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Full text of "La divine comédie"

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P"- 71. h s 



Harvard Collège 
Library 




THE OIFT OF 

Miss Ellen W. Coolidge 



n 



ŒUVRES POSTHUMES 

DE 

F. LAMENNAIS 



DANTE 



' '. £". 



PA&IS. — DCP. C. MA.RPON ET E. FIAMMAEION, RUE AACINE, 26. 



DANTE — LAMENNAIS 



LA 



DIVINE COMÉDIE 

TBASU1TB 

ET PRÉCÉDÉS D'UNE INTRODUCTION 

SUR LÀ VIE, LA. DOCTRINE ET LES GEUTRES DE DANTE 



ŒUVRES POSTHUMES DE F. LAMENNAIS 

PUBLIEES SELON LE YOEU DE L'AUTEUR 

PAR E.-D. FORGUES 



INTRODUCTION — L'ENFER 



Noiavelle EcLition 



PARIS 

C. MARPON ET E. FLAMMARION 

ÉDITEURS 
i6, RUE RÀCINEy PRÈS L'OOéON. 

1883 

Tous droits réservés. 



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INTRODUCTION 



I ■'. 

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES 

Le poëme de Dante est toute une époque. Il peint 
merveilleusement Tétat de la société et de Tesprit hu- 
main, du treizième au quatorzième siècle, dans le pays 
sans aucun doute le plus avancé, alors qu^après un 
long sommeil agile de rêves terribles, le monde se ré- 
veillant semblait pressentir, au milieu des ténèbres 
déjà moins épaisses, ses lointaines destinées, et que 
ritalie, aidée par d*heureuses circonstances, commen- 
çait à se dégager des liens de la barbarie. 

Le chaos se débrouillait; des signes précurseurs 
annonçaient le lever d*une autre ère, inconnue encore, 
mais pleine d'espérance. Pour emprunter cette image 

D. L V 



t IKTRODUCTIOH. 

à Dante, Thorizon $e colorait ffune douce teinte de $ar 
phir oriental ^ à mesure qu^on sortait de Vair mort^ de 
l*enfer dont l'aspect avait si longtemps contriilé les yeux 
et le c(tur *. 

Mais, pour bien comprendre cet âge intermédiaire 
entre deux civilisations, ses caractères complexes, le ; 
bizarre mélange des éléments divers qui y affluent de 
sources différentes, et s'y combinent d'une manière ' 
souvent si étrange, les causes du mouvement et sa di- ^ 
rection , les contradictions apparentes au sein d'une 
unit4 l'éelle de tendance et de vie interne, il faut, se- 
couankles préjugés qui enveloppent l'histoire et en 
faussent le sens, examiner, dans son origine et ses 
phases successives, la transformation qui, au prix de 
tant de labeurs et de douleurs, a produit enfin le monde ' 
présent. 

On se représente communément les siècles qui 
précédèrent la chute finale de Tempire romain, 
comme une époque de dissolution complète de la so- 
ciété tombant pièce à pièce et s'ensevelissant sous les 
débris des anciennes croyances, des anciennes insti- 

i Dolce color d'oriental zafiQro 

Che s'accoglieva nel sereno aspetto, 
Del aer puro infino al primo giro, 
Agli occhî miei ricominciè diletto 
Tosto ch'io usci'fuor dell' aura morta 
Che m' area contristati gli ocdii e' 1 petto. 
Purgat,, cant. I. 5 e 6. 



4 



INTRODUCTION 3 

tutlons et des anciennes mœurs. Rapportant à cette 
époque des destructions accomplies plus tard, et par 
d'autres causes , et jamais entièrement , on s'ima- 
gine que tout périt avec l'État, qu'avec lui disparut 
tout ce qu'avait produit la civilisation antérieure, et 
que, sur la terre dévastée, il ne resta que des ruines 
inertes et des ossements arides. Il fallait, croit-on, 
pour que de ces ruines sortit une autre société, une 
société vivante, que le christianisme, balayant la pous- 
sière de ce passé, enfantât lui seul, par sa propre 
vertu, un ordre politique et moral nouveau, et que 
des peuples jeunes , pleins de sève et de vigueur, 
vinssent du nord de l'Europe et des steppes de l'Asie 
ranimer, par l'infusion d'un sang plus pur, le vieux 
corps social pourri de corruption. 

Tel est le point de vue sous lequel on considère gé- 
néralement l'immense révolution qui s'opéra chez les 
nations occidentales, à partir du quatrième siècle. Il 
n'est certes pas, à plusieurs égards, dépourvu de vé- 
rité. Le christianisme provoqua une puissante réac-' 
tion morale contre le matérialisme sensuel qui, des 
villas des patriciens et de l'antre où gîtaient les Ce- \ 
sars, avait envahi Rome, et, de proche en proche, les 
provinces les plus éloignées. Le germe de cette réac- 
tion était, il est vrai, partout, avant même la fin de 
la république, car rien dans le monde ne se fait sans 
préparation ; mais le christianisme développa ce 



4 INTRODUCTION. 

germe, et en unissant les hommes disposés à se séparer 
ouvertement du désordre presque universel , en formant 
d'eux une société, il imprima une forte et salutaire 
impulsion à l'humanité. Cette organisation active, née 
d'une foi ardente, d'un secret et profond instinct de 
vie, fut une des choses qui, quelle que fût son incon- 
testable grandeur, manquèrent au stoïcisme, resté à 
l'état de doctrine individuelle, et par là même sociale- 
ment stérile. 

Il est également vrai que les peuples sous la main 
desquels s'écroula l'empire, exempts de la mollesse 
romaine, avaienten eux une énergie, une plénitude de 
vie organique qui contrastaient au plus haut point avec 
l'affaissement, l'épuisement des races destinées à deve- 
nir leur conquête- 

De quelque côté que se portassent les regards, ils 
n'apercevaient que des signes trop certains de déca- 
dence. Le pouvoir absolu d'un seul au milieu d'une 
servitude sans bornes ; l'amour effréné des jouissances ; 
l'accumulation des richesses en un centre unique, où 
elles corrompirent à la fois le gouvernement et le 
peuple ; l'appauvrissement des provinces en proie aux 
exactions des proconsuls et des agents du fisc, écrasées 
par l'impôt, dévorées par l'usure ; la corruption du 
luxe et celle de la misère ; le relâchement des liens de 
famille et des liens sociaux; l'extinction de l'esprit 
militaire dans les populations énervées ; les armes de- 



INTRODUCTION. 5 

venues un métier sordide ; la défense de TÉtat aban- 
donnée à des mercenaires, souvent même à des étran- 
gers, appui toujours douteux du prince qui les achète, 
et qu'ils vendent à leur tour : — toutes ces causes en- 
semble avaient précipité l'empire sur une pente fu- 
neste, impossible à remonter, car il en est des corps po- 
litiques comme des corps naturels, qui ont leurs phases 
déterminées de croissance et de déclin, et jamais ne 
repassent sur les voies parcourues. 

Cependant, si malade que fût la société, elle renfer- 
mait encore des éléments précieux de civilisation, hé- 
ritage des siècles antérieurs. Les progrès de la philo- 
sophie , de Thaïes aux Alexandrins , avaient élargi 
la sphère de la pensée; la science, telle qu'alors elle 
pouvait exister, les lettres, les arts, subsistaient dans 
leurs monuments, et si le génie s'était éteint, rensei- 
gnement du moins perpétuait la connaissance des prin- 
cipes, des règles, des procédés techniques, en même 
temps que les besoins de la vie maintenaient la pra- 
tique de l'agriculture, des métiers, de la navigation, 
du commerce favorisé par des routes dont on admire 
encore les restes magnifiques. Et, chose remarquable, 
tandis que les mœurs s'altéraient, la morale conçue 
par l'esprit, sentie par la conscience, s'était élevée et 
puriflée, comme on le voit dansSénèque, dans Epic- 
tète et dans Marc-Aurèle, et avant eux dans Cicéron, 
qui, par ce seul mot prononcé pour \a \iVC\m\iV'îi,lç5v$»^ 



ŒUVRES POSTHUMES 

DE 

F. LAMENNAIS 



DANTE 



s INTRODUCTION. 

Visions, les schismes, la haine persécutrice, entrèrent 
dans la nouvelle société et la déchirèrent. L'ambition 
des hautes dignités, trop souvent le prix des brigues et 
de la violence, compliqua le désordre, et les richesses 
devenues un aliment de luxe, les convoitises mondaines 
et sensuelles, engendrèrent dans le clergé une corrup- 
tion contre laquelle tonnent les Pères , et dont saint Paul 
lui-même signale avec une douloureuse anxiété les pre- 
miers germes. 

Le monde romain en était là lorsque les barbares 
apparurent. Leurs invasions durèrent six siècles. Se 
poussant les uns les autres et recouvrant le sol comme 
une marée toujours montante, ils inondèrent l'Asie ot 
l'Europe, des frontières de la Seine au détroit d*IIer- 
cule : déluge d'hommes pire que celui des flots. 

Tacite, opposant les mœurs des Germains aux mœurs 
romaines, loue ce peuple de sa chasteté. Il s'en faut 
que tous les barbares méritassent la même louange. 
Leur caractère général ressemblait beaucoup à celui 
des tribus que nous nommons sauvages : mêmes qua- 
lités, mêmes vices. Mais tous, sans exception , dès qu'ils 
se furent mêlés aux populations envahies, ajoutèrent à 
leurs vices les vices de celles-ci, sans leur communi- 
quer aucune des qualités qui tenaient à leur barbarie 
même. Ils introduisirent parmi elles de nouveaux élé- 
ments politiques et civils, mais aucune vertu, quoi 
qu'on en ait dit. On les suivait de ruines en ruines à la 



INTRODUCTION. 

lueur du glaive et de Tincendie. Le monde se crut près 
de sa fin. Les destructions matérielles, toujours répa- 
rables, ne furent que le moindre des fléaux. Tout péril 
ensemble, propriété, lois, institutions, éducation, 
sciences, arts, métiers, langue même. Il fit nuit sur la 
terre. Et dans cette nuit, que voit-on? Tout ce que la 
violence sans frein, la cruauté, la perfidie, le mépris 
calculé des engagements et des serments peuvent en- 
fanter de crimes, des mœurs à la fois grossières et dis-^ 
solues, différentes seulement de celles qu'elles rempla- 
çaient en ce que rien n*en voilait la hideuse monstruo- 
sité. 

Quelquefois appelés par les évêques afin de les op- 
poser à des sectes ennemies, les barbares sentirent que 
cette alliance leur serait un puissant moyen d'affermir 
leur conquête. Indifférents à toute doctrine, faiblement 
attachés aux cultes vagues qu'ils apportaient du fond 
de leurs forêts, ils adoptèrent sans peine la religion 
des vaincus. D'instruction, point: qu'en eussent-ils 
fait, également incapables d'écouter et de comprendre? 
Le chef converti , c'est-à-dire déclarant qu'il changeait 
de dieu, les autres suivaient son exemple: on menait 
ces brutes au baptême, comme des troupeaux à l'abreu- 
voir. Tels ils étaient auparavant, tels ils restaient, fé* 
roces, fourbes, cupides, sensuels. La société entière se 
transforma à leur image. Plus d'études, plus de pensée 
hors du cercle des choses matérielles; à peine dans les 



INTRODUCTION. 

masses quelques traces de Tinstinct moral. Cette sorte 
de conscience, même inhérente à la nature humaine 
au plus bas degré de son développement, menaçait de 
s'éteindre dans la superstition entretenue par un clergé 
non moins ignorant , non moins corrompu que le peuple. 
Nous peignons Tétat général en négligeant les excep- 
tions, qui se rencontrent à toutes les époques et n'en 
caractérisent aucune. 

Un homme d'une grande âme et d'un haut génie, 
Charlemagne, entreprit de tirer la société de cet abîme, 
de régulariser les rapports politiques et civils, d'orga- 
niser la justice publique, de relever l'instruction, de 
renouveler enfin la civilisation dont la barbarie avait 
presque effacé les derniers vestiges. Mais le temps 
n'était pas venu, et les moyens manquaient. Les causes 
destructives étaient loin d'ailleurs d'avoir épuisé leur 
action. Cette œuvre toute personnelle meurt avec celui 
qui l'avait conçue. Le mal reprend son cours, et à tra- 
vers des discordes sanglantes, d'effroyables dévasta- 
tions, une sorte d'agonie convulsive, la dissolution 
atteint son terme extrême, l'anarchie féodale, qui 
achève de se constituer au commencement de la troi- 
sième race. L'histoire ne présente aucune époque aussi 
calamiteuse. Ce fut le règne de la force brutale entre 
les mains de milliers de tyrans absolus chacun dans 
son domaine, en guerre perpétuelle les uns contre les 
autres, opprimant, dévorant de concert un peuple 



INTRODUCTION. ■ il 

livré sans défense à leurs passions fougueuses que ne 
contenait aucune loi, que ne tempérait chez la plupart 
aucun sentiment de justice, aucune idée de devoir 
réel ; car le serf, le manant^ le vilain, étaient hors de 
Inhumanité pour ces chrétiens, comme ils se nom- 
maient. Si quelquefois, près de la tombe, la conscience* 
semblait se réveiller, un couvent bâti, des legs aux 
églises, des dons aux prêtres, dont Tinsatiable avidité 
pressurait le peuple déraille manières dans les villes 
comme dans les campagnes, apaisaient les remords de 
la peur. 

Plus tard, rétablissement des républiques italiennes 
où se réveilla Fesprit de liberté, les luttes des papes et 
des souverains, les interminables disputes sur les 
limites de leur pouvoir respectif, ramenèrent à l'étude 
du droit. Ce fut le premier lien par lequel les sociétés 
nouvelles, plongées dans le double abîme de Tigno* 
rance et des abus de la force sans règle, se rattachèrent 
à la civilisation antique, et en renouèrent les tradi- 
tions. Elles renaquirent encore, lentement, confusé- 
ment; dans Tordre moral, par Tinfluence des écrits de? 
quelques anciens, Cicéron, Boëce, à la portée, il est- 
vrai, d'un petit nombre; et dans Tordre intellectuel 
par l'introduction, vers l'époque des croisades, au sein» 
des universités qui se fondaient sur le modèle desi 
écoles d'Athènes, des monuments de la philosophie 
grecque traduits par les Arabes. Ce fut Torigine de la 



\1 INTRODUCTION. 

scolasLique, par qui se développa i;l en qui se concentra 
toute la science rlu Moyen âge. D'autres sources de 
savoir et de progrès s'ouvrirent pour l'Italie, en coni- 
njunîcation direcle avec l'Orient, d'où, en des temps 
reculés déjà, des colonies d'artistes, fuyant les persé- 
cutions des iconoclastes, lui avaient apporté les prin- 
cipes et les procédés de l'art byzantin, que transforma 
postérieurement le génie national . Au douzième et au 
treizième siècle, une sourde fermentation agitait les 
esprits, ardents à chercher de tous côtés des voies nou- 
velles. Les manuscrits tirés de la poussière nourrirent, 
le goût des lettres, ranimé par la lecture des anciens 
poètes, de Virgile surfout, objet d'une sorte de culte 
enthousiaste. Après la prise de Constantinople, les 
lumières refluent dans l'Occident, qui salue de ses 
acclamations les grands noms de la Grèce, Homère, 
Sophocle, Démosthène, Platon. La poésie revêt des 
formes plus savantes, plus variées. La philosophie 
brise les liens de l'école ; des vides abstractions où elle 
se perdait, elle redescend au sein de la nature, qu'elle 
étudie dans ses phénomènes, dont elle s'efforce, par la 
libre pensée, de découvrir les lois. Ainsi s'ouvre l'ère 
d'émancipation qu'on a nommée la Renaissance. Le 
mouvement se propage avec une rapidité croissante, et 
au seizième siècle il envahit tout. La société, sortant 
des marais où elle croupissait depuis de si longs âges, 
avait retrouvé son lit, et s'y précipitait avec une force 



INTRODUCTION. 13 

irrésistible. Les institutions subissaient partout des 
réformes fondées sur une notion plus élevée du droit; 
la sphère des idées s'élargissait ; la morale publique 
s'épurait; la législation moins barbare protégeait 
mieux et les personnes et les propriétés; les classes 
tendaient à se rapprocher ; le peuple, en voie d'affran- 
chissement, voyait peu à peu sa misère s'alléger ; les 
mœurs se polissaient ; les arts jetaient un éclat inouï ; 
la science, dont la part devait être si grande dans la 
transformation du monde, naissait. Comme au lever 
du soleil les froides ombres, le Moyen âge s'évanouis- 
sait. 

L'esprit de l'Évangile, l'esprit d'amour, n'était pas, 
certes, étranger à ce prodigieux mouvement, qu'uni 
au sentiment de la justice et du droit plus parfaite- 
ment conçu, il caractérise même de nos jours dans 
Tordre le plus élevé et le plus fécond en bienfaits pour 
l'humanité. Mais si l'on excepte l'influence qu'eut la 
scolastique sur la métaphysique pure, à laquelle elle 
ouvrit quelques perspectives nouvelles, en même temps 
qu'elle servit à développer, en les exerçant, les forces 
logiques de l'esprit humain, le christianisme théolo- 
gique, le christianisme organisé dans l'institution ex- 
térieure de l'Église, n'a été pour rien dans cette vaste 
révolution. Au contraire, à mesure qu'elle s'opère la 
foi s'affaiblit, et plus qu'ailleurs au centre même de 
la hiérarchie, autour du trône pontifical sur lequel, 



14 INTRODUCTION 

au nom du Christ, sacré roi comme dans le prétoire 
de Pilate, siège effrontériient Tathéisme. 

Des mœurs analogues offrent aux yeux de tous, après 
la négation de la foi, la négation de la morale même. 
Les mystères orgiaques de la Rome païenne reparais- 
sent dans la Rome papale. A la licence se joint Tam- 
bition, une ambition que n*arrête aucune loi divine ni 
humaine. Des crimes inouïs épouvantent la terre. Pour 
remplir un trésor que la guerre, le luxe, les profu- 
sions d^une débauche effrénée vident sans cesse, on 
fatigue la patience des peuples et leur superstition, 
tant de fois mise à Tépreuve. Une réaction éclate. Suc- 
cesseur deWiclef et de Jean Huss, Luther sépare de 
Rome la moitié de la chrétienté. Les bûchers s'allu- 
ment, on y jette à milliers les rebelles. Mais on ne 
brûle pas la pensée, on n*étouffe pas la conscience 
dans les flammes. Le protestantisme survit à la persé- 
cution, se propage et grandit par elle. Inconséquent 
par ce qu'il retient d'une doctrine liée dans toutes ses 
parties, il contient en soi, bien que voilé, le principe 
immortel de la souveraineté de la raison ; et ce prin- 
cipe, qui est sa vie secrète, sauve l'esprit humain de 
la servitude où il se serait pétrifié sous l'écrasante 
pression d'une autorité qui, exigeant de lui une sou- 
mission aveugle, une obéissance absolue, et de proche 
en proche s'étendant à tout, aurait éteint ses puissan- 
ces actives. 



INTRODUCTION. 15 

Redevenu libre, au moins d'une liberté relative, il 
porte de tous côtés ses investigations, examine, discute, 
juge. La critique du dogme et des monuments sur les- 
quels il s'appuie, de plus en plus hardie, suit le pro- 
grès de la science, et, chose plus grave encore, la 
conscience se détache d'une partie des croyances en- 
seignées comme fondamentales, et qui la heurtent 
violemment : le péché qu'on nomme originel, sa trans- 
mission avec les conséquences relatives à l'état futur 
de l'immense majorité des hommes, les peines éter- 
nelles, la sombre maxime : hors de V Eglise point de sa- 
lutj et les dogmes connexes. La vieille institution ne 
se soutient plus guère que par le secours que lui prête, 
pour son propre intérêt, la puissance politique et ci- 
vile, c'est-à-dire par la coaction sous différentes for- 
mes et à divers degrés, et par son côté pharisaïque et 
superstitieux, les cérémonies, les pratiques matérielles; 
en un mot, au dehors par ce qui frappe les sens, et au 
dedans par la peur, le grand ressort au moyen duquel, 
chez tous les peuples, dans tous les temps, on agit sur 
les classes ignorantes, et surtout sur la femme, natu- 
rellement attirée en outre vers les choses mystérieuses, 
vers ce qui offre un vague aliment à l'imagination, 
faculté dominante en elle. 

Il est à remarquer aussi que, dès l'origine, la science 
de la nature inquiéta l'Église, qui, n'en ayant point le 
principe générateur, d*un tout autre ordre que ses dog- 



16 [NTIiODUCTIOK. 

mes abstraits, n'en pouvait non plus avoir la direction. 
C'était une puissance nouvelle qui naissait, puissance 
redoulable qui dominait la sienne par les càlcs où 
elles se touchaient, et contre laquelle nulle défense, 
comme l'Église l'éprouva bientôt sur la première ques- 
tion débattue entre elles, l'astronomie biblique qu'elle 
soutint vainement contre l'astronomie de calcul et 
d'observation. Est venue ensuite la géologie, sur les 
progrès de laquelle il a fallu régler par des modifica- 
tions successives l'interprétation de la Genèse. Une 
question d'une plus haute gravité encore, dans ses 
rapports avec la doctrine de l'Église, est pendante au 
même tribunal. Il n'existe qu'une nature, qu'une es- 
pèce humaine, nul doute; mais l'espèce humai ne a l-elle 
eu un seul ou plusieurs centres de formation? En 
d'autres termes, y a-t-il dans l'humanilé des races 
primitivement diverses, ou provient-elle d'un couple 
unique? Il est évident que c'est la science qui pronon- 
cera sur cette question, et cetle question est le fonde- 
ment de toute la théologie dogmatique. 

Ainsi, pour nous résumer, vers la fin de la période 
que caractérise l'anthropomorphisme païen, qui, né 
dans la Grèce, avait succédé aux reli[iicns de la nature, 
le christianisme évangélique provoqua chez des peup- 
les énervés, en qui la vie des sens étouffait la vie supé- 
rieure, une salutaire réaction morale, et prépara de 
loin un état plus parfait qu'aucun de ceux qui avaient 



INTRODUCTION. / 17 

I précédé, par le principe d*égalité et de fraternité hu- 
maines, et par Tesprit d'amour qu'il répandit dans le 
monde. Mais le christianisme tliéologique , le chris- 
tianisme soumis à l'autorité hiérarchique et constitué 
par elle, ne contribua en aucune manière au progrès 
social, et par les discordes, les persécutions acharnées, 
les guerres atroces qu'il engendra, par les prétentions 
ambitieuses du corps sacerdotal, l'avarice de ses 
membres, leur tendance constante à la domination, 
fut au contraire une source de désordres nouveaux et 
de calamités nouvelles. 

Les barbares n'apportèrent chez les nations qu'ils 
envahirent aucun élément civilisateur, aucun principe 
d'organisation supérieure et durable. A leurs vices 
,natifs, la cruauté, la ruse, la perfidie, la cupidité, 
vices communs de tous les sauvages, ils joignirent les 
vices des populations subjuguées, qu'ils plongèrent 
dans un abîme sans fond de misère, d'ignorance, de 
grossièreté brutale, de férocité, d'anarchie, dont le 
régime féodal offre le terme extrême. 

La société qui sortit de ces ruines, péniblement for- 
mée à cause des résistances qu'elle rencontrait de 
toutes parts, fut le produit lent d'un travail spontané, 
dépendant des lois immuables de la nature humaine, 
et dont le fruit se développe à mesure que reparais- 
sent les anciennes lumières, que l'ancienne tradition 
se renoue, que la civilisation antique, filtrant à travers 



I 



IH INTRODUCTION. 

les décombres, reprend son cours, modifié par ce que 
le temps toujours amène avec soi ; et à chacune des 
phases de celte évolution vitale, on voit décliner les 
Institutions fondées par les races conquérantes s'affai- 
blir la puissance du corps sacerdotal et la foi en ses 
dogmes imposés en vertu d'une autorité au-dessus de 
la raison, et répuléii infaillible. 

Voilà ce que montre l'histoire, expression fidèle des 
lois supérieures qui président aux destins de l'huma- 
nité, et qui la conduisent invinciblement vers sa P 
nécessaire et divine. 

Dans le mouvement général, l'Italie, comme no- 
l'avons dit, devança les autres nations. La Renaissance 
date pour elle, au Midi, du règne de Frédéric II ; au 
Nord, de la ligue lombarde. Celle-ci marque l'origine 
de l'affranchissement politique et civil, par la con- 
ception d'un droit également oppose au droit féodal 
de la force, et au droit divin, tel que le proclame la 
hiérarchie. Du principe nommé depuis la souveraineté 
du peuple naissent les républiques italiennes. La li- 
berté est semée, elle germera. Quelle que soit désor- 
mais la durée du combat entre le despotisme et la 
liberté, quelles qu'en soient les vicissitudes, les peu- 
pies s'appartiendront, ils cesseront d'être la propriété 
d'un seul et de sa race. 

L'époque de Frédéric, quoiqu'il ait succombé dans 
sa lutte contre la papauté, n'en fui pas moins une 



IKTRODUCTTON. Ift 

époque de renouvellement, féconde en résultats im- 
menses. Elle coïncide avec la naissance de ces grandes 
écoles de jurisconsultes dont les efforts persévérants 
parvinrent à ruiner la théocratie, et à fonder sur ses 
débris l'indépendance du pouvoir civil, La même 
époque vit naître la langue vulgaire, la langue vivante, 
opposée à la langue morte de la Rome papale, et signe 
aussi d'affranchissement. De là le réveil de la pensée, 
de Tesprit d'examen, de discussion , de recherche. Le 
commerce établit entre l'Orient et l'Occident des rela- 
tions qui étendent le cercle des idées, adoucissent les 
mœurs en atténuant les préjugés, développent le goût 
des arts ; d'où les merveilles de l'architecture à Flo- 
rence, à Pise, à Venise, la rénovation de la peinture 
parCimabué et Giotto, bientôt suivis de ces artistes 
incomparables qui jamais depuis n'ont été égalés; les 
progrès de la musique qui aboutissent, après l'inven- 
tion de l'harmonie et les chefs-d'œuvre de Palestrina, 
à la révolution totale due au génie de Monteverde. 

Dante occupe à peu près le milieu de cette grande 
époque pleine de sève et de vie, mais, et par cela 
même, agitée de violentes commotions. La guerre 
était partout, entre le pape et les empereurs, entre le 
pouvoir clérical et le pouvoir laïque, entre la tyrannie 
féodale, personnifiée dans quelques monstres, et l'es- 
prit de liberté fermentant au sein des populations, 
entre les républiques rivales, entre les partis dans 



10^ INTRODUCTION. 

chaque république. On marchait vers l'avenir sur un 
champ de bataille avec toutes les passions du combat, 
mais avec une foi merveilleuse et une ardeur que ne 
décourageaient aucune souffrance, aucun sacrifice. 
Où allait-on? Nul ne le savait. Je ne sais quoi d'in- 
connu attirait en avant les peuples fascinés par une 
sorte d'inspiration divine. Ces temps d'espérance, 
d'action instinctive sont, après tout, les grands, les 
beaux jours de l'humanité. Aussi restent-ils ineffa- 
çables dans la mémoire des hommes, qui, de siècle 
en siècle, le regard fixé sur les monuments qu'ils nous 
ont laissés, contemplent avec admiration ces œuvres 
gigantesques. 

La Divine Comédie est une de ces œuvres. Elle vint, 
pour ainsi dire, résumer tout le Moyen âge avant 
qu'il s'enfonçât dans les abîmes des temps écoulés. 
Quelque chose de lugubre enveloppe la . fantastique 
apparition. Il y a là des cris désolés, des pleurs, d'in- 
dicibles mélancolies, et la joie même est pleine de 
tristesse; on croirait assister à une pompe funèbre, 
^ entendre autour d'un cercueil le service des morts 
dans une vieille cathédrale en deuil. Et toutefois un 
souffle de vie, le souffle qui doit renouveler sous une 
forme plus parfaite ce qui s'éteint, passe sous les voûtes 
et traverse les nefs de l'immense édifice, où, comme 
dans le sein d'une femme près d'enfanter, on sent un 
secret tressaillement. Ce puëme est à la fois une tombe 



INTRODUCTION. 2f 

et un berceau : la tombe magnifique d'un monde qui 
s'en va, le berceau d*un monde près d*éclore; un por- 
tique entre deux temples, le temple du passé et le 
temple de l'avenir. Le passé y dépose ses croyances, ses 
idées, sa science, comme les Égyptiens déposaient 
leurs rois et leurs dieux symboliques dans les sépul- 
cres de Thèbes et de Memphis. L'avenir y apporte ses 
aspirations, ses germes enveloppés dans les langes 
d'une langue naissante et d'une splendide poésie, en- 
fant mystérieux qui puise 5 deux mamelles le lait dont 
ses lèvres s'abreuvent, la tradition sacrée, la fiction 
profane. Moïse et saint Paul, Homère et Virgile. Ce 
regard tourné vers la Grèce et Rome annonce déjà Pé- 
trarque etBoccace, et les autres qui suivront, en même 
temps que la soif de lumière, l'ardent désir de péné- 
trer le secret de l'univers, de sa constitution, de ses 
lois, présage Galilée. La nuit est encore sur la terre, 
mais les lueurs de l'aube commencent à poindre à 
l'horizon. 

Ces considérations sur Tensemble dos faits princi- 
paux que présente l'histoire durant la longue période 
qui, de la fin de la république romaine, s'étend jus- 
qu'à noî: jours, nous ont paru nécessaires pour que 
l'on comprît bien le caractère de l'œuvre de Dante, lié 
à celui de l'époque où elle se produisit. Mais elle a 
aussi d'étroits rapports avec la nature intime du poëte, 
ses opinions, ses passions personnelles et les événe- 



22 INTRODUCTION. 

ments de sa vie. C'est pourquoi, avant d'examiner 
plus en détail la Divine Comédie^ nous^ dirons ce qu'on 
sait de Fauteur. 



II 

VIE DE DANTE 

La vîe de Dante a été tant de fois écrite depuis Boc- 
cace, Villani etBenvenuto da Imola jusqu'à nos jours, 
qu'on ne peut que répéter ce que savent déjà tous ceux 
qui se sont un peu occupés de ce grand poëte. Il na- 
quit à Florence, au mois de mars 1265, d'Alighiero 
degli Alighieri et de sa femme Bella. Son vrai nom 
était Durante, dont Dante est l'abréviation. 11 rappelle 
lui-même, en s'en glorifiant, Torigine noble de ses 
ancêtres*, bien qu'en parlant d'eux il déclare ne vou- 
loir pas remonter au delà de Cacciaguida' dont le fils, 
Alighiero ou Aligiero, prit le nom de sa mère, de la 
famille des Aldighieri de Ferrare, et ce nom d'Ali- 
ghieri fut adopté par tous les descendants de Caccia- 
guida. 

Dante était encore dans l'enfance lorsqu'il perdit 
son père. Vers ce temps, une circonstance fortuite fit 

* Parad,, ch. xvi, terc. i et 2. 

• Jbid,, terc. 15. 



INTRODUCTION. Ï3 

naîire en lui la passion, si connue, qui eut tant d'in- 
fluence sur sa vie entière. Nous empruntons le récilj 
de Boccace: 

c< C*était en cette saison de l'année où la douceurl 
« du ciel orne de toutes ses grâces la terre qui sourit 
« dans ses riches vêtements de vert feuillage et de 
« fleurs variées, que Dante vit pour la première fois 
« Béatrice, le 1" de mai, jour où, selon la coutume, 
« Folco Portinari, homme en grande estime parmi ses 
« concitoyens, avait rassemblé chez lui ses amis avec 
« leurs enfants. Dante, alors âgé de neuf ans seule- 
« ment, était du nombre de ces jeunes hôtes. De cette 
«joyeuse troupe enfantine faisait partie la fille de 
« Folco, dont le nom était Bice^ . Elle avait à peine 
<c atteint sa huitième année. C'était une charmante 
« et gracieuse enfant, et de séduisantes manières. Ses 
« beaux traits respiraient la douceur, et ses paroles 
« annonçaient en elle des pensées au-dessus de ce que 
« semblait comporter son âge. Si aimable était cette 
« enfant, si modeste dans sa contenance, que plusieurs 
<i la regardaient comme un ange. Celte jeune fille 
« donc, telle que je Tai décrite, ou plutôt d'une beauté 
«qui surpasse toute description, était présente à 
« cette fête. Tout enfant qu'était Dante, cette image 
« se grava soudain si avant dans son cœur, que, de ce 
« jour jusqu'à la fin de sa vie, jamais elle ne s'en 

* Diminutif de Béatrice. 



24 INTRODUCTION. 

effaça. Était-ce entre deux cœurs un lien mystérieux 
de sympathie, ou une spéciale influence du ciel, ou 
était-ce, comme quelquefois Texpérience nous le 
montre, qu'au milieu de Tharmoniede la musique 
et des réjouissances d*une fête, deux jeunes cœurs 
s'échauffent et se portent Ihin vers l'autre? Il n'im- 
porte; mais Dante, en cet âge tendre, devint rcsclave 
dévoué de Tamour. Le progrès des années ne fit 
qu'accroître sa flamme, et tant, que pour lui nul 
plaisir, nul confort, que d'être près de celle qu'il 
aimait, de contempler son beau visage, et de boire 
la joie dans ses yeux. Tout en ce monde est transi- 
toire. A peine Béatrice avait-elle accompli sa vingt- 
cinquième année, qu'elle mourut'. Il plut au Tout- 
Puissant de la tirer de ce monde de douleur, et de 
l'appeler au séjour de gloire préparé pour ses ver- 
tus. A son départ, Dante ressentit une affliction si 
profonde, si poignante, il versa tant et de si amères 
larmes, que ses amis crurent qu'elles n'auraient 
d'autre terme que la mort seule, et que rie '** nour- 
rait le consoler'.» 
Ce funeste événement contribua peut-être à déve- 
lopper en lui le fonds de mélancolie qu'il semble avoir 
apporté en naissant. Quoi qu'il en soit, jamais Béatrice 
ne sortit de son souvenir. Il la célébra dans ses pre- 

* Le 9 juin 1290. 

* Boccac. VUa di Danle, 



INTRODUCTION. 25 

miers vers pleins d'amour et de douleur, et Timmor- 
talisa dans le poëme devenu Timmortel monument 
de sa propre gloire. 

Brunetto Latini, renomme par ses deux ouv/ages^ 
le Tesoro et le TesorettOj fut son premier guide dans 
l'étude des lettres et de la philosophie. Ce fut à ce 
maître, qui jamais ne cessa de lui être cher \ qu'il 
dut la connaissance des poètes anciens, objets pour lui 
d'une admiration presque religieuse. Il dut aussi 
l)eaucoupà Tamitié deGuido Cavalcanti. Le goût de 
la peinture et de la musique îe lia également avec 
Giotto, avec Oderici da Gubbio, célèbre par ses minia- 
tures, et avec Casella, qui mit en chant plusieurs de 
ses canzoni. La science ne l'attira pas moins que les 
arts et les lettres. Il visita dans sa jeunesse les univer- 
sités de Bologne et de Padoue, peut-être durant son 
exil celles de Crémone et de Naples, mais certaine- 
ment celle de Paris, où il s'appliqua particulièrement 
à rétude de la théologie*. 

On..' { que, jeune encore, il entra dans l'ordre 
des FrJies mineurs, et qu'il le quitta avant d'avoir 
lait profession. Mais ce fait, rapporté par un seul 
biographe', est plus que douteux. 

Pressé par ses amis de se marier, il épousa Gemma 



* Enf., cil. XV, terc. 28. 

• Benvenuto da Iniola, Comment, in Comœd, Dant. 
' Francesco da Buti, Mem. délia vita di danle, § 8. 



D. I. 



98 IIITnoDrcTION. 

de la famille des Donati. Si l'on en croit Boccace, que 
d'autres contredisent sur ce point, le caractère fâcheux 
de Gemma rendit cette union peu heureuse. Dante eut 
d'elle six enfants, cinq fils et une fille, qui reçut le 
nom de Béatrice. Elle prit le Yoile dans le couvent 
délia Uliva de Ravenne. Trois de ses fils moururent 
jeunes. Pierre , l'aîné , acquit quelque réputation 
comme légiste, et écrivit, ainsi que son frère Jacopo, 
un commentaire sur la Divina Commedia. 

En des temps aussi agités que ceux où vivait Dante, 
il était impossible qu'il ne prît pas part aux affaires 
publiques. Né d'une famille Guelfe, il combattit à 
Campaldino contre les Gibelins, auxquels, proscrit 
par ces mêmes Guelfes, il s'unit dans la suite. On le 
retrouve encore dans la guerre contre les Pisans. 
Egalenlent distingué par sa prudence et sa fermeté, 
on le consultait avec empressement dans les conjonc- 
tures importantes. Suivant quelques-uns de ses bio- 
graphes, il fut quatorze fois envoyé comme ambassa- 
deur près de différents princes, et, en 1300, du 
13 juin au 15 août, on le trouve au nombre des 
Prieurs, la première dignité de la république. Ce fut 
la source des malheurs de tout le reste de sa vie. 

Florence était alors divisée entre deux puissantes 
familles, toutes deux Guelfes, les Donati et les Cerchi, 
dont la mutuelle animosité remplissait la ville de d 
ordres et de rixes sanglantes. La discorde fut encore 



■ 



INTRODUCTION. IT 

augmentée parles Noirs et les Blancs de Pistoie, qui vin- 
rent à Florence soumettre leur différend à Tarbitrage 
du sénat. Les Blancs s'allièrent avec les Cerchi , les Noirs 
aveclesDonati. Dans une assemblée secrète tenue par 
les Noirs dans l'église de la Trinité, il fut résolu qu'on 
prierait le pape Boniface VIII d'inviter Charles de Va- 
lois, frère de Philippe le Bel, à marcher sur Florence 
pour apaiser les troubles et réformer l'État. Cette dé- 
marche irrita justement les Blancs. Ils allèrent en 
armes trouver les Prieurs^, et accusèrent leurs ad- 
versaires de conspirer contre la liberté publique. Ce- 
pendant les Noirs s'étant armés de leur côté, toute la 
ville fut en commotion, et un conflit devint imminent» 

En ces graves circonstances, délibérant avec ses 
collègues sur le parti à prendre, Dante leur conseilla 
d'exiler les chefs des deux factions. Ne voyant, en 
effet, aucun autre moyen de prévenir des maux ef- 
froyables, les Prieurs se rangèrent à cet avis. Les Noirs 
furent bannis au delà de la Piave, près de Pérouse, et 
les Blancs à Sarzana. Mais les Blancs avant obtenu 
quelque temps après la permission de rentrer dans Flo- 
rence, lesNoirs, qui attribuèrent cette faveur à Dante, 
le taxèrent de partialité. Les haines se rallumèrent, 
et la ville fut plus que jamais en proie à la discorde. 

Cependant le pape Boniface, craignant que les 
Blancs, qui comptaient parmi eux beaucoup de Gibe- 

> Ily en avait six. C'étaient les magistrats suprêmes do la république. 



58 INTRODUCTION. 

lins, ne prévalussent, et que les Noii^s, presque tous 
Guelfes, ne fussent exclus du gouvernement, pressa' 
Charles de Valois de marcher sur Florence. Il y entra 
avec son armée , mais, au lieu de pacifier les dissen- 
sions et de réconcilier les partis, il prit possession de 
la ville pour son propre compte. Les Blancs furent 
désarmés, et les Noirs rappelés. Ils revinrent en triom- 
phateurs, ouvrirent les prisons et saccagèrent les mai- 
sons de leurs adversaires. 

Dante, alors en mission près du pape, pour solli- 
citer son intervention amiable, était le principal objet 
de leur rage. Une proclamation, publiée le 27 jan- 
vier 1 502 , le condamna à une amende de huit mille 
livres et à un exil de deux ans, et, à défaut de paye- 
ment de Tamende, à la confiscation de ses biens, les- 
quels furent saisis. Là ne s'arrêta point la persécution. 
Au mois de mars de Tannée suivante, un décret le 
condamna, ainsi que quinze autres Florentins, à être 
brûlé vif ^ 

En apprenant le triomphe de ses ennemis à Flo- 
rence, Dante quitta Rome immédiatement, irrité 
contre le pape qu'il soupçonnait de Tavoir retenu par 
de fausses promesses sur les rives du Tibre, tandis 
qu'il concertait sa ruine sur les bords de TArno. Il se 
rendit d'abord à Sienne, d'où, pleinement instruit des 

* Tiraboscbi, Stor. délia Leller. itaL^ t, V, p. 418, donne le texte 
de la sentence, écrite en latin. 



INTRODUCTION. 29 

malheurs qui le frappaient, il alla rejoindre à Arezzo 
les aulres exilés, dont le chef, Bossone da Gubbio, 
l'accueillit avec une grande joie. 

Plus tard, les Blancs tentèrent de rentrer de vive 
force dans Florence; ils s'emparèrent même d'une des 
portes, mais ils furent finalement repoussés. On a dit 
que Dan te faisait partie de cette expédition ; il paraît, 
au contraire, l'avoir désapprouvée S et qu'elle fut 
Tune des causes qui le brouillèrent avec ses com- 
pagnons d'exil. 

« Rappelé à Florence, mais sous des conditions hu- 
miliantes, il refusa d'y rentrer'.» Sa vie ne fut désor- 
mais qu'une suite de courses errantes. Le pauvre 
banni s'en allait là où le conduisaient les circonstan- 
ces, le besoin qui le pressait, l'inquiétude de son esprit, 
l'incurable tristesse de son âme. En 1306, on le voit 
àPadoue chez les marquis Malaspina, puis avec son 
ami Bossone da Gubbio, ensuite à Vérone, près des 
Seal agi eri. De là, reprenant son pèlerinage, il par- 
courl, une partie de l'Italie, passe les Alpes, et vient 
à Paris chercher dans l'étude un aliment à sa pensée 
avide de savoir, et une distraction à ses amers ennuis. 



* Parad,, ch. xviii, Icrc. 22. 

* CeUe phraso, ajoutée par FÉditeur, est la traduction, aussi restreinte 
que possible, d une note au crayon placée par Lamennais à la marge dt 
paragraphe ci-dessus. Elle porte simplement : On le rappelle; — S07i 
refus. 



c\ 



30 INTRODUCTION. 

c< C'était, dit M. Villemain^, diaprés Boccace , vere 
c< 1304; beaucoup de monde, clercs et laïques, étaient 
c( accourus dans la grande salle de TUniversité pour 
« entendre une thèse qui devait être soutenue de qu(h 
« libetj — sur tout ce qu'on voudra. Le tenant était 
« un étranger, jeune encore, d'une physionomie haute 
c( et grave ; il y avait quatorze champions attaquants : 
c< chacun présentait sa question et sa difficulté avec 
c< tous les arguments que la science du temps pouvait 
« fournir. Lorsque ces quatorze chevaliers scolas tiques 
« eurent passé, le tenant reproduisit lui-même toutes 
« les questions ; puis il les reprit, et avec une infinie 
c( variété d'arguments, terrassa chacun de ses quatorze 
ce adversaires.» 

Il ne laissait pas, durant ces pérégrinations, de con- 
tinuer son poëme, commencé avant son exil , sans 
qu'on sache à quelle date précise, et terminé pendant 
le séjour de l'empereur Henri VII en Italie. Dante et 
les autres proscrits avaient espéré qu'il leur rouvrirait 
les portes de Florence. Il marcha en effet sur cette 
ville; mais, craignant, à ce qu'il paraît, d'échouer 
dans cette attaque, il tourna tout à coup vers le 
royaume de Naples, et bientôt après mourut, empoi- 
sonné, dit-on, à Buonconvento, près de Sienne, au 
mois d'août 1513. 

Cette mort fut celle des dernières espérances de 

* Cours de littérat, française, t. I, p. 296. 



INTRODUCTION. 31 

Dante. Il se mil de nouveau à errer çà et là, sans néan- 
moins s'éloigner beaucoup de Vérone, où, en 1320, 
il fit une sorte de cours public sur les deux éléments, 
le feu etTeau. 

L*accueil qu'il reçut à Ravenne de Guido Novello da 
Polenta, qui « sachant, dit Boccace, combien à de 
« nobles âmes il est difficile de se résoudre à deman- 
« der, prévenait tous les désirs de son hôte\ » l'arrêta 
dans celte ville. Guido, poëte distingué, était le père 
de l'infortunée Francesca de Rimini. En guerre alors 
avec Venise, il envoya Dante comme ambassadeur dans 
cette ville pour traiter de la paix. « Mais, remarque 
« un de ses biographes', il semble que ce fût la desli- 
« née de Dante que chaque honneur nouveau fût pour 
« lui le présage d'une calamité. Ses malheurs com- 
« mencèrent avec son élection à la dignité de Prieur 
« de Florence; son ambassade de Rome marqua l'épo- 
« que la plus désastreuse de sa vie; et sa mission à Ve- 
« nise se termina par sa mort : car, n'ayant pu obtenir 
« audience du sénat de cette ville, il revint à Ravenne 
a le cœur brisé, et mourut peu après », à l'âge de cin- 
quante-six ans. 

Jean Villani rapporte ainsi sa mort : « L'an 1321, 
«au mois de septembre, mourut le grand et vaillant 
« poëte Dante Alighieri de Florence, dans la ville de 



* Vita di Dante. 

« Simpson, The Literature of Italy, etc., p. 75. 



52 INTRODUCTION. 

c< Ravenne en Romagne, après son retour d'une am- 
<( bassade à Venise pour le service du seigneur de Ra- 
« venne, auprès duquel il demeurait.» 

Guido Novello da Polenta lui fit faire de pompeuse? 
obsèques. Son corps fut porté à Téglisepar les citoyens 
les plus distingués de Ravenne. Guido ordonna qu'un 
monument splendide serait élevé à sa mémoire. Mais 
la mort de Guido ayant suivi de près celle de son ami, 
ce dessein ne fut exécuté qu'en 1583, parRernardo 
Bembo, père du cardinal, et alors préteur de Ravenne. 
Le tombeau, orné de plusieurs inscriptions, fut res- 
tauré en 1692 par les ordres et aux frais du cardinal 
Corsini, et remplacé en 1780 par un magnifique mau- 
solée que fit construire le cardinal Luigi Valenti Gon- 
zaga. Vainement, à diverses époques, les Florentins 
réclamèrent les cendres du citoyen que vivant ils 
avaient proscrit, du c< poëte souverain S> qui sera à 
jamais la plus grande gloire da sa patrie ingrate : 
Ravenne, fière à bon droit de ce sacré dépôt, a résolu 
de le garder. 

Dante était de stature moyenne. Ses traits, souvent 
reproduits par la peinture et sur les médailles, étaient 
fortement prononcés : un nez aquilin, des pommettes 
légèrement saillantes, la lèvre inférieure un peu avan- 
cée, d'épais cheveux noirs bouclés, la barbe de même 

' Poêla sovrano* C'est le tilre que Dante donne à Homère. Enf, 
ch. IV, terc. 50. 



INTRODUCTION. 35 

couleur, quelque chose de pensif et de sévère dans la 
physionomie. 

Les premiers chants de la Divine Comédie^ répétés 
de bouche en bouche, avaient tellement frappé les 
imaginations, que les femmes de Florence se disaient 
Tune à Tautre à voix basse ; « Voilà celui qui va en 
enfer et en revient. » Il semblait que déjà hors de la 
sphère des êtres mortels il fût, aux yeux du peuple, 
comme un de ces fantômes qu'il avait évoqués\ 

Et n'est-ce pas en effet un fantôme, une ombre hu- 
maine qu'on voit passer là sur tous les chemins de 
l'Italie, de la France, allant, venant, sans aucun re- 
pos? Ce repos que jamais il ne devait trouver sur la 
terre, était devenu sa seule pensée, son désir unique. 
Vers la fin de sa vie, étant par hasard entré dans un 
cloître , un religieux lui demanda ce qu'il cherchai I, 
il répondi t : Pace I 

Ainsi vécut dans la souffrance et la pauvreté, et 
mourut dans l'exil, celui dont le nom ne devait jamais 
mourir. Sa destinée rappelle la destinée d'Homère, du 
Tasse, de Camoëns, de Milton. Ce n'est pas gratuite- 
ment que le génie est accordé à l'homme, et si l'on 
savait ce qu'il faut le payer, qui se sentirait l'âme 



' Une autre note au crayon semble attester que Lamennais avait en 
me quelques détails relatifs k Teffet extraordinaire produit par la Di- 
vine Comédie. Elle renvoie et nous renvoyons le lecteur au Cours de 
lUtéralure de M. Villcmaîn {Moyen Age), tome I", p. 314, cdit. Didier. 



34 INTRODUCTION. 

assez forte pour accepter ce don formidable, et ne 
dirait plutôt comme le Christ : Transeat a me I On parle 
de gloire, mais lequel d*entre eux a su qu'il jouirait 
de cette gloire, qu'elle projetterait ses rayons sur ta 
fosse où il descendait plein d'angoisse? Le vulgaire 
cherche à cette angoisse une je ne sais quelle secrète 
compensation dans les stériles joies de l'orgueil satis- 
fait. Il ignore que plus s'élèvent ces grandes âmes^ 
plus elles doutent d'elles-mêmes, plus elles se sentent 
loin du splendide exemplaire qu'elles contemplent et 
qu'elles ne reproduiront jamais. Elles sont, elles aussi, 
des victimes saintes de l'humanité dont le progrès, 
à divers degrés, est attaché à leur sacrifice. Une voix 
interne, puissante, irrésistible, leur crie : « Va ! » et 
elles vont : « Monte au calvaire ! » et elles montent. 



III 

OUVRAGES DE DANTE 

Des canzoni et des sonnets, entre lesquels on ne- 

saurait établir un ordre chronologique certain, furent 
les premières productions de Dante. Et pour la forme 
et pour le fond, ils appartiennent à iin genre de poésie 
dont il est nécessaire d'indiquer, au moins briève- 
ment, l'ongine et le caractère ; car l'intelligence do 



INTRODUCTION. S5 

l'œuvre entière du grand poète gibelin dépend de cette 
connaissance préliminaire, ainsi que Font senti les 
interprètes modernes, parmi lesquels on consultera 
spécialement avec fruit MM. Delécluse^ Philarèle 
Ghasles' et Rossetti*. Ce dernier, néanmoins, doit être 
lu avec beaucoup de réserve. 

Le chant est naturel à Thomme, et par conséquent 
la poésie ou la parole chantée. Aussi est-elle de tous 
les temps, et la trouve-t-on chez tous les peuples, 
même les plus sauvages : le nègre près des bords du 
Niger et de la Gambie, TEsquimau, le Samoyède au 
milieu de leurs glaces, l'Océanien sur ses îles de co- 
rail ont leurs chants, leur poésie, comme avaient la 
leur les fils de Brahroa dans les montagnes et les 
plaines de Tlnde, sur leurs riantes collines les enfants 
d'Hellen. Sous tous les climats, à tous les degrés d(î 
la civilisation et de la barbarie, elle est le retentisse- 
ment mélodieux de Tâme humaine. 

Si l'on remonte à la source cachée dans la nuit des 
âges, d'où s'épancha de proche en proche la bienfai- 



* Dante Alighierif ou la poésie amoureuse. Paris, chez Amyol. 

« Étude sur Dante, parmi les Éludes sur les premiers temps du chris- 
tUmisme et sur le moyen âge. Paris» 1847. 

* Sullo spirito antipapaîe, che produsse la Riforma, e suUa sécréta 
iofluenza ch^esercitb nella Letteraturad'Ëuropa, e specialmente d'Italia. 
come risulta da molti suoi classici, massimè da Dante, Petrarca, Botv 
caccio, DisquisizionL Londres, 1852. — LaDivina Commedia di Dante 
Aligbieri, con comento analitico di Gabriele Rossetti. Londres, 1827. 



5G KTUODIICTION. 

santo lumière de la religion, des lois, on en voit sortir 
la poésie sous sa première forme, et cette forme est 
riiymne. Les Védas ne sont qu'un recueil d'hymnes. 
Les chants d'Orphée, de Musée, étaient des hymnes, 
^hose bien remarquable, Thomme s'est d'abord, par 
jn élan spontané de son être^ porté vers Dieu. Puis, 
redescendant en lui-même, au sein de la Nature, pé- 
nétré de sa vie, il en chante les merveilles, les secrètes 
puissances, ses propres sentiments, ses passions, et 
surtout la plus vive, la plus universelle, lamour. 

A cette poésie d'amour l'hymne vient se mêler en- 
suite par la combinaison, la fusion, qui s'opère dans 
les profondeurs mystérieuses de l'âme, de l'amour 
humain et de l'amour divin. 

La pensée se développant, ce qui n'était qu'instinct 
devient plus tard doctrine. On voit naître une philo- 
sopliie de l'amour séparé des sens (quoique la poésie 
qui le peint emprunte aux sens et aux passions des 
sens ses images), et dont l'objet se symbolise dans une 
femme idéale, avec les différences produites, chea; les 
différents peuples, à des époques diverses, par les 
idées religieuses accessoires, les mœurs et le génie 
ïMÔmc des races. De là, pour ne pas remonter plus 
liaut dans le temps, et ne pas s'enfoncer plus loin ■ 
dans rOrient, la Sulamite du Cantique des CantiqueSf • 
la Diotime du Banquet de Platon^ où Socrate raconte 
comment il fut par elle initié à la doctrine de Tamour ; 



INTRODUCTION. 37 

céleste, la Zuléika et la Léila des Arabes, et tant 
d'autres types analogues chez les Persans ; et après les 
croisades, chez les peuples occidentaux, où on le re- 
trouve jusqu'en Angleterre dans les sonnets de Shak- 
speare, visiblement empreints de ce mysticisme tradi- 
tionnel. Le symbolisme mystique de Dante et de ses 
contemporains se compliqua d*un autre symbolisme 
correspondant aux passions politiques des partis entre 
lesquels était divisée Tltalic, le parti impérial ou gi- 
belin, le parti guelfe ou pontifical, et à la haine plus 
générale qu'inspiraient Tambition, Torgueil, l'avarice 
de la cour romaine, et ses corruptions parvenues à leur 
comble lors du séjour des papes à Avignon. 

Ainsi les symboles de l'amour pur, de l'amour 
divin, devinrent les symboles d'une doctrine secrète, 
religieuse et politique ; les mots prirent des acceptions 
nouvelles, obscures pour le vulgaire, connues des 
seuls adeptes. On n'en saurait douter en lisant les 
poètes gibelins de l'époque de Dante, Guido Caval- 
canti, Lappo Gianni , Guittone d'Arezzo , Cione Ba- 
glione, Cino da Pistoïa, Giglio Lelli et leurs sonnels 
énigmatiques. Sous des formes convenues, mysté- 
rieuses, ces fidèles d'amour^ ainsi qu'ils se nommaient 
entre eux, se communiquaient leurs pensées , leurs 
espérances, leurs craintes, poursuivant le but parti- 
culier du parti impérial, et concourant, à divers 
degrés, au développement de la vaste conspiration 



D. I. 



58 INTRODUCTION. 

formée dans le Moyen âge contre la Rome papale, ef 
qui aboutit à la réforme du seizième siècle. Les Lettres 
de Pétrarque, ses Églogues et celles de Boccace, ne 
laissent sur ce point aucune incertitude. Quelle que 
fût d'ailleurs la multiplicité des doctrines et des asso- 
ciations différentes, le même esprit éclate partout ^ 
avec les mêmes précautions de langage. Les figures 
de r Apocalypse, les fictions païennes du Tartare et de 
rÉIysée fournissent, tour à tour, des images sur le sens 
desquelles aucun initié ne se méprenait. Le Pape est 
l'antique serpent, son règne le règne visible de Satan 
et de ses anges maudits ; les martyrs revêtus de robes 
blanches demandant justice de leurs persécuteurs au 
pied du trône de T Agneau, sont les victimes de l'In- 
quisition; la ville aux sept collines, Rome, est la pro- 
stituée assise sur les eaux, la Babylone, repaire des 
animaux immondes, dont on attend la chute certaine, 
célébrée par des chants d'allégresse et des cris de 
vengeance. 

Une telle complication de vagues allégories, d*ex- 
pressions volontairement obscures, ne jette pas seule- 
ment de la sécheresse et de la froideur dans les poésies 
gibelines, mais souvent les transforme en une sorte 
de chiffre inintelligible aujourd'hui, et qui le sera 
probablement toujours, spécialement en ce qui touche 
le côté politique. 

Le symbolisme philosophique n'exigeait pas les 



i 



INTRODUCTION. 30 

mêmes précautions ; aussi verrons-nous plus loin que 
Dante lui-même fournit des explications très-utiles pour 
l'intelligence non-seulement de ses premières poésies, 
mais encore de la Divina Commedia^ sans néanmoins 
dissiper, à beaucoup près, toutes les obscurités. 

Pour ne pas interrompre renchaînement des idées 
et des faits qui relient entre eux ses autres ouvrages 
et en forment le meilleur et le plus sûr commentaire^ 
nous parlerons ici de son Traité de la langue vulgaire^ 
qu'il contribua tant à fixer au degré où elle pouvait 
l'être, si près encore de son origine. Ce sujet, en ap- 
parence purement littéraire et scientifique, n*était 
pas étranger aux intérêts de parti. Les Guelfes et les^ 
Gibelins avaient chacun leur langue : les Guelfes le 
latin, langue officielle connue de la seule classe in- 
struite, les Gibelins la langue parlée et entendue de^ 
tous. Ce n'était pas là, certes, une différence légère, 
car elle marquait deux tendances contraires, Tune 
vers Tavenir, l'autre vers le passé. La naissance de la 
langue vulgaire fut la naissance de l'esprit nouveau. 
Quand les peuples eurent leur langue, ils eurent leur 
pensée spontanée, vivante. 

Dante, selon la méthode du temps, remonte à Tori- 
gine<lu langage même, qu'il place en Dieu parlant au 
premier homme, et l'homme dut, selon lui, parler 
avant la femme en vertu de sa prééminence. Cette lan- 

* De vuUjari eloquio. 



40 INTRODUCTION. 

^ue originelle fut T hébreu ; après quoi vint la confu- 
sion de Babel . 

11 distingue en Europe plusieurs familles de lan- 
gues : les langues slaves et les langues latines, « qui 
« n'en font qu'une , dit-il , bien qu'elles paraissent 
<c trois. Pour signe d'affirmation, les uns disent oc^ les 
« autres otV, les autres si ; ce sont les Espagnols, les 
« Français et les Italiens. La preuve de l'origine com- 
« mune de ces trois langues est dans le grand nombre 
« de mots semblables qu'elles emploient ^ » 

Puis il établit la supériorité de la langue d'oil, dans 
laquelle écrivaient de préférence les Italiens eux- 
mêmes avant que leur propre langue se fût suffisam- 
ment développée et polie*. Dante la divise en quatorze 
idiomes, « chacun desquels, ajoute-t-il, se subdivise 
« lui-même en un si grand nombre, que je porterais à 
<( mille tous les dialectes, toutes les variétés de langage 
« qui se parlent en Italie. » 

M. Villemain fait à ce sujet les réflexions suivantes, 
aussi justes, ce nous semble, qu'ingénieuses. « Cette 
« multitude même de langages, dit-il , nous expliquera, 
«je crois, pourquoi la langue italienne fut si tardive à se 

* Traduction de M. Villemain. 

> i( Si aucuns demandoit pourquoi chi lisvres est écrit en rouman, pour 
•chou que nous sommes ytalien, je diroie que ch'est pour chou que nous 
sommes en France, et pour chou que la parleure en est plus délitablo 
et plus commune à toutes gens. » Brunetto Latini, en son livre intitulé 
le Trésor. 



INTRODUCTION. 41 

« fixer, à se constater visiblement par des écrits. Tout 
ce homme doué de quelque invention voulait être en- 
ce tendu au delà des murs de sa ville ; il était tenté de 
a choisir, non pas un de ces patois de lltalie, mais 
c< une langue durable, vivace : il écrivait en langue 
« latine. Ce n'est pas tout; lorsque le souffle du génie 
« moderne commençait à dominer, lorsqu'il fallut 
« bien se détacher de cette latinité morte, ou qui ne 
c< vivait plus que dans les églises et dans les greffes, les 
« premiers hommes qui, en Italie, sentirent en eux 
a quelque talent poétique, pour rendre en langue vul- 
a gaire les émotions du cœur, cherchèrent un autre 
c< idiome moderne qui leur offrît ce caractère d'unité 
a qu'ils ne trouvaient pas en Italie : le provençal devint 
« pour eux la langue littéraire. Cette influence que la 
c< langue des trouvères obtenait en Angleterre par la 
« conquête et Tenvahissement politique, la langue des 
a troubadours l'exerça sur l'Italie du nord par le seul 
« pouvoir du goût et de l'harmonie \ o 

Il y aurait aussi à tenir compte dans le Midi de l'in- 
fluence que dut exercer la conquête du royaume de 
Naples par Charles d'Anjou. Celle des Normands ne 
paraît pas avoir, à cet égard, laissé de traces sensibles. 

La Vie nouvelle marque en effet dans la vie de Dante 
comme une époque de transition, déterminée par la 
mort prématurée de Béatrice. La passion si constante 

* Cours de littérature françaisey tom. I, p. 300. 



42 INTRODUCTION. 

et si vive que, dès Tenfance, lui avait inspirée celte 
jeune fille se transforma, et sembla depuis lors flotter, 
en quelque sorte, entre l'objet réel ravi à son amour 
terrestre, et un type idéal où se concentrait tout ce que 
le poëte concevait de plus haut dans ses contempla- 
tions religieuses et philosophiques. La femme devint 
symbole sans cesser d'être femme, et toujours, dans le 
ciel même, au sein du mystère qui l'enveloppe, elle 
apparaît sous ce double aspect. 

L'ouvrage singulier où Dante peint si vivement les 
amères douleurs d'une perte irréparable et la transfor- 
mation qu'elle opéra en lui, est en même temps une de 
ces œuvres où, en l'enveloppant de symboles familiers 
aux adeptes, et clairs pour eux seuls, les Gibelins, 
comme nous l'avons dit, cachaient le secret de leurs 
pensées et de leurs passions politiques. 11 commence 
ainsi : 

a Dans cette partie du livre de ma mémoire, avant 
« laquelle il y aurait peu de choses à lire, se trouve 
« une rubrique qui dit : Ici commence la vie nouvelle. 
« Sous cette rubrique, je trouve beaucoup de choses 
« écrites, et des paroles que j'ai l'intention de rassem- 
« bler dans ce livre, sinon textuellement, au moins 
« quant au sens\ » 

Il raconte ensuite de quelle manière, lorsqu'il ac- 
complissait sa neuvième année, lui apparut la glo- 

' Traduction de M. Delécluse. 



INTRODOCTIOTf. <5 

rieuse dame de sa pensée, à laquelle, dit-il, c< beau- 
ce coup de personnes ne sachant comment la nommer, 
« ont donné le nom de Béatrice. » 

Neuf ans après, il la rencontre « vêtue d'un habit 
« de blancheur éclatante, et placée entre deux nobles 
« dames un peu plus âgées qu'elle. Elle le salue d'un 
<c salut si doux^ qu'il croit toucher au terme de la béa" 
« titude » 

Rentré chez lui, il a une vision à la quatrième heure 
de la nuit. Récit de cette vision, bizarrement allégo- 
rique : 

c< J'en ressentis, ajoute-t-il, une si vive angoisse de 
« cœur, que mon sommeil, qui n'était que léger, fut 
« interrompu , et je m'éveillai. Aussitôt je repassai 

<c dans mon esprit ce qui m'était apparu, et je pris 

« la résolution de faire connaître ce que j'avais vu à 
« plusieurs personnes, qui alors étaient des trouba- 
c( dours fameux ; et comme déjà j'avais fait expérience 
« de dire des paroles en rimes, je décidai de composer 
« un sonnet dans lequel je saluerais tous les Fidèles 
« d'amour. Les priant donc de juger ma vision, je leur 
« écrivis ce qui m'était apparu pendant mon sommeil, 
« et commençai ce sonnet : 

« A chaque âme éprise, à tout noble cœur à qui ce 
« sonnet parviendra, afin qu'ils en disent leur avis, 
« salut ! au nom de leur seigneur, c'est-à-dire Amour. 

« Le tiers des heures pendant lesquelles les étoiles 



44 INTRODUCTION. 

« sont le plus brillantes était passé, quand Amour 
« m'apparut tout à coup ; Amour dont Tessenee me 
« remplit de crainte quand j'y repense. 

c< Amour me semblait gai , tenant mon cœur dans sa 
c( main, et soutenant dans ses bras une dame endormie 
a et enveloppée dans un voile. 

« Puis il la réveillait, et faisait repaître humble- 
« ment la dame épouvantée, de ce cœur si ardent; 
« après, je le voyais fuir en pleurant ^ » 

Guido Cavalcanti, Cino da Pistoïa, Dante da Maïano, 
Davanzati, Orlandi, Doni, répondirent à ce sonnet par 
d'autres sonnets plus obscurs encore. Tous étaient des 
hommes graves. S'amusaient-ils à échanger entre eux: 
des énigmes inintelligibles? il est impossible de le 
penser. Ces images, ces allégories, si sérieuses à leurs 
yeux, recouvrent évidemment quelque secret perda 
pour nous, probablement un secret politique. 

Chaque sonnet est accompagné d'une glose qui eiE 
marque les diverses parties, par une sorte d'analys<3 
subtile, suivant la méthode scolastique , mais sans jeter 
aucune lumière sur le fond de la pensée. 

Retenu au lit par une maladie grave, le poète a pen- 
dant le sommeil une vision où la mort de Béatrice lui 
est annoncée. Le récit plein de tristesse et de tendresse 
que, suivant sa coutume, il en a d'abord fait en prose, il 
el reproduit dans des vers touchants. La réalité domine 

* Traduction de M. Deiccluse. 



INTKODUCTIOÎi 45 

îcî ; on sent vibrer les fibres du cœur, on voit couler de 
vraies larmes. Depuis lors la jeune fille, reçue parmi 
les bienheureux, devient une sorte d'apparition cé- 
leste, un être à demi réel, à demi symbolique. f.e 
poëte a devant soi un modèle idéal où rien de mortel 
ne subsiste plus. Enfin ses chants s'arrêtent, mais, 
comme il le fait pressentir, pour recommencer avec 
plus d'éclat lorsque son génie, dans la plénitude de sa 
force, lui permettra d'élever le monument qu'il des- 
tine à celle dont le souvenir ne devait jamais s'effacer 
de son âme , ni , grâce à lui , de la mémoire des 
hommes. 

a Après avoir, dit-il, terminé ce sonnet, j'eus une 
« vision extraordinaire pendant laquelle je fus témoin 
« de choses qui me firent prendre la résolution de ne 
« plus rien dire de cette Bienheureuse jusqu'à ce que 
ce je pusse parler tout à fait dignement d'elle. Et pour 
« en venir là, j'étudie autant que je peux, comme elle 
« le sait très-bien. Aussi, dans le cas où il plairait à 
ce Celui par qui toutes choses existent, que ma vie se 
c( prolongeât, j'espère dire ce qui n'a jamais encore été 
c< dit d'aucune autre ; et ensuite qu'il plaise à Celui 
c( qui est le seigneur de la courtoisie que mon âme 
c( puisse aller voir la gloire de la Dame, c'est-à-dire de 
« la bienheureuse Béatrice, qui regarde glorieusement 
a en face celui qui est per omnia sœcula benedu tus 
a LausDëo. i) 



iO TNTT?0T)I1CTI0N. 

Ainsi finit la Vita nuova. 

Le Convito ou le Banqvet est un commentaire sur 
des Canzoni, qui devaient être au nombre de quatorze; 
mais Touvrage , incomplet par rapport au dessein 
primitif de l'auteur , n'en contient que trois. c< Les 
f< viandes de ce Banquet, dit-il, seront servies de qua- 
<c torze manières différentes, c'est-à-dire en quatorze 
« canzonij dont l'amour et la vertu seront le sujet: 
« lesquelles viandes sans le pain que j'offre avec, ne 
« seraient pas exemptes d'obscurité, et plairaient à plu- 
« sieurs moins à cause de leur utilité que de leur 
« beauté. Mes commentaires seront la lumière qui en 
« découvrira le vrai sens à tous. » 

On doit, selon Dante, « distinguer dans les écrits 
« quatre sens différents : le sens littéral, le sens allé- 
« gorique, le sens moral et le sens anagogique. » 

C'était la méthode appliquée dans les écoles de 
théologie à l'interprétation de l'Écriture. c< Par le sens 
<( allégorique, j'entends, ajoute Dante, la Vérité ma- 
« nifestée par le moyen de la Fable. Ainsi quand Ovide 
« dit qu'Orphée charma les bêtes sauvages, et mut au 
« son de sa lyre les arbres et les rochers, il voulait faire 
<c entendre que l'homme sage, par ses raisonnements, 
c< règle et adoucit les plus sauvages passions. Les théo- 
« logiens interprètent ce sens différemment ; mais icC 
a je ne parle que de poésie, et je me borne à montrer 
« comment l'interprètent les poètes. Le sens moral 



INTRODUCTION. 47 

<c consiste dans le bénéfice que le lecteur retire pour 
« soi-même de ce qu'il lit. Le sens anagogique est Tin- 
« terprétation spirituelle de ce qui signifie les su- 
ce prêmes objets de réternelle gloire.» 

Nous reviendrons sur ce sujet, avec Dante lui-même, 
lorsque nous parlerons de la Divine Comédie. Mais le 
passage suivant doit être aussi remarqué : 

« Je dis que par le ciel j'entends la science, et par 
<c les cieux les sciences, à raison de trois similitudes 
« que les cieux ont avec les sciences, principalement 
<c par Tordre et le nombre en quoi ils paraissent con- 
« venir. La première est la révolution de Tun et de 
« l'autre autour de son point immobile ; car, comme 
•« chaque ciel tourne autour de son centre , ainsi 
« tourne chaque science autour de son sujet. La se- 
« conde similitude est la puissance d'illuminer, pro- 
<i pre à l'un et à l'autre; car, comme chaque ciel 
« illumine les choses visibles, ainsi chaque science les 
c< intelligibles. Et la troisième similitude est de con- 
« duire à la perfection les choses qui y sont disposées * . » 

En écrivant le Conxnto^ Dante était, comme on le 
Toit , principalement préoccupé de l'idée philoso- 
phique, de tout ce que comprenait la science de son 
temps, laquelle fut aussi une de ses passions ; et par 
ce côté il représente encore la société contemporaine, 
que tourmentait intérieurement un vague besoin de 

* Convito, II, XI?. 



' « 



■ ( 



18 INTRODUCTION. 

savoir. Ce n'est pas, néanmoins, qu'il ne se trouve 
dans le même ouvrage beaucoup de traits propres à 
répandre une utile lumière sur les secrètes pensées 
' de l'auteur, par rapport à l'état de l'Italie, aux fac- 
tions qui la divisaient, aux causes des maux dont elle 
gémissait : si l'homme intellectuel, embrassant l'uni- 
vers, planait dans ses espaces immenses, s'élevait de 
ciel en ciel jusqu'à la source infinie, éternelle, du 
Vrai et du Beau, l'homme de ce monde fugitif, ra- 
mené sur la terre par la réalité des choses de la vie» 
ses souffrances et ses espérances, par l'amertume des 
regrets, les passions de parti, la colère, la haine, en 
nourrissait son âme, théâtre permanent d'un drame 
terrible qui se dénoue dans une fosse à Ravenne. 

Lors de l'entrée en Italie de l'empereur Henri Vil, 
une sorte de fiévreuse activité saisit cette âmé ardente. 
Il écrit à l'empereur, aux princes, aux peuples, aux 
Gibelins, aux Guelfes, à l'Italie entière; il se fait le 
suppliant de la paix publique, conjurant les factions 
d'oublier le passé, d'abjurer leurs fatales dissensions, 
de ne plus former qu'une seule famille unie autour 
du sceptre impérial, à ses yeux le symbole de l'ordre 
et le gage du salut. Ce fut alors qu'il publia son livre 
de Monarchiâj où il expose avec beaucoup de netteté 
sa théorie sociale. Il y établit la nécessité, pour le 
maintien de l'unité, de la justice, de la concorde, 
d'une monarchie ou d'un empire universel, de l'em- 



INTRODUCTION. 49 

pire que déjà, dans le ComntOj il avait dit avoir atteint 
sa perfection sous Octave Auguste*. Par une disposi- 
tion divine, cet empire appartient au peuple romain > 
et ne dépend immédiatement que de Dieu. Nous 
aurons bientôt occasion d*examiner cette théorie, qui 
se rattache aux plus hautes questions discutées encore 
aujourd'hui, et avec non moins de chaleur qu'au 
treizième siècle. La Rome pontificale, après avoir si 
longtemps combattu pour se subordonner l'empire, 
n'en pouvait admettre la pleine indépendance. Le livre 
de Dante souleva tout le parti papal. Le cardinal Bel- 
tramo di Poggetto, légat du pape en Lombardie, or- 
donna qu'il serait brûlé comme contenant des doc- 
trines hérétiques, et défendit de le lire sous peine 
d'excommunication; l'auteur, menacé du même sort, 
s'enfuit, non sans difficulté, des Légations avec l'aide 
de quelques amis*. 

Durant ces jours de persécution, errant de lieu en 
lieu sans trouver nulle part un coin de terre où se 
reposer, Dante ne laissait pas de continuer son Poëme, 
où se trouve rassemblé tout ce que l'étude, la réflexion, 
les événements d'une vie si troublée avaient accumulé 

*■ H mondo non fu mai ne sara si perfettamente disposto, corne 
allora, che alla voce d'un solo principe del Roman popolo e comanda- 

tore fu ordinale Ë per6 pace universale era per tutto, che mai più 

non fu ne sia : la nave délia umana compagnia dirittaroente per dolcti 
cammino al débite porto correa. ConvitOy p. 167. 

* Pino délia Tosa et Ostagio di Polenta, suivant Boccace. 



5vi INTRODUCTION. 

•de connaissances diverses, dépensées, d'émotions, de 
tristesses et de joies (hélas I celles-ci trop peu nom- 
breuses) dans ce vaste esprit et cette grande âme. 
Avant de pénétrer dans les splendides ombres de ce 
.isanctuaire , d'essayer de soulever quelques-uns des 
voiles qui en recouvrent les mystères, un nouveau tra- 
vail est indispensable. Il faut connaître Dante tout en- 
tier pour connaître son œuvre. 



IV 

DOCTRINES DE DANTE 

Tout homme est de son siècle. Quels que soient son 
!génie, sa puissance personnelle, il se meut toujours, à 
bien peu près, dans la sphère des idées reçues, aspi- 
rant au delà, il est vrai, et, àTaide d'une vue plus 
perçante, montrant à ceux qui le suivent quelque per- 
spective jusqu'alors cachée, un terme encore lointain 
vers lequel désormais, pleins d'un désir inquiet, ils ne 
cesseront de marcher, incapables de repos jusqu'à ce 
qu'ils l'atteignent. Ainsi va se modifiant l'état de l'es- 
prit humain, ainsi de proche en proche s'accomplit 
le progrès; et ce mouvement qui n'est que la loi même 
d'évolution de l'humanité, il n'est pas plus possible 
de l'arrêter, que de le hâter par la suppression des 



INTRODUCTION. 51 

points întermédiaires. De là, dans la société , une 
double tendance, Tune à conserver ce qui est, l'autre 
à le détruire en le transformant, car rien ne naît sans 
germe, et, de quelque manière qu'il y soit enveloppé, 
le germe de l'avenir est dans le présent, qui lui-même 
eut le sien dans le passé. 

Au siècle de Dante, la théologie dominait toutes les 
autres sciences \ et avec raison en un sens, puisqu'elle 
en est la plus générale, qu'elle part de la cause pre- 
mière, universelle et absolue, pour descendre aux cau- 
ses dérivées et particulières. Indépendante, à ce point 
de vue, des religions diverses et de leurs dogmes va- 
riables, elle se confond néanmoins de fait avec ces 
religions chez les différents peuples dont elles déter- 
minent les croyances, sur tant de points opposées entre 
elles. Ainsi, dans le cours des âges se produisirent les 
théologies égyptienne , brahmanique , mazdéenne, 
juive, musulmane, chrétienne. Celle-ci dut être néces- 
sairement la théologie de Dante, né chrétien, et qui 
vécut chrétien sincère. 

Pour bien comprendre Tesprit de son temps et ses 
opinions propres, on ne doit pas oublier que la reli- 
gion chrétienne se compose d'une doctrine qui est 
l'objet de la foi exigée, et d'une institution extérieure, 

*• Aussi le titre de « théologien » est-il le premier donné k Dante dans 
l'inscription inscrite sur son tombeau : 

Theologus Dantes, nullius dogmatis expers. 



52 INTRODUCTION. 

d'un corps sacerdotal dépositaire de cette.doclrîne, et 
préposé au gouvernement de la société qui la pro- 
fesse, société qu'on appelle TÉglise. Constitué hiérar* 
chiquement, le sacerdoce, sous sa forme définitive, 
eut pour chef le pontife romain, dont la puissance, 
accrue par une suite d'entreprises hardies et patien- 
tes, et aussi par une conséquence logiquement rigou- 
reuse du principe de l'institution, avait d'abord lutté 
avec gloire, et au bénéfice de l'humanité, contre le 
pouvoir temporel, qui, d'une part, tendait à tout 
absorber en soi, et, d'une autre part, à éteindre dans 
le despotisme de la force brutale et dans un matéria- 
lisme grossier tout ce qui restait de lumières et la 
morale même devenue le jouet de ses caprices les plus 
effrénés. Ce fut l'époque brillante et vraiment grande 
de la papauté, aidée, dans le combat à outrance qu'elle 
eut à soutenir, par l'infaillible instinct des peuples. 
Mais, selon la pente inévitable de la faiblesse hu- 
maine, après avoir arrêté les envahissements, re- 
poussé la domination du pouvoir temporel qui aurait 
plongé la société dans l'abjecte servitude de la brute, 
elle s'efforça de se substituer à lui, de l'absorber dans 
son propre pouvoir, de constituer enfin une théocratie 
absolue, non moins destructive de la hberté, de 
l'homme intellectuel et moral. Alors les peuples, par 
h même instinct infaillible où elle avait d'abord 
trouvé un invincible appui, se tournèrent contre elle; 



INTRODUCTION. 5S 

ils finirent même par la prendre en haine à cause de 
ses oppressions, de ses exactions, de son avarice in- 
satiable et de ses corruptions de tout genre. De là^ 
surtout dans les classes relativement instruites, une 
vive opposition qu'elle crut dompter par les supplices; 
mais elle ne réussit qu'à la rendre secrète, à la refou- 
ler au fond des âmes où bouillonnaient les passions 
ardentes comme la lave en fusion dans les entrailles, 
d'un volcan. Rien de plus vrai que ce que dit à cet 
égard M. Rosselti, et les preuves qu'il allègue, déjà 
connues, au reste, de quiconque a sérieusement étudié 
cette période de l'histoire, sont en général sans ré- 
plique ; seulement il n'apporte pas toujours assez de 
critique dans le choix de ces preuves, confondant 
quelquefois des choses très-diffcrentes et même en- 
tièrement disparates. Ainsi, bien que les Albigeois 
aient pu avoir quelques liaisons avec d'autres ennemis 
de la Rome papale, ils n'en formaient pas moins une 
secte tout à fait à part, imbue des doctrines orientales 
d'un manichéisme analogue à celui de plusieurs gno- 
stiques, et qui n'empruntaient au christianisme, dans 
un but de propagande plus facile, que certaines for- 
mes extérieures du culte et les dénominations verbales 
du sacerdoce hiérarchique. Il est vrai aussi que, en 
dehors de cette secte radicalement antichrétienne, la 
foi aux dogmes s'était ébranlée avec la foi au sacer- 
doce conservateur du dogme, et cela naturellement, 




5i INTunnlSCTIOK. 

comme aussi à divers degrés; do sorte q 
langage symbolique au moyen duquel s'entendaient 
entre eus les adversaires de la Rome papale, langage 
habituellement tiré des figures de l'Apocalypse, il est 
souvent très-difficile de distinguer les sentiments réels 
de ceux qui l'emploient, leurs idées précises, et de 
fixer les bornes dans lesquelles se renferme leur 
«royance ou leur incroyance. 

Pour ce qui est de Dante, il nous paraît, lors même 
que sa parole est la plus empreinte d'amertume, s'in- 
digner uniqncment contre les abus de la papauté, son 
ambition, sa rapacité, ses dissolutions scandaleuses, 
«n respectant l'institution et la puissance, à ses yeux 
d'origine divine, qu'il reconnaît lui appartenir dans 
l'ordre spirituel. 

Nous croyons, avec M. Ozanam, que sa théologie 
strictement orthodose, était la pure théologie alors 
-enseignée dans les écoles, la théologie de saint Tho- 
mas et des autres docteurs. On ne saurait même, en 
Je lisant, s'empêcher de remarquer le soin particu- 
lier qu'il apporte, lorsqu'il traite de ces matières, à 
ne rien dire qui ne soit rigoureusement exact, non- 
seulement quant au fond de la pensée, mais encore 
•quant à l'expression. Quelques déviations apparentes, 
dont nous aurons à parler ailleurs, n'infirment point 
cette observation, incontestable, ce nous semble, dans 
sa généralité. 



INTRODUCTION. 5b 

La philosophie naturelle , à proprement parler, 
n'existait pas encore. Au lieu de rassembler et de 
classer les faits pour remonter ensuite aux lois qui les 
enchaînent, elle suivait la méthode directement con- 
traire, substituant Thypothèse à Texpérience, et au 
monde réel un monde abstrait, produit fictif de vues 
à priori et de conceptions arbitraires. Elle procédait 
delà métaphysique étroitement liée à la théologie de qui 
elle dépendait, et à laquelle l'école s'efforçait de ra- 
mener les idées d'Aristote, mal compris et dont Tauto- 
rité ne laissait pas d'être souveraine * : d'où une double 
interprétation du dogme par le philosophe grec, et du 
philosophe grec parle dogme. 

Très-inférieures à ce qu'elles avaient été chez les 
anciens et même plus tard chez les Arabes , la science 
du calcul et la géométrie, indispensables aux besoins 
de la vie dans les civilisations les moins avancées, sub- 
sistaient et se perpétuaient par un enseignement prin- 
cipalement fondé sur les livres de Boèce et d'Euclide. 
En astronomie , Ptolémée régnait exclusivement , et 
dans l'explication des phénomènes célestes , nul ne 
songeait ni n'eût osé songer à s'écarter de son système 
traditionnellement consacré. 

Mais à l'astronomie se reliait tout un ordre d'idées 
à la fois philosophiques et théologiques , dont l'en- 

* Il gran maestro di color che sanno. 

(Inf. Vf.) 



I 



'56 INTBODUCTÎON. 

semble constituait ce qu'aujourd'hui on appellerait la 
physique du monde, la science de la vie dans tous les 
êtres, de leur organisation variée , des causes des- 
quelles dépendent les aptitudes diverses, les inclina- 
tions, et, en partie, les actes de Thomme, ses destinées 
individuelles, et les événements mêmes de l'histoire. 
Le poëme de Dante est plein de cette doctrine domi- 
nante alors, et c'est pourquoi il est nécessaire de sa- 
voir comment il la concevait. 

Tout émane de Dieu, de la trine unité de son être; 
il a tout créé, et la création- embrasse deux ordres 
d'êtres : les êtres immatériels, les êtres corporels. 
Bien que tous ces êtres, qui existent dans le temps, 
aient entre eux des relations de temps, ces relations, 
dépendantes de leur mode fini d'existence, n'ont de 
rapport qu'à eux. La création du monde des esprits 
et celle du monde des corps furent, quant à Dieu, si- 
multanées , car sa durée est indivisible. Comment 
d'ailleurs comprendrait-on l'être spirituel séparé de 
sa puissance motrice actuellement en acte , laquelle 
en est le complément, et, pour ainsi parler, l'achève- 
ment essentiel ' ? 

De ces purs esprits se composent les neuf Chœurs 
de la hiérarchie céleste. Comme autant de cercles con- 
centriques, ils sont rangés autour du Point immobile, 
(le l'Etre un, dans un ordre que détermine leur per- 

* Paradis , ch. xxix, terc. 15. 






INTRODUCTION. 57 

feclîon relative, les Séraphins d'abord, puis les Ché- 
rubins, et les autres jusqu'aux simples Anges. Ceux 
du premier cercle reçoivent immédiatement du Point 
immobile et la lumière et la vertu qu'ils communi- 
quent à ceux du second; et ainsi de cercle en cercle, 
comme des miroirs se renvoient l'un à l'autre les rayons, 
affaiblis par chaque réflexion, d'un point lumineux. 
Les neuf Chœurs, emportés par l'Amour, tournent sans 
cesse autour de leur centre en des cercles de plus en 
plus larges, à mesure qu'ils s'en éloignent plus, et 
c'est par eux que le mouvement et l'influx divin sont 
transmis à la création matérielle. 

Celle-ci a au-dessus d'elle l'Empyrée, le ciel do la 
jmre lumière^. Au-dessous est le Premier mobile, le 
plus grand corps du ciel^y comme l'appelé Dante, parce 
qu'il enveloppe tous les autres cercles, et termine le 
inonde matériel. Puis vient le ciel des étoiles fixes, 
puis, en continuant de descendre, les cieux de Sa- 
turne, de Jupiter, de Mars, du Soleil, de Vénus, de 
Mercure, de la Lune, et enfin, au point le plus bas^ la 
Terre, dont le noyau compacte et solide est entouré 
des sphères de l'eau, de l'air et du feu. 

Comme les Chœurs angéliques tournent autour du 
Point immobile, les neuf Cercles matériels tournent 
autour d'un Point fixe, mus par les purs esprits qui 

* ParadLso, ch. xxx, terc. 15. 
« Ibid. 



58 INTRODUCTION. 

leur transmettent, réfléchie de cercle en cercle, la h 
mière qu'ils reçoivent du Point immobile, et les va 
tus informatrices, qui impriment en chaque être 
caractère de sa nature propre, image imparfaite • 
participation limitée de ce que renferme en soi, au 
degré infini, TÊtre infini. 

Ainsi, aux deux extrémités de ce grand Tout, det 
points immobiles, Tun créé, l'autre créateur : en b{ 
la Terre ou la partie la plus matérielle de la créatioi 
en haut le Principe universel subsistant de soi en d( 
hors du temps, ou Dieu caché dans les ténèbres de s 
lumière impénétrable; entre ces deux points extrêmes 
Tun en immensité, Tautre en petitesse, l'un plénitud 
do Tétre, l'autre dernier terme du moindre être, 1 
Cri^atiou, de l'ange au grain de sable déployant se 
merveilles ordonnées en deux hiérarchies symétrique 
ment correspondantes : celle des esprits et celle de 
corps animés et inanimés. 

Selon ces idées, Tenchainement des phénomène 
dans Tunivers dépend d'un enchaînement semblabl 
d'influences émanées do TÊU^ infini, et se modifiai] 
de ciel en ciel suivant la nature de chacun d'eux et I 
nature des êtres qui les rei^oivent; de sorte que, cou 
nues en elles-mêmes ainsi que dans leurs combinai 
sons, les effets j^r Ies4|uel3 elles se manifestent sur 1 
planète que nous habitons, pourraient étix?. prévu 
avec une certitude égale à la connaissimcc qu'oi 



INTRODUCTION. 5Î> 

aurait de leurs causes. On voit que cette doctrine est 
le fondement de Tastrologie judiciaire, science très- 
réelle aux yeux de Dante, et objet d*une croyance 
longtemps répandue dans le monde entier. Nul pays, 
nul siècle où, jusqu'à nos jours presque, on n'ait cru 
à l'influence des astres, et cette influence, dans un 
certain ordre de faits et en de certaines limites, est en 
effet incontestable; car toute erreur enveloppe quelque 
vérité cachée. L'attraction lie dans un système de 
mouvements solidaires les corps flottants au sein de 
l'espace à des distances immensurables ; les grands 
agents physiques, la lumière, la chaleur, l'électricité^ 
établissent entre eux de mutuelles communications, et 
y apparaissent comme les conditions nécessaires, les 
principes premiers de toute production organique et 
inorgahique, de toute vie. Mais que, de Tordre phy- 
sique transportées dans l'ordre moral, ces influences 
y deviennent la cause effective des destinées des 
hommes, de leurs aptitudes, de leurs propensions et 
des actes qui en dérivent, comment le comprendre? 
Comment comprendre que tout ce que sera, tout ce 
que fera un individu humain, tout ce qu'il éprouvera 
d'heureux ou de malheureux, que la trame entière de 
son existence, soit déterminée par la position relative 
des astres à sa naissance? Et cependant cette opinion 
hizarrement étrange, on la retrouve, après Dante ^ 
en Italie dans Machiavel ; en France dans Montai- 



60 INTRODUCTION. 

gne*, Bodin', à la cour de Louis XIII; en Angleterre 
sous Charles P"^', et, à la fin du dix-septième siècle, 
Dryden, lui-même, en était imbu*. 

Une curiosité maladive, le désir inquiet de savoir 
et de prévoir ce qui, d'un si vif intérêt pour nous, se 
dérobe à noire vue dans l'obscurité de Tavenir, telle 
est la racine naturelle de l'astrologie. Mais ce qu'il 
n'est peut-être pas indifférent de remarquer, c'est 
qu'il n'est point de système de fatalité et de nécessité 
dont elle ne sorte comme une conséquence rigoureuse, 
et que nul matérialiste ne saurait logiquement la ré- 
jeter. Car, si tout est matière, et si tout est lié dans 
une suite éternelle de causes et d'effets s'engendrant 
l'un l'autre selon des lois physiques, immuables, né- 
eessaires, rien dans les phénomènes de tous les ordres, 
rien dans les événements dont se composent la vie des 
individus et celle des peuples, qui, de proche en proche, 
ne remonte, comme à sa cause originaire, aux grands 
•corps circulant dans l'espace; rien qui ne subisse leur 
influence plus ou moins directe, et n'en soit l'effet 
fatalement prédéterminé. 

La philosophie de Dante et de son temps se propo- 

' Essais, liv. U, ch. xii. 

* Républ.y liv. IV, ch. II. 

' Lorsque, retenu prisonnier dans le château de Carishrook, il tenta 
«de s'*en évader, un astrologue fui consulté sur Theure la plus favorable 
"k cette évasion. — Johnson. Life of Butler, 
Ibid. 



INTRODUCTION. 61 

sait un autre problème que se sont également proposé 
toutes les philosophies ; car, en ce qui touche l'uni- 
vers, il n'en est point de plus général ni de plus fon- 
damental ; et lorsqu on vient à y regarder attentive- 
ment, on est surpris de voir combien se ressemblent, 
au langage près, les solutions qu'on en a données. 

Dans ce que la nature présente à notre vue on re- 
connaît d'abord deux choses essentiellement distinc- 
tes : un fond commun étendu, divisible, que la pensée 
peut séparer, de toute détermination spécifique et dif- 
férentielle; des êtres déterminés, et différents les uns 
des autres par des qualités et des propriétés spécifique- 
ment diverses. D'où la nécessité de conserver deux 
principes, qui, sous quelque nom qu'on les désigne, 
correspondent à ce que les Scolastiques, dont la doc- 
trine éstcelle de Dante, appelaient matière * et forme, La 
matière homogène, inerte, recevait dans chaque sphère 
les vertus qui, transmises par les sphères supérieures, 
^informaient^ c'est-à-dire produisaient, en s'unissant 
à elle, les formes diverses ou les êtres divers que spé- 
cifient ces formes ; ou, comme on parlait encore, ces 
causes [ormelles de la configuration extérieure et de la 
nature intime de chaque être 

Chez les anciens, quelques sectes philosophiques 
avaient cherché à expliquer la variété dans l'univers, 
sans recourir à deux principes distincts. Elles n'ad- 

* L'uXyi des Grecs. 



62 INTRODUCTION. 

mettaient que la seule matière dont les parties infini* 
ment petites, animées d'un mouvement primitif, for- 
maient en se combinant les innombrables corps de 
figures et de qualités diverses, lesquels, dès lors, 
composés d'atomes similaires, ne différaient entre eux 
que par l'arrangement de ces atomes. Mais cette hypo- 
thèse, sujette à des difficultés insolubles, était rejetée, 
chez ces mêmes anciens, par d'autres philosophes, et 
notamment par Aristote, dont les idées à cet égard 
sont au reste fort obscures. On sait combien on a dis- 
puté sur ses fameuses entéléchies, identifiées par les 
Scolastiques à leurs vertus informatives. 

Chez les modernes, deux écoles ont renouvelé ces 
deux solutions du problème général des choses. L'une, 
supposant que la matière et le mouvement suffisent 
pour rendre compte de tous les phénomènes, nie que 
la diversité des formes ou des natures dépende d'un 
principe spécial, et nie par conséquent les espèces es- 
sentielles, immuables. L'autre admet des espèces im- 
muables, essentielles, et par conséquent une cause de 
cet effet, et par conséquent un principe, quel qu'il 
soit, de diversité. Qu'on l'appelle forme ou de tout 
autre nom, ce principe est en réalité le même que 
celui des Scolastiques : tant est restreint le nombre 
des conccplions possibles en ce qui touche les causes 
nécessaires et primordiales. 

A ce sujet, il est à remarquer encore que, dans la 



INTRODUCTION. 63 

science de l'organisation, le mot germe ^ opposé aux 
qualités occultes des anciens et du Moyen âge, n'a au- 
cun sens , ne représente aucune idée saisissable, si 
l'on n'y joint celle d'une détermination primitive, et 
conséquemment d'un principe ou, comme on s'exprime 
aujourd'hui, d'une force productrice de cette déter- 
mination, et cette détermination même essentielle. De 
sorte que, d'une part, dans la théorie d'un seul prin- 
cipe homogène, des déterminations sans causes déter- 
minantes ; et, d'une autre part, dans la théorie des 
germes ou forces spécifiques, des causes déterminantes 
se résolvant dans un principe général et premier de 
détermination ou de diversité, certain s'il n'est point 
d'effet sans cause, mais inconnu en soi, et, pour le 
moins, ressemblant en cela beaucoup aux qualités oc- 
cultes, proscrites par une science qui les reproduit de 
fait sous de nouvelles dénominations. Et c'est que ce 
mot occulte ne marque en effet que la limita de la 
connaissance, le point où elle est parvenue, et au delà 
duquel les ténèbres commencent. 

De ce qui vient d'être dit il résulte que Dante n'eut 
point de philosophie propre ; il adopta, sans innover, 
celle alors admise dans l'école, impuissante à créer la 
science de l'univers, qui ne pouvait naître et se dé- 
velopper qu'à l'aide d'une méthode directement in- 
verse de la sienne. L'une, fondée sur l'observation, 
remonte des faits aux causes qu'ils impliquent; l'autre, 



1 



Ci INTRODUCTION. 

partant d'hypothèses logiques, descend des causes sup- 
posées aux faits qui s'en déduisent et doivent s'y plier : 
d'où, au lieu d'un système de connaissances réelles, 
un système fantastique d'abstractions. A chaque siècle 
son œuvre. L'astronomie attendait Copernic et Kepler, 
la physique, Galilée et Bacon. Toutefois, deux choses 
sont à remarquer dans la philosophie si poétiquement 
exposée par Dante, le caractère d'unité qu'elle pré- 
sente, et le lien qu'elle établit entre le monde spiri- 
tuel et le monde matériel. Que ce lien, tel qu'on le 
concevait, fût fictif, que les rapports intimes de ces 
deux mondes fussent mal définis, là-dessus nul doute. 
Mais ridée première n'en était pas moins vraie, et le 
vide qu'à cet égard offre la science actuelle, la scission 
complète effectuée par elle entre deux ordres insépa- 
rables de causes et d'effets, en la privant d'un de ses 
éléments, qu'il fut peut-être utile de négliger d'abord, 
l'enviroïlne comme d'un nuage, lui prescrit des bor- 
nes arbitraires, et ne peut désorm^ais qu'en retarder 
les progrès. 



SOITB 

DOCTRINES POLITIQUES DE DANTE 

La renommée noétique du chantre de l'Enfer, du 
Purgatoire et du Paradis, semble avoir absorbé tous 



INTRODlir.TrON. 05 

les rayons de la gloire dont la postérité s'est plu à 
couronner cette grande figure du Moyen âge. Qui, 
hors un petit nombre, connaît Dante autrement que 
par rœuvre éclatante qu'a consacrée le suffrage des 
siècles? Cependant le génie du poëte n*estpas tout ce 
qu'offre à l'admiration cet homme doué de tant do 
dons divers. Lorsqu'on l'étudié avec soin, une des 
choses en effet qui frappent le plus, c'est l'étendue de 
ce vaste esprit, c'est qu'il n'est pas une voie de la 
pensée où la sienne n'ait laissé des traces, qu'il ait 
touché toutes les hautes questions qui préoccupaient 
de son temps et préoccupent encore aujourd'hui la 
raison humaine. On l'a vu pour la science du monde 
et de la nature ; on va le voir pour la science de la so- 
ciété. 

Mais, avant d'exposer et de discuter sa théorie, fai- 
sons remarquer un caractère général de ses concep- 
tions, comme aussi de celles de l'école, au sein de 
laquelle s'était opérée sa propre évolution : nous 
voulons parler d'une certaine correspondance symé- 
trique entre les idées de différents ordres, dont la 
raison se trouve en partie dans la tendance à l'unité, 
en partie dans la méthode alors reçue, méthode pure- 
ment logique, suivant laquelle, de principes abstraits 
posés d'abord on déduisait des séries de conséquences 
également abstraites, procédant l'une de l'autre selon 
ies invariables lois de la forme syllogistique. Mais cet 



«e INTRODUCTION. 

enchaînement de syllogismes dépendant chacun d'un 
principe particulier qui en ast la majeure, supposait 
et appelait, en remontant toujours, un principe plus 
universel, expression et fondement de l'unité de la 
science, duquel les autres tiraient toute leur valeur; 
de sorte que, ce principe premier étant donné, toutes 
les branches de la connaissance venaient s'y rattacher 
et se ranger symétriquement autour, comme les ra- 
meaux autour de la tige dont ils ne sont que le déve- 
loppement et l'épanouissement progressif. 

Ainsi, comme Dante s'est représenté premièrement 
Dieu au-dessus de tout et principe de tout, puis l'uni- 
vers sous la double notion d'esprit et de matière, 
celle-ci subordonnée dans Tordre de perfection à l'es- 
prit qui l'informe, mais subsistant distincte de lui et 
indépendante de lui selon son essence et ses lois 
propres, il se représente, dans la société. Dieu d'a- 
bord, de qui elle émane comme de son principe, vers 
qui elle tend comme à sa fin ; puis un ordre spirituel 
et un ordre temporel, distinct de l'ordre spirituel, 
subordonné à lui en ce qui touche la vie spirituelle, 
mais indépendant de lui dans la sphère de son 
existence distincte et de ses lois propres. Au point de 
vue général et théorique le parallélisme est com- 
plet. 

Mais la réalité force bientôt à descendre, de ces 
hauteurs de l'abstraction, dans la sphère des faits, et 



INTRODUCTION 67 

à ramener la théorie à des applications pratiques. Les 
papes et les empereurs se disputaient l'Italie, en proie 
à une guerre civile permanente par l'opposition réci- 
proque des deux grands partis guelfe et gibelin, que 
divisaient encore en eux-mêmes les intérêts particu- 
liers des différents États, et, dans chaque État, les 
rivalités de factions, de classes, de familles, pour la 
possession du gouvernement, dont la forme, sans cesse 
modifiée selon les intérêts qui prévalaient momentané- 
ment, n'offrait rien de stable. Tour à tour vainqueurs 
et vaincus dans ces luttes intestines, qui rarement se 
terminaient sans des conflits sanglants, les partis, par 
leur triomphe même, préparaient leur défaite future, 
inévitable suite de l'oppression et des proscriptions. Le 
lendemain de chaque victoire les routes se couvraient 
de bannis ardents à la vengeance, en épiant le jour, et 
le trouvant tôt ou tard. 

Mais le pire effet de ces dissensions était de rendre 
l'exercice de la justice impossible , les passions de 
parti se substituant au droit et à l'équité impartiale : 
ce qui obligea, chose inouïe ! à appeler du dehors des 
étrangers pour remplir une fonction inhérente au 
pouvoir public en toute société. De là l'institution des 
Podestats, faible remède au mal qu'on cherchait à 
guérir; car trop souvent le Podestat, acheté par un 
parti, en devenait l'instrument le plus dangereux. 
Néanmoins, malgré tant de désordres et tant de souf- 



68 TNTRODUCTTON. 

frances, la liberté enfantait des merveilles au sein des 
cités agitées, mais animées d'une vie puissante. L'in- 
dustrie y créait la richesse ; le commerce y faisait affluer 
celle de tout le monde alors connu. Les arts, cultivés 
avec passion, couvraient de splendides monuments le 
sol de chaque ville. Les lettres dissipaient les ténèbres 
de la barbarie. 

Pour comprendre cette époque pleine de contrastes, 
son caractère propre , sa liaison avec les époques qui 
suivirent, et comprendre en même temps les questions 
à la fois théoriques et pratiques dont se préoccupaient 
si vivement les contemporains, il est nécessaire de con- 
sidérer quelle fut, sur rétat et le développement social, 
rinfluence des Pontifes romains. 

Deux opinions se sont produites au sujet de la Pa- 
pauté dans ses rapports avec la liberté de lltalie. Y 
a-t-elle été nuisible ou favorable? Cette question, que 
bientôt nous examinerons historiquement, est étroite- 
ment liée à une question plus générale et de pure 
logique. A quel point la constitution de l'Église catho- 
lique et les principes sur lesquels elle repose sont-ils 
compatibles avec la liberté dans tous les ordres ? 

Sans nous engager dans une discussion étendue que 
ne comporte pas ce travail sur Dante, dont il a pour 
but d'éclaircir les doctrines, nécessaires à connaître 
pour bien entendre son poëme, nous ferons remarquer 
seulement que, selon la théologie catholique, l'homme 



V 



TNTROnrCTTON. Cl> 

déchu de son premier état, de Tétat d'innocence dans 
lequel Dieu Tavait créé, eût été à jamais séparé de lui, 
à jamais perdu si, par Tincarnation du Verbe et la 
rédemption de Jésus-Christ, il n^avait été gratuitement 
relevé de sa chute et rétabli en grâce avec le Créateur, 
dont le péché du premier Père, transmis à tous ses 
descendants, le rendait ennemi, sans aucun acte de sa 
volonté, dès qu'il commençait d*être. Mais, pour pro- 
fiter du bienfait de la rédemption, il est nécessaire 
qu'il croie, d'une foi ferme et absolue, certaines véri- 
tés au-dessus de la raison et révélées surnaturellement, 
(lesquelles TÉglise est dépositaire, qu'elle enseigne et 
qu'elle interprète avec une autorité infaillible ; d'où 
la maxime fondamentale : Hors de l'Église point de 
salut. La foi qu'elle exige sous peine de damnation 
étemelle est donc, dans les limites du dogme qu'elle 
commande de croire, la négation môme de la liberté 
de la raison. 

Mais ce dogme, en soi et par ce que contiennent les 
livres où il est consigné, livres sacrés comme la parole 
de Dieu même, embrasse de proche en proche, ou 
directement, ou par voie de conséquence, tout ce qui 
peut être l'objet de la pensée humaine. Que si Ton 
avoue en général qu'en dehors de la révélation il existe 
un ordre de choses dépendantes de la pure raison dont 
elles forment le domaine, on soutient aussi, et trcs- 
ogiquement, qu'il n'appartient qu'à l'Église seule de 



70 INTRODUCTION. 

déterminer quelles sont ces choses lUrrées à la dispute 
des hommea, et qu'ainsi, quand TÉglise a prononcé un 
jugement quelconque, il est certain dès lors que la 
chose jugée est de son ressort, et qu'une pleine sou- 
mission est due à son jugement. Ici donc encore, 
négation de la liberté, puisque Tesprit n'est libre 
qu'autant qu'on lui permet de l'être. Une autorité 
sans contrôle arrête la pensée là où, arbitrairement, 
elle veut qu'elle s'arrête. Comme le Créateur à la mer, 
elle lui dit : Tu viendras jusquHci^ et n'iras pas au 
delà. 

Ce n'est pas tout ; par l'ordre extérieur de son gou- 
vernement, l'Église, de tous côtés, touche à la société 
politique et civile. Dans cette sphère elle ne réclame 
point le même genre d'infaillibilité que dans la sphère 
du dogme, mais elle rcclafne une obéissance en droit 
et en fait non moins entière, parce que, selon ce 
qu'elle oblige à croire, elle est, dans l'exercice de son 
pouvoir de gouvernement, également assistée, inspirée 
de l'Esprit saint; sans quoi, faillible en sa conduite, 
abandonnée aux hasards de l'erreur, comment rempli- 
rait-elle sa fonction divine? comment serait-elle sûre 
de sa durée? Voilà donc l'homme lié dans ses actes 
comme dans ses croyances. Et alors que reste-t-il de 
libre en lui? Une inexorable nécessité logique le con- 
damne à cette servitude absolue; car, dénouez un de 
ces liens, il échappe à l'autorité, il redevient maître 



INTRODUCTION. 71 

de lui-même, et Tinstitution n'a plus aucun sens. 
L'Église l'a bien senti , et aussi , d'accord en cela 
avec les pouvoirs despotiques, même les plus ennemis 
d'elle à d'autres égards, réprouve-t-elle toutes les 
libertés , les déclarant incompatibles avec sa doctrine 
et son existence même. Un journal catholique s'en 
était fait, il y a quelques années, le défenseur. Rome 
le condamna, et le cardinal Pacca, organe en cette 

I occasion du souverain pontife, écrivait en son nom aux 
rédacteurs du journal condamné, ces paroles péremp- 
toires : 

« Je vais vous exprimer franchement, et en peu de 
« mots, les points principaux qui, après l'examen de 
« \ Avenir y ont déplu davantage à Sa Sainteté. Les voici : 
« D'abord elle a été beaucoup affligée de voir que 
« les rédacteurs aient pris sur eux de discuter en 
«présence du public, et de décider les questions les 
« plus délicates qui appartiennent au gouvernement de 
« l'Église et de son chef suprême, d'où a résulté néces- 
« sairement la perturbation dans les esprits, et surtout 
« la division parmi le clergé, laquelle est toujours nui- 
« sible aux fidèles. 

c( Le Saint -Père désapprouve aussi , et réprouve 
« même, les doctrines relatives à la liberté nvile * et 
«politique, lesquelles, contre vos intentions sans 

! « doute, tendent de leur nature à exciter et propager 

*Tous les mots imprimés ici en italiques sont soulignés dans l'uriginaL 



72 INTRODUCTION. 

« partout Tesprit de sédition et de révolte de la p; 
« des sujets contre leurs souverains. Or cet esprit < 
c( en ouverte opposition avec les principes de TÉva 
« gile et de notre sainte Église, laquelle, comme vc 
c( savez biçn, prêche également aux peuples Tobé 
ce sance, et aux souverains la justice. 

a Les doctrines de l'Avenir sur la liberté des cul 
<x et la liberté de la pressey qui ont été traitées a\ 
« tarit d'exagération et poussées si loin par MM. '. 
Ci rédacteurs, sont également très- répréhensibles et 
« opposition avec renseignement, les maximes et 
<c pratique de TÉglise. Elles ont beaucoup étonné 
« affligé le Saint-Père ; car si, dans certaines circo 
« stances, la prudence exige de les tolérer comme i 
« moindre mal, de telles doctrines ne peuvent jami 
« être présentées par un catholique comme un bien • 
« comme un état de choses désirable. 

« Enfin, ce qui a mis le comble à l'amertume < 
c< Saint-Père, est VAcie d'union proposé à tous ce 
« quiy malgré le meurtre de la Pologne, le démembi 
« ment de la Belgique et la conduite des gouvernemei 
Ci qui se disent libéraux , espèrent encore en la libei 

Ci du monde et veulent y travailler Sa SainU 

« réprouve un tel acte pour le fond et pour la forme 

c( Voilà, monsieur, la communication que Sa Sai 
« leté me charge de vous faire parvenir, etc. ^ » 

* Affaires de Rome, p. 153 et suiv., éd. in-18. 



INTRODUCTION. :3 

Liberté et catholicisme sont donc deux mots qui 
s'excluent radicalement l'un l'autre. L'Église, par le 
principe de son institution, exige et doit exiger de 
l'homme une obéissance aveugle, absolue dans tous les 
ordres: obéissance dans l'ordre spirituel, puisque le 
salut en dépend; obéissance dans l'ordre temporel, en 
tant que lié à l'ordre spirituel, puisque, si elle souf- 
frait qu'on attaquât, à un degré et d'une manière 
quelconque, soit la foi nécessaire au salut, soit l'auto- 
rité qui l'enseigne, elle conniverait au plus grand 
crime qui puisse être conçu, le meurtre des âmes. De 
là aux mesures répressives, à l'Inquisition, à son code 
sanglant, la conséquence est rigoureuse. 

Quelles que soient les anomalies apparentes, les 
faits exceptionnels dépendants de circonstances parti- 
culières et d'intérêts du moment, l'ineffaçable carac- 
tère du principe des institutions se manifeste toujours 
clairement dans l'ensemble de ses conséquences; et ces 
conséquences, à l'égard delà Papauté, apparaissent à 
chaque page de l'histoire. Comme Bossuet l'a très-bien 
montré, la monarchie de l'Église a pour terme corré- 
latif la monarchie politique, et elle l'engendre naturel- 
lement; d'où cette formule banale, mais profondément 
vraie : le trône et V autel. Le roi et le prêtre trouvent 
dans cette union la garantie de leur autocratie. Ils ont 
senti que pour que l'homme soit enchaîné au trône, il 
faut qu'il le soit à l'autel, et que pour Têtre à l'autel, 



0. I. 



74 INTRODUCTION. 

il faut qu'il le soit au trône. Ame et corps, tout leur 
appartient; Técueil est le partage, et plus encore la 
puissance souveraine de la nature et de ses lois. Toute- 
fois l'alliance ne cesse jamais de subsister au fond. Si 
le monarque spirituel, dans la plénitude de sa force et 
favorisé par les conjectures, tenta de se subordonner 
le monarque temporel, de le transformer en un simple 
instrument de son propre pouvoir, de renouveler enfin 
chez les nations chrétiennes Tantique théocratie des 
premiers âges, il n'en fut pas moins constamment 
l'allié fidèle des rois contre les peuples. Loin de venir 
en aide à ceux-ci lorsque l'excès de la souffrance les 
poussait à secouer le joug de la tyrannie, toujours à 
ses yeux le droit était du côté des tyrans, pour peu 
surtout qu'ils humiliassent leur orgueil à ses pieds, 
ou satisfissent sa cupidité. Longtemps même il fit des 
nations la monnaie courante d*un trafic exécrable. 

Les exemples abondent. Quelques-uns seulement, 
au hasard. 

Sur la promesse d'étendre à l'Irlande le payement 
annuel du denier de saint Pierre, le pape Adrien 
livre à Henri II ce malheureux pays, pour y répandre 
rinstruclion et extirper les vices qui déshonoraient^ 
(lisait-on, la vigne du Seigneur. Telle fut Torigine 
d'une oppression de sept siècles. 

L'Angleterre arrache sa grande charte à un monstre 
couronné; mais ce monstre se reconnaissait tributaire 



INTRODUCTION. 7S^ 

du pape : le pape prend sa défense, annule le traite 
qu^il avait juré, le délie de ses serments, et repousse 
sous sa dent le peuple qu'il dévorait. 

Le mouvement d'où sortit, au prix de tant d'efforts, 
raffranchissement des communes en France, fut-il à 
aucun degré secondé par cette Rome qui prêche égale^ 
rtient aux peuples l'obéissance, et aux rois, la justice? 
— Les derniers serfs affranchis sous Louis XVI appar- 
tenaient au chapitre de Saint-Claude, dans le Jura. 

Quand les communes flamandes, opprimées par 
leurs ducs, protestèrent les armes à la main contre la 
violation de leurs droits , trouvèrent-elles un appui 
dans les pontifes romains? Intervinrent-ils, même 
après la défaite, pour arrêter les atroces vengeances^ 
de leurs oppresseurs? — demandez-le à Thistoire. 

Le pays de l'Europe le plus catholique, le plus sou- 
mis à Rome, ne perd-il pas toutes ses franchises à 
l'instant où se consomme l'union des deux pouvoirs, 
où la royauté de Philippe II s'allie à l'inquisition de 
Torquemada? Mais au même instant commence aussi 
la décadence de ce grand peuple, l'extinction de Tin- 
dustrie, de la science, des arts ; dans l'ordre intellec- 
tuel et moral, dans l'ordre même de la prospérité ma- 
térielle, quelque chose qui ressemble à la mort. 

Après que, sur le don que le pape lui en fit, il eut 
conquis, asservi, dévasté l'Amérique, on vit renaître^ 
eu des proportions gigantesques, l'esclavage ancien; 



78 INTRODUCTION. 

des races entières y furent dévouées. L'Église réclama- 
t-elle? Comment Teût-elle pu, comment aurait-elle 
interdit Tesclavage dont elle proclame dogmatique- 
ment la légitimité, soutenue par Bossuet même, qui 
déclare qu'on ne la peut nier sans ébranler toute la 
tradition? 

Dans la question de la liberté italienne, on doit dis- 
tinguer la liberté intérieure de chaque Etat, et la liberté 
de ritalie entière en tant que nation. 

A Rome, où Tesprit de la Papauté doit apparaître 
le plus clairement, que voit-on? Une tendance conti- 
nuelle à absorber tout le gouvernement, toute la puis- 
sance municipale, à détruire peu à peu tout ce qui 
pouvait opposer quelque résistance au pouvoir absolu 
du pape, à constituer enfln, politiquement comme 
spirituellement, une monarchie théocratique sans con- 
trôle, sans limites. Les antiques libertés de la Ville 
éternelle, réduites à la dérision de je ne sais quel Sé- 
nateur grotesque, vinrent s'éteindre sous sa toge de 
pourpre devenue le suaire du Peuple-roi. I^ combat 
fut long, de Crescence à Portinari, mais finalement les 
pontifes vainquirent. 

Durant leur séjour à Avignon, cloaque d'avarice et 
de luxure où s'écoulaient les immondices de tout le 
monde chrétien, qu'on se rappelle ce que firent leurs 
légats en Romagne. Je ne parle pas des violences, des 
cruautés, des vols, du mépris effronté de toute justice 






INTRODUCTION. 77 

divine cl humaine, mais de leur acharnement à pour- 
suivre la liberté, à la détruire en chaque cité, de leur 
haine contre Florence surtout, centre glorieux de la 
démocratie. Us préparaient de loin la voie à Charles- 
Quint et aux Médicis. Rome a-t-elle depuis lors dévié 
des siennes? — Interrogez les ruines sanglantes sur 
lesquelles, en ce moment même, s'élève le trône ponti- 
fical. 

Ennemis de la liberté dans leurs propres États, 
bien que forcés quelquefois de la tolérer, — comme à 
Bologne, où néanmoins, progressivement ruinée, elle 
avait fini par n'être plus qu'une vaine forme, — com- 
ment les papes.s'en seraient-ils faits les promoteurs au 
dehors? 

Mais la destruction de la liberté en chaque État 
était la destruction de la liberté de lllalie entière, de 
son indépendance et de son unité ; car elle ne pouvait 
ni devenir une, ni s'appartenir réellement qu a la con- 
dition de s'organiser sur le principe de la souveraineté 
nationale, collective ou démocratique. 

Le but constant des papes fut d'y étendre leur do- 
mination, d'y recréer à leur profit l'ancien Empire, 
sous la forme nouvelle de la théocratie chrétienne. 
Mais trop d'obstacles s'y opposaient, et, l'un des 
plus puissants, ils avaient eux-mêmes contribué à le 
susciter par la création du Saint-Empire romain, 
comme on le nommait, qui commença en Charle- 



T8 INTIiOiiHr.TION. ^H 

inagne, et passa de lui chez les ÂllemaDds. Les droits 
respectifs n'ayant point été et n'ayant pu être originai- 
rement définis, ils devinrent bientôt une cause perma- 
nente de discordes et de conflits. L'empereur, d'aboi'd, 
s'attribua le pouvoir de confuiner, à la mort des pon- 
liFes, l'élection de leurs successeurs. Plus tard, les 
pontifes réclamèrent celui de confirmer l'élection de 
l'empereur. De part et d'autre on se disputait la sou- 
veraineté. Le pape serait-il, au temporel, dépendant 
de l'empereur? l'empereur serait-il dépendant du 
pape? Ce fut pour résoudre cette question, qui ne fut 
jamais résolue en droit, qu'une guerre de trois siècles 
désola les plus belles contrées de l'Europe. 

Confinés au centre de l'Italie, les papes craignaient 
toujours d'y voir naître une puissance assez forle pour 
mettre en danger leurs possessions. D'où leur atten- 
tion continuelle à prévenir la formation d'une pareille 
puissance, soit par l'exercice libre du pouvoir impé- 
rial, soit par la conquête étrangère, soit par la prépon- 
dérance d'un des nombreux Etals entre lesquels l'Italie 
était partagée. Nécessité dès lors d'entretenir parmi 
eux la division, d'exciter leurs défiances mutuelles, 
leur ambition même au besoin ; de nouer, à l'aide de 
traités menteurs, des ligues dissoutes par d'autres 
ligues, sitôt que le succès faisait présager un vain- 
queur. De là une politique versatile, de ruse et de 
fourberie, qui altéra profondément le sens moral des 



INTRODUCTION. 79 

peuples, et bannit la justice, la loyauté, la sincérité, 
des transactions publiques : véritable origine de h 
diplomatie moderne, qui en a conservé tous les carac- 
tères. 

Jamais les papes ne se départirent de ce système 
politique pratiquement athée, et qui fut une des 
sources de l'athéisme dogmatique si répandu au quin- 
zième siècle, et hautement professé au Vatican môme. 
Gomme ils avaient jadis opposé aux Lombards Pépin et 
son fils, créé par eux empereur d'Occident, ils oppo- 
sèrent à ses successeurs tout ce qui, république ou 
prince, aspirait à se soustraire à la domination impé- 
riale. Or la tendance à cet affranchissement était par- 
tout celle des communes, alors naissantes. Us durent 
donc, quel qu'en fût le principe, favoriser ce mouve- 
ment dont l'effet immédiat leur était si utile. Mais 
lorsque, plus tard, la splendeur de quelques-unes des 
républiques qu'avait fondées l'esprit de liberté éveilla 
leur ombrageuse défiance, ils se firent leurs implaca- 
bles ennemis, et dans toutes on les voit invariablement 
provoquer, seconder le passage de la démocratie à 
l'aristocratie, de l'aristocratie au pouvoir d'un seul, 
jusqu'à la finale destruction du régime populaire, que 
marqua la chute de Florence sous Charles-Quint. 

Selon le même système d'équilibre, tantôt Rome 
appelle les Français, tantôt, inquiète de leurs succès, 
elle soulève contre eux les puissances italiennes ; sans 



80 INTHODUCTIOX 

autre vue dans ses alliances, dans sesacles publics ou 
secrets, que de maintenir, i)our se conserver, le frac- 
tionnement de la Péninsule et d'en empêcher l'unité, 
impossible tant qu'elle possédera la portion de terri- 
toire qui la coupe comme en deux tronçons. Elle ne 
servit donc pas la liberté quoiqu'elle prêtât quelquefois 
son appui aux Étals libres : elle futmême, comme l'a 
très-bien vu Machiavel, la cause première et principale 
de la servitude, aujourd'hui parvenue à son terme, 
de la triste Italie, qui, dans l'élEt de morcellement 
contre nature où elle la retint, ne put jamais s'élever 
à l'existence nationale. 

Qu'on nous permette ici deux courtes réllcxions 
utiles peut-être, à l'Italie particulièrement. Il ressort 
de toute son histoire que le régime libre des petits 
États, où la population est à la fois et très-active et 
très-aggloméréc, manque d'un contre-poids que në- 
cessile la liberté individuelle, qui, à cause de la faci- 
lité de l'usurpation en ces sortes d'Etals, a pour efTet 
de conduire par l'anarchie à la tyrannie : et ce contre- 
poids nécessaire n'est iiutrc que la liberté générale, 
la liberté socio/e organisée dans la sphère plus large 
de l'iinilé d'un grand peuple, où la liberté de tous, 
par l'opposition même des intérêts divers, est à la 
fois la garantie et la limite infranchissable de la 
liberté do chacun. 

L'histoire de l'Italie montre encore, ce nous semble, 



INTRODUCTION. g| 

que la supériorité relative d'un certain état intermé- 
diaire de civilisation peut devenir un obstacle à la 
civilisation môme, et une cause de ruine pour les 
peuples qui s'y arrêtent. Le système celtique du clan 
était certainement supérieur à l'organisation élément 
taire de la gau chez les Germains. Mais ceux-ci, par 
cette raison même, furent mieux disposés à se for- 
mer en corps de nation, et par la force de l'unité 
ils subjuguèrent l'un après l'autre, en Ecosse, en 
Irlande, les clans divisés, tour à tour vaincus séparé- 
ment, et souvent même par l'aide que leurs animo- 
sités mutuelles les portaient à prêter à l'ennemi com- 
mun. Ainsi ritalie séduite par l'éclatante supériorité 
de sa civilisation, de ses institutions républicaines 
et municipales, ne comprit que la cité, y renferma 
son patriotisme, et ne s'éleva ni à l'idée, ni au senti- 
ment de la nationalité. C'était se condamner à la mort, 
car la cité n'est qu'un élément de la nationalité, une 
des phases de son développement, et tout être qui 
cesse de se développer selon sa nature, qui arrête en 
soi le travail de la vie, y détruit la vie même. 

Les Gibelins eux-mêmes, pour la plupart, ne 
voyaient dans le Pouvoir impérial qu'un moyen d'a- 
paiser les dissensions intérieures, de gai'antir la 
sécurité de chaque État particulier, de réprimer l'am- 
bition de Rome, que ses oppressions, ses corruptions, 
ses exactions avaient rendue Tobjet d'une haine souvent 



82 INTRODUCTION. 

partagée par les Guelfes mêmes, que ralliaient à elle 
les seuls intérêts politiques soit des princes, soit des 
factions dans les républiques. Au milieu des discordes 
où ritalie était plongée, des effroyables maux qu'elles 
-enfantaient sans cesse, nulle pensée d*unité nationale, 
je dis nulle pensée active, efficace, pratique. Les 
esprits portés vers la spéculation bâtissaient des sys- 
tèmes, des théories abstraites, utiles seulement pour 
éclairer et développer Tidée du droit, pour ouvrir, 
même en se trompant sur leur direction, les voies où 
devait marcher la société future. 

Le livre de Monarchiâ en offre un exemple. Il n'est 
pas douteux que le gibelinisme de Dante ne se liât 
étroitement à ses passions de parti, à sa position de 
proscrit, à l'impatient désir de rentrer dans sa ville 
ingrate et pourtant toujours chère. Mais, suffisants 
pour le vulgaire, ces motifs personnels n'auraient pu 
seuls légitimer aux yeux de Dante ses actes comme 
homme et comme citoyen . Il dut les rattacher à un prin- 
cipe plus haut, à ridée éternelle du droit, à un type 
immuable de Tordre conçu par l'intelligence affrati- 
chie des intérêts du temps. Son ouvrage de la MonaV" 
çhie, publié durant le séjour de Henri VII en Italie, 
contient le résultat de ses méditations sur ce grave 
sujet, la théorie qu'il s'était formée, et que, pour 
l'appuyer d'un raisonnement plus rigoureux, il y 
expose selon la méthode scolastique. 



INTRODUCTION. 83 

II serait trop long de le suivre à travers les détails 
d'une argumentation aride. Ea résumé, il établit que 
le développement du genre humain, dans Tordre 
interne de Tintelligence et dans Tordre extérieur 
deTaction, ou dans Tordre spirituel et Tordre tem- 
porel, dépendant de la tranquillité que maintient la 
justice, la paix universelle est le premier des biens 
ordonnés pour notre béatitude*. D*où il conclut que 
Tunité étant la condition nécessaire de la paix. Dieu a 
préposé un chef unique à chacun de ces ordres : à 
l'ordre spirituel^ le Pape, dont la fonction est de gou- 
verner souverainement les âmes; à Tordre temporel, 
l'Empereur, dont la fonction corrélative estdegouverner 
souverainement la société politique et civile, laquelle 
toutefois peut se partager, sous sa juridiction suprême, 
en divers États constitués sous différentes formes. 

Le droit qui ramène le genre humain à Tunité en 
le soumettant à un seul chef, TEmpereur le possède 
comme héritier' du Peuple romain, qui le possédait 
lui-même en vertu d'un décret divin immuable. 

Ainsi Rome, reine et maîtresse de toutes les na- 
tions, est le siège des deux Pouvoirs destinés à régir 
le genre humain spirituellement et temporellement, 
et, en ce sens, le Centre du monde, au-dessus duquel 
ces deux Pouvoirs s'unissent en Dieu. 

Le pouvoir spirituel, d'une nature supérieure, 

* De Monarchiây lib. 1. 



■ t 



84 INTRODUCTION. 

éclaire, dirige le pouvoir temporel, quant à la fin spi- 
rituelle de rtiumanité, mais non quant à sa fin tem- 
porelle, qui n^est pas de son ressort, de sorte que ces 
deux pouvoirs sont réciproquement indépendants Tun 
de l'autre, chacun dans son ordre. 

Telle est, en peu de mots, la théorie de Dante; théo- 
rie , premièrement , destructive de la liberté , que 
Dante, au contraire, voulait affermir, et dont il voyait 
la garantie, du côté des Pontifes, dans leur exclusion 
de toute puissance temporelle, et du côté des Empe- 
reurs, dans la plénitude de leur puissance même, qui, 
ne pouvant plus s'accroître, ne leur laissait d'autre 
intérêt que celui de la justice et du bien général, en 
cela semblables au Tout-Puissant, qui ne peut vouloir 
rien que de bon et de juste. 11 oubliait les passions hu- 
maines, et dans Tordre même où elles régnent avec le 
plus d'empire. Il y a ici comme un reflet des idées 
orientales. Chaque monarque asiatique ne manque 
pas de s'attribuer, dans ses titres pompeux, celui de 
souverain de tous les autres monarques, usage que 
les Mogols introduisirent, après leur conquête, en 
Russie \ où ce germe a tellement fructifié que, dans 

' Boris prélendit accoutumer la nation russe à le vénériT comme un 
dieu sur la terre, et lui-même il composa une formule de prière qui de- 
vait être récitée dans chaque famille aux heures des repas : « Pour le 
salut du corps et de Tâmc de Tunique monarque chrétien de runivers, 
que tous les autres souverains servent en esclaves, dont Tesprit est un 
abime de sagesse, et le cœur rempli d'amour et de magnanimité. » 
Mérimée. Les faux Démétriiis, p. 53. 



introduction' ' «5 

le catéchisme dont le tzar ordonne renseignement, il 
s'offre lui-même au culte de ses sujets, et, non con- 
tent d*être à la fois leur pape et leur souverain, se fait 
encore leur dieu. Cette conséquence est si naturelle 
que, dans les discussions qui eurent lieu à Bologne 
entre quatre professeurs de jurisprudence de TUniver- 
sité, au sujet de savoir si Tempereur était le Seigneur 
de toute la terre * , au même sens que le Roi des Rois 
et le Seigneur des Seigneurs^ de l'Apocalypse, deux 
d'entre eux, principalement Martin Goria, soutinrent 
l'affirmative avec tant de chaleur (jtt'i/s faisaient^ dit 
Ciampi ', un dieu de V empereur; « sentiment qui eut, 
ajoute-t-il, un grand nombre de sectateurs, même 
dans les siècles suivants. » 

Tous les anciens despotes se faisaient adorer. 

L'empereur de la Chine, fils du Tien et son repré- 
sentant sur la terre, y exerce, suivant la croyance des 
peuples, son pouvoir souverain de telle sorte qu'il est 
responsable de Tordre des saisons, de la pluie et de la 
sécheresse, des bonnes et des mauvaises^ récoltes, etc. 

Même principe et mêmes conséquences chez les nè- 
gres d'Angola. « liCs rois de Loango sont, dit Battel, 
« respectés comme des dieux. Ils prennent le titre de 
^(Jamba et de PangOj qui signifie dans la langue du 

* Orbis terrae Dominus. 

^Rex regum, et Dominus dominantium. Apoc, XIX, 16. 

^ Dùcorso premesso aile Rime di Messer Cino, Pisa, 1815. 



igô INTRODUCTION. 

« pays : Dieu ou Divinité. Leurs sujets sont persuadés 
« qu'ils ont le pouvoir de faire tomber la pluie du 
ce ciel. Ils s'assemblent au mois de décembre pour les 
« avertir que c'est le temps où les terres en ont besoin; 
a ils les supplient de ne pas différer cette faveur^ et j 
« chacun leur apporte un présent dans cette vue. » 
[Hist. gén. des Voyages^ t. IV, p. 595.) 

En second lieu, la théorie que nous examinons est 
irréalisable. Elle implique deux choses également 
impossibles : un pape et un monarque reconnus uni- 
versellement sur la surface du monde entier. Et ce 
mon'irque fût-il reconnu, comment, à des distances si 
grandes, sans moyens de contrainte, ni souvent de 
communication, exercerait-il son pouvoir de gouver- 
nement? Comment, sous des climats si divers, tant de 
peuples différents de langage, d'idées, de mœurs, de 
•coutumes, offrant tous les degrés du développement 
humain, depuis l'état sauvage jusqu'à la civilisation 
la plus avancée, pourraient-ils être régis selon des 
principes de droit politique et civil uniformes, orga- 
niser un tout, une société obéissant à une législation 
commune, si générale qu'elle fût? On ne discute 
point de pareilles rêveries. 

Mais, en restreignant même aux nations chrétiennes 
l'application du système adopté par Dante, qu'on se 
figure deux souverains indépendants, l'un dans l'or- 
dre spirituel, l'autre dans l'ordre temporel, l'un 



INTRODUCTION. 87 

maître des âmes, l'autre des corps, Tun commandant 
à la volonté dépendante des croyances, l'autre aux or- 
ganes qui ne peuvent être mus que par cette volonté : 
qu est-ce que cela, sinon rafGrmation simultanée des 
contradictoires, sinon le chaos absolu? D*une part, 
une pensée et une volonté sans action, de Tautre, une 
action sans pensée et sans volonté qui appartiennent 
à l'être agissant. Car, en a-t-il qui lui soient propres ? 
déterminant lui-même alors celles qu*il juge de son 
ressort, il échappe au pouvoir spirituel, il devient, 
quant à soi, ce pouvoir même ; — lui est-il, au con- 
traire, soumis dans la sphère de Tintelligence ? il n'est 
plus en ses mains qu'un instrument matériel , aveugle. 
L'histoire confirme ici l'enseignement de la pure 
raison. Cette réciproque indépendance, laquelle brise 
l'unité sociale comme briserait l'unité humaine l'in- 
dépendance mutuelle du corps et de l'esprit, qu'a- 
t-elle produit alors qu'admise théoriquement, elle for- 
mait en Europe la base du droit public? Une lutte 
violente pour reconstituer l'unité brisée, des guerres 
atroces, un débordement de fléaux pareils à ceux qu'a- 
mena l'invasion des Barbares. Tels furent les effets 
permanents de ce que l'on appelait la concorde dn 
sacerdoce et de rempire, espèce de pierre philoso- 
phale de la théologie, dont le gallicanisme, dans ses 
espérances aussi naïves qu'infatigables, n'a cessé d( 
poursuivre la recherche. 



88 INTRODUCTION. 

A cette théorie les papes en opposaient une autre, 
admirablement résumée par Boniface VIII, en ces 
termes : 

« La foi nous oblige de croire et de professer que la 
ce sainte Église catholique et apostolique est une... 
a C*est pourquoi l'Église une et unique n'est qu'un 
« seul corps ayant, non pas deux chefs, chose mon- 
cc strueuse, mais un seul chef, savoir : le Christ et 
c< Pierre, vicaire du Christ, ainsi que le successeurde 
c< Pierre... Qu'il ait en sa puissance les deux glaives, 
« l'un spirituel, Taulre temporel, c'est ce que TÉvan- 
« gile nous apprend ; car les apôtres ayant dit : Void 
« deux glaives ici, c'est-à-dire dans l'Église, puisque 
« c'étaient les Apôtres qui parlaient, le Seigneur ne 
« leur répondit pas : C'est trop, mais : C'est assez. Ger- 
ce tainement, celui qui nie que le glaive temporel soit 
« en la puissance de Pierre méconnaît cette parole du 
ce Sauveur : Remets ton glaive dans le fourreau. Le 
c< glaive spirituel et le glaive matériel sont donc, 
(t l'un et l'autre, en la puissance de l'Église; mais 
c< le second doit être employé pour l'Église, et le 
« premier par l'Église. Celui-ci est dans la main 
c< du prêtre. Celui-là dans la main des rois et des 
« soldats, mais sous la direction et la dépendance 
c< du prêtre. L'un de ces glaives doit être subordonné 
ce à l'autre, et l'autorité temporelle doit être soumise 
c< au pouvoir spirituel. Car, suivant l'Apôtre, toute 



INTRODUCTION. 89 

« puissance vient de Dieu. Celles qui existent sont or- 
« données de Dieu ; or, elles ne seraient pas ordon- 
« nées, si un glaive n'était pas soumis à Tautre glaive, 
« et, comme inférieur, ramené par lui à Texécution 
«de la volonté souveraine. Car... c*est une loi de la 
« Divinité que ce qui est infime soit coordonné par des 
«intermédiaires à ce qui est au-dessus de tout. Ainsi» 
«en vertu des lois de l'univers, toutes choses ne sont 
« pas ramenées à Tordre immédiatement et de la même 
«manière; mais les choses basses par les choses 
« moyennes, ce qui est inférieur par ce qui est supé- 
« rieur. Or, la puissance spirituelle surpasse en no- 
« blesse et en dignité la puissance terrestre, et nous 
« devons tenir cela pour aussi certain qu'il est clair 
c< que les choses spirituelles sont au-dessus des tempo- 
ce relies. C'est ce que font voir aussi non moins claire- 
ce ment l'oblatipn, la bénédiction et la sanctification 
« des dîmes, l'institution de la puissance et les condi- 
ce lions nécessaires du gouvernement du monde. En 
ce effet, d'après le témoignage de la vérité même, il 
a appartient à la puissance spirituelle d'instituer la 
c< puissance terrestre, et de la juger si elle n'est pas 
a bonne... Si donc la puissance terrestre dévie, elle 
c< sera jugée par la puissance spirituelle. Si la puis- 
c< sance spirituelle d'un ordre inférieur dévie , elle 
c< sera jugée par son supérieur. Si c'est la puissance 
a suprême, ce n'est pas l'homme qui peut la juger. 



-90 • INTRODUCTION. i 

«maïs Dieu seul... Or cette puissance qui, bien 
n qu'elle ait été donnée à riiomme et qu'elle soit exer- j 
c( cée par T homme, est non pas humaine, mais plutôt ^^ 
« divine, Pierre Ta reçue de la bouche divine elle- : 
<i même, et Celui qu*il confessa Ta rendue, pour loi \ 
<i et ses successeurs, inébranlable comme la pierre... ] 
<< Donc, quiconque résiste à cette puissance ainsi o^ j 
« donnée de Dieu, résiste à Tordre même de Dieu, â-; 
<c moins que, comme le manichéen, il n'imagine deux ; 
« principes, ce que nous jugeons être une erreur et ; 
« une hérésie... Ainsi, toute créature doit être sou- . 
c< mise au Pontife romain, et nous déclarons, définis- 
ce sons et prononçons que cette soumission est absolu- 
« ment de nécessité de salut*.» 

D le faut reconnaître, cette doctrine frappe par sa 
grandeur et sa simplicité; elle est nette, liée dans 
toutes ses parties, et incontestable dans sa base. Car, 
^n dehors de Tapplication qui la ramène et la circon- 
scrit dans le cercle particulier de la théologie catho- 
lique, que dit le Pape? Qu'il existe au sein de Puni- 
vers deux principes distincts : Pesprit et la matière? 
la raison et la force aveugle ; que Pun et Pautre de 
<^s principes sont des conditions nécessaires de Pexis- 
tence des choses, de Pexistence de Phomme et de la 
société; mais que, dans Perdre de perfection qui dé- 

* Bulle dogmatique de Bonifacc VIII, confirmée par Clément V, et in- 
sérée dans le Corps du droit canonique. 



INTRODUCTION. Ui 

termine leurs rapports mutuels, l'esprit est au-dessus 
de la matière, la raison au-dessus de la force aveugle 
qu'elle doit diriger vers les fins conçues par Tintelli- 
gence, et qui lui est dès lors essentiellement subor- 
donnée. Niez cela, supposez la force indépendante de 
la raison, vous établissez deux principes égaux réci- 
proquement libres et qu'aucune loi n'ordonne entre 
eux : le principe matériel de la force aveugle ou le 
principe du mal, le principe spirituel de la raison ou 
le principe du bien ; vous affirmez le dualisme, vous 
êtes manichéens. 
Nous ne pensons pas qu'on puisse se refuser à l'évi- 
\ dence de ces maximes : les énoncer, c'est les prouver. 
Jusque-là donc, nulle difficulté. Mais le Pape ne dit 
pas seulement que la force doit être subordonnée à la 
raison, lui obéir, être dirigée par elle ; il dit encore : 
La raison j c^est moi, et il doit le dire dans le système 
catholique, selon lequel la raison suprême, qui est 
Dieu, se manifeste, pour le salut du genre humain, 
par Jésus-Christ toujours présent à son Eglise dans la 
personne de Pierre et de ses successeurs, revêtus de 
son autorité infaillible. Dieu, donc, ayant parlé pre- 
mièrement par la bouche du Christ, et continuant de 
parler par la bouche de Pierre et de ses successeurs, 
vicaires du Christ, la raison de Pierre, la raison du 
Pape est la raison du Christ, la raison de Dieu même. 
Ce qu'il enseigne doit donc être cru d'une foi divine 



ITîTRODTICTIOîî. 

OU absolue. Et œmme la docirine enseignéq enveloppe, 
de proche en proche tout ce qui peut être l'objet de la 
raison humaine, la raison humaine, tout entière aussi, 
vient s'absorber dan s la raison dont le Pape est Torgane; l 
de sorte que, appliqué au catholicisme, le système ^ 
exposé par Boniface VIII se résout dans cette proposi- ' 
tion : Etant donné le genre humain, le Pape est Tes^ 
prit, la raison, — le reste est la matière, la force ; A 
conséquemment tous les hommes, quels qu'ils soient, 
doivent être régis par lui, et obéir aveuglément à ses 
volontés souveraines. Or cela, qu'es. <;e, sinon la pure . 
théocratie ? D'où ces deux conséquences : que les Papes 
durent nécessairement tendre à constituer la théocra- 
tie ; et que la théocratie, abstraitement conçue, impli- 
que chez l'homme la destruction de toute pensée, de 
toute volonté libre, conséquemment la destruction du 
principe moral même. Elle ravale la plus noble créa- 
ture de Dieu à la condition de la brute irresponsable, 
au rang des animaux incapables de bien et de mal, de 
mérite et de démérite, puisqu'ils le sont de tout choix. 
Tel est en effet le caractère que présentent dans 
l'histoire toutes les théocraties, qu'elles aient pour 
origine soit l'absorption du pouvoir temporel par le 
spirituel, soit, comme en Russie, l'absorption du pou- 
voir spirituel par le temporel. Dans les deux cas, elle 
est également la négation des lois de l'humanité et de 
la nature même de l'homme, une exécrable tentative 



INTRODUCTIOTÎ. 03 

de meurtre contre le genre humain, un défi jeté à 
iDieu qui a voulu et veut qu'il vive. 
'{ Qu'au Moyen âge les Papes eussent vaincu, où en 
I serait l'Europe? L'état de l'Espagne sous l'Inquisition 
n'en offre qu'une faible image ; car, là même, le par- 
tage du pouvoir imposait certaines bornes à celui du 
[ roi et à celui du prêtre. Mais qu'on les suppose réu- 
\ nis, il ne reste plus à la vie aucun refuge. Partout 
' l'ignorance et le silence, l'apathie, la langueur, la 
décadence de la culture, l'extinction de l'industrie, 
' nul autre but que l'assouvissement des appétits sen- 
suels, le Pouvoir lui-même attiré au fond de la ma- 
tière, et s'y putréfiant. 

Qu'aujourd'hui la Russie vainquît, niêmes consé- 
quences : dans une nuit sinistre, les mystères de 
Ténfer et l'orgie de la mort. Telle qu'un glacier qui 
glisse sur sa base, on la verrait s'étendre sur la terre 
dévastée, ténébreuse, muette, et y couvrir de son froid 
linceul les peuples râlant sous les ruines de la civili- 
sation écroulée. Mais au Tzar-Dieu, comme au Pape- 
Dieu, il a été dit : Tu ne prévaudras point! au-dessous 
de Ion trône impie, moi, le seul Dieu, j'ai creusé ta 
fosse. 

Si la théorie d'un pouvoir unique, à la fois spirituel 
et temporel, et celle de deux pouvoirs indépendants 
l'un de l'autre sont également inadmissibles, égale- 
ment funestes à l'humanité par leurs conséquences, 



94 INTRODUCTION. 

quelle est donc la vraie théorie sociale? et en esti) 
une? Oui, sans doute, puisque Thomme a des lois. | 
Mais, au lieu de la chercher dans ces lois, on n*a guère | 
fait qu'ériger en doctrine leur violation même. 

Observons d*abord que les deux systèmes dont j 
nous venons de montrer la fausseté dangereuse re- 
posent sur un principe commun. Supposant possible 
et nécessaire la possession de la vérité absolue, pour 
le salut de Tâme, et Taction permanente, par voie de 
commandement, de la justice absolue pour le salut j 
du corps ou de la société extérieure, Torgane du juste 
et Torgane du vrai dans Thumanité doivent, dès lors, 
être élevés au-dessus de l'humanité même, laquelle 
n'admet rien d'absolu. Le pouvoir spirituel et le pou- ^ 
voir temporel sont donc forcément conçus comme de 
purs instruments passifs, au moyen desquels Dieu . 
gouverne immédiatement le genre humain. Or, quoi 
que suppose la théorie, ces pouvoirs sont, de fait, des - 
hommes semblables aux autres hommes , doués comme 
eux d'une activité, d'une volonté propre, sujets aux î 
mêmes erreurs, aux mêmes passions. D'où il suit, 
d'une part, qu'en tant qu'organes de Dieu, vérité in- i 
fînie, justice infinie, une obéissance infinie aussi leur j 
est due; et que, d'une autre part, cette obéissance/ 
dans Tordre de la pensée et dans Tordre de l'action, 
devient l'obéissance à tout ce qu'ordonnent, en tant 
qu'hommes, ces organes supposés de Dieu. Car, si 



INTRODUCTION. 05- 

f Von établit que le devoir d*obéir comporte, à cet 
égard, une distinction, on se déclare soi-même prati-^ 
quement juge de cette distinction, juge dès lors de ce 
qui est de Dieu et de ce qui est de Thomme dans les 
choses commandées, juge de la vérité infinie, de la 
justice infinie, — et le système croule par sa base. 
Que si, au contraire, on Taccepte avec ses consé- 
quences nécessaires, il en résulte la consécration ab» 
solue, divine, de tout ce qui peut monter de plus 
monstrueux dans Tesprit et dans le cœur des hommes 
préposés aux peuples pour les conduire. Le principe 
commun à ces deux théories, en transformant Tordre 
de la nature dans un ordre surnaturel , nie donc les 
conditions de la société humaine, et la détruit par une 
confusion des lois essentielles de l'Être infini et de 
celles de TÊtre uni, laquelle aboutit logiquement à la 
déification de Thomme. 
fie plus. Tune d'elles brise son unité en établissant 
) Tindépendance mutuelle de Tesprit et du corps, qui 
[ ne peuvent subsister qu*unis; et Tautre, par une 
fausse vue d'unité, en s'efforçant d'absorber le corps 
dans l'esprit, ce qui serait l'abolition de la vie ter~ 
restre, tend, par l'invincible besoin de vivre, à l'ab- 
sorption de l'esprit dans le corps. 

II s'en faut beaucoup que ces doctrines, d'une ab- 
surdité si funeste, aient cessé de régner ; elles sont, 
au contraire, encore aujourd'hui le fondement et la 



^ INTRODUCTION. 

règle de la société chez les nations chrétiennes, et j 
produisent les mêmes effets qu'elles ont produits dans 
tous les lemps. Cependant les peuples s'en sont lassés. 
Partout ils s'agitent pour sortir du cercle infernal delà 
double sei^vitude où ils gémissent depuis tant de siè- 
cles, pour briser les portes de Tenceinte où roisel 
prêtres les ont, comme un vil bétail, tenus jusqu'ici 
parqués. Un secret instinct, puissant, irrésistible, les 
attire vers un monde nouveau, une société nouvelle. 
Que sera cette société? que doit-elle être? Essayons de 
répondre à cette question , considérée seulement à un 
point de vue général et philosophique. 

Si l'on élimine l'hypothèse pleine de ténèbres etd( 
contradictions, qui, transportant l'homme dans un 
ordre au-dessus de la nature, y place le principe im- 
médiat de sa vie, soustraite dès lors à l'empire à& 
lois naturelles, si on rentre dans celle-ci et qu'on s'; 
renferme, la lumière aussitôt reparaît. 

Tout être est nécessairement un ; tout être fini in 
telligent, par cela même qu'il est fini, a des borm 
nécessaires, ou se compose nécessairement d'esprits 
de corps; et, par cela même qu'il est un, l'esprit et 1 
corps doivent être ramenés à cette unité, conditic 
essentielle de son existence, à laquelle ils concoure] 
également, quoique d'une manière divei^e. Détruis 
un de ces éléments, l'être entier est détruit ; il ces 
d'exister individuellement dans le monde des réalil 



INTRODUCTION. 97 

extérieures à Dîeu ; il redevient une pure idée divine. 

Mais si l'esprit et le corps s'impliquent réciproque- 
ment comme des conditions nécessaires de l'être in- 
telligent fini, le corps, inférieur à l'esprit, lui est 
subordonné, et ses lois propres sont et doivent être 
subordonnées aux lois de l'esprit qui les dirige à ses 
fins supérieures. 

Ainsi que l'homme individuel, le genre humain est 
«n, puisque la nature humaine, dont il est l'expres- 
sion, est une, et, dans son développement continu , il 
tend sans cesse à une plus parfaite unité par révolu- 
tion continue aussi et simultanée de l'esprit et du 
<îorps, ou le perfectionnement progressif de la société 
<lans l'ordre spirituel et Tordre corporel. 

Et comme l'ordre spirituel est au-dessus de l'ordre 
«orporel, il existe entre eux une subordination néces- 
saire. L'esprit commande au corps, et dirige à ses 
propres fins son action aveugle. 

Chaque société particulière représente la société du 
genre humain ,^ dont elle forme un des éléments, comme 
«Ile-même a pour éléments les individus dont elle se 
compose. Soumise aux mêmes conditions d êlre, elle 
subsiste en vertu des mêmes lois. Esprit et corps, le 
tOTfs en elle est l'organisation politique, civile, éco- 
Homique, domaine du pouvoir temporel, distinct du 
pouvoir spirituel comme le corps est distinct de 
l'esprit, subordonné au pouvoir spirituel comme le 



98 INTRODUCTION. 

corps est subordonné à Tesprit dans l'unité humaine^ 
possible seulement par cette subordination. 

Le pouvoir temporel, expression du corps dont il 
résume Taction, appartient radicalement à tout le 
corps, dont toutes les parties solidairement liées con- 
courent* toutes à la fin commune, ne forment toutes 
ensemble qu'une même unité, de laquelle on ne sau- 
rait exclure une seule partie sans qu'elles pussent 
toutes successivement être exclues au même titre, ce 
qui serait la destruction du corps même. Ainsi, dans 
le corps social, le pouvoir radical, ou comme on le 
nomme encore, la souveraineté est universelle, une et 
indivisible. 

Le pouvoir spirituel, bien que lié au pouvoir tem-^ 
porel qu'il doit diriger, n'admet par sa nature aucune 
organisation analogue à celle dont le pouvoir tempo- 
rel résume l'action ; de même que l'esprit, bien que 
lié au corps, ne peut être conçu sous un mode d*orga- 
nisation corporelle. Ce qu'il est dans Thomme, il Test 
également dans la société : quelque chose au-dessus 
des sens, la pensée, la raison finie et progressive, 
sujette à l'erreur, mais pénétrant toujours plus dans 
le vrai 

Dans la société, donc, le pouvoir spirituel, étranger 
à l'organisation du corps social ou de l'État, en dehors 
d'elle, supérieur à elle, n'est que l'esprit, la raison 
libre de toute entrave : d'où, par la communication 



INTRODUCTION. 90 

sans obstacle des pensées qui se modifient les unes les 
autres, naît une pensée commune, une volonté com- 
mune, dominant, dès qu'elle s'est formée, toutes les 
pensées, toutes les volontés particulières; de sorte 
que, sans moyens de contrainte, sans juridiction poli- 
tique ni civile, la raison libre, impersonnelle, incor- 
porelle, constitue le Pouvoir spirituel dans lequel 
réside la suprême puissance de gouvernement ; — car 
gouverner, c'est réaliser au dehors une volonté cor- 
respondante à une pensée qui la détermine. 

Et comme le faux s'évanouit d'autant plus prompte- 
ment qu'il est soumis à un examen et plus général 
et plus libre, comme l'injuste n'est jamais qu'un 
intérêt particulier opposé à l'intérêt de tous, ce que 
tous pensent est toujours relativement ce qu'il y a 
de plus vrai ; ce que tous veulent, ce qu'il y a de plus 
juste. 

Élargissez le cercle : représentez-vous les peuples 
divers coordonnés dans le genre humain, comme les 
individus dans chaque peuple, y soutenant les mêmes 
rapports, y remplissant les mêmes fonctions, l'huma- 
nité vous apparaîtra sous la forme que lui assignent 
ses lois naturelles, comme un seul être animé d'une 
seule vie dans son unité complexe, se développant 
selon tout ce qui est, selon sa double nature spiri- 
tuelle et corporelle, et par un progrès continu, éter- 
nel, s'approchant toujours plus de Dieu, de l'Être 



100 INTRODUCTION. 

infini, infiniment un, sans jamais cesser d'être àuiie 
distance infinie de lui. 

Ainsi donc, les systèmes qui supposent le Pouvoir 
directement institué de Dieu et son représentant sur 
la terre, obligent à le concevoir sous une double no- 
tion qui se résout dans celle de la force pure et de la 
raison absolue. Or, séparées, la raison absolue et la 
force pure, simples abstractions deTesprit, ne consti- 
tuent aucun être, n'ont aucune existence réelle; unies^ 
ridée de pouvoir se confond avec Tidée de Dieu, à la 
fois raison infinie et puissance infinie. Immédiate- 
ment soumise à ce pouvoir exercé par un homme, 
organe de la raison divine, instrument de la volonté 
ou de la puissance divine, la société humaine n'est 
plus qu'un assemblage d'êtres sans pensée, sans vo- 
lonté, sans action propre, quelque chose au-dessous 
de la société des brutes, que dirige du moins l'instinct 
inhérent à chacune d'elles. 

Réduit à ses termes les plus simples, tel est le droit 
qui a longtemps régi l'humanité et la régit encore. 11 
renferme, avec la négation de la liberté, la négation 
de l'homme intelligent et moral, de Thomme phy- 
sique même, qui n'a pas en soi seul son principe de 
conservation ; et conséquemment sa tendance est une 
tendance directe à la mort. Mais l'homme veut vivre ; 
il a donc toujours résisté à ce droit impie, mon- 
strueux, qui jamais n'a pu s'établir d'une manière 



INTRODUCTION. I(H 

complète et durable. La société, à l'époque présent?^ 
ne lutte pas seulement contre' ses conséquences, elle 
l'attaque en soi, elle s'efforce'd'en extirper jusqu'à la 
racine. Nul repos désormais qu'elle n'y ait substitué 
un autre droit, le droit fondé sur la nature, et par cela 
même le vrai droit divin. Il a pour caractère, pour 
expression la liberté, que détruit radicalement le droit 
contraire. Et qu'on ne l'oublie jamais, c'est la liberté, 
la liberté sans autres limites pour chacun que l'égale 
liberté d'autfui, qui résoudra tous les problèmes 
sociaux, constituera l'ordre véritable, ouvrira à cha- 
que peuple, au genre humain, la voie par où l'im- 
pulsion spontanée de ses secrètes puissances le gui- 
dera, voyageur immortel, vers le terme inconnu de 
ses destinées mystérieuses. Que dans cette voie sacrée 
il rencontre des obstacles, qiie, pour le repousser au 
sein des misères et des ténèbres du passé, se dresse 
devant lui le génie du mal, qu'importe? 

Tu ne code malis, sed contra audentior ito. 



VI 

LA DIVIKE COMÉDIE 



Nous laissons aux critiques le soin de discuter si la 
Divine Comédie est ou n'est pas une épopée. La môme 



<s. 



i02 INTRODUCTION. 

question fut, comme on sait, agitée en Angleterre â 
Toccasion du Paradis perdu. A ceux qui lui refusaient 
le nom d'épopée, on répondit : Ce ne sera pas, si vous 
voulez, un poëme épique; ce sera un poème divin. 

Nous n'examinerons pas non plus si Dante a em- 
prunté, et à qui, le cadre et la forme de son poème : 
les voyages allégoriques, les visions de l'autre monde 
étaient une donnée commune de son temps*, mais 
son génie n'est qu'à lui. 

Malgré les indications générales fournies par le 
Poète lui-même pour l'interprétation de son œuvre, 
elle n'en reste pas moins enveloppée, dans quelques- 
unes de ses parties, d'une obscurité jusqu'à présent 
impénétrable, au jugement des plus habiles même, 
Perticari, Monti, Viviani, Dionisi, Ugo Foscolo. Après 
tant d'inutiles travaux, M. Rossetti a cru pouvoir ré- 
pandre une lumière inattendue au sein de ces ténè- 
bres. Malheureusement, le sien manque trop souvent 
d'ordre et de méthode, de réserve et de choix, de cette 
critique sévère sans laquelle les recherches les plus 



' On la retrouve jusque chez les Nègres de Juda « Ils mettent, dit 
Bonnau, Tcnfer dams un lieu souterrain, où les méchants sont punis par 
le feu. Cette opinion avait été confirmée parmi eux depuis quelques 
années, par l'arrivée d'une vieille sorcière, qui faisait des récits fort 
étranges de Tenfer. Elle y avait vu, disait-elle, plusieurs personnes de 
sa connaissance, et, particulièrement, Tancien ministre du roi, qui y 
était cruellement tourmenté. » Hist, génér. des Voyages, tome IV, 
page 301 . 



I INTRODUCTION. 103 

savantes, les plus curieuses, les plus variées, ne pro- 
duisent qu^une sorte de vain éblouissement. On y ren- 
contre trop souvent des rapprochements forcés, de 
longues suites d^inductions faiblement liées entre 
elles ; des conjectures au lieu de preuves ; des preuves 
qui n'en sont quelquefois que pour sa vive imagina- 
lion. Cependant, si Ton peut justement le taxer 
d'exagération, son livre n'en contient pas moins des 
vérités, selon nous certaines, et propres à jeter un 
nouveau jour sur l'ouvrage du Poëte florentin. Il offre, 
ce nous semble, deux aspects principaux et comme 
deux poèmes entrelacés, unis et distincts : un poëme 
historique et politique, un poëme philosophique 
et religieux. Telle est même la complexité de cette 
composition sans modèle, que, dans chacun de ces 
poèmes, où, des deux sujets que l'auteur y traite, Tun 
sert de voile à l'autre, on doit encore distinguer plu- 
sieurs sens, ainsi que Dante lui-même en avertit dans 
son Épître dédicatoire à Can Grande, chef de la ligue 
gibeline. 

c< Pour comprendre les choses qui seront dites, il 
« faut savoir que le sens de cet ouvrage n'est pas 
« simple, qu'on peut dire plutôtqu'il a plusieurs sens: 
c< puisque autre est le sens qui se tire de la lettre, 
« autre celui qui se tire des choses signifiées par la 
ce lettre. Le premier s'appelle littéral, le second allé- 
« gorique et moral. Ceci entendu, il est manifeste que 



1(W INTRODUCTION, 

« double doit être le sujet autour duquel courent les 
« sens alternatifs. C'est pourquoi il faut d'abord con- 
« sidérer le sujet de cet ouvrage selon la lettre, puis 
« le sujet conçu allégoriquement. Pris à la lettre, le 
« sujet de tout Touvrage est donc simplement Tétai 
c< des âmes après la mort ; car l'ouvrage tout entier 
« traite de cela et tourne autour de cela. Mais si on le 
« prend allégoriquement, on peut induire des mêmes 
o paroles que, selon le sens allégorique, le poëte traite 
« de cet enfer dans lequel, accomplissant comme des 
« voyageurs notre pèlerinage, nous pouvons mériter 
« et démériter.» 

Deux sujets, donc : Tun dont la scène est bors de c 
monde, l'autre dont la scène est ce monde même que 
Dante appelle enfer. Pourquoi enfer? Est-ce à cause 
des maux, des désordres, des vices, triste apanage de 
Thumanité dans tous les lieux, dans tous les temps? 
Mais, à côté des vices, il s*y trouve aussi des vertus ; à 
côté des désordres et des maux, un ordre maintenu 
par des lois divines, et les biens que cet ordre produit 
naturellement. Le séjour où l'homme peut mériter et 
démériter j le lieu d'où partent deux routes conduisant, 
Tune au ciel où les justes reçoivent leur récompense, 
l'autre à l'abîme où les coupables subissent leur châti- 
ment, ce lieu intermédiaire sanctifié au milieu des 
temps par la vie et la mort du grand Rédempteur, ne 
saurait être nommé en fer ^ en un sens général. Autre 



INTTÎODUCTION. 105 

est donc la pensée de Danle. A la sombre époque où 
il écrivait, au milieu des calamités, des crimes qu'en- 
ktait la lutte acharnée des deux puissances qui se 
lisputaientr Empire, des ardentes passions des partis 
e combattant en chaque cité, il répète le cri universel 
es contemporains. « Les poètes, dit Léon Hébreu, 
ppelèrent Tltalie : Enfer *. » Pétrarque appelait 
ome r Enfer des vivants. C'étaient là des expressions 
3çues. Dans la bouche du Poëte gibelin, r Enfer de ce 
\onde c'est doncTItalie, et Rome surtout, usurpatrice 
es droits que l'Empereur tenait de Dieu même, cor- 
3mpue, corruptrice, « /owt;6 avide , insatiable*,» 
)mme la nommaient ses adversaires, qui voyaient en 
lie la grcmde Prostituée et la Babylone de l'Apocalypse, 
[ais le pouvoir redoutable dont elle était armée, et 
uquel l'auteur de la Monarchie n'échappa que par 
ne prompte fuite, obligeait à d'extrêmes précautions 
ans les attaques contre elle. 11 fallait, pour se dérober 
ses implacables vengeances, prendre des voies dé- 
mmées; user d'un langage emblématique, à double 
îns; cacher sa vraie pensée, inintelligible à quicon- 

*Difl/. d'Amor,, p. 75. Venez. 1565. 

'Sur TaTarice de la cour papale et ses dissolutions, on peut consulter, 
itre autres écrits du temps, les Epist. sin. tilul. de Pétrarque. « IJna 
lutisspes in auro es^, dit-il: auro placdtiir Rex férus; aiiro immane 
onslrum vincitur, auro tristis janitor mollititr, atirocœlum pan- 
tur, auro Christus vendùur: » Ep. 8. ^VbiDeus spernitur, adoratur 
mmvs. » Ep. 2. 



i06 INTROnrCTIOH. 

que s'arrêtait à la simple lettre. Et Dante lui-mêm 
n'en a-t-ii pas averti ses lecteurs? 

«Vous qui avez l'intelligence saine, regardez la d(N 
«trine qui se cache sous le voile des vers étranges,: 

Quelle doctrine? Il laisse à chacun le soin de la d^ 
couvrir. Mais ailleurs, mais plus tard, près de mouri 
au sein de Texil, il explique clairement le but de soi 
œuvre : 

« Parcourant les sphères, les bords du Phlégétoi 
c< et des lacs, j'ai chanté les droits de la monarchie 
« autant que l'ont voulu les destins*.» 

Suivez, en effet, le Poëte à travers ces régions mj» 
térieuses, partout apparaissent en opposition Rome e 
l'Empire, celui-ci type du bien, celle-là type du ma 
sur la terre, de sorte néanmoins que de ce contraste! 
ne ressorte rien d'hostile à l'autorité purement spiri- 
tuelle des Pontifes romains, que Dante, en cela diflK 
rent de beaucoup d'autres adversaires de la papauté i 
cette époque, respectait sincèrement. Mais nul pla 
que lui n'abhorrait la domination temporelle de Rome 
destructive en ce qui constituait, selon lui, le droi 
fondamental, le droit divin dé la société, ou le Pouvoii 
impérial, duquel dépendait la paix et la félicité de 
monde. Aussi, à ses yeux, le plus grand des crimes 
était-il d'attaquer ce Pouvoir nécessaire. Voilà pour 

* c Jura Monarchiae, superos, PUegetonta, lacusque 
Lustrando, cecini, voluerunt fata quousque. f 



lïïTRODUCTIOH. 107 

quoi il place au fond des cercles infernaux Brutus et 
Cassius, meurtriers de César, et, en un autre de ces 
cercles, BonifaceVIII et Clément V, tandis qu'il montre 
dans le ciel un trône préparé pour Henri Vil, repoussé 
par eux de Tltalie, et mourant, empoisonné peut-être, 
au moment où ses armes paraissaient près d'assurer 
le triomphe de TEmpire. Il n'est pas jusqu'à l'excom- 
munié Manfred, mort aussi en combattant pour la 
même cause, qui ne doive, après un temps passé dans 
le séjour où se purifient les âmes, siéger parmi les 
Bienheureux. En tout cela le but du Poëte, sa pensée 
iatime, se manifestent clairement.' 

Mais si de ces généralités l'on descend aux détails, 
là on se perd. On est réduit à conjecturer sans données 
suffisantes, à fouiller sous les mots, à deviner ce qui 
se dérobe sous le voile d'images obscures, d'emblèmes 
équivoques et d'allusions énigmatiques ; et c'est qu'il 
fallait à la fois être entendu des uns et ne l'être pas 
des autres, parler un langage au moyen duquel le sens 
secret, compris seulement des initiés, fût comme re- 
couvert d'un sens apparent qui ne pût blesser le Pou- 
voir dont on ne provoquait pas impunément les colères 
formidables, ou du moins qui ne fournit pas de prise 
à des accusations de ce genre de délits que punissaient 
les bûchers des inquisiteurs. 

De là des ténèbres aujourd'hui, le plus souvent, 
impénétrables. Assez peu importent, après tout, ces 



■• ' ' -' .. I 

108 IHTRonucriO!!. 

obscuiilGs de détail, l'idée principale étant connue. 
On sait, en général, qu'un des sujets du poëme, le sujet 
politique, est tout ensemble une gloriflcationde lamo- 
narchie impériale et une satire épique contre la Rome 
papale; que faut-il de plus? Ce qui pour nous reste 
un mystère Tctait également pour les contemiiorains, 
Le sujet que le Poëte appelle « littéral » t;sl loin lui- 
même d'offrir un sens simple. Jacopo di Dante, i^Ie^ 
prête, dit-il, de la pensée de son père', veut que IEd- 
fer, le Purgatoire, le Paradis, ne soient que des figures 
représentant l'homme sur la terre, ou enseveli dans 
le vice, ou travaillant à s'en purifier, ou confirmé dans 
la vertu, par laquelle l'âme, en possession de la féli- 
cité, s'élève à une hauteur d'où il lui est permis de 
découvrir le souverain bien. Nous avons cité un pas- 
sage remarquable du Coiimlo, lequel s'applique autant 
à la Divina Commedia qu'aux autres poésies de Dante. 
Il y distingue trois sens : le sens que présente la lettre, 
le sens allégorique et le sens anagogique ; de sorte 
que, selon le sens allégorique, on doit par w le ciel» en- 
tendre u la science, » et par les cieux, les sciences, à 
raison de certaines similitudes qu'il explique, et ce sens 
se complique encoredu sens anagogique: d'où des dif- 
ficultés nouvelles, source inépuisable d'interprétations 
difTérentes, plus ou moins hasardées, plus ou moins 
aiiiitraires; et d'où aussi ces bizarres singularités de 
■ Jacopo di Uanle. Manuscrit ii° 776S de la Biblioliiêque. 



I INTRODUCTION. 109 

langage, résultat du travail du Poète pour trouver des 
images, rapprocher des mots qui convinssent égale- 
ment aux idées diverses à la fois présentes à son es- 
prit, et dont Feffet trop fréquent est de joindre à Tob- 
scurité de la pensée l'obscurité du style. 

Quoi qu'il en soit, le poëme entier, sous ses nom- 
breux aspects, politique, historique, philosophique, 
théologique, offre le tableau complet d'une époque, 
des doctrines reçues, de la science vraie ou erronée, 
du mouvement de l'esprit, des passions, des mœurs, 
delà vie enfin dans tous les ordres, et c'est avec rai- 
son qu'à ce point de vue la Divina Commedia a été 

^ appelée un poëme encyclopédique. Rien, chez les an- 
ciens comme chez les modernes, ne saurait y être 
comparé. En quoi rappelle-t-elle l'épopée antique, qui , 
dans un sujet purement national, n'est que la poésie 
de l'histoire, soit qu'elle raconte avec Homère les lé- 
gendes héroïques de la Grèce, soit qu'avec Virgile elle 

^ célèbre les lointaines origines de Rome liées aux des- 
tins d'Énée? D'un ordre différent et plus général, le 
Paradis perdu n'offre lui-même que le développement 
d'un fait, pour ainsi parler, dogmatique : la création 
de l'homme, poussé à sa perte par l'envie de Satan, sa 
désobéissance, la punition qui la suit de près, l'exil 
del'Édcn, les maux qui, sur une terre maudite, 
seront désormais son partage et celui de ses descen- 
dants, et, pour consoler tant de misère, la promesse 



e 



n. L 



110 INTRODUCTION. ^H 

d'une rédemption future. Qu'ont de commun ts». 
poèmes, circonscrits en un sujet spécial, avec le poëme- 
immense qui embrasse non-seulement les divers étals 
de l'homme avant et après la chute, mais encore, par 
l'influx divin qui de cieux en cieux descend jusqu'^ 
lui , l'évolution de ses facultés, de ses énergies de tous 
genres, ses lois individuelles et ses lois sociales, ses 
passions variées , ses vertus, ses vices, ses joies, ses dou- 
leurs; et non-seulement l'homme dans la plénitude ds 
sa propre nature, mais l'univers, mais la création et spi- 
rituelle et matérielle, mais l'œuvre entière de laToute- 
Puissance, de la Sagesse suprême et dcl'Éternel Amour? 
Dans cette vaste conception, Dante toutefois ne 
pouvait dépasser les limites où son siècle était en- 
fermé. Son épopée est tout un monde, mais un monde 
correspondant au développement de la pensée et de la 
société en un point du temps et sur un point de la 
terre, le monde du Moyen âge. Si le sujet est uni- 
versel, l'imperfection de la connaissance le ramène 
en une sphère aussi bornée que l'était, comparée à la 
science postérieure, celle qu'enveloppaient dans son 
étroit berceau les langes de l'École. En religion, en 
philosophie, l'autorité traçait autour de l'esprit un 
cercle infranchissable. Des origines du genre humain, 
de son état primordial, des premières idées qu'il se 
fit des choses, des premiers sentiments qu'elles éveil- 
lèrent en lui, des antiques civilisations, des religions 



INTRODUCTÎON. ' iH 

primitives, que savait-on? Rien. L*Asie presque en- 
tière, ses doctrines, ses arts, ses langues, ses monu- 
ments, n'étaient pas moins ignorés que la vieille 
Egypte, que les peuples du nord et de Test de l'Eu- 
rope, leurs idiomes, leurs mœurs, leurs croyances, 
leurs lois. On ne soupçonnait même pas Texistence de 
la moitié du globe habité. Le cercle embrassé par la 
vue déterminait Tétendue des cieux. La véritable 
astronomie, la physique, la chimie, Tanatomie, Tor- 
ganogénie étaient à naître : il faut donc se reporter à 
Tépoque de Dante pour comprendre la grandeur et la 
magnificence de son œuvre. 

Nous avons expliqué les causes des obscurités qui 
s'y rencontrent, causes diverses auxquelles on pour- 
rait ajouter encore les subtilités d'une métaphysique 
avec laquelle très-peu de lecteurs sont aujourd'hui 
familiarisés, et dont la langue même, pour être en- 
tendue, exige une étude spéciale et aride. Mais, en 
laissant à part le côté obscur, il reste ce qui appartient 
à la nature humaine dans tous les temps et dans tous 
les lieux, l'éternel domaine du poète, et c'est là qu'on 
rçtrouve Dante tout entier, là qu'il prend sa place 
parmi ces hauts génies dont la gloire est celle de 
l'humanité même. Aucun n'est plus soi, aucun n'est 
doué d'une originalité plus puissante, aucun ne pos- 
séda jamais plus de force et de variété d'invention, 
aucun ne pénétra plus avant dans les secrets replis de 



m INTRODUCTION. 

Tame et dans les abîmes du cœur, n'observa mieux et 
ne peignit avec plus de vérité la nature, ne fut à la 
fois plus riche et plus concis. Si Ton peut lui repro- 
cher des métaphores moins hardies qu'étranges, des 
bizarreries que réprouve le goût, presque toujours , 
comme nous l'avons dit, elles proviennent des efforts 
qu'il fait pour cacher un sens sous un autre sens, pour 
éveiller par un seul mot des idées différentes et par- 
fois disparates. Ces fautes contre le goût, qui ne se 
forme qu'après une longue culture chez les peuples 
dont la langue est fixée, sont d'ailleurs communes 
à tous les poètes par qui commence une ère nou- 
velle. Ce sont, dans les œuvres de génie, le^ fâches 
dont parle Horace : 

Ubi plura nitent in carmiile, non ego paucis 
Offcndar maculis. 

Elles ressemblent à l'ombre de ces nuages légers 
qui passent sur des campagnes splendidcs. 

Lorsque après l'hiver de la barbarie le printemps 
renaît, qu'aux rayons du soleil interne qui éclaire et 
réchauffe, et ranime les âmes engourdies dans de 
froides ombres, la poésie refleurit, ses premières 
fleurs ont un éclat et un parfum qu'on ne retrouve 
plus en celles qui s'épanouissent ensuite. Les pro- 
ductions de l'art, moins dépendantes de l'imitation et 
des règles convenues, offrent quelque chose de plus 



INTRODUCTION. 115 

personnel, une originalité plus marquée, plus puis- 
sante. Dante en est un exemple frappant. Doublement 
créateur, il crée tout à la fois un poème sans modèle 
et une langue magnifique dont il a garde le secret ; 
car, quelle qu*en ait été Tinfluence sur le développe- 
ment de la langue littéraire de Tltalie, elle a néan- 
moins conservé un caractère à part, qui la lui rend . 
exclusivement propre. La netteté et la précision, je ne 
sais quoi de bref et de pittoresque, la distinguent 
particulièrement. Elle reflète, en quelque façon, le 
génie de Dante, nerveux, concis, ennemi delà phrase, 
abrégeant tout, faisant passer de son esprit dans les 
autres esprits, de son âme dans les autres âmes, idées, 
sentiments, images, par une sorte de directe com- 
munication presque indépendante des paroles. 

Né dans une société toute formée, et artificielle- 
ment formée, il n'a ni le genre de simplicité, ni la 
naïveté des poètes des premiers âges, mais, au con- 
traire, quelque chose de combiné, de travaillé, et 
cependant, sous ce travail, un fond de naturel qui 
brille à travers ses singularités même. C'est qu'il ne 
cherche point l'effet, lequel naît de soi-même par 
l'expression vraie de ce que le Poète a pensé, senti. 
Jamais rien de vague : ce qu'il peint, il le voit, et 
son style plein de relief est moins encore de la pein- 
ture que de la plastique. 

Lorsque parut son œuvre, ce fut parmi ses con- 



114 INTRODUCTION. 

Imporains un cri unanime d'étonnement et d^admi- 
ration. Puis des sièdesw ni,sw.iii ^ danBtlaqpeb jpea 
à peu s'discarcît oetle grande renmamée. Le aens du 

poème était perdu, le goût rétréd et dépraré par l'in- 
fluence d*une littérature non moins vide que factice. 
Au milieu du dix-huitième siècle, Voltaire écrivait à 
Bettinelli : « Je fais grand cas du courage avec le- 
« quel vous avez osé dire que le Dante était un 
« fou, et son ouvrage un monstre. J'aime encore 
« mieux pourtant, dans ce monstre, une cinquan- 
« taine de vers supérieurs à son siècle, que tous les 
« vermisseaux appelés soiietti, qui naissent et qui 
« meurent à milliers aujourd'hui dans Tltalie, de 
«Milan jusqu'à Otrante\ » 

. Voltaire, qui ne savait guère mieux l'italien que le 
grec, a jugé Dante comme il a jugé Homère, sans les 
entendre et sans les connaître. Il n'eut, d'ailleurs, 
jamais le sentiment ni de la haute antiquité, ni de 
tout ce qui sortait du cercle dans lequel les modernes 
avaient renfermé Tart. Avec un goût délicat et sûr, il 
discernait certaines beautés. D'autres lui échappaient. 
La nature l'avait doué d'une vue nette, mais celte vue 
n'embrassait qu'un horizon borné. 

L'enthousiasme pour Dante s'est renouvelé depuis, 
et comme un excès engendre un autre excès, on a 
voulu tout justifier, tout admirer dans son œuvre, 

* Lettre du mois de mars 1761. 



INTRODUCTION. îib 

faire de lui, non-seulement un des plus grands génies 
qui aient honoré rhumanité, mais encore un poëte 
sansdéfauts, infaillible, inspiré, un prophète. Ce n'est 
pas là servir sa gloire, c'est fournir des armes à ceux 
qui seraient tentés de la rabaisser. 

Un des reproches qu'on a faits à son poème est 
l'ennui, dit-on, qu'on éprouve à le lire. Ce reproche, 
qu'au reste on adresse également aux anciens, n'est 
pas de tout point injuste. Mais, pour en apprécier la 
valeur véritable, il faut distinguer les époques. Ce 
qui ennuie aujourd'hui, les détails d'une science 
fausse, les subtiles argumentations sur les doctrines 
théologiques et philosophiques de l'École, rendent, 
sans aucun doute, cette partie du poème fatigante et 
fastidieuse même. Mais elle était loin de produire' le 
même effet au quatorzième siècle. Cette science était 
la science du temps, ces doctrines, fortement em- 
preintes dans les esprits et dans la conscience, for- 
maient l'élément principal de la vie de la société, 
et gouvernaient le monde. Voilà ce qu'il faudrait 
ne point oublier. Lucrèce en est-il moins un grand 
poëte, parce qu'il a rempli son poème des arides 
doctrines d'une philosophie maintenant morte? Et 
cette philosophie, dans Lucrèce, c'est tout le poème ; 
tandis que celle de Dante et sa théologie, n'occupent, 
dans le sien, qu'une place incomparablement plus 
restreinte. Qui ne sait pas se transporter dans des 



«6 INTItODCCTIOS. 

sphères d'idées, de croyances, de mœurs, différentes 
de celles où le hasard l'a fail naître, ne vil que d'une 
vie imparfaite, perdue dans l'océan delà vie progres- 
sive, multiple, immense, de l'humanité. 

Dante, au reste, a conçu son poëme comme ont él* 
conçues toutes les épopées, et spécialement les plu 
anciennes. Celles de l'Inde, si riches en beautés d* 
tout genre, ne sont-elles pas, au fond, des poëme: 
ihéologiques? Que serait VIliaile, si l'on en retran. 
chait les dieux partout mêlés à la contexture de la 
fable? Seulement la Grèce, au temps d'Homère, avaî 
déjà rompu les liens qui entravaient le libre essor d« 
l'esprit. Sa religion, dépourvue de dogmes abstraits 
ne commandait aucunes croyances, et, dans son cull£ 
vaguement symbolique, ne parlait guère qu'aux sens 
et à l'imagination. Il en fut de même chez les Ro- 
mains, à cet égard fils de la Grèce. Avec îe christia- 
nisme, un changement profond s'opéra dans l'état reli- 
gieux. La foi en des dogmes précis devint le fondement 
principal de la religion nouvelle ; d'où l'importance 
que Dante, poëte chrétien, dut attacher a ces dogmes 
rigoureux, à cette foi nécessaire. Aujourd'hui que les 
esprits, entrevoyant d'autres conceptions obscures en- 
core, mais vers lesquelles un secret instinct les attire, 
se détachent d'un système qu'a usé le progrès de la 
pensée et de la science, i) a cessé d'avoir pour eux l'in- 
térêt qu'il avait pour les générations antérieures. Mais, 



INTRODUCTION. 147 

quelles que puissent être les doctrines destinées à le 
remplacer, elles seront, durant la période qu'elles ca- 
ractériseront à leur tour, la source élevée de la poé- 
sie, dont la vie est la vie de Tesprit, et qui meurt sitôt 
qu'elle s'absorbe dans le monde matériel . 

La Divine Comédie se divise en trois Cantiques, ' 
l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis. Diverses de ton 
comme de sujet, on doit, pour s'en faire une idée 
exacte, considérer chacune d'elles en particulier. 



VII 

L'ENFER 

Du sentiment naturel à l'homme d'une existence 
future, combiné avec celui du bien et du mal, du 
vice et delà vertu, et avec l'idée de justice, est née 
celle d'une dispensation de peines et de récompenses 
dans la vie qui succède à cette vie passagère. Nulle 
croyance plus universelle. Mais ce mode futur d'exis- , 
tence, qu'est-il? Nous l'ignorons, car l'expérience seui€ 
pourrait nous en instruire, et Texpérience nous man- 
que entièrement. Nous serons; notre être véritable 
survivra aux organes auxquels il est présentement lié; 
un invincible instinct nous l'apprend, mais il ne nous 
apprend que cela. IjC comment nous échappe ; nous 



118 INTRODUCTION. 

ne distinguons, nous ne découvrons rien à travers les 
ténèbres de la tombe. 

Appuyée sur Tinstinct, la raison en confirme l'en- 
seignement; elle établit une relation conçue par l'es- 
prit entre la foi naturelle et ce que nous savons, ce 
que nous sentons de nous-mêmes. En nous sont des 
puissances diverses, susceptibles d'un développement 
indéfini. Quel que soit le développement actuel de 
notre intelligence, de notre amour, de notre vertu 
active, chacune de ces puissances peut se développer 
davantage; nous pouvons toujours plus connaître, 
aimer, vouloir efficacement, par une évolution à la- 
quelle on ne saurait assigner aucun terme. Donc, ou 
nous avons en nous des énergies stériles, des causes 
qui jamais ne produiront leur effet, d'où résulterait 
dans notre nature une contradiction radicale, ou notre 
nature implique, sous des conditions ultérieures igno- 
rées de nous, un développement indéfini, une évolu- 
tion sans terme assignable. 

Mais l'homme, esprit et corps, a des lois physiques 
et des lois morales; en violant ces lois, il porte en soi 
le désordre ; le désordre moral engendre le désordre 
physique, la maladie, et conséquemment la souffrance : 
nul péché, donc, qui ne traîne nécessairem.ent après 
soi sa peine, et, dès lors, l'état immédiat de l'homme 
après la mort étant le même que celui où la mort l'a 
trouve, le sentiment de cet état est sa punition ou sa 



INTRODUCTION. 4J9 

récompense. Mais si la souffrance était éternelle, la 
maladie dont elle est la suite le serait aussi, parconsé^ 
quent le mal moral, et ce mal éternel constituerait, en 
opposition au principe du bien, au bon Principe, le 
principe mauvais des systèmes dualistes. On serait forcé 
de le concevoir comme indépendant, comme subsis- 
tant de soi, ou d'admettre quelque chose de plus mons- 
trueux encore, car s'il n'était pas de soi, s'il dépendait 
delà volonté divine, Dieu serait Tauteur direct du mal. 

Dans toutes les phases de son évolution, il faut, 
pour que l'homme soit, qu'il se compose d'esprit et 
de corps. Si, dans Tune de ces phases, l'esprit seul 
subsistait, ce ne serait plus le même être, ce ne serait 
plus même un être, mais, hors du monde des êtres 
réels, une simple idée divine. 

La perpétuité de la vie implique donc la continuité 
de l'être vivant, sous des conditions corporelles d'exis- 
tence, il est vrai, diverses, mais néanmoins toujours en 
harmonie avec sa nature, et déterminées par elle. 
Ainsi, les conditions de la vie de l'enfant dans le sein 
de sa mère diffèrent profondément des conditions de 
la vie de l'homme en rapport immédiat, par ses sens 
et par son action, avec le monde extérieur où il se dé- 
veloppe; et cependant l'homme et l'enfant sont le 
même être, leur vie est la même vie, leurs lois sont 
les mêmes lois. Entre l'état présent et l'état futur, 
entre les deux phases d'existence dont ce qu'on appelle 



*< 



m INTRODUCTION. 

la mort est le lien, la difTérence, quoique plus grande^ 
au moins en apparence, est de même ordre. 

Ce qu*à Torigine suggère le pur instinct^ se rap- 
proche beaucoup plus des vues de la raison que les 
idées théologiques des âges postérieurs. Avant que la 
pensée abstraite ait créé, en dehors de la nature et de 
ses lois, un monde fantastique, F homme se repré- 
sente la vie future comme un prolongement de la 
vie présente, changée seulement en quelques-unes de 
ses conditions. Le corps devient une forme légère, 
aérienne, mais cependant sujette, en une vague me- 
sure, aux mêmes besoins, mue par les mêmes pen- 
chants, les mêmes désirs, les mêmes affections. Le 
pauvre sauvage, au séjour des ombres, continue de 
poursuivre sur le bord des lacs, à travers les hautes 
herbes, le daim agile, le bison, Télan : moins éloigné 
de la vérité, dans ses songes naïfs, que l'inspiré dont 
le cerveau ardent crée ce qui, en aucune manière, ne 
peut être. C'est ce qu'ont fait plus ou moins, et tou- 
jours avec des conséquences funestes, les religions sa- 
cerdotales. Étendant un voile noir sur les destinées 
humaines, elles ont obscurci les vraies notions des 
choses, environné une frêle créature encore au berceau 
de terreurs chimériques, faussé sa raison. Car, en ce 

' L'opinion des Nègres est quo la mort n'est qu'un passage, qui les 
conduit dans un pays éloigné, où ils doivent jouir de toutes sortes de 
plaisirs. liisL génér, des Voyages, t. lU, p. 616. 



INTRODUCTION. i2l 

qui touche ]es peines y dont nous devons ici principale- 
ment parler, est-il rien qui la choque davantage, par 
tous les genres d'impossibilités, et par ce qu'ils ont 
d'opposé à la véritable justice et à la bonté essentielle 
de rÊtre infini, que ces supplices atroces, inventés 
bien plus pour gouverner les hommes par la crainte 
que pour satisfaire à Tinslinct profond de la con- 
science, qui ne saurait admettre qu'un même sort at- 
tende, dans le monde mystérieux où tous entrent un 
jour, l'innocent et le coupable? Le christianisme Ihéo- 
logique s'est surtout complu dans ces doctrines som- 
bres, a surtout pris à tâche d'effrayer, par ces images 
terribles, l'imagination des hommes, de les prosterner 
par la peur au pied du prêtre, et ce fut en effet tou- 
jours le ressort le plus puissant de son autorité, le fon- 
dement le plus assuré de sa domination sur les peuples. 
L'enfer chrétien est à la fois le séjour des damnés 
et des démons qui les tourmentent. Ces êtres mauvais 
flottent dans la croyance comme je ne sais quels fan- 
tômes hideux d'une nature vague, indéfinie. Si la 
théologie fait d'eux de purs esprits, le peuple, à 
l'exemple de la Bible, leur prête, ainsi qu'aux anges 
fidèles, des formes sensibles, et naturellement des 
formes rapprochées de celles qu'il connaît. Par un 
mélange singulier d'idées, Dante les identifie avec 
les personnages de la Fable, les Gorgones, les Cen- 
taures, les Harpies. Dans ses cercles matériels, tous, 



122 INTRODUCTION. 

comme les damnés, apparaissent avec une puissam 
de réalité égale à celle des corps véritables, et ce ré 
lisme donne à ses tableaux un relief, à sa poésie uj 
vigueur d'effet qu'on ne retrouve au même degré dai 
aucun poète. Il croit à ce qu'il peint comme on croit 
ce qu'on voit, à ce qu'on touche, et le lecteur partaj 
sa croyance, tant cette forte imagination subjuga 
entraîne, fascine : ut magus. 

Au dedans de la terre s'ouvre un vaste cône, doi 
les affreuses spirales, demeures des réprouvés, vîei 
nent aboutir au' centre où la divine Justice retien 
enfoncé jusqu'à la poitrine dans la glace, le chef d< 
anges rebelles, V Empereur du Royaume douloureux 
Tel est l'enfer que Dante décrit dans sa première cai 
tique, suivant une donnée généralement admise a 
Moyen âge. Milton, en un sujet qui l'obligeait à s'c 
écarter, place le sien, hors de la création accompli 
déjà, au sein du chaos, de l'abîme ténébreux. Il i 
contient encore que les anges tombés, puisque so 
drame commence avant la chute de l'homme. Ses d< 
mons, d'une nature équivoque, intermédiaire, sai 
formes déterminées, ne représentent guère que \i 
vices abstraits, excepté le vice spirituel, l'Orgueil 
dont Satan est le type suprême. Cette conception 
étroite dans ses détails, et monotone dans son ensem 
bleS n'a rien de commun avec celle de Dante. Mais 1 

* Dans une note au crayon, placée en marge du texte de Tlntroductin 



INTRODUCTION. 123 

caractère de Satan, la plus haute, la plus belle des 
premières créatures, cette superbe indomptable, cet 
âltier défi jeté à la Toute-Puissance, cette sombre joie 
d'une étemelle révolte au sein d'un supplice éternel, 
jamais le génie humain n'a rien produit de plus grand. 

Le Lucifer de Dante, agitant au centre du cône in- 
fernal ses larges ailes de chauve-souris, serrant dans 
ses trois gueules Brutus, Cassius, Judas, du reste pu- 
rement passif, est certes bien au-dessous. Ce n'est pas 
que le poète florentin n'ait compris, lui aussi, ce su- 
prême caractère du mal, cet orgueil opiniâtre que 
rien ne peut courber, car il l'a peint dans Capanée, à 
sa manière, en quelques traits d'une énergie terrible. 
Traversant une campagne de sable embrasé, où les 
damnés gisent sous une pluie de feu, l'un d'eux sur- 
tout frappe ses regards. 

«Maître, dit-il à Virgile, quel est ce grand qui 
a semble n'avoir souci du brasier, et gît si fier et si 
m dédaigneux, que la pluie ne paraît pas l'amollir? 

« Celui-là même, s'étant aperçu que de lui j'inter- 
« rogeais mon guide, cria : — Quel je fus vivant, tel 
« je suis mort. 

« Quand Jupiter fatiguerait encore son forgeron, de 
« qui, dans son courroux, il prit le foudre dont il me 

■ 

« frappa le dernier jour ; 

Lamennais fait remarquer que i les démons de Milton se bornent à 
discourir. » 



iU INTRODUCTION- 

« Et quand, tour à tour, il fatiguerait les autres 
« dans la noire forge du Mongibel, criant : Yulcain^ 
« à l'aide! àTaide! 

c< Comme il fit au combat dePhlégra, et que contre 
ce moi il rassemblerait et tous ses traits, et toute sa 
<c force, il n'aurait pas la joie de la vengeance * ! » 

Voilà bien le Satan de Millon, se dressant sur le lac 
de feu pour braver encore celui qui Ty précipita. Mais 
là s'arrête la ressemblance. Les deux poètes ont cha' 
cun, en des sujets divers, un but différent. La pre- 
mière cantique est surtout une satire, satire gigan- 
tesque, épique, comme nous l'avons nommée. Et c'est 
là ce qui explique certains contrastes étranges : le mé- 
lange de sérieux et de grotesque qui serait ailleurs si 
choquant. Dante a pu prendre tous les tons, parce 
que la satire les admet tous. Il a pu peindre le mal 
sous une de ses faces, laquelle n'en est pas la moins 
remarquable, par son côté bas, laid, ignoble, je dirais 
presque ridicule. Il a pu imiter les grands artistes du | 
Moyen âge, qui sur les corniches de leurs magnifiques ; 
cathédrales, jetaient ici et là de hideuses figures de^ 
démons, et des emblèmes humains de ce que le viee| 
abject a de plus rebutant. S 

La passion, la haine de parti préside le plussouvestj 
au choix des personnes qu'il place dans son Enfer, 3 
ainsi qu'à la distribution des peines. La féconde io* ' 

• Enfer ^ ch. xiv, terc. 16 etsuiv. 1 



I 



INTRODUCTION. 125 

^ntion qu'il y déploie le rend encore, par excellence, 
le poète d'une époque où la chaire sacrée ne cessait de 
retentir de menaces et de voix d'épouvante. Dans ses 
ressentiments terribles, il dépasse tout ce que jamais 
conçut la vengeance. L'heure finale, ce serait trop 
attendre; il damne les vivants, il arrache du corps 
l'âme maudite, et la précipite dans l'abîme ; à sa place 
il met un démon, et l'on voit ce corps aller, venir, 
tf manger, boire, agir comme auparavant. Les hommes 
tf croient converser avec un homme, l'homme qu'ils ont 
connu, et ils conversent avec un esprit infernal. 

C'était en 1300 que le Poète, au milieu du chemin 
ie la vie^ c'est-à-dire âgé de trente-cinq ans, parcou- 
rut en esprit les trois royaumes des morts. Perdu 
dans une forêt obscure, sauvage et âpre, il arrive au 
pied d'une colline qu'il s'efforce de gravir. Mais Irois 
m animaux, une panthère, un lion, une louve maigre et 
-A affamée, lui ferment le passage; et déjà il redescen- 
m dait là où le soleil se tait^ dans les ténèbres du fond 
de la vallée, lorsqu'à lui se présente ou une ombre, 
ou un homme, il ne sait. Cette forme humaine, de qui 
un long silence avait éteint la voix, c'est Virgile, 
qu'envoie pour le secourir et pour le guider, une 
dame céleste, cette Béatrix, objet de son amour, à Ja 
fois être réel et idéalité mystique. 

Il n'est pas douteux que sous ces images se cache 
une double allégorie, les deux sujets dont parle Dante 



9 



le 



\^ 



126 INTRODUCTION. 

dans son ëpître à Can Grande. Ainsi, la louve est certei 
nement Temblème de Tavarice en un sens général, i 
Temblème de la Rome papale, qu'à diverses reprisée 
dans la suite, il caractérise par ce vice abjecl. Maia 
comme nous Tavons expliqué, on chercherait vaini 
ment à dissiper les obscurités qui, sur ce point, enic 
loppent pour nous la pensée du Poète. Il vaut miea 
ne s'arrêter qu'à ce qui, dans son œuvre, étemdli 
ment vrai, montre la nature humaine telle qu'elle esl 
telle (Qu'elle fut, telle qu'elle sera toujours. QuéÙ 
étonnante variété de tableaux, quelle profondeur d'al 
servation! quelle vigueur de pinceau! quel relid 
quelle vie I Gomme en quelque mots il sait dérouk 
tout un drame ou terrible ou tendre, susciter au fcm 
de l'âme la complète vision de ce quen*a point ei 
primé la parole, ouvrir à l'œil interne des perspective 
sans bornes ! 

Entrons avec lui dans le royaume sombre. Âu-def 
sus des Limbes, séjour de ceux qui, avant Jésus-Chrisl 
ayant vécu moralement bien, furent privés de la foi a 
Rédempteur à venir, est un lieu assigné pour demem 
à cette race d'hommes dont le monde est plein, qui 
par égoïsme ou par lâcheté, déserteurs du devoil 
évitent de se commettre, cherchent un milieu entre I 
bien et le mal, sans autre souci que celui d'eux-mêmes 
de leur repos, de leurs intérêts. Pour eux, rien d 
vrai, rien de faux, rien de juste, rien d'injuste, on 



iVnODUCTION. i27 

, f|iie leur importe? ces hommes abondaient 
\nfï milieu des dissensions de lltalie, comme ils abon- 
dent encore de nos jours ; car, quel est le temps où 
les égouts de nos tristes sociétés ne regorgent de cette 
boue? Séparés des bons, des mauvais, hors de Thu- 
manité, repoussés également du Ciel et de TEnfer, où 
Dante placera-t-il ce$ malheureux qui ne furent jamais 
woants? que dira-t-il d'eux? Écoutez : 

« Là, dans Tair sans astres, bruissaient des soupirs, 
tdes plaintes, de profonds gémissements, tels qu'au 
t commencement j'en pleurai. 

« Des cris divers, d'horribles langages, des paroles 
« de douleur, des accents de colère, des voix hautes 
t et rauques, et avec elles un bruit de mains, 

(c Faisaient un fracas qui, dans cet air à jamais té- 
t nébreux, sans cesse tournoie, comme le sable roulé 
« par un tourbillon. 

a Et moi, dont la tête était ceinte d'erreur, je dis : 
t — Maître, qu'entends-je? et quels sont ceux-là qui 
^li « paraissent plongés si avant dans le deuil? 

« Et lui à moi : — Cet état misérable est celui des 
« tristes âmes qui vécurent sans infamie ni louanges. 

« Mêlées elles sont à la troupe abjecte de ces anges 
« qui ne furent ni rebelles, ni fidèles à Dieu, mais 
« furent pour soi. 

« Le Ciel les rejette pour qu'ils n'altèrent point sa 
« beauté ; et ne les reçoit pas le profond Enfer, parce 



r? 



128 INTRODIiCTION. 

o que les damnés tireraient d'eux quelque gloire.] 

« Et moi : — Maître, quelle angoisse les fait se la- 
« menter si fort? H répondit : — Je te le dirai ti'ôs- 
« brièvemen! 

<i Ceux-ci n'ont point l'espérance do mourir, et leul 
« aveugle vie est si basse, qu'ils envient tout aiitrt i 
« sort. 

« Aucune mémoire le monde ne laisse subsisl 
« d'eux; la Justice et la Miséricorde les dédaigneal.) 
« Ne discourons point d'eux, mais regarde et passée 

Quelle indignation, quelle colère pèserait sur 
damnes d'un poids égal à celui de ce mépris 

Le touchant épisode de Francesca de Rimini, 
quel a fourni à l'un de nos peintres le sujet d'une 
ses plus belles œuvres, est dans toutes les mémo). 
Tendresse, ingénuité, grâce ravissante, mélancolie 
doux souvenirs, que ne s'y Irouve-t-il point? l^es di 
amants qu'emporte et roule dans son cercle él 
l'infernal ouragan, s'arrêtent à la prière de 
Francesca lui fait le récit de leurs infortunes. Coi 
l'effet en est différent de ce qu'il serait si le F< 
l'avait mis dans la bouche de celui (^ui jamais <£ 
ne sera séparé. Un poète vulgaire n'y eût pas man*^ 
que; il aurait cru répandre ainsi sur l'amante sileit^ 
cieuse un certain charme de modestie pudique : etafl 
contraire, outre l'exquis sentiment de délicatesse passi 

' £H/'er, di. m, tcrc. SelBuiv. 



L 



lîlTRODUCTIOIf, 12^ 

>nnée par lequel elle semble se rendre propre une 
•mmune faiblesse, c'est en l'avouant elle-même qu'elle 
excuse, c'est parla vive expression de l'amour qui la 
iscîne encore, qu'elle imprime à cet amour qui sur- 
it au corps, qui réside dans l'âme seule, je ne sais 
ael caractère chaste d'où nait la pitié douloureuse et 
îndre qu'inspirent ceux dont il fera, au fond d'une 
3ie secrète, l'immortel tourment. 

Rien ne contraste plus que cette scène et œlle où 
pparait, au dixième chant, la grande figure de Fari- 
lata. Chef des Gibelins à Florence, deux fois il en 
hassa les Guelfes, et fut enfîn défait par eux à Monte- 
Lperto, près de l'Arbia. Dante peint en lui, avec la 
ierté aristocratique*, l'inflexible orgueil, la haine ' 
ipiniâtre de parti, la passion politique dominant, ab- 
lorbant toutes les autres passions. Et comment les 
peint-il ? C'est ici qu'il faut admirer le génie du Poëte, - 
ïasune réflexion; quelques larges coups de pinceau, 

Èi bref dialogue dont chaque mot met à nu le fond de - 
Ime, et le tableau est complet. Mais de quelle ma- "* 
ifere, tout d'abord, il éveille l'attention et prépare 

fefiet! Nous sommes dans une campagne lugubre^ 

> 

* ^mh furent tes ancêiresl C'est la première question qu'il adresse 
i fisoite : et, à ce sujet, dous observerons que Dante n'avait nullement 
itt sentiments démocratiques que quelquesHjns lui ont prêtés. Il rappelle 
>vec. complaisance l'origine nuble de ses aïeux, et afTecte un profond dé» 
^in pour les familles sorties du peuple et pour le peuple lui-même. 
TEmpire impliquait une hiérarchie naturellement liée à l'esprit féodaK ^ 



i90 NTRODUGTION. 

couverte de tombeaux rougis par le feu; subitement , 
de l'un d'eux sort une voix qui invite Dante à s'arrê- 
ter. Il s'effraye et se rapproche de Virgile : 

c< Que fais-tu? lui dit celui-ci; tourne-toi ! Vois II ^ 
Farinata qui s'est levé : tu le verras tout entier de la 
ceinture en haut. » 

Que doit être celui dont Taspect émeut ainsi Virgile, ^ 
le Guide qui, dépouillé de la mortalité, passe impas- 
sible à travers ces régions désolées? Ne voit-on pas 
Farinata, séparé du vulgaire des morts , se lever *" 
€omme une apparition formidable, gigantesque? ^ 

Dante poursuit : 

ce J'avais déjà mes yeux fixés sur les siens; et lai 
« de la poitrine et du front se dressait, comme. s'îIâe, 
« eût eu l'enfer à grand mépris. » 

L'ombre altière l'interroge sur les siens. 1er 
nomme. 

ce Cruellement, reprend l'ombre, ils furent enne-»;;; 
« mis et de moi et de mes aïeux ; aussi les chassai-jeif,^ 
« deux fois. » 

La réponse non moins fière part comme un trait : 

« S'ils furent chassés, de toutes parts ils revinroit 
«et Tune et l'autre fois ; mais les vôtres n'apprirent 
c< jamais cet art. » 

Ici la scène s'interrompt soudain, et tout à l'heurS 
i on verra Teffet de cette interruption par rapport ao 
' dessein principal du Poëte. 



I9TR0DUCTI0N. IM 

Lentement, timidement, une autre ombre s'est le- 
iée : c'est celle de Cavalcante de' Cavalcanti, père de 
inidoCavalcanti, ami de Dante. Il a reconnu la voix 
le. celui-ci , et il espère que son fils l'accompagne. 
Trompé dans cette espérance, il s'écrie en pleurant ; 

« Si à travers cette sombre prison tu vas par gran- 
de deur d'âme, mon fils où est-il? pourquoi pas avec 
K toi ? » 

Quelle louange, et comme elle sort naturellement 
l'an cœur paternel ! Ce père ne conçoit pas que, là 
DÙ éclate la grandeur d'âme, son fils n'y soit point. 

Sur un mot équivoque de Dante, il croit ce fils 
mort, jette un cri de douleur, et tombe à la renverse 
m fond du sépulcre embrasé. 

Plus cette scène est touchante, plus elle fait ressortir 
le caractère de Farinata. Elle n'a point existé pour lui : 
il n'a rien vu, rien entendu, absorbé tout entier dans 
l'amer sentiment qu'ont réveillé en son âme superbe 
les paroles de Dante : mais les vôtres n^ apprirent ja- 
mis cet art. 

Et continuant le premier discours : a Qu'ils aient 
«mal appris cet art, dit^il, cela me tourmente plus 
<^qQe cette couche. » 

Voilà son enfer : près de ce supplice de l'orgueil, 
la tombe brûlante où il gît n'est rien. 

Il faut lire le reste dans le poëme même ; il y faut 
^ir avec quel art le Poëte, sans altérer le caractère 



^p 



133 ISTRODUCTIOR. , 

'de Farinata, en tempère Tâprale, en montrant, dans 
l'homme de parti, dans le chef de faclion, quelque 
chose de plus fort encore que la haine : le doux, le 
saint amour de la patrie. Dante lui a reproché te car- 
nage quirougil t'Arbia. 

«Après avoir en soupirant secoué la tête: — A cela, 
« dit-il, je ne fus pas seul, et ce n'eût pas certes été 
« sans cause qu'avec les autres je m'y fusse porté ; 

« Mais quand tous consentaient à détruire Flo- 
« renée, seul en face je la défendis. » 

Si ce ne sont pas là des beautés égales à tout ce 
que fa poésie offrit jamais de plus beau , qu'est-ce 
donc? 

Le grand gibelin toscan offre un de ces types pri- 
mordiaux, d'oil dérive ensuite une multitude d'imita- 
tions directes ou indirectes. Quelles que soient les 
nuances, les modifications secondaires, on l'y recon- 
naît toujours, et toujours il conserve je ne sais quoi 
de plus vaste, de plus profond, de plus puissant. 

C'est de lui que Byron s'inspirait en peignant le 
Giaour et plusieurs autres de ses personnages. Ils 
procèdent de Farinata comme les rejetons naissent du 
pied de l'arbre ; même sève d'orgueil, de haine, de 
vengeance; mais, de ces rejetons, aucun n'atteint la 
hauteur de la fige primitive. 

Longin définissait le sublime, le son qiie rend une 
grande âme. Il semble que ce mot ait surtout été dit 



INTRODUCTION. 1S5 

pour Dante. Mais rame du poète ne doit pas rendre 
seulement un son ; elle doit vibrer au souille des pas- 
sions les plus opposéesi des sentiments les plus divers, 
et dans sa divine harmonie, reproduire Tharmonie si 
variée de la nature et du cœur de Thomme. Par ce côté 
encore, Dante, autant qu'Homère, peut être nommé le 
poète souverain. Tout le frappe, tout Témeut, et, des 
plus petits aux plus grands objets, il se transforme 
pour tout peindre avec une égale vérité, une égale 
perfection. A l'étroit dans la nature même, il crée, il 
fait d'une vision fantastique quelque chose de réel et 
de vivant, entraînant la croyance à la suite de sa puis- 
sante imagination. Et dans ces poétiques créations, 
quelle originalité, quelle force d'invention propre, 
alors même que l'idée première, suggérée d'ailleurs, 
semble devoir le rendre imitateur! Au treizième chant, 
il emprunte à Virgile celle d'arbustes animés par les 
ombres humaines : voilà tout ce qu'ils ont de com- 
mnn. Le reste appartient uniquement à Dante. Il est 
arrivé à la seconde enceinte du septième cercle, où 
sont punis les suicides : 

« Nous entrâmes dans un bois où nul sentier n'était 
« tracé. 

'< Point de feuillage vert, mais de couleur sombre; 
«point de rameaux unis, mais noueux et tordus, 
« point de fruits, mais sur des épines des poisons. 

« N'ont point de halliers si épais et si âpres ces 



D. 1. 



% 



154 TNTRODUCTIOll. 

c( bétes sauvages qui, entre Cecina et Corneto, haïssent 
« les lieux cultivés. 

« Là font leurs nids les hideuses Harpies, qui chas* 
« sèrent des Strophades les Troyens, avec la triste an- 
ce nonce du futur désastre. 

ce Elles ont de vastes ailes, et des cols et des visages 
^cc humains, et des pieds armés de griffes, et des plu- 
|c< mes à leur large ventre : 
j c( Elles se lamentent sur les arbres étranges. » 

Ce dernier trait si simple achève le tableau de cette 
immense désolation. 

Là les désespérés qui loin (Teiuc rejetèrent leurs 
âmes^j gémissent sous Técorce des buissons, ou^ tels 
que les bêtes des forêts, sont chassés par des meutes 
infernales. Pour satisfaire le désir de Dante, Virgile 
interroge Tun d'eux : 

ce Qu^il te plaise de nous dire comment Tâme est 
« liée à ces arbres noueux, et, si tu le peux, dis-nous 
« si quelqu'une jamais se dégage de tels membres. » 

ce Alors fortement souffla le tronc, puis le souffle se 
c< changea en cette voix : — Brièvement il vous sera 
<e répondu. 

Cl Lorsque Tâme féroce quitte le corps dont elle s'est 
ce elle-même arrachée , Minos l'envoie à la septième 
ce bouche, 

ce Elle tombe dans la forêt, non en un lieu choisi, 

* Qui, lucisperosi, projecère animas. Viro. 



I!iTR0DDCT10II. 135 

(( mais où le hasard la jette. Là, elle germe oonmie vu 
« grain d*épeautre. 

« S'élevant, elle devient une tige et un arbre sil- 
((vestre. Les Harpies, se repaissant de ses feuilles, 
(( ouvrent un passage à la douleur qu'elles lui font 
« ressentir. 

« Comme les autres nous viendrons rechercher nos 
«dépouilles, mais cependant aucun ne les revêtira; 
«car il n'est pas juste que Thomme recouvre ce que 
«lui-môme il s'est ravi. 

« Ici nous les traînerons, et dans la lugubre forêt 
«nos corps seront suspendus, chacun au tronc de sa 
« triste ombre. » 

Ces corps éternellement suspendus devant leurs 
âmes éternellement séparées d'eux, ces débris d'une 
nature à jamais nautilée, cette mort dans la mort, 
n'est-ce pas là un spectacle étrange qui saisit 
l'imagination et l'enveloppe comme d'un crêpe fu- 
nèbre? 

Tout d'un coup la scène change : 

«Nous demeurions attentifs, croyant qu'il voulait 
«dire encore autre chose, quand nous suqiril un 
« bruit 

(( Semblable au fracas des bêtes et des branchrfff 
« cpi'entend celui qui voit venir le sanglier et ia rneijfo 
« qui le suit. 

« Et voilà, vers la gauche, deux damnés nun et dé* 



i 



i36 INTRODUCTION. 

«chirés, fuyant de telle vitesse, qu'à travers la forêt 
« ils brisaient tout obstacle. 

« Celui de devant : Accours, accours, ô mort! Et 
« l'autre, à qui trop il paraissait tarder : — Iiappo, si 
« prudentes ne furent pas 

c< Tes jambes aux joutes de Toppo*. Et puis, l'ha- 
c( leine lui manquant peut-ètre% de soi et d'un buis- 
ce son il fit un seul groupe. 

c( Derrière eux la forêt était pleine de chiennes lu 
« noires, affamées et courant comme des lévriers qu'on 
« vient de détacher. 

a Dans celui qui s'était tapi , elles enfoncèrent les 
« dents et le déchirèrent pièce à pièce, puis empor- 
« tèrent ces lambeaux palpitants. » 

A ces sombres horreurs succèdent des sentiments 
qui reposent l'âme et l'attendrissent. Sur une berge 
à l'abri des flammes, Dante traverse une plaine où, en 1^ 
longue file, courent les pécheurs que frappent des m^j 
traits de feu. Il est reconnu avec étonnement par son i>j^ 
ancien maître, Brunetto Latini, qui d'en has l'arrêle ^^ 
par le pan de sa robe, et s'écrie : — merveilleM 

^ Lappo, de Sienne, au combat de Toppo, où les Siennois furent dé- 
faits par les Arétins, se jeta en désespéré au milieii des ennemis» et se 
fit tuer. 

* Gomment Thaleine peut-elle manquer à une ombre? C'est précisé- 
ment pour cela, que cette circonstance, immédiatement, fait de Lappou* 
personnage vivant, et que, pour le lecteur comme pour Dante, la ecèoe 
s'empreint d'un caractère saisissant de réalité, et devient si dramati^u^ 

> Chant IV. 



li 

(inè 






v^ 



INTHODIICTION. 137 

a Lorsque vers moi il étendit le bras, sur cette face 
« grillée par le feu je fixai tellement mon regard, que 
c< le visage brûlé n'empêcha point 

« Mon entendement de le reconnaître; et, vers sa 
«face abaissant la maiil, je répondis: — Êtes-vous 
«ici, ser Brunetto? 

« Et lui : — mon fils, ne te déplaise qu'un peu 
«en arrière avec toi reste Brunetto Latini., et laisse 
« aller la file. 

« Je lui dis : — Autant que je peux, je vous en prie; 
« et si vous souhaitez qu'avec vous je m'asseye, je le 
«ferai, s'il plaît à celui avec qui je vais. 

« — mon fils, dit-il, qui de ce troupeau s'arrête 
«un instant, gît ensuite cent années sans se mouvoir 
« sous le feu qui le frappe. 

« Va donc, et je t'accompagnerai; puis je re- 
« joindrai ma bande qui va pleurant son dam éter- 
«nel. 

« Je n'osais descendre de la berge pour marcher 
« près de lui , mais je tenais ma tête baissée comme 
«un homme qui chemine humblement. 

« 11 commen(;a : — Quelle fortune ou quel destin 
«t'amène ici -bas avant le dernier jour? » 

Dante l'instruit en peu de mots de ce qu'il désire 
savoir ; après quoi Brunetto, rappelant ce que jadis il 
avait prédit de ses destinées glorieuses, l'encouragea 
poursuivre son voyage. Puis, l'avenir s'ouvrant à ses 



«« 



138 INTRODUCTION. 

yeux, il lui annonce les rudes épreuves auxquelle 
mettra sa constance le peuple ingrat et méchant qui 
à cause de son bien' faire ^ se fera son ennemi. Dant 
lui répond : 

« Si exaucée eût été ma demande, vous ne série 
c< point encore banni de la vie humaine. 

ce Car dans ma mémoire est gravée, et mton cœu 
a conserve votre chère et bonne et paternelle image 
« alors que, dans le monde, souvent 

« Vous m'enseigniez comment T homme s'éternise 
a et combien j'en ai de gratitude, il convient que 
« pendant que je vis, ma langue le manifeste. 

« Ce que de mes destins vous racontez, je l'écris el 
« le réserve pour que l'interprète , avec un autre 
« texte, une dame (Béatrice) qui le pourra si jusqu'à 
« elle j'arrive. 

c< Sachez seulement ceci , que pourvu qu'aucun re- 
c< proche ne me fasse ma conscience, quoi que veuille 
« la fortune, je suis prêt. » 

Cette reconnaissance du maître et du disciple, ces 
souvenirs d'une vie qui a fui à jamais, ce mutuel 
échange de vœux et de tendresses en un tel lieu, em- 
pruntent de ce lieu même je ne sais quel charme sin- 
gulier de douceur et de tristesse. Et, à ce sujet, nous 
remarquons que Dante rarement montre les damné 
en proie au désespoir, aux fureurs de la haine ; qu'il 
les représente , au contraire, liés encore aux vivant 



INTRODUCTION. 13» 

parleurs affections antérieures, de sorte que Tamour 
n'est point banni de l'enfer môme. Si, lorsqu'il parle 
d'eux d'une manière générale, sa parole s'empreint 
de toutes les terreurs du dogme théologique, lorsque 
ensuite, durant son passage à travers ces régions dé- 
solées, il rencontre les personnes mêmes, converse 
avec elles, il oublie le dogme, il rentre dans l'ordre 
des sentiments que la nature inspire ; quelque mor- 
telle que soit la chute, elle laisse subsister le carac- 
tère originel de Têtre dégradé, mais non entièrement; 
et sous le damné on retrouve encore l'homme. Qui 
aurait pu supporter, sans cela, l'affreux récit de tous 
ces supplices? U n'eût produit qu'une impression de 
dégoût et d'horreur, et le livre serait tombé des 
mains. 

Non-seulement le Poëte exclut des sombres de- 
meures qu'il dépeint l'idée du mal pur, non-seule- 
ment il a soin de réveiller partout celle de la vie hu- 
maine, telle à peu près qu'elle s'offre à nos yeux sur 
la terre, mais, avec un art merveilleux, quelquefois il 
s'incarne lui-même dans ses fictions, il les anime de 
son propre esprit et de l'esprit de son âge, que tour- 
mentait la soif de connaître, qu'attirait vers les lieux 
où le soleil se couche, au delà des vastes mers, le 
vague pressentiment d'un monde inconnu, du monde 
où deux siècles après aborda Colomb. Ulysse, qu'il 
trouve dans le huitième bolge, lui raconte comment, , 



140 INTRODUCTION. 

après avoir quitté Circé, il commença ses coursej 
rantes \ 

« Ni la douce pensée de mon fils, ni la piété en 
« mon vieux père, ni lamour dû qui devait êtr 
«joie de Pénélope, 

« Ne purent vaincre en moi Tardeur d'acquéri 
« connaissance du monde, et des vices des homme 
« de leurs vertus. 

ce Mais sur la haute mer de toutes parts ouvr 
« je me lançai avec un seul vaisseau , et ce ] 
« nombre de compagnons qui jamais ne m'abam 
« nèrent. 

c< L'un et Tautre rivage je vis, jusqu'à TEspagi: 
«jusqu'au Maroc, et Tîle de Sardaigne, et les au 
« que baigne cette mer. 

« Moi et mes compagnons nous étions vieux et 
« pesantis quand nous arrivâmes à ce détroit ress' 
« où Hercule posa ses bornes, 

« Pour avertir l'homme de ne pas aller plus av 
« Je laissai Séville à main droite; à l'autre déjà & 
« m'avait laissé. 

« — frères, dis-je, qui, à travers mille péi 
« êtes parvenus à l'occident, suivez le soleil, et à 
« sens 

«A qui reste si peu de veille, ne refusez pas 1 
« périence du monde sans habitants ; 

* Chant XXVI. 



îNTROnUCTîON. IH 

«Pensez à ce que vous êtes; point n'avez été (ails 
« pour vivre comme des brutes, mais pour rechercher 
« Ja vertu et la connaissance. 

«Par ces brèves paroles, j'excitai tellement mes 
« compagnons à continuer leur route, qu'à peine on- 
«suite aurais-je pu les retenir. ; . 

« La poupe tournée vers le levant, des rames nous 
« fîmes des ailes pour follement voler, gagnant tau- 
« jours à gauche. i' 

« Déjà, la nuit, je voyais toutes les étoiles de Taulre 
« pôle, et le nôtre si bas que point il ne s'élevait au- 
« dessus de Tonde marine. 

« Cinq fois la lune avait rallumé son flambeau, et 
«autant de fois elle l'avait éteint depuis que nous 
« étions entrés dans la haute mer, 

«Quand nous apparut une montagne, obscure à 
«cause de la distance, et qui me sembla plus élevée 
« qu'aucune autre que j'eusse vue : 

« Nous nous réjouîmes, et bientôt notre joie se 
«changea en pleurs, de la nouvelle terre un tourbil- 
«lon étant venu, qui par-devant frappa le vaisseau. 

« Trois fois il le fit tournoyer avec toutes les eaux ; 
* «àla quatrième, il dressa la poupe en haut, et en bas 
«il enfonça la proue, comme il plut à un autre, 

« Jusqu'à ce que la mer se refermât sur nous. » 

Pas un mot après ce dernier mot; ie chant finit 
^udain : on ne voit plus, on n'entend plus que le 



143 IHTRODtICTION. 

flot qui passe au-dessus du vaisseau englouti dans l'é- 
ternel silence de l'abîme. 

La puissance souveraine de l'art dérive de ses rap- 
ports mystérieux avec ce quelque chose d'infini que 
recèle l'âme humaine. S'il ne pénètre à celte profon- 
deur, il ne produit que des effets vulgaires, n'éveille 
aucun de ces longs échos, qui, comme les ondes d'un 
vaste océan, vont se perdre au loin dans l'espace inh 
mense. C'est beaucoup moins par ce qu'il exprime que^ 
le poëte est vraiment poêle, créateur', que parles 
pensées, les visions internes qu'il suscite. Et ces vi- 
sions, diverses pour chacun selon sa nature, le carac- 
tère de son esprit, sa sphère propre d'idées, de senti- 
ments, sont par cela même inépuisables. Quoi de plut 
simple que le récit d'Ulysse? Et qui pourrait l'ea-, 
tendre sans émotion, sans voir flotter vaguement de- 
vant soi tout un monde, on ne sait quel monde, mais 
agrandi encore par le mélange des ombres. Plus les 
contours en sont indécis, plus il fascine l'imagina- 
tion. Ce monde, au fond, ce n'est que l'homme même, 
son éternelle aspiration à un « au delà » sans terme, son 
mouvement éternel à iravers les réalités passagères, 
vers ce que ne borne ni le temps ni l'espace, vers 
l'Être infini qui éternellement attire à soi toutes sa 
créatures. Près de lui, qu'est-ce que le resie? Près de 
la joie de s'en approcher, qu'est-ce que les joies de 



^ INTRODUCTION. 145 

celte vie terrestre, qu'est-ce que cette vie même? Dé 
là l'insatiable besoin de lumière, de connaître tou- 
jours plus, pour aimer toujours plus, pouvoir et agir 
tOQJaors plus; de là, dans un travail sans repos, le 
mépris des obstacles, des fatigues, des souffrances, 
oette irrésistible impulsion qui force l'homme, jeté 
sur une mer inconnue, au milieu des écueils, des 
tempêtes, d'obéir à la voix qui lui crie: Va, suis le 
iK)leil ! 

De ces hautes régions où le Poëte, comme par quel- 
ques paroles magiques, vous a transportés, il redes- 
cend sur cette terre où, dans leurs passions insensées, 
s'agitent tristement les mortels misérables. 11 est dans 
le cercle des damnés qui, enveloppés d'une flamme 
qui les cache à la vue, expient, sous ces vêlements de 
feu, la ruse maligne, l'imposture, la fourbe*. Tout à 
coup, une voix : 

« Si récemment dans ce monde aveugle tu es tombé, 
«de cette douce terre latine d'où j'ai apporté toute 
« ma coulpe , 

« Dis-moi si lesRomagnols ont la paix ou la guerre; 
« car je fus des monts, là, entre Urbino et la montagne 
«d'où sort le Tibre*. 

« — âme là- dessous cachée! répond Dante, la 



* Chant XXVII. 

* Monie-Feitro. 



m INTRODUCTION. 

a Romagae n'est ni ne fut jamais sans guerre dans le 
« cœur de ses tyrans. » 

Quelle tristesse dans ce seul mot! et comme, di. 
cœur de ces tyrans, on voit se déborder tous les maus 
sur cette contrée calamiteuse ! 

Après avoir avec plus de détails satisfait à la de- 
mande du damné, Dante, à son tour,, lui en: adresse 
une : 

« Maintenant, je te prie de nous dire qui tu es ; ne 
« sois, pas plus dur que d'autres ne Tout été, et que 
« ton nom se conserve dans le monde ! » 

Ici se déroule une des scènes les plus étranges, les 
plus terribles, les plus fantastiques. La haine du gi- 
belin flétrit, à la fois, et le fourbe auquel il fait ra- 
conter ses honteux méfaits, et le pape qui le poussa 
dans l'infernal. abime. Il y a des moments où Ton croit 
entendre le sifflement du fer rouge appliqué sur le 
front du pontife prévaricateur • 

Dante a cru complaire 5 Gui de Montefeltro en sou- 
haitant que son nom se conserve dans le monde. Le 
réprouvé le détrompe, et, sans y songer, dévoile ainsi 
lui-même son supplice secret, le sentiment de sa tur> 
pitude. 

<cSi je croyais répondre à quelqu'un qui dût ja- 
(c mais retourner dans le monde, cette flamme cesse- 
ce rait de se mouvoir ; 

a Mais puisque jamais, si ce qu'on dit est vrai, nul. 



INTBODDCTIO?. 145 

le retourna vivant de ses profondeurs, sans crainte 
['infamie je te réponds : 

c< Je fus homme d'armes, et puis cordelier, croyant, 
îH me ceignant ainsi, expier mes fautes, et certes 
1 en aurait été entièrement comme je le croyais, 
« N'ieût été le Grand-Prêtre*, à qui mal en prenne, 
jui me replongea dans mes premiers méfaits : com- 
ment et pourquoi, je veux que tu Tentendes. 
« Pendant que je fus la forme d'os et de chair que 
ma mère me donna, mes œuvres ne furent pas d'un 
lion, mais d'un renard; 

« Les sourdes pratiques et les voies couvertes je les 
sus toutes, tellement que le bruit en parvint jus- 
qu'au bout de la terre. 

« Quand je fus arrivé à ce point de mon âge où cha- 
cun devrait abaisser les voiles et serrer les cor- 
dages, 

« Ce qui premièrement me plaisait, alors me pesa; 
repentant et confès je me fls : et bien, hélas ! m'en 
serais-je trouvé, pauvre misérable! 
« Le Prince des nouveaux Pharisiens avait la guerre 
près de Latran', et ni avec les Sarrasins ni avec les 
luifs ; 
c( Étaient chrétiens tous ses ennemis, et aucun n'a- 



> Boniface YII[. 

' A^ec les Colonne qui habitaient près de Saint-Jean-de-Latran, et à 

i appartenait la ville fortifiée de Palestrina, dans le Toisinage de Rome. 

D. I. tt 



i4a INTRODUCTIOW. 

c( vait aidé à prendre Acre ou trafiqué dans la ter 
a du Soudan* 

« Ni l'office suprême, ni les ordres sacrés il ne r 
«garda en soi, non plus qu'en moi le cordon q 
« jadis amaigrissait ceux qui s'en ceignaient. 

c( Mais comme Constantin manda Sylvestre d'au d 
« dans du Siratti pour guérir sa lèpre, ainsi n 
« manda-t-il, comme médecin, 

a Pour guérir sa fièvre de superbe. Il me demand 
c< conseil, et je me tus, ses paroles me paraissat 
« ivres. 

« Il reprit : — Que ton cœur ne craigne point ! de 
« à présent je t'absous; enseigne-moi comment je jel 
c< terai bas Palestrina. 

« Je puis, comme tu sais, ouvrir et fermer le ciel 
« car doubles sont les clefs qui point ne furent chèrei 
« à mon prédécesseur*. 

« Alors me poussèrent les graves arguments là oi 
« se taire me parut le pis, et je dis : — Père, puisque 
« tu me laves 

« De ce péché où je dois maintenant tomber, longtK 
ce promesse et court effet* te fera triompher sur k 
« haut siège. 

« Ensuite, quand je fus mort , François me vini 

* Célestin V, qui abdiqua la papauté. 

* Beaucoup promettre et tenir peu. 



at 



INTRODUCTION. UT 

«chercher; mais un des anges noirs lui dit : — Ne 
« l'enlève point, ne me fais pas tort ; 

« En bas, parmi mes serfs il doit venir, parce qu'il 
« donna le conseil frauduleux, depuis quoi je le tiens 
« aux crins. 

« Absous ne peut être qui ne se repenl, et à la fois^ 
«vouloir et se repentir ne se peut, à cause de la con- 
«Iradiclion qui point ne le permet. 

« malheureux ! comme je tressaillis lorsqu'il me 
« prit, disant : — Tu ne pensais pas que je fusse lo- 
« gicien? 

«Il me porta devant Minos ; et celui-ci, après avoir 
«huit fois roulé sa queue autour de son dos endurci^ 
«et se Têtre mordue de rage, 

« Dit : — Ce pécheur est de ceux que le feu dérobe. 
«Par quoi, là où tu vois, perdu suis-je, et ainsi vêtu, 
« gémissant je vais. » 

N'est-ce pas là tout un drame? et comme l'action 
en est rapide ! et comme, dans sa rapidité, on est ému 
successivement des sentiments les plus divers ! Pas un 
Irait qui ne réveille une longue suite de pensées, qui 
ne présente à l'imagination un tableau qu'elle déve- 
loppe et complète d'elle-même. Et quel naturel ! quelle 
vérité dans le retour que fait sur lui-même, sur Tir- 
réparable passé, ce perdu, alors qu'i/ était la forme 
(Pos et de chair que sa mère lui donna. Cette forme 
d'os et de chair, c'est tout l'homme. Quelle que soit 



448 INTRODUCTION. 

5a superbe, il n'a que cela. Mais non : il a encore c 
que, dans les illusions de ses jeunes années, il oublie 
une âme. Plus tard, trop lard, il se souvient d'elle 

c( Quand je fus arrivé à ce point de mon âge a 
c( chacun devrait abaisser les voiles et ser^'^.r les co: 
<( dages , 

«Ce qui, premièrement, me plaisait, alors m 
« pesa; repentant et confès je me fis : et bien, hélas 
« m'en serais-je trouvé, pauvre misérable ! » 

Cette réflexion, qui coupe son récit, et qui, loul 
d'un coup, ramène au dedans de soi ce pauvre mûé" 
rable, ajoute encore à ses tourments celui d'un regret 
éternellement vain. Ce qu'il eût pu être aggravé le 
poids de ce qu'il est désormais pour toujours. 

La voix de ce spectre a quelque chose de sépulcral 
qui fait frissonner comme celle du père d'Hamlet. 
Appelé par le grand Prêtre^ qu'en passant il maudit, 
le voilà seul, face à face, avec ce Prince des nouveaut 
Pharisiens, qui Ta mandé pour guérir sa fièvre à 
superbe. 

On croit voir apparaître l'Ange d'orgueil. La tenta* 
tion commence. Ce que dit le Pontife, il ne le redi 
point. Que serait-ce auprès de ce mot : Je me tus^ séi 
paroles me paraissant ivres? Le Pape a remarqué oi 
silence d'étonnement et d'effroi ; il rassure le raoim 
consterné, l'éblouit du pouvoir qui lui est commis, «I 
l'absout d'avance du péché auquel il lé pousse* 14 



\ 



INTRODUCTION. 149 

malheureux hésite, pèse de part et d'autre /ex graves 
arguments^ et enfin succombe. 11 a raisonné avec sa 
conscience; à sa mort TAnge noir raisonne à son tour, 
et remporte en se raillant de lui : Tu ne pensais pas 
({ueje fusse logicien? 

« Par quoi, là où tu vois, perdu suis-je ; et ainsi 
« vêtu, gémissant je vais. » 

Ce lugubre je vais ne se prolonge-t-il pas dans les 
cavernes infernales comme un écho deTéternité? 

Parvenus au fond du cône où la glace enchaîne à 
jamais Lucifer, Dante et Virgile, dépassant le centre 
de la terre, remontent péniblement le long d'un ruis- 
seau dont le bruit les guide au milieu de l'obscurité, 
et retrouvent, la lumière en arrivant à la surface de 
Paulre hémisphère, au-dessus duquel s'élève un mont 
que les eaux entourent de toutes parts : — Ce mont 
est le Purgatoire, et la deuxième Cantique commence. 



VIII 

PURGATOIRE 



La permanence de l'être humain après le phéno* 
mène appelé mort, la diversité pour chacun de Tétat 
qui la suit, selon qu'il a vécu moralement bien ou mal, 
ces deux croyances, inhérentes à notre nature, sont 



150 INTRODUCTION, 

universelles ; mais dans le développement des idécj 
qui y correspondent, la raison, abusée par de fausse* 
^analogies ou égarée par d'autres causes d'erreurs, t 
souvent altéré les simples enseignements de la con 
science native. Ainsi, glissant, à son insu môme, sui 
îa pente d'un anthropomorphisme dangereux, e\h 
«'est représenté le souverain Être distribuant les peine 
et les récompenses futures, comme sur la terre le 
juges les distribuent par une libre détermination d 
leur volonté propre, arbitrairement en ce sens que l 
peine et la faute n'ont entre elles aucun lien néces 
saire, tandis qu'en réalité elles sont liées de la mêm 
manière que la cause et l'effet, dont l'intime relatioi 
résulte de leur essence et dépend d'elle, directement e 
uniquement. La peine sort de la faute comme la souf 
france de la maladie, selon des lois premières, im- 
muables, qui sont les lois mêmes de la vie. 

On s'est également persuadé que la peine renfer- 
mait en soi une vertu expiatrice, — en d'autres 
termes, que la souffrance guérit la maladie, — ce 
qui a conduit à cette opinion exécrable que Dieu se 
complaît dans la peine ou dans la souffrance de l'être 
puni. 

De là le zèle persécuteur, de là ce débordement de 
cruautés infernales au moyen desquelles, chez tant de 
peuples, une frénétique piété a cru satisfaire à la jus- 
tice divine. La législation même, imbue de cette pen 



TNTBODTTCTION l".! 

sée funeste, en a étendu les conséquences aux délits 
de tous ordres et à leur châtiment, transformé en ime 
sorte de culte expiatoire et de sacrifice humain. 

D une autre part, Tidée de Tabsolu, née des ab- 
straites spéculations de la métaphysique, se combinant 
avec celle du mal, on se figura qu*il existait des pé- 
chés inexpiables, éternels dès lors, et dès lors aussi 
entraînant après soi une punition éternelle. D'où, à 
J'égard de ces péchés infinis en durée, infinis par le 
caractère de celui qu'ils offensent, le dogme effroya- 
ble de Téternité des peines : 

Sedet, xternumque sedebit 
Infelix Theseus^. 

( Ainsi, trois états de l'homme après la mort : l'état 
<le béatitude éternelle pour les justes, l'état d'éternel 
châtiment pour les pécheurs fixés dans le mal, enfin, 
pour les pécheurs susceptibles de recouvrer la santé 
de l'âme, l'état de purification passagère. 

Sur ce point, la doctrine chrétienne n'a rien qui la 

distingue des doctrines antérieures. On la retrouva 

r| tout entière dans Platon, et, chose remarquable, en 

des termes pareils à ceux de l'Évangile : 
à « La mort n'est, à ce qu'il me semble, que la sé- 
[à ^^paration de l'âme et du corps... Après cette sépara- 
jijl^tion, Tâme demeure telle qu'elle était auparavant; 

1^1 '£neU.\\b,yi. 



152 INTRODUCTION. 

« elle conserve et sa nature et les affections qu'elle i 
« contractées pendant cette vie. Quand donc les mort 
c< arrivent devant le Juge, il examine Tàme de chacun 
i< sans avoir aucun égard au rang qu'il occupait su 
« la terre. Mais bien souvent, considérant Tâme di 
« grand roi des Perses, ou d'un autre roi, ou de quel 
« que autre homme puissant, il n'y découvre rien d 
«sain; au contraire, les parjures et les injustice 
« dont elle s'est rendue coupable la couvrent comm 
« d'autant de meurtrissures et de plaies ; elle est toul 
« défigurée par l'orgueil et le mensonge ; il n'y 
«rien de droit en elle, parce qu'elle n'a point él 
« nourrie de la vérité. Maîtresse de suivre ses pei 
« chants, elle s'est plongée dans la mollesse, la d^ 
« bauche, l'intempérance, dans des désordres de toui 
« espèce, de sorte qu'elle regorge d'infamie : ce qu 
« voyant le Juge, il l'envoie ignominieusement dar 
« la prison où elle doit subir les supplices qu'elle 
«mérités ; car il convient que celui qui est puni ju; 
« tement, le soit afin d'en tirer de l'avantage en d^ 
cî venant meilleur, ou pour servir d'exemple aux autr^ 
« et les porter à se corriger par la crainte que so 
« châtiment leur inspire ^ Or, ceux que les dieux < 

' Virgile met la même doctrine dans la bouche d'un des mnlhcure^ 
qu^i place en son enfer. 

• Discite justitiam moniti, et non temnere divos. » 

JEneid. lib. VL 



INTUOIVUCTION. i55 

«les hommes punissent afm que leur punition leur 
«soit utile, sont les malheureux qui on! commis des 
« péchés guérissables : la douleur et les tourment. 
« leur procurant un bien réel , car on ne peut être au- 
«tremenl délivré de l'injustice. Mais pour ceux qui, 
«ayant atteint les limites du mal, sont tout à fait in- 
« curables, ils servent d'exemples aux autres, sans 
« qu'il leur en revienne aucune utilité, parce qu'ils 
« ne sont pas susceptibles d'être guéris ; ils souffri- 
«ront éternellement des supplices épouvantables... 
«C'est pourquoi, méprisant les vains honneurs et ne 
« regardant que la vérité, je m'efforce de vivre et de 
« mourir en homme de bien ; et je vous y exhorte, 
«ainsi que tous les autres, autant que je puis. Je vous 
« rappelle à la vertu, je vous anime à ce saint combat, 
«le plus grand, croyez-moi, que nous ayons à soute- 
«nirsur la terre. Combattez donc sans relâche, car 
« vous ne pX)uvez plus vous être à vous-même d'aucun 
« secours, lorsque, présent devant le Juge, vous atten- 
« dez votre sentence tout tremblant et saisi de ter- 
«^eur^ Cette sentence rendue, le Juge ordonne aux 
«justes de passer à la droite et de monter aux cieux; 
« il commande aux méchants de passer à la gauche et 
« de descendre aux enfers*. » 



* Platon Gorgias, Oper., tom. IV, p. 166 et seq. edit. Bipont. 
*De Repiibl. lib. X, Ibid., tom. Vil, p. 525. 



9. 



154 IMHOni'CTJON 

Suivant Pythagore \ les âmes de ceu>^ qui, s'é 
plonj'és dans les voluptés du corps et s'en étant i 
dus esclaves, ont violé le droit divin et humain, i 
roulées autour de la terre, et ne reviennent au 
qu'après avoir été ainsi emportées durant beauc 
de siècles. Virgile décrit, d'après la même doctr: 
les peines que subissent ces âmes malades, jusqu'i 
qu'elles soient purifiées de leurs souillures ^ C 
tous les peuples on retrouve des croyances analogi 
Elles sont comme la voix de la conscience universe 



* Cicer. Somn. Scip., ch. ii, p. 22. 

• yuin et» supremo quum luinine vita reliquit, 

Non lamen oinne tnaluin miseris nec funditùs omnes 
Corpon-ae excodunt pestes; |ienitùsque necesse est 
Multa diù concreta modis inolescere miris. 
Ergo cxercentur poenis, veterumque malorum 
Supplicia cxpendunt : aliic panduntur inanes 
Suspens» ad ventos : aliis sub gurgite vasto 
Infectuiii eluitur scelus, aut cxuritur igni : 
Quisque suos patimur mânes. Exindè per amplum 
Mittimur Ëlysium, et pauci IreJa arva tenemus : 
Donec longa dies, perfecto temporis orbe 
Ooncretam exemit labcm, purumque reliquit 
iElbereum sensuin, atque aurai siniplicis ignem, 
flas ornnes, ubi millii rolain volvêre per annos, 
Let' seum ad fluvium deus evocat agniine magno, 
Scilicet immomores supera ut convexa revisant, 
Rursùs et incipiant in corpora vello reverti. 

^neid. lib. VF. 

Il est curieux de comparer k cette description, ce que le même su 
inspiré k un autre grand poëte, Shakspcare. On trouvera peut-être q 
peut hés.lcr, du moins quant à la force de l impression produite, enl 



INTRODUCTION 155 

qui, unissant Tidée de souffrance à Tidée de désordre, 
et l'idée de pureté à celle de béatitude, a dû rendre, 
pour les pécheurs , la possession de celle-ci dépen- 
dante d'une puriCcation préalable, comme la santé 
perdue ne se retrouve qu'après un temps de convales- 
<ieDce plus ou moins pénible. 

L'opinion toute métaphysique de châtiments éter- 
nels, ou de Tétemité du mal, n*a pu naître, nous le 

sereine élégance du cygne de Mantoue, et Ténergie sauvage du barde 
•anglais : 
CuDDio. Death is a fearful thing ! 
IsABELLA. And shamed life a hateful. 
^ CuuDio. Ay, but to die, and go we know not where; 
To lie in cold obstruction, and to rot; 
Tbis sensible warm motion to become 
A kneaded clod; and the deligbted spirit 
To batbe in fiery floods, or to réside 
In thrilling régions of thick-ribbed ice; 
To be imprison'd in the viewless ^inds 
And blown with restless violence round about 
The pendent world; or to be worse than worst 
Of those, tbat lawless and incertain thoughts 
Imagine bowling! — His too horrible! 
GiADDio. La mort est une affreuse chose ! 
JsABELLA. Et la vie déshonorée, une haïssable. 
Claudio. Oui. Mais mourir, et aller nous ne savons oii. Être là, couché 
•dans un trou froid, et pourrir; le corps chaud qui sent et se meut, devenir 
*me motte de terre pétrie; et Tesprit, tout à Theure plein de joie, se bai- 
gner dans des flots de feu, ou habiter des régions hérissées d'épaisses 
cotes de glace; être emprisonné dans des vents invisibles, et emporté avec 
une violence sans repos autour du monde suspendu ; ou bien être pis 
-ifuele pire de ceux que nous montrent, hurlant, des pensers effrénés, 
'4e vagues rêves ! — C'est trop horrible ! 

Measure for Measure, acte m. 



150 INTRODUCTION. 

répétons, qu'à des époques où le raisonnement abs- 
trait, substitué aux natives inspirations de la con- 
science, altéra dans Thomme le sentiment de ses iois 
véritables. Mais, parmi les aberrations où la jeté, â 
cet égîird, une fausse théologie, il n'en est point di 
plus effrayantes que celles de quelques sectes chrélieii 
nés qui, niant le Purgatoire ou un état de purificatioi 
après la mort, n'admettent que l'Enfer, et, en cela 
tirent une juste conséquence d'un autre point de leuJ 
doctrine, suivant laquelle l'homme est prédestiné d< 
toute éternité au salut ou à la damnation, en vertu 
d'un décret immuable de la pure volonté divine. Ce 
décret absolu impliquant la nécessité non moins ab- 
solue de son accomplissement, il est clair qu'au mo- 
ment o{\ l'homme passe de cette vie dans l'autre, ses 
destinées sont fixées à jamais, et qu'il ne peut dès lors 
exister pour lui de demeure que le ciel éternel ou 
l'enfer éternel, sans que le choix entre l'un et l'autre 
ait pu, à aucun degré, être en sa puissance, dépen- 
dre de l'usage de son libre arbitre, que la même doc- 
trine détruit radicalement, et avec lui le principe mo- 
ral inséparable de la liberté. De tous les blasphèmes 
contre Dieu, il n'en est point que celui-ci ne surpasse 
en impiété. 

Dante a conçu sa seconde Cantique d'après les idées 
catholiques conformes à celles de Platon. Mais il a dû 
développer ce sujet, l'orner de détails qui représen- 



INTRODUCTIO». 157 

tassent à rimagination, et, en quelque manière, aux 
sens mêmes, ce que propose à la seule pensée le dogme 
théologique; créer un monde, et le peupler d'êtres 
réels : — ul pictura poesis. 

Du milieu des eaux, dans T hémisphère opposé au 
nôtre s'élève une montagne de forme conique. Autour 
régnent des corniches, séjour des âmes qui doivent s'y 
purifier. Le paradis terrestre en occupe le sommet, et 
au bas, sur les premières rampes, ceux, en grand 
nombre, qui différèrent leur conversion jusqu'aux 
approches de la dernière heure, attendent, durant un 
temps plus ou moins long, selon que leur négligence 
a été plus ou moins coupable, qu'il leur soit permis 
de monter dans le véritable purgatoire, dont, plus 
haut, un ange garde l'entrée. Il se compose de sept 
corniches, chacune desquelles est consacrée à l'expia- 
tion d'un des sept péchés capitaux. La disposition en 
est, comme on voit, pareille à celle de l'enfer, mais 
en sens inverse. Des deux cônes, le sommet de l'un 
correspond à l'état de l'homme descendu le plus avant 
dans le mal, le sommet de l'autre à l'état de l'homme 
pleinement régénéré. Nous avons fait remarquer, déjà, 
que Dante se complaît dans ces correspondances sy- 
métriques. 

Le ton de cette Cantique contraste profondément 
avec celui de la précédente. Il a quelque chose de doux 
et de triste comme le crépuscule, d'aérien comme le 



158 ÏNTRODUCTION. 

réve. Les violents mouvements de Ta me se sont apai- 
sés. Les peines matérielles y ressemblent à celles de 
l'enfer, et Timpression en est toute différente. Elles 
éveillent une tendre pitié , au lieu de la terreur et 
d*une âpre angoisse. L*âme souffrante, non-seulement 
les accepte parce qu'elle en reconnaît la justice, mais 
elle les désire parce qu'elle sait qu'elle guérira par 
elles, et que, dans la douleur passagère, elle pressent 
une joie qui ne passera jamais. De là je ne sais quoi 
de tranquille, de calme, de mélancolique et de serein. 
Otez de la vie présente Tincertitude, le doute, la 
crainte, laissez-y seulement avec ses misères Tespé- 
rance qui les adoucit, et une pleine foi d'atteindre le 
but que Tespérance nous montre, ce sera le Purgatoire 
tel que Dante le peint. Et c'est qu'au fond le Purga- 
toire, lEnfer, le Ciel, au degré où nous pouvons en 
avoir et l'idée et le sentiment, ne sont que les divers 
états de l'homme sur la terre, le monde où nous vi- 
vons, mélangé de vertus et de vices, de jouissances et 
de souffrances, de lumières et de ténèbres, et qu'en 
réalité l'autre monde n'en est que l'extension dans une 
sphère plus élevée et plus large. Séparez du bien et du 
mal l'absolu impossible, il ne reste que ces choses, 
héritage commun des êtres imparfaits et indéfiniment 
perfectibles. Notre enfi^r, notre purgatoire, notre ciel, 
c'est nous-mêmes, selon l'état de l'âme, duquel dépend 
radicalement celui du corps, et, si bas que soit le point 



INTRODUCTION. 159 

d'où elles parlent, toutes âmes montent au ciel, toutes 
y arriveront avec plus ou moins de labeur, parce que 
Dieu les attire toutes à soi, que Dieu est amour, et 
que V amour est plvn fort que la mort. 

En sortant du gouffre infernal, et le visage encore 
souillé par ses noires vapeurs, Dante, tout à coup, 
revoit la lumière : 

«Une douce teinte de saphir oriental, qui, jus- 
«qu'au premier cercle, nuançait l'aspect serein de 
«Tair pur, 

« Rendit à mes yeux le plaisir, dès lors que je fus 
«hors de la morte atmosphère qui m'avait contristé 
« la vue et le cœur. 

« La belle planète qui invite à aimer ', voilait les 
«Poissons qui la suivaient, et, par elle animé, tout 
« l'orient souriait *. » 

Le même sujet a inspiré à Milton les beaux vers par 
lesquels s'ouvre son troisième chant: 

« Salut, lumière sacrée, fille du ciel, née la pre- 
« mière, ou de l'Éternel rayon coéternel ! ne puis-je 
« pas te nommer ainsi sans être blâmé? Puisque Dieu 
« est la lumière, et que, de toute éternité, il n'habita 
(c jamais que dans une lumière inaccessible, il habita 
a donc eïi toi, brillante effusion d'une brillante es- 
« sence incréée. Ou préfères-tu t' entendre appeler 

* Vénus. 

• Purgat.f ch. i. 



160 INTRODUCTION. 

« ruisseau du pur Éther? Qui dira ta source? Avani 
« le soleil, avant les cieux, tu étais : et, à la voix de 
« Dieu, tu couvris, comme d'un manteau, le monde 
« s'él.evant des eaux ténébreuses et profondes : con- 
« quête faite sur l'infini vide et sans forme. 

« Maintenant je te visite de nouveau d'une aile plus i 
« hardie, échappé du lac Stygien, quoique longtemps 
« retenu dans cet obscur séjour. Lorsque, dans mon 
« vol, j'étais porté à travers les ténèbres extérieures et . 
« moyennes, j'ai chanté, avec des accords différents 
« de ceux de la lyre d'Orphée, le Chaos et l'éternelle 
« Nuit. Une muse céleste m'apprit à m'aventurer dans 
« la noire descente et à la remonter, chose rare et pé- 
« nible ! Sauvé, je te visite de nouveau, et je sens ta j 
« lampe vitale et souveraine. Mais toi, tu ne reviens 
c( point visiter ces yeux qui roulent en vain pour ren- 
« contrer ton rayon perçant, et ne trouvent pas d'au- 



c< rorc * . » 



Cette apostrophe a certainement de la grandeur et 
de la majesté. Peut-être désirerait-on plus de mouve^ 
ment, moins de pensées incidentes; peut-être Tespèa^ } 
de raisonnement par où elle commence est-il un peu 
froid. Mais comme, bientôt, le poète se relève: 

« Avant le soleil, avant les cieux, tu étais : et, à ht 
« la voix de Dieu, tu couvris, comme d'un manteattj j 
a le monde s'élevant des eaux ténébreuses et profoD- 

* Paradisperdn, ch. in,vers1-2i.Traductioui^îM. <le Chateaubriaat 



INTRODUCTION. i&t 

o des : conquête faite sur Tinfini vide et sans forme.» 
Le dernier Iraii, ce retour du pauvre aveugle sur 
lui-même, le regret de cette belle lumière refusée à 
ses yeux, qui roulent en vain pour rencontrer son 
rayon perçant, et ne trouvent point dC aurore; ce sen- 
timent si vrai, plein d'une mélancolie si profonde et 
si calme, touche, émeut comme tout ce qui sort spon- 
tanément du cœur de l'homme. Toutefois, en se tenant 
plus près de la nature telle qu'elle apparaît, quand 
fuient les ombres, à nos sens ravis, Dante, croyons- 
Dous, dans la même peinture , l'emporte par l'image, 
la fraîcheur et l'éclat. 

Au pied du mont, sur la rive, il rencontre un vieil- 
lard, digne ^ à le voir^ de tant de révérence que plus à 
ion père n^en doit aucun fils. Ce vieillard est Caton 
d'Utique, préposé à la garde du Purgatoire pour en 
repousser les damnés qui, fuyant V éternelle prison^ 
tenteraient d'y entrer. 

Dante, ici, dominé par un sentiment plus fort ' 
(pi'elle, paraît oublier la théologie et son dogme ri- 
gide, et il n*est pas, à beaucoup près, le seul qui, sur 
ce point , eût opposé à l'autorité la voix de la con- 
science. Saint Justin, au second siècle, d'autres, plus 
lard, alors qu'Aristote régnait souverainement dans 
l'École, ont cru au salut des anciens qui avaient ob- 
servé fidèlement les préceptes de la loi naturelle. Or, 
Jes plus illustres de ses contemporains, et spéciale- 



«62 INTRODUCTION. 

ment les poètes, si admirés de Dante, s'accordent à 
montrer dans Caton le juste par excellence, et le type 
même de la vertu. Ce que Lucain dit de lui rappelle 
le mot de Cicéron : charitan generis hnmam^ et révèle 
ïe progrès immense accompli dans Tidée morale: 

Cl Nul excès, suivre la nature, vivre pour la patrie, 
« $e croire né non pour soi, mais pour le monde entier^ 
« telle était la règle, la loi inébranlable du sévère 
« Caton *. » 

Les barrières qu'élevait entre les peuples. le prin- 
cipe égoïste, le sentiment étroit des nationalités et des 
races, s'abaissent devant le grand dogme de l'unité 
du genre humain proclamée avec les devoirs qu'elle 
impose. Combien, déjà, Ton était loin des temps où 
le même mot signifiait étranger et ennemi I 

Se souvenant peut-être des vers magnifiques où Ho- 
race peint le monde entier soumis, hors Vâme indomp- 
table de Caton ^^ Dante voyait encore en cet héroïque 

^ fli mores, hsec duri immola Catonis 

Secta fuit, servare modum, finemquc tencre, 

Natiiramque sequi, patriaeque impendcre vitam, 

Nec sibi, sed loti genitum secredere mundo,... 

Justitiîc cultor, rigidi servator lionesli : 

In commune bonus. 

Pharsal. lib. IL 

• Audire magnos jam videor duces 

Non indecorM pulvere sordidos, 
Etctmcta terrarum >ubacl:i, 
Prxter atrocem anitnum Caionis. 

Carm. lib. Ilod. i. 



INTRODUCTION. li 

Romain le martyr de la liberté qu*il aima plus que 
la yie même. Aussi est-ce au nom de cet amour im- 
mortel et sacré que Virgile prie Tauslère vieillard 
d'être favorable à celui dont le ciel a voulu qu'il fût 
le guide à travers les royaumes des morts. 

c< Qu'il te plaise d'agréer sa venue: il va cherchant 
a la liberté qui est si chère, comme sait celui qui pour 
c< elle la vie refuse. 

c< Tu le sais, pour elle ne te fut point amère la mort 
c< à Utique, où tu laissas le vêtement qui au grand jour 
« sera si brillant ^ » 

Nulles paroles plus simples, et que de pensées, que 
de sentiments elles éveillent au fond de l'âme émue! 
Hélas! en tous les sens, que sommes-nous, que de 
pauvres misérables qui vont cherchant la liberté, la 
liberté de Tesprit asservi aux préjugés et à l'igno- 
rance, la liberté du cœur esclave des passions, la li- 
berté du corps livré aux caprices de maîtres insolents, 
la liberté dans tous les ordres, dans Tordre intellec- 
tuel, l'ordre moral, l'ordre politique. Qu'est-ce que 
nos sociétés, qu'est-ce que le monde, sinon un noir 
sépulcre où la tyrannie, sous mille formes hideuses, 
nous enchaîne avec des ossements? 

Les deux voyageurs voient venir rapidement sur les 
eaux, guidée par un Ange resplendissant de lumière, 
une légère nacelle pleine d'âmes qu'elle dépose sur la 

*Puryat, ch. i, terc. 24 et 25. 



164 INTRODUCTION. 

plage. L'une d'elle est Casella, musicien renomr 
alors, lequel, ami de Dante, avait mis en chant pi 
sieurs de ses canzoni \ Tandis que, regardant aiitoi 
comme celui qui examine des choses neuves^ elles s'e 
quièrent du chemin qu'elles doivent suivre pour mo 
ter, et que Virgile leur répond : Nous sommes peleri 
comme vous^ s'apercevant, à la respiration de cel 
qui l'accompagne, qu'il est encore vivant, elles so 
prises d'un grand étonnement. La scène qui s'ouv 
ici vous transporte dans un monde vaporeux, aérie 
réel à la fois et fantastique, où, de la terre que l'an 
a quittée, il ne subsisle que ses tendresses, ses lie 
mystérieux avec les autres âmes, et ses ravissantes ha 
monies. Laissons parler le Poëte : 

« Je vis l'une d'elles s'avancer pour m'embrass 
« avec tant d'affection, qu'elle me mut à faire la mên 
« chose. 

« Hélas! ombres vaines, excepté d'aspect! Trois fo 
« autour d'elle j'étendis les bras, et trois fois je les r 
a menai sur ma poitrine. 

c< L'étonnement, je crois, se peignit en moi, st 
« quoi l'ombre sourit et se retira; et moi, lasuivanl 
c< au delà d'elle je passai. 

a Souèvement elle me dit de cesser; alors je la rc 

* Iste Casella fuil FlorentinuSy et optimus inlonator cantilenarur] 
qtiipluries intonavit cantUenas auciorù, et fuit optimus canlalo 
dit Fauteur des l^ostilles du manuscrit du Mont-Cassin. 



INT1\0DUCT!0N. iG3 

a connus, et la priai que, pour me parler, elle s'ar- 
« rêtât un peu. 

« Elle me répondit : — Comme je t'aimai dans le 
«corps mortel, dégagé de lui je t'aime; à cause de 
«cela je m'arrête; mais toi, pourquoi vas-tu? 

« — Mon Casella, pour retourner de nouveau là 
« d'où je suis venu, je fais ce voyage; mais toi, pour- 
« quoi cette terre si désirable t'était-elle déniée? » 

Casella répond vaguement qu'il n'a pu se plaindre 
de ce juste délai ; puis Uante reprend : 

« Si une loi nouvelle ne t'ôte point la mémoire ou 
« l'usage de l'amoureux chant qui apaisait tous mes 
« soucis, 

« Qu'il te plaise d'en consoler un peu mon âme, qui, 
« venant ici avec le corps, est si affaissée. 

c( — Amour ^ qui discours en mon âme\ commença- 
«t-il alors, si souèvement que la douce mélodie en 
« moi résonne. 

« Le Maître et moi, et la troupe qui l'accompagnait, 
« étions si ravis que chacun paraissait avoir toute au- 
« Ire pensée en oubli. 

« Attentifs à ses chants et absorbés en eux, nous al- 
« lions, quand tout à coup le vieillard vénérable : — 
« Qu'est-ce que cela, esprits lents? 

«Quelle négligence, quel tarder est-ce là? Courez 

' Amor che nella mente mi ragiona. La canzone qui commence 
ainsi est regardée comme une des plus beUes du Dante. 



166 IKTRODUCTiON. 

« au mont pour vous dépouiller de Técorce qui empê- 
« che que de vous Dieu ne soit vu *. » 

Pour peindre la puissance de Tharmonie, les Grecs, 
de tous les anciens peuples le pi us sensible à Tart, imagi- 
nèrent le mythe d'Orphée. L*Enfer chrétien, soumis à 
une loi inexorable, absolue, éternelle, ne permettait pas 
au Poëte d'y introduire cette antique fiction. Mais, sous 
une autre forme, transporté dans le Purgatoire, l'effet 
principal en est le même, et la reconnaissance des deux 
amis au séjour des ombres, cette tendresse à la fois de 
la terre et hors de la terre, dans laquelle se confon- 
dent et la vie et la mort, y ajoute je ne sais quoi d'idéal 
et de mystique. Suspendues au chant de Casella, les 
âmes oublient tout, le lieu où elles sont, celui vers le- 
quel tout à l'heure encore les hâtait le désir de se pu- 
rifier pour voir Dieu ; et Ton ne s'en étonne point, et 
l'on se sent fasciné comme elles, comme elles absorbé 
dans la mélodie de ces vers ravissants : 

Amor, che nella mente mi ragionUf 
Gomincio cgli allor si dolcemonte, 
Giie la dolcezza ancor dentro mi suona. 

A la voix de Caton courroucé, les ombres sortent de 
leur extase, se dispersent et courent vers le mont. Ar- 
rivés au pied, Dante et son guide trouvent le rocher si 
mille, qu'ien vain les jambes les plus agiles essayeraieai 
de le franchir. 

* Purgat.y ch. ii, ter. 26 et suiv. 






INTRODUCTION. 167 

c( Maintenant, dit le Maître en s'arrêtant, qui sait 
« par où la cote s^abaisse, de sorte qu'on puisse mon- 
« ter sans ailes? 

c( Et tandis qu'il tenait la tête inclinée, examinant 
« en esprit le chemin, et que moi en haut je regardais 
« autour du rocher, 

« A main gauche m'apparut une troupe d*âmes qui 
ce s'avançaient vers nous, et il ne le paraissait, tant 
a elles marchaient lentement. 

« — Maître, dis-je, lève les yeux : voilà, là bas, qui 

« nous donnera conseil , si tu ne le peux de toi-même. 

« Alors il me regarda, et d'un air assuré répondit * 

«—Allons vers eux, car doucement ils viennent; et 

« toi, cher fils, raffermis en loi Tespérance. 

«Cette troupe était •encore, je dis quand nous eûmes 
® fait mille pas, à la distance d'un trait de pierre lan- 
« cée par une main habile, 

« Quand tous se rangèrent contre les dures parois 
^ "^ la haute rive, et restèrent immobiles, comme qui 
^^ ^^ doutant s'arrête pour observer. 

^^ — - vous dont bonne a été la fin , esprits déjà 
« elu^ I commença Virgile, par cette paix que, je crois, 
^^ ^^Us attendez tous, 

J ïiites-nous où la montagne est telle que possible 
^ " ^citde monter, car, perdre le temps, à qui plus 
''^^it plus il déplaît. 
^^ Comme les brebis sortent de Tétable, une, puis 



168 INTROniTCTlON. 

« deux, puîs trois, et les autres se tiennent, toutes tî- 
« mides, Toeil et le museau à terre, 

c< Et ce que fait la première, les autres le font, se 
« serrant derrière elle si elle s'arrête, simples et tran- 
« quilles, et le pourquoi elles ne le savent. 

a Ainsi vis-je mouvoir, pour venir, la tête de ee 
« troupeau alors fortuné, pudique de visage, modeste 
« en sa démarche. 

« Loreque ceux-ci virent, à ma droite, la lumière 
« rompue à terre par devant, de sorte que mon ombre 
« atteignait la grotte, 

c( Elles s'arrêtèrent et se retirèrent un peu en ar- 
« rière, et toutes les autres, ^jui venaient après, en fi- 
« rent autant ^ » 

Qui a vu les brebis sortir du bercail, les revoit dans 
les vers qu'on vient de lire. Ils offrent un exemple de 
l'admirable vérité des peintures de Dante, à qui, dans 
l'observation delà nature, aucun détail n'échappe, et 
qui les reproduit aussi fidèlement qu'un miroir réflé*- 
chit les objets. Jamais rien de faux, rien de vague, ja- 
mais non plus rien d'inutile; pas un trait, pas une 
circonstance qui ne concoure à l'effet. Et remarquez 
quel calme, quelle tranquille lumière matinale ces 
images champêtres répandent sur des lieux cependant 
consacrés aux pleurs, et comme l'innocence de ces 
simples et douces et placides créatures se reflète sur 

* Purgat., ch. m, ter. 18 et suiv. 



INTRODUCTIOK. i69 

les âmes encore malades, encore souffrantes, mais as- 
surées désormais de posséder, au sein d*une éternelle 
paix, le bien immuable. Ce sont ces secrets rapports, 
qu'on sent, qu'on n'exprime point, tant les nuances en 
sontet délicates et fugitives, qui font le charme inépui- 
sable des œuvres du vrai génie. 

Mais le génie, comme la nature, sait aussi varier 
ses tableaux pour en rendre l'impression plus vive 
par les contrastes. Dante et Virgile se joignent à ces 
pèlerins du monde des ombres, qui s'offrent à les gui- 
der vers le passage qu'ils cherchent. L'un d'eux, en 
déminant, demande à Dante s'il le vit jamais sur la 
terre : « 11 était blond el beau, et de noble aspect; 
c( mais un coup avait divisé l'un des sourcils. » Dante 
«'ayant de lui aucun souvenir : « Maintenant, vois! » 
reprit-il ; et il lui montra une blessure au haut de la 
poitrine. Puis, souriant, il dit : c< Je suis Manfred. » 
. On connaît son histoire. Clément IV, poursuivant 
•en lui un descendant de Frédéric U, après l'avoir ex- 
•eeinmunié, appela Charles d'Anjou pour le chasser du 
royaume de Naples, dont l'archevêque de Cosenza 
avait offert, au nom du Pape, l'investiture à ce prince 
^unbîtieux. Manfred périt dans la bataille livrée près 
de Bénévent. Son corps, selon les lois de l'Église, ne 
pouvant reposer en terre sainte, Charles ordonna de 
J'ensevelir au bout du pont de Bénévent. Chaque soldat 
jeta une pierre sur sa fosse. On appelait mora cette 



170 INTRODUCTION. 

sorte d'amas de pierres, vague souvenir des anciens 
liiinulus. Mais l'arclievêque de Cpsenzane permit point 
que les os de Manfred restassent enfouis sous quelques 
pelletées de terre pontificale. Il les fît transporter près 
du fleuve Verde, avec Tappareil lugubre en usage i 
regard des excommuniés, en silence et les cierge» 
éteints. 

L'ombre continue : 

c( Après que mon corps eut été percé de deux coupfe 
« mortels, pleurant je m'en allai vers celui qui vo- 
« lontiers pardonne. 

c( Horribles furent mes péchés; mais de si grand» 
ce bras a la Justice infinie, qu'elle y reçoit tout ce qui 
« revient à elle. 

c( Si le toasteur de Cosenza, qu'en chasse de moi eiK 
c< voya Clément, avait alors en Dieu bien lu cette page,. 

« Les os de mon corps seraient encore au bout dii 
(c pont de Bénévent, sous la garde de la pesante mora. 

(( Maintenant les baigne la pluie et les roule le vent 
c< hors du royaume, le long du Verde, où il les transK- 
« porta à lumière éteinle^ » 

Manfred raconte et ne se plaint point : que lui im- 
portent, à présent, ces choses de la terre? MaislePoêto' 
gibelin, par la pitié qu'inspire ce roi puissant la veillOi 
et le lendemain privé même d'une fosse, a atteint SOV" 
but ; il a flétri le persécuteur, il a rendu exécraU 

* Purgat.f ch. m, tore. 40 et suiv. 



INTRbDUCTION. 171 

US sa vindicte atroce, sa haine qui ne pardonne 
[)ïnt alors même que déjà Dieu a pardonné. 
L'espace que les âmes en attente occupent dans le 
urgaloire comprend plusieurs cercles, et les plus lar- 
es, puisqu'en s'élevant le mont se rétrécit. On pour- 
ait, au premier abord, s'étonner de l'étendue de cet 
îspace intermédiaire, et du nombre de ceux qui, plus 
m moins longtemps, doivent y séjourner avant d'être 
idmisdansle heu où s'accomplira leur purification. 
Hais il y a là une pensée profonde. Qu'est-ce, en effet, 
ipe cette foule, sinon celle au milieu de qui nous vi- 
trons, légère, futile, sans attache réfléchie au mal, 
sans amour efficace du bien, la foule de ceux au sujet 
desquels, dans l'étonnement de sa grande âme, Bos- 
suet s'écriait : « Quoi ! le charme des sens est-il 
â fort, que nous ne puissions rien prévoir ! » Ou- 
blieuse de l'avenir, ondoyante aux brises du présent, 
tout entière à ce qui est et passe, jamais à ce qui sera, 
elle s'ouvre, comme la fleur des champs, pour recueil- 
lir chaque gouttelette de rosée, chaque rayon de soleil, 
jusqu'à ce que l'hiver ou un soudain orage la détache 
^sa tige pour toujours. Cet état d'indolence morale, 
dont la paresse du corps est l'image et souvent l'effet, 
Dante l'a placé sous nos yeux avec cette vérité pitto- 
^que qu'on ne se lasse point d'admirer dans toutes 
^peintures si variées, si vivantes. 
Virgile encourage son compagnon, las déjà de la 



172 INTRODUCTION. 

route, car le mont est rude à monter; et, ce travail ac- 
compli, il lui promet le repos de sa fatigue. 

a Après qu'il eut dit cette parole, une voix toul 
« près se fît ouïr: — Peut être auparavant auras-tu 
ce besoin de t'asseoir. 

(c Au son de cette voix, nous nous retournâmes, et 
« nous vîmes, à main gauche, un grand rocher que ni 
ce lui ni moi n'avions aperçu d'abord. 

et Nous nous y traînâmes : là étaient des gens qui 
« se tenaient à l'ombre derrière le rocher, comme par 
c< nonchalance on se pose. 

c( Et l'un d'eux, qui me paraissait las, élait assis 
« et embrassait ses genoux, la tête entre eux baissée. 

c< — mon doux Seigneur, dis-je, regarde celui- 
(c là qui se montre plus indolent que si la paresse 
c< était sa sœur. 

a Lors, prenant garde, vers nous il se tourna, la- 
ce vant les yeux seulement au-dessus de la cuisse, et 
ft dit : — iMonte, toi qui es vaillant!... 

c< Je le reconnus alors, et la fatigue qui encore un 
«peu hâtait ma respiration, ne m'empêcha point 
c< d'aller à lui; 

a Et quand je fus près, à peine souleva-t-il la tête, 
« disant : — As-tu remarqué comme le soleil à gauche 
c( conduit son char? 

c< Son lent mouvoir et ses courtes paroles amc- 



INTnOnUCTION. 17^ 

«nèrcnt un peu le rire sur mes lèvres; puis je com- 
« mençai : — Belacqua, plus maintenant 

«Je ne te plains^; mais, dis-moi, pourquoi ici cst 
«tu assis? Attends-tu une escorte? ou as-tu repris t^ 
«vieille habitude? 

«Et lui : — frère, monter, qu'imporlc? pnis- 
«qu*aux peines ne me laisserait point aller Toiscau' 
« de Dieu qui garde Thuis. 

i « Il faut que hors de ce seuil s'accomplissent pour 
ccmoi autant de révolutions célestes que ma vie eut 
« de durée, parce que je différai jusqu'à la fin les 
ftbons soupirs*. » 

N'est-il pas là, vivant sous vos yeux, ce type de la 
paresse, la tête nonchalamment baissée entre ses cuis- 
ses, et la soulevant à peine pour laisser tomber, avec 
une langueur apathique, quelques brèves paroles qm 
amènent le rire sur leis lèvres. Voilà le côté ridicule 
du vice, comme le Poëte, dans TEnler, en a montre 
le côté bas, ignoble et grotesque. Mais cet aspect re- 
buterait bien vite, en un sujet si grave pour le .fonds. 
Aussi, après avoir quelques moments fait sourire Tes- 
prit, Danle se hâte de l'élever de nouveau dans l'or- 
dre des sévères pensées, des émotions tendres et pro- 
fondes. 

' Parce que sou salut est désormais assuré. 

* L'ange ailé. 

5 Purgat.y ch. iv, terc. 35 et suiv. 



\^. 



m INTRODUCTION. 

Quelquefois, par un court récit, où se mêlent deux 
inondes, il Iransporte rimagination en une sphère 
tout ensemble réelle et fantastique, pleine de tristes- 
ses étranges. Échappé du combat, un pauvre blessé, 
est venu expirer sur le bord d'un fleuve*. Le démon 
veut saisir son âme; Fange de Dieu la lui enlève. 
«De celui-ci, dit le démon, tu emportes ce qui est 
« éternel, à cause d^ine petite larme qui me la ravit; 
«mais autre chose ferai -je du reste. » Aussitôt la 
vallée se couvre de brouillards, Tair s'épaissit, on 
entend la pluie tombant du ciel noir, et, dans le loin- 
tain, le bruit des torrents qui se précipitent des mon- 
tagnes. Le fleuve gonflé déborde, entraîne le corps 
glacé, le roule parmi les débris que ses eaux charrient, 
et Tensevelit dans le limon au creux du ravin, où 
nul jamais ne saura qu'il repose'. Puis tout à coup, 
eommc un vague rêve où les visions se succèdent sou- 
dain, une voix plaintive et quelques paroles mysté- 
rieuses qui font frissonner : 

c( Ah! quand tu seras de retour dans le monde, et 
« reposé de ton long voyage, souviens-loi de moi, qui 
a suis la Pia ; Sienne me fit, me défit la Maremme : le 
« sait celui qui auparavant m'avait, en m'épousant, 
« mis son anneau de gemme*. » 

* Buonconte, fils de Gui de Montefeltro. 

* L'An^hiano. 

* Purijat.y ch. v, terc. 32 et suiv. 

* Ibid., terc. 44 et 45. 



INTR0Î>1TCTI05. TS 

Dans sa fuite éternelle, le temps emporte rapide- 
ment la vie. Chaque heure, donc, est précieuse pour 
en atteindre le vrai but. Aussi Dante et son jriiide se 
hâtent-ils d'accomplir leur voyage symboliciue; ils 
arrivent en un lieu où l(* mont l(Mir cache le soleil. 
Difficile est le chemin, et inconnu d eux. 

«Vois là, dit Virgile, une âme qui, retirée à Té- 
«cart, seule, toute seule, regarde vers nous; elle nouî 
«enseignera la voie la plus courte. 

«Nous vînmes à elle. âme lombarde, qu'altièrc 
«et dédaigneuse éiait la contenance, et le mouve- 
«ment de tes yeux digne et lent ! 

«Elle ne disait rien, mais nous laissait aller, re- 
« gardant seulement, comme le lion lorscju'il n»pose. 

« Cependant Virgile s'approcha d'elle, la priant de 
«jious montrer la plus facile montée. Elle ne répon- 
«dit point à sa demande; 

« Mais elle s'enquit de notre pays et de notre vie ; 
«et comme le doux Guide commençait : — Man- 
«toue, ..... l'ombre, tout enfoncée dans la solitude 
«d'elle-même, 

« Surgit vers lui, du lieu où elle était, disant : — 
«OMantouan, je suis Sordello, de ton pays; et ils 
«s'embrassèrent l'un l'autre*.» 

La solitude de celte ombre retirée à l'écart, sa con- 
tenance altière, le lent mouvement de ses yeux, saisit 

* Piirgat.f ch. vi, terc. 20 et suiv. 



176 INTRODUCTION. 

d*abord rimagination, et le tableau s'achève par ce 
trait : 

«Elle ne disait rien, mais nous laissait aller, re- 
C( gardant seulemeni , comme le lion lorsqu'il repose.» 

N'y a-l-il pas dans ce regard quelque chose qui fas- 
cine? Et comme la grandeur formidable de cette appa- 
rition solitaire, muette, est pathétique, quand, au 
seul nom de Mantoue^ Tombre, soudain s'élançaal 
vers Virgile, s'écrie : 

« Mantouan, je suis Sordello, de ton pays; et ils 
« s'embrassèrent l'un l'autre. » 

Quoique dans un ordre de sentiments un peu dif- 
férent, cette scène rappelle celle où Joseph, seul aussi 
en terre étrangère, plein encore des souvenirs du doux 
pays natal, des premières émotions, des premières 
tendresses de son cœur d'enfant sous la tente, se fait 
reconnaître de ses frères : 

« Et il dit à ses frères : Je suis Joseph, que vous 
«avez vendu pour l'Egypte... Et se penchant sur le 
« cou de Benjamin, et l'embrassant, il pleura ; et lai 
ce pareillement se pencha sur le cou de Joseph en 
« pleurant. Et Joseph baisa tous ses frères, et sur 
« chacun d'eux il pleura*. » 

Le récit de la Genèse vous transporte au milieu de 
la famille patriarcale et de ses affections. Dans Iç ré- 
cit de Dante éclate un autre amour, plus général et 

* Genès. xlv, 4, 14 et 15. 



INTRODUCTION. Ml 

non moins profond, Tamour de la patrie. Il déborde 
de l'âme du Poëte, et lui inspire quelques-uns de ses 
accents les plus passionnes. 

« Hélas ! Italie, séjour de douleur, navire sans pi- 
(dote dans une grande tempête, non maîtresse de 
«provinces mais bouge infâme. 

« Au seul doux nom de sa patrie, ainsi fut prompte 
«cette noble âme à accueillir son citoyen : 

(( Et en toi maintenant jamais ne sont sans guerne 
«tes vivants, et se dévorent Tun Tautre ceux qu*cn- 
« ferment un môme mur et un même fossé. 

« Cherche, malheureuse, sur les rivages que bai- 
«gnent tes mers, puis regarde, en ton sein, si de to^ 
« aucune partie jouit de la paix ^ » i 

Peignant à grands traits les désordres auxquels elle 
est en proie, il en accuse l'empereur qui, retenu loin 
d'elle par ravidité d'acquérir là^bas^ Tabandonne aux 
factions que ne contient aucun frein. Dans une apo- 
strophe véhémente, il mêle la prière, Tinveclive; il 
rijure, il supplie, il montre au monarque infidèle 
«sa Rome qui pleure, veuve, seule, et jour et nuit 
«rappelle : Mon César, pourquoi me délaisses-tu*?» 

Si jdésolés sont ses accents, si profondes ses an- 
gwsses, qu*on le prendrait lui-même pour une de ces 
âmes en peine qui peuplent les royaumes sombrea. 

^Purgat., cli. vi, terc. 20-29. 
• Purgat., ch. vi, terc. 58. 



178 INTRODUCTION. 

Emportée comme la feuille que roule un tourbillon^ 
sa pensée fiévreuse parcourt en tous sens Tllalie, et 
partout n'y voit que des tyrans. Alors, Tespérance dé- 
feillant en lui, il jetle un cri vers Dieu, il lui demande 
si ses regards sont tournés ailleurs^ ou si, dans l'a- 
bîme de se^ conseils^ tant de maux seraient la prépara- 
tion de quelque bien entièrement hors de notre pré- 
voyance. Puis, tout à coup, voilà que sa Florence lui 
apparaît. Avec un rire amer, il la félicite des biens 
dont elle jouit, justice, richesse, paix, intelligence, et 
dans la poitrine oppressée d'où sortent ces poignantes 
ironies, ces sarcasmes aigus comme la lame d'un poi- 
gnard, on sent palpiter le cœur du citoyen, les re- 
grets, les colères, le» tendresses désolées du pauvre 
banni. 

Ces passions de la terre dans le séjour des morts, 
en variant le ton du poëme, soutiennent Tintérêl et 
ramènent l'esprit à ce sujet caché sous la lettre^ qui, 
dans la pensée de l'auteur, de l'homme de parti, do 
proscrit, était le principal, peut-être. 

Poursuivant sa route, il arrive vers le soir au bord 
d'un vallon, où, dans l'attente de la patrie à laquelle 
elles aspirent, se reposent, en chantant des hymnes 
pieux, quelques âmes pèlerines. Rien n'égale la sua- 
vité, l'harmonie ravissante des vers où le Poète, com- 
parant ce qui se passe en ces âmes élues à ce que res- 
sent loin des siens le voyajjeur, lorsqu'au déclin du 



I 

I 



INTRODUCTION. ♦?(> 

jour peu à peu les objets se voilent, peint le calme 
mélancolique et doux des lieux, de l'heure, des sou- 
venirs, des désirs qu'elle réveille. 

Era già V ora cbe volge il disîo 

A navi^anti e intenerisc(î'I cuore, 

Lo di c ban detto a' dolci amici addio 

E cbe lo nuovo poregrin d'amore 

Punge, se ode squilla di lontano, 

Cbe paia il giorno pianger cbe si muore : 

« U était déjà Theure qui des navigants attendrit le 
« cœur, et tourne le désir vers le jour où ils dirent à 
« leurs doux amis adieu , 

« Et d'amour aiguillone le voyageur nouveau, si 
« dans le lointain il entend la cloche qui semble pleurer 
«le jour mourant *. » 

Parvenus à la porte du Purgatoire, Dante et son 
guide y trouvent un ange ayant à la main une épée 
nue, et sous sa robe deux clefs, l'une d'argent, l'autre 
d'or. « Que voiliez- vous? leur demande-t-il ; ouest 
votre escorte? » Sur la réponse de Virgile, il leur ouvre 
l'entrée, après a voir auparavant tracé sept P sur le front 
de Dante avec la pointe de l'épée. Ces P représentent 
les sept péchés mortels punis dans les sept cercles qu'il 
va traverser. A mesure qu'en montant il sort d'un de 
ces cercles, un des P disparaît de son front, de sorte 

* Purgat., cb. vm, terc. i et 2. 



180 IKTRODUCTÎON. 

que î JUS sont effacés lorsqu'il arriva au sommet d 
mont, où est situé le Paradis terrestre. 

Dans le premier cercle, les orgueilleux se traîner 
sous de lourdes pierres dont le poids les courbe jus 
qu*à terre, A la vue de ces infortunés, le Poète s 
demande avec étonnement de quoi Tâme peut se gou 
fier, au point que, dans sa folle admiration de lui 
même, l'homme oublie entièrement sa conditiôi 
réelle, ce qu'il est, ce qu'il sera, alors qu'après sa trans 
fJDrmation il comparaîtra devant la justice inévitabl 
» et inexorable. 

« chrétiens superbes, malheureux, débiles, qui 
a infirmes de la vue de l'esprit, vous fiez aux pas rc 
c< trogrades, 

« INc savez-vous donc point que nous sommes de 
« vers nés pour devenir Tangélique papillon qui 
« sans que rien l'en défende, vole devant la Justice 

c< De quoi gonflée votre âme en haut flotte-t-elle 
« Qu'êtes-vous, que des ébauches d'insectes, sembla 
« blés au ver en qui avorte la transformation ? » 

Toutes les fois que l'homme se regarde attentive 
ment, ce vide l'effraye : l'être a fui de toutes part^ 
Qu'est-il donc? Une ébauche de ver ? moins que cela 
Une ombre? moins que cela. Le rêve (Tune ombre*. 
nioins que cela encore. « Oh 1 que nous ne somme 

* Purgat., ch. x, terc 41-45. 

• 2xiâ; ôvap. Pindar. 



il; 

al 
C 



INTRODUCTION. 181 

rien! » s'écrie Bossuet, laissant Tesprit chercher, au- 
dessous du rien même, un néant plus profond. 

Le contraste de ce néant avec Torgueil humain est 
surtout ce que Dante, aux lieux où cet orgueil reçoit 
soD châtiment, s'attache à faire ressortir. Ces morts, 
au milieu desquels il chemine, s'étonnent devoir un 
vivant. L'un d'eux lui raconte ce qu'il fut dans le 
monde, et le sujet de sa punition. 

« Pour écouter je baissai la tête, et l'un d'eux, non 
«celui qui parlait, se tordit sous le poids qui le près- 
« sait; 

« Et il me vit, et me reconnut, et m'appelait, tenant 
« avec fatigue les yeux fixés sur moi , en se traînant 
« avec les autres tout courbé. 

« — Oh! lui dis-je, n'es-tu pas Oderisi, l'honneur 
«d'Agobbio, et l'honneur de cet art qu'enluminure 
«on appelle à Paris? 

« — Frère, dit-il, plus sourient les cartons que 
« peint Franco de Bologne : maintenant l'honneur est 
«tout sien, et mien seulement en partie. 

« Point n'eus-je été aussi courtois tandis que je vé- 
«cus, par le grand désir d'exceller où aspirait mon 
«cœur. ' 

« D'une telle superbe se paye ici la dette , et ici 
«même ne serais-je point, n'était que, pouvant encore 
«pécher, je me tournai vers Dieu. 
« vaine gloire du génie humain ! combien peu 

D. I. VV 



i4«2 INTRODUCTION. 

ce de temps verdit la cime, si nesurvieniifint des kgî 

« grossiers ! 

« Gimabaé crnt, dans la peinture, étre^ maître di 
'(cxhamp;; et aujourd'hui Giotto a pour lui le cri. pu 
^coblic, en sorte -que lai renommée de celai<-là est4>k6 
•« corcie. 

« Ainsi Tun desCruido a ravi à l'autre la gloire "dt 
« la langue, et peut-être est ne celui qui tous den^'te 
«chassera du nid. 

« N'est autre chose la mondaine rumeurqn'mi souf- 
« fle de vent qui vient ores d'ici, ores de là, et change 
« de nom en changeant de* côté. 

c< Que vieux tu te dépouilles de la chair, ou que lu 
« meures balbutiant encore : pappo et dindi *, qà'im- 
« portera pour ta renommée, 

c( Avant que soient mille ans? durée plus courte, 
c< près de réternelle, qu'un mouvement des sourcibj 
« près du cercle qui, dans le ciel, le plus lentement 
«tourne. ' 

« Celui qui si peu de terrain gagne là devant mm 
« toute la Toscane retentit de son nom, et maintenais 
« à peine le murmure-ton à Sienne, 

c( Où il était seigneur quand fut brisée la rage flo* 
« rentine, superbe alors, comme à présent vénale. 
« Votre renommée ressemble à l'herbe dont la cott* 

^Mots alors du langage de renfance, chez les Florentins. 



lîlTRODUCTION. 183 

«'leur vient et s'en va , et que flétrit celai par qui 
«fraîche elle sort de la 'terre*. » 

Oderisi ne dit point notre renommée , mais voire re- 
wimnée. Qu'est-ce pour lui, maintenant, que la gloire 
terrestre, si fugitive, si vaine? Dans le monde où il 
se purifie avant de monter vers Dieu, le monde qu'il 
a quitté ne le touche plus; il le voit ainsi que le ver- 
dit un habitant d'uiie autre sphère, sans passion et 
iMis illusion, avec une pitié calme; et ce calme, au 
nilieu de souffrances désirées, aimées comme la con- 
ftion nécessaire du bien infini qui les suivra, forme le 
iractère principal de l'état des âmes en cette région 
itermédiaire. Un seul mot a suffi pour marquer la 
iparation de deux modes de vie si étroitement liés, et 
dissemblables. Tout à l'heure le Poëte le marquera, 
$ nouveau, en quelques paroles aussi simples que 
nchantes. 

Au-dessus du cercle des Superbes est celui des En- 
ienx. Recouverts d'un grossier ci lice, la paupière 
ercée et cousue avec un fil de fer, ils s'appuient l'un 
ttitre l'autre et contre le rocher, a tellement tour- 
iffflentés de l'horrible f couture, que de pleurs ils bai- 
«gnent'leurs joues. » Se tournant vers ces pievses cm" 
^es^ Dante leur dit : 

« âmes sûres de voir la lumière d'en haut, seul 
«*rf)j^ de votre désir ! 

' Purg,, ch. xi, terc. 25 et suiv. 



.'à 



184 INTRODUCTION. 

c< Que bientôt de votre conscience la grâce nettoie 
c( l'écunie, de sorte qu'en elle descende limpide le 
« fleuve de Tosprit ! 

ce Dites-moi (ce me sera une faveur précieuse) si 
« parmi vous ici est une âme Latine : peut-être loi 
« sera-t-il bon que je la connaisse. » 

Une des ombres répond : I 

« mon frère ! chacune d'elles est citoyenne d'une 
« vraie cité; mais tu veux dire qui dans Tltalie ait vécu 
« pèlerine *. » 

Si naturels sont ces derniers mots, quel' attention i 
peine s'y arrête; et cependant l'on est, par eux, tout 
d'un coup transporté d'une vie dans une autre vie. D^ 
ces traits presque inaperçus résulte la vérité, d'où dé- 
pend rcffet général. Qui les cherche, ne les trouH 
jamais : le génie les inspire aux grands poètes. 

Le chant qui suit, presque entièrement histori 
et politique, montre avec quel soin Dante entre 
les deux sujets de son poëme. Une ombre, après avcî 
dépeint les vices divers des habitants du val d'A 
annonce, en un langage mystérieusement vague, 
désastres futurs, et à la corruption, à la bassesse 
mœurs dégénérées, oppose le charme et la pureté di 
anciennes mœurs. La douleur qu'elle ressent de 
contraste l'empêche de continuer, a Va, dit-elle, Ti 
c< can ! car trop plus maintenant me délecte le pi© 

* Purgat.f ch. xiii, tcrc. 29-52. 

. ^^^ i 



INTRODUGTIQN. i85 

le parler, tant mon pays m'a seiré le cœur\ » 
voyageurs reprennent leur route. Sur la rampe 
re on voit le Toscan, tout à ce qu'il vient d*en- 
5, cheminer enseveli dans ses réflexions : 
orsque ayant avancé nous fûmes seuls, sembla- 
au foudre lorsqu'il fend Tair, de devant nous 
une voix : 

'e tuera quiconque me rencontrera M — Et elle 
fuit comme s'éloigne le tonnerre qui subite- 
it déchire la nuée*. » 

Jésert, le silence, puis soudain ce cri sinistre et 
uite invisible; qui ne tressaillerait? Ne croit-on 
i, tout près, sentir passer le fantôme du meurtre? 
cercle des Envieux, Dante monte en celui con- 
au châtiment de la Colère. Ceux qu'y retient 
ine justice sont plongés dans une fumée épaisse 
e qui ne laisse rien voir, et ne permet pas même 
îux de s'ouvrir. Le Poëte rencontre, parmi les 
is, celle d'un de ses amis. A l'occasion des maux 
alie, et de la corruption des temps qu'ils déplo- 
3US deux, l'ombre, à la prière de Dante, en ex- 
I la cause, et, pour cela, remonte jusqu'à celle 

rgat., ch. xiv, terc. 42. 

itque Caïnus ad Dominum : Major est iniquitas mea quam ut T6- 
;rear. Ecce ejicis me hodiè à facie terrse, et à facie tuâ abscon- 
sro vagus et profugus in terra : omnis igitur qui invenerit me^ 
ne. Gènes. IV, Y. 13 et 14. 

gat., ch. xvy terc. 44, 45. 



186 INTRODUCTIOWi 

du mal, qu'on ne doit point chercher dans Pinflii 
des astres, bien que d'eux viennent les premiers! 
vements, mais dans le libre vouloir de Thomme q 
claire une lumière intérieure, sans quoi ce poin 
c< serait-ce justice de recueillir pour le bien la; 
a pour le mal les pleurs. » 

a Si donc, ajoute Tombre, le monde présent di 
« en vous en est la cause, en vous doitrelle être ( 
« chée ; et je vais te* la découvrir. 

» De la main de Celui qui en elle se complaît s 
« qu'elle soit, comme un petit enfant qui rit et pic 
ce et ne sait pourquoi, 

c< Simplette sort l'âme, qui ne sait rien, sinon 
a mue par Celui qui Ta créée pour la joie, volon 
c< elle se tourne vers ce qui l'amuse. 

« D'un léger bien d'abord' elle sent là saveur 
c< se trompant, elle court après, si' un* guidô 01 
« frein n'infléchit son amour; 

« D'où il convient qu'il y ait des lois pour imj 
« un frein, et un roi, qui de là vraie citédiscem 
c< moins^la tour*. 

ce II y a des lois, mais qui les pnend en mains? 
«sonne; parce que le Pasteur qui précède run 
ce peut, mais n'a pas les ongles fendus ^ » 

* Ce qu*il y a de plus capital et de plus éminent dans la soci 
ustice. 

* Le « Pasteur qui précède » est le Pape, lequel possède le poinro 



et Ce pourquoi le peuple, qui ¥oit soni guide recher- 
« cher le seul bien dont iL est avide^^ s*ea. repaît,, et ne . 
« demande rien de plus. 

«Bien penx-tu voir qu'être' mal régi est lia cause 
«qui a rendu le monde criminel, et non la nature» 
« corrompue en vous. 

«Rome, qui au bien ramena le monde, avait cou 
«tume d'avoii: deux soleils, qui montraient les deux 
«roates, celle du monde et celle de Dieu. 

«L'un a atteiflt Fautre, et Tépée est jointe à la 
«crosse, et mal convient-il que par vive force ils aillent 
«ensemble \ 

« Parce que, joints, l'un ne craint pas l'autre; si tu 
«ne me crois, regarde à Tépi, car toute plante se 
« connaît par sa graine. 

« mon Marc, répond Dante, bien tu raisonnes; et 
«à présent je comprends pourquoi les fils de Lévi 
« furent exclus de l'héritage '. » 

L'auteur du livre de Monarchiâ rei^rodiiii ici sa 
doctrine de deux puissances, l'une spirituelle, l'autre 
temporelle, séparées de droit divin. Dans leur réunion 
enire les mains du Pape, il voit la cause des maux de 



ilucl, figuré, selon les interprètes de l'Écriture, ^zt\& ruminer, mais, 
on l(i pouvoir temporel, que figurent les ongles fendus. 

* Les biens matériels. 

' Que la violi'nce les réunisse en une même mam. 

s PurgaU, ch. xvi, terc. 28 et suiv. 



\l 



m INTRODUOirON. 

sa patrie et de la corruption générale du monde 
se justifie ce que, plus tard, il disait de lui-mêi 

Jura Monarchiae, superos, Phlegetonta, iacusque 
Lustrando, cecini, voluerunt fata quousque. 

Cette question , agitée avec tant de chaleur au 
âge, durant la longue lutte des Pontifes et des 
reursî est encore aujourd'hui la question prii 
pour la malheureuse Italie. L*empire n'existe 
les vents en ont dispersé la poussière ! Mais Rome 
serve son pouvoir temporel, incompatible avec 
et la liberté de la Péninsule; et ce pouvoir, qui 
au mouvement du monde politique, réagit égal 
à des degrés divers, sur les destinées de tous 1 
pies catholiques, en faisant d'elle l'alliée nature 
puissances dont le droit, supérieur au droit na 
est radicalement absolu, dès lors, et supposé • 
tulion divine immédiate. Son autorité spirituel 
en lui soumettant la raison, la conscience, et; 
servitude dans le fond même de l'âme, form( 
que nous l'avons montré, un obstacle non mo 
vincible au progrès de l'humanité dans tous 
dres. Dante ne remonta point jusqu'à cette eau 
mière des désordres dont il se plaignait; pour 
comprendre, il fallait un travail nouveau de la 
et de nouvelles leçons de l'histoire. N'est-ce 
sujet de méditation profonde que de voir, à six 



INTRODUCTION. i89 

de distance, comment se préparent, comment se déve- 
loppent les manifestations de la vie dans le genre hu- 
main, et les lois de sa croissance? 

La Paresse s^expie dans le cercle suivant, où une 
course rapide et sans repos emporte les pécheurs, que 
celle peine acceptée par l'amour rétablit en grâce avec 
Dieu. Une sorte d'exposition des doctrines de l'École 
sur la volonté et les causes qui la meuvent, sur le libre 
arbitre, la matière et les formes substantielles, inter- 
rompt le récit. Puis les voyageurs passent dans les 
cercles plus élevés, séjour de ceux que souillèrent l'A- 
varice, la Gourmandise et la Luxure. Près d'entrer 
dans le cercle des Avares, Dante est pris de sommeil, 
et, dans ce sommeil, il a la vision d'un être fantasti- 
que, emblème de ces trois vices. 

« M'apparut en songe une femme bègue, aux yeux 
«louches, courbée sur ses jambes torses, mutilée des 
«mains, et de couleur blafarde. 

« Je la regardais; et comme le soleil ranime les 
« froids membres engourdis par la nuit, ainsi mon 
«regard délia sa langue, 

«Puis, en peu d'instants, la redressa tout entière, 
«et colora, comme le veut l'amour, son visage dé- 
« fait. 

« Lorsque ainsi elle eut le parler libre, elle se mit 
« à chanter, de telle sorte que je n'eusse pu qu'avec 
«peine détourner d'elle mon attention. 



1!;0 ÎNTRODTrnTîOîr. 

« — Je suis, chantait- elle, je suis là douce sirène 
« qui, au milieu de la mer, égare les mariniers, tânl 
ce de m 'ouïr le plaisir est grand. 

« De sa route errante j'attirai Ulysse à mon chant : 
« qui s'accointe avec moi rarement me quitte, si plei- 
c( nement je le satisfais. 

c< Sa bouche n* était pas encore refermée , quand 
c( soudain près de moi apparut une femme sainte \ 
« pour la confusion de celle-là. 

c — Virgile, Virgile, qui est celle-ci? vivement 
c( dis-je; et lui venait, les yeux fixés seulement sur 
« cette femme pudique: 

c( Il prit l'autre, et fendant ses vêtements, il la dé- 
« couvrit, et me montra le ventre : la puanteur qui 
« s'en exhalait me réveilla '. » 

Les pécheurs que renferme le cinquième cercle, lié$ 
et pris des pieds et des mains, sont étendus à terre, im- 
mobiles et la face en bas. L'un d'eux se fait connaître 
à Dante, il lui apprend qu'il est le pape Adrien V, dont 
rame tout avare fut misérable et séparée de Dieu, 
jusqu'à ce que, détrompé enfin des illusions de la vie 
terrestre, il s'enflamma d'amour pour l'autre vie. 
Dante s'agenouille par révérence, et, comme il com- 



* Autre personnage allégorique : la Prudence, ou la Philosophie 
morale. 

* Purgat , ch. xix, tcrc. 5-11. 



INTRODUCTION. 401 

mençait de parler, le pape c< s'étant aperça* à rouîo^» 
«seulement de son acte respectueux: 

« — Pourquoi, dit-il, ainsi te courbes-tu ? El moi à 
« lui : — Parceque m'en presse ma droite conscience, 
« à cause de voire dignité. 

« — Redresse tes jambes et lève-toi , frère ! répon- 
«dil-il; ne me trompe point: comme toi et comme 
«les autres, d'une seule puissance je suis le servi- 
ce leur'. » 

Naguère l'orgueil des grandeurs humaines, à cette 
heure Fégalité de la tombe; entre deux, quoi ? dans 
un instant insaisissable, un désir vide que rien u^a 
pu remplir. 

« — Va maintenant, ajoute Tombrc, je ne veux pas 
«que tu t'arrêles davantage, car ta présence gène le 
«pleurer avec lequel je mûris ce que tu as dit. » 

Ce mort a laissé sur la terre une famille illustre, 
riche, puissante : en quoi cela le touche-t-il? De ceux 
<|ui furent ses proches, aucun ne lui est présentement * 
^ftrien, aucun ne l'aidera, hors peut-être sa nièce 
Alagia; bonne de soi, povrvu^ dit-il, que lU^xcmple de 
^^olre maismme la rende pas mauvaise. 

« Elle seule m'est restée là '. » 

Quelle tristesse dans ce mot simple, bref, qui ter- 



^ Piirgat. fCh. xix, 1ère. 43-45. 
*/^w/.,terc. 47el48. 



188 ISTIIOniKlTION. 

sa patrie et de la corruption générale du monde. Ainsi 
se justifie ce que, plus tard, il disait de lui-même : 

Jura Mouarchiie, supcros, PhlcgcLonla, Ucusque 
LuGtrjDilo, ceciai, vuluerunt b\a quousque. 

Cette question, agitée avec tant de chaleur au Moyen 
âge, durant la longue lutte des Pontifes et des Empe- 
reurs! est encore aujourd'hui la question principale 
pour la malheureuse Italie. L'empire n'existe plus; 
les vents en ont dispersé la poussière! Mais Rome a con- 
servé son pouvoir temporel, incompatible avec l'unil^ ] 
et la liberté de la Péninsule; el ce pouvoir, qui la mêle ^ 
au mouvement du monde politique, réagit également, 
à des degrés divers, sur les destinées de tous les peu-^ 
pies catholiques, en faisant d'elle l'alliée naturelle des 
puissances dont le droit, supérieur au droit national, 
est radicalement absolu, dès lors, et supposé d'il 
lulion divine immédiate. Son autorité spirituelle qui, 
en lui soumettant la raison, la conscience, établit 
servitude dans le fond même de i'àme, forme, 
que nous l'avons montré, un obstacle non moi 
vincible au progrès de l'humanité dans tous 
dres, Dante ne remonta point jusqu'à celle caui 
mière des désordres dont il se plaignait; pour 
comprendre, il fallait un travail nouveau de \a 
et de nouvel' 'e l'histoire. N'est- 



I Bujel 



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de distance, c^imnifiil >f [«ri'iiiuriil. rniiini«*!iî ^•- «li'\i-- 
loppeiU le< inanirr>t«itiriii^ tir l.i \\r J.nis |,- ;,i ni-., lu,, 
main, et les lui> <!«• >a (l'iii^Niiicr? 

La Pare>se s\'X|iii* daii^ If c* nlr sin\;inî. ..ù une 
course rapide et sin> repnseiri|Mirtf 1»-^ |.tT|ii'iii^. i|iif 
• celle peine acceptéi* par l'aninur rrlaMit n. lt.h»' hwc 
Dieu. Une sorte rrex|Miî!.itii»n i\v> «loitrim-N .|r I KniK- 
. sur la volonté et le< causes qui la nH'u\i*iil. -ur U- li lin- 
arbitre, la matière et les furines suhMantiflli-?. intiT- 
rompt le récit. Puis les Yoyajr«»urs pa^M*nl «laii^ U-s 
cercles plus élevés, séjour île ceux (|ue >nuillrrfnl 1' \- 
varice, la Gourmandise et la Luxure. Pri*N lirnln'i 
'dans le cercle des Avares, Dante e>t pri^^ de snniuïril, 
et, dans ce sommeil, il a la vision d'un être fantasti- 
que, emblème de ces trois vices. 

«M'apparut en songe une femme hè'.Mie, aux \«*ux 
«louches, courbée sur ses jambes torses, nHitilérd«*s 
\ a mains, et de couleur blafarde. 

« Je la regardais; et comme le soleil raninu* les 
« froids membres engourdis par la nuit, ain^i mon 
«regard délia sa langue, 

«Puis, en peu d'instants, la r«Mlres.si tcMil rntièrr, 
«et colora, comme le veut Tamour, son \i>a^iMlé- 

a Lorsque ainsi elle eut le parler libre, ellt* se mit 
tfâ chanter, de telle sorte que je n'eusse jiu qu avec 
«peine détoamer d'elle mon attention. 

11. 



\ 



\ 



191 INTRODUCTION. 

« et lui : — Des ombresqui peut-être se vont dégageai 
a (lu lien de leur dette. 

« GoHime: des voyageurs peiïsifs, rencontrant e 
c( chemin des gens inconnus, vers eux se toumeatsai 
« s*arrêter^ 

« Ainsi derrière nous, revenant avec vitesse et ai04 
c< dépassant, étonné je regardais une! troupe d'à» 
a silencieuse et dévote. 

ce Toutes avaient les yeux ténébreux et caves, laf» 
c< pâle, et le corps si décharné que sur les os la;pea 
Cl se collait \ » 

Perpétuellement elles tournent dans le cercle o< 
tourmentées de la soif et de la faim, passant et repa 
sant devant rarbre chargé de fruit et arrosé d'une ei 
limpide, leur désir excité toujours, jamais satisfai 
est la peine qui les purifie du péché; de gourma 
dise. 

Reconnu de Forese, un de ses amis mort depu 
peu, Dante le reconnaît à son tour, malgré son visa] 
défait, et sans cesser d'aller ils s'entretiennent e 
semble : Forese lui nomme plusieurs ombres. L'ui 
d'elles est Buonagiunta, un des rénovateurs de la po 
sie vulgaire, effacé bientôt par des poètes plus récent 
parmi lesquels il désigne Dante lui-même. Il veut s 
voir pourquoi ni lui ni Guittone n^ atteignirent jamc 
ce doux atyle nouveau. Dante lui explique la cause 

* Ibid,, ch. XXIII, terc. -M. 



introduction; 195 

subsiiluant la recherche de l'esprit aux expressions 
du cœur, ils manquèrent de naturel et de yrtvilé. 

« — Qui outre-passe pour plaire davantage, répond 
«Buonagiunta, plus ne reconnaît la ditTérenoe de 
«l'un à l'autre style. Et, semblant satisfait, il se 
ft tut ' . » 

Notre dessein en rappelant cet épisode, singulier 
peut-être en un tel lieu, est de montrer combien Dante 
asurépandre la variété dans son poëme, qui embrasse 
toutes les connaissances, toutes les idées du siècle où 
il vécut, depuis les théories philosophiques et scienti- 
fiques, jusqu'aux principes de Tart et aux préceptes 
du goût. 

Après cette digression vient une scène de tendresse 
entre les deux amis, pleins, là encore, du vif souvenir 
delà patrie, et attristés des maux qui la menacent. 
Forese en accuse surtout le chef des Noirs, Corso Do- 
nati, qui, plus tard, fuyant la fureur du peuple, tomba 
de cheval et périt, traîné par Tanimal fougueux. 

Celle mort future, prédite en la région des ombres, 
a, dans la peinture qu'en fait le Poëte, quelque chose 
du rêve, et n'en est que plus terrible. On est à la fois 
sur la terre, en enfer; on voit passer comme deux fan- 
tômes la cavale et celui qu'elle traîne; on entend' le 
galop précipité de la bêle^ qui va toujours^ toujours 
flmvitô^ emportant le damné vers la vallée où ne s-ef- 

*PurgaL, ch. xxiv, terc. 21. 



196 INTRODUCTION. 

face nulle coulpe. Là reste le corps hidensement 
broyé, et Tâme s*abîme dans le gouffre éternel. 

« Gomme les oiseaux qui hivernent vers le Nil, 
« quelquefois se rassemblent en troupe, puis volent 
c( avec plus de hâte à la suite Tun de Tautre; 

c( Ainsi toute la gent qui était là, se tournant hâta 
« le pas, légère par maigreur et par vouloir. 

ce Et, comme celui qui est las de courir laisse aller 

ses compagnons, et doucement va, jusqu'à ce que la 

poitrine ait cessé de haleter, 

ce Ainsi Forese laissa partir le saint troupeau , et 
« derrière moi il venait, disant: — Quand te rever- 
a rai-je ? 

« — Je ne sais, lui répondis-je, combien j'ai à vi- 
ce vre; mais ne sera, certes, si prompt, que par mon 
« vouloir plus tôt je ne sois à la rive; 

« Car le lieu où pour vivre je fus mis, de jour en 
«jour plus maigre de bien, paraît près d'une triste 
« ruine. 

« — Or, va, dit-il; celui à qui le plusen est la faute, 
« je le vois à la queue d'une bêle, traîné vers la vallée 
a où jamais ne s'efface la coulpe; 

c< La bête à chaque pas va plus vite, et toujours 
a plus vite, jusqu'à ce qu'elle le brise, et laisse le 
ce corps hideusement broyé * . » 

Au-dessus de ce cercle est celui où les âmes, dam 

* Purgat.y ch. xxiv, terc. 22-50. 



' INTRODUCTION. 197 

le fm et la soifj expient le péché de Luxure. Avant 
d'aller plus loin, il faut que Dante lui-même traverse 
le feu purificateur, et, comme saisi de crainte, il hé- 
site; Virgile Tencourage, en disant : « Mon fils, entre 
«Béatrice et toi est ce mur K » Puis, le précédant et 
priant Stace de le suivre, ils entrent dans la flamme 
qui brûle sans consumer. 

« Quand je fus dedans, dit le Poëte, je me serais 
«jeté dans du verre bouillant pour me rafraîchir, tant 
« Tardeur était là sans mesure *. » 

Guidés par une voix qui chantait: Venez ^ bénin de 
mon Père *, les voyageurs arrivent là où Ton mortait. 
La voix les averti t de ne se point arrêter, mais de h iter 
le pas, tandis que P Occident ne se noircit pas encore. 
Toutefois, malgré leur diligence atteints par la nuit, 
chacun d'eux se fait nn lit d'un des degrés de l'escalier 
taillé dans le roc, de sorte qu'entre les parois on ne dé- 
couvre qu'un espace resserré du ciel. Pendant que, par 
cette étroite fente, il regarde les étoiles, c< plus bril- 
«lantes et plus grandes que d'ordinaire elles ne le 
«paraissent, » Dante est pris de sommeil, et voit en 
songe une dame jeune et belle, cueillant dans une 
prairie des fleurs pour en faire une guirlandç. Elle 
se nomme elle-même dans un chant plein de grâce et 

*Purgat.f ch. xxvii, terc. 12. 

* Ibid., terc. 17. 

' Venite, bencdicti Patris mei. — Matt. xxv, 54. 



19. ÏKTROOT'CTIOBr. 

do douceur : c^est Lia, symbole de 1-actioiï, commesa 
iiœuT Hachel Test de la vie conteinpiative; Cependant 
le jour approche, et Dante se réveille^ 

c< Déjà devant les lueurs de Taube^ d'autan t. plus 
ce douces aux voyageurs que moins lointils sonl.deJa 
« patrie où ils reviennent, 

«Fuyaient de tous côtés les ténèbres > et a vee.elieË 
mon sommeil; pourquoi je n>e levai ^ voyast lee 
c( grands Maîtres déjà debout i 

c( — Ce doux fruit, que, sur tant d6;ranieauxy va 
c( cherchant le souci des mortels, aujourd'hui apaisera 
<( ta faim. 

« Ces paroles m'adressa Virgile^, et jamais don n£ 
« fit un plaisir égal. 

c( Tant désir sur désir il me vint d'être en haat, 
c< qu'à chaque pas ensuite, pour voler, je me sentais 
« croître les ailes. 

ce Lorsque tout l'escalier, au-dessous de noius, e»i 
c( été parcouru, et que nous fûmes sur la dernière 
c< marche, Virgile sur moi fixa ses yeux, 

<c Et dit : — Tu as vu, mon. fils, le feu temporel et 
c( Tétemel, et tu es parvenu en un lieu où par moi*- 
« même plus rien je ne discerne^ 

« Par industrie et par art ici je t-ai amené; prends 
« maintenant ton bon plaisir pour guide; tu es hors 
c( des routes escarpées, hors des voies étroites. 

a Vois le ciel qui reluit devant toi; vois Therbe, les 



ÎNTRUDUCTION. 19î> 

K fleurs et les arbustes que cette terre produit d'elle- 

a même. 

c< Tandis que vers toi viennent les beaux yeux dont 

a les larmes meJBrent venir à toi, tu peux t*asseoir> 
Cl et ensuite aller à travers ces campagnes. 

c( N'attends plus mon dire ni mon signe; droit et 
(( sain est ton libre arbitre, et ce serait une faute que 
« de ne pas agir suivant son jugement. 

« Ce pourquoi, souverain de toi-même je te coû- 
te ronne et te mitre *. » 

Dante a péniblement traversé deux mondes : le 
monde inférieur, où le crime sans remords engendre 
une souffrance stérile; le monde intermédiaire, où la 
souffrance unie au repentir relève l'être déchu. De 
tous ses labeurs, quel sera le prix? La liberté. Désor- 
ïnais souverain de lui-même, il est roi, pontife, il ne 
dépend que de soi dans ses actes comme dans ses 
Pensées. Magnifique symbole de Ihumanité , du but 
qu'assignent à son développement les éternelles lois 
de Tordre éternel. 

Ici se termine la mission de Virgile. Il a conduit 
Daate au sommet du mont, à l'entrée de la demeure 
primitive de l'homme, d'où l'exclut lui-même un ir- 
révocable décret. Dante, du front de qui les sept P 
tracés par l'ange ont été effacés, peut maintenant y 
pénétrer seul, sans craindre de s'égarer. 

^Purgat.y ch. xxvii, leic. 57-47. 



I r 



' m ^ INTRODUCTION. < 

<c Désireux de reconnaître, au dedans et autour, la 
c< divine forêt épaisse et verdoyante qui aux yeux tem- 
« pérait le jour nouveau, 

« Sans plus attendre je laissai le sentier, et lente- 
ce ment, lentement je pris par la campagne qui allait 
« s'élevant, et d*où s'exhalait une suave senteur. 

a Un léger souffle, toujours le même, me frappait 
« le front, pas plus qu'un doux vent, 

c< Par lequel les rameaux agités se courbaient tous 
c( du côté où le saint mont projette sa première 
« ombre. 

a Tant néanmoins ne s'inclinaient-ils, que les petits 
<c oiseaux cessassent d'exercer tous leurs arts sur les 
« cimes; 

ce Mais avec des chants de joie, ils recueillaient les 
« premiers souffles entre les feuilles , qui tenaient le 
« bourdon dans leurs concerts, 

c< Tel que celui qui se forme, de rameau en rameau , 
a dans la forêt de pins, sur le rivage de Ghiassi, quand 
« le scirocco se déchaîne au dehors ^ » 

Près d'un ruisseau dont tes petites ondes ployaient 
Hierbe croissante sur ses bords y il rencontre 

ce Une dame, qui seulette allait chantant, et cueil- 
c< lant, çà et là, des fleurs dont était diapré son che- 



c< min *. » 



* Purgat. , ch. xxviii, terc. 1-7 . 

* Ibicl.y terc. 14. 



INTRODUCTION. 201 

Celte dame est Mathiide, celle qui dota TÉglise ro- 
maine (le ses vastes possessions dans Tllalie centrale. 
De Tautre côté du ruisseau, Dante engage avec elle un 
entretien où se trouvent exposées, à propos de la terre 
telle qu*elle est, et telle qu'elle élait avant le péché, les . 
idées reçues alors en physique. 

Cette campagne sainte, pleine de toutes semences, 
a en elle un fruit qui ne se cueille point ici, le fruit 
de Tarbre de vie. Elle est arrosée par les eaux d'une * 
source qui se renouvelle d*elle-même, et se divise en 
deux fleuves appelés Léthé et Eunoé. Le premier pos- 
sède une vertu qui ôte la mémoire du péché; l'autre 
rend celle du bien qu'on a fait. 

ce Les antiques poètes qui chantèrent Tâge d'or et 
« ses félicités sur le Parnasse, songèrent peut-être de 
« ce lieu . 

a Innocente ici fut l'humaine racine; ici un prin- 
ce temps perpétuel et toutes les sortes de fruits: ce 
ce fleuve est le Nectar dont tous parlent \ » 

Cela dit: c< chantant comme une femme éprise d'a- 
ce mour : Beati quorum tecta sunt peccata % » 

a Elle se mut remontant le fleuve le long de la rive, 
c< et moi comme elle, dit le Poète, à petits pas suivant 
c< ses petits pas; 

Cl Et entre les siens et les miens il n'en était pas 

* Piirgat.f ch. xxviii, terc. 47 et 48. 

« Heureux ceux dont les péchés ont été couverts. — PB, xxxi. 






■Î02 INTROnUCTIOK. 

t( cent, lorsque les bords également se t^urbèrent , de 
« sorte que je marchai vers le Levant. 

« Longtemps ainsi nous n'avions pas cheminé , 
<( quand la Dame vers moi se tourna, disant : — Mon 
« frère, regarde et écoute! 

et Et voilà que, soudain, traversa déboutes paris la 
<ît grande forêt une lueur telle que je doutai si ce n*é- 
« tait pas un éclair. 

c( Mais comme l'éclair brille <et s'éteint au même 
« instant, et que cette lueur durait, resplendissant de 
«plus en plus, en mon penser je disais : — ^Qu'est ceci? 

ce Et dans l'air lumineux s'épandait une doucemé- 
« lodie, d'où, pris d'un juste zèle, je gourmandai la 
c< hardiesse d'Eve, pensant 

« Que là où obéissaient la terre et le ciel, une fem- 
« melette seule, et qui venait d'être créée, ne souffrit 
« pas d'être enveloppée d'un voile, 

« Sous lequel si, pieuse, elle était restée, je joui- 
« rais de ces ineffables délices, goûtées une première 
«fois et bien d'autres fois. 

c( Tandis que, ravi, j'allais à travers tant de pré- 
« micas du plaisir éternel, et désirant plus de joies 
«encore, 

« Devant nous l'air devint tel qu'un feu ardent, sous 
«les verts rameaux; et déjà comme un chant le doux 
« son était entendu '. » 

* Purgat., ch. xxix, terc. 1-12. 



' s 



ihtrodugtioi!. ,m 



On vient de lire les dernières lignes tracées par ia plume 
cloquenle de Lamennais. Au seuil de la seconde Cantique 
et<de la troisième, s'arrête, scellé pour jamais des mains de 
la mort, le plus magniGque conmientaire que la Trilogie 
Dantesque ait dû à ses innombrables interprètes. 

Fallait-il laisser inachevé, tel qu'il était resté dans les 
niains glacées du laborieux ouvrier, ce monument impéris* 
sablé? Et, si on voulait, non certes le parfaire,mais du moins 
€n marquer jusqu'au bout le dessein primitir,en indiquer le 
plan, — comme font les adeptes dans l'art de Yitruve et de 
Panadio,quand ils restituent un édifice partiellement exhumé, 
^à quel successeur demander le complément d'un travail 
<Hi«'est si fortement empreint le génie d*un maître? Telles 
ont été les questions qui se posaient devant nous. 



2tt4 INTRODUCTION, 

Nous aurions accepté la première des deux alternative 
si nous nous étions senti le droit d'espérer que notre re 
pect pour l'œuvre magistrale ne nous serait reproché p 
personne comme une négligence coupable, un oubli ( 
devoirs sacrés. 

La seconde nous plaçait en face d'une tentative que,poi 
notre compte personnel, nous eussions regardée comn 
une espèce de sacrilège. 

Un moyen terme s'est offert, qui, s'il n'est pas approu' 
de tous, ne saurait en aucun cas mériter à l'éditeur d 
Œuvres posthumes de Lamennais^ ni le reproche d'avo 
négligé sa tâche, ni celui d'avoir trop présumé des droi 
que le choix d'un ami semblait lui donner. 

Parmi les nombreux ouvrages consultés par Lamennai 
est un volume anglais sur la Littérature de Vltalie depu 
r origine de la langue italienne jusqu'à la mort de Boccaa 
L'auteur, M. Léonard-Francis Simpson, a essayé, lui-ausi 
une analyse détaillée du poëme de Dante. Son travail, bi( 
moins étendu que celui de Lamennais, embrassé d'une vi 
moins haute, nourri d'une science bien moins variée, € 
cependant une œuvre consciencieuse et d'utile emploi. 

Ainsi l'avait jugé Lamennais. Cette approbation nous ( 
une garantie qu'en plaçant ici la portion de l'analyse a 
glaise qui nous conduit, pas à pas, jusqu'aux derniers chat 

* Nous traduisons littéralementle titre de ce volume, publié à Londn 
en 1851 , chez Téditeur Bentley. 



INTRODUCTION. 205 

de l'épopée italienne, nous ne commettons, envers la mé- 
moire de notre illustre ami, aucune irrévérence que, vivant, 
il eût désapprouvée. Nous espérons également que M. Simp- 
son voudra bien nous excuser de réunir ainsi, — non sans 
)éril, mais non sans gloire pour lui, — un fragment de son 
ivre à V Introdtiction de Lamennais. 

Le public enfin, juge en dernier ressort de nos intentions 
)i de nos actes, devra comprendre et nos scrupules et le 
)arti qu'ils nous ont fait adopter. 

E. D. F. 



LE PURGATOIRE 

(suite) 

... Le Poète croit distinguer dans Tespace, au loin, 
sept arbres d'or, mais il constate que ce sont sept can- 
délabres , à ce point resplendissants qu'ils semblent 
ïttlanl de lunes. Des personnages vêtus de blanc, sept 
arcs-en-ciel tracés sur l'azur, vingt-quatre vieillards 
du plus noble aspect couronnés de fleurs de lis, quatre 
Minimaux mystiques décorés de feuillages verts et dont 
chacun a six ailes couvertes d'yeux (symbole pour 
l'explication duquel Dante renvoie au livre d'Ezéchiel) , 
escortent un char triomphal traîné par un griffon , à 
la fois oiseau et quadrupède. Le char de Phœbus est 



"906 INTRODUCTION. 

éclipsé par les splendeurs de celui-ci. Trois femmi 
dansent à sa droite , quatre s'ébattent à* sa gauche : 

« Trois dames venaient dansant en rond du côté ( 
« la roue droite ; Tune si rouge , que dans le fcn 
« peine la discernerait-on ; 

c< L'autre , comme si les chairs et les os eussentéi 
a d'émeraude; la troisième, semblable à 'la neige qi 
« vient de tomber • » 

a A gauche, quatre autres, velues defiouFpre, nu 
« naient leur danse à la suite de l'une d'elles qui 
« la têle avait trois yeux. » 

Suivent deux vénérables vieillards dont l'un port 
une épée, puis quatre personnages d'humble apps 
rence ; puis un vieillard seul (saint Jean) plongé dan 
un sommeil extatique S 

Au sein d'un chœur éclatant, entonné par ceo 
messagers d'amour qui chantent, en jonchant le sol d 
fleurs , leur hymne de joie , et parmi la pompe de c 
magnifique cortège, apparaît enfin Béatrix appelée i 
guider le Poëte, du Paradis terrestre qu'il vient à 
dépeindre, au véritable Paradis, ciel des cieux, empj 
rée divin. 

On a reconnu , sous ce langage figuré , le tableai 
tracé par Dante de l'Église et de ses formes essentiel 
les. On a vu qu'il puisait à pleines mains dans leî 
Révélations de saint Jean. Les sept candélabres reprc 

* Le sommiùl de TÂpocalypse. 



INTRODUCTION. 207 

entent, ou les sept églises d'Asie , ou les sept grâces^ 
leTËsprit saint. Les vingt-quatre vieillards sont les 
ingtrquatre livres de TÂncien Testament; on suppose 
ne le char est le trône de saint Pierre; les quatre ani- 
oaux mystiques symbolisent les quatre évangélistes. 
adouble nature du griffon est une allusion à la dou- 
le nature de THomme-Dieu qui sau^a le monde. Les 
Pois nymphes de droite sont les verlus théologales; 
a&quatre de gauche , les vertus cardinales , marchant 
aos la direction de la Prudence. Suivent saint Luc et 
aint Paul , Tun sous le costume de médecin , Tautre 
tnné d'une épée , pour montrer que la Clémence et la 
ttstice doivent servir d'étais au trône de saint Pierre- 
mimè au trône de Dieu lui-même. Enûn viennent, 
es grands docteurs de l'Église précédant Béatrix -— 

m la Théologie. 

Cette dernière apparition et l'élan passionné que- 
Atnte ressent devant elle , les souvenirs de jeunesse 
piefait refleurir en lui l'aspect de cette forme adorée, 
constituent ui| des plus beaux fragments de tout Id! 
poëffle. 

ft J'ai vu au point du jour l'orient tout» rose, et le- 
(n reste du ciel orné d'une douce sérénité, 

« Et le soleil naître voilé d'ombres , de sorte que. 
ft l'œil pouvait longtemps en soutenir l'éclat tempéré, 
«parles vapeurs. 

ft Ainsi dans une nuée de fleurs qui s'épanchaient. 



208 INTRODUCTION. 

« des mains angéliques et retombaient en bas, dedans 
a et dehors, 

« Sous un voile blanc, couronnée d*olivier, m'ap- 
« paraît une dame revêtue d'un vert manteau et d'une 
« robe couleur de flamme vive. 

« Et mon esprit qui depuis si longtemps déjà n'avait, 
« tremblant , éprouvé la stupeur que me causait sa 
« présence, 

« Sans davantage la reconnaître des yeux, par une 
« vertu occulte qui d'elle émana, de l'ancien amour 
« sentit la grande puissance.» 

Dante, alors, jette un regard en arrière, espérant 
revoir Virgile; mais son Guide a soudainement dis- 
paru. Béatrix lui adresse des reproches de négligence 
qu'il faut interpréter dans un double sens : le premier, 
ayant traita la théologie dont il a délaissé l'étude; le 
second , à son premier amour dont il a outragé le sou- 
venir en se mariant après la mort de celle qui en était 
l'objet. Cependant, Béatrix pardonne. Cette dame (Ma- 
thilde) qu'il avait vue sur l'autre bord du courant 
mystique, Timmerge dans les eaux du Léthé, — car 
c'est bien le Léthé qui les séparait naguère, — et ce 
bain précieux lui ôte jusqu'à la ressouvenance du pé- 
ché. Elle lui fait boire les eaux de l'Eunoé , dont 1^ 
goût ravive en lui la mémoire du bien, qu'il avait per 
due en se plongeant dans le fleuve d'oubli. Purifié,, 
rajeuni grâce à ces eaux saintes, 



INTRODUCTION. fM 

« Je revins, dit-il, de la très-sainte onde, renouvelé 
«comme des plantes qu'une vie nouvelle a revêtues 
«d'un nouveau feuillage, 
« Pur et préparé à monter aux étoiles. » 
Donnant à entendre par là que la confession du pé- 
ché, accompagnée d'un vrai repentir, peut seule con- 
duire l'homme à la contemplation des choses célestes. 



LE PâBADIS 



Du sommet du Purgatoire — sommet où se trouve 
le Paradis terrestre — pour arriver au Paradis céleste, 
lePoëte n'a besoin que d'un coup d'aile. En un instant 
il se trouve transporté dans cette fortunée région, di- 
visée en dix cercles ou sphères. La Terre est immobile 
et forme le centre de l'univers, ce qui est, par paren- 
thèse, en contradiction avec la description donnée par 
Dante, dans sa première Cantique , du centre de notre 
planète. Il visite d'abord les sept planètes (la Lune , 
Mercure, Vénus, le Soleil , Mars, Jupiter et Saturne). 
Le huitième cercle est formé par les étoiles fixes; le 
neuvième est l'Empyrée; le dixième est le séjour de 
Dieu^ 

* Le dénombrement de M. Simpson n'est pas tout à fait celui que 
d'autres commentateurs ont donné, et que voici: la Lune, Mercure, 
Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne, la Sphère des étoiles fixes, le 
dernier Mobile, TEmpyrée. 



«0 INTRODUCTION. 

Le Paradis de Dante est à la fois historiffue, phi — 
losophique, mélaphysique , allégorique. On y constat 
une élude et une science profondes de rastronomie 
de la physique en général ; mais il faudrait un liv 
tout entier à remplir pour se risquer à en faine Tàna— 
lyse. 

Dante et Béatrix pénètrent dans la planète lunai 
comme un rayon de lumière s'introduit dans um 
masse d'eau. 

« Il me sembla que nous couvrait une nuée épaisse, 
« dense et polie , telle qu'un diamant que le soleil 
a frapperait. 

c< Au dedans de soi nous reçut la perle éternelle , 
« comme Teau, sans se diviser, reçoit un rayon de 1»- 
« mière. » 

La Lune est le séjour de ceux qui , après avoir Ésiit 
vœu de chasteté , se sont vus contraints à y renoncer*. 
Béatrix explique les taches lunaires. Dante apprend 
aussi que , répartis en différentes sphères , les élus 
n'en jouissent pas moins , les uns et les autres , d'u» 
bonheur identique. 11 demande s'il est possible d'es- 
pérer la rupture des vœux solennels. Béatrix lui répond 
en ces termes : 

c< Que les mortels ne se jouent point du vœu : soyez 
ft fidèles, mais à ce faire non imprudents , comme fut 
« Jephlé en sa première promesse, 

« A qui plus il convenait de dire : c< J'ai mal fait, » 



IMTRODVGTIOl^; Slf 

:< qu*ear la gardant faire pis; et aussi insensé tu trou- 
:< veras le grand chef des Grecs, 

« D*oâ Iphigénie pleura son beau visage , et sur soi 
K fit pleurer et les fous et les sages, qui ouïrent parler 
< d'un pareil culte. 

« Soyez , chrétiens , plus pesants à vous mouvoir ; 
X ne soyez point comme une plume à tout vent , et ne 
^< croyez pas que toute eau vous lave. 

« Vous avez le Vieux et le Nouveau Testament, et le 
c< Pasteur de TÉglise pour vous guider. Cela suffît à 
« votre salut. » 

Le Poète et sa sainte Amie pénètrent ensuite dans lai 
planète Mercure, séjour de ceux qui, sur la terre, n'onti 
eu en vue que la renommée et Thonneur. Dante y. 
écoute, de la bouche de Justinien, un rapide sommaire' 
des hauts faits d'armes qui firent rayonner le nom des 
Césars, et ne néglige pas cette occasion de se montrer* 
bon Gibelin en payant un large tribut d'éloges à l'Em- 
jpereur, duquel dépendait, selon lui, la régénération 
italienne. Béatrix explique la Rédemption du monde, 
par la mort du Sauveur. Ils montent ensuite au troi^ 
sième ciel, la planète Vénus. Dans ces transitions d'un 
cercle à l'autre, le sourire et la physionomiede Béa- 
rix deviennent de plus en plus radieux; changement 
iraduel qui s'explique en ce sens qu'une gloire et une 
}ree toujours accrue sont le partage de l'intellect hu- 
lain adonné à l'étude des choses divines. 



• t 



212 INTRODUCTION. 

Vénus est le séjour des amants qui , d'abord coi 
blés, ont finalement épuré la passion dont ils éta 
consumés, et Tout fait tourner au profit de la ve 
Par un caprice poétique assez étrange , Dante , c 
tout ce chant , dévie de la théologie chrétienne 
semblait devoir être ici son unique source d'insp 
tions, et recourt, dans le choix de ses exemples, 
mythologie grecque. 

Le Soleil que Dante, en vers sublimes, décrit aii 
a Le plus grand ministre de la nature, qui de la V( 
du ciel empreint le monde, et avec sa lumière r 
mesure le temps, » est la quatrième planète oi 
conduit Béatrix. Elle est le séjour des grands thé 
giens , flambeaux de TÉglise : saint Thomas d*Âq 
y raconte au Poëte Thistoire de saint François, et 
sont certains doutes que Dante avait conçus relat: 
ment à Tétat de l'homme après sa mort. 

Dans la planète Mars , ou le cinquième ciel , résid 
ceux qui ont vaillamment combattu pour la cause 
la vraie Foi . Leurs corps lumineux dessinent une ci 
flamboyante, emblème de la crucifixion du Sauve 
Un de ces esprits, Cacciaguida , Tancêtre de Dan 
lui raconte son histoire, et compare Florence t 
qu'il l'a connue à la Florence actuelle , expliqu 
son ancienne élévation et sa décadence présente pa 
pureté primitive et la corruption graduelle des mœ 
privées et civiques. Cacciaguida prédit au Poëte qi 



INTRODUCTION. 215 

sera banni , et lui annonce qu*il trouvera un refuge 
chez Jes seigneurs de la Scala. C'est par cette prophétie 
après coup que Dante paye sa dette de gratitude, et rc- 
coDDaît rhospitalité qu'il reçut, à Vérone, d'AIboïno 
et de Can Grande. Godefroy de Bouillon et d'autres 
guerriers illustres sont cnumérés parmi les habitants 
de la planète Mars. 

Un changement soudain dans la physionomie de 
Béalrix apprend à Dante qu'il vient d'entrer dans la 
planète Jupiter. Ici les corps lumineux répandent au- 
tour d'eux un éclat argenté ; ils dessinent la forme 
d'un aigle. Une des pupilles de cet aigle d'argent est 
l'esprit du roi David. D'autres souverains, renommés 
pour leur justice, habitent la même planète. Avec eux 
se discutent plusieurs points de la foi chrétienne ou- 
verts à la controverse : par exemple, la possibilité du 
salut pour ceux qui n'ont pas eu la vraie foi; l'ineffîca- 
citéde la foi sans les œuvres, etc. L'avis solennel donné 
aux hommes, de ne pas cherchera sonder l'origine 
impénétrable des décrets divins, couronne ces recher- 
ches ardues. 

Le septième ciel , ou la planète Saturne , est la ré- 
sidence de ceux qui ont passé leur vie dans la retraite 
et la contemplation des vérités religieuses. Là, sur 
une échelle d'or si haute que son sommet se dérobe 
à la vue, montent et descendent incessamment les es- 
prits glorieux. 



914 IKTRODUGTIOn» 

« .... Parce qu'elle (la dentière sphère) n'est point 
« dans le lieu et n*a point do pôles, et jusqu'à eUfc 
a atteint notre échelle , d'où vient qu'à ta vue elle se 
c< dérobe. Le patriarche Jacob l'a vue jadis avancer 
« jusque-là ses degrés chargés d'anges lumineux. » 

Dante, ici , censure en termes acerbes la vie de 
luxe et d'indolence que mènent quelques pasteurs efl 
quelques prélats; — il lance une invective éloquente 
contre la corruplion des ordres monastiques. 

Le Poète , encore guidé par Béatrix , s'élève dans h 
huitième ciel y celui des étoiles fixes. Une fois là , si 
sainte Amie lui ordonne de jeter un regard au-dessou: 
de lui, sur l'univers dont il embrasse l'ensemble. Pla^ 
sur la constellation des Gémeaux, Dante contemple le 
planètes qu'il a traversées, et sourit devant la petitesa 
de ce globe terrestre, « ce petit point qui nous rends 
orgueilleux. » C'est là un des passages du poëme o' 
le souffle puissant du génie se fait le mieux sentie 
C'est une grande conception que l'immensité de l'e^ 
pace, telle que Dante l'a comprise et décrite. Son rc 
gard , de la terre qu'il abandonne , se reporte sa 
Béatrix , dont les yeux plus que jamais resplendir 
sent^ 

c< Vois, s'écrie ce Guide céleste, le cortège triompha 
du Christ , ces légions d'âmes bienheureuses , et le^ 
Splendeurs animées qui entourent la Vier^re-Mère. ^ 

* Poscia rÎYolsi gli occhi agli occhi beUi. 



IRTHODUCTIOIf. il5 

&8 splendeurs éblouissent les yeux du Poète. La joie 

)ai rayonne sur le front de Boairix possède un éclat 

4nt aucune parole humaine ne saurait donner l'idée^ 

Divers points de foi sont encore discutés avec saint 

l^ierre, saint Jacques et saint Jean. Saint Pierre ne 

iHanque pas de récriminer avec vigueur contre Tavi- 

«Uté des successeurs qui l'ont remplacé sur le trône 

pontifical. 

Béatrix accompagne ensuite Dante dans le neuvième 

delf où TEssence divine est encore dérobée à sa vue 

par les neuf hiérarchies angéliques. La céleste beauté 

dont resplendit Béatrix arrivée à cette région suprême, 

est décrite par Dante avec une ardeur qui montre 

attez à quel point son premier amour s'était profon- 

dâtnent enraciné dans son âme. Ébloui par les magni- 

fiœnœs qui Tentourent, le Poêle baigne ses paupières 

dans Tonde lumineuse d'un fleuve qui prend sa source 

tu pied du trône de Dieu. Doué par là d'une force 

Maille, car « Une lumière est là-haut qui rend visi- 

«ble le Créateur à cette créature qui dans sa vue 

«seule trouve sa paix, » il peut enfin contempler en 

îace les gloires de l'Empyrée. Sur des millions de 

ti^oes, rangés en cercles infinis , sont assis les esprits 

' Pareami, che ' 1 suo yiso ardesse tutto 
E gli occhi avea di letizia si pieni, 
^,| Che passar mi convien senza costrutto. 

(Paradiso, cant. xxiii, terz. 22.) 



«16 INTRODUCTION. 

bienheureux. Béatrîx lui montre un trône vacant , le- 
quel est préparé pour Tempereur Henri VII^ 

Puis elle le quitte pour aller prendre place sur un 
des trônes, et de là, du haut de sa gloire impérissable, 
elle laisse tomber sur lui un doux et bienveillant sou- 
rire. C'est le dernier qu'elle accorde à ce qui est ter- 
restre. Et désormais son regard se fixe vers la source 
de l'éternelle clarté. 

Saint Bernard montre alors au Poëte la Vierge Marie 
sur son trône , et les âmes des Bienheureux dont le 
nom est mentionné dans l'un ou l'autre des deux Tes- 
taments. Enfin, il est permis au Poète de jeter un re- 
gard sur le plus grand des mystères , l'union hypo- 
statique de la nature humaine et de l'être divin con- 
fondus en la personne du Christ. Il se trouve ainsi 
parvenu aux dernières limites du savoir que peut am- 
bitionner l'intelligence humaine, 

(( Mais point n'auraient à cela suffi mes propres 
« ailes, si mon esprit n'eût été frappé d'un éclair par 
« lequel s'accomplit son désir. » 

* Dante compare l'Empyrée à une rose éternelle, du blanc le plaspaTi 
dont les feuilles se disposent en cercle autour de ses pétales. 



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L ENFER 



t'INFERNO 



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L'ENFER 



CHANT PREMIER 

1. Au miUeu du chemin de notre Yie% ayant perdu la 
droite voie, je me trouvai dans une forêt obscure *. 

2. Ah I.que chose dure est de dire combien cette forêt 
était sauvage, épaisse et âpre, dans la, pensée cela renou* 
vêlant la peur. 

3. Si amère elle était, que guère plus ne Test la mort ; 
mais, pour parler du bien que j'y trouvai, je dirai les autres^ 
choses qui m*y apparurent*. 

4. Commentj'y entrai, je ne le saurais dire, tant j'étais 
plein de sommeil quand j'abandonnai la vraie voie. 



L'INFERNO 



CANTO PRIMO 



*^^ tiMno del eammin ifi nostra tita 
^J^^trovai per uns telva oscura, 
^«è la diriua Tia era smarrita. 

Q*^ qnaolo a dir quai em è cosa dnra 
Ck^^^ selva sèhras^ ed aspra e forte, 



s.Tanto^ra ainara, €h« poco è più moii» 
Ma per trattar del ben cli' i' vi tiUTai, 
Dirô deU* altre cose, ch* io ▼' ho scorte. 

4.r non so ben ridir com' io t' entrai; 
Tant' era pien di sonno \ti s\x ^\»\ \^viG&A, 
Che la verace ^îa abbaaDâAxoà. 



L^r* 



no l'ENFER. 

5. Mais, arrivé au pîed d une colline, là où se termina: 
ccttte vallée qui de crainte m'avait serré le cœur. 

6. Je levai mes regards, et je vis son sommet revêtu dé^ 
des rayons de la planète qui fidèlement guide en tout sec 
tier *. 

7. Alors apaisée un peu fut la peur qui jusqu'au fond (! 
cœur m'avait troublé, la nuit que je passai avec tant d'aa 
goisse. ' 

8. Et comme celui qui, sorti de la mer, sur la rive hala 
tant se tourne vers l'eau périlleuse, et regarde ; 

9. Ainsi se tourna mon âme fugitive pour regarder 
passage que jamais ne traverse aucun vivant'. 

10. Quand j'eus reposé mon corps fatigué, je repris ra 
route par la côte déserte , de sorte que le pied ferme ét^ 
le plus bas '. 

11. Et voilà, presque au pied du mont, une panthère açi 
et légère, couverte d'un poil tacheté '. 

12. Elle ne s'écartait pas de devant moi, et mecoup3 
tellement le chemin que plusieurs fois je fiis près de f* 
tourner. 

13. C'était le temps où le matin commence, et le sol^ 
montait avec ces étoiles qui l'entouraient, quand le divi 
Amour 



B'Ma poi ch' io fui appiè d' un colle giunto, 
Là ove terminava quella Talle, 
Cbe m'avea di paura il cor compunto, 

6.Guardai in alto, e vidi le sue spalle 
Yestite già de' raggi del pianeta, 
Ghe mena dirilto altrui per ogni calle* 

7.AIlor ta la paura un poco quêta, 
Che nel lago del cor m' era durata 
La notte ch' i' passai con tanta piéta. 

S.E corne quel, che con lena affannata 
Uscito fuor del pebgo alla riva, 
Si volge air acqua perigliosa, e guata; 

9, Cosi V animo mio, che ancor fuggiTa, 



8i Tolse indietro a rimirar lo passo, 
Che non lasciô giamraai persona viva. 

10. Poi ch' ebbi riposato il corpo luaot 
Ripresi via per la piaggia diserta. 
Si che il pi J fermo sempre era il più 1 

11. Ed ecco, qiusi al cominciar dell* erta, 
Una lonxa leggiera e presta molto, 
Cbe di pel maculato era coverta. 

IS.E non mi si partia dinansi al volto; 
Anxi impediva tanto il mio cammino, 
Ch' i' fui per ritomar più voUe tAIIo. 

lS.Temp' era dal principio del mattino: 
E il Sol montava in su con quelle sldl<^ 
Ch' eran con lui, quaudo rAmor divine 



CHANT PREMIER. . 221 

14. Mut primitivement ces beaux astres; de sorte qu'à 
l>iea espérer me conviaient le gai pelage de cette béte 
feiuve •, 

15. L'heure du jour et la douce saison: non toutefois que 
ne m'effrayât la vue d'un lion' qui m'apparut. 

16. II paraissait venir contre moi, la tête haute, avec une 
telle rage de faim que Tair même semblait en effroi. 

17. Et une louve ^® qui, dans sa maigreur, semblait por- 
ter en soi toutes les avidités, et qui bien des gens a déjà 
fait vivre misérables. 

18. Elle me jeta en tant d'abattement, par la frayeur 
qu'inspirait sa vue, que je perdis Tespérance d'atteindre le 
sommet. 

19. Tel que celui qui désire gagner, lorsque le temps 
amène la perte, pleure et s'attriste en tous ses pensers ; 

20. Tel me fit la bête sans paix ^^, qui, peu à peu 
s'approchant de moi, me repoussait là où le soleil se 
tait ". 

21. Pendant qu'en bas je m'affaissais, à mes yeux s'of- 
frit qui *' par un long silence paraissait enroué. 

22. Lorsque, dans. le grand désert, je vis celui-ci : — 
Aie pitié de moi, lui criai-je, qui que tu sois, ou ombre 
d'homme, ou homme véritable. 



^ Voue da prima quelle oose belle : 
Si che a bene sperar m' era cagione 
IM qneUa fera la gaietia pelle, 

^L' ora del tempo, e la doice stagione : 
Va non si, che paura non mi desse 
U visla, che mi appanre, d' un leone* 

^QoesU parea, che contra me venesse 
Con la test' alta e con rabbiosa famé, 
Si ehe parea che 1' aer ne temesse : 

^"^'Bd ana lupa, che di lutte brame 
Sembiara carca nella sua magrezza, 
Smoltegenti fe già viver grame. 

^Qwsta mi porse tanto di gravezza 



Con la paura, ch* uscia di sua vista ; 
Ch' i' perdei la speranza dell' altezza. 

19. E quale è quei, che volentieri acquista, 
E guinge H tempo, che perder lo face, [ta; 
Che *n lulti i suoi pensier piange e s'attriH 

SO.Tal mi fece.la bestia senza pace, 

Che, venendomi incontro, a poco a poco 
Hi ripingeva là, dove '1 Sol tace. 

ti . Mentre ch' io ruinava in basse loeo, 
Dinanzi agli occhi mi si f u offerte 
Chi per lungo silenzio parea fîoco. 

tS'Quando vidi costui nel gran diserte, 
Miserere di me, gridai a lui, 
Quai che tu sii, od ombrai, cA >aa(BA cieA» 



522 L'ENFER. 

23. n me répondit : <c Homme ne suis*^, jadis borom 
je fus, et mes parents étaient Lombards, et tons deux eo 
rent Mantoue pour patrie. 

24. « Je naquis stû) Jtdio ^^, bien que tard , et vécus 
Rome sous le bon Auguste, au temps des dieux faux c 
menteurs. 

25. c( Poôte je fus, et je chantai de ce juste fils d'Anchisi 
qui vintxie Troie, après Tincendie du superbe llion. 

26. d Mais toi, pourquoi retournera tant d'ennui ?.Potti 
quoi ne gravis-tu point le délicieux mont, principe .et sourii 
de toute joie? » 

27. — Serais-tu ce Virgile, cette fontaine d'où coi» 
un si large fleuve du parler ? lui répgndis-je, la rougeur £ 
front. 

28. des autres poètes honneur et lumière ! que me se 
compté le long désir et le grand amour qui m'a fait ch(^ 
cher ton volume. 

29. Tu es mon maître et mon père : à toi seul je dois 
beau style qui m'a honoré. 

30. Vois labéte à cause de qui je me suis retourné : sag 
fameux, secours-moi contre elle, qui fait frémir mes vein- 
€t mon pouls. 

31 . « Il te faut prendre une autre route, répondit-S 
me voyant pleurer, si tu veux sortir de ce lieu sauvage; 



S5. RUjMwerai : Non nom ; «on» f& fui ; 
Bli parenti miei fimm Lombtu'di, 
B Manlovani per palria ambedui. 

t%. Nacqui sub Julio, ancorchë fosse tandi 
B vissi a Roma sotto il buono Âugusto, 
Al tempo degli Deî falsi e bujpardi. 

SS.Poeta fui, e cantai di quel giusto 

Fij^iiuol d'Aiichise, che venne da Troia, 
Poichë il superbo liion fu combtisto. 

sCMa tu perché rilorni a tanta noia? 
Perché non sali il diletloso monte, 
Ch' é priiicipio e cagiun di lutta gioia ? 

thO ! se' t» quel Virgilio, e qneUa Iweà^ 



Che spande di parkr si hrgo fioiae t 
Risposi hii oon rergogaen fl<oM«. 
S8.0 degli altri pocti onore e lume, 
Vagiiaroi il lungo studio e fl gtande 
Che in' han falto cerear k( tu»v«|inM. 

29. Tu se* lo mio maestro e il mJ9aotore: 
Tu se' solo colui, da cui f o tolu 

Lo bello stije, che m* ha fatio «inoM. 

30. Vedi la bestia. per cui i» mi ««Isi : 
Aiutami da lei, famoso saggio, 

cir elia mi fn tremar le vene e i poM. 
51. A le ccnvien tenere altra TÏaggio, 
Rispose, poi che lacrimar mi vide, 
Se vuoi canpar d'eslo loeoiselvagJs<o; 



CHANT PREMIER. 223 

32. c Car la bête qui excite tes cris ne laisse aucun passer 
par sa voie, mais tellement l'empêche, qu'elle le tue. 

33. a Et si méchante est sa nature, et si farouche, que 
Jamais son appétit n'est rassasié, et qu'après s'être repue, 
elle a plus faim qu'auparavant. 

o4. « Nombreux sontles animaux avec qui elle s'accouple, 
et plus le seront-ils encore, jusqu'à ce que yienne le Lé- 
'vrier *• qui tristement la fera mourir. 

35. a Celui-ci ne se nourrira ni de terre ni d'argent^*, 
mais de sagesse et d'amour et de vertu, et sa patrie sera 
«nlre Feltre et Feltre ". 

36. c( n sera le salui de cette humble Italie^* pour qui, 
blessés, moururent la vierge Camille, Euryale, et Tumus 
et Nisus. 

37. « De partout il chassera la louve, jusqu'à ce qu'il 
''ait remise en enfer, d*où premièrement la tira l'envie. 

38. « Je pense donc et juge que pour toi le mieux est de 
^^ suivre, et je serai ion guide, et hors d'ici je te conduirai 
pv un lieu étemel, 

39. c Où tu ouïras les hurlements du désespoir et verras 
les antiques esprits désolés, dont chacun à grands cris ap- 
pelle une seconde mort : 

40. a Et ceux qui dans le feu sont contents ^*, parce 
S^'ils espèrent venir un jour parmi les bienheureux, 



^S-Chë qnesta bestia, per la quai tu gride, 
^ bscia allnii passar per k aua via, 
^i tamo lo impedisce, che V uccide : 

^Ed ha natura si malvagia e ria, 

^be mai non empie la bramosa voglia, 
Bdopo U pasto ha più famé che pria. 

^^'^olii son gli animali, a cui s' ammoglia, 
^piùsaranno ancora, infin che il Veltro 
'^c'ii, che la fari morir di doglia. 

^Querti non ciberâ terra ne peltro, 
^* sapienza e ainore e virtute, 
i^suanazion sarà Ira Feltro e Feltro* 

^Diqueil' umile Italia Ha salute, 



Per cui mori b vergine Camilla, 
Euriak», aTumo, e Niso di ferute : 
37. Questi la caccerà per ogni villa, 
Fin che l' avrà rimessa neil' infemo. 
Là onde invidia prima dipartiUa. 

S8. Ond* io per lo tuo me' penso e discerno, 
Che tu mi segui, ed io sarù tua guida, 
Ë trarrolti di qui per loco etemo, 

S9.0v' udirai le disperate strida, 
Vedrai gli antichi spiriti dolenti, 
Che la seconda morte ciascun grida ; 

40. E vederai color che son conlenti 
Nel Tuoco, perchù speran di venire, 
I Quando che sia, aile bea\e %«q\\*. 



M4 L'ENFER. 

41. « Vers qui ensuite, situ veux monter, te guidera 
Ame plus digne de cela que moi. Avec elle en partant je 
laisserai, 

42. a Parce qu'à sa loi ayant été rebelle, le Roi quirègi 
là-haut ne veut pas que par moi Ton vienne en sa cité. 

45. « Partout il commande, et de là ^ il régit : là est 
demeure et son trône sublime. Heureux celui qu'à ce séjour^ 
il a élu ! » 

44. Et moi à lui : — Poëte, afin que je fiiie ce mal et i 
des maux pires '^, je te demande, par ce Dieu que tu a'as 
point connu, 

45. De me conduire là où tu viens de dire, pour que j® 
voie la porte de saint Pierre, et ceux que tu représentes ^ 
tristes. 






Alors il se mut, et je le suivis. 



il. Aile qua' poi se tu voirai salire. 
Anima fia a ciô di me più degna ; 
Con lei li lasccrô nel mio partira : 

il.Chè quello Imperador, che lassù régna, 
Perch' i' fui ribellante alla sua legge, 
Non vuol che in sua città per me si vegna. 

45. In tutte parti impera, e quivi regge, 
Quivi è la sua cittade e 1' alto seggio : 
felice colui, cui ivi eleggel 



44. Ed io a lui : Poetâ, V M richieggio 
Per quello Iddio che tu non cou 
Accioch' io fugga questo maie e 

45. Che tu mi meni là doT'or dic«&ti, 
Si ch* io vegga la porta di San 
E color che tu fai cotanto mestL 



Allûr si mosse, ed io gU team 



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L ENFER 



t'INFEKMO 



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13 



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^ i ' L'EMrEB. 

12. Une certaine analogie entre les sensations perçues par les dtrers sens, 
a introduit dans toutes les langues des locutions semblables. On trouve chei 
les Latins : Clarescunt sonituSy rumore accensm amaro, voîvitur ater odor^ 
•etc. Nous disons aussi une voix sourde^ un doux rayons une brillante har- 
monUy une teinte chaude. 

13. Dans notre vieille langue si libre et si riche, comme dans l'italien, 
qui s'employait pour quelqiCun quiy et nous avons encore certaines locutions 
analogues. Les vers suivants expliquent pourquoi le Poëte a dû se servir 
d'une expression vague pour désigaer Virgile. 

14. Sous Jules César. 

15. Gan Grande délia Scala. Can, cane, signifie chien. D'autres pensent 
^u'il s'agit d'Uguccione délia Faggiola. 

16. Il faut se souvenir que c la louve » représente l'avarice. . 

17. Les interprètes diffèrent sur la situation de ce lieu, suivant qu'ils 
voient dans a le lévrier » Gan délia Scala, ou Uguccione deila Fuggiola. 

18. La partie basse de l'Italie, près de la mer, autrefois appelée JuUium^ 

19. Les âmes du Purgatoire. 

20. c De sa cité, » c'est-à-dire du Ciel. 

21. Le « mal qu'il veut faire, > ce sont les vices représentés par Iftfoi'èl. 
sauvage, épaisse et âpre, où il est engagé; les <( manz pires, » sont 
châtiments éternels auxquels ils le conduiraient 



1 

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L ENFER 



t'INFERMO 



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228 L'ÉNPER. 

7 . A l'égard de celai qui de Tauguste Rome et de son em- 
pire fut élu père dans le ciel; 

8. Laquelle et lequel furent, à dire vrai *, établis 
pour être le lieu saint où siège le successeur du grand 
Pierre. 

9. Durant ce voyage dont tu le glorifies '^, il entendit 
des choses qui furent cause de sa victoire et du manteau - 
papal. 

10. Puis y monta le vase d'élection ^, pour en rapporter 
confort à cette foi, principe de la voie du salut. 

11. Mais moi, pourquoi y viendrais-je ? ou qui le per- 
met? Je ne suis ni Énée, ni Paul : digne de cela ni moi ni 
aucun autre ne me croit. 

12. Si donc je me résous à venir, je crains que folle ne 
soit ma venue. Tu es sage et m'entends mieux que je ne 
discours. 

13. Et tel que celui qui ne veut plus ce qu'il voulait, et 
par nouveaux pensers, changeant de dessein, renonce à 
commencer, 

14. Tel devins-je sur cette côte obscure, abandonnant, en 
y pensant, l'entreprise si vite commencée. 

15. « Si j'ai bien entendu ta parole, répondit cette omr 
bre magnanime, ton âme est atteinte de lâcheté : 



T.Hon pare indegno ad uomo d'inlelletto : 
Ch' ei fu dell' aima Roma e di suo impero 
Nell* empireo Ciel per padre eleito : 

8. La quale, e il quale (a voler dir lo Tero) 
Fur stabiliti per lo loco santo, 
Q'siede il succetsor del maggior Piero. 

t. Per quett' andata, onde gli dai tu Tanto, 
Intese cose cbe furon cagione 
Di sua Ttttoria e del papale ammanto. 

10. Andovri pui lo Vas d' elezione, 
Per recame eonforto a queUa fede, 
Ch' è principio alla via di salvazione. 

il. Ma io perché TeninriT o chi '1 concède T 



lo non Enea, io non Paolo tono : 
Me degno a ciô né io né altri crede. 

it. Perché, se del venire i' m* abbaadooo, 
Temo che h venuia non sa folle : 
8e' savio, e intendi meP ch* io ixm ragioMb 

18. B quale ë quoi, cbe dismol ciô che ^oBi^ 
E per noTï pensier cangia propoela. 
Si cbe del cominciar tutto si toUe; 

li.Tal mi fec' io in quelle oscura coala : 
Perché, pensando, consumai la impnm, 
Che fu nel cominciar cotanto tosta. 

18. Se io ho ben la tua parola intese, 
Rispose del Magnanime quell' oinbra« 
L' anima tua é da viltade offese : 



CHANT DEUXIÈME. K9 

16. c LaqneOe souvent, oppressant Thomme, le détourne 
d'une noble entreprise, comme une fausse vision l'animal 
ombrageux. 

17. a Pour te délivrer de cette crainte, je te dirai pour- 
quoi je suis venu, et ce que j'entendis quand premièrement 
j'eus pitié de toi. 

18. «J'étais parmi ceux qui sont en suspens*, lorsque 
m'appela une femme bienheureuse, et si belle que de com- 
mander je la requis* 

19. a Ses yeux brillaient plus que le soleil, et d'un parler 
suave et calme, avec une voix angélique, elle me dit : 

20. <c — âme courtoise du Mantouan, dont la renom- 
mée dure encore dans le monde, et autant que le monde 
durera : 

21. « Le mien ami, et non de la fortune, est, sur la pente 
déserte, tellement empêché dans le chemin, que de peur il 
s'est retourné : 

22. « Et je crains que si égaré il ne soit déjà, que tard 
je me sois levée pour le secourir, sur ce que j'ai de lui en- 
tendu dans le ciel. 

23. a Va donc, et avec ta parole ornée, avec tout ce qui 
sera de besoin pour qu'il échappe, aide-le, de sorte que je 
sois consolée. 



tt.La quai moUa fiate l' uomo incwnbra 
Si, che d' onrata impresa lo rivolve, 
Gome biao Tader bestia, quand' ombra. 

IT.Db queita tema acdoecbè tu ti sohre, 
Krotti poxh' io Tenni* • quel ch' io 'ntesi 
lel priiBM punto die di te mi doive. 

IlLIo era ira eolor cbe ion Mapesi, 
I donna mi dûamô beata e beUa, 
1U ebe di cooiandare io la richiesi. 

iULneevan g^ occhi auoi più che la Stella : 
E conrindommi a dir aoave e piana, 
Coq ai^eliea voce, in sua ftreUa : 



tO. anima eortete ManlOTana» 

Di cui la fama ancor nel monde dura, 
S durera quanto il monde lontana, 

tl.L'amico mio, e non della ventura, 
Nella diserta pbggia è impedito 
Si nel cammin, che Tolto è per paura 

5IS*E temo che non sia già si smarrito, 
Ch' io mi sia tardi al soccorso levata, 
Per quel ch' i' ho di lui nel cieb udito. 

SS.Or muovi, e con la tua parola omata, 
B con cid c* ha mestien al suo campare, 
L' aiuta si ch' io ne sia consolata. 



iiSO L'ENFER. 

24. <ïMoi qui l'envoie, je suis Béatrice : je viens d'un 
lieu où retourner je désire : m'a mue Tamour qui me fait 

parler. 

25. <i Quand je serai devant mon Seigneur, à lui souvent 
je me louerai de toi. » Alors elle se tut ; puis, moi je com- 
mençai : 

26. « femme de telle vertu**, que par toi seule l'hu- 
maine espèce s'élève au-dessus de tout ce que contient ce 

ciel dont les cercles sont plus étroits**; 

27. «Si agréable m'est ton commandement, que l'obéir, 
<léjà fût-il, me serait tardif : pas n'^st besoin de m'ouvrîr 
ion vouloir davantage. 

28. (( Mais dis-moi pourquoi tu ne crains pas de des- 
cendre en ce centre infime, de l'ample lieu où tu brûles 
de retourner. 

29. c( — Puisque si à fond tu veux savoir pourquoi ki 
dedans je ne crains pas de venir brièvement, je te le dirai, 
•me répondit-elle. 

50. « On ne doit craindre que les choses qui ont puissaoe» 
de nuire : les autres, non ; en elles, nul sujet de peur. . 

31 . c( Par sa grâce ainsi Dieu m'a faite que votre misère 
ne m'alteint pas, et que ne m'assaille point la fianune te 
cet incendie". 



S4. r son Béatrice, che ti faecio andare : 
Vegno di loco ove tornar diiio : 
Anior mi mosse, che mi fa pariare. 

SS.Quando larô dinanzi al Signor mioT 
Di te mi loderô sovente a lui* 
Tacelte allora, e poi coiiiinda' io : 

f6.0 donna di virtû, sola per cai 

L' umana spezie eccede ogni contento 
Da quel ciel, c'ha minori i cerchi sui : 

17. Tanto m' agfçrada luo comandamenlo, 
Che r ubbidir, se gH fosse, m' è tardi; 
Più non t' è uopo aprirmi il tuo talento. 



tS.lla dimmi Ui cagk», dit aan li 
Dello scender quai^giaao in 
Dali' ampio loco, ove tomar to 

29. Da che tu toi lapor eotanto 
Dirolti brevemente, mi rispaae, 
Perch' io non temo di vanir. qm 

80. Temer si deye sol di qneSe ooaa 
C hanno potensa di fara akrmk 
Dell' akre no, che non aoa pa 

SI. l' son fatta da Dio, sua mereè, 
Che la vostra miseria noa mi t. 
Hè fiaauna d* ealo «a ftn diff mm 



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4 



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CHANT DEUXIÈME. 351 

32. «Dans le ciel est une femme bénigne ^, qu'émcnt de 
tant de pitié Tempôchement où je t'enyoie, qu'elle a brisé 
là-haut le dur jugement. 

55. «Celle-ci, s'adressent à Lucia^^, Ta priée, disant : 
•— Maintenant a besoin de toi ton fidèle, et je te le recom- 
mande. 

34. « Lucia, ennemie de tout ce qui est cmd, vint au lieu 
où j'étais assise avec l'antique Rachel. 

35. c< Elle dit : — Béatrice, vraie louange de Dieu", que 
ne secours-tu celui qui t'aima tant que par toi il sortit de 
la troupe vulgaire ? 

36. «N'entends-tu point l'angoisse de sa plainte? Ne vois-tu 
point la mort qui le poursuit sur la rive des eaux débordées, 
l^s terribles que la mer? 

37. «Nul au monde si prompt ne fut jamais à faire son 
bien et à fuir son mal, qu'après ces paroles 

38. « Je le fus à venir ici-bas de mon heureux séjour, 
rine fiant au sage parler qui t'honore et ceux qui Tout ouï... 
I 39. « Lorsque ainsi elle eut dit, pleurant elle tourna vers 
I moi ses yeux brillants ; ce pourquoi plus encore je me hâtai 

de venir : 

40. « Et je vins h toi comme eUc le voulait, et te retirai 
de devant cette béte qui du beau mont te fermait le plus 
court chemin. 



[HOonoa è g«itil nel del, che ti compiange 
Bi questo impedhoento, ot* io ti mainlo, 
l Si die doro giudkîo lanù firaage. 

^ ^Qu^ chiese Liicia in suo diinando, 
E disse : Or abbisogna il tuo fedeie 
i Bi te, ed io a le io necoaiuido. 

r U>Liicia nimica di ciascun crudeie 
Si mosse, e venne al loco dov' io era, 
Clieim sedea con l' aiitica Racheté. 

iBOttse : Béatrice, loda di Dio vera, 
Che non soccorri quel che t' amù tanto, 
Ch* asdo per te délia volgare schiera ? 

pilon odi tu la piéta del suo pianto? 



Non vedi tu 1» morte dM '1 combatte 
Su la fiumana, ov' il mai* non ha vanto ? 

S7.A1 mondo non fur mai personc ralte 
A far lor pro, ed a fuggir lor danno, 
Com' io. dopo cotai parole faite, 

SS.Vanni quaggiù dal niio beato scanno, 
Fidandomi nel tuo parlareonesto, 
(j'h' onora te e quei che udito 1' lianno. 

39.Poscia che m' ebbe ragionalo qiiesto, 
GH occhi lucenli lagrimando volse ; 
Perché mi fuce del venir più presto : 

40.Ë venni a te cosi, cum' ella vobe; 
Dinanzi a quelia fiera ti levai, 
Che del bel monte il corto andar U IûVm. 



232 L'ENFER. 

41. «Qu'est-ce donc? Pourquoi, pourquoi t'arrétes-tu? 
Pourquoi héberges-tu tant de lâcheté dans ton cœur? Pour- 
quoi manques-tu d'ardeur et de courage, 

42. a Quand trois telles dames bénies ont souci de toi 
dans le ciel, et qu'un bien si grand te promettent mes pa- 
roles ? » 

43. Comme les tendres fleurs inclinées et fermées par la 
gelée nocturne, lorsque le soleil blanchit relèvent leur tige 
et s'ouvrent : 

44. Ainsi fut-il de mon courage lassé, et une ardeur si 
vive me revint au cœur, qu'avec hardiesse je dis : 

45. — compatissante celle qui m'a secouru ! et toi 
courtois, qui as si vite obéi à ses paroles vraies ! 

46. Tu m'as, enflammant le désir, tellement par tes pa- 
roles disposé le cœur au venir, que j'ai repris mon premier 
dessein. 

47. Va donc; à tous deux est un seul vouloir : toi guido, 
toi seigneur, et toi maître I... Ainsi lui dis-je, et lorsqu'il 
se mut. 

J'entrai dans le chemin profond et sauvage. 



il.Dunque che ë 7 perche, perché ristaïT 
Perché Unta viltà nel core ailette ? 
Perché ardire e franchezza non hai, 

4t.Po8cia che tai tre donne henedette 
Curan di te nella corte del cielo, 
E il mio parbr tanto ben t' impromette T 

4S.Quale i fioretti dal notlnmo gelo 

Chinati e chiusi, poi che M Sol gl' imbianca. 
Si drizzan tutti aperti in loro stelo ; 

44.Tal mi fec' io di mia virtute stanca : 
8 tanto buono ardire al cor mi corM, 
Ch' i' eominciai corne penona franca : 



iB.0 pietosa colei che mi •occone, 
E tu cortese ch' ubbidisti tofto 
Aile vere parole che ti porte ! 

i6.Tu m' hai con deaderio cor 
Si al Tenir, con le parole tue, 
Ch' io son tomato nel primo 



47.0r va, chè un toi toléra è d* 
Tu duca, tu ngnore e ta maetir». 
Gosi gli ditsi, e pokbè motso Am, 



Entrai p«r Io cammiB> aMo • iiliMUi* 



CHANT DEUXIÈVE. 



S."» 



NOTES DU CHANT DEUXIÈME 



1. Les fatigues du chemin, et les angoisses de la pitié que lui inspireront 
les tourments qu'il verra. 

2. Qui représente fidèlement les choses vues. 

3. Énée. 

4. Dieu. 

5. Uhomme d'intelligence comprend qu'il n'y a rien là qui ne soit digne 
de la Sagesse suprême. 

6. Ces mots indiquent le but final des faveurs accordées à Énée, et de 
tout ce qui fut accompli par lui & savoir, l'établissement futur du Siège apo- 
stolique. « Rapporté à ce but, rien qui ne se comprenne, dit le Poëte, rien 
foi ne soit digne de Dieu. » 

7. La descente d'Ënée aux enfers, dans le sixième chant de l'Enéide. 

8. Saint Paul qui fut, comme il le raconte lui-même dans ses Épitres, ravi 
m troisième Ciel. 

9. Ceux qui, ni sauvés ni damnés, sont comme suspendus entre le Ciel 
et l'Enfer. 

10. Quelques-uns pensent que Béatrice est ici le symbole de la Sagesse 
dinne. 

11. Le Ciel sublnnaire, plus étroit que tous les autres par lesquels il est 
fioveloppé. 

12. Les flammes de l'Enfer, à rentrée duquel sont situés les Limbes oi!i 
ibiteTirgile. 

13. La Clémence divine, selon les commentateurs ; — t empêchement ok 
k tenwne, c'est-à-dire les empêchements qui arrêtent Dante, au secours 
àe qui elle l'envoie. 

14. Sainte Lucie, vierge et martyre, qu'on retrouve ensuite dans le Ciel, 
assise en face d'Adam. — Parad. xxxu, ierc. 46. Elle parait être ici le sym- 
bole de la grftce divine. 

15. Comme Dieu ne peut être parfaitement connu que par sa propre in- 
telligence, sa sagesse, que figure Béatrice, il ne saurait être dignement loué 
que par elle. 



^4 



l'ErrFER. 



CHANT TROISIÈME 






1 . Par moi ron va dans la cité des pleurs ; par moi îon 
va dans V éternelle douleur ; par moi Vom va éke% la rm 
perdue. 

2 . La Justice mut mon souverain Auteur : me firesU U 
divine Puissance, la suprême Sagesse et le premier Amm. 

3. Avant moi ne furent nuUes choses créées, mm ait 
nelles^ et éternellement je dure : laissez toute espérmat^ 
vous qui entrez! 

4. Ces paroles vis-je écrites en noir au-dessus d'une 
porte ; ce pourquoi je dis : — Maître, douloureux m'en est 
le sens. 

5. Et lui à moi, comme personne accorte : «Ici l'on doit ' 
laisser toute crainte ; toute faiblesse doit être morte ici. 

6. « Nous sommes venus au lieu où je t*ai dif que tu 
verrais les malheureux qui ont perdu le bien de risteHh 
agence. » 



CANTO TERZO 



i. Per me H V naïAdMà dolmUj 
Per metivê. tulV tUsm dolorCt 
Per me ii va ira la yerdula genXe. 

s. Gitatiiia mosse il mio aUo fattore : 
Fecemi la diiHna potealate. 
La somma sapienza e il primo amore. 

s.Difianzf a me non fur cose créait, 
Se non eterne, ed io eterno duro : 
lAUciiUe ogni spiranza, voi che enlrtUe. 



A. Qaesttf parole di c«Ibm 
Vid' io scriUe al somoM d* ana porta; i 

Perch' io : Maestro, H senao Itr n^è don» 

5. Ed egli a me, corne persona aoeorfa 
Qui si convien lasciare ogni aospetio; 
Oj(iii viUà convien che qui sia morta. 

6. Noi sem venuti al loco ov' io t* ho <ieUe 
Che tu vedrai le genti doloroae, 

G' hanno perdulo il ben deU* mtffrttf 



CHANT TROISIÈME. 235 

lyant posé sa main sur la rniennc, d'un visage se- 
mé ranima, il m'introduisit au dedans des choses 

dans Tair sans astres, bruissaient des soupirs, des 
de profonds gémissements, tels qu'au commence- 
i pleurai. 

cris divers, d'horribles langages, des paroles de 
les accents de colère, des voix hautes et rauques, 
Iles un bruit de mains, 

isaient un fracas qui, dans cet air à jamais téné- 
ns cesse tournoie, comme le sable roalé par un 
1. 

moi, dont la tète était ceinte d'erreur *, je dis : — 
u'entends-je? et quek sont ceux-là qui paraissent 
i avant dans le deuil? 

lui à moi : « Cet état misérable est celui des tristes 
vécurent sans infamie ni louange. 

fêlées elles sont à la troupe abjecte de ces anges 
ent ni rebelles, ni fidèles à Dieu, mais furent pour 

iC ciel les rejette, pour qu'ils n'altèrent point sa 
t ne les reçoit pas le profond enfer, parce que les 
reraient d'eux quelque gloire*. 



ma roano aUa mia pose, 
Mo, Mid' io mi cootortni, 
Iro aUe segreUî cote. 

, pianti ed alli gtini 
»r r .\er sciiza stelte, 
»)iainciar ne \agntasn. 

iCt orribih favelle, 

lore, aceenli d' ira, 

Khe, e suon di tnan con elle, 

tnmnlto, il quai s' aggira 
jeir aria senza tempo tinta, 
qoaado il turbo spira. 



11. Ed io. eh* av€i d* error la lesta ehrta, 
Dissi : Maestro, che è quel cb* i* od»f 
E cbe gent' è, che par nel duoi si Tinta t 

I iS.Ed egfi a me. Questo misero modo 
Tengon ranime triste di coloro 
Cbe visser seiua mfamn • senza lodo. 

13. Miscliiate sono a quel catlivo euro 
Degli angeli che non furon ribcIU, 
Mè fur fedeH n Dio, m» p«r se Toro. 

li.Cacciarli i ciel per non esser men beUi, 
Ne Io profondo infemo %U meN«^ 
Che alcuiut f^orà i m «n«\jb«c <S «âKi. 



236 ^ L'ENFER. 

15. Et moi : — Maître, quelle angoisse les fait se la- 
menter si fort? Il répondit : « Je te le dirai très-briève- 
ment. 

16. « Ceux-ci n'ont point Tespérance de mourir, et leur 
aveugle vie est si basse ' qu'ils envient tout autre sort. 

17. « Aucune mémoire le monde ne laisse subsister 
d'eux : la Justice et la Miséricorde les dédaignent. Ne dis- 
courons point d'eux, mais regarde et passe ! » 

18. Et je regardai,et je vis une bannière qui, en tournant, 
courait avec une telle vitesse, qu'elle me paraissait condam- 
née à ne prendre aucun repos. 

19. Et derrière elle venait une si longue suite de gens, 
que je n'aurais pas cru que la mort en eût tant défait. 

20. Lorsque je pus en reconnaître quelqu'un, je vis et 
discernai celui qui par lâcheté fit le grand refus ^. 

21. Aussitôt je compris et fus certain que cette bande 
était celle des lâches, en dégoût à Dieu et à ses ennemis. 

22. Ces malheureux, qui ne furent jamais vivants ^ 
étaient nus et cruellement piqués par des taons et deî 
guêpes 

23. Qui sur leur visage faisaient ruisseler le sang, lequel, 
tombant à terre mêlé de larmes, était recueilli par des vers 
immondes. 



15. Ed io : Maestro, che è tanto grève 
A lor, che lamentar gli fa si forte ? 
Rispose : Dicerolli molto brève. 

l6.Que8ti non hanno speranza di morte 
E la lor cieca vita è tanto bassa, 
Che invidiosi son d' ogni altra sorte • 

l7.Fama di loro il monde esser non lassa; 
Misericordia e Giustizia gli sdegna : 
Mon ragioniain di lor, ma guarda e passa. 

l8.Ed io, che riguardai, vidi un' insegna, 
Che girando correva tanto rattn, 
Che d' ogni posa mi pareva indegna : 

».E dietro le venia si lunga traita 



Di gente, ch* io non averei creduto, 
Che morte tanta n' avesse disfatta. 

SO.Poscia ch' io v' ebbi alcun riconosciatOt 
Guardai, e vidi 1' ombra di colui 
Che fece per viltate il gran rifiuto. 

SI. Incontanente intesi, e certo fui, 
Che quest' era la setia dei cattivi 
A Dio spiacenli ed a' nemid sui. 

SS. Questi sciaurati, che mai non for vhi, 
Erano ignudi, e stimolati molto 
Da mosconi e da vespe ch' erra ivi. 

SS. Elle rigavan lor di sangue il volto, 
Che mischiato di lagriine, a' lor piedi 
Da fastidiosi verrai era ricolto. 



CHANT TROISIÈME. 



237 



24. Ayant ensuite regardé au delà, je vis des gens pres- 
sés sur le bord d'un grand fleuve; ce pourquoi je dis : — 
Vaitre, je te prie 

25. Que je sache qui sont ceux-là, et pour quelle cause 
Is ont tant de hftte de passer, comme je Taperçois à cette 
aible lueur. 

26. Et lui à moi : « Ceci te sera dit, quand sur les tristes 
rives de l'Acbéron s'arrêteront nos pas.» 

27. Alors, confus et les yeux baissés, craignant que mon 
9ire ne lui eût déplu, je m'abstins de parler jusqu'au fleuve. 

28. Et voici venir vers nous, dans une barque, un vieillard 
blanchi par de longues années, criant: « Malheur à vous, 
âmes perverses I 

29. « N*espérez pas voir jamais le ciel ; je viens pour vous 
mener à Tautre rive, dans les ténèbres étemelles, dans le 
teu et la glace. 

30. a Et toi que voilà, ftme vivante, sépare-toi de ces 
morts !'D Et voyant que je ne m'en allais pas : 

31. « Par d'autres chemins, dit-il, par d'autres bacs, tu 
viendras à la plage pour passer; il convient que te porte une 
oef plus légère, d 

32. Et le Guide à lui : ce Caron, ne te courrouce point : 
il est ainsi voulu, là où se peut ce qui se veut; ne demande 
rien de plus. » 



14.E poi che a riguardare oitre mi diedi, 
Ykii geate alla rÎTa d' un gran fiumc : 
Perch' io disâ : Maestro, or mi concedi 

ES.Ch* io sappia quali sono, e quai costume 
Le fa parer dl trapoSsar si pronte, 
Com' K) discemo per Io fioco lume. 

W. Ed egli a me : Le cose ti fien conte, 
Quando noi fermerem li nostri passi 
Sulla trista riviera d'Acheronte. 

7. Allor con gli occhi vergognosi e bassi, 
Temendo no 1 mio dir gli fusse grave, 
Infino al flume di parlar mi trassi. 

B.Éd eceo verso noi venir per nave 



Un Tecchio bianco per antico peloi 
Gridando : Guai a voi, anime prave t 

fi9.Mon isperaie mai veder Io cielo : 
I' vegno per menarvi ail' altra riva, 
Nelle ténèbre eteme, in caido e in gelo: 

SO.E lu che se' costi, anima viva, 
Partiti da cotesti che son morti. 
Ha poi ch' ei vide ch' io non mi partiva, 

SI. Disse : Per altre vie, per allri porii 
Verrai a piaggia, non qui : per passare, 
Più lieve legno convien che ti porti. 

52.E il Duca a lui : Caron, non ti crucciart; 
Vuolsi cosi cola dove si puote 
Ciô che si vuole, e più non dimandare. 



238 L'EMFER. 

35. Alors se dégonflèrent les joues laineuses au nodier 
du marais livide, qui autour des yeux avait des cercles eor 
flammés. 

34. Mais ces âmes tristes, &tiguées et nues, changèrent 
de couleur, et leurs dents claquèrent sitôt qu'elles ouïrent 
les sévères paroles. 

35. Elles blasphémaient Dieu et leurs parents,'la' race hu- 
maine, le lieu, le temps où elles naqiiirent, la semence de 
laquelle elles germèrent. 

36. Puis, toutes ensemble^ elles se retirèrent près de 
la rive maudite où vient tout homme qui ne craint pas 
Dieu. 

37. Caron, d*un signe de ses yeux de braise, les rassem- 
ble toutes, et frappe de sa rame quiconque s'attarde. 

38. Comme, Tune après Tautre, en automne, les feuilles 
se détachent afin que le rameau rende à la terre toutes ses 
dépouilles, 

39. Pareillement, au signe du nocher, comme Toiseau à 
rappel, se jetaient de la rive, une à une, les âmes mauvaises 
de la race d'Adam. 

40. Ainsi elles s'en vont par Feau noirâtre, et avant 
quelles soient descendues sur Fautrebord, sur celui-ci se 
rassemble encore une nouvelle troupe. 



SS.Quinci for quête le lanose gote 
Al nocchier délia Ihrida palude, 
Che 'ntomo agli occbiavea di fiamme rote, 

Si. Ma queir anime ch* eran laase e nude, 
Gangiar colore, e dibattero i denli, 
R .tto cite 'nieser le parole crude. 

« 

SS.Besteramiavano Iddio e i lor parenti. 
L' umena specie, il luogo, il tempo, e il 
Di lor semenza e di lor nascimenti. [sene. 

36.Poi si rilrasser tiitte quanle insieme. 
Forte piangendo, alla riva malvaglia. 
Ch' attende ciascun uom che Dio non teme< 



ST.Caron dimonio con oeefai di br^ia, 
Loro accennando, tutte le raccoglie; 
Batte col remo qualunque s* ad^ia. 

SS.Come d'aulunno si levan le foglie 
L' una appresso dell' altra inOn cbe 1 twê^ 
Rende alla terra tulte le sue spogbe; 

59. Similemenle il mal semé d'Adamo : 
Gillansi di quel lito ad una ad una 
Per cenn,i com' augel per suo richiaino. 

iO.Cosi sen vanno su ppr 1* onda bmiu» 
Ed avanii che sian di là diseese. 
Anche di qua nuova schiera s' aduna. 



ghânt troisième. 



939 



41« a Mofl fils, dit le Maître courtois, tous ceux qui meu- 
rent dans rire de Dieu, il faut qu'ici de toute contrée ils 
Tiennent : 

42. «Et tant de hâte ils ont de passer le fleuve, parce que 
tellement les point Taiguillon de la justice divine, que la 
crainte se change en désir. 

45. « Par ici jamaÎB ne passe aucune âme pure : d'où, si 
Caron se plaint de toi, tu peux maintenant comprendre le 
sens de ses paroles. » 

44. Cela fini, la sombre campagne trembla si forte- 
ment que le souvenir de mon épouvante me baigne encore 
desHeur. 

45. De la terre trempée de larmes sortit un tourbiUoD 
ùllonaé d'édairs d'une luenr rouge, lequel m'6ta tout sen- 

tlMBt, 

& je tombai comme un homme pris de sommeil. 



H.r^aol mio, disse il Maestro cortese, 

QmUI che muoion nell' ira di Dio 
l Totti convegnon qui d' ogni paese ; 

pl'Eprootiaono a trapassar lo rio, 
Chè h divina giustixia li sprona 
Si, che la tema si volge in disio. 

tt*Q«iiaâ non passa mai anima buona ; 
E p«'6 se Caron di te si lagna, 
^ pQoi saper omai che '1 suo dir suona. 



I 4I.Finito questo, la buia campsgna 
Tremô si forte, che dello spavento 
La mente di sudore ancor mi bagna. 

45.La terra lagrimosa diede vento, 
Che balenô una luce vermigiia, 
La quai mi vinse ciascun sentimento ; 



E caddi, come 1' nom cui sonno piglÎA 



i 



■I ;. 



f . . 



SM t'ENFER. 



NOTES DU CHANT TROISIÈME 



1. Erreur a ici le sens de stupeur et d'ignorance. 

2. Parce que les damnés éprouYeraient quelque sentiment d'orgiu 
se comparant à ces misérables. 

3. c ... Leur obscure vie est si abjecte. » 

4. L'opinion la plus commune est qu'il s'agit ici de Pierre Morone, ei 
et ensuite pape sous le nom de Gélestin Y. Circonvenu par des ioti 
pleines de mensonge et de fraude, il abdiqua la papauté ; et son succe 
Bonirace YIII auteur de ces intrigues, le fit enfermer dans une prise 
1 mourut 



CHANT QUATRIÈME. 



24i 



CHANT QUATRIÈME 



i tonnerre horrible rompit dans ma tète le profond 
1, de sorte que je revins à moi comme quelqu'un ré- 
î force: 

levé debout, je mus alentour mes yeux reposés, et 
dais fixement pour connaître le lieu où j'étais. 
.y de vrai, je me trouvai sur le bord de Tabime de 
, où retentit le tonnerre d'infinis hurlements. 

obscur était'il, et profond, et sombre, que jetant 
ards au fond, je n'y discernais aucune chose. 

Voilà que nous descendons dans le monde téné- 
iit le Poëte tout pâle : je serai le premier, et tu 
second ^ » 

moi qui de sa pâleur m'aperçus, je dis : — Com- 
û-je, si tu t'épouvantes, toi, l'ordinaire confort de 
intes ? 



CANTO QUARTO 



r alto lonno nella testa 
tuono, si ch' io mi riscossi, 
sona che per forza è desta; 

riposato intorno mossi, 
ito, e tiso riguardai 
icer lo loco dov' io fossi. 

e in su la proda mi trovai 

i d' abisso dolorosa, 

) accoglie d' inliniti guai. 



«.Oscura, profond' era, e nebulosa 
Tanto, che per ficcar Io viso al fonde, 
V non vi discemea veruna cosa. 

5. Or discendiam quaggiù nel cieco monde, 
Incominciô il Poeta tutto smorto : 
Io sarô primo, e tu sarai seconde. 

6.Ed io, che del color mi fui accorto, 
Dissi : Corne verrô, se tu i^seivVx 
Che suoli al mlo dubbvaxe essev cotv1nT\^1 



Kk 



i 



912 



l'EKTER. 



7. Et lui à moi : « L* angoisse de ceux qui sont e» 
empreint mon visage de cette pitié que lu prends pou 
la frayeur. 

8. «Allons! la longue route nous presse. » Ce disant, î 
tra et me fit entrer dans le premier cercle qui ceint Tabî 

9. La, selon qu'en jugeait l'ouïe, point de gémisseme 
mais des soupirs dont frémissait Taîr éternel. 

10. Et ces soupirs venaient de la tristesse, toutefois 
souffrances *, que ressentaient des troupes nombreuse 
d'enfants, et de femmes, et d'hoddmes. 

11l Le bon Maître me; dit: a Tu ne demandes f 
qui sont ces esprits que tu vois? Or, avant d'aUer plus 1 
je veux que tu saches 

12. m Qu'ils ne péchant point.: mais, si leurs œv 
furentbonnes, cela ne suffit, parce qu'ils ne reçurent [ 
le baptême, qui est la porte de la foi que tu crois. 

15. « Ayant vécu avant le christianisme, ils a adoré 
point Dieu dûment, et je suis moi-même de ceux-là. 

14. c( Pour ces choses qui nous ont manqué, non ] 
autre crime, nous sommes perdus, et notre seule peine 
de vivre dans le désir sans espérance. » 

15». Une grande tristesse me prit au cœur lorsqu 
l'entendis ; car je reconnus des gens de haute valeur s 
suspendus '. 



7. Ed egli a me •' L' angoscia delle genti 
Che son quaggii'i, nel viso mi dipigne 
Quella pietu, che tu per tema sentL 

S.Andiam, che la via lunga ne sospigne. 
Cosi si mise e cosi mi (e entrare 
Nel primo cerchio che V abisio cigneu 

9. Quivi, secoMdo ebe p«r aseokare, 
Non avea pianlo ma che di sospiri, 
Che r aura eterna face van tremare : 

lO.E ciâ avveniva di d«ol senia martîri, 
Ch'avean le lurbe, eh' eran moite e grandi, 
£ d' infanti e di femmine e di viri. 

iULo buon Maestro a me : Tu aon dimandi | 



Che spiriti son questi che tu vedi? 
Or vo' che sappi, innanzi che più a 

iS.Cb' ei non pecearo : e s' elli hanno dm 
Hoir basta, percb' ei non ebber bat 
Che è porta délia Fede che tu cred 

iS.E se furon dinanzi af < 

Non adorar debitamenie IMo : 
E di questi cotai son io 

14. Per tai dtTetrf, e non per allM n» 
Semé perduti, e sof di taurte 
Che sei»a speme vitenn m 

15. Gran duolmi prêt* al eor < 
Perocchè-Ronic di la^o mUra 
Gonobbà che in qad tebo ena m 



CHAMT QUATRIÈME. ÎI5 

16. — Dis-moi, mon Maître, dis-moi, Seignem*, com- 
'neDçai-je, voulant être certain de cette foi qui vainc toute 
erreur : 

47. Aucun jamais, par ses mérites ou les mérites d'au- 
Imi, sortit41 d'ici pour être heureux ensuite? 

18. Et lui, qui comprit mon parler couvert, répondit : 
*«iJ'étais nouveau en ce lieu, lorsque j'y vis venir un Puis- 
sant, couronné du signe de la victoire ^. 

i|9. « Il en tira l'ombre du premier père, d'Abel son fils, 
cdle de Noé et celle de Moïse, législateur et obéissant; 

30. « Le patriarche Abraham et le roi David ; Israël, et 
im père et ses enfants, et Rachel pour qui tant il fit ' ; 

21. «Et beaucoup d'autres, et les fit heureux; et je veux 
fK'tu saches qu'auparavant les âmes humaines n'étaient 
ftt sauvées. » 

22. Nous ne cessions point d'aller pendant qu'il parlait, 
■ais nous traversions la forêt, je dis l'épaisse forêt des 
«prits. 

23. Nous n'avions pas encore descendu beaucoup au- 
fosoos du sommet, quand je vis un feu rayonnant autour 
ton- hémisphère de ténèbres. 

24. Nous en étions encore un peu loin, mais non pas 
tM que je n'y discernasse en partie qu'une gent illustre 
occupait ce lieu. 



M*DiaB|i, iMititi mi», ilinran. SigiMMv, 
f w i i atf io, per ▼oler tmer certo 
Di qoeUa fade «he viaoe ogni arrora : 

n'OMuoe mai alcano, o per svo merto, 
Aferdtnri, che poi fosse beatoT 
S 9« ^e *iAese il mio parlar corerto, 

IS.liipMe : lo en nuovo in queato sUlo, 
QuÛKio ci vidi venire un Possente 
Cca i^jao di vittoria iocorooato. 

*>'ftiMadf eaa h r a dd primo parante, 
•V Abal MO ficlîo, e queUa di Hoè, 
K Mêlé Jefiitta e Abediente; 

•ilbrampalriarâi, e DrodTC, 



brael cm •«• pedre, e eoP auoi nali, 
B «on Raebele, per oui tanto fe, 

Sl.Ed altri moHi; e feceli beat! : 

E vo' che sappi che, diiianii ad east, 
Spirili nnani sm» eran salvati. 

fl.Mon laaciavam Fandiir, percb' ei dieess*. 
Ma passavam la selva tuttavia, 
La selva dico di spirili spessi. 

S5.Nen era lunga auor la so^tra via 

Di qua dal soramo, quand' io vidi un fuoco, 
Gh' emisperio di ténèbre vincia. 

tk.m lungi n* eravamo ^incora un poco, 
Ma non si ch' io non discernessi ia ^«xV&« 
Che orretol feiAe ^«se^tBL c^asW^tn. 



214 L'ENFER. 

25. — toi, qui honores toute science et tout art, qui 
sont ceux-ci que sépare des autres Thonneur qu'on leur 
rend? 

26. Et lui à moi : « Leurs noms glorieux, dont retentt 
le monde où tu vis, leur acquièrent dans le ciel la faTev 
qui tant les élève. » 

27. Lorsque j'entendis une voix : «c Honorez le gmi 
Poète! son ombre qui était partie revient *. x> 

28. Lorsque la voix se tut, je vis quatre grandes ombfM 
venir à nous; elles ne semblaient ni tristes, ni joyeuses. 

29. Le bon Maître me dit : « Regarde celui qui, Kf»\ 
cette épée en main, marche comme seigneur devant kl 
autres. 

30. « Celui-là est Homère, le poète souverain, et Fautn, 
qui vient ensuite est Horace le satirique; Ovide est le troi-' 
sième, et le dernier, Lucain. 

31. «Quoiqu à chacun d'eux, comme à moi, convienne b 
nom qu'a prononcé la voix seule '', ils m'honorent et es 
cela ils font bien. » 

32. Ainsi je vis se rassembler la belle école du roi def 
chants élevés ^, qui au-dessus des autres vole comme Taigla* 

33. Lorsqu'ils eurent ensemble un peu discouru, ils se 
tournèrent vers moi, me saluant du geste, et mon Haitrfj 
en sourit : 



fB.0 tn, che onori ogni scienza ed arte, 
Qoesti chi son c' hanno cotanta orrania, 
Che dal modo degli altri li diparte? 

U.E quegli a me; L' onrata norainanza, 
Che dt lor suona su nella tua vita, 
Grazia acquisia nel ciel che si gli avanza. 

ST.Intanto voce fu per me udita : 
Onorate 1' altissimo Poeta : 
L' ombra sua toraa, ch' era dipartita. 

SS.Poicbè la voce fu restata e quêta, 
Vidi quattro grand' ombre a noi venire : 
Sembianza avevan ne trista né lieta* 

29. Lo buon Maestro comindommi a dire : 



Mira eolui oon q[ueUa spadaia 
Che vien dinansi i^ tre d ooœe 

SO. Quegli è Omero poeta soTraao» 
L' altro è Orazio satire che Tiene, 
. Ovidio è il terzo, e V ultime è 



Sl.Perocchè ciascun meco si connene 
Nel nome che sonô la voce sola, 
Faimomi onore, e di dô fanao beat 

SI. Cosi TÎdi adunar la bella scDob 
Di quel signor dell* altiasimo canton 
Che sovra gU altri com' aqofla ^roli. 

SS.Da ch' ebber ragionato intieme 
Tolsersi a me con sahitevol o«— . 
B il Doio Maeitro sorriM di taou». 



CHANT QUATRIÈIfE. S» 

34. Et plus d'honneur encore ils me firent, me recevant 
lans leurs rangs, de sorte que je fus le sixième parmi ces 
[randes intelligences. 

. 35. Ainsi allftmes-nous jusqu'à la lumière', parlant de 
lioses qu'il est bien de taire, comme il était bien là d'en 
nrler. 

36. Nous vînmes au pied d'un noble château, sept fois 
^i de hautes murailles, et entouré d'un gracieux petit 
leoye. 

37. Nous le passâmes comme une terre ferme : j'entrai 
Mr sept portes avec ces sages, et nous arrivâmes dans une 
nrairie d'une fraîche verdure. 

38. Là étaient des gens aux regards lents et graves, de 
grande autorité dans leur apparence : ib parlaient peu et 
l'une voix douce. 

39. Nous nous retirâmes à part, en un lieu ouvert, lu- 
nineux et haut, de sorte que tous se pouvaient voir. 

40. Là, devant moi, sur le vert émail, me furent mon- 
rés les grands esprits, et de leur vue encore en moi-même 
e m'exalte. 

41. Je vis Electre ^^, accompagnée de beaucoup d'au 
très, parmi lesquels je reconnus Hector, et Énée, et César 
mné de ses yeux d'épervier. 






I^K piA d* onure anconi aisai mi fenno, 
Qi' eni mi fecer detta loro ichien, 
Sieh'io foi seslo tra ootanto senno. 

' 'Coria'aadammo Infino alla himierat 
' 'Vlttdo coae, che il tacere è bello, 
Sieott* en il parlar cola dov' era. 

ll'Tcoiiaao appiè d' un nobile casteUo, 
^*^ îoHe cerchiato d' alte mura, 
IKbio intonio d' un bel fiumicello. 

'•HûMopaisamino corne terra dura, 
^ Mtte porte û^rai con questi savi : 
fl^gaaMno in prato di fresca verdura. 



SS.Genti ▼* eran con occhi tardi e gravi, 
Di grande autorità ne' lor sembianti : 
ParlaTan rado, con voci soavi. 

89.Traemmoci cosi d' ail un de' canli 
In luogo aperto, luminoso ed alto. 
Si che Teder si potën tutti quanti. 

iO.Golà diritto, sopra il verde smaltOf 
Mi fur roostrati gli spiriti magni, 
Che di vederli in me atesso m' eiaUo. 

4i.Io vidi Elettra con molti compagni. 
Tra' quai conobbi ed Ettoie ed Enea, 
Gesare armato con occhi grifagni. 



u. 



42. Je vis Camille" et Penthésilée^de rautrecôté; je 
vis aussi le roi Latinus assis avec sa fiile Lavime. 

43. Je vis ce Brutus qui chassa Tarqtun, Lucrèce, 
Jolia ^*, Marzia ** et Cornelia ", et, seul à Técart, Safa- 
din". 

44. Puis ayant levé un peu plus les yeux, je vis le nidtre' 
de ceux qui savent ", assis au mîUea de la famille phikh 
•ophique. 

45. Tous l'admiraient, tous lui rendaient honneur. Là 
je vis Socrate et Platon, qui se tiennent plus près de lui que 
les autres ; 

46. Démocrite, qui soumet Tunivers au hasard; Ko- 
gène, Anaxagore et Thaïes; Empédocle, Heraclite et Ze- 
non; 

47. Et je vis celui qui si bien décrivit les vertus des 
plantes, je veux dire Dioscoride ; je vis Orphée, Tullius et 
Livius ^®, et Sénèque le philosophe moral; 

48. Euclide le géomètre, Pto lamée**, Hippocrate, Avi- 
cenne ^ et GaUen, Averroès " qui fit le grand CommeO' 
taire. 

49. Je ne saurais les nommer tous, car tellement me 
presse mon long sujet, que maintes fois le dire reste en 
arrière des choses. 



4t.Vidi GamiOa e la Pentegilea 

Dair allra parte; e vidi il re Latino, 
Che con Lavinia sua figlia sedea. 

ISiTidi (|uel fimto che caccià Tarquino, 
Luci ezia, Julia, Marzia e Corniglia, 
B solo in parte vidi il Saladino. 

4.Pui che innalzai un poco più le ciglia, 
Vidi il Maestro di color che sanno, 
Seder tra lilosofica famiglia. 

4B. Tutti Tammiran, tutti onor gli fanno. 
Quivi vid' io e Socrate e Platane, 
Che iniianzi agli altri più presso gli stanno. 



I 46. Democrito, che '1 mondo a caso pone, 
Dio^enes, Anas&agora e Taie, 
Empedocles, Eraclito e Zenone. 

47. Ë vidi il buono accojilitor del qnale» 
Dioscoride dico; e vidiOrieo, 
Tuilio e Lino e Seneca morale : 

48. Euclide georoétra e Tolomineo, 
Ippocrate, Aviceiina e Galieno, 
Averrois, che il gran comento feo. 

49. Io non posso ritrar di tutti appicao, 
Perocchè si mi caccia il lungo iema, 
Che moite volte al fatlo il dia vioi i 



CHANT QUATRIËME. 347 

La troupe des six en deux se sépara : le sage Guide, 
le autre route, me conduisit, hors de Tair tranquille, 
air qui frémit » 

le vins en un lieu où rien ne luit. 



la eompupiia m duo ê\ scemi : i Pdor delta quela netP mra «he tréma: 
n via mi mena il unrio Duca, I 

veojto in parte, ove non è che Inca. 



V» L'SNFER. 



NOTES DU CHANT QUATRIÈME 



1. «Je te précéderai et tu me suivras, b 

S. Ce que les théologiens appellent la peine du dam. 

5. Dans un état intermédiaire entre le salut et la damnation. 

4. Le Christ triomphant. 

5. Pour l'obtenir de son père Laban, Jacob» comme le raconte la GonèiSi 
le servit pendant quatorze ans. 

6. A la prière de Béatrice, Virgile, comme on l'a vu, avait quitté Iv 
Limbes pour aller au secours de Dante. 

7. Le nom de poète. 

8. Homère. 

9. Le feu dont il a parlé plus haut. 

10. Fille d'Atlas, laquelle eut, de Jupiter, Dardanus, fondateur de Troift 

11. Fille de Métabus, roi des Volsques. — - Voyez ch, i, tere. 36. 

12. Reine des Amazones, tuée par Achille. 

13. Fille de César et femme de Pompée. 

14. Femme de Caton d'Utique. 

15. Fille de Scipion l'Africain, et mère des Gracqnes 

16. Soudan de Babyione. 

17. Aristote. 

18. Cicéron et Tite-Live. 

19. Astronome et géographe, connu par le système du monde qui ^ 
ton nom. 

20. Médecin arabe qni florissait vers le milieu du onzième siècle. 

21 . Averroès, philosophe arabe, et célèbre commentateur d'Aristote 



CHAUT CINQUIÈME. 



219 



CHANT CINQUIÈME 



1. Ainsi descendis-je du premier cercle dans le second, 
qui enserre moins d'espace et plus de douleur, et telle que 
ses pointes arrachent des cris. 

3. Là siège Minos, d'horrible aspect et grinçant des 
dents : il examine les fautes à l'entrée, juge et envoie au 
Heu qu'il désigne en se ceignant. 

3. Je dis que quand Tâme mal née vient en sa présence, 
pleinement elle se confesse; et ce juge des péchés 

4. Voit quel lieu de Tenfer lui est destiné : il se ceint de 
sa queue autant de fois qu'il veut qu'elle descende de degrés. 

5. Toujours devant lui il en est beaucoup : chacune à 
son tour va au jugement : elles parient, elles écoutent, puis 
sont poussées en bas. 

6- Suspendant, lorsqu'il me vit, l'exercice de sa haute 
fonction : « toi, me dit Minos, qui viens en la demeure 
douloureuse. 



CANTO QUINTO 



'•^ discesi del carchio primaio 
^aiiel lecondo, che men loco cinghia, 
E t^Dto più dolor, che punge a guaio. 

'•otani Wnos orribilniente, e ringhia : 
«xiùna le eolpe nell' entrata, 
«iudica e manda, seconde che a^vinghia. 

S>IMco, che quando T anima mal nata 
Li Tien diiianzi, totla si confessa; 
S qud conoscitor délie peccata ' 



4. Vede quai loco d* inferno ë da essa: 
Cignesi colla coda tante voile, 
Quantunque gradi vuol cbp %ià sia m< 

5.Sempre dinanzi a lui ne sta^no moite : 
Vanno a vicenda ciascuna ul giudizio; 
Dicono, e odono, e poi scn giù voile. 

6. lu, che vieni al doloroso ospisio, 
Gridô Minos a me, quando mi vide* 
Lasdando T alto di cotanto ufdzio, 



.' ■> 



250 



L'EKFER. 



7. c( Regarde bien comment tu entres, et à qui tu te fie 
que ne t*abuse point Tampleur de Tentrée.» Et mon Gui 
à lui : « Pourquoi grondes-tu? 

8. «Ne t'oppose point à son aller fatal : ainsi est vou 
là où se peut ce qui se veut. N*en demande pas davantage! 

9. Lors commençai-je d*entendre les accents plaintif 
lors de grands pleurs frappèrent mon oreille. 

10. Je viens en un lieu muet de toute lumière*, q 
mugit comme la mer pendant la tempête, lorsqu'elle e 
battue des yeais contraires. 

i 1 . L'infernal' ouragan, qui Jamais ne s'arrête,, empor 
les esprits dans sa course rapide, et, les. roulant, les firoi 
saut, les meurtrit. 

42. Lorsqu'ils arrivent au bord escarpé, là les cris, et 1( 
gémissements, et les hurlements; là ils bl^hèment i 
puissance divine. 

15. J'entendis qu'à ce tourment étaient condamnés k 
pécheurs charnels, qui soumettent la raison à la convoitise 

14. Et comme, dans la froide saison, le vol des étour 
neaux les emporte en bandes épaisses et larges, ainsi a 
souffle emporte les esprits mauvais. 

15. D'ici, de là, en haut, en bas, jamais ne les conforta 
aucune espérance, non^seulement de repos, mais d'an( 
moindre peine. 



T.Guarda com' eutri, e di eut tu ti fide ; 
Non l' inganni l'ampiezza dell' entrare. 
E ii Duca mio a lui : Perche pur gridef 

8. Non hnpedir lo suo fatale andare: 
Vuoisi cosi roià, dove si puote 
Ciô che si xuole, e piû non dimandare. 

•uAra iacDHinctan le dolearti aete 
A (armisi sentire : or son tenuto 
Là dove mollo pianio nu percote. 

10. r venni in loco d' egni luce mato, 

Che mugghia corne fa mar per tempesta, 
Se da.coMtrari venti c combattuto. 

11. La b uffera inlerul, che mai non mU, 



Mena gK spirti con la sua rapina, 
Vollando e percotendo Ii molesta. 
iS.Quando giungon davanti alla ruina, 
■ Qaivi le strida. il compianto e il hantn/i^ 
Beslemmian quivi la virtù divina. 

ISwIntesi che a cosi (atte tormealo 
Eran dannati i peccetor eannfi, 
Che h ragian senMmettéM» al t a ieMl o » 

14. E cerne gli stornei ae fKMflan l' ali, 

Nel rreddoléiii{#o« a achier»Jarga e p**^ 
Ceci quel tialo gli «piriti anli : 

15. Di qiMa^ di là, di giù, di su gli men«; 
Nulbi speranza gli conforta mai, 
Non elle di posa, ma di ■ 



CHAUT GIftQUIÈME. iM 

16. Et comme les grues Yont chantant leur lai, se for- 
mant dans Tair en une longue ligne; ainsi vis-je venir, 
poussant des cris, 

17. Les ombres emportées par ce tourbillon. Ce pour- 
quoi je dis : — Maître, quelles sont ces âmes qu ainsi châtie 
Tiir noir? 

18. K La première de celles dont tu fenquiers, ine dit- 
il alors, fut reine de beaucoup de langues '; 

19. « Dans le vice de luxure elle fut si plongée, que^ par 
sa loi, ce qui plait elle le fit licite^ pour échapper à l'infamie 
où elle était conduite. 

20. c( C'est Sémiramis, de qui on lit qu'elle fut épouse de 
Nious et lui succéda; elle possédait la terre que régit le 
Soudan. 

21 . a L'autre est celle qui, infidèle aux cendres de Sichée, 
se tua par amour' ; puis vient la lascive Cléopâtre. » 

22. Je vis Hélène, cause de tant de maux, et je vis le 
grand Achille qui par l'amour enfin périt. 

23. Je vis Paris, Tristan*; et plus de mille ombres il 
M nomma et me montra du doigt, qu'amour fit sortir de 
notre vie. 

24. Lorsque j'eus ouï mon Maître nommer les femmes 
vitiques et les cavaliers, je fus pris de pitié et comme 
éperdu. 



K-E coiM i fni rm cantando lor lai, 
Fiieendo in aer di se hmga riga ; 
Cosi vid' io venir -traeado guai, 

^7.0iid)re portale dalla detta briga : 
f^reh'io dissi : Maestro, cbi son quelle 
Genli, clie 1' ner nero si gastiga ; 

*'-U prima di color, di cm uo/eUe 
Tu wuû saper, mi dis«e quegli allottat 
Vn imperathce di molle faveliç. 

**•& Tiiio di lassuria fu si rotta, 
Cbe libilo fe licite in sua iegge, 
^vtorre il biasmo, in che era condotta. 

*-Ql' è SeaBirenis, di cai si Iegge, 



Che sucoedfltte a Nino, e fii sua sposas 
Tmum la terra» ehe '1 Soldan corregge. 

tl.L' altra è oolei, ebe s* ancise amorosa, 
E ruppe fade al cener di Sicheo; 
Poi è Cleopatràs lussuriosa. 

SI. Elena vedi, per cui lanto reo 

Tempo si volse, e vedi il grande Achille» 
Che con amore al fine combatleo. 

23. Vedi Paris, Tristano... e più di niifle 
Ombre mostrommi, e nominoUe, a dito, 
Ch' amor di noslra viia dipartille. 

Si.Poscia ch* i* ébbi il mio Dottore udîlo 
Nomar le donne antiche e i cavalieri, 
PieU ni vinse, e ftii (^uaai vmaKnUu 



J2S3 



L'EI9PER. 



25. Je commençai : — Poète, volontiers parlerai-je à 
deux qui vont ensemble ^ et paraissent si légers au venl 

26. Et lui à moi : « Attends un peu qu'ils soient ] 
près de nous ; prie-les alors par cet amour qui les empor 
et ils viendront. » 

27. Sitôt que le vent les amène vers nous, j'élèv 
voix : — âmes en peine, venez nous parler, si un ai 
ne le défend! 

28. Comme les colombes que le désir appelle, les a 
déployées, et d'un vol ferme traversant les airs, vienn 
au doux nid ; 

29. Ainsi ces deux âmes sortent de la troupe où 
Didon, et viennent à nous par Tair malin; si fort fut le 
aflectueux : 

30. « gracieux et bon, toi qui, à travers lair noirâi 
viens nous visiter, nous qui teignîmes le monde de sang 

31 . « Si nous était ami le Roi de Tunivers, nous le pi 
rions de te faire paix, à toi qui as pitié de notre tri 
sort. 

32. «Nous écouterons ce que vous voulez dire, et v 
dirons ce qu*il vous plait d* entendre, tandis que le v 
se tait. 

33. « La terre où je naquis borde la mer où descem 
Pô, pour s'y reposer avec son cortège '. 



r .V cominciai : Poêla, volentieri 

Parlerei a que* duo, che insieme vanno, 
E paion^si al vento esser leggieri. 

S . Ed egli a me : Vedrai quando saranno 
Più presse a noi ; e tu allor li prega [no;] 
Per quell' amor cbe i mena; e quei verran- 

27. Si tosto come il vento a noi ii piega, 
Uossi la voce : anime affannate, 
Tenile a noi parlar, s* altri noi niega. 

SS.Quali colombe dal disio chiamate, 
Con r ali aperte e ferme, al dolce nido 
Volan, per l' aer dal voler portate ; 

S9.Cotali Qscir délia schiera ov' è Dido, 



A noi venendo per l' aer maligno. 
Si forte fu 1* afléltuoso grido. 

50. animal grazioso e benigno, 
Che visitando vai per l' aer perso 
Moi che tignemmo il mondo di sangi 

Si. Se fesse amico il Re dell' universo, 
Noi pregheremmo lui per la tua pac* 
Poi c* bai pietà del nostro mal perv* 

51. Di quel clie udire e cbe parlar ti pis 
Noi udif emo e parleremo a vui, 
Mentre che '1 venio, come fa, si tace 

53.Siede la terra, dove nala fui, 
SuUa marina dove il Po discende 
Per aver pace co' seguaci sui. 



CHAKT GINQUIËHE. 

34. « L'amour qui si vite s'empare d*un cœur tendre, 
éprit celui-ci du beau corps qui m'a été enlevé; et la ma- 
nière m'est encore amère. 

55. « L'amour qui ne permet point à l'aimé de ne pas ai- 
mer, m'éprit pour celui-ci d'une passion si forte que main- 
tenant même, comme tu le vois, elle ne m'abandonne 

point. 

56. « L'amour nous conduisit à une même mort : Caîna ' 
attend celui qui éteignit notre vie. » D'eux nous furent por- 
tées ces paroles. 

37. Lorsque j'ouis ces âmes blessées, je baissai la tète, 
et la tins baissée jusqu'à ce que le Poète me dit : « Que 
penses-tu?» 

38. Je répondis: — Hélas! que de doux pensers, quel 
ardent désir a mené ceux-ci au douloureux passage I 

39. Puis me tournant vers eux, je parlai et dis : — 
Francesca, tes souffrances me touchent et m'attristent jus- 
(p'aux larmes. 

40. Mais dis-moi : Au temps des doux soupirs, à quoi et 
comment amour te fit-il connaître les douteux désirs? 

41 . Et elle à moi : « Nulle douleur plus grande que des 
temps heureux se ressouvenir dans la misère; et cela ton 
Maître le sait •. 



S^Amor, ehe al cor gentil rattot'!q>praule, 
^f^ cottai délia bella persona 
Che mi fa (oita, e '1 modo ancor m*offende. 

'^AoM», ch* a nullo amato amar perdona, 
V prose del costui piacer si forte, 
^, corne vedi, ancor non m' abbandooa. 

S^Amor c(mdasse noi ad nna morte : 
^^ attende cbi in vita ci spense. 
Queste parole da lor ci fur porte. 

''•^a che io intea quelle anime offense, 
Chinai il viso. e tanto il tenni basso, 
Fiochè '1 Poeta mi disse : Che pense? 



SS.Quando rispoei, eomineiai: lasso^ 
Quanti dolci pensier, quanto disio 
Menô costoro al doloroso passe I 

SO.Poi mi rivolsi a loro, e parla' io, 
E comindai : Francesca, i tuoi martiri 
A lagrimar mi fanno tristo e pio. 

40.11a dimmi : al tempo de' doici sospir^ 
A che e corne concedette Amore, 
Che oonoscesle i dubbiosi desiri? 

41. Ed ella a me : Nessnn mag^ior dolore^ 
Che ricordarsi del tempo felice 
Nella miseria-, e c\6 lai'VVxxo I^XXora* 



A A 



V^ 



i.- -: 



254 



L'E»FER. 



42. (c Mais puisque tant tu désires conualtre de n< 
amour la première racine, je le dirai, comme qui di 
pleure. 

43. c< Un jour, par plaisir, nous lisions de Lancelot, o 
ment Tamour Tenserra de ses liens; nous étions seul 
sans aucune défiance. 

44. « Plusieurs fois cette lecture mut nos regards et d( 
lora notre visage; mais un seul moment nous vainquit. 

45. «Quand nous lûmes comment les riantes lèvres d 
r«es furent baisées par un tel amant, celui-ci, qui jan 
de moi ne sera séparé, 

46. « Tout tremblant me baisa la bouche : Galeotto ^® p 
nous fut le livre et qui récrivit; ce jour nous ne lûmes 
plus avant. » 

47. Pendant qu'ainsi parlait Tun des esprits, Tai 
pleurait tellement que de pitié je défaillis, comme si je 
mourais ; 

Et je tombai comme tombe un corps mort. 



4 2. Ma se a conoscer la prima radice 
Del nostro amor lu hai cotanto affetto, 
Faro corne colui clie piange e dice. 

.Noi leggevaino un giorno per diletto 
Di L<'<ncillollo, coiiie araor lo strinse: 
Soli eravamo e senz* alcun sospetto. 

4i.Per più fiale gli occhi ci sospinse 
Quella lettura, e scoloi occi il viso : 
Ma solo un punto fu quel che ci TinM. 

ié» Quando leggeouno il disiato riso 



Bsser bacialo da cotanto amante, 
Questi, che mai da me non fia divisi 

46. La bocca rai baciô tutlo Iremante: 
Galeotto fu 1 libro e chi lo scrisie: 
Quel giorno più non vi leggemmo a 

47.1lenlre che V uno spii-to questo ditsi 
L' altro piangeva si, che di pietade 
l' venni men cosi com' io moriste; 

E caddi, corne corpo morto cadt. 



CHANT CINQUIÈME. 



3S5 



m 



NOTES DU CHANT CINQUIÈME 



i. Voyez ch. h terc. 20, note 1. 

2. Allusion à Babel, où s'opéra, selon la Bible, la confusion des langues 
et la séparation des peuples. 

3. Didon. 

4. Neveu de Haro, roi de Gornouailles, et le . premier des chevaliers 
errants qu'Arlbus, roi de Bretagne, avait rassemblés à sa cour. S'étant épris 
d'Isotta, femme de Marc, celui-ci les surprit ensemble, et frappa en trahison 
Tristan, qui mourut de sa blessure peu de jours après. 

5. Francesca Halalesta et Paul Malatesta, soa beau-frère. Francesca, 
remarquable par sa grande beauté, était fille de Guido da Polenta, seigneur 
de Ravenne, et mariée à Lanciotto ou Lancillolto, fils de Malalcsta, seigneur 
deRimini. Lanciotto avait de la valeur, mais il était laid et contrefuil; tandis 
<iae son frère, au contraire, était doué de tous les dons extérieurs. Epris 
poar sa belle-sœur d'un amour partagé, ils furent surpris par le mari, qui 
les tua tous deux d'un seul coup. 

6. Par cet amour pour lequel ils sont condamnés à être éternellement 
emportés par le tourbillon. 

7. Ses alTluents. 

8. Lieu de l'Enfer, oCi sont punis, avec Gain, les fratricides. 

9. Yirgilc, jadis heureux dans le monde, sentait, lui aussi, avec tristesse, 
^ privation du Ciel. 

iO. Galeolto, dans le roman, fait l'office d'entremetteur entre Lancetot 
^ GineTra, 



256 



L'ENFEB. 



CHANT SIXIÈME 



1 . Quand mon esprit, tout absorbé dans la pitié i 
deux cognats, et troublé de tristesse, risvint à soi, 

2. De nouveaux tourments et de nouveaux tourmenl 
je vis autour de moi, partout où j'allais, et me tourna 
et regardais. 

3. Je suis au troisième cercle de la pluie étemelle, ma 
dite, froide, pesante : toujours la même, toujours e 
tombe également. 

4. Des averses de forte grêle, et d'eau noire, et 
neige, traversent l'air ténébreux ; fétide est la terre qui 
reçoit. 

5. Cerbère, bête cruelle et de forme monstrueuse, a^ 
trois gueules aboie contre ceux qui sont là submergés ^ 

6. Il a les yeux rouges, la barbe grasse et noire, 
ventre large, les mains armées de griffes : il déchire 
esprits, et les écorche, et les dépèce. 



CANTO SESTO 



1. Al toroar délia mente, che si chiuse 
Dinan<i alla pieUi de' duo cognati, 
Che di trislizia tulto mi confuse, 

t.Nuovi lormenli e nuovi tormentati 
Mi veggio inlornu, corne cii' i' mi moTa, 
E coma cli' i' mi volga, c ch* i* rai guali. 

S. r sono al icrto cercliio délia piova 
Eterna, inaiedetla, l'redda e grève : 
Regola e qualità mai non l' ë nova. 



4. Grandine grossa, e aqua tinta, e mt( 
Per r aer tenebrosa si rÎTersa : 
Pute la terra che questo riceve. 

5. Cerbero, fiera crudele e diversa, 
Con tre gole caninamente latra 
Sovra la génie che qnivi è sommersa 

6. Gli occhi ha vermigli, e la barba untaed 
E il ventre largo, e unghiate le tauÀ, 
Graftia gli spirli, gli scuoia, ed isqusti 



CHANT SIXIÈME. 257 

7. La pluie les fait hurler comme des chiens : faisant 
d'un de leurs côtés un abri à l'autre % fréquemment se tour- 
nent les malheureux profanes*. 

8. Sitôt que Cerbère, le grand ver, nous aperçut, il 
ouvrit ses gueules et nous montra ses crocs : pas un de ses 
membres qui ne frémît. 

9. Mon Guide étendit les mains, prit de la terre, et à 
pleines poignées la jeta dans les gosiers affamés. 

10. Tel que le chien avide qui aboie, et s'apaise lorsqu*il 
mord la proie, ne songeant à combattre que pour la dévorer, 

11. Ainsi fut-il des sales mâchoires du démon Cerbère, 
qui étourdit tellement les âmes qu'elles voudraient être 
sourdes. 

12. Nous passions sur les ombres qu abat la pesante 
pluie, et nous posions les pieds sur leur vide apparence 
qui semble une personne. 

13. Elles gisaient à terre pçle-méle, hors une qui, se 
soulevant, s* assit, lorsqu'elle nous vit passer devant elle. 

14. « toi qui traverses cette région de TEnfer, me 
dit-elle, reconnais-moi, si tu le peux! tu naquis avant que 
je ne mourusse *.o) 

15. Et moi à elle : — L'angoisse que tu ressens t'ôte 
peut-être de ma mémoire, de sorte qu'il ne me semble pas 
l'avoir vu jamais. 



^•Ilrlar gli fa la piofÇRia corne cani : 
M' un de* lati fanno aU* allro schermo; 
Tolgonsi spesso i miseri profani. 

iQnando ri scorse Cerbero, il gna vermo, 
l«bocche aperse, e moslrocd le sanne : 
^n atea membro cfae tenetw fermo. 

^BlDoea roio, distese le sue spanne, 
^n» la (erra, e eon piene le pugna 
U gUt6 dentro aile bramose canne. 

M'Qiial ë quel cane che abbaiando ngugna, 
K si raequeta poi che '1 paato morde, 
^ solo a divcKrarlo intende e pugna; 

UtCotai si liecer qudle facce lorde 



DeUo dimonio Cerbero che introna 
L' anime si ch' esser vorrebber sorde . 

iS.Noi passavam su per l' ombre che adona 
La grève pioggia, e ponevam le piante 
Sopra lor vanità che par persona. 

15. Elle giacién per terra tulle quante, 
Fuor d' una ch' a seder si levd, ratto 
Ch' ella ci vide passarsi davante* 

14.0 tu, che se' per qucsto Infemo tratto, 
hÎ disse, rtconoscimi, se sai : 
Tu fosti, prima ch' io disfatto, fatto. 

15. Ed io a lei : L' angoscia che tu hai 
Forse ti tira faor deVVa ttÔA Tn,«oiL% 
Si, che non pur g\i^ \o \\ '^«àasà tD»w. 



kt.t 



258 l'ENFER. 

16. Mais dis-moî qui tu es, ce qui t*a plonge dam 
de douleur et dans une peine telle que, s'il en est 
grande, il n'en est point de plus dégoûtante. 

17. El lui à moi : « Ta ville, qui est si pleine 
que déjà la mesure déborde, fut ma demeure durai 
sereine. 

18. «Vous, ses citoyens, m'appeliez Ciacco • : à ci 
la griève coulpe de gourmandise, je suis, comme tu 
brisé sous la pluie. 

19. «Et moi, triste âme, je ne suis pas seule; toi 
autres, pour la même faute, subissent la même peir 
il n*ajouta pas une parole. 

20. Je lui répondis : — Ciacco, ta souffrance me 
tant, qu'elle me tire des larmes; mais dis-moi, si tu 
où en viendront 

21 . Les citoyens de la ville divisée ; s'il en es! 
de juste : et dis-moi pourquoi tant de discordes 1 
saillie. 

22. Et lui à moi : « Après de longs débats ils e 
dront au sang, et le parti sauvage ^ chassera l'aut 
beaucoup d'offense. 

23. « Puis il faut que celui-là tombe, et que l'autre 
trois soleils '', l'emporte par la force de celui ' qui i 
nant flatte*. 



16. Ma dimmi chi tu se' , che 'n si dolente 
Luogo se' messa, ed a si fatta pena, 
Che s' altra è maggio, nuUa è si spiacente. 

t7. Ed egli a me : La tua uittà ch' è piena 
D' invidia si, che giâ trabocca il sacco, 
f Seco mi tenne in la vita serena. 

18.Voi cittidini mi chiainaste Ciacco : 
Per la dannosa colpa délia gola, 
Corne lu vedi, alla pioggia mi fiacco ; 

19. Ed io anima trisla non son sola, 
Chè tutte quesle a simil pena stanno 
Per simil colpa : e più non fe paro\a- 



SO. Io gli risposi : Ciacco, I tuo a 
Mi pesa si, che a lagrimar m' 
Ha dimmi, se lu sai, a che ver 

21. Li ciUadin délia citlà partita: 
S' alcun v' è giusio : e dimmi I 
Per che 1' ha tanla discordia as 

SS.Ed egli a me : Dopo lunga tenz< 
Verranno al sangue, e la parte 
Caccerâ 1' allra con molta offer 

SS.Poi appresso convien che ques 
Infr.'i tre Soli, e che 1' allra soi 
Caw Va Cv\ria di tal che icstv pi: 



CHANT SIXIÈME. 259 

24. « Il tiendra longtemps le front haut, tenant Tautre 
sous un lourd poids, quoiqu'il en pleure et s'en in- 
digne. 

25. «Il y a deux justes, mais on ne les écoute point. La 
Isiiperbe, Tenvie et Tavarice sont les trois étincelles qui ont 
■embrasé les cœurs. » 

I 26. Ici prit fin son dire lamentable. Et moi à lui : — Je 
Séreux que tu m'inslruises encore, et que de plus de paroles 
tn me fasses don. 

27. Farinata et le Tegghiaio, qui furent si dignes, Jacopo 
Rusticucci, Arrigo et le Mosca *®, et les autres qui appli- 
quèrent leur esprit à bien faire, 

28. Dis-moi où ils sont, et fais que je les reconnaisse^ 
car un vif désir me presse de savoir s'ils ont en partage les 
douceurs du ciel, ou les poisons de Tenfer. 

29. Et lui : « Us sont parmi les âmes les plus noires; 
le poids de fautes diverses les entraine au fond. Si jusque- 

Ilàtu descends, tu pourras les voir. 
30. a Mais quand tu seras dans le doux monde, je te prie 
de me rappeler au souvenir d' autrui". Plus ne te dis et 
plus ne te réponds. » 

51. Lors, de travers tournant les yeux, il me reganla 
^ peu, puis baissa la tête, et tomba parmi les autres 
aveugles. 



I^Aho terrà lunfo tempo lo fronti, 
fenwdo V aitra sotto gravi pesi, 
^ine che di ciô pianga, e che n' adonti. 

lS.Giustigon duo, ma non vi sono intesi: 
SQp«rliia, invidia ed avarizia sono 
^ Ire faville c' hanno i cori accesi. 

^'Qui pose fine al lacrimabil suono. 
M io a lui : Ancor vo' die m' insegni, 
B cbe di più parlar rai facci dono. 



S8. Dimini ove sono, e fa ch* io li conosea ; 
Chè gran desio mi spinge di sapere. 
Se '1 ciel gli addolcia o lo 'iiferno gli attosca. 

29. E quegli : Ei son tra le anime più nere; 
Di versa colpa giù gli grava al fondo: 
Se tanto scendi, gli pnlrai vedere. 

50. Ma quando lu sarai nel doice monda, 
Pregoti ch' alla mente allnii mi recbi : 
Più non ti dico, e più non ti rispondo. 



ST.Parinata e il Tegghiaio, che fur si degni, 5t. Gli diritti occhi torse allora in biechi 
Jacopo Rusticucci, An igo e il Mosca. Guardommi un poco ; e poi chinù la testa: 

K gb aliri ciie a ben far poser gl' ingegni, ■ Cadde con essa a p \t de^Vv 9N\.n vÀv^Ocà. 



/ENFER. 

32. Et le Guide à moi : « Plus ne se réveillera-t-il ai^ 
le son de la trompette de Fange, quand lui a pparaitri 
Puissance ennemie. 

33. «Chacun reverra la triste tombe, reprendra sa cb 
et sa figure, entendra ce qui retentit dans l'éternité. » 

34. Ainsi traversâmes-nous, à pas lents, le sale mélar 
des ombres et de la pluie, conversant de la vie future. 

35. — Maître, dis-je, ces tourments croîtront-ils api 
la grande sentence? ou reviendront-ils moindres? ou seroi 
ik également cuisants? 

36. Et lui à moi : « Retourne à ta doctrine^*, qui vc 
que plus Tètre est parfait, plus il sente le bien, et aussi 
douleur. 

37. c( Bien que jamais ces maudits ne doivent atteindre 
vraie perfection, plus parfaits néanmoins s'attendent-ils 
être après qu'avant ^*. » 

38. Nous suivîmes cette route circulaire, parlant debi 
plus de choses que je n'en redis. Nous vînmes au point 
elle descend : 

Là nous trouvâmes Pluton, le grand ennemi. 



Q.E '1 Duca disse a me : Più non si desta 
Di qua dal suon deil' angelica tromba. 
Quando verra la nimica podesla, 

n.Giascun ritroverà la trista tomba, 
Ripiglierà sua came e saa figura, 
Udirà quel che in etemo rimbomba. 

M.Si irapa^samo per sozza mistura 

Deir ombre e délia pioggia, a passi lenti, 
Toccando un poco la viia futura : 

S5.Perch* io dissi Maestro esti iormenti 
Crescerann' ei dopo la gran soitensa, 
iien minori, o saran si cocenti? 



S6. Ed egii a me : Ritoraa a tua sciensa* 
Che vuol, quanto la cosa è più peiftli 
Più senta '1 bene, e cosi la doglienu. 

ST.Tuttochè questa gente maledetta 
In vera perfesion giammai non Tada, 
Di li, più che di qua, essere aspetta. 

S.Noi aggirammo a tondo quelle strada, 
Parlaudo più assai ch' i' non ndico : 
Veoimmo al punto dove si digrada : 

Quivi trovammo Pluto il grao nemico. 



CHART SIXIBHB. SOI 



NOTES DU CHANT SIXIÈME 



1. Les Gonnnands. 

S. Opposant an de leurs côtés à la tempête de ploie et de grêle, ce côté 
fonne à l'autre un abri. 

3. Pécheurs. 

4. Littéral. Avant que Je fkne dé fait ^ tu fks fait, 

5. En langage florentin, eiaeco signifie pourceau. On ignore qui était le 
personnage ainsi surnommé. 

6. Le parti des Blancs ou des Gibelins. — Il rappelle c sauvage, » disent 
les commentateurs, parce qu'il prit naissance dans les bois du val de Sieve. 

7. Trois révolutions du soleil, c'est-à-dire, trois ans. 

8. Charles de Valois, qui se tourna du côté des Noirs ou des Guelfes. 

9. c Qui maintenant trompe les Florentins par des paroles flatteuses. » 
10. Nobles florentinsj que le Poëte retrouvera plus tard. 

U. c De ceux qui sont encore dans le monde des vivants. > 

12. La philosophie d'Aristote. 

13. c Après qu'avant Ut grande sentence^ ou le dernier jugement. > Ut se» 
NDtpIus parfaits, parce que le corps etTftme se seront réunis; mais leurs 
tovmenls croîtront en pcoportioii. 






* V 



W 



2G2 



L'ENFER. 



CHANT SEPTIÈME 



1. «Pape satan, Pape satan, AleppeM» cria Pluton 
d'une voix rauque ; et ce Sage alTable qui sait tout, 

2. Dit pour m' encourager : « Prends garde que ta peur 
ne te soit à dommage. Quelque pouvoir qu'ait^celui-ci, il ne 
t'empêchera point de descendre cette ravine. » 

3. Puis, vers cette lèvre enflée il se tourna, et dil: 
c( Tais-toi, méchant loup! consume ta rage au-dedans de toi. 

4. « Non sans cause celui-ci va-t-il au fond du gouffre. 
Ainsi est-il voulu là-haut, où Michel vengea le superbe 
adultère*. » 

5. Comme les voiles gonflées par le vent tombent pêle- 
mêle lorsque le mât se brise, ainsi à terre tomba la bête 
cruelle. 

6. Nous descendîmes dans le quatrième gouiîre, péné- 
trant de plus en plus dans la lugubre enceinte qui enserre- 
le mal de tout l'univers. 



CANTO SETTIMO 



l.Pape Salàn. pape Satan aleppe, 
Gominciù Pluto coll;i voce chioccia ; 
E quel Savio gentil, cbe lutto seppe, 

S. Disse per confortarmi : Non ti noccia 
La tua pnura, cliè, poder ch' egli abbia, 
Non ti loiTÙ lo scender (|uesta i-occia. 

S.Poi si rivolse .i quell' entiata labbia, 
E disse : laci, malt>deito lupo: 
Consuma dealro te con la tua rabbia. 



4. Non è senza caçion 1* andare al cupo: 
Vuoisi neir alto là dove Michèle 
Fe la vendetta del superbo strupo. 

5. Quali dal vento le gonfiate vêle 
Cagginno avvolte, poich - l'alber fiacca; 
Tal cadde a terra la liera crudele. 

6.Cosi scendemmo nella quurta Ucca, 
Preiidendo prù délia dolente ripa, 
CVv« \\ tiva\ àAtVV >xtAMer80 tuUo insacca. 



CHANT SEPTIÈME. 263 

7. Ah! justice de Dieu, que de peines nouvelles et de 
tourments je vis! et que grièvement notre coulpe est 
châtiée I 

8. Comme Tonde qui, au-dessus de Charybde, se brise 
contre Tonde qu'elle heurte, ainsi faut-il qu'ici' les damnes 
mènent leur ronde. 

9. Ici sont-ils plus nombreux qu'ailleurs; séparés en 
deux bandes, ils poussaient en hurlant des fardeaux avec la 
poitrine : 

10. Ils se heurtaient à leur rencontre, puis retournaient 
en arrière, criant : « Pourquoi amasses-tu? » et : « Pour- 
quoi dissipes-tu*?» 

11. Ainsi des deux côtés, par le sombre cercle, retour- 
naient-ils au point opposé, se jetant leur honteux re- 
frain. 

12. Et, arrivée au milieu de son cercle, chaque bande 
revenait à une nouvelle joute. Moi qui avais le cœur comme 
brisé, 

15. Je dis : — Maître, apprends-moi qui sont ceux-là, 
et si furent clercs tous ces tonsurés que je vois à notre 
gauche. 

14. Et lui à moi : « Tous furent si aveugles d'esprit 
pendant la vie première, qu'avec mesure aucun ne dé- 
pensa. 



'^Abi giustizia di Dio, tante chi stipa 
Nuove travaghe e peno, quanle io viddi? 
£ perché aoslra colpa si ne stipa 

SGome fa 1' onda là sovra Cariddi, 
Cbesi frange coii qiiella in cui s' intoppa: 
Cosi convien che qui la gente riddL 

••Qui vid' io gente più che allrove Iroppa. 
Bd'una parte e d'altra, con grand' urli 
Voltando pesi per forza di poppa. 

(^•Percolevansi incontro, e poscia pur li 
Sirivolgea ciascun, voltandu a relro, 
(kidando : Perché lieni? e perché burli? 



11. Cosi tornavan per Io cerchio tetro, 
Da ogni mano ail' opposite punto, 
Gridando seinpre in loru ontoso metrcK 

It.Poi si volgea ciascun. quand' era giunto, 
Per Io suo inexzo cerchiu, ail' .«lira giosira. 
Ëd io ch' avea Io cor quasi coinpunto, 

15. Di&si : Maestro mio, or mi dimosira 
Che gente ù quesia, e se tutti fur chères 
Questi chercuti alla siiiistra nostra. 

14. Ed egli a me : Tutti quanti fur guerci 
Si délia mente in 1j viia primaia^ 
Che con misurai uuWo %V'<^v\à\Q V^cciv. 



364 L'ENFER, 

15. «Assez clairement l'aboie leur bouche, lorsqu'ils 
viennenl aux deux points du cercle, où les sépare une i'aule 
contraire. 

i6. «Ceux-ci, dont la tête est nue de cheveux, farenl 
clercs, cL Papes, et Cardinaux, en qui souTerainement do- 
mina l'avarice. » 

i7. Et moi : — Mailre, parmi eux je devrais bien recon- 
naitre quelques-uns de ceux qui furent atteints de ce mal 
immonde. 

18. Et lui à moi : a Une vaine pensée t'abuse. La vie 
obscure qui les souilla, maintenant les dérobe à la con- 



19. «Eternellement ils viendront se heurter de la sorte. 
Les uns, en sortant du sépulcre, ressusciteront la main f^ 
mée; et les autres, la tête rase. 

20. a Mal donner et mal retenir leur a ravi le beau monde' 
et les a conduits à celte ri\e : ce qu'elle est, je le dis sam 
l'orner de paroles. 

21 . « Maintenant, mon fib, tu peux voir si la courte mo- 
querie des biens commis à la fortune vaut que tant les 
hommes s'en tourmentent. 

22. « Tout l'or qui est et fut jamais sous le ciel ne pour- 
rait, à une seule de ces âmes fatiguées, procurer de repos. » 




CHANT SEPTIÈME. 965 

23. — Maître, lui dis-je, dis-moi aussi : Cette fortune 
que tu viens de nommer, qu*est-e11e, que dans ses mains 
elle ait ainsi tous les biens du monde? 

24. Et lui à moi : a créatures stupides ! que profonde 
est Totre ignorance! Je veux que de moi tu apprennes 
ceci • : 

25. « Celui dont la science s'élève au-dessus de tout, a fait 
les deux et leur a donné qui les conduise, de sorte que sur 
chaque partie resplendisse chaque partie ^, 

26. ce Distribuant également la lumière. Pareillement, aux 
splendeurs mondaines il a préposé un chef et ministre 
général, 

27 . a Pour transférer de temps en temps les biens fragiles 
de nation à nation, d'une race à Fautre, quoi que puisse 
bire pour s*y opposer Tindustrie humaine. 

28. ccC'est pourquoi une nation domine, et une autre lan- 
^t, selon le jugement de celle-ci', lequel est caché comme 
le serpent sous l'herbe. 

29. « Votre savoir ne peut rien contre elle : elle prévoit, 
^e, et poursuit son règne comme les autres Dieux *, le 
leur. 

30. « Nulle trêve à ses changements : la nécessité hâte 
sa course, d'où vient que si fréquentes sont les vicissi- 
tudes. 



B-Iaeili«, disn Uii, or mi dl anche : 
Qoesta Fortana, di cbe lu mi tocche, [ch«7] 
Che i, ehe i ben del roondo ha si tra bran- 

U.EqiiegU a ma : créature sciocche, 
Wnta ignoranxa è quella che ▼' offende I 
Or TOT ehe m mia senlenza ne imbocche. 

tt.Colui, lo coi saver tutto trascende, 
'^ li deli, e diè lor chi conduce, 
Si che ogm parle ad ogni parte iplende, 

^Utfiibaendo ugualmente la luce: 
''■ttUenente a^ splendor mondani 



fT.Che permutaaae a tempo li ben vani, 
Di gente in gente e d* uno in altro sangue, 
Oltre la difension de* senni umani : 

S8. Perché una gehte impera, ed altra langue, 
Seguendo lo giudicio di costei, 
Che è occullo, corne in herba 1' angue. 

99*Toitro saver non ha contrasto a lei 
Ella provvede, giudica, e persegue 
Suo regno, corne il loro gii aliri Dei. 

50. Le sue permutazion non hanno trie%|iM 
Nécessita U fa esser N«\ocft\ 



<Mhi6 gênerai ministn e duee, i Si spesso nea (îd Ntettu^ai ««dm.^^» 



266 L'ENFER. 

51. « C'est là celle que tant mettent en croix *^, qui h 
devraient des louanges et qui à tort la blâment et la mai 
dissent. 

52. « Mais elle subsiste, heureuse, et n'entend rien d 
cela; avec les autres créatures premières*^, joyeuse ell 
roule sa sphère, et jouit en soi de sa félicité. 

55. «Maintenant nous descendons là où s'émeut un< 
plus grande pitié. Déjà les étoiles qui montaient quand j< 
partis s'abaissent, et défendent de trop s'arrêter. » 

54. Nous passâmes à l'autre bord du cercle, près d'uw 
fontaine qui bouillonne et se dégorge par un fossé dém< 
d'elle. 

55. L'eau était d'une teinte plutôt sombre que noire; et 
nous, en suivant les brunes ondes, nous entrâmes par ui 
autre chemin dans ces basses régions "• 

56. Descendu au pied de ces malignes pentes grises, c( 
triste ruisseau y engendre un marais nommé Styx. 

57. Et moi qui regardais, attentif, je vis dans ce bour 
hier des gens tout nus, couverts de fange, le visage cour 
roucé. 

58. Non pas seulement avec la main, mais avec la tête 
avec la poitrine et les pieds ils se frappaient, et en lan 
beaux se déchiraient avec les dents. 



31. Quest' è colei, ch' ë tanto posta in croce 
Pur da color, che le dovriaii dar Iode. 
Dandole liiusino a torto e mala voce. 

32. Ma olla s' ù be.ita, e ciô non ode: 
Con r allre prime creaturo lieta 
Volve sua spera, e beata si gode. 

ô3. Or discendiaiiio oiuai a inaggior piûla. 
Uiù ogni Stella c.idt', che siiliva 
Quatido uii mosai, e 1 troppo star si vicia. 

54.Noi ricidemino il cerchio ail' allra riva 
Sovra uiia foitle, ciit* holle. e riversa 
Per un fussàto che da lei diriva. 



r.s.L'acqua era buia molto più che pers^i 
E noi in compagnia dell' ondu bigt> 
Ëntrammo giù per una via diversa. 

56.Una palude fa, c' ha nome Sli<;e, 
Quesio tii«io ruscel, quand' è disceso 
Appiù délie maligne piagge grige. 

57. Ed io, ch' a riinirar mi stava inteso, 
Vidi genti langose in quel |)antano. 
Ignude lulle e cuii senibiante oiTe^o. 

38.Quesli si percolean. non pur con mur* 
Ma con la testa e col pettu e en' piedi^ 
iToucandusi coi deuti a brauo a bian» 



CHANT SEPTIÈME. ' 867 

59. Le bon Maître dit : « Tu vois les âmes de ceux que 
vainquit la colère, et je veux aussi que pour certain tu 
tiennes 

40. « Qu^il en est, sous Teau, dont les soupirs produi- 
sent ces bulles à la surlace, comme l'œil te le montre, où 
qu'il se tourne. 

41. «Enfoncés dans le limon, ils disent : Malheureux 
iûmes-nous dans le doux air que réjouit le soleil, ayant au 
dedans de nous une fumée pesante I 

42. « Maintenant nous nous attristons au fond de la 
bourbe noire... Dans leur gosier ils murmurent cet 
hymne, dont ils ne peuvent prononcer une parole entière. » 

43. Ainsi nous parcourûmes, entre la rive sèche et le 
milieu, un grand arc du sale marais, les yeux tournés vers 
ceux qui engloutissent la fange : 

Au pied d'une tour nous vînmes enfin. 






V.Lo biion Maestro disse : Figlio, or vedi 
L* anime di color cui vinse l' ira : 
Ed anche vo' che tu per certo credi, 

^■Che sotto r acqua ha gente che sospira 
Kfimno pnUuIar quest' acqua al sommo, 
Gome l' occliio ti dice u' che s* aggira. 

M.Fkii ad limo dicon : Tristi fuinmo 
HelPaer doice che del Sol s' allegra* 
'orlando dentro acadioso fummo : 



49. Or ci attristiam nella belletta negra<r 
Quest' inno si gurgrgiiaii nella strozza, 
Chà dir nol posson con parola intégra. 

45.Go8i girammo délia lorda pozza 

Grand' arco, tra la ripa secca e '1 mezzo, 
Con gli occhi volti a chi del fango ingozza : 



Tenimmo appiè d' una torre al dassezzo. 



tB» L'EN FER. 



NOTES DU CHANT SEPTIÈME 



1. Inteijection de colère, sur le sens préds de laquelle Ttrient les coor 
mentateurs. < 

2. Dante, nourri de l'Écriture, en emploie souvent le langage ; et rien de 
plus commun, dans l'Écriture, que les mots d'adultère et de fornication, 
appliqués à l'infidélité contre Dieu. — Quelques-uns pensent que sfrt(|)0 si- 
gnifie multitude, bande, troupe. Alors il faudrait traduire: oU Michel tan- 
vengeance de la troupe superbe* 

3. Le cercle des Prodigues et des Avares. 

4. Dans le choc des deux bandes, les Prodigues crient aux Avares : Pmt' 
quoi amaeses-tu? et les Avares aux Prodigues : Pourquoi dissipee-tu? 

5. Le ciel. j 

6. Au lieu de che tu mia sentenza ne imbocche, d'autres lisent cke tutU ^ 
mia sentenza imbocche^ « Que tous apprennent de moi ceci, i Imbocoan 
signifie proprement mettre, ou recevoir dans la bouche. 

7. De sorte que chaque hémisphère célesle brille successivement nir 
chaque hémisphère terrestre. 

8. De la fortune. 

9. Les Esprits préposés au gouvernement du monde, appelés aussi Dieux 
dans l'Écriture. 

10. Accusent, outragent. 

il. Les anges. 

12. Le cinquième cercle, où sont les Colères et les Négligents. 



i 



CHANT HUITIÈME. 



S60 



CHANT HUITIÈME 



Dntinuant, je dis que longtemps avant que nous fus- 
i pied de la tour, nos yeux se dirigèrent versle sommet, 
ttirés par deux petites flammes que nous y vîmes 
et à ce signal répondit une autre tour, si lointaine 
ine le regard pouvait la discerner, 
t moi, vers la mer de tout savoir ^ me tournant, je 
Que veut dire ce feu? et que répond l'autre? et qui 
IX qui font ce signal? 

it lui à moi : « Sur les ordes ondes, déjà tu peux 
*ir ce, qu'on attend, si point ne te le cachent les va- 
u bourbier. » 

unais corde ne lança, à travers les airs, de flèche 
pide qu'une petite nacelle 

ue je vis venir vers nous sur cette eau, conduite par 
1 nautonier, qui criait : a Te voilà donc arrivée, 
onne? » 



CANTO OTTAVO 



^nitando, ch' assai pnma 
ussimo al piè dell' alta torre, 
noslri n' anJar suso alla cima, 

iammette che i vedemnio porre, 

a da lungi render cenno 

8 appena il potea F occhio torre. 

dUo al mar di lutto il senno 
eslo che dice? e che risponde 
foco? e cbi son quei ch'J feoBO ? 



4.Ed egli a me : Sa per le sucide onde 
Già scorgere uuoi quello che s' aspetta. 
Se il fummo ciel pantan nol ti naaconde. 

5. Corda non pinse nui da se saelta, 
Che si corresce via per 1* aère snella, 
Corn' io vidi una nave piccioletla 

6. Tenir per l' acqua verso noi in queUa« 
Sotto il govemo d' un «A ^'«àAtii^. 

Che gridava : Or ttf ||uuiV%, wcàsD» l^ùo^ 



270 L'ENFER. 

7. «Phlégias, Phlégias*, tu cries en \ain cette foi 
dit mon Seigneur ; tu ne nous auras que le temps de pass 
le marais. » 

8. Comme celui qui reconnaît avoir été déçu; et qui s'e 
chagrine, tel devint Phlégias tout gonflé de colère. 

9. Mon Guide descendit dans la barque, puis m'y fit ei 
trer après lui, et lorsque je fus dedans, alors seulement ell 
parut chargée*. 

10. Dès que le Guide et moi nous fûmes dans la nef, lai 
tique proue va sillonnant Teau plus profondément qu'ell 
ne le fait avec les autres. 

11. Tandis que nous traversions le lac stagnant, devai 
moi se leva un damné tout couvert de fange, lequel dit 
« Qui es-tu, toi qui viens avant Theure *? » 

12. Et moi à lui : — Si je viens, je ne reste point. Mai 
toi, qui es-tu, qui t'es ainsi souillé?... Il répondit : «T 
le vois, JQSuis un qui pleure. » 

13. Et moi à lui : — Avec tes pleurs et avec ton deuil 
esprit maudit, demeure I je te reconnais, si bourbeux qu 
tu sois. 

14. Alors il étendit ses deux mains vers la barque; c 
pourquoi le Maître prudent le repoussa, disant : « Va 
avec les autres chiens I » 



T.Piegiis, Flegiàs, tu gridi a vuoto, 
Disse lo mio Si^nore. a questa voUa : 
Piû non ci avrai, se non passando il loto. 

8. Quale celui che grande inganno ascolta 
Che gli sia falto, e poi se ne lammarca, 
Tal à fe Flegiàs nell* ira accolta. 

9.Lo Duca mio discese nella barca, 
E poi mi fece enlrare appresso lui, 
E soif quand' i' fui dentro, parve carca. 

lO.Tosto che 'I Duca ed io nel legno fui, 
Secando se ne va V anlica prora 
Dell' acqua p:ù che non suol coo altrui. 



11. Mentre noi correvam la morta gora, 
Dinanzi mi si fece un pt'en di fango, 
E disse : Chi se' tu che vient ami ora^ 

IS.Ed io a lui : S' i' vegno. non rimangoi 
Ma tu chi se*, che si sei fatto bruUoI 
Dispose : Vedi che son an che piango. 

IS.Ed io a lui : Gon piangere e oon lutto, 
Spirito maledetto, ti rimani, 
Gh' io ti conosco, ancor aie lord« lulto 

U.Allora stese al legno ambe le mani : 
Per che '1 Maestro accorto lo srspin<e, 
Dicendo : Via costi con gh' akri caaL 



!V 



CHANT HUITIÈME. 



27t 



^uis, de ses bras me ceignant le col, il baisa mon 

ît dit : « Âme noble, bénie soit celle dont le sein 
f 

Celui-ci fut dans lemonde plein d'orgueil; rien de bon 
a mémoire : aussi son ombre est-elle ici furieuse. 
Combien là-haut s'estiment de grands rois, qui se 
comme des porcs dans la bourbe, laissant de soi 
les mépris. » 

ît moi : — Maître, très-désireux serais-je de le 
iger dans cette boue, avant que nous ne sortions 



■ . 









1' 



Ht lui à moi : « Tu ne verras point le rivage que tu 
atisfait; il convient que tu jouisses de ce désir. » 
^eu après je vis la gent fangeuse se ruer sur lui de 
ie, que j'en loue encore et en remercie Dieu, 
'ous criaient ; « A Philippe Argcnti'^! » etcetes- 
intin, dans sa rage, se déchirait lui-même avec les 

là nous le laissâmes, et plus n'en parlerai. Mais des 

oureux frappant mon oreille, je portai en avant un 

ttentif. 

It le bon Maître dit : « Maintenant, mon fils, s'ap- 

a cité nommée Dite, avec ses coupables citoyens 

en foule. » 



\ 



'', 



■' 



)i cou le braccia mi cinse, 

1 volto, e disse : Aima sdegnosa, 

colei cbe in te s' incinse. 

mondo persooa orgogliosa ; 
ë che sua memoria fregi : 
ibra sua qui furiosa. 

mgon or lassù gran régi, 
iranno come porci in brago, 
mdo orribili dispregi ! 

stro, raolto sarei vago 
attu&re in questa broda, 
Dol uscissimo del lago. 

ne : Aranti cbe la proda 



Ti si lasd Yeder, tu sarai saxio : 
fH tal disio converrà che tu goda. 

50. Dopo ciù poco, vidi quello strazio 
Far di costui aile fangose genti, 

Che Dio ancor ne lodo e ne ringrazio . 

51. Tutti gridavano : A Filippo Argenti. 
Lo fiorentioo spirilo bizzarro 

In se raedesmo si vo.gea co* denti. 

Sâ.Quivi'l lasiiamino, cbé più non ne narro 
Ma negli orecchi mi percosse un duolo, 
Perch* io avanli intento P occhio sbarro. 

23. Lo buon Maestro disse : Ornai, Ugliuolo, 
S' appressa la città c' ha nome Dite, 
Co* gravi dttadio, col grande sluolo. 



N 



272 L'ENFER. 

â4. Et moi : — Maître, déjà clairement je vois dan 
vallée leurs mosquées rouges comme si elles sortaient 
feu. 

25. Et lui me dit : « Le feu éternel qui les embrase 
dedans les fait paraître rouges, comme tu le vois dam 
bas enfer. » 

26. Nous arrivâmes dans les fossés profonds qui ent 
rent cette ville désolée. Les murs me semblaient de fer. 

27. Non sans de grands détours, nous vînmes en 
endroit où le dur nocher nous cria : « Sortez, voici Y 
trée I » 

28. Je vis sur les portes plus de mille de ceux que le < 
fit pleuvoir •, lesquels avec colère disaient : « Qui est 
lui-ci, qui, sans être mort, 

29. Va dans le royaume des morts? » Et mon sage Mai 
fit signe de vouloir leur parler secrètement. 

30. Alors un peu se calma leur grand courroux, et 
dirent : « Viens seul, et que s'en aille celui-là, qui fut 
hardi que d'entrer dans ce royaume. 

31 . « Seul qu'il s'en retourne parla folle route '^; qu'il 
saye s'il pourra : toi qui à travers cette contrée obscure I 
accompagné, tu demeureras ici. » 

32. Pense, Lecteur, si je me déconfortai au son de 
paroles maudites, croyant ne m'en retourner jamais. 



} 



M.Ed io : Maestro, già le sue meschite 
lÀ entro certo nella valle cerno 
Termiglie, corne se di fuoco uscite 

tS.Fossero. Ed ei mi disse : Il foco eterno, 
Ch' entro le aiToca, le dimosira rosse, 
Corne tu vedi in questo basso infemo. 

S6.Noi pur giugnemmo deniro ail' alte fosse, 
Che vallan quella terra sconsolata : 
Le mura mi parea che ferro fosse. 

f7.Non senza prima far grande aggirata, 
Venimmo in parte, dove il nucchier, fortei 
Uscile, ci gridô, qui è V entrata. 

i8,ïo vidi più di mille in sulle porte 



Dal ciel piovuti, che stizsosamente 
Dicean : cbi è costui, che senza moHi 

t9.Va per lo regno dclla morta gente? 
E il savio mio Maestro fece segno 
Di voler lor parlar segrelamenle. 

50. Aller chiusero un poco il gran disdeg 
E disser : Vien tu solo, e quel sen va 
Che si ardito enlrô per questo regno 

51. Sol si ritomi per la folle strada : 
Provi, se sa ; cbè lu qui rimarrai, 
Che scorto l' hai per si buia contrada 

St. Pensa, Lettor, s* i' mi disconfortai 
Kel suon délie parole maledette; 
Ch' i' non credetti ritomarci oiai. 



GHAItT HUITIEME. S73 

35. — mon cher Guide, qui plus de sept fois m'as 
rendu la sécurité, et tiré d'autres périls menaçants, 

34. Ne me laisse point, dis-je, en cette détresse; et si 
l^aller plus avant m'est dénié, revenons vite ensemble sur 
nos pas. 

35. Et ce Seigneur qui m'avait conduit, me dit : a Ne 
crains point : nul ne peut nous fermer le passage que nous 
a ouvert un si grand*. 

36. «Mais attends-moi ici, et conforte et nourris dune 
bonne espérance ton esprit abattu ; je ne te laisserai pas 
dans le monde bas. » 

37. Ainsi s'en va, et là m'abandonne le doux père; et 
moi je demeure en suspens, le oui et le non se combattant 
dans ma tête. 

38. Je ne pus ouïr ce qu'il leur dit ; mais il n'eut guère 
été avec eux, que tous coururent préparer la défense au 
dedans. 

39. Nos adversaires fermèrent les portes devant mon 
Seigneur qui resta debors, et revint vers moi à pas lents, 

40. Les yeuxà terre et le front morne, soupirant il disait: 
«cQui m'a refusé l'entrée des demeures douloureuses? » 

41. Et il me dit : « Quoique je me courrouce, ne t'ef- 
Fraye point : je vaincrai dans ce combat, quelle que soit au 
dedans la défense. 



BS.0 caro Duca mio, che più di lette 
Votte m' hai sicurtà renduta, e tratto 
V alto periglio che incontra mi stette, 

^%< KoQ mi lasciar, diss' io, cosi disfatto ; 
B se r andar più oltre c' è negato, 
Ritroviam l' orme noslre insieme ratto. 

II.B quel Signor, che II m' avea menato, 
Mi disse : Non temer, che il noslro passo 
K<m ci pu6 torre alcun : da tal n' è dato. 

^•Va qui m' altendi; e lo spirito lasso 
Conforta e ciba di speranu buona, 
Ch' i* non ti lascer6 nel mondo basso. 

^1<Coii len va, e quivi m' abbandona 



Lo doice padre, ed io rimango in forse; 
Ghè il no e il si nel capo mi tenzona. 

SS.Udii* non pote' quello ch' a lor porse: 
Ma ei non stette là con essi guari, 
Che ciascun dentro a praova si ricorse. 

S9.Chiuser le porte que' nostri aTversari 
Nel petto al mio Signer, che fuor rimase» 
E rivolsesi a me con passi rari. 

40. Gli occhi alla terra, e le ciglia avea ras* 
D' ogni baldanza, e dicea ne' sospiri : 
Ghi m* ha negate le dolenti case? 

41. Ed a me disse : Tu, perch' io m* adiri. 
Non sbigottir, ch' io vincerô la pruova, 
Quai ch' alla difensiou detAxt» tf ^^skV» 



^74 L'ENFER, 

42. « Cette arrogance ne leur est pas nouvelle; i 
trèrent jadis à une porte moins secrète*, dont la s< 
encore brisée. 

43. «Au-dessus, tuas vu Tinscription de mort ; 
l'autre côté, descend la pente, passant sans esco 
vers les cercles, 

« Tel par qui la ville s'ouvrira. » 



4t.QaBita lor tracotanu non è nuoTa, 
Cbè gii r nsaro a mea ségreta porta, 
La quai aensa aerrame aneor si trova. 

-M^toir' iMi tadeitù la acriUa morta: 



E gtt di 9ua da lei discend 
Paasando per li c«rchi senz 

Ial,eiMperlniQefialat« 



CHANT HUITIËMB. 



275 



i 



NOTES DU CHANT HUITIÈME 



1. VirgUe. 

2. Purieax contre ApoUoD, ({oi atait violé sa fille, Phlégias brûla le tem* 
pie de ce dieu, à Delphes, el fut pour cela condamné à TEnfer, où Dante feint 
4° il est le nocher chargé de conduire les ftmes mauyaises â la cité de Dite. 

^- Parce que Dante seul avait an corps dont le poids faisait enfoncer la 
e. 



*' Avant d'être mort. 

^* Homme riche et puissant, très-colère. 
. ^- Plus de mille des esprits rebelles, qui, chassés de leur premier se» 
J^iu*) tombèrent da ciel, comme la pluie tombe des nuages. 

'• Par la route où il est entré follement. 

°' Dieu même. 

.^> La première porte de l'Enfer, dont il est parlé an commencement du 
l'^oisièine chant, et dont le Christ força Ventrée, lors de sa descente dans les 
limbes 



'. / 



S76 



L'BNFBR. 



CHANT NEUVIÈME 



1 . Cette couleur, dont le découragement au dehors i 
peignit^ lorsque je vis mon Guide revenir, fit qu'il se hâ 
de renfermer en soi ses émotions nouvelles. 

2. Attentif, il s'arrêta comme un homme qui écoui 
Tœil ne pouvant atteindre au loin à cause de Tair obsci 
et du brouillard épais. 

3. c< Il nous faudra vaincre dans ce combat, dM 
sinon... tel à nous s'est offert. Ohl qu'il me tarde qu 
l'autre arrive ici*l » 

4. Je vis bien que la suite amendait le commencemeoi 
les paroles différant des premières. 

5. Cependant son dire m'inspira de la peur, parce qo 
peut-être tirais-je le discours tronqué à un sens pire (f 
son sens véritable. 

6 . — En ce fon d de la triste conque , aucun descend-il jai0^ 
du premier degré, où la seule peineestlemanqued'espéraoc 



CANTO NONO 



l.Quel color che viltà di fuor mi pinse, 
▼eggendo '1 Ouca mio tornare in Tolta, 
Piu tosto dentro il suo nuovo ristrinse. 

S.Âttento si fennô com'uom che ascolta; 
Cbè r occhio nôl potea menare a lunga 
Per 1' aer nero e par la nebbia folta. 

S. Pur a noi converri vincer la punga, 
Cominciô ei : se non... tal ne s'ufferse. 
Oh quanto tarda a nne ch' altri qui giungal 



4.Io yidi ben s! com* ei ncoperse 
Lo cominciar con i* altro che poi 
* Che fur parole aile prime diverse. 

5. Ma nondimen paiira il suo dir dien^*' 
Perch' io traeva U parola tronca 
Forse a peggior sentensia ch* ei noc» * 

6. In questo fondo délia trista conca 
Discende mai alcus del primo grad^ 
Che sol per pena ha la speranza tiiO^ 



CHANT NEUVIÈME. 277 

7. Demandai-je. Et lui répondit : « Rarement arrive- 
l-^l qu'un de nous parcoure le chemin par où je vais. 

8. ((Une autre fois je fus, il est vrai, forcé de descendre 
ici-bas par les conjurations de la dure Érichtone, qui rap- 
pelait les ombres en leurs corps*. 

9. (( J* étais depuis peu dépouillé de ma chair, lorsqu'elle 
me fit entrer au dedans de ces murs, pour tirer un esprit 
du cercle de Judas. 

10. « Ce lieu est le plus bas et le plus sombre, et le plus 
loin du ciel qui entoure et meut tout\ Je connais bien la 
route; ainsi tranquillise-toi. 

11. «Ce marais, d'où s'exhale une vapeur fétide, ceint 
la cité de douleur, où désormais nous ne pouvons entrer 
sans ire*. » 

12. D'autres choses il dit; mais je n'en ai pas le sou- 
venir, parce que mes yeux m'avaient attiré tout entier vers 
la haute tour au sommet ardent, 

13. Où tout d'un coup je vis debout trois furies infer- 
nales teintes de sang, qui avaient des membres et un port 
de femme, 

14. Des ceintures d'hydres vertes, et pour cheveux des 
cérastes et des serpents, dont leurs tempes affreuses 
étaient liées. 



'Queita question fec' io. E quci : Di rado 
'ocontrn, mi rispose, cht» di nui 
'%cia il cammino alcun per quale io vado. 

•Jer « ch* allra fiaia qua;(f;iù fui 
^J'^gnirato dn quell^i Eriton cruda, 
*^e ricliiamava i* ombre a' corpi sui. ' 

pJ^ ern di me la carne nuda, 

~* ella mi fece entrar dentro a quel mure, 

'^•' trame un spirlo dei cerchio di Giuda. 

^'?^' i il piùbasso loco e il più oscuro, 
^più lonlan dal ciel che tutlo gira: 
"CDso il cammin : perô ti fa securo. 



il.Questa palude, che il gran puizo spir% 
Cinge d' intorno la cittâ dolente, 
U' non potemo entrare omai senx' ira. 

19. Ed altro disse, ma non 1' ho a mente; 
Perocchë 1' occhio m* avea tutto tratto 
Vkf V alla torre alla cima rovente, 

IS.Ove in un punto furon dritte ratto 
Tre furie infernal di sangue tinte, 
Che membra femminili avieno ed atto ; 

14. E con idre verdissime eran cinle : 
Serpentelli e céraste avean per crino. 
Onde le liere lempie enuo viNUvVe. 



f 



.^78 L»ENFER. 

15. Et lui qui bien reconnut les servantes de la rei 
des pleurs éternels' : « Regarde, me dit-il, les féroc 
Erynnis I 

16. « Celle-ci à gauche est Mégère; celle qui se lament 
droite est Alecto ; Tisiphone est au milieu. » Et cela d 
il se tut. 

' 17. Chacune d'elles se déchirait la poitrine avec les oi 
\ gles; elles se frappaient des mains, et jetaient de si hau 
cris, que de crainte je me serrai contre le Poète. 

18. « Viens, Méduse! nous le ferons de pierre', 
criaient-elles toutes, regardant en bas ; c< mal nous ven 
geâmes l'attaque de Thésée'* » 

19. — « Tourne-toi en arrière, et ferme les yeux; ca 
si la Gorgone se montrait et que tu la visses, jamais d'ic 
tu ne remonterais. » 

20. Ainsi dit le Maître ; et lui-même me tourna, et ne » 
fiant point à mes mains, des siennes encore il me couTri 
les yeux. 

21. vous qui avez l'intelligence saine, contemplez fc 
doctrine cachée sous le voile des vers étranges*. 

22. Déjà sur les ondes troubles venait avec fracas un sor 
plein d'épouvante, dont tremblaient les deux rives. 

23. Il ressemblait au vent impétueux qui, durant lesar 
deurs pernicieuses, secoue la forêt, et, sans que jrien rarrête, 



15. E quei, che ben conobbe le mescbine 
Deila regina dell' eterno pianto, 
Guarda, mi disse, le feroci Erine. 

18. Quesia è Megera dal sinistro canto : 
Quella, che piange dui deslro, è Aletto : 
Tesifone ë nel niezzo : e tacque a tanto. 

IT.Goli' unghie si Tendea ciuscuna il petto; 
Balteiinsi a palme, e gridavan si alto, 
Gh' i' mi strinsi al Poeta per sospetto. 

; iS.Venga Médusa, si il farem di smalto 
(Gridavan tuUe ri<>uardundo in giuso); 
Mal non vengiammo in ïeseo 1' assalto. 

19.Volgili indietro, e lien lo viso chiuso; 



Che se il Gorgon si moatra, e ta 1 veden 
Nulla saiebbe del tornar mai soso» 

SO.Gosi disse il Maestro; ed egli stessi 
Mi volse, e non si tenne aile mie dD""* 
Che con le su« ancor non mi chiudes»* 

21.0 voi, ch* av0te gl' intelletti said, 
Mirate la dgltrina che s'^asconde 
Sotto il vel|ine degli Tersi strad. 

2t. Ë già veoja su per le torbid' onde 
Un fracatso d' un suon pien di tfUttf^ 
Per cm tremavano ambedue le tpooà^' 

25. Non iillrimenti faUo che d' un veoU) 
Imoetuoso per gli awersi ardori, 
Gbe lier la selva, e seiua alcHD nHUf^ 






CHANT NEUVIÈME. 



279- 



24. Brise, abat les rameaux, et les emporte au loin. 
Poudreux et superbe il s'avance, et fait fuir les animaux e 
les pasteurs. 

25. n^^ me rouvrit les yeux et dit : « Dirige maintenant ta 
vue sur cette antique écume, là où plus acre est la fumée. » 

26. Comme les grenouilles, devant la couleuvre enne- 
mie, fuient à travers Teau jusqu'à terre où chacune d'elles 
se ramasse en éoi; 

27. Ainsi vis-je plus de mille âmes ruinées fuir devant 
un qui, marchant, passait le Styx à pieds secs. 

28. Il éloignait de son visage cet air épais, portant sou- 
vent sa main gauche en avant, et de cette seule gône pa- 
raissait fatigué. 

29. Bien m'aperçus-je qu'il était envoyé du ciel, et Je 
me tournai vers le Maître, et il me fit signe de garder le 
dence, et de m'incliner devant lui. 

30. Ah! qu'il me semblait plein de courroux! Il vint » 
la porte et l'ouvrit avec une petite verge, sans que rien la 
retînt : 

31. «0 chassés du ciel, bande abjecte! commença-t-ik 
surThorrible seuil, d'où tant d'audace en vous? 

32. « Pourquoi regimbez-vous contre cette volonté qu» 
ne saurait jamais ne pas atteindre sa fin, et a plusieurs fois 
accru vos angoisses? 



S4.Li rami scbianU, abatte e porta fori, 
Koanzi polveroso va superbo, 
E h fuggir le iiere e li pastori. 

iS-Gliocebinu sck)l8e,e disse: Ordrizzail ner^ 
^ viso su per quella schiurna anlica, [bo] 
l^r indi ove quel fununo è più acerbo. 

^Come le rane innanzi alla nimica 
liiscia per 1* acqua si dileguan tulte, 
Fin che aUa terra ciascuna s' abbica; 

^- ^id' io più di mille distruUe 
^gir cosi dinanzi ad un, che al passe 
^ssava Slige colle pianle asciutte. 

^•Oal velto rimovea queU' aer grasso. 



Meuando la sinistra innanzi spesso; 
E sol di quel!' angoscia parea lasso. 

29. Ben m'accorsi ch' egli era del ciel messo, 
E volsimi al Maestro : e quel fe segno, 
Ch' io stessi cheto, ed inchinassi ad esso. 

SO.Ahi quanto mi parea pien di disdegno! 
Giunse alla porla, e ton uua veriihetta 
L'aperse, chè non v' ebbe alcun rilegno. 

51.0 cacciati del ciel, gente dispelta, 
Comiiiciû egli in su l' orribil soglia, 
Ond' esta ollracolanza in voi s'alletta? 

S2. Perché ncalcilrate u quella voglia, 
A cui non puote in lin mai esser mozzo, 
E che più voUe v' b^L cre^vuVjL ^ct^vt.t 



280 L'ENFER. 

35. «Que sert de se heurter contre les destins? Voire 
Cerbère, si bien vous en souviejfit, en a encore le menton 
et la gorge pelés".» 

34. Puis il s'en retourna par la route bourbeuse, et ne 
nous dit pas un mot ; mais il ressemblait à un homme 
qu*aiguillonne et presse un autre souci i 

35. Que de ce qui est devant lui : et nous, tranquilles' 
après les paroles saintes, nous nons acheminâmes vers 
la ville. 

36. Nous y entrâmes sans nul conflii et moi qui désirais 
voir ce que renferme une telle forteresse", 

37. Quand je fus dedans, je jetai mes regards alentour, 
et je vis, de tous côtés, une vaste campagne pleine de deuil 
et daffreux tourments. 

38. Comme près d'Arles, où le Rhône devient stagnant, 
commeàPola*', près duQuarnaro", qui ferme Tltalieet 
en baigne les limites, 

39. La plaine est toute bosselée de tombes; ainsi en 
était-il ici, mais d'une façon plus triste, 

40. Entre elles des flammes étant éparses, qui les embra- 
saient tellement qu'aucun art n'exige que le fer le soit plus. 

41. Tous leurs couvercles étaient soulevés, et d'au de- 
dans sortaient des cris si lamentables, que beaucoup parais^ 
saientiis de malheureux dans les tourments. 



ï 



SS.Che giova nelle fata dar di cozzo? 
Cerbero voslro, se ben vi ricorda, 
Ne porta ancor pelalo il mento e il gozzo. 

Si.Poi si rivolse per la strada lorda, 
E non le motto a noi : ma fe serabianle 
D' uomo, cui altra cura siringa e morda, 

SS.Che quella di colui che gli è davante. 
B noi movemmo i piedi in ver la terra, 
Sicuri appresso le parole santé. 

36.Dentro v*entrammo senzaalcuna guerra: 
Ed io, ch' avea di riguardar disio 
La condizion cbe lai fortezza serra, 

37.Gom' io fui dentro, l' occhio intorno invio; 



E veggfo ad ogni man grande campa g»* ^ 
Piena di duolo e di tormento rio. 
58. Si cdme ad Arli, ove '1 Rodano eUigOA^ 
Si cbme a Pola presso del Quamaro, 
Che Italia chiude e i suoi termini 



S9.Panno i sepolcri tutlo il loco Taro; 
Cosi facevan quivid'ogni parte, 
Salvo che '1 modo v' era più aioaro; 

iO.Chè Ira gli avelli fianune erano sparte* 
Per le quali eran si del tutlo accesi, 
Che ferro più non chiede venin* arte» 

41. Tutti çli lor coperchi eran sospesi, 
£ Tuor n'uscivan si duri lamenti, 
Che ben perean di miseri e d' offiesi. 



CilAST îfEUTlÊaS 281 

42. Et moi : — Maître, qui sont ceux-là qui, du fond des 
sépulcres, font entendre ces douloureux soupirs? 

43. Et lui à moi : a Ici sont les hérésiarques avec leurs 
disciples de toute secte, et les tombes en sont bien plus 
combles que tu ne crois. 

44. Ici le semblable est enseveli avec le semblable : les 
tombeaux sont plus ou moins brûlants. » Et, après avoir 
toomé à main droite, 

Mous passâmes entre les tourmentés et les hautes mu- 
railles. 



*iBd io : llaestn»» qnai ion quelle gaoti, 
Ghe seppellHe dentro da quell* arche 
Si fuk sentir oon gli soepir dolenti ? 

K.Bd e|^ a me : Qui son gli eresiarche 
Co' Im* seguaci d' ogni selta, e molto 
Kà ebe non oredi, son le tombe cardw* 



U.8ûmle qui coo simile à sepolto» 
B i monimenti son più, e men caldi. 
B poi ch' alla man désira si fu toU' 



Panammo Irai nuurtiri e gli altiq»aldi. 



Vt^ 



182 L'ENFER. 



NOTES DU CHANT NEUVIÈME 



i. La pftleur par laquelle se manifesta sa frayear. 

2. Ce passage obscur à fort exercé les commenta leurs. Se parlant et t^ 
répondant à lui-même intérieurement, Virgile ne prononce que des inot# 
entrecoupés, qui ne forment aucun sens suivi. On devine seulement qui 
attend avec impatience quelqu'un qui lui a promis secours. Dante lui-même 
ne àait quel est le sens véritable du discours tronqué de «on Guide. Il f 
avait entre les Gibelins un langage convenu, mystérieux, dont on troavo 
plus d'une trace dans ce poënie, et encore plus dans les autres ouvrages do 
l'auteur, surtout dans ses Canzoni. Les mots tal et altri paraissent appar^ 
tenir à ce langage, dont le secret probablement est à jamais perdu. Quel- 
ques-uns conjecturent qu'ils désignent l'empereur Uenri de Luxembourg 
impatiemment attendu par les Gibelins, alors abattus par le parti contraire* 
et qui fondaient sur sa venue, plusieurs fois annoncée, de grandes espé-- 
rances. 

3. Sorcière de Thessalie, qui, à la prière de Sextus Pompée, tira, par^ 
force de ses enchantements, une âme de TEnfer, pour savoir quelle seru^ 
'issue de la guerre civile entre César et le grand Pompée, père de Seitu»- 
— Lucain, Pharsale^ liv. VI. 

4. Le Premier Mobile, ou le ciel le plus élevé, qui enveloppe et men^ 
tous les autres cieux. 

5. a Sans que le courroux de celui qui va venir ne dompte la résistane^ 
des esprits rebelles qui nous en interdisent l'entrée. » 

6. Proserpine, femme de Pluton, roi de l'Enfer. 

7. « Nous le changerons en pierre. » 

8. « Nous tirâmes une trop faible vengeance de l'attaque de Thésée. » -** 
Descendu aux Enfers avec Pirithofls pour enlever Proserpine, celui-ci fu* 
dévoré par Cerbère, et Thésée seulement retenu prisonnier. Suivant un* 
interprétation différente et plus littérale, — car le texte ne dit pas malvcfr 
giammo, mais mal non vengiammOj — il faudrait traduire ma/ noti^n^v^ 
gedmes, nous ne punîmes pas mal l'attaque de Thésée. Ce serait une soite 
de louange que se donneraient à elles-mêmes les Furies. Ce sens, toutefob, 
ne se lie pas aussi bien avec ce qui précède. 



CHANT HEUVIfiME. 283. 

9. Dante semble ici confirmer lui-même le fentiment des interprètes, 
il est parlé dans la note sur le tercet 3. 

10. Virgile. 

11- Sous l'image de Cerbère, disent les interprètes, il faut entendre l'es- 
prit infernal, qui , lors de la descente du Christ en Enfer, ne pouvant lui 
opposer de rébblance, s'arracha de rage le poil du menton, et se meurtrit 
le visage et la poitrine. 

12. Le sixième cercle. 

15 Ville d'Istrie. 

14. Golfe qui baigne Tlstrie, où finit Tltalie, et la sépare de la Croatie. 



' ■ • ' , 



SSi 



L*EK^£R. 



CHANT DIXIÈME 



1 . Maintenant, par un étroit sentier, entre le mur ( 
la ville et les tourmentés, va mon Maître, et moi derrièi 
lui. 

2. — vertu suprême^ dis-je, qui, comme il te plai 
me conduis par les tristes circuits, parle-moi et satisfa 
mes désirs. 

3. La gent qui git dans les sépulcres, la pourrait-( 
voir? Tous les couvercles sont levés, et nul ne fait garde. 

4. Et lui à moi : « Tous seront scellés, quand de Jos; 
phat ils reviendront ici avec les corps qu'ib ont lais» 
là-haut. 

5. « De ce côté ont leur cimetière, avec Épicure, tous a 
sectateurs, qui veulent que Tâme meure avec le corps. 

6. « Au reste, de là dedans on satisfera bientôt ta de 
loande, et aussi le désir que tu me tais, d 



GANTO DEGIMO 



\' 



l.Ora sen va per uno stretto calle 
Tra 'I muro deila terra e li raartiri 
Lo mio Maestro, ed ie dopo le spaUe. 

S.0 TÏrlù somma, che per gli empi giri 
Mi Tolvi, cominciai, com' a te piace, 
Parlami, e soddisfammi a' miei desiri. 

3. La gente. che per li sepolcri giace, 
Potrebbesi veder? gii son levati 
Tutti I coperchi, e nessun guardia face. 



k, Ed egU a me : Tutti saran lerrali, 
Quando di Josafli qui tomeranno 
Coi corpi che lassù hanno lasdali. 

5. Suo cimitero da questa pnrte hanno 
Con Epicuro tutti i suoi segnad. 
Che i' anima col corpo morta lanno. 

6. Perô alla dimanda che roi faci 
Quinc' entro soddisfatto sarai tosto, 
E al disio ancor che tu mi taci. 



GHAHT DIXIÈME. 285 

7. Et moi : — Bon maître, si je ne te découyre pas tout 
3n cœur, c est pour être bref comme déjà auparavant tu 
y as induit. 

8. <c Toscan, qui t'en vas, vivant, par la cité du feu 
isi sagement parlant, qu'il te plaise t'arréter en ce lieu I 

9. « Ton langage montre que tu es né dans cette noble 
trie* à laquelle peut-être fus-je trop rude. » 

10. Subitement celte voix sortit d'une des tombes : de 
loi eiïrayé, je me rapprochai un peu de mon Guide. 

il. Et lui me dit: « Que fais-tu? Tourne-toi. Vois là 
rinata qui s'est levé : tu le verras tout entier de la cein- 
re en haut. » 

12. J'avais déjà mes yeux fixés sur les siens, et lui de la 
itrine et du front se dressait, comme s'il eût eu l'enfer à 
and mépris. 

13. Les mains promptes et hardies du Maître me pous- 
sent vers lui à travers les sépulcres, disant : « Que tes 
rôles soient nettes ^ ! » 

14. Et quand je fus au pied de sa tombe, il me regarda 
i peu, puis d'un air hautain me demanda : « Qui furent 
8 ancêtres? » 

15. Moi qui d'obéir étais désireux, je ne les lui celai 
)int, mais je les nommai tous : sur quoi il éleva un peu 
8 sourcils, 



Kd 10 : Buon Dnea, non t«gno naseoilo 
A t« mio cor, se non per dicer poco ; 
B tu m' hai non pur mo a ciô dispotto. 

•0 Tosco, ebe per la ciltà del foco 
Vivo ten vai cosi pariando onesto, 
^iacciati di ristare in questo loco. 

■|^ tualoquela U fa maniresto 

"^ «Nia nobil patria naiio, 

Alla quai forse fui troppo molesto. 

■Subitamcnte questo suono uscio 
^ una deir arche : peru m' accostai, 
T<!<neodo, no poco più ai Duca mio> 

Uei mi disse : Tolgiii: che fai? 



▼edi là Farinata che s' è drilto : 
Dalla cintob in su tulto il vedrai. 

It.Io avea già il inio viso nel suo fitto ; 
Ed ei s' ergea col petto e colla fi onte, 
Com' avesse lo Infemo in gran dispilto 

1S.E le animose man del Duca e pronte 
Mi pinser tra le sepoiture a lui, 
Dicendo : Le parole tue sien conte. 

li.Toslo ch' al piè delki sua tomba fui, 
Guardomini un poco, e poi quasi sdegnoso. 
Mi dimandù : Chi fur li maggior tui? 

15. lo, ch' era d' obedir desideroso. 
Non giiel celai, ma tutlo gliel' apcrti : 
Ond' ei lev6 le cig,UaL\ui^cAm«MA\ 



16. Puis dit : « Cruellement ils furent ennemis < 
moi, et de mes aïeux, et de mon parti ; aussi les chassai 
deux fois. » 

17. — S'ils furent chassés, répondis-je, de toutes pai 
ils revinrent et Tune et l'autre fois; mais les vôtres n'a 
prirent jamais cet art. 

18. Lors, se 9iontrant à découvert,, surgit une ombr 
qui seulement au menton de Tautre atteignait; elle s'étai 
je crois, levée sur les genoux. 

19. Elle regarda autour, comme désirant voir si un aui 
était avec moi; et après qu'en elle Tespérer fut entiàn 
ment éteint, 

20. Pleurant elle dit : « Si, à travers cette sombi 
prison, tu vas par grandeur d'âme, mon fils où est-il? pou 
quoi pas avec toi? » 

21. Et moi à lui : — Je ne viens pas de moi-même; n 
conduit en ces lieux celui qui attend là, et que votre Guic 
eut peut-être à dédain*. 

22. Ses paroles et le genre de la peine m'avaient déj 
de celui-ci appris le nom : ce pourquoi la réponse fut 
pleine. 

23. Soudain se dressant, il s'écria : « N'as-tu pas dit 
n eut? Ne vit-il plus? La douce lumière ne frappe-t-ell 
plus ses yeux? » 



16. Poi disse : Fieraniente furo arversi 
A me e a* nriiei priini e a mia parte. 
Si cbe per duo tiale gli dispersi. 

17.8' ei fîir cacciati. ei tornar d' ogni parte, 
Risposi lui, e l'una e l' altra fiata ; 
Ma i vo&lri non appreser ben quell' arte. 

IS.Allor surse alla vi&ta scopercbiata 
Un* ombra lungo questa inflno al mento : 
Credo che s' era inginoccbion levata. 

!•• Dintorno mi guardô. come talento 
Avesse di veder s' altri era roeco ; 
Jb pot cbe il sospicar fu luUo speoto, 



SO.Piangendo disse : Se per questo ueco 
Carcere vai per allezza d* ingegno. 
Mio figlio ov* é? o percliè non è teeo? 

SI. Ed io a lui : Da me siesso non vegoo : 
Celui, cbe attende li, per qui roi meaa« 
Forse cui Guido Tostro ebbe a disdegno 

22* Le sue parole e il modo délia pena 

M' avevan di costui già letto il nome : 
• Perô fu la risposta cosi piena. 

as.Di subito drizxato gridô : Conie 
Dicesli egli ebbe ? non viv' egli ancon * 
Non llere gli occbi suoi lo dolce lorae? 



CHANT DIXIÈME. 281 

IToyant qu'un peu je tardais à répondre, à la ren- 

retomba, et ne parut plus au dehors. 

ffais cet autre magnanime, à la demande de qui je 

arrêté, ne changea point de visage; sa tête, son 

stèrent immobiles. 

li continuant le premier discours : « Qu'ils aient 

ris cet art, dit-il, cela me tourmente plus que cette 

( Mais de la Dame qui règne ici^ le flambeau ne se 
rallumé cinquante fois, que tu sauras ce que coûte 



Et si jamais tu retournes dans le doux monde ^, dis- 

irquoi ce peuple, en toutes ses lois, est si cruel 

2s miens? » 

li moi à lui : — Le massacre et le carnage qui rou- 

ia'' fait faire une telle oraison dans notre temple*. 

Lprcs avoir en soupirant secoué la tète : a A cela, 

i ne fus pas seul, et ce n'eût jpas certes été sans 

Tavec les autres je m'y fusse porlé ; 

: Mais quand tous consentaient à détruire Florence, 

'ace je la défendis. » 

- Ah 1 si jamais les vôtres recouvrent le repos, lui 

îvez, je vous prie, le voile dont vous avez enveloppé 



ence 



». 



accorse d'alcuna dimora 
va dinanzi alla risposU*, 
dde, e piu non parve fuora. 

)l(ro ina;;nan'mo, a cui posta 
' era. non inulù aspelto, 
collo, ne piegô sua costa. 

inuando al primo detto, 
neU'arle, disse, maie appresa, 
menta più cbe questo letto. 

nquania vclle fia raccesa 
itUla donna ctie (|ui regge, 
jrai quanto queil' arte pesa. 

d nel dolce mondo regge, 



Dimmi, perché quel popolo è si empio 
Incontro a' miei in ciascuna sua legge ? 

t9. Ond' io a lui : Lo slrazio e 'i grande sceno- 
Che fece TArbia coloraia in rosso, [pic 
Taie orazion fa far nei nostro t empio. 

SO.Poi ch' ebbe sospii-ando il capo scosso, 
A ciô ncn fu* io soi, disse, ne certo 
Senza cagion sarei con gii aitri roosso 

SI. Ma fu' io sol, cola, dove sofTerto 
Pu per dascuno di tor via Fiorenza, 
Colui che la difese a viso aperto. 

SS.Deh, se riposi mai vostra semenza, 
Prega' io lui, solveterni quel nodo, 
Che qui ha 'nxilu^v^Xa maL^tûL^toa. 



288 L'ENFER. 

33. Car, si je Tentends bien, il semble que, le prés^i 
vous étant caché, vous voyez au delà ce que le temps amèi 
avec lui. 

34. c( Nous voyons , dit-il , comme on voit avec m 
mauvaise vue, les choses qui sont loin, autant que les éclaii 
le souverain Maître. 

35. « Quand elles s'approchent, ou sont déjà, toute noti 
intelligence s'évanouit; et si quelque autre ne vient ici noi 
en instruire, nous ne savons rien de votre état humain. 

36. «Ainsi, tu peux comprendre que pour nous moun 
toute connaissance, de ce moment où sera fermée la por 
de l'avenir**. » 

37. Alors, comme contrit de ma faute : — Maintenan 
dis-je, vous direz à ce tombé *^ que son iils est encoi 
parmi les vivants. 

38. Et si, tardant de répondre, je demeurai muet, faite 
lui savoir que ce fut parce que j'étais encore dans Terrei 
dont vous m'avez tiré**. 

39. Déjà mon Maître me rappelait, ce pourquoi je prii 
l'esprit de se hâter de me dire qui était avec lui. 

40. Il me dit : « Ici je gis avec plus de mille; là-deî 
sous est le second Frédéric, et le cardinal*' : je me tais de 
autres. 



83. E' par che voi Teggiate, se ben odo, 
Dinanzi quel che '1 tempo seco adduce, 
£ nei présente tenete allro modo. 

SV.Noi veggiam, corne quei c' ha mala luce, 
(.e cose, disse, che ne son lonlano : 
Colanto ancor ne splende il somme Duce : 

S5.Quando .s' appressano, o son, tuttoèvano 
Moslro inlelletto; c, s'allri nol ci apporta, 
Nulla sapem di voslro stato umano. 

SC.Perô compiender puoi, che tuttn morta 
Fiu nuslra conoscenza du quel punlo, 
Che del future lia chiusa b porta. 



57. Allor corne di mia colpa compunto, 
Dissi : Or direle dunque a quel cadoto. 
Che '1 suo nato ë co' vivi ancor congionl 

58. E s' io fui dianzi alla risposta moto, 
Fate i saper che '1 fei, perché peonti 
Già neir error che m' a vête soluto. 

59. E già *l Maestro raio mi richiarnava : 
Percli' io pregai Io spirito più aTacciOi 
Clie rai dicesse chi con lui si stava. 

40. Dissemi : Qui con più di mille giacdo: 
Qua enlro ù Io seconde Federico, 
Ë '1 Cardinale, e degli aUri mi tacdo. 



CHANT DIIIÈHE. i89 

41. Puis il s'enfonça : et moi vers l'antique Poêle je 
•urnai mes Das, repensant aux paroles qui me semblaient 
énaçantes. 

42. Lui se mut, et ainsi allant, il me dit : « Pourquoi 
htu si troublé? » Et moi je satisBs à sa demande. 

45. c( Que ta mémoire conserve ce que tu as entendu 
mtre toi, me commanda ce Sage ; maintenant regarde ici I » 
t il leva le doigt ^^. 

44. (( Quand tu seras devant le doux rayon de celle 
ont le bel œil voit tout^', par elle tu connaîtras le voyage 
8 ta vie.» 

45. Il tourna ensuite à main gauche : nous laissâmes le 
lur, et vînmes vers le milieu par un sentier qui aboutit à 
ne vallée 

Dont, jusque d'en haut, l'on sentait la puanteur. 



Lladi 1*880086 : ed io in Ter I* aalieo 
Fwta vobi i passi, ripensando 
A quel parlar che mi parea BÎmico. 

tEgli si mosse ; e poi cosi andando, 
li disse . Perché sei tu si smarrito ? 
E io U soddisfeci al suo dimaiido. 

I.La mente tua conaenri quel che udito 
Bsi contra te, mi comandô quel Saggio, 
iora attendi qui : e driuô '1 diUk 



U*Qoando saraidinanii ai doke raggio 
Di queil.1, il cui beil' occhio tutto vede, 
Ua lei saprai di tua vita il viaggio. 

4S.AppressoTolse a man sinisira il piede ; 
Laâciammo il jnuro, e gimroo iji ver Io mex- 
Po* un sentier ehe ad una valle fiede, [zo 



Cbe 'nfin lassu Imm spiacer suo lesao. 



9. U 



VI 



. ' '- ■ 

■ <.... '. I 



290 ' l'ESFER. 



NOTES DU GHâNT DIXIÈME 



1. Virgile. 

2. Florence, patrie de Farînata degU Uberti, lequel, uni aux Gîbete 
Sienne, exerça de grandes sévérités contre ceux de ses • concitoyens qui i 

partenaient au parti guelfe. 

3. Le sens paraît êlre : « Tu peux parler librement, hardiment. » Gepe 
dant C(?/z/e peut aussi signifier brèves^ et ce sens s'accorderait mieux a?ee 
que dit Dante plus loin : « Déjà mon maitre me rappelait. » 

4. Guido Gavalcanti, fils deGavalcante de' Gavalconti, avait abandoaoé 
poésie pour s'appliquer à la philosophie. 

5. La Lune. 

6. Cette tournure, empruntée des anciens, et qui se retrouve plus bu 
tercet 52, exprime une sorte de souhait conditionnel : — a Dis-mirij i 
qiC ainsi puisses-tu retourner dam le doux monde. — » 

7. Loi's de la défaite des Guelfes près de ce fleuve. 

8. De telles lois, disent les commentateurs, qui entendent par tit^ 
le (ieu où s'assemblaient les magistrats. Ce mot, joint à celui d'ovaziêM 
nous parait, dans la pensée du Danle, trop d'accord avec les ardentes jMf] 
sions politiques du temps, ériger la vengeance en une sorte de culte. 1 

9. Dante, inquiet de ces paroles obscures et menaçantes de FarioiUl 
Tu sauras ce que coûte cet art, le prie de s'expliquer plu& clairement. 

10. Après le Jugement dernier, où il n'y aura plus d'avenir, parce qu'il b' 
aura plus de temps. 

11. Cavalcanle de' Gavalcanti. 

12. a Parce que je eroyais, à tort, que les damnés connaissaient les cbo^ 
présentes. » 

15. Le c:irdinal Ottaviano degli Ubaldîni, si pa-'sionnément attaché 
parti Gibelin, qu'il disait : a S*il y a une âme, je l'ai perdue pour les G 
lins. » — Voilà pourquoi il est mis ici parmi les horrliqnes. 

14. Peut-être pour indiquer le ciel où il verra Béatrice, laquelle, cor» 
il le dit plus bas, lui fera connaître le voyage de sa vie, — l'instruira «le 
qui doit lui arriver plus tard. 

15. Béatrice. 



CHAWT ONZltME. 



SJI 



CHANT ONZIÈME 



1. Sur le bord d'une haute rivière que forme un cercle 
I pierres brisées, nous vînmes au-dessus d'un amas de 
urments plus cruels. 

2. Et à cause de rhorrible puanteur qu'exhale le pro- 
nd abîme, nous nous retirâmes derrière le couvercle. 

3. D'un grand tombeau, où je vis une inscription qui 
isait : « Je garde le pape Anastase, que Photin * détourna 
e la vraie voie. » 

4. « 11 convient de retarder notre descente, afin qu'ac- 
outumés un peu à l'infecte vapeur, elle nous soit ensuite 
loins pénible. » 

5. Ainsi le Maître. Et moi : — Trouve, lui dis -je, quel- 
|ue compensation, pour que le temps ne soit pas perdu, 
ftlui : « Tu vois que j'y pense. 

6. « Mon lils, dit-il, au dedans de ces rocs sont trois pe- 
tits cercles, de degré en degré, comme ceux que tu quittes. 



I 



CANTO DECIMOPRIMO 



\' !• In n 1' estnmita d' ira' alU ripa, 

Che beevan gran piètre rette in eerehio, 
< Yninmo sopra più enuiele stipa ; 

*• B quW pér V orribile «operchio 
I)«i^zzo,ebe il profondo abis<o çUta, 
Cl Ttecostammo dietro ad an eopereliio 

'* ^' U) grande avello, ot' io vidi una seritta 
Qiedicen : Anasta»io]tapo gnardo 
^ ÎMal troase Fotin délia via dritta. 



4. Lo nottro scander eonrien esser tardo. 
Si ehe s' aasi prima ua poeo il saaso 
Al tristo fiato ; e poi non fla rignardo. 

6. Co<i 'I Maestro, ed io : Alcun compenso. 
Dissi Ini,trova, cbe 'I tempo non passi . 
Perduto : cd eçli : Vodi che a ciô penso. 

6. Figliuol mio, dentro da cotesti raw, 
Cominciô pol a d\r, son \ve ccTtVvaVVX 
Di grade in grado, comè cjun fcV«i W>\i 



. I 






89S LfiNFiHa. 

7. « Tous sont remplis d*esprits maudits : mais, p 
qu'ensuite la vue te suflSse, entends comment et pourq 
ils sont dans la gône. 

8. « De toute malice qui attire la haine du ciel, la 
estrinjure; et toute pareille fin offense autrui ou pai 
force, ou par la fraude. 

9. a Mais, parce que la fraude est le mal propre 
rhomme, elle déplsdt davantage à Dieu : c'est pourq 
les artisans de fraude gisent plus bas, et plus de doul 
les point. 

10. a Tout le premier cercle est des Violents; n 
parce qu'on fait violence à trois sortes de personnes, 
construction le divise en trois enceintes distinctes. 

11. « A Dieu, à soi, au prochain on peut faire violen 
je dis aux personnes et aux biens, comme tu vas Tenten 
clairement. 

12. « La violence donne la mort au prochcdn, e1 
blesse ; elle l'atteint dans son bien par les rapines, les 
cendies, les exactions. 

13. (( Dans la première enceinte sont donc tourmeo 
les homicides, ceux qui frappent à tort, les ravageurs 
tous les voleurs, par bandes séparées. 

14. « L'homme peut porter une main violente sur so 
sur ses biens : ainsi dans ia seconde enceinte, il convi* 
que sans fruit se repente 



7. Tntti son pien di spirtl roaledettl : 
Ma perebè poi ti basti pur la vlsta, 
Intendi eoine e perché son costretti 

8. D' ogni malizla ch' odio in eielo aequlsta, 
Inglurlà è il fine, ed ogni fin cotala 

G oon fona o eon frode altrui eontrista. 

9. Ma perebè frode è deli' nom proprio nale, 
Pift spiaei a Dio ; e perô stan di sutto 

Gli rrodolentl,e più doior gli assale. 

tO. Dl Tiolenti il primo cereblo è tutto ; 
Ma perebè si ili forza a tre persone, 
In tre girom è distinto e costratto, 



11. A Dio, a se, al prossimo si 

7ar fona '^ dico in loro ed In lor 
Com' udirai eon aperta ragione. 

13. Morte par fona et femte dof liose 
Ne! prossimo si danno, e neJ tno^ a« 
Ruine, Incen^ e collette dannose; 

13. Onde omicide e eiasenn ehe mal fiait 
Guaslatori e predon, tutti tormenta 
Lo giron primo p«r dhrerse sehitre. 

14. Puote uomo averp In se man violenta 
E ne' suoi béni t e perè ne! seceodo 
Giron convien che sensa pro si peata 



CHANT ONZIÈME. M3 

15. « Quiconque se prive de votre monde', joue et dis- 
e son bien, et se crée une peine de ce qui devait être 
joie. 

16. « On peut faire violence à la Divinité en la niant au 
ians de soi et la blasphémant, en méprisant la nature 
sa bonté '• 

17. « Ainsi la plus étroite enceinte marquée de son signe 
Sodome et Gahors ', et qui, discourant en son cœur, 
éprise Dieu. 

18. « La fraude, qui toujours blesse la conscience •, on 
ut en user contre qui a fiance, et contre qui ne Ta pas. 

19. « Cette dernière sorte de fraude détruit absolument 
lien d*amour formé par la nature; d'oti, dans le second 
rcle, ont leur nid. 

30. « L'hypocrisi, la flatterie, la sorcellerie, la fourbe- 
e, te larcin, la simonie, les commerces infâmes, la bar- 
irie, et pareilles ordures. 

21. « Par l'autre sorte de fraude s'oublie l'amour que 
ïrme la nature, et celui qui s'y surajoute et crée la foi 
pédale ''. 

Î2. « Ce pourquoi, dans le plus petit cercle, 1^ où est le 
îentre de l'univers, au-dedans duquel sise est Dite, éter- 
nellement le traître est consumé. » 



16. Qnalnaque prita tè del Toslro moodo, 
Kicaiu e fonde U rat faeulude, 
B ^tB^ là doT* esMr dee gioeondo. 

^ Paairi tir font nella Qeitade, 

Col «or Bflgando e be&temmiaodo qoella, 
E lyngiando natnra e sua bootade : 

'^' E pari lo minor giron ttigf ella 
Dtl wgno «no e Sodoma e Caona 
K cU, apregiando Dlo» eoi cor faTelIa. 

'L La frodOt ond' ognl eonselenza 6 mona, 
PdA i' nomo nsare in colui ehe si fida, 
£ ta qnello ehe fidanxa non imbona. 



f 19. Qnesto modo dl rétro par ehe neeida 
Par lo Tineol d' amor ebe fa natnra t 
Onde nel eercbio seeoodo s'annida. 

SO. Ipoerisia, Insingbe e ehi affattnra, 
Falcità, ladraneeeio e simonia, 
Ruffian, baratti, e simile lordura, 

21. Per r altro modo qnell' amor s' obblit 
Che fa notura, e quel eh' d poi aggiunto. 
Di che la fede spezial si cria : 

29. Onde nel eercbio minore, ov' é 1 pnnto 
Dell' UniverfO, in su ebe Dite siede, 
El unque trade in etemo è eosunto.. 



«W LENFEB. 

23. Et moi : — Maître, trèsK)tairement pr 
discours, et bien distingue-t-il ce gouffre et le 
l'habite. 

24. Mais, dis-moi : ceux du marais fangeux < 
emporte et que bat la pluie, et qui se heurten 
paroles si âpres, 

25. Pourquoi dans la cité du feu ne sont-ils 
si Dieu les a en ire? Et si en ire il ne les a pas 
sont-ils en telle angoisse? 

26. Et lui à moi : « D'où vient, dit-il, que 
s'égare ainsi contre sa coutume, ou qu'ailleurs 
mémoire? 

27. « Ne te souviens-tu point de ce que dit toi 
traitant des trois dispositions que le ciel réproi 

28. « L'incontinence, la malice, l'aveugle be: 
comment l'incontinence offence moins Dieu, 
moins de blâme? 

29. « Si tu considères bien cette sentence et t 
quels sont ceux qui, hors d'ici, plus haut, suh 
peine *, 

30. « Tu verras aisément pourquoi ils sont 
ces félons, et pourquoi avec moins de courrou: 
justice les mar telle? » 



S8. E io : Maestro, assai eharo procède' 
La tua ragiooe, e assai ben dislingue 
Questo barattro e il popol cbe possiede. 

2f. Ma dimmi ; quel délia paiude pingue 
Che mena il Tenlo e che batte ta pioggia. 
C che s' incontran con si aspre lingue, 

2'6. Percbd non dentro délia eittà roggia 
Son et punitif se Dio gli ba in ira? 
E se non gli lia, perché sono a tal foggia ? 

26. Ed egli a me : Perehè lanto dolira, 

Disse, Io 'ngegno too du quel eh' el suole? 
Ovrer la mente tjia altrove min T 



27. Non ti rimembra di que 
Con le quai la tua Etica 
Le trc disposizion, che 

28. Inrontinenza, malizia, e 
Besiialitade? e corne ïno 
Men Dio oCTende e men 1 

29. Se tu riguardi ben quesl 
E reciiiti alla menle chi 
Che ?u di fuor sostengor 

.30. Tii vedrai ben perehè da 
Sien dipartiti, c perché 
La divina giustizia gli m 



CHANT ONZIÈME. 2U& 

• soleil, qui guéris toute vue troublée, tu me sa- 

ement, lui dis-je, quand tu dénoues les difficultés^ 

loins que savoir, douter m'est agréable. 

tourne encore un peu en arrière, à ce que tu as dit 

, qu'elle blesse la divine bonté, et délie ce nœud. 

La philosophie, à qui l'écoute, enseigne, me dit- 

is d'un endroit, comment la Nature, dans son 

}cède 

[)e la divine intelligence et de son art propre**; et 

ien la physique", tu trouveras, dès les premières 



ne votre art suit, autant qu'il peut, celui-là, comme 
i suit le maître, de sorte que votre art est, pour 
er, petit-fils de Dieu. 

e ces deux **, si lu te rappelles le commencement de 
, il convient que l'homme tire sa vie et son progrès. 
Et parce que l'usurier tient une autre voie, il mé- 
ature, et en soi, et dans l'art qui la suit, puisqu'on 
se il met son espérance**. 
Mais suis-moi : l'aller m'agrée, maintenant que les 
glissent à Thorizon, que le Chariot se montre au- 
Coro '% 

là, plus loin, le rocher devient moins abrupt* 



■i ogfà vista tnrbata, 

nti si quando tu solvi, [graU. 

ni che saver, dubbîar m' ag- 

»0CD indietru ti rivoivi, 
ove di, che ustira offende 
mtade. e il gropiK) svolvi. 

disse, a chi la intende, 
re in una soia p <rle, 
I la suo corso prende 

ntelletto e da*su' arte : 
la tua Fisica note, 
non dopo moite carte, 

ostra quelia» quanlo puote. 



Segue, oMiie il maestro fa 'I discenle. 
Si che vostr'artea lAo quasi è nipotê. 

S6.Da queste due, se tu ti rechi a mente 
Lo Genesi dal principio, conviens 
Prender sua vita, ed avanznr la genlc. 

S7.K perché l'usurière allra via tiene, 
Per se natiira, e per la !>ua seguace 
Dispregia, poichè in allro pon la spene. 

38. Ma seguimi oramai, chèil ^ir mi piace; 
Cbè i Pesci guizzan su per 1' orizzonta, 
E il Carro tutto sovi-a '1 Loro giace ; 

E il baizo via là oltre si dismonta. 



i 



L'ENFER. 



NOTES DU CHANT ONZIÈME 



1. Hérésiarque du quatrième siècle, qui niait la di?inité de Jésns4!l] 

2. Les Violents contre eux-mêmes, les Suicides. 

3. En abusant des biens que nous tenons de la nature, et en mépri 
ses lois. 

4. Les trois enceintes qui divisent en trois cercles plus, petits le c* 
des Violents, vont se rétrécissant i mesure qu'elles descendent plus bas 

5. Gahors, au temps de Dante, était un repaire d'usuriers. 

6. Liitéralement : a La fraude dont toute conscience est mordue. 1 
peut s'entendre en plusieurs sens ; nous suivons celui qui nous parait le 
naturel, et le mieux lié avec ce qui suit. 

7. La première sorte de fraude rompt les liens par lesquels la ns 
a uni généralement les hommes entre eux ; la seconde rompt en outn 
liens plus étroits de la parenté, de l'amitié, etc., d'où naît une confi 
mutuelle plus grande. 

8. L'éthique d'Aristote, de grande autorité alors dans les écoles. 

9. Voyez, ch. vu, terc. 8 et suiv. 

10. Tout ce que produit la Nature a premièrement sa cause dans l'inl 
gence divine, et ensuite dans l'action de la Nature même, dans son 
propre, dont le principe est en Dieu. 

il. La physique d'Aristote. 

12. De ces deux arts, celui de la Nature et le vôtre. 

13. Parce qu'il veut retirer du fruit de ce qui n'en produit ni. nature 
ment, ni par Tart humain, c'est-à-dire de l'argent, stérile de lui-même. 

14. Le Coro, ou le Courus des Latins, est le vent du nord-ouest. 



. / 



CHANT DOUZIÈME. 



,» I 



S97 



CHANT DOUZIÈME 



1. Si âpre était le lieu où nous vînmes pour descendre 
la rive^, qu'à cause de celui que nous y trouvâmes, il n'est 
point de vue qu'il ne rebutât. 

2. Telle qu'au-dessous de Trente, cette ruine qui frappa 
de flanc l'Adige lorsque, par un tremblement de terre ou 
le manque d'appui, elle s'écroula, 

3. Forme, du sommet de la montagne jusque dans la 
plaine où elle roula, un talus de roches, lesquelles ouvrent 
trn chemin à qui serait en haut : 

4. Telle était la descente de ce précipice; et, sur la 
pointe abrupte du gouffre, gisait l'infamie des Cretois, 

5. Qui fut conçue dans la fausse vache*. Lorsqu'il nous vit, 
Ose mordit lui-même, comme dévoré de colère au dedans. 

6. Mon sage Guide lui cria : « Crois-tu peut-être qu'ici 
soit le roi d'Athènes', qui là-haut dans le monde te mit 
à mort? 



GÂNTO DEGIMOSEGONDO 



Lin lo loco, OTê a scender la nva [anca, 
Tenionno, alpestro, e, per quel ch* ivi er* 
Til, ch'ogni tista ne larebbe schiva. 

IQaal è quella ruina, che nel fianco 
K qva da Trento l'Adice percossa 
pier tremoto o per aostegno manco; 

|.Cbe da cima del monte, onde si moïse, 
Al piano, è si la roccia discoscesa, 
Gh'atcuna nu darebbe a clii su fosM ; 



«.Cotai di quel bonato era la 
E in su la punta délia rotta laeea 
L' infamia di Creti era distesa, 

SiChe fu concetta nella falsa Taeea : 
K quando vide noi, se stesso morte 
Si come quoi, cui 1* ira dentro fiaota. 

•.Lo Savio roio in Ter lui gridA : Forse 
Tu credi che qui sia '1 duca d' Atene, 
GlM su nel moodo la morte ti porset 



I 

i 



17. 



298 L'ENPBn. 

7. « Va-t'en, bête brute ! celuMîi ne vient pasinsiruiipar 
la sœur; il vient pour voir vos peines. » 

8. Comme letaureau qui rompt sesliensaumomentoùil vient 
de recevoir le coup mortel, aller ne sait, mais çà et là sautille, 

9. Ainsi faire vis-je le Minotaure. Et le Maître prudent 
cria : « Cours au passage! il est bon que tu descendes 
pendant sa furie. » 

10. Et descendant, nous prîmes notre roule par cet ébou- 
lement de pierres, qui souvent roulaient sous nos pieds, à 
cause du poids nouveau\ 

11. Je m'en allais pensif, et lui me dit : «c Tu penses 

peut-être à ces ruines que garde la colère bestiale que je 
viens de réprimer. 

12. c< Or, je veux que tu saches que, lorsque, l'autre fois, 
je descendis dans le bas enfer, cette roche n'était pas en- 
core écroulée. 

13. « Mais, si je juge bien, peu avant la venue de celui 
qui enleva à Dite la grande proie du cercle supérieur"', 

14. (i De toutes parts la profonde et sale vallée trembla 
tellement, que je pensai que l'univers sentait l'Amour par 
lequel il en est qui croient 

15. «Que plusieurs fois le monde fut ramené dans le 
chaos*; et, à ce moment, cette vieille roche, ici, et ailleurs 
encore plus, s'écroula. 



T.Partili, bestia, chè quesU non viene 
Ammaestralo dalla tua sorella, 
Ma Tassi per veder le vostre pêne. 

9. Quai ë quel toro che si slaccia in quella 
C ha ricevulo.già'l colpo morlale, 
Chc gir non sa, ma «pu e là sallella ; 

9. Vid' io lo Minotauro far colale. 
E quegU aa'oiio grid&. Corri al varco; 
Menire cb'è in furia, é buon che tu U cate. 

10. Cusi prendemnw via pu per lo scareo 
Di quelle piètre, che spesso rooviensi 
Sotio iuiiei piedi per lo nuovti carco. 

ii.Io gia penaando ; eqtiei disae :Tm panai 



Forse a questa rovina, ch' è guardata 
Da queir ir.-i bestial ch' io ora spensi. 

12. Or vo'che sappi, che l'ahra tiata 
Ch'i'discesi quaggiù nel liasso infemo, 
Questa roccia non era ancor cascata. 

13. Ma certo, pnco pria, se ben discerne, 
Che venisse Colui, che la gran preda 
Levô a Tiile del cerchio supemo, 

14. Da tutte parti 1* aha \aï\e frda 
Tremo si, ch' io pensai che l' Universo 
Sentisse ainor, per lo quale è chi creda 

15. Più volte il mondo in cnos converso 
E in quel punto questa vecchia roccia 
Qui ed allrove tal fece riverso. 



CHANT DOÏÏZIÈMC. 299 

is fixe tes regards sur la vallée; noiis approchons 
mg' où bouillent ceux qui, par violence, ont nui 

reugle cupidité, ô folle colère, qui tant nous in- 
\i la courte vie, et ensuite, durant l'éternelle, 
3 en un si affreux bain ! 

s une large fosse qui, comprenant toute la partie 
)ntournait en arc, comme l'avait dit mon Guide, 
e elle, et le pied de la ravine couraient à la file 
•es armés de flèches, comme ils avaient coutume 
chasse dans le monde. 

s voyant descendre, chacun d'eux s'arrêta, et 
3 trois se détachèrent, avec des arcs et de petits 
ièrement éprouvés. 

un d'eux cria de loin : « A quel supphce venez- 
qui descendez la côte? Parlez d'où vous êtes, 
; l'arc. » 

i Maître dit : « Nous répondrons là de près à 
on dam ton vouloir fut toujours trop prompt. » 
, me touchant, il dit : « Celui-ci est Nessus, qu 
ir la belle Déjanire, et se vengea lui-même*, 
celui du milieu, qui regarde sa poitrine, est I 
>n, le nourricier d'Achille; cet autre est Pholas 
ein de colère. 



Iii a valle ; ché s' approcda 
an|<ue, in la quai bolle 
lultfiiza in altnii noccia. 

ia, ira folle, 
nella vila corta, 
oi si mal c' iinmoUe ! 

a fossa in arco torla, 

e tuitu il piano abbraccia, 

a det^o la mia scorta : 

I ripa ed essa, in tracda 

ri annati di saette, 

l inoado andare a caccia. 

r, ciascnn ristette, 



E délia schiera ti e si dispartiro 

Con archi ed asticciuole prima elette . 

tl. E r un gridô da luiigi : A quai inartiro 
Yenite voi, cbe scendeti; la costa ? 
Ditel costinci ; se non, Parco (iro. 

22. Lo mio Maestro disse : La risposta 
Farem nor a Chiron coslà di presso : 
Mal fu la voglia tua sempre si tosta. 

25. Poi mi tenlô, e disse : Quegli <■ Nesso, 
Che mori per la bella Oeianira, 
E fe di se la vendetta egli stesso. 

2i.E quel di mezzo, che al petto si mira^ 
è il gran Chirone, il qu* al nudri Achille 
Qiieir altro ë Folo, che f» si pim d*in. 



j 



300 , L'ENFER. 

25. a Autour de l'étang par milliers ils vont, lançant des 
. flèches contre toute ombre qui se soulève, au-dessus do 

sang, plus que ne le permet sa coulpe. » 

26. Nous nous approchâmes de ces animaux agiles; Ghi- 
ron prit un trait, et avec la coche il repoussa sa barbe des 
mâchoires. 

27. Lorsqu'il eut découvert sa large bouche, il dit à ses 
compagnons : « Remarquez-vous que celui d'arrière meut 
ce qu'il touche? 

28. « Ainsi n'ont pas coutume de faire les pieds des 
morts. )) Et le bon Maître, qui déjà était près de sa poitrine, 
où se joignent les deux formes*, 

29. Répondit : « Bien est-il vivant, et ainsi seul je dois 
lui montrer la sombre vallée : la nécessité l'y conduit, non 
le plaisir. 

30. «Telle*^ suspendit ses chants d'alIeluia pour venir 
me commettre cet office nouveau ; il n'est point un larron, 
ni moi une âme noire. 

31 . « Mais, par cette vertu par qui mes pieds se meuvent 
sur une route si âpre, donne-nous un des tiens, qui, nous 
accompagnant, 

32. «Nous montre le gué, et porte en croupe celui-d, 
qui n'est pas un esprit qui aille par les airs. » 



IS. Dintomo al fosso vanno a mille a mille, 
Saettando quai' anima si svelle 
Del sangue più» che sua colpa sortille. 

M. Roi ci appressammo a quelle liere snelle: 
Ghiron prese uno strale, e con la cocca 
Face la barba indietro aile mascelle. 

tr. Quando s* ebbe scoperta la gran bocca. 
Disse ai compngni : Siete voi accorti, 
Che quel di retro roove ci6 ch* e' tocea t 

M.Cosi non soglion fare i piè de' morli. 
B 1 mio buon Duca, che già gli era al pet- 
Ovê le duo nature son consorti, [tOt 



M.Rispose : Ben : è tItOi a si •oletto 
Mostrargli mi convien la valle buk : 
Nécessita M c' induce, e non dilello. 

80. Ta! si parti da cantare illeMét 
Che mi commise quest' uflicM nnofo i 
Non è ladron, né io anima fuia. 

SI. Ma per quella Tirtù, per cui io moov* 
là passi mici per si selvaggia atrada, C^ 
Danne un de* tuoi, a cui noi siarao a pra^ 

St.Che ne dimostri U ovê si guada, 
-E che porti costui in su la groppa, 
Che non è apirto cbe per 1* 



CHANT DOUZIÈME. SOI 

hiron, se tournant à droite, dit à Nessus : « Be- 
st guide-les, et si une autre bande vous arrête, 
I » 

ors, avec Tescorte fidèle, nous suivîmes les bords 

âge fosse bouillante, où les brûlés poussaient de 

ris. 

en vis d'enfoncés jusqu'aux sourcils, et le grand 

I dit : « Ce sont les tyrans qui s'assonvu^ent de pil- 

e sang. 

Ici se pleurent les ravages accomplis sans pitié ; 
Uexandre et le cruel Denys, à qui dut la Sicile des 
louloureuses. 

Et ce front au poil si noir est Âzzolino^^ et cet 
md est Obizzo d'Esti", qui vraiment'* fut 

[ Là-haut, dans le monde, tué par son fils.» Alors 
)umai vers le Poète, qui dit : « Que celui-ci main- 
3 soit le premier, et moi le second^*. » 

fn peu plus loin le Centaure fixa ses regards sur 
}-uns qui, jusqu'à la gorge, paraissaient sortir, de 
bouillant. 

I nous montra une ombre, seule à Técart, disant : 
;i", dans le sein même de Dieu, perça le cœur que 
imise on honore encore. x> 



r<^ in sulk destra poppa, 
Xesso : Toma, e si li guida, 
r, s' altra schiera v' intoppa. 

remrao colla scorta fida 
iroda del bollor vermiglio, 
ti focean allé strida. 

lie sotto infino al cigb'o : 
lentauro disse : E' son tiranni, 
tel sangue e nell' aver di piglio. 

angon li spietati danni : 
etsandro, e Dionisio fero, 
ilia HTer dolorosi anni : 



87. E quella fronte c' ha 'I pel cosi nero, 

E Azxolino; e quel!' altro, ch' è biondo 
Ê Obiuo da Esti, il quai par yero 

88. Fu spento dal Ugliastro su nel mondo. 
Allor mi volsi al Poeta ,* e quel disse : 
Quesli U sia or primo, ed io secundo. 

89.P0CO più oltre il Centauro s' aflGsse 
Sovra una gente che 'nfino alla gola 
Parea che cU quel bulicame uscissa. 

40.Nostrocci un' ombra dall' un canto sola, 
Dicendo : Colui fesse in grembo a Dio 
Lo cor che *n val Tamig< ancor si cola. 



ZOi L'ENFER. 

41 . Puis j'en vis qui, au-dessus de Tétang, levaient 1 
tête, et d'autres tout le buste : et de ceux-ci j'en reconnu 
beaucoup. 

42. Ainsi de plus en plus baissait ce sang, jusqu 
ne couvrir que les pieds ; et ce fut là que nous passâme 
le lac. 

45. « Cofnme de ce côté tu as vu le sang diminuer tou 
jours, dit le Centaure, je veux que tu croies 

44. c< Que de cet autre côté le fond se creuse de plus ei 
plus, pour rejoindre Tendroit où il convient que la tyranni 
gémisse. 

45. « De ce côté'*, la divine justice point cet Attila qi 
fut le fléau de la terre, et Pyrrhus, etSextus*'', et trai 
éternellement 

46. « Les larmes qu'éternellement renouvelle la bril 
lante douleur en Régnier de Corneto et Régnier Pazzo " 
qui tant infestèrent les chemins. » 

Puis, se retournant, il repassa le gué. 



41.Poi vidi gente che di fuor del ho 
Tenean la lesta ed ancor tullo '1 casto 
E di costoro assai riconobb' io. 

42. Cosi a più a più si facea basso 

Quel s;mgue si, che copria pur li piedi : 
E quivi fu del fosso il nostro passu. 

iS.Siccome tu da quesia parle vedi 
Lo bulicaine che sempie si scema, 
Disse il Centauro, voglio che tu crédi, 

Che da «jocsl' altra a pià a più già prana 



Lo fondo 8110, infin ch' et si raggioigi 
Ove Id tirannia convien ebe genia. 

45. La divina giustraa d! qua pung* 
Quell' Attila che fu Hagello in temit 
£ Pirro, e SesAo; ed in eterno maMi 



46. Le lacrime, che col boltor 

A Rinier da Corneto, a Rinier Pano^ 
Che fecero aile strade tanta guerra. 



Foi si rivobe, e hpaiaoaii il 



CHANT DOrziÈME. 



3'05 



NOTES DU CHANT DOUZIÈME 



1. Septième cercle. 

2. Le Minotaure fut engendré par un taureau, auquel se livra Pasiphaé, 
cnfennée dans une vache de bois. 

3. Thésée, qui, instruit par Ariane, sceur du Minotaure, tua le monstre 
qui devait le dévorer. 

4. Le poids de Dante, revêtu de son corps. 

5. La venue de Jésus-Christ, qui tira des Limbes les âmes des Justes. 

6. Empédocle croyait le monde engendré par la discorde des éléments, et 
^ue, lorsqu'elle cessait, lorsque la concorde, ïamour, unissait le semblable 
>u semblable, le monde retombait dans le chaos. 

1. Première enceinte, ou girone du septième cercle. 

8. Nessus, ayant tenté d'enlever Déjanire, fut tué par Hercule, avec des 
flèches trempées dans le sang de l'Hydre. Pour se venger, il fit don de sa 
l'obe ensanglantée à Déjanire, en lui disant qu'elle avait en soi une vertu 
<iui empêcherait son mari d'aimer d'autres femmes. Elle le crut, et donna 
« robe à Hercule, qui, après s'en être revêtu, embrasé d'un feu intérieur, 
entra en furie, et mourut. 

9. Oiî finit la ferme humaine et commence la forme de cheval. 
10. Béatrice. 

^i. Ëzzelino di Romano, vicaire impérial de la marche de Trévise, et tyran 
àe Padoue, où il exerça d'efl'royables cruautés. 

12. Marquis de Fcrrare^et de la marche d'Ancônc. Non moins cruel qu'Rz- 
selino, il fut étouffé par son fils : dal figliastro, dit Dante. Notre langue 
maoque de ce mot, dans un sens analogue à celui de marâtre. 

i3. Chiron dit : fut vraiment, parce que le fait du parricide n'était pas 
avéré, mais soupçonné seulement là-haut dans le monde. 

14. c G*est maintenant Nessus qui te guidera et t'instruira le premier. » 

15. Gui de Hontfort, pour venger la mort de son père Simon, exécuté à 
Londres, poignarda dans une église de Viterbe, au moment même de Téléva- 
tiofl de l'hostie, Henry, neveu de Henry III, roi d'Angleterre. Yillani rap- 



■' . t 



304 



L'EKFER. 



porte que, son corps ayant été transporté à Londres, son cctUT fut plae^ â: 
une coupe d'or à l'entrée du pont de la Tamise, pour rippeler ce naeurtre 
aux Anglais. 

16. Du côté où le lac redeyient plos profond. 

17. Sextus Tarquin. 

18. Bandits qui infestaient les plages maritimes d» Rome, an tonps de 
Dante. 



5. 



i^> 



4. 



K31 

la 

il 



43s 



CHANT TREIZIÈME. 



805 



' / 



CHANT TREIZIÈME 



dessus n'avait pas encore regagné l'autre bord, lors- 
is entrâmes dans un bois où nul sentier n'était tracé, 
oint de feuillage vert, mais de couleur sombre; point 
leaux unis, mais noueux et tortus ; point de fruits, 
ir des épines des poisons. 

î'ont point de hàlliers si âpres et si épais ces bêtes sau-^ 
[ui, entre Cecina et Cornelo*,haïssentles lieux cultivés, 
jà font leurs nids les hideuses Harpies, qui chas- 
des Strophades* les Troyens, avec la triste annonce 
ir désastre. 

illles ont de vastes ailes, et des cols et des visages 
is, et des pieds armés de griffes, et des plumes à 
'ge ventre ; elles se lamentent sur les arbres étranges. 
ît le bon Maître : « Avant de pénétrer plus loin, 
me dit-il, que tu es dans la seconde enceinte', et 



CANTO DECIMOTERZO 



ancor di là Nesso arrivato, 
noi ci mettemmo per un bosco, 
nessun sentiero era segnalo. 

ndi verdi, ma di color fosco, 
ni scbietli, ma nodosi e invoItK 
ni v' eran, ma stecchi con tosco. 

1 si aspri sterpi ne si folti 

iere seivagge, che in odio hanno 

ioa e Corneto i luoghi colti. 



A.Quivi le brutte Arpie lor nido fanno, 
Che cacciar délie Strofade i Troiani 
Con tristo annunzio di futuro danno* 

5< Aie hanno late, e colli e visi umani, 
Piè con artigli, e pennuto il gran ventre 
Fanno lamenti in su gli alberi strani. 

6. E 'I buon Maestro : Prima che più tain, 
Sappi che se* nel secondo girone, 
Mi cominciô a dire, e sarai, mentre 



306 t'ETîJFER. 

7. « Tantqwclu chemineras dans Thorrible sablon. Iz^c- 
garde bien, et tu verras des choses qui rendront mes ^gpa- 
roles croyables*. » 

8. Déjà, de toutes parts, j'entendais pousser des gé- 
missements, et ne voyais personne; de sorte que, troublé; 
je m'arrêtai. 

9. Je crois qu'il crut que je croyais^ que cette foule de 
voix, sortant d'entre les troncs, venait de gens qui se 
cachaient de nous. 

10. Ce pourquoi le Maître dit : « Si tu romps quelque 
branche d'un de ces arbres, rompues aussi seront les pen' 
sées que tu as*. » 

H. Lors, avançant un peu la main, je cueillis un petit 
rameau d'un épais buisson, et le tronc cria : a Pourquoi me 
mutiles-tu? » 

'1 '^. Puis, devenu tout noir de sang, il cria de nouveau : 
« Pourquoi me brises-tu? N*as-tu aucun sentiment de 
pitié? 

13. « Hommes nous fûmes, et maintenant sommes buis- 
sons. Ta main devrait être plus pieuse, eussions-nous eu 
des âmes de serpents. » 

14. Comme le bois vert allumé par un bout, gémit de 
l'autre, l'air sortant en sifflant; 



7. Che tu verrai nell' orribil sabbione. 
Perô riguarda bene, e si vedrai 
Cose che davan Fede al mio sermone. 

8.Io sentia d'ogni parte tragger guai, 
E non vedea persona che '1 facesse ; 
Perch' io tutto smarrito m' arrestai. 

9. V credo ch' ei credelte ch' io credesse, 
Che tante Toci uscigst r tra. que' bronchi 
lia geote che per noi si nascondes^e. 

iO. Perô, disse il Maestro, se tu troncbi 
Qualche fraschetta d' una d' este piante, 
Li pensier c' hai si Tiran tutti monchi. 



il. Aller porsi la mano un poco avante, 
E coisi un raino&cel da un gran pruno : 
E '1 tronco sno grid6 : Perché mi schiante ? 

12. Da che fatto Tu poi di sangne bruno, 
Ricominciô a gridar : Perché mi soerpi ? 
Non hai tu spirto di pietate alcuno ? 

15. Uomini fummo ; ed or sem falti sterpi ; 
Ben dovrebb' esser la tua man più pia. 
Se State fossim' anime di serpi. 

14> Corne d' un slixxo verde, ch' arso sia 
Dali' un de' capi, che dall' altro geme, 
E cigola per vento che va via ; 



CHANT TREIZIÈME. ' r>07 

i5. Ainsi, de ce tronc, sortaient ensemble des paroles 
et du sang, sur quoi je laissai tomber le rameau, et de- 
imeurai comme un homme qui craint. 

16. u Ame blessée, répondit mon sage Guide, si au- 
paravant il avait pu croire ce qu'il a vu seulement dans 
nacs vers, 

17. « Il n'aurait pas ^r toi porté la main. Mais ce que la 
chose a d'incroyable m'a fait le pousser à un acte dont je 
ni' afflige moi-même. 

18. « Mais dis-lui qui tu fus, afin qu'en guise d'amende, 
il rafraîchisse ta mémoire dans le monde où il lui est per- 
mis de retourner. » 

19. Et le tronc : « Tant me séduit ton doux parler que 
je ne me puis taire, et souffrez qu'un peu m'alentisse le 
charme de discourir. 

20. « Je suis celui qui tint les deux clefs du cœur de - 
Frédéric"^, et ouvrant et fermant, si souèvement je les 
tournais, 

21. a Que de son secret j'éloignai tout autre. Tant fus- 
je fidèle au glorieux office, que j'en perdis le pouls et le 
sommeil. 

22. a La courtisane* qui du palais de César jamais ne 
détourna ses yeux effrontés, perte de tous, et des cours 
le vice. 



lB.Cod di qodla «cheggia usciva insieme 
Parole e tangae : oiid* io Ixsciai la cima 
Cadere, e stetti come l' uom che terne. 

16. S'egU avesse polulo creder prima, 
Uspose il Savio mio, anima lésa, 
Ci6 ff Jm vediUo, pur coUa mia rima, 



n,WoawteniÀm in te la man distesa; 
Ma la «osa iaereditnle nd fece 
Iiuiari»ad ovra, eh' a mestesso pesa. 

18. Ma dilti dd tu fosti, si che, in vece 
D'akima amtuenda, tua lama rinfreschi 
Hd nxMido au, dove.tornar gli lece. 



19. E 'hronco : Si col doice dir m' adesclh. 
Cil' io non posso lacera ; e voi non {yravi 
Percir lu un poco a ragionar in'iiiveschi. 

20. r son cohii, che tenni anibo le chiavi 
Del cor di Federico, e che le volsi 
Serrando e disserrando si soavi. 

SI. Che dal segreto suo quasi ogni uom tolsi : 
Fede portai al gloiioso ufizio. 
Tanto ch' io ne perdei le vene e i polsi. 

Sf.La meretrice, che mai dall' ospizio 
Di Cesare non torse gli occhi piitti, 
Morte comune, e délie cofii vizio, 



308 L'ENFER. 

23. a Enflamma contre moi toutes les âmes, et cem 
qu'elle enflammait enflammèrent tellement Auguste, que 

' les joyeux honneurs se changèrent en un triste deuil. 

24. c( Mon âme indignée, croyant en mourant fuir le mé 
pris, me rendit injuste contre moi juste. 

25. « Par les nouvelles racines de ce bois, je vous jmt 
que jamais je ne violai la foi à mon seigneur, qui d'hon- 
neur fut si digne. 

26. « Et si l'un de vous retourne dans le monde, qu'i 
relève ma mémoire, encore abattue du coup que lui porb 
l'envie. » 

27. Il se tut, et le Poète attendit un peu, puis il m( 
dit : « Ne perds pas le temps, mais parle et interroge-le, 
si plus tu désires savoir. » 

28. Et moi à lui : — Demande-lui encore ce que tu 
croiras devoir m'agréer; je ne le pourrais moi-même, tani 
mon cœur est ému de pitié. 

29. Il recommença donc : « Si celui-ci libéralement 
Raccorde ta prière, esprit emprisonné, qu'il te plaise aussi 

30. « De nous dire comment l'âme est liée à ces arbres 
noueux ; et, si tu le peux, dis-nous si quelqu'un jamais se 
dégage de tels membres. » 

31. Alors fortement souffla le tronc, puis le souffle se 
changea en cette voix : « Brièvement il vous sera répondu. 



SS.InfJammô contra me gli animi tutti, 
K gr intiammati inliammar si AugustOi 
Ghe i lieli onor tornaro in tristi lutti. 

14> L' animo mio, per dlsdegnoso gusto, 
Credendo col morir fuggir disdegno 
Ingiusto fece me contra me giusto. 

tS.Per le nuove radici d' esto leguo 
Vi giuro che giammai non ruppi fede 
Al mio signor, che fu d' onor si degno. 

SO. E se di voi alcun nel mondo riede, 
Conforli la memoria mia, che glace 
Ancor del colpo che invidia le diede. 

27. Un poco attese, e poi : Da ch' ei si tace, 



Disse il Poeta a me, non perder V ora ; 
Ha paria e chiedi a lui se più li place* 

18. Ond' io a lui : Dimandal tu ancora 

Di quel che credi clie a me soddisfaccia ; 
Ch' io non poirei : tanta pieli m' accora. 

29.Perô ricominciô : Se l' uom ti faccia 
Liberamenle ci4 che 1 tuo dir prega» 
Spirito incarcerato, ancor ti piacci> 

50. Di dirne corne 1' anima ni lega 

In quesli nocchi; e dinne, se tu puoi, 
S' alcuna mai dn lai membra si spiega. 

Si.Allor softio Io tronco forte, e poi 
Si converti quel vento in cotai voce : 
Brevemente sarà risposto a voi. 



CHANT TREIZIÈME. 309 

« 

32. « Lorsque Fâine féroce quitte le corps dont elle 
s'est elle-même arrachée, Minos Tenvoie à la septième 
bouche ; 

33. « Elle tombe dans la forêt, non en un lieu choisi, 
mais où le hasard la jette : là elle germe comme un grain 
d'épeautre ; 

34. a S* élevant, elle devient une tige et un arbre sil- 
vestre. Les Harpies, se repaissant de ses feuilles, ouvrent 
un passage à la douleur qu'elles lui font ressentir '. 

35. « Comme les autres nous viendrons rechercher nos 
dépouilles, mais cependant aucun ne les revêtira ; car il 
n est pas juste que Thomme recouvre ce que lui-même il 
s'est ravi. 

36. c( Ici nous les traînerons, et dans la lugubre forêt 
nos corps seront suspendus, chacun au tronc de sa triste 
ombre. » 

37. Nous demeurions attentifs, croyant qu'il voulait dire 
encore autre chose, quand nous surprit un bruit 

38. Semblable au fracas des bêtes et des branches, 
qu'entend celui qui voit venir le sanglier et la meute qui 
le suit. 

39. Et voilà, vers la gauche, deux damnés nus et déchi- 
ï*és, fuyant de telle vitesse, qu'à travers la forêt ils brisaient 

»ut obstacle. 



. Qaaodo si parte 1* anima féroce 
Dal corpo ond' eila «tessa s'è disvelta, 
Minos la manda alla setlima foce. 

• Cade in la selva, e non le è parte scella; 
Ma là dove forluna la bakfstra, 
Qoivi germoglia corne gran di spelta; 

- Surge in vermena ed in pianta silveslra : 
Le Arpie, pascendo poi délie sue foglie, 
Fanno dolore, ed al dolor fineslra. 

.Corne Tallre, verrem per nostre spoglie, 
Ma non per6 ch' alcuna sen rivesia : 
Chèifon è gittslo aver ci6 ch* uou si loglie. 



S6. Qui le slrasdnèremo, e per la mesta 
Selva saranno i nostri corpi appesi, 
Ciascuno si prun deir ombra sua molesta. 

ST.Noi eravamo ancora al Ironco aliesi, 
Gredendo ch' aitro ne voiesse dire; 
Quando noi fummo d'un rumor sorpresi, 

SS.Similemente a colvii, che venire 

Seule il porco e la caccia alla sua posta, 
Ch' ode le bestie e le frasche stormire. 

S9. Ed ecco duo dalla sinistra costa, 
Kudi e grartiali fuggendo si forte, 
Che delta selva rompiéno ogni rosta. 



310 



L'£MFER. 



40. Celui de devant : « Accours, accours, ô Mort! 
l*autre, à qui trop il paraissait tarder, criait : « Lapp 
prudentes ne furent pas 

41 . « Tes jambes aux joutes de Toppo **. » Et j)uis, I ' 
leine lui manquant peut-être, de soi et d*un buisson il 
un seul groupe. 

42. Derrière eux la forêt était pleine de chiennes noiffô 
affamées et courant comme des lévriers qu'on vient à 
détacher. 

43. Dans celui qui s'était tapi elles enfoncèrent les dents, 
et le déchirèrent pièce à pièce, puis emportèrent ces lam- 
beaux palpitants. 

44. Alors mon Guide me prit par la main et me condui- 
sit au buisson, qui, à cause des blessures sanglantes, en 
vain pleurait : 

45. « Jacopo de Saut' Andréa ^\ disait-il, que t'a servi 
de te faire de moi une défense ? En quoi suis-je coupable 
de ta méchante vie ? » 

46. Quand le Maître près de lui se fut arrêté : « Q^ 
fus-tu, dit-il, toi qui, par tant de plaies, souffles avec l^ 
î^ang des paroles douloureuses ?» 

47. Et lui à nous? «0 âmes qui êtes venues po^ 
voir l'indigne saccage qui m'a ainsi dépouillé de t^^ 
feuilles. 



40. Quel dinanzi :Ora accorri, accord morte. 
K l'aliro .1 ciii pareva tardar troppo, 
Gridava : Lappo, si non Furo accorte 

41. Le gimbe tue aile giostre del Toppo. 
E poiciiè Torse gli fallia la lena, 
Di se e d* un cespuglio lece un groppo- 

48. Direlro a loro era la sel va piena 
Di nere cigne bran rose e correnti, 
Come veitri ch' uscisser di catena. 

43. In quel che s' appiatiù miser li denli» 
V. (|uel dilaccraro a brano a brano, 
Poi sen portar quelle membra dolenli. 



44.Presenii allor la mia Scorta per man^* 
E menommi al cespuglio che piange^ 
Ver le rotlure sanguineiilî. invano. 

45. Jacopo, dicea, da Sant* Andréa, 
Che t' è giovato di me f.ire schermo ^ 
Che co.ipa ho io délia lua viia rea ? 

46.Quando '1 Maestro fu sovr' esso ferm^* 
Disse : Chi Tusli, che per tante puni^ 
Softi col sangue duloroso sermo? 

47. E quegli a noi : anime, che giunte 
Siele a veder Io sira^o disonesto, 
C ha le mie frondi si da me disgiunt^' 



CHANT TREIZIÈME. StI 

lecueillez-les au pied de la tige. Je fus de la cité 

tua Baptiste à son premier patron " ; ce pourquoi ^ * 

Lvec son art Taffligera toujours*' : et n'était qu'au 
î TArno, de lui se voient encore quelques restes **, 
]es citoyens, qui de nouveau la fondèrent sur les 
issées par Attila, auraient vainement fait travail- 

\ maison je me fis un gibet *'.» 



al pië del tristo cesto : 
ilâ ehe nel Batiste 
o padrone : ond' ei par qoasto 

' arte sua la farà Irista. 
te che \ti aul passo d'Amo 
■ djlui alcuna vista; 



M. Qoeidttadin, eh* poi It rifondama 
Sona 1 eener che d'Atifla rimaae, 
An«bber fritu» tevorare indamo. 



lo fei gibetto a uw délie mie 



. » 



91S L'EHFER. 



NOTES DU CHANT TREIZIÈME 



i . CecitiOf fleuve qui se jette dans la mer, à une demi-journé( 
Tourne, du côté de Rome. Cometo, château du patrimoine de saint 
Cette parlie de la Maremme est couverte de bois et de buissons, pe 
daims, de chevreuils et de sangliers. (Yenturi.) 

2. Iles de la mer Ionienne. (Voyez Enéide, liv. III, v. 254 et si 

3. Celle des Suicides. 

4. <z Qui rendront croyable ce que je raconte de Polydore, que 
corps avait cru un arbuste, les rameaux duquel, arrachés par Énée 
dirent du sang. » (Enéide, liv. III.) 

5. Le même jeu de mots se retrouve dans l'Arioste : 

lo credea e credo, e creder credo il vero. 

Orlando, cant. IX, oct. IS. 

6. cTu seras désabusé de la pensée que tu as, que ces voix vien 
gens cachés entre les troncs. i> 

7. Pierre des Vignes, né à Capoue, devint chancelier de Frédéi 
posséda toute sa confiance. Accusé pur des envieux d'avoir révélé 
Innocent les secrets de son maître, Tempereur, trop crédule, le dép< 
ses dignités et lui lit crever les yeux. Pie pouvant supporter Tinfan 
traitement si injuste à la fois et si barbare, Pierre des Vignes se bris 
contre les murs d'une église. 

8 L'envie. 

9. Lorsqu'on brise un de leurs rameaux, ces malheureux rc; 
une douleur qui leur arrache des cris, lesquels sortent par l'ouveri 
rameau brisé. 

iO. Lappo, de Sienne, grand dissipateur, voyant l'armée siennoisc 
par les Arétins près de la Pieve del Toppo, se. ji:ta en désespéré ai 
des ennemis et se fit tuer. 

11. Gentilhomme de Padoue qui, ayant dissipé tout son bien, se 
désespoir. 

12. Florence, auparavant dédiée à Mars, prit pour patron saint Je 
liste, lorsqu'elle devint chrétienne. 



CHAHT TREIZlÈilE. 



313 



Lit piédestal aui' lequel ai 



13. " Lui snscitara loujuurs des guc 
U. A l'cnirée du PoiileT(ic<^hia, on t 
tiefaU, était une slslne de Mars. 

15. Quelques-uns croitnl que Dïute parle ici de Rocco de' Miai qui, 
, ajenl dissipé de grandes rïctiesaes, se pendit pnur échapper b lu pauvreté : 
d'autres, it a'agil de LaUo Degli Agli, qnï ss pendit de remardb d'uvaïr 
I Todu une aenlenro injuste. Boccace pense que l)ante n'a voulu désigner 
m persannage parlioulier, mais eu ïénfral tout eeux qui, dans ce temps- 
I b, U wkidèreal i Floreuee. 






5U 



L'ENFER. 



CHANT QUATORZIÈME 



1. Ému de l'amour du lieu natal, je recueillis les feuiOe 
éparses, et les rendis à celui dont la voix déjà s*étai 
gnait. 

2. De là nous vînmes là où se sépare la seconde en 
ceinte de la troisième, et où de la justice se voit un hor 
rible art. 

3. Pour bien représenter ces choses nouvelles, je & 
que nous arrivâmes dans une plaine qui de soi rejetti 
toute plante. 

4. La forêt douloureuse forme autour une guirlande 
comme autour de celle-là le triste fossé! Sur la lisièrt 
nous affermîmes nos pieds. 

5. Le sable était un sable aride et pressé, pareil à celo 
que foulèrent les pieds de Caton *. 

6. vengeance de Dieu, combien doit te craindre qiï 
conque lit ce que virent mes yeux I 



CANTO DEGIMOQUARTO 



1. Polcbè la carità del natio loco 

Mi strin$e, raunai le fronde sparte 
K rende' le, a colui ch' era già fioeOi 

2. Indi venimmo al fine, ovo ^i parte 
Lo secondo giron dal terzo, e dove 
Si ^ede di giustizia orribil' arte, 

3. A bon nianirestar lo eose nuove, 
Dico cbe arrivammo ad una landa^ 
Cbe dal suo lelto ogni planta rlmnove. 



4. La dolorosa ^elm le è ffairlanda 
Intorno, coma il fosso tristo ad essa s 
Quivi Termammo i piedi a randa a rao^ 

5. Lo spazzo era un' arena arida e i^pess^ 
Non d'altra Toggia fatta cbe ooleli 
Cbe fu da' piedi di Caton soppressa. 

6. O vendetta di Dio, quanto tu dei 
Esscr temuta da ciascun cha legge 
Ciô cbe Tu oianiresto agli oecLi miei! 



CHANT QUATORZIÈME. M5 

7. Je vis de grands troupeaux d'ombres nues, qui toutes 
gémissaient misérablement, et une loi diverse paraissait 
leur être imposée. 

8. Quelques-unes sur le dos gisaient à terre ; d'autres, 
ramassées en soi, étaient assises, et d'autres marchaient 
continuellement. 

9. Plus nombreuses étaient celles qui marchaient, et 
moins, celles qui gisaient sous le tourment; mais leur 
langue à la plainte était plus déliée. 

10. Partout, sur le sable, lentement pleuvaient de 
larges flocons de feu, comme, d'un temps calme^ la neige 
snr les Alpes. 

{{. Telles que les mèches de flamme que, dans Tes 
chaudes contrées de l'Inde, Alexandre vit tomber sur son 
armée, 

12. Ce pourquoi par ses troupes il fit fouler le sol, parce 
que mieux s'éteignait la vapeur lorsqu'elle était s^ule *; 

13. Telle descendait l'éternelle ardeur; et, comme l'a- 
madou sous le briquet, le sable s'embrasait pour doubler 
la douleur. 

14. Sans repos était le mouvement des misérables 
ïûains, d'ici, de là, secouant la flamme nouvelle. 

15. Je commençai : — Maître, toi qui vaine toutes 
choses, hors les farouches démons qui sortirent contre 
nous à l'entrée de la porte, 



1 D'uime nnda vidi moite gngv^t 
Che piangean talte assai misaramente; 
E pana pocu lor divena legge. 

t. Sapin fiaeeva in terra alanna geste; 
Aleant si Mdea (at!a raeeolta, 
^ >itia aodava eontinuamente. 

9. Q elht ehe gfta Intome era ptù molta, 
E qnellt men, ehe giaeeva al tormento, 
Va più al dnolo avea la Hngaa seiolta. 

M. SoTTt tntlo 1 sabbion A' nn eader lento 
Picman A fboco dilatate falde, 
Corne dl neve in alpe senza vente. 

11 Qaaii Aleseandro in quelle parti calde 



D' India idde sevra le suo staolo 
Flamme eadere infino a terra salde ; 

12. Pereh' e1 prorvldde a ^ealpifar lo <:uolo 
Con le sue sehiere, percioccbè 'I vapore 
Me' si stingueva mentre'ch' era solo, 

13. Taie scendeva 1' eternale ardore, 
Oode r arena s' aeeendea, corn' esoo 
Sotto il focile, a doppiar k» dolore. 

14. Senza riposo mai era latresea 

Delle misère mani, or qnindi or quînci 
Iscoteodo da se 1' arsnra fresea. 

15. lo cominciai : Maestro ta ehe ytnci 
Tutte le eose, fuor ehe i Dlmon darl, 
Che ail' entrer délia porta incontro uscinl, 



S16 L'ENFKa. 

16. Quel est ce grand, qui semble n*ayoir souci 
sier, et gît si fier et si dédaigneux que la pluie n 
pas l'amollir? 

17. Celui-là même s'étant aperçu que de lui j'; 
geais mon Guide, cria « Quel je fus vivant, tel je sui 

18. « Quand Jupiter fatiguerait encore son foi 
de qui, dans son courroux, il prit le foudre aigu, 
me frappa le dernier jour; 

19. a Et quand tour à tour il fatiguerait les 
dans la noire forge du mont Gibel ', criant : Vu 
l'aide! à l'aide! 

20. « Gomme il fit au combat de Phlégra *, et qu< 
moi il rassemblerait et tous ses traits et toute sa 
n'aurait pas la joie de la vengeance. » 

21. Alors, mon Guide, avec plus de force qi 
l'avait encore entendu s'écrier : « Gapanée', ta : 
qui ne fléchit point. 

22. «Accroît ton supplice; aucun tourment ne 
sans ta rage, un complet châtiment de ta fureur. ) 

23. Puis se tournant vers moi, d'une lèvre moinî 
il dit : « Gelui-ci fut un des sept rois qui assi 
Thèbes ; il eut et paraît encore avoir 

24. « Dieu à dédain, et semble le priser peu 
comme à lui je l'ai dit, ses outrages ont dans s 
même leur digne prix. 



16. Cbi è qnel grande ehe non per ehè enrl 
L' inceodio- e giaee dispettoso e torto 
Si ehe la pioggia non par che 't martnri ? 

17. E quel medesmo, eb« si Tne aeeorto 
Ch' io dimanduva il mio Daea di lai, 
Gridô : Quai t' fui Tivo, tal son morto- 

18. Se Giove stanchl il suo fabbro, da eai 
Crueciato prese la folgore acnta, 
Onde 1' uitimo di percosso Tui ; 

19. s' agli stanebi gli altri a muta a muta 
In Mongibello alla fuceina negra, 
Gridaodo : Buon Vnicano, aiuta, aiutal 

SO. Si eom'ai feiee alla pugna di Fiegra, 



E me saetti di tutta sna forza 
Non ne potrebbe aver Tendet 
31. Allora il Dnea mio parlô di fo 
Tanto, cb' io non 1' avea si fo 
O CapanM, in ei6 eba non $' 

22. La tua superbia, m' tn più pu 
NuUo raartirio, fuor cbe la tu 
Sarebbe, al tuo, furor dolor e< 

23. Poi si rivolse a me con roiglic 
Dicendo : Quel fa 1' un de' se 
Cb'assiserTebe; ad ebbba^e pt 

24. Dio io disdegno, e poco par efa 
Ma, com' io dissi lui, li soi dli 
Sono al suo petto assai dabiti 



CHANT QUATORZIÈME. ^17 

25. ir Maintenant suis-moi, et garde-toi de poser les 
pieds sur l'arène brûlante ; mais tiens-les toujours près du 
l)oisI » 

26. Silencieux nous vînmes là où, de la forêt, sourd un 
petit fleuve dont la rougeur me fait encore frissonner. 

27. Comme du Bulicame sort le ruisseau qu'entre elles 
ensuite partagent les pécheresses *, ainsi à travers le sable 
coulait celui-là. 

28. Le fond, les deux pentes, et de chaque côté les 
l)ords étaient de pierre, d'où j'avisai que là était le pas- 
sage. 

29. a De tout ce que je t'ai montré depuis que nous en- 
trâmes par la porte dont le seuil à nul n'est dénié ', 

30. a Tes yeux n'ont rien vu de si notable que ce fleuve 
sur lequel s'éteignent toutes les flammes. » 

31. Ainsi parla mon Guide; sur quoi je le priai de m' ac- 
corder la pâture dont il m'avait donné le désir. 

32. a Au milieu de la mer, dit-il alors, est un pays 
dévasté qu'on appelle la Crète, sous le roi duquel, autrefois, 
le monde vécut dans l'innocence. 

33. fit Là s'élève une montagne nommée Ida, jadis riante 
et d'eaux et de verdure, et maintenant abandonnée comme 
^ne chose usée. 



S.Or ni nen dielrOr.e guarda che non metti 
incar li piedi neU' arena aniceia ; 
ib lempre al bosco li riiieni stretti. 

^luaMlo dhenimnio là 've spiccia 
hw délia aelva un picciol tiumieello, 
Lo cai rossore ancor mi raccapriccia. 

^•Qoale del Itolicame esce il nucello, 
Che parten poi tra lor le peccalrici, 
Tal per l' arena giù sen giva quello. 

^Lo fondo suo ed ambo le pendici 
FMt'eran pietra, e i roargim da lato; 
hrch* io o^ aocorsi che '1 passo era lici. 

^fn totto Ifaltro ci* io t' ho dimostrato, 



I 



Posciacbè noi entrammo per k porta, 
Lo cui sogliare a nessuno è negato, 

50. Cosa non fu dagli tuoi occhi scorta 
Notabile, coin' è '1 présente rio, 

Che sopra se tutte iiammelle ammorta. 

SI.Quesie parole fur del Duca mio : 

Perché '1 pregai, che mi largisse il pasto 
Di cui lar gito m' aveva il disio. 

51. In me»o M mar siede un paese guasto, 
Diss' egli allora, che s'appella Creta, 
Sotte 'I cui rege fu già 1 mondo casto. 

SS. Una montagna v' è, che già fu lieta 
ly acque e di fronde, che si cbiaraa Ida; 
Ora è diserta corne cosa vieta. 



iS. 



318 



L'ENFER. 



34. « Rhéa** la choisit pour être le sûr berceau ae son 
fils; et afin de le mieux cacher lorsqu'il pleurait elle y faisait 
faire des clameurs". 

55. «Au dedans du mont, debout, est un grand vieillard", 
qui tourne le dos à Damiette, et regarde Rome comme son 
miroir*'. 

36. « Sa tête est d'or fin'*, ses bras et sa poitrine d'ar- 
gent pur, puis jusqu'à Tenfourchure, son corps est d'ai- 
rain, 

37. (( Et de là en bas, de fer choisi, hors le pied droit qui 
est de terre cuite, et sur ce pied plus que sur l'autre il se 
tient debout. 

38. « Chaque partie, excepté celle de l'or, est rompue, et 
pnr la fissure découlent des larmes qui, s'unissant, ont percé 
la grotte. 

39. « Tombant de roche en roche, elles prennent leur 
cours dans cette vallée, où elles forment TAchéron, le Styï 
et le Phlégéton; puis, par cet étroit canal, 

40 « Se rendant là où finit la descente, elles engendrent le 
Cocyte. Quel est ce lac? tu le verras; par quoi n'en parle- 
rons ici.» 

41 . Et moi à lui : — Si ce ruisseau vient de notre monde , 
pourquoi nous apparaît-il seulement sur ces bords? 



l4.Rea la scelse gii per cuna fida 

Del suo figliuolo, e, per celarlo meglio, 
Quando piangea, vi facen far le grida. 

SS.Dentro dal montH sta driito un grnn veglio 
The tien volte le spalle in ver Dam*ata, 
E Roma guarda si corne suo speglio. 

S6. La sua testa è di fin' oro formata, 

P. puro argento son le braccia e '1 petto, 
Pui è di rame iniino alla forcata : 

37. Da indi in giuso è tulio ferro eletlo, 
S.ilvo cbu '1 deslro piede è terre cotia, [to. 
K sta in su quel, più che 'n su 1' altro,eret- 



SS.Ciascuna parte, fîior che 1* oro, è rotta 
D'una fessura che la^i ime goccia. 
Le quali accolte foran quella. grotta. 

S9. Lor corso in questa va lie si diroccia : 
Fanno Achtronle, Stige e Flegetonta, 
Poi sen van giù per (|uesta siretia doccia 

40. Infiii lu ove più non si dismonta: 

Faiiiio Cocilo; e quai sia queilo stagno. 
Tu '1 vederai , perô qui non si conta. 

il.Eil io a lui : se '1 presento rigagno 
Si dei iva cosi dal nostro ntondu, 
l'crchè ci appar pur a quésto vivagno? 



CHANT QUATORZIÈME. 519 

42. Et lui à moi : « Tu sais que ce lieu est rond*'^; et 
ûen que déjà tu t*y sois avancé beaucoup, descendant de 
)lus en plus à gauche vers le fond, 

43. « Tu n'as pas encore parcouru tout le cercle. Si donc 
l t'apparaît quelque chose de nouveau, Tétonnement ne 
loit pas se montrer sur ton visage. » 

44. Et moi encore: — Maître, où se trouvent le Phlégé- 
ton et le Léthé? Tu te tais de Tun, et tu dis de l'autre qu'il 
est formé de cette pluie. 

45. « Tu me plais, certes, en toutes tes questions, répon- 
dit-il; mais le bouillonnement de l'eau rouge devait bien 
résoudre l'une de celles que tu me fais^*. 

46. « Tu verras, mais hors de ce gouffre, le Léthé, où les 
âmes vont se laver lorsque après le repentir la coulpe a été 
remise. » 

47. Puis il dit : « 11 est temps de s'éloigner du bois. 
Aie soin de venir droit après moi : une route offre les bords, 
qui ne sont point embrasés, 

« Et sur lesquels toute vapeur s'éteint. » 



**.WegKa me : Tu sai che il luogo è tondo, 
E Uiito che lu sii venulo mollo 
^r a sinistra giù calando al foodo, 

tt.Son se' ancor pcr tuUo il cercliio volto ; 
wihè, se cosa n'apparisce nuova, 
^M dee addur maraviglia al tuo volto. 

♦*• M io ancor : Maestro, ove si Irova 
Flegelonle e Leté, ché dell' un taci, 
•'' !«ltro dl chè si fa d' esia piova? 

«•IniDttetue question certo mi piaci, 



Rispose ; ma il bollor deir ncqua rossa 
Dovea ben solver Tuna che tu faci. 

46.Lelè vedrai, ma fuor 4i quesia (bssa. 
Là ove vauno 1' anime a iavarsi. 
Quando la colpa pentuta è rimossa. 

47. Foi disse : Omui è tempo da scostarsi 
Dal bosco : fa che diretro a me vegne: 
Li margini fan via, che non son arsi, 

E sopra luro egni vapor si spegne. 



.\.^'. : ■ 



320 L'ENFER. 



NOTES DU CHANT QUATORZIÈME 



1. Lorsque, à la télé des débris de Tarmée de Pompée, il trarersa la Ll^ 
bye pour se réunir à Juba, roi de Numidie. 

2. A mesure que ces mèches enflammées tombaient, Alexandre les (àu- 
sait fouler aux pieds par ses soldats, parce qu'on les éteignait plus facilemeiB^ 
lorsqu'elles étaient seules^ c'est-à-dire avant que d'autres mèches ne fusseii < 
▼enues s'y ajouter. Ce fait, que ne raconte aucun historien, se trouve dans Là 
lettre apocryphe d'Alexandre à Aristote. Il y est dit, non pas c qu'il fit fouler 
le sol par ses soldats, » mais qu'il opposa au feu leurs vêlements. 11 pourrai^ 
être question du simoun, dont on atténuait les effets en s'enveloppanl le corp^ 
et la tête. 

3. Yulcain. 

4. Les Gyclopes. 

5. L'Etna, sous lequel on croyait qu'étaient les forges de Vulcain. 

6. Vallée de la Thessalie, où Jupiter foudroya les Géants, en guerre 
contre lui. 

7. Stace l'appelle Superûm contemptor et sequi, contempteur des Dieo^ 
€t de la justice. 

8. On donnait ce nom, qui signitie source d^eau bouillante j a un petit hm 
situé i deux milles de Yiterbe. Il en sortait un ruisseau que les pécheresses^ :: 
les courtisanes, partageaient entre elleSy c'est-i-dire qu'elles en tiraient^ 
pour l'amener chez elles, la quantité d'eau nécessaire à leurs besoins. Elle^ 
affluaient en ce lieu, à cause du grand concours qu'attiraient les bain^ 
chauds. 

9. La première porte de l'Enfer. 

10. Femme de Saturne et mère de Jupiter. 

11. Un grand bruit de cymbales et autres instruments, afin que Saturne, 
qui avait coutume de dévorer ses enfants, n'entendit pas les cris de Jupiter. 

12. Le Temps. 

13. Rome est le miroir du Temps, parce qu'elle doit, selon la pensée da 
Dante, développée dans son livre de Monardùâf durer autant que lui. 



- * 



CHANT QUATORZIÊVe:. m 

14. Tout ceci est éridemment une imitation de la vision de Daniel. 

15. L'Enfer, selon Dante, a la forme d'un c6ne qui se rétrécit à mesure 
lu'on descend. 

16. c Au bouillonnement de Teau rouge, tu aurais dû reconnaître le 
Phlégélon. » — Ce nom vient en efTet d'un mot grec qui signifie brûler. 



i 



522 



L'EKFER. 






CHANT QUINZIÈME 



1 . Maintenant nous porte l'une des deux berges solides ^ 
et la fumée du petit fleuve d'au-dessus, adombrant les le^ 
vées et Teau, les garantit du feu. 

2. Comme entre Gand et Bruges, les Flamands craignant- 
le flot qui vers eux se précipite, construisent des digues 
pour repousser la mer ; 

5. Et comme à la Brenta les Padouans en opposent, pouV 
défendre leurs villes et leurs châteaux, avant que le Chia— 
rentana * sente la chaleur; , 

4. Ainsi, quoique ni si hautes ni si larges, étaient faites 
ces levées, quel que fût le maître qui les fit. 

5. Déjà nous étions si loin de la forêt, que, me tournan 
en arrière, je n'aurais pu voir où elle était, 

6. Lorsque nous rencontrâmes une troupe d'âmes ve 
nant le long de la digue, chacune desquelles nous regar 
dait, comme le soir 



lu 



Ui 



CANTO DECIMOQUINTO 



I.Ora cen porta 1* un de* duri inargini, 
E il fummo del ruscel di sopra aduggia 
Si, che dal fuoco salva Tacqua egli argini. 

S. Quule iFiamniingh: traGuzzanteeBruggia 
Teuiendo '1 iioUo che in ver lor s' avvenla, 
Fjnno lo scherrao, perché '1 mar si Tuggia; 

S.Equale i PadoTan lungo la Brenta, 
Per difender lor ville e lor casleili, 
Anzi che Chiarentana il caldo senta ; 



4. A taie imagin eran fatti quelli, 
Tultochè ne si alti ne si grossi, 
Quai clie si fosse, lo maestro felli. 

S.Già eruvam dalla selva riinossi 
Tanio, uli'io non avrei visto dov*era, 
Perch' io indietro rivolti mi fossi, 

8-Quando inconlfammo d'animé una schie- 
Che venia lun<,'0 V argiue, e ciascuna [ra. 
Ci riguardava, corne suoi da sera 



CHANT QUINZIÈME. 525 

7. On se regarde l'un Taulre à la nouvelle lune*; et vers 
nous elles tendaient les yeux comme le vieux tailleur sur 
le chas de l'aiguille. 

8. Ainsi regardé par cette bande, un d'eux me reconnut, 
et m'arrciant par les bords de ma robe, il s'écria : a 
merveille I » 

9. Lorsque vers moi il étendit le bras, sur cette face 
grillée par le feu je fixai tellement mon regard, que le vi- 
sage brûlé n'empêcha point 

10. Mon entendement de le reconnaître ; et vers sa face 
abaissant la main*, je répondis : — Êtes-vous ici, ser Bru- 
netto? 

11. Et lui : <x mon fils, ne te déplaise qu'un peu 
en arrière avec toi reste Brunetto Latini \ et laisse aller 
la file ! » 

12. Je lui dis : — Autant que je peux je vous en prie; 
et si TOUS souhaitez qu'avec vous je m'asseye, je le ferai, 
s'il plaît à celui-ci avec qui je vais. 

lo. « mon fils, dit-il, qui de ce troupeau s'arrête un 
instant, gît ensuite cent années sans se mouvoir sous le feu 
qui le frappe. 

14. « Va donc, et je t'accompagnerai; puis je rejoindrai, 
nia bande, (jui va pleurant son dam étemel. » 



''•Guardar 1* un l' altro aoUo ouova luna; 
E si ver noi agiizzavan la ciglia, 
CoiDe vecehio sarlor fa nella cruna. 

^•Coti adocchiato da cotai famiglia, 
PQ) conosciulo da un, che mi prese 
l^erlolembo^egridô : Quai maraviglia? 

'Edio, quando 'Isuo braccio a me distese, 
fiocai gli occhi per lo cotto ospetlo 
Si, che '1 vise abbruciato non difese 

lO.La conoccenza sua al mio intelletto ; 
E chSnando la mia alla sua faccia, 
Rtiposji : Siete voi qui, ser BrunelloT 



11. E quegli :0 figliuol mio, non ti dispiaccia. 
Se Brunelto Latini un poco teco 
Ritorna iodietro, e lasda andar la traccia. 

11. lo dissi lui : Quanto posso ren preco , 
E se volele che con voi m' asseggia, 
Farùl, se piace a costui, chè vo seeo. 

13. Ggliuol, disse, quai di quesia greggia 
S* arresta punto, giace poi cent' anni 
Senza arrostarsi quando 'I fuoco il feggia. 

U.Perô va oitre : i* ti verrô a' panni, 
E poi rigiugnerô la mia masnada, 
Che va piangendo i suoi eierniikami. 



3S4 L'EiNFER. 

15. Je n'osais descendre de ia berge pour marcher pn 
de lui ; mais je tenais ma tète baissée, comme un homn 
qui chemine humblement. 

i6. Il commença : « Quelle fortune ou quel dest 
t'amène ici-bas avant le dernier jour ? et quel est celui q 
le montre le chemin ? » 

17. — Là-haut, lui répondis-je, dans la vie serein 
je m'égarai en une vallée, avant que mon ftge fut s 
compli '. 

18. Hier matin, je retournais en arrière : celui-ci m'a 
parut comme je redescendais, et il me reconduit dans 
mien monde par ce sentier. 

19. Et lui à moi : « Si tu suis ton étoile, tu ne pe 
manquer le glorieux port, autant que furent vraies mes pi 
visions durant la belle vie * : 

20. « Et si ma mort n'avait pas été si hâtive, te voya 
le ciel ainsi favorable, à l'œuvre je t'aurais encouragé. 

21. « Mais ce peuple ingrat et méchant qui descei 
dit de Fiesole'', et tient encore de la montagne et du r 
cher, 

22. (X A cause de ton bien faire se fera ton ennemi : 
c'est raison; car, entre les âpres sorbiers, pas ne convie 
que le doux figuier fructifie. 



l8,Ionoa osanra scender délia ttrada 
Per andar par di lui : ma '1 capo chino 
Tenea, com'uom che rivèrent e vada. 

16. Ei cominciô : Qu;il fortuna o destino 
Anzi 1' ultinio dî quaggiù ti mena? 
E chi è questi che moatra *1 camminoT 

ll.Lassù di lopra in la vita terena, 
Riapoi' io lai, mi smarri' in ana valla, 
Avuiti cbe r eU mia fosse pieoa. 

18.Pnr ier naUina e volsi le spaOe : 

Qnesti m* appanre, lomand* io in quella ; 
B ridocMni a ca per qnasto calle. 



J9.Ed egli a me : Se tu segui tua Stella, 
Non puoi fallire a glorioso porto. 
Se ben m' accorsi neUa vita tiella. 

10. Ë s' io non fossi si per tempo morto, 
Veggendo il cielo a te cosi benigiio, 
Dato t' avrei ail' opéra conforto. 

11. Ma quell' ingralo popolo maligne, 
Che discese di Fiesole ab aniico, 
E tiene ancor del monte e del macigni 

11. Ti si farâ, per tuo ben far, nimico. 
Ed è ragion ; chè tra li lassi sorbi 
Si disconvien fruttare il dolce fico. 



CHANT QUINZIÈME. 325 

25. (X Une vieille renommée dans le monde les appelle 
aveugles*; gent avare, envieuse, superbe : décrasse-toi de 
leurs mœurs. 

24. « La fortune te réserve tant d'honneur, que Tun el 
l'autre parti * auront faim de toi ; mais Therbe sera loin de 
la bouche*®. 

25. a Que les bêtes Fiesolanes fassent fourrage d elles- 
mêmes, et ne touchent point à la plante, s'il en surgit en- 
core de telle dans leur fumier, 

26. « En qui revive la semence sainte de ces Romains qui 
la demeurèrent, quand fut fait le nid de tant de malice>\ x> 

27. — Si, lui répondis-je, exaucée eût été ma de- 
mande, vous ne seriez point encore banni de la vie hu- 
maine; 

28. Car dans ma mémoire est gravée, et mon cœur con- 
serve votre chère et bonne et paternelle image, alors que, 
dans le monde, souvent 

29. Vous m'enseigniez comment l'homme s'éternise ; et 
combien j'en ai de gratitude, il convient que, pendant que 
je \is, ma langue le manifeste. 

30. Ce que de mes destins vous racontez, je l'écris et le 
rfeerve, pour que l'interprète, avec un autre texte ", une 
ï^ame qui le pourra, si jusqu'à elle j'arrive. 



B.TMdiîa fana nel mondo li ebiama orbi : 
^te «van, iniidiosa e saperba ; 
I^' br costumi fa che tu ti forbi. 

^^tnafortuna tanto onor ti s^rba, 
^ l' oaa parte e 1* altra avranno famé 
Dite : ma hingi fia dal becco 1* erba. 

^•Factian le besUe Ftesolane strame 
tt lor medesmet e non tocchin la plantai 
8' aleona aurge ancor nel lor letame, 

l^bci^ riviva la aementa ganta 
iXoMt Boman, c^ ti rimaser, qnando 
h atto il Bido di ouliiia tanti.. 



•b I. 



17. Se fosse pieno tutto 1 mio dimandoi 
Risposi lui, voi non sarcste ancora 
UelC umana natura posto in bando: 

iS.Chè in la meute m'è fitta, ed or m' accora, 
La cara e buona imagine patema 
Di voi, quando nel mondo ad ora ad ora 

19. M' insegnavate come V uom s* eterna: 
E quant' io V abbo in grado, metr lo vivOf 
Gonvien che nella mia lingua ei scei na* 

50. Ciô che narrate di mio coi-so scrivo, 
E serbob a chiosar con altru teslo 
A donna che 1 saprà, a' a l&i arri/j. 



V^ 



336 L'BUFÎR. 

51 . Sachez seulement ceci : pourvu qo'foem reprodi 
ne me fasse ma conscience, quoique wnille kt fortane, f 
suis prêt. 

52. Un tel présage n'est pas nouteau à mes oreiHos 
mais qu'à son gré la fortune tourne sa roue, et le Vilnk 
manie son boyau '*. 

55. Mon Maître alors, se retournant à droite, me re 
garda, puis dit : « Bien écoute, qui bien note ^^. » 

54. Cependant je continue d'aller toujours pariant acvei 
ser Brunelto, et lui demande quels de ses compagnons sont 
les plus notables et les plus éminents. 

55. Et lui à moi : a Parler de quelques-uns est bon; 
des autres mieux iFaut se taire : le temps serait trop court 
pour un si long récit. 

56. c( Sache, en somme, que tous forent deres et grands 
lettrés, et de grande renonmiée, et tous dans le monde 
souillés du même péché. 

57. « Avec cette troupe misérable Priscien" ya, et aussi 
François d'Accorso ^* ; et si d'une telle teigne " tu avais étc 
avide, tu aurais pu voir 

58. c( Celui *® <]ui, par le Serviteur des serviteurs *•, hx 
transféré de TArno au Bacchiglione, où il laissa ses nerf 
mal tendus. 



si.Tanto vogl* io che ri sia manifeslo. 
Pur che mia cosaenza non mi garra, 
Oh' alla fortuna, corne vuol, son presto. 

52. Non è nuova agli orecchi miei tal' arra : 
Perù giri fortuna la sua rota 

Come le piace, e il \iilan la sua marra. 

53. Lo mio Maestro aUora in sulia goia 
U«stra si volse indietro, e riguantoanm: 
Poi disse : Bene ascolta chi la nota. 

S^.Né per tanto di mcn parlando tùman 
Con ser Brunetto, e dimaadlo thh sono 
Li suoi compagni più noti e più soauat. 



SS.Bd egli a me : Saper d* alcnno ë baoïu^ 
Degli alth fia laudabile il tacerci, 
Cbè '1 tempo saria corto a tanto sooao. 

56. In somma sappi, che tutti fur cherci, 
E letterati 'grandi e di gran Csma, 

D' un medesmo peccato al mondo lerci. 

57. Prisi ian le.i va con quella turba grama». 
£ Fiancesco d'Accorso anco, e vedanri, 
S' avessi avuto di tal tigaa brama, 

53.Colui potei che dal Senro de' Servi 
Fu trasiiiulato d'Arno in Bacchigli4MMs, 
Ove lasciô li nvil prolesi nervi. 



CHANT QUINZIÈME. 



327 



'39. « De plusieurs autres je parlerais, mais Taller ni le 
discours ne peuvent être plus longs, car du sable je vois, 
là, s élever une nouvelle fumée. 

40. a Des gens viennent avec qui je ne dois pas être. 
Que te soit recommandé mon Trésor **, dans lequel encore 
je vis : rien de plus je ne demande. x> 

41. Puis -il se retourna, et semblait être de ceux qui, 
dans la campagne, à Vérone, courent la bannière verte'*, 
6t de ceux-là il paraissait être 



Celui qui vainc, ci non celui qui perd 



ti 



S*Di ji^dvd; ma il «enire e il sermoue 
Kù lango esser non puô, perô ch' io veggio 
Làrtnrger nuovo-ftinnno dal sabbiorie. 

M.Geate vien con la quale esser non dcggio: 
Sieti raccomandato il mio Tesoro, [gio. 
le! quale io vivo ancora ; e più noii cheg- 



U.Poi si rivolse, e parve di colore 
Che corrono a Verona il drappo verde 
Fer la eampagna; e parve di costoro 



Quegli che vince e non colui che perd*. 



X 






- • 



7>iè L'ENFEB. 



NOTES DU CHANT QUINZIÈME 



i . Montagne neigeuse où la Brenta prend sa source. 
2. Au temps de la nouvelle lune, qui ne donne que peu de lumiè 
5. Dante est sur la berge; par conséquent il est obligé d'abais 
main pour l'étendre vers ser Brunetto. 

4. Il avait été le maître de Dante. 

5. Avant quUl eût accompli sa trente-cinquième année, disent le 
mentateurs. 

6. Brunetto Latini était adonné à l'astrologie judiciaire. 

7. Les Florentins étaient originaires de Fiesole, ville très-ancieni 
tuée sur une colline à trois milles de Florence ^ 

8. Les Florentins furent ainsi appelés, dit-on, parce que, de deux 
que leur offrait la ville de Pise en reconnaissance d'un service rendu 
portes de bronze et deux colonnes de porphyre endommagées par le 
couvertes d'écarlate, ils choisirent les colonnes. Antoine Papadopoli i 
ce fut à cause de l'imprudente confiance qu'ils eurent en Attila, à qui 
vrirent les portes de leur ville. 

9. Les Noirs et les Blancs. 

10. Locution proverbiale. 

11. a Qu'ils ne touchent point au citoyen, s'il en est encore, qui, de 
de ces Romains qui habitaient Florence, nouvellement fondée, et d< 
depuis le nid de tant de malice^ conserve encore une âme romaine. 

12. La prédiction que lui a faite Farinata. 

13. Dante, comme on l'a vu déjà, use volontiers de locutions p 
biales , le tercet suivant en offre un autre exemple. 

14. d Qui bien imprime dans son souvenir ce qu'il a entendu. » 

15. Célèbre grammairien du sixième siècle, né à Gésarée de Capp 

16. Jurisconsulte florentin, fameux en son temps. 

17. D'un spectacle si dégoûtant. 

18. Andréa de' Hosxi, qui, de Tévêclié de Florence, situé sur 1 



CHANT QUINZIÈME. «M» 

Dsfôré à celui de Ticence^ où passe le Bacchiglione, mourut dans cette 

oière ville. • 

9. Le Pape, qui s'intitule le Serviteur des semUeurs de Dieu* 

0. Titre d'un ouvrage de Brunetto Lalini. 

1 . La bannière verte se courait anciennement, à Vérone, le premier di- 
icfae de Carême. 

2. Le Poète indique par cette image la rapidité de sa course. 



./» 



350 



L*£iNF£R« 



CHANT SEIZIÈME 



i . Déjà j'étais en un lieu où s'entendait, semblable ai 
bourdonnement d'une ruche, le bruissement de Teau tofl) 
bant dans l'autre enceinte, 

2. Quand trois ombres, en courant, se détachèrent en 
semble d'une troupe qui passait sous la pluie de Tâpr 
martyre. 

3. Elles Tenaient vers nous, et chacune d'elles criait 
« Arrête, toi qui, à tes yêtements, nous parais être de noti 
ville perverse ! » 

4. Hélas! que de plaies récentes et vieilles je vis si 
leurs membres sillonnés par les flammes! J'en pleure er 
core, quand le souvenir m'en revient. 

5. Mon Maître, attentif à leurs cris, vers moi tourna h 
yeux, et dit : « Attends I avec ceux-ci il faut être courtoif 

6. « Et n'était le feu qui darde sur le sol, je dirais qi 
la hâte te convient plus qu'à eux. » 



CANTO DECIMOSESTO 



l.Gia era in loco ore s' udia il rimborabo 
Dell' acqua che cadea nelP aitro (pro, 
Simile a quel che Tarnie fanno rombo; 

S.Quando tre ombre insierae si pariiro, 
Correndo, d' tina tonna che passn.va 
Sotto la pioggia dell' :ispro martiro. 

3. Venian ver noi ; e ciascuna gridava : 
Soslati tu che ail' abito ne sembri 
Essere alcun di nostra terra prava. 



4. Aimé, che piaghe vidi ne'Ior membri 
Recenti e vecchie dalle iiainine incese ! 
Aiicor men duol, pur ch' io me ne rimenib 

5. Aile lor grida il mio DoUor s'attese, 
Volse il viso ver me e : Ora aspetta, 
Disse ; a costor si vuole esser corlese : 

6.E se non fosse il fuoco che saetta 
La natura del luogo, i' dicerei, 
Che megho stesse a te, che a lor, la fret 



CHANT SEIZIÈME. 331 

7. Quand nous nous arrêtâmes, ils reoommeno&rent leur 
antique gémissement, et arrivés près de nous, tous, trois 
firent de tsoi une roue \ 

8. Et comme, avant de se saisir et de se frapper, les 
athlètes oints et nus avisent où la proie leur offrira le plus 
d'avantage ; 

9. Ainsi chacun d'eux, en tournant, dirigeait vers moi 
son visage, de sorte qu'au mouvement du cou celui dés 
pieds continuellement était contraire*. 

10. c( Si la misère de ce bas lieu et notre face noire et 
dépouillée attirent le dédain sur nous et nos prières, com- 
mença l'un d'eux, 

H . « Que notre renommée ploie ton âme à nous dire qui tu 
es, toi qui, vivant, meus sans danger tes pied« dans l'Enter. 

12. « Celui-ci, dont tu me vois suivre les traces, et q^i 
tout nu et pelé va, fut d'un rang plus élevé que tu ne crois : 

13. « U fut petit-iils de la bonne Gualdrade; Guidognerra ' 
était son nom, et durant sa vicv beaucoup il fit avec la tête 
et avec 1 epée. 

14. « L'autre qui foule le sable après moi, est Togghiajo 
Aldobrandi ^, dont le nom devrait être cher dans le monde. 

15. a Et moi, qui avec eux suis en croix, je fus Jacopo 
Rusticucci ^, et, certes^ plvs que tout m'a nui ma femme 
wvêche. » 



^- Ricominciar, come noi ristemmo, ei 
L'amicoTeno; « qoando a noi fiir ghinti, 
Fenn» vm rvom di se latti e irei. 

* QinltDolai i campion tar nndi ed unti, 
ArtiniMlo kr presa e lor vantaggio, 
^liuni cbe sien tra lor bailuti e punti ; 

'■' ^ rolndo, ciascuna il visagipo 
lliiiava a me, si cbe in contrario il coUo 
Facevaa' piè contiauo viaggio. 

'û.I'eii, s« misaria d' eslo loco soli > 
' f nde in dispetto noi e nostri pre^lii, 
^^Mniociô r uiio, e 1 (iiilo aspello e brollo; 



A dime chi tu se*, che i vivi pjedi 
Cosi sieuro per io Iiiferno freghi. 
ll.Que8ti, r orme di cui pestar nu vedt, 
Tutio che nudo e dipelato vadn, 
Fu di grado maggior che tu non credi 

■ S.Nepote fu délia buona GualdmdH : 
Gaidoguerra ebbe nome, ed in sua vita 
Fece col senno assai e con la spada. 

U.L' aitro ch' appresso me 1* arena Irita, 
È Tegghiaio Aldobrandi, la cui voce 
Nel mondo su duvrebije esser gradila. 

IS. E io, che posto son con loro in croce, 
lacopo Rusticucci fui : e certo 
lULa&mt nostra iltuo aniiiio pie;;hi. i La tiera moglie più ch' altro mi nuoce. 



552 L*ENFER. 

16. Si j*eusse été à Tabri du feu, je me serais jeté enb 
parmi eux, et je crois que le Maître Teût souflert : 

17. Mais, parce que je me serais brûlé et grillé, la pe 
vainquit le bon vouloir qui de les- embrasser me rend 
avide. 

18. Puis je commençai : — Non du dédain, mais u 
douleur si grande que tard s'éteindra-t-elle, m'inspira vo 
condition, 

19. Lorsque le Maître me dit des paroles par lesquel 
je compris que venaient des gens tels que vous. 

20. Je suis de votre pays; et toujours vos œuvres et' 
noms honorés j'écoutai et me rappelai avec amour. 

21 . Je laisse le fiel, et vais pour les doux fruits ' à i 
promis par le Guide véridique ; mais jusqu'au centre il t 
avant que je plonge. 

22. « Que longtemps l'âme conduise tes membres, 
pondit alors celui-là, et qu*après toi luise ta renommée. 

25. « Mais dis-nous si la vaillance et la courtoisie coi 
nuent d'habiter notre ville, ou si tout à fait elles en si 
parties. 

24. « Guillaume Borsieré '^j qui depuis peu gémit a 
nous, et avec les autres s'en va là, nous a, par ce qu'il n( 
en a dit, centristes beaucoup. » 



16. S' io fussi stato dal fuoco coverto, 
Giltato mi sarei tra lor disotto; 
E credo che M Dottor 1* avria sofTerto: 

IT.Ma perch* io mi sarei bruciato e cotto« 
Vinse paura la mia buona voglia, 
Che di loro abbracciar mi facea ghiotto. 

18. Poi cominciai : Non dispetto, ma doglia 
La vostra cundiiion dentro mi fisse 
Tanto, che tardi tutta si dispoglia, 

19.Tosto che questo mio Signor mi disse 
Parole, per le quali io mi pensai, 
Che, quai voi siele, tal gente venisse. 

SO. Di Tostra terra sono; e sempre mai 



V orra di toi e gli onorati nomi 
Con affezion ritrassi ed ascoUai. 

ll.Lascio Io fêle, e vo pô dold pomi 
Promessi a me per Io verace Duca; 
Ha finoal centre pria convien ch'io t 

tl. Se lungamente V anima conduca 
Le membra tue, rispose quegli allora 
E se la fama tua dopo te luca, 

SS.Cortesia e valor, di, se dimora 
Nella nostra citti si corne suole, 
se del tutto se n' è gilo fuora? 

14.Chè Gugliehno Borsieré, il quai si du 
Con noi per poco, e va là coi compa{ 
Assai ne crucia colle sue parole. 



CHANT SEIZIËNE. 553 

25. — La gent nouvelle et les gains subits ont, ô Flo- 
rence, engendré en toi tant d'orgueil et d'excès, que déjà 
tu en pleures I 

26. Ainsi m*écriai-je, la face levée; et les trois qui ouï- 
rent cette réponse se regardèrent l'un l'autre, conune on 
regarde à l'aspect du vrai. 

27. a Si à chaque fois, répondirent-ils tous, il t'en coûte 
si peu pour satisfaire autrui, heureux es*tu de pouvoir 
ainsi parler à ton gré. 

28. a Cependant si tu sors de ces sombres lieux et revois 
encore les beaux astres, quand joyeux tu diras : Je fus là, 

29. « Fais qu'en ton discours nous soyons... » Lors ils 
rompirent la roue, et, fuyant, leurs jambes agiles sem- 
blèrent des ailes. 

30. Avant qu'aman on eût pu dire, ils avaient disparu : 
sur quoi le Maître jugea bon de partir. 

31 . Je le suivais, et peu encore nous avions marché, quand 
le bruit de l'eau devint si proche, qu'à peine eussions-nous 
pu nous entendre parler. 

32. Comme ce fleuve qui, par son propre chemin, coule 
d'abord du mont Yiso vers le Levant*, à gauche de l'A- 
peimin, 

33. Et qui s'appelle Acquacheta avant de descendre 
dans son Ut inférieur, puis change de nom à Forli *, 



^U gtnte BQOva, e i mbiti guadagni, 
Orgoglio e dimiaura han generata, 
Korensa, in te, si cbe tu giàien piagni. 

^Cosi gridai edla foeda levata : 
B i tre ei6 intaaer per risposta, 
QaOa fun V altro, coin* al ver si guala. 

''•Se P allrc volte si poco U eosta, 
Bisser tutti, il soddisfiarc altrai, 
Fdice te. che si paili a tua posta* 

ti-Hrù so campi d' esti luoghi bui, 
£ tomi a riveder le belle stelle, 
Qnando ti gioverâ dicere : lo f ui ; 

Util die di noi alla gente favelle: 



Indi nipper la ruota, ed a fbggirsi 
Aie sembiaron le lor gambe snelle* 

50. Un ammen non saria potuto dirai 
Tosto cosi, com' ei furo spariti : 
Per cbe al Maestro panre di parlirsi. 

St.Io lo seguiva, e poco eravam iti, 
Che '1 suon dell' acqua n' era si vicino, 
Che per parlar saremmo appena udili. 

51. Corne quel fiume, c' ba proprio cammuo 
Prima da monte Veso in ver levante 
Dalla ûnistra costa d'Apennmo, 

SS.Cbe si chiama Acquacheta suso, avaiUe 
Cbe si divalli gtù nel basse letto» 
E a Forli di quel nome è vacante, 



19. 



534 



L'ENFER. 



34. Bruit en tombant des Alpes, au-^dessus de Sàn- 
Benedelto*®, où mille devraient trouver une.demeure; 

35. Ainsi, en tombant d'une roche escarpée, cette eau 
noire bruissait tellement, q«eii peu deiemps l'oreillt en 
serait Uessée. 

36. J'étais ceint d'une corde avec laquelle j'avais pte 
d'iunc fois eu la pensée de prendre la panthère au poil 
tacheté*^ 

37 . Après l'avoir détachéede moi, comme mel'avait comr 
mandé mon Maître^ je la lui tendis rassembléeet roulée : 

38. Et lui, s'étant détoutné à droite, la lança un pc» 
loin du bord, dans le profond gouffre. 

39. — 11 convient, certes, disais-je en moi-même, que 
quelque chose nouvelle réponde à ce nouveau signal 
quainsi deTceil seconde le Maître ^^. 

40. Ohl que circonspects devraient être les hommes 
avec ceux qui ne voient pas* seulement Tacte, mais don^ 
l'intelligence découvre au dedans les pensées ! 

41 . Il me dit : « Tout à l'heure, en haut, va venir c< 
que j'attends et ce que songe ta pensée : il convient qu< 
bientôt ta vue l'aperçoive. » 

42. Toujours autant qu'il peut, l'homme doit clore se^ 
lèvres à ce vrai qui ressemble au mensonge; car, sans faute 
aucune, il attire la honte : 



Si.Rimbomba là sovra San Bunedetlo 
Dall'Alpe, percadere ad una scesa, 
Ove dovria per mille esser ricetto; 

SS.Gosi, giù d'un» ripa discoscesa, 
Trovammo risonai* quell' acqua tinta, 
Si che in poc' ora avria V orecchia offesa. 

S6. lo avea una corda intorno cinta, 
E con essa pensai alciina volta 
Prender la lonza alla pelle dipinta. 

57.Poscia che T ebbi tulta da me sciolta, 
Si corne '1 Duca m* avea comandalo, 
Porsila a lui aggrpppata e rawulta. 

S8. Ond' ei si volse in ver lo destro lato» 



E alquanto di lungi dalla sponda 
La gittô giuso in quell' alto burrato. 
S9.E pur convien che uoviiù rispomla, 
Dicea fia me roedesmo. al nuovo cenno 
Che '1 Maestro con 1' occhio si seconda. 

40. Ahi quaato cauti gli uomini esser denm 
Presso a color, che non veggon pur l' opra 
Ma per entro i pensier iiiiran col senno ! 

il.Ei disse a me: Tosto verra di scpra [gn 
Ci6 ch' io altendo; e che il tuo pensier so 
Tosto convien ch' al iuo viso si bcopra. 

4S.Sempre a quelverc'hafaccia diinenzogn 
De' l'ucmchiuderlelabbrn quanCei puoU 
Perô che senza colpa fa vergogna; 



CHANT SEIZIÈME. 



335 



43. Mais ici je ne puis le taire, et par les vers de cette 
Comédie'', par mon désir que longtemps ils plaisent, je te 
jure, lecteur, 

44. Qu'à travers Tair épais et sombre, je vis monter, 
nageant, une figure qui aurait troublé le cœur le plus 
( jrme ; « 

45. Semblable à celui qui, ayant plongé pour dégager 
l'ancre retenue par un rocher ou quelque autre empêche- 
ment caché dans la mer , 

Étend les bras et le corps, ramenant à soi les pieds. 



U Ma qni tacer nol posso : e per le note 
Di questa Commedia, lettor, ti ghiro, 
S' elle nen sien di lunga gnm vote, 

U.Ch'io vidi per quel!' aer grosso e scuro 
Venir notando una figura in suso, 
■erarigliosa ad ogni cor sieuro; 



4S.Si corne toma colui che v.t pfiiiso 
Talora a solver incora, ch' aggrafipa 
scogUo od allnt che nel mare è chiuso, 



Che *n fu si stende, e da piè si mttnppa. 



• ^- ■■ , x' 



336 L'ENFER. 



NOTES DU CHANT SEIZIÈME 



i. c Tournèrent en cercle, » parce qu'il leur était défendu de s'arrêter ^ 
seul instant. 

2. Les pieds se portant en avant, et le cou en arrière, pour Toir Dante ^ 
pour lui parler. 

3. De Gualdrade et du comte Guido naquit Ruggieri, et, de RuggieH 
Guidoguorra, qui, à la tête de quatre cents Guelfes de Florence, décida 1 
victoire que Charles I*' remporta dans la Fouille sur Hanfred. 

4. De la famille des Adimari de Florence, t Son nom devrait être cher 
sa patrie, » parce que si les Florentins avaient écouté son conseil de ne ps 
combattre contre les Siennois, ils n'auraient pas éprouvé la défaite d'Ârbis 
ou de Mont-Âperti. 

5. Riche Florentin qui, ayant une femme acariâtre, la quitta et se jeU 
dans d'infâmes débauches. 

(). c Je ne fais que traverser ces lieux amers, pour aller où se cueillenl 
les doux fruits; » dans le Paradis, où Virgile a promis de le conduire. 

7. Boccace parle de Guillaume Borsieré comme d'un cavalier plein de va< 
eur, d'enjouement et de vivacité. 

8. Qui, pendant qu'il coule dans son propre lit, avant de se jeter daii« V 
Pô, se dirige vers le Levant. 

9. Où il prend le nom de Montone. 

10. Riche abbaye située près de la chute du Montone, et qui aurait dû êtn 
la demeure de mille religieux, au lieu du petit nombre que la mauvaise ad- 
ministration des revenus permettait d'y entretenir. D'autres disent doveva 
au lieu de dùvria^ et, sur l'autorité de Boccace, pensent qu'il s'agit d'uj 
vaste château que les Gonti, seigneurs de cette partie des Alpes, avaient ei 
dessein de faire bâtir, et dans Tenceinte duquel ils devaient transporter le 
habitants de plusieurs villages. Hais, l'auteur de ce projet étant mort, il resl 
sans exécution. 

11. On raconte que, dans sa jeunesse, Dante prit l'habit de saint François 
tt que, l'ayant quitté, il resta néanmoins, jusqu'à sa mort, du tiers ordre de 



GHÀNT SEIZIÈME. 887 

Vraneiseains. Cette tradition admise, la corde dont il parle ici serait le 
cordon ayec lequel il ayait espéré vaincre « la panthère, » figure de Tappétit 
sensuel. 

\% Gomme le Joueur pousse, en quelque façon, et dirige de Tœil la bonle 
qu'il Tient de lancer. 

13. La Divina Commedia, nom donné par Dante h son poème, et que 
Vnsage a consacré» 



V 



.138 



L'fiiNffrfi. 



GEANT DIX-SEPTIÈME 



1. «Voilà la bête* à la queue affilée, qui traverse les 
montagnes, brise les murs et les armes : voilà celle qui 
infecte le monde entier. » 

2. Ainsi mon guide commença de me parler, et il lui fît 
signe d'aborder aux rochers où nous marchions. 

3. Et cette difforme image de la fraude atterrit de 
la tête et du buste, mais sur la rive elle ne tira point la 
queue. 

i. Sa face était celle d'*un homme juste, si bénigne en 
était l'apparence, et le corps en bas était d'un serpent. 

5. Elle avait, au-dessous des aisselles, des pattes velues; 
sur le dos, la poitrine et les deux côtés, des lacs peints e^ 
des boucliers. 

6. Jamais les Tar tares et les Turcs ne couvrirent iiO' 
étoffe de tant de couleurs, dessus, dessous, et jama^ 
Arachné ne tendit de telles toiles. 



GANTO DECIMOSETTIMO 



1. Eeco la fiera con la coda agazza 

Cbe passa i monti, e rompe mura ed arml ; 
Ecco colei che tutto '1 monde appuzza. 

2. Si cominciô lo mio Duca a parlarmi, 
Ed accennolie che veoisse aproda, 
Vioino al fin de' passcggiati marmi: 

8. Ë quella !=ozza imagine di froda, 

Sen venne, ed arrivô I* testa e '1 btuto ; 
Ma in su la riva non trasse la eoda. 



4. La faccia sua era facela d' uom giii«to ; 
Tante benigna avea di fuor la pelle; 

E d' un serpente tutlo 1' altro Tusto. 

5. Duo brandie avea piloee infin 1' ascellet 
Lo dosso e '1 petto ed ambedue le coste 
Dipinte avea di nodi e di rotclle. 

6. Con più color somme^^^e e soprapposie 
Non fer mai in drappo Tar ta ri ne Turcbi 
Ne fur tai teJe per Aragne imposte. 



CHANT DlK-SfiPTlÉME. 330 

7. Comme quelquefois les barques staiionneot sur le 
rivage, partie dans Teau, partie à terre, et comme, chez 
les Allemands gloutons, 

8. Le castor se dispose pour sa chasse'; ainsi la bête 
mauvaise s'étendait sur le bord .des rochers qui enserrent 
le sable ; 

9. Elle aiguisait sa queue dans le vide, tordant en haut 
la fourche vénéneuse, armée de dard comme celle du 
scorpion. 

iû. Le Maître dit : « Il convient que maintenant notre 
route se détourne un peu vers cette méchante bête cou* 
ciiée là. » 

11. Pour cela, nous descendîmes à droite, et fîmes dix 
pas le long du précipice pour éviter le sable et les flammes. 

12. Et quand nous fûmes arrivés à elle, un peu plus loin 
sur le sable, je vis des gens assis près du gouiîre. 

13. Ici le Maître : « Afln que tu remportes une pleiae 
coimaissance de cette enceinte, vas, me dit-U, et vois leur 
état. 

14. « Que là tes entretiens soient brefe : en attendant 
ton retour, à celle-ci je parlerai, pour qu'elle nous prête 
ses fortes épaules. » 

15. Ainsi, encoreenhaut,surrextrêmelimiteduseptième 
cercle, tout seul j'allais là où assise était la gent triste ^, 



''' Come tal volU stanno a riva i barchi, 
Cbe parte sooo.in acqaa e parte in torra; 
E come là tra H Tedeschi lurchi 

^' Ia bevero s' aseetta a Tar soa goarra ; 
Gosi la fiera pessima si stava 
Stt r orlo che, di pietra, il sabbiou serra. 

9' Kel vane tntta sua coda guizzava, 
Tereendo in su la yeneno^a força 
Che a guisa di scorpion la punta artnava. 

10. La Dnca disse : Or convien che si torca 
La Dostra via un poco inflno a quella 
Bettia maivagia cbe eolà si corw. 

11' Pirà scendnnmo alla destra mammella, 



E dieci passo femme in sullo stremo 
Perben cessar la renae la fiammella; 

12. E quando noi a lei venuti semo, 
Poco più oitre vcg-g^o in su la rena 
Gente seder propinqua al luoço scerao. 

13. Quivi '1 Maestro : Acciocobë tutta piena 
Esperienza d' este giron porti, 

Bii disse, or va, e vedi la lor mena. 

14. Li tuoi ragiooamenti sien là corti, 
Bientre che terni parlera con questa, 
Cbe ne concéda i suoi omeri forti. 

15. Conai aneor sa per la strema testa 
Di quel settimo cercliio, tutto solo 
Andai, ove sedea la gente mesta. 






540 * L^ENFEa. 

16. Par les yeux au dehors éclatait leur douleur : d*ici, 
de là, ils s'abritaient avec les mains, tantôt contre le souf- 
fle embrasé, tantôt contre Tardeur du sol, 

17. Gomme avec les pieds et le museau en été font les 
chiens, quand ils sont mordus par les puces, les mouches 
ou les taons. 

18. Ayant fixé les yeux sur le Tisage de quelques-uns 
sur qui tombait le feu cuisant, je n'en reconnus aucun. 

19. Mais j'avisai qu'au cou de chacun pendait une 
bourse diverse de couleur, et marquée d'un signe divers : 
et leur œil semblait s'en repaître. 

20. Et comme en regardant parmi eux j'allais, dans une 
bourse jaune je vis en azur ce qui avait la face et le port 
d'un lion *. 

21. Puis, continuant de regarder, je vis une autre 
bourse, rouge comme du sang, montrer une oie plus blan* 
che que le lait '. 

22. Et un qui, dans un sachet blanc, avait pour sign^ 
une grosse laie azur *, me dit : « Que fais-tu dans cette fosse ? 

23. « Va-t'en I et puisque encore tu vis, sache que mot^ 
voisin Yitalien ^ s'assiéra ici à ma gauche. 

24. « Parmi ces Florentins, je suis Padouan. Souvent:^ 
ils m'assourdissent les oreilles, criant : Vienne le cavaliei^ 
souverain, 



IC Per gl oeebl ftaorl Moppltn lor doolo ; 
Dl qoa, di là, ao«eorrien eon le man! ; 
Qnando a' tapoii, a quando al ealdo snolo. 

17. Non altrlmantl fkn dl sUU i eani, 

Or eol eeffOi or «ol plè, quando ton norai 
G da puld ff da moscbe o da tafanl. 

11. Poi ebo nel tIm a eorll f li oeelii ponl, 
No' qnall 11 doloroao ftaoeo eaaca, 
Non no eœnobbl aloun ; ma lo m' aioonl 

tt. Cbo dal «ollo a etafonm pondoa ana taaoo, 
Ck' avoa eorto colora o corfe aogno, 
B qvindi p«r oho 11 lora ooohlo d 

10. I ooa' lo rignardando lim lor vogne, 



In naa borta glalla vidl azsnrro, 
Cho dl Mono avea faeeia e contegno 

SI. Poi proeadendo di mio tguardo II enrro, 
Vidine ol' altra più che sangue rossa 
Mottrare nn' oea bianea più ebe burro* 

IS. Ed un, ebe d'nna serofk aziorra o frosH 
Segnato area lo too sacebetto blaneor 
Ml disse : Cbo fal tu in questa ffossa I 

II. Or Une Ta t e perebè se* tIio aaeo, 
Sappi ebe 1 mlo Tiein Vitaliano 
Soderà qui dal mio sinistro fianeo. 

M. GoB qnoflU Florentin son Padovano; 
Spoaso flato m' intronan g I! oreoebl, 
Gildaado t Vegna 11 earalier sovnao, 



CHANT DIX-SEPTIÈME. Sil 

25. « Qui apportera la bourse aux trois becs' I Ensuite 
il tordit la bouche et tira la langue, comme un bœuf qui 
lèche ses naseaux. 

26. Et moi, craignant que rester plus longtemps ne 
courrouçât celui qui m'avait averti de peu m'arrêter, je 
m'éloignai de ces âmes misérables. 

27. Je trouvai mon Mdtre qui déjà était monté sur la 
croupe de l'horrible animal ; il me dit : « Maintenant, sois 
foFl et hardi 1 

28. « On descend désormais par cet escalier : monte 
devant ; je veux être au milieu, pour que la queue ne te 
puisse faire de mal. » 

29. Tel que celui qui est si près du frisson de la fièvre 
quarte, que déjà ses ongles sont pâles et qu'il tremble à 
l'attente seule du froid, 

30. Tel devins-je après ces paroles; mais ce qu'elles 
avaient de menaçant m'inspira cette honte, qui devant un 
maître intrépide, rend un serviteur courageux. 

31. Je m'assis sur ses larges épaules ; et comme je vou- 
lus dire : « Soutiens-moi ! » la voix ne vint pas, ainsi que 
ie croyais. 

32. Mais lui, dont la force d'autre fois, en haut, m'a- 
vait secouru, dès que je montai m'entoura et me soutint 
de ses bras. 



SS. Cht ndieii Ii UsM «ol tre baeebl t 
Qoindl stona la bocea, e dl fbor truM 
La Uagna, coma bue ehe 1 naso leeebl. 

26i Bd io, tamendo ool più star ernedasM 
Lui ebo di poeo star m' araa ammonito, 
Toma' mi iodiatro dall' anima lassa. 

97. Ttvnï lo Duea mio eh' ara sallto 
QXk snlla groppa del flero animalei 
it dlssa a ma I Or sia forte ad ardito* 

tt> Ornai si sainda par si fatte seale : 
MoBta dinansi, eh' io Toglio esser mexxo, 
Si ehe la eoda non possa far maie. 



19. Qoala eolid, ah' è si prasso al rlprezso 
Della qoartana, a' ba già l' nnghie smorta 
E triema tntto par goardando il rezzo ; 

aO> Tal divenn' io aile parole porte ; 
Ma Teigogna mi far le sue minaeee, 
Cha innansi a bnon signor h. serro forte. 

Si. Io m' assattai insu quelle spallaee : 
Si ToUi dtr, ma la Toee non venna 
Gam' io eredetti : Fa ehe tu m' al)braMa. 

3S. Ma esso eh' altra Tolta mi sovvenne . 
Ad altro, forte, tosto ch' io montai, 
Con la braeefa m'atrinae e tal «mxkkda 



342 LVENf^R. 

33. Puis il dit : « Gérion^ vas, maintenant! Que les 
cercles soient larges, et que la descente soit douce; pense 
à la charge nouvelle que tu portes. » 

34. Comme d'un lieu étroit sort la nacelle, peu à.pen 
.reculant ainsi de là il sortit; et. lorsqui^ ensuite il se sentit 
{tout à fait libre, 

35. Où était la poitrine il touma la queue, etallongeant 
celle-ci, coautte uneaignilte ilâ6inut,.&Tecles pattes ra- 
menant Tair à soi. 

36. Quand . Phaéton abandonna les rênes, . par quoi le 
ciel, comme il parait «encore *, s'enflamma; . 

37. Ni quand le malheureux Icare sentit ses reins se 
dépouiller de plumes, à cause de la cire qui fondait, son 
père lui criant : « Tu tiens une mauvaise route.1 » 

38. Je ne crois pas que la peur ait été plus grande qae 
ne fut la mienne lorsque je me vis de toute part. dans 
Tair, sans découvrir autre chose que la bête. 

39. Elle s'en va nageant, doucement, doucement, tourne 
et descend, et point ne m'en aperçois-je, si ce n'est au 
vent qui monte et me frappe le visage. 

40. Déjà j'entendais au-dessous de nous, à main droite, 
l'horrible fracas de l'abîme; ce pourquoi en bas avecia 
tête j'avance les yeux. 



33. E disse : Gerion, moTlti ornai ; 

La rnote largka, a io aaejider sia poao t 
Pensa la naova Muna eb« ta baL 

:t 1. Come la navicella esee dl ioco 

In dietro in dietro ; si qoiadi si tolae ; 
B poi cb' al tutto si senti a ginooo, 

•t."). Là "vera' il petto, la coda rivoise, 
E quella tesa, eome angvilla. mosse, 
E con le branefae l' aefe a se nracolse. 

36. Maggior paora non credo che fosse, 
Quando Fetonte abbandonô H freni, 
Percbà 1 eiel, come pare ancor, si eosse: 



S7. Ne quand' learo misera le reni 
Senti spennar par la sealdata cara, 
Gridando il padre a lai : Blala Tia tie<* * 

38. Che fti la mim, qoaado Tfdi eh' f era 
KM' aer d' Ofol parts, e ^di qieata 
OgBi vedoU, faar ebe dalla iara. 

39. Ella sen va notando lenta lenta ; 

Ruota e diseende, ma aoa ma n' aeeor|r^^ ' 
So non cb' al visa, e di s<rtto uà veata.^ 

40. l'sentfa già dalla man destra il goi^ 

Far sotto noi un orriblla etroncis, ^^. 

Perebèeon^ oeehi in ffn la teela sior^'^' 



CHANT DIX'BEPTIEME, 5iS 

41. Alors plus de crainte m*inspHra le gouffre, voyant 
des feux et entendant des pleurs, d*oii tout tremblant je 
me raccroupis. 

42. Et je vis, ce qu'avant je ne voyais pas, le descendre 
et le tourner, par les grands maux qui de divers côtés s'ap- 
prochaient. 

43. Gomme lé faucoR qui, sans avoir ni <lèurre ni oiseau 
ayant longtemps volé, fait dire au fauconnier : Hélas ! tu 
baisses ! 

44. Descend fatigué de là où, agile, il décrivrit cen\ 
i^ercles, et, triste et chagrin, se pose loin du maître, 

45. Ainsi, dans le fond, au pied.de la roche escarpée^ 
nous déposa Gérion, et de nous s' étant déchargé, 

S'éloigna comme la flèche de la cocde. 



41. Alior fti io pMltjHtd* alto Mowlo t 
Perroch' io vidl fuoehl, e santii pianti : 
Ond' io tremando tutto mio raoeoseio. 

Kl. E Tldi poi, elle noi Todea davaotif 
Le seendere a'I girar, par li fra* owK 
Che s 'appressavao da direni caati^ 

13. Gome '] faieon eh' è sUto assai «aU'ali, 
Chfl, sanza veder iogoro o uecello, 
Fa dira al falconiere : Oimè lu eali : 



44. DlMrade laaao, ondtf si nraoTOrMoIl» 
Par joeato raola, e da laagl «Lpone 
Dal sno maestro disdegnoso e fello 

45. Cosi ne pose al foBdo Geriena 

A piede a piè délia stagiiaia roecar 
E, discareate le no^tre per«ono, 



Si dlleguô, eome da corda coeea. 



su L'ENFER. 



^■"■■■"■^ 



NOTES DU GHâNT DIX-SEPTIEME 



!• Gérion, symbole de la fraude. 

2. On croyait que le castor, lorsqu'il se préparait à chasser sa 
étendait dans Teau sa queue huileuse, laquelle attirait les poissons. 

3. Les usuriers. 

4. Armoiries de la famille des Gianfigliacchi, de Florence. 

5. Armoiries de la famille des Ubbriacchi, de Florence. 

6. Armoiries de la famille' des Scrovigni, de Padoue. 

7. Vitalien del Dente, de Padoue. 

8. Jean Bujamonte, le plus infâme usurier de ee temps-là, qui 
pour armes trois becs d*oiseau« 

9. Selon la Fable, la Voie lactée apparut lorsque le char du Sole 
guidé par Phaéton, enflamma cette partie du ciel. 



CHANT DIX-HUITIÊHS. 



84$ 



CHANT DIX-HUITIÈME 



1. Il est en enfer un lieu appelé Malebolge ^ tout de 
)ieiTe couleur de fer, comme le cercle qui l'entoure. 

2. Droit au milieu de la campagne maligne, s'ouvre 
m puits large et profond, dont, en son lieu, on dira la 
tructure. 

3. L'espace, de forme ronde, entre le puits et la haute 
ive solide, était, en descendant au fond, divisé en dix re- 
ranchements. 

4. Tels que les châteaux autour desquels on creuse, 
»our la défenee des murs, de nombreux fossés, qui rendent 
ûre la partie qu'ils ceignent. 

5. Tels paraissaient là ces retranchements ; et comme, 
m de pareilles forteresses, des seuils * à la rive sont de 
petits ponts, 

6. Ainsi du pied du précipice partent des rochers, qui 
[coupent les remparts et les fossés jusqu'au puits, où tron- 
qués ils s'arrêtent. 



GANTO DECIMOTTAVO 



!• Lnogo è Infinno, detto Malebolge, 
Totto dl pietra di eolor ferrrignOi 
Come la eerebla ebe d'intorno il Tolfa. 

S. Nel drûto mezxo del eampo maligno 
Vaneggia an pozzo assai largo ei profondO| 
Di eai sno loeo dieerô 1' ordigno. 

)• Quel eingbio eho rimane adunqno è tondo 
Tra '1 pozzo e 1 plà dell' alla ripa dora. 
Ed h« disUnto in dioel Talli il fodon. 



4. Quale, doTO par gnardia delle mnra 
Plu e pin fossi cingon H eastelli, 
La parte dov' ei son rende figura ; 

5. Taie imagine quivi facean quelli. 
E come a tai fortezze dai lor sogli 
Alla ripa di fuor son ponticelli ; 

6. Cosi da imo dalla roeela scogli 
Hovlén, che recidean gli argini e 1 fossi 
Infino al pozzo, ebe 1 tronea e raceogll. 



M6 L'ETTFER. 

7. S«cottés da dt» tie Gértoii, nous nous trouvâmes en 
ce lieu. Le Poëte prit à gauche, et derrière lui je marchai. 

8. A main droite, je vis avec une nouvelle pitié des 
tourments nouveaux et de nouveaux tourmenteurs, dont 
la première bolge était pleine. 

9. Au fond étaient les pécheurs nus rdn milieu, d*an 
côté, ils venaient le visage vers nous; de l'autre, ils al- 
laient comme nous, mais à plus grands pas ' : 

iO. Gomnoe les Romains, à cause de la feule, rannée du 
Jubilé, ont réglé la manière de passer sur le pont, — 

il. Tous, d'un côté, ont te front yers le château, et 
vont à Saint-Pierre, et de Fautre côté vers le mont *'; — 

12. D'ici, de là, sur les noirs rochers, je vis des démons 
cornus qui, avec de grands fouets, les frappaient cruelle- 
ment par derrière. 

13. Ah! comme, aux premiers coups, ils les faisaient 
lever les jambes! Aucun n'attendait ni les seconds 'ni les 
troisièmes. 

14. Pendant que j'allais, mes yeux rencontrèrent Fan 
d'eux, et aussitôt je dis : — Ce n*est pas la première fois 
que je vois celui-ci. 

15. Ce pourquoi je m'arrêtai pour le regarder, et mon 
doux Maître avec moi s'arrêta, et consentit à ce qu'un peu 
je retournasse en arrière. 



7. In qaesto luogo, dalla sehiena seossi 
Di Gerfon, troTammoci ; 6 II Potta 
Tenne a «Inistra, e io dietro mi moflsl. 

8a Alla maa deftra vidi nuova piéta; 
Ntiovi tormanti e aoovi fhistatori, 
Di e .0 la prima boigia era repkfU. 

9. Nel fondo erano ignadi i peaoalori : 
Dal meuo in qua ci Tanian wrso 'I toHo, 
Di le coD noi ; ma eon panai maf gtori : 

10. Comme \ Roman, per 1' esercifo molto, 
L' anno del Giubbileo, sa per io ponta 
Hanno a paM>ar la gente modo tolto; 

11. Che dair un lato tatti banao lafreata 



Verso 'I eastello, e Tanne a Sanfo Pielr* 
Dali' attra spanda Tanno verso i monts. 

18. Di qua. di là, su per Io sasso tetro 
Vidi diiMn coTBiiUaoB.fffaB flsma 
Che 11 battflon aradalnoala di nlra. 

18. Abl «aoa toin lorlavar le tone 
Aile prime pereosM I a già neaanM 
Le seconde aspettava ai le taixa. 

14. Mentr' io andava, gli oeoh! miel in 
Furo scontrati ; ed io si tasto dissi t 
fiià di vedar aestai nan son diginat. 

15. Persià a Igorario piadl arOstii : 
E 1 doiea Dnea mmco si rlstatta, 
E assanti eh' alquanto indletro gisd. 



CHANT DfX-HUlTIÉME. 517 

j fastigé croyait se celer en baissant la tête, mais 
ervit : — Toi, lai dis-je, qui fixes Tœil à terre, 

tes traits ne sont point menteurs, tu es Yene- 
cianimico*. Mais qu'est-ce qui te vaut de si cui- 
sines? 

: lui à moi : « Mal volontiers le dis-je ; mais m'y 
t ton clair langage *, qui me fait souvenir du 
ncien. 

Je fus celui qui induisit la belle Ghisola à faire ce 
ait le marquis, quoi que dise une fausse rumeur''. 
Et je ne suis pas le seul Bolonais qui pleure ici : 
en est si plein, qu^il y a maintenant moins de 
exercées 

A dire sipa " entre la Savène et le Reno ; et si de 
veux un témoignage certain, rappelle-toi notre 
ire. » 

)mme il parlait ainsi, un démon le frappa de sa 
et dit : « Va, ruffian, il n'y a point ici de femmes 
trafique! » 

rejoignis mon Guide, et en peu de pas, nous re- 
à où de la rive partait un rocher, 
icilement nous montâmes, et, tournant à droite 
I roche escarpée, de ces cercles étemels nous sor- 



astato eelar si endette 

*1 Tiso, ma poco gl! Taise : 

isi ; Tu che l' oeehia a terra gette 

oa cba portl non son false, 
se' tu Caccianiroico ; 
mena a sf pungenti salse? 

BM : "UaX Tolcatier le Aeo ; 
mi 1« tua ebiara. favcUa, 
i sevrenir del mondo antico. 

lii che^ la CrUseha bella 

a Car In wgUa del Mardieae, 

-aoeai la aeeocia aoveJla. 

r to qui pianga Bcicgnese ; 



Anzi B % qaesto Inogo tanto pieho. 
Che tante Ungne non son ora apprese 

21. A dieer sipa tra Savena e 'I Reno ; 
E se dl eiô Taoi fede o testimonio, 
Reeati a mente il nostro avare seno. 

22. Cosi parianno il percosse un demonlo 
Délia sua scorriada, e disse : Via, 
Ruffian, qui non son féminine da eoala. 

23. lo mi raggiunsi ton la seonta mia : 
Poscia con pocfai passi divenimmo, 
Dove. uno scoglio délia ripa uscia. 

24. Assal le^ gieramente quel salimmo, 

E voit! a destra sopra la sua scheggia, 
Da quelle cerchie eterne ci partimrao. 



S48 ^ L'ENFER. 

25. Quand nous fûmes à l'endroit où en dessous se (ai 
un vide^ pour donner passage aux fustigés, le Maître dit 
V Arrête toi, et que tes regards se portent 

26. « Sur ces autres mal nés, dont tu n*as pas encor 
vu la face, parce que avec nous ils allaient *.. » 

27. Du vieux pont, nous regardions la bande quivena 
vers nous de Tautre c6té, et que pareillement le fouet d( 
chire. 

28. Et le bon Maître, sans aucune mienne demandera 
dit : a Regarde ce grand qui vient, à qui la douleur n'ai 
rache pas une larme : 

29. « Quel royal aspect il conserve encore 1 C'est Jasoi 
qui, par force et par ruse, ravit aux Golchidiens la Toisoi 

30. « Il passa par Lemnos, après que les femmes, ha 
dies et sans pitié, y eurent mis tous les hommes à moi 

31. « Avec des gages et de décevantes paroles, il trom] 
la jeune Hypsipyle **, qui avait la première trompé tout 
les autres"; . 

32 « Et là, toute seule, enceinte il la laissa. Uni 
crime le condamne à un tel supplice, et de Médée aus 
s'accomplit la vengeance. 

33. « Avec lui vont ceux qui usent de la môme fraud( 
Pas n'est besoin d'en savoir plus de la première enceinte 
et de ceux qui sont tourmentés. » 



96. Quando nol fummo là, dov' el ^tneggla 
DI sotto, per dar passo agli sfanati, 
Lo Duea disse : Attend!, et fa ebe feggla 

86. Lo Tiso in te di questi altri malnatl, 
A' quali ancor son redesti la faoeia 
Perrochë son coi noi ioaienne andati. 

S7. Dal Teecbio ponte gnardavao la traeeia, 
Gbe venii verso noi dali' altra banda, 
E ebe la fana simiimente seaeeia. 

t8. II baon Maestro, senza mia dimanda, 
Mi disse : Guarda qnel grande ebe "^eoe, 
E per dolor non par lagrlma spanda : 

29. Qnanto aspetto reale aoeor ritienne 1 



Qoelli è Jason, ehe par eoore a par i'"' 
Li Colcbi del monton privait fene. 

30. Egli passô per 1' isola di Lanao, 
Poi ebe le ardite feramine spietata 
Tutti li maschi ioro a morta diennat 

91. It! ton segni a eon parole oniata 
Islâla ingannô, la gtovinetta. 
Cba prima 1' altra avaa totta tagaanat* 

3S, Laseioila qnlvi gravida a solatta t 
Tal eolpa à tal martirio lui eondaïufi 
Ed anche di Medaa si fa Taadatla. 

33. Con ini sen va chi da tal parla iogaai' 
E qiiasto basti délia prima valla 
Sépare, a di ook>r eba In se aasaaaa. 



CHANT DlX-HUITIÊME. Si9 

jà nous étions là où Tétroit sentier croise le se- 

ipart, et forme une voûte d'une arche à Tautre. 

nous ouïmes la gent qui gémit dansTautre bolge ^*, 

le, et se déchire de ses propres mains. 

> rives, par Thaleine qui d'au-dessous monte et 

lit, étaient recouvertes d'une croûte moisie, qui 

3 yeux et le nez. 

avant est le fond, que d'aucun lieu on ne le peut 

monter sur le haut de l'arche, où le rocher est le 






nous vînmes, et de là, en bas dans la fosse, je vis 
plongés dans une mare d'excréments qui des 

mblaient être tirés. 

pendant que de l'œil je cherche dans cette fosse, 

n dont la tête était si salie d'ordures qu'on ne 

econnaître s'il était laïque ou clerc. 

ondant, il me dit: « Pourquoi plus avidement 

des-tu que les autres souillés? » Et moi à lui : - 

e, si bien m'en souviens-je, 

t'ai déjà vu avec des cheveux secs, et tu es Alexis 

ei *', de Lucques; pour cela, je te regarde plus 

utres. 
lui alors se frappant le crâne : « Ici bas m'ont 

s flatteries dont ma langue jamais ne fut lasse. » 



1 là "re lo ftretto ealle 

ine secondo s' ineroccieebia, 

ello ad an allr' arco ^palle 

itimmo gente ebe si uiccbia 
bolgia, et che col inuso sbuffa, 
sma eon le palme picebia. 

an grommate d'un muffa 
dl più ebe t1 tl appasta, 
li occbi e col oaso facea zuffa« 

t enpo 8i| ebe non cl basta 
1 teder senza montare al dosso 
ore lo scogiio più sovrasta. 

mmo, e quindi giù nel fosso 



Vidi gente attuffata In unoitereoi 
Che dagli aman privati parea mosao. 

39. E mentre eb' io laggiQ eon 1' oecbio eereo, 
Vidi an col eapo si di merda lordo, 

Cbe non parea s' era laico o eberco* 

40. Que! mi fgridô : Perche se' tu ingordo 
Di rigardarpiù me che gli altrl bruttlT 
E io a lui : Perebè, se ben rlcordo, 

41. Già t' bo Teduto coi capelli asciutti, 
E se! Alessio Interroiuei da Lucca t 
Pero t' addocebio più che gli allri tutti. 

4S. Ed egli allor, battendosi la zueca : 

Quaggiii m' banno sommerso le lufinghe, 
Ond' io non ebbi mai la lingua stucet. 



A 



\ 



43. Après cela, le Maître : « Porte ta vufivi^O'dit-ilt^ 
peu plus avant, de sorte que tes yeux discernent bien 
figure 

44. (( De cette sale servante '^ écheveîée, qui là s'égi 
ligne avec ses ongles embrenés, et 'tantôt s'accronpii, t: 
t6t se tient debout : 

45. « G*est Thaïs, la courtisane, qui, lorsque son ami 
lui dit: Ne me dois-ta pas de grandes geàceB? lui rép( 
dit : De merveilleuses, même ^'. 



a Que de cette enceinte noUce vue soit rassasiée,.» 



4?» Appresso ei6 lo D^ea : ?• ebe pinf he. 
Mi disse, un poeo il Tiso più aTante, 
Si cbe la faeeia ben eon gli occbi atlingUa 

44. Di qaella sozza scapif liala fante, 

Gbe là-si graffia eon i' nnyhle manloae, 
Bd or a' Mcoscia, ed ora è in piede sUmta. 



41. Talda i, la pattaaa, ehe ritpoie 
Al drndo suO) quaodo disse : Ho io |i 
Grandi appo «al AjuI meraiAflioMi> 



I qolasi sita le aosU« Tiate m^ 



CHANT DIX-HDITIÉHB. 3Sf 



NOTES DU CHANT DIX-HUITIEME 



HauTaises bolges. Bolge, bolgia, signifie proprement bissac. Dante 

e ainsi les diTÎsions du huitième cercle, à cause de leur forme étroite 

fonde. 

les portes. 

Il faut se représenter deux bandes de pèeheurs occupant chacune une- 

de la largeur de la bolge. Une de ces bandes allait dans la direction 
k à celle de Virgile et de Dante, et par conséquent le visage tourné 
iix; l'autre bande allait dans la même direction qu'eux, mais k plus 
ipas. 

liOrs du jubilé de l'an 1300, le pape Boniface fit établir une séparation 
lien du pont du Ghftteau-Saint-Ange, et ordonna que d^un côté passe- 
les pèlerins (pii allaient h Saint^Pierre, et de l'autre ceux qui en rêve- 
, lesquels alors avaient devant eux le mont Giordano, situé en face de 
me chftteau. 

Bolonais qui, pour de Targent, livra sa sœur k Obizzo d'Esté, seigneur 
rrare, lui ayant fait croire qu'Obizzo l'épouserait ensuite. 
( Tes paroles qui montrent clairement que tu me reconnais. » 
Parmi le& divers bruits qui couraient k oe sujet, il y en avait de favo* 
i k Caccianimico. 

Les Bolonais disent sipOj au lieu de si, 
K Farce qu'ils aUaimt'daiis le nsteiesens que nous. » 

Lui promettant de l'épouser. 

En leur faisant croire qu'elle avait mis k mort son père Thoas, qu'elle 
caché. 

Bolge des flatteurs. 

Noble Lucquois, adulateur outré. 

Il l'appelle servante, parce qu'elle était au aerviea.de tous. 

Ointe met dan» la bouche de Thaïs elle-même la réponse que, dans 
^ueùe Thérenoe, fait k Trason l'entremetteur Gnaton, chargé par lui 
^ k Thaïs une jeune esclave, qui était son amant déjguiaé. 



553 



L'ENFER. 



CHANT DIX-NEUVIÈME 



•3 

jaa 



1. Simon le magicien! 6 misérables qui suivez ses 
traces ! vous dont la rapacité prostitue, pour de l'or et 
pour de Targent, les choses de Dieu, 

2. Épouses^ destinées aux bons; il convient que pour 
vous sonne maintenant la trompette, puisque vous êtes 
dans la troisième bolge '. 

3. Déjà nous étions montés à Tautre arche, en cette pa^ 
tie du roc qui surplombe exactement le milieu de la fosse. 

4. suprême sagesse ! combien grand est Fart que ta 
montres au ciel, sur la terre et dans le monde mauvais, 
et combien sont justes les dispensations de ta puissance! 

5. Je vis, sur les côtés et au fond, la pierre livide pleine 
de trous d'une égale largeur, et chacun était rond. 

6. Ils me semblaient ni plus ni moins amples que, dans 
mon beau saint Jean, ceux qu'on a creusés pour les bap- 
tisants '. 



GANTO DECIMONONO 



1. Simon mago, o misaii segaad, 
Che le eose dl DIo, ebe di bonUt« 
Deon essere spose, a toI rapad 

2. Per oro a par argento adultarate ; 

Or eonvien ebe per Toi suoni ia tromba, 
Parroehé nella tena bolgla state. 

t. Glà eravamo, alla teguente tomba 
MoDtati,dello scoglio In quelle partes 
Cb' appunto sovra mezzo 1 fosso plomba. 



4. O lomme eapiaiin, quanta è fkrtt fM 
Oie mostrl In eielo, Interra • ne mal U^i 
E quanto glosto tuà virta eompartal 

5. lo vldl per le eeate e per lo fonda 
Plena la plein Uvida dl fort 

D'un largo tutti, e elaseono, ara tondei 

6. Non roi parén mono amp< ne mafffaii* 
Che quel che ion nel n l«l»«l San GlonUl 
Fattl per Inogo de' ballezftaiorl ; 



CHANT DIX-NEDVIÉME. S55 

7. L*im desquels je brisai, il y a peu d'années, pour 
auver un enfant qui se noyait : et que, parce témoignage, 
Dut homme soit détrompé*. 

8. De la bouche de chacun sortaient d'un pécheur les 
ûeds et les jambes jusqu'au mollet, et le reste était de- 
lans. 

9. Tous avaient les plantes des pieds embrasées ; par 
}uoi si fortement se contractaient les jointures, qu'elles 
auraient rompu cordes et liens. 

10. Tel à la surface des choses ointes est le mouvement 
de la flamme; tel était-il là, des talons jusqu'au bout des 
doigts. 

11. — Maître, dis-je, quel est celui qui, dans son an- 
goisse^ frétille plus que ses compagnons, et que suce une 
flamme plus rouge ? 

12. Et lui à moi : « Si tu veux qu'en bas je te porte par 
cette rive d'au-dessous, tu sauras de lui-môme qui il est, 
et qu'elles furent ses fautes. » 

13. Et moi : — M'est bon tout ce qui te platt; tu es mon 
Seigneur, et sais qu'en rien je ne m'écarte de ton vouloir, 
toi qui connais même ce qu'on tait... 

14. Alors nous vînmes sur le quatrième rempart ^^ et, 
tournant, nous descendîmes à main gauche, dans le fond 
itroit et percé de trous. 



'* ^*vu da^H qntU, suor bod è molt'aïuil, 
Eapp' lo per an ebe dentro V aantgavat 
H 9a«to dmMgf ol oh' ofnl nomo tguoL 

^ h»t dtlla biMa a etaiena soptrchiava 
^'na pMaator 11 pledl, e dtlla gamba 
bfao al grosso, • l' altro dentro stanu 

' U plante erano a tatti aeeese intrambe ; 
^ sbe si forte gviasatan le glunte» 
Chs tpeuato aterian rttorte e stramlM. 

10. Qm] gnele II flammegglar dalle eose ante 
Uwnnà pur sa per l'estrema bncela; 
lu era U da' ealaagal aile ponte. 



11. Chl ê eolnl, Kaestroi ehe si ameelat 
Golzxando plù ehe gll altrl saoi eonsortly 

Diss' io, eut plù rossa fiamma suoelaT 

12. Ed egll a me : Se ta yoï eh' !o tl porti 
Laggiù per qaella ripa ebe più glace, 
Da Inl sapral dl sA e de' suot torti. 

18. Ed lo : Tanto m' è bel, qnanto a te plaee 
Ta se' rignoro, e sal eh' io non ml parte 
Dal tno tolère e salqael ebe si taee. 

14. Aller venlmmo in sa I* argine quarto ; 
Volgemmo, e diseendemmo a mano stanea 
Laggiù nel fonde foraeebiato e arto. 



îô. 



15. Et le bon Maître ne me déposa point de aa hanche, 
qu'il ne m'eût porté jusqu'à celui qui tant se lamentait 
avec les jambes. 

16. — toi qui, planté comme un pin, as en dessus ce 
qui devrait être en dessous, qui que tu sois, âme triste, 
commençai-je à dire, parle, si tu le peux ! ... 

17. Je me tenais comme le frère qui confesse le perfide 
assassin, et que, déjà dans la fosse, celui-ci rappelle poir 
retarder la mort*. 

18. Et lui cria : «Es-tu là debout déjà? là debout est4a 
déjà, Boniface''? L'écrit m'a menti de plusieurs années*1 

19. « Est-tu si tôt rassasié de ces richesses à l'aide des- 
quelles tu n'as pas craint de t'emparer frauduleusement 
de la belle Dame •, qne tu as ensuite saccagée ? » 

20. Tel que ceux qui, ne comprenant point ce qu'on 
leur dit, demeurent comme moqués, et ne savent que ré- 
pondre, tel fus-je. 

21. Lors Virgile: « Dis-lui vite : Je ne suis pas celui, 
je ne suis pas celui que tu crois ! » Et je répondis comme 
il m'était prescrit. 

22. Sur quoi le damné tordit les pieds; puis soupi- 
rant et d'une voix plaintive, me dit : « Que démandes-tu 
donc? 



16. E '1 baon Blaestro, aneor dalla sua wêm. 
Non mi dispose» aln m! ^unse al rotto. 
Di quel ebe se pingew con la zanca- 

16' qaal ehe se' cbe 'I disa tien di sotio, 
Anima trJsta, corne pal commessa, 
Goromincia' io a dir, se pnoi, fa motto. 

17. Io stava corne '1 frate che confessa 

• Lo perfide assassin, ctie poi ch' è fltto, 
Ridiiama lui, per ebe la morte cessa. 

18. Ed ei gridô : Se' tu gi& costi ritto, 
Se' ta g\k costi ritto, Bonifazio I 

Di pareeehl anni mi menti lo scritto. 



19.. Se- ta si tosto di qnell* «vtr aasio, 
Ptr lo q«al non temesti terre a lagaW 
La bella Donna, « di poi fane straiiot 

20. Tal mi fee ' io, qoal son eolor ebe st«Bi*i 
Per non intender dô eb' è lor ripostSf 
Qnasl seornati, e risponder non.aaa**- 

SL Âllor Virgiiio dîne ; Dilli tosto. 

Non son eolni, non son eolal titB ertA I 
Ed lo ri!>posi eome a me fa imposte, 

S2. Fer ehe io spirto tutti storae i piedl: 
Poi sospirando, e con voce di pianto, 
Mi disse : Dnnqoe ebe a mt itebiodLt 



CHANT D(X-NHUV1ÉM£. 

(V Si de savoir qui je suis tu as tant de souci- que tu 
>ur cela parcouru ces rives, sache que je fus revêtu 
nd manteau **. 

a Je fus vraiment ms de TOurse^S et si avide que, 
nrichir les oursons; je mis là-haut For, et ici moi- 
dans la bourse. 

(( Tirés par la fente de la pierre, sous ma tête sont 
is les simoniaques qui me précéderont. 
« Là aussi je tomberai, quand viendra celui que je 
ais être, lorsque je fis la soudaine demande. 
« Mais plus de temps il y a déjà que mes pieds brû- 
que j'ai été ainsi renversé, qu'il ne le sera lui* 
et que ses pieds ne brûleront : 
:< Car, souillé de plus laides œuvres, après lui vien- 
Gouchant un pasteur sans loi ", tel que lui et moi 
ient qu'il recouvre. 

( Il sera un nouveau Jason duquel parlent les Ma- 
s, et comme à celui-là flexible fut son roi, à celui-ci 
le roi qui régit la France ". » 
fe ne sais si je fus bien sensé, lui répondant en 
Drte : — Eh î dis-moi quel trésor 
*ïotre-Seigneur exigea de saint Pierre, avant de rô- 
les clefs en son pouvoir? Certes, pour toute de- 
il lui dit : Suis-moi ! 



per ebi io 8ia ti cal cotanto, 

ibbi perô la ripa seorsa, 

' io foi Testito del gran manto : 

leote foi figliuol dell' ersa, 

d per avanzar gli orsatti, 

' avère, e qui me mis! in bor;a. 

al capo mlo son gli altri tratti 
sedetter me simoneçgiando, 
tssnra della pietra piatti. 

ascberô io altresi, quando 
loi eb' io credea che tu fossi, 
Mo feci ii subito dimando, 

t '1 tempo gih ebe i pid mi eossi, 



E ob' io son stato eosi softosopra, 
Cb' ei non star& piantato e eoi pid rossl 

28. Che dopo lui verra di piii laid' opra 
Di Ter ponente un pastor senza legge, 
Tal ebe convien che lui e me ricopra. 

29. NuoTo lason itarà di cul si legge 

Ne' Maccal)ei : e com' a quel fa molle 
Suo re, cofi fia a lui chi Francia regge. 

30. Io non so s' i' mi fui qui troppo folle, 
Ch' io pur rlsposi lui a questo métro : 
Deh or mr d, quanto tesoro voile 

31. Nostro Signore in prima da San PietrOi 
Che ponesse le cbiavi in sua balia? 
Certo non ebiese se non : Viemmi dietr 



556 L^ENFER. 

32. Ni Pierre ni les antres n'exigèrent de Mathias de 
l'or ou de l'argent, quand par le sort il fut élu à l'office 
qui perdit l'âme criminelle ^^ 

33. Reste donc là, car justement es-tu puni, et garde 
bien les deniers mal perçus, qui contre Charles te rendi- 
rent hardi". 

34. Et n'était que, même ici, me le défend le respect 
pour les clefs souveraines que tu tins pendant la douce 
vie, 

35. J'userais de paroles encore plus rudes : car votre 
avarice attriste le monde^ foulant aux pieds les bons, et 
élevant les mauvais. 

36. Ge fut vous, Pasteurs, qu'eut sous les yeux l'Évan- 
géliste, quand avec les rois il vit forniquer celle qui est 
assise sur les eaux ", 

37. Celle qui naquit avec les sept tètes et eut les dix 
cornes pour signe *', tant que la vertu plut à son époux". 

38. Vous vous êtes fait un dieu d'or et d'argent ; et, en- 
tre vous et l'idolâtre, quelle différence, sinon qu'il en prie 
un, et vous cent? 

37. Ah ! Constantin, de combien de maux fut mère, non 
ta conversion, mais cette dot que reçut de toi le premier 
Père enrichi "... 



3S. Né Pler né gli altri ebiesero a MaitU 
Oro argenlo, quando fu sortito 
Nel luogo cho perde 1' anima ria. 

53. Perô tl sta, chë tu se' ben punito ; 
E guarda ben la raal tolta moneta, 
Cb' esser ti fece contra Carlo ardito. 

54. E se non fosse eh' aneor lo mi vieta 
La reverenza délie somme cbiaTi| 
Cbe tn tenesti nella vita liela, 

86. I' nrarel parole ancor più gravi : 

Cbè la Tostra avarizia il mondo attrista, 
Caleando i buoni e solIeTando i pravl. 



86. DI vol, Paator, s' Meorte il Vangelltta, 
Qnando eolel, ehe siede soTra 1' aeqii«, 
Pattaneggiar eo' reggt a lai fa vista : 

87. Qaella cbe eon le sette teste aaeqnt, 
E dalle dieee coma ebbe argomento. 
Fin ebe Tirtute al soc marito piaeqve. 

38. Fatto ▼' «Tête Dio d'oro e d'aifeato : 
E ehe «Itro è da vol tir idolâtra, 

Se non cb* egli nno, e Toi n* orate mbIo? 

39. AU, Constantin, di qnanto mal fa natre. 
Non la tua eonvenion, na qoella dota 
Cbe da te prese II primo rtcoo pâtre 1 



I i 



GHàNT DIX-NEnYIÉMS. S$7 

pendant qu'à lui je chantais de telles notes, soit 
)it conscience qui le mordît, il remuait fortement 
pieds. 

crois que cela plaisait à mon Guide, tant, d'un 
ntent,il écoutait les paroles empreintes de vérité, 
pendant il me prit avec les deux bras, et, quand 
* sa poitrine, il remonta par où il était descendu, 
ne se fatigua point de me tenir serré contre soi, 
le porta sur le sommet de Tarche qui forme le 
quatrième au cinquième rempart, 
doucement il posa la douce charge sur le rocher 
brupt, qui serait aux chèvres un dur passage 

3 découvris un autre bastion. 



) gll eantava eotai notai 
seienza ehe '1 mordeuti 
iTa eon ambo le piote. 

a eh' al mio Duca piacesse, 
mta labbia sempre attesa 
le parole vere espreue. 

ibo le braeeia roi prese, 
tlo su ml %' ebbe al petto, 
r liTiaonda dUetie; 



43. Né si ttaoeô d* «Terml a sA ristretto. 
Si mi porto sovra 'I colmo del)' arco, 
Cbe dal quarto al qoint' argine à tragetto, 

44. QalTi soaTemente spose il careo 
SoaTe, per lo seoglio sconeio ed erto. 
Che sarôblM aile câpre daro varco. 



ImSL va «lira nllon mi fa seoTorto* 



'■7\ 



SSS L'BNFfia. 



NOTES DU CHANT MX-NBDYIÈME 



1. Dans le langage ecclésiastique, les églises sont les épouses des pastitf^ 
qui y sont préposés. 

2. Bolge des simoniaques. 

3. Dans l'église de Saint-Jean, k Florence, on avait creusé autour d^^ 
fonts baptismaux quatre espèces ,de niches, afin que les prêtres qui bapti' 
saient fussent plus près de l'eau. 

4. « Qu'on n'attribue pas cet acte à un autre motif. » 

5. Bolge des simoniaques. 

6. Comparaison tirée d'un supplice atroce alors en usage. On creusait o0 
trou profond, et l'on y descendait le criminel la tête en bas ; puis les bouf' 
reaux y jetaient peu à peu de la terre. D'ordinaire le patient, pour retarder 
la mort, rappelait le confesseur; alors les bourreaux s'arrêtaient, et le prêtre 
se penchait sur la fosse pour entendre la confession. 

7. Le pape Nicolas III. lequel est le damné kqui Dante Tient d'adress^i* 
la parole, le prend pour Boniface VIIF, et s'étonne de le voir arriver si tôt* 

8. Allusion à une prophétie qui annonçait, pour l'an 1303, la mort à^ 
Boniface* 

9. L'Église. 

10. Du manteau papal. 

11» Nicolas III était de la famille des Orsini. 

12. Qément V. 

13 Au temps de la domination des rois de Syrie en Judée, Jason fat f»^^ 
souverain pontife par Antiochus, que rendit flexible le don d'une gros$^ 
somme d'argent. Clément V parvint de la même manière à la papauté, as^ 
moyen d'un pacte simoniaque avec Philippe le Bel. 

14. Judas. 

15. Le Poète paraît ici faire allusion k l'argent que Nicolas III reçut de 
Jean de Procida pour favoriser la conjuration ourdie contre les Français dans 
la Sicile, alors au pouvoir de Charles II, de la maison d'Anjou, 

16. Fene, ostendam tibi damnationem meretricis magnœ, qiue sedet 



^\ 



CHANT DIXIIKUTIEME. 

super aquas mulias^ cum qud fomicaii sunt reges terrm,,, Habentem 
eapita septem et comua decem, {Apocalypse^ chap. xvii.) 

17. L'application que fait Dante, k la Rome papale, des sept tètes et des 
dix cornes est entendue par les interprètes en des sens si divers, que les 
uns voient les sept péchés capitaux Ik où les autres voient les sept sacre- 
ments; les premiers pensent que, dans ce passage, le mot argomento, que 
nous traduisons par signe^ signifie frein. 

18. L'époux de. Rwie,i ou de KÉgiiie romand^, eBtile souverain Pontife. 

19. Le premier pape. Papu signifie pèra» 



N, 



860 



L'ENFER. 



CHANT VINGTIÈME 



i . Il convient que mes vers racontent un nouveau sup- 
plice, et qu'il soit le sujet du vingtième chant de la pre- 
mière Cantique consacrée aux submergés. 

2. J'étais déjà tout disposé pour regarder le fond, main- 
tenant à découvert, que baignaient des pleurs d'angoisse. 

3. Quand, par la ronde enceinte, des gens * je vis venir 
en silence et versant des larmes, du même pas que les 
processions en ce monde. 

4. Lorsque plus bas sur eux ma vue descendit, chacun 
d'eux me parut étrangement transposé du menton ao 
commencement du buste. 

5. Ayant le visage tourné vers les reins, il leur fallail 
aller en arrière, parce qu'ils ne pouvaient voir par devant. 

6. Peut-être en est-il que la force de la paralysie ail 
ainsi totalement retournés; mais je n'en ai point vu, et je 
ne crois pas qu'il y en ait. 



CANTO VENTESIMO 



1. Di nnova pena mi eonYien far TersI. 
E dar materia al ventesimo eanto 
Deica prima canzon', ch' è de' sommenl. 

2. lo era già disposte tutto quanto 

A risguardar neilo scoverto fonde, 
Che si bagnava d' angoseioso pianto : 

3. E vidi gente per lo vallon tondo 
Venir, tacendo e lagrimando, al passe 
Cbë fanco le letane In qnesto monde. 



4. Corne '1 viso mi stese In lor piS basse. 
Mirabiimente apparre esser tntToIto 
Ciascun dal mento al prindpio del easso: 

5. Che dalle reni era tomato il rolto, 
E indietro venir gli convenia, 
Perché M veder dinanzi era lor tolto. 

6. Forse per forza già di parlasia 
Si travolse cosi alcun del tutto; 
Ma io noi vidl, né eredo che sia. 



CHANT YINGTIËHB. 901 

Dieu permet, lecteur, que de cette lecture tu retires 
^ pense toi-même si d'un œil sec 
pus voir de près notre image tellement déformée, 
; yeux coulant le long du dos, les pleurs baignaient 

B. 

rtes, appuyé contre un fragment du dur rocher, 
leurais que mon Guide me dit : « Es-tu, toi aussi, 
les autres insensés? 

[ci vit la pitié, lorsque bien elle est morte*. Qui plus 
I est que celui qu'émeut de compassion le jugement 

Dresse, dresse la tête, et vois celui pour qui s'ouvrit 
lux yeux des Thébains, de sorte que tous criaient : 
j, Amphiaraùs'? 

Pourquoi laisses-tu la guerre?... Et, de ruine en 
ns s'arrêter, il tomba jusqu'à Minos, qui se saisit 

Vois comme son dos est devenu sa poitrine : parce 
I en avant il voulut voir, il regarde en arrière et 
i reculons. 

Vois Tirésias ^, qui changea de semblance, lorsque, 
3res se transformant, d'homme il devint femme : 
Et illui fallutdenouveaufrapperdesa verge les deux 
entrelacés, avant de recouvrer les plumes du mâle* 



ici, leltor, prender frutto 
ne. or pensa per te stesso, 
ea lener lo viso ascîutto, 

lostra imagine da presso 
I, che 'i pianio degli occhi 
bagnava per lo fesso. 

ngea, poggiaload un de' rocchi 
:oglio, si che la mia Scorta 
ncor se' tu degli altri sciocchi ? 

pielà quando è ben morta. 

celerato di coiui 

cio divin passion porta? 

sta, drizxa, e Yedi a cui 



8* aperse, agli occhi de* Teban, b terra, 
Per che gridavan tutti : Dove mi, 

If.Antiarao? perché lasci la guerraf 
E non i*estd di ruinare a v.ille 
Fino a Minôs, che ciascheduno afTerra. 

15. Mira, c' ha falto petto deile spalie : 
Perché voile veder troppo davaate, 
Dirietro guarda, e fa rilri:so calle. 

14.Vedi Tiresia, che mutd semblante, 
Quando di mascliio Jemiuina divenne, 
Cangiandosi le menibra tutta quanta ; 

15. E prima poi ribatter le convenna 
Li duo serpenti awolti colla verga, 
Che riaTeaae le niaschili penne. 



il 



mi 



5oe 



l'EHFClU 



lô*: « Celui qui s'adosse à. son ventre * est Arons *, leqael 
dans les monts de Luni, où sarele le Cairarois qui habit 
au-dessousy 

17. c( Eut pour demeure la grotte creusée dans les blanc 
marbres, d'où, sans que rien lui coupât la vue, il poova 
observer les étoiles et la mer; 

18. « Et celle-là qui, de ses tresses dénouées, recouvr 
son sein que tu ne vois pas, et qui, au^^essous, a toute 1 
peau velue, 

19. a Fut Manto 7, qui^rra par beaucoup de pays, pd 
s arrêta là où je naquis : ce pourquoi il me plaît que tu ni^ ^ 
coûtes un peu>. 

2(^. c( Après que son> père eut quitté la vie, et que serv 
fut devenue la cité de Bacchus^, elle s en alla longtemp 
par le monde. 

21. c(Làrhaut, dans la belle Italie^ s'étend^ au pied de 
Alpes, un lac qui borne rAllemagne, au-dessus du Tyrol, e 
a nomBena^ro. 

22.. «Par mille sources et plus,, je crois, est baigné L 
pays entre Garda et Val Camonica, et l'Apennin, des eauJ 
qui dorment dans ce lac. 

23. « Là, au milieu', est un endroit où le pasteur d4 
Trente, et celui de Brescia, et celui de Vérone, pourraient 
bénir ^^, s'ils suivaient ce chemin. 



10. Aronta è qiiei ch' al ventre gli s'atterga, 
Che nei monti di Luni. dove rooca 
Lo Carrarese che di suUo alborga» 

17> Ebbe tra bianchi marmi la spelonca 
Per sua dimora; onde a guardar le^ stde 
Ë '1 mar non gli era la veduta tromab 

18. E quella che ricopre le mammeUe, 
Che tu non vedi» con le trecce scioîte, 
B ha xli là ogni pilota pello, 

19. Manto fa, che cercô per terre molle) 
Poscia » pose là dove nacqn.' io t 
Onde un poco mî piaaa-che nf aa«itSi- 



I fO.Posdachë il padre suo di vita 
E venne serva la città di Baco, 
Questa gran tempo per Io monde gio. 

Sl.Suso in Iialia bella giace un laco 
Appiè deir alpe, che serra Lama|^ 
Sovia Tiralli, ed ha nome Benaco. 

tt.Per mille fonti, credo, e più, si 
Tra Garda e Val Camonica, I^euaiaa 
Dell' acqua che nel dette lago 



ts.Luo^ è nel meizo la dove 1 
Pastore, e quel di Brescia, e '1 ? ._ 
Segnar potria, se fesM quel Tfttni*^ 



CHANT VINGTIÈME. 



865 



24. « Peschîera, beau et fort rempart pour faire face aux 
Brescians et aux Bergamasques, est sise au lieu où autour 
la rive descend le plus. 

25. « Là, il faut que tout ce que le Benaco ne peut con- 
tenir prenne son cours à travers les vertes prairies. 

26. «Dès queTeau commence à couler, non plus Benaco, 
mais Mincio elle s'appelle, jusqu'à Govemo, où elle tombe 
dans le Pô. 

27. <K Elle n'a encore que peu couru, lorsqu'elle trouve 
tme plaine basse où elle s'cpand, et dont elle fait un maré- 
cage^ et alors en été elle devient dangereuse ^^ 

28. a Par ces lieux passant, la vierge sauvage ^* vit, au 
^milieu de la bourbe, un endroit sans culture et nu d'ha* 
bitants. 

29. c< Là, fuyant tout commerce humain^ elle s'arrêta, 
avec ses serviteurs, pour exercer son art, et y vécut, et y 
laissa son corps inanimé. 

30. a Ensuite les hommes épars à Tentour se rassemblè-i 
Kq( en ce lieu, fort par le marais qui l'environnait de toutes 
parts; 

31. « Et, sur ces os de mort, bâtirent une ville, qu'à cause 
' Je celle qui la première avait choisi le lieu, sans autre scru»- 

iin, ils appelèrent Mantoue. 



^^ «BMiiiera, beHo e forte arnese 
g fiiC É Pgf iM'Breiciam e BergaaMscU,. 
VI» k riva intorno più diuese. 

^Ivittonrien che tutto quanto caschi 
Ciô che in grembo a Benaco star non pnô, 
S Uaà fiume giù po Terdi paschi. 

^•Xoitoiclie r actfOM » corner mette co, 
Aon piàBenaco» ma Mincio si chiama 
PilKM GoTiiBO, dove eade in Po. 

^.Hon naoihrha eorwj cbe trota una lama, 
MÊÊMpul ri diatandt e la Ynpahida, 
£ SDol-di «tate Udora esscr graraa. 



SS.Quindi passaado la Tergine crudai 
Vide terpa nel meuo del pantano, 
Senza.coltura, e d' abilanti nuda. 

29. Là, per- fnggire ogni consorzio umano, 
Ristette coi suoi sef vi a far sue arli, 
E yisae, e vi lasciù suo corpo vano. 

SO.GIi uomini poi. che intorno erano sparti» 
S' accolsero a quel luogo, eh' era forte 
Per lo paotan ch' avea da tutte parti: 

31. Fer la città sovra quell' ossa morte; 
E per colei, che il luogo prima eiesse, 
Mantova 1' appeUar senz' altra sorte. 



V. 



364 L'EKFER. 

52. «Plus nombreux autrefois en furent les habitan 
avant que ia folie de Casalodi n'eût été trompée par Pic 
monte **. 

33. «Ainsi favertis-je, afin que, si jamais tu enten 
donner à ma patrie une autre origine, aucun mensonj 
n'altère la vérité. » 

34. Et moi : — Maître, tes discours me sont si certains* 
tellement s'emparent de ma foi, que les autres me seraiej 
des charbons éteints **. 

35. Mais, parmi la gent qui s'avance, dis-moi si tu vo 
quelqu'un digne de note, car à cela seul mon esprit vise. 

36. Lors il me dit : a Celui dont la barbe descend si 
ses brunes épaules, quand la Grèce tellement se dépeupi 
de mâles 

37. <( Qu'à peine restèrent ceux au berceau ", fut augun 
et, avec Calchas, donna en Aulide le signal de couper I 
premier câble. 

38. « Il eut nom Euripile, et ainsi le chante ma haut 
Tragédie ^® : tu le sais bien, toi qui la sais tout entière. 

39. « Cet autre si fluet fut Michel Scotto ", qui vraimen 
sut les fraudes magiques. 

40 . « Vois Guido Bonatti *', vois Asdente *•, qui maintenas 
voudrait ne s'être mêlé que de cuir et de ligneul ; mais tar 
il se repent. 



5f.Già fur le genti sue dentro più spesse, 
Prima che la mattia di Casalodi 
Oa Pinamonte iuganno ricevesse. 

S3.Per6 1' assenno che, se tu mai odi 
Origioar la roia terra altrimenti, 
La verità nuUa menzogna frodi. 

S4. Ed io : Maestro, i tuoi ragionamenti 
Mi son si cerli, e prendoii si mia fede, 
Che gii allri mi sarian carboni spenti. 

35. Ma dimmi délia gente che procède, 
Se tu ne vedi alcun degno di nota ; 
Chè solo a cid la mia mente riliede. 

36. Ailor mi disse : Quel, che dalla gota 



Porge la barba in sulle spalle bnuie, 
Fu, quando Grecia fu di maschi Tota 

87. SI, che appena rimaser per le cune, 
Augure, e diede il punto con Calcaola 
In Auhde a tagUar la prima fune.) 

38. Euripilo ebbe oome, e cosi *1 canta 
L* alla mia Tragedia in alcun loco, 
Ben lo sai tu, che la sai tutta (juanta. 

39. Quell' altro che ne' Uanchi ë cosi poco, 
Michèle Scotto fu, che veraniente 
Délie magiche frode seppe il giuoco* 

iO.Vedi Guido Donatti, vedi Asdente, 
Che avère inleso al oioio ed allô spago 
Ora vorrebbe, ma tardi ai peote. 



CHANT YINGTIÊVE. 365 

41 . « Vois les malheureuses qui laissèrent Faiguille, la 
navette et le fuseau, et se firent devineresses ; elles com- 
posèrent des charmes avec des herbes et des images. 

42'. «(Mais viens I déjà Gain et les épines '^ occupent les 
confins des deux hémisphères, et se couchent dans Tonde 
au-dessous de Séville, 

43. a Et hier, déjà, la lune était ronde : bien dois-tu te 
souvenir qu'une fois elle ne te nuisit point dans la forêt 
profonde. x> 



i 

. 



Ainsi me parlait-il, pendant que nous allions. 



U.Yedi le triste cbe Usdaron 1* ago, 
La tpola e 1 fuso, e feœrsi indoTÎne; 
Fecer malle con erbe e con imago. 

*^Ki viemie ornai, chè gi& tiene '1 confina 
^ ambeduc gii emisperi. e tocca Y onda 
lotto Sibilii Gaino e le apine. 



45. E gi& iernotte fu la luna tonda : 

Ben ten dee ricordar, che non li nocque 
Alcuna tolta per la selva fonda. 



Si mi parla?a« ed andavamo introcquc^ 



[ 



3M LrSHFER. 



NOTES OU CHANT VINGTIÈME 



1 DeTins. 

2. Ici la pitié est de n'en avoir aucune; parce que, avoir compassi^ 
de ceux que punit la Justice divine, ce serait un crime contre cette Justi 
même. 

3. Un des sept rois qui assiégèrent Thëbes. Il était devin, et, prévop 
qu'il mourrait dans cette guerre, il se cacha en un lieu connu de ^a femra 
seule. Mais, corrompue par le don d'un joyau que lui offrit Argia, femmes 
Polynice, elle découvrit la retraite de son mari, qui fut conduit à l'arma 
Pendant qu'il conibuUait, la terre s'ouvrit sous lui, et il tomba jusqu'à* 
Enfers. 

4. Autre «levin, nnlif de Thcbes. Ayant, d'une verge qu'il avait en mai 
frappé deux serpents, il devint femme. Sept nns après, ayant rencontré ^ 
mêmes serpents, il les frappa de nouveau, et redevint homme. 

5. Au ventre de Tirésias. 

6. Devin toscan, qui habitait les monts Luni, au-dessus de Carrare. 

7. Devineresse thébaine, fille de Tirésias. Après la mort de son |mV 
elle erra en beaucoup de pays, pour fuir la tyrannie d( Créonte. Elle «ni -* 
fleuve Tiberinus, qui s'était épris d'elle, un fils appelé Œnus, lequel fumia 
ville que, du nom de sa mère, il nomma MantovOf ou Mantoue. 

8. Thèbes, où était né Bacchus. 

9. Au milieu du rivage qui borde le lac. 

10. C'est-à-dire où les évêques de Trente, de Brescia et de Vérone o- 
juridiction. 

11. A cause des exhalaisons du marais. 

12. Ou, selon quelques-uns, cruelle, parce qu'elle troublait les ombr^ 
des morts, et, dans ses conjurations, se souillait de sang humain. 

15. Pinanionte de' Buonacossi, de Mantoue, per^uada au comte AlberC- 
Casalodi, seigneur de celte ville, de reléguer dans les châteaux voisins plu 
sieurs gentilshommes qui faisaient obstacle à sa propre ambition. Cela iait: 
Pinamonle, ayant usurpé par la faveur du peuple la seigneurie du comte .M' 
berto, iii uicltre ù mort une partie des nobles, et baniiii les autres. 



CHART *VIN6TrÈMB. 



'5(57 ' 



ié, c Ne feraient pas sur mon esprit plus d'impression que, sur mn vue, 
àes charbons éteints. » 

i5. Lorsque tons les Grecs en état de porter les armes partirent pour le 
iiége de Troie. 
i6, Voyes Enéide^ liv. II, ▼. il4 et suivants. 

17. michel Scotto exerçait Tart de la divination au temps de l'empereur 
FMdéric II. 

18 . Astrologue de Porli, cher au cemte de NoDiefeltro . 

19. Savetier de Parme, autre astrologue. 

20. Ui lune. Suivant la croyance vulgaire, les taches de celte planète indi- 
quent Gain qui lève avec une fourche un fagot d'épines. 



. I 



ses 



L'ENFER. 



CHANT VINGT-UNIÈME 



1. Aiosi de pont en pont, parlant d'autres choses que 
ma Comédie n'a souci de chanter, nous allions, et nous 
avions atteint le faite, quand 

2. Nous nous arrêtâmes pour voir Tautre crevasse da 
Malebolge, et les autres pleurs vains; et je la vis étrange- 
ment obscure. 

3. Telle que, l'hiver, dans l'arsenal de Venise, bout une 
poix tenace, pour espalmer les vaisseaux délabrés ; 

4. Qui ne peuvent naviguer; de sorte que l'un remet i ! 
neuf son navire, l'autre calfeutre les flancs de celui quia 
fait plusieurs voyages ; 

5. Qui, radoube la proue; qui, la poupe : d'autres font 
des rames, d'autres tordent des cordages, d'autres réparent 
les voiles d'étai et d'artimon : 

6. Telle, non par le feu, mais par un art divin, bouillait 
une poix épaisse, qui, de tous côtés, enduisait la rive. 



GÂNTO YENTËSIMOPRIMO 



I.Cosi di ponte in ponte, altro parlando 
Cbe la mia Commedia cantar non cura 
VeninuDO, e tenevamo 'I colmo, quando 

S.Ristemrao per veder V altra fessura 
Di Malebolge, e gli altri pianti vani; 
B vidiJa mirabilmente oscura. 

S.Quale neir Anani de' Viniziani 
BoUe 1* inverno la tenace pece 
A rimpalmar li legni lor non sani, 



4.Che navicar non ponno, e *n queOa . 
Chi fa 8U0 legno nuuvo, e chi ristoppa 
Le coste a quel che più viaggi fece; 

B.Ghi ribatte da proda, e chi da poppa; 
Altri fa remi, ed altii volge sarte; 
Chi teneruolo ed artimon rintoppa : 

fl.Tal, non per fuooo, ma per divin* 
Bollia laggiuso ona pegola spena, 
Che inviscava la npa d* ogni 



CHANT VIHGT-UNIËME. 369 

7. Je la voyaiâ, mais je ne voyais dans elle que les 
bulles soulevées par le bouillonnement, lesquelles se gon- 
flaient et retombaient comprimées. 

8. Pendant qu'en bas mes yeux étaient fixés, mon 
Guide disant : « Regarde, regarde! » à soi me tira du lieu 
où j'étais. 

" 9. Lors je me tournai comme l'homme à qui il tarde 
de voir ce qu'il doit fuir, et que déconcerte la peur su- 
bite, 

10. De sorte que pour voir il se hâte d'aller; et, der- 
rière nous, je vis venir un diable noir courant sur le ro- 
cher. 

11. Ahl que d'aspect il était farouche I et qu'avec ses 
ailes déployées, il me paraissait cruel dans sa contenance, 
et léger de pieds! 

12. La pressant des deux hanches, un pécheur chargeait 
son épaule élevée et pointue, et lui le tenait agrippé par le 
nerf des pieds. 

15. a Gardien de notre pont S dit-il, 6 Malebranche% 
voici un des anciens de Santa-Zita'; enfonce-le dessous; 
moi, je retourne pour d'autres 

14. En cette ville, qui en est bien fournie : tout homme 
y est faussaire, hors Bonturo ^; pour de l'argent, on y fait 
de oui, non. . 



T.P vedea Iri, ma non Tedeta m êfia 
Ib ehe le bdle clie 1 boUor leTa^a, 
B gonflar tntta, e rideaer comprena. 

t'Hentr* io Itffffù fisamente miraTa, 
Lo Duca mio dieendo : Guarda, guinrda 
U traafe a aè dal loco doT* io stata. 

t.AOor mi tolsi eome l' nom cui tarda 
\k "wAtat quel ehe gK convien fugg^ire, 
B cid prara aubita sgagliarda, 

MiChe per veder non indugia 'J partire: 
B tidi «fietro a noi on diavol nero 
Cww do m per lo icogUo venire. 



ll.Ahi qnanto egli era nell* aspetto fierai 
E quanto mi parea nelP atto acerbo, 
Con l' aie aperte, e sovra i piè leggiero 

It.L' omero suo, ch' era acuto e superbo, 
Carcaya un peccator con amb9^4*>Hche| 
Ed ei tenea de' piè ghermito il nerbo. 

13. Del nostro ponte disse : o Malebranche, 
Ecco un degli anzian di Santa f ita: 
Hetletel sotto, ch' io tomo per anche 

14. A qiiella terra ehe n' è ben fomita: 
Ogni uom y' è baratlier. fuor ehe Bonturt 
Del no, per li denar, vi ai fa ita. 



Vi. 



570 L'ENFER. 

15. Dans la fosse il le jeta, et«'«n mtonrna par ledur 
rocher, et jamais on ne vit mâtin détaché ponrooivre avec 
tant de vitesse le voleur. 

' '16. Celui-là plongea, puis revint en h«ut à «la renverse; 
'mais les démons que le pont poeonvrait crièrent * « ià, 
point de Santo-Volto *? 

17. a Ici Ton nage autrement que dans le^Serchio* : 
si tu ne veus pas sontir nos* griffes, «nei sers «pas .>de Ja 
poix. » 

48. Puis ils le mordirent' ervecfilus de»Jaaille> crocs di- 
sant : (( n faut qu'ici couvert tu' daBses;iœt,! si to peas, 
grippe en cachette. » 

19. Non autrement les euisiniers. -tent ^r leurs 'aides 
enfoncer, avec 4es «rochets, la chair ^ane k'inamîte'paor 
qu'elle ne flotte pas. 

20. Le bon Maître : « Afin, dit*il,' q«'t)n ne slaper- 
^ive pas que tu es ici, :tapis4oi <derrière on rodier ipn-te 

défende ; 

21. « Et, quelque offense' qui ime ^soit «faite,' ne cfains 
^point; ceci m'est connu, m'étant une 'autre fais trouvé "0" 
telle conteste. » 

22. Ensuite il passa le pont, et s'avança au delà, et, 
'oomme il arrivait sur la sixième rive, -besoin eut-il d^avoir 
un front assuré. 



154aggiù '1 batlô, e per lo soof^ dui'O 
Si Tolse, e mai non fu mastino sciolto 
Con tanta fretta a seguitar lo furo. 

16.Quei s' attuffo, ë tornô su convollo; 
. Mai- démon, che del ponte avean coverchio 
Gridar: Qui nun balwogo il sanlo rolto; 

n.Qui si nuota altnmenti che nel Serchio; 
Perà, se lu non vuoi de' lUMtrt grafli, 
Non far sovra la pegola soverchio. 

IS.Poi Taddentar con più di cenio rafli, 
y Aisser : Coverlo coavien cbe qui balli, 
Si che, se puoi, nascoaaaiente accafti. 



19. No«^UrinMnli iKaMchi a* lor • 
Fanno attuffieure in.meu»ki «aldaia 
La-earne eoglioacin^ penehè-aon ^alU- 

20. Lo buoB Maestro :.:4àceiMelià non ai^p^ 
Cbe Hx ci. sii« mi idiiee, giù t' ae^oalla . 
Dopottno9dbM^gio»icfa> «Icua scbnwM' ^ 

SI- E |»er nulla-offiension ch' a ma-sia fatUf 
Jion.leiner tu, ch' î'-Jm le.aosa cantet 
Perché altra «olla-fuiaitaL baratta. 

22. Paacia passô di là dal«o-dal panta, 
E com' ei gignse ia&allariparsaata, 
Mestier gli£a d'<ivar.»iCTiw foanta. 



CHANT YIRGT-UMÈME 3^1 

23. Avec la même fdreur, avec lamème impétuosité que 
s^élancent les chiens contre le pauvre qui soudain s' arrête 
et demande, 

24. Ceux-là s^élancèrent de dessous le fient, et tournè- 
rent contre lui les crocs; mais il cria : a Qu'aucun de vous 
ne soit félon I 

25. <c Avant que votre croc me touche, qu'un de vous 
s'avance et m'écoute, et qu'après il me gaffe, s'il l'ose I » , 

26. Tous crièrent : « Va, Malacoda M » Et, pendant que 
les autres s'arrêtaient, l'un d'eux, s' avançant, vint à lui, 
disant : « Qu'y a-t-il? » 

27. tf Crois-tu, Malaeoda, dit mon >Maitre, qu'ici ie sois 
venu on sûreté contre toutes vos attaques, 

* 28. « Sans le vouloir divin et le destin favorable? Laisse- 
moi aller; car au ciel il est voulu que Je montre à un autre 
t^t âpre chemin. » 

':29. Alors si abattu fut- son oi-gueil, qu'il laksa tomber 
le croc à ses pieds, et dit aux autres : « Qu'on ne leifrappe 
•point! » 

* 30. Et mon Gruide à moi : « toi qui entre les roehes.du 
pont es tapi, avec assurance maintenant reviens à moi I n 

'31 . Lors me levant, vite je vn>s iî lui çf'et'tous ies diables 
s'avancèrent; de 'sorte qa& je oraignais qu'ils ne Unssent 
point le pacte. 



Ch' wcopo i oani addouo al poverello, 
Ghe di tabiU» dûede uve s' arreata, 

t4.0ieiron qoei di sotto il pontieello, 
B Yober contra loi tutti i ronrigli : 
Ma ei gridô : Meaaaiii di voi sia feilo. 

IS.Ionaiizi che V uncin vostro mi pigli, 
Tragpasi avant i 1* un di vol cbe m' oda, 
E poi" di roncigliarmi si consigli. 

S6.1ùtti gridaroD : Vada Mnlacoda; [mi;] 
Fer che ud si musse, e gii altri steitei* fer- 
B venne a lui diceodo : Cbe ti approda? 

S7.Gradi tu» Malafodiiu qui vedenni 



Baser venuto, disse '1 miolfaestro, 
Securo gi& da tutti i vostri sctaermi, 

SS.Senxa voler divino e fato desiro? 

Lasdami andar.cbè nel ciek> è volute (irê.1 
Ch' io mostri ahmi questo cMiuiha siltes- 

29- AUor gii fu 1* orgoglio si cadiito, 
Che si lasciA cascar l' uadao «•<pi«di« 
E disse agli ahri ; Ornai non sia/enito. 

30. B 1 Duca mio a me : tu. che'eiedi ' 
Tra gli seheggion del ponte quatt^ quatto, 
Sicurainente oinai a me ti riedi. 

St. Per ch'iomi niwsi, ed a lui veiuu«*MltOi 
. E i diavuU ai fecer tutti avanti. 
Si ch* io temetti non tenesser patto. 



■^^ 



972 L'ENFER. 

32. Ainsi vis-je autrefois les fantassins qui, dans Ca.- 
prona', avaient capitulé, craindre en se voyant au milieu 
de tant d'ennemis. 

35. Je me serrai de tout mon corps près de mon Guide, 
ne cessant de regarder leur mine, qui n'avait rien de bon. 

34. lis abaissaient les crocs : n Et veux-lu, disait l'un k 
l'autre, que je le touche sur la croupe? » El iU répondaient: 
u Oui, accroche-le par ià. » 

35. Mais le démon qui discourait avec mon Guide se 
tourna vite et dit : « Paix, paix, Scarmiglione'! u 

36. Puis il nous dit : a Aller plus loin par ce rocher ne 
se pourra, parce que la sixième arche gît au fond, toule 
brisée. 

37. « Si plus avant vous voulez aller, prenez parcettfi 
grotte ; auprès est un autre rocher, où s'ouvre un passage. 

58. « Hier, cinq heures plus tard que l'heure présente, 
s'accomplirent douze cent soixante-six années *°, depuii que 
la route fut rompue. 

39. H J'envoie là quelques-uns des miens, pourvoirai 
aucun n'y prend l'air " : allez avec eux ; nul mal ils ne voui 
feront. 

40. « En avant, Alicliino " et Calcabrina " I commen{a- 
t-il à dire, et toi, Cagnazzo ", et que Barbariccia " con- 
duise la dizaine. 



Ch' uicivan piiIlcKgùili di Ciprom, 
Tïggendu >c in nsniu coUnti. 


SCQglio nPB li pcUl. pOTMcU (kCA 


H.I0 m- gccotml con luiu la peruiu 

DiUt Kmhiir^u l<^. ch' era'^iioa bunna. 
H.U cliliiivai] eU "IH. e. VuDi ch' io ■! lacchj 


Preud è un allro Koglia clu •!■ Utm. 

W. 1er, più ûli™ rinqu- org cl» quut' tm, 

im. compiér. clia qui b .» Ai «Ita. 


B ctaf andian : Si, h che g\itU accocchl. 
H.roi diiK a nui : »iO Dltra Blldu per ^alD 


H.lo raanJo .a«) li di iftieul miâ 
i riguanjar l' iJcuzl te ne KioriiH ; 

W.Tfall. amnli, Alkhino <■ (Wcahrlia. 

E BarbariLcia guidi la daciu. 



h 



CHANT VINGT-UNIËMK. 



973 



41 . « Que Libicocco ^* aille aussi , et Draghignazzo ", 
Griatto ^* aux dents de sanglier, et Graffiacane ^*, et Far- 
farello**, et Rubicante*^ le fou. 

42. « Cherchez autour de la poix bouillante! Que ceux-ci 
soient saufs jusqu'à l'autre roche, qui tout entière passe 
au-dessus des tanières ''. » 

43. — maître, dis-je, qu'est- ce que je vois? Si tu sais 
par où aller, allons seuls sans cette escorte; pour moi, je 
ne la demande **. 

44. Si aussi attentif tu es que d'ordinaire, ne vois-tu 
pas comme ils grincent des dents, et des sourcils me me- 
nacent? 

45. Et lui à moi : « Je ne veux pas que tu t'effrayes; 
laisse-les grincer à leur guise; cela ils font pour les mal- 
heureux bouillis. » 

46. Mous tournâmes par le rempart à gauche ; mais au- 
paravant chacun avait, en manière de signe *\ serré avec les 
dents la langue tirée vers leur chef. 

Et lui de son derrière avait fait une trompette. 



M.Lil»eoceo vegna ollre, e Dragbignazio, 
Qriatto sanooto, e GrafliacaiM, 
BFkrfiirdlii, e Rubicante pauo, 

4lGereale intorao le boUenti pana, 
Ckwtor nen lalvi intino aU' aliro scheggio, 
Chc tutu» intero va sopra le Une. 

4l.0iDè! MaetlrOi che è quel che io ve^of 
Dits' io : deh 1 sensa toorta andiamci aoU, 
8e tu sa' ir, cb* io par me non la clieggio. 

M.8e ta M* ai accorto eome raoli. 



Koa Tedi tu ch' ei digrignan li den t 
B coUe dglia ne minaccian duoUT 

4ft. Ed ^i a me : Non to' che tu paYonti: 
Lasdali digrignar pure a lor senno, 
Ch' ei fanno ciù per li lésai ddenti. 

M.Per Targine sinistro volta dienno: 
lia prima avea ciascun la liiif^iia strettt 
Co* denti verso lor duca per cenno; 

Bd egli avea del cul fatto trombetUu 



374 L'XKPSa. 



NOTES DD GHANT VINGT jDNIÈME 



1. c De notre bolgâf > celle des faussaires, barattierù 

2. Ce nom, qui signifie Méchante-griffe , est une espèce de sobriqu 
imreil à ceux des autres démons qui seront nommés plus loin. 

3. On appelait ainsi les magistrats de ta ville de Lueques^qui avait po^ 
patronne sainte Zitta. 

4. Ceci est dit ironiquement. Bonturo Bonturi, de la &mille des Da* 
était le faussaire le plus infâme de Lucques. 

5. Image du Christ, devant laquelle se prosternaient le& Lucquois^' 
implorer le secours dont ils avaient besoin. 

6. Fleuve qui passe près des murs de Lucques 

7. Mauvaise-Queue. 

8. Château sur les bords deVArno, que leâ Lucqaois, 'qui le défbidine] 
furent, par le manque d'eau, forcés de rendre aux Pisans, à la conJ'^' 
qu'ils auraient la vie sauve. En traversant les troupes ennemies pour se reti 
à Lucques, ils entendaient tout autour d'eux crier : a Qu'on lespende! "^ 
les pende ! » De sorte que leur frayeur fut extrême. 

9. Ébouriffé, Mal^-peiigné. 

10. Celte date correspond à celle de la mort du Christ. 

11. Ne sort du lac bouillant. 

12. Aile-Basse. 
13 Foule-Givre. 

14. Face-de-Chien. 

15. Barbe-Rousse. 

16. De libicOf Libyen. Les déserts de Libye passaient pour être peul 
de démons. 

17. Laid-Dragon. 

18. D'un mot grec qui signifie porc, 

19. Griffe-Chien. 

20. Farfadet. 



CHANT T1NGT-0NIËME. SI5 

ougeaud. 

a fosse où sont les damnés, comme les bétes sauvages dans leurs 

n signe de moquerie de ce que Virgile» trompé lui-même, avait dit 
pour le rassurer. 

Avait donné le signal du départ. > La manière est d'accord avec le 
cette scène grotesque. 



'j. 



376 



L'ENFBR. 



CHANT VINGT-DEUXIÈME 



1 • J'ai vu des cavaliers lancés dans la carrière pour com- 
mencer le combat, et pour la montre % et quelquefois pour 
se sauver; 

2. J'ai vu des coureurs sur vos terres, 6 Arétins ; j*ai vu rô- 
der des fourrageurs, ouvrir des tournois , et courir des joutes, 

3. Au son tantôt des trompettes, tantôt des cloches 'et 
des tambours, ou aux signaux faits des châteaux', avec des 
choses en usage chez nous ou au dehors ; 

4. J'ai vu des navires guidés par des signes soit de terre, 
soit d'étoile^; mais je ne vis jamais à si étrange chalumeau 
se mouvoir cavaliers, ni piétons, ni vaisseau. 

5. Nous allions avec les dix démons (ah I la terrible com- 
pagnie!) : mais « dans l'église avec les saints, à la taveroe 
avec les goinfres ^. » 

6. Cependantje regardais attentivement la poix, pourbieO 
connaître la bolge, et l'état de ceux qui brûlaient dedans* 



GÂNTO YENTESIMOSEGONDO 



l.r Tidt già cavalier mover campo, 
E cominciare stormo, e far lor mostra, 
E talvolta partir per loro scampo : 

t. Corridor vidi per la terra yostra, 
Aretini, e vidi gir gualdane, 
Ferir torneamenti, e correr giostra, 

I. Qnando con trombe e quando eon campane, 
Con tamburi e con cenni di castella, 
B con cote noitrali « con iitrane: 



4. Ne già con si diversa cennamela 
Cavalier vidi mover, né pedoni^ 
Né uave a segno di terra o di atalli. 

B.Noi andavam con Ji died dimoni; 
Àhi fiera compagnia ! ma nella chiesa 
Co* santi, ed in lavema co* ghiottoni. 

6. Pure alla pegola era la mia intesa, 
Per veder délia bolgia ogni contegw», 
B deUa gente ch' entro v* era inceia. 



GUÂlNT VINGT-DEUXIEME. 377 

7. C!omme les dauphins, quand, de leur dos arqué, ils 
font signe aux marins d'aviser à sauver leur vaisseau, 

8. Ainsi alors, pour soulager sa peine, quelque pé- 
cheur montrait le dos, puis se cachait, plus rapide que 
Téclair. 

9. Et comme, dans un fossé, sur le bord de Teau se 
tiennent les grenouilles, le museau dehors, cachant les 
Ipieds et le reste du corps ; 

10. Ainsi, de tous côtés, se tenaient les pécheurs : et, 
quand Barbariccia s'approchait, ils rentraient dans la poix 
bouillante. 

11 • J'en vis un (et mon cœur en frémit encore), attendre 
en cette posture, comme il arrive qu'une grenouille de- 
meure tandis que l'autre plonge. 

12. Et Graffiacane, qui le plus près de lui était, l'accro- 
cha par ses cheveux empoissés, et le tira dehors : j'aurais 
cru voir une loutre. 

13. De tous déjà je savais le nom, l'ayant noté quand 
ils furent choisis, et depuis ayant fait attention lorsqu'ils 
s'appelaient l'un l'autre. 

14. « Rubicantc, enfonce -lui tes grands ongles 
dans le dos et l'écorchel » criaient tous ensemble les mau- 
dits. 



7. Corne i delfini, qnando fanno segno 
Ai marinar con V arco délia schiena, 
Che s* argomentia di campar lor legno; 

t.Talor coti ad alleggiar la pena 
MostraTa alcun dei peccatori U dosto, 
B nascondeva in men che non balena. 

9.E corne ail' oiio deir acqua d* un fosso 
Stan li ranocchi pur col musc fuori, 
Si clw œlano i piedi e P altro grosso; 

lO.Sl staTan d* ogni parte i peccatori: 
Ha come s* appressava Barbariccia, 
Cosi si ritraean sotto i boUori. 



ll.Io vidi, ed anche il cuor mi s* accapriccia, 
Uno aspettar cosi, «om* egli incontra 
Gh' una rana rimane, e 1* altra spicda. 

1S.E Graffiacan, che gli era più di contra. 
Gli arroncigliô le impegoûle chioine, 
E trassel su, che mi parve nna iontrtu . 

lS.Io sapea già di tutti quanti il nome, 
S! U notai, quando ftiron eletti, 
E poi che si cbiamaro, attesi come. 

14.0 Rubicante, fa che tu li metti 

Gli unghioni addosso si che tu lo scuoi: 
Gridavan tutti insieme i maladetti. 



v( 



M 



378 



L'ENFER. 



15. El moi : — Maitre, saches, si. tu !c peux,* qui est le 
misérable tombé aux mains de ses' ennemis. 

16. Mon Guide s'approcha de lui, et lui demanda d'où il 
était; et celui-ci répondit : « Je suis né dans le royaume de 
Navarre®. 

17. « Ma mère, qui m'avait eu d'un ribaud, destrueteur 
de soi et de ses biens, me mit au service d*un seigneur. 

18. « Puis je fus domestique du bon roi Thibaud : là, je 
m'adonnai aux Grandes dont je rends compte dans ce feu. » 

19. Et Ciriatto, à qui sortait, des deux côtés de la bou- 
che, une défense comme au sanglier, lui fit, de l'une, 
sentir comment elles déchirent. 

20. Parmi de méchantes chattes était venue la souris; 
mais Barbariccia l'enferma (Jans ses bras, et dit : « Tenez- 
vous à l'écart, tandis que jeTenfourche. » 

21. Et vers mon Maître il tourna la face : « Interroge-le 
encore, dit-il, si de lui plus tu désires savoir, avant qu'on 
le dépèce. » 

22. Le Maître : « Maintenant, donc, parle des autres 
coupables. En connais-tu, sous la poix, quelqu'un qui soit 
Latin? » Et lui : « Je viens 

23. « D'en quitter un qui n'était pas de loin delà- 
fussé-je encore avec lui couvert ', je ne craindrais ni ^ 
ongles, ni les crocs. » 



15. Ed io : Maestro mio, fa, se tu puoi, 
Che tu sappi chi à Io sciagurato 
Venuto a inan dagli avversari suoi. 

16. Lo Duca mio gii s' accostô allato, 
DornandoIIo ond' ei fosse, e quei rispose i 
V fui del Regno di Navarra nato. 

17. Mia inadre a servo d' un signor nri pose» 
Chè in'avea generalo d'un ribaldo 
Distruggitor di se e di sue cose. 

IS.Poiifui famiglia del buon re Tebaldo: 
Quivi rai misi a far baratteria, 
Di che rendo ragione in questo caldc 

19. £ Ciriatto, a cui di bocca uscia 



D' ogni parte una sanna corne a porco * 
Gli fe lenlir corne l' una «drucia. 

20. Tra maie gatte «ra teauto il mrco; 
Ma Barbariccia il chiuse eon le bnc<^^^' 
E disse : State 'n là, menlr' io lo 'nfo^^ ' 

21.Ed al Maestro mio volse la faccia: 
Dimandal, disse, ancor, se piùdisii 
Saper da lui, prima ch' altri '1 disfaccf ^ 

ît;Lo Duca : Dtmque or di degli altri rii i 
Conosci tu alcun che sia Latine 
Sotto la pece'^ B qucgh*: Io mi partii 

23. Poco è da un, che fu di là, Ticino : 
Cosi foss' io ancor cou lui c^erto, 
Chè io non temaiviunghia, né uacmo. 



CHANT YIHGT-DEUXIÈME. 579 

94. Et Libioocco : « Nous avons trop patienté, » dit-il. 
Et avec le croc il hn prit le bras, et le déchirant, il en em- 
porta un lambeau. 

35. Dragfaignazzo aussi voulut Tatteindre en bas par les 
jambes ; de sorte que leur décurion se tourna tout autour 
d'nn air courroucé. 

26. Lorsqu'ils fiu*ent un peu apaisés, à celui qui en- 
core regardait sa blessure mon Guide sans tarder de- 
manda: 

27. «Qui fut celui qu'à ton dam tu quittas, dis-tu, 
pour venir au bord? » Et il répondit : « Ce fut frère Go- 
mita* 

28. (( De Gallura, réceptacle de toute fraude, qui eut en 
mains les ennemis de son maître, et les traita de façon que 
chacun d'eux s'en loue : 

29. « Il tira d'eux de l'argent , et les laissa comme il dit, 
en plaine ' ; et, dans ses autres offices aussi, fourbe il fut 
non médiocre, mais souverain. 

30. « Avec lui converse Michel Zanche *•, seigneur de 
logodoro ; et de parler de la Sardaigne leurs langues ne se 
sentent point fatiguées. 

31 • « moi 1 voyez l'autre qui grince des dents ! je par- 
lerais encore, mais je crains qu'il ne s'apprête à me gratter 
la peau. » 



ti.E UUmcoo : Droppo avem sofferto. 
JMhs; e praMgli i braeeio col rundglio, 
■81 alie,alraoeiaiulo, ne porto un taeerto. 

%-firaglHfiM2so anche i voile dar di pigUo 
Giù datte ganbe ; onde il deourio loco 
8i toise iiitomo intorno cen mal pig Uo. 

16. Quand' ti^ un poeo rappaciati foro, 
A loi che aneor mirava sua f«rita, 
Dûnando '1 Doca mio acnxa dimoro : 

ST.Chi fa càkait da eui roala partita 
Di ftm-ÙKtsti par Tenire a proda? 
Bd eianpwe : Ftalirale Qomita, 



tS.Qrnl di GeUura, vasel d' ogni froda, 
Ch' ebbe i nimici di suc donne in mano^ 
E fe lor si, che ciascun se ne loda : 

29. Denar si toise, e lasciolli di piano, 
Si cora* ei dice : e negli altri ufici anche 
Barattier fu non picciol, ma sovrano. 

SOt Usa con esso donno Michel Zanche 
Di Logodoro; e a dir di Sardigna 
Le hngue lor non si sentono atanche. 

Sl.Oroè! vedete 1' allro che digrigna : 
r dira anche : ma io teriio ch' ello 
Non ^^parecchi a grattarmi la tigna. 



380 L*ENFER. 

32. Elle grand préposé*^, se tournant yers Farfarello 
qui roulait les yeux, prêt à frapper, dit : « Au large, mé- 
chant oiseau I » 

53. « — Si vous voulez, reprit Teffrayé, voir ou entendre 
des Toscans ou des Lombards, j'en ferai venir. 

34. « Mais qu*un peu à Fécart se tiennent les Halebran- 
che, de sorte qu'ils ne craignent point leurs vengeances. 
Et moi, m asseyant en ce lieu même, 

35. « Pour un que je suis, j'en ferai, bien le sais-je, 
venir, sept quand je sifflerai, comme nous avons coutume 
de faire lorsqu'un de nous se hasarde dehors. » 

36. A ces paroles, Cagnazzo leva le museau en secouant 
la tête, et dit : « Oyez la malice que, pour se jeter dessous, 
il a imaginée I » 

37. Et lui, qui avait des lacets en grande abondance, 
répondit : « Trop malicieux suis-je, en effet, quand j'attire 
sur les miens plus de douleur. » 

38. Alichino ne se contint pas, et, à Topposé des au- 
tres ", il lui dit ; « Si tu plonges, je ne viendrai pas à toi 
au galop ; 

39. (c Mais sur la poix je battrai des ailes. Qu*on laisse le 
bord, et que derrière la berge on se retire, pour voir si 
seul tu vaux mieux que nous. » 



st. E '1 gran proposto volto a Farfarello, 
Che stralunava gli occhi per ferire, 
Disse : Fatli 'n costi, malvagio uceeUo. 

n.Se voi voleté vedere o udire, 
Ricominciù lo spaurato appresso, 
Toschi o Lombardi, io ne farô venire. 

M.Ma stien le Halebranche un poco in cesse, 
Si che non teman délie lor vendette ; 
Ed io, seggendo in questo loco stesso, 

85. Per un ch' io son ne farô venir sette, 
Quando sufolerù, com' è nostr' use 
Oi fare allor che fuori alcun si metta. 



M.Cagnasso a cotai motto leva '1 mose» 
Crollando '1 capo, e disse : Odi malizia 
Gh' egli ha pensato per gittarsi giuso> 

S7.0nd* el ch* avea lacciuoli a gran diviili, 
hispose : Malizioso son io troppo, 
Quando procure a' miei maggior tristiiil* 

SS.AKcbin non si tenue, e di rintoppo 
Agli altri, disse à lui : Se tu li cali, 
r non ti verrô dieiro di galoppo, 

S9.]la batterô sovra la pece l' ali: 
Lascisi '1 collo, e sia la ripa scudo, 
A veder se tu sol più di noi valu 



CHAUT YIRGT-DBUXIÊME. 38! 

40. toi qui lis, tu vas entendre parler d*un jeu nou- 
veau. Vers l'autre côté chacun tourna les yeux, et, le pre- 
mier, celui à qui le plus il coûtait de le faire ^'. 

41. Le Navarrais prit bien son temps : il affermit les 
pieds à terre, et en un clin d'œil il sauta, et à leurs desseins 
se déroba. 

42. De quoi chacun soudain fut contrit; mais celui-là 
plus qui de la faute était cause. Pourtant il s'élança, criant : 
« Je le tiens I x> 

43. Mais peu lui servit ; les ailes ne purent devancer la 
peur : celui-là dessous s'enfonça; et celui-ci, volant au- 
dessus, dressa la poitrine, 

44. Comme le canard, quand le faucon s'approche, tout 
à coup plonge, et lui s'en va courroucé et défait. 

45. Irrité de la moquerie, Calcabrina vola derrière Ali- 
chino , désiï*eux que l'autre échappât, pour venir aux 
prises **, 

46. Et quand le larron eut disparu, il tourna les griffes 
contre son compagnon, et sur la fosse ils s'assaillirent. 

47. Mais l'autre à le griffer bien se montra épervier 
Bxpert, et tous deux tombèrent dans l'étang bouillant. 

48. Le feu soudain les fit se lâcher; mais se relever ils 
^e pouvaient, tant leurs ailes étaient engluées. 



^0 ta, ch« leggi, udirai nuovo ludo. 
Giascun dall' altra costa gli occbi volse; 
Quel prima, ch* a dû fare era più crado. 

»l.Lo IfaYarrese ben suo lempo colse, 
Ferro& le piante a terra, e in un punto 
Saltù, e dal proposto ior si sciolse. 

^2.Di che ciascun di colpo fu compuntOt 
Ha quei più, che cagion fu del diletto; 
Perô ai mosse, e gridô : Tu se' giunto. 

3. Ma poco Talso : chù 1* aie al sospetio 
Non potero avansar : quegli andà sotto, 
E quei drizz6, yolando, suso il pelto : 

i.Hon altrimenli V anitra di botto, 



Quando *1 falcon s* appressa, giù s'atUiflk 
Ed ei ritoma su cnicciato e rollo. 

iS.Irato Calcabrina dellii buffa, 

Volando, dietro gli tenue, invaghito 
Che quei campasse, per aver la zuflk. 

46. E come '1 barattier fu disparito, 
Cosi volse gli artigli al suo compagne, 
E fu con lui sevra 'i fosso gliermito. 

47.Ma Taliro fu bene sparvier grifagno 
Ad artigliar ben lui, ed ambedue 
Cadder nel mezio dU bollente stagne. 

48. Lo caldo sghermitor subito fue : 
Ma perd di levarsi era niente, 
Si avieno inviscale 1* aie sue. 



WÈ L'ElVTBft' 

49. Non moins dépité que les autres, Barb 
l'autre côté, en fit voler quatre avec tous les l 
très-prestementy 

50. D'ici, de là, ils descendirent au poste : i 
rent les crocs vers les empoissés, qui déjà étaieni 
la croûte. 

Et nous les laissâmes ainsi empâtés. 



49.Barbariccia con gli altri suoi dolente 
Quattro ne fe Tolar dall' altra costa 
Con totti i rafi, ed asaai prestamenle 

^ iO.OiqiMdiUdiKMeroalb|iofta: 



Porser gli undni terso ( 
Gh' eran già cotti dentn 

Bnoilnamwlirooil 



CHANT TINOT-PEUXIÈME. 



NOTES DU CHANT VINGT-DEUXIÈME 



I. Pourpifser la reTne. 

!. Ui Florentins sTjûeni couiume de porter i U giierr«, pour diriger 
«> DSiiieniGiit!! de leunt Iroofic»,. ane cloche «UBpendue dans uns tour de 
Ixùpos^tfar un cliur. 

3. Le jour avec do la fum'e. et arec de* feut, lo nuit. 

'' Se (lirigeiiit mr rindii;atioii de signaux faiti i terre, ou sur celle dea 

5, Locution proierbiale. 
i. Son nom i^taït Gisinpolo, ou Ciampolo. 
"!■ ( Coureil de h poix, ■ soui la paîi. 

i. Hume BBrde qui, devenu le Divarî de Nino, doï Viscooli de Piie, abusa 
M «a tueur pour InBquef de» dignité et dea emploi», et commettre beau- 
■WP Autre» fruudea. 
3. En liberté. Di piano, locution sarde, diiuiviut au deptatw des Lilins. 
W, Sjnécbol d'Enio, roi de Sardai^ne, Après la mort d'Eulo, il fpousa 
P"f Ihmlasa ïBure Adeli^ia, cl, de cette inoniÈre, devint seigneur do Logo- 
'**". yritage d'AdeluM^i, 
J'. Burbnncci!!, chef des dii dénioiif. 

■ï'Qu no ToultiieaL pas e'exposeri Tolereurla poii, de peur d'y engluer 
«Ufs ùles. 
13. C'eil-J'dire Cagnaizo, qui se défiait de Gooiita et de ses ruses. 
.'f ' Détireui que Gomila écbappSt ù Alicbioo, pour leoir aux prises »we 



k 



\. 



384 



L'ENFER. 



CHANT VINGT-TROISIÈME 



1. Silencieux, seuls, sans compagnie, nous allions 
Tun devant et l'autre après, comme vont les frères mi- 
neurs. 

2. La présente rixe me faisait penser à la fable d'Ésope 
ou il parle du rat et de la grenouille ^ : 

3. Mo et issa * ne sont pas plus pareils, que ne le sont 
lun et Taulre, si Fesprit en lie bien le commencement et 
la fin. 

4. Et comme d*une pensée en surgit une autre, ainsi de 
celle-ci en naquit une qui redoubla ma première peur. 

5. Ceux-là, pensai-je, à cause de nous ont été joués, et 
avec tant de dommage et de moquerie que je crois bien 
qu'ils s'en ressentent. 

6. Si au malin vouloir la colère s'ajoute, ils nous pour- 
suivront, plus cruels que le chien ne Test au lièvre que ses 
dents saisissent. 



CANTO TENTESÏMOTERZO 



l.Taciti, soli, .«enza compagnie, 
N' andavam l' un dinanzi e T altro dopOt 
Corne i frati minor vanne per via. 

S.VoIto era in su la favola d' Isopo 
Lo mio pensier per la présente rissa, 
Duv' ei parlô délia rana e del topo : 

5.Cbe più non si pareggia mo e issa, 
Che r un coir altro fa, se ben s* accoppia 
Principio e fine con la mente lissa. 



4.E corne t' un pensier dell* altro scopP*** 
Cosi nacque di quelle un altro poii 
Che la prima paura mi fe doppia. 

5. lo pensava cosi : Questi per noi 
Sono scbemili, o con danno e con bv'' 
Si fatla, ch' assai credo cbe lor nH- 

6. Se r ira sovra '1 mal voler s'aggoeA 
Ei ne verranno dielro più cruddi. 
Che cane a quella lèvre ch' egU 



^ 



CHANT VINGT-TROISIÈME. 385 

7. Je sentais déjà tous mes poils se hérisser de frayeur, 
t, derrière, attentif je me tenais, quand je dis : — Maître, 
promptement 

8. Toi et moi tu ne caches, je crains les Malebranche : à 
otre poursuite ils sont déjà; et si vivement je me les ima- 
îne, que déjà je les sens. 

9. Et lui : « Si j'étais de verre étamé, ton image exté- 
eure plus vite en moi ne se refléterait pas, que ne s'y re- 
ste celle de dedans. 

10. « Tes pensées présentes sont si conformes et si sen> 
ables aux miennes, que des unes et des autres je fais un 
ul conseil. 

11 . «S'il se trouve que la côte à droite soit telle que nous 
lissions descendre dans l'autre bolge, nous échapperons à 
chasse que tu appréhendes. » 

12. n n avait pas achevé d'expliquer son dessein, que non 
n je les vis venir, les ailes déployées, pour s'emparer de 
us. 

Vo. Comme la mère que le bruit réveille, et qui près 
elle voit les flammes allumées, 

14. Pi*cnd son (ils et fuit, et point ne s'arrête, ayant 
lus de soin de lui que de soi, jusqu'à se vêtir seulement 
une chemise ; 



'•Giàioi sentia tutto arricctar li peli 
^ paoraf e stava indielio inienlo, 
Q*Kuul' io dissi : Maestro, se non celi 

'•Te e me tostameute, i' ho pavento 
^ Valebranche : noi gii avem già dietro : 
^^ si' imagino si, che già gli sento. 

>.B quei : g» jq fog^i d* impiombalo vetro, 
^ùnagine di fuor lua non Irairei 
"^ù tostoa me, clie quelJa d'entro irapetro. 

"■nir iQo Tenieno i tuoi pensier Ira* miei 
^ limil alto e con simile faccia, 
Si che d' eatrambi un sol consi^lio fei. 



11. S' egU è che si la destra costa giaccia, 
Che noi possiam netrallra bolgia scendere, 
Noi fiiggirem l' imaginata caucia> 

11. Già non compio di tal consiglio rendere, 
Ch' io gli vidi venir con l' ali tese, 
Non molto lungi, per volerne prendere. 

18. Lo Duca mio di subito mi prese, 
Come la madré ch' al romore è desta, 
E vede presso a se le liamme accese, 

14. Che prends il figlio e fugge, e non s'arres- 
Avendo più di lui. che di se cura, [ta^\ 
Tanto che solo uua cam\m n««\a. 



Ai, 



VL 



386 L'ENFBR. 

15. Smidain mon Guide me prit, et, du haut de la dare 
rive, le dos contre terre, s'abandonna suc la penie escarpée 
de la roche qui sépare une des bolges de Tautre.. 

16. Jamais par un canal, lorsqu'elle approche le plus 
des aubes, l'eau ne courut si vite pour faire tourner la roue 
d'un moulin, 

17. Que mon Maître par cette pente, me portant sut sa 
poitrine comme son fils, non comme son compagnon. 

18. A peine fûmes-nous arrivés au fond, qu'eux furent 
sur le col au-dessus de nous ; mais ils n'étaient plus i 
craindre, 

19. La haute Providence, qui voulut faire d'eux les mi- 
nistres de la cinquième bolge, leur ayant à tous ôté le pou* 
voir d'en sortir. 

20. Là, nous trouvâmes une gent', peinte, qui, autour 
de la fosse, à pas très-lents, allait pleurant, et paraissait 
lasse et rendue. ^ 

21 . Ils avaient des chapes avec les capuchons abaissé» 
devant les yeux, taillées comme celles qui se font à Cologne 
pour les moines. 

22. Elles sont dorées au dehors, tellement qu'on en est 
ébloui, mais de plomb- au dedans^ et si pesantes, que de 
|)aille, auprès d'elles, étaient celles que faisait porter Fré- 
déric *. 



15. B giù dal coilo delh rip» dura 
Supin si diede ail.i pendenle rocda, 
Cbe r un dei lati ail' allra bolgia Inra. 

16. Non corse mai si tosto acqua per doccia 
A volger ruola di mulin terriigiio^ 
Quand' elia più verso le pale approeda ; 

17. Corne '1 Maestro mio per quel Tivagno^ 
Portandosene me sovra '1 suc petto, 
Corae suo liglio, e non come compagne. 

18. Appena furo i piè suoi giunlî al lelto 
Del fonde giù, ch' ei giunsero sul colle 
Sovresao noi : ma non gli era tospelto ; 



IS.Chè l'alta proTidends dielervoHe 
Porre minislri délia foraa qutata, 
Poder di partirs' indi a tutti toUe. 

tO.L:<ggiù trovammo una génie dipintii 
Che giva intorno assai con lenti ptaa 
Piangendo, e nel seotbianttt atancteviiO 

Sl.Egli aveaa cappe con cappucd banî 
Dinanii agli occlii. fatle délia tagli* 
Che per li inonaci in Cologna bm- 

SS.Di fuor dorate son, ai ch'egli abbagii** 
Ma dentro tutte piombo, e gravi Itf'^ 
Cbe F^dtthoo le lueltea <ii paglit* 



CHANT VINGT-TROISIÈME. 387 

23. manteau éternellement accablant I Cependant avec 
jx nous tournâmes à gauche, attentifs à leurs tristes 
laintes. 

24. Mais, à cause du poids, cette gent lasse allait si len- 
iment qu'à chaque- pas nous avions une compagnie nou- 
ille. 

25. Lors je dis à mon Maître : « Fais en sorte d'en 
ouver quelqu'un dont les faits et le nom soient connus, et 
nsi allant, regarde tout autour! 

26. Et Tun d'eux, qui entendit la parole toscane, der- 
ère nous cria : « Arrêtez, vous qui si vite courez à travers 
lir obscur ! 

27. (( Peut-être auras-tu de moi ce que tu demandes. x> 
u* quoi le Maître se tourna, et dit : « Attends I Et ensuite 
arche à son pas ! » 

28. Je m'arrêtai, et j'en vis deux sur le visage desquels 
: montrait le désir qui les pressait d'être avec moi ; mais 
B retardaient la charge et le chemin étroit. 

29. Quand ils furent arrivés, de leurs yeux louches beau- 
)up ils me regardèrent sans parler; puis, se tournant Tua 
its l'autre, ils se dirent entre eux : 

30. « Au mouvement de la bouche, celui-là semble vi- 
int; et, s'ils sont morts, par quel privilège vont-ils sans 
Ire vêtus de la lourde robe? 



.0 m et«rBo< fotMoao manto i 

Mcï volgeimBO anoor pure a man manca 

Coo loro insieme, intenti al tristo pianto : 

•-M'pO' kl peso quella gente stanca 
^Màà si pian, cfaie Boi eravam nuovi 
Di oompagnia ad ogni muover d' anca. 

•flereh^ io al Duca mio : Va cbe tu trovi 
•UcoB, di' al (alto o al nome si conosca, 
i- ^ oochi si andiindo intorno muovi. 

• £d Qo che intese la parola tosca, 
''%alffo • Jioi gridà : Tenete i piedi, 
Voi, che correle «i per 1' aura fosca : 



fT.Forse ch' avrai da me quel che tn 4:hiedi. 
Onde '1 Duca si volse, e disse : Aspetta, 
E poi seconde il suo passo procedi» 

t8.BisletU, e vidi duo mostrar gran frelta 
Dell' animo, col nso, d' esser meco ; 
Ha tardavali '1 carco e la via slretta. 

SO.Quando fur giunti, assai con l' occhio b'eoo 
Mi rimiraron senza far parola : 
Poi si volsero in se, e dicean seco : 

SO.CoMui par vivo ail' atto délia ^ola : 
E s' ei son niorti, cet (\\aV ^v\^\\&^<(^ 
Vanne scovetlv deWsi ^vi<à %\o\a.1 



588 L'ENFER. ' 

51 . « Toscan! venu dans le collège des tristes hypocrites, 
ne dédaigne point de dire qui tu es ! » 

32. Et moi à eux : — Je suis né et j'ai cru sur le beau 
fleuve d'Arno, dans la grande ville, et j'ai le corps que 
j'eus toujours. 

33. Mais vous dont les joues, autant que je vois, de dou- 
leur tant dégouttent, qui êtes-vous? et quelle peine produit 
en vous cette ardeur ? 

34. Et lun d'eux me répondit : « Ces chapes orange' 
sont de plomb, et si épaisses, que leur poids fait ainsi sif- 
fler les balances •. 

35. « Nous fûmes des frères Godenti de Bologne'', moi 
Catalano, et lui Loderingo, nommés; ta ville tous deux nous 
prit, 

36. « Comme se prend de coutume un homme solitaire, 
pour conserver sa paix ; et nous fûmes tels qu'encore il se 
voit autour du Gardingo. » 

37. Je commençai : — frères, vos maux... Mais pas 
plus je ne dis, à mes yeux étant apparu un malheureux 
cloué en terre avec trois pieux. 

38. Lorsqu'il me vit, il se tordit de tous ses membres, 
soufflant dans sa barbe et soupirant. Et le frère Catalano, 
qui de cela s'aperçut. 



Sl.Poi diss«rmi : Tosco, ch' al collegio 
Degl' ipocriti Irisli se* venuto, 
Dir chi tu se' non avère in dispregio. 

SS.Ed io a loro. V fui nato e cresciuto 
Sovra 1 bel fiurae d' Arno alla gran villa, 
E son col corpo, ch' i' ho sempre avulo. 

53. Ha voî chi siete, a cui tanto distilla. 
Quant' io veggio, dolor giù per le guance, 
E che pena i in voi, che si sfavilla? 

Zk. E r un rispose a me : Le cappe rance 
Son di piombo si grosse, che li pesi 
Pan eo«i dgolar le lor bilance. 



S5. Frati Godenti ftimmo, e Bolognesi, 
Io Catalano, e coslui Loderingo 
Nomati, e da tua terra inaieme preÀ 

86. Corne suol esser tolto un nom soGogo 
Per conservar sua pace ; e fummo tâK< 
Ch' ancor si pare intomo dal Cardingo* 

S7.I' cominciai : frati. i vostri mali— 
Ma più non dissi ; che agli occhi ai (^ 
Un, crociiisso in terra con tre paii* 

58. Quando mi vide, tutto si distorse, 
Sofliando nella barba, co' sospiri: 
E 1 frate Catalan, ch' a ciô s' acc«» 



V 



GnÀNT YIN6T-TR0ISIÈHE. 389 

39. Me dit: « Ce crucifié que tu regardes*, aux Phari- 
siens conseilla qu'un homme fût, pour le peuple, envoyé au 
supplice. 

40. m En travers etnu^ comme tu vois, il git sur le che- 
min, et il faut qu'il sente combien pèse quiconque passe. 

41 . « Et pareillement pâtit dans cette fosse son beau- 
père ', et les autres du conseil qui fut pour les Juifs une 
mauvaise semence *•. » 

42. Je vis alors Virgile s'étonner à l'aspect de celui qui 
si vilement était étendu sur la croix, dans l'éternel exil. 

43. Ensuite il adressa ces paroles au frère : « Qu'il ne 
vous déplaise point, si cela vous est permis, de nous dire 
s'il est à main droite quelque ouverture 

44. c(Par où, tous deux, nous puissions sortir, sans 
forcer des anges noirs à nous tirer de ce gouffre. » 

45. Il répondit : « Plus près que tu ne Tespères est un 
rocher, qui part du grand cercle et traverse tous les af&reux 
remparts; 

46. <x Si ce n'est qu'étant rompu, il ne les recouvre pas 
entièrement. Vous pourrez monter par la ruine qui gît là, et 
s'élève au-dessus du fond. » 

47. Le Maître se tint un peu la tête baissée, puis dit : 
« Mal contait la chose celui qui, là-haut, avec les crocs, 
déchire les pécheurs. » 



U.lfi disM : Quel confitto, ehe tu miri, 
CooBfl^A i Farisei, che conyenia 
Porre on uom per lo popolo a' martiri. 

MiAUrarersato e nudo è per la yia, 

Corne tu vedi, ed è mestier, ch* e* senta 
Qodunque passa, com' ei pesa pria : 

U.B ■ talVnodo il soocero si stenta 
In qnesta fossa, e gli altri del concilie 
Che fil per li Giudei mala sementa. 

41AUor vid* io maravigliar Virgilio 
Sopra celui ch' era disteso in croce 
Tanto Tilniente ueil' etemo esilio. 

4l.Poicia drixzA al frate cotai Toce : 



Non n dispiaccia, se TÎlece, dirci 
8' alla man destra giace alcuna foce, 

44. Onde uoi ambedue posciamo uscird 
Senza costringer degli angeii neri, 
Che vegnan d' eslo fondo a dipartird. 

45.Itispose adunque : Più che tu non speri 
S'appressa un sasso, che dalla gran cercLl 
Si muoye, e varca tutti i vallon ferii 

46. Salvo ch' a questo è rotto e nol coperchia 
Montar potrete su per la ruina, 

Che giace in costa, e nel fondo soperelûa. 

47. Lo Duca stette un poco a testa china, 
Poi disse : Mal contava la bisogna 
Colui, che i pecc&lov <^ V».vnk&vDeà,. 



'IV 



I 



48. Et le frère : « J'ai om dire à Bologne que le diable a 
bien des idces, et, entre autres^ 4{u'il est menteur et père du 
mensonge. » 

49. Après cela, le Maître à grands >pas s'en alla, en son 
visage un peu troublé de colère j et moi, laissant les autres 
80US leur charge, 

Je suivis les traces des pieds chéris. 



U.1 1 tnA» : r udi' gii dire a Bdogna 
Od diavol na^ assai, in' qaali udi', 
Gl^ agli è bugiardo, e padre di mansogu. 

JlA l f f Mio , U Paca a gran paasi laa gi. 



Tarbato un pooo d*int ael 
tted'itf daff iuearaaU mi partf 

Oietfo alla poata dalla araiiuMii 



CHANT TfNGT-TROISIËHE. S8« 



NOÏKSI Dff CHANT .?HÏGT-TR0IS1ÈME 



1. tsope; tjbn» cette fable; 'raconte qu'une grenouille; vovhint noyer un 
pour le manger après, loi proposa de le prendre surdon dos et .do. le 

rter au delà d'un fossé. Au moment où la grenouille cniralhaii en pion- 
mt le rat qui se débattait, un milan fondit sur eux, et les dévora -tous 

IX. 

2. Ces deux mots ont exactement la même signification : l'un et l'autre 
oifient maintenant^ à présent. 

3. Hypocrites. 

4. Frédéric II faisait recouvrir les criminels de lèse-majesté d/ épaisses 
illes de plomb. Jetés ensuite dans un vase sous lequel on allumait du feu, 
y périssaient en d'affreux tourments, à mesure que le plomb fondait. 

5. c De couleur orange, a c'est-à-dire dorées. 

6. « Qu'elles nous font gémir, comme les poids font sifDer les balances. » 

7. Ordre de ebevaleiie institué ^ers l'an 1^0, à Bologne; sons le nom 
Frères de Sainte-Marie, pour protéger, i titre de procureurs, les. veuves, 
pupilles, les étrangers, les pauvres. Ils furent ensuite nommés Frères 
knti ou Gaudenti, à cause de la rie agréable et commode (font ils jouis- 
snt, grâce à de nombreux privilèges, comme de na point aller A.latguerre, 
ne remplir aucune charge communale, etc. Déchirée par les partis guelfe 
^belin, Florence appela pour la pacifier deux de ces frères Godenti, mes- 
LLoderingo degli Andalo et messer.Gatalano Gatalani, le premier Gibelin, 
itre Guelfe. Investis du gouvernement, ils se laissèrent tous deux cor- 
opre par le parti guelfe; de sorte que les Gibelins furent chassés de 
ville, et les maisons des Uberti, chefs de ce parti, brûlées et détruites. 
es étaient situées dans la rue dite du Gardingo. 

8. Caîpbe, qui conseilla la mort du Christ, disant : Expedit ut unus nuh 
itur homo pro populo, il 'convient qu'un 'homme meure pour le peuple, 
îan, XI, 50.) 

9.,. Le grand prêtre Anne, beau-père de Caïphe. 
lOi) {««enence' des maux qu'ils eurent à souffrir plus tard. 



302 



L'ENFER. 



CHANT VINGT-QUATRIÈME 



1. A cet âge du jeune an, où le soleil, sous le Te^ 
seau, tempère ses rayons, et où déjà la nuit est égale an 
jour; 

2. Quand la gelée matinale reproduit sur la terre, mais 
pour peu de moments, Timage de sa blanche sœur *, 

3. Le villageois à qui le fourrage manque se lève, el 
regarde, et voit toute la campagne blanchir, et se bat le 
flanc: 

4. n rentre dans sa cabane, et de ça, et de là, va se plai- 
gnant comme le pauvret qui ne sait tpie faire ; puis il re- 
tourne, et sent renaître l'espoir, 

5. Voyant qu en peu d'heures la terre a changé de fiice, 
et prend sa houlette, et chasse les brebis dehors à la pâ- 
ture; 

6. Ainsi m'effraya le Maître, lorsque je vis son front si 
troublé, et aussi vite au mal vint le remède. 



CANTO VENTESIMOQUARTO 



l*In quella parte- del giovinetto aiino, 
Cbe *1 Sole i crin sotto V Aquario tempra, 
B già le notti al mezzo di !>en vanno : 

S.Quando la brina in su la terra assempra 
L' imagine di sua sorella bianca, 
Ma pôc^ dura alla sua penna tempra ; 

S.Lo villanelk), a cui la roba manca, 
Si leva e guarda, e vede la campagna, 
BiancheffRiar tulta, ond' ei si batte 1* anca : 



4.Ritoma a casa, e qua e là si lagna* 
Corne '1 tapin che non sa cbe si ftecii^ 
Poi riede, e la sperània ringavi^na 

5.Teggendo '1 mondo aver cangiata têtiôft 
In poco d' ora, e prende suo vincastro» 
E fuor le pecoreile a pascer caccia : 

C.Cosi mi fece sbigottir lo mastro, 
Quand' io gli vidi si turbar la firontc, 
E cosi tosto al mal gionse lo *mpitftlf • 



CHANT tINGT>QUATRIÈlIE. 393 

7. Mon Guide, quand nous arrivâmes au pont rompu, 
s' étant tourné vers moi avec cette douce contenance qu'en 
lui premièrement je vis au pied du mont, 

8. Il ouvrit les bras, et, après avoir un peu tenu conseil 
în lui-même, regardant bien d'abord la ruine, il me prit; 

9. Et comme celui qui agit avec précaution, et semble à 
tout penser d'avance, ainsi, me levant vers la cime 

10. D'une grosse roche, et avisant un autre rocher, il me 
lit : c( Accroche-toi ensuite à celui-là; mais auparavant 
^saye s'il peut te porter. » 

11. Ce n'était pas un chemin pour un vêtu de chape, lui 
éger, et moi poussé, pouvant à peine monter de pierre en 
îierre; 

12. Et n'eût été que de cette enceinte plus que de l'au- 
Ire la côte était courte, lui, je ne sais, mais moi j'aurais été 
raincu. 

13. Mais, parce que tout le Malebolge penche vers l'en- 
rée du plus bas puits, de chaque vallée la structure 

14. Est telle, qu'une côte monte et l'autre descend : 
lous, cependant, nous parvînmes à l'extrémité, sur la 
K>inte d'où la dernière pierre s'éboula. 

15. Quand je fus là, mon haleine était si épuisée, que, 
le pouvant aller plus loin, à cette première station je 
l'assis. 



iCbê eome noi Yenimmo al gtiasto ponte, 
Lo Dnca a me si volse con quel piglio 
Ooice, ch' io vidi in prima a piè del monte. 

.Le braccia apene, dope alcun consiglio 
Eletto seco, riguardando prima 
Ben la minai e diedemi <u piglio. 

>B eome qoei che adopera ed istima, 
Che aempre par che innanzi si provreggia, 
Sod, lerando me su Ter la cima 

•D'un ronchione, awisava un^altra scheggia 
Dieendo : Sopra queUa poi t' aggrappa ; 
Ma tenta pria se è tai ch' ella ti reggia. 

•Hon en tia da restito di cappa, 



Chè noi appena, d lieve, ed io soepinto, 
Poteyam su montar di chiappa in chiappa. 

1I.E se non fosse, che da quel precintu, 
Più che dall' altro, era la costa corta, 
Non so di lui, ma io sarei ban vinto. 

IS.Ma perché Malebolge in yer la porta 
Del bassissimo pouo tutla pende, 
Lo sito di ciascuna valle porta, 

14. Che r una costa surge e Paîtra scende. 
Noi pur veiiimmo alfine in su la punta 
Onde r ullima pietra si scoscende. 

15.La lena m' era del polmon si munta 
Quando fui su, ch' io non potea più ohre 
Anzi mi assisi BslULa px'vtusi ^\^v\&. 



m 



l'ENFBR. 



16. « Maintenant il convient, dit le Maître, que tu^^ 
coues toute paresse : ce n'est point couché sur la plume, ni 
80U8 la couverture, qu'on acquiert la renommée 

17. c( Sans laquelle celui qui consume sa vie, laisse de 
8oi, sur la terre, le même vestige que la fumée dans l'air 
et récume dans l'eau. 

18. « Lève-toi donc, et que la fatigue soit vaincue par 
Tâme, qui vainc àans tout combat, si, sous le poids du 
corps, elle ne s'&bat point. 

19. « Il faut monter un plus long escalier : avoir quitté 
ceux-là ne suffit pas; si ta m'entends, his que maintenant 
cela te serve. » 

20. Lors je me levai, plus en haleine qu'auparavant je 
ne me sentais, et je dis : — Vat j'ai de la force et du cou- 
rage. 

21. Nous primes notre route parle haut du rocher, qui 
était raboteux, étroit et malaisé, et beaucoup plus escarpé 
que le précédent. 

22. Parlant j'allais, pour ne pas paraître faible, quand de 
l'autre fossé sortit une voix dont on ne pouvait former des 
paroles. 

23. Je ne sais ce qu'elle disait, quoique déjà jeiusse sur 
le dos de l'arche qui traverse là; mais celui qui parlait 
eemblait ému de colère. 



coovien die ta eosi ti spoltre 

1 Maestro,' chè, seggendo in pUima, 

Ib tena non si vien, né sotto coUre : 



iT.8nia la quai chi sua vita consuma, 
Ootal Yestigio in terra di se lascia, 
Qui Ibmo in aère od in ac({ua la icbiUtt. 

1S»I perô leva su, vinci l' ambascia 
Goo f anime che vince ogni battagUa, 
80 ool soc grave corpo non s' accasda. 

IMIft Innga scala convien che ri aagliat 
' In b«rta da oostoro eaaer parlito : 
•• ta or iHlaBdi, or fil il dM aiasUi. 



fO.IievaP mi aUor mortrandomt Ibmito 
Meglio di lena ch' i' non mi lentia; 
E dissi : Ta, ch' P son forte e ardUo* 

Sl«Sa per lo scoglio prendemmo la 'via, 
Ch' era ronchioso, stretto e malageTol9« 
Bd erto più assai che quel di prâu 

tItParlando andava per non parer fieToto# 
Onde una Yoce uscio dall' altro foato, 
A parole fonnar disconvenerole. 

lS.llon ao che disse, ancor che sorra 1 ào0 
Foad dell* arco già che Tarca quivi: 
Ha chi parlava ad ira parea moaaob 



CHANT VINGT-QUATRIÈME. 395 

24. Je m'étais baissé ; cependant, à cause de Tobscurité, 
mes yeux tendus ne pouvaient atteindre le fond. Ce pour- 
quoi je dis : — Maître, fais que, descendant du mur, 

25. Nous arrivions à Tautre enceinte; car, comme d'ici 
j'ouïs et n'entends pas, ainsi en bas regardant, rien ne dis- 
tingue. 

26. « D'autre réponse, dit-il, je ne te fais que l'agir 
même ; l'œuvre, en silence, doit suivre la sage demande. » 

27. Nous descendîmes du pont par l'extrémité oii il se 
joint à la huitième rive, et alors la bolge se découvrit à 
moi: 

28. Et je vis dedans un terrible amas de serpents, et 
d'espèce si diverse, que le souvenir m'en fige encore le 
sang. 

29. Point ne se vante la Libye de produire dans ses sables 
plus de Chersydres, et de Ghélydres, et de Jets, et de Pha- 
rées, et de Cenchris, et d' Amphisbènes ; 

50. Ni tant de bêtes pestilentes, ni si méchantes elle ne 
montra jamais, avec toute l'Ethiopie, et toutes les contrées 
au-dessus de la mer Bouge. 

51. Au miheu de cette foison de cruels et odieux rep- 
tiles, couraient des gens nus et pleins d'épouvante \ sans 
aucun espoir de refuge, ni d'héliotrope ■. 



^V en Tolto in i^ù : ma gli occhi vivi 
lioB potean ire al fondo per 1' oscaro : 
Poch' io : Haeslro, fa che tu arrivi 

^IMl'altro cinghio, e dismonliam lo muro; 
Chi eoia' i' odo quinci, e non intendo« 
Coù giù veggio, e niente afliguro* 

^•AUrt rispoftta, disse, non ti rendo, 
fie Ma lo Car : che la dimanda onesta 
Si dee t^uir con 1' opéra taeendo. 

''•Roidiseendemmo il ponte dalla testa, 
Ove s' aggiunge coll' otlava ripa, 
B pd mi iù la bolgia manifesta : 



t8.E TidiTÎ entre territHle stipa 
Di serpenti, e di si diversa mena» 
Che la memoria il sangue ancor mi seipa. 

S9.Più non si vanti Libia con sua rena; 
Cbë, se cbelidri, iaculi e faree 
Produce, e cencri con anfesibena; 

30. Ne tante pestilenzie ne si ree 
Hostrô giammai con tutta 1' Etiopia, 
Ne con ci6 cbe di sopra il mar rosao aa* 

sl.Tra questa cruda e tristissima copia 
Correvan genti nude e spaventate, 
Senza sperar ^Tiot|>Q o «V^x^^in^. 



396 L'ENFER. 

32. Leurs mains étaient liées par derrière avec des ser- 
pents ; et ceux-ci dans leurs reins enfonçaient la queue et 
la tcte, et se nouaient devant. 

33. Et voilà que sur Tun d'eux, qui était près de la même 
rive que nous, s'élança un serpent qui le piqua là où le col 
s'articule aux épaules. 

34. Jamais ni 0, ni J ne s'écrivit aussi vite qu'il s'en- 
flamma, et brûla tout entier, et tomba réduit en cendres. 

35. Et lorsque ainsi détruit il fut gisant à terre, la pous- 
sière aussitôt se rassembla, et d'elle-même redevint le même 
corps qu'auparavant. 

36. Ainsi, au dire des grands sages, le Phénix meurt et 
ensuite renaît, lorsqu'il approche de sa cinq centième année. 

37. Il ne se nourrit, durant sa vie, ni d'herbes ni de 
grains, mais de larmes d'encens et d'amome; et le nardetia 
myrrhe sont ses derniers langes. 

38. Tel que celui qui tombe et ne sait comment, que la 
force du démon l'ait jeté à terre, ou un autre mal qui lie 
l'homme, ♦^ 

39. Quand il se relève regarde autour, troublé par la 
grande angoisse qu'il a soufferte, et, regardant, soupire: 

40. Tel était le pécheur, après s'être relevé. Oh! que 
sévère est la justice de Dieu, dont la vengeance frappe de 
tels coups I 



Sl.Gon serpi le man dietro avean legate: 
Quelle ticcavan per le ren la coda 
E '1 capo, ed eran dinanzi aggroppate. 

TiS. Ed ecco ad un, ch' era da noslra proda, 
S' avventô un serpente, che '1 Iralisse, 
Là dove il coUo aile spalle s' annoda. 

Si.più si tosto mai, ne I si scrisse, 
Corn' ei s' accese e arse, e cener tutto 
Convenne che cascando divenisse : 

S5.E poi che fu a terra si distrutto, 
La cener si raccolse per se siessa, 
In quel medesmo ritomo di butto : 

SO.Cosi per li gran savi si confessa, 



Che la Fenice muore e poi rinasce, 
Quando al cinquecentesimo anno appress' 
ST.Erba ne biada in sua vita non pasce : 
Ma sol d' incenso lagrime, e d' amomo» 
E nardo e mirra son l'ultime fasce. 

58. E quai ë quel che cade, e non sa como. 
Per forza di démon ch' a terra il lira, 

d' altra oppilaiion che lega V uoibo, 

59. Quando si leva, che intorno si mira. 
Tulto smarrito dalla grande angoscia 
Gh' egU ha sofferta, e guardando sospiT* 

40. Taie era il peccator levato poscia. 
giustizia di Oio quant' è several 
Che cotai coipi per vendetta croscîa! 



CHANT YINGT-QUATRIËME. 397 

41 . Le Maître alors lui demanda qui il était ; il répondit : 
( Depuis peu de temps, je suis tombé de la Toscane dans 
îette gueule cruelle. 

42. (( Me plut une vie bestiale, et non humaine, comme 
i un mulet que je fus : je suis Yanni Fucci la brute, et Pistoie 
ut ma digne tanière '. » 

43. Et moi au Maître : — Dis-lui de ne pas biaiser, et 
lemande-lui quel crime Fa poussé dans cette fosse ; car je 
'ai TU homme de sang et de colère. 

44. Et le pécheur, qui m'entendit, ne feignit point, mais 
ouma vers moi son âme et son visage, où se peignit une 
néchante honte ; 

45. Puis il dit : « Plus chagrin suis-je que tu m*aies sur- 
pris dans la misère où tu me vois, que je ne le fus quand 
l'autre vie me fut ôtée. 

46. c( Je ne puis refuser ce que tu demandes; si bas 
ai-je été envoyé parce que ce fut moi qui volai de la sacristie 
les beaux ornements. 

47. a Et cela fut faussement imputé à un autre. Mais, 
pour que de m'avoir vu tu ne te réjouisses pas, si jamais tu 
sors de ces sombres lieux, 

48. « Ouvre Foreille et écoute ce que je t'annonce I Pis- 
toie s'amaigrit des Noirs *, puis Florence renouvelle hommes 
€t choses *. 



U.Lo DQca il dimandft poi chi egli era : 
rerch'ei rispose : I' piovTi di Toscana, 
roco tempo è, in questa gola fera. 

^^jte bestial mi piacque, e non umana, 
S> corne a raul ch' i' fui : son Vanni Fucci 
''stia, e Pistoia mi fu degna tana. 

*^B io al Duca : Dilli che non mucci, 
BdiioaQda quai colpa quaggiù '1 pinse; 
^'io Indiuom già di sangue e di connicci. 

**>£ 3 peeealor, che intese, non s' infinse, 
aa driziô Terso me 1' animo e *1 voilo, 
B ditn^ ^ergogna si dîpinse ; 



45. Poi disse : Più mi duo! che tu m' haï colto 
Ifella miseria, dove tu mi vedi, 
Che quand' i' fui deil' altra vita tolto : 

46. r non posso negar quel che tu chiedi: 
In giù son roesso tanlo, perch' io fui 
Ladro alla sagrestia de' belli arredi i 

47. E fals^'^^ente già fu apposlo altrui. 
Ha p^«,(iè di tal vista tu non godi, 
Se mai sarai di fuor de' luoghi bui, 

48.Âpri gli orecchi al mio annunzio, e odL 
Pistoia in pria di Neri si dimagra, 
Poi Firenze rinnova genli e raodi. 



B. I. 



*i^ 



i 



SOS 



L'E!fFER. 



49. c Du Tal de Magra, enveloppé de nuages orageni, 
Mars attire la vapeur, et, avec la furie d'une tempête impé- 
tueuse, 

50. « Sur les champs Picéniens on combattra; et subite- 
ment la nuée crèvera, et tout Blanc sera frappé *. 

« Et je Tai dit parce qu'il doit t'en douloir. » 



49.1r«gge Marte vapor di val di Hagra, 
Ch' è di Urbidi anvoli inrohiio, 
E coo tenpctU imp«lacMa ed agra 



OBd'«irB|Mai« wpnmtàhmàttui 
Sid^agm Bianeo ne aarè féruto : 

B értte » IIP, p«cU 4olw t» debUk 



CHANT VINGT-QDATRIËHE. 399 



NOTES DU CHANT VrNGT-QUATRIÊME 



1. La blanche sœur du Soleil, la Lune. 

2. Larrons. 

5. Les anciens croyaient que la pierre nomnée Jiélictrope rendait înin- 
les ceux qui la portaient. 

4. Yanno Fucci était bâtard de masser Fuccio de' Lazzari, de Pistoie, et 
st pourquoi il eet ici appelé mulet. Il aecna son ami Yanni délia Kona 
lyoir cadié dans sa maison les ornements volés par lui, Fucci, dans la 
mstie delà cathédrale de Pi4toie, et Yanni fut peudu^sur cette accusation. 

5. a C'est-à-dire chasse ceux du parti I^oir. » La diriBion -en Biancs eft 
Ers commença, à Pistoie, Tan 1501 ; et peu après les Blancs chassèrent 
i Soirs. 

6. « RappéRe les Noirs bannis par les Blancs, et change son gouverne- 
lent.» Cette prédiction, ramenée à son sens historique, signifie que, du jfal 
îHagra, ou delà Lunigiana supérieure, sortira, comme la foudre, le marquis 
Marcello Halaspina, qui combattra les Blancs et les défera dans les cBainps 
ioénieM. 



400 



L'ENFER. 



CHANT VINGT-CINQUIÈME 



i . Lorsqu'il eut fini de parler, le voleur éleva les mains, 
et des deux fit la figue, criant : a A toi, Dieu, prends-la!» 

2. Depuis lors m'ont été amis les serpents, un d'eux à 
son cou s'étant enroulé, comme s'il eût dit : c( Je ne veux 
pas que tu en dises plus. » 

5. Et un autre à ses bras, que, se rivant lui-même par 
devant, il lia de telle sorte qu'avec eux il ne pouvait don- 
ner de secousse. 

4. Ah ! Pistoie, Pistoie ! que n'en finis-tu de toi, te ré- 
duisant toi-même en cendres, puisque les tiens dépassent 
toujours plus leurs ancêtres dans le mal? 

5. Dans tous les sombres cercles de TEnfer, je ne vis 
point d'esprit si superbe contre Dieu, non pas même celui 
qui tomba des murs de Thèbes^ 

6. Il s'enfuit sans dire un mot déplus; etje vis un Centaure 
plein de rage venir, criant : «Où est-il, où est-il, l'obstiné? • 



CANTO VENTESIMOQUINTO 



1. Al fine délie sue parole il ladro 
Le mani alzô con ambeduo le fiche, 
Gridando : Togli, Dio, chè a te le squadro. 

S.Da indi in qua rai fur le serpi amiche, 
Perch' una gli s' avvolse allora al coHo, 
Corne dicesse : V non vo' cbe più diche : 

3. Ed un' altra aile braccia, e rilegollo 
Ribadendo se stessa si dinanzi, 
Che non potea con esse dare un croUo. 



4. Ah Pistoia, Pistoia I chè non slanii 
D' incenerarti, si che più non duri, 
Poi che in mal far lo seine tuo avanii^ . 

S.Per tutti i cerchi dell* inferno oscuri 
Spirlo non vidi in Dio tanto superbOt 
Non quel che cadde a Tcbe giù de*!!!*^ 

6.E si fuggi, che non parlô più verbo : 
Ed io vidi un Gentauro pien di rabbiP 
\eu\r fyvdmdo : Ov' è, ov» è l'acerbo' 



CHANT VINGT-CINQUIÈME. 401 

7. Je ne crois pas que, dans la Maremme, soient autant 
e couleuvres qu'il en avait depuis la croupe jusque-là où 
dmmence la face. 

8. Sur ses épaules, derrière la nuque, s'étendait, les ailes 
éployées, un dragon qui embrase tout ce qu'il heurte. 

9. Mon Maître dit : «Celui-ci est Cacus, qui, sous 
( rocher du mont Aventin, maintes fois fit un lac de 
mg. 

iO. (X II ne va point avec ses frères par le même chemin*, 
cause du vol que, par fraude, il fit du grand troupeau 
oisin de lui'; 

11. <x D'oii eurent leur fin ses œuvres louches, sous la 
lassue d'Hercule, qui cent fois peut-être le frappa, et il ne 
î sentit pas dix *. » 

12. Pendant qu'il parlait ainsi, l'autre rapidement passa, 
t trois esprits vinrent au-dessous de nous, sans être aper- 
çus ni de moi ni du Guide, 

13. Sinon lorsqu'ils crièrent : « Qui êtes-vous? » Sur 
[uoi le récit fut mterrompu', et à eux seuls nous fîmes 
ittention. 

14. Je ne les connaissais pas; mais il arriva, comme 
ouvent il arrive par hasard, que l'un d'eux en nomma un 
utre. 



non cred' io ehe tante n* abbia, 
Qoante bisce egli avea su per la groppa, 
Infin doTe comincia nostra labbia. 

»8<q>ni le spalle, dietro dalla coppa, 
Gon r aie aperte gli giaceva un draca, 
8 qneUo afÊoca qualunque s* intoppa. 

•lo mio Vaestro disse : Quegli ô Caco, 
Ghe totto '1 888SO di monte Aventino, 
ttm^oe feee spesse volte laco. 



ta co^ suai fratd per un cammino, 
Ht lo forar frodolente ch' ei fece 
ttUgmideaniieiito, ch' egli ebbe a yfcino : 



il. Onde eessar le sue opère biece 
Sotto la raazza d' Ercole, che forse 
Glierie diô cento, e non senti ie diece. 

It.Mentre che si parlava, ed ei trascorse, 
B tre spiriti venner sotto noi, 
De' quai ne io ne *1 Duca mio s' accorse: 

iS>Se non quando gridar : Chi siete voi? 
Perché nostra novella si ristette, 
E intendemmo pure ad essi poi. 

14. r non gli conoscea, m^ ei seguette, 
Gome suol seguitar per alcun caso» 
Che 1* un nomare ail' altro coaveofiUftt 



■\ 



4Ô2 . L'ENFER. 

15. Disant : a Où sera resté Clanfa *? » Loi-s, pour que le 
Maître fût attentif, je leTaî le doigt et le posai du meaïm 



au nez 



16. Si maintenant, lecteur, tu es lent à cvoire ce que je 
dirai, ce ne sera merveille, puisqu'à peine le erotsp-jev dm 
qui le vis. 

17. Comme fixement je les regardais, un serpent à m 
pattes s*élança sur l'un d*cux, et tout entier s'attachaiità 
hii, 

18^. Avec les pattes du milieu> il lui lia le ventre, et svee 
celles de devant il saisit ses bras, puis enfonça les (knte 
dans Tune et l'autre joue ; 

19. 11 étendit les pattes de derrière sur les cuisses, entre 
lesquelles il darda la queue, la ramenant par derrière en 
haut sur les reins. 

20. Jamais lierre ne serra si étroitement un arbre, qu'aux 
membres de Taulre riiorrible bête enlaça les siens. 

21 . Puis ils se collèrent comme s'ils eussent été de cire 
fondue, et leurs couleurs se mélangèrent : déjà de Tun et de 
Tautre l'apparence était incertaine : 

22. Comme, exposé au feu, le papier prend en -dessus 
une teinte brune; il n'est pas noir encore, et le blaîi« 
meurt. 



IS.Dicendo : Gianfa dove fia rimaso? 

Ferch' io, acciocchè '1 Duca stesse attente, 
Mi posi i dito su dal inento al naso. 

16. Se lu sei or, lettore, a creder lento 
Ciù ch' io dirô, non sarà maraviglia, 
Chê io, cbe '1 vidi, appena il mi consento. 

1~. Coin* r tenea levate in lor le ciglia; 
K un serpente con sei più si lancia 
Dinanzi nlV uno, e tuttoa lui s' appiglia, 

l^.Co' più di mezzo gli avvinse la pancia, 
K con gli anterior le braccia prese; 
Poi gli addentù e Puiia e l' aifra guanci:i : 



19. Gli diretani aile cosce distese, 
K iniseli la coda tr' amendue, 
E dietro per le ren su la ritese. 

20. Ellera abbarbicala noai non fue 
Ad aibur si, comi» P orribil 6era 

Per r altnii meinbra awilicchiô le su«î 

Si.Poi s' appiccar, coine di calda cera 
Fossero stati, e niischiar lor colore: 
Kè r un ne Tallro già parea quel ch'er3* 

22. Corne procède innanzi dall'ardore 
Per lu papiro suso un coior bruiio, 
Clie non è i;ero .uicoraje il bianco niuoi*- 



CHANT VINGT-CINQUIÈME. 403 

3S deux autres le regardaient, et chacun d'eux 

Oh I Agnel % comme tu changes I Vois, déjà tu 

Bux ni un. » 

38 deux têtes n'en faisaient plus qu'une, lorsqu'y 

nt deux figures mêlées sur une face devenue celle 

perdus*. 

î quatre pièces se firent les deux bras; les cuiases 

ambes, le ventre et le buste, devinrent des mem- 

m ne vit jamais. 

)ut avait là dépouillé son premier, aspect ; la forme 

;e était celle de deux et. n'était celle d'aucun, et 

s'en allait à pas lents. 

)mme, sous l'ardeur des jours caniculaires, le lé- 

ingeant de haie, traverse, pareil à l'éclair, le che- 

insi, s' élançant vers le ventre des deux autres, pa- 

jn petit serpent irrité, livide et noir comme un 

poivre. 

l'un d'eux il piqua cette partie^' par où nous pre- 

;re première nourriture, puis tomba étendu devant 

e piqué le regarda, et ne dit rien; mais, s'arrêtant, 
issait sur ses pieds, il bâillait comme si )e sommeil 
Te l'eût assailli. 



X ■ 



10 riguardavano, e ciascuno 
) me, Agnél, corne ti muli! 
;ià non se' né duo ne uno. 

i duo cipi un divenuti, 
apparver duo figure miste 
cia, oV eran duo perduli. 

raccia duo di qualtro liste; 
:olle gambe, il ventre e '1 casso 
membra cho non fur mai viste. 

aio aspetto ivi era casso : 
sun r imagine pr'rversa 
il sen gia con lenlo passe. 



ST.Come '1 ramarro, sotto la gran forsa 
De' di canicular, cangiando siepe, 
Folgore pare, se la via attraversa : 

S8. Cosi parea, venendo verso V epe 
Degli altri due un serpentello acoeso, 
Livido e nero corne gran di pepe. 

29. E quella parte, donde prima è preso 
Nostro alimento, ali' un di lor trafisse; 
Poi cadde giuzo innanzi lui disteso. 

50. Lo tratitto il mirô, ma nulla disse: 
Ânzi co' piè fermati sbadigliava, 
Pur come sonno o febbre V assafine. 



404 



L'ENFER. 



31 . Il regardait le serpent, et le serpent lui : Fun forte- 
ment fumait par la plaie, Fautre par la bouche, et les fu- 
mées se rencontraient. 

32. Que désormais Lucain se taise; qu'il ne parle plus 
(lu malheureux Sabellus et de Nasidius ^\ et qu'il écoute ce 
qu'à présent je raconte ! 

33. Que de Cadmus et d'Aréthuse se taise Ovide "! Si, 
poétisant, il change en serpent celui-là, et celle-ci en fon- 
taine, point ne l'envie. 

34. Jamais Tune dans Tautrc il ne transforma deux na- 
tures, de sorte que promptes fussent les deux formes à 
échanger leur matière. 

35. Tellement elles se correspondirent, que le serpent fen- 
dit en fourche sa queue, et que le blessé mitles pieds ensemble. 

36. Jambes et cuisses si bien se pénétrèrent, qu'en peu 
il ne parut aucune trace de jointure. 

37. La queue fendue prenait la forme qui se perdait là; 
sa peau s'amollissait, et celle de l'autre se durcissait. 

38. Je vis les bras rentrer sous les aisselles, et les deux 
pieds de la bétc, qui étaient courts, s'allonger autant que 
ceux-là se raccourcissaient. 

39. Ensuite, tordus ensemble, les pieds de derrière de- 
vinrent le membre que Fhomme cache, et le malheureux ^^ 
le sien se transformer en deux pieds. 



fl. Egli il serpente, e quei lui ri(|;uardava : 
L' un per la piaga, e 1' allro per la bocca 
Fumavan forte, e '1 fumo s' incontraYa. 

S2. Taccia Lucano ornai, là dove tocca 
Del niisero Sabello e di Nassidio, 
E attenda a udir quel cU' or si scocca. 

SS. Taccia di Cadmo e d' Aretusa Ovidio : 
Chë se quello in serpente, e quella in fonte 
Converte poetando, io non l' invidio : 

Si.Chè duo nature mai a fronte a fronle 
Mon trasmutô, si ch' arabedue le forme 
A cambiar lor raaterie Tosser pronte. 

SS.Insieme si risposero a tai norme, 



Che il serpente la coda in força fesse» 
E il feruto ristrinse insieme 1* orme. 

56. Le gambe con le cosce seco stesse 
S' appiccar si, che in poco la giuntul^ 
Non facea segno alcun che si paresse. 

ST.Togliea la coda fessa la figura, 
Che si perdeva là, e la sua pelle 
Si facea molle e, quella di là dura. 

S8.r vidi entrar le braccia per 1' ascelle, 
E i duo pie délia liera ch' eran corti, 
Tanto allungar quanto accorciavan quel 

S9.Poscia li più diretro msieme atlorii, 
Diventaron lo menibro che V uom cela, 
E il misero del suo n' avea duo porli. 



CHANT VINGT-CINQUIÈME. 405 

40. Tandis que la fumée les revêt d'une couleur nouvelle, 
recouvrant celui-ci de poil, et dépilant celui-là, 

41. L'un se leva, et l'autre tomba, sans détourner les 
yeux impies au-dessous desquels la face changeait. 

42. Celui qui était debout retira le museau vers les tem- 
pes, et par le trop de matière qui vint là, des joues élargies 
saillirent les oreilles. 

43. De ce qui ne se porta pas en arrière et resta, de ce 
surplus un nez se fit à la face, et les lèvres se grossirent 
autant qu'il convenait. 

44. Celui qui gisait à terre chassa le museau en avant, 
et retira les oreilles dans la tête, comme la limace fait de 
ses cornes. 

45. Et la langue, une auparavant et preste à parler, se 
fendit; et dans Tautre la fourche se referma, et cessa de 
fumer. 

46. L'âme, devenue bête, s'enfuit en sifflant par la val- 
lée, et l'autre derrière lui en parlant crache. 

47. Puis à celui-là il tourna les épaules nouvelles, et dit 
à Vautre ^' : « Je veux que Buoso ** coure à quatre pattes, 
comme je l'ai fait, par ce sentier. » 

48. Ainsi vis-je le septième lest ** muer et transmuer ; et 
que la nouveauté m'excuse si ma plume a erré en quelque 
chose. 



M'Ientre ehe 1 fumo l' ano e l' ahro vêla 
K eolor naoTO, e gênera il pel suso 
fer r nna parte, e dall' altra il dipela, 

^tL'oa ri lerô, e 1' altro cadde giuso, 
RoD torcendo perô le luceme empie, 
Sotto le quai ciascun cambiava muso. 

^•Qoel ch'era dritto il trasse 'n ver le tempie, 
B di troppa materia che in là venne, 
Dsdr gh orecchi délie gote scempie : 

tt.Ciô che non corse in dietro, e si ritenne, 
U qoel soverchio fe naso alla faccia, 
E le labbra ingrossô quanto convenne : 

^(hiel che giaceva, il muso innanzi caccia. 



B gli orecchi ritira per la testa. 
Corne face le corna la lumaccia : 

45.E la lingua, nh'aveva unita e presta 
Prima a parlar, si fende, e In forcuta 
NelP altro si richiude e il fuiino resMu 

46.L' anima eh' era fiera divenuta, 
Si fugge sufolando per la valle, 
E r altro dietro a lui parlando sputa. 

47Poscia gli volse le novelle spalle, 
E disse ail' altro : V vo' che Buoso corra 
Com' ho fait' io, carpon per questo calla 

48. Gosi vid' io la settima zavorra 
Mutare e trasmutare ; e qui rai scusi 
La novità, se fior la penna aborra. 



23. 



7 



406 



L'ENFER. 



49. Quoique ma vue fût un peu confuse et mon 
étonnée, ceux-là, en fuyant, ne purent si bien se celer, 

50. Que je ne reconnusse Puccio Sciancato ; et, des troi^ 
compagnons qui vinrent d'abord, il était le seul qui ne fû 
pas transformé. 

L'autre ^* était celui à cause de qui, Gavillé, tu pleures" 



49. Bd avvegnacbè gli occM miei confusi 
Foaeero alquanto, e 1* aniino smagato, 
Hon poter quei fuggirsi tanlo chiusi, 

lO.Ch' io non scorgessi ben Puccio Sciancato : 



Ed era quei cbe sol de' tare compagni, 
Cbe Tennor prina, non era mutato : 

L' altro «n quel cbe ta, GaviAe, piagm. 



■ ( 



CHANT VIWGT-CIKCÎJIÈME. « 407 



NOTES DU CHANT VINGT-CINQUIÈME 



1. Capanée. Au moment où, sur les murs de Thèbes assiégée, il insultait 
défiait Jupiter, frappé de la foudre, il fut précipité au pied de ces tnêaieïv 

urs. 

2. Avec les autres Centaures, dans le Cercle des Violents. 

3. Le troupeau de quatre taureaux et de quatre vaches superbes qu'Her- 
le, après les avoir enlevés à Gérion, roi d'Espagne, faisait pûtre près du 
)nl Aventin. (y ojez Enéide, liv. vu.) 

4. Étant mort avant d'avoir reçu le dixième coup. 

5. Le récit que Virgile faisait à Dante. 

6. On conjecture qu'il était de la famille des Donati de Florence. On 
rra tout à l'heure qu'il avait été change en serpent, ce qui explique la 
estion de celui qui ne le voit plus : a Où sera-t-il resté f » 

7. Geste par lequel on recommande le silence. 

8. Agnello Brunelleschi, Florentin. 

9. L'homme et le démon sous la forme de serpent, tombés tous deux, 
rdus tous deux. On peut aussi entendre que les deux formes se confon- 
ient, se perdaient l'une dans l'autre. 

10. Le nombril. 

11. C'étaient deux soldats de Caton, lesquels, traversant la Libye, furent 
qaés par des serpents venimeux. Sabellus, intérieurement brûlé par le poi- 
n, tomba en cendres ; Nasidius enfla tellement, que ^a peau se rompit. 
^harsale, liv. ix.) 

12. Métamorphoses, liv. ra et liv. v. 

13. A celui des trois qui n'avait pas subi de transformation, Puccio Scian- 
'lo, qu'il nomme plus loin. j 

14. Buoso degli Abati, changé en serpent. • 

15. Le septième lest, ce sont les pécheurs de la septième bolge, que 1^ 
06le compare aux ordures qui remplissent la sentine d'un vaisseau, 

16. Celui qui, sous la forme de serpent, piqua Bnoso au ventre. 
1*7. Messer Guercio Cavalcante, Florentin. Il fut tué dans un village dul 

^1 d'Arno, nommé Gavillé, cl sa mort fut vengée par celle de beaucoup^ 
'habitants de ce village. 



408 



L'ETSFEK. 



CHANT VINGT-SIXIÈME 



1 . Réjouis-toi, Florence, d'être si grande que, sur terreet 
sur mer, battent tes ailes, et qu'en Enfer ton nom est répandu! 

2. Parmi les larrons, je trouvai cinq de tes citoyens^; 
j'en ai honte, et à toi peu d'honneur en revient. 

3. Mais si, près du matin, vrais sont les songes, tu sen- 
tiras d*ici à peu de temps ce que Prato, sans parler des 
autres, te souhaite '. 

4. Et si déjà c'était, ce ne serait pas de trop bonne 
heure. Que n'est-ce dès à présent, puisque cela doit ctrel 
Plus je vieillirai, plus le poids m'en sera lourd. 

5. Nous partîmes, et, par les pierres saillantes qui nous 
avaient d'abord servi d'escalier pour descendre, mon Guide 
remonta, me tirant après lui. 

6. El, suivant la route solitaire à travers les escarpements 
et les rochers du précipice, le pied sans la main ne se dé- 
pêtrait pas. 



CANTO VENTESIMOSESTO 



l.Godi, Fiorenia, poi che se' si grande, 
Che per mare e per terra batti l' ali, 
E per lo Infemo il tuo nome si spande. 

S.Tra li ladron trovai cinque cotali 
Tuoi cilladini, onde mi vien vergogna, 
E tu in grande onranza non ne sali. 

S.Ma se presso al mattin del ver si sogna. 
Tu sentirai di qua da picciol tempo 
Di quel che Prato, non ch' altri, t' agogna. 



4. E se già fosse, non saria per tempo. 
Cosi foss' ei, da che pure esser deel 
Chè più mi gravera, com' più m' attempo 

S.Noi ci partimn)o, e su per le scalee, 
Che n' avean fatte i borni a scender prii, 
Rimontù M Duca mio, e trasse roee. 

6. E proseguendo la sol<nga via 
Tra le scheggie e tra' rocchi dello scogiiOi 
Lo piè senza la man non si spedia. 



CHANT VINGT-SIXIÈME. 40g 

7. Alors je m'attristai, et maintenant encore je m'attriste, 
quand je reporte mon souvenir sur ce que je vis, et plus 
que d'ordinaire, je retiens mon esprit, 

8. Afin qu'il ne coure point sans que la vertu le guide, 
et que si une bonne étoile, ou une autre chose meil- 
leure', a mis en moi le bien, je ne me l'envie pas à moi- 
même. 

9. Alors que celui qui éclaire le monde tient le moins de 
temps sa face cachée ^, autant le villageois qui, lorsque la 
mouche cède Tair au cousin *, 

10. Se repose sur le tertre, voit de lucioles dans la vallée, 
là peut-être où il vendange et laboure ; 

11. D'autant de flammes resplendissait toute la huitième 
belge, comme je l'aperçus quand je fus là d'où l'on décou- 
vrait le fond. 

12. Et tel qu'à celui qui se vengea par les ours • apparut, 
au partir, le char d'Élie, quand se dressant vers le ciel les 
chevaux s'élevèrent, 

15. Et que, le suivant de l'œil, il ne pouvait discerner que 
la flamme seule qui, comme une petite nue, montait, 

14. Telle chacune de celles-là se mouvait à la bouche de 
k fosse : nulle ne montre le larcin ''; et chaque flamme en- 
veloppe un pécheur *. 



^•Allor mi doiti, ë ora nu* ridogUo, 
Q<Huido drino la mente a ciô ch' io vidi ; 
B più Io 'ngegno affreno chMo non soglio, 

'•I|ereliè non corra, che virtù noi guidi; 
^che se Stella buona, o miglior cosa 
*^ba dato il ben, ch'io stesso nol m' invidi. 

"•Qmnte il villan, ch' al poggio si risposa, 
^d tempo che colui, che 1 monde schiara, 
U facda sua a noi tien meno ascosa, 

**>CoBie la mosca cède alla xanzara, 
*^ Ineciole giù per la vallea, 
'^coU dove vendemmia ed ara; 



11. Di tante flamme tutta risplendea 
L' ottava bolgia, si com* io m' accorsi, 
Tosto che fui la 've 1 fondo parea. 

11. E quai colui che si vengiô con gli orsi, 
Vide il carro d' Elia al diparlire, 
Quando i cavalli al cielo erti levorsi; 

iS.Ghe nol poteasi con gli occhi segutre, 
Che vedesse altro che la fiamma sola, 
Si corne nuvoletta, in su salire : 

14.Tal si movea ciascuna per la goia 
Del fosso, che nessuna mostra il furto, 
B ogni fiamma un peccatore ia'<K^\a.. 



4ia L/ENFBR. 

15. Debout sur le pont, je m* étais si ayancé pourvoir, 
que si à une saillie je ne me fusse retenu, je serais tombé 
sans qu'on me heurtât. 

16. Et le Guide, qui me vit si attentif, dit : « Au de- 
dans des feux sont les esprits ; chacun se revêt de ce qui k 
brûle. » 

17. — Maître, répondis-je, Touïr de toi m'en rend plus 
certain ; mais déjà je m'étais aperçu qu'ainsi en était-il, et 
je voulais te demander 

18. Qui est dans ce feu, si divisé à son sommet qu'on 
dirait qu'il s'élève du bûcher sur lequel Étéocle fut mis 
avec son frère'? 

19. Il me répondit : « Là dedans sont tourmentés Ulysse 
et Diomède ^° ; ils sont ensemble emportés par la vengeance, 
comme ils le furent par la colère. 

20. « Au dedans de leur flamme se pleure rembûchedn 
cheval qui fut la porte d'où sortit des Romains la noble se- 
nience **; 

21. «Et s'y pleure aussi l'artifice par lequel Déidamie 
morte déplore encore le destin d'Achille ^*, et du Pallailium 
s'y porte la peine *'. » 

22. — Si, au miHeu de ces étincelles, ils peuvent parler, 
dis-je, je t'en prie, Maître, et t'en prie encore, et que \^ 
prière en vaille mille I 



15. lo slava sovra M ponte a veder surto. 

Si ctie s' io non avessi un ronchion preso, 
Cadiito sarei giù senza esser urto. 

16. E il Duca, che mi vide tanto alleso. 
Disse : Deiilro da'fuochi son gli spirti ; 
Ciascun si fascia di <juel ch'egii è inceso. 

17. Maestro mio, lisposi, per udirti 

Son io |>iù certo : ma già m' era avviao, 
Che cosi fusse, e già voleva dirti : 

IS.Chi è in quel fuoco, che vien si divise 
Ik sopra, che par surger délia pira, 
Ov' Eltôcle col iralel fu miso? 



19.1tispo8en)i : Là entre si martira 
Ulisse e Dioinede, e cosi insieme 
Alla vendetta corron com'all' ira: 

20. E dentro dalb lor Caniiiia si gerae 
L' aiîuato del caval, che le la porta 
Ond' usci de' iiomani il gentil seine- 

ai.Piangevisi entro 1' arte, perché luort^ 
Deidamin ancor si duoi d' Achille, 
E del Palladio pena vi si porta. 

Î2.S' ei posson denlro da quelle faville 
Parlar, diss' io, Maestro, assai ton prî^ 
E ripriego che '1 priego vaglia mille, 



CHANT VINfrT-SIXÏÈMK. 



411 



23. Ne me refuse point d'arrêter jusqu'à ce qu'ici vienne 
la flamme double; vois, de désir je me ploie vers elle. 

24. Et lui à moi : « De beaucoup de louange la prière 
est digne, et ainsi je l'accepte. Mais fois qu'en repos ta 
langue se tienne î 

25. c( Laisse-moi parler : j'ai compris ce que tu veux, et 
peut-être^ ayant été Grecs, auraient-ils à dédaia Ion lan- 
gage. » 

26. Lorsque la flamme fut venue près de nous, et qu'à 
mon Guide il parut que c'était le moment et le lieu, je l'en- 
tendis parler de la sorte : 

27. « vous qui êtes deux dans un seul feu, si je mé- 
ritai de vous pendant que je vivais, si beaucoup ou peu je 
méritai de vous 

28. « Lorsque dans le monde j'écrivis mes hauts vers **, 
arrêtez-vous ! et que l'un de vous dise où, par lui-même 
perdu, il alla mourir. » 

29. La plus grande corne de l'antique flamme, pareille à 
c«lle que fatigue le vent, commença de s'agiter, murmu- 
rant; 

50. Puis ça et là mouvant sa cime, comme si ce fût 
la langue qui parlât, au dehors émit une voix, et dit : 
«Quand 



^Cjie aoa rai fecd detl' attender niego, 
f ioohè la fiainnia cumula qua vegna : 
Vedi che del desio ver lei mi piego. 

^•Bd egli a me : La tua pregliiera e degna 
^ moUa Iode, ed io perû V acceito ; 
^9 fa che la tua lingua si sostegna. 

^''[«•eia parlare a me, ch' i' ho concetto 
Cloche tu vuoi; ch'e' sarrebbero schivi, 
PerchV fur Greci, forse del tuo detlo. 

''•hichè U fiamma fu Yenuta quivi, 
^t panre al miô Duca tempo e ioco, 
^ «lâesta forma lui parlare audivi : 



87.0 voi, che siete duo dentro da un fuoco, 
Sf i' méritai di voi inenlre eh' io vissi, 
S' i' méritai di voi assai o poco. 

28.Quando nel mondo gii alti versi sorissi, 
Non vi movele: ma V un di voi dica 
Dove per îui perduto a inorir gissi. 

29. Lo maggior cot no della fiamma antica 
Gominciô a croUarsi morwiorando, 
Pur come quella cui vento afiatica. 

50. Indi la cima <]ua e là menando, 
Come fosse la Ungua cne paiia&se, 
Gitto voce di fuori, e disse : Quando 



412 L'ENFER. 

31. c< Je quittai Circé, qui me retînt caché plus 
an, là, près de Gaëte ^^, avant qu'ainsi Énée la i 
mât *«, 

52. « Ni la douce penâée de mon fils, ni la piété en 
mon vieux père, ni Tamour qui devait être la joie de F 
lope, 

33. « Ne purent vaincre en moi l'ardeur d'acquér 
. connaissance du monde, et des vices des hommes, e 

leurs vertus*''. 

34. c( Mais, sur la haute mer de toutes parts ouverte 
me lançai avec un seul vaisseau, et ce petit nombre de c 
pagnons qui jamais ne m'abandonnèrent. 

35. « L'un et l'autre rivage je vis jusqu'à l'Espagn 
jusqu'au Maroc, et File de Sardaigne, et les autres que 
gne cette mer, 

36. a Moi et mes compagnons nous étions vieux et a| 
santis, quand nous arrivâmes à ce détroit resserré où 1 
cule posa ses bornes, 

37. « Pour avertir l'homme de ne pas aller plus avî 
je laissai Séville à main droite; à l'autre déjàSepta** r 
vait laissé. 

38. « frères, dis-je, qui, à travers mille périls, 
parvenus à l'Occident, suivez le soleil, et à vos sens 



SI. Mi diparti* da Girce, che sottrasse 
Me più d' un anno là presso a Gaeta,- 
Prima che si Bnea ia Dominasse ; 

S2.Nè dolcezza di figlio, ne la piéta 
Del vecchio padre, ne il debito amore, 
Lo quai dovea Pénélope far lieta, 

SS.Vincer pntero dentro a me l' ardore 
Ch' i' ebbi a divenir del mondo esperto, 
E degli vizj umani e del valore : 

S4.Ma misi me per l'alto mare aperto 
Sol con un legno e con auella compagna 
Picdola, dalla quai non rui déserte. 



S5. L' un lito e V altro Tidi insin la Spa 
Fin nel Marrocco, e V isola de' Sard 
E le altre che quel mare intomo ba 

S6.I0 e' compagni eravam vecchi e tai 
Quando venimmo a quella foce stre 
Ov' Ercole segnô li suoi riguardi, 

S7. Acciocchè l' uom più oltre non si m 
Dalla man destra mi lasciai Sibilia, 
Dair alira già m' avea lasciata Setta. 

S8. frati, dissi, che per cento milia 
Perigli siete giunti ail* occidente, 
A questa tanto piccioia vigilia 



CHANT VINGT-SIXIÈME. 415 

qui reste si peu de veille, ne refusez Texpérience 
sans habitants". 

ensez à ce que vous êtes : point n avez été faits 
comme des brutes, mais pour rechercher la vertu 
lissance. 

Par ces brèves paroles j* excitai -tellement mes 
[is à continuer leur route, qu'à peine ensuite 
u les retenir. 

a poupe tournée vers le levant, des rames nous 
ailes pour follement voler, gagnant toujours à 

éjà, la nuit, je voyais toutes les étoiles de l'autre 

nôtre si bas, que point il ne s'élevait au-dessus 

narine. 

nq fois la lune avait rallumé son flambeau, et au- 

s elle l'avait éteint, depuis que nous étions en- 

a haute mer, 

îuand nous apparut une montagne, obscure à 
distance, et qui me sembla plus élevée qu'aucune 
j'eusse vue. 

ous nous réjouîmes, et bientôt notre joie se chan- 
irs, de la nouvelle terre un tourbillon étant venu, 
vaut frappa le vaisseau. 



si, ch' è del rimanenle, 

legar V esperienza, 

, del mondo senza gente. 

k vostra semenza : 
î a viver corne bruli, 
' virtule e conosceuza. 

igni fec' io si acuti, 
azion picciola, al cammino, 
iscia gli avrei ritenuti. 

a poppa nel mattino, 
nmo aie al folle volo, 
stando del lato mancino. 



45 Tutte le stelle g\k dell* altro polo 
Vedea la notle, e '1 nostro tanto basso, 
Che non surgeva fuor del marin suolo* 

4&.Cinque volte racceso, e tante casso, 
to lutne era di sotto dalla luna, 
Poi ch' entrati eravain nell' alto passo, 

45. Qiiando n' apparve una montagna bruna 
Per la distanza, e parvenri alta tanto, 
Quanto veduta non ne aveva alcuna. 

46. Noi ci allegrainmo, e tosto tornô in pianto 
Chè dalla nuova terra un turbo nacque, 
E percosse del legno il primo canto. 



4t4 I,*BNFER. 

47. « Trois fois il le fit tournoyer avec toutes les eaux; à 
la quatrième, il dressa la poupe eri haut, et en bas il en- 
fonça la proue, comme il plut à un autre, 

« Jusqu'à ce que la mer se refermât sur nous. » 

47.Tre volte ilftginrGOii tutte Tacque, | B la prora ire in giù, eom' altrui jûicqiMi 
Alla quarta ierar la poppa in suso, I 

Infia che '1 mar fu sopra noi richiuio. 



/' . 



CHANT VIWGT-STXIÈME. 415 



NOTES DU CHANT VINGT-SIXIÈME 



Gianfa, Agnello Brunelleschi, Buoso degli Âbati, Puccio Sciancato et 

isco Guercio Gavalcante, nommés dans le chant précédent. 

Dante est supposé accomplir son voyage en 1300, et ce fut plus tard 

ivèrent les malheurs dont il feint d'avoir eu la vision prophétique, et 

rent la chute du pont de la Garraia, l'incendie de dix-sept cents mai- 

't les cruelles discordes entre les Blancs et les Noirs, lesquelles eurent 

ins Tannée 1504. 

La grâce divine. 

Dans les plus longs jours. 

Quand vient le soir. 

Le prophète Elisée, de qui la Bible raconte, que des enfants s'étant 

s de lui, il les maudit, et qu'à sa malédiction deux ours sortirent d'un 

>isin, et mirent en pièces quarante-deux de ces malheureux enfants. 

8 Ne laisse voir le pécheur que la flamme enveloppe. » Nous dirions 

! même sens : qu'elle dérobe à la vue. 

Conseiller frauduleux. 

Stace raconte, dans son poëme, que les corps des deux frères ayant 

s sur un même bûcher, la flamme se divisa, comme si leur haine 

ncore duré après la mort. (Thébàtde, xii, 430 et 431.) 

Tous deux grands artisans de fraude. 

Le cheval de bois, introduit par les Grecs dans Troie, et qui fut cause 

erte, fut aussi celle de la venue d'Énée en Italie, et ainsi les Romains 

ent leur origine. 

Un oracle ayant déclaré que jamais Troie ne serait prise sans Achille, 
parvint à le séparer de Déidamie, en lui cachant que le même oracle 
ait qu'il mourrait devant cette ville. 

Le Palladium était, comme on sait, une statue de Minerve, à laquelle 
attachées les destinées de Troie. Ulysse et Diomède ayant pénétré 
dans le temple où elle était gardée, l'enlevèrent, après avoir tué les 

is. 

VÉnéide. 



416 L'ENFER. 

15. Prés du mont Gircio ou Circello, situé entre GaSte et le cap d'Ântiam. 

16. Du nom de sa nourrice, qui y fut ensevelie. 

17. Il y a ici un souvenir d'Horace : 

Qui... multoram proTidus urbes, 

Et mores hominum inspexit; latumque per asqnor, 
Dttm sibi, dum sociis reditum parât, «spera molta 
Pertulit, 

dit le poète latin, en parlant d'Ulysse. (ÉpitreSf liv. I, ép. 2.) 

18. Â.ujourd'hui Geuta. 

19. « Vous, à qui désormais il reste si peu de temps à vivre, ne refusez 
pas de voir et de connaître cette partie du monde que le soleil éclaire aprèt 
s'être couché pour nous. » Les anciens la croyaient inhabitée. 



CHANT VINGT-SEPTIÈHfi. 



417 



CHANT VINGT-SEPTIÈME 



Déjà la flamme droite et en repos avait cessé de parler^ 
signait de nous, avec la permission du doux Poète, 
Lorsqu'une autre, qui venait derrière, attira mes re- 
par un son confus qui sortait de sa cime, 
uomme le taureau de Sicile qui premièrement, et ce fut 
!, mugit les plaintes de celui dont la lime l'avait fa- 

■ ? 

Transformait la voix du tourmenté en mugissements, 

te que, quoique d'airain, il semblait ressentir la dou- 

Unsi, au commencement, ne trouvant dans le feu ni 
i ouverture, les paroles douloureuses s'y changeaient 
i propre langage*. 

lais, lorsque montant elles eurent pris leur route par 
ite, qui leur imprimait, au passage, les mêmes vi- 
is qu'auparavant la langue, 



CANTO VENTESIMOSETTIMO 



dritta in su la fiamma e quêta, 
1 dir più, e già da noi sen gia 
licenzia del dolce Poeta ; 

) un' altra, che dietro a lei venia, 
I volger gli occhi alli sua cinia, 
confuso suoa che fuor n' uscia. 

bue Cicilian, che muggbiô prima 
nto di colui (e ciô fu dritto) 
vea temperato con sua lima, 



4. Mugghiava con la voce dell' afflito. 
Si che, con tuito ch' e' fosse di rame^ 
Pureel pareva daldolor Irafilto; 

S.Cosi, per non aver via, né forarae 
Dal principio nel fuoco, in suo linguaggio 
Si convertivan le parole grame. 

6. Ma posda ch' ebber colto lor vinggio 
Su per la punta, dandole quel %ulvua 
Che dalo aNea\aL\\n%\)A.YcvVïc ^^^'s.aa.^^Q., 



418 TENFEB. 

7. Nous entendîmes ces mots : « toi, à qui ma voix 
s'adresse, et qui parlais tout à l'heure lombard, disant : 
— Maintenant, val de toi je ne désire rien de plus. 

8. « Quoique un peu tard peut-être je sois venu, qu'il ne 
le déplaise de t'arrêter et de parler avec moi ; vois, à mo» 
cela ne déplaît, et je brûle. 

9. «Si récemment dans ce menée aveugle tu es tombé de 
cette douce terre latine, d'où j'ai apporté toute ma coulpe, 

10. « Dis-moi si les Romagnols ont la paix ou la guerre; 
car je fus des monts, là, entre Urbino et la montagae d'où 
sort le Tibre '. » * 

1 1 . J'étais encore baissé et regardais en bas, lorsque mon 
Guide me toucha le côté, disant : « Parle, toi ; celui-ci est 
Latin. » 

12. Et moi, qui avais déjà la réponse prête, sans retard 
je commençai de parler : — âme là-dessous cachée, 

15. La Romagne n'est ni ne fut jamais sans guerre dans 
le cœur de ses tyrans ; mais d'ouverte, aucune n'y ai-je 
laissée. 

14. Kavenne est ce qu'elle a été depuis maintes années; 
là couve l'aigle de Polenta *, recouvrant Cervia de ses ailes. 

15. La cité** qui jadis soutint la longue épreuve, et de 
Français fit un monceau sanglant, est toujours sous les pat- 
tes vertes • ; 



T.Udimmo dire : tu, a cui io drizzo 
L.1 voce, che parlavi rao lombardo, 
Dicendo : Issa ten va, più non t' aizzo : 

8. Percir io sia giunto Torse alquanto tardo, 
Non t' incresca rislare a parlar raeco : 
Vedi che non incresce a me, e ardo* 

9. Se tu pur mo in quest» mondo cieco 
Cadiito se' di quella doice terra 
Latina, onde nnia colpa tutta reco ; 

10. Dimmi se i Romagnuoli ban pace, o guerra; 
Ch' i' fui de' monti la intra Urbino 
E '1 giogo di che lever si disserra. 

It.Io era ingiuso ancora attento e chino, 



Quando '1 mio Duèa mi tentô di costa, 
Dicendo : Parla tu, questi è Latino. 

11. Ed io ch' avea già pronta la risposta, 
Senza indugio a parlare inrominciai : 
anima, che se' laggiù nascosta, 

is.ltomagna tua non ë, e non fu mai, 
Senza guerra ne' cuor de' suoi tiranni; 
Ma palese nessuna or ven lasciai. 

iVKavenna sta, corn' è staia moJt' anni : 
L' aquila da Polenta la si cova. 
Si che Cervia ricopre co' suoi vanni. 

18. La terra che fe già la lunga prova, 
E di Franceschi sanguinoso mucchio, 
Sotto le branche verdi si ntrova. 



CHANT VINGT-SEI'TIÈMÊ. 41» 

16. Et le vieux Mastino, et le nouveau de Verrucchio ', 
i cruels envers Montagna ^, enroncent encore les dents où 
Is les enfonçaient. 

17. La ville de Lamone et celle de Santerno • régit le 
ionceau du nid blanc *•, qui change de parti de l'été à 
hiver. 

18. Et celle dont le Savio baigne le flanc ", comme entre 
i plaine et le mont elle est sise, vit entre la tyrannie et la 
Iberté. 

19. Maintenant je te prie de nous dire qui tu es ; ne sois 
»as plus dur que d'autres ne l'ont été, et que ton nom se 
onserve dans le monde ! 

20. Après qu'à sa manière le feu eut un peu mur- 
luré, la pointe aiguë d'ici et de là se mut, puis émit ce 
9ufQe : 

21 « Si je croyais répondre à quelqu'un qui dût jamais 
etoumer dans le monde, cette flamme cesserait de se mou 
oir. 

22. « Mais puisque jamais, si ce qu'on dit est vrai, nul 
e retourna vivant de ces profondeurs, sans crainte d'infa- 
lie je te réponds. 

23. « Je fus homme d'armes, et puis cordelier, croyant, 
nme ceignant ainsi, expier mes fautes, et certes il en au- 
ait été entièrement comme je le croyais, 



•E iHastin vecchio, e 1 nuovo da Verruo- 
Chefecerdi Montagna il malgoverno, [chio, 
Là, doTe soglion, fan de' denti succhio. 

• Le cittâ di Lamone e di Santerno 
Conduce il lioncel dal nido bianco, 
Che muta parte dalla state al verno : 

- E quella a cui il Savio bagna il fianco, 
<^osi com* eUa siè ira '1 piano e '1 monte, 
Ira lirannia si vive e stato ft-anco. 

>. Ora chi se' li prego che ne conte : 
KoQ esser dure più ch' altri sia stato, 
Se '1 nome tuo nel mondo tegna fronte. 



SO.Poscia che '1 fuoco alquanto ebbenigghiato 
Al modo suo, l' aguta punta mosse 
Di qua, di là, è poi diù cotai iiato : 

SI. S' io credessi che mia risposta fosse 
A persona che mai tornasse al mondo, 
Questa fiamma staria senza più scosse : 

SS.Ma perciocchè giamraai di questo fondo 
Non tornù vivo alcun, s'i'odo il vero, 
Senza tema d'infaihia ti rispondo. 

SS.rfui uom d'arme, e poi fu'cordigliero, 
Credendomi, si dnto, fare ammenda: 
E certo il creder mio veniva intero; 



420 L'EIIFER. 

24. « N*eût-ce été le grand Prêtre ", à qui mal en 
prenne, qui me replongea dans mes premiers méEûts: 
comment et pourquoi, je veux que tu l'entendes. 

25. « Pendant que je lus la forme d'os et de chair que 
ma mère me donna, mes œuvres ne furent pas d'un lioo, 
mais d'un renard. 

16. (( Les sourdes pratiques et les voies couvertes, je te 
sus toutes, tellement que le bruit en parvint jusqu'au boBt 
de la terre. 

27. « Quand je fus arrivé à ce point de mon âge, où ciia- 
cun devrait abaisser les voiles et serrer les cordages, 

28. « Ce qui premièrement me plaisait, alors me pesa; 
repentant et confes je me fis : et bien, hélas 1 m'en serais^ 
trouvé, pauvre misérable! 

29. « Le prince des nouveaux Pharisiens avait la guem 
près de Latran ^', et ni avec les Sarrasins, ni avec ki 
Juifs : 

30. « Étaient chrétiens tous ses ennemis, et aucun n'a- 
vait aidé à prendre Acre, ou trafiqué dans la terre di 
Soudan^*. 

31. « Ni l'office suprême, ni les ordres sacrés il ne re- 
garda en soi, non plus qu'en moi le cordon qui jadis amai- 
grissait ** ceux qui s'en ceignaient. 






24. Se non fosse il granPrete, a cui mal prenda, 
Che mi rimise nelle prime colpe; 
E corne, e quare voglio che m'intenda. 

SS.Mentre ch' io forma fui d' ossa e di polpe, 
Che la madré mi die, 1' opère mie 
Non furon léonine, ma di volpe. 

S6.Gli accorgimenti e le coperte vie 
Io seppi tutle ; e sf menai lor arte, 
Ch' ai iine délia terra il suono uscie. 

27. Quando mi vidi giunto in quella parte 
Di raia età, dove ciascun dovrehbo 
Caiar le vêle e raccogtier le sarte; 



SS.Ciô che pria mi piaceta, alU»' m'iacrekK 
E pentuto e confesse mi rendei, 
Ahi miser lasso ! e giovato sarebbe. 

S9.Lo Principe de* nuovi Farisei 
Avendo guerra presse a Latemo 
(E non cen Saracin, né con Giadd; 

30. Ché ciascun sue nemico era GristiaBOb 
E nessuno era stato a vinccr Acri. 
Né mercatante in terra de SoMano). 

Si. Ne somme ufîcie, ne ordini saeri 
Guardô in se, ne in me quel capaM 
Che solea far li suoi cinti più 



'< 

i: . 



CHANT yiNGT>SEPTIÈME. 421 

32. c( Mais comme Constantin manda Sylvestre d'au de- 
ans du Siratti^*, pour guérir sa lèpre, ainsi me manda-t-il 
omme médecin, 

33. « Pour guérir sa fièvre de superbe. Il me demanda 
onseil, et je me tus, ses paroles me paraissant ivres. 

34. « Il reprit : — Que ton cœur ne craigne point; dès à 
résent je t'absous. Enseigne-moi conunent je jetterai bas 
alestrina *''. 

35. « Je puis^ comme tu sais, ouvrir et fermer le ciel; 
w doubles sont les clefs qui point ne furent chères à 
ion prédécesseur **. 

36. « Alors me poussèrent les graves arguments là oà 
i taire me parut le pis, et je dis : — Père, puisque tu me 
ves 

37. a De ce péché, où je dois maintenant tomber, longue 
*omesse et court effet ^' te fera triompher sur le haut 
ége. — 

38. a Ensuite, quand je fus mort, François me vint cher- 
ler ; mais un des anges noirs lui dit : — Ne l'enlève point, 
i me Dais pas tort ; 

39. « En bas, parmi mes serfs, il doit venir, parce qu'il 
)nna le conseil frauduleux, depuis quoi je le tiens aux 
'ins. » 



Ib corne Costantin ehiese Silvestro 
Iteotro SiraUi a goarir délia lebbre; 
Coii mi ehiœ questi per maestro 

A gnarir délia sua superba febbre : 
Doinandommi consiglio, ed io tacetti, 
Pnchè.le sue parole parver ebbre. 

B poi mi disse : Tuo cuor non sospelti: 
PiiMHr t' assolvo, e tu m' insegna fare 
Si corne Penestrino in terra gelti. 

Lo ciel posa* io serrare e disserrare, 
Come tu sai; perô son duo le chiavi, 
Cite il mio antecessor non ebbe care. 



S0.A]]or mi pinaer g^i argomenti gravi 
Là 'Te 'il tacer mi fu awiso il peggio 
E dissi : Padre, da che tu mi lavi 

87. Di quel peccato, ove mo vader deggio 
Limga promessa con l' attender corto 
Ti fari trionfar neU' alto seggio. 

SS.Francesco venne poi, com io fu' morto 
Per me; ma un de' neri Gherubini 
Gli disse : Nol portar; non mi far torto. 

S9. Venir se ne dee giù tra' miei meschini, 
Percbè diede il consiglo frodolente, 
Dal quale in qua slato gli sono a' crini: 



». I. 



^1^ 



42; 



L'ENFER. 



40. « Absous ne peut être qui ne se repenl, et à la f 
vouloir et se repentir ne se peut, à cause de la contrad 
tion, qui point ne le permet. — 

41. c( malheureux! comme je tressaillis lorsqu'il i 
prit, disant : — Tu ne pensais pas, peut-être, que je fa* 
logicien... 

42. « Il me porta devant Minos; et celui-ci, après av( 
huit fois roulé sa queue autour de son dos endurci, et 
l'être mordue de rage, 

43. « Dit : — Ce pêcheur est de ceux que le feu dérobée 
Par quoi là où tu vois perdu suis-je, et ainsi vêtu, gémi 
sant je vais. » 

44. Lorsque de la sorte il eut achevé son dire, la flamni 
douloureuse s'en alla, agitant «t tordant sa fiammeaigoc 

45. Mon Guide et moi nous passâmes outre, par-dessu 
le rocher, jusque sur l'autre arche, qui recouvre la 
où payent leur dette 

Ceux qui, en semant la division, chargent leur âme. 



O.Ch' assolver non si puô, chi non si pente; 
N - pentere e volere insieme pvossi, 
Per ia contraddizion che aol oonaente. 

41.0 me dolente! corne mi riscossi 
Quando rai prese, dicendorai : Forse 
Tu non pensavi ch'io loico fossi! 

41. A Hinos mi portù : e quegli attorse 
Otto volte la coda al dosso duro; 
Ë, poichè per gran rabbia la si morse, 

43. Disse : Questi è de' rei del fuoco furo: 



Perch' io là dove vedi son perdulOi 
E si vesiito andando ni rmenrt* 



44. Quand' «gli ebbe il mo diroosi 
La tiamma dolorando si pertio, 
Torceado e dibatlendo 1 eoivo ap^ 

45.Noi passamro' ollre ed io e il DadM* 
Su per Io scoglio inlino in lO r«lr'«'* 
Cbe copre '1 fusse, in che si (Mf* '* 

Aquei che scommettendo, acqoiit»^ 



' I ■ .' 



CHANT VINGT-SEPTIÈME. 4Ï3 



NOTES DU CHANT VINGT-SEPTIÈME 



1. Le taureau d'airain de Pbalarîs, où le tyran fit brûler TAthénien Pé> 
iy qui Tavait fabriqué et lui en avait fait don. 

3. Se confondaient avec le murmure de la flamme elle-même. 

5. a De cet endjroit des monts, situé entre Urbino et la source du Tibre, » 
it-à-dire de Monte-Feltro. 

4. La famille de Polenta, quk rait un aigle dans ses armoiries, et pos- 
tait Ravenne et Cervia. 

5. Forli. Après un long siège qu'elle soutint contre une armée envoyée 
: Martin lY, et composée en majeure partie de Français, le comte Guido 
Kt les assiégeants avec un grand carnage. 

6. « Appartient toujours aux Ordelaffi, » qui avaient pour armes un lion 
rt. 

7. Les deux Malatesta, père et fils, seigneurs de Riniini. Ils sont ici 
pelés Mastini, mâtins, à cause de leur cruauté, et dits « de Verrucchio^ d 
irce que ce château fut donné par les Rirainiens au premier des Malatestu. 

8. Ils le firent mettre à mort, comme chef des Gibelins dans le pays. 

9. Faénza, située près du Lamone, et Imola, près du Santerno. 

iO. Mainardo Pagani, dont les armes étaient un lionceau azur en cbanip 
anc. 

^1. Césène, baignée par le fleuve Savio. 
12. Boniface VIII. 

^3. Était en guerre avec les Colonne, qui habilaienl près de Saint-Jean 
e Utran. 

14. Ne s'était joint aux Sarrasins qui assiégeaient Acre, ou ne leur avait 
*ndu des vivres et des armes. 

15. A cause de l'austérité de leur vie. 

^ '6. Le pape saint Sylvestre, fuyant la persécution suscitée contre les 
chrétiens, s'éUiit leachc dans une caverne du monl ^\WiV\\, «^\v\o\yc^\v\\\\^ 



424 



L'ENFER. 



mont Saint-Oreste, d'où, suitanl la léj^cnde, Constantin le fit venir pour gaéhr 
sa lèpre. 
47. L'ancienne Préneste, qui appartenait aux Colonne. 

18. Gélcstin V, qui, en abdiquant la papauté dont les doubles clefs sont 
le symbole, montra qu'il tenait peu à cette haute dignité. 
J 19. Beaucoup promettre et tenir peu. 
i 20. Dérobe i Iff tue, cache en les enveloppant. 



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■«•r 



CHiLNT VINGT-HUITIÈME. 



425 



CHANT VINGT-HUITIÈME 



1. Qui, même en prose, et dans un récit plusieurs 
m répété, pourrait dire tout ce que je vis de sang et de 
laies? 

2. Aucune langue qui ne défaillit, à cause des bornes et 
e notre idiome, et de Tesprit, trop étroits pour tant con- 
înir. 

5. Si on rassemblait tous ceux qui jadis dans la malheu- 
îuse terre de Fouille pleurèrent leur sang versé 

4. Parles Romains, dans la longue guerre^ où des dé- 
ouilles fiit fait un si haut amas d* anneaux *, comme l'écrit 
ivius, qui n'erre point; 

5. Et tous ceux qui des blessures ressentirent la dou- 
înr en combattant contre Robert Guiscard'; et les autres* 
ont on recueille encore les ossements 

6. A Ceperano', où chaque Pouillois fut menteur •, et à 
agliacozzo, où sans armes vainquit le vieil Alard'^; 



CANTO VENTESIMOTTAVO 



^•Chi poiiia mai pur con jparole sciolte 
^eer del saogua • délie piaghe appieno, 
^' i* ora Tidi, per narrar.più volte? 

'•Ogoilingua percerto verria meno 
'çr lo nofttro sermone e per la mente, 
V hanno a tanto comprender poco seno. 

••8e l' idunasse ancor tutla la gente, 
Che gii in su la fortunala terra 
NPoglie fu del suo sangue dolenla 



4. Per li Romani, e per la lunga gnerra 
Che dell' annella fe si alto spoglie, 
Corne Livio scrive, che non erra ; 

5. Con quella che senlio di colpi doglie, 
Per contrastare a Roberto Guiscardo;* 
E l'altra, il cui ossame ancor s' accoglie 

6. A Ceperan, là dove fu bugiardo 
Ciascun Ptigliese, e li da Tagliacozzo 
Ove senz' arme vinse il vecchio Alardo ; 



24. 



426 



L'ENFER. 



7. Et que l'un montrât ses membres percés, l'autre mu- 
tilés, ce ne serait rien près de ce qu'offre d'horrible la neu- 
vième bolge. 

S. Nul tonneau, fuyant parla barre ouïes douves, n'est 
aussi troué qu'un damné que je vis, fendu du menton jus- 
que là d'où les vents s'échappent. 

9. Entre les jambes pendaient les boyaux : à découvert 
était la courée*, et le dégoûtant sac où en excréments se 
transforme ce qu'on mange. 

10. Tandis que sur lui je tenais mes yeux fixés, il me re- 
garda, et avec la main s'ouvrit la poitrine, disant : « Vois 
comme je me déchire. 

1 1 . c( Vois comme dépecé est Mahomet : devant moi 
Ali' va pleurant, le visage fendu du menton jusqu'à la che- 
velure. 

12. « Tous ceux qu'ici tu vois furent, de leur vivant, Je^ 
semeurs d(3 scandale et de schismes ; et pour cela sont-il^^ 
fendus de la sorte. 

13. « Là derrière est un diable qui cruellement ainsi 
nous schismatise*'^, remettant chacun de nous au tranchant 
de l'épée, 

14 « Lorsque nous avons parcouru le triste circuit le? 
blessures se refermant, avant que nous revenions devant 
lui. 



7. E quai Tomto suo membro, e quai mozzo 
Mosirnsse. d' iigguagiiar sarebbe nuUa 
ii modo délia nona bol<;ia sozzo. 

8.Già veggia, per mezzul perdere o lulla, 
Com' io vidi un, cosi non si pertugia, 
Rolto dal nnento insin dove si truila. 

9.Tra le gambe pendevan le minugia ; 
La corata pareva, u M tristo sacco 
Che^erda fa di quel che si trangugia. 

. Mentre che tutto in lui veder m' attacco, 
Guardommi.e con leman s'aperse il petto, 
Dicendo : Or vedi, eome io mi dilacco: 



ll.Vedi corne storpiato è Maomelto. 
Dinanzi a me sen va piangendo Ali 
Fesso nel vollo dal mento al'ciuffetto: 

12. E tutti gli altri, che tu vedi qui, 
Seminator di scandalo e di soisma 
Fur vivi, e perù son fessi cusi. 

15. Un diavolo i* qua dieiroche n' accism* 
Si crudelroente, al l.igliu dfila spada 
Riniettendo ciascim di quesia nsina, 

14. Quando avotii voit;i la dolente strada; 
Peroccbè If ienie son richiu$«' 
Prima ch" altri dinariM II nvad.t. 



CHANT VINGT-IIUITIÈME. 427 

( Mais qui es-tu, toi qui là-haut t'arrêtes sur la 
Deut-être pour retarder le supplice auquel le jijge- 
ononcé sur toi te condamne d'aller? » 

— Ni la mort, répondit mon Maître, ne Ta encore 
ni pour être tourmenté aucune coulpe ne l'amène; 
in qu'il en ait une pleine connaissance, 

< Je dois, moi qui suis mort, le conduire à ti*avers 
de cercle en cercle, jusqu'au fond : et cela est 
ai qu'il l'est que je te parle. » 

I y en eut plus de cent qui, lorsqu'ils l'entendirent, 
cnt dans la fosse pour me regarder, par l'étonne- 
straits de la souffrance. 

Or donc, toi qui bientôt peut-être reverras le 
s à fra Dolcin ^^ que, s'il ne veut pas prompteuient 
e ici, 

II se pourvoie de vivres, de telle sorte que la neige 
ne donne pas au Novarais la victoire, autrement 
e. » 

iprès avoir, pour s'en aller, levé un pied, Maho- 
dit ces paroles ; puis, en avant le posant à terre, 

\n autre qui avait le gosier percé, et le nez coupé 
-dessous des sourcils, et une seule oreille, 



e' chc in su lo scoglio muse» 
ndugi;u" d'ire .-dla pena, 
cal.i in su le lue accuse? 

giunse aiicor, ne colpa ii mena, 
nio Maestro, a tormentailo ; 
* lui esperienza pieua, 

morlo son. couvien menarlo 
no quai:<,'nj di giro in giro: 
ver cosi coiit'io li pariu. 

eento clie (|uandi) i'iidiro, 
n nel fosso a riguardarmi, 
{lia obliando il luartiro. 



19. Or di a fra Dolcin dnnque che s'armit 
Tu che forse vedrai il soie in brève, 
S'egli non vuoi qui losto seguilarmi, 

20. Si di vivanda, cbe stretta di neve 
Non rechi la vittoria al Nuarese, 

Cir altriinenti acquistar non saria levé. 

SI. Poirhè l' un piè per gir.<iene sospese, 
Maometlo mi disse esta parola ; 
Indi a parlirsi in terra lo dislese. 

22. Un altro che fonda avea la gola, 
E Ironco '1 naso inlin sotto le ciç^lia, 
E non avea ma che un' oreccliia sola; 



i 



428 L'ENFER. 

23. Et que l'étonnement avait retenu avec les autres 
pour me regarder, avant les autres ouvrit le tuyau " qui 
de toute part en dehors était rouge, 

24. Et dit : « toi qu'aucune coulpe ne condamne, el 
que déjà j'ai vu là-haut, dans la terre latine, si ne me 
trompe une grande ressemblance, 

25. « Souviens-toi de Pierre de Medicina ", si jamais 
tu revois la douce plaine qui de Verceil à Marcabo d& 
cline ** ! 

26. a Et aux deux meilleurs de Fano, messer Guido et 
Angiolello, fais savoir que, si la prévision ici n'est pas 
vaine, 

27. « Ils seront jetés, une pierre au cou, hors de leur 
vaisseau, près de la Cattolica, par la trahison d'un cruel 
tyran**. 

28. « Entre Vile de Chypre et celle de Majorque, jamai? 
Neptune ne vit si grand crime commis, ni par des pirates, 
ni par des gens de l'Ârgolide. 

29. « Ce traître, qui ne voit que d'un œil, et en son pou- 
voir a la terre, que tel qui est ici avec moi voudrait n'avoir 
jamais vue, 

30. « Les fera venir pour conférer avec lui, puis fera en 
sorte qu'ils n'aient besoin ni de vœu, ni de prière coatre 
le vent de Focara*'. » 



SS.Re8Uto a riguardar per maraviglia 

Gon gli altri, innanzi agli altri apri la canna, 
Ch'era di fuor d'ogni parte vermiglta: 

t4. E disse : tu, cui colpa non condanna, 
E cui già vidi su in terra latina, 
Se troppa simiglianza non m'inganna» 

tB.Rimembriti di Pier da Medicina, 
Se mai torni a veder lo doice piano, 
Cbe da Tercello a Marcabô dichina. 

S6.Efa sapere a' duo miglior di Fano, 
A messer Guido ed anche ad Angiolello, 
Che, se l'anti^eder qui non i Yano, 



f T.Gitlati saran fuor di lor Tasdlo, 
E nuuserati presse alla CattoÛkâi, 
Per tradimento d' un tiranno feUo. 

SS.Tra r isola di Cipri e di Maioliea 
Non vide mai si gran fallo Nettmo, 
Non da Pirati, non da gente ArgoKea. 

19. Quel tradiior cbe Tede pnr con Vm», 
E tien la terra, che tal è qui raeco 
Yorrebbe di vedere esser digiuBO, 

SO.Fari venirti a parlamento seco: 
Poi farà si, ch' al vento di Focara 
Non fari lor mestier toco né preeo. 



CHANT VINGT-HUITIÈME. 429 

Et moi à lui : — Si tu veux que de toi là-haut je 

louvelle, dis-moi quel est celui à qui de cette terre 

a été amère, et montre-le-moi. 

Alors il mit la main sur la mâchoire d'un de ses 

;nons, et la lui ouvrit, criant : « C'est celui-ci, et il 

e point : 

a Ce chassé étouffa le doute en César "^ affirmant 

férer nuisait toujours à qui était prêt. » 

combien Curion consterné me paraissait, avec 
^e coupée dans le gosier, lui qui à parler fut si 

Et un autre, mutilé des deux mains, levant les moi- 
dans Tair obscur, de sorte que le sang lui souilla la 

Cria : « Ressouviens-toi aussi de Mosca *', qui dit, 
Fin a chose faite; ce qui, chez les Toscans, fut la 
ise semence... » 

J'ajoutai, moi : — Et la mort de ta race... Sur quoi, 
sur pleurs versant, il s'en alla comme une personne 
e sens à force de tristesse. 

Je restai, moi, à regarder la bande, et je vis 
lose que seul, sans preuve, je n'oserais racon- 



Ini : Dim(M|trami e dichiara, 
ch' io porti su di te novella, 
idui dalla veduta amara. 

»e la manu alla mascella 

no compagno, e la bocca gli aperse 

Io : Questi ô desso, e non favella : 

seacciato, il dubitar sonunerse 
re, affermando che il fornilo 
I con danno V attendcr sofferse. 

to mi parera sbigottito, 
lingua tagliata nella strozza, 
ch' a dieer fa cosi ardilol 



85. Ed un ch' avea 1* una e 1* altra man mozsa» 
Lerando i moncher in per l'aura fosca. 
Si che '1 sangue facea la faccia sozza, 

Sô.Gridô : Ricordera' ti anche del Mosca, 
Che dissi, lasso! Capo ha cosa fatta: 
Che fu il mal semé délia gente tosca* 

ST.Ed io v'aggitmsi : E morte di tua schiatta; 
Perch' egli accumulando duoi con duolo, 
Sen gio coma persona trista e matta. 

58. Ha io rimasi a riguardar Io studo 
E vidi cosa ch' io avrei paura, 
Senxa più pruoNSui À\ cnttXaxSa. WkVk\ 



430 yENFIÇR. 

39. Si ne me rassurait la conscience, cette bonne com- 
pagne qui, se sentant pure, sous cette cuirasse rend rhomme 
courageux. 



K Je vis certainement, et il me semble encore le voir, 
un buste sans tête aller comme allaient les autres du triste 
troupeau. 

41 . Avec la main il tenait, par les cheveux, la tête pen- 
dante, en façon de lanterne, et la tête nous regardait et 
disait : « moi ! » 

42. Il se faisait de soi-même une lampe, et ils élaienl 
deux en un, et un en deux ^*. Comment cela se peut, le sait 
celui qui ainsi Tordonnc. 

45. Quand il fut droit au pied du pont, en haut ave( 
le bras il leva la tête, pour rapprocher de nous ses |)a- 
rôles, 

44. Qui furent : « Vois la peine cruelle, toi qui, vivant, 
vas regardant les morts ; vois s'il en e$t aucune aussi grande 
que celle-là. 

45. « Et pour que de moi tu portes nouvelle, sache que 
Je SUIS Bertrand de Bornio ^ , celui qui donna au roi Jean 
les encouragements mauvais. 

' 46. « Je rendis ennemis le père et le fils : d*Absalon el 
David ne fit pas plus Achitophel par ses méchantes insu 
gâtions. 



39. Se non ciie cooscienaa m' assicura, [gia,] 
La buona compagnia che l' uotn firancheg- 
Sotto l'osbergo delaenliisi pura. 

kO.V vidi certo, ed ancor par ch* io 'I veggîa. 
Un busto senza capo andar, si come 
Andavan gli altri délia tri^a greg^a. 

ii.Ë il ca{vo tronco tenea par le cbioine 
Pesol con mano a guisa di lanterna, 
E quei mirava noi, e dicea : me ! 

42* Di se faceva a se stesso lucema, 
Ed eran due in uno, ed uno in due : 
Com' easer puù. Quei sa che &\ ^oNeTtA. 



4S.Quando dirittoappiè del ponte 6», 
Levù '1 braccio alto con tuUa la testa» 
Per appressarne le parole sue, 

ii.Che furo : Or vedi la pena molesta 
Tu che, spirando, vai ve<:g(>ndo i moc^ 
Vedi s* alcuna è grande cum« (|uesla* 

45. E peix:hê tu di me noveil.i porii, 
Sappi ch' i* sun Berlrani dal Boruiu^ q * 
Ch' al Ke Giovane diedi i um conforti 

46. le feci '1 padre e '1 figlio in se ribelJi - 
Acliitofel non fe più d' AI)salone 
V\d\V\A\id co' malvagi pungelli. 



CHANT VINGT-HUITIÈME. -431 

47. « Pour avoir divisé des personnes si proches, je 
»rte, malheureux, mon cerveau séparé du principe de sa 
e, qui est dans ce tronc. 

« Ainsi en moi s'observe le talion. » 



Percii' io ptrtii cosi niuiile penoaa, i Bal tuo prindpio, eh* è \i %omU> troneoM. 

Partito porto il ado cerebro, lasso f | 

Coti s* «Merva in me lo contrappasso. 



432 L'ENFER. 



NOTES DU CHANT VINGT -HUITIÈME 



1. La seconde guerre Punique. 

2. Après la bataille de Cannes. 

5. Robert Guiscard, frère de Richard, duc de Normandie, chassa les Sar- 
rasins de la Sicile et de la Pouille après de sanglants combats. 

4. Ceux qui périrent dans la première bataille entre Manfred et Charles 
d'Anjou. 

5. Lieu situé sur les confins de la Campagne de Rome, près du Hoot- 
Cassin. 

6. Manqua de foi au roi Manfred. 

7. Charles d'Anjou, combattant à Tagliacozzo, château de TAbrozze ulté- 
rieure, contre Conradin, neveu de Manfred, dut la victoire à un conseil que 
lui donna A lard de Yaléri, lequel ainsi a vainquit sans armes. » 

8. Le mot couréCy en italien corala, appartient à notre ancienne laogae, 
et est encore en usage dans quelques provinces, notamment en Bretagne, où 
Ton dit : une courée de bœuf, de veau, de mouton, etc., c'est-à-dire le cœur, 
le foie, les poumons; en un mot les viscères supérieurs. 

9. Meveu de Mahomet, dont les sectateurs se séparent des autres mu- 
sulmans. 

10. Nous conservons ce mot pittoresque, créé par Dante pour peindre le 
châtiment des auteurs de schismes. On sait que le mot schisme signifie divi" 
sion, séparation. 

11. Ermite, qui prêchait la communauté des biens, et des femmes mêm®/ 
Suivi par plus de trois mille hommes, il vécut longtemps de pillage. Rédti^^ 
enfin à s'enfermer dans les montagnes du Novarais, dépourvu de vivres* ^^ 
assiégé par les neiges, il fut pris et brûlé avec Marguerite, sa compagne. 

12. Le tuyau de la gorge ensanglanté au dehors. 

13. Lieu situé dans le territoire de Bologne. 

14<. A partir de Verceil dans une longueur de plus de deux cents mill^' 
la plaine de la Lombardie va s'abaissant jusqu'à Marcabo, à l'emboucb^'^ 
du Pô. 

15. Messer GuidodelCassero, et Angiolello da Cignano, engagés par l'abo^** 
nable tyran de Rimini, ^aVaVe^Va, «ln^uvc çaw^^tt'c vi<î,c lui à la Cattolica, cl*^' 



Cïlk'ST TINGT-HUITIËME. 453 

i yoisin de Ri mini, et s'y rendant par mer, furent noyés sur Tordre de ce 
istrc de scélératesse. 

6. Mont situé près de la Cattolica, et d'où sortent des vents si impé- 
ax, qu'ils sont fréquemment pour les mariniers une occasion de vœux et 
prières. 

7. Gurion, banni de Rome, décida César, qui hésitait encore, à passer le 
)icon. 

8. De la famille des Uberti, d'autres disent des Lamberti. Buondelmonte 
Buondelmonti, séduit par les flatteries d'une femme de la famille des 

lati, épousa sa fille, manquant ainsi à rengagement qu'il avait pris d'en 
luser une autre de la famille des Âmidei. Ceux-ci le firent tuer pour ven- 
cet affront, et ce fut Mosca qui conseilla et exécuta le meurtre. Il y 
ida les Âmidei par cette espèce de dicton que Dante rappelle : Capo ha 
a fatta. « Fin a chose faite. » Ce meurtre « chez les Toscans fut la mau- 
se semence, » c'est-à-dire la semence des discordes civiles qui bientôt 
es désolèrent Florence divisée en deux partis, le parti Guelfe et le parti 
tel in. 

19. Deux en un, parce que les deux parties séparées ne faisaient qu'un 
nme; un en deux, parce que cet homme unique était séparé en deux 
rlies. 

20. Gouverneur de Jean, fils de Henri, roi d'Angleterre; pendant le s^ 
u de ce jeune prince à la cour de France, il le poussa à se soulever contre 
o^re. 



** ^Ji 



434 



L'ENFER. 



CHANT VINGT-NEUVIÈME 



1 . La gent nombreuse et les plaies diverses avaient tel 
ment enivré mes yeux, que vivement je désirais m'arri 
pour pleurer; 

2. Mais Virgile me dit: « Que regardes-tu? Pourquoi ta 
là en bas, ta vue se fixe-t-elle sur les tristes ombres mutiléi 

3. « Tu n'as pas ainsi fait dans les autres bolges. Si 
crois les compter, pense que vingt-deux mille toumeiitdî 
la vallée. 

4. « Déjà la lune est sous nos pieds : peu reste dcsorDU 
du temps qui nous est accordé, et autre chose, que tu i 
vois pas, est à voir encore. » 

5. — Si tu avais, répondis-je aussitôt, considéré poo 
quoi je regardais, peut-être m'aurais-tu pardonné de m'ai 
réter. 

6. Cependant il s'en allait, et derrière lui j'allais, ains 
répondant au Guide, et ajoutant : — Dans cette cave, 



CANTO VENTESIMONONO 



I.La molta gente e le diverse piaghe 
Avean le luci mie si innebriate, 
(ihe dello stare a piangei-e eran vaghe. 

{.Ha Virgilio mi disse : Ghe pur guate? 
Perché la vista tua pur si sofTolge 
Laggiù tra l'ombre triste smozzicate? 

S.Tunon hai fatto si ail' alire bolge : 
Pensa, se tu annoverar le crrdi. 
Cbe miglia ventiduo Jo valle volge; 



4. E già la luna ë sotto i nostri piedi : 
Lo tempo è poco ornai cbe n' è coMtA 
Ed altro è da veder che tu noa ^eà 

5. Se lu avessi, rispos' ioappresso, 
Atleso alla cagion perch' io KoardtiL 
Perse m'avresli anoor loslar "" "" 



6. Parte sen gia : ed io relro gli màtf*» 
Lo Ducj, già faccendo la lisposia, 
Esoggiuu'iiendo : Dentro a qudiacaa 



CHA5T T15GT.5EUVIÈÎIE. 



Cft 



7. OÙ si attaché je tenais mes yeux, je crois qu'un es- 
iprit de mon sang pleure la coulpe, qui là coûte si cher. 

8. Lors le Maître dit : « Ne fatigue {H>int de lui plus 
longtemps ta pensée^; porte sur uu autre ton attention, et 
laisse-le là ; 

9 . a Car, au pied du pont, je l'ai vu te montrer, et fortement 
te menacer du doigt, et je l'ai ouï nommer Geri del Bello\ 

10. <c Tu étais lors si occupé de celui qui eut en garde 
Altaforte', que de ce côté lu ne regardas point, jusqu'à oo 
qu'il fut parti. » 

H. — Maître, dis-je, sa mort violente*, non encore 
vengée par quelqu*un de ceux qui en partagent la honte, 

12. L'a courroucé; à cause de cela, je présume, il 8>n 
est allé sans me parler : et ce faisant, il m'a pour lui rendu 
plus pitoyable. 

13. Ainsi discourômes-nous jusqu'au premier lieu où^ 
du haut de la roche, on découvrirait l'autre vallée jusqu'au 
fond, s'il y avait plus de lumière. 

14. Quand nous fûmes au-dessus du dernier cloitre du 
Malcbolge, de sorte que ses convers notre vue pouvait dis- 
cerner, 

15. Des cris divers et lamentables me frappèrent comme 
ies traits dont la pointe blessait de pitié ; par quoi, avec Ich 
mains je me couvris les oreilles. 






<- 
t 



^•IH>v'io tmeva agli oeebt liposta, 
Cradoehe un spirto dd mio samnie pianga 
U floipa clie lâggîù cotanlo cotia. 

S-AHor disM 1 MMstro : Ron M franica 
^tQO|MBiierda «pu'juaaxi sovr'dlo; 
AteuU ad altro, edaî liatriiMHiga. 

•iUi'io ndi hû a pië dd poMiedlD 
Koitnrti. e mmaedar forte col dito, 
E Qdi' 1 DooMnar Geri dd B«ilo. 

t 

10. Tu eri allar si dd tutio impediio 
tovra colni die gâ tame Alialwt«r. 
Che BOB guardaili n là, lî fu partiio. 

liO Ouea mio, la fiobla floorte 



Che non gli b vandfeata ênettr, db*' k», 
Per aJcun cbe d«U' oiila »ia inmttortti, 
II.Fece lui ditdegWMo: oimIh wn nh, 
Senza parUrtm, «I kmh' lo «iinio, 
Kd m ci6 m' ba «I fait» « m |«iii ji^> 

IS.Cofti pailanimo intino «I lii/»Ko fittiwi 
Ch« ddlo«C'»gU<» TaHr» vall#t m/Mir», 
Un pf6 himi vi foM«, totio «d ttrut. 

P<4i:an par«f« alb v«f<lMti iMHkifj, 
t.lm di PKI4 Uitt »it imuM %h Mrall: 



436 



L'ENFER. 



16. Telle que serait la douleur, si des hôpitaux deVal- 
dichiana^, entre juillet et septembre, et de la Maremme, et 
de la Sardaigne, les maux 

17. En une seule fosse étaient tous rassemblés, telle 
elle était là ; et il s'en exhalait une puanteur semblable à 
celle des membres pourris. 

18. Nous descendîmes sur le dernier bord du long ro- 
cher, à main gauche, et alors ma vue pénétra 

19. Plus avant vers le fond, où, minisire du haut Sei- 
gneur, l'infaillible justice punit les falsificateurs, que là elle 
registre*. 

20. Je ne crois pas que plus triste à voir ait été, en 
Égine', le peuple tout entier malade, — quand Tair devint 
si pernicieux, 

21. Que les animaux, jusqu'au plus petit ver, périrent, 
et qu'ensuite, comme les poètes le tiennent pour certain, 
l'antique population 

22. Se reproduisit de la semence de fourmis, — que triste 
était de voir, dans cette obscure vallée, languir les esprits, 
amoncelés çà et là. 

23. Tel sur le ventre, tel sur les épaules d'un autre gi- 
sait, et tel à quatre pattes se traînait par le triste sentier. 

24. Pas à pas ils allaient sans parler, regardant et écou- 
tant les malades qui ne pouvaient se lever. 



16. Quai dolor fora, se de^U spedali 

Di Valdichiana ti a 'I iuglio e 'I settembre, 
E di Maremma e di Sardigna i mali 

IT.Fossero in una fossa tutti insembre; 
Tal era quivi, e tal puzzo n' usciva, 
Quai suole uscir délie marcite membre. 

i8.Noi discendemmo in su I' ultima riva 
Del lun<;o scoglio, pur da man sinistra, 
E allor fu la mia visla più viva 

19. Giù ver lo fondo. dove la ministra 
Oeir allro Sire, inrallibil giusli^ia, 
Punisce i falsator che qui rcgistra. 

20. Non credo ch'a vedermaggior tristizia 



Fosse in Egina M popol tutto inArmo, 
Quando fu 1* aer si pien di malifia, 

Sl.ChegU animali, iniino al picciol Teroo, 
Cascaron tutti, e poi le genti anticbe, 
Secondo che i poeti hanno per fermo, 

Jî.Si ristorar di semé di formichei 
Ch'era a Teder per quella oscuni fale. 
Languir gh spii ti per diverse bicbe* 

f 5. Quai sovra '1 ventre, e quai sovra le spA 
L' un dell' altro giaccei, e quai carpoiM 
Si trasmutava per lo trislo calle. 

Si.Passo passo andavam sema sennoM, 
Guardando ed ascoltando gli anunalati. 
Che non potén levar le lor persooe. 



CHANT VINGT-NEUVIÈME. 437 

25. J'en vis deux assis, appuyés l'un contre Tautre, 
comme s^appuient des bassines à tenir chaud, et, de la 
tête aux pieds, souillés de croûtes. 

26. Jamais je ne vis valet que son maître attend, ou 
celui qui mal volontiers veille, mouvoir Tétrille 

27. Aussi vite que chacun de ceux-là mouvait sur soi le 
tranchant de ses ongles, à cause de la rage du prurit de- 
venu insupportable : 

28. Et les ongles en bas raclaient la gale, comme le cou- 
teau les écailles du scardove, ou d'un autre poisson qui en 
ait de plus larges. 

29. « toi! dit mon Maîlre à Tun d'eux, qui te dé- 
chirés avec les doigts, et parfois en fais des tenailles, 

30. « Dis-nous si parmi ceux d'ici dedans est quelque 
Latin ; et que les ongles éternellement te suffisent à ce tra- 
vail! » 

31 . « — Nous sommes Latins, nous deux que tu vois si 
déformés, répondit lun d'eux en pleurant. Mais toi, qui 
es-tu, qui t'enquiers de nous? » 

32. « — Je suis un qui descend de précipice en précipice, 
avec ce vivant, pour lui montrer l'Enfer. » 

35. Alors, cessant de se prêter un mutuel appui, chacun 
d'eux, tremblant, se tourna vers moi, avec les autres vers 
qui la voix avait rebondi. 



SS.P vidi duo sedere a se poggiati, [ghia.] 
Come a scaldar s'appoggia tegghia a teg- 
Dal capo a' piè di scbianze maculati : 

S6. B non vidi giammai menare stregghia 
Da ragaszo aspettato d;il signorso, 
Né da celui che mal volentier vegghia; 

yr.Comeciascun mena va spesso il uiorso 
Dell' unghie sovra se par la gran rabbia 
Bel pizzicor, che non ha più soccorso. 

S8.Esi traevan giù 1* unghie la scabbia, 
Come collel di scardova le scaglie, 
O d'allro pesée che più larghe 1' abbia. 

19.0 tu che colle dita ti dismaglie, 



Cominciô M Duca mio ad un di loro, 
E che fai d' esse talvolla tanaghe, 

SO.Dimmi s' alcun Laimo è Ira costoro 
Che son quinc' enlio, se V unghia ti basti 
Eternalmente a cotesto lavoro. 

Si. Latin sem noi, che tu vedi si guasti 
Qui atnbodue, rispose T un piangendo: 
Ma tu chi se', che di noi dunandasli? 

52. E 'I duca disse : F son un che discendo 
Con questo vivo giû di balzo in balzo, 
E di moslrar i' Inferno a lui intendo. 

SS.Ailor si ruppe lo cumun rincalzo, 
E treniandu ciascuno a me si volse 
Con allri che l' udiron di rimbalzo. 



438 L'ENFER. 

34. Tout près de moi le bon Maître s'approcha, disant : 
« Deniandc'4eur ce que tu voudras. » Et lorsqu'il se fv^^ret 
tourné, je commençai : 

35. — Que votre souvenir, dans le premier monde^ ne 
s'envole point de la mémoire des hommes, mais.qu'ii.yvive 
durant maintes années! 

36. Dites-moi qui vous êtes et de quelle nation : necrai* 
gnez point, à cause de votre peine hideuse et dégoûtaaU, 
de vous découvrir à moi. 

37. « Je fus d'Arezzo, répondit l'un d'eux*, et Alberto 
de Sienne me livra au feu; mais ce pourquoi je moums, 
n'est pas ce qui m'a conduit ici. 

38. « Bien est-il vrai que je lui dis, par manière de jeu, 
que je pouvais m'enlever dans Pair en volant; et lui, qui 
avait beaucoup de désir et peu de sens, 

39. « Voulut que je lui montrasse cet art; et seulement 
parce que de lui je ne Gs pas Dédale, il me fit brûler par 
tel qui le tenait pour son fils. 

40. « Mais à la dernière des dix bolges, à cause de l'al- 
chimie que je pratiquai dans le monde, me condamna Mi- 
nos, qui ne saurait se tromper. » 

41. Et moi, je dis au Poëte : — Fut-il jamais gens si 
vains que ceux de Sienne? Certes, à beaucoup près, ne le 
sont autant les Français. 



Si. Lo baon Maestro a me tutto s' accolse, 
nicendo : Di a lor ciô che tu vuoli : 
VA io incominciai, poscia ch' ei volse; 

o:i. Se la vosira memoria non s' imboli 
>'el priii:o raondu dall' umane menti. 
Ma s' ella viva sotto molti soli, 

S6. Ditemi chi voi siele e di che genti: 
La vostra sconcia e fasiidiosa pena 
bi palesai vi a me uoil vi spavenlt. 

37. r fui d'Arezzo, e Albero da Siena, 
Rispose r un, mi fe metlere al fuoco; 
Ma quel perch' io mori' qui non au mena, 



38. Vor* è ch* io dissi a lui, parlando a giuoco: 
r mi saprei levar per 1' aère a volo: 
E quei cli' avea vaghezza e senno peco, 

33. Voile ch' io gh mosirassi Tarte, e sola 
Perch' i' nol feci Dedalo, mi fece 
Ardere a lai che i' ave aper ligliuolo. 

40. Ma neir ullima bolgia dalle diece 
Me per alcliimia che nel uiondo usaii 
Dannù Minos, a cui faliir non lece. 

41. Ed io dissi al Poeta : Or fu giamnuD 
Gente si vana coine la Sanese? 
Certo non la l'rancesca si d* assai. 



CHANT VINGT-NEUVIÈME. 43» 

J. Sur quoi, l'autre lépreux, qui m'entendit, répondit à 
dire : « Hors le Stricca, qui sut modérer ses dépenses % 
5. « Et Niccolô, qui le premier inventa la riche cou- 
î** du girofle, dans le jardin" où une pareille semence 
aent prend racine ; 

î. « Et hors la bande parmi laquelle Caccia d'Asciano ** 
pa vignes et bois, et TAbbagliato*' montra ce qu'il 

de sens. 

). « Mais pour que tu saches qui est celui qui ainsi 
re les Siennois te seconde, aiguise ta vue de façon que 

visage clairement te réponde ; 

). (( Tu verras que je suis l'ombre de Capocchio**, qui 
ilchimie falsifiai les métaux, et, si bien je te remets, 
)is te souvenir 



Combien de la nature je fus bon singe 



15 



e r altro lebbroso ahe m' tntese, 
ose al detto mio : Tranne lo Stricca, 
seppe far le temporale spese; 

ccolo, che la costuma ricca 
p^arofunu prima discoperse 
' orto, dove tal semé s'appioca; 
anne la brigata, in che disperse 
ûa d' Ascian la vigna e la gr:m Fronda, 
Ibbagliato il suo senno prof«rsa. 



i5.Ma perché sappi ehi si ti teomda 

Contra i Sanesi, aguzza ver me V occhi»' 
Si che la faccia mia ben ti risponda: 

46. Si vedrai ch* i* son 1* ombra di Capocchiow 
Che falsai li raetalli con alchincia ; 
E ten dee ricordar, se ben t' adocchio» 



Gom' i' fui di natura boona twûnia. 



440 L'ENFER. 



NOTES DU CHANT VINGT-NEUVIÈME 



i. On peut aussi traduire : a Ife f apitoie pas plus longtemps sur M.^ 
2. Frère, ou, selon d'autres, fils de Messer Gione Alighieri, homme de 1 CC 
méchante vie et instigateur de querelles. | f( 

5. Forteresse donnée en garde à Bertrand de Ëomio par le roi Jean. 

4. Il fut tué par un Sacchetti. 

5. L'i Yaldechinna, ainsi nommée à cause de la Ghiana qui la traverse, 
est située entre Ârezzo, Cortone, Ghiusi et Montepulciano. La fièvre des mi' 
rais y fait de grands ravages vers la fin de Tété, comme dans la Maremme el 
dans une partie de la Sardaigne. 

6. Alchimistes et faux-monnayeurs. 

7. Petite île voisine du Péloponcse. Au temps d'Ëaque, une peste, causée 
par l'infection de l'air, y fit périr tous les hommes et tous les animaux. Seloa 
la Fable, Jupiter, à la prière dlÈaque, transforma en hommes les fourmis 
d'Égine ; d'où vint que les nouveaux habitants de cette île furent appelés 
Myrmidons. 

8. On dit que celui-ci est l'alchimiste Triffolino, qui se vantait d'avoir 
le secret de voler dans l'air. Il promit de l'enseigner à un Siennois nommé 
Alberto, qui le crut d'abord, et qui ensuite, s'étant aperçu de la tromperie, 
l'accusa devant l'évcque de Sienne, lequel tetiait Alberto pour son fils; et 
révéque fit brûler GritTolino comme magicien. 

9. Ceci est dit ironiquement. Ce Stricca avait dissipé tout son bien. 

10. Im riche coutume était alors une expression consacrée pour désigner 
le girofle et les autres épices dont les riches usaient dans l'apprêt des mets, 
et particulièrement des perdrix, des faisans, etc. 

11. La ville de Sienne. 

12. Jeune Siennois qui dissipa toute sa fortune en foUeà dépenses. Asciano 
est un château au-dessus de Sienne. 

15. Oi) ignore quel était cet Abbagtiato. 

14. Siennois qui avait étudié la philosophie naturelle avec Dante, et s'était 
ensuite appliqué à l'art de falsifier les métaux. 

15. c Avec quelle perfection j'imilaisU nature.» 



t> 



GHÂ19T TRENTIÈME. 



411 



CHANT TRENTIÈME 



1. Au temps où, à cause de Sémélé^ Junon était irritée 
contre le sang thébain, comme plusieurs fois elle le fit 
?oir, 

2. Adamante si fou devint', que voyant sa femme aller, 
portant ses deux fils, un sur chaque bras, 

3. Il s'écria : « Tendons les rets, pour prendre au pas- 
sage la lionne et les deux lionceaux ; » puis, allongeant ses 
ongles impitoyables, 

4. Il saisit Tun d'eux, qui avait nom Léarque, et, le fai- 
sant tournoyer, le broya contre une pierre ; et celle-là, 
chargée de Vautre, se noya*. 

5. Et quand la Fortune abaissa Torgueil des Troyens, qui 
tout osait, de sorte que royaume et roi ensemble s'éva- 
nouirent, 

6. Hécube triste, misérable et captive, lorsqu'elle eut vu 
Polixène morte, et que, sur le rivage de la mer, 



CANTO TREiNTESIMO 



f .Nel tempo che Giunone era crocciata 
Per Semele contra 'I sangue tebano, 
Come moslrù giâ una ed altra fiata. 

LAtamante divenne tanto tnsano, 
Che veggendo la mnglie co' duo figli 
Andar carcala da cîascuna mano, 

S.Gridô: Tendiam le reti, si ch' io pigH 
La lionessa a i lioncini ai varco : 
E poi distese i dispielati artigli, 



4.Prendendo 1* un ch* avea nome Learco, 
E rotollo, e percosselo ad un'sasso, 
. Equella s' anneg6 con l' altro incareo. 

5.E quando la fort una volse in basso 
L' aliezza de' Troian che tutio ardiva, 
Si che insieme col regno il re fa casco; 

6.Ecnba trisia misera e catliva» 
Poscia che TÏde PoUsena morta, 
E del suo PoUdoro in su la ma 



12b. 



41) L'ENFER. 

# 

7 . Elle fit de son Polydore la funeste rencontrei, forcft» 
née, elle aboya comme un chien, tant la douleur lui tordit 
l'esprit. 

8. Mais ni à Thèbes, ni à Troie, jamais en aucun on ne 
vit autant de furie, ni si cruelle à déchirer, non des mem- 
bres humains, mais des animaux même, 

9. Que j'en vis en deux ombres pâles et nues qui, en se 
mordant couraient, comme le porc lorsqu'on ouvre l'é- 
table. 

10. L'une se jeta sur Capocchio, et au nœud du cou en- 
fonçant les dents, elle le tira de manière qu'elle lui fit grat- 
ter le ventre contre le fond solide. 

11. Et TArétin*, qui demeura tremblant, me dit.: « Ce 
follet* est Gianni Schicchi"', qui, dans sa rage, va ainsi 
accoutrant les autres. » 

12. — Oh! lui dis-je, que sur toi il ne mette point la 
dent^, et qu'à fatigue il ne te soit pas de. me dire qui est 
l'autre, avant qu'il parte d'ici. 

13. Et lui à moi : « C'est l'antique âme de l'exécrable 
Myrrha^, qui, hors du légitime amour, devint Tamie de son 
père. 

14. « A pécher ainsi avec lui elle parvint, en simulant' 
la forme d'autrui, comme l'autre qui s'en va là osa. 



7. Del mar si fu la dolorosa accorta, 
Forsenn.'ila latrô si. corne cane; 
Tanto il dolor le fe la mente torU. 

S. Ma où di Tebe- furie nèTroiane 
Si vider iu.m in alcun tanto crude, 
Nun pungerbeslie, aoncheinembraumane, 

9- Quant' io vidi due ombre smorte e nude, 
(^lie niordt'iido coirevan di quel modo, 
Cheii porco quaudo del porcU si schiude. 

lO.L' una giunsuo Capocchio, et in sul nodo 
Del collu riisstiniio, si clie, liiando, 
Grailar gli ieue '1 veiilre &l fondo sodo. 



It.E r Aretin. che r mase treraando. 
Mi disse : Quel fulletto è G*anni Scbiccbi, 
E va rabbioso altrui cosi conciaudo. 

I2.OI1, diss* io lui, se 1' allro non li ficcU' 
Li denli addosso. non ti sia fatica 
A dir obi è, pria che di qui si spicchi. 

15. Ed egli a me : Quell' ù 1' anima antica 
' Di Mirra sceleiata, che divenne 

Al padre, fuor del drilto ainore, aimea. 

li.Qupsta a peccar con esso cosi venne, 
Falsilicando se in allrui forma; 
Corne r allro, che in là son va, 



ClUNT TRENTIÈME. 



445 



Pour gagner la Dame du troupeau, falsifier en soi 
nati, testant, et mettant le testament en règle. » 
. après qu'eurent passé les deux enragés, sur lés- 
ais l'œil fixé, je tournai mes regards vers les autres 

m vis un qui aurait eu la forme du luth, si Tâmc 

onquée à Tendroit où Thomme se bifurque. 

i lourde hydropisie, qui, avec l'humeur que mal 

crtit, disproportionne tellement les membres que 

au ventre point ne répond, 

li faisait tenir les lèvres ouvertes, comme fait l'é- 

i de soif abaisse l'une vers le menton et relève 

) vous qui, sans aucune souffrance (et je ne sais 

), êtes dans le monde désolé, nous dit-il, regar 

nsidcrez la misère de maître Adam *^. 

/ivant, j'eus à profusion ce que je voulais, et main- 

alheureux, une goutte d*eau je désire! 

jes ruisselets qui, des vertes collines du Casentin, 

nt dans l'Arno, mollement sur leur lit roulant 

îhes ondes, 

Toujours sont devant moi, et non en vain, leur 

altérant beaucoup plus que le mal qui décharné 



lar la donna délia tornaa, 

D se Buoso Donati, 

dando al test.unento norma. 

duo rabbiosi fur passati, 
i io avea 1' occliio tenuto, 
uurdar gli nltri malnati. 

tto aguisa di liuto, 
avesse avula l' anguinaia 
atu ciie 1' uoino ha forcuto. 

opisia clie sî 'Hspaia 

con r umor che mal converte, 

lun rispoadti alla veiilnia, 

ener le labbra ap«rte, 



Gome r etico fa, che per la sete] 

L' un verso *1 mento e l' altro in su riterte* 

20. voi, che senza alcuna pena siete 
( E non so io perché ) nel inondo graino« 
Diss' egli a noi, guardate e attendetu 

SI. Alla miseria del maestro Adaino: 
Io ebbi Yrvo assai di quel' ch' i' volK» 
E ora, lasso! un gocciol d' acqua bramo» 

SS.Li ruscelletti, che de' verdi colli 
Dei Casontin discendon giuso in An», 
Fdcendo i lor canali e freddi e molli, 

2S. Semprc mi stanno innnn^i, e non indaiDO 
Che l' imagine lor via più m' asciuga, 
Che '1 maie ond' io nel volio mi discarno. 



444 



L'Ehfpk; 



24. « La sévère Justice, qui me fustige, pour moi tait 
sourdre, du lieu où je péchai, une plus abondante source 
de soupirs. 

25. <x Là est Romena, où je falsifiai le métal à l'effigie 
de Baptiste^', ce pourquoi j'ai là-haut laissé mon corps 
brûlé. 

26. « Mais si j'eusse vu ici la misérable âme de Guido, 
ou d'Alexandre", ou de leur frère, pour la fontaine de 
Branda^* je n'en donnerais pas la vue. 

27. « Ici dedans est déjà Tun d'eux, si les ombres enra- 
gées qui vont autour disent vrai. Mais que me sert, à moi 
qui ai les membres liés? 

28. « Si j'étais seulement encore assez léger pour, en 
cent ans, avancer d'un pas, je me serais déjà mis en 
route 

29. (( Pour le chercher parmi la gent hideuse, quoique 
onze milles de circuit ait la bolge, et de largeur pas moins 
de la moitié. 

30. « Pour eux suis-je dans une telle famille : ils m'in- 
duisirent à frapper les florins qui avaient trois carats d'al- 
liage. » 

31. Et moi à lui : — Qui sont les deux malheureux qui 
fument, comme en hiver une main mouillée, et gisent ser* 
rés l'un contre l'autre, à ta droite? 



14* La rigMa giustizia che mi fruga, 
Tragge cagion dol luogo ov' io peccai, 
A metter più gli miei sospiri in fuga. 

lS.Ivi è RoniAna, là dov' io falsai 
La Icga suggelbta del Balisia, 
Perch' io '1 corpo suso arso lasciai. 

M. Ma s' io vedessi qui V anima trista 
Di Guide, d' Alessandro, o di lor frate, 
Per Fonte Branda non dard la vista. 

IT.Dentro c' ë Tuna già, se 1' arrabbiate 
Ombre che vanne intorno dicon vero: 
Ha che mi val, c' ho le membra legate? 



18. â' io fossi pur di tante ancor leggiero. ^ 
Ch' i' polessiin cent'anni andare un'oocii 
Io sarei messo già per io senliero, 

t9.Cercando lui tra questa gente sconda, 
Con tutto ch' elia volge undici mi^ia, i 

E men d' un mezzo di traverso non ci bt. 

80. Io son per lor tra si falta famîglia : 
Ei m' indussero a batlere i fiurini, 
Ch' averan tre carati di mcndiglia. 

Si.Ed io a lui: chi son li duo tapini, 
Che fuman corne man bagnala il Temo, 
Giacendo stretti a* tuoi destri confiait 



CHANT TREIVTIËME. 445 

Si!, a Ici les trouvai-je, répondit-il, quand je tombai dans 
cette sentine, et depuis ils n'ont bougé, ni, je crois, ne 
bougeront éternellement. 

33. «L'une est celle qui accusa faussement Joseph ^^; 
l'autre est Sinon", le Grec fourbe de Troie : une fièvre 
ardente fait que d'eux sort cette fumée infecte. » 

34. Et l'un d'eux, qui peut-être fut chagrin de s'en- 
tendre nommer si honteusement, du poing lui frappa la 
dure panse. 

35. Celle-ci sonna comme un tambour; et avec la main 
maître Adam lui frappa le visage, qui ne parut pas moins 
dur, 

36. Lui disant: «Quoique je ne puisse remuer mes mem- 
bres à cause de leur poids, j'ai le bras dispos pour une telle 
besogne. » 

37. A quoi l'autre répondit : a En allant au feu, tu ne 
l'avais pas si agile ; mais oui bien, et plus, quand tu battais 
monnaie. » 

38. Et l'hydropique : « Tu dis vrai en cela; mais tu ne 
fus pas si véridique, lorsqu'à Troie on requit de toi la 
vérité. » 

39. c( — Si mon dire fut faux, tu as, toi, falsifié la mon- 
naie, dit Sinon, et je suis ici pour une seule faute, et toi 
pour plus qu'aucun autre démon. » 



St.Qtiili tnnrai, e poi voita non dierao, 
Rispose, quando piowi in questo greppo, 
E non cr^o che dieno in sempiterno. 

8S.L* una ë la falsa che accusô Giuseppo ; 
L* altro è il fjalso Sinon greco da Troia : 
Per febbre acuta gittan tanto leppo. 

^.B r un di lor che si recô a noia 
Forse d* esser nomato si oscuro. 
Col pugno gli percosse 1* epa croia : 

SB.QwlIa sonô, come fos^e un tamburo: 
B mastro Adamo gli percosse il volto 
Col JMacciosuo, che non panre men duro. 



se.Dtcendo a lui : Ancor che mi sia tolto 
Lo muover per le membra che son graTλ 
Ho io '1 braccio a tal mestier disciolto. 

ST.Ond' ei rispose : Quando tu andavi 
Al fuoco, non V avei tu cosi presto ; 
Ma si e più l' avei quando coniavi. 

SS.El* idropico : Tu di ver di queslo; 
Ma tu non fosli si ver testiuioniot 
Là 've del ver fosti a Troia richiesto. 

U.S'io dissi falso, e tu falsasti il conio 
Disse Sinone, e son qui per un fallo, 
■ E tu per più ch' alcûa allvo <to»voàA« 



441) 



L'ENTER.. 



40. « — Souviens-toi du cheval, parjure ! répondiii»lni 
qui avait le ventre enflé ; et qu'à tourment te suii que tout 
le monde sache ton crime ! 

41 . c( — Et qu'à toi, dit le Grec, à tourment soit la soif 
dont te crève la langue, et l'eau pourrie qui fait de ton 
ventre une haie devant tes yeux l » 

42. Alors le monnayeur : « Ta bouche, comme d'ordi- 
naire, se disloque pour mal dire : quesi j'aîsoif, etqae 
d'eau je sois gonflé, 

45. (( Tuas, toi, la fièvre qui te brûle, et le mal de tête; 
et pour t'inviter à lécher le miroir de Narcisse", point ne 
faudrait beaucoup de paroles. » 

44. J'étais tout, entier appliqué à les écouter^ quand 
mon Maître me dit : « Regarde donc^^! à pea-.lient que 
contre toi je ne me fâche.» 

45. Lorsque avec colère j'entendis mon Maître mcpar- 
Jer, je me tournai vers lui si honteux, qu'encore en ai-jele 
souvenir présent. 

46. Et comme celui qui songe quelque sien dommage, 
et songeant souhaite que ce ne soit qu ua songe, de sorte 
-qu'il désire ce qui est, comme s'il n'était pas, 

47. Ainsi, ne pouvant parler, je désirais m'excuser, 
et je m'excusais réellement, et ne croyais pas que je le 
fisse. 



40.Ricordili, spergiuro, del cavallo, 
Rispose quei ch' aveva inûata l*epa; 
E sieli reo, che tutto '1 mondo sallo.. 

41. A te sia rea la sete onde li crêpa, 

Disse '1 Greeo, la lùigua, e l' acqua marcia 
Che '1 ventre innanzi gli occbi si't' assiepa. 

42. AUora il monetier : Cosi si squarcia 
La bocca tua per dir inal coine suole; 
Chè s* i' ho sete, ed umor mi rinfaruia, 

43.Tu bai 1' arsura, e il capo clie ti duole* 
E per ieccar lu S)iecchiu di Narcisse, 
Noa vorresti a iuvitar moite pari le. 



44. Ad ascoUarli er* io del tutlo fisst, 
Quando 1 Maestro mi disse : Or pur min 
Che per poco-.è che teco noa ai rissQ. 

45. Quando' io '1 senti' a me parlar con ira, 
Volflimi verso lui cou tal vergogna, 
Ch' ancor per la memoria lui si gin. 

46. E quale è quei che suc dann»ggio sogna. 
Che sognando disidera sogiiare, 
Si elle quel ch'è, couie nou fusse, agPgBS, 

47. Tal mi Tec' io, non potendo pariare, 
Chè disiava scusarmi, e scuaava 
Me tullavia, e nol mi credia tare. 



CHANT TREKTIÈME. 



447 



48. c( Moins de honte, dit le Mailre, lave une faute 
is grande que la tienne ; secoue donc toute tristesse ! 

49. « Et s'il advient de nouveau que, parmi des gens qui 
nt de tels débats, la fortune te conduise, pense que tou- 
irs je suis près de toi. 

« Vouloir ouïr cela est un Las vouloir, d 



[aggior difetto men vergogna lava, 
isse '1 Maf stro. che '1 luo non è stato; 
erù d' ogiii trislizia ti disgrava : 

: fa ragiou ch' i' ti sia semij^e allato, 



Se più avvien che fortuna t' accoglitr 
Dove sien genti in siiuigliante piato; 

Chè voler ciô udire è bassa voglia. 



448 L'ERFEB. 



NOTES DD CHANT TRENTIÈME 



1. Jeune Thébaîne aimée de Jupiter» qui eut d'elle Bacchus. 

2. Dans sa haine contre les Thébains, Junon frappa de folie furieuse Adi- 
mante, roi de Thèbes, de sorte que, rencontrant sa femme Iné qui portait 
dans ses bras ses deux jeunes fils, Léarque et Méiicerte, il la prit p<>iir one 
lionne, et s'écria : c Tendons les rets, etc. » 

3. Se jeta dans la mer où elle se noya. 

4. Lorsque, après le sac de Troie, Uécube était conduite en captivité dtni 
la Grèce, elle rencontra sur les rivages de la Thrace le corps de son 61$ h- 
lydore,que Polymnestor avait tué; et, à cet aspect, saisie d'une douleur force- 
née, elle poussa des cris lamentables que le Poète compare aux aboiementi 
d'un chien. Une expression de Juvénal pourrait faire croire que, selon k 
Fable, elle fut en eiïct métamorphosée en chienne : 

Torva canino 
Latrarit rictu, 

dit-il, Satire X^ fiîij vers. 

5. Griffolino, d'Ârezzo. 

6. a Ce furieux. » Les follets étaient des esprits qu'on croyait répandas 
dans Tair. 

7. Gianni Schicchi, Florentin, fameux par son talent de contrefaire les 
personnes. Buoso Donati étant mort sans laisser de testament, ce qui privait 
d'une partie de ses biens son fils Simon Donati, celui-ci pria Schicchi de se 
mettre au lit, d'y contrefaire Buoso malade, et de dicter un testament en a 
faveur. Schicchi y consentit, mais à la condilion de se léguer à lui-même une 
jument blanche, appelée la donna délia tormOt la Dame, la Reine du troa- 
peau. 

8. Formule appréciative dont on a déjà vu des exemples : c'est le tk 
des Latins. 

9. Fille de Cinyre, roi de Chypre. Étant devenue amoureuse de son père, 
elle parvint, en se dégui>ant, à satisfaire sa passion criminelle. 

10. Brescian, qui, à la prière des comtes de Romena, lieu situé près des 
collines du Casentino, falsifia la monnaie, et pour ce crime fut brûlé vif. 



CHANT TRENTIËAE. Uf> 

1. Le florin d'or/ qui portail l'elGgie de saint Jean-Daptiste, patron deFk>- 

ce, et sur l'autre une fleur de lis. De flore y fleur, est venu le nom de fUh 

9j florin. 

[2. Comtes de Bomena ; on dit que leur frère s'appelait Âghinolfo. 

13. C'estri-dire c pour la joie de me désaltérer à la fontaine de Brenda. » 

tait une fontaine de Sienne, célèbre pour Tabondance et la limpidité de ses 

X. 

4. La femme de Putiphar. 

15. Celui qui, trompant les Troyens par ses parjures, fut cause de la perte 

Troie. 

t). L*eau où Narcisse, voyant son image, devint amoureux de lui-même. 

.7. c Continue de regarder, sans perdre le temps à écouter ceux-là. » 



«50 



L'ENFER. 



CHANT TRENTE-UNIÈME 



1. Une même langue d'abord me mordit, de manière 
que rougirent Tune et l'autre joue, et ensuite m'appliqua 
le remède. 

2. Ainsi ai-je ouï dire que la lance d'Achille et de son 
père*, tour à tour était cause de tristesse et de joie. 

3. Nous tournâmes le dos à ce val de misère, traversant, 
en silence, par-dessus la berge qui tout autour le ceint. 

4. Là, il n'était ni nuit ni jour, desorte qu'en avant peu 
s'étendait la vue; mais j'entendis un cor sonner si forte- 
ment, 

5. Que le bruit du tonnerre il aurait étouffé : et à ren- 
contre du son, je dirigeai mes regards vers le lieu d'où il 
venait. 

6. Après la déroute douloureuse*, quand de Charlema- 
gne fut ruinée la sainte entreprise, si terriblement ne sonna 
pas Roland. 



CANTO TRENTESIMOPRIMO 



1. Una roedesma lingua pria mi morse, 

Si cbe mi tinse 1' una e 1' altra guancia, 
Ë poi la medicina mi rlporse. 

2. Cosi odo io, cbe soleva la lancia 
D*Actiil!e e del suo padre e>ser cagione 
Prima di trisla e poi di buona roancia. 

3. Noi demmo '1 do-so al mii^ero vallone. 
Su phT li ripa clic 'i cinge dintorno, 
Attraversando senza alcun sermoae. 



4. Quivi era m en ehe ootte e men cbe giorno 
Si cbe '1 vise m' aodava innanzi poeo : 
Ea io senti' sonare un alto como, 

5- Tanto ch' avrebbe ogni tuon Tatto fioeo. 
Cho, contra se la sun via seguilaado. 
Dirizzô gli occbi miel tutti ad un loco- 

6. Dopo la dolorosa rotta, qnando 
Cailo Msgno perde la fania ^o<ta, 
Non sonô si lerribilmente Orlando- 



CHANT TREÎfTE-UNIÈME. 451 

7. A peine de ce côté eiis-je tourné la tête, qu'il me 
embla voir plusieurs hautes tours, sur quoi : — Maître, 
îs-je, quelle terre est-ce là ? 

8. Et lui à moi : « Parce que trop d'espace parcourt 
a vue à travers les ténèbres, tu te méprends ensuite en ce 
[oe tu imagines. 

9. « Si tu approches, tu verras combien les sens nous 
rompent de loin; cependant hâte-toi un peu plus! » 

10. Puis affectueusement il me prit par la main, et dit : 
Avant que plus près nous soyons, pour que le fait le 

•araisse moins étrange, 

H . « Sache que ce ne sont point des tours, mais des géants, 
t, autour de- la berge, tous sont dans le puits, du nombril 
nbas. » 

12. Comme, lorsque le brouillard se dissipe, le regard 
>eu à peu distingue ce que celait la vapeur qui trouble Tat- 
losphère, 

13. Ainsi perçant Tair épais et obscur, et m'approchant 
eplus en plus du bord, l'erreur fuit de moi, et en moi 
augmenta la peur. 

14. Car, comme au-dessus de sa ronde enceinte, Monte- 
3ggione' se couronne de tours; ainsi, sur le rivage qui 
ntoure le puits, 



Poco portai in là volta la testa, 

Ciie mi panre veder moite alte torri; 

Ond' io : Maestro, di, clie terra è qiiesta? 

Ed egli a me : Perô ctie tu trascorri 
Par ie ténèbre Iroppo dalla lungi, 
Avyien cbe poi ne! maginare aborri. 

Tu vedrai ben, se tu là li congiun<i;i, 
(^anto ilsenso s' ioganna di lonlano: 
Perû alquanlo più le stesso pungi. 

Poi caramenle mi prese per mano, 
g disse : Pria che lioi siam più avanli, 
kcciocciij 'i fdtto oien li paia strano, 



ll.Sappi che non son torri, ma giganti 
F son nel pozzo iniorno dalla ripa 
Dairumbilico in giuso tutti quanti. 

iS.Come, qunndo la nebbia si dissipa, 
Ln sguardQ a poco a poco laftigura 
Ciô clie cela'l vapor che l' aère stipa; 

lô.Gosî, forando V aura grossa e scura, 
Più e più appressai'do in ver la sponda, 
Fiiggéini errore. e giiignéiiii paura. 

14. Perocchè corne in su la cerchia fonda 
Moiiteifcggiun di lurri si corona; 
Cosi la proda, clie '1 pozzo ciicoada. 



452 L'ENFER. 

15. S*élevaîent comme des tours les horribles géants, 
que du ciel encore Jupiter menace quand il tonne. 

16. De quelques-uns, déjà je découvrais la face, les 
épaules, la poitrine, une grande partie du ventre, et les 
deux bras pendants le long des côtes. 

17. Quand la nature abandonna Fart de former des ani- 
maux pareils, elle fit bien, certes, afin d'ôter à Mars de 
tels exécuteurs ; 

18. Et si des éléphants et dés baleines elle ne se re- 
pent, qui bien y regarde plus en cela la juge et juste et 
prudente ; 

19. Car, lorsque le raisonnement de l'esprit* se joint 
au mauvais vouloir et à la force, nulle défense pour per- 
sonne. 

20. Sa face paraissait longue et large comme la pomme 
de pin de Sainl-Pierre à Rome'* et les autres os étaient en 
proportion ; 

21. De sorte que la portion laissée à découvert par le 
bord, qui le ceignait du miheu en bas, était d*une hauteur 
telle, que d'atteindre jusqu'à la chevelure 

22. Trois Frisons se vanteraient vainement ; puisque j'en 
voyais trente grandes palmes, d'en bas à Tendroit où s'a- 
grafe le manteau. 



IS.Torreggiavan dî mezza la persona 
Gli orribiii gig.mli, cui minaccia 
Giove del cielo ancora, quando luona. 

16. Ed io scorgeva già d* atcun la faccia, 
Le spalle e il pelto, e del ventre gran parte, 
E per le cosle giù ambj le braccia. 

n.Natura certo. qnnndo lasciù l' arte 
Di sifaiti animali, assni Te hene, 
Per tor cotali esecutori a Marte. 

l8.Es' ella d' elefanti e di balene 

Non si pente ; ciii guarda sottilmente, 
Più giusta e piii discreta la ne tiene; 



19.Chë dove 1* argomento délia mente 
S' aggiugne al mal volere ed alla poM 
Nessun riparo vi puû far la gente. 

20. La faccia sua mj parea lunga e gros». 
Corne la pina di s.in Pietro à Rome ; 
E a sua proporziou eraii V altr' ossa. 

Si. Si che la ripa, ch'era perizoma 

Dal mezzo in giù, ne roostrava ben taato 
Di sopra, che di giugnere alla chioma 

îî.Tre Frison s' averi.-in dalo mal ranto; 
Perroch'io ue vede;i IrenU gran palmi (t»} 
Dal luogo in giù, dov* uoin s' aftibbia ilM^ 



• l. 



CHANT TRENTE-UNIÈME. 453 

23. « Raphegi, mai, amech, irabi almi% }> commença de 
irier la bouche cruelle, à laquelle point ne convenaient de 
ftius doux cantiques. 

24. Et le Guide à lui : « Ame stupide'', tiens-t'en au cor, 
i soulage-toi avec, quand t* étouffe la colère ou une autre 
lassion. 

25. « Cherche à ton cou, tu trouveras la courroie à laquelle 
1 est lié, âme honteuse, et vois-le en travers de ta large 
lôitrinel » 

26. Puis il médit : « Il s'accuse lui-même. Celui-ci est 
îembrod, par la mauvaise pensée^ duquel point ne s'use 
lune seule langue dans le monde. 

27. c( Laissons-le là, et ne parlons pas en vain; car à lui 
3ut langage est ce qu'aux autres est le sien, que nul ne 
onnait. » 

28. Nous poursuivîmes donc notre voyage, tournant à 
auche, et, à un trait d'arbalète, nous en trouvâmes un 
utre beaucoup plus farouche et plus grand. 

29. Quel fut le maître qui le ceignit je ne saurais le dire ; 
lais, le bras gauche derrière, et le droit devant, il l'avait 
eint 

30. D'une chaîne qui le tenait lié du cou en bas, autour 
u corps à découvert® se repliant cinq fois. 



'•Rapbegi. mai, amech, irabi almi, 
Cominciù a gridar la fiera bocca, 
Cui non si convenien più doici salmi. 

• B'I Duca mio ver lui : Anima sciocca, 
Tienti col corno, e con quel ti disfoga, 
Quand' ira o altra passion ti tocca. 

Cercati al collo e troverai la soga 
^he '1 tien legato, o anima conrusa, 
Ë vedi lui che '1 gran petto ti doga. 

^oi disse a me Egli stesso s' accusa ; 
Quesli è NemkrcMo, per lo cui mal cote 
^ur un linf^uaggio nel mondo non s' usa. 



IT.Lasdamlo stare, e non parliamu a veto : 
Cbè cosi è a lui ciascun linguaggio, 
Come il suo ad altiiii, cb' a nuUu è noto* 

IS.Facemmo adunque più lungo viaggio 
Volli a sinisira; ed al trar d* un balestro 
Truvammo Taltro assai più iiero e maggto. 

S9. A cinger lui, quai che fosse il maestro. 
Non so io dir, ma ei lenea succinto, 
Dinanzi l' altro e dietro il braccio destro, 

50. D* una catena che '1 teneva avvinto 
Dal collo in giù, si che *n su lo scoperlo 
Si ravvolgeva inlvuc\ 'aV ^o q^\w\q. 



154 L'ENFER. 

7)1. c( Ce superbe voulut essayer sa force contre le grand 
Jupiter, dit mon Guide, et il en a ce qu'il méritait. 

52. « Son nom est Éphialtes, et il fit son épreuve cpund les 
Géants effrayèrent les Dieux : les bras qu'il agita plus jamais 
ne se mouveront. d 

53. Et moi à lui : — S'il se peut, je voudrais que me» 
yeux vissent Ténorme Briarée. 

54. Il me répondit : « Près d'ici tu verras Aatée;il 
parle, et n'est pas lié, et nous portera dans le fond delout 
maP*. 

55. c( Celui que tu veux voir est là plus loin; il estlié 
comme celui-ci, et lui ressemble, excepté que de visage il 
paraît plus féroce. » 

56. Jamais ne fut de tremblement de terre si terrible^ 
ni qui secouât si fortement une tour, que soudainement 
Éphialtes se secoua. 

57. Plus que jamais je craignisila mort, et jamais iplo^ 
n'eûi-elle été à craindre, sijen avais vu les liens. 

58. Nous avançâmes et vînmes à Antée, qui bien de cinq 
brasses, sans la tête, s'élevait au^essusde la caverne. 

59. « toi qui, dans la vallée fortunée à laquelle Sci- 
pion acquit un héritage de gloire, lorsque Annibal fuit avec 
les siens ^*, 



r>i.Questo superbo voU' essere sperto 
Di sua potenza contra '1 sommo GioTe» 
Disse il mio Duca, ond' egU ha cotai merto: 

ss.Fialte ha nome; e fece le gran prove, 
Qiiando i giganli fer paura ai Dei : 
Le bracciu ch' eimenô, giammai noniiMOve. 

33.Ed io a lui : S' esser puote, i' Yorrei 
Che dello smisurato Briareo 
Esperienza avesser gli occhi miei* 

Si.Ond' ci rispose : Tu vedraiAnleo: 
l'ressu di qui, che parla, ed è disciolto, 
r.he ne porrà nel londo d' ogni reo. 

35. Quel che tu vuoi veder, piu là è inolto, 



Ed è legato e fatto corne questo, 
Salvo che più féroce par nel volto. 

56. Non fu tremoto già lanto mbesto, 
Che seotesse una torre cosi férié* 
Corne Fialte a scotersi fu presto. 

S7.AUor temetli più che mai la morte; 
E non v' era iiiestier piu che la dottSi 
S' i' non avessi viste le ritorte. 

S8.Noi procederamo più aTanti alloua) 
E venimmo ad Antéo, che ben dnqo'a''*' 
ftenza la testa, uscia fuor delta groi*'- 

59.0 tu, che nella foriunata vi«Ue. 
Che fece Scipion di gluria reda. 
Quand' Annibàl co' suoi diede le spai'^' 



CHART TRKSTE-UNIÈME. 



455> 



40. ce Apportas en butin plus de mille lions ; toi de qui Ton 
tarait croire encore que si, a^ec tes frères, tu eusses été à 
1 haute guerre", 

41. « Les fils de la terre auraient vaincu; porte^non&fen 
>as (et qu'à dégoût cela ne te soit pas!), là où le froid 
lurcit le CocUe. 

42. a Ne nous oblige point d'aller à Titius ouàTiphus^' : 
elui-ci peut donner ce qu'ici Ton désire*^ ; baisse-loi donc, 
it ne détourne point la tète. 

45. « Il peut renouveler ton souvenir dans le monde, car 
1 vit, et attend une vie longue encore, si la grâce, avant le 
emps, ne Fappelle à soi *'. » 

44. Ainsi dit le Maître; et celui-là, en hâte, vers mon 
ruide qu'elles saisirent, étendit les mains dont Hercule 
Bntit la forte étreinte. 

45. Virgile, lorsqu'il se sentit saisir, me dit : « Appro- 
lie-toi, que je te prenne ! » Puis il fit en sorte que lui et moi 
B fussions qu'un seul faix**. 

46. Telle que la Carisenda ", à qui la regarde de dessous 
côté où elle incline, paraît, quand un nuage passe sur 

le, pencher en sens contraire, 

47. Tel me parut Antée. J'attendais de le voir incliner, 
il y eut tel moment où j'aurais voulu aller par un autre 
lemin. 



^ecasti già mille lion per preda : 

S che se fossi stalo air alla guerra 

^ tuoi fralelli, ancor par ch' e' si creda, 

«h* avrebber vinto i figli délia terra; 
tettine giuso (e non ten venga schifo) 
^ve Cocito la Treddura serra. 

ion ci far ire a Tîzio, né a Tifo : 

îuesli puô dar di quel che qui si brama : 

^«rù li china, e non torcer lo grifo. 

^neor li puô nel mcndo render famn ; 
^4i* ei vive, e lunj^a vila cincora uspetln, 
&« innanzi tempo grazia a se nul chiama. 



44.Cosi disse il Maestro; e quegli in firetla 
Le man distese, e prese il Duca mio, 
Und' Ercole senti già grande stretta. 

45.yirgiIio, quando prender si sentio. 
Disse a me: Fatti 'n qua.si ch*io ti prendat 
Poi fece si, ch' un fascio er' egii ed io. 

46. Quai pare a riguardar la Gai isenda 
Sotto il chinato, quand un nuvol vad.i 
Sovr* essa si, ch' eila in contrai io peiulav 

47.Tal parve Antno a me che slava a hada 
Di vederlo chinare, e fu tal* ora 
Cil* i' avrei volulo ir per allra strada. 



456 L'EU FER. 



48. Mais, légèrement, au fond qui dévoré Lucifer et Ju- 
das^* il nous déposa ; et ainsi baissé il ne resta point, 

Mais comme le mât d*un navire il se releva. 



M. Ma lieteniente al fondo, che dÎTora i Né si ehioato li fece dimora, 

Ludfero con Giuda, ci potd ; I 

B com* albero in nate si levd. 



CHANT TRERTE-UNlfeME. 457 



NOTES DU CHANT TRENTE-UNIÈME 



Les poctcs disent q*JC !a lance d'Achille, laquelle avait auparavant 
tenu à son père P61ée, avait la vertu de guérir les blessures qu'elle 
'ailes. 

La défaite de Roncevaux. 

Château qui appartenait aux Siennois. 

Lequel manque aux baleines et aux éléphants, ce pourquoi la nature 

ustement et prudemment, les laisser subsister. 

La grosse pomme de pin en bronze, autrefois placée sur le môle d'A- 

et transférée de là sur le campanile de Saint-Pierre de Rome, d'où, 

sée par le tonnerre, on la transporta dans le jardin du Vatican, près 

ridor du Relvédère, où on la voit encore aujourd'hui. 

D'autres écrivent ainsi ces mots qui n'ont aucun sens : hafel mai 

zabè almiè. 

Dnntc suppose que Dieu troubla l'esprit dQ Nembrod, lorsqu'il entre- 

'élevcr une tour jusqu'au ciel. Il lui dit de laisser là sa langue in- 

^ible, et de s'en tenir à donner du cor; et comme le géant semble ne 

où le prendre. Virgile l'avertit qu'il trouvera à son cou la courroie par 

e il est suspendu en travers de sa large poitrine, 

Coto. Les interprètes assignent divers sens, tous plus ou moins sub- 

ce mot. Le plus simple nous a paru le plus vrai. 

Autour de la partie du corps qui était à découvert, c'est-à-dire du 

Dans le fond de l'Enfer. 

Lucain, dans son poëme, feint que le lieu où Scipion vainquit Annibal, 

trei'ois le royaume d'Antée. 

Lorsque les géants tentèrent d'escalader le Ciel. 

}eux autres géants. 

)n a déjà pu remarquer, plusieurs fois, que Dante suppose dans 

î tous les morts, le désir d'être rappelé à la mémoire des vivants. 

)i Dieu, par grâce, n'abrège le temps de son pèlerinage terrestre, 

ppelerà soi. 

». ». 26 



408 



L'ENFER. 



10. 



Qu'Antée pût les embrasser tous deux ensemble» 

17. fit! Cari senda ou Garisenda est une tour de Bologne, ainsi appelée di 
nom de celui qui fa fit bfttir. Çlle est fortement inciinée, de sorte qu'à celai 
qui. «rcn t>.is, du côté où elle pencbe, verrait un nuage passer au-desss 
d'elle, le nuu^e paraîtrait immobile, et la tour se mouvoir, par conséquent 
pencher en sens contraire. 

18. Neuvième cercle divisé en quatre autres enceintes circulaires. 



^ 



CUANT TRENTE-DEUXIÈME. 



450 



CHANT TRENTE-DEDXIÈME 



1. Si j'avais des rimes *■ âpres et rauques, comme il con- 
viendrait à raffrfiux trou sur lequel s'appuient tous les autres 
cercles, 

2. Plus pleinement j'exprimerais le suc de ma pensée; 
mais n'en ayant pas, non sans crainte je me hasarde dans 
mon récit : 

3. Car entreprendre de décrire le fond de tout Tumvers;, 
point n'est-ce unjeu^ ni d'une langue quilialbulie mamma 
et babbo^. 

4. Mais qu'aident mon vers celles ^ qui aidèrent Amphion 
à clore Thèbes, de sorte que du fait le dire ne diffère pas. 

5. vous, la lie du peuple maudit, qui êtes dans le lieu 
dont il est douloureux de parler, mieux vous aurait valu être 
■Cl ou brebis, ou chèvres. 

6. Lorsque nous fûmes dans le sombre puits, plus bas< 
fe beaucoup que les pieds du Géant* et lorsque encore je 
"^gardais les hautes murailles, 



CANTO TRENTESIMOSECONDO 



-*^^io avessi le rime e aspre e cbiocce, < 
Cocne si eonverrebbe ai iristo buco, 
^n*a '1 quai pontan tutte l' altre rocce, 

^1^ premerei di inio concetto U suco 
^iù ptenamenle; ma percb' io non V abbo, 
Non senza tema a dictir mi conduco. 

VChè non è irapresa da pi^Iiare a gabbo» 
Oescriver fondo a tutlo l' universo, 
S« da iingua cbe cbiarai mamma o babbo. I 



4. Ma quelle Donne aiutino iJ mio versa» 
Ch' aiutaron Antione a chiuder Tebe» 
Si ehe'dal falto il dir non sia diverao 

5. Oh aovra tutte mal crédita plèbe, 

Chp stai nel looo, onde parlare è duro» 
Me' foste state qui pécore o lebe. 

6. Corne noi fununo giù nel pozzo scuro 
Solto i piè del giganle, assai più ba&s 
Ed io rairava ancora ail' alloxauro. 



460 L'ENFER. 

7. J'entendis qu'on me disait : « Prends garde comment 
tu passes, et à ne point fouler les têtes des pauvres miséra- 
bles frères*. » 

8. M' étant retourné, je vis devant moi, au-dessous de 
mes pieds, un lac qui, à cause du gel, ressemblait plus à du 
verre qu*à de Teau. 

9. Ni le Danube chez les Autrichiens, ni le Tanaïs, sous 
le froid ciel, ne cachent en hiver leur cours sous un voik 
aussi épais, 

10. Qu'épaisse était la croûte de ce lac: dessus serait 
tombé le Tambernicchi', ou la Pietrapana'' , que les bords 
mêmes n auraient pas craqué. 

11 . Et comme pour coasser se tient la grenouille, le mu- 
seau hors de Teau, alors que souvent la villageoise songe 
qu'elle glane, 

12. Livides jusque-là où se peint la honte, étaient les 
ombres dolentes dans la glace, claquant des dents comme 
craquètent les cigognes. 

13. Chacune tenait le visage baissé : la bouche, du froid, 
et les yeux, de la tristesse du cœur, en elles rendent témoi- 



gnage. 



14. Après qu'autour mes regards eurent un peu enré, à 
mes pieds je les arrêtai; et j'en vis deux tellement serrés, 
que se mêlaient les poils de la tête. 



T.Dicere udi' mi : Guarda, corne passi; 
Fa si, che hi non c»lclii con le piante 
Le teste de' fratei miseri lassi. 

8. Perch' io mi voisi, e vidirai davante 
E solto i piedi un lago, che per gielo 
Avea di vetro e non d' acqua semblante. 

9. Non fece al corso suo si grosso velo 
Di verno la Danoia in Austericch 
Ne 1 Tanai là sotto '1 freddo delo, 

lO.Com' ern quivi : clie, se Tabernicch 
Vi fosse su caduto, o Pietrapana, 
Non avria pur dall' orlo fatto criée h. 



ll.E come a gracidar si sta la rana 

Col muso fuor deii' acqua, quando sogn 
Di spigoiar sovente la viUana; 

12. Livide insin là dove appar vergf^ina, 
Eran l'ombre dotent i nella ghiRCcia. 
Hettendo i demi in noia di cicogoa. 

IS.Ognuna in giù tenea voila la facda : pràlt 
Da bocca'il freddo, e dagli occhi '1 cflor 
Tra lor testimoiiianza si procaoda. 

14. Quand' io ebbi d' intomo alquanto visto, 
Volsimi a' piedi, e vidi due si stretti, 
Che '1 pel del capo avieno insieme miito» 



CUANT TRENTE-DEUXIËMB. 461 

15. — Vous, dis-je, dont les poitrines tant s'ctreîgnent, 
dites-moi qui vous êtes. Ceux-ci ployèrent leurs cous', et, 
après que sur moi ils eurent levé la vue, 

16. Leurs yeux, auparavant humides seulement en de- 
dans, dégouttèrent sur les lèvres, et la gelée, durcissant les 
liirmes entre les paupières, les referma. 

17. Jamais bande de fer ne lia si fortement bois à bois : 
par quoi, comme deux boucs, ils se cossèrent, si emportés 
furent-ils de colère. 

18. Et un autre, qui par le froid avait perdu les deux 
oreilles, la face baissée, dit : a Pourquoi tant nous re- 
gardes-tu? 

19. «Situ veux savoir qui sont ces deux, la vallée que 
descend le Bisenzio', appartient à leur père Alberto *• et 
à eux. 

20. «Ils sortirent d'un même corps^^; et toute la Caïna^* 
tu pourras fouiller, sans y trouver d'ombre plus digne d'être 
plongée dans la gélatine^' : 

21 . « Non pas même celui de qui la main d' Arthus perça 
d'un seul coup la poitrine et l'ombre ^\ non pas même Fo- 
caccia ", non pas même celui dont la tête 

22 « M'encombre tellement, qu'au delà je ne vois rien, 
«t qu'on nommait Sassol Mascheroni*'. Si tu es Toscan, 
bien sais-tu maintenant qui il fut. 



As.IMtemi toi, che si slringete i petU, 
Diss'io, chi sète. E quei piegaro i coUi; 
E poi ch* ebber li visi a me eretU, 

t<.Gli occhi lor, ch'eran pria pur dentro molli, 
Gocciar su per le bbbra, e '1 geio strinse 
Lelagrime tra essi, e rtserroUi: 

^TLegno con legno spranga mai non cinse 
Porte cosi; ond' ei, corne duo becchi, 
Couaro insieme : tant' ira li vinse. 

^9.Ed un, ch' avea perduii ambo gli orecchi 
Per la freddura, pur col viso in giue 
Disse : Perché cotanto in noi ti specchi? 



19. Se vuoi saper chi son cotesti due, 
La valle, onde Bisenzio si dichina, 
Del padre loro Alberto e di lor fue. 

10. D' un corpo usciro : e tutla la Gaina 
Potrai cercare, e non troverai ombra 
Degna più d' esser (itta iii gelalina : 

11. Non quelli a cui fu rotto il petto e l'ombra 
Con esso un colpo, per la man d* Artù : 
Non Focaccia : non questi che m' ingombra 

IS.Coi capo si, ch' i' non veggio oltre più, 
E fu nomato Sassol Maschei*oni : 
Se Tosco se', ben sa' omai chi fu. 



«Mcfc 



4i1i> 



L'ENFER. 



23. « Et pour qu'en plus de discours point tu ne m'en- 
gages, sache que je suis Camicion des Pazzi^^, et j*attends 
qu'ici Carlin*® me disciripe. » 

24. Je vis ensuile mille faces livides de froid : d'om 
vient et viendra toujours que les gués gelés me donnent le 
frisson. 

25. Pendant que nous allions vers le centre où tend tout 
ce qui pèse, et que dans le froid étemel je tremblais, 

26. Si ce fut vouloir, ou destin, ou fortune, je ne sais : 
mais en marchant à travers les têtes, fortement, au visage, 
j'en heurtai une du pied. 

27. Pleurant elle me cria : « Pourquoi me froisses4u7 
Si tu ne viens pas pour accroître la vengeance de 
Mont'Aperti*', pourquoi me tourmentes-tu? » 

28. Et moi : — Maître, attendsrmoiici, que je sorte d'un 
doute où m'a mis celui-là ; puis tu me hâteras autant quatu 
voudras. 

29. Le Guide s'arrêta; et moi, je dis à ce damné qui 
violemment blasphémait encore : — Qui es-tu, toi qui ainsi 
réprimandes autrui? 

30. « Et toi, qui es-tu, répondit-il; qui, à travers TAn- 
teuora ^, vas heurtant les joues des autres, tellement que 
trop serait-ce si tu étais vivant*^?» 



SS*E perché non mi metli in più sermoni» 
Sappi chi' i' fui il Camicion de' Paui, 
Ed aspelto Carlin che nii sca^'ioni. 

Sl.Posciajrid' io mille visi cagnazzi 

Patli per freddo : onde mi vien ribrezzo 
Ë verra sempre, de' gelati guazzi. 

S5.K mentre ch'andavamo in ver Io mezzo, 
Al quale ogui (:ravezza si raura, 
Ëd 10 tremava nell' elemo razzo; 

16.Se voler fu, o destino, o fortuna, 
Kon su : ma pa^seggiando tra le teste. 
Forte percossi il pie nel viso ad une. 



ST.Piaogenilo nii sgrid6: Perché mi peileT 
Se tu non vieni a cresœr ia vendetta 
Di Hont' Aperti, perché mi moleste? 

28. Ed io : Maestro mio, or qui m'aspetta, 
Si ch' i' esca d' un dubbiu per costui: 
Poi mi farai, quantunque vorrai, frelta. 

39. Lo Duca stette ; ed io dissi a colni 
Che besleiumiava duramenieancora. 
Quai se' lu che cosi raïupogni alirui? 

50. Or tu chi se', che vai per l' Antenon 
Percolendo, rispose, aitrui le gote 
Si, che se fossi vivo, Iroppo lurt? 



L . 



CHANT TRENTE-DEUXIÈME. 46â 

31. — Vivant suis-je, ce fut ma réponse; et si à la re- 
ummée tu aspires il pourrait te plaire que je joigne ton 
om aux autres que j'ai notés. 

32. Et lui à moi : a Du contraire j'ai le désir. Ya-Ven 
ici, et ne me fatigue pas davantage I mal sais-tu flatter 
ins cette fosse. » 

33. Alors je le pris par le chignon, et dis : — Il faudra 
le tu te nommes, ou que pas un poil ici-dessus ne te 
stc. 

34. Lors, lui à moi : a Pourquoi me pcles-tu le crâne? 
t ne te dirai qui je suis, ni ne te l'indiquerai, quand mille 
is tu me foulerais la tête. » 

35. Je tenais déjà ses cheveux roulés dans ma main, et 
lui en avais arraché plus d'une mèche, lui ahoyant les 

iux tournés en bas, 

36. Lorsqu'un autre cria : « Qu'as-tu, Bocca? Ne te 
iffit-il point de claquer des mâchoires, si encore tu n'a- 
Mes? Quel diable te touche? » 

37. — A présent, dis-je je ne veux plus que tu parles, 

échant traître ; à ta honte, je porterai de toi des nouvelles 
aies. 

38. « Va, répondit-il, et conte ce que tu voudras. Mais,, 
tu sors d'ici, ne te tais point de celui qui tout à l'heure 
eu la langue si prompte. 



fno son io, e caro eswr It puote, 

Pu mia risposla, se domahdi farna, 

Ch* io meUa '1 nome tuo Ira l' altre note. 

lùd egli a me : Del conlrnrio ho io brama: 
Levati quinci eiion ini d;ir più lagna; 
Chè mat tai lusin<;ar per questa lama. 

àdor le presi per la culicn^a, 
K dîssi : E' coiiverrâ che tu li nomi, 
9 cbe. capel qui su non ti rima^na- 

Dnd' egiia me : P^rriii tu-roi discbiMni 
Né ti Uirû cln io si», uè moslrerolti, 
Se mille liaie in sul capo lui tomi. 



35. Io avea già i capelli in mano avvolti, 
h', tratli {^iien avea pin d' una ciocca, 
Latrando lui con gii occhi ingiù raccolti; 

56.Qiiando un altro gridi't : Che hai tu, Bocca? 
Non li basta sonar con le mr«scelle, 
Se lu non lati i ? quai diavol ti locca ? 

37. Ornai, diss' io, non vo' che tu f'avello, 
Halvagio traditor, ch' alla tua onta 
Io porterô di te verre novelle. 

53. Va via, rispose, e ciô clie tu vuoi, conta; 
Ma non tacer, se tu di quacnti'eschi. 
De quel ch'ebbe or co&i lu Uu<^v\a \^v<^vi\:4l. 



54 L'EKFER. 

39. « Il pleure ici l'argent des Français : j'ai vu, pow h*- 
ras-tu dire, celui de Duera **, là où les pécheurs sont au lirais* 

40. a Si on te demande quels autres étaient là, tu as à 
côté de toi leBeccaria **, à qui Florence coupa la gorge. 

41 . a Gianni del Soldanier*\ je le crois là plus bas avec 
Ganellon ^ et Tnbadello^ qui ouvrit Faenza pendant qu'on 
dormait. » 

42. Nous avions déjà quitté celui-ci, quand je vis dans 
un trou deux gelés, disposés de manière que l'une des têtes 
à l'autre scivait de chapeau. 

43. Et comme l'afTamé mange le pain, celui de dessus 
dans l'autre enfonça les dents, là où le cerveau se joint à la 
nuque. 

44. Non autrement Tidée, dans sa fureur, rongea les 
tempes de Ménalippe*^, que celui-ci rongeait et le crâne et 
ce qui est dedans. 

45. — toi, dis-je, qui par un acte si bestial montres 
ta haine contre celui que tu manges I dis-moi le pourquoi, 
à cette condition 

46. Que, si de lui à raison tu te plains, sachant qui vous 
êtes et sa faute, dans le monde d'en haut encore je te le 
rende". 

Si cette langue qui te parle ne sèche point 



39. Et piange qui 1' argento de* Franceschi: 
r vidi, poirai dir, quel da Duera, 
Là dove i peccatori stanno freschi. 

40. Se fossi dimandalo altii chi v' era, 
Tu hai da lato quel di fieccheria, 
Di cui segù Fiorenza la gorgiera. 

41. Gianni del Soldanier civdo che sia 
Più là con Ganellone e TribaldfUo, 
Gh* apri Faenia quando si dormia. 

*t.Noi eravam parti! i già da ello, 

Ch' i' Tïdi duo ghiacciali in una buca, 
Si che V un capo ail' allro era cappeUo: 

4ft>B com* r pan per lame si manduca. 



Cosi 1 sovran li denti ail* altro pote 
Li 'Ye '1 cervel s' aggiunge colla nues* 

44. Non altrimenli Tideo si rose 

Le tempie a Menalippn per disdegnoi 
Che qiiei faceva '1 teschio e 1* allre cote. 

45. tu che moslri per si bestial s^no 
Odio sovra celui che tu ii mangi, 
Dimrai '1 perché, diss' io, per tal convegr 

46* Che se tu a ragion di lui ti piangi, 
Sappiendo chi voi siele, e la sua pecc< 
^el mondo suso ancor io te ne cangi, 

Sa quella con ch* io puio, non a sac 



CHANT TneNTE-DEUXIËME. 4C5 



NOTES DU CHANT TRENTE-DEUXIÈME 



i. Le mot rime signifie ici vers^ poésie, et c était aussi une des acceptions 
du mot a rimes » dans notre ancienne langue, à laquelle les Italiens l'ont 
emprunté. Aucun autre ne rendrait exactement la pensée de Dante. 

2. Maman et papa. 

3. Les Muses. 

4. Première enceinte. 

5. a Frères » se rapporte ou à tous les damnés de cette enceinte, ou aux 
deux frères Âlberti, l'un desquels est celui qui parle. 

6. Haute montagne de la Sclavonie. 

7. Autre montagne trôs-éievée en Toscane, près de Lucques, dans le terri- 
toire appelé la Graflugnana. 

8. Les relevant en arrière. 

9. Falterona, vallée de la Toscane, que le Biscnzio traverse pour se jeter 
dans l'Àrno. 

10. Alberto degli Alberti, noble florentin. 

11. Ils eurent une même mère. 

12. Une des quatre enceintes du neuvième Cercle, laquelle tire son nom 
de Gain, et où sont punis les traîties envers leurs parents. 

15. Ironiquement pour la glace. \ 

14. Mordrec, fils d'Arthus, roi de la Grande-Bretagne, s'étant embusqué 
pour tuer son frère, celui-ci l'aperçut et le frappa de sa lance. Un rayon de 
soleil passa, dit la légende, à travers la plaie, de sorte que, d'un seul coup, 
Artiius perça la poitrine et V ombre projetée par le corps. 

15. Focaccia de' Canccllieri. Il coupa la main d'un de ses cousins et tua 
son oncle, ce qui fut l'origine des factions des Noirs et des Blancs ù Pistoie. 

16. Florentin qui tua son oncle. 

17. Messer Camicione de' Pazzi de Yaldarno, qui tua en trahison Messer 
Ubertino, son parent. 

18. Messer Garlino de' Pazzi, de la faction des Blancs, livra pour de l'ar- 
gent, aux Noirs de Florence, le château de Piano di Trevlgna. Camicianc 
attend qu'il vienne le disculper; c'est-à-dire que son crime fasse paraître 
le sien moindre. 



L'EHFER. 

19. Celui qui parle est Bocca de^Ii A bâti, Florentin du parti Guelfe, p*^ 
h trahison de qui quatre mille Guelfes furent tués près de Mont' Aperti 

20. Autre enceinte, ainsi nommée d'Anténor, qui, selon Dictys de Crète 
et Darès le Phrygien, trahit Troie, sa patrie. 

21. Bocca, qui croit Dante une ombre, s'étonne que ses pieds heurtent 
les joues de ceux gisants là, comme si c'étaient les pieds d'un Tivanl. 

22. Buoso da Duera de Crémone : il vendit au comte Gui de Monlfort, 
commandant de Parmée française, le passage par où celui-ci entra dans la 
Fouille. 

23. Il était de Pavie, et abbé de Vallombrtose. Envoyé par le Pape légat à 
Florence, il y trama, de concert avec les Guelfes, un complot contre les Gibe- 
lins, lequel ayant été découvert^ on lui trancha la tête. 

24. Giovanni Soldanieri, du parti Gibelin. Les Gibelins voulant enlever le 
pouvoir aux Guelfes, il les trahit, se joignit aux Guelfes, et se fit chef du nou- 
veau gouvernement. 

25. Le traître dont il est tant parlé dans l'histoire fabuleuse de Cbarie- 
magne. 

26. Il était de Faensa, et ouvrit de nuit, en trahison, les portes de celte 
ville aux Bolonais. 

27. Tidée, tils d'^ée,' roi de Calydonie, et Ménalippe^ Thébain, coni' 
battant l'un contre l'autre près de Thèbes, furent tous deux mortellement 
blessés. Tidée, qui survécut à son ennemi, se fit apporter sa tête, et la ron- 
g^ de rage. 

28. c A cette condition, qu'en échange de ce que tu me diras, je publierai 
dans le monde le crime de celui que tu ronges, et la justice de ta vengeance.» 



CHANT TREKTE-TROISIËME. 



467 



CHANT TRENTE-TROISIÈME 



\ . De l'horrible pâture ce pécheur souleva la bouehe, 
Tessuya aux cheveux de la tête que par derrière il lamait 
oyée. 

2. Puis il commença : « Tu veux que je renouvelle la 
uleur désespérée qui, seulement d'y penser, m'oppresse 
cœur, avant que je parle. 

5. c( Mais si mes paroles doivent être une semence d'oà 
lueille l'infamie ce traître que je ronge, tu me verras pieu- 
et parler tout ensemble. 

4. « Je ne sais qui tu es, ni comment tu es venu ici-bas ; 
is à t'entendre, bien me parais-tu Florentin. 

5. « Sache que je fus le comte Ugolin^, et celui-ci est 
'chevêque Roger : tout à l'heure je te dirai pourquoi je 
suis un pareil voisin. 

S. c( Que, par l'effet de ses méchantes pensées, me fiant à 
, je fus pris, et ensuite mis à mort, pas n'est besoin de le 



CANTO TRENTESIMOTZRZO 



bocca soUevô dal fieno pasto 
lel peccator, forbendola a' capelli 
1 capo ch' egli avea di rétro guasto. 

i comiiiciô : Tu vuoi ch' io rinnovelli 
iperato doLcr che '1 eor rai preme, 
I pur pensando, pria ch' i' ne favelli. 

se le mie parole esser den semé, 
e frulti infamia al traditor ch' i' rodo, 
'lare e lagrimar vedrai insieme. 



4. r non so chi tu sie, ne per che modo 
▼enuto se' quaggiù; ma FiorNitino 
Mi sembri veraraente quand' i* t' odo. 

5. Tu dèi saper, ch' i' fui '1 Conte UgolinOy 
Ë questi l' Arcivescovo Knggieri: 

Or ti dirô perch' i' son tal vicino. 

6. Che per l' efletto de' suu' mai pemierir 
Fidandomi di lui, io fossi çrem 

E po&ôamoTlo^ dis tum^toctiàn^ 



lis L^£5FEft. 

7. « Mais ce que tu ne peni; zTolr appris, combien ma 
mort fut cruelle, lu Tentendras, et tu sauras si par lui je 
(us ofTensé. 

8. « Un étroit pertuis est dans la mue* à cause de moi 
ar pelée de la Faim, et où il faut que d'autres encore soient 
enfermés. 

9. « n m'avait^ par son ourerlure, déjà montré plusieurs 
fois la lune, quand je tombai d^ns le mauvais sommeil, qui 
le voile de Tavenir pour moi déchira. 

10. ff Celui-ci me paraissait maître et seigneur, et chas- 
sait le loup et les louveteaux vers les monts qui empêchent 
les Pisans de voir Lucques : 

11. a Avec des chiennes maigres, agiles et bien dres- 
sées, devant lui il avait posté Gualandi, et Sismondi, et Lan« 
franchi. 

12. « Après une plus longue course, fatigués me parais- 
saient le père et le fils, et il me semblait voir les deots 
aiguës leur ouvrir les flancs. 

15. « lorsque avant le matin je fus réveillé, j'entendis 
mes fils, qui étaient avec moi, se plaiudre en dormant et 
demander du pain. 

11. « Bien cruel es-tu, si déjà tu ne t'attristes, pensant 
à ce qui s'annonçait à mon cœur; et si tu ne pleures pas, de 
quoi pleureras-tu? 



T.Perô. quel che non puoi avère inteso, 
Cioë, corne h m^rte tnia fu cruda, 
Udiiai, e Mprdi se m' ha offeso. 

8. Brève perlugio dentro dalla muda, 
La qu;<l per me ha '1 liiol délia famé, 
t in che conviene ancorcb'altri t>i chinda, 

9. M' avea raosirato per lo suo forante, 
Più lune già. quand i' feci 't mal sonne, 
Che del future mi S'iuarciô '1 velanie. 

10-Quesli pareva a me maestro e donno, 
Caccinndo il lupo e i lupicini al monte, 
fer che i Pisan vedev Lucca non voQQO. 



il.Conca^eniagre, studiose e crnte, 
Gualandi con Sismondi e coa Lanfrandù 
S' avea messi dinanzi dalla fronte. 

11. In picciol corso rai pareano stanchi 
Lo padre e i ligli, e con t agut e scaae 
Mi parea lor veder fender li fiancbL 

IS.Quando fui desto innanzi la dimane, 
Pianger senti' fra 'i sonno i miei lîglioA 
. Ch* eran con meco, e dimandar del pu». 

14. Ben se' crudel, se tu giâ non ti duoli, 
Pensando ciô che 1 mio cor s* annunaifi» 
E se non piangi, di che pianger suolif 



il 



\ 



CDANT TRENTE-TROISIÈME. 4^0 

15. « Déjà ils étaient éveillés, et Theure approchait où, 
de coutume, la nourriture on nous apportait, et, à cause de 
son rêve, chacun était en anxiété. 

16. « Et j'entendis en bas sceller la porte de l'horrible 
tour, et de mes fils je regardai le visage, sans rien dire. 

17. a Je ne pleurais pas, tant au-dedans je fus pétrifié : 
ils pleuraient, eux ; et mon petit Anselme dit : — Père, 
comme tu regardes I Qu'as-tu?... 

18 « Cependant je contins mes larmes, et ne répondis 
point, ni de tout ce jour, ni la nuit d'après, jusqu'à ce que 
le soleil se fût de nouveau levé sur le monde. 

19 a Lorsqu*un faible rayon eut pénétré dans le triste 
cachot, et que sur quatre visages je vis mon propre as- 
pect', 

20. c( De douleur les deux mains je me mordis; et ceux-là, 
pensant que c'était par l'envie de manger, soudain se le- 
vèrent, 

21 • a Et dirent : — Père, bien moins de peine nous se- 
rait-ce, si de nous tu mangeais ; tu nous as revêtus de ces 
nisérables chairs, et toi aussi dépouille-nous-en I... 

22. a Lors je me calmai, pour ne pas les affliger plus. Ce 
^ur et le suivant, nous demeurâmes muets. Ah 1 terre bar- 
)are, pourquoi ne t'ouvris -tu point? 



s. Già eran desti, a F ora trapassaya, 
Che '1 cibo ne aoleva essere addotto, 
E par suo aogno oiascun dubitata: 

••Bd io aentii chiavar l' uscio di sotto 
AU' orribilé torre ; ond' io guardai 
Nel viso a' mid figliuoi, senia far motto. 

7.Io non piangera : ai dentro impietrai: 
Piangeran elli : ed Anselmuccio mio 
Disse : Tu guardi si, padre : che bai? 

8*Perô non lagrimai, ne rispos' io 
TuUo quel g^rno» ne la notte appresso, 
lalln che l' altro Sol nel mondo uado. 



it.Come un poco di raggio si fù mesao 
Nel doloroso carcere, ed io scdrsi 
Per quattro Tisi il ado aspetto stesao; 

SO.Ambo le mani per dolor mi moni. 

E quei, pensando ch' io H feasi per toglia 
Di manicar, di subfto levorsi, 

11. E disser : Padre, assai ci fia men dogUa, 
Se tu mangi di noi : tu ne testisti 
Queste misère cami, e tu le apoglia. 

IS. Quêta* mi aUor per non farli più tristi: 
Quel di' e l' altro stemmo tutti mnJLv*. 
ihi dura lenai, p«ccYil^ tmi^ %9Mâ^ 



AI, 



na 



470 L'EBFKR. 

23 . a Quand nous t&mes au quatrième jour, Giiadâo tomba 
étendu à mes pieds, disant : — Père , pourquoi ne me 
secours-tu?... 

24. « Là il mourut : et, comme tu me vois, je vis les 
trois autres tomber, un à un, entre le cinquième jour et le 
sixième; et moi, 

25. « Déjà aveugle, de Tun à l'autre à tâtons j'allais; 
trois jours je les appelai après qu'ils furent morts. .. Puis, 
plus que la douleur, puissante fut la faim. » 

26. Cela dit, il tourna les yeux, et renfonça les dents 
dans le crâne misérable, qu'il broya comme le chien broie 
les os. 

27. Ahl Pise, honte des peuples du beau pays où sonne 
le 5i*, puisqu'à te punir tes voisins sont lents, 

28. Que la 'Gapraia et la Gorgona* se meuvent et barrent 
TAmo à son embouchure, de sorte qu'en toi tous soient 
noyés. 

29. Si le comte Ugolin était soupçonné d'avoir en tra- 
hison livré tes châteaux, tu ne devais pas infliger à ses fib 
un pareil tourment. 

30. Nouvelle Thèbes, l'âge nouveau rendait innocents 
Uguccione et le Brigata*, et les deux autres que plus haut 
nomme ce chant. 



SS.Posciachè fummo al quarto di' venuti, 
Gaddo mi ri gittô disteso a' piedi, 
Oicendo : Padre mio, che non m* aiuti? 

14.Quivi mori : e corne tu me vedi, 
Vid' io cascar li tre ad uno ad uno 
Tra 'Iquinto di' e '1 sesto : ond' io mi diedi 

SS.Già cieco a brancolar sovra ciascuno, 
E due di' li chiamai poich' e* fur morti: 
Poscia, più che '1 dolor, potè il digiuao. 

26. Quand* ebbe detto ciô, con gli occhi torli 
Riprese il teschio misero co' denti, 
Che furo air osso. corne d' uu can, totlx. 



rr.Âhi Pisa, vituperio délie genti 
Del bel paese là dote 1 «i suona, 
Poichè i vicini a te punir son leoti, 

SS.Movasi la Capraia e la Gorgona, 
B faccian siepe ad Arno in su h foce, 
SI ch* egli annieghi in te ogm' penou. 

SS.Chë se '1 Conte Dgolino aveva Yoce 
D' aver tradita te délie casteDa, 
Non dovei tu i figliuoi porre a tal crocfr 

SO. Innocent! facea I* etii novella, 
Novella Tebe» Uguccigne e il Brigita, 
E ^Ualtri duo che il canto suso appdi*- 



Uû 



CHANT TRENTE-TROISIÈME. 471 

31. Passant outre, nous vînmes en un lieu où durement 
la glace en enveloppe d'autres, étendus, non le visage en 
bas, mais à la renverse. 

32. Là les pleurs mêmes empêchent do pleurer ; sur les 
yeux trouvant un obstacle, ils rentrent en dedans pour ac- 
croître Tangoisse, 

33. Parce que les premières larmes se congèlent, et 
comme des visières de cristal, au-dessous des cils, remplis- 
sent toute la coupe. 

34. Quoique le froid eût, comme un cal, privé mon 
visage de tout sentiment, 

35. n me semblait sentir un peu de vent; sur quoi je dis - 
— Maître, qu'est-ce qui le produit? Ce lieu n'est-il pas vide 
de toute vapeur? 

36. Et lui à moi : « Tu seras bientôt là où, voyant la 
cause de ce souffle, l'œil à ta question répondra. » 

37. Lors un des malheureux qu'enveloppe la froide 
croûte nous cria : « âmes si cruelles que la demeure la 
plus basse vous est assignée, 

38. «Otez-moi du visage les durs voiles, que je puisse 
un peu exhaler la douleur dont mon cœur est plein, avant 
que les pleurs regèlent. )» 

39. Et moi à lui : — Si tu veux que je te soulage, dis-moi 
qui tu es; et si je ne te dégage, que j'aille au fond de la glace I 



Sl.Noi passamm' dtre, là 're la gelata 
Ravidamente un* altra gente fascia, 
JUm volta in giù, ma lutta riveraata. 

St.Lo inanto stesso li pianger non lascia, 
E '1 duol, che truoYa in su gli occhi rintoppo, 
8iT(rive in entroa far crescer i'ambascia: 

lS.Chë te lacrime prime fanno groppo, 
E, si eome lisière di cristallo, 
Biempion sotto '1 ciglio tutto il coppo. 

'H*Bd arfegna che, si come d' un callo, 
Per la freddura ciascun sentimento 
Cessato avesse del mio viso stallo, 

U,&k mi parea sentire alquanto vento; 



Perch' io : Maestro mio,que8to chi muoye? 
Non e quaggiuso ogni vapore spento ? 

S6.0nd' egli a nie : Avaccio sarai dove 
Di ciô ti farà 1' occhio la risposta, 
Veggendo la cagion che U fiato piove. 

S7. Ed un de* tristi délia fredda crosta 
Gridô a noi : anime crudeli 
Tanto, clie data v' è i' ultime posta, 

38.Levatemi dal viso i duri veli, [pregna,] 
Si ch' io sfoghi il dolor che '1 cor m' im- 
Un poco, pria che '1 pianto si raggeli. 

59. Perch' io a lui : Se vuoi ch' io ti sovvegna, 
Diinmi chi se'; e s' io novi V\ d\<&V^x\%<(^, 
Al (ondo deWa fO^\acc\aL\r vcv\ caun^^bga.. 




42* c Td ert le priiîlége de cette 
fot fine 5 tombe aiaot que Ft 

43« c Et afini|iieplBiVQloiitîefstMiBeiiclesdBvis^ele8 
bnnef defeones lem, ndie qoTaBBilit qae Tiiiie tnhît, 

44. < Cornue je Ta fidt, on dénoB fTcnfiare de soo 
eorpi, etensoite legoaienie, jaaqpia eeqœ «w temps soit 

45. « Elle tmbe dans eettecafenie ; et peut-être qu'en- 
core lâ'baut se Toît le carfs de eehii qui, là detnère moi, 
grelotte. 

46. c Ta dois le saTOÎr, a tu ne Eus que d'arriiFer ici : 
c'est ser Branca d'Oria", et plusieurs années ont passé déjà, 
depuis qu'il fut ainsi enserré. » 

47. — Je oroiSy lui dis-je, que tu me trompes ; Bnmca 
d'Oria n'est nullement mort : fl mange, et boit, et dort, et 
se vét. 

48. a Plus haut, me dit-il, dans la fosse des Halebran- 
cbi, où bout la poix visqueuse, n'était pas encore venu Hi- 
ebel Zancbe, 



M. BifpOM ââtinque : V son Frate Alberigo: 
lo êfiit quel dalle frotte del mal orto, 
Che qui riprendo dattero per iigo. 

4 1. Oh, diMi lui, or M* tu ancor morto? 
Kd egli a me : Coro« U roio corpo stea 
N«l inondo au« nuUa idenzia porto. 

il'OHal Tantagf io ba quetta Tolomea, 
Uhe apetie volte 1' anima ci cade 
limanti ch' AtropAs moaia le dea. 

4S.E perchA tu più volentier mi rade 
Le invetriate iagiîme dal volto, 
tappi ctie toeto che l' anima trade, 

U, Comê fec' io, U corpo tuo l' i toUo 



Da on dimonîo, ebe posda il gorema 
Mentre che 1 tempo suo tutto sia voho. 
45. Ella ruina in si faite cistema: 
E forse pare ancor lo corpo auso 
Dell' ombra che di qua dletro mi vema. 

40. Tu '1 dêi aaper, ae tu yien pur roo giuao: 
Egli è Ser Branca d* Oria, e son più anni 
Poscia passati ch' ei fu ai racchiuso. 

47 -F credo, dias'io lui, che tu m' inganni; 
Chè Branca d' Oria non mon unquanche, 
Ë mangia, e bee, e dorme, e veste panai. 

48.Mel fosso su, diss' ei, di Malebrancbe, 
Là dove belle la tenace pece, 
Non era giunto ancora Michel Zanche, 



CHANT TRENTE-^TROISIËME. 



473 



49. c< Que celui-ci, à sa place, laissa un diable dans son 
corps, aussi bien que son parent^* qui avec lui commit la 
trahison. 

50. a Mais, maintenant, ici étends la main, et ouvre-moi 
' les yeuxl » Je ne les lui ouvris point; et ce fut courtoisie 

que de lui être discourtois. 

51 . Génois, hommes de mœurs à part, et pleins de 
tous vices, que de vous le monde n'est-il délivré? 

52. Tels étes-vous, qu^avec le pire esprit de la Romagne je 
trouvai Tun de vous, dont, à cause de son œuvre, Tâme se 
baigne dans le Cocyte, 

Tandis qu'encore, en haut, le corps parait vivant. 



49.Che questi lasciô un diavolo in sua Teee 
Nel corpo suo, e d' un suo prossimano, 
Che '1 tradimento insieme con lui fece. 

SO.Ma distendi oramai in qua la mano : 
Aprimi gli occhi : ed io non giiele apeni, 
B cortesia fa lui esser villano. 

tl.Ahi Genoveâ, uornini diverti 



D' ogni oostnme, e pien d' ogni magagna. 
Perché non siete voi del mondo spersi? 

51. Che col peggiore spirto di Romagna 
Trovai un tal di voi, che per su' opra 
In anima in Cocito già si bagna, 

Ed in corpo par vivo ancor si sopra» 



«.. 



474 L'ENFER. 



NOTES DU CHANT TRENTE-TROISIÈME 



i. Ugolino, comle de la Gherardesca, noble Pisanda parti Gnelfe. D'accord 
avec l'archevêque Ruggieri degli Ubaldini, il chassa de Pise son nevea Nino, 
et se fit Seigneur de la \ille i sa place. Mais, par envie et par haine de parti, 
l'archevêque, aidé des Gualandi, des Sismondi et des Lanfranchi, souleva le 
peuple contre le comte, fit prisonniers lui, ses deux Gis Gaddo et Uguccionei 
et ses trois petits-fils, Ugolino, surnommé il Brigata, Ârrigo et Ânselmuccio, 
les enferma dans la tour des Gualandi, dite des Sept-Voies; puis, afin qu'on 
ne pût leur porter d'aliments, en fil jeter les clefs dans l'Âmo. 

2. La tour où on l'enferma, comme on enferme les poulets dans une mue, 
et qui depuis lors lut appelée la Tour de la Faim. 

3. c Lorsqu'en voyant ces visages défaits, je compris combien je l'étais 
moi-même. » 

4. Du pays où se parle la langue italienne. 

5. Deux petites îles situées près de l'embouchure de l'Àrno. 

6. L'un fils, l'autre pelitr-fils d'Ugolin. 

7. Âlberigo des Hanfredi, seigneur de Faenza, se fit Frère Gaudente. 
S'étant brouillé avec quelques-uns d'eux, il feignit de se réconcilier, et les 
invita à un repas somptueux. Au moment où il ordonnait d'apporter les fruits, 
ce qui était le signal convenu, des sicaires apostés se ruèrent sur les con- 
vives, et en tuèrent plusieurs. 

8. < Pour le mal que j'ai fait, je reçois mal plus grand. » 

9. Troisième enceinte du neuvième Cercle, ainsi nommée ou de Ptolomée, 
roi d'Egypte, qui trahit Pompée après sa défaite à Pharsale; ou de Ptolomée, 
prince des Juifs, qui tua en trahison son beau-père et deux de ses cousins. 

10. Celle des trois Parques qui tranche le fil de la vie. 

11. Génois qui tua en trahison Michel Zanche, son beau-père, que Dante 
met aussi en enfer, parmi les artisans de fraude, ch. XXII. 

12. Ou dit qu^ c'était un de ses neveux, qui l'aida à commettre le meurtre. 



CHANT TRENTE-QUATRIÈME. 



475 



CHANT TRENTE-QUATRIÈME 



1. « Vexilla régis prodeunt Infemi^ de noire côté : De- 
vant donc, dit le Maître, regarde si tuTaperçois. » 

2. Tel que, quand passe un nuage épais, ou que la nuit 
se fait dans notre hémisphère, paraît dans le lointain. un 
moulin que le vent fait tourner, 

ô. Quelque chose de pareil alors je crus voir. Puis, à 
cause du vent, je me réfugiai derrière mon Guide, n'ayant 
point d'autre grotte. 

4. Déjà (et avec peur je le raconte dans mes vers), j'étais 
là où les ombres sont toutes recouvertes, et apparaissent 
comme un fétu dans le verre transparent : 

5. Les unes sont couchées, les autres debout ; celle-ci la 
tète, celle-là les pieds en haut; d'autres ont les pieds el la 
face courbés en arc. 

6. Lorsque nous fûmes assez avant pour qu'il plût à mon 
Maître de me montrer la créature qui d'aspect fut si belle, 



CANTO TRENTESIMOQUARTO 



i.f exilla régis prodaat Infemi 
Verso di noi : perù dinaïui mira. 
Disse *1 Haeslro inio, se tu '1 discerni. 

ftCome, quando una grossa nebbiaspira, 
quando V emisperio nosiro annotta. 
Par da lungi un miilin che '1 vento gira; 

S.Teder mi parve un t.il dilicio allotta : 
Poi per lo vento mi rislrinsi relro 
Al Duca niio; chè non v' era allra grotla. 



4. Già era (e con paura il metto in naetro) 
Là, dove 1' ombre tulte eran coverte, 
E trasparén corne festuca in <?etro. 

S.AUre stanno a giacere ; altre slanno- er*e, 
Quella cul capo, e quflla colle piaiite; 
Aitra, corn' arco, il voltu a' piedi inirerte. 

6. Quando noi Tummo fatti tanio nvante, 
Cb' al mio Maestro piacqtie di mostrarini 
La creatura cb' ebbe il bel secabia&iA. 



476 ,1'ENFEB. 

7. Il passa devant moi, et m'arrêta, disant : — Voilà 
Dite, et voilà le lieu où il faut que tu t*armes de courage. 

8. Combien je me sentis frissonner et défaillir, ne le 
demande, lecteur I point ne Técris, parce que toute parole 
serait faible. 

9. Je ne mourus point, et ne demeurai point vivant: 
pense maintenant toi-même, si tu as quelque entendement, 
quel je devins, privé de lun et de Tautre. 

10. L'Empereur du royaume douloureux, depuis le mi- 
lieu de la poitrine sortait de la glace : et plus de proportion 
ai-je avec un géant, 

11. Que n'en ont les géants avec ses bras : vois donc ce 
que doit être le tout, pour correspondre à cette partie. 

12. S'il fut aussi beau qu'il est maintenant hideux, après 
avoir élevé ses sourcils contre son Créateur, bien doit de lui 
procéder tout deuil. 

15. Ohl quelle merveille ce me fut, quand je vis trois 
faces à sa tête : Tune devant, et celle-ci était rouge ; 

14. Des deux autres qui s'y joignaient au-dessus du 
milieu de chaque épaule, et s'unissaient à l'endroit de la 
crête, 

15. La droite paraissait entre jaune et blanche: et la 
gauche à la vue était telle que ceux qui viennent des lieux 
d'où le Nil descend. 



T.Dinanzi mi si toise, e fe ristarmi, 
Ecco Dite, dicendo, ed ecco il loco 
Ove convien ctie di fortezza t' armi. 

8. Corn' io divenni allor gelato e (ioco, 
Noi dimandar, letlor, ch' i' non lo scrivo, 
Perô ch' ogni parlar sarebbe poco. 

9. Io non morii, e non rimasi vivo: 
Pensa oramai per te, s' hai fior d' ingegno, 
Qual'io divenni, d' uno e d* altro privo. 

10. Lo 'mperador del doloroso regno 

Damezzo '1 petto uscia fuor délia ghiaccia ; 
E più con un gigante io mi convegno, 

li.Che i giganti non fan con le sue braccia: 



Vedi oggimai quant* esser dee quel tatt» 
Ch' a cosi fatta parte si confaccia. 

11. S' ei fu si bel com' egli è ora brulto, 
E contra '1 suo Fattore alzù le cigiia, 
Ben dee da lui procedere ogni lutlo. 

13.0 quanloparve a me gran meraviglia, 
Quando vidi tre facce nlla sua lesta I 
L'una dinanzi,e quella era vermiglia; 

14. Dell' altredue, che s' aggiugnénoa queiti 
Sovresso 'i mezzo di ciascuna spalla, 

£ si giugnéno al luogo délia cresta, 

15. La destra parea tra bianca e gialla; 
La sinistra a veder era tal, quali 
Vengon di là, onde '1 Nilo s' avvalia. 



CHANT TRENTE-QUATRIÈME. 



477 



Vu-dessous de chacune sortaient deux grandes ailes 
ionnces à un tel oiseau : jamais sur la mer je ne yis 
lies voiles. 

îlles étaient sans plumes, et ressemblaient à celles 
ives-souris; de leur battement s'engendraient trois 

ît tout le Cocyte en était gelé. De six yeux il pieu- 
sur trois mentons, goutte à goutte, tombaient les 
!t la bave sanglante. 

)e chaque bouche, avec les dents, comme broie la 
un pécheur il broyait, de sorte qu'ainsi il en tour- 
trois. 

i celui de devant la morsure n'était rien près des 
'échine parfois restant tout entière dépouillée delà 

( Celte âme qui, en haut, souffre la plus grande 

it mon Maître, est Judas Iscariote, qui a la lête de- 

ît dehors agite les jambes. 

[ Des deux autres qui ont la tête en bas, celui de qui 

noire chevelure, est Brutus : vois comme il se tord, 

1 dire. 

( L'autre qui parait si membru, est Cassins. Mais la 

eut, et il est temps de partir, maintenant que nous 

ut vu. » 



:una usdvan duo grand' ali, 
conveniva a tanto uccello : 
ir non vid' io mai cotali. 

1 penne, ma di vipisirello 

3do ; e quelle svolazzava, 

venti si movién da ello. 

nto tutto s' aggelava : 
chi piangeva, e per tre menti 
pianto e sanguinosa bava. 

)cca dirompea co' denli 
)re a guisa di maciuUa, 
ne facea cosi dolenti. 



fO.A quel dinaczi f! mordere era nulla 
Verso r graftiar, chë talvuiia la schiens 
lUmanea deila pelle tutta bruUa. 

St.Quell' anima lassù che ha maggior pena, 
Disse '1 Maestro, è Giuda Scariotto, 
Che ilcapo ha dentro, e l'uorlegambemeni. 

SS.Degli altri duo c' hanno il capu di sotto, 
Quei che pende dal nero ceilo è Briito: 
Vedi corne si storce, e non fa moito : 

25. B r altro è Cassio, che par si membruto. 
Ha la notte risurge; e oramai 
Ê da pariiT» cYvè VviWo «iscm ^i^^^oXa* 



478 L'EKFER. 

24. Comme il iui plut j'embrassai son cod ; et loi, cboî- 
8i!>saDt le moment et le lieu, lorsque les ailes fureut en- 
tièrement ouTertes, 

25. Se prit aux côtes yelues, puis de poil en poil il des- 
cendit, entre Tépaisse fourrure et les parois glacées. 

26. Quand nous fûmes là où la cuisse tourne surlasfil- 
lie de la hanche, le Guide, et avec angoisse, 

27. Porta la lêteoù il avait les jambes, et s'accrochaao 
poil comme quelqu'un qui monte, de sorte que je croyais 
retourner en Enfer. 

28. «Tiens-toi bien, dit le Maître, haletant comme nn 
homme épuisé de fatigue ; il faut que, par cet escalier, nons 
quittions le séjour de tant de maux. » 

29. Puis, par Touverture d'un rocher, il sortit, et me 
déposant sur le bord, il m'y Gt asseoir; et près de moi il 
posa son pied prudent. 

50. Je levai les yeux, croyant voir Lucifer comme je 
l'avais laissé, et je le vis les jambes en haut. 

51. Si alors je fus en peine, le pense la gent épaisse 
qui ne se représente pas quel est le point que j'avais dé- 
passé. 

52. « Lève-loi^ dit le Maître; la route est longue, elle 
chemin mauvais, et déjà le soleil revient à mi-tierce*. » 



M.Gom' a lui pi: cque, il collo gli avvinghiai; 
Ed ei presse di tempo e loco poste : 
E, quando 1' aie furo aperte assai, 

tB>AppigIi(') 8.- aile velltHe coste: 
bi velio in veilo giii diicese poscia 
Tra '1 (ollo pelo e le gelat£ croste. 

|6.Quando noi fumnio là dove la coscia 
Si volge appunto in sul grosso deli' anche, 
Lo Duca con fatica e coii angoscia 

gf.Volse la testa ov' egli avea le zanche, 
£d agi;t appussi al pel coin' uom che sale, 
Si che in lulerno i' cicdea lornar anche* 

ff .itlienti ben, chè per colaii «cale. 



Disse '1 Maestro ansando com' uom lassAi 
Conviensi dipartir dj tanto maie 
S9.Poi usci fuor per )o foro d'un sasso, 
£ pose me in su V orlo a sed«re: 
Appresso porse a w.e l' accorto passo. 

50. r levai gli occlii, e ciiedetli vedere 
Lucifero com* io V avea la&cialo, 

E vidiii le gainbe in >u lenere : 

51. E s' io divenni allora irav.igiialo, 

La gente grossa il pensi, che non ved« 
Quai era '1 punto ch" io avt-a passai). 
SS.Levali su, disse 1 M.^estro, in piede: 
La via é lunga, e il caminino è malvagio» 
B già il Sole a inezxa terza riede. 



CHANT TRENTE-QUATRIÈME. 4/0 

33. N'était pas une salle de palais le lieu où nous étions, 
mais un cachot naturel, dont rude était le sol, et où la lu- 
mière manquait. 

34. — Avant que je me dégage de Fablme, dis-je quand 
je fus debout, avec moi. Maître, discours un peu pour me 
tirer d'erreur. 

35. Où est la glace? et celui-là \ comment est-il ren- 
versé? et comment, en si peu de moments, le soleil a-t-il du 
8oir au matin accompli le trajet? 

36. Et lui à moi : a Tu t'imagines être encore de l'au- 
tre côté du centre où je m'accrochai au poil de l'horrible 
ver qui perce le monde ^. 

37. a Tu as été là aussi longtemps que j'ai descendu : 
quand je me retournai, tu dépassas le point où tend tout 
ce qui pèse. 

38. a Et maintenant tu es arrivé à Thémisphère opposé 
à celui que recouvre le vaste aride*, et au milieu duquel 

39. Consommé'' fut l'homme qui naquit et vécut sans 
péché. Tu as les pieds sur la petite sphère qui forme l'autre 
face de la Giudecca*. 

40. « Ici il est matin, quand là il est soir : et celui dont 
le poil nous a servi de degrés, est dans la position où il 
était d'abord. 



R.Hon en «ammiiMiU di pala;{H> 
Là V eranun, ma natural burdla 
Ch* avM mal luolo, e di lume disagio. 

34. Prima chlo dell* abbso mi divella, 
Maestro mio, diss* k> quando fii' driUo, 
A trarmi d'erro un poco mi favella. 

S5«0v' è la gbiacda? e quesd com' è fitto 
81 sottoiopra? e come 'n si poc' ora, 
DiB sera a mane ha fatto il sol tragittoT 

M.Bd egU a me : Tuimmagini ancora 
Dresser di là dal centre, or* io m'appresi 
Ai pei dd vermo reo che '1 monde fora. 



S7.Di là festi eolanto, quant' io seesi: 
Quando mi <?olsi, tu passasti il punt» 
Al quai si traggon d*ogni parte i pesi : 

S8.E se' or soUo l' emisperio giunto 

Ch'ë contrapposto a quel che la gran secca 
Coverchia, e sotto '1 cui colmo consunto 

S9.PU r Uom che nacque e visse sensa pecca: 
Tu hai i piedi in su picciola spera 
Che l' altra faccia fa délia Giudecca. 

40. Qui è da man, quando di là è sera : 
B questi che ne fe scala col pek>, 
Fitto è ancora, si come prim* era. 



L'EtlFEIL 

41. € De ce o6lé 9 tomba du cid, et la terre qui aupan- 
Tint surgissait, par l'effiroi qu'elle eut de lui, se fit de h 
mer un ToOe, 

42. c Et se remontra dans notre hémisphère* ; et peuUtre 
que, pour le fuir, elle laissa vide l'espace qui apparaît là, 
et en haut se retira**, ji 

43. Là en bas** est un lieu éloigné de Belzébub autant 
que la tombe s'étend** : Tindique, non la vue, mais lebrmt 

44. D un petit ruisseau, qui descend par la fente d'un 
rocher que son cours a rongé, et autour duquel il coule par 
une faible pente. 

45. Le Guide et moi nous suivîmes ce chemin obscur 
|)our retourner dans le monde lumineux; et sans avoir 
souci d'aucun repos, 

46. Nous montâmes, lui le premier, moi le second, tant 
qu'enfin, par un trou rond, j'apergus les belles choses que 
le ciel porte, 

Et de là sortant, nous revîmes les étoiles. 



41.0i questa parte cadde giù dal cielo : 
Bla terra che pria di qua si sporse, 
Hr paura di lui fe del mar vdo, 

4t. B venne air emisperio nostro; e forse 
Par fuggir lui lasciô qui il luogo voto 
Qaella che appar di qua, e su ricorse. 

41. Luogo è laggiù da Belzebù rimoto 
Tanto* quando la tomba si distende, 
Chê non per vista, ma per suono è noto 

% .O^w ruacdletto cbe quivi discende 



Per la buca d* on sasso ch' egli ha roM 
Col corso ch' egU avrolge, e poco pende. 

45. Lo Doca ed io per quel cammino ascoso 
Entrammo a ritomar nel chiaro mondo: 
E senxa cura aver d* alcun riposo 

46.Salimmo su, el primo ed io seoondo, 
Tanto ch'io vidi deUe cote belle, 
Che porta il Ciel, per on perlugio tonds: 

E quindi uscimmo a riveder le ilella. 



CHAI«T TRENTE-QUATRIÈME. 481 



NOTES DU CHANT TRENTE-QDATRIÈME 



1. c V étendard du roi de t Enfer t^avance ver» «m». » Ce ven que 
Dante applique à Lucifer, en y ajoutant le mot infèmit est le premier d*une 
hymne de l^glise en l'honneur de la Croix. 

3. Dans la gueule de Lucifer. 

S. Le jour étant divisé en quatre parties égales, tierce, sexte, none 
vesper ou le soir, mi-tierce est la huitième partie du jour. Un peu aupara- 
vant, Virgile avait dit que la nuit commençait à se faire; mais, comme au 
moment où le soleil se couche dans un hémisphère, il se lève dans l'autre, il 
Bst naturel qu'il soit déjà élevé sur rboriaoo de celui où les voyageurs ae 
UtHivent maintenant. 

4. Lucifer. 

5. Qui en traverse le centre. 

6. Expression empruntée à la Genèse, où la c terre sèche, a c'est-à-dire 
non couverte par les eaux, est appelée V aride. 

7. Allusion au cansommatum est de l'Évangile. 

8. Dante appelle Giudecca la quatrième et dernière sphère du neuvième 
Cercle où est Judas, et qui s'étend, des glaces du Gocyte, jusqu'au fond du 
puits. La partie de l'autre hémisphère correspondante à cette enceinte est 
la petite ^tiêre qui fbrme Vautre ftice de la Giudecca. Il est clair qu'après 
avoir dépassé le centre, c'est la première que Virgile et Dante aient dû ren- 
contrer. 

9. La terre, qui originairement s'élevait au-dessus des eaux, s'enfonça 
dessous, et s'en fit comme un voile quand Lucifer tomba, et en même temps 
elleserenumtrat elle s'éleva dans l'autre hémisphère. 

10. Pour former la montagne que, dans l'autre Cantique, on verra être 
Celle du Purgatoire. 

11 . Dante adresse ici la parole au lecteur. 

12. Ce passage n'est pas sans difficulté. Selon les commentateurs le sens 
serait : éloigné de Belzébub de toute la profondeur de VEnfer, et alors, pour 
^ux, le lieu dont parle Dan le est, comme ils rex]))k[uent, la superficie de 
''hémisphère opposé au nôtre. Mais, !• lAQÇiih «fctifcVe ^i^vgaec \t\v«îi.K^ 



4S2 L'ENFER. 

Virgile et Dante étaient en ce moment, c'est-à-dire la petite sphère q» 
fbrme Vautre face de la Giudecca (tercet 59) ; 2« la surface de la terre esl 
partout visible, et ainsi twn per viita nota ne se comprendrait pas; 3* d'où 
et comment le ruisseau descendrait-il à la surface de la terre? Nous penson» 
que, soit que le mot tombe signifie, ce qui nous semble mieux d'accord avec 
le contexte, tout l'Enfer, ou seulement le fond du cône où Lucifer est plongé 
dans la glace, le sens est qu'au delà de < cette tombe, p et à partir du point 
iusqu*oU elle tfitend^ c'est-à-dire où elle se termine, est un lieu obuntr, 
puisqu'il est situé près du centre de la terre où le jour ne pénètre point, et 
que dans ce lieu descend un petit ruisseau, dont le brvit indique à Virgile 
et à Dante la route qu'ils doivent suivre dans l'obscurité, pour monter josqoe 
là où ils reverront la lumière. 



F» DE LA FBIMlftBB CAMTIQVB 



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