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D*HISTOIRK ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES
PAR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE PROTESTANTE
DE L'UNIVERSITÉ UK STRASBOURG
Fascicule 7
LA
LTÉ DE THÉOLOGIE
ET
LE SÉMINAIRE PROTESTANT
DE STRASBOURG
(1803—1872)
Une page de l'Histoire de ï Alsace
PAR
CH. TH. GÉROLD
Docteur en Théologie, Pasteur de l'Église St-NiooLAS
LIBRAIRIE ISTRA
MAISON d'ÉDÏTION
STRASBOURG
35, rue des Juifs
PARIS (lie)
57, rue de Richelieu
1923
Prix: 15 îr,
THE LIBRARY
The Ontario Institute
for Studies in Education
Toronto, Canada
11.
LA FACULTE DE THEOLOGIE
DE STRASBOURG
ÉTUDES D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES
PUBLIÉES PAR LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE PROTESTANTE
DE L'UNIVERSITÉ DE STRASBOURG
Fascicule 7
LA
FACULTÉ DE.THÉOLOOIE
ET
LE SÉMINAIRE PROTESTANT
DE STRASBOURO
(1803—1872)
Une page de l'Histoire de l'Alsace
PAR
CH. TH. GÉROLD
Docteur en Théologie, Pasteuh de l'Église S^-Nicolas
LIBRAIRIE ISTRA
MAISON d'Édition
STRASBOURG
15, rue des Juifs
PARIS (Ile)
57, rue de Richelieu
1923
Imprimerie Alsacienne Strasbourg.
%
PRÉFACE
J'avais voulu faire paraître ces pages U y a quatre ans,
à V occasion du centième anniversaire de la création de la
Facilité de théologie protestante de Strasbourg. C'était, en
effet, le moment de dire ce que cette institution a été durant
les cinquante années de son existence. Des raisons d'ordre
matériel m'en ont empêché. Aujourd'hui que ces raisons
n'existent plus, je reviens à mon dessein de publier non
seulement l'histoire de la Faculté de théologie, mais celle
de l'Académie protestante ou du Séminaire d'où la Faculté
est sortie.
Ce qui m'y engage, c'est que ce chapitre de l'histoire
de l'Alsace, bien que d'un intérêt véritable, est peu connu
de la génération actuelle. On ne sait rien ou presque rien,
même dans les cercles instruits, de ces deux institutions qui
ont été des facteurs importants dans le développement de la
vie intellectuelle, morale et religieuse de notre province,
depuis le commencement du siècle dernier jusqu'à la guerre
de 1870. On ne connaît guère que de nom, et souvent pas même
de nom, ces hommes qui n'ont pas été seulement des maîtres
de la science, les éducateurs de trois générations de pasteurs,
mais qui, dans des moments difficiles, ont dignement repré-
senté le protestantisme alsacien et dont plusieurs ont person-
nifié en eux les idées et les principes qui nous sont chers.
Cette ignorance, ou cet oubli, est presque de l'ingratitude.
Je crois donc faire œuvre utile et en même temps remplir un
devoir de reconnaissance envers des hommes qui ont bien
mérité de notre pays et de notre Eglise en publiant ces pages
qui donnent quelques détails précis sur le Séminaire protestant
et sur la Faculté de théologie. Ces détails, je puis le dire, sont
VI
PREFACE
empruntés aux documents les plus authentiques. Aux sources
imprimées, programmes du Séminaire, rapports de la Faculté,
actes du Directoire, aux oraisons funèbres, articles nécrolo-
giques, notices biographiques consacrés aux membres des deux
institutions, j^ai pu joindre de nombreux documents inédits,
procès-verbaux des séances de V Académie protestante et du
Séminaire, lettres et pièces officielles enfouies dans les
archives du Directoire et du Séminaire, et dans les archives
nationales et départementales. J'ai pu reproduire les témoi-
gnages des représentants de diverses promotions d'élèves,
depuis ceux du doyen Bruch, qui a suivi les cours des premiers
ynaîtres de V Académie protestante, jusqu'à ceux du profes-
seur Lobstein, qui a été étudiant dans la dernière année de
la Faculté. J'ai puisé dans les Souvenirs inédits et parti-
culièrement précieux d'Edouard Reuss, que mon excellent
ami, M. le professeur Rodolphe Reuss, a mis très libérale-
m,ent à ma disposition. Et enfin, j'ai pu, pour une certaine
période du moisis, consulter mes propres souvenirs. Elève
du Séminaire et de la Faculté dans les années 1855 à 1860,
j'ai eu pour maîtres, au Séminaire, les professeurs Matter et
Hasselmann, Stahl et Kreiss, Bartholmess et Waddington,
Baum et Cunitz, et à la Faculté, à côté du doyen Bruch, les
professeurs Fritz et Jung, Reuss et Schmidt. J'ai également
connu ceux qui sont venus plus tard, Colani et Lichtenberger,
Weber et Sabatier, et j'ai suivi avec intérêt l'activité qu'ils
ont déployée dans notre Ecole de théologie.
Je n'ai pu, on le comprend, entrer dans de longs détails
sur les personnes et les choses qui sont racontées ici. J'ai
dû me borner à présenter dans un cercle restreint les faits
qui offraient un intérêt plus général et à esquisser en traits
rapides et sommaires la physionomie des savants auxquels
le Séminaire et la Faculté ont dû leur renom. J'ai tâché
d'être impartial autant qu'on peut l'être avec ceux qu'on
vénère et qu'on aime, sans cacher leurs faiblesses. J'ai tâché
de l'être surtout dans ces chapitres douloureux qui relatent
les attaques dirigées par l'orthodoxie parisienne contre l'en-
seignement du Séminaire et de la Faculté, et les incidents
qui ont précédé la nomination de Colani et de Lichtenberger.
Je n'ai pu passer sous silence les conflits qui se sont produits
alors, mon devoir d'historien ne le permettait pas, mais je
me suis efforcé de les relater aussi objectivement que possible.
PRÉFACE VII
Ce que j^ai voulu avant tout, c^est donner un pieux
souvenir à ces maîtres excellents auxquels leurs nombreux
élèves, auxquels V Eglise protestante d'Alsace et V Eglise pro-
testante de France tout entière doivent beaucoup, rappeler
les mérites qu'ils ont eus et les services qu'ils ont rendus,
et empêcher que l'image de leur personne et de leur activité
ne s'efface, comme il arrive si facilement dans le déroule-
ment des années.
Je ne sais si j'ai réussi dans cette tâche. Je me flatte
pourtant de l'espoir que ces pages seront parcourues avec
quelque intérêt par ceux qui sont curieux des choses d'Alsace
d'avant 1870, par ceux-là surtout, devenus très rares, qui
ont passé par les salles de cours et d'examen du Séminaire
et de la Faculté, et qui y retrouveront des figures connues
et vénérées et des noms qu'ils prononceront avec une pieuse
reconnaissa/nce.
l^r Janvier 1923. Th. GEROLD.
PREMIERE PERIODE
1803-1820
CHAPITRE I
Création de rAcadémie protestante — Son ouverture publique
L'Académie protestante — plus tard Séminaire protes-
tant — de Strasbourg, établie par décret consulaire du
30 floréal an XI, en exécution de l'article 9 de la loi orga-
nique du 18 germinal an X, était, de fait, Théritière et la
continuatrice de l'ancienne Université, qui, après avoir long-
temps et vaillamment lutté pour son existence, s'était éteinte
dans la tourmente révolutionnaire. En disparaissant, la
vieille école strasbourgeoise laissait derrière elle le souvenir
d'un long et glorieux passé. D'abord, simple académie, fondée
en 1566 par l'empereur Maximilien II, aux sollicitations
de Jean Sturm, et, depuis 1621, Université dotée par Ferdi-
nand II de tous les droits, privilèges et immunités dont jouis-
saient ces savantes corporations, elle s'était acquis de bonne
heure une haute et légitime réputation. Assise sur les con-
fins de deux grands pays, elle avait tout naturellement
pris un caractère international, attirant par la célébrité de
&es professeurs, par l'excellence de ses méthodes, par l'esprit
large et libéral dont eUe était animée, et, plus tard, par l'en-
*) A. Chéruel, Vancienne Université et V Académie de Strasbourg.
Strasbourg, 1866.
C. Varrentrapp, Die Strassburger Universitàt in der franzôsischen
Révolution, dans la Zeitschrift filr Geschichte des Oberrheins. Neue
Folge, 13, 1898, p. 448 ss.
2 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOUEG
seignement donné dans les trois langues, latine, allemande
et française, des auditeurs appartenant à toutes les nations
de PEurope. Nous savons, par des documents officiels, le
chiffre des étrangers qui, vers la fin du X Ville siècle, sui-
vaient les cours de TUniversité strasbourgeoise. On y comptait
vingt-trois Anglais et Ecossais, dix-sept Allemands, Flamlands
et Autrichiens, trois Italiens, deux Espagnols, onze Danois
et Suédois, cinq Polonais et Courlandais, quatorze Eusses
et Livoniens. La plupart de ces auditeurs suivaient les cours
de la Faculté de médecine, renommée par ses établissements
scientifiques, son amphithéâtre anatomique, ses cliniques chi-
rurgicales et autres. La réputation dont jouissait à cet égard
l'Université de Strasbourg avait même décidé Pillustre famille
de Galitzin à fonder des bourses en faveur des jeunes Russes
qui viendraient y faire et y achever leurs études médicales.
La vieille école attirait les Français et les étrangers par
d'autres avantages. A côté de la théologie et du droit, des
sciences mlédicales, naturelles et mathémathiques, on y en-
seignait les sciences militaires, et Choiseul, premier ministre
de Louis XV, avait envoyé des élèves de l'école royale mili-
taire de Paris à Strasbourg, pour y être initiés à l'art des
fortifications. Mais c'étaient avant tout, dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle, les cours de droit public et de droit
des gens, institués par le célèbre SchœpflÎQ et continués par
son disciple Koch, qui attiraient les jeunes gens de tous les
pays qui se destinaient à la carrière diplomatique, et parmi
eux les fils des premières maisons de France, d'Allemagne
Cl de Russie. H suffira de citer parmi les diplomates ou
hommes d'Etat sortis de ce qu'on appelait alors l'école de
Strasbourg, le comte Louis de Narbonne, qui fut successive-
ment ministre de Louis XVI et aide-de-camp de Napoléon;
le comte de Ségur, également célèbre dans les lettres et dans
la diplomatie; Gérard de Nerval, le baron de Bourgoing et le
baron Bignon, qui, tous trois, s'illustrèrent comme négocia-
teurs sous le premier empire; puis, le comte Gustave de
Stackelberg et le prince Ramowsky, qui, avec le comte de
Nesselrode, représentèrent la Russie au congrès de Vienne,
le comte de Cobenzl, qui discuta avec le premier consul les
conditions de la paix de Campo-Formio, et enfin le prince de
Metternich, dont l'influence sur les destinées de l'Europe est
bien connue.
l'univeesité menacée 3
L'affluence de ces jeunes gens, non seulement de nom
illustre, mais de grande fortune, contribuait puissamment à
la prospérité de TUniversité aussi bien qu'à celle de la ville,
puisque, d'après le témoignage des professeurs Koch et
Haffner, ils dépensaient plus d'un million par an.
A cet état de choses si satisfaisant Tannée 1789-1790 vint
apporter un brusque changement. Quand l'agitation révo-
lutionnaire, née à Paris, gagna la province, les étudiants
étrangers, ceux-là surtout qui appartenaient à la noblesse, se
hâtèrent de quitter Strasbourg. Cet exode porta un rude coup
à l'Université. Bientôt, un danger plus sérieux la menaça.
L'Assemblée nationale venait de décréter de mettre les biens
ecclésiastiques à la disposition de la nation, et l'on pouvait
craindre que cette mesure ne fût étendue aux protestants
d'Alsace, qui, de ce fait, se voyaient enlever les biens que des
traités solennels leur avaient garantis depuis 200 ans. Or, ces
biens servaient, en grande partie du moins, à l'entretien de
l'Université, c'est-à-dire au traitement des treize professeurs
qu'elle comptait alors; les confisquer, c'était donc priver
l'Université de ses moyens d'existence, et, par conséquent, la
condamner à disparaître. Ce danger fut pourtant écarté. Dès
le mois de mai 1790, le comité des affaires ecclésiastiques
faisait à cet égard les déclarations les plus rassurantes, et, le
17 août de la même année, l'Assemblée nationale décrétait que
les protestants des deux confessions d'Augsbourg et helvé-
tique habitant l'Alsace continueraient à jouir des mêmes
droits, libertés et avantages dont ils étaient en droit de jouir.
Un nouveau décret de l'Assemblée, sanctionné par la loi du
10 décembre 1790, était encore plus explicite à cet égard, il
exceptait « les biens possédés actuellement par les établisse-
ments des Protestants des deux confessions d'Augsbourg et
helvétique de la vente des biens nationaux, », ajoutant « qu'ils
seraient administrés comme par le passé ».
L'existence de l'Université semblait donc assurée pour
l'avenir. Mais déjà les projets de réorganisation du haut en-
seignement, discutés à l'Assemblée nationale, la menaçaient à
nouveau. Mirabeau proposait la création de lycées où l'on
devait enseigner « les lettres, les sciences et les arts », Con-
dorcet celle d'établissements où «toutes les sciences seraient
enseignées dans toute leur étendue », Talleyrand, enfin, venait
au nom du Comité de constitution, recommander la création,
1*
4 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
dans la capitale, d'un Institut national qui réunirait tous
les moyens d'instruction et d'enseignement de toutes les con-
naissances humaines. Dans les départements, il n'y aurait
que des écoles spéciales pour former les ministres de la
religion, les hommes de loi, les médecins et les militaires.
A Strasbourg, on ne manqua pas de protester hautement
contre un système aussi exclusif. Au mois de décembre 1789
déjà, le professeur Koch avait été envoyé à Paris pour dé-
fendre les droits des protestants d'Alsace et les intérêts de
l'Université de Strasbourg, et, le 28 janvier 1790, le recteur
Kugler lui mandait qu'il avait réuni chez lui les doyens des
quatre facultés, Weber, Braun, Hermamn et Oberlin, pour
délibérer avec eux sur la situation de l'Université. « Nous
nous occupons », écrivait-il, « à dresser un tableau général
de notre Université, en y détaillant les différentes sciences
qui y sont cultivées et la méthode dont on s'y sert, méthode
absolument différente de celle qui est reçue dans les autres
Universités du Eoyaume pour les enseigner; le tout pour
faire sentir d'avance le grand intérêt que la nation pourrait
avoir de conserver notre Université dans le même état, dans
lequel elle a été depuis sa fondation jusqu'à ce jour. » ^)
Haffner, qui venait d'être nommié aux fonctions de recteur,
entreprit, à son tour, de démontrer les inconvénients qu'en-
traînerait la réalisation du projet de Talleyrand. Il voulait
bien que la capitale possédât un établissement littéraire
embrassant toutes les branches des connaissances humaines,
mais il trouvait souverainement injuste de réserver à la seule
capitale l'enseignement des sciences historiques, de la philo-
sophie et des belles-lettres, comme si le théologien, le juris-
consulte, le médecin, formés en province, pouvaient se passer
d'une culture d'esprit générale. Il rejetait donc l'idée d'écoles
spéciales et réclamait la création, dans plusieurs départements
du royaume, «de grands établissements littéraires, des Insti-
tuts de hautes sciences, qui puissent offrir sur tous les objets
des connaissances humaines une instruction complète ». Stras-
bourg, disait-il, possède un tel Institut dans son Université,
qu'on ne devait pas confondre avec ses sœurs aînées de
France. « Entre elles existe la différence qui existe entre le
*) Archives du Séminaire.
LES PROFESSEURS ACCUSES DE MODERANTISME 5
catholicisme et le protestantisme. Là, Taiitorité et, dans sa
suite, la routine, les préjugés, l'aveugle attachement aux idées
du passé; ici, la liberté, le progrès, la compréhension des
besoins du siècle. »
Les professeurs de l'Université intervinrent, eux aussi,
dans le débat. Dans une adresse au Comité de l'Instruction,
rédigée par Blessig, ils énumérèrent les raisons qui militaient
en faveur du maintien de l'ancienne organisation de l'école
de Strasbourg, affirmant qu'ainsi elle pourrait rendre des
services plus réels et contribuer efficacement à propager les
idées nouvelles.
A Paris, ces protestations trouvèrent peu d'écho. On
avait décidé d'établir un lycée à Strasbourg et on jugeait
inopportun de laisser subsister l'ancien régime à côté du nou-
veau. Cependant, l'Université n'était pas inquiétée et les pro-
fesseurs continuaient à donner leurs cours. Cela changea avec
l'arrivée des terroristes. Ce fut alors la suspicion, la persé-
cution de tous ceux qu'on accusait de modérantisme et parti-
culièrement des membres de' l'Université. La Eévolution, en
1789, avait été accueillie par eux avec enthousiasme. Le pro-
fesseur d'éloquence, Lorentz, avait salué, dans un discours
latin, cette « ère nouvelle », cette « ère de liberté, d'unité et
d'égalité» qui se levait pour la France. Tant que la Eévo-
lution était restée fidèle aux principes de 1789, l'Université
de Strasbourg l'avait soutenue avec énergie. Plusieurs de ses
professeurs s'étaient même mêlés aux affaires et avaient
occupé des fonctions municipales ou politiques. Mais lorsqu'à
la liberté succéda une sanglante anarchie, Blessig et ses col-
lègues protestèrent hautement contre les violences démago-
giques. C'était aux yeux des terroristes un crime qu'il fallait
punir avec la plus grande rigueur. Schweighaeuser fut banni
de la ville; Oberlin fut emmené à Metz, jeté sur la paille et
traité comme le dernier des criminels; Blessig et Haffner,
Braun et Koch se virent incarcérer à Strasbourg et restèrent
pendant de longs mois en prison. Les professeurs qu'on avait
épargnés ne purent plus songer à continuer leur enseignement.
La loi du 15 septembre 1793 prononça la suppression des
Universités dans toute la France. Il est vrai que cette loi fut
suspendue dès le lendemain de sa promulgation, mais si les
anciens établissements continuaient à exister en droit, ils
avaient cessé d'exister en fait. Plus d'auditeurs! Les jeunes
6 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STEASBOUilG
gens de 18 à 25 ans avaient été réquisitionnés pour la défense
du pays et les salles de cours restaient vides.
Après la chute de Eobespierre, les professeurs qui avaient
été incarcérés furent remis en liberté et plusieurs d'entre eux
reprirent leur enseignement, non publiquement, mais chez eux,
avec trois ou quatre élèves. « Les chrétiens, dit Blessig, se
répandirent de nouveau dans les temples, et çà et là quel-
ques étudiants dans nos appartements privés. » Mais il ne
pouvait être question de faire revivre l'Université. Les imma-
triculations étaient à peu près nulles. De 1795 à 1802, on en
compte douze.
La loi du 7 nivôse de Tan III, qui créait les écoles cen-
trales, ne faisait aucune mention des Universités ni des
Facultés. Universités et Facultés s'étaient éteintes l'une après
l'autre. Les écoles centrales étant destinées aux classes élevées
de la société et la jeunesse devant y apprendre les sciences
et les lettres, les arts et les métiers, il n'y avait plus au-
dessus de l'enseignement primaire d'autre enseignement que
celui de ces écoles.
Les écoles spéciales de droit et de médecine étaient pour-
tant inscrites dans la loi. Trois de ces dernières furent créées
pour assurer le service de la santé de l'armée'), l'une d'elles à
Strasbourg. Mais les nouvelles réclamations des professeurs
de l'ancienne Université pour obtenir un établissement qui
embrasserait tout ce qui peut être objet de science et d'ensei-
gnement restèrent sans résultat.
Dans la nouvelle assemiblée, l'ensâgnement encyclopédique
des Universités trouva pourtant des défenseurs. On comprit
que l'œuvre de la Convention était sinon à refaire, au moins
à modifier et à compléter. Une commission mixte, composée en
partie de membres de l'Institut, en partie de membres du
Conseil des Cinq Cents, fut chargée de préparer un projet
d'organisation des écoles spéciales. Le projet eut le sort de
ceux qui l'avaient précédé. La Eévolution était trop affaiblie
pour exécuter ce qu'elle avait conçu.
Ce ne fut qu'après le coup d'Etat du 18 brumaire que la
période législatrice commença en France. Mais tandis que
la loi du 1^' mars 1802 prévoyait la création de dix Facultés
de droit, rien n'était fait pour l'étude des autres sciences, ni
*) Décret du 4 décembre 1794
VNB ACADE^HE PROTESTANTE A STRASBOUEG 7
surtout de la théologie. Cependant, quand eut lieu la restau-
ration des cultes, il fallut songer à assurer la préparation des
ministres de la religion. Alors parut la loi organique du 18
germinal an^ qui stipulait à Tarticle 9: «Il y aura deux Aca-
démies ou Séminaires dans l'Est de la France, pour Tinstruc-
tion des ministres de la Confession d'Augsbourg. » Il n'était
pas douteux que Tune de ces Académies dût être établie à
Strasbourg.
Le professeur Koch, qui continuait à représenter à Paris
les intérêts de l'Université de Strasbourg en même temps que
ceux des protestants d'Alsace, fut appelé à traiter, avec les con-
seillers d 'Etat Fourcroy et Eœderer, cette importante question
d'une Académie protestante. Dans un mémoire détaillé, il
montra ce que l'Université de Strasbourg avait été autrefois,
ce qu'elle était devenue par la Eévolution, et ce qu'elle pour-
rait devenir par une nouvelle organisation adaptée aux lois
de l'Etat et à la situation particulière de la viUe de Strasbourg.
« L'Université strasbourgeoise », disait-il, « est, avec les fon-
dations, un établissement protestant reconnu et confirmé
comme tel; il existe, dans cette Université, une Faculté de
théologie qui a servi dans tous les temps à former des mi-
nistres du culte, il ne s'agirait donc que de la rétablir sous la
dénomination d'Académie. » Il pensait toutefois que cette nou-
velle Académie pourrait en même temps tenir lieu de lycée.
A côté des professeurs de théologie, il y en aurait d'autres
pour l'instruction de la jeunesse de tous les cultes. De cette
façon, la plupart des professeurs de l'Université pourraient
être employés dans la nouvelle Académie.
Dans son mémoire sur l'établissement d'une Académie des
Protestants de la Confession d'Augsbourg à Strasbourg, Koch
déclarait encore: « Il suffira de laisser subsister les choses sur
l'ancien pied en donnant à l'ancienne Université une nouvelle
organisation adaptée à l'esprit de la loi sur les cultes et à
l'état actuel de l'enseignement public. L'ancienne Université
était composée des quatre Facultés, elle n'en aura désormais
que deux, celle de théologie et celle de philosophie et belles-
lettres. On pourra se passer des deux autres, puisqu'il y a
déjà à Strasbourg une école de médecine et qu'il y a lieu de
croire qu'en vertu de la dernière loi sur l'instruction publique,
il y aura aussi une école de droit et d'économie politique.
Quatre professeurs de théologie enseigneraient la dogmatique,
8 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STKASBOUBG
la morale, Fexégèse et Fliomilétique. A côté d'eux, il y aurait
six professeurs en philosophie et belles-lettres pour l 'enseigne-
ment de la langue et de la littérature grecques, des langues
orientales, de la psychologie, de la logique et de la métaphy-
sique, de la morale philosophique et du droit naturel, de l'his-
toire ecclésiastique, de l'histoire de la philosophie et de la
société civile, du droit canon et ecclésiastique de France et des
Protestants, de l'histoire littéraire et de la bibliographie. Ces
dix chaires seraient en rapport avec les revenus dont dispose
la fondation de Saint-Thomas.»
L'Académie étant destinée à l'instruction des pasteurs
protestants, Koch pensait qu 'il serait indiqué de la mettre sous
la surveillance du Directoire du Consistoire général de la
Confession d'Augsbourg.
Tandis que Koch, nommé au tribunat, profitait de sa nou-
velle dignité pour faire avancer les négociations relatives à
l'Académie et au culte protestant, les professeurs de l'ancienne
Université discutaient à Strasbourg l'organisation de la nou-
velle école. La question qui se présentait tout d'abord était
celle de la composition de l'Académie. Conserverait-on les
treize chaires qui avaient existé à l'Université ou en rédui-
rait-on le nombre ? Les avis étaient partagés. Les uns, partant
du principe qu'il fallait conserver aux protestants le plus de
places possible, opinaient pour le maintien des treize chaires;
les autres, estimant que les revenus de la fondation de Saint-
Thomas, très entamés par la Eévolution, ne suffiraient pas, et
que l'Académie, en tant qu'établissement protestant, n'avait
à attendre aucun secours de l 'Etat ni de la ville, tandis qu 'elle
aurait à supporter de lourdes charges, étaient pour la réduc-
tion du nombre des professeurs titulaires à dix. On s'arrêta
finalement à ce nombre. Le 4 frimaire de l'an XI, le profes-
seur Braun écrivait à Koch: « On est enfin convenu de vous
indiquer dix chaires, qu'on croit indispensables et d'ajouter
trois supplémentaires au cas qu'on voudrait en établir treize
pour remplir les treize prébendes qui ont été attribuées ci-
devant aux professeurs de l'Université. » Il indiquait en même
temps l'objet des cours qui devaient être professés dans ces
chaires: la théologie dans les quatre premières, et dans les six
autres la langue grecque, la langue hébraïque et les autres
langues orientales, la psychologie, la logique et la métaphy-
sique, la philosophie morale et le droit naturel, l'histoire de
l'organisation de l'acadéi^ite terminée 9
la philosophie et l'histoire de la société civile, enfin le droit
canonique et ecclésiastique de la France et des protestants.
Quant aux trois chaires supplémentaires, elles comprendraient
renseignement des antiquités sacrées et profanes, de l'his-
toire ecclésiastique, de l'histoire littéraire et bibliothécaire. Il
était entendu, d'ailleurs, qu'aucun des professeurs membres
du chapitre de Saint-Thomas — ils étaient encore douze — ne
serait privé des émoluments qu'il touchait de la part de la
fondation.
L'essentiel était d'arriver à un prompt résultat. Les
commissaires chargés d'organiser les lycées étaient déjà à
l'œuvre et on pouvait craindre de sérieuses difficultés de
leur part, si l'établissement de l'Académie était différé
jusqu'à leur arrivée à Strasbourg. Oberlin, dans une lettre
du 28 frimaire XI, pressait Koch de hâter le plus possible
la conclusion de toute l'affaire. Il pensait, avec ses collègues,
que l'on pourrait obtenir du gouvernement trois choses:
1" que l'Université de Strasbourg serait transformée en
Académie protestante de théologie; 2° que les biens de la
fondation de Saint-Thom'as seraient affectés à cette Académie;
3" que la fondation de la Haute -Ecole servirait à l'entretien du
Gymnase protestant.
Koch, en effet, ne perdait pas de temps. Dès le
2 prairial an II il mandait à M. de Turckheim: «L'affaire de
notre organisation ecclésiastique et de notre Académie vient
d'être terminée, approuvée et signée formellement par le
premier consul... Toutes nos demandes nous ont été accor-
dées; le plan d'organisation rédigé par le Président et
approuvé par notre Préfet, a été agréé par le gouvernement
et, ce qui nous importait le plus, nous avons aussi obtenu
l'Académie sur le pied que nous avons désiré... L'arrêté
du gouvernement est, à quelques termes près, le même que
j'ai proposé à la suite de mon mémoire.»^) Koch n'était
pourtant pas très rassuré quant aux dispositions de l'admi-
nistration départementale: «Enfin la chose est faite»,
écrivait-il le 3 prairial au professeur Weber, président du
Conseil ecclésiastique de Strasbourg, «mais je crois qu'il
sera bon de n'en pas trop parler encore, afin qu'on n'y
^) Minutes des lettres sur T Académie écrites à M. de Turckheim
aux archives du Directoire.
10 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STRASBOUEG
mette pas de nouvelles entraves de la part de l'adminis-
tration de là-bas; nous savons qu'on cherche à nous arracher
cette Académie sous différents prétextes.»')
Enfin, le 13 prairial an XI (2 juin 1803), Portalis, chargé
de toutes les affaires concernant les cultes, annonçait au
citoyen Kern, nommé Président du Consistoire général du
Haut- et du Bas-Rhin, que «le 30 floréal le premier consul
avait accordé à la ville de Strasbourg une des Académies
déterminées pour l'Est de la France par l'article 9 du
titre 1^^ de la loi du 18 germinal an X sur les cultes pro-
testants de la Confession d'Augsbourg». Il ajoutait, «comme
Président du Consistoire général, vous êtes directeur né de
cette Académie. Je vous adresse les Articles organiques de
cet établissement auquel le Gouvernement confirme les fon-
dations qui y étaient anciennement attachées. » ^)
Le 18 prairial, Koch écrivait au professeur Weber:
«J'espère que vous serez enfin content de moi et que les
arrangements surtout que j'ai fait prendre pour notre Aca-
démie ne vous laisseront rien à désirer. On m'a accordé
tout ce que j'avais demandé sur cette importante question.
Notre administration même est maintenue, et il dépendra
de nous de donner à notre Académie l'organisation que nous
jugerons la plus convenable. » ")
Dès lors, les choses allèrent rapidenient. Le 20 prairial
(9 juin 1803), Blessig pouvait annoncer à ses collègues que,
par un arrêté du premier consul, les biens de la fondation
de Saint-Thomas étaient conservés aux Protestants et affectés
à l'Académie qui serait établie à Strasbourg, et, le 23 mes-
sidor, il leur communiquait les articles organiques de cette
Académie, dont l'article YI portait: «Le président du Con-
sistoire général participe en sa qualité de Directeur né de
l'Académie protestante aux revenus de la fondation.» L'as-
semblée s'occupa aussitôt de préparer l'exécution de cet
article en assignant au président une place convenable à
sa dignité, entre le président et le vice-président de l'admi-
nistration, et en lui conférant la jouissance d'une prébende.
Le 25 messidor (14 juillet 1803), Kern vint prendre
^) Archives du Séminaire (Papiers Koch V).
*) Archives du Directoire.
') Archives du Séminaire.
LA SEANCE INAUGUEALE DE L'ACADE^nE 11
place au milieu des membres de P Administration et déposa
sur le bureau l'original des Actes organiques, dont le secré-
taire donna lecture. Le vice-président lui souhaita la bien-
venue, exprimant l'espoir que «guidée par ses lumières,
l'Administration acquerrait de nouvelles forces et une
vigueur dont elle n'avait pu jouir depuis quelque temps
par l'incertitude de la continuation de son existence».
II
La séance inaugurale de l'Académie protestante eut lieu
le deuxième jour complémentaire de l'an XI (19 septembre
1803) sous la présidence du citoyen Kern, président du Con-
sistoire général de l'Eglise de la Confession d'Augsbourg, son
directeur né. Tous les professeurs de l'ancienne Université
qui avaient survécu à la tourmente révolutionnaire y avaient
été convoqués comme membres de la nouvelle institution.
Etaient présents: les citoyens Blessig, Haffner et Weber de
la Faculté de théologie; Braun et Ehrmann de la Faculté de
droit; Lauth et Spielmann de celle de médecine; et Herren-
schneider, Koch, Oberlin et Schweighaeuser de la Faculté
des lettres.
Le président ayant déposé sur le bureau l'expédition ori-
ginale des articles organiques de l'Académie des Protestants
de la Confession d'Augsbourg avec la copie de la lettre de
Portails du 13 prairial, l'assemblée s'occupa tout de suite de
donner une organisation, au moins provisoire, au nouvel éta-
blissement. On décida de remettre la gestion des affaires entre
les. mains d'un recteur, qui serait chargé de convoquer les
membres de l'Académie, de présider les séances, de diriger
les débats, de tenir le registre des inscriptions des étudiants
et de rédiger le programme des cours. Le professeur Braun,
de la Faculté de droit, fut désigné par le vote de ses collègues
pour ces importantes fonctions.
Le premier programme des cours devant renseigner le
public sur le but vers lequel serait dirigé l'enseignement de
l'Académie, on convint de dresser un tableau des sciences qui
y seraient enseignées, et de le faire suivre du catalogue des
cours que donnerait, dans le courant de l'année, chaque
membre de l'Académie. Les professeurs Schweighaeuser et
Blessig furent chargés de rédiger un projet en ce sens. Le
programme parut quelques jours plus tard.
12 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOUKG
Dans cette première séance et dans celles qui suivirent
immédiatement, on prit les dispositions les plus urgentes:
on fixa la rétribution que les élèves auraient à payer pour
leur immatriculation; on décida que les professeurs donne-
raient, outre les cours pour lesquels ils seraient rémunérés, un
cours gratuit trois fois par semaine; on choisit un imprimeur
de l'Académie; on nomma un bedeau et son adjoint; on arrêta
la forme du grand et du petit sceau à apposer aux diplômes,
aux certificats et aux lettres; puis, on fixa la date de l'ouver-
ture publique de l'Académie.
Elle se fit le 15 brumaire (7 novembre 1803) avec une
solennité particulière. Nous extrayons du procès-verbal offi-
ciel des séances de l'Académie du 4 nivôse, an XII, les détails
suivants sur cet acte : « Pour célébrer dignement ce jour solen-
nel, on avait pris soin de préparer convenablement l'auditoire
de l'Académie, près du Temple-Neuf. On avait réservé des
places pour les membres des différentes autorités constituées,
tant civiles que militaires. Les citoyens Lauth et Blessig,
membres de l'Académie, avaient été nommés commissaires
pour diriger l'ensemble de la fête, recevoir les autorités et leur
faire prendre les places qui leur avaient été assignées
d'avance. Le conseiller d'Etat, préfet du département, le con-
seiller d'Etat Sainte- Suzanne, général de division, le secré-
taire général de la préfecture, le président du tribunal cri-
minel et celui du tribunal civil, les généraux commandant la
15e division militaire et la place, l'évêque et le maire avaient
été invités en personne par le directeur et le recteur de l'Aca-
démie. Les conseillers de préfecture, les juges des tribunaux
criminels et civils, les adjoints du maire, les professeurs de
l'Ecole de médecine, le clergé catholique, les membres des dif-
férents consistoires de la ville et un grand nombre de citoyens
notables avaient été invités à assister à cette fête par une
lettre circulaire signée par le recteur.
«Au dit jour, les membres de l'Académie s'assemblèrent
entre 9 et 10 heures du matin dans une des salles du Gymnase,
de là, précédés du Directeur et du Eecteur, ils se rendirent
à 10 heures précises à l'auditoire et occupèrent leurs places.
La salle était déjà remplie en partie d'un grand nombre de
citoyens et on voyait arriver successivement les personnes
qu'on avait prié d'honorer de leur présence cette fête acadé-
mique. Bientôt la salle fut entièrement remplie. On remar-
L'OUVERTUEE publique de L'ACADElSnE 13
quait avec un grand plaisir que tout le monde se pressait à
prendre part à la célébration de ce jour mémorable dans les
annales des établissemens protestans. Jamais assemblée, dans
cette enceinte, ne fut plus nombreuse ni plus brillante.
« Les citoyens Oberlin et Haiïner, membres de TAcadémie,
lurent ensuite des discours dans lesquels chacun d'eux traitait
un sujet correspondant au but qu'on voulait atteindre. Le
citoyen Oberlin parla le premier. Après avoir tracé le tableau
des principaux événemens historiques et littéraires qui ont
illustré les établissemens protestans antérieurs à l'Académie,
il fit sentir à quel point il importait que les ministres du
culte soient instruits et éclairés, et finit par exprimer les sen-
timens dont sont animés tous les membres de l'Académie à
remplir dignement leurs fonctions et à répondre de toutes
leurs forces à la confiance dont le gouvernement les a honorés.
Après lui, le citoyen Haiïner prononça un discours dans
lequel il parla des secours que l'étude des langues, de l'his-
toire, de la philosophie et de la littérature offre à la théologie.
Le public présent montra un grand intérêt et écouta avec
l'attention la plus suivie les deux discours et les orateurs
furent généralement applaudis. Cette séance fut levée vers
une heure après-midi. »
L'année suivante, on décida que la rentrée annuelle de
l'Académie se ferait publiquement dans le grand auditoire
près du Temple- Neuf. Le recteur sortant publierait un pro-
gramme latin, dans lequel il traiterait un sujet littéraire et
ferait connaître le nom du nouveau recteur. Ce programme
servirait d'invitation à la cérémonie de la rentrée et donnerait
le tableau des cours de l'année. Le nouveau recteur prononce-
rait un discours latin sur un sujet scientifique quelconque.
Plus tard, on décida de célébrer le jour de la rentrée par le
repas commun institué par testament de feu l'ammeister
Frœreisen.
CHAPITRE n
Les membres de TAcadémie protestante — Blessig-Haffaer-Kocli
L'Académie protestante, nous l'avons dit, comptait, au
moment de son ouverture, douze membres, non compris son
directeur. D'après l'article 5 des articles organiques, il ne
devait y en avoir que dix. Mais il avait été convenu que les
professeurs de l'ancienne Université feraient tous partie du
nouvel établissement et continueraient à jouir de leur prébende
comme par le passé. Aussi l'article 5 disait-il expressément :
«Les professeurs de l'Académie seront réduits et fixés au
nombre de dix, auprès les deux premières vacances, » Ces douze
membres, comme nous l'avons vu, appartenaient aux quatre
facultés : trois à la Faculté de droit, deux à celle de médecine,
quatre à celle de philosophie et de mathématiques, et trois seu-
lement à la Faculté de théologie. On pouvait se demander, non
sans raison, ce que des professeurs de droit et de médecine
venaient faire dans un institut dont le but était de former
des ministres du culte; mais leur droit existait, on les accueillit
comme un héritage de l'ancienne Université.
A la tête de l'Académie, l'article 6 des articles organiques
plaçait, comme directeur, le président du Consistoire général
de l'Eglise de la Confession d'Augsbourg, un jurisconsulte.
Né le 24 décembre 1746 à Bouxwiller où son père était
archiviste du gouvernement du comté de Hanau-Lichtenberg,
Philippe-Frédéric Kern, après avoir fait ses études de droit
à l'Université de Gœttingue, était devenu conseiller de gou-
vernement à Bouxwiller et puis membre du conseil de régence
à Darmstadt. Après l'annexion partielle du comté de Hanau-
Lichtenberg à la France, il était revenu dans son pays natal
LES MEMBEES DE l' ACADEMIE PROTESTANTE 15
et s'était mis à la disposition du gouvernement français. Il
avait été nommé conseiller à la cour d'appel de Colmar, puis,
juge au tribimal criminel du Bas-Rhin et, finalement, président
au tribunal de première instance à Strasbourg. Quand
l'Eglise de la Confession d'Augsbourg fut réorganisée en
îVance par la loi du 18 germinal an X, il fut, par arrêté
du 3 nivôse XI, appelé à la présidence du Consistoire général
et du Directoire de cette Eglise, et, par là, à la direction
de l'Académie protestante. Il remplit ces hautes fonctions
pendant un quart de siècle jusqu'à sa mort, en 1826, avec
une tranquille fermeté et un dévouement à toute épreuve.
Des douze professeurs de l'Académie, trois représentaient
la théologie: Weber, Blessig et Haffner.
Georges-Frédéric Weber'), le plus âgé des trois, était
alors presque septuagénaire. Né à Strasbourg le 5 janvier
1736, fils d'un aubergiste et marchand de vin, il avait fait
ses études classiques au Gymnase et ses études philosophiques
et théologiques à l'Université de sa ville natale. Plus tard,
il avait, suivant l'usage du temps, entrepris un voyage
scientifique, avait visité différentes Universités allemandes
et fait un séjour à Paris. De retour à Strasbourg, il devint
agrégé au Gymnase protestant et pédagogue au Collège de
Saint-Guillaume. En 1769, il obtint de la Faculté de philo-
sophie et de celle de théologie l'autorisation de faire des
cours et fut, dès l'année suivante, adjoint à cette dernière.
En 1771, nous le trouvons prédicateur du soir au Temple-
Neuf; en 1772, régent de la VII^ classe du Gymnase; en
1774, vicaire-général; en 1778, professeur extraordinaire, et
en 1784, professeur ordinaire à la Faculté de théologie.
A la nouvelle Académie, il déploya une activité extra-
ordinaire. Il ne se borna pas à faire des cours sur les
disciplines qui rentraient dans sa spécialité, c'est-à-dire, sur
l'histoire ecclésiastique et l'histoire des dogmes; dans le
premier programme déjà, il annonça des leçons de dogma-
tique, de morale et même d'exégèse de l'Ancien Testament,
n est permis de supposer, d'après cela, qu'il possédait de
vastes connaissances et une certaine facilité de traiter des
M Voy. Programma invitatorium ad orationem inauguralem qua
vir maxime reverendus G. Fr. Weber munus professoris theol, ritu
solemni auspicabitur. Arg. 1784.
16 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
sujets très divers. Mais peut-être n'avait-il pas au même
degré les qualités supérieures du professeur et du savant,
le sens critique et la finesse de Tesprit. En tout cas, il ne
semble pas avoir exercé une influence profonde sur ses
auditeurs.
Son activité comme professeur de TAcadémie fut d'ail-
leurs relativement courte. En 1812 déjà, Herrenschneider,
alors vice-directeur du Séminaire, écrivait: «L'âge très
avancé du vénérable vieillard semble exiger ou bien qu'on
le dispense entièrement de faire ses cours, ou bien qu'on lui
donne un assistant suffisant et solide. »
A partir de l'année 1814, Emmerich fut en effet chargé
de le suppléer pour l'histoire ecclésiastique. Weber continua
pourtant jusqu'à sa mort, arrivée le 3 septembre 1820, à
annoncer un cours «De methodo studii theologici insti-
tuendi». Il est toutefois peu probable qu'il l'ait jamais
fait, puisque, dans les dernières années de sa vie, il était
presque tombé dans l'enfance.
Plus que lui, ses deux collègues, Blessig et Haffner, se
distinguaient par leur enseignement et méritent d'attirer
ici notre attention.
Jean-Laurent Blessig ^) était né à Strasbourg, le 29 mars
1747. Ses parents — le père était marchand de poissons —
étant dans la gêne, il fréquenta d'abord Técole paroissiale,
c'est-à-dire l'école primaire, plus tard il put pourtant con-
tinuer et compléter ses études au Gymnase protestant. En
1762, il fut inscrit à l'Université, où Schœpflin, Oberlin et
Schweighaeuser furent ses maîtres en histoire, en philosophie
et en philologie. Il s'appliqua à ces études comme à tout
ce qu'il entreprenait. Cependant, la grande question qui
se pose aux environs de la vingtième année: «Que faire?»
ne tarda pas à se dresser devant lui d'une manière embar-
rassante. Il avait deux moyens de la résoudre: il pouvait
se décider pour la philosophie et la philologie, qu'on ne
séparait guère alors, ou pour la théologie. Les conseils du
professeur Sigismond Lorenz, le décidèrent à choisir cette
dernière. La Faculté de théologie d'alors offrait pourtant
') Voy. C.-M. Fritz, Leben D. Johann Lorenz Blessigs, Strasbourg,
1818. — J.-G. Dahler, Memoria viri maxime reverendi amplissimi
Johannis Laurentii Blessig. Arg. MDCCCXVI.
JEAN-LAUEENT BLESSIG 17
peu de ressources à un esprit doué d'aussi rares facultés.
Les maîtres qui y professaient, Lorenz, Reuchlin et Beykert,
appartenaient au bon vieux temps et restaient fidèlement
attachés aux vieilles doctrines et aux méthodes tradition-
nelles. Seul, le professeur de métaphysique, Philippe-Jacques
Millier, d^m esprit plus dégagé, avait embrassé les idées
modernes. Il ouvrit au jeune étudiant de nouveaux horizons
et l'orienta vers les recherches scientifiques.
Après avoir acquis, en 1770, par une dissertation sur
« les Commencements de la philosophie romaine », le grade
de maître ès-arts, Blessig entreprit un voyage scientifique
qui le conduisit d'abord à Venise et à Vienne, puis, par la
Bohême et la Saxe, en Allemagne. Il s'arrêta pendant deux
ans dans les Universités les plus renommées, entra en rela-
tion avec des savants distingués et fit la connaissance
d'hommes célèbres: du philosophe Mendelssohn à Berlin, de
Lessing à Wolfenbiittel, de Gœthe et de Basedow à Francfort.
Eevenu à Strasbourg, Blessig fut nommé agrégé au
Gymnase et pédagogue du Collège de Saint-Guillaume. Il
ne resta pas longtemps dans cette position. Il sentait le
besoin d'étendre son horizon intellectuel. Il avait appris
à connaître l'Allemagne et la science germanique, il voulut
connaître Paris et la société française. Le discours qu'il
avait prononcé à l'église Saint-Thomas lors de l'inaugu-
ration du monument du maréchal de Saxe l'avait fait con-
naître dans la capitale. Il y trouva l'accueil le plus sym-
pathique. Il entra en relation avec des hommes distingués,
tels qu'Arnaud, d'Alembert, Giraud et autres; il fréquenta
les bibliothèques, les musées, les théâtres, s 'intéressant à
tout, profitant largement de tout ce qu'il voyait et entendait.
Une mauvaise fièvre l'obligea malheureusement à abréger
un séjour qu'il aurait voulu prolonger.
Avant Paris, il avait fait à l'Université, comme privatim-
docens, des cours de littérature grecque, et avait été nom!mé,
en 1773, professeur extraordinaire à la Faculté de philo-
sophie. Il reprit à son retour son activité académique;
professeur extraordinaire de théologie en 1783, il devint pro-
fesseur de philosophie en 1786 et de théologie en 1787.
Ses cours, qui attiraient de nombreux auditeurs, s'éten-
dirent d'abord sur la littérature grecque, la psychologie et
l'histoire de la philosophie, plus tard, sur l'Ancien Testament
.18 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STEASBOUEG
et la dogmatique. A rAcadémie protestante, il enseigna
rherméneutique biblique, l'homilétique, la catéchétique, la
liturgique et la prudence pastorale; il dirigeait, en outre, un
séminaire dogmatique. Peu de temps avant sa mort, il
donna un cours d'introduction aux livres de l'Ancien
Testament.
Esprit pénétrant et étendu et âme profondément reli-
gieuse, Blessig revendiquait hautement les droits du cœur
à côté de ceux de la raison. Ce maître plein de foi et d'en-
thousiasme, ce théologien dévoué au Christ et à son Evangile,
insistait sur la nécessité pour les ministres de la religion
d'une culture générale. Mais avant tout, il recommandait
une étude approfondie des saintes Ecritures. «Le caractère
poétique et religieux des documents sacrés parlait à son
cœur et à son esprit», dit l'un de ses élèves, «et il s'efforçait
avant tout de faire sentir à ses auditeurs cette double qualité
des saintes Ecritures et de les amener ainsi à aimer la Bible. »
«Il cherchait», dit le mêmie élève, à propos des leçons dog-
matiques du maître, «à gagner le cœur et l'esprit à la
vérité.»*) Un autre de ses auditeurs vante la vivacité de
son esprit et la chaleur de son sentiment. « Il possédait », dit-
il encore, «le don de la parole à un haut degré et savait
rendre ses cours très attrayants; les digressions même, aux-
quelles il se laissait facilement entraîner, étaient pleines
d'enseignements... Alors même qu'il se séparait de la vieille
dogmatique, il n'en parlait pas avec dédain. » ^).
Comme la plupart des professeurs de théologie de l'Uni-
versité de Strasbourg, Blessig remplissait, à côté des fonc-
tions académiques, des fonctions pastorales. Prédicateur dis-
tingué, il possédait, avec les qualités de l'esprit et du cœur,
avec ime vaste intelligence, une profonde sensibilité, une
imagination féconde et une connaissance réelle du cœur
humain, les qualités extérieures de l'orateur, le débit agré-
able, un beau langage, une action expressive. Chargé d'abord
des prédications du soir à Saint-Pierre-le-Vieux et puis de
celles du mardi au Temple-Neuf, après avoir été pendant quel-
que temps vicaire à la paroisse française, il devint prédi-
cateur à Saint-Nicolas en 1780, prédicateur au Temple-Neuf
*) C.-M. Fritz, Lehen Blessigs, p. 108 et 110.
') J.-F. Bruch, Kindheit- und Jugenderinnerungen, St. 1889, p. 45.
ISAAC HAPFNER 19
en 1781, et succéda, en 1787, à son beau-père, le docteur
Beykert, comme pasteur de cette dernière église.
Le théologien, le pasteur était en même temps un bon ad-
ministrateur, soucieux à la fois des intérêts temporels et spi-
rituels de son Eglise. Quand, après les troubles de la Révo-
lution, il fallut songer à donner une nouvelle constitution à
l'Eglise protestante d'Alsace, il collabora avec les profes-
seurs Koch et Hafïner aux plans de réorganisation qui abou-
tirent à la loi du 18 germinal an X. Président du Consistoire
du Temple-Neuf depuis 1801, Inspecteur ecclésiastique de
l'Inspection du Temple-Neuf et membre du Consistoire géné-
ral et du Directoire de l'Eglise de la Confession d'Augsbourg
depuis 1804, il prit une part des plus actives à la direction
des affaires ecclésiastiques de notre pays. Il remplit toutes
ces fonctions avec courage et abnégation, à travers de nom-
breuses difficultés, jusqu'à sa mort, en 1816.
Ce que nous venons de dire de Blessig peut s'appliquer,
en grande partie, au troisième professeur de théologie de la
nouvelle. Académie, à Isaac Haffner ^) . Comme Blessig il joignit
à l'activité académique l'activité pastorale; comme lui, il
occupa les postes les plus élevés dans l'Eglise de la Con-
fession d'Augsbourg, comme lui aussi, il exerça une influence
décisive sur le protestantisme alsacien.
Il était né le 4 décembre 1751 à Strasbourg, où son père
occupait le très modeste emploi d'appariteur du Grand
Conseil. Après de fortes études au Gymnase protestant, il
entra, à quinze ans, à l'Université de sa ville natale, pour se
vouer à la philologie et puis à la théologie. D 'une constitution
délicate, mais plein de zèle pour les choses de l'esprit, il sut,
par un labeur soutenu, opiniâtre, acquérir des connaissances
variées et profondes, surtout dans les branches de la science
historique.
Après avoir terminé ses trois années de théologie à l'Uni-
versité de Strasbourg, il alla continuer ses études à Gœt-
tingue, où Walch et Less furent ses maîtres, et à Leipzig, où
il se lia tout particulièrement avec le célèbre prédicateur
^) Voy. Programma ad orationem înauguralem qua vir... Isaacus
Haffner professoris ordinarîi theologiae munus... additurus est. Arg. 1783.
— Haffners Totenfeier, Str. 1831. — Predigt bel Gelegenheit der himdert-
jâhrigen Gedàchtnisfeîer des Herrn Dr. Haffner, von Dr. Bruch, Str. 1851.
2*
20 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOUEG
ZoUikofer, qui resta pour lui le type du vrai chrétien. Pour-
suivant ensuite son voyage à travers FAUemagne, il ne
manqua pas de rechercher les représentants les plus illustres
de la science et de la littérature, et d'entrer en relation avec
quelques-uns d'entre eux.
De retour à Strasbourg, il fut nommé prédicateur de la
paroisse française et pédagogue du collège de Saint-Guil-
laume. En 1795, il devint pasteur à Téglise Saint-Nicolas et
il continua d'y exercer le ministère pastoral même après
avoir été appelé aux fonctions académiques et ecclésiastiques
les plus absorbantes.
Docteur en philologie depuis 1782 et en théologie depuis
1784, Haffner fut, en 1788, nommé professeur ordinaire à la
Faculté de théologie. Ses leçons, dè^ lors, embrassaient l'intro-
duction au Nouveau Testament et l'interprétation des
livres du Nouveau Testament, ainsi que la dogmatique et
l'histoire des dogmes. Il fit aussi, à différentes reprises, un
cours d'homilétique et un autre d'esthétique. Plus tard, à
l'Académie protestante, il resta fidèle à ces enseignements,
sauf à l'homilétique, qu'il abandonna à son collègue Blessig.
Il eût été d'ailleurs parfaitement apte à donner ce dernier
enseignement, étant un prédicateur des plus distingués. Il
manquait, il est vrai, des qualités physiques qu'on apprécie
chez l'orateur, mais il en possédait au plus haut degré les
qualités morales. « C 'était », dit un de ses élèves qui fut plus
tard son collègue, «un esprit riche, lumineux, d'une culture
classique. Ses discours abondaient en idées, ils étaient clairs,
vivants, et, sous le rapport du style, vraiment classiques. » ')
Ces hautes qualités, Haffner les portait aussi dans son
enseignement académique. C'est dans ses cours surtout qu'on
constatait sa haute culture, son vaste savoir dû à des lectures
immenses, la vivacité de son esprit et la clarté de son expo-
sition. Quant à la tendance de son enseignement, elle était
absolument libérale. Il professait un rationalisme qui pour-
tant n'était pas sans inconséquence. Plein d'enthousiasme
pour la vérité, pour la religion du Christ, pour le principe
de la réforme, il dirigeait ses attaques les plus véhémentes
contre l'erreur et le préjugé, et se laissait même volontiers
aller au sarcasme contre le dogme officiel. Dans un parallèle
*) J.-F. Bruch, Loc. cit., p. 45.
l'influence de blessig et de haffner 21
tiré entre Blessig et Haiïner, le doyen Brueh, qui avait été
rélève de Pun et de Pautre, juge renseignement de ses deux
maîtres comme suit: «Haffner tendait à éclairer et à ins-
truire les étudiants, Blessig cherchait plutôt à les con-
vaincre. . . Haiïner nous imposait par son savoir et par la
libéralité de son jugement, Blessig, par son enthousiasme et
son éloquence entraînante. » ')
Haiïner resta jusqu'au bout l'objet de la vénération de
ses auditeurs. Il était d'ailleurs entouré du respect et de l'ad-
miration de tous. On le vit bien dans la fête organisée à
Foccasion de son cinquantenaire, véritable jour de triomphe où
il fut l'objet d'ovations enthousiastes de la part de toutes les
classes de la société protestante. Le lundi de Pâques 1830 défi-
lèrent devant lui de nombreuses députations qui étaient
venues saluer le jubilaire et lui apporter le tribut de leur
admiration et de leur reconnaissance. ^)
Blessig et Haffner rivalisaient de zèle et de dévouement
dans les services qu'ils rendaient au protestantisme alsacien,
dans le professorat, le pastorat et l'administration ecclésias-
tique. Ils avaient vu périr, sans pouvoir la sauver, l'ancienne
et glorieuse institution fondée par le patriotisme éclairé des
pères et qui avait brillé si longtemps à l'horizon de l'Europe
savante; mais ils avaient continué la tradition de leurs pré-
décesseurs et avaient illustré la nouvelle Académie par leurs
talents, leur érudition et leur haute culture.
On ne trouve pas chez eux, il est vrai, deux choses qu'on
exige aujourd'hui du professeur de Faculté: l'activité à la
fois savante et littéraire. Ce qui les excuse, c'est qu'ils man-
quaient de loisir, et que, pour le travail personnel, ils se trou-
vaient dans une situation bien moins favorable que la plupart
des professeurs d'aujourd'hui. D'abord, par l'absence de la
division du travail. Nul ne demandera aujourd'hui à un pro-
fesseur de faire un cours sur les différentes branches de la
science qu'il représente; chacun a sa spécialité à laquelle il
peut se donner tout entier. Les professeurs de théologie de
l'Académie protestante n'étaient pas dans ce cas; ils n'étaient
que trois, et, à eux trois, ils devaient traiter toutes les
branches de la théologie: dogmatique et morale, introduction
*) J.-F. Bruch, loc. cit., p. 46.
') Bericht uber Haffners Jubelfeier, Str. 1830.
22 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
aux livres de l'Ancien et du Nouveau Testament et interpré-
tation de ces livres, histoire ecclésiastique et histoire des
dogmes, homilétique, catéchétique, liturgique et prudence
pastorale. Et encore, s'ils avaient pu se livrer tout entiers à
l'enseignement académique, mais ils ne s'enfermaient pas
dans cet enseignement, ils n'étaient pas, en premier lieu, des
savants, des professeurs, ils étaient, avant tout, des prédica-
teurs et des hommes d'Eglise, et la multiplicité des devoirs
qui résultait de ces différentes positions ne leur laissait pas
assez de loisir pour se livrer à des publications scientifiques;
leur activité littéraire se bornait, presque exclusivement, à
la publication de sermonnaires, de catéchismes, d'ouvrages
ascétiques, très recherchés par le public protestant de Stras-
bourg, mais peu connus au dehors.
Blessig et Haffner n'en exerçaient pas moins une in-
fluence bénie sur les étudiants, sur leur instruction théologi-
que et sur leur éducation morale et religieuse. Ce n'étaient pas
seulement leurs leçons, dans lesquelles ils disaient avec une
éloquence singulière les grandes vérités de l'Evangile, c'était
leur vie entière, si riche en exemples, où les discours même
étaient des actes, qui produisaient un salutaire effet sur des
jeunes gens sérieux. «Vous êtes doublement leur maître»,
disait à Haffner, lors de son jubilé, l'orateur des étudiants,
Edouard Verny, « et dans la théorie par vos savantes leçons,
et dans la pratique par l'exemple de votre vie, par l'activité
consciencieuse, par la généreuse et franche énergie que vous
avez montrée pendant la longue et belle carrière qu'il vous a
été donné de parcourir. C'est plus particulièrement de ce second
bienfait que ce jour nous offre l'occasion de vous exprimer
notre reconnaissance.» Et Théophile Berneaud, parlant au
nom des étudiants réformés de l'intérieur, disait à son tour:
«Si, à leur grand regret, les difficultés d'une langue étran-
gère ne leur ont permis à tous de prendre part à vos savantes
leçons, tous ont pu apprécier l'immense érudition qui vous
distingue et pour laquelle il semble que la vie d'un homme
n'ait pu suffire, ils ont admiré le zèle et l'activité infatigable
que vous avez constamment déployés et surtout le caractère
que vous avez montré dans les temps où il n 'était pas sans
danger de s'avouer serviteur du Christ.»*)
*) Haffners Jubelfeîer, p. 6.
jÉKÉlVnE-JACQUES OBEKLIN 23
C^est, en eiïet, la noble fermeté que Blessig et Hafîner
avaient montrée an moment où les échafauds se dressaient
partout pour les défenseurs de la liberté et de la vérité, c'est
le courage avec lequel ils avaient supporté un long emprison-
nement et des menaces répétées de mort, qui leur valurent la
vénération et la reconnaissance non seulement des étudiants
en théologie, mais de la population protestante tout entière.
C'étaient aussi les énergiques efforts qu'ils avaient faits,
après la tourmente révolutionnaire, pour relever les âmes
abattues et raffermir les cœurs défaillants, et pour réorganiser
l'Eglise protestante d'Alsace et assurer sa liberté.
II
Comme les trois professeurs de théologie, les quatre pro-
fesseurs de philologie, de philosophie et d'histoire, Oberlin
et Schweighaeuser, Herrenschneider et Koch, avaient leur
place marquée à l'Académie protestante, dans la section qui
devait préparer, par de fortes études littéraires, à l'étude de
la théologie. On ne pouvait que regretter que la philologie
et la philosophie n'y eussent pas de plus nombreux représen-
tants et que ceux qui étaient appelés à donner cet enseigne-
ment fussent, pour la plupart, déjà avancés en âge.
Le plus âgé d'entre eux, Jérémîe- Jacques Oberlin^),
frère du célèbre pasteur Oberlin du Ban-de-la-Roche, était
né le 8 août 1735 dans une de ces vieilles familles strasbour-
geoises oii la probité et le savoir étaient héréditaires. Son
père, Jean-George, modeste savant, était régent au Gymnase
protestant, et c'est là, dans la vieille école de Sturm, que le
jeune Oberlin fit ses études secondaires. Après avoir terminé
ses classes, il se rendit à Montbéliard, pour se perfectionner
dans la langue française. Revenu dans sa ville natale, il
suivit à l'Université les cours de philologie et d'histoire, de
philosophie et de mathématiques, et aussi de théologie, vou-
lant avoir des clartés sur toutes choses. Dès lors, il se tourna
vers l'étude de l'antiquité, vers laquelle le portaient les pen-
*) Voy. Memoriam Jer. Jac. Oberlini aequalibus posterisque
commendat Academia Argentoratentis. Academiae nomine scripsit Joh.
Schweighaeuser. Arg. i806. — Gedàchtnisrede auf Herrn Jeremias Jakob
Oberlin, gesprochen..., von Dr. Joh. Lor. Blessig. Str (s. d.). — Biogr.
Notiz uber Jer. Jak. Oberlin..., von Ehrenfried Stœber. Str. (s. d.).
24 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STEASBOUEG
chants de son esprit et Tinstinct de son talent. Docteur en
1758 par une thèse sur «les rites funéraires des anciens», il
élargit ses vues et enrichit ses connaissances par un voyage
au midi de la France et acquit la réputation d'un philologue
et d'un archéologue distingué.
Malgré cette réputation, Oberlin resta dans une position
des plus modestes. Il avait été, en 1755, à l'âge de vingt ans,
nommé aide de son père dans la classe inférieure du Gym-
nase, et durant quinze ans on le laissa dans cette position
subalterne. Ce n'est qu'à la mort de son père, en 1770, qu'il
lui succéda comme régent de la Vile classe, pour passer en-
suite à la Ve, oii il resta encore six ans, obligé de donner son
meilleur temps à l'enseignement de la grammaire et à la cor-
rection des travaux d'élèves peu avancés.
Il était pourtant entré depuis quelque temps déjà dans la
carrière universitaire. Nommé, en 1763, conservateur de la
bibliothèque de la ville, il avait été autorisé à faire un cours
de langue latine. Il devint, en 1770, adjoint et, en 1778, pro-
fesseur extraordinaire à la Faculté de philosophie, et se ré-
solut alors à se démettre des fonctions de régent. Enfin, le
30 mars 1782, il avait alors 46 ans, il fut nommé professeur,
non pas d'archéologie, — il n'y avait pas alors de chaire pour
cette branche de la science à l'Université de Strasbourg — ,
mais de logique et de métaphysique. Cela ne l'empêcha pas
de donner, comme par le passé, un cours d'archéologie et de
littérature latine à côté de son cours de philosophie.
Oberlin, toutefois, ne se bornait pas à faire ses cours.
Quelle conscience qu'il mit à remplir ses devoirs de profes-
seur, il continuait avec une ardeur sans pareille ses travaux
privés, occupant ses laborieuses journées à des publications
nombreuses et variées: dissertations sur des questions d'ar-
chéologie ou sur la langue et la littérature alsaciennes,
éditions savantes des Tristes d'Ovide et des Odes d'Horace,
manuels des rites et de la géographie des anciens.
La tourmente révolutionnaire vint interrompre cette acti-
vité paisible. Oberlin eut alors l'occasion de montrer qu'il
n'avait pas lu les anciens en vain, qu'il avait appris d'eux le
dévouement à la patrie et le courage civique. Elu membre de
l'administration du district et du département, il mit ses
meilleures forces au service de la cause publique. Aux jours
de la Terreur, il n'en fut pas moins décrété d'accusation par
JEAN SCm^^IGHAEUSER 25
le parti de Eobespierre. Arrêté, dans la nuit du 3 au 4 no-
vembre 1793, sur Tordre des représentants du peuple Saint-
Juste et Lebas, il fut, avec d'autres membres de Tadminis-
tration départementale, transféré à Metz, traîné de cachot
en cachot, traité comme le dernier des criminels et soumis
aux plus dures privations. Il supporta courageusement ces
adversités qui ne prirent fin qu'après onze mois.
A peine libre, il reprit ses cours et ses travaux littéraires.
Appelé peu après à de nouvelles fonctions, il obtint quelques
distinctions bien méritées: l'Institut national le nomma
membre correspondant, ses concitoyens le firent entrer au
conseil municipal. Il prit part alors à la création de la Société
des Sciences et de l'Agriculture; il s'intéressa également aux
affaires ecclésiastiques et fut appelé à présider l'assemblée
des délégués des paroisses protestantes de la ville qui, en 1801,
délibéra sur les changements à introduire dans la constitution
de l'Eglise de la Confession d'Augsbourg.
La création de l'Académie protestante le remplit de joie.
Dans le discours qu'il prononça lors de son inauguration, il
donna un aperçu intéressant du passé littéraire de Strasbourg
et évoqua devant ses auditeurs les perspectives d'un brillant
avenir. Il ne lui fut malheureusement pas donné de les voir
réalisées. Trois ans à peine après l'ouverture du nouvel éta-
blissement, le 8 octobre 1806, il fut frappé d'apoplexie et suc-
comba après quelques jours.
Les mérites scientifiques d'Oberlin avaient été hautement
appréciés en France et à l'étranger. Dès 1775, l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres l 'avait reçu parmi ses membres,
et les Sociétés savantes de Rouen, de Cortone, de Palerme, de
Londres et de Cassel l'avaient honoré en l'accueillant dans
leurs doctes compagnies. Cependant, son collègue en philo-
logie porta plus loin encore la réputation de l'Académie pro-
testante de Strasbourg.
Jean Schweighaeuser ') était né le 26 juin 1742, dans un
presbytère de Strasbourg. Son père, Jean-George Schweig-
haeuser, était second, et devint, en 1752, premier pasteur à
*) Voy. Joh. Georg. Dahler, Memoriae Joh. Schweighaeuseri sacrum,
Arg. 1830. — Ch. Cuvier, Eloge historique de M. Jean Schweighaeuser.
Strasb. 1830. — Louis Spach, Les deux Schweighaeuser, Biographies
alsaciennes. Paris et Strasb. 1871. — Ch. Rabany, Les Schweighaeuser,
Paris, 1884.
2.6 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STEASBOUKa
Péglise Saint-Thomas; sa mère, Prisque Barbe, était fille du
pasteur Ehrlen de Sainte-Aurélie. Elle avait donné à son
mari quatorze enfants, Jean était le dernier venu, le qua-
torzième.
Il fut, paraît-il, un enfant très précoce, ce qui ne l'em-
pêcha pas de devenir un homme célèbre et d'atteindre un
âge des plus avancés. A cinq ans, il entra au Gymnase, à treize
ans, à rUniversité. Son père rayant destiné à la carrière
pastorale, il suivit les cours de philologie et d'histoire, et puis
ceux de théologie. Mais avide de savoir, il ne se borna pas à
approfondir ces disciplines. Il étendit ses études à la philo-
sophie, à l'histoire naturelle, à la botanique et même à l'as-
tronomie.
Après avoir conquis, par une dissertation savante sur
«le système moral de l'univers», le grade de docteur en phi-
losophie, Schweighaeuser entreprit son tour d'Europe. Il
le commença par Paris. H y resta dix mois pour étudier les
langues orientales sous la direction du célèbre De Guignes;
puis il se rendit à G^œttingue, oîi il continua ses études linguis-
tiques avec le professeur Michaelis. Il séjourna ensuite suc-
cessivement à Halle, à Leipzig, à Berlin et à Marbourg, et
fit, dans ces différentes villes, la connaissance de savants et
de littérateurs célèbres, celle du fabuliste Gellert, du philo-
sophe Mendelssohn et, avant tout, de Lessing. De Hambourg
il passa en Angleterre, visita Londres et Oxford où l'attirait
la riche collection de manuscrits orientaux, et revint par les
Pays-Bas à Strasbourg. C'est alors qu'il fit la connaissance
du commissaire de guerre Brunck, qui devait avoir une in-
fluence décisive sur sa carrière scientifique^).
Schweighaeuser était bien préparé à la carrière académi-
que; il ne tarda pas à y entrer. Ce n'est pourtant pas la philo-
logie qu'il fut d'abord appelé à enseigner. La chaire de langues
anciennes, devenue vacante au moment même de son retour,
fut donnée à l'un de ses concurrents; lui-même fut nommé pro-
*) Richard-François-Philippe Brunck était né à Strasbourg en 1729.
Commissaire de guerre auprès de Tarmée hanovrienne pendant la guerre
de sept ans, il avait logé un jour chez un professeur de l'Université de
Giessen et avait été, par les entretiens avec ce savant, ramené à l'étude
des anciens à laquelle il s'était adonné autrefois. Il se fit connaître
au monde savant par la publication des Analecta veterum poetarum
graecorum, Strasb. 1776, et par des éditions des tragiques grecs.
LES TRAVAUX CRITIQUES DE SCHWEIGHAEUSER 27
fesseur adjoint ou extraordinaire et chargé des cours de
logique, de métaphysique et d'histoire de la philosophie. Ce
n'est qu'à la mort du professeur Scherer, en 1777, que
Schweighaeuser fut appelé à occuper la chaire de langues
anciennes et orientales. Il devint alors officiellement philo-
logue et le resta jusqu'à la fin.
Schweighaeuser s'était d'abord voué plus spécialement
aux langues orientales. Mais l'amitié qui le liait à l'helléniste
Brunck l'amena à s'occuper davantage de la littérature
grecque. Elle devint dès lors son étude de prédilection. Il
entreprit, après de solides travaux sur Appien, de publier
une nouvelle édition de l'histoire romaine de cet auteur, qui,
parue en 1785 en trois volumes, le classa aussitôt parmi les
hellénistes les plus distingués. Ce travail à peine terminé,
Schw^eighaeuser, encouragé par les suffrages des savants
les plus compétents, se mit à réviser le texte de Polybe, le
plus remarquable historien grec de l'antiquité. Ce travail, qui
remplit six années de sa vie, parut en neuf volumes, texte,
commentaire et lexique, de 1789 à 1795.
En attendant, la Révolution avait éclaté. Comme ses col-
lègues de l'Université, Schweighaeuser avait salué avec
transport l'ère régénératrice que promettait 1789. Tout en
continuant ses cours et ses éditions de textes anciens, il avait
accepté les fonctions absorbantes de conseiller municipal. Il
avait vu avec satisfaction son fils Geoffroi se faire inscrire
l'un des premiers dans le bataillon de volontaires qui s'était
formé à Strasbourg à l'appel de la patrie en danger. Son pa-
triotisme et sa réputation scientifique auraient dû le protéger
au miHeu des troubles révolutionnaires. Mais il avait osé
s'élever contre les excès sanglants des Jacobins. Cela suffit
pour le décréter d'accusation. Arrêté et enfermé au grand
Séminaire, qui servait alors de prison politique, il fut, grâce
aux démarches pressantes et hardies de sa femme, remis en
liberté, mais exilé à vingt lieues de la frontière. Il se retira à
Baccarat, dans le département de la Meurthe. Là, loin des
troubles politiques, il poursuivit ses travaux littéraires. Ils
manquèrent lui devenir fatals. Sa lampe qui brûlait souvent
jusqu'au matin, les épreuves qu'il expédiait à son éditeur de
Leipzig, firent naître des soupçons autour de lui. Il entretenait
sans doute une correspondance avec les ennemis! Un ardent
patriote de Baccarat courut le dénoncer. Schweighaeuser allait
28 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STKASBOUKG
être traduit devant le tribunal révolutionnaire du département,
quand une lettre du Comité de l'instruction publique, qui le
remerciait de l'envoi d'un volimie de Polybe récemment
paru, arriva à propos pour le justifier de cette accusation.
Quand Schweighaeuser revint à Strasbourg, l'Univer-
sité avait cessé d'exister. Il fut alors, comme plusieurs de ses
collègues, nommé professeur à l'Ecole centrale du Bas-Ehin,
instituée par la loi du 3 brumaire de l'an IV. Il y enseigna
les langues anciennes et continua, en même temps, à éditer
ses auteurs favoris.
Ce furent d'abord les Monuments de la philosophie
d'Epictète, qui parurent de 1799 à 1800; puis le Banquet des
Sophistes d'Athénée. Il publia, de 1801 à 1807, cinq volumes
de texte et neuf volumes de commentaires de cet ouvrage qui
est réputé l'un des plus difficiles de la littérature grecque
et qui n'avait pas eu jusqu'alors de bonne édition. Puis, se
tournant vers la littérature latine, il fit paraître, en deux
volumes, les Epîtres morales de Sénèque, et entreprit enfin,
presque octogénaire, sa belle édition d'Hérodote avec un
lexique spécial qu'il acheva en 1824.
Ces travaux critiques ne l'empêchaient pas d'ailleurs de
remplir consciencieusement ses obligations académiques. Il
donnait à l'Académie protestante le cours de littérature
grecque; depuis 1808, il était également professeur et doyen
de la Faculté des lettres de Strasbourg. Il remplit, en outre,
de 1806 à 1815, les fonctions de conservateur des bibliothèques
publiques. Pour le soulager, vu son âge avancé, on lui ad-
joignit, en 1810, son fils Geoffroi; il n'en continua pas moins
à faire des cours jusqu'en 1824.
Il ne put se résigner au repos, même alors que, fatigués
par le déchiffrement des vieux manuscrits, ses yeux com-
mencèrent à lui refuser leur service. Plus qu'octogénaire, on
le voyait se rendre clopinant à l'Académie pour expliquer
à la jeunesse ces auteurs grecs qu'il aimait tant et qu'il ne
pouvait plus lire. En 1824, il se décida enfin à prendre sa
retraite. Ce ne fut pourtant pas pour rester inactif. Les yeux
de sa fille Sophie, son Antigone, comme il aimait à l'appeler,
suppléèrent à l'avenir aux siens. Il demeurait, à 88 ans, en
possession de toutes ses facultés intellectuelles, quand la mort
vint le surprendre le 19 janvier 1830.
Schweighaeuser n'avait jamais brigué les honneurs et les
SCHWEIGHAEUSER COMIVIE PROFESSEUR 29
distinctions. Mais sa place était marquée à l'Institut national
de France. Il fut parmi les premiers que cet illustre corps
s'associa comme mxembres correspondants. Plus tard, en 1816,
il fut nommé associé libre de T Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres; il était membre de la Société des Sciences et
des Beaux-Arts de Nancy et de la Société des Sciences, de
l'Agriculture et des Arts de Strasbourg. En 1821, le gou-
vernement le décora de la croix de la Légion d'honneur, et
en 1826, la Société royale de littérature classique de Londres
lui conféra une des deux médailles d'or qu'elle accordait
chaque année au savant le plus méritant dans ce domaine.
Schweighaeuser qui, comme helléniste, jouissait d'une ré-
putation européenne, ne paraît pas avoir brillé comme pro-
fesseur. Ses leçons manquaient absolument d'attrait. « Il
était », dit Bruch, qui suivit ses cours en 1809, « complètement
dépourvu du don de l'exposition. Sa parole était lente, sans
saveur. Ses leçons nous étaient utiles, elles n'étaient pas
attrayantes. Les cours qu'il donna plus tard dans la nouvelle
Faculté des lettres étaient un peu plijs relevés. Mais je ne
puis dire que j'aie beaucoup appris dans ses leçons. Elles ne
m'auraient certainement pas inspiré l'amour de la littérature
classique, si mes études privées ne l'avaient déjà éveillé en
moi. » ') Edouard Eeuss, qui fut l'élève de Schweighaeuser
dix: ans plus tard, le juge, lui et son fils Geoffroi, plus sévère-
ment encore : « Comme professeurs », dit-il, « ils étaient plus
que médiocres; leur méthode nuisait à ce que leur science eût
pu produire d'utile. Le vieux, blanchi et aveugle de par ses
éditions critiques, était un pédant incarné, qui ne voyait pas
dans un auteur l'esprit de son temps, la vie de son siècle, le
miroir des mœurs, de la religion et de la politique d'alors,
mais des formes grammaticales, des règles de syntaxe, des
mines critiques. Jamais il ne nous apprit à comprendre un
auteur, à saisir son esprit. » ') Louis Spach, aussi, lui fait le
timide reproche «de n'avoir pas suffisamment initié ses
élèves à ce travail intellectuel auquel il se livrait dans le
silence de son cabinet d'études, et de s'être borné, dans ses
leçons publiques, à des questions de subtilité grammaticale,
au lieu d'inspirer à ses auditeurs, par une interprétation
*) J.-Fr. Bruch, loc. cit., p. 41.
^) Reuss, Mémoires.
30 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
rapide de ses auteurs favoris, le culte de l'antiquité clas-
sique. » *)
Comme Oberlin, comme Schweighaeuser, le professeur
d'histoire, Koch, jouissait d'une réputation européenne;
comme Blessig et HafiPner, il était entouré d'estinie et de re-
connaissance pour les services qu'il avait rendus à l'Eglise
d'Alsace et à l'Académie protestante.
Christophe-Guillaumie Koch^) était né le 5 mai 1737 à
Bouxwiller, chef -lieu de la seigneurie de Hanau-Lichtenberg.
Son père, membre du conseil des finances du prince de Hesse-
Darmstadt, auquel appartenait cette seigneurie, perdit sa
place pour s'être opposé à un acte arbitraire du prince, et
se retira à Strasbourg. Le jeune Koch poursuivit ses études
classiques au Gymnase protestant et entra en 1752 à l'Uni-
versité. Il se voua d'abord à l'étade de la philologie et de la
philosophie, et puis à celle de l'histoire sous la direction du
célèbre Schœpflin. Après avoir pris le grade de docteur en
droit, il se rendit, en 1762, à Paris. Il y passa une année
entière, complétant son instruction par des recherches dans
les bibliothèques et par la fréquentation de savants tels que
Sainte-Palaye, De Guignes, Barthélémy, d'Anville et
autres.
De retour à Strasbourg, il se lia plus étroitement avec
Schœpflin, qui lui demanda de collaborer à son Historia
Zaeringo-Badensis, dont le premier volume avait seul paru.
Koch termina' cet ouvrage à la grande satisfaction de son
maître. Schœpflin se montra reconnaissant. En léguant à la
ville sa riche bibliothèque avec son cabinet d'antiquités, il
stipula que Koch en serait nommé conservateur. Et, en effet,
à sa mort, en 1771, Koch fut pourvu de cette place. L'Univer-
sité, presque en même temps, le nomma conservateur de sa
bibliothèque et lui conféra le titre de professeur d'histoire
extraordinaire.
*) Voy. Louis Spach, Biographies alsaciennes. Paris et Strasbourg
1871, p. 181.
Vie de Chris t.-Guill. Koch, rédigée au nom du Séminaire
protestant par J.-G. Schweighaeuser. Strasb. — L'article Koch dans La
France protestante d'Eug. et Em. Haag. Paris, 1856. T. VI, p. 124 ss. —
Christoph Wilhelm Koch. Zum iOO. Todestag, 25. Oct. 1815 von Eug.
Stern. Str. 1913.
') Voy. Précis succinct des principaux événements de la vie. (En
allemand.) Arch. du Sém.
CHRISTOPHE-GUrLLAUME KOCH 31
Il ouvrit alors un cours sur les matières qu^avait en-
seignées ;Son maître, continuant ainsi Técole diplomatique
qu'avait fondée Schœpflin, et bientôt il vit affluer autour de
sa chaire des jeunes gens de tous les pays, qui se préparaient
à la carrière diplomatique et dont quelques-uns devinrent des
hommes d'Etat distingués.
En 1779, il était assez connu pour que l'Université de
Gœttingue l'appelât à sa chaire de droit public, devenue
vacante par la mort d'Achenwall. Les avantages pécuniaires
qu'offrait cette place étaient grands. Koch hésitait sur le
parti à prendre. Les instances de ses collègues et de ses amis
et l'augmentation de traitement que lui accorda le magistrat le
décidèrent finalement. Il resta à Strasbourg. Il n'eut pas à
s'en repentir. Peu après, il fut nonuné professeur de droit
public à l'Université. Sa réputation dès lors ne fit que croître.
Les distinctions vinrent le chercher. L'empereur Joseph II le
nomma chevalier du Saint-Empire; l'Académie de Besançon,
le Musée de Paris, la Société royale d'éducation de Stock-
holm, l'Académie des Sciences de Bruxelles le nommèrent
successivement leur associé.
A côté de ses travaux universitaires, Koch avait com-
mencé à se livrer à des travaux littéraires. En 1771 déjà avait
paru à Lausanne, mais à son insu et sans nom d'auteur,
publié d'après des cahiers de cours, son Tableau des révo-
lutions de V Europe, qu'il refit plus tard sur un plan plus
vaste. En 1782, il fit paraître ses Tables généalogiques des
maisons souveraines de VEurope et, en 1789, la Sanctio prag-
matica Germanorum illustrata qui lui valut « les témoignages
les plus flatteurs de la part des prélats catholiques les plus
respectables par leur érudition et par leur piété».
Ces paisibles travaux furent bientôt interrompus par la
crise révolutionnaire. Koch se vit appelé à d'autres travaux,
bien différents de ceux auxquels il s'était livré jusqu'alors.
En l'année 1789 il fut envoyé à Paris, avec le Stettmeister
de Colmar, Sandherr, pour y défendre les droits civils et
religieux des protestants d'Alsace. Il réussit à faire rendre
le décret du 17 août 1790, qui maintenait les protestants de la
Confession d'Augsbourg et ceux de la Confession helvétique
en Alsace dans les droits que leur avaient reconnus les traités
et exceptait les biens de leurs églises de la confiscation au
profit de la nation, prononcée par le décret du l^'^ décembre
1790.
32 LA FACULTÉ DE THEOLOaiE DE STRASBOURG
Koch n'était pas revenu de Paris que ses concitoyens
reconnaissants le nommaient membre de l'administration du
district, et Tannée suivante, le 29 août 1791, député du Bas-
Ehin à l'Assemblée législative.
Ses goûts le rattachaient à l'ordre et ses doctrines s'éloi-
gnaient de celles du parti révolutionnaire. Il prit sa place sur
les bancs des modérés. Ses rares facultés, ses connaissances
étendues, hautement appréciées, le firent nommer, peu après,
président du Comité diplomatique.
Sa conduite après le 20 juin — Koch avait été un des
principaux instigateurs de la protestation des cinq mille élec-
teurs strasbourgeois contre toute atteinte au pacte constitu-
tionnel — lui attira les persécutions du parti vainqueur.
Arrêté au mois de septembre 1791, puis remis momentané-
ment en liberté avec ordre de se tenir à distance des fron-
tières, il fut obligé de se cacher pour sauver sa tête; puis,
arrêté de nouveau dans l'asile oîi il s'était réfugié, il fut en-
fermé, comme plusieurs de ses collègues, dans les bâtiments
du Grand-Séminaire. Ce n'est qu'après une détention de onze
mois que le 9 thermidor le rendit à la liberté.
Nommé alors, par le choix de ses concitoyens, au Direc-
toire du département du Bas-Ehin, il n'accepta ces fonc-
tions, dans lesquelles il rendit d'ailleurs d'éminents services
aux institutions strasbourgeoises, qu'à regret. Il avait hâte
de retourner à ses travaux littéraires. Dès que les élections
régulières purent avoir lieu, il déposa son mandat. Mais il était
trop en vue pour pouvoir espérer de vivre tranquille. Malgré
lui, il fut, en 1798, mêlé aux conférences de Seltz et à celles
de Eastatt.
Plus tard, il se vit appelé par la confiance de ses core-
ligionnaires à travailler à la réorganisation de l'Eglise pro-
testante d'Alsace, et, aidé de quelques amis, il rédigea le
projet de loi qui forma la base de la loi du 18 germinal de
l'an X. Puis, nommé, en 1802, membre du Tribunat, il usa
de son influence pour obtenir le décret du 30 floréal XI, qui
réorganisait l'ancienne Université comme Académie protes-
tante.
Après la suppression du Tribunat en 1807, Koch renonça
définitivement à toute activité politique. Il revint à Stras-
bourg. De nouvelles fonctions l'y attendaient à côté de ses
cours, et de nouvelles distinctions honorifiques. Il fut nommé
JEAN-LOUIS-ALEXANDEE HERRENSCHNEIDER 33
successivement membre du Consistoire général et du Direc-
toire de TEglise de la Confession d'Augsbourg, doyen de la
Faculté de droit, recteur honoraire de la nouvelle Académie,
président de la Société des sciences et arts du Bas-Ehin. Tout
en remplissant consciencieusement ces fonctions multiples,
il travaillait à terminer ses grands ouvrages historiques; il
donnait une nouvelle édition de son Tableau des révolutions
de V Europe, et préparait la publication des Tableaux généa-
logiques, qui ne parurent pourtant qu'après sa mort.
La santé de Koch était restée inaltérable et son esprit
n'avait subi aucun déclin. Levé chaque jour à cinq heures, il
passait sa matinée entière debout devant son pupitre, dînait
frugalement, faisait une courte promenade, se remettait au
travail, et se couchait invariablement à dix heures, sans avoir
soupe. Mais, en 1812, il fut subitement atteint d'une maladie
qui, à son âge, devait être mortelle. Il la supporta avec une
sérénité stoïque. Sentant sa fin approcher, il réunit ses amis
à la campagne pour un dîner d'adieu qu'il présida avec son
amabilité ordinaire. Peu de jours après, le 25 octobre 1813,
il s'éteignait à l'âge de soixante-seize ans.
Le chapitre de Saint- Thomas, pour lui marquer sa re-
connaissance des grands services qu'il avait rendus à la fon-
dation, avait, dès 1808, suspendu son portrait, peint par Eo-
bert Lefèvre, dans la salle de ses séances; le Séminaire, après
sa mort, voulut, pour honorer dignement sa mémoire, lui
élever un monument dans l'église Saint-Thomas. Ce monu-
ment est une des meilleures œuvres du sculpteur Ohmacht.
La philosophie à l'Académie protestante, était enseignée
par le plus jeune des professeurs titulaires, Jean-Louis-
Alexandre Herrenschneider ') . Né le 22 mars 1760 à Grehweiler,
où son père était premier pasteur et inspecteur ecclésiastique,
il vint, après de fortes études classiques faites sous la direc-
tion de ce père qui était, paraît-il, un érudit, étudier à l'Uni-
versité de Strasbourg les langues anciennes et, en même
temps et surtout, les mathématiques, la physique et l'astro-
nomie, qui avait pour lui un attrait particulier. Il se livra
avec une telle ardeur au travail personnel, qu'il put, dès
') Voy. Discours prononcé le 23 février i8A3 pour rendre les derniers
honneurs académiques à J.-L.-A. Herrenschneider, par J.W^illm. Str. 1843.
— Reden bei der Beerdigung von J. L. A. Herrenschneider. Str. 1843.
34 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOUEG
1782, présenter sa thèse pour le doctorat. Cette dissertation
De conscientia paraissait annoncer un futur philosophe. Mais
quand il s'agit pour le jeune docteur de choisir une carrière,
les siens, s 'effrayant d'une profession qui semblait offrir peu
d'avenir, intervinrent et le décidèrent à se vouer au droit.
Un événement imprévu vint déranger ces plans et ouvrir
au jeune savant une carrière plus conforme aux penchants
de son esprit et à l'instinct de ses talents. Un frère de son
père, Samuel Herrenschneider, qui professait les mathéma-
tiques à l'Université de Strasbourg, vint à mourir en 1784,
et comme on ne lui trouva pas d'abord un successeur qui fut
à la hauteur de sa tâche, on chargea le jeune Herrenschneider,
comme l'élève le plus distingué de son oncle, de donner pro-
visoirement le cours de mathématiques. Il s'acquitta si bien
de cette tâche, qu'en 1789, à la mort du professeur Bracken-
hoffer, il fut appelé à lui succéder dans sa chaire.
Après un voyage scientifique qui le mit en rapport avec
les astronomes européens les plus célèbres, avec Laplace et
Herschell, et lui fournit l'occasion d'étudier les nouveaux
instruments et les nouvelles méthodes astronomiques, il vint
reprendre son activité à l'Université de Strasbourg. Elle fut
presque aussitôt interrompue par la tourmente révolution-
naire.
Herrenschneider, comme tant d'autres, avait salué avec
enthousiasme la Eévolution, dans laquelle il croyait voir l'au-
rore d'une nouvelle ère, dîme ère de liberté et d'égalité. Mais
quand il vit les généreux principes de 1789 succomber sous
les actes sanglants de 1793, la justice outragée et l'esprit
humain qui avait fait la révolution, condamné dans ses nobles
idées et proscrit dans ses généreux représentants, pénétré
d'horreur, il s'éleva contre l'anarchie, et quand les pasteurs
qui refusaient de renier leur foi furent arrêtés et empri-
sonnés, il n'hésita pas à se joindre à eux et à partager avec
eux une détention qui dura plusieurs mois.
Rendu à la liberté après le 9 thermidor, Herrenschneider
fut nommé successivement membre de la Commission de
l'Ecole centrale, de celle des nouveaux poids et mesures,
examinateur des candidats à l'Ecole polytechnique et, lors de
la création de l'Académie protestante, professeur de philo-
sophie à cet établissement. Sa spécialité était pourtant, il en
avait fourni la preuve, la physique et les mathématiques.
HEKEENSCHNEIDER COMIVIE PEOFESSEUR 35
Aussi, lorsqu'en 1808 l'Académie impériale fut établie à
Strasbourg, fut-il appelé à y occuper la chaire de physique.
Il continua en même temps à donner un cours de mathéma-
tiques au Séminaire, jusqu'au jour où le professeur Kramp
de la Faculté des sciences, gêné sans doute par cette concur-
rence, le menaça d'une dénonciation auprès du grandmaître de
l'Université, si, professeur de philosophie, il ne renonçait pas
à ce cours de mathématiques. Herrenschneider dut dès lors
se borner à l'enseignement de la logique et de la métaphysique.
Il paraît pourtant n'avoir pas été tout-à-fait à la hauteur
de sa tache. Il avait été nourri dans sa jeunesse de la philo-
sophie wolfienne, et, si nous en croyons quelques-uns de ses
élèves, son horizon philosophique n'allait guère au delà. Il
avait, plus tard, étudié très consciencieusement Kant, il s'était
même attaqué à Schelling et à Fichte, mais Hegel et la nou-
velle philosophie allemande restèrent pour lui lettre close,
n l'avouait d'ailleurs avec une charmante bonhomie. «Je
crois», disait-il, «avoir compris Platon et Aristote, Bacon
et Descartes, Locke et Leibnitz, Kant et Jacobi, Fichte et
jusqu'à Schelling, mais je ne comprends rien à H'egel. » ')
Malgré cette lacune dans son savoir et bien que la forme
de son enseignement manquât de charme et qu'un bégaiement
dont il ne réussit jamais à se défaire et la répétition fati-
gante des mêmes locutions donnassent à son débit quelque
chose de comique, ses leçons étaient pleines d'intérêt et
suivies avec zèle. Sa bienveillance, d'ailleurs, et sa générosité
lui avaient gagné le cœur de ses étudiants. « Nous étions tous
convaincus», dit l'un d'eux, «qu'il nous aimait et qu'il était
prêt à nous être utile autant que cela lui était possible. » ')
L'affection qu'avaient pour lui ses auditeurs et la véné-
ration dont l'entourait la population strasbourgeoise tout
entière pour sa charité inépuisable et la part qu'il prenait
à toutes les œuvres philanthropiques, éclatèrent lors de son
jubilé, où tous, ses collègues, les étudiants, les bourgeois de
la ville, unis dans un même sentiment, lui apportèrent le
tribut de leur admiration, de leur respect et de leur recon-
naissance. Le Séminaire, pour l'honorer, décida de faire
peindre son portrait par Strintz et d'en orner la salle de ses
') J. W^illm, loc. cit., p. 16.
*) J.-F. Bruch, loc. cit., p. 42.
36 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
séances. Plus tard, le gouvernement le décora de la croix de
la Légion d'honneur.
Jusqu'à Vage de 67 ans, Herrenschneider put se livrer
à ses occupations diverses. Mais à ce moment de sa vie, il
fut atteint d'une maladie qui le contraignit à restreindre ses
travaux. Il prit sa retraite comme professeur de l'Académie,
mais il continua son cours au Séminaire. Son esprit n'avait
subi aucun déclin. Il assistait avec une assiduité persévé-
rante à toutes les séances du Séminaire, portant sa vigilante
sollicitude sur l'administration de la fondation et s 'intéres-
sant aux recherches scientifiques. Mais à la fin de l'année
1839 sa santé devint vacillante, ses forces physiques et intel-
lectuelles diminuèrent de plus en plus, et le 29 janvier 1843
il expirait. Il avait près de 83 ans lorsqu'il fut enlevé à l'af-
fection des siens, au commerce de ses amis et aux études
scientifiques.
III
A côté des théologiens et des philologues, de l'historien
et du philosophe, l'Académie protestante comptait cinq pro-
fesseurs, dont trois avaient appartenu à la Faculté de droit
et deux à la Faculté de médecine de l'ancienne Université, des
hommes entourés de la considération générale, distingués
dans leur branche spéciale, mais dont la place ne semblait
pas marquée dans une institution créée pour former les mi-
nistres du culte. Ils étaient, nous l'avons dit, un héritage de
l'ancienne Université; l'Académie, qui succédait à celle-ci,
était tenue de leur conserver leur place et leur traitement,
sauf à voir comment elle les emploierait.
Le plus âgé des jurisconsultes, Jean-Daniel Eeisseisen*),
était né à Strasbourg, le 18 janvier 1735, d'une famille qui,
depuis des générations, s'était distinguée dans le service de
l'Etat et de l'Eglise. Son bisaïeul paternel, François Reiss-
eisen, avait été membre du conseil des XIII et scolarque; son
bisaïeul maternel, Samuel Silberrad, pasteur à Saint-Pierre-
le- Vieux, et son grand-père, Martin Silberrad, pasteur à
Saint-Thomas. Son père, Jean-Daniel Eeisseisen, était
médecin.
*) Oratio inaugur. Arg., Heitz, 1775.
JEAN-DANIEL BEAUN 37
Eeisseisen ne le connut point, il Pavait perdu avant sa
naissance. Un oncle, frère de sa mère, alors professeur de
poésie et plus tard de droit, devint pour lui un conseiller et
un guide paternel. Schœpflin aussi s^intéressa à lui quand,
en 1749, Eeisseisen entra à TUniversité pour y étudier
d'abord les lettres et puis le droit. Mais cette culture préli-
minaire n'était qu'une préparation à des études plus étendues
et plus profondes. Eeisseisen alla à Paris, où il continua à se
former dans la science du droit, il passa ensuite quelque
temps à Colmar pour s'exercer à la pratique des affaires
auprès de la Cour suprême, et obtint, quand il revint à Stras-
bourg, l'autorisation de faire des cours publics. En 1768, il
devint professeur titulaire à la Faculté de droit et acquit une
réputation qui s'étendit jusqu'en pays étranger.
A l'Académie protestante, il annonça, non un cours de
droit, mais de philosophie pratique 0. Cette annonce se re-
trouve chaque année dans le programme du Séminaire jus-
qu'en 1811. Alors son nom disparaît du tableau des cours,
bien qu'il ne mourût que six ans plus tard, en 1817. H faut
croire que son âge avancé et, peut-être, l'absence d'auditeurs,
l'avait décidé à renoncer à une activité qui, sans doute, ne
lui donnait que peu de satisfaction.
Il n'en fut guère autrement du second jurisconsulte,
Jean-Daniel Braun. Lui aussi appartenait à une vieille fa-
mille strasbourgeoise qui avait fourni des hommes de mérite
aux conseils des XIII et des XV. Son père, Jean Braun, était
négociant et assesseur du Grand Conseil.
Né à Strasbourg, le 12 décembre 1739, Braun fit ses huma-
nités au Gymnase protestant et étudia le droit à l'Univer-
sité de sa ville natale. Il devint ensuite, sur la recomman-
dation de Schœpflin, précepteur des fils du baron de Stein.
Il trouva dans cette position, qu'il occupa durant cinq ans,
l'occasion de connaître un monde intéressant et tout nouveau
pour lui. De retour à Strasbourg, il fut nommé professeur
extraordinaire à la Faculté de droit.
Mais avant de commencer son enseignement, il voulut
compléter ses études. H se rendit d'abord à Lyon, pour s'y
^) 0. Berger-Levrault, dans ses Annales, dit de lui: «Professeur de
jurisprudence, de droit naturel et des gens et de droit public d'Allemagne
à r Académie protestante ». C'est une eiTeur, Reisseisen n'a jamais
annoncé que Philosophiae practicae principia.
38 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STKASBOURG
exercer à la pratique de la jurisprudence française, puis à
Paris, OÙ la fréquentation d'hommes d'un haut mérite, du
duc de Mortemart, du vicomte de Vitraye et de diplomates
étrangers, contribua beaucoup à augmenter ses connaissances
juridiques et à étendre son horizon politique. Eevenu à Stras-
bourg, il obtint une chaire à la Faculté de droit, et inaugura
son cours par un discours qui fit sensation: Leges ac mores
publicae salutis fulcimenta, Principis curam esse.
Pendant la période révolutionnaire, Braun fut appelé à
remplir diverses fonctions publiques; il fut placé, en 1793,
à la tête de l'administration du Bas-Ehin. Mais dénoncé
comme aristocrate, il fut destitué, arrêté et enfermé avec
d'autres notables au Grand -Séminaire. Il fut retenu captif
jusqu'en septembre 1794. Plus tard, nous le trouvons vice-
président du tribunal civil de première instance à Stras-
bourg et membre du Consistoire du Temple-Neuf.
A l'Académie protestante, Braun annonça un cours de
«droit ecclésiastique protestant»*). L'ai-t-il professé régu-
lièrement? Et avec quel succès? Nous l'ignorons; il n'en est
fait mention nulle part. Mais s'il ne brillait pas comme pro-
fesseur, il eut de réels mérites comme administrateur des
fondations protestantes. Schweighaeuser, faisant, en sa qua-
lité de vice-président du Séminaire, le 29 novembre 1809,
l'éloge de ce collègue, décédé quelques jours auparavant,
pouvait dire de lui: «Il a réussi autant par l'exactitude qu'il
mettait dans ses recherches que par un travail assidu consacré
au bien-être de la fondation (de Saint-Thomas) à la rétablir
dans les droits qui lui avaient été contestés par le vertige des
années révolutionnaires et à réparer autant que possible les
pertes qu'elle avait faites. Le défunt par les services signalés
rendus à la fondation s'est acquis de justes titres à la recon-
naissance de ses collègues et emporte leurs regrets. » ') Bel
éloge assurément et qui suffit pour assurer à la mémoire du
professeur Braun la gratitude de l'Alsace protestante!
Le troisième des jurisconsultes qui avaient passé de
M 0. Berger-Levrault, dans ses Annales, le désigne comme « profes-
seur de droit civil et criminel à l'Académie protestante ». Mais on n'a
jamais enseigné ni le droit civil ni le di'oit criminel à l'Académie protes-
tante et le programme des leçons ne porte que cette seule mention :
Braun jus ecclesiasticum protestantium docebit.
*) Procès-verbal de la Séance du 29 nov. 1809.
JEAN-FRANÇOIS EHEMANN 39
Pancienne Université à rAcadémie protestante, Jean-François
Ehrmann'), était né à Strasbourg, le 12 février 1757, fils de
Jean-Chrétien Ehrmiann, médecin principal de l 'hôpital civil et
doyen du collège des médecins strasbourgeois. Après de fortes
études achevées au Gymnase protestant, il fit son droit à
PUniversité de sa ville natale et y prit, en 1782, le grade de
docteur. Employé d'abord à la chambre des contrats, il devint
successivement professeur à la Faculté de droit, juge sup-
pléant au tribunal du district, notable de la commune de
Strasbourg, et fut, en septembre 1792, envoyé par les suf-
frages de l'assemblée des électeurs du Bas-Rhin à la Con-
vention. Il y prit sa place parmi les démagogues les plus dé-
cidés et ne tarda pas à marquer dans le procès de Louis XVI
ses sentiments exaltés. Dans la séance du 15 janvier, il ré-
pondit à l'appel de son nom: «Coupable», et empêché par la
maladie d'assister aux séances décisives du 18 et du 19, il
vota par lettre la mort du tyran.
Au cours des années suivantes, Ehrmann fut, à diffé-
rentes reprises, chargé de missions auprès des armées répu-
blicaines, et surtout, à cause de sa connaissance des deux
langues, auprès de l'armée du Rhin et auprès de celle de
Rhin-et- Moselle. En 1797, il eut l'honnuer d'être élu au Con-
seil des Cinq-Cents. Mais il n'y siégea que peu de temps; dès
1798, nous le trouvons président du tribunal criminel de
Strasbourg et, quelques années plus tard, conseiller à la cour
d'appel de Colmar.
Lors de son passage à l'Académie protestante, Ehrmann
annonça un cours de morale philosophique. Mais ses fonc-
tions judiciaires le tenant éloigné de Strasbourg, il dut se
faire remplacer dans sa chaire. Il n'en continua pas moins
à jouir de sa prébende; il se borna à mettre une faible partie
de son traitement, d'abord, 500, et plus tard, 800 francs, à la
disposition de l'Académie pour indemniser son suppléant.
Après la restauration, Ehrmann, soupçonné du crime de
régicide, fut destitué. On racontait que, craignant d'être ex-
pulsé, il avait, pour gagner son pain en pays étranger, appris
le métier de vannier, parce que, disait-il, on trouve des saules
*) Voy. Notes biographiques sur les hommes de la Révolution à
Strasbourg et les environs par Etienne Barth. Metz 1877, p. 295, 296. —
Le Courrier du Bas-Rhin du 29 sept. 1839.
40 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STKASBOUEG
à Pabord de toutes les villes. Les choses pourtant n'en vinrent
pas là. Ehrmann, dont le nom fut, paraît-il, omis sur les listes
de proscription, ne fut nullement inquiété. Il put revenir
tranquillement à Strasbourg pour occuper sa chaire au Sé-
minaire protestant. Il annonça alors un cours de droit ecclé-
siastique protestant. Mais, nous dit Edouard Eeuss, il n'arri-
vait à le faire que lorsqu'il se trouvait quelques étudiants
curieux d'entendre les bons mots et les anecdotes piquantes
dont il parsemait ses leçons.
Le jacobin Ehrmann, si nous en croyons le pasteur silésien
Wehrhahn, qui, lors d'un voyage en France, passa par Stras-
bourg, et fit la connaissance du vieux conventionnel, devint
sur le tard un fervent piétiste. «Qui l'eût cru possible», écrit
cet ecclésiastique, « Ehrmann qui avait été un des tigres de
la révolution, membre de la Convention au moment où la
mort du roi fut votée, représentant du peuple, sur l'ordre
duquel plus d'une tête tomba sous le couperet de la guillo-
tine; lui dont nul homme, nulle philosophie ne pouvaient
laver les taches de sang adhérentes à sa conscience, cherchait
le pardon daas le sang répandu pour lui aussi sur la croix;
il était, quand je fis sa connaissance, un pécheur depuis long-
temps converti et passait dans la ville pour un mystique et
un piétiste. »
Aux théologiens et aux philologues, aux philosophes et
aux juristes venaient se joindre, pour compléter le personnel
enseignant de l'Académie, deux médecins, qui d'ailleurs ne
réussirent pas plus que les juristes à réunir un auditoire pour
les cours qu'ils annonçaient et finirent par renoncer à l'ac-
tivité académique.
L'un d'eux, Jean- Jacques Spielmann*), naquit à Stras-
bourg le 4 octobre 1748. Il appartenait à une famille vouée
depuis plusieurs générations à l'art de guérir. Son père,
Jacques Eeinbold Spielmann, était professeur à la Faculté
de médecine et jouissait d'une réputation qui s'étendait bien
au delà des barrières de la ville.
Après avoir acquis en 1770, à peine âgé de vingt-deux
ans, le grade de docteur en médecine, Spielmann entreprit
avec son ami Frédéric de Dietrich, le futur maire de Stras-
*) 'Programma ad orationem inauguralem qua Joh. Jac. Spielmann
in Universitate Argentoratensi auspicahitur. Argent Heitz, 1765.
JEAN-JACQUES SPIELMANN 41
bourg, une tournée en Suisse. Il voulut connaître les hommes
célèbres de ce pays; il vit, à Bâle, le physicien Bernoulli, à
Zurich, le poète Salomon Gessner, à Berne, le naturaliste
Haller. Mais c'était avant tout Paris qui l'attirait. Il alla y
faire un séjour; il y entendit les cours des plus illustres
savants et se lia d'amitié avec d ' Angervilliers et Milly.
Eevenu à Strasbourg, il se maria avec Marguerite Sa-
lomé de Tiirckheim, et devint, en 1773, surnuméraire dans les
hôpitaux militaires, puis, directeur de l'hôpital des enfants,
et, en 1785, professeur de pathologie à l'Université.
Comme professeur de l'Académie protestante, il resta
fidèle à sa spécialité. Dès le premier programme, il annonça
un cours d'hygiène à l'usage des futurs pasteurs de campagne,
et, dans les programmes suivants il renouvela cette annonce
sous les formes les plus variées. Ce cours, qui présentait cer-
tainement quelque intérêt, attira-t-il des auditeurs et Spielmann
l'a-t-il réellement professé! On ne nous le dit pas. En tout cas,
son activité à l'Académie ne fut pas de longue durée. Il
miourut le 7 décembre 1810, à l'âge de soixante-cinq ans.
Son collègue, Thomas Lauth'), occupa sa chaire bien
plus longtemps sans arriver toutefois à exercer une activité
académique plus efficace.
Strasbourgeois, comme la plupart de ses collègues de
l'Académie protestante, il était né le 19 août 1753. Comme
Spielmann, il appartenait à une famille de médecins. Son
père, Jean-George Lauth, était professeur d'accouchement à
l'Université et pratiquait en même temps la médecine. Im-
matriculé à la Faculté de philosophie dès l'âge de quatorze
ans, le jeune Lauth se voua tout d'abord à l'étude des langues
anciennes, et cela avec une telle ardeur et un tel succès, qu'il
parvint à manier la langue latine avec plus de facilité et
d'élégance que sa langue maternelle. Après les langues, il
aborda la philosophie, puis, les mathématiques et les sciences
naturelles et, enfin, la médecine. Il y fit de si rapides progrès
qu'il put, après peu de temps, être adjoint comme assistant
au médecin du grand hôpital.
En 1781, il conquit le grade de docteur en médecine.
^) Masuyer, Discours sur Thomas Lauth. Strassb. 1827. — Pro-
gramma ad orationem inauguralem qua Th. Lauth in Universitate
Argentoratensi auspicabitur. Arg., Heitz, 1785.
42 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STRASBOUEG
après quoi il entreprit un voyage scientifique qui le conduisit
à Paris et, de là, à Londres, à Bruxelles et à Amsterdam,
à Leyde et à Utrecht, à Cassel et à Gœttingue, et qui le mit
en relation avec les célébrités médicales de plusieurs pays.
De retour à Strasbourg, il devint successivement assistant
des professeurs d'accouchement Rœderer et Ostertag, proseo-
teur d'anatomie à TUniversité, professeur extraordinaire à la
Faculté de médecine, et en 1785, titulaire de la chaire d'ana-
tomie et de chirurgie.
La révolution interrompit brusquement cette belle ac-
tivité. Mais la loi du 14 frimaire de Tan III ayant créé trois
écoles de médecine, dont l'une à Strasbourg, celle-ci, à cause
du voisinage du théâtre de la guerre, attira un grand nombre
d'élèves de toutes les parties de la France. Ils venaient faire
ou achever leurs études à Strasbourg, pour aller plus facile-
ment de là affronter la mort dans les ambulances et sur les
champs de bataille. Lauth et Herrmann furent alors réin-
tégrés dans les chaires qu'ils avaient occupées antérieure-
ment. Depuis 1795, Lauth, qui, par patriotisme, avait refusé
un appel de l'Université de Tubingue, était aussi m^édecin
principal de l'hôpital civil. L'Académie de médecine de Paris
le nomma membre associé et le gouvernement lui conféra la
croix de la Légion d'honneur.
Quand Lauth passa à l'Académie protestante, il annonça
un cours d'anthropologie, et jusqu'en 1826 cette annonce se
retrouve chaque année dans le programme des leçons de
l'Académie d'alors et du Séminaire ensuite. Elle ne suffit pas
pourtant pour lui amener des auditeurs. Il n'arriva qu'une
seule fois, paraît-il, à faire ce cours. «Il le fit», nous dit
Bruch, qui était un de ses auditem's, «en latin, selon l'usage
de l'ancienne Université, et avec une facilité d'élocution qui
nous remplit d'admiration. Pas une expression ne lui manqua.
Une seule fois, voulant parler de musiciens ambulants, il
s'arrêta un instant, cherchant une expression équivalente;
mais tout aussitôt il trouva le terme de musici circum-
foranei qui, en effet, était parfaitement adéquate. » ^) Eeuss,
raconte, de son côté, qu'un jour les étudiants s'entendirent
pour l'obliger à faire son cours et qu'ils lui demandèrent de
le faire en latin. Lauth y consentit, et d'abord tout alla bien.
^) J.-F. Bruch, Loc. cit., p.
THOMAS LAUTH 43
Il commença par une description générale de l'organisme
humain, il passa ensuite aux détails de la tête, mais il n'était
pas arrivé au cou qu'un beau matin une affiche annonça à
ses auditeurs «que Monsieur le professeur était empêché
de continuer ses leçons»^).
Il jouit dès lors, comme plusieurs de ses collègues, de sa
prébende de chanoine, sans rendre le moindre service dans
l'enseignement du Séminaire.
Lauth, au retour d'un voyage du Rhin, mourut le 16
septembre 1826, à Bergzabern, dans le Palatinat, et fut en-
terré dans cette localité.
^) Ed. Reuss, Loc. cit.
CHAPITKE m
Premiers diangements dans le personnel enseignant
Professeurs suppléants et professeurs agrégés
On a pu voir par le chapitre précédent qu'il était, à l'Aca-
démie protestante, très imparfaitement pourvu à un enseigne-
ment qui devait embrasser la philologie, la philosophie et la
théologie dans leurs rapports essentiels. Les professeurs du
nouvel établissement ne manquaient pas de bonne volonté sans
doute, mais les théologiens, les philologues et les philosophes
y étaient trop peu nombreux pour suffire à leur tâche, et les
juristes et les médecins, maintenus à côté d'eux, étaient trop
étrangers à la théologie et à ses sciences auxiliaires, pour
pouvoir rendre de réels services. On sentit donc le besoin
de recruter de nouvelles forces, capables de combler les lacunes
que l'on constatait dans l'enseignement de l'Académie.
Dès sa première séance, d'ailleurs, l'Académie avait com-
pris l'avantage qu'offrirait pour l'instruction des élèves le
concours de maîtres choisis en dehors du cercle universitaire,
et elle avait décidé qu'on inviterait de jeunes savants distingués
par leur talent et leurs connaissances à unir leurs efforts à
ceux de l'Académie en faveur de la jeunesse studieuse. L'appel
fut entendu. Le programme des cours de l 'année 1805-1806 con-
tient les noms de sept privatim-docentes: des pasteurs, Fritz
et Beck; des vicaires, Emmerich et Dahler; d'autres savants,
Eedslob, Oberlin jun., Aufschlager, qui annoncent des cours
de théologie systématique, de philosophie, d'exégèse de l'An-
cien et du Nouveau Testament, même de mathématiques et
de droit naturel. Ces cours ne furent pas tous professés, faute
d'auditeurs. Mais les mêmes noms et les mêmes sujets de cours
reparaissent dans les programmes des années suivantes, et
JEAN-GEORGES DAHLER 45
des noms nouveaux, œux du pasteur Eissen et du professeur
Hammer, viennent s'ajouter aux noms anciens.
L'Académie se vit pourtant bientôt dans la nécessité de
nommer des professeurs suppléants. Koch, trop absorbé par
les affaires politiques pour faire son cours d'histoire, priait,
par lettre du 13 frimaire an XIV, qu'on lui donnât un sup-
pléant dans la personne d'un jurisconsulte distingué, Frantz,
et Schweighaeuser, chargé d'années, demandait, de son côté,
qu'on lui adjoignît, pour l'enseignement des langues orien-
tales, le privatim-docens Dahler, très compétent en ces
matières.
L'Académie n'hésita pas à faire droit à ces demandes.
Elle fit plus encore. Le plan d'organisation de 1807 prévoyant
la nomination de professeurs suppléants, elle désigna pour ces
fonctions trois savants qui avaient fait leurs preuves: Jean-
Georges Dahler, Jean-François Frantz et Charles-Maximilien
Fritz, et elle obtint qu'ils fussent agréés par le gouvernement.
Ce n'étaient pas d'ailleurs, comme on serait tenté de le croire
d'après l'arrêté de l'Académie, des hommes au début de la
carrière, le plus jeune d'entre eux comptait quarante-six
printemps.
Ce dernier, Jean-François Frantz '), était né le 6 mai 1761
à Bischwiller, où son père était pasteur. Il avait étudié la
philosophie et l'histoire à l'Université de Strasbourg, et ces
études, poussées avec une vigueur extraordinaire, semblaient
annoncer en lui un futur historien. Mais l'histoire n'offrant à
ce moment que peu de chances d'arriver, Frantz s'était tourné
vers la jurisprudence. Docteur en philosophie depuis 1786 et
en droit en 1787, il fut, cette même année, nommé agrégé à la
Faculté de droit de Strasbourg. Après un voyage scientifique
en Allemagne et en France, il venait de commencer, non sans
succès, ses cours, quand la Eévolution vint disperser ses audi-
teurs et balayer la vieille école strasbourgeoise.
Cependant, les aptitudes et le patriotisme de Frantz étaient
trop connus, pour qu'on ne songeât pas à les utiliser dans
l'intérêt public. Il fut nommé secrétaire de la nouvelle admi-
nistration. Il n'occupa pourtant ce poste que peu de temps.
Lorsque les jacobins arrivèrent au pouvoir, il fut accusé de
M Voy. Rede an dem Sarge von Hrn. Johannes Frantz, Professor
der Rechle, gcsjn'ochen von Isaac Haffner, Strasbourg, s. d.
46 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STKASBOURG
modérantisme et destitué, heureux d'ailleurs de n'être pas
banni ou incarcéré. Il fallut patienter, attendre des jours meil-
leurs. La tourmente passée, il fut appelé à de nouvelles fonc-
tions publiques. Membre du Directoire du département en 1797,
juge au tribunal civil de Strasbourg, sous-préfet à Wissem-
bourg, député à l'Assemblée législative, professeur à l'école de
droit, conseiller de préfecture, vice-président de la commission
administrative des hospices civils, il rendit dans ces différents
emplois les plus grands services.
Nommé, en 1807, agrégé à l'Académie protestante, il y
donna des cours d'histoire universelle, d'histoire de France et,
plus tard, de droit ecclésiastique protestant. Mais ses fonc-
tions publiques ne lui permirent pas de se vouer tout entier
à l'enseignement; aussi le voyons-nous, modeste et conscien-
cieux, prier le Séminaire, après la mort de Blessig et de Koch,
«de remettre sa nomination à une chaire de professeur à
l'époque où il serait en état de rendre dans l'enseignement
des services réels».
Cette occasion ne devait plus se présenter: Frantz mourut
le 18 décembre 1818.
Jean-Georges Dahler 0, le second prof esseur agrégé, appelé
en même temps que Frantz à l'Académie protestante, put,
au contraire de celui-ci, mettre, durant de longues années, ses
forces et son temps au service de l'Académie et, plus tard,
du Séminaire.
Il était né à Strasbourg, le 7 décembre 1760, dans une
famille qui jouissait d'une certaine aisance. Son père était
négociant, sa mère s'appelait Marie-Barbe Hammer. Reçu à
l'âge de sept ans au Gymnase protestant, le jeune Dahler y
fit d'excellentes études classiques, qu'il alla continuer et com-
pléter à l'Université sous Oberlin et Schweighaeuser, pour se
faire ensuite recevoir étudiant en théologie. Il comprit pour-
tant bientôt qu'il n'était pas fait pour la carrière de prédica-
teur. Bien qu'il eût le souci de la forme et quelque prétention
à un style soigné, il manquait de cette fermentation intérieure,
de cet élan, de cette chaleur de parole qui font l'orateur. Il
se décida dès lors pour la carrière de l'enseignement.
^) Voy. Discours prononcé pour rendre les derniers honneurs acadé-
miques à M. Jean-George Dahler... par M. J. Matter. Strasb. 1832. in-8°.
— Zum Andenken an Johann Georg Dahler. Trauerreden gehalten am
2. Juli bei seiner Beerdigung. Str. 1832.
JEAN-GEOKGES DAHLER 47
Ses examens de théologie achevés, il se jeta avec ardeur
sur rétude des langues sémitiques, et, après les doctes leçons
de Schweighaeuser, alla suivre à léna, à Leipzig et à Gœt-
tingue, celles des maîtres les plus illustres, d'Eichhorn, de
Griesbach, de Dœderlein et de Heyne. Il visita aussi les Uni-
versités d'Erlangen, de Halle, de Wittenberg, de Marbourg
et de Heidelberg, et revint vers la fin de l'année 1788 dans
sa ville natale, avec Tespoir d'y trouver une chaire académique
où il pourrait prodiguer à la jeunesse les trésors de savoir
qu'il avait si consciencieusement amassés. Son attente fut
déçue. A l'Université de Strasbourg, il n'y avait pas de chaire
vacante pour le moment, et, en dehors de Strasbourg, la France
n'offrait nulle perspective d'emploi à un savant appartenant
à l'Eglise protestante.
Dahler se vit réduit à donner des leçons particulières pour
vivre. Il en prit son parti, répétant avec la spirituelle bon-
homie qui le caractérisait, que Strasbourg ne donnait du pain
à ses enfants que lorsqu'ils commençaient à manquer de dents
pour le manger.
Un instant il sembla que l'Université de Gœttingue allait
enlever le jeune savant à sa patrie. Dahler s'était fait le colla-
borateur d'Eichhorn dans la publication d'une nouvelle édition
du lexique de Simonis, et il pouvait espérer que ce travail
important lui ouvrirait les portes de la célèbre Augusta-
Georgia. La crise révolutionnaire, qui éclata à ce moment, lui
enleva même cet espoir.
Il se tourna alors vers le ministère ecclésiastique. Le
24 avril 1791, le savant collaborateur d'Eichhorn, l'auteur de
plusieurs ouvrages critiques et littéraires, fut nommé prédi-
cateur du soir à Saint-Guillaume, puis vicaire au village de
Bischheim et agrégé au Gymnase protestant. Emplois bien
modestes et qui, les trois ensemble, ne lui faisaient pas un
traitement annuel de cent écus! La position de Dahler à ce
moment rappelle celle du jeune Haffner revenant de ses
voyages universitaires, qu'un administrateur félicitait d'être
«si bien casé». Haffner se trouvait, en effet, «casé» avec un
traitement de cinq louis.
En 1793, la situation de Dahler commença à s'améliorer.
Il fut nommé professeur de grec au Gymnase et directeur du
pensionnat de Saint-GuiUaunie. Il obtint, en mêm*e temps, l 'au-
torisation de faire des cours. Mais la mauvaise chance le pour-
48 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
suivait. Au moment où il ouvrait ses cours, La voix de la
France appela ses enfants à sa défense. Les salles de cours
se vidèrent et , au collège de Saint-Guillaume, des prisonniers
autrichiens vinrent remplacer les étudiants en théologie.
En 1795, Dahler devint pasteur auxiliaire à Illkirch et,
bientôt après, prédicateur- vicaire à Strasbourg. Mais, nous
l'avons dit, la nature lui avait refusé les qualités qui font
l'orateur populaire et il fut heureux, quand les camps rendirent
aux études quelques jeunes gens, de reprendre ses cours.
Il les continua dès lors sans interruption jusqu'au mois
de mai 1832; dans les premières dix années sans titre et sans
rétribution. Il fut d'abord nommé professeur suppléant avec
ime indemnité de 200 livres, qui, en 1809, fut portée à 300 livres
«en reconnaissance du zèle qu'il avait déployé». Ce n'est
qu'en 1811, à la mort de Spielmann, qu'il obtint la dixième
place de professeur au Séminaire et devint chanoine de Saint-
Thomas. Il avait alors plus de cinquante ans.
Les cours qu'il donna à l'Académie protestante et plus tard
au Séminaire portaient sur les sujets les plus variés. «Il est
peu de professeurs en théologie », dit Matter dans son discours
pour rendre les derniers honneurs académiques à M. Jean-
Georges Dahler, « et depuis sa mort il n'en est plus, je pense,
qui embrassent dans leurs leçons autant de branches diffé-
rentes que fit M. Dahler. Ce professeur donna successivement
des cours de grammaire latine, hébraïque, syriaque, chaldéenne
et arabe; il expliqua Térence, Salluste, Homère, le Nouveau
Testament, Moïse, Salomon, les prophètes et quelques autres
écrivains classiques des langues sémitiques; il enseigna la
géographie, les antiquités et l'histoire littéraire du monde
ancien et, dans les observations toujours écrites qu'il fit
publiquement pendant plusieurs années aux soutenances des
thèses de théologie, il donna des preuves d'une érudition si
générale et si profonde, qu'on ne savait quoi le plus admirer
en lui, de cette instruction si exacte et si variée ou de cette
justesse et de cette modération si constante qui caractérisaient
ses jugements, qui en faisaient autant d'oracles. »
Dahler était un philologue émérite. « Mais », dit Bruch
dans ses Mémoires, «ses cours ressemblaient à des leçons de
Gymnase. Ils n'avaient en vue que la connaissance de la langue,
mais ne donnaient aucune satisfaction au goût... Ses cours
DAHLER INTERPRÈTE DE L'ANCIEN TESTAMENT 49
sur rAncien Testament me profitèrent plus que ceux sur la
littérature romaine. Son interprétation des Proverbes et celle
de Job étaient excellentes et m'amenèrent à mieux comprendre
la langue hébraïque et la littérature de F Ancien Testament. »
Dahler ne se borna pourtant pas à donner des cours sur
les matières les plus variées, il fit paraître de 1781 à 1832 une
série de travaux littéraires, parmi lesquels plusieurs ouvrages
importants sur différents livres de F Ancien Testament: une
traduction allemande des Proverbes, une version française de
Jérémie, avec des notes historiques et critiques, et un traité
en langue latine sur Tauthenticite des livres des Chroniques.
Tous ces travaux se recommandaient par une vaste érudition,
par un jugement modéré et un esprit éminemment religieux,
mais laissaient désirer une allure plus vive et un tour plus
rapide.
Lorsqu'en 1819 TAcadémie de Strasbourg fut dotée d'une
l'acuité de théologie protestante, Dahler fut appelé à occuper
la chaire d'exégèse du nouvel établissement. Dès lors, il se
borna, dans ses cours, à l'interprétation des livres de l'Ancien
Testament.
La vie de Dahler fut toute de labeur. Aux fonctions de
professeur du Séminaire et de la l'acuité de théologie, il
joignit celles de directeur du Gymnase et d'inspecteur ecclé-
siastique intérimaire, et celles d'inspecteur des collèges de
Saint-Guillaume et de Saint-Thomas. Il fut président de la
Société pastorale de Strasbourg et vice-président de la Société
biblique, pour laquelle il entreprit, avec plusieurs de ses col-
lègues, la révision de la traduction de Luther. Il faisait partie
de toutes les Sociétés de bienfaisance de Strasbourg et s'in-
téressait à toutes les œuvres philanthropiques.
Dahler était dans les relations ordinaires de la vie le plus
facile des hommes. La nature, qui lui avait donné une grande
vigueur de corps et d'esprit, avait joint à cette robustesse des
qualités aimables: une charmante bonhomie, une modeste dou-
ceur, une bonté secourable. Il ne songeait qu'à se rendre utile,
à remplir au mieux ses devoirs, et cela tout naturellement, sans
laisser paraître le moindre désir d'être applaudi ou dinstingué.
Pourtant les honneurs vinrent le chercher. La société de La
Haye pour la défense du christianisme lui décerna sa médaille
d'or et le ministre le nomma membre du Conseil académique
50 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STRASBOUEG
et doyen honoraire de la Faculté de théologie. Il déclina Tune
et l'autre de ces nominations, comme il avait refusé antérieure-
ment le décanat.
Dahler mourut le 27 juin 1832, laissant la réputation d'un
homme de cœur plus encore que d'un homme d'esprit, et d'un
maître consciencieux plus que d'im grand savant.
Le troisième des professeurs suppléants, Charles-Maxi-
milien Fritz'), était né le 7 octobre 1758 au presbytère d'Eck-
bolsheim, près de Strasbourg. Son père, reconnaissant ses
heureuses dispositions, l'envoya de bonne heure au Gymnase.
Le jeune élève, sérieux, appliqué, y fit d'excellentes études
classiques, puis alla étudier la philosophie et la théologie,
vers laquelle l'entraînait une vocation naturelle.
Ses études universitaires terminées à Strasbourg, il voulut
les compléter en Allemagne. Il se rendit à léna où l'attiraient
le critique Griesbach, l'orientaliste Eichhorn et le dogmaticien
Dœderlein. Après un séjour prolongé dans cette ville, il visita
quelques autres des grandes Universités allemandes et revint
à Strasbourg en 1788.
Il n'y trouva pas les occupations qu'il avait espérées. Ce
n'est que deux ans plus tard qu'il fut appelé aux modestes
fonctions de pédagogue du collège de Saint-Guillaume, et les
années qui suivirent n'amenèrent aucune amélioration dans sa
position. Il se décida alors à accepter la place de pasteur qui
était devenue vacante à Barr.
C'était en 1793. Aussi à peine eut-il commencé à exercer
son ministère qu'il se vit forcé de l'interrompre. Un mandat
d'arrêt avait été lancé contre lui, et, pour s'y soustraire, il
dut se réfugier dans la montagne. Mais dénoncé, traqué et
finalement découvert, il fut arrêté, transféré à Strasbourg et
incarcéré au Grand-Séminaire.
Remis en liberté après le 9 thermidor, il retourna dans
sa paroisse à laquelle il se consacra tout entier, remplissant
à la fois les fonctions de pasteur et d'instituteur, jusqu'au
jour où, en 1802, il fut nommé à une place de pasteur au
Temple-Neuf, à Strasbourg.
Quelques années plus tard, il vit se réaliser l'un de ses
vœux les plus chers. Chargé, en 1807, de donner, en qualité
*) Voy. Einige Blàtter zur Erinnerung an Cari Maximilian Fritz,
Str. (s. d.).
CHARLES-MAXIMTLIEN FRITZ 51
de professeur suppléant, des cours à TAcadémie protestante,
il fut nommé, le 26 octobre 1813, après la mort de Koch,
professeur titulaire au Séminaire, et, en 1819, appelé à la
chaire de morale chrétienne dans la nouvelle Faculté de
théologie.
Fritz, doué d'un grand sens pratique, était avant tout
pédagogue, et il le prouva quand, en 1809, il fut chargé de
la direction du Gymnase. « Il trouva », dit Eedslob dans son
Discours funèbre, « quand il entra dans cette position, à amé-
liorer bien des choses que les tempêtes des années terribles
avaient détruites et aussi à créer bien des choses que la culture
plus avancée de notre époque réclame comme urgente. Pour
cela, il dut lutter contre de nombreux obstacles et combattre
maint adversaire avec courage, prudence et circonspection.
En parfaite communauté d'idées avec les professeurs de l'éta-
blissement, il lutta avec un courage héroïque contre les adver-
saires du bien, et vit, sa plus douce récompense, une belle
œuvre prospérer de plus en plus sous sa direction. »
Fritz fut appelé à une activité plus absorbante encore
quand, après la mort de Blessig, il fut nommé inspecteur
ecclésiastique de l'inspection du Temple-Neuf.
C'est le 15 janvier 1821 qu'il termina, à soixante-deux
ans, une vie qui avait été bien remplie. Pasteur à Barr
et puis à Strasbourg, professeur au Séminaire et à la Faculté
de théologie, directeur du Gymnase et inspecteur ecclésiastique
de l'inspection du Temple-Neuf, membre de l'administration
delà fondation de Saint-Thomas, Fritz n 'avait pas cessé de ser-
vir l'Eglise d 'Alsace et de l'honorer par ses vertus. D'une âme
élevée, il avait su unir le savoir à la noblesse du caractère, le
fier courage dans la persécution aux qualités les plus aimables
du cœur. Il comptait, nous disent ses contemporains, parmi
les hommes les meilleurs et les plus respectables.
II
L'Académie protestante, dès les premières années de son
existence, vit se produire des changements dans son sein.
Plusieurs de ses membres touchaient déjà à la vieillesse au
m^oment de sa création et ne tardèrent pas à succoirtber.
Oberlin s'éteignit le premier. Il mourut en 1806; Braun le
suivit dans la tombe en 1809. Par leur mort, le nombre des
52 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
professeurs se trouva réduit à dix. C'était le chiffre fixé
par les articles organiques; aussi ne furent-ils remplacés ni
Pun ni Tautre. La première nomination d'un professeur au
Séminaire eut lieu en 1810, à la mort de Spielmann. Elle ne
modifia d'ailleurs point la composition du corps enseignant.
Dahler, qui fut nommé, en faisait déjà partie, com'me agrégé,
depuis 1807.
Mais il y en avait d'autres encore parmi les professeurs
qui étaient chargés d'années et que leurs infirmités empê-
chaient de remplir leurs devoirs académiques dans toute leur
étendue. L'enseignement en souffrait. Et cela était d'autant
plus fâcheux que le Séminaire voyait augmenter sans cesse
le nombre de ses élèves. Ce n'étaient plus les départements
du Haut- et du Bas-Rhin et le pays de Montbéliard seuls qui
fournissaient leur contingent, les pays allemiands annexés par
Napoléon envoyaient leurs étudiants à Strasbourg. Il fallait
donc songer à combler les lacunes de l'enseignement et à en
élargir le cadre.
Le Directoire, à l'instigation du Séminaire, prit un
arrêté par lequel, considérant les exigences du temps, il
augmenta le personnel enseignant et les matières à enseigner.
Il nomma Geoffroi Schweighaeuser professeur suppléant et
Redslob et Emmerich professeurs agrégés. Schweighaeuser
était chargé d'une partie de l'enseignement philologique à
la place de son père; il devait, en outre, donner un cours
d'esthétique que de nombreuses voix réclamaient avec ins-
tance. Redslob était appelé à faire un cours de morale philo-
sophique et pratique et un autre d'histoire de la philosophie;
à Emmerich était confié l'enseignement de l'histoire ecclé-
siastique.
Jean-Geoffroi Schweighaeuser'), était né à Strasbourg le
2 janvier 1776, fils de l'helléniste Jean Schweighaeuser. Il
était, paraît-il, un enfant d'une rare précocité. On racontait
qu'à l'âge de dix-huit mois ayant un jour entendu sa mère
dire une fable de Gellert, il l'avait si bien retenue, qu'il l'avait
répétée le lendemain d'un bout à l'autre sans manquer un
seul mot. Quoi qu'il en soit de cette anecdote, il est avéré
qu'il possédait une mémoire étonnante. Comme élève du Gym-
^) Voy. Discours pour rendre les derniers honneurs académiques
à J.-G. Schweighaeuser. Str. 1844.
JEAN-GEOFFROI SCHWEIGHAEUSER 53
nase, il savait tout Homère par cœur. Son père lui inspira
l'amour de Tantiquité classique, sa mère, Catherine Salomé,
née Hering, une femme d'esprit, développa en lui le goût
de l'art et de la littérature. Au Gymnase protestant, il fit ses
classes avec distiction, et à treize ans il était inscrit à
l'Université comme élève en droit et en philologie.
Ses études achevées à Strasbourg, il voulut aller leâ
comï)léter dans les Universités étrangères. La guerre l'en
empêcha. C'était le moment où d'un bout à l'autre de la
France retentissait l'appel aux armes pour la défense de la
patrie. Schweighaeuser avait seize ans. Il n'hésita pas. En-
rôlé au 3e bataillon des volontaires du Bas-Ehin, il courut
à la frontière menacée et prit part aux comibats qui se
livrèrent alors dans le Palatinat et sur la ligne de Wissem-
bourg. Mais même dans le tumulte de la vie des camps, il
donnait au culte des lettres tout le t^mps que lui laissaient
ses devoirs militaires. Virgile et Horace, Sophocle et Pin-
dare l'avaient suivi et il feuilletait leurs pages immortelles
à la lueur des feux de bivouac.
Il resta sous les drapeaux tant que durèrent les grands
dangers de la France. Mais après les victoires qui sauvèrent
la patrie, il suivit le commissaire de guerre Mathieu Fabvier
à Colmar. Il y entra en relation intime avec le fabuliste
Pfeiïel, qui «lui ouvrit le temple des muses», c'est-à-dire
l'encouragea à cultiver la poésie.
En 1796, il vint à Paris, chargé par son père de colla-
tionner les manuscrits d'Epictète et de faire, en son nom, une
lecture à l'Institut. Il fît une si bonne impression sur ses
auditeurs qu'il trouva dès lors un accueil empressé chez des
savants et des gens de lettres distingués, comme Millin et
Visconti, Sainte-Croix et Bitaubé. Quand, deux ans plus tard,
il revint à Paris, il fut même admis dans la brillante société
qui se réunissait autour de Mmie de Staël et qui exerçait une
influence considérable sur la littérature. Il y rencontra des
personnages célèbres, des représentants éminents de la
science et de l'art, et se trouva bientôt en relations suivies
avec quelques-uns d'entre eux, tels que Guingené et Andrieux,
Gérando et Voyer d'Argenson, Guillaume de Humjboldt et
les deux frères Schlegel. On avait dans ces cercles une si
haute opinion de son savoir et de son intelligence que Hum-
boldt, Delessert, Voyer d'Argenson et Mme de Staël, elle-même
54 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOUEG
songèrent à lui confier l'éducation de leurs fils. Schweig-
haeuser entra, en effet, comme précepteur, dans la famille
de G. de Humboldt et il y resta jusqu'en 1800, où il fut rap-
pelé à Strasbourg pour achever son service militaire. Revenu
à Paris, il se chargea de l'éducation du fils de Voyer d'Ar-
genson et continua à s'en occuper jusqu'en 1812.
Durant ces années, Schweighaeuser se livra à des tra-
vaux littéraires multiples. Il prépara pour l'édition stéréo-
type des Caractères de La Bruyère du comte de Schlabern-
dorf le troisième tome contenant le texte de Théophraste; il
entreprit de faire mieux connaître la culture allemande en
France et la culture française en Allemagne, et il publia à
cet effet de nombreux articles dans le Magasin encyclopé-
dique de Millin et dans les Franzosische Miscellen (Mélanges
français) de Tubingue; il collabora au Publiciste de Suard
et à ses Archives littéraires; il rédigea le texte du premier
volume du Musée Napoléon publié par les frères Piranesi et
donna un Tableau chronologique des peintres les plus célèbres
depuis la renaissance de l'art jusqu'à la fin du 18e siècle.
Mais l'ouvrage le plus important de ces années, celui
auquel il avait consacré le plus de temps, c'était la traduc-
tion avec introduction et commentaire, des Indiques de l'his-
torien grec Arrien, le meilleur résumé de ce que les anciens
savaient de l'Inde. Schweighaeuser l'avait entreprise sur
les conseils de Sainte-Croix, et il avait l'intention d'y joindre
toutes les notes patiemment réunies sur ce sujet sous le titre:
«Recherches critiques sur l'histoire primitive et l'origine
de la civilisation des Indiens et des autres peuples anciens en
général». Ce travail, qui devait assurer à son auteur la répu-
tation d'un philologue, était prêt à être imprimé quand la
faillite du libraire-éditeur en empêcha la publication.
Cependant le décret du 17 mars 1808, qui donna à l'Uni-
versité une nouvelle organisation, venait de créer à Stras-
bourg une Académie impériale. Le père de Schweighaeuser
fut nommé doyen de la Faculté des lettres et lui-même pro-
fesseur-adjoint, chargé de l'enseignement de la littérature
grecque. Il n'entra pourtant en fonctions qu'en 1812, au
moment où il fut appelé au Séminaire comme professeur de
littérature ancienne.
Ses cours, au Séminaire, portaient sur les classiques grecs
et latins et sur l'esthétique. Poète lui-même, il expliquait
l'activité littekaire de j.-g. schweighaeuser 55
de préférence les poètes et se donnait une peine infinie pour
développer le goût de ses élèves et leur faire comprendre et
sentir la beauté de Tantique poésie. Plein d'un zèle ardent,
il ne se bornait d'ailleurs pas à ses cours officiels, il réunissait
ses auditeurs le dimanche dans des exercices de récitation et
de déclamation, et dans des conférences où il lisait et corri-
geait les travaux allemands et français qui lui étaient remis.
« Mais, dit un de ses élèves, son activité se heurtait à un obs-
tacle des plus sérieux, les étudiants ne l'aimaient pas... Pour-
quoi? C'est difficile à dire. D'abord, sans doute, parce qu'il
n'avait pas de cœur pour la jeunesse. Il était d'une sévérité
qui s'étendait sur tous, sur les meilleurs élèves comime sur les
autres. Peut-être aussi était-ce l'élégance, la recherche qu'il
mettait dans sa mise et ses manières qui irritait les jeunes
gens, les Allemands surtout, qui avaient plutôt des manières
grossières. » L 'Eloge du professeur Fritz dit pourtant « que
tous ceux qui aimaient l'étude et qu'il admettait dans son
intimité lui vouaient une reconnaissance et un attachement
éternels. »
En 1815, Schweighaeuser fut appelé à remplacer son père
comme conservateur de la bibliothèque du Séminaire et de
celle de la ville, et du musée d'antiquités qui y était joint.
Il fut, par là, amené à s'occuper de l'étude des antiquités de
l'Alsace. Il publia alors une série de mémoires sur la Cathé-
drale, le mur païen, les monuments celtiques des bords du
Ehin, etc., et, avec son ami de Golbéry, le grand et bel ouvrage
intitulé : « Antiquités de V Alsace, ou châteaux, églises et autres
monuments des départements du Haut- et du Bas-Rhin,
Mais ces « distractions littéraires » ne suffisaient pas à
l'activité de son esprit, il se jeta avec une nouvelle ardeur sur
la philologie qui, comime il l'écrivait à Sulpice Boisseré, était
son premier devoir. Sa santé, malheureusement, était minée.
Frappé d'apoplexie en 1829 et atteint de paralysie, il dut re-
noncer à son activité académique. Il vécut pourtant encore
quinze ans, entouré des soins affectueux de son épouse, une
fille du professeur d'anatomie Thomas Lauth, et aidé par
elle dans ses études archéologiques et autres qu'il continuait
en dépit de ses cruelles infirmités et au milieu de vives souf-
frances.
Il mourut le 14 mars 1844.
Schweighaeuser, nous l'avons vu, n'avait pas réussi à
56 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STKASBOURG
gagner la sympathie de ses auditeurs. Il n'avait pas dé-
daigné de leur faire toutes les avances, ils avaient refusé
d'y répondre. Les deux agrégés, au contraire, qui avaient
été nommés en même temps que lui, Redslob et Emmerich,
conquirent de prime abord tous les cœurs. Ils étaient jeunes,
pleins d'enthousiasme, et apportaient dans leur enseignement,
avec de sérieuses qualités de clarté et de méthode, du mouve-
ment et de la vie, communiquant aux jeunes gens qui les
écoutaient les sentiments dont ils débordaient eux-mêmes.
François-Henri Redslob ^) était né à Strasbourg, le 25 mars
1770, dans une famille bourgeoise, honorable et aisée. Son
père était passementier ou, comme on disait alors, négociant
en soieries. Ses études classiques achevées au G^Tnmase, le
jeune Redslob suivit pendant trois ans, à la Faculté de philo-
sophie, les leçons des maîtres les plus illustres, celles de Herr-
mann et de Koch, de Schweighaeuser et d'Oberlin, celles
aussi de Herrenschneider, qui l'initia à la science astrono-
mique. Il avait, en général, un goût marqué pour les sciences
naturelles et physiques. Aussi songea-t-il un instant à étudier
la médecine. Mais, esprit essentiellement méditatif et âme
profondément religieuse, il reconnut bien vite que ce n'était
pas là sa vocation et il se tourna vers la théologie. Blessig,
avec lequel il avait une grande affinité, exerça alors sur lui
une influence décisive.
Redslob n'était pas arrivé au terme de ses études théo-
logiques quand, le 23 août 1793, retentit le cri d'alarme qui
appelait la jeunesse de France à la défense des frontières
menacées. Bien que faible de constitution, il n'hésita pas un
instant à remplir son devoir envers la patrie: avec plusieurs
de ses amis, il courut s'enrôler dans le premier bataillon des
volontaires de Strasbourg. Dirigé aussitôt sur Fort-Louis, il
s'y trouva sergent-miajor quand le fort fut assiégé et bom-
bardé par les Autrichiens.
Redslob avait pris les armes avec enthousiasme, mais il
n'était pas né soldat. Au milieu du tumulte de la guerre, il
continua à se livrer à l'étude et à la méditation. Ce zèle stu-
*) Voy. Discours prononcé le 26 décembre i83i pour rendre les
derniers honneurs académiques à M. François-Henri Redslob..., par
J. Willm. Str. 1835. — Reden und Gedichte zur Begràbnisfeier des Herrn
Fr, H. Redslob. Str. 1834. — Mon ouvrage : Franz Heinrich Redslob.
Ein Strassburger Professor am Anfang des 19. Jahrhunderts. Str. 1906.
FKANÇOIS-HENRI REDSLOB 57
dieux eut un jour des conséquences désastreuses. On était
convenu dans sa compagnie que tous les hommes, à tour de
rôle, feraient la cuisine. Son tour venu, Eedslob prépara et
irai au feu l'ordinaire du jour, oubliant seulement d'y ajouter
de Peau. Puis, il se plongea dans la lecture de l'ouvrage de
Eeimarus sur «Les principales vérités de la religion natu-
relle ». Sa lecture achevée, il se souvint du rôle qui lui était
confié. Il courut à ses fourneaux. Hélas! il était trop tard.
Quand il découvrit ses marmites, il n'y trouva que quelques
restes d'aliments calcinés. Ses camarades rirent beaucoup de
sa distraction; elle lui valut du moins d'être dispensé à
l'avenir de toute fonction culinaire.
Cependant Fort-Louis dut, malgré le courage de ses dé-
fenseurs, capituler, et Eedslob, avec toute la garnison, fut
emmené comme prisonnier de guerre. En passant le Kniebis
en plein hiver, échauffé par la marche, il eut la malheureuse
idée de se désaltérer avec de la neige. Il ne tarda pas à res-
sentir les suites de son imprudence. Il arriva malade à Ulm,
incapable de suivre ses compagnons d'infortune. Un habitant
de la ville, qui avait entretenu des relations de commerce
avec son père, s'empressa de l'accueillir; il lui fit même ob-
tenir l'autorisation de rester à Ulm. Eedslob y demeura toute
une année, vivant des maigres ressources que lui procuraient
quelques leçons de français et de botanique. Enfin il put,
grâce aux démarches de M. et de Mme de Tiirckheim, qui
aux jours de la Terreur s'étaient réfugiés en Allemagne, aller
les rejoindre à Erlangen et reprendre l'éducation de leurs
enfants qu'il avait commencée à Strasbourg.
C'est aussi avec la famille de Tiirckheim qu'il revint
en 1796 en Alsace. Il continua pendant quelques années encore
à diriger l'éducation des fils de cette famille et de quelques
jeunes gens qu'on leur adjoignit et dont plus d'un, tel le
jurisconsulte et poète Arnold, fit plus tard honneur à son
enseignement.
Eedslob avait fait ses preuves comme éducateur. Les
succès obtenus sur ce terrain l'engagèrent à créer, en 1801,
un pensionnat de jeunes gens qui jouit bientôt d'une grande
réputation et attira de nombreux élèves. L'établissement con-
tinua à prospérer jusqu'en 1811, où un régime universitaire
étroit en ordonna la fermeture.
Heureusement qu'à ce moment même une nouvelle car-
58 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
rière s'ouvrait à Eedslob. Dès 1809, il avait été nommé vicaire,
c'est-à-dire professeur suppléant, au Gymnase pour l'enseigne-
ment des mathématiques. En 1811, Haffner, qui avait deviné
en lui un talent oratoire peu ordinaire, l'appela à différentes
reprises à le remplacer dans la chaire de Saint-Nicolas. Doué
d'un esprit fin, d'une sensibilité profonde, d'une imagination
qui donnait de la grandeur à ses idées et de la beauté à son
langage sans en altérer la simplicité, Eedslob se révéla aussi-
tôt orateur distingué. L'année suivante, le conseil presbytéral
de Saint-Pierre-le- Vieux le chargea des prédications du soir
dans cette église, et, en 1816, il fut appelé à succéder à
Blessig dans la chaire du Temple-Neuf.
En 1812, il fut également nomîmé professeur suppléant
au Séminaire pour l'enseignement des sciences philoso-
phiques; cinq ans plus tard, en 1817, il devint titulaire de
cette chaire. Il donna alors des cours sur la religion naturelle,
sur la morale philosophique et sur la psychologie. Ce dernier
cours fit sensation. Eedslob possédait tout ce qu'il fallait
pour traiter cette matière délicate: un talent d'observation
qu'il avait reçu de la nature, une connaissance profonde du
cœur humain qu'il avait acquise en élevant la jeunesse, des
expériences nombreuses qu'il avait faites au cours d'une vie
agitée. Aussi, ses leçons offraient-elles, au témoignage des
contemporains, le plus vif intérêt. Eeuss, qui les avait en-
tendues deux fois, en parle dans ses Mémoires avec les plus
grands éloges. Eelus à tête reposée, dit-il, les paragraphes
dictés par Eedslob laissaient à désirer au point de vue philo-
sophique. Mais à entendre le professeur dans sa chaire, on
était empoigné, entraîné. Les idées originales, les aperçus
ingénieux, les observations fines, spirituelles se succédaient,
se pressaient dans son exposition; la comparaison des lois et
des phénomènes de la nature avec les lois et les phénomènes
du monde intellectuel et moral, à laquelle il s'arrêtait avec
complaisance, était particulièrement intéressante. Ce qui con-
tribuait au succès de Eedslob, c'est qu'il mettait son âme
dans ses leçons. Sa parole était chaude, elle respirait pour
les choses dont il parlait un enthousiasme qu'il faisait par-
tager à ses auditeurs.
Le public qui suivait ce cours n'était pas composé unique-
ment d'élèves du Séminaire et d'étudiants en théologie, il
comiprenait des jeunes gens de toutes les Facultés. Ils étaient
FRÉDÉRIC-CHARLES-TIMOTHÉE EIMMEBICH 59
nomObreux — plus de cent — pleins d'admiration pour le
maître qui leur présentait la science sous des aspects si nou-
veaux et si attrayants. L'un d'eux, vingt ans plus tard, évo-
quant les souvenirs de son jeune âge, écrivait: «A notre
époque prosaïque et matérialiste, on aura quelque peine à
comprendre l'enthousiasme, l'exaltation que le nouveau pro-
fesseur provoquait parmi les étudiants, la vénération et
l'affection dont ceux-ci l'entouraient. La grande salle des
cours pouvait à peine contenir tous ces jeunes gens avides de
s'instruire qu'il attirait par sa philosophie saine, basée sur
l'expérience et l'observation la plus judicieuse de l'homme
intérieur, et par son exposition vivante et parlant à l'imagi-
nation. » *)
Eedslob continua à donner ce cours de «psychologie em-
pirique » même après avoir été nommé, en 1821, professeur à
la nouvelle Faculté de théologie et il le donna jusqu'à sa fin.
Frédéric-Charles-TimothéeEmmerich,') nommté en même
temps que Eedslob à la suppléance d'une chaire au Sémi-
naire, obtint, comme lui, un grand succès auprès des étudiants
et acquit, quoique bien jeune — il avait à peine vingt-six ans —
la réputation d'un professeur distingué.
Il était né à Strasbourg, le 15 février 1876. Son père, un
modeste savant, était régent au Gymnase protestant. C'est
sous sa ferme autorité et par le soin d'une mère tendre et
vigilante que le jeune Emm'erich fut élevé dans les prin-
cipes d'une saine piété et dans l'amour de tout ce qui est bien.
Ses études classiques terminées au Gymnase et complétées
auprès de son père, il suivit des cours de philologie, de philo-
sophie et d'histoire. Mais cette culture préliminaire n'était
qu'une préparation à l'étude de la théologie, vers laquelle
l'entraînait une vocation naturelle. Il y mit tout son cœur. Il
se distingua si bien par son zèle et son talent que le conseil
presbytéral du Temple-Neuf le nomma catéchète à cette
église et le chargea d'une partie des prédications dans les ser-
vices du matin. Il couronna ses études par une dissertation
latine sur Les Evangiles apocryphes des Hébreux, des Egyp-
tiens et de Justin Martyr, et entreprit ensuite un voyage
*) Erinnerungen an den seligen G. F. Lachenmeyer von K. W. W.
Kurtz. Str. 1843, p. 15.
') Blumen auf die frûhe Gruft des trefflichen Mannes Km. Fr. K. T.
Emmerich. Str. (s. d.).
60 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STKASBOURG
scientifique qui le conduisit en Allenxagne, en Autriche et
finalement à Paris.
Il revint à Strasbourg formé aux lettres et à la théologie,
et devint alors professeur à son tour. Il débuta dans la car-
rière de renseignement comme régent-suppléant au Gym-
nase. Le Séminaire, par arrêté du 3 août 1809, le chargea de
renseignement des langues anciennes dans les classes supé-
rieures de la vieille école. Il remplit ces fonctions avec le
soin et la conscience qu'il apportait à tout ce qu'il entre-
prenait.
Mais ses aptitudes et ses connaissances le désignaient
pour un enseignement plus relevé que celui du Gymnase; par
arrêté du 3 novembre 1812, le Directoire le nomma professeur
agrégé au Séminaire, avec mission de suppléer le vieux pro-
fesseur Weber dans son cours d'histoire ecclésiastique. En
1816, il fut, en outre, appelé à donner le cours de granunaire
hébraïque, tâche assez ingrate et qui semble ne pas lui avoir
donné beaucoup de satisfaction. Cependant il était aimé et
même vénéré des élèves, surtout de ceux de troisième année,
qui voyaient en lui, dit Keuss, «le type du professeur de théo-
logie».
Toutefois, les penchants de son esprit et de son cœur, et
peut-être l'instinct de son vrai talent, le portaient vers le mi-
nistère évangélique. Il avait commencé par exercer les fonc-
tions de prédicateur-vicaire à côté de son père, et bientôt il
acquit de la réputation comme orateur de la chaire. Tandis
que la plupart des pasteurs de la ville ne parlaient qu'à la
raison et au nom de la raison, se tenant de préférence dans
les régions de la morale et de l'utilité humaine, Emmerich
parlait au cœur et à la conscience, et aux plus purs enseigne-
ments de l'Evangile mêlait les exhortations les plus touchantes.
Aussi toutes les fois qu'il prêchait, il y avait foule dans
son église, où les âmes pieuses allaient s'édifier et les esprits
élevés réfléchir.
En 1818, le conseil presbytéral de Saint-Thomas l'appela
comme pasteur à cette église. Une nouvelle carrière s'ouvrait
devant lui, sans le faire sortir de l'ancienne. Au contraire,
il allait être pris plus complètement encore par l'enseigne-
mient académique: en 1821, il était nommé professeur d'his-
toire ecclésiastique dans la nouvelle Faculté de théologie
protestante.
CHAPITRE lY
Le mode de nomination des professeurs — Leur traitement
Le mode de nomination des professeurs de TAcadémie
protestante avait été fixé dès le principe. L'article 11 de la
loi organique du 18 germinal an X disait: «Les professeurs
de toutes les Académies ou Séminaires seront nommés par le
premier consul», et l'article 7 des articles organiques de
l'Académie des Protestants de la Confession d'Augsbourg du
30 floréal an XI, précisant davantage, statuait: «Les profes-
seurs de l'Académie seront nommés par le premier Consul, sur
la présentation du Directoire du Consistoire général, qui
prendra l'avis de l'Académie». Ce règlement ne s'appliquait
pas, bien entendu, aux professeurs de la première heure, qui,
nous l'avons vu, passèrent de plein droit de l'ancienne Univer-
sité à la nouvelle Académie.
Mais lorsqu'en 1808 l'organisation de l'instruction publique
fut réglée à nouveau, le Directoire crut devoir réclamer pour
le Séminaire protestant les mêmes droits et privilèges que
l'article 3 du décret du 17 mars accordait aux Séminaires
catholiques.
Dans sa lettre au ministre des Cultes du 14 octobre 1808,
le Directoire rappelait que, par le décret consulaire de floréal
an XI, l'ancienne Université protestante avait été transformée
en un établissement destiné à l'instruction des pasteurs, et,
par conséquent, subordonné au Directoire et classé dans les
attributions du ministre des Cultes; que cette Académie se
trouvait donc être un véritable Séminaire de la Confession
d'Augsbourg, assimilable aux Séminaires catholiques. Dès lors,
l'article 3 du décret impérial du 17 mars, qui subordonnait
62 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STEASBOURG
rinstruction donnée dans les Séminaires aux archevêques ou
évêques du diocèse, devait être également appliqué au Sémi-
naire protestant de Strasbourg, c'est-à-dire que l'enseignement
qui y était donné devait être subordonné au Directoire et, par
lui, au ministre des Cultes. Seuls, les professeurs de la Faculté
de théologie protestante qui, d'après l'article 8 du décret du
17 mars, devait être établie à Strasbourg, seraient, comme
membres de l'Université impériale, subordonnés au grand
maître et aux statuts et règlements de l'Université, les autres
professeurs et maîtres du Séminaire ne dépendraient que du
Directoire, comme les professeurs des Séminaires catholiques
ne dépendaient que des archevêques et évêques.
Le Directoire, dans sa lettre, faisait remarquer en outre
IV que le Séminaire comprenait deux sections, l'une, le Gym-
nase, pour donner aux élèves qui se destinaient au ministère
ecclésiastique la première instruction, l'autre, l'Académie, pour
la compléter, et qu'il était essentiel que l'instruction dans les
deux sections, dépendît du Directoire, qui, sous l'approbation
du gouvernement et du ministre des cultes, prescrirait l'en-
seignement qu'il jugerait le plus nécessaire aux futurs pas-
teurs; 2° que les articles 39 et 40 du décret impérial imposaient
à tous les agents de l'instruction publique appartenant à l'Uni-
versité impériale un serment par lequel ils s'engageaient à la
stricte observation des statuts et règlements de l'Université, et
que les adhérents de la Confession d'Augsbourg, membres de
l'Université, craignaient qu'on voulût leur appliquer l'art. 33,
qui prescrivait de donner pour base à l'enseignement les pré-
ceptes de la religion catholique, et il exprimait l'espoir que
l'Empereur, pénétré de l'importance de la liberté religieuse,
daignerait, sur le rapport du ministre, faire la déclaration
suivante: 1" ce que l'article 3 du décret impérial du 17 mars
statue en faveur des Séminaires catholiques s'applique égale-
ment au Séminaire protestant de Strasbourg; 2*^ l'enseignement
dans les deux sections de ce Séminaire sera libre et ne
dépendra que du Directoire et, par lui, du ministre des Cultes;
3" les professeurs du Séminaire continueront à être nommés
par Sa Majesté Impériale sur la présentation du Directoire,
comme il est statué par l'article 7 de l'arrêté consulaire du
30 floréal an XI; 4° eu égard aux nouvelles Académies qui
seront établies au sein de l'Université impériale, le Directoire
est autorisé, si le gouvernement le juge convenable, à changer
LE MODE DE NOMINATION DES PROFESSEUES 63
la dénomination d'Académie, que l'arrêté consulaire du
30 floréal an XI lui a attribuée, en celle de Séminaire; 5° le
serment prescrit par les articles 39 et 40 du décret impérial
du 17 mars ne contiendra pas, en ce qui concerné les protes-
tants de la Confession d'Augsbourg qui seront membres de
l'Université impériale, l'obligation de prendre pour base de
leur enseignement les préceptes de la religion catholique.
Ce dernier point était de la plus grande importance pour
les professeurs du Séminaire et exigeait, par conséquent, une
déclaration officielle aussi prompte que catégorique. Cette
déclaration ne venant pas et l'interprétation qu'on donnait
de l'article 39 dans les milieux catholiques provoquant dans
la population protestante un certain émoi, le professeur Koch
s'adressa, au nom du Directoire, à l'un des membres les plus
influents du Conseil de l'Université impériale, au naturaliste
George Cuvier, avec prière de prendre en main les intérêts des
protestants et d'intervenir auprès du ministre et du grand
maître de l'Université pour obtenir une solution favorable
de la question pendante. «Il a paru à notre Directoire»,
écrivait Koch, «que cet article exigeait nécessairement une
déclaration officielle de la part du Gouvernement, attendu
qu'il cause dans tous ces païs-ci, oîi comme vous le savez,
l'ultramontanisme est encore dans toute sa force, et nommé-
ment à la campagne, une agitation extrême, les catholiques
soutenant hautement que les protestants en général seraient
obligés de se faire catholiques, et les protestants, même les
plus raisonnables, croyant au moins y entrevoir un projet de
réunion des différens cultes chrétiens; cette dernière opinion
étant d'ailleurs accréditée par les nombreux écrits qui
paraissent d'un jour à l'autre sur cette matière.»
Cette question résolue, et résolue dans un sens favorable
aux protestants, il s'en présentait une autre: L'article 3 du
décret du 17 mars, qui accordait aux archevêques et évêques
le droit de nommer et de révoquer les professeurs des Sémi-
naires catholiques, donnait-il au Directoire le même droit
relativement aux professeurs du Séminaire protestant, ou bien
celui-ci resterait-il lié au statut de l'arrêté consulaire du
30 floréal an XI?
La logique se prononçait pour la première de ces deux
solutions; mais le Directoire n'eut pas le courage de prendre
une résolution si grave. Lors donc que la dixième chaire du
64 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
Séminaire fut devenue vacante par la mort du docteur Spiel-
mann, il crut devoir se conformer au mode de nomination
prescrit par le décret consulaire du 30 floréal an XI, et, après
avoir pris Tavis du Séminaire, il présenta Dahler à la nomi-
nation du Gouvernement.
La nomination pourtant ne vint pas. Le Directoire alors
s'adressa derechef au ministre. Il n'avait pas cru, disait-il,
pouvoir de sa propre autorité s'appliquer l'article 3 du
décret du 17 mars, mais il avait pleine confiance en Son Ex-
cellence, qui lui indiquerait sans doute la voie à suivre et
lui dirait si c'était le décret consulaire du 30 floréal an XI
ou le décret du 17 mars 1808 qui faisait loi?
Le ministre, paraît-il, ne jugea pas à propos de faire
une réponse à cette question; le Directoire alors, fatigué
d'une longue attente, s'attribua, par arrêté du 14 décembre
1812, le droit de nommer les professeurs du Séminaire.
Depuis lors, il fut de règle que le Séminaire proposât et
que le Directoire nommât les professeurs. On fit pourtant
dans deux cas une exception à la règle: Geoffroi Sckweig-
haeuser et François-Henri Redslob furent, l'un et l'autre,
nommés directement par le Séminaire et leur nomination
fut simplement ratifiée par le Directoire. Nous ignorons d'ail-
leurs les raisons pour lesquelles on s'écarta dans ces deux
cas de l'usage reçu.
En 1821, après la mort de Maximilien Fritz, le Direc-
toire voulut changer le mode de nomination qu'il avait
établi lui-même. Le Séminaire devait lui présenter une liste
de trois nom^ parmi lesquels il choisirait celui qui, à son
avis, était le plus digne d'occuper la chaire vacante. Mais les
professeurs protestèrent hautement contre une innovation que
rien ne justifiait et qui était contraire aux articles organiques
et à tous les antécédents. Le Directoire, devant cette opposi-
tion, n'insista pas, et l'on s'en tint au mode établi par l'arrêté
de 1812, qui attribuait au Séminaire le droit de présentation
et au Directoire celui de nomination.
Ajoutons ici, pour ne pas revenir sur cette matière, qu'en
1848 l'assemblée des délégués, discutant la question de la
surveillance du Séminaire et de la nomination des profes-
seurs de cet établissement, décida, après un long débat, qu'à
l'avenir le Consistoire général nommerait les professeurs du
Séminaire et ferait les présentations aux chaires vacantes de
LES PEÉTENTIONS DU CONSISTOIKE GENERAL 65
la Faculté, diaprés un règlement qu^il arrêterait Mais les
décisions de rassemblée ne furent pas ratifiées par le gou-
vernement.
La même idée fut pourtant reprise dans la session du
Consistoire général de 1850. Dans la séance du 19 décembre,
M. Drion, qui avait fait partie de rassemblée des délégués
de 1848, vint revendiquer la nomination des professeurs- du
Séminaire par le Consistoire général, ne laissant au Direc-
toire que le droit de nommer les chargés de cours. « La nomi-
nation d'un professeur», dit-il, «est ime chose extrêmement
grave, je ne voudrais pas que le Directoire assumât seul cette
responsabilité... Je voudrais que le Directoire et le Séminaire
fussent complètement et pour toujours à Pabri de soupçons
ou de reproches de partialité locale,» Et à Fobservation que
le Directoire était mieux placé que le Consistoire général pour
connaître les aspirants à une chaire de professeur, l'inspec-
teur Masson de Montbéliard répondit que ce qui donnait de
Fombrage aux églises éloignées, c'était que le Directoire était
un corps strasbourgeois, «elles désirent», dit-il, «que toute
influence ne soit pas laissée à Strasbourg. » ')
La motion réunit une majorité: 6 voix contre 3 décidèrent
que le droit de nommer les professeurs du Séminaire serait
enlevé au Directoire et réservé au Consistoire général.
Mais, peu après, le décret du 26 mars 1852 vint rétablir
la situation antérieure; il portait à l'article 11 du chapitre III:
«le Directoire... nomme les professeurs du Séminaire, sur la
proposition de ce dernier corps.»
Le di'oit de nomination lui étant rendu, le Directoire émit
de nouveau la prétention que chaque fois qu'il s'agirait de
pourvoir à une chaire du Séminaire, une liste de proposition
de trois noms lui fût présentée. Le Séminaire pourtant ne
tint aucun compte de cette exigence. A la mort de Willm, il
proposa Bartholmess, et lui seul, pour la chaire vacante,
Le Directoire le nomma, mais il exprima en même temps
le regret qu'un seul candidat lui eût été présenté; s'il l'avait
néanmoins nommé, c'était à cause de ses mérites incontes-
tables, mais il entendait bien que la voie suivie dans cette
occurrence ne constituât pas un précédent.
Le Séminaire protesta contre cette manière de voir. «En
*) Recueil officiel des Actes du Consistoire général VIII, p. 125 s.
66 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STKASBOTJEG
mettant sur la liste de présentation un nom unique», dit-il
dans sa réponse au Directoire, «nous nous conformons à
Fusage suivi par nos prédécesseurs. En effet, en faisant
compulser les procès- verbaux de nos séances, nous avons
trouvé que depuis l'établissement du Séminaire, 14 fois une
de ses chaires est devenue vacante et que 14 fois la liste de
présentation envoyée au Directoire a contenu un seul nom...
Une liste contenant un seul nom est plus digne de l'autorité
supérieure. Si le Séminaire vient lui dire: Après avoir con-
sciencieusement réfléchi, nous sommes d'avis que tel candidat
est le meilleur que vous puissiez nommer à la chaire vacante,
le Séminaire manifeste mieux son respect pour l'autorité
supérieure que s'il lui envoyait une liste de présentation dont
presque toujours la grande moitié serait peu sérieuse.»*)
Le Directoire, après cette réponse, renonça à la prétention
qu'il avait voulu imposer au Séminaire, et les nominations
de professeurs continuèrent à être faites selon l'usage établi.
II
Les professeurs titulaires de l'Académie protestante et,
plus tard, du Séminaire, étaient, comme les professeurs de
l'ancienne Université, chanoines de Saint-Thomas, chargés de
l'administration des biens de la fondation et dotés du produit
de ces biens. Il avait été stipulé, lors de la création de l'Aca-
démie, qu'il en serait ainsi. Le troisième des articles organiques
de l'Académie des Protestants de la Confession d'Augsbourg
disait, en effet: «Les charges dont les fondations affectées à
cette Académie étaient grevées précédemment continueront à
être acquittées. » Or, la principale de ces charges était de
faire aux professeurs leur traitement. Ces traitements étaient
d'ailleurs très modestes. Ils étaient payés, en partie du moins,
en nature. En 1789, un chanoine touchait du fonds commun,
en grains, 40 rézeaux de froment, autant de seigle et 4 rézeaux
d'orge, et en argent, 600 francs. A ce traitement venait
S'ajouter ime prébende qui était acquittée en nature (froment,
seigle, orge, pois, vin) et qui représentait un revenu de 500
à 600 francs, et la jouissance d'une maison canoniale, ou.
*) Lettre du Vice-directeur au Président du Directoire. — Arch. du
Directoire 1853.
LE TEAITEMENT DES PKOFESSEURS 67
s'il n'y avait pas de maison disponible, une indemnité de
400 francs. Quant aux jetons de présence et à la rétribution
scolaire payée par les étudiants, ils n'entraient guère en ligne
de compte.
Lors de la création de l'Académie ces dispositions furent
maintenues et durant de longues années la situation maté-
rielle des professeurs resta la même. Un premier changement
fut apporté à cet ordre de choses par l'arrêté du Séminaire
du 12 octobre 1820, qui divisait les onze prébendes affectées
aux professeurs et au président du Séminaire en trois classes:
la première comprenant les quatre prébendes qui rapportaient
environ 600 frs; la seconde, les quatre qui rapportaient en
moyenne 550 frs; la troisième, les trois dont le revenu ne
dépassait pas 500 frs. Les prébendes de première classe furent,
comme de juste, réservées aux membres les plus anciens du
Séminaire, et celles de la troisième classe attribuées aux
derniers venus. Lorsque le professeur Fritz fut reçu au
chapitre, le 30 novembre 1826, le vice-directeur lui annonça
que ses émoluments consisteraient en un traitement de 22 hl.
de froment par trimestre et de cent francs par bimestre, en
une prébende dé troisième classe rapportant 9^ hl. de froment
par trimestre, et en la jouissance d'une maison, ou, au cas
où il n'y en eût pas de disponible, en une indemnité de 500 frs.
L'année 1832 apporta un nouveau changement, plus
important, en cette matière. La commission économique ayant
constaté, dans son rapport, que les comptes de 1827-28 pré-
sentaient un excédent de recettes de 10.450 frs et que, depuis,
les revenus de la fondation n'avaient cessé d'augmenter, on
se demanda comment il fallait employer cet excédent. On
avait déjà dépensé une somme de 20.000 frs en achats de
terres; on avait, en outre, créé un fonds de réserve avec un
premier acompte de 3400 frs. Ik commission proposa d'aug-
menter le traitement des professeurs. Elle fit valoir que ces
hommes qui consacraient leur temps, leurs forces, leurs veilles
à l'instruction des futurs pasteurs et à la gestion des biens
de la fondation touchaient un traitement des plus modestes
(2600-2800 frs au meilleur cas) et qui ne répondait pas aux
exigences du temps présent. On décida que le bimestre serait
porté de 600 à 1200 frs par an et qu'il serait payé tous les
mois à raison de cent francs.
Dans cette même séance du 2 février 1832, le Séminaire,
68 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
sur la proposition de la Commission économique, décida que
dans les cas oii il n'y aurait pas de maison disponible pour
un nouveau membre du Séminaire, celui-ci ne serait plus
indemnisé, comme jusque-là, par une somme de 500 frs, mais
qu'il aurait l'usufruit complet de la maison qui lui revenait,
qu'il l'habitât lui-même ou qu'elle fût louée.
Les professeurs du Séminaire qui étaient en même temps
professeurs de la Faculté, ne touchaient de la caisse de l'ins-
truction publique qu'un supplément de traitement de mille
francs, avec déduction de 5% pour la caisse des pensions.
Nous le voyons par un passage des Mémoires de Eeuss. Il
note, à l'occasion de sa nomination à la Faculté: « Mon traite-
ment au Séminaire consistait V en un traitement de cent
francs par mois; 2* en l'usufruit d'une maison que je louai
au prix de 800 frs; 3" en une prébende de 136 hl. de froment,
le prix de l'hectolitre étant alors de 14 frs, total: 3764 frs.
Comme professeur de la Faculté, je touchais un supplément
de traitement de 950 frs. »
On voit par ces chiffres combien la situation des profes-
seurs du Séminaire était modeste. Et pendant vingt ans, elle
resta la même. En 1854, le budget de la fondation de Saint-
Thomas portait pour traitements du président et des dix
professeurs du Séminaire 1444 hl. en grains (froment) et
14000 frs en argent, ce qui, divisé par onze, donnait pour
chacun des chanoines 141 hl. de froment et 1273 frs en argent.
Le prix du froment étant en moyenne de 14 frs, le traite-
ment total d 'un professeur titulaire se montait donc, en chiffre
rond, à 3100 frs. Chacun avait pourtant, en plus, la jouissance
d'une maison canoniale.
Pour les professeurs suppléants ou agrégés rien n'était
prévu en fait de traitement ou d'indemnité. Aussi, lorsque
l'Académie, en 1807, nomma Dahler, Frantz et Fritz profes-
seurs suppléants, elle dut demander à la caisse de la fondation
un crédit extraordinaire pour leur allouer, non un traitement
— il ne pouvait en être question — , mais une indemnité.
Et la fondation — nous sommes tentés d'en rire — accorda
généreusement une somme de six-cents francs pour indem-
niser trois savants distingués, qui n'étaient pas des jeunes
gens à leur début: c'était pour chacun d'eux 200 francs.
Heureusement qu'à ce moment le professeur Ehrmann,
que Napoléon avait nommé conseiller à la cour d'appel de
Colmar, offrit de céder une partie de son traitement pour
LE FISC FRŒREISEN 69
dédommager le suppléant qui le remplacerait à TAcadémie
durant son absence. Il avait d'abord cru pouvoir réunir les
fonctions de juge à Colmar et de professeur à Strasbourg
en faisant ses cours pendant les vacances des tribimaux. Il
dut bientôt se convaincre que c'était une combinaison impos-
sible. Il se résigna alors à sacrifier une faible partie de son
traitement, c'est-à-dire 500 francs, pour indemniser son rem-
plaçant. Dahler étant celui des trois suppléants qui était le
plus chargé de cours, c'est à lui que fut allouée cette somme,
avec, en plus, cent francs pris sur le fisc Frœreisen.
Le fisc Frœreisen avait pourtant, par la volonté du léga-
taire, une destination bien différente. Jean-Léonard Frœreisen,
ammeister, XlIIe et scolarque, avait légué, par testantent du
18 décembre 1690, à l'Université une partie de la grande
maison qu'il possédait dans la rue du bateau et qui donnait
d'un côté sur la rue de l'ail et de l'autrei sur la rue de la
douane. Le rapport de cette maison devait faire les frais d'un
« convivium », c'est-à-dire d'un de ces repas communs, assez
ordinaires à cette époque, qui étaient destinés à entretenir
l'esprit de confraternité entre les membres de la même corpo-
ration. Ce convivium devait réunir tout le personnel en-
seignant de l'Université, et, en outre, les scolarques, les asses-
seurs et le notaire académique. Au cas où le repas n'avait
pas lieu, les professeurs et leurs liôtes recevaient chacun trois
florins, c'est-à-dire l'équivalent de la somme allouée par couvert.
Le repas annuel et l'entretien du bâtiment n'absorbant
pas le revenu tout entier, on avait placé ce qui en restait au
« Pfennigturm », et les intérêts que portait ce capital servaient
à différentes fins: indemnité au recteur lors de son entrée en
fonctions, gratifications aux régents du Gymnase, supplément
de traitement au conservateur de la bibliothèque Schœpflin.
La plus grande partie de ce placement fut perdue pendant
la Révolution, il ne resta du legs Frœreisen que le loyer de
la maison se montant à 600 livres et les intérêts à 4% d'une
somme de mille francs. Lors de la création de l'Académie pro-
testante, le fisc Frœreisen passa à elle avec les autres fon-
dations, et son revenu fut employé, conformément à la volonté
du testateur, pour un repas commun et en gratifications aux
régents du Gymnase. Mais depuis 1808, et pendant plusieurs
années, une petite partie du fisc servit également à compléter
les indemnités accordées aux professeurs suppléants ou
agrégés.
70 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
Quelques années plus tard seulement, quand Dahler fut
devenu professeur titulaire et chanoine et qu'il jouit du
traitement complet d'un professeur-administrateur, la rému-
nération de 800 francs qui lui avait été accordée fut reportée
sur Fritz. On y ajouta 300 francs qu'Ehrmann consentait à
céder en plus pour son remplaçant, ce qui fit à ce professeur,
avec les 200 frs qui lui avaient été alloués antérieurement,
un traitement de 1300 frs qu'on jugea très suffisant.
En attendant, Schweighaeuser fils, Eedslob et Emmerich
avaient été nommés, le premier, professeur suppléant, les
deux autres, prof esseurs agrégés, tous les trois sans traitement
ni indemnité. Ce n'est qu'à la mort de Koch, dont Fritz obtint
le canonicat, que les 1300 francs dont il avait joui jusque-là
devinrent disponibles et purent être partagés entre Schweig-
haeuser et Eedslob. Au premier, on accorda les 800 frs. cédés
par Ehrmann, au second, les 500 frs qui restaient, plus cent frs
pris sur le fisc Frœreisen. Quant à Emmerich, il dut se con-
tenter des regrets que lui exprimait le Séminaire de ne pouvoir
rien lui accorder pour le moment, et de la promesse qu'il y
ajoutait, de faire pour lui tout ce qui serait possible aussitôt
que la situation financière serait devenue meilleure. En 1816, à
la mort de Blessig, Schweighaeuser fut mis en possession du
canonicat devenu vacant, les 800 frs dont il avait joui jusque-
là furent attribués à Eedslob, et les 500 frs qu'avait touchés
celui-ci revinrent à Emmerich.
Mais bientôt surgit une difficulté imprévue. Après la
restauration, Ehrmann, le ci-devant jacobin, suspect d'avoir
voté la mort de Louis XYI, perdit sa place de conseiller à
la cour d'appel de Colmar et revint à Strasbourg. Il reprit
aussitôt ses cours et, de ce fait, l'indemnité qu'il avait payée
à son remplaçant, tomba. On rendit à Eedslob les 600 frs
qu'il avait eus d'abord et Emmerich dut se contenter de
400 frs pris sur le Corps des pensions.
A partir de ce moment, cette fondation, ainsi que celle de
la Haute-Ecole, dut contribuer, avec le fisc Frœreisen, au
traitement des professeurs agrégés; ce qui prouve que les
revenus de ces deux fondations n'étaient pas, comme on l'a
affirmé, employés exclusivement pour le Gymnase protestant,
mais servaient aussi aux besoins du Séminaire.
CHAPITRE Y
Programmes et plans d'études — Règlements de discipline
LMcadémie protestante avait été créée pour Tinstruction
des ministres de la Confession d'Augsbourg, elle devait dès
lors offrir à ses élèves, d'abord, la possibilité d'acquérir la
maturité pour entrer en théologie, et puis, celle de faire des
études de théologie complètes. Pour atteindre ce double but,
elle fut divisée en deux sections: la section propédeutique,
dans laquelle le jeune étudiant se livrait durant deux ans
aux études préparatoires, et la section théologique, où il faisait
ses trois années de théologie.
Dans le premier programme de l'Académie *), le professeur
Schweighaeuser avait tracé les grandes lignes du plan d'études
que les élèves du nouvel établissement auraient à suivre.
L'Académie, disait-il, ne doit laisser de côté aucune des disci-
plines qui sont nécessaires à l'instruction du prédicateur de
l'Evangile. Les himianités formeront le point de départ
d'études qui, de progrès en progrès, mèneront l'élève à la
philosophie et à l'histoire. Ce n'est qu'après avoir approfondi
ces matières, qu'il pourra passer à l'étude de la théologie.
Là, il devra avant tout se familiariser avec les langues dans
lesquelles sont rédigés les livres saints, c'est-à-dire avec le
grec et l'hébreu, mais aussi avec le chaldéen et l'araméen.
Après cela seulement, il abordera la méthodologie, l'histoire
de la littérature théologique, l'introduction historique et cri-
*) Academia Argentoratensis praelectiones pro annum XII. Reipubl.
Francicae a nativitate Christi MDCCCIII et IV instituendas his
qvorum id nosse interest indicit.
72 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STBASBOURG
tique à TAncien et au Nouveau Testament et Fapologétique,
et enfin les sciences qui aident à l'intelligence plus profonde
des livres bibliques, à savoir Therméneutique et les antiquités
bibliques.
Le professeur Oberlin, dans le discours qu'il prononça à
l'ouverture de l'Académie*) dit, à son tour, quelles connais-
sances le jeune théologien devait acquérir dans la nouvelle
Ecole. «Pénétrés de l'importance des fonctions d'un ministre
de l'Evangile », dit-il, « nous demandons que les connaissances
du théologien ne soient pas circonscrites dans un cercle trop
étroit. Nous demandons que, pour former des ecclésiastiques
véritablement éclairés, on ne laisse pas courir les étudiants
illatis manibus à leur science principale, mais qu'ils soient
tenus de s'appliquer au sortir du Gymnase à faire les études
utiles et nécessaires à tout homme de lettres. » Pour s'acquitter
avec succès de sa mission, le théologien « doit être versé dans
les langues, dans l'histoire naturelle, civile, littéraire, ecclé-
siastique, dans la philosophie, les mathématiques, la physique
et les belles-lettres». Appelé à interpréter les Saintes Ecri-
tures, il faut qu'il puisse les lire et les entendre dans leurs
langues originales, il devra donc commencer par étudier le
grec et l'hébreu. Mais la connaissance des langues ne suffit
pas, il faut être familiarisé avec les usages, les mœurs, la
religion, les idées, les opinions particulières des peuples aux-
quels ont appartenu les écrivains sacrés. Muni de ces connais-
sances, l'étudiant sera en état d'aborder l'étude de la théologie
systématique et, après avoir étudié la morale philosophique,
celle de la morale évangélique, principal objet de la prédi-
cation chrétienne. Mais pour exposer la doctrine avec clarté
et pour la défendre efficacement contre les attaques de l'in-
crédulité, il est nécessaire qu'il soit versé dans la dialectique,
et, pour toucher les cœurs, qu'il s'applique à l'éloquence de la
chaire. Enfin, il est utile qu'il connaisse le droit ecclésiastique.
Le programme de Schweighaeuser était trop restreint, dans
la partie théologique surtout; celui d'Oberlin, par contre, était
trop vaste par rapport au personnel enseignant dont disposait
l'Académie. Sur douze professeurs, elle ne comptait, nous
l'avons vu, que deux philologues, un philosophe, un historien
*) Discours prononcé à Vouverture de VAcadémie des Protestans
de la C. d'A. le XV brumaire an XII par J.-J. Oberlin. Strasb. 1804.
LE PLAN d'organisation DE 1807 73
et trois théologiens, les cinq autres étaient des jurisconsultes
ou des médecins, qui ne pouvaient guère rendre de service.
Oberlin ne pensait pas, il est vrai, et il le disait dans
son discours, que rAcadémie protestante fût uniquement
destinée à former des théologiens, il espérait qu'un public
nombreux voudrait profiter de la partie de son enseignement
qui avait un caractère général.
Tout cela, d'ailleurs, n'était que provisoire, des proposi-
tions, des vœux, si l'on peut dire. Ce n'est qu'au commence-
ment de l'année 1807 qu'un arrêté du Directoire vint donner
à l'Académie une organisation plus ferme et fixer les leçons
qui devaient y être faites.
Cet arrêté attribuait à la section théologique quatre
chaires: celles de dogmatique, de morale, d'homilétique et
d'histoire ecclésiastique. Point de chaire d'exégèse de l'Ancien
et du Nouveau Testament, mais l'obligation pour tous les pro-
fesseurs titulaires de donner, à côté du cours principal dont
ils étaient chargés, un cours d'interprétation des livres bibli-
ques «d'après le texte hébreu et grec». Les quatre titulaires
devaient, en outre, se partager l'herméneutique, l'histoire des
dogmes, l'introduction à l'histoire de la théologie, et l'intro-
duction à l'Ancien et au Nouveau Testament, de telle manière
que les deux derniers de ces cours revinssent aux professeurs
de morale et de dogmatique, et l'histoire des dogmes au pro-
fesseur d'histoire ecclésiastique.
La section propédeutique comprenait six chaires: deux
pour les langues et les littératures grecques et latines, et, subsi-
diairement, pour les antiquités grecques et romaines, l'histoire
de la philosophie ancienne, la théorie des beaux-arts et des
belles-lettres; une pour la philologie biblique, pour l'hébreu,
le chaldéen, le syriaque et l'arabe, et pour l'hellénisme des
LXX et du Nouveau Testament; deux pour la philosophie
spéculative et morale, et une enfin pour l'histoire.
L'enseignement de chaque discipline était rattaché à la
chaire qui en portait le nom, toutefois sans monopole. Chaque
professeur pouvait, avec l'assentiment de l'autorité acadé-
mique, faire, à côté de son cours principal, un cours sur l'une
des matières attribuées à l'un de ses collègues. Les cours
principaux devaient se faire cinq fois par semaine.
Ce plan d'organisation fut soumis à l'acceptation des pro-
fesseurs titulaires et agrégés. Six d'entre eux, Schweighaeuser,
74 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
Blessig, Herrenschneider, Dahler, Fritz et Frantz, le signèrent
sans restriction, Weber promit de s'y conformer « autant que
possible»; Spielmann et Braun firent cette réserve «sans
préjudice de mes droits ». Les autres professeurs refusèrent,
paraît-il, de signer. Leurs noms du moins ne figurent pas au
bas du document
Au cours des années qui suivirent, on reconnut pourtant
Finsuffisance de cette organisation et la nécessité d'y apporter
certaines modifications et d'en formuler les articles avec plus
de précision. Un arrêté du Directoire du 14 décembre 1812
établit un nouveau plan qui devait être définitif.
Il donnait au Séminaire quatre chaires de théologie, celles
d'exégèse, de dogmatique, de morale et d'histoire ecclésiastique,
et six de science générale, parmi lesquelles la chaire d'élo-
quence sacrée en français et en allemand, et celle d'histoire
des religions, de la civilisation et des mœurs.
Les cours subsidiaires sur les niatières suivantes : vérité de
la religion chrétienne, catéchétique populaire et théologie pasto-
rale, histoire et géographie de la terre sainte, archéologie
hébraïque et grecque, introduction générale à l'étude de la
théologie, lois et règlements ecclésiastiques, devaient être par-
tagés entre les professeurs titulaires et les agrégés.
Le Directoire se réservait le droit de nommer à ces chaires,
pour qu'elles fussent confiées à des hommes vraiment com-
pétents; par arrêté du 16 février 1813, il nomma Blessig à
la chaire d'exégèse de l'Ancien et du Nouveau-Testament, et
Haffner à celle de dogmatique; Fritz fut chargé de la morale
et Weber de l'histoire ecclésiastique. Pour les cours de théo-
logie à donner en sus de ceux-là, les professeurs titulaires
devaient s'entendre avec les autres professeurs du Séminaire.
En même temps que le plan d'études de 1807 avait paru
une ordonnance du Directoire «concernant le plan d'études
pour les jeunes gens qui fréquentent l'Académie de notre
ville » ^). Les jeunes gens qui demandent leur inscription, disait
l'ordonnance, devront produire un certificat de l'inspecteur
ecclésiastique attestant leur culture scolaire et leur moralité,
leurs facultés intellectuelles et leurs talents particuliers; puis.
*) Verordnung des Directoriums A.C. zu Strassburg, den Studien-
plan fur die, die hiesige Akademie besuchenden Junglinge betreffend.
17. Febr. 1807.
l'okdonnance conceenant les études de 1807 75
ils devront passer, devant une commission spéciale, un examen
de latin, de grec et de philosophie. A ceux qui seront reçus
à cet examen, la commission indiquera les cours à suivre.
Tous les élèves, sans exception, sont tenus de suivre le
cours de littérature grecque et celui de littérature latine,
afin de se familiariser avec l'art de Tinterprétation, si néces-
saire au théologien; tous aussi devront faire des efforts pour
arriver à la possession de l'hébreu, indispensable à qui veut
expliquer les Saintes Ecritures. A l'étude des langues, ils
joindront celle des mathématiques et de la logique. A ceux
qui auraient le désir d'augmenter leurs connaissances et de
former leur goût, on offre, en outre, des cours d'archéologie
classique et biblique, d'esthétique, d'histoire de la philosophie
et de la littérature et, enfin, d'histoire générale. Des colloques
ou disputations en langue latine, roulant sur les matières
traitées pendant le semestre, remplaceront les examens
semestriels.
Pour être inscrit dans la matricule théologique, il faut,
par un examen, justifier de connaissances suffisantes en philo-
logie et en philosophie.
Les études théologiques s'étendent sur trois années; les
cours devront être suivis dans cet ordre: Encyclopédie théo-
logique, méthodologie, introduction à l'Ancien et au Nouveau
Testament, apologétique, exégèse, et simultanément, philo-
sophie et histoire naturelle. Ensuite, dogmatique, morale,
histoire et droit ecclésiastique, homilétique, catéchétique, théo-
logie pastorale et exercices exégétiques.
Pour donner aux étudiants l'occasion de joindre, sous la
direction de leurs maîtres, la pratique à la théorie, on accor-
dera aux plus zélés d'entre eux une place de catéchète et
l'autorisation de monter en chaire.
L'examen pro ministerio est composé de deux parties,
l'une orale, l'autre écrite. L'épreuve orale porte sur la dogma-
tique et la morale, sur l'histoire et le droit ecclésiastique.
L'épreuve écrite consiste en une composition sur une question
scientifique ou pratique rédigée par le candidat chez lui, et
en un travail fait en lieu clos, sans autre secours que la
Bible. L'examen se termine par une prédication et une
catéchèse faites en présence d'un professeur de théologie.
Les trois ans de théologie sont, d'après un vieil usage, renou-
velé dans les établissements scientifiques de France, couronnés
76 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOUKG
par une disputation publique, collective ou individuelle des
candidats, en langue latine.
Sur un certificat délivré par les examinateurs et attestant
les connaissances et les bonnes mœurs du candidat, le Direc-
toire autorise son ordination en vue d'une place de pasteui*.
On comprit pourtant bientôt que cet examen n'offrait
pas de garanties suffisantes relativement au travail scienti-
fique des candidats en théologie et qu'une consécration pré-
maturée serait préjudiciable aux études et aux mœurs du
jeune théologien abandonné à lui-même. Le Directoire, à la
date du 11 avril 1815, publia un nouvel arrêté «concernant
l'époque de l'examen des candidats en tliéologie et de leur
ordination»*).
Le nouvel arrêté ordonne au candidat, les trois années
de théologie achevées, de rester en relation avec les profes-
seurs de la Faculté et avec les autorités ecclésiastiques. Il
remettra chaque année un travail scientifique aux professeurs
et fera tous les six mois une prédication devant l'inspecteur
ecclésiastique.
Trois mois avant sa vingt-cinquième année révolue, le
candidat se présentera au dernier examen pour faire constater
son aptitude aux fonctions ecclésiastiques. A sa demande
d'admission à l'examen, il joindra une composition latine
sur un sujet qu'il aura proposé lui-même, et un certificat
de l'inspecteur ecclésiastique concernant son zèle et sa mo-
ralité. Si le travail qu'il présente est jugé suffisant et si le
certificat délivré par l'inspecteur est favorable, le candidat
est admis à l'examen. Les examinateurs disposent chacun
d'une heure entière. Ils donnent leurs notes d'après l'échelle
suivante: Très bien, bien, médiocre. Si les notes obtenues
par le candidat sont suffisantes, le Directoire autorise son
ordination.
Ces dispositions ne s'appliquaient pourtant qu'aux can-
didats qui appartenaient au ressort du Consistoire de Stras-
bourg ou à ceux qui avaient l'intention d'y demeurer. Les
autres pouvaient passer l'examen final sitôt la troisième
année de théologie terminée, à moins qu'ils ne préférassent
se soumettre au nouveau règlement.
Le programme des études de l'année 1807, nous l'avons
') Rec. off. I, p. 127 ss.
LE RÈGLEMENT DE 1819 Î7
VU, était loin d'embrasser toutes les matières que réclame une
étude approfondie de la science théologique. La plupart des
élèves pourtant ne satisfaisaient guère à ses modestes exi-
gences. Ils se bornaient à suivre les cours qui préparaient
aux examens. Point de travail personnel, aucun désir
d'étendre leurs connaissances! Mais ce qui était surtout
fâcheux, c'est que les élèves arrivaient souvent sans prépa-
ration suffisante: beaucoup d'entre eux ne savaient que peu
de latin et encore moins de grec; en français, ils étaient
d 'une faiblesse déplorable ou d'une ignorance complète. Brueh,
qui vint en 1810 à Strasbourg pour y faire sa théologie, cons-
tatait avec surprise cette insuffisance des études prépara-
toires. « Lorsque je quittai le Gymnase de Deux-Ponts », dit-il
dans ses Mémoires, «je m'imaginais que la plupart des étu-
diants de Strasbourg en sauraient bien plus que moi. A ma
grande surprise, je constatai le contraire. Quelque médiocres
que fussent mes connaissances, la plupart des étudiants en
possédaient moins que moi. Ceux-là même qui venaient des
provinces du Ehin inférieur et du grand-duché de Berg se
présentaient avec un bagage scientifique bien mince. » *)
Le décret impérial du 9 août 1809 avait ordonné, il est
vrai, que les jeunes gens qui se proposaient de suivre l'en-
seignement des Séminaires seraient tenus de fréquenter les
cours de la Faculté des lettres et de celle des sciences et de
prendre le grade de bachelier ès-lettres. Mais cette mesure
n'avait pas donné les résultats qu'on en attendait. Il fallut
se mettre en quête d'autres moyens pour remédier à un état
de choses des plus lamentables. Le Directoire, sur la propo-
sition des professeurs du Séminaire, s'en occupa, et le
15 septembre 1819 parut, dans les deux langues, en
français et en allemand, un nouveau «règlement sur le plan
d'études qu'auront à suivre les élèves en théologie du Sémi-
naire protestant de Strasbourg».
Le Directoire, dans un préambule aux vingt-cinq articles
de ce règlement, rappelait aux jeunes théologiens «combien
le succès dans l'administration du ministère évangélique dé-
pend d'un emploi sage et bien réglé des années d'études et
que le mal qui résulte de la précipitation ou du défaut d'ordre
dans la manière de suivre les cours publics est funeste et
*) J.-F. Bruch, loc. cit., p. 40.
78 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOUKG
irréparable,» et considérant à quel point, pour être remplis
fidèlement, les devoirs imposés au pasteur exigent des con-
naissances multiples, un esprit éclairé, un talent cultivé et
un cœur pénétré de Famour de tout ce qui est véritablement
bien, beau et honnête, il concluait à la nécessité «tant de
prescrire aux élèves le plan général de leurs études que de
placer la pureté des mœurs et de la conduite au nombre de
leurs devoirs les plus absolus.»*)
Les vingt-cinq articles du nouveau règlement reprodui-
saient en partie les prescriptions de Tarrêté de 1807, mais en
renchérissant sur elles. Pour être admis au Séminaire, il ne
suffisait plus de produire une attestation de bonnes études
préparatoires et de bonnes mœurs, le nouvel élève devait
promettre solennellement de se conformer à l'arrêté du Direc-
toire concernant la discipline, au nouveau règlement et, en
général, à tous les règlements du Séminaire. Il devait, dans
un examen préalable, prouver qu'il était assez avancé en
grec et en latin pour suivre avec fruit les cours sur les
auteurs anciens, qu'il possédait les éléments de la grammaire
hébraïque, qu'il était familiarisé «avec la liangue française
et qu'il avait quelques connaissances en histoire et en mathé-
matique.
Admis, l'élève n'avait pas la liberté de choisir ses cours.
Une commission fixait, de six en six mois, ceux qu'il devait
suivre: c'étaient avant tout les cours de littérature grecque
et latine et les exercices de déclamation et de style, français,
allemand et latin. L'étude de l'hébreu, commencée la première
année, devait être poursuivie pendant tout le cours des études.
L'élève y joindrait celle de l'histoire, des mathématiques et
de la logique.
Ce n'était pas tout. L'étudiant devait suivre, tant à l'Aca-
démie royale qu'au Séminaire, les leçons «qui pouvaient
contribuer à orner son esprit et à étendre ses connaissances »,
non seulemient les cours de littérature et de philosophie, nxais
ceux de physique et d'histoire naturelle. Il devait prendre
part aux conférences et aux exercices dirigés par les pro-
fesseurs et se présenter aux examens prescrits par le
règlement.
Quant aux études théologiques, qui s'étendaient sur trois
') Rec. off. I, p. 129 ss.
LES EXAMENS DE CANDIDAT 79
années, elles n'embrassaient pas seulement Pexégèse, la dogma-
tique, la morale, l'histoire ecclésiastique, l'homilétique, et la
catéchétique, avec les exercices pratiques, mais l'introduction
à l'Ancien et au Nouveau Testament, l'histoire des dogmes,
les antiquités hébraïques, l'apologétique et le droit ecclésias-
tique. L'assiduité à ces cours était la condition indispensable
pour être admis aux examens pour le ministère. Les profes-
seurs devaient la contrôler et signaler, dans un rapport pré-
senté à la fin du semestre, ceux qui n'avaient pas suivi
régulièrement leurs leçons. Ils étaient punis par la perte du
semestre. La même peine atteignait ceux qui ne s'étaient pas
présentés à l'examen semestriel.
Les trois années d'études théologiques terminées, l'étu-
diant subissait la première partie de l'examen de candidat,
qui roulait sur l'exégèse biblique, le dogme, la morale, et
l'histoire ecclésiastique. Six mois plus tard, il présentait une
dissertation latine sur un point important de la science théo-
logique. Si ce travail avait de la valeur, les professeurs en
conseillaient l'impression. S'il était soutenu en public et avec
honneur, l'auteur en tirait avantage pour son avancement.
Après ce premier examen, le candidat devait adresser
chaque année une dissertation française, allemande ou latine,
sur une question de théologie, à la section théologique du
Séminaire, et prêcher au moins une fois dans l'année devant
son inspecteur ecclésiastique. A l'âge de vingt-cinq ans, il
se présentait à l'examen final. Cet examen subi, il pouvait
être porté par le Directoire sur la liste de désignation pour
une place de pasteur.
«Le Directoire, disait l'article 23, aime à croire que tous
les élèves s'appliqueront avant tout à une conduite morale
et digne de toute manière de l'importante destination à la-
quelle ils sont appelés. Ils devront en conséquence choisir
avec soin leurs sociétés et leurs amis. Il leur est interdit de
fréquenter des maisons publiques de la ville ou des assemblées
bruyantes, soit en ville soit à la campagne, ainsi que de
prendre part à aucune scène inconvenante. Ils devront aussi
se conformer dans leur habillement et dans tout leur extérieur
à ce qu'exigent la bienséance, les convenances sociales et
Topinion publique.»
En terminant, le Directoire rappelait aux étudiants que
l'article 12 du titre premier des articles organiques du culte
80 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
protestant contenus dans la loi du 18 germinal an X, déclare
formellement « qu'aucun candidat ne peut être nommé pasteur
s'il n'a étudié pendant un temps déterminé dans un Sémi-
naire français, et s'il ne rapporte un certificat en bonne forme,
constatant son temps d'étude, sa capacité et ses bonnes
mœurs. »
C'était l'interdiction absolue aux élèves alsaciens d'aller
demander à l'étranger une instruction que leur offrait le
pays. Le Séminaire veillait avec un soin jaloux à l'observation
d'une mesure d'ailleurs peu libérale. Lorsqu'en 1814 plusieurs
élèves quittèrent le Séminaire pour aller étudier aux uni-
versités allemandes, l'Assemblée des professeurs décida «qu'il
fallait s'en tenir strictement au principe qu'aucun étudiant
qui s'est mis dans ce cas, ne sera employé dans le ressort
du Directoire de cette ville».
La question reparut plus tard, et, dans sa séance du
4 mars 1819, l'assemblée des professeurs décida d'insérer dans
le règlement sur les études un article disant «que le temps
que les étudiants passeraient dans une autre Université avant
d'avoir achevé leurs études au Séminaire ne leur serait point
compté, et que, pour être reçus ministres du culte, les candi-
dats devraient présenter un certificat constatant qae, con-
formément aux articles organiques, ils avaient fréquenté au
Séminaire de Srasbourg tous les cours exigés par les règle-
ments ».
II
Les étudiants en théologie de Strasbourg ne frayaient
guère avec les élèves des autres Facultés, juristes et médecins,
et se distinguaient, en général, par leur bonne conduite. Il
y eut pourtant dès le lendemain de la création de l'Académie
des exceptions à cette règle. Le 4 pluviôse de l'an XIII, le
recteur réunissait les professeurs en séance extraordinaire pour
les informer que parmi les élèves il s'en trouvait quelques-uns
que la rumeur publique accusait de mener une vie déréglée.
Dans la discussion qui suivit cette communication, un des
membres de l'assemblée, qui était, paraît-il, bien au courant
de ce qui se passait, constatait à son tour que si la plupart
des jeimes théologiens se distinguaient par leur application
et par leur bonne conduite, quelques-uns d'entre eux oubliaient
I
ÉLÈVES ACCUSÉS DE DÉRÈGLEMENTS 81
le but des années d'études qu'ils passaient à TAcadémie et
les exigences du ministère auquel ils se destinaient. Puis,
entrant dans quelques détails sur ces derniers, il les dé-
peignait en ces termes: «Peu exacts à fréquenter les cours
de F Académie, ils se distinguent par une certaine rudesse,
une âpreté de manières qu'ils prennent peut-être pour de
l'énergie; ils forment entre eux une coalition qui n'aboutit
qu'à se livrer à l'usage immodéré de la boisson et même à
des orgies dans lesquelles ont été entendus les couplets les
plus licencieux. » Il ajoutait pourtant: « Nous aimons à croire
que la majeure partie des jeunes gens qui ont inscrit leur
nom dans cette matricule déshonorante n'a été qu'égarée et
éblouie par les illusions d'une fausse liberté et par ce qu'ils
appellent le commerce des nourrissons des Muses, qu'il ne
faudrait pourtant pas reconnaître aux clameurs qui reten-
tissent dans les tabagies. » Il terminait son exposé par cette
déclaration ou plutôt cet avertissenuent: « Le ferment de cor-
ruption qui semble vouloir s'établir parmi nous est d'autant
plus funeste qu'il combat diamétralement le grand but de notre
Institution, de même que les buts salutaires du gouvernement,
qu'il peut compromettre la réputation de notre Académie,
qu'il peut inspirer des appréhensions aux parents éloignés
qui voudraient nous confier leurs fils. C'est à la sagesse et
â la fermeté de l'Académie à prévenir par des mesures
énergiques les graves inconvénients que l'on vient d'in-
diquer. » *)
Les membres de l'Académie se rangèrent tous à cet avis.
Ils décidèrent de convoquer les étudiants dans la salle des
examens où le recteur leur adresserait ime exhortation pater-
nelle pour ramener à leur devoir ceux qui s'en étaient écartés.
Ainsi fut fait. Le président du Directoire, en sa qualité de
directeur né de l'Académie, présida la réunion; le recteur,
assisté des professeurs Weber, Blessig et Haffner, adressa
un discours aux étudiants dans lequel il affirma que l'Aca-
démie ne songeait nullement à les soumettre à un régime
monacal, contraire aux principes du protestantisme et peu
propre d'ailleurs à former les caractères, et qu'il y songeait
d'autant moins que La grande majorité des étudiants suivait
la droite ligne du devoir; mais que plusieurs risquaient d'être
Procès-verbaux des séances, I, p. 23.
82 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOUKG
entraînés par leur légèreté loin du but qu'ils devaient avoir
constamment devant les yeux. « Les professeurs de TAca-
démie», dit-il, «ne veulent pas seulement instruire les jeunes
gens qui les entourent, ils veulent être pour eux des con-
seillers et des guides. C'est à ce titre qu'ils les conjurent de
bien employer leur temps, de fuir les mauvaises sociétés, de
se pénétrer de l'esprit de l'état qu'ils ise proposent d'em-
brasser un jour. »
Quant au principal coupable dans l'affaire évoquée
devant l'Académie, un jeune homme du Haut-Ehin, nommé
Binder, on lui signifia qu'il ne serait pas admis à l'examen
qui précédait l'ordination et qu'il n'obtiendrait pas le certi-
ficat d'études et de bonnes mœurs nécessaire pour être nomme
à une place de pasteur.
Dans les premières années de l'Académie, ces déborde-
ments étaient assez rares; plus tard, ils devinrent plus fré-
quents, surtout quand, à la suite des annexions de Napoléon,
les jeunes gens des provinces rhénanes, du Hanovre, de Ham-
bourg, de Brème et de Lubeck se virent contraints de venir
étudier à Strasbourg. Beaucoup d'entre eux avaient déjà passé
un ou plusieurs semestres dans une université allemande et
ils en rapportaient des mœurs plus ou moins grossières et
surtout l'habitute de «beuveries» sans fin. En même temps,
le nombre des élèves du Séminaire augmentait considérable-
ment, s'élevant jusqu'à 160 ou 170, de sorte que leur sur-
veillance devenait de plus en plus difficile. De graves
désordres s'étant produits dans le courant de l'année 1812,
le Directoire se décida à publier un «Arrêté contenant un
règlement de discipline pour les, élèves du Séminaire de
Strasbourg.» ^) Cet arrêté, daté du 23 miars 1813, contenait en
8 articles des prescriptions qui, aujourd'hui, nous paraissent
bien extraordinaires.
Des deux premiers articles, l'un recommandait aux élèves,
de suivre avec assiduité les cours et les exercices du Sémi-
naire, l'autre leur prescrivait d'avoir, pendant tout le temps
de leurs études, une conduite des plus régulières. « Ils seront
attentifs au choix de leurs sociétés et amis », disait l'art. 2;
«ils s'abstiendront soigneusement des cabarets, des bals et
des danses publiques, des cafés et rassemblements de jeux.
») Rec. off. I, p. 125, 3.
AKRÊTÉS DU DIRECTOIRE CONCERNANT LA DISCIPLINE 83
et généralement de toutes les réunions tumultueuses, comme
étant indignes de futurs candidats du saint ministère. » Leur
tenue devait être décente et «ne rien offrir qui pût choquer
les usages reçus». Pour qu'on pût les surveiller de plus près,
les étudiants étaient tenus de déclarer le logement qu'ils
prenaient en venant à Strasbourg et de faire une nouvelle
déclaration chaque fois qu'ils en changeaient. Ceux qui se
mettraient en contravention avec ces articles seraient, s'ils
appartenaient au ressort du Consistoire de Strasbourg, rayés
de la liste des candidats, et, s'ils étaient d'autres départe-
ments, dénoncés soit au président du Consistoire, soit au
préfet de leur département comme incapables de remplir les
fonctions pastorales.
Lecture de cet arrêté fut faite aux étudiants dans une
assemblée générale, et le professeur Blessig y ajouta de
sérieuses recommandations. Puis, il fut adressé à tous les
Consistoires du ressort du Consistoire général de Strasbourg,
aux présidents des Consistoires généraux de Mayence et de
Cologne, et aux préfets des autres départements dont les
jeunes gens venaient étudier à Strasbourg, afin de les faire
parvenir aux Consistoires et aux églises protestantes de leur
ressort. On en devait remettre un exemplaire à chaque élève
lors de son immatriculation et lui faire promettre une stricte
observation des articles qu'il contenait.
Cet arrêté concernant la discipline ne semble pas avoir
produit les résultats qu'on en attendait. On avait voulu
briser chez les étudiants l'esprit de corps, il fut au contraire
fortifié. Les prescriptions de l'art. 2, trop sévères, ne furent
guère observées. Les dérèglements continuèrent à régner
parmi les jeunes théologiens, et malgré les mesures les plus
sévères, des scandales publics éclatèrent à différentes reprises.
Le Directoire crut devoir publier un nouvel « Arrêté con-
cernant la discipline des élèves du Séminaire protestant».
Il y rappelait aux étudiants que le ministère ecclésiastique
leur imposait le devoir, non seulement de se livrer avec une
application soutenue aux études et de se distinguer par des
mœurs irréprochables, mais encore «d'obsei^er dans leur
conduite entière la réserve particulière et la régularité exem-
plaire exigées par l'état qu'ils embrassent». Les 9 articles
du nouvel arrêté reproduisaient ceux de l'ancien, mais en
renchérissant sur eux et en entrant dans un détail qui en
6*
84 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STEASBOUKG
soulignait la rigueur, notamment en ce qui concernait la
conduite des élèves. L'article 3 était des plus explicites à
cet égard: «Il est sévèrement défendu à tous les élèves du
Séminaire», disait-il, «de fréquenter les cabarets, les bras-
series, les cafés, les jeux et en général tous les lieux de
réjouissances turalultueuses; ils éviteront soigneusement de
donner lieu ou de prendre part à des rixes et de faire éclater,
même dans des réunions particulières, une gaieté trop
bruyante ou d'y chanter des chansons inconvenantes, et en
général de causer par leur conduite un scandale quelconque,
soit public soit particulier. » L'article 4 leur défendait égale-
ment « de se réunir, à moins de circonstances extraordinaires
et sous la permission expresse du vice-directeur, soit dans
le local des cours ou ailleurs, en assemblée délibérante ou
de former d'autres associations qui peuvent donner lieu à des
abus et à des désordres ».
Dans l'arrêté de 1813, les élèves qui contrevenaient aux
dispositions du règlement étaient tout simplement rayés de
la liste des candidats au saint ministère, le nouvel arrêté
graduait les peines d'après la gravité des cas ou la réitération
des fautes. Il y avait d'abord, pour les manquements légers,
les réprimandes faites par le vice-directeur ou par les ins-
pecteurs des pensionnats du Séminaire, soit par eux seuls,
soit en la présence d'une commission nommée par les pro-
fesseurs; en second lieu, la suspension de l'admission à
l'examen d'ascension ou à celui de candidat en théologie,
pendant six mois ou un an; en troisième lieu, l'exclusion du
pensionnat où l'élève avait été reçu, et la privation de la bourse
royale ou d'autres bourses dont il avait joui; et enfin la radia-
tion de la liste des élèves.
Les peines énoncées sous les trois premières rubriques
étaient prononcées par les assemblées compétentes, la radia-
tion l'était par le Directoire sur la proposition des profes-
seurs. Elle devait être notifiée au préfet du département où
l'élève était domicilié et inscrit sur la liste de conscription;
elle rétait également à l'inspecteur ecclésiastique et, par lui,
au Consistoire de l'arrondissement habité par les parents de
l'élève relégué et à tous les inspecteurs et consistoires du
ressort du Consistoire général de Strasbourg.
La peine de la radiation n'était pourtant pas toujours
appliquée dans toute sa rigueur. Il arriva plus d'une fois
LA PEINE DE LA RÉLÉGATION 85
que des étudiants relégués furent, après quelquie temps, ré-
admis au nombre des élèves du Séminaire. Les professeurs
ne se montraient pas intraitables quand le coupable mani-
festait un sincère repentir et promettait de s'amender. La
réadmission d'ailleurs ne se faisait qu'à certaines conditions,
qui différaient d'un cas à l'autre. En voici un exemple: Au
mois de janvier 1817, des étudiants réunis dans une brasserie
avaient provoqué des scènes tumultueuses. Ils furent cités
devant le conseil de discipline, et le principal coupable, un
nommé Michel, fut rayé de la liste des candidats en théologie.
Après quelques mois, il demanda que l'arrêté de sa radiation
fût rapporté. Les professeurs, après délibération, y consen-
tirent, mais aux conditions suivantes: 1" l'étudiant Michel
commencera par présenter un certificat de bonne conduite
signé par son pasteur et se présentera à un examen pour
justifier de ses connaissances; 2° il sera autorisé à suivre
les cours du Séminaire qu'on estimera lui convenir; 3° au
bout de six mois, il se présentera à un nouvel examen et
produira un nouveau certificat de bonne conduite; 4° au
bout d'un an, s'il produit des attestations favorables de ses
professeurs et s'il a donné des preuves d'une conduite irré-
prochable, l'assemblée décidera s'il y a lieu de rapporter
l'arrêt de radiation. Les attestations sur son application aux
études et sur sa conduite se trouvant être favorables à la fin
de l'année, le Séminaire proposa au Directoire de lever la
peine prononcée contre l'étudiant Michel, ce qui fut fait.*)
Un autre cas qui se produisit dans cette même année 1819
eut une issue moins heureuse pour les coupables. Le 21 jan-
vier, au soir, douze étudiants en théologie s'étaient trouvés
dans une brasserie à boire et à chanter. Finalement ime rixe
avait éclaté entre deux d'entre eux, et entre un troisième
et un bourgeois. On s'était livré à un pugilat. L'affaire fut
ébruitée et les douze furent cités devant le conseil. Les
trois principaux coupables ne se présentèrent pas. Ils s'étaient
hâtés de quitter la ville. Contre eux, la relégation fut pro-
noncée sans plus. Les neuf autres furent exclus pour la durée
d'un an de la jouissance «de tous les bienfaits dont dispose
le Séminaire». Ils durent produire tous les trois mois un
certificat de bonnes mœurs signé par leur pasteur et par
*) Procès-verbal de la séance du 2 oct. 1817.
86 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STKASBOURG
leur logeur, et leurs noms furent consignés au procès-verbal
des séances pour qu'on pût sévir contre eux s'ils se rendaient
coupables d'une nouvelle transgression des articles de l'arrêté
disciplinaire. Le verdict qui les frappait fut affiché dans la
salle des cours et communiqué aux coupables par le vice-
directeur en présence des membres du conseil de discipline.
Et bientôt deux d'entre eux connurent que la sévérité n'était
pas une vaine menace. Car, ayant causé, un dimanche, dans
un village des environs, par leur conduite, un scandale public,
ils furent rayés sur le champ de la liste des étudiants en théo-
logie. Et trois des relégués ayant demandé leur réadmission
parmi les élèves du Séminaire, l'assemblée des professeurs
passa sur leur pétition à l'ordre du jour.
Aux transgressions des articles 3 et 4 qui défendaient
aux étudiants la fréquentation des cabarets, des brasseries,
des cafés et autres locaux de ce genre, venaient s'ajouter les
transgressions non moins nombreuses du premier article qui
prescrivait la fréquentation régulière et ininterrompue des
leçons et exercices du Séminaire. Il arrivait, en e:ffet, que des
étudiants négligeaient pendant des semaines ou même pen-
dant des mois de suivre les cours, et ni les exhortations ni les
remontrances ne parvenant à changer cet état \de choses,
l'assemblée des professeurs décida que les élèves qui négli-
geraient les cours durant trois mois seraient considérés comme
ayant renoncé à la théologie et rayés de la liste des élèves
du Séminaire.
CHAPITRE VI
Le Séminaire corps administratif
Le Cha,pitxe — La fondation de Saint-Thomas — Le Gymnase — Le Collègre
de Saint-Guillaume — La Bibliothèque — Les Bourses
L'Académie protestante, plus tard Séminaire protestant,
n'était pas seulement un corps enseignant, elle était un corps
d'administrateurs. Elle gérait les biens de la Fondation de
Saint-Thomas et, en général, de toutes les fondations qui
avaient appartenu à l'ancienne Université et que le décret du
30 floréal an XI avait affectées à la nouvelle institution.
Elle ne faisait, en cela, que continuer les anciens erre-
ments. La gestion des biens de Saint-Thomas avait toujours
été confiée au chapitre de cette église, et avait été exercée par
lui dans toute son étendue et en toute indépendance. L'évêque
lui-même n'avait rien à y voir ni à y dire. Plus tard, cette
autonomie fut quelque peu limitée en vertu du jus circa sacra.
Le magistrat eut le pouvoir de contrôler l'administration du
chapitre, mais celui-ci, bien que soimiis à cette haute sur-
veillance, garda l'administration en mains.
Dans ses séances ordinaires, le chapitre débattait les
questions administratives et prenait des arrêtés qu'il ne
soumettait à aucune sanction étrangère. Le doyen passait les
contrats de vente et d'adjudication et signait, en général,
toutes les conventions au nom du chapitre. Une commission
nommée ad hoc examinait les comptes du receveur et pré-
sentait, dans une séance extraordinaire (capitulum eœtra-
ordinarium) à laquelle assistaient le chancelier de l'Université
et deux scolarques, un rapport financier qui était approuvé
88 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOUKG
par rassemblée et signé par le prévôt avec la remarque que
rapprobation avait été donnée «en présence des patrons de
Tœuvre ».
En 1762, une commission composée du préteur royal, du
chancelier de TUni ver site, de deux scolarques et de deux
professeurs, élabora un règlement d'administration dans le
but de réduire les dépenses de la fondation et de diminuer
le poids des charges dont elle était grevée. Le chapitre
accepta ce règlement qui se tenait absolument dans les limites
du droit qui revenait au magistrat et laissait au chapitre
toute latitude dans son administration.
Jusqu'à la Révolution, le chapitre avait compté seize
membres, treize professeurs de l'Université appartenant aux
différentes Facultés et les trois pasteurs de Saint-Thomias,
de Saint-Nicolas et de Sainte-Aurélie. A leur tête se trou-
vaient le prévôt, qui avait la haute surveillance sur toutes
les parties de l'administration, le doyen qui était chargé du
soin des affaires courantes, et l'ancien, le senior, auquel son
âge assurait une place d'honneur dans les assemblées et qui
prenait la parole dans les occasions solennelles telles que la
réception d'un nouveau membre. Tous les trois touchaient,
à côté de leur prébende, un supplément de traitement en
argent ou en nature. Dans les séances du chapitre, ils occu-
paient les places d'honneur.
Une commission des finances (deputatio oeconomica)
s'occupait des questions financières, avant tout des contrats
de vente et d'adjudication; elle faisait un rapport au cha-
pitre sur les différents cas et lui soumettait des propositions.
La fortune de la fondation ayant été affectée à l'Aca-
démie protestante, l'administration en fut confiée aux
membres de l'Académie avec la remarque expresse, qu'étant
bonne, elle devait être conservée dans l'état où elle était
alors. Seul, le droit de haute surveillance exercé jusque-là
par le magistrat passa au Directoire de l'Eglise de la Con-
fession d'Augsbourg. Le président du Consistoire général
devint directeur de l'Académie; les charges ^e prévôt, de
doyen et d'ancien furent maintenues, mais, en partie, sous
un autre nom: le prévôt fut appelé président de l'adminis-
tration et, plus tard, vice-directeur. Tous trois continuèrent
à toucher un préciput en argent ou en nature: le prévôt, 791
et, plus tard, 800 francs, le doyen, 16 rézeaux de froment,
LE CHAPITKE DE SAINT-THOMAS 89
2 rézeaux et 3 boisseaux d 'orge et 44 francs, l 'ancien, 200 francs,
Dans les séances, le prévôt était placé à gauche du président,
le doyen à sa droite et l'ancien à gauche du prévôt. On
maintint également la députation économique sous le nom de
comité économique. Le nombre des membres du chapitre fut
réduit à 14, il comprenait le président du Consistoire général,
les dix professeurs de l'Académie et les premiers pasteurs
de Saint-Thomas, Saint-Nicolas et Sainte- Aurélie.
Cependant les professeurs de l'Académie et les pasteurs
de Saint-Nicolas et de Sainte- Aurélie ne devenaient m!embres
du chapitre que par élection. Quand, par la mort d'un pro-
fesseur, il se produisait une vacance dans le corps enseignant
et en même temps parmi les administrateurs, on nommait
d'abord le professeur à la chaire devenue vacante et puis
on l'appelait par élection dans l'administration.
Il en était de même des pasteurs de Saint-Nicolas et
de Sainte-Aurélie. Ils n'étaient élus membres du chapitre
qu'après leur installation de pasteur et à la requête du
Consistoire auquel ils appartenaient. Pour Saint-Nicolas, la
demande était présentée par deux membres du conseil de
cette église, qui se rendaient en cérémonie à la séance des
administrateurs de Saint-Thomas; pour Sainte-Aurélie, elle
se faisait par une pétition du Consistoire. Le chapitre pro-
cédait alors à une élection qui, d 'ailleurs, était de pure forme.
Pour le pasteur de Saint-Thomas, les choses se passaient
différemment. Il était de droit administrateur de la fon-
dation. Il en était de même du président du Consistoire général,
directeur né de l'Académie. Plus tard, à partir de 1843, les
trois pasteurs, tout en restant membres du chapitre, ne furent
plus admis à concourir aux délibérations relatives aux biens
des fondations, «le Séminaire étant seul propriétaire et
administrateur des biens des dites fondations. »
Jusqu'en 1789, la réception d'un membre du Chapitre
avait été un acte solennel dont les formalités étaient stricte-
ment réglées. A l'investiture du nouvel élu devaient assister
le chancelier de l'Université, les scolarques, les délégués du
conseil de l'église du récipiendaire, les chanoines, le pasteur,
les diacres et les vicaires de Saint-Thomas, un notaire et
deux témoins, le régent de l'école de Saint-Thomas et le
secrétaire de la fondation. L'acte de l'inyestiture était réglé
dans tous ses détails: l'ordre dans tequel les assistants
90 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STEASBOUKG
devaient être placés, l'allocution par laquelle le doyen ouvri-
rait la réunion, Fintroduction du récipiendaire, les prières
prononcées par le pasteur officiant, Texamen que devait
passer le récipiendaire, le serment qu'il devait prêter sur
l'Evangile selon Saint Jean, sa déclaration d'adhésion à la
Formule de Concorde, sa proclamation comine chanoine avec
indication de la prébende qui lui revenait, son installation au
chœur de l'église Saint-Thomas, les vœux et félicitations de
ses collègues — tout, dans ce cérémonial long et compliqué,
était prévu, invariablement fixé et strictement observé.
Le dernier chanoine qui fut introduit avec ce cérémonial,
le 11 septembre 1789, était le professeur d'anatomie, Thomas
Lauth, Après lui, sous la pression des événements politiques,
on laissa tomber peu à peu ces vieilles formalités. L'année
suivante déjà, quand le pasteur Schweickart de Saint-Nicolas
fut reçu au chapitre, le doyen annonça que le magistrat était
d'avis que sa réception se fît le plus simplement possible,
sans les cérémonies usuelles et sans la présence des délégués
du magistrat.
Le chapitre décida alors qu'on renoncerait à l'examen
du récipiendaire et qu'on réduirait le serment qu'il était appelé
à prêter jusque-là à la simple promesse qu'il observerait à
l'égard du chapitre la fidélité et la piété, qu'il remplirait
tous ses devoirs, qu'il servirait la religion, qu'il ferait con-
sciencieusem/ent sa charge et se soumettrait à toutes les déci-
sions du chapitre. Lorsque, le 1«^ septembre 1792, le profes-
seur de médecine Jean- Jacques Spielmann fut reçu au cha-
pitre, le doyen prévint encore l'assemblée que la réception
du nouveau membre aurait lieu sans les cérémonies accou-
tumées. On éviterait surtout d'en dresser et d'en publier un
acte officiel, notarié. On conserva pourtant le serment prêté
par le récipiendaire sur l'Evangile selon Saint Jean et sa
déclaration d'adhésion à la Formule de Concorde, mais on
supprima son installation dans le chœur de Saint-Thomas.
Le mouvement révolutionnaire s'accentuant, on laissa
tomber les autres formalités. Les procès-verbaux de l'inves-
titure de Blessig et de Haffner, en 1794, disent simplement
que les nouveaux élus prirent place parmi les administrateurs
et que le vice-président leur annonça qu'à l'avenir ils pren-
draient part aux délibérations de l'assemblée et qu'ils joui-
raient des avantages du canonicat. Quant à la réception du
INSTALLATION DES MEMBRES DU CHAPITRE 91
juriste Ehrmann, le 4 novembre 1801, la dernière qui eut
lieu avant rétablissement de l'Académie protestante, le
registre des délibérations contient cette simple remarque:
«Le Cen Ehrmann, professeur, invité à se présenter à
rassemblée, s'y est prêté et a pris place parmi les admi-
nistrateurs. »
Quand le nouvel état de choses entra en vigueur, nul
ne songea à rétablir des usages tombés en désuétude, ni à
les remplacer par d'autres. Les professeurs de l'Académie
protestante avaient d'ailleurs tous été membres de l'ancien
chapitre, il n'y avait donc pas lieu de procéder une seconde
fois à leur installation. Et lorsque de nouvelles nominations
eurent lieu, on ne songea pas davantage à introduire les élus
avec l'ancien ni avec un nouveau cérémonial.
Ce n'est qu'en 1817, à l'occasion de la réception du pasteur
Zabern de Saint-Nicolas et du professeur Redslob, que le
président fit remarquer qu'il serait désirable de remettre en
vigueur au moins une partie du vieux cérémonial. Tout
nouveau membre du Séminaire devait promettre une inébran-
lable fidélité à l'Eglise de la Confession d'Augsbourg et une
participation consciencieuse à tout ce qui pourrait faire pros-
pérer nos églises et nos écoles, et s'engager à travailler de
toutes ses forces à conserver et à augmenter la fondation.
Le nouvel élu devait aussi inscrire son nom dans le registre
qui contenait les noms de tous les membres du chapitre depuis
l'année 1634, pour confirmer par là ses engagements envers
la fondation et transmettre à la postérité la suite des membres
du chapitre de Saint-Thomas. Cette motion fut adoptée et la
réception des nouveaux membres se fit selon le mode proposé
par le président.
En 1825, à l'occasion de la réception du pasteur Schuler
de Saint-Nicolas, on discuta une fois de plus la procédure
à suivre dans l'investiture des chanoines et on décida que,
conformément à l'ancien usage, l'ancien dirait au récipien-
daire ses devoirs et l'instruirait de ses droits.
C'est le mode qu'on suivit dès lors, comme on le voit
par les procès-verbaux du chapitre et surtout par le rapport
détaillé de la réception d'Edouard Reuss. Il avait été nommé
professeur le 27 juillet 1836; quinze jours après, le 11 août,
il fut élu comme «administrateur ordinaire» de la fondation
et reçu au chapitre.
92 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOUKG
«Après rélection», dit le rapport, «le nouveau chanoine
fut introduit dans la salle des séanœs. Le professeur Bruch,
en sa qualité d'ancien, lui représenta les devoirs qu'il aurait
à remplir, à savoir soutenir les intérêts de l'Eglise de la
Confession d'Augsbourg et des écoles publiques protestantes,
se soumettre aux décisions de l'administration, exécuter avec
soin les travaux qui lui seraient confiés et user de discrétion
à l'égard des arrêtés de l'assemblée. Le doyen énuméra en-
suite les émoluments auxquels sa nomination lui donnait
droit, et le professeur Eeuss promit entre les mains du pré-
sident de l'administration, du doyen et de l'ancien, de remplir
fidèlement les devoirs qui lui avaient été représentés; après
quoi, un siège lui fut assigné au sein de l'assemblée.»')
Quelques années plus tard, l'acte de réception fut simpli-
fié: lorsque, en 1841, Stahl et Kreiss furent reçus au chapitre,
le secrétaire, le professeur Fritz, adressa à l'un et à l'autre
l'allocution habituelle, et ils promirent d'observer fidèlement
les statuts de l'administration. Finalement, on renonça même
à cette dernière formalité, et le vice-président se borna à
adresser quelques paroles de bienvenue au nouveau chanoine.
II
Comme administration, l'Académie protestante, plus tard
le Séminaire, dut étendre son activité sur toutes les fon-
dations et institutions que l'article 2 du décret du 30 floréal
an XI lui avait affectées. Elle avait, avant tout, à maintenir
ses droits à l'organisation et à la direction matérielle et morale
de ces institutions et fondations, et puis, à soutenir les intérêts
de chacune d'elles, à assurer leur prospérité, à reconstituer
leur fortune, à les défendre contre des attaques éventuelles,
à veiller, enfin, à ce que leurs revenus fussent employés con-
formément aux stipulations primitives. Son activité s'exerçait
donc surtout sur le terrain financier, et la fondation de Saint-
Thomas, la plus importante de toutes, ainsi que celle de la
Haute-Ecole, lui donnaient fort à faire sous ce rapport.
La fondation de Saint- Thomas s'était trouvée, avant la
Révolution, dans une situation prospère. Elle avait amassé
de nombreux capitaux et disposait de revenus considérables.
^) Procès-verbal de la séance du 11 août 1836.
LA FONDATION DE SAINT-THOMAS 93
Mais, pendant la Révolution, elle avait subi de grandes î>ertes.
Une lettre adressée par l'administration de la fondation au
Directoire, qui lui demandait, en 1808, de contribuer aux
dépenses de Tautorité suprême de TEglise de la Confession
d'Augsbourg, donne un aperçu exact de la situation finan-
cière du chapitre à ce moment. «Elle (cette situation) est
loin», dit la lettre, «de ce qu'elle a été avant la révolution.
La suppression de la dîme seule lui a causé une perte
annuelle en froment de 1182 rézeaux; en seigle, de 156 rézeaux,
4 boisseaux; en orge, de 46 rézeaux, 4 boisseaux, et en argent
de 302 livres; et la loi qui a déclaré nationales les dettes
des communes Fa obligé d'envoyer à la liquidation les créances
suivantes: 7474 livres en rentes constituées; 11364 livres sur
la caisse de la commune; 5000 livres sur la tribu des cordon-
niers; 2300 livres sur la ville de Sélestat, ensemble
106 777 livres, à laquelle somme il faut ajouter celle de
60 000 livres qu'on a placées en emprunt volontaire en rem-
placement de capitaux rentrés en assignats. De sorte que les
revenus annuels de la fondation ayant été diminués de près
de 30 000 livres, ils ne suffisent plus à payer en entier ce
qui est dû aux administrateurs pour les bimestres et que
chacun d'eux a un arrière de 1400 livres à prétendre, ainsi
que toute augmentation de dépense est une véritable impo-
sition sur les administrateurs. » *)
L'Académie avait compté sur la liquidation des ci'éances
de la fondation. Son attente fut déçue. Dans sa séance du
23 août 1808, le professeur Koch annonça que les démarches
faites dans ce sens auprès du >ninistre des Cultes et du
liquidateur général n'avaient pas abouti, l'empereur ayant,
sur un rapport de ce dernier, refusé la liquidation.
Plus tard encore, en 1812, le Séminaire, répondant à une
pétition des préposés de l'église Saint-Thomas, qui deman-
daient un supplément de traitement pour les deux diacres
de cette église, disait: «La fondation de Saint-Thomas aïant
perdu par la révolution au delà de la moitié de ses fonds
et revenus, et la moitié qui lui reste étant partagée, en vertu
d'anciennes conventions qu'il importe de respecter, entre
l'Eglise et l'instruction du Séminaire, l'administration se
trouve dans l'impuissance de s'imposer de nouvelles charges.
') Séance du 19 oct. 1807. Procès-Verbaux I, p. 430.
94 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STEASBOURG
attendu qu'elle suffit à peine à toutes celles dont elle est déjà
grevée. » ^)
A ces pertes si considérables venaient s'en ajouter
d'autres provenant de rentes tombées en non valeur, de rede-
vances contestées d'extances impossibles à recouvrer. Le
Séminaire réussit pourtant, grâce à une sage administration,
à unei rigoureuse économie et au désintéressement de ses
membres, à reconstituer, après quarante ans, la fortune de
la fondation telle qu 'elle avait été avant la Révolution. *)
A partir de l'établissement du nouvel ordre de choses,
le chapitre songea surtout à augmenter la propriété rurale
de la fondation. Il y était tenu par les règlements. Les prin-
cipales recettes dont il disposait en ce moment, provenaient
du rachat de rentes foncières. Or, d'après les règlements en
vigueur, ces rentrées ne pouvaient être placées qu'en bien-
fonds. Aussi, lorsqu'en 1812 le rachat de rentes eut fait
rentrer dans sa caisse des sommes considérables, le chapitre
n'hésita- t-il pas à dépenser jusqu'à 59 700 frs pour l'acqui-
sition de terres, champs et prés, dans les banlieues de Hoch-
felden, de Lochwiller, de Haguenau, d'Obermodern et de
Kirwiller. Par contre, il se vit contraint, pour faire face à
des dépenses urgentes, d'aliéner l'un ou l'autre des immeubles
que la fondation possédait à Strasbourg. Dans la séance du
7 décembre 1807, on décida que, pour couvrir les dépenses
occasionnées par les réparations à faire dans différentes
maisons appartenant à la fondation, on vendrait deux mai-
sons, l'une sise sur la place Kléber et l'autre au coin de la
rue de l'Outre; une troisième, sise place Saint-Thomas et
devenue de nos jours le siège de l'imprimerie alsacienne, fut
vendue en 1825, au prix de 27000 francs.
Le Séminaire était chargé de l'administration d'autres
fondations, de celles de la Haute-Ecole, du Corps des Pensions,
de Saint-Guillaume et de la bourse Maurice. Par arrêté du
Directoire du 10 septembre 1811, les recettes de ces fonda-
tions furent réunies avec celles de la fondation de Saint-
Thomas, mais chacune avait un compte séparé.
Ces fondations, celles de la Haute-Ecole et du Corps des
Pensions surtout, étaient financièrement dans une situation
*) Séance du 5 mars 1812. I, 457.
') Rapport du président de Tiirckheim. Séance du 9 mars 1843.
LA HAUTE-ÉCOLE ET LE COKPS DES PENSIONS 95
difficile. La Haute-Ecole, par suite de pertes de capitaux et
de rentes subies pendant la période révolutionnaire, et des
dépenses croissantes qu'occasionnait la réorganisation de
renseignement au Gymnase, avait un déficit annuel de 4000 fr.,
et dut finalement être déchargée d'une îmrtie de ses obliga-
tions. La fondation de Saint-Thomas prit à sa charge le
traitement du bibliothécaire, celui des bedeaux et du portier
du Gymnase, et le Corps des Pensions, une partie des traite-
ments des professeurs du Gymnase. Mais, pour suffire à ces
nouvelles obligations, le Corps des Pensions dut se résoudre
à vendre deux maisons qu'il possédait en ville. Tune dans la
rue des Chandelles et l'autre dans la rue Sainte-Elisabeth.
La première fut vendue, le 25 septembre 1813, pour
6000 francs, et l'autre, le 11 janvier 1816, au prix de 8000 frs.
Les deux fondations de la H}aute-Ecole et du Corps des
Pensions fusionnèrent plus tard et parvinrent à reconstituer
leur fortune. Elles se trouvèrent finalement en possession
d'un capital de 148.700 frs. Cette fortune, considérable pour
l'époque, fut entièrement absorbée par la reconstruction des
bâtiments du Gymnase, après l'incendie de 1860.
La partie financière de l'administration des fondations
protestantes présentait donc, dans les commencements sur-
tout, de sérieuses difficultés. Heureusement qu'il y eut au sein
de l'Académie et du Séminaire des hommes de loi et des
hommes d'affaires qui, sous ce rapport, rendirent de grands
services: d'abord, le professeur Braun et le président Kern,
puis, les deux présidents de Tiirckheim. Les difficultés du
commencement disparurent pourtant dans la suite; l'admi-
nistration très compliquée au début fut simplifiée et, par
conséquent, facilitée.
III
Parmi les institutions affectées à l'Académie protestante
par les articles organiques, le Gymnase tenait la première
place. Le Séminaire avait vis-à-vis de cet établissement des
obligations à la fois morales et matérielles. Il avait à décider
de toutes les affaires de l'école, à faire au Directoire des pro-
positions relatives à l'organisation et au plan d'études, à la
méthode de l'enseignement et à l'introduction des livres de
classe, à la nomination et au traitement des professeurs. Il
96 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
avait, conjointement avec le Directoire, à veiller à l'autonomie
et à rindépendance et, en même temps, au caractère protestant
de la vieille école de Sturm, et à s ^opposer, à résister même
aux tentatives constamment renouvelées de placer le Gymnase
sous la surveillance et la direction de PEtat.
Ces tentatives s'étaient produites dès les premières
années du nouveau régime. En 1807 déjà, le préfet du Bas-
Ehin, M. Shée, avait chargé im professeur du lycée, M. Hess,
d'inspecter les classes du Gymnase. Le Directoire avait pro-
testé contre cette ingérence injustifiée. Ce fut en vain: M.
Hess, «par ordre exprès et répété» du préfet, avait dû pro-
céder à l'inspection. Un peu plus tard, en 1810, le grand
maître de l'Université avait déclaré que «le collège protestant
dit Gymnase était subordonné à l'Université impériale ainsi
que toutes les autres écoles protestantes ».
Quand, après le retour des Bourbons, on procéda à la
réorganisation de l'instruction publique, le Séminaire, con-
sidérant «les rapports dans lesquels pourraient venir le Sé-
minaire et surtout le Gymnase avec l'Université et le collège
royal», crut devoir demander au Gouvernement pour les
protestants de l'Alsace «l'indépendance de leur instruction
dans son ensemble et dans toutes ses branches, comme ils la
tenaient avant la révolution ». ^) Il fit valoir à l'appui de sa
requête que la liberté de l'instruction est intimement liée à
la liberté du culte assurée aux protestants par la charte cons-
titutionnelle, que le Gymnase avait toujours existé à côté du
collège, de l'école centrale et du lycée, que la population était
assez considérable pour remplir deux écoles et que le Gymnase
avait toujours eu la double destination «de servir de pré-
paration à ceux qui se vouent aux fonctions ecclésiastiques et en
même temps de répandre dans toutes les classes de citoyens les
principes de morale et de religion ensemble avec les lumières
nécessaires au citoyen et au magistrat, conformément à l'esprit
de notre confession». Le président et le secrétaire furent
chargés de soumettre ces vœux au Directoire, pour qu'il les
présentât en temps utile aux autorités compétentes «pour
assurer à nos descendants les droits précieux d'une instruction
complète dans l'esprit du protestantisme».
L'année d'après, le recteur de l'Académie ayant voulu
*) Séance du 6 mars 1815. II, p. 145.
3
LE GYMNASE PROTESTANT 97
appliquer au Gymnase Farrêté d'après lequel les élèves des
institutions établies dans les villes oii se trouvait un collège
royal, devaient y être conduits lorsqu'ils auraient dix ans,
le Séminaire proposa au Directoire «de faire sentir à M. le
Recteur, et au besoin aux autorités supérieures, que le gym-
nase, formant une partie essentielle et indispensable de l'ins-
truction tant religieuse que civile de la population protestante
de cette ville, à laquelle la liberté des consciences, du culte et
de l'instruction est formellement garantie par les traités de
paix et par la capitulation, et ces établissements ayant sub-
sisté, en vertu de ces traités, sans entraves, à côté du collège
royal, avant la révolution, doit être maintenu dans ime par-
faite liberté, sans que l'on puisse lui appliquer des mesures
ordonnées relativement à des écoles ou institutions d'une na-
ture tout à fait différente. »')
Quelques mois plus tard, le Séminaire adressait, par
l'entremise de M. Kern, député du Bas-Rhin, un mémoire à
la Chambre et au ministre, «afin d'obtenir la confirmation
de nos Institutions et de nos Fondations indépendantes de
tout autre corps d'enseignement qui pourrait être établi et
adapté aux besoins d'un autre culte»*), et le 30 octobre 1817,
une lettre du conseiller d'Etat de Gérando exprimait l'espoir
que la loi sur l'instruction publique donnerait satisfaction
aux vœux exprimés dans ce mémoire.
Cependant ime ordonnance royale du 26 octobre 1828
rangeait « le petit Séminaire protestant de Strasbourg », c'est-
à-dire le Gymnase, dans la catégorie des collèges mixtes et
soumettait cet établissement à la surveillance et à l'inspection
de l'Université. L'année d'après, le baron Cuvier, grand maître
de l'Université, réclamait pour le recteur de l'Académie le
droit de présider la distribution solennelle des prix du Gym-
nase, et le recteur se plaignait de ce que le programme des
leçons de cet établissement n'eût pas été somnis à son appro-
bation.
Le Directoire, jaloux de maintenir son droit et celui du
Séminaire vis-à-vis des prétentions croissantes de l'autorité
universitaire, résolut alors d'envoyer un des professeurs à
Paris pour exposer la question au ministre de l'instruction
') Séance du 7 nov. 1816. II, 158. 159.
') Séance du 4 août 1817. II, 164.
98 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
publique. Il chargea Bruch de cette mission, et le ministre
reconnut, paraît-il, les droits du Gymnase.
Le Séminaire, tout en maintenant le caractère traditionnel
de la vieille école, tenait compte des exigences modernes: il
créait de nouvelles classes, introduisait de nouvelles méthodes
d'enseignement, nommait des régents jeunes et capables.
Les rapports entre le Séminaire et le Gymnase étaient
d'autant plus étroits que, dès le début, le directeur de l'école
avait été choisi parmi les professeurs de l'Académie. Il en
fut ainsi, sauf une courte interruption qui dura du mois
d'avril 1808 au mois de juillet 1809, jusqu'en 1869, où la
direction du Gymnase fut confiée aux mains du directeur de
l'internat, qui était en même temps sous-directeur de l'éta-
blissement, Charles-Frédéric Schnéegans.
Le premier directeur, depuis le nouveau régime établi en
France, fut le professeur Oberlin. Il n'eut pourtant pas à
supporter seul toute la charge de la direction. L'Académie
lui adjoignit une commission composée de trois membres, les
professeurs Weber, Schweighaeuser et Herrenschneider.
Oberlin mourut en 1806 et fut remplacé par le professeur
Weber. On nous dit, à cette occasion, avec quel cérémonial
le directeur et les membres de la commission étaient installés
dans leur charge. Weber se rendit avec ses deux collègues
au Gymnase. Blessig les y attendait. Il les présenta aux
maîtres et aux élèves réunis pour la circonstance. Le nouveau
directeur prononça une allocution dans laquelle il dit les
relations qui avaient toujours existé entre l'Académie et le
Gymnase, l'intérêt que l'Académie avait de tout temps porté
à l'Ecole et ce qu'elle attendait des maîtres et des élèves.
Le doyen des régents, dans une courte réplique, déclara, au
nom de ses collègues, qu'ils avaient pleine conscience de leur
subordination à l'Académie et à ses délégués, et finalement
le premier élève de chaque classe vint mettre sa main dans
celle du nouveau directeur et des membres de la commission.
Lorsqu'en 1808 le professeur Weber demanda à être relevé
de fonctions qu'il trouvait trop absorbantes, l'Académie pensa
réunir dans une même personne les fonctions de professeur
et celles de directeur de l'école. L'enseignement des langues
anciennes avait fortement baissé au Gymnase, il fallait songer
aux moyens de le relever. L'Académie se mit en quête d'un
bon philologue. Elle crut l'avoir trouvé dans un simple
LA DIEECTION DU GYMNASE 99
pasteur de campagne. M. Heyler, pasteur de Minfeld et ins-
pecteur ecclésiastique de Tinspection de Wissembourg, avait
été recteur du Gymnase de Griinstadt et puis professeur au
collège de Bouxwiller et s'était acquis la réputation d'un
helléniste émérite et d'un excellent pédagogue. Il semblait
parfaitement apte à joindre à l'enseignement du grec la di-
rection de l'école. L'Académie, dans sa séance du 1^^ mars
1808, le nomma à ce double emploi, et le 20 avril suivant,
il fut présenté aux régents et aux élèves du Gymnase.
Bientôt pourtant surgirent des difficultés qu'on n'avait
pas prévues. Le nouveau directeur émit des prétentions que
le Séminaire n'était pas en état de satisfaire. M. Heyler
donna sa démission, et le Séminaire, après l'expérience plu-
tôt fâcheuse qu'elle venait de faire, posa en principe, «qu'il
serait plus convenable de nommer directeur du Gymnase
un membre de l'Académie que de le choisir parmi les
Régens ». ^)
n confia alors la direction au professeur Fritz que recom-
mandait un talent pédagogique peu commun. Fritz se montra,
en effet, à la hauteur de sa tâche et il continua à diriger
l'école avec succès jusqu'à sa mort, en 1821. Le choix de
son successeur fut moins heureux. Dahler était un savant
distingué, mais il manquait absolument du sens pratique si
nécessaire au directeur d'un grand établissement scolaire. Il
sentit lui-même son insuffisance et se retira après quel-
ques années pour laisser la place aux jeunes.
Avec eux commença une ère nouvelle pour le Gymnase.
Matter, qui remplaça Dahler en 1825, rompit le premier avec
la routine en faisant adopter le français comme langue de
renseignement. Brueh, qui lui succéda, en 1828, et qui resta
vingt ans à la tête de l'école, y introduisit successivement
ime série d'améliorations. Il provoqua la création d'une section
réale, celle d'une classe élémentaire, la division de la prima
en rhétorique et philosophie, l'ouverture de salles d'étude,
etc. Hautement vénéré par le personnel enseignant, il exerça
une influence heureuse et considérable sur l'esprit qui régnait
dans l'école. Sa nomination commue inspecteur ecclésiastique,
en 1848, l 'obligea à se démettre de fonctions qu 'il avait remplies
avec joie. Le professeur Charles Schmidt prit alors la direction
') Séance du 3 août 1809.
100 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
de récole en mains et la continua pendant dix ans, jusqu'en
1859, dans l'esprit libéral de son prédéœsseur.
A ce moment déjà Eeuss demandait que la direction du
Gymnase ne fût pas considérée comme un « appendice » à une
chaire de théologie, mais comme une charge à part. Il eût
voulu la voir confiée à Colani qu'il croyait particulièrement
apte à ces fonctions délicates. L'idée était bonne; elle trouva
pourtant peu d'écho au sein du Séminaire. Un directeur choisi
en dehors du corps des professeurs! — cela était contraire
à l'arrêté de 1809 et à l'usage suivi depuis lors, cela était
irrégulier, une anomialie. Et puis, il faut le dire, Colani
n'avait pas l'heur d'agréer à tous les membres du Séminaire.
Aussi quand on passa au vote, les voix se dispersèrent d'abord,
pour se réunir ensuite sur la personne de Keuss.
Le choix était d'ailleurs excellent, et cela d'autant plus
que bientôt survinrent des événements qui réclamaient à la
tête de l'école un homme aussi énergique qu'intelligent. Dans
la seconde année du directorat de Eeuss, le 29 juin 1860, le
vieux cloître des dominicains, occupé alors par le Gymnase et
par le collège de Saint-Guillaume, fut détruit par un incendie.
Ce tragique événement imposa au Séminaire et surtout au
directeur du Gymnase une nouvelle et lourde tâche.. Il s'agis-
sait, tout d'abord, de trouver des locaux pour les classes restées
sans abri, et puis, de songer à la construction de nouveaux
bâtiments qui répondraient aux exigences modernes, et enfin,
de profiter de l'occasion pour organiser au Gymnase un inter-
nat que la population protestante réclamait depuis longtemps.
Eeuss fut à la hauteur de sa tâche. Il déploya, et la Com-
mission nommée ad hoc déploya avec lui, une activité si
merveilleuse que le 29 juin 1863, troisième anniversaire de
l'horrible journée, on put procéder à la pose solennelle de la
première pierre de la nouvelle maison.
Mais là commencèrent les grands embarras financiers du
Séminaire.
Le Gymnase, lors de sa création, en 1538, ne possédait pas
la moindre fortune. Les maîtres des classes supérieures jouis-
saient généralement d 'une prébende de la fondation de Saint-
Thomas, les autres vivaient du produit de l'écolage et des
subsides que leur accordaient différentes institutions. Mais
dès le XVIe siècle, le Magistrat, soucieux d'assurer l'exis-
tence de l'école, lui avait assigné un patrimoine. C'étaient
LE COLLÈGE DE SAINT-GUILLAUME 101
quelques corps de biens abandonnés par les couvents au mo-
ment de leur dissolution et qui formèrent alors la fondation
de la Haute-Ecole. Plus tard, au milieu du XVIIe siècle, les
revenus de cette fondation s 'étant trouvés insuffisants, le
Magistrat y avait joint ceux de quatre anciens béguinages
sous le nom de «Nouveaux revenus de la Haute-Ecole»
(Neue Gefdlle der Hohen Schule) ou de «Corps des pen-
sions» (Corpus pensionum). Gérées d'abord à part, les deux
fondations furent réunies en 1864.
Mais longtemps avant cette date, l'augm'entation du
nombre des professeurs et de leurs traitements, et la cessation
des subventions accordées autrefois à l'école par la ville et le
département, avaient mis les deux fondations dans l'impossi-
bilité de remplir toutes leurs obligations envers le Gymnase. Le
Séminaire dut affecter à l'entretien de l'école une partie
de plus en plus considérable des revenus de la fondai
tion de Saint-Thomas. Ce fut, d'abord, une somme annuelle
de 3000 francs, puis, à partir de 1850, de 5000, et plus tard,
depuis 1859, de 7000 francs. Alors survint l'incendie de 1860.
Les nouvelles constructions et l'agrandissement de l'école en-
gloutirent toute la fortune de la Haute-Ecole et la fondation
de Saint-Thomas dut avancer au Gymnase, dans les années
1865 et 1866, une somme de 100.000 et, en 1869, une autre de
80.000 francs, qui ne lui furent jamais rendues. Ce fut le com-
mencemient des graves soucis que le Gymnase causa au Sé-
minaire et qui furent accrus par les événements de l'année
1872.
IV
Parmi les fondations dont l'administration était aux mains
de l'Académie ou, plus tard, du Séminaire se trouvait aussi
le Collège de Saint-Guillaume. Etabli au commiencement du
XVIe siècle dans le couvent de Saint-Guillaume, d'où son
nom, et transférée plus tard dans l'ancien couvent des Domi-
nicains près du Temple-Neuf, cette institution était destinée
à recevoir, à loger et à entretenir des étudiants en théologie.
Dirigée d'abord par Hédion et par deux inspecteurs des
écoles, organisée plus complètement par Jacques Sturm de
Sturmeck et ses collègues Jacques Meyer et Nicolas Kniebis,
elle fut plus tard administrée par une commission composée
102 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
de deux mem'bres du magistrat, de deux professeurs de rUni-
versité, d^un pasteur et d^un régent du Gymnase. Au com-
mencement du XIXe siècle, elle subit une réorganisation et
fut placée sous la direction de T Académie protestante et sous
la surveillance du Directoire de l'Eglise de la Confession
d'Augsbourg.
Des liens étroits unirent dès lors PAcadémie et le collège
de Saint-Guillaume qu'on qualifiait volontiers de «pensionnat
attaché au Séminaire protestant '*. Il y eut, comme par le
passé, une commission spécialement chargée d'administrer et
de surveiller cette fondation, mlais sa composition fut modifiée.
Par suite des changements survenus dans la constitution de
la ville, les membres du nxagistrat n'y eurent plus de place.
Le Séminaire, par contre, y était représenté par un, quelque-
fois même par deux membres; la présidence était réservée à
l'un des professeurs de la section théologique du Séminaire.
Le Séminaire avait d'ailleurs le droit, limité d'abord et
plus tard complet, de présentation pour la nomination des
membres de la commission. Il édictait aussi les règlements re-
latifs à l'ordre intérieur de l'établissement, à la discipline et
aux études des élèves, il nommait les pédagogues et, plus tard,
les directeurs du Collège. La circonstance que plusieurs des
pédagogues, Dahler, Fritz, Lachenmeyer, Jung, Baum, de-
vinrent professeurs au Séminaire ne contribua pas peu à con-
solider les liens qui unissaient les deux établissements.
Pour subvenir à ses besoins, le Collège de Saint-Guillaume
avait été doté de prestations imposées aux biens des couvents
abandonnés, de subventions accordées par la ville et par quel-
ques autres fondations, et surtout de legs, de donations et de
collectes faites dans les églises. Grâce à la générosité des
fidèles, elle avait amassé au XVIII® siècle des capitaux qui,
finalement, se montèrent à plus de 80.000 francs. La plus
grande partie de cette somme, soit 72.142 frs, avait été placée
sur le Trésor de la ville; elle fut, en 1793, déclarée dette na-
tionale et ne fut jamais liquidée. Quant au reste, soit 8212 frs,
qui avait été placé sur hypothèque, il fut remboursé en assi-
gnats et fut, de ce fait, également perdu.
Cette double perte était d'autant plus sensible qu'à ce
moment les collectes en faveur du Collège de Saint-Guillaume
étaient partout arrêtées et les subventions de la ville en partie
supprimées. Il est vrai, d'autre part, que la maison était
LA BIBLIOTHÈQUE DU SEMINAIRE
103
vide, la Terreur ayant suspendu les études et les étudiants
étant partis pour défendre la patrie en danger.
Après 1802, le Collège de Saint-Guillaume fut réorganisé.
D'abondantes collectes et de généreux legs permirent de le
rendre à sa destination. Mais ses dépenses excédant ses re-
cettes, la fondation de la Haute-Ecole et celle de Saint-Tho-
mas durent, par des subventions régulières, subvenir â ses
besoins ou, par des allocations extraordinaires, combler des
déficits qui se reproduisaient chaque année.
Peu à peu pourtant la situation de la fondation s 'améliora;
elle était même devenue florissante, quand l'incendie du 29
juin 1860 vint encore une fois la changer. Les bâtiments oc-
cupés par rinternat furent détruits et l'internat dut être
transféré au quai Saint-Thomas. La fondation de Saint-Guil-
laume devint locataire de celle de Saint-Thomas. Celle-ci se
montra généreuse. Elle ne toucha pas de loyer pendant des
années. Plus tard, la location fut fixée à 800 f rs et, à partir de
1869, elle fut, pour équilibrer le budget de Saint-Guillaume,
abaissée à cent francs, faible sontoe qui devait simplement
constater le droit de propriété de Saint-Thomas.
Parmi les fondations affectées à la nouvelle Académie il
y avait encore la bibliothèque de l'ancienne Université. Fondée
en 1531, à l'instigation du célèbre stettmeister et scolarque
Jacques Sturm de Sturmeck, pour servir aux savants et aux
étudiants qui affluaient alors à Strasbourg, elle s'était accrue,
dans le cours des temps, par l'acquisition de collections im-
portantes, celle du chapitre de la cathédrale, du coUège des
jésuites de Bockenheim, des théologiens Pappus et Bernegger,
et par des legs et des dons. Elle possédait de précieux ma-
nuscrits, de nombreux incunables et deux coUeotions de bro-
chures politiques et théologiques du XVIIe siècle (la collec-
tion grise et la collection Wencker) d'une haute valeur.
Les fonds destinés à l'entretien et à l'augmentation de la
bibliothèque étaient, paraît-il, assez considérables. Mais ils
furent perdus pendant la Révolution. Lorsque, le 9 ventôse de
l'an XIII, le professeur Oberlin, nomimé bibliothécaire, pré-
senta un rapport sur l'état de la bibliothèque depuis la Saint-
Martin de 1792 jusqu'au mois de mai 1798, il constata qu'à
104 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
cette dernière date il ne restait dans sa caisse que 21 frs 85 c.
en argent monnayé et 365 frs 17 c. en assignats. Encore la
bibliothèque fut-elle frustrée de cette m^odique somme. On
l'obligea à échanger l'argent monnayé contre des assignats,
et les assignats perdant peu après toute valeur, la caisse de
la bibliothèque se trouva vide.
Pour l'alimenter, on essaya successivement de différents
moyens. L'Académie invita d'abord les étudiants à contribuer
par des dons bénévoles aux dépenses pour achat de livres.
Mais cette source, peu abondante d'ailleurs, menaçant de tarir
complètement, l'Académie décida d'élever le prix des inscrip-
tions à 9 frs dont 8 seraient affectés à la bibliothèque.
Cette mesure aussi se montra insuffisante. On fut obligé
de restreindre les dépenses. Lorsque le professeur Schweig-
haeuser, qui avait succédé en 1805 à Oberlin comme biblio-
thécaire, vint rendre compte de sa gestion, il se trouva que
dans l'année 1807-1808 la recette s'était élevée à 325 frs 25 c.
et la dépense à 141 frs 90 c, et qu'en 1808-1809 la recette avait
été de 484 frs, 35 c. et la dépense de 396 frs, 45 c. Dans son
rapport de 1813, Schweighaeuser disait encore: «Aujour-
d'hui le Séminaire protestant n'a qu'une ressource assez
faible qui est surtout employée à l'acquisition d'ouvrages
théologiques. »
Aussi, lorsqu'en 1818 le Séminaire résolut de compléter
la collection des « Transactions philosophiques » de la Société
royale de Londres, que la bibliothèque ne possédait que jusqu'à
l'année 1792, et que, de ce fait, on dut faire face à une dé-
pense extraordinaire de 1112 frs, 25 c, le fonds de la biblio-
thèque ne put y participer que pour la somme de 500 frs., le
reste fut fourni par le corps des pensions.
On décida alors, pour remédier à un état de choses aussi
lamentable, que cette dernière fondation verserait chaque
année à la bibliothèque un subside d'au moins 600 frs, que
300 frs. de cette somme seraient employés à l'achat des ou-
vrages théologiques indispensables aux étudiants, et que le
reste servirait à l'entretien des autres sections de la biblio-
thèque et surtout à assurer l'acquisition de la suite des ou-
vrages commencés.
Cette mesure était pourtant bien insuffisante, elle ne per-
mettait pas l'achat d'ouvrages ni surtout de collections con-
sidérables. Aussi fallut-il, lors de l'acquisition de la belle bi-
LE SUBSIDE DE LA FONDATION HOPPE 105
bliothèque de HafPner, dont le prix avait été fixé à 17.000 frs,
recourir une fois de plus à d'autres fondations: celle de
Hoppé fournit 10.000, celle de Saint-Thomas, 7.000 francs.
Le Séminaire, à cette occasion, décida qu'à l'avenir la
fondation Hoppé contribuerait par un subside annuel de
400 frs à l'entretien de ses collections. C'était une demi-me-
sure qui n'eut guère d'efficace. Plus tard seulement, la bi-
bliothèque du Séminaire reçut, par deux fois, une augmenta-
tion importante, d'abord, par un legs du professeur Herren-
schneider, et puis, par l'acquisition de la bibliothèque du pro-
fesseur Kreiss. En 1843, Herrenschneider avait, avant de
mourir, exprimé la volonté que la partie philosophique, ma-
thématique et physique de sa bibliothèque fût remise au Sé-
minaire, et en 1860, à la mort du professeur Kreiss, le Sémi-
naÎTe se rendit acquéreur, pour la somme de 9.617 frs, de la
belle collection philologique que ce savant avait réunie et qui
ne comptait pas moins de 2097 numéros.
Les deux ou plutôt les trois bibliothèques strasbour-
geoises, celle de l'ancienne Université devenue bibliothèque
de l'Académie protestante, celle de Schœpflin, léguée par ce
savant à sa ville natale, et celle de l'Ecole centrale, mise à la
disposition de la mlunicipalité, étaient logées, toutes les trois,
dans le chœur du Temple-Neuf.
La bibliothèque de Schœpflin avait déjà été réunie en
1771 à celle de l 'Académie, « sauf garanties suffisantes, tant
pour la conservation de la propriété municipale que pour
l'accomplissement du but du donateur», et avait été placée
dans le même local. Plus tard, le préfet du Bas-Ehin sollicita
pour la bibliothèque centrale cédée à la ville la même faveur.
Elle lui fut accordée par contrat du 6 vendémiaire an XII,
à la condition que le bibliothécaire nommé par l'Académie
pour sa bibliothèque spéciale serait le conservateur des trois
collections. Il en fut ainsi pendant plus d'un demii-siècle.
Les professeurs Oberlin, Schweighaeuser, Herrenschneider et
Jung, qui remplirent successivement les fonctions de conser-
vateurs des bibliothèques du Séminaire et de la ville, furent
nommés par l'Académie protestante, plus tard par le Sémi-
naire, et leur nomination fut ratifiée par le Directoire de
l'Eglise de la Confession d'Augsbourg.
L'Académie, dans cette circonstance spéciale, se montra
accommodante au point d'oublier parfois ses propres inté-
106 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
rets. On ne lui en sut pas gré. En 1807 déjà, la propriété de
lia bibliothèque de l'ancienne Université protestante, ainsi que
celle des fondations concernant le Gymnase, avait été con-
testée à l'Académie par le Conseil municipal. Le débat dut
pourtant être abandonné. Plus tard, en 1844, des attaques plus
sérieuses furent dirigées contre le Séminaire. La commission
du budget municipal ne lui contesta pas seulement le droit
que lui attribuaient les contrats antérieurs, elle lui contesta
mêmje la propriété du bâtiment où étaient placées les diffé-
rentes collections.
Le cas fut jugé assez grave pour que le Séminaire char-
geât le président de Tiirckheim et les professeurs Bruch et
Jung d'assembler les matériaux d'un mémoire qui éclairerait
l'opinion publique sur cette affaire. Dans la Notice sur Vori-
gine des bibliothèques publiques dans la ville de Strasbourg^
Jung publia le texte du contrat passé entre la ville et l'Aca-
démie protestante et prouva que le Séminaire en avait tou-
jours observé fidèlement les stipulations, et, dans un autre
mlém^ire, un jurisconsulte distingué, M. Michaux-Bellaire,
démontra victorieusement le droit de propriété du Séminaire
sur la bibliothèque et sur le bâtiment oii elle était logée. L'at-
taque tentée par la commission municipale fut repoussée. Le
Séminaire resta en tranquille possession du bâtiment dans
lequel les deux bibliothèques, celle de la ville et celle du Sé-
minaire, se trouvaient réunies sous la garde du conservateur
nommé par le Séminaire protestant.
Le professeur Jung, qui succéda à Herrenschneider dans
les fonctions de bibliothécaire, s'était d'ailleurs, en obtenant
l'aménagement du chœur du Temple-Neuf d'après un plan
qu'il avait proposé, en classant et en rangeant l'énorme masse
de livres et en dressant le catalogue des deux collections,
acquis des mérites si éclatants que nul ne pouvait songer à
attaquer sa double position. Ce n'est qu'après sa mort, en
1863, que les deux administrations furent séparées: la ville
nomma le conservateur de sa bibliothèque et le Séminaire
celui de la sienne.
Dans cette partie de son administration aussi, le Sémi-
naire connut les difficultés financières. Les crédits affectés
à l'achat de livres ne dépassèrent jamais, même dans les
dernières années, 1475 francs, somme bien insuffisante pour
se tenir tant soit peu au courant de la production littéraire
LES BOUKSES
107
dans les différentes branches de la science et moins encore
pour combler les nombreuses lacunes existantes.
VI
Le Séminaire, outre l'administration de la bibliothèque,
avait encore celle des bourses. Le gouvernement avait, en
1810, accordé aux luthériens de Strasbourg quatre bourses
entières et huit demi-bourses; en 1821, après la création de
la Faculté de théologie, il avait porté le nombre des bourses
entières à douze et celui des demi-bourses à vingt-quatre;
les unes étaient de 400, les autres de 200 francs. Le Séminaire,
après avoir entendu la commission des finances, faisait les
présentations et le gouvernement nommait les boursiers.
A côté des bourses de PEtat, il y avait une série de
bourses fondées par des particuliers. La plupart d'entre elles
étaient administrées par des commissions spéciales coniposées
d'après les indications données par les testateurs et soumises
à la surveillance du Directoire et du Consistoire supérieur.
Deux de ces bourses seulement étaient gérées par le Sémi-
naire, la bourse Maurice et la fondation Schmutz. La pre-
mière, fondée à la fin du XVIe siècle par un chanoine du
chapitre de Saint-Pierre-le- Vieux, Maurice Ueberheu, dans
le but de donner des secours à huit écoliers ou étudiants, fils
de citoyens peu fortunés de Strasbourg, avait rendu pendant
deux siècles de grands services à la Ville et à l'Eglise. Des
savants, des pasteurs, des jurisconsultes et des médecins
avaient pu faire leurs études grâce à cette bourse, dont le
montant, d'abord fixé à 36 florins, fut successivement porté à
48 florins. Les pertes en argent subies pendant la Eévolution
et qui s'élevèrent à plus de 34.000 livres firent supprimer
les bourses. Une stricte économie permit depuis de reconsti-
tuer la fondation et d'accorder à huit élèves du Gymnase ime
bourse de 52 francs.
L'autre fondation, le legs Schmutz, était due à la géné-
rosité d'un licencié en droit, employé à la mairie de Stras-
bourg, L. Schmutz, qui, n'ayant pas d'héritiers directs, légua,
à sa mort, en 1826, au Séminaire sa modeste fortune. Il la
consacra, dans son testament, à des buts d'utilité publique. La
majeure partie était un capital de 22.000 francs, dont le revenu
devait former une bourse que le Séminaire décernerait à la
108 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STKASBOUKG
suite d^un concours sur une question théologique. Le prix,
donné deux fois en sept ans, consistait en une somme de
3000 francs, sans préjudice d'accessits plus ou moins nom-
breux. Mais les revenus s 'étant considérablemient accrus
dans le cours des années, le Séminaire décida en 1868 de
rendre le concours plus fréquent et d'établir cbaque fois
entre les concours dotés conformément à la lettre du testa-
ment, un autre avec un prix de 1500 francs.
Depuis 1861, les budgets et les comptes des autres fonda-
tions pieuses furent également soumis à l'examen du Sémi-
naire et, en 1866, une commission spéciale fut établie au sein
du Séminaire pour répartir les bourses de telle façon que la
volonté des donateurs fût respectée le plus possible et que
les mérites des solliciteurs fussent pris en sérieuse considé-
ration.
CHAPITRE VII ^)
La Création de la Faculté de théologie — Ses débuts
Le décret impérial du 17 mars 1808 portant organisation
de l'Université, disait: «Il y aura autant de Facultés de
théologie que d'églises métropolitaines, et il y en aura une
à Strasbourg et une à Genève pour la religion réformée ».
En attribuant ainsi les deux Facultés protestantes, ceUe de
Strasbourg et celle de Genève, à la «religion réformée», le
rédacteur du décret commettait, par ignorance sans doute,
une erreur qui devait amener des complications sérieuses.
Un second décret, du 17 septembre 1808, réglementant
l'Université, ordonnait que les candidats aux chaires des Fa-
cultés de Strasbourg et de Genève et de celle qui serait inces-
samment établie à Montauban, seraient présentés par les
présidents des Consistoires de ces trois villes. Le président
du Consistoire général de l'Eglise de la Confession d'Augs-
bourg à Strasbourg s'empressa donc d'adresser au grand
maître de l'Université une liste de présentation comprenant
les neuf noms suivants:
1. Jean-Georges Weber, ancien professeur en théologie
en la ci-devant Université de cette ville, et actuellement pro-
fesseur au Séminaire Protestant de la Confession d'Augs-
bourg à Strasbourg.
2. Jean-Laurent Blessig, également ancien professeur à
la ci-devant Université et professeur au Séminaire;
*) F. Lichtenberger, La Faculté de théologie de Strasbourg.
{Revue chrétienne XXII, p. 1 ss.)
110 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
3. Isaac Haffner, de même;
4. Jean-Georges DaJiler, prédicateur- vicaire et professeur
suppléant au Séminaire;
5. Charles-Maximilien Fritz, pasteur au Temple-Neuf
et professeur suppléant au Séminaire;
6. Jean- Jacques Beck, pasteur au Temple-Neuf;
7. Jean-Michel Emmerich, instituteur à la seconde section
du Séminaire appelée le Gymnase;
8. Jean-Jacques Gœpp, pasteur au Service français de
l'Eglise de Saint-Nicolas et aumônier protestant du Lycée;
9. François-Henri Redslob, maître de Pension et candidat
en théologie.
Le grand maître de l'Université, Fontanes, fit le meilleur
accueil à cette liste de présentation. Dans sa réponse au
président du Directoire, il lui disait: «Je nonmierai avec
confiance parmi les sujets que vous me présentez... Je désire
que mes choix vous soient agréables. » ^)
L'affaire semblait donc être en bonne voie quand le pré-
sident du Consistoire réformé de Strasbourg, s'appuyant sur
la lettre du décret du 17 mars, crut devoir présenter, de son
côté, une liste de candidats aux chaires du nouvel
établissement.
Le Directoire, prévoyant les difficultés qui pouvaient
naître de cette double présentation, crut utile d'éclairer le
grand maître sur la situation. Il y a, disait-il dans sa lettre
du 15 novembre 1808, dans les départements de l'Est deux
Eglises protestantes, l'une réformée, l'autre luthérienne, et la
loi organique du 18 germinal an X a soigneusement distingué
l'une de l'autre. L'article XII dit en effet: «Nul ne pourra
être élu ministre ou pasteur d'une Eglise de la Confession
d'Augsbourg s'il n'a étudié pendant un temps déterminé dans
un des séminaires français destinés à l'instruction des mi-
nistres de cette confession», et l'article XIII: « On ne pourra
être élu ministre ou pasteur d'une Eglise réformée sans avoir
étudié dans le Séminaire de Genève». Un de ces Séminaires,
disait-il encore, celui qui est mentionné à l'article XII, a
été établi à Strasbourg par décret consulaire du 30 floréal
an XI pour les protestants de la Confession d'Augsbourg, et
c'est conformément à la loi du 18 germinal an X et au décret
*) Lettre du 15 nov. 1808 (Arch. du Dir.).
LES CANDIDATS AUX CHAIRES DE LA FACULTE 111
du 30 floréal an XI que le Président du Directoire a présenté
les neuf candidats pour la Faculté luthérienne. Les décrets
du 17 mars et du 17 septembre ayant, d^autre part, confondu
les deux confessions protestantes sous la dénomination géné-
rale de «réformées», le Président du Consistoire réformé
de Strasbourg présente de son côté des candidats pour une
Faculté réformée. Mais la loi organique accordant aux deux
cultes des établissements d'enseignement, on ne peut croire
que Sa Majesté veuille exclure aujourd'hui celui de la Con-
fession d'Augsbourg de ses bienfaits.
Cette double présentation de candidats aux chaires de la
Faculté de théologie qu'on voulait créer ne laissait pas que de
causer au ministre de sérieux embarras. A qui fallait-il en-
tendre! Aux réformés ou aux luthériens? Ou bien aux uns
et aux autres! La solution la plus simple, la plus naturelle
de la question, celle à laquelle on devait s'arrêter dix ans
plus tard, lorsque la Faculté fut enfin établie, c'était de
créer une Faculté luthérienne, mais avec ime chaire spéciale
pour l'enseignement du dogme réformé. Elle avait été mise
en avant, et les réformés s'y étaient ralliés. Mais alors surgit
l'idée d'ime Faculté mixte, mi-luthérienne et mi-réformée.
Les inspecteurs généraux de l'Université qui vinrent à Stras-
bourg se prononcèrent dans ce sens, ils rédigèrent même un
projet de concordat qui devait servir de base à l'établissement
de la nouvelle Faculté de théologie.
D'après ce projet, la Faculté devait se composer de cinq
professeurs, dont trois appartenant à l'Eglise de la Confes-
sion d'Augsbourg et deux à l'Eglise réformée, et de cinq
adjoints, dont deux luthériens et trois réformés. Bien que
réunis dans un établissement commun, les deux confessions
devaient rester séparées à certains égards, d'abord pour l'en-
seignement de matières différentes, et puis surtout par l'im-
possibilité pour les professeurs réformés de participer aux
revenus des fondations protestantes, réservés aux seuls luthé-
riens. Le grand avantage de la fusion pour les étudiants
réformés serait de leur permettre de suivre les leçons des
professeurs luthériens sur les matières d'instruction commune
et d'être admis au collège de Saint-Guillaume aux mêmes
conditions que les étudiants luthériens.
Le Directoire, appelé à se prononcer sur ce projet, déclara
qu'il ne voyait pas volontiers cette réunion qu'il regardait
112 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOUKG
non seulement comme contraire à Tesprit de la loi sur les
cultes, mais aussi comme pouvant, tôt ou tard, prêter matière
à jalousie et à dissension entre les cultes». Toutefois, si le
grand maître et le Conseil de TUniversité impériale désiraient
réellement cette réunion, le Directoire ne voulait pas y faire
opposition, mais il refuserait d'admettre les cinq adjoints que
Ton proposait, et cela pour deux raisons; d'abord, parce qu'ils
étaient inutiles, les matières qui ne seraient pas traitées à la
Faculté étant enseignées au Séminaire, et ensuite, parce qu'une
Faculté de théologie composée de dix professeurs et adjoints
pourrait servir de prétexte pour toucher au Séminaire et à
son organisation. Dans tous les cas, le Directoire insistait
là-dessus, les professeurs réformés ne pourraient participer
aux revenus des fondations que les protestants de la Con-
fession d'Augsbourg doivent à la prévoyance de leurs an-
cêtres et dont la jouissance exclusive leur a été assurée par
toutes les lois existantes.
Le Directoire déclarait finalement qu'agissant au nom
de trente-trois églises consistoriales, il ne "pourrait traiter
cette affaire avec le seul président du Consistoire réformé de
Strasbourg, qu'il faudrait que toutes les églises consistoriales
allemandes du rite réformé situées sur la rive gauche du
Ehin, ou au moins le plus grand nombre d'elles, donnassent
leur adhésion à l'arrangement convenu.
Mais avant d'aller plus loin, le Directoire voulut con-
naître l'opinion des professeurs du Séminaire qui avaient
été proposés pour la nouvelle Faculté.
Les professeurs abondèrent dans le sens de la déclara-
tion du Directoire. « Nous souhaitons », écrivirent-ils, « que
le Directoire veuille déclarer franchement et expressément
qu'il ne voit pas volontiers cette réunion. » Ils admettaient
parfaitement l'idée d'un professeur réformé qui, dans la Fa-
culté luthérienne, enseignerait le dogme réformé, ferait subir
l'examen aux candidats et leur conférerait l'ordination. Cette
idée est sage, disaient-ils, elle est appliquée ailleurs, à Gœt-
tingue, à léna, elle remplit parfaitement le but voulu, sans
la moindre friction. Si l'on veut établir une Faculté réformée
à Strasbourg, que ce soit une Faculté « particulière et séparée ».
Il faut le dire sans réserve, comme sans aigreur: «Serait-il
juste que les chrétiens réformés jouissent à eux seuls et sans
aucun partage de 5 professeurs en théologie à Genève et de
PROTESTATION CONTRE L'ÉTABLISSEMENT D'uNE FACULTE MIXTE 113
10 à Montauban et que les Luthériens n'eussent dans tout
Tempire qu'une Faculté mi-partagée! » ')
Sans doute, si le grand maître ou le gouverneur désirait
réellement la réunion, il ne conviendrait pas aux professeurs
de faire de Topposition, ils seraient prêts à présenter au
Directoire leurs vues sur la répartition des cours^ sur les
examens et les actes académiques.
Plusieurs conférences eurent lieu avec les professeurs et
avec le pasteur Petersen, président du Consistoire réformé.
On ne parvint pas à s'entendre. Les luthériens, plus que
jamais, repoussaient le projet de la réunion des deux confes-
sions dans une seule et mêm^ Faculté. «Les réformés»,
disaient-ils, «ayant pour eux seuls, outre les Facultés de
Genève et de Montauban, toutes celles de la ci-devant Hol-
lande, parmi lesquelles celle d'Utrecht surtout est beaucoup
fréquentée par les Eéf ormes des pays de Deux-Ponts et de
l'ancien Palatinat, qui y ont une fondation considérable, il
paraît juste et même conforme au vrai sens de l'article 8 du
décret impérial du 17 mars 1808, que ceux de la Confession
d'Augsbourg aient une Faculté pour les trois Consistoires
généraux de Strasbourg, de Mayence et de Cologne et que
cette Faculté ne soit pas mixte. » ')
Avant d'informer l'inspecteur général Pictet, qui avait
chargé le président du Directoire de négocier cette affaire,
du résultat négatif obtenu, on voulut attendre l'arrivée du
secrétaire perpétuel de la première section de l'institut,
G. Cuvier, qui était annoncé et qu'on croyait autorisé à traiter
la question de la Faculté de théologie. Cuvier arriva au mois
de septembre 1811, et on reprit la discussion avec lui. Il
trouva qu'il serait juste que la Faculté ne fût pasi mixte et que
le pasteur Petersen se bornât à demander le titre de profes-
seur et la faculté d'enseigner la dogmatique d'après les
principes réformés et de délivrer aux élèves de ce culte des
certificats d'aptitude.
^) Délibération des Professeurs soussignés (Weber, Blessig, Haffner,
Dahler, Fritz) sur le projet d'une Faculté théologique composée de
membres de la Confession d'Augsbourg et helvétique (Arch. du Direct.
1811).
') Projet de lettre pour M. Pictet, inspecteur général de l'Université
impériale (Arch. du Dir.).
8
114 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOUKG
Les choses en restèrent là. Il ne fut plus question de la
nouvelle Faculté jusqu'à l'arrivée des inspecteurs généraux
en juin 1812. Alors les négociations recommencèrent. Les lu-
thériens persistèrent à demander une Faculté «pure et sans
mélange », et le pasteur Petersen déclara qu 'il se contenterait
de ce qu'on avait proposé en 1811. Blessig, sur l'invitation du
recteur, présenta alors un plan d'organisation de la Faculté;
il demandait cinq professeurs «qui seraient chargés d'en-
seigner toutes les parties que nous croyons nécessaires pour
la formation de bons ministres de notre culte». Ce plan fut
soumis aux inspecteurs généraux et au préfet. Ce dernier fit
observer que la nomination de cinq professeurs entraînerait
sans doute la suppression du Séminaire et la confiscation des
fondations protestantes. Les inspecteurs généraux furent du
même avis, et on résolut de laisser tomber toute l'affaire.
L'année d'après, la question fut pourtant remise en dis-
cussion, et elle le fut par les professeurs du Séminaire.
Le 15 septembre 1813, six d'entre eux, Blessig, Haffner,
Fritz, Schweighaeuser, Herrenschneider et Dahler, se ré-
unissaient pour délibérer sur l'urgente nécessité d'établir une
Faculté de théologie protestante à Strasbourg. S 'appuyant
sur les démarches faites et les résolutions prises depuis quatre
ans et sur les instructions récentes du ministre des cultes re-
latives à la collation des grades, ils demandèrent au Direc-
toire de proposer au grand maître la création d'une Faculté
comprenant quatre chaires et la nomination à ces chaires des
professeurs Blessig, Haffner, Fritz et Dahler.
Le Directoire adhéra à ce vœu. Il décida de renouveler
les démarches faites antérieurement auprès du grand maître
en faveur de la création d'une Faculté protestante de la Con-
fession d'Augsbourg et de lui présenter des candidats aux
quatre chaires dans lesquelles seraient enseignés le dogme,
la morale évangélique, l'histoire, la discipline ecclésiastique
et l'interprétation des Saintes Ecritures. Il proposait, lui
aussi, d'y nommer les professeurs Blessig, Haffner, Fritz
et Dahler. « Ces quatre ecclésiastiques », disait-il, « sont des
savants du premier mérite aussi recommandables par l'éten-
due et la diversité de leurs connaissances et par la solidité
et la clarté de leur enseignement que par leurs vertus. Ils sont
chers à leur auditeurs, considérés dans le public, estimés par
ceux qui savent apprécier les connaissances et les talents, en
LA CRÉATION DE LA FACULTE DEMANDEE AVEC INSTANCE 115
un mot, généralement estimés par les personnes de toutes les
croyances religieuses dans notre ville. »
Le Directoire ajoutait que Torganisation d'une Faculté
de théologie de la Confession d'Augsbourg ne saurait plus
être différée sans de graves inconvénients. Il était de toute
nécessité que les jeunes théologiens pussent acquérir les
grades universitaires. S'ils ne pouvaient les acquérir à Stras-
bourg, ils iraient à Brêine où une Faculté de théologie venait
d'être fondée, et Strasbourg serait délaissé. Ils préféraient
pourtant venir dans cette ville, «parce qu'ils y auraient la
facilité de se perfectionner dans la langue et la littérature
françaises ».
En envoyant cette lettre au conseiller G. Cuvier, avant
de la remettre au grand maître, le président du Directoire
protestait une fois de plus contre l'idée d'une Faculté mixte.
«Nous demiandons cette Faculté sans aucun mélange
quelconque. Vous connaissez les tentatives qui ont été faites
pour opérer un amalgame, mais nous croirions devoir nous
y opposer de toutes nos forces si on voulait y revenir. Pour-
quoi aussi les partisans de la Confession d'Augsbourg, au-
jourd'hui très nombreux dans l'Empire français, n'auraient-
ils pas à eux une Faculté de théologie uniquement composée
de professeurs de leur culte, tandis que les protestants du
culte dit réformé ont la Faculté de Genève et le Séminaire de
Montauban, avec un grand nombre de professeurs, et la Fa-
culté de Leyde et de Grœningen. »
« Nous désirons bien fortement », concluait le président,
«d'obtenir les quatre chaires et cela dans l'ordre dans lequel
elles sont demandées, et il nous importe infiniment que ce
soient MM. Blessig, Haffner, Dahler et Fritz que S. E. le
grand maître appelle à ces chaires. Le vœu unanime de toutes
les personnes qui prennent part au succès de cette affaire, est
encore que M. Blessig soit nommé doyen de la Faculté. H le
mérite à tous égards, par son ancienneté dans l'enseignement,
par son âge supérieur à celui des autres, même par sa place
au Directoire dont il est membre né, en sa qualité de Premier
Inspecteur ecclésiastique dans le ressort du Consistoire gé-
néral. »0.
*) A Monsieur Cuvier, Maître des requêtes. Conseiller titulaire de
VUniversité Impériale etc. (Arch. du Dir.).
8*
116 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
Les candidats que présentait maintenant le Directoire,
au nombre de douze, étaient, outre les professeurs Blessig,
Haffner, Dahler et Fritz, et les professeurs suppléants au
Séminaire, Redslob et Emmerich, les pasteurs Beck du
Temple-Neuf, Engel de l'église Saint-Thomas et Schweickard
de réglise Saint-Nicolas, et les «répétiteurs» au Gymnase
protestant Emmerich, Lichtenberger et Aufschlager.
En présentant cette liste au grand maître, le président eut
pourtant soin de lui faire remarquer que «leurs connais-
sances, leurs talents et leur aptitude à renseignemjent, met-
taient les candidats à une certaine distance l'un de l'autre».
Il était évident que les seuls candidats aptes à occuper une
chaire de Faculté étaient ceux qui avaient fait leur preuve
dans l'enseignement universitaire et que le Directoire avait
placés en tête de sa liste.
C'est à eux seuls aussi que le Directoire demanda une dé-
claration qui, à son avis, aiderait à lever les difficultés que
pourrait faire naître la question des traitements des profes-
seurs et des frais généraux de la nouvelle Faculté.
Dans cette déclaration du 11 octobre 1813, les professeurs
Blessig et Haffner, Fritz et Dahler disaient qu'au cas oii ils
seraient nommés membres de la Faculté de théologie, ils
se contenteraient «des revenus ordinaires dont jouissent
les usufruitiers de la fondation de Saint-Thomas, sans aug-
mentation » sous les réserves toutefois : 1. que le montant des
inscriptions et des rétributions pour les examens fût laissé à
la disposition de la Faculté; 2. qu'ils continueraient de toucher
les honoraires pour les cours qu'ils donneraient comme
membres du Séminaire; 3. que les frais du grand costume
qui leur était prescrit fût à la charge de la fondation, qui
resterait propriétaire de ces costumes; 4. que les frais de
bureau et toutes les dépenses extraordinaires et imprévues
relatives à la Faculté et à ses rapports avec l'Université im-
périale seraient également portés par la fondation de Saint-
Thomas.
Une nouvelle déclaration faite par les mêmes à la date du
25 janvier 1814 disait encore qu'au cas où ils seraient
nommés membres de la Faculté, ils ne demanderaient pas
à être augmentés dans leur traitement par la fondation de
Saint-Thomas.
Les événements de l'année 1814 interrompirent les né-
LA QUESTION DE LA FACULTE KEPRISE EN 1818 117
gociations relatives à la création d'une Faculté protestante.
Après la chute de Napoléon et pendant les années qui sui-
virent, il n'en fut plus question. La Restauration, qui affec-
tait d'ignorer tout ce qui avait été projeté ou exécuté sous
l'Empire et qui, d'ailleurs, était peu favorable aux protes-
tants, n'avait aucun intérêt à les doter d'une Faculté de théo-
logie.
Ce n'est qu'en 1818, lors de la réorganisation de l'ins-
truction publique, que la question de la Faculté protestante
surgit à nouveau. L'annonce de la création prochaine de cet
établissement ne fut pourtant pas accueillie par les protes-
tants avec la satisfaction qu'on aurait pu croire. Ils crai-
gnaient, et avec quelque raison, que la liberté de l'enseigne-
ment ne fût entravée; ils se demandaient même si le Sémi-
naire ne serait pas menacé dans son existence. «Nous avons
été prévenus» écrivait le 29 juin 1818 le Vice-directeur du
Séminaire au président et aux niembres du Directoire, « que,
dans la nouvelle organisation de l'instruction publique, dont
le projet est déjà imprimé et distribué aux membres du Con-
seil d'Etat, mais que l'on tient encore secret, il est question
de la formation d'une Faculté de théologie dans l'Académie
Royale de Strasbourg, et plusieurs avis nous font craindre
que cette formation ne soit proposée d'une manière qui pour-
rait compromettre la liberté de notre enseignement religieux,
ou même la conservation intacte du principal établissement
de notre instruction tant théologique que préparatoire. Le
Séminaire a, en conséquence, délibéré sur les mesures qui
pourraient être à prendre pour éviter que cette organisation
ne tourne à notre désavantage, et il s'est trouvé que l'opinion
unanime des membres de ce corps est qu'il serait plutôt à
désirer que l'érection d'une telle Faculté n'ait pas lieu du
tout et que les choses restent dans l'état où elles sont aictuel-
lement. » *)
Un mémoire joint à cette lettre et destiné à être soumis
au ministre, donnait sur l'organisation du Séminaire les ren-
seignements nécessaires et concluait «que cette organisation
n'appelait aucun changement et qu'on ne pourrait y intro-
duire des modifications essentielles sans blesser la liberté re-
*) Réflexions sur la formation d'une Faculté de théologie projetée
par la Commission de Vlnstruction publique (Arch. du Dir.).
118 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
ligieuse et sans compromettre Tétat florissant d'un établisse-
ment unique en son genre». «Les raisons que nous venons
d'exposer», disait-il en terminant, «réclament en sa faveur
une exception de l'assujettissement général au régime de
l'Université comme une justice qu'un Gouvernement qui a ad-
mis en principe la liberté des cultes, l'observation religieuse
des traités et la protection de toutes les institutions utiles et
respectables, ne saurait nous refuser.»
Ce mémoire devait être présenté au ministre, à M. Royer-
Collard, président de la Commission royale de l'Instruction
publique, et à M. Cuvier, membre de cette Commission. On
en conféra aussi avec l'inspecteur général de l'Université, à
son passage à Strasbourg. Ces démarches pourtant n'abou-
tirent pas. Le 2 novembre, la Commission de l'Instruction
publique avisait le président du Directoire qu'elle s'était oc-
cupée, sur l'invitation du ministre de l'Intérieur, d'établir à
Strasbourg la Faculté de théologie de la Confession d'Augs-
bourg voulue par le décret du 17 mars 1808 et qu'elle avait
pensé que le meilleur moyen de concilier tous les intérêts et
de prévenir toutes les discussions serait d'affecter les fonc-
tions de membres de la Faculté à trois des chaires du Sémi-
naire. Il suffirait que le président du Directoire indiquât à
la Commission les trois professeurs du Séminaire qui pour-
raient le mieux remiplir la place de doyen et celles de profes-
seurs pour la dogmatique, l'histoire ecclésiastique et la mo-
rale. La Commission communiquait en même temps aiu Di-
rectoire un projet d'organisation de la Faculté qu'elle sou-
mettrait à la sanction du ministre, après s'être assuré qu'il
répondait aux vœux de l'autorité ecclésiastique.
Le Directoire ayant répondu qu'il ne trouvait rien à
redire à un projet qui « remplissait entièrement ses vœux »,
la Commission de l'instruction publique prit, le 7 décembre
1818, un arrêté portant organisation de la Faculté de théo-
logie protestante de Strasbourg, qui, en huit articles, con-
tenait les dispositions suivantes:
«Art. I^^. — La Faculté de Théologie protestante de
Strasbourg sera composée de trois professeurs, savoir: un
professeur du dogme, un professeur d'histoire ecclésiastique
et un professeur de morale évangelique.
« Art. IL — Trois chaires actuellement établies au Grand
Séminaire de la Confession d'Augsbourg sont érigées en
l'akrêté portant organisation de la faculté 119
chaires de Faculté, et leurs titulaires composeront ladite Fa-
culté. Ils ne seront tenus à d^autre enseignement qu'à celui
qui se fait audit Séminaire.
«Art. III. — La Faculté procédera aux examens et col-
lations de grade sous Pinspection du Recteur ou de Plnspec-
teur qu'il déléguera à cet effet, et d'après les règlements à
introduire.
«Art. IV. — Les professeurs recevront de la caisse de
l'Instruction publique un traitement annuel de 1000 francs
chacun. Le Doyen aura un préciput de 500 francs.
«Art. V. — Les recettes éventuelles seront faites pour
le compte de l'Université.
«Art. VI. — Pour la première formation, le Directoire
du Consistoire Général de la Confession d'Augsbourg pré-
sentera à la Commission, entre les professeurs actuels du
Séminaire, les trois sujets qui lui paraîtront les plus propres
à faire partie de la Faculté.
«Art. VII. — A l'avenir, le Directoire présentera pour
chaque place vacante trois sujets entre lesquels la Faculté
choisira au concours, conformément à l'article VII du décret
du 17 mars 1808. Le sujet nommé sera à la fois professeur
au Séminaire et à la Faculté. Il sera institué en cette dernière
qualité par l'autorité universitaire.
«Art. VIII. — Le présent arrêté recevra son exécution
après que le Directoire aura donné son assentiment formel
aux sept premiers articles du dit arrêté, et qu'il aura été
revêtu dei l'approbation de S. E. le Ministre de l'Intérieur. » *)
Le Directoire, dans sa séance du 13 janvier 1819, donnait
son assentiment à cet arrêté, et le 10 avril 1819, le ministre,
comte de Cazc, l'approuvait à son tour. Il annonçait en même
temps qu'il serait pourvu ultérieurement à l'établissement,
près de la nouvelle Faculté «d'une chaire de dogme pour le
culte calviniste ». *)
Quelques jours plus tard, le 26 avril, la Commission de
l'instruction publique arrêtait la composition de la Faculté:
se conformant aux présentations faites par le Consistoire
général, elle nommait Hafïner professeur de dogme et doyen
de la Faculté; Fritz, professeur de morale évangélique;
*) Extrait du Begîstre des Délibérations de la Commission de Vins-
iruction publique (Arch. nat.).
120 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOUEG
Dahler, professeur d'histoire ecclésiastique, et Eedslob, sup-
pléant et secrétaire de la Faculté.
Cette distribution des chaires était loin de satisfaire tout
le monde. Le Séminaire fit remarquer que le professeur Dahler
se trouvait, contrairement à l'article II de l'arrêté du 7 dé-
cembre 1818, chargé d'un enseignement autre que celui qu'il
donnait au Séminaire et que la chaire d'exégèse, si impor-
tante, était omise dans l'organisation de la Faculté. Il
pria le Directoire d'intervenir auprès de la Commission
de l'instruction publique pour qu'elle conservât à Dahler
la chaire d'exégèse qu'il occupait au Séminaire avec tant de
distinction, d'autant plus que le cours d'histoire ecclésias-
tique donné au Séminaire par un savant des plus compétents
pouvait parfaitement suffire.
Le Directoire, «dans l'intérêt même du Séminaire», ne
crut pas devoir accéder à cette demiande. Il avait déclaré, nous
l'avons vu, que le projet d'organisation de la Faculté que lui
avait présenté la Commission de l'instruction publique rem-
plissait entièrement ses vœux; il changea pourtant, paraît-il,
d'avis, et, sous l'influence de l'opinion générale, il comprit
qu'une Faculté de trois chaires ne répondait pas aux exigences
de l'enseignement théologique. Nous lisons, en eiïet, dans un
rapport adressé par le recteur de l'Académie de Strasbourg
au ministre *) : « Il (le projet) n'est pas goûté, surtout parce
qu'il est incomplet. — Ceux qui l'ont adopté, mais avec ré-
pugnance, ont cru devoir l'adopter tel qu'il était pour y mettre
du leur le moins possible. — D'autres pensent qu'une loi doit
être exécutée, qu'il faut faire à Strasbourg ce qui se fait à
Paris, à Montauban, et qu'il faudrait d'ailleurs l'ordonner,
s'il n'y avait pas des ordres antérieurs, pensant encore qu'il
ne faut pas faire à demi et qu'une Faculté de théologie pro-
testante réduite à trois personnes, serait trop disparate avec
les établissements de l'Allemagne pour qu'elle ne fût pas
jugée avec sévérité. Ils sont donc d'avis 'qu'il ne faut pas
moins de cinq professeurs, nombre qui existe à Montauban»^).
Dans ime lettre du 12 juillet 1819, le recteur revient sur cette
*) Le rapport, sans date, est probablement de décembre 1818, car il
est accompagné d'un brouillon de réponse adressé de Paris au Recteur
à la date du 15 janvier 1819.
') Archives nationales.
INSTANCES POUR OBTENIR UNE FACULTE PLUS COMPLETE 121
question et fait remarquer que le doyen de la Faculté de
théologie estime qu'une chaire d'exégèse est essentiellement
nécessaire. « Tant que cette chaire manquera, la Faculté doit
être regardée comme incomplète » '). Il propose finalement de
nommer à côté de Haffner pour le dogmie, de Fritz pour la
morale et de Dahler pour l'exégèse, Eedslob pour les sciences
pastorales et Emmerich pour l'histoire ecclésiastique.
La Commission de l'instruction publique se montrait
pourtant peu disposée à donner une plus grande extension à
la nouvelle Faculté. Elle s'impatientait des réclamations qui
venaient du Séminaire et du Directoire et dont le recteur se
faisait l'écho, comme le prouve cette note marginale accolée
au rapport de janvier 1819: «Répondre que le grand point
est d'avoir une Faculté existante, que le moment étant favo-
rable, on le prie de ne pas chercher le mieux de crainte de
manquer le bien. » ')
Cependant les réclamations continuaient; le 24 octobre
1819, le recteur plaidait encore une fois en faveur de l'érec-
tion de deux nouvelles chaires dans la Faculté protestante.
« Nos Messieurs », disait-il, « la regardent comme indispen-
sable; ils ne savent trop que dire à leurs collègues d'outre-
Ehin qui leur demandent comment une Faculté aussi réduite
peut suffire à l'enseignement protestant. — M. Dahler chargé
de l'Histoire, fera mial ce cours que M. Emmerich fera d'une
manière distinguée, et pour que la question de finance ne
vienne pas compliquer l'affaire, j'ajouterai que pour nommer
M. Redslob professeur en pied et M. Emmerich professeur, il
ne faudrait que 1.000 francs en plus du budget de l'an
dernier. » ')
A ces instances réitérées et de plus en plus pressantes, il
fallut finalement céder. Le 13 novembre 1819, la Commission
de l'instruction publique informait le recteur de l'Académie
de Strasbourg qu 'elle avait pris en considération les instances
faites par le Consistoire général et qu'elle avait arrêté les
dispositions nécessaires pour compléter renseignement de la
Faculté de théologie. Elle le chargait d'installer en qualité
de professeurs Eedslob et Emmerich.
*) Lettre du Recteur (Arch. nat).
^) Arch. nat.
') Lettre du Recteur de V Académie de Strasbourg à M. G. Cuvier
(Arch. nat.).
122 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
Le 10 décembre suivant, le recteur de P Académie donnait
connaissance au président du Directoire de l'arrêté du 28 no-
vembre 1819, par lequel le Conseil royal de Tinstruction
publique nommait M. Richard professeur de dogmatique de
la Confession helvétique près de la Faculté.
La Faculté de théologie de Strasbourg se trouva, dans les
derniers jours de Pannée 1819, définitivement constituée avec
six chaires pour l'enseignement 1. du dogme luthérien; 2. de
la morale évangélique; 3. de Texégèse biblique; 4. de l'his-
toire de l'Eglise; 5. de l'éloquence sacrée, et 6. du dogme ré-
formé. Des six professeurs nommés à ces chaires, cinq, ceux
qui appartenaient à l'Eglise de la Confession d'Augsbourg,
Haffner, Fritz, Dahler, Redslob et Emtaierich, étaient en même
temps professeurs au Séminaire et, comme tels, chanoines de
Saint-Thomas; le sixième, Richard, qui appartenait à l'Eglise
réformée, était professeur à la Faculté seulement et ne par-
ticipait pas aux revenus des fondations protestantes.
On s'était d'ailleurs beaucoup préoccupé dans la Com-
mission de l'instruction publique de la manière de régler les
rapports du professeur réformé avec les autres professeurs de
la Faculté, et on avait cru, pour prévenir tout frottement et
tout conflit, devoir élever entre eux une barrière infranchis-
sable. La Faculté, invitée à donner son avis à ce sujet, avait
fait cette réponse : « Moins il y aura de contact entre les pro-
fesseurs protestants (luthériens) et leur collègue réformé, plus
le maintien de l'harmonie entre les deux partis sera assuré.
Les Eglises étant séparées, il s'en suit que les professeurs des
deux cultes doivent également faire ménage à part», et dans
le projet d'un arrêté pour régler la question, cette idée d'une
stricte séparation avait été accentuée davantage encore:
« Pour prévenir les collisions de droit et les froissements entre
les deux cultes», y était-il dit, «leurs professeurs resteront
parfaitement séparés. Le professeur réformé viendra à la
Faculté de théologie protestante uniquement pour donner son
cours; il n'aura rien de commun avec elle pour tout le reste,
ni pour la discipline, ni pour l'administration, ni pour la
direction des études. Il en sera de mêmie de la part de la Fa-
culté protestante pour tout ce qui regarde les affaires du culte
réformé. »
L'arrêté pris le 13 octobre 1819 par la Commission de
l'instruction publique pour régler «les Rapports de la chaire
LE PKOFESSEUK REFORME A LA FACULTE 123
helvétique avec le reste de la Faculté» n'allait pas aussi loin
que le projet Tl portait, avant tout, que les élèves protestants
(luthériens) seraient tenus de suivre le cours de dogmatique
du professeur protestant et les élèves réformés celui du pro-
fesseur réformé, et que, pour être admis aux examens pour
les grades académiques, les candidats réformés devraient
apporter un certificat d'aptitude délivré par leur professeur.
Pour le reste, l'arrêté statuait que la Faculté ne s'immis-
cerait pas dans l'enseignement particulier confié au profes-
seur du dogme réformé et que celui-ci respecterait les règle-
ments adoptés par la Faculté sur l'enseignement et la disci-
pline. H resterait étranger à l'administration et ne pourrait
être doyen. Il ne serait pas agrégé aux professeurs du Sémi-
naire et n'aurait point part aux avantages dont ceux-ci
jouissaient en cette qualité.
Ces dispositions, qui isolaient le professeur réformé de ses
collègues luthériens et lui assignaient sa place à côté plutôt
que dans la Faculté, ne purent être appliquées rigoureuse-
ment. Le contact entre les représentants des deux confessions
était trop fréquent, dans les délibérations sur les affaires de
la Faculté, dans la présentation aux chaires vacantes, dans les
cas de discipline, dans les soutenances de thèses par des can-
didats luthériens et réformés, dans d'autres occasions encore,
pour qu'on pût songer à maintenir la séparation que l'arrêté
de 1819 avait recommandée. Les dispositions de cet arrêté
tombèrent l'une après l'autre dans le cours des années, sauf
celle qui excluait le professeur réformé de la participation
aux avantages matériels dont jouissaient les membres du Sé-
minaire, et quand Sabatier arriva à la Faculté comme suc-
cesseur de Richard, il fut accueilli par les professeurs luthé-
riens comme un collaborateur utile et travailla avec eux la
main dans la main.
II
Les commencements de la Faculté qui devait plus tard ac-
quérir une si grande et si juste renommée, ne furent rien
moins que brillants. Le doyen Haffner avait soixante-dix ans.
Fatigué, retiré du monde, nmis bourreau de lecture comme
autrefois et d'une curiosité insatiable, il vivait dans sa magni-
fique bibliothèque, au milieu de ses livres. Il continuait pour-
124 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STKASBOUEG
tant à faire ses cours de dogmatique, d'histoire des dogmes
et d'introduction au Nouveau Testament et à expliquer les
livres du Nouveau Testament, à Texception des quatre Evan-
giles qu'il n'interpréta jamais. En dogmatique, il lisait ses
anciens cahiers, sans rien y changer. C'était un rationalisme
critique, peu conséquent d'ailleurs et peu destructif. Quant à
son exégèse, elle était essentiellement philologique: il ne
cherchait pas à pénétrer le fond de la pensée religieuse des
auteurs qu'il expliquait, ni à découvrir l'élément mystique et
spéculatif de leurs écrits. Dans son introduction au Nouveau
Testament, il se montrait plutôt conservateur: les grandes
questions que la critique sacrée commençait à agiter en Alle-
magne, les problèmes délicats et complexes que soulève
l'étude des Evangiles, étaient ignorés de lui. Son influence
pourtant n 'en était pas diminuée. On n 'oubliait pas les grands
services que, dans des moments difficiles, il avait rendus à
l'Académie protestante et à l'Eglise d'Alsace tout entière, ni
la courageuse fermeté qu'il avait montrée à l'époque de la
Terreur, et on l'entourait d'une haute estime et d'une vénéra-
tion profonde.
Chez Dahler aussi, et plus encore que chez Haffner, l'âge
se faisait sentir. Il continuait pourtant ses leçons comme par
le passé, donnant chaque année un cours d'introduction à
l'Ancien Testament et expliquant, dans un cycle de trois ans,
invariablement les Psaumes, Esaïe et les petits prophètes.
Mais malgré une érudition qui était bien réelle, et malgré la
conscience qu'il apportait dans la préparation de ses leçons,
il ne parvenait plus à intéresser ses élèves aux matières qu'il
traitait devant eux. « C'était », dit l'un de ses auditeurs, « le
professeur le plus ennuyeux que j'aie rencontré de ma vie. »
Reuss, dans ses Ménioires, a fait du vieux maître et de son
auditoire, dans les dernières années de sa longue carrière,
une description intéressante:
« Il était assis », dit-il, « derrière une petite table, la tête
fortement inclinée, les deux mains dans son giron, les jambes
bottées croisées, et il nous lisait sa science sur de petits bouts
de papier couverts d'une écriture lilliputienne... Nous étions
d'ordinaire une trentaine. Le professeur avait la liste de ses
auditeurs et il les invitait à tour de rôle, mais invariablement
dans le même ordre, à traduire un verset du texte sacré. Cha-
cun savait donc d'avance quel verset lui incomberait. Ce
LES DEBUTS DE LA FACULTÉ 125
n'était pourtant pas une raison pour le préparer, mais seule-
ment pour s'arranger de façon à ce que la version de Luther,
qui circulait parmi nous, se trouvât là au bon moment pour y
lire la traduction allemande. Comme on ne traduisait jamais
plus de quinze versets, la moitié des auditeurs pouvaient
rester tranquillement chez eux, et ils ne s'en faisaient pas
faute. Souvent aussi, les élèves, après avoir traduit leur verset,
s'en allaient. Dahler ne s'en apercevait pas ou affectait de ne
pas s'en apercevoir. »
Dans son cours d'introduction aux livres de l'Ancien Tes-
tament, Dahler reproduisait, mais après les avoir conscien-
cieusement revues, les opinions d'Eichhorn, qui avait été son
maître à Gœttingue. Il dictait son cours, mais les auditeurs
n'écrivaient guère sous sa dictée. «Pour lors», dit Reuss,
«nous étions parqués dans une petite salle qui était si judi-
cieusement aménagée que la moitié des auditeurs tournaient le
dos au professeur. Pour nous désennuyer, nous imaginâmes de
rédiger un journal. Il avait pour titre « L 'Antihypochon-
driacus ». Chaque semaine paraissait un numéro en prose ou
en vers, avec de bonnes plaisanteries sur Dahler et sur son
épouse avare... Nous tracions aussi des damiers sur les tables
et jouions pendant la leçon. » ^)
Les cours du troisième professeur de la Faculté étaient
plus intéressants que ceux de Dahler et, partant, mieux suivis.
Fritz n'avait pas de qualités brillantes, mais il était sensé,
consciencieux, plein de zèle. « Chez lui, on apprenait quelque
chose», dit Bruch. Il expliquait les Evangiles, enseignait la
morale chrétienne et faisait un cours de catéchétique. « C 'était
son meilleur cours », dit encore Bruch, « aussi y eut-il parmi les
étudiants quelques-uns qui le suivirent deux fois. Après nous
avoir exposé la théorie, il nous faisait faire des catéchèses
écrites et catéchiser des élèves de l'école Saint-Thomas. Il
préconisait la méthode socratique et cherchait à réveiller la
réflexion chez les enfants. » ')
A côté de Haffner, de Dahler et de Fritz, il y avait heu-
reusement à la Faculté deux maîtres plus jeunes dont les
leçons étaient hautement appréciées, et qui, par les qualités du
*) Ed. Reuss, loc. cit.
*) J.-F. Bruch, loc. cit.
126 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
cœur plus encore que par celles de l'esprit, exerçaient sur leurs
élèves une action des plus salutaires, Redslob et Emmerich.
Eedslob avait donné et donnait encore au Séminaire un
cours de morale philosophique et un autre de psychologie, ce
dernier, nous l'avons vu, avec un immense succès. A la Fa-
culté, il se trouva chargé du cours d'homilétique. Prédica-
teur distingué, portant dans la chaire une parole simple,
chaude, pleine d'onction, il était plus qualifié que tout autre
pour cet enseignement si important. Il semble pourtant n'a-
voir pas répondu entièrement à ce qu'on attendait de lui. Il
s'occupait, au dire d'un de ses élèves, de la formie du sermon
plus que de son contenu, et n'exerçait pas, par ses leçons, sur
les jeunes théologiens destinés à devenir des prédicateurs de
l'Evangile, toute l'influence qu'il aurait pu avoir.*)
Mais d'une façon générale, son action sur ses élèves était
puissante, et cela d 'autant plus « qu 'il ne se bornait pas à les
instruire, à intéresser leur esprit et à nourrir leur ardente
curiosité, mais que, les aimant de toute son âme, il savait se
les attacher par les liens de l'affection et de la reconnais-
sance. » *)
Emmerich, bien que beaucoup plus jeune que ses col-
lègues — il avait alors trente-quatre ans — , appartenait, lui
aussi, par son esprit et son caractère, par ses idées et ses ten-
dances, à cette génération de savants qui avait ses racines
dams le dix-huitième siècle. Son cours d'histoire ecclésiastique,
consciencieusement préparé et basé sur de fortes études, était
jugé excellent par ses contemporains. Ce qui lui gagnait le
cœur des meilleurs parmi les étudiants en théologie, ce n'était
pourtant pas sa science ni sa méthode, c'était sa noble et pure
individualité. « Emlnerich », dit Eeuss, « était un savant, mais
sa vraie valeur n'était pas dans sa tête, elle était dans son
cœur. Ce n'est pas la chaire académique, mais la chaire chré-
tienne, la place que la nature ou la providence lui avait
assignée, et il la remplissait complètement. » ')
Emmerich était, en effet, un prédicateur de talent et qui
parlait au cœur. Appelé, en 1818, par le conseil presbytéral
*) Ed. Reuss, loc. cit,
*) Willm, Discours pour rendre les derniers honneurs à M. Fran-
çois-Henri Redslob, p. 27 s.
•) Ed. Reuss, loc. cit.
\
KEDSLOB ET EMlVrERICH 127
de l'église Saint-Thomas à une place de pasteur à cette église,
il réunit tout de suite autour de sa chaire un auditoire nom-
breux et sympathique, et qui lui resta fidèle jusqu'au bout.
Mais son activité dans la chaire chrétienne et dans la
chaire académique ne fut que de courte durée. La double
charge du pastorat et du professorat était trop lourde, ses
forces physiques n'y purent suffire. La douleur qu'il res-
sentit de la mort d'une sœur aimée et de celle de son excellent
père, qui se suivirent de près, contribua à aggraver le mal qui
le minait depuis longtemps et hâta sa fin. Il mourut le l^'" juin
1820, après de longues souffi^ances supportées avec une pieuse
résignation, vivement regretté de ses collègues, de ses élèves
et de tous ceux qui l'avaient connu.
Telle était la physionomie de la Faculté de théologie dans
la première année de son existence. Elle allait changer par la
mort d'Emmerich et par celle de Fritz, arrivée le 15 janvier
1821, et par la nomination de professeurs plus jeunes et
animés d'un esprit différent.
DEUXIÈME PÉRIODE
1821-1864
CHAPITRE I
Hommes nouveaiix et nouvel esprit — Matter et Bruoli
Eenforoement du corps enseignant par des professeurs suppléants
ou agrégés: Théodore Fritz, André Jung, Joseph Willm
Jusqu'en 1820, les chaires du Séminaire et de la nouvelle
Faculté de théologie avaient été occupées par des hommes
d'un âge avancé et qui, presque tous, avaient appartenu à
l'ancienne Université de Strasbourg. Us joignaient au mérite
d'une vaste érudition celui d'une forte culture classique, mais
ils étaient restés attachés aux méthodes et aux idées du passé
et se .montraient peu disposés à adopter les idées et les
méthodes nouvelles, qui, à ce moment même, sous l'influence
de Schleiermacher et de De Wette, se répandaient en Alle-
magne et aboutissaient à un renouvellement de la science
théologique.
Mais l'année 1820 amena des changements dans le per-
sonnel enseignant au Séminaire et à la Faculté. Des hommes
plus jeunes vinrent occuper les chaires devenues vacantes.
Us y apportèrent un esprit progressif avec des habitudes
scientifiques nouvelles. Sans doute, ils professaient, presque
tous le rationalisme, mlais ils n'étaient pas restés complète-
ment étrangers à la tendance mystique de Schleiermacher, et
ils se distinguaient de leurs collègues plus âgés par une
méthode plus psychologique, un esprit plus systématique et
une culture philosophique plus profonde.
HOMMES NOUVEAUX ET NOUVEL ESPRIT 129
Parmi eux, on comptait à la Faculté de théologie le
professeur du dogme réformé, Mathias Eichard^. Il était
né le 25 mars 1795 à Mulhouse et était fils de pasteur. Bien
que Mulhouse de cité helvétique fût devenue ville française,
le jeune Richard alla faire ses études à Berne et à Genève,
avec l'aide d'une de ces bourses que les «Réfugiés» avaient
fondées au seizième siècle en faveur des étudiants français.
Richard terminait ses études universitaires au moment où
les Bourbons, après la restauration, rétablissaient les régi-
ments suisses; il fut adjoint, comme aumônier à l'un d'eux,
au régiment Steiger, qui tint successivement garnison à
Besançon, à Strasbourg, à Perpignan et à Toulouse. Durant
son séjour à Strasbourg, il prêcha à plusieurs reprises au
Temple réformé avec beaucoup de succès. C'était, paraît-il,
un prédicateur de talent qui entraînait ses auditeurs. Aussi,
lorsqu'en 1820 le pasteur Petersen vint à mourir, le Consis-
toire réformé appela Richard à lui succéder, bien qu'il n'eût
que vingt-cinq ans, et la même année une ordonnance royale
du 28 novembre le nomma à la chaire de dogmatique réformée,
qui avait été destinée au pasteur Petersen.
Richard était un rationaliste décidé; mais il n'était pas
alors froid et sec comme il le fut plus tard. Cependant son
influence dans la Faculté n'était pas grande. Il avait peu
d'auditeurs. Les étudiants alsaciens appartenant à l'Eglise
réformée n'étaient pas nombreux et suivaient d'ailleurs de
préférence le cours de Haffner, qui se faisait en langue alle-
mande. Richard fut dès le principe et resta dans la suite,
avec de rares exceptions, une « voix clamant dans le désert »,
ce qui n'était pas fait pour stimuler son activité.
Deux autres nominations qui se suivirent de près dans
la Faculté de théologie, eurent une plus grande importance,
celle de Matter, qui, en 1820, fut appelé à remplacer Emmerich
dans la chaire d'histoire ecclésiastique, et celle de Bruch, qui,
en 1821, succéda à Fritz dans la chaire de morale.
Jacques Matter, fils d'un cultivateur, était né le 31 mai
1791 au village d'Alteckendorf, dans le département du Bas-
Rhin. L'enfant, remarquablement doué, trouva un généreux
*) Voy. A. Paira, M. Richard, ancien pasteur de VEglise réformée
et professeur de la Faculté de théologie de Strasbourg, dans le Progrès
Religieux, 1869, p. 51 ss.
130 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRA.SBOUKG
instituteur dans le pasteur de l'endroit, qui lui enseigna les
éléments de la langue latine. Après sa confirmation, il entra au
Gymnase protestant de Strasbourg et, ses classes terminées,
il étudia la théologie et les lettres, vers lesquelles l'entraînait
une vocation naturelle. En quittant les bancs de l'école, il
fut nommé «vicaire», c'est-à-dire aide, au Gymnase. L'an
d'après, il devint vice-pédagogue du Collège de Saint-
Guillaume et régent provisoire de la classe élémentaire du
Gymnase et, en 1813, après le départ du maître de français,
le Montbéliardais Lalance, répétiteur de l'« Ecole française».
En 1814, il obtint un congé pour visiter une Université alle-
mande et la capitale de la France. Il se rendit d'abord à
Gœttingue, où il suivit les leçons de Bouterweck, de Heeren
et d'Eichhorn, puis à Paris, où il fréquenta les cours de la
Faculté des lettres et du Collège de France. Il y conquit
le grade de docteur ès-lettres. A son retour à Strasbourg,
en 1816, le Séminaire lui confia, « à cause de son accent pur »,
l'enseignement du français au Gymnase. Mais, dès 1818, il
quitta la vieille école de Sturm pour accepter une place de
régent au Collège royal. La même année, il obtint du
Séminaire l'autorisation de faire aux étudiants un cours
d'histoire de la philosophie. Il avait à ce moment déjà,
malgré son jeune âge, acquis un certain renom dans les
lettres: son Essai historique sur l'Ecole d'Alexandrie venait
d'être couronné par l'Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres. Aussi, quand Emmerich, chargé de suppléer Weber
dans l'enseignement de l'histoire ecclésiastique, vint à suc-
comber au mal qui le rongeait depuis des mois, le Séminaire,
d'un commun accord, désigna Matter comme «le seul auquel
on pourrait confier en ce moment l'enseignement de cette
partie». Il fut nommé professeur suppléant. Deux mois
après, le 30 août 1820, la Commission de l'instruction pu-
blique le nommait professeur d'histoire ecclésiastique à la
Faculté de théologie en remplacement d 'Emmerich, et quel-
ques semaines plus tard, le Séminaire l'appelait à la chaire
devenue vacante par la mort de Weber. A vingt-neuf ans,
il se trouvait professeur titulaire à la Faculté de théologie
et au Séminaire.
Hautement apprécié comme écrivain, Matter l'était moins
comme professeur. Quelque remarquables que fussent les
qualités de son esprit, quelque facile ou même élégante que
JACQUES MATTER 131
fût sa parole, il ne réussissait guère auprès de ses auditeurs.
Son enseignement méthodique, mais froid, les laissait indiffé-
rents. « Il ne nous captivait pas », dit l'un de ses élèves
d'alors. «Sa voix manquait de résonnance, ses récits de
couleur, ses jugements de pointe, son exposition de tendance,
et surtout de tendance théologique ».
Matter eut pourtant, comme professeur, un grand mé-
rite, il fut le premier au Séminaire qui fit des cours en langue
française et qui, comme le dit Eeuss, «rompit la digue que
la routine avait élevée contre l'introduction de l'élément
français au Séminaire». Comme étudiant déjà, il s'était
appliqué à acquérir une culture toute française; il avait
compris que l'avenir était là. Cette culture lui permit, en
effet, de faire plus tard une carrière des plus brillantes et
d'acquérir une juste renommée littéraire.
Le dernier venu parmi les « jeunes » qui entrèrent alors
au Séminaire et à la Faculté était très sympathique aux étu-
diants. Né à Pirmasens, le 13 décembre 1792, Jean-Frédéric
Bruch ^) était fils du pharmacien Charles-Louis Bruch. Il des-
cendait d'une de ces anciennes familles de huguenots qui, lors
de la révocation de l'édit de Nantes, étaient venues chercher
un refuge en Allemagne. Par sa mère, une fille du docteur
Strœhlin de Trarbach, il tenait à l'Alsace. Né avec des
facultés brillantes et un esprit avide de connaître, il se vit
privé, au milieu des désordres du temps, des moyens d'ins-
truction les plus ordinaires. La guerre, en passant sur sa
ville natale, y avait ruiné les établissements d'instruction
publique. A peine y apprenait-on les éléments des connais-
sances les plus indispensables. Il trouva, il est vrai, dans
les deux pasteurs luthériens de l'endroit des instituteurs qui
lui donnèrent les premières notions de latinité, d'histoire et
de géographie; mais cet enseignement était bien insuffisant.
Quant au français, Bruch l'apprit d'un ancien sergent-major
de la grande armée. Monsieur Crédit, qui, sans instruction
et brouillé avec l'orthographe, parlait sa langue avec une
volubilité toute méridionale et composait même de longs
drames qu'il faisait représenter par ses élèves.
Bruch se trouva ainsi de bonne heure aux prises avec
*) Voy. mon opuscule Jean-Frédéric Bruch, Notice biographique,
Strasb. 1874.
132 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOUBG
de sérieuses difficultés. Mais loin d'abattre son courage, elles
développèrent en lui la volonté, l'énergie. Faute de maîtres
pour lui enseigner ce qu'il brûlait de savoir, il l'apprit par
lui-même. C'est ainsi qu'il commença l'étude du grec avec le
seul secours d'un Nouveau Testament grec et d'une vieille
grammaire de cette langue qu'il avait trouvée chez un ami
de son père.
A quatorze ans, il fallut se décider pour im état. La
carrière artistique le tentait. Il avait appris tout seul à
dessiner, et il rêvait de devenir peintre ou bien d'entrer à
l'école polytechnique de Paris. Il fallut en rabattre. L'argent
manquait à la maison. Il essaya de la pharmacie et puis de
la typographie. Ni l'une ni l'autre ne lui convinrent. On dé-
cida finalement qu'il étudierait la théologie.
A Pâques 1807, son père l'envoya au Gymnase, autrefois
célèbre, de Deux-Ponts. Son esprit ardent et avide se jeta
avec une vraie passion sur la science très imparfaite qu'on
y enseignait et qu'il se vit réduit à compléter par des études
privées. Deux ans plus tard, il quittait l'école, muni d'un
brillant certificat d'études, pour aller faire sa théologie à
Strasbourg.
Il y suivit les cours de Schweighaeuser et de Herren-
schneider, de Blessig et de Haffner, de Fritz et de Dahler et,
après cinq semestres, passa son examen de candidat avec une
thèse latine: «De amore inimicorum»^ que, sur le conseil de
Blessig, il livra à l'impression.
Il fut alors successivement précepteur à Cologne, vicaire
dans le petit village de Lohr en Alsace, et précepteur dans
la famille d'un riche industriel, à Poissy et à Paris. Il resta
six ans dans cette position, profitant des nombreux avantages
que lui offrait un séjour prolongé dans la capitale. Il se
familiarisa avec la littérature et la philosophie françaises;
il forma son goût par la fréquentation des musées et des
théâtres; il apprit à connaître le monde et à se mouvoir dans
les cercles de la société.
Vers la fin de son séjour à Paris, et à la suite de plusieurs
prédications que Bruch avait données à l'église des Billettes,
le Consistoire luthérien voulut le nommer pasteur-adjoint à
cette église. Presque en même temps, on lui offrit le poste
de pasteur français à Stockholm. Il refusa ces offres avan-
tageuses; il était décidé à se vouer à l'enseignement. Et voici
JEAN-FKÉDÉKIC BKUCH 133
que la carrière s'ouvrit inopinément devant lui. Maximilien
Fritz venait de mourir, et les professeurs du Séminaire, qui
avaient gardé un excellent souvenir de leur ancien élève,
rappelèrent à occuper la chaire devenue vacante. Quelques
mois après, le ministre le nommait professeur de morale chré-
tienne à la Faculté de théologie.
Dès les premiers jours, il sut se concilier la sympathie
de la jeunesse académique. Il y avait en lui une grâce aimable
qui lui gagna rapidement les cœurs. « Nous Taimions bien »,
écrit Edouard Reuss, qui fut un de ses premiers auditeurs,
« car ses idées vivaient en nous et sa personne nous plaisait. »
Au point de vue théologique, Bruch partageait les idées
rationalistes de son temps. Il souscrivait à ce principe, que
la raison est Torgane essentiel pour connaître la vérité et
qu'elle a, par conséquent, le droit de juger aussi les doctrines
religieuses. Son rationalisme pourtant différait beaucoup du
rationalisme vulgaire des Rohr, des Wegscheider et des
Paulus. Il y entrait des éléments esthétiques et mystiques qui,
sur certains points, le rapprochaient du supranaturalisme.
A ce moment, d'ailleurs, Bruch ne faisait pas encore le cours
de dogmatique, il donnait celui de morale chrétienne et inter-
prétait, dans un second cours, les évangiles synoptiques. Sa
morale était basée sur la philosophie pratique de Kant, mais
illuminée des principes moraux de l'Evangile. Son exégèse,
très soignée en tant qu'interprétation historique et gramma-
ticale, laissait à désirer en tant qu'explication théologique.
Le Séminaire ne se borna pas à la nomination de Matter
et de Bruch comme professeurs titulaires. Après la mort de
Maximilien Fritz, il sentit la nécessité de renforcer le corps
enseignant pour soulager les professeurs, combler certaines
lacunes du programme et donner à l'enseignement plus d'éten-
due. Sur sa proposition, le Directoire nomma deux profes-
seurs suppléants, l'un, Théodore Fritz, simple candidat en
théologie, l'autre, Georges-Frédéric Lachenmeyer, agrégé au
Gymnase.
Théodore Fritz ^) était le second fils du professeur
Maximilien Fritz que la mort venait d'enlever au Séminaire
et à la Faculté de théologie. Il était né le 13 juin 1796 à Barr,
*) Voy. Eloge de M. Théodore Fritz, par Ch. Waddington. Stras-
bourg, 1864.
134 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STKASBOUKG
OÙ son père était alors pasteur. Il avait fait ses études
classiques au Gymnase protestant et sa théologie au Sémi-
naire et à la Faculté de théologie de Strasbourg. En 1819,
il alla suivre à Goettingue les cours de langues sémitiques
d'Eichhorn et ceux d'histoire ecclésiastique de Planck et de
Staeudlin; puis, après avoir visité les villes du nord et du
centre de l'Allemagne, fait un séjour à Vienne et parcouru
la Suisse, il vint s'établir à Paris pour y continuer l'étude
des langues orientales avec Chézy et Silvestre de Sacy, et
celle de l'histoire avec Lacretelle. Il y mena une vie exces-
sivemlent laborieuse. Levé dès quatre heures du matin, il
consacrait quatorze à quinze heures par jour au travail,
donnant trois heures à l'hébreu, trois à l'arabe, cinq au
sanscrit et trois à quatre au français.
Au mlois de janvier 1821, la mort de son père rappela
Fritz à Strasbourg. Le Séminaire, pour honorer la mémoire
du professeur distingué et dévoué qu'il venait de perdre,
nommia son fils professeur suppléant et lui confia l'enseigne-
ment élémentaire de l'hébreu. Fritz, se pliant au vœu de sa
mère, accepta les fonctions qu'on lui offrait. Ce n'était pas
sans regrets. Il avait rêvé de devenir pasteur à la campagne,
et, sans doute, il eût, dans cette position, exercé une action
bénie, et peut-être y eût-il trouvé plus de satisfaction qu'il
n'en trouva dans la carrière académique. Il était un maître
très consciencieux, se livrant à la science avec un labeur
obstiné, mais il manquait de sens historique et ne savait
rendre ses cours intéressants.
Le second des nouveaux maîtres, George - Frédéric
Lachenmeyer, ^) était réputé bon philologue. Il l'était en
effet; mais, comme la plupart des autodidactes, il avait des
vues un peu étroites. Né le 16 janvier 1792, à Pirmiasens, dans
une humble famille — son père était instituteur — et dans
des temps difficiles, il n'avait guère appris que ce qu'on
apprenait alors à l'école primaire. Destiné à suivre la
carrière paternelle, il se trouva à l'âge de quatorze ans aide-
instituteur à Backnang, près de Stuttgart. Mais il avait des
*) Voy. Discours prononcé le 19 janvier i8i3 pour rendre les der-
niers honneurs académiques à Georges-Frédéric Lachenmeyer, par
J.-F. Bruch. Strasb. 1843.
Erinnerungen an den seligen Georg Friedrich Lachenmeyer, von
K.W.W. Kurtz. Str. 1843.
GEOEGES-FKÉDÉRIC LACHENMEYER 135
ambitions plus hautes. La science l'attirait, la science philo-
logique surtout. L'un des pasteurs de sa ville natale lui avait
donné quelques leçons de latin. Dès lors, il employa tous ses
moments libres à se perfectionner dans cette langue. Un
heureux hasard le mit en relation avec le chef d'une institu-
tion libre, M. Oettinger, qui l'appela dans son école comme
maître-répétiteur. M. Oettinger était lui-même un excellent
philologue, et le jeune Lachenmeyer trouva là une occasion
précieuse d'augmenter ses connaissances linguistiques. Jus-
que-là, il n'avait cultivé que le latin, il y joignit maintenant
l'étude du grec. Et bientôt il n'eut plus qu'un désir, celui de
faire des études universitaires. Il aurait voulu se vouer
entièrem'ent à la philologie, nrnis les ressources pécuniaires
dont il aurait fallu disposer pour cela lui manquant, il se
tourna vers la théologie, et, sur le conseil de son ami Bruch,
il vint étudier à Strasbourg.
Il y eut des commencem^ents difficiles. Mais il trouva
des amis qui l'aidèrent. Un étudiant en théologie, Jacob, plus
tard pasteur au village de Pfulgriesheim, dans le Bas-Rhin,
consentit à partager sa chambre avec lui; Bruch et d'autres
amis lui trouvèrent des leçons à donner, et enfin le profes-
seur Eedslob, ayant remarqué cet étudiant si sérieux, si as-
sidu, s'intéressa à lui et l'appela comme maître-adjoint à
l'institut qu'il dirigeait. Des jours plus heureux se levèrent
alors sur Lachenmeyer. Le Séminaire, en 1818, le nomma
pédagogue du collège de Saint-Guillaumie et, en 1819, le
chargea de l'enseignement du grec dans les classes supé-
rieures du Gymnase. En 1820, il devint professeur extra-
ordinaire au Séminaire. Il y fit d'abord des cours sur les
aintiquités romaines, et puis sur les auteurs latins et grecs.
Lachenmeyer sentait toute l'importance de l'enseigne-
ment classique qu'il était appelé à donner: faire connaître
aux élèves les auteurs grecs et latins et, par eux, l'anti-
quité grecque et romaine dans tout ce qu'elle a d'éminemmient
propre à former l'esprit de la jeunesse. Avec plus d'initiative,
il eût peut-être été l'homme à mjodifier l'enseignement phi-
lologique au Séminaire et à élever cette science à toute sa
dignité et sa beauté. Mais il était trop timide pour s'éman-
ciper de la vieille niéthode de Schweighaeuser. Son enseigne-
ment était plutôt un enseignement secondaire continué,
complété, perfectionné, qu'un enseignement supérieur faisant
136 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOUEG
comprendre à ses auditeurs le magnifique rôle joué par le
monde gréco-romain dans l'évolution du genre humiain.
Sa carrière d'ailleurs ne fut pas longue. Il n'avait jamais
joui d'une santé robuste. Une maladie organique, après
l'avoir fait souffrir pendant des années et avoir épuisé ses
forces, l'emporta le 26 décembre 1842.
II
Dès l'année 1826 une autre chaire était devenue vacante.
Thomas Lauth était décédé le 26 septemibre, et il importait
de pourvoir à son remplacement avant la réouverture des
cours. Il ne pouvait être question de donner au défunt un
successeur pour la partie qu'il avait non pas professée, mais
représentée au Séminaire; on crut, au contraire, devoir pro-
fiter de l'occasion qui se présentait pour combler une la-
cune des plus graves dans l'enseignement en nommant un
professeur de langues sémitiques. On ne pouvait dès lors
hésiter sur le choix à faire, Théodore Fritz, qui enseignait
depuis quatre ans l'hébreu dans la section préparatoire, était
tout désigné. Le Séminaire, dans sa séance du 9 novembre,
le proposa, et le Directoire, le 21 novem^bre, le nomma à la
chaire vacante.
Et encore une fois on sentit le besoin de renforcer le corps
enseignant en lui adjoignant des professeurs agrégés. Le Sémi-
naire proposa et le Directoire nomma à ces fonctions deux
jeunes savants qui s'étaient distingués par leurs mérites
scientifiques et par les services qu'ils avaient rendus, l'un
au Gymnase protestant, l'autre au collège Saint-Guillaume:
Joseph Willm et André Jung.
Joseph Willm *) était, comme Bruch et Lachenmeyer,
un selfmademan. Né le 17 octobre 1792 dans le petit village
de Heiligenstein, au pied du mont Sainte-Odile, fils d'un
vigneron peu aisé et chargé de famille, il fréquenta, dans son
enfance, l'école primaire. L'instituteur, frappé de l'intelli-
gence du jeune élève, l'admit aux leçons de français qu'il
donnait aux enfants de quelques familles fortunées et mit
à sa disposition les quelques volumes qu'il possédait. Willm
avait la passion de la lecture. Il eut bien vite épuisé la modeste
*) Voy. Discours prononcé le 18 avril 1853 pour rendre les derniers
honneurs académiques à M. Joseph Willm, par J.-F. Bruch. Strasb. 1853.
JOSEPH WILLM
137
bibliothèque de son maître et se jeta avec avidité sur les
livres que voulut bien lui prêter le pasteur de l'endroit.
Dès Page de dix ans, son père Tavait employé dans son
vignoble; mais ces travaux étaient peu de son goût. Dans
son intelligente ardeur, il voulait apprendre, agir. Bien ne
lui semblait plus enviable que de diriger une école. Ses pa-
rents, cédant à ses instances, lui permirent finalement de se
vouer à la carrière de l'enseignement. Et le voilà, à l'âge de
quatorze ans, aide-instituteur à Heiligenstein d'abord, et
puis dans un village des environs.
Il n'avait pas cessé, pendant ce temps, d'augmenter ses
connaissances par les lectures les plus variées, et plus son
esprit se développait, plus aussi son ambition grandissait. La
carrière d'instituteur bientôt ne lui suffit plus. Il voulut faire
des études universitaires, se vouer à la théologie. Dessein bien
hardi et qui ne semblait guère réalisable! Ses parents ne
pouvaient subvenir aux dépenses d'une instruction supé-
rieure, et lui, d'ailleurs à l'âge où les jeunes gens sont près
de terminer leurs classes, ne possédait pas les premiers
éléments des langues anciennes. Il ne se laissa pas rebuter,
n quitta son école et revint chez ses parents, persuadé qu'il
trouverait les voies et moyens d'atteindre le but désiré.
Il ne se trompait pas. Il y avait à Barr un pasteur ins-
truit, qui, informé de son grand désir, consentit à lui donner
des leçons de latin et de grec. Willm travailla avec une telle
ardeur et un tel succès qu'en 1807, à l'âge de quinze ans, il
put entrer dans la classe de troisième au Gymnase. Deux ans
plus tard, il fut inscrit à la section préparatoire du Sémi-
naire.
Il connut alors les misères de la vie matérielle. Ne pou-
vant et ne voulant rien attendre de sa famille, il eut l'idée de
se créer quelques ressources en établissant taux portes de
Strasbourg, au quartier du Wacken, privé alors de tout éta-
blissement scolaire, une petite école, où il venait trois fois
par semaine instruire les enfants de quelques familles qui
habitaient par là. Le samedi soir, il touchait avec bonheur
la rétribution scolaire qui devait l'aider à vivre: elle n'était
pourtant pas bien abondante, chaque élève payait deux
sous.
De meilleurs jours se levèrent enfin pour lui. Le direc-
teur d'une école très fréquentée, M. Winter, l'appela à donner
138 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
des leçons dans son établissement et lui offrit de loger dans
sa maison. Libre désormais des soucis de la vie matérielle,
Willm put se livrer avec ardeur à Tétude.
En 1813, ses examens de candidat passés, il voulut aller
compléter ses études à TUniversité de Gœttingue. Mais la
guerre venait d'éclater, elle le força à renoncer à ce projet.
Il tourna alors ses vues vers la France. Il accepta une
place d'instituteur dans un pensionnat de Lyon, et, deux ans
après, il entra, à Paris, dans la famille de M. Odier, un des
chefs de rétablissement industriel de Wesserling, pour
diriger Téducation de ses enfants. Appelé à contribuer à la
création de la Société biblique de Paris et à celle de la Société
morale chrétienne, il eut l'occasion d'entrer en relation avec
les hommes les plus marquants du protestantismie français.
Il trouva aussi dans la capitale de précieuses ressources pour
la continuation de ses études savantes. Sentant combien il
était nécessaire pour occuper un poste quelque peu impor-
tant de posséder à fond la langue nationale, il s'appliqua, dès
lors, à former son style français, s 'interdisant, pour mieux
atteindre ce but, d'écrire désormais en allemand. Sa collabo-
ration au Musée des protestants célèbres lui fournit d'ailleurs
la meilleure occasion d'exercer sa plume.
Durant son séjour à Paris, Willm, sur l'invitation des
pasteurs Gœpp et Boissard, avait occupé à différentes re-
prises la chaire de l'église luthérienne; le Consistoire lui
avait même offert une place de pasteur-suffragant. Willm
avait décliné cette offre. Il sentait qu'il n'était pas fait pour
être pasteur. Sa mémoire le servait nml en chaire, son organe
était rude, son débit monotone. D'ailleurs, il ne se sentait au-
cune aptitude pour les fonctions pastorales. H renonça donc
au saint ministère pour se vouer tout entier à l'enseignement,
et, à son retour à Strasbourg, il vit s'ouvrir devant lui la
carrière vers laquelle l'entraînaient ses goûts et son talent
Le Séminaire, appréciant son mérite, le chargea des leçons de
langue et de littérature françaises au Gymnase. Il rendit, dans
ces fonctions, d'éminents services. Jusque-là, le français
avait été enseigné dans la vieille école protestante un peu
comme langue morte, il l'enseigna comme langue vivante,
familiarisant ses élèves avec nos mieilleurs auteurs et les
habituant à s'exprimer en français.
Cependant l'enseignement dans une école secondaire
ANDRE JUNG
139
n'était pas pour le satisfaire complètement. Il aspirait à l'en-
seignement académique. Il ne tarda pas à y arriver. Le Sémi-
naire, nous Pavons vu, le nomma, en 1826, professeur agrégé
et le chargea d'un cours de philosophie. Quelques années
plus tard, en 1832, il devint professeur titulaire et, l'année
d'après, il obtint, à la Faculté de théologie, la chaire de
morale chrétienne.
Il y renonça pourtant en 1836, pour accepter les fonc-
tions d'inspecteur d'Académie. L'enseignement qu'il con-
tinua à donner au Séminaire se borna dès lors à la philo-
sophie et à l'histoire de la littérature française. Il traitait
dans ses leçons, tour à tour, la logique, la métaphysique
et la morale philosophique, et puis l'histoire de la philoso-
phie et l'histoire de la littérature depuis la Renaissance. Son
enseignement n'avait rien de brillant, mais il était métho-
dique, clair, au plus haut point instructif. Aussi ses cours
n'étaient-ils pas suivis exclusivement par les élèves du Sé-
minaire, des étudiants de toutes les Facultés venaient se faire
initier par lui aux problèmes philosophiques.
Le second professeur agrégé nommé en nxême temps que
WiUm, André Jung^, était né à Strasbourg le 20 juin 1793.
n descendait d'une vieille famille bourgeoise qui, depuis plus
de trois cents ans, habitait le quartier du Finckwiller. Son père
appartenait à l'importante corporation des bateliers et jouis-
sait d'une honnête aisance. Il fit donner à son fils une ins-
truction libérale. On commençait alors à Strasbourg à com-
prendre la nécessité de faire apprendre aux enfants le fran-
çais. Le jeune André reçut donc sa première éducation scolaire
dans l'institution de maître Reinbold, le pasteur de l'hôpital,
qui avait ouvert une école française. Ardent patriote, Reinbold
n'avait rien tant à cœur que d'éveiller chez ses élèves les
sentiments qui l'animaient lui-même. Il avait arboré dans
sa classe un immense drapeau tricolore, et chaque matin
un élève, placé sous les plis de ce drapeau, venait donner
lecture du dernier bulletin de l'armée républicaine. Lorsqu'il
annonçait un succès militaire, Reinbold lançait son bonnet
au plafond en clamant: «Vive la République! » et la joyeuse
bande des écoliers mêlait avec bonheur ses bruyantes clameurs
à celles du maître.
^) Voy. Discours prononcé le 7 janvier 48Si pour rendre les derniers
honneurs académiques à M. André Jung, par Ch. Schmidt. Strasb. 1864.
140 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOUEG
A dix ans, le jeune André entrait au Gymnase; à seize ans,
il achevait ses études classiques et se faisait inscrire au Sémi-
naire. A ce moment déjà, il se sentait attiré vers les études
historiques. Malheureusement, il n'y avait personne au Sé-
minaire pour Tencourager et le guider dans cette voie. L'his-
torien Koch, fatigué, malade, avait renoncé à ses cours, et
Weber, le professeur d'histoire ecclésiastique, était alors déjà
tombé dans un état voisin de l'enfance. C'est à Gœttingue,
où il passa l'année 1816-1817, que Jung fut définitivement
gagné à la science historique par des maîtres tels qu'Eich-
horn, Staeudlin, Heeren, et surtout Planck, dont il admirait
le pragmatisme.
De retour à Strasbourg, Jung, libre, grâce à la situation
de fortune de son père, de tout souci matériel, put se livrer
tout entier à ses études favorites. D'un talent vigoureux, ap-
pliqué, ardent, il commença dès lors à amasser les vastes et
profondes connaissances qu'il devait répandre plus tard
dans ses cours. Il n'abandonna pourtant pas la théologie.
Il s'essaya même à plusieurs reprises à la prédication. Mais,
comme il le disait lui-même plus tard, « cela ne lui réussit
pas. » Son goût et ses aptitudes le portaient vers la science,
non vers la pratique du ministère ecclésiastique.
Son ambition était d'entrer dans l'enseignement supé-
rieur, et il se présente, en 1821, pour la succession de Fritz
à la chaire de morale. Mais Bruch fut nommé, et il dut at-
tendre qu'une autre vacance se produisît au Séminaire. Entre
temï)s, il se vit appeler à la direction du collège de Saint-Guil-
laume et obtint, sur sa demande, l'autorisation de faire des
cours au Séminaire. Ses leçons ne roulèrent pas d 'abord, comme
on devait s'y attendre, sur l'histoire ecclésiastique, mais sur
l'encyclopédie, la méthodologie et l'histoire des sciences théo-
logiques, et, plus tard, quand il fut nommé professeur agrégé,
sur la symbolique et l'histoire des dogmes. Ce n'est qu'en 1834,
après le départ de Matter pour Paris, qu'il fut appelé à
donner le cours d'histoire ecclésiastique. Mais dès 1821, il
avait fait paraître dans une Eevue religieuse, fondée avec le
concours de quelques amis sous ce titre: «Timothée, une
Revue pour l'avancement de la religion et de l'humanité » '),
des articles historiques qui ne manquaient pas d'intérêt.
*) Timotheus. Eine Zeitschrift zur Befôrderung der Religion und
Humanitàt. Strasb. 1821 ss. 4 vol.
CHAPITRE II
Trois chaires vacantes à la Faculté — Difficulté d'y pourvoir
Au Séminaire le personnel enseignant est renforcé
Edouard Eeuss, Ciarles Scliniidt, Edouard Cunitz, Guillaume
Baum. — La Eaculté complète avec six professeurs
Les années 1830 et 1831 amenèrent de nouveaux change-
ments dans le personnel du Séminaire et de la Faculté. Les
professeurs qui avaient fait dès l'origine partie de FAcadémie
protestante avaient presque tous disparu. Au mois de janvier
1830, le vieux Schweighaeuser, qui d'ailleurs ne faisait plus
de cours depuis des années, fut enlevé à son tour, et le 17 mai
1831, Haiïner le suivit dans la tombe. Des professeurs qui
représentaient la vieille tradition, il ne restait que deux:
Herrenschneider qui, en dépit de ses soixante-dix ans, con-
tinuait à faire ses cours de logique et de métaphysique, et
Ehrmann qui, presque octogénaire, ne s'intéressait plus guère
qu'aux questions d'administration et de finances. Ils n'avaient
d'ailleurs guère d'influence ni l'un ni l'autre. Leur temps
était passé; une nouvelle génération se levait, qui était animée
d'un autre esprit et comprenait la science différemment.
Dès 1821, nous l'avons vu, Matter et Bruch avaient essayé
de moderniser quelque peu 'l'enseignement du Séminaire.
D'autres jeunes savants allaient se joindre à eux dans cette
tentative. Il s'agissait, pour le moment, de remplacer un phi-
lologue et un théologien. Au Séminaire, la nomination du
successeur de Schweighaeuser et de celui de Haffner ne
souleva aucune difficulté. Ces deux professeurs avaient été
suppléés depuis plus ou moins de temps par des chargés de
142 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOUEG
cours. Il était naturel que œs derniers, qui s'étaient montrés
à la hauteur de leur tâche, fussent nommés aux chaires de-
venues vacantes, et cela d'autant plus qu'endehors d'eux il
n'y avait pas de candidats possibles. Lachenmeyer fut donc
appelé à succéder à Schweighaeuser, et Jung à remplacer
Hatïner.
A la Faculté, le remplacement de Haffner fut plus dif-
ficile, n vint se heurter contre l'article 7 de l'arrêté constitutif
de la Faculté, que l'autorité ecclésiastique et l'autorité sco-
laire interprétaient différemment. Cet article portait que le
candidat nommé au concours serait à la fois professeur au
Séminaire et à la Faculté de théologie, et le Directoire avait
compris par là que les candidats à une chaire vacante seraient
choisis parmi les professeurs du Séminaire. C'était, en effet,
le mode qui avait été suivi jusque-là. Mais alors la Faculté
déclara que le Séminaire ne renfermait pas des candidats
en nomhre suffisant pour établir une liste de présentation
convenable. Elle demandait, par conséquent, que la nomi-
nation du successeur de Haffner se fit au choix, le concours
ne pouvant, dans ces circonstances, qu'être une vaine for-
malité.
Le grand maître des Facultés protestantes, le baron Cuvier,
ne fut pas de cet avis. Il répondit que l'arrêté constitutif
de la Faculté n'exigeait nullement que les candidats à une
chaire de théologie fussent choisis parmi les professeurs du
Séminaire, que, d'après l'article 7, il suffisait qu'ils eussent
le titre de docteur, et qu'à défaut de docteurs, on pourrait
même présenter des licenciés, auxquels il accorderait les
dispenses nécessaires. De cette manière, les difficultés dis-
paraîtraient sans qu'on s'écartât du texte du décret du
17 mars 1808.
Mais le Séminaire protesta et avec lui le Directoire: l'in-
terprétation donnée par le grand maître aurait , pour ,1e
Séminaire les conséquences les plus fâcheuses; elle lui en-
lèverait, d'une part, le droit de choisir ses membres; elle
mettrait, d'autre part, à sa charge le traitement d'un pro-
fesseur de l'Université.
Mais le grand maître maintint son point de vue. C'est
une erreur, dit-il, de croire que les candidats à une chaire
de la Faculté ne peuvent être pris que dans les rangs des
professeurs du Séminaire. «L'article 7 de l'arrêté exige qu'il
DrFFICTJLTE A POURVOIR AUX CHAIRES VACANTES 143
soit présenté trois candidats par le Directoire. Si le Direc-
toire trouve dans le Séminaire le nombre exigé de candidats
remplissant les conditions voulues, il peut les présenter s'il
les préfère, mlais dans le cas contraire, il doit nécessairement
les prendre ailleurs, en totalité ou en partie. Telle est la
seule interprétation juste et vraie que Ton puisse donner de
Tarrêté du 3 Xbre 1818 et la seule aussi qui puisse donner
quelque garantie d'un bon enseignement théologique.»
En attendant, le cours de dogme luthérien se trouvait
interrompu. Cet état de choses ne pouvait durer. Pour y
mettre fin, la Faculté prit, le 27 janvier 1832, un arrêté assez
singulier. Elle fit valoir qu'il serait important que l'enseigne-
ment de la dogmatique fût confié à l'un des plus anciens
professeurs et elle demanda le transport de Dahler de la
chaire d'exégèse à celle de dogmatique. Dahler consentit à
la mutation, le grand maître l'approuva, mais il demanda
en même temips à la Faculté de présenter des candidats pour
le concours à la chaire d'exégèse devenue vacante.
La Faculté dut alors céder sur la question du concours.
Il fut ûxé au 19 mars et jours suivants. Trois des jeunes
chargés de cours, Fritz, Jung et Willm, devaient y prendre
part. Pure formalité d'ailleurs! Le vainqueur était désigné
d'avance. Comme il s'agissait de la chaire d'exégèse de l'An-
cien Testament, ce ne pouvait être que Fritz, qui depuis
onze ans faisait des cours d'hébreu au Séminaire.
Il y avait eu antérieurement un concours pour l'obtention
d'une chaire à la Faculté, celui de Bruch. Tout s'était alors
passé dans le plus grand calme. Mais, cette fois, l'opinion
publique se révolta contre ce qu'elle qualifiait de comédie
ridicule. Les étudiants s'entendirent pour manifester leur
mécontentement. Lorsque, le 19 mars, Fritz vint faire, dans
la grande salle des cours, une leçon sur le livre Kohelet, on
l'écouta dans un silence glacial. Jung et Willni, au contraire,
qui parlèrent les jours suivants, l'un, sur l'archéologie des
Juifs, l'autre sur les beautés de la littérature hébraïque, furent
vivement acclamés. Ils se hâtèrent d'ailleurs de déclarer qu'ils
ne posaient pas leur candidature à la chaire vacante, et Fritz
fut nommé.
Des scènes pénibles se produisirent alors. Les étudiants
protestèrent contre le concours et son résultat. La Faculté
voulut sévir contre eux. Les uns, intimidés, retirèrent leur
144 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
protestation, mais les autres continuèrent à manifester. On
dut finalement étouffer l'affaire pour éviter un scandale
public. Fritz donna sa démission, mais il la retira quelques
semaines après.
Dahler, dans l'intervalle, avait été rappelé, lui aussi, le
28 juin 1832. Presque en même temps, Matter avait été, sur
la recommandation de Guizot, nommé inspecteur général de
rUni ver site; il se voyait, par suite, obligé de se fixer à Paris
et forcé de renoncer aux chaires qu'il occupait à la Faculté
et au Séminaire. Il y avait, par conséquent, deux chaires à
pourvoir à la Faculté, celle du dogme luthérien et celle d'his-
toire ecclésiastique. Heureusement qu'à ce moment une force
nouvelle s'annonçait; Edouard Eeuss ouvrait un cours.
II
Il était né à Strasbourg le 18 juillet 1804 ') et appartenait
à une de ces familles bourgeoises oiï régnaient la probité,
les habitudes de travail, le respect de la règle et l'amour
du bien. Son père, Louis-Christian Reuss, était marchand
de drap, sa mère était une fille idu libraire-éditeur Jean-
Geoffroi Bauer. Aussi distinguée par les qualités de l'esprit
que par celles du cœur, elle sut, au milieu des soucis et des
travaux d'un grand ménage, trouver le temps de s'occuper
plus spécialement de l'éducation de ce fils et de lui inspirer
le goût de la poésie et le sens de la religion.
Quand le moment fut venu où à l'éducation domestique
vint se joindre l'éducation scolaire, le jeune Reuss fut envoyé
à l'école du Temple-Neuf et puis au Gymnase protestant.
Il en sortit, en septem-bre 1819, conime princeps juventutis.
Il se demanda alors ce qu'il ferait. H avait, avec son
précepteur Lachenmeyer, lu, étudié et vivement goûté les
auteurs grecs et latins et il se sentait attiré vers la philologie.
Mais la manière pédante dont cette science était cultivée à
Strasbourg le rebuta. Il se tourna vers la théologie. Il suivit les
cours du Séminaire et de la Faculté de théologie et, en même
temps, ceux de la Faculté des lettres. En 1825, il passa ses
examens de candidat en théologie et soutint, à cette occasion.
*) Voy. mon opuscule Edouard Reuss, notice biographique. PariS;
Fischbacher, 1892.
EDOUAED REUSS 145
en latin, — ce qui ne s'était plus vu à Strasbourg depuis 1792
— , une thèse sur « la littérature théologique du Vile et Ville
siècle ». ^)
Il voulut alors compléter ses études dans les Universités
étrangères. Il se rendit d'abord à Gœttingue, oii le célèbre
orientaliste Jean-Geoffroi Eichhorn le retint toute une année,
puis à Halle, où il suivit les cours de Niemeyer, de Tholuck
et de Thilo et surtout ceux de Wegscheider et de Gesenius.
De là, il alla à Paris pour étudier les langues orientales avec
Silvestre de Sacy. *) Il s'y livra à un travail assidu, tout en
jouissant largement des merveilles artistiques et des res-
sources littéraires qu'offrait la capitale. Il entra naturelle-
ment en relation avec les pasteurs Gœpp et Boissard de
l'église luthérienne; sur leur demande et pour les obliger, il
occupa même un dimanche la chaire de cette église. Ce fut
d'ailleurs la dernière fois qu'il s'essaya à la prédication. Il
était, dit-il lui-même, «trop profondémtent convaincu qu'il
n'était pas fait pour la chaire». Ses relations avec les pas-
teurs luthériens lui furent, du reste, très utiles. Par eux et par
son ami Lafite, plus tard pasteur à Metz, il fut mis en contact
avec quelques-unes des notabilités du protestantisme français;
il connut Jean Monod, le père, Philippe-Albert Stapfer, l'an-
cien membre du Directoire de la Republique helvétique,
Charles Coquerel, qui lui denïanda pour sa Revue protestante
des comptes rendus sur la théologie et les théologiens alle-
mands. Il alla aussi présenter ses hommages à Benjamin
Constant, qui représentait alors le Bas-Rhin à la chambre
des députés. Mais il vivait surtout dans le commerce avec
quelques amis alsaciens qu'il avait rencontrés à Paris. Il avait
organisé avec eux des réunions hebdomadaires dans lesquelles
on discutait, en latin, des questions d'exégèse et de dogmatique
et même de théologie pratique. C'est alors aussi qu'il se lia
d'une amitié étroite avec un candidat en théologie stras-
bourgeois qui suivait, comme lui, les leçons de Silvestre de
Sacy, et en qui il devait trouver à la fois un appui et une
direction.
"■) De statu litterarum theologicarum per saecula Vil et VIII.
Argent. 1825, 40.
') Voy. dans la Revue d'histoire et de philosophie religieuses,
2e année, p. 219 ss. l'article de M. Rod. Reuss : Un candidat en théologie
alsacien à Paris (1827-1828).
10
146 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STRASBOUEG
Cet ami s'appelait Jean- Jacques Bochinger. ') Il était
né à Strasbourg, le 28 novemibre 1802, dans une position des
plus humbles. De bonne heure aux prises avec des difficultés
qui fortifient l'âme lorsqu'elles ne l'abattent point, il avait
vu se développer en lui les plus nobles qualités du cœur et
de l'esprit et une force de caractère peu commune. Ses études
terminées au Séminaire protestant et à la Faculté de théologie
de Strasbourg, il était allé les compléter à Heidelberg et à
Gœttingue; puis il était devenu précepteur dans une famille
de Lyon et avait appris à connaître la France du midi; enfin,
il était venu à Paris pour y étudier les langues orientales
et les religions de l'Inde. Plus tard, à Strasbourg, il fut
pédagogue du Collège de Saint-Guillaume et prit, par de
savantes dissertations sur « la vie contemplative, ascétique
et monastique chez les Indous», les grades de licencié et de
docteur en théologie. Nommé, en 1830, pasteur à l'église
Saint-Nicolas, il succomba peu après à la phtisie provoquée
par un labeur excessif.
Quand, après un séjour de onze mois à Paris, Eeuss
revint à Strasbourg, il était plein de vastes projets. Il vou-
lait, conjointement avec Bochinger, dont les idées se ren-
contraient avec les siennes, ouvrir des cours, introduire dans
l'enseignement du Séminaire un nouvel esprit, réveiller chez
la jeunesse académique l'intérêt pour la science et amener
entre les maîtres et les élèves des rapports plus intimes.
« Nous trouvions », dit-il, « notre Séminaire de Strasbourg
bien mesquin, comparé aux Universités d'outre-Ehin; nous
nous rappelions la gloire scientifique du Strasbourg d'autre-
fois, dont il restait si peu de traces; nous songions aux la-
cunes et aux erreurs dans la constitution de notre Eglise et
la préparation de nos pasteurs, et nous pressentions la possi-
bilité de préparer une ère nouvelle. » Avec Bochinger, il traça
alors le plan de la Société de théologie et créa pour les étu-
diants un cercle de lecture qui devint plus tard le Casino
théologique et littéraire. Entre temps, il se faisait recevoir
licencié en théologie par la soutenance id'une thèse latine
sur «Les livres apocryphes de V Ancien Testament refusés au
peuple» par les Sociétés bibliques.')
*) Voy. Blàtter zum Andenken Johann Jacob Bochingers, geweîht
von seinen Freunden, Str. 1832.
*) De libris Veteris Testamenti apocryphis perperam plebî negatis.
REUSS ANNONCE UN COURS D'EXEGÈSE 147
Eeuss ne donna pas d'abord suite à Tidée de faire des
cours. Il commença par donner des leçons de grec et de latin
dans les classes supérieures du Gymnase «pour s'exercer dans
l'art d'enseigner». Il avait d'ailleurs peu d'espoir d'arriver
à une chaire officielle. Toutes les places étaient occupées.
En 1833, il crut pourtant un instant qu'on lui confierait la
suffragance de Geoffroi Schweighaeuser que la maladie venait
de forcer à la retraite. Il était réputé bon philologue et par-
faitement apte à remplir une chaire de littérature ancienne.
Mais au Séminaire, la majorité se prononça pour Hasselmann,
qui avait sur lui l'avantage d'être plus âgé et d'avoir rendu
des services dans l'enseignement public.
Jean-Frédéric Hasselmann était né à Strasbourg, le
29 janvier 1797, de Jean- Jacques Hasselmann, instituteur à
l'école paroissiale de Saint-Nicolas et, plus tard, pasteur à
l'hôpital civil, et de Marguerite-Salomé Ehein, fille de
Jonathan Ehein, prédicateur français à Saint-Nicolas et,
dans la suite, pasteur à Schiltigheim. Il paraît avoir été un
enfant prodige, car il termina ses classes au Gymnase à l'âge
de douze ans. Inscrit alors à l'Académie protestante, il étudia
en même temps la théologie et la philologie et se rendit, en
1820, à Paris, où il se voua pendant trois ans à l'étude de
l'antiquité classique. Quand il revint à Strasbourg, il fut
nommé régent au Gymnase. Plus tard, il fut chargé de la
direction du Gymnase de Bouxwiller et réussit, grâce à son
talent pédagogique et à ses connaissances littéraires, à relever
cet établissement qui était tombé bien bas. En l'appelant au
Séminaire, on attendait beaucoup de lui et de son enseigne-
ment.
Sur le conseil de Bruch, qui lui portait un vif intérêt,
Eeuss se décida pourtant à annoncer un cours d'encyclopédie
et de méthodologie et un cours d'exégèse des Epîtres pauli-
niennes. H réussit dès l'abord auprès des étudiants. Ses
leçons d'exégèse surtout avaient un vif succès. Il y suivait
une méthode différente de celle de la plupart des interprètes
des livres bibliques. H réduisait l'explication philologique
au plus strict nécessaire pour s'arrêter d'autant plus au con-
tenu théologique. «Ma préoccupation constante», dit-il dans
ses Mémoires », était d'arriver dans la solution des questions
à des résultats positifs, clairement niotivés et brièvement
énoncés. Quand j'étais sûr de mon fait, j'évitais de faire
10»
148 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STRASBOURa
ce que font généralement les commentateurs, c'est-à-dire de
citer Topinion des autres et d'ennuyer les étudiants par des
détails qui peuvent être utiles au spécialiste, mais qui ne le
sont pas au théologien pratique. »
III
A la Faculté pourtant les difficultés restaient les mêmes.
Redslob avait été nommé, le 8 février 1833, à la chaire de
dogmatique, mais le ministre n'avait pas accueilli la propo-
sition de la Faculté d'appeler Jung à la chaire d'histoire
ecclésiastique et Willm à celle de morale chrétienne. Il s'était
borné à leur conférer à l'un et à l'autre le titre de chargé
de cours. Il fit plus. Il exigea, quand Willm fut nommé
inspecteur d'Académie, le 30 octobre 1834, qu'il quittât la
Faculté, les fonctions d'inspecteur étant, à son avis, incom-
patibles avec celles de professeur. Et comme Redslob vint
à mourir à ce moment, le 23 novembre 1834, trois chaires
seulement, dont la réformée, se trouvèrent encore occupées
par des titulaires, les trois autres, les plus importantes, celles
de dogmatique, de morale chrétienne et d'histoire ecclésias-
tique, restaient vacantes.
La situation devenait intolérable. La Faculté s'adressant
derechef au ministre, lui demanda de nommer Jung à la
chaire d'histoire ecclésiastique, de maintenir provisoirement
Willm dans sa place et de conférer à Reuss le titre de chargé
de cours. Cette demande fut encore rejetée. Le ministre pré-
tendit ne pouvoir nommer aux chaires vacantes qu'à la suite
d 'un concours. Sa déclaration fit naître de sérieuses appréhen-
sions et amena de nouvelles difficultés.
Alors déjà qu'il s'était agi de remplacer Haffner, le
grand maître, baron Cuvier, interprétant à sa manière
l'article 7 de l'arrêté constitutif de la Faculté, avait déclaré
que les candidats à une chaire vacante pourraient être choisis
en dehors du Séminaire, et que, nommés professeurs, même
sans la coopération de ce corps, ils seraient, de par leur
nomination à la Faculté, aussi professeurs au Séminaire.
Pour que l'application de cette interprétation ne portât pas
atteinte aux droits du Séminaire, le Directoire n'avait admis
jusque-là au concours que des professeurs appartenant à ce
corps.
CHANGEMENTS FAVORABLES AU SEMINAIRE 149
Mais dans le cas présent, il s'agissait de pourvoir à trois
chaires à la fois. Or, les professeurs de théologie n'étaient
pas assez nombreux au Séminaire pour fournir des concur-
rents à trois places. Si donc les nominations étaient faites
par voie de concours, il était inévitable que l'un ou l'autre
des professeurs de la Faculté fût choisi en dehors du corps
enseignant du Séminaire. Il n'était pas admissible pourtant
que le Séminaire accueillît dans son sein un membre à la
nomination duquel il n'avait pas participé. Il fallait donc
aviser au moyen d'écarter le danger que présentait l'inter-
prétation arbitraire d'un arrêté dont on n'avait pas, en le
prenant, mesuré toute la portée.
IV
Tandis qu'on ne faisait rien pour compléter le personnel
de la Faculté, des changements heureux s'accomplissaient au
Séminaire. Le 31 octobre 1834, peu de jours avant la mort
de Redslob, Edouard Eeuss était nommé professeur extra-
ordinaire, avec un traitement de 600 francs. Et aussitôt il
annonçait, à côté de son cours sur le Nouveau, un autre
sur l'Ancien Testament, comblant ainsi une lacune regrettable
dans cet enseignement. Fritz, en effet, prenait alors déjà un
intérêt plus grand aux questions de pédagogie, de morale et
d'apologétique qu'à l'exégèse de l'Ancien Testament, dont il
était officiellement chargé. Il se bornait à donner dans cette
partie un cours supérieur qui n'était pas accessible aux com-
mençants. Ceux-ci ne suivaient donc aucun cours d'hébreu.
Pour remédier à ce grave inconvénient, Reuss voulut bien
se charger d'une partie de l'exégèse de l'Ancien Testament;
il offrit même d'enseigner les éléments de la langue hébraïque,
à condition que ces leçons élémentaires fussent rattachées à
l'enseignement du Gymnase.
A côté de Eeuss, d'autres savants vinrent bientôt, en
qualité d'agrégés libres, combler quelques-unes des lacunes
que présentait l'enseignement du Séminaire. C'était tout
d'abord le pasteur Diirrbach de Saint-Nicolas, que l'opinion
publique désignait alors pour être le successeur de Matter.
Celui-ci, absent de Strasbourg depuis quatre ans, s'était en
effet décidé, au commencement de l'année 1836, à donner sa
démission de professeur au Séminaire.
150 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
Geoffroi Diirrbach était né à Strasbourg le 28 mars 1790,
fils d'un serrurier. Après de fortes études au Gymnase et à
TAcadémie protestante, il était entré dans renseignement et
était devenu professeur au Collège de Bouxwiller et puis
principal de cet établissement. Mais, dès 1724, il avait renoncé
à la carrière de renseignement public pour celle du saint
ministère. D'abord pasteur au village de Trânheim, près de
Wasselonne, il avait été appelé, en 1831, à Téglise Saint-
Nicolas à Strasbourg.
Après avoir passé, en 1836, sa licence, et, en 1837, son
doctorat en théologie, il sollicita Tautorisation de faire des
cours au Séminaire et choisit comme sujets de ses leçons la
catéchétique et Testhétique. Il donna ce dernier cours en
trois fois, d'ailleurs sans grand succès, paraît-il. Diirrbach
n'était certes pas un esprit ordinaire. Il possédait des con-
naissances étendues, il pratiquait assidûment les mathémati-
ques et même l'astronomie, et cultivait à ses heures la poésie,
non seulement religieuse, mais épique et satirique. Mais
original, bizarre, il se plaisait dans le singulier et l'excen-
trique. Il était, par suite, peu goûté de la jeunesse studieuse.
Ses amis même — il en comptait dans le corps des professeurs
— convenaient qu'il était peu apte à former de futurs pas-
teurs. Aussi, quand il s'agit de pourvoir à la chaire vacante,
personne ne songea à lui; tous les suffrages se portèrent sur
Edouard Eeuss, qui, le 8 juillet 1836, fut nommé titulaire.
Le nom de Diirrbach ne tarda pas à disparaître du pro-
granmie du Séminaire. Mais, à ce même moment, plusieurs
jeunes savants vinrent demander l'autorisation de donner des
cours, les uns dans la section préparatoire, les autres dans
la section théologique du Séminaire.
Le programme de 1836-1837 contenait dans la section
propédeutique, outre le nom de Diirrbach, ceux de deux autres
agrégés libres, tous deux licenciés en théologie.
Le premier, Frédéric-Louis Schwebel, était né le 13 août
1809 dans la petite ville de Barr, oii son père exerçait la
profession d'horloger. Il avait étudié la philosophie et la
théologie à Heidelberg et s'était préparé à la carrière de
l'enseignement. Après avoir passé sa licence, il commença à
faire des cours au Séminaire sur la psychologie, l'anthropo-
logie, la philosophie de la religion, et à expliquer les épîtres
de Paul. Il espérait obtenir un jour une chaire de philosophie
CHAELES SCHMIDT 151
OU d'exégèse. Mais peu sympathique, hypocondre, il n'avait
guère de succès auprès des étudiants. Peu à peu, il vit s'éva-
nouir ses plus belles espérances, et, après dix-sept ans, las
d'attendre une nomination qui ne venait pas, il se retira, le
cœur ulcéré, et alla finir ses jours dans sa ville natale, où il
mourut en 1888, oublié depuis longtemps de tous ceux qui
l'avaient connu autrefois.
Le second de ces agrégés libres, Henri-Théophile Redslob^),
était le fils de l'ancien doyen de la Faculté de théologie. Né
à Strasbourg le 10 août 1807, il avait fait ses études secon-
daires à l'institut que dirigeait son père et avait été immatri-
culé, en 1824, au Séminaire protestant. Son trienniuml théo-
logique terminé, il était allé compléter ses études à Halle
et à Paris. A son retour, il fut nommé agrégé, puis professeur
au Gymnase, et joignit, depuis 1835, à ces fonctions celles
de vicaire général des pasteurs de Strasbourg. La même
année, il acquit le diplôme de licencié, et, en 1839, celui de
docteur en théologie.
Sitôt licencié, il annonça des cours de psychologie et de
philosophie de la religion, plus tard, de logique et de morale.
Mais il n'était pas fait pour le professorat. Son activité
universitaire ne fut ni féconde ni longue. Atteint, dès avant
1850, d'une maladie qui semblait d'abord n'être que doulou-
reuse et qui était mortelle, il vit ses forces décliner peu à peu
et mourut à l'âge de 45 ans, le 12 septembre 1852.
Au programme de la section théologique du Séminaire
pour l'année 1837-1838 parurent également deux nouveaux
noms, qui ne devaient plus en disparaître: Charles Schmidt
et Edouard Cunitz venaient, comme agrégés libres, offrir,
l'un un cours d'histoire, l'autre, très modestement, des répé-
titions d'histoire ou de philosophie.
Charles-Guillaume- Adolphe Schmidt'), né à Strasbourg
le 20 juin 1812, était fils du libraire-éditeur Fr. Schmidt.
Il fit ses classes au Gymnase protestant et suivit, depuis 1828,
d'abord, les cours du Séminaire, et puis, ceux de la Faculté de
théologie. Son intention n'était pourtant pas d'entrer dans le
ministère ecclésiastique, pour lequel il ne se sentait aucune
*) Erinnerungen an Heinrich-Théophil Redslob. 1852.
') Voy. Rod. Reuss, M. Charles Schmidt, Professeur émérite à la
Faculté de théologie de Strasbourg (1812-1893) dans le Journal d'Alsace.
152 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOUKG /
vocation, il voulait se consacrer à l'enseignement universi-
taire. Aussi se hâta-t-il d'acquérir les grades qui devaient lui
en ouvrir l'accès. Bachelier en théologie en 1834, il fut reçu
licencié en 1835 et docteur en 1836. Les thèses qu'il présenta
à ces différentes occasions, ses « Etudes sur Farel », sa « Vie
de Pierre Martyr Vermigli » et surtout son « Essai sur les
mystiques du quatorzième siècle», révélèrent dès lors en lui
le futur historien de l'Eglise chrétienne au Moyen Age et
de l'époque de la Eéforme. Dans les cours par lesquels il
débuta dans la carrière de l'enseignement, le jeune docteur
traitait également, avec une haute compétence, des sujets
empruntés à l'histoire; mais, dès 1839, sa nomination à la
chaire d'homilétique du Séminaire mettait fin à des leçons qui
eussent été très utiles aux jeunes théologiens.
Auguste-Edouard Cunitz*) qui, comme Charles Schmidt,
commença à donner des cours en 1837, était né à Strasbourg
le 29 août 1812. Son père, négociant à Eéval, était venu au
comîméncement du siècle à Strasbourg, s'y était fixé et avait
épousé une Strasbourgeoise. De complexion délicate, le jeune
Cunitz ne semblait pas en état de supporter les fatigues
qu'entraînent les fortes études. Pourtant, comme élève du
Gymnase déjà et, plus tard, comme étudiant en théologie, il
sut, par une volonté énergique et tenace, vaincre les diffi-
cultés que lui créait une mauvaise santé et tenir dignement
son rang dans la brillante promotion qui réunissait les Berg-
mann, les Schimper, les Baum, les Ch. Schmidt, les frères
Stœber et d'autres encore.
Sa faible constitution ne lui permettant pas d'entrer dans
le ministère pratique, Cunitz se tourna vers la carrière de
l'enseignement. Ses études terminées à Strasbourg, il alla, en
1834, les compléter à Gœttingue et à Berlin, et puis à Paris.
Quand il revint à Strasbourg, Eeuss l'appela à diriger avec
lui la Société théologique. L'année d'après, il acquit, par une
savante dissertation sur «le décret de Nicolas II relatif à
l'élection des pontifes romlains », le grade de licencié en théo-
logie et commença à faire des cours.
Cunitz possédait un savoir étendu, notamment dans le
*) Voy. Rod. Reuss, Notice nécrologique sur M. Edouard Cunitz,
Professeur à la Faculté de théologie de Strasbourg (Extrait du Progrès
Religieux). Str. 1886.
AUGUSTE-EDOUAKD CUNITZ 153
domaine de l'histoire ecclésiastique, mais il était également
versé dans Texégèse et la critique du Nouveau Testament,
dans le droit ecclésiastique, dans l'histoire de la littérature
allemande et dans celle de Tart religieux. Il fit à différentes
reprises des cours sur ces dernières matières qui n'avaient
pas de représentant dans le corps enseignant du Séminaire.
Ses cours, consciencieusement préparés et très instructifs,
n'eurent pourtant pas le succès qu'ils méritaient. Cunitz
n'avait pas le don de la parole. Il ne parlait pas librement
dans ses leçons, il restait servilement attaché à son papier.
De là un manque de mouvement, de vie dans son exposition,
et, en définitive, un manque d'attrait. Les étudiants, d'ail-
leurs, dans leur grande majorité, ne s'intéressaient pas à des
questions qui ne figuraient pas sur le programme des exa-
mens.
Au moment où ces agrégés libres venaient rajeunir et
renforcer le corps enseignant du Séminaire, l'un des der-
niers survivants de l'ancienne Université et de l'Académie
protestante, le vieux professeur Ehrmann, était rappelé de
ce monde, il expirait le 24 septembre 1839. Sa mort ne laissait
pas de lacune dans le programme des leçons. Ehrmann avait,
dès le début et depuis, chaque année, annoncé un cours de
droit ecclésiastique, mais il était rarement arrivé à le faire,
faute d'auditeurs. On ne vit donc pas la nécessité de main-
tenir la chaire qu'il avait occupée en y nommiant un nou-
veau titulaire. Il y avait, dans le programme des études,
d'autres lacunes à combler. A la mort de Koch, on n'avait
pas pourvu à son remplacement et, depuis, l'histoire pro-
fane ne figurait plus au programme II était temps de remé-
dier à cet état de choses. Il en était de même de la théologie
pratique. Bruch avait occupé cette chaire, et puis, à la mort
de Eedslob, il avait été appelé à celle de dogmatique et de
morale, mais on avait négligé de lui donner un successeur
pour l'enseignement de l'homilétique et de la catéchétique.
Il en était résulté cette anomalie que Bruch, chargé des cours
de dogmatique, de morale et d'exégèse du Nouveau Testa-
ment, l'était encore de celui d 'homilétique. La tâche était
trop lourde: Bruch, avec la meilleure volonté du monde, ne
154 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
pouvait y suffire, et l'enseignement de la théologie pratique,
si essentielle, en souffrait.
Mais alors la question se posa: histoire ou théologie
pratique? A laquelle de ces deux disciplines fallait-il pour-
voir d^abordl Au sein du Séminaire, les avis étaient par-
tagés. Les uns opinaient pour la nomination d'un professeur
d'histoire, les autres pour celle d'un professeur d'homilé-
tique et de catéchétique. Ces derniers finirent par l'emporter.
La chaire de droit ecclésiastique fut convertie en chaire de
théologie pratique, et, dans sa séance du 3 octobre 1839, le
Séminaire proposa, et, dans sa séance du 10 octobre de cette
année, le Directoire nomma Charles Schmidt à cette chaire.
Ce choix, il faut le dire, n'était pas très heureux. Charles
Schmidt était un savant distingué, il avait fourni ses preuves
sur le terrain de l'histoire. Il était monté deux ou trois fois
en chaire, mais il n'avait jamais rempli d'autre fonction
pastorale. Il n'avait donc point l'expérience que donne seul
l'usage prolongé du ministère sacré. Parfaitement qualifié
pour une chaire d'histoire, il l'était moins pour une chaire de
théologie pratique.
Cependant le Séminaire ne perdait pas de vue la ques-
tion de l'enseignement de l'histoire. A défaut d'un profes-
seur titulaire, il décida de nommer un professeur suppléant
pour cette matière. Son choix tomba sur un de ses anciens
élèves qui vivait depuis de longues années à Paris, occupé
d'orientalisme, et qui avait acquis de la réputation dans cette
science.
Charles- Auguste Stahl ') était né à Strasbourg le 30 no-
vembre 1799. Orphelin de père et de mère dès son bas âge,
il avait, dans son enfance et sa jeunesse, connu les priva-
tions. Il avait pourtant pu, grâce à l'assistance de quelques
personnes qui s'intéressaient à lui, faire ses classes au
Gymnase et ses études dans la section propédeutique du
Séminaire. Il s'y était surtout livré à l'étude des langues sémi-
tiques et de l'histoire de l'antiquité et du moyen âge. Au
moment de prendre une décision relativement à son avenir,
il avait renoncé à la théologie et, suivant sa vocation, il s'é-
tait voué aux sciences historiques. A Paris, où il s'était rendu
*) Voy. Dr. Karl August Stahl, Professor der Geschichte an dem
protestantischen Seminar und an der Kaiserlichen Universitât zu
Strassburg, von L(ouis) S(pach). Str. 1874.
JEAN-GiriLLATJME BAUM
155
en 1824, il avait appris Tarabe avec Silvestre de Sacy, le
chinois avec Albert de Eémnsat, le persan avec Joubert et
avec de Chézy, le traducteur du poème de Sakuntala, puis
encore le turc et le sanscrit, et, en raison de sa connaissance
approfondie des langues orientales, il avait été nommé secré-
taire de la Société asiatique.
Malgré sa science et malgré les démarches de quelques
amis dévoués, Stahl, après quinze ans de séjour à Paris,
n'était pas arrivé à conquérir une position fixe et rétribuée.
Pour vivre, il avait dû accepter la très modeste et très fasti-
dieuse tâche d'enseigner aux élèves d'un lycée de Paris les
éléments de la langue allemande. Très opportunément, on
se souvint de lui à Strasbourg, et bien qu'il n'eût aucun titre
littéraire à faire valoir, la réputation de son immense savoir
suffit pour fixer sur lui le choix du Séminaire. On le nomma
professeur suppléant et, en considération de son âge, — il
avait plus de quarante ans — , on lui alloua le traitement,
considérable pour l'époque, de deux mille francs.
Ces deux nominations avaient provoqué au sein du Sé-
minaire une scission: quand il s'était agi de pourvoir à la
chaire de théologie, d'abord, et à l 'enseignemlent de l'histoire,
ensuite, une minorité s'était prononcée en faveur d'un jeune
savant qui avait passé brillamment sa licence en théologie, et
qui se recommandait, non seulement par de belles connais-
sances, mais par un vrai talent de prédicateur et, en général,
par les qualités de l'esprit et du cœur.
Jean-Guillaume Baum *) était né le 7 décenxbre 1809 à
Flonheim, dans le département du Mont-Tonnerre. Son père
était meunier. Peu fortuné et chargé d'enfants, il ne put
donner à un fils né avec les plus heureuses dispositions qu'une
éducation peu coûteuse et, dès lors, peu relevée. Il dut se con-
tenter de l'envoyer à l'école de l'endroit, qui était dirigée
par un invalide français. Heureusement pour lui, le jeune
Baumi fut confié, à l'âge de douze ans, à son oncle, le pasteur
Hessel, aumônier des prisons à Strasbourg. Il fréquenta
alors le Gymnase protestant, et, grâce à une intelligence ou-
verte et avide de savoir et à un zèle ardent, il n'eut pas de
peine à compléter l'instruction élémentaire qu'il avait reçue
*) Voy. Johann Wilhelm Baum, von Mathilde Baum. Str. 1902
(2e éd.).
156 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
à récole de son village. Elève, de 1828 à 1833, du Séminaire
et de la Faculté de théologie, il termiina ses études univer-
sitaires par un travail sur le Méthodisme qui fut jugé digne
du prix Schmutz de 3000 frs. Il eût voulu, à ce moment, s'en
aller avec ses amis, visiter, comme eux, les Universités étran-
gères. Il ne le put, ses moyens ne le lui permettaient pas. Il
fallut rester attaché à la besogne, travailler pour gagner sa
vie. Agrégé au Gymnase en 1834, pédagogue du collège Saint-
Guillaume en 1836, il fut appelé, dans cette mieme année, à
donner les prédications du soir à l'église Saint-Thomas. En
1838, il passa sa licence avec une thèse latine sur les Ori-
gines de la Réforme en France, et Tannée d'après, il annonça
un cours sur «l'histoire profane depuis les croisades jusqu'à
nos jours. »
Baum était donc parfaitement qualifié pour l'une et
l'autre des deux places en question, et, en l'absence d'un can-
didat qui s'imposait, il était naturel qu'on songeât à lui. Ce
qui d'ailleurs militait en sa faveur, c'était l'affection que lui
témoignait la jeunesse universitaire, qu'il s'était conciliée
dès le premier jour par son caractère à la fois doux et fort,
par son humeur joviale et sa verve intarissable. Si, malgré
ces qualités, on lui préféra Schmidt pour la théologie pra-
tique et Stahl pour l'histoire, c'était peut-être parce que ces
deux derniers étaient d'origine strasbourgeoise et que le Sé-
minaire pensait, avec raison, qu'il fallait donner la préfé-
rence aux enfants du pays. Il reconnaissait d'ailleurs les mé-
rites de Baum et le nommait, peu après, professeur agrégé
avec le très modeste traitement de 600 francs.
Baum ne fut pas plus heureux quand trois ans plus
tard il s'agit de donner à Lachenmeyer, décédé le 26 dé-
cembre 1842, un successeur dans la chaire de philologie. Ses
amis mirent cette fois encore sa candidature en avant, et
cette fois encore sans succès: Théodore Kreiss, professeur au
Gymnase, fut nommé à la chaire devenue vacante. Et c'était
justice. Baumi était sans doute un grand admirateur et un
fin connaisseur de l'antiquité latine, mais il n'était pas phi-
lologue, il en convenait lui-mêm^e. Kreiss, au contraire, avait
étudié à fond la science philologique et s'était distingué
dans l'enseignement des langues anciennes qu'il avait donné
pendant des années dans les classes supérieures du Gym-
nase.
THÉODOEE KREISS ^^'^
Théodore Kreiss ') était né le 18 juillet 1802 au presbytère
de Bischheim, dans le département du Bas-Khin. Mais son
père ayant été nommé cette même année pasteur à Téglise
Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg, on peut le considérer
comme un enfant de cette ville. Il fréquenta d'abord l'école
paroissiale de Saint-Pierre et puis le Gymnase, dont il par-
courut les classes si rapidement qu'il se trouva avoir terminé
ses études secondaires à l'âge de treize ans. Il suivit alors,
pendant quatre ans, les cours de la section préparatoire du
Séminaire et fut, en 1819, immatriculé à la Faculté de théo-
logie, oii il subit surtout l'influence de Redslob et
d'Emmerich.
Ses trois années de théologie terminées, Kreiss alla
passer quelque temps à l'Université de Gœttingue, pour se
familiariser avec la théologie et la philologie allemandes.
De là, il se rendit à Paris. Il y donna des leçons de grec et
de religion dans un pensionnat de jeunes gens et devint, en
1826, précepteur des enfants du prince Dolgorouky. Mais dès
l'année suivante, il revint à Strasbourg.
Sa santé débile le rendant im'propre à l'exercice du
ministère sacré, Kreiss se tourna vers la carrière de
l'enseignement. Ses débuts y furent des plus modestes. On
venait de créer une huitième classe au Gymînase, pour habi-
tuer les enfants au français dès leur entrée à l'école. On en
offrit la direction au jeune philologue. Il l'accepta, et il
remplit cette humble tâche avec la conscience qu'il mettait
en toute chose. Mais on comprit bientôt qu'il pourrait rendre
des services plus importants. On lui confia l'enseignement
du latin en IVe, puis celui du latin et du grec en Ille et en
lie, et, après qu'il eut été nommé professeur titulaire en 1833,
l'enseignement du latin en I^® et celui du latin et du grec en
11^. Pendant quinze ans, il initia ainsi, avec un zèle et un
dévouement qui ne se démentirent jamais, les élèves des
classes supérieures du Gymnase à l'intelligence des auteurs
grecs et latins et sut inspirer à plus d'un d'entre eux l'amour
de l'antiquité classique.
Il était naturel qu 'à la mort de Lachenmeyer le Séminaire
appelât à la chaire devenue vacante un maître qui avait fourni
^) Voy. Discours sur la vie et les travaux de M. Théodore Kreiss,
prononcé le 7 juin 1860 par J.-F. Bruch. Str. 1860.
158 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOUEG
ses preuves et qui semblait plus particulièrement apte à faire
comprendre à ses élèves ce qu'il y a de grand et de beau dans
la littérature grecque et latine. Kreiss connaissait cette
littérature à fond et, avec un goût parfait et un tact sûr, il
choisissait ses auteurs parmi ceux qui répondent le mieux
aux aspirations de la jeunesse: Eschyle et Sophocle, Pindare
et Virgile parmi les poètes, Thucydide et Démosthène, Tacite
et Sénèque parmi les prosateurs. Il étudiait, avec ses audi-
teurs, non seulement les formées, mais les sentiments et les
idées de ces auteurs. Et puis, il essayait de les initier à la vie
antique par des cours sur le développement de la vie publique
et privée des Grecs, sur la mythologie grecque, sur Thistoire
de la poésie lyrique grecque etc. Fin connaisseur en matière
littéraire, Kreiss Tétait aussi en matière artistique. Il était
allé dans le midi étudier les intéressants débris de Part
romSain à Nîmes, à Arles, à Orange et ailleurs, et il était allé
en Italie contemlpler les chefs-d'œuvre de Part grec; il en
était revenu plein d'admiration pour les formes si pures dont
les anciens avaient su revêtir la m^atière, et cherchait à com-
muniquer quelque chose de cette admiration à ses auditeurs.
Les cours de Kreiss, où l'éducation littéraire devenait
parfois une haute éducation morale, étaient fort goûtés. Ce
qui attirait les auditeurs, ce n'était pas seulement son
enseignement intéressant, clair, suggestif, mais sa person-
nalité même, ses qualités exquises de cœur et d'esprit, son
idéalisme: Vir cordatus et bonus!
Aux environs de 1840 toutes les chaires du Séminaire
se trouvèrent donc occupées et à la Faculté aussi on arrivait
à compléter le corps enseignant.
VI
Les discussions relatives aux places vacantes à la Faculté
avaient duré plus de trois ans sans aboutir. Le ministre per-
sistait dans sa manière de voir, et la Faculté, avec le Séminaire
et le Directoire, dans la sienne. Enfin, dans sa séance du 28 avril
1838, la Faculté décida de demander encore une fois que
Jung, qui enseignait l'histoire ecclésiastique depuis cinq ans,
fût définitivement nommé à cette chaire, que celle de morale
chrétienne fût confiée à Reuss, et que Bruch fût autorisé à
échanger la chaire d'homilétique avec celle de dogmatique.
I
LA FACULTÉ EST AU COMPLET 159
Le Directoire s'étant déclaré d'accord avec cette décision
«dans rintérêt des études et de la Faculté de Strasbourg»,
le ministre se vit obligé de faire un pas vers la solution de
la question: le 30 octobre 1838, il nomma Eeuss chargé de
cours pour renseignement de la morale chrétienne et autorisa
Bruch à passer de la chaire d'homilétique à celle de dogma-
tique.
Il s'agit alors de pourvoir à la chaire d'homilétique. Et
de nouveau les choses traînèrent en longueur. Ce n'est qu'en
1841 que, sur les instances réitérées de la Faculté, il y fut
enfin pourvu. Cette fois, on procéda d'après un mode nouveau.
La Faculté avait proposé de soumettre au ministre une liste
de trois noms parmi lesquels il choisirait. La proposition
ayant été approuvée par le Directoire, à la condition que
la Faculté se bornât à donner son avis sur les aptitudes et
les mérites des candidats, le ministre l'accepta à son tour.
Au moment où l'on établit la liste des trois noms, il se
produisit un incident inattendu. Matter eut l'idée qu'il pour-
rait joindre à la position d'inspecteur général de l'Université à
Paris celle de professeur de la Faculté de théologie à Stras-
bourg, et il demanda que son nom fût porté sur la liste.
La Faculté n'osa pas s'y refuser. Elle présenta Matter en
première, Schmidt en seconde, et Eedslob, le fils du regretté
doyen, en troisième ligne. Mais Guizot, alors ministre de
l'instruction publique, n'admettait pas le cumul des places,
n fit savoir à Matter qu'il avait à choisir entre les deux
positions, inspecteur général de l'Université à Paris ou
professeur de Faculté à Strasbourg, mais que réunir les deux
était impossible. Placé devant cette alternative, Matter se
désista et Charles Schmidt fut nommé.
L'année suivante amena la nomination de Jung à la
chaire d'histoire ecclésiastique et la Faculté se trouva enfin
être au complet avec six professeurs: Frédéric Bruch, doyen,
représentait la théologie systématique; Théodore Fritz,
l'exégèse de l'Ancien Testament; Edouard Eeuss, bien que
chargé du cours de morale chrétienne, l'exégèse du Nouveau
Testament; André Jung, l'histoire ecclésiastique; Charles
Schmidt, l'homilétique, la liturgique et la catéchétique, et
Eichard, le dogme réformé.
La Faculté n'eut jamais plus de six chaires. Un instant,
déjà avant 1842, on avait espéré qu'elle serait augmentée
160 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
d'une septième. Une ordonnance royale du 24 août 1838
avait décidé qu'il serait créé dans chaque Faculté de théo-
logie du Royaume une chaire de droit ecclésiastique, et,
depuis, les fonds pour trois de ces chaires, dont deux catho-
liques et une protestante, avaient été votés au budget. Mais
pour la chaire protestante, le choix n'était pas fixé entre
Montauban et Strasbourg. Le Directoire se hâta d'adresser
au ministre un exposé des motifs qui plaidaient en faveur
de la Faculté de Strasbourg. «Nous n'hésitons pas à dire»,
écrivait-il, « que s'il y a égalité de droits de la part des
élèves auxquels il serait destiné, l'enseignement (du droit
canonique) en lui-même, tel qu'il pourra être donné à Stras-
bourg, se trouvera doté d'éléments prépondérants de succès,
d'après la richesse et la variété des sources où il puisera»').
Le ministre répondit qu'il ne perdrait pas de vue la requête
que lui adressait le Directoire. Et ce fut tout. Jamais il ne
fut plus question de cette chaire de droit canonique.
Il y en avait une autre dont la Faculté avait à plusieurs
reprises demandé l'établissemlent, sans pouvoir l'obtenir,
c'était une chaire d'exégèse du Nouveau Testament. La chaire
d'exégèse établie à la Faculté lors de sa création était occupée
par le professeur d'hébreu, qui n'expliquait que les livres
de l'Ancien Testament; l'interprétation de ceux du Nouveau
Testament, si nécessaire aux futurs pasteurs, n'avait pas de
représentant officiel. C'était là une lacune des plus fâcheuses.
En 1832, un ancien élève de la Faculté de théologie, qui
lui était resté fidèlement attaché, avait essayé de la combler
en faisant appeler à Strasbourg un savant illustre, particu-
lièrement apte à relever les études bibliques. Edouard Verny ')
qui, d'abord avocat à Colmar, avait, à vingt-cinq ans, quitté
le barreau pour la théologie, était alors principal du collège
de Mulhouse et entretenait des relations suivies avec les
professeurs de l'Université de Bâle, notamment avec Vinet.
Par lui, il avait connu De Wette ') qui, depuis 1882, occupait
^) Lettre du président du Directoire du i7 janvier 18â0. La minute
se trouve aux Archives du Directoire.
') Louis-Edouard Verny (1803-1854) étudia la théologie à Stras-
bourg de 1828 à 1830. Il fut appelé en 1835 comme pasteur à Paris.
') Martin-Lebrecht De Wette ',1780-1849), professeur de théologie
à léna, puis à Berlin, 1810, connu surtout par son Introduction historico-
critique aux livres de TA. et du N. T., par sa traduction de la Bible et
TENTATIVE D'APPELEK DE WETTE A STEASBOUEG 161
une chaire dans cette Université. H avait lu les ouvrages du
savant théologien et avait été émerveillé de sa science et
de sa méthode. Il eut alors Fidée de faire appeler ce maître
de l'exégèse et de la critique sacrée à la Faculté de Strasbourg
et de demander qu'on créât pour lui une chaire d'exégèse du
Nouveau Testament. Il s'en ouvrit au recteur Cottard, qui
était de ses amis, il s'en ouvrit également à Reuss, et gagna
l'un et l'autre à son projet.
L'idée était hardie, sa réalisation pourtant ne semblait
pas impossible. Cousin, alors ministre de l'instruction
publique, avait rapporté d'un voyage fait en Allemiagne une
fervente admiration pour la science allemande; il songeait,
lui aussi, paraît-il, à appeler un savant allemand à la Faculté
de théologie de Strasbourg. Seulement, il n'avait en vue ni
De Wette ni aucun représentant des idées nouvelles, il
songeait à un semi-hégélien, au professeur Mathies de Greifs-
wald, savant assez obscur et dont la nomination n'eût guère
ajouté au renom de la Faculté.
Cependant Verny et ses amis avaient fait des ouvertures
à De Wette et celui-ci s'était montré disposé à venir à Stras-
bourg. Mais la mort de sa femme, survenue à ce moment,
le fit changer d'idée: il ne put se résoudre à quitter Bâle, les
habitudes qu'il y avait prises et le^ amis qu'il y avait trouvés,
pour commencer une nouvelle vie dans un nouveau milieu.
D'autre part, le projet attribué au ministre fut également
abandonné, et la Faculté de théologie resta avec ses six chaires
et ses six professeurs.
Trente ans plus tard, une nouvelle tentative fut faite,
cette fois dans un intérêt de parti, de gagner un savant de
renom pour occuper une chaire d'exégèse du Nouveau
Testament qui n'existait pas, mais dont on espérait obtenir
la création. C'est M. Philippe Godet qui, dans la biographie
de son père, Frédéric Godet, professeur d'exégèse à la Faculté
de théologie de Neuchâtel, nous donne connaissance de ce fait
assez ignoré. « Cette année-là (1866) », écrit-il, « Frédéric
Godet reçut des ouvertures de la part de la Faculté de
par ses Commentaires sur les Psaumes et les écrits du N. T. Destitué
en 1819 pour avoir écrit une lettre de condoléance à la mère de l'étu-
diant Sand, l'assassin de Kotzebue, il fut appelé, en 1822, à l'Université
de Bâle comme professeur de théologie.
11
162 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE 6TKASB0UEG
théologie de Strasbourg qui lui eût volontiers confié
renseignement de l'exégèse. » *) Des ouvertures furent donc
faites au professeur de Neuchâtel pour l'engager à venir à
Strasbourg et à s'y charger d'un cours d'exégèse. Voilà un
fait acquis. Mais ces ouvertures ne venaient pas, comme le
pense M. Philippe Godet, de la Faculté de théologie de Stras-
bourg, qui possédait en Keuss un exégèse éminent et ne
songeait nullement à en appeler un autre à côté de lui, elles
venaient d'autre part, de Paris, comme cela ressort clairement
de la lettre que M. Godet cite en partie et dont il a bien
voulu nous communiquer le texte complet.
Dans cette lettre, Frédéric Godet, écrivant à son fils aîné,
Georges, alors étudiant à Gœttingue, et lui parlant d'un ami
nommé récemment professeur de théologie et qui avait peu
de succès dans son enseignement, disait: «Au commencement
d'une carrière si importante, je me représente que ce doit
être un sentiment des plus pénibles. Chose pareille m'atten-
drait-elle à Strasbourg, si jamais je devais y aller! Je suis
à cet égard bien embarrassé. Mon sentiment répugne de plus
en plus à quitter. Et puis, je viens de recevoir une lettre
de M. Grandpierre en contenant une de M. Goguel de Mont-
béliard, qui parle de toute cette affaire dans un sens encou-
rageant pour moi et qui pourtant m'a découragé. Il paraît
qu'il faudrait le grade de docteur en théologie — puis une
souscription particulière pour combler le déficit des appointe-
ments, qui ne sont pour le professeur de théologie réformée
que de 3000 frs. Tout cela se complique, et mon sentiment
de plus en plus prononcé est de refuser. Le cœur me saigne
à certains égards, quand je me rappelle ce que M. Meyer
me disait de ces pauvres étudiants. Mais si je puis leur être
utile par quelque ouvrage... »
Cette lettre ne laisse subsister aucun doute. Il s'agissait
de pourparlers engagés entre les représentants de l'ortho-
doxie réformée et luthérienne de Paris, d'une part, et le
professeur d'exégèse de Neuchâtel, d'autre part, dans le but
de décider celui-ci à venir à Strasbourg, pour y donner à
ces «pauvres étudiants» réduits à entendre l'exégèse de
Reuss, de Bruch et de Cunitz, un enseignement conforme à
*) Philippe Godet, Frédéric Godet (1812-1904). Neuchâtel 1910,
p. 336 s.
FR. GODET REÇOIT UN APPEL DU PARTI ORTHODOXE 163
la tradition et à la croyance de l'Eglise. Frédéric Godet, bien
connu par ses commentaires et par ses controverses avec la
Revue de théologie, était l'homme qu'il fallait pour remplir
une pareille tâche.
n est regrettable que les lettres de Grandpierre et de
Goguel n'aient pas été conservées, elles auraient peut-être jeté
une lumière plus complète sur cet intéressant incident, mais
celle du professeur Frédéric Godet suffit pour nous éclairer
sur une tentative qui d'ailleurs ne réussit pas.
11*
CHAPITRE III
Eapports avec rAUemagne théologipe et avec la rrance
protestante — Activité littéraire des professeurs du Séminaire
et de la Faculté
Le Séminaire et la Faculté de théologie n'eurent d'abord,
et jusqu'aux environs de Tannée 1830, que peu de relations avec
l'Allemagne et ses théologiens. Ces relations avaient existé
autrefois. Strasbourg, avec son Université, avait été, à la fin
du X Ville siècle, le point où la France et l'Allemagne pre*-
naient contact. Les étudiants d'outre-Rhin étaient venus
suivre les cours de l'ancienne «Argentina», et ceux de Stras-
bourg étaient allés compléter leurs études dans les Universités
allemandes. Les professeurs Schweighaeuser et Blessig, Haff-
ner et Koch, Dahler et Herrenschneider, d'autres encore,
avaient passé autrefois quelques semestres en Allemagne;
Dahler avait même collaboré avec Eichhorn au Lexicon
Simonis et Koch avait reçu un appel, qu'il avait refusé, à
une chaire de l'Université de Gœttingue. Mais ces relations
avaient été rompues par la Révolution et, depuis, elles
n'avaient guère été reprises.
Durant la période napoléonienne, il est vrai, les étudiants
en théologie des pays annexés étaient venus faire ou achever
leurs études à Strasbourg, et, plus tard, deux Facultés de
théologie allemandes, celle de Halle et celle de Bonn, avaient
tenu à honorer des professeurs du Séminaire en envoyant le
diplôme de docteur, l'une, à Haiïner, l'autre, à Emmerich.
Mais c'étaient là des cas exceptionnels. En général, on ne
connaissait guère en Allemagne, même dans le monde savant,
les établissements ihéologiques de Strasbourg et les hommes
RAPPORTS AVEC L'ALLEMAGNE THÉOLOGIQUE 165
qui y professaient. Edouard Eeuss raconte, dans ses Sou-
venirs, que le surintendant Rohr, de Weimar, qu'il alla saluer
lors de son premier voyage en Allemagne, en 1826, ne con-
naissait que les noms des trois professeurs les plus anciens
du Séminaire et qu'à léna on lui demanda très sérieusement
s'il était vrai qu'on pût faire des études de théologie à Stras-
bourg. La publication du programme des cours du Séminaire
et de la Faculté dans un journal littéraire allemand n'y chan-
gea rien.
Il faut le dire, si les théologiens de Strasbourg et, avec
eux, les institutions théologiques de cette ville, étaient peu
connus à l'étranger, c'était bien de leur faute. Ils ne tentaient
rien pour se faire connaître au dehors. Haffner et Blessig,
aussi distingués par la supériorité de leur esprit que par
l'étendue de leurs connaissances, mais absorbés par les
devoirs multiples du ministère évangélique et du professorat,
n'avaient pas trouvé le temps de composer des ouvrages théo-
logiques. Ils s'étaient bornés à donner au public des traités
ascétiques, des recueils de sermons et de prières, qui étaient
beaucoup lus et fort appréciés à Strasbourg, mais qui
n'étaient guère connus ailleurs. Weber et Fritz n'avaient
jamais songé à écrire. Quant à Emmerich et à Redslob, ils
avaient réduit leur activité littéraire, l'un, à la publication de
deux volum'es de sermons et de ses dissertations pour acquérir
les grades universitaires, l'autre, à celle de nombreux sermons
détachés et de quelques discours académiques. Dahler était le
seul qui eût fait paraître, en français ou en allemand, des
ouvrages d'un caractère scientifique, des travaux exégétiques
sur les Proverbes, le prophète Jérémie et les Paralipomènes,
qui, reposant sur une étude personnelle et consciencieuse des
textes, n'étaient pas sans valeur, mais qui, peut-être à cause
d'une forme un peu lourde, n'avaient eu de succès ni au d^là
des Vosges ni de l'autre côté du Rhin.
Avec Tannée 1830, cela changea. L'un des derniers venus
parmi les maîtres du Séminaire, le professeur Bruch, eut le
miérite « de faire revivre le renom scientifique trop oublié de
l'ancienne Argentina » ') . La publication, en 1829, de son
Manuel de morale chrétienne (Lehrhuch der christlichen Sit-
tenlehre), celle surtout de la seconde édition revue, corrigée
') Allocution de Reuss au jubilé de Bruch.
166 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
et augmentée de cet ouvrage, en 1832, attira d'abord Tatten-
tion sur la Faculté de théologie de Strasbourg. Ce n'était
qu'un commencement. Dans les années qui suivirent, Bruch
fit paraître, à côté de deux recueils de sermons et d'un
ouvrage religieux d'un caractère plus pratique, une œuvre
théologique La doctrine des attributs de Dieu (die LeJire von
den gottlichen Eigenschaften) qui rencontra un accueil des
plus favorables. Cette miême année 1842, Eeuss publiait son
Histoire des livres saints du Nouveau Testament (Die Ge-
schichte der heiligen Schriften Neuen Testaments) qui, par
l'originalité de la méthode et la nouveauté de la forme, obtint
un succès extraordinaire, tandis que Baum et Schmidt
commençaient leurs publications historiques, l'un par la
biographie de François Lambert d^ Avignon, l'autre par celle
de Jean Tauler.
Par ces ouvrages écrits en allemand et par leur collabo-
ration aux encyclopédies des sciences religieuses, aux revues
de théologie et aux journaux littéraires qui paraissaient en
Allemagne, les théologiens de Strasbourg se firent peu à peu
connaître et apprécier au delà du Rhin. On les avait ignorés,
on les rechercha. On ofcit à l'un et à l'autre d'entre eux un
poste marquant dans une des grandes Eglises ou dans une
des Universités les plus célèbres de l'Allemagne. Ils refu-
sèrent par sentiment patriotique. A l'appel qu'on lui adressa
d'Iéna pour occuper la chaire du Nouveau Testament à la
Faculté de théologie de cette Université, Eeuss répondit:
« S'il y a vraiment quelque talent en moi, c'est ma patrie qui
y a le premier droit. »
Cependant les professeurs du Séminaire et de la Faculté
continuaient à publier une partie du moins de leurs ouvrages
en langue allemande. Ils déployaient, en général, une activité
littéraire des plus fécondes. A partir de 1850 surtout, ils firent
paraître sur les diverses branches de la théologie et de la philo-
sophie, des écrits d'une incontestable valeur. Le doyen Bruch
donnait, à cet égard, un magnifique exemple à ses collègues.
Au milieu des occupations les plus multiples et les plus absor-
bantes, et malgré les ennuis des fonctions administratives, il
arrivait à se ménager les moyens de prendre une part active
au mouvement littéraire de son temps. En 1851, dans un
ouvrage remarquable: La Sagesse des Hébreux (Die Weis-
heitslehre der Hebràer), il attirait l'attention sur la philoso-
phie éminemment pratique du vieux peuple d'Israël; en 1859,
PUBLICATIONS EN LANGUE ALLEMANDE 167
dans une étude sur La préexistence de l'âme (Die Lehre von
der Praeexistenz der Seele), il examinait et réfutait la théorie
du professeur Julius Miiller sur la préexistence de Tâme et
sur une chute de l'homme dans une existence antérieure. En
1846 enfin, il publiait un Essai psychologique, La théorie de
la perception intime (Die Théorie des Selbsthewusstseins),
où il faisait la critique des doctrines des matérialistes, des
panthéistes et des spiritualistes dualistes et donnait ime solu-
tion originale du problème posé, en cherchant à concilier
dans une théorie supérieure le spiritualisme et la doctrine
adverse. Dans ce même temps, Baum et Schmidt faisaient
paraître une série de monographies fort appréciées sur quel-
ques-uns des réformateurs du XVIe siècle, Baum, sur Théodore
de Bèze et sur Butzer et Capiton^ Schmidt, sur Pierre
Martyr Vermigli, Guillaume Farel, Pierre Viret et Philippe
Mélanchthon. Eeuss, de son côté, donnait de nouvelles
éditions revues et considérablement augmentées de son His-
toire du Nouveau Testament, et publiait, avec Cunitz, les
Mélanges de théologie (Bettrdge zu den theologischen Wissen-
schaften), qui contenaient d'intéressants travaux d'anciens
membres de la Société théologique. Aussi parlait-on dès lors,
en terre allemande, avec respect et admiration de l'Ecole de
Strasbourg, comme d'un « flambeau de la science théologique
qui répandait sa lumière au loin ». Elle ne la répandait pas
seulement au delà duEhin,mais aussi et surtout au delà des
Vosges.
II
Jusque-là, ni le Séminaire ni la Faculté de théologie
n'avaient eu de rapport avec le protestantisme français.
L'Académie protestante de Strasbourg avait été créée «pour
l'instruction des ministres de la Confession d 'Augsbourg ».
Or, sauf à Paris et au pays de Montbéliard, il n'y avait pas
en France de protestants de cette confession. Aussi les étu-
diants de l'intérieur et du midi ne songeaient-ils pas à venir
faire leurs études de théologie à Strasbourg, ils allaient à
Genève, où l'article 10 de la loi organique du 18 germinal
an X avait établi un Séminaire «pour l'instruction des
minstres des églises réformées» Depuis 1808, la nouvelle
Faculté de Montauban leur ouvrait également ses portes.
Mais même alors et plus tard quand, en 1814, Genève fut
définitivement détachée de la France, les étudiants français
168 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STKASBOUKG
continuer ent à fréquenter la ville du Léman, où ils jouissaient
de nombreuses bourses fondées autrefois par les protestants
de France et où la liberté académique était plus grande que
partout ailleurs. Le gouvernenient français admettait l'équi-
valence des études faites et des examens passés à T Académie
de Genève. Après 1820 pourtant, il y eut un changement à
cet égard. Le gouvernement permit encore les études à Genève,
mais il exigea que les derniers examens se fissent dans une
Faculté française. La conséquence en fut que chaque année
des étudiants français qui avaient achevé leurs études à
Genève venaient à Strasbourg, d'abord, seulement pour y
passer leurs examens, plus tard, pour y compléter ou y faire
leurs études. /
Pendant longtemps pourtant ils furent peu nombreux.
Les établissements théologiques de Strasbourg étaient peu
connus en France et l'enseignement qu'on y donnait était niai
jugé. Bruch et Willm crurent alors le monient venu de faire
connaître au public protestant français les doctrines philoso-
phiques et théologiques qui étaient professées au Séminaire
et à la Faculté de Strasbourg. Ils entreprirent, en 1837, de faire
paraître, avec le concours de plusieurs de leurs collègues,
sous ce titre: Essais et fragments de philosophie et de théo-
logie, une série de livraisons qui contiendraient des discours
académiques, des essais sur des questions de philosophie et
de théologie, des fragments de cours publics ou d'ouvrages
inédits. On devait y donner aussi des comptes rendus d 'ouvrages
philosophiques et théologiques et y publier, avec la liste des
cours du Séminaire et de la Faculté, celle des thèses qui
seraient soutenues pour acquérir les grades académiques. Le
premier volume de cette publication parut à Paris et à Stras-
bourg, chez F. G. Levrault; il contenait deux discours de
Willm sur l'Importance de l'exégèse de l'Ancien Testament
considérée sous le rapport philosophique et sous le rapport
religieux, et sur Les rapports de la morale avec la religion, un
article de Bruch sur l'Origine de la religion et un autre de
Fritz sur le But de l'éducaition. Ce premier volumfe devait être
suivi d'un second qui aurait un contenu plus riche. Le pasteur
Maeder, les professeurs Jung, Reuss, Schmidt et Cunitz, et
l'agrégé libre Schwebel avaient promis des articles. «Nous
voulons faire imprimer chaque année au moins un volume de
dissertations françaises », écrivait Reuss à son ami Graf .
L'entreprise était hardie; mais le moment n'était pas propice.
PUBLICATIONS EN LANGUE FEANÇAISE 169
L'intérêt pour les questions traitées dans les Essais n'existait
guère en France. Le premier volume avait eu peu de succès;
le second, avec des articles de Maeder, Bruch, Christian Bar-
tholmess et Charles Schmidt, en eut moins encore. La publi-
cation fut abandonnée.
Bruch et Willm, avec les Essais, n'avaient pas réussi
auprès du public français, mais, avant eux, un de leurs col-
lègues du Séminaire avait été plus heureux. Matter avait
été le premier dans la jeune génération à écrire en français.
Il avait fait paraître, et il faisait encore paraître à ce moment,
toute une série d'ouvrages d'histoire et de morale, littéraires
et philosophiques, dont plusieurs eurent une seconde édition
et dont quelques-uns furent même traduits en allemand. Deux
d'entre eux, V Essai historique sur V Ecole d'Alexandrie (2e
éd., 1840-1844) et le volume intitulé De Vinfluence des mœurs
sur les lois et des lois sur les mœurs (2e éd., 1841) avaient
été couronnés par l'Institut. Mais son œuvre principale, celle
qui lui fit le plus d'honneur et qui eut une plus grande impor-
tance pour la théologie et la philosophie françaises, fut son
Histoire critique du gnosticisme, dont la seconde édition,
considérablement augmentée, parut en 1844 en trois volumes.
A ces publications de Matter vinrent s'ajouter plus tard
l'œuvre capitale de Willm, son Histoire de la Philosophie
allemande depuis Kant jusqu'à nos jours, couronnée par
l'Académie des sciences morales et politiques, et qui jeta un
vif éclat sur l'auteur et sur le Séminaire, dont il était un des
maîtres les plus connus, et V Histoire critique des doctrines
religieuses de la philosophie moderne que Bartholmess fit
paraître pendant qu'il occupait la chaire de philosophie au
Séminaire et qui lui valut, avec la croix d^ la Légion d'hon-
neur et un des prix Monthyon, la nomination de correspon-
dant de l'Académie des sciences morales et politiques.
Sur le terrain historique, Charles Schmidt, après avoir
fait paraître, en 1839, une étude sur Jean Gerson et, en 1845,
un mémoire sur Gérard Boussel, publiait, en 1849, son remar-
quable ouvrage Histoire et doctrine de la secte des Cathares
ou Albigeois, qui fut couronné par l'Académie des Inscrip-
tions et Belles-Lettres et qui aujourd'hui encore est haute-
ment apprécié par le monde savant, et, en 1853, V Essai histo-
rique sur la société civile dans le ntonde rormin et sur sa
transformation par le christianisme.
Ces philosophes et cet historien, en publiant les fruits
170 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOUKG
de leurs études dans des ouvrages rédigés en français ren-
daient au protestantisme français des services signalés, mais
ne coopéraient qu'indirectement à la renaissance de la science
théologique qui, à ce moment, était absolument nulle en
France. Heureusement que Eeuss se décidait, à son tour, à
mettre sa science et son talent au service de la théologie
française.
Il s'était montré très sceptique à l'égard de l'entre-
prise tentée par Bruch et Willm. Il croyait qu'en France on
ne s'intéressait pas grandement aux questions religieuses et
qu'on s'y intéressait mbins encore aux questions théologiques.
Aussi s'était-il constamment refusé à rien publier en langue
française. Une expérience qu'il fit vers 1850 vint modifier
l'opinion qu'il s'était faite sur ce point.
Il raconte dans ses Mémoires que dans l'été de 1849 il
fit pour la première fois un cours en langue française sur la
Théologie du Nouveau Testament. Or, cette année les étudiants
de l'intérieur et du midi étaient venus en plus grand nombre
que d'habitude achever leurs études à Strasbourg. Il y avait
parmi eux quelques jeunes gens très sérieux, pleins d'ardeur
pour les études théologiques. Ils venaient de Genève, où l'exé-
gèse biblique en était encore à l'illustration philologique
des textes sacrés. L'interprétation théologique du Nouveau
Testament était pour eux une chose inconnue, une nouveauté:
Ils s'y intéressèrent au point de se réunir après chaque leçon
pour rédiger, d'après leurs notes, le cours qu'ils venaient
d'entendre. Des extraits de ce travail fait avec un grand soin
circulèrent à Genève et à Montauban et y firent sensation.
L'an d'après, de nouveaux étudiants de l'intérieur et du midi
vinrent à Strasbourg avec l'espoir d'entendre, à leur tour,
ces leçons de Théologie du Nouveau Testament que leurs
aînés avaient si hautement appréciées. Déçus dans leur
attente, Reuss ne faisant jamais le même cours deux années
de suite, ils supplièrent le maître de livrer son cours à
l'impression. Les étudiants de Genève, ceux de Lausanne et
de Montauban se joignirent, dans des adresses collectives, à
ces sollicitations. Devant ces vives iustances, Reuss crut devoir
céder. En 1852 parut son Histoire de la théologie chrétienne
au siècle apostolique qui exposait d'une m^anière magistrale
le développement des idées religieuses dans cette période
limitée. La presse libérale accueillit l'ouvrage avec une satis-
faction mêlée d'un peu de surprise; les journaux orthodoxes
LA BIBLE DE REUSS
171
rignorèrent. Il trouva pourtant assez de lecteurs dans le
monde laïque pour qu'en 1859 une seconde édition en devint
nécessaire.
Ce succès inattendu fut pour Reuss une révélation. Il
comprit qu'il y avait là des besoins qui demandaient à être
satisfaits. De France, il lui arrivait d'ailleurs des lettres qui
le priaient instamment de publier sur l'Ancien Testament un
pendant à son Siècle apostolique. C'est alors qu'il conçut l'idée
de doter le protestantisme français d'une Bible traduite et
commentée « qui, sans affecter les allures d'une sèche et labo-
rieuse érudition, offrirait à ceux qui veulent s'instruire
sérieusement une explication claire et succincte de toute
l'Ecriture sainte.»^) Il se mit aussitôt à l'œuvre et quatorze
ans plus tard, en 1874, parut chez G. Fischbacher, à Paris,
le premier volume de La Bible, traduction nouvelle avec
introductions et commentaires, qui avait été précédé d'un
Commentaire sur VE pitre aux Hébreux, d'une Histoire
du Canon des Saintes Ecritures dans V Eglise chrétienne
et de plusieurs études bibliques publiées dans la Bévue
de théologie. Aussi Eeuss a-t-il pu dire avec une légitime
fierté: «Du côté français, j'ai mis au bon moment la
main à la charrue et j'ai commencé à défricher le terrain;
quoi qu'il se fasse dans la suite, c'est avec mioi que commence
l'histoire de la renaissance de la théologie protestante dans
ce pays, et la base et la méthode que j'ai indiquées sub-
sisteront. »
Dès avant cette grande entreprise littéraire, une autre
qu'il mit en branle et à laquelle il prit une part active, avait
établi des Hens entre les théologiens de Strasbourg et le pro-
testantisme de langue française. En 1860, l'éditeur Bruhn de
Brunswig avait annoncé à Reuss que la publication des
œuvres de Mélanchthon, entreprise par Bretschneider et Bind-
seil, était terminée et qu'il avait l'intention de faire paraître
les Œuvres de Calvin comme deuxième série du Corpus
Beformatorum, Il demandait en même temps à Reuss s'il
serait disposé à se charger de ce grand travail ou s'il pouvait
lui indiquer quelques savants capables de l'entreprendre.
Reuss saisit avec empressement l'idée de faire élever ce
monum,ent au grand réformateur par des mains strasbour-
geoises. Non pas qu'il songeât à prendre part à cette entre-
La Bible par Edouard Reuss. Paris, 1874. Préface, p. 5.
172 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STEASBOURG
prise; il ne se croyait pas qualifié pour un travail de ce genre.
Mais il se disait que Strasbourg possédait des savants
capables de Tentreprendre s'ils unissaient leurs efforts. N'y
avait-il pas là Charles Schmidt, qui venait de faire paraître
les biographies de Farel et de Viret, Guillaume Baum, qui
avait publié deux volumes sur Théodore de Bèze, et puis
Timothée Rœhrich, Tauteur de PHistoire de la Réformation
en Alsace et spécialement à Strasbourg, et enfin Edouard
Cunitz, si versé dans cette partie de l'histoire ecclésiastique?
Ne pouvait-on pas, avec de pareilles forces, tenter l'entre-
prise?
Reuss s'adressa tout d'abord à ses amis Baum et Cunitz.
Ils accueillirent avec chaleur ses ouvertures, en y mettant
toutefois la condition qu'il se joignît à eux. Eeuss, après
quelque hésitation, y consentit, «pour maintenir l'accord
entre ses deux collaborateurs et les pousser». Et aussitôt le
savant triumvirat se mit à l'œuvre avec une ardeur infatigable,
recherchant, copiant, collationnant les manuscrits dispersés
dans les archives et les bibliothèques de France, d'Allemagne,
de Suisse surtout, les révisant, les coordonnant et les mettant
au point pour l'impression. Le programme général parut en
1860, le premier volume contenant l'édition latine de V Insti-
tution de la Religion chrétienne, en 1861; les autres écrits
dogmatiques du grand Réformateur suivirent de près en
9 volumes.
Aucun des trois savants qui avaient entrepris cette vaste
publication n'en devait voir la fin. Le cinquante-neuvième et
dernier volume des Œuvres de Calvin ne parut qu'en 1900,
neuf ans après la niort du professeur Reuss. Ses collabo-
rateurs avaient été rappelés antérieuremient, Baum en 1878,
Cunitz en 1886').
*) Quand Baum tomba malade en 1873, Reuss et Cunitz conti-
nuèrent la publication des Œuvres de Calvin, d'abord seuls et, depuis
1882, avec la collaboration de Paul Lobstein. Puis, Cunitz ayant été
rappelé en 1886, et Lobstein étant absorbé par les travaux du profes-
sorat, Reuss s'adressa à Alfred Erichson, le savant directeur du col-
lège Saint-Guillaume, pour se faire seconder par lui. Erichson, après
la mort de Reuss, en 1891, s'adjoignit Guillaume Baldensperger, alors
agrégé libre au Séminaire, et puis le pasteur Louis Horst de Saint-
Nicolas, et avec leur aide, mena à bonne fin une publication que Reuss
avait d'ailleurs soigneusement préparée dans tous ses détails.
CHAPITRE rV
Séminaire et Faculté — Cours dans les deux langues
Extension de l'enseignement — Sociétés philologiques et théo-
logiques — Examen de candidat et haccalauréat en théologie
Discussions sur l'état des études et de la discipline
La création de la Faculté de théologie n'avait apporté
aucun changement notable dans Tétat de choses existant. Le
Séminaire était resté ce qu'il avait été jusque-là avec ses
deux sections propédeu tique et théologique; à la Faculté avait
été réservé le droit de faire subir les examens d'Etat et de
conférer les grades universitaires, c'est-à-dire les grades de
bachelier, de licencié et de docteur en théologie. Loin de se
gêner, les deux établissements se complétaient mutuellement.
Le programme de la Faculté, après l'énumération de ses
cours, disait expressément: « Les autres parties de la Théologie
seront enseignées, par les professeurs de la Faculté, au
Séminaire protestant, dont le programme les indiquera».
Les professeurs de la Faculté n'étaient pas seulement choisis
parmi ceux du Séminaire, ils conservaient leur ancienne chaire
à côté de la nouvelle. Ils donnaient les mêmes cours qu'ils
avaient donnés jusque-là; ils les donnaient devant les mêmes
auditeurs et dans les mêmes locaux; une seule chose était
changée: des deux cours que chacun d'eux était appelé à faire,
l'un était pour le Séminaire, l'autre pour la Faculté, l'un
se faisait en allemand, l'autre en français.
C'était là, en effet, une des conséquences de la création
de la Faculté de théologie et de la nomination à la Faculté
et au Séminaire de quelques professeurs appartenant à la
174 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOUEG
jeune génération, on commença à faire des conrs en langue
française. Cela ne s'était pas" vu jusque-là. Nous trouvons,
il est vrai, dans le programme des leçons de TAcadémie
protestante pour l 'année scolaire 1807-1808, l 'annonce suivante :
« M. Eedslob donnera un cours de psychologie empirique en
langue française », mais cette annonce ne reparaissant pas
dans les programmes des années suivantes, il faut sans doute
en conclure que ce cours français n'avait pas eu lieu faute
d'auditeurs et qu'au Séminaire on ne crut point devoir
renouveler une expérience qui avait si mal réussi. A la
Faculté de théologie, établissement de l'Etat, les cours
principaux se firent dès le principe en français. Cela était
dans l'ordre des choses et d'autant plus indiqué que les
étudiants venant du pays de Montbéliard ou de l'intérieur
et du midi n'avaient, en général, aucune notion de la langue
allemande. Le Séminaire, il est vrai, leur donnait, depuis
1826, l'occasion et les moyens de se familiariser avec cet
idiome: il avait établi, à leur intention, un cours d'allemand;
înais ce cours était mal suivi, et même lorsqu'il eut été rendu
obligatoire, il ne donna pas les résultats qu'on en attendait.
On ne put donc plus maintenir au Séminaire l'usage exclusif
de l'allemand, il fallut y organiser des cours français dans
la section propédeutique aussi bien que dans la section
théologique.
La nécessité s'en fit de plus en plus sentir. Au mois
d'octobre 1842, l'inspecteur ecclésiastique Bœckel, dans une
lettre *adressée au Directoire, signalait la difficulté de trouver
des candidats pour les places de pasteur dans lesquelles la
connaissance du français était indispensable. Il demandait
qu'à l'avenir les candidats, avant d'être nommés à un poste
de pasteur, fussent astreints à faire deux prédications en
français pour prouver qu'ils possédaient suffisamment cette
langue. Le Directoire accueillit favorablement cette propo-
sition; il la transmit au Séminaire, en insistant sur l'utilité
d'une mesure qui comblerait dans le programme des études
une lacune longtemps ressentie. La Faculté, saisie, à son tour,
de la question, prit, dans sa séance du 23 juin 1843, un arrêté
aux termes duquel le cours de théologie pratique s'étendrait
sur deux années, consacrées, la première, à la théorie, la
seconde, à la pratique. Cette dernière comprendrait deux séries
d'exercices, l'une pour la section française, l'autre pour la
l'enseignement dans les deux langues 175
section allemande, et une troisième pour les deux sections
réunies. Les candidats devaient, dans les six semaines avant
leur examen, faire deux prédications, dont Tune au moins
en français.
On maintint pourtant au Séminaire, à côté de renseigne-
ment en langue française, celui en langue allemande, et cela
pour deux raisons. D'abord, la langue allemande était celle
dans laquelle la plupart des jeunes théologiens seraient appelés
un jour à prêcher et à donner Tinstruction religieuse à la
jeunesse. Il était donc nécessaire qu'ils fussent exercés à la
manier. Et puis, la langue allemande était, si l'on peut dire,
la langue classique de la théologie protestante. La science
théologique avait été cultivée en Allemagne plus qu'en aucun
autre pays, elle y avait fait de grands progrès et avait
provoqué des travaux remarquables qu'il n'était pas permis
à un théologien sérieux d'ignorer. Tout le monde était d'accord
là-dessus. Aussi voyons-nous, dans la session du Consistoire
général de 1851, les homnies les plus compétents se prononcer
pour la conservation, dans l'enseignement théologique, de la
langue allemande à côté de la langue française. »Les études
théologiques », déclarait le professeur Ehrmann, î doyen de
la Faculté de médecine et membre du Consistoire général, « ne
devront pas être suivies exclusivement en français ou en
allemand, il faudra longtemps encore le concours des deux
langues». Et le président Braun ajoutait: «N'oublions pas
surtout, pour justifier la continuation de certains cours en
allemand, que les sources de la science théologique protestante
sont en Allemagne. »
Bientôt, il est vrai, cela changea. Dans la période de
1848 à 1870, l'usage de la langue française se répandit très
rapidement en Alsace. L'éducation des jeunes théologiens
devint de plus en plus française, et vers 1870 il ne se faisait
plus au Séminaire que deux ou trois cours en allemand.
II
Grâce à la combinaison des cours du Séminaire avec
ceux de la Faculté, grâce aussi au zèle ardent des profes-
seurs, l 'enseignement théologique prit plus d 'extension. Quand
on parcourt les programmes du Séminaire et de la Faculté des
aimées 1821 à 1830, on y trouve à côté de l'annonce des cours
176 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOUKG
officiels, c'est-à-dire de ceux dont les professeurs étaient
officiellement chargés et qui étaient obligatoires, des cours
libres et facultatifs. A la dogmatique, la morale chrétienne,
l'histoire ecclésiastique, l'exégèse de l'Ancien et du Nouveau
Testament, et l'homilétique viennent se joindre l'introduction
aux livres sacrés, l'histoire des dogmes, l'archéologie hébraïque,
le droit ecclésiastique. Matter, en 1824, offre de faire un cours
de symbolique; Jung, en 1827, annonce un cours d'encyclo-
pédie et de méthodologie, et Fritz, la même année, un autre
d'apologétique. Sans doute, on constate encore, dans le tableau
des leçons, des lacunes très regrettables; des matières impor-
tantes, la théologie biblique, l'archéologie chrétienne, l'histoire
du peuple d'Israël, d'autres encore y manquent. Les cinq
professeurs de la Faculté qui étaient en même temps
professeurs au Séminaire, ne pouvaient, malgré leur zèle,
suffire à la tâche. Les nouveaux chargés de cours, Fritz et
Lachenmeyer, appartenaient à la section propédeutique, et
Jung, seul privatim-docens de théologie, était à son début.
En dehors des cours, le Séminaire offrait pourtant à ses
élèves des deux sections plus d'ime occasion de compléter leur
instruction. En 1813 déjà, il avait décidé d'instituer, le
deuxième et le quatrième dimanche du mois, dans la grande
salle des cours, des réunions où les étudiants se rencontreraient
avec leurs professeurs et pourraient les consulter sur leurs
études. Dans la suite, quelques-uns des jeunes maîtres du
Séminaire organisèrent des conférences ou des exercices dans
lesquels les élèves acquerraient, avec de nouvelles connais-
sances, le goût du travail. Dahler dirigeait une société philo-
logique où une élite s'exerçait à parler et à écrire en latin
et expliquait les auteurs grecs et latins qui étaient générale-
ment peu connus. Geoffroi Schweighaeuser présidait une
réunion appelée «le declamatorium » parce qu'on s'y exerçait
surtout à la lecture et à la récitation. Matter, dans la section
théologique, invitait les étudiants de seconde année à traiter
des sujets empruntés à l'histoire ecclésiastique et corrigeait
avec soin les compositions qui lui étaient remises.
La « Société du Couvent » créée spécialement pour les
internes du Collège Saint-Guillaume — bien que les externes
n'en fussent pas exclus — avait également pour but de
familiariser ses membres avec les problèmes théologiques. On
y discutait pourtant de préférence des questions d'histoire.
I
1
LA SOCIETE THEOLOGIQUE 177
de philosophie et de philologie. La Société d^ailleurs était
mal organisée: elle réunissait dans les mêmes séances et
autour des mêmes travaux tous les étudiants, ceux qui étaient
dans la troisième année de théologie et ceux qui venaient
d'entrer dans la section préparatoire. L'intérêt des membres
était partagé; c'était là une cause de faiblesse. On finit par
s'en rendre compte et on divisa la société en deux sections.
Mais c'était trop tard: la Société du Couvent ne fit plus que
végéter et, en 1827, elle cessa d'exister.
Avec elle disparut une autre Société, «le Collegium dis-
centium », association libre, sans direction officielle, de jeunes
théologiens sérieux et capables qui, pendant vingt ans,
avaient travaillé en commun à entretenir et à fortifier l'esprit
scientifique dans le corps pastoral alsacien.
Toutes ces sociétés, auxquelles, dans les années 1822 à
1828, vinrent s'en ajouter d'autres, telles que la Société philo-
matique, la Philoponia, la Philologia, l'Eunomia, qui d'ail-
leurs n'eurent qu'une existence éphémère, cultivaient princi-
palement ou exclusivem^ent la philologie, la philosophie et
l'histoire; aucune d'entre elles ne s'était donné la tâche
d'étudier les problèmes dogmatiques, moraux ou exégétiques.
C'est pour combler cette lacune regrettable que deux
jeunes théologiens qui ne faisaient point partie du corps
enseignant du Séminaire ou de la Faculté, Jean-Jacques
Bochinger, directeur du collège Saint-Guillaume, et Edouard
Eeuss, licencié en théologie, fondèrent, en 1828, la «Société
théologique », que Eeuss présida après la mort de Bochinger,
que Eeuss et Cunitz présidèrent plus tard ensemble, et oii,
pendant plus d'un demi-siècle, des centaines d'étudiants trou-
vèrent, avec un complément d'instruction, la direction et
l'entraînement dont ils avaient besoin dans leurs études.
Bochinger créa, presque en même temps, la « Société philo-
logique », qui réunissait les élèves de la section propédeutique
autour des questions littéraires et historiques et leur appre-
nait à penser et à travailler. Sœur cadette de la Société théo-
logique,^ elle restait d'autant plus étroitement liée avec elle
qu'elle était placée sous la même direction, celle de Eeuss, et,
plus tard de Eeuss et de Baum.
Les étudiants ne manquaient donc ni d'occasions ni de
stimulants pour leur développement intellectuel. Les examens
semestriels auraient dû, à leur tour, éveiller et stimuler
12
178 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STBASBOUEG
Pardeur et le zèle des élèves. Mais ils étaient mal organisés.
Il faut entendre Reuss raconter, dans ses Mémoires, comment
les choses se passaient dans les examens de la section théo-
logique. « Dans la grande salle des cours », dit-il, « les cinq
professeurs venaient prendre place, Tun à côté de Tautre;
les étudiants s'entassaient dans les derniers bancs, séparés
des examinateurs par un assez grand espace, si bien qu'on
entendait à peine la voix de Hafeer. Chacun des profes-
seurs posait une ou deux douzaines de questions, en appelant
par leurs noms ceux auxquels il s'adressait; mais la réponse
sortait du tas, elle était faite par celui qui savait quelque,
chose ou soufflée par lui au voisin. Beaucoup d'élèves ne se
présentaient pas à l'examen, et leur absence n'était pas cons-
tatée. Il était impossible aussi de savoir si chacun avait
répondu aux questions qui lui étaient posées et s'il savait
quelque chose. Aussitôt que Haffner avait fini ses interro-
gations, il tirait un livre de sa poche et ne s'occupait plus
ni de ses collègues ni des étudiants. Ces examens ne don-
naient donc aucun résultat pratique. »
Les examens pour l'obtention du grade de candidat en
théologie, beaucoup plus importants que les examens semes-
triels, n'avaient pas non plus le caractère rigoureux que l'on
est en droit d'attendre de ces épreuves. Pour se faire une
idée de ce qu'ils étaient, il faut encore écouter Reuss relatant,
dans une page curieuse, l'examen qu'il subit le 19 août 1825,
en même temps que trois de ses condisciples.
«L'examen de candidat», dit-il, «consistait dans un
colloque avec Haffner sur la dogmatique, avec DaMer sur
l'Ancien Testament, avec Redslob sur la morale, avec Matter
sur l'histoire ecclésiastique et avec Bruch sur le Nouveau
Testament. Le tout ne devait pas durer plus de trois heures,
bien que nous fussions quatre candidats, car Haffner, quand
il avait terminé, n'attendait pas un quart d'heure pour mani-
fester son impatience vis-à-vis des autres examinateurs. Il y
avait, avec moi, Hoffet, Jeanmaire et un certain Ducros de
Nîmes. L'examen ne nous causait guère de souci. Nous
piochions les cahiers de Haffner, et c'était à peu près tout.
Le jour avant l'examen, Hoiïet fut dépêché vers Dahler pour
savoir sur quoi il nous interrogerait. L'excellent homme,
selon son habitude, commença par déclarer que nous devions
savoir tout ce qu'il avait expliqué dans les trois dernières
LES EXAMENS DE CANDIDAT 179
années, son éternel Esaïe, le Psautier et les douze petits
prophètes; mais qu'il était convaincu que nous avions toujours
bien travaillé et que, par conséquent, il ne nous examinerait
que sur le quatrième chapitre de Michée. Et tout de suite
nous nous mîmes, avec les scolies de Rosenmiiller, à préparer,
pour la parade du lendemain, un prophète que nous aivions
oublié depuis longtemps. La morale de Redslob était notre
moindre souci. Il avait Thabitude, dans les examens, de
parler lui-même, et pour un mot de trois syllabes qu'il atten-
dait du candidat, de lui en dire les deux premières. On s'esti-
mait particulièrement heureux quand on pouvait porter
l'entretien sur le matérialisme ou sur l'eudémjonisme qu'il
haïssait comme la moîrtj Un candidat qui avait assez de
présence d'esprit pour prendre imimédiatement la parole et
lancer quelques tirades contre ces systèmes était sauvé. Les
plus à plaindre étaient les deux jeunes professeurs. L'impa-
tience de Haffner ne leur laissait pas le temps de respirer
ni celui de nous tourmenter. Quant aux questions posées par
Matter, je nie souviens seulement que c'étaient des généralités
et que la science d'un élève de Gymnase eût suffi pour y
répondre. Bruch nous examina sur le discours de Paul à
Athènes. » ^)
L'examen n'était pas seulement oral, il comprenait une
dissertation latine que les aspirants au grade de candidat en
théologie présentaient avant le colloque et dont un des exami-
nateurs rendait brièvement compte. Mais pour obtenir le
diplôme de bachelier en théologie, il fallait autre chose, il
fallait soutenir une thèse publique en présence de tous les
professeurs de la Faculté. Eeuss dit que les étudiants
réformés étaient obligés par le règlement de faire imprimer
leur thèse et que les étudiants luthériens n'y furent forcés
que quelques années plus tard. En effet, les thèses imï)rimées
présentées à la Faculté dans les années 1824 à 1828 — car
avant 1824 les thèses imprimées n'existent pas à Strasbourg
-- sont toutes, sauf celle de Reuss, en 1825, des thèses de
candidats réformés de l'Alsace et surtout du midi et de
l'intérieur. Mais il y a plus. Dans les premières années de la
Faculté, les élèves du Séminaire n'étaient pas tenus de
prendre le grade de bachelier en théologie, il suffisait qu'ils
*) Ed. Reuss, loc. cit.
180 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOUEG
eussent passé Texamen de candidat. En 1825 encore, nous
voyons le doyen Haffner s'élever, dans une lettre adressée
au recteur de T Académie, contre Tobligation qu'on voulait
leur imposer d'acquérir ce grade. «La composition d'une
thèse», dit-il, «et la soutenance publique sont des exercices
fort utiles, m'ais si les épreuves auxquelles sont soumis les
aspirants au baccalauréat en théologie sont rigoureuses, celles
auxquelles le Séminaire soumet ses élèves avant de les
admettre au grade de candidat ne le sont pas mk)ins. —
Astreindre les élèves du Séminaire à se pourvoir du grade de
bachelier en théologie, ce serait leur imposer une dépense
bien onéreuse et si disproportionnée aux moyens pécuniaires
de plusieurs qu'ils seraient obligés de renoncer aux études
théologiques. » *)
Cet état de choses, assez étrange, qui divisait les étudiants,
quant au dernier examen, en deux classes, les uns subissant
l'examen de candidat avec une dissertation écrite présentée
aux examinateurs, les autres passant les épreuves du bacca-
lauréat en théologie avec une thèse imprimée et une soute-
nance publique, dura quelques années. L'arrêté du 24 mai
1828 y mit fin. Il rappelait qu'après trois années d'études
les étudiants pouvaient se présenter à l'examen du bacca-
lauréat en théologie, et il ajoutait qu'il n'était dérogé en rien
aux différentes épreuves auxquelles les étudiants étaient
assujettis. Dès lors, il ne fut plus fait de différence entre les
uns et les autres; tous étaient soumis à la même règle: thèse
imi')rimée et soutenance publique. L'organisation de la
Faculté se trouvait enfin achevée.
III
A ce moment, le Séminaire et la Faculté étaient dans un
état prospère. Les professeurs, les jeunes surtout, com-
prenaient leur mission de donner à leurs élèves une forte
instruction et de faire en même temps leur éducation au
point de vue moral. Us s'appliquaient à remplir con-
sciencieusement cette double tâche, et leurs eiïorts n'étaient
pas vains. Les étudiants avaient, en général, le goût du
travail et se signalaient par une conduite régulière. Logés,
*) Lettre du 8 nov. i825 (Arch. du Département).
LA CONDUITE ET LES ETUDES DES ELEVES CRITIQUEES 181
en grande partie, à Tinternat de Saint-Guillaume, placés sous
la surveillance du directeur de cet établissemfent, ils étaient,
par cela même, préservés de bien des tentations à Pincon-
duite. Sans doute, tous les articles du règlement n'étaient pas
strictement observés, celui qui défendait la fréquentation des
cafés et des brasseries était, paraat-il, souvent violé, mais,
en somme, les cas disciplinaires qui se présentaient étaient
assez rares et de peu de gravité.
Malgré cet état de choses plutôt satisfaisant, la conduite
et les études des jeunes théologiens étaient Pobjet de nom-
breuses critiques. Des rapports défavorables furent envoyés
à Paris. L'autorité supérieure s'en émut; elle crut devoir
intervenir et réclamer des réformes au double point de vue
de la discipline et des études.
L'autorité supérieure, c'était pour lors le grand maître
des Facultés de théologie protestantes. Lorsque, au com-
mencement de l'année 1824, le ministère des affaires ecclé-
siastiques nouvellement créé avait été confié au grand maître
de l'Université, les Facultés de théologie protestantes en
avaient été détachées et leur grande mlaîtrise attribuée à un
protestant. Le célèbre naturaliste Georges Cuvier, membre
du Conseil de l'Université et chancelier de la Commission de
l'instruction publique, avait été appelé à ces hautes fonc-
tions. Il y apporta un zèle ardent, s 'occupant non seulement
de la situation générale des établissements qui étaient sous
sa direction, m'ais du développement scientifique, m!oral et
religieux de leurs élèves. Les renseignements qu'il avait reçus
sur le Séminaire et la Faculté de Strasbourg lui semblaient
appeler deux mesures: une surveillance plus active de la
conduite des étudiants et un renforcement des études théo-
logiques. Aussi s'adressa-t-il à différentes reprises au prési-
dent du Directoire pour la répression des abus qui lui étaient
signalés. « J'ai eu déjà plusieurs fois l'occasion», lui écrivait-
il le 21 octobre 1828, « de vous entretenir de la conduite des
étudiants de la Faculté de théologie et du Séminaire et de la
nécessité de préserver leurs mœurs... Il paraîtrait, d'après
le rapport de M. l'Inspecteur général, que les mesures qui
ont été prises jusqu'à présent sont insuffisantes, qu'une
cinquantaine d'élèves logés en chambres garnies sont à peu
près sans surveillance et que la plupart des boursiers du
gouvernement sont dans ce nombre. Un tel état de choses
182 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOUEG
ne saurait subsister. » H avait appris avec une vive satis-
faction que des constructions nouvelles avaient été com-
mencées dans les bâtiments du Temple-Neuf pour recevoir
des pensionnaires et offrir ainsi à un plus grand nombre
d'étudiants des préservatifs contre Pinconduite qu'ils ne
trouvaient point lorsqu'ils étaient logés chez des particuliers.
Peu de semaines après, le 26 novembre, il demandait des ren-
seignements précis sur ce point important. « Les dispositions
faites par le Directoire dans les bâtiments du Temple-Neuf
ou ailleurs seront-elles suffisantes pour y recevoir tous les
étudiants? Et dans le cas où les nouvelles constructions
n'atteindraient pas ce but, quelles mesures provisoires ont
été prises par le Directoire pour préserver les mœurs des
jeunes théologiens libres 1 *)
Cette lettre faisant présumer que le grand miaître avait
reçu des- renseignements très inexacts sur la moralité et La
discipline des élèves de la Faculté et du Séminaire, l'assemlblée
des professeurs décida qu'un rapport sur ce sujet serait
adressé au Directoire avec prière de le transmettre au grand
maître.
Mais déjà arrivait ime nouvelle lettre, plus pressante,
plus sévère, «Le protestantisme», y disait le grand maître,
« repose sur deux bases essentielles, des mxBurs sévères et la
plus haute instruction. Déjà j'ai fait des efforts pour arracher
les élèves en théologie de Strasbourg aux désordres, suite
nécessaire du peu de surveillance que l'on exerçait sur eux;
j'espère que l'on observe les recormnandations que j'ai faites
pour qu'on ne les laisse pas continuer à fréquenter les cafés
et les cabarets et à se mlontrer en public autrement qu'en habit
convenable à leur état, et si les recommandations si impor-
tantes pour l'honneur de notre religion étaient négligées, je
m'empresserais de prendre des moyens plus efficaces. » *)
Ces reproches et ce ton comminatoire, les professeurs du
Séminaire et de la Faculté ne crurent pas devoir les accepter.
Ils adressèrent une lettre au Directoire dans laquelle ils
déclaraient que les efforts du Séminaire et de la Faculté
pour retenir leurs élèves dans les limites de la bienséance et
de la vertu n'avaient pas été vains. « Nous pouvons affirmer »,
*) Lettre du 25 nov. 1828 (Arch. du Directoire).
') Lettre du 28 nov. 4828 (Arch. du Directoire).
LE GRAND MAITRE DEMANDE DES REFORMES 183
disaient-ils, «qu'en aucun temps peut-être il n'y a eu dans
le nombre de nos élèves tant de sujets qui se sont signalés
par une conduite irréprochable et tant qui sont tout à fait
distingués sous le rapport littéraire aussi bien que sous le
rapport moral. » ^)
Le baron Cuvier revint pourtant à la charge. « Il appert
des rapports qui me reviennent », répondit-il, « que beaucoup
de nos étudiants sont vus dans de tels lieux (cafés et bras-
series), et cela au plus grand scandale des amis de la religion
et des bonnes mœurs. Je, ne puis donc qu'inviter les différents
corps qui ont une autorité quelconque sur eux, d'unir leurs
efforts pour mettre fin aux plaintes qui se sont élevées et de
fortifier les jeunes théologiens dans les principes et les senti-
ments qui sont conformes à leur état. »')
Mais, aux yeux du grand maître, les études théologiques
appelaient, elles aussi, de sérieuses réformes. Le baron Cuvier
voulait des pasteurs savants «dignes d'être comparés aux
grands théologiens qui ont illustré autrefois l'Eglise réformée
de France». «Ce doit être pour nous tous une affaire de
conscience», écrivait-il au président du Directoire, «or, je
ne puis vous dissimuler que, d'après tout ce que je vois et
ce que j'apprends, il y a encore beaucoup à faire à cet égard;
les examens tels qu'ils ont eu lieu jusqu'ici et tant qu'ils
seront secrets, quelque soigneux que puissent être les exami-
nateurs, ne donnent aucune garantie au public. » ') Il prit
lui-même, le 2 juin 1829, un arrêté réglant le détail tant des
examens périodiques que de ceux pour l'obtention des grades.
Ces derniers, il les voulait publics. Les membres du Direc-
toire et du Consistoire général de Strasbourg devaient être
conviés à y assister, et une copie des procès-verbaux de ces
examens devait être adressée au Conseiller d'Etat chargé
des affaires des Cultes non-catholiques et au mjembre du
Conseil royal qui exerçait les fonctions de grand miaître pour
les Facultés de théologie protestantes.
L'année 1830 amena, au point de vue moral, un change-
ment peu favorable. La surexcitation des passions politiques.
') Lettre du Vice-dîrecteur du Séminaire au président et aux
membres du Directoire, du 7 janv. 4829. (Arch. du Dir,)
') Lettre du grand maître au président du Directoire du 3i mars
4829. (Arch. du Dir.)
») Lettre du 28 avril 4829. (Arch. du Directoire.)
184 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE 6TEASB0URG
le service des étudiants en théologie dans la giarde nationale,
leurs rapports plus fréquents et plus étroits avec les étudiants
en droit et en médecine, d'autres causes encore, ne furent
pas sans exercer une influence néfaste sur les études acadé-
miques aussi bien que sur la conduite des jeunes théologiens.
De là, de nouveaux avertissements et de nouveaux conseils
de la part du grand maître. Le 27 septembre 1831, il constatait
que la conduite des étudiants en théologie avait donné et
donnait encore lieu à de nombreuses et graves accusations,
et il demandait que les réformes projetées fussent appliquées
non seulement aux étudiants internés au Collège de Saint-
Guillaume, mais à tous sans exception ^) .
Et certes, il était indiqué de prendre des mesures contre
des dérèglements amenés ou favorisés par les circonstances.
Mais c'était une erreur de croire qu'on arriverait à améliorer
la situation par des règlements de police; c'était une erreur
non moins grande de s'imaginer qu'on pouvait traiter des
étudiants en théologie protestants comme on traitait des
séminaristes catholiques, et que le salut était dans le caserne-
ment des élèves et dans une surveillance plus étroite. Le
président du Directoire n'avait pas tort quand il répondait
aux objurgations réitérées du grand maître, qu'il ne croyait
pas que le remède aux niaux signalés fût dans la réunion
des étudiants dans un internat; qu'à son avis, il vaudrait
mieux diminuer le nombre des élèves internés que de
l 'augmenter *) .
Le moyen le plus efficace d 'empêcher les étudiants de fré-
quenter les brasseries et les cafés et d'y perdre un temps pré-
cieux, c'était de leur offrir ailleurs des distractions honnêtes où
l'utile s'unirait à l'agréable. Reuss l'avait compris et, avant
même d'être nommé professeur au Séminaire, il avait songé
à créer un établissement où les étudiants trouveraient, outre
le verre de bière et la tasse de café, le billard et le damier
qu'on leur offrait ailleurs, des journaux politiques et religieux,
des revues théologiques et littéraires, et, en général, des
publications qui pourraient les intéresser et leur être utiles.
De cette idée naquit le Casino théologique et littéraire qui,
*) Lettre du grand maître du 27 sept, et du 29 déc. iSSL (Arch.
du Dir.)
') Lettre du président du Directoire au baron Cuvier, du 9 janv.
1832. (Arch. du Dir.)
MODIFICATIONS APPORTEES AUX REGLEMENTS 185
inauguré le 10 novembre 1831, continua à exister et à être
fréquenté par les étudiants après même qu'une plus grande
liberté leur eut été accordée. *)
On n'en était pas là. D'aucuns préconisaient des mesures
de rigueur. L'inspecteur ecclésiastique J. Bœckel, qui se mêlait
volontiers des affaires du Séminaire, demanda l'insertion
dans le règlement d'un article qui prescrirait aux étudiants
la fréquentation régulière du culte. Le Directoire s'enquit
auprès des professeurs du moyen de contrôler cette fréquen-
tation; il décida en même temps que les élèves du Séminaire
auraient chacun un directeur spirituel qu'ils choisiraient
parmi les pasteurs de la ville. Les professeurs ne firent
aucune opposition sur ce second point; ils invitèrent leurs
élèves à se faire inscrire chez un pasteur pour suivre sa
direction spirituelle, mais ils refusèrent d'insérer dans le
règlement une prescription comminatoire relative à l'obligation
de fréquenter le culte. « Une pareille obligation ne saurait être
imposée», disaient-ils; «ce serait contraire à l'esprit pro-
testant. » ')
La question des « modifications à apporter aux règlements
existants sur les candidats et les élèves en théologie » restait
ouverte. Le Directoire crut devoir la soumettre aux Consis-
toires et aux Assemblées d'inspection. Deux d'entre elles,
celles du Temple-Neuf et de Wissembourg, répondirent par
des vœux qui avaient la prétention de compléter les dispo-
sitions prises. L'étudiant ne devait pas seulement choisir un
pasteur de la ville comme directeur spirituel, il devait
informer l'inspecteur ecclésiastique de son choix, et se pré-
senter au moins une fois par mois chez son pasteur-directeur.
Il ne suffisait pas non plus qu'il fréquentât régulièrement
le culte, il devait chaque mois rendre compte des sermons qu'il
avait entendus.
Le Séminaire, consulté sur ces vœux, les rejeta, à
l'exception de celui qui se rapportait à la fréquentation du
culte par les élèves du Collège de Saint-Guillaume. Il chargea
la commission de l'internat de l'appliquer. Le Directoire, pour
en assurer l'exécution, eut l'idée de demander aux Consis-
') Voy. Le Casino théologîque et littéraire, 1831-1892. Notice histo-
rique par Rod. Reuss. Str. 1892, in-8o.
*} Séance du Séminaire du 26 nov. 1835.
186 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURa
toires de la ville d'assigner aux élèves en théologie des places
convenables dans les différentes églises. Les Consistoires
s-empressèrent de faire droit à cette requête de l'autorité
ecclésiastique: le Temple-Neuf réserva aux étudiants deux
bancs avec 16 places, Saint-Nicolas, 12 places, Saint-Thomas,
12, Saint-Pierre-le- Vieux, 10, Sainte- Aurélie, 10, Saint-Pierre-
le-Jeune, 9, et Saint-Guillaume, 6. La liste en fut affichée
au Collège de Saint-Guillaume et au Séminaire. Une autre
liste, apposée le samedi au tableau noir, disait les prédicateurs
du lendemain. Les étudiants pouvaient choisir celui qu'ils
voulaient entendre, mais ils devaient faire part de leur choix
à leur senior.
Contre ce nouvel attentat à leur liberté, les étudiants se
révoltèrent. Ils s'entendirent entre eux pour éluder le règle-
ment. Le Directoire pourtant maintint ses décisions. Il les
étendit même à tous les étudiants en théologie et chargea le
Séminaire d'en assurer l'exécution. Mais les professeurs
déclarèrent qu'ils n'avaient aucun moyen de contrôler la fré-
quentation du culte par les étudiants qui n'étaient pas logés
au Collège de Saint-Guillaume et qu'ils laissaient au Directoire
le soin de prendre les mesures qu'il jugerait utiles.
En attendant, le Consistoire général s'était réuni et le
ministre lui avait demandé son avis sur les modifications
à introduire dans les règlements existants sur les candidats
et élèves en théologie. Le Consistoire, dans sa séance du
9 octobre 1844, après en avoir délibéré et pris communication
des règlements existants, déclara que ces règlements étaient
suffisants pour assurer de bonnes études et une discipline
convenable.
Cette déclaration mit (fin, pour le moment du ,moins,
aux longues discussions sur l'état des études et de la discipline
au Séminaire et à la Faculté de théologie et sur la nécessité
d'apporter des modifications aux règlements existants. La vie
académique put reprendre son cours calme et tranquille et se
développer normalement jusqu'à ce que la révolution de
février vint y jeter de nouveaux troubles. Mais avant de
relater les événements de l'année 1848, il faut mentionner
un danger qui, un instant, sembla menacer l'existence ou, du
moins, le développement prospère de la Faculté de Strasbourg.
CHAPITBE V
La Paculté de théologie menacée dans son existence
La Faculté de théologie, depuis sa création, avait prospéré.
Dès les premières années, le nombre de ses élèves s'était élevé
à plus de trente; depuis, des Français de l'intérieur et du
midi étaient venus se joindre aux Alsaciens et aux Mont-
béliardais, et on pouvait prévoir que ce nombre augmenterait
encore. Cette perspective si réjouissante fut subitement
troublée par le projet de la création d'une Faculté de théologie
nouvelle à Paris. *)
En 1834, Guizot, alors ministre de l'instruction publique,
avait formé auprès de son administration ime commission
composée de pairs de France et de députés protestants et
de pasteurs pris dans les plus importantes Eglises du royaume,
pour examiner l'état des écoles primaires protestantes et les
moyens, soit d'y apporter les modifications désirables, soit
d'assurer partout la liberté et l'efficacité de l'instruction
religieuse, et, en même temps, pour rechercher les mesures
qu'il conviendrait d'adopter pour donner aux études dans les
Facultés de théologie protestantes tout le développement et
la solidité dont elles sont susceptibles.
La commission mit ime véritable sollicitude à remplir
son second mandat. Elle recommanda à l'attention et à l'adop-
tion du ministre trois points: la création d'une Faculté
nouvelle de théologie protestante à Paris; la fondation d'un
Séminaire où seraient réunis les élèves, et la création de
chaires plus nombreuses que celles qui existaient dans les
Facultés de théologie.
*) Voy. M. Michel, Examen du projet d'établir une Faculté de
théologie à Paris. Paris et Toulouse, 1837.
188 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STEASBOTJRG
Le vœu formulé par la Commission avait eu un grand
retentissement dans les églises réformées de l'intérieur et du
midi. De nombreux corps ecclésiastiques y avaient adhéré;
des conférences pastorales l'avaient appuyé et avaient pressé
le ministre de pourvoir à sa réalisation. En 1835, la question
vint même devant la Chamjbre des députés. M. de FalgueroUes,
par une interpellation au rapporteur du budget.de Tinstruo-
tion publique, fit connaître le vœu exprimé par la commission
protestante dont il avait été membre. La Chambre écouta
patiemment la discussion qui suivit, puis, aucune proposition
n'étant faite, elle ne se prononça pas, donnant assez à entendre
par l'attention qu'elle avait prêtée à cette question, tout à fait
incidente, qu 'elle n 'avait aucun éloignement pour une demande
formée dans un intérêt protestant quelconque et qu'elle ne refu-
serait pas de concourir aux progrès de l 'enseignemient reli-
gieux dans l'Eglise réformée.
Les protestants de la Confession d'Augsbourg en Alsace
n'étaient pas restés indifférents à ces mouvements de leurs
coreligionnaires réformés de l'intérieur et du midi. Us avaient
salué le vœu de la création d'une Faculté de théologie à Paris
comme un symptôme de bon augure. Ils s'étaient dit qu'on
commençait à comprendre en France que le protestantisme
avait besoin de plus de lumières et de science et que c'étaient
avant tout les pasteurs qui devaient se distinguer par l'étendue
de leurs études, par l'élévation de leurs vues et par la
profondeur de leur savoir.
Sans doute, ils s'étaient demandé si la translation de la
Faculté de Montauban à Paris ou la création d'une Faculté
nouvelle dans la capitale était la mesure indiquée pour faire
refleurir dans l'Eglise réformée les hautes études théolo-
giques; si une Faculté protestante ne devait pas être placée
là où les croyances protestantes étaient le plus répandues;
si au lieu de créer une Faculté nouvelle à Paris, il ne convenait
pas mieux de réorganiser celle de Montauban, en lui associant
une Faculté des sciences et une Faculté des lettres, et de créer
ainsi un centre de lumière au milieu de la population du midi.
Mais comme, dans le principe, il n'était question que
d'une Faculté réformée, ils ne s'étaient pas crus appelés à
émettre publiquement leur opinion à ce sujet, ils avaient laissé
à leurs frères réformés le soin d'apprécier l'opportunité, la
nécessité du projet dont il s'agissait.
LA FACULTÉ DE THEOLOGIE MENACEE DANS SON EXISTENCE 189
Cependant, en 1836, la question changea de face. Le
rapporteur du budget de Pinstruction publique à la Chambre,
émit Tavis de conserver la Faculté calviniste de Montauban
et la Faculté luthérienne de Strasbourg avec leur caractère
spécial, mais de répondre aux besoins et aux vœux des protes-
tants en fondant une troisième Faculté à Paris, qui réunirait
les deux enseignements calviniste et luthérien. «Une pa-
reille création », disait-il, « comiplète et couronne les insti-
tutions protestantes du pays; elle tend à exciter Témulation
des deux Facultés existantes, à secouer Papathie dans laquelle
s'éteignent les pasteurs et à provoquer des vocations pour
renseignement qui se recrute avec tant de peine. »
Jusque-là, on avait demandé une Faculté réformée, main-
tenant, le rapporteur du budget de Tinstruction publique
proposait une Faculté mixte. La question, dès lors, n'était
plus la même et les protestants de la Confession d'Augsbourg
ne pouvaient plus s'en désintéresser.
La Chambre de 1836, comprenant sans doute que la
question n'était pas miûre, qu'elle exigeait des études prélimi-
naires, avait passé sur elle à l'ordre du jour. De nombreuses
voix continuèrent pourtant à réclamer la création d'une
Faculté à Paris. Les unes se prononçaient pour une Faculté
réformée, les autres, c'était la minorité, pour une Faculté
mixte. En 1837, la question revint une troisième fois devant
la Chambre. Le ministre de l'instruction publique et son
prédécesseur vinrent eux-mêmes donner des explications à
l'assemblée. Ils avouèrent, l'un et l'autre, que la question avait
besoin d'être mieux étudiée. Mais Guizot mit alors im autre
projet en avant. Il proposa de créer à Paris un établissement
qui recevrait les jeunes théologiens qui s'étaient particulière-
ment distingués au cours de leur triennium académique, et
qui leur offrirait l'occasion de se livrer pendant quelques
années encore à de fortes études, en profitant de toutes les
ressources concentrées dans la capitale. Cet établissement,
dans l'idée de Guizot, devait être mixte.
Le clergé luthérien d'AlsacQ se crut alors appelé à donner
son avis sur une question qui intéressait l'Eglise tout entière,
à faire connaître ce qu'il pensait d'une Faculté mixte et d'une
Faculté de hautes études. La conférence pastorale réunie à
Strasbourg les 13 et 14 juin 1837 s'arrêta donc à ces deux
questions: «Les besoins de l'Eglise protestante de la Con-
190 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STBASBOURG
fession d'Augsbourg rendent-ils désirable l'établissement à
Paris d'une Faculté de théologie mixte?» et: «Y a-t-il des
raisons pour souhaiter la création à Paris d'une Faculté de
hautes études théologiques pour les deux communions
protestantes ? »
L'assemblée tout entière — elle était composée de cent-
dix-neuf pasteurs et ministres du Saint-Evangile — répondit
négativement aux deux questions. Elle chargea le comité de
la Conférence de faire parvenir son vote au Directoire et, par
le Directoire, au gouvernement et aux chambres. Elle fit
plus. Elle publia un mémoire, rédigé par les professeursBruch
et Eeuss, dans lequel elle exposait tout au long les raisons
qui avaient motivé son vote et les résumait finalement en
ces termes:
« Nous reconnaissons avec une vive gratitude la bien-
vieillante intention du gouvernement de donner aux hautes
études théologiques des protestants plus d'étendue et d'éclat.
Mais nous sommes convaincus que les projets qui ont été mis
en avant ne sont pas ceux qui répondraient le mieux au but
qu'il s'agit d'atteindre... Ce que nous demandons, c'est que
le gouvernement, s'il vient à reconnaître que tout n'est pas
fait pour les établissements d'instruction supérieure en
France, ne commence pas par ruiner ceux qui existent
aujourd'hui et qui font leur devoir; c'est qu'il n'écoute pas
avec trop de complaisance des suggestions qui souvent cachent
de petites ambitions individuelles. Nous nous prononçons
avec énergie contre la création d'une Faculté mixte à Paris,
parce que nous voulons voir former nos ministres au sein
de leur église, sous la tutelle immédiate de notre Directoire,
en contact avec la population qu'ils doivent un jour instruire
et dont ils doivent parler la langue. Nous déclarons qu'une
seconde Faculté luthérienne est inutile, celle de Strasbourg
répondant parfaitement à tous les besoins de la science et de
l'Eglise, inutile par rapport au petit nombre des élèves, inutile
enfin parce qu'elle occasionnerait de fortes dépenses qui ne
seraient nullement compensées par des avantages réels. Mais
nous protestons surtout et de toutes nos forces contre une
Faculté de hautes études, non seulement pour les raisons que
nous avons fait valoir contre le premier projet, nmis encore
parce qu'à Paris tous les secours indispensables aux études
théologiques seraient encore à créer, tandis qu'ils existent.
LE DANGEB EST ÉCAETE 191
qu^ils abondent à Strasbourg. Nous protestons parce qu'une
pareille institution est attentatoire à des droits légitimement
acquis, inconciliable avec l'existence des Facultés ordinaires
et qu'elle provoquerait, non une salutaire émulation, miais des
embarras, des complications et des jalousies. Nous protestons
parce qu'elle entraînerait indubitablement la ruine matérielle
et morale des Facultés actuellement existantes, et dont la
conservation à côté du nouvel établissement serait sans but. » *)
Dans l'intérieur et au midi, les manifestations en faveur
de la création d'une Faculté de théologie à Paris continuaient
de se produire. La corrunission du budget, dans son rapport
à la Cbaimbre, se prononçait dans le mêmfe sens. Le ministre,
M. de Salvandy, dans ses déclarations faites à la tribune,
dans ses lettres et ses pronuesses, se montrait égalemient favo-
rable au projet. Mais au moment de le réaliser, le gouverne-
ment recula devant la résistance occulte du clergé catholique.
Craignant d'avoir l'air de favoriser les protestants, il prit
prétexte de cette opposition pour ajourner l'exécution du
projet et pour l'abandonner finalement.
Le danger qui semblait menacer la Faculté de Strasbourg
se trouva écarté.
*) Opinion de la Conférence pastorale de Strasbourg (1837) sur le
projet d'établir à Paris une Faculté nouvelle de théologie protestante,
ou une Faculté de hautes études, destinée en même temps aux réformés
et aux luthériens. Strasbourg, 1838, p. 49, ss.
CHAPITRE yi
L'année 1848
L'effervescence que les journées de février provoquèrent
partout en France s'était communiquée à la jeunesse univer-
sitaire de Strasbourg. A la nouvelle de la proclamation de
la République, les étudiants, en longs cortèges, s'étaient
rendus au Broglie et, réunis à d'autres jeunes gens de la
ville, ils avaient manifesté leurs sentiments: ils avaient dé-
ployé des drapeaux rouges, prononcé des harangues enflam-
mées, commis quelques excès. Les étudiants en théologie
n'avaient pris qu'une faible part à cette manifestation
publique, mais ils se livrèrent à des démonstrations d'un
autre genre: ils élevèrent des prétentions et formulèrent des
revendications qui ne tendaient à rien moins qu'à amener
un changement total dans l'état de choses existant au Sémi-
naire et à la Faculté de théologie.
Dans une première pétition adressée aux professeurs, ils
demandèrent d'être dispensés des examiens semestriels, allé-
guant que l'agitation patriotique dans laquelle ils vivaient
ne leur laissait pas la liberté d'esprit nécessaire pour les pré-
parer. Les professeurs, prévoyant sans doute ce que seraient
des examens faits dans de pareilles conditions, crurent
devoir acquiescer à cette demande. Peut-être aussi espéraient-
ils empêcher par cette concession des réclamations plus con-
séquentes. Ce fut le contraire qui arriva. La facilité avec
laquielle les postulants avaient obtenu ce qu'ils demandaient,
ne pouvait que les enhardir à demander davantage.
En effet, après quelques jours seulement, une nouvelle
pétition, adressée aux « Citoyens professeurs », venait
réclamer, dans l'ordre établi des cours, les trois modifications
suivantes: V les cours ne se feront plus au Séminaire, mais
BECLAMATIONS DES ÉTUDIANTS 193
dans le bâtiment de T Académie; 2" aucun professeur ne
pourra faire plus de trois cours par semaine; 3" il n'y aura
plus de cours en langue allemande.
Ce troisième point mit les professeurs dans un cruel
embarras. Devaient-ils déclarer qu'ils continueraient, conmue
par le passé, à faire une partie de leurs cours en langue alle-
mande? Mais c'était appeler Tattention de l'autorité sur la
question de la langue employée dans l'enseignement du Sémi-
naire et provoquer peut-être de sérieuses difficultés. Ou bien
devaient-ils faire valoir la situation particulière du Sémi-
naire, institution ecclésiastique existant à côté et en dehors
de l'Université? Mais souligner le caractère ecclésiastique du
Séminaire au moment oii l'Eglise elle-même était menacée
et où l'autorité ecclésiastique était renversée par le mouve-
ment révolutionnaire, pouvait être périlleux.
Mais déjà une nouvelle pétition des étudiants venait
exiger que les vieux professeurs donnassent leur démission et
fissent place à de jeunes forces. Alors plusieurs des profes-
seurs montrèrent de l'énergie. Baum, pédagogue au Collège
de Saint-Guillaume, sermonna les élèves de cet établissement;
Beuss mit ceux qui criaient le plus fort à la raison, et Bruch
menaça de renvoyer les fauteurs de désordre. Cette ferme
attitude fit merveille. Les esprits se calmèrent. C'étaient sur-
tout des étudiants de l'intérieur et du midi qui avaient
poussé à ces démonstrations insensées. Quelques-uns furent
exclus, d'autres quittèrent de plein gré la théologie, et l'ordre
et le calme se rétablirent.
Les professeurs crurent pourtant devoir faire droit à
certaines réclamations des élèves: le cours d'histoire ancienne
qui se faisait en langue allemande fut remplacé par un
cours d'histoire de la Révolution française professé en fran-
çais. Le programme des leçons du Séminaire, qui avait paru
jusque-là en latin, devait désormais être publié en français.
Les pétitions et les réclamlations des étudiants eurent
d'ailleurs un résultat heureux: elles mirent en lumière ce
qu'il y avait de défectueux et d'insuffisant dans les règle-
ments existants. On avait eu mainte fois l'occasion de cons-
tater cette insuffisance, mais sans oser toucher à ce qui avait
été établi autrefois. Maintenant, la nécessité d'un nouveau
règlement s'imposait; une commission fut chargée de l'éla-
borer, et le 10 juillet 1848 elle adopta les six articles suivants*
13
194 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
«1" Les cours se divisent en deux espèces, en cours obli-
gatoires et en cours facultatifs. Les cours obligatoires sont
ceux sur lesquels les élèves sont examinés soit en entrant en
théologie, soit pour le grade de bachelier; les élèves qui
suivent les cours facultatifs sont examinés sur ces cours dans
les examiens semestriels.
«2° Les cours obligatoires de la première section du
Séminaire sont: un cours d'interprétation grecque; un cours
mixte d'interprétation et de littérature latine; un cours élé-
miesntaire d'hébreu; deux cours de philosophie; un cours
d'histoire universelle.
« 3** Les cours obligatoires de la seconde section et de la
Faculté de théologie sont: les cours d'introduction à l'Ancien
et au Nouveau Testament; d'exégèse de l'Ancien et du Nou-
veau Testament, de morale évangélique, de dogme, d'histoire
de l'Eglise, y compris l'histoire des dogmes et la symibolique;
la théologie pratique.
« 4° Les professeurs du Séminaire feront chacun un cours
d'au moins trois leçons par semaine; les professeurs attachés
en mêmie temps à la Faculté, feront deux cours chacun de
trois leçons, l'un comptant pour la Faculté, l'autre pour le
Séminaire.
« 5° Les élèves de la section préparatoire auront à suivre
par semaine un minimum de 24 leçons, ceux de la section
théologique, un minimum moyen de 21 leçons.
«6° Les cours de la Faculté et de la section théologique
du Séminaire sont répartis en un cycle triennal; les cours
d'introduction, de morale et de dogme durant chacun deux
semjestres, se feront tous les deux ans une fois, de manière
que les élèves puissent suivre ceux d'introduction et de
morale dans le cours de leurs deux premières années et celui
de dognxe dans la seconde ou dans la troisième; ce dernier
cours ne devra jamais être suivi par des élèves de première
année. Les cours d'exégèse se continueront sans interruption,
mais les élèves ne seront tenus de les suivre que pendant
quatre semestres. Le cours d'histoire ecclésiastique, y compris
l'histoire des dognies et la symbolique, sera terminé en quatre
semestres. Il recommencera tous les deux ans, pour que tous
les élèves puissent le commencer par le commencement. Le
cours de théologie pratique, théorie et exercices, prendra
UN NOUVEAU RÈGLEMENT 195
quatre semestres, et sera suivi par les élèves de seconde et de
troisième année.
« A la fin de chaque semestre, avant l'examen semestriel,
le Directeur des études se fera remettre par les élèves des
deux sections les certificats d'assiduité qui leur auront été
délivrés par les professeurs dont ils auront suivi les cours.
« L 'examen semestriel de la seconde section du Séminaire
portera sur. toutes les matières obligatoires ou facultatives
pour lesquelles il n'y a pas de chaire à la Faculté. Le résul-
tat de cet examen sera proclamé en séance publique par le
Directeur des études.
«Tous les cours (obligatoires!) se feront en français.
La langue allemande ne pourra être employée que pour des
cours facultatifs. »
Ce règlement, inspiré par Eeuss, constituait, dans ses
principales dispositions, un vrai progrès sur les règlements
antérieurs. Il resta, malheureusement, lettre morte. En le
votant, on était encore plus ou moins sous l'impression des
troubles de février; mais la tourmente une fois passée, on
ne songea plus à introduire des changements qui étaient des
améliorations. On retomba tout simplement dans la routine.
Ce ne fut que beaucoup plus tard, après des années, qu'on
songea à appliquer le règlement de 1848.
D'autres décisions votées ailleurs et qui tendaient à
mettre le Séminaire et la Faculté de théologie dans une dépen-
dance plus entière de l'Eglise, eurent heureusement le même
sort, c'est-à-dire n'arrivèrent pas à être appliquées. L'assem-
blée des délégués qui se réunit au mois de septembre 1848
dans le but de préparer une loi organique pour l'Eglise de
la Confession d'Augsbourg en France, fut amenée, au cours
de ses débats, à s'occuper du Séminaire et de la Faculté de
théologie. Dans la séance qu'elle tint le 28 septembre, diffé-
rentes motions furent faites relativement à oes deux éta-
blissements. On revendiqua pour le Consistoire général le
droit de surveillance du Séminaire, la nomination de ses pro-
fesseurs, le droit de présentation des candidats aux chaires
de la Faculté. Un membre demanda même que l'adminis-
tration des fondations protestantes fût confiée à une commis-
sion civile, nommée ad hoc par le Consistoire général.
Cette dernière motion fut écartée, mais l'assemblée vota
13*
196 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURa
un article conçu en ces termes: «Le Consistoire général
nomm^ les professeurs du Séminaire et fait les présentations,
même à titre provisoire, aux chaires vacantes de la Faculté
de théologie, d'après un règlement qu'il arrêtera.»
On sait que le projet de loi organique discuté et adopté
par l'assemblée des délégués ne fut pas agréé par le gou-
vernement; le nouveau Directoire, nommé en 1851, élabora,
par contre, un projet de réorganisation des cultes protestants
qui fut agréé et sanctionné par le président de la Eépublique.
Le décret du 26 mars 1852 statuait à l'article XI: « Il (le Di-
rectoire) exerce la haute surveillance sur l'enseignement et la
discipline du Séminaire... Il nomme les professeurs du Sémi-
naire, sur la proposition de ce dernier corps. Il donne son
avis miotivé sur les candidats aux chaires de la Faculté de
théologie. »
Cette miême année 1852 fut marquée par un autre événe-
ment qui ne fut pas sans importance pour le Séminaire: la
réorganisation de l'autorité supérieure de l'Eglise de la Con-
fession d'Augsbourg et la nomination de M. Braun, conseiller
à la cour d'appel de Colmar, comme président du Consistoire
général et du Directoire. M. Braun, par cette nomination,
devenait en même temps Directeur du Séminaire. Ses prédé-
cesseurs immédiats dans ces hautes fonctions, MM. de Tiirck-
heim, père et fils, s'étaient intéressés aux questions d'admi-
nistration bien plus qu'aux questions d'enseignement, qui
leur étaient plus ou moins étrangères. Le nouveau président,
au contraire, montra, dès le début, un vif intérêt pour les
questions d'instruction et pour le corps enseignant. Doué
d'une haute intelligence et d'un esprit fin, unissant la distinc-
tion du talent à la dignité dans les manières, jaloux de son
autorité, mais prudent et habile à ménager les pouvoirs
publics et l'orthodoxie parisienne, il était appelé à jouer
un rôle important au sein du Séminaire.
Théodore-Elisée Braun avait jusqu'alors parcouru une
brillante carrière. Né le 17 août 1805 à Brétigny, près de
Villefranche, dans le département du Ehône, mais appar-
tenant à une famille alsacienne (de Mulhouse), il avait étudié
le droit à Strasbourg et, ses études achevées, s'était fait rece-
voir avocat à Colmar. Mais il quitta bientôt le barreau pour
entrer dans la mjagistrature. D'abord juge à Altkirch, puis
procureur du roi près le tribunal de Saverne, il fut appelé,
LE PKÊSIDENT BRAUN 197
en 1836, en cette qualité, à Colmar et y devint plus tard con-
seiller à la cour d'appel. Délégué par le Consistoire de Col-
mar à l'assemblée de 1848, il s'y était fait remarquer par sa
connaissance des affaires et par son talent de parole; il avait
été envoyé ensuite par l'inspection de Colmar au Consistoire
supérieur, et lorsque M. F. de Tiirekheim se démit de ses
fonctions de président du Consistoire général et du Direc-
toire, il avait, par décret du 7 novembre 1850, été nommé à sa
place.
CHAPITRE VII
Attaques ultramontaines contre le droit de propriété du
Séminaire — Réponses des protestants — Décision du
Conseil d'État
Les articles organiques de TAcadémie des protestants de
la Confession d'Augsbourg du 30 floréal an XI portaient que
les fondations de Tancienne Académie, le Gynuiase, les bourses,
bibliothèques et bâtiniients de Pancienne Académie seraient
affectés à la nouvelle Académie établie par la loi du
18 germinal an X et que les charges dont ces fondations
étaient grevées précédemment continueraient à être acquittées.
En adressant ces articles au président du Consistoire général,
le ministre des Cultes, Portails, avait expressément déclaré
que le gouvernement confirmerait à l'Académie les fondations
qui y étaient anciennement attachées et que l'administration
étant bonne, elle méritait d'être conservée dans l'état où elle
était. *)
Le droit de propriété de l'Académie, plus tard du
Séminaire protestant, était donc parfaitement reconnu et
garanti par le gouvernement. Plus tard, dans un mémoire
historique pour établir les droits de propriété des églises
protestantes. Portails s'était exprimé plus catégoriquement
encore. «J'ai établi», disait-il dans ce mémoire, «que tous
les biens ecclésiastiques dont les protestants de la communion
luthérienne et calviniste des quatre départements réunis
étaient en possession en l'année normale 1624 leur appartien-
draient à toute perpétuité, que cette propriété avait été
*) Lettre de Portails du 43 Prairial XI au président du Consistoire
général. (Arch. du Directoke.)
ATTAQUES ULTBAMONT AINES CONTRE LE SEMINAIRE 199
reconnue et garantie jusqu'aujourd'hui, non seulement par les
traités, les capitulations, les lois de l'Assemblée constituante,
la loi du 18 germinal an X, mais encore par les décrets que
S. M. a rendus sur cette matière... Par un décret du 28 floréal
an XI S. M. a établi l'Académie protestante à Strasbourg, à
laquelle est attaché un gymnase ou école de première instruc-
tion. Les professeurs de cette Académie et de ce Gymnase
sont dotés du produit de fondations faites en faveur des
Eglises protestantes, fondations qui ont été conservées et
respectées depuis la paix dite de religion en 1555 ». ^)
Ces dispositions avaient existé depuis quarante ans et
ni la Restauration ni la monarchie de juillet n'avaient osé y
toucher. La ville de Strasbourg non plus n'avait jamlais songé
à élever des prétentions sérieuses sur les biens de Saint-Thomas.
Au contraire, le maire, M. de Wangen, avait, par un arrêté
du 10 f évrier> 1810, pleinement reconnu à cette fondation la
qualité de propriétaire, et en 1813, la ville et Saint-Thomas
traitaient de propriétaire à propriétaire, dans une affaire
d'échange de terrains.
Une seule fois, en 1811, quelques membres du Conseil
municipal avaient eu la pensée de revendiquer comme biens
de la ville certaines fondations qu'au XVIIe siècle le
magistrat avait attribuées à la Haute-Ecole. Mais il avait
suffi de leur faire voir les titres de possession de cet établisse-
ment, pour qu'ils renonçassent à maintenir leur revendication.
Plus tard, en 1814, le chapitre de la cathédrale, dans un
mémoire adressé au roi, avait revendiqué le vieux Collège
des Jésuites ou grand Séminaire, occupé par l'Académie
royale, et avait proposé de déposséder les protestants des
bâtiments qu'ils possédaient au quai Saint-Thomas, pour les
céder à l'Académie royale, en remplacement du grand Sémi-
naire.') Cette tentative de spoliation était également restée
sans effet
Mais quand l 'ultramontanisme triompha en France, la
guerre contre les protestants fut également organisée en
Alsace, et pour porter un coup particulièrement sensible à
*) Lettre au préfet de la Sarre du 17 mai i806. Voy. Notice sur les
Fondations administrées par le Séminaire protestant de Strasbourg,
p. XCIX ss.
') Lettre de M. Dahler, vice directeur du Séminaire, au Directoire,
6 mars 1815. (Arch. du Dir.)
200 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
TEglise de la Confession d'Augsbourg, ses ennemis l'atta-
quèrent dans ses établissements d'instruction, dans le Sémi-
naire, avant tout, et dans le Gymnase. Les catholiques, dont
les biens ecclésiastiques avaient été vendus pendant la Révo-
lution comme biens nationaux jalousaient l'Eglise protestante,
qui avait pu garder ses biens, et criaient à l'injustice.
Les premières attaques furent dirigées contre l'adminis-
tration de Saint-Thomas. Cette administration, disait-on, était
illégale, elle se dérobait à tout contrôle. C'était une situation
anormale, à laquelle il fallait absolument mettre un terme.
Les comptes des établissements ecclésiastiques devaient être
contrôlés par les autorités civiles. Pendant des années, le
Conseil général du Bas-Ehin prit des arrêtés dans ce sens.
En 1843, une pétition fut même adressée à la Chambre
des députés pour amener le gouvernement à mettre un terme
à la prétendue illégalité de l'administration de la fondation
de Saint-Thomas. A cette pétition était joint le mémoire d'un
avocat de Strasbourg, qui mêlait si habilement le vrai et le
faux, la question de droit et la question de fait, que ceux
qui n'étaient pas initiés pouvaient être facilement induits
en erreur. *) La pétition et le mémoire manquèrent d'ailleurs
leur but: la pétition, malgré les efforts de quelques fanatiques,
ne fut point discutée à la Chambre, et on n'accorda aucune
attention au mémoire qui y était joint.
Cependant, les attaques contre la fondation de Saint-
Thomas continuaient dans des feuilles volantes et dans la
presse locale. Deux journaux catholiques, V Abeille et VObser-
valeur du Rhin, se signalaient surtout par leur violence et
leurs allégations mensongères. Us racontaient des choses
monstrueuses sur «la mine d'or des luthériens» et sur les
«Boursistes» et « Sinécuristes » de Saint-Thomas. La fonda-
tion, disaient-ils, dispose de nombreux millions et, au bout de
l'année, les professeurs du Séminaire se partagent le reste des
revenus. Saint-Thomas, disaient-ils encore, fait une pension
de dix-mille francs et davantage à des personnages haut placés
à Paris — on visait Guizot et Matter — pour qu'ils justifient
ime situation tout à fait illégale.
Il en fut ainsi pendant des années. En 1852, à l'approche
*) Mémoire à consulter sur les établissements protestants (TAlsace,
Strasb. 1843.
LIBELLES CATHOLIQUES 201
des élections pour le conseil municipal, les attaques et les
calomnies redoublèrent. Un ancien instituteur protestant
converti au catholicisme, nommé Hùnold, dans une brochure
allemande intitulée Quelques mots au peuple sur le conseil
municipal, *) écrivait: « Il serait temps que la ville revendiquât
les biens de la soi-disant fondation de Saint-Thomas. Ces
biens, jusqu'à la première révolution, étaient la propriété de
la ville: personne n'avait le droit de les lui enlever. On a
beaucoup écrit et discuté sur ce sujet. Mais aussi longtemps
que le peuple ne s'en mêlera pas, nous n'arriverons à aucun
résultat. Il s'agira de faire des pétitions orageuses (Sturm-
petitionen) au conseil municipal, au conseil général, au
gouvernement; sans quoi ces Messieurs qui ont en mains cet
argent et ces grands biens, ne rendront pas à la ville sa
propriété. Avec de pareilles ressources, la ville pourrait payer
ses dettes, abaisser son octroi et faire beaucoup d'autres
choses. Nous en reparlerons sous peu.')
Cette brochure n'eut pas l'effet voulu. Le Conseil muni-
cipal qui sortit des élections était, comme d'habitude, composé
mi-partie de catholiques et mi-partie de protestants. Une
nouvelle brochure publiée, comme la première, en langue
allemande, sous ce titre: «Quelques mots au peuple sur la
fondation de Saint-Thomas»,') déclara encore une fois que
la ville avait le droit de reprendre son bien, et engagea le
peuple, au cas où les conseillers municipaux ne feraient pas
leur devoir, à s 'adresser directement, par pétition, à l 'empereur.
De nouvelles brochures, cette fois en langue française:
«Affaires de Saint-Thomas, Relevé détaillé des biens dont
jouissent certains protestants du Bas-Rhin au détriment des
communes, du département et de VEtat » et « U affaire de
Saint-Thomas expliquée au<c hommes du peuple », préten-
daient exposer l'histoire des biens protestants et les droits de
la ville, et disaient dans l'une de leurs conclusions: «Les
catholiques ne reculeront plus. Il ont pour eux la justice et
le droit... On ne les opprimera plus. Au besoin, ils s'adresse-
*) Eîn Paar Worte arCs Volk ûber den Strassburger Municipalrath.
16 p. in-16, imprimés à Haguenau, avec cette remarque : En vente chez
Schmitt, libraire à Strasbourg, rue des Hallebardes, 38. Prix : 20 cts.
*) P. 16 de la brochure
*) Ein Paar Worte arVs Volk ûber das Thomasstift.
202 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
ront à leurs frères des autres départements. Leur appel sera
entendu. Ils ne souffriront plus qu'une poignée de scoliastes
et de pédagogues, plus allemands que français, bravent à
leur guise les lois du pays. » Et puis, avec un coup d'oeil sur
les prétendues richesses de Saint-Thomas et de la Haute-
Ecole: «Ces chiffres», disaient-ils, «ne suffiront-ils pas pour
ouvrir les yeux à nos autorités et pour leur faire sentir la
nécessité de surveiller l'emploi de revenus aussi considé-
rables? Ne pourrait-on pas en faire, dans un cas donné, un
usage dangereux pour la tranquillité du pays et même pour
l'intégrité du territoire? Que l'on avise donc enfin, il y va
des plus chers intérêts de l'Alsace.»^)
Rendre les protestants alsaciens et, avant tout, les
professeurs du Séminaire et les autorités ecclésiastiques
politiquement suspects, c'était, semblait-il, le meilleur moyen
d'atteindre le but poursuivi. Déjà dans la pétition à la
Chambre des députés, on avait insinué que la fondation de
Saint- Thomas serait, le cas échéant, prête à vendre l'Alsace
à l'Allemlagne. ') Les journaux et les libelles ultramontains
avaient à différentes reprises insisté sur les «sympathies
prussiennes» des pasteurs et des professeurs protestants et
les avaient tout unimient qualifiés de «Prussiens d'Alsace.»
Ces différents moyens n'ayant pas abouti, il fallut
recourir à un autre. On colporta dans les ateliers, dans les
brasseries et autres lieux publics, une pétition au Conseil
municipal, oii il était dit que les biens de Saint-Thomas
avaient été dérobés à la ville, qu'ils étaient retenus illégale-
ment par le Séminaire et qu'ils devaient être rendus au
propriétaire légitime.
Cette pétition ne fut pourtant pas présentée â la discus-
sion du Conseil municipal sorti des dernières élections. Mais
on profita de certaijies dissensions entre le maire et le Conseil
pour dissoudre ce dernier et le remplacer par une comanission
provisoire, dont les membres étaient en grande majorité catho-
liques. On crut alors le moment favorable à une attaque
directe contre le Séminaire. Le maire, Coulaux, sans tarder,
*) L'Affaire de St-Thomas expliquée aux hommes du peuple.
5e partie, p. 7 et 8.
*) «Une fortune aussi considérable pourrait, entre des mains
infidèles, recevoir, dans un moment de crise, un emploi contraire à
l'ordre public et peut-être à l'intégrité du territoire. »
BROCHURES PROTESTANTES 203
fit signifier entre les mains des fermiers de la fondation ses
oppositions au payement des fermages.
Jusque-là, les protestants s'étaient abstenus de répondre
aux attaques ultramontaines. L'administration de Saint-Tho-
mas, en particulier, avait cru au-dessous de sa dignité de se
commettre avec des gens qui répandaient sans vergogne les
fables les plus ridicules d'immenses trésors cachés et de
manœuvres financières illicites des membres du chapitre, ou
qui opéraient avec des dénonciations politiques. Elle avait
fait paraître, en 1844, un court exposé de l'origine des biens
de Saint-Thomas, des droits historiques du Séminaire pro-
testant et de l'emploi de ses revenus^), et elle avait pensé que
cela suffisait.
Mais maintenant le Sémiinaire résolut de s'opposer par
voie judiciaire aux agissements du maire et de demander à
cet effet l'autorisation du conseil de préfecture. En même
temps, le Directoire, sur l'invitation du Consistoire supé-
rieur, publiait une Notice sur les fondations administrées par
le Séminaire protestant de Strasbourg ^) ; le président Braun,
dans une Note sur les biens protestants de la Confession
d'Augsbourg et les attaques dont ils sont V objet*) montrait
que les protestants étaient attaqués dans leurs droits sécu-
laires et déplorait que le maire, par une mesure violente, eût
compromis la paix publique et troublé la bonne harmonie
entre les deux cultes; le baron Alfred de Bussierre, député de
Strasbourg et membre du Consistoire supérieur, prouvait,
dans une Lettre sur les fondations de Saint-Thomas adressée
à M. Coulaux^), qu'en s'em^parant des biens de Saint-Thomas
la ville ferait non seulement une mauvaise affaire, mais
qu'elle léserait un droit et donnerait «lieu ou prétexte à des
irritations, à des alarmes qu'une sage administration a tou-
jours soin de prévenir ou d'apaiser»; l'avocat Kugler,
m'embre du Consistoire de Saint-Nicolas, enfin, après avoir,
dans une brochure intitulée « Qu'en est-il des affaires de
Saint'Thomasf ') passé en revue les titres octroyés et renou-
*) Notice sur le Séminaire protestant de la Confession d'Augsbourg,
sur son origine, sa situation et son enseignement. Strasb. 1844.
') Strasbourg, 1854. 8".
') Paris, 1854. 8°.
') Paris, 1854. 8".
") Strasbourg, 1854. 8".
204 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STEASBOURG
velés aux fondations protestantes par une série d'actes sou-
verains, concluait «qu'une mutation de propriété serait une
révocation successive des Articles organiques de l'Empire,
des décrets de l 'Assemblée constituante, des traités de la Capi-
tulation, des traités même signés et conclus par le conseil
souverain do Strasbourg au seizième siècle. »
Le Consistoire supérieur crut pourtant qu'il fallait faire
plus, he Directoire avait envoyé au ministre les différents
libelles dirigés contre les fondations protestantes et le Sémi-
naire, avec les éclaircissements nécessaires, le Consistoire
Supérieur résolut de s'adresser directement à l'empereur et
de lui signaler les attaques contre des droits garantis par le
gouvernement à l'Eglise protestante. Son adresse se termi-
nait par cette déclaration: « Nous ne redoutons pas un procès,
Sire, nos droits sont incontestables, et, s'il fallait le subir,
votre magistrature ne nous ferait pas défaut; mais nous sup-
plions Votre Majesté, avant que les tribunaux en soient saisis,
de faire examiner si, en effet, la ville de Strasbourg doit être
autorisée à plaider, et nous mettons l'union des familles et
des citoyens, leur bonheur et la paix religieuse en Alsace, et
partout où il y a des protestants dans l 'Empire, sous la sauve-
garde du restaurateur de l'ordre, de la puissance et de la
prospérité publiques » *) . Une députation choisie dans le sein
du Consistoire supérieur et conduite par le président Braun
devait présenter cette adresse à Sa Majesté.
Le maire, malgré tout, continuait à pousser l'affaire. Il
fît, dans la séance de la Commision municipale du 14 octobre
1854, la proposition de demander au Conseil de préfecture
l'autorisation de plaider contre le Séminaire «à l'effet de re-
vendiquer au nom de la ville les biens des fondations de
Saint-Thomas, de la Haute-Ecole, de Saint-Guillaume et du
Corps des pensions.»
La proposition fut adoptée par la Commission municipale.
Deux avocats de renom', M© E. Friquet, avocat au Conseil
d'Etat et à la cour de cassation, et Me J. Dufaure, avocat à
la cour impériale, mirent leur talent au service du parti
catholique et entreprirent de prouver que « le droit de la Ville
à la propriété des biens de son ancien domaine, détenus par
') Bec. off. XII, p. 126.
DELIBERATION DU SEMINAIRE 205
le Séminaire, était irréfragablement établi par la prise de
possession et la sécularisation de ces biens au XVIe siècle. » 0
Le préfet pria alors le Directoire de prendre connaissance
de la délibération de la Comïûission municipale, du rapport
du maire et des mémoires des avocats consultés par la ville,
et de les lui renvoyer avec les observations du Séminaire.
Ce dernier, dans une délibération longuement motivée,
démontra
« que la Ville ne produisait aucun document de nature à
établir que les biens qu^elle revendiquait avaient, à une
époque quelconque, fait partie de son patrimoine, comme
corps municipal;
«que les biens du chapitre de Saint-Thomias n'avaient
jamais été sécularisés et n'avaient pu l'être; que ce chapitre
n'avait pas été supprimié; que, devenu protestant, il avait
continué à exister, et qu'à toutes les époques le magistrat
avait reconnu son existence comme personne morale, com-
plètement distincte et indépendante de la Ville; qu'une série
d'actes antérieurs ou postérieurs à la capitulation de 1681
fournissaient sur ce point une certitude absolue;
«qu'en ce qui concerne les biens et revenus des fonda-
tions de la Haute-Ecole et du pensionnat de Saint-Guillaume,
le Magistrat avait doté ces établissements de biens et revenus
provenant d'anciennes corporations ecclésiastiques qui, par
suite de la Réforme, avaient cessé d'exister, mais que ces
biens n'avaient jamais fait partie du dorrtaine privé de la
ville considéré comme corps municipal, et que la Ville n'avait
pas même essayé d'appuyer sa revendication de documents
quelconques;
«que, par la révolution de 1789, la Ville de Strasbourg,
dont le Magistrat jusqu'alors avait conservé un véritable droit
de souveraineté, avait perdu son ancienne supériorité territo-
riale, que l'administration municipale actuelle ne saurait séri-
eusemlent se croire et se dire l'héritière de l'ancien Magistrat et
que privée de toute participation à l'exercice du pouvoir sou-
verain, il ne lui appartenait pas de révoquer ou de changer les
attributions de biens faites en faveur d'établissements
*) Revendication de la ville de Strasbourg des biens détenus par
le Séminaire protestant de cette ville. Str. 1855.
206 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
publics qui, d'après leur caractère et leur nature, ne relevaient
en rien de l'autorité municipale;
«que ces attributions de biens garanties aux Protestants
par le traité de paix de Westphalie et la Capitulation de 1681,
maintenues et sanctionnées par les lois des 17 août et l^"" dé-
cembre 1790 et par le décret du 8 mars 1793, avaient reçu une
nouvelle et dernière consécration de la loi de Germinal an X
et de l'arrêté consulaire du 30 floréal an XI, qui, en réor-
ganisant sous le titre de l'Académie protestante ou de Sémi-
naire l'ancienne Université protestante, avait décidé que les
biens et revenus attachés à cette Université, continueraient
d'être affectés à la nouvelle Académie;
«qu'il résultait de tout cela que la ville était impuissante
à établir que les biens des fondations de Saint-Guillaume, de
la Haute-Ecole et du Corps des Pensions aient, à un moment
quelconque, fait partie de son patrimoine privé; que dans le
sens qu'elle attribuait à la sécularisation des biens ecclésias-
tiques et dans les conséquences qu'elle en tirait, il y avait
erreur et confusion; que son système supposerait d'ailleurs
possibilité, pour l'administration municipale, de révoquer,
par le seul effet de sa volonté et comme par un acte de bon
plaisir, les attributions de biens faites en faveur d'établisse-
ments publics d'instruction par l'ancien Magistrat, dans
l'exercice de la plénitude du droit de souveraineté, ce qui est
absolument inadmissible, et qu'ainsi la Ville était sans qua-
lité pour revendiquer les biens des fondations dont il s'agit,
comme elle l'était quant aux biens de Saint-Thomas;
«que les Protestants et leurs établissements d'instruc-
tion religieuse avaient en leur faveur une possession paisible
et publique de plus de trois siècles;
«que dans cette situation de fait, la prescription élevait
contre la réclamation de la Ville une fin de non-recevoir
absolue et implacable;
«que par ces motifs, le Séminaire suppliait qu'il plaise
à Messieurs du Conseil de Préfecture déclarer qu'il n'y a lieu
d'accorder à la Ville l'autorisation par elle demandée.»*)
Le Séminaire avait d'ailleurs confié sa cause aux mains
du célèbre avocat de Colmar Ignace Chauffeur. Consulté sur
le mérite de la défense proposée dans la délibération du Sémi-
*) Procès-Verbal de la Séance du Séminaire du 23 décembre 4854.
AERÊTE DU CONSEIL DE PREFECTUEB 207
naire, il déclara qu'elle était juridique et fondée sous tous les
rapports. Pour plus de sûreté, le Séminaire s'adressa à
quatre des avocats les plus marquants de Paris, Dupin,
ancien bâtonnier, Paillet, également ancien bâtonnier, Paul
Fabre, avocat au Conseil d'Etat et à la cour de cassation, et
N. Treitt, avocat à la cour impériale. Invités à se prononcer
sur la demande en autorisation de plaider formée par la
Ville de Strasbourg devant le Conseil de Préfecture du Bas-
Ehin, ils furent unanimement d'avis que cette demande ne
pouvait être accueillie, d'abord, parce que l'instance judi-
ciaire que voulait intenter la ville de Strasbourg ne reposait
sur aucun fondement sérieux; et puis, parce que de la
manière dont cette instance était motivée par la Ville, l'auto-
rité judiciaire serait incompétente pour en connaître^).
Les choses traînèrent; la guerre de brochures n'en con-
tinuait pas moins. Le baron de Schauenbourg, un fervent
catholique, crut devoir entrer en lice et rompre une lance en
faveur des revendications du maire. Le professeur Jung fit
bonne et prompte justice de ses « Notes » en les qualifiant de
«nianifeste qui n'a d'autre importance que celle du nom de
l'auteur et des dignités dont il a été revêtu.»')
Enfin, le 17 novembre 1855, le Conseil de Préfecture, con-
sidérant que, d'après les faits, on ne voit pas quelle chance de
succès présenterait pour la ville de Strasbourg une lutte judi-
ciaire, qu'il est dès lors prudent de ne pas l'autoriser à s'y
engager; considérant d'ailleurs que la ville de Strasbourg
étant obligée d'invoquer dans son argumentation les traités
de pacification, la capitulation de 1681, les décrets de 1790 et
1793, et les actes de l'an XI, tous émanés du pouvoir souve-
rain, l'interprétation et l'application de ces actes ne pour-
raient se faire par l'autorité judiciaire, arrêtait: «Il n'y a
pas lieu d'accorder à la ville de Strasbourg l'autorisation
qu 'elle sollicite. » ')
*) Observations du Séminaire protestant de la Confession d'Augs-
bourg sur la demande portée par M. le maire de Strasbourg devant le
Conseil de Préfecture du Bas-Rhin — et avis des avocats consultés par
le Séminaire. Paris, 1855, in-8o.
') Réponse aux Notes sur d'anciennes fondations de Strasbourg
publiées par M. le baron de Schauenbourg. Paris 1855, in-S^.
') Arrêté du Conseil de Préfecture du Bas-Rhin sur la demande
faite par le maire de Strasbourg... Paris, 1856. 8^.
208 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STKASBOURa
Le inlaire ne se résigna pas. Le 14 décembre 1855, il pro-
posa au Conseil municipal d'en appeler de l'arrêté du Conseil
de préfecture au Conseil d'Etat. Mais, à ce moment, il n'avait
plus à faire à la commission municipale qui s'était toujours
rangée à son avis. Cette comimission avait disparu. Elle avait
été remplacée par un Conseil sorti d'élections régulières et
dont la majorité avait fait partie de l'ancien Conseil. Quand
on passa au vote, la motion du maire fut rejetée par 19 voix
contre 14.
Malgré ce nouvel échec, le maire persista dans sa réso-
lution de se pourvoir au Conseil d'Etat. L'avocat Detroyes,
ancien membre de la Commission municipale et membre du
nouveau Conseil, lui prêta son concours. Dans ses Obser var-
iions à propos de la demande du maire de Strasbourg^), il
entreprit de réfuter la consultation de Me Chauffeur pour le
Séminaire et de soutenir le recours du maire à l'instance
supérieure. Me Chauffeur répondit de sa bonne encre dans
im savant mémoire'), où il relevait les nombreuses erreurs
de son adversaire, surtout celle-ci que dans les Etats qui
avaient accueilli la Réforme les biens ecclésiastiques catho-
liques étaient devenus ipso facto propriété du souverain, et
cette autre qu'à Strasbourg souverain et commune étaient
identiques et qu'ainsi, par la Réforme, tous les biens situés
dans le territoire de la ville étaient devenus propriété de la
comtrïune.
En attendant, la cause était venue devant le Conseil
d'Etat. Le Séminaire crut devoir orienter exactement le rap-
porteur, M. Persil, sur la question en litige, et envoya, à cet
effet, une députation composée du président Braun, de l'avo-
cat Chauffeur et des professeurs Jung, Schmidt et Bar-
tholmess, à Paris. Cette démarche ne fut pas inutile: dès le
28 juillet, le président annonçait au Séminaire que le 24 du
mois le Conseil d'Etat réuni in pleno avait rejeté le pourvoi
du maire de Strasbourg peur le motif «que la municipalité
avait refusé au maire l'autorisation de recours. » ')
*) Observations à V appui de la demande d'autorisation du maire
de Strasbourg pour se pourvoir au Conseil d'Etat contre Varrêté du
Conseil de Préfecture du Bas-Rhin.
*) Réponse aux observations de M. Emile Detroyes. Colmar, 1856,
in-80.
") Procès-verbal de la séance du 20 juillet 1850.
LE DROIT DE PROPRIETE DU SEMINAIRE RECONNU 209
La procédure se trouva dès lors close. La prétention du
iriaire de nxfettre la municipalité du dix-neuvième siècle à la
place de Tancien magistrat et de justifier par là les pré-
tentions de la Ville sur les biens de la fondation de Saint-
Thomas était définitivement repoussée et le droit de propriété
du Séminaire consacré par une attribution triséculaire for-
mellement reconnu.
14
CHAPITRE Vni
La laculté et le Séminaire de 1850 à 1860
Les professeurs — Les étudiants
Tandis que le parti ultramontain dirigeait de virulentes
attaques contre le Séminaire, lui contestant le droit de pro-
priété sur les biens des fondations protestantes, l'orthodoxie
luthérienne élevait, de son côté, les plus graves accusations
contre le Séminaire et la Faculté de théologie, leur reprochant
de s'écarter dans leur enseignement du dogme officiel. Mais
avant de narrer ces nouvelles attaques, il semble indiqué de
jeter un coup d'œil sur le corps enseignant et sur la vie
scientifique de ces deux institutions.
Dans la période qui s'écoula de 1850 à 1860, les choses,
au Séniinaire et à la Faculté de théologie, suivirent leur cours
normal. Les alarmes de l'année 1848 s'étaient rapidement
dissipées; la discipline des élèves, qui pendant quelque temps
avait laissé beaucoup à désirer, s'était sensiblement améliorée;
les jeunes gens les plus turbulents, ceux qui pendant et après
les journées de février avaient poussé au désordre, avaient
renoncé aux études théologiques et quitté le Séminaire; ') les
autres s'étaient hâtés de rentrer dans l'ordre et de se faire
pardonner, par leur tenue, leur assiduité et leur conduite, les
écarts dont ils s'étaient rendus coupables. Quant aux profes-
seurs, ils déployaient un zèle actif dans l'intérêt des étudiants
*) En 1848 déjà 2 étudiants avaient été relégués et 4 avaient quitté
volontairement le Séminaire ; de 1849 à 1853 il y eut 4 nouvelles reléga-
tions et 16 départs volontaires.
LE DOYEN BKUCH 211
et de leurs études. Sans doute, ils n'étaient pas toujours
d'accord sur le plan des études, la méthode de l'enseignement
et autres questions semblables; les anciens, gardiens fidèles
des traditions, s'effrayaient des innovations réclamées par les
derniers venus, par Reuss surtout, qui, mieux que tout autre,
avait compris la nécessité de certaines réformes. Mais cela
ne les empêchait pas d'imir leurs efforts pour le bien des
élèves et la prospérité des deux établissements théologiques.
Ce qui était plus grave, c'est que chez tel d'entre eux l'âge
commençait à se faire sentir lourdement et à paralyser plus
ou moins son activité. En général pourtant, ceux-là même qui
étaient plus avancés en âge, avaient conservé une vigueur
physique et morale qui leur permettait de suffire à leur tâche.
La Faculté de théologie comptait, nous l'avons dit, six
professeurs, qui, à l'exception du titulaire de la chaire de
dogmatique réformée, étaient en même temps professeurs au
Séminaire et donnaient des cours dans les deux établissements.
Parmi eux, le représentant de la théologie spéculative, Jean-
Frédéric Bruch, tenait le premier rang. Doyen de la Faculté,
pasteur et inspecteur ecclésiastique, il était le chef reconnu
du clergé protestant d'Alsace et de Lorraine. Tout d'ailleurs
le désignait à ce rôle: ses qualités intellectuelles, ses vertus
morales et jusqu'à sa personne extérieure. D'une taille au
dessus de la moyenne, la tête fortement modelée et couronnée
d'une épaisse chevelure que l'âge ne parvenait pas à blanchir,
an front large, d'épais sourcils froncés par une habitude
méditative, la physionomie sérieuse, l'air noble et grave, tel
l'ont encore devant leurs yeux, ceux qui, il y a plus de
cinquante ans, étaient assis au pied de sa chaire.
Le doyen Bruch était alors sexagénaire, mais d'une
vigueur de corps et d'esprit peu commune et de taille à satis-
faire aux multiples fonctions, académiques, ecclésiastiques et
autres dont il était chargé. Il avait antérieurement traité dans
ses cours les disciplines les plus diverses, la morale, les synop-
tiques, l'archéologie hébraïque, l'histoire des dogmes, la
théologie pratique, mais, sentant la nécessité de donner aux
jeunes théologiens une connaissance approfondie du protestan-
tisme, de son essence et de ses principes, de ses différentes
formes, de ses rapports avec l'Etat, la science, l'art et la littê-*
rature, il avait, depuis 1848, entrepris de donner une Intro-
duction historico-critique aux livres symboliques de l'Eglise
14*
212 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOUKa
luthérienne, un Exposé systématique du protestantisme, et
un Examen des doctrines distinctives du catholicisme
comparées à celles du protestantisme. Mais son cours principal,
celui auquel il attachait le plus d'importance, portait, une
année, sur la dogmatique et, Tautre année, sur la morale
chrétienne. Il le faisait entre 8 et 9 heures du matin. Les
élèves étaient là à l'heure précise, car le professeur ne per-
mettait pas qu'un retardataire troublât sa leçon. Lui-même
était d'une exactitude militaire: au moment où le quart de
l'heure sonnait à l'horloge de Saint-Louis, en face du Sémi-
naire, il faisait son entrée, traversait la salle d'un pas lent,
s'asseyait dans la chaire, étalait ses notes, son livre, son
mouchoir, et puis, inclinant légèrement la tête, il commençait
à parler. Il dictait de courts paragraphes qu'il développait
et illustrait librement. Son débit était lent, presque solennel,
sa parole simple, sans ornements oratoires, mais captivante
par la clarté de l'exposition, l'élévation de la pensée et l'élé-
gance de la parole.
Un de ses auditeurs des années 1855 à 1858, M. Alfred
Weber, plus tard professeur de philosophie au Séminaire,
qui, dans son autobiographie, a esquissé la silhouette de ses
maîtres d'alors, dit de ces cours: «Ils étaient à un haut degré
attrayants, déjà à cause de leur forme classique. Je suivis
surtout avec le plus vif intérêt ses leçons allemandes sur la
dogmatique et son cours français sur la morale. Ils étaient
essentiellement philosophiques, imprégnés d'esprit philoso-
phique. Je me rappelle avec un plaisir tout particulier l'intro-
duction à son cours de morale, dans laquelle il nous exposa
d'une manière très originale et très attrayante sa conception
de la conscience, qu'il allait développer plus au long dans
le dernier de ses grands ouvrages, la Théorie de Vaperception
interne, La psychologie était, en effet, l'étude de prédilection
de ce maître aux aptitudes si variées et qui savait résoudre
les problèmes les plus divers avec une facilité étonnante et
comme en se jouant. » *)
Le professeur Weber parle aussi des rapports qui exis-
taient entre le maître et les élèves, rapports excellents, basés.
*) Von der Schulbank zum Lehrstuhl. Tagebuchnotizen eines Alt-
Elsassers. Als Manuscript gedruckt. Strassb. 1893, p. 58.
LES COUES DE EEUSS SUR LE NOUVEAU TESTAMENT 213
d'une part, sur le respect le plus profond, d'autre part, sur
Taiïection la plus vraie. « Pour moi, dit-il, M. Bruch a été,
plus qu'aucun autre des professeurs, un ami paternel et un
conseiller.» Il fut Tami et le conseiller de bien d'autres. Il
était, en général, plein d'affection pour les étudiants. Sans
doute, le jeune élève qui pénétrait pour la première fois dans
ce cabinet tout tapissé de livres et de tableaux, se sentait
quelque peu intimidé. Le premier abord du doyen était un
peu froid; on se sentait tenu à distance, étudié et jugé par un
observateur; mais l 'examen achevé, quelle bienveillance, quelle
bonté! Quelle chaude affection sous un aspect si grave! Et
pour ceux qui avaient le bonheur de l'approcher plus souvent
et plus intimement, que de richesses et que de jouissances
dans le commerce de cet esprit et de cette âme!
A côté du représentant si distingué de la théologie systé-
matique, le représentant non moins éminent et déjà célèbre
de la théologie biblique, Edouard Eeuss. Il donnait à la
Faculté de théologie les cours sur le Nouveau Testament,
quoiqu'il n'occupât pas la chaire d'exégèse. Il avait été nommé,
non comme professeur titulaire — n'ayant pas acquis le
grade de docteur en France, il ne pouvait l'être — mais comme
simple chargé de cours, à la chaire de morale chrétienne. Il
ne faisait pourtant pas, et il n'avait jamais fait le cours de
morale; il l'avait abandonné dès le début à son collègue Bruch.
L'exégèse du Nouveau Testament, l'histoire des livres du
Nouveau Testament, la théologie du Nouveau Testament,
telles étaient, non pas les seules, mais les principales matières
qu'il traitait. « C'est », disait-il dans une lettre au Directoire,
«la charge de professeur de théologie pour la partie du
Nouveau Testament que j'ai remplie depuis ma nomination;
depuis plusieurs années, je suis même resté seul chargé de
cet enseignement. Je fais donc un cours permanent d'inter-
prétation du Nouveau-Testament. Et à côté de cela et alter-
nativement: 1" le cours d'introduction au Nouveau Testament;
2° le cours de dogme et de morale biblique du Nouveau
Testament; 3° le cours d'encyclopédie théologique; 4° le cours
d'archéologie biblique; 5° le cours d'histoire de la théologie
protestante; 6° le cours d'histoire des sciences bibliques. Je
consacre à cet enseignement de 6 à 9 heures par semaine,
selon le cas. Outre cette position officielle, j'en occupe une autre
tout bénévolemJent. J'ai commjencé et j'ai continué jusqu'à ce
214 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STEASBOURG
jour à faire des cours d'hébreu pour les élèves de la première
section. » 0
Dans ses cours sur le Nouveau Testament, Reuss suivait
une méthode nouvelle et qui changeait profondément le
caractère des sciences bibliques: il leur appliquait le principe
historique. De ce fait, l'introduction au Nouveau Testa-
ment, jusque-là un assemblage de renseignements divers
sur chacun des livres qui composent le recueil sacré, devenait
une histoire de la littérature chrétienne au temps apostolique,
et la théologie du Nouveau Testament, im exposé des idées
religieuses des premiers disciples, «un tableau du premier
travail de la réflexion sur le grand fait de la révélation
évangélique ». « Des faits qui appartiennent à l'histoire »,
disait Eeuss, «doivent être présentés comme histoire»; «il
ne s'agit pas de démontrer, mais de raconter ». Quant à l'inter-
prétation des livres bibliques, il se bornait au strict nécessaire
de l'explication philologique et grammaticale, pour attirer
l'attention de ses auditeurs sur le contenu théologique des
textes. «La grammaire et le lexique», disait-il, «sont choses
excellentes et indispensables. Mais pour pénétrer dans l'esprit
de la littérature et pour en jouir, ils suffisent tout aussi peu
que ne suffit le scalpel pour saisir la vie. »
Reuss possédait le don de la parole. Il faisait ses cours
dans les deux langues. Il s'exprimait dans Tune et dans
l'autre d'une manière facile, abondante, heureuse. Son expo-
sition était vivante, quelquefois éloquente, constamment
ingénieuse et spirituelle. Ce qu'on admirait surtout chez lui,
c'était le talent de dégager les points importants de ce qui
est accessoire et de formuler le résultat d'ime discussion en
termes brefs et lumineux.
Reuss avait avec les étudiants des deux sections des
rapports plus directs et plus suivis que les autres professeurs,
d'abord par la Société philologique et puis par la Société
théologique qu'il dirigeait, l'une conjointement avec son
collègue Baum, et l'autre avec son ami Cunitz. La seconde
de ces deux sociétés était née du désir de son fondateur «de
rester jeune par la communion vivante de travail et de pensée
avec ses élèves, et de se préserver de la froideur d'une science
qui se replie sur elle-même». Les étudiants trouvaient là la
meilleure occasion, non seulement de s'instruire, d'apprendre
*) Lettre au président du Directoire. (Arch. du Dir.
THÉODORE FRITZ ET LA CHAIRE D'EXEGÈSE 215
à travailler par eux-mêmes, de développer en eux la curiosité
intelligente, mais aussi de se rapprocher de leurs professeurs,
d^apprendre à les mieux connaître et à se faire mieux connaître
d'eux. Eeuss d'ailleurs multipliait ces occasions; dans la
bonne saison, il invitait les étudiants à sa belle campagne du
Neuhof, et il les recevait, en hiver, dans son agréable maison
de la place Saint-Thomas. Ses occupations les plus absor-
bantes même, ne Tempêchaient pas de donner quelque chose
de son temps à ceux qui venaient frapper à sa porte. Les
plus vieux d'entre nous se rappellent sans doute avec plaisir
son accueil cordial. Quand on entrait dans son cabinet, il
posait sa plume, il laissait là le feuillet à moitié couvert de
son écriture, et vous prenant la main, il vous entraînait sur
son petit canapé, où il engageait uiïe conversation toujours
intéressante, toujours instructive.
Reuss expliquait les livres du Nouveau Testament, mais
c'était Théodore Fritz qui occupait la chaire d'exégèse. Il y
avait été nommé en sa qualité d'hébraïsant et, de fait, il se
bornait à interpréter les livres de l'Ancien Testament et
plus spécialement les Psaumes et les Prophètes, abandonnant
à Reuss, à Bruch et à Cunitz l'explication des écrits du
Nouveau Testament. Malheureusement, l'étude de l'hébreu et,
par conséquent, de l'Ancien Testament était peu goûtée par
les étudiants, Fritz n'avait pas le don de la faire aimer. Son
exégèse, d'un caractère plus érudit que scientifique, manquait
de vues générales et de profondeur. Au lieu de transporter
ses auditeurs au sein de la vie religieuse et intellectuelle du
peuple d'Israël avant et après la restauration, au lieu de
leur faire comprendre les grandes idées et les saintes espé-
rances de ses poètes et de ses prophètes, il s'attardait aux
questions d'authenticité et aux difficultés grammaticales. De
là, chez les élèves, un manque de plus en plus marqué d'intérêt,
et chez le maître lui-même une certaine lassitude. Nature
éminemment pratique, Fritz avait d'ailleurs toujours montré
une prédilection pour les sciences plus pratiques, l'apologé-
tique, la morale et surtout la pédagogique, sur laquelle il
avait publié un gros ouvrage en trois volumes, fort apprécié
par les hommes compétents. *) Aussi la Faculté, tenant compte
*) Esquisse d'un système complet d'instruction et d'édueation et
de leur histoire.... Strasbourg et Paris, 3 vol. in-S**, 1841-1843.
216 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STEASBOUKG
de ses goûts et de ses aptitudes et de ceux de Beuss, avait-elle,
dès l'année 1849, proposé un échange de chaires entre ces
deux professeurs, de telle sorte que Fritz eût abandonné Texé-
gèse à Reuss et se fût chargé du cours de morale. Une résolu-
tion dans ce sens avait été adressée au ministre de Tinstruction
publique, mais elle était restée sans réponse, et l'échange
projeté, et souhaité par les deux intéressés, n'avait pas eu
lieu. Fritz continuait donc ses cours sur l'Ancien Testament;
mais déjà il se sentait touché par Tâge, ses forces diminuaient
et l'affaiblissement de sa mémoire lui rendait les devoirs de
l'enseignement difficiles.
Le professeur d'histoire ecclésiastique, André Jung,
jouissait, au contraire, de la santé la plus robuste. Hiver
comme été, il venait au cours en simple redingote, et c'était
tout un événement quand, par un froid des plus intenses, il
paraissait avec un manteau jeté sur ses épaules. Aussi
n'interrompit-il jamais son cours pour cause de maladie. Il
le faisait six fois par semaine de 10 à 11 heures. Malgré
cela, aucun étudiant n'arrivait à l'entendre en entier, par la
simple raison qu'il s'étendait sur dix, et plus tard, sur douze
semestres. Cette circonstance très regrettable s'expliquait par
un double fait: d'abord, Jung croyait devoir communiquer
à ses auditeurs tout ce qui l'intéressait lui-même et qu'il
puisait dans ses vastes lectures. La matière de son enseigne-
ment s'accumulait ainsi d'année en année, surtout pour l'his-
toire moderne et contemporaine. Et puis, il croyait nécessaire
d'orienter les jeunes théologiens sur les luttes des temps
présents, sur l'esprit et la tendance des différents partis
ecclésiastiques et des différentes sectes religieuses. Il était
ainsi entraîné à entrer dans de nombreux détails, à donner
des explications circonstanciées. On écoutait avec plaisir et
avec profit cette exposition intéressante, à laquelle le profes-
seur ne craignait pas de mêler des anecdotes, des traits et
des mots caractéristiques. En général, les étudiants aimaient
bien le «père Jung», d'autant plus qu'ils le savaient ennemi
de tout pédantisme.
Son activité principale ne s'exerçait pourtant pas dans
les salles de cours de Saint-Thomas; son véritable domaine
était la bibliothèque de la ville et du Séminaire. Nommé
bibliothécaire-adjoint en 1825 et bibliothécaire en chef de la
ville en 1843, après la mort de Herrenschneider, il avait
LES COTJES DE THEOLOGIE PRATIQUE 217
consacré et il consacrait encore ses forces et son temps à
l'administration des belles collections confiées à ses soins. Il
avait obtenu de les loger toutes les deux dans le chœur du
Temple-Neuf, qu'il avait arrangé d'après un plan qui
rappelait celui de la grande bibliothèque de Gœttingue; il y
avait transporté et classé des milliers de volumes éparpillés
un peu partout; il avait dressé le catalogue systématique de
la bibliothèque de la ville et de celle du Séminaire, et fait
un inventaire des manuscrits de la ville; il avait ainsi, par
un immense et incessant labeur, élevé un monument digne de
lui et digne de Strasbourg, aère perennius, et qui devait
être anéanti en quelques heures. On sait que dans la nuit
du 24 août 1870 les obus allemands incendièrent le Temple-
Neuf et détruisirent les merveilleux trésors placés dans son
chœur.
La théologie pratique, si importante pour le futur pasteur,
était confiée à un homme d'un grand mérite, mais que ses
études particulières n'avaient pas préparé à cet enseignement.
Auteur de nombreux et savants ouvrages sur l'histoire des
mystiques et des sectes hérétiques du moyen âge et sur
l'époque de la Réforme, hautement apprécié des théologiens
et des historiens de tous les pays, Charles Schmidt n'avait
jamais rempli de fonctions ecclésiastiques et était, par consé-
quent, sans expérience sur ce terrain. Il avait donné quelques
prédications en langue française et avait publié trois
sermons, ^) mais depuis sa nomination à la chaire d'homilé-
tique, il n'était plus monté dans la chaire chrétienne. Dans ses
cours d'homilétique, de liturgique et de catéchétique, il dictait
de courts paragraphes qu'il développait de vive voix et qui
contenaient des aperçus très justes et des conseils très utiles,
mjais les exercices pratiques, qui sont essentiels dans cette
partie, étaient insuffisants, ceux de catéchétique manquèrent
pendant des années au programme. Schmidt était d'ailleurs
plein de bonté pour les étudiants, toujours prêt à donner des
conseils et à rendre des services à ceux qui s'adressaient à lui.
Le professeur de dogmatique réformée, llichard, était
le seul membre de la Faculté qui ne fût pas en même temps
professeur au Séminaire et chanoine de Saint-Thomas. Esprit
*) Trois sermons par Charles Schmidt, docteur en théologie.
Imprimés à la demande de quelques amis. Str. 1838.
218 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
spéculatif, penseur original, fin connaisseur de la philosophie
allemande, il avait eu un début plein d'espérances. Mais son
activité se trouva bientôt paralysée. Il avait une chaire, mais il
n'avait point d'élèves. Il y eut des années oii il dut s'estimer
heureux d'avoir dans son cours de dogmatique trois ou quatre
auditeurs. On ne s'étonnera pas que dans ces circonstances
il ait perdu le courage et l'entrain nécessaires.
Dans la section propédeutique, la philosophie était repré-
sentée par les professeurs Hasselmann et Kreiss et par le
privatim-docens Baum.
Hasselmann, chargé de l'enseignement du grec, faisait,
par raison de santé, ses cours dans la maison qu'il occupait
au coin de la rue du Bouclier. Dans une pièce du rez-de-
chaussée transformée en salle de cours, les étudiants groupés
autour de quelques méchantes tables, écrivaient, sous la dictée
du professeur, la traduction en alexandrins allemands qu'il
avait faite des tragédies d'Eschyle et de Sophocle. C'étaient
les auteurs favoris de Hasselniann, ceux auxquels il revenait
sans cesse, bien qu'il se décidât, de temps en temps, à expliquer
quelque traité de Platon ou quelque livre de Thucydide.
Excellent honùne, il accueillait avec beaucoup de bienveillance
les étudiants qui allaient le voir. Plus tard, il sut se faire
un parti parmi la jeunesse orthodoxe, qui fréquentait chez lui.
Le second professeur de philologie, Kreiss, avait donné
d'abord des cours de littérature latine et faisait alors des
cours de littérature grecque. Le professeur Weber a tracé en
quelques traits le portrait de cet homme si bon et vénéré de
tous. « Théodore Kreiss », dit-il, « était, à la suite d'im accident
de jeunesse, contrefait et asthmatique au plus haut degré.
Mais ce pauvre corps défiguré portait une tête de grand
caractère, digne d'être éternisée par un Holbein ou un Van
Dyck. Des traits fins, creusés par la souffrance; des yeux
bleus, étincelants d'esprit; un sourire un peu ironique errant
autour d'une bouche bien formée. Quand il était dans sa chaire,
les auditeurs assis devant lui n'apercevaient que sa tête et
l'index de sa main droite qu'il tenait levé. » Disciple de
Schweighaeuser, Kreiss s'arrêtait surtout à l'interprétation
grammaticale, mais il ne manquait pas, dans l'explication des
poètes d'insister avec complaisance sur la beauté de telle
expression ou de telle image. Dans les examens semestriels,
si l'élève lisait les vers de Pindare avec l'intonation voulue,
BAUM ET SES RAPPOKTS AVEC LES ÉTUDIANTS 219
il lui arrivait de le renvoyer sans plus, avec ces mots: «C'est
bien, je vois que vous avez compris! »
Admirateur enthousiaste de l'art et de la littérature des
anciens, Kreiss s'était entouré de reproductions photogra-
phiques et autres des monuments les plus célèbres de l'anti-
quité, et s'était composé une bibliothèque de tous les ouvrages
de valeur qui avaient paru sur la littérature grecque et
romaine, tous habillés de la même belle reliure. Aussi en
pénétrant dans son appartement, on sentait comme un souffle
de l'esprit attique.
Guillaume Bamn, le troisième représentant de la science
philologique, n'était pas un philologue de carrière, si je puis
dire, bien qu'il écrivît un fort bon latin. La partie à laquelle
il semblait prédestiné par ses aptitudes, par son goût et par
ses études spéciales, était autre. L'histoire de l'Eglise, notam-
ment l'histoire de la Réforme du seizième siècle, et plus spé-
cialement encore celle de la Réformation en France et en
Alsace, tel était le terrain qu'il cultivait avec prédilection et
où il semblait appelé à produire des œuvres remarquables.
Mais cette voie ne s'ouvrit pas pour lui au Séminaire; il
se vit appelé à traiter la littérature ancienne. Sans doute, il
la connaissait, il l'avait étudiée, mais pas en philologue. Aussi
ses cours laissaient-ils tant soit peu à désirer sous le rapport
philologique. En interprétant Plante et Horace, Lucrèce et
Sénèque, il suivait trop souvent l'inspiration du moment et
se laissait aller à des digressions qui ne manquaient ni de
charme ni d'intérêt, mais qui ne se rapportaient que de très
loin à l'objet de son enseignement.
Mais vivant, plein d'esprit, génial, il captivait ses audi-
teurs. En général, il exerçait sur les étudiants, surtout sur
les plus jeunes, plus d'influence qu'aucun autre professeur.
Et ce qui lui gagnait les cœurs, ce n'était pas seulement
sa nature prime-sautière, son esprit vif et pénétrant, le
mélange de force et de douceur, mais l'affection profonde qu'il
portait à ses élèves. Il les traitait en amis et les servait avec
un dévouement qui ne reculait devant aucune fatigue et
aucune peine. Il était toujours prêt à les conseiller, à les aider,
à les encourager, mais aussi à les reprendre, à les réprimander,
à les blâmer. Il était terrible quand il grondait, mais ses répri-
mandes partaient d'un cœur aimant et sa colère passait aussi
vite qu'une pluie d'orage.
220 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STKASBOURG
Baum était, on Ta dit plus tard sur sa tombe, « un homme
dans le meilleur sens de ce mot», courageux et fort comme
son héros préféré, Luther, qu^il rappelait par sa tête puissante,
par sa carrure, par son œil brillant, par toute sa nature éner-
gique et vaillante.
L'histoire était enseignée par le professeur Auguste Stahl,
que, dans sa jeunesse déjà, on appelait le savant Stahl. Il
imposait aux étudiants par ses vastes connaissances qu'on
exagérait peut-être. On disait de lui qu'il savait dix-neuf
langues, qu'il connaissait l'Inde, la Chine, le Japon, d'autres
pays lointains aussi bien que le coin de terre qu'il habitait,
qu'il avait une mémoire si prodigieuse, qu'après avoir lu un
livre scientifique volumineux, il était capable d'en répéter le
contenu sans presque changer un mot.
Très original quant à son physique: long et maigre, avec
des traits commie taillés dans le bois, un front proéminent, des
pommettes saillantes, une chevelure tout ébouriffée, il ne l'était
pas moins dans ses leçons. Il parlait librement, sans les
moindres notes, sans gestes, rapidement, d'une voix d'abord
sourde, basse, mais qui tout à coup, aux moments pathétiques,
s'élevait jusqu'au fortissimo. Son élocution étrange, son esprit
caustique, ses citations empruntées à de vieux auteurs peu
connus et qui éclataient comme des bombes au milieu d'un
récit, entretenaient chez les auditeurs l'attention et la bonne
humeur. Stahl faisait alternativement, une année, l'histoire
ancienne et l'autre année, l'histoire du moyen âge et celle des
temps modernes. Son enseignement n'était pas très profond,
les faits étaient pour lui la chose essentielle. Il les exposait
d'une manière intéressante, claire, lumineuse, mais sans en
pénétrer l'esprit. Il ne se disait pas, non plus, que, dans un
Séminaire protestant, il fallait insister sur les événements
qui intéressent plus spécialement le théologien et traiter avec
plus d'ampleur les périodes importantes pour l'histoire de
l'Eglise.
L'enseignement de la philosophie laissait également quel-
que peu à désirer. L'historien distingué du néoplatonisme et
du gnosticisme, Jacques Matter, autrefois le membre le plus
illustre du Séminaire, commençait à sentir les atteintes de
l'âge. Il continuait à faire ses cours de morale et de méta-
physique, de religion naturelle, de cosmologie et de pneuma-
tologie d'après les livres qu'il avait publiés sur ces matières,
CHRISTIAN BARTHOLMESS SUCCEDE À WILLM 221
mais son influence avait diminué. Ses rapports avec les
étudiants, en dehors de son cours, se bornaient aux séances
de la Société philosophique, fondée et dirigée par lui, et dont
les membres lui rendaient le service de copier les manuscrits
qu'il destinait à l'impression.
Joseph Willm, le second professeur de philosophie, était
très apprécié. Ses cours, au dire d'un de ses élèves,
témioignaient «d'un savoir de bon aloi et d'un grand bon
sens ». Mais une vie toute de labeur — il était professeur au
Séminaire, inspecteur d'Académie, directeui' de la Revue
germanique^ collaborateur de plusieurs œuvres littéraires,
scientifiques et philanthropiques, membre du Conseil muni-
cipal — avait épuisé ses forces. Fatigué, malade, il ne par-
venait plus à faire ses cours qu'avec de fréquentes inter-
ruptions. En 1852, il se vit forcé de renoncer complètement
à ses leçons, et après des mois de souffrances supportées avec
résignation, il mourut le 7 février 1853.
Le Séminaire, considérant la grande importance de la
chaire devenue vacante, résolut d'y appeler un homme aussi
distingué comme savant que comme écrivain. Son choix
tomba sur un ancien élève du Séminaire et de la Faculté de
théologie, qui vivait à Paris et s'était déjà fait connaître par
différents ouvrages.
Christian- Jean-Guillaume Bartholmess *) était né au vil-
lage de Simdhausen, dans le département du Bas-Rhin, le
26 février 1815. Son père, employé à l'usine de Geiselbronn,
était, comme sa mère, d'origine badoise. C'est aussi dans le
pays de Bade que le jeune Bartholmess reçut sa premiière
éducation. Son grand-père maternel était professeur au Pse-
dagogium de Pforzheim. L'enfant lui fut confié dès l'âge de
huit ans. L'école était bonne, l'élève, doué et plein de zèle.
Il fit de rapides progrès, surtout dans les langues anciennes.
Mais lorsqu'à quatorze ans il entra au Gymnase de Stras-
bourg, tous ses efforts tendirent à se dégermaniser et à s'assi-
miler la langue française. Il devait, en effet, arriver à l'écrire
non seulement correctement, mais avec une rare élégance.
*) Voy. Matter, La vie et les travaux de Christian Bartholmess.
Str. 1856.
L. Spach, Chr. Bartholmess dans la Revue d'Alsace. 8e année.
Colmar, 1857, p. 257 ss. et 291 ss.
222 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STRASBOUKG
Bartliolmess quitta le Gymnase en 1832, pour étudier la
théologie. Il suivit, en même temps, les cours de la Faculté des
lettres et surtout ceux de Pabbé Bautain, qui attirait autour
de sa chaire des auditeurs aussi nombreux qu'enthousiastes.
Peut-être est-ce à ces conférences qu'il puisa le goût des
études philosophiques. Licencié ès-lettres en 1835, il devint
candidat en théologie deux ans plus tard; puis, le prix
Schmutz de 3000 francs, remporté après le prix Spener, lui
fournit l'occasion et la possibilité de réaliser un rêve longue-
ment caressé, c'est-à-dire d'aller à Paris.
Il y fut d'abord attaché à l'entreprise de la Société
biblique de Londres, qui faisait alors réviser la traduction
française de la Bible, et, dans la même année, présenté par
le pasteur Athanase Coquerel, il entra comme précepteur
dans la famille du marquis? de Jaucourt; il y trouva ce qu'am-
bitionnait son cœur, de hautes relations et des distinctions
littéraires.
Il eut, dans sa nouvelle position, les loisirs nécessaires
pour publier des ouvrages qui lui procurèrent, dans les cercles
universitaires de la capitale, quelque considération: en 1847,
c'était son intéressante monographie sur Giordano Bruno;
l'année d'après, un mémoire sur la Certitude, qui fut cou-
ronné par l'Académie des sciences morales et politiques, et,
]>resque en même temps, une dissertation pour le doctorat,
Huet, évêque d'Avranches et le scepticisme théologique. En
1850, parut son Histoire de V Académie de Prusse, qui fut
couronnée par l'Académie française et valut à son auteur le
titre de membre de l'Académie de Berlin et l'ordre de l'aigle
rouge de troisième classe. Après 1851, il commençait à réimir
les matériaux d'une histoire de la Renaissance, lorsqu'il fut
appelé, au printemps de 1853, à la chaire laissée vacante par
la mort de Willm, et invité à venir l'occuper sans retard.
On était impatient au Séminaire de posséder un homme
dont on attendait beaucoup pour le développement des études
philosophiques. Ces espérances semblaient fondées. Barthol-
mess appartenait à l'école ^piritualiste française, nKais il
était très versé dans la philosophie allemande; il avait, de
plus, une forte culture théologique, ce qui le rendait parti-
culièremlent apte à professer dans un Séminaire protestant.
Et pourtant, il ne répondit pas à ce qu'on attendait de lui.
CINQ CANDIDATS A LA CHAIRE DE PHILOSOPHIE 223
Ce n'est pas que ses cours sur rencyclopédie des sciences
philosophiques, sur la logique, la psychologie et l'esthétique
fussent insuffisants quant au fond et à \b^ forme; il exposait,
dans un langage ferme, simple, quelquefois éloquent, ses
idées particulières et les systèmes des autres. Mais il regret-
tait les amitiés et les relations nombreuses qu'il avait laissées
dans la capitale, et, en général, les habitudes sociales de
Paris; sa grande ambition était de devenir membre de l'Insti-
tut et de retourner à cette vie parisienne dont il avait goûté
le charme. «Ce n'était pas seulement son cœur, c'était sa
personne tout entière qui, à chaque instant, était à Paris»,
de sorte que les rapports entre lui et ses élèves ne pouvaient
guère s'établir.
Son activité au Séminaire fut d'ailleurs de courte durée.
Il mourut à Nuremberg le 26 août 1856, après quelques jours
de maladie, en revenant des eaux de Carlsbad, où il avait
accompagné la mère de son ancien élève. Sa dépouille mor-
telle fut ramenée à Strasbourg et inhumée le 31 août. Le 11
novembre suivant, Matter prononça au Séminaire un discours
sur sa vie et ses travaux.
Peu de jours après, le 17 novembre, le Séminaire s'occupa
de son remplacement. Cinq candidats s'étaient présentés:
Charles Heintz, pasteur à l'église Saint-Thomas à Stras-
bourg; Adolphe Schaeffer, pasteur à Haguenau; Timothée
Colani, directeur de la Revue de théologie; Charles Wadding-
ton, agrégé de la Faculté des lettres de Paris, et à la dernière
heure, M. Faire, professeur au lycée d'Alençon et parent de
Guizot.
De ces cinq candidatures, deux seulement pouvaient être
prises en sérieuse considération: celle de Colani et celle de
Waddington. Le premier avait depuis longtemps donné des
preuves de son talent et de sa science, et nul ne pouvait con-
tester qu'il fût apte à occuper une chaire de philosophie. Et
puis, point important pour une chaire du Séminaire, il était
théologien. Aussi Bruch et Eeuss se prononcèrent-ils éner-
giquement pour lui. Mais la majorité lui était contraire: les
uns craignaient qu'il n'apportât au Séminaire un esprit d'in-
novation, les autres se laissaient influencer par des motifs
religieux ou personnels. Le président Braun était bien dis-
posé pour Colani, mais il avait peur de l'orthodoxie pari-
224 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STKASBOURG
sienne, qui était résolue à empêcher à tout prix la nomination
du directeur de la Revue de théologie^). Le pasteur Cuvier
de Paris lui avait chaudement recommandé Waddington
comme un homme «sincèrement attaché à nos Eglises» et
«orthodoxe sans exagération»; mais à Strasbourg personne
ne le connaissait; on savait seulement qu'il était professeur
de philosophie dans un des grands lycées de Paris et qu'il
avait fait des cours à la Sorbonne, mais surtout qu'il était
un caQdidat agréable au parti orthodoxe.
Charles Waddington était né le 19 juin 1819 et appartenait
à une famille d'origine anglaise. Elève de l'école normale
supérieure, et, à la suite d'un exanlen brillant, agrégé de phi-
losophie, il avait professé dans différents lycées de province
et de la capitale, et avait, par deux dissertations, dont l'une
fut couronnée par l'Académie française, conquis le grade de
docteur ès-lettres et celui d'agrégé de la Faculté des lettres.
Depuis 1850, il avait donné des cours à la Sorbonne, mais sa
qualité de protestant lui ayant créé des difficultés, il avait
demandé et obtenu un congé illimité.
Ce fut donc pour lui une heureuse chance que l'orthodoxie
parisienne le mît en avant pour la chaire de philosophie au
Séminaire, d'autant plus qu'il espérait pouvoir réunir avec
cette chaire, celle de la Faculté des lettres, dont le titulaire,
Paul Janet, venait d'être appelé à Paris. Cet espoir d'ailleurs
fut déçu. Le conseil académique déclara qu'un professeur
d'un établissement protestant ne pouvait être en même temps
professeur d'une Faculté de l'Etat.
Au Séminaire, les débats furent longs et animiés, et lors-
que, le 17 novembre, on passa au vote, il arriva ce qu'on avait
pu prévoir: des neuf voix, 5 se portèrent sur Waddington, 3
sur Colani, le neuvième bulletin était blanc.
Le Séminaire, en présentant celui qu'il avait élu à la
nomination du Directoire, disait: «Le haut rang que M.
Bartholmess a occupé dans le monde savant et notammient
dans l'xVcadémie de Paris, nous a doublement imposé le
*) Waddington, dans une lettre au président Braun, exprimait
l'espoir que sa nomination au Séminaire était assurée pour différentes
raisons : « Entre autres », disait-il, « par la considération que vous-
même m'indiquiez, que ma nomination chez vous empêcherait M. Colani
d'y arriver. On en paraît aussi effrayé ici qu'à Strasbourg. (Arch.
du Dir.)
CHAKLES WADDINGTON 225
devoir sacré de choisir, pour le remplacer, le candidat le plus
savant, le plus éprouvé et le plus agréable. » A son élu mêm'e,
il écrivait: «Le Séminaire, en vous donnant la préférence
parmi les cinq candidats qui s'étaient présentés pour la chaire
à pourvoir, a voulu honorer votre éminent mérite, le profes-
seur haut placé dans PUniversité, le savant que plusieurs
ouvrages importants désignaient au choix ratifié par le Direc-
toire. »
On ne se contenta pas de lui prodiguer ces témoignages
si flatteurs, on Taccueillit avec empressement. Une brillante
renommée Pavait précédé. Charles Eead, le fondateur de la
Société de Thistoire du protestantisme français et alors chef
de la section non catholique du ministère des cultes, avait
écrit au président Braun qui lui demiandait des renseigne-
ments sur Waddington: «Il vous conviendrait extraordi-
nairement; tout en reconnaissant les mérites du défunt
(Bartholmess) , je ne puis vous dire qu'une chose, vous
gagneriez au changement». Son installation fut entourée d'un
éclat extraordinaire et sa leçon d'ouverture fut imprimée aux
frais du Séminaire.
Lors de son installation, Waddington avait promis de
'remplir fidèlement ses devoirs de membre du Séminaire;
avant cela, il avait déjà, dans une lettre de remercîment
adressée au Directoire et au Séminaire, fait cette déclaration
que lui avaient sans doute demandée ses amis orthodoxes:
«Le soussigné s'engage en toute conscience à toujours
respecter dans son enseignement le contenu des Ecritures
saintes et la doctrine reconnue de l'Eglise de la Confession
d'Augsbourg, à ne point professer ni enseigner des doctrines
contraires à celles de cette Eglise et à se soumettre en tout
aux lois, règlemlents et autorités qui régissent la dite Eglise. »
Il resta fidèle à cet engagement; mais les grands espoirs
qu'on avait attachés à sa nomination furent déçus.
Waddington avait certainement de grands mérites: deux de
ses ouvrages avaient été couronnés par l'Académie française,
et son livre sur Pierre Ramus, dans lequel il réhabilitait le
vieux théologien et philologue et marquait son importance
pour la théologie et pour l'histoire de la culture spirituelle,
était une œuvre tout à fait remarquable; mais il ne possédait
pas la langue allemande et n'était, par conséquent, pas initié
15
226 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
à la philosophie allemande. Et puis, il n'avait jamais été en
contact direct avec la science théologique protestante. Ces
lacunes, il ne pouvait les combler avec la meilleure volonté
du monde, et elles se faisaient trop souvent sentir. Il se
donnait infiniment de peine pour rendre ses cours de psycho-
logie et de logique intéressants et même attrayants, mais
l'éclectisme de Victor Cousin qu'il professait, n'était pas
pour faire pénétrer ses auditeurs jusqu'au fond des grands
problèmes philosophiques ou pour réveiller en eux le désir
d'études plus approfondies.
A côté des professeurs et des chargés de cours que nous
venons de nomrner, trois privatim-docentes avaient, au com-
miencement de cette période, fait des leçons au Séminaire:
Louis Frédéric Schwebel, Henri Eedslob et Edouard Cunitz.
Mais Schwebel, fatigué d'attendre un avancement qui tardait
à venir, était rentré, en 1853, dans la vie privée; Redslob
avait été interrompu dans son activité académique par la
nialadie qui devait l'emporter le 22 septembre 1852; Cunitz
était seul resté à son poste bénévole, bien qu'on n'eût rien fait
pour lui non plus. Malheureusement, il n'avait, pas plus que
son ami Baum, pu occuper une chaire qui répondît à ses
goûts et à ses études particulières. Il était, avant tout, histo-
rien, et il devait prouver plus tard, dans la publication des
Oeuvres de Calvin et dans celle de V Histoire ecclésiastique
des Eglises réformées de France, sa haute compétence dans le
domaine historique. Mais comme il n'avait aucun espoir
d'arriver à une chaire d'histoire, il s'était tourné, après avoir
fait, pendant des années, des cours de droit et de législation
ecclésiastique, vers l'exégèse du Nouveau Testament, et il
expliquait les Epîtres dans le sens de l'Ecole de Tubingue.
Mais il avait peu de succès comme professeur. Il n'avait pas
la parole facile: esclave de ses notes, son débit était terne et
monotone. Aussi était-il peu goûté par les étudiants. Il leur
portait pourtant un véritable intérêt; il accueillait avec beau-
coup de bonté ceux qui venaient frapper à sa porte et mettait
volontiers à leur disposition les trésors de sa bibliothèque et
les conseils de son expérience. Sa fidélité au devoir, la fermteté
et l'indépendance de son caractère, inspiraient d'ailleurs à
tous ceux qui l'approchaient une profonde estime.
Cunitz fit aussi, durant des années, des cours sur l'his-
LES ÉTUDIANTS ANIMES D'UN BON ESPEIT 227
toire de la littérature allemande. Un autre savant, Schnitzler, *)
en donna sur la littérature française et sur Thistoire géné-
rale de la littérature, Tun et l'autre devant un auditoire très
restreint. Ils manquaient, Tun et Tautre, de la grâce et de la
souplesse d'esprit, de l'éclat et du charme de la parole, bref
de ces qualités exquises et rares, nécessaires à ceux qui
parlent des poètes et de la poésie.
II
L'esprit qui, dans cette période, régna parmi les étudiants'
était, en général, bon. Sans doute, l'intérêt religieux, la
curiosité scientifique, l'élévation de la pensée et, ce qui à
l'âge des études est surtout important, l'enthousiasme, l'âme
vibrante, ne se rencontraient pas chez tous: plusieurs craig-
naient d'aborder franchement les grands problèmes et de
s'attaquer résolunient aux questions ardues qui se posaient
devant eux; quelques-uns même n'apportaient pas dans leur
préparation au saint ministère tout le sérieux qu'on était en
droit de leur demander. Mais — le doyen de la Faculté le
constatait dans ses rapports annuels — les élèves suivaient
les cours avec assiduité, leur conduite était régulière et
n'appelait aucune mesure disciplinaire, les examens semes-
triels donnaient des résultats satisfaisants. Et puis, il y avait
pourtant dans les promotions d'alors des jeunes gens qui se
distinguaient par un talent véritable et par un amour
passionné de la science théologique et dont quelques-uns
aspiraient aux grades académiques supérieurs. Le compte
rendu des travaux de la Faculté de théologie dans l'année
1859-1860 enregistrait, dans les examens pour grades, des
résultats uniques dans les annales de la Faculté: sur 24 candi-
dats, dont un pour le diplômte de docteur et cinq pour celui de
licencié, 4 avaient été reçus avec distinction, 14 avec la
mention bien et 6 seulemjent avec la note assez bien.
*) Jean-Henri Schnitzler, né à Strasbourg, le 1er juin 1808, fut,
pendant de longues années directeur de VEncyclopédie des gens du
monde, à Paris, et, plus tard, inspecteur des écoles primaires à Stras-
bourg. Il fit plusieurs séjours en Russie et publia sur ce pays û.ep
ouvrages très estimés, entre autres : La Russie ancienne et moderne,
2e éd., 1854, et UEmpire des Tzars, 1856 ss. — L(ouis) S(pach) a publié
sur lui une notice biographique : M. Schnitzler, statisticien et historien.
Strasb. 1872.
IS*
228 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
Durant cette période, il se produisit au Séminaire et à la
Faculté un fait nouveau et qui devait avoir pour la vie acadé-
mique des conséquences inattendues: le nombre des élèves
qui se tournaient vers le piétisme ou vers Porthodoxie
s'accrut de plus en plus, et les divergences dogmatiques, en
s 'accentuant, amenèrent la formation de groupes séparés ou
même opposés les uns aux autres.
Il est vrai qu'en 1829 et en 1830 déjà une manifestation
orthodoxe avait eu lieu à la Faculté. Geoffroi Redslob, fils
d'une famille piétiste, plus tard pasteur à l'église Saint-
Guillaume à Strasbourg, avait, dans trois thèses (doctrina fidei
christianae quam exposuerunt Patres apostoliciy Tentamen
exegeticum in locum Eph. I, 15-23 et Spécimen eschatologiae
Veteris Testamenti) qu'il présentait pour la lidence et pour
le doctorat, entrepris de défendre le point de vue traditionnel
contre la critique historique. Ces thèses avaient même donné
au professeur Hengstenberg de Berlin l'occasion de dénoncer
le rationalisme des professeurs de Strasbourg.
Cependant, cette manifestation, tout isolée, n'avait pas
trouvé d'écho dans le monde des étudiants en théologie. Il en
avait été de même du mouvement piétiste provoqué presque
au. même moment par les prédications du pasteur Haerter.
Appelé en 1829 au Temple-Neuf à Strasbourg, François
Haerter s'était fait le promoteur d'un réveil religieux au sein
de la population protestante de la ville. Dévoré de zèle pour
la maison du Seigneur, il avait porté la dogmiatique et la
polémique dams la chaire chrétienne, et, par sa parole péné-
trante, à la fois incisive et onctueuse, il avait gagné de
nombreux adhérents et exerçait une influence considérable
sur bien des âmes.
Mais il n'avait pas eu, d'abord, de prise sur les cercles
aicadémSques. Reuss, en 1845, affirmait qu'il n'y avait pas
parmi les membres de la Société théologique un seul piétiste
et que parmi les autres étudiants, il n'y en avait pas davan-
tage. Quelques années plus tard, Colani, rendant compte,
dans la Revue de théologie, des thèses soutenues à la Faculté
de Strasbourg dans l'année scolaire 1849-1850, constatait que
sur 31 thèses présentées pour le baccalauréat, dont 17 par
des candidats qui avaient fait leur théologie à Strasbourg et
12 par des candidats qui étaient venus de Genève pour
terminer leurs études à Strasbourg, il n'y en avait qu'une
229
seule qui pût être considérée comme orthodoxe, et essayant
de classer les autres d'après leur contenu théologique: «Huit
thèses», disait-il, «nous semblent appartenir soit au ratio-
nalisme soit au supranaturalisme moralisant. Deux sont
animées d'un esprit radical et négatif. Une douzaine à peu près
sont libérales, c'est-à-dire allient une tendance positive plus ou
moins prononcée à une critique plus ou moins indépendante...
Enfin les huit dernières thèses n'offrent rien qui permette
de les classer; la plupart cependant nous ont paru tendre
vers le rationalisme, tandis que deux sont empreintes d'un
respect peu définissable pour le dogme ecclésiastique. » *)
Telle était, au point de vue de la tendance religieuse et
théologique des élèves de la Faculté de Strasbourg, la situa-
tion avant 1850. A partir de ce moment, elle changea.
Haerter avait peu à peu étendu son influence sur les cercles
académiques et y avait gagné des adhérents. Charles Cuvier,
le fondateur et directeur de la Chapelle évangélique, et le
pasteur Adolphe Kreiss de Saint-Pierre-le- Jeune travaillaient,
de leur côté, à convertir au piétisme les étudiants français
et alsaciens qu'ils réunissaient autour d'eux. Enfin, l'ortho-
doxie luthérienne, s'affirmant de plus en plus, commençait à
attirer les jeunes gens qui voulaient entrer en théologie. La
plupart de ces « croyants luthériens » ne possédaient pourtant
pas des convictions basées sur des études sérieuses, ils avaient
été endoctrinés avant d'entrer au Séminaire et n'en étaient
que plus exaltés. Quelques-uns d'entre eux se crurent même
appelés à rendre un témoignage public de leur foi et s'enhar-
dirent jusqu'à manifester dans les cours qu'ils suivaient. Il en
fut ainsi dans le cours de dogmatique de Bruch, qui provoquait
tout particulièrement la colère de l'orthodoxie, Bruch se
contenta de signifier aux manifestants qu'ils étaient libres
de ne pas fréquenter son cours, mais qu'il ne tolérerait pas
qu'ils troublassent ses leçons et qu'il ferait immédiatement
expulser ceux qui se permettraient une pareille inconvenance.
Il n'en fallut pas plus pour calmer ces fougueux disciples
et pour les rappeler à l'ordre et aux convenances. L'un ou
l'autre de ces jeunes zélateurs prit pourtant la plume pour
informer tel de ses professeurs que sa conscience ne lui
permettait pas de suivre désormais son cours. Une pareille
*) Revue de théologie, II, p. 305.
230 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
communication parvint un jour à Reuss, parce que, dans son
cours d'exégèse, il avait expliqué le passage Psaume CIV, 4,
non pas comme Fexplique Fauteur de FEpître aux Hébreux,
mais comme l'exige le simple bon sens. Reusg se borna à prier
son correspondant de ne plus mettre les pieds dans son cours.
Dans ime lettre de Tannée 1856 à son élève et ami Henri
Graf, Reuss constatait d'ailleurs que l'orthodoxie dans ses
différentes nuances, depuis le vieux-luthéranisme allemand
jusqu'au méthodisme français, gagnait de plus en plus du
ternain, si bien que dans ces cercles «croyants» même se
formaient de nouveaux groupes qui n'avaient ajucun lien entre
eux. L'union qui autrefois avait existé entre les étudiants,
même entre ceux qui n'avaient pas les mêmes opinions
dogmatiques, était brisée, et quelques tentatives de la rétablir
ne donnèrent aucun résultat.
CHAPITRE IX
ITouyeaux débats sur la discipline et les études
Attaques contre le Séminaire et son enseignement
Dès Tannée 1844, le gouvernement avait invité le Consis-
toire général de l'Eglise de la Confession d'Augsbourg à
examiner de plus près la question de la discipline et des
études au Séminaire protestant, cette question, qui impliquait
celle de l'éducation des futurs pasteurs, ayant donné lieu à
de sérieuses observations. Le Consistoire général, après en
avoir délibéré et avoir pris connaissance des règlements
existants, avait déclaré que ces règlements étaient suffisants
pour assurer de bonnes études et une discipline convenable.
Il avait pourtant adopté le projet présenté par le Directoire
d'une organisation^ dont les bases essentielles seraient la
prescription d'une quatrième année d'études consacrée à la
théologie pratique, le concours à cet enseignement des profes-
seurs du Séminaire, la continuation en quatrième année des
bourses du gouvernement, la séminarisation des boursiers,
les frais pour l'institut pastoral mis à la charge du
Séminaire. *)
Les circonstances pourtant n'étaient pas favorables et les
choses en restèrent là. Sept ans se passèrent avant que la
question reparût. La veille de l'ouverture de la session du
Consistoire général de 1851 seulement arriva une dépêche du
ministre invitant le Consistoire à aviser aux moyens d'amé-
liorer les études et la discipline du Séminaire protestant et
') Séance du Consistoire général du 9 oct. 1844. Rec. o£f, III, p. 121 s.
232 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
aux réformes à introduire dans cet établissement pour qu'il
répondît complètement à son but.
«Le Séminaire protestant, disait le ministre, est institué
en vue, non pas de former des théologiens et des savants,
mais bien de préparer les élèves à Fexercice des fonctions
pastorales et de pourvoir les Eglises de ministres dûment
pénétrés des grands devoirs qu'ils sont appelés à remplir.
Son enseignement doit donc tendre à développer et à fortifier
la vocation ecclésiastique. Or, c'est à cette mission que le
Séminaire a paru répondre trop faiblement jusqu'à ce jour.
Indépendamment des réclamations directes que l'administra-
tion des Cultes a reçues à cet égard, elle a pu juger elle-
même par les résultats, que la direction et l'esprit des études
avaient dû laisser plus ou moins à désirer. Il ne peut s'agir
ici que de critiques générales. On ne met pas en doute les
bonnes intentions et l'érudition incontestable des maîtres. On
reconnaît volontiers que de certains progrès ont été obtenus,
qu'ainsi des écarts de conduite sont devenus plus rares parmi
les étudiants, et les habitudes plus studieuses. Mais l'instruc-
tion qu'ils reçoivent est, ce semble, trop théorique et trop
sèche; elle tend à être trop exclusivement scientifique. Des
éléments indispensables au pasteur, tels que la catéchisation
et la prédication sont trop négligés; l'apprentissage profes-
sionnel en un mot, n'est pas l'objet d'assez de sollicitude; la
pratique est trop sacrifiée à la théorie, l'application à la
science pure. Ces lacunes d'une part et cette prédominance
de l'autre, sont évidemment de nature à influer d'une manière
fâcheuse sur le caractère personnel et l'action des pasteurs
et conséquemment sur la situation morale des églises confiées
à leurs soins... Enfin, il y aurait lieu d'examiner si la tenue
matérielle des élèves, si le régime et la discipline auxquels
ils sont soumis ne comporteraient pas encore plus de sévérité
et d'exactitude que par le passé... Je vous invite, M. le
président », disait le ministre en terminant, « à vous préoccuper
sérieusement de cette question fondamentale, et à rechercher
de concert avec le Consistoire général les moyens propres
à améliorer la situation. L'état de choses actuel a le double
tort, de ne satisfaire que trop imparfaitement au besoin
d'édification des troupeaux, et de tromper trop souvent
l'attente de l'Etat, qui veut, avec juste raison, des services
utiles et réels, en échange des dispenses du service militaire
DEBATS SUR LE COURS DE THEOLOGIE PRATIQUE 233
et des subventions de bourses qu'il accorde aux élèves du
Séminaire. » ^)
Il est clair que les critiques contenues dans cette dépêche
ne pouvaient provenir du ministre, qui n'était pas en situation
d'avoir une opinion sur l'enseignement des professeurs du
Séminaire ni surtout sur les besoins religieux des comUtu-
nautés protestantes d'Alsace et de la mesure dans laquelle
satisfaction leur était donnée. Sa dépêche ne faisait que repro-
duire les accusations et les réclamations de l'orthodoxie
parisienne, qui engageait alors contre les institutions théo-
logiques et contre les professeurs incrédules de Strasbourg
une lutte qu'elle allait poursuivre pendant des années.
Dans sa séance du 30 juillet 1851, le Consistoire général
discuta la question qui lui était soumise par le ministre, et
le président résuma la discussion en ces termes: «Le Consis-
toire général admet en principe: que les études homilétiques
et catéchétiques doivent recevoir de l'extension; qu'une
quatrième année d'études, employée presque exclusivement à
la théologie pratique serait nécessaire; que les professeurs
de théologie devraient réunir autant que possible la pratique
à la théorie; que les élèves seraient tenus d'assister régulière-
ment au service divin et de rendre compte des sermons qu'ils
auraient entendus; qu'il serait utile d'attacher au Séminaire,
pour la prédication française un professeur qui, excellent
prédicateur lui-même, joindrait la pratique à la théorie, et
sous lequel, dans un service spécialement établi, se formeraient
les élèves; qu'un cours de théologie pastorale serait donné
coimne autrefois. »
Le président ajoutait pourtant qu'en recommandant la
pratique, le Consistoire général n'entendait nullement répudier
la science. « Il faut conserver l'éducation scientifique », disait-
il, « en donnant à l'éducation pratique le développement qu'elle
comporte. » ')
Quant à la question disciplinaire, le Consistoire se trouva
d'accord sur quatre points: il faudrait remettre en vigueur
les anciens règlements, donner aux étudiants un costume
uniforme, apporter à la direction du Collège de Saint-
^) Le Ministre de Vlnstruction publique et des cultes au président
du Directoire (Arch. du Dir.).
') Recueil officiel IX, p. 121.
234 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
Ouillaume certaines modifications, et restreindre la durée des
vacances universitaires. ^)
Les professeurs du Séminaire ressentirent d'autant plus
vivement les critiques du ministre qu'elles semblaient impli-
quer un blâme de renseignement qu'ils avaient donné jusque-
là et des résultats qu'ils avaient obtenus. Ils nommèrent une
commission qui fut chargée d 'élaborer un mémoire en réponse
à ces critiques.
Le Directoire, dans la session du Consistoire supérieur
de 1853, et la Commission nommée ad hoc, dans la session
de 1854, présentèrent, à leur tour, des rapports circonstanciés
sur les questions relatives à la discipline et aux études du
Séminaire, ainsi que sur celles de la pénurie des candidats
et de leur basse extraction, que le ministre avait soulevées
dans sa lettre.
Quant à la provenance des candidats, la Commission
constatait, d'après les chiffres fournis par le Séminaire, que
des 284 candidats luthériens examinés à Strasbourg dans une
période de 25 ans (du 1er janvier 1827 au 31 décembre 1851)
178 étaient fils de pères exerçant des fonctions publiques
ou libérales, fonctionnaires, officiers en retraite, négociants,
pasteurs, instituteurs, etc., et que les 106 restants sortaient
presque tous de la classe des cultivateurs, mais se distin-
guaient par leur zèle pour les études et par l'énergique
volonté de vaincre les difficultés que leur opposait l'insuffi-
sance de la première éducation.
La Commission déclarait en outre, en s'appuyant sur des
chiffres, qu'il n'y avait pas à craindre que l'Eglise manquât
de candidats. Dans une période de 25 ans, en effet, 228 candi-
dats avaient été placés comme pasteurs, comme professeurs
du Séminaire ou du Gymnase, 25 étaient morts, et 31 étaient
encore restés disponibles. Chaque année produisait, en
moyenne, 11 candidats, et l'on ne comptait, en général, que
9 vacances.
Quant à la discipline et aux études, la Commission
rappelait qu'elles avaient été réglementées à différentes
reprises et que les règlements avaient atteint leur but. Ici
encore, elle laissait parler les faits. Dans la période décennale
de 1816 à 1826, 235 élèves avaient été inscrits; sur ce chiffre.
*) Loc. cit., p. 123.
LA QUESTION DES ETUDES THEOLOGIQUES 235
11 étaient morts avant la fin de leurs études et 40 avaient
renoncé à la carrière pastorale; des 184 restants, 154 étaient
devenus candidats et 30 avaient été rayés par mesure disci-
plinaire. La période de 1826 à 1836 présentait déjà une
amélioration sensible. Sur 141 élèves inscrits, 11 avaient été
enlevés par la mort et 24 avaient renoncé; des 106 restants,
95 avaient été reçus candidats et 11 seulement avaient été
rayés. La i>ériode de 1836 à 1846 marquait un nouveau
progrès. Les élèves inscrits étaient au nombre de 119; ils se
trouvèrent réduits par suite de décès et de désistements volon-
taires à 93; 87 d'entre eux avaient passé les derniers exam<?ns
et 6 avaient été renvoyés pour cause disciplinaire. Enfin,
dans le cours des années 1846 à 1850, 65 élèves avaient pris
des inscriptions, 15 d'entre eux se retirèrent volontairement
et un seul fut renvoyé.
La Commission concluait de ces faits « que le besoin d'une
plus grande sévérité dans les règlements ne se faisait nulle-
ment sentir, puisqu'à aucune époque la conduite des élèves
et leur application aux études n'avait été aussi bonne et aussi
soutenue ».
La Commission se prononça également contre l'adoption
d'un costume spécial et uniforme qui ne pourrait qu'éveiller
et nourrir chez les jeunes théologiens l'esprit sacerdotal, sans
les garantir des entraînements et des séductions, et sans faci-
liter leur surs^eillance. Mais elle fut d'avis de prescrire aux
étudiants la redingote ou le frac noir, la cravate blanche
ou noire et le chapeau à haute forme.
II
Mais la question principale, beaucoup plus importante
que les questions disciplinaires, celle des études théologiques,
occupa plus particulièrement la Commission. Les critiques
formulées à cet égard portaient sur deux points : on reprochait
à l'enseignement du Séminaire d'être trop exclusivement
scientifique et de trop s'écarter de la doctrine de l'Eglise.
Quant au premier point, la Commission déclara que
l'enseignement d'un Séminaire ou d'une Faculté de théologie
devait être essentiellement scientifique, puisqu'un Séminaire
ou une Faculté ne devait pas former seulement des prédi-
cateurs et des catéchètes, mais des théologiens, et que d'ailleurs
236 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
une forte culture scientifique était une condition indispensable
d'une véritable éloquence de la chaire et de Tinstruetion
catéchétique. On ne saurait blâmer le Séminaire, disait-elle,
d'avoir maintenu à son enseignement le caractère scientifique;
il faut au contraire Fencourager à persévérer dans cette voie
et à former des pasteurs qui soient en même temps des savants
et des hommes religieux.
La Commission montrait que le Séminaire ne méritait
pas le reproche de négliger la pratique. «Il fait sous ce
rapport ce que font tous les établissements du même genre
et ce qui est dans la mesure du possible. La théorie de l'art
oratoire, de la liturgique et de la catéchétique y est enseignée
avec soin, des exercices pratiques sont annexés à ces cours.
Les élèves de la section préparatoire suivent des exercices de
déclamation; ceux de la deuxième année de théologie rédigent
des sermons qu'ils récitent devant leurs condisciples et leur
professeur; ceux de la troisième année prêchent en public.
Les exercices catéchétique s, interrompus pendant plusieurs
années, ont été rétablis. Un pasteur de la ville a été associé,
pour la direction de ces exercices, au profeseur de théologie
pratique. Les élèves sont aussi initiés à la connaissance de
l'organisation de notre Eglise et de la législation qui la régit. »
Quant au reproche que l'enseignement du Séminaire
s'écartait trop de la doctrine officielle de l'Eglise, la Com-
mission du Consistoire supérieur constatait qu'il venait «du
petit nombre de théologiens et de laïcs qui ont arboré le
drapeau d'un rigide luthéranisme »^) et qu'il n'était pas justi-
fié. L'enseignement théologique du Séminaire, disait-elle, ne
mériterait le reproche d'hétérodoxie qu'autant qu'il s'écarterait
des doctrines vitales de l'Evangile et des principes fonda-
mentaux de l'Eglise protestante. Or, il n'en est pas ainsi.
Les professeurs, on le voit par leurs publications, font sans
doute une large part à la critique et abordent sans hésitation
les problèmes les plus ardus de la théologie moderne; ils ne
jurent pas sur la lettre des confessions de foi, mais ils s'in-
clinent devant la divinité du christianisme et professent avec
un pieux respect et une conviction sincère les doctrines fon-
damentales du protestantisme. Les pasteurs et candidats
formés à leur école suivent à peu près les mêmes tendances.
') Rec. off. XII, p. 78.
l'enseignement du séminaire justifié 237
Il en est pourtant parmi eux qui professent une orthodoxie
sévère, quelques-uns se sont même engagés sous la bannière
de rultra-luthéranisme. Que faut-il en conclure, sinon que
renseignement du Séminaire rend justice à toutes les opinions
et qu'il laisse les croyances des élèves dans une parfaite
indépendance!
« Parmi les pasteurs qui ont fait leur éducation au
Séminaire », disait encore le rapport de la Commission, « nous
n'en connaissons pas un seul qui ait donné dans lea excès d'un
rationalisme outré, tandis que nous en connaissons plusieurs
qui sont dans des tendances orthodoxes fort prononcées»;
et il concluait: «L'enseignement théologique du Séminaire n'a
pas mérité les reproches dont il a été l'objet. » *)
La Commission, au reste, se prononça pour l'ouverture
d'un cours de prudence pastorale, pour la création d'un Sémi-
naire pastoral et pour l'institution d'une quatrième année
d'études. Reconnaissant toutefois les difficultés du moment,
elle proposa au Consistoire de voter cette création en principe,
mais d'en ajourner l'ouverture à un moment plus favorable, et
d'inviter le Directoire à faire, en attendant, auprès du gou-
vernement les démarches nécessaires pour obtenir douze
bourses de 500 fr. pour l'entretien des candidats qui seraient
placés dans ce Séminaire.
Après de longs débats, le Consistoire supérieur finit par
adopter les propositions de la Commission relatives à l'ouver-
ture d'un cours de prudence pastorale et à la création d'un
Séminaire pastoral, ainsi que le projet d'un nouveau règlement
qui ajoutait aux anciennes dispositions quelques dispositions
nouvelles. L 'une d 'elles prescrivait aux élèves non-boursiers de
se loger et de prendre pension dans des maisons approuvées par
le Séminaire. Une autre plaçait chaque élève sous le patronage
d'un des professeurs et décidait qu'un bulletin sur sa conduite
et son travail serait envoyé tous les six mois à ses parents
ou à son tuteur et au Consistoire dont il ressortissait. Quant
au costume des étudiants, on adopta également la proposition
de la Commission: redingote ou frac noir, cravate blanche ou
noire, chapeau à haute forme. Enfin, il était fait défense
aux élèves, non seulement de fréquenter les sociétés et lieux
publics dont la fréquentation est incompatible avec le caractère
Rec. off. XII, p. 80.
238 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOUKG
ecclésiastique, mais de former entre eux aucune association
sans la permission des professeurs, d'agir ou d'écrire comme
s'ils étaient une corporation ou association légalement
reconnue, et de se réunir en assemblée délibérante, sauf dans
des cas exceptionnels, pour des objets déterminés et avec la
permission expresse du Séminaire.
Dans les années qui suivirent, la question d'un cours de
prudence pastorale et celle des mesures à prendre pour
amener une amélioration de Iva prédication reparurent toujours
de nouveau à l'ordre du jour du Consistoire supérieur et
furent discutées sans avancer d'un pas. Enfin, dans la session
de 1853, le Directoire annonçait la prochaine ouverture de
conférences sur la prudence pastorale. Mais cette annonce
était prématurée; dans la session de 1859, l'autorité ecclésias-
tique dut avouer que ces conférences n'avaient pas eu lieu
faute d'auditeur Sw
La question «des moyens de perfectionner dans l'Eglise
de la Confession d'Augsbourg la prédication dans l'une et
dans l'autre langue» n'avait pas reçu de solution non plus.
Elle avait été mise à l'ordre du jour de la session de 1859.
Le Consistoire supérieur avait écouté les propositions des
inspecteurs ecclésiastiques et le rapport de la Commission
et avait renvoyé la discussion de la question à sa prochaine
session.
Dans celle de 1860, la Commission, tout en rendant hom-
mage aux efforts faits jusque-là pour pourvoir à l'éducation
homilétique des élèves, reconnaissait qu'il y avait davantage
et mieux à faire. Elle proposait que tous les élèves sans
exception prissent part à des exercices de lecture et de décla-
mation sous la direction d'hommes bien qualifiés. Les exercices
de langue française seraient dirigés par un Français de
l'intérieur, doué lui-même d'un talent oratoire décidé. Dans
la troisième année de théologie, les exercices de lecture et
de déclamation seraient remplacés par des exercices de prédi-
cation. L'élève reconnu peu apte à la prédication serait exclu
des études théologiques. Sans doute, pour achever l'éducation
des élèves, faudrait-il une quatrièmie année d'études «parti-
culièrement consacrée à des exercices de prédication et de
catéchisation»; mais la création d'un Séminaire pastoral ne
pourrait être réalisée qu'avec le concours du gouvernement.
l'enseignement du séminaiee mis en suspicion 239
Ces propositions furent adoptées, sauf œlle d'exclure les
élèves reconnus peu aptes à la prédication. On fit valoir,
avec raison, qu'un élève peu doué sous ce rapport pouvait
posséder des dons d'autre nature et rendre de véritables
services.
La discussion de cette question fournit aux représen-
tants de l'orthodoxie l'occasion de mettre l'enseignement
théologique du Séminaire en suspicion. L'inspecteur ecclé-^
siastique Meyer de Paris se montra particulièrement agressif.
«Le relèvement de la prédication», dit-il, «est une des
questions les plus essentielles de l'avenir de notre Eglise.
Mais je crois que cette question est une question de fond
et non de formée, qu 'elle touche non pas à un détail seulement^
mais à l'ensemble et à l'esprit des études théologiques... Ces
études peuvent se faire dans deux esprits différents, l'un de
critique et de doute, l'autre de foi; l'un qui mène aux systèmes
du monde, l'autre qui mène à Jésus-Christ et nous apprend
à le reconnaître comme notre Seigneur et Sauveur; l'un qui
énerve la prédication, l'autre qui lui donne la vie et la puis-
sance... Il faut plus, il faut que le prédicateur, en même temps
qu'il est uni à Christ par la foi, soit uni aussi avec l'Eglise,
avec les doctrines de l'Eglise... Je nie qu'un professeur ou
un pasteur jouisse de la liberté illimitée d'enseignement. Je
soutiens qu'il est responsable de cet enseignement envers
l'Eglise qui le délègue, qui l'entretient et qui a droit de lui
demander compte.»
Arrivant à parler des moyens de relever la prédication,
l'orateur déclarait qu'il attendait peu des règlements. «Je
ne demande pas mieux», ajoutait-il, «que de voir réussir les
exercices qui nous sont proposés, mais je demande surtout
que «le Français de l'intérieur» dont il est question dans
le rapport, soit dépendant du professeur d'homilétique et
choisi avec son concours. » *)
Ce que l'orthodoxie craignait, ce qu'elle essayait d'em-
pêcher par tous les moyens, arriva pourtant. Dans la session
du Consistoire supérieur de 1861, le président annonça que
la décision qui prescrivait au Séminaire de confier à l'avenir
la direction des exercices de déclamation française à un
') Recueil officiel XVII, p. 187.
240 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STKASBOURG
professeur dont le français fût la langue maternelle et qui
lui-même se distinguât par son talent oratoire, avait été
exécutée. « Le Séminaire », dit-il, dans son rapport, « a proposé
et nous avons agréé pour ce supplément d'enseignement
jugé nécessaire à l'amélioration de la prédication française,
M. Colani, que désignait d'une manière toute spéciale le succès
remarquable de ses prédications à Saint-Pierre-le- Vieux et,
plus tard, à Saint-Nicolas. »
CHAPITRE X
Timothée Colani — Revue de théologie — Colani chargé
de cours au Séminaire — Protestations de Torthodoxie
Le nouveau professeur qui entrait ainsi au Séminaire
par une porte entre-bâillée, si je puis dire, pour y occuper un
poste très modeste en apparence et très important en réalité,
n'était pas un inconnu, il s'était depuis des années fait un
nom comme écrivain et comme prédicateur et était alors, à
40 ans, dans toute la force de Tâge et du talent.
Timothée Colani ^) était né à Lemé, dans le département de
l'Aisne, le 25 janvier 1824. Son père, pasteur dans cette loca-
lité, était un homme du Réveil, d'une profonde piété et d'une
sévère orthodoxie. Il avait voué, dès le berceau, ce fils, venu
après sept filles, au ministère évangélique, et veillait avec soin
à l'éducation qui devait l'y préparer. Aussi, redoutant pour
lui l'enseignement des collèges de l'Etat, l'envoya-t-il faire
ses études classiques à Neuchâtel, et puis chez les frères
moraves de Kornthal. L'éducation religieuse que reçut le
jeune élève dans ces milieux ne put que l'aifermir dans les
croyances traditionnelles.
A l'âge de seize ans, Colani vint à Strasbourg pour y
étudier la théologie. Ses goûts, s'il avait pu choisir, l'eussent
porté à d'autres études, à celle de l'histoire, des mathéma-
tiques ou de la chimie. Mais son père l'avait voué au minis-
*) Voy. mes articles sur Timothée Colani dans le Progrès Reli-
gieux de 1888.
Dans T. Colani, Essais de critique, Paris, 1905, la Préface de
Joseph Reinach.
16
242 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STKASBOUKG
tère ecclésiastique; devant la volonté paternelle, il s'inclina.
Et aussitôt son esprit ardent et avide se jeta avec passion sur
la science théologique. Les cours de Reuss, sa méthode histo-
rique appliquée à l'exégèse des livres bibliques, lui ouvrirent
de nouveaux horizons. Il se plongea dans l'étude du Nouveau
Testament, sans négliger pourtant celle de la philosophie,
de l'histoire et de la littérature. Il acquit ainsi un savoir
étendu; en même temps son esprit se développait et s'affinait.
En 1845, à vingt-et-un an, il achevait ses études universi-
taires par la soutenance d'une thèse remiarquable sur La philo-
sophie de la religion de Kant. Dès 1846, il publiait des Essais
sur Vhistoire de la théologie allemande, et, en 1847, une disser-
tation savante sur Leihnitz et le catholicisme, La mêmte
année, il obtenait le prix de la fondation Schmutz dans un
concours sur Les travaux opposés au système et à la critique
du Dr. Strauss et des autres défenseurs de V interprétation
mythique, et il passait l'examen de licencié en théologie avec
une thèse sur Vidée de V absolu. Il collaborait aussi au jour-
nal La Réformation au dix-neuvième siècle qu'Edmbnd
Schérer dirigeait à Genève et qui, sous l 'inspiration de Vinet,
plaidait énergiquement la cause de la séparation de l'Eglise
et de l'Etat.
Cependant, les idées religieuses et théologiques de Colani
s'étaient peu à peu modifiées. L'étude approfondie du Nou-
veau Testament, l'examen consciencieux des grandes ques-
tions, les discussions contradictoires avaient provoqué chez
lui une de ces crises d'où la foi sort transformée. «Arrachant
de son sein mille préjugés invétérés et jusque-là sacrés»,
il était, à travers des luttes douloureuses, arrivé à un chris-
tianisme plus spirituel et à un protestantisme plus consé-
quent. Dès lors, il comprit la nécessité et, par conséquent, le
devoir de travailler à la rénovation de la science théologique
tombée si bas en France. Un événement imprévu vint lui
offrir l'occasion de tenter cette grande œuvre.
II
Dans l'été de 1849, Edmond Schérer'), professeur d'exé-
gèse biblique à l'Oratoire c'est-à-dire à l'Ecole libre de théo-
*) Edmond-Henri-Adolphe Schérer, né le 8 avril 1815 à Paris, fit
d'abord des études de droit, et puis alla étudier la théologie à Stras-
COLANI ET LA REVUE DE THEOLOGIE 243
logie de Genève, donnait sa démission à la suite d'un change-
ment dans ses vues sur l'inspiration de la Bible. La croyance
à rinspiration plénière était un des fondements de la doc-
trine de rOratoire, et Schérer y avait donné autrefois son
entière adhésion. Maintenant qu'il ne l'admettait plus, il crut
devoir mettre sa conduite en harmonie avec ses convictions
en se démettant. Cette démiarche provoqua au sein du protes-
tantisme une certaine émotion et donna lieu à une controverse
assez vive sur le principe qui était mis ainsi en discussion.
Eeuss, qui observait attentivement les signes du temps, crut
le moment venu de réaliser une idée qu'il caressait depuis
longtemps, à savoir de faire paraître une Revue de théologie
en langue française. Il s'en ouvrit à Viguié*) et à Colani;
les deux abondèrent dans son sens. Reuss voulut mettre l'idée
a exécution sans tarder davantage. Dans sa pensée, la nou-
velle Revue devait être l'organe du protestantisme français
tout entier et porter sur sa couverture, à côté des noms de
Strasbourg et de Genève, ceux de Paris et de Montauban. H
s'adressa donc, en miême temps, à Schérer à Genève, au pas-
teur Verny à Paris et au professeur Sardinoux') à Mon-
tauban. Mais les réponses négatives ou évasives qu'il reçut
refroidirent son ardeur, et finalement il renonça à son projet.
Colani le reprit, le fit sien, et peu de temps après parut l'an-
nonce de la «Revue de théologie et de philosophie chrétienne».
C'était comme l'aurore d'un nouveau jour, comme un
réveil après un long et profond sommeil. Cette apparition
inattendue de la Bévue frappa d'iaïutant plus les esprits
qu'elle coïncidait avec l'arrêt presque complet que subissait
en Allemagne, à la suite des tendances réactionnaires pro-
bourg. Il y prit les grades de licencié et de docteur, et fut nommé à
une chaire d'exégèse à TOratoire de Genève. (Voy. Octave Gréard,
Edmond Schérer, Paris, 1890.)
*) Aristide Viguié, né à Nègrepelisse le 29 janvier 1817, avait fait ses
études à Montau-ban, puis à Berlin et à Bonn; il passait alors sa licence
en théologie à Strasbourg. Il fut plus tard président du Consistoire de
Nîmes et, en 1879, professeur à la Faculté de théologie de Paris.
*) Pierre-Auguste Sardinoux, né le 22 janvier 1908 à Anduze,
d'abord aumônier et professeur au collège de Tournon, puis pasteur à
Fougères (Hérault), avait été appelé, en 1847, à la Faculté de Montauban
comme professeur de critique sacrée et d'exégèse du Nouveau Testa-
ment.
16*
244 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
voquées par le mouvement de 1848, la production scientifique
et surtout théologique.
Sans doute, les explications que donnaient les deux rédac-
teurs dans Pavant-propos de la première livraison, qui parut
en juillet 1850, sur la position qu'ils voulaient occuper, ce
motto: «Veritati cedendo vincere opinionem», cette déclara-
tion: «Le drapeau de la Revue a pour devise: Libre déve-
loppemient de la pensée chrétienne », leur appel à ceux qui « mé-
contents des formules d'une dogmatique vieillie et admettant
pleinemient le salut par Jésus- Christ, voulaient travailler à
un nouvel édifice sur la base immuable de PHomnie-Dieu »,
n'étaient pas sans exciter quelque défiance dans l'esprit de
plusieurs. Sous ces déclarations, ils flairaient des nouveautés
dangereuses. Et de fait, il y avait là quelque chose de nou-
veau: ce n'était plus la théologie de la lettre, c'était la théo-
logie de l'esprit, une théologie qu'on n'enseignait ni à Genève
ni à Montauban et qu'on désigna dès lors de Théologie nou-
velle ou moderne.
Autour de ce drapeau du libre développement de la
pensée chrétienne se groupa, dès le premier jour, une troupe
d'élite. A côté des noms des deux fondateurs de la Revue,
Colani et Schérer, le premier volume contenait ceux d'Edou-
ard Reuss, des pasteurs Verny et Pressensé de Paris, du phi-
losophe suisse Charles Secrétan, du Hollandais Ver-Huell, du
professeur Herzog de Halle et de deux pasteurs du midi,
Pierre Goy et Jean Monod. Ils revendiquaient tous le droit
de la libre recherche et la nécessité du développement de la
science théologique. Sans doute, l'accord entre des esprits si
divers et appartenant à des tendances si diverses ne pouvait
durer. Dès la fin de la première année, Jean Monod et Edmond
de Pressensé se retirèrent. Mais d'autres, des Alsaciens, des
Français, des Suisses et des Hollandais, Cunitz et Kayser,
Nicolas et Grotz, Réville et Chavannes, Busken-Huet et Trot-
tet vinrent prendre leur place.
Colani ne dirigeait pas seulement la Revue, il en était,
avec Schérer, le principal rédacteur. Il y donnait de nom-
breux articles d'exégèse, de philosophie et d'histoire reli-
gieuse. Ceux sur le Nouveau Testament et sur le dogme pro-
voquèrent une opposition assez vive de la part de quelques
défenseurs des idées traditionnelles. Mais lorsque Colani
entama la question christologique, lorsqu'il déclara: «Nous
LA REVUE CESSE DE PARAITRE 245
nions la méthaphysique orthodoxe, mais c'est pour des motifs
religieux, parce que, prise au sérieux, elle détruit la réalité
humaine de Jésus et son caractère de Sauveur... A la place
d'un fantôme de Christ, nous mettons le Christ vivant»^),
ce fut un tollé général. Aux protagonistes du Réveil, aux
hommes des Archives du Christianisme et aux théologiens
de l'Espérance vinrent se joindre les représentants du juste-
milieu pour reprocher à la Revue des opinions hérétiques et
l'accuser de tendances subversives.
Dans l'année 1858 commença la seconde série de la Revue
avec ce titre: Nouvelle Revue de théologie, et ce motto: Fides
quaerens intellectum. Son inspiration restait la même; les
problèmes théologiques les plus graves y étaient traités,
comme ils l'avaient été jusque-là, par des hommes compétents
et dans un esprit plus libéral encore. De nouveaux collabora-
teurs étaient venus se joindre aux anciens, parmi eux Atha-
nase Coquerel fils, Viguié, Th. Bost; Colani lui-même, absorbé
par d'autres travaux et de graves préoccupations, ne donnait
plus que rarement des articles de fond. Une troisième série
de la Revue parut en 1863. Colani y écrivit de moins en moins,
il finit même par en abandonner la direction à des mains plus
jeunes, à Maurice Schwalb d'abord, à Auguste Carrière ensuite.
Mais la Revue commlençait à se survivre; Colani résolut de
la faire disparaître. Dans la livraison de décem/bre 1869, il
annonçait que cette livraison était la dernière et il ajoutait
cette fière déclaration: «Le droit de la libre science théolo-
gique, nié absolumient lors de nos débuts, est désormais un
fait qui s'impose à tous. Dans l'église, sans doute, il y a
encore bien des combats à livrer; mais devant l'opinion
publique, la victoire est complète... Désormais les protestants
de France ne veulent ni ne peuvent se passer d'une théologie
libre... La Revue de théologie a rempli sa tâche. »
III
Colani, depuis des années, portait aussi ses idées dans la
chaire chrétienne: à Saint-Pierre-le- Vieux, dont les pasteurs
avaient organisé un culte français mensuel, et puis à Saint-
Nicolas, où il remplit d'abord les fonctions de vicaire et
*) Revue de théologie XI, p. 122.
246 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURa
ensuite celles de pasteur, il donna des prédications régulières
qui attiraient un auditoire aussi nombreux que sympathique.
Sans doute, il n'avait pas que des admirateurs enthousiastes,
il avait d'ardents détracteurs. On l'accusait d'amoindrir la
religion, on lui reprochait même de prêcher le relâchement
moral. Ces accusations le décidèrent à miettre ses sermons
sous les yeux du grand public. Il fit d'abord paraître quel-
ques discours séparés, et puis, de 1857 à 1861, trois recueils
de sermons^), qui furent accueillis avec la plus grande faveur.
Le premier n'eut pas seulement plusieurs éditions, il fut
traduit en plusieurs langues, en allemand, en anglais, en hol-
landais et en suédois. Ces discours étaient considérés comme
des modèles de prédication libérale: à la Faculté de théologie
de Genève, le professeur d'homilétique les faisait analyser
par ses élèves pour les former à l'éloquence de la chaire, et
au Collège de France, à Paris, Saint-Marc Girardin en lisait
des passages dans son cours de littérature.
Le grand désir de Colani était pourtant d'arriver à une
chaire académique. La renommée qu'il avait acquise par sa
Revue et par ses sermbns, son talent oratoire et littéraire, sa
vaste science, toutes ces qualités semblaient le désigner pour
l'enseignement universitaire. Mais son nom était devenu un
«drapeau» et au Séminaire il n'avait pas que des amis. En
1856 déjà, Eeuss et Bruch l'avaient proposé pour la chaire de
philosophie devenue vacante par la mort de Bartholmess,
m!ais l'animosité des orthodoxes parisiens qui inspirait une
sainte terreur au président Braun, et le peu de sympathie
de quelques-uns des membres du Séminaire qu'effrayaient
les idées progressistes de Colani, avaient empêché sa nomi-
nation. Des années passèrent encore sans que l'occasion se
présentât de le faire entrer au Séminaire.
Enfin, une décision du Consistoire supérieur vint lui en
ouvrir l'accès. Dans sa session de 1860, le conseil suprême
de l'Eglise de la Confession d'Augsbourg, discutant sur les
mesures à prendre pour pourvoir à l'éducation oratoire des
*) Le premier recueil: Sermons prêches à Strasbourg. Strasb. 1857,
in-12*^, parut dans sa 3e édition sous ce titre : « Premier recueil », 1860.
Le second recueil : Nouveaux sermons. Str. 1860, in-12o, parut dans sa
2e édition, comme « Second recueil » 1862. Le troisième recueil contenait
Quatre sermons prêches à Nîmes et parut sous ce titre à Strasb. 1861.
in-120.
LE DIRECTOIRE RECOMMANDE COLANI AU SÉmNAIRE 247
élèves en théologie, décida que « dès leur admission au Sémi-
naire, les élèves prendraient obligatoirement part à des exer-
cices de lecture et de déclamation sous la direction d ^hommes
bien qualifiés» et que «celle des exercices de langue fran-
çaise serait confiée à un Français de l 'intérieur, doué lui-même
d'un talent oratoire distingué». Le président Braun, qui, en
somme, était porté pour Colani, vit là un moyen de lui ouvrir
la carrière universitaire. Il gagna ses collègues du Direc-
toire à son idée, et le 1er mars 1861, il adressa au Séminaire
la lettre suivante, décidée en séance du Directoire:
« Il y a bien longtemps que l 'opinion publique se préoc-
cupe de la situation précaire de l'un des hommes les plus dis-
tingués dont s'honore la chaire évangélique de Strasbourg,
M. Colani.
« L'émotion est devenue plus grande encore chez les nom-
breux admirateurs de cet orateur éminent, lorsque tout
récemment on a appris qu'il était appelé dans le midi pour
y prêcher et qu'il se déciderait peut-être à y accepter telle
position qu'il faut craindre de ne jamais lui voir offerte à
Strasbourg.
«Le Séminaire est désigné d'une voix unanime comme
pouvant seul prévenir cette regrettable détermination et nous
croyons, Messieurs, devoir appeler votre attention la plus
sérieuse sur ce qu'il vous serait possible de faire en faveur
de M. Colani, pour donner satisfaction aux vœux d'une très
grande partie du public protestant de cette ville.
«Deux mjoyens se présentent tout naturellement, puis-
que M. Colani est aussi distingué comme littérateur que
comme prédicateur.
« C'est ou bien de le charger d'initier les jeunes gens de
langue française à l'art de bien parler en public, dans les
limites oii le Consistoire supérieur a exprimé le vœu que cet
art leur fût enseigné désormais, ou bien de relever pour lui
le cours de littérature française qui se trouve interrompu au
Séminaire depuis la miort de M. Willm et la retraite de
M. Schnitzler.
« Nous vous prions d'examdner, Messieurs, si ces deux
moyens ne seraient pas conciliables, ou, du moins, lequel des
deux permettrait d'assurer à M. Colani la position à laquelle
son mérite lui donne des titres... »
Le Séminaire, dès sa séance du 11 mars, «sur la propo-
248 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
sition de plusieurs membres » — le procès-verbal de la séance
ne fait pas mention de la lettre du Directoire — , considérant,
d'une part, «Timportance d'un cours spécial de littérature
française et d'exercices de lecture et de déclamation», consi-
dérant, d'autre part, «les connaissances de M. Colani, ses
talents distingués et notamment le succès de sa prédication »,
prenait un arrêté qui chargeait Colani de ce cours et de ces
exercices, et le Directoire se hâtait d'approuver sa décision.
La nouvelle de cette nomination fut naturellement
accueillie avec des sentiments très divers. Tandis que les
feuilles libérales, le Courrier du Bas-RMn à Strasbourg, le
Lien à Paris, l'annonçaient avec la plus vive satisfaction à
leurs lecteurs, le Lien regrettant seulement que Colani ne
fût pas appelé « à une autre chaire que celle de littérature et
d'éloquence», V Espérance, organe de l'orthodoxie, l'enregis-
trait avec une profonde douleur, «persuadée que dans l'en-
seignement donné à de jeunes théologiens, ni le talent ni
l'honorabilité du caractère ne peuvent tenir lieu de croyances
chrétiennes, même quand il s'agit de littérature ou d'art ora-
toire». Jj^Evangéliste, journal des dissidents, alla plus loin, il
somma les Consistoires de la Confession d'Augsbourg de
protester contre ce qu'il appelait «un horrible scandale». Le
Consistoire luthérien de Paris, écoutant cet appel, adressa,
en effet, au Directoire une lettre qui exprimait ses appréhen-
sions et sa douleur.
Parmi les élèves du Séminaire et de la Faculté, l'arrêté
du Séminaire fut également accueilli avec des sentiments
très partagés. Les uns, et c'était la grande majorité, saluèrent
avec enthousiasme «cette réalisation d'une de leurs espé-
rances les plus chères». Quarante-trois d'entre eux allèrent
complimenter le nouveau professeur. «Nous sommes heu-
reux», lui dirent-ils par la bouche de l'un d'eux, Ernest
Picard, « de compter parmi les professeurs de notre Sémi-
naire un homme que nous estimons et que nous aimons la
plupart depuis longtemps... Cette démonstration n'est pas
pour nous ime affaire de parti: c'est une affaire de cœur, de
sympathie et d'affection; nos convictions à nous réunis ici
autour de vous peuvent être et sont probablement fort
diverses, nous nous sommes néanmoins associés dans une
seule pensée pour vous témoigner notre sympathie, parce que
souvent déjà votre voix nous a réunis et a fait battre notre
24^
cœur à l'unisson du vôtre, parce que nous avons toujours
trouvé en vous un défenseur ferme et constant des grands
principes du protestantisme, de sa liberté de conscience et du
spiritualisme chrétien, et enfin, parce que nous avons pu, en
mainte occasion, apprécier votre désintéressement -ainsi que
la fermeté et la droiture de votre caractère » ^) .
Le récit de cette manifestation publié par le Lien ne
tarda pas à provoquer une contre-manifestation. Des élèves
qui s'étaient abstenus répondirent à Tarticle du Lien, dans
VEspérance du 17 mai, par une lettre dans laquelle ils ne crai-
gnirent pas d'avancer que le choix fait par l'autorité ecclé-
siastique portait sur un homme «qui professe des doctrines
contraires aux vérités fondamentales de l'Evangile», et de
déclarer «qu'ils le voyaient avec douleur entrer dans l'ensei-
gnement de notre Séminaire.»
Cette désapprobation, par des élèves du Séminaine et de
la Faculté, d'un acte de l'autorité supérieure, valut d'ail-
leurs à ses auteurs un blâme sévère.
On n'en resta pas là; une guerre de brochures éclatai, qui
dégénéra en vives personnalités et en ardentes récriminations.
Le pasteur Hosemann de Paris, dans une brochure intitulée
Un rrDot à propos de V appel adressé à M. Colani par le Sémi--
nuire protestant de Strasbourg, essaya de démontrer que le&
convictions du directeur de la Revue de théologie étaient
opposées à la confession de foi et à la liturgie de l'Eglise de
la Confession d'Augsbourg et que, par conséquent, il ne
pouvait entrer dans le professorat et le ministère de cette
Eglise. Colani crut alors devoir recourir également au tribu-
nal de l'opinion publique. Dans sa Lettre à M, le pasteur
Hosemann, il montra que la Confession d'Augsbourg n'a.
point l'autorité d'une charte, qu'elle est un simple manifeste
qui exprime la tendance générale de l'Eglise luthérienne et
indique quelle méthode elle emploie pour se réformer; il rap-
pela que l'Eglise luthérienne de France ne l'a jamais fait
signer à personne, qu'elle exige uniquement de ses pasteurs
la promesse d'en respecter les principes fondamentaux, et il
conclut que tant que M. Hosemann n'aurait pas prouvé que
son enseignement était opposé, non à la lettre, mais à l'esprit
de la Confession d'Augsbourg, à sa tendance, à sa méthode^
^) Le Lien du 17 avril 1861, sous ce titre: « Une manifestation »,
250 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
il n'aurait pas le droit de demander son exclusion ni du pro-
fessorat ni du ministère de TEglise.
Mais les critiques les plus vives, celles qui eurent le plus
de retentissement, devaient venir d^autre part. Dans la session
du Consistoire supérieur de 1861, les représentants de Portho-
doxie luthérienne exprimèrent, l 'un après l 'autre, leurs regrets
de la nomination de Colani au Séminaire et leurs appréhen-
sions relativement à son enseignement et à son influence sur
les jeunes théologiens. Ils déclarèrent que «les principes les
plus essentiels étaient ébranlés, qu'on battait en brèche et la
Confession de l'Eglise et l'autorité des Saintes Ecritures et
le sacrifice du Rédempteur»; ils demandèrent que l'on épar-
gnât aux jeunes théologiens «le danger d'être mis en contact
officiel avec ceux qui ont érigé le doute en doctrine et qui ont
su lui donner tout le charmfe et tout l'attrait d'un grand
taleat», ils allèrent jusqu'à proposer un amendement au
rapport de la commission conçu en ces termes: «Le Consis-
toire supérieur regrette que, par une nomination récente, les
corps compétents aient donné charge de cours à un professeur
de tendances négatives. » A l'observation que Colani n'avait pas
été nommé professeur au Séminaire, mais simplement chargé
de la direction des exercices de déclamation et d'un cours de
littérature française, ils répondaient: «Tout le monde sait
que M. Colani est théologien et non pas littérateur, et qu'il
est beaucoup trop ce qu'il est pour que toute son action et son
enseignement n'en soient pas pénétrés», et à la question:
Pourquoi ce cri d'alarme? «C'est que M. Colani est un dra-
peau,,. Il est avant tout l'homme de sa Revue. » *)
Le rapporteur de la Commission constatait pourtant que
la nomination de Colani était irréprochable en la forme, et
que le Consistoire Supérieur n'était pas un synode pour la
condamner au point de vue des convictions religieuses de ce
professeur. «Le Consistoire Supérieur», dit-il, «n'a le droit
ni de l'approuver ni de l'improuver ». ') Le Consistoire passa
à l'ordre du jour.
Quelques jours plus tard, Colani commençait son cours
devant un auditoire nombreux et sympathique.
*) F,ec. off. XVIII, p. 151.
') Loc. cit. p. 161.
TROISIÈME PÉRIODE
1864-1872
CHAPITRE I
ITouvelles vacances au Séminaire et à la faculté
Eevendications orthodoxes — Luttes entre les tendances libérale
et conseryatrice — Colani et Liclitenberger
Reuss, dans ses Mémoires constate qu'après 1860 et
pendant les années qui suivirent, le niveau de Fesprit acadé-
mique subit une forte baisse au Séminaire et à la Faculté.
Il y avait à cela différentes raisons. La principale était sans
doute l'âge avancé de plusieurs des professeurs et leur
aversion persistante pour tout changement de méthode ou de
programme. Ils suivaient l'ornière de la routine, incapables
de réveiller les esprits assoupis, sans ardeur au travail et
sans intérêt pour la science. Un fait suffira pour marquer
l'affaissement moral de ces années: en 1862, deux nouveaux
membres seulement se, présentèrent pour la Société théolo-
gique et l'an d'après il ne s'en présenta aucun.
L'année 1863-1864 amena au Séminaire et à la Faculté
de grands changements. Les vieux professeurs, ceux qui
étaient le plus opposés à toute innovation, furent emportés,
l'un après l'autre, par la maladie. Des hommes jeunes, animés
d'un autre esprit, furent appelés à les remplacer. Une ère
nouvelle s'annonçait, mais ses commencements furent marqués
par des luttes ardentes entre les partis adverses, dont chacun
prétendait faire arriver ses adeptes aux places devenues
vacantes.
252 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
Le professeur Jung fut rappelé le premier, même avant
Fouverture de Tannée scolaire. Il était tombé malade à Sainte-
Marie-aux- Mines, oii il avait passé ses vacances auprès de sa
fille aînée, mariée au pasteur Hoff, et était revenu à Stras-
bourg, dans les premiers jours d'octobre, pour y mourir. Il
fallut songer à le remplacer au Séminaire, à la Faculté et à la
Bibliothèque. Ce dernier remplacement ne donna lieu à aucune
difficulté. La bibliothèque de la ville et celle du Séminaire
avaient été administrées jusque-là par un seul et même
bibliothécaire; on les sépara. La ville nomma le conservateur
de sa collection et le Séminaire celui de la sienne. Il appela
à ces fonctions le gendre de Jung, Frédéric Eeussner, alors
professeur au Gymnase.
Le remplacement de Jung dans la chaire d'histoire ecclé-
siastique se fit tout aussi facilement. Charles Schmidt qui,
dans les dernières années, avait encore augmenté sa réputation
d'historien par la publication de plusieurs ouvrages remar-
quables, était tout désigné pour cet enseignement si important.
Aussi quand il demanda d'échanger la chaire d'homilétique
avec celle d'histoire ecclésiastique, le Séminaire fut unanime
à accueillir sa demande et la Faculté à l'appuyer auprès du
ministre.
Mais alors surgit la question de son remplacement dans
la chaire d'homilétique. Et là commencèrent les difficultés.
Schmidt aurait voulu disposer de la chaire qu'il avait occupée
si longtemps en faveur d'un candidat qui partageât ses
opinions religieuses. Son choix s'était porté sur im jeune
savant strasbourgeois qui n'avait pas eu encore le temps de
se faire connaître, mais de qui l'on attendait beaucoup.
Auguste-Frédéric Lichtenberger, né à Strasbourg le
21 mars 1832, avait fait ses études classiques au Gymnase
protestant et ses études théologiques au Séminaire et à la
Faculté de théologie de sa ville natale. Il avait ensuite visité
les Universités allemandes et avait fait un séjour à Paris.
Revenu à Strasbourg, il avait acquis, en 1857, le grade de
licencié, et, en 1860, celui de docteur en théologie. Pasteur
suffragant au Temple-Neuf depuis 1858, il remplissait simul-
tanément, depuis 1860, les fonctions d'aumônier au Gymnase
protestant. Ce n'était pas un érudit; sa science n'était pas
très vaste, mais il était fort versé dans les différentes branches
de la théologie systématique. Son point de vue théologique
LE PARTI ORTHODOXE REVENDIQUE UNE CHAIRE 253
n'était pas bien accentué non plus; il se rattachait à la tendance
dite du « juste-milieu » et écrivait dans la Revue de Pressensé;
néanmoins Torthodoxie, n'ayant pas de candidat acceptable
à présenter pour une chaire universitaire, le choisit pour
Popposer aux candidats de tendance libérale.
Si l'on s'était conformé à l'ancien règlement, qui portait
que les professeurs de la Faculté devaient être choisis parmi
ceux du Séminaire, la nomination de Lichtenberger à la Faculté
n'eût pas été possible. On aurait commencé par pourvoir à la
chaire devenue vacante au Séminaire, en y appelant un des
professeurs suppléants ou agrégés, et ce corps ainsi complété,
on aurait choisi dans son sein les candidats à proposer au
Directoire et, par lui, au ministre. Cette manière de procéder
n'aboutissant pas aux fins voulues par le parti conservateur,
il eut garde de l'invoquer. Schmidt insista, lau contraire, pour
que sa demande d'échanger la chaire d'homilétique avec celle
d'histoire ecclésiastique fût soumise sans retard à l'autorité
compétente; le ministre l'approuva et la vacance de la chaire
d'homilétique fut déclarée.
Et tout de suite le parti orthodoxe se mit en branle pour
obtenir la nomination d'un candidat qui lui aggréerait. Il eut
d'abord l'idée assez étrange de proposer le pasteur Haerter
pour la chaire vacante et de lui adjoindre Lichtenberger pour
les cours et les exercices en langue française. Il fallut pour-
tant renoncer à ce projet. Le pasteur Haerter, qui y avait
d'abord accédé, comprit sans doute, après mûre réflexion,
que, pour occuper une chaire universitaire, il fallait autre
chose encore que l'exhortation incessante à la repentance et à
la vraie foi. Il savait aussi que si le Séminaire était con-
sulté, il ne pouvait guère s'attendre à ce qu'une majorité
se prononçât pour lui. Il crut donc prudent de se désister.
Cependant, ce n'étaient plus les seuls représentants de
l'orthodoxie luthérienne de Paris qui revendiquaient une
place au Séminaire et à la Faculté pour un candidat de leur
tendance religieuse, l'orthodoxie luthérienne d'Alsace venait
tenter une démarche dans le même sens. Peu de jours après
la mort du professeur Jung, quatorze pasteurs et vicaires,
auxquels s'était joint un professeur du Gymnase protestant,
adressèrent au président du Directoire une pétition dans
laquelle ils demandaient, au nom d 'un grand nombre de leurs
collègues et de toute la partie confessionnelle de l'Eglise
254 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
d'Alsace, que «rautorité supérieure, à roccasion du rem-
placemient de M. Jung, prenne sérieusement en considération
les besoins légitimes de toute la partie de l 'Eglise qui professe
les doctrines évangéliques telles qu'elles sont déposées dans
les Saintes Ecritures et dans notre confession de foi, et fasse
entrer parmi les professeurs de la Faculté ou du Séminaire
un représentant de ces doctrines. » ^)
En face de ces revendications, qui avaient pour but non
seulemlent de faire entrer au Séminaire et à la Faculté des
représentants de la droite, mais d'en écarter deux hommes
qui étaient désignés d'avance et depuis longtemps pour en
faire partie, les éléments libéraux de la population strasbour-
geoise s'émurent à leur tour. Cinquante-cinq notables —
parmi lesquels les doyens de la Faculté des lettres et de celle
de médecine, plusieurs professeurs de différentes Facultés,
des juges, des avocats, des notaires, des médecins, des ban-
quiers, des négociants — signèrent une adresse aux membres
du Directoire et aux professeurs du Séminaire, dans laquelle
ils exprimaient la crainte qu'au moment où il s'agissait de
combler un vide dans les rangs des professeurs du Sémi-
naire, une pression illégitime ne pesât sur les décisions de
ceux qui étaient appelés à faire les présentations ou les
nominations aux places vacantes. «Les chefs de notre
Eglise », disaient-ils, » et les corps enseignant se soumettront-
ils à des injonctions dictatoriales, quand ces injonctions
frappent d'exclusion deux noms connus, respectés, illustrés
par la science?» — «C'est», ajoutaient-ils, «pour donner
satisfaction à certaines passions théologiques et doctrinales
que l'on vous demande l'exclusion, et c'est du nom de conci-
liation que l'on voudrait colorer un acte d'ostracisme. »
En attendant, le ministre de l'instruction publique,
pressé peut-être par les leaders orthodoxes, faisait savoir
qu'il était décidé à nommer incessamment à la chaire d'homilé-
tique dans la Faculté de théologie, et il demandait, comme de
juste, que le Directoire lui présentât une liste de candidats.
Le Directoire, à son tour, invita la Faculté à lui proposer
trois noms. A la Faculté, on eut de la peine à s'entendre.
Cinq candidats s'étaient présentés: Baum, professeur de litté-
rature latine au Séminaire et pasteur à l'église Saint-Thomas,
*) Lettre au président du Directoire (Arch. du Dir.).
LES CANDIDATS A LA CHAIRE D 'hOMILÉTIQUE 255
qui désirait échanger la chaire de philologie qu'il occupait
depuis de longues aimées avec la chaire de théologie
pratique; Colani, depuis un an prédicateur français à Téglise
Saint-Nicolas et directeur de la Revue de théologie; Kienlen,
pasteur à Téglise Saint-Guillaume et docteur en théologie;
Lichtenberger, pasteur suffragant au Temple-Neuf et docteur
en théologie, et Schaeffer, pasteur à Colm'ar et docteur en
théologie. Les cinq exerçaient le saint ministère, trois d'entre
eux faisaient en même temps des cours au Séminaire.
Après de longs et vifs débats, il se trouva finalement
une majorité pour recommander Baum, Colani et Lichten-
berger, comme étant «ceux d'entre les différents candidats
dont la nomination semblait le mieux répondre aux besoins
de l'établissement et aux exigences de l'époque»; la Faculté
les présenta ex aequo.
A peine cette décision fut-elle connue qu'éclatèrent les
protestations des organes de l'orthodoxie. Le journal L'Espé-
rancey dans son numéro du 8 janvier 1864, fut le premier à
annoncer que, d'après une opinion généralement répandue
à Strasbourg, la nomination de Colani était assurée, sinon
déjà signée. Le journal faisait remarquer que les choses n'en
étaient pas là encore, mais qu'il seiriblait exact que la
Faculté, ne tenant aucun compte des vœux de la portion
vivante de l'Eglise, avait établi une liste par ordre alphabé-
tique, sur laquelle le candidat évangélique disparaissait
derrière les autres candidats, tandis que le directeur de la
Revue de théologie était mis en évidence. L'organe orthodoxe
pourtant ne perdait pas tout espoir, il rappelait que le Direc-
toire avait à donner son avis et le recteur de l'Académie à
dire son mot, et qu'on pouvait espérer que le ministre de
l 'instruction publique ne voudrait pas prendre sur lui de
proposer à l'empereur une mesure dirigée contre la partie
évangélique de l'Eglise de la Confession d'Augsbourg.
Les Archives du Christianisme mirent plus de violence
dans leur protestation. Elles ne pouvaient croire à l'exacti-
tude de la nouvelle qu'on donnait et espéraient « que dans tous
les cas, le scandale de l'élection de M. Colani serait épargné
au protestantisme français, pour ne pas dire à l'Eglise chré-
tienne tout entière. » ^)
*) Numéro du 10 janv. 1864.
256 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
Li^ Espérance avait d'ailleurs raison, les choses n'en
étaient pas où Ton croyait. Après quelques semaines, la liste
de présentation fut renvoyée au Directoire. Le ministre refu-
sait de Taccepter parce que deux des candidats proposés,
Baum et Colani, ne possédaient pas le grade de docteur, exigé
par la loi pour la nomination à une chaire magistrale. Il
demandait à l'autorité ecclésiastique de lui faire d'autres
propositions et de lui donner un avis plus motivé sur les can-
didats.
Les leaders parisiens profitèrent de ce délai pour tenter
de nouvelles démarches. Ils s'en prirent tout d'abord au pré-
sident du Directoire, qui, paraît-il, leur avait fait quelques
vagues promesses relativement à la nomination de Lichten-
bergier à la chaire d'homilétique. Ils le sommèrent maintenant
de tenir ses promesses. Le pasteur Hosemann de Paris, un
de ses vieux amis, essaya de lui faire peur. « La chose en elle-
même », lui disait-il, « est plus grave qu 'on ne le pense
peut-être à Strasbourg. Elle émleut ici au plus haut
degré plus d'un homme marquant, et l'on se demande si
décidément la Faculté de Strasbourg doit être le porte-dra-
peau de l'incrédulité! Tous les hommes croyants du protes-
tantisme français se mettront de lia partie et vous auriez
donné le signal d'une lutte à mort » — « Je ne suis ici », ajou-
tait-il, «qu'une plume, écho fidèle, et qui t'est personnelle-
ment dévoué, de ce qui se dit dans les régions les plus élevées
et les plus compétentes. Encore une fois, le danger est réel.
Jl faudrait qu'on fût spirituellement bien peu clairvoyant à
Strasbourg pour y faire si bon marché des plus vrais intérêts
de la Vérité et de notre Eglise. Quelle responsabilité devant
Dieu et devant les hommies! »
M. Léon de Bussierre à son tour, mais avec plus de
finesse et de diplomatie, s'adressait au président Braun.
« Vous ne m'en voudrez pas, j'espère », lui écrivait-il, « d'oser
vous dire que je compte sur votre concours énergique pour
assurer définitivement la nomination de M. Lichtenberger.
J'ai été très péniblement surpris en apprenant que cette
nomination était de nouveau mise en question, et qu'une agi-
tation factice ne tendait à rien moins qu'à vous forcer la
main. Assurément, je suis loin de méconnaître les difficultés
de votre position. Mais j'ai la confiance que vous saurez tenir
tête aux passions qui s'agitent autour de vous... Vous me
M. LÉON DE BUSSIEKRE INTERVIENT 257
direz que vous n'êtes pas seul dans le Directoire. Sans doute.
Mais permettez-moi d'avoir plus de confiance que vous-même
dans votre légitime influence. Si vous le voulez bien, vous
pouvez, j'en ai l'intime conviction, faire triompher au sein
du Directoire les intentions conciliatrices que vous nous aviez
manifestées lors de la dernière session du Consistoire. » ^)
M. Léon de Bussierre adressait en mêmte temps à M.
Bruch, avec lequel il entretenait de longue date des relations
d'amitié, une lettre dans laquelle il disait: «Mon langage
auprès du ministre, en ce qui concerne M. Colany, est et sera
ce qu'il a toujours été. Je lui répéterai que si mes vives
instances pouvaient contribuer à assurer à M. Colany, dans ren-
seignement des lettres, une situation digne de son beau talent
et de son caractère parfaitement respectable, j'en serais
extrêmement heureux; mais qu'au contraire je ne pourrais
m 'empêcher de protester contre son introduction dans le
corps enseignant de nos futurs pasteurs; qu'à mes yeux il en
résulterait un danger très sérieux, ne fût-ce que par l'effet
profondément regrettable que cette nomination produirait,
non seulement dans nos propres églises, miais aussi dans toute
cette grande et importante fraction du protestantisme français
qui s'alarme des tentatives négatives, si envahissantes et si
actives de nos jours... J'éprouverais donc une grande joie si,
faisant usage du concours de M. Schmidt (qui vous serait,
je crois, assuré) vous arriviez encore à donner la priorité à la
présentation de M. Lichtenberger. »
Le 5 février, nouvelle lettre de M. de Bussierre au pré-
sident du Directoire: «Maintenant que la décision — de pro-
voquer une présentation plus explicite — est prise (au moins
je le suppose), je ne puis que désirer très vivement, et pour
vous et pour nous, que le Directoire (ou du moins une majo-
rité dans le Directoire) présente M. Lichtenberger en
première ligne. Vous paraissez partager la conviction die mon
ami Bruch, que ces Messieurs de Paris, comme on nous
appelle, sauront bien faire nommer M. Lichtenberger. Je n'en
sais rien. Je le désire et je l'espère; et si vous présentez M.
Colany en première ligne, je ne me ferai pas faute (je vous
le dis très franchement) de combattre énergiquement votre
*) Arch. du Directoire.
17
258 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
présentation. Si nous réussissons, voyez quelle situation
fausse en résultera pour le Directoire. » ^)
Le refus du ministre d'admettre des candidats qui ne
possédaient pas le grade de docteur en théologie, aurait dû
tranquilliser le parti orthodoxe: Colani n'était pas docteur, et,
par cela même, il se trouvait exclu de la liste de présentation.
Pourtant ses adversaires se méfiaient, et avec raison. Car
tandis que Baum retirait sa candidature, Colani prenait sa
bonne plume et, dans l'espace de quelques semaines, il ache-
vait sa thèse pour le doctorat sur JésiLS Christ et les croyances
messianiques de son temps.
Pâques n'était pas venu et déjà sa soutenance avait lieu.
Cet acte, d'ordinaire puremjBnt académique, prit cette fois
l'aspect d'une manifestation publique. Colani, dans les der-
nières années, avait acquis une popularité de plus en plus
grande dans les cercles cultivés de Strasbourg. Les tentatives
de ses adversaires de le rendre suspect et de l'abaisser dans
l'opinion publique avaient eu l'effet contraire. L'admiration
pour son talent et la sympathie pour sa personne n'avaient
fait que croître. Beaucoup de ses auditeurs avaient attendu
l'occasion de lui témoigner leurs sentiments. Cette occasion
se présentait; ils la saisirent avec empressement. Le jour de
la soutenance, la grande salle de Smnt-Thomias fut envahie
par un public qu'on n'y avait jamais vu dans pareille circons-
tance. Le président du Directoire, le recteur et l'inspecteur
de l'Académie, des professeurs et des étudiants de toutes les
Facultés étaient là, et, à côté d'eux, des membres nombreux
de la société, hommes et femmes. La grande salle se trouva
trop petite pour la foule qui s'y pressait; on dut décrocher
les portes de la salle d 'à côté pour que tout le nïonde trouvât
une place. Reuss présidait. Il ouvrit la séance par une allo-
cution dans laquelle il dit que cette affluence extraordinaire à
une cérémonie qui d'habitude n'attirait guère l'attention
publique était un hommage rendu au talent et au mérite de
Colani, et que celui qui venait demander à la Faculté le titre
de docteur était depuis longtemps, pour ceux qui venaient
s'asseoir aux pieds de sa chaire, le docteur en théologie par
excellence. Après la soutenance, des acclamations unanimes
saluèrent le nouveau docteur, le proclamant à l'avance pro-
fesseur de la Faculté.
*) Arch. du Directoire.
COLANI NOMME A LA CHAIKE D'HOMLLÉTIQUE 259
La nouvelle liste de présentation dressée par la Faculté
portait les noms de Colani, de Kienlen et de Lichtenberger.
Elle fut immédiatement envoyée à Paris. Mais le ministre ne
se hâtait pas de prendre une décision. La droite mit à profit
ce nouveau délai: elle redoubla d'efforts pour empêcher une
nomination qu'elle redoutait. Un maréchal de France appar-
tenant à l'Eglise protestante fut même appelé à la rescousse.
Peine inutile! Le ministre Duruy n'était pas accessible
à de pareilles influences. Pressé de toutes parts, il prit le
parti le plus simple, il envoya le dossier relatif à l'affaire
au cabinet de l'Empereur, et Colani, dont le nom alphabé-
tiquement se trouvait en tête de la liste, fut nommé.
La chaire vacante dans la Faculté était pourvue. Il restait
à pourvoir à celle du Séminaire. Les deux partis disposant à
ce moment du même nombre de voix, tout dépendait du vote
du président. Mais ce dernier était tiraillé par des sentiments
contraires. Ses sympathies personnelles allaient à la gauche,
et les égards qu'il devait à ses collègues du Directoire le
portaient à soutenir le candidat libéral, mais il craignait les
influences parisiennes et il estimait qu'il était sage de ne pas
mécontenter la droite.
La conséquence en fut que l'affaire traîna jusqu'à ce que
la mort de Fritz vint créer une nouvelle situation. Fritz avait
vu depuis longtemps diminuer ses forces; il avait dû finale-
ment renoncer à l'enseignement et abandonner ses cours à un
suppléant. Au mois de mai 1861, il avait eu une première
attaque d'aploplexie dont il s'était pourtant remis; mais le
vendredi saint de l'année 1864, dans une promîcnade sur les
glacis devant la porte de l 'hôpital, il eut une nouvelle attaque
plus grave et fut ramené mourant chez lui. Le jour de Pâques,
le 27 mars 1864, la mort mit fin à ses souffrances.
Il s'agissait dès lors de pourvoir à deux canonicats
vacants. Avant de passer au vote, on s'entendit pour que
chacun des deux partis votât pour e candidat du parti
adverse. C'était le seul moyen d'arriver à un résultat satis-
faisant. Cunitz, au premier tour de scrutin, et Lichtenberger,
au second, furent nommés à l'unanimité.
II
Mais la mort de Fritz avait aussi rendu vacante une
chaire à la Faculté de théologie et il était urgent d'y pour-
260 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STKASBOURa
voir sans retard. C'était la chaire d'exégèse. Non pas d'exé-
gèse de l'Ancien ou du Nouveau Testament, noiais d'exégèse
tout court, le décret qui avait créé la Faculté de théologie
n'ayant institué qu'une seule chaire pour cette branche si
importante de la science théologique. Fritz aurait dû, en
somlme, interpréter les livres du Nouveau Testament aussi
bien que ceux de l'Ancien, et son successeur pouvait être
appelé à traiter dans ses cours les uns et les autres. Cepen-
dant il était clair qu'il aurait à s'occuper principalemient et
même exclusivement de l'Ancien Testament, les leçons de
Bruch, de Reuss et de Cunitz suffisant à l'interprétation des
écrits du Nouveau Testament,
Reuss désirait mettre en avant la candidature de Cunitz
qui, par rang d'ancienneté, avait le plus de droits à une
chaire. Mais le président Braun, qui continuait sa politique
de bascule, et le professeur Schmidt, qui était pressé par le
parti orthodoxe, avaient d'autres vues, ils voulaient faire
entrer Lichtenberger dans la Faculté. Par malheur, Lichten-
berger n 'était pas hébraïsant et, par conséquent, peu apte à en-
seigner l 'exégèse de lAncien Testament. On ne pouvait espérer
que la Faculté le proposât pour cette chaire. Mais il y avait un
moyen de tourner la difficulté, c'était de décider Reuss à
échanger la chaire de morale, qu'il occupait sans avoir jamais
enseigné cette branche de la science théologique, avec celle
d'exégèse, qui était son véritable domaine, et de confier la
chaire de morale à Lichtenberger. Reuss consentit à l'échange,
mais il voulait attendre pour le réaliser que la nomination à
la chaire d'homilétique eût eu lieu. Au cas où Colani n'y
serait pas nommé, il voulait lui réserver la chaire qu'il avait
occupée jusque-là. Il fit même une déclaration dans ce sens à
la Faculté. Mais le président Braun avait hâte d'en finir. Il
insista auprès du ministre pour que l'échange des deux
chaires fût approuvé sans retard.
La Faculté fut alors invitée à faire des propositions pour
l'une et l'autre de ces deux chaires. Aucun candidat ne s 'étant
porté concurrent de Reuss pour la chaire d'exégèse, la
Faculté, vu le caractère exceptionnel de cette candidature,
pria le ministre de ne pas insister sur la présentation d'un
second nom. Il fallut pourtant passer par cette formalité, et
le nom de Cunitz fut ajouté à celui de Reuss sur la liste de
proposition.
ALFRED WEBER 261
Eeuss, naturellement, fut nommé. Le ministre voulut
même faire disparaître Tobstacle qui avait empêché jusque-là
de conférer à Reuss un titre définitif; il déclara le diplôme
de docteur que TUniversité de léna avait décerné autrefois à
Reuss équivalent au diplôm'e français, et Reuss, qui jusque-là
n^avait été que chargé de cours, devint de ce fait titulaire
définitif d'une chaire magistrale.
Quant à la chaire de morale, la Faculté présenta Colani,
Cunitz et Tagrégé libre Alfred Weber.
Ce dernier était né à Strasbourg, le 1er juillet 1835, fils
du receveur de Saint-Marc, Louis Weber. Il avait fait ses
humanités au Gymnase et ses études philosophiques et théo-
logiques au Séminaire protestant, à la Faculté de théologie et
à la Faculté des lettres de sa ville natale. Dans sa thèse pour
le baccalauréat en théologie sur La dogmatique de Philippe
Conrad MarUeinecTce, il avait montré un talent spéculatif peu
commun et une connaissance extraordinaire de la philosophie
hégélienne et de la philosophie allemande en général. Aussi,
après avoir rempli durant quelques mois les fonctions de
vicaire administrateur à Giromagny, entreprit-il de visiter
les Universités allemandes les plus réputées pour leur ensei-
gnem-ent philosophique, Berlin et Halle, léna et Erlangen, et
plus tard Tubingue. Il entra même en relation avec les maîtres
les plus illustres, notamment avec le hégélien Michelet de
Berlin et avec le professeur Cuno Fischer de léna.
Revenu à Strasbourg, il acquit, en 1860, le grade de
licencié en théologie par une thèse sur La philosophie reli-
gieuse de Schelling et obtint Pautorisation de faire des cours
au Séminaire. Ses leçons d'histoire de la philosophie moderne
et son cours sur la philosophie de la religion obtinrent dès
l'abord un vif succès. En 1863, il présenta, pour le doctorat
en théologie, une thèse sur V Economie du salut. C'était une
étude sur le dogme dans ses rapports avec la morale. Weber
y défendait cette idée, que le dogme est un moyen d'éducation
et que sa valeur est proportionnée à l'influence morale qu'il
exerce. Appelé à remplacer le professeur Fritz pendant sa
maladie, il fit pendant quelque temps des cours sur l'Ancien
Testament. Mais l'hébreu n'était pas sa partie et, à la mort
de Fritz, il se hâta de revenir à ses études de prédilection.
La nomination de Colani à la chaire d'homilétique avait
eu lieu dans l 'intervalle et la Faculté se vit appelée à faire de
262 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
nouvelles propositions pour la chaire de morale. Cinq candi-
dats s'étaient présentés: le professeur Cunitz, le pasteur
Kienlen, le professeur Lichtenberger, le pasteur Schaeffer de
Colniae et le privatim-docens Weber. La Faculté présenta Cu-
nitz en première et Weber en seconde ligne. Mais le recteur
ayant fait savoir à la Faculté que le ministre désirait que la
liste de présentation portât au moins deux noms, la majorité
fut d'avis qu'aux deux nom^ proposés on en joignît un troi-
sième. Quand on passa au vote, Lichtenberger obtint deux,
Kienlen, une voix, les deux autres bulletins étaient des bulle-
tins blancs.
Le Directoire, après de longs débats, arrêta la liste de
présentation comme suit: 1. Cunitz; 2. Kienlen et Lichten-
berger ex aequo-, 3. Weber, et, en la transmettant au recteur,
il déclarait expressément que l'ordre dans lequel il présen-
tait les quatre candidats exprimait son opinion sur la valeur
scientifique de chacun d'eux. Mais à cette déclaration collec-
tive le président Braun ajouta cette remarque privée: «Quant
à moi, personnellement. Monsieur le recteur, et quels que
soient le mérite et l'ancienneté de M. Cunitz, j'ai la conviction
qu'il y a cette fois dans la question un autre élément encore
à considérer: il me paraît indispensable, après la lutte au
milieu de laquelle s'est accomplie la récente nomination de
M. Colani, de tenir compte des vœux de la fraction de l'Eglise
qui a vu avec regret cette nomination et qui a dans M. Lichten-
berger son candidat préféré. En conséquence, dans l'intérêt
de la paix, de la bonne harmonie, de l'équité, pour ne pas
dire davantage, je crois que c'est M. Lichtenberger qui doit
avoir la préférence. J'exprime en cela, je le répète, mon avis
personnel. » ')
Cette déclaration du président du Directoire et, plus
encore, sans doute, l'influence des leaders de l'orthodoxie
parisienne ne manquèrent pas leur effet: Lichtenberger fut
nommé à la chaire de morale.
C'est ainsi qu'un homme encore jeune — Lichtenberger
avait alors trente-deux ans — qui n'avait pas d'antécédents
)académiques, qui n'avait pas été mis d'abord sur la liste de
présentation de la Faculté, qui, au Directoire, n'avait obtenu
*) Lettre du 'président du Directoire au recteur. La minute en est
aux Arch. du Directoire.
FREDERIC REUSSNER 263
que deux voix sur cinq et n^avait été proposé en première
ligne que par le président et non pour sa valeur scientifique,
arriva en même temps au Séminaire et à la Faculté, et cela
par la seule raison qu'il était patronné par Torthodoxie, qui
n'avait pas d'autre candidat à mettre en avant.
Cette affaire était à peine terminée et le discours acadé-
mique en rhonneur de Fritz n'était pas encore prononcé, que
celui qui avait été chargé de cette tâche fut enlevé à son tour.
Matter mourut le 22 juin 1864 des suites d'une apoplexie.
III
Une nouvelle chaire et un nouveau canonicat devenaient
donc vacants. De longues discussions s'engagèrent au Sémi-
naire. Matter ayant enseigné la philosophie, il semblait
indiqué de le remplacer par un philosophe. Les uns propo-
saient de nommer le neveu du professeur Schmidt, Emile
Grucker, qui faisait le cours de philosophie au Gymnase, les
autres se prononcèrent en faveur du privatim-docens Alfred
Weber, qui depuis quelque temps donnait au Séminaire des
cours qui avaient beaucoup de succès. Mais Reuss fît remar-
quer qu'en tenant strictement à la spécialité, on risquerait
d'écarter, au profit d'hommes jeunes et qui pouvaient
attendre, des savants âgés et méritants qui n'arriveraient
jamais parce qu'ailleurs ils ne pouvaient faire valoir aucun
droit. Il proposa d'adjoindre Weber, en qualité de professeur
agrégé, à Waddington, et de réserver le canonicat à un homme
plus âgé et qui avait rendu de longs services: il nomma Jean-
Frédéric Reussner, professeur a/a Gymnase et lecteur de
langue hébraïque au Séminaire.
Né à Strasbourg le 8 juillet 1823, fils de l'instituteur en
chef de l'école paroissiale de Saint-Guillaume, Frédéric
Reussner avait fait ses études humanistes au Gymnase pro-
testant, oii il avait mérité par son zèle et son application cet
élogieux témoignage du professeur Kreiss: «Quotquot mihi
sunt discipuliy omnes vellem Reiissneri essent similes. » Ins-
crit en 1841 parmi les élèves du Séminaire, il avait terminé en
1845 ses études universitaires par une thèse sur Le Pentateuque
alexandrin. Dès lors il s'était tourné résolument vers la philo-
logie, il était allé compléter ses études à Paris, était devenu,
en 1848, licencié ès-lettres et avait été nonmté, en 1849, profes-
264 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
seur au Gymnase, où, depuis 1853, il enseignait le grec dans
les trois classes supérieures et le latin en seconde. Depuis
1857, il faisait le cours élémentaire d^hébreu au Séminaire.
Eeussner était un bon philologue. Ses connaissances ne
s'étendaient pas seulement aux langues sémitiques et au sans-
crit, elles embrassaient les vieux dialectes italiens. Il avait
prouvé sa compétence en cette matière par un mémoire sur
L'histoire et la langue des Osques, auquel P Académie des Ins-
criptions et Belles-Lettres avait décerné, en 1854, le prix
Bordin. Or, le Séminaire avait à ce moment besoin d'un philo-
logue, Baum abandonnant cette branche pour faire des cours
de théologie pratique. La proposition de Reuss fut donc
acceptée à l'unanimité, aucun intérêt de parti n'étant en jeu.
Reussner fut appelé à la chaire de philologie et Weber fut
nommé professeur agrégé, chargé d'un cours de philosophie.
Les lacunes que le décès de Jung, de Fritz et de Matter
avait produites dans le corps enseignant du Séminaire et de la
Faculté étaient à peine comblées, qu'il se produisit très ino-
pinément une nouvelle vacance. Waddington, qui n'avait pu
s'habituer à Strasbourg et qui espérait obtenir une chaire à
la Sorbonne, annonça, peu de jours avant les vacances, qu'il
avait obtenu l'avancement qu'il désirait et qu'il allait
retourner à Paris. Il se trompait, il est vrai, sur sa nomi-
nation à la Sorbonne, il ne l'obtint pas. Mais comme le séjour
de Strasbourg ne lui convenait plus, il accepta une place de
professeur dans un des grands lycées de la capitale. Il quitta
Strasbourg au mois d'octobre. C'était le moment de la réou-
verture des cours; il s'agissait donc de le rempliacer le plus
promptement possible. C'était la chaire de philosophie à
laquelle il fallait pourvoir, et on ne pouvait y appeler qu'un
homme compétent dans cette branche. Cet homme, on l'avait
sous la main, mais il s'appelait Colani. Et bien que l'entrée
de Reussner dans le corps des professeurs assurât la victoire
au parti libéral, ce nom n'était pas sans susciter des diffi-
cultés.
On était à la veille de l'ouverture de la session du Con-
sistoire supérieur, et le président Braun hésitait à porter le
nom de Colani devant la haute assemblée ou, du moins, devant
les représentants de l'orthodoxie parisienne. Il se mit à la
recherche d'un candidat qui, agréable aux Libéraux, ne fût
COLANI NOMME A LA CHAIKE DE PHILOSOPHIE 265
pas désagréable aux orthodoxes, et il crut l'avoir trouvé dans
la personne du pasteur Heintz de Téglise Saint-Thomas.
Charles-Henri Heintz, né en 1814 dans un presbytère
alsacien, avait étudié la théologie à Strasbourg. Il avait acquis,
en 1835, le grade de licencié ès-lettres, et s'était adonné, avec
son ami Bartholmess, à Tétude de la philosophie allemiande.
Précepteur, en 1839, des princes de Hohenlohe-Schillings-
fiirst, puis pasteur à Colmar et, depuis 1856, à Strasbourg, il
avait eu l'occasion d'acquérir une profonde connaissance des
honmies et de la vie. Mais depuis qu'il exerçait le saint-minis-
tère, il avait, de plus en plus, renoncé aux études, et on ne
pouvait guère espérer qu'à cinquante ans il aurait l'énergie
et l'entrain nécessaires pour reprendre le travail «scienti-
fique si long-temps interrompu. Et puis, il n'avait aucun rap-
port avec les étudiants. Il ne semblait donc point posséder
les qualités nécessaires au professorat. Et pourtant il avait
des chances de réussir. Il pouvait compter sur la voix du pré-
sident, sur celle de Bauni, son collègue à l'église Saint-Tho-
mas, et sans doute aussi sur le suffrage des membres qui
voulaient à tout prix écarter la nomination de Colani. Et
pourtant, il en fut autrement qu'on avait pensé. Lorsque, le
10 octobre, on passa au vote, Colani obtint 5 voix, Heintz 4 et
AVeber 1. Comme il n'y avait pas de majorité absolue, il
fallut passer à un second tour de scrutin. Tout dépendait dès
lors du vote de Lichtenberger. Dans le premier tour de scrutin,
il avait donné sa voix à Weber, il n'était pas probable que,
dans le second, il la donnât à Colani. Or, si les voix se par-
tageaient également, la décision revenait au Directoire, et il
était plus que probable que ce corps, sous l'influence de son
président, se prononcerait pour Heintz. Les amis de Colani
avaient abandonné tout espoir. Alors se produisit la chose
la plus surprenante, la plus inattendue: Lichtenberger déposa
un bulletin blanc. Colani était nomimé par 5 voix contre 4.
CHAPITRE II
l'année 1869-1870 — Anguste Sabatier — Le Séminaire et
la îaculté à leur apogée
Les nouveaux professeurs étant nommés et toutes les chaires
au Séminaire et à la Faculté occupées, on songea à réorganiser
l'enseignement. Le besoin d'un nouveau plan d'études se fit
sentir. Reuss proposa celui qu'il avait élaboré en 1848 et qui
n'avait jamais été "rappliqué. On s'empfressa Ide (l'adopter.
Ses principales dispositions — reproduites depuis dans le
règlement de 1869 — pouvaient se résumer ainsi: On établira
un programme des études pour trois ans; chaque professeur
annoncera un double cycle de cours sur des sujets plus variés
que ceux qui ont été traités jusque-là; chaque étudiant s'ins-
crira pour 20 à 21 leçons; il sera examiné à la fin du sem<estre
sur les cours qu'il aura suivis; il pourra d'ailleurs choisir
en toute liberté ceux qu'il voudra entendre.
Ce plan d'études faisait bonne figure sur le papier; mais
cette fois encore la réalité ne répondit pas à l'idéal. Plusieurs
des professeurs firent consciencieusement leur devoir, ils
annoncèrent des cours sur des sujets variés et intéressiants,
mais les étudiants montrèrent, en général, peu d'empresse-
ment à profiter des nouveaux moyens d'instruction qu'on leur
offrait ainsi. Plusieurs des cours annoncés ne purent avoir
lieu faute d'auditeurs.
Ce qui était peut-être plus important que la stricte
application du nouveau plan d'études, c'était la distribution
des chaires, l'attribution à chacun des professeurs de celle
qui correspondait à sa compétence. Jusque-là, on s'était par-
REUSS RÉORGANISE LE COURS D^EXÉGÈSE DE l'a. T. 267
fois laissé déterminer dans la nomination à telle chaire du
Séminaire ou de la Faculté par des considérations tout autres
que la compétence du candidat. C'est ainsi qu 'Edouard Reuss,
réminent exégète, avait été chargé de renseignement de la
morale chrétienne et que Charles Schmidt, l'historien dis-
tingué, avait été nommé à la chaire de tliéologie pratique. On
prit garde de ne pas retomber dans une pareille erreur; on
voulut même réparer celles qui avaient été commises autre-
fois: la Faculté, nous venons de le voir, demanda au ministre
d'autoriser les professeurs Renss et Schmidt à échanger les
chaires qu'ils occupaient depuis de longues années avec telles
autres qui étaient devenues vacantes et qui répondaient mieux
à leurs études spéciales et à leur goût particulier.
Ce fut, avant tout, un heureux changement que celui
qui confiait à Reuss le cours d'exégèse et plus spécialement
d'exégèse de l'Ancien Testament. L'enseignement de cette
branche de la science théologique laissait beaucoup à désirer.
Il était resté ce qu'il avait été dans le passé, l'explication
grammaticale des textes, la discussion des questions d'authen-
ticité, une science de mots et de dates, étroite, aride, inca-
pable d'éveiller dans l'esprit des jeunes gens un puissant
intérêt.
Reuss entreprit de le réorganiser sur une nouvelle base.
11 dédoubla le cours dont il était chargé; il le divisa en un
cours exégétique et un cours historique. Le premier compre-
nait six semestres, dont trois, les semestres d'hiver, étaient
consacrés à l'interprétation des livres historiques, de la loi et
des livres poétiques, les trois autres, les semestres d'été, à
l'explication des écrits didactiques et des prophètes. L'intro-
duction aux différents livres était réduite au strict nécessaire
et l'interprétation des textes limitée à des morceaux choisis,
afin de donner aux élèves un aperçu général de la littérature
hébraïque. Ce cours n'était pas réservé aux seuls étudiants
de la section théologique, ceux de la section préparatoire qui
se distinguaient par leur ardeur au travail, y étaient égale-
ment admis. Il en était de mêmie du cours historique, qui com-
prenait quatre parties: l'histoire nationale des Israélites, la
géographie et l'archéologie de l'Ancien Testament, l'histoire
de la littérature hébraïque et l'histoire de la religion de
l'Ancien Testament. Cette manière de comprendre l'exégèse
et d'en élargir le cadre, en y faisant entrer tout ce qui peut
268 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
contribuer à l'intelligence des textes, constituait une innovation
des plus heureuses: elle complétait des lacunes très fâcheuses
dans renseignement théologique et réveillait l'intérêt pour
des études importantes et trop négligées. On lui fit Taccueil
qu'elle méritait. Les deux cours, le second surtout, furent
suivis avec la plus grande assiduité. Reuss put se vanter de
réunir autour de sa chaire un auditoire «tel qu'on n'en avait
plus vu au Séminaire depuis les leçons de psychologie du
professeur Redslob. »
L'enseignement de l'histoire ecclésiastique, remis entre
les mains de Charles Schmidt, subit également une heureuse
transformation. Le cours du professeur Jung, son cours d'his-
toire moderne surtout, avait par les nombreux détails qu'il
y mettait, présenté un vif intérêt. Mais cette abondance de
détails avait eu, d'autre part, une conséquence des plus
fâcheuses. Le cours d'histoire ecclésiastique avait pris un
développement de plus en plus grand; il s'était finalement
étendu sur douze semestres au lieu de six, de sorte que les
étudiants n 'arrivaient plus à entendre qu 'une partie du cours^
les uns celle qui se rapportait aux premiers siècles de l'Eglise
chrétienne et au Moyen âge, les autres, celle qui se rapportait
à la Réforniiation et aux temps modernes, d'autres encore la
fin de l'une et le commencement de l'autre. Schmidt sut con-
denser une matière si féconde et, par une exposition serrée
et concise, enfermer le cours complet dans le temps régle-
mentaire, sans pourtant rien omettre d'essentiel.
Parmi les nouveaux venus, Colani tenait le premier rang»
Il donnait au Séminaire, dans la section préparatoire, des
cours de littérature française, de psychologie, de métaphy-
sique et de philosophie de la religion. Fort d'une pratique
déjà longue dans l 'enseignement, il était là véritablement dans
son élément. Ses leçons, où se révélaient les fortes qualités de
son esprit, la finesse de ses idées, la profondeur de son savoir,
la sûreté de son jugement et un goût littéraire raffiné, atti-
raient un nombreux auditoire qui ne se recrutait pas seule-
ment parmi la jeunesse universitaire.
L'enseignement que donnait le second représentant de la
philosophie, le professeur agrégé Alfred Weber, n'était pas
moins prisé par les élèves. Le cours de philosophie qu'il
professait en allemand eut un tel succès que les étudiants de
LE DERNIER AGREGE LIBRE DU SEMINAIRE 269
l'intérieur et du midi lui demandèrent de le faire en fran-
çais. C 'est de ce cours que sortit plus tard 1 '« Histoire de la
philosophie européenne « dont la Revue critique disait: «Le
livre de M. Weber n'est pas seulement la meilleure histoire
de la philosophie que nous possédions en langue française,
c'est aussi, absolument parlant, le plus remarquable ouvrage
de ce genre que nous sachions », et qui, traduit en anglais
et en espagnol, arrivait en 1914 à sa huitième édition.
La philologie aussi se trouvait en de bonnes mains. Fré-
déric Reussner, qui avait remplacé Baum dans l'enseigne-
ment de cette branche, expliquait les auteurs latins et expo-
sait l'histoire de la littérature latine, tandis qu'un nouveau
privatim-docens, Emile Heitz, professeur des langues
anciennes au Gymnase, faisait des cours de littérature grecque
et d'antiquités de la Grèce.
Il était né à Strasbourg le 13 novembre 1825, fils de l'im-
primeur et libraire Charles-Frédéric Heitz. Ses études clas-
siques achevées au (rymnase protestant, il avait étudié la
philologie à Strasbourg d'abord, et puis à Paris, à Berlin et
à Leipzig. Licencié ès-lettres en 1847, il avait été nommé
agrégé et, en 1853, professeur au Gymnase. Une dissertation
sur les «Mimes de Sophron», publiée en 1851, ne l'avait fait
connaître que dans un cercle très restreint; mais en 1862, un
travail sur les manuscrits perdus d'Aristote, couronné par
l'Académie de Berlin, attira sur lui l'attention du monde
savant. En 1864, une dissertation sur l'orateur attique Hypé-
ride lui valut les éloges de l'Institut de France; peu après,
la publication des fraigments d'Aristote, qui devait servir à
une nouvelle édition des œuvres du vieux philosophe, le classa
définitivement parmi les philologues distingués. On pouvait
donc s'attendre à ce qu'il contribuât à donner un nouvel essor
aux études philologiques du Séminaire.
En 1869, enfin, un jeune et savant historien, Rodolphe-
Ernest Reuss, vint grossir le nombre des collaborateurs de la
section propédeutique du Séminaire et enrichir son enseigne-
ment d'un cours d'histoire. Né à Strasbourg le 13 octobre
1841, fils du professeur Edouard Reuss, il avait fait de fortes
études au Gymnase, à la Faculté des lettres, au Séminaii^e
même, et avait acquis, en 1861, le grade de licencié ès-lettres
Il avait ensuite fréquenté, pendant trois ans, les Universités
270 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
allemandes, léna et Berlin, Munich et Gœttingue, et était allé,
en 1865, com!pléter ses études à Paris. Eevenu à Strasbourg, il
fut nommé professeur agrégé au Gymnase et continua avec
ardeur ses travaux historiques. Lorsqu'il demanda Pautori-
sation de faire des cours, il était déjà avantageusement connu
par des publications sur Phistoire de la guerre de trente ans.
Les leçons qu'il donnait sur Phistoire du XVIe et du XVIIe
siècle étaient fort goûtées.
Dans la section théologique du Séminaire et à la Faculté
de théologie, Colaai tenait, avec Reuss, la première place. Son
cours sur la Vie de Jésus excitait chez beaucoup de ses audi-
teurs le plus vif enthousiasme. Ceux-là même qui n'adhé-
raient pas à ses opinions, étaient séduits par la forme qu'il
donnait au travail scientifique et subissaient plus ou moins
son influence. Quant à son cours d'homilétique, il n'était pas
seulement intéressant, il était instructif au plus haut degré,
tant par les principes qu'il formulait que par les indications
pratiques qu'il donnait. Ses sermons étaient d'ailleurs comme
une illustration de son cours et les meilleurs modèles pour
ses élèves.
Lichtenberger, l'autre professeur nouvellement nommé,
était loin d'atteindre à la considération dont jouissait Colani
et à l'influence qu'il exerçait. Il faisait au Séminaire un
cours de symbolique et d'apologétique, et, plus tard, d'his-
toire de la théologie allemande au dix-neuvièm'e siècle (d'où
sortit son Histoire des idées religieuses en Allemagne du 18e
siècle jusqu'à nos jours. Paris 1873, 3 vol.) et à la Faculté
un cours de morale et d'histoire de la morale. Ses leçons
étaient consciencieusement préparées et ne manquaient pas
d'intérêt; pourtant elles n'avaient pas beaucoup de succès.
Lichtenberger était un commençant, il ne devait donner sa
mesure que plus tard dans cette Faculté de Paris qu'il aida
à créer et dont il fut, pendant de longues années, le doyen
vénéré.
La section théologique comptait encore deux privatim-do-
centes, le docteur Kienlen, pasteur à l'église Saint-Guillaume,
qui, en 1862 déjà, avait fait au Séminaire des cours de théo-
logie pastorale et qui, depuis, en avait annoncé d'autres, sur
les nouvelles péricopes, sur la théologie du N. T., sur l'Apo-
calypse etc., et le licencié Théodore Gerold, vicaire à Saint-
Nicolas, qui avait débuté, en 1867, par un cours sur les Actes
DES PRETEES GRECS A LA FACULTÉ 271
des Apôtres et sur les Epîtres pastorales. L'un et l'autre
n'avaient qu'un auditoire fort restreint/)
Ce n'est pas que le nombre des étudiants eût diminué.
Ceux de l'intérieur et du midi n'avaient jamais été aussi nom-^
breux, et ceux qui avaient fait leurs études à Genève venaient,
comme autrefois, passer leurs examiens à Strasbourg et y
suivaient même quelques cours pour compléter leur instruc-
tion. Et puis, la renommée grandissante de l'Ecole de Stras-
bourg commençait à y attirer des étrangers. Des prêtres grecs
vinrent, en 1866 et 1867, se faire inscrire à la Faculté de théo-
logie. C'étaient des hommes déjà revêtus du titre d'archiman-
drite, professeurs ou prédicateurs dans leur pays, miais que
le désir de s'initier à la science théologique moderne poussait
à visiter les Universités étrangères. Plusieurs d'entre eux se
distinguaient par un savoir profond et une haute culture
intellectuelle, tels l'archimandrite Grégorios Palamias de
Thessalonique, professeur d'histoire ecclésiastique à l'école
patriarcale de Jérusalem et auteur de plusieurs savants
ouvrages; l'archimandrite Dionysios Latas, de l'île de Za-
cynthe, prédicateur distingué d'une église grecque du Pirée,.
qui avait obtenu du gouvernement hellénique une bourse de
voyage pour aller compléter son instruction théologique au
dehors; l'archimandrite Gogos, de l'île de Lesbos, esprit
éveillé, curieux des choses de l'Occident, et toujours prêt à
communiquer à ses compatriotes, dans des articles de jour-
naux et de revues, les impressions qu'il recevait et les expé-
riences qu'il faisait dans un monde tout nouveau pour lui.
En dehors de ces prêtres grecs, on vit alors à la Faculté des
candidats danois, qui, pour des raisons politiques très com-
préhensibles, évitaient à ce moment les universités allemandes.
Le nombre des élèves du Séminaire et de la Faculté, en
dehors des étrangers, s'était élevé en 1860 à 75, mais il avait
augmenté d'année en année. En janvier 1868, Reuss écrivait
à son ami Graf : « J'ai cet hiver, j 'ai dans mon cours sur l'his--
*) Plus tard, en 1869, Kienlen ayant passé à l'orthodoxie, vit affluer
à ses cours les étudiants appartenant à cette tendance. « Parmi ceux
qui donnent des coure ici », écrivait Reuss à son ami Grai, le 7 no-
vembre 1869, «le plus couru est actuellement Kienlen (priv. doc.), qui,
n'arrivant pas par le rationalisme, s'est jeté dans les bras de l'ortho-
doxie et fait des cours sur le N. T., dans lesquels il tape dru sur Baur^
ce qui lui a déjà valu un calice en or». {Briefwechsel, p. 607.)
272 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
toire du peuple hébreu 80 auditeurs», et tous les étudiants
ne suivaient pas ce cours. Dans l'année scolaire 1869-1870, le
chiffre des étudiants immiatriculés s'éleva à 103, dont deux
tiers appartenaient à l'Alsace et un tiers — très exactement
33 — à l'intérieur et au midi. Il y avait, en plus, les étudiants
français qui avaient fait leurs études à Genève et qui venaient
passer leurs examens à Strasbourg. Leur nombre, dans ces
années, varia entre 5 et 14.
II
L'année 1868 amena un nouveau et important change-
ment dans la Faculté de théologie. Un décret impérial du
1^^ décembre 1867 avait enfin ,accordé au professeur Eichard
la retraite que, miné par l'âge et la maladie, il sollicitait
depuis des années. Son successeur devait, d'après les règle-
ments en vigueur, être désigné par les quatre-vingt-douze
consistoires réformés de France. On pouvait donc s'attendre
à ce que le parti conservateur, qui disposait d'une majorité
écrasante, se hâterait de présenter pour la chaire devenue
vacante, un représentant décidé de sa tendance. Il n'en fut
rien. On avait, sans doute, dans les cercles orthodoxes, le
sentiment qu'à Strasbourg on exigeait beaucoup d'un profes-
seur de théologie et que seul un homme d'une forte culture
théologique pouvait prétendre à occuper la chaire de dogma-
tique réformée. Or, il n'était pas facile de trouver cet
homme. En désespoir de cause, et peut-être à l'instigation de
Lichtenberger, le parti se décida à offrir la candidature à un
jeune théologien qui ne satisfaisait même pas aux conditions
extérieures qu'exigeait la loi: il n'avait pas trente ans et
n'était pas docteur en théologie.
Louis- Auguste Sabatier ^) était né à Vallon, dans le
département de l'Ardèche, le 22 octobre 1839. Il avait étudié
la théologie à Montauban et avait visité, de 1863 à 1864, les
L^niversités allemandes, surtout Tubingue où Jean-Tobie
Beck, et Heidelberg où Richard Rothe exercèrent sur lui une
profonde influence. Après son retour, il avait été nomflné
pasteur à Aubenas, dans l'Ardèche, et avait, en 1866, pris le
*) Voy. Le Doyen Auguste Sabatier. 1839-1901. Dole, 1901.
Francis Chaponnière, Le professeur Auguste Sabatier. Paris, 1901.
LA CANDIDATURE DE PIERRE GOY 273
grade de licencié en théologie par une remarquable thèse sur
Les sources de la vie de Jésus, Dans cette dissertation, il se
montrait plus homme du juste milieu qu'adhérent die Tortho-
doxie. Elle contenait, en effet, des assertions qui devaient
sonner faux aux oreilles orthodoxes. La profession de foi
qu'on demanda au candidat manquait également de couleur.
On n'avait peut-être pas une confiance absolue en lui, mais
comîme on n'avait pas d'autre candidat présentable, il fallut
s'en tenir à lui, malgré sa théologie entachée de criticisme.
Le parti libéral était plus heureux sous ce rapport. Il
avait sous la main un candidat qui n'était pas seulement fon-
cièrement libéral, mais qui, par différentes publications, avait
fourni la preuve qu'il était apte à l 'enseignem'ent théologique.
Pierre Goy était né à Port-Sainte-Foy, dans la Dordogne,
le 26 octobre 1822. Il avait, lui aussi, fait ses études de théo-
logie à Montauban et était allé les compléter à Berlin et à
Halle. Eevenu d'Allemagne à la fin de l'année 1847, il avait
été nommé pasteur au Fleix, dans la Dordogne, mais avait,
quelques années plus tard, échangé sa place de pasteur contre
celle de professeur au Collège de Sainte-Foy. Il n'en avait
pas moins continué d'exercer les fonctions pastorales, comme
suffragant du Consistoire, jusqu'au moment où il se fit scru-
pule de lire le symbole des apôtres en chaire. Il avait, dès le
principe, collaboré à la Revue de théologie et au Disciple de
Jésus-Christ, et y avait fait paraître des articles qui témoi-
gnaient d 'un véritable esprit spéculatif. Il avait, à ce moment,
quarante-trois ans et était dans la plénitude de son talent. Le
consistoire le plus important du midi, celui de Nîmes, se
déclara à l'unanimité pour sa candidature et les consistoires
libéraux suivirent, les uns après les autres. Mais la lutte était
trop inégale. Les consistoires conservateurs étaient deux fois
plus nombreux que les consistoires libéraux. Des quatre-
vingt-douze qu'ils étaient en général, trente-six seulement se
prononcèrent pour Goy, tous les autres allèrent à Sabatier.
A ce moment pourtant le Directoire et la Faculté de
théologie intervinrent. S 'appuyant sur le fait que dans les
autres Facultés la nomination des professeurs se faisait sur
la double présentation de la Faculté intéressée et du conseil
académique, ils revendiquèrent le droit de donner leur avis
sur les candidats désignés par les consistoires. Le ministre,
Victor Duruy, les renvoya à l'article 7 du Chapitre II des dis-
18
274 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
positions organiques de 1852: «Lorsqu'une chaire de profes-
seur de la communion réformée vient à vaquer dans les
Facultés de théologie, le Conseil central recueille les votes des
consistoires et les transmet avec son avis au ministre», et il
y ajoutait cette observation curieuse: «Les Facultés de théo-
logie ne sont pas seulement des établissements universitaires,
elles sont des Ecoles ecclésiastiques ayant pour mission de
former des ministres pour chacun des deux cultes. Quelque
prix que Ton attache, dans chaque église, à lai science et au
talent des professeurs de théologie, ce qu'on leur demande
principalement, ce sont des convictions profondes et inva-
riables: l'intérêt religieux l'emporte sur tout autre. Or, n '•est-
ce pas uniquemient l'intérêt de l'Eglise réformée qui se trouve
en jeu! A quel titre dès lors l'organe d'une autre communion
contrôlerait-il les votes d'assemblées habituées à se prononcer,
en cette matière, avec une entière indépendance! A Monta u-
ban, le candidat désigné par la majorité est nommé dès qu'il
a justifié de l'âge et de la capacité réglementaires, comment
pourrait-il en être autrement à Strasbourg, alors qu'il s'agit
d'une chaire appartenant à la miême communion!»*)
Sabatier fut donc nommé, mais d'abord seulement comme
« chargé de cours », parce qu 'il ne remplissait pas les condi-
tions d'âge et de grade académique exigées par la loi. Son
installation fut également remise à plus tard. Ce n'est que
le 1^^ février 1869 qu'il put inaugurer son cours de dogma-
tique. Ses débuts ne furent pas faciles. Il possédait la science,
miais il manquait d'expérience. Sa position était d'autant plus
difficile qu'il avait été nommé par le parti orthodoxe. Les
libéraux alsaciens, qui avaient fait des vœux pour la réus-
site de Goy, l'accueillirent avec une certaine froideur. Saba-
tier était pourtant bien décidé à ne point se mettre à la
remorque du parti piétiste, ni surtout du parti ultra-luthé-
rien; il fit voir, dans toutes les occasions, qu'il était et qu'il
resterait indépendant. Dès sa première leçon, indiquant, en
quelques mots, le caractère de l'enseignement qu'il allait
donner, il avait dit : « Ce sera un enseignement de recherche. »
Il ne voulait se borner ni à l'exposition de la dogmatique
traditionnelle ni à celle de sa dogmatique particulière, mais
plutôt s'appliquer à guider ses auditeurs dans la recherche
*) Lettre du ministre Duruy du 21 décembre 1868. (Arch. du Direct.)
LES DEBUTS D'AUGUSTE SABATIER 275
libre et consciencieuse et à former en eux cette foi person-
nelle qui, disait-il, « conserve seule sa valeur aujourd'hui où
l'autorité de la tradition, en tant que tradition, est partout
ruinée et ne pourrait plus être rétablie » '). Et quand, en avril
1870, le jeune professeur soutint sa thèse de docteur sur
r Histoire de la pensée de Paul », Reuss, président de la sou-
tenance, constatait que «la critique avait plus de part à ce
travail, qu'elle n'en avait eu à son histoire de la théologie
chrétienne, qui avait rencontré la contradiction, le soupçon et
même l'antipathie.»
Aussi les doutes que le jeune professeur avait d'abord
inspirés s'évanouirent-ils rapidemient. Après sa première
lieçon publique, le Progrès Religieux, organe du parti libé-
ral, constatait avec satisfaction «qu'un esprit de science
sérieuse et indépendante, en même temps que de foi sincère,
présiderait à l 'enseignement du nouveau professeur », et les
membres de la Faculté, le moment de la nomination défini-
tive à la chaire vacante étant venu, déclaraient, dans une
adresse au ministre, «qu'ils appelaient la nomination de
M. Sabatier de tous leurs vœux, la manière dont il avait inau-
guré son enseignement les ayant convaincus qu'ils trouve-
raient en lui un collaborateur des plus utiles et un collègue
aussi aimable que dévoué. »
Sabatier se fit facilement au nouveau milieu dans lequel
il avait été transplanté'). Hautement estimé de ses collègues
de la Faculté qui rendaient pleine justice à sa valeur scienti-
fique, il était admiré et aimé des étudiants, de ceux-là surtout
qui appartenaient à la tendance conservatrice et qui voyaient
en lui un miaître qui ne le cédait en rien à Cola ni.
La Faculté et le Séminaire avaient donc rajeuni. Des
hommes nouveaux et d'une haute valeur étaient venus combler
les lacunes que la mort avait faites dans le personnel des deux
établissements protestants. Toutes les chaires étaient occupées
par des savants compétents. Sans doute, les différences dog-
matiques qui avaient séparé les professeurs dans certaines
circonstances, surtout quand il s'était agi de pourvoir aux
chaires vacantes, subsistaient comme par le passé, mais elles
^) Voy. Le Progrès religieux, nO du 6 février 1869.
') Voy. Auguste Sabatier à Strasbourg, par Henry Dartigue, dans
la Revue chrétienne, 1908.
18*
276 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
n'empêchaient pas la bonne entente et le travail commun. La
période qui précéda immédiatement la guerre fut, dit Reuss,
« la plus belle que j 'ai vécue relativem^ent aux conditions aca-
démiques. »
III
Jamais, en effet, la Faculté de Strasbourg n'avait été
aussi prospère, non s^eulement par la valeur scientifique de ses
professeurs, mais par le nombre et le zèle de ses élèves. Une
noble ardeur, une puissante émulation régnait parmi eux.
Ecoutons plutôt le témoignage d'un étudiant de cette
époque, de M. le professeur Lobstein *) :
« Ceux qui ont eu le privilège de suivre les cours du Sémi-
naire protestant et de la Faculté de théologie de Strasbourg
pendant l'année scolaire brusquement interrompue par la
guerre franco-allemande, ont gardé une impression inou-
bliable de l'activité intense et féconde déployée par les
maîtres et les élèves de l'Ecole de Strasbourg. Le nombre des
étudiants dépassait la centaine de quelques unités, il y en
avait de toutes les parties de la France. A la veille de la
guerre, Séminaire et Faculté évoluaient d'un mouvement de
plus en plus rapide vers l'absorption de la culture et de la
langue allemandes par la culture et la langue françaises. La
fusion de ces deux éléments s'était faite, sous le second Em-
pire, d'une façon qui accusait la prédominance croissante du
type français. Le nombre des cours allemands, même au
Séminaire, allait diminuant d'année en année. En 1869, le
doyen s 'étant offert à donner, en allemand, un cours d'exé-
gèse sur les épîtres aux Corinthiens, ne trouva qu'un ou deux
^) J'avais prié M. le professeur Lobstein, qui, dans les années qui
précédèrent immédiatement la guerre de 1870, avait été élève de noti-e
Faculté de théologie de me donner quelques détails sur ce qu'étaient, à
ce moment, le Séminaire et la Faculté. M. Lobstein, toujours prêt à
rendre service, ne voulut pas se borner à me fournir quelques indica-
tions sommaires, il rédigea ces pages qui contiennent, avec un aperçu
de l'état des choses d'alors, une caractéristique des professeurs dont il
suivit les leçons. Bien qu'il y ait là quelques répétitions inévitables de
ce qui a été dit dans les chapitres précédents, je n'ai voulu rien
retrancher du pieux hommage rendu par M. Lobstein aux m-aîtres de
sa jeunesse, et rien de ces pages qui sont peut-être les dernières qui
soient sorties de la plume du regretté professeur.
LE CAEACTÈRE BILINGUE DE L'ENSEIGNEMENT 277
auditeurs, en sorte qu'il dut abandonner oe projet; par contre,
son cours de dogmatique , professé en français, réussit pleine-
ment. Des sept ou huit leçons données chaque semaine par
Reuss, deux seulement avaient lieu en allemand. Baum et
Weber, qui d'abord n'enseignaient qu'en allemand, furent
obligés de faire au français une part de plus en plus large.
Schmidt et Lichtenberger professaient exclusivement en fran-
çais, aussi bien que Colani et Sabatier. Sur les vingt-et-une
heures de cours auxquelles on était astreint par semaine, je
n'en ai pas entendu un seul qui fût donné en allemand. Le
cours d'histoire de la littérature de l'Ancien Testament pro-
fessé par Reuss en français, remplissait jusqu'à la dernière
place le gi-and auditoire de Saint- Thomas; le cours d'exégèse
qu'il donnait en allemand, n'arrivait à grouper que dix à
vingt élèves. La Société théologique, présidée par Reuss et
Cunitz, subissait une transformation analogue. La langue
usuelle, celle des procès-verbaux, était l'allemand; mais les
travaux fournis par les membres de la Société éta,ient souvent
des travaux français. Dans ce cas, la discussion se faisait
dans la même langue. Pendant longtemps, la Société Reuss-
Cunitz fut le seul « Séminaire » en vigueur à Strasbourg.
Vers la fin des années soixante, Schmidt institua ime confé-
rence d'histoire ecclésiastique; tous les quinze jours aussi,
Lichtenberger et Sabatier nous invitaient à des « conférences »
sur des sujets de théologie biblique ou systématique; l'un et
l'autre cycle se faisaient en français; les conférences bi-men-
suellos étaient réparties de façon que chaque semaine était
occupée par l'une d'elles, nous étions plusieurs qui faisions
partie des trois sociétés. Même simultanéité des deux langues
dc'ins les exercices de diction et de récitation: Baum dirigeait
les exercices allemjands, Colani présidait aux français; ces
derniers étaient les plus fréquentés.
«Le caractère bilingu<8 de l'enseignement théologique au
Séminaire et à la Faculté ne choquait personne; on le considé-
rait comme normal et résultant naturellement des circons-
tances historiques où se trouvait placée l'Alsace. Si nos
maîtres plus anciens exprimaient parfois le regret de voir
disparaître trop rapidement l'usage de l'allemand, ils n'em-
ployaient pas le terme de «Verwelschung» qu'on prodigua
plus tard; ils payèrent eux-mêmes un large tribut à la situa-
tion qui s'imposait à eux: déjà Reuss avait composé en fran-
278 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
çais sa traduction de la Bible avec introductions et commen-
taires; s^il put publier, après la guerre, dans l'espace de peu
d'années (1874 — 1881), les seize volumes qui composent son
œuvre capitale, c'est parce que la rédaction de ce grand
travail était achevée lorsqu 'éclata la catastrophe de 1870. De
mêrrte Weber, qui s'était appliqué avec autant d'énergie que
de succès à professer en français l'histoire de la philosophie,
put faire paraître au lendemain du traité de Francfort sa
belle «Histoire de la philosophie européene» (1872). D'autre
part, les membres plus jeunes du corps enseignant qui pro-
fessaient uniquement en français n'entendaient nullement
proscrire l'allemand. Dans son discours prononcé à une fête
du Gymnase, le 10 août 1865, Lichtenberger affirma avec une
vigueur et une clarté qui ne laissaient rien à désirer, l'attache-
{ment ^indéfectible des protestants d'Alsace à la Bible de
Luther et au trésor spirituel des cantiques de la vieille Alle-
magne. Dans leurs cours, Colani et Sabatier ne cessaient de
nous rendre attentifs aux publications allemandes; celui-là
nous recommandait chaudement les travaux de Holsten sur
le paulinisme, celui-ci empruntait à Weizsaecker la substance
de ses leçons sur les synoptiques et le quatrième évangile.
« Sans doute, les difficultés de la tâche qui consistait à
pratiquer à la fois le français et l'allemiand n'échappaient à
personne, mais l'obligation qui incombait aux travailleurs,
n'était pas, pour les maîtres et les élèves, une raison d'aban-
donner la mission d'opérer, entre les deux peuples voisins,
un échange salutaire et une médiation féconde; c'était, au
contraire, une sollicitation toujours présente à une œuvre de
synthèse intellectuelle et morale, de pénétration intime et
d'émulation pacifique qui devait tourner au profit mutuel
de ceux qui étaient engagés dans cette laborieuse entreprise.
C'est au milieu d'efforts et de préoccupations pareils que la
guerre de 1870 vint nous frapper comme un coup de foudre
qui répandit parmi les professeurs et les étudiants, parmi les
Alsaciens et les Français de la vieille France, la consternation
et le deuil.
« Le grade de licencié pris à la Faculté des lettres m 'ayant
tenu lieu d'examen d'ascension, je ne possède aucune donnée
directe sur la section de philologie qui servait d'introduction
préparatoire à la section théologique. Je commis la sottise de
suivre pendant mes deux premiers semestres le cours de dog-
OPINION d'un ancien ELEVE SUR LA FACULTÉ 279
matique du doyen Bruch. Sans la base exégétique et histo-
rique indispensable à une étude pareille, j'étais mal préparé
à des leçons qui supposaient des connaissances qui me mian-
quaient encore. Aussi n'en ai-je pas recueilli le fruit que
d'autres pouvaient y trouver. La belle époque du vénérable
doyen était d'ailleurs passée. Il était âgé de soixante-dix-sept
ans. La noblesse et la distinction de sa personnalité comman-
daient le respect. Unissant la gravité à la douceur, il possé-
dait au plus haut degré l'autorité et savait en même temps
gagner et retenir la confiance et la sympathie. Sur ce point
l'impression des étudiants était unanime. Chez les Alsaciens,
la haute dignité ecclésiastique dont Bruch était investi,
rehaussait encore le prestige du doyen.
« J 'ai essayé ùe caractériser ailleurs le savant et le maître
que fut Edouard Keuss, L'action de ce professeur incompa-
rable s'exerça sur ceux-là même qui choisirent un champ de
travail différent de celui qu'il cultiva avec tant d'énergie et
de bonheur.
« Rien de plus solide et de substantiel que les leçons d'his-
toire de l'Eglise professées par Charles Schmidt. Son expo-
sition était d'une clarté et d'une simplicité parfaites; il y
perçait parfois une émotion aussitôt contenue ou un sourire
qui était un jugement. La matière la plus nourrie se tradui-
sait dans une forme succincte et serrée, rendue plus impres-
sive par la modestie du savant et la piété du chrétien.
«Celui qui n'a connu Cunitz que comme professeur l'a
nécessairement méconnu. Dans sa chaire du Nouveau Testa-
ment il était sec, monotone, cassant, inféodé à la méthode et
aux résultats de l'Ecole de Tubingue. Mais aussitôt qu'on
avait franchi le seuil de son cabinet d'études, on se trouvait
en présence d'un autre homme. Aimable et affable, empressé
à rendre service, à vous orienter et à vous conseiller, versé dans
tous les domaines de la théologie, il témoignait à ses visiteurs
un affectueux intérêt, mettant à leur disposition sa vaste et
minutieuse érudition, sa critique singulièrement avertie et
pénétrante, sa bibliothèque qui n'était pas composée unique-
ment d'ouvrages théologiques. Ceux qui ont eu le privilège
d'entrer plus avant dans son intimité, admiraient sa droi-
ture, l'indépendance de son caractère, sa vive sensibilité sous
des dehors austères et froids, le courage dont il fit preuve
pendant sa longue maladie.
280 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
<^ Lichtenberger était par excellence le courtier scienti-
fique, l 'intermédiaire admirablement qualifié de la culture et de
la langue françaises et allemandes. Il apportait à ce travail une
certaine coquetterie, un purisme qui faisait sourire les vieux
Français. Ses cours portaient surtout sur la morale et This-
toire de la morale. Mais il professait aussi la symbolique et
rhistoire de la théologie allemande, cours que les étudiants
avaient baptisé du sobriquet « le mouvement des idées » et
dont il tira, en 1873, les trois volumes de son Histoire des idées
religieuses en Allemagne,
« Au début de l'année scolaire dont nous parlons, le maître
le plus brillant et le plus goûté était sans contredit Timothée
Colani. Il avait définitivement renoncé à la prédication, sa
Revue avait cessé de paraître. Désormais il put consacrer
son temps, ses forces, son talent à renseignement universi-
taire. Par la solidité et la sûreté de ses connaissances, par la
pénétration et la rigueur de sa critique, par la clarté et la
force de son style et surtout par Tautorité avec laquelle il
savait formuler et établir ses conclusions, il subjuguait et
entraînait ses élèves. Il faisait trembler les timides et les con-
servateurs qui essayaient de se défendre contre sa redoutable
dialectique et de se soustraira au danger de son influence.
Les élèves de la section préparatoire célébraient avec enthou-
siasme ses cours sur la littérature française au dix-neuvième
siècle, sur la philosophie de la religion, sur la psychologie et
sur la métaphysique. Ses leçons sur la Vie de Jésus et sur le
Siècle apostolique sont restées gravées dans ma mémoire. A
ce moment-là, j 'ignorais encore combien il était dépendant de
la seconde Vie de Jésus de Strauss et des travaux de l'Ecole
de Tubingue, mais il possédait l'art de faire siennes toutes les
idées qu'il empruntait aux Allemands et de les faire pénétrer
dans l'esprit de ses auditeurs avec une assurance impertur-
bable.
«Pendant le semestre d'hiver 1869 — 1870, le professeur
qui venait d'être appelé à la chaire de dogmatique réformée
(1868), Auguste Sabatier, n'était encore connu que d'un petit
nomlbre d'étudiants, l'éclat du nom de Colani faisait pâlir la
jeune renommée du nouvel élu. Un jour suffit pour faire
sortir de l'ombre la personnalité de Sabatier, qui conquit de
haute lutte la sympathie et l'admiration de la plupart d'entre
nous. Le 9 avril 1870, il soutint sa thèse de docteur en théo-
SABATIEK ET COLANI 281
logie. Sa soutenance qui, on le sait, portait sur V Apôtre Paul,
esquisse d'une histoire de sa pensée, dura près de quatre
heures; le jury était composé de Bruch, de Reuss et de Colani.
L'allocution du doyen ne fit que préluder à la grande bataille.
Les deux autres membres du jury combattirent Vun et l'autre
ridée maîtresse de Sabatier: impossible, disaient-ils, de mar-
quer les trois étapes que le jeune docteur croyait pouvoir
distinguer dans l'évolution religieuse de l'apôtre. Eeuss cita
une série de textes et chercha à renverser, par une exégèse
minutieuse, la thèse dont Sabatier se fit le défenseur; Colani^
éleva et élargit le débat; il essaya de montrer que la genèse
même de l 'évangile paulinien impliquait une révolution immé-
diate et radicale où il n'y avait aucune place pour le progrès
qu'y découvrait son nouvel interprète. Pour étayer sa
démonstration, Sabatier déploya toutes les ressources d'une
science sûre et précise, d'une dialectique vigoureuse et pres-
sante, parfois d'une éloquence qui donnait à sa parole une
chaleur convaincante et communicative. Les auditeurs sui-
virent ce tournoi de plus en plus dramatique avec une atten-
tion passionnée, et chacun dut confesser que dans cette lutte
oii les combattants étaient dignes l'un de l'autre, il n'y avait
ni vainqueur, ni vaincu; mais faire face au double assaut
d'un Reuss et d'un Colani n'était-ce pas déjà un triomphe?
Lorsque le 26 avril, Sabatier fit sa première leçon du semestre
d'été son auditoire avait triplé. Il donna, jusqu'au 16 juillet
1870, trente leçons sur l'enseignement de Jésus; il y repro-
duisait et y développait sa thèse de licence et esquissait
d'avance les principaux traits de son article Jésus-Christ
dans l'Encyclopédie des sciences religieuses.
« Les adeptes de Colani et ceux de Sabatier formèrent
désormais deux groupes distincts. Force fut au premier de
reconnaître que, par la rigueur scientifique et la clarté de
l'exposition, Sabatier ne le cédait en rien à leur miaître pré-
féré. Quant au second, il trouvait chez le nouveau professeur
ce qui manquait à l'intellectualismie de l'éminent critique,,
une émotion de bon aloi qui animait la recherche sans la
troubler jamais et qui, par moments, jaillissait en paroles
sobres mais inoubliables: telle la conclusion de sa leçon sur la
conscience religieuse de Jésus: «c'est sur ce roc que j'ai fondé
ma foi ». Après la victoire allemande et avant la fondation de
la nouvelle Université, Sabatier fit pour la première fois son.
282 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
cours de dogmatique, miais ici nous dépassons les limites de
Tannée dans laquelle je dois me renfermier. Qu'il me suffise
de dire que l 'impression que nous laissa ce cours fut profonde
et ineffaçable; il contenait déjà en germe toutes les qualités
que nous admirons dans les deux volumes du maître: Esquisse
d'une philosophie de la religion eit Les Religions d'cmtorité et
la Religion de V Esprit, »
CHAPITRE III
La guerre de 1870 — Dissolution de la Faculté de théologie
et du Séminaire protestant
La déclaration de guerre du 16 juillet 1870 imposa au
Séminaire de nouveaux devoirs. Il n ^hésita pas un instant à
les remplir dans toute leur étendue. Dès le 18, les professeurs
décidèrent, en considération de la gravité des circonstances
et en prévision des événements qui pourraient se dérouler
dans le voisinage immédiat de la ville, de clore le semestre
d'été et de renvoyer les élèves dans leurs foyers avec tes
recommandations qu'exigeait la situation.
Les examens semiestriels furent remis à plus tard, ainsi
que les promotions. Une dernière soutenance de thèse eut
lieu le 21 à 4 heures du soir, puis les salles de cours et lo
pensionnat de Saint-Guillaume se vidèrent. Salles de cours et
chamhrettes d'étudiants furent mises à la disposition du
Comité de secours protestant pour y recevoir les blessés de
la guerre. L'administration de la fondation de Saint-Thomas
vota un crédit de 5000 francs pour y établir un lazaret.
Ce fut de toutes parts un élan de patriotisme. Les élèves
du Gymnase déclarèrent qu'ils renonçaient aux prix qui leur
étaient destinés et demandèrent que les mille francs prévus
pour cette dépense fussent employés à une œuvre patrio-
tique. Parmi les étudiants, il y en eut qui partirent comme
infirmiers volontaires avec les médecins et les diaconesses;
d'autres prirent le fusil et allèrent se battre sur les champs
de bataille de la Normandie et de la Bourgogne. Ceux qui
étaient restés à Strasbourg se vouèrent aux soins des nom-
284 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOUKG
breux blessés qui bientôt remplirent les salles du Séminaire.
Les professeurs ne s ^épargnèrent pas davantage. Sabatier
était allé se mjettre à la disposition du Comité de secours de
Paris pour organiser, avec quelques-uns de ses élèves, des
ambulances à Orléans, à Troyes, à Bourges et ailleurs. Les
autres professeurs, enfermjés dans la ville assiégée, parta-
gèrent avec la population les damgers et les souffrances du
siège et du bombardement. Bruch et Baum s'étaient, dès le
principe, offerts à porter aux blessés les consolations de la
religion et les visitaient régulièrement. Les autres surent se
rendre utiles d'une autre m'anière. Quelques-uns, sans se
laisser troubler par le bruit du canon, par le fracas des bombes,
par rincendie des maisons, des monuments, des églises de la
ville, continuaient à se livrer à leurs travaux scientifiques.
Mais tous ressentirent douloureusement la catastrophe du
24 août, qui vit s'abîmer dans les flammes, avec le Temple-
Neuf, une partie du Gymnase, la Bibliothèque du Séminaire
et celle de la ville.
Le 27 septembre, Strasbourg, après avoir supporté pen-
dant six semaines un terrible bombardement, capitula. Quelques
semaines plus tard, le 1^^ novembre, les professeurs du Sémi-
naire, réunis en séance, décidèrent de reprendre leur activité
académique. Le 21 novembre, les salles de cours se rouvrirent.
La i)lupart des étudiants alsaciens étaient revenus; les pro-
fesseurs étaient tous à leur poste, à l'exception d'un seul.
Colani avait quitté Strasbourg avant la déclaration de la
guerre, pour aller refaire sa santé dans une station balnéaire.
Il revint après la capitulation de la ville, pour mettre ordre
à ses affaires privées et quitter ensuite Strasbourg à jamais.
Il pria le Séminaire d'accepter sa démission de professeur,
étant décidé à conserver la nationalité française. Le Sémi-
naire pourtant ne voulut laisser partir sans plus son profes-
seur le plus illustre; il lui fit demander de remettre sa déci-
sion jusqu'au moment où la question franco-allemande serait
définitivement réglée, et lui accorda un congé de trois mois.
Ce délai expiré, Colani renouvela sa demande, mais sans
obtenir qu'on y donnât suite. Ses collègues espéraient encore
qu'il changerait d'avis. Mais quand le traité de paix de
Francfort détacha décidément l'Alsace de la France, Colani
fit auprès du Séminaire des instances plus pressantes, et ses
collègues comprirent qu'il n'y avait plus moyen de le retenir.
LA DÉMISSION DU PRESIDENT BRAUN 285
Sa démission fut acceptée, et les membres du Séminaire lui
exprimèrent leurs regrets de voir partir un collègue qui,
durant les six ans qu'il avait appartenu à cette institution,
«lui avait, par son talent d'administrateur, rendu d'éminents
services. » *)
Une autre démission suivit, qui laissa un vide sensible
au Séminaire. Le président Braun avait, immédiatement
après la capitulation de la ville, déclaré qu'il sortirait du
Directoire et, par suite, du Séminaire. Les supplications de
ses amis et de ses collègues le décidèrent pourtant à continuer
provisoirement ses fonctions. Mais aussitôt les préliminaires
de paix signés, iJ adressa sa lettre de démission au ministre
des cultes à Paris, et le lendemain, 10 mars, il cessa de
diriger l'administration de l'Eglise d'Alsace. Quelques jours
après, il prit congé des membres du Séminaire, leur expri-
mant ses profonds regrets «d'être obligé de se séparer d'un
corps avec lequel il avait travaillé pendant plus de vingt ans
en pleine harmonie de pensée et de sentiment. » Le vice-
directeur lui dit, à son tour, les regrets qu'éprouvait le corps
tout entier de cette séparation, et le remercia des preuves de
dévouement qu'il n'avait cessé de donner au Séminaire dans
des circonstances souvent pénibles, ainsi que de la sagesse et
de la bienveillance avec lesquelles il avait dirigé l'administra-
tion de nos fondations.
Après la retraite de Théodore Braun, la place de prési-
*) Cet hommage rendu à r« administrateur » et non au « profes-
seur » peut paraître étrange. Il s'explique par le fait qu'on voulut
réunir dans cette manifestation tous les professeurs du Séminaire et
de la Faculté, même ceux qui étaient opposés à l'enseignement de
Colani.
Sa démission donnée et acceptée, Colani se rendit à Bordeaux
où il remplit un rôle utile aux côtés de Gambetta. Puis, la guerre
terminée, il se retira à Royan et s'intéressa à une entreprise industrielle
dans laquelle il perdit sa fortune entière. En 1876, il vint à Paris ; il
y fonda le Courrier littéraire, dont il . conserva la direction pendant
quelques années. En 1877, il fut nommé bibliothécaire-adjoint à la
Sorbonne; quelque temps après, il devint un des principaux rédacteurs
du journal gambettiste La Réjmblique Française. Il y fit paraître, ainsi
que dans la Nouvelle Revue, à laquelle il collabora, des articles très
remarqués de haute critique politique et littéraire. Son nom marqua
bientôt dans la presse parisienne. Le Temps venait de l'appeler à sa
rédaction, quand il succomba à un refroidissement pris en Suisse, le
3 septembre 1888.
286 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
dent du Directoire et, par conséquent, de directeur du Sémi-
naire, resta inoccupée pendant près d'un an. Ce n'est que
le 14 février 1872 qu'eut lieu l'installation du président Kratz
comme directeur du Séminaire protestant.
II
En attendant, tout au Séminaire était rentré peu à peu dans
l'ornière ordinaire. Tandis qu'en France la guerre continuait
avec toutes ses horreurs et qu'en Alsace les débats relatifs au
sort du pays agitaient violemment les esprits, on y travaillait
en silence. Les professeurs donnaient les cours qu'ils avaient
annoncés pour l'année 1870-1871, quelques-uns en français,
la plupart en allemand. On s'ingéniait à éviter tout ce qui
aurait pu donner lieu à des difficultés. C'est ainsi qu'on
renonça au projet de fêter publiquement le jubilé du doyen
Brucli. 11 y avait, le 21 février 1871, cinquante ans qu'il avait
été nommé professeur au Séminaire, et, dès avant la guerre,
ses collègues avaient discuté la manière de fêter dignement
un homme qui avait, comme aucun autre, bien mérité de
l'Eglise et des institutions protestantes de l'Alsace, et qui
était entouré du respect de tous. On avait pensé organiser
à cette occasion une brillante fête académique, avec discours,
banquet, sérénade aux flambeaux, etc. De pareilles manifes-
tations n'ét<aient plus de saison. On dut se borner à des dépu-
tations qui vinrent saluer le jubilaire et à des adresses de
félicitations et de souhaits, auxquelles vinrent se joindre celles
de nombreuses TJniversités étrangères, suisses, hollandaises
et allemandes.
Au printemps de 1871, la Faculté de théologie rouvrit,
elle aussi, ses cours. Avant la fin de l'été, on donna, en latin,
selon Tancien usage, le programane des leçons du Séminaire
et de celles de la Faculté pour l'année 1871-1872. A la rentrée
de novembre, le chiffre des étudiants immatriculés au Sémi-
naire et à la Faculté se monta à 66, dont 22 pour la section
théologique et 44 pour la section préparatoire. Ils étaient tous
Alsaciens, les Français ne venant plus et les Allemands ne
venant pas encore faire leurs études à Strasbourg.
Dans l'intervalle, deux chaires étaient devenues vacantes
au Séminaire, celle de philosophie par le départ de Colani,
et l'une des chaires de philologie par la mort de Hasselmann,
que la maladie avait enlevé le 18 mars 1871. Il fallut songer
LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE CESSE D'EXISTER 287
à pourvoir à ces deux chaires. Cela se fit sans difficulté:
Alfred We1)er et Emile Heitz, tous deux agrégés au Sémi-
naire, furent promus, le premier à la chaire de philosophie,
le second à celle de philologie, pour lesquelles ils étaient tout
désignés par leurs aptitudes et par les services qu'ils avaient
déjà rendus dans ces branches de l'enseignement. Une troi-
sième chaire devenue vacante par la démission de Lichten-
berger ne fut pas pourvue pour le moment.
Ce n'était pourtant pas renseignement seul qui absorbait
le temps et les forces des membres du Séminaire. La situation
était pleine de difficultés qu'il fallait résoudre. Il s'agissait
avant tout d'établir les pertes matérielles, mobilières et im-
mobilières, causées aux différentes fondations par le bom-
bardement, de fixer les dommages-intérêts auxquels elles
avaient droit et de faire les démiarches nécessaires pour en
obtenir le paiement. Il s'agissait ensuite de faire aux bâti-
ments du Gymnase et dans les maisons appartenant à la fon-
dation de Saint-Thomas qui avaient été atteintes par les
bombes, les réparations nécessaires, et d'entreprendre la
reconstruction des deux presbytères de Sainte-Aurélie
détruits par l'incendie, et celle de l'un des presbytères de
Saint-Nicolas fortement endommagé par les projectiles enne-
mis. Et puis, il y avait les longues et difficultueuses discus-
sions sur les rapports entre la nouvelle Université et la fon-
dation de Saint-Thomas.
Dès le niois de mai, la motion avait été présentée au
Reichstag d'établir une Université à Strasbourg; elle avait
été votée, avec invitation au chancelier de l'Empire de hâter
la réalisation de ce grand projet. Le gouvernement avait pris
la, chose en main et avait chargé l'ancien président du minis-
tère badois, le baron de Roggenbach, de recueillir les rensei-
gnements et d'engager les négociations nécessaires. Le 20 avril
1872 paraissait la loi qui annonçait la création de l'Univer-
sité, et le 1er mai on fêtait son ouverture avec grand bruit.
L'ancienne Faculté de théologie avait depuis quelques
semaines cessé de faire des cours et de délivrer des diplônneis.
Le 20 mars, ses profeseurs s'étaient réunis une dternière fois
pour clore les registres de la Faculté. « Ce fut », écrit Saba-
tier, « une séance funèbre... Nous nous séparâmes comme on
se sépare devant un tombeau. » La Faculté française, après
cinquante ans d'une glorieuse existence, avait cessé de vivre.
Quelques-uns de ses professeurs, crurent de leur devoir
288 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
de se dévouer à la jeunesse alsacienne, ils se déclarèrent prêts
à entrer dans la nouvelle Université. Bruchi'), Reuss ') et
Schmidt ') conservèrent leurs chaires respectives, Baum *) et
*) Bruch, âgé et fatigué, avait d'abord refusé d'entrer dans la nou-
velle Université ; puis, cédant aux instances de ses collègues, qui le
suppliaient de ne pas se séparer d'eux, il avait consenti à faire partie
de la nouvelle Faculté de théologie et, dans la pensée de rendre service
à l'Alsace, il avait même accepté les fonctions de recteur. Il donna
pendant un semestre encore son cours de dogmatique, puis il prit sa
retraite. Bientôt après, il fut assailli par la maladie qui, le 21 juillet
1874, le conduisit au tom^beau.
') Reuss fut nommé doyen de la nouvelle Faculté de théologie. Il
continua ses cours sur l'Ancien Testament, devant un auditoire bien
réduit, jusqu'en 1889, où il prit sa retraite. Dans les dernières années,
son activité fut avant tout littéraire. Il continua la publication des
Œuvres de Calvin et celle de la Bible dont le premier volume parut en
1874, il publia son Histoire des livres sacrés de V Ancien Testament
(Geschichte der heiligen Schriften Alten Testaments) en 1881 et acheva
l'Ancien Testament dans sa Bible allemande. D'autres travaux moins
considérables, parmi lesquels sa mei^eilleuse traduction du livre de
Job (1888), l'occupèrent jusqu'à la fin. — En 1873, il fut nommé représen-
tant de la Faculté de théologie au Consistoire Supérieur. En 1878, il
célébra son cinquantenaire au milieu de ses collègues, de ses élèves et
de ses amis, et reçut, à cette occasion, des adresses de félicitations des
Facultés de Paris et de Montauban, de toutes les Facultés de théologie
de Suisse et d'Allemagne et de plusieurs des Facultés de Hollande, de
Suède et d'Ecosse. Le Séminaire, pour honorer son illustre doyen, fit
placer dans la salle du chapitre de Saint-Thomas une plaque de marbre
avec une inscription latine et y fit suspendre son portrait peint par
Louis Schûtzenberger. Il mourut le 15 avril 1891.
') Schmidt, prit, après quarante années de professorat, sa retraite
en 1877. C'était l'année où fut établie la Faculté de théologie protes-
tante de Paris. Lichtenberger, Sabatier et tous ses amis de France, le
pressèrent d'y entrer et d'y faire revivre les traditions de la Faculté de
Strasbourg. Schmidt avait 65 ans. Il ne put se décider à quitter sa
ville natale et à changer ses habitudes pour commencer ailleurs une
nouvelle carrière. Il resta dans sa vieille maison canoniale de la rue
des Cordonniers, l'ancienne habitation de Jean Sturm, et séparé du
monde, il y continua, vrai bénédictin, à se livrer à ses travaux histo-
riques. Il fit paraître alors son Histoire de VEglise chrétienne au Moyen
Age, 1881, et plusieurs ouvrages sur Strasbourg et l'Alsace. En 1877 déjà,
il avait publié son Histoire littéraire de V Alsace à la fin du XVe et au
commencement du XV/e siècle, il publia maintenant, entre autres, le
Répertoire bibliographique Strasbourg eois jusqu'en 1830. 1892-1894. Il
mourut peu après, en 1896.
*) Baum nommé professeur de théologie pratique dans la nouvelle
Faculté vit son activité universitaire interrompue dès 1873. Frappé
LICHTENBERGER ET SABATIER VONT EN FRANCE 289
Cunitz 0 passèrent du Séminaire dans la Faculté de théologie,
Stahl, Weber et Heitz dans celle de philosophie. Colani avait
donné antérieurement déjà sa démission, Lichtenberger ') et
Sabatier ') imitèrent son exemple, pour entrer au service de
l'Eglise protestante de France.
d'apoplexie, il souffrit cruellement pendant cinq ans et fut délivré par
la mort le 29 octobre 1878.
^) Cunitz continua, avec ses cours d'exégèse du Nouveau Testa-
ment, ses travaux savants. Chargé, dans la publication des Œuvres de
Calvin, de la partie historique, il ajouta à la correspondance du grand
réformateur un Commentaire lumineux et abondant, qui en faisait
une source de renseignements précieux pour la connaissance de cette
époque. Il prit également en main la publication de la nouvelle édition
de VHistoire des Eglises réformées de France, commencée par Baum,
et en fit paraître deux volumes en 1883 et 1884. Repris d'un ancien mal,
en 1886, il succomiba, après de longs mois de souiffrances, le 16 juin, 1886.
Il légua, en mourant, sa fortune entière à l'Université de Strasbourg
avec la stipulation que les intérêts seraient employés en partie à aug-
menter le capital, en partie à faire avancer la science, théologique
surtout, en Alsace et à l'Université de Strasbourg. Sa belle bibliothèque
fut, d'après ses dernières volontés, réunie au fonds dit du Chapitre de
Saint-Thomas, à la bibliothèque de l'Université.
*) Lichtenberger quitta Strasbourg dès le mois d'octobre 1872, pour
se fixer à Paris. D'abord, prédicateur dans l'Eglise luthérienne, puis,
pasteur de l'Eglise Taitbout, il avait, avec son ami Sabatier, conçu le
projet de relever à Paris l'ancienne Faculté de théologie de Strasbourg.
Ce projet fut réalisé, en 1873, par la fondation de l'Ecole des Sciences
religieuses et puis, en 1877, après des démarches auprès de Gambetta,
plus complètement, par la création de la Faculté de théologie protes-
tante à Paris. Lichtenberger fut le premier doyen de la nouvelle Faculté,
il la dirigea pendant dix-sept ans jusqu'en 1894 où, fatigué et malade,
il dut prendre sa retraite. Il mourut bientôt après.
Il avait publié, avec le concours de nombreux savants recrutés de
tous côtés, VEncyclopédie des sciences religieuses, Paris 1877 à 1882.
13 vol. gr. in-8''.
*) Sabatier, après avoir quitté sa chaire à la Faculté, demeura
quelque temps encore à Strasbourg. Il y donnait des leçons dans les
pensionnats de jeunes filles, des prédications au temple réformé et des
conférences publiques dans différentes villes du Haut- et du Bas-Rhin.
Après l'une d'elles, où il avait établi entre la femme française et la
femme allemande un parallèle peu flatteur pour cette dernière, il fut
expulsé du territoire alsacien-lorrain. Il alla à Paris et s'employa avec
Lichtenberger à la création de l'Ecole libre des sciences religieuses et
puis à celle de la Faculté de théologie. Professeur à cette Faculté et,
en même temps, directeur-adjoint de la section religieuse de l'école
des Hautes-Etudes, doyen, après le départ de Lichtenberger, membre
du Conseil de l'Université de Paris et du Conseil supérieur de l'instruc-
19
290 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
III
A la date du 12 avril, le président supérieur des provinces
annexées adressait au Directoire une lettre dans laquelle il
déclarait que, par suite de la création de la nouvelle Université,
le Séminaire protestant avait cessé d'exister en tant qu'éta-
blissement d'instruction, et qu'il s'agissait seulement de régler
à nouveau la question de la fortune administrée jusque-là par
le Séminaire et son emploi partiel pour des buts académiques.
Le président supérieur soumettait en même temps à l'au-
torité ecclésiastique un projet de loi réglant les rapports du
Séminaire avec la nouvelle Université. D'après ce projet, l'ad-
ministration des biens de la fondation de Saint-Thomas
devait passer aux mains d'un chapitre nouvellement constitué.
Dans ce chapitre siégeraient comlme chanoines et jouiraient des
prébendes, à côté du président du Directoire, d'abord, les
anciens professeurs du Séminaire et, plus tard, dix profes-
seurs de l'Université appartenant à la confession protestante
et pris dans les différentes Facultés. Ils seraient choisis sur
une liste de présentation établie par le gouvernement. Quant
à l'administration des petites fondations, elle resterait confiée
à la commission Schenkbecher. Celle-ci comprendrait à l'avenir
quatre membres désignés par les quatre Facultés et deux
membres nommés par le président du Directoire de l'Eglise
de la Confession d'Augsbourg sur la présentation du Conseil
municipal; elle serait présidée par le président du Directoire.
Le Directoire, appelé à se prononcer sur ce projet de loi,
crut opportun de prendre l'avis du Consistoire supérieur et,
avant tout, celui du Séminaire, plus directement intéressé
dans la question.
La discussion, au sein du Séminaire, roula surtout sur
cette question de principe: «Quel est le légitime propriétaire
des T)iens confiés à l'administration du chapitre! » Le profes-
tion publique, attaché à la rédaction du « Temps » et à celle du « Journal
de Genève», il avait une situation officielle élevée et exerçait une
influence considérable. Il mourut le 12 .avril 1901, au moment où il se
préparait à entreprendre un voyage en Egypte et en Palestine. Parmi
ses publications, il faut surtout mentionner à côté de la troisième
édition, très augmentée de son livre: Uapôtre Paul, esquisse d'une
histoire de sa pensée, son Esquisse d'une philosophie de la religion,
1867 (2e éd. 1901), et Les Religions d'autorité et la Religion de Vesprit^
publiée après sa mort, en 1904.
EEUSS SUR LE DROIT DE POSSESSION DU CHAPITRE 291
seur Eeuss, dans un mémoire rédigé par lui au nom du Sémi-
naire, accordait que la disparition du Séminaire comme éta-
blissement d'instruction ne laissait pas de lacune dans le cercle
oii il avait exercé son .action, l'Université, et tout particulière-
ment la Faculté de philosophie, offrant des ressources telles
qu'il était inutile d'entretenir, à côté d'elle, une institution
qui poursuivrait un but analogue; mais ajoutait-il, cela ne
veut pas dire qu'avec l'établissement d'instruction, sa base
matérielle doive passer à l'Université. La fortune de la fon-
dation de Saint-Thomas, disait-il encore, n'est pas, comme
d'aucuns le pensent, propriété de l'Université de l'Empire. Il
est vrai que les revenus de cette fondation, ou plutôt les pré-
bendes qui y existaient, étaient employés à payer les profes-
seurs de la vieille Université sans distinction des Facultés, et
qu'ils sont destinés à faire progresser l'instruction supérieure.
Mais il ne faut pas oublier qu'au fond l'ancienne et la nouvelle
Université sont des établissements très différents l'un de
l'autre, celle-là était une institution exclusivement protestante,
celle-ci n'a pas de caractère confessionnel. Si le chapitre est le
porteur principal du droit de possession, il l'est, pour ainsi
dire, comme représentant moral de l'ancienne république de
Strasbourg qui, dans tous les contrats politiques et actes cons-
titutifs, est désignée comme propriétaire et, dans un certain
sens, comme usufruitier de toutes les fondations protestantes.
L'absorption de la Eépublique strasbourgeoise par un Etat
plus grand a pu rendre douteux ce dernier élément dans la
notion de propriété, mais les déclarations de droit public ne
l'ont jamais étendu au delà des frontières de l'Alsace. Par
contre, le caractère protestant, confessionnel, n'a jamais été
oublié ni contesté; dans toutes les occasions solennelles, au
contraire, dans la paix de Westphalie, dans la capitulation de
1681, dans les lois de l'Assemblée nationale de 1790, et dans
les différents décrets consulaires des années X et XI, il a été
énoncé explicitement et de la façon la plus nette. L'adminis-
tration a donc eu de tout temps un caractère ecclésiastique et
a été placée sous la surveillance de l'autorité ecclésiastique.
Quant à l'emploi de la fortune de la fondation, le rapport
de Reuss critiquait avant tout le passage du projet de loi alle-
mand qui désignait le Séminaire comme établissement d'ins-
truction pour les pasteurs des deux confessions protestantes et
mettait à sa place comme usufruitières des biens de la fonda-
is*
292 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STEASBOURG
tion les Facultés de théologie et de philosophie de la nouvelle
Université. La fondation a de tout temps appartenu aux
protestants de la Confession d'Augsbourg, disait Eeuss, et la
fréquentation des cours de ses professeurs par les étudiants
réformés n'a rien pu y changer. Quant à la Faculté de philo-
sophie, qui est dotée de chaires pour toutes les branches de
la science humaine, elle ne peut élever des prétentions sur les
revenus d'une fondation protestante destinée avant tout à
des buts spécialement protestants.
Le rapport Reuss constatait et approuvait la proposition
de laisser Tadministration des biens de la fondation, comme
par le passé, aux mains du chapitre, sous la surveillance du
Directoire et du Consistoire supérieur. Mais il se prononçait
contre le mode de noniination aux prébendes que proposait le
projet de loi, l'autorité ecclésiastique devait prendre part à
ces nominations; il ne s'agissait pas, en effet, de garantir les
intérêts de l'Université de l'Empire, mais ceux des protestants
d'Alsace.
Le Séminaire approuva à l'unanimité la réponse faite aux
propositions du président supérieur. Un seul passage du rap-
port Reuss, celui qui se rapportait à la cessation du Séminaire
commie établissement d'instruction, souleva, de la part de quel-
ques membres, une vive opposition. Les professeurs Schmidt,
Cunitz et Reussner formulèrent leur protestation en ces
termes :
« Les soussignés, considérant que le Séminaire protestant
de Strasbourg a été jusqu'ici un établissement d'instruction
ecclésiastique dépendant uniquement de l'autorité ecclésias-
tique, et qui, par conséquent, n'aurait pas dû être supprimé
par le gouvernement sans entente préalable avec la dite auto-
rité ecclésiastique, ont demiandé 1" que le mémoire contînt
l'expression d'un regret de ce que la suppression du Séminaire
en tant qu'établissement d'instruction ait eu lieu sans consul-
tation du Consistoire supérieur de notre Eglise de la Con-
fession d'Augsbourg, et 2" que rien n'y fût dit, qui pourrait
impliquer de notre part l'approbation ou la justification de
cette mesure.
«La majorité n'ayant pas cru devoir satisfaire à cette
demande, les soussignés se voient dans la nécessité de pro-
tester contre le passage en question du mémoire, tandis qu'ils
donnent à tout le reste leur entier assentiment. »
UN PROJET DE LOI SUR LA COMPOSITION DU CHAPITRE 293
La Cominission nommée par le Consistoire supérieur pour
examiner Pavis du Séminaire se déclara d'accord avec lui sur
tous les points essentiels. Le Consistoire supérieur, à son tour,
Tadopta dans sa séance du 14 juin 1872, avec quelques modifi-
cations qui portaient principalement sur trois points; il
demandait 1' que les trois pasteurs les plus anciens de Saint-
Thomas, de Saint-Nicolas et de Sainte- Aurélie, qui autrefois
avaient été de droit membres du chapitre et qui avaient tou-
jours joui d'une prébende de Saint-Thomas, fussent rétablis
dans leurs droits antérieurs; 2° qu'on s'entendît sur un mode
de nomination aux prébendes vacantes qui assurerait à l'au-
torité ecclésiastique le droit qu'elle avait légalement exercé
jusque-là, de participer à ces nominations; 3° que les prébendes
accordées aux professeurs de l'Université ne fussent pas
déduites de leur traitement.
Le 30 août 1872, le président supérieur soumettait à la
chancellerie de l'Empire un nouveau projet de loi sur la com-
position du chapitre. Outre le président du Directoire et les
trois pasteurs les plus anciens de Saint-Thomas, de Saint-
Nicolas et de Sainte- Aurélie, ce corps comprendrait sept cha-
noines, à savoir les plus anciens des professeurs ordinaires
des quatre Facultés appartenant au culte protestant, un fonc-
tionnaire supérieur de l'administration, et deux membres
nommés par le Directoire sur la présentation du chapitre. Le
président et les trois pasteurs jouiraient de leur prébende
comme par le passé, les sept autres membres du chapitre n'au-
raient que la jouissance d'une maison canoniale. Les intérêts
de l'Université seraient garantis en ce que la fondation de
Saint-Thomas se chargerait du traitement de six professeurs
de la Faculté de théologie et en plus, de l'entretien de la biblio-
thèque de la Faculté.
Ce projet fut encore une fois discuté le 9 mai 1873 et subit
une dernière modification : les professeurs les plus anciens des
quatre Facultés furent remplacés par les deux professeurs les
plus anciens de la Faculté de théologie, le professeur le plus
ancien de la Faculté de droit et celui de la Faculté de philo-
sophie^
Le projet, établi sur cette base, fut soumis au Conseil
fédéral le 20 septembre 1873 et approuvé par lui sans modifi-
cation essentielle. Après qu'il eut encore une fois été longue-
ment discuté dans la session d'octobre 1873 du Consistoire
294 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOUEa
Supérieur, il fut promulgué comme loi le 29 novembre de cette
même amiée.
Le 19 décembre 1873, à quatre heures de l'après-midi, le
nouveau président du Consistoire supérieur et du Directoire de
PEglise de la Confession d'Augsbourg, M. Kratz, ouvrit, en
présence des professeurs Bruch, Reuss, Schmidt, Stabl, Cunitz,
Reussner, Heitz et Weber — Baum était absent par suite de
maladie — et des pasteurs Heintz, Schaller et Meyer, la pre-
mière séance du chapitre de Saint-Thomas qui, en vertu de la
loi du 29 novembre 1873, succédait au Séminaire protestant
dans l'administration des fondations protestantes. Il reraercia
le gouvernement d'avoir laissé subsister le chapitre de Saint-
Thomas et de lui assurer sa protection, puis il souhaita la bien-
venue aux nouveaux membres. Le vice-directeur donna en-
suite lecture de la loi constitutive et introduisit les trois pas-
teurs admis aux séances du chapitre dans Tordre suivant:
1. Charles-Henri Heintz, pasteur à Péglise Saint-Thomas;
2. Georges- Auguste Schaller, pasteur à Péglise Saint-Nicolas;
3. Charles-Chrétien Meyer, pasteur à Péglise Sainte- Aurélie.
Le Séminaire protestant avait cessé d'exister.
CONCLUSION
Le Séminaire protestant et la Faculté de théologie
avaient cessé d'exister. De ces deux institutions qui avaient
rendu au pays et à PEglise de grands services et s'étaient
acquis un juste renom, l'une avait été supprimée comme
n'ayant plus de raison d'être, l'autre avait été remplacée par
la Faculté de théologie de la nouvelle Université. Cette
dernière, d'abord et tant que les professeurs qui avaient
appartenu à l'ancienne Faculté continuèrent à y exercer leur
activité, conserva, sinon la langue, du moins quelque chose
de l'esprit de l'établissemient français. Il n'en fut plus de
même quand ces vieux maîtres se retirèrent, l'un après
l'autre, emportant avec eux les souvenirs et les traditions de
l'Ecole de Strasbourg, et qu'ils furent remplacés, en grande
partie du moins, par des savants d'outre Rhin. Ceux-ci
n'apportèrent pas seulement les méthodes scientifiques des
Universités allemandes, mais leurs habitudes, leurs mœurs,
leur esprit; ils avaient avant tout pour mission de travailler
à la gernianisation de la jeunesse alsacienne et s'employaient
à cette tâche avec un zèle ardent. Les rares Alsaciens qui
étaient appelés à enseigner à côté d'eux virent dès lors dimi-
nuer de plus en plus leur influence.
De l'ancienne Faculté de théologie, il ne resta bientôt
plus qu'un souvenir pieusement conservé par ceux qui, autre-
fois, avaient suivi ses cours et qui, dans l 'intimité, aimaient
à rappeler son glorieux passé et à évoquer l'image des maîtres
qui l'avaient illustrée. Cependant quelques-uns parmi ces
survivants de l'époque française espéraient quand même et
croyaient que les temps viendraient du rétablissement de la
patrie.
Sans doute, rien ne semblait justifier un pareil espoir.
Les années s'écoulaient, la domination étrangère pesait
296 CONCLUSION
chaque jour plus lourdement sur le pays, les institutions
d'avant la guerre avaient disparu sans retour, la Faculté
française était, semîblait-il, bien nnorte.
Elle ne Tétait pas. Elle attendait le jour de sa résurrec-
tion. La victoire de la France, après quarante-huit ans d'une
douloureuse attente, opéra ce miracle.
En novembre 1919, l'Université française de Strasbourg
était solennellement inaugurée et la nouvelle Faculté de théo-
logie protestante, juste un siècle après la fondation de l'an-
cienne, se trouvait constituée.
Puisse-t-elle, renouant la chaîne qui la rattache au passé,
continuer les hautes traditions léguées par les homtmes de
talent et de cœur qui dirigèrent notre vieille école strasbour-
geoise et l'illustrèrent par leurs travaux!
PIECES JUSTIFICATIVES.
I. Pièces relatives à l'Académie protestante.
1. Loi organique du 18 Germinal an X.
Art. 9.
Il y aura deux académies ou séminaires dans l'est de la France, pour
l'instruction des ministres de la confession d'Augsbourg.
Art. 10.
n y aura un séminaire à Genève, pour l'instruction des ministres des
églises réformées.
Art. 11.
Les Professeurs de toutes les académies ou séminaires seront nommés
par le premier Consul.
2. Articles organiques de PAcadémîe des Protestants
de la Confession d'Augsbourg. 30 Floréal an XI,
Article 1er.
n y aura à Strasbourg une des Académies protestantes déterminées
par l'article IX du Titre 1er des articles organiques sur les cultes protestants
de la Confession d'Augsbourg.
Art. 2.
Les fondations de l'Académie, du Gymnase, des Bourses, Bibliothèque
et Bâtiments de l'ancienne Académie, seront affectées à cette Académie.
Art. 3.
Les charges dont ces fondations étaient grevées précédemment, conti-
nueront à être acquittées.
Art. 4.
L'Académie sera subordonnée au Directoire du Consistoire général de
Strasbourg.
298 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STBASBOURG
Art. 5.
Les Professeurs de l'Académie seront réduits et fixés au nombre de dix,
après les deux premières vacances.
Art. 6.
Le Président du Consistoire général est Directeur né de l'Académie, et
participera, en cette qualité, aux revenus de la fondation de St-Thomas.
Art. 7.
Les Professeurs de l'Académie seront nommés par le Premier Consul,
sur la présentation du Directoire du Consistoire général qui prendra l'avis de
l'Académie.
Art. 8.
L'Académie pourra proposer au Gouvernement des suppléants aux Pro-
fesseurs.
Par le Conseiller d'État
chargé de toutes les affaires concernant les cultes,
Signé: PORTALIS.
Pour copie conforme à l'expédition délivrée par M. Portalis
au Consistoire général de Strasbourg,
L'auditeur au Conseil d'État, Secrétaire général,
Signé: JANZÉ.
3. Premier programme des cours de TAcadémie protestante.
ACADEMIA ARGENTORATENSIS
PRAELECTIONES
PER ANNUM XII REIPUBL. FRANCICAE
A NATIVITATE CHRISTI MDCCCIII ET IV
INSTITUENDAS
fflS QUORUM ID NOSSE INTEREST INDICIT.
LECTURIS
PROFESSORES ACADEMIAE ARGENTOR.
S. P. D.
Quod a tribus propemodum saeculis publica auctoritate Argentorati floruit
institutum ad erudienda iuvenum ingénia et optimis quibusque artibus im-
buenda spectans; ab ipsis fere incunabulis, sub simplici Gymnasii nomine,
insigni studiosorum frequentia jam olim nobilitatum ; inde in Academiae digni-
tatem evectum ; denique Universitatis studiorum titulo et iuribus auctum : illud
ipsum nuper, ex quo per novas Reipublicae Francicae leges, nova inita insti-
tuendae iuventutis ratione, post primam communemque in scholis inferioribus
et in Lyceis puerilium iuveniliumque ingeniorum formationem, singulis quibus-
que artium et scientiarum generibus Spéciales Scholae dicatae sunt, lege lata
die XVIII mensis Germinalis anni Reip. X. decretoque Primi Consulis die XXX
Flor. anni XI. edito, in Academiam, formandis Theologis maxime Augustanae
confessionis destinatam, conversum est. Ex eiusdem decreti formula Professores
I
PROGRAMME DE L* ACADEMIE PROTESTANTE 299
huius Academiae nunc constituti sunt iidem, qui adhuc apud nos literas scien-
tiasque docuere. Successu temporis eorum numerus ad decem Ordinarios redi-
Setur: quibus, prout usus feret, adjungi poterunt publica auctoritate nomi-
nandi viri, qui suam operam cum illorum laboribus consociantes in ordinario-
rum Professorum locum, ut quisque vacaverit, sint successuri.
Quorum fidei curaeque nunc maxime commissum hoc institutum est,
cuius felicia auspicia his quorum id interest indicimus, studium omne nostrum
operamque sedulam eo sumus coUaturi, ut, quaecumque sunt disciplinarum
gênera, quae ad instituendum Doctorem fidei Christianae et ad formandos eos
viros maxime spectant, qui digni sint quorum ex ore sapientia veritasque
Divina hominibus nuncietur commendeturque, earum nuUius addiscendae oppor-
tunitas in Argentoratensi Academia desideretur. Igitur, quum sit consentaneum,
ut, ab humanioribus, quae nominari soient, literis profîciscendo, progressio pau-
latim et iusto quodam ordine fiât ad eas disciplinas quae Diviniorem scientiam
propius attingunt, praeparatis iuvenum ingeniis optimorum Romanorum Graeco-
rumque auctorum lectione, et illustrions omnis antiquitatis cognitione imbutis,
tradentur exponenturque Philosophiae universae, instrumentalis, contemplativae,
moralis, praecepta. His accedet originis atque progressionis cum ipsius Philo-
sophiae et reliquae culturae ingeniorum, tum consociationis hominum civilis
fatorumque universi generis humani historia, et rerum maxime notabilium
apud populos insigniores ab omnibus rétro saeculis ad nostram usque aetatem
gestarum memoria. His doctrinis eruditi instructiqUe iuvenes ad eas disciplinas
progredientur, quibus ipse Theologicorum studiorum propius maxime circulus
absolvitur. Harum disciplinarum aliae sunt, quibus ad reliquas quasi via muni-
tur et aditus panditur. Quo spectat, primum, linguarum earum, quibus con-
signatae sunt sacrae literae, notitia ; adeôque, praeter Graecae linguae scientiam,
Hebraicae etiam et Chaldaicae, et eius, quae ad pernoscendum vetustum ac pri-
dem intermortuum Hebraeorum idioma in primis magnum adfert momentum,
Arabicae. Tum, methodus studii theologici ; historia theologiae literaria ; intro-
ductio historica et critica in libros veteris ac novi Testamenti; veritatis reli-
gionis Christianae adsertio. Jam, quae ad sacrarum scripturarum intelligentiam
proxime pertinent: hermeneutica sacra; rituum veterum Judaeorum et Ghristia-
norum ad sacra pertinentium notitia; ipsorum librorum veteris et novi Testa-
menti interpretatio. Sequitur universa doctrina Christiana in justam disciplinae
formam redacta; quae duabus maxime partibus absolvitur, dogmatica altéra,
altéra morali. Quibus subiicitur, quae polemica Theologia, haud satis quidem
commodo vocabulo, nominari solet; arguere refellereque docens errores verae
saniorique doctrinae oppositos. Coronidem imponet practica Theologia: quo et
artem catecheticam, et homileticam, et prudentiam pastoralem, denique iuris
ecclesiastici scientiam, referimus.
Cunctas istas, quas enumeravimus, disciplinas partim per se ipsi doce-
bunt qui hodie constituti sunt Academiae Professores, partim opéra adiuti non-
nullorum virorum, qui, sicut ad hune diem instituendae iuventuti studium suum
insigni cum laude successuqùe tribuerunt, sic et nunc maxime his, qui in Aca-
demia nostra studiis incumbere voluerint, eamdem operam sunt dicaturi.
Praelectionum Academicarum medio mense Brumali, captis rite publica
solennitate Academiae auspiciis, initium fiet. Scripsimus Argeatorati die
Y. complem. anni XI.
300 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
NOMINA PROFESSORUM
CUM LEGTIONIBUS PER ANNUM XII REIP.
INSTITUENDIS.
Ieremias Iacobus Oberlin per semestre hibernum Ovidii métamor-
phoses, per aestivum Horatii carmina, ex antiquis monumentis declarabit. Fata
litterarum aut orbem antiquum lustrare aut diplomaticis praeceptis imbui
cupientibus operam suam lubens dicabit.
lOHANNES ScHWEiGHAEUSER hibernis lectionibus Platonicos nomiullos
dialogos, aestivis Homericam Odysseam, interpretabitur : in illis doctrinam
veterum Philosophorum ; in bis, mores prisci aevi notaturus. Hebraeae linguae
rudimenta discere cupientibus, aut penitiorem ejusdem cognitionem deside-
rantibus, consulet. Arabicae linguae institutionem Orientalium litterarum stu-
diosis offert.
Christoph. Cuil. Koch historicas disciplinas, quam primum per publicas
functiones licebit, studiosae juventuti tradet.
lOH. Franciscus Ehrmann origines et progressus Philosophiae morum
enarrabit.
LuDOVicus Hbrrenschnetder praemissa in universam Philosophiam
introductione, partem instrumentalem seu logicam explicabit; subjuncturus
aestivo semestri meditationes in partem metaphysicam et quam vocant trans-
cendentalem; addita simul disceptationum in hoc studiorum génère nostra
aetate celebriorum diiudicâtione. lis porro, quorum interest Mathematicarum
scientiarum et Physico-chemicarum potioribus theorematibus imbui, operam
suam spondet.
Thomas Lauth fundamenta Anthropologiae explicabit.
loH. Daniel Reissejssbn Philosophiam practicam docebit.
Georg. Fridericus Weber per semestre hibernum historiam dogmatum
fatorumque ecclesiae Ghristianae a Constantini M. aetate usque ad tempera refor-
mationis enarrabit; lesaiae vaticinia explicabit; docturus quoque theologiam
dogmaticam, Aestivo autem semestri, historiam ecclesiasticam ad nostra usque
tempora continuabit; Theologiam tradet moralem; et librum priorem Samuelis
cursorie illustrabit.
lOH. Laurentius Blessig semestri hiberno homileticam et hermeneu-
ticam sacram docebit, adjunctis illic, pro suggestu sacro ; hic, ex locis sacrae
scripturae illustribus, exercitiis. Historiam Theologiae catecheticae, sive institu-
tionis iuvenilis universae, addet. Semestre aestivum examinatorio dogmatico,
rébus liturgicis, et quae ad ipsum munus pastoris ecclesiae pertinent, dicabit :
simul et historiam doctrinae de Deo, anima, mundo, ex philosophorum et theo-
logorum decretis, enarraturus. Societas theologica, scribendi, excerpendi, argu-
mentandi exercitiis, commilitonibus porro patebit.
ISAACus Hafner semestri hiberno criticam sacram docebit; Acta Apos-
tolorum interpretabitur, addita introductionis loco historia ecclesiastica primi
ANNONCE DES COURS POUR L'AN XII 301
saeculi. Aestivo semestri Theologiam dogmaticam tradet; dicta classica scrip-
torum Johannis Apostoli exponet. Elegantiorum literarum studiosis theoriam
pulcrarum artium et humaniorum literarum, quam Aestheticam vocant, offert.
lOHANNES Daniel. Braun priori semestri, origines et fundamenta iuris
ecclesiastici ; altero, ius ipsum ecclesiasticum expositurus est.
lOH. Iacob. Spielmakn tuendae sanitatis principia in usum theologorum
docebit.
Commodissimae cuique lectionum cursui horae, cum a Pro f essor ibus, tum
a Lectoribus, qui operam suam cum illis consociaturi sunt, sigillatim e valvis
Academicis indicentur.
Juvenes, qui in Academia studiis operam dare voluerint, apud Rectorem
Academise in hune annum a collegis constitutum, loh. Daniel Braun, nomina
sua profitebuntur et in Album Academiae inscribent.
Bibliothecarum publicarum usus studiosorum commodo patebit diebus
Martis, lovis et Saturni hora secunda ad quartam.
II. Pièces relatives à la création de la Faculté de théologie.
1. Lettre de M. Koch à M. CiiTîer.
(La copie de cette lettre se trouve aux archives du Directoire.)
Strasbourg le 18 I^ov. 1808.
A Mr CuviER, Secrétaire perpétuel de la première classe de
l'Institut des Sciences, lettres et Arts, membre du Conseil de
l'Université Impériale et de la Légion d'honneur.
Vous me permettrés, Monsieur et cher Collègue, la liberté que je prends
aujourd'hui de recourir à vous, comme à un ange tutélaire, dans une circons-
tance où nos intérêts religieux que j'ai soutenus de mes faibles moyens pen-
dant tout le cours de la révolution, me semblent péricliter de nouveau. Vous
n'ignorés sans doute pas que notre ancienne Université a été changée par
Arrêté consulaire du 30 floréal XI en Académie ou Séminaire pour l'instruc-
tion des Ministres de la Confession d'Augsbourg en exécution de l'art. 9 de la
loi du 18 Germ. X relative à l'organisation des Cultes Protestans; que comme
Séminaire elle a été subordonnée au Directoire du Consistoire général et par
lui au Ministère des Cultes, et que tous les fonds et bourses de l'ancienne
Université, à la vérité beaucoup rognés par les événemens de la révolution,
ont été appliqués, par cet Arrêté, à la nouvelle Académie ou Séminaire.
Cette considération a engagé notre Directoire à s'adresser, par une
lettre datée du 14 Oct. dernier et par une note explicative, dont copies ci-
jointes, à S. E. le Ministre des Cultes, comme à son autorité supérieure et
immédiate, pour lui soumettre les doutes que lui présentait le décret du 17 mars
dernier relatif à l'Université impériale, et pour en demander la solution à son
Excellence.
Un de ces principaux doutes se rapporte à la déclaration exigée par
l'art. 13 du décret du 17 sept., pour savoir si les professeurs de notre Sémi-
naire ou Académie seront dans le cas de la faire. Il nous a paru que non,
par les motifs que le Directoire expose dans sa lettre au Ministre. On nous
assure que Mrs de l'Académie de Genève ont fait cette déclaration; mais je
vous observe, Monsieur, que ces Mrs sont dans une toute autre catégorie que
nous, puisqu'ils ne se sont jamais formés en Séminaire ni mis en règle vis-à-vis
le Ministre des Cultes; ils ont persisté à vouloir garder leur ancienne organi-
sation, au lieu que nous avons changé la notre et réduit à dix le nombre de
nos professeurs.
LETTRE DE KOCH A CUVIER 303
Quant à l'art. 38 du Décret du 17 Mars qui prescrit pour base de l'en-
seignement les préceptes de la religion catholique, il a paru, comme vous
verres, Monsieur, à notre Directoire que cet article exigeoit nécessairement une
déclaration officielle de la part du Gouvernement, attendu qu'il cause dans tous
ces païs-ci, où, comme vous le savés, l'Ultramontanisme est encore dans toute
sa force, et nommément à la campagne, une agitation extrême, les catholiques
soutenant hautement que les protestans en général seront obligés de se faire
catholiques, et les protestans, même les plus raisonnables, croyant au moins
y entrevoir un projet de réunion des différens cultes chrétiens; cette dernière
opinion étant d'ailleurs accréditée par les nombreux écrits qui paroissent d'un
jour à l'autre sur cette matière.
Il y a maintenant près de cinq semaines que le Directoire a expédié
sa lettre au Ministère des Cultes et qu'il en a aussi donné communication à
S. E. le Grand-maître, sans que jusqu'à présent il lui soit parvenu aucune
réponse ni de l'un ni de l'autre Ministère. Cependant le tems presse et nous
serions au désespoir d'être soupçonnés de la moindre répugnance à nous con-
former aux intentions du Gouvernement dès qu'elles nous seront bien claire-
ment connues.
Une nouvelle difficulté. Monsieur, que le Directoire n'avoit pas prévue
lorsqu'il s'est adressé au Ministre des Cultes, s'est élevée depuis. On étoit
généralement ici dans la persuasion que la faculté de théologie de Strasbourg
dont parle l'art. 8 du décret du 17 Mars et l'art. 6 de celui du 17 Sept, dernier
regardoit notre culte et que ce n'étoit que par pure méprise, ainsi qu'il est
déjà arrivé souvent, que le terme de religion reformée a été employé dans le
dit décret du 17 Mars. C'est en conséquence que le Directoire n'a pas hésité
d'adresser, il y a déjà une couple de semaines, à S. E. le Grand-maître une
liste de candidats pour la nomination des membres qui doivent former notre
faculté de Théologie. Nous apprenons aujourd'hui que le Consistoire réformé
de notre ville, en se prévalant des propres termes de l'art. 8 du décret en
question, a aussi envoyé au Grand-maître sa liste de présentation pour la
faculté qu'il croit destinée à ceux de son culte. Cependant les réformés sont
extrêmement dans ces départemens-ci (sic), où ils n'ont aucune fondation^
tandis que le ressort de notre Consistoire général embrasse huit Départements,
savoir : Haut et Bas Rhin, Haute Saône, Doubs, Meurthe, Vôges, Moselle, Seine
ou Paris, avec trente trois Eglises Consistoriales, chacune de six mille âmes.
Il est d'ailleurs à craindre que les réformés, s'ils dévoient réussir, cherche-
roient, ainsi qu'ils l'ont donné à entendre, à se faire assigner sur nos fon-
dations, qui déjà suffisent à peine aux charges dont elles sont grevées.
Vous sentes bien, M., que tout cela ne peut qu'ajouter à nos alarmes.
Elles sont d'autant plus vives que nous ne connoissons personne à Paris, si ce
n'est pas vous, qui ait la volonté ou le crédit nécessaire pour soutenir nos
intérêts auprès du Gouvernement. Nous n'avons ni Sénateur, ni Conseiller
d'Etat ni membre du Corps législatif qui soit de notre culte.
Le respectable Mr Darbaud, chef de la division des Cultes protestans au
Ministère, n'ose plus élever la voix en notre faveur. Cet homme juste et intègre
qui jouissoit de toute la confiance de feu W Portails, a été noirci auprès de
son successeur, comme étant un homme dévoué à nos intérêts dont il falloit
se méfier.
Vous, Monsieur et cher Collègue, vous êtes membre du Conseil de l'Uni-
304 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOUEG
versité impériale; vous jouisses d'une considération justement méritée et due
à vos rares talens, et ce qui plus est, vous êtes pénétré de la pureté de nos
principes et de leur importance pour le progrès des lumières. Sachant aussi
que vous aimés beaucoup à obliger, nous osons nous flatter que, dans la
situation embarrassante où nous nous trouvons, vous voudrés bien venir à
notre secours et prendre notre défense, soit auprès du Ministère des Cultes,
soit auprès de S. E. le Grand Maître, ou, ce qui seroit encore plus désirable,
auprès des deux Ministères.
Vous ne douterés pas, Monsieur, de la vive reconnaissance que nous
vous aurions
Je suis
2. Extrait d'aue lettre de M. Eoch à M. Darlbaud.
(La copie de cette lettre se trouve aux archives du Directoire.)
Str. le 29 Nov. 1808.
J'ai lu avec un vif intérêt votre chère lettre du 25 du courant et le
mémoire dont elle étoit accompagnée et dans lequel vous montrés d'une
manière aussi claire que saillante les défauts du Décret impérial du 17 Mars.
En effet, la loi ayant formellement consacré la liberté des cultes que la
saine raison, d'accord avec la politique et l'intérêt de l'Etat commandent à un
grand Empire, il ne falloit pas, dans un Décret de la nature de celui dont
s'agit, faire semblant d'ignorer qu'il y a différens cultes autorisés en France;
aussi, en y admettant par ce décret une exemtion en faveur des Séminaires
catholiques, il ne falloit pas passer sous silence les Séminaires protestans ; de
même en établissant dans l'Université impériale des facultés de théologie (que,
par parenthèse, on auroit beaucoup mieux fait de laisser entièrement dehors, car
l'expérience des siècles a prouvé que c'est les facultés de théologie qui ont gâté
les anciennes universités et nui essentiellement aux progrès des lumières) et
en accordant trois de ces facultés aux Réformés, il ne falloit pas oublier les
Protestans de la Confession d'Augsbourg ; quoique nous soyons ici bien con-
vaincus que dans l'intention des rédacteurs du Décret la faculté de Strasbourg,
dont il y est question, nous concernoit proprement; enfin, en ordonnant à
tous les membres de l'Université impériale de prendre pour base de leur
enseignement les préceptes de la religion catholique, en en faisant même une
clause du serment, il falloit au moins excepter de cette disposition les pro-
fesseurs des facultés protestantes
3. Bases d'un Concordat préparatoire et préalable à l'organi-
sation de la faculté de Théologie Protestante de l'Aca-
démie de Strasbourg.
(Arch. du Directoire.)
La faculté de Théologie Protestante de l'académie de Strasbourg sera
•composée de cinq professeurs, savoir, trois de la Confession d'Augsbourg et deux
du culte réformé ; et de cinq adjoints, dont trois appartiendront à ce dernier culte.
Quoique le raprochement qui existe entre les formes et le fond de ces
deux cultes permette de leur attribuer un établissement commun, il ne s'en
305
suit point qu'ils ne doivent pas rester séparés, soit à Tégard de quelques-uns des
objets de renseignement, soit, et surtout, sous le rapport de la conservation
exclusive des fondations et des places dont jouissent les Protestans de la
Confession d'Augsbourg en conséquence de la Réformation luthérienne; objets
sur lesquels les réformés déclarent solennellement n'avoir ni ne prétendre à
aucun droit.
La fusion des intérêts des deux cultes dans une seule faculté consistera
principalement dans la possibilité qu'acquerront les etudians reformés de fré-
quenter les leçons des Professeurs Luthériens sur les objets d'instruction com-
mune, et d'entrer aux mêmes conditions que les etudians Luthériens dans le
pensionnat de St-Guillaume, où ils seront soumis à la discipline de ce collège ;
enfin, les attestations ou certificats d'études ne seront accordés aux etudians
reformés par leurs Professeurs, que lorsque ces élèves auront produit ceux des
Professeurs Luthériens dont ils auront fréquenté les cours ....
Les actes solennels de la Faculté de théologie pourront être par leur
nature ou communs ou spéciaux.
Pour les actes communs la faculté entière sera réunie dans le local
ordinaire des séances de l'Académie protestante.
Pour les actes spéciaux les Professeurs Luthériens conserveront leur local
ordinaire; les reformés se réuniront dans leur Temple.
Les cours des Professeurs reformés seront donnés dans un local dont
jouiront à titre de loyer les individus professant leur culte.
4. Déclaration du Directoire sur un projet de conyention pour
la réunion en une seule et même faculté des deux cultes
de la Confession d'Augsbourg et helvétique.
(Arch. du Directoire)
Le Directoire du Consistoire général de la Confession d'Augsbourg ayant
mûrement délibéré sur un projet de convention pour une seule et même faculté
des deux cultes de la Confession d'Augsbourg et helvétique, projet qui a été
rédigé par MM. les Inspecteurs généraux de l'université impériale, à leur
dernier séjour en cette ville, déclare ce qui suit :
l** Qu'il ne voit pas volontiers cette réunion qu'il regarde non seulement
comme contraire à Tesprit de la loi sur les cultes, qui a donné des organisa-
tions différentes aux deux cultes, mais aussi comme pouvant, tôt ou tard,
prêter matière à jalousie et à dissension entre ces cultes;
2*^ Que néanmoins si S. E. le Grand-maître et le Conseil de l'université
impériale desiraient réellement cette réunion, le D^e est bien éloigné de vouloir
s'y opposer ; mais il ne peut nullement admettre les cinq adjoints du projet, qu'il
regarde plutôt comme tout à fait surabondans, tant pour ceux de sa commu-
nion que pour MM. les Réformés, attendu que toutes les matières propres à
former des ministres éclairés des deux cultes, lesquelles ne se traiteraient pas
dans la faculté de théologie, continueront à être enseignées au Séminaire de
notre confession, qui, soutenu, comme il est, par ses propres fonds, ne cause
aucuns frais au Gouvernement ; que rien aussi n'empêche que les etudians
réformés ne puissent profiter de ce même enseignement ; qu'en accordant au
20
306 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
culte réformé deux professeurs et trois adjoints pour la faculté, on pourrait
également leur accorder une faculté de théologie particulière et séparée de la
notre; qu'une faculté de théologie protestante composée de dix professeurs ou
adjoints, pourrait, tôt ou tard, servir de motif pour toucher au Séminaire de notre
confession, tel qu'il a été organisé par l'arrêté consulaire du 30 floréal XI ; insti-
tution au maintien de laquelle le Dre ne peut qu'attacher la plus haute im-
portance ;
30 Qu'en se prêtant à la réunion projetée de trois professeurs de la confes-
sion d'Augsbourg et de deux du culte réformé en une seule et même faculté,
à l'exclusion des adjoints, le D^e ne pourra, dans aucun tems, admettre les
professeurs réformés à participer aux revenus des fondations que les protestans
de la confession d'Augsbourg doivent à la prévoyance de leurs ancêtres, et dont
la jouissance exclusive leur a été assurée par toutes les loix existantes tant
anciennes que modernes;
40 Que le Dre, traitant au nom des 33 églises consistoriales de son arron-
dissement, ne peut entrer en traité sur l'objet de cette réunion avec le seul
président du consistoire local réformé de cette ville, que pour qu'une conven-
tion de cette nature qui tient essentiellement à l'opinion religieuse, soit vrai-
ment préparatoire, ainsi que MM. les Inspecteurs généraux le désirent, et
qu'elle puisse avoir un effet quelconque, il est indispensable que toutes les
églises consistoriales allemandes du culte réformé, situées sur la rive gauche
du Rhin, ou au moins le plus grand nombre de ces églises y donnent, avant
tout, leur adhésion.
C'est dans ces vues que le D^e propose le projet de convention suivant:
1) La Faculté de théologie protestante de l'Académie impériale de
Strasbourg sera composée de cinq professeurs, dont trois de la confession
d'Augsbourg et deux du culte réformé.
2) Les étudians du culte réformé seront tenus de prendre le grade de
bachelier ès-lettres, de la même manière que ceux de la Confession d'Augsbourg.
3) Les étudians du culte réformé pourront fréquenter les leçons des pro-
fesseurs de la Confession d'Augsbourg, tant de ceux de la faculté de théologie
que de ceux du Séminaire de cette confession, à l'exception néanmoins des
matières théologiques que les églises réformées jugeront à propos de réserver
à l'enseignement privatif des professeurs de leur culte.
4) Les mêmes étudians seront reçus dans le pensionnat de S.-Guiilaume
aux mêmes conditions que ceux de la Confession d'Augsbourg y sont admis,
c. à d. ils seront soumis à la discipline de ce pensionnat, et payeront, pour leur
entretien, une somme annuelle de 450 fr.
5) Les matières réservées à l'enseignement des professeurs du culte
réformé seront les suivantes : . . .
6) Le Dre assignera aux professeurs du culte réformé un local conve-
nable pour leurs cours particuliers, et cela sans loyer.
7) Les étudians réformés seront assujettis aux examens des professeurs
de la Confession d'Augsbourg dont ils auront suivi les cours,
8) Les certificats d'études seront donnés par toute la faculté aux étu-
dians de l'un ou de l'autre culte.
9) Mais les actes solennels, tels que pour la concession des grades, la
faculté entière se réunira dans le local qui sera affecté à ces actes.
DÉLIBÉEATION SUR LE PROJET D'UXE FACULTE MIXTE 307
10) Pour les actes spéciaux, les professeurs de chacun des deux cultes
se réuniront séparément dans leur local ordinaire ou dans leur temple respectif.
11) Les professeurs du culte réformé ne pourront, en aucun tems, pré-
tendre participer aux revenus des fondations qui sont exclusivement affectées
aux protestans de la Confession d'Augsbourg, en vertu de toutes les lois tant
anciennes que modernes.
12) Cette convention ne pourra avoir son effet que lorsque le plus grand
nombre des églises consistoriales allemandes du culte réformé, de la rive
gauche du Rhin, y auront donné leur adhésion; elle sera signée par le Direc-
toire et approuvée par S. E. le Grandmaître de l'Université impériale.
5. Délibération des Professeurs sous-signés sur le projet d'une
Faculté théologique composée de membres de la Confes-
sion d'Augsbourg et helvétique.
(Arch. du Dir.)
Après une discussion ample et détaillée sur les bases, la composition
et les conséquences d'une telle réunion ... les professeurs ont cru ne pouvoir
mieux faire, que de prendre pour base le projet de déclaration que le patrio-
tisme a inspiré à M. le professeur Koch, au nom du Directoire.
Cette déclaration indique trois points de position, de manière que si
l'on est délogé du premier, on se replie sur le second et s'il le falloit sur
le troisième.
Notre vœu unanime conçu et arrêté sans la moindre nuance ni diver-
gence d'opinion, est de nous maintenir de toutes nos forces au premier point,
de ne nous laisser ramener au second qu'à notre corps défendant et d'éviter le
troisième par tous les moyens qui peuvent être en notre pouvoir.
I. Nous souhaitons donc, ainsi que l'énonce M. Koch, que le D^e veuille
déclarer franchement et expressément, qu'il ne voit pas volontiers cette réunion
par les deux raisons indiquées no 17 du projet du Dre. H y a plus d'une con-
sidération qui vient à l'appui de cette détermination.
1) La première idée des Réformés eux-mêmes se bornoit au vœu de
faire participer à leurs élèves en théologie l'instruction qui se donne ici aux
nôtres et d'avoir en sus un professeur en théologie de leur culte, pour enseigner
ce qu'on appelle les dogmes distinctifs de leur confession pour en faire subir
l'examen aux candidats et pour leur conférer l'ordination. Cette idée est sage et
non seulement très pratiquable, mais pratiquée de fait et mise à exécution à
Gœttingen où le pasteur réformé donne des cours aux élèves de sa commu-
nion, de même que le curé catholique, sans que ni l'un ni l'autre ne soyent
membre de la Faculté luthérienne. Il en est de même à lena, d'après une fon-
dation immédiate de notre empereur. C'est ainsi que le but peut être parfaite-
ment rempli, sans le moindre ombrage et sans aucune friction.
2) Il est d'autant plus raisonnable de revenir et de s'en tenir à ce point
unique, que sans cela les Réformés cessent d'être conséquents. Regardent-ils
réellement leur théologie comme coïncidente avec la nôtre, et partons-nous des
20*
308 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOUEG
mêmes principes les uns et les autres, un Professeur séparé est donc une
surabondance les choses prises à la rigueur; ou au moins un seul professeur
leur suffit, encore est-il là par la forme plus que pour le fond. Si, au con-
traire, il y a diversité essentielle entre les deux systèmes, il leur faudrait au
moins trois ou quatre professeurs, et ces professeurs à élémens disparates des
nôtres, ne pourroient donc pas se fondre ni se réunir avec nous.
3) L'hypothèse d'un seul professeur réformé présente encore le double
avantage, d'écarter d'un côté toute sollicitude et d'épargner des frais au gou-
vernement. Le Pasteur Réformé feroit les fonctions de Professeur, et jouiroit
en cette qualité d'une augmentation de traitement.
IL Ce n'est que malgré nous que nous reculons au second poste, c. à d.
à une Faculté de théologie réformée à établir ici ; et dans cette supposition,
nous souscrivons avec plaisir à la seconde proposition de M. Koch : Faculté
particulière et séparée de la nôtre et encore sans aucuns adjoints, dont les
fonctions so trouvent pleinement remplies par les autres Professeurs de
notre Séminaire.
Il faut le dire sans réserve comme sans aigreur : Seroit-il juste que les
chrétiens Réformés jouissent à eux seuls et sans aucun partage de 5 Profes-
seurs en théologie à Genève et de 10 à Montauban et que les Luthériens
n'eussent dans tout l'empire qu'une Faculté mi-partagée? — D'ailleurs quoi
que l'on fasse pour stipuler par des clauses et des réserves la possession in-
tacte de nos fondations, la nature des choses, le désir inné à l'homme d'agran-
dir son domaine, nous entraînerait tôt ou tard vers Fécueil que nous nous
efforçons d'éviter. L'expérience du passé peut nous servir ici de leçon ; l'ex-
tension progressive qui vient de nous être communiqué, n'est-il pas une prédic-
tion très intelligible des arrondissemens et des ampliations dont il renferme
le germe, même sans aucune arrière-pensée de la part des hommes très et^ti-
mables qui aujourd'hui se mettent en avant.
La fusion de la Faculté améneroit inévitablement la fusion des facultés,
des fonds et des propriétés.
Rien de si désirable, de si digne et de si heureux que l'union si elle
s'opère d'elle-même, sans aucune vue personnelle. Dès que l'on parle, que l'on
traite de l'union ou de la réunion, c'est un marché, une transaction, où chaque
partie vise aux plus favorables conditions pour elle-même. C'est ainsi que du
sein de ces Pacifications a toujours pullulé la division et la discorde. C'est
pour être bien unis de cœur que nous desirons vivement et que nous en
adressons ici expressément notre vœu au vénérable Dre, de n'être jamais unis
et fondus en une même Faculté.
III. Puisque telle est notre intime et unanime conviction; nous serions
en opposition avec nous-mêmes, si nous nous occupions des moyens de pré-
parer et de réaliser cette réunion. Si, contre notre vœu, le Grand-Maître ou
le Gouvernement (et non des Particuliers) desiraient réellement cette réunion,
comme s'exprime M. Koch d'une manière très mesurée, alors, sans doute, il
ne nous conviendroit plus de témoigner de l'opposition. Dans cette supposition
et sur une invitation directe, nous sommes prêts à présenter au Dre nos vues
sur la répartition des cours, sur les examens et actes académiques.
Pour ne pas être entièrement négatifs, nous finissons par souscrire en-
tièrement à la réception des élèves Réformés à notre Pensionnat, aux mêmes
URGENCE d'une rACULTE DE THÉOLOGIE 309
conditions de pension et de discipline comme les nôtres. Cet article est déjà
en plein exercice depuis longtemps.
Enfin, comme le porte le dernier article de M. Koch, nous sommes en-
tièrement de l'avis qu'une convention de cette nature devroit être signée par
toutes les églises consistoriales du culte réformé.
Ont signé :
Strasbourg, 5 août 1811.
Les professeurs
Weber
Blessig
Haffner
Dahler
Fritz.
6. Bapport au Directoire sur les considérations qui peuvent
nous faire désirer la prompte création d'une Faculté de
théologie Protestante à Strasbourg.
(Arch. du Dir.)
Le 15 de ce mois se sont réunis spontanément chez le sous-signé
MM. les professeurs en théologie Haffner et Fritz : ensemble MM. les professeurs
Schweighseuser, Herrenschneider et Dahler, pour délibérer sur la convenance
et l'urgence d'une Faculté de théologie protestante à Strasbourg.
Je croix ne pouvoir mieux faire que de mettre sous les yeux du Direc-
toire, en forme de procès-verbal de notre conférence, les différentes considé-
rations qui y ont été exposées, et de prier le Directoire de nous guider de ses
lumières et de vouloir faire, comme notre Tuteur, les démarches qui lui
paroitront convenables.
Tous les professeurs présens sont partis d'un point de vue général:
c'est que si la solution du problème dépendoit de nous en particuher, ou si
la chose étoit res intégra, rien ne nécessiteroit une démarche instante et
pressée, vu que ce n'est pas à nous à provoquer une mesure, qui, d'un côté,
doit être générale, et qui de l'autre est de nature à laisser entrevoir telle
possibilité de conséquences pour l'intégrité de notre Séminaire, qui du moins
pourroient nous conseiller d'attendre en repos et de recevoir avec respect les
dispositions législatives, qui pourroient nous être transmises en son tems.
Mais ce n'est pas là la situation dans laquelle nous sommes placés.
Une Faculté de Théologie Protestante à Strasbourg est décrétée depuis long-
tems. M. Cuvier arriva ici, il y a dé)à deux ans, chargé de l'organisation de
cette Faculté. Avant quatre ans déjà le Directoire addressa à S. E. la triple
liste des candidats pour cette Faculté; liste qui demande aujourd'hui des
changements essentiels. Enfin, et cette considération a paru décisive et péremp-
toire, les dernières instructions de S. E. le Ministre des Cultes, qui fixent les
grades de Bachelier non seulement es Lettres, mais en Théologie, supposent déjà
ou rendent nécessaire l'établissement d'une Faculté de Théologie, à moins d'ex-
310 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
poser nos élèves à nous quitter, pour chercher à Bremen les grades dont nous
ne pourrions pas les pourvoir.
Une considération suhsidiaire présente les avantages naturels et l'accueil
favorable auxquels peut s'attendre celui, qui fait lui-même une démarche franche
et spontanée, et qui, par là même, peut se ménager plus d'ime convenance
locale et personnelle.
Par rapport au mode de demander la création de la Faculté, les Profes-
seurs estiment, sauf meilleur avis, que la marche la plus naturelle pourroit bien
être celle-ci : dans une lettre à Mgr. le Grand-Maître, le Dre lui rappelleroit la
triple liste, envoyée dès 1809; on proposeroit une Faculté de la Confession (TAugs-
bourg composée de quatre membres, vu que cette Faculté est la seule sur toute
la ligne du Rhin et pays adjacens, et que par un article des Statuts de l'Uni-
versité impériale le nombre des professeurs peut être augmenté, si celui des
élèves augmente, ce qui a notoirement lieu à Strasbourg ; les quatre professeurs
mis en première ligne seroient MM. Blessig, Haffner, Fritz et Dahler. M. Weber,
émérité pourroit être recommandé pour le titre d'Honoraire. Moyennant ces
arrangemens, la Faculté de théologie à Strasbourg seroit dès à présent à même
de remplir avec exactitude les intentions du Grand-Maître et les ordres de S. M.
Cette lettre du Directoire, qui pourroit mentionner les états de service
dans l'enseignement théologique des Professeurs proposés, seroit adressée à
M. Cuvier, avec une lettre d'accompagnement pour lui, et la prière de nous
indiquer les modifications ou additions qu'il pourroit trouver convenables.
On ne chôme sûrement pas de la part de tel ou autre. Il semble donc
prudent de ne pas se laisser prévenir.
Strasb. 28 Sept. 1813. . j ^^x ^ i •
^o Kjci. j-v^xc». ^^ jj^^ ^^ j^^g collègues et le mien
Blessig.
Résol. (Séance du 5 Cet. 1813). La demande d'une faculté de théologie
protestante de la Cf. d'Augsbourg à Strasbourg sera de nouveau faite à S. E. le
sénateur Grand-Maître de l'Université impériale — Les 12 candidats (voy.
dans la lettre adressée au Grand-Maître (seront présentés à S. E. pour les
i chaires de la faculté. Il sera également écrit à M. Cuvier, conseiller titu-
laire de l'Université impériale. Silbermann.
7. Lettre du président du Directoire à son Excellence Monsieur
le Comte de Fontanes, Sénateur, Grand-Maître de l'Uni-
versité Impériale, Commandant de la Légion d'honneur.
Membre de l'Institut.
(Arch. du Dir)
Strasbourg le 11 Octobre 1813.
Monsieur le Comte,
Le neuvième des articles organiques des cultes protestans porte, qu'il
y aura deux Académies ou Séminaires dans l'Est de la France pour l'instruc-
tion des ministres de la Confession d'Augsbourg. L'une de ces Académies a
été organisée à Strasbourg, chef lieu du C^e général de la dite confession pour
les départemens du Haut- et du Bas-Rhin, de la Haute-Saône et autres, et son
Directoire y réside. L'autre n'a pas été établie. Les jeunes gens qui se des-
LE DIRECTOIRE DEMANDE QUATEE CHAIRES 311
tinent au Ministère du Culte protestant de notre confession et qui sont origi-
naires des départemens du Mont-Tonnerre, de la Sarre, de Rhin et Moselle et de la
Rœr, ont fait jusqu'à présent au Séminaire de Strasbourg leurs études en théologie.
" ^ L'art. 8 du décret Impérial du 17 mars 1808 portant organisation géné-
rale de l'Université, veut qu'il y ait une faculté de Théologie protestante à
Strasbourg. Celle pour le culte catholique est établie à Besançon, où est
l'Eglise métropolitaine du diocèse de Strasbourg. Le décret Impérial du 17 Sept,
de la même année ordonna ensuite, que les candidats pour la Faculté Théo-
logique de Strasbourg seroient présentés avant le 1er Dec. ensuivant par le
président du Consistoire de cette ville.
En conformité de cet article, j'ai eu l'honneur de présenter à V. E. dès
le 2 Nov. 1808 une liste triple de candidats pour les trois chaires qu'alors je
croyois suffisantes pour cet enseignement. Cette présentation n'ayant pas eu
de suite jusqu'à présent, V. E. me permettra d'y revenir aujourd'hui, mais en
y apportant des modifications.
Les professeurs de notre Séminaire présentement chargés de l'enseigne-
ment Théologique, d'accord en ceci avec les membres du Dre du Cre gén. que
je préside, m'ont représenté que pour l'instruction des étudians en Théologie
trois professeurs étoient insuffisans, malgré l'enseignement qui est donné au
Séminaire de matières dont la connoissance est nécessaire aux candidats du
ministère de notre culte, telle que l'étude des langues orientales et sacrées,
qu'il falloit donc nécessairement quatre professeurs.
Je me suis volontiers rendu à ce désir et à cette opinion, que je trouve
fondés, et j'y accède d'autant plus, que d'un côté la faculté théologique de
Leyde a le même nombre de professeurs en y comprenant un adjoint, et cela
malgré la proximité de l'Académie de Groningue qui a aussi une Faculté de
Théologie, que celle de Genève a cinq professeurs, sans parler des Facultés
pour le culte catholique établies aux académies de Paris, Lyon, Parme, Pise,
Toulouse et Turin, et que surtout d'un autre côté notre Faculté ne sera pas
à la charge du Trésor de l'Université, attendu que les professeurs qui seront
nommés pourront recevoir leurs traitemens fixes sur les revenus de notre
Séminaire, sans préjudice des droits à acquitter par les élèves. Ceci aura lieu
si V. E. daigne appeler aux chaires que je propose les personnes que je pré-
sente en première ligne et qui jusqu'à présent ont donné cet enseignement
au Séminaire, et dont les deux premiers étoient déjà célèbres professeurs en
théologie à l'ancienne Université de Strasbourg. Ces quatre ecclésiastiques sont
des savans du premier mérite aussi recommandables par l'étendue et la diver-
sité de leurs connoissances et par la solidité et la clarté de leur enseigne-
ment que par leurs vertus. Ils sont chers à leurs auditeurs, considérés dans
le public, estimés par ceux qui savent apprécier les connoissances et les
talents, en un mot généralement estimés par les personnes de toutes les
croyances religieuses dans notre ville.
Les chaires que de concert avec mes collègues du Dre de notre
Consistoire général je désire de voir établies sont celles où seront enseignés
Le dogme,
La morale évangélique,
L'histoire et la discipline ecclésiastique,
L'explication de la Sainte Ecriture;
on ne peut se passer d'aucun de ces enseignemens. . . .
312 LA FACULTE DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
8. Note snr les motifs pour lesquels le Séminaire protestant
pourrait demander la continuation de son entière indé-
pendance dans le cas où il serait question de le chan^ r
en une faculté de Théologie de l'Uniyersité de France ou
d'établir une telle faculté dans son sein.
(Arch. du Dir.)
L'indépendance du Séminaire ou de TAcadémie protestante est
garantie par les mêmes traités (que celle de Gymnase) ; elle tient de plus près
encore à la liberté religieuse, consacrée par la charte, et il y aurait une
inconvenance plus grave à ce qu'une autorité soit civile soit littéraire, non-
protestante s'immisçât soit dans l'administration soit dans l'enseignement d'un
établissement d'instruction religieuse protestante, que des droits antiques, solen-
nellement consacrés et qui comprennent des dotations dont la propriété est
assurée aux protestans, ont placé dans une cathégorie toute particulière et
dont l'organisation diffère essentiellement de celle des facultés de l'université
de France.
C'est dans cet établissement qu'a été transformée par les loix et arrêtés
organiques sur les cultes, l'ancienne Université toute protestante de Strasbourg
et il comprend, outre l'enseignement des sciences théologiques proprement
dites, celui des sciences préparatoires, dont nos pasteurs ont un besoin indis-
pensable et qui ne sont enseignées ni avec la même étendue ni sous les
mêmes points de vue dans les facultés de l'université.
.... La totalité de ce Séminaire ou de cette Académie, composée de dix
chaires, ne pourrait donc point être considérée comme une Faculté de Théologie
de l'Université de France, et la formation, dans le sein de ce Séminaire, d'une
Faculté de Théologie subordonnée à cette Université ne présenterait aucun avan-
tage et ne pourrait que donner lieu à beaucoup de contestations, ou bien ne serait
que fictive et illusoire ; puisque quant à l'enseignement théologique proprement
dit, quant aux études qu'il doit comprendre, quant à la marche progressive
qu'il doit suivre et à la manière de constater que les candidats sont aptes à
recevoir les ordres ou à être proposés pour des fonctions ecclésiastiques, comme
en général pour tout ce qui tient plus ou moins à l'essence de la religion
et du culte, cette faculté ne saurait reconnaître l'autorité d'un corps enseignant
non protestant, non revêtu de pouvoirs rehgieux, et resterait nécessairement
soumise, comme l'est toute l'instruction religieuse protestante, à celle du Direc-
toire du Consistoire général, qui forme l'intermédiaire légal entre les établisse-
mens de ce culte et le gouvernement; et que quant au reste de l'administration
intérieure, de la nomination, des traitemens et du sort des professeurs ; cette
faculté, restant dotée de fonds assurés aux protestans et dont on ne pourrait
leur contester la propriété et l'administration, sans violer les traités les plus
sacrés et les loix les plus positives, resterait également dans une indépendance
réelle de l'Université à laquelle on voudrait l'aggréger.
S'il a été utile et digne d'un siècle de lumières et de liberté religieuse
d'accorder une Faculté de Théologie aux non-catholiques de l'intérieur de la
France, qui n'avaient, dans ce vaste royaume, aucun établissement d'instruction
religieuse, et si cette faculté, instituée en faveur d'un culte dont l'organisation
ne comprend aucune autorité religieuse générale et supérieure, a pu être soumise
LE SÉMINAIRE VEUT CONSERVER SON INDÉPENDANCE 313
sans réclamations à l'université de France, de l'organisation de laquelle elle faisait
partie ; il serait au contraire tout à fait inutile et en contradiction avec la
liberté religieuse, de soumettre à cette Université un établissement ancien, qui a
toujours joui d'une existence indépendante, auquel cette indépendance a été for-
mellement assurée, et qui est placé par l'organisation du culte qu'il professe,
sous une autorité à la fois civile et religieuse, à laquelle le Gouvernement a
confié et continue de confier la surveillance de tout ce qui a rapport à la reli-
gion protestante de la Confession d'Augsbourg.
La seule difficulté qui pourrait se présenter résulterait de la collation
du grade de docteur en Théologie que l'ancienne Université de Strasbourg
conférait comme les universités protestantes de l'Allemagne et que le Sémi-
naire protestant n'a point conféré jusqu'ici, tant pour éviter toute contestation
avec l'Université Impériale, que parce que ce grade n'a pas été demandé.
Quant aux grades d'études purement littéraires, le Séminaire ne voulant
nullement se détacher du grand système d'instruction établi par l'Université
de France, ne les a non seulement vu prendre avec plaisir à tous ceux de ses élèves
qui pouvaient y aspirer, dans la faculté des lettres de l'Université, aussi long-
temps que cette formalité était exigée; mais a même continué à faire à ses
élèves un devoir de les prendre, depuis qu'une Ordonnance Royale les en
dispensait, et est dans l'intention de maintenir ce lien honorable entre l'ins-
truction qu'il donne et l'instruction générale. Mais quant à un grade purement
théologique et de Théologie protestante, il serait bien plus simple que l'Académie
protestante confère ledit grade, comme le conférait l'Université à laquelle elle a
succédé; avec la seule modification, conforme à l'organisation actuelle, que ce sera
avec la participation et sous l'autorité supérieure du Dre du C'e général, placé
par le Gouvernement lui-même à la tête de tout ce système d'instruction reli-
gieuse et puissamment intéressé, pour le bien-être même de cette instruction, à
ce que ledit grade, ainsi que tous les autres avancemens dans l'ordre ecclésias-
tique, ne soit accordé qu'aux sujets les plus méritans. Nous nous croyons donc
en droit de demander qu'on laisse ce dernier mode à notre disposition, sauf à
soumettre s'il y a lieu au Gouvernement un règlement sur le mode d'exécution.
Résol. (Séance du 29 oct. 1817). Les votes des membres du Dre recueil-
lis, une expédition de la notice a été transmise, le 20 cr., par lettre, à
M. Kern, membre de la Chambre des députés, avant son départ pour la capitale.
SiLBBRMANN.
9. Réflexions sur la formation d'une faculté de Théologie
protestante dans PAcadémîe Royale de Strasbourg.
(Arch. du Dir.)
Nous avons appris qu'il est question, dans une nouvelle organisation
de l'Instruction publique qui se prépare en ce moment, d'ériger dans l'Aca-
démie Royale de Strasbourg une faculté de Théologie protestante, sans que
ni l'autorité supérieure à laquelle l'Administration de tout ce qui est relatif à.
ce culte est confié par les loix existantes, ni même les Professeurs du Sémi-
naire protestant, par les soins desquels l'enseignement de cette Théologie se
314 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
trouve dans l'état le plus florissant dans cette ville, n'aient été consultés à
ce sujet.
Ce qui augmente notre surprise, c'est qu'il nous a été dit que c'est sur
de vives demandes parties de cette ville, que l'on s'occupe de la formation
de cette faculté.
Ces demandes n'auraient pu être faites légalement que par le Directoire,
et même en supposant qu'elles aient eu lieu d'une manière moins régulière,
elles n'auraient pu avoir quelque poids qu'autant qu'elles seraient sorties du
moins du sein dudit Séminaire ou qu'elles eussent été formées par un grand
nombre d'individus attachés à notre culte.
Mais le Directoire n'a pas émis ce vœu et nous nous sommes assurés
qu'aucune demande de ce genre n'a été formée par ceux que l'érection d'une
telle faculté pourrait particulièrement intéresser et qui, au contraire, préfèrent
d'un commun accord l'état actuel des choses à un changement où ils voient
plus d'inconvéniens que d'avantages.
Si, lors de la première organisation de l'Université de France, le Dre
n'a point cru devoir se refuser à envoyer aux autorités supérieures les listes
de candidats pour une telle faculté, qui lui avaient été demandées, c'est que. , .
les inconvéniens qui pouvaient résulter de l'adjonction à un corps enseignant,
dans l'immensité duquel nous ne formerions qu'une portion hétérogène et
subalterne et dont les règlemens sont dictés par des considérations générales
auxquelles nous sommes en grande partie étrangers, ainsi que les avantages
que nous avons trouvés à pouvoir conformer librement notre enseignement à
nos besoins et aux principes de notre culte et à pouvoir sans cesse les per-
fectionner par l'expérience, ne s'étaient pas encore suffisamment développés.
Mais dès le Décret du 17 mars 1808 Tit. V, art. 38 les préceptes de la
religion catholique furent déclarés devoir être pris pour base de toutes les écoles
de l'Université. Le même article ajoute encore § 4 que tous les Professeurs de
Théologie seront tenus de se conformer aux dispositions de l'Édit de 1682
concernant les quatre propositions du Clergé de France, ce qui les suppose
également tous catholiques.
Depuis ce temps une part formelle dans l'Administration générale de
l'Université a été accordée à des Évêques catholiques, sans que les autorités
religieuses des autres cultes y aient été appelées.
C'est l'Administration générale ainsi organisée qui prononce les nomi-
nations de professeurs, et cela non sur la proposition exclusive de la faculté
où ces professeurs doivent entrer, mais aussi sur celle du Conseil académique,
qui a également une part prépondérante à l'administration de l'Académie et
à la surveillance de l'enseignement et qui en général est composé de membres
étrangers à la religion dont, dans cette hypothèse, il proposerait les profes-
seurs et dirigerait l'enseignement.
En même temps nous avons vu que l'Université limite à un assez petit
nombre les cours qui doivent être donnés par ses professeurs et ne leur per-
met même qu'avec peine et par des faveurs spéciales ou sous des conditions
onéreuses de donner d'autres cours accessoires.
Dans l'état actuel des choses, au contraire, notre Séminaire forme une
école spéciale et complette de théologie protestante, ainsi que des sciences
préparatoires nécessaires à l'étude de cette théologie, école fondée sous le
nom d'Académie protestante par un arrêté spécial du Gouvernement, et qui,
NUL BESOIN DE MODIFICATIONS 315
depuis la formation des Académies de l'Université de France, a pris, par ordre
supérieur, le titre de Séminaire protestant.
Ce Séminaire n'est, par la même organisation, subordonné qu'au Direc-
toire du Consistoire général du culte protestant de la Confession d'Augsbourg,
autorité à la fois civile et religieuse, correspondant directement avec le Ministre,
à laquelle tout ce qui concerne ce culte est également soumis et qui, tant
par sa composition et sa compétence, que par sa proximité, est plus que toute
autre à même d'en diriger l'enseignement conformément aux principes de
notre culte et aux besoins des élèves qui fréquentent cette école, ainsi que
d'en nommer les professeurs, d'après leur mérite, éprouvé et reconnu par des
services antérieurs, rendus tant dans l'enseignement que dans la chaire ou
dans d'autres fonctions ecclésiastiques.
Car c'est également à ce Directoire que fut confiée, par ladite organisa-
tion, la présentation des professeurs, qui doit avoir lieu d'après l'avis des
professeurs du Séminaire. . . .
Notre Séminaire est la seule école spéciale qu'ait en France le culte pro-
testant de la Confession d'Augsbourg, cette école se trouve dans un pays où ce
culte a été maintenu par les traités les plus solennels, elle est elle-même
comprise dans ces traités, elle doit son organisation actuelle à des loix exis-
tantes et à un acte spécial du Gouvernement ; elle est soumise au Gouverne-
ment au moyen d'une autorité intermédiaire légalement reconnue et qui la
dirige d'après les principes de son culte ; elle est dans un état florissant et
organisée de manière à pouvoir se perfectionner sans cesse, d'après les pro-
grès des lumières que ce culte cherche plutôt encore à devancer qu'à suivre,
elle n'est enfin dans une indépendance absolue du Gouvernement, que quant
aux traitemens de ses professeurs, qui sont assignés sur des fonds d'origine
religieuse et qui lui ont été légalement attribués.
Or, nous soumettons à la justice même de S. E. le Ministre et à celle
de la Commission de l'Instruction publique, d'examiner avec nous, en quoi
cet état de choses pourrait, sans léser nos droits et la liberté des cultes, être
modifié soit pour l'avantage du Gouvernement ou du système général de
l'Instruction publique, soit pour le nôtre.
Serait-ce en soumettant la nomination de nos Professeurs au Conseil aca-
démique et à la Commission de l'Instruction publique ? Mais de quel droit une
assemblée ou une commission qui, si elle n'est point à considérer comme
indifférente à tous les cultes, est plutôt catholique que protestante, nommerait-
elle des professeurs théologiques d'un culte différent légalement et formellement
autorisé et maintenu dans ses droits, tant par d'anciens traités, garantis par les
principales puissances de l'Europe, que par des loix nouvelles et par la charte
constitutionnelle.
Serait-ce en ce que notre instruction religieuse fut soumise aux règle-
mens généraux de l'Université ? Mais, encore une fois, comment ces règlemens
faits pour un ensemble d'établissemens dont nous ne formerions qu'un acces-
soire hétérogène, pourraient-ils nous envelopper dans leurs dispositions géné-
rales, sans blesser nos droits à la liberté du culte, qui doit nécessairement
comprendre celle de l'enseignement religieux ?
Serait-ce en ce que l'Etat ou l'Université donnerait un titre de plus, et
soit un traitement total, soit un traitement accessoire à une partie de nos
théologiens, sans les gêner en rien dans leur enseignement, sans les subor-
316 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOUEG
donner à une administration étrangère à leur culte, sans rien changer à
l'organisation actuelle de nos écoles ?
Sans doute, si une telle proposition nous était faite, nous ne pourrions
qu'accepter avec reconnaissance la générosité d'un Gouvernement aussi libéral.
Mais nos modestes professeurs n'oseroient point former une telle demande ou
concevoir un tel espoir, et préfèrent la médiocrité actuelle de leur sort à toute
amélioration de leur position personnelle, qui compromettrait la liberté de
leur enseignement ou qui porteroit une atteinte quelconque aux droits de leur
communauté religieuse
Il résulte en conséquence de toutes ces réflexions, que notre organisa-
tion n'a besoin d'aucun changement pour son propre bien et qu'on ne saurait
y faire des modifications essentielles, sans blesser nos libertés religieuses et
sans compromettre Tétat florissant d'un établissement unique en son genre, en
faveur duquel les raisons que nous venons d'exposer réclament une exception
de l'assujettissement général au régime de l'Université comme une justice,
qu'un Gouvernement qui a admis en principe la liberté des cultes, l'observa-
tion religieuse des traités et la protection de toutes les institutions utiles et
respectables, ne saurait nous refuser.
Résolution (du Directoire). Ces réflexions seront adressées à S. E. le
Ministre de l'Intérieur.
Sjlbermann.
10. Copie de l'arrêté du Ministre qui confirme celui de la
Commission d'Instruction puiblique sur l'établissement
d'une Faculté de Théologie à Strasbourg.
(Arch. du Dir.))
Ministère de l'Intérieur
Cultes non catholiques. •
Le Ministre secrétaire d'Etat au département de l'Intérieur.
Vu lo l'arrêté pris par la Commission d'Instruction publique le 7 dé-
cembre 1818, portant organisation de la Faculté de Théologie protestante à
Strasbourg, département du Bas-Rhin ;
2o L'assentiment donné par le Directoire général de la Confession
d'Augsbourg aux diverses dispositions qu'il renferme,
Nous avons arrêté ce qui suit :
Art. 1er. L'arrêté pris par la Commission d'Instruction publique le 7 dé-
cembre 1818 relatif à l'organisation d'une faculté de Théologie protestante
dans le grand Séminaire luthérien de Strasbourg (Bas-Rhin) est approuvé pour
être exécuté suivant sa forme et teneur.
Art. 2. Il sera ultérieurement pourvu à l'établissement près cette faculté
d'une chaire de dogme pour le culte calviniste.
Art. 3. La Commission d'Instruction publique est chargée de l'exécution
du présent arrêté.
Fait à Paris, le 10 avril 1819.
Le Ministre Secrétaire d'Etat de l'Intérieur
Signé : le comte Decazb.
Pour copie conforme, le maître des Requêtes, Directeur de la l^e Division
Jordan.
AEBETÉ DU MINISTRE 317
Paris, U juin 1819.
Ministère de l'Intérieur
Cultes non catholiques.
Monsieur le Président, j'ai l'honneur de vous adresser une copie de
l'arrêté par lequel j'approuve celui que la Commission de l'Instruction publique
a pris le 7 décembre dernier pour organiser la faculté de Théologie protestante
de Strasbourg.
Cette Commission ne s'étant occupée que de votre culte, vous remar-
querez, Monsieur, que Part. 2 de mon arrêté appela son attention sur la chaire
à établir pour le dogme calviniste.
Je vous engage, en conséquence, à lui procurer de suite les divers
renseignements qu'elle pourrait attendre de vous à cet égard. Vous pourriez,
au besoin, vous entendre avec Monsieur le Président du Consistoire réformé
de votre ville.
Le Ministre Secrétaire d'Etat de l'Intérieur
Pour le Ministre et par son ordre
Le maître des requêtes Directeur de la l^e division
A M. le Président du Directoire gai de Strasbourg.
Rés. (Séance du 28 juin 1819). Il sera écrit à la Commission de l'Instruc-
tion pubUque que le Directoire est prêt à lui donner, autant qu'il dépendra
de lui, les renseignements qu'elle voudra lui demander.
III. Pièce relative aux revendications ulframontaines.
Observations sur quelques passages du Mémoire du chapitre
de la Cathédrale de Strasbourg, tendant à la rerendi-
cation des bàtimens du Séminaire.
(Arch. du Directoire.)
A Messieurs le Président et Membres du Directoire du Con-
sistoire général des églises protestantes de la Confession d'Augsbourg
dans les Departemens du Haut- et Bas-Rhin etc.
Messieurs,
Le Chapitre de la Cathédrale de Strasbourg vient de publier un Mémoire
adressé au Roi pour la revendication des bàtimens du Séminaire. Mes collègues,
qui m'en ont communiqué un exemplaire, m'ont engagé à appeller Votre atten-
tion sur quelques passages de cet écrit faits non seulement pour étonner les
Protestans, mais encore pour leur faire craindre des suites funestes. Le
Chapitre, tout en sentant vivement l'injustice faite aux catholiques par le
Gouvernement qui donna une autre destination au Séminaire, ne craint pas
de proposer à un Roi juste et paternel de déposséder les Protestans des bàti-
mens nécessaires à leurs institutions pour les donner à l'académie en rem-
placement du Séminaire. Afin de rendre cette proposition encore plus acceptable,
le Chapitre a dénaturé l'état et l'emploi de ces bàtimens. A l'entendre, ce sont
de vastes édifices, qui ont servi autrefois à l'enseignement des quatre facultés
de l'Université de Strasbourg, et qui actuellement, bien qu'ils servent aux éta-
blissemens du Gymnase et du Séminaire, ne laissent pas d'avoir encore assez
de place pour satisfaire à tous les besoins de l'Académie. Nous avons pensé
qu'il est aussi important qu'urgent de prendre des mesures pour effacer les
impressions que pourraient avoir faites ces fausses insinuations, et de préve-
nir les suites fâcheuses qui pourraient en résulter; qu'à cet effet il convien-
drait d'éclairer le Gouvernement sur le véritable état de ces bàtimens et de
leur emploi, qui les rend nécessaires à nos institutions. L'on peut observer
que l'enclos des bàtimens du Temple-neuf est entièrement occupé par la Biblio-
thèque, dont profitent les Catholiques aussi bien que les Protestans, une salle
qui sert aux actes publics du Séminaire et qui n'a pas même l'étendue suffisante
pour cette destination, par les classes du Gymnase, qui s'y trouvent également
KEVENDICATION ULTRAMONTAINE 319
à l'étroit, et par les logemens du pensionnat pour un certain nombre d'eleves
du Séminaire. Il n'y a que deux salles qui ont servi autrefois à l'enseignement
public de l'Université, et qui depuis longtems sont remplies d'objets apparte-
nant à la Commune. Les édifices de St. Thomas ne contiennent que trois salles,
une salle avec deux pièces, arrangées nouvellement pour les cours des Profes-
seurs du Séminaire et n'ayant jamais servi aux cours de l'Université et le pre-
mier étage a été en même tems arrangé pour loger une douzaine d'eleves ; le
tout aux frais de nos fondations. Voici les deux édifices publics à l'usage
de l'enseignement du Séminaire et qui lui sont indispensables; comment le
Chapitre a-t-il pu dire au Roi que l'Académie trouverait dans ces édifices
encore assez de place pour ses besoins? C'est également par erreur qu'il a
avancé que c'est dans ces édifices que les Schœpflin, les Koch, les Oberlin ont
donné leurs cours, tandis qu'il est notoire que ces hommes célèbres ont eu
leurs auditoires dans les maisons quils habitaient; par conséquent c'est une
fausse conséquence qu'il en tire que les édifices qui ont servi autrefois à l'usage
des quatre facultés de l'Université doivent encore suffire aux Facultés de l'Aca-
démie. Le Chapitre paraît faire un reproche aux Protestans de ce qu'ils se
persuadent que comme à l'époque de l'année normale il est juste de leur laisser
leurs possessions. Cependant on ne voit pas quelle raison pourrait être opposée
à cette persuasion fondée sur la justice. A moins qu'on ne veuille adopter des
principes subversifs de l'état social, la justice consiste en ce que chaque membre
de la Société soit maintenu dans ses propriétés légalement acquises. Or ces
biens ont été assignés à l'enseignement des Protestans par le Magistrat qui
était alors le souverain de la Ville; ils leur ont été assurés par les traités
solennels; ils n'ont jamais été détournés de leur destination à l'enseignement
et au service de nos institutions, ils y servent encore, et ils lui sont indispensables,
et ils n'ont pas de place superflue; à quel titre pourrait on les leur enlever,
qui ne blessât toutes les règles de la justice. Ainsi que tous les Protestans
pénétrés de l'Esprit de l'Evangile nous souhaitons sincèrement que nos frères
Catholiques puissent rentrer dans la possession de leurs biens, qui sont né-
cessaires à leur culte et à leurs institutions, et dont l'injustice les a dépouillés.
Nous ne prétendons nullement nous opposer à leurs intérêts ou nous immiscer
dans leurs affaires; mais en même tems nous souhaitons pour l'amour de la
justice et de la paix de n'être pas troublés dans la paisible possession de ces
biens fort modiques que la Providence nous a conservés au milieu des orages
de la Révolution, par des prétentions injustes tant de fois renouvelées et qui
ne servent à rien moins qu'à cimenter cette union fraternelle, prescrite par la
doctrine de l'Evangile, qui est notre loi commune et servant de base au bon-
heur social.
Nous avons cru devoir soumettre ces observations à la sagesse du Direc-
toire, bien persuadés, qu'il est porté à veiller sur tout ce qui intéresse la chose
des Protestans.
Strasbourg ce 6 janvier 1815. J. G. Dahleb, Professeur,
Vice-Directeur du Séminaire.
Résol. (Séance du 24 janvier 1815). Il sera marqué p. E. du Regl à
Mr Dahler, que le Directoire pense que dans ce moment il n'y a pas lieu de
donner suite à cet objet.
17. Critique de l'enseignement du Séminaire et de la
Faculté de théologie
Extrait d'une Lettre du pasteur Cuvier de Paris
an Président du Directoire,
(Archives du Directoire.)
Eglise évangélique de la Confession d'Augsbourg à Paris.
Paris, 21 Avril 1853.
... Je suis très peiné d'avoir pu vous paraître dur et je regretterais
vivement les expressions dont je me suis servi pour exprimer la pensée du
Consistoire, si elles avaient pu avoir quelque chose de blessant. En tout cas
elles ne peuvent vous atteindre personnellement. Vous n'avez pas et vous ne
pouvez avoir sur l'enseignement du Séminaire et de la Faculté et sur l'esprit
qui y préside une influence, une autorité qui vous rende responsable des doc-
trines qu'on y inculque aux étudiants.
En tout cas, personne n'apprécie mieux que moi les difficultés de votre
position; je ne voudrais pas les aggraver et me plairai toujours au contraire
à vous aider à les surmonter. ... Je comprends que vous ayez de la peine à
trouver un homme tel qu'il le faudrait à la tête du Séminaire. Il faut réunir
beaucoup de qualités pour ces fonctions, et si cette position est une des plus
importantes de notre Eglise, c'est aussi Tune des plus difficiles à pourvoir.
A la distance où je suis, il ne m'est pas permis de porter par moi-
même un jugement positif et motivé. Je ne vois pas les choses d'assez
près. L'opinion que j'ai de l'enseignement de la faculté de théologie vient des
impressions produites en moi par ce que j'ai entendu de la bouche de divers
étudiants. Je les entends louer la science de leurs professeurs, mais se plaindre
en même temps, de ce qu'on ne leur inspire pas une foi positive, de ce qu'ils
arrivent au terme de leurs études, incertains de ce qu'ils doivent croire, laissés
dans le vague des opinions diverses qui ont été exposées devant eux; de ce
qu'il n'y a rien de pieux dans l'enseignement qu'ils reçoivent. La manière dont
j'en ai vu agir dans leurs fonctions me porterait aussi à penser qu'il y a
une lacune ou une mauvaise direction dans les principes qui leur sont incul-
qués. Ils manquent d'esprit ecclésiastique; ils paraissent peu connaître et res-
pecter peu les traditions du culte, par un esprit d'indépendance qui dépasse
LETTRE DU PASTEUR CUVIER 321
ce qui est permis à la liberté chrétienne. Ils paraissent peu connaître notre orga-
nisation d'administration et de culte et les obligations hiérarchiques auxquelles les
pasteurs sont soumis. J'en ai vu se permettre dans la liturgie des changements et
des suppressions contraires à nos usages traditionnels et prétendre se justifier par
le droit du libre examen. Ce n'est pas cet esprit qu'ils devraient puiser dans
un cours de théologie pastorale. Ne serait-il pas nécessaire d'insister plus
qu'on ne le fait peut-être pour leur inspirer plus de respect et de soumission
aux règles établies et pour leur apprendre à faire plier davantage leurs vues
personnelles aux usages et à la discipline adoptés par l'Eglise.
Vous voyez que je m'épanche avec vous. Je ne vous parle des plaies
de notre Eglise que parce que je désire ardemment qu'elles puissent être guéries.
Je crois volontiers qu'il y a iin commencement de cicatrisation. Avec le
temps et avec les pouvoirs qui vous sont conférés vous pourrez y contribuer
21
V. Protestation contre les ingérences
de l'orthodoxie parisienne.
Protestation de notables strasbonrgeois contre la prétention
de l'orthodoxie parisienne d'empêcher deux savants de
mérite (Colani et Canitz) d'être nommés au Séminaire*
(Archives du Directoire.)
M. le Président, MM. les Membres du Directoire,
MM. les professeurs du Séminaire protestant.
La fondation de Saint-Thomas est une institution chère à la ville de
Strasbourg. Souvent menacée dans son existence, elle a toujours trouvé au
sein de la population éclairée de la cité des amis dévoués, des défenseurs
convaincus. C'est que la conscience publique était fière de prêter son appui à
une réunion de savants qui a toujours tenu haut et ferme le drapeau de la
science, conciliant la tradition religieuse de nos pères avec les limiières et les
progrès des temps modernes.
En serait-il de même si le corps savant qui représente l'arche sainte
du Protestantisme cessait de se recruter d'hommes nouveaux de la trempe des
anciennes illustrations éteintes? si le niveau scientifique et le talent étaient
sacrifiés à des influences étrangères, à des influences qui s'érigent, on ne sait
à quel titre et au nom de quel principe, en juge souverain de l'orthodoxie
protestante.
C'est une question douloureuse que nous vous adressons, car au moment
où il s'agit de remplir un vide regrettable dans les rangs des Professeurs du
Séminaire, nous avons lieu de craindre qu'une pression illégitime ne pèse sur
vos décisions. Les chefs de notre Eglise et le corps enseignant se soumettront-
ils à des injonctions dictatoriales? quand ces injonctions frappent d'exclusion
précisément deux noms désignés d'avance et depuis longtemps à leurs suf-
frages; deux noms connus, respectés, illustrés par la science: celui d'un
homme qui depuis vingt-cinq ans rend au Séminaire les services les plus
dévoués et les plus désintéressés, et puis une personnalité dans laquelle à un
talent hors ligne se trouvent unies des convictions qui représentent ce que le
christianisme a de plus élevé et de plus pur.
PEOTESTATION DES LIBERAUX STRASBOURGEOIS
323
Et pourquoi cette exclusion?
La piété du pasteur qui fait entrer la vérité évangélique si profondé-
ment dans les convictions de ses auditeurs serait-elle une piété suspecte? Le
christianisme qu'il prêche serait-il de mauvais aloi? L'orateur sacré qui tient
au pied de sa chaire une foule avide, appartenant à toutes les croyances serait-il
dangereux pour former des prédicateurs futurs?
Cela n'est pas sérieux. Non. C'est, on le sait, pour donner satisfaction
à certaines passions théologiques et doctrinales, que l'on vous demande
l'exclusion, et c'est du nom de conciliation que l'on voudrait colorer un acte
d'ostracisme.
La conciliation ! On oublie donc que les passions doctrinales sont abso-
lues? Elles ne se considèrent comme satisfaites que quand elles ont tout
envahi, tout absorbé. — De la conciliation ! Oui ... si les personnalités qui
s'agitent avaient à présenter des personnalités supérieures ou du moins égales
par les titres scientifiques, la profondeur des convictions religieuses et le
talent. Préférer de telles personnalités serait de la conciliation de bon aloi;
car alors la préférence ne léserait pas les lois éternelles de la justice; mais
la conciliation qui sacrifie le mérite à des passions porte un autre nom, et
un acte d'exclusion accompli dans de telles conditions serait sévèrement jugé
par l'opinion publique. Il ne tarderait pas, du reste, à porter des fruits amers,
comme tout ce qui est mal.
En vous soumettant, MM., ces considérations, les soussignés n'ont eu
d'autre but que l'accomplissement d'un devoir. C'est à vous, MM., qu'il appar-
tient de faire le vôtre sans faiblesse, avec la haute raison et l'esprit de jus-
tice que nous vous connaissons, que nous aimons à retrouver toujours chez
nos chefs religieux.
Agréez, MM., l'assurance de notre haute considération.
Strasbourg, le 9 Novembre 1863.
Ont signé sur l'exemplaire adressé à M. le Président du Directoire
MM. Ehrmann, doyen de la faculté de MM. J. D. Ehrmann.
médecine.
Bergmann, doyen de la faculté des
lettres.
V. Stœbeb, prof.
Ch. Schûtzenbbrger, prof.
RiGAUD, prof.
E. Kûss, prof.
ScHiMPER, prof.
EuG. Bœckel, prof, agrégé.
ZiMMER, membre du Consist. gén.
Ed. Goguel, prof., id.
F. Ehrmann.
ŒsDîGER, père.
J. Hecht, juge de paix.
Ch. Lauth, juge.
Dr G. Lauth.
Blanck, prés, de la Société des
Amis des Arts.
Fr. Lauth, Dr en méd.
Ch. Bœckel, libraire.
Mathiss, conseiller municipal.
EuG. Hecht, consul.
C. St^hling, m. de la Chambre
de commerce.
G. Bergmann, id.
Schlagdenhauffen, architecte.
AuG. Trawitz-Kratz.
MûNTZ, ingénieur.
Flach, notaire.
Altorffer.
Heydenreich, pharmacien.
Heydenreich, agent de cliange.
21*
324
LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOUKG
MM. Wbiss, notaire.
J. J. Stotz.
Ch. Zeyssolf, notaire.
J. Fr. Rothpus, anc. nég.
MuLLER, directeur de l'octroi.
Gme Lauth.
Ernest Lauth,
AuG. Kern.
Ph. Strombybr.
OSTERRIETH, jUgC.
Balzinger.
SiLBBRMANN, imprimeur.
Imlin.
MM. L. HiMLY.
Jérôme Kob.
Ph. Frantz, avocat.
KuGLER, avocat.
Ed. Klosb, banquier.
EuG. Jtjndt.
KiEFFER, directeur de l'hôpital.
Stromeyer, fils.
eschenauer.
Fr. Aufschlagbr.
Th. Aufschlagbr.
La Drion.
Vi. Pièces relatives aux présentations et nominations
aux chaires vacantes en 1864.
1. Lettre da Président du Directoire an Recteur
de l'Académie.
(Minute de la lettre aux Archives du Dre.)
6 Avril 1864.
En suite des dépêches que vous m'avez fait l'honneur de m 'écrire le 18 et
le 30 mars dernier, le Dre s'est occupé dans sa séance du 5 avril de l'avis mo-
tivé qu'il a à donner sur les nouvelles présentations faites par la faculté de
théologie protestante de Strasbourg pour la chaire d'éloquence sacrée.
Après une longue délibération, il a paru au Dre que les difficultés que
soulève cette affaire à raison même des deux tendances qui se sont manifestées
dans l'Eglise et des préférences qui en résultent pour l'un ou l'autre des
candidats, seraient aplanies si, aujourd'hui que la mort de M. le professeur
Fritz vient de faire un nouveau vide dans la faculté de théologie, le Gouverne-
ment consentait à pourvoir en même temps aux deux chaires. Les candidats pré-
sentés pour la chaire d'éloquence sacrée le seront, selon toutes les probabilités,
également pour la seconde ; et il serait possible de concilier les vœux des deux
fractions de l'Eglise en nommant simultanément les deux hommes sur lesquels
repose respectivement leur suffrage.
Cette considération qui venait d'être présentée au Dre de divers côtés,
cette possibilité d'amener une conciliation, a si vivement frappé le Dre, qu'avant
de se prononcer sur les présentations qui lui sont déjà soumises, il m'a chargé,
M. le Recteur, de vous exposer sa manière de voir et de vous prier de vouloir
bien la faire connaître à. S. E. le ministre de l'Instruction publique.
M. Reuss actuellement professeur de morale chrétienne demandera à
occuper la chaire d'hébreu laissée vacante par M. Fritz et pour laquelle il est
seul qualifié. Mais cette permutation, qui semble au Dre parfaitement conforme
aux intérêts du service, ne retarderait que de bien peu la déclaration de va-
cance de la seconde chaire à pourvoir, et ce léger retard dans les deux
nominations nous paraîtrait heureusement compensé par les grands avantages
que nous verrions à ce qu'elles fussent faites simultanément.
B26 LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE DE STRASBOURG
2, Lettre du Recteur de PAcadémie au Président
du Directoire.
(Arch. du Dir.)
Académie de Strasbourg. Strasbourg, le 11 avril 1864.
Monsieur le Président,
La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser, à la date du
6 avril cr., me jette dans une certaine perplexité, et, avant de la transmettre
à M. le Ministre, je crois prudent de soumettre mes scrupules à votre sagesse.
Nous avons en ce moment à vider une question grave, mais simple et
nettement définie. La chaire d'éloquence sacrée a été déclarée vacante ; les
présentations légales ont eu lieu une première fois. Le Ministre ayant rappelé
le décret qui exige le doctorat, la faculté a dressé une seconde liste, sur la-
quelle le Dre est invité à donner son avis motivé (cette liste contenait les noms
de MM. Colani, Kienlen, Lichtenberger, présentés ex aequo).
Ainsi l'affaire, après avoir péniblement parcouru tous ses degrés, touche
au terme. Il dépend de l'autorité religieuse d'en amener promptement la so-
lution par une délibération décisive qui éclaire le Ministre sur l'aptitude des
trois candidats à la chaire vacante. Serait-il de bonne administration de sus-
pendre le dénouement et d'opposer en quelque sorte une fin de non recevoir
à la demande de S. Exe?
Au lieu de terminer le plus tôt possible un procès qui déchaîne tant de
passions, le D^e propose, par votre lettre du 0 avril, de le compliquer et de le
prolonger indéfiniment, car la combinaison indiquée entraînerait un délai aussi
funeste aux études que favorable à la polémique confessionnelle.
Il faudrait d'abord que la faculté sollicitât le changement de chaire
pour M. Reuss et le motivât fortement afin d'armer M. Duruy contre l'opposition
qui pourrait bien se soulever. Les partisans du formulaire d'Augsbourg verraient-
ils avec indifférence votre théologien libéral passer d'une chaire de morale à
une chaire à^exégèse?
Le premier point obtenu, le Ministre jugerait-il opportun de déclarer
immédiatement une seconde chaire vacante et d'ajouter ainsi à l'agitation pré-
sente un second antagonisme?
Viendrait ensuite la formation des deux listes. Retomberions-nous dans
Vex aequo qui est une fiction inadmissible, à tel point que la faculté ayant
porté sur sa dernière liste un candidat écarté de la première n'a pas hésité à
le déclarer égal à ceux qu'elle lui avait précédemment préférés. Le Ministre, je
le sais, n'acceptera pas cet ex aequo auquel personne ne croit.
Enfin, les deux listes seraient-elles identiques, comme vous le prévoyez ?
Pensez-vous que le public et le Ministre prendraient au sérieux des candida-
tures également aptes à remplir deux chaires si différentes ? Considérons bien
les trois savants fort honorables dont il s'agit : sont-ils indifféremment prêts à
occuper dignement l'un ou l'autre poste ? Chacun d'eux n'a-t-il pas son mérite
distinct? Chaque liste doit avoir aussi sa spécialité.
Vous savez mieux que moi, M. le Président, que les répugnances et les
sympathies qui se produisent si énergiquement au sujet de Véloquence sacrée
n'abdiqueront point au sujet de V exégèse et de la Morale évangélique. Je n'ai
pas à vous apprendre qu'il ne s'agit point d'accommoder par un compromis
AERÊTÉ DE LA FACULTE DE THEOLOGIE 327
adroit, une simple concurrence de personnes. Nous assistons à une guerre
plus sérieuse, plus violente, une guerre de doctrines, de dogmes, de sectes.
Je ne saurais avoir la prétention d'intervenir dans un débat auquel le
Recteur doit rester étranger. Il m'appartient encore moins de donner un avis
aux membres éminents du Dre. Mais vous excuserez un ami sincère de notre
savante faculté de Théologie qui se permet de vous dire : N'aggravez pas une
difficulté déjà très lourde en la triplant; laissons à chaque jour sa tâche et
sa peine. Pourvoyons d'abord au vide de la chaire d'éloquence : le reste
viendra à son heure. Surtout ne craignons pas d'éclairer sur la valeur réelle
et spéciale de chacun des candidats un Ministre ami des lumières et de la
liberté. Faisons notre devoir de sincères conseillers et attendons avec confiance
la décision supérieure.
Excusez, M. le Président, ces réflexions que je vous soumets avec toute
la déférence due à votre haute position. Si, malgré mon plaidoyer, le D^
maintient sa résolution, je m'empresserai de la transmettre à S. E.
Veuillez agréer, etc.
Le Recteur, Dblcasso.
(Séance du 12 avril 1864.) Le Dre se range aux observations de M. le
Recteur et n'insiste pas sur l'envoi au Ministre de sa lettre du 6 Avril. M. le
Recteur sera prié de lui faire parvenir les présentations définitives (et avec
classement) de la faculté. Au vu de cette pièce, le D" émettra son avis motivé
sans plus attendre.
3. Arrêté de la Faculté de théologie protestante.
Séance du 26 Avril 1864.
(Arch. du Dir.)
La Faculté de théologie protestante de Strasbourg,
Vu la lettre de M. le Recteur de l'Académie du 15 Avril cr. qui l'informe
que S. E. M. le Ministre de l'Instruction publique désire que les candidats pré-
sentés ex aequo à la chaire vacante d'éloquence sacrée par délibération du 29 mars
dernier, soient présentés dans un ordre déterminé, et que, de plus, la Faculté
entre sur chacun d'eux dans une appréciation de son mérite, de son talent,
de son caractère et de ses principes religieux,
Arrête, à la majorité de trois voix contre une ce qui suit:
La présentation de trois candidats pour la chaire vacante arrêtée par
la Faculté dans sa séance du 29 mars, est modifiée dans ce sens que M. Colani
est placé au premier rang, M. Kienlen au second et M. Lichtenberger au troisième.
Les motifs de cette classification sont les suivants :
1. Il est incontestable que, comme théologien et comme prédicateur,
M. Colani l'emporte de beaucoup sur ses deux concurrents. Sous ces deux
rapports, sa réputation ne s'étend pas seulement sur la France, mais au dehors
sur tous les pays protestants d'Europe et même d'Amérique. A Strasbourg
surtout, M. Colani jouit d'une haute considération et un public toujours nom-
breux et composé de personnes de toutes les nuances religieuses suit ses pré-
328 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STEASBOUKG
dieations avec une assiduité persévérante. Les trois recueils de sermons et les
sermons isolés qu'il a publiés ont été traduits en allemand, en hollandais, en
anglais et en suédois, et ont paru en partie en plusieurs éditions. Une 2e édition
de sa thèse pour le doctorat et une traduction hollandaise du même ouvrage
sont sous presse pour paraître simultanément le 15 du mois prochain. Une
traduction hollandaise de sa critique de la Vie de Jésus de Renan paraîtra à
la même date. Depuis quatre ans déjà, M. Colani dirige au Séminaire protestant
les exercices oratoires des élèves qui se destinent à la prédication en langue
française. D'un caractère parfaitement honorable, M. Colani a prouvé son
esprit conciliant par les rapports qu'il entretient avec ses collègues de l'église
St-Nicolas à laquelle il est attaché en qualité de pasteur. Quant à ses principes
religieux et ses tendances théologiques, la Faculté s'en rapporte à ses propres
déclarations contenues dans la lettre qu'il a adressée au Doyen de la Faculté.
Il en résulte que les adversaires ont dénaturé ses principes en lui attribuant
des opinions qu'il repousse énergiquement. La Faculté ne saurait le cacher à
S. E. : la nomination d'un de ses concurrents à la chaire dont il s'agit serait
pour le public de Strasbourg, qui s'est groupé autour de M. Colani et qui s'édifie
de ses prédications, une pénible déception et produirait dans notre cité une
impression regrettable.
2, M. Kienlen est un théologien savant et un pasteur honorable, qui a
plus de vingt ans de services. Il n'est pas non plus sans réputation au dehors
de notre pays. Il est auteur d'une Encyclopédie des sciences théologiques qui
a du mérite, et d'un travail sur les modifications dont serait susceptible l'élé-
ment liturgique du culte protestant. Ce travail, inséré dans le temps dans un
recueil périodique d'Allemagne, a été traduit en hollandais. Depuis trois ans,
M. Kienlen fait au Séminaire protestant des cours libres sur des matières de théo-
logie pratique, qui sont suivis avec un grand intérêt par les élèves. Par son
caractère et son activité, il s'est acquis l'estime générale. La Faculté n'a pas
à donner des renseignements sur ses opinions religieuses, attendu qu'il s'est
expliqué lui-même à ce sujet dans la lettre annexée.
3. M. Lichtenberger s'est fait connaître avantageusement par les différentes
thèses qu'il a soutenues et par plusieurs articles insérés dans des recueils
périodiques religieux. Ses opinions religieuses sont exprimées dans sa lettre
au Doyen de la Faculté jointe à la présente délibération. Pasteur auxiliaire de
l'Eglise du Temple Neuf, il remplit en même temps, depuis quelques années, les
fonctions d'aumônier au Gymnase protestant de notre ville. Jusqu'à présent
M. Lichtenberger n'a pas encore rendu de services académiques. Sa nomination
récente aux fonctions de professeur du Séminaire a été un acte de conciliation. C'est
un jeune théologien très instruit, de capacités distinguées et qui a de l'avenir ;
mais qui, quant au mérite et à l'ancienneté, ne saurait être mis sur la même
ligne que ses deux concurrents.
Fait à Strasbourg, en séance de la Faculté, les jour, mois et an que dessus.
Pour extrait conforme :
Le Doyen de la Fac. de théol. prot.,
Signé : Bruch.
Pour copie conforme :
Le Président du Directoire,
Th. Braun.
DÉCLAKATION DE COLANI 329
4. Lettre de M. Colani au Doyen de la Faculté de Théologie.
M. le Doyen,
Depuis que j'ai posé ma candidature à une chaire de la faculté de
théologie, quelques personnes essaient de me représenter comme un incrédule
qui n'a plus de chrétien que le nom. Il m'importe de repousser bien haut ces
accusations déloyales, contre lesquelles protestent d'ailleurs mes sermons et mes
publications scientifiques.
Je suis chrétien et chrétien protestant.
Le christianisme tel que l'enseignent les Eglises issues de la Réforme,
est fondé sur cette doctrine, que l'homme n'a jamais aucun mérite devant
Dieu, mais qu'il reçoit tout d'En haut comme une grâce : cette doctrine pro-
testante du salut par grâce, je l'accepte complètement. Elle constitue à mes
yeux l'essence de l'Evangile, la vérité religieuse par excellence.
En outre, j'ai toujours cru et toujours enseigné que l'Evangile est une
vérité divine, absolue, éternelle, une révélation que Dieu a donnée aux hommes
et qui ne sera jamais dépassée. Sans doute, avec Luther, avec toute la théo-
logie protestante moderne, je maintiens le droit d'examiner ce qui dans les
livres sacrés, admis traditionnellement par l'Eglise, appartient à l'Evangile de
Jésus-Christ et ce qui est un appendice humain. Renoncer à ce droit serait
renoncer au titre de protestant. D'ailleurs, je puis me rendre ce témoignage
qu'en l'exerçant j'ai été au moins aussi réservé que Luther lui-même.
Je crois pleinement enfin que Jésus est le Sauveur unique des hommes;
et, si je me permets de critiquer et de rejeter les canons des conciles qui ont
prétendu définir sa nature humaine et sa nature divine; j'accepte avec une
soumission entière chaque parole qu'il a dite lui, touchant sa personne et sa
mission et ses rapports avec le Père. En général, tout ce que Jésus a fait, dit,
pensé, voulu, senti, est, à mes yeux, parfaitement divin, sous une forme par-
faitement humaine.
On m'assure que, décrié comme non-chrétien, je le suis également comme
panthéiste. Autant vaudrait m'accuser d'être manichéen ou bouddhiste ou maho-
métan ... Le Dieu vivant et personnel, le Dieu qui aime, qui pardonne, le
Dieu qui est un Père, — voilà mon Dieu, et non je ne sais quelle force aveugle
ou quelle abstraction algébrique.
Ces explications, que je prends la liberté d'adresser, par votre entre-
mise, M. le Doyen, à la faculté de théologie pour qu'elle en fasse l'usage qu'il
lui conviendra, ces explications suffisent sans doute pour démontrer que je ne
suis pas un incrédule, mais un croyant très sérieux et très convaincu. Ma foi,
il est vrai, n'exclut pas le libre examen, et c'est peut-être ce qui me dis-
tingue de mes accusateurs. . .
Agréez etc.
Signé : T. Colani
pasteur et docteur en théologie.
Strasbourg, le 18 Avril 1864
330 LA FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG
5. Extrait de la lettre de M. Kieulen.
.... Je suis attaché de cœur aux grandes doctrines de l'Eglise protestante.
Et d'abord, contrairement au courant actuel des idées, je maintiens énergique-
ment la personnalité de Dieu et la persistance, après la mort, de l'âme hu-
maine individuelle.
J'admets la révélation de l'Ancien Testament et je la trouve dans la
croyance monothéiste et dans l'idée messianique.
Je crois en Jésus-Christ, le fils unique de Dieu, le verbe incarné, con-
formément à l'Evangile selon Saint Jean. Je crois à la résurrection, comme
fait historique ; j'accepte la possibilité du miracle, sauf à discuter chaque fait,
prétendu miraculeux, d'après la valeur des témoignages.
En considérant l'universalité du genre humain comme atteinte du péché,
je trouve dars la justification par la foi le principe fondamental de la théo-
logie protestante.
Je proclame le libre examen comme méthode, ainsi que les droits de la
critique historique; j'ai la ferme confiance que les excès négatifs auxquels on
est souvent entraîné, seront réfutés au moyen de cette méthode même, excel-
lente en soi, et que jamais la critique ni le libre examen n'amèneront l'abandon
définitif des vérités évangéliques.
En somme, et pour formuler théologiquement mes convictions reli-
gieuses, je puis dire que je me compte au nombre de ceux qui, tout en pre-
nant leur point de départ dans le système de Schleiermacher, s'attachent, plus
que d'autres, à développer les croyances liositives de ce grand maître.
Veuillez agréer, etc.
Signé : Kienlen, Dr en théoL, pasteur
Strasbourg, le 20 Avril 1864.
6. Extrait de la lettre de M. Lichteuberger,
... Me conformant, en tout point, à votre demande, je m'empresse de
vous déclarer que, par mes principes, j'appartiens de cœur à une Eglise qui
professe la divinité de N. S. Jésus-Christ, la divine autorité des Saintes Ecritures
et la réalité de l'ordre surnaturel. Quant à mes tendances théologiques, je me
réfère à ma vie pastorale et à mes écrits qui, j'ose le croire, sont en accord
avec mes convictions religieuses.
Je suis, avec respect, etc.
Signé : F. Lichtenbergbr
Strasbourg, le 21 Avril 1864.
7, Lettre du Président du Directoire au Recteur de l'Académie.
(Minute de la lettre aux Archives du D»"*)
... A ces déclarations explicites le Dre, à son tour, n'a rien à ajouter,
même en ce qui concerne les opinions dogmatiques de M. Colani, les seules
qui soient l'objet de critiques. Sa profession de foi y répond.
LE PKESIDENT DU DIEECTOIEE AU RECTEUR 331
Le Dr«, du reste, est convaincu qu'il ne faut pas, de la nomination à
intervenir, faire une question dogmatique seulement: sur ce point, l'accord
sera toujours difficile et il semble peu convenable de rendre le Gouvernement
juge en pareille matière.
Il faut prendre en grande considération l'intérêt administratif dans une
Eglise qui se divise en deux fractions principales, dont chacune demande
satisfaction et est habituée à l'obtenir d'une autorité qui doit avoir pour règle
une juste impartialité.
Le Séminaire vient lui-même de donner l'exemple de cette justice
distributive, véritablement indispensable pour le maintien de la paix, en
nommant à Tune des deux chaires qu'il avait à pourvoir dans sa sec-
tion de théologie, un candidat sympathique à la fraction dite libérale de
l'Eglise, à l'autre chaire, un candidat agréable à la fraction qui s'intitule
orthodoxe.
C'est le désir que S. E. voulût bien en agir de même qui avait fait
naître le vœu dont le D^e s'était rendu l'organe auprès de vous, M. le Rec-
teur, dans sa lettre du 6 avril cr. : le vœu d'une nomination simultanée aussi
aux deux chaires vacantes de la Faculté, et, comme il vient d'arriver au Sé-
minaire, d'un partage entre les représentants des deux côtés dogmatiques qui
sont en compétition.
Sur vos observations, M. le recteur, le Dw a dû renoncer à le voir
se réaliser, pour le moment du moins, et nous sommes restés en présence
d'une seule vacance.
Les détails dans lesquels est entrée la Faculté sur chacun des trois candi-
dats qu'elle propose, et la déclaration que je suis chargé de vous faire de la part
du Dre d'une entière conformité de vue avec elle au sujet de ces trois théologiens,
abrègent cette lettre.
A ne prendre les candidats que selon leur savoir et leur aptitude spé-
ciale, M. Colani est incontestablement supérieur et de beaucoup à ses deux
concurrents. Il est juste de lui tenir compte aussi de services rendus comme
professeur adjoint du Séminaire. Le D^e croit qu'il est de son devoir d'ajouter
que non-seulement, comme le dit la Faculté, les prédications de M. Colani ré-
unissent des fidèles de diverses nuances religieuses, et en nombre tel que son
église n'est pas toujours assez vaste pour les contenir tous, mais encore que ces
prédications sont conformes aux principes religieux que M. Colani, à l'occasion
de sa candidature, vient d'exposer à la Faculté et qui sont parfaitement con-
nus d'elle, et que ces mêmes prédications ne justifient pas les attaques des
adversaires théologiques de l'orateur éminent, tout particulièrement qualifié
pour une chaire d'éloquence sacrée, spécialement en vue des progrès de la
langue française en Alsace.
Que s'il fallait faire abstraction de titres aussi bien établis et ne s'ar-
rêter qu'aux opinions dogmatiques, comme, endehors de la Faculté de théologie
et de l'autorité légale de l'Eglise, on semble le demander, le Dre croit pou-
voir espérer que même dans le cercle restreint d'appréciation S. E. ne
verra dans la profession de foi de M. Colani rien qui doive le faire déchoir
du rang que la Faculté lui a assigné dans ses propositions, auxquelles le D^e
s'associe
332 LA FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STEASBOUKG
8. Extrait du Registre des délibérations de la Faculté
de théologie protestante de Strasbourg.
(Arch. du Directoire.)
Procès-verbal de la séance du 15 Décembre 1864. Présents: MM. Bruch»
doyen, Richard, Schmidt, Colani et Lichtenberger, professeurs.
La Faculté prend connaissance d'une lettre, en date du 8 Dec, par laquelle
M. le Recteur informe M. le Doyen que S. E. M. le Ministre de l'Instruction
publique a résolu de pourvoir d'une manière définitive à la chaire d'exégèse
que M. Reuss occupe à titre de chargé de cours.
Il résulte d'un exposé fait par M. le Doyen qu'aucun candidat ne s'est
porté concurrent de M. Reuss pour cette chaire.
Après avoir constaté cette abstention générale et significative, la Faculté
entre en délibération.
Tous les membres de la Faculté (dont deux ont été élèves de M. Reuss)
proclament ses titres éclatants à cette chaire. M. Reuss a été chargé en 1838
du cours de morale et l'a fait, avec un rare succès, jusqu'à la fin de la der-
nière année scolaire. Un décret impérial du 17 Juin est venu alors l'appeler à
professer l'exégèse biblique qu'il enseignait déjà au Séminaire protestant de-
puis 1828, et pour laquelle il est, de l'aveu de tous, un prince de la science.
Son nom fait autorité partout où s'étend la théologie protestante. Aussi la
Faculté déclare-t-elle hautement que, si elle-même jouit de quelque réputation
dans notre pays, ainsi qu'en Allemagne, en Hollande ou en Angleterre, elle le doit
en grande partie à l'enseignement éloquent et aux beaux travaux de M. Reuss.
... Le mérite exceptionnel de M. Reuss n'est pas resté sans récompense.
Non seulement il a été appelé par la confiance de ses coreligionnaires à siéger
au Consistoire supérieur de l'Eglise de la Confession d'Augsbourg et à prendre la
haute direction du Gymnase protestant, principale école secondaire de cette
Eglise, mais le Gouvernement impérial l'a aussi nommé chevalier de la Légion
d'honneur, le 13 Août 1862. Dès l'année 1843, l'Université d'Iéna l'a créé Docteur
en théologie, dignité qui ne se décerne, au-delà du Rhin, qu'à des hommes
d'un mérite supérieur ; la Faculté vient d'apprendre, avec une vive satisfac-
tion, par la lettre de M. le Recteur, que S. E. M. le Ministre de l'Instruction
publique se propose de déclarer ce diplôme d'Iéna équivalent au diplôme fran-
çais. Ainsi disparaîtra le seul obstacle, sans doute, qui ait empêché jusqu'ici
de conférer à M. Reuss un titre définitif.
Ayant examiné et constaté, comme il vient d'être dit, les services émi-
nents du seul candidat dont le nom ait été prononcé, la Faculté passe au
scrutin secret. A l'unanimité,
elle présente M. Reuss
et, vu le caractère exceptionnel de cette candidature, elle prie S. Ex. M. le
Ministre de l'Instruction publique de ne pas insister sur la présentation
d'un 2e nom.
Le Doyen, Signé : Bruch.
Le Secrétaire, Signé: Colani.
Pour copie conforme :
Le Président du Dre, Th. Braun.
TABLE DES MATIERES
Préface V
PREMIÈRE PÉRIODE
1803-1820
Chapitre I
Création de l'Académie protestante. — Son ouverture publique 1
Chapitre II
Les membres de l'Académie protestante. — Blessig, Haffner, Koch ... li
Chapitre III
Premiers changements dans le personnel enseignant. — Professeurs
suppléants et professeurs agrégés ^
Chapitre IV
Le mode de nomination des professeurs. — Leur traitement 61
Chapitre V
Programmes et plans d'études. — Règlements de discipline 71
Chapitre VI
Le Séminaire corps administratif. — Le chapitre. — La fondation de
Saint-Thomas. — Le Gymnase. — Le Collège de Saint-Guillaume.
— La Bibliothèque. — Les Bourses 87
Chapitre VII
La création de la Faculté de théologie. — Ses débuts 109
DEUXIÈME PÉRIODE
1821-1864
Chapitre I
Hommes nouveaux et nouvel esprit, Matter et Bruch. — Renforcement
du corps enseignant par des professeurs suppléants ou agrégés:
Théodore Fritz, André Jung, Joseph Willm 128
334 TABLE DES MATIERES
Chapitre II
Trois chaires vacantes à la Faculté. — Difficulté d'y pourvoir. — Au
Séminaire le personnel enseignant est renforcé: Edouard Reuss.
Charles Schmidt, Edouard Cunitz, Guillaume Baum. —- La Faculté
complète avec six professeurs 141
Chapitre IÏI
Rapports avec TAllemagne théologique et avec la France protestante. —
Activité littéraire des professeurs du Séminaire et de la Faculté. . 164t
Chapitre IV
Séminaire et Faculté. — Cours dans les deux langues. — Extension de
l'enseignement. — Sociétés philologique et théologique. — Examen
de candidat et baccalauréat en théologie. — Discussions sur l'état
des études et de la discipline 173
Chapitre V
La Faculté de théologie menacée dans son existence 187
Chapitre VI
L^année 18^ - 192
Chapitre VII
Attaques ultramont aines contre le droit de propriété du Séminaire. —
Réponses des protestants. — Décision du Conseil d'Etat 198
Chapitre VIII
La Faculté et le Séminaire de 1850 à 1860. -- Les professeurs. — Les
étudiants 210
Chapitre IX
Nouveaux débats sur la discipline et les études. — Attaques contre le
Séminaire et son enseignement 231
Chapitre X
Timothée Colani. — La Revue de théologie. — Colani chargé de cours
au Séminaire. — Protestations de l'orthodoxie 241
TROISIÈME PÉRIODE
1864-1872
CHAPITRE I
Nouvelles vacances au Séminaire et à la Faculté. — Revendications
orthodoxes. — Lutte entre les tendances libérale et conservatrice.
— Colani et Lichtenberger ■ . , . . 251
TABLE DES MATIÈRES 335
Chap.trb II
L'année 1869-1870. — Auguste Sabalier. — Le Séminaire et la Faculté
de théologie à leur apogée 266
Chapitre III
La guerre de 1870. — Dissolution de la Faculté de théologie et du Sémi-
naire protestant 283-
Conclasion 295
PIEGES JUSTIFICATIVES
I. PlÈCJBS RELATIVES A l'ACADÉMIB PROTESTANTE
lo Loi organique du 18 Germinal an X * . . 297
2o Articles organiques de l'Académie des Protestants de la Confession
d'Augsbourg, 30 Floréal an XI 297
30 Premier programme des cours de l'Académie protestante 29S
II. Pièces relatives a la création de la Faculté de théologie
1° Lettre de M. Koch à M. Cuvier 302"
2o Extrait d'une lettre de M. Koch à M. Darbaud 304r
3° Bases d'un Concordat préparatoire et préalable à l'organisation de la
Faculté de Théologie protestante de l'Académie de Strasbourg . , 304
40 Déclaration du Directoire sur un projet de convention pour la réunion
en une seule et même Faculté des deux cultes de la Confession
d'Augsbourg et helvétique 305
5* Délibération des Professeurs sous-signés sur le projet d'une Faculté
théologique composée de membres de la Confession d'Augsbourg et
helvétique 307
60 Rapport du Directoire sur les considérations qui peuvent nous faire
désirer la prompte création d'une Faculté de théologie protestante
à Strasbourg 309
70 Lettre du Président du Directoire à S. E. Monsieur le Comte de Fon-
tanes, grand maître de l'Université impériale 310
80 Note sur les motifs pour lesquels le Séminaire protestant pourrait
demander la continuation de son entière indépendance dans le cas
où il serait question de le changer en une Faculté de Théologie
de rUniversité de France ou d'établir une telle Faculté dans son sein 312
9® Réflexions sur la formation d'une Faculté de Théologie protestante
dans l'Académie Royale de Strasbourg 313
10« Copie de l'arrêté du Ministre qui confirme celui de la Commission
d'Instruction publique sur l'établissement d'une Faculté de Théo-
logie à Strasbourg 316
III. Pièce relative aux revendications ultramontaines
Observations sur quelques passages du Mémoire du chapitre de la Cathé-
drale de Strasbourg, tendant à la revendication des bâtiments du
Séminaire 318
336 TABLE DES MATIERES
IV. Critique de l'enseignement du Séminaire et de la Faculté
DE THÉOLOGIE
Extrait d'une lettre du pasteur Cuvier de Paris au Président du Directoire 320
V. Protestation contre les ingérences de l'orthodoxie
PARISIENNE
Protestation de notables strasbourgeois contre la prétention de l'ortho-
doxie parisienne d'empêcher deux savants de mérite (Colani et
Cunitz) d'être nommés au Séminaire 322
YI. Pièces relatives aux présentations et nominations
AUX chaires vacantes en 1864;
lo Lettre du Président du Directoire au Recteur de l'Académie. . . . 325
2o Lettre du Recteur de l'Académie au Président du Directoire 326
3° Arrêté de la Faculté de Théologie protestante 327
40 Lettre de M. Colani au Doyen de la Faculté de Théologie 329
50 Extrait de la lettre de M. Kienlen 330
60 Extrait de la lettre de M. Lichtenberger 330
70 Lettre du Président du Directoire au Recteur de l'Académie 330
80 Extrait du registre des délibérations de la Faculté de Théologie pro-
testante de Strasbourg , 332
Imprimerie Alsacieiine, Strasbourg.
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