois  qu'ils  pourraient  répandre 
à  volonté. 

Les  terroristes  se  le  tinrent  pour  dit  :  parcourant  dans  leurs  25  autos 
les  quartiers  élégants,  ils  opéraient  des  descentes  domiciliaires  à 
l'improviste  sous  le  prétexte  de  menées  contre-révolutionnaires  et 
profitaient,  bien  entendu,  de  chaque  perquisition  pour  s'emparer  des 
objets  de  valeur  qui  leur  tombaient  sous  la  main  ;  nul  n'osait  résister  : 
les  «enfants  de  Lénine"  étaient  armés  jusqu'aux  dents. 

Ce  corps  spécial  de  gardes  installait  son  quartier  général  dans  le 
palais  Batthyâny  (près  de  la  place  Octogone)  au  centre  de  la  ville, 
déposait  dans  les  souterrains  de  l'immeuble  une  trentaine  de  mitrail- 
leuses et  quelques  vagons  de  munition,  puis  il  se  mit  à  faire  trembler 
de  terreur  les  beaux  quartiers.  On  ne  tardait  pas  d'apprendre  que  les 

84 


DERNIERE  AFFICHE  DU  RÉGIME  KÂROLYI. 


munkAsok!    polgarok! 

mârcius  aén  hètfon  délelott 

A   PARLAMENT  ELC  VONULUNK" 
H05Y  MEcSKERDÊZZdK  f\Z  URAKTÔL 
_HI  LESZABEC5ÙLETE5  VALASZTQJOGGAi^ 
ZTSTUCIALDEMOKRATAPW?! 


Ouvriers  !  Bourgeois  !  Le  lundi  matin,  4  mars,  nous  défilons 
devant  le  Parlement  pour  demander  à  ces  Messieurs  ce 
que  devient  le  suffrage  universel  !    Le    parti  socialiste. 


AFFICHES  BOLCHÉVISTES. 


La  main  du  prolétaire  ou  le  fouet  de  l'Entente? 


bourgeois  trainés  dans  ce  coupe-gorge  y  étaient  soumis  à  des  tortures 
d'un  raffinement  parfait.  On  y  entassait  des  vivres  et  des  objets  de 
valeur  ^réquisitionnés".  De  temps  à  autre,  ces  messieurs  arrangeaient 
des  orgies  en  compagnie"  des  dames  du  monde  que  e'on  avait  entrainées 
de  vive  force. 

Cependant  tout  cela  ne  suffisait  pas  encore  aux  chefs  fanatiques 
du  régime.  Tibor  Szamuelly,  ancien  reporter,  qui  avait  été  casé  au 
commissariat  de  l'instruction  publique,  exigea  que  l'on  permît  au  mob 
de  piller  la  bourgeoisie  pendant  trois  jours  au  moins.  Bêla  Kun  estimait 
toutefois  que  cela  produirait  une  impression  déplorable  à  l'étranger; 
puis  il  fallait  compter  avec  le  lieutenant-colonel  Romanelli  —  qui  re- 
présentait l'Entente  après  le  départ  des  autres  missions  étrangères  et  qui 
avait  déclaré  déjà  à  Kun  qu'il  le  rendait  personnellement  responsable 
pour  les  abus  des  „enfants  de  Lénine".  Finalement,  il  fallait  licencier 
le  corps  de  Cserni.  Mais  on  ne  le  fit  qu'en  apparence:  Cserni  se  vit 
chargé  d'organiser  le  „corps  des  détectives  du  commissariat  de  l'intérieur*. 
Ce  nouveau  corps  élut  domicile  au  palais  du  parlement.  Il  y  traîna 
les  bourgeois  soupçonnés  de  velléités  contre-révolutionnaires  et  leur  fit 
subir  dans  les  souterrains  qui  se  trouvent  sous  la  magnifique  salle  des 
séances  de  la  Chambre  des  Magnats,  les  tortures  les  plus  cruelles  à 
l'effet  de  leur  arracher  des  aveux.  Le  chef  de  ce  corps,  un  nain  bossu  : 
Otto  Korvin  (Klein),  eut  tôt  fait  pour  acquérir  la  réputation  d'un  homme 
des  plus  redoutés  pour  la  bestialité  avec  laquelle  il  traitait  ses  victimes. 
C'est  sur  les  ordres  de  Kun  et  de  cet  individu  que  des  centaines  de 
notabilités  de  la  vie  publique  hongroise  se  voyaient  arrêtés  comme 
otages.  Les  gens  de  Korvin  se  rendaient  nuitamment  chez  les  personnes 
désignées,  les  arrachaient  à  leurs  lits  et  les  emmenaient  sans  même 
leur  donner  le  temps  de  s'habiller  et  de  faire  des  adieux  à  leurs 
familles.  Ces  personnages  furent  incarcérés  à  la  maison  d'arrêt  du 
tribunal  de  Budapest,  où  le  nombre  des  détenus  atteignit  près  de  1500. 
Au  début,  on  leur  interdit  de  causer;  ils  étaient  couchés  sur  des 
paillasses  immondes  et  infectes  ;  les  salles  de  détention  servaient  en 
même  temps  de  lieux  d'aisance,  attendu  que  nul  ne  pouvait  quitter  sa 
prison.  Les  geôliers  s'amusaient  à  leur  raconter  qu'ils  allaient  être 
pendus.  De  temps  à  autre   on    les   conduisait,  les  yeux  bandés,  „sous 

85 


le  gibet",  pour  les  ramener  ensuite,  sous  un  prétexte  quelconque, 
dans  leurs  cellules. 

Ces  prisonniers  avaient  cependant  encore  la  bonne  chance  de  ne 
pas  avoir  été  emmenés  dans  les  sous-sols  du  Parlament  où  le  sieur 
Korvin  s'ingéniait  à  vouloir  faire  parler  ses  victimes.  Il  n'y  eut  pas  de 
torture  qu'on  ne  leur  appliquât  pour  en  tirer  quelque  chose  :  tantôt  on 
les  frappait  aux  talons  à  coups  de  bâtons  recouverts  de  caoutchouc, 
tantôt  on  leur  flagellait  le  ventre  nu  avec  des  courroies  :  aux  uns  on 
rompait  les  côtes  et  les  bras,  à  d'autres  on  enfonçait  des  clous  sous 
les  ongles;  à  celui-ci  on  fit  avaler  trois  litres  d'eau,  à  celui-là  on 
introduisait  une  règle  dans  le  gosier.  Un  nommé  Balogh,  qui  refusait 
d'avouer,  fut  suspendu  sur  le  gibet  dressé  dans  la  cave  jusqu'à  ce 
que  le  sang  lui  venait  par  le  nez  et  par  la  bouche.  Un  des  tortion- 
naires venus  de  Russie  avait  pour  habitude  de  crever  les  yeux  à  ses 
victimes.  Pour  inspirer  plus  de  terreur  aux  prisonniers,  on  étalait  à 
leurs  yeux  les  nez,  oreilles  et  langues  que  l'on  disait  avoir  arrachés 
à  d'autres  contre-révolutionnaires.  Quand  un  prisonnier  avait  succombé 
à  son  martyrologue,  on  jetait  son  cadavre  dans  le  Danube  qui  roule 
ses  flots  au  pied  du  palais. 

Nous  avons  indiqué  déjà  la  manière  des  tribunaux  révolution- 
naires à  prononcer  leurs  jugements.  Dans  la  plupart  des  cas  le  com- 
missaire politique,  délégué  pour  tous  ces  tribunaux,  l'avocat  public 
dr.  Eugène  Làszlô  (Lôwi)  dictait  les  jugements.  Joseph  Cserni  présidait 
à  l'audience  consacrée  à  la  cause  du  dr.  Jean  Stenczel  et  huit  de  ses 
coaccusés.  Après  la  séance  qui  avait  bien  duré  dix  minutes  au  plus,  le 
président  énonça  selon  le  désir  du  dr.  Lâszlô,  la  peine  de  mort  pour 
huit  des  accusés.  Comme  exposé  des  motifs  :  un  coup  de  sifflet  donné 
par  le  président.  Trois  des  condamnés  sont  fusillés  séance  tenante; 
la  peine  des  autres  fut  commuée  en  travaux  forcés  à  perpétuité. 

Le  sieur  Lâszlô  avait  réquisitionné  pour  son  usage  personnel  le 
palais  du  baron  Ullmann,  directeur-général  de  la  Banque  de  Crédit 
Général  Hongrois.  Il  en  profita  pour  emporter  de  volumineux  paquets 
de  vêtements.  Après  avoir  fait  arrêter  comme  otages  de  riches  com- 
merçants, il  les  fit  relâcher  „sur  les  instances  de  leurs  familles",  — 
moyennant  de  fortes  rançons. 

86 


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88 


Le  terroriste  Andor  Lâzâr  ayant  été  chargé  d'arrêter  huit  otages, 
il  n'en  trouva  que  quatre:  le  secrétaire  d'État  dr.  Alexandre  Hollàn, 
son  père  et  deux  autres  personnages.  Appréhendant  le  mécontentement 
de  son  chef  Cserni,  il  se  décide  à  accomplir  un  „haut-fait":  arrivé  sur 
le  pont  suspendu,  il  fait  saisir  les  deux  Hollân  et  les  fait  lancer  dans 
le  Danube.  Lorsqu'il  rapportait  son  haut-fait  à  Cserni,  ce  dernier  lui 
exprima  son  entière  satisfaction. 

Les  bolchévistes  avaient  voué  une  haine  spéciale  à  la  gendar- 
merie, solide  pilier  de  l'ancien  régime.  Ils  arrêtèrent  le  général  Oscar 
Ferry,  ancien  inspecteur  de  gendarmerie  et  deux  anciens  lieutenants- 
colonels  de  gendarmerie,  les  torturèrent  pendant  deux  jours  et  les 
pendirent  finalement  sur  les  tubes  de  conduite  d'eau  dans  la  cave  de 
la  caserne  des  terroristes  ;  puis  il  lancèrent  dans  le  Danube  les  cadav- 
res de  leurs  victimes. 

M.  de  Nàvay,  ancien  président  de  la  Chambre  des  Députés, 
arrêté  à  Makô,  devait  être  traduit  „en  justice"  à  Budapest.  Mais  les 
terroristes  qui  l'avaient  arrêté  estimaient  plus  simple  de  l'exécuter  en 
cours  de  route.  A  cet  effet,  il  le  font  descendre  à  Félegyhâza,  le  forcent 
à  creuser  une  fosse,  le  lardent  de  coups  de  bayonnettes  et  l'enterrent 
dans  la  fosse. 

La  résistance  déployée  par  les  populations  rurales  eut  le  don 
d'énerver  les  bolchévistes  tout  particulièrement.  Le  prolétariat  de  Buda- 
pest se  plaignant  avec  une  âpreté  de  plus  en  plus  vive  du  manque 
de  vivres,  Szamuelly  promet  d'y  mettre  bon  ordre  :  il  fait  chauffer  une 
locomotive,  y  attelle  deux  voitures  Pullmann,  un  vagon  restaurant  et 
deux  vagons  lits;  puis  ayant  fait  monter  les  plus  farouches  d'entre 
les  „ enfants  de  Lénine",  il  entreprend  une  tournée  en  province.  Dans 
la  suite,  ce  convoi  devint  légendaire:  il  apportait  l'abomination  de  la 
désolation  dans  les  communes  où  il  s'arrêta.  On  le  surnomma  „train 
de  la  mort".  A  chaque  station,  le  directoire  local  attendait  le  train  et 
y  fit  monter  les  notabilités  qui  avaient  eu  le  malheur  d'encourir  la 
rancune  de  quelque  membre  de  ce  directoire.  Après  avoir  subi  un 
interrogatoire  très  sommaire,  les  infortunés  furent  achevés  à  coups  de 
bayonnette  et  lancés  par  les  portières  du  train  qui  roulait  à  grande 
vitesse. 

89 


Dans  les  gares  de  quelqu'importance,  Szamuelly  descendait  du 
train,  convoquait  les  communistes  de  l'endroit  et  constituait  le  tribunal 
chargé  de  juger  les  „blancs".  Sur  un  signe  de  Szamuelly,  le  tribunal 
énonça  le  jugement  qui  fut  immédiatement  exécuté.  Au  moyen  de  ce 
procédé,  Szamuelly  supplicia  61  hommes  à  Dunapataj,  30  à  Szolnok, 
20  à  Kalocsa,  et  ainsi  de  suite  dans  une  vingtaine  de  villes  et  de 
grandes-communes.  Au  cours  des  15  audiences  publiques  consacrées 
aux  atrocités  commises  par  la  troupe  de  Cserni,  on  a  établi  que  le 
terroriste  Louis  Kovâcs  avait  exécuté  17  «blancs"  à  lui  seul;  Àrpâd 
Kerekes  (Kohn)  en  avait  mis  à  mort  18  et  Charles  Sturcz  49. 

Szamuelly  ordonnait  les  exécutions  par  les  mots  :  „Mettez-le  sous 
l'arbre".  La  victime  fut  forcé  de  monter  sur  une  chaise  et,  lorsque  la 
corde  lui  était  passée  sur  le  cou,  on  lui  ordonna  de  renverser  la 
chaise,  qui  le  soutenait.  Comme  le  ^blanc"  hésitait,  les  bourreaux  le 
frappaient  de  leurs  crosses  de  fusils  et  lui  administraient  des  coups 
de  bayonnette  jusqu'à  ce  que  le  malheureux  se  décidait  à  renverser 
la  chaise  et  à  se  laisser  étrangler  par  la  corde.  A  maintes  reprises  ils 
allèrent  jusqu'à  forcer  les  femmes  et  les  enfants  de  ces  infortunés  à 
assister  à  l'exécution  du  chef  de  leur  famille. 

Le  19  avril  Bêla  Kun  ordonne  de  prendre  des  otages.  11  en  fait 
arrêter  489  qui  sont  gardés  en  prison  jusqu'au  27  mai,  jour  où  le 
lieutenant-colonel  Romanelli,  qui  avait  déjà  empêché  leur  exécution, 
obtint  enfin  leur  élargissement. 

Ce  serait  une  tâche  trop  fastidieuse  que  de  relater  toutes  les  atro- 
cités commises  par  les  terroristes  à  Budapest  et  en  province.  La  série 
en  serait  trop  longue;  mais  afin  d'en  donner  une  idée,  nous  citerons 
quelques  chiffres  officiels. 

Après  la  chute  du  bolchévisme  et  le  départ  des  troupes  d'occu- 
pation roumaines,  les  tribunaux  ordinaires  reprirent  leurs  fonctions.  Ils 
ordonnaient  des  enquêtes  sur  les  abus  de  pouvoir,  actes  de  vol  et  de 
spoliation,  coups,  blessures  et  assassinats  que  les  bolchévistes  avaient 
perpétrés  durant  leur  règne  de  133  jours.  Les  plaintes  affluèrent  si 
nombreuses  qu'il  fallait  ouvrir  des  instructions  en  17,724  causes  crimi- 
nelles contre  29,069  individus,  et  faire  arrêter  près  de  6,000  individus 
ayant  mis  à  profit  le  régime  bolchéviste  pour  se  livrer  à  des  actes  con- 

90 


damnables.  Ces  tribunaux  ont  condamné  1,265  individus  ;  sur  les 
17,724  actions  intentées;  14,839  ont  abouti  à  des  non-lieus.  Ce  fait 
prouve  que  les  tribunaux  n'ont  sévi  que  contre  les  fauteurs  intellectuels 
du  régime  et  non  contre  les  prolétaires  séduits  par  les  promesses  du 
bolchévisme.  Ceux-ci  ont  bénéficié  du  décret  d'amnistie  que  le  gouver- 
neur général  Horthy  a  signé  le  24  décembre  1920. 

Pendant  le  mois  d'avril,  le  régime  bolchéviste  eut  encore  des  suc- 
cès à  porter  à  son  actif:  les  ouvriers  étaient  fort  satisfaits  d'être  deve- 
nus les  maîtres  du  pays.  Pour  le  1-er  mai  le  gouvernement  organisa  une 
grande  manifestation  prolétarienne:  plus  de  100,000  prolétaires  de  la 
rive  gauche  se  rendirent  en  cortège  au  Bois  de  Ville,  ceux  de  la  rive 
droite  au  champ  des  grandes  parades  militaires.  On  régala  le  public 
de  discours  sonores  sur  la  révolution  universelle  qui  devait  éclater  le 
20  juin.  Ce  fut  l'apogée  du  mouvement.  Mais  le  lendemain  les  affiches 
annonçaient  déjà  à  la  capitale  que  la  république  des  soviets  était  en 
danger,  que  tous  les  prolétaires  devaient  courir  aux  armes.  Le  1-er  mai 
les  Roumains  avaient  franchi  la  Tisza,  les  Tchèques  repris  la  ville  de 
Miskolcz  et  les  Serbes  s'étaient  rapprochés  de  Szeged.  On  mobilisa 
les  ouvriers  desusines  de  Budapest.  Au  début,  l'armée  rouge  remporta  de 
grands  succès  dans  la  Haute  Hongrie  et  réussit  même  à  repousser  les 
Roumains  sur  la  rive-est  delà  Tisza.  (Nous  reviendrons  encore  sur  ces 
succès.) 

Le  14  juin  le  Congrès  des  soviets  inaugura  ses  délibérations  et 
les  commissaires  se  voyaient  contraints  d'avouer  que  la  destruction  du 
capitalisme  n'avait  pas  encore  donné  les  résultats  que  l'on  avait  espé- 
rés. Un  des  orateurs  du  Congrès,  un  nommé  Surek,  s'en  indignait  au 
point  qu'il  proposa  d'exécuter  en  bloc  tous  les  otages  et  d  «élever  des 
montagnes  avec  les  cadavres  des  bourgeois".  Bêla  Kun,  effaré  par  cette 
douce  effusion,  ainsi  que  par  les  critiques  acerbes  sur  la  corruption  du 
régime  bolchéviste,  s'empressa  de  renvoyer  les  membres  du  Congrès  à 
leurs  pénates. 

La  population  était  exaspérée.  Le  24  juin  les  contre-révolutionnai- 
res tentèrent  un  coup  pour  rétablir  l'ordre.  Dans  l'après-midi,  trois 
moniteurs  venus  du  Bas  Danube,  s'arrêtaient  en  face  de  V hôtel  Hungaria, 
résidence  de  Bêla  Kun  et  des  principaux   commissaires,  et  lancèrent 

91 


quelques  obus  sur  le  bâtiment.  Simultanément,  les  élèves  de  Técole 
militaire  Ludoviceum  arboraient  la  tricolore  et  firent  un  effort  pour 
pénétrer  dans  la  ville. 

Quelle  nuit  remplie  d'angoisses  !  A  tout  moment  la  fusillade  crépi- 
tait dans  les  beaux  quartiers  oiî  les  rouges  tuaient  les  passants  attar- 
dés d'aspect  bourgeois.  Au  matin  les  rouges  reprirent  le  dessus.  La 
contre-révolution  avait  échoué.  Elle  avait  été  mal  organisée.  Au  nombre 
des  victimes  il  faut  mentionner  le  célèbre  professeur  de  médecine  Nico- 
las Berend,  tué  dans  la  rue  pour  avoir  agité  son  mouchoir  blanc  dans 
la  direction  des  moniteurs.  Bêla  Kun  se  décida  à  statuer  un  exemple 
et  à  faire  pendre  publiquement  les  meneurs  de  la  „ révolte"  sur  la  place 
de  l'Octogone.  J'ai  vu  de  mes  yeux  les  préparatifs  faits  en  vue  de  cet 
acte  odieux.  Il  fallait  y  renoncer  cependant  à  la  suite  de  l'énergique 
intervention  du  lieutenant-colonel  Romanelli.  En  revanche,  Szamuelly 
reprit  ses  horribles  tournées  en  province.  Mécontent,  il  tramait  déjà 
une  intrigue  contre  Bêla  Kun  qu'il  trouvait  trop  modéré  :  de  concert 
avec  Vâgô  et  Cserni  il  projetait  d'organiser  un  véritable  régime  de  mas- 
sacres et  dressait  à  cette  fin  une  liste  de  deux  mille  personnages  haut 
situés  qui  devaient  être  immolés  en  une  seule  nuit.  Un  autre  terroriste 
déclarait  publiquement  que  le  bolchévisme  considérerait  otage  la  bour- 
geoisie toute  entière  pour  le  cas  où  l'étranger  se  mêlerait  des  affaires 
intérieures  de  la  république  des  soviets. 

En  desespoir  de  cause,  les  bolchêvistes  lançaient  des  appels  au 
prolétariat  de  tous  les  pays  ;  mais  la  grève  universelle  qu'ils  avaient 
promise  aux  ouvriers  de  Budapest  se  faisait  attendre,  tandis  que  les 
mouvements  contre-révolutionnaires  éclataient,  coup  sur  coup,  sur  plu- 
sieurs points  en  province:  à  Tamâsi,  Kéthely,  Csâszâr,  dans  les  régions 
riveraines  du  Danube  et  ailleurs.  A  Szeged  les  „ blancs"  constituèrent 
un  ministère  et  dès  le  10  juin  l'amiral  Horthy  se  mit  en  devoir  de 
recruter  une  armée  nationale. 

En  ce  moment,  quelques  centaines  de  soldats  français  eussent  pu 
marcher  facilement  sur  la  capitale  et  y  rétablir  l'ordre  légal  avec  le 
concours  de  Horthy.  Mais  on  hésitait:  on  croyait  devoir  ménager  la 
susceptibilité  des  socialistes  français  ;  supposition  gratuite  manquant  de 
tout  fondement.  On  préféra  fournir  aux  Roumains  le  prétexte  „de  sau- 

92 


AFFICHES  BOLCHÉVISTES 


tui 


.éotétùe/n 
Smkâ£& 

^ïémni/i/'- 
ladamâi 


Tremble!   Contre-révolutionnaire  qui  te  caches  dans 
les  ténèbres  et  colportes  des  bruits  alarmants! 


AFFICHES  BOLCHÉVISTES. 


TPii^iv^rfSCims! 


Debout!  Défends  le  prolétariat,  Frère!  Au  secours! 


ver"  la  Hongrie  qui  n'en  avait  plus  besoin:  le  bolchévisme  hongrois 
était  arrivé  au  bout  de  son  rouleau.  Les  prolétaires,  desabusés  et  exté- 
nués, ceux  qui  avaient  obéi  à  l'appel  aux  armes  pour  défendre  la 
république  des  soviets  ne  suffissaient  guère  pour  tenir  tête  à  l'invasion 
étrangère.  Il  fallait  donc  mobiliser  la  jeunesse  bourgeoise  elle-aussi; 
bien  entendu,  on  dut  avoir  recours  à  la  force.  Si  les  rangs  de 
l'armée  rouge  grossissaient  de  ce  fait,  en  revanche  les  blancs  dont  on 
se  servait  pour  les  garnir  y  apportaient  les  germes  de  la  décompo- 
sition. 

Cela  nous  amène  à  parler  aussi  des  campagnes  soutenues  par  la 
Hongrie  bolchéviste. 

Celle  du  mois  de  mai  avait  été  menée  avec  un  grand  élan  :  au  bout 
de  quelques  semaines  les  Tchèques  étaient  chassés  d'une  grande  partie 
de  la  Haute-Hongrie.  Cela  s'explique,  en  premier  lieu,  par  le  fait  que 
les  régiments  tchèques  ne  s'étaient  fait  remarquer  au  cours  de  la  guerre 
mondiale  que  par  leur  empressement  à  déserter  les  rangs  et  à  lever  les 
mains.  Les  derniers  débris  de  l'armée  hongroise  avaient  suffi  pour 
mettre  les  Tchèques  en  fuite.  M.  Clemenceau  arrêta  cette  marche 
triomphale  parce  qu'il  appréhendait  que  les  bolchévistes  hongrois  pussent 
s'unir,  —  comme  ils  l'avaient  tant  de  fois  promis  d'ailleurs  aux  ouvriers 
de  Budapest  —  aux  les  bolchévistes  russes. 

J'ai  vu  les  officiers  d'un  régiment  qui  s'était  battu  contre  les 
Tchèques  ;  je  les  ai  recontrés  au  château  d'un  de  leurs  camarades,  celui 
de  mon  ami  H.  .  ,  .,  aux  environs  de  Budapest.  Ils  défilaient  devant  la 
maîtresse  de  maison  pour  se  présenter: 

Arpâd  de  X.,  contre-révolutionnaire. 

Zoltân  de  Y.,  contre-révolutionnaire. 

Géza  de  Z.,  contre-révolutionnaire,  et  ainsi  de  suite.  En  plein 
régime  de  terreur  rouge  ! 

Un  mois  après  ce  même  régiment  a  été  dirigé  sur  le  front  Est. 
Les  officiers  en  étaient  enchantés  : 

—  Dans  quelques  semaines,  me  dirent  ils,  nous  serons  les  soldats 
de  Horthy  ! 

L'armée  rouge  se  disloquait:  les  „ blancs"  y  étaient  déjà  trop 
nombreux  et  effilaient  sabres  et  bayonettes  .  .  .  contre  les  rouges. 

93 


Les  bataillons  de  prolétaires  se  battaient  mal  ;  ils  exigeaient  de  gros 
salaires,  ne  tenaient  pas  à  «manger  du  choux"  et  saisirent  toute  occasion 
qui  se  présentait  pour  rentrer  à  Budapest.  Ce  penchant  ne  laissait  pas 
de  causer  de  gros  soucis  à  Bêla  Kun,  car  ces  soldats  prolétaires  se 
livraient  au  pillage  des  villes  par  lesquelles  ils  passaient  pour  atteindre 
la  capitale;  le  commissaire  à  la  guerre  s'évertuait  à  les  desarmer  pour 
éviter  le  sac  de  Budapest.  Telle  fut  l'armée  rouge  qui  avait  été  «vaincue" 
sur  les  bords  de  la  Tisza  par  les  Roumains. 

De  tous  temps  les  Roumains  eurent  le  génie  des  victoires  faciles. 
En  1877  ils  se  ruaient  „au  secours  de  la  Russie",  lorsque  l'héroïque 
garnison  de  Plevna  était  déjà  à  bout  de  force.  En  1912  ils  ont  attaqué  la 
Bulgarie  quand  celle-ci  était  déjà  aux  prises  avec  la  Serbie,  la  Grèce 
et  l'armée  d'Enver  pacha.  En  1917  ils  se  joignirent  à  l'Entente  au 
moment  où  les  Russes  avaient  franchi  toute  une  série  de  cimes  des 
Carpathes.  En  1919  ils  envahirent  la  Transylvanie  lorsque  la  Hongrie 
avait  capitulé  déjà  devant  l'Armée  d'Orient  du  général  Franchetd'Esperey  : 
ils  marchaient  sur  Budapest  lorsque  l'armée  rouge  était  saturée  déjà 
d'éléments  ennemis  du  bolchévisme. 

Pendant  l'occupation  roumaine  de  Budapest,  mon  ami  H. .  .  .  que 
je  viens  de  nommer,  me  pria  d'intervenir  auprès  du  général  Mardarescu 
en  faveur  de  son  fils  qui,  ayant  abandonné  l'armée  rouge  pour  se 
joindre  à  l'armée  de  Horthy  —  était  tombé  aux  mains  des  Roumains. 
Mon  intervention  n'eut  aucun  résultat  :  le  général  Mardarescu  ne  voulait 
pas  connaître  de  «blancs"  :  il  avait  besoin  d'annoncer  à  Bucarest 
beaucoup  de  «prisonniers". 

L'heure  n'est  pas  venue  encore  (et  ce  livre  n'y  est  pas  appelé) 
pour  mettre  en  lumière  les  victoires  roumaines  en  Hongrie.  Ce  que 
nous  pouvons  établir  cependant  dès  aujourd'hui  et  en  nous  basant 
sur  des  faits  que  je  relate  ici  pour  les  avoir  vus  de  mes-yeux,  c'est  que 
le  gros  de  la  nation  hongroise  ne  pouvait  prévoir  que  l'action  de 
«sauvetage"  des  Roumains  coûterait  le  triple  de  ce  que  lui  avait  coûté 
le  bolchévisme.  Les  blancs  avaient  laissé  entrer  les  Roumains  car, 
encore  que  l'invasion  roumaine  fût  une  chose  bien  affreuse  et  une  dure 
humiliation  passagères,  le  bolchévisme  par  contre  représentait  un  danger 
mortel  ! 

94 


Mieux  que  personne,  les  Hongrois  savent  ce  que  c'est  que  le 
bolchévisme:  au  moment  oii  ce  danger  menacera  l'Occident,  ils  seront 
les  plus  acharnés  défenseurs  de  la  civilisation  européenne.  La  justice 
hongroise  n'a  châtié  que  les  meneurs  qui  avaient  prêché  le  communisme 
pour  le  pratiquer  à  leur  profit  et  pour  se  livrer  à  leurs  penchants  de 
scélérats.  Mais  elle  a  amnistié  les  ouvriers  égarés  par  les  promesses 
des  bolchévistes.  Le  gouvernement-hongrois  a  compris  que  les  grandes 
réformes  sociales,  —  dans  les  villes  autant  que  dans  les  campagnes  — 
sont  les  remèdes  les  plus  efficaces  et  les  plus  sûrs  pour  prévenir  le 
mécontentement  des  couches  profondes  de  la  population.  La  Hongrie 
est  l'unique  pays  peut-être  oi!i  les  prolétaires  même  qui  ont  tant  souffert 
par  les  mesures  absurdes  et  insensées  du  bolchévisme,  soient  immunisés 
contre  le  virus  de  cette  horrible  maladie  qui  prend  des  allures  d'épidémie 
dans  l'Europe  entière.  La  petite  armée  que  l'amiral  Horthy  a  mise  sur 
pied  est  une  des  mieux  disciplinées  de  l'Europe.  Les  officiers  en  sont 
vaillants  et  bien  instruits  ;  les  troupiers,  les  paysans  autant  que  les 
ouvriers,  sont  intelligents,  animés  de  sentiments  patriotiques  et  parfai- 
tement édifiés  sur  les  tendances  absurdes  et  les  effets  atroces  de  la 
maladie  bolchéviste.  Et  le  jour  où  toute  l'Europe  aura  connu  les  hor- 
ribles aspects  de  cette  maladie,  elle  communiera  dans  l'esprit  de  la 
réconciliation  des  peuples  pour  assurer  la  paix  et  la  civilisation.  Ce 
jour  là  elle  appréciera  tous  les  mérites  que  le  peuple  hongrois  a 
acquis  —  au  prix  de  tant  de  souffrances  endurées  pour  la  civilisation  — 
au  cours  de  son  passé  dix  fois  séculaire  et,  en  1919,  sous  le  régime 
bolchéviste. 


95 


TABLE  DES  MATIERES: 


Préface 3 

Comment  le  fait  a-l-il  pu  se  produire?    ...  6 

Le  prolétariat  s'empare  du  pouvoir 22 

Les  bolchévistes  et  la  classe  ouvrière  ....  38 
Anéantissement    du    commerce  et  des  finances 

publiques 54 

Administration,    justice,    vie    intellectuelle    et 

approvisionnement .  71 

La  terreur-rouge  et  l'Europe 84 


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Lebrun,   Armand 

La  dictature  du  prolétariat 


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