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Full text of "La Faculté de théologie et le Séminaire protestant de Strasbourg (1803-1872) : une page de l'histoire de l'Alsace"

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D*HISTOIRK    ET  DE    PHILOSOPHIE  RELIGIEUSES 

PAR  LA  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE  PROTESTANTE 

DE  L'UNIVERSITÉ  UK  STRASBOURG 


Fascicule  7 


LA 

LTÉ  DE  THÉOLOGIE 

ET 

LE  SÉMINAIRE  PROTESTANT 

DE  STRASBOURG 

(1803—1872) 

Une  page  de  l'Histoire  de  ï Alsace 

PAR 

CH.  TH.  GÉROLD 

Docteur  en  Théologie,  Pasteur  de  l'Église  St-NiooLAS 


LIBRAIRIE  ISTRA 

MAISON  d'ÉDÏTION 


STRASBOURG 

35,  rue  des  Juifs 


PARIS  (lie) 

57,  rue  de  Richelieu 


1923 


Prix:  15  îr, 


THE  LIBRARY 


The  Ontario  Institute 


for  Studies  in  Education 


Toronto,  Canada 


11. 


LA  FACULTE  DE  THEOLOGIE 
DE  STRASBOURG 


ÉTUDES    D'HISTOIRE    ET   DE    PHILOSOPHIE  RELIGIEUSES 

PUBLIÉES  PAR  LA  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE  PROTESTANTE 

DE  L'UNIVERSITÉ  DE  STRASBOURG 

Fascicule  7 


LA 

FACULTÉ  DE.THÉOLOOIE 

ET 

LE  SÉMINAIRE  PROTESTANT 

DE  STRASBOURO 

(1803—1872) 

Une  page  de  l'Histoire  de  l'Alsace 

PAR 

CH.  TH.  GÉROLD 

Docteur  en  Théologie,  Pasteuh  de  l'Église  S^-Nicolas 


LIBRAIRIE  ISTRA 

MAISON  d'Édition 


STRASBOURG 

15,  rue  des  Juifs 


PARIS    (Ile) 
57,  rue  de  Richelieu 


1923 


Imprimerie  Alsacienne  Strasbourg. 


% 


PRÉFACE 


J'avais  voulu  faire  paraître  ces  pages  U  y  a  quatre  ans, 
à  V occasion  du  centième  anniversaire  de  la  création  de  la 
Facilité  de  théologie  protestante  de  Strasbourg.  C'était,  en 
effet,  le  moment  de  dire  ce  que  cette  institution  a  été  durant 
les  cinquante  années  de  son  existence.  Des  raisons  d'ordre 
matériel  m'en  ont  empêché.  Aujourd'hui  que  ces  raisons 
n'existent  plus,  je  reviens  à  mon  dessein  de  publier  non 
seulement  l'histoire  de  la  Faculté  de  théologie,  mais  celle 
de  l'Académie  protestante  ou  du  Séminaire  d'où  la  Faculté 
est  sortie. 

Ce  qui  m'y  engage,  c'est  que  ce  chapitre  de  l'histoire 
de  l'Alsace,  bien  que  d'un  intérêt  véritable,  est  peu  connu 
de  la  génération  actuelle.  On  ne  sait  rien  ou  presque  rien, 
même  dans  les  cercles  instruits,  de  ces  deux  institutions  qui 
ont  été  des  facteurs  importants  dans  le  développement  de  la 
vie  intellectuelle,  morale  et  religieuse  de  notre  province, 
depuis  le  commencement  du  siècle  dernier  jusqu'à  la  guerre 
de  1870.  On  ne  connaît  guère  que  de  nom,  et  souvent  pas  même 
de  nom,  ces  hommes  qui  n'ont  pas  été  seulement  des  maîtres 
de  la  science,  les  éducateurs  de  trois  générations  de  pasteurs, 
mais  qui,  dans  des  moments  difficiles,  ont  dignement  repré- 
senté le  protestantisme  alsacien  et  dont  plusieurs  ont  person- 
nifié en  eux  les  idées  et  les  principes  qui  nous  sont  chers. 

Cette  ignorance,  ou  cet  oubli,  est  presque  de  l'ingratitude. 
Je  crois  donc  faire  œuvre  utile  et  en  même  temps  remplir  un 
devoir  de  reconnaissance  envers  des  hommes  qui  ont  bien 
mérité  de  notre  pays  et  de  notre  Eglise  en  publiant  ces  pages 
qui  donnent  quelques  détails  précis  sur  le  Séminaire  protestant 
et  sur  la  Faculté  de  théologie.  Ces  détails,  je  puis  le  dire,  sont 


VI 


PREFACE 


empruntés  aux  documents  les  plus  authentiques.  Aux  sources 
imprimées,  programmes  du  Séminaire,  rapports  de  la  Faculté, 
actes  du  Directoire,  aux  oraisons  funèbres,  articles  nécrolo- 
giques, notices  biographiques  consacrés  aux  membres  des  deux 
institutions,  j^ai  pu  joindre  de  nombreux  documents  inédits, 
procès-verbaux  des  séances  de  V Académie  protestante  et  du 
Séminaire,  lettres  et  pièces  officielles  enfouies  dans  les 
archives  du  Directoire  et  du  Séminaire,  et  dans  les  archives 
nationales  et  départementales.  J'ai  pu  reproduire  les  témoi- 
gnages des  représentants  de  diverses  promotions  d'élèves, 
depuis  ceux  du  doyen  Bruch,  qui  a  suivi  les  cours  des  premiers 
ynaîtres  de  V Académie  protestante,  jusqu'à  ceux  du  profes- 
seur Lobstein,  qui  a  été  étudiant  dans  la  dernière  année  de 
la  Faculté.  J'ai  puisé  dans  les  Souvenirs  inédits  et  parti- 
culièrement précieux  d'Edouard  Reuss,  que  mon  excellent 
ami,  M.  le  professeur  Rodolphe  Reuss,  a  mis  très  libérale- 
m,ent  à  ma  disposition.  Et  enfin,  j'ai  pu,  pour  une  certaine 
période  du  moisis,  consulter  mes  propres  souvenirs.  Elève 
du  Séminaire  et  de  la  Faculté  dans  les  années  1855  à  1860, 
j'ai  eu  pour  maîtres,  au  Séminaire,  les  professeurs  Matter  et 
Hasselmann,  Stahl  et  Kreiss,  Bartholmess  et  Waddington, 
Baum  et  Cunitz,  et  à  la  Faculté,  à  côté  du  doyen  Bruch,  les 
professeurs  Fritz  et  Jung,  Reuss  et  Schmidt.  J'ai  également 
connu  ceux  qui  sont  venus  plus  tard,  Colani  et  Lichtenberger, 
Weber  et  Sabatier,  et  j'ai  suivi  avec  intérêt  l'activité  qu'ils 
ont  déployée  dans  notre  Ecole  de  théologie. 

Je  n'ai  pu,  on  le  comprend,  entrer  dans  de  longs  détails 
sur  les  personnes  et  les  choses  qui  sont  racontées  ici.  J'ai 
dû  me  borner  à  présenter  dans  un  cercle  restreint  les  faits 
qui  offraient  un  intérêt  plus  général  et  à  esquisser  en  traits 
rapides  et  sommaires  la  physionomie  des  savants  auxquels 
le  Séminaire  et  la  Faculté  ont  dû  leur  renom.  J'ai  tâché 
d'être  impartial  autant  qu'on  peut  l'être  avec  ceux  qu'on 
vénère  et  qu'on  aime,  sans  cacher  leurs  faiblesses.  J'ai  tâché 
de  l'être  surtout  dans  ces  chapitres  douloureux  qui  relatent 
les  attaques  dirigées  par  l'orthodoxie  parisienne  contre  l'en- 
seignement du  Séminaire  et  de  la  Faculté,  et  les  incidents 
qui  ont  précédé  la  nomination  de  Colani  et  de  Lichtenberger. 
Je  n'ai  pu  passer  sous  silence  les  conflits  qui  se  sont  produits 
alors,  mon  devoir  d'historien  ne  le  permettait  pas,  mais  je 
me  suis  efforcé  de  les  relater  aussi  objectivement  que  possible. 


PRÉFACE  VII 

Ce  que  j^ai  voulu  avant  tout,  c^est  donner  un  pieux 
souvenir  à  ces  maîtres  excellents  auxquels  leurs  nombreux 
élèves,  auxquels  V Eglise  protestante  d'Alsace  et  V Eglise  pro- 
testante de  France  tout  entière  doivent  beaucoup,  rappeler 
les  mérites  qu'ils  ont  eus  et  les  services  qu'ils  ont  rendus, 
et  empêcher  que  l'image  de  leur  personne  et  de  leur  activité 
ne  s'efface,  comme  il  arrive  si  facilement  dans  le  déroule- 
ment  des  années. 

Je  ne  sais  si  j'ai  réussi  dans  cette  tâche.  Je  me  flatte 
pourtant  de  l'espoir  que  ces  pages  seront  parcourues  avec 
quelque  intérêt  par  ceux  qui  sont  curieux  des  choses  d'Alsace 
d'avant  1870,  par  ceux-là  surtout,  devenus  très  rares,  qui 
ont  passé  par  les  salles  de  cours  et  d'examen  du  Séminaire 
et  de  la  Faculté,  et  qui  y  retrouveront  des  figures  connues 
et  vénérées  et  des  noms  qu'ils  prononceront  avec  une  pieuse 
reconnaissa/nce. 

l^r  Janvier  1923.  Th.  GEROLD. 


PREMIERE  PERIODE 
1803-1820 


CHAPITRE  I 

Création  de  rAcadémie  protestante  —  Son  ouverture  publique 


L'Académie  protestante  —  plus  tard  Séminaire  protes- 
tant —  de  Strasbourg,  établie  par  décret  consulaire  du 
30  floréal  an  XI,  en  exécution  de  l'article  9  de  la  loi  orga- 
nique du  18  germinal  an  X,  était,  de  fait,  Théritière  et  la 
continuatrice  de  l'ancienne  Université,  qui,  après  avoir  long- 
temps et  vaillamment  lutté  pour  son  existence,  s'était  éteinte 
dans  la  tourmente  révolutionnaire.  En  disparaissant,  la 
vieille  école  strasbourgeoise  laissait  derrière  elle  le  souvenir 
d'un  long  et  glorieux  passé.  D'abord,  simple  académie,  fondée 
en  1566  par  l'empereur  Maximilien  II,  aux  sollicitations 
de  Jean  Sturm,  et,  depuis  1621,  Université  dotée  par  Ferdi- 
nand II  de  tous  les  droits,  privilèges  et  immunités  dont  jouis- 
saient ces  savantes  corporations,  elle  s'était  acquis  de  bonne 
heure  une  haute  et  légitime  réputation.  Assise  sur  les  con- 
fins de  deux  grands  pays,  elle  avait  tout  naturellement 
pris  un  caractère  international,  attirant  par  la  célébrité  de 
&es  professeurs,  par  l'excellence  de  ses  méthodes,  par  l'esprit 
large  et  libéral  dont  eUe  était  animée,  et,  plus  tard,  par  l'en- 


*)  A.  Chéruel,  Vancienne  Université  et  V Académie  de  Strasbourg. 
Strasbourg,  1866. 

C.  Varrentrapp,  Die  Strassburger  Universitàt  in  der  franzôsischen 
Révolution,  dans  la  Zeitschrift  filr  Geschichte  des  Oberrheins.  Neue 
Folge,  13,  1898,  p.  448  ss. 


2  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOUEG 

seignement  donné  dans  les  trois  langues,  latine,  allemande 
et  française,  des  auditeurs  appartenant  à  toutes  les  nations 
de  PEurope.  Nous  savons,  par  des  documents  officiels,  le 
chiffre  des  étrangers  qui,  vers  la  fin  du  X Ville  siècle,  sui- 
vaient les  cours  de  TUniversité  strasbourgeoise.  On  y  comptait 
vingt-trois  Anglais  et  Ecossais,  dix-sept  Allemands,  Flamlands 
et  Autrichiens,  trois  Italiens,  deux  Espagnols,  onze  Danois 
et  Suédois,  cinq  Polonais  et  Courlandais,  quatorze  Eusses 
et  Livoniens.  La  plupart  de  ces  auditeurs  suivaient  les  cours 
de  la  Faculté  de  médecine,  renommée  par  ses  établissements 
scientifiques,  son  amphithéâtre  anatomique,  ses  cliniques  chi- 
rurgicales et  autres.  La  réputation  dont  jouissait  à  cet  égard 
l'Université  de  Strasbourg  avait  même  décidé  Pillustre  famille 
de  Galitzin  à  fonder  des  bourses  en  faveur  des  jeunes  Russes 
qui  viendraient  y  faire  et  y  achever  leurs  études  médicales. 
La  vieille  école  attirait  les  Français  et  les  étrangers  par 
d'autres  avantages.  A  côté  de  la  théologie  et  du  droit,  des 
sciences  mlédicales,  naturelles  et  mathémathiques,  on  y  en- 
seignait les  sciences  militaires,  et  Choiseul,  premier  ministre 
de  Louis  XV,  avait  envoyé  des  élèves  de  l'école  royale  mili- 
taire de  Paris  à  Strasbourg,  pour  y  être  initiés  à  l'art  des 
fortifications.  Mais  c'étaient  avant  tout,  dans  la  seconde 
moitié  du  XVIIIe  siècle,  les  cours  de  droit  public  et  de  droit 
des  gens,  institués  par  le  célèbre  SchœpflÎQ  et  continués  par 
son  disciple  Koch,  qui  attiraient  les  jeunes  gens  de  tous  les 
pays  qui  se  destinaient  à  la  carrière  diplomatique,  et  parmi 
eux  les  fils  des  premières  maisons  de  France,  d'Allemagne 
Cl  de  Russie.  H  suffira  de  citer  parmi  les  diplomates  ou 
hommes  d'Etat  sortis  de  ce  qu'on  appelait  alors  l'école  de 
Strasbourg,  le  comte  Louis  de  Narbonne,  qui  fut  successive- 
ment ministre  de  Louis  XVI  et  aide-de-camp  de  Napoléon; 
le  comte  de  Ségur,  également  célèbre  dans  les  lettres  et  dans 
la  diplomatie;  Gérard  de  Nerval,  le  baron  de  Bourgoing  et  le 
baron  Bignon,  qui,  tous  trois,  s'illustrèrent  comme  négocia- 
teurs sous  le  premier  empire;  puis,  le  comte  Gustave  de 
Stackelberg  et  le  prince  Ramowsky,  qui,  avec  le  comte  de 
Nesselrode,  représentèrent  la  Russie  au  congrès  de  Vienne, 
le  comte  de  Cobenzl,  qui  discuta  avec  le  premier  consul  les 
conditions  de  la  paix  de  Campo-Formio,  et  enfin  le  prince  de 
Metternich,  dont  l'influence  sur  les  destinées  de  l'Europe  est 
bien  connue. 


l'univeesité  menacée  3 

L'affluence  de  ces  jeunes  gens,  non  seulement  de  nom 
illustre,  mais  de  grande  fortune,  contribuait  puissamment  à 
la  prospérité  de  TUniversité  aussi  bien  qu'à  celle  de  la  ville, 
puisque,  d'après  le  témoignage  des  professeurs  Koch  et 
Haffner,  ils  dépensaient  plus  d'un  million  par  an. 

A  cet  état  de  choses  si  satisfaisant  Tannée  1789-1790  vint 
apporter  un  brusque  changement.  Quand  l'agitation  révo- 
lutionnaire, née  à  Paris,  gagna  la  province,  les  étudiants 
étrangers,  ceux-là  surtout  qui  appartenaient  à  la  noblesse,  se 
hâtèrent  de  quitter  Strasbourg.  Cet  exode  porta  un  rude  coup 
à  l'Université.  Bientôt,  un  danger  plus  sérieux  la  menaça. 
L'Assemblée  nationale  venait  de  décréter  de  mettre  les  biens 
ecclésiastiques  à  la  disposition  de  la  nation,  et  l'on  pouvait 
craindre  que  cette  mesure  ne  fût  étendue  aux  protestants 
d'Alsace,  qui,  de  ce  fait,  se  voyaient  enlever  les  biens  que  des 
traités  solennels  leur  avaient  garantis  depuis  200  ans.  Or,  ces 
biens  servaient,  en  grande  partie  du  moins,  à  l'entretien  de 
l'Université,  c'est-à-dire  au  traitement  des  treize  professeurs 
qu'elle  comptait  alors;  les  confisquer,  c'était  donc  priver 
l'Université  de  ses  moyens  d'existence,  et,  par  conséquent,  la 
condamner  à  disparaître.  Ce  danger  fut  pourtant  écarté.  Dès 
le  mois  de  mai  1790,  le  comité  des  affaires  ecclésiastiques 
faisait  à  cet  égard  les  déclarations  les  plus  rassurantes,  et,  le 
17  août  de  la  même  année,  l'Assemblée  nationale  décrétait  que 
les  protestants  des  deux  confessions  d'Augsbourg  et  helvé- 
tique habitant  l'Alsace  continueraient  à  jouir  des  mêmes 
droits,  libertés  et  avantages  dont  ils  étaient  en  droit  de  jouir. 
Un  nouveau  décret  de  l'Assemblée,  sanctionné  par  la  loi  du 
10  décembre  1790,  était  encore  plus  explicite  à  cet  égard,  il 
exceptait  «  les  biens  possédés  actuellement  par  les  établisse- 
ments des  Protestants  des  deux  confessions  d'Augsbourg  et 
helvétique  de  la  vente  des  biens  nationaux,  »,  ajoutant  «  qu'ils 
seraient  administrés  comme  par  le  passé  ». 

L'existence  de  l'Université  semblait  donc  assurée  pour 
l'avenir.  Mais  déjà  les  projets  de  réorganisation  du  haut  en- 
seignement, discutés  à  l'Assemblée  nationale,  la  menaçaient  à 
nouveau.  Mirabeau  proposait  la  création  de  lycées  où  l'on 
devait  enseigner  «  les  lettres,  les  sciences  et  les  arts  »,  Con- 
dorcet  celle  d'établissements  où  «toutes  les  sciences  seraient 
enseignées  dans  toute  leur  étendue  »,  Talleyrand,  enfin,  venait 
au  nom  du  Comité  de  constitution,  recommander  la  création, 

1* 


4  LA   FACULTE   DE    THEOLOGIE   DE   STRASBOURG 

dans  la  capitale,  d'un  Institut  national  qui  réunirait  tous 
les  moyens  d'instruction  et  d'enseignement  de  toutes  les  con- 
naissances humaines.  Dans  les  départements,  il  n'y  aurait 
que  des  écoles  spéciales  pour  former  les  ministres  de  la 
religion,  les  hommes  de  loi,  les  médecins  et  les  militaires. 

A  Strasbourg,  on  ne  manqua  pas  de  protester  hautement 
contre  un  système  aussi  exclusif.  Au  mois  de  décembre  1789 
déjà,  le  professeur  Koch  avait  été  envoyé  à  Paris  pour  dé- 
fendre les  droits  des  protestants  d'Alsace  et  les  intérêts  de 
l'Université  de  Strasbourg,  et,  le  28  janvier  1790,  le  recteur 
Kugler  lui  mandait  qu'il  avait  réuni  chez  lui  les  doyens  des 
quatre  facultés,  Weber,  Braun,  Hermamn  et  Oberlin,  pour 
délibérer  avec  eux  sur  la  situation  de  l'Université.  «  Nous 
nous  occupons  »,  écrivait-il,  «  à  dresser  un  tableau  général 
de  notre  Université,  en  y  détaillant  les  différentes  sciences 
qui  y  sont  cultivées  et  la  méthode  dont  on  s'y  sert,  méthode 
absolument  différente  de  celle  qui  est  reçue  dans  les  autres 
Universités  du  Eoyaume  pour  les  enseigner;  le  tout  pour 
faire  sentir  d'avance  le  grand  intérêt  que  la  nation  pourrait 
avoir  de  conserver  notre  Université  dans  le  même  état,  dans 
lequel  elle  a  été  depuis  sa  fondation  jusqu'à  ce  jour.  »  ^) 
Haffner,  qui  venait  d'être  nommié  aux  fonctions  de  recteur, 
entreprit,  à  son  tour,  de  démontrer  les  inconvénients  qu'en- 
traînerait la  réalisation  du  projet  de  Talleyrand.  Il  voulait 
bien  que  la  capitale  possédât  un  établissement  littéraire 
embrassant  toutes  les  branches  des  connaissances  humaines, 
mais  il  trouvait  souverainement  injuste  de  réserver  à  la  seule 
capitale  l'enseignement  des  sciences  historiques,  de  la  philo- 
sophie et  des  belles-lettres,  comme  si  le  théologien,  le  juris- 
consulte, le  médecin,  formés  en  province,  pouvaient  se  passer 
d'une  culture  d'esprit  générale.  Il  rejetait  donc  l'idée  d'écoles 
spéciales  et  réclamait  la  création,  dans  plusieurs  départements 
du  royaume,  «de  grands  établissements  littéraires,  des  Insti- 
tuts de  hautes  sciences,  qui  puissent  offrir  sur  tous  les  objets 
des  connaissances  humaines  une  instruction  complète  ».  Stras- 
bourg, disait-il,  possède  un  tel  Institut  dans  son  Université, 
qu'on  ne  devait  pas  confondre  avec  ses  sœurs  aînées  de 
France.  «  Entre  elles  existe  la  différence  qui  existe  entre  le 


*)  Archives  du  Séminaire. 


LES   PROFESSEURS   ACCUSES   DE   MODERANTISME  5 

catholicisme  et  le  protestantisme.  Là,  Taiitorité  et,  dans  sa 
suite,  la  routine,  les  préjugés,  l'aveugle  attachement  aux  idées 
du  passé;  ici,  la  liberté,  le  progrès,  la  compréhension  des 
besoins  du  siècle.  » 

Les  professeurs  de  l'Université  intervinrent,  eux  aussi, 
dans  le  débat.  Dans  une  adresse  au  Comité  de  l'Instruction, 
rédigée  par  Blessig,  ils  énumérèrent  les  raisons  qui  militaient 
en  faveur  du  maintien  de  l'ancienne  organisation  de  l'école 
de  Strasbourg,  affirmant  qu'ainsi  elle  pourrait  rendre  des 
services  plus  réels  et  contribuer  efficacement  à  propager  les 
idées  nouvelles. 

A  Paris,  ces  protestations  trouvèrent  peu  d'écho.  On 
avait  décidé  d'établir  un  lycée  à  Strasbourg  et  on  jugeait 
inopportun  de  laisser  subsister  l'ancien  régime  à  côté  du  nou- 
veau. Cependant,  l'Université  n'était  pas  inquiétée  et  les  pro- 
fesseurs continuaient  à  donner  leurs  cours.  Cela  changea  avec 
l'arrivée  des  terroristes.  Ce  fut  alors  la  suspicion,  la  persé- 
cution de  tous  ceux  qu'on  accusait  de  modérantisme  et  parti- 
culièrement des  membres  de' l'Université.  La  Eévolution,  en 
1789,  avait  été  accueillie  par  eux  avec  enthousiasme.  Le  pro- 
fesseur d'éloquence,  Lorentz,  avait  salué,  dans  un  discours 
latin,  cette  «  ère  nouvelle  »,  cette  «  ère  de  liberté,  d'unité  et 
d'égalité»  qui  se  levait  pour  la  France.  Tant  que  la  Eévo- 
lution était  restée  fidèle  aux  principes  de  1789,  l'Université 
de  Strasbourg  l'avait  soutenue  avec  énergie.  Plusieurs  de  ses 
professeurs  s'étaient  même  mêlés  aux  affaires  et  avaient 
occupé  des  fonctions  municipales  ou  politiques.  Mais  lorsqu'à 
la  liberté  succéda  une  sanglante  anarchie,  Blessig  et  ses  col- 
lègues protestèrent  hautement  contre  les  violences  démago- 
giques. C'était  aux  yeux  des  terroristes  un  crime  qu'il  fallait 
punir  avec  la  plus  grande  rigueur.  Schweighaeuser  fut  banni 
de  la  ville;  Oberlin  fut  emmené  à  Metz,  jeté  sur  la  paille  et 
traité  comme  le  dernier  des  criminels;  Blessig  et  Haffner, 
Braun  et  Koch  se  virent  incarcérer  à  Strasbourg  et  restèrent 
pendant  de  longs  mois  en  prison.  Les  professeurs  qu'on  avait 
épargnés  ne  purent  plus  songer  à  continuer  leur  enseignement. 

La  loi  du  15  septembre  1793  prononça  la  suppression  des 
Universités  dans  toute  la  France.  Il  est  vrai  que  cette  loi  fut 
suspendue  dès  le  lendemain  de  sa  promulgation,  mais  si  les 
anciens  établissements  continuaient  à  exister  en  droit,  ils 
avaient  cessé  d'exister  en  fait.    Plus  d'auditeurs!    Les  jeunes 


6  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE   DE   STEASBOUilG 

gens  de  18  à  25  ans  avaient  été  réquisitionnés  pour  la  défense 
du  pays  et  les  salles  de  cours  restaient  vides. 

Après  la  chute  de  Eobespierre,  les  professeurs  qui  avaient 
été  incarcérés  furent  remis  en  liberté  et  plusieurs  d'entre  eux 
reprirent  leur  enseignement,  non  publiquement,  mais  chez  eux, 
avec  trois  ou  quatre  élèves.  «  Les  chrétiens,  dit  Blessig,  se 
répandirent  de  nouveau  dans  les  temples,  et  çà  et  là  quel- 
ques étudiants  dans  nos  appartements  privés.  »  Mais  il  ne 
pouvait  être  question  de  faire  revivre  l'Université.  Les  imma- 
triculations étaient  à  peu  près  nulles.  De  1795  à  1802,  on  en 
compte  douze. 

La  loi  du  7  nivôse  de  Tan  III,  qui  créait  les  écoles  cen- 
trales, ne  faisait  aucune  mention  des  Universités  ni  des 
Facultés.  Universités  et  Facultés  s'étaient  éteintes  l'une  après 
l'autre.  Les  écoles  centrales  étant  destinées  aux  classes  élevées 
de  la  société  et  la  jeunesse  devant  y  apprendre  les  sciences 
et  les  lettres,  les  arts  et  les  métiers,  il  n'y  avait  plus  au- 
dessus  de  l'enseignement  primaire  d'autre  enseignement  que 
celui  de  ces  écoles. 

Les  écoles  spéciales  de  droit  et  de  médecine  étaient  pour- 
tant inscrites  dans  la  loi.  Trois  de  ces  dernières  furent  créées 
pour  assurer  le  service  de  la  santé  de  l'armée'),  l'une  d'elles  à 
Strasbourg.  Mais  les  nouvelles  réclamations  des  professeurs 
de  l'ancienne  Université  pour  obtenir  un  établissement  qui 
embrasserait  tout  ce  qui  peut  être  objet  de  science  et  d'ensei- 
gnement restèrent  sans  résultat. 

Dans  la  nouvelle  assemiblée,  l'ensâgnement  encyclopédique 
des  Universités  trouva  pourtant  des  défenseurs.  On  comprit 
que  l'œuvre  de  la  Convention  était  sinon  à  refaire,  au  moins 
à  modifier  et  à  compléter.  Une  commission  mixte,  composée  en 
partie  de  membres  de  l'Institut,  en  partie  de  membres  du 
Conseil  des  Cinq  Cents,  fut  chargée  de  préparer  un  projet 
d'organisation  des  écoles  spéciales.  Le  projet  eut  le  sort  de 
ceux  qui  l'avaient  précédé.  La  Eévolution  était  trop  affaiblie 
pour  exécuter  ce  qu'elle  avait  conçu. 

Ce  ne  fut  qu'après  le  coup  d'Etat  du  18  brumaire  que  la 
période  législatrice  commença  en  France.  Mais  tandis  que 
la  loi  du  1^'  mars  1802  prévoyait  la  création  de  dix  Facultés 
de  droit,  rien  n'était  fait  pour  l'étude  des  autres  sciences,  ni 


*)  Décret  du  4  décembre  1794 


VNB   ACADE^HE   PROTESTANTE   A   STRASBOUEG  7 

surtout  de  la  théologie.  Cependant,  quand  eut  lieu  la  restau- 
ration des  cultes,  il  fallut  songer  à  assurer  la  préparation  des 
ministres  de  la  religion.  Alors  parut  la  loi  organique  du  18 
germinal  an^  qui  stipulait  à  Tarticle  9:  «Il  y  aura  deux  Aca- 
démies ou  Séminaires  dans  l'Est  de  la  France,  pour  Tinstruc- 
tion  des  ministres  de  la  Confession  d'Augsbourg.  »  Il  n'était 
pas  douteux  que  Tune  de  ces  Académies  dût  être  établie  à 
Strasbourg. 

Le  professeur  Koch,  qui  continuait  à  représenter  à  Paris 
les  intérêts  de  l'Université  de  Strasbourg  en  même  temps  que 
ceux  des  protestants  d'Alsace,  fut  appelé  à  traiter,  avec  les  con- 
seillers d 'Etat  Fourcroy  et  Eœderer,  cette  importante  question 
d'une  Académie  protestante.  Dans  un  mémoire  détaillé,  il 
montra  ce  que  l'Université  de  Strasbourg  avait  été  autrefois, 
ce  qu'elle  était  devenue  par  la  Eévolution,  et  ce  qu'elle  pour- 
rait devenir  par  une  nouvelle  organisation  adaptée  aux  lois 
de  l'Etat  et  à  la  situation  particulière  de  la  viUe  de  Strasbourg. 
«  L'Université  strasbourgeoise  »,  disait-il,  «  est,  avec  les  fon- 
dations, un  établissement  protestant  reconnu  et  confirmé 
comme  tel;  il  existe,  dans  cette  Université,  une  Faculté  de 
théologie  qui  a  servi  dans  tous  les  temps  à  former  des  mi- 
nistres du  culte,  il  ne  s'agirait  donc  que  de  la  rétablir  sous  la 
dénomination  d'Académie.  »  Il  pensait  toutefois  que  cette  nou- 
velle Académie  pourrait  en  même  temps  tenir  lieu  de  lycée. 
A  côté  des  professeurs  de  théologie,  il  y  en  aurait  d'autres 
pour  l'instruction  de  la  jeunesse  de  tous  les  cultes.  De  cette 
façon,  la  plupart  des  professeurs  de  l'Université  pourraient 
être  employés  dans  la  nouvelle  Académie. 

Dans  son  mémoire  sur  l'établissement  d'une  Académie  des 
Protestants  de  la  Confession  d'Augsbourg  à  Strasbourg,  Koch 
déclarait  encore:  «  Il  suffira  de  laisser  subsister  les  choses  sur 
l'ancien  pied  en  donnant  à  l'ancienne  Université  une  nouvelle 
organisation  adaptée  à  l'esprit  de  la  loi  sur  les  cultes  et  à 
l'état  actuel  de  l'enseignement  public.  L'ancienne  Université 
était  composée  des  quatre  Facultés,  elle  n'en  aura  désormais 
que  deux,  celle  de  théologie  et  celle  de  philosophie  et  belles- 
lettres.  On  pourra  se  passer  des  deux  autres,  puisqu'il  y  a 
déjà  à  Strasbourg  une  école  de  médecine  et  qu'il  y  a  lieu  de 
croire  qu'en  vertu  de  la  dernière  loi  sur  l'instruction  publique, 
il  y  aura  aussi  une  école  de  droit  et  d'économie  politique. 
Quatre  professeurs  de  théologie  enseigneraient  la  dogmatique, 


8  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE   DE   STKASBOUBG 

la  morale,  Fexégèse  et  Fliomilétique.  A  côté  d'eux,  il  y  aurait 
six  professeurs  en  philosophie  et  belles-lettres  pour  l 'enseigne- 
ment de  la  langue  et  de  la  littérature  grecques,  des  langues 
orientales,  de  la  psychologie,  de  la  logique  et  de  la  métaphy- 
sique, de  la  morale  philosophique  et  du  droit  naturel,  de  l'his- 
toire ecclésiastique,  de  l'histoire  de  la  philosophie  et  de  la 
société  civile,  du  droit  canon  et  ecclésiastique  de  France  et  des 
Protestants,  de  l'histoire  littéraire  et  de  la  bibliographie.  Ces 
dix  chaires  seraient  en  rapport  avec  les  revenus  dont  dispose 
la  fondation  de  Saint-Thomas.» 

L'Académie  étant  destinée  à  l'instruction  des  pasteurs 
protestants,  Koch  pensait  qu  'il  serait  indiqué  de  la  mettre  sous 
la  surveillance  du  Directoire  du  Consistoire  général  de  la 
Confession  d'Augsbourg. 

Tandis  que  Koch,  nommé  au  tribunat,  profitait  de  sa  nou- 
velle dignité  pour  faire  avancer  les  négociations  relatives  à 
l'Académie  et  au  culte  protestant,  les  professeurs  de  l'ancienne 
Université  discutaient  à  Strasbourg  l'organisation  de  la  nou- 
velle école.  La  question  qui  se  présentait  tout  d'abord  était 
celle  de  la  composition  de  l'Académie.  Conserverait-on  les 
treize  chaires  qui  avaient  existé  à  l'Université  ou  en  rédui- 
rait-on le  nombre  ?  Les  avis  étaient  partagés.  Les  uns,  partant 
du  principe  qu'il  fallait  conserver  aux  protestants  le  plus  de 
places  possible,  opinaient  pour  le  maintien  des  treize  chaires; 
les  autres,  estimant  que  les  revenus  de  la  fondation  de  Saint- 
Thomas,  très  entamés  par  la  Eévolution,  ne  suffiraient  pas,  et 
que  l'Académie,  en  tant  qu'établissement  protestant,  n'avait 
à  attendre  aucun  secours  de  l 'Etat  ni  de  la  ville,  tandis  qu  'elle 
aurait  à  supporter  de  lourdes  charges,  étaient  pour  la  réduc- 
tion du  nombre  des  professeurs  titulaires  à  dix.  On  s'arrêta 
finalement  à  ce  nombre.  Le  4  frimaire  de  l'an  XI,  le  profes- 
seur Braun  écrivait  à  Koch:  «  On  est  enfin  convenu  de  vous 
indiquer  dix  chaires,  qu'on  croit  indispensables  et  d'ajouter 
trois  supplémentaires  au  cas  qu'on  voudrait  en  établir  treize 
pour  remplir  les  treize  prébendes  qui  ont  été  attribuées  ci- 
devant  aux  professeurs  de  l'Université.  »  Il  indiquait  en  même 
temps  l'objet  des  cours  qui  devaient  être  professés  dans  ces 
chaires:  la  théologie  dans  les  quatre  premières,  et  dans  les  six 
autres  la  langue  grecque,  la  langue  hébraïque  et  les  autres 
langues  orientales,  la  psychologie,  la  logique  et  la  métaphy- 
sique, la  philosophie  morale  et  le  droit  naturel,  l'histoire  de 


l'organisation  de  l'acadéi^ite  terminée  9 

la  philosophie  et  l'histoire  de  la  société  civile,  enfin  le  droit 
canonique  et  ecclésiastique  de  la  France  et  des  protestants. 
Quant  aux  trois  chaires  supplémentaires,  elles  comprendraient 
renseignement  des  antiquités  sacrées  et  profanes,  de  l'his- 
toire ecclésiastique,  de  l'histoire  littéraire  et  bibliothécaire.  Il 
était  entendu,  d'ailleurs,  qu'aucun  des  professeurs  membres 
du  chapitre  de  Saint-Thomas  —  ils  étaient  encore  douze  —  ne 
serait  privé  des  émoluments  qu'il  touchait  de  la  part  de  la 
fondation. 

L'essentiel  était  d'arriver  à  un  prompt  résultat.  Les 
commissaires  chargés  d'organiser  les  lycées  étaient  déjà  à 
l'œuvre  et  on  pouvait  craindre  de  sérieuses  difficultés  de 
leur  part,  si  l'établissement  de  l'Académie  était  différé 
jusqu'à  leur  arrivée  à  Strasbourg.  Oberlin,  dans  une  lettre 
du  28  frimaire  XI,  pressait  Koch  de  hâter  le  plus  possible 
la  conclusion  de  toute  l'affaire.  Il  pensait,  avec  ses  collègues, 
que  l'on  pourrait  obtenir  du  gouvernement  trois  choses: 
1"  que  l'Université  de  Strasbourg  serait  transformée  en 
Académie  protestante  de  théologie;  2°  que  les  biens  de  la 
fondation  de  Saint-Thom'as  seraient  affectés  à  cette  Académie; 
3"  que  la  fondation  de  la  Haute -Ecole  servirait  à  l'entretien  du 
Gymnase  protestant. 

Koch,  en  effet,  ne  perdait  pas  de  temps.  Dès  le 
2  prairial  an  II  il  mandait  à  M.  de  Turckheim:  «L'affaire  de 
notre  organisation  ecclésiastique  et  de  notre  Académie  vient 
d'être  terminée,  approuvée  et  signée  formellement  par  le 
premier  consul...  Toutes  nos  demandes  nous  ont  été  accor- 
dées; le  plan  d'organisation  rédigé  par  le  Président  et 
approuvé  par  notre  Préfet,  a  été  agréé  par  le  gouvernement 
et,  ce  qui  nous  importait  le  plus,  nous  avons  aussi  obtenu 
l'Académie  sur  le  pied  que  nous  avons  désiré...  L'arrêté 
du  gouvernement  est,  à  quelques  termes  près,  le  même  que 
j'ai  proposé  à  la  suite  de  mon  mémoire.»^)  Koch  n'était 
pourtant  pas  très  rassuré  quant  aux  dispositions  de  l'admi- 
nistration départementale:  «Enfin  la  chose  est  faite», 
écrivait-il  le  3  prairial  au  professeur  Weber,  président  du 
Conseil  ecclésiastique  de  Strasbourg,  «mais  je  crois  qu'il 
sera  bon  de  n'en  pas  trop  parler  encore,  afin  qu'on  n'y 


^)  Minutes  des  lettres  sur  T Académie  écrites  à  M.  de  Turckheim 
aux  archives  du  Directoire. 


10  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE  DE   STRASBOUEG 

mette  pas  de  nouvelles  entraves  de  la  part  de  l'adminis- 
tration de  là-bas;  nous  savons  qu'on  cherche  à  nous  arracher 
cette  Académie  sous  différents  prétextes.»') 

Enfin,  le  13  prairial  an  XI  (2  juin  1803),  Portalis,  chargé 
de  toutes  les  affaires  concernant  les  cultes,  annonçait  au 
citoyen  Kern,  nommé  Président  du  Consistoire  général  du 
Haut-  et  du  Bas-Rhin,  que  «le  30  floréal  le  premier  consul 
avait  accordé  à  la  ville  de  Strasbourg  une  des  Académies 
déterminées  pour  l'Est  de  la  France  par  l'article  9  du 
titre  1^^  de  la  loi  du  18  germinal  an  X  sur  les  cultes  pro- 
testants de  la  Confession  d'Augsbourg».  Il  ajoutait,  «comme 
Président  du  Consistoire  général,  vous  êtes  directeur  né  de 
cette  Académie.  Je  vous  adresse  les  Articles  organiques  de 
cet  établissement  auquel  le  Gouvernement  confirme  les  fon- 
dations qui  y  étaient  anciennement  attachées.  »  ^) 

Le  18  prairial,  Koch  écrivait  au  professeur  Weber: 
«J'espère  que  vous  serez  enfin  content  de  moi  et  que  les 
arrangements  surtout  que  j'ai  fait  prendre  pour  notre  Aca- 
démie ne  vous  laisseront  rien  à  désirer.  On  m'a  accordé 
tout  ce  que  j'avais  demandé  sur  cette  importante  question. 
Notre  administration  même  est  maintenue,  et  il  dépendra 
de  nous  de  donner  à  notre  Académie  l'organisation  que  nous 
jugerons  la  plus  convenable.  »  ") 

Dès  lors,  les  choses  allèrent  rapidenient.  Le  20  prairial 
(9  juin  1803),  Blessig  pouvait  annoncer  à  ses  collègues  que, 
par  un  arrêté  du  premier  consul,  les  biens  de  la  fondation 
de  Saint-Thomas  étaient  conservés  aux  Protestants  et  affectés 
à  l'Académie  qui  serait  établie  à  Strasbourg,  et,  le  23  mes- 
sidor, il  leur  communiquait  les  articles  organiques  de  cette 
Académie,  dont  l'article  YI  portait:  «Le  président  du  Con- 
sistoire général  participe  en  sa  qualité  de  Directeur  né  de 
l'Académie  protestante  aux  revenus  de  la  fondation.»  L'as- 
semblée s'occupa  aussitôt  de  préparer  l'exécution  de  cet 
article  en  assignant  au  président  une  place  convenable  à 
sa  dignité,  entre  le  président  et  le  vice-président  de  l'admi- 
nistration, et  en  lui  conférant  la  jouissance  d'une  prébende. 

Le  25  messidor    (14  juillet  1803),    Kern    vint    prendre 


^)  Archives  du  Séminaire  (Papiers  Koch  V). 
*)  Archives  du  Directoire. 
')  Archives  du  Séminaire. 


LA  SEANCE  INAUGUEALE   DE   L'ACADE^nE  11 

place  au  milieu  des  membres  de  P Administration  et  déposa 
sur  le  bureau  l'original  des  Actes  organiques,  dont  le  secré- 
taire donna  lecture.  Le  vice-président  lui  souhaita  la  bien- 
venue, exprimant  l'espoir  que  «guidée  par  ses  lumières, 
l'Administration  acquerrait  de  nouvelles  forces  et  une 
vigueur  dont  elle  n'avait  pu  jouir  depuis  quelque  temps 
par  l'incertitude  de  la  continuation  de  son  existence». 

II 

La  séance  inaugurale  de  l'Académie  protestante  eut  lieu 
le  deuxième  jour  complémentaire  de  l'an  XI  (19  septembre 
1803)  sous  la  présidence  du  citoyen  Kern,  président  du  Con- 
sistoire général  de  l'Eglise  de  la  Confession  d'Augsbourg,  son 
directeur  né.  Tous  les  professeurs  de  l'ancienne  Université 
qui  avaient  survécu  à  la  tourmente  révolutionnaire  y  avaient 
été  convoqués  comme  membres  de  la  nouvelle  institution. 
Etaient  présents:  les  citoyens  Blessig,  Haffner  et  Weber  de 
la  Faculté  de  théologie;  Braun  et  Ehrmann  de  la  Faculté  de 
droit;  Lauth  et  Spielmann  de  celle  de  médecine;  et  Herren- 
schneider,  Koch,  Oberlin  et  Schweighaeuser  de  la  Faculté 
des  lettres. 

Le  président  ayant  déposé  sur  le  bureau  l'expédition  ori- 
ginale des  articles  organiques  de  l'Académie  des  Protestants 
de  la  Confession  d'Augsbourg  avec  la  copie  de  la  lettre  de 
Portails  du  13  prairial,  l'assemblée  s'occupa  tout  de  suite  de 
donner  une  organisation,  au  moins  provisoire,  au  nouvel  éta- 
blissement. On  décida  de  remettre  la  gestion  des  affaires  entre 
les.  mains  d'un  recteur,  qui  serait  chargé  de  convoquer  les 
membres  de  l'Académie,  de  présider  les  séances,  de  diriger 
les  débats,  de  tenir  le  registre  des  inscriptions  des  étudiants 
et  de  rédiger  le  programme  des  cours.  Le  professeur  Braun, 
de  la  Faculté  de  droit,  fut  désigné  par  le  vote  de  ses  collègues 
pour  ces  importantes  fonctions. 

Le  premier  programme  des  cours  devant  renseigner  le 
public  sur  le  but  vers  lequel  serait  dirigé  l'enseignement  de 
l'Académie,  on  convint  de  dresser  un  tableau  des  sciences  qui 
y  seraient  enseignées,  et  de  le  faire  suivre  du  catalogue  des 
cours  que  donnerait,  dans  le  courant  de  l'année,  chaque 
membre  de  l'Académie.  Les  professeurs  Schweighaeuser  et 
Blessig  furent  chargés  de  rédiger  un  projet  en  ce  sens.  Le 
programme  parut  quelques  jours  plus  tard. 


12  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOUKG 

Dans  cette  première  séance  et  dans  celles  qui  suivirent 
immédiatement,  on  prit  les  dispositions  les  plus  urgentes: 
on  fixa  la  rétribution  que  les  élèves  auraient  à  payer  pour 
leur  immatriculation;  on  décida  que  les  professeurs  donne- 
raient, outre  les  cours  pour  lesquels  ils  seraient  rémunérés,  un 
cours  gratuit  trois  fois  par  semaine;  on  choisit  un  imprimeur 
de  l'Académie;  on  nomma  un  bedeau  et  son  adjoint;  on  arrêta 
la  forme  du  grand  et  du  petit  sceau  à  apposer  aux  diplômes, 
aux  certificats  et  aux  lettres;  puis,  on  fixa  la  date  de  l'ouver- 
ture publique  de  l'Académie. 

Elle  se  fit  le  15  brumaire  (7  novembre  1803)  avec  une 
solennité  particulière.  Nous  extrayons  du  procès-verbal  offi- 
ciel des  séances  de  l'Académie  du  4  nivôse,  an  XII,  les  détails 
suivants  sur  cet  acte  :  «  Pour  célébrer  dignement  ce  jour  solen- 
nel, on  avait  pris  soin  de  préparer  convenablement  l'auditoire 
de  l'Académie,  près  du  Temple-Neuf.  On  avait  réservé  des 
places  pour  les  membres  des  différentes  autorités  constituées, 
tant  civiles  que  militaires.  Les  citoyens  Lauth  et  Blessig, 
membres  de  l'Académie,  avaient  été  nommés  commissaires 
pour  diriger  l'ensemble  de  la  fête,  recevoir  les  autorités  et  leur 
faire  prendre  les  places  qui  leur  avaient  été  assignées 
d'avance.  Le  conseiller  d'Etat,  préfet  du  département,  le  con- 
seiller d'Etat  Sainte- Suzanne,  général  de  division,  le  secré- 
taire général  de  la  préfecture,  le  président  du  tribunal  cri- 
minel et  celui  du  tribunal  civil,  les  généraux  commandant  la 
15e  division  militaire  et  la  place,  l'évêque  et  le  maire  avaient 
été  invités  en  personne  par  le  directeur  et  le  recteur  de  l'Aca- 
démie. Les  conseillers  de  préfecture,  les  juges  des  tribunaux 
criminels  et  civils,  les  adjoints  du  maire,  les  professeurs  de 
l'Ecole  de  médecine,  le  clergé  catholique,  les  membres  des  dif- 
férents consistoires  de  la  ville  et  un  grand  nombre  de  citoyens 
notables  avaient  été  invités  à  assister  à  cette  fête  par  une 
lettre  circulaire  signée  par  le  recteur. 

«Au  dit  jour,  les  membres  de  l'Académie  s'assemblèrent 
entre  9  et  10  heures  du  matin  dans  une  des  salles  du  Gymnase, 
de  là,  précédés  du  Directeur  et  du  Eecteur,  ils  se  rendirent 
à  10  heures  précises  à  l'auditoire  et  occupèrent  leurs  places. 
La  salle  était  déjà  remplie  en  partie  d'un  grand  nombre  de 
citoyens  et  on  voyait  arriver  successivement  les  personnes 
qu'on  avait  prié  d'honorer  de  leur  présence  cette  fête  acadé- 
mique. Bientôt  la  salle  fut  entièrement  remplie.    On  remar- 


L'OUVERTUEE   publique   de   L'ACADElSnE  13 

quait  avec  un  grand  plaisir  que  tout  le  monde  se  pressait  à 
prendre  part  à  la  célébration  de  ce  jour  mémorable  dans  les 
annales  des  établissemens  protestans.  Jamais  assemblée,  dans 
cette  enceinte,  ne  fut  plus  nombreuse  ni  plus  brillante. 

«  Les  citoyens  Oberlin  et  Haiïner,  membres  de  TAcadémie, 
lurent  ensuite  des  discours  dans  lesquels  chacun  d'eux  traitait 
un  sujet  correspondant  au  but  qu'on  voulait  atteindre.  Le 
citoyen  Oberlin  parla  le  premier.  Après  avoir  tracé  le  tableau 
des  principaux  événemens  historiques  et  littéraires  qui  ont 
illustré  les  établissemens  protestans  antérieurs  à  l'Académie, 
il  fit  sentir  à  quel  point  il  importait  que  les  ministres  du 
culte  soient  instruits  et  éclairés,  et  finit  par  exprimer  les  sen- 
timens  dont  sont  animés  tous  les  membres  de  l'Académie  à 
remplir  dignement  leurs  fonctions  et  à  répondre  de  toutes 
leurs  forces  à  la  confiance  dont  le  gouvernement  les  a  honorés. 
Après  lui,  le  citoyen  Haiïner  prononça  un  discours  dans 
lequel  il  parla  des  secours  que  l'étude  des  langues,  de  l'his- 
toire, de  la  philosophie  et  de  la  littérature  offre  à  la  théologie. 
Le  public  présent  montra  un  grand  intérêt  et  écouta  avec 
l'attention  la  plus  suivie  les  deux  discours  et  les  orateurs 
furent  généralement  applaudis.  Cette  séance  fut  levée  vers 
une  heure  après-midi.  » 

L'année  suivante,  on  décida  que  la  rentrée  annuelle  de 
l'Académie  se  ferait  publiquement  dans  le  grand  auditoire 
près  du  Temple- Neuf.  Le  recteur  sortant  publierait  un  pro- 
gramme latin,  dans  lequel  il  traiterait  un  sujet  littéraire  et 
ferait  connaître  le  nom  du  nouveau  recteur.  Ce  programme 
servirait  d'invitation  à  la  cérémonie  de  la  rentrée  et  donnerait 
le  tableau  des  cours  de  l'année.  Le  nouveau  recteur  prononce- 
rait un  discours  latin  sur  un  sujet  scientifique  quelconque. 
Plus  tard,  on  décida  de  célébrer  le  jour  de  la  rentrée  par  le 
repas  commun  institué  par  testament  de  feu  l'ammeister 
Frœreisen. 


CHAPITRE  n 

Les  membres  de  TAcadémie  protestante  —  Blessig-Haffaer-Kocli 


L'Académie  protestante,  nous  l'avons  dit,  comptait,  au 
moment  de  son  ouverture,  douze  membres,  non  compris  son 
directeur.  D'après  l'article  5  des  articles  organiques,  il  ne 
devait  y  en  avoir  que  dix.  Mais  il  avait  été  convenu  que  les 
professeurs  de  l'ancienne  Université  feraient  tous  partie  du 
nouvel  établissement  et  continueraient  à  jouir  de  leur  prébende 
comme  par  le  passé.  Aussi  l'article  5  disait-il  expressément  : 
«Les  professeurs  de  l'Académie  seront  réduits  et  fixés  au 
nombre  de  dix,  auprès  les  deux  premières  vacances,  »  Ces  douze 
membres,  comme  nous  l'avons  vu,  appartenaient  aux  quatre 
facultés  :  trois  à  la  Faculté  de  droit,  deux  à  celle  de  médecine, 
quatre  à  celle  de  philosophie  et  de  mathématiques,  et  trois  seu- 
lement à  la  Faculté  de  théologie.  On  pouvait  se  demander,  non 
sans  raison,  ce  que  des  professeurs  de  droit  et  de  médecine 
venaient  faire  dans  un  institut  dont  le  but  était  de  former 
des  ministres  du  culte;  mais  leur  droit  existait,  on  les  accueillit 
comme  un  héritage  de  l'ancienne  Université. 

A  la  tête  de  l'Académie,  l'article  6  des  articles  organiques 
plaçait,  comme  directeur,  le  président  du  Consistoire  général 
de  l'Eglise  de  la  Confession  d'Augsbourg,  un  jurisconsulte. 

Né  le  24  décembre  1746  à  Bouxwiller  où  son  père  était 
archiviste  du  gouvernement  du  comté  de  Hanau-Lichtenberg, 
Philippe-Frédéric  Kern,  après  avoir  fait  ses  études  de  droit 
à  l'Université  de  Gœttingue,  était  devenu  conseiller  de  gou- 
vernement à  Bouxwiller  et  puis  membre  du  conseil  de  régence 
à  Darmstadt.  Après  l'annexion  partielle  du  comté  de  Hanau- 
Lichtenberg  à  la  France,  il  était  revenu  dans  son  pays  natal 


LES  MEMBEES  DE  l' ACADEMIE  PROTESTANTE  15 

et  s'était  mis  à  la  disposition  du  gouvernement  français.  Il 
avait  été  nommé  conseiller  à  la  cour  d'appel  de  Colmar,  puis, 
juge  au  tribimal  criminel  du  Bas-Rhin  et,  finalement,  président 
au  tribunal  de  première  instance  à  Strasbourg.  Quand 
l'Eglise  de  la  Confession  d'Augsbourg  fut  réorganisée  en 
îVance  par  la  loi  du  18  germinal  an  X,  il  fut,  par  arrêté 
du  3  nivôse  XI,  appelé  à  la  présidence  du  Consistoire  général 
et  du  Directoire  de  cette  Eglise,  et,  par  là,  à  la  direction 
de  l'Académie  protestante.  Il  remplit  ces  hautes  fonctions 
pendant  un  quart  de  siècle  jusqu'à  sa  mort,  en  1826,  avec 
une  tranquille  fermeté  et  un  dévouement  à  toute  épreuve. 

Des  douze  professeurs  de  l'Académie,  trois  représentaient 
la  théologie:  Weber,  Blessig  et  Haffner. 

Georges-Frédéric  Weber'),  le  plus  âgé  des  trois,  était 
alors  presque  septuagénaire.  Né  à  Strasbourg  le  5  janvier 
1736,  fils  d'un  aubergiste  et  marchand  de  vin,  il  avait  fait 
ses  études  classiques  au  Gymnase  et  ses  études  philosophiques 
et  théologiques  à  l'Université  de  sa  ville  natale.  Plus  tard, 
il  avait,  suivant  l'usage  du  temps,  entrepris  un  voyage 
scientifique,  avait  visité  différentes  Universités  allemandes 
et  fait  un  séjour  à  Paris.  De  retour  à  Strasbourg,  il  devint 
agrégé  au  Gymnase  protestant  et  pédagogue  au  Collège  de 
Saint-Guillaume.  En  1769,  il  obtint  de  la  Faculté  de  philo- 
sophie et  de  celle  de  théologie  l'autorisation  de  faire  des 
cours  et  fut,  dès  l'année  suivante,  adjoint  à  cette  dernière. 
En  1771,  nous  le  trouvons  prédicateur  du  soir  au  Temple- 
Neuf;  en  1772,  régent  de  la  VII^  classe  du  Gymnase;  en 
1774,  vicaire-général;  en  1778,  professeur  extraordinaire,  et 
en  1784,  professeur  ordinaire  à  la  Faculté  de  théologie. 

A  la  nouvelle  Académie,  il  déploya  une  activité  extra- 
ordinaire. Il  ne  se  borna  pas  à  faire  des  cours  sur  les 
disciplines  qui  rentraient  dans  sa  spécialité,  c'est-à-dire,  sur 
l'histoire  ecclésiastique  et  l'histoire  des  dogmes;  dans  le 
premier  programme  déjà,  il  annonça  des  leçons  de  dogma- 
tique, de  morale  et  même  d'exégèse  de  l'Ancien  Testament, 
n  est  permis  de  supposer,  d'après  cela,  qu'il  possédait  de 
vastes  connaissances  et  une  certaine  facilité  de  traiter  des 


M  Voy.  Programma  invitatorium  ad  orationem  inauguralem  qua 
vir  maxime  reverendus  G.  Fr.  Weber  munus  professoris  theol,  ritu 
solemni  auspicabitur.  Arg.  1784. 


16  LA  FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE  DE   STRASBOURG 

sujets  très  divers.  Mais  peut-être  n'avait-il  pas  au  même 
degré  les  qualités  supérieures  du  professeur  et  du  savant, 
le  sens  critique  et  la  finesse  de  Tesprit.  En  tout  cas,  il  ne 
semble  pas  avoir  exercé  une  influence  profonde  sur  ses 
auditeurs. 

Son  activité  comme  professeur  de  TAcadémie  fut  d'ail- 
leurs relativement  courte.  En  1812  déjà,  Herrenschneider, 
alors  vice-directeur  du  Séminaire,  écrivait:  «L'âge  très 
avancé  du  vénérable  vieillard  semble  exiger  ou  bien  qu'on 
le  dispense  entièrement  de  faire  ses  cours,  ou  bien  qu'on  lui 
donne  un  assistant  suffisant  et  solide.  » 

A  partir  de  l'année  1814,  Emmerich  fut  en  effet  chargé 
de  le  suppléer  pour  l'histoire  ecclésiastique.  Weber  continua 
pourtant  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  le  3  septembre  1820,  à 
annoncer  un  cours  «De  methodo  studii  theologici  insti- 
tuendi».  Il  est  toutefois  peu  probable  qu'il  l'ait  jamais 
fait,  puisque,  dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  il  était 
presque  tombé  dans  l'enfance. 

Plus  que  lui,  ses  deux  collègues,  Blessig  et  Haffner,  se 
distinguaient  par  leur  enseignement  et  méritent  d'attirer 
ici  notre  attention. 

Jean-Laurent  Blessig  ^)  était  né  à  Strasbourg,  le  29  mars 
1747.  Ses  parents  —  le  père  était  marchand  de  poissons  — 
étant  dans  la  gêne,  il  fréquenta  d'abord  Técole  paroissiale, 
c'est-à-dire  l'école  primaire,  plus  tard  il  put  pourtant  con- 
tinuer et  compléter  ses  études  au  Gymnase  protestant.  En 
1762,  il  fut  inscrit  à  l'Université,  où  Schœpflin,  Oberlin  et 
Schweighaeuser  furent  ses  maîtres  en  histoire,  en  philosophie 
et  en  philologie.  Il  s'appliqua  à  ces  études  comme  à  tout 
ce  qu'il  entreprenait.  Cependant,  la  grande  question  qui 
se  pose  aux  environs  de  la  vingtième  année:  «Que  faire?» 
ne  tarda  pas  à  se  dresser  devant  lui  d'une  manière  embar- 
rassante. Il  avait  deux  moyens  de  la  résoudre:  il  pouvait 
se  décider  pour  la  philosophie  et  la  philologie,  qu'on  ne 
séparait  guère  alors,  ou  pour  la  théologie.  Les  conseils  du 
professeur  Sigismond  Lorenz,  le  décidèrent  à  choisir  cette 
dernière.     La  Faculté  de  théologie  d'alors  offrait  pourtant 


')  Voy.  C.-M.  Fritz,  Leben  D.  Johann  Lorenz  Blessigs,  Strasbourg, 
1818.  —  J.-G.  Dahler,  Memoria  viri  maxime  reverendi  amplissimi 
Johannis  Laurentii  Blessig.   Arg.  MDCCCXVI. 


JEAN-LAUEENT  BLESSIG  17 

peu  de  ressources  à  un  esprit  doué  d'aussi  rares  facultés. 
Les  maîtres  qui  y  professaient,  Lorenz,  Reuchlin  et  Beykert, 
appartenaient  au  bon  vieux  temps  et  restaient  fidèlement 
attachés  aux  vieilles  doctrines  et  aux  méthodes  tradition- 
nelles. Seul,  le  professeur  de  métaphysique,  Philippe-Jacques 
Millier,  d^m  esprit  plus  dégagé,  avait  embrassé  les  idées 
modernes.  Il  ouvrit  au  jeune  étudiant  de  nouveaux  horizons 
et  l'orienta  vers  les  recherches  scientifiques. 

Après  avoir  acquis,  en  1770,  par  une  dissertation  sur 
«  les  Commencements  de  la  philosophie  romaine  »,  le  grade 
de  maître  ès-arts,  Blessig  entreprit  un  voyage  scientifique 
qui  le  conduisit  d'abord  à  Venise  et  à  Vienne,  puis,  par  la 
Bohême  et  la  Saxe,  en  Allemagne.  Il  s'arrêta  pendant  deux 
ans  dans  les  Universités  les  plus  renommées,  entra  en  rela- 
tion avec  des  savants  distingués  et  fit  la  connaissance 
d'hommes  célèbres:  du  philosophe  Mendelssohn  à  Berlin,  de 
Lessing  à  Wolfenbiittel,  de  Gœthe  et  de  Basedow  à  Francfort. 

Eevenu  à  Strasbourg,  Blessig  fut  nommé  agrégé  au 
Gymnase  et  pédagogue  du  Collège  de  Saint-Guillaume.  Il 
ne  resta  pas  longtemps  dans  cette  position.  Il  sentait  le 
besoin  d'étendre  son  horizon  intellectuel.  Il  avait  appris 
à  connaître  l'Allemagne  et  la  science  germanique,  il  voulut 
connaître  Paris  et  la  société  française.  Le  discours  qu'il 
avait  prononcé  à  l'église  Saint-Thomas  lors  de  l'inaugu- 
ration du  monument  du  maréchal  de  Saxe  l'avait  fait  con- 
naître dans  la  capitale.  Il  y  trouva  l'accueil  le  plus  sym- 
pathique. Il  entra  en  relation  avec  des  hommes  distingués, 
tels  qu'Arnaud,  d'Alembert,  Giraud  et  autres;  il  fréquenta 
les  bibliothèques,  les  musées,  les  théâtres,  s 'intéressant  à 
tout,  profitant  largement  de  tout  ce  qu'il  voyait  et  entendait. 
Une  mauvaise  fièvre  l'obligea  malheureusement  à  abréger 
un  séjour  qu'il  aurait  voulu  prolonger. 

Avant  Paris,  il  avait  fait  à  l'Université,  comme  privatim- 
docens,  des  cours  de  littérature  grecque,  et  avait  été  nom!mé, 
en  1773,  professeur  extraordinaire  à  la  Faculté  de  philo- 
sophie. Il  reprit  à  son  retour  son  activité  académique; 
professeur  extraordinaire  de  théologie  en  1783,  il  devint  pro- 
fesseur de  philosophie  en  1786  et  de  théologie  en  1787. 

Ses  cours,  qui  attiraient  de  nombreux  auditeurs,  s'éten- 
dirent d'abord  sur  la  littérature  grecque,  la  psychologie  et 
l'histoire  de  la  philosophie,  plus  tard,  sur  l'Ancien  Testament 


.18  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STEASBOUEG 

et  la  dogmatique.  A  rAcadémie  protestante,  il  enseigna 
rherméneutique  biblique,  l'homilétique,  la  catéchétique,  la 
liturgique  et  la  prudence  pastorale;  il  dirigeait,  en  outre,  un 
séminaire  dogmatique.  Peu  de  temps  avant  sa  mort,  il 
donna  un  cours  d'introduction  aux  livres  de  l'Ancien 
Testament. 

Esprit  pénétrant  et  étendu  et  âme  profondément  reli- 
gieuse, Blessig  revendiquait  hautement  les  droits  du  cœur 
à  côté  de  ceux  de  la  raison.  Ce  maître  plein  de  foi  et  d'en- 
thousiasme, ce  théologien  dévoué  au  Christ  et  à  son  Evangile, 
insistait  sur  la  nécessité  pour  les  ministres  de  la  religion 
d'une  culture  générale.  Mais  avant  tout,  il  recommandait 
une  étude  approfondie  des  saintes  Ecritures.  «Le  caractère 
poétique  et  religieux  des  documents  sacrés  parlait  à  son 
cœur  et  à  son  esprit»,  dit  l'un  de  ses  élèves,  «et  il  s'efforçait 
avant  tout  de  faire  sentir  à  ses  auditeurs  cette  double  qualité 
des  saintes  Ecritures  et  de  les  amener  ainsi  à  aimer  la  Bible.  » 
«Il  cherchait»,  dit  le  mêmie  élève,  à  propos  des  leçons  dog- 
matiques du  maître,  «à  gagner  le  cœur  et  l'esprit  à  la 
vérité.»*)  Un  autre  de  ses  auditeurs  vante  la  vivacité  de 
son  esprit  et  la  chaleur  de  son  sentiment.  «  Il  possédait  »,  dit- 
il  encore,  «le  don  de  la  parole  à  un  haut  degré  et  savait 
rendre  ses  cours  très  attrayants;  les  digressions  même,  aux- 
quelles il  se  laissait  facilement  entraîner,  étaient  pleines 
d'enseignements...  Alors  même  qu'il  se  séparait  de  la  vieille 
dogmatique,  il  n'en  parlait  pas  avec  dédain.  »  ^). 

Comme  la  plupart  des  professeurs  de  théologie  de  l'Uni- 
versité de  Strasbourg,  Blessig  remplissait,  à  côté  des  fonc- 
tions académiques,  des  fonctions  pastorales.  Prédicateur  dis- 
tingué, il  possédait,  avec  les  qualités  de  l'esprit  et  du  cœur, 
avec  ime  vaste  intelligence,  une  profonde  sensibilité,  une 
imagination  féconde  et  une  connaissance  réelle  du  cœur 
humain,  les  qualités  extérieures  de  l'orateur,  le  débit  agré- 
able, un  beau  langage,  une  action  expressive.  Chargé  d'abord 
des  prédications  du  soir  à  Saint-Pierre-le-Vieux  et  puis  de 
celles  du  mardi  au  Temple-Neuf,  après  avoir  été  pendant  quel- 
que temps  vicaire  à  la  paroisse  française,  il  devint  prédi- 
cateur à  Saint-Nicolas  en  1780,  prédicateur  au  Temple-Neuf 


*)  C.-M.  Fritz,  Lehen  Blessigs,  p.  108  et  110. 

')  J.-F.  Bruch,  Kindheit-  und  Jugenderinnerungen,  St.  1889,  p.  45. 


ISAAC   HAPFNER  19 

en  1781,  et  succéda,  en  1787,  à  son  beau-père,  le  docteur 
Beykert,  comme  pasteur  de  cette  dernière  église. 

Le  théologien,  le  pasteur  était  en  même  temps  un  bon  ad- 
ministrateur, soucieux  à  la  fois  des  intérêts  temporels  et  spi- 
rituels de  son  Eglise.  Quand,  après  les  troubles  de  la  Révo- 
lution, il  fallut  songer  à  donner  une  nouvelle  constitution  à 
l'Eglise  protestante  d'Alsace,  il  collabora  avec  les  profes- 
seurs Koch  et  Hafïner  aux  plans  de  réorganisation  qui  abou- 
tirent à  la  loi  du  18  germinal  an  X.  Président  du  Consistoire 
du  Temple-Neuf  depuis  1801,  Inspecteur  ecclésiastique  de 
l'Inspection  du  Temple-Neuf  et  membre  du  Consistoire  géné- 
ral et  du  Directoire  de  l'Eglise  de  la  Confession  d'Augsbourg 
depuis  1804,  il  prit  une  part  des  plus  actives  à  la  direction 
des  affaires  ecclésiastiques  de  notre  pays.  Il  remplit  toutes 
ces  fonctions  avec  courage  et  abnégation,  à  travers  de  nom- 
breuses difficultés,  jusqu'à  sa  mort,  en  1816. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  de  Blessig  peut  s'appliquer, 
en  grande  partie,  au  troisième  professeur  de  théologie  de  la 
nouvelle.  Académie,  à  Isaac  Haffner  ^) .  Comme  Blessig  il  joignit 
à  l'activité  académique  l'activité  pastorale;  comme  lui,  il 
occupa  les  postes  les  plus  élevés  dans  l'Eglise  de  la  Con- 
fession d'Augsbourg,  comme  lui  aussi,  il  exerça  une  influence 
décisive  sur  le  protestantisme    alsacien. 

Il  était  né  le  4  décembre  1751  à  Strasbourg,  où  son  père 
occupait  le  très  modeste  emploi  d'appariteur  du  Grand 
Conseil.  Après  de  fortes  études  au  Gymnase  protestant,  il 
entra,  à  quinze  ans,  à  l'Université  de  sa  ville  natale,  pour  se 
vouer  à  la  philologie  et  puis  à  la  théologie.  D 'une  constitution 
délicate,  mais  plein  de  zèle  pour  les  choses  de  l'esprit,  il  sut, 
par  un  labeur  soutenu,  opiniâtre,  acquérir  des  connaissances 
variées  et  profondes,  surtout  dans  les  branches  de  la  science 
historique. 

Après  avoir  terminé  ses  trois  années  de  théologie  à  l'Uni- 
versité de  Strasbourg,  il  alla  continuer  ses  études  à  Gœt- 
tingue,  où  Walch  et  Less  furent  ses  maîtres,  et  à  Leipzig,  où 
il  se  lia  tout  particulièrement  avec  le  célèbre  prédicateur 


^)  Voy.  Programma  ad  orationem  înauguralem  qua  vir...  Isaacus 
Haffner  professoris  ordinarîi  theologiae  munus...  additurus  est.  Arg.  1783. 
—  Haffners  Totenfeier,  Str.  1831.  —  Predigt  bel  Gelegenheit  der  himdert- 
jâhrigen  Gedàchtnisfeîer  des  Herrn  Dr.  Haffner,  von  Dr.  Bruch,  Str.  1851. 


2* 


20  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE   DE   STRASBOUEG 

ZoUikofer,  qui  resta  pour  lui  le  type  du  vrai  chrétien.  Pour- 
suivant ensuite  son  voyage  à  travers  FAUemagne,  il  ne 
manqua  pas  de  rechercher  les  représentants  les  plus  illustres 
de  la  science  et  de  la  littérature,  et  d'entrer  en  relation  avec 
quelques-uns  d'entre  eux. 

De  retour  à  Strasbourg,  il  fut  nommé  prédicateur  de  la 
paroisse  française  et  pédagogue  du  collège  de  Saint-Guil- 
laume. En  1795,  il  devint  pasteur  à  Téglise  Saint-Nicolas  et 
il  continua  d'y  exercer  le  ministère  pastoral  même  après 
avoir  été  appelé  aux  fonctions  académiques  et  ecclésiastiques 
les  plus  absorbantes. 

Docteur  en  philologie  depuis  1782  et  en  théologie  depuis 
1784,  Haffner  fut,  en  1788,  nommé  professeur  ordinaire  à  la 
Faculté  de  théologie.  Ses  leçons,  dè^  lors,  embrassaient  l'intro- 
duction au  Nouveau  Testament  et  l'interprétation  des 
livres  du  Nouveau  Testament,  ainsi  que  la  dogmatique  et 
l'histoire  des  dogmes.  Il  fit  aussi,  à  différentes  reprises,  un 
cours  d'homilétique  et  un  autre  d'esthétique.  Plus  tard,  à 
l'Académie  protestante,  il  resta  fidèle  à  ces  enseignements, 
sauf  à  l'homilétique,  qu'il  abandonna  à  son  collègue  Blessig. 

Il  eût  été  d'ailleurs  parfaitement  apte  à  donner  ce  dernier 
enseignement,  étant  un  prédicateur  des  plus  distingués.  Il 
manquait,  il  est  vrai,  des  qualités  physiques  qu'on  apprécie 
chez  l'orateur,  mais  il  en  possédait  au  plus  haut  degré  les 
qualités  morales.  «  C  'était  »,  dit  un  de  ses  élèves  qui  fut  plus 
tard  son  collègue,  «un  esprit  riche,  lumineux,  d'une  culture 
classique.  Ses  discours  abondaient  en  idées,  ils  étaient  clairs, 
vivants,  et,  sous  le  rapport  du  style,  vraiment  classiques.  »  ') 

Ces  hautes  qualités,  Haffner  les  portait  aussi  dans  son 
enseignement  académique.  C'est  dans  ses  cours  surtout  qu'on 
constatait  sa  haute  culture,  son  vaste  savoir  dû  à  des  lectures 
immenses,  la  vivacité  de  son  esprit  et  la  clarté  de  son  expo- 
sition. Quant  à  la  tendance  de  son  enseignement,  elle  était 
absolument  libérale.  Il  professait  un  rationalisme  qui  pour- 
tant n'était  pas  sans  inconséquence.  Plein  d'enthousiasme 
pour  la  vérité,  pour  la  religion  du  Christ,  pour  le  principe 
de  la  réforme,  il  dirigeait  ses  attaques  les  plus  véhémentes 
contre  l'erreur  et  le  préjugé,  et  se  laissait  même  volontiers 
aller  au  sarcasme  contre  le  dogme  officiel.  Dans  un  parallèle 


*)  J.-F.  Bruch,  Loc.  cit.,  p.  45. 


l'influence  de  blessig  et  de  haffner  21 

tiré  entre  Blessig  et  Haiïner,  le  doyen  Brueh,  qui  avait  été 
rélève  de  Pun  et  de  Pautre,  juge  renseignement  de  ses  deux 
maîtres  comme  suit:  «Haffner  tendait  à  éclairer  et  à  ins- 
truire les  étudiants,  Blessig  cherchait  plutôt  à  les  con- 
vaincre. . .  Haiïner  nous  imposait  par  son  savoir  et  par  la 
libéralité  de  son  jugement,  Blessig,  par  son  enthousiasme  et 
son  éloquence  entraînante.  »  ') 

Haiïner  resta  jusqu'au  bout  l'objet  de  la  vénération  de 
ses  auditeurs.  Il  était  d'ailleurs  entouré  du  respect  et  de  l'ad- 
miration de  tous.  On  le  vit  bien  dans  la  fête  organisée  à 
Foccasion  de  son  cinquantenaire,  véritable  jour  de  triomphe  où 
il  fut  l'objet  d'ovations  enthousiastes  de  la  part  de  toutes  les 
classes  de  la  société  protestante.  Le  lundi  de  Pâques  1830  défi- 
lèrent devant  lui  de  nombreuses  députations  qui  étaient 
venues  saluer  le  jubilaire  et  lui  apporter  le  tribut  de  leur 
admiration  et  de  leur  reconnaissance.  ^) 

Blessig  et  Haffner  rivalisaient  de  zèle  et  de  dévouement 
dans  les  services  qu'ils  rendaient  au  protestantisme  alsacien, 
dans  le  professorat,  le  pastorat  et  l'administration  ecclésias- 
tique. Ils  avaient  vu  périr,  sans  pouvoir  la  sauver,  l'ancienne 
et  glorieuse  institution  fondée  par  le  patriotisme  éclairé  des 
pères  et  qui  avait  brillé  si  longtemps  à  l'horizon  de  l'Europe 
savante;  mais  ils  avaient  continué  la  tradition  de  leurs  pré- 
décesseurs et  avaient  illustré  la  nouvelle  Académie  par  leurs 
talents,  leur  érudition  et  leur  haute  culture. 

On  ne  trouve  pas  chez  eux,  il  est  vrai,  deux  choses  qu'on 
exige  aujourd'hui  du  professeur  de  Faculté:  l'activité  à  la 
fois  savante  et  littéraire.  Ce  qui  les  excuse,  c'est  qu'ils  man- 
quaient de  loisir,  et  que,  pour  le  travail  personnel,  ils  se  trou- 
vaient dans  une  situation  bien  moins  favorable  que  la  plupart 
des  professeurs  d'aujourd'hui.  D'abord,  par  l'absence  de  la 
division  du  travail.  Nul  ne  demandera  aujourd'hui  à  un  pro- 
fesseur de  faire  un  cours  sur  les  différentes  branches  de  la 
science  qu'il  représente;  chacun  a  sa  spécialité  à  laquelle  il 
peut  se  donner  tout  entier.  Les  professeurs  de  théologie  de 
l'Académie  protestante  n'étaient  pas  dans  ce  cas;  ils  n'étaient 
que  trois,  et,  à  eux  trois,  ils  devaient  traiter  toutes  les 
branches  de  la  théologie:  dogmatique  et  morale,  introduction 


*)  J.-F.  Bruch,  loc.  cit.,  p.  46. 

')  Bericht  uber  Haffners  Jubelfeier,  Str.  1830. 


22  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOURG 

aux  livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  et  interpré- 
tation de  ces  livres,  histoire  ecclésiastique  et  histoire  des 
dogmes,  homilétique,  catéchétique,  liturgique  et  prudence 
pastorale.  Et  encore,  s'ils  avaient  pu  se  livrer  tout  entiers  à 
l'enseignement  académique,  mais  ils  ne  s'enfermaient  pas 
dans  cet  enseignement,  ils  n'étaient  pas,  en  premier  lieu,  des 
savants,  des  professeurs,  ils  étaient,  avant  tout,  des  prédica- 
teurs et  des  hommes  d'Eglise,  et  la  multiplicité  des  devoirs 
qui  résultait  de  ces  différentes  positions  ne  leur  laissait  pas 
assez  de  loisir  pour  se  livrer  à  des  publications  scientifiques; 
leur  activité  littéraire  se  bornait,  presque  exclusivement,  à 
la  publication  de  sermonnaires,  de  catéchismes,  d'ouvrages 
ascétiques,  très  recherchés  par  le  public  protestant  de  Stras- 
bourg, mais  peu  connus  au  dehors. 

Blessig  et  Haffner  n'en  exerçaient  pas  moins  une  in- 
fluence bénie  sur  les  étudiants,  sur  leur  instruction  théologi- 
que et  sur  leur  éducation  morale  et  religieuse.  Ce  n'étaient  pas 
seulement  leurs  leçons,  dans  lesquelles  ils  disaient  avec  une 
éloquence  singulière  les  grandes  vérités  de  l'Evangile,  c'était 
leur  vie  entière,  si  riche  en  exemples,  où  les  discours  même 
étaient  des  actes,  qui  produisaient  un  salutaire  effet  sur  des 
jeunes  gens  sérieux.  «Vous  êtes  doublement  leur  maître», 
disait  à  Haffner,  lors  de  son  jubilé,  l'orateur  des  étudiants, 
Edouard  Verny,  «  et  dans  la  théorie  par  vos  savantes  leçons, 
et  dans  la  pratique  par  l'exemple  de  votre  vie,  par  l'activité 
consciencieuse,  par  la  généreuse  et  franche  énergie  que  vous 
avez  montrée  pendant  la  longue  et  belle  carrière  qu'il  vous  a 
été  donné  de  parcourir.  C'est  plus  particulièrement  de  ce  second 
bienfait  que  ce  jour  nous  offre  l'occasion  de  vous  exprimer 
notre  reconnaissance.»  Et  Théophile  Berneaud,  parlant  au 
nom  des  étudiants  réformés  de  l'intérieur,  disait  à  son  tour: 
«Si,  à  leur  grand  regret,  les  difficultés  d'une  langue  étran- 
gère ne  leur  ont  permis  à  tous  de  prendre  part  à  vos  savantes 
leçons,  tous  ont  pu  apprécier  l'immense  érudition  qui  vous 
distingue  et  pour  laquelle  il  semble  que  la  vie  d'un  homme 
n'ait  pu  suffire,  ils  ont  admiré  le  zèle  et  l'activité  infatigable 
que  vous  avez  constamment  déployés  et  surtout  le  caractère 
que  vous  avez  montré  dans  les  temps  où  il  n 'était  pas  sans 
danger  de  s'avouer  serviteur  du  Christ.»*) 


*)  Haffners  Jubelfeîer,  p.  6. 


jÉKÉlVnE-JACQUES   OBEKLIN  23 

C^est,  en  eiïet,  la  noble  fermeté  que  Blessig  et  Hafîner 
avaient  montrée  an  moment  où  les  échafauds  se  dressaient 
partout  pour  les  défenseurs  de  la  liberté  et  de  la  vérité,  c'est 
le  courage  avec  lequel  ils  avaient  supporté  un  long  emprison- 
nement et  des  menaces  répétées  de  mort,  qui  leur  valurent  la 
vénération  et  la  reconnaissance  non  seulement  des  étudiants 
en  théologie,  mais  de  la  population  protestante  tout  entière. 
C'étaient  aussi  les  énergiques  efforts  qu'ils  avaient  faits, 
après  la  tourmente  révolutionnaire,  pour  relever  les  âmes 
abattues  et  raffermir  les  cœurs  défaillants,  et  pour  réorganiser 
l'Eglise  protestante  d'Alsace  et  assurer  sa  liberté. 

II 

Comme  les  trois  professeurs  de  théologie,  les  quatre  pro- 
fesseurs de  philologie,  de  philosophie  et  d'histoire,  Oberlin 
et  Schweighaeuser,  Herrenschneider  et  Koch,  avaient  leur 
place  marquée  à  l'Académie  protestante,  dans  la  section  qui 
devait  préparer,  par  de  fortes  études  littéraires,  à  l'étude  de 
la  théologie.  On  ne  pouvait  que  regretter  que  la  philologie 
et  la  philosophie  n'y  eussent  pas  de  plus  nombreux  représen- 
tants et  que  ceux  qui  étaient  appelés  à  donner  cet  enseigne- 
ment fussent,  pour  la  plupart,  déjà  avancés  en  âge. 

Le  plus  âgé  d'entre  eux,  Jérémîe- Jacques  Oberlin^), 
frère  du  célèbre  pasteur  Oberlin  du  Ban-de-la-Roche,  était 
né  le  8  août  1735  dans  une  de  ces  vieilles  familles  strasbour- 
geoises  oii  la  probité  et  le  savoir  étaient  héréditaires.  Son 
père,  Jean-George,  modeste  savant,  était  régent  au  Gymnase 
protestant,  et  c'est  là,  dans  la  vieille  école  de  Sturm,  que  le 
jeune  Oberlin  fit  ses  études  secondaires.  Après  avoir  terminé 
ses  classes,  il  se  rendit  à  Montbéliard,  pour  se  perfectionner 
dans  la  langue  française.  Revenu  dans  sa  ville  natale,  il 
suivit  à  l'Université  les  cours  de  philologie  et  d'histoire,  de 
philosophie  et  de  mathématiques,  et  aussi  de  théologie,  vou- 
lant avoir  des  clartés  sur  toutes  choses.  Dès  lors,  il  se  tourna 
vers  l'étude  de  l'antiquité,  vers  laquelle  le  portaient  les  pen- 


*)  Voy.  Memoriam  Jer.  Jac.  Oberlini  aequalibus  posterisque 
commendat  Academia  Argentoratentis.  Academiae  nomine  scripsit  Joh. 
Schweighaeuser.  Arg.  i806.  —  Gedàchtnisrede  auf  Herrn  Jeremias  Jakob 
Oberlin,  gesprochen...,  von  Dr.  Joh.  Lor.  Blessig.  Str  (s.  d.).  —  Biogr. 
Notiz  uber  Jer.  Jak.  Oberlin...,  von  Ehrenfried  Stœber.  Str.  (s.  d.). 


24  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE   DE   STEASBOUEG 

chants  de  son  esprit  et  Tinstinct  de  son  talent.  Docteur  en 
1758  par  une  thèse  sur  «les  rites  funéraires  des  anciens»,  il 
élargit  ses  vues  et  enrichit  ses  connaissances  par  un  voyage 
au  midi  de  la  France  et  acquit  la  réputation  d'un  philologue 
et  d'un  archéologue  distingué. 

Malgré  cette  réputation,  Oberlin  resta  dans  une  position 
des  plus  modestes.  Il  avait  été,  en  1755,  à  l'âge  de  vingt  ans, 
nommé  aide  de  son  père  dans  la  classe  inférieure  du  Gym- 
nase, et  durant  quinze  ans  on  le  laissa  dans  cette  position 
subalterne.  Ce  n'est  qu'à  la  mort  de  son  père,  en  1770,  qu'il 
lui  succéda  comme  régent  de  la  Vile  classe,  pour  passer  en- 
suite à  la  Ve,  oii  il  resta  encore  six  ans,  obligé  de  donner  son 
meilleur  temps  à  l'enseignement  de  la  grammaire  et  à  la  cor- 
rection des  travaux  d'élèves  peu  avancés. 

Il  était  pourtant  entré  depuis  quelque  temps  déjà  dans  la 
carrière  universitaire.  Nommé,  en  1763,  conservateur  de  la 
bibliothèque  de  la  ville,  il  avait  été  autorisé  à  faire  un  cours 
de  langue  latine.  Il  devint,  en  1770,  adjoint  et,  en  1778,  pro- 
fesseur extraordinaire  à  la  Faculté  de  philosophie,  et  se  ré- 
solut alors  à  se  démettre  des  fonctions  de  régent.  Enfin,  le 
30  mars  1782,  il  avait  alors  46  ans,  il  fut  nommé  professeur, 
non  pas  d'archéologie,  —  il  n'y  avait  pas  alors  de  chaire  pour 
cette  branche  de  la  science  à  l'Université  de  Strasbourg  — , 
mais  de  logique  et  de  métaphysique.  Cela  ne  l'empêcha  pas 
de  donner,  comme  par  le  passé,  un  cours  d'archéologie  et  de 
littérature  latine  à  côté  de  son  cours  de  philosophie. 

Oberlin,  toutefois,  ne  se  bornait  pas  à  faire  ses  cours. 
Quelle  conscience  qu'il  mit  à  remplir  ses  devoirs  de  profes- 
seur, il  continuait  avec  une  ardeur  sans  pareille  ses  travaux 
privés,  occupant  ses  laborieuses  journées  à  des  publications 
nombreuses  et  variées:  dissertations  sur  des  questions  d'ar- 
chéologie ou  sur  la  langue  et  la  littérature  alsaciennes, 
éditions  savantes  des  Tristes  d'Ovide  et  des  Odes  d'Horace, 
manuels  des  rites  et  de  la  géographie  des  anciens. 

La  tourmente  révolutionnaire  vint  interrompre  cette  acti- 
vité paisible.  Oberlin  eut  alors  l'occasion  de  montrer  qu'il 
n'avait  pas  lu  les  anciens  en  vain,  qu'il  avait  appris  d'eux  le 
dévouement  à  la  patrie  et  le  courage  civique.  Elu  membre  de 
l'administration  du  district  et  du  département,  il  mit  ses 
meilleures  forces  au  service  de  la  cause  publique.  Aux  jours 
de  la  Terreur,  il  n'en  fut  pas  moins  décrété  d'accusation  par 


JEAN   SCm^^IGHAEUSER  25 

le  parti  de  Eobespierre.  Arrêté,  dans  la  nuit  du  3  au  4  no- 
vembre 1793,  sur  Tordre  des  représentants  du  peuple  Saint- 
Juste  et  Lebas,  il  fut,  avec  d'autres  membres  de  Tadminis- 
tration  départementale,  transféré  à  Metz,  traîné  de  cachot 
en  cachot,  traité  comme  le  dernier  des  criminels  et  soumis 
aux  plus  dures  privations.  Il  supporta  courageusement  ces 
adversités  qui  ne  prirent  fin  qu'après  onze  mois. 

A  peine  libre,  il  reprit  ses  cours  et  ses  travaux  littéraires. 
Appelé  peu  après  à  de  nouvelles  fonctions,  il  obtint  quelques 
distinctions  bien  méritées:  l'Institut  national  le  nomma 
membre  correspondant,  ses  concitoyens  le  firent  entrer  au 
conseil  municipal.  Il  prit  part  alors  à  la  création  de  la  Société 
des  Sciences  et  de  l'Agriculture;  il  s'intéressa  également  aux 
affaires  ecclésiastiques  et  fut  appelé  à  présider  l'assemblée 
des  délégués  des  paroisses  protestantes  de  la  ville  qui,  en  1801, 
délibéra  sur  les  changements  à  introduire  dans  la  constitution 
de  l'Eglise  de  la  Confession  d'Augsbourg. 

La  création  de  l'Académie  protestante  le  remplit  de  joie. 
Dans  le  discours  qu'il  prononça  lors  de  son  inauguration,  il 
donna  un  aperçu  intéressant  du  passé  littéraire  de  Strasbourg 
et  évoqua  devant  ses  auditeurs  les  perspectives  d'un  brillant 
avenir.  Il  ne  lui  fut  malheureusement  pas  donné  de  les  voir 
réalisées.  Trois  ans  à  peine  après  l'ouverture  du  nouvel  éta- 
blissement, le  8  octobre  1806,  il  fut  frappé  d'apoplexie  et  suc- 
comba après  quelques  jours. 

Les  mérites  scientifiques  d'Oberlin  avaient  été  hautement 
appréciés  en  France  et  à  l'étranger.  Dès  1775,  l'Académie  des 
Inscriptions  et  Belles-Lettres  l 'avait  reçu  parmi  ses  membres, 
et  les  Sociétés  savantes  de  Rouen,  de  Cortone,  de  Palerme,  de 
Londres  et  de  Cassel  l'avaient  honoré  en  l'accueillant  dans 
leurs  doctes  compagnies.  Cependant,  son  collègue  en  philo- 
logie porta  plus  loin  encore  la  réputation  de  l'Académie  pro- 
testante de  Strasbourg. 

Jean  Schweighaeuser  ')  était  né  le  26  juin  1742,  dans  un 
presbytère  de  Strasbourg.  Son  père,  Jean-George  Schweig- 
haeuser,  était  second,  et  devint,  en  1752,  premier  pasteur  à 


*)  Voy.  Joh.  Georg.  Dahler,  Memoriae  Joh.  Schweighaeuseri  sacrum, 
Arg.  1830.  —  Ch.  Cuvier,  Eloge  historique  de  M.  Jean  Schweighaeuser. 
Strasb.  1830.  —  Louis  Spach,  Les  deux  Schweighaeuser,  Biographies 
alsaciennes.  Paris  et  Strasb.  1871.  —  Ch.  Rabany,  Les  Schweighaeuser, 
Paris,  1884. 


2.6  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STEASBOUKa 

Péglise  Saint-Thomas;  sa  mère,  Prisque  Barbe,  était  fille  du 
pasteur  Ehrlen  de  Sainte-Aurélie.  Elle  avait  donné  à  son 
mari  quatorze  enfants,  Jean  était  le  dernier  venu,  le  qua- 
torzième. 

Il  fut,  paraît-il,  un  enfant  très  précoce,  ce  qui  ne  l'em- 
pêcha pas  de  devenir  un  homme  célèbre  et  d'atteindre  un 
âge  des  plus  avancés.  A  cinq  ans,  il  entra  au  Gymnase,  à  treize 
ans,  à  rUniversité.  Son  père  rayant  destiné  à  la  carrière 
pastorale,  il  suivit  les  cours  de  philologie  et  d'histoire,  et  puis 
ceux  de  théologie.  Mais  avide  de  savoir,  il  ne  se  borna  pas  à 
approfondir  ces  disciplines.  Il  étendit  ses  études  à  la  philo- 
sophie, à  l'histoire  naturelle,  à  la  botanique  et  même  à  l'as- 
tronomie. 

Après  avoir  conquis,  par  une  dissertation  savante  sur 
«le  système  moral  de  l'univers»,  le  grade  de  docteur  en  phi- 
losophie, Schweighaeuser  entreprit  son  tour  d'Europe.  Il 
le  commença  par  Paris.  H  y  resta  dix  mois  pour  étudier  les 
langues  orientales  sous  la  direction  du  célèbre  De  Guignes; 
puis  il  se  rendit  à  G^œttingue,  oîi  il  continua  ses  études  linguis- 
tiques avec  le  professeur  Michaelis.  Il  séjourna  ensuite  suc- 
cessivement à  Halle,  à  Leipzig,  à  Berlin  et  à  Marbourg,  et 
fit,  dans  ces  différentes  villes,  la  connaissance  de  savants  et 
de  littérateurs  célèbres,  celle  du  fabuliste  Gellert,  du  philo- 
sophe Mendelssohn  et,  avant  tout,  de  Lessing.  De  Hambourg 
il  passa  en  Angleterre,  visita  Londres  et  Oxford  où  l'attirait 
la  riche  collection  de  manuscrits  orientaux,  et  revint  par  les 
Pays-Bas  à  Strasbourg.  C'est  alors  qu'il  fit  la  connaissance 
du  commissaire  de  guerre  Brunck,  qui  devait  avoir  une  in- 
fluence décisive  sur  sa  carrière  scientifique^). 

Schweighaeuser  était  bien  préparé  à  la  carrière  académi- 
que; il  ne  tarda  pas  à  y  entrer.  Ce  n'est  pourtant  pas  la  philo- 
logie qu'il  fut  d'abord  appelé  à  enseigner.  La  chaire  de  langues 
anciennes,  devenue  vacante  au  moment  même  de  son  retour, 
fut  donnée  à  l'un  de  ses  concurrents;  lui-même  fut  nommé  pro- 


*)  Richard-François-Philippe  Brunck  était  né  à  Strasbourg  en  1729. 
Commissaire  de  guerre  auprès  de  Tarmée  hanovrienne  pendant  la  guerre 
de  sept  ans,  il  avait  logé  un  jour  chez  un  professeur  de  l'Université  de 
Giessen  et  avait  été,  par  les  entretiens  avec  ce  savant,  ramené  à  l'étude 
des  anciens  à  laquelle  il  s'était  adonné  autrefois.  Il  se  fit  connaître 
au  monde  savant  par  la  publication  des  Analecta  veterum  poetarum 
graecorum,  Strasb.  1776,  et  par  des  éditions  des  tragiques  grecs. 


LES   TRAVAUX   CRITIQUES   DE  SCHWEIGHAEUSER  27 

fesseur  adjoint  ou  extraordinaire  et  chargé  des  cours  de 
logique,  de  métaphysique  et  d'histoire  de  la  philosophie.  Ce 
n'est  qu'à  la  mort  du  professeur  Scherer,  en  1777,  que 
Schweighaeuser  fut  appelé  à  occuper  la  chaire  de  langues 
anciennes  et  orientales.  Il  devint  alors  officiellement  philo- 
logue et  le  resta  jusqu'à  la  fin. 

Schweighaeuser  s'était  d'abord  voué  plus  spécialement 
aux  langues  orientales.  Mais  l'amitié  qui  le  liait  à  l'helléniste 
Brunck  l'amena  à  s'occuper  davantage  de  la  littérature 
grecque.  Elle  devint  dès  lors  son  étude  de  prédilection.  Il 
entreprit,  après  de  solides  travaux  sur  Appien,  de  publier 
une  nouvelle  édition  de  l'histoire  romaine  de  cet  auteur,  qui, 
parue  en  1785  en  trois  volumes,  le  classa  aussitôt  parmi  les 
hellénistes  les  plus  distingués.  Ce  travail  à  peine  terminé, 
Schw^eighaeuser,  encouragé  par  les  suffrages  des  savants 
les  plus  compétents,  se  mit  à  réviser  le  texte  de  Polybe,  le 
plus  remarquable  historien  grec  de  l'antiquité.  Ce  travail,  qui 
remplit  six  années  de  sa  vie,  parut  en  neuf  volumes,  texte, 
commentaire  et  lexique,  de  1789  à  1795. 

En  attendant,  la  Révolution  avait  éclaté.  Comme  ses  col- 
lègues de  l'Université,  Schweighaeuser  avait  salué  avec 
transport  l'ère  régénératrice  que  promettait  1789.  Tout  en 
continuant  ses  cours  et  ses  éditions  de  textes  anciens,  il  avait 
accepté  les  fonctions  absorbantes  de  conseiller  municipal.  Il 
avait  vu  avec  satisfaction  son  fils  Geoffroi  se  faire  inscrire 
l'un  des  premiers  dans  le  bataillon  de  volontaires  qui  s'était 
formé  à  Strasbourg  à  l'appel  de  la  patrie  en  danger.  Son  pa- 
triotisme et  sa  réputation  scientifique  auraient  dû  le  protéger 
au  miHeu  des  troubles  révolutionnaires.  Mais  il  avait  osé 
s'élever  contre  les  excès  sanglants  des  Jacobins.  Cela  suffit 
pour  le  décréter  d'accusation.  Arrêté  et  enfermé  au  grand 
Séminaire,  qui  servait  alors  de  prison  politique,  il  fut,  grâce 
aux  démarches  pressantes  et  hardies  de  sa  femme,  remis  en 
liberté,  mais  exilé  à  vingt  lieues  de  la  frontière.  Il  se  retira  à 
Baccarat,  dans  le  département  de  la  Meurthe.  Là,  loin  des 
troubles  politiques,  il  poursuivit  ses  travaux  littéraires.  Ils 
manquèrent  lui  devenir  fatals.  Sa  lampe  qui  brûlait  souvent 
jusqu'au  matin,  les  épreuves  qu'il  expédiait  à  son  éditeur  de 
Leipzig,  firent  naître  des  soupçons  autour  de  lui.  Il  entretenait 
sans  doute  une  correspondance  avec  les  ennemis!  Un  ardent 
patriote  de  Baccarat  courut  le  dénoncer.  Schweighaeuser  allait 


28  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE   STKASBOUKG 

être  traduit  devant  le  tribunal  révolutionnaire  du  département, 
quand  une  lettre  du  Comité  de  l'instruction  publique,  qui  le 
remerciait  de  l'envoi  d'un  volimie  de  Polybe  récemment 
paru,  arriva  à  propos  pour  le  justifier  de  cette  accusation. 

Quand  Schweighaeuser  revint  à  Strasbourg,  l'Univer- 
sité avait  cessé  d'exister.  Il  fut  alors,  comme  plusieurs  de  ses 
collègues,  nommé  professeur  à  l'Ecole  centrale  du  Bas-Ehin, 
instituée  par  la  loi  du  3  brumaire  de  l'an  IV.  Il  y  enseigna 
les  langues  anciennes  et  continua,  en  même  temps,  à  éditer 
ses  auteurs  favoris. 

Ce  furent  d'abord  les  Monuments  de  la  philosophie 
d'Epictète,  qui  parurent  de  1799  à  1800;  puis  le  Banquet  des 
Sophistes  d'Athénée.  Il  publia,  de  1801  à  1807,  cinq  volumes 
de  texte  et  neuf  volumes  de  commentaires  de  cet  ouvrage  qui 
est  réputé  l'un  des  plus  difficiles  de  la  littérature  grecque 
et  qui  n'avait  pas  eu  jusqu'alors  de  bonne  édition.  Puis,  se 
tournant  vers  la  littérature  latine,  il  fit  paraître,  en  deux 
volumes,  les  Epîtres  morales  de  Sénèque,  et  entreprit  enfin, 
presque  octogénaire,  sa  belle  édition  d'Hérodote  avec  un 
lexique  spécial  qu'il  acheva  en  1824. 

Ces  travaux  critiques  ne  l'empêchaient  pas  d'ailleurs  de 
remplir  consciencieusement  ses  obligations  académiques.  Il 
donnait  à  l'Académie  protestante  le  cours  de  littérature 
grecque;  depuis  1808,  il  était  également  professeur  et  doyen 
de  la  Faculté  des  lettres  de  Strasbourg.  Il  remplit,  en  outre, 
de  1806  à  1815,  les  fonctions  de  conservateur  des  bibliothèques 
publiques.  Pour  le  soulager,  vu  son  âge  avancé,  on  lui  ad- 
joignit, en  1810,  son  fils  Geoffroi;  il  n'en  continua  pas  moins 
à  faire  des  cours  jusqu'en  1824. 

Il  ne  put  se  résigner  au  repos,  même  alors  que,  fatigués 
par  le  déchiffrement  des  vieux  manuscrits,  ses  yeux  com- 
mencèrent à  lui  refuser  leur  service.  Plus  qu'octogénaire,  on 
le  voyait  se  rendre  clopinant  à  l'Académie  pour  expliquer 
à  la  jeunesse  ces  auteurs  grecs  qu'il  aimait  tant  et  qu'il  ne 
pouvait  plus  lire.  En  1824,  il  se  décida  enfin  à  prendre  sa 
retraite.  Ce  ne  fut  pourtant  pas  pour  rester  inactif.  Les  yeux 
de  sa  fille  Sophie,  son  Antigone,  comme  il  aimait  à  l'appeler, 
suppléèrent  à  l'avenir  aux  siens.  Il  demeurait,  à  88  ans,  en 
possession  de  toutes  ses  facultés  intellectuelles,  quand  la  mort 
vint  le  surprendre  le  19  janvier  1830. 

Schweighaeuser  n'avait  jamais  brigué  les  honneurs  et  les 


SCHWEIGHAEUSER   COMIVIE   PROFESSEUR  29 

distinctions.  Mais  sa  place  était  marquée  à  l'Institut  national 
de  France.  Il  fut  parmi  les  premiers  que  cet  illustre  corps 
s'associa  comme  mxembres  correspondants.  Plus  tard,  en  1816, 
il  fut  nommé  associé  libre  de  T Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres;  il  était  membre  de  la  Société  des  Sciences  et 
des  Beaux-Arts  de  Nancy  et  de  la  Société  des  Sciences,  de 
l'Agriculture  et  des  Arts  de  Strasbourg.  En  1821,  le  gou- 
vernement le  décora  de  la  croix  de  la  Légion  d'honneur,  et 
en  1826,  la  Société  royale  de  littérature  classique  de  Londres 
lui  conféra  une  des  deux  médailles  d'or  qu'elle  accordait 
chaque  année  au  savant  le  plus  méritant  dans  ce  domaine. 

Schweighaeuser  qui,  comme  helléniste,  jouissait  d'une  ré- 
putation européenne,  ne  paraît  pas  avoir  brillé  comme  pro- 
fesseur. Ses  leçons  manquaient  absolument  d'attrait.  «  Il 
était  »,  dit  Bruch,  qui  suivit  ses  cours  en  1809,  «  complètement 
dépourvu  du  don  de  l'exposition.  Sa  parole  était  lente,  sans 
saveur.  Ses  leçons  nous  étaient  utiles,  elles  n'étaient  pas 
attrayantes.  Les  cours  qu'il  donna  plus  tard  dans  la  nouvelle 
Faculté  des  lettres  étaient  un  peu  plijs  relevés.  Mais  je  ne 
puis  dire  que  j'aie  beaucoup  appris  dans  ses  leçons.  Elles  ne 
m'auraient  certainement  pas  inspiré  l'amour  de  la  littérature 
classique,  si  mes  études  privées  ne  l'avaient  déjà  éveillé  en 
moi.  »  ')  Edouard  Eeuss,  qui  fut  l'élève  de  Schweighaeuser 
dix:  ans  plus  tard,  le  juge,  lui  et  son  fils  Geoffroi,  plus  sévère- 
ment encore  :  «  Comme  professeurs  »,  dit-il,  «  ils  étaient  plus 
que  médiocres;  leur  méthode  nuisait  à  ce  que  leur  science  eût 
pu  produire  d'utile.  Le  vieux,  blanchi  et  aveugle  de  par  ses 
éditions  critiques,  était  un  pédant  incarné,  qui  ne  voyait  pas 
dans  un  auteur  l'esprit  de  son  temps,  la  vie  de  son  siècle,  le 
miroir  des  mœurs,  de  la  religion  et  de  la  politique  d'alors, 
mais  des  formes  grammaticales,  des  règles  de  syntaxe,  des 
mines  critiques.  Jamais  il  ne  nous  apprit  à  comprendre  un 
auteur,  à  saisir  son  esprit.  »  ')  Louis  Spach,  aussi,  lui  fait  le 
timide  reproche  «de  n'avoir  pas  suffisamment  initié  ses 
élèves  à  ce  travail  intellectuel  auquel  il  se  livrait  dans  le 
silence  de  son  cabinet  d'études,  et  de  s'être  borné,  dans  ses 
leçons  publiques,  à  des  questions  de  subtilité  grammaticale, 
au  lieu  d'inspirer  à  ses  auditeurs,  par  une  interprétation 


*)  J.-Fr.  Bruch,  loc.  cit.,  p.  41. 
^)  Reuss,  Mémoires. 


30  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE   DE   STRASBOURG 

rapide  de  ses  auteurs  favoris,  le  culte  de  l'antiquité  clas- 
sique. »  *) 

Comme  Oberlin,  comme  Schweighaeuser,  le  professeur 
d'histoire,  Koch,  jouissait  d'une  réputation  européenne; 
comme  Blessig  et  HafiPner,  il  était  entouré  d'estinie  et  de  re- 
connaissance pour  les  services  qu'il  avait  rendus  à  l'Eglise 
d'Alsace  et  à  l'Académie  protestante. 

Christophe-Guillaumie  Koch^)  était  né  le  5  mai  1737  à 
Bouxwiller,  chef -lieu  de  la  seigneurie  de  Hanau-Lichtenberg. 
Son  père,  membre  du  conseil  des  finances  du  prince  de  Hesse- 
Darmstadt,  auquel  appartenait  cette  seigneurie,  perdit  sa 
place  pour  s'être  opposé  à  un  acte  arbitraire  du  prince,  et 
se  retira  à  Strasbourg.  Le  jeune  Koch  poursuivit  ses  études 
classiques  au  Gymnase  protestant  et  entra  en  1752  à  l'Uni- 
versité. Il  se  voua  d'abord  à  l'étade  de  la  philologie  et  de  la 
philosophie,  et  puis  à  celle  de  l'histoire  sous  la  direction  du 
célèbre  Schœpflin.  Après  avoir  pris  le  grade  de  docteur  en 
droit,  il  se  rendit,  en  1762,  à  Paris.  Il  y  passa  une  année 
entière,  complétant  son  instruction  par  des  recherches  dans 
les  bibliothèques  et  par  la  fréquentation  de  savants  tels  que 
Sainte-Palaye,  De  Guignes,  Barthélémy,  d'Anville  et 
autres. 

De  retour  à  Strasbourg,  il  se  lia  plus  étroitement  avec 
Schœpflin,  qui  lui  demanda  de  collaborer  à  son  Historia 
Zaeringo-Badensis,  dont  le  premier  volume  avait  seul  paru. 
Koch  termina'  cet  ouvrage  à  la  grande  satisfaction  de  son 
maître.  Schœpflin  se  montra  reconnaissant.  En  léguant  à  la 
ville  sa  riche  bibliothèque  avec  son  cabinet  d'antiquités,  il 
stipula  que  Koch  en  serait  nommé  conservateur.  Et,  en  effet, 
à  sa  mort,  en  1771,  Koch  fut  pourvu  de  cette  place.  L'Univer- 
sité, presque  en  même  temps,  le  nomma  conservateur  de  sa 
bibliothèque  et  lui  conféra  le  titre  de  professeur  d'histoire 
extraordinaire. 


*)  Voy.  Louis  Spach,  Biographies  alsaciennes.  Paris  et  Strasbourg 
1871,  p.  181. 

Vie  de  Chris  t.-Guill.  Koch,  rédigée  au  nom  du  Séminaire 
protestant  par  J.-G.  Schweighaeuser.  Strasb.  —  L'article  Koch  dans  La 
France  protestante  d'Eug.  et  Em.  Haag.  Paris,  1856.  T.  VI,  p.  124  ss.  — 
Christoph  Wilhelm  Koch.  Zum  iOO.  Todestag,  25.  Oct.  1815  von  Eug. 
Stern.   Str.  1913. 

')  Voy.  Précis  succinct  des  principaux  événements  de  la  vie.  (En 
allemand.)  Arch.  du  Sém. 


CHRISTOPHE-GUrLLAUME  KOCH  31 

Il  ouvrit  alors  un  cours  sur  les  matières  qu^avait  en- 
seignées ;Son  maître,  continuant  ainsi  Técole  diplomatique 
qu'avait  fondée  Schœpflin,  et  bientôt  il  vit  affluer  autour  de 
sa  chaire  des  jeunes  gens  de  tous  les  pays,  qui  se  préparaient 
à  la  carrière  diplomatique  et  dont  quelques-uns  devinrent  des 
hommes  d'Etat  distingués. 

En  1779,  il  était  assez  connu  pour  que  l'Université  de 
Gœttingue  l'appelât  à  sa  chaire  de  droit  public,  devenue 
vacante  par  la  mort  d'Achenwall.  Les  avantages  pécuniaires 
qu'offrait  cette  place  étaient  grands.  Koch  hésitait  sur  le 
parti  à  prendre.  Les  instances  de  ses  collègues  et  de  ses  amis 
et  l'augmentation  de  traitement  que  lui  accorda  le  magistrat  le 
décidèrent  finalement.  Il  resta  à  Strasbourg.  Il  n'eut  pas  à 
s'en  repentir.  Peu  après,  il  fut  nonuné  professeur  de  droit 
public  à  l'Université.  Sa  réputation  dès  lors  ne  fit  que  croître. 
Les  distinctions  vinrent  le  chercher.  L'empereur  Joseph  II  le 
nomma  chevalier  du  Saint-Empire;  l'Académie  de  Besançon, 
le  Musée  de  Paris,  la  Société  royale  d'éducation  de  Stock- 
holm, l'Académie  des  Sciences  de  Bruxelles  le  nommèrent 
successivement  leur  associé. 

A  côté  de  ses  travaux  universitaires,  Koch  avait  com- 
mencé à  se  livrer  à  des  travaux  littéraires.  En  1771  déjà  avait 
paru  à  Lausanne,  mais  à  son  insu  et  sans  nom  d'auteur, 
publié  d'après  des  cahiers  de  cours,  son  Tableau  des  révo- 
lutions de  V Europe,  qu'il  refit  plus  tard  sur  un  plan  plus 
vaste.  En  1782,  il  fit  paraître  ses  Tables  généalogiques  des 
maisons  souveraines  de  VEurope  et,  en  1789,  la  Sanctio  prag- 
matica  Germanorum  illustrata  qui  lui  valut  «  les  témoignages 
les  plus  flatteurs  de  la  part  des  prélats  catholiques  les  plus 
respectables  par  leur  érudition  et  par  leur  piété». 

Ces  paisibles  travaux  furent  bientôt  interrompus  par  la 
crise  révolutionnaire.  Koch  se  vit  appelé  à  d'autres  travaux, 
bien  différents  de  ceux  auxquels  il  s'était  livré  jusqu'alors. 
En  l'année  1789  il  fut  envoyé  à  Paris,  avec  le  Stettmeister 
de  Colmar,  Sandherr,  pour  y  défendre  les  droits  civils  et 
religieux  des  protestants  d'Alsace.  Il  réussit  à  faire  rendre 
le  décret  du  17  août  1790,  qui  maintenait  les  protestants  de  la 
Confession  d'Augsbourg  et  ceux  de  la  Confession  helvétique 
en  Alsace  dans  les  droits  que  leur  avaient  reconnus  les  traités 
et  exceptait  les  biens  de  leurs  églises  de  la  confiscation  au 
profit  de  la  nation,  prononcée  par  le  décret  du  l^'^  décembre 
1790. 


32  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOaiE  DE   STRASBOURG 

Koch  n'était  pas  revenu  de  Paris  que  ses  concitoyens 
reconnaissants  le  nommaient  membre  de  l'administration  du 
district,  et  Tannée  suivante,  le  29  août  1791,  député  du  Bas- 
Ehin  à  l'Assemblée  législative. 

Ses  goûts  le  rattachaient  à  l'ordre  et  ses  doctrines  s'éloi- 
gnaient de  celles  du  parti  révolutionnaire.  Il  prit  sa  place  sur 
les  bancs  des  modérés.  Ses  rares  facultés,  ses  connaissances 
étendues,  hautement  appréciées,  le  firent  nommer,  peu  après, 
président  du  Comité  diplomatique. 

Sa  conduite  après  le  20  juin  —  Koch  avait  été  un  des 
principaux  instigateurs  de  la  protestation  des  cinq  mille  élec- 
teurs strasbourgeois  contre  toute  atteinte  au  pacte  constitu- 
tionnel —  lui  attira  les  persécutions  du  parti  vainqueur. 
Arrêté  au  mois  de  septembre  1791,  puis  remis  momentané- 
ment en  liberté  avec  ordre  de  se  tenir  à  distance  des  fron- 
tières, il  fut  obligé  de  se  cacher  pour  sauver  sa  tête;  puis, 
arrêté  de  nouveau  dans  l'asile  oîi  il  s'était  réfugié,  il  fut  en- 
fermé, comme  plusieurs  de  ses  collègues,  dans  les  bâtiments 
du  Grand-Séminaire.  Ce  n'est  qu'après  une  détention  de  onze 
mois  que  le  9  thermidor  le  rendit  à  la  liberté. 

Nommé  alors,  par  le  choix  de  ses  concitoyens,  au  Direc- 
toire du  département  du  Bas-Ehin,  il  n'accepta  ces  fonc- 
tions, dans  lesquelles  il  rendit  d'ailleurs  d'éminents  services 
aux  institutions  strasbourgeoises,  qu'à  regret.  Il  avait  hâte 
de  retourner  à  ses  travaux  littéraires.  Dès  que  les  élections 
régulières  purent  avoir  lieu,  il  déposa  son  mandat.  Mais  il  était 
trop  en  vue  pour  pouvoir  espérer  de  vivre  tranquille.  Malgré 
lui,  il  fut,  en  1798,  mêlé  aux  conférences  de  Seltz  et  à  celles 
de  Eastatt. 

Plus  tard,  il  se  vit  appelé  par  la  confiance  de  ses  core- 
ligionnaires à  travailler  à  la  réorganisation  de  l'Eglise  pro- 
testante d'Alsace,  et,  aidé  de  quelques  amis,  il  rédigea  le 
projet  de  loi  qui  forma  la  base  de  la  loi  du  18  germinal  de 
l'an  X.  Puis,  nommé,  en  1802,  membre  du  Tribunat,  il  usa 
de  son  influence  pour  obtenir  le  décret  du  30  floréal  XI,  qui 
réorganisait  l'ancienne  Université  comme  Académie  protes- 
tante. 

Après  la  suppression  du  Tribunat  en  1807,  Koch  renonça 
définitivement  à  toute  activité  politique.  Il  revint  à  Stras- 
bourg. De  nouvelles  fonctions  l'y  attendaient  à  côté  de  ses 
cours,  et  de  nouvelles  distinctions  honorifiques.  Il  fut  nommé 


JEAN-LOUIS-ALEXANDEE   HERRENSCHNEIDER  33 

successivement  membre  du  Consistoire  général  et  du  Direc- 
toire de  TEglise  de  la  Confession  d'Augsbourg,  doyen  de  la 
Faculté  de  droit,  recteur  honoraire  de  la  nouvelle  Académie, 
président  de  la  Société  des  sciences  et  arts  du  Bas-Ehin.  Tout 
en  remplissant  consciencieusement  ces  fonctions  multiples, 
il  travaillait  à  terminer  ses  grands  ouvrages  historiques;  il 
donnait  une  nouvelle  édition  de  son  Tableau  des  révolutions 
de  V Europe,  et  préparait  la  publication  des  Tableaux  généa- 
logiques,  qui  ne  parurent  pourtant  qu'après  sa  mort. 

La  santé  de  Koch  était  restée  inaltérable  et  son  esprit 
n'avait  subi  aucun  déclin.  Levé  chaque  jour  à  cinq  heures,  il 
passait  sa  matinée  entière  debout  devant  son  pupitre,  dînait 
frugalement,  faisait  une  courte  promenade,  se  remettait  au 
travail,  et  se  couchait  invariablement  à  dix  heures,  sans  avoir 
soupe.  Mais,  en  1812,  il  fut  subitement  atteint  d'une  maladie 
qui,  à  son  âge,  devait  être  mortelle.  Il  la  supporta  avec  une 
sérénité  stoïque.  Sentant  sa  fin  approcher,  il  réunit  ses  amis 
à  la  campagne  pour  un  dîner  d'adieu  qu'il  présida  avec  son 
amabilité  ordinaire.  Peu  de  jours  après,  le  25  octobre  1813, 
il  s'éteignait  à  l'âge  de  soixante-seize  ans. 

Le  chapitre  de  Saint- Thomas,  pour  lui  marquer  sa  re- 
connaissance des  grands  services  qu'il  avait  rendus  à  la  fon- 
dation, avait,  dès  1808,  suspendu  son  portrait,  peint  par  Eo- 
bert  Lefèvre,  dans  la  salle  de  ses  séances;  le  Séminaire,  après 
sa  mort,  voulut,  pour  honorer  dignement  sa  mémoire,  lui 
élever  un  monument  dans  l'église  Saint-Thomas.  Ce  monu- 
ment est  une  des  meilleures  œuvres  du  sculpteur  Ohmacht. 

La  philosophie  à  l'Académie  protestante,  était  enseignée 
par  le  plus  jeune  des  professeurs  titulaires,  Jean-Louis- 
Alexandre  Herrenschneider  ') .  Né  le  22  mars  1760  à  Grehweiler, 
où  son  père  était  premier  pasteur  et  inspecteur  ecclésiastique, 
il  vint,  après  de  fortes  études  classiques  faites  sous  la  direc- 
tion de  ce  père  qui  était,  paraît-il,  un  érudit,  étudier  à  l'Uni- 
versité de  Strasbourg  les  langues  anciennes  et,  en  même 
temps  et  surtout,  les  mathématiques,  la  physique  et  l'astro- 
nomie, qui  avait  pour  lui  un  attrait  particulier.  Il  se  livra 
avec  une  telle  ardeur  au  travail  personnel,  qu'il  put,   dès 


')  Voy.  Discours  prononcé  le  23  février  i8A3  pour  rendre  les  derniers 
honneurs  académiques  à  J.-L.-A.  Herrenschneider,  par  J.W^illm.  Str.  1843. 
—  Reden  bei  der  Beerdigung  von  J.  L.  A.  Herrenschneider.  Str.  1843. 


34  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE   STRASBOUEG 

1782,  présenter  sa  thèse  pour  le  doctorat.  Cette  dissertation 
De  conscientia  paraissait  annoncer  un  futur  philosophe.  Mais 
quand  il  s'agit  pour  le  jeune  docteur  de  choisir  une  carrière, 
les  siens,  s 'effrayant  d'une  profession  qui  semblait  offrir  peu 
d'avenir,  intervinrent  et  le  décidèrent  à  se  vouer  au  droit. 

Un  événement  imprévu  vint  déranger  ces  plans  et  ouvrir 
au  jeune  savant  une  carrière  plus  conforme  aux  penchants 
de  son  esprit  et  à  l'instinct  de  ses  talents.  Un  frère  de  son 
père,  Samuel  Herrenschneider,  qui  professait  les  mathéma- 
tiques à  l'Université  de  Strasbourg,  vint  à  mourir  en  1784, 
et  comme  on  ne  lui  trouva  pas  d'abord  un  successeur  qui  fut 
à  la  hauteur  de  sa  tâche,  on  chargea  le  jeune  Herrenschneider, 
comme  l'élève  le  plus  distingué  de  son  oncle,  de  donner  pro- 
visoirement le  cours  de  mathématiques.  Il  s'acquitta  si  bien 
de  cette  tâche,  qu'en  1789,  à  la  mort  du  professeur  Bracken- 
hoffer,  il  fut  appelé  à  lui  succéder  dans  sa  chaire. 

Après  un  voyage  scientifique  qui  le  mit  en  rapport  avec 
les  astronomes  européens  les  plus  célèbres,  avec  Laplace  et 
Herschell,  et  lui  fournit  l'occasion  d'étudier  les  nouveaux 
instruments  et  les  nouvelles  méthodes  astronomiques,  il  vint 
reprendre  son  activité  à  l'Université  de  Strasbourg.  Elle  fut 
presque  aussitôt  interrompue  par  la  tourmente  révolution- 
naire. 

Herrenschneider,  comme  tant  d'autres,  avait  salué  avec 
enthousiasme  la  Eévolution,  dans  laquelle  il  croyait  voir  l'au- 
rore d'une  nouvelle  ère,  dîme  ère  de  liberté  et  d'égalité.  Mais 
quand  il  vit  les  généreux  principes  de  1789  succomber  sous 
les  actes  sanglants  de  1793,  la  justice  outragée  et  l'esprit 
humain  qui  avait  fait  la  révolution,  condamné  dans  ses  nobles 
idées  et  proscrit  dans  ses  généreux  représentants,  pénétré 
d'horreur,  il  s'éleva  contre  l'anarchie,  et  quand  les  pasteurs 
qui  refusaient  de  renier  leur  foi  furent  arrêtés  et  empri- 
sonnés, il  n'hésita  pas  à  se  joindre  à  eux  et  à  partager  avec 
eux  une  détention  qui  dura  plusieurs  mois. 

Rendu  à  la  liberté  après  le  9  thermidor,  Herrenschneider 
fut  nommé  successivement  membre  de  la  Commission  de 
l'Ecole  centrale,  de  celle  des  nouveaux  poids  et  mesures, 
examinateur  des  candidats  à  l'Ecole  polytechnique  et,  lors  de 
la  création  de  l'Académie  protestante,  professeur  de  philo- 
sophie à  cet  établissement.  Sa  spécialité  était  pourtant,  il  en 
avait  fourni  la   preuve,  la   physique   et   les   mathématiques. 


HEKEENSCHNEIDER   COMIVIE   PEOFESSEUR  35 

Aussi,  lorsqu'en  1808  l'Académie  impériale  fut  établie  à 
Strasbourg,  fut-il  appelé  à  y  occuper  la  chaire  de  physique. 
Il  continua  en  même  temps  à  donner  un  cours  de  mathéma- 
tiques au  Séminaire,  jusqu'au  jour  où  le  professeur  Kramp 
de  la  Faculté  des  sciences,  gêné  sans  doute  par  cette  concur- 
rence, le  menaça  d'une  dénonciation  auprès  du  grandmaître  de 
l'Université,  si,  professeur  de  philosophie,  il  ne  renonçait  pas 
à  ce  cours  de  mathématiques.  Herrenschneider  dut  dès  lors 
se  borner  à  l'enseignement  de  la  logique  et  de  la  métaphysique. 

Il  paraît  pourtant  n'avoir  pas  été  tout-à-fait  à  la  hauteur 
de  sa  tache.  Il  avait  été  nourri  dans  sa  jeunesse  de  la  philo- 
sophie wolfienne,  et,  si  nous  en  croyons  quelques-uns  de  ses 
élèves,  son  horizon  philosophique  n'allait  guère  au  delà.  Il 
avait,  plus  tard,  étudié  très  consciencieusement  Kant,  il  s'était 
même  attaqué  à  Schelling  et  à  Fichte,  mais  Hegel  et  la  nou- 
velle philosophie  allemande  restèrent  pour  lui  lettre  close, 
n  l'avouait  d'ailleurs  avec  une  charmante  bonhomie.  «Je 
crois»,  disait-il,  «avoir  compris  Platon  et  Aristote,  Bacon 
et  Descartes,  Locke  et  Leibnitz,  Kant  et  Jacobi,  Fichte  et 
jusqu'à  Schelling,  mais  je  ne  comprends  rien  à  H'egel.  »  ') 

Malgré  cette  lacune  dans  son  savoir  et  bien  que  la  forme 
de  son  enseignement  manquât  de  charme  et  qu'un  bégaiement 
dont  il  ne  réussit  jamais  à  se  défaire  et  la  répétition  fati- 
gante des  mêmes  locutions  donnassent  à  son  débit  quelque 
chose  de  comique,  ses  leçons  étaient  pleines  d'intérêt  et 
suivies  avec  zèle.  Sa  bienveillance,  d'ailleurs,  et  sa  générosité 
lui  avaient  gagné  le  cœur  de  ses  étudiants.  «  Nous  étions  tous 
convaincus»,  dit  l'un  d'eux,  «qu'il  nous  aimait  et  qu'il  était 
prêt  à  nous  être  utile  autant  que  cela  lui  était  possible.  »  ') 

L'affection  qu'avaient  pour  lui  ses  auditeurs  et  la  véné- 
ration dont  l'entourait  la  population  strasbourgeoise  tout 
entière  pour  sa  charité  inépuisable  et  la  part  qu'il  prenait 
à  toutes  les  œuvres  philanthropiques,  éclatèrent  lors  de  son 
jubilé,  où  tous,  ses  collègues,  les  étudiants,  les  bourgeois  de 
la  ville,  unis  dans  un  même  sentiment,  lui  apportèrent  le 
tribut  de  leur  admiration,  de  leur  respect  et  de  leur  recon- 
naissance. Le  Séminaire,  pour  l'honorer,  décida  de  faire 
peindre  son  portrait  par  Strintz  et  d'en  orner  la  salle  de  ses 


')  J.  W^illm,  loc.  cit.,  p.  16. 
*)  J.-F.  Bruch,  loc.  cit.,  p.  42. 


36  LA   FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE   DE   STRASBOURG 

séances.  Plus  tard,  le  gouvernement  le  décora  de  la  croix  de 
la  Légion  d'honneur. 

Jusqu'à  Vage  de  67  ans,  Herrenschneider  put  se  livrer 
à  ses  occupations  diverses.  Mais  à  ce  moment  de  sa  vie,  il 
fut  atteint  d'une  maladie  qui  le  contraignit  à  restreindre  ses 
travaux.  Il  prit  sa  retraite  comme  professeur  de  l'Académie, 
mais  il  continua  son  cours  au  Séminaire.  Son  esprit  n'avait 
subi  aucun  déclin.  Il  assistait  avec  une  assiduité  persévé- 
rante à  toutes  les  séances  du  Séminaire,  portant  sa  vigilante 
sollicitude  sur  l'administration  de  la  fondation  et  s 'intéres- 
sant aux  recherches  scientifiques.  Mais  à  la  fin  de  l'année 
1839  sa  santé  devint  vacillante,  ses  forces  physiques  et  intel- 
lectuelles diminuèrent  de  plus  en  plus,  et  le  29  janvier  1843 
il  expirait.  Il  avait  près  de  83  ans  lorsqu'il  fut  enlevé  à  l'af- 
fection des  siens,  au  commerce  de  ses  amis  et  aux  études 
scientifiques. 

III 

A  côté  des  théologiens  et  des  philologues,  de  l'historien 
et  du  philosophe,  l'Académie  protestante  comptait  cinq  pro- 
fesseurs, dont  trois  avaient  appartenu  à  la  Faculté  de  droit 
et  deux  à  la  Faculté  de  médecine  de  l'ancienne  Université,  des 
hommes  entourés  de  la  considération  générale,  distingués 
dans  leur  branche  spéciale,  mais  dont  la  place  ne  semblait 
pas  marquée  dans  une  institution  créée  pour  former  les  mi- 
nistres du  culte.  Ils  étaient,  nous  l'avons  dit,  un  héritage  de 
l'ancienne  Université;  l'Académie,  qui  succédait  à  celle-ci, 
était  tenue  de  leur  conserver  leur  place  et  leur  traitement, 
sauf  à  voir  comment  elle  les  emploierait. 

Le  plus  âgé  des  jurisconsultes,  Jean-Daniel  Eeisseisen*), 
était  né  à  Strasbourg,  le  18  janvier  1735,  d'une  famille  qui, 
depuis  des  générations,  s'était  distinguée  dans  le  service  de 
l'Etat  et  de  l'Eglise.  Son  bisaïeul  paternel,  François  Reiss- 
eisen,  avait  été  membre  du  conseil  des  XIII  et  scolarque;  son 
bisaïeul  maternel,  Samuel  Silberrad,  pasteur  à  Saint-Pierre- 
le- Vieux,  et  son  grand-père,  Martin  Silberrad,  pasteur  à 
Saint-Thomas.  Son  père,  Jean-Daniel  Eeisseisen,  était 
médecin. 


*)  Oratio  inaugur.  Arg.,  Heitz,  1775. 


JEAN-DANIEL  BEAUN  37 

Eeisseisen  ne  le  connut  point,  il  Pavait  perdu  avant  sa 
naissance.  Un  oncle,  frère  de  sa  mère,  alors  professeur  de 
poésie  et  plus  tard  de  droit,  devint  pour  lui  un  conseiller  et 
un  guide  paternel.  Schœpflin  aussi  s^intéressa  à  lui  quand, 
en  1749,  Eeisseisen  entra  à  TUniversité  pour  y  étudier 
d'abord  les  lettres  et  puis  le  droit.  Mais  cette  culture  préli- 
minaire n'était  qu'une  préparation  à  des  études  plus  étendues 
et  plus  profondes.  Eeisseisen  alla  à  Paris,  où  il  continua  à  se 
former  dans  la  science  du  droit,  il  passa  ensuite  quelque 
temps  à  Colmar  pour  s'exercer  à  la  pratique  des  affaires 
auprès  de  la  Cour  suprême,  et  obtint,  quand  il  revint  à  Stras- 
bourg, l'autorisation  de  faire  des  cours  publics.  En  1768,  il 
devint  professeur  titulaire  à  la  Faculté  de  droit  et  acquit  une 
réputation  qui  s'étendit  jusqu'en  pays  étranger. 

A  l'Académie  protestante,  il  annonça,  non  un  cours  de 
droit,  mais  de  philosophie  pratique  0.  Cette  annonce  se  re- 
trouve chaque  année  dans  le  programme  du  Séminaire  jus- 
qu'en 1811.  Alors  son  nom  disparaît  du  tableau  des  cours, 
bien  qu'il  ne  mourût  que  six  ans  plus  tard,  en  1817.  H  faut 
croire  que  son  âge  avancé  et,  peut-être,  l'absence  d'auditeurs, 
l'avait  décidé  à  renoncer  à  une  activité  qui,  sans  doute,  ne 
lui  donnait  que  peu  de  satisfaction. 

Il  n'en  fut  guère  autrement  du  second  jurisconsulte, 
Jean-Daniel  Braun.  Lui  aussi  appartenait  à  une  vieille  fa- 
mille strasbourgeoise  qui  avait  fourni  des  hommes  de  mérite 
aux  conseils  des  XIII  et  des  XV.  Son  père,  Jean  Braun,  était 
négociant  et  assesseur  du  Grand  Conseil. 

Né  à  Strasbourg,  le  12  décembre  1739,  Braun  fit  ses  huma- 
nités au  Gymnase  protestant  et  étudia  le  droit  à  l'Univer- 
sité de  sa  ville  natale.  Il  devint  ensuite,  sur  la  recomman- 
dation de  Schœpflin,  précepteur  des  fils  du  baron  de  Stein. 
Il  trouva  dans  cette  position,  qu'il  occupa  durant  cinq  ans, 
l'occasion  de  connaître  un  monde  intéressant  et  tout  nouveau 
pour  lui.  De  retour  à  Strasbourg,  il  fut  nommé  professeur 
extraordinaire  à  la  Faculté  de  droit. 

Mais  avant  de  commencer  son  enseignement,  il  voulut 
compléter  ses  études.  H  se  rendit  d'abord  à  Lyon,  pour  s'y 


^)  0.  Berger-Levrault,  dans  ses  Annales,  dit  de  lui:  «Professeur  de 
jurisprudence,  de  droit  naturel  et  des  gens  et  de  droit  public  d'Allemagne 
à  r Académie  protestante  ».  C'est  une  eiTeur,  Reisseisen  n'a  jamais 
annoncé  que  Philosophiae  practicae  principia. 


38  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE   DE  STKASBOURG 

exercer  à  la  pratique  de  la  jurisprudence  française,  puis  à 
Paris,  OÙ  la  fréquentation  d'hommes  d'un  haut  mérite,  du 
duc  de  Mortemart,  du  vicomte  de  Vitraye  et  de  diplomates 
étrangers,  contribua  beaucoup  à  augmenter  ses  connaissances 
juridiques  et  à  étendre  son  horizon  politique.  Eevenu  à  Stras- 
bourg, il  obtint  une  chaire  à  la  Faculté  de  droit,  et  inaugura 
son  cours  par  un  discours  qui  fit  sensation:  Leges  ac  mores 
publicae  salutis  fulcimenta,  Principis  curam  esse. 

Pendant  la  période  révolutionnaire,  Braun  fut  appelé  à 
remplir  diverses  fonctions  publiques;  il  fut  placé,  en  1793, 
à  la  tête  de  l'administration  du  Bas-Ehin.  Mais  dénoncé 
comme  aristocrate,  il  fut  destitué,  arrêté  et  enfermé  avec 
d'autres  notables  au  Grand -Séminaire.  Il  fut  retenu  captif 
jusqu'en  septembre  1794.  Plus  tard,  nous  le  trouvons  vice- 
président  du  tribunal  civil  de  première  instance  à  Stras- 
bourg et  membre  du  Consistoire  du  Temple-Neuf. 

A  l'Académie  protestante,  Braun  annonça  un  cours  de 
«droit  ecclésiastique  protestant»*).  L'ai-t-il  professé  régu- 
lièrement? Et  avec  quel  succès?  Nous  l'ignorons;  il  n'en  est 
fait  mention  nulle  part.  Mais  s'il  ne  brillait  pas  comme  pro- 
fesseur, il  eut  de  réels  mérites  comme  administrateur  des 
fondations  protestantes.  Schweighaeuser,  faisant,  en  sa  qua- 
lité de  vice-président  du  Séminaire,  le  29  novembre  1809, 
l'éloge  de  ce  collègue,  décédé  quelques  jours  auparavant, 
pouvait  dire  de  lui:  «Il  a  réussi  autant  par  l'exactitude  qu'il 
mettait  dans  ses  recherches  que  par  un  travail  assidu  consacré 
au  bien-être  de  la  fondation  (de  Saint-Thomas)  à  la  rétablir 
dans  les  droits  qui  lui  avaient  été  contestés  par  le  vertige  des 
années  révolutionnaires  et  à  réparer  autant  que  possible  les 
pertes  qu'elle  avait  faites.  Le  défunt  par  les  services  signalés 
rendus  à  la  fondation  s'est  acquis  de  justes  titres  à  la  recon- 
naissance de  ses  collègues  et  emporte  leurs  regrets.  »  ')  Bel 
éloge  assurément  et  qui  suffit  pour  assurer  à  la  mémoire  du 
professeur  Braun  la  gratitude  de  l'Alsace  protestante! 

Le   troisième   des   jurisconsultes   qui    avaient   passé   de 


M  0.  Berger-Levrault,  dans  ses  Annales,  le  désigne  comme  «  profes- 
seur de  droit  civil  et  criminel  à  l'Académie  protestante  ».  Mais  on  n'a 
jamais  enseigné  ni  le  droit  civil  ni  le  di'oit  criminel  à  l'Académie  protes- 
tante et  le  programme  des  leçons  ne  porte  que  cette  seule  mention  : 
Braun  jus  ecclesiasticum  protestantium  docebit. 

*)  Procès-verbal  de  la  Séance  du  29  nov.  1809. 


JEAN-FRANÇOIS   EHEMANN  39 

Pancienne  Université  à  rAcadémie  protestante,  Jean-François 
Ehrmann'),  était  né  à  Strasbourg,  le  12  février  1757,  fils  de 
Jean-Chrétien  Ehrmiann,  médecin  principal  de  l 'hôpital  civil  et 
doyen  du  collège  des  médecins  strasbourgeois.  Après  de  fortes 
études  achevées  au  Gymnase  protestant,  il  fit  son  droit  à 
PUniversité  de  sa  ville  natale  et  y  prit,  en  1782,  le  grade  de 
docteur.  Employé  d'abord  à  la  chambre  des  contrats,  il  devint 
successivement  professeur  à  la  Faculté  de  droit,  juge  sup- 
pléant au  tribunal  du  district,  notable  de  la  commune  de 
Strasbourg,  et  fut,  en  septembre  1792,  envoyé  par  les  suf- 
frages de  l'assemblée  des  électeurs  du  Bas-Rhin  à  la  Con- 
vention. Il  y  prit  sa  place  parmi  les  démagogues  les  plus  dé- 
cidés et  ne  tarda  pas  à  marquer  dans  le  procès  de  Louis  XVI 
ses  sentiments  exaltés.  Dans  la  séance  du  15  janvier,  il  ré- 
pondit à  l'appel  de  son  nom:  «Coupable»,  et  empêché  par  la 
maladie  d'assister  aux  séances  décisives  du  18  et  du  19,  il 
vota  par  lettre  la  mort  du  tyran. 

Au  cours  des  années  suivantes,  Ehrmann  fut,  à  diffé- 
rentes reprises,  chargé  de  missions  auprès  des  armées  répu- 
blicaines, et  surtout,  à  cause  de  sa  connaissance  des  deux 
langues,  auprès  de  l'armée  du  Rhin  et  auprès  de  celle  de 
Rhin-et- Moselle.  En  1797,  il  eut  l'honnuer  d'être  élu  au  Con- 
seil des  Cinq-Cents.  Mais  il  n'y  siégea  que  peu  de  temps;  dès 
1798,  nous  le  trouvons  président  du  tribunal  criminel  de 
Strasbourg  et,  quelques  années  plus  tard,  conseiller  à  la  cour 
d'appel  de  Colmar. 

Lors  de  son  passage  à  l'Académie  protestante,  Ehrmann 
annonça  un  cours  de  morale  philosophique.  Mais  ses  fonc- 
tions judiciaires  le  tenant  éloigné  de  Strasbourg,  il  dut  se 
faire  remplacer  dans  sa  chaire.  Il  n'en  continua  pas  moins 
à  jouir  de  sa  prébende;  il  se  borna  à  mettre  une  faible  partie 
de  son  traitement,  d'abord,  500,  et  plus  tard,  800  francs,  à  la 
disposition  de  l'Académie  pour  indemniser  son  suppléant. 

Après  la  restauration,  Ehrmann,  soupçonné  du  crime  de 
régicide,  fut  destitué.  On  racontait  que,  craignant  d'être  ex- 
pulsé, il  avait,  pour  gagner  son  pain  en  pays  étranger,  appris 
le  métier  de  vannier,  parce  que,  disait-il,  on  trouve  des  saules 


*)  Voy.  Notes  biographiques  sur  les  hommes  de  la  Révolution  à 
Strasbourg  et  les  environs  par  Etienne  Barth.  Metz  1877,  p.  295,  296.  — 
Le  Courrier  du  Bas-Rhin  du  29  sept.  1839. 


40  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE   DE   STKASBOUEG 

à  Pabord  de  toutes  les  villes.  Les  choses  pourtant  n'en  vinrent 
pas  là.  Ehrmann,  dont  le  nom  fut,  paraît-il,  omis  sur  les  listes 
de  proscription,  ne  fut  nullement  inquiété.  Il  put  revenir 
tranquillement  à  Strasbourg  pour  occuper  sa  chaire  au  Sé- 
minaire protestant.  Il  annonça  alors  un  cours  de  droit  ecclé- 
siastique protestant.  Mais,  nous  dit  Edouard  Eeuss,  il  n'arri- 
vait à  le  faire  que  lorsqu'il  se  trouvait  quelques  étudiants 
curieux  d'entendre  les  bons  mots  et  les  anecdotes  piquantes 
dont  il  parsemait  ses  leçons. 

Le  jacobin  Ehrmann,  si  nous  en  croyons  le  pasteur  silésien 
Wehrhahn,  qui,  lors  d'un  voyage  en  France,  passa  par  Stras- 
bourg, et  fit  la  connaissance  du  vieux  conventionnel,  devint 
sur  le  tard  un  fervent  piétiste.  «Qui  l'eût  cru  possible»,  écrit 
cet  ecclésiastique,  «  Ehrmann  qui  avait  été  un  des  tigres  de 
la  révolution,  membre  de  la  Convention  au  moment  où  la 
mort  du  roi  fut  votée,  représentant  du  peuple,  sur  l'ordre 
duquel  plus  d'une  tête  tomba  sous  le  couperet  de  la  guillo- 
tine; lui  dont  nul  homme,  nulle  philosophie  ne  pouvaient 
laver  les  taches  de  sang  adhérentes  à  sa  conscience,  cherchait 
le  pardon  daas  le  sang  répandu  pour  lui  aussi  sur  la  croix; 
il  était,  quand  je  fis  sa  connaissance,  un  pécheur  depuis  long- 
temps converti  et  passait  dans  la  ville  pour  un  mystique  et 
un  piétiste.  » 

Aux  théologiens  et  aux  philologues,  aux  philosophes  et 
aux  juristes  venaient  se  joindre,  pour  compléter  le  personnel 
enseignant  de  l'Académie,  deux  médecins,  qui  d'ailleurs  ne 
réussirent  pas  plus  que  les  juristes  à  réunir  un  auditoire  pour 
les  cours  qu'ils  annonçaient  et  finirent  par  renoncer  à  l'ac- 
tivité académique. 

L'un  d'eux,  Jean- Jacques  Spielmann*),  naquit  à  Stras- 
bourg le  4  octobre  1748.  Il  appartenait  à  une  famille  vouée 
depuis  plusieurs  générations  à  l'art  de  guérir.  Son  père, 
Jacques  Eeinbold  Spielmann,  était  professeur  à  la  Faculté 
de  médecine  et  jouissait  d'une  réputation  qui  s'étendait  bien 
au  delà  des  barrières  de  la  ville. 

Après  avoir  acquis  en  1770,  à  peine  âgé  de  vingt-deux 
ans,  le  grade  de  docteur  en  médecine,  Spielmann  entreprit 
avec  son  ami  Frédéric  de  Dietrich,  le  futur  maire  de  Stras- 


*)  'Programma  ad  orationem  inauguralem  qua  Joh.  Jac.  Spielmann 
in  Universitate  Argentoratensi  auspicahitur.  Argent  Heitz,  1765. 


JEAN-JACQUES  SPIELMANN  41 

bourg,  une  tournée  en  Suisse.  Il  voulut  connaître  les  hommes 
célèbres  de  ce  pays;  il  vit,  à  Bâle,  le  physicien  Bernoulli,  à 
Zurich,  le  poète  Salomon  Gessner,  à  Berne,  le  naturaliste 
Haller.  Mais  c'était  avant  tout  Paris  qui  l'attirait.  Il  alla  y 
faire  un  séjour;  il  y  entendit  les  cours  des  plus  illustres 
savants  et  se  lia  d'amitié  avec  d ' Angervilliers  et  Milly. 

Eevenu  à  Strasbourg,  il  se  maria  avec  Marguerite  Sa- 
lomé  de  Tiirckheim,  et  devint,  en  1773,  surnuméraire  dans  les 
hôpitaux  militaires,  puis,  directeur  de  l'hôpital  des  enfants, 
et,  en  1785,  professeur  de  pathologie  à  l'Université. 

Comme  professeur  de  l'Académie  protestante,  il  resta 
fidèle  à  sa  spécialité.  Dès  le  premier  programme,  il  annonça 
un  cours  d'hygiène  à  l'usage  des  futurs  pasteurs  de  campagne, 
et,  dans  les  programmes  suivants  il  renouvela  cette  annonce 
sous  les  formes  les  plus  variées.  Ce  cours,  qui  présentait  cer- 
tainement quelque  intérêt,  attira-t-il  des  auditeurs  et  Spielmann 
l'a-t-il  réellement  professé!  On  ne  nous  le  dit  pas.  En  tout  cas, 
son  activité  à  l'Académie  ne  fut  pas  de  longue  durée.  Il 
miourut  le  7  décembre  1810,  à  l'âge  de  soixante-cinq  ans. 

Son  collègue,  Thomas  Lauth'),  occupa  sa  chaire  bien 
plus  longtemps  sans  arriver  toutefois  à  exercer  une  activité 
académique  plus  efficace. 

Strasbourgeois,  comme  la  plupart  de  ses  collègues  de 
l'Académie  protestante,  il  était  né  le  19  août  1753.  Comme 
Spielmann,  il  appartenait  à  une  famille  de  médecins.  Son 
père,  Jean-George  Lauth,  était  professeur  d'accouchement  à 
l'Université  et  pratiquait  en  même  temps  la  médecine.  Im- 
matriculé à  la  Faculté  de  philosophie  dès  l'âge  de  quatorze 
ans,  le  jeune  Lauth  se  voua  tout  d'abord  à  l'étude  des  langues 
anciennes,  et  cela  avec  une  telle  ardeur  et  un  tel  succès,  qu'il 
parvint  à  manier  la  langue  latine  avec  plus  de  facilité  et 
d'élégance  que  sa  langue  maternelle.  Après  les  langues,  il 
aborda  la  philosophie,  puis,  les  mathématiques  et  les  sciences 
naturelles  et,  enfin,  la  médecine.  Il  y  fit  de  si  rapides  progrès 
qu'il  put,  après  peu  de  temps,  être  adjoint  comme  assistant 
au  médecin  du  grand  hôpital. 

En  1781,  il  conquit  le  grade  de  docteur  en  médecine. 


^)  Masuyer,  Discours  sur  Thomas  Lauth.  Strassb.  1827.  —  Pro- 
gramma ad  orationem  inauguralem  qua  Th.  Lauth  in  Universitate 
Argentoratensi  auspicabitur.  Arg.,  Heitz,  1785. 


42  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE  DE   STRASBOUEG 

après  quoi  il  entreprit  un  voyage  scientifique  qui  le  conduisit 
à  Paris  et,  de  là,  à  Londres,  à  Bruxelles  et  à  Amsterdam, 
à  Leyde  et  à  Utrecht,  à  Cassel  et  à  Gœttingue,  et  qui  le  mit 
en  relation  avec  les  célébrités  médicales  de  plusieurs  pays. 

De  retour  à  Strasbourg,  il  devint  successivement  assistant 
des  professeurs  d'accouchement  Rœderer  et  Ostertag,  proseo- 
teur  d'anatomie  à  TUniversité,  professeur  extraordinaire  à  la 
Faculté  de  médecine,  et  en  1785,  titulaire  de  la  chaire  d'ana- 
tomie  et  de  chirurgie. 

La  révolution  interrompit  brusquement  cette  belle  ac- 
tivité. Mais  la  loi  du  14  frimaire  de  Tan  III  ayant  créé  trois 
écoles  de  médecine,  dont  l'une  à  Strasbourg,  celle-ci,  à  cause 
du  voisinage  du  théâtre  de  la  guerre,  attira  un  grand  nombre 
d'élèves  de  toutes  les  parties  de  la  France.  Ils  venaient  faire 
ou  achever  leurs  études  à  Strasbourg,  pour  aller  plus  facile- 
ment de  là  affronter  la  mort  dans  les  ambulances  et  sur  les 
champs  de  bataille.  Lauth  et  Herrmann  furent  alors  réin- 
tégrés dans  les  chaires  qu'ils  avaient  occupées  antérieure- 
ment. Depuis  1795,  Lauth,  qui,  par  patriotisme,  avait  refusé 
un  appel  de  l'Université  de  Tubingue,  était  aussi  m^édecin 
principal  de  l'hôpital  civil.  L'Académie  de  médecine  de  Paris 
le  nomma  membre  associé  et  le  gouvernement  lui  conféra  la 
croix  de  la  Légion  d'honneur. 

Quand  Lauth  passa  à  l'Académie  protestante,  il  annonça 
un  cours  d'anthropologie,  et  jusqu'en  1826  cette  annonce  se 
retrouve  chaque  année  dans  le  programme  des  leçons  de 
l'Académie  d'alors  et  du  Séminaire  ensuite.  Elle  ne  suffit  pas 
pourtant  pour  lui  amener  des  auditeurs.  Il  n'arriva  qu'une 
seule  fois,  paraît-il,  à  faire  ce  cours.  «Il  le  fit»,  nous  dit 
Bruch,  qui  était  un  de  ses  auditem's,  «en  latin,  selon  l'usage 
de  l'ancienne  Université,  et  avec  une  facilité  d'élocution  qui 
nous  remplit  d'admiration.  Pas  une  expression  ne  lui  manqua. 
Une  seule  fois,  voulant  parler  de  musiciens  ambulants,  il 
s'arrêta  un  instant,  cherchant  une  expression  équivalente; 
mais  tout  aussitôt  il  trouva  le  terme  de  musici  circum- 
foranei  qui,  en  effet,  était  parfaitement  adéquate.  »  ^)  Eeuss, 
raconte,  de  son  côté,  qu'un  jour  les  étudiants  s'entendirent 
pour  l'obliger  à  faire  son  cours  et  qu'ils  lui  demandèrent  de 
le  faire  en  latin.  Lauth  y  consentit,  et  d'abord  tout  alla  bien. 


^)  J.-F.  Bruch,  Loc.  cit.,  p. 


THOMAS  LAUTH  43 

Il  commença  par  une  description  générale  de  l'organisme 
humain,  il  passa  ensuite  aux  détails  de  la  tête,  mais  il  n'était 
pas  arrivé  au  cou  qu'un  beau  matin  une  affiche  annonça  à 
ses  auditeurs  «que  Monsieur  le  professeur  était  empêché 
de  continuer  ses  leçons»^). 

Il  jouit  dès  lors,  comme  plusieurs  de  ses  collègues,  de  sa 
prébende  de  chanoine,  sans  rendre  le  moindre  service  dans 
l'enseignement  du  Séminaire. 

Lauth,  au  retour  d'un  voyage  du  Rhin,  mourut  le  16 
septembre  1826,  à  Bergzabern,  dans  le  Palatinat,  et  fut  en- 
terré dans  cette  localité. 


^)  Ed.  Reuss,  Loc.  cit. 


CHAPITKE  m 


Premiers  diangements  dans  le  personnel  enseignant 
Professeurs  suppléants  et  professeurs  agrégés 


On  a  pu  voir  par  le  chapitre  précédent  qu'il  était,  à  l'Aca- 
démie protestante,  très  imparfaitement  pourvu  à  un  enseigne- 
ment qui  devait  embrasser  la  philologie,  la  philosophie  et  la 
théologie  dans  leurs  rapports  essentiels.  Les  professeurs  du 
nouvel  établissement  ne  manquaient  pas  de  bonne  volonté  sans 
doute,  mais  les  théologiens,  les  philologues  et  les  philosophes 
y  étaient  trop  peu  nombreux  pour  suffire  à  leur  tâche,  et  les 
juristes  et  les  médecins,  maintenus  à  côté  d'eux,  étaient  trop 
étrangers  à  la  théologie  et  à  ses  sciences  auxiliaires,  pour 
pouvoir  rendre  de  réels  services.  On  sentit  donc  le  besoin 
de  recruter  de  nouvelles  forces,  capables  de  combler  les  lacunes 
que  l'on  constatait  dans  l'enseignement  de  l'Académie. 

Dès  sa  première  séance,  d'ailleurs,  l'Académie  avait  com- 
pris l'avantage  qu'offrirait  pour  l'instruction  des  élèves  le 
concours  de  maîtres  choisis  en  dehors  du  cercle  universitaire, 
et  elle  avait  décidé  qu'on  inviterait  de  jeunes  savants  distingués 
par  leur  talent  et  leurs  connaissances  à  unir  leurs  efforts  à 
ceux  de  l'Académie  en  faveur  de  la  jeunesse  studieuse.  L'appel 
fut  entendu.  Le  programme  des  cours  de  l 'année  1805-1806  con- 
tient les  noms  de  sept  privatim-docentes:  des  pasteurs,  Fritz 
et  Beck;  des  vicaires,  Emmerich  et  Dahler;  d'autres  savants, 
Eedslob,  Oberlin  jun.,  Aufschlager,  qui  annoncent  des  cours 
de  théologie  systématique,  de  philosophie,  d'exégèse  de  l'An- 
cien et  du  Nouveau  Testament,  même  de  mathématiques  et 
de  droit  naturel.  Ces  cours  ne  furent  pas  tous  professés,  faute 
d'auditeurs.  Mais  les  mêmes  noms  et  les  mêmes  sujets  de  cours 
reparaissent  dans  les  programmes  des  années  suivantes,  et 


JEAN-GEORGES   DAHLER  45 

des  noms  nouveaux,  œux  du  pasteur  Eissen  et  du  professeur 
Hammer,  viennent  s'ajouter  aux  noms  anciens. 

L'Académie  se  vit  pourtant  bientôt  dans  la  nécessité  de 
nommer  des  professeurs  suppléants.  Koch,  trop  absorbé  par 
les  affaires  politiques  pour  faire  son  cours  d'histoire,  priait, 
par  lettre  du  13  frimaire  an  XIV,  qu'on  lui  donnât  un  sup- 
pléant dans  la  personne  d'un  jurisconsulte  distingué,  Frantz, 
et  Schweighaeuser,  chargé  d'années,  demandait,  de  son  côté, 
qu'on  lui  adjoignît,  pour  l'enseignement  des  langues  orien- 
tales, le  privatim-docens  Dahler,  très  compétent  en  ces 
matières. 

L'Académie  n'hésita  pas  à  faire  droit  à  ces  demandes. 
Elle  fit  plus  encore.  Le  plan  d'organisation  de  1807  prévoyant 
la  nomination  de  professeurs  suppléants,  elle  désigna  pour  ces 
fonctions  trois  savants  qui  avaient  fait  leurs  preuves:  Jean- 
Georges  Dahler,  Jean-François  Frantz  et  Charles-Maximilien 
Fritz,  et  elle  obtint  qu'ils  fussent  agréés  par  le  gouvernement. 
Ce  n'étaient  pas  d'ailleurs,  comme  on  serait  tenté  de  le  croire 
d'après  l'arrêté  de  l'Académie,  des  hommes  au  début  de  la 
carrière,  le  plus  jeune  d'entre  eux  comptait  quarante-six 
printemps. 

Ce  dernier,  Jean-François  Frantz  '),  était  né  le  6  mai  1761 
à  Bischwiller,  où  son  père  était  pasteur.  Il  avait  étudié  la 
philosophie  et  l'histoire  à  l'Université  de  Strasbourg,  et  ces 
études,  poussées  avec  une  vigueur  extraordinaire,  semblaient 
annoncer  en  lui  un  futur  historien.  Mais  l'histoire  n'offrant  à 
ce  moment  que  peu  de  chances  d'arriver,  Frantz  s'était  tourné 
vers  la  jurisprudence.  Docteur  en  philosophie  depuis  1786  et 
en  droit  en  1787,  il  fut,  cette  même  année,  nommé  agrégé  à  la 
Faculté  de  droit  de  Strasbourg.  Après  un  voyage  scientifique 
en  Allemagne  et  en  France,  il  venait  de  commencer,  non  sans 
succès,  ses  cours,  quand  la  Eévolution  vint  disperser  ses  audi- 
teurs et  balayer  la  vieille  école  strasbourgeoise. 

Cependant,  les  aptitudes  et  le  patriotisme  de  Frantz  étaient 
trop  connus,  pour  qu'on  ne  songeât  pas  à  les  utiliser  dans 
l'intérêt  public.  Il  fut  nommé  secrétaire  de  la  nouvelle  admi- 
nistration. Il  n'occupa  pourtant  ce  poste  que  peu  de  temps. 
Lorsque  les  jacobins  arrivèrent  au  pouvoir,  il  fut  accusé  de 


M  Voy.  Rede  an  dem  Sarge  von  Hrn.  Johannes  Frantz,  Professor 
der  Rechle,  gcsjn'ochen  von  Isaac  Haffner,  Strasbourg,  s.  d. 


46  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE   STKASBOURG 

modérantisme  et  destitué,  heureux  d'ailleurs  de  n'être  pas 
banni  ou  incarcéré.  Il  fallut  patienter,  attendre  des  jours  meil- 
leurs. La  tourmente  passée,  il  fut  appelé  à  de  nouvelles  fonc- 
tions publiques.  Membre  du  Directoire  du  département  en  1797, 
juge  au  tribunal  civil  de  Strasbourg,  sous-préfet  à  Wissem- 
bourg,  député  à  l'Assemblée  législative,  professeur  à  l'école  de 
droit,  conseiller  de  préfecture,  vice-président  de  la  commission 
administrative  des  hospices  civils,  il  rendit  dans  ces  différents 
emplois  les  plus  grands  services. 

Nommé,  en  1807,  agrégé  à  l'Académie  protestante,  il  y 
donna  des  cours  d'histoire  universelle,  d'histoire  de  France  et, 
plus  tard,  de  droit  ecclésiastique  protestant.  Mais  ses  fonc- 
tions publiques  ne  lui  permirent  pas  de  se  vouer  tout  entier 
à  l'enseignement;  aussi  le  voyons-nous,  modeste  et  conscien- 
cieux, prier  le  Séminaire,  après  la  mort  de  Blessig  et  de  Koch, 
«de  remettre  sa  nomination  à  une  chaire  de  professeur  à 
l'époque  où  il  serait  en  état  de  rendre  dans  l'enseignement 
des  services  réels». 

Cette  occasion  ne  devait  plus  se  présenter:  Frantz  mourut 
le  18  décembre  1818. 

Jean-Georges  Dahler  0,  le  second  prof esseur  agrégé,  appelé 
en  même  temps  que  Frantz  à  l'Académie  protestante,  put, 
au  contraire  de  celui-ci,  mettre,  durant  de  longues  années,  ses 
forces  et  son  temps  au  service  de  l'Académie  et,  plus  tard, 
du  Séminaire. 

Il  était  né  à  Strasbourg,  le  7  décembre  1760,  dans  une 
famille  qui  jouissait  d'une  certaine  aisance.  Son  père  était 
négociant,  sa  mère  s'appelait  Marie-Barbe  Hammer.  Reçu  à 
l'âge  de  sept  ans  au  Gymnase  protestant,  le  jeune  Dahler  y 
fit  d'excellentes  études  classiques,  qu'il  alla  continuer  et  com- 
pléter à  l'Université  sous  Oberlin  et  Schweighaeuser,  pour  se 
faire  ensuite  recevoir  étudiant  en  théologie.  Il  comprit  pour- 
tant bientôt  qu'il  n'était  pas  fait  pour  la  carrière  de  prédica- 
teur. Bien  qu'il  eût  le  souci  de  la  forme  et  quelque  prétention 
à  un  style  soigné,  il  manquait  de  cette  fermentation  intérieure, 
de  cet  élan,  de  cette  chaleur  de  parole  qui  font  l'orateur.  Il 
se  décida  dès  lors  pour  la  carrière  de  l'enseignement. 


^)  Voy.  Discours  prononcé  pour  rendre  les  derniers  honneurs  acadé- 
miques à  M.  Jean-George  Dahler...  par  M.  J.  Matter.  Strasb.  1832.  in-8°. 
—  Zum  Andenken  an  Johann  Georg  Dahler.  Trauerreden  gehalten  am 
2.  Juli  bei  seiner  Beerdigung.  Str.  1832. 


JEAN-GEOKGES  DAHLER  47 

Ses  examens  de  théologie  achevés,  il  se  jeta  avec  ardeur 
sur  rétude  des  langues  sémitiques,  et,  après  les  doctes  leçons 
de  Schweighaeuser,  alla  suivre  à  léna,  à  Leipzig  et  à  Gœt- 
tingue,  celles  des  maîtres  les  plus  illustres,  d'Eichhorn,  de 
Griesbach,  de  Dœderlein  et  de  Heyne.  Il  visita  aussi  les  Uni- 
versités d'Erlangen,  de  Halle,  de  Wittenberg,  de  Marbourg 
et  de  Heidelberg,  et  revint  vers  la  fin  de  l'année  1788  dans 
sa  ville  natale,  avec  Tespoir  d'y  trouver  une  chaire  académique 
où  il  pourrait  prodiguer  à  la  jeunesse  les  trésors  de  savoir 
qu'il  avait  si  consciencieusement  amassés.  Son  attente  fut 
déçue.  A  l'Université  de  Strasbourg,  il  n'y  avait  pas  de  chaire 
vacante  pour  le  moment,  et,  en  dehors  de  Strasbourg,  la  France 
n'offrait  nulle  perspective  d'emploi  à  un  savant  appartenant 
à  l'Eglise  protestante. 

Dahler  se  vit  réduit  à  donner  des  leçons  particulières  pour 
vivre.  Il  en  prit  son  parti,  répétant  avec  la  spirituelle  bon- 
homie qui  le  caractérisait,  que  Strasbourg  ne  donnait  du  pain 
à  ses  enfants  que  lorsqu'ils  commençaient  à  manquer  de  dents 
pour  le  manger. 

Un  instant  il  sembla  que  l'Université  de  Gœttingue  allait 
enlever  le  jeune  savant  à  sa  patrie.  Dahler  s'était  fait  le  colla- 
borateur d'Eichhorn  dans  la  publication  d'une  nouvelle  édition 
du  lexique  de  Simonis,  et  il  pouvait  espérer  que  ce  travail 
important  lui  ouvrirait  les  portes  de  la  célèbre  Augusta- 
Georgia.  La  crise  révolutionnaire,  qui  éclata  à  ce  moment,  lui 
enleva  même  cet  espoir. 

Il  se  tourna  alors  vers  le  ministère  ecclésiastique.  Le 
24  avril  1791,  le  savant  collaborateur  d'Eichhorn,  l'auteur  de 
plusieurs  ouvrages  critiques  et  littéraires,  fut  nommé  prédi- 
cateur du  soir  à  Saint-Guillaume,  puis  vicaire  au  village  de 
Bischheim  et  agrégé  au  Gymnase  protestant.  Emplois  bien 
modestes  et  qui,  les  trois  ensemble,  ne  lui  faisaient  pas  un 
traitement  annuel  de  cent  écus!  La  position  de  Dahler  à  ce 
moment  rappelle  celle  du  jeune  Haffner  revenant  de  ses 
voyages  universitaires,  qu'un  administrateur  félicitait  d'être 
«si  bien  casé».  Haffner  se  trouvait,  en  effet,  «casé»  avec  un 
traitement  de  cinq  louis. 

En  1793,  la  situation  de  Dahler  commença  à  s'améliorer. 
Il  fut  nommé  professeur  de  grec  au  Gymnase  et  directeur  du 
pensionnat  de  Saint-GuiUaunie.  Il  obtint,  en  mêm*e  temps,  l 'au- 
torisation de  faire  des  cours.  Mais  la  mauvaise  chance  le  pour- 


48  LA   FACULTÉ   DE    THEOLOGIE   DE   STRASBOURG 

suivait.  Au  moment  où  il  ouvrait  ses  cours,  La  voix  de  la 
France  appela  ses  enfants  à  sa  défense.  Les  salles  de  cours 
se  vidèrent  et ,  au  collège  de  Saint-Guillaume,  des  prisonniers 
autrichiens  vinrent  remplacer  les  étudiants  en  théologie. 

En  1795,  Dahler  devint  pasteur  auxiliaire  à  Illkirch  et, 
bientôt  après,  prédicateur- vicaire  à  Strasbourg.  Mais,  nous 
l'avons  dit,  la  nature  lui  avait  refusé  les  qualités  qui  font 
l'orateur  populaire  et  il  fut  heureux,  quand  les  camps  rendirent 
aux  études  quelques  jeunes  gens,  de  reprendre  ses  cours. 

Il  les  continua  dès  lors  sans  interruption  jusqu'au  mois 
de  mai  1832;  dans  les  premières  dix  années  sans  titre  et  sans 
rétribution.  Il  fut  d'abord  nommé  professeur  suppléant  avec 
ime  indemnité  de  200  livres,  qui,  en  1809,  fut  portée  à  300  livres 
«en  reconnaissance  du  zèle  qu'il  avait  déployé».  Ce  n'est 
qu'en  1811,  à  la  mort  de  Spielmann,  qu'il  obtint  la  dixième 
place  de  professeur  au  Séminaire  et  devint  chanoine  de  Saint- 
Thomas.  Il  avait  alors  plus  de  cinquante  ans. 

Les  cours  qu'il  donna  à  l'Académie  protestante  et  plus  tard 
au  Séminaire  portaient  sur  les  sujets  les  plus  variés.  «Il  est 
peu  de  professeurs  en  théologie  »,  dit  Matter  dans  son  discours 
pour  rendre  les  derniers  honneurs  académiques  à  M.  Jean- 
Georges  Dahler,  «  et  depuis  sa  mort  il  n'en  est  plus,  je  pense, 
qui  embrassent  dans  leurs  leçons  autant  de  branches  diffé- 
rentes que  fit  M.  Dahler.  Ce  professeur  donna  successivement 
des  cours  de  grammaire  latine,  hébraïque,  syriaque,  chaldéenne 
et  arabe;  il  expliqua  Térence,  Salluste,  Homère,  le  Nouveau 
Testament,  Moïse,  Salomon,  les  prophètes  et  quelques  autres 
écrivains  classiques  des  langues  sémitiques;  il  enseigna  la 
géographie,  les  antiquités  et  l'histoire  littéraire  du  monde 
ancien  et,  dans  les  observations  toujours  écrites  qu'il  fit 
publiquement  pendant  plusieurs  années  aux  soutenances  des 
thèses  de  théologie,  il  donna  des  preuves  d'une  érudition  si 
générale  et  si  profonde,  qu'on  ne  savait  quoi  le  plus  admirer 
en  lui,  de  cette  instruction  si  exacte  et  si  variée  ou  de  cette 
justesse  et  de  cette  modération  si  constante  qui  caractérisaient 
ses  jugements,  qui  en  faisaient  autant  d'oracles.  » 

Dahler  était  un  philologue  émérite.  «  Mais  »,  dit  Bruch 
dans  ses  Mémoires,  «ses  cours  ressemblaient  à  des  leçons  de 
Gymnase.  Ils  n'avaient  en  vue  que  la  connaissance  de  la  langue, 
mais  ne  donnaient  aucune  satisfaction  au  goût...  Ses  cours 


DAHLER  INTERPRÈTE  DE  L'ANCIEN  TESTAMENT  49 

sur  rAncien  Testament  me  profitèrent  plus  que  ceux  sur  la 
littérature  romaine.  Son  interprétation  des  Proverbes  et  celle 
de  Job  étaient  excellentes  et  m'amenèrent  à  mieux  comprendre 
la  langue  hébraïque  et  la  littérature  de  F  Ancien  Testament.  » 

Dahler  ne  se  borna  pourtant  pas  à  donner  des  cours  sur 
les  matières  les  plus  variées,  il  fit  paraître  de  1781  à  1832  une 
série  de  travaux  littéraires,  parmi  lesquels  plusieurs  ouvrages 
importants  sur  différents  livres  de  F  Ancien  Testament:  une 
traduction  allemande  des  Proverbes,  une  version  française  de 
Jérémie,  avec  des  notes  historiques  et  critiques,  et  un  traité 
en  langue  latine  sur  Tauthenticite  des  livres  des  Chroniques. 
Tous  ces  travaux  se  recommandaient  par  une  vaste  érudition, 
par  un  jugement  modéré  et  un  esprit  éminemment  religieux, 
mais  laissaient  désirer  une  allure  plus  vive  et  un  tour  plus 
rapide. 

Lorsqu'en  1819  TAcadémie  de  Strasbourg  fut  dotée  d'une 
l'acuité  de  théologie  protestante,  Dahler  fut  appelé  à  occuper 
la  chaire  d'exégèse  du  nouvel  établissement.  Dès  lors,  il  se 
borna,  dans  ses  cours,  à  l'interprétation  des  livres  de  l'Ancien 
Testament. 

La  vie  de  Dahler  fut  toute  de  labeur.  Aux  fonctions  de 
professeur  du  Séminaire  et  de  la  l'acuité  de  théologie,  il 
joignit  celles  de  directeur  du  Gymnase  et  d'inspecteur  ecclé- 
siastique intérimaire,  et  celles  d'inspecteur  des  collèges  de 
Saint-Guillaume  et  de  Saint-Thomas.  Il  fut  président  de  la 
Société  pastorale  de  Strasbourg  et  vice-président  de  la  Société 
biblique,  pour  laquelle  il  entreprit,  avec  plusieurs  de  ses  col- 
lègues, la  révision  de  la  traduction  de  Luther.  Il  faisait  partie 
de  toutes  les  Sociétés  de  bienfaisance  de  Strasbourg  et  s'in- 
téressait à  toutes  les  œuvres  philanthropiques. 

Dahler  était  dans  les  relations  ordinaires  de  la  vie  le  plus 
facile  des  hommes.  La  nature,  qui  lui  avait  donné  une  grande 
vigueur  de  corps  et  d'esprit,  avait  joint  à  cette  robustesse  des 
qualités  aimables:  une  charmante  bonhomie,  une  modeste  dou- 
ceur, une  bonté  secourable.  Il  ne  songeait  qu'à  se  rendre  utile, 
à  remplir  au  mieux  ses  devoirs,  et  cela  tout  naturellement,  sans 
laisser  paraître  le  moindre  désir  d'être  applaudi  ou  dinstingué. 
Pourtant  les  honneurs  vinrent  le  chercher.  La  société  de  La 
Haye  pour  la  défense  du  christianisme  lui  décerna  sa  médaille 
d'or  et  le  ministre  le  nomma  membre  du  Conseil  académique 


50  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE  DE   STRASBOUEG 

et  doyen  honoraire  de  la  Faculté  de  théologie.  Il  déclina  Tune 
et  l'autre  de  ces  nominations,  comme  il  avait  refusé  antérieure- 
ment le  décanat. 

Dahler  mourut  le  27  juin  1832,  laissant  la  réputation  d'un 
homme  de  cœur  plus  encore  que  d'un  homme  d'esprit,  et  d'un 
maître  consciencieux  plus  que  d'im  grand  savant. 

Le  troisième  des  professeurs  suppléants,  Charles-Maxi- 
milien  Fritz'),  était  né  le  7  octobre  1758  au  presbytère  d'Eck- 
bolsheim,  près  de  Strasbourg.  Son  père,  reconnaissant  ses 
heureuses  dispositions,  l'envoya  de  bonne  heure  au  Gymnase. 
Le  jeune  élève,  sérieux,  appliqué,  y  fit  d'excellentes  études 
classiques,  puis  alla  étudier  la  philosophie  et  la  théologie, 
vers  laquelle  l'entraînait  une  vocation  naturelle. 

Ses  études  universitaires  terminées  à  Strasbourg,  il  voulut 
les  compléter  en  Allemagne.  Il  se  rendit  à  léna  où  l'attiraient 
le  critique  Griesbach,  l'orientaliste  Eichhorn  et  le  dogmaticien 
Dœderlein.  Après  un  séjour  prolongé  dans  cette  ville,  il  visita 
quelques  autres  des  grandes  Universités  allemandes  et  revint 
à  Strasbourg  en  1788. 

Il  n'y  trouva  pas  les  occupations  qu'il  avait  espérées.  Ce 
n'est  que  deux  ans  plus  tard  qu'il  fut  appelé  aux  modestes 
fonctions  de  pédagogue  du  collège  de  Saint-Guillaume,  et  les 
années  qui  suivirent  n'amenèrent  aucune  amélioration  dans  sa 
position.  Il  se  décida  alors  à  accepter  la  place  de  pasteur  qui 
était  devenue  vacante  à  Barr. 

C'était  en  1793.  Aussi  à  peine  eut-il  commencé  à  exercer 
son  ministère  qu'il  se  vit  forcé  de  l'interrompre.  Un  mandat 
d'arrêt  avait  été  lancé  contre  lui,  et,  pour  s'y  soustraire,  il 
dut  se  réfugier  dans  la  montagne.  Mais  dénoncé,  traqué  et 
finalement  découvert,  il  fut  arrêté,  transféré  à  Strasbourg  et 
incarcéré  au  Grand-Séminaire. 

Remis  en  liberté  après  le  9  thermidor,  il  retourna  dans 
sa  paroisse  à  laquelle  il  se  consacra  tout  entier,  remplissant 
à  la  fois  les  fonctions  de  pasteur  et  d'instituteur,  jusqu'au 
jour  où,  en  1802,  il  fut  nommé  à  une  place  de  pasteur  au 
Temple-Neuf,  à  Strasbourg. 

Quelques  années  plus  tard,  il  vit  se  réaliser  l'un  de  ses 
vœux  les  plus  chers.  Chargé,  en  1807,  de  donner,  en  qualité 


*)  Voy.  Einige  Blàtter  zur  Erinnerung  an  Cari  Maximilian  Fritz, 
Str.  (s.  d.). 


CHARLES-MAXIMTLIEN  FRITZ  51 

de  professeur  suppléant,  des  cours  à  TAcadémie  protestante, 
il  fut  nommé,  le  26  octobre  1813,  après  la  mort  de  Koch, 
professeur  titulaire  au  Séminaire,  et,  en  1819,  appelé  à  la 
chaire  de  morale  chrétienne  dans  la  nouvelle  Faculté  de 
théologie. 

Fritz,  doué  d'un  grand  sens  pratique,  était  avant  tout 
pédagogue,  et  il  le  prouva  quand,  en  1809,  il  fut  chargé  de 
la  direction  du  Gymnase.  «  Il  trouva  »,  dit  Eedslob  dans  son 
Discours  funèbre,  «  quand  il  entra  dans  cette  position,  à  amé- 
liorer bien  des  choses  que  les  tempêtes  des  années  terribles 
avaient  détruites  et  aussi  à  créer  bien  des  choses  que  la  culture 
plus  avancée  de  notre  époque  réclame  comme  urgente.  Pour 
cela,  il  dut  lutter  contre  de  nombreux  obstacles  et  combattre 
maint  adversaire  avec  courage,  prudence  et  circonspection. 
En  parfaite  communauté  d'idées  avec  les  professeurs  de  l'éta- 
blissement, il  lutta  avec  un  courage  héroïque  contre  les  adver- 
saires du  bien,  et  vit,  sa  plus  douce  récompense,  une  belle 
œuvre  prospérer  de  plus  en  plus  sous  sa  direction.  » 

Fritz  fut  appelé  à  une  activité  plus  absorbante  encore 
quand,  après  la  mort  de  Blessig,  il  fut  nommé  inspecteur 
ecclésiastique  de  l'inspection  du  Temple-Neuf. 

C'est  le  15  janvier  1821  qu'il  termina,  à  soixante-deux 
ans,  une  vie  qui  avait  été  bien  remplie.  Pasteur  à  Barr 
et  puis  à  Strasbourg,  professeur  au  Séminaire  et  à  la  Faculté 
de  théologie,  directeur  du  Gymnase  et  inspecteur  ecclésiastique 
de  l'inspection  du  Temple-Neuf,  membre  de  l'administration 
delà  fondation  de  Saint-Thomas,  Fritz  n 'avait pas  cessé  de  ser- 
vir l'Eglise  d 'Alsace  et  de  l'honorer  par  ses  vertus.  D'une  âme 
élevée,  il  avait  su  unir  le  savoir  à  la  noblesse  du  caractère,  le 
fier  courage  dans  la  persécution  aux  qualités  les  plus  aimables 
du  cœur.  Il  comptait,  nous  disent  ses  contemporains,  parmi 
les  hommes  les  meilleurs  et  les  plus  respectables. 


II 

L'Académie  protestante,  dès  les  premières  années  de  son 
existence,  vit  se  produire  des  changements  dans  son  sein. 
Plusieurs  de  ses  membres  touchaient  déjà  à  la  vieillesse  au 
m^oment  de  sa  création  et  ne  tardèrent  pas  à  succoirtber. 
Oberlin  s'éteignit  le  premier.  Il  mourut  en  1806;  Braun  le 
suivit  dans  la  tombe  en  1809.  Par  leur  mort,  le  nombre  des 


52  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE   DE   STRASBOURG 

professeurs  se  trouva  réduit  à  dix.  C'était  le  chiffre  fixé 
par  les  articles  organiques;  aussi  ne  furent-ils  remplacés  ni 
Pun  ni  Tautre.  La  première  nomination  d'un  professeur  au 
Séminaire  eut  lieu  en  1810,  à  la  mort  de  Spielmann.  Elle  ne 
modifia  d'ailleurs  point  la  composition  du  corps  enseignant. 
Dahler,  qui  fut  nommé,  en  faisait  déjà  partie,  com'me  agrégé, 
depuis  1807. 

Mais  il  y  en  avait  d'autres  encore  parmi  les  professeurs 
qui  étaient  chargés  d'années  et  que  leurs  infirmités  empê- 
chaient de  remplir  leurs  devoirs  académiques  dans  toute  leur 
étendue.  L'enseignement  en  souffrait.  Et  cela  était  d'autant 
plus  fâcheux  que  le  Séminaire  voyait  augmenter  sans  cesse 
le  nombre  de  ses  élèves.  Ce  n'étaient  plus  les  départements 
du  Haut-  et  du  Bas-Rhin  et  le  pays  de  Montbéliard  seuls  qui 
fournissaient  leur  contingent,  les  pays  allemiands  annexés  par 
Napoléon  envoyaient  leurs  étudiants  à  Strasbourg.  Il  fallait 
donc  songer  à  combler  les  lacunes  de  l'enseignement  et  à  en 
élargir  le  cadre. 

Le  Directoire,  à  l'instigation  du  Séminaire,  prit  un 
arrêté  par  lequel,  considérant  les  exigences  du  temps,  il 
augmenta  le  personnel  enseignant  et  les  matières  à  enseigner. 
Il  nomma  Geoffroi  Schweighaeuser  professeur  suppléant  et 
Redslob  et  Emmerich  professeurs  agrégés.  Schweighaeuser 
était  chargé  d'une  partie  de  l'enseignement  philologique  à 
la  place  de  son  père;  il  devait,  en  outre,  donner  un  cours 
d'esthétique  que  de  nombreuses  voix  réclamaient  avec  ins- 
tance. Redslob  était  appelé  à  faire  un  cours  de  morale  philo- 
sophique et  pratique  et  un  autre  d'histoire  de  la  philosophie; 
à  Emmerich  était  confié  l'enseignement  de  l'histoire  ecclé- 
siastique. 

Jean-Geoffroi  Schweighaeuser'),  était  né  à  Strasbourg  le 
2  janvier  1776,  fils  de  l'helléniste  Jean  Schweighaeuser.  Il 
était,  paraît-il,  un  enfant  d'une  rare  précocité.  On  racontait 
qu'à  l'âge  de  dix-huit  mois  ayant  un  jour  entendu  sa  mère 
dire  une  fable  de  Gellert,  il  l'avait  si  bien  retenue,  qu'il  l'avait 
répétée  le  lendemain  d'un  bout  à  l'autre  sans  manquer  un 
seul  mot.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  anecdote,  il  est  avéré 
qu'il  possédait  une  mémoire  étonnante.  Comme  élève  du  Gym- 


^)  Voy.  Discours  pour  rendre  les  derniers  honneurs  académiques 
à  J.-G.  Schweighaeuser.  Str.  1844. 


JEAN-GEOFFROI  SCHWEIGHAEUSER  53 

nase,  il  savait  tout  Homère  par  cœur.  Son  père  lui  inspira 
l'amour  de  Tantiquité  classique,  sa  mère,  Catherine  Salomé, 
née  Hering,  une  femme  d'esprit,  développa  en  lui  le  goût 
de  l'art  et  de  la  littérature.  Au  Gymnase  protestant,  il  fit  ses 
classes  avec  distiction,  et  à  treize  ans  il  était  inscrit  à 
l'Université  comme  élève  en  droit  et  en  philologie. 

Ses  études  achevées  à  Strasbourg,  il  voulut  aller  leâ 
comï)léter  dans  les  Universités  étrangères.  La  guerre  l'en 
empêcha.  C'était  le  moment  où  d'un  bout  à  l'autre  de  la 
France  retentissait  l'appel  aux  armes  pour  la  défense  de  la 
patrie.  Schweighaeuser  avait  seize  ans.  Il  n'hésita  pas.  En- 
rôlé au  3e  bataillon  des  volontaires  du  Bas-Ehin,  il  courut 
à  la  frontière  menacée  et  prit  part  aux  comibats  qui  se 
livrèrent  alors  dans  le  Palatinat  et  sur  la  ligne  de  Wissem- 
bourg.  Mais  même  dans  le  tumulte  de  la  vie  des  camps,  il 
donnait  au  culte  des  lettres  tout  le  t^mps  que  lui  laissaient 
ses  devoirs  militaires.  Virgile  et  Horace,  Sophocle  et  Pin- 
dare  l'avaient  suivi  et  il  feuilletait  leurs  pages  immortelles 
à  la  lueur  des  feux  de  bivouac. 

Il  resta  sous  les  drapeaux  tant  que  durèrent  les  grands 
dangers  de  la  France.  Mais  après  les  victoires  qui  sauvèrent 
la  patrie,  il  suivit  le  commissaire  de  guerre  Mathieu  Fabvier 
à  Colmar.  Il  y  entra  en  relation  intime  avec  le  fabuliste 
Pfeiïel,  qui  «lui  ouvrit  le  temple  des  muses»,  c'est-à-dire 
l'encouragea  à  cultiver  la  poésie. 

En  1796,  il  vint  à  Paris,  chargé  par  son  père  de  colla- 
tionner  les  manuscrits  d'Epictète  et  de  faire,  en  son  nom,  une 
lecture  à  l'Institut.  Il  fît  une  si  bonne  impression  sur  ses 
auditeurs  qu'il  trouva  dès  lors  un  accueil  empressé  chez  des 
savants  et  des  gens  de  lettres  distingués,  comme  Millin  et 
Visconti,  Sainte-Croix  et  Bitaubé.  Quand,  deux  ans  plus  tard, 
il  revint  à  Paris,  il  fut  même  admis  dans  la  brillante  société 
qui  se  réunissait  autour  de  Mmie  de  Staël  et  qui  exerçait  une 
influence  considérable  sur  la  littérature.  Il  y  rencontra  des 
personnages  célèbres,  des  représentants  éminents  de  la 
science  et  de  l'art,  et  se  trouva  bientôt  en  relations  suivies 
avec  quelques-uns  d'entre  eux,  tels  que  Guingené  et  Andrieux, 
Gérando  et  Voyer  d'Argenson,  Guillaume  de  Humjboldt  et 
les  deux  frères  Schlegel.  On  avait  dans  ces  cercles  une  si 
haute  opinion  de  son  savoir  et  de  son  intelligence  que  Hum- 
boldt,  Delessert,  Voyer  d'Argenson  et  Mme  de  Staël,  elle-même 


54  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOUEG 

songèrent  à  lui  confier  l'éducation  de  leurs  fils.  Schweig- 
haeuser  entra,  en  effet,  comme  précepteur,  dans  la  famille 
de  G.  de  Humboldt  et  il  y  resta  jusqu'en  1800,  où  il  fut  rap- 
pelé à  Strasbourg  pour  achever  son  service  militaire.  Revenu 
à  Paris,  il  se  chargea  de  l'éducation  du  fils  de  Voyer  d'Ar- 
genson  et  continua  à  s'en  occuper  jusqu'en  1812. 

Durant  ces  années,  Schweighaeuser  se  livra  à  des  tra- 
vaux littéraires  multiples.  Il  prépara  pour  l'édition  stéréo- 
type des  Caractères  de  La  Bruyère  du  comte  de  Schlabern- 
dorf  le  troisième  tome  contenant  le  texte  de  Théophraste;  il 
entreprit  de  faire  mieux  connaître  la  culture  allemande  en 
France  et  la  culture  française  en  Allemagne,  et  il  publia  à 
cet  effet  de  nombreux  articles  dans  le  Magasin  encyclopé- 
dique  de  Millin  et  dans  les  Franzosische  Miscellen  (Mélanges 
français)  de  Tubingue;  il  collabora  au  Publiciste  de  Suard 
et  à  ses  Archives  littéraires;  il  rédigea  le  texte  du  premier 
volume  du  Musée  Napoléon  publié  par  les  frères  Piranesi  et 
donna  un  Tableau  chronologique  des  peintres  les  plus  célèbres 
depuis  la  renaissance  de  l'art  jusqu'à  la  fin  du  18e  siècle. 

Mais  l'ouvrage  le  plus  important  de  ces  années,  celui 
auquel  il  avait  consacré  le  plus  de  temps,  c'était  la  traduc- 
tion avec  introduction  et  commentaire,  des  Indiques  de  l'his- 
torien grec  Arrien,  le  meilleur  résumé  de  ce  que  les  anciens 
savaient  de  l'Inde.  Schweighaeuser  l'avait  entreprise  sur 
les  conseils  de  Sainte-Croix,  et  il  avait  l'intention  d'y  joindre 
toutes  les  notes  patiemment  réunies  sur  ce  sujet  sous  le  titre: 
«Recherches  critiques  sur  l'histoire  primitive  et  l'origine 
de  la  civilisation  des  Indiens  et  des  autres  peuples  anciens  en 
général».  Ce  travail,  qui  devait  assurer  à  son  auteur  la  répu- 
tation d'un  philologue,  était  prêt  à  être  imprimé  quand  la 
faillite  du  libraire-éditeur  en  empêcha  la  publication. 

Cependant  le  décret  du  17  mars  1808,  qui  donna  à  l'Uni- 
versité une  nouvelle  organisation,  venait  de  créer  à  Stras- 
bourg une  Académie  impériale.  Le  père  de  Schweighaeuser 
fut  nommé  doyen  de  la  Faculté  des  lettres  et  lui-même  pro- 
fesseur-adjoint, chargé  de  l'enseignement  de  la  littérature 
grecque.  Il  n'entra  pourtant  en  fonctions  qu'en  1812,  au 
moment  où  il  fut  appelé  au  Séminaire  comme  professeur  de 
littérature  ancienne. 

Ses  cours,  au  Séminaire,  portaient  sur  les  classiques  grecs 
et  latins  et  sur  l'esthétique.  Poète  lui-même,  il  expliquait 


l'activité  littekaire  de  j.-g.  schweighaeuser  55 

de  préférence  les  poètes  et  se  donnait  une  peine  infinie  pour 
développer  le  goût  de  ses  élèves  et  leur  faire  comprendre  et 
sentir  la  beauté  de  Tantique  poésie.  Plein  d'un  zèle  ardent, 
il  ne  se  bornait  d'ailleurs  pas  à  ses  cours  officiels,  il  réunissait 
ses  auditeurs  le  dimanche  dans  des  exercices  de  récitation  et 
de  déclamation,  et  dans  des  conférences  où  il  lisait  et  corri- 
geait les  travaux  allemands  et  français  qui  lui  étaient  remis. 
«  Mais,  dit  un  de  ses  élèves,  son  activité  se  heurtait  à  un  obs- 
tacle des  plus  sérieux,  les  étudiants  ne  l'aimaient  pas...  Pour- 
quoi? C'est  difficile  à  dire.  D'abord,  sans  doute,  parce  qu'il 
n'avait  pas  de  cœur  pour  la  jeunesse.  Il  était  d'une  sévérité 
qui  s'étendait  sur  tous,  sur  les  meilleurs  élèves  comime  sur  les 
autres.  Peut-être  aussi  était-ce  l'élégance,  la  recherche  qu'il 
mettait  dans  sa  mise  et  ses  manières  qui  irritait  les  jeunes 
gens,  les  Allemands  surtout,  qui  avaient  plutôt  des  manières 
grossières.  »  L 'Eloge  du  professeur  Fritz  dit  pourtant  «  que 
tous  ceux  qui  aimaient  l'étude  et  qu'il  admettait  dans  son 
intimité  lui  vouaient  une  reconnaissance  et  un  attachement 
éternels.  » 

En  1815,  Schweighaeuser  fut  appelé  à  remplacer  son  père 
comme  conservateur  de  la  bibliothèque  du  Séminaire  et  de 
celle  de  la  ville,  et  du  musée  d'antiquités  qui  y  était  joint. 
Il  fut,  par  là,  amené  à  s'occuper  de  l'étude  des  antiquités  de 
l'Alsace.  Il  publia  alors  une  série  de  mémoires  sur  la  Cathé- 
drale, le  mur  païen,  les  monuments  celtiques  des  bords  du 
Ehin,  etc.,  et,  avec  son  ami  de  Golbéry,  le  grand  et  bel  ouvrage 
intitulé  :  «  Antiquités  de  V Alsace,  ou  châteaux,  églises  et  autres 
monuments  des  départements  du  Haut-  et  du  Bas-Rhin, 

Mais  ces  «  distractions  littéraires  »  ne  suffisaient  pas  à 
l'activité  de  son  esprit,  il  se  jeta  avec  une  nouvelle  ardeur  sur 
la  philologie  qui,  comime  il  l'écrivait  à  Sulpice  Boisseré,  était 
son  premier  devoir.  Sa  santé,  malheureusement,  était  minée. 
Frappé  d'apoplexie  en  1829  et  atteint  de  paralysie,  il  dut  re- 
noncer à  son  activité  académique.  Il  vécut  pourtant  encore 
quinze  ans,  entouré  des  soins  affectueux  de  son  épouse,  une 
fille  du  professeur  d'anatomie  Thomas  Lauth,  et  aidé  par 
elle  dans  ses  études  archéologiques  et  autres  qu'il  continuait 
en  dépit  de  ses  cruelles  infirmités  et  au  milieu  de  vives  souf- 
frances. 

Il  mourut  le  14  mars  1844. 

Schweighaeuser,  nous  l'avons  vu,  n'avait  pas  réussi  à 


56  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE   DE   STKASBOURG 

gagner  la  sympathie  de  ses  auditeurs.  Il  n'avait  pas  dé- 
daigné de  leur  faire  toutes  les  avances,  ils  avaient  refusé 
d'y  répondre.  Les  deux  agrégés,  au  contraire,  qui  avaient 
été  nommés  en  même  temps  que  lui,  Redslob  et  Emmerich, 
conquirent  de  prime  abord  tous  les  cœurs.  Ils  étaient  jeunes, 
pleins  d'enthousiasme,  et  apportaient  dans  leur  enseignement, 
avec  de  sérieuses  qualités  de  clarté  et  de  méthode,  du  mouve- 
ment et  de  la  vie,  communiquant  aux  jeunes  gens  qui  les 
écoutaient  les  sentiments  dont  ils  débordaient  eux-mêmes. 

François-Henri  Redslob  ^)  était  né  à  Strasbourg,  le  25  mars 
1770,  dans  une  famille  bourgeoise,  honorable  et  aisée.  Son 
père  était  passementier  ou,  comme  on  disait  alors,  négociant 
en  soieries.  Ses  études  classiques  achevées  au  G^Tnmase,  le 
jeune  Redslob  suivit  pendant  trois  ans,  à  la  Faculté  de  philo- 
sophie, les  leçons  des  maîtres  les  plus  illustres,  celles  de  Herr- 
mann  et  de  Koch,  de  Schweighaeuser  et  d'Oberlin,  celles 
aussi  de  Herrenschneider,  qui  l'initia  à  la  science  astrono- 
mique. Il  avait,  en  général,  un  goût  marqué  pour  les  sciences 
naturelles  et  physiques.  Aussi  songea-t-il  un  instant  à  étudier 
la  médecine.  Mais,  esprit  essentiellement  méditatif  et  âme 
profondément  religieuse,  il  reconnut  bien  vite  que  ce  n'était 
pas  là  sa  vocation  et  il  se  tourna  vers  la  théologie.  Blessig, 
avec  lequel  il  avait  une  grande  affinité,  exerça  alors  sur  lui 
une  influence  décisive. 

Redslob  n'était  pas  arrivé  au  terme  de  ses  études  théo- 
logiques quand,  le  23  août  1793,  retentit  le  cri  d'alarme  qui 
appelait  la  jeunesse  de  France  à  la  défense  des  frontières 
menacées.  Bien  que  faible  de  constitution,  il  n'hésita  pas  un 
instant  à  remplir  son  devoir  envers  la  patrie:  avec  plusieurs 
de  ses  amis,  il  courut  s'enrôler  dans  le  premier  bataillon  des 
volontaires  de  Strasbourg.  Dirigé  aussitôt  sur  Fort-Louis,  il 
s'y  trouva  sergent-miajor  quand  le  fort  fut  assiégé  et  bom- 
bardé par  les  Autrichiens. 

Redslob  avait  pris  les  armes  avec  enthousiasme,  mais  il 
n'était  pas  né  soldat.  Au  milieu  du  tumulte  de  la  guerre,  il 
continua  à  se  livrer  à  l'étude  et  à  la  méditation.  Ce  zèle  stu- 


*)  Voy.  Discours  prononcé  le  26  décembre  i83i  pour  rendre  les 
derniers  honneurs  académiques  à  M.  François-Henri  Redslob...,  par 
J.  Willm.  Str.  1835.  —  Reden  und  Gedichte  zur  Begràbnisfeier  des  Herrn 
Fr,  H.  Redslob.  Str.  1834.  —  Mon  ouvrage  :  Franz  Heinrich  Redslob. 
Ein  Strassburger  Professor  am  Anfang  des  19.  Jahrhunderts.  Str.  1906. 


FKANÇOIS-HENRI  REDSLOB  57 

dieux  eut  un  jour  des  conséquences  désastreuses.  On  était 
convenu  dans  sa  compagnie  que  tous  les  hommes,  à  tour  de 
rôle,  feraient  la  cuisine.  Son  tour  venu,  Eedslob  prépara  et 
irai  au  feu  l'ordinaire  du  jour,  oubliant  seulement  d'y  ajouter 
de  Peau.  Puis,  il  se  plongea  dans  la  lecture  de  l'ouvrage  de 
Eeimarus  sur  «Les  principales  vérités  de  la  religion  natu- 
relle ».  Sa  lecture  achevée,  il  se  souvint  du  rôle  qui  lui  était 
confié.  Il  courut  à  ses  fourneaux.  Hélas!  il  était  trop  tard. 
Quand  il  découvrit  ses  marmites,  il  n'y  trouva  que  quelques 
restes  d'aliments  calcinés.  Ses  camarades  rirent  beaucoup  de 
sa  distraction;  elle  lui  valut  du  moins  d'être  dispensé  à 
l'avenir  de  toute  fonction  culinaire. 

Cependant  Fort-Louis  dut,  malgré  le  courage  de  ses  dé- 
fenseurs, capituler,  et  Eedslob,  avec  toute  la  garnison,  fut 
emmené  comme  prisonnier  de  guerre.  En  passant  le  Kniebis 
en  plein  hiver,  échauffé  par  la  marche,  il  eut  la  malheureuse 
idée  de  se  désaltérer  avec  de  la  neige.  Il  ne  tarda  pas  à  res- 
sentir les  suites  de  son  imprudence.  Il  arriva  malade  à  Ulm, 
incapable  de  suivre  ses  compagnons  d'infortune.  Un  habitant 
de  la  ville,  qui  avait  entretenu  des  relations  de  commerce 
avec  son  père,  s'empressa  de  l'accueillir;  il  lui  fit  même  ob- 
tenir l'autorisation  de  rester  à  Ulm.  Eedslob  y  demeura  toute 
une  année,  vivant  des  maigres  ressources  que  lui  procuraient 
quelques  leçons  de  français  et  de  botanique.  Enfin  il  put, 
grâce  aux  démarches  de  M.  et  de  Mme  de  Tiirckheim,  qui 
aux  jours  de  la  Terreur  s'étaient  réfugiés  en  Allemagne,  aller 
les  rejoindre  à  Erlangen  et  reprendre  l'éducation  de  leurs 
enfants  qu'il  avait  commencée  à  Strasbourg. 

C'est  aussi  avec  la  famille  de  Tiirckheim  qu'il  revint 
en  1796  en  Alsace.  Il  continua  pendant  quelques  années  encore 
à  diriger  l'éducation  des  fils  de  cette  famille  et  de  quelques 
jeunes  gens  qu'on  leur  adjoignit  et  dont  plus  d'un,  tel  le 
jurisconsulte  et  poète  Arnold,  fit  plus  tard  honneur  à  son 
enseignement. 

Eedslob  avait  fait  ses  preuves  comme  éducateur.  Les 
succès  obtenus  sur  ce  terrain  l'engagèrent  à  créer,  en  1801, 
un  pensionnat  de  jeunes  gens  qui  jouit  bientôt  d'une  grande 
réputation  et  attira  de  nombreux  élèves.  L'établissement  con- 
tinua à  prospérer  jusqu'en  1811,  où  un  régime  universitaire 
étroit  en  ordonna  la  fermeture. 

Heureusement  qu'à  ce  moment  même  une  nouvelle  car- 


58  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE   DE   STRASBOURG 

rière  s'ouvrait  à  Eedslob.  Dès  1809,  il  avait  été  nommé  vicaire, 
c'est-à-dire  professeur  suppléant,  au  Gymnase  pour  l'enseigne- 
ment des  mathématiques.  En  1811,  Haffner,  qui  avait  deviné 
en  lui  un  talent  oratoire  peu  ordinaire,  l'appela  à  différentes 
reprises  à  le  remplacer  dans  la  chaire  de  Saint-Nicolas.  Doué 
d'un  esprit  fin,  d'une  sensibilité  profonde,  d'une  imagination 
qui  donnait  de  la  grandeur  à  ses  idées  et  de  la  beauté  à  son 
langage  sans  en  altérer  la  simplicité,  Eedslob  se  révéla  aussi- 
tôt orateur  distingué.  L'année  suivante,  le  conseil  presbytéral 
de  Saint-Pierre-le- Vieux  le  chargea  des  prédications  du  soir 
dans  cette  église,  et,  en  1816,  il  fut  appelé  à  succéder  à 
Blessig  dans  la  chaire  du  Temple-Neuf. 

En  1812,  il  fut  également  nomîmé  professeur  suppléant 
au  Séminaire  pour  l'enseignement  des  sciences  philoso- 
phiques; cinq  ans  plus  tard,  en  1817,  il  devint  titulaire  de 
cette  chaire.  Il  donna  alors  des  cours  sur  la  religion  naturelle, 
sur  la  morale  philosophique  et  sur  la  psychologie.  Ce  dernier 
cours  fit  sensation.  Eedslob  possédait  tout  ce  qu'il  fallait 
pour  traiter  cette  matière  délicate:  un  talent  d'observation 
qu'il  avait  reçu  de  la  nature,  une  connaissance  profonde  du 
cœur  humain  qu'il  avait  acquise  en  élevant  la  jeunesse,  des 
expériences  nombreuses  qu'il  avait  faites  au  cours  d'une  vie 
agitée.  Aussi,  ses  leçons  offraient-elles,  au  témoignage  des 
contemporains,  le  plus  vif  intérêt.  Eeuss,  qui  les  avait  en- 
tendues deux  fois,  en  parle  dans  ses  Mémoires  avec  les  plus 
grands  éloges.  Eelus  à  tête  reposée,  dit-il,  les  paragraphes 
dictés  par  Eedslob  laissaient  à  désirer  au  point  de  vue  philo- 
sophique. Mais  à  entendre  le  professeur  dans  sa  chaire,  on 
était  empoigné,  entraîné.  Les  idées  originales,  les  aperçus 
ingénieux,  les  observations  fines,  spirituelles  se  succédaient, 
se  pressaient  dans  son  exposition;  la  comparaison  des  lois  et 
des  phénomènes  de  la  nature  avec  les  lois  et  les  phénomènes 
du  monde  intellectuel  et  moral,  à  laquelle  il  s'arrêtait  avec 
complaisance,  était  particulièrement  intéressante.  Ce  qui  con- 
tribuait au  succès  de  Eedslob,  c'est  qu'il  mettait  son  âme 
dans  ses  leçons.  Sa  parole  était  chaude,  elle  respirait  pour 
les  choses  dont  il  parlait  un  enthousiasme  qu'il  faisait  par- 
tager à  ses  auditeurs. 

Le  public  qui  suivait  ce  cours  n'était  pas  composé  unique- 
ment d'élèves  du  Séminaire  et  d'étudiants  en  théologie,  il 
comiprenait  des  jeunes  gens  de  toutes  les  Facultés.  Ils  étaient 


FRÉDÉRIC-CHARLES-TIMOTHÉE  EIMMEBICH  59 

nomObreux  —  plus  de  cent  —  pleins  d'admiration  pour  le 
maître  qui  leur  présentait  la  science  sous  des  aspects  si  nou- 
veaux et  si  attrayants.  L'un  d'eux,  vingt  ans  plus  tard,  évo- 
quant les  souvenirs  de  son  jeune  âge,  écrivait:  «A  notre 
époque  prosaïque  et  matérialiste,  on  aura  quelque  peine  à 
comprendre  l'enthousiasme,  l'exaltation  que  le  nouveau  pro- 
fesseur provoquait  parmi  les  étudiants,  la  vénération  et 
l'affection  dont  ceux-ci  l'entouraient.  La  grande  salle  des 
cours  pouvait  à  peine  contenir  tous  ces  jeunes  gens  avides  de 
s'instruire  qu'il  attirait  par  sa  philosophie  saine,  basée  sur 
l'expérience  et  l'observation  la  plus  judicieuse  de  l'homme 
intérieur,  et  par  son  exposition  vivante  et  parlant  à  l'imagi- 
nation. »  *) 

Eedslob  continua  à  donner  ce  cours  de  «psychologie  em- 
pirique »  même  après  avoir  été  nommé,  en  1821,  professeur  à 
la  nouvelle  Faculté  de  théologie  et  il  le  donna  jusqu'à  sa  fin. 

Frédéric-Charles-TimothéeEmmerich,')  nommté  en  même 
temps  que  Eedslob  à  la  suppléance  d'une  chaire  au  Sémi- 
naire, obtint,  comme  lui,  un  grand  succès  auprès  des  étudiants 
et  acquit,  quoique  bien  jeune  —  il  avait  à  peine  vingt-six  ans  — 
la  réputation  d'un  professeur  distingué. 

Il  était  né  à  Strasbourg,  le  15  février  1876.  Son  père,  un 
modeste  savant,  était  régent  au  Gymnase  protestant.  C'est 
sous  sa  ferme  autorité  et  par  le  soin  d'une  mère  tendre  et 
vigilante  que  le  jeune  Emm'erich  fut  élevé  dans  les  prin- 
cipes d'une  saine  piété  et  dans  l'amour  de  tout  ce  qui  est  bien. 
Ses  études  classiques  terminées  au  Gymnase  et  complétées 
auprès  de  son  père,  il  suivit  des  cours  de  philologie,  de  philo- 
sophie et  d'histoire.  Mais  cette  culture  préliminaire  n'était 
qu'une  préparation  à  l'étude  de  la  théologie,  vers  laquelle 
l'entraînait  une  vocation  naturelle.  Il  y  mit  tout  son  cœur.  Il 
se  distingua  si  bien  par  son  zèle  et  son  talent  que  le  conseil 
presbytéral  du  Temple-Neuf  le  nomma  catéchète  à  cette 
église  et  le  chargea  d'une  partie  des  prédications  dans  les  ser- 
vices du  matin.  Il  couronna  ses  études  par  une  dissertation 
latine  sur  Les  Evangiles  apocryphes  des  Hébreux,  des  Egyp- 
tiens et  de  Justin  Martyr,  et  entreprit  ensuite  un  voyage 

*)  Erinnerungen  an  den  seligen  G.  F.  Lachenmeyer  von  K.  W.  W. 
Kurtz.  Str.  1843,  p.  15. 

')  Blumen  auf  die  frûhe  Gruft  des  trefflichen  Mannes  Km.  Fr.  K.  T. 
Emmerich.  Str.  (s.  d.). 


60  LA  FACULTÉ   DE   THEOLOGIE  DE   STKASBOURG 

scientifique  qui  le  conduisit  en  Allenxagne,  en  Autriche  et 
finalement  à  Paris. 

Il  revint  à  Strasbourg  formé  aux  lettres  et  à  la  théologie, 
et  devint  alors  professeur  à  son  tour.  Il  débuta  dans  la  car- 
rière de  renseignement  comme  régent-suppléant  au  Gym- 
nase. Le  Séminaire,  par  arrêté  du  3  août  1809,  le  chargea  de 
renseignement  des  langues  anciennes  dans  les  classes  supé- 
rieures de  la  vieille  école.  Il  remplit  ces  fonctions  avec  le 
soin  et  la  conscience  qu'il  apportait  à  tout  ce  qu'il  entre- 
prenait. 

Mais  ses  aptitudes  et  ses  connaissances  le  désignaient 
pour  un  enseignement  plus  relevé  que  celui  du  Gymnase;  par 
arrêté  du  3  novembre  1812,  le  Directoire  le  nomma  professeur 
agrégé  au  Séminaire,  avec  mission  de  suppléer  le  vieux  pro- 
fesseur Weber  dans  son  cours  d'histoire  ecclésiastique.  En 
1816,  il  fut,  en  outre,  appelé  à  donner  le  cours  de  granunaire 
hébraïque,  tâche  assez  ingrate  et  qui  semble  ne  pas  lui  avoir 
donné  beaucoup  de  satisfaction.  Cependant  il  était  aimé  et 
même  vénéré  des  élèves,  surtout  de  ceux  de  troisième  année, 
qui  voyaient  en  lui,  dit  Keuss,  «le  type  du  professeur  de  théo- 
logie». 

Toutefois,  les  penchants  de  son  esprit  et  de  son  cœur,  et 
peut-être  l'instinct  de  son  vrai  talent,  le  portaient  vers  le  mi- 
nistère évangélique.  Il  avait  commencé  par  exercer  les  fonc- 
tions de  prédicateur-vicaire  à  côté  de  son  père,  et  bientôt  il 
acquit  de  la  réputation  comme  orateur  de  la  chaire.  Tandis 
que  la  plupart  des  pasteurs  de  la  ville  ne  parlaient  qu'à  la 
raison  et  au  nom  de  la  raison,  se  tenant  de  préférence  dans 
les  régions  de  la  morale  et  de  l'utilité  humaine,  Emmerich 
parlait  au  cœur  et  à  la  conscience,  et  aux  plus  purs  enseigne- 
ments de  l'Evangile  mêlait  les  exhortations  les  plus  touchantes. 
Aussi  toutes  les  fois  qu'il  prêchait,  il  y  avait  foule  dans 
son  église,  où  les  âmes  pieuses  allaient  s'édifier  et  les  esprits 
élevés  réfléchir. 

En  1818,  le  conseil  presbytéral  de  Saint-Thomas  l'appela 
comme  pasteur  à  cette  église.  Une  nouvelle  carrière  s'ouvrait 
devant  lui,  sans  le  faire  sortir  de  l'ancienne.  Au  contraire, 
il  allait  être  pris  plus  complètement  encore  par  l'enseigne- 
mient  académique:  en  1821,  il  était  nommé  professeur  d'his- 
toire ecclésiastique  dans  la  nouvelle  Faculté  de  théologie 
protestante. 


CHAPITRE  lY 

Le  mode  de  nomination  des  professeurs  —  Leur  traitement 


Le  mode  de  nomination  des  professeurs  de  TAcadémie 
protestante  avait  été  fixé  dès  le  principe.  L'article  11  de  la 
loi  organique  du  18  germinal  an  X  disait:  «Les  professeurs 
de  toutes  les  Académies  ou  Séminaires  seront  nommés  par  le 
premier  consul»,  et  l'article  7  des  articles  organiques  de 
l'Académie  des  Protestants  de  la  Confession  d'Augsbourg  du 
30  floréal  an  XI,  précisant  davantage,  statuait:  «Les  profes- 
seurs de  l'Académie  seront  nommés  par  le  premier  Consul,  sur 
la  présentation  du  Directoire  du  Consistoire  général,  qui 
prendra  l'avis  de  l'Académie».  Ce  règlement  ne  s'appliquait 
pas,  bien  entendu,  aux  professeurs  de  la  première  heure,  qui, 
nous  l'avons  vu,  passèrent  de  plein  droit  de  l'ancienne  Univer- 
sité à  la  nouvelle  Académie. 

Mais  lorsqu'en  1808  l'organisation  de  l'instruction  publique 
fut  réglée  à  nouveau,  le  Directoire  crut  devoir  réclamer  pour 
le  Séminaire  protestant  les  mêmes  droits  et  privilèges  que 
l'article  3  du  décret  du  17  mars  accordait  aux  Séminaires 
catholiques. 

Dans  sa  lettre  au  ministre  des  Cultes  du  14  octobre  1808, 
le  Directoire  rappelait  que,  par  le  décret  consulaire  de  floréal 
an  XI,  l'ancienne  Université  protestante  avait  été  transformée 
en  un  établissement  destiné  à  l'instruction  des  pasteurs,  et, 
par  conséquent,  subordonné  au  Directoire  et  classé  dans  les 
attributions  du  ministre  des  Cultes;  que  cette  Académie  se 
trouvait  donc  être  un  véritable  Séminaire  de  la  Confession 
d'Augsbourg,  assimilable  aux  Séminaires  catholiques.  Dès  lors, 
l'article  3  du  décret  impérial  du  17  mars,  qui  subordonnait 


62  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STEASBOURG 

rinstruction  donnée  dans  les  Séminaires  aux  archevêques  ou 
évêques  du  diocèse,  devait  être  également  appliqué  au  Sémi- 
naire protestant  de  Strasbourg,  c'est-à-dire  que  l'enseignement 
qui  y  était  donné  devait  être  subordonné  au  Directoire  et,  par 
lui,  au  ministre  des  Cultes.  Seuls,  les  professeurs  de  la  Faculté 
de  théologie  protestante  qui,  d'après  l'article  8  du  décret  du 
17  mars,  devait  être  établie  à  Strasbourg,  seraient,  comme 
membres  de  l'Université  impériale,  subordonnés  au  grand 
maître  et  aux  statuts  et  règlements  de  l'Université,  les  autres 
professeurs  et  maîtres  du  Séminaire  ne  dépendraient  que  du 
Directoire,  comme  les  professeurs  des  Séminaires  catholiques 
ne  dépendaient  que  des  archevêques  et  évêques. 

Le  Directoire,  dans  sa  lettre,  faisait  remarquer  en  outre 
IV  que  le  Séminaire  comprenait  deux  sections,  l'une,  le  Gym- 
nase, pour  donner  aux  élèves  qui  se  destinaient  au  ministère 
ecclésiastique  la  première  instruction,  l'autre,  l'Académie,  pour 
la  compléter,  et  qu'il  était  essentiel  que  l'instruction  dans  les 
deux  sections,  dépendît  du  Directoire,  qui,  sous  l'approbation 
du  gouvernement  et  du  ministre  des  cultes,  prescrirait  l'en- 
seignement qu'il  jugerait  le  plus  nécessaire  aux  futurs  pas- 
teurs; 2°  que  les  articles  39  et  40  du  décret  impérial  imposaient 
à  tous  les  agents  de  l'instruction  publique  appartenant  à  l'Uni- 
versité impériale  un  serment  par  lequel  ils  s'engageaient  à  la 
stricte  observation  des  statuts  et  règlements  de  l'Université,  et 
que  les  adhérents  de  la  Confession  d'Augsbourg,  membres  de 
l'Université,  craignaient  qu'on  voulût  leur  appliquer  l'art.  33, 
qui  prescrivait  de  donner  pour  base  à  l'enseignement  les  pré- 
ceptes de  la  religion  catholique,  et  il  exprimait  l'espoir  que 
l'Empereur,  pénétré  de  l'importance  de  la  liberté  religieuse, 
daignerait,  sur  le  rapport  du  ministre,  faire  la  déclaration 
suivante:  1"  ce  que  l'article  3  du  décret  impérial  du  17  mars 
statue  en  faveur  des  Séminaires  catholiques  s'applique  égale- 
ment au  Séminaire  protestant  de  Strasbourg;  2*^  l'enseignement 
dans  les  deux  sections  de  ce  Séminaire  sera  libre  et  ne 
dépendra  que  du  Directoire  et,  par  lui,  du  ministre  des  Cultes; 
3"  les  professeurs  du  Séminaire  continueront  à  être  nommés 
par  Sa  Majesté  Impériale  sur  la  présentation  du  Directoire, 
comme  il  est  statué  par  l'article  7  de  l'arrêté  consulaire  du 
30  floréal  an  XI;  4°  eu  égard  aux  nouvelles  Académies  qui 
seront  établies  au  sein  de  l'Université  impériale,  le  Directoire 
est  autorisé,  si  le  gouvernement  le  juge  convenable,  à  changer 


LE  MODE  DE  NOMINATION  DES  PROFESSEUES         63 

la  dénomination  d'Académie,  que  l'arrêté  consulaire  du 
30  floréal  an  XI  lui  a  attribuée,  en  celle  de  Séminaire;  5°  le 
serment  prescrit  par  les  articles  39  et  40  du  décret  impérial 
du  17  mars  ne  contiendra  pas,  en  ce  qui  concerné  les  protes- 
tants de  la  Confession  d'Augsbourg  qui  seront  membres  de 
l'Université  impériale,  l'obligation  de  prendre  pour  base  de 
leur  enseignement  les  préceptes  de  la  religion  catholique. 

Ce  dernier  point  était  de  la  plus  grande  importance  pour 
les  professeurs  du  Séminaire  et  exigeait,  par  conséquent,  une 
déclaration  officielle  aussi  prompte  que  catégorique.  Cette 
déclaration  ne  venant  pas  et  l'interprétation  qu'on  donnait 
de  l'article  39  dans  les  milieux  catholiques  provoquant  dans 
la  population  protestante  un  certain  émoi,  le  professeur  Koch 
s'adressa,  au  nom  du  Directoire,  à  l'un  des  membres  les  plus 
influents  du  Conseil  de  l'Université  impériale,  au  naturaliste 
George  Cuvier,  avec  prière  de  prendre  en  main  les  intérêts  des 
protestants  et  d'intervenir  auprès  du  ministre  et  du  grand 
maître  de  l'Université  pour  obtenir  une  solution  favorable 
de  la  question  pendante.  «Il  a  paru  à  notre  Directoire», 
écrivait  Koch,  «que  cet  article  exigeait  nécessairement  une 
déclaration  officielle  de  la  part  du  Gouvernement,  attendu 
qu'il  cause  dans  tous  ces  païs-ci,  oîi  comme  vous  le  savez, 
l'ultramontanisme  est  encore  dans  toute  sa  force,  et  nommé- 
ment à  la  campagne,  une  agitation  extrême,  les  catholiques 
soutenant  hautement  que  les  protestants  en  général  seraient 
obligés  de  se  faire  catholiques,  et  les  protestants,  même  les 
plus  raisonnables,  croyant  au  moins  y  entrevoir  un  projet  de 
réunion  des  différens  cultes  chrétiens;  cette  dernière  opinion 
étant  d'ailleurs  accréditée  par  les  nombreux  écrits  qui 
paraissent  d'un  jour  à  l'autre  sur  cette  matière.» 

Cette  question  résolue,  et  résolue  dans  un  sens  favorable 
aux  protestants,  il  s'en  présentait  une  autre:  L'article  3  du 
décret  du  17  mars,  qui  accordait  aux  archevêques  et  évêques 
le  droit  de  nommer  et  de  révoquer  les  professeurs  des  Sémi- 
naires catholiques,  donnait-il  au  Directoire  le  même  droit 
relativement  aux  professeurs  du  Séminaire  protestant,  ou  bien 
celui-ci  resterait-il  lié  au  statut  de  l'arrêté  consulaire  du 
30  floréal  an  XI? 

La  logique  se  prononçait  pour  la  première  de  ces  deux 
solutions;  mais  le  Directoire  n'eut  pas  le  courage  de  prendre 
une  résolution  si  grave.  Lors  donc  que  la  dixième  chaire  du 


64  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE   DE   STRASBOURG 

Séminaire  fut  devenue  vacante  par  la  mort  du  docteur  Spiel- 
mann,  il  crut  devoir  se  conformer  au  mode  de  nomination 
prescrit  par  le  décret  consulaire  du  30  floréal  an  XI,  et,  après 
avoir  pris  Tavis  du  Séminaire,  il  présenta  Dahler  à  la  nomi- 
nation du  Gouvernement. 

La  nomination  pourtant  ne  vint  pas.  Le  Directoire  alors 
s'adressa  derechef  au  ministre.  Il  n'avait  pas  cru,  disait-il, 
pouvoir  de  sa  propre  autorité  s'appliquer  l'article  3  du 
décret  du  17  mars,  mais  il  avait  pleine  confiance  en  Son  Ex- 
cellence, qui  lui  indiquerait  sans  doute  la  voie  à  suivre  et 
lui  dirait  si  c'était  le  décret  consulaire  du  30  floréal  an  XI 
ou  le  décret  du  17  mars  1808  qui  faisait  loi? 

Le  ministre,  paraît-il,  ne  jugea  pas  à  propos  de  faire 
une  réponse  à  cette  question;  le  Directoire  alors,  fatigué 
d'une  longue  attente,  s'attribua,  par  arrêté  du  14  décembre 
1812,  le  droit  de  nommer  les  professeurs  du  Séminaire. 

Depuis  lors,  il  fut  de  règle  que  le  Séminaire  proposât  et 
que  le  Directoire  nommât  les  professeurs.  On  fit  pourtant 
dans  deux  cas  une  exception  à  la  règle:  Geoffroi  Sckweig- 
haeuser  et  François-Henri  Redslob  furent,  l'un  et  l'autre, 
nommés  directement  par  le  Séminaire  et  leur  nomination 
fut  simplement  ratifiée  par  le  Directoire.  Nous  ignorons  d'ail- 
leurs les  raisons  pour  lesquelles  on  s'écarta  dans  ces  deux 
cas  de  l'usage  reçu. 

En  1821,  après  la  mort  de  Maximilien  Fritz,  le  Direc- 
toire voulut  changer  le  mode  de  nomination  qu'il  avait 
établi  lui-même.  Le  Séminaire  devait  lui  présenter  une  liste 
de  trois  nom^  parmi  lesquels  il  choisirait  celui  qui,  à  son 
avis,  était  le  plus  digne  d'occuper  la  chaire  vacante.  Mais  les 
professeurs  protestèrent  hautement  contre  une  innovation  que 
rien  ne  justifiait  et  qui  était  contraire  aux  articles  organiques 
et  à  tous  les  antécédents.  Le  Directoire,  devant  cette  opposi- 
tion, n'insista  pas,  et  l'on  s'en  tint  au  mode  établi  par  l'arrêté 
de  1812,  qui  attribuait  au  Séminaire  le  droit  de  présentation 
et  au  Directoire  celui  de  nomination. 

Ajoutons  ici,  pour  ne  pas  revenir  sur  cette  matière,  qu'en 
1848  l'assemblée  des  délégués,  discutant  la  question  de  la 
surveillance  du  Séminaire  et  de  la  nomination  des  profes- 
seurs de  cet  établissement,  décida,  après  un  long  débat,  qu'à 
l'avenir  le  Consistoire  général  nommerait  les  professeurs  du 
Séminaire  et  ferait  les  présentations  aux  chaires  vacantes  de 


LES   PEÉTENTIONS   DU   CONSISTOIKE   GENERAL  65 

la  Faculté,  diaprés  un  règlement  qu^il  arrêterait  Mais  les 
décisions  de  rassemblée  ne  furent  pas  ratifiées  par  le  gou- 
vernement. 

La  même  idée  fut  pourtant  reprise  dans  la  session  du 
Consistoire  général  de  1850.  Dans  la  séance  du  19  décembre, 
M.  Drion,  qui  avait  fait  partie  de  rassemblée  des  délégués 
de  1848,  vint  revendiquer  la  nomination  des  professeurs-  du 
Séminaire  par  le  Consistoire  général,  ne  laissant  au  Direc- 
toire que  le  droit  de  nommer  les  chargés  de  cours.  «  La  nomi- 
nation d'un  professeur»,  dit-il,  «est  ime  chose  extrêmement 
grave,  je  ne  voudrais  pas  que  le  Directoire  assumât  seul  cette 
responsabilité...  Je  voudrais  que  le  Directoire  et  le  Séminaire 
fussent  complètement  et  pour  toujours  à  Pabri  de  soupçons 
ou  de  reproches  de  partialité  locale,»  Et  à  Fobservation  que 
le  Directoire  était  mieux  placé  que  le  Consistoire  général  pour 
connaître  les  aspirants  à  une  chaire  de  professeur,  l'inspec- 
teur Masson  de  Montbéliard  répondit  que  ce  qui  donnait  de 
Fombrage  aux  églises  éloignées,  c'était  que  le  Directoire  était 
un  corps  strasbourgeois,  «elles  désirent»,  dit-il,  «que  toute 
influence  ne  soit  pas  laissée  à  Strasbourg.  »  ') 

La  motion  réunit  une  majorité:  6  voix  contre  3  décidèrent 
que  le  droit  de  nommer  les  professeurs  du  Séminaire  serait 
enlevé  au  Directoire  et  réservé  au  Consistoire  général. 

Mais,  peu  après,  le  décret  du  26  mars  1852  vint  rétablir 
la  situation  antérieure;  il  portait  à  l'article  11  du  chapitre  III: 
«le  Directoire...  nomme  les  professeurs  du  Séminaire,  sur  la 
proposition  de  ce  dernier  corps.» 

Le  di'oit  de  nomination  lui  étant  rendu,  le  Directoire  émit 
de  nouveau  la  prétention  que  chaque  fois  qu'il  s'agirait  de 
pourvoir  à  une  chaire  du  Séminaire,  une  liste  de  proposition 
de  trois  noms  lui  fût  présentée.  Le  Séminaire  pourtant  ne 
tint  aucun  compte  de  cette  exigence.  A  la  mort  de  Willm,  il 
proposa  Bartholmess,  et  lui  seul,  pour  la  chaire  vacante, 
Le  Directoire  le  nomma,  mais  il  exprima  en  même  temps 
le  regret  qu'un  seul  candidat  lui  eût  été  présenté;  s'il  l'avait 
néanmoins  nommé,  c'était  à  cause  de  ses  mérites  incontes- 
tables, mais  il  entendait  bien  que  la  voie  suivie  dans  cette 
occurrence  ne  constituât  pas  un  précédent. 

Le  Séminaire  protesta  contre  cette  manière  de  voir.  «En 


*)  Recueil  officiel  des  Actes  du  Consistoire  général  VIII,  p.  125  s. 


66  LA  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE  DE  STKASBOTJEG 

mettant  sur  la  liste  de  présentation  un  nom  unique»,  dit-il 
dans  sa  réponse  au  Directoire,  «nous  nous  conformons  à 
Fusage  suivi  par  nos  prédécesseurs.  En  effet,  en  faisant 
compulser  les  procès- verbaux  de  nos  séances,  nous  avons 
trouvé  que  depuis  l'établissement  du  Séminaire,  14  fois  une 
de  ses  chaires  est  devenue  vacante  et  que  14  fois  la  liste  de 
présentation  envoyée  au  Directoire  a  contenu  un  seul  nom... 
Une  liste  contenant  un  seul  nom  est  plus  digne  de  l'autorité 
supérieure.  Si  le  Séminaire  vient  lui  dire:  Après  avoir  con- 
sciencieusement réfléchi,  nous  sommes  d'avis  que  tel  candidat 
est  le  meilleur  que  vous  puissiez  nommer  à  la  chaire  vacante, 
le  Séminaire  manifeste  mieux  son  respect  pour  l'autorité 
supérieure  que  s'il  lui  envoyait  une  liste  de  présentation  dont 
presque  toujours  la  grande  moitié  serait  peu  sérieuse.»*) 

Le  Directoire,  après  cette  réponse,  renonça  à  la  prétention 
qu'il  avait  voulu  imposer  au  Séminaire,  et  les  nominations 
de  professeurs  continuèrent  à  être  faites  selon  l'usage  établi. 


II 

Les  professeurs  titulaires  de  l'Académie  protestante  et, 
plus  tard,  du  Séminaire,  étaient,  comme  les  professeurs  de 
l'ancienne  Université,  chanoines  de  Saint-Thomas,  chargés  de 
l'administration  des  biens  de  la  fondation  et  dotés  du  produit 
de  ces  biens.  Il  avait  été  stipulé,  lors  de  la  création  de  l'Aca- 
démie, qu'il  en  serait  ainsi.  Le  troisième  des  articles  organiques 
de  l'Académie  des  Protestants  de  la  Confession  d'Augsbourg 
disait,  en  effet:  «Les  charges  dont  les  fondations  affectées  à 
cette  Académie  étaient  grevées  précédemment  continueront  à 
être  acquittées.  »  Or,  la  principale  de  ces  charges  était  de 
faire  aux  professeurs  leur  traitement.  Ces  traitements  étaient 
d'ailleurs  très  modestes.  Ils  étaient  payés,  en  partie  du  moins, 
en  nature.  En  1789,  un  chanoine  touchait  du  fonds  commun, 
en  grains,  40  rézeaux  de  froment,  autant  de  seigle  et  4  rézeaux 
d'orge,  et  en  argent,  600  francs.  A  ce  traitement  venait 
S'ajouter  ime  prébende  qui  était  acquittée  en  nature  (froment, 
seigle,  orge,  pois,  vin)  et  qui  représentait  un  revenu  de  500 
à  600  francs,  et  la  jouissance  d'une  maison  canoniale,   ou. 


*)  Lettre  du  Vice-directeur  au  Président  du  Directoire.  —  Arch.  du 
Directoire  1853. 


LE  TEAITEMENT  DES  PKOFESSEURS  67 

s'il  n'y  avait  pas  de  maison  disponible,  une  indemnité  de 
400  francs.  Quant  aux  jetons  de  présence  et  à  la  rétribution 
scolaire  payée  par  les  étudiants,  ils  n'entraient  guère  en  ligne 
de  compte. 

Lors  de  la  création  de  l'Académie  ces  dispositions  furent 
maintenues  et  durant  de  longues  années  la  situation  maté- 
rielle des  professeurs  resta  la  même.  Un  premier  changement 
fut  apporté  à  cet  ordre  de  choses  par  l'arrêté  du  Séminaire 
du  12  octobre  1820,  qui  divisait  les  onze  prébendes  affectées 
aux  professeurs  et  au  président  du  Séminaire  en  trois  classes: 
la  première  comprenant  les  quatre  prébendes  qui  rapportaient 
environ  600  frs;  la  seconde,  les  quatre  qui  rapportaient  en 
moyenne  550  frs;  la  troisième,  les  trois  dont  le  revenu  ne 
dépassait  pas  500  frs.  Les  prébendes  de  première  classe  furent, 
comme  de  juste,  réservées  aux  membres  les  plus  anciens  du 
Séminaire,  et  celles  de  la  troisième  classe  attribuées  aux 
derniers  venus.  Lorsque  le  professeur  Fritz  fut  reçu  au 
chapitre,  le  30  novembre  1826,  le  vice-directeur  lui  annonça 
que  ses  émoluments  consisteraient  en  un  traitement  de  22  hl. 
de  froment  par  trimestre  et  de  cent  francs  par  bimestre,  en 
une  prébende  dé  troisième  classe  rapportant  9^  hl.  de  froment 
par  trimestre,  et  en  la  jouissance  d'une  maison,  ou,  au  cas 
où  il  n'y  en  eût  pas  de  disponible,  en  une  indemnité  de  500  frs. 

L'année  1832  apporta  un  nouveau  changement,  plus 
important,  en  cette  matière.  La  commission  économique  ayant 
constaté,  dans  son  rapport,  que  les  comptes  de  1827-28  pré- 
sentaient un  excédent  de  recettes  de  10.450  frs  et  que,  depuis, 
les  revenus  de  la  fondation  n'avaient  cessé  d'augmenter,  on 
se  demanda  comment  il  fallait  employer  cet  excédent.  On 
avait  déjà  dépensé  une  somme  de  20.000  frs  en  achats  de 
terres;  on  avait,  en  outre,  créé  un  fonds  de  réserve  avec  un 
premier  acompte  de  3400  frs.  Ik  commission  proposa  d'aug- 
menter le  traitement  des  professeurs.  Elle  fit  valoir  que  ces 
hommes  qui  consacraient  leur  temps,  leurs  forces,  leurs  veilles 
à  l'instruction  des  futurs  pasteurs  et  à  la  gestion  des  biens 
de  la  fondation  touchaient  un  traitement  des  plus  modestes 
(2600-2800  frs  au  meilleur  cas)  et  qui  ne  répondait  pas  aux 
exigences  du  temps  présent.  On  décida  que  le  bimestre  serait 
porté  de  600  à  1200  frs  par  an  et  qu'il  serait  payé  tous  les 
mois  à  raison  de  cent  francs. 

Dans  cette  même  séance  du  2  février  1832,  le  Séminaire, 


68  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE   DE   STRASBOURG 

sur  la  proposition  de  la  Commission  économique,  décida  que 
dans  les  cas  oii  il  n'y  aurait  pas  de  maison  disponible  pour 
un  nouveau  membre  du  Séminaire,  celui-ci  ne  serait  plus 
indemnisé,  comme  jusque-là,  par  une  somme  de  500  frs,  mais 
qu'il  aurait  l'usufruit  complet  de  la  maison  qui  lui  revenait, 
qu'il  l'habitât  lui-même  ou  qu'elle  fût  louée. 

Les  professeurs  du  Séminaire  qui  étaient  en  même  temps 
professeurs  de  la  Faculté,  ne  touchaient  de  la  caisse  de  l'ins- 
truction publique  qu'un  supplément  de  traitement  de  mille 
francs,  avec  déduction  de  5%  pour  la  caisse  des  pensions. 
Nous  le  voyons  par  un  passage  des  Mémoires  de  Eeuss.  Il 
note,  à  l'occasion  de  sa  nomination  à  la  Faculté:  «  Mon  traite- 
ment au  Séminaire  consistait  V  en  un  traitement  de  cent 
francs  par  mois;  2*  en  l'usufruit  d'une  maison  que  je  louai 
au  prix  de  800  frs;  3"  en  une  prébende  de  136  hl.  de  froment, 
le  prix  de  l'hectolitre  étant  alors  de  14  frs,  total:  3764  frs. 
Comme  professeur  de  la  Faculté,  je  touchais  un  supplément 
de  traitement  de  950  frs.  » 

On  voit  par  ces  chiffres  combien  la  situation  des  profes- 
seurs du  Séminaire  était  modeste.  Et  pendant  vingt  ans,  elle 
resta  la  même.  En  1854,  le  budget  de  la  fondation  de  Saint- 
Thomas  portait  pour  traitements  du  président  et  des  dix 
professeurs  du  Séminaire  1444  hl.  en  grains  (froment)  et 
14000  frs  en  argent,  ce  qui,  divisé  par  onze,  donnait  pour 
chacun  des  chanoines  141  hl.  de  froment  et  1273  frs  en  argent. 
Le  prix  du  froment  étant  en  moyenne  de  14  frs,  le  traite- 
ment total  d 'un  professeur  titulaire  se  montait  donc,  en  chiffre 
rond,  à  3100  frs.  Chacun  avait  pourtant,  en  plus,  la  jouissance 
d'une  maison  canoniale. 

Pour  les  professeurs  suppléants  ou  agrégés  rien  n'était 
prévu  en  fait  de  traitement  ou  d'indemnité.  Aussi,  lorsque 
l'Académie,  en  1807,  nomma  Dahler,  Frantz  et  Fritz  profes- 
seurs suppléants,  elle  dut  demander  à  la  caisse  de  la  fondation 
un  crédit  extraordinaire  pour  leur  allouer,  non  un  traitement 
—  il  ne  pouvait  en  être  question  — ,  mais  une  indemnité. 
Et  la  fondation  —  nous  sommes  tentés  d'en  rire  —  accorda 
généreusement  une  somme  de  six-cents  francs  pour  indem- 
niser trois  savants  distingués,  qui  n'étaient  pas  des  jeunes 
gens  à  leur  début:  c'était  pour  chacun  d'eux  200  francs. 

Heureusement  qu'à  ce  moment  le  professeur  Ehrmann, 
que  Napoléon  avait  nommé  conseiller  à  la  cour  d'appel  de 
Colmar,  offrit  de  céder  une  partie  de  son  traitement  pour 


LE   FISC  FRŒREISEN  69 

dédommager  le  suppléant  qui  le  remplacerait  à  TAcadémie 
durant  son  absence.  Il  avait  d'abord  cru  pouvoir  réunir  les 
fonctions  de  juge  à  Colmar  et  de  professeur  à  Strasbourg 
en  faisant  ses  cours  pendant  les  vacances  des  tribimaux.  Il 
dut  bientôt  se  convaincre  que  c'était  une  combinaison  impos- 
sible. Il  se  résigna  alors  à  sacrifier  une  faible  partie  de  son 
traitement,  c'est-à-dire  500  francs,  pour  indemniser  son  rem- 
plaçant. Dahler  étant  celui  des  trois  suppléants  qui  était  le 
plus  chargé  de  cours,  c'est  à  lui  que  fut  allouée  cette  somme, 
avec,  en  plus,  cent  francs  pris  sur  le  fisc  Frœreisen. 

Le  fisc  Frœreisen  avait  pourtant,  par  la  volonté  du  léga- 
taire, une  destination  bien  différente.  Jean-Léonard  Frœreisen, 
ammeister,  XlIIe  et  scolarque,  avait  légué,  par  testantent  du 
18  décembre  1690,  à  l'Université  une  partie  de  la  grande 
maison  qu'il  possédait  dans  la  rue  du  bateau  et  qui  donnait 
d'un  côté  sur  la  rue  de  l'ail  et  de  l'autrei  sur  la  rue  de  la 
douane.  Le  rapport  de  cette  maison  devait  faire  les  frais  d'un 
«  convivium  »,  c'est-à-dire  d'un  de  ces  repas  communs,  assez 
ordinaires  à  cette  époque,  qui  étaient  destinés  à  entretenir 
l'esprit  de  confraternité  entre  les  membres  de  la  même  corpo- 
ration. Ce  convivium  devait  réunir  tout  le  personnel  en- 
seignant de  l'Université,  et,  en  outre,  les  scolarques,  les  asses- 
seurs et  le  notaire  académique.  Au  cas  où  le  repas  n'avait 
pas  lieu,  les  professeurs  et  leurs  liôtes  recevaient  chacun  trois 
florins,  c'est-à-dire  l'équivalent  de  la  somme  allouée  par  couvert. 

Le  repas  annuel  et  l'entretien  du  bâtiment  n'absorbant 
pas  le  revenu  tout  entier,  on  avait  placé  ce  qui  en  restait  au 
«  Pfennigturm  »,  et  les  intérêts  que  portait  ce  capital  servaient 
à  différentes  fins:  indemnité  au  recteur  lors  de  son  entrée  en 
fonctions,  gratifications  aux  régents  du  Gymnase,  supplément 
de  traitement  au  conservateur  de  la  bibliothèque  Schœpflin. 
La  plus  grande  partie  de  ce  placement  fut  perdue  pendant 
la  Révolution,  il  ne  resta  du  legs  Frœreisen  que  le  loyer  de 
la  maison  se  montant  à  600  livres  et  les  intérêts  à  4%  d'une 
somme  de  mille  francs.  Lors  de  la  création  de  l'Académie  pro- 
testante, le  fisc  Frœreisen  passa  à  elle  avec  les  autres  fon- 
dations, et  son  revenu  fut  employé,  conformément  à  la  volonté 
du  testateur,  pour  un  repas  commun  et  en  gratifications  aux 
régents  du  Gymnase.  Mais  depuis  1808,  et  pendant  plusieurs 
années,  une  petite  partie  du  fisc  servit  également  à  compléter 
les  indemnités  accordées  aux  professeurs  suppléants  ou 
agrégés. 


70  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

Quelques  années  plus  tard  seulement,  quand  Dahler  fut 
devenu  professeur  titulaire  et  chanoine  et  qu'il  jouit  du 
traitement  complet  d'un  professeur-administrateur,  la  rému- 
nération de  800  francs  qui  lui  avait  été  accordée  fut  reportée 
sur  Fritz.  On  y  ajouta  300  francs  qu'Ehrmann  consentait  à 
céder  en  plus  pour  son  remplaçant,  ce  qui  fit  à  ce  professeur, 
avec  les  200  frs  qui  lui  avaient  été  alloués  antérieurement, 
un  traitement  de  1300  frs  qu'on  jugea  très  suffisant. 

En  attendant,  Schweighaeuser  fils,  Eedslob  et  Emmerich 
avaient  été  nommés,  le  premier,  professeur  suppléant,  les 
deux  autres,  prof  esseurs  agrégés,  tous  les  trois  sans  traitement 
ni  indemnité.  Ce  n'est  qu'à  la  mort  de  Koch,  dont  Fritz  obtint 
le  canonicat,  que  les  1300  francs  dont  il  avait  joui  jusque-là 
devinrent  disponibles  et  purent  être  partagés  entre  Schweig- 
haeuser et  Eedslob.  Au  premier,  on  accorda  les  800  frs.  cédés 
par  Ehrmann,  au  second,  les  500  frs  qui  restaient,  plus  cent  frs 
pris  sur  le  fisc  Frœreisen.  Quant  à  Emmerich,  il  dut  se  con- 
tenter des  regrets  que  lui  exprimait  le  Séminaire  de  ne  pouvoir 
rien  lui  accorder  pour  le  moment,  et  de  la  promesse  qu'il  y 
ajoutait,  de  faire  pour  lui  tout  ce  qui  serait  possible  aussitôt 
que  la  situation  financière  serait  devenue  meilleure.  En  1816,  à 
la  mort  de  Blessig,  Schweighaeuser  fut  mis  en  possession  du 
canonicat  devenu  vacant,  les  800  frs  dont  il  avait  joui  jusque- 
là  furent  attribués  à  Eedslob,  et  les  500  frs  qu'avait  touchés 
celui-ci  revinrent  à  Emmerich. 

Mais  bientôt  surgit  une  difficulté  imprévue.  Après  la 
restauration,  Ehrmann,  le  ci-devant  jacobin,  suspect  d'avoir 
voté  la  mort  de  Louis  XYI,  perdit  sa  place  de  conseiller  à 
la  cour  d'appel  de  Colmar  et  revint  à  Strasbourg.  Il  reprit 
aussitôt  ses  cours  et,  de  ce  fait,  l'indemnité  qu'il  avait  payée 
à  son  remplaçant,  tomba.  On  rendit  à  Eedslob  les  600  frs 
qu'il  avait  eus  d'abord  et  Emmerich  dut  se  contenter  de 
400  frs  pris  sur  le  Corps  des  pensions. 

A  partir  de  ce  moment,  cette  fondation,  ainsi  que  celle  de 
la  Haute-Ecole,  dut  contribuer,  avec  le  fisc  Frœreisen,  au 
traitement  des  professeurs  agrégés;  ce  qui  prouve  que  les 
revenus  de  ces  deux  fondations  n'étaient  pas,  comme  on  l'a 
affirmé,  employés  exclusivement  pour  le  Gymnase  protestant, 
mais  servaient  aussi  aux  besoins  du  Séminaire. 


CHAPITRE  Y 

Programmes  et  plans  d'études  —  Règlements  de  discipline 


LMcadémie  protestante  avait  été  créée  pour  Tinstruction 
des  ministres  de  la  Confession  d'Augsbourg,  elle  devait  dès 
lors  offrir  à  ses  élèves,  d'abord,  la  possibilité  d'acquérir  la 
maturité  pour  entrer  en  théologie,  et  puis,  celle  de  faire  des 
études  de  théologie  complètes.  Pour  atteindre  ce  double  but, 
elle  fut  divisée  en  deux  sections:  la  section  propédeutique, 
dans  laquelle  le  jeune  étudiant  se  livrait  durant  deux  ans 
aux  études  préparatoires,  et  la  section  théologique,  où  il  faisait 
ses  trois  années  de  théologie. 

Dans  le  premier  programme  de  l'Académie  *),  le  professeur 
Schweighaeuser  avait  tracé  les  grandes  lignes  du  plan  d'études 
que  les  élèves  du  nouvel  établissement  auraient  à  suivre. 
L'Académie,  disait-il,  ne  doit  laisser  de  côté  aucune  des  disci- 
plines qui  sont  nécessaires  à  l'instruction  du  prédicateur  de 
l'Evangile.  Les  himianités  formeront  le  point  de  départ 
d'études  qui,  de  progrès  en  progrès,  mèneront  l'élève  à  la 
philosophie  et  à  l'histoire.  Ce  n'est  qu'après  avoir  approfondi 
ces  matières,  qu'il  pourra  passer  à  l'étude  de  la  théologie. 
Là,  il  devra  avant  tout  se  familiariser  avec  les  langues  dans 
lesquelles  sont  rédigés  les  livres  saints,  c'est-à-dire  avec  le 
grec  et  l'hébreu,  mais  aussi  avec  le  chaldéen  et  l'araméen. 
Après  cela  seulement,  il  abordera  la  méthodologie,  l'histoire 
de  la  littérature  théologique,  l'introduction  historique  et  cri- 


*)  Academia  Argentoratensis  praelectiones  pro  annum  XII.  Reipubl. 
Francicae  a  nativitate  Christi  MDCCCIII  et  IV  instituendas  his 
qvorum  id  nosse  interest  indicit. 


72  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE   STBASBOURG 

tique  à  TAncien  et  au  Nouveau  Testament  et  Fapologétique, 
et  enfin  les  sciences  qui  aident  à  l'intelligence  plus  profonde 
des  livres  bibliques,  à  savoir  Therméneutique  et  les  antiquités 
bibliques. 

Le  professeur  Oberlin,  dans  le  discours  qu'il  prononça  à 
l'ouverture  de  l'Académie*)  dit,  à  son  tour,  quelles  connais- 
sances le  jeune  théologien  devait  acquérir  dans  la  nouvelle 
Ecole.  «Pénétrés  de  l'importance  des  fonctions  d'un  ministre 
de  l'Evangile  »,  dit-il,  «  nous  demandons  que  les  connaissances 
du  théologien  ne  soient  pas  circonscrites  dans  un  cercle  trop 
étroit.  Nous  demandons  que,  pour  former  des  ecclésiastiques 
véritablement  éclairés,  on  ne  laisse  pas  courir  les  étudiants 
illatis  manibus  à  leur  science  principale,  mais  qu'ils  soient 
tenus  de  s'appliquer  au  sortir  du  Gymnase  à  faire  les  études 
utiles  et  nécessaires  à  tout  homme  de  lettres.  »  Pour  s'acquitter 
avec  succès  de  sa  mission,  le  théologien  «  doit  être  versé  dans 
les  langues,  dans  l'histoire  naturelle,  civile,  littéraire,  ecclé- 
siastique, dans  la  philosophie,  les  mathématiques,  la  physique 
et  les  belles-lettres».  Appelé  à  interpréter  les  Saintes  Ecri- 
tures, il  faut  qu'il  puisse  les  lire  et  les  entendre  dans  leurs 
langues  originales,  il  devra  donc  commencer  par  étudier  le 
grec  et  l'hébreu.  Mais  la  connaissance  des  langues  ne  suffit 
pas,  il  faut  être  familiarisé  avec  les  usages,  les  mœurs,  la 
religion,  les  idées,  les  opinions  particulières  des  peuples  aux- 
quels ont  appartenu  les  écrivains  sacrés.  Muni  de  ces  connais- 
sances, l'étudiant  sera  en  état  d'aborder  l'étude  de  la  théologie 
systématique  et,  après  avoir  étudié  la  morale  philosophique, 
celle  de  la  morale  évangélique,  principal  objet  de  la  prédi- 
cation chrétienne.  Mais  pour  exposer  la  doctrine  avec  clarté 
et  pour  la  défendre  efficacement  contre  les  attaques  de  l'in- 
crédulité, il  est  nécessaire  qu'il  soit  versé  dans  la  dialectique, 
et,  pour  toucher  les  cœurs,  qu'il  s'applique  à  l'éloquence  de  la 
chaire.  Enfin,  il  est  utile  qu'il  connaisse  le  droit  ecclésiastique. 

Le  programme  de  Schweighaeuser  était  trop  restreint,  dans 
la  partie  théologique  surtout;  celui  d'Oberlin,  par  contre,  était 
trop  vaste  par  rapport  au  personnel  enseignant  dont  disposait 
l'Académie.  Sur  douze  professeurs,  elle  ne  comptait,  nous 
l'avons  vu,  que  deux  philologues,  un  philosophe,  un  historien 


*)  Discours  prononcé  à  Vouverture  de  VAcadémie  des  Protestans 
de  la  C.  d'A.  le  XV  brumaire  an  XII  par  J.-J.  Oberlin.   Strasb.  1804. 


LE  PLAN  d'organisation   DE    1807  73 

et  trois  théologiens,  les  cinq  autres  étaient  des  jurisconsultes 
ou  des  médecins,  qui  ne  pouvaient  guère  rendre  de  service. 

Oberlin  ne  pensait  pas,  il  est  vrai,  et  il  le  disait  dans 
son  discours,  que  rAcadémie  protestante  fût  uniquement 
destinée  à  former  des  théologiens,  il  espérait  qu'un  public 
nombreux  voudrait  profiter  de  la  partie  de  son  enseignement 
qui  avait  un  caractère  général. 

Tout  cela,  d'ailleurs,  n'était  que  provisoire,  des  proposi- 
tions, des  vœux,  si  l'on  peut  dire.  Ce  n'est  qu'au  commence- 
ment de  l'année  1807  qu'un  arrêté  du  Directoire  vint  donner 
à  l'Académie  une  organisation  plus  ferme  et  fixer  les  leçons 
qui  devaient  y  être  faites. 

Cet  arrêté  attribuait  à  la  section  théologique  quatre 
chaires:  celles  de  dogmatique,  de  morale,  d'homilétique  et 
d'histoire  ecclésiastique.  Point  de  chaire  d'exégèse  de  l'Ancien 
et  du  Nouveau  Testament,  mais  l'obligation  pour  tous  les  pro- 
fesseurs titulaires  de  donner,  à  côté  du  cours  principal  dont 
ils  étaient  chargés,  un  cours  d'interprétation  des  livres  bibli- 
ques «d'après  le  texte  hébreu  et  grec».  Les  quatre  titulaires 
devaient,  en  outre,  se  partager  l'herméneutique,  l'histoire  des 
dogmes,  l'introduction  à  l'histoire  de  la  théologie,  et  l'intro- 
duction à  l'Ancien  et  au  Nouveau  Testament,  de  telle  manière 
que  les  deux  derniers  de  ces  cours  revinssent  aux  professeurs 
de  morale  et  de  dogmatique,  et  l'histoire  des  dogmes  au  pro- 
fesseur d'histoire  ecclésiastique. 

La  section  propédeutique  comprenait  six  chaires:  deux 
pour  les  langues  et  les  littératures  grecques  et  latines,  et,  subsi- 
diairement,  pour  les  antiquités  grecques  et  romaines,  l'histoire 
de  la  philosophie  ancienne,  la  théorie  des  beaux-arts  et  des 
belles-lettres;  une  pour  la  philologie  biblique,  pour  l'hébreu, 
le  chaldéen,  le  syriaque  et  l'arabe,  et  pour  l'hellénisme  des 
LXX  et  du  Nouveau  Testament;  deux  pour  la  philosophie 
spéculative  et  morale,  et  une  enfin  pour  l'histoire. 

L'enseignement  de  chaque  discipline  était  rattaché  à  la 
chaire  qui  en  portait  le  nom,  toutefois  sans  monopole.  Chaque 
professeur  pouvait,  avec  l'assentiment  de  l'autorité  acadé- 
mique, faire,  à  côté  de  son  cours  principal,  un  cours  sur  l'une 
des  matières  attribuées  à  l'un  de  ses  collègues.  Les  cours 
principaux  devaient  se  faire  cinq  fois  par  semaine. 

Ce  plan  d'organisation  fut  soumis  à  l'acceptation  des  pro- 
fesseurs titulaires  et  agrégés.  Six  d'entre  eux,  Schweighaeuser, 


74  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOURG 

Blessig,  Herrenschneider,  Dahler,  Fritz  et  Frantz,  le  signèrent 
sans  restriction,  Weber  promit  de  s'y  conformer  «  autant  que 
possible»;  Spielmann  et  Braun  firent  cette  réserve  «sans 
préjudice  de  mes  droits  ».  Les  autres  professeurs  refusèrent, 
paraît-il,  de  signer.  Leurs  noms  du  moins  ne  figurent  pas  au 
bas  du  document 

Au  cours  des  années  qui  suivirent,  on  reconnut  pourtant 
Finsuffisance  de  cette  organisation  et  la  nécessité  d'y  apporter 
certaines  modifications  et  d'en  formuler  les  articles  avec  plus 
de  précision.  Un  arrêté  du  Directoire  du  14  décembre  1812 
établit  un  nouveau  plan  qui  devait  être  définitif. 

Il  donnait  au  Séminaire  quatre  chaires  de  théologie,  celles 
d'exégèse,  de  dogmatique,  de  morale  et  d'histoire  ecclésiastique, 
et  six  de  science  générale,  parmi  lesquelles  la  chaire  d'élo- 
quence sacrée  en  français  et  en  allemand,  et  celle  d'histoire 
des  religions,  de  la  civilisation  et  des  mœurs. 

Les  cours  subsidiaires  sur  les  niatières  suivantes  :  vérité  de 
la  religion  chrétienne,  catéchétique  populaire  et  théologie  pasto- 
rale, histoire  et  géographie  de  la  terre  sainte,  archéologie 
hébraïque  et  grecque,  introduction  générale  à  l'étude  de  la 
théologie,  lois  et  règlements  ecclésiastiques,  devaient  être  par- 
tagés entre  les  professeurs  titulaires  et  les  agrégés. 

Le  Directoire  se  réservait  le  droit  de  nommer  à  ces  chaires, 
pour  qu'elles  fussent  confiées  à  des  hommes  vraiment  com- 
pétents; par  arrêté  du  16  février  1813,  il  nomma  Blessig  à 
la  chaire  d'exégèse  de  l'Ancien  et  du  Nouveau-Testament,  et 
Haffner  à  celle  de  dogmatique;  Fritz  fut  chargé  de  la  morale 
et  Weber  de  l'histoire  ecclésiastique.  Pour  les  cours  de  théo- 
logie à  donner  en  sus  de  ceux-là,  les  professeurs  titulaires 
devaient  s'entendre  avec  les  autres  professeurs  du  Séminaire. 

En  même  temps  que  le  plan  d'études  de  1807  avait  paru 
une  ordonnance  du  Directoire  «concernant  le  plan  d'études 
pour  les  jeunes  gens  qui  fréquentent  l'Académie  de  notre 
ville  »  ^).  Les  jeunes  gens  qui  demandent  leur  inscription,  disait 
l'ordonnance,  devront  produire  un  certificat  de  l'inspecteur 
ecclésiastique  attestant  leur  culture  scolaire  et  leur  moralité, 
leurs  facultés  intellectuelles  et  leurs  talents  particuliers;  puis. 


*)  Verordnung  des  Directoriums  A.C.  zu  Strassburg,  den  Studien- 
plan  fur  die,  die  hiesige  Akademie  besuchenden  Junglinge  betreffend. 
17.  Febr.  1807. 


l'okdonnance  conceenant  les  études  de  1807  75 

ils  devront  passer,  devant  une  commission  spéciale,  un  examen 
de  latin,  de  grec  et  de  philosophie.  A  ceux  qui  seront  reçus 
à  cet  examen,  la  commission  indiquera  les  cours  à  suivre. 

Tous  les  élèves,  sans  exception,  sont  tenus  de  suivre  le 
cours  de  littérature  grecque  et  celui  de  littérature  latine, 
afin  de  se  familiariser  avec  l'art  de  Tinterprétation,  si  néces- 
saire au  théologien;  tous  aussi  devront  faire  des  efforts  pour 
arriver  à  la  possession  de  l'hébreu,  indispensable  à  qui  veut 
expliquer  les  Saintes  Ecritures.  A  l'étude  des  langues,  ils 
joindront  celle  des  mathématiques  et  de  la  logique.  A  ceux 
qui  auraient  le  désir  d'augmenter  leurs  connaissances  et  de 
former  leur  goût,  on  offre,  en  outre,  des  cours  d'archéologie 
classique  et  biblique,  d'esthétique,  d'histoire  de  la  philosophie 
et  de  la  littérature  et,  enfin,  d'histoire  générale.  Des  colloques 
ou  disputations  en  langue  latine,  roulant  sur  les  matières 
traitées  pendant  le  semestre,  remplaceront  les  examens 
semestriels. 

Pour  être  inscrit  dans  la  matricule  théologique,  il  faut, 
par  un  examen,  justifier  de  connaissances  suffisantes  en  philo- 
logie et  en  philosophie. 

Les  études  théologiques  s'étendent  sur  trois  années;  les 
cours  devront  être  suivis  dans  cet  ordre:  Encyclopédie  théo- 
logique, méthodologie,  introduction  à  l'Ancien  et  au  Nouveau 
Testament,  apologétique,  exégèse,  et  simultanément,  philo- 
sophie et  histoire  naturelle.  Ensuite,  dogmatique,  morale, 
histoire  et  droit  ecclésiastique,  homilétique,  catéchétique,  théo- 
logie pastorale  et  exercices  exégétiques. 

Pour  donner  aux  étudiants  l'occasion  de  joindre,  sous  la 
direction  de  leurs  maîtres,  la  pratique  à  la  théorie,  on  accor- 
dera aux  plus  zélés  d'entre  eux  une  place  de  catéchète  et 
l'autorisation  de  monter  en  chaire. 

L'examen  pro  ministerio  est  composé  de  deux  parties, 
l'une  orale,  l'autre  écrite.  L'épreuve  orale  porte  sur  la  dogma- 
tique et  la  morale,  sur  l'histoire  et  le  droit  ecclésiastique. 
L'épreuve  écrite  consiste  en  une  composition  sur  une  question 
scientifique  ou  pratique  rédigée  par  le  candidat  chez  lui,  et 
en  un  travail  fait  en  lieu  clos,  sans  autre  secours  que  la 
Bible.  L'examen  se  termine  par  une  prédication  et  une 
catéchèse  faites  en  présence  d'un  professeur  de  théologie. 
Les  trois  ans  de  théologie  sont,  d'après  un  vieil  usage,  renou- 
velé dans  les  établissements  scientifiques  de  France,  couronnés 


76  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE   STRASBOUKG 

par  une  disputation  publique,  collective  ou  individuelle  des 
candidats,  en  langue  latine. 

Sur  un  certificat  délivré  par  les  examinateurs  et  attestant 
les  connaissances  et  les  bonnes  mœurs  du  candidat,  le  Direc- 
toire autorise  son  ordination  en  vue  d'une  place  de  pasteui*. 

On  comprit  pourtant  bientôt  que  cet  examen  n'offrait 
pas  de  garanties  suffisantes  relativement  au  travail  scienti- 
fique des  candidats  en  théologie  et  qu'une  consécration  pré- 
maturée serait  préjudiciable  aux  études  et  aux  mœurs  du 
jeune  théologien  abandonné  à  lui-même.  Le  Directoire,  à  la 
date  du  11  avril  1815,  publia  un  nouvel  arrêté  «concernant 
l'époque  de  l'examen  des  candidats  en  tliéologie  et  de  leur 
ordination»*). 

Le  nouvel  arrêté  ordonne  au  candidat,  les  trois  années 
de  théologie  achevées,  de  rester  en  relation  avec  les  profes- 
seurs de  la  Faculté  et  avec  les  autorités  ecclésiastiques.  Il 
remettra  chaque  année  un  travail  scientifique  aux  professeurs 
et  fera  tous  les  six  mois  une  prédication  devant  l'inspecteur 
ecclésiastique. 

Trois  mois  avant  sa  vingt-cinquième  année  révolue,  le 
candidat  se  présentera  au  dernier  examen  pour  faire  constater 
son  aptitude  aux  fonctions  ecclésiastiques.  A  sa  demande 
d'admission  à  l'examen,  il  joindra  une  composition  latine 
sur  un  sujet  qu'il  aura  proposé  lui-même,  et  un  certificat 
de  l'inspecteur  ecclésiastique  concernant  son  zèle  et  sa  mo- 
ralité. Si  le  travail  qu'il  présente  est  jugé  suffisant  et  si  le 
certificat  délivré  par  l'inspecteur  est  favorable,  le  candidat 
est  admis  à  l'examen.  Les  examinateurs  disposent  chacun 
d'une  heure  entière.  Ils  donnent  leurs  notes  d'après  l'échelle 
suivante:  Très  bien,  bien,  médiocre.  Si  les  notes  obtenues 
par  le  candidat  sont  suffisantes,  le  Directoire  autorise  son 
ordination. 

Ces  dispositions  ne  s'appliquaient  pourtant  qu'aux  can- 
didats qui  appartenaient  au  ressort  du  Consistoire  de  Stras- 
bourg ou  à  ceux  qui  avaient  l'intention  d'y  demeurer.  Les 
autres  pouvaient  passer  l'examen  final  sitôt  la  troisième 
année  de  théologie  terminée,  à  moins  qu'ils  ne  préférassent 
se  soumettre  au  nouveau  règlement. 

Le  programme  des  études  de  l'année  1807,  nous  l'avons 


')  Rec.  off.  I,  p.  127  ss. 


LE   RÈGLEMENT   DE   1819  Î7 

VU,  était  loin  d'embrasser  toutes  les  matières  que  réclame  une 
étude  approfondie  de  la  science  théologique.  La  plupart  des 
élèves  pourtant  ne  satisfaisaient  guère  à  ses  modestes  exi- 
gences. Ils  se  bornaient  à  suivre  les  cours  qui  préparaient 
aux  examens.  Point  de  travail  personnel,  aucun  désir 
d'étendre  leurs  connaissances!  Mais  ce  qui  était  surtout 
fâcheux,  c'est  que  les  élèves  arrivaient  souvent  sans  prépa- 
ration suffisante:  beaucoup  d'entre  eux  ne  savaient  que  peu 
de  latin  et  encore  moins  de  grec;  en  français,  ils  étaient 
d 'une  faiblesse  déplorable  ou  d'une  ignorance  complète.  Brueh, 
qui  vint  en  1810  à  Strasbourg  pour  y  faire  sa  théologie,  cons- 
tatait avec  surprise  cette  insuffisance  des  études  prépara- 
toires. «  Lorsque  je  quittai  le  Gymnase  de  Deux-Ponts  »,  dit-il 
dans  ses  Mémoires,  «je  m'imaginais  que  la  plupart  des  étu- 
diants de  Strasbourg  en  sauraient  bien  plus  que  moi.  A  ma 
grande  surprise,  je  constatai  le  contraire.  Quelque  médiocres 
que  fussent  mes  connaissances,  la  plupart  des  étudiants  en 
possédaient  moins  que  moi.  Ceux-là  même  qui  venaient  des 
provinces  du  Ehin  inférieur  et  du  grand-duché  de  Berg  se 
présentaient  avec  un  bagage  scientifique  bien  mince.  »  *) 

Le  décret  impérial  du  9  août  1809  avait  ordonné,  il  est 
vrai,  que  les  jeunes  gens  qui  se  proposaient  de  suivre  l'en- 
seignement des  Séminaires  seraient  tenus  de  fréquenter  les 
cours  de  la  Faculté  des  lettres  et  de  celle  des  sciences  et  de 
prendre  le  grade  de  bachelier  ès-lettres.  Mais  cette  mesure 
n'avait  pas  donné  les  résultats  qu'on  en  attendait.  Il  fallut 
se  mettre  en  quête  d'autres  moyens  pour  remédier  à  un  état 
de  choses  des  plus  lamentables.  Le  Directoire,  sur  la  propo- 
sition des  professeurs  du  Séminaire,  s'en  occupa,  et  le 
15  septembre  1819  parut,  dans  les  deux  langues,  en 
français  et  en  allemand,  un  nouveau  «règlement  sur  le  plan 
d'études  qu'auront  à  suivre  les  élèves  en  théologie  du  Sémi- 
naire protestant  de  Strasbourg». 

Le  Directoire,  dans  un  préambule  aux  vingt-cinq  articles 
de  ce  règlement,  rappelait  aux  jeunes  théologiens  «combien 
le  succès  dans  l'administration  du  ministère  évangélique  dé- 
pend d'un  emploi  sage  et  bien  réglé  des  années  d'études  et 
que  le  mal  qui  résulte  de  la  précipitation  ou  du  défaut  d'ordre 
dans  la  manière  de  suivre  les  cours  publics  est  funeste  et 


*)  J.-F.  Bruch,  loc.  cit.,  p.  40. 


78  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOUKG 

irréparable,»  et  considérant  à  quel  point,  pour  être  remplis 
fidèlement,  les  devoirs  imposés  au  pasteur  exigent  des  con- 
naissances multiples,  un  esprit  éclairé,  un  talent  cultivé  et 
un  cœur  pénétré  de  Famour  de  tout  ce  qui  est  véritablement 
bien,  beau  et  honnête,  il  concluait  à  la  nécessité  «tant  de 
prescrire  aux  élèves  le  plan  général  de  leurs  études  que  de 
placer  la  pureté  des  mœurs  et  de  la  conduite  au  nombre  de 
leurs  devoirs  les  plus  absolus.»*) 

Les  vingt-cinq  articles  du  nouveau  règlement  reprodui- 
saient en  partie  les  prescriptions  de  Tarrêté  de  1807,  mais  en 
renchérissant  sur  elles.  Pour  être  admis  au  Séminaire,  il  ne 
suffisait  plus  de  produire  une  attestation  de  bonnes  études 
préparatoires  et  de  bonnes  mœurs,  le  nouvel  élève  devait 
promettre  solennellement  de  se  conformer  à  l'arrêté  du  Direc- 
toire concernant  la  discipline,  au  nouveau  règlement  et,  en 
général,  à  tous  les  règlements  du  Séminaire.  Il  devait,  dans 
un  examen  préalable,  prouver  qu'il  était  assez  avancé  en 
grec  et  en  latin  pour  suivre  avec  fruit  les  cours  sur  les 
auteurs  anciens,  qu'il  possédait  les  éléments  de  la  grammaire 
hébraïque,  qu'il  était  familiarisé  «avec  la  liangue  française 
et  qu'il  avait  quelques  connaissances  en  histoire  et  en  mathé- 
matique. 

Admis,  l'élève  n'avait  pas  la  liberté  de  choisir  ses  cours. 
Une  commission  fixait,  de  six  en  six  mois,  ceux  qu'il  devait 
suivre:  c'étaient  avant  tout  les  cours  de  littérature  grecque 
et  latine  et  les  exercices  de  déclamation  et  de  style,  français, 
allemand  et  latin.  L'étude  de  l'hébreu,  commencée  la  première 
année,  devait  être  poursuivie  pendant  tout  le  cours  des  études. 
L'élève  y  joindrait  celle  de  l'histoire,  des  mathématiques  et 
de  la  logique. 

Ce  n'était  pas  tout.  L'étudiant  devait  suivre,  tant  à  l'Aca- 
démie royale  qu'au  Séminaire,  les  leçons  «qui  pouvaient 
contribuer  à  orner  son  esprit  et  à  étendre  ses  connaissances  », 
non  seulemient  les  cours  de  littérature  et  de  philosophie,  nxais 
ceux  de  physique  et  d'histoire  naturelle.  Il  devait  prendre 
part  aux  conférences  et  aux  exercices  dirigés  par  les  pro- 
fesseurs et  se  présenter  aux  examens  prescrits  par  le 
règlement. 

Quant  aux  études  théologiques,  qui  s'étendaient  sur  trois 


')  Rec.  off.  I,  p.  129  ss. 


LES  EXAMENS  DE   CANDIDAT  79 

années,  elles  n'embrassaient  pas  seulement  Pexégèse,  la  dogma- 
tique, la  morale,  l'histoire  ecclésiastique,  l'homilétique,  et  la 
catéchétique,  avec  les  exercices  pratiques,  mais  l'introduction 
à  l'Ancien  et  au  Nouveau  Testament,  l'histoire  des  dogmes, 
les  antiquités  hébraïques,  l'apologétique  et  le  droit  ecclésias- 
tique. L'assiduité  à  ces  cours  était  la  condition  indispensable 
pour  être  admis  aux  examens  pour  le  ministère.  Les  profes- 
seurs devaient  la  contrôler  et  signaler,  dans  un  rapport  pré- 
senté à  la  fin  du  semestre,  ceux  qui  n'avaient  pas  suivi 
régulièrement  leurs  leçons.  Ils  étaient  punis  par  la  perte  du 
semestre.  La  même  peine  atteignait  ceux  qui  ne  s'étaient  pas 
présentés  à  l'examen  semestriel. 

Les  trois  années  d'études  théologiques  terminées,  l'étu- 
diant subissait  la  première  partie  de  l'examen  de  candidat, 
qui  roulait  sur  l'exégèse  biblique,  le  dogme,  la  morale,  et 
l'histoire  ecclésiastique.  Six  mois  plus  tard,  il  présentait  une 
dissertation  latine  sur  un  point  important  de  la  science  théo- 
logique. Si  ce  travail  avait  de  la  valeur,  les  professeurs  en 
conseillaient  l'impression.  S'il  était  soutenu  en  public  et  avec 
honneur,  l'auteur  en  tirait  avantage  pour  son  avancement. 

Après  ce  premier  examen,  le  candidat  devait  adresser 
chaque  année  une  dissertation  française,  allemande  ou  latine, 
sur  une  question  de  théologie,  à  la  section  théologique  du 
Séminaire,  et  prêcher  au  moins  une  fois  dans  l'année  devant 
son  inspecteur  ecclésiastique.  A  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  il 
se  présentait  à  l'examen  final.  Cet  examen  subi,  il  pouvait 
être  porté  par  le  Directoire  sur  la  liste  de  désignation  pour 
une  place  de  pasteur. 

«Le  Directoire,  disait  l'article  23,  aime  à  croire  que  tous 
les  élèves  s'appliqueront  avant  tout  à  une  conduite  morale 
et  digne  de  toute  manière  de  l'importante  destination  à  la- 
quelle ils  sont  appelés.  Ils  devront  en  conséquence  choisir 
avec  soin  leurs  sociétés  et  leurs  amis.  Il  leur  est  interdit  de 
fréquenter  des  maisons  publiques  de  la  ville  ou  des  assemblées 
bruyantes,  soit  en  ville  soit  à  la  campagne,  ainsi  que  de 
prendre  part  à  aucune  scène  inconvenante.  Ils  devront  aussi 
se  conformer  dans  leur  habillement  et  dans  tout  leur  extérieur 
à  ce  qu'exigent  la  bienséance,  les  convenances  sociales  et 
Topinion  publique.» 

En  terminant,  le  Directoire  rappelait  aux  étudiants  que 
l'article  12  du  titre  premier  des  articles  organiques  du  culte 


80  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE   DE  STRASBOURG 

protestant  contenus  dans  la  loi  du  18  germinal  an  X,  déclare 
formellement  «  qu'aucun  candidat  ne  peut  être  nommé  pasteur 
s'il  n'a  étudié  pendant  un  temps  déterminé  dans  un  Sémi- 
naire français,  et  s'il  ne  rapporte  un  certificat  en  bonne  forme, 
constatant  son  temps  d'étude,  sa  capacité  et  ses  bonnes 
mœurs.  » 

C'était  l'interdiction  absolue  aux  élèves  alsaciens  d'aller 
demander  à  l'étranger  une  instruction  que  leur  offrait  le 
pays.  Le  Séminaire  veillait  avec  un  soin  jaloux  à  l'observation 
d'une  mesure  d'ailleurs  peu  libérale.  Lorsqu'en  1814  plusieurs 
élèves  quittèrent  le  Séminaire  pour  aller  étudier  aux  uni- 
versités allemandes,  l'Assemblée  des  professeurs  décida  «qu'il 
fallait  s'en  tenir  strictement  au  principe  qu'aucun  étudiant 
qui  s'est  mis  dans  ce  cas,  ne  sera  employé  dans  le  ressort 
du  Directoire  de  cette  ville». 

La  question  reparut  plus  tard,  et,  dans  sa  séance  du 
4  mars  1819,  l'assemblée  des  professeurs  décida  d'insérer  dans 
le  règlement  sur  les  études  un  article  disant  «que  le  temps 
que  les  étudiants  passeraient  dans  une  autre  Université  avant 
d'avoir  achevé  leurs  études  au  Séminaire  ne  leur  serait  point 
compté,  et  que,  pour  être  reçus  ministres  du  culte,  les  candi- 
dats devraient  présenter  un  certificat  constatant  qae,  con- 
formément aux  articles  organiques,  ils  avaient  fréquenté  au 
Séminaire  de  Srasbourg  tous  les  cours  exigés  par  les  règle- 
ments ». 


II 

Les  étudiants  en  théologie  de  Strasbourg  ne  frayaient 
guère  avec  les  élèves  des  autres  Facultés,  juristes  et  médecins, 
et  se  distinguaient,  en  général,  par  leur  bonne  conduite.  Il 
y  eut  pourtant  dès  le  lendemain  de  la  création  de  l'Académie 
des  exceptions  à  cette  règle.  Le  4  pluviôse  de  l'an  XIII,  le 
recteur  réunissait  les  professeurs  en  séance  extraordinaire  pour 
les  informer  que  parmi  les  élèves  il  s'en  trouvait  quelques-uns 
que  la  rumeur  publique  accusait  de  mener  une  vie  déréglée. 
Dans  la  discussion  qui  suivit  cette  communication,  un  des 
membres  de  l'assemblée,  qui  était,  paraît-il,  bien  au  courant 
de  ce  qui  se  passait,  constatait  à  son  tour  que  si  la  plupart 
des  jeimes  théologiens  se  distinguaient  par  leur  application 
et  par  leur  bonne  conduite,  quelques-uns  d'entre  eux  oubliaient 


I 


ÉLÈVES  ACCUSÉS  DE  DÉRÈGLEMENTS  81 

le  but  des  années  d'études  qu'ils  passaient  à  TAcadémie  et 
les  exigences  du  ministère  auquel  ils  se  destinaient.  Puis, 
entrant  dans  quelques  détails  sur  ces  derniers,  il  les  dé- 
peignait en  ces  termes:  «Peu  exacts  à  fréquenter  les  cours 
de  F  Académie,  ils  se  distinguent  par  une  certaine  rudesse, 
une  âpreté  de  manières  qu'ils  prennent  peut-être  pour  de 
l'énergie;  ils  forment  entre  eux  une  coalition  qui  n'aboutit 
qu'à  se  livrer  à  l'usage  immodéré  de  la  boisson  et  même  à 
des  orgies  dans  lesquelles  ont  été  entendus  les  couplets  les 
plus  licencieux.  »  Il  ajoutait  pourtant:  «  Nous  aimons  à  croire 
que  la  majeure  partie  des  jeunes  gens  qui  ont  inscrit  leur 
nom  dans  cette  matricule  déshonorante  n'a  été  qu'égarée  et 
éblouie  par  les  illusions  d'une  fausse  liberté  et  par  ce  qu'ils 
appellent  le  commerce  des  nourrissons  des  Muses,  qu'il  ne 
faudrait  pourtant  pas  reconnaître  aux  clameurs  qui  reten- 
tissent dans  les  tabagies.  »  Il  terminait  son  exposé  par  cette 
déclaration  ou  plutôt  cet  avertissenuent:  «  Le  ferment  de  cor- 
ruption qui  semble  vouloir  s'établir  parmi  nous  est  d'autant 
plus  funeste  qu'il  combat  diamétralement  le  grand  but  de  notre 
Institution,  de  même  que  les  buts  salutaires  du  gouvernement, 
qu'il  peut  compromettre  la  réputation  de  notre  Académie, 
qu'il  peut  inspirer  des  appréhensions  aux  parents  éloignés 
qui  voudraient  nous  confier  leurs  fils.  C'est  à  la  sagesse  et 
â  la  fermeté  de  l'Académie  à  prévenir  par  des  mesures 
énergiques  les  graves  inconvénients  que  l'on  vient  d'in- 
diquer. »  *) 

Les  membres  de  l'Académie  se  rangèrent  tous  à  cet  avis. 
Ils  décidèrent  de  convoquer  les  étudiants  dans  la  salle  des 
examens  où  le  recteur  leur  adresserait  ime  exhortation  pater- 
nelle pour  ramener  à  leur  devoir  ceux  qui  s'en  étaient  écartés. 
Ainsi  fut  fait.  Le  président  du  Directoire,  en  sa  qualité  de 
directeur  né  de  l'Académie,  présida  la  réunion;  le  recteur, 
assisté  des  professeurs  Weber,  Blessig  et  Haffner,  adressa 
un  discours  aux  étudiants  dans  lequel  il  affirma  que  l'Aca- 
démie ne  songeait  nullement  à  les  soumettre  à  un  régime 
monacal,  contraire  aux  principes  du  protestantisme  et  peu 
propre  d'ailleurs  à  former  les  caractères,  et  qu'il  y  songeait 
d'autant  moins  que  La  grande  majorité  des  étudiants  suivait 
la  droite  ligne  du  devoir;  mais  que  plusieurs  risquaient  d'être 


Procès-verbaux  des  séances,  I,  p.  23. 


82  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOUKG 

entraînés  par  leur  légèreté  loin  du  but  qu'ils  devaient  avoir 
constamment  devant  les  yeux.  «  Les  professeurs  de  TAca- 
démie»,  dit-il,  «ne  veulent  pas  seulement  instruire  les  jeunes 
gens  qui  les  entourent,  ils  veulent  être  pour  eux  des  con- 
seillers et  des  guides.  C'est  à  ce  titre  qu'ils  les  conjurent  de 
bien  employer  leur  temps,  de  fuir  les  mauvaises  sociétés,  de 
se  pénétrer  de  l'esprit  de  l'état  qu'ils  ise  proposent  d'em- 
brasser un  jour.  » 

Quant  au  principal  coupable  dans  l'affaire  évoquée 
devant  l'Académie,  un  jeune  homme  du  Haut-Ehin,  nommé 
Binder,  on  lui  signifia  qu'il  ne  serait  pas  admis  à  l'examen 
qui  précédait  l'ordination  et  qu'il  n'obtiendrait  pas  le  certi- 
ficat d'études  et  de  bonnes  mœurs  nécessaire  pour  être  nomme 
à  une  place  de  pasteur. 

Dans  les  premières  années  de  l'Académie,  ces  déborde- 
ments étaient  assez  rares;  plus  tard,  ils  devinrent  plus  fré- 
quents, surtout  quand,  à  la  suite  des  annexions  de  Napoléon, 
les  jeunes  gens  des  provinces  rhénanes,  du  Hanovre,  de  Ham- 
bourg, de  Brème  et  de  Lubeck  se  virent  contraints  de  venir 
étudier  à  Strasbourg.  Beaucoup  d'entre  eux  avaient  déjà  passé 
un  ou  plusieurs  semestres  dans  une  université  allemande  et 
ils  en  rapportaient  des  mœurs  plus  ou  moins  grossières  et 
surtout  l'habitute  de  «beuveries»  sans  fin.  En  même  temps, 
le  nombre  des  élèves  du  Séminaire  augmentait  considérable- 
ment, s'élevant  jusqu'à  160  ou  170,  de  sorte  que  leur  sur- 
veillance devenait  de  plus  en  plus  difficile.  De  graves 
désordres  s'étant  produits  dans  le  courant  de  l'année  1812, 
le  Directoire  se  décida  à  publier  un  «Arrêté  contenant  un 
règlement  de  discipline  pour  les,  élèves  du  Séminaire  de 
Strasbourg.»  ^)  Cet  arrêté,  daté  du  23  miars  1813,  contenait  en 
8  articles  des  prescriptions  qui,  aujourd'hui,  nous  paraissent 
bien  extraordinaires. 

Des  deux  premiers  articles,  l'un  recommandait  aux  élèves, 
de  suivre  avec  assiduité  les  cours  et  les  exercices  du  Sémi- 
naire, l'autre  leur  prescrivait  d'avoir,  pendant  tout  le  temps 
de  leurs  études,  une  conduite  des  plus  régulières.  «  Ils  seront 
attentifs  au  choix  de  leurs  sociétés  et  amis  »,  disait  l'art.  2; 
«ils  s'abstiendront  soigneusement  des  cabarets,  des  bals  et 
des  danses  publiques,  des  cafés  et  rassemblements  de  jeux. 


»)  Rec.  off.  I,  p.  125,  3. 


AKRÊTÉS   DU   DIRECTOIRE   CONCERNANT  LA  DISCIPLINE  83 

et  généralement  de  toutes  les  réunions  tumultueuses,  comme 
étant  indignes  de  futurs  candidats  du  saint  ministère.  »  Leur 
tenue  devait  être  décente  et  «ne  rien  offrir  qui  pût  choquer 
les  usages  reçus».  Pour  qu'on  pût  les  surveiller  de  plus  près, 
les  étudiants  étaient  tenus  de  déclarer  le  logement  qu'ils 
prenaient  en  venant  à  Strasbourg  et  de  faire  une  nouvelle 
déclaration  chaque  fois  qu'ils  en  changeaient.  Ceux  qui  se 
mettraient  en  contravention  avec  ces  articles  seraient,  s'ils 
appartenaient  au  ressort  du  Consistoire  de  Strasbourg,  rayés 
de  la  liste  des  candidats,  et,  s'ils  étaient  d'autres  départe- 
ments, dénoncés  soit  au  président  du  Consistoire,  soit  au 
préfet  de  leur  département  comme  incapables  de  remplir  les 
fonctions  pastorales. 

Lecture  de  cet  arrêté  fut  faite  aux  étudiants  dans  une 
assemblée  générale,  et  le  professeur  Blessig  y  ajouta  de 
sérieuses  recommandations.  Puis,  il  fut  adressé  à  tous  les 
Consistoires  du  ressort  du  Consistoire  général  de  Strasbourg, 
aux  présidents  des  Consistoires  généraux  de  Mayence  et  de 
Cologne,  et  aux  préfets  des  autres  départements  dont  les 
jeunes  gens  venaient  étudier  à  Strasbourg,  afin  de  les  faire 
parvenir  aux  Consistoires  et  aux  églises  protestantes  de  leur 
ressort.  On  en  devait  remettre  un  exemplaire  à  chaque  élève 
lors  de  son  immatriculation  et  lui  faire  promettre  une  stricte 
observation  des  articles  qu'il  contenait. 

Cet  arrêté  concernant  la  discipline  ne  semble  pas  avoir 
produit  les  résultats  qu'on  en  attendait.  On  avait  voulu 
briser  chez  les  étudiants  l'esprit  de  corps,  il  fut  au  contraire 
fortifié.  Les  prescriptions  de  l'art.  2,  trop  sévères,  ne  furent 
guère  observées.  Les  dérèglements  continuèrent  à  régner 
parmi  les  jeunes  théologiens,  et  malgré  les  mesures  les  plus 
sévères,  des  scandales  publics  éclatèrent  à  différentes  reprises. 

Le  Directoire  crut  devoir  publier  un  nouvel  «  Arrêté  con- 
cernant la  discipline  des  élèves  du  Séminaire  protestant». 
Il  y  rappelait  aux  étudiants  que  le  ministère  ecclésiastique 
leur  imposait  le  devoir,  non  seulement  de  se  livrer  avec  une 
application  soutenue  aux  études  et  de  se  distinguer  par  des 
mœurs  irréprochables,  mais  encore  «d'obsei^er  dans  leur 
conduite  entière  la  réserve  particulière  et  la  régularité  exem- 
plaire exigées  par  l'état  qu'ils  embrassent».  Les  9  articles 
du  nouvel  arrêté  reproduisaient  ceux  de  l'ancien,  mais  en 
renchérissant  sur  eux  et  en  entrant  dans  un  détail  qui  en 

6* 


84  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STEASBOUKG 

soulignait  la  rigueur,  notamment  en  ce  qui  concernait  la 
conduite  des  élèves.  L'article  3  était  des  plus  explicites  à 
cet  égard:  «Il  est  sévèrement  défendu  à  tous  les  élèves  du 
Séminaire»,  disait-il,  «de  fréquenter  les  cabarets,  les  bras- 
series, les  cafés,  les  jeux  et  en  général  tous  les  lieux  de 
réjouissances  turalultueuses;  ils  éviteront  soigneusement  de 
donner  lieu  ou  de  prendre  part  à  des  rixes  et  de  faire  éclater, 
même  dans  des  réunions  particulières,  une  gaieté  trop 
bruyante  ou  d'y  chanter  des  chansons  inconvenantes,  et  en 
général  de  causer  par  leur  conduite  un  scandale  quelconque, 
soit  public  soit  particulier.  »  L'article  4  leur  défendait  égale- 
ment «  de  se  réunir,  à  moins  de  circonstances  extraordinaires 
et  sous  la  permission  expresse  du  vice-directeur,  soit  dans 
le  local  des  cours  ou  ailleurs,  en  assemblée  délibérante  ou 
de  former  d'autres  associations  qui  peuvent  donner  lieu  à  des 
abus  et  à  des  désordres  ». 

Dans  l'arrêté  de  1813,  les  élèves  qui  contrevenaient  aux 
dispositions  du  règlement  étaient  tout  simplement  rayés  de 
la  liste  des  candidats  au  saint  ministère,  le  nouvel  arrêté 
graduait  les  peines  d'après  la  gravité  des  cas  ou  la  réitération 
des  fautes.  Il  y  avait  d'abord,  pour  les  manquements  légers, 
les  réprimandes  faites  par  le  vice-directeur  ou  par  les  ins- 
pecteurs des  pensionnats  du  Séminaire,  soit  par  eux  seuls, 
soit  en  la  présence  d'une  commission  nommée  par  les  pro- 
fesseurs; en  second  lieu,  la  suspension  de  l'admission  à 
l'examen  d'ascension  ou  à  celui  de  candidat  en  théologie, 
pendant  six  mois  ou  un  an;  en  troisième  lieu,  l'exclusion  du 
pensionnat  où  l'élève  avait  été  reçu,  et  la  privation  de  la  bourse 
royale  ou  d'autres  bourses  dont  il  avait  joui;  et  enfin  la  radia- 
tion de  la  liste  des  élèves. 

Les  peines  énoncées  sous  les  trois  premières  rubriques 
étaient  prononcées  par  les  assemblées  compétentes,  la  radia- 
tion l'était  par  le  Directoire  sur  la  proposition  des  profes- 
seurs. Elle  devait  être  notifiée  au  préfet  du  département  où 
l'élève  était  domicilié  et  inscrit  sur  la  liste  de  conscription; 
elle  rétait  également  à  l'inspecteur  ecclésiastique  et,  par  lui, 
au  Consistoire  de  l'arrondissement  habité  par  les  parents  de 
l'élève  relégué  et  à  tous  les  inspecteurs  et  consistoires  du 
ressort  du  Consistoire  général  de  Strasbourg. 

La  peine  de  la  radiation  n'était  pourtant  pas  toujours 
appliquée  dans  toute  sa  rigueur.  Il  arriva  plus  d'une   fois 


LA  PEINE   DE  LA  RÉLÉGATION  85 

que  des  étudiants  relégués  furent,  après  quelquie  temps,  ré- 
admis au  nombre  des  élèves  du  Séminaire.  Les  professeurs 
ne  se  montraient  pas  intraitables  quand  le  coupable  mani- 
festait un  sincère  repentir  et  promettait  de  s'amender.  La 
réadmission  d'ailleurs  ne  se  faisait  qu'à  certaines  conditions, 
qui  différaient  d'un  cas  à  l'autre.  En  voici  un  exemple:  Au 
mois  de  janvier  1817,  des  étudiants  réunis  dans  une  brasserie 
avaient  provoqué  des  scènes  tumultueuses.  Ils  furent  cités 
devant  le  conseil  de  discipline,  et  le  principal  coupable,  un 
nommé  Michel,  fut  rayé  de  la  liste  des  candidats  en  théologie. 
Après  quelques  mois,  il  demanda  que  l'arrêté  de  sa  radiation 
fût  rapporté.  Les  professeurs,  après  délibération,  y  consen- 
tirent, mais  aux  conditions  suivantes:  1"  l'étudiant  Michel 
commencera  par  présenter  un  certificat  de  bonne  conduite 
signé  par  son  pasteur  et  se  présentera  à  un  examen  pour 
justifier  de  ses  connaissances;  2°  il  sera  autorisé  à  suivre 
les  cours  du  Séminaire  qu'on  estimera  lui  convenir;  3°  au 
bout  de  six  mois,  il  se  présentera  à  un  nouvel  examen  et 
produira  un  nouveau  certificat  de  bonne  conduite;  4°  au 
bout  d'un  an,  s'il  produit  des  attestations  favorables  de  ses 
professeurs  et  s'il  a  donné  des  preuves  d'une  conduite  irré- 
prochable, l'assemblée  décidera  s'il  y  a  lieu  de  rapporter 
l'arrêt  de  radiation.  Les  attestations  sur  son  application  aux 
études  et  sur  sa  conduite  se  trouvant  être  favorables  à  la  fin 
de  l'année,  le  Séminaire  proposa  au  Directoire  de  lever  la 
peine  prononcée  contre  l'étudiant  Michel,  ce  qui  fut  fait.*) 
Un  autre  cas  qui  se  produisit  dans  cette  même  année  1819 
eut  une  issue  moins  heureuse  pour  les  coupables.  Le  21  jan- 
vier, au  soir,  douze  étudiants  en  théologie  s'étaient  trouvés 
dans  une  brasserie  à  boire  et  à  chanter.  Finalement  ime  rixe 
avait  éclaté  entre  deux  d'entre  eux,  et  entre  un  troisième 
et  un  bourgeois.  On  s'était  livré  à  un  pugilat.  L'affaire  fut 
ébruitée  et  les  douze  furent  cités  devant  le  conseil.  Les 
trois  principaux  coupables  ne  se  présentèrent  pas.  Ils  s'étaient 
hâtés  de  quitter  la  ville.  Contre  eux,  la  relégation  fut  pro- 
noncée sans  plus.  Les  neuf  autres  furent  exclus  pour  la  durée 
d'un  an  de  la  jouissance  «de  tous  les  bienfaits  dont  dispose 
le  Séminaire».  Ils  durent  produire  tous  les  trois  mois  un 
certificat  de  bonnes  mœurs  signé  par  leur  pasteur  et  par 


*)  Procès-verbal  de  la  séance  du  2  oct.  1817. 


86  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE   STKASBOURG 

leur  logeur,  et  leurs  noms  furent  consignés  au  procès-verbal 
des  séances  pour  qu'on  pût  sévir  contre  eux  s'ils  se  rendaient 
coupables  d'une  nouvelle  transgression  des  articles  de  l'arrêté 
disciplinaire.  Le  verdict  qui  les  frappait  fut  affiché  dans  la 
salle  des  cours  et  communiqué  aux  coupables  par  le  vice- 
directeur  en  présence  des  membres  du  conseil  de  discipline. 
Et  bientôt  deux  d'entre  eux  connurent  que  la  sévérité  n'était 
pas  une  vaine  menace.  Car,  ayant  causé,  un  dimanche,  dans 
un  village  des  environs,  par  leur  conduite,  un  scandale  public, 
ils  furent  rayés  sur  le  champ  de  la  liste  des  étudiants  en  théo- 
logie. Et  trois  des  relégués  ayant  demandé  leur  réadmission 
parmi  les  élèves  du  Séminaire,  l'assemblée  des  professeurs 
passa  sur  leur  pétition  à  l'ordre  du  jour. 

Aux  transgressions  des  articles  3  et  4  qui  défendaient 
aux  étudiants  la  fréquentation  des  cabarets,  des  brasseries, 
des  cafés  et  autres  locaux  de  ce  genre,  venaient  s'ajouter  les 
transgressions  non  moins  nombreuses  du  premier  article  qui 
prescrivait  la  fréquentation  régulière  et  ininterrompue  des 
leçons  et  exercices  du  Séminaire.  Il  arrivait,  en  e:ffet,  que  des 
étudiants  négligeaient  pendant  des  semaines  ou  même  pen- 
dant des  mois  de  suivre  les  cours,  et  ni  les  exhortations  ni  les 
remontrances  ne  parvenant  à  changer  cet  état  \de  choses, 
l'assemblée  des  professeurs  décida  que  les  élèves  qui  négli- 
geraient les  cours  durant  trois  mois  seraient  considérés  comme 
ayant  renoncé  à  la  théologie  et  rayés  de  la  liste  des  élèves 
du  Séminaire. 


CHAPITRE  VI 

Le  Séminaire  corps  administratif 

Le  Cha,pitxe    —  La  fondation  de  Saint-Thomas  —  Le  Gymnase  —  Le  Collègre 
de  Saint-Guillaume  —  La  Bibliothèque  —  Les  Bourses 


L'Académie  protestante,  plus  tard  Séminaire  protestant, 
n'était  pas  seulement  un  corps  enseignant,  elle  était  un  corps 
d'administrateurs.  Elle  gérait  les  biens  de  la  Fondation  de 
Saint-Thomas  et,  en  général,  de  toutes  les  fondations  qui 
avaient  appartenu  à  l'ancienne  Université  et  que  le  décret  du 
30  floréal  an  XI  avait  affectées  à  la  nouvelle  institution. 

Elle  ne  faisait,  en  cela,  que  continuer  les  anciens  erre- 
ments. La  gestion  des  biens  de  Saint-Thomas  avait  toujours 
été  confiée  au  chapitre  de  cette  église,  et  avait  été  exercée  par 
lui  dans  toute  son  étendue  et  en  toute  indépendance.  L'évêque 
lui-même  n'avait  rien  à  y  voir  ni  à  y  dire.  Plus  tard,  cette 
autonomie  fut  quelque  peu  limitée  en  vertu  du  jus  circa  sacra. 
Le  magistrat  eut  le  pouvoir  de  contrôler  l'administration  du 
chapitre,  mais  celui-ci,  bien  que  soimiis  à  cette  haute  sur- 
veillance, garda  l'administration  en  mains. 

Dans  ses  séances  ordinaires,  le  chapitre  débattait  les 
questions  administratives  et  prenait  des  arrêtés  qu'il  ne 
soumettait  à  aucune  sanction  étrangère.  Le  doyen  passait  les 
contrats  de  vente  et  d'adjudication  et  signait,  en  général, 
toutes  les  conventions  au  nom  du  chapitre.  Une  commission 
nommée  ad  hoc  examinait  les  comptes  du  receveur  et  pré- 
sentait, dans  une  séance  extraordinaire  (capitulum  eœtra- 
ordinarium)  à  laquelle  assistaient  le  chancelier  de  l'Université 
et  deux  scolarques,  un  rapport  financier  qui  était  approuvé 


88  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOUKG 

par  rassemblée  et  signé  par  le  prévôt  avec  la  remarque  que 
rapprobation  avait  été  donnée  «en  présence  des  patrons  de 
Tœuvre  ». 

En  1762,  une  commission  composée  du  préteur  royal,  du 
chancelier  de  TUni  ver  site,  de  deux  scolarques  et  de  deux 
professeurs,  élabora  un  règlement  d'administration  dans  le 
but  de  réduire  les  dépenses  de  la  fondation  et  de  diminuer 
le  poids  des  charges  dont  elle  était  grevée.  Le  chapitre 
accepta  ce  règlement  qui  se  tenait  absolument  dans  les  limites 
du  droit  qui  revenait  au  magistrat  et  laissait  au  chapitre 
toute  latitude  dans  son  administration. 

Jusqu'à  la  Révolution,  le  chapitre  avait  compté  seize 
membres,  treize  professeurs  de  l'Université  appartenant  aux 
différentes  Facultés  et  les  trois  pasteurs  de  Saint-Thomias, 
de  Saint-Nicolas  et  de  Sainte-Aurélie.  A  leur  tête  se  trou- 
vaient le  prévôt,  qui  avait  la  haute  surveillance  sur  toutes 
les  parties  de  l'administration,  le  doyen  qui  était  chargé  du 
soin  des  affaires  courantes,  et  l'ancien,  le  senior,  auquel  son 
âge  assurait  une  place  d'honneur  dans  les  assemblées  et  qui 
prenait  la  parole  dans  les  occasions  solennelles  telles  que  la 
réception  d'un  nouveau  membre.  Tous  les  trois  touchaient, 
à  côté  de  leur  prébende,  un  supplément  de  traitement  en 
argent  ou  en  nature.  Dans  les  séances  du  chapitre,  ils  occu- 
paient les  places  d'honneur. 

Une  commission  des  finances  (deputatio  oeconomica) 
s'occupait  des  questions  financières,  avant  tout  des  contrats 
de  vente  et  d'adjudication;  elle  faisait  un  rapport  au  cha- 
pitre sur  les  différents  cas  et  lui  soumettait  des  propositions. 

La  fortune  de  la  fondation  ayant  été  affectée  à  l'Aca- 
démie protestante,  l'administration  en  fut  confiée  aux 
membres  de  l'Académie  avec  la  remarque  expresse,  qu'étant 
bonne,  elle  devait  être  conservée  dans  l'état  où  elle  était 
alors.  Seul,  le  droit  de  haute  surveillance  exercé  jusque-là 
par  le  magistrat  passa  au  Directoire  de  l'Eglise  de  la  Con- 
fession d'Augsbourg.  Le  président  du  Consistoire  général 
devint  directeur  de  l'Académie;  les  charges  ^e  prévôt,  de 
doyen  et  d'ancien  furent  maintenues,  mais,  en  partie,  sous 
un  autre  nom:  le  prévôt  fut  appelé  président  de  l'adminis- 
tration et,  plus  tard,  vice-directeur.  Tous  trois  continuèrent 
à  toucher  un  préciput  en  argent  ou  en  nature:  le  prévôt,  791 
et,  plus  tard,  800  francs,  le  doyen,  16  rézeaux  de  froment, 


LE   CHAPITKE   DE   SAINT-THOMAS  89 

2  rézeaux  et  3  boisseaux  d 'orge  et  44  francs,  l 'ancien,  200  francs, 
Dans  les  séances,  le  prévôt  était  placé  à  gauche  du  président, 
le  doyen  à  sa  droite  et  l'ancien  à  gauche  du  prévôt.  On 
maintint  également  la  députation  économique  sous  le  nom  de 
comité  économique.  Le  nombre  des  membres  du  chapitre  fut 
réduit  à  14,  il  comprenait  le  président  du  Consistoire  général, 
les  dix  professeurs  de  l'Académie  et  les  premiers  pasteurs 
de  Saint-Thomas,  Saint-Nicolas  et  Sainte- Aurélie. 

Cependant  les  professeurs  de  l'Académie  et  les  pasteurs 
de  Saint-Nicolas  et  de  Sainte- Aurélie  ne  devenaient  m!embres 
du  chapitre  que  par  élection.  Quand,  par  la  mort  d'un  pro- 
fesseur, il  se  produisait  une  vacance  dans  le  corps  enseignant 
et  en  même  temps  parmi  les  administrateurs,  on  nommait 
d'abord  le  professeur  à  la  chaire  devenue  vacante  et  puis 
on  l'appelait  par  élection  dans  l'administration. 

Il  en  était  de  même  des  pasteurs  de  Saint-Nicolas  et 
de  Sainte-Aurélie.  Ils  n'étaient  élus  membres  du  chapitre 
qu'après  leur  installation  de  pasteur  et  à  la  requête  du 
Consistoire  auquel  ils  appartenaient.  Pour  Saint-Nicolas,  la 
demande  était  présentée  par  deux  membres  du  conseil  de 
cette  église,  qui  se  rendaient  en  cérémonie  à  la  séance  des 
administrateurs  de  Saint-Thomas;  pour  Sainte-Aurélie,  elle 
se  faisait  par  une  pétition  du  Consistoire.  Le  chapitre  pro- 
cédait alors  à  une  élection  qui,  d 'ailleurs,  était  de  pure  forme. 
Pour  le  pasteur  de  Saint-Thomas,  les  choses  se  passaient 
différemment.  Il  était  de  droit  administrateur  de  la  fon- 
dation. Il  en  était  de  même  du  président  du  Consistoire  général, 
directeur  né  de  l'Académie.  Plus  tard,  à  partir  de  1843,  les 
trois  pasteurs,  tout  en  restant  membres  du  chapitre,  ne  furent 
plus  admis  à  concourir  aux  délibérations  relatives  aux  biens 
des  fondations,  «le  Séminaire  étant  seul  propriétaire  et 
administrateur  des  biens  des  dites  fondations.  » 

Jusqu'en  1789,  la  réception  d'un  membre  du  Chapitre 
avait  été  un  acte  solennel  dont  les  formalités  étaient  stricte- 
ment réglées.  A  l'investiture  du  nouvel  élu  devaient  assister 
le  chancelier  de  l'Université,  les  scolarques,  les  délégués  du 
conseil  de  l'église  du  récipiendaire,  les  chanoines,  le  pasteur, 
les  diacres  et  les  vicaires  de  Saint-Thomas,  un  notaire  et 
deux  témoins,  le  régent  de  l'école  de  Saint-Thomas  et  le 
secrétaire  de  la  fondation.  L'acte  de  l'inyestiture  était  réglé 
dans  tous  ses  détails:    l'ordre    dans    tequel    les    assistants 


90  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STEASBOUKG 

devaient  être  placés,  l'allocution  par  laquelle  le  doyen  ouvri- 
rait la  réunion,  Fintroduction  du  récipiendaire,  les  prières 
prononcées  par  le  pasteur  officiant,  Texamen  que  devait 
passer  le  récipiendaire,  le  serment  qu'il  devait  prêter  sur 
l'Evangile  selon  Saint  Jean,  sa  déclaration  d'adhésion  à  la 
Formule  de  Concorde,  sa  proclamation  comine  chanoine  avec 
indication  de  la  prébende  qui  lui  revenait,  son  installation  au 
chœur  de  l'église  Saint-Thomas,  les  vœux  et  félicitations  de 
ses  collègues  —  tout,  dans  ce  cérémonial  long  et  compliqué, 
était  prévu,  invariablement  fixé  et  strictement  observé. 

Le  dernier  chanoine  qui  fut  introduit  avec  ce  cérémonial, 
le  11  septembre  1789,  était  le  professeur  d'anatomie,  Thomas 
Lauth,  Après  lui,  sous  la  pression  des  événements  politiques, 
on  laissa  tomber  peu  à  peu  ces  vieilles  formalités.  L'année 
suivante  déjà,  quand  le  pasteur  Schweickart  de  Saint-Nicolas 
fut  reçu  au  chapitre,  le  doyen  annonça  que  le  magistrat  était 
d'avis  que  sa  réception  se  fît  le  plus  simplement  possible, 
sans  les  cérémonies  usuelles  et  sans  la  présence  des  délégués 
du  magistrat. 

Le  chapitre  décida  alors  qu'on  renoncerait  à  l'examen 
du  récipiendaire  et  qu'on  réduirait  le  serment  qu'il  était  appelé 
à  prêter  jusque-là  à  la  simple  promesse  qu'il  observerait  à 
l'égard  du  chapitre  la  fidélité  et  la  piété,  qu'il  remplirait 
tous  ses  devoirs,  qu'il  servirait  la  religion,  qu'il  ferait  con- 
sciencieusem/ent  sa  charge  et  se  soumettrait  à  toutes  les  déci- 
sions du  chapitre.  Lorsque,  le  1«^  septembre  1792,  le  profes- 
seur de  médecine  Jean- Jacques  Spielmann  fut  reçu  au  cha- 
pitre, le  doyen  prévint  encore  l'assemblée  que  la  réception 
du  nouveau  membre  aurait  lieu  sans  les  cérémonies  accou- 
tumées. On  éviterait  surtout  d'en  dresser  et  d'en  publier  un 
acte  officiel,  notarié.  On  conserva  pourtant  le  serment  prêté 
par  le  récipiendaire  sur  l'Evangile  selon  Saint  Jean  et  sa 
déclaration  d'adhésion  à  la  Formule  de  Concorde,  mais  on 
supprima  son  installation  dans  le  chœur  de  Saint-Thomas. 

Le  mouvement  révolutionnaire  s'accentuant,  on  laissa 
tomber  les  autres  formalités.  Les  procès-verbaux  de  l'inves- 
titure de  Blessig  et  de  Haffner,  en  1794,  disent  simplement 
que  les  nouveaux  élus  prirent  place  parmi  les  administrateurs 
et  que  le  vice-président  leur  annonça  qu'à  l'avenir  ils  pren- 
draient part  aux  délibérations  de  l'assemblée  et  qu'ils  joui- 
raient des  avantages  du  canonicat.  Quant  à  la  réception  du 


INSTALLATION  DES   MEMBRES  DU   CHAPITRE  91 

juriste  Ehrmann,  le  4  novembre  1801,  la  dernière  qui  eut 
lieu  avant  rétablissement  de  l'Académie  protestante,  le 
registre  des  délibérations  contient  cette  simple  remarque: 
«Le  Cen  Ehrmann,  professeur,  invité  à  se  présenter  à 
rassemblée,  s'y  est  prêté  et  a  pris  place  parmi  les  admi- 
nistrateurs. » 

Quand  le  nouvel  état  de  choses  entra  en  vigueur,  nul 
ne  songea  à  rétablir  des  usages  tombés  en  désuétude,  ni  à 
les  remplacer  par  d'autres.  Les  professeurs  de  l'Académie 
protestante  avaient  d'ailleurs  tous  été  membres  de  l'ancien 
chapitre,  il  n'y  avait  donc  pas  lieu  de  procéder  une  seconde 
fois  à  leur  installation.  Et  lorsque  de  nouvelles  nominations 
eurent  lieu,  on  ne  songea  pas  davantage  à  introduire  les  élus 
avec  l'ancien  ni  avec  un  nouveau  cérémonial. 

Ce  n'est  qu'en  1817,  à  l'occasion  de  la  réception  du  pasteur 
Zabern  de  Saint-Nicolas  et  du  professeur  Redslob,  que  le 
président  fit  remarquer  qu'il  serait  désirable  de  remettre  en 
vigueur  au  moins  une  partie  du  vieux  cérémonial.  Tout 
nouveau  membre  du  Séminaire  devait  promettre  une  inébran- 
lable fidélité  à  l'Eglise  de  la  Confession  d'Augsbourg  et  une 
participation  consciencieuse  à  tout  ce  qui  pourrait  faire  pros- 
pérer nos  églises  et  nos  écoles,  et  s'engager  à  travailler  de 
toutes  ses  forces  à  conserver  et  à  augmenter  la  fondation. 
Le  nouvel  élu  devait  aussi  inscrire  son  nom  dans  le  registre 
qui  contenait  les  noms  de  tous  les  membres  du  chapitre  depuis 
l'année  1634,  pour  confirmer  par  là  ses  engagements  envers 
la  fondation  et  transmettre  à  la  postérité  la  suite  des  membres 
du  chapitre  de  Saint-Thomas.  Cette  motion  fut  adoptée  et  la 
réception  des  nouveaux  membres  se  fit  selon  le  mode  proposé 
par  le  président. 

En  1825,  à  l'occasion  de  la  réception  du  pasteur  Schuler 
de  Saint-Nicolas,  on  discuta  une  fois  de  plus  la  procédure 
à  suivre  dans  l'investiture  des  chanoines  et  on  décida  que, 
conformément  à  l'ancien  usage,  l'ancien  dirait  au  récipien- 
daire ses  devoirs  et  l'instruirait  de  ses  droits. 

C'est  le  mode  qu'on  suivit  dès  lors,  comme  on  le  voit 
par  les  procès-verbaux  du  chapitre  et  surtout  par  le  rapport 
détaillé  de  la  réception  d'Edouard  Reuss.  Il  avait  été  nommé 
professeur  le  27  juillet  1836;  quinze  jours  après,  le  11  août, 
il  fut  élu  comme  «administrateur  ordinaire»  de  la  fondation 
et  reçu  au  chapitre. 


92  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOUKG 

«Après  rélection»,  dit  le  rapport,  «le  nouveau  chanoine 
fut  introduit  dans  la  salle  des  séanœs.  Le  professeur  Bruch, 
en  sa  qualité  d'ancien,  lui  représenta  les  devoirs  qu'il  aurait 
à  remplir,  à  savoir  soutenir  les  intérêts  de  l'Eglise  de  la 
Confession  d'Augsbourg  et  des  écoles  publiques  protestantes, 
se  soumettre  aux  décisions  de  l'administration,  exécuter  avec 
soin  les  travaux  qui  lui  seraient  confiés  et  user  de  discrétion 
à  l'égard  des  arrêtés  de  l'assemblée.  Le  doyen  énuméra  en- 
suite les  émoluments  auxquels  sa  nomination  lui  donnait 
droit,  et  le  professeur  Eeuss  promit  entre  les  mains  du  pré- 
sident de  l'administration,  du  doyen  et  de  l'ancien,  de  remplir 
fidèlement  les  devoirs  qui  lui  avaient  été  représentés;  après 
quoi,  un  siège  lui  fut  assigné  au  sein  de  l'assemblée.»') 

Quelques  années  plus  tard,  l'acte  de  réception  fut  simpli- 
fié: lorsque,  en  1841,  Stahl  et  Kreiss  furent  reçus  au  chapitre, 
le  secrétaire,  le  professeur  Fritz,  adressa  à  l'un  et  à  l'autre 
l'allocution  habituelle,  et  ils  promirent  d'observer  fidèlement 
les  statuts  de  l'administration.  Finalement,  on  renonça  même 
à  cette  dernière  formalité,  et  le  vice-président  se  borna  à 
adresser  quelques  paroles  de  bienvenue  au  nouveau  chanoine. 

II 

Comme  administration,  l'Académie  protestante,  plus  tard 
le  Séminaire,  dut  étendre  son  activité  sur  toutes  les  fon- 
dations et  institutions  que  l'article  2  du  décret  du  30  floréal 
an  XI  lui  avait  affectées.  Elle  avait,  avant  tout,  à  maintenir 
ses  droits  à  l'organisation  et  à  la  direction  matérielle  et  morale 
de  ces  institutions  et  fondations,  et  puis,  à  soutenir  les  intérêts 
de  chacune  d'elles,  à  assurer  leur  prospérité,  à  reconstituer 
leur  fortune,  à  les  défendre  contre  des  attaques  éventuelles, 
à  veiller,  enfin,  à  ce  que  leurs  revenus  fussent  employés  con- 
formément aux  stipulations  primitives.  Son  activité  s'exerçait 
donc  surtout  sur  le  terrain  financier,  et  la  fondation  de  Saint- 
Thomas,  la  plus  importante  de  toutes,  ainsi  que  celle  de  la 
Haute-Ecole,  lui  donnaient  fort  à  faire  sous  ce  rapport. 

La  fondation  de  Saint- Thomas  s'était  trouvée,  avant  la 
Révolution,  dans  une  situation  prospère.  Elle  avait  amassé 
de  nombreux  capitaux  et  disposait  de  revenus  considérables. 


^)  Procès-verbal  de  la  séance  du  11  août  1836. 


LA  FONDATION  DE   SAINT-THOMAS  93 

Mais,  pendant  la  Révolution,  elle  avait  subi  de  grandes  î>ertes. 
Une  lettre  adressée  par  l'administration  de  la  fondation  au 
Directoire,  qui  lui  demandait,  en  1808,  de  contribuer  aux 
dépenses  de  Tautorité  suprême  de  TEglise  de  la  Confession 
d'Augsbourg,  donne  un  aperçu  exact  de  la  situation  finan- 
cière du  chapitre  à  ce  moment.  «Elle  (cette  situation)  est 
loin»,  dit  la  lettre,  «de  ce  qu'elle  a  été  avant  la  révolution. 
La  suppression  de  la  dîme  seule  lui  a  causé  une  perte 
annuelle  en  froment  de  1182  rézeaux;  en  seigle,  de  156  rézeaux, 
4  boisseaux;  en  orge,  de  46  rézeaux,  4  boisseaux,  et  en  argent 
de  302  livres;  et  la  loi  qui  a  déclaré  nationales  les  dettes 
des  communes  Fa  obligé  d'envoyer  à  la  liquidation  les  créances 
suivantes:  7474  livres  en  rentes  constituées;  11364  livres  sur 
la  caisse  de  la  commune;  5000  livres  sur  la  tribu  des  cordon- 
niers; 2300  livres  sur  la  ville  de  Sélestat,  ensemble 
106  777  livres,  à  laquelle  somme  il  faut  ajouter  celle  de 
60  000  livres  qu'on  a  placées  en  emprunt  volontaire  en  rem- 
placement de  capitaux  rentrés  en  assignats.  De  sorte  que  les 
revenus  annuels  de  la  fondation  ayant  été  diminués  de  près 
de  30  000  livres,  ils  ne  suffisent  plus  à  payer  en  entier  ce 
qui  est  dû  aux  administrateurs  pour  les  bimestres  et  que 
chacun  d'eux  a  un  arrière  de  1400  livres  à  prétendre,  ainsi 
que  toute  augmentation  de  dépense  est  une  véritable  impo- 
sition sur  les  administrateurs.  »  *) 

L'Académie  avait  compté  sur  la  liquidation  des  ci'éances 
de  la  fondation.  Son  attente  fut  déçue.  Dans  sa  séance  du 
23  août  1808,  le  professeur  Koch  annonça  que  les  démarches 
faites  dans  ce  sens  auprès  du  >ninistre  des  Cultes  et  du 
liquidateur  général  n'avaient  pas  abouti,  l'empereur  ayant, 
sur  un  rapport  de  ce  dernier,  refusé  la  liquidation. 

Plus  tard  encore,  en  1812,  le  Séminaire,  répondant  à  une 
pétition  des  préposés  de  l'église  Saint-Thomas,  qui  deman- 
daient un  supplément  de  traitement  pour  les  deux  diacres 
de  cette  église,  disait:  «La  fondation  de  Saint-Thomas  aïant 
perdu  par  la  révolution  au  delà  de  la  moitié  de  ses  fonds 
et  revenus,  et  la  moitié  qui  lui  reste  étant  partagée,  en  vertu 
d'anciennes  conventions  qu'il  importe  de  respecter,  entre 
l'Eglise  et  l'instruction  du  Séminaire,  l'administration  se 
trouve  dans  l'impuissance  de  s'imposer  de  nouvelles  charges. 


')  Séance  du  19  oct.  1807.    Procès-Verbaux  I,  p.  430. 


94  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STEASBOURG 

attendu  qu'elle  suffit  à  peine  à  toutes  celles  dont  elle  est  déjà 
grevée.  »  ^) 

A  ces  pertes  si  considérables  venaient  s'en  ajouter 
d'autres  provenant  de  rentes  tombées  en  non  valeur,  de  rede- 
vances contestées  d'extances  impossibles  à  recouvrer.  Le 
Séminaire  réussit  pourtant,  grâce  à  une  sage  administration, 
à  unei  rigoureuse  économie  et  au  désintéressement  de  ses 
membres,  à  reconstituer,  après  quarante  ans,  la  fortune  de 
la  fondation  telle  qu  'elle  avait  été  avant  la  Révolution.  *) 

A  partir  de  l'établissement  du  nouvel  ordre  de  choses, 
le  chapitre  songea  surtout  à  augmenter  la  propriété  rurale 
de  la  fondation.  Il  y  était  tenu  par  les  règlements.  Les  prin- 
cipales recettes  dont  il  disposait  en  ce  moment,  provenaient 
du  rachat  de  rentes  foncières.  Or,  d'après  les  règlements  en 
vigueur,  ces  rentrées  ne  pouvaient  être  placées  qu'en  bien- 
fonds.  Aussi,  lorsqu'en  1812  le  rachat  de  rentes  eut  fait 
rentrer  dans  sa  caisse  des  sommes  considérables,  le  chapitre 
n'hésita- t-il  pas  à  dépenser  jusqu'à  59  700  frs  pour  l'acqui- 
sition de  terres,  champs  et  prés,  dans  les  banlieues  de  Hoch- 
felden,  de  Lochwiller,  de  Haguenau,  d'Obermodern  et  de 
Kirwiller.  Par  contre,  il  se  vit  contraint,  pour  faire  face  à 
des  dépenses  urgentes,  d'aliéner  l'un  ou  l'autre  des  immeubles 
que  la  fondation  possédait  à  Strasbourg.  Dans  la  séance  du 
7  décembre  1807,  on  décida  que,  pour  couvrir  les  dépenses 
occasionnées  par  les  réparations  à  faire  dans  différentes 
maisons  appartenant  à  la  fondation,  on  vendrait  deux  mai- 
sons, l'une  sise  sur  la  place  Kléber  et  l'autre  au  coin  de  la 
rue  de  l'Outre;  une  troisième,  sise  place  Saint-Thomas  et 
devenue  de  nos  jours  le  siège  de  l'imprimerie  alsacienne,  fut 
vendue  en  1825,  au  prix  de  27000  francs. 

Le  Séminaire  était  chargé  de  l'administration  d'autres 
fondations,  de  celles  de  la  Haute-Ecole,  du  Corps  des  Pensions, 
de  Saint-Guillaume  et  de  la  bourse  Maurice.  Par  arrêté  du 
Directoire  du  10  septembre  1811,  les  recettes  de  ces  fonda- 
tions furent  réunies  avec  celles  de  la  fondation  de  Saint- 
Thomas,  mais  chacune  avait  un  compte  séparé. 

Ces  fondations,  celles  de  la  Haute-Ecole  et  du  Corps  des 
Pensions  surtout,  étaient  financièrement  dans  une  situation 


*)  Séance  du  5  mars  1812.  I,  457. 

')  Rapport  du  président  de  Tiirckheim.  Séance  du  9  mars  1843. 


LA   HAUTE-ÉCOLE   ET  LE   COKPS   DES  PENSIONS  95 

difficile.  La  Haute-Ecole,  par  suite  de  pertes  de  capitaux  et 
de  rentes  subies  pendant  la  période  révolutionnaire,  et  des 
dépenses  croissantes  qu'occasionnait  la  réorganisation  de 
renseignement  au  Gymnase,  avait  un  déficit  annuel  de  4000  fr., 
et  dut  finalement  être  déchargée  d'une  îmrtie  de  ses  obliga- 
tions. La  fondation  de  Saint-Thomas  prit  à  sa  charge  le 
traitement  du  bibliothécaire,  celui  des  bedeaux  et  du  portier 
du  Gymnase,  et  le  Corps  des  Pensions,  une  partie  des  traite- 
ments des  professeurs  du  Gymnase.  Mais,  pour  suffire  à  ces 
nouvelles  obligations,  le  Corps  des  Pensions  dut  se  résoudre 
à  vendre  deux  maisons  qu'il  possédait  en  ville.  Tune  dans  la 
rue  des  Chandelles  et  l'autre  dans  la  rue  Sainte-Elisabeth. 

La  première  fut  vendue,  le  25  septembre  1813,  pour 
6000  francs,  et  l'autre,  le  11  janvier  1816,  au  prix  de  8000 frs. 

Les  deux  fondations  de  la  H}aute-Ecole  et  du  Corps  des 
Pensions  fusionnèrent  plus  tard  et  parvinrent  à  reconstituer 
leur  fortune.  Elles  se  trouvèrent  finalement  en  possession 
d'un  capital  de  148.700  frs.  Cette  fortune,  considérable  pour 
l'époque,  fut  entièrement  absorbée  par  la  reconstruction  des 
bâtiments  du  Gymnase,  après  l'incendie  de  1860. 

La  partie  financière  de  l'administration  des  fondations 
protestantes  présentait  donc,  dans  les  commencements  sur- 
tout, de  sérieuses  difficultés.  Heureusement  qu'il  y  eut  au  sein 
de  l'Académie  et  du  Séminaire  des  hommes  de  loi  et  des 
hommes  d'affaires  qui,  sous  ce  rapport,  rendirent  de  grands 
services:  d'abord,  le  professeur  Braun  et  le  président  Kern, 
puis,  les  deux  présidents  de  Tiirckheim.  Les  difficultés  du 
commencement  disparurent  pourtant  dans  la  suite;  l'admi- 
nistration très  compliquée  au  début  fut  simplifiée  et,  par 
conséquent,  facilitée. 


III 

Parmi  les  institutions  affectées  à  l'Académie  protestante 
par  les  articles  organiques,  le  Gymnase  tenait  la  première 
place.  Le  Séminaire  avait  vis-à-vis  de  cet  établissement  des 
obligations  à  la  fois  morales  et  matérielles.  Il  avait  à  décider 
de  toutes  les  affaires  de  l'école,  à  faire  au  Directoire  des  pro- 
positions relatives  à  l'organisation  et  au  plan  d'études,  à  la 
méthode  de  l'enseignement  et  à  l'introduction  des  livres  de 
classe,  à  la  nomination  et  au  traitement  des  professeurs.     Il 


96  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE   DE   STRASBOURG 

avait,  conjointement  avec  le  Directoire,  à  veiller  à  l'autonomie 
et  à  rindépendance  et,  en  même  temps,  au  caractère  protestant 
de  la  vieille  école  de  Sturm,  et  à  s  ^opposer,  à  résister  même 
aux  tentatives  constamment  renouvelées  de  placer  le  Gymnase 
sous  la  surveillance  et  la  direction  de  PEtat. 

Ces  tentatives  s'étaient  produites  dès  les  premières 
années  du  nouveau  régime.  En  1807  déjà,  le  préfet  du  Bas- 
Ehin,  M.  Shée,  avait  chargé  im  professeur  du  lycée,  M.  Hess, 
d'inspecter  les  classes  du  Gymnase.  Le  Directoire  avait  pro- 
testé contre  cette  ingérence  injustifiée.  Ce  fut  en  vain:  M. 
Hess,  «par  ordre  exprès  et  répété»  du  préfet,  avait  dû  pro- 
céder à  l'inspection.  Un  peu  plus  tard,  en  1810,  le  grand 
maître  de  l'Université  avait  déclaré  que  «le  collège  protestant 
dit  Gymnase  était  subordonné  à  l'Université  impériale  ainsi 
que  toutes  les  autres  écoles  protestantes  ». 

Quand,  après  le  retour  des  Bourbons,  on  procéda  à  la 
réorganisation  de  l'instruction  publique,  le  Séminaire,  con- 
sidérant «les  rapports  dans  lesquels  pourraient  venir  le  Sé- 
minaire et  surtout  le  Gymnase  avec  l'Université  et  le  collège 
royal»,  crut  devoir  demander  au  Gouvernement  pour  les 
protestants  de  l'Alsace  «l'indépendance  de  leur  instruction 
dans  son  ensemble  et  dans  toutes  ses  branches,  comme  ils  la 
tenaient  avant  la  révolution  ».  ^)  Il  fit  valoir  à  l'appui  de  sa 
requête  que  la  liberté  de  l'instruction  est  intimement  liée  à 
la  liberté  du  culte  assurée  aux  protestants  par  la  charte  cons- 
titutionnelle, que  le  Gymnase  avait  toujours  existé  à  côté  du 
collège,  de  l'école  centrale  et  du  lycée,  que  la  population  était 
assez  considérable  pour  remplir  deux  écoles  et  que  le  Gymnase 
avait  toujours  eu  la  double  destination  «de  servir  de  pré- 
paration à  ceux  qui  se  vouent  aux  fonctions  ecclésiastiques  et  en 
même  temps  de  répandre  dans  toutes  les  classes  de  citoyens  les 
principes  de  morale  et  de  religion  ensemble  avec  les  lumières 
nécessaires  au  citoyen  et  au  magistrat,  conformément  à  l'esprit 
de  notre  confession».  Le  président  et  le  secrétaire  furent 
chargés  de  soumettre  ces  vœux  au  Directoire,  pour  qu'il  les 
présentât  en  temps  utile  aux  autorités  compétentes  «pour 
assurer  à  nos  descendants  les  droits  précieux  d'une  instruction 
complète  dans  l'esprit  du  protestantisme». 

L'année  d'après,  le  recteur  de  l'Académie  ayant  voulu 


*)  Séance  du  6  mars  1815.  II,  p.  145. 


3 


LE  GYMNASE  PROTESTANT  97 

appliquer  au  Gymnase  Farrêté  d'après  lequel  les  élèves  des 
institutions  établies  dans  les  villes  oii  se  trouvait  un  collège 
royal,  devaient  y  être  conduits  lorsqu'ils  auraient  dix  ans, 
le  Séminaire  proposa  au  Directoire  «de  faire  sentir  à  M.  le 
Recteur,  et  au  besoin  aux  autorités  supérieures,  que  le  gym- 
nase, formant  une  partie  essentielle  et  indispensable  de  l'ins- 
truction tant  religieuse  que  civile  de  la  population  protestante 
de  cette  ville,  à  laquelle  la  liberté  des  consciences,  du  culte  et 
de  l'instruction  est  formellement  garantie  par  les  traités  de 
paix  et  par  la  capitulation,  et  ces  établissements  ayant  sub- 
sisté, en  vertu  de  ces  traités,  sans  entraves,  à  côté  du  collège 
royal,  avant  la  révolution,  doit  être  maintenu  dans  ime  par- 
faite liberté,  sans  que  l'on  puisse  lui  appliquer  des  mesures 
ordonnées  relativement  à  des  écoles  ou  institutions  d'une  na- 
ture tout  à  fait  différente.  »') 

Quelques  mois  plus  tard,  le  Séminaire  adressait,  par 
l'entremise  de  M.  Kern,  député  du  Bas-Rhin,  un  mémoire  à 
la  Chambre  et  au  ministre,  «afin  d'obtenir  la  confirmation 
de  nos  Institutions  et  de  nos  Fondations  indépendantes  de 
tout  autre  corps  d'enseignement  qui  pourrait  être  établi  et 
adapté  aux  besoins  d'un  autre  culte»*),  et  le  30  octobre  1817, 
une  lettre  du  conseiller  d'Etat  de  Gérando  exprimait  l'espoir 
que  la  loi  sur  l'instruction  publique  donnerait  satisfaction 
aux  vœux  exprimés  dans  ce  mémoire. 

Cependant  ime  ordonnance  royale  du  26  octobre  1828 
rangeait  «  le  petit  Séminaire  protestant  de  Strasbourg  »,  c'est- 
à-dire  le  Gymnase,  dans  la  catégorie  des  collèges  mixtes  et 
soumettait  cet  établissement  à  la  surveillance  et  à  l'inspection 
de  l'Université.  L'année  d'après,  le  baron  Cuvier,  grand  maître 
de  l'Université,  réclamait  pour  le  recteur  de  l'Académie  le 
droit  de  présider  la  distribution  solennelle  des  prix  du  Gym- 
nase, et  le  recteur  se  plaignait  de  ce  que  le  programme  des 
leçons  de  cet  établissement  n'eût  pas  été  somnis  à  son  appro- 
bation. 

Le  Directoire,  jaloux  de  maintenir  son  droit  et  celui  du 
Séminaire  vis-à-vis  des  prétentions  croissantes  de  l'autorité 
universitaire,  résolut  alors  d'envoyer  un  des  professeurs  à 
Paris  pour  exposer  la  question  au  ministre  de  l'instruction 


')  Séance  du  7  nov.  1816.  II,  158.  159. 
')  Séance  du  4  août  1817.  II,  164. 


98  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

publique.  Il  chargea  Bruch  de  cette  mission,  et  le  ministre 
reconnut,  paraît-il,  les  droits  du  Gymnase. 

Le  Séminaire,  tout  en  maintenant  le  caractère  traditionnel 
de  la  vieille  école,  tenait  compte  des  exigences  modernes:  il 
créait  de  nouvelles  classes,  introduisait  de  nouvelles  méthodes 
d'enseignement,  nommait  des  régents  jeunes  et  capables. 

Les  rapports  entre  le  Séminaire  et  le  Gymnase  étaient 
d'autant  plus  étroits  que,  dès  le  début,  le  directeur  de  l'école 
avait  été  choisi  parmi  les  professeurs  de  l'Académie.  Il  en 
fut  ainsi,  sauf  une  courte  interruption  qui  dura  du  mois 
d'avril  1808  au  mois  de  juillet  1809,  jusqu'en  1869,  où  la 
direction  du  Gymnase  fut  confiée  aux  mains  du  directeur  de 
l'internat,  qui  était  en  même  temps  sous-directeur  de  l'éta- 
blissement, Charles-Frédéric  Schnéegans. 

Le  premier  directeur,  depuis  le  nouveau  régime  établi  en 
France,  fut  le  professeur  Oberlin.  Il  n'eut  pourtant  pas  à 
supporter  seul  toute  la  charge  de  la  direction.  L'Académie 
lui  adjoignit  une  commission  composée  de  trois  membres,  les 
professeurs  Weber,   Schweighaeuser  et  Herrenschneider. 

Oberlin  mourut  en  1806  et  fut  remplacé  par  le  professeur 
Weber.  On  nous  dit,  à  cette  occasion,  avec  quel  cérémonial 
le  directeur  et  les  membres  de  la  commission  étaient  installés 
dans  leur  charge.  Weber  se  rendit  avec  ses  deux  collègues 
au  Gymnase.  Blessig  les  y  attendait.  Il  les  présenta  aux 
maîtres  et  aux  élèves  réunis  pour  la  circonstance.  Le  nouveau 
directeur  prononça  une  allocution  dans  laquelle  il  dit  les 
relations  qui  avaient  toujours  existé  entre  l'Académie  et  le 
Gymnase,  l'intérêt  que  l'Académie  avait  de  tout  temps  porté 
à  l'Ecole  et  ce  qu'elle  attendait  des  maîtres  et  des  élèves. 
Le  doyen  des  régents,  dans  une  courte  réplique,  déclara,  au 
nom  de  ses  collègues,  qu'ils  avaient  pleine  conscience  de  leur 
subordination  à  l'Académie  et  à  ses  délégués,  et  finalement 
le  premier  élève  de  chaque  classe  vint  mettre  sa  main  dans 
celle  du  nouveau  directeur  et  des  membres  de  la  commission. 

Lorsqu'en  1808  le  professeur  Weber  demanda  à  être  relevé 
de  fonctions  qu'il  trouvait  trop  absorbantes,  l'Académie  pensa 
réunir  dans  une  même  personne  les  fonctions  de  professeur 
et  celles  de  directeur  de  l'école.  L'enseignement  des  langues 
anciennes  avait  fortement  baissé  au  Gymnase,  il  fallait  songer 
aux  moyens  de  le  relever.  L'Académie  se  mit  en  quête  d'un 
bon  philologue.   Elle   crut  l'avoir  trouvé  dans    un    simple 


LA  DIEECTION  DU   GYMNASE  99 

pasteur  de  campagne.  M.  Heyler,  pasteur  de  Minfeld  et  ins- 
pecteur ecclésiastique  de  Tinspection  de  Wissembourg,  avait 
été  recteur  du  Gymnase  de  Griinstadt  et  puis  professeur  au 
collège  de  Bouxwiller  et  s'était  acquis  la  réputation  d'un 
helléniste  émérite  et  d'un  excellent  pédagogue.  Il  semblait 
parfaitement  apte  à  joindre  à  l'enseignement  du  grec  la  di- 
rection de  l'école.  L'Académie,  dans  sa  séance  du  1^^  mars 
1808,  le  nomma  à  ce  double  emploi,  et  le  20  avril  suivant, 
il  fut  présenté  aux  régents  et  aux  élèves  du  Gymnase. 

Bientôt  pourtant  surgirent  des  difficultés  qu'on  n'avait 
pas  prévues.  Le  nouveau  directeur  émit  des  prétentions  que 
le  Séminaire  n'était  pas  en  état  de  satisfaire.  M.  Heyler 
donna  sa  démission,  et  le  Séminaire,  après  l'expérience  plu- 
tôt fâcheuse  qu'elle  venait  de  faire,  posa  en  principe,  «qu'il 
serait  plus  convenable  de  nommer  directeur  du  Gymnase 
un  membre  de  l'Académie  que  de  le  choisir  parmi  les 
Régens  ».  ^) 

n  confia  alors  la  direction  au  professeur  Fritz  que  recom- 
mandait un  talent  pédagogique  peu  commun.  Fritz  se  montra, 
en  effet,  à  la  hauteur  de  sa  tâche  et  il  continua  à  diriger 
l'école  avec  succès  jusqu'à  sa  mort,  en  1821.  Le  choix  de 
son  successeur  fut  moins  heureux.  Dahler  était  un  savant 
distingué,  mais  il  manquait  absolument  du  sens  pratique  si 
nécessaire  au  directeur  d'un  grand  établissement  scolaire.  Il 
sentit  lui-même  son  insuffisance  et  se  retira  après  quel- 
ques années  pour  laisser  la  place  aux  jeunes. 

Avec  eux  commença  une  ère  nouvelle  pour  le  Gymnase. 
Matter,  qui  remplaça  Dahler  en  1825,  rompit  le  premier  avec 
la  routine  en  faisant  adopter  le  français  comme  langue  de 
renseignement.  Brueh,  qui  lui  succéda,  en  1828,  et  qui  resta 
vingt  ans  à  la  tête  de  l'école,  y  introduisit  successivement 
ime  série  d'améliorations.  Il  provoqua  la  création  d'une  section 
réale,  celle  d'une  classe  élémentaire,  la  division  de  la  prima 
en  rhétorique  et  philosophie,  l'ouverture  de  salles  d'étude, 
etc.  Hautement  vénéré  par  le  personnel  enseignant,  il  exerça 
une  influence  heureuse  et  considérable  sur  l'esprit  qui  régnait 
dans  l'école.  Sa  nomination  commue  inspecteur  ecclésiastique, 
en  1848,  l 'obligea  à  se  démettre  de  fonctions  qu  'il  avait  remplies 
avec  joie.  Le  professeur  Charles  Schmidt  prit  alors  la  direction 


')  Séance  du  3  août  1809. 


100  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOURG 

de  récole  en  mains  et  la  continua  pendant  dix  ans,  jusqu'en 
1859,  dans  l'esprit  libéral  de  son  prédéœsseur. 

A  ce  moment  déjà  Eeuss  demandait  que  la  direction  du 
Gymnase  ne  fût  pas  considérée  comme  un  «  appendice  »  à  une 
chaire  de  théologie,  mais  comme  une  charge  à  part.  Il  eût 
voulu  la  voir  confiée  à  Colani  qu'il  croyait  particulièrement 
apte  à  ces  fonctions  délicates.  L'idée  était  bonne;  elle  trouva 
pourtant  peu  d'écho  au  sein  du  Séminaire.  Un  directeur  choisi 
en  dehors  du  corps  des  professeurs!  —  cela  était  contraire 
à  l'arrêté  de  1809  et  à  l'usage  suivi  depuis  lors,  cela  était 
irrégulier,  une  anomialie.  Et  puis,  il  faut  le  dire,  Colani 
n'avait  pas  l'heur  d'agréer  à  tous  les  membres  du  Séminaire. 
Aussi  quand  on  passa  au  vote,  les  voix  se  dispersèrent  d'abord, 
pour  se  réunir  ensuite  sur  la  personne  de  Keuss. 

Le  choix  était  d'ailleurs  excellent,  et  cela  d'autant  plus 
que  bientôt  survinrent  des  événements  qui  réclamaient  à  la 
tête  de  l'école  un  homme  aussi  énergique  qu'intelligent.  Dans 
la  seconde  année  du  directorat  de  Eeuss,  le  29  juin  1860,  le 
vieux  cloître  des  dominicains,  occupé  alors  par  le  Gymnase  et 
par  le  collège  de  Saint-Guillaume,  fut  détruit  par  un  incendie. 
Ce  tragique  événement  imposa  au  Séminaire  et  surtout  au 
directeur  du  Gymnase  une  nouvelle  et  lourde  tâche..  Il  s'agis- 
sait, tout  d'abord,  de  trouver  des  locaux  pour  les  classes  restées 
sans  abri,  et  puis,  de  songer  à  la  construction  de  nouveaux 
bâtiments  qui  répondraient  aux  exigences  modernes,  et  enfin, 
de  profiter  de  l'occasion  pour  organiser  au  Gymnase  un  inter- 
nat que  la  population  protestante  réclamait  depuis  longtemps. 
Eeuss  fut  à  la  hauteur  de  sa  tâche.  Il  déploya,  et  la  Com- 
mission nommée  ad  hoc  déploya  avec  lui,  une  activité  si 
merveilleuse  que  le  29  juin  1863,  troisième  anniversaire  de 
l'horrible  journée,  on  put  procéder  à  la  pose  solennelle  de  la 
première  pierre  de  la  nouvelle  maison. 

Mais  là  commencèrent  les  grands  embarras  financiers  du 
Séminaire. 

Le  Gymnase,  lors  de  sa  création,  en  1538,  ne  possédait  pas 
la  moindre  fortune.  Les  maîtres  des  classes  supérieures  jouis- 
saient  généralement  d 'une  prébende  de  la  fondation  de  Saint- 
Thomas,  les  autres  vivaient  du  produit  de  l'écolage  et  des 
subsides  que  leur  accordaient  différentes  institutions.  Mais 
dès  le  XVIe  siècle,  le  Magistrat,  soucieux  d'assurer  l'exis- 
tence de  l'école,  lui  avait  assigné  un  patrimoine.  C'étaient 


LE   COLLÈGE  DE   SAINT-GUILLAUME  101 

quelques  corps  de  biens  abandonnés  par  les  couvents  au  mo- 
ment de  leur  dissolution  et  qui  formèrent  alors  la  fondation 
de  la  Haute-Ecole.  Plus  tard,  au  milieu  du  XVIIe  siècle,  les 
revenus  de  cette  fondation  s 'étant  trouvés  insuffisants,  le 
Magistrat  y  avait  joint  ceux  de  quatre  anciens  béguinages 
sous  le  nom  de  «Nouveaux  revenus  de  la  Haute-Ecole» 
(Neue  Gefdlle  der  Hohen  Schule)  ou  de  «Corps  des  pen- 
sions» (Corpus  pensionum).  Gérées  d'abord  à  part,  les  deux 
fondations  furent  réunies  en  1864. 

Mais  longtemps  avant  cette  date,  l'augm'entation  du 
nombre  des  professeurs  et  de  leurs  traitements,  et  la  cessation 
des  subventions  accordées  autrefois  à  l'école  par  la  ville  et  le 
département,  avaient  mis  les  deux  fondations  dans  l'impossi- 
bilité de  remplir  toutes  leurs  obligations  envers  le  Gymnase.  Le 
Séminaire  dut  affecter  à  l'entretien  de  l'école  une  partie 
de  plus  en  plus  considérable  des  revenus  de  la  fondai 
tion  de  Saint-Thomas.  Ce  fut,  d'abord,  une  somme  annuelle 
de  3000  francs,  puis,  à  partir  de  1850,  de  5000,  et  plus  tard, 
depuis  1859,  de  7000  francs.  Alors  survint  l'incendie  de  1860. 
Les  nouvelles  constructions  et  l'agrandissement  de  l'école  en- 
gloutirent toute  la  fortune  de  la  Haute-Ecole  et  la  fondation 
de  Saint-Thomas  dut  avancer  au  Gymnase,  dans  les  années 
1865  et  1866,  une  somme  de  100.000  et,  en  1869,  une  autre  de 
80.000  francs,  qui  ne  lui  furent  jamais  rendues.  Ce  fut  le  com- 
mencemient  des  graves  soucis  que  le  Gymnase  causa  au  Sé- 
minaire et  qui  furent  accrus  par  les  événements  de  l'année 
1872. 


IV 

Parmi  les  fondations  dont  l'administration  était  aux  mains 
de  l'Académie  ou,  plus  tard,  du  Séminaire  se  trouvait  aussi 
le  Collège  de  Saint-Guillaume.  Etabli  au  commiencement  du 
XVIe  siècle  dans  le  couvent  de  Saint-Guillaume,  d'où  son 
nom,  et  transférée  plus  tard  dans  l'ancien  couvent  des  Domi- 
nicains près  du  Temple-Neuf,  cette  institution  était  destinée 
à  recevoir,  à  loger  et  à  entretenir  des  étudiants  en  théologie. 
Dirigée  d'abord  par  Hédion  et  par  deux  inspecteurs  des 
écoles,  organisée  plus  complètement  par  Jacques  Sturm  de 
Sturmeck  et  ses  collègues  Jacques  Meyer  et  Nicolas  Kniebis, 
elle  fut  plus  tard  administrée  par  une  commission  composée 


102  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE   DE   STRASBOURG 

de  deux  mem'bres  du  magistrat,  de  deux  professeurs  de  rUni- 
versité,  d^un  pasteur  et  d^un  régent  du  Gymnase.  Au  com- 
mencement du  XIXe  siècle,  elle  subit  une  réorganisation  et 
fut  placée  sous  la  direction  de  T Académie  protestante  et  sous 
la  surveillance  du  Directoire  de  l'Eglise  de  la  Confession 
d'Augsbourg. 

Des  liens  étroits  unirent  dès  lors  PAcadémie  et  le  collège 
de  Saint-Guillaume  qu'on  qualifiait  volontiers  de  «pensionnat 
attaché  au  Séminaire  protestant '*.  Il  y  eut,  comme  par  le 
passé,  une  commission  spécialement  chargée  d'administrer  et 
de  surveiller  cette  fondation,  mlais  sa  composition  fut  modifiée. 
Par  suite  des  changements  survenus  dans  la  constitution  de 
la  ville,  les  membres  du  nxagistrat  n'y  eurent  plus  de  place. 
Le  Séminaire,  par  contre,  y  était  représenté  par  un,  quelque- 
fois même  par  deux  membres;  la  présidence  était  réservée  à 
l'un  des  professeurs  de  la  section  théologique  du  Séminaire. 

Le  Séminaire  avait  d'ailleurs  le  droit,  limité  d'abord  et 
plus  tard  complet,  de  présentation  pour  la  nomination  des 
membres  de  la  commission.  Il  édictait  aussi  les  règlements  re- 
latifs à  l'ordre  intérieur  de  l'établissement,  à  la  discipline  et 
aux  études  des  élèves,  il  nommait  les  pédagogues  et,  plus  tard, 
les  directeurs  du  Collège.  La  circonstance  que  plusieurs  des 
pédagogues,  Dahler,  Fritz,  Lachenmeyer,  Jung,  Baum,  de- 
vinrent professeurs  au  Séminaire  ne  contribua  pas  peu  à  con- 
solider les  liens  qui  unissaient  les  deux  établissements. 

Pour  subvenir  à  ses  besoins,  le  Collège  de  Saint-Guillaume 
avait  été  doté  de  prestations  imposées  aux  biens  des  couvents 
abandonnés,  de  subventions  accordées  par  la  ville  et  par  quel- 
ques autres  fondations,  et  surtout  de  legs,  de  donations  et  de 
collectes  faites  dans  les  églises.  Grâce  à  la  générosité  des 
fidèles,  elle  avait  amassé  au  XVIII®  siècle  des  capitaux  qui, 
finalement,  se  montèrent  à  plus  de  80.000  francs.  La  plus 
grande  partie  de  cette  somme,  soit  72.142  frs,  avait  été  placée 
sur  le  Trésor  de  la  ville;  elle  fut,  en  1793,  déclarée  dette  na- 
tionale et  ne  fut  jamais  liquidée.  Quant  au  reste,  soit  8212  frs, 
qui  avait  été  placé  sur  hypothèque,  il  fut  remboursé  en  assi- 
gnats et  fut,  de  ce  fait,  également  perdu. 

Cette  double  perte  était  d'autant  plus  sensible  qu'à  ce 
moment  les  collectes  en  faveur  du  Collège  de  Saint-Guillaume 
étaient  partout  arrêtées  et  les  subventions  de  la  ville  en  partie 
supprimées.  Il  est  vrai,  d'autre  part,    que  la  maison   était 


LA  BIBLIOTHÈQUE   DU   SEMINAIRE 


103 


vide,  la  Terreur  ayant  suspendu  les  études  et  les  étudiants 
étant  partis  pour  défendre  la  patrie  en  danger. 

Après  1802,  le  Collège  de  Saint-Guillaume  fut  réorganisé. 
D'abondantes  collectes  et  de  généreux  legs  permirent  de  le 
rendre  à  sa  destination.  Mais  ses  dépenses  excédant  ses  re- 
cettes, la  fondation  de  la  Haute-Ecole  et  celle  de  Saint-Tho- 
mas durent,  par  des  subventions  régulières,  subvenir  â  ses 
besoins  ou,  par  des  allocations  extraordinaires,  combler  des 
déficits  qui  se  reproduisaient  chaque  année. 

Peu  à  peu  pourtant  la  situation  de  la  fondation  s 'améliora; 
elle  était  même  devenue  florissante,  quand  l'incendie  du  29 
juin  1860  vint  encore  une  fois  la  changer.  Les  bâtiments  oc- 
cupés par  rinternat  furent  détruits  et  l'internat  dut  être 
transféré  au  quai  Saint-Thomas.  La  fondation  de  Saint-Guil- 
laume devint  locataire  de  celle  de  Saint-Thomas.  Celle-ci  se 
montra  généreuse.  Elle  ne  toucha  pas  de  loyer  pendant  des 
années.  Plus  tard,  la  location  fut  fixée  à  800  f rs  et,  à  partir  de 
1869,  elle  fut,  pour  équilibrer  le  budget  de  Saint-Guillaume, 
abaissée  à  cent  francs,  faible  sontoe  qui  devait  simplement 
constater  le  droit  de  propriété  de  Saint-Thomas. 


Parmi  les  fondations  affectées  à  la  nouvelle  Académie  il 
y  avait  encore  la  bibliothèque  de  l'ancienne  Université.  Fondée 
en  1531,  à  l'instigation  du  célèbre  stettmeister  et  scolarque 
Jacques  Sturm  de  Sturmeck,  pour  servir  aux  savants  et  aux 
étudiants  qui  affluaient  alors  à  Strasbourg,  elle  s'était  accrue, 
dans  le  cours  des  temps,  par  l'acquisition  de  collections  im- 
portantes, celle  du  chapitre  de  la  cathédrale,  du  coUège  des 
jésuites  de  Bockenheim,  des  théologiens  Pappus  et  Bernegger, 
et  par  des  legs  et  des  dons.  Elle  possédait  de  précieux  ma- 
nuscrits, de  nombreux  incunables  et  deux  coUeotions  de  bro- 
chures politiques  et  théologiques  du  XVIIe  siècle  (la  collec- 
tion grise  et  la  collection  Wencker)  d'une  haute  valeur. 

Les  fonds  destinés  à  l'entretien  et  à  l'augmentation  de  la 
bibliothèque  étaient,  paraît-il,  assez  considérables.  Mais  ils 
furent  perdus  pendant  la  Révolution.  Lorsque,  le  9  ventôse  de 
l'an  XIII,  le  professeur  Oberlin,  nomimé  bibliothécaire,  pré- 
senta un  rapport  sur  l'état  de  la  bibliothèque  depuis  la  Saint- 
Martin  de  1792  jusqu'au  mois  de  mai  1798,  il  constata  qu'à 


104  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

cette  dernière  date  il  ne  restait  dans  sa  caisse  que  21  frs  85  c. 
en  argent  monnayé  et  365  frs  17  c.  en  assignats.  Encore  la 
bibliothèque  fut-elle  frustrée  de  cette  m^odique  somme.  On 
l'obligea  à  échanger  l'argent  monnayé  contre  des  assignats, 
et  les  assignats  perdant  peu  après  toute  valeur,  la  caisse  de 
la  bibliothèque  se  trouva  vide. 

Pour  l'alimenter,  on  essaya  successivement  de  différents 
moyens.  L'Académie  invita  d'abord  les  étudiants  à  contribuer 
par  des  dons  bénévoles  aux  dépenses  pour  achat  de  livres. 
Mais  cette  source,  peu  abondante  d'ailleurs,  menaçant  de  tarir 
complètement,  l'Académie  décida  d'élever  le  prix  des  inscrip- 
tions à  9  frs  dont  8  seraient  affectés  à  la  bibliothèque. 

Cette  mesure  aussi  se  montra  insuffisante.  On  fut  obligé 
de  restreindre  les  dépenses.  Lorsque  le  professeur  Schweig- 
haeuser,  qui  avait  succédé  en  1805  à  Oberlin  comme  biblio- 
thécaire, vint  rendre  compte  de  sa  gestion,  il  se  trouva  que 
dans  l'année  1807-1808  la  recette  s'était  élevée  à  325  frs  25  c. 
et  la  dépense  à  141  frs  90  c,  et  qu'en  1808-1809  la  recette  avait 
été  de  484  frs,  35  c.  et  la  dépense  de  396  frs,  45  c.  Dans  son 
rapport  de  1813,  Schweighaeuser  disait  encore:  «Aujour- 
d'hui le  Séminaire  protestant  n'a  qu'une  ressource  assez 
faible  qui  est  surtout  employée  à  l'acquisition  d'ouvrages 
théologiques.  » 

Aussi,  lorsqu'en  1818  le  Séminaire  résolut  de  compléter 
la  collection  des  «  Transactions  philosophiques  »  de  la  Société 
royale  de  Londres,  que  la  bibliothèque  ne  possédait  que  jusqu'à 
l'année  1792,  et  que,  de  ce  fait,  on  dut  faire  face  à  une  dé- 
pense extraordinaire  de  1112  frs,  25  c,  le  fonds  de  la  biblio- 
thèque ne  put  y  participer  que  pour  la  somme  de  500  frs.,  le 
reste  fut  fourni  par  le  corps  des  pensions. 

On  décida  alors,  pour  remédier  à  un  état  de  choses  aussi 
lamentable,  que  cette  dernière  fondation  verserait  chaque 
année  à  la  bibliothèque  un  subside  d'au  moins  600  frs,  que 
300  frs.  de  cette  somme  seraient  employés  à  l'achat  des  ou- 
vrages théologiques  indispensables  aux  étudiants,  et  que  le 
reste  servirait  à  l'entretien  des  autres  sections  de  la  biblio- 
thèque et  surtout  à  assurer  l'acquisition  de  la  suite  des  ou- 
vrages commencés. 

Cette  mesure  était  pourtant  bien  insuffisante,  elle  ne  per- 
mettait pas  l'achat  d'ouvrages  ni  surtout  de  collections  con- 
sidérables. Aussi  fallut-il,  lors  de  l'acquisition  de  la  belle  bi- 


LE  SUBSIDE  DE  LA  FONDATION  HOPPE  105 

bliothèque  de  HafPner,  dont  le  prix  avait  été  fixé  à  17.000  frs, 
recourir  une  fois  de  plus  à  d'autres  fondations:  celle  de 
Hoppé  fournit  10.000,  celle  de  Saint-Thomas,  7.000  francs. 

Le  Séminaire,  à  cette  occasion,  décida  qu'à  l'avenir  la 
fondation  Hoppé  contribuerait  par  un  subside  annuel  de 
400  frs  à  l'entretien  de  ses  collections.  C'était  une  demi-me- 
sure qui  n'eut  guère  d'efficace.  Plus  tard  seulement,  la  bi- 
bliothèque du  Séminaire  reçut,  par  deux  fois,  une  augmenta- 
tion importante,  d'abord,  par  un  legs  du  professeur  Herren- 
schneider,  et  puis,  par  l'acquisition  de  la  bibliothèque  du  pro- 
fesseur Kreiss.  En  1843,  Herrenschneider  avait,  avant  de 
mourir,  exprimé  la  volonté  que  la  partie  philosophique,  ma- 
thématique et  physique  de  sa  bibliothèque  fût  remise  au  Sé- 
minaire, et  en  1860,  à  la  mort  du  professeur  Kreiss,  le  Sémi- 
naÎTe  se  rendit  acquéreur,  pour  la  somme  de  9.617  frs,  de  la 
belle  collection  philologique  que  ce  savant  avait  réunie  et  qui 
ne  comptait  pas  moins  de  2097  numéros. 

Les  deux  ou  plutôt  les  trois  bibliothèques  strasbour- 
geoises,  celle  de  l'ancienne  Université  devenue  bibliothèque 
de  l'Académie  protestante,  celle  de  Schœpflin,  léguée  par  ce 
savant  à  sa  ville  natale,  et  celle  de  l'Ecole  centrale,  mise  à  la 
disposition  de  la  mlunicipalité,  étaient  logées,  toutes  les  trois, 
dans  le  chœur  du  Temple-Neuf. 

La  bibliothèque  de  Schœpflin  avait  déjà  été  réunie  en 
1771  à  celle  de  l 'Académie,  «  sauf  garanties  suffisantes,  tant 
pour  la  conservation  de  la  propriété  municipale  que  pour 
l'accomplissement  du  but  du  donateur»,  et  avait  été  placée 
dans  le  même  local.  Plus  tard,  le  préfet  du  Bas-Ehin  sollicita 
pour  la  bibliothèque  centrale  cédée  à  la  ville  la  même  faveur. 
Elle  lui  fut  accordée  par  contrat  du  6  vendémiaire  an  XII, 
à  la  condition  que  le  bibliothécaire  nommé  par  l'Académie 
pour  sa  bibliothèque  spéciale  serait  le  conservateur  des  trois 
collections.  Il  en  fut  ainsi  pendant  plus  d'un  demii-siècle. 
Les  professeurs  Oberlin,  Schweighaeuser,  Herrenschneider  et 
Jung,  qui  remplirent  successivement  les  fonctions  de  conser- 
vateurs des  bibliothèques  du  Séminaire  et  de  la  ville,  furent 
nommés  par  l'Académie  protestante,  plus  tard  par  le  Sémi- 
naire, et  leur  nomination  fut  ratifiée  par  le  Directoire  de 
l'Eglise  de  la  Confession  d'Augsbourg. 

L'Académie,  dans  cette  circonstance  spéciale,  se  montra 
accommodante  au  point  d'oublier  parfois  ses  propres  inté- 


106  LA  FACULTE   DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

rets.  On  ne  lui  en  sut  pas  gré.  En  1807  déjà,  la  propriété  de 
lia  bibliothèque  de  l'ancienne  Université  protestante,  ainsi  que 
celle  des  fondations  concernant  le  Gymnase,  avait  été  con- 
testée à  l'Académie  par  le  Conseil  municipal.  Le  débat  dut 
pourtant  être  abandonné.  Plus  tard,  en  1844,  des  attaques  plus 
sérieuses  furent  dirigées  contre  le  Séminaire.  La  commission 
du  budget  municipal  ne  lui  contesta  pas  seulement  le  droit 
que  lui  attribuaient  les  contrats  antérieurs,  elle  lui  contesta 
mêmje  la  propriété  du  bâtiment  où  étaient  placées  les  diffé- 
rentes collections. 

Le  cas  fut  jugé  assez  grave  pour  que  le  Séminaire  char- 
geât le  président  de  Tiirckheim  et  les  professeurs  Bruch  et 
Jung  d'assembler  les  matériaux  d'un  mémoire  qui  éclairerait 
l'opinion  publique  sur  cette  affaire.  Dans  la  Notice  sur  Vori- 
gine  des  bibliothèques  publiques  dans  la  ville  de  Strasbourg^ 
Jung  publia  le  texte  du  contrat  passé  entre  la  ville  et  l'Aca- 
démie protestante  et  prouva  que  le  Séminaire  en  avait  tou- 
jours observé  fidèlement  les  stipulations,  et,  dans  un  autre 
mlém^ire,  un  jurisconsulte  distingué,  M.  Michaux-Bellaire, 
démontra  victorieusement  le  droit  de  propriété  du  Séminaire 
sur  la  bibliothèque  et  sur  le  bâtiment  oii  elle  était  logée.  L'at- 
taque tentée  par  la  commission  municipale  fut  repoussée.  Le 
Séminaire  resta  en  tranquille  possession  du  bâtiment  dans 
lequel  les  deux  bibliothèques,  celle  de  la  ville  et  celle  du  Sé- 
minaire, se  trouvaient  réunies  sous  la  garde  du  conservateur 
nommé  par  le  Séminaire  protestant. 

Le  professeur  Jung,  qui  succéda  à  Herrenschneider  dans 
les  fonctions  de  bibliothécaire,  s'était  d'ailleurs,  en  obtenant 
l'aménagement  du  chœur  du  Temple-Neuf  d'après  un  plan 
qu'il  avait  proposé,  en  classant  et  en  rangeant  l'énorme  masse 
de  livres  et  en  dressant  le  catalogue  des  deux  collections, 
acquis  des  mérites  si  éclatants  que  nul  ne  pouvait  songer  à 
attaquer  sa  double  position.  Ce  n'est  qu'après  sa  mort,  en 
1863,  que  les  deux  administrations  furent  séparées:  la  ville 
nomma  le  conservateur  de  sa  bibliothèque  et  le  Séminaire 
celui  de  la  sienne. 

Dans  cette  partie  de  son  administration  aussi,  le  Sémi- 
naire connut  les  difficultés  financières.  Les  crédits  affectés 
à  l'achat  de  livres  ne  dépassèrent  jamais,  même  dans  les 
dernières  années,  1475  francs,  somme  bien  insuffisante  pour 
se  tenir  tant  soit  peu  au  courant  de  la  production  littéraire 


LES  BOUKSES 


107 


dans  les  différentes  branches  de  la  science  et  moins  encore 
pour  combler  les  nombreuses  lacunes  existantes. 

VI 

Le  Séminaire,  outre  l'administration  de  la  bibliothèque, 
avait  encore  celle  des  bourses.  Le  gouvernement  avait,  en 
1810,  accordé  aux  luthériens  de  Strasbourg  quatre  bourses 
entières  et  huit  demi-bourses;  en  1821,  après  la  création  de 
la  Faculté  de  théologie,  il  avait  porté  le  nombre  des  bourses 
entières  à  douze  et  celui  des  demi-bourses  à  vingt-quatre; 
les  unes  étaient  de  400,  les  autres  de  200  francs.  Le  Séminaire, 
après  avoir  entendu  la  commission  des  finances,  faisait  les 
présentations  et  le  gouvernement  nommait  les  boursiers. 

A  côté  des  bourses  de  PEtat,  il  y  avait  une  série  de 
bourses  fondées  par  des  particuliers.  La  plupart  d'entre  elles 
étaient  administrées  par  des  commissions  spéciales  coniposées 
d'après  les  indications  données  par  les  testateurs  et  soumises 
à  la  surveillance  du  Directoire  et  du  Consistoire  supérieur. 
Deux  de  ces  bourses  seulement  étaient  gérées  par  le  Sémi- 
naire, la  bourse  Maurice  et  la  fondation  Schmutz.  La  pre- 
mière, fondée  à  la  fin  du  XVIe  siècle  par  un  chanoine  du 
chapitre  de  Saint-Pierre-le- Vieux,  Maurice  Ueberheu,  dans 
le  but  de  donner  des  secours  à  huit  écoliers  ou  étudiants,  fils 
de  citoyens  peu  fortunés  de  Strasbourg,  avait  rendu  pendant 
deux  siècles  de  grands  services  à  la  Ville  et  à  l'Eglise.  Des 
savants,  des  pasteurs,  des  jurisconsultes  et  des  médecins 
avaient  pu  faire  leurs  études  grâce  à  cette  bourse,  dont  le 
montant,  d'abord  fixé  à  36  florins,  fut  successivement  porté  à 
48  florins.  Les  pertes  en  argent  subies  pendant  la  Eévolution 
et  qui  s'élevèrent  à  plus  de  34.000  livres  firent  supprimer 
les  bourses.  Une  stricte  économie  permit  depuis  de  reconsti- 
tuer la  fondation  et  d'accorder  à  huit  élèves  du  Gymnase  ime 
bourse  de  52  francs. 

L'autre  fondation,  le  legs  Schmutz,  était  due  à  la  géné- 
rosité d'un  licencié  en  droit,  employé  à  la  mairie  de  Stras- 
bourg, L.  Schmutz,  qui,  n'ayant  pas  d'héritiers  directs,  légua, 
à  sa  mort,  en  1826,  au  Séminaire  sa  modeste  fortune.  Il  la 
consacra,  dans  son  testament,  à  des  buts  d'utilité  publique.  La 
majeure  partie  était  un  capital  de  22.000  francs,  dont  le  revenu 
devait  former  une  bourse  que  le  Séminaire  décernerait  à  la 


108  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE  DE   STKASBOUKG 

suite  d^un  concours  sur  une  question  théologique.  Le  prix, 
donné  deux  fois  en  sept  ans,  consistait  en  une  somme  de 
3000  francs,  sans  préjudice  d'accessits  plus  ou  moins  nom- 
breux. Mais  les  revenus  s 'étant  considérablemient  accrus 
dans  le  cours  des  années,  le  Séminaire  décida  en  1868  de 
rendre  le  concours  plus  fréquent  et  d'établir  cbaque  fois 
entre  les  concours  dotés  conformément  à  la  lettre  du  testa- 
ment, un  autre  avec  un  prix  de  1500  francs. 

Depuis  1861,  les  budgets  et  les  comptes  des  autres  fonda- 
tions pieuses  furent  également  soumis  à  l'examen  du  Sémi- 
naire et,  en  1866,  une  commission  spéciale  fut  établie  au  sein 
du  Séminaire  pour  répartir  les  bourses  de  telle  façon  que  la 
volonté  des  donateurs  fût  respectée  le  plus  possible  et  que 
les  mérites  des  solliciteurs  fussent  pris  en  sérieuse  considé- 
ration. 


CHAPITRE  VII  ^) 

La  Création  de  la  Faculté  de  théologie  —  Ses  débuts 


Le  décret  impérial  du  17  mars  1808  portant  organisation 
de  l'Université,  disait:  «Il  y  aura  autant  de  Facultés  de 
théologie  que  d'églises  métropolitaines,  et  il  y  en  aura  une 
à  Strasbourg  et  une  à  Genève  pour  la  religion  réformée  ». 
En  attribuant  ainsi  les  deux  Facultés  protestantes,  ceUe  de 
Strasbourg  et  celle  de  Genève,  à  la  «religion  réformée»,  le 
rédacteur  du  décret  commettait,  par  ignorance  sans  doute, 
une  erreur  qui  devait  amener  des  complications  sérieuses. 

Un  second  décret,  du  17  septembre  1808,  réglementant 
l'Université,  ordonnait  que  les  candidats  aux  chaires  des  Fa- 
cultés de  Strasbourg  et  de  Genève  et  de  celle  qui  serait  inces- 
samment établie  à  Montauban,  seraient  présentés  par  les 
présidents  des  Consistoires  de  ces  trois  villes.  Le  président 
du  Consistoire  général  de  l'Eglise  de  la  Confession  d'Augs- 
bourg  à  Strasbourg  s'empressa  donc  d'adresser  au  grand 
maître  de  l'Université  une  liste  de  présentation  comprenant 
les  neuf  noms   suivants: 

1.  Jean-Georges  Weber,  ancien  professeur  en  théologie 
en  la  ci-devant  Université  de  cette  ville,  et  actuellement  pro- 
fesseur au  Séminaire  Protestant  de  la  Confession  d'Augs- 
bourg  à  Strasbourg. 

2.  Jean-Laurent  Blessig,  également  ancien  professeur  à 
la  ci-devant  Université  et  professeur  au  Séminaire; 


*)  F.    Lichtenberger,    La    Faculté    de    théologie    de    Strasbourg. 
{Revue  chrétienne  XXII,  p.  1  ss.) 


110  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOURG 

3.  Isaac  Haffner,  de  même; 

4.  Jean-Georges  DaJiler,  prédicateur- vicaire  et  professeur 
suppléant  au  Séminaire; 

5.  Charles-Maximilien  Fritz,  pasteur  au  Temple-Neuf 
et  professeur  suppléant  au  Séminaire; 

6.  Jean- Jacques  Beck,  pasteur  au  Temple-Neuf; 

7.  Jean-Michel  Emmerich,  instituteur  à  la  seconde  section 
du  Séminaire  appelée  le  Gymnase; 

8.  Jean-Jacques  Gœpp,  pasteur  au  Service  français  de 
l'Eglise  de  Saint-Nicolas  et  aumônier  protestant  du  Lycée; 

9.  François-Henri  Redslob,  maître  de  Pension  et  candidat 
en  théologie. 

Le  grand  maître  de  l'Université,  Fontanes,  fit  le  meilleur 
accueil  à  cette  liste  de  présentation.  Dans  sa  réponse  au 
président  du  Directoire,  il  lui  disait:  «Je  nonmierai  avec 
confiance  parmi  les  sujets  que  vous  me  présentez...  Je  désire 
que  mes  choix  vous  soient  agréables.  »  ^) 

L'affaire  semblait  donc  être  en  bonne  voie  quand  le  pré- 
sident du  Consistoire  réformé  de  Strasbourg,  s'appuyant  sur 
la  lettre  du  décret  du  17  mars,  crut  devoir  présenter,  de  son 
côté,  une  liste  de  candidats  aux  chaires  du  nouvel 
établissement. 

Le  Directoire,  prévoyant  les  difficultés  qui  pouvaient 
naître  de  cette  double  présentation,  crut  utile  d'éclairer  le 
grand  maître  sur  la  situation.  Il  y  a,  disait-il  dans  sa  lettre 
du  15  novembre  1808,  dans  les  départements  de  l'Est  deux 
Eglises  protestantes,  l'une  réformée,  l'autre  luthérienne,  et  la 
loi  organique  du  18  germinal  an  X  a  soigneusement  distingué 
l'une  de  l'autre.  L'article  XII  dit  en  effet:  «Nul  ne  pourra 
être  élu  ministre  ou  pasteur  d'une  Eglise  de  la  Confession 
d'Augsbourg  s'il  n'a  étudié  pendant  un  temps  déterminé  dans 
un  des  séminaires  français  destinés  à  l'instruction  des  mi- 
nistres de  cette  confession»,  et  l'article  XIII:  «  On  ne  pourra 
être  élu  ministre  ou  pasteur  d'une  Eglise  réformée  sans  avoir 
étudié  dans  le  Séminaire  de  Genève».  Un  de  ces  Séminaires, 
disait-il  encore,  celui  qui  est  mentionné  à  l'article  XII,  a 
été  établi  à  Strasbourg  par  décret  consulaire  du  30  floréal 
an  XI  pour  les  protestants  de  la  Confession  d'Augsbourg,  et 
c'est  conformément  à  la  loi  du  18  germinal  an  X  et  au  décret 


*)  Lettre  du  15  nov.  1808  (Arch.  du  Dir.). 


LES  CANDIDATS  AUX  CHAIRES  DE  LA  FACULTE       111 

du  30  floréal  an  XI  que  le  Président  du  Directoire  a  présenté 
les  neuf  candidats  pour  la  Faculté  luthérienne.  Les  décrets 
du  17  mars  et  du  17  septembre  ayant,  d^autre  part,  confondu 
les  deux  confessions  protestantes  sous  la  dénomination  géné- 
rale de  «réformées»,  le  Président  du  Consistoire  réformé 
de  Strasbourg  présente  de  son  côté  des  candidats  pour  une 
Faculté  réformée.  Mais  la  loi  organique  accordant  aux  deux 
cultes  des  établissements  d'enseignement,  on  ne  peut  croire 
que  Sa  Majesté  veuille  exclure  aujourd'hui  celui  de  la  Con- 
fession d'Augsbourg  de  ses  bienfaits. 

Cette  double  présentation  de  candidats  aux  chaires  de  la 
Faculté  de  théologie  qu'on  voulait  créer  ne  laissait  pas  que  de 
causer  au  ministre  de  sérieux  embarras.  A  qui  fallait-il  en- 
tendre! Aux  réformés  ou  aux  luthériens?  Ou  bien  aux  uns 
et  aux  autres!  La  solution  la  plus  simple,  la  plus  naturelle 
de  la  question,  celle  à  laquelle  on  devait  s'arrêter  dix  ans 
plus  tard,  lorsque  la  Faculté  fut  enfin  établie,  c'était  de 
créer  une  Faculté  luthérienne,  mais  avec  ime  chaire  spéciale 
pour  l'enseignement  du  dogme  réformé.  Elle  avait  été  mise 
en  avant,  et  les  réformés  s'y  étaient  ralliés.  Mais  alors  surgit 
l'idée  d'ime  Faculté  mixte,  mi-luthérienne  et  mi-réformée. 
Les  inspecteurs  généraux  de  l'Université  qui  vinrent  à  Stras- 
bourg se  prononcèrent  dans  ce  sens,  ils  rédigèrent  même  un 
projet  de  concordat  qui  devait  servir  de  base  à  l'établissement 
de  la  nouvelle  Faculté  de  théologie. 

D'après  ce  projet,  la  Faculté  devait  se  composer  de  cinq 
professeurs,  dont  trois  appartenant  à  l'Eglise  de  la  Confes- 
sion d'Augsbourg  et  deux  à  l'Eglise  réformée,  et  de  cinq 
adjoints,  dont  deux  luthériens  et  trois  réformés.  Bien  que 
réunis  dans  un  établissement  commun,  les  deux  confessions 
devaient  rester  séparées  à  certains  égards,  d'abord  pour  l'en- 
seignement de  matières  différentes,  et  puis  surtout  par  l'im- 
possibilité pour  les  professeurs  réformés  de  participer  aux 
revenus  des  fondations  protestantes,  réservés  aux  seuls  luthé- 
riens. Le  grand  avantage  de  la  fusion  pour  les  étudiants 
réformés  serait  de  leur  permettre  de  suivre  les  leçons  des 
professeurs  luthériens  sur  les  matières  d'instruction  commune 
et  d'être  admis  au  collège  de  Saint-Guillaume  aux  mêmes 
conditions  que  les  étudiants  luthériens. 

Le  Directoire,  appelé  à  se  prononcer  sur  ce  projet,  déclara 
qu'il  ne  voyait  pas  volontiers  cette  réunion  qu'il  regardait 


112  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE   DE   STRASBOUKG 

non  seulement  comme  contraire  à  Tesprit  de  la  loi  sur  les 
cultes,  mais  aussi  comme  pouvant,  tôt  ou  tard,  prêter  matière 
à  jalousie  et  à  dissension  entre  les  cultes».  Toutefois,  si  le 
grand  maître  et  le  Conseil  de  TUniversité  impériale  désiraient 
réellement  cette  réunion,  le  Directoire  ne  voulait  pas  y  faire 
opposition,  mais  il  refuserait  d'admettre  les  cinq  adjoints  que 
Ton  proposait,  et  cela  pour  deux  raisons;  d'abord,  parce  qu'ils 
étaient  inutiles,  les  matières  qui  ne  seraient  pas  traitées  à  la 
Faculté  étant  enseignées  au  Séminaire,  et  ensuite,  parce  qu'une 
Faculté  de  théologie  composée  de  dix  professeurs  et  adjoints 
pourrait  servir  de  prétexte  pour  toucher  au  Séminaire  et  à 
son  organisation.  Dans  tous  les  cas,  le  Directoire  insistait 
là-dessus,  les  professeurs  réformés  ne  pourraient  participer 
aux  revenus  des  fondations  que  les  protestants  de  la  Con- 
fession d'Augsbourg  doivent  à  la  prévoyance  de  leurs  an- 
cêtres et  dont  la  jouissance  exclusive  leur  a  été  assurée  par 
toutes  les  lois  existantes. 

Le  Directoire  déclarait  finalement  qu'agissant  au  nom 
de  trente-trois  églises  consistoriales,  il  ne  "pourrait  traiter 
cette  affaire  avec  le  seul  président  du  Consistoire  réformé  de 
Strasbourg,  qu'il  faudrait  que  toutes  les  églises  consistoriales 
allemandes  du  rite  réformé  situées  sur  la  rive  gauche  du 
Ehin,  ou  au  moins  le  plus  grand  nombre  d'elles,  donnassent 
leur  adhésion  à  l'arrangement  convenu. 

Mais  avant  d'aller  plus  loin,  le  Directoire  voulut  con- 
naître l'opinion  des  professeurs  du  Séminaire  qui  avaient 
été  proposés  pour  la  nouvelle  Faculté. 

Les  professeurs  abondèrent  dans  le  sens  de  la  déclara- 
tion du  Directoire.  «  Nous  souhaitons  »,  écrivirent-ils,  «  que 
le  Directoire  veuille  déclarer  franchement  et  expressément 
qu'il  ne  voit  pas  volontiers  cette  réunion.  »  Ils  admettaient 
parfaitement  l'idée  d'un  professeur  réformé  qui,  dans  la  Fa- 
culté luthérienne,  enseignerait  le  dogme  réformé,  ferait  subir 
l'examen  aux  candidats  et  leur  conférerait  l'ordination.  Cette 
idée  est  sage,  disaient-ils,  elle  est  appliquée  ailleurs,  à  Gœt- 
tingue,  à  léna,  elle  remplit  parfaitement  le  but  voulu,  sans 
la  moindre  friction.  Si  l'on  veut  établir  une  Faculté  réformée 
à  Strasbourg,  que  ce  soit  une  Faculté  «  particulière  et  séparée  ». 
Il  faut  le  dire  sans  réserve,  comme  sans  aigreur:  «Serait-il 
juste  que  les  chrétiens  réformés  jouissent  à  eux  seuls  et  sans 
aucun  partage  de  5  professeurs  en  théologie  à  Genève  et  de 


PROTESTATION  CONTRE  L'ÉTABLISSEMENT  D'uNE  FACULTE  MIXTE  113 

10  à  Montauban  et  que  les  Luthériens  n'eussent  dans  tout 
Tempire  qu'une  Faculté  mi-partagée!  » ') 

Sans  doute,  si  le  grand  maître  ou  le  gouverneur  désirait 
réellement  la  réunion,  il  ne  conviendrait  pas  aux  professeurs 
de  faire  de  Topposition,  ils  seraient  prêts  à  présenter  au 
Directoire  leurs  vues  sur  la  répartition  des  cours^  sur  les 
examens  et  les  actes  académiques. 

Plusieurs  conférences  eurent  lieu  avec  les  professeurs  et 
avec  le  pasteur  Petersen,  président  du  Consistoire  réformé. 
On  ne  parvint  pas  à  s'entendre.  Les  luthériens,  plus  que 
jamais,  repoussaient  le  projet  de  la  réunion  des  deux  confes- 
sions dans  une  seule  et  mêm^  Faculté.  «Les  réformés», 
disaient-ils,  «ayant  pour  eux  seuls,  outre  les  Facultés  de 
Genève  et  de  Montauban,  toutes  celles  de  la  ci-devant  Hol- 
lande, parmi  lesquelles  celle  d'Utrecht  surtout  est  beaucoup 
fréquentée  par  les  Eéf ormes  des  pays  de  Deux-Ponts  et  de 
l'ancien  Palatinat,  qui  y  ont  une  fondation  considérable,  il 
paraît  juste  et  même  conforme  au  vrai  sens  de  l'article  8  du 
décret  impérial  du  17  mars  1808,  que  ceux  de  la  Confession 
d'Augsbourg  aient  une  Faculté  pour  les  trois  Consistoires 
généraux  de  Strasbourg,  de  Mayence  et  de  Cologne  et  que 
cette  Faculté  ne  soit  pas  mixte.  »  ') 

Avant  d'informer  l'inspecteur  général  Pictet,  qui  avait 
chargé  le  président  du  Directoire  de  négocier  cette  affaire, 
du  résultat  négatif  obtenu,  on  voulut  attendre  l'arrivée  du 
secrétaire  perpétuel  de  la  première  section  de  l'institut, 
G.  Cuvier,  qui  était  annoncé  et  qu'on  croyait  autorisé  à  traiter 
la  question  de  la  Faculté  de  théologie.  Cuvier  arriva  au  mois 
de  septembre  1811,  et  on  reprit  la  discussion  avec  lui.  Il 
trouva  qu'il  serait  juste  que  la  Faculté  ne  fût  pasi  mixte  et  que 
le  pasteur  Petersen  se  bornât  à  demander  le  titre  de  profes- 
seur et  la  faculté  d'enseigner  la  dogmatique  d'après  les 
principes  réformés  et  de  délivrer  aux  élèves  de  ce  culte  des 
certificats  d'aptitude. 


^)  Délibération  des  Professeurs  soussignés  (Weber,  Blessig,  Haffner, 
Dahler,  Fritz)  sur  le  projet  d'une  Faculté  théologique  composée  de 
membres  de  la  Confession  d'Augsbourg  et  helvétique  (Arch.  du  Direct. 
1811). 

')  Projet  de  lettre  pour  M.  Pictet,  inspecteur  général  de  l'Université 
impériale  (Arch.  du  Dir.). 

8 


114  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOUKG 

Les  choses  en  restèrent  là.  Il  ne  fut  plus  question  de  la 
nouvelle  Faculté  jusqu'à  l'arrivée  des  inspecteurs  généraux 
en  juin  1812.  Alors  les  négociations  recommencèrent.  Les  lu- 
thériens persistèrent  à  demander  une  Faculté  «pure  et  sans 
mélange  »,  et  le  pasteur  Petersen  déclara  qu  'il  se  contenterait 
de  ce  qu'on  avait  proposé  en  1811.  Blessig,  sur  l'invitation  du 
recteur,  présenta  alors  un  plan  d'organisation  de  la  Faculté; 
il  demandait  cinq  professeurs  «qui  seraient  chargés  d'en- 
seigner toutes  les  parties  que  nous  croyons  nécessaires  pour 
la  formation  de  bons  ministres  de  notre  culte».  Ce  plan  fut 
soumis  aux  inspecteurs  généraux  et  au  préfet.  Ce  dernier  fit 
observer  que  la  nomination  de  cinq  professeurs  entraînerait 
sans  doute  la  suppression  du  Séminaire  et  la  confiscation  des 
fondations  protestantes.  Les  inspecteurs  généraux  furent  du 
même  avis,  et  on  résolut  de  laisser  tomber  toute  l'affaire. 

L'année  d'après,  la  question  fut  pourtant  remise  en  dis- 
cussion, et  elle  le  fut  par  les  professeurs  du  Séminaire. 

Le  15  septembre  1813,  six  d'entre  eux,  Blessig,  Haffner, 
Fritz,  Schweighaeuser,  Herrenschneider  et  Dahler,  se  ré- 
unissaient pour  délibérer  sur  l'urgente  nécessité  d'établir  une 
Faculté  de  théologie  protestante  à  Strasbourg.  S 'appuyant 
sur  les  démarches  faites  et  les  résolutions  prises  depuis  quatre 
ans  et  sur  les  instructions  récentes  du  ministre  des  cultes  re- 
latives à  la  collation  des  grades,  ils  demandèrent  au  Direc- 
toire de  proposer  au  grand  maître  la  création  d'une  Faculté 
comprenant  quatre  chaires  et  la  nomination  à  ces  chaires  des 
professeurs  Blessig,  Haffner,  Fritz  et  Dahler. 

Le  Directoire  adhéra  à  ce  vœu.  Il  décida  de  renouveler 
les  démarches  faites  antérieurement  auprès  du  grand  maître 
en  faveur  de  la  création  d'une  Faculté  protestante  de  la  Con- 
fession d'Augsbourg  et  de  lui  présenter  des  candidats  aux 
quatre  chaires  dans  lesquelles  seraient  enseignés  le  dogme, 
la  morale  évangélique,  l'histoire,  la  discipline  ecclésiastique 
et  l'interprétation  des  Saintes  Ecritures.  Il  proposait,  lui 
aussi,  d'y  nommer  les  professeurs  Blessig,  Haffner,  Fritz 
et  Dahler.  «  Ces  quatre  ecclésiastiques  »,  disait-il,  «  sont  des 
savants  du  premier  mérite  aussi  recommandables  par  l'éten- 
due et  la  diversité  de  leurs  connaissances  et  par  la  solidité 
et  la  clarté  de  leur  enseignement  que  par  leurs  vertus.  Ils  sont 
chers  à  leur  auditeurs,  considérés  dans  le  public,  estimés  par 
ceux  qui  savent  apprécier  les  connaissances  et  les  talents,  en 


LA  CRÉATION  DE  LA  FACULTE  DEMANDEE  AVEC  INSTANCE      115 

un  mot,  généralement  estimés  par  les  personnes  de  toutes  les 
croyances  religieuses  dans  notre  ville.  » 

Le  Directoire  ajoutait  que  Torganisation  d'une  Faculté 
de  théologie  de  la  Confession  d'Augsbourg  ne  saurait  plus 
être  différée  sans  de  graves  inconvénients.  Il  était  de  toute 
nécessité  que  les  jeunes  théologiens  pussent  acquérir  les 
grades  universitaires.  S'ils  ne  pouvaient  les  acquérir  à  Stras- 
bourg, ils  iraient  à  Brêine  où  une  Faculté  de  théologie  venait 
d'être  fondée,  et  Strasbourg  serait  délaissé.  Ils  préféraient 
pourtant  venir  dans  cette  ville,  «parce  qu'ils  y  auraient  la 
facilité  de  se  perfectionner  dans  la  langue  et  la  littérature 
françaises  ». 

En  envoyant  cette  lettre  au  conseiller  G.  Cuvier,  avant 
de  la  remettre  au  grand  maître,  le  président  du  Directoire 
protestait  une  fois  de  plus  contre  l'idée  d'une  Faculté  mixte. 

«Nous  demiandons  cette  Faculté  sans  aucun  mélange 
quelconque.  Vous  connaissez  les  tentatives  qui  ont  été  faites 
pour  opérer  un  amalgame,  mais  nous  croirions  devoir  nous 
y  opposer  de  toutes  nos  forces  si  on  voulait  y  revenir.  Pour- 
quoi aussi  les  partisans  de  la  Confession  d'Augsbourg,  au- 
jourd'hui très  nombreux  dans  l'Empire  français,  n'auraient- 
ils  pas  à  eux  une  Faculté  de  théologie  uniquement  composée 
de  professeurs  de  leur  culte,  tandis  que  les  protestants  du 
culte  dit  réformé  ont  la  Faculté  de  Genève  et  le  Séminaire  de 
Montauban,  avec  un  grand  nombre  de  professeurs,  et  la  Fa- 
culté de  Leyde  et  de  Grœningen.  » 

«  Nous  désirons  bien  fortement  »,  concluait  le  président, 
«d'obtenir  les  quatre  chaires  et  cela  dans  l'ordre  dans  lequel 
elles  sont  demandées,  et  il  nous  importe  infiniment  que  ce 
soient  MM.  Blessig,  Haffner,  Dahler  et  Fritz  que  S.  E.  le 
grand  maître  appelle  à  ces  chaires.  Le  vœu  unanime  de  toutes 
les  personnes  qui  prennent  part  au  succès  de  cette  affaire,  est 
encore  que  M.  Blessig  soit  nommé  doyen  de  la  Faculté.  H  le 
mérite  à  tous  égards,  par  son  ancienneté  dans  l'enseignement, 
par  son  âge  supérieur  à  celui  des  autres,  même  par  sa  place 
au  Directoire  dont  il  est  membre  né,  en  sa  qualité  de  Premier 
Inspecteur  ecclésiastique  dans  le  ressort  du  Consistoire  gé- 
néral. »0. 


*)  A  Monsieur  Cuvier,  Maître  des  requêtes.  Conseiller  titulaire  de 
VUniversité  Impériale  etc.  (Arch.  du  Dir.). 


8* 


116  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE   STRASBOURG 

Les  candidats  que  présentait  maintenant  le  Directoire, 
au  nombre  de  douze,  étaient,  outre  les  professeurs  Blessig, 
Haffner,  Dahler  et  Fritz,  et  les  professeurs  suppléants  au 
Séminaire,  Redslob  et  Emmerich,  les  pasteurs  Beck  du 
Temple-Neuf,  Engel  de  l'église  Saint-Thomas  et  Schweickard 
de  réglise  Saint-Nicolas,  et  les  «répétiteurs»  au  Gymnase 
protestant  Emmerich,  Lichtenberger  et  Aufschlager. 

En  présentant  cette  liste  au  grand  maître,  le  président  eut 
pourtant  soin  de  lui  faire  remarquer  que  «leurs  connais- 
sances, leurs  talents  et  leur  aptitude  à  renseignemjent,  met- 
taient les  candidats  à  une  certaine  distance  l'un  de  l'autre». 
Il  était  évident  que  les  seuls  candidats  aptes  à  occuper  une 
chaire  de  Faculté  étaient  ceux  qui  avaient  fait  leur  preuve 
dans  l'enseignement  universitaire  et  que  le  Directoire  avait 
placés  en  tête  de  sa  liste. 

C'est  à  eux  seuls  aussi  que  le  Directoire  demanda  une  dé- 
claration qui,  à  son  avis,  aiderait  à  lever  les  difficultés  que 
pourrait  faire  naître  la  question  des  traitements  des  profes- 
seurs et  des  frais  généraux  de  la  nouvelle  Faculté. 

Dans  cette  déclaration  du  11  octobre  1813,  les  professeurs 
Blessig  et  Haffner,  Fritz  et  Dahler  disaient  qu'au  cas  oii  ils 
seraient  nommés  membres  de  la  Faculté  de  théologie,  ils 
se  contenteraient  «des  revenus  ordinaires  dont  jouissent 
les  usufruitiers  de  la  fondation  de  Saint-Thomas,  sans  aug- 
mentation »  sous  les  réserves  toutefois  :  1.  que  le  montant  des 
inscriptions  et  des  rétributions  pour  les  examens  fût  laissé  à 
la  disposition  de  la  Faculté;  2.  qu'ils  continueraient  de  toucher 
les  honoraires  pour  les  cours  qu'ils  donneraient  comme 
membres  du  Séminaire;  3.  que  les  frais  du  grand  costume 
qui  leur  était  prescrit  fût  à  la  charge  de  la  fondation,  qui 
resterait  propriétaire  de  ces  costumes;  4.  que  les  frais  de 
bureau  et  toutes  les  dépenses  extraordinaires  et  imprévues 
relatives  à  la  Faculté  et  à  ses  rapports  avec  l'Université  im- 
périale seraient  également  portés  par  la  fondation  de  Saint- 
Thomas. 

Une  nouvelle  déclaration  faite  par  les  mêmes  à  la  date  du 
25  janvier  1814  disait  encore  qu'au  cas  où  ils  seraient 
nommés  membres  de  la  Faculté,  ils  ne  demanderaient  pas 
à  être  augmentés  dans  leur  traitement  par  la  fondation  de 
Saint-Thomas. 

Les  événements  de  l'année  1814  interrompirent  les  né- 


LA  QUESTION  DE  LA  FACULTE  KEPRISE  EN  1818       117 

gociations  relatives  à  la  création  d'une  Faculté  protestante. 
Après  la  chute  de  Napoléon  et  pendant  les  années  qui  sui- 
virent, il  n'en  fut  plus  question.  La  Restauration,  qui  affec- 
tait d'ignorer  tout  ce  qui  avait  été  projeté  ou  exécuté  sous 
l'Empire  et  qui,  d'ailleurs,  était  peu  favorable  aux  protes- 
tants, n'avait  aucun  intérêt  à  les  doter  d'une  Faculté  de  théo- 
logie. 

Ce  n'est  qu'en  1818,  lors  de  la  réorganisation  de  l'ins- 
truction publique,  que  la  question  de  la  Faculté  protestante 
surgit  à  nouveau.  L'annonce  de  la  création  prochaine  de  cet 
établissement  ne  fut  pourtant  pas  accueillie  par  les  protes- 
tants avec  la  satisfaction  qu'on  aurait  pu  croire.  Ils  crai- 
gnaient, et  avec  quelque  raison,  que  la  liberté  de  l'enseigne- 
ment ne  fût  entravée;  ils  se  demandaient  même  si  le  Sémi- 
naire ne  serait  pas  menacé  dans  son  existence.  «Nous  avons 
été  prévenus»  écrivait  le  29  juin  1818  le  Vice-directeur  du 
Séminaire  au  président  et  aux  niembres  du  Directoire,  «  que, 
dans  la  nouvelle  organisation  de  l'instruction  publique,  dont 
le  projet  est  déjà  imprimé  et  distribué  aux  membres  du  Con- 
seil d'Etat,  mais  que  l'on  tient  encore  secret,  il  est  question 
de  la  formation  d'une  Faculté  de  théologie  dans  l'Académie 
Royale  de  Strasbourg,  et  plusieurs  avis  nous  font  craindre 
que  cette  formation  ne  soit  proposée  d'une  manière  qui  pour- 
rait compromettre  la  liberté  de  notre  enseignement  religieux, 
ou  même  la  conservation  intacte  du  principal  établissement 
de  notre  instruction  tant  théologique  que  préparatoire.  Le 
Séminaire  a,  en  conséquence,  délibéré  sur  les  mesures  qui 
pourraient  être  à  prendre  pour  éviter  que  cette  organisation 
ne  tourne  à  notre  désavantage,  et  il  s'est  trouvé  que  l'opinion 
unanime  des  membres  de  ce  corps  est  qu'il  serait  plutôt  à 
désirer  que  l'érection  d'une  telle  Faculté  n'ait  pas  lieu  du 
tout  et  que  les  choses  restent  dans  l'état  où  elles  sont  aictuel- 
lement.  »  *) 

Un  mémoire  joint  à  cette  lettre  et  destiné  à  être  soumis 
au  ministre,  donnait  sur  l'organisation  du  Séminaire  les  ren- 
seignements nécessaires  et  concluait  «que  cette  organisation 
n'appelait  aucun  changement  et  qu'on  ne  pourrait  y  intro- 
duire des  modifications  essentielles  sans  blesser  la  liberté  re- 


*)  Réflexions  sur  la  formation  d'une  Faculté  de  théologie  projetée 
par  la  Commission  de  Vlnstruction  publique  (Arch.  du  Dir.). 


118  LA  FACULTE  DE  THEOLOGIE  DE   STRASBOURG 

ligieuse  et  sans  compromettre  Tétat  florissant  d'un  établisse- 
ment unique  en  son  genre».  «Les  raisons  que  nous  venons 
d'exposer»,  disait-il  en  terminant,  «réclament  en  sa  faveur 
une  exception  de  l'assujettissement  général  au  régime  de 
l'Université  comme  une  justice  qu'un  Gouvernement  qui  a  ad- 
mis en  principe  la  liberté  des  cultes,  l'observation  religieuse 
des  traités  et  la  protection  de  toutes  les  institutions  utiles  et 
respectables,  ne  saurait  nous  refuser.» 

Ce  mémoire  devait  être  présenté  au  ministre,  à  M.  Royer- 
Collard,  président  de  la  Commission  royale  de  l'Instruction 
publique,  et  à  M.  Cuvier,  membre  de  cette  Commission.  On 
en  conféra  aussi  avec  l'inspecteur  général  de  l'Université,  à 
son  passage  à  Strasbourg.  Ces  démarches  pourtant  n'abou- 
tirent pas.  Le  2  novembre,  la  Commission  de  l'Instruction 
publique  avisait  le  président  du  Directoire  qu'elle  s'était  oc- 
cupée, sur  l'invitation  du  ministre  de  l'Intérieur,  d'établir  à 
Strasbourg  la  Faculté  de  théologie  de  la  Confession  d'Augs- 
bourg  voulue  par  le  décret  du  17  mars  1808  et  qu'elle  avait 
pensé  que  le  meilleur  moyen  de  concilier  tous  les  intérêts  et 
de  prévenir  toutes  les  discussions  serait  d'affecter  les  fonc- 
tions de  membres  de  la  Faculté  à  trois  des  chaires  du  Sémi- 
naire. Il  suffirait  que  le  président  du  Directoire  indiquât  à 
la  Commission  les  trois  professeurs  du  Séminaire  qui  pour- 
raient le  mieux  remiplir  la  place  de  doyen  et  celles  de  profes- 
seurs pour  la  dogmatique,  l'histoire  ecclésiastique  et  la  mo- 
rale. La  Commission  communiquait  en  même  temps  aiu  Di- 
rectoire un  projet  d'organisation  de  la  Faculté  qu'elle  sou- 
mettrait à  la  sanction  du  ministre,  après  s'être  assuré  qu'il 
répondait  aux  vœux  de  l'autorité  ecclésiastique. 

Le  Directoire  ayant  répondu  qu'il  ne  trouvait  rien  à 
redire  à  un  projet  qui  «  remplissait  entièrement  ses  vœux  », 
la  Commission  de  l'instruction  publique  prit,  le  7  décembre 
1818,  un  arrêté  portant  organisation  de  la  Faculté  de  théo- 
logie protestante  de  Strasbourg,  qui,  en  huit  articles,  con- 
tenait les  dispositions  suivantes: 

«Art.  I^^.  —  La  Faculté  de  Théologie  protestante  de 
Strasbourg  sera  composée  de  trois  professeurs,  savoir:  un 
professeur  du  dogme,  un  professeur  d'histoire  ecclésiastique 
et  un  professeur  de  morale  évangelique. 

«  Art.  IL  —  Trois  chaires  actuellement  établies  au  Grand 
Séminaire    de   la  Confession  d'Augsbourg   sont   érigées    en 


l'akrêté  portant  organisation  de  la  faculté         119 

chaires  de  Faculté,  et  leurs  titulaires  composeront  ladite  Fa- 
culté. Ils  ne  seront  tenus  à  d^autre  enseignement  qu'à  celui 
qui  se  fait  audit  Séminaire. 

«Art.  III.  —  La  Faculté  procédera  aux  examens  et  col- 
lations de  grade  sous  Pinspection  du  Recteur  ou  de  Plnspec- 
teur  qu'il  déléguera  à  cet  effet,  et  d'après  les  règlements  à 
introduire. 

«Art.  IV.  —  Les  professeurs  recevront  de  la  caisse  de 
l'Instruction  publique  un  traitement  annuel  de  1000  francs 
chacun.  Le  Doyen  aura  un  préciput  de  500  francs. 

«Art.  V.  —  Les  recettes  éventuelles  seront  faites  pour 
le  compte  de  l'Université. 

«Art.  VI.  —  Pour  la  première  formation,  le  Directoire 
du  Consistoire  Général  de  la  Confession  d'Augsbourg  pré- 
sentera à  la  Commission,  entre  les  professeurs  actuels  du 
Séminaire,  les  trois  sujets  qui  lui  paraîtront  les  plus  propres 
à  faire  partie  de  la  Faculté. 

«Art.  VII.  —  A  l'avenir,  le  Directoire  présentera  pour 
chaque  place  vacante  trois  sujets  entre  lesquels  la  Faculté 
choisira  au  concours,  conformément  à  l'article  VII  du  décret 
du  17  mars  1808.  Le  sujet  nommé  sera  à  la  fois  professeur 
au  Séminaire  et  à  la  Faculté.  Il  sera  institué  en  cette  dernière 
qualité  par  l'autorité  universitaire. 

«Art.  VIII.  —  Le  présent  arrêté  recevra  son  exécution 
après  que  le  Directoire  aura  donné  son  assentiment  formel 
aux  sept  premiers  articles  du  dit  arrêté,  et  qu'il  aura  été 
revêtu  dei  l'approbation  de  S.  E.  le  Ministre  de  l'Intérieur.  »  *) 

Le  Directoire,  dans  sa  séance  du  13  janvier  1819,  donnait 
son  assentiment  à  cet  arrêté,  et  le  10  avril  1819,  le  ministre, 
comte  de  Cazc,  l'approuvait  à  son  tour.  Il  annonçait  en  même 
temps  qu'il  serait  pourvu  ultérieurement  à  l'établissement, 
près  de  la  nouvelle  Faculté  «d'une  chaire  de  dogme  pour  le 
culte  calviniste  ».  *) 

Quelques  jours  plus  tard,  le  26  avril,  la  Commission  de 
l'instruction  publique  arrêtait  la  composition  de  la  Faculté: 
se  conformant  aux  présentations  faites  par  le  Consistoire 
général,  elle  nommait  Hafïner  professeur  de  dogme  et  doyen 
de    la    Faculté;    Fritz,    professeur    de    morale    évangélique; 


*)  Extrait  du  Begîstre  des  Délibérations  de  la  Commission  de  Vins- 
iruction  publique  (Arch.  nat.). 


120  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE   STRASBOUEG 

Dahler,  professeur  d'histoire  ecclésiastique,  et  Eedslob,  sup- 
pléant et  secrétaire  de  la  Faculté. 

Cette  distribution  des  chaires  était  loin  de  satisfaire  tout 
le  monde.  Le  Séminaire  fit  remarquer  que  le  professeur  Dahler 
se  trouvait,  contrairement  à  l'article  II  de  l'arrêté  du  7  dé- 
cembre 1818,  chargé  d'un  enseignement  autre  que  celui  qu'il 
donnait  au  Séminaire  et  que  la  chaire  d'exégèse,  si  impor- 
tante, était  omise  dans  l'organisation  de  la  Faculté.  Il 
pria  le  Directoire  d'intervenir  auprès  de  la  Commission 
de  l'instruction  publique  pour  qu'elle  conservât  à  Dahler 
la  chaire  d'exégèse  qu'il  occupait  au  Séminaire  avec  tant  de 
distinction,  d'autant  plus  que  le  cours  d'histoire  ecclésias- 
tique donné  au  Séminaire  par  un  savant  des  plus  compétents 
pouvait  parfaitement  suffire. 

Le  Directoire,  «dans  l'intérêt  même  du  Séminaire»,  ne 
crut  pas  devoir  accéder  à  cette  demiande.  Il  avait  déclaré,  nous 
l'avons  vu,  que  le  projet  d'organisation  de  la  Faculté  que  lui 
avait  présenté  la  Commission  de  l'instruction  publique  rem- 
plissait entièrement  ses  vœux;  il  changea  pourtant,  paraît-il, 
d'avis,  et,  sous  l'influence  de  l'opinion  générale,  il  comprit 
qu'une  Faculté  de  trois  chaires  ne  répondait  pas  aux  exigences 
de  l'enseignement  théologique.  Nous  lisons,  en  eiïet,  dans  un 
rapport  adressé  par  le  recteur  de  l'Académie  de  Strasbourg 
au  ministre  *)  :  «  Il  (le  projet)  n'est  pas  goûté,  surtout  parce 
qu'il  est  incomplet.  —  Ceux  qui  l'ont  adopté,  mais  avec  ré- 
pugnance, ont  cru  devoir  l'adopter  tel  qu'il  était  pour  y  mettre 
du  leur  le  moins  possible.  —  D'autres  pensent  qu'une  loi  doit 
être  exécutée,  qu'il  faut  faire  à  Strasbourg  ce  qui  se  fait  à 
Paris,  à  Montauban,  et  qu'il  faudrait  d'ailleurs  l'ordonner, 
s'il  n'y  avait  pas  des  ordres  antérieurs,  pensant  encore  qu'il 
ne  faut  pas  faire  à  demi  et  qu'une  Faculté  de  théologie  pro- 
testante réduite  à  trois  personnes,  serait  trop  disparate  avec 
les  établissements  de  l'Allemagne  pour  qu'elle  ne  fût  pas 
jugée  avec  sévérité.  Ils  sont  donc  d'avis 'qu'il  ne  faut  pas 
moins  de  cinq  professeurs,  nombre  qui  existe  à  Montauban»^). 
Dans  ime  lettre  du  12  juillet  1819,  le  recteur  revient  sur  cette 


*)  Le  rapport,  sans  date,  est  probablement  de  décembre  1818,  car  il 
est  accompagné  d'un  brouillon  de  réponse  adressé  de  Paris  au  Recteur 
à  la  date  du  15  janvier  1819. 

')  Archives  nationales. 


INSTANCES  POUR  OBTENIR  UNE  FACULTE  PLUS  COMPLETE      121 

question  et  fait  remarquer  que  le  doyen  de  la  Faculté  de 
théologie  estime  qu'une  chaire  d'exégèse  est  essentiellement 
nécessaire.  «  Tant  que  cette  chaire  manquera,  la  Faculté  doit 
être  regardée  comme  incomplète  »  ').  Il  propose  finalement  de 
nommer  à  côté  de  Haffner  pour  le  dogmie,  de  Fritz  pour  la 
morale  et  de  Dahler  pour  l'exégèse,  Eedslob  pour  les  sciences 
pastorales  et  Emmerich  pour  l'histoire  ecclésiastique. 

La  Commission  de  l'instruction  publique  se  montrait 
pourtant  peu  disposée  à  donner  une  plus  grande  extension  à 
la  nouvelle  Faculté.  Elle  s'impatientait  des  réclamations  qui 
venaient  du  Séminaire  et  du  Directoire  et  dont  le  recteur  se 
faisait  l'écho,  comme  le  prouve  cette  note  marginale  accolée 
au  rapport  de  janvier  1819:  «Répondre  que  le  grand  point 
est  d'avoir  une  Faculté  existante,  que  le  moment  étant  favo- 
rable, on  le  prie  de  ne  pas  chercher  le  mieux  de  crainte  de 
manquer  le  bien.  »  ') 

Cependant  les  réclamations  continuaient;  le  24  octobre 
1819,  le  recteur  plaidait  encore  une  fois  en  faveur  de  l'érec- 
tion de  deux  nouvelles  chaires  dans  la  Faculté  protestante. 
«  Nos  Messieurs  »,  disait-il,  «  la  regardent  comme  indispen- 
sable; ils  ne  savent  trop  que  dire  à  leurs  collègues  d'outre- 
Ehin  qui  leur  demandent  comment  une  Faculté  aussi  réduite 
peut  suffire  à  l'enseignement  protestant.  —  M.  Dahler  chargé 
de  l'Histoire,  fera  mial  ce  cours  que  M.  Emmerich  fera  d'une 
manière  distinguée,  et  pour  que  la  question  de  finance  ne 
vienne  pas  compliquer  l'affaire,  j'ajouterai  que  pour  nommer 
M.  Redslob  professeur  en  pied  et  M.  Emmerich  professeur,  il 
ne  faudrait  que  1.000  francs  en  plus  du  budget  de  l'an 
dernier.  »  ') 

A  ces  instances  réitérées  et  de  plus  en  plus  pressantes,  il 
fallut  finalement  céder.  Le  13  novembre  1819,  la  Commission 
de  l'instruction  publique  informait  le  recteur  de  l'Académie 
de  Strasbourg  qu  'elle  avait  pris  en  considération  les  instances 
faites  par  le  Consistoire  général  et  qu'elle  avait  arrêté  les 
dispositions  nécessaires  pour  compléter  renseignement  de  la 
Faculté  de  théologie.  Elle  le  chargait  d'installer  en  qualité 
de  professeurs  Eedslob  et  Emmerich. 


*)  Lettre  du  Recteur  (Arch.  nat). 
^)  Arch.  nat. 

')  Lettre  du  Recteur  de  V Académie  de  Strasbourg  à  M.  G.  Cuvier 
(Arch.  nat.). 


122  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOURG 

Le  10  décembre  suivant,  le  recteur  de  P Académie  donnait 
connaissance  au  président  du  Directoire  de  l'arrêté  du  28  no- 
vembre 1819,  par  lequel  le  Conseil  royal  de  Tinstruction 
publique  nommait  M.  Richard  professeur  de  dogmatique  de 
la  Confession  helvétique  près  de  la  Faculté. 

La  Faculté  de  théologie  de  Strasbourg  se  trouva,  dans  les 
derniers  jours  de  Pannée  1819,  définitivement  constituée  avec 
six  chaires  pour  l'enseignement  1.  du  dogme  luthérien;  2.  de 
la  morale  évangélique;  3.  de  Texégèse  biblique;  4.  de  l'his- 
toire de  l'Eglise;  5.  de  l'éloquence  sacrée,  et  6.  du  dogme  ré- 
formé. Des  six  professeurs  nommés  à  ces  chaires,  cinq,  ceux 
qui  appartenaient  à  l'Eglise  de  la  Confession  d'Augsbourg, 
Haffner,  Fritz,  Dahler,  Redslob  et  Emtaierich,  étaient  en  même 
temps  professeurs  au  Séminaire  et,  comme  tels,  chanoines  de 
Saint-Thomas;  le  sixième,  Richard,  qui  appartenait  à  l'Eglise 
réformée,  était  professeur  à  la  Faculté  seulement  et  ne  par- 
ticipait pas  aux  revenus  des  fondations  protestantes. 

On  s'était  d'ailleurs  beaucoup  préoccupé  dans  la  Com- 
mission de  l'instruction  publique  de  la  manière  de  régler  les 
rapports  du  professeur  réformé  avec  les  autres  professeurs  de 
la  Faculté,  et  on  avait  cru,  pour  prévenir  tout  frottement  et 
tout  conflit,  devoir  élever  entre  eux  une  barrière  infranchis- 
sable. La  Faculté,  invitée  à  donner  son  avis  à  ce  sujet,  avait 
fait  cette  réponse  :  «  Moins  il  y  aura  de  contact  entre  les  pro- 
fesseurs protestants  (luthériens)  et  leur  collègue  réformé,  plus 
le  maintien  de  l'harmonie  entre  les  deux  partis  sera  assuré. 
Les  Eglises  étant  séparées,  il  s'en  suit  que  les  professeurs  des 
deux  cultes  doivent  également  faire  ménage  à  part»,  et  dans 
le  projet  d'un  arrêté  pour  régler  la  question,  cette  idée  d'une 
stricte  séparation  avait  été  accentuée  davantage  encore: 
«  Pour  prévenir  les  collisions  de  droit  et  les  froissements  entre 
les  deux  cultes»,  y  était-il  dit,  «leurs  professeurs  resteront 
parfaitement  séparés.  Le  professeur  réformé  viendra  à  la 
Faculté  de  théologie  protestante  uniquement  pour  donner  son 
cours;  il  n'aura  rien  de  commun  avec  elle  pour  tout  le  reste, 
ni  pour  la  discipline,  ni  pour  l'administration,  ni  pour  la 
direction  des  études.  Il  en  sera  de  mêmie  de  la  part  de  la  Fa- 
culté protestante  pour  tout  ce  qui  regarde  les  affaires  du  culte 
réformé.  » 

L'arrêté  pris  le  13  octobre  1819  par  la  Commission  de 
l'instruction  publique  pour  régler  «les  Rapports  de  la  chaire 


LE  PKOFESSEUK  REFORME  A  LA  FACULTE  123 

helvétique  avec  le  reste  de  la  Faculté»  n'allait  pas  aussi  loin 
que  le  projet  Tl  portait,  avant  tout,  que  les  élèves  protestants 
(luthériens)  seraient  tenus  de  suivre  le  cours  de  dogmatique 
du  professeur  protestant  et  les  élèves  réformés  celui  du  pro- 
fesseur réformé,  et  que,  pour  être  admis  aux  examens  pour 
les  grades  académiques,  les  candidats  réformés  devraient 
apporter  un  certificat  d'aptitude  délivré  par  leur  professeur. 

Pour  le  reste,  l'arrêté  statuait  que  la  Faculté  ne  s'immis- 
cerait pas  dans  l'enseignement  particulier  confié  au  profes- 
seur du  dogme  réformé  et  que  celui-ci  respecterait  les  règle- 
ments adoptés  par  la  Faculté  sur  l'enseignement  et  la  disci- 
pline. H  resterait  étranger  à  l'administration  et  ne  pourrait 
être  doyen.  Il  ne  serait  pas  agrégé  aux  professeurs  du  Sémi- 
naire et  n'aurait  point  part  aux  avantages  dont  ceux-ci 
jouissaient  en  cette  qualité. 

Ces  dispositions,  qui  isolaient  le  professeur  réformé  de  ses 
collègues  luthériens  et  lui  assignaient  sa  place  à  côté  plutôt 
que  dans  la  Faculté,  ne  purent  être  appliquées  rigoureuse- 
ment. Le  contact  entre  les  représentants  des  deux  confessions 
était  trop  fréquent,  dans  les  délibérations  sur  les  affaires  de 
la  Faculté,  dans  la  présentation  aux  chaires  vacantes,  dans  les 
cas  de  discipline,  dans  les  soutenances  de  thèses  par  des  can- 
didats luthériens  et  réformés,  dans  d'autres  occasions  encore, 
pour  qu'on  pût  songer  à  maintenir  la  séparation  que  l'arrêté 
de  1819  avait  recommandée.  Les  dispositions  de  cet  arrêté 
tombèrent  l'une  après  l'autre  dans  le  cours  des  années,  sauf 
celle  qui  excluait  le  professeur  réformé  de  la  participation 
aux  avantages  matériels  dont  jouissaient  les  membres  du  Sé- 
minaire, et  quand  Sabatier  arriva  à  la  Faculté  comme  suc- 
cesseur de  Richard,  il  fut  accueilli  par  les  professeurs  luthé- 
riens comme  un  collaborateur  utile  et  travailla  avec  eux  la 
main  dans  la  main. 


II 

Les  commencements  de  la  Faculté  qui  devait  plus  tard  ac- 
quérir une  si  grande  et  si  juste  renommée,  ne  furent  rien 
moins  que  brillants.  Le  doyen  Haffner  avait  soixante-dix  ans. 
Fatigué,  retiré  du  monde,  nmis  bourreau  de  lecture  comme 
autrefois  et  d'une  curiosité  insatiable,  il  vivait  dans  sa  magni- 
fique bibliothèque,  au  milieu  de  ses  livres.  Il  continuait  pour- 


124  LA  FACULTÉ   DE   THEOLOGIE  DE   STKASBOUEG 

tant  à  faire  ses  cours  de  dogmatique,  d'histoire  des  dogmes 
et  d'introduction  au  Nouveau  Testament  et  à  expliquer  les 
livres  du  Nouveau  Testament,  à  Texception  des  quatre  Evan- 
giles qu'il  n'interpréta  jamais.  En  dogmatique,  il  lisait  ses 
anciens  cahiers,  sans  rien  y  changer.  C'était  un  rationalisme 
critique,  peu  conséquent  d'ailleurs  et  peu  destructif.  Quant  à 
son  exégèse,  elle  était  essentiellement  philologique:  il  ne 
cherchait  pas  à  pénétrer  le  fond  de  la  pensée  religieuse  des 
auteurs  qu'il  expliquait,  ni  à  découvrir  l'élément  mystique  et 
spéculatif  de  leurs  écrits.  Dans  son  introduction  au  Nouveau 
Testament,  il  se  montrait  plutôt  conservateur:  les  grandes 
questions  que  la  critique  sacrée  commençait  à  agiter  en  Alle- 
magne, les  problèmes  délicats  et  complexes  que  soulève 
l'étude  des  Evangiles,  étaient  ignorés  de  lui.  Son  influence 
pourtant  n  'en  était  pas  diminuée.  On  n  'oubliait  pas  les  grands 
services  que,  dans  des  moments  difficiles,  il  avait  rendus  à 
l'Académie  protestante  et  à  l'Eglise  d'Alsace  tout  entière,  ni 
la  courageuse  fermeté  qu'il  avait  montrée  à  l'époque  de  la 
Terreur,  et  on  l'entourait  d'une  haute  estime  et  d'une  vénéra- 
tion profonde. 

Chez  Dahler  aussi,  et  plus  encore  que  chez  Haffner,  l'âge 
se  faisait  sentir.  Il  continuait  pourtant  ses  leçons  comme  par 
le  passé,  donnant  chaque  année  un  cours  d'introduction  à 
l'Ancien  Testament  et  expliquant,  dans  un  cycle  de  trois  ans, 
invariablement  les  Psaumes,  Esaïe  et  les  petits  prophètes. 
Mais  malgré  une  érudition  qui  était  bien  réelle,  et  malgré  la 
conscience  qu'il  apportait  dans  la  préparation  de  ses  leçons, 
il  ne  parvenait  plus  à  intéresser  ses  élèves  aux  matières  qu'il 
traitait  devant  eux.  «  C'était  »,  dit  l'un  de  ses  auditeurs,  «  le 
professeur  le  plus  ennuyeux  que  j'aie  rencontré  de  ma  vie.  » 
Reuss,  dans  ses  Ménioires,  a  fait  du  vieux  maître  et  de  son 
auditoire,  dans  les  dernières  années  de  sa  longue  carrière, 
une  description  intéressante: 

«  Il  était  assis  »,  dit-il,  «  derrière  une  petite  table,  la  tête 
fortement  inclinée,  les  deux  mains  dans  son  giron,  les  jambes 
bottées  croisées,  et  il  nous  lisait  sa  science  sur  de  petits  bouts 
de  papier  couverts  d'une  écriture  lilliputienne...  Nous  étions 
d'ordinaire  une  trentaine.  Le  professeur  avait  la  liste  de  ses 
auditeurs  et  il  les  invitait  à  tour  de  rôle,  mais  invariablement 
dans  le  même  ordre,  à  traduire  un  verset  du  texte  sacré.  Cha- 
cun savait  donc    d'avance  quel  verset  lui  incomberait.   Ce 


LES  DEBUTS  DE  LA  FACULTÉ  125 

n'était  pourtant  pas  une  raison  pour  le  préparer,  mais  seule- 
ment pour  s'arranger  de  façon  à  ce  que  la  version  de  Luther, 
qui  circulait  parmi  nous,  se  trouvât  là  au  bon  moment  pour  y 
lire  la  traduction  allemande.  Comme  on  ne  traduisait  jamais 
plus  de  quinze  versets,  la  moitié  des  auditeurs  pouvaient 
rester  tranquillement  chez  eux,  et  ils  ne  s'en  faisaient  pas 
faute.  Souvent  aussi,  les  élèves,  après  avoir  traduit  leur  verset, 
s'en  allaient.  Dahler  ne  s'en  apercevait  pas  ou  affectait  de  ne 
pas  s'en  apercevoir.  » 

Dans  son  cours  d'introduction  aux  livres  de  l'Ancien  Tes- 
tament, Dahler  reproduisait,  mais  après  les  avoir  conscien- 
cieusement revues,  les  opinions  d'Eichhorn,  qui  avait  été  son 
maître  à  Gœttingue.  Il  dictait  son  cours,  mais  les  auditeurs 
n'écrivaient  guère  sous  sa  dictée.  «Pour  lors»,  dit  Reuss, 
«nous  étions  parqués  dans  une  petite  salle  qui  était  si  judi- 
cieusement aménagée  que  la  moitié  des  auditeurs  tournaient  le 
dos  au  professeur.  Pour  nous  désennuyer,  nous  imaginâmes  de 
rédiger  un  journal.  Il  avait  pour  titre  «  L 'Antihypochon- 
driacus  ».  Chaque  semaine  paraissait  un  numéro  en  prose  ou 
en  vers,  avec  de  bonnes  plaisanteries  sur  Dahler  et  sur  son 
épouse  avare...  Nous  tracions  aussi  des  damiers  sur  les  tables 
et  jouions  pendant  la  leçon.  »  ^) 

Les  cours  du  troisième  professeur  de  la  Faculté  étaient 
plus  intéressants  que  ceux  de  Dahler  et,  partant,  mieux  suivis. 
Fritz  n'avait  pas  de  qualités  brillantes,  mais  il  était  sensé, 
consciencieux,  plein  de  zèle.  «  Chez  lui,  on  apprenait  quelque 
chose»,  dit  Bruch.  Il  expliquait  les  Evangiles,  enseignait  la 
morale  chrétienne  et  faisait  un  cours  de  catéchétique.  «  C  'était 
son  meilleur  cours  »,  dit  encore  Bruch,  «  aussi  y  eut-il  parmi  les 
étudiants  quelques-uns  qui  le  suivirent  deux  fois.  Après  nous 
avoir  exposé  la  théorie,  il  nous  faisait  faire  des  catéchèses 
écrites  et  catéchiser  des  élèves  de  l'école  Saint-Thomas.  Il 
préconisait  la  méthode  socratique  et  cherchait  à  réveiller  la 
réflexion  chez  les  enfants.  »  ') 

A  côté  de  Haffner,  de  Dahler  et  de  Fritz,  il  y  avait  heu- 
reusement à  la  Faculté  deux  maîtres  plus  jeunes  dont  les 
leçons  étaient  hautement  appréciées,  et  qui,  par  les  qualités  du 


*)  Ed.  Reuss,  loc.  cit. 
*)  J.-F.  Bruch,  loc.  cit. 


126  LA  FACULTÉ   DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOURG 

cœur  plus  encore  que  par  celles  de  l'esprit,  exerçaient  sur  leurs 
élèves  une  action  des  plus  salutaires,  Redslob  et  Emmerich. 

Eedslob  avait  donné  et  donnait  encore  au  Séminaire  un 
cours  de  morale  philosophique  et  un  autre  de  psychologie,  ce 
dernier,  nous  l'avons  vu,  avec  un  immense  succès.  A  la  Fa- 
culté, il  se  trouva  chargé  du  cours  d'homilétique.  Prédica- 
teur distingué,  portant  dans  la  chaire  une  parole  simple, 
chaude,  pleine  d'onction,  il  était  plus  qualifié  que  tout  autre 
pour  cet  enseignement  si  important.  Il  semble  pourtant  n'a- 
voir pas  répondu  entièrement  à  ce  qu'on  attendait  de  lui.  Il 
s'occupait,  au  dire  d'un  de  ses  élèves,  de  la  formie  du  sermon 
plus  que  de  son  contenu,  et  n'exerçait  pas,  par  ses  leçons,  sur 
les  jeunes  théologiens  destinés  à  devenir  des  prédicateurs  de 
l'Evangile,  toute  l'influence  qu'il  aurait  pu  avoir.*) 

Mais  d'une  façon  générale,  son  action  sur  ses  élèves  était 
puissante,  et  cela  d 'autant  plus  «  qu  'il  ne  se  bornait  pas  à  les 
instruire,  à  intéresser  leur  esprit  et  à  nourrir  leur  ardente 
curiosité,  mais  que,  les  aimant  de  toute  son  âme,  il  savait  se 
les  attacher  par  les  liens  de  l'affection  et  de  la  reconnais- 
sance. »  *) 

Emmerich,  bien  que  beaucoup  plus  jeune  que  ses  col- 
lègues —  il  avait  alors  trente-quatre  ans  — ,  appartenait,  lui 
aussi,  par  son  esprit  et  son  caractère,  par  ses  idées  et  ses  ten- 
dances, à  cette  génération  de  savants  qui  avait  ses  racines 
dams  le  dix-huitième  siècle.  Son  cours  d'histoire  ecclésiastique, 
consciencieusement  préparé  et  basé  sur  de  fortes  études,  était 
jugé  excellent  par  ses  contemporains.  Ce  qui  lui  gagnait  le 
cœur  des  meilleurs  parmi  les  étudiants  en  théologie,  ce  n'était 
pourtant  pas  sa  science  ni  sa  méthode,  c'était  sa  noble  et  pure 
individualité.  «  Emlnerich  »,  dit  Eeuss,  «  était  un  savant,  mais 
sa  vraie  valeur  n'était  pas  dans  sa  tête,  elle  était  dans  son 
cœur.  Ce  n'est  pas  la  chaire  académique,  mais  la  chaire  chré- 
tienne, la  place  que  la  nature  ou  la  providence  lui  avait 
assignée,  et  il  la  remplissait  complètement.  »  ') 

Emmerich  était,  en  effet,  un  prédicateur  de  talent  et  qui 
parlait  au  cœur.  Appelé,  en  1818,  par  le  conseil  presbytéral 


*)  Ed.  Reuss,  loc.  cit, 

*)  Willm,  Discours  pour  rendre  les  derniers  honneurs  à  M.  Fran- 
çois-Henri Redslob,  p.  27  s. 
•)  Ed.  Reuss,  loc.  cit. 


\ 


KEDSLOB  ET  EMlVrERICH  127 

de  l'église  Saint-Thomas  à  une  place  de  pasteur  à  cette  église, 
il  réunit  tout  de  suite  autour  de  sa  chaire  un  auditoire  nom- 
breux et  sympathique,  et  qui  lui  resta  fidèle  jusqu'au  bout. 
Mais  son  activité  dans  la  chaire  chrétienne  et  dans  la 
chaire  académique  ne  fut  que  de  courte  durée.  La  double 
charge  du  pastorat  et  du  professorat  était  trop  lourde,  ses 
forces  physiques  n'y  purent  suffire.  La  douleur  qu'il  res- 
sentit de  la  mort  d'une  sœur  aimée  et  de  celle  de  son  excellent 
père,  qui  se  suivirent  de  près,  contribua  à  aggraver  le  mal  qui 
le  minait  depuis  longtemps  et  hâta  sa  fin.  Il  mourut  le  l^'"  juin 

1820,  après  de  longues  souffi^ances  supportées  avec  une  pieuse 
résignation,  vivement  regretté  de  ses  collègues,  de  ses  élèves 
et  de  tous  ceux  qui  l'avaient  connu. 

Telle  était  la  physionomie  de  la  Faculté  de  théologie  dans 
la  première  année  de  son  existence.  Elle  allait  changer  par  la 
mort  d'Emmerich  et  par  celle  de  Fritz,  arrivée  le  15  janvier 

1821,  et  par  la  nomination  de  professeurs  plus  jeunes  et 
animés  d'un  esprit  différent. 


DEUXIÈME  PÉRIODE 
1821-1864 


CHAPITRE  I 

Hommes  nouveaiix  et  nouvel  esprit  —  Matter  et  Bruoli 

Eenforoement  du  corps  enseignant  par  des  professeurs  suppléants 

ou  agrégés:  Théodore  Fritz,  André  Jung,  Joseph  Willm 

Jusqu'en  1820,  les  chaires  du  Séminaire  et  de  la  nouvelle 
Faculté  de  théologie  avaient  été  occupées  par  des  hommes 
d'un  âge  avancé  et  qui,  presque  tous,  avaient  appartenu  à 
l'ancienne  Université  de  Strasbourg.  Us  joignaient  au  mérite 
d'une  vaste  érudition  celui  d'une  forte  culture  classique,  mais 
ils  étaient  restés  attachés  aux  méthodes  et  aux  idées  du  passé 
et  se  .montraient  peu  disposés  à  adopter  les  idées  et  les 
méthodes  nouvelles,  qui,  à  ce  moment  même,  sous  l'influence 
de  Schleiermacher  et  de  De  Wette,  se  répandaient  en  Alle- 
magne et  aboutissaient  à  un  renouvellement  de  la  science 
théologique. 

Mais  l'année  1820  amena  des  changements  dans  le  per- 
sonnel enseignant  au  Séminaire  et  à  la  Faculté.  Des  hommes 
plus  jeunes  vinrent  occuper  les  chaires  devenues  vacantes. 
Us  y  apportèrent  un  esprit  progressif  avec  des  habitudes 
scientifiques  nouvelles.  Sans  doute,  ils  professaient,  presque 
tous  le  rationalisme,  mlais  ils  n'étaient  pas  restés  complète- 
ment étrangers  à  la  tendance  mystique  de  Schleiermacher,  et 
ils  se  distinguaient  de  leurs  collègues  plus  âgés  par  une 
méthode  plus  psychologique,  un  esprit  plus  systématique  et 
une  culture  philosophique  plus  profonde. 


HOMMES   NOUVEAUX   ET    NOUVEL   ESPRIT  129 

Parmi  eux,  on  comptait  à  la  Faculté  de  théologie  le 
professeur  du  dogme  réformé,  Mathias  Eichard^.  Il  était 
né  le  25  mars  1795  à  Mulhouse  et  était  fils  de  pasteur.  Bien 
que  Mulhouse  de  cité  helvétique  fût  devenue  ville  française, 
le  jeune  Richard  alla  faire  ses  études  à  Berne  et  à  Genève, 
avec  l'aide  d'une  de  ces  bourses  que  les  «Réfugiés»  avaient 
fondées  au  seizième  siècle  en  faveur  des  étudiants  français. 
Richard  terminait  ses  études  universitaires  au  moment  où 
les  Bourbons,  après  la  restauration,  rétablissaient  les  régi- 
ments suisses;  il  fut  adjoint,  comme  aumônier  à  l'un  d'eux, 
au  régiment  Steiger,  qui  tint  successivement  garnison  à 
Besançon,  à  Strasbourg,  à  Perpignan  et  à  Toulouse.  Durant 
son  séjour  à  Strasbourg,  il  prêcha  à  plusieurs  reprises  au 
Temple  réformé  avec  beaucoup  de  succès.  C'était,  paraît-il, 
un  prédicateur  de  talent  qui  entraînait  ses  auditeurs.  Aussi, 
lorsqu'en  1820  le  pasteur  Petersen  vint  à  mourir,  le  Consis- 
toire réformé  appela  Richard  à  lui  succéder,  bien  qu'il  n'eût 
que  vingt-cinq  ans,  et  la  même  année  une  ordonnance  royale 
du  28  novembre  le  nomma  à  la  chaire  de  dogmatique  réformée, 
qui  avait  été  destinée  au  pasteur  Petersen. 

Richard  était  un  rationaliste  décidé;  mais  il  n'était  pas 
alors  froid  et  sec  comme  il  le  fut  plus  tard.  Cependant  son 
influence  dans  la  Faculté  n'était  pas  grande.  Il  avait  peu 
d'auditeurs.  Les  étudiants  alsaciens  appartenant  à  l'Eglise 
réformée  n'étaient  pas  nombreux  et  suivaient  d'ailleurs  de 
préférence  le  cours  de  Haffner,  qui  se  faisait  en  langue  alle- 
mande. Richard  fut  dès  le  principe  et  resta  dans  la  suite, 
avec  de  rares  exceptions,  une  «  voix  clamant  dans  le  désert  », 
ce  qui  n'était  pas  fait  pour  stimuler  son  activité. 

Deux  autres  nominations  qui  se  suivirent  de  près  dans 
la  Faculté  de  théologie,  eurent  une  plus  grande  importance, 
celle  de  Matter,  qui,  en  1820,  fut  appelé  à  remplacer  Emmerich 
dans  la  chaire  d'histoire  ecclésiastique,  et  celle  de  Bruch,  qui, 
en  1821,  succéda  à  Fritz  dans  la  chaire  de  morale. 

Jacques  Matter,  fils  d'un  cultivateur,  était  né  le  31  mai 
1791  au  village  d'Alteckendorf,  dans  le  département  du  Bas- 
Rhin.  L'enfant,  remarquablement  doué,  trouva  un  généreux 


*)  Voy.  A.  Paira,  M.  Richard,  ancien  pasteur  de  VEglise  réformée 
et  professeur  de  la  Faculté  de  théologie  de  Strasbourg,  dans  le  Progrès 
Religieux,  1869,  p.  51  ss. 


130  LA  FACULTÉ  DE  THEOLOGIE  DE  STRA.SBOUKG 

instituteur  dans  le  pasteur  de  l'endroit,  qui  lui  enseigna  les 
éléments  de  la  langue  latine.  Après  sa  confirmation,  il  entra  au 
Gymnase  protestant  de  Strasbourg  et,  ses  classes  terminées, 
il  étudia  la  théologie  et  les  lettres,  vers  lesquelles  l'entraînait 
une  vocation  naturelle.  En  quittant  les  bancs  de  l'école,  il 
fut  nommé  «vicaire»,  c'est-à-dire  aide,  au  Gymnase.  L'an 
d'après,  il  devint  vice-pédagogue  du  Collège  de  Saint- 
Guillaume  et  régent  provisoire  de  la  classe  élémentaire  du 
Gymnase  et,  en  1813,  après  le  départ  du  maître  de  français, 
le  Montbéliardais  Lalance,  répétiteur  de  l'« Ecole  française». 
En  1814,  il  obtint  un  congé  pour  visiter  une  Université  alle- 
mande et  la  capitale  de  la  France.  Il  se  rendit  d'abord  à 
Gœttingue,  où  il  suivit  les  leçons  de  Bouterweck,  de  Heeren 
et  d'Eichhorn,  puis  à  Paris,  où  il  fréquenta  les  cours  de  la 
Faculté  des  lettres  et  du  Collège  de  France.  Il  y  conquit 
le  grade  de  docteur  ès-lettres.  A  son  retour  à  Strasbourg, 
en  1816,  le  Séminaire  lui  confia,  «  à  cause  de  son  accent  pur  », 
l'enseignement  du  français  au  Gymnase.  Mais,  dès  1818,  il 
quitta  la  vieille  école  de  Sturm  pour  accepter  une  place  de 
régent  au  Collège  royal.  La  même  année,  il  obtint  du 
Séminaire  l'autorisation  de  faire  aux  étudiants  un  cours 
d'histoire  de  la  philosophie.  Il  avait  à  ce  moment  déjà, 
malgré  son  jeune  âge,  acquis  un  certain  renom  dans  les 
lettres:  son  Essai  historique  sur  l'Ecole  d'Alexandrie  venait 
d'être  couronné  par  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles- 
Lettres.  Aussi,  quand  Emmerich,  chargé  de  suppléer  Weber 
dans  l'enseignement  de  l'histoire  ecclésiastique,  vint  à  suc- 
comber au  mal  qui  le  rongeait  depuis  des  mois,  le  Séminaire, 
d'un  commun  accord,  désigna  Matter  comme  «le  seul  auquel 
on  pourrait  confier  en  ce  moment  l'enseignement  de  cette 
partie».  Il  fut  nommé  professeur  suppléant.  Deux  mois 
après,  le  30  août  1820,  la  Commission  de  l'instruction  pu- 
blique le  nommait  professeur  d'histoire  ecclésiastique  à  la 
Faculté  de  théologie  en  remplacement  d 'Emmerich,  et  quel- 
ques semaines  plus  tard,  le  Séminaire  l'appelait  à  la  chaire 
devenue  vacante  par  la  mort  de  Weber.  A  vingt-neuf  ans, 
il  se  trouvait  professeur  titulaire  à  la  Faculté  de  théologie 
et  au  Séminaire. 

Hautement  apprécié  comme  écrivain,  Matter  l'était  moins 
comme  professeur.  Quelque  remarquables  que  fussent  les 
qualités  de  son  esprit,  quelque  facile  ou  même  élégante  que 


JACQUES  MATTER  131 

fût  sa  parole,  il  ne  réussissait  guère  auprès  de  ses  auditeurs. 
Son  enseignement  méthodique,  mais  froid,  les  laissait  indiffé- 
rents. «  Il  ne  nous  captivait  pas  »,  dit  l'un  de  ses  élèves 
d'alors.  «Sa  voix  manquait  de  résonnance,  ses  récits  de 
couleur,  ses  jugements  de  pointe,  son  exposition  de  tendance, 
et  surtout  de  tendance  théologique  ». 

Matter  eut  pourtant,  comme  professeur,  un  grand  mé- 
rite, il  fut  le  premier  au  Séminaire  qui  fit  des  cours  en  langue 
française  et  qui,  comme  le  dit  Eeuss,  «rompit  la  digue  que 
la  routine  avait  élevée  contre  l'introduction  de  l'élément 
français  au  Séminaire».  Comme  étudiant  déjà,  il  s'était 
appliqué  à  acquérir  une  culture  toute  française;  il  avait 
compris  que  l'avenir  était  là.  Cette  culture  lui  permit,  en 
effet,  de  faire  plus  tard  une  carrière  des  plus  brillantes  et 
d'acquérir  une  juste  renommée  littéraire. 

Le  dernier  venu  parmi  les  «  jeunes  »  qui  entrèrent  alors 
au  Séminaire  et  à  la  Faculté  était  très  sympathique  aux  étu- 
diants. Né  à  Pirmasens,  le  13  décembre  1792,  Jean-Frédéric 
Bruch  ^)  était  fils  du  pharmacien  Charles-Louis  Bruch.  Il  des- 
cendait d'une  de  ces  anciennes  familles  de  huguenots  qui,  lors 
de  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  étaient  venues  chercher 
un  refuge  en  Allemagne.  Par  sa  mère,  une  fille  du  docteur 
Strœhlin  de  Trarbach,  il  tenait  à  l'Alsace.  Né  avec  des 
facultés  brillantes  et  un  esprit  avide  de  connaître,  il  se  vit 
privé,  au  milieu  des  désordres  du  temps,  des  moyens  d'ins- 
truction les  plus  ordinaires.  La  guerre,  en  passant  sur  sa 
ville  natale,  y  avait  ruiné  les  établissements  d'instruction 
publique.  A  peine  y  apprenait-on  les  éléments  des  connais- 
sances les  plus  indispensables.  Il  trouva,  il  est  vrai,  dans 
les  deux  pasteurs  luthériens  de  l'endroit  des  instituteurs  qui 
lui  donnèrent  les  premières  notions  de  latinité,  d'histoire  et 
de  géographie;  mais  cet  enseignement  était  bien  insuffisant. 
Quant  au  français,  Bruch  l'apprit  d'un  ancien  sergent-major 
de  la  grande  armée.  Monsieur  Crédit,  qui,  sans  instruction 
et  brouillé  avec  l'orthographe,  parlait  sa  langue  avec  une 
volubilité  toute  méridionale  et  composait  même  de  longs 
drames  qu'il  faisait  représenter  par  ses  élèves. 

Bruch  se  trouva  ainsi  de  bonne  heure  aux  prises  avec 


*)  Voy.  mon  opuscule  Jean-Frédéric  Bruch,    Notice  biographique, 
Strasb.  1874. 


132  LA  FACULTÉ   DE   THEOLOGIE   DE   STRASBOUBG 

de  sérieuses  difficultés.  Mais  loin  d'abattre  son  courage,  elles 
développèrent  en  lui  la  volonté,  l'énergie.  Faute  de  maîtres 
pour  lui  enseigner  ce  qu'il  brûlait  de  savoir,  il  l'apprit  par 
lui-même.  C'est  ainsi  qu'il  commença  l'étude  du  grec  avec  le 
seul  secours  d'un  Nouveau  Testament  grec  et  d'une  vieille 
grammaire  de  cette  langue  qu'il  avait  trouvée  chez  un  ami 
de  son  père. 

A  quatorze  ans,  il  fallut  se  décider  pour  im  état.  La 
carrière  artistique  le  tentait.  Il  avait  appris  tout  seul  à 
dessiner,  et  il  rêvait  de  devenir  peintre  ou  bien  d'entrer  à 
l'école  polytechnique  de  Paris.  Il  fallut  en  rabattre.  L'argent 
manquait  à  la  maison.  Il  essaya  de  la  pharmacie  et  puis  de 
la  typographie.  Ni  l'une  ni  l'autre  ne  lui  convinrent.  On  dé- 
cida finalement  qu'il  étudierait  la  théologie. 

A  Pâques  1807,  son  père  l'envoya  au  Gymnase,  autrefois 
célèbre,  de  Deux-Ponts.  Son  esprit  ardent  et  avide  se  jeta 
avec  une  vraie  passion  sur  la  science  très  imparfaite  qu'on 
y  enseignait  et  qu'il  se  vit  réduit  à  compléter  par  des  études 
privées.  Deux  ans  plus  tard,  il  quittait  l'école,  muni  d'un 
brillant  certificat  d'études,  pour  aller  faire  sa  théologie  à 
Strasbourg. 

Il  y  suivit  les  cours  de  Schweighaeuser  et  de  Herren- 
schneider,  de  Blessig  et  de  Haffner,  de  Fritz  et  de  Dahler  et, 
après  cinq  semestres,  passa  son  examen  de  candidat  avec  une 
thèse  latine:  «De  amore  inimicorum»^  que,  sur  le  conseil  de 
Blessig,  il  livra  à  l'impression. 

Il  fut  alors  successivement  précepteur  à  Cologne,  vicaire 
dans  le  petit  village  de  Lohr  en  Alsace,  et  précepteur  dans 
la  famille  d'un  riche  industriel,  à  Poissy  et  à  Paris.  Il  resta 
six  ans  dans  cette  position,  profitant  des  nombreux  avantages 
que  lui  offrait  un  séjour  prolongé  dans  la  capitale.  Il  se 
familiarisa  avec  la  littérature  et  la  philosophie  françaises; 
il  forma  son  goût  par  la  fréquentation  des  musées  et  des 
théâtres;  il  apprit  à  connaître  le  monde  et  à  se  mouvoir  dans 
les  cercles  de  la  société. 

Vers  la  fin  de  son  séjour  à  Paris,  et  à  la  suite  de  plusieurs 
prédications  que  Bruch  avait  données  à  l'église  des  Billettes, 
le  Consistoire  luthérien  voulut  le  nommer  pasteur-adjoint  à 
cette  église.  Presque  en  même  temps,  on  lui  offrit  le  poste 
de  pasteur  français  à  Stockholm.  Il  refusa  ces  offres  avan- 
tageuses; il  était  décidé  à  se  vouer  à  l'enseignement.  Et  voici 


JEAN-FKÉDÉKIC  BKUCH  133 

que  la  carrière  s'ouvrit  inopinément  devant  lui.  Maximilien 
Fritz  venait  de  mourir,  et  les  professeurs  du  Séminaire,  qui 
avaient  gardé  un  excellent  souvenir  de  leur  ancien  élève, 
rappelèrent  à  occuper  la  chaire  devenue  vacante.  Quelques 
mois  après,  le  ministre  le  nommait  professeur  de  morale  chré- 
tienne à  la  Faculté  de  théologie. 

Dès  les  premiers  jours,  il  sut  se  concilier  la  sympathie 
de  la  jeunesse  académique.  Il  y  avait  en  lui  une  grâce  aimable 
qui  lui  gagna  rapidement  les  cœurs.  «  Nous  Taimions  bien  », 
écrit  Edouard  Reuss,  qui  fut  un  de  ses  premiers  auditeurs, 
«  car  ses  idées  vivaient  en  nous  et  sa  personne  nous  plaisait.  » 
Au  point  de  vue  théologique,  Bruch  partageait  les  idées 
rationalistes  de  son  temps.  Il  souscrivait  à  ce  principe,  que 
la  raison  est  Torgane  essentiel  pour  connaître  la  vérité  et 
qu'elle  a,  par  conséquent,  le  droit  de  juger  aussi  les  doctrines 
religieuses.  Son  rationalisme  pourtant  différait  beaucoup  du 
rationalisme  vulgaire  des  Rohr,  des  Wegscheider  et  des 
Paulus.  Il  y  entrait  des  éléments  esthétiques  et  mystiques  qui, 
sur  certains  points,  le  rapprochaient  du  supranaturalisme. 
A  ce  moment,  d'ailleurs,  Bruch  ne  faisait  pas  encore  le  cours 
de  dogmatique,  il  donnait  celui  de  morale  chrétienne  et  inter- 
prétait, dans  un  second  cours,  les  évangiles  synoptiques.  Sa 
morale  était  basée  sur  la  philosophie  pratique  de  Kant,  mais 
illuminée  des  principes  moraux  de  l'Evangile.  Son  exégèse, 
très  soignée  en  tant  qu'interprétation  historique  et  gramma- 
ticale, laissait  à  désirer  en  tant  qu'explication  théologique. 

Le  Séminaire  ne  se  borna  pas  à  la  nomination  de  Matter 
et  de  Bruch  comme  professeurs  titulaires.  Après  la  mort  de 
Maximilien  Fritz,  il  sentit  la  nécessité  de  renforcer  le  corps 
enseignant  pour  soulager  les  professeurs,  combler  certaines 
lacunes  du  programme  et  donner  à  l'enseignement  plus  d'éten- 
due. Sur  sa  proposition,  le  Directoire  nomma  deux  profes- 
seurs suppléants,  l'un,  Théodore  Fritz,  simple  candidat  en 
théologie,  l'autre,  Georges-Frédéric  Lachenmeyer,  agrégé  au 
Gymnase. 

Théodore  Fritz  ^)  était  le  second  fils  du  professeur 
Maximilien  Fritz  que  la  mort  venait  d'enlever  au  Séminaire 
et  à  la  Faculté  de  théologie.  Il  était  né  le  13  juin  1796  à  Barr, 


*)  Voy.  Eloge  de  M.  Théodore  Fritz,  par  Ch.  Waddington.    Stras- 
bourg, 1864. 


134  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE   DE   STKASBOUKG 

OÙ  son  père  était  alors  pasteur.  Il  avait  fait  ses  études 
classiques  au  Gymnase  protestant  et  sa  théologie  au  Sémi- 
naire et  à  la  Faculté  de  théologie  de  Strasbourg.  En  1819, 
il  alla  suivre  à  Goettingue  les  cours  de  langues  sémitiques 
d'Eichhorn  et  ceux  d'histoire  ecclésiastique  de  Planck  et  de 
Staeudlin;  puis,  après  avoir  visité  les  villes  du  nord  et  du 
centre  de  l'Allemagne,  fait  un  séjour  à  Vienne  et  parcouru 
la  Suisse,  il  vint  s'établir  à  Paris  pour  y  continuer  l'étude 
des  langues  orientales  avec  Chézy  et  Silvestre  de  Sacy,  et 
celle  de  l'histoire  avec  Lacretelle.  Il  y  mena  une  vie  exces- 
sivemlent  laborieuse.  Levé  dès  quatre  heures  du  matin,  il 
consacrait  quatorze  à  quinze  heures  par  jour  au  travail, 
donnant  trois  heures  à  l'hébreu,  trois  à  l'arabe,  cinq  au 
sanscrit  et  trois  à  quatre  au  français. 

Au  mlois  de  janvier  1821,  la  mort  de  son  père  rappela 
Fritz  à  Strasbourg.  Le  Séminaire,  pour  honorer  la  mémoire 
du  professeur  distingué  et  dévoué  qu'il  venait  de  perdre, 
nommia  son  fils  professeur  suppléant  et  lui  confia  l'enseigne- 
ment élémentaire  de  l'hébreu.  Fritz,  se  pliant  au  vœu  de  sa 
mère,  accepta  les  fonctions  qu'on  lui  offrait.  Ce  n'était  pas 
sans  regrets.  Il  avait  rêvé  de  devenir  pasteur  à  la  campagne, 
et,  sans  doute,  il  eût,  dans  cette  position,  exercé  une  action 
bénie,  et  peut-être  y  eût-il  trouvé  plus  de  satisfaction  qu'il 
n'en  trouva  dans  la  carrière  académique.  Il  était  un  maître 
très  consciencieux,  se  livrant  à  la  science  avec  un  labeur 
obstiné,  mais  il  manquait  de  sens  historique  et  ne  savait 
rendre  ses  cours  intéressants. 

Le  second  des  nouveaux  maîtres,  George  -  Frédéric 
Lachenmeyer,  ^)  était  réputé  bon  philologue.  Il  l'était  en 
effet;  mais,  comme  la  plupart  des  autodidactes,  il  avait  des 
vues  un  peu  étroites.  Né  le  16  janvier  1792,  à  Pirmiasens,  dans 
une  humble  famille  —  son  père  était  instituteur  —  et  dans 
des  temps  difficiles,  il  n'avait  guère  appris  que  ce  qu'on 
apprenait  alors  à  l'école  primaire.  Destiné  à  suivre  la 
carrière  paternelle,  il  se  trouva  à  l'âge  de  quatorze  ans  aide- 
instituteur  à  Backnang,  près  de  Stuttgart.  Mais  il  avait  des 


*)  Voy.  Discours  prononcé  le  19  janvier  i8i3  pour  rendre  les  der- 
niers honneurs  académiques  à  Georges-Frédéric  Lachenmeyer,  par 
J.-F.  Bruch.    Strasb.  1843. 

Erinnerungen  an  den  seligen  Georg  Friedrich  Lachenmeyer,  von 
K.W.W.  Kurtz.    Str.  1843. 


GEOEGES-FKÉDÉRIC  LACHENMEYER  135 

ambitions  plus  hautes.  La  science  l'attirait,  la  science  philo- 
logique surtout.  L'un  des  pasteurs  de  sa  ville  natale  lui  avait 
donné  quelques  leçons  de  latin.  Dès  lors,  il  employa  tous  ses 
moments  libres  à  se  perfectionner  dans  cette  langue.  Un 
heureux  hasard  le  mit  en  relation  avec  le  chef  d'une  institu- 
tion libre,  M.  Oettinger,  qui  l'appela  dans  son  école  comme 
maître-répétiteur.  M.  Oettinger  était  lui-même  un  excellent 
philologue,  et  le  jeune  Lachenmeyer  trouva  là  une  occasion 
précieuse  d'augmenter  ses  connaissances  linguistiques.  Jus- 
que-là, il  n'avait  cultivé  que  le  latin,  il  y  joignit  maintenant 
l'étude  du  grec.  Et  bientôt  il  n'eut  plus  qu'un  désir,  celui  de 
faire  des  études  universitaires.  Il  aurait  voulu  se  vouer 
entièrem'ent  à  la  philologie,  nrnis  les  ressources  pécuniaires 
dont  il  aurait  fallu  disposer  pour  cela  lui  manquant,  il  se 
tourna  vers  la  théologie,  et,  sur  le  conseil  de  son  ami  Bruch, 
il  vint  étudier  à  Strasbourg. 

Il  y  eut  des  commencem^ents  difficiles.  Mais  il  trouva 
des  amis  qui  l'aidèrent.  Un  étudiant  en  théologie,  Jacob,  plus 
tard  pasteur  au  village  de  Pfulgriesheim,  dans  le  Bas-Rhin, 
consentit  à  partager  sa  chambre  avec  lui;  Bruch  et  d'autres 
amis  lui  trouvèrent  des  leçons  à  donner,  et  enfin  le  profes- 
seur Eedslob,  ayant  remarqué  cet  étudiant  si  sérieux,  si  as- 
sidu, s'intéressa  à  lui  et  l'appela  comme  maître-adjoint  à 
l'institut  qu'il  dirigeait.  Des  jours  plus  heureux  se  levèrent 
alors  sur  Lachenmeyer.  Le  Séminaire,  en  1818,  le  nomma 
pédagogue  du  collège  de  Saint-Guillaumie  et,  en  1819,  le 
chargea  de  l'enseignement  du  grec  dans  les  classes  supé- 
rieures du  Gymnase.  En  1820,  il  devint  professeur  extra- 
ordinaire au  Séminaire.  Il  y  fit  d'abord  des  cours  sur  les 
aintiquités  romaines,  et  puis  sur  les  auteurs  latins  et  grecs. 

Lachenmeyer  sentait  toute  l'importance  de  l'enseigne- 
ment classique  qu'il  était  appelé  à  donner:  faire  connaître 
aux  élèves  les  auteurs  grecs  et  latins  et,  par  eux,  l'anti- 
quité grecque  et  romaine  dans  tout  ce  qu'elle  a  d'éminemmient 
propre  à  former  l'esprit  de  la  jeunesse.  Avec  plus  d'initiative, 
il  eût  peut-être  été  l'homme  à  mjodifier  l'enseignement  phi- 
lologique au  Séminaire  et  à  élever  cette  science  à  toute  sa 
dignité  et  sa  beauté.  Mais  il  était  trop  timide  pour  s'éman- 
ciper de  la  vieille  niéthode  de  Schweighaeuser.  Son  enseigne- 
ment était  plutôt  un  enseignement  secondaire  continué, 
complété,  perfectionné,  qu'un  enseignement  supérieur  faisant 


136  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOUEG 

comprendre  à  ses  auditeurs  le  magnifique  rôle  joué  par  le 
monde  gréco-romain  dans  l'évolution  du  genre  humiain. 

Sa  carrière  d'ailleurs  ne  fut  pas  longue.  Il  n'avait  jamais 
joui  d'une  santé  robuste.  Une  maladie  organique,  après 
l'avoir  fait  souffrir  pendant  des  années  et  avoir  épuisé  ses 
forces,  l'emporta  le  26  décembre  1842. 

II 

Dès  l'année  1826  une  autre  chaire  était  devenue  vacante. 
Thomas  Lauth  était  décédé  le  26  septemibre,  et  il  importait 
de  pourvoir  à  son  remplacement  avant  la  réouverture  des 
cours.  Il  ne  pouvait  être  question  de  donner  au  défunt  un 
successeur  pour  la  partie  qu'il  avait  non  pas  professée,  mais 
représentée  au  Séminaire;  on  crut,  au  contraire,  devoir  pro- 
fiter de  l'occasion  qui  se  présentait  pour  combler  une  la- 
cune des  plus  graves  dans  l'enseignement  en  nommant  un 
professeur  de  langues  sémitiques.  On  ne  pouvait  dès  lors 
hésiter  sur  le  choix  à  faire,  Théodore  Fritz,  qui  enseignait 
depuis  quatre  ans  l'hébreu  dans  la  section  préparatoire,  était 
tout  désigné.  Le  Séminaire,  dans  sa  séance  du  9  novembre, 
le  proposa,  et  le  Directoire,  le  21  novem^bre,  le  nomma  à  la 
chaire  vacante. 

Et  encore  une  fois  on  sentit  le  besoin  de  renforcer  le  corps 
enseignant  en  lui  adjoignant  des  professeurs  agrégés.  Le  Sémi- 
naire proposa  et  le  Directoire  nomma  à  ces  fonctions  deux 
jeunes  savants  qui  s'étaient  distingués  par  leurs  mérites 
scientifiques  et  par  les  services  qu'ils  avaient  rendus,  l'un 
au  Gymnase  protestant,  l'autre  au  collège  Saint-Guillaume: 
Joseph  Willm  et  André  Jung. 

Joseph  Willm  *)  était,  comme  Bruch  et  Lachenmeyer, 
un  selfmademan.  Né  le  17  octobre  1792  dans  le  petit  village 
de  Heiligenstein,  au  pied  du  mont  Sainte-Odile,  fils  d'un 
vigneron  peu  aisé  et  chargé  de  famille,  il  fréquenta,  dans  son 
enfance,  l'école  primaire.  L'instituteur,  frappé  de  l'intelli- 
gence du  jeune  élève,  l'admit  aux  leçons  de  français  qu'il 
donnait  aux  enfants  de  quelques  familles  fortunées  et  mit 
à  sa  disposition  les  quelques  volumes  qu'il  possédait.  Willm 
avait  la  passion  de  la  lecture.  Il  eut  bien  vite  épuisé  la  modeste 


*)  Voy.  Discours  prononcé  le  18  avril  1853  pour  rendre  les  derniers 
honneurs  académiques  à  M.  Joseph  Willm,  par  J.-F.  Bruch.  Strasb.  1853. 


JOSEPH  WILLM 


137 


bibliothèque  de  son  maître  et  se  jeta  avec  avidité  sur  les 
livres  que  voulut  bien  lui  prêter  le  pasteur  de  l'endroit. 

Dès  Page  de  dix  ans,  son  père  Tavait  employé  dans  son 
vignoble;  mais  ces  travaux  étaient  peu  de  son  goût.  Dans 
son  intelligente  ardeur,  il  voulait  apprendre,  agir.  Bien  ne 
lui  semblait  plus  enviable  que  de  diriger  une  école.  Ses  pa- 
rents, cédant  à  ses  instances,  lui  permirent  finalement  de  se 
vouer  à  la  carrière  de  l'enseignement.  Et  le  voilà,  à  l'âge  de 
quatorze  ans,  aide-instituteur  à  Heiligenstein  d'abord,  et 
puis  dans  un  village  des  environs. 

Il  n'avait  pas  cessé,  pendant  ce  temps,  d'augmenter  ses 
connaissances  par  les  lectures  les  plus  variées,  et  plus  son 
esprit  se  développait,  plus  aussi  son  ambition  grandissait.  La 
carrière  d'instituteur  bientôt  ne  lui  suffit  plus.  Il  voulut  faire 
des  études  universitaires,  se  vouer  à  la  théologie.  Dessein  bien 
hardi  et  qui  ne  semblait  guère  réalisable!  Ses  parents  ne 
pouvaient  subvenir  aux  dépenses  d'une  instruction  supé- 
rieure, et  lui,  d'ailleurs  à  l'âge  où  les  jeunes  gens  sont  près 
de  terminer  leurs  classes,  ne  possédait  pas  les  premiers 
éléments  des  langues  anciennes.  Il  ne  se  laissa  pas  rebuter, 
n  quitta  son  école  et  revint  chez  ses  parents,  persuadé  qu'il 
trouverait  les  voies  et  moyens  d'atteindre  le  but  désiré. 

Il  ne  se  trompait  pas.  Il  y  avait  à  Barr  un  pasteur  ins- 
truit, qui,  informé  de  son  grand  désir,  consentit  à  lui  donner 
des  leçons  de  latin  et  de  grec.  Willm  travailla  avec  une  telle 
ardeur  et  un  tel  succès  qu'en  1807,  à  l'âge  de  quinze  ans,  il 
put  entrer  dans  la  classe  de  troisième  au  Gymnase.  Deux  ans 
plus  tard,  il  fut  inscrit  à  la  section  préparatoire  du  Sémi- 
naire. 

Il  connut  alors  les  misères  de  la  vie  matérielle.  Ne  pou- 
vant et  ne  voulant  rien  attendre  de  sa  famille,  il  eut  l'idée  de 
se  créer  quelques  ressources  en  établissant  taux  portes  de 
Strasbourg,  au  quartier  du  Wacken,  privé  alors  de  tout  éta- 
blissement scolaire,  une  petite  école,  où  il  venait  trois  fois 
par  semaine  instruire  les  enfants  de  quelques  familles  qui 
habitaient  par  là.  Le  samedi  soir,  il  touchait  avec  bonheur 
la  rétribution  scolaire  qui  devait  l'aider  à  vivre:  elle  n'était 
pourtant  pas  bien  abondante,  chaque  élève  payait  deux 
sous. 

De  meilleurs  jours  se  levèrent  enfin  pour  lui.  Le  direc- 
teur d'une  école  très  fréquentée,  M.  Winter,  l'appela  à  donner 


138  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

des  leçons  dans  son  établissement  et  lui  offrit  de  loger  dans 
sa  maison.  Libre  désormais  des  soucis  de  la  vie  matérielle, 
Willm  put  se  livrer  avec  ardeur  à  Tétude. 

En  1813,  ses  examens  de  candidat  passés,  il  voulut  aller 
compléter  ses  études  à  TUniversité  de  Gœttingue.  Mais  la 
guerre  venait  d'éclater,  elle  le  força  à  renoncer  à  ce  projet. 
Il  tourna  alors  ses  vues  vers  la  France.  Il  accepta  une 
place  d'instituteur  dans  un  pensionnat  de  Lyon,  et,  deux  ans 
après,  il  entra,  à  Paris,  dans  la  famille  de  M.  Odier,  un  des 
chefs  de  rétablissement  industriel  de  Wesserling,  pour 
diriger  Téducation  de  ses  enfants.  Appelé  à  contribuer  à  la 
création  de  la  Société  biblique  de  Paris  et  à  celle  de  la  Société 
morale  chrétienne,  il  eut  l'occasion  d'entrer  en  relation  avec 
les  hommes  les  plus  marquants  du  protestantismie  français. 
Il  trouva  aussi  dans  la  capitale  de  précieuses  ressources  pour 
la  continuation  de  ses  études  savantes.  Sentant  combien  il 
était  nécessaire  pour  occuper  un  poste  quelque  peu  impor- 
tant de  posséder  à  fond  la  langue  nationale,  il  s'appliqua,  dès 
lors,  à  former  son  style  français,  s 'interdisant,  pour  mieux 
atteindre  ce  but,  d'écrire  désormais  en  allemand.  Sa  collabo- 
ration au  Musée  des  protestants  célèbres  lui  fournit  d'ailleurs 
la  meilleure  occasion  d'exercer  sa  plume. 

Durant  son  séjour  à  Paris,  Willm,  sur  l'invitation  des 
pasteurs  Gœpp  et  Boissard,  avait  occupé  à  différentes  re- 
prises la  chaire  de  l'église  luthérienne;  le  Consistoire  lui 
avait  même  offert  une  place  de  pasteur-suffragant.  Willm 
avait  décliné  cette  offre.  Il  sentait  qu'il  n'était  pas  fait  pour 
être  pasteur.  Sa  mémoire  le  servait  nml  en  chaire,  son  organe 
était  rude,  son  débit  monotone.  D'ailleurs,  il  ne  se  sentait  au- 
cune aptitude  pour  les  fonctions  pastorales.  H  renonça  donc 
au  saint  ministère  pour  se  vouer  tout  entier  à  l'enseignement, 
et,  à  son  retour  à  Strasbourg,  il  vit  s'ouvrir  devant  lui  la 
carrière  vers  laquelle  l'entraînaient  ses  goûts  et  son  talent 
Le  Séminaire,  appréciant  son  mérite,  le  chargea  des  leçons  de 
langue  et  de  littérature  françaises  au  Gymnase.  Il  rendit,  dans 
ces  fonctions,  d'éminents  services.  Jusque-là,  le  français 
avait  été  enseigné  dans  la  vieille  école  protestante  un  peu 
comme  langue  morte,  il  l'enseigna  comme  langue  vivante, 
familiarisant  ses  élèves  avec  nos  mieilleurs  auteurs  et  les 
habituant  à  s'exprimer  en  français. 

Cependant   l'enseignement    dans    une   école   secondaire 


ANDRE  JUNG 


139 


n'était  pas  pour  le  satisfaire  complètement.  Il  aspirait  à  l'en- 
seignement académique.  Il  ne  tarda  pas  à  y  arriver.  Le  Sémi- 
naire, nous  Pavons  vu,  le  nomma,  en  1826,  professeur  agrégé 
et  le  chargea  d'un  cours  de  philosophie.  Quelques  années 
plus  tard,  en  1832,  il  devint  professeur  titulaire  et,  l'année 
d'après,  il  obtint,  à  la  Faculté  de  théologie,  la  chaire  de 
morale  chrétienne. 

Il  y  renonça  pourtant  en  1836,  pour  accepter  les  fonc- 
tions d'inspecteur  d'Académie.  L'enseignement  qu'il  con- 
tinua à  donner  au  Séminaire  se  borna  dès  lors  à  la  philo- 
sophie et  à  l'histoire  de  la  littérature  française.  Il  traitait 
dans  ses  leçons,  tour  à  tour,  la  logique,  la  métaphysique 
et  la  morale  philosophique,  et  puis  l'histoire  de  la  philoso- 
phie et  l'histoire  de  la  littérature  depuis  la  Renaissance.  Son 
enseignement  n'avait  rien  de  brillant,  mais  il  était  métho- 
dique, clair,  au  plus  haut  point  instructif.  Aussi  ses  cours 
n'étaient-ils  pas  suivis  exclusivement  par  les  élèves  du  Sé- 
minaire, des  étudiants  de  toutes  les  Facultés  venaient  se  faire 
initier  par  lui  aux  problèmes  philosophiques. 

Le  second  professeur  agrégé  nommé  en  nxême  temps  que 
WiUm,  André  Jung^,  était  né  à  Strasbourg  le  20  juin  1793. 
n  descendait  d'une  vieille  famille  bourgeoise  qui,  depuis  plus 
de  trois  cents  ans,  habitait  le  quartier  du  Finckwiller.  Son  père 
appartenait  à  l'importante  corporation  des  bateliers  et  jouis- 
sait d'une  honnête  aisance.  Il  fit  donner  à  son  fils  une  ins- 
truction libérale.  On  commençait  alors  à  Strasbourg  à  com- 
prendre la  nécessité  de  faire  apprendre  aux  enfants  le  fran- 
çais. Le  jeune  André  reçut  donc  sa  première  éducation  scolaire 
dans  l'institution  de  maître  Reinbold,  le  pasteur  de  l'hôpital, 
qui  avait  ouvert  une  école  française.  Ardent  patriote,  Reinbold 
n'avait  rien  tant  à  cœur  que  d'éveiller  chez  ses  élèves  les 
sentiments  qui  l'animaient  lui-même.  Il  avait  arboré  dans 
sa  classe  un  immense  drapeau  tricolore,  et  chaque  matin 
un  élève,  placé  sous  les  plis  de  ce  drapeau,  venait  donner 
lecture  du  dernier  bulletin  de  l'armée  républicaine.  Lorsqu'il 
annonçait  un  succès  militaire,  Reinbold  lançait  son  bonnet 
au  plafond  en  clamant:  «Vive  la  République!  »  et  la  joyeuse 
bande  des  écoliers  mêlait  avec  bonheur  ses  bruyantes  clameurs 
à  celles  du  maître. 

^)  Voy.  Discours  prononcé  le  7  janvier  48Si  pour  rendre  les  derniers 
honneurs  académiques  à  M.  André  Jung,  par  Ch.  Schmidt.   Strasb.  1864. 


140  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOUEG 

A  dix  ans,  le  jeune  André  entrait  au  Gymnase;  à  seize  ans, 
il  achevait  ses  études  classiques  et  se  faisait  inscrire  au  Sémi- 
naire. A  ce  moment  déjà,  il  se  sentait  attiré  vers  les  études 
historiques.  Malheureusement,  il  n'y  avait  personne  au  Sé- 
minaire pour  Tencourager  et  le  guider  dans  cette  voie.  L'his- 
torien Koch,  fatigué,  malade,  avait  renoncé  à  ses  cours,  et 
Weber,  le  professeur  d'histoire  ecclésiastique,  était  alors  déjà 
tombé  dans  un  état  voisin  de  l'enfance.  C'est  à  Gœttingue, 
où  il  passa  l'année  1816-1817,  que  Jung  fut  définitivement 
gagné  à  la  science  historique  par  des  maîtres  tels  qu'Eich- 
horn,  Staeudlin,  Heeren,  et  surtout  Planck,  dont  il  admirait 
le  pragmatisme. 

De  retour  à  Strasbourg,  Jung,  libre,  grâce  à  la  situation 
de  fortune  de  son  père,  de  tout  souci  matériel,  put  se  livrer 
tout  entier  à  ses  études  favorites.  D'un  talent  vigoureux,  ap- 
pliqué, ardent,  il  commença  dès  lors  à  amasser  les  vastes  et 
profondes  connaissances  qu'il  devait  répandre  plus  tard 
dans  ses  cours.  Il  n'abandonna  pourtant  pas  la  théologie. 
Il  s'essaya  même  à  plusieurs  reprises  à  la  prédication.  Mais, 
comme  il  le  disait  lui-même  plus  tard,  «  cela  ne  lui  réussit 
pas.  »  Son  goût  et  ses  aptitudes  le  portaient  vers  la  science, 
non  vers  la  pratique  du  ministère  ecclésiastique. 

Son  ambition  était  d'entrer  dans  l'enseignement  supé- 
rieur, et  il  se  présente,  en  1821,  pour  la  succession  de  Fritz 
à  la  chaire  de  morale.  Mais  Bruch  fut  nommé,  et  il  dut  at- 
tendre qu'une  autre  vacance  se  produisît  au  Séminaire.  Entre 
temï)s,  il  se  vit  appeler  à  la  direction  du  collège  de  Saint-Guil- 
laume et  obtint,  sur  sa  demande,  l'autorisation  de  faire  des 
cours  au  Séminaire.  Ses  leçons  ne  roulèrent  pas  d 'abord,  comme 
on  devait  s'y  attendre,  sur  l'histoire  ecclésiastique,  mais  sur 
l'encyclopédie,  la  méthodologie  et  l'histoire  des  sciences  théo- 
logiques, et,  plus  tard,  quand  il  fut  nommé  professeur  agrégé, 
sur  la  symbolique  et  l'histoire  des  dogmes.  Ce  n'est  qu'en  1834, 
après  le  départ  de  Matter  pour  Paris,  qu'il  fut  appelé  à 
donner  le  cours  d'histoire  ecclésiastique.  Mais  dès  1821,  il 
avait  fait  paraître  dans  une  Eevue  religieuse,  fondée  avec  le 
concours  de  quelques  amis  sous  ce  titre:  «Timothée,  une 
Revue  pour  l'avancement  de  la  religion  et  de  l'humanité  »  '), 
des  articles  historiques  qui  ne  manquaient  pas  d'intérêt. 

*)  Timotheus.  Eine  Zeitschrift  zur  Befôrderung  der  Religion  und 
Humanitàt.    Strasb.  1821  ss.  4  vol. 


CHAPITRE  II 

Trois  chaires  vacantes  à  la  Faculté  —  Difficulté  d'y  pourvoir 

Au  Séminaire  le  personnel  enseignant  est  renforcé 

Edouard  Eeuss,   Ciarles  Scliniidt,  Edouard  Cunitz,   Guillaume 

Baum.  —  La  Eaculté  complète  avec  six  professeurs 


Les  années  1830  et  1831  amenèrent  de  nouveaux  change- 
ments dans  le  personnel  du  Séminaire  et  de  la  Faculté.  Les 
professeurs  qui  avaient  fait  dès  l'origine  partie  de  FAcadémie 
protestante  avaient  presque  tous  disparu.  Au  mois  de  janvier 

1830,  le  vieux  Schweighaeuser,  qui  d'ailleurs  ne  faisait  plus 
de  cours  depuis  des  années,  fut  enlevé  à  son  tour,  et  le  17  mai 

1831,  Haiïner  le  suivit  dans  la  tombe.  Des  professeurs  qui 
représentaient  la  vieille  tradition,  il  ne  restait  que  deux: 
Herrenschneider  qui,  en  dépit  de  ses  soixante-dix  ans,  con- 
tinuait à  faire  ses  cours  de  logique  et  de  métaphysique,  et 
Ehrmann  qui,  presque  octogénaire,  ne  s'intéressait  plus  guère 
qu'aux  questions  d'administration  et  de  finances.  Ils  n'avaient 
d'ailleurs  guère  d'influence  ni  l'un  ni  l'autre.  Leur  temps 
était  passé;  une  nouvelle  génération  se  levait,  qui  était  animée 
d'un  autre  esprit  et  comprenait  la  science  différemment. 

Dès  1821,  nous  l'avons  vu,  Matter  et  Bruch  avaient  essayé 
de  moderniser  quelque  peu  'l'enseignement  du  Séminaire. 
D'autres  jeunes  savants  allaient  se  joindre  à  eux  dans  cette 
tentative.  Il  s'agissait,  pour  le  moment,  de  remplacer  un  phi- 
lologue et  un  théologien.  Au  Séminaire,  la  nomination  du 
successeur  de  Schweighaeuser  et  de  celui  de  Haffner  ne 
souleva  aucune  difficulté.  Ces  deux  professeurs  avaient  été 
suppléés  depuis  plus  ou  moins  de  temps  par  des  chargés  de 


142  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOUEG 

cours.  Il  était  naturel  que  œs  derniers,  qui  s'étaient  montrés 
à  la  hauteur  de  leur  tâche,  fussent  nommés  aux  chaires  de- 
venues vacantes,  et  cela  d'autant  plus  qu'endehors  d'eux  il 
n'y  avait  pas  de  candidats  possibles.  Lachenmeyer  fut  donc 
appelé  à  succéder  à  Schweighaeuser,  et  Jung  à  remplacer 
Hatïner. 

A  la  Faculté,  le  remplacement  de  Haffner  fut  plus  dif- 
ficile, n  vint  se  heurter  contre  l'article  7  de  l'arrêté  constitutif 
de  la  Faculté,  que  l'autorité  ecclésiastique  et  l'autorité  sco- 
laire interprétaient  différemment.  Cet  article  portait  que  le 
candidat  nommé  au  concours  serait  à  la  fois  professeur  au 
Séminaire  et  à  la  Faculté  de  théologie,  et  le  Directoire  avait 
compris  par  là  que  les  candidats  à  une  chaire  vacante  seraient 
choisis  parmi  les  professeurs  du  Séminaire.  C'était,  en  effet, 
le  mode  qui  avait  été  suivi  jusque-là.  Mais  alors  la  Faculté 
déclara  que  le  Séminaire  ne  renfermait  pas  des  candidats 
en  nomhre  suffisant  pour  établir  une  liste  de  présentation 
convenable.  Elle  demandait,  par  conséquent,  que  la  nomi- 
nation du  successeur  de  Haffner  se  fit  au  choix,  le  concours 
ne  pouvant,  dans  ces  circonstances,  qu'être  une  vaine  for- 
malité. 

Le  grand  maître  des  Facultés  protestantes,  le  baron  Cuvier, 
ne  fut  pas  de  cet  avis.  Il  répondit  que  l'arrêté  constitutif 
de  la  Faculté  n'exigeait  nullement  que  les  candidats  à  une 
chaire  de  théologie  fussent  choisis  parmi  les  professeurs  du 
Séminaire,  que,  d'après  l'article  7,  il  suffisait  qu'ils  eussent 
le  titre  de  docteur,  et  qu'à  défaut  de  docteurs,  on  pourrait 
même  présenter  des  licenciés,  auxquels  il  accorderait  les 
dispenses  nécessaires.  De  cette  manière,  les  difficultés  dis- 
paraîtraient sans  qu'on  s'écartât  du  texte  du  décret  du 
17  mars  1808. 

Mais  le  Séminaire  protesta  et  avec  lui  le  Directoire:  l'in- 
terprétation donnée  par  le  grand  maître  aurait ,  pour  ,1e 
Séminaire  les  conséquences  les  plus  fâcheuses;  elle  lui  en- 
lèverait, d'une  part,  le  droit  de  choisir  ses  membres;  elle 
mettrait,  d'autre  part,  à  sa  charge  le  traitement  d'un  pro- 
fesseur de  l'Université. 

Mais  le  grand  maître  maintint  son  point  de  vue.  C'est 
une  erreur,  dit-il,  de  croire  que  les  candidats  à  une  chaire 
de  la  Faculté  ne  peuvent  être  pris  que  dans  les  rangs  des 
professeurs  du  Séminaire.  «L'article  7  de  l'arrêté  exige  qu'il 


DrFFICTJLTE  A  POURVOIR  AUX   CHAIRES  VACANTES  143 

soit  présenté  trois  candidats  par  le  Directoire.  Si  le  Direc- 
toire trouve  dans  le  Séminaire  le  nombre  exigé  de  candidats 
remplissant  les  conditions  voulues,  il  peut  les  présenter  s'il 
les  préfère,  mlais  dans  le  cas  contraire,  il  doit  nécessairement 
les  prendre  ailleurs,  en  totalité  ou  en  partie.  Telle  est  la 
seule  interprétation  juste  et  vraie  que  Ton  puisse  donner  de 
Tarrêté  du  3  Xbre  1818  et  la  seule  aussi  qui  puisse  donner 
quelque  garantie  d'un  bon  enseignement  théologique.» 

En  attendant,  le  cours  de  dogme  luthérien  se  trouvait 
interrompu.  Cet  état  de  choses  ne  pouvait  durer.  Pour  y 
mettre  fin,  la  Faculté  prit,  le  27  janvier  1832,  un  arrêté  assez 
singulier.  Elle  fit  valoir  qu'il  serait  important  que  l'enseigne- 
ment de  la  dogmatique  fût  confié  à  l'un  des  plus  anciens 
professeurs  et  elle  demanda  le  transport  de  Dahler  de  la 
chaire  d'exégèse  à  celle  de  dogmatique.  Dahler  consentit  à 
la  mutation,  le  grand  maître  l'approuva,  mais  il  demanda 
en  même  temips  à  la  Faculté  de  présenter  des  candidats  pour 
le  concours  à  la  chaire  d'exégèse  devenue  vacante. 

La  Faculté  dut  alors  céder  sur  la  question  du  concours. 
Il  fut  ûxé  au  19  mars  et  jours  suivants.  Trois  des  jeunes 
chargés  de  cours,  Fritz,  Jung  et  Willm,  devaient  y  prendre 
part.  Pure  formalité  d'ailleurs!  Le  vainqueur  était  désigné 
d'avance.  Comme  il  s'agissait  de  la  chaire  d'exégèse  de  l'An- 
cien Testament,  ce  ne  pouvait  être  que  Fritz,  qui  depuis 
onze  ans  faisait  des  cours  d'hébreu  au  Séminaire. 

Il  y  avait  eu  antérieurement  un  concours  pour  l'obtention 
d'une  chaire  à  la  Faculté,  celui  de  Bruch.  Tout  s'était  alors 
passé  dans  le  plus  grand  calme.  Mais,  cette  fois,  l'opinion 
publique  se  révolta  contre  ce  qu'elle  qualifiait  de  comédie 
ridicule.  Les  étudiants  s'entendirent  pour  manifester  leur 
mécontentement.  Lorsque,  le  19  mars,  Fritz  vint  faire,  dans 
la  grande  salle  des  cours,  une  leçon  sur  le  livre  Kohelet,  on 
l'écouta  dans  un  silence  glacial.  Jung  et  Willni,  au  contraire, 
qui  parlèrent  les  jours  suivants,  l'un,  sur  l'archéologie  des 
Juifs,  l'autre  sur  les  beautés  de  la  littérature  hébraïque,  furent 
vivement  acclamés.  Ils  se  hâtèrent  d'ailleurs  de  déclarer  qu'ils 
ne  posaient  pas  leur  candidature  à  la  chaire  vacante,  et  Fritz 
fut  nommé. 

Des  scènes  pénibles  se  produisirent  alors.  Les  étudiants 
protestèrent  contre  le  concours  et  son  résultat.  La  Faculté 
voulut  sévir  contre  eux.  Les  uns,  intimidés,  retirèrent  leur 


144  LA  FACULTE  DE  THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

protestation,  mais  les  autres  continuèrent  à  manifester.  On 
dut  finalement  étouffer  l'affaire  pour  éviter  un  scandale 
public.  Fritz  donna  sa  démission,  mais  il  la  retira  quelques 
semaines  après. 

Dahler,  dans  l'intervalle,  avait  été  rappelé,  lui  aussi,  le 
28  juin  1832.  Presque  en  même  temps,  Matter  avait  été,  sur 
la  recommandation  de  Guizot,  nommé  inspecteur  général  de 
rUni  ver  site;  il  se  voyait,  par  suite,  obligé  de  se  fixer  à  Paris 
et  forcé  de  renoncer  aux  chaires  qu'il  occupait  à  la  Faculté 
et  au  Séminaire.  Il  y  avait,  par  conséquent,  deux  chaires  à 
pourvoir  à  la  Faculté,  celle  du  dogme  luthérien  et  celle  d'his- 
toire ecclésiastique.  Heureusement  qu'à  ce  moment  une  force 
nouvelle  s'annonçait;  Edouard  Eeuss  ouvrait  un  cours. 

II 

Il  était  né  à  Strasbourg  le  18  juillet  1804  ')  et  appartenait 
à  une  de  ces  familles  bourgeoises  oiï  régnaient  la  probité, 
les  habitudes  de  travail,  le  respect  de  la  règle  et  l'amour 
du  bien.  Son  père,  Louis-Christian  Reuss,  était  marchand 
de  drap,  sa  mère  était  une  fille  idu  libraire-éditeur  Jean- 
Geoffroi  Bauer.  Aussi  distinguée  par  les  qualités  de  l'esprit 
que  par  celles  du  cœur,  elle  sut,  au  milieu  des  soucis  et  des 
travaux  d'un  grand  ménage,  trouver  le  temps  de  s'occuper 
plus  spécialement  de  l'éducation  de  ce  fils  et  de  lui  inspirer 
le  goût  de  la  poésie  et  le  sens  de  la  religion. 

Quand  le  moment  fut  venu  où  à  l'éducation  domestique 
vint  se  joindre  l'éducation  scolaire,  le  jeune  Reuss  fut  envoyé 
à  l'école  du  Temple-Neuf  et  puis  au  Gymnase  protestant. 
Il  en  sortit,  en  septem-bre  1819,  conime  princeps  juventutis. 

Il  se  demanda  alors  ce  qu'il  ferait.  H  avait,  avec  son 
précepteur  Lachenmeyer,  lu,  étudié  et  vivement  goûté  les 
auteurs  grecs  et  latins  et  il  se  sentait  attiré  vers  la  philologie. 
Mais  la  manière  pédante  dont  cette  science  était  cultivée  à 
Strasbourg  le  rebuta.  Il  se  tourna  vers  la  théologie.  Il  suivit  les 
cours  du  Séminaire  et  de  la  Faculté  de  théologie  et,  en  même 
temps,  ceux  de  la  Faculté  des  lettres.  En  1825,  il  passa  ses 
examens  de  candidat  en  théologie  et  soutint,  à  cette  occasion. 


*)  Voy.  mon  opuscule  Edouard  Reuss,  notice  biographique.  PariS; 
Fischbacher,  1892. 


EDOUAED  REUSS  145 

en  latin,  —  ce  qui  ne  s'était  plus  vu  à  Strasbourg  depuis  1792 
— ,  une  thèse  sur  «  la  littérature  théologique  du  Vile  et  Ville 
siècle  ».  ^) 

Il  voulut  alors  compléter  ses  études  dans  les  Universités 
étrangères.  Il  se  rendit  d'abord  à  Gœttingue,  oii  le  célèbre 
orientaliste  Jean-Geoffroi  Eichhorn  le  retint  toute  une  année, 
puis  à  Halle,  où  il  suivit  les  cours  de  Niemeyer,  de  Tholuck 
et  de  Thilo  et  surtout  ceux  de  Wegscheider  et  de  Gesenius. 
De  là,  il  alla  à  Paris  pour  étudier  les  langues  orientales  avec 
Silvestre  de  Sacy.  *)  Il  s'y  livra  à  un  travail  assidu,  tout  en 
jouissant  largement  des  merveilles  artistiques  et  des  res- 
sources littéraires  qu'offrait  la  capitale.  Il  entra  naturelle- 
ment en  relation  avec  les  pasteurs  Gœpp  et  Boissard  de 
l'église  luthérienne;  sur  leur  demande  et  pour  les  obliger,  il 
occupa  même  un  dimanche  la  chaire  de  cette  église.  Ce  fut 
d'ailleurs  la  dernière  fois  qu'il  s'essaya  à  la  prédication.  Il 
était,  dit-il  lui-même,  «trop  profondémtent  convaincu  qu'il 
n'était  pas  fait  pour  la  chaire».  Ses  relations  avec  les  pas- 
teurs luthériens  lui  furent,  du  reste,  très  utiles.  Par  eux  et  par 
son  ami  Lafite,  plus  tard  pasteur  à  Metz,  il  fut  mis  en  contact 
avec  quelques-unes  des  notabilités  du  protestantisme  français; 
il  connut  Jean  Monod,  le  père,  Philippe-Albert  Stapfer,  l'an- 
cien membre  du  Directoire  de  la  Republique  helvétique, 
Charles  Coquerel,  qui  lui  denïanda  pour  sa  Revue  protestante 
des  comptes  rendus  sur  la  théologie  et  les  théologiens  alle- 
mands. Il  alla  aussi  présenter  ses  hommages  à  Benjamin 
Constant,  qui  représentait  alors  le  Bas-Rhin  à  la  chambre 
des  députés.  Mais  il  vivait  surtout  dans  le  commerce  avec 
quelques  amis  alsaciens  qu'il  avait  rencontrés  à  Paris.  Il  avait 
organisé  avec  eux  des  réunions  hebdomadaires  dans  lesquelles 
on  discutait,  en  latin,  des  questions  d'exégèse  et  de  dogmatique 
et  même  de  théologie  pratique.  C'est  alors  aussi  qu'il  se  lia 
d'une  amitié  étroite  avec  un  candidat  en  théologie  stras- 
bourgeois  qui  suivait,  comme  lui,  les  leçons  de  Silvestre  de 
Sacy,  et  en  qui  il  devait  trouver  à  la  fois  un  appui  et  une 
direction. 


"■)  De  statu  litterarum  theologicarum  per  saecula  Vil  et  VIII. 
Argent.  1825,  40. 

')  Voy.  dans  la  Revue  d'histoire  et  de  philosophie  religieuses, 
2e  année,  p.  219  ss.  l'article  de  M.  Rod.  Reuss  :  Un  candidat  en  théologie 
alsacien  à  Paris  (1827-1828). 


10 


146  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE  DE   STRASBOUEG 

Cet  ami  s'appelait  Jean- Jacques  Bochinger. ')  Il  était 
né  à  Strasbourg,  le  28  novemibre  1802,  dans  une  position  des 
plus  humbles.  De  bonne  heure  aux  prises  avec  des  difficultés 
qui  fortifient  l'âme  lorsqu'elles  ne  l'abattent  point,  il  avait 
vu  se  développer  en  lui  les  plus  nobles  qualités  du  cœur  et 
de  l'esprit  et  une  force  de  caractère  peu  commune.  Ses  études 
terminées  au  Séminaire  protestant  et  à  la  Faculté  de  théologie 
de  Strasbourg,  il  était  allé  les  compléter  à  Heidelberg  et  à 
Gœttingue;  puis  il  était  devenu  précepteur  dans  une  famille 
de  Lyon  et  avait  appris  à  connaître  la  France  du  midi;  enfin, 
il  était  venu  à  Paris  pour  y  étudier  les  langues  orientales 
et  les  religions  de  l'Inde.  Plus  tard,  à  Strasbourg,  il  fut 
pédagogue  du  Collège  de  Saint-Guillaume  et  prit,  par  de 
savantes  dissertations  sur  «  la  vie  contemplative,  ascétique 
et  monastique  chez  les  Indous»,  les  grades  de  licencié  et  de 
docteur  en  théologie.  Nommé,  en  1830,  pasteur  à  l'église 
Saint-Nicolas,  il  succomba  peu  après  à  la  phtisie  provoquée 
par  un  labeur  excessif. 

Quand,  après  un  séjour  de  onze  mois  à  Paris,  Eeuss 
revint  à  Strasbourg,  il  était  plein  de  vastes  projets.  Il  vou- 
lait, conjointement  avec  Bochinger,  dont  les  idées  se  ren- 
contraient avec  les  siennes,  ouvrir  des  cours,  introduire  dans 
l'enseignement  du  Séminaire  un  nouvel  esprit,  réveiller  chez 
la  jeunesse  académique  l'intérêt  pour  la  science  et  amener 
entre  les  maîtres  et  les  élèves  des  rapports  plus  intimes. 
«  Nous  trouvions  »,  dit-il,  «  notre  Séminaire  de  Strasbourg 
bien  mesquin,  comparé  aux  Universités  d'outre-Ehin;  nous 
nous  rappelions  la  gloire  scientifique  du  Strasbourg  d'autre- 
fois, dont  il  restait  si  peu  de  traces;  nous  songions  aux  la- 
cunes et  aux  erreurs  dans  la  constitution  de  notre  Eglise  et 
la  préparation  de  nos  pasteurs,  et  nous  pressentions  la  possi- 
bilité de  préparer  une  ère  nouvelle.  »  Avec  Bochinger,  il  traça 
alors  le  plan  de  la  Société  de  théologie  et  créa  pour  les  étu- 
diants un  cercle  de  lecture  qui  devint  plus  tard  le  Casino 
théologique  et  littéraire.  Entre  temps,  il  se  faisait  recevoir 
licencié  en  théologie  par  la  soutenance  id'une  thèse  latine 
sur  «Les  livres  apocryphes  de  V Ancien  Testament  refusés  au 
peuple»  par  les  Sociétés  bibliques.') 

*)  Voy.  Blàtter  zum  Andenken  Johann  Jacob  Bochingers,  geweîht 
von  seinen  Freunden,  Str.  1832. 

*)  De  libris  Veteris  Testamenti  apocryphis  perperam  plebî  negatis. 


REUSS  ANNONCE  UN   COURS  D'EXEGÈSE  147 

Eeuss  ne  donna  pas  d'abord  suite  à  Tidée  de  faire  des 
cours.  Il  commença  par  donner  des  leçons  de  grec  et  de  latin 
dans  les  classes  supérieures  du  Gymnase  «pour  s'exercer  dans 
l'art  d'enseigner».  Il  avait  d'ailleurs  peu  d'espoir  d'arriver 
à  une  chaire  officielle.  Toutes  les  places  étaient  occupées. 
En  1833,  il  crut  pourtant  un  instant  qu'on  lui  confierait  la 
suffragance  de  Geoffroi  Schweighaeuser  que  la  maladie  venait 
de  forcer  à  la  retraite.  Il  était  réputé  bon  philologue  et  par- 
faitement apte  à  remplir  une  chaire  de  littérature  ancienne. 
Mais  au  Séminaire,  la  majorité  se  prononça  pour  Hasselmann, 
qui  avait  sur  lui  l'avantage  d'être  plus  âgé  et  d'avoir  rendu 
des  services  dans  l'enseignement  public. 

Jean-Frédéric  Hasselmann  était  né  à  Strasbourg,  le 
29  janvier  1797,  de  Jean- Jacques  Hasselmann,  instituteur  à 
l'école  paroissiale  de  Saint-Nicolas  et,  plus  tard,  pasteur  à 
l'hôpital  civil,  et  de  Marguerite-Salomé  Ehein,  fille  de 
Jonathan  Ehein,  prédicateur  français  à  Saint-Nicolas  et, 
dans  la  suite,  pasteur  à  Schiltigheim.  Il  paraît  avoir  été  un 
enfant  prodige,  car  il  termina  ses  classes  au  Gymnase  à  l'âge 
de  douze  ans.  Inscrit  alors  à  l'Académie  protestante,  il  étudia 
en  même  temps  la  théologie  et  la  philologie  et  se  rendit,  en 
1820,  à  Paris,  où  il  se  voua  pendant  trois  ans  à  l'étude  de 
l'antiquité  classique.  Quand  il  revint  à  Strasbourg,  il  fut 
nommé  régent  au  Gymnase.  Plus  tard,  il  fut  chargé  de  la 
direction  du  Gymnase  de  Bouxwiller  et  réussit,  grâce  à  son 
talent  pédagogique  et  à  ses  connaissances  littéraires,  à  relever 
cet  établissement  qui  était  tombé  bien  bas.  En  l'appelant  au 
Séminaire,  on  attendait  beaucoup  de  lui  et  de  son  enseigne- 
ment. 

Sur  le  conseil  de  Bruch,  qui  lui  portait  un  vif  intérêt, 
Eeuss  se  décida  pourtant  à  annoncer  un  cours  d'encyclopédie 
et  de  méthodologie  et  un  cours  d'exégèse  des  Epîtres  pauli- 
niennes.  H  réussit  dès  l'abord  auprès  des  étudiants.  Ses 
leçons  d'exégèse  surtout  avaient  un  vif  succès.  Il  y  suivait 
une  méthode  différente  de  celle  de  la  plupart  des  interprètes 
des  livres  bibliques.  H  réduisait  l'explication  philologique 
au  plus  strict  nécessaire  pour  s'arrêter  d'autant  plus  au  con- 
tenu théologique.  «Ma  préoccupation  constante»,  dit-il  dans 
ses  Mémoires  »,  était  d'arriver  dans  la  solution  des  questions 
à  des  résultats  positifs,  clairement  niotivés  et  brièvement 
énoncés.  Quand   j'étais   sûr  de  mon  fait,   j'évitais  de   faire 

10» 


148  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE   DE   STRASBOURa 

ce  que  font  généralement  les  commentateurs,  c'est-à-dire  de 
citer  Topinion  des  autres  et  d'ennuyer  les  étudiants  par  des 
détails  qui  peuvent  être  utiles  au  spécialiste,  mais  qui  ne  le 
sont  pas  au  théologien  pratique.  » 

III 

A  la  Faculté  pourtant  les  difficultés  restaient  les  mêmes. 
Redslob  avait  été  nommé,  le  8  février  1833,  à  la  chaire  de 
dogmatique,  mais  le  ministre  n'avait  pas  accueilli  la  propo- 
sition de  la  Faculté  d'appeler  Jung  à  la  chaire  d'histoire 
ecclésiastique  et  Willm  à  celle  de  morale  chrétienne.  Il  s'était 
borné  à  leur  conférer  à  l'un  et  à  l'autre  le  titre  de  chargé 
de  cours.  Il  fit  plus.  Il  exigea,  quand  Willm  fut  nommé 
inspecteur  d'Académie,  le  30  octobre  1834,  qu'il  quittât  la 
Faculté,  les  fonctions  d'inspecteur  étant,  à  son  avis,  incom- 
patibles avec  celles  de  professeur.  Et  comme  Redslob  vint 
à  mourir  à  ce  moment,  le  23  novembre  1834,  trois  chaires 
seulement,  dont  la  réformée,  se  trouvèrent  encore  occupées 
par  des  titulaires,  les  trois  autres,  les  plus  importantes,  celles 
de  dogmatique,  de  morale  chrétienne  et  d'histoire  ecclésias- 
tique, restaient  vacantes. 

La  situation  devenait  intolérable.  La  Faculté  s'adressant 
derechef  au  ministre,  lui  demanda  de  nommer  Jung  à  la 
chaire  d'histoire  ecclésiastique,  de  maintenir  provisoirement 
Willm  dans  sa  place  et  de  conférer  à  Reuss  le  titre  de  chargé 
de  cours.  Cette  demande  fut  encore  rejetée.  Le  ministre  pré- 
tendit ne  pouvoir  nommer  aux  chaires  vacantes  qu'à  la  suite 
d 'un  concours.  Sa  déclaration  fit  naître  de  sérieuses  appréhen- 
sions et  amena  de  nouvelles  difficultés. 

Alors  déjà  qu'il  s'était  agi  de  remplacer  Haffner,  le 
grand  maître,  baron  Cuvier,  interprétant  à  sa  manière 
l'article  7  de  l'arrêté  constitutif  de  la  Faculté,  avait  déclaré 
que  les  candidats  à  une  chaire  vacante  pourraient  être  choisis 
en  dehors  du  Séminaire,  et  que,  nommés  professeurs,  même 
sans  la  coopération  de  ce  corps,  ils  seraient,  de  par  leur 
nomination  à  la  Faculté,  aussi  professeurs  au  Séminaire. 
Pour  que  l'application  de  cette  interprétation  ne  portât  pas 
atteinte  aux  droits  du  Séminaire,  le  Directoire  n'avait  admis 
jusque-là  au  concours  que  des  professeurs  appartenant  à  ce 
corps. 


CHANGEMENTS   FAVORABLES  AU   SEMINAIRE  149 

Mais  dans  le  cas  présent,  il  s'agissait  de  pourvoir  à  trois 
chaires  à  la  fois.  Or,  les  professeurs  de  théologie  n'étaient 
pas  assez  nombreux  au  Séminaire  pour  fournir  des  concur- 
rents à  trois  places.  Si  donc  les  nominations  étaient  faites 
par  voie  de  concours,  il  était  inévitable  que  l'un  ou  l'autre 
des  professeurs  de  la  Faculté  fût  choisi  en  dehors  du  corps 
enseignant  du  Séminaire.  Il  n'était  pas  admissible  pourtant 
que  le  Séminaire  accueillît  dans  son  sein  un  membre  à  la 
nomination  duquel  il  n'avait  pas  participé.  Il  fallait  donc 
aviser  au  moyen  d'écarter  le  danger  que  présentait  l'inter- 
prétation arbitraire  d'un  arrêté  dont  on  n'avait  pas,  en  le 
prenant,  mesuré  toute  la  portée. 

IV 

Tandis  qu'on  ne  faisait  rien  pour  compléter  le  personnel 
de  la  Faculté,  des  changements  heureux  s'accomplissaient  au 
Séminaire.  Le  31  octobre  1834,  peu  de  jours  avant  la  mort 
de  Redslob,  Edouard  Eeuss  était  nommé  professeur  extra- 
ordinaire, avec  un  traitement  de  600  francs.  Et  aussitôt  il 
annonçait,  à  côté  de  son  cours  sur  le  Nouveau,  un  autre 
sur  l'Ancien  Testament,  comblant  ainsi  une  lacune  regrettable 
dans  cet  enseignement.  Fritz,  en  effet,  prenait  alors  déjà  un 
intérêt  plus  grand  aux  questions  de  pédagogie,  de  morale  et 
d'apologétique  qu'à  l'exégèse  de  l'Ancien  Testament,  dont  il 
était  officiellement  chargé.  Il  se  bornait  à  donner  dans  cette 
partie  un  cours  supérieur  qui  n'était  pas  accessible  aux  com- 
mençants. Ceux-ci  ne  suivaient  donc  aucun  cours  d'hébreu. 
Pour  remédier  à  ce  grave  inconvénient,  Reuss  voulut  bien 
se  charger  d'une  partie  de  l'exégèse  de  l'Ancien  Testament; 
il  offrit  même  d'enseigner  les  éléments  de  la  langue  hébraïque, 
à  condition  que  ces  leçons  élémentaires  fussent  rattachées  à 
l'enseignement  du  Gymnase. 

A  côté  de  Eeuss,  d'autres  savants  vinrent  bientôt,  en 
qualité  d'agrégés  libres,  combler  quelques-unes  des  lacunes 
que  présentait  l'enseignement  du  Séminaire.  C'était  tout 
d'abord  le  pasteur  Diirrbach  de  Saint-Nicolas,  que  l'opinion 
publique  désignait  alors  pour  être  le  successeur  de  Matter. 
Celui-ci,  absent  de  Strasbourg  depuis  quatre  ans,  s'était  en 
effet  décidé,  au  commencement  de  l'année  1836,  à  donner  sa 
démission  de  professeur  au  Séminaire. 


150  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOURG 

Geoffroi  Diirrbach  était  né  à  Strasbourg  le  28  mars  1790, 
fils  d'un  serrurier.  Après  de  fortes  études  au  Gymnase  et  à 
TAcadémie  protestante,  il  était  entré  dans  renseignement  et 
était  devenu  professeur  au  Collège  de  Bouxwiller  et  puis 
principal  de  cet  établissement.  Mais,  dès  1724,  il  avait  renoncé 
à  la  carrière  de  renseignement  public  pour  celle  du  saint 
ministère.  D'abord  pasteur  au  village  de  Trânheim,  près  de 
Wasselonne,  il  avait  été  appelé,  en  1831,  à  Téglise  Saint- 
Nicolas  à  Strasbourg. 

Après  avoir  passé,  en  1836,  sa  licence,  et,  en  1837,  son 
doctorat  en  théologie,  il  sollicita  Tautorisation  de  faire  des 
cours  au  Séminaire  et  choisit  comme  sujets  de  ses  leçons  la 
catéchétique  et  Testhétique.  Il  donna  ce  dernier  cours  en 
trois  fois,  d'ailleurs  sans  grand  succès,  paraît-il.  Diirrbach 
n'était  certes  pas  un  esprit  ordinaire.  Il  possédait  des  con- 
naissances étendues,  il  pratiquait  assidûment  les  mathémati- 
ques et  même  l'astronomie,  et  cultivait  à  ses  heures  la  poésie, 
non  seulement  religieuse,  mais  épique  et  satirique.  Mais 
original,  bizarre,  il  se  plaisait  dans  le  singulier  et  l'excen- 
trique. Il  était,  par  suite,  peu  goûté  de  la  jeunesse  studieuse. 
Ses  amis  même  —  il  en  comptait  dans  le  corps  des  professeurs 
—  convenaient  qu'il  était  peu  apte  à  former  de  futurs  pas- 
teurs. Aussi,  quand  il  s'agit  de  pourvoir  à  la  chaire  vacante, 
personne  ne  songea  à  lui;  tous  les  suffrages  se  portèrent  sur 
Edouard  Eeuss,  qui,  le  8  juillet  1836,  fut  nommé  titulaire. 

Le  nom  de  Diirrbach  ne  tarda  pas  à  disparaître  du  pro- 
granmie  du  Séminaire.  Mais,  à  ce  même  moment,  plusieurs 
jeunes  savants  vinrent  demander  l'autorisation  de  donner  des 
cours,  les  uns  dans  la  section  préparatoire,  les  autres  dans 
la  section  théologique  du  Séminaire. 

Le  programme  de  1836-1837  contenait  dans  la  section 
propédeutique,  outre  le  nom  de  Diirrbach,  ceux  de  deux  autres 
agrégés  libres,  tous  deux  licenciés  en  théologie. 

Le  premier,  Frédéric-Louis  Schwebel,  était  né  le  13  août 
1809  dans  la  petite  ville  de  Barr,  oii  son  père  exerçait  la 
profession  d'horloger.  Il  avait  étudié  la  philosophie  et  la 
théologie  à  Heidelberg  et  s'était  préparé  à  la  carrière  de 
l'enseignement.  Après  avoir  passé  sa  licence,  il  commença  à 
faire  des  cours  au  Séminaire  sur  la  psychologie,  l'anthropo- 
logie, la  philosophie  de  la  religion,  et  à  expliquer  les  épîtres 
de  Paul.  Il  espérait  obtenir  un  jour  une  chaire  de  philosophie 


CHAELES   SCHMIDT  151 

OU  d'exégèse.  Mais  peu  sympathique,  hypocondre,  il  n'avait 
guère  de  succès  auprès  des  étudiants.  Peu  à  peu,  il  vit  s'éva- 
nouir ses  plus  belles  espérances,  et,  après  dix-sept  ans,  las 
d'attendre  une  nomination  qui  ne  venait  pas,  il  se  retira,  le 
cœur  ulcéré,  et  alla  finir  ses  jours  dans  sa  ville  natale,  où  il 
mourut  en  1888,  oublié  depuis  longtemps  de  tous  ceux  qui 
l'avaient  connu  autrefois. 

Le  second  de  ces  agrégés  libres,  Henri-Théophile  Redslob^), 
était  le  fils  de  l'ancien  doyen  de  la  Faculté  de  théologie.  Né 
à  Strasbourg  le  10  août  1807,  il  avait  fait  ses  études  secon- 
daires à  l'institut  que  dirigeait  son  père  et  avait  été  immatri- 
culé, en  1824,  au  Séminaire  protestant.  Son  trienniuml  théo- 
logique terminé,  il  était  allé  compléter  ses  études  à  Halle 
et  à  Paris.  A  son  retour,  il  fut  nommé  agrégé,  puis  professeur 
au  Gymnase,  et  joignit,  depuis  1835,  à  ces  fonctions  celles 
de  vicaire  général  des  pasteurs  de  Strasbourg.  La  même 
année,  il  acquit  le  diplôme  de  licencié,  et,  en  1839,  celui  de 
docteur  en  théologie. 

Sitôt  licencié,  il  annonça  des  cours  de  psychologie  et  de 
philosophie  de  la  religion,  plus  tard,  de  logique  et  de  morale. 
Mais  il  n'était  pas  fait  pour  le  professorat.  Son  activité 
universitaire  ne  fut  ni  féconde  ni  longue.  Atteint,  dès  avant 
1850,  d'une  maladie  qui  semblait  d'abord  n'être  que  doulou- 
reuse et  qui  était  mortelle,  il  vit  ses  forces  décliner  peu  à  peu 
et  mourut  à  l'âge  de  45  ans,  le  12  septembre  1852. 

Au  programme  de  la  section  théologique  du  Séminaire 
pour  l'année  1837-1838  parurent  également  deux  nouveaux 
noms,  qui  ne  devaient  plus  en  disparaître:  Charles  Schmidt 
et  Edouard  Cunitz  venaient,  comme  agrégés  libres,  offrir, 
l'un  un  cours  d'histoire,  l'autre,  très  modestement,  des  répé- 
titions d'histoire  ou  de  philosophie. 

Charles-Guillaume- Adolphe  Schmidt'),  né  à  Strasbourg 
le  20  juin  1812,  était  fils  du  libraire-éditeur  Fr.  Schmidt. 
Il  fit  ses  classes  au  Gymnase  protestant  et  suivit,  depuis  1828, 
d'abord,  les  cours  du  Séminaire,  et  puis,  ceux  de  la  Faculté  de 
théologie.  Son  intention  n'était  pourtant  pas  d'entrer  dans  le 
ministère  ecclésiastique,  pour  lequel  il  ne  se  sentait  aucune 


*)  Erinnerungen  an  Heinrich-Théophil  Redslob.    1852. 
')  Voy.  Rod.  Reuss,  M.  Charles  Schmidt,  Professeur  émérite  à  la 
Faculté  de  théologie  de  Strasbourg  (1812-1893)  dans  le  Journal  d'Alsace. 


152  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOUKG  / 

vocation,  il  voulait  se  consacrer  à  l'enseignement  universi- 
taire. Aussi  se  hâta-t-il  d'acquérir  les  grades  qui  devaient  lui 
en  ouvrir  l'accès.  Bachelier  en  théologie  en  1834,  il  fut  reçu 
licencié  en  1835  et  docteur  en  1836.  Les  thèses  qu'il  présenta 
à  ces  différentes  occasions,  ses  «  Etudes  sur  Farel  »,  sa  «  Vie 
de  Pierre  Martyr  Vermigli  »  et  surtout  son  «  Essai  sur  les 
mystiques  du  quatorzième  siècle»,  révélèrent  dès  lors  en  lui 
le  futur  historien  de  l'Eglise  chrétienne  au  Moyen  Age  et 
de  l'époque  de  la  Eéforme.  Dans  les  cours  par  lesquels  il 
débuta  dans  la  carrière  de  l'enseignement,  le  jeune  docteur 
traitait  également,  avec  une  haute  compétence,  des  sujets 
empruntés  à  l'histoire;  mais,  dès  1839,  sa  nomination  à  la 
chaire  d'homilétique  du  Séminaire  mettait  fin  à  des  leçons  qui 
eussent  été  très  utiles  aux  jeunes  théologiens. 

Auguste-Edouard  Cunitz*)  qui,  comme  Charles  Schmidt, 
commença  à  donner  des  cours  en  1837,  était  né  à  Strasbourg 
le  29  août  1812.  Son  père,  négociant  à  Eéval,  était  venu  au 
comîméncement  du  siècle  à  Strasbourg,  s'y  était  fixé  et  avait 
épousé  une  Strasbourgeoise.  De  complexion  délicate,  le  jeune 
Cunitz  ne  semblait  pas  en  état  de  supporter  les  fatigues 
qu'entraînent  les  fortes  études.  Pourtant,  comme  élève  du 
Gymnase  déjà  et,  plus  tard,  comme  étudiant  en  théologie,  il 
sut,  par  une  volonté  énergique  et  tenace,  vaincre  les  diffi- 
cultés que  lui  créait  une  mauvaise  santé  et  tenir  dignement 
son  rang  dans  la  brillante  promotion  qui  réunissait  les  Berg- 
mann,  les  Schimper,  les  Baum,  les  Ch.  Schmidt,  les  frères 
Stœber  et  d'autres  encore. 

Sa  faible  constitution  ne  lui  permettant  pas  d'entrer  dans 
le  ministère  pratique,  Cunitz  se  tourna  vers  la  carrière  de 
l'enseignement.  Ses  études  terminées  à  Strasbourg,  il  alla,  en 
1834,  les  compléter  à  Gœttingue  et  à  Berlin,  et  puis  à  Paris. 
Quand  il  revint  à  Strasbourg,  Eeuss  l'appela  à  diriger  avec 
lui  la  Société  théologique.  L'année  d'après,  il  acquit,  par  une 
savante  dissertation  sur  «le  décret  de  Nicolas  II  relatif  à 
l'élection  des  pontifes  romlains  »,  le  grade  de  licencié  en  théo- 
logie et  commença  à  faire  des  cours. 

Cunitz  possédait  un  savoir  étendu,  notamment  dans  le 


*)  Voy.  Rod.  Reuss,  Notice  nécrologique  sur  M.  Edouard  Cunitz, 
Professeur  à  la  Faculté  de  théologie  de  Strasbourg  (Extrait  du  Progrès 
Religieux).    Str.  1886. 


AUGUSTE-EDOUAKD   CUNITZ  153 

domaine  de  l'histoire  ecclésiastique,  mais  il  était  également 
versé  dans  Texégèse  et  la  critique  du  Nouveau  Testament, 
dans  le  droit  ecclésiastique,  dans  l'histoire  de  la  littérature 
allemande  et  dans  celle  de  Tart  religieux.  Il  fit  à  différentes 
reprises  des  cours  sur  ces  dernières  matières  qui  n'avaient 
pas  de  représentant  dans  le  corps  enseignant  du  Séminaire. 
Ses  cours,  consciencieusement  préparés  et  très  instructifs, 
n'eurent  pourtant  pas  le  succès  qu'ils  méritaient.  Cunitz 
n'avait  pas  le  don  de  la  parole.  Il  ne  parlait  pas  librement 
dans  ses  leçons,  il  restait  servilement  attaché  à  son  papier. 
De  là  un  manque  de  mouvement,  de  vie  dans  son  exposition, 
et,  en  définitive,  un  manque  d'attrait.  Les  étudiants,  d'ail- 
leurs, dans  leur  grande  majorité,  ne  s'intéressaient  pas  à  des 
questions  qui  ne  figuraient  pas  sur  le  programme  des  exa- 
mens. 


Au  moment  où  ces  agrégés  libres  venaient  rajeunir  et 
renforcer  le  corps  enseignant  du  Séminaire,  l'un  des  der- 
niers survivants  de  l'ancienne  Université  et  de  l'Académie 
protestante,  le  vieux  professeur  Ehrmann,  était  rappelé  de 
ce  monde,  il  expirait  le  24  septembre  1839.  Sa  mort  ne  laissait 
pas  de  lacune  dans  le  programme  des  leçons.  Ehrmann  avait, 
dès  le  début  et  depuis,  chaque  année,  annoncé  un  cours  de 
droit  ecclésiastique,  mais  il  était  rarement  arrivé  à  le  faire, 
faute  d'auditeurs.  On  ne  vit  donc  pas  la  nécessité  de  main- 
tenir la  chaire  qu'il  avait  occupée  en  y  nommiant  un  nou- 
veau titulaire.  Il  y  avait,  dans  le  programme  des  études, 
d'autres  lacunes  à  combler.  A  la  mort  de  Koch,  on  n'avait 
pas  pourvu  à  son  remplacement  et,  depuis,  l'histoire  pro- 
fane ne  figurait  plus  au  programme  II  était  temps  de  remé- 
dier à  cet  état  de  choses.  Il  en  était  de  même  de  la  théologie 
pratique.  Bruch  avait  occupé  cette  chaire,  et  puis,  à  la  mort 
de  Eedslob,  il  avait  été  appelé  à  celle  de  dogmatique  et  de 
morale,  mais  on  avait  négligé  de  lui  donner  un  successeur 
pour  l'enseignement  de  l'homilétique  et  de  la  catéchétique. 
Il  en  était  résulté  cette  anomalie  que  Bruch,  chargé  des  cours 
de  dogmatique,  de  morale  et  d'exégèse  du  Nouveau  Testa- 
ment, l'était  encore  de  celui  d 'homilétique.  La  tâche  était 
trop  lourde:  Bruch,  avec  la  meilleure  volonté  du  monde,  ne 


154  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

pouvait  y  suffire,  et  l'enseignement  de  la  théologie  pratique, 
si  essentielle,  en  souffrait. 

Mais  alors  la  question  se  posa:  histoire  ou  théologie 
pratique?  A  laquelle  de  ces  deux  disciplines  fallait-il  pour- 
voir d^abordl  Au  sein  du  Séminaire,  les  avis  étaient  par- 
tagés. Les  uns  opinaient  pour  la  nomination  d'un  professeur 
d'histoire,  les  autres  pour  celle  d'un  professeur  d'homilé- 
tique  et  de  catéchétique.  Ces  derniers  finirent  par  l'emporter. 
La  chaire  de  droit  ecclésiastique  fut  convertie  en  chaire  de 
théologie  pratique,  et,  dans  sa  séance  du  3  octobre  1839,  le 
Séminaire  proposa,  et,  dans  sa  séance  du  10  octobre  de  cette 
année,  le  Directoire  nomma  Charles  Schmidt  à  cette  chaire. 

Ce  choix,  il  faut  le  dire,  n'était  pas  très  heureux.  Charles 
Schmidt  était  un  savant  distingué,  il  avait  fourni  ses  preuves 
sur  le  terrain  de  l'histoire.  Il  était  monté  deux  ou  trois  fois 
en  chaire,  mais  il  n'avait  jamais  rempli  d'autre  fonction 
pastorale.  Il  n'avait  donc  point  l'expérience  que  donne  seul 
l'usage  prolongé  du  ministère  sacré.  Parfaitement  qualifié 
pour  une  chaire  d'histoire,  il  l'était  moins  pour  une  chaire  de 
théologie  pratique. 

Cependant  le  Séminaire  ne  perdait  pas  de  vue  la  ques- 
tion de  l'enseignement  de  l'histoire.  A  défaut  d'un  profes- 
seur titulaire,  il  décida  de  nommer  un  professeur  suppléant 
pour  cette  matière.  Son  choix  tomba  sur  un  de  ses  anciens 
élèves  qui  vivait  depuis  de  longues  années  à  Paris,  occupé 
d'orientalisme,  et  qui  avait  acquis  de  la  réputation  dans  cette 
science. 

Charles- Auguste  Stahl  ')  était  né  à  Strasbourg  le  30  no- 
vembre 1799.  Orphelin  de  père  et  de  mère  dès  son  bas  âge, 
il  avait,  dans  son  enfance  et  sa  jeunesse,  connu  les  priva- 
tions. Il  avait  pourtant  pu,  grâce  à  l'assistance  de  quelques 
personnes  qui  s'intéressaient  à  lui,  faire  ses  classes  au 
Gymnase  et  ses  études  dans  la  section  propédeutique  du 
Séminaire.  Il  s'y  était  surtout  livré  à  l'étude  des  langues  sémi- 
tiques et  de  l'histoire  de  l'antiquité  et  du  moyen  âge.  Au 
moment  de  prendre  une  décision  relativement  à  son  avenir, 
il  avait  renoncé  à  la  théologie  et,  suivant  sa  vocation,  il  s'é- 
tait voué  aux  sciences  historiques.  A  Paris,  où  il  s'était  rendu 

*)  Voy.  Dr.  Karl  August  Stahl,  Professor  der  Geschichte  an  dem 
protestantischen  Seminar  und  an  der  Kaiserlichen  Universitât  zu 
Strassburg,  von  L(ouis)  S(pach).    Str.  1874. 


JEAN-GiriLLATJME  BAUM 


155 


en  1824,  il  avait  appris  Tarabe  avec  Silvestre  de  Sacy,  le 
chinois  avec  Albert  de  Eémnsat,  le  persan  avec  Joubert  et 
avec  de  Chézy,  le  traducteur  du  poème  de  Sakuntala,  puis 
encore  le  turc  et  le  sanscrit,  et,  en  raison  de  sa  connaissance 
approfondie  des  langues  orientales,  il  avait  été  nommé  secré- 
taire de  la  Société  asiatique. 

Malgré  sa  science  et  malgré  les  démarches  de  quelques 
amis  dévoués,  Stahl,  après  quinze  ans  de  séjour  à  Paris, 
n'était  pas  arrivé  à  conquérir  une  position  fixe  et  rétribuée. 
Pour  vivre,  il  avait  dû  accepter  la  très  modeste  et  très  fasti- 
dieuse tâche  d'enseigner  aux  élèves  d'un  lycée  de  Paris  les 
éléments  de  la  langue  allemande.  Très  opportunément,  on 
se  souvint  de  lui  à  Strasbourg,  et  bien  qu'il  n'eût  aucun  titre 
littéraire  à  faire  valoir,  la  réputation  de  son  immense  savoir 
suffit  pour  fixer  sur  lui  le  choix  du  Séminaire.  On  le  nomma 
professeur  suppléant  et,  en  considération  de  son  âge,  —  il 
avait  plus  de  quarante  ans  — ,  on  lui  alloua  le  traitement, 
considérable  pour  l'époque,  de  deux  mille  francs. 

Ces  deux  nominations  avaient  provoqué  au  sein  du  Sé- 
minaire une  scission:  quand  il  s'était  agi  de  pourvoir  à  la 
chaire  de  théologie,  d'abord,  et  à  l 'enseignemlent  de  l'histoire, 
ensuite,  une  minorité  s'était  prononcée  en  faveur  d'un  jeune 
savant  qui  avait  passé  brillamment  sa  licence  en  théologie,  et 
qui  se  recommandait,  non  seulement  par  de  belles  connais- 
sances, mais  par  un  vrai  talent  de  prédicateur  et,  en  général, 
par  les  qualités  de  l'esprit  et  du  cœur. 

Jean-Guillaume  Baum  *)  était  né  le  7  décenxbre  1809  à 
Flonheim,  dans  le  département  du  Mont-Tonnerre.  Son  père 
était  meunier.  Peu  fortuné  et  chargé  d'enfants,  il  ne  put 
donner  à  un  fils  né  avec  les  plus  heureuses  dispositions  qu'une 
éducation  peu  coûteuse  et,  dès  lors,  peu  relevée.  Il  dut  se  con- 
tenter de  l'envoyer  à  l'école  de  l'endroit,  qui  était  dirigée 
par  un  invalide  français.  Heureusement  pour  lui,  le  jeune 
Baumi  fut  confié,  à  l'âge  de  douze  ans,  à  son  oncle,  le  pasteur 
Hessel,  aumônier  des  prisons  à  Strasbourg.  Il  fréquenta 
alors  le  Gymnase  protestant,  et,  grâce  à  une  intelligence  ou- 
verte et  avide  de  savoir  et  à  un  zèle  ardent,  il  n'eut  pas  de 
peine  à  compléter  l'instruction  élémentaire  qu'il  avait  reçue 


*)  Voy.   Johann   Wilhelm   Baum,  von   Mathilde    Baum.    Str.    1902 
(2e  éd.). 


156  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE   DE   STRASBOURG 

à  récole  de  son  village.  Elève,  de  1828  à  1833,  du  Séminaire 
et  de  la  Faculté  de  théologie,  il  termiina  ses  études  univer- 
sitaires par  un  travail  sur  le  Méthodisme  qui  fut  jugé  digne 
du  prix  Schmutz  de  3000  frs.  Il  eût  voulu,  à  ce  moment,  s'en 
aller  avec  ses  amis,  visiter,  comme  eux,  les  Universités  étran- 
gères. Il  ne  le  put,  ses  moyens  ne  le  lui  permettaient  pas.  Il 
fallut  rester  attaché  à  la  besogne,  travailler  pour  gagner  sa 
vie.  Agrégé  au  Gymnase  en  1834,  pédagogue  du  collège  Saint- 
Guillaume  en  1836,  il  fut  appelé,  dans  cette  mieme  année,  à 
donner  les  prédications  du  soir  à  l'église  Saint-Thomas.  En 
1838,  il  passa  sa  licence  avec  une  thèse  latine  sur  les  Ori- 
gines de  la  Réforme  en  France,  et  Tannée  d'après,  il  annonça 
un  cours  sur  «l'histoire  profane  depuis  les  croisades  jusqu'à 
nos  jours.  » 

Baum  était  donc  parfaitement  qualifié  pour  l'une  et 
l'autre  des  deux  places  en  question,  et,  en  l'absence  d'un  can- 
didat qui  s'imposait,  il  était  naturel  qu'on  songeât  à  lui.  Ce 
qui  d'ailleurs  militait  en  sa  faveur,  c'était  l'affection  que  lui 
témoignait  la  jeunesse  universitaire,  qu'il  s'était  conciliée 
dès  le  premier  jour  par  son  caractère  à  la  fois  doux  et  fort, 
par  son  humeur  joviale  et  sa  verve  intarissable.  Si,  malgré 
ces  qualités,  on  lui  préféra  Schmidt  pour  la  théologie  pra- 
tique et  Stahl  pour  l'histoire,  c'était  peut-être  parce  que  ces 
deux  derniers  étaient  d'origine  strasbourgeoise  et  que  le  Sé- 
minaire pensait,  avec  raison,  qu'il  fallait  donner  la  préfé- 
rence aux  enfants  du  pays.  Il  reconnaissait  d'ailleurs  les  mé- 
rites de  Baum  et  le  nommait,  peu  après,  professeur  agrégé 
avec  le  très  modeste  traitement  de  600  francs. 

Baum  ne  fut  pas  plus  heureux  quand  trois  ans  plus 
tard  il  s'agit  de  donner  à  Lachenmeyer,  décédé  le  26  dé- 
cembre 1842,  un  successeur  dans  la  chaire  de  philologie.  Ses 
amis  mirent  cette  fois  encore  sa  candidature  en  avant,  et 
cette  fois  encore  sans  succès:  Théodore  Kreiss,  professeur  au 
Gymnase,  fut  nommé  à  la  chaire  devenue  vacante.  Et  c'était 
justice.  Baumi  était  sans  doute  un  grand  admirateur  et  un 
fin  connaisseur  de  l'antiquité  latine,  mais  il  n'était  pas  phi- 
lologue, il  en  convenait  lui-mêm^e.  Kreiss,  au  contraire,  avait 
étudié  à  fond  la  science  philologique  et  s'était  distingué 
dans  l'enseignement  des  langues  anciennes  qu'il  avait  donné 
pendant  des  années  dans  les  classes  supérieures  du  Gym- 
nase. 


THÉODOEE   KREISS  ^^'^ 

Théodore  Kreiss  ')  était  né  le  18  juillet  1802  au  presbytère 
de  Bischheim,  dans  le  département  du  Bas-Khin.  Mais  son 
père  ayant  été  nommé  cette  même  année  pasteur  à  Téglise 
Saint-Pierre-le-Jeune  à  Strasbourg,  on  peut  le  considérer 
comme  un  enfant  de  cette  ville.  Il  fréquenta  d'abord  l'école 
paroissiale  de  Saint-Pierre  et  puis  le  Gymnase,  dont  il  par- 
courut les  classes  si  rapidement  qu'il  se  trouva  avoir  terminé 
ses  études  secondaires  à  l'âge  de  treize  ans.  Il  suivit  alors, 
pendant  quatre  ans,  les  cours  de  la  section  préparatoire  du 
Séminaire  et  fut,  en  1819,  immatriculé  à  la  Faculté  de  théo- 
logie, oii  il  subit  surtout  l'influence  de  Redslob  et 
d'Emmerich. 

Ses  trois  années  de  théologie  terminées,  Kreiss  alla 
passer  quelque  temps  à  l'Université  de  Gœttingue,  pour  se 
familiariser  avec  la  théologie  et  la  philologie  allemandes. 
De  là,  il  se  rendit  à  Paris.  Il  y  donna  des  leçons  de  grec  et 
de  religion  dans  un  pensionnat  de  jeunes  gens  et  devint,  en 
1826,  précepteur  des  enfants  du  prince  Dolgorouky.  Mais  dès 
l'année  suivante,  il  revint  à  Strasbourg. 

Sa  santé  débile  le  rendant  im'propre  à  l'exercice  du 
ministère  sacré,  Kreiss  se  tourna  vers  la  carrière  de 
l'enseignement.  Ses  débuts  y  furent  des  plus  modestes.  On 
venait  de  créer  une  huitième  classe  au  Gymînase,  pour  habi- 
tuer les  enfants  au  français  dès  leur  entrée  à  l'école.  On  en 
offrit  la  direction  au  jeune  philologue.  Il  l'accepta,  et  il 
remplit  cette  humble  tâche  avec  la  conscience  qu'il  mettait 
en  toute  chose.  Mais  on  comprit  bientôt  qu'il  pourrait  rendre 
des  services  plus  importants.  On  lui  confia  l'enseignement 
du  latin  en  IVe,  puis  celui  du  latin  et  du  grec  en  Ille  et  en 
lie,  et,  après  qu'il  eut  été  nommé  professeur  titulaire  en  1833, 
l'enseignement  du  latin  en  I^®  et  celui  du  latin  et  du  grec  en 
11^.  Pendant  quinze  ans,  il  initia  ainsi,  avec  un  zèle  et  un 
dévouement  qui  ne  se  démentirent  jamais,  les  élèves  des 
classes  supérieures  du  Gymnase  à  l'intelligence  des  auteurs 
grecs  et  latins  et  sut  inspirer  à  plus  d'un  d'entre  eux  l'amour 
de  l'antiquité  classique. 

Il  était  naturel  qu  'à  la  mort  de  Lachenmeyer  le  Séminaire 
appelât  à  la  chaire  devenue  vacante  un  maître  qui  avait  fourni 


^)  Voy.  Discours  sur  la  vie  et  les  travaux  de  M.  Théodore  Kreiss, 
prononcé  le  7  juin  1860  par  J.-F.  Bruch.   Str.  1860. 


158  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE   DE  STRASBOUEG 

ses  preuves  et  qui  semblait  plus  particulièrement  apte  à  faire 
comprendre  à  ses  élèves  ce  qu'il  y  a  de  grand  et  de  beau  dans 
la  littérature  grecque  et  latine.  Kreiss  connaissait  cette 
littérature  à  fond  et,  avec  un  goût  parfait  et  un  tact  sûr,  il 
choisissait  ses  auteurs  parmi  ceux  qui  répondent  le  mieux 
aux  aspirations  de  la  jeunesse:  Eschyle  et  Sophocle,  Pindare 
et  Virgile  parmi  les  poètes,  Thucydide  et  Démosthène,  Tacite 
et  Sénèque  parmi  les  prosateurs.  Il  étudiait,  avec  ses  audi- 
teurs, non  seulement  les  formées,  mais  les  sentiments  et  les 
idées  de  ces  auteurs.  Et  puis,  il  essayait  de  les  initier  à  la  vie 
antique  par  des  cours  sur  le  développement  de  la  vie  publique 
et  privée  des  Grecs,  sur  la  mythologie  grecque,  sur  Thistoire 
de  la  poésie  lyrique  grecque  etc.  Fin  connaisseur  en  matière 
littéraire,  Kreiss  Tétait  aussi  en  matière  artistique.  Il  était 
allé  dans  le  midi  étudier  les  intéressants  débris  de  Part 
romSain  à  Nîmes,  à  Arles,  à  Orange  et  ailleurs,  et  il  était  allé 
en  Italie  contemlpler  les  chefs-d'œuvre  de  Part  grec;  il  en 
était  revenu  plein  d'admiration  pour  les  formes  si  pures  dont 
les  anciens  avaient  su  revêtir  la  m^atière,  et  cherchait  à  com- 
muniquer quelque  chose  de  cette  admiration  à  ses  auditeurs. 

Les  cours  de  Kreiss,  où  l'éducation  littéraire  devenait 
parfois  une  haute  éducation  morale,  étaient  fort  goûtés.  Ce 
qui  attirait  les  auditeurs,  ce  n'était  pas  seulement  son 
enseignement  intéressant,  clair,  suggestif,  mais  sa  person- 
nalité même,  ses  qualités  exquises  de  cœur  et  d'esprit,  son 
idéalisme:  Vir  cordatus  et  bonus! 

Aux  environs  de  1840  toutes  les  chaires  du  Séminaire 
se  trouvèrent  donc  occupées  et  à  la  Faculté  aussi  on  arrivait 
à  compléter  le  corps  enseignant. 


VI 

Les  discussions  relatives  aux  places  vacantes  à  la  Faculté 
avaient  duré  plus  de  trois  ans  sans  aboutir.  Le  ministre  per- 
sistait dans  sa  manière  de  voir,  et  la  Faculté,  avec  le  Séminaire 
et  le  Directoire,  dans  la  sienne.  Enfin,  dans  sa  séance  du  28  avril 
1838,  la  Faculté  décida  de  demander  encore  une  fois  que 
Jung,  qui  enseignait  l'histoire  ecclésiastique  depuis  cinq  ans, 
fût  définitivement  nommé  à  cette  chaire,  que  celle  de  morale 
chrétienne  fût  confiée  à  Reuss,  et  que  Bruch  fût  autorisé  à 
échanger  la  chaire  d'homilétique  avec  celle  de  dogmatique. 


I 


LA  FACULTÉ  EST  AU  COMPLET  159 

Le  Directoire  s'étant  déclaré  d'accord  avec  cette  décision 
«dans  rintérêt  des  études  et  de  la  Faculté  de  Strasbourg», 
le  ministre  se  vit  obligé  de  faire  un  pas  vers  la  solution  de 
la  question:  le  30  octobre  1838,  il  nomma  Eeuss  chargé  de 
cours  pour  renseignement  de  la  morale  chrétienne  et  autorisa 
Bruch  à  passer  de  la  chaire  d'homilétique  à  celle  de  dogma- 
tique. 

Il  s'agit  alors  de  pourvoir  à  la  chaire  d'homilétique.  Et 
de  nouveau  les  choses  traînèrent  en  longueur.  Ce  n'est  qu'en 
1841  que,  sur  les  instances  réitérées  de  la  Faculté,  il  y  fut 
enfin  pourvu.  Cette  fois,  on  procéda  d'après  un  mode  nouveau. 
La  Faculté  avait  proposé  de  soumettre  au  ministre  une  liste 
de  trois  noms  parmi  lesquels  il  choisirait.  La  proposition 
ayant  été  approuvée  par  le  Directoire,  à  la  condition  que 
la  Faculté  se  bornât  à  donner  son  avis  sur  les  aptitudes  et 
les  mérites  des  candidats,  le  ministre  l'accepta  à  son  tour. 

Au  moment  où  l'on  établit  la  liste  des  trois  noms,  il  se 
produisit  un  incident  inattendu.  Matter  eut  l'idée  qu'il  pour- 
rait joindre  à  la  position  d'inspecteur  général  de  l'Université  à 
Paris  celle  de  professeur  de  la  Faculté  de  théologie  à  Stras- 
bourg, et  il  demanda  que  son  nom  fût  porté  sur  la  liste. 
La  Faculté  n'osa  pas  s'y  refuser.  Elle  présenta  Matter  en 
première,  Schmidt  en  seconde,  et  Eedslob,  le  fils  du  regretté 
doyen,  en  troisième  ligne.  Mais  Guizot,  alors  ministre  de 
l'instruction  publique,  n'admettait  pas  le  cumul  des  places, 
n  fit  savoir  à  Matter  qu'il  avait  à  choisir  entre  les  deux 
positions,  inspecteur  général  de  l'Université  à  Paris  ou 
professeur  de  Faculté  à  Strasbourg,  mais  que  réunir  les  deux 
était  impossible.  Placé  devant  cette  alternative,  Matter  se 
désista  et  Charles  Schmidt  fut  nommé. 

L'année  suivante  amena  la  nomination  de  Jung  à  la 
chaire  d'histoire  ecclésiastique  et  la  Faculté  se  trouva  enfin 
être  au  complet  avec  six  professeurs:  Frédéric  Bruch,  doyen, 
représentait  la  théologie  systématique;  Théodore  Fritz, 
l'exégèse  de  l'Ancien  Testament;  Edouard  Eeuss,  bien  que 
chargé  du  cours  de  morale  chrétienne,  l'exégèse  du  Nouveau 
Testament;  André  Jung,  l'histoire  ecclésiastique;  Charles 
Schmidt,  l'homilétique,  la  liturgique  et  la  catéchétique,  et 
Eichard,  le  dogme  réformé. 

La  Faculté  n'eut  jamais  plus  de  six  chaires.  Un  instant, 
déjà  avant  1842,  on  avait  espéré  qu'elle  serait  augmentée 


160  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

d'une  septième.  Une  ordonnance  royale  du  24  août  1838 
avait  décidé  qu'il  serait  créé  dans  chaque  Faculté  de  théo- 
logie du  Royaume  une  chaire  de  droit  ecclésiastique,  et, 
depuis,  les  fonds  pour  trois  de  ces  chaires,  dont  deux  catho- 
liques et  une  protestante,  avaient  été  votés  au  budget.  Mais 
pour  la  chaire  protestante,  le  choix  n'était  pas  fixé  entre 
Montauban  et  Strasbourg.  Le  Directoire  se  hâta  d'adresser 
au  ministre  un  exposé  des  motifs  qui  plaidaient  en  faveur 
de  la  Faculté  de  Strasbourg.  «Nous  n'hésitons  pas  à  dire», 
écrivait-il,  «  que  s'il  y  a  égalité  de  droits  de  la  part  des 
élèves  auxquels  il  serait  destiné,  l'enseignement  (du  droit 
canonique)  en  lui-même,  tel  qu'il  pourra  être  donné  à  Stras- 
bourg, se  trouvera  doté  d'éléments  prépondérants  de  succès, 
d'après  la  richesse  et  la  variété  des  sources  où  il  puisera»'). 
Le  ministre  répondit  qu'il  ne  perdrait  pas  de  vue  la  requête 
que  lui  adressait  le  Directoire.  Et  ce  fut  tout.  Jamais  il  ne 
fut  plus  question  de  cette  chaire  de  droit  canonique. 

Il  y  en  avait  une  autre  dont  la  Faculté  avait  à  plusieurs 
reprises  demandé  l'établissemlent,  sans  pouvoir  l'obtenir, 
c'était  une  chaire  d'exégèse  du  Nouveau  Testament.  La  chaire 
d'exégèse  établie  à  la  Faculté  lors  de  sa  création  était  occupée 
par  le  professeur  d'hébreu,  qui  n'expliquait  que  les  livres 
de  l'Ancien  Testament;  l'interprétation  de  ceux  du  Nouveau 
Testament,  si  nécessaire  aux  futurs  pasteurs,  n'avait  pas  de 
représentant  officiel.  C'était  là  une  lacune  des  plus  fâcheuses. 

En  1832,  un  ancien  élève  de  la  Faculté  de  théologie,  qui 
lui  était  resté  fidèlement  attaché,  avait  essayé  de  la  combler 
en  faisant  appeler  à  Strasbourg  un  savant  illustre,  particu- 
lièrement apte  à  relever  les  études  bibliques.  Edouard  Verny  ') 
qui,  d'abord  avocat  à  Colmar,  avait,  à  vingt-cinq  ans,  quitté 
le  barreau  pour  la  théologie,  était  alors  principal  du  collège 
de  Mulhouse  et  entretenait  des  relations  suivies  avec  les 
professeurs  de  l'Université  de  Bâle,  notamment  avec  Vinet. 
Par  lui,  il  avait  connu  De  Wette  ')  qui,  depuis  1882,  occupait 


^)  Lettre  du  président  du  Directoire  du  i7  janvier  18â0.  La  minute 
se  trouve  aux  Archives  du  Directoire. 

')  Louis-Edouard  Verny  (1803-1854)  étudia  la  théologie  à  Stras- 
bourg de  1828  à  1830.  Il  fut  appelé  en  1835  comme  pasteur  à  Paris. 

')  Martin-Lebrecht  De  Wette  ',1780-1849),  professeur  de  théologie 
à  léna,  puis  à  Berlin,  1810,  connu  surtout  par  son  Introduction  historico- 
critique  aux  livres  de  TA.  et  du  N.  T.,  par  sa  traduction  de  la  Bible  et 


TENTATIVE  D'APPELEK  DE  WETTE  A  STEASBOUEG  161 

une  chaire  dans  cette  Université.  H  avait  lu  les  ouvrages  du 
savant  théologien  et  avait  été  émerveillé  de  sa  science  et 
de  sa  méthode.  Il  eut  alors  Fidée  de  faire  appeler  ce  maître 
de  l'exégèse  et  de  la  critique  sacrée  à  la  Faculté  de  Strasbourg 
et  de  demander  qu'on  créât  pour  lui  une  chaire  d'exégèse  du 
Nouveau  Testament.  Il  s'en  ouvrit  au  recteur  Cottard,  qui 
était  de  ses  amis,  il  s'en  ouvrit  également  à  Reuss,  et  gagna 
l'un  et  l'autre  à  son  projet. 

L'idée  était  hardie,  sa  réalisation  pourtant  ne  semblait 
pas  impossible.  Cousin,  alors  ministre  de  l'instruction 
publique,  avait  rapporté  d'un  voyage  fait  en  Allemiagne  une 
fervente  admiration  pour  la  science  allemande;  il  songeait, 
lui  aussi,  paraît-il,  à  appeler  un  savant  allemand  à  la  Faculté 
de  théologie  de  Strasbourg.  Seulement,  il  n'avait  en  vue  ni 
De  Wette  ni  aucun  représentant  des  idées  nouvelles,  il 
songeait  à  un  semi-hégélien,  au  professeur  Mathies  de  Greifs- 
wald,  savant  assez  obscur  et  dont  la  nomination  n'eût  guère 
ajouté  au  renom  de  la  Faculté. 

Cependant  Verny  et  ses  amis  avaient  fait  des  ouvertures 
à  De  Wette  et  celui-ci  s'était  montré  disposé  à  venir  à  Stras- 
bourg. Mais  la  mort  de  sa  femme,  survenue  à  ce  moment, 
le  fit  changer  d'idée:  il  ne  put  se  résoudre  à  quitter  Bâle,  les 
habitudes  qu'il  y  avait  prises  et  le^  amis  qu'il  y  avait  trouvés, 
pour  commencer  une  nouvelle  vie  dans  un  nouveau  milieu. 
D'autre  part,  le  projet  attribué  au  ministre  fut  également 
abandonné,  et  la  Faculté  de  théologie  resta  avec  ses  six  chaires 
et  ses  six  professeurs. 

Trente  ans  plus  tard,  une  nouvelle  tentative  fut  faite, 
cette  fois  dans  un  intérêt  de  parti,  de  gagner  un  savant  de 
renom  pour  occuper  une  chaire  d'exégèse  du  Nouveau 
Testament  qui  n'existait  pas,  mais  dont  on  espérait  obtenir 
la  création.  C'est  M.  Philippe  Godet  qui,  dans  la  biographie 
de  son  père,  Frédéric  Godet,  professeur  d'exégèse  à  la  Faculté 
de  théologie  de  Neuchâtel,  nous  donne  connaissance  de  ce  fait 
assez  ignoré.  «  Cette  année-là  (1866)  »,  écrit-il,  «  Frédéric 
Godet  reçut  des  ouvertures    de   la   part   de   la   Faculté    de 


par  ses  Commentaires  sur  les  Psaumes  et  les  écrits  du  N.  T.  Destitué 
en  1819  pour  avoir  écrit  une  lettre  de  condoléance  à  la  mère  de  l'étu- 
diant Sand,  l'assassin  de  Kotzebue,  il  fut  appelé,  en  1822,  à  l'Université 
de  Bâle  comme  professeur  de  théologie. 


11 


162  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE  DE  6TKASB0UEG 

théologie  de  Strasbourg  qui  lui  eût  volontiers  confié 
renseignement  de  l'exégèse.  »  *)  Des  ouvertures  furent  donc 
faites  au  professeur  de  Neuchâtel  pour  l'engager  à  venir  à 
Strasbourg  et  à  s'y  charger  d'un  cours  d'exégèse.  Voilà  un 
fait  acquis.  Mais  ces  ouvertures  ne  venaient  pas,  comme  le 
pense  M.  Philippe  Godet,  de  la  Faculté  de  théologie  de  Stras- 
bourg, qui  possédait  en  Keuss  un  exégèse  éminent  et  ne 
songeait  nullement  à  en  appeler  un  autre  à  côté  de  lui,  elles 
venaient  d'autre  part,  de  Paris,  comme  cela  ressort  clairement 
de  la  lettre  que  M.  Godet  cite  en  partie  et  dont  il  a  bien 
voulu  nous  communiquer  le  texte  complet. 

Dans  cette  lettre,  Frédéric  Godet,  écrivant  à  son  fils  aîné, 
Georges,  alors  étudiant  à  Gœttingue,  et  lui  parlant  d'un  ami 
nommé  récemment  professeur  de  théologie  et  qui  avait  peu 
de  succès  dans  son  enseignement,  disait:  «Au  commencement 
d'une  carrière  si  importante,  je  me  représente  que  ce  doit 
être  un  sentiment  des  plus  pénibles.  Chose  pareille  m'atten- 
drait-elle à  Strasbourg,  si  jamais  je  devais  y  aller!  Je  suis 
à  cet  égard  bien  embarrassé.  Mon  sentiment  répugne  de  plus 
en  plus  à  quitter.  Et  puis,  je  viens  de  recevoir  une  lettre 
de  M.  Grandpierre  en  contenant  une  de  M.  Goguel  de  Mont- 
béliard,  qui  parle  de  toute  cette  affaire  dans  un  sens  encou- 
rageant pour  moi  et  qui  pourtant  m'a  découragé.  Il  paraît 
qu'il  faudrait  le  grade  de  docteur  en  théologie  —  puis  une 
souscription  particulière  pour  combler  le  déficit  des  appointe- 
ments, qui  ne  sont  pour  le  professeur  de  théologie  réformée 
que  de  3000  frs.  Tout  cela  se  complique,  et  mon  sentiment 
de  plus  en  plus  prononcé  est  de  refuser.  Le  cœur  me  saigne 
à  certains  égards,  quand  je  me  rappelle  ce  que  M.  Meyer 
me  disait  de  ces  pauvres  étudiants.  Mais  si  je  puis  leur  être 
utile  par  quelque  ouvrage...  » 

Cette  lettre  ne  laisse  subsister  aucun  doute.  Il  s'agissait 
de  pourparlers  engagés  entre  les  représentants  de  l'ortho- 
doxie réformée  et  luthérienne  de  Paris,  d'une  part,  et  le 
professeur  d'exégèse  de  Neuchâtel,  d'autre  part,  dans  le  but 
de  décider  celui-ci  à  venir  à  Strasbourg,  pour  y  donner  à 
ces  «pauvres  étudiants»  réduits  à  entendre  l'exégèse  de 
Reuss,  de  Bruch  et  de  Cunitz,  un  enseignement  conforme  à 


*)  Philippe    Godet,     Frédéric    Godet    (1812-1904).     Neuchâtel    1910, 
p.  336  s. 


FR.   GODET  REÇOIT  UN  APPEL   DU  PARTI   ORTHODOXE  163 

la  tradition  et  à  la  croyance  de  l'Eglise.  Frédéric  Godet,  bien 
connu  par  ses  commentaires  et  par  ses  controverses  avec  la 
Revue  de  théologie,  était  l'homme  qu'il  fallait  pour  remplir 
une  pareille  tâche. 

n  est  regrettable  que  les  lettres  de  Grandpierre  et  de 
Goguel  n'aient  pas  été  conservées,  elles  auraient  peut-être  jeté 
une  lumière  plus  complète  sur  cet  intéressant  incident,  mais 
celle  du  professeur  Frédéric  Godet  suffit  pour  nous  éclairer 
sur  une  tentative  qui  d'ailleurs  ne  réussit  pas. 


11* 


CHAPITRE  III 

Eapports  avec  rAUemagne  théologipe  et  avec  la  rrance 
protestante  —  Activité  littéraire  des  professeurs  du  Séminaire 

et  de  la  Faculté 


Le  Séminaire  et  la  Faculté  de  théologie  n'eurent  d'abord, 
et  jusqu'aux  environs  de  Tannée  1830,  que  peu  de  relations  avec 
l'Allemagne  et  ses  théologiens.  Ces  relations  avaient  existé 
autrefois.  Strasbourg,  avec  son  Université,  avait  été,  à  la  fin 
du  X Ville  siècle,  le  point  où  la  France  et  l'Allemagne  pre*- 
naient  contact.  Les  étudiants  d'outre-Rhin  étaient  venus 
suivre  les  cours  de  l'ancienne  «Argentina»,  et  ceux  de  Stras- 
bourg étaient  allés  compléter  leurs  études  dans  les  Universités 
allemandes.  Les  professeurs  Schweighaeuser  et  Blessig,  Haff- 
ner  et  Koch,  Dahler  et  Herrenschneider,  d'autres  encore, 
avaient  passé  autrefois  quelques  semestres  en  Allemagne; 
Dahler  avait  même  collaboré  avec  Eichhorn  au  Lexicon 
Simonis  et  Koch  avait  reçu  un  appel,  qu'il  avait  refusé,  à 
une  chaire  de  l'Université  de  Gœttingue.  Mais  ces  relations 
avaient  été  rompues  par  la  Révolution  et,  depuis,  elles 
n'avaient  guère  été  reprises. 

Durant  la  période  napoléonienne,  il  est  vrai,  les  étudiants 
en  théologie  des  pays  annexés  étaient  venus  faire  ou  achever 
leurs  études  à  Strasbourg,  et,  plus  tard,  deux  Facultés  de 
théologie  allemandes,  celle  de  Halle  et  celle  de  Bonn,  avaient 
tenu  à  honorer  des  professeurs  du  Séminaire  en  envoyant  le 
diplôme  de  docteur,  l'une,  à  Haiïner,  l'autre,  à  Emmerich. 
Mais  c'étaient  là  des  cas  exceptionnels.  En  général,  on  ne 
connaissait  guère  en  Allemagne,  même  dans  le  monde  savant, 
les  établissements  ihéologiques  de  Strasbourg  et  les  hommes 


RAPPORTS   AVEC  L'ALLEMAGNE   THÉOLOGIQUE  165 

qui  y  professaient.  Edouard  Eeuss  raconte,  dans  ses  Sou- 
venirs, que  le  surintendant  Rohr,  de  Weimar,  qu'il  alla  saluer 
lors  de  son  premier  voyage  en  Allemagne,  en  1826,  ne  con- 
naissait que  les  noms  des  trois  professeurs  les  plus  anciens 
du  Séminaire  et  qu'à  léna  on  lui  demanda  très  sérieusement 
s'il  était  vrai  qu'on  pût  faire  des  études  de  théologie  à  Stras- 
bourg. La  publication  du  programme  des  cours  du  Séminaire 
et  de  la  Faculté  dans  un  journal  littéraire  allemand  n'y  chan- 
gea rien. 

Il  faut  le  dire,  si  les  théologiens  de  Strasbourg  et,  avec 
eux,  les  institutions  théologiques  de  cette  ville,  étaient  peu 
connus  à  l'étranger,  c'était  bien  de  leur  faute.  Ils  ne  tentaient 
rien  pour  se  faire  connaître  au  dehors.  Haffner  et  Blessig, 
aussi  distingués  par  la  supériorité  de  leur  esprit  que  par 
l'étendue  de  leurs  connaissances,  mais  absorbés  par  les 
devoirs  multiples  du  ministère  évangélique  et  du  professorat, 
n'avaient  pas  trouvé  le  temps  de  composer  des  ouvrages  théo- 
logiques. Ils  s'étaient  bornés  à  donner  au  public  des  traités 
ascétiques,  des  recueils  de  sermons  et  de  prières,  qui  étaient 
beaucoup  lus  et  fort  appréciés  à  Strasbourg,  mais  qui 
n'étaient  guère  connus  ailleurs.  Weber  et  Fritz  n'avaient 
jamais  songé  à  écrire.  Quant  à  Emmerich  et  à  Redslob,  ils 
avaient  réduit  leur  activité  littéraire,  l'un,  à  la  publication  de 
deux  volum'es  de  sermons  et  de  ses  dissertations  pour  acquérir 
les  grades  universitaires,  l'autre,  à  celle  de  nombreux  sermons 
détachés  et  de  quelques  discours  académiques.  Dahler  était  le 
seul  qui  eût  fait  paraître,  en  français  ou  en  allemand,  des 
ouvrages  d'un  caractère  scientifique,  des  travaux  exégétiques 
sur  les  Proverbes,  le  prophète  Jérémie  et  les  Paralipomènes, 
qui,  reposant  sur  une  étude  personnelle  et  consciencieuse  des 
textes,  n'étaient  pas  sans  valeur,  mais  qui,  peut-être  à  cause 
d'une  forme  un  peu  lourde,  n'avaient  eu  de  succès  ni  au  d^là 
des  Vosges  ni  de  l'autre  côté  du  Rhin. 

Avec  Tannée  1830,  cela  changea.  L'un  des  derniers  venus 
parmi  les  maîtres  du  Séminaire,  le  professeur  Bruch,  eut  le 
miérite  «  de  faire  revivre  le  renom  scientifique  trop  oublié  de 
l'ancienne  Argentina » ') .  La  publication,  en  1829,  de  son 
Manuel  de  morale  chrétienne  (Lehrhuch  der  christlichen  Sit- 
tenlehre),  celle  surtout  de  la  seconde  édition  revue,  corrigée 


')  Allocution  de  Reuss  au  jubilé  de  Bruch. 


166  LA  FACULTÉ  DE  THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

et  augmentée  de  cet  ouvrage,  en  1832,  attira  d'abord  Tatten- 
tion  sur  la  Faculté  de  théologie  de  Strasbourg.  Ce  n'était 
qu'un  commencement.  Dans  les  années  qui  suivirent,  Bruch 
fit  paraître,  à  côté  de  deux  recueils  de  sermons  et  d'un 
ouvrage  religieux  d'un  caractère  plus  pratique,  une  œuvre 
théologique  La  doctrine  des  attributs  de  Dieu  (die  LeJire  von 
den  gottlichen  Eigenschaften)  qui  rencontra  un  accueil  des 
plus  favorables.  Cette  miême  année  1842,  Eeuss  publiait  son 
Histoire  des  livres  saints  du  Nouveau  Testament  (Die  Ge- 
schichte  der  heiligen  Schriften  Neuen  Testaments)  qui,  par 
l'originalité  de  la  méthode  et  la  nouveauté  de  la  forme,  obtint 
un  succès  extraordinaire,  tandis  que  Baum  et  Schmidt 
commençaient  leurs  publications  historiques,  l'un  par  la 
biographie  de  François  Lambert  d^ Avignon,  l'autre  par  celle 
de  Jean  Tauler. 

Par  ces  ouvrages  écrits  en  allemand  et  par  leur  collabo- 
ration aux  encyclopédies  des  sciences  religieuses,  aux  revues 
de  théologie  et  aux  journaux  littéraires  qui  paraissaient  en 
Allemagne,  les  théologiens  de  Strasbourg  se  firent  peu  à  peu 
connaître  et  apprécier  au  delà  du  Rhin.  On  les  avait  ignorés, 
on  les  rechercha.  On  ofcit  à  l'un  et  à  l'autre  d'entre  eux  un 
poste  marquant  dans  une  des  grandes  Eglises  ou  dans  une 
des  Universités  les  plus  célèbres  de  l'Allemagne.  Ils  refu- 
sèrent par  sentiment  patriotique.  A  l'appel  qu'on  lui  adressa 
d'Iéna  pour  occuper  la  chaire  du  Nouveau  Testament  à  la 
Faculté  de  théologie  de  cette  Université,  Eeuss  répondit: 
«  S'il  y  a  vraiment  quelque  talent  en  moi,  c'est  ma  patrie  qui 
y  a  le  premier  droit.  » 

Cependant  les  professeurs  du  Séminaire  et  de  la  Faculté 
continuaient  à  publier  une  partie  du  moins  de  leurs  ouvrages 
en  langue  allemande.  Ils  déployaient,  en  général,  une  activité 
littéraire  des  plus  fécondes.  A  partir  de  1850  surtout,  ils  firent 
paraître  sur  les  diverses  branches  de  la  théologie  et  de  la  philo- 
sophie, des  écrits  d'une  incontestable  valeur.  Le  doyen  Bruch 
donnait,  à  cet  égard,  un  magnifique  exemple  à  ses  collègues. 
Au  milieu  des  occupations  les  plus  multiples  et  les  plus  absor- 
bantes, et  malgré  les  ennuis  des  fonctions  administratives,  il 
arrivait  à  se  ménager  les  moyens  de  prendre  une  part  active 
au  mouvement  littéraire  de  son  temps.  En  1851,  dans  un 
ouvrage  remarquable:  La  Sagesse  des  Hébreux  (Die  Weis- 
heitslehre  der  Hebràer),  il  attirait  l'attention  sur  la  philoso- 
phie éminemment  pratique  du  vieux  peuple  d'Israël;  en  1859, 


PUBLICATIONS  EN  LANGUE  ALLEMANDE  167 

dans  une  étude  sur  La  préexistence  de  l'âme  (Die  Lehre  von 
der  Praeexistenz  der  Seele),  il  examinait  et  réfutait  la  théorie 
du  professeur  Julius  Miiller  sur  la  préexistence  de  Tâme  et 
sur  une  chute  de  l'homme  dans  une  existence  antérieure.  En 
1846  enfin,  il  publiait  un  Essai  psychologique,  La  théorie  de 
la  perception  intime  (Die  Théorie  des  Selbsthewusstseins), 
où  il  faisait  la  critique  des  doctrines  des  matérialistes,  des 
panthéistes  et  des  spiritualistes  dualistes  et  donnait  ime  solu- 
tion originale  du  problème  posé,  en  cherchant  à  concilier 
dans  une  théorie  supérieure  le  spiritualisme  et  la  doctrine 
adverse.  Dans  ce  même  temps,  Baum  et  Schmidt  faisaient 
paraître  une  série  de  monographies  fort  appréciées  sur  quel- 
ques-uns des  réformateurs  du  XVIe  siècle,  Baum,  sur  Théodore 
de  Bèze  et  sur  Butzer  et  Capiton^  Schmidt,  sur  Pierre 
Martyr  Vermigli,  Guillaume  Farel,  Pierre  Viret  et  Philippe 
Mélanchthon.  Eeuss,  de  son  côté,  donnait  de  nouvelles 
éditions  revues  et  considérablement  augmentées  de  son  His- 
toire du  Nouveau  Testament,  et  publiait,  avec  Cunitz,  les 
Mélanges  de  théologie  (Bettrdge  zu  den  theologischen  Wissen- 
schaften),  qui  contenaient  d'intéressants  travaux  d'anciens 
membres  de  la  Société  théologique.  Aussi  parlait-on  dès  lors, 
en  terre  allemande,  avec  respect  et  admiration  de  l'Ecole  de 
Strasbourg,  comme  d'un  «  flambeau  de  la  science  théologique 
qui  répandait  sa  lumière  au  loin  ».  Elle  ne  la  répandait  pas 
seulement  au  delà  duEhin,mais  aussi  et  surtout  au  delà  des 
Vosges. 

II 

Jusque-là,  ni  le  Séminaire  ni  la  Faculté  de  théologie 
n'avaient  eu  de  rapport  avec  le  protestantisme  français. 
L'Académie  protestante  de  Strasbourg  avait  été  créée  «pour 
l'instruction  des  ministres  de  la  Confession  d 'Augsbourg ». 
Or,  sauf  à  Paris  et  au  pays  de  Montbéliard,  il  n'y  avait  pas 
en  France  de  protestants  de  cette  confession.  Aussi  les  étu- 
diants de  l'intérieur  et  du  midi  ne  songeaient-ils  pas  à  venir 
faire  leurs  études  de  théologie  à  Strasbourg,  ils  allaient  à 
Genève,  où  l'article  10  de  la  loi  organique  du  18  germinal 
an  X  avait  établi  un  Séminaire  «pour  l'instruction  des 
minstres  des  églises  réformées»  Depuis  1808,  la  nouvelle 
Faculté  de  Montauban  leur  ouvrait  également  ses  portes. 
Mais  même  alors  et  plus  tard  quand,  en  1814,  Genève  fut 
définitivement  détachée  de  la  France,  les  étudiants  français 


168  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STKASBOUKG 

continuer ent  à  fréquenter  la  ville  du  Léman,  où  ils  jouissaient 
de  nombreuses  bourses  fondées  autrefois  par  les  protestants 
de  France  et  où  la  liberté  académique  était  plus  grande  que 
partout  ailleurs.  Le  gouvernenient  français  admettait  l'équi- 
valence des  études  faites  et  des  examens  passés  à  T Académie 
de  Genève.  Après  1820  pourtant,  il  y  eut  un  changement  à 
cet  égard.  Le  gouvernement  permit  encore  les  études  à  Genève, 
mais  il  exigea  que  les  derniers  examens  se  fissent  dans  une 
Faculté  française.  La  conséquence  en  fut  que  chaque  année 
des  étudiants  français  qui  avaient  achevé  leurs  études  à 
Genève  venaient  à  Strasbourg,  d'abord,  seulement  pour  y 
passer  leurs  examens,  plus  tard,  pour  y  compléter  ou  y  faire 
leurs  études.  / 

Pendant  longtemps  pourtant  ils  furent  peu  nombreux. 
Les  établissements  théologiques  de  Strasbourg  étaient  peu 
connus  en  France  et  l'enseignement  qu'on  y  donnait  était  niai 
jugé.  Bruch  et  Willm  crurent  alors  le  monient  venu  de  faire 
connaître  au  public  protestant  français  les  doctrines  philoso- 
phiques et  théologiques  qui  étaient  professées  au  Séminaire 
et  à  la  Faculté  de  Strasbourg.  Ils  entreprirent,  en  1837,  de  faire 
paraître,  avec  le  concours  de  plusieurs  de  leurs  collègues, 
sous  ce  titre:  Essais  et  fragments  de  philosophie  et  de  théo- 
logie, une  série  de  livraisons  qui  contiendraient  des  discours 
académiques,  des  essais  sur  des  questions  de  philosophie  et 
de  théologie,  des  fragments  de  cours  publics  ou  d'ouvrages 
inédits.  On  devait  y  donner  aussi  des  comptes  rendus  d 'ouvrages 
philosophiques  et  théologiques  et  y  publier,  avec  la  liste  des 
cours  du  Séminaire  et  de  la  Faculté,  celle  des  thèses  qui 
seraient  soutenues  pour  acquérir  les  grades  académiques.  Le 
premier  volume  de  cette  publication  parut  à  Paris  et  à  Stras- 
bourg, chez  F.  G.  Levrault;  il  contenait  deux  discours  de 
Willm  sur  l'Importance  de  l'exégèse  de  l'Ancien  Testament 
considérée  sous  le  rapport  philosophique  et  sous  le  rapport 
religieux,  et  sur  Les  rapports  de  la  morale  avec  la  religion,  un 
article  de  Bruch  sur  l'Origine  de  la  religion  et  un  autre  de 
Fritz  sur  le  But  de  l'éducaition.  Ce  premier  volumfe  devait  être 
suivi  d'un  second  qui  aurait  un  contenu  plus  riche.  Le  pasteur 
Maeder,  les  professeurs  Jung,  Reuss,  Schmidt  et  Cunitz,  et 
l'agrégé  libre  Schwebel  avaient  promis  des  articles.  «Nous 
voulons  faire  imprimer  chaque  année  au  moins  un  volume  de 
dissertations  françaises  »,  écrivait  Reuss  à  son  ami  Graf . 
L'entreprise  était  hardie;  mais  le  moment  n'était  pas  propice. 


PUBLICATIONS  EN  LANGUE  FEANÇAISE  169 

L'intérêt  pour  les  questions  traitées  dans  les  Essais  n'existait 
guère  en  France.  Le  premier  volume  avait  eu  peu  de  succès; 
le  second,  avec  des  articles  de  Maeder,  Bruch,  Christian  Bar- 
tholmess  et  Charles  Schmidt,  en  eut  moins  encore.  La  publi- 
cation fut  abandonnée. 

Bruch  et  Willm,  avec  les  Essais,  n'avaient  pas  réussi 
auprès  du  public  français,  mais,  avant  eux,  un  de  leurs  col- 
lègues du  Séminaire  avait  été  plus  heureux.  Matter  avait 
été  le  premier  dans  la  jeune  génération  à  écrire  en  français. 
Il  avait  fait  paraître,  et  il  faisait  encore  paraître  à  ce  moment, 
toute  une  série  d'ouvrages  d'histoire  et  de  morale,  littéraires 
et  philosophiques,  dont  plusieurs  eurent  une  seconde  édition 
et  dont  quelques-uns  furent  même  traduits  en  allemand.  Deux 
d'entre  eux,  V Essai  historique  sur  V Ecole  d'Alexandrie  (2e 
éd.,  1840-1844)  et  le  volume  intitulé  De  Vinfluence  des  mœurs 
sur  les  lois  et  des  lois  sur  les  mœurs  (2e  éd.,  1841)  avaient 
été  couronnés  par  l'Institut.  Mais  son  œuvre  principale,  celle 
qui  lui  fit  le  plus  d'honneur  et  qui  eut  une  plus  grande  impor- 
tance pour  la  théologie  et  la  philosophie  françaises,  fut  son 
Histoire  critique  du  gnosticisme,  dont  la  seconde  édition, 
considérablement  augmentée,  parut  en  1844  en  trois  volumes. 
A  ces  publications  de  Matter  vinrent  s'ajouter  plus  tard 
l'œuvre  capitale  de  Willm,  son  Histoire  de  la  Philosophie 
allemande  depuis  Kant  jusqu'à  nos  jours,  couronnée  par 
l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques,  et  qui  jeta  un 
vif  éclat  sur  l'auteur  et  sur  le  Séminaire,  dont  il  était  un  des 
maîtres  les  plus  connus,  et  V Histoire  critique  des  doctrines 
religieuses  de  la  philosophie  moderne  que  Bartholmess  fit 
paraître  pendant  qu'il  occupait  la  chaire  de  philosophie  au 
Séminaire  et  qui  lui  valut,  avec  la  croix  d^  la  Légion  d'hon- 
neur et  un  des  prix  Monthyon,  la  nomination  de  correspon- 
dant de  l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques. 

Sur  le  terrain  historique,  Charles  Schmidt,  après  avoir 
fait  paraître,  en  1839,  une  étude  sur  Jean  Gerson  et,  en  1845, 
un  mémoire  sur  Gérard  Boussel,  publiait,  en  1849,  son  remar- 
quable ouvrage  Histoire  et  doctrine  de  la  secte  des  Cathares 
ou  Albigeois,  qui  fut  couronné  par  l'Académie  des  Inscrip- 
tions et  Belles-Lettres  et  qui  aujourd'hui  encore  est  haute- 
ment apprécié  par  le  monde  savant,  et,  en  1853,  V Essai  histo- 
rique sur  la  société  civile  dans  le  ntonde  rormin  et  sur  sa 
transformation  par  le  christianisme. 

Ces  philosophes  et  cet  historien,  en  publiant  les  fruits 


170  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOUKG 

de  leurs  études  dans  des  ouvrages  rédigés  en  français  ren- 
daient au  protestantisme  français  des  services  signalés,  mais 
ne  coopéraient  qu'indirectement  à  la  renaissance  de  la  science 
théologique  qui,  à  ce  moment,  était  absolument  nulle  en 
France.  Heureusement  que  Eeuss  se  décidait,  à  son  tour,  à 
mettre  sa  science  et  son  talent  au  service  de  la  théologie 
française. 

Il  s'était  montré  très  sceptique  à  l'égard  de  l'entre- 
prise tentée  par  Bruch  et  Willm.  Il  croyait  qu'en  France  on 
ne  s'intéressait  pas  grandement  aux  questions  religieuses  et 
qu'on  s'y  intéressait  mbins  encore  aux  questions  théologiques. 
Aussi  s'était-il  constamment  refusé  à  rien  publier  en  langue 
française.  Une  expérience  qu'il  fit  vers  1850  vint  modifier 
l'opinion  qu'il  s'était  faite  sur  ce  point. 

Il  raconte  dans  ses  Mémoires  que  dans  l'été  de  1849  il 
fit  pour  la  première  fois  un  cours  en  langue  française  sur  la 
Théologie  du  Nouveau  Testament.  Or,  cette  année  les  étudiants 
de  l'intérieur  et  du  midi  étaient  venus  en  plus  grand  nombre 
que  d'habitude  achever  leurs  études  à  Strasbourg.  Il  y  avait 
parmi  eux  quelques  jeunes  gens  très  sérieux,  pleins  d'ardeur 
pour  les  études  théologiques.  Ils  venaient  de  Genève,  où  l'exé- 
gèse   biblique    en    était   encore   à   l'illustration   philologique 
des  textes  sacrés.  L'interprétation  théologique  du  Nouveau 
Testament  était  pour  eux  une  chose  inconnue,  une  nouveauté: 
Ils  s'y  intéressèrent  au  point  de  se  réunir  après  chaque  leçon 
pour  rédiger,  d'après  leurs  notes,  le  cours  qu'ils  venaient 
d'entendre.  Des  extraits  de  ce  travail  fait  avec  un  grand  soin 
circulèrent  à  Genève  et  à  Montauban  et  y  firent  sensation. 
L'an  d'après,  de  nouveaux  étudiants  de  l'intérieur  et  du  midi 
vinrent  à  Strasbourg  avec  l'espoir  d'entendre,  à  leur  tour, 
ces  leçons  de  Théologie  du  Nouveau  Testament  que  leurs 
aînés    avaient   si    hautement    appréciées.     Déçus    dans    leur 
attente,  Reuss  ne  faisant  jamais  le  même  cours  deux  années 
de  suite,  ils  supplièrent  le  maître    de    livrer   son    cours    à 
l'impression.  Les  étudiants  de  Genève,  ceux  de  Lausanne  et 
de  Montauban  se  joignirent,  dans  des  adresses  collectives,  à 
ces  sollicitations.  Devant  ces  vives  iustances,  Reuss  crut  devoir 
céder.  En  1852  parut  son  Histoire  de  la  théologie  chrétienne 
au  siècle  apostolique  qui  exposait  d'une  m^anière  magistrale 
le  développement   des   idées    religieuses    dans  cette   période 
limitée.  La  presse  libérale  accueillit  l'ouvrage  avec  une  satis- 
faction mêlée  d'un  peu  de  surprise;  les  journaux  orthodoxes 


LA  BIBLE  DE  REUSS 


171 


rignorèrent.  Il  trouva  pourtant  assez  de  lecteurs  dans  le 
monde  laïque  pour  qu'en  1859  une  seconde  édition  en  devint 
nécessaire. 

Ce  succès  inattendu  fut  pour  Reuss  une  révélation.  Il 
comprit  qu'il  y  avait  là  des  besoins  qui  demandaient  à  être 
satisfaits.  De  France,  il  lui  arrivait  d'ailleurs  des  lettres  qui 
le  priaient  instamment  de  publier  sur  l'Ancien  Testament  un 
pendant  à  son  Siècle  apostolique.  C'est  alors  qu'il  conçut  l'idée 
de  doter  le  protestantisme  français  d'une  Bible  traduite  et 
commentée  «  qui,  sans  affecter  les  allures  d'une  sèche  et  labo- 
rieuse érudition,  offrirait  à  ceux  qui  veulent  s'instruire 
sérieusement  une  explication  claire  et  succincte  de  toute 
l'Ecriture  sainte.»^)  Il  se  mit  aussitôt  à  l'œuvre  et  quatorze 
ans  plus  tard,  en  1874,  parut  chez  G.  Fischbacher,  à  Paris, 
le  premier  volume  de  La  Bible,  traduction  nouvelle  avec 
introductions  et  commentaires,  qui  avait  été  précédé  d'un 
Commentaire  sur  VE pitre  aux  Hébreux,  d'une  Histoire 
du  Canon  des  Saintes  Ecritures  dans  V Eglise  chrétienne 
et  de  plusieurs  études  bibliques  publiées  dans  la  Bévue 
de  théologie.  Aussi  Eeuss  a-t-il  pu  dire  avec  une  légitime 
fierté:  «Du  côté  français,  j'ai  mis  au  bon  moment  la 
main  à  la  charrue  et  j'ai  commencé  à  défricher  le  terrain; 
quoi  qu'il  se  fasse  dans  la  suite,  c'est  avec  mioi  que  commence 
l'histoire  de  la  renaissance  de  la  théologie  protestante  dans 
ce  pays,  et  la  base  et  la  méthode  que  j'ai  indiquées  sub- 
sisteront. » 

Dès  avant  cette  grande  entreprise  littéraire,  une  autre 
qu'il  mit  en  branle  et  à  laquelle  il  prit  une  part  active,  avait 
établi  des  Hens  entre  les  théologiens  de  Strasbourg  et  le  pro- 
testantisme de  langue  française.  En  1860,  l'éditeur  Bruhn  de 
Brunswig  avait  annoncé  à  Reuss  que  la  publication  des 
œuvres  de  Mélanchthon,  entreprise  par  Bretschneider  et  Bind- 
seil,  était  terminée  et  qu'il  avait  l'intention  de  faire  paraître 
les  Œuvres  de  Calvin  comme  deuxième  série  du  Corpus 
Beformatorum,  Il  demandait  en  même  temps  à  Reuss  s'il 
serait  disposé  à  se  charger  de  ce  grand  travail  ou  s'il  pouvait 
lui  indiquer  quelques  savants  capables  de  l'entreprendre. 
Reuss  saisit  avec  empressement  l'idée  de  faire  élever  ce 
monum,ent  au  grand  réformateur  par  des  mains  strasbour- 
geoises.  Non  pas  qu'il  songeât  à  prendre  part  à  cette  entre- 


La  Bible  par  Edouard  Reuss.  Paris,  1874.  Préface,  p.  5. 


172  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STEASBOURG 

prise;  il  ne  se  croyait  pas  qualifié  pour  un  travail  de  ce  genre. 
Mais  il  se  disait  que  Strasbourg  possédait  des  savants 
capables  de  Tentreprendre  s'ils  unissaient  leurs  efforts.  N'y 
avait-il  pas  là  Charles  Schmidt,  qui  venait  de  faire  paraître 
les  biographies  de  Farel  et  de  Viret,  Guillaume  Baum,  qui 
avait  publié  deux  volumes  sur  Théodore  de  Bèze,  et  puis 
Timothée  Rœhrich,  Tauteur  de  PHistoire  de  la  Réformation 
en  Alsace  et  spécialement  à  Strasbourg,  et  enfin  Edouard 
Cunitz,  si  versé  dans  cette  partie  de  l'histoire  ecclésiastique? 
Ne  pouvait-on  pas,  avec  de  pareilles  forces,  tenter  l'entre- 
prise? 

Reuss  s'adressa  tout  d'abord  à  ses  amis  Baum  et  Cunitz. 
Ils  accueillirent  avec  chaleur  ses  ouvertures,  en  y  mettant 
toutefois  la  condition  qu'il  se  joignît  à  eux.  Eeuss,  après 
quelque  hésitation,  y  consentit,  «pour  maintenir  l'accord 
entre  ses  deux  collaborateurs  et  les  pousser».  Et  aussitôt  le 
savant  triumvirat  se  mit  à  l'œuvre  avec  une  ardeur  infatigable, 
recherchant,  copiant,  collationnant  les  manuscrits  dispersés 
dans  les  archives  et  les  bibliothèques  de  France,  d'Allemagne, 
de  Suisse  surtout,  les  révisant,  les  coordonnant  et  les  mettant 
au  point  pour  l'impression.  Le  programme  général  parut  en 
1860,  le  premier  volume  contenant  l'édition  latine  de  V Insti- 
tution de  la  Religion  chrétienne,  en  1861;  les  autres  écrits 
dogmatiques  du  grand  Réformateur  suivirent  de  près  en 
9  volumes. 

Aucun  des  trois  savants  qui  avaient  entrepris  cette  vaste 
publication  n'en  devait  voir  la  fin.  Le  cinquante-neuvième  et 
dernier  volume  des  Œuvres  de  Calvin  ne  parut  qu'en  1900, 
neuf  ans  après  la  niort  du  professeur  Reuss.  Ses  collabo- 
rateurs avaient  été  rappelés  antérieuremient,  Baum  en  1878, 
Cunitz  en  1886'). 


*)  Quand  Baum  tomba  malade  en  1873,  Reuss  et  Cunitz  conti- 
nuèrent la  publication  des  Œuvres  de  Calvin,  d'abord  seuls  et,  depuis 
1882,  avec  la  collaboration  de  Paul  Lobstein.  Puis,  Cunitz  ayant  été 
rappelé  en  1886,  et  Lobstein  étant  absorbé  par  les  travaux  du  profes- 
sorat, Reuss  s'adressa  à  Alfred  Erichson,  le  savant  directeur  du  col- 
lège Saint-Guillaume,  pour  se  faire  seconder  par  lui.  Erichson,  après 
la  mort  de  Reuss,  en  1891,  s'adjoignit  Guillaume  Baldensperger,  alors 
agrégé  libre  au  Séminaire,  et  puis  le  pasteur  Louis  Horst  de  Saint- 
Nicolas,  et  avec  leur  aide,  mena  à  bonne  fin  une  publication  que  Reuss 
avait  d'ailleurs  soigneusement  préparée  dans  tous  ses  détails. 


CHAPITRE  rV 

Séminaire  et  Faculté  —  Cours  dans  les  deux  langues 
Extension  de  l'enseignement  —  Sociétés  philologiques  et  théo- 
logiques  —  Examen  de  candidat  et  haccalauréat  en  théologie 
Discussions  sur  l'état  des  études  et  de  la  discipline 


La  création  de  la  Faculté  de  théologie  n'avait  apporté 
aucun  changement  notable  dans  Tétat  de  choses  existant.  Le 
Séminaire  était  resté  ce  qu'il  avait  été   jusque-là  avec  ses 
deux  sections  propédeu tique  et  théologique;  à  la  Faculté  avait 
été  réservé  le  droit  de  faire  subir  les  examens  d'Etat  et  de 
conférer  les  grades  universitaires,  c'est-à-dire  les  grades  de 
bachelier,  de  licencié  et  de  docteur  en  théologie.  Loin  de  se 
gêner,  les  deux  établissements  se  complétaient  mutuellement. 
Le  programme  de  la  Faculté,   après  l'énumération  de  ses 
cours,  disait  expressément:  «  Les  autres  parties  de  la  Théologie 
seront   enseignées,    par   les   professeurs    de    la    Faculté,    au 
Séminaire  protestant,    dont    le    programme  les   indiquera». 
Les  professeurs  de  la  Faculté  n'étaient  pas  seulement  choisis 
parmi  ceux  du  Séminaire,  ils  conservaient  leur  ancienne  chaire 
à  côté  de  la  nouvelle.  Ils  donnaient  les  mêmes  cours  qu'ils 
avaient  donnés  jusque-là;  ils  les  donnaient  devant  les  mêmes 
auditeurs  et  dans  les  mêmes  locaux;  une  seule  chose  était 
changée:  des  deux  cours  que  chacun  d'eux  était  appelé  à  faire, 
l'un  était  pour  le  Séminaire,  l'autre  pour  la  Faculté,  l'un 
se  faisait  en  allemand,  l'autre  en  français. 

C'était  là,  en  effet,  une  des  conséquences  de  la  création 
de  la  Faculté  de  théologie  et  de  la  nomination  à  la  Faculté 
et  au  Séminaire  de  quelques  professeurs   appartenant   à   la 


174  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOUEG 

jeune  génération,  on  commença  à  faire  des  conrs  en  langue 
française.  Cela  ne  s'était  pas"  vu  jusque-là.  Nous  trouvons, 
il  est  vrai,  dans  le  programme  des  leçons  de  TAcadémie 
protestante  pour  l 'année  scolaire  1807-1808,  l 'annonce  suivante  : 
«  M.  Eedslob  donnera  un  cours  de  psychologie  empirique  en 
langue  française  »,  mais  cette  annonce  ne  reparaissant  pas 
dans  les  programmes  des  années  suivantes,  il  faut  sans  doute 
en  conclure  que  ce  cours  français  n'avait  pas  eu  lieu  faute 
d'auditeurs  et  qu'au  Séminaire  on  ne  crut  point  devoir 
renouveler  une  expérience  qui  avait  si  mal  réussi.  A  la 
Faculté  de  théologie,  établissement  de  l'Etat,  les  cours 
principaux  se  firent  dès  le  principe  en  français.  Cela  était 
dans  l'ordre  des  choses  et  d'autant  plus  indiqué  que  les 
étudiants  venant  du  pays  de  Montbéliard  ou  de  l'intérieur 
et  du  midi  n'avaient,  en  général,  aucune  notion  de  la  langue 
allemande.  Le  Séminaire,  il  est  vrai,  leur  donnait,  depuis 
1826,  l'occasion  et  les  moyens  de  se  familiariser  avec  cet 
idiome:  il  avait  établi,  à  leur  intention,  un  cours  d'allemand; 
înais  ce  cours  était  mal  suivi,  et  même  lorsqu'il  eut  été  rendu 
obligatoire,  il  ne  donna  pas  les  résultats  qu'on  en  attendait. 
On  ne  put  donc  plus  maintenir  au  Séminaire  l'usage  exclusif 
de  l'allemand,  il  fallut  y  organiser  des  cours  français  dans 
la  section  propédeutique  aussi  bien  que  dans  la  section 
théologique. 

La  nécessité  s'en  fit  de  plus  en  plus  sentir.  Au  mois 
d'octobre  1842,  l'inspecteur  ecclésiastique  Bœckel,  dans  une 
lettre  *adressée  au  Directoire,  signalait  la  difficulté  de  trouver 
des  candidats  pour  les  places  de  pasteur  dans  lesquelles  la 
connaissance  du  français  était  indispensable.  Il  demandait 
qu'à  l'avenir  les  candidats,  avant  d'être  nommés  à  un  poste 
de  pasteur,  fussent  astreints  à  faire  deux  prédications  en 
français  pour  prouver  qu'ils  possédaient  suffisamment  cette 
langue.  Le  Directoire  accueillit  favorablement  cette  propo- 
sition; il  la  transmit  au  Séminaire,  en  insistant  sur  l'utilité 
d'une  mesure  qui  comblerait  dans  le  programme  des  études 
une  lacune  longtemps  ressentie.  La  Faculté,  saisie,  à  son  tour, 
de  la  question,  prit,  dans  sa  séance  du  23  juin  1843,  un  arrêté 
aux  termes  duquel  le  cours  de  théologie  pratique  s'étendrait 
sur  deux  années,  consacrées,  la  première,  à  la  théorie,  la 
seconde,  à  la  pratique.  Cette  dernière  comprendrait  deux  séries 
d'exercices,  l'une  pour  la  section  française,  l'autre  pour  la 


l'enseignement  dans  les  deux  langues  175 

section  allemande,  et  une  troisième  pour  les  deux  sections 
réunies.  Les  candidats  devaient,  dans  les  six  semaines  avant 
leur  examen,  faire  deux  prédications,  dont  Tune  au  moins 
en  français. 

On  maintint  pourtant  au  Séminaire,  à  côté  de  renseigne- 
ment en  langue  française,  celui  en  langue  allemande,  et  cela 
pour  deux  raisons.  D'abord,  la  langue  allemande  était  celle 
dans  laquelle  la  plupart  des  jeunes  théologiens  seraient  appelés 
un  jour  à  prêcher  et  à  donner  Tinstruction  religieuse   à   la 
jeunesse.  Il  était  donc  nécessaire  qu'ils  fussent  exercés  à  la 
manier.  Et  puis,  la  langue  allemande  était,  si  l'on  peut  dire, 
la  langue  classique  de  la  théologie  protestante.     La  science 
théologique  avait  été  cultivée  en  Allemagne  plus  qu'en  aucun 
autre  pays,  elle  y  avait  fait  de  grands    progrès    et    avait 
provoqué  des  travaux  remarquables  qu'il  n'était  pas  permis 
à  un  théologien  sérieux  d'ignorer.  Tout  le  monde  était  d'accord 
là-dessus.  Aussi  voyons-nous,  dans  la  session  du  Consistoire 
général  de  1851,  les  homnies  les  plus  compétents  se  prononcer 
pour  la  conservation,  dans  l'enseignement  théologique,  de  la 
langue  allemande  à  côté  de  la  langue  française.  »Les  études 
théologiques  »,   déclarait  le  professeur  Ehrmann,  î  doyen   de 
la  Faculté  de  médecine  et  membre  du  Consistoire  général,  «  ne 
devront  pas  être  suivies  exclusivement    en    français    ou    en 
allemand,  il  faudra  longtemps  encore  le  concours  des  deux 
langues».  Et  le  président  Braun  ajoutait:  «N'oublions  pas 
surtout,  pour  justifier  la  continuation  de  certains  cours  en 
allemand,  que  les  sources  de  la  science  théologique  protestante 
sont  en  Allemagne.  » 

Bientôt,  il  est  vrai,  cela  changea.  Dans  la  période  de 
1848  à  1870,  l'usage  de  la  langue  française  se  répandit  très 
rapidement  en  Alsace.  L'éducation  des  jeunes  théologiens 
devint  de  plus  en  plus  française,  et  vers  1870  il  ne  se  faisait 
plus  au  Séminaire  que  deux  ou  trois  cours  en  allemand. 


II 

Grâce  à  la  combinaison  des  cours  du  Séminaire  avec 
ceux  de  la  Faculté,  grâce  aussi  au  zèle  ardent  des  profes- 
seurs, l 'enseignement  théologique  prit  plus  d 'extension.  Quand 
on  parcourt  les  programmes  du  Séminaire  et  de  la  Faculté  des 
aimées  1821  à  1830,  on  y  trouve  à  côté  de  l'annonce  des  cours 


176  LA  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE  DE  STRASBOUKG 

officiels,  c'est-à-dire  de  ceux  dont  les  professeurs  étaient 
officiellement  chargés  et  qui  étaient  obligatoires,  des  cours 
libres  et  facultatifs.  A  la  dogmatique,  la  morale  chrétienne, 
l'histoire  ecclésiastique,  l'exégèse  de  l'Ancien  et  du  Nouveau 
Testament,  et  l'homilétique  viennent  se  joindre  l'introduction 
aux  livres  sacrés,  l'histoire  des  dogmes,  l'archéologie  hébraïque, 
le  droit  ecclésiastique.  Matter,  en  1824,  offre  de  faire  un  cours 
de  symbolique;  Jung,  en  1827,  annonce  un  cours  d'encyclo- 
pédie et  de  méthodologie,  et  Fritz,  la  même  année,  un  autre 
d'apologétique.  Sans  doute,  on  constate  encore,  dans  le  tableau 
des  leçons,  des  lacunes  très  regrettables;  des  matières  impor- 
tantes, la  théologie  biblique,  l'archéologie  chrétienne,  l'histoire 
du  peuple  d'Israël,  d'autres  encore  y  manquent.  Les  cinq 
professeurs  de  la  Faculté  qui  étaient  en  même  temps 
professeurs  au  Séminaire,  ne  pouvaient,  malgré  leur  zèle, 
suffire  à  la  tâche.  Les  nouveaux  chargés  de  cours,  Fritz  et 
Lachenmeyer,  appartenaient  à  la  section  propédeutique,  et 
Jung,  seul  privatim-docens  de  théologie,  était  à  son  début. 

En  dehors  des  cours,  le  Séminaire  offrait  pourtant  à  ses 
élèves  des  deux  sections  plus  d'ime  occasion  de  compléter  leur 
instruction.     En   1813    déjà,    il    avait   décidé   d'instituer,  le 
deuxième  et  le  quatrième  dimanche  du  mois,  dans  la  grande 
salle  des  cours,  des  réunions  où  les  étudiants  se  rencontreraient 
avec  leurs  professeurs  et  pourraient  les  consulter  sur  leurs 
études.     Dans  la  suite,  quelques-uns  des  jeunes  maîtres  du 
Séminaire  organisèrent  des  conférences  ou  des  exercices  dans 
lesquels  les  élèves  acquerraient,  avec   de  nouvelles   connais- 
sances, le  goût  du  travail.  Dahler  dirigeait  une  société  philo- 
logique où  une  élite  s'exerçait  à  parler  et  à  écrire  en  latin 
et  expliquait  les  auteurs  grecs  et  latins  qui  étaient  générale- 
ment  peu   connus.    Geoffroi    Schweighaeuser    présidait   une 
réunion  appelée  «le  declamatorium »  parce  qu'on  s'y  exerçait 
surtout  à  la  lecture  et  à  la  récitation.  Matter,  dans  la  section 
théologique,  invitait  les  étudiants  de  seconde  année  à  traiter 
des  sujets  empruntés  à  l'histoire  ecclésiastique  et  corrigeait 
avec  soin  les  compositions  qui  lui  étaient  remises. 

La  «  Société  du  Couvent  »  créée  spécialement  pour  les 
internes  du  Collège  Saint-Guillaume  —  bien  que  les  externes 
n'en  fussent  pas  exclus  —  avait  également  pour  but  de 
familiariser  ses  membres  avec  les  problèmes  théologiques.  On 
y  discutait  pourtant  de  préférence  des  questions  d'histoire. 


I 
1 


LA  SOCIETE    THEOLOGIQUE  177 

de  philosophie  et  de  philologie.  La  Société  d^ailleurs  était 
mal  organisée:  elle  réunissait  dans  les  mêmes  séances  et 
autour  des  mêmes  travaux  tous  les  étudiants,  ceux  qui  étaient 
dans  la  troisième  année  de  théologie  et  ceux  qui  venaient 
d'entrer  dans  la  section  préparatoire.  L'intérêt  des  membres 
était  partagé;  c'était  là  une  cause  de  faiblesse.  On  finit  par 
s'en  rendre  compte  et  on  divisa  la  société  en  deux  sections. 
Mais  c'était  trop  tard:  la  Société  du  Couvent  ne  fit  plus  que 
végéter  et,  en  1827,  elle  cessa  d'exister. 

Avec  elle  disparut  une  autre  Société,  «le  Collegium  dis- 
centium  »,  association  libre,  sans  direction  officielle,  de  jeunes 
théologiens  sérieux  et  capables  qui,  pendant  vingt  ans, 
avaient  travaillé  en  commun  à  entretenir  et  à  fortifier  l'esprit 
scientifique  dans  le  corps  pastoral  alsacien. 

Toutes  ces  sociétés,  auxquelles,  dans  les  années  1822  à 
1828,  vinrent  s'en  ajouter  d'autres,  telles  que  la  Société  philo- 
matique,  la  Philoponia,  la  Philologia,  l'Eunomia,  qui  d'ail- 
leurs n'eurent  qu'une  existence  éphémère,  cultivaient  princi- 
palement ou  exclusivem^ent  la  philologie,  la  philosophie  et 
l'histoire;  aucune  d'entre  elles  ne  s'était  donné  la  tâche 
d'étudier  les  problèmes  dogmatiques,  moraux  ou  exégétiques. 

C'est  pour  combler  cette  lacune  regrettable  que  deux 
jeunes  théologiens  qui  ne  faisaient  point  partie  du  corps 
enseignant  du  Séminaire  ou  de  la  Faculté,  Jean-Jacques 
Bochinger,  directeur  du  collège  Saint-Guillaume,  et  Edouard 
Eeuss,  licencié  en  théologie,  fondèrent,  en  1828,  la  «Société 
théologique  »,  que  Eeuss  présida  après  la  mort  de  Bochinger, 
que  Eeuss  et  Cunitz  présidèrent  plus  tard  ensemble,  et  oii, 
pendant  plus  d'un  demi-siècle,  des  centaines  d'étudiants  trou- 
vèrent, avec  un  complément  d'instruction,  la  direction  et 
l'entraînement  dont  ils  avaient  besoin  dans  leurs  études. 
Bochinger  créa,  presque  en  même  temps,  la  «  Société  philo- 
logique »,  qui  réunissait  les  élèves  de  la  section  propédeutique 
autour  des  questions  littéraires  et  historiques  et  leur  appre- 
nait à  penser  et  à  travailler.  Sœur  cadette  de  la  Société  théo- 
logique,^  elle  restait  d'autant  plus  étroitement  liée  avec  elle 
qu'elle  était  placée  sous  la  même  direction,  celle  de  Eeuss,  et, 
plus  tard  de  Eeuss  et  de  Baum. 

Les  étudiants  ne  manquaient  donc  ni  d'occasions  ni  de 
stimulants  pour  leur  développement  intellectuel.  Les  examens 
semestriels  auraient  dû,   à  leur   tour,   éveiller   et  stimuler 

12 


178  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE  STBASBOUEG 

Pardeur  et  le  zèle  des  élèves.  Mais  ils  étaient  mal  organisés. 
Il  faut  entendre  Reuss  raconter,  dans  ses  Mémoires,  comment 
les  choses  se  passaient  dans  les  examens  de  la  section  théo- 
logique.  «  Dans  la  grande  salle  des  cours  »,  dit-il,  «  les  cinq 
professeurs  venaient  prendre  place,  Tun  à  côté  de  Tautre; 
les  étudiants  s'entassaient  dans  les  derniers  bancs,  séparés 
des  examinateurs  par  un  assez  grand  espace,  si  bien  qu'on 
entendait  à  peine  la  voix  de  Hafeer.  Chacun  des  profes- 
seurs posait  une  ou  deux  douzaines  de  questions,  en  appelant 
par  leurs  noms  ceux  auxquels  il  s'adressait;  mais  la  réponse 
sortait  du  tas,  elle  était  faite  par  celui  qui  savait  quelque, 
chose  ou  soufflée  par  lui  au  voisin.  Beaucoup  d'élèves  ne  se 
présentaient  pas  à  l'examen,  et  leur  absence  n'était  pas  cons- 
tatée. Il  était  impossible  aussi  de  savoir  si  chacun  avait 
répondu  aux  questions  qui  lui  étaient  posées  et  s'il  savait 
quelque  chose.  Aussitôt  que  Haffner  avait  fini  ses  interro- 
gations, il  tirait  un  livre  de  sa  poche  et  ne  s'occupait  plus 
ni  de  ses  collègues  ni  des  étudiants.  Ces  examens  ne  don- 
naient donc  aucun  résultat  pratique.  » 

Les  examens  pour  l'obtention  du  grade  de  candidat  en 
théologie,  beaucoup  plus  importants  que  les  examens  semes- 
triels, n'avaient  pas  non  plus  le  caractère  rigoureux  que  l'on 
est  en  droit  d'attendre  de  ces  épreuves.  Pour  se  faire  une 
idée  de  ce  qu'ils  étaient,  il  faut  encore  écouter  Reuss  relatant, 
dans  une  page  curieuse,  l'examen  qu'il  subit  le  19  août  1825, 
en  même  temps  que  trois  de  ses  condisciples. 

«L'examen  de  candidat»,  dit-il,  «consistait  dans  un 
colloque  avec  Haffner  sur  la  dogmatique,  avec  DaMer  sur 
l'Ancien  Testament,  avec  Redslob  sur  la  morale,  avec  Matter 
sur  l'histoire  ecclésiastique  et  avec  Bruch  sur  le  Nouveau 
Testament.  Le  tout  ne  devait  pas  durer  plus  de  trois  heures, 
bien  que  nous  fussions  quatre  candidats,  car  Haffner,  quand 
il  avait  terminé,  n'attendait  pas  un  quart  d'heure  pour  mani- 
fester son  impatience  vis-à-vis  des  autres  examinateurs.  Il  y 
avait,  avec  moi,  Hoffet,  Jeanmaire  et  un  certain  Ducros  de 
Nîmes.  L'examen  ne  nous  causait  guère  de  souci.  Nous 
piochions  les  cahiers  de  Haffner,  et  c'était  à  peu  près  tout. 
Le  jour  avant  l'examen,  Hoiïet  fut  dépêché  vers  Dahler  pour 
savoir  sur  quoi  il  nous  interrogerait.  L'excellent  homme, 
selon  son  habitude,  commença  par  déclarer  que  nous  devions 
savoir  tout  ce  qu'il  avait  expliqué  dans  les  trois  dernières 


LES  EXAMENS  DE  CANDIDAT  179 

années,  son  éternel  Esaïe,  le  Psautier  et  les  douze  petits 
prophètes;  mais  qu'il  était  convaincu  que  nous  avions  toujours 
bien  travaillé  et  que,  par  conséquent,  il  ne  nous  examinerait 
que  sur  le  quatrième  chapitre  de  Michée.  Et  tout  de  suite 
nous  nous  mîmes,  avec  les  scolies  de  Rosenmiiller,  à  préparer, 
pour  la  parade  du  lendemain,  un  prophète  que  nous  aivions 
oublié  depuis  longtemps.  La  morale  de  Redslob  était  notre 
moindre  souci.  Il  avait  Thabitude,  dans  les  examens,  de 
parler  lui-même,  et  pour  un  mot  de  trois  syllabes  qu'il  atten- 
dait du  candidat,  de  lui  en  dire  les  deux  premières.  On  s'esti- 
mait particulièrement  heureux  quand  on  pouvait  porter 
l'entretien  sur  le  matérialisme  ou  sur  l'eudémjonisme  qu'il 
haïssait  comme  la  moîrtj  Un  candidat  qui  avait  assez  de 
présence  d'esprit  pour  prendre  imimédiatement  la  parole  et 
lancer  quelques  tirades  contre  ces  systèmes  était  sauvé.  Les 
plus  à  plaindre  étaient  les  deux  jeunes  professeurs.  L'impa- 
tience de  Haffner  ne  leur  laissait  pas  le  temps  de  respirer 
ni  celui  de  nous  tourmenter.  Quant  aux  questions  posées  par 
Matter,  je  nie  souviens  seulement  que  c'étaient  des  généralités 
et  que  la  science  d'un  élève  de  Gymnase  eût  suffi  pour  y 
répondre.  Bruch  nous  examina  sur  le  discours  de  Paul  à 
Athènes.  »  ^) 

L'examen  n'était  pas  seulement  oral,  il  comprenait  une 
dissertation  latine  que  les  aspirants  au  grade  de  candidat  en 
théologie  présentaient  avant  le  colloque  et  dont  un  des  exami- 
nateurs rendait  brièvement  compte.  Mais  pour  obtenir  le 
diplôme  de  bachelier  en  théologie,  il  fallait  autre  chose,  il 
fallait  soutenir  une  thèse  publique  en  présence  de  tous  les 
professeurs  de  la  Faculté.  Eeuss  dit  que  les  étudiants 
réformés  étaient  obligés  par  le  règlement  de  faire  imprimer 
leur  thèse  et  que  les  étudiants  luthériens  n'y  furent  forcés 
que  quelques  années  plus  tard.  En  effet,  les  thèses  imï)rimées 
présentées  à  la  Faculté  dans  les  années  1824  à  1828  —  car 
avant  1824  les  thèses  imprimées  n'existent  pas  à  Strasbourg 
--  sont  toutes,  sauf  celle  de  Reuss,  en  1825,  des  thèses  de 
candidats  réformés  de  l'Alsace  et  surtout  du  midi  et  de 
l'intérieur.  Mais  il  y  a  plus.  Dans  les  premières  années  de  la 
Faculté,  les  élèves  du  Séminaire  n'étaient  pas  tenus  de 
prendre  le  grade  de  bachelier  en  théologie,  il  suffisait  qu'ils 

*)  Ed.  Reuss,  loc.  cit. 


180  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOUEG 

eussent  passé  Texamen  de  candidat.  En  1825  encore,  nous 
voyons  le  doyen  Haffner  s'élever,  dans  une  lettre  adressée 
au  recteur  de  T Académie,  contre  Tobligation  qu'on  voulait 
leur  imposer  d'acquérir  ce  grade.  «La  composition  d'une 
thèse»,  dit-il,  «et  la  soutenance  publique  sont  des  exercices 
fort  utiles,  m'ais  si  les  épreuves  auxquelles  sont  soumis  les 
aspirants  au  baccalauréat  en  théologie  sont  rigoureuses,  celles 
auxquelles  le  Séminaire  soumet  ses  élèves  avant  de  les 
admettre  au  grade  de  candidat  ne  le  sont  pas  mk)ins.  — 
Astreindre  les  élèves  du  Séminaire  à  se  pourvoir  du  grade  de 
bachelier  en  théologie,  ce  serait  leur  imposer  une  dépense 
bien  onéreuse  et  si  disproportionnée  aux  moyens  pécuniaires 
de  plusieurs  qu'ils  seraient  obligés  de  renoncer  aux  études 
théologiques.  »  *) 

Cet  état  de  choses,  assez  étrange,  qui  divisait  les  étudiants, 
quant  au  dernier  examen,  en  deux  classes,  les  uns  subissant 
l'examen  de  candidat  avec  une  dissertation  écrite  présentée 
aux  examinateurs,  les  autres  passant  les  épreuves  du  bacca- 
lauréat en  théologie  avec  une  thèse  imprimée  et  une  soute- 
nance publique,  dura  quelques  années.  L'arrêté  du  24  mai 
1828  y  mit  fin.  Il  rappelait  qu'après  trois  années  d'études 
les  étudiants  pouvaient  se  présenter  à  l'examen  du  bacca- 
lauréat en  théologie,  et  il  ajoutait  qu'il  n'était  dérogé  en  rien 
aux  différentes  épreuves  auxquelles  les  étudiants  étaient 
assujettis.  Dès  lors,  il  ne  fut  plus  fait  de  différence  entre  les 
uns  et  les  autres;  tous  étaient  soumis  à  la  même  règle:  thèse 
imi')rimée  et  soutenance  publique.  L'organisation  de  la 
Faculté  se  trouvait  enfin  achevée. 


III 

A  ce  moment,  le  Séminaire  et  la  Faculté  étaient  dans  un 
état  prospère.  Les  professeurs,  les  jeunes  surtout,  com- 
prenaient leur  mission  de  donner  à  leurs  élèves  une  forte 
instruction  et  de  faire  en  même  temps  leur  éducation  au 
point  de  vue  moral.  Us  s'appliquaient  à  remplir  con- 
sciencieusement cette  double  tâche,  et  leurs  eiïorts  n'étaient 
pas  vains.  Les  étudiants  avaient,  en  général,  le  goût  du 
travail  et  se  signalaient  par  une  conduite  régulière.  Logés, 


*)  Lettre  du  8  nov.  i825  (Arch.  du  Département). 


LA  CONDUITE  ET  LES  ETUDES  DES  ELEVES  CRITIQUEES      181 

en  grande  partie,  à  Tinternat  de  Saint-Guillaume,  placés  sous 
la  surveillance  du  directeur  de  cet  établissemfent,  ils  étaient, 
par  cela  même,  préservés  de  bien  des  tentations  à  Pincon- 
duite.  Sans  doute,  tous  les  articles  du  règlement  n'étaient  pas 
strictement  observés,  celui  qui  défendait  la  fréquentation  des 
cafés  et  des  brasseries  était,  paraat-il,  souvent  violé,  mais, 
en  somme,  les  cas  disciplinaires  qui  se  présentaient  étaient 
assez  rares  et  de  peu  de  gravité. 

Malgré  cet  état  de  choses  plutôt  satisfaisant,  la  conduite 
et  les  études  des  jeunes  théologiens  étaient  Pobjet  de  nom- 
breuses critiques.  Des  rapports  défavorables  furent  envoyés 
à  Paris.  L'autorité  supérieure  s'en  émut;  elle  crut  devoir 
intervenir  et  réclamer  des  réformes  au  double  point  de  vue 
de  la  discipline  et  des  études. 

L'autorité  supérieure,  c'était  pour  lors  le  grand  maître 
des  Facultés  de  théologie  protestantes.  Lorsque,  au  com- 
mencement de  l'année  1824,  le  ministère  des  affaires  ecclé- 
siastiques nouvellement  créé  avait  été  confié  au  grand  maître 
de  l'Université,  les  Facultés  de  théologie  protestantes  en 
avaient  été  détachées  et  leur  grande  mlaîtrise  attribuée  à  un 
protestant.  Le  célèbre  naturaliste  Georges  Cuvier,  membre 
du  Conseil  de  l'Université  et  chancelier  de  la  Commission  de 
l'instruction  publique,  avait  été  appelé  à  ces  hautes  fonc- 
tions. Il  y  apporta  un  zèle  ardent,  s 'occupant  non  seulement 
de  la  situation  générale  des  établissements  qui  étaient  sous 
sa  direction,  m'ais  du  développement  scientifique,  m!oral  et 
religieux  de  leurs  élèves.  Les  renseignements  qu'il  avait  reçus 
sur  le  Séminaire  et  la  Faculté  de  Strasbourg  lui  semblaient 
appeler  deux  mesures:  une  surveillance  plus  active  de  la 
conduite  des  étudiants  et  un  renforcement  des  études  théo- 
logiques. Aussi  s'adressa-t-il  à  différentes  reprises  au  prési- 
dent du  Directoire  pour  la  répression  des  abus  qui  lui  étaient 
signalés.  «  J'ai  eu  déjà  plusieurs  fois  l'occasion»,  lui  écrivait- 
il  le  21  octobre  1828,  «  de  vous  entretenir  de  la  conduite  des 
étudiants  de  la  Faculté  de  théologie  et  du  Séminaire  et  de  la 
nécessité  de  préserver  leurs  mœurs...  Il  paraîtrait,  d'après 
le  rapport  de  M.  l'Inspecteur  général,  que  les  mesures  qui 
ont  été  prises  jusqu'à  présent  sont  insuffisantes,  qu'une 
cinquantaine  d'élèves  logés  en  chambres  garnies  sont  à  peu 
près  sans  surveillance  et  que  la  plupart  des  boursiers  du 
gouvernement  sont  dans  ce  nombre.     Un  tel  état  de  choses 


182  LA  FACULTE  DE  THEOLOGIE  DE  STRASBOUEG 

ne  saurait  subsister.  »  H  avait  appris  avec  une  vive  satis- 
faction que  des  constructions  nouvelles  avaient  été  com- 
mencées dans  les  bâtiments  du  Temple-Neuf  pour  recevoir 
des  pensionnaires  et  offrir  ainsi  à  un  plus  grand  nombre 
d'étudiants  des  préservatifs  contre  Pinconduite  qu'ils  ne 
trouvaient  point  lorsqu'ils  étaient  logés  chez  des  particuliers. 
Peu  de  semaines  après,  le  26  novembre,  il  demandait  des  ren- 
seignements précis  sur  ce  point  important.  «  Les  dispositions 
faites  par  le  Directoire  dans  les  bâtiments  du  Temple-Neuf 
ou  ailleurs  seront-elles  suffisantes  pour  y  recevoir  tous  les 
étudiants?  Et  dans  le  cas  où  les  nouvelles  constructions 
n'atteindraient  pas  ce  but,  quelles  mesures  provisoires  ont 
été  prises  par  le  Directoire  pour  préserver  les  mœurs  des 
jeunes  théologiens  libres  1  *) 

Cette  lettre  faisant  présumer  que  le  grand  miaître  avait 
reçu  des-  renseignements  très  inexacts  sur  la  moralité  et  La 
discipline  des  élèves  de  la  Faculté  et  du  Séminaire,  l'assemlblée 
des  professeurs  décida  qu'un  rapport  sur  ce  sujet  serait 
adressé  au  Directoire  avec  prière  de  le  transmettre  au  grand 
maître. 

Mais  déjà  arrivait  ime  nouvelle  lettre,  plus  pressante, 
plus  sévère,  «Le  protestantisme»,  y  disait  le  grand  maître, 
«  repose  sur  deux  bases  essentielles,  des  mxBurs  sévères  et  la 
plus  haute  instruction.  Déjà  j'ai  fait  des  efforts  pour  arracher 
les  élèves  en  théologie  de  Strasbourg  aux  désordres,  suite 
nécessaire  du  peu  de  surveillance  que  l'on  exerçait  sur  eux; 
j'espère  que  l'on  observe  les  recormnandations  que  j'ai  faites 
pour  qu'on  ne  les  laisse  pas  continuer  à  fréquenter  les  cafés 
et  les  cabarets  et  à  se  mlontrer  en  public  autrement  qu'en  habit 
convenable  à  leur  état,  et  si  les  recommandations  si  impor- 
tantes pour  l'honneur  de  notre  religion  étaient  négligées,  je 
m'empresserais  de  prendre  des  moyens  plus  efficaces.  »  *) 

Ces  reproches  et  ce  ton  comminatoire,  les  professeurs  du 
Séminaire  et  de  la  Faculté  ne  crurent  pas  devoir  les  accepter. 
Ils  adressèrent  une  lettre  au  Directoire  dans  laquelle  ils 
déclaraient  que  les  efforts  du  Séminaire  et  de  la  Faculté 
pour  retenir  leurs  élèves  dans  les  limites  de  la  bienséance  et 
de  la  vertu  n'avaient  pas  été  vains.  «  Nous  pouvons  affirmer  », 


*)  Lettre  du  25  nov.  1828  (Arch.  du  Directoire). 
')  Lettre  du  28  nov.  4828  (Arch.  du  Directoire). 


LE  GRAND  MAITRE  DEMANDE  DES  REFORMES  183 

disaient-ils,  «qu'en  aucun  temps  peut-être  il  n'y  a  eu  dans 
le  nombre  de  nos  élèves  tant  de  sujets  qui  se  sont  signalés 
par  une  conduite  irréprochable  et  tant  qui  sont  tout  à  fait 
distingués  sous  le  rapport  littéraire  aussi  bien  que  sous  le 
rapport  moral.  »  ^) 

Le  baron  Cuvier  revint  pourtant  à  la  charge.  «  Il  appert 
des  rapports  qui  me  reviennent  »,  répondit-il,  «  que  beaucoup 
de  nos  étudiants  sont  vus  dans  de  tels  lieux  (cafés  et  bras- 
series), et  cela  au  plus  grand  scandale  des  amis  de  la  religion 
et  des  bonnes  mœurs.  Je,  ne  puis  donc  qu'inviter  les  différents 
corps  qui  ont  une  autorité  quelconque  sur  eux,  d'unir  leurs 
efforts  pour  mettre  fin  aux  plaintes  qui  se  sont  élevées  et  de 
fortifier  les  jeunes  théologiens  dans  les  principes  et  les  senti- 
ments qui  sont  conformes  à  leur  état.  »') 

Mais,  aux  yeux  du  grand  maître,  les  études  théologiques 
appelaient,  elles  aussi,  de  sérieuses  réformes.  Le  baron  Cuvier 
voulait  des  pasteurs  savants  «dignes  d'être  comparés  aux 
grands  théologiens  qui  ont  illustré  autrefois  l'Eglise  réformée 
de  France».  «Ce  doit  être  pour  nous  tous  une  affaire  de 
conscience»,  écrivait-il  au  président  du  Directoire,  «or,  je 
ne  puis  vous  dissimuler  que,  d'après  tout  ce  que  je  vois  et 
ce  que  j'apprends,  il  y  a  encore  beaucoup  à  faire  à  cet  égard; 
les  examens  tels  qu'ils  ont  eu  lieu  jusqu'ici  et  tant  qu'ils 
seront  secrets,  quelque  soigneux  que  puissent  être  les  exami- 
nateurs, ne  donnent  aucune  garantie  au  public.  »  ')  Il  prit 
lui-même,  le  2  juin  1829,  un  arrêté  réglant  le  détail  tant  des 
examens  périodiques  que  de  ceux  pour  l'obtention  des  grades. 
Ces  derniers,  il  les  voulait  publics.  Les  membres  du  Direc- 
toire et  du  Consistoire  général  de  Strasbourg  devaient  être 
conviés  à  y  assister,  et  une  copie  des  procès-verbaux  de  ces 
examens  devait  être  adressée  au  Conseiller  d'Etat  chargé 
des  affaires  des  Cultes  non-catholiques  et  au  mjembre  du 
Conseil  royal  qui  exerçait  les  fonctions  de  grand  miaître  pour 
les  Facultés  de  théologie  protestantes. 

L'année  1830  amena,  au  point  de  vue  moral,  un  change- 
ment peu  favorable.  La  surexcitation  des  passions  politiques. 


')  Lettre  du  Vice-dîrecteur  du  Séminaire  au  président  et  aux 
membres  du  Directoire,  du  7  janv.  4829.  (Arch.  du  Dir,) 

')  Lettre  du  grand  maître  au  président  du  Directoire  du  3i  mars 
4829.  (Arch.  du  Dir.) 

»)  Lettre  du  28  avril  4829.  (Arch.  du  Directoire.) 


184  LA  FACULTÉ  DE  THEOLOGIE  DE  6TEASB0URG 

le  service  des  étudiants  en  théologie  dans  la  giarde  nationale, 
leurs  rapports  plus  fréquents  et  plus  étroits  avec  les  étudiants 
en  droit  et  en  médecine,  d'autres  causes  encore,  ne  furent 
pas  sans  exercer  une  influence  néfaste  sur  les  études  acadé- 
miques aussi  bien  que  sur  la  conduite  des  jeunes  théologiens. 

De  là,  de  nouveaux  avertissements  et  de  nouveaux  conseils 
de  la  part  du  grand  maître.  Le  27  septembre  1831,  il  constatait 
que  la  conduite  des  étudiants  en  théologie  avait  donné  et 
donnait  encore  lieu  à  de  nombreuses  et  graves  accusations, 
et  il  demandait  que  les  réformes  projetées  fussent  appliquées 
non  seulement  aux  étudiants  internés  au  Collège  de  Saint- 
Guillaume,  mais  à  tous  sans  exception  ^) . 

Et  certes,  il  était  indiqué  de  prendre  des  mesures  contre 
des  dérèglements  amenés  ou  favorisés  par  les  circonstances. 
Mais  c'était  une  erreur  de  croire  qu'on  arriverait  à  améliorer 
la  situation  par  des  règlements  de  police;  c'était  une  erreur 
non  moins  grande  de  s'imaginer  qu'on  pouvait  traiter  des 
étudiants  en  théologie  protestants  comme  on  traitait  des 
séminaristes  catholiques,  et  que  le  salut  était  dans  le  caserne- 
ment des  élèves  et  dans  une  surveillance  plus  étroite.  Le 
président  du  Directoire  n'avait  pas  tort  quand  il  répondait 
aux  objurgations  réitérées  du  grand  maître,  qu'il  ne  croyait 
pas  que  le  remède  aux  niaux  signalés  fût  dans  la  réunion 
des  étudiants  dans  un  internat;  qu'à  son  avis,  il  vaudrait 
mieux  diminuer  le  nombre  des  élèves  internés  que  de 
l 'augmenter  *) . 

Le  moyen  le  plus  efficace  d 'empêcher  les  étudiants  de  fré- 
quenter les  brasseries  et  les  cafés  et  d'y  perdre  un  temps  pré- 
cieux, c'était  de  leur  offrir  ailleurs  des  distractions  honnêtes  où 
l'utile  s'unirait  à  l'agréable.  Reuss  l'avait  compris  et,  avant 
même  d'être  nommé  professeur  au  Séminaire,  il  avait  songé 
à  créer  un  établissement  où  les  étudiants  trouveraient,  outre 
le  verre  de  bière  et  la  tasse  de  café,  le  billard  et  le  damier 
qu'on  leur  offrait  ailleurs,  des  journaux  politiques  et  religieux, 
des  revues  théologiques  et  littéraires,  et,  en  général,  des 
publications  qui  pourraient  les  intéresser  et  leur  être  utiles. 
De  cette  idée  naquit  le  Casino  théologique  et  littéraire  qui, 


*)  Lettre  du  grand  maître  du  27  sept,  et  du  29  déc.  iSSL  (Arch. 
du  Dir.) 

')  Lettre  du  président  du  Directoire  au  baron  Cuvier,  du  9  janv. 
1832.  (Arch.  du  Dir.) 


MODIFICATIONS  APPORTEES  AUX  REGLEMENTS  185 

inauguré  le  10  novembre  1831,  continua  à  exister  et  à  être 
fréquenté  par  les  étudiants  après  même  qu'une  plus  grande 
liberté  leur  eut  été  accordée.  *) 

On  n'en  était  pas  là.  D'aucuns  préconisaient  des  mesures 
de  rigueur.  L'inspecteur  ecclésiastique  J.  Bœckel,  qui  se  mêlait 
volontiers  des  affaires  du  Séminaire,  demanda  l'insertion 
dans  le  règlement  d'un  article  qui  prescrirait  aux  étudiants 
la  fréquentation  régulière  du  culte.  Le  Directoire  s'enquit 
auprès  des  professeurs  du  moyen  de  contrôler  cette  fréquen- 
tation; il  décida  en  même  temps  que  les  élèves  du  Séminaire 
auraient  chacun  un  directeur  spirituel  qu'ils  choisiraient 
parmi  les  pasteurs  de  la  ville.  Les  professeurs  ne  firent 
aucune  opposition  sur  ce  second  point;  ils  invitèrent  leurs 
élèves  à  se  faire  inscrire  chez  un  pasteur  pour  suivre  sa 
direction  spirituelle,  mais  ils  refusèrent  d'insérer  dans  le 
règlement  une  prescription  comminatoire  relative  à  l'obligation 
de  fréquenter  le  culte.  «  Une  pareille  obligation  ne  saurait  être 
imposée»,  disaient-ils;  «ce  serait  contraire  à  l'esprit  pro- 
testant. »  ') 

La  question  des  «  modifications  à  apporter  aux  règlements 
existants  sur  les  candidats  et  les  élèves  en  théologie  »  restait 
ouverte.  Le  Directoire  crut  devoir  la  soumettre  aux  Consis- 
toires et  aux  Assemblées  d'inspection.  Deux  d'entre  elles, 
celles  du  Temple-Neuf  et  de  Wissembourg,  répondirent  par 
des  vœux  qui  avaient  la  prétention  de  compléter  les  dispo- 
sitions prises.  L'étudiant  ne  devait  pas  seulement  choisir  un 
pasteur  de  la  ville  comme  directeur  spirituel,  il  devait 
informer  l'inspecteur  ecclésiastique  de  son  choix,  et  se  pré- 
senter au  moins  une  fois  par  mois  chez  son  pasteur-directeur. 
Il  ne  suffisait  pas  non  plus  qu'il  fréquentât  régulièrement 
le  culte,  il  devait  chaque  mois  rendre  compte  des  sermons  qu'il 
avait  entendus. 

Le  Séminaire,  consulté  sur  ces  vœux,  les  rejeta,  à 
l'exception  de  celui  qui  se  rapportait  à  la  fréquentation  du 
culte  par  les  élèves  du  Collège  de  Saint-Guillaume.  Il  chargea 
la  commission  de  l'internat  de  l'appliquer.  Le  Directoire,  pour 
en  assurer  l'exécution,  eut  l'idée  de  demander  aux  Consis- 


')  Voy.  Le  Casino  théologîque  et  littéraire,  1831-1892.  Notice  histo- 
rique par  Rod.  Reuss.   Str.  1892,  in-8o. 

*}  Séance  du  Séminaire  du  26  nov.  1835. 


186  LA  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE  DE  STRASBOURa 

toires  de  la  ville  d'assigner  aux  élèves  en  théologie  des  places 
convenables  dans  les  différentes  églises.  Les  Consistoires 
s-empressèrent  de  faire  droit  à  cette  requête  de  l'autorité 
ecclésiastique:  le  Temple-Neuf  réserva  aux  étudiants  deux 
bancs  avec  16  places,  Saint-Nicolas,  12  places,  Saint-Thomas, 
12,  Saint-Pierre-le- Vieux,  10,  Sainte- Aurélie,  10,  Saint-Pierre- 
le-Jeune,  9,  et  Saint-Guillaume,  6.  La  liste  en  fut  affichée 
au  Collège  de  Saint-Guillaume  et  au  Séminaire.  Une  autre 
liste,  apposée  le  samedi  au  tableau  noir,  disait  les  prédicateurs 
du  lendemain.  Les  étudiants  pouvaient  choisir  celui  qu'ils 
voulaient  entendre,  mais  ils  devaient  faire  part  de  leur  choix 
à  leur  senior. 

Contre  ce  nouvel  attentat  à  leur  liberté,  les  étudiants  se 
révoltèrent.  Ils  s'entendirent  entre  eux  pour  éluder  le  règle- 
ment. Le  Directoire  pourtant  maintint  ses  décisions.  Il  les 
étendit  même  à  tous  les  étudiants  en  théologie  et  chargea  le 
Séminaire  d'en  assurer  l'exécution.  Mais  les  professeurs 
déclarèrent  qu'ils  n'avaient  aucun  moyen  de  contrôler  la  fré- 
quentation du  culte  par  les  étudiants  qui  n'étaient  pas  logés 
au  Collège  de  Saint-Guillaume  et  qu'ils  laissaient  au  Directoire 
le  soin  de  prendre  les  mesures  qu'il  jugerait  utiles. 

En  attendant,  le  Consistoire  général  s'était  réuni  et  le 
ministre  lui  avait  demandé  son  avis  sur  les  modifications 
à  introduire  dans  les  règlements  existants  sur  les  candidats 
et  élèves  en  théologie.  Le  Consistoire,  dans  sa  séance  du 
9  octobre  1844,  après  en  avoir  délibéré  et  pris  communication 
des  règlements  existants,  déclara  que  ces  règlements  étaient 
suffisants  pour  assurer  de  bonnes  études  et  une  discipline 
convenable. 

Cette  déclaration  mit  (fin,  pour  le  moment  du  ,moins, 
aux  longues  discussions  sur  l'état  des  études  et  de  la  discipline 
au  Séminaire  et  à  la  Faculté  de  théologie  et  sur  la  nécessité 
d'apporter  des  modifications  aux  règlements  existants.  La  vie 
académique  put  reprendre  son  cours  calme  et  tranquille  et  se 
développer  normalement  jusqu'à  ce  que  la  révolution  de 
février  vint  y  jeter  de  nouveaux  troubles.  Mais  avant  de 
relater  les  événements  de  l'année  1848,  il  faut  mentionner 
un  danger  qui,  un  instant,  sembla  menacer  l'existence  ou,  du 
moins,  le  développement  prospère  de  la  Faculté  de  Strasbourg. 


CHAPITBE  V 

La  Paculté  de  théologie  menacée  dans  son  existence 


La  Faculté  de  théologie,  depuis  sa  création,  avait  prospéré. 
Dès  les  premières  années,  le  nombre  de  ses  élèves  s'était  élevé 
à  plus  de  trente;  depuis,  des  Français  de  l'intérieur  et  du 
midi  étaient  venus  se  joindre  aux  Alsaciens  et  aux  Mont- 
béliardais,  et  on  pouvait  prévoir  que  ce  nombre  augmenterait 
encore.  Cette  perspective  si  réjouissante  fut  subitement 
troublée  par  le  projet  de  la  création  d'une  Faculté  de  théologie 
nouvelle  à  Paris.  *) 

En  1834,  Guizot,  alors  ministre  de  l'instruction  publique, 
avait  formé  auprès  de  son  administration  ime  commission 
composée  de  pairs  de  France  et  de  députés  protestants  et 
de  pasteurs  pris  dans  les  plus  importantes  Eglises  du  royaume, 
pour  examiner  l'état  des  écoles  primaires  protestantes  et  les 
moyens,  soit  d'y  apporter  les  modifications  désirables,  soit 
d'assurer  partout  la  liberté  et  l'efficacité  de  l'instruction 
religieuse,  et,  en  même  temps,  pour  rechercher  les  mesures 
qu'il  conviendrait  d'adopter  pour  donner  aux  études  dans  les 
Facultés  de  théologie  protestantes  tout  le  développement  et 
la  solidité  dont  elles  sont  susceptibles. 

La  commission  mit  ime  véritable  sollicitude  à  remplir 
son  second  mandat.  Elle  recommanda  à  l'attention  et  à  l'adop- 
tion du  ministre  trois  points:  la  création  d'une  Faculté 
nouvelle  de  théologie  protestante  à  Paris;  la  fondation  d'un 
Séminaire  où  seraient  réunis  les  élèves,  et  la  création  de 
chaires  plus  nombreuses  que  celles  qui  existaient  dans  les 
Facultés  de  théologie. 


*)    Voy.   M.   Michel,   Examen   du  projet  d'établir  une   Faculté  de 
théologie  à  Paris.  Paris  et  Toulouse,  1837. 


188  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE  STEASBOTJRG 

Le  vœu  formulé  par  la  Commission  avait  eu  un  grand 
retentissement  dans  les  églises  réformées  de  l'intérieur  et  du 
midi.  De  nombreux  corps  ecclésiastiques  y  avaient  adhéré; 
des  conférences  pastorales  l'avaient  appuyé  et  avaient  pressé 
le  ministre  de  pourvoir  à  sa  réalisation.  En  1835,  la  question 
vint  même  devant  la  Chamjbre  des  députés.  M.  de  FalgueroUes, 
par  une  interpellation  au  rapporteur  du  budget.de  Tinstruo- 
tion  publique,  fit  connaître  le  vœu  exprimé  par  la  commission 
protestante  dont  il  avait  été  membre.  La  Chambre  écouta 
patiemment  la  discussion  qui  suivit,  puis,  aucune  proposition 
n'étant  faite,  elle  ne  se  prononça  pas,  donnant  assez  à  entendre 
par  l'attention  qu'elle  avait  prêtée  à  cette  question,  tout  à  fait 
incidente,  qu  'elle  n  'avait  aucun  éloignement  pour  une  demande 
formée  dans  un  intérêt  protestant  quelconque  et  qu'elle  ne  refu- 
serait pas  de  concourir  aux  progrès  de  l 'enseignemient  reli- 
gieux dans  l'Eglise  réformée. 

Les  protestants  de  la  Confession  d'Augsbourg  en  Alsace 
n'étaient  pas  restés  indifférents  à  ces  mouvements  de  leurs 
coreligionnaires  réformés  de  l'intérieur  et  du  midi.  Us  avaient 
salué  le  vœu  de  la  création  d'une  Faculté  de  théologie  à  Paris 
comme  un  symptôme  de  bon  augure.  Ils  s'étaient  dit  qu'on 
commençait  à  comprendre  en  France  que  le  protestantisme 
avait  besoin  de  plus  de  lumières  et  de  science  et  que  c'étaient 
avant  tout  les  pasteurs  qui  devaient  se  distinguer  par  l'étendue 
de  leurs  études,  par  l'élévation  de  leurs  vues  et  par  la 
profondeur  de  leur  savoir. 

Sans  doute,  ils  s'étaient  demandé  si  la  translation  de  la 
Faculté  de  Montauban  à  Paris  ou  la  création  d'une  Faculté 
nouvelle  dans  la  capitale  était  la  mesure  indiquée  pour  faire 
refleurir  dans  l'Eglise  réformée  les  hautes    études    théolo- 
giques; si  une  Faculté  protestante  ne  devait  pas  être  placée 
là  où  les  croyances  protestantes  étaient  le  plus  répandues; 
si  au  lieu  de  créer  une  Faculté  nouvelle  à  Paris,  il  ne  convenait 
pas  mieux  de  réorganiser  celle  de  Montauban,  en  lui  associant 
une  Faculté  des  sciences  et  une  Faculté  des  lettres,  et  de  créer 
ainsi  un  centre  de  lumière  au  milieu  de  la  population  du  midi. 
Mais  comme,  dans  le  principe,  il  n'était  question  que 
d'une  Faculté  réformée,  ils  ne  s'étaient  pas  crus  appelés  à 
émettre  publiquement  leur  opinion  à  ce  sujet,  ils  avaient  laissé 
à  leurs  frères  réformés  le  soin  d'apprécier  l'opportunité,  la 
nécessité  du  projet  dont  il  s'agissait. 


LA  FACULTÉ   DE   THEOLOGIE  MENACEE   DANS   SON  EXISTENCE       189 

Cependant,  en  1836,  la  question  changea  de  face.  Le 
rapporteur  du  budget  de  Pinstruction  publique  à  la  Chambre, 
émit  Tavis  de  conserver  la  Faculté  calviniste  de  Montauban 
et  la  Faculté  luthérienne  de  Strasbourg  avec  leur  caractère 
spécial,  mais  de  répondre  aux  besoins  et  aux  vœux  des  protes- 
tants en  fondant  une  troisième  Faculté  à  Paris,  qui  réunirait 
les  deux  enseignements  calviniste  et  luthérien.  «Une  pa- 
reille création  »,  disait-il,  «  comiplète  et  couronne  les  insti- 
tutions protestantes  du  pays;  elle  tend  à  exciter  Témulation 
des  deux  Facultés  existantes,  à  secouer  Papathie  dans  laquelle 
s'éteignent  les  pasteurs  et  à  provoquer  des  vocations  pour 
renseignement  qui  se  recrute  avec  tant  de  peine.  » 

Jusque-là,  on  avait  demandé  une  Faculté  réformée,  main- 
tenant, le  rapporteur  du  budget  de  Tinstruction  publique 
proposait  une  Faculté  mixte.  La  question,  dès  lors,  n'était 
plus  la  même  et  les  protestants  de  la  Confession  d'Augsbourg 
ne  pouvaient  plus  s'en  désintéresser. 

La  Chambre  de  1836,  comprenant  sans  doute  que  la 
question  n'était  pas  miûre,  qu'elle  exigeait  des  études  prélimi- 
naires, avait  passé  sur  elle  à  l'ordre  du  jour.  De  nombreuses 
voix  continuèrent  pourtant  à  réclamer  la  création  d'une 
Faculté  à  Paris.  Les  unes  se  prononçaient  pour  une  Faculté 
réformée,  les  autres,  c'était  la  minorité,  pour  une  Faculté 
mixte.  En  1837,  la  question  revint  une  troisième  fois  devant 
la  Chambre.  Le  ministre  de  l'instruction  publique  et  son 
prédécesseur  vinrent  eux-mêmes  donner  des  explications  à 
l'assemblée.  Ils  avouèrent,  l'un  et  l'autre,  que  la  question  avait 
besoin  d'être  mieux  étudiée.  Mais  Guizot  mit  alors  im  autre 
projet  en  avant.  Il  proposa  de  créer  à  Paris  un  établissement 
qui  recevrait  les  jeunes  théologiens  qui  s'étaient  particulière- 
ment distingués  au  cours  de  leur  triennium  académique,  et 
qui  leur  offrirait  l'occasion  de  se  livrer  pendant  quelques 
années  encore  à  de  fortes  études,  en  profitant  de  toutes  les 
ressources  concentrées  dans  la  capitale.  Cet  établissement, 
dans  l'idée  de  Guizot,  devait  être  mixte. 

Le  clergé  luthérien  d'AlsacQ  se  crut  alors  appelé  à  donner 
son  avis  sur  une  question  qui  intéressait  l'Eglise  tout  entière, 
à  faire  connaître  ce  qu'il  pensait  d'une  Faculté  mixte  et  d'une 
Faculté  de  hautes  études.  La  conférence  pastorale  réunie  à 
Strasbourg  les  13  et  14  juin  1837  s'arrêta  donc  à  ces  deux 
questions:  «Les  besoins  de  l'Eglise  protestante  de  la  Con- 


190  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE   STBASBOURG 

fession  d'Augsbourg  rendent-ils  désirable  l'établissement  à 
Paris  d'une  Faculté  de  théologie  mixte?»  et:  «Y  a-t-il  des 
raisons  pour  souhaiter  la  création  à  Paris  d'une  Faculté  de 
hautes  études  théologiques  pour  les  deux  communions 
protestantes  ?  » 

L'assemblée  tout  entière  —  elle  était  composée  de  cent- 
dix-neuf  pasteurs  et  ministres  du  Saint-Evangile  —  répondit 
négativement  aux  deux  questions.  Elle  chargea  le  comité  de 
la  Conférence  de  faire  parvenir  son  vote  au  Directoire  et,  par 
le  Directoire,  au  gouvernement  et  aux  chambres.  Elle  fit 
plus.  Elle  publia  un  mémoire,  rédigé  par  les  professeursBruch 
et  Eeuss,  dans  lequel  elle  exposait  tout  au  long  les  raisons 
qui  avaient  motivé  son  vote  et  les  résumait  finalement  en 
ces  termes: 

«  Nous  reconnaissons  avec  une  vive  gratitude  la  bien- 
vieillante  intention  du  gouvernement  de  donner  aux  hautes 
études  théologiques  des  protestants  plus  d'étendue  et  d'éclat. 
Mais  nous  sommes  convaincus  que  les  projets  qui  ont  été  mis 
en  avant  ne  sont  pas  ceux  qui  répondraient  le  mieux  au  but 
qu'il  s'agit  d'atteindre...  Ce  que  nous  demandons,  c'est  que 
le  gouvernement,  s'il  vient  à  reconnaître  que  tout  n'est  pas 
fait  pour  les  établissements  d'instruction  supérieure  en 
France,  ne  commence  pas  par  ruiner  ceux  qui  existent 
aujourd'hui  et  qui  font  leur  devoir;  c'est  qu'il  n'écoute  pas 
avec  trop  de  complaisance  des  suggestions  qui  souvent  cachent 
de  petites  ambitions  individuelles.  Nous  nous  prononçons 
avec  énergie  contre  la  création  d'une  Faculté  mixte  à  Paris, 
parce  que  nous  voulons  voir  former  nos  ministres  au  sein 
de  leur  église,  sous  la  tutelle  immédiate  de  notre  Directoire, 
en  contact  avec  la  population  qu'ils  doivent  un  jour  instruire 
et  dont  ils  doivent  parler  la  langue.  Nous  déclarons  qu'une 
seconde  Faculté  luthérienne  est  inutile,  celle  de  Strasbourg 
répondant  parfaitement  à  tous  les  besoins  de  la  science  et  de 
l'Eglise,  inutile  par  rapport  au  petit  nombre  des  élèves,  inutile 
enfin  parce  qu'elle  occasionnerait  de  fortes  dépenses  qui  ne 
seraient  nullement  compensées  par  des  avantages  réels.  Mais 
nous  protestons  surtout  et  de  toutes  nos  forces  contre  une 
Faculté  de  hautes  études,  non  seulement  pour  les  raisons  que 
nous  avons  fait  valoir  contre  le  premier  projet,  nmis  encore 
parce  qu'à  Paris  tous  les  secours  indispensables  aux  études 
théologiques  seraient  encore  à  créer,  tandis    qu'ils   existent. 


LE  DANGEB  EST  ÉCAETE  191 

qu^ils  abondent  à  Strasbourg.  Nous  protestons  parce  qu'une 
pareille  institution  est  attentatoire  à  des  droits  légitimement 
acquis,  inconciliable  avec  l'existence  des  Facultés  ordinaires 
et  qu'elle  provoquerait,  non  une  salutaire  émulation,  miais  des 
embarras,  des  complications  et  des  jalousies.  Nous  protestons 
parce  qu'elle  entraînerait  indubitablement  la  ruine  matérielle 
et  morale  des  Facultés  actuellement  existantes,  et  dont  la 
conservation  à  côté  du  nouvel  établissement  serait  sans  but.  »  *) 

Dans  l'intérieur  et  au  midi,  les  manifestations  en  faveur 
de  la  création  d'une  Faculté  de  théologie  à  Paris  continuaient 
de  se  produire.  La  corrunission  du  budget,  dans  son  rapport 
à  la  Cbaimbre,  se  prononçait  dans  le  mêmfe  sens.  Le  ministre, 
M.  de  Salvandy,  dans  ses  déclarations  faites  à  la  tribune, 
dans  ses  lettres  et  ses  pronuesses,  se  montrait  égalemient  favo- 
rable au  projet.  Mais  au  moment  de  le  réaliser,  le  gouverne- 
ment recula  devant  la  résistance  occulte  du  clergé  catholique. 
Craignant  d'avoir  l'air  de  favoriser  les  protestants,  il  prit 
prétexte  de  cette  opposition  pour  ajourner  l'exécution  du 
projet  et  pour  l'abandonner  finalement. 

Le  danger  qui  semblait  menacer  la  Faculté  de  Strasbourg 
se  trouva  écarté. 


*)  Opinion  de  la  Conférence  pastorale  de  Strasbourg  (1837)  sur  le 
projet  d'établir  à  Paris  une  Faculté  nouvelle  de  théologie  protestante, 
ou  une  Faculté  de  hautes  études,  destinée  en  même  temps  aux  réformés 
et  aux  luthériens.  Strasbourg,  1838,  p.  49,  ss. 


CHAPITRE  yi 

L'année  1848 


L'effervescence  que  les  journées  de  février  provoquèrent 
partout  en  France  s'était  communiquée  à  la  jeunesse  univer- 
sitaire de  Strasbourg.  A  la  nouvelle  de  la  proclamation  de 
la  République,  les  étudiants,  en  longs  cortèges,  s'étaient 
rendus  au  Broglie  et,  réunis  à  d'autres  jeunes  gens  de  la 
ville,  ils  avaient  manifesté  leurs  sentiments:  ils  avaient  dé- 
ployé des  drapeaux  rouges,  prononcé  des  harangues  enflam- 
mées, commis  quelques  excès.  Les  étudiants  en  théologie 
n'avaient  pris  qu'une  faible  part  à  cette  manifestation 
publique,  mais  ils  se  livrèrent  à  des  démonstrations  d'un 
autre  genre:  ils  élevèrent  des  prétentions  et  formulèrent  des 
revendications  qui  ne  tendaient  à  rien  moins  qu'à  amener 
un  changement  total  dans  l'état  de  choses  existant  au  Sémi- 
naire et  à  la  Faculté  de  théologie. 

Dans  une  première  pétition  adressée  aux  professeurs,  ils 
demandèrent  d'être  dispensés  des  examiens  semestriels,  allé- 
guant que  l'agitation  patriotique  dans  laquelle  ils  vivaient 
ne  leur  laissait  pas  la  liberté  d'esprit  nécessaire  pour  les  pré- 
parer. Les  professeurs,  prévoyant  sans  doute  ce  que  seraient 
des  examens  faits  dans  de  pareilles  conditions,  crurent 
devoir  acquiescer  à  cette  demande.  Peut-être  aussi  espéraient- 
ils  empêcher  par  cette  concession  des  réclamations  plus  con- 
séquentes. Ce  fut  le  contraire  qui  arriva.  La  facilité  avec 
laquielle  les  postulants  avaient  obtenu  ce  qu'ils  demandaient, 
ne  pouvait  que  les  enhardir  à  demander  davantage. 

En  effet,  après  quelques  jours  seulement,  une  nouvelle 
pétition,  adressée  aux  «  Citoyens  professeurs  »,  venait 
réclamer,  dans  l'ordre  établi  des  cours,  les  trois  modifications 
suivantes:  V  les  cours  ne  se  feront  plus  au  Séminaire,  mais 


BECLAMATIONS  DES  ÉTUDIANTS  193 

dans  le  bâtiment  de  T Académie;  2"  aucun  professeur  ne 
pourra  faire  plus  de  trois  cours  par  semaine;  3"  il  n'y  aura 
plus  de  cours  en  langue  allemande. 

Ce  troisième  point  mit  les  professeurs  dans  un  cruel 
embarras.  Devaient-ils  déclarer  qu'ils  continueraient,  conmue 
par  le  passé,  à  faire  une  partie  de  leurs  cours  en  langue  alle- 
mande? Mais  c'était  appeler  Tattention  de  l'autorité  sur  la 
question  de  la  langue  employée  dans  l'enseignement  du  Sémi- 
naire et  provoquer  peut-être  de  sérieuses  difficultés.  Ou  bien 
devaient-ils  faire  valoir  la  situation  particulière  du  Sémi- 
naire, institution  ecclésiastique  existant  à  côté  et  en  dehors 
de  l'Université?  Mais  souligner  le  caractère  ecclésiastique  du 
Séminaire  au  moment  oii  l'Eglise  elle-même  était  menacée 
et  où  l'autorité  ecclésiastique  était  renversée  par  le  mouve- 
ment révolutionnaire,  pouvait  être  périlleux. 

Mais  déjà  une  nouvelle  pétition  des  étudiants  venait 
exiger  que  les  vieux  professeurs  donnassent  leur  démission  et 
fissent  place  à  de  jeunes  forces.  Alors  plusieurs  des  profes- 
seurs montrèrent  de  l'énergie.  Baum,  pédagogue  au  Collège 
de  Saint-Guillaume,  sermonna  les  élèves  de  cet  établissement; 
Beuss  mit  ceux  qui  criaient  le  plus  fort  à  la  raison,  et  Bruch 
menaça  de  renvoyer  les  fauteurs  de  désordre.  Cette  ferme 
attitude  fit  merveille.  Les  esprits  se  calmèrent.  C'étaient  sur- 
tout des  étudiants  de  l'intérieur  et  du  midi  qui  avaient 
poussé  à  ces  démonstrations  insensées.  Quelques-uns  furent 
exclus,  d'autres  quittèrent  de  plein  gré  la  théologie,  et  l'ordre 
et  le  calme  se  rétablirent. 

Les  professeurs  crurent  pourtant  devoir  faire  droit  à 
certaines  réclamations  des  élèves:  le  cours  d'histoire  ancienne 
qui  se  faisait  en  langue  allemande  fut  remplacé  par  un 
cours  d'histoire  de  la  Révolution  française  professé  en  fran- 
çais. Le  programme  des  leçons  du  Séminaire,  qui  avait  paru 
jusque-là  en  latin,  devait  désormais  être  publié  en  français. 

Les  pétitions  et  les  réclamlations  des  étudiants  eurent 
d'ailleurs  un  résultat  heureux:  elles  mirent  en  lumière  ce 
qu'il  y  avait  de  défectueux  et  d'insuffisant  dans  les  règle- 
ments existants.  On  avait  eu  mainte  fois  l'occasion  de  cons- 
tater cette  insuffisance,  mais  sans  oser  toucher  à  ce  qui  avait 
été  établi  autrefois.  Maintenant,  la  nécessité  d'un  nouveau 
règlement  s'imposait;  une  commission  fut  chargée  de  l'éla- 
borer, et  le  10  juillet  1848  elle  adopta  les  six  articles  suivants* 

13 


194  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOURG 

«1"  Les  cours  se  divisent  en  deux  espèces,  en  cours  obli- 
gatoires et  en  cours  facultatifs.  Les  cours  obligatoires  sont 
ceux  sur  lesquels  les  élèves  sont  examinés  soit  en  entrant  en 
théologie,  soit  pour  le  grade  de  bachelier;  les  élèves  qui 
suivent  les  cours  facultatifs  sont  examinés  sur  ces  cours  dans 
les  examiens  semestriels. 

«2°  Les  cours  obligatoires  de  la  première  section  du 
Séminaire  sont:  un  cours  d'interprétation  grecque;  un  cours 
mixte  d'interprétation  et  de  littérature  latine;  un  cours  élé- 
miesntaire  d'hébreu;  deux  cours  de  philosophie;  un  cours 
d'histoire  universelle. 

«  3**  Les  cours  obligatoires  de  la  seconde  section  et  de  la 
Faculté  de  théologie  sont:  les  cours  d'introduction  à  l'Ancien 
et  au  Nouveau  Testament;  d'exégèse  de  l'Ancien  et  du  Nou- 
veau Testament,  de  morale  évangélique,  de  dogme,  d'histoire 
de  l'Eglise,  y  compris  l'histoire  des  dogmes  et  la  symibolique; 
la  théologie  pratique. 

«  4°  Les  professeurs  du  Séminaire  feront  chacun  un  cours 
d'au  moins  trois  leçons  par  semaine;  les  professeurs  attachés 
en  mêmie  temps  à  la  Faculté,  feront  deux  cours  chacun  de 
trois  leçons,  l'un  comptant  pour  la  Faculté,  l'autre  pour  le 
Séminaire. 

«  5°  Les  élèves  de  la  section  préparatoire  auront  à  suivre 
par  semaine  un  minimum  de  24  leçons,  ceux  de  la  section 
théologique,  un  minimum  moyen  de  21  leçons. 

«6°  Les  cours  de  la  Faculté  et  de  la  section  théologique 
du  Séminaire  sont  répartis  en  un  cycle  triennal;  les  cours 
d'introduction,  de  morale  et  de  dogme  durant  chacun  deux 
semjestres,  se  feront  tous  les  deux  ans  une  fois,  de  manière 
que  les  élèves  puissent  suivre  ceux  d'introduction  et  de 
morale  dans  le  cours  de  leurs  deux  premières  années  et  celui 
de  dognxe  dans  la  seconde  ou  dans  la  troisième;  ce  dernier 
cours  ne  devra  jamais  être  suivi  par  des  élèves  de  première 
année.  Les  cours  d'exégèse  se  continueront  sans  interruption, 
mais  les  élèves  ne  seront  tenus  de  les  suivre  que  pendant 
quatre  semestres.  Le  cours  d'histoire  ecclésiastique,  y  compris 
l'histoire  des  dognies  et  la  symbolique,  sera  terminé  en  quatre 
semestres.  Il  recommencera  tous  les  deux  ans,  pour  que  tous 
les  élèves  puissent  le  commencer  par  le  commencement.  Le 
cours  de  théologie  pratique,  théorie  et  exercices,  prendra 


UN   NOUVEAU   RÈGLEMENT  195 

quatre  semestres,  et  sera  suivi  par  les  élèves  de  seconde  et  de 
troisième  année. 

«  A  la  fin  de  chaque  semestre,  avant  l'examen  semestriel, 
le  Directeur  des  études  se  fera  remettre  par  les  élèves  des 
deux  sections  les  certificats  d'assiduité  qui  leur  auront  été 
délivrés  par  les  professeurs  dont  ils  auront  suivi  les  cours. 

«  L 'examen  semestriel  de  la  seconde  section  du  Séminaire 
portera  sur. toutes  les  matières  obligatoires  ou  facultatives 
pour  lesquelles  il  n'y  a  pas  de  chaire  à  la  Faculté.  Le  résul- 
tat de  cet  examen  sera  proclamé  en  séance  publique  par  le 
Directeur  des  études. 

«Tous  les  cours  (obligatoires!)  se  feront  en  français. 
La  langue  allemande  ne  pourra  être  employée  que  pour  des 
cours  facultatifs.  » 

Ce  règlement,  inspiré  par  Eeuss,  constituait,  dans  ses 
principales  dispositions,  un  vrai  progrès  sur  les  règlements 
antérieurs.  Il  resta,  malheureusement,  lettre  morte.  En  le 
votant,  on  était  encore  plus  ou  moins  sous  l'impression  des 
troubles  de  février;  mais  la  tourmente  une  fois  passée,  on 
ne  songea  plus  à  introduire  des  changements  qui  étaient  des 
améliorations.  On  retomba  tout  simplement  dans  la  routine. 
Ce  ne  fut  que  beaucoup  plus  tard,  après  des  années,  qu'on 
songea  à  appliquer  le  règlement  de  1848. 

D'autres  décisions  votées  ailleurs  et  qui  tendaient  à 
mettre  le  Séminaire  et  la  Faculté  de  théologie  dans  une  dépen- 
dance plus  entière  de  l'Eglise,  eurent  heureusement  le  même 
sort,  c'est-à-dire  n'arrivèrent  pas  à  être  appliquées.  L'assem- 
blée des  délégués  qui  se  réunit  au  mois  de  septembre  1848 
dans  le  but  de  préparer  une  loi  organique  pour  l'Eglise  de 
la  Confession  d'Augsbourg  en  France,  fut  amenée,  au  cours 
de  ses  débats,  à  s'occuper  du  Séminaire  et  de  la  Faculté  de 
théologie.  Dans  la  séance  qu'elle  tint  le  28  septembre,  diffé- 
rentes motions  furent  faites  relativement  à  oes  deux  éta- 
blissements. On  revendiqua  pour  le  Consistoire  général  le 
droit  de  surveillance  du  Séminaire,  la  nomination  de  ses  pro- 
fesseurs, le  droit  de  présentation  des  candidats  aux  chaires 
de  la  Faculté.  Un  membre  demanda  même  que  l'adminis- 
tration des  fondations  protestantes  fût  confiée  à  une  commis- 
sion civile,  nommée  ad  hoc  par  le  Consistoire  général. 

Cette  dernière  motion  fut  écartée,  mais  l'assemblée  vota 

13* 


196  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURa 

un  article  conçu  en  ces  termes:  «Le  Consistoire  général 
nomm^  les  professeurs  du  Séminaire  et  fait  les  présentations, 
même  à  titre  provisoire,  aux  chaires  vacantes  de  la  Faculté 
de  théologie,  d'après  un  règlement  qu'il  arrêtera.» 

On  sait  que  le  projet  de  loi  organique  discuté  et  adopté 
par  l'assemblée  des  délégués  ne  fut  pas  agréé  par  le  gou- 
vernement; le  nouveau  Directoire,  nommé  en  1851,  élabora, 
par  contre,  un  projet  de  réorganisation  des  cultes  protestants 
qui  fut  agréé  et  sanctionné  par  le  président  de  la  Eépublique. 
Le  décret  du  26  mars  1852  statuait  à  l'article  XI:  «  Il  (le  Di- 
rectoire) exerce  la  haute  surveillance  sur  l'enseignement  et  la 
discipline  du  Séminaire...  Il  nomme  les  professeurs  du  Sémi- 
naire, sur  la  proposition  de  ce  dernier  corps.  Il  donne  son 
avis  miotivé  sur  les  candidats  aux  chaires  de  la  Faculté  de 
théologie.  » 

Cette  miême  année  1852  fut  marquée  par  un  autre  événe- 
ment qui  ne  fut  pas  sans  importance  pour  le  Séminaire:  la 
réorganisation  de  l'autorité  supérieure  de  l'Eglise  de  la  Con- 
fession d'Augsbourg  et  la  nomination  de  M.  Braun,  conseiller 
à  la  cour  d'appel  de  Colmar,  comme  président  du  Consistoire 
général  et  du  Directoire.  M.  Braun,  par  cette  nomination, 
devenait  en  même  temps  Directeur  du  Séminaire.  Ses  prédé- 
cesseurs immédiats  dans  ces  hautes  fonctions,  MM.  de  Tiirck- 
heim,  père  et  fils,  s'étaient  intéressés  aux  questions  d'admi- 
nistration bien  plus  qu'aux  questions  d'enseignement,  qui 
leur  étaient  plus  ou  moins  étrangères.  Le  nouveau  président, 
au  contraire,  montra,  dès  le  début,  un  vif  intérêt  pour  les 
questions  d'instruction  et  pour  le  corps  enseignant.  Doué 
d'une  haute  intelligence  et  d'un  esprit  fin,  unissant  la  distinc- 
tion du  talent  à  la  dignité  dans  les  manières,  jaloux  de  son 
autorité,  mais  prudent  et  habile  à  ménager  les  pouvoirs 
publics  et  l'orthodoxie  parisienne,  il  était  appelé  à  jouer 
un  rôle  important  au  sein  du  Séminaire. 

Théodore-Elisée  Braun  avait  jusqu'alors  parcouru  une 
brillante  carrière.  Né  le  17  août  1805  à  Brétigny,  près  de 
Villefranche,  dans  le  département  du  Ehône,  mais  appar- 
tenant à  une  famille  alsacienne  (de  Mulhouse),  il  avait  étudié 
le  droit  à  Strasbourg  et,  ses  études  achevées,  s'était  fait  rece- 
voir avocat  à  Colmar.  Mais  il  quitta  bientôt  le  barreau  pour 
entrer  dans  la  mjagistrature.  D'abord  juge  à  Altkirch,  puis 
procureur  du  roi  près  le  tribunal  de  Saverne,  il  fut  appelé, 


LE  PKÊSIDENT  BRAUN  197 

en  1836,  en  cette  qualité,  à  Colmar  et  y  devint  plus  tard  con- 
seiller à  la  cour  d'appel.  Délégué  par  le  Consistoire  de  Col- 
mar à  l'assemblée  de  1848,  il  s'y  était  fait  remarquer  par  sa 
connaissance  des  affaires  et  par  son  talent  de  parole;  il  avait 
été  envoyé  ensuite  par  l'inspection  de  Colmar  au  Consistoire 
supérieur,  et  lorsque  M.  F.  de  Tiirekheim  se  démit  de  ses 
fonctions  de  président  du  Consistoire  général  et  du  Direc- 
toire, il  avait,  par  décret  du  7  novembre  1850,  été  nommé  à  sa 
place. 


CHAPITRE  VII 

Attaques  ultramontaines  contre  le  droit  de  propriété  du 

Séminaire  —  Réponses  des  protestants  —  Décision  du 

Conseil  d'État 


Les  articles  organiques  de  TAcadémie  des  protestants  de 
la  Confession  d'Augsbourg  du  30  floréal  an  XI  portaient  que 
les  fondations  de  Tancienne  Académie,  le  Gynuiase,  les  bourses, 
bibliothèques  et  bâtiniients  de  Pancienne  Académie  seraient 
affectés  à  la  nouvelle  Académie  établie  par  la  loi  du 
18  germinal  an  X  et  que  les  charges  dont  ces  fondations 
étaient  grevées  précédemment  continueraient  à  être  acquittées. 
En  adressant  ces  articles  au  président  du  Consistoire  général, 
le  ministre  des  Cultes,  Portails,  avait  expressément  déclaré 
que  le  gouvernement  confirmerait  à  l'Académie  les  fondations 
qui  y  étaient  anciennement  attachées  et  que  l'administration 
étant  bonne,  elle  méritait  d'être  conservée  dans  l'état  où  elle 
était.  *) 

Le  droit  de  propriété  de  l'Académie,  plus  tard  du 
Séminaire  protestant,  était  donc  parfaitement  reconnu  et 
garanti  par  le  gouvernement.  Plus  tard,  dans  un  mémoire 
historique  pour  établir  les  droits  de  propriété  des  églises 
protestantes.  Portails  s'était  exprimé  plus  catégoriquement 
encore.  «J'ai  établi»,  disait-il  dans  ce  mémoire,  «que  tous 
les  biens  ecclésiastiques  dont  les  protestants  de  la  communion 
luthérienne  et  calviniste  des  quatre  départements  réunis 
étaient  en  possession  en  l'année  normale  1624  leur  appartien- 
draient  à   toute   perpétuité,    que   cette    propriété   avait  été 


*)  Lettre  de  Portails  du  43  Prairial  XI  au  président  du  Consistoire 
général.  (Arch.  du  Directoke.) 


ATTAQUES  ULTBAMONT AINES  CONTRE  LE  SEMINAIRE  199 

reconnue  et  garantie  jusqu'aujourd'hui,  non  seulement  par  les 
traités,  les  capitulations,  les  lois  de  l'Assemblée  constituante, 
la  loi  du  18  germinal  an  X,  mais  encore  par  les  décrets  que 
S.  M.  a  rendus  sur  cette  matière...  Par  un  décret  du  28  floréal 
an  XI  S.  M.  a  établi  l'Académie  protestante  à  Strasbourg,  à 
laquelle  est  attaché  un  gymnase  ou  école  de  première  instruc- 
tion. Les  professeurs  de  cette  Académie  et  de  ce  Gymnase 
sont  dotés  du  produit  de  fondations  faites  en  faveur  des 
Eglises  protestantes,  fondations  qui  ont  été  conservées  et 
respectées  depuis  la  paix  dite  de  religion  en  1555  ».  ^) 

Ces  dispositions  avaient  existé  depuis  quarante  ans  et 
ni  la  Restauration  ni  la  monarchie  de  juillet  n'avaient  osé  y 
toucher.  La  ville  de  Strasbourg  non  plus  n'avait  jamlais  songé 
à  élever  des  prétentions  sérieuses  sur  les  biens  de  Saint-Thomas. 
Au  contraire,  le  maire,  M.  de  Wangen,  avait,  par  un  arrêté 
du  10  f évrier>  1810,  pleinement  reconnu  à  cette  fondation  la 
qualité  de  propriétaire,  et  en  1813,  la  ville  et  Saint-Thomas 
traitaient  de  propriétaire  à  propriétaire,  dans  une  affaire 
d'échange  de  terrains. 

Une  seule  fois,  en  1811,  quelques  membres  du  Conseil 
municipal  avaient  eu  la  pensée  de  revendiquer  comme  biens 
de  la  ville  certaines  fondations  qu'au  XVIIe  siècle  le 
magistrat  avait  attribuées  à  la  Haute-Ecole.  Mais  il  avait 
suffi  de  leur  faire  voir  les  titres  de  possession  de  cet  établisse- 
ment, pour  qu'ils  renonçassent  à  maintenir  leur  revendication. 

Plus  tard,  en  1814,  le  chapitre  de  la  cathédrale,  dans  un 
mémoire  adressé  au  roi,  avait  revendiqué  le  vieux  Collège 
des  Jésuites  ou  grand  Séminaire,  occupé  par  l'Académie 
royale,  et  avait  proposé  de  déposséder  les  protestants  des 
bâtiments  qu'ils  possédaient  au  quai  Saint-Thomas,  pour  les 
céder  à  l'Académie  royale,  en  remplacement  du  grand  Sémi- 
naire.')  Cette  tentative  de  spoliation  était  également  restée 
sans  effet 

Mais  quand  l 'ultramontanisme  triompha  en  France,  la 
guerre  contre  les  protestants  fut  également  organisée  en 
Alsace,  et  pour  porter  un  coup  particulièrement  sensible  à 


*)  Lettre  au  préfet  de  la  Sarre  du  17  mai  i806.  Voy.  Notice  sur  les 
Fondations  administrées  par  le  Séminaire  protestant  de  Strasbourg, 
p.  XCIX  ss. 

')  Lettre  de  M.  Dahler,  vice  directeur  du  Séminaire,  au  Directoire, 
6  mars  1815.  (Arch.  du  Dir.) 


200  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

TEglise  de  la  Confession  d'Augsbourg,  ses  ennemis  l'atta- 
quèrent dans  ses  établissements  d'instruction,  dans  le  Sémi- 
naire, avant  tout,  et  dans  le  Gymnase.  Les  catholiques,  dont 
les  biens  ecclésiastiques  avaient  été  vendus  pendant  la  Révo- 
lution comme  biens  nationaux  jalousaient  l'Eglise  protestante, 
qui  avait  pu  garder  ses  biens,  et  criaient  à  l'injustice. 

Les  premières  attaques  furent  dirigées  contre  l'adminis- 
tration de  Saint-Thomas.  Cette  administration,  disait-on,  était 
illégale,  elle  se  dérobait  à  tout  contrôle.  C'était  une  situation 
anormale,  à  laquelle  il  fallait  absolument  mettre  un  terme. 
Les  comptes  des  établissements  ecclésiastiques  devaient  être 
contrôlés  par  les  autorités  civiles.  Pendant  des  années,  le 
Conseil  général  du  Bas-Ehin  prit  des  arrêtés  dans  ce  sens. 

En  1843,  une  pétition  fut  même  adressée  à  la  Chambre 
des  députés  pour  amener  le  gouvernement  à  mettre  un  terme 
à  la  prétendue  illégalité  de  l'administration  de  la  fondation 
de  Saint-Thomas.  A  cette  pétition  était  joint  le  mémoire  d'un 
avocat  de  Strasbourg,  qui  mêlait  si  habilement  le  vrai  et  le 
faux,  la  question  de  droit  et  la  question  de  fait,  que  ceux 
qui  n'étaient  pas  initiés  pouvaient  être  facilement  induits 
en  erreur.  *)  La  pétition  et  le  mémoire  manquèrent  d'ailleurs 
leur  but:  la  pétition,  malgré  les  efforts  de  quelques  fanatiques, 
ne  fut  point  discutée  à  la  Chambre,  et  on  n'accorda  aucune 
attention  au  mémoire  qui  y  était  joint. 

Cependant,  les  attaques  contre  la  fondation  de  Saint- 
Thomas  continuaient  dans  des  feuilles  volantes  et  dans  la 
presse  locale.  Deux  journaux  catholiques,  V Abeille  et  VObser- 
valeur  du  Rhin,  se  signalaient  surtout  par  leur  violence  et 
leurs  allégations  mensongères.  Us  racontaient  des  choses 
monstrueuses  sur  «la  mine  d'or  des  luthériens»  et  sur  les 
«Boursistes»  et  «  Sinécuristes  »  de  Saint-Thomas.  La  fonda- 
tion, disaient-ils,  dispose  de  nombreux  millions  et,  au  bout  de 
l'année,  les  professeurs  du  Séminaire  se  partagent  le  reste  des 
revenus.  Saint-Thomas,  disaient-ils  encore,  fait  une  pension 
de  dix-mille  francs  et  davantage  à  des  personnages  haut  placés 
à  Paris  —  on  visait  Guizot  et  Matter  —  pour  qu'ils  justifient 
ime  situation  tout  à  fait  illégale. 

Il  en  fut  ainsi  pendant  des  années.  En  1852,  à  l'approche 


*)  Mémoire  à  consulter  sur  les  établissements  protestants  (TAlsace, 
Strasb.  1843. 


LIBELLES   CATHOLIQUES  201 

des  élections  pour  le  conseil  municipal,  les  attaques  et  les 
calomnies  redoublèrent.  Un  ancien  instituteur  protestant 
converti  au  catholicisme,  nommé  Hùnold,  dans  une  brochure 
allemande  intitulée  Quelques  mots  au  peuple  sur  le  conseil 
municipal,  *)  écrivait:  «  Il  serait  temps  que  la  ville  revendiquât 
les  biens  de  la  soi-disant  fondation  de  Saint-Thomas.  Ces 
biens,  jusqu'à  la  première  révolution,  étaient  la  propriété  de 
la  ville:  personne  n'avait  le  droit  de  les  lui  enlever.  On  a 
beaucoup  écrit  et  discuté  sur  ce  sujet.  Mais  aussi  longtemps 
que  le  peuple  ne  s'en  mêlera  pas,  nous  n'arriverons  à  aucun 
résultat.  Il  s'agira  de  faire  des  pétitions  orageuses  (Sturm- 
petitionen)  au  conseil  municipal,  au  conseil  général,  au 
gouvernement;  sans  quoi  ces  Messieurs  qui  ont  en  mains  cet 
argent  et  ces  grands  biens,  ne  rendront  pas  à  la  ville  sa 
propriété.  Avec  de  pareilles  ressources,  la  ville  pourrait  payer 
ses  dettes,  abaisser  son  octroi  et  faire  beaucoup  d'autres 
choses.  Nous  en  reparlerons  sous  peu.') 

Cette  brochure  n'eut  pas  l'effet  voulu.  Le  Conseil  muni- 
cipal qui  sortit  des  élections  était,  comme  d'habitude,  composé 
mi-partie  de  catholiques  et  mi-partie  de  protestants.  Une 
nouvelle  brochure  publiée,  comme  la  première,  en  langue 
allemande,  sous  ce  titre:  «Quelques  mots  au  peuple  sur  la 
fondation  de  Saint-Thomas»,')  déclara  encore  une  fois  que 
la  ville  avait  le  droit  de  reprendre  son  bien,  et  engagea  le 
peuple,  au  cas  où  les  conseillers  municipaux  ne  feraient  pas 
leur  devoir,  à  s 'adresser  directement,  par  pétition,  à  l 'empereur. 

De  nouvelles  brochures,  cette  fois  en  langue  française: 
«Affaires  de  Saint-Thomas,  Relevé  détaillé  des  biens  dont 
jouissent  certains  protestants  du  Bas-Rhin  au  détriment  des 
communes,  du  département  et  de  VEtat  »  et  «  U affaire  de 
Saint-Thomas  expliquée  au<c  hommes  du  peuple  »,  préten- 
daient exposer  l'histoire  des  biens  protestants  et  les  droits  de 
la  ville,  et  disaient  dans  l'une  de  leurs  conclusions:  «Les 
catholiques  ne  reculeront  plus.  Il  ont  pour  eux  la  justice  et 
le  droit...  On  ne  les  opprimera  plus.  Au  besoin,  ils  s'adresse- 


*)  Eîn  Paar  Worte  arCs  Volk  ûber  den  Strassburger  Municipalrath. 
16  p.  in-16,  imprimés  à  Haguenau,  avec  cette  remarque  :  En  vente  chez 
Schmitt,  libraire  à  Strasbourg,  rue  des  Hallebardes,  38.    Prix  :  20  cts. 

*)  P.  16  de  la  brochure 

*)  Ein  Paar  Worte  arVs  Volk  ûber  das  Thomasstift. 


202  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

ront  à  leurs  frères  des  autres  départements.  Leur  appel  sera 
entendu.  Ils  ne  souffriront  plus  qu'une  poignée  de  scoliastes 
et  de  pédagogues,  plus  allemands  que  français,  bravent  à 
leur  guise  les  lois  du  pays.  »  Et  puis,  avec  un  coup  d'oeil  sur 
les  prétendues  richesses  de  Saint-Thomas  et  de  la  Haute- 
Ecole:  «Ces  chiffres»,  disaient-ils,  «ne  suffiront-ils  pas  pour 
ouvrir  les  yeux  à  nos  autorités  et  pour  leur  faire  sentir  la 
nécessité  de  surveiller  l'emploi  de  revenus  aussi  considé- 
rables? Ne  pourrait-on  pas  en  faire,  dans  un  cas  donné,  un 
usage  dangereux  pour  la  tranquillité  du  pays  et  même  pour 
l'intégrité  du  territoire?  Que  l'on  avise  donc  enfin,  il  y  va 
des  plus  chers  intérêts  de  l'Alsace.»^) 

Rendre  les  protestants  alsaciens  et,  avant  tout,  les 
professeurs  du  Séminaire  et  les  autorités  ecclésiastiques 
politiquement  suspects,  c'était,  semblait-il,  le  meilleur  moyen 
d'atteindre  le  but  poursuivi.  Déjà  dans  la  pétition  à  la 
Chambre  des  députés,  on  avait  insinué  que  la  fondation  de 
Saint- Thomas  serait,  le  cas  échéant,  prête  à  vendre  l'Alsace 
à  l'Allemlagne. ')  Les  journaux  et  les  libelles  ultramontains 
avaient  à  différentes  reprises  insisté  sur  les  «sympathies 
prussiennes»  des  pasteurs  et  des  professeurs  protestants  et 
les  avaient  tout  unimient  qualifiés  de  «Prussiens  d'Alsace.» 

Ces  différents  moyens  n'ayant  pas  abouti,  il  fallut 
recourir  à  un  autre.  On  colporta  dans  les  ateliers,  dans  les 
brasseries  et  autres  lieux  publics,  une  pétition  au  Conseil 
municipal,  oii  il  était  dit  que  les  biens  de  Saint-Thomas 
avaient  été  dérobés  à  la  ville,  qu'ils  étaient  retenus  illégale- 
ment par  le  Séminaire  et  qu'ils  devaient  être  rendus  au 
propriétaire  légitime. 

Cette  pétition  ne  fut  pourtant  pas  présentée  â  la  discus- 
sion du  Conseil  municipal  sorti  des  dernières  élections.  Mais 
on  profita  de  certaijies  dissensions  entre  le  maire  et  le  Conseil 
pour  dissoudre  ce  dernier  et  le  remplacer  par  une  comanission 
provisoire,  dont  les  membres  étaient  en  grande  majorité  catho- 
liques. On  crut  alors  le  moment  favorable  à  une  attaque 
directe  contre  le  Séminaire.  Le  maire,  Coulaux,  sans  tarder, 


*)  L'Affaire  de  St-Thomas  expliquée  aux  hommes  du  peuple. 
5e  partie,  p.  7  et  8. 

*)  «Une  fortune  aussi  considérable  pourrait,  entre  des  mains 
infidèles,  recevoir,  dans  un  moment  de  crise,  un  emploi  contraire  à 
l'ordre  public  et  peut-être  à  l'intégrité  du  territoire.  » 


BROCHURES   PROTESTANTES  203 

fit  signifier  entre  les  mains  des  fermiers  de  la  fondation  ses 
oppositions  au  payement  des  fermages. 

Jusque-là,  les  protestants  s'étaient  abstenus  de  répondre 
aux  attaques  ultramontaines.  L'administration  de  Saint-Tho- 
mas, en  particulier,  avait  cru  au-dessous  de  sa  dignité  de  se 
commettre  avec  des  gens  qui  répandaient  sans  vergogne  les 
fables  les  plus  ridicules  d'immenses  trésors  cachés  et  de 
manœuvres  financières  illicites  des  membres  du  chapitre,  ou 
qui  opéraient  avec  des  dénonciations  politiques.  Elle  avait 
fait  paraître,  en  1844,  un  court  exposé  de  l'origine  des  biens 
de  Saint-Thomas,  des  droits  historiques  du  Séminaire  pro- 
testant et  de  l'emploi  de  ses  revenus^),  et  elle  avait  pensé  que 
cela  suffisait. 

Mais  maintenant  le  Sémiinaire  résolut  de  s'opposer  par 
voie  judiciaire  aux  agissements  du  maire  et  de  demander  à 
cet  effet  l'autorisation  du  conseil  de  préfecture.  En  même 
temps,  le  Directoire,  sur  l'invitation  du  Consistoire  supé- 
rieur, publiait  une  Notice  sur  les  fondations  administrées  par 
le  Séminaire  protestant  de  Strasbourg  ^)  ;  le  président  Braun, 
dans  une  Note  sur  les  biens  protestants  de  la  Confession 
d'Augsbourg  et  les  attaques  dont  ils  sont  V objet*)  montrait 
que  les  protestants  étaient  attaqués  dans  leurs  droits  sécu- 
laires et  déplorait  que  le  maire,  par  une  mesure  violente,  eût 
compromis  la  paix  publique  et  troublé  la  bonne  harmonie 
entre  les  deux  cultes;  le  baron  Alfred  de  Bussierre,  député  de 
Strasbourg  et  membre  du  Consistoire  supérieur,  prouvait, 
dans  une  Lettre  sur  les  fondations  de  Saint-Thomas  adressée 
à  M.  Coulaux^),  qu'en  s'em^parant  des  biens  de  Saint-Thomas 
la  ville  ferait  non  seulement  une  mauvaise  affaire,  mais 
qu'elle  léserait  un  droit  et  donnerait  «lieu  ou  prétexte  à  des 
irritations,  à  des  alarmes  qu'une  sage  administration  a  tou- 
jours soin  de  prévenir  ou  d'apaiser»;  l'avocat  Kugler, 
m'embre  du  Consistoire  de  Saint-Nicolas,  enfin,  après  avoir, 
dans  une  brochure  intitulée  «  Qu'en  est-il  des  affaires  de 
Saint'Thomasf  ')  passé  en  revue  les  titres  octroyés  et  renou- 


*)  Notice  sur  le  Séminaire  protestant  de  la  Confession  d'Augsbourg, 
sur  son  origine,  sa  situation  et  son  enseignement.  Strasb.  1844. 
')  Strasbourg,  1854.  8". 
')  Paris,  1854.  8°. 
')  Paris,  1854.  8". 
")  Strasbourg,  1854.  8". 


204  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE   DE   STEASBOURG 

velés  aux  fondations  protestantes  par  une  série  d'actes  sou- 
verains, concluait  «qu'une  mutation  de  propriété  serait  une 
révocation  successive  des  Articles  organiques  de  l'Empire, 
des  décrets  de  l 'Assemblée  constituante,  des  traités  de  la  Capi- 
tulation, des  traités  même  signés  et  conclus  par  le  conseil 
souverain  do  Strasbourg  au  seizième  siècle.  » 

Le  Consistoire  supérieur  crut  pourtant  qu'il  fallait  faire 
plus,  he  Directoire  avait  envoyé  au  ministre  les  différents 
libelles  dirigés  contre  les  fondations  protestantes  et  le  Sémi- 
naire, avec  les  éclaircissements  nécessaires,  le  Consistoire 
Supérieur  résolut  de  s'adresser  directement  à  l'empereur  et 
de  lui  signaler  les  attaques  contre  des  droits  garantis  par  le 
gouvernement  à  l'Eglise  protestante.  Son  adresse  se  termi- 
nait par  cette  déclaration:  «  Nous  ne  redoutons  pas  un  procès, 
Sire,  nos  droits  sont  incontestables,  et,  s'il  fallait  le  subir, 
votre  magistrature  ne  nous  ferait  pas  défaut;  mais  nous  sup- 
plions Votre  Majesté,  avant  que  les  tribunaux  en  soient  saisis, 
de  faire  examiner  si,  en  effet,  la  ville  de  Strasbourg  doit  être 
autorisée  à  plaider,  et  nous  mettons  l'union  des  familles  et 
des  citoyens,  leur  bonheur  et  la  paix  religieuse  en  Alsace,  et 
partout  où  il  y  a  des  protestants  dans  l 'Empire,  sous  la  sauve- 
garde du  restaurateur  de  l'ordre,  de  la  puissance  et  de  la 
prospérité  publiques  »  *) .  Une  députation  choisie  dans  le  sein 
du  Consistoire  supérieur  et  conduite  par  le  président  Braun 
devait  présenter  cette  adresse  à  Sa  Majesté. 

Le  maire,  malgré  tout,  continuait  à  pousser  l'affaire.  Il 
fît,  dans  la  séance  de  la  Commision  municipale  du  14  octobre 
1854,  la  proposition  de  demander  au  Conseil  de  préfecture 
l'autorisation  de  plaider  contre  le  Séminaire  «à  l'effet  de  re- 
vendiquer au  nom  de  la  ville  les  biens  des  fondations  de 
Saint-Thomas,  de  la  Haute-Ecole,  de  Saint-Guillaume  et  du 
Corps  des  pensions.» 

La  proposition  fut  adoptée  par  la  Commission  municipale. 
Deux  avocats  de  renom',  M©  E.  Friquet,  avocat  au  Conseil 
d'Etat  et  à  la  cour  de  cassation,  et  Me  J.  Dufaure,  avocat  à 
la  cour  impériale,  mirent  leur  talent  au  service  du  parti 
catholique  et  entreprirent  de  prouver  que  «  le  droit  de  la  Ville 
à  la  propriété  des  biens  de  son  ancien  domaine,  détenus  par 


')  Bec.  off.  XII,  p.  126. 


DELIBERATION   DU   SEMINAIRE  205 

le  Séminaire,  était  irréfragablement  établi  par  la  prise  de 
possession  et  la  sécularisation  de  ces  biens  au  XVIe  siècle.  »  0 

Le  préfet  pria  alors  le  Directoire  de  prendre  connaissance 
de  la  délibération  de  la  Comïûission  municipale,  du  rapport 
du  maire  et  des  mémoires  des  avocats  consultés  par  la  ville, 
et  de  les  lui  renvoyer  avec  les  observations  du  Séminaire. 

Ce  dernier,  dans  une  délibération  longuement  motivée, 
démontra 

«  que  la  Ville  ne  produisait  aucun  document  de  nature  à 
établir  que  les  biens  qu^elle  revendiquait  avaient,  à  une 
époque  quelconque,  fait  partie  de  son  patrimoine,  comme 
corps  municipal; 

«que  les  biens  du  chapitre  de  Saint-Thomias  n'avaient 
jamais  été  sécularisés  et  n'avaient  pu  l'être;  que  ce  chapitre 
n'avait  pas  été  supprimié;  que,  devenu  protestant,  il  avait 
continué  à  exister,  et  qu'à  toutes  les  époques  le  magistrat 
avait  reconnu  son  existence  comme  personne  morale,  com- 
plètement distincte  et  indépendante  de  la  Ville;  qu'une  série 
d'actes  antérieurs  ou  postérieurs  à  la  capitulation  de  1681 
fournissaient  sur  ce  point  une  certitude  absolue; 

«qu'en  ce  qui  concerne  les  biens  et  revenus  des  fonda- 
tions de  la  Haute-Ecole  et  du  pensionnat  de  Saint-Guillaume, 
le  Magistrat  avait  doté  ces  établissements  de  biens  et  revenus 
provenant  d'anciennes  corporations  ecclésiastiques  qui,  par 
suite  de  la  Réforme,  avaient  cessé  d'exister,  mais  que  ces 
biens  n'avaient  jamais  fait  partie  du  dorrtaine  privé  de  la 
ville  considéré  comme  corps  municipal,  et  que  la  Ville  n'avait 
pas  même  essayé  d'appuyer  sa  revendication  de  documents 
quelconques; 

«que,  par  la  révolution  de  1789,  la  Ville  de  Strasbourg, 
dont  le  Magistrat  jusqu'alors  avait  conservé  un  véritable  droit 
de  souveraineté,  avait  perdu  son  ancienne  supériorité  territo- 
riale, que  l'administration  municipale  actuelle  ne  saurait  séri- 
eusemlent  se  croire  et  se  dire  l'héritière  de  l'ancien  Magistrat  et 
que  privée  de  toute  participation  à  l'exercice  du  pouvoir  sou- 
verain, il  ne  lui  appartenait  pas  de  révoquer  ou  de  changer  les 
attributions     de    biens    faites    en    faveur    d'établissements 


*)  Revendication  de  la  ville  de  Strasbourg  des  biens  détenus  par 
le  Séminaire  protestant  de  cette  ville.    Str.  1855. 


206  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOURG 

publics  qui,  d'après  leur  caractère  et  leur  nature,  ne  relevaient 
en  rien  de  l'autorité  municipale; 

«que  ces  attributions  de  biens  garanties  aux  Protestants 
par  le  traité  de  paix  de  Westphalie  et  la  Capitulation  de  1681, 
maintenues  et  sanctionnées  par  les  lois  des  17  août  et  l^""  dé- 
cembre 1790  et  par  le  décret  du  8  mars  1793,  avaient  reçu  une 
nouvelle  et  dernière  consécration  de  la  loi  de  Germinal  an  X 
et  de  l'arrêté  consulaire  du  30  floréal  an  XI,  qui,  en  réor- 
ganisant sous  le  titre  de  l'Académie  protestante  ou  de  Sémi- 
naire l'ancienne  Université  protestante,  avait  décidé  que  les 
biens  et  revenus  attachés  à  cette  Université,  continueraient 
d'être  affectés  à  la  nouvelle  Académie; 

«qu'il  résultait  de  tout  cela  que  la  ville  était  impuissante 
à  établir  que  les  biens  des  fondations  de  Saint-Guillaume,  de 
la  Haute-Ecole  et  du  Corps  des  Pensions  aient,  à  un  moment 
quelconque,  fait  partie  de  son  patrimoine  privé;  que  dans  le 
sens  qu'elle  attribuait  à  la  sécularisation  des  biens  ecclésias- 
tiques et  dans  les  conséquences  qu'elle  en  tirait,  il  y  avait 
erreur  et  confusion;  que  son  système  supposerait  d'ailleurs 
possibilité,  pour  l'administration  municipale,  de  révoquer, 
par  le  seul  effet  de  sa  volonté  et  comme  par  un  acte  de  bon 
plaisir,  les  attributions  de  biens  faites  en  faveur  d'établisse- 
ments publics  d'instruction  par  l'ancien  Magistrat,  dans 
l'exercice  de  la  plénitude  du  droit  de  souveraineté,  ce  qui  est 
absolument  inadmissible,  et  qu'ainsi  la  Ville  était  sans  qua- 
lité pour  revendiquer  les  biens  des  fondations  dont  il  s'agit, 
comme  elle  l'était  quant  aux  biens  de  Saint-Thomas; 

«que  les  Protestants  et  leurs  établissements  d'instruc- 
tion religieuse  avaient  en  leur  faveur  une  possession  paisible 
et  publique  de  plus  de  trois  siècles; 

«que  dans  cette  situation  de  fait,  la  prescription  élevait 
contre  la  réclamation  de  la  Ville  une  fin  de  non-recevoir 
absolue  et  implacable; 

«que  par  ces  motifs,  le  Séminaire  suppliait  qu'il  plaise 
à  Messieurs  du  Conseil  de  Préfecture  déclarer  qu'il  n'y  a  lieu 
d'accorder  à  la  Ville  l'autorisation  par  elle  demandée.»*) 

Le  Séminaire  avait  d'ailleurs  confié  sa  cause  aux  mains 
du  célèbre  avocat  de  Colmar  Ignace  Chauffeur.  Consulté  sur 
le  mérite  de  la  défense  proposée  dans  la  délibération  du  Sémi- 


*)  Procès-Verbal  de  la  Séance  du  Séminaire  du  23  décembre  4854. 


AERÊTE  DU  CONSEIL  DE  PREFECTUEB  207 

naire,  il  déclara  qu'elle  était  juridique  et  fondée  sous  tous  les 
rapports.  Pour  plus  de  sûreté,  le  Séminaire  s'adressa  à 
quatre  des  avocats  les  plus  marquants  de  Paris,  Dupin, 
ancien  bâtonnier,  Paillet,  également  ancien  bâtonnier,  Paul 
Fabre,  avocat  au  Conseil  d'Etat  et  à  la  cour  de  cassation,  et 
N.  Treitt,  avocat  à  la  cour  impériale.  Invités  à  se  prononcer 
sur  la  demande  en  autorisation  de  plaider  formée  par  la 
Ville  de  Strasbourg  devant  le  Conseil  de  Préfecture  du  Bas- 
Ehin,  ils  furent  unanimement  d'avis  que  cette  demande  ne 
pouvait  être  accueillie,  d'abord,  parce  que  l'instance  judi- 
ciaire que  voulait  intenter  la  ville  de  Strasbourg  ne  reposait 
sur  aucun  fondement  sérieux;  et  puis,  parce  que  de  la 
manière  dont  cette  instance  était  motivée  par  la  Ville,  l'auto- 
rité judiciaire  serait  incompétente  pour  en  connaître^). 

Les  choses  traînèrent;  la  guerre  de  brochures  n'en  con- 
tinuait pas  moins.  Le  baron  de  Schauenbourg,  un  fervent 
catholique,  crut  devoir  entrer  en  lice  et  rompre  une  lance  en 
faveur  des  revendications  du  maire.  Le  professeur  Jung  fit 
bonne  et  prompte  justice  de  ses  «  Notes  »  en  les  qualifiant  de 
«nianifeste  qui  n'a  d'autre  importance  que  celle  du  nom  de 
l'auteur  et  des  dignités  dont  il  a  été  revêtu.»') 

Enfin,  le  17  novembre  1855,  le  Conseil  de  Préfecture,  con- 
sidérant que,  d'après  les  faits,  on  ne  voit  pas  quelle  chance  de 
succès  présenterait  pour  la  ville  de  Strasbourg  une  lutte  judi- 
ciaire, qu'il  est  dès  lors  prudent  de  ne  pas  l'autoriser  à  s'y 
engager;  considérant  d'ailleurs  que  la  ville  de  Strasbourg 
étant  obligée  d'invoquer  dans  son  argumentation  les  traités 
de  pacification,  la  capitulation  de  1681,  les  décrets  de  1790  et 
1793,  et  les  actes  de  l'an  XI,  tous  émanés  du  pouvoir  souve- 
rain, l'interprétation  et  l'application  de  ces  actes  ne  pour- 
raient se  faire  par  l'autorité  judiciaire,  arrêtait:  «Il  n'y  a 
pas  lieu  d'accorder  à  la  ville  de  Strasbourg  l'autorisation 
qu  'elle  sollicite.  »  ') 


*)  Observations  du  Séminaire  protestant  de  la  Confession  d'Augs- 
bourg  sur  la  demande  portée  par  M.  le  maire  de  Strasbourg  devant  le 
Conseil  de  Préfecture  du  Bas-Rhin  —  et  avis  des  avocats  consultés  par 
le  Séminaire.  Paris,  1855,  in-8o. 

')  Réponse  aux  Notes  sur  d'anciennes  fondations  de  Strasbourg 
publiées  par  M.  le  baron  de  Schauenbourg.  Paris  1855,  in-S^. 

')  Arrêté  du  Conseil  de  Préfecture  du  Bas-Rhin  sur  la  demande 
faite  par  le  maire  de  Strasbourg...  Paris,  1856.   8^. 


208  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STKASBOURa 

Le  inlaire  ne  se  résigna  pas.  Le  14  décembre  1855,  il  pro- 
posa au  Conseil  municipal  d'en  appeler  de  l'arrêté  du  Conseil 
de  préfecture  au  Conseil  d'Etat.  Mais,  à  ce  moment,  il  n'avait 
plus  à  faire  à  la  commission  municipale  qui  s'était  toujours 
rangée  à  son  avis.  Cette  comimission  avait  disparu.  Elle  avait 
été  remplacée  par  un  Conseil  sorti  d'élections  régulières  et 
dont  la  majorité  avait  fait  partie  de  l'ancien  Conseil.  Quand 
on  passa  au  vote,  la  motion  du  maire  fut  rejetée  par  19  voix 
contre  14. 

Malgré  ce  nouvel  échec,  le  maire  persista  dans  sa  réso- 
lution de  se  pourvoir  au  Conseil  d'Etat.  L'avocat  Detroyes, 
ancien  membre  de  la  Commission  municipale  et  membre  du 
nouveau  Conseil,  lui  prêta  son  concours.  Dans  ses  Obser var- 
iions à  propos  de  la  demande  du  maire  de  Strasbourg^),  il 
entreprit  de  réfuter  la  consultation  de  Me  Chauffeur  pour  le 
Séminaire  et  de  soutenir  le  recours  du  maire  à  l'instance 
supérieure.  Me  Chauffeur  répondit  de  sa  bonne  encre  dans 
im  savant  mémoire'),  où  il  relevait  les  nombreuses  erreurs 
de  son  adversaire,  surtout  celle-ci  que  dans  les  Etats  qui 
avaient  accueilli  la  Réforme  les  biens  ecclésiastiques  catho- 
liques étaient  devenus  ipso  facto  propriété  du  souverain,  et 
cette  autre  qu'à  Strasbourg  souverain  et  commune  étaient 
identiques  et  qu'ainsi,  par  la  Réforme,  tous  les  biens  situés 
dans  le  territoire  de  la  ville  étaient  devenus  propriété  de  la 
comtrïune. 

En  attendant,  la  cause  était  venue  devant  le  Conseil 
d'Etat.  Le  Séminaire  crut  devoir  orienter  exactement  le  rap- 
porteur, M.  Persil,  sur  la  question  en  litige,  et  envoya,  à  cet 
effet,  une  députation  composée  du  président  Braun,  de  l'avo- 
cat Chauffeur  et  des  professeurs  Jung,  Schmidt  et  Bar- 
tholmess,  à  Paris.  Cette  démarche  ne  fut  pas  inutile:  dès  le 
28  juillet,  le  président  annonçait  au  Séminaire  que  le  24  du 
mois  le  Conseil  d'Etat  réuni  in  pleno  avait  rejeté  le  pourvoi 
du  maire  de  Strasbourg  peur  le  motif  «que  la  municipalité 
avait  refusé  au  maire  l'autorisation  de  recours.  »  ') 


*)  Observations  à  V appui  de  la  demande  d'autorisation  du  maire 
de  Strasbourg  pour  se  pourvoir  au  Conseil  d'Etat  contre  Varrêté  du 
Conseil  de  Préfecture  du  Bas-Rhin. 

*)  Réponse  aux  observations  de  M.  Emile  Detroyes.  Colmar,  1856, 
in-80. 

")  Procès-verbal  de  la  séance  du  20  juillet  1850. 


LE  DROIT  DE  PROPRIETE  DU  SEMINAIRE  RECONNU     209 

La  procédure  se  trouva  dès  lors  close.  La  prétention  du 
iriaire  de  nxfettre  la  municipalité  du  dix-neuvième  siècle  à  la 
place  de  Tancien  magistrat  et  de  justifier  par  là  les  pré- 
tentions de  la  Ville  sur  les  biens  de  la  fondation  de  Saint- 
Thomas  était  définitivement  repoussée  et  le  droit  de  propriété 
du  Séminaire  consacré  par  une  attribution  triséculaire  for- 
mellement reconnu. 


14 


CHAPITRE    Vni 

La  laculté  et  le  Séminaire  de  1850  à  1860 
Les  professeurs  —  Les  étudiants 


Tandis  que  le  parti  ultramontain  dirigeait  de  virulentes 
attaques  contre  le  Séminaire,  lui  contestant  le  droit  de  pro- 
priété sur  les  biens  des  fondations  protestantes,  l'orthodoxie 
luthérienne  élevait,  de  son  côté,  les  plus  graves  accusations 
contre  le  Séminaire  et  la  Faculté  de  théologie,  leur  reprochant 
de  s'écarter  dans  leur  enseignement  du  dogme  officiel.  Mais 
avant  de  narrer  ces  nouvelles  attaques,  il  semble  indiqué  de 
jeter  un  coup  d'œil  sur  le  corps  enseignant  et  sur  la  vie 
scientifique  de  ces  deux  institutions. 

Dans  la  période  qui  s'écoula  de  1850  à  1860,  les  choses, 
au  Séniinaire  et  à  la  Faculté  de  théologie,  suivirent  leur  cours 
normal.  Les  alarmes  de  l'année  1848  s'étaient  rapidement 
dissipées;  la  discipline  des  élèves,  qui  pendant  quelque  temps 
avait  laissé  beaucoup  à  désirer,  s'était  sensiblement  améliorée; 
les  jeunes  gens  les  plus  turbulents,  ceux  qui  pendant  et  après 
les  journées  de  février  avaient  poussé  au  désordre,  avaient 
renoncé  aux  études  théologiques  et  quitté  le  Séminaire;  ')  les 
autres  s'étaient  hâtés  de  rentrer  dans  l'ordre  et  de  se  faire 
pardonner,  par  leur  tenue,  leur  assiduité  et  leur  conduite,  les 
écarts  dont  ils  s'étaient  rendus  coupables.  Quant  aux  profes- 
seurs, ils  déployaient  un  zèle  actif  dans  l'intérêt  des  étudiants 


*)  En  1848  déjà  2  étudiants  avaient  été  relégués  et  4  avaient  quitté 
volontairement  le  Séminaire  ;  de  1849  à  1853  il  y  eut  4  nouvelles  reléga- 
tions et  16  départs  volontaires. 


LE  DOYEN  BKUCH  211 

et  de  leurs  études.  Sans  doute,  ils  n'étaient  pas  toujours 
d'accord  sur  le  plan  des  études,  la  méthode  de  l'enseignement 
et  autres  questions  semblables;  les  anciens,  gardiens  fidèles 
des  traditions,  s'effrayaient  des  innovations  réclamées  par  les 
derniers  venus,  par  Reuss  surtout,  qui,  mieux  que  tout  autre, 
avait  compris  la  nécessité  de  certaines  réformes.  Mais  cela 
ne  les  empêchait  pas  d'imir  leurs  efforts  pour  le  bien  des 
élèves  et  la  prospérité  des  deux  établissements  théologiques. 
Ce  qui  était  plus  grave,  c'est  que  chez  tel  d'entre  eux  l'âge 
commençait  à  se  faire  sentir  lourdement  et  à  paralyser  plus 
ou  moins  son  activité.  En  général  pourtant,  ceux-là  même  qui 
étaient  plus  avancés  en  âge,  avaient  conservé  une  vigueur 
physique  et  morale  qui  leur  permettait  de  suffire  à  leur  tâche. 

La  Faculté  de  théologie  comptait,  nous  l'avons  dit,  six 
professeurs,  qui,  à  l'exception  du  titulaire  de  la  chaire  de 
dogmatique  réformée,  étaient  en  même  temps  professeurs  au 
Séminaire  et  donnaient  des  cours  dans  les  deux  établissements. 
Parmi  eux,  le  représentant  de  la  théologie  spéculative,  Jean- 
Frédéric  Bruch,  tenait  le  premier  rang.  Doyen  de  la  Faculté, 
pasteur  et  inspecteur  ecclésiastique,  il  était  le  chef  reconnu 
du  clergé  protestant  d'Alsace  et  de  Lorraine.  Tout  d'ailleurs 
le  désignait  à  ce  rôle:  ses  qualités  intellectuelles,  ses  vertus 
morales  et  jusqu'à  sa  personne  extérieure.  D'une  taille  au 
dessus  de  la  moyenne,  la  tête  fortement  modelée  et  couronnée 
d'une  épaisse  chevelure  que  l'âge  ne  parvenait  pas  à  blanchir, 
an  front  large,  d'épais  sourcils  froncés  par  une  habitude 
méditative,  la  physionomie  sérieuse,  l'air  noble  et  grave,  tel 
l'ont  encore  devant  leurs  yeux,  ceux  qui,  il  y  a  plus  de 
cinquante  ans,  étaient  assis  au  pied  de  sa  chaire. 

Le  doyen  Bruch  était  alors  sexagénaire,  mais  d'une 
vigueur  de  corps  et  d'esprit  peu  commune  et  de  taille  à  satis- 
faire aux  multiples  fonctions,  académiques,  ecclésiastiques  et 
autres  dont  il  était  chargé.  Il  avait  antérieurement  traité  dans 
ses  cours  les  disciplines  les  plus  diverses,  la  morale,  les  synop- 
tiques, l'archéologie  hébraïque,  l'histoire  des  dogmes,  la 
théologie  pratique,  mais,  sentant  la  nécessité  de  donner  aux 
jeunes  théologiens  une  connaissance  approfondie  du  protestan- 
tisme, de  son  essence  et  de  ses  principes,  de  ses  différentes 
formes,  de  ses  rapports  avec  l'Etat,  la  science,  l'art  et  la  littê-* 
rature,  il  avait,  depuis  1848,  entrepris  de  donner  une  Intro- 
duction historico-critique  aux  livres  symboliques  de  l'Eglise 

14* 


212  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOUKa 

luthérienne,  un  Exposé  systématique  du  protestantisme,  et 
un  Examen  des  doctrines  distinctives  du  catholicisme 
comparées  à  celles  du  protestantisme.  Mais  son  cours  principal, 
celui  auquel  il  attachait  le  plus  d'importance,  portait,  une 
année,  sur  la  dogmatique  et,  Tautre  année,  sur  la  morale 
chrétienne.  Il  le  faisait  entre  8  et  9  heures  du  matin.  Les 
élèves  étaient  là  à  l'heure  précise,  car  le  professeur  ne  per- 
mettait pas  qu'un  retardataire  troublât  sa  leçon.  Lui-même 
était  d'une  exactitude  militaire:  au  moment  où  le  quart  de 
l'heure  sonnait  à  l'horloge  de  Saint-Louis,  en  face  du  Sémi- 
naire, il  faisait  son  entrée,  traversait  la  salle  d'un  pas  lent, 
s'asseyait  dans  la  chaire,  étalait  ses  notes,  son  livre,  son 
mouchoir,  et  puis,  inclinant  légèrement  la  tête,  il  commençait 
à  parler.  Il  dictait  de  courts  paragraphes  qu'il  développait 
et  illustrait  librement.  Son  débit  était  lent,  presque  solennel, 
sa  parole  simple,  sans  ornements  oratoires,  mais  captivante 
par  la  clarté  de  l'exposition,  l'élévation  de  la  pensée  et  l'élé- 
gance de  la  parole. 

Un  de  ses  auditeurs  des  années  1855  à  1858,  M.  Alfred 
Weber,  plus  tard  professeur  de  philosophie  au  Séminaire, 
qui,  dans  son  autobiographie,  a  esquissé  la  silhouette  de  ses 
maîtres  d'alors,  dit  de  ces  cours:  «Ils  étaient  à  un  haut  degré 
attrayants,  déjà  à  cause  de  leur  forme  classique.  Je  suivis 
surtout  avec  le  plus  vif  intérêt  ses  leçons  allemandes  sur  la 
dogmatique  et  son  cours  français  sur  la  morale.  Ils  étaient 
essentiellement  philosophiques,  imprégnés  d'esprit  philoso- 
phique. Je  me  rappelle  avec  un  plaisir  tout  particulier  l'intro- 
duction à  son  cours  de  morale,  dans  laquelle  il  nous  exposa 
d'une  manière  très  originale  et  très  attrayante  sa  conception 
de  la  conscience,  qu'il  allait  développer  plus  au  long  dans 
le  dernier  de  ses  grands  ouvrages,  la  Théorie  de  Vaperception 
interne,  La  psychologie  était,  en  effet,  l'étude  de  prédilection 
de  ce  maître  aux  aptitudes  si  variées  et  qui  savait  résoudre 
les  problèmes  les  plus  divers  avec  une  facilité  étonnante  et 
comme  en  se  jouant.  »  *) 

Le  professeur  Weber  parle  aussi  des  rapports  qui  exis- 
taient entre  le  maître  et  les  élèves,  rapports  excellents,  basés. 


*)  Von  der  Schulbank  zum  Lehrstuhl.  Tagebuchnotizen  eines  Alt- 
Elsassers.  Als  Manuscript  gedruckt.  Strassb.  1893,  p.  58. 


LES  COUES  DE  EEUSS  SUR  LE   NOUVEAU   TESTAMENT  213 

d'une  part,  sur  le  respect  le  plus  profond,  d'autre  part,  sur 
Taiïection  la  plus  vraie.  «  Pour  moi,  dit-il,  M.  Bruch  a  été, 
plus  qu'aucun  autre  des  professeurs,  un  ami  paternel  et  un 
conseiller.»  Il  fut  Tami  et  le  conseiller  de  bien  d'autres.  Il 
était,  en  général,  plein  d'affection  pour  les  étudiants.  Sans 
doute,  le  jeune  élève  qui  pénétrait  pour  la  première  fois  dans 
ce  cabinet  tout  tapissé  de  livres  et  de  tableaux,  se  sentait 
quelque  peu  intimidé.  Le  premier  abord  du  doyen  était  un 
peu  froid;  on  se  sentait  tenu  à  distance,  étudié  et  jugé  par  un 
observateur;  mais  l 'examen  achevé,  quelle  bienveillance,  quelle 
bonté!  Quelle  chaude  affection  sous  un  aspect  si  grave!  Et 
pour  ceux  qui  avaient  le  bonheur  de  l'approcher  plus  souvent 
et  plus  intimement,  que  de  richesses  et  que  de  jouissances 
dans  le  commerce  de  cet  esprit  et  de  cette  âme! 

A  côté  du  représentant  si  distingué  de  la  théologie  systé- 
matique, le  représentant  non  moins  éminent  et  déjà  célèbre 
de  la  théologie  biblique,  Edouard  Eeuss.  Il  donnait  à  la 
Faculté  de  théologie  les  cours  sur  le  Nouveau  Testament, 
quoiqu'il  n'occupât  pas  la  chaire  d'exégèse.  Il  avait  été  nommé, 
non  comme  professeur  titulaire  —  n'ayant  pas  acquis  le 
grade  de  docteur  en  France,  il  ne  pouvait  l'être  —  mais  comme 
simple  chargé  de  cours,  à  la  chaire  de  morale  chrétienne.  Il 
ne  faisait  pourtant  pas,  et  il  n'avait  jamais  fait  le  cours  de 
morale;  il  l'avait  abandonné  dès  le  début  à  son  collègue  Bruch. 
L'exégèse  du  Nouveau  Testament,  l'histoire  des  livres  du 
Nouveau  Testament,  la  théologie  du  Nouveau  Testament, 
telles  étaient,  non  pas  les  seules,  mais  les  principales  matières 
qu'il  traitait.  «  C'est  »,  disait-il  dans  une  lettre  au  Directoire, 
«la  charge  de  professeur  de  théologie  pour  la  partie  du 
Nouveau  Testament  que  j'ai  remplie  depuis  ma  nomination; 
depuis  plusieurs  années,  je  suis  même  resté  seul  chargé  de 
cet  enseignement.  Je  fais  donc  un  cours  permanent  d'inter- 
prétation du  Nouveau-Testament.  Et  à  côté  de  cela  et  alter- 
nativement: 1"  le  cours  d'introduction  au  Nouveau  Testament; 
2°  le  cours  de  dogme  et  de  morale  biblique  du  Nouveau 
Testament;  3°  le  cours  d'encyclopédie  théologique;  4°  le  cours 
d'archéologie  biblique;  5°  le  cours  d'histoire  de  la  théologie 
protestante;  6°  le  cours  d'histoire  des  sciences  bibliques.  Je 
consacre  à  cet  enseignement  de  6  à  9  heures  par  semaine, 
selon  le  cas.  Outre  cette  position  officielle,  j'en  occupe  une  autre 
tout  bénévolemJent.  J'ai  commjencé  et  j'ai  continué  jusqu'à  ce 


214  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STEASBOURG 

jour  à  faire  des  cours  d'hébreu  pour  les  élèves  de  la  première 
section.  »  0 

Dans  ses  cours  sur  le  Nouveau  Testament,  Reuss  suivait 
une  méthode  nouvelle  et  qui  changeait  profondément  le 
caractère  des  sciences  bibliques:  il  leur  appliquait  le  principe 
historique.  De  ce  fait,  l'introduction  au  Nouveau  Testa- 
ment, jusque-là  un  assemblage  de  renseignements  divers 
sur  chacun  des  livres  qui  composent  le  recueil  sacré,  devenait 
une  histoire  de  la  littérature  chrétienne  au  temps  apostolique, 
et  la  théologie  du  Nouveau  Testament,  im  exposé  des  idées 
religieuses  des  premiers  disciples,  «un  tableau  du  premier 
travail  de  la  réflexion  sur  le  grand  fait  de  la  révélation 
évangélique  ».  «  Des  faits  qui  appartiennent  à  l'histoire  », 
disait  Eeuss,  «doivent  être  présentés  comme  histoire»;  «il 
ne  s'agit  pas  de  démontrer,  mais  de  raconter  ».  Quant  à  l'inter- 
prétation des  livres  bibliques,  il  se  bornait  au  strict  nécessaire 
de  l'explication  philologique  et  grammaticale,  pour  attirer 
l'attention  de  ses  auditeurs  sur  le  contenu  théologique  des 
textes.  «La  grammaire  et  le  lexique»,  disait-il,  «sont  choses 
excellentes  et  indispensables.  Mais  pour  pénétrer  dans  l'esprit 
de  la  littérature  et  pour  en  jouir,  ils  suffisent  tout  aussi  peu 
que  ne  suffit  le  scalpel  pour  saisir  la  vie.  » 

Reuss  possédait  le  don  de  la  parole.  Il  faisait  ses  cours 
dans  les  deux  langues.  Il  s'exprimait  dans  Tune  et  dans 
l'autre  d'une  manière  facile,  abondante,  heureuse.  Son  expo- 
sition était  vivante,  quelquefois  éloquente,  constamment 
ingénieuse  et  spirituelle.  Ce  qu'on  admirait  surtout  chez  lui, 
c'était  le  talent  de  dégager  les  points  importants  de  ce  qui 
est  accessoire  et  de  formuler  le  résultat  d'ime  discussion  en 
termes  brefs  et  lumineux. 

Reuss  avait  avec  les  étudiants  des  deux  sections  des 
rapports  plus  directs  et  plus  suivis  que  les  autres  professeurs, 
d'abord  par  la  Société  philologique  et  puis  par  la  Société 
théologique  qu'il  dirigeait,  l'une  conjointement  avec  son 
collègue  Baum,  et  l'autre  avec  son  ami  Cunitz.  La  seconde 
de  ces  deux  sociétés  était  née  du  désir  de  son  fondateur  «de 
rester  jeune  par  la  communion  vivante  de  travail  et  de  pensée 
avec  ses  élèves,  et  de  se  préserver  de  la  froideur  d'une  science 
qui  se  replie  sur  elle-même».  Les  étudiants  trouvaient  là  la 
meilleure  occasion,  non  seulement  de  s'instruire,  d'apprendre 


*)  Lettre  au  président  du  Directoire.  (Arch.  du  Dir. 


THÉODORE  FRITZ  ET   LA   CHAIRE   D'EXEGÈSE  215 

à  travailler  par  eux-mêmes,  de  développer  en  eux  la  curiosité 
intelligente,  mais  aussi  de  se  rapprocher  de  leurs  professeurs, 
d^apprendre  à  les  mieux  connaître  et  à  se  faire  mieux  connaître 
d'eux.  Eeuss  d'ailleurs  multipliait  ces  occasions;  dans  la 
bonne  saison,  il  invitait  les  étudiants  à  sa  belle  campagne  du 
Neuhof,  et  il  les  recevait,  en  hiver,  dans  son  agréable  maison 
de  la  place  Saint-Thomas.  Ses  occupations  les  plus  absor- 
bantes même,  ne  Tempêchaient  pas  de  donner  quelque  chose 
de  son  temps  à  ceux  qui  venaient  frapper  à  sa  porte.  Les 
plus  vieux  d'entre  nous  se  rappellent  sans  doute  avec  plaisir 
son  accueil  cordial.  Quand  on  entrait  dans  son  cabinet,  il 
posait  sa  plume,  il  laissait  là  le  feuillet  à  moitié  couvert  de 
son  écriture,  et  vous  prenant  la  main,  il  vous  entraînait  sur 
son  petit  canapé,  où  il  engageait  uiïe  conversation  toujours 
intéressante,  toujours  instructive. 

Reuss  expliquait  les  livres  du  Nouveau  Testament,  mais 
c'était  Théodore  Fritz  qui  occupait  la  chaire  d'exégèse.  Il  y 
avait  été  nommé  en  sa  qualité  d'hébraïsant  et,  de  fait,  il  se 
bornait  à  interpréter  les  livres  de  l'Ancien  Testament  et 
plus  spécialement  les  Psaumes  et  les  Prophètes,  abandonnant 
à  Reuss,  à  Bruch  et  à  Cunitz  l'explication  des  écrits  du 
Nouveau  Testament.  Malheureusement,  l'étude  de  l'hébreu  et, 
par  conséquent,  de  l'Ancien  Testament  était  peu  goûtée  par 
les  étudiants,  Fritz  n'avait  pas  le  don  de  la  faire  aimer.  Son 
exégèse,  d'un  caractère  plus  érudit  que  scientifique,  manquait 
de  vues  générales  et  de  profondeur.  Au  lieu  de  transporter 
ses  auditeurs  au  sein  de  la  vie  religieuse  et  intellectuelle  du 
peuple  d'Israël  avant  et  après  la  restauration,  au  lieu  de 
leur  faire  comprendre  les  grandes  idées  et  les  saintes  espé- 
rances de  ses  poètes  et  de  ses  prophètes,  il  s'attardait  aux 
questions  d'authenticité  et  aux  difficultés  grammaticales.  De 
là,  chez  les  élèves,  un  manque  de  plus  en  plus  marqué  d'intérêt, 
et  chez  le  maître  lui-même  une  certaine  lassitude.  Nature 
éminemment  pratique,  Fritz  avait  d'ailleurs  toujours  montré 
une  prédilection  pour  les  sciences  plus  pratiques,  l'apologé- 
tique, la  morale  et  surtout  la  pédagogique,  sur  laquelle  il 
avait  publié  un  gros  ouvrage  en  trois  volumes,  fort  apprécié 
par  les  hommes  compétents.  *)  Aussi  la  Faculté,  tenant  compte 


*)  Esquisse  d'un  système  complet  d'instruction  et  d'édueation  et 
de  leur  histoire....  Strasbourg  et  Paris,  3  vol.  in-S**,  1841-1843. 


216  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STEASBOUKG 

de  ses  goûts  et  de  ses  aptitudes  et  de  ceux  de  Beuss,  avait-elle, 
dès  l'année  1849,  proposé  un  échange  de  chaires  entre  ces 
deux  professeurs,  de  telle  sorte  que  Fritz  eût  abandonné  Texé- 
gèse  à  Reuss  et  se  fût  chargé  du  cours  de  morale.  Une  résolu- 
tion dans  ce  sens  avait  été  adressée  au  ministre  de  Tinstruction 
publique,  mais  elle  était  restée  sans  réponse,  et  l'échange 
projeté,  et  souhaité  par  les  deux  intéressés,  n'avait  pas  eu 
lieu.  Fritz  continuait  donc  ses  cours  sur  l'Ancien  Testament; 
mais  déjà  il  se  sentait  touché  par  Tâge,  ses  forces  diminuaient 
et  l'affaiblissement  de  sa  mémoire  lui  rendait  les  devoirs  de 
l'enseignement  difficiles. 

Le  professeur  d'histoire  ecclésiastique,  André  Jung, 
jouissait,  au  contraire,  de  la  santé  la  plus  robuste.  Hiver 
comme  été,  il  venait  au  cours  en  simple  redingote,  et  c'était 
tout  un  événement  quand,  par  un  froid  des  plus  intenses,  il 
paraissait  avec  un  manteau  jeté  sur  ses  épaules.  Aussi 
n'interrompit-il  jamais  son  cours  pour  cause  de  maladie.  Il 
le  faisait  six  fois  par  semaine  de  10  à  11  heures.  Malgré 
cela,  aucun  étudiant  n'arrivait  à  l'entendre  en  entier,  par  la 
simple  raison  qu'il  s'étendait  sur  dix,  et  plus  tard,  sur  douze 
semestres.  Cette  circonstance  très  regrettable  s'expliquait  par 
un  double  fait:  d'abord,  Jung  croyait  devoir  communiquer 
à  ses  auditeurs  tout  ce  qui  l'intéressait  lui-même  et  qu'il 
puisait  dans  ses  vastes  lectures.  La  matière  de  son  enseigne- 
ment s'accumulait  ainsi  d'année  en  année,  surtout  pour  l'his- 
toire moderne  et  contemporaine.  Et  puis,  il  croyait  nécessaire 
d'orienter  les  jeunes  théologiens  sur  les  luttes  des  temps 
présents,  sur  l'esprit  et  la  tendance  des  différents  partis 
ecclésiastiques  et  des  différentes  sectes  religieuses.  Il  était 
ainsi  entraîné  à  entrer  dans  de  nombreux  détails,  à  donner 
des  explications  circonstanciées.  On  écoutait  avec  plaisir  et 
avec  profit  cette  exposition  intéressante,  à  laquelle  le  profes- 
seur ne  craignait  pas  de  mêler  des  anecdotes,  des  traits  et 
des  mots  caractéristiques.  En  général,  les  étudiants  aimaient 
bien  le  «père  Jung»,  d'autant  plus  qu'ils  le  savaient  ennemi 
de  tout  pédantisme. 

Son  activité  principale  ne  s'exerçait  pourtant  pas  dans 
les  salles  de  cours  de  Saint-Thomas;  son  véritable  domaine 
était  la  bibliothèque  de  la  ville  et  du  Séminaire.  Nommé 
bibliothécaire-adjoint  en  1825  et  bibliothécaire  en  chef  de  la 
ville  en  1843,  après    la   mort    de    Herrenschneider,  il  avait 


LES   COTJES  DE   THEOLOGIE  PRATIQUE  217 

consacré  et  il  consacrait  encore  ses  forces  et  son  temps  à 
l'administration  des  belles  collections  confiées  à  ses  soins.  Il 
avait  obtenu  de  les  loger  toutes  les  deux  dans  le  chœur  du 
Temple-Neuf,  qu'il  avait  arrangé  d'après  un  plan  qui 
rappelait  celui  de  la  grande  bibliothèque  de  Gœttingue;  il  y 
avait  transporté  et  classé  des  milliers  de  volumes  éparpillés 
un  peu  partout;  il  avait  dressé  le  catalogue  systématique  de 
la  bibliothèque  de  la  ville  et  de  celle  du  Séminaire,  et  fait 
un  inventaire  des  manuscrits  de  la  ville;  il  avait  ainsi,  par 
un  immense  et  incessant  labeur,  élevé  un  monument  digne  de 
lui  et  digne  de  Strasbourg,  aère  perennius,  et  qui  devait 
être  anéanti  en  quelques  heures.  On  sait  que  dans  la  nuit 
du  24  août  1870  les  obus  allemands  incendièrent  le  Temple- 
Neuf  et  détruisirent  les  merveilleux  trésors  placés  dans  son 
chœur. 

La  théologie  pratique,  si  importante  pour  le  futur  pasteur, 
était  confiée  à  un  homme  d'un  grand  mérite,  mais  que  ses 
études  particulières  n'avaient  pas  préparé  à  cet  enseignement. 
Auteur  de  nombreux  et  savants  ouvrages  sur  l'histoire  des 
mystiques  et  des  sectes  hérétiques  du  moyen  âge  et  sur 
l'époque  de  la  Réforme,  hautement  apprécié  des  théologiens 
et  des  historiens  de  tous  les  pays,  Charles  Schmidt  n'avait 
jamais  rempli  de  fonctions  ecclésiastiques  et  était,  par  consé- 
quent, sans  expérience  sur  ce  terrain.  Il  avait  donné  quelques 
prédications  en  langue  française  et  avait  publié  trois 
sermons,  ^)  mais  depuis  sa  nomination  à  la  chaire  d'homilé- 
tique,  il  n'était  plus  monté  dans  la  chaire  chrétienne.  Dans  ses 
cours  d'homilétique,  de  liturgique  et  de  catéchétique,  il  dictait 
de  courts  paragraphes  qu'il  développait  de  vive  voix  et  qui 
contenaient  des  aperçus  très  justes  et  des  conseils  très  utiles, 
mjais  les  exercices  pratiques,  qui  sont  essentiels  dans  cette 
partie,  étaient  insuffisants,  ceux  de  catéchétique  manquèrent 
pendant  des  années  au  programme.  Schmidt  était  d'ailleurs 
plein  de  bonté  pour  les  étudiants,  toujours  prêt  à  donner  des 
conseils  et  à  rendre  des  services  à  ceux  qui  s'adressaient  à  lui. 

Le  professeur  de  dogmatique  réformée,  llichard,  était 
le  seul  membre  de  la  Faculté  qui  ne  fût  pas  en  même  temps 
professeur  au  Séminaire  et  chanoine  de  Saint-Thomas.  Esprit 


*)  Trois    sermons    par    Charles    Schmidt,    docteur    en    théologie. 
Imprimés  à  la  demande  de  quelques  amis.  Str.  1838. 


218  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

spéculatif,  penseur  original,  fin  connaisseur  de  la  philosophie 
allemande,  il  avait  eu  un  début  plein  d'espérances.  Mais  son 
activité  se  trouva  bientôt  paralysée.  Il  avait  une  chaire,  mais  il 
n'avait  point  d'élèves.  Il  y  eut  des  années  oii  il  dut  s'estimer 
heureux  d'avoir  dans  son  cours  de  dogmatique  trois  ou  quatre 
auditeurs.  On  ne  s'étonnera  pas  que  dans  ces  circonstances 
il  ait  perdu  le  courage  et  l'entrain  nécessaires. 

Dans  la  section  propédeutique,  la  philosophie  était  repré- 
sentée par  les  professeurs  Hasselmann  et  Kreiss  et  par  le 
privatim-docens  Baum. 

Hasselmann,  chargé  de  l'enseignement  du  grec,  faisait, 
par  raison  de  santé,  ses  cours  dans  la  maison  qu'il  occupait 
au  coin  de  la  rue  du  Bouclier.  Dans  une  pièce  du  rez-de- 
chaussée  transformée  en  salle  de  cours,  les  étudiants  groupés 
autour  de  quelques  méchantes  tables,  écrivaient,  sous  la  dictée 
du  professeur,  la  traduction  en  alexandrins  allemands  qu'il 
avait  faite  des  tragédies  d'Eschyle  et  de  Sophocle.  C'étaient 
les  auteurs  favoris  de  Hasselniann,  ceux  auxquels  il  revenait 
sans  cesse,  bien  qu'il  se  décidât,  de  temps  en  temps,  à  expliquer 
quelque  traité  de  Platon  ou  quelque  livre  de  Thucydide. 
Excellent  honùne,  il  accueillait  avec  beaucoup  de  bienveillance 
les  étudiants  qui  allaient  le  voir.  Plus  tard,  il  sut  se  faire 
un  parti  parmi  la  jeunesse  orthodoxe,  qui  fréquentait  chez  lui. 

Le  second  professeur  de  philologie,  Kreiss,  avait  donné 
d'abord  des  cours  de  littérature  latine  et  faisait  alors  des 
cours  de  littérature  grecque.  Le  professeur  Weber  a  tracé  en 
quelques  traits  le  portrait  de  cet  homme  si  bon  et  vénéré  de 
tous.  «  Théodore  Kreiss  »,  dit-il,  «  était,  à  la  suite  d'im  accident 
de  jeunesse,  contrefait  et  asthmatique  au  plus  haut  degré. 
Mais  ce  pauvre  corps  défiguré  portait  une  tête  de  grand 
caractère,  digne  d'être  éternisée  par  un  Holbein  ou  un  Van 
Dyck.  Des  traits  fins,  creusés  par  la  souffrance;  des  yeux 
bleus,  étincelants  d'esprit;  un  sourire  un  peu  ironique  errant 
autour  d'une  bouche  bien  formée.  Quand  il  était  dans  sa  chaire, 
les  auditeurs  assis  devant  lui  n'apercevaient  que  sa  tête  et 
l'index  de  sa  main  droite  qu'il  tenait  levé.  »  Disciple  de 
Schweighaeuser,  Kreiss  s'arrêtait  surtout  à  l'interprétation 
grammaticale,  mais  il  ne  manquait  pas,  dans  l'explication  des 
poètes  d'insister  avec  complaisance  sur  la  beauté  de  telle 
expression  ou  de  telle  image.  Dans  les  examens  semestriels, 
si  l'élève  lisait  les  vers  de  Pindare  avec  l'intonation  voulue, 


BAUM  ET  SES  RAPPOKTS  AVEC  LES  ÉTUDIANTS       219 

il  lui  arrivait  de  le  renvoyer  sans  plus,  avec  ces  mots:  «C'est 
bien,  je  vois  que  vous  avez  compris!  » 

Admirateur  enthousiaste  de  l'art  et  de  la  littérature  des 
anciens,  Kreiss  s'était  entouré  de  reproductions  photogra- 
phiques et  autres  des  monuments  les  plus  célèbres  de  l'anti- 
quité, et  s'était  composé  une  bibliothèque  de  tous  les  ouvrages 
de  valeur  qui  avaient  paru  sur  la  littérature  grecque  et 
romaine,  tous  habillés  de  la  même  belle  reliure.  Aussi  en 
pénétrant  dans  son  appartement,  on  sentait  comme  un  souffle 
de  l'esprit  attique. 

Guillaume  Bamn,  le  troisième  représentant  de  la  science 
philologique,  n'était  pas  un  philologue  de  carrière,  si  je  puis 
dire,  bien  qu'il  écrivît  un  fort  bon  latin.  La  partie  à  laquelle 
il  semblait  prédestiné  par  ses  aptitudes,  par  son  goût  et  par 
ses  études  spéciales,  était  autre.  L'histoire  de  l'Eglise,  notam- 
ment l'histoire  de  la  Réforme  du  seizième  siècle,  et  plus  spé- 
cialement encore  celle  de  la  Réformation  en  France  et  en 
Alsace,  tel  était  le  terrain  qu'il  cultivait  avec  prédilection  et 
où  il  semblait  appelé  à  produire  des  œuvres  remarquables. 
Mais  cette  voie  ne  s'ouvrit  pas  pour  lui  au  Séminaire;  il 
se  vit  appelé  à  traiter  la  littérature  ancienne.  Sans  doute,  il 
la  connaissait,  il  l'avait  étudiée,  mais  pas  en  philologue.  Aussi 
ses  cours  laissaient-ils  tant  soit  peu  à  désirer  sous  le  rapport 
philologique.  En  interprétant  Plante  et  Horace,  Lucrèce  et 
Sénèque,  il  suivait  trop  souvent  l'inspiration  du  moment  et 
se  laissait  aller  à  des  digressions  qui  ne  manquaient  ni  de 
charme  ni  d'intérêt,  mais  qui  ne  se  rapportaient  que  de  très 
loin  à  l'objet  de  son  enseignement. 

Mais  vivant,  plein  d'esprit,  génial,  il  captivait  ses  audi- 
teurs. En  général,  il  exerçait  sur  les  étudiants,  surtout  sur 
les  plus  jeunes,  plus  d'influence  qu'aucun  autre  professeur. 
Et  ce  qui  lui  gagnait  les  cœurs,  ce  n'était  pas  seulement 
sa  nature  prime-sautière,  son  esprit  vif  et  pénétrant,  le 
mélange  de  force  et  de  douceur,  mais  l'affection  profonde  qu'il 
portait  à  ses  élèves.  Il  les  traitait  en  amis  et  les  servait  avec 
un  dévouement  qui  ne  reculait  devant  aucune  fatigue  et 
aucune  peine.  Il  était  toujours  prêt  à  les  conseiller,  à  les  aider, 
à  les  encourager,  mais  aussi  à  les  reprendre,  à  les  réprimander, 
à  les  blâmer.  Il  était  terrible  quand  il  grondait,  mais  ses  répri- 
mandes partaient  d'un  cœur  aimant  et  sa  colère  passait  aussi 
vite  qu'une  pluie  d'orage. 


220  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE  DE  STKASBOURG 

Baum  était,  on  Ta  dit  plus  tard  sur  sa  tombe,  «  un  homme 
dans  le  meilleur  sens  de  ce  mot»,  courageux  et  fort  comme 
son  héros  préféré,  Luther,  qu^il  rappelait  par  sa  tête  puissante, 
par  sa  carrure,  par  son  œil  brillant,  par  toute  sa  nature  éner- 
gique et  vaillante. 

L'histoire  était  enseignée  par  le  professeur  Auguste  Stahl, 
que,  dans  sa  jeunesse  déjà,  on  appelait  le  savant  Stahl.  Il 
imposait  aux  étudiants  par  ses  vastes  connaissances  qu'on 
exagérait  peut-être.  On  disait  de  lui  qu'il  savait  dix-neuf 
langues,  qu'il  connaissait  l'Inde,  la  Chine,  le  Japon,  d'autres 
pays  lointains  aussi  bien  que  le  coin  de  terre  qu'il  habitait, 
qu'il  avait  une  mémoire  si  prodigieuse,  qu'après  avoir  lu  un 
livre  scientifique  volumineux,  il  était  capable  d'en  répéter  le 
contenu  sans  presque  changer  un  mot. 

Très  original  quant  à  son  physique:  long  et  maigre,  avec 
des  traits  commie  taillés  dans  le  bois,  un  front  proéminent,  des 
pommettes  saillantes,  une  chevelure  tout  ébouriffée,  il  ne  l'était 
pas  moins  dans  ses  leçons.  Il  parlait  librement,  sans  les 
moindres  notes,  sans  gestes,  rapidement,  d'une  voix  d'abord 
sourde,  basse,  mais  qui  tout  à  coup,  aux  moments  pathétiques, 
s'élevait  jusqu'au  fortissimo.  Son  élocution  étrange,  son  esprit 
caustique,  ses  citations  empruntées  à  de  vieux  auteurs  peu 
connus  et  qui  éclataient  comme  des  bombes  au  milieu  d'un 
récit,  entretenaient  chez  les  auditeurs  l'attention  et  la  bonne 
humeur.  Stahl  faisait  alternativement,  une  année,  l'histoire 
ancienne  et  l'autre  année,  l'histoire  du  moyen  âge  et  celle  des 
temps  modernes.  Son  enseignement  n'était  pas  très  profond, 
les  faits  étaient  pour  lui  la  chose  essentielle.  Il  les  exposait 
d'une  manière  intéressante,  claire,  lumineuse,  mais  sans  en 
pénétrer  l'esprit.  Il  ne  se  disait  pas,  non  plus,  que,  dans  un 
Séminaire  protestant,  il  fallait  insister  sur  les  événements 
qui  intéressent  plus  spécialement  le  théologien  et  traiter  avec 
plus  d'ampleur  les  périodes  importantes  pour  l'histoire  de 
l'Eglise. 

L'enseignement  de  la  philosophie  laissait  également  quel- 
que peu  à  désirer.  L'historien  distingué  du  néoplatonisme  et 
du  gnosticisme,  Jacques  Matter,  autrefois  le  membre  le  plus 
illustre  du  Séminaire,  commençait  à  sentir  les  atteintes  de 
l'âge.  Il  continuait  à  faire  ses  cours  de  morale  et  de  méta- 
physique, de  religion  naturelle,  de  cosmologie  et  de  pneuma- 
tologie  d'après  les  livres  qu'il  avait  publiés  sur  ces  matières, 


CHRISTIAN   BARTHOLMESS   SUCCEDE  À   WILLM  221 

mais  son  influence  avait  diminué.  Ses  rapports  avec  les 
étudiants,  en  dehors  de  son  cours,  se  bornaient  aux  séances 
de  la  Société  philosophique,  fondée  et  dirigée  par  lui,  et  dont 
les  membres  lui  rendaient  le  service  de  copier  les  manuscrits 
qu'il  destinait  à  l'impression. 

Joseph  Willm,  le  second  professeur  de  philosophie,  était 
très  apprécié.  Ses  cours,  au  dire  d'un  de  ses  élèves, 
témioignaient  «d'un  savoir  de  bon  aloi  et  d'un  grand  bon 
sens  ».  Mais  une  vie  toute  de  labeur  —  il  était  professeur  au 
Séminaire,  inspecteur  d'Académie,  directeui'  de  la  Revue 
germanique^  collaborateur  de  plusieurs  œuvres  littéraires, 
scientifiques  et  philanthropiques,  membre  du  Conseil  muni- 
cipal —  avait  épuisé  ses  forces.  Fatigué,  malade,  il  ne  par- 
venait plus  à  faire  ses  cours  qu'avec  de  fréquentes  inter- 
ruptions. En  1852,  il  se  vit  forcé  de  renoncer  complètement 
à  ses  leçons,  et  après  des  mois  de  souffrances  supportées  avec 
résignation,  il  mourut  le  7  février  1853. 

Le  Séminaire,  considérant  la  grande  importance  de  la 
chaire  devenue  vacante,  résolut  d'y  appeler  un  homme  aussi 
distingué  comme  savant  que  comme  écrivain.  Son  choix 
tomba  sur  un  ancien  élève  du  Séminaire  et  de  la  Faculté  de 
théologie,  qui  vivait  à  Paris  et  s'était  déjà  fait  connaître  par 
différents  ouvrages. 

Christian- Jean-Guillaume  Bartholmess  *)  était  né  au  vil- 
lage de  Simdhausen,  dans  le  département  du  Bas-Rhin,  le 
26  février  1815.  Son  père,  employé  à  l'usine  de  Geiselbronn, 
était,  comme  sa  mère,  d'origine  badoise.  C'est  aussi  dans  le 
pays  de  Bade  que  le  jeune  Bartholmess  reçut  sa  premiière 
éducation.  Son  grand-père  maternel  était  professeur  au  Pse- 
dagogium  de  Pforzheim.  L'enfant  lui  fut  confié  dès  l'âge  de 
huit  ans.  L'école  était  bonne,  l'élève,  doué  et  plein  de  zèle. 
Il  fit  de  rapides  progrès,  surtout  dans  les  langues  anciennes. 
Mais  lorsqu'à  quatorze  ans  il  entra  au  Gymnase  de  Stras- 
bourg, tous  ses  efforts  tendirent  à  se  dégermaniser  et  à  s'assi- 
miler la  langue  française.  Il  devait,  en  effet,  arriver  à  l'écrire 
non  seulement  correctement,  mais  avec  une  rare  élégance. 


*)  Voy.  Matter,  La  vie  et  les  travaux  de  Christian  Bartholmess. 
Str.  1856. 

L.  Spach,  Chr.  Bartholmess  dans  la  Revue  d'Alsace.  8e  année. 
Colmar,  1857,  p.  257  ss.  et  291  ss. 


222  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOUKG 

Bartliolmess  quitta  le  Gymnase  en  1832,  pour  étudier  la 
théologie.  Il  suivit,  en  même  temps,  les  cours  de  la  Faculté  des 
lettres  et  surtout  ceux  de  Pabbé  Bautain,  qui  attirait  autour 
de  sa  chaire  des  auditeurs  aussi  nombreux  qu'enthousiastes. 
Peut-être  est-ce  à  ces  conférences  qu'il  puisa  le  goût  des 
études  philosophiques.  Licencié  ès-lettres  en  1835,  il  devint 
candidat  en  théologie  deux  ans  plus  tard;  puis,  le  prix 
Schmutz  de  3000  francs,  remporté  après  le  prix  Spener,  lui 
fournit  l'occasion  et  la  possibilité  de  réaliser  un  rêve  longue- 
ment caressé,  c'est-à-dire  d'aller  à  Paris. 

Il  y  fut  d'abord  attaché  à  l'entreprise  de  la  Société 
biblique  de  Londres,  qui  faisait  alors  réviser  la  traduction 
française  de  la  Bible,  et,  dans  la  même  année,  présenté  par 
le  pasteur  Athanase  Coquerel,  il  entra  comme  précepteur 
dans  la  famille  du  marquis?  de  Jaucourt;  il  y  trouva  ce  qu'am- 
bitionnait son  cœur,  de  hautes  relations  et  des  distinctions 
littéraires. 

Il  eut,  dans  sa  nouvelle  position,  les  loisirs  nécessaires 
pour  publier  des  ouvrages  qui  lui  procurèrent,  dans  les  cercles 
universitaires  de  la  capitale,  quelque  considération:  en  1847, 
c'était  son  intéressante  monographie  sur  Giordano  Bruno; 
l'année  d'après,  un  mémoire  sur  la  Certitude,  qui  fut  cou- 
ronné par  l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques,  et, 
]>resque  en  même  temps,  une  dissertation  pour  le  doctorat, 
Huet,  évêque  d'Avranches  et  le  scepticisme  théologique.  En 
1850,  parut  son  Histoire  de  V Académie  de  Prusse,  qui  fut 
couronnée  par  l'Académie  française  et  valut  à  son  auteur  le 
titre  de  membre  de  l'Académie  de  Berlin  et  l'ordre  de  l'aigle 
rouge  de  troisième  classe.  Après  1851,  il  commençait  à  réimir 
les  matériaux  d'une  histoire  de  la  Renaissance,  lorsqu'il  fut 
appelé,  au  printemps  de  1853,  à  la  chaire  laissée  vacante  par 
la  mort  de  Willm,  et  invité  à  venir  l'occuper  sans  retard. 

On  était  impatient  au  Séminaire  de  posséder  un  homme 
dont  on  attendait  beaucoup  pour  le  développement  des  études 
philosophiques.  Ces  espérances  semblaient  fondées.  Barthol- 
mess  appartenait  à  l'école  ^piritualiste  française,  nKais  il 
était  très  versé  dans  la  philosophie  allemande;  il  avait,  de 
plus,  une  forte  culture  théologique,  ce  qui  le  rendait  parti- 
culièremlent  apte  à  professer  dans  un  Séminaire  protestant. 
Et  pourtant,  il  ne  répondit  pas  à  ce  qu'on  attendait  de  lui. 


CINQ   CANDIDATS  A  LA   CHAIRE  DE  PHILOSOPHIE  223 

Ce  n'est  pas  que  ses  cours  sur  rencyclopédie  des  sciences 
philosophiques,  sur  la  logique,  la  psychologie  et  l'esthétique 
fussent  insuffisants  quant  au  fond  et  à  \b^  forme;  il  exposait, 
dans  un  langage  ferme,  simple,  quelquefois  éloquent,  ses 
idées  particulières  et  les  systèmes  des  autres.  Mais  il  regret- 
tait les  amitiés  et  les  relations  nombreuses  qu'il  avait  laissées 
dans  la  capitale,  et,  en  général,  les  habitudes  sociales  de 
Paris;  sa  grande  ambition  était  de  devenir  membre  de  l'Insti- 
tut et  de  retourner  à  cette  vie  parisienne  dont  il  avait  goûté 
le  charme.  «Ce  n'était  pas  seulement  son  cœur,  c'était  sa 
personne  tout  entière  qui,  à  chaque  instant,  était  à  Paris», 
de  sorte  que  les  rapports  entre  lui  et  ses  élèves  ne  pouvaient 
guère  s'établir. 

Son  activité  au  Séminaire  fut  d'ailleurs  de  courte  durée. 
Il  mourut  à  Nuremberg  le  26  août  1856,  après  quelques  jours 
de  maladie,  en  revenant  des  eaux  de  Carlsbad,  où  il  avait 
accompagné  la  mère  de  son  ancien  élève.  Sa  dépouille  mor- 
telle fut  ramenée  à  Strasbourg  et  inhumée  le  31  août.  Le  11 
novembre  suivant,  Matter  prononça  au  Séminaire  un  discours 
sur  sa  vie  et  ses  travaux. 

Peu  de  jours  après,  le  17  novembre,  le  Séminaire  s'occupa 
de  son  remplacement.  Cinq  candidats  s'étaient  présentés: 
Charles  Heintz,  pasteur  à  l'église  Saint-Thomas  à  Stras- 
bourg; Adolphe  Schaeffer,  pasteur  à  Haguenau;  Timothée 
Colani,  directeur  de  la  Revue  de  théologie;  Charles  Wadding- 
ton,  agrégé  de  la  Faculté  des  lettres  de  Paris,  et  à  la  dernière 
heure,  M.  Faire,  professeur  au  lycée  d'Alençon  et  parent  de 
Guizot. 

De  ces  cinq  candidatures,  deux  seulement  pouvaient  être 
prises  en  sérieuse  considération:  celle  de  Colani  et  celle  de 
Waddington.  Le  premier  avait  depuis  longtemps  donné  des 
preuves  de  son  talent  et  de  sa  science,  et  nul  ne  pouvait  con- 
tester qu'il  fût  apte  à  occuper  une  chaire  de  philosophie.  Et 
puis,  point  important  pour  une  chaire  du  Séminaire,  il  était 
théologien.  Aussi  Bruch  et  Eeuss  se  prononcèrent-ils  éner- 
giquement  pour  lui.  Mais  la  majorité  lui  était  contraire:  les 
uns  craignaient  qu'il  n'apportât  au  Séminaire  un  esprit  d'in- 
novation, les  autres  se  laissaient  influencer  par  des  motifs 
religieux  ou  personnels.  Le  président  Braun  était  bien  dis- 
posé pour  Colani,  mais  il  avait  peur  de  l'orthodoxie  pari- 


224  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STKASBOURG 

sienne,  qui  était  résolue  à  empêcher  à  tout  prix  la  nomination 
du  directeur  de  la  Revue  de  théologie^).  Le  pasteur  Cuvier 
de  Paris  lui  avait  chaudement  recommandé  Waddington 
comme  un  homme  «sincèrement  attaché  à  nos  Eglises»  et 
«orthodoxe  sans  exagération»;  mais  à  Strasbourg  personne 
ne  le  connaissait;  on  savait  seulement  qu'il  était  professeur 
de  philosophie  dans  un  des  grands  lycées  de  Paris  et  qu'il 
avait  fait  des  cours  à  la  Sorbonne,  mais  surtout  qu'il  était 
un  caQdidat  agréable  au  parti  orthodoxe. 

Charles  Waddington  était  né  le  19  juin  1819  et  appartenait 
à  une  famille  d'origine  anglaise.  Elève  de  l'école  normale 
supérieure,  et,  à  la  suite  d'un  exanlen  brillant,  agrégé  de  phi- 
losophie, il  avait  professé  dans  différents  lycées  de  province 
et  de  la  capitale,  et  avait,  par  deux  dissertations,  dont  l'une 
fut  couronnée  par  l'Académie  française,  conquis  le  grade  de 
docteur  ès-lettres  et  celui  d'agrégé  de  la  Faculté  des  lettres. 
Depuis  1850,  il  avait  donné  des  cours  à  la  Sorbonne,  mais  sa 
qualité  de  protestant  lui  ayant  créé  des  difficultés,  il  avait 
demandé  et  obtenu  un  congé  illimité. 

Ce  fut  donc  pour  lui  une  heureuse  chance  que  l'orthodoxie 
parisienne  le  mît  en  avant  pour  la  chaire  de  philosophie  au 
Séminaire,  d'autant  plus  qu'il  espérait  pouvoir  réunir  avec 
cette  chaire,  celle  de  la  Faculté  des  lettres,  dont  le  titulaire, 
Paul  Janet,  venait  d'être  appelé  à  Paris.  Cet  espoir  d'ailleurs 
fut  déçu.  Le  conseil  académique  déclara  qu'un  professeur 
d'un  établissement  protestant  ne  pouvait  être  en  même  temps 
professeur  d'une  Faculté  de  l'Etat. 

Au  Séminaire,  les  débats  furent  longs  et  animiés,  et  lors- 
que, le  17  novembre,  on  passa  au  vote,  il  arriva  ce  qu'on  avait 
pu  prévoir:  des  neuf  voix,  5  se  portèrent  sur  Waddington,  3 
sur  Colani,  le  neuvième  bulletin  était  blanc. 

Le  Séminaire,  en  présentant  celui  qu'il  avait  élu  à  la 
nomination  du  Directoire,  disait:  «Le  haut  rang  que  M. 
Bartholmess  a  occupé  dans  le  monde  savant  et  notammient 
dans  l'xVcadémie  de  Paris,    nous    a   doublement   imposé    le 


*)  Waddington,  dans  une  lettre  au  président  Braun,  exprimait 
l'espoir  que  sa  nomination  au  Séminaire  était  assurée  pour  différentes 
raisons  :  «  Entre  autres  »,  disait-il,  «  par  la  considération  que  vous- 
même  m'indiquiez,  que  ma  nomination  chez  vous  empêcherait  M.  Colani 
d'y  arriver.  On  en  paraît  aussi  effrayé  ici  qu'à  Strasbourg.  (Arch. 
du  Dir.) 


CHAKLES   WADDINGTON  225 

devoir  sacré  de  choisir,  pour  le  remplacer,  le  candidat  le  plus 
savant,  le  plus  éprouvé  et  le  plus  agréable.  »  A  son  élu  mêm'e, 
il  écrivait:  «Le  Séminaire,  en  vous  donnant  la  préférence 
parmi  les  cinq  candidats  qui  s'étaient  présentés  pour  la  chaire 
à  pourvoir,  a  voulu  honorer  votre  éminent  mérite,  le  profes- 
seur haut  placé  dans  PUniversité,  le  savant  que  plusieurs 
ouvrages  importants  désignaient  au  choix  ratifié  par  le  Direc- 
toire. » 

On  ne  se  contenta  pas  de  lui  prodiguer  ces  témoignages 
si  flatteurs,  on  Taccueillit  avec  empressement.  Une  brillante 
renommée  Pavait  précédé.  Charles  Eead,  le  fondateur  de  la 
Société  de  Thistoire  du  protestantisme  français  et  alors  chef 
de  la  section  non  catholique  du  ministère  des  cultes,  avait 
écrit  au  président  Braun  qui  lui  demiandait  des  renseigne- 
ments sur  Waddington:  «Il  vous  conviendrait  extraordi- 
nairement;  tout  en  reconnaissant  les  mérites  du  défunt 
(Bartholmess) ,  je  ne  puis  vous  dire  qu'une  chose,  vous 
gagneriez  au  changement».  Son  installation  fut  entourée  d'un 
éclat  extraordinaire  et  sa  leçon  d'ouverture  fut  imprimée  aux 
frais  du  Séminaire. 

Lors  de  son  installation,  Waddington  avait  promis  de 
'remplir  fidèlement  ses  devoirs  de  membre  du  Séminaire; 
avant  cela,  il  avait  déjà,  dans  une  lettre  de  remercîment 
adressée  au  Directoire  et  au  Séminaire,  fait  cette  déclaration 
que  lui  avaient  sans  doute  demandée  ses  amis  orthodoxes: 
«Le  soussigné  s'engage  en  toute  conscience  à  toujours 
respecter  dans  son  enseignement  le  contenu  des  Ecritures 
saintes  et  la  doctrine  reconnue  de  l'Eglise  de  la  Confession 
d'Augsbourg,  à  ne  point  professer  ni  enseigner  des  doctrines 
contraires  à  celles  de  cette  Eglise  et  à  se  soumettre  en  tout 
aux  lois,  règlemlents  et  autorités  qui  régissent  la  dite  Eglise.  » 

Il  resta  fidèle  à  cet  engagement;  mais  les  grands  espoirs 
qu'on  avait  attachés  à  sa  nomination  furent  déçus. 
Waddington  avait  certainement  de  grands  mérites:  deux  de 
ses  ouvrages  avaient  été  couronnés  par  l'Académie  française, 
et  son  livre  sur  Pierre  Ramus,  dans  lequel  il  réhabilitait  le 
vieux  théologien  et  philologue  et  marquait  son  importance 
pour  la  théologie  et  pour  l'histoire  de  la  culture  spirituelle, 
était  une  œuvre  tout  à  fait  remarquable;  mais  il  ne  possédait 
pas  la  langue  allemande  et  n'était,    par  conséquent,  pas  initié 

15 


226  LA  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE  DE  STRASBOURG 

à  la  philosophie  allemande.  Et  puis,  il  n'avait  jamais  été  en 
contact  direct  avec  la  science  théologique  protestante.  Ces 
lacunes,  il  ne  pouvait  les  combler  avec  la  meilleure  volonté 
du  monde,  et  elles  se  faisaient  trop  souvent  sentir.  Il  se 
donnait  infiniment  de  peine  pour  rendre  ses  cours  de  psycho- 
logie et  de  logique  intéressants  et  même  attrayants,  mais 
l'éclectisme  de  Victor  Cousin  qu'il  professait,  n'était  pas 
pour  faire  pénétrer  ses  auditeurs  jusqu'au  fond  des  grands 
problèmes  philosophiques  ou  pour  réveiller  en  eux  le  désir 
d'études  plus  approfondies. 

A  côté  des  professeurs  et  des  chargés  de  cours  que  nous 
venons  de  nomrner,  trois  privatim-docentes  avaient,  au  com- 
miencement  de  cette  période,  fait  des  leçons  au  Séminaire: 
Louis  Frédéric  Schwebel,  Henri  Eedslob  et  Edouard  Cunitz. 
Mais  Schwebel,  fatigué  d'attendre  un  avancement  qui  tardait 
à  venir,  était  rentré,  en  1853,  dans  la  vie  privée;  Redslob 
avait  été  interrompu  dans  son  activité  académique  par  la 
nialadie  qui  devait  l'emporter  le  22  septembre  1852;  Cunitz 
était  seul  resté  à  son  poste  bénévole,  bien  qu'on  n'eût  rien  fait 
pour  lui  non  plus. Malheureusement,  il  n'avait,  pas  plus  que 
son  ami  Baum,  pu  occuper  une  chaire  qui  répondît  à  ses 
goûts  et  à  ses  études  particulières.  Il  était,  avant  tout,  histo- 
rien, et  il  devait  prouver  plus  tard,  dans  la  publication  des 
Oeuvres  de  Calvin  et  dans  celle  de  V Histoire  ecclésiastique 
des  Eglises  réformées  de  France,  sa  haute  compétence  dans  le 
domaine  historique.  Mais  comme  il  n'avait  aucun  espoir 
d'arriver  à  une  chaire  d'histoire,  il  s'était  tourné,  après  avoir 
fait,  pendant  des  années,  des  cours  de  droit  et  de  législation 
ecclésiastique,  vers  l'exégèse  du  Nouveau  Testament,  et  il 
expliquait  les  Epîtres  dans  le  sens  de  l'Ecole  de  Tubingue. 
Mais  il  avait  peu  de  succès  comme  professeur.  Il  n'avait  pas 
la  parole  facile:  esclave  de  ses  notes,  son  débit  était  terne  et 
monotone.  Aussi  était-il  peu  goûté  par  les  étudiants.  Il  leur 
portait  pourtant  un  véritable  intérêt;  il  accueillait  avec  beau- 
coup de  bonté  ceux  qui  venaient  frapper  à  sa  porte  et  mettait 
volontiers  à  leur  disposition  les  trésors  de  sa  bibliothèque  et 
les  conseils  de  son  expérience.  Sa  fidélité  au  devoir,  la  fermteté 
et  l'indépendance  de  son  caractère,  inspiraient  d'ailleurs  à 
tous  ceux  qui  l'approchaient  une  profonde  estime. 

Cunitz  fit  aussi,  durant  des  années,  des  cours  sur  l'his- 


LES  ÉTUDIANTS  ANIMES   D'UN  BON  ESPEIT  227 

toire  de  la  littérature  allemande.  Un  autre  savant,  Schnitzler,  *) 
en  donna  sur  la  littérature  française  et  sur  Thistoire  géné- 
rale de  la  littérature,  Tun  et  l'autre  devant  un  auditoire  très 
restreint.  Ils  manquaient,  Tun  et  Tautre,  de  la  grâce  et  de  la 
souplesse  d'esprit,  de  l'éclat  et  du  charme  de  la  parole,  bref 
de  ces  qualités  exquises  et  rares,  nécessaires  à  ceux  qui 
parlent  des  poètes  et  de  la  poésie. 

II 

L'esprit  qui,  dans  cette  période,  régna  parmi  les  étudiants' 
était,  en  général,  bon.  Sans  doute,  l'intérêt  religieux,  la 
curiosité  scientifique,  l'élévation  de  la  pensée  et,  ce  qui  à 
l'âge  des  études  est  surtout  important,  l'enthousiasme,  l'âme 
vibrante,  ne  se  rencontraient  pas  chez  tous:  plusieurs  craig- 
naient d'aborder  franchement  les  grands  problèmes  et  de 
s'attaquer  résolunient  aux  questions  ardues  qui  se  posaient 
devant  eux;  quelques-uns  même  n'apportaient  pas  dans  leur 
préparation  au  saint  ministère  tout  le  sérieux  qu'on  était  en 
droit  de  leur  demander.  Mais  —  le  doyen  de  la  Faculté  le 
constatait  dans  ses  rapports  annuels  —  les  élèves  suivaient 
les  cours  avec  assiduité,  leur  conduite  était  régulière  et 
n'appelait  aucune  mesure  disciplinaire,  les  examens  semes- 
triels donnaient  des  résultats  satisfaisants.  Et  puis,  il  y  avait 
pourtant  dans  les  promotions  d'alors  des  jeunes  gens  qui  se 
distinguaient  par  un  talent  véritable  et  par  un  amour 
passionné  de  la  science  théologique  et  dont  quelques-uns 
aspiraient  aux  grades  académiques  supérieurs.  Le  compte 
rendu  des  travaux  de  la  Faculté  de  théologie  dans  l'année 
1859-1860  enregistrait,  dans  les  examens  pour  grades,  des 
résultats  uniques  dans  les  annales  de  la  Faculté:  sur  24  candi- 
dats, dont  un  pour  le  diplômte  de  docteur  et  cinq  pour  celui  de 
licencié,  4  avaient  été  reçus  avec  distinction,  14  avec  la 
mention  bien  et  6    seulemjent  avec  la  note  assez  bien. 


*)  Jean-Henri  Schnitzler,  né  à  Strasbourg,  le  1er  juin  1808,  fut, 
pendant  de  longues  années  directeur  de  VEncyclopédie  des  gens  du 
monde,  à  Paris,  et,  plus  tard,  inspecteur  des  écoles  primaires  à  Stras- 
bourg. Il  fit  plusieurs  séjours  en  Russie  et  publia  sur  ce  pays  û.ep 
ouvrages  très  estimés,  entre  autres  :  La  Russie  ancienne  et  moderne, 
2e  éd.,  1854,  et  UEmpire  des  Tzars,  1856  ss.  —  L(ouis)  S(pach)  a  publié 
sur  lui  une  notice  biographique  :  M.  Schnitzler,  statisticien  et  historien. 
Strasb.  1872. 

IS* 


228  LA   FACULTE   DE    THEOLOGIE   DE   STRASBOURG 

Durant  cette  période,  il  se  produisit  au  Séminaire  et  à  la 
Faculté  un  fait  nouveau  et  qui  devait  avoir  pour  la  vie  acadé- 
mique des  conséquences  inattendues:  le  nombre  des  élèves 
qui  se  tournaient  vers  le  piétisme  ou  vers  Porthodoxie 
s'accrut  de  plus  en  plus,  et  les  divergences  dogmatiques,  en 
s 'accentuant,  amenèrent  la  formation  de  groupes  séparés  ou 
même  opposés  les  uns  aux  autres. 

Il  est  vrai  qu'en  1829  et  en  1830  déjà  une  manifestation 
orthodoxe  avait  eu  lieu  à  la  Faculté.  Geoffroi  Redslob,  fils 
d'une  famille  piétiste,  plus  tard  pasteur  à  l'église  Saint- 
Guillaume  à  Strasbourg,  avait,  dans  trois  thèses  (doctrina  fidei 
christianae  quam  exposuerunt  Patres  apostoliciy  Tentamen 
exegeticum  in  locum  Eph.  I,  15-23  et  Spécimen  eschatologiae 
Veteris  Testamenti)  qu'il  présentait  pour  la  lidence  et  pour 
le  doctorat,  entrepris  de  défendre  le  point  de  vue  traditionnel 
contre  la  critique  historique.  Ces  thèses  avaient  même  donné 
au  professeur  Hengstenberg  de  Berlin  l'occasion  de  dénoncer 
le  rationalisme  des  professeurs  de  Strasbourg. 

Cependant,  cette  manifestation,  tout  isolée,  n'avait  pas 
trouvé  d'écho  dans  le  monde  des  étudiants  en  théologie.  Il  en 
avait  été  de  même  du  mouvement  piétiste  provoqué  presque 
au.  même  moment  par  les  prédications  du  pasteur  Haerter. 
Appelé  en  1829  au  Temple-Neuf  à  Strasbourg,  François 
Haerter  s'était  fait  le  promoteur  d'un  réveil  religieux  au  sein 
de  la  population  protestante  de  la  ville.  Dévoré  de  zèle  pour 
la  maison  du  Seigneur,  il  avait  porté  la  dogmiatique  et  la 
polémique  dams  la  chaire  chrétienne,  et,  par  sa  parole  péné- 
trante, à  la  fois  incisive  et  onctueuse,  il  avait  gagné  de 
nombreux  adhérents  et  exerçait  une  influence  considérable 
sur  bien  des  âmes. 

Mais  il  n'avait  pas  eu,  d'abord,  de  prise  sur  les  cercles 
aicadémSques.  Reuss,  en  1845,  affirmait  qu'il  n'y  avait  pas 
parmi  les  membres  de  la  Société  théologique  un  seul  piétiste 
et  que  parmi  les  autres  étudiants,  il  n'y  en  avait  pas  davan- 
tage. Quelques  années  plus  tard,  Colani,  rendant  compte, 
dans  la  Revue  de  théologie,  des  thèses  soutenues  à  la  Faculté 
de  Strasbourg  dans  l'année  scolaire  1849-1850,  constatait  que 
sur  31  thèses  présentées  pour  le  baccalauréat,  dont  17  par 
des  candidats  qui  avaient  fait  leur  théologie  à  Strasbourg  et 
12  par  des  candidats  qui  étaient  venus  de  Genève  pour 
terminer  leurs  études  à  Strasbourg,  il  n'y  en  avait  qu'une 


229 


seule  qui  pût  être  considérée  comme  orthodoxe,  et  essayant 
de  classer  les  autres  d'après  leur  contenu  théologique:  «Huit 
thèses»,  disait-il,  «nous  semblent  appartenir  soit  au  ratio- 
nalisme soit  au  supranaturalisme  moralisant.  Deux  sont 
animées  d'un  esprit  radical  et  négatif.  Une  douzaine  à  peu  près 
sont  libérales,  c'est-à-dire  allient  une  tendance  positive  plus  ou 
moins  prononcée  à  une  critique  plus  ou  moins  indépendante... 
Enfin  les  huit  dernières  thèses  n'offrent  rien  qui  permette 
de  les  classer;  la  plupart  cependant  nous  ont  paru  tendre 
vers  le  rationalisme,  tandis  que  deux  sont  empreintes  d'un 
respect  peu  définissable  pour  le  dogme  ecclésiastique.  »  *) 

Telle  était,  au  point  de  vue  de  la  tendance  religieuse  et 
théologique  des  élèves  de  la  Faculté  de  Strasbourg,  la  situa- 
tion avant  1850.  A  partir  de  ce  moment,  elle  changea. 
Haerter  avait  peu  à  peu  étendu  son  influence  sur  les  cercles 
académiques  et  y  avait  gagné  des  adhérents.  Charles  Cuvier, 
le  fondateur  et  directeur  de  la  Chapelle  évangélique,  et  le 
pasteur  Adolphe  Kreiss  de  Saint-Pierre-le- Jeune  travaillaient, 
de  leur  côté,  à  convertir  au  piétisme  les  étudiants  français 
et  alsaciens  qu'ils  réunissaient  autour  d'eux.  Enfin,  l'ortho- 
doxie luthérienne,  s'affirmant  de  plus  en  plus,  commençait  à 
attirer  les  jeunes  gens  qui  voulaient  entrer  en  théologie.  La 
plupart  de  ces  «  croyants  luthériens  »  ne  possédaient  pourtant 
pas  des  convictions  basées  sur  des  études  sérieuses,  ils  avaient 
été  endoctrinés  avant  d'entrer  au  Séminaire  et  n'en  étaient 
que  plus  exaltés.  Quelques-uns  d'entre  eux  se  crurent  même 
appelés  à  rendre  un  témoignage  public  de  leur  foi  et  s'enhar- 
dirent jusqu'à  manifester  dans  les  cours  qu'ils  suivaient.  Il  en 
fut  ainsi  dans  le  cours  de  dogmatique  de  Bruch,  qui  provoquait 
tout  particulièrement  la  colère  de  l'orthodoxie,  Bruch  se 
contenta  de  signifier  aux  manifestants  qu'ils  étaient  libres 
de  ne  pas  fréquenter  son  cours,  mais  qu'il  ne  tolérerait  pas 
qu'ils  troublassent  ses  leçons  et  qu'il  ferait  immédiatement 
expulser  ceux  qui  se  permettraient  une  pareille  inconvenance. 
Il  n'en  fallut  pas  plus  pour  calmer  ces  fougueux  disciples 
et  pour  les  rappeler  à  l'ordre  et  aux  convenances.  L'un  ou 
l'autre  de  ces  jeunes  zélateurs  prit  pourtant  la  plume  pour 
informer  tel  de  ses  professeurs  que  sa  conscience  ne  lui 
permettait  pas  de  suivre  désormais  son  cours.  Une  pareille 


*)    Revue  de  théologie,  II,  p.  305. 


230  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE   DE   STRASBOURG 

communication  parvint  un  jour  à  Reuss,  parce  que,  dans  son 
cours  d'exégèse,  il  avait  expliqué  le  passage  Psaume  CIV,  4, 
non  pas  comme  Fexplique  Fauteur  de  FEpître  aux  Hébreux, 
mais  comme  l'exige  le  simple  bon  sens.  Reusg  se  borna  à  prier 
son  correspondant  de  ne  plus  mettre  les  pieds  dans  son  cours. 
Dans  ime  lettre  de  Tannée  1856  à  son  élève  et  ami  Henri 
Graf,  Reuss  constatait  d'ailleurs  que  l'orthodoxie  dans  ses 
différentes  nuances,  depuis  le  vieux-luthéranisme  allemand 
jusqu'au  méthodisme  français,  gagnait  de  plus  en  plus  du 
ternain,  si  bien  que  dans  ces  cercles  «croyants»  même  se 
formaient  de  nouveaux  groupes  qui  n'avaient  ajucun  lien  entre 
eux.  L'union  qui  autrefois  avait  existé  entre  les  étudiants, 
même  entre  ceux  qui  n'avaient  pas  les  mêmes  opinions 
dogmatiques,  était  brisée,  et  quelques  tentatives  de  la  rétablir 
ne  donnèrent  aucun  résultat. 


CHAPITRE  IX 

ITouyeaux  débats  sur  la  discipline  et  les  études 
Attaques  contre  le  Séminaire  et  son  enseignement 


Dès  Tannée  1844,  le  gouvernement  avait  invité  le  Consis- 
toire général  de  l'Eglise  de  la  Confession  d'Augsbourg  à 
examiner  de  plus  près  la  question  de  la  discipline  et  des 
études  au  Séminaire  protestant,  cette  question,  qui  impliquait 
celle  de  l'éducation  des  futurs  pasteurs,  ayant  donné  lieu  à 
de  sérieuses  observations.  Le  Consistoire  général,  après  en 
avoir  délibéré  et  avoir  pris  connaissance  des  règlements 
existants,  avait  déclaré  que  ces  règlements  étaient  suffisants 
pour  assurer  de  bonnes  études  et  une  discipline  convenable. 
Il  avait  pourtant  adopté  le  projet  présenté  par  le  Directoire 
d'une  organisation^  dont  les  bases  essentielles  seraient  la 
prescription  d'une  quatrième  année  d'études  consacrée  à  la 
théologie  pratique,  le  concours  à  cet  enseignement  des  profes- 
seurs du  Séminaire,  la  continuation  en  quatrième  année  des 
bourses  du  gouvernement,  la  séminarisation  des  boursiers, 
les  frais  pour  l'institut  pastoral  mis  à  la  charge  du 
Séminaire.  *) 

Les  circonstances  pourtant  n'étaient  pas  favorables  et  les 
choses  en  restèrent  là.  Sept  ans  se  passèrent  avant  que  la 
question  reparût.  La  veille  de  l'ouverture  de  la  session  du 
Consistoire  général  de  1851  seulement  arriva  une  dépêche  du 
ministre  invitant  le  Consistoire  à  aviser  aux  moyens  d'amé- 
liorer les  études  et  la  discipline  du  Séminaire  protestant  et 


')  Séance  du  Consistoire  général  du  9  oct.  1844.  Rec.  o£f,  III,  p.  121  s. 


232  LA   FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

aux  réformes  à  introduire  dans  cet  établissement  pour  qu'il 
répondît  complètement  à  son  but. 

«Le  Séminaire  protestant,  disait  le  ministre,  est  institué 
en  vue,  non  pas  de  former  des  théologiens  et  des  savants, 
mais  bien  de  préparer  les  élèves  à  Fexercice  des  fonctions 
pastorales  et  de  pourvoir  les  Eglises  de  ministres  dûment 
pénétrés  des  grands  devoirs  qu'ils  sont  appelés  à  remplir. 
Son  enseignement  doit  donc  tendre  à  développer  et  à  fortifier 
la  vocation  ecclésiastique.  Or,  c'est  à  cette  mission  que  le 
Séminaire  a  paru  répondre  trop  faiblement  jusqu'à  ce  jour. 
Indépendamment  des  réclamations  directes  que  l'administra- 
tion des  Cultes  a  reçues  à  cet  égard,  elle  a  pu  juger  elle- 
même  par  les  résultats,  que  la  direction  et  l'esprit  des  études 
avaient  dû  laisser  plus  ou  moins  à  désirer.  Il  ne  peut  s'agir 
ici  que  de  critiques  générales.  On  ne  met  pas  en  doute  les 
bonnes  intentions  et  l'érudition  incontestable  des  maîtres.  On 
reconnaît  volontiers  que  de  certains  progrès  ont  été  obtenus, 
qu'ainsi  des  écarts  de  conduite  sont  devenus  plus  rares  parmi 
les  étudiants,  et  les  habitudes  plus  studieuses.  Mais  l'instruc- 
tion qu'ils  reçoivent  est,  ce  semble,  trop  théorique  et  trop 
sèche;  elle  tend  à  être  trop  exclusivement  scientifique.  Des 
éléments  indispensables  au  pasteur,  tels  que  la  catéchisation 
et  la  prédication  sont  trop  négligés;  l'apprentissage  profes- 
sionnel en  un  mot,  n'est  pas  l'objet  d'assez  de  sollicitude;  la 
pratique  est  trop  sacrifiée  à  la  théorie,  l'application  à  la 
science  pure.  Ces  lacunes  d'une  part  et  cette  prédominance 
de  l'autre,  sont  évidemment  de  nature  à  influer  d'une  manière 
fâcheuse  sur  le  caractère  personnel  et  l'action  des  pasteurs 
et  conséquemment  sur  la  situation  morale  des  églises  confiées 
à  leurs  soins...  Enfin,  il  y  aurait  lieu  d'examiner  si  la  tenue 
matérielle  des  élèves,  si  le  régime  et  la  discipline  auxquels 
ils  sont  soumis  ne  comporteraient  pas  encore  plus  de  sévérité 
et  d'exactitude  que  par  le  passé...  Je  vous  invite,  M.  le 
président  »,  disait  le  ministre  en  terminant,  «  à  vous  préoccuper 
sérieusement  de  cette  question  fondamentale,  et  à  rechercher 
de  concert  avec  le  Consistoire  général  les  moyens  propres 
à  améliorer  la  situation.  L'état  de  choses  actuel  a  le  double 
tort,  de  ne  satisfaire  que  trop  imparfaitement  au  besoin 
d'édification  des  troupeaux,  et  de  tromper  trop  souvent 
l'attente  de  l'Etat,  qui  veut,  avec  juste  raison,  des  services 
utiles  et  réels,  en  échange  des  dispenses  du  service  militaire 


DEBATS  SUR  LE  COURS  DE  THEOLOGIE  PRATIQUE      233 

et  des  subventions  de  bourses  qu'il  accorde  aux  élèves  du 
Séminaire.  »  ^) 

Il  est  clair  que  les  critiques  contenues  dans  cette  dépêche 
ne  pouvaient  provenir  du  ministre,  qui  n'était  pas  en  situation 
d'avoir  une  opinion  sur  l'enseignement  des  professeurs  du 
Séminaire  ni  surtout  sur  les  besoins  religieux  des  comUtu- 
nautés  protestantes  d'Alsace  et  de  la  mesure  dans  laquelle 
satisfaction  leur  était  donnée.  Sa  dépêche  ne  faisait  que  repro- 
duire les  accusations  et  les  réclamations  de  l'orthodoxie 
parisienne,  qui  engageait  alors  contre  les  institutions  théo- 
logiques et  contre  les  professeurs  incrédules  de  Strasbourg 
une  lutte  qu'elle  allait  poursuivre  pendant  des  années. 

Dans  sa  séance  du  30  juillet  1851,  le  Consistoire  général 
discuta  la  question  qui  lui  était  soumise  par  le  ministre,  et 
le  président  résuma  la  discussion  en  ces  termes:  «Le  Consis- 
toire général  admet  en  principe:  que  les  études  homilétiques 
et  catéchétiques  doivent  recevoir  de  l'extension;  qu'une 
quatrième  année  d'études,  employée  presque  exclusivement  à 
la  théologie  pratique  serait  nécessaire;  que  les  professeurs 
de  théologie  devraient  réunir  autant  que  possible  la  pratique 
à  la  théorie;  que  les  élèves  seraient  tenus  d'assister  régulière- 
ment au  service  divin  et  de  rendre  compte  des  sermons  qu'ils 
auraient  entendus;  qu'il  serait  utile  d'attacher  au  Séminaire, 
pour  la  prédication  française  un  professeur  qui,  excellent 
prédicateur  lui-même,  joindrait  la  pratique  à  la  théorie,  et 
sous  lequel,  dans  un  service  spécialement  établi,  se  formeraient 
les  élèves;  qu'un  cours  de  théologie  pastorale  serait  donné 
coimne  autrefois.  » 

Le  président  ajoutait  pourtant  qu'en  recommandant  la 
pratique,  le  Consistoire  général  n'entendait  nullement  répudier 
la  science.  «  Il  faut  conserver  l'éducation  scientifique  »,  disait- 
il,  «  en  donnant  à  l'éducation  pratique  le  développement  qu'elle 
comporte.  »  ') 

Quant  à  la  question  disciplinaire,  le  Consistoire  se  trouva 
d'accord  sur  quatre  points:  il  faudrait  remettre  en  vigueur 
les  anciens  règlements,  donner  aux  étudiants  un  costume 
uniforme,    apporter    à    la    direction    du    Collège    de    Saint- 


^)  Le  Ministre  de  Vlnstruction  publique  et  des  cultes  au  président 
du  Directoire  (Arch.  du  Dir.). 
')  Recueil  officiel  IX,  p.  121. 


234  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE   DE  STRASBOURG 

Ouillaume  certaines  modifications,  et  restreindre  la  durée  des 
vacances  universitaires.  ^) 

Les  professeurs  du  Séminaire  ressentirent  d'autant  plus 
vivement  les  critiques  du  ministre  qu'elles  semblaient  impli- 
quer un  blâme  de  renseignement  qu'ils  avaient  donné  jusque- 
là  et  des  résultats  qu'ils  avaient  obtenus.  Ils  nommèrent  une 
commission  qui  fut  chargée  d 'élaborer  un  mémoire  en  réponse 
à  ces  critiques. 

Le  Directoire,  dans  la  session  du  Consistoire  supérieur 
de  1853,  et  la  Commission  nommée  ad  hoc,  dans  la  session 
de  1854,  présentèrent,  à  leur  tour,  des  rapports  circonstanciés 
sur  les  questions  relatives  à  la  discipline  et  aux  études  du 
Séminaire,  ainsi  que  sur  celles  de  la  pénurie  des  candidats 
et  de  leur  basse  extraction,  que  le  ministre  avait  soulevées 
dans  sa  lettre. 

Quant  à  la  provenance  des  candidats,  la  Commission 
constatait,  d'après  les  chiffres  fournis  par  le  Séminaire,  que 
des  284  candidats  luthériens  examinés  à  Strasbourg  dans  une 
période  de  25  ans  (du  1er  janvier  1827  au  31  décembre  1851) 
178  étaient  fils  de  pères  exerçant  des  fonctions  publiques 
ou  libérales,  fonctionnaires,  officiers  en  retraite,  négociants, 
pasteurs,  instituteurs,  etc.,  et  que  les  106  restants  sortaient 
presque  tous  de  la  classe  des  cultivateurs,  mais  se  distin- 
guaient par  leur  zèle  pour  les  études  et  par  l'énergique 
volonté  de  vaincre  les  difficultés  que  leur  opposait  l'insuffi- 
sance de  la  première  éducation. 

La  Commission  déclarait  en  outre,  en  s'appuyant  sur  des 
chiffres,  qu'il  n'y  avait  pas  à  craindre  que  l'Eglise  manquât 
de  candidats.  Dans  une  période  de  25  ans,  en  effet,  228  candi- 
dats avaient  été  placés  comme  pasteurs,  comme  professeurs 
du  Séminaire  ou  du  Gymnase,  25  étaient  morts,  et  31  étaient 
encore  restés  disponibles.  Chaque  année  produisait,  en 
moyenne,  11  candidats,  et  l'on  ne  comptait,  en  général,  que 
9  vacances. 

Quant  à  la  discipline  et  aux  études,  la  Commission 
rappelait  qu'elles  avaient  été  réglementées  à  différentes 
reprises  et  que  les  règlements  avaient  atteint  leur  but.  Ici 
encore,  elle  laissait  parler  les  faits.  Dans  la  période  décennale 
de  1816  à  1826,  235  élèves  avaient  été  inscrits;  sur  ce  chiffre. 


*)  Loc.  cit.,  p.  123. 


LA  QUESTION  DES  ETUDES  THEOLOGIQUES  235 

11  étaient  morts  avant  la  fin  de  leurs  études  et  40  avaient 
renoncé  à  la  carrière  pastorale;  des  184  restants,  154  étaient 
devenus  candidats  et  30  avaient  été  rayés  par  mesure  disci- 
plinaire. La  période  de  1826  à  1836  présentait  déjà  une 
amélioration  sensible.  Sur  141  élèves  inscrits,  11  avaient  été 
enlevés  par  la  mort  et  24  avaient  renoncé;  des  106  restants, 
95  avaient  été  reçus  candidats  et  11  seulement  avaient  été 
rayés.  La  i>ériode  de  1836  à  1846  marquait  un  nouveau 
progrès.  Les  élèves  inscrits  étaient  au  nombre  de  119;  ils  se 
trouvèrent  réduits  par  suite  de  décès  et  de  désistements  volon- 
taires à  93;  87  d'entre  eux  avaient  passé  les  derniers  exam<?ns 
et  6  avaient  été  renvoyés  pour  cause  disciplinaire.  Enfin, 
dans  le  cours  des  années  1846  à  1850,  65  élèves  avaient  pris 
des  inscriptions,  15  d'entre  eux  se  retirèrent  volontairement 
et  un  seul  fut  renvoyé. 

La  Commission  concluait  de  ces  faits  «  que  le  besoin  d'une 
plus  grande  sévérité  dans  les  règlements  ne  se  faisait  nulle- 
ment sentir,  puisqu'à  aucune  époque  la  conduite  des  élèves 
et  leur  application  aux  études  n'avait  été  aussi  bonne  et  aussi 
soutenue  ». 

La  Commission  se  prononça  également  contre  l'adoption 
d'un  costume  spécial  et  uniforme  qui  ne  pourrait  qu'éveiller 
et  nourrir  chez  les  jeunes  théologiens  l'esprit  sacerdotal,  sans 
les  garantir  des  entraînements  et  des  séductions,  et  sans  faci- 
liter leur  surs^eillance.  Mais  elle  fut  d'avis  de  prescrire  aux 
étudiants  la  redingote  ou  le  frac  noir,  la  cravate  blanche 
ou  noire  et  le  chapeau  à  haute  forme. 


II 

Mais  la  question  principale,  beaucoup  plus  importante 
que  les  questions  disciplinaires,  celle  des  études  théologiques, 
occupa  plus  particulièrement  la  Commission.  Les  critiques 
formulées  à  cet  égard  portaient  sur  deux  points  :  on  reprochait 
à  l'enseignement  du  Séminaire  d'être  trop  exclusivement 
scientifique  et  de  trop  s'écarter  de  la  doctrine  de  l'Eglise. 

Quant  au  premier  point,  la  Commission  déclara  que 
l'enseignement  d'un  Séminaire  ou  d'une  Faculté  de  théologie 
devait  être  essentiellement  scientifique,  puisqu'un  Séminaire 
ou  une  Faculté  ne  devait  pas  former  seulement  des  prédi- 
cateurs et  des  catéchètes,  mais  des  théologiens,  et  que  d'ailleurs 


236  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOURG 

une  forte  culture  scientifique  était  une  condition  indispensable 
d'une  véritable  éloquence  de  la  chaire  et  de  Tinstruetion 
catéchétique.  On  ne  saurait  blâmer  le  Séminaire,  disait-elle, 
d'avoir  maintenu  à  son  enseignement  le  caractère  scientifique; 
il  faut  au  contraire  Fencourager  à  persévérer  dans  cette  voie 
et  à  former  des  pasteurs  qui  soient  en  même  temps  des  savants 
et  des  hommes  religieux. 

La  Commission  montrait  que  le  Séminaire  ne  méritait 
pas  le  reproche  de  négliger  la  pratique.  «Il  fait  sous  ce 
rapport  ce  que  font  tous  les  établissements  du  même  genre 
et  ce  qui  est  dans  la  mesure  du  possible.  La  théorie  de  l'art 
oratoire,  de  la  liturgique  et  de  la  catéchétique  y  est  enseignée 
avec  soin,  des  exercices  pratiques  sont  annexés  à  ces  cours. 
Les  élèves  de  la  section  préparatoire  suivent  des  exercices  de 
déclamation;  ceux  de  la  deuxième  année  de  théologie  rédigent 
des  sermons  qu'ils  récitent  devant  leurs  condisciples  et  leur 
professeur;  ceux  de  la  troisième  année  prêchent  en  public. 
Les  exercices  catéchétique  s,  interrompus  pendant  plusieurs 
années,  ont  été  rétablis.  Un  pasteur  de  la  ville  a  été  associé, 
pour  la  direction  de  ces  exercices,  au  profeseur  de  théologie 
pratique.  Les  élèves  sont  aussi  initiés  à  la  connaissance  de 
l'organisation  de  notre  Eglise  et  de  la  législation  qui  la  régit.  » 

Quant  au  reproche  que  l'enseignement  du  Séminaire 
s'écartait  trop  de  la  doctrine  officielle  de  l'Eglise,  la  Com- 
mission du  Consistoire  supérieur  constatait  qu'il  venait  «du 
petit  nombre  de  théologiens  et  de  laïcs  qui  ont  arboré  le 
drapeau  d'un  rigide  luthéranisme  »^)  et  qu'il  n'était  pas  justi- 
fié. L'enseignement  théologique  du  Séminaire,  disait-elle,  ne 
mériterait  le  reproche  d'hétérodoxie  qu'autant  qu'il  s'écarterait 
des  doctrines  vitales  de  l'Evangile  et  des  principes  fonda- 
mentaux de  l'Eglise  protestante.  Or,  il  n'en  est  pas  ainsi. 
Les  professeurs,  on  le  voit  par  leurs  publications,  font  sans 
doute  une  large  part  à  la  critique  et  abordent  sans  hésitation 
les  problèmes  les  plus  ardus  de  la  théologie  moderne;  ils  ne 
jurent  pas  sur  la  lettre  des  confessions  de  foi,  mais  ils  s'in- 
clinent devant  la  divinité  du  christianisme  et  professent  avec 
un  pieux  respect  et  une  conviction  sincère  les  doctrines  fon- 
damentales du  protestantisme.  Les  pasteurs  et  candidats 
formés  à  leur  école  suivent  à  peu  près  les  mêmes  tendances. 


')  Rec.  off.  XII,  p.  78. 


l'enseignement  du  séminaire  justifié  237 

Il  en  est  pourtant  parmi  eux  qui  professent  une  orthodoxie 
sévère,  quelques-uns  se  sont  même  engagés  sous  la  bannière 
de  rultra-luthéranisme.  Que  faut-il  en  conclure,  sinon  que 
renseignement  du  Séminaire  rend  justice  à  toutes  les  opinions 
et  qu'il  laisse  les  croyances  des  élèves  dans  une  parfaite 
indépendance! 

«  Parmi  les  pasteurs  qui  ont  fait  leur  éducation  au 
Séminaire  »,  disait  encore  le  rapport  de  la  Commission,  «  nous 
n'en  connaissons  pas  un  seul  qui  ait  donné  dans  lea  excès  d'un 
rationalisme  outré,  tandis  que  nous  en  connaissons  plusieurs 
qui  sont  dans  des  tendances  orthodoxes  fort  prononcées»; 
et  il  concluait:  «L'enseignement  théologique  du  Séminaire  n'a 
pas  mérité  les  reproches  dont  il  a  été  l'objet.  »  *) 

La  Commission,  au  reste,  se  prononça  pour  l'ouverture 
d'un  cours  de  prudence  pastorale,  pour  la  création  d'un  Sémi- 
naire pastoral  et  pour  l'institution  d'une  quatrième  année 
d'études.  Reconnaissant  toutefois  les  difficultés  du  moment, 
elle  proposa  au  Consistoire  de  voter  cette  création  en  principe, 
mais  d'en  ajourner  l'ouverture  à  un  moment  plus  favorable,  et 
d'inviter  le  Directoire  à  faire,  en  attendant,  auprès  du  gou- 
vernement les  démarches  nécessaires  pour  obtenir  douze 
bourses  de  500  fr.  pour  l'entretien  des  candidats  qui  seraient 
placés  dans  ce  Séminaire. 

Après  de  longs  débats,  le  Consistoire  supérieur  finit  par 
adopter  les  propositions  de  la  Commission  relatives  à  l'ouver- 
ture d'un  cours  de  prudence  pastorale  et  à  la  création  d'un 
Séminaire  pastoral,  ainsi  que  le  projet  d'un  nouveau  règlement 
qui  ajoutait  aux  anciennes  dispositions  quelques  dispositions 
nouvelles.  L 'une  d 'elles  prescrivait  aux  élèves  non-boursiers  de 
se  loger  et  de  prendre  pension  dans  des  maisons  approuvées  par 
le  Séminaire.  Une  autre  plaçait  chaque  élève  sous  le  patronage 
d'un  des  professeurs  et  décidait  qu'un  bulletin  sur  sa  conduite 
et  son  travail  serait  envoyé  tous  les  six  mois  à  ses  parents 
ou  à  son  tuteur  et  au  Consistoire  dont  il  ressortissait.  Quant 
au  costume  des  étudiants,  on  adopta  également  la  proposition 
de  la  Commission:  redingote  ou  frac  noir,  cravate  blanche  ou 
noire,  chapeau  à  haute  forme.  Enfin,  il  était  fait  défense 
aux  élèves,  non  seulement  de  fréquenter  les  sociétés  et  lieux 
publics  dont  la  fréquentation  est  incompatible  avec  le  caractère 


Rec.  off.  XII,  p.  80. 


238  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOUKG 

ecclésiastique,  mais  de  former  entre  eux  aucune  association 
sans  la  permission  des  professeurs,  d'agir  ou  d'écrire  comme 
s'ils  étaient  une  corporation  ou  association  légalement 
reconnue,  et  de  se  réunir  en  assemblée  délibérante,  sauf  dans 
des  cas  exceptionnels,  pour  des  objets  déterminés  et  avec  la 
permission  expresse  du  Séminaire. 

Dans  les  années  qui  suivirent,  la  question  d'un  cours  de 
prudence  pastorale  et  celle  des  mesures  à  prendre  pour 
amener  une  amélioration  de  Iva  prédication  reparurent  toujours 
de  nouveau  à  l'ordre  du  jour  du  Consistoire  supérieur  et 
furent  discutées  sans  avancer  d'un  pas.  Enfin,  dans  la  session 
de  1853,  le  Directoire  annonçait  la  prochaine  ouverture  de 
conférences  sur  la  prudence  pastorale.  Mais  cette  annonce 
était  prématurée;  dans  la  session  de  1859,  l'autorité  ecclésias- 
tique dut  avouer  que  ces  conférences  n'avaient  pas  eu  lieu 
faute  d'auditeur Sw 

La  question  «des  moyens  de  perfectionner  dans  l'Eglise 
de  la  Confession  d'Augsbourg  la  prédication  dans  l'une  et 
dans  l'autre  langue»  n'avait  pas  reçu  de  solution  non  plus. 
Elle  avait  été  mise  à  l'ordre  du  jour  de  la  session  de  1859. 
Le  Consistoire  supérieur  avait  écouté  les  propositions  des 
inspecteurs  ecclésiastiques  et  le  rapport  de  la  Commission 
et  avait  renvoyé  la  discussion  de  la  question  à  sa  prochaine 
session. 

Dans  celle  de  1860,  la  Commission,  tout  en  rendant  hom- 
mage aux  efforts  faits  jusque-là  pour  pourvoir  à  l'éducation 
homilétique  des  élèves,  reconnaissait  qu'il  y  avait  davantage 
et  mieux  à  faire.  Elle  proposait  que  tous  les  élèves  sans 
exception  prissent  part  à  des  exercices  de  lecture  et  de  décla- 
mation sous  la  direction  d'hommes  bien  qualifiés.  Les  exercices 
de  langue  française  seraient  dirigés  par  un  Français  de 
l'intérieur,  doué  lui-même  d'un  talent  oratoire  décidé.  Dans 
la  troisième  année  de  théologie,  les  exercices  de  lecture  et 
de  déclamation  seraient  remplacés  par  des  exercices  de  prédi- 
cation. L'élève  reconnu  peu  apte  à  la  prédication  serait  exclu 
des  études  théologiques.  Sans  doute,  pour  achever  l'éducation 
des  élèves,  faudrait-il  une  quatrièmie  année  d'études  «parti- 
culièrement consacrée  à  des  exercices  de  prédication  et  de 
catéchisation»;  mais  la  création  d'un  Séminaire  pastoral  ne 
pourrait  être  réalisée  qu'avec  le  concours  du  gouvernement. 


l'enseignement  du  séminaiee  mis  en  suspicion         239 

Ces  propositions  furent  adoptées,  sauf  œlle  d'exclure  les 
élèves  reconnus  peu  aptes  à  la  prédication.  On  fit  valoir, 
avec  raison,  qu'un  élève  peu  doué  sous  ce  rapport  pouvait 
posséder  des  dons  d'autre  nature  et  rendre  de  véritables 
services. 

La  discussion  de  cette  question  fournit  aux  représen- 
tants de  l'orthodoxie  l'occasion  de  mettre  l'enseignement 
théologique  du  Séminaire  en  suspicion.  L'inspecteur  ecclé-^ 
siastique  Meyer  de  Paris  se  montra  particulièrement  agressif. 
«Le  relèvement  de  la  prédication»,  dit-il,  «est  une  des 
questions  les  plus  essentielles  de  l'avenir  de  notre  Eglise. 
Mais  je  crois  que  cette  question  est  une  question  de  fond 
et  non  de  formée,  qu  'elle  touche  non  pas  à  un  détail  seulement^ 
mais  à  l'ensemble  et  à  l'esprit  des  études  théologiques...  Ces 
études  peuvent  se  faire  dans  deux  esprits  différents,  l'un  de 
critique  et  de  doute,  l'autre  de  foi;  l'un  qui  mène  aux  systèmes 
du  monde,  l'autre  qui  mène  à  Jésus-Christ  et  nous  apprend 
à  le  reconnaître  comme  notre  Seigneur  et  Sauveur;  l'un  qui 
énerve  la  prédication,  l'autre  qui  lui  donne  la  vie  et  la  puis- 
sance... Il  faut  plus,  il  faut  que  le  prédicateur,  en  même  temps 
qu'il  est  uni  à  Christ  par  la  foi,  soit  uni  aussi  avec  l'Eglise, 
avec  les  doctrines  de  l'Eglise...  Je  nie  qu'un  professeur  ou 
un  pasteur  jouisse  de  la  liberté  illimitée  d'enseignement.  Je 
soutiens  qu'il  est  responsable  de  cet  enseignement  envers 
l'Eglise  qui  le  délègue,  qui  l'entretient  et  qui  a  droit  de  lui 
demander  compte.» 

Arrivant  à  parler  des  moyens  de  relever  la  prédication, 
l'orateur  déclarait  qu'il  attendait  peu  des  règlements.  «Je 
ne  demande  pas  mieux»,  ajoutait-il,  «que  de  voir  réussir  les 
exercices  qui  nous  sont  proposés,  mais  je  demande  surtout 
que  «le  Français  de  l'intérieur»  dont  il  est  question  dans 
le  rapport,  soit  dépendant  du  professeur  d'homilétique  et 
choisi  avec  son  concours.  »  *) 

Ce  que  l'orthodoxie  craignait,  ce  qu'elle  essayait  d'em- 
pêcher par  tous  les  moyens,  arriva  pourtant.  Dans  la  session 
du  Consistoire  supérieur  de  1861,  le  président  annonça  que 
la  décision  qui  prescrivait  au  Séminaire  de  confier  à  l'avenir 
la   direction   des   exercices   de   déclamation    française   à   un 


')  Recueil  officiel  XVII,  p.  187. 


240  LA   FACULTÉ   DE    THEOLOGIE   DE   STKASBOURG 

professeur  dont  le  français  fût  la  langue  maternelle  et  qui 
lui-même  se  distinguât  par  son  talent  oratoire,  avait  été 
exécutée.  «  Le  Séminaire  »,  dit-il,  dans  son  rapport,  «  a  proposé 
et  nous  avons  agréé  pour  ce  supplément  d'enseignement 
jugé  nécessaire  à  l'amélioration  de  la  prédication  française, 
M.  Colani,  que  désignait  d'une  manière  toute  spéciale  le  succès 
remarquable  de  ses  prédications  à  Saint-Pierre-le- Vieux  et, 
plus  tard,  à  Saint-Nicolas.  » 


CHAPITRE  X 

Timothée  Colani  —  Revue  de  théologie  —  Colani  chargé 
de  cours  au  Séminaire  —  Protestations  de  Torthodoxie 


Le  nouveau  professeur  qui  entrait  ainsi  au  Séminaire 
par  une  porte  entre-bâillée,  si  je  puis  dire,  pour  y  occuper  un 
poste  très  modeste  en  apparence  et  très  important  en  réalité, 
n'était  pas  un  inconnu,  il  s'était  depuis  des  années  fait  un 
nom  comme  écrivain  et  comme  prédicateur  et  était  alors,  à 
40  ans,  dans  toute  la  force  de  Tâge  et  du  talent. 

Timothée  Colani  ^)  était  né  à  Lemé,  dans  le  département  de 
l'Aisne,  le  25  janvier  1824.  Son  père,  pasteur  dans  cette  loca- 
lité, était  un  homme  du  Réveil,  d'une  profonde  piété  et  d'une 
sévère  orthodoxie.  Il  avait  voué,  dès  le  berceau,  ce  fils,  venu 
après  sept  filles,  au  ministère  évangélique,  et  veillait  avec  soin 
à  l'éducation  qui  devait  l'y  préparer.  Aussi,  redoutant  pour 
lui  l'enseignement  des  collèges  de  l'Etat,  l'envoya-t-il  faire 
ses  études  classiques  à  Neuchâtel,  et  puis  chez  les  frères 
moraves  de  Kornthal.  L'éducation  religieuse  que  reçut  le 
jeune  élève  dans  ces  milieux  ne  put  que  l'aifermir  dans  les 
croyances  traditionnelles. 

A  l'âge  de  seize  ans,  Colani  vint  à  Strasbourg  pour  y 
étudier  la  théologie.  Ses  goûts,  s'il  avait  pu  choisir,  l'eussent 
porté  à  d'autres  études,  à  celle  de  l'histoire,  des  mathéma- 
tiques ou  de  la  chimie.  Mais  son  père  l'avait  voué  au  minis- 


*)  Voy.  mes  articles  sur  Timothée  Colani  dans  le  Progrès  Reli- 
gieux de  1888. 

Dans  T.  Colani,  Essais  de  critique,  Paris,  1905,  la  Préface  de 
Joseph  Reinach. 

16 


242  LA  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE  DE  STKASBOUKG 

tère  ecclésiastique;  devant  la  volonté  paternelle,  il  s'inclina. 
Et  aussitôt  son  esprit  ardent  et  avide  se  jeta  avec  passion  sur 
la  science  théologique.  Les  cours  de  Reuss,  sa  méthode  histo- 
rique appliquée  à  l'exégèse  des  livres  bibliques,  lui  ouvrirent 
de  nouveaux  horizons.  Il  se  plongea  dans  l'étude  du  Nouveau 
Testament,  sans  négliger  pourtant  celle  de  la  philosophie, 
de  l'histoire  et  de  la  littérature.  Il  acquit  ainsi  un  savoir 
étendu;  en  même  temps  son  esprit  se  développait  et  s'affinait. 

En  1845,  à  vingt-et-un  an,  il  achevait  ses  études  universi- 
taires par  la  soutenance  d'une  thèse  remiarquable  sur  La  philo- 
sophie de  la  religion  de  Kant.  Dès  1846,  il  publiait  des  Essais 
sur  Vhistoire  de  la  théologie  allemande,  et,  en  1847,  une  disser- 
tation savante  sur  Leihnitz  et  le  catholicisme,  La  mêmte 
année,  il  obtenait  le  prix  de  la  fondation  Schmutz  dans  un 
concours  sur  Les  travaux  opposés  au  système  et  à  la  critique 
du  Dr.  Strauss  et  des  autres  défenseurs  de  V interprétation 
mythique,  et  il  passait  l'examen  de  licencié  en  théologie  avec 
une  thèse  sur  Vidée  de  V absolu.  Il  collaborait  aussi  au  jour- 
nal La  Réformation  au  dix-neuvième  siècle  qu'Edmbnd 
Schérer  dirigeait  à  Genève  et  qui,  sous  l 'inspiration  de  Vinet, 
plaidait  énergiquement  la  cause  de  la  séparation  de  l'Eglise 
et  de  l'Etat. 

Cependant,  les  idées  religieuses  et  théologiques  de  Colani 
s'étaient  peu  à  peu  modifiées.  L'étude  approfondie  du  Nou- 
veau Testament,  l'examen  consciencieux  des  grandes  ques- 
tions, les  discussions  contradictoires  avaient  provoqué  chez 
lui  une  de  ces  crises  d'où  la  foi  sort  transformée.  «Arrachant 
de  son  sein  mille  préjugés  invétérés  et  jusque-là  sacrés», 
il  était,  à  travers  des  luttes  douloureuses,  arrivé  à  un  chris- 
tianisme plus  spirituel  et  à  un  protestantisme  plus  consé- 
quent. Dès  lors,  il  comprit  la  nécessité  et,  par  conséquent,  le 
devoir  de  travailler  à  la  rénovation  de  la  science  théologique 
tombée  si  bas  en  France.  Un  événement  imprévu  vint  lui 
offrir  l'occasion  de  tenter  cette  grande  œuvre. 

II 

Dans  l'été  de  1849,  Edmond  Schérer'),  professeur  d'exé- 
gèse biblique  à  l'Oratoire  c'est-à-dire  à  l'Ecole  libre  de  théo- 


*)  Edmond-Henri-Adolphe  Schérer,  né  le  8  avril  1815  à  Paris,  fit 
d'abord   des  études  de  droit,   et  puis  alla  étudier   la  théologie  à  Stras- 


COLANI  ET  LA  REVUE  DE   THEOLOGIE  243 

logie  de  Genève,  donnait  sa  démission  à  la  suite  d'un  change- 
ment dans  ses  vues  sur  l'inspiration  de  la  Bible.  La  croyance 
à  rinspiration  plénière  était  un  des  fondements  de  la  doc- 
trine de  rOratoire,  et  Schérer  y  avait  donné  autrefois  son 
entière  adhésion.  Maintenant  qu'il  ne  l'admettait  plus,  il  crut 
devoir  mettre  sa  conduite  en  harmonie  avec  ses  convictions 
en  se  démettant.  Cette  démiarche  provoqua  au  sein  du  protes- 
tantisme une  certaine  émotion  et  donna  lieu  à  une  controverse 
assez  vive  sur  le  principe  qui  était  mis  ainsi  en  discussion. 
Eeuss,  qui  observait  attentivement  les  signes  du  temps,  crut 
le  moment  venu  de  réaliser  une  idée  qu'il  caressait  depuis 
longtemps,  à  savoir  de  faire  paraître  une  Revue  de  théologie 
en  langue  française.  Il  s'en  ouvrit  à  Viguié*)  et  à  Colani; 
les  deux  abondèrent  dans  son  sens.  Reuss  voulut  mettre  l'idée 
a  exécution  sans  tarder  davantage.  Dans  sa  pensée,  la  nou- 
velle Revue  devait  être  l'organe  du  protestantisme  français 
tout  entier  et  porter  sur  sa  couverture,  à  côté  des  noms  de 
Strasbourg  et  de  Genève,  ceux  de  Paris  et  de  Montauban.  H 
s'adressa  donc,  en  miême  temps,  à  Schérer  à  Genève,  au  pas- 
teur Verny  à  Paris  et  au  professeur  Sardinoux')  à  Mon- 
tauban. Mais  les  réponses  négatives  ou  évasives  qu'il  reçut 
refroidirent  son  ardeur,  et  finalement  il  renonça  à  son  projet. 
Colani  le  reprit,  le  fit  sien,  et  peu  de  temps  après  parut  l'an- 
nonce de  la  «Revue  de  théologie  et  de  philosophie  chrétienne». 
C'était  comme  l'aurore  d'un  nouveau  jour,  comme  un 
réveil  après  un  long  et  profond  sommeil.  Cette  apparition 
inattendue  de  la  Bévue  frappa  d'iaïutant  plus  les  esprits 
qu'elle  coïncidait  avec  l'arrêt  presque  complet  que  subissait 
en  Allemagne,  à  la  suite  des  tendances  réactionnaires  pro- 


bourg. Il  y  prit  les  grades  de  licencié  et  de  docteur,  et  fut  nommé  à 
une  chaire  d'exégèse  à  TOratoire  de  Genève.  (Voy.  Octave  Gréard, 
Edmond  Schérer,  Paris,  1890.) 

*)  Aristide  Viguié,  né  à  Nègrepelisse  le  29  janvier  1817,  avait  fait  ses 
études  à  Montau-ban,  puis  à  Berlin  et  à  Bonn;  il  passait  alors  sa  licence 
en  théologie  à  Strasbourg.  Il  fut  plus  tard  président  du  Consistoire  de 
Nîmes  et,  en  1879,  professeur  à  la  Faculté  de  théologie  de  Paris. 

*)  Pierre-Auguste  Sardinoux,  né  le  22  janvier  1908  à  Anduze, 
d'abord  aumônier  et  professeur  au  collège  de  Tournon,  puis  pasteur  à 
Fougères  (Hérault),  avait  été  appelé,  en  1847,  à  la  Faculté  de  Montauban 
comme  professeur  de  critique  sacrée  et  d'exégèse  du  Nouveau  Testa- 
ment. 

16* 


244  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

voquées  par  le  mouvement  de  1848,  la  production  scientifique 
et  surtout  théologique. 

Sans  doute,  les  explications  que  donnaient  les  deux  rédac- 
teurs dans  Pavant-propos  de  la  première  livraison,  qui  parut 
en  juillet  1850,  sur  la  position  qu'ils  voulaient  occuper,  ce 
motto:  «Veritati  cedendo  vincere  opinionem»,  cette  déclara- 
tion: «Le  drapeau  de  la  Revue  a  pour  devise:  Libre  déve- 
loppemient  de  la  pensée  chrétienne  »,  leur  appel  à  ceux  qui  «  mé- 
contents des  formules  d'une  dogmatique  vieillie  et  admettant 
pleinemient  le  salut  par  Jésus- Christ,  voulaient  travailler  à 
un  nouvel  édifice  sur  la  base  immuable  de  PHomnie-Dieu  », 
n'étaient  pas  sans  exciter  quelque  défiance  dans  l'esprit  de 
plusieurs.  Sous  ces  déclarations,  ils  flairaient  des  nouveautés 
dangereuses.  Et  de  fait,  il  y  avait  là  quelque  chose  de  nou- 
veau: ce  n'était  plus  la  théologie  de  la  lettre,  c'était  la  théo- 
logie de  l'esprit,  une  théologie  qu'on  n'enseignait  ni  à  Genève 
ni  à  Montauban  et  qu'on  désigna  dès  lors  de  Théologie  nou- 
velle ou  moderne. 

Autour  de  ce  drapeau  du  libre  développement  de  la 
pensée  chrétienne  se  groupa,  dès  le  premier  jour,  une  troupe 
d'élite.  A  côté  des  noms  des  deux  fondateurs  de  la  Revue, 
Colani  et  Schérer,  le  premier  volume  contenait  ceux  d'Edou- 
ard Reuss,  des  pasteurs  Verny  et  Pressensé  de  Paris,  du  phi- 
losophe suisse  Charles  Secrétan,  du  Hollandais  Ver-Huell,  du 
professeur  Herzog  de  Halle  et  de  deux  pasteurs  du  midi, 
Pierre  Goy  et  Jean  Monod.  Ils  revendiquaient  tous  le  droit 
de  la  libre  recherche  et  la  nécessité  du  développement  de  la 
science  théologique.  Sans  doute,  l'accord  entre  des  esprits  si 
divers  et  appartenant  à  des  tendances  si  diverses  ne  pouvait 
durer.  Dès  la  fin  de  la  première  année,  Jean  Monod  et  Edmond 
de  Pressensé  se  retirèrent.  Mais  d'autres,  des  Alsaciens,  des 
Français,  des  Suisses  et  des  Hollandais,  Cunitz  et  Kayser, 
Nicolas  et  Grotz,  Réville  et  Chavannes,  Busken-Huet  et  Trot- 
tet  vinrent  prendre  leur  place. 

Colani  ne  dirigeait  pas  seulement  la  Revue,  il  en  était, 
avec  Schérer,  le  principal  rédacteur.  Il  y  donnait  de  nom- 
breux articles  d'exégèse,  de  philosophie  et  d'histoire  reli- 
gieuse. Ceux  sur  le  Nouveau  Testament  et  sur  le  dogme  pro- 
voquèrent une  opposition  assez  vive  de  la  part  de  quelques 
défenseurs  des  idées  traditionnelles.  Mais  lorsque  Colani 
entama  la  question  christologique,  lorsqu'il  déclara:  «Nous 


LA  REVUE  CESSE  DE  PARAITRE  245 

nions  la  méthaphysique  orthodoxe,  mais  c'est  pour  des  motifs 
religieux,  parce  que,  prise  au  sérieux,  elle  détruit  la  réalité 
humaine  de  Jésus  et  son  caractère  de  Sauveur...  A  la  place 
d'un  fantôme  de  Christ,  nous  mettons  le  Christ  vivant»^), 
ce  fut  un  tollé  général.  Aux  protagonistes  du  Réveil,  aux 
hommes  des  Archives  du  Christianisme  et  aux  théologiens 
de  l'Espérance  vinrent  se  joindre  les  représentants  du  juste- 
milieu  pour  reprocher  à  la  Revue  des  opinions  hérétiques  et 
l'accuser  de  tendances  subversives. 

Dans  l'année  1858  commença  la  seconde  série  de  la  Revue 
avec  ce  titre:  Nouvelle  Revue  de  théologie,  et  ce  motto:  Fides 
quaerens  intellectum.  Son  inspiration  restait  la  même;  les 
problèmes  théologiques  les  plus  graves  y  étaient  traités, 
comme  ils  l'avaient  été  jusque-là,  par  des  hommes  compétents 
et  dans  un  esprit  plus  libéral  encore.  De  nouveaux  collabora- 
teurs étaient  venus  se  joindre  aux  anciens,  parmi  eux  Atha- 
nase  Coquerel  fils,  Viguié,  Th.  Bost;  Colani  lui-même,  absorbé 
par  d'autres  travaux  et  de  graves  préoccupations,  ne  donnait 
plus  que  rarement  des  articles  de  fond.  Une  troisième  série 
de  la  Revue  parut  en  1863.  Colani  y  écrivit  de  moins  en  moins, 
il  finit  même  par  en  abandonner  la  direction  à  des  mains  plus 
jeunes,  à  Maurice  Schwalb  d'abord,  à  Auguste  Carrière  ensuite. 
Mais  la  Revue  commlençait  à  se  survivre;  Colani  résolut  de 
la  faire  disparaître.  Dans  la  livraison  de  décem/bre  1869,  il 
annonçait  que  cette  livraison  était  la  dernière  et  il  ajoutait 
cette  fière  déclaration:  «Le  droit  de  la  libre  science  théolo- 
gique, nié  absolumient  lors  de  nos  débuts,  est  désormais  un 
fait  qui  s'impose  à  tous.  Dans  l'église,  sans  doute,  il  y  a 
encore  bien  des  combats  à  livrer;  mais  devant  l'opinion 
publique,  la  victoire  est  complète...  Désormais  les  protestants 
de  France  ne  veulent  ni  ne  peuvent  se  passer  d'une  théologie 
libre...  La  Revue  de  théologie  a  rempli  sa  tâche.  » 

III 

Colani,  depuis  des  années,  portait  aussi  ses  idées  dans  la 
chaire  chrétienne:  à  Saint-Pierre-le- Vieux,  dont  les  pasteurs 
avaient  organisé  un  culte  français  mensuel,  et  puis  à  Saint- 
Nicolas,   où  il  remplit  d'abord  les  fonctions   de  vicaire  et 


*)  Revue  de  théologie  XI,  p.  122. 


246  LA  FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE   DE   STRASBOURa 

ensuite  celles  de  pasteur,  il  donna  des  prédications  régulières 
qui  attiraient  un  auditoire  aussi  nombreux  que  sympathique. 
Sans  doute,  il  n'avait  pas  que  des  admirateurs  enthousiastes, 
il  avait  d'ardents  détracteurs.  On  l'accusait  d'amoindrir  la 
religion,  on  lui  reprochait  même  de  prêcher  le  relâchement 
moral.  Ces  accusations  le  décidèrent  à  miettre  ses  sermons 
sous  les  yeux  du  grand  public.  Il  fit  d'abord  paraître  quel- 
ques discours  séparés,  et  puis,  de  1857  à  1861,  trois  recueils 
de  sermons^),  qui  furent  accueillis  avec  la  plus  grande  faveur. 
Le  premier  n'eut  pas  seulement  plusieurs  éditions,  il  fut 
traduit  en  plusieurs  langues,  en  allemand,  en  anglais,  en  hol- 
landais et  en  suédois.  Ces  discours  étaient  considérés  comme 
des  modèles  de  prédication  libérale:  à  la  Faculté  de  théologie 
de  Genève,  le  professeur  d'homilétique  les  faisait  analyser 
par  ses  élèves  pour  les  former  à  l'éloquence  de  la  chaire,  et 
au  Collège  de  France,  à  Paris,  Saint-Marc  Girardin  en  lisait 
des  passages  dans  son  cours  de  littérature. 

Le  grand  désir  de  Colani  était  pourtant  d'arriver  à  une 
chaire  académique.  La  renommée  qu'il  avait  acquise  par  sa 
Revue  et  par  ses  sermbns,  son  talent  oratoire  et  littéraire,  sa 
vaste  science,  toutes  ces  qualités  semblaient  le  désigner  pour 
l'enseignement  universitaire.  Mais  son  nom  était  devenu  un 
«drapeau»  et  au  Séminaire  il  n'avait  pas  que  des  amis.  En 
1856  déjà,  Eeuss  et  Bruch  l'avaient  proposé  pour  la  chaire  de 
philosophie  devenue  vacante  par  la  mort  de  Bartholmess, 
m!ais  l'animosité  des  orthodoxes  parisiens  qui  inspirait  une 
sainte  terreur  au  président  Braun,  et  le  peu  de  sympathie 
de  quelques-uns  des  membres  du  Séminaire  qu'effrayaient 
les  idées  progressistes  de  Colani,  avaient  empêché  sa  nomi- 
nation. Des  années  passèrent  encore  sans  que  l'occasion  se 
présentât  de  le  faire  entrer  au  Séminaire. 

Enfin,  une  décision  du  Consistoire  supérieur  vint  lui  en 
ouvrir  l'accès.  Dans  sa  session  de  1860,  le  conseil  suprême 
de  l'Eglise  de  la  Confession  d'Augsbourg,  discutant  sur  les 
mesures  à  prendre  pour  pourvoir  à  l'éducation  oratoire  des 


*)  Le  premier  recueil:  Sermons  prêches  à  Strasbourg.  Strasb.  1857, 
in-12*^,  parut  dans  sa  3e  édition  sous  ce  titre  :  «  Premier  recueil  »,  1860. 
Le  second  recueil  :  Nouveaux  sermons.  Str.  1860,  in-12o,  parut  dans  sa 
2e  édition,  comme  «  Second  recueil  »  1862.  Le  troisième  recueil  contenait 
Quatre  sermons  prêches  à  Nîmes  et  parut  sous  ce  titre  à  Strasb.  1861. 
in-120. 


LE  DIRECTOIRE   RECOMMANDE   COLANI  AU   SÉmNAIRE  247 

élèves  en  théologie,  décida  que  «  dès  leur  admission  au  Sémi- 
naire, les  élèves  prendraient  obligatoirement  part  à  des  exer- 
cices de  lecture  et  de  déclamation  sous  la  direction  d  ^hommes 
bien  qualifiés»  et  que  «celle  des  exercices  de  langue  fran- 
çaise serait  confiée  à  un  Français  de  l 'intérieur,  doué  lui-même 
d'un  talent  oratoire  distingué».  Le  président  Braun,  qui,  en 
somme,  était  porté  pour  Colani,  vit  là  un  moyen  de  lui  ouvrir 
la  carrière  universitaire.  Il  gagna  ses  collègues  du  Direc- 
toire à  son  idée,  et  le  1er  mars  1861,  il  adressa  au  Séminaire 
la  lettre  suivante,  décidée  en  séance  du  Directoire: 

«  Il  y  a  bien  longtemps  que  l 'opinion  publique  se  préoc- 
cupe de  la  situation  précaire  de  l'un  des  hommes  les  plus  dis- 
tingués dont  s'honore  la  chaire  évangélique  de  Strasbourg, 
M.  Colani. 

«  L'émotion  est  devenue  plus  grande  encore  chez  les  nom- 
breux admirateurs  de  cet  orateur  éminent,  lorsque  tout 
récemment  on  a  appris  qu'il  était  appelé  dans  le  midi  pour 
y  prêcher  et  qu'il  se  déciderait  peut-être  à  y  accepter  telle 
position  qu'il  faut  craindre  de  ne  jamais  lui  voir  offerte  à 
Strasbourg. 

«Le  Séminaire  est  désigné  d'une  voix  unanime  comme 
pouvant  seul  prévenir  cette  regrettable  détermination  et  nous 
croyons,  Messieurs,  devoir  appeler  votre  attention  la  plus 
sérieuse  sur  ce  qu'il  vous  serait  possible  de  faire  en  faveur 
de  M.  Colani,  pour  donner  satisfaction  aux  vœux  d'une  très 
grande  partie  du  public  protestant  de  cette  ville. 

«Deux  mjoyens  se  présentent  tout  naturellement,  puis- 
que M.  Colani  est  aussi  distingué  comme  littérateur  que 
comme  prédicateur. 

«  C'est  ou  bien  de  le  charger  d'initier  les  jeunes  gens  de 
langue  française  à  l'art  de  bien  parler  en  public,  dans  les 
limites  oii  le  Consistoire  supérieur  a  exprimé  le  vœu  que  cet 
art  leur  fût  enseigné  désormais,  ou  bien  de  relever  pour  lui 
le  cours  de  littérature  française  qui  se  trouve  interrompu  au 
Séminaire  depuis  la  miort  de  M.  Willm  et  la  retraite  de 
M.  Schnitzler. 

«  Nous  vous  prions  d'examdner,  Messieurs,  si  ces  deux 
moyens  ne  seraient  pas  conciliables,  ou,  du  moins,  lequel  des 
deux  permettrait  d'assurer  à  M.  Colani  la  position  à  laquelle 
son  mérite  lui  donne  des  titres...  » 

Le  Séminaire,  dès  sa  séance  du  11  mars,  «sur  la  propo- 


248  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOURG 

sition  de  plusieurs  membres  »  —  le  procès-verbal  de  la  séance 
ne  fait  pas  mention  de  la  lettre  du  Directoire  — ,  considérant, 
d'une  part,  «Timportance  d'un  cours  spécial  de  littérature 
française  et  d'exercices  de  lecture  et  de  déclamation»,  consi- 
dérant, d'autre  part,  «les  connaissances  de  M.  Colani,  ses 
talents  distingués  et  notamment  le  succès  de  sa  prédication  », 
prenait  un  arrêté  qui  chargeait  Colani  de  ce  cours  et  de  ces 
exercices,  et  le  Directoire  se  hâtait  d'approuver  sa  décision. 

La  nouvelle  de  cette  nomination  fut  naturellement 
accueillie  avec  des  sentiments  très  divers.  Tandis  que  les 
feuilles  libérales,  le  Courrier  du  Bas-RMn  à  Strasbourg,  le 
Lien  à  Paris,  l'annonçaient  avec  la  plus  vive  satisfaction  à 
leurs  lecteurs,  le  Lien  regrettant  seulement  que  Colani  ne 
fût  pas  appelé  «  à  une  autre  chaire  que  celle  de  littérature  et 
d'éloquence»,  V Espérance,  organe  de  l'orthodoxie,  l'enregis- 
trait avec  une  profonde  douleur,  «persuadée  que  dans  l'en- 
seignement donné  à  de  jeunes  théologiens,  ni  le  talent  ni 
l'honorabilité  du  caractère  ne  peuvent  tenir  lieu  de  croyances 
chrétiennes,  même  quand  il  s'agit  de  littérature  ou  d'art  ora- 
toire». Jj^Evangéliste,  journal  des  dissidents,  alla  plus  loin,  il 
somma  les  Consistoires  de  la  Confession  d'Augsbourg  de 
protester  contre  ce  qu'il  appelait  «un  horrible  scandale».  Le 
Consistoire  luthérien  de  Paris,  écoutant  cet  appel,  adressa, 
en  effet,  au  Directoire  une  lettre  qui  exprimait  ses  appréhen- 
sions et  sa  douleur. 

Parmi  les  élèves  du  Séminaire  et  de  la  Faculté,  l'arrêté 
du  Séminaire  fut  également  accueilli  avec  des  sentiments 
très  partagés.  Les  uns,  et  c'était  la  grande  majorité,  saluèrent 
avec  enthousiasme  «cette  réalisation  d'une  de  leurs  espé- 
rances les  plus  chères».  Quarante-trois  d'entre  eux  allèrent 
complimenter  le  nouveau  professeur.  «Nous  sommes  heu- 
reux», lui  dirent-ils  par  la  bouche  de  l'un  d'eux,  Ernest 
Picard,  «  de  compter  parmi  les  professeurs  de  notre  Sémi- 
naire un  homme  que  nous  estimons  et  que  nous  aimons  la 
plupart  depuis  longtemps...  Cette  démonstration  n'est  pas 
pour  nous  ime  affaire  de  parti:  c'est  une  affaire  de  cœur,  de 
sympathie  et  d'affection;  nos  convictions  à  nous  réunis  ici 
autour  de  vous  peuvent  être  et  sont  probablement  fort 
diverses,  nous  nous  sommes  néanmoins  associés  dans  une 
seule  pensée  pour  vous  témoigner  notre  sympathie,  parce  que 
souvent  déjà  votre  voix  nous  a  réunis  et  a  fait  battre  notre 


24^ 

cœur  à  l'unisson  du  vôtre,  parce  que  nous  avons  toujours 
trouvé  en  vous  un  défenseur  ferme  et  constant  des  grands 
principes  du  protestantisme,  de  sa  liberté  de  conscience  et  du 
spiritualisme  chrétien,  et  enfin,  parce  que  nous  avons  pu,  en 
mainte  occasion,  apprécier  votre  désintéressement  -ainsi  que 
la  fermeté  et  la  droiture  de  votre  caractère  »  ^) . 

Le  récit  de  cette  manifestation  publié  par  le  Lien  ne 
tarda  pas  à  provoquer  une  contre-manifestation.  Des  élèves 
qui  s'étaient  abstenus  répondirent  à  Tarticle  du  Lien,  dans 
VEspérance  du  17  mai,  par  une  lettre  dans  laquelle  ils  ne  crai- 
gnirent pas  d'avancer  que  le  choix  fait  par  l'autorité  ecclé- 
siastique portait  sur  un  homme  «qui  professe  des  doctrines 
contraires  aux  vérités  fondamentales  de  l'Evangile»,  et  de 
déclarer  «qu'ils  le  voyaient  avec  douleur  entrer  dans  l'ensei- 
gnement  de  notre  Séminaire.» 

Cette  désapprobation,  par  des  élèves  du  Séminaine  et  de 
la  Faculté,  d'un  acte  de  l'autorité  supérieure,  valut  d'ail- 
leurs à  ses  auteurs  un  blâme  sévère. 

On  n'en  resta  pas  là;  une  guerre  de  brochures  éclatai,  qui 
dégénéra  en  vives  personnalités  et  en  ardentes  récriminations. 
Le  pasteur  Hosemann  de  Paris,  dans  une  brochure  intitulée 
Un  rrDot  à  propos  de  V appel  adressé  à  M.  Colani  par  le  Sémi-- 
nuire  protestant  de  Strasbourg,  essaya  de  démontrer  que  le& 
convictions  du  directeur  de  la  Revue  de  théologie  étaient 
opposées  à  la  confession  de  foi  et  à  la  liturgie  de  l'Eglise  de 
la  Confession  d'Augsbourg  et  que,  par  conséquent,  il  ne 
pouvait  entrer  dans  le  professorat  et  le  ministère  de  cette 
Eglise.  Colani  crut  alors  devoir  recourir  également  au  tribu- 
nal de  l'opinion  publique.  Dans  sa  Lettre  à  M,  le  pasteur 
Hosemann,  il  montra  que  la  Confession  d'Augsbourg  n'a. 
point  l'autorité  d'une  charte,  qu'elle  est  un  simple  manifeste 
qui  exprime  la  tendance  générale  de  l'Eglise  luthérienne  et 
indique  quelle  méthode  elle  emploie  pour  se  réformer;  il  rap- 
pela que  l'Eglise  luthérienne  de  France  ne  l'a  jamais  fait 
signer  à  personne,  qu'elle  exige  uniquement  de  ses  pasteurs 
la  promesse  d'en  respecter  les  principes  fondamentaux,  et  il 
conclut  que  tant  que  M.  Hosemann  n'aurait  pas  prouvé  que 
son  enseignement  était  opposé,  non  à  la  lettre,  mais  à  l'esprit 
de  la  Confession  d'Augsbourg,  à  sa  tendance,  à  sa  méthode^ 


^)  Le  Lien  du  17  avril  1861,  sous  ce  titre:  «  Une  manifestation  », 


250  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE   STRASBOURG 

il  n'aurait  pas  le  droit  de  demander  son  exclusion  ni  du  pro- 
fessorat ni  du  ministère  de  TEglise. 

Mais  les  critiques  les  plus  vives,  celles  qui  eurent  le  plus 
de  retentissement,  devaient  venir  d^autre  part.  Dans  la  session 
du  Consistoire  supérieur  de  1861,  les  représentants  de  Portho- 
doxie  luthérienne  exprimèrent,  l 'un  après  l 'autre,  leurs  regrets 
de  la  nomination  de  Colani  au  Séminaire  et  leurs  appréhen- 
sions relativement  à  son  enseignement  et  à  son  influence  sur 
les  jeunes  théologiens.  Ils  déclarèrent  que  «les  principes  les 
plus  essentiels  étaient  ébranlés,  qu'on  battait  en  brèche  et  la 
Confession  de  l'Eglise  et  l'autorité  des  Saintes  Ecritures  et 
le  sacrifice  du  Rédempteur»;  ils  demandèrent  que  l'on  épar- 
gnât aux  jeunes  théologiens  «le  danger  d'être  mis  en  contact 
officiel  avec  ceux  qui  ont  érigé  le  doute  en  doctrine  et  qui  ont 
su  lui  donner  tout  le  charmfe  et  tout  l'attrait  d'un  grand 
taleat»,  ils  allèrent  jusqu'à  proposer  un  amendement  au 
rapport  de  la  commission  conçu  en  ces  termes:  «Le  Consis- 
toire supérieur  regrette  que,  par  une  nomination  récente,  les 
corps  compétents  aient  donné  charge  de  cours  à  un  professeur 
de  tendances  négatives.  »  A  l'observation  que  Colani  n'avait  pas 
été  nommé  professeur  au  Séminaire,  mais  simplement  chargé 
de  la  direction  des  exercices  de  déclamation  et  d'un  cours  de 
littérature  française,  ils  répondaient:  «Tout  le  monde  sait 
que  M.  Colani  est  théologien  et  non  pas  littérateur,  et  qu'il 
est  beaucoup  trop  ce  qu'il  est  pour  que  toute  son  action  et  son 
enseignement  n'en  soient  pas  pénétrés»,  et  à  la  question: 
Pourquoi  ce  cri  d'alarme?  «C'est  que  M.  Colani  est  un  dra- 
peau,,.  Il  est  avant  tout  l'homme  de  sa  Revue.  »  *) 

Le  rapporteur  de  la  Commission  constatait  pourtant  que 
la  nomination  de  Colani  était  irréprochable  en  la  forme,  et 
que  le  Consistoire  Supérieur  n'était  pas  un  synode  pour  la 
condamner  au  point  de  vue  des  convictions  religieuses  de  ce 
professeur.  «Le  Consistoire  Supérieur»,  dit-il,  «n'a  le  droit 
ni  de  l'approuver  ni  de  l'improuver  ». ')  Le  Consistoire  passa 
à  l'ordre  du  jour. 

Quelques  jours  plus  tard,  Colani  commençait  son  cours 
devant  un  auditoire  nombreux  et  sympathique. 


*)  F,ec.  off.  XVIII,  p.  151. 
')  Loc.  cit.  p.  161. 


TROISIÈME  PÉRIODE 
1864-1872 


CHAPITRE  I 

ITouvelles  vacances  au  Séminaire  et  à  la  faculté 

Eevendications  orthodoxes  —  Luttes  entre  les  tendances  libérale 

et  conseryatrice  —  Colani  et  Liclitenberger 

Reuss,  dans  ses  Mémoires  constate  qu'après  1860  et 
pendant  les  années  qui  suivirent,  le  niveau  de  Fesprit  acadé- 
mique subit  une  forte  baisse  au  Séminaire  et  à  la  Faculté. 
Il  y  avait  à  cela  différentes  raisons.  La  principale  était  sans 
doute  l'âge  avancé  de  plusieurs  des  professeurs  et  leur 
aversion  persistante  pour  tout  changement  de  méthode  ou  de 
programme.  Ils  suivaient  l'ornière  de  la  routine,  incapables 
de  réveiller  les  esprits  assoupis,  sans  ardeur  au  travail  et 
sans  intérêt  pour  la  science.  Un  fait  suffira  pour  marquer 
l'affaissement  moral  de  ces  années:  en  1862,  deux  nouveaux 
membres  seulement  se,  présentèrent  pour  la  Société  théolo- 
gique et  l'an  d'après  il  ne  s'en  présenta  aucun. 

L'année  1863-1864  amena  au  Séminaire  et  à  la  Faculté 
de  grands  changements.  Les  vieux  professeurs,  ceux  qui 
étaient  le  plus  opposés  à  toute  innovation,  furent  emportés, 
l'un  après  l'autre,  par  la  maladie.  Des  hommes  jeunes,  animés 
d'un  autre  esprit,  furent  appelés  à  les  remplacer.  Une  ère 
nouvelle  s'annonçait,  mais  ses  commencements  furent  marqués 
par  des  luttes  ardentes  entre  les  partis  adverses,  dont  chacun 
prétendait  faire  arriver  ses  adeptes  aux  places  devenues 
vacantes. 


252  LA   FACULTÉ   DE   THEOLOGIE   DE   STRASBOURG 

Le  professeur  Jung  fut  rappelé  le  premier,  même  avant 
Fouverture  de  Tannée  scolaire.  Il  était  tombé  malade  à  Sainte- 
Marie-aux- Mines,  oii  il  avait  passé  ses  vacances  auprès  de  sa 
fille  aînée,  mariée  au  pasteur  Hoff,  et  était  revenu  à  Stras- 
bourg, dans  les  premiers  jours  d'octobre,  pour  y  mourir.  Il 
fallut  songer  à  le  remplacer  au  Séminaire,  à  la  Faculté  et  à  la 
Bibliothèque.  Ce  dernier  remplacement  ne  donna  lieu  à  aucune 
difficulté.  La  bibliothèque  de  la  ville  et  celle  du  Séminaire 
avaient  été  administrées  jusque-là  par  un  seul  et  même 
bibliothécaire;  on  les  sépara.  La  ville  nomma  le  conservateur 
de  sa  collection  et  le  Séminaire  celui  de  la  sienne.  Il  appela 
à  ces  fonctions  le  gendre  de  Jung,  Frédéric  Eeussner,  alors 
professeur  au  Gymnase. 

Le  remplacement  de  Jung  dans  la  chaire  d'histoire  ecclé- 
siastique se  fit  tout  aussi  facilement.  Charles  Schmidt  qui, 
dans  les  dernières  années,  avait  encore  augmenté  sa  réputation 
d'historien  par  la  publication  de  plusieurs  ouvrages  remar- 
quables, était  tout  désigné  pour  cet  enseignement  si  important. 
Aussi  quand  il  demanda  d'échanger  la  chaire  d'homilétique 
avec  celle  d'histoire  ecclésiastique,  le  Séminaire  fut  unanime 
à  accueillir  sa  demande  et  la  Faculté  à  l'appuyer  auprès  du 
ministre. 

Mais  alors  surgit  la  question  de  son  remplacement  dans 
la  chaire  d'homilétique.  Et  là  commencèrent  les  difficultés. 
Schmidt  aurait  voulu  disposer  de  la  chaire  qu'il  avait  occupée 
si  longtemps  en  faveur  d'un  candidat  qui  partageât  ses 
opinions  religieuses.  Son  choix  s'était  porté  sur  im  jeune 
savant  strasbourgeois  qui  n'avait  pas  eu  encore  le  temps  de 
se  faire  connaître,  mais  de  qui  l'on  attendait  beaucoup. 

Auguste-Frédéric  Lichtenberger,  né  à  Strasbourg  le 
21  mars  1832,  avait  fait  ses  études  classiques  au  Gymnase 
protestant  et  ses  études  théologiques  au  Séminaire  et  à  la 
Faculté  de  théologie  de  sa  ville  natale.  Il  avait  ensuite  visité 
les  Universités  allemandes  et  avait  fait  un  séjour  à  Paris. 
Revenu  à  Strasbourg,  il  avait  acquis,  en  1857,  le  grade  de 
licencié,  et,  en  1860,  celui  de  docteur  en  théologie.  Pasteur 
suffragant  au  Temple-Neuf  depuis  1858,  il  remplissait  simul- 
tanément, depuis  1860,  les  fonctions  d'aumônier  au  Gymnase 
protestant.  Ce  n'était  pas  un  érudit;  sa  science  n'était  pas 
très  vaste,  mais  il  était  fort  versé  dans  les  différentes  branches 
de  la  théologie  systématique.  Son  point  de  vue  théologique 


LE   PARTI   ORTHODOXE   REVENDIQUE  UNE   CHAIRE  253 

n'était  pas  bien  accentué  non  plus;  il  se  rattachait  à  la  tendance 
dite  du  «  juste-milieu  »  et  écrivait  dans  la  Revue  de  Pressensé; 
néanmoins  Torthodoxie,  n'ayant  pas  de  candidat  acceptable 
à  présenter  pour  une  chaire  universitaire,  le  choisit  pour 
Popposer    aux  candidats  de  tendance  libérale. 

Si  l'on  s'était  conformé  à  l'ancien  règlement,  qui  portait 
que  les  professeurs  de  la  Faculté  devaient  être  choisis  parmi 
ceux  du  Séminaire,  la  nomination  de  Lichtenberger  à  la  Faculté 
n'eût  pas  été  possible.  On  aurait  commencé  par  pourvoir  à  la 
chaire  devenue  vacante  au  Séminaire,  en  y  appelant  un  des 
professeurs  suppléants  ou  agrégés,  et  ce  corps  ainsi  complété, 
on  aurait  choisi  dans  son  sein  les  candidats  à  proposer  au 
Directoire  et,  par  lui,  au  ministre.  Cette  manière  de  procéder 
n'aboutissant  pas  aux  fins  voulues  par  le  parti  conservateur, 
il  eut  garde  de  l'invoquer.  Schmidt  insista,  lau  contraire,  pour 
que  sa  demande  d'échanger  la  chaire  d'homilétique  avec  celle 
d'histoire  ecclésiastique  fût  soumise  sans  retard  à  l'autorité 
compétente;  le  ministre  l'approuva  et  la  vacance  de  la  chaire 
d'homilétique  fut  déclarée. 

Et  tout  de  suite  le  parti  orthodoxe  se  mit  en  branle  pour 
obtenir  la  nomination  d'un  candidat  qui  lui  aggréerait.  Il  eut 
d'abord  l'idée  assez  étrange  de  proposer  le  pasteur  Haerter 
pour  la  chaire  vacante  et  de  lui  adjoindre  Lichtenberger  pour 
les  cours  et  les  exercices  en  langue  française.  Il  fallut  pour- 
tant renoncer  à  ce  projet.  Le  pasteur  Haerter,  qui  y  avait 
d'abord  accédé,  comprit  sans  doute,  après  mûre  réflexion, 
que,  pour  occuper  une  chaire  universitaire,  il  fallait  autre 
chose  encore  que  l'exhortation  incessante  à  la  repentance  et  à 
la  vraie  foi.  Il  savait  aussi  que  si  le  Séminaire  était  con- 
sulté, il  ne  pouvait  guère  s'attendre  à  ce  qu'une  majorité 
se  prononçât  pour  lui.  Il  crut  donc  prudent  de  se  désister. 

Cependant,  ce  n'étaient  plus  les  seuls  représentants  de 
l'orthodoxie  luthérienne  de  Paris  qui  revendiquaient  une 
place  au  Séminaire  et  à  la  Faculté  pour  un  candidat  de  leur 
tendance  religieuse,  l'orthodoxie  luthérienne  d'Alsace  venait 
tenter  une  démarche  dans  le  même  sens.  Peu  de  jours  après 
la  mort  du  professeur  Jung,  quatorze  pasteurs  et  vicaires, 
auxquels  s'était  joint  un  professeur  du  Gymnase  protestant, 
adressèrent  au  président  du  Directoire  une  pétition  dans 
laquelle  ils  demandaient,  au  nom  d 'un  grand  nombre  de  leurs 
collègues  et  de  toute   la    partie   confessionnelle    de    l'Eglise 


254  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOURG 

d'Alsace,  que  «rautorité  supérieure,  à  roccasion  du  rem- 
placemient  de  M.  Jung,  prenne  sérieusement  en  considération 
les  besoins  légitimes  de  toute  la  partie  de  l 'Eglise  qui  professe 
les  doctrines  évangéliques  telles  qu'elles  sont  déposées  dans 
les  Saintes  Ecritures  et  dans  notre  confession  de  foi,  et  fasse 
entrer  parmi  les  professeurs  de  la  Faculté  ou  du  Séminaire 
un  représentant  de  ces  doctrines.  »  ^) 

En  face  de  ces  revendications,  qui  avaient  pour  but  non 
seulemlent  de  faire  entrer  au  Séminaire  et  à  la  Faculté  des 
représentants  de  la  droite,  mais  d'en  écarter  deux  hommes 
qui  étaient  désignés  d'avance  et  depuis  longtemps  pour  en 
faire  partie,  les  éléments  libéraux  de  la  population  strasbour- 
geoise  s'émurent  à  leur  tour.  Cinquante-cinq  notables  — 
parmi  lesquels  les  doyens  de  la  Faculté  des  lettres  et  de  celle 
de  médecine,  plusieurs  professeurs  de  différentes  Facultés, 
des  juges,  des  avocats,  des  notaires,  des  médecins,  des  ban- 
quiers, des  négociants  —  signèrent  une  adresse  aux  membres 
du  Directoire  et  aux  professeurs  du  Séminaire,  dans  laquelle 
ils  exprimaient  la  crainte  qu'au  moment  où  il  s'agissait  de 
combler  un  vide  dans  les  rangs  des  professeurs  du  Sémi- 
naire, une  pression  illégitime  ne  pesât  sur  les  décisions  de 
ceux  qui  étaient  appelés  à  faire  les  présentations  ou  les 
nominations  aux  places  vacantes.  «Les  chefs  de  notre 
Eglise  »,  disaient-ils,  »  et  les  corps  enseignant  se  soumettront- 
ils  à  des  injonctions  dictatoriales,  quand  ces  injonctions 
frappent  d'exclusion  deux  noms  connus,  respectés,  illustrés 
par  la  science?»  —  «C'est»,  ajoutaient-ils,  «pour  donner 
satisfaction  à  certaines  passions  théologiques  et  doctrinales 
que  l'on  vous  demande  l'exclusion,  et  c'est  du  nom  de  conci- 
liation que  l'on  voudrait  colorer  un  acte  d'ostracisme.  » 

En  attendant,  le  ministre  de  l'instruction  publique, 
pressé  peut-être  par  les  leaders  orthodoxes,  faisait  savoir 
qu'il  était  décidé  à  nommer  incessamment  à  la  chaire  d'homilé- 
tique  dans  la  Faculté  de  théologie,  et  il  demandait,  comme  de 
juste,  que  le  Directoire  lui  présentât  une  liste  de  candidats. 
Le  Directoire,  à  son  tour,  invita  la  Faculté  à  lui  proposer 
trois  noms.  A  la  Faculté,  on  eut  de  la  peine  à  s'entendre. 
Cinq  candidats  s'étaient  présentés:  Baum,  professeur  de  litté- 
rature latine  au  Séminaire  et  pasteur  à  l'église  Saint-Thomas, 


*)  Lettre  au  président  du  Directoire  (Arch.  du  Dir.). 


LES  CANDIDATS  A  LA  CHAIRE  D 'hOMILÉTIQUE       255 

qui  désirait  échanger  la  chaire  de  philologie  qu'il  occupait 
depuis  de  longues  aimées  avec  la  chaire  de  théologie 
pratique;  Colani,  depuis  un  an  prédicateur  français  à  Téglise 
Saint-Nicolas  et  directeur  de  la  Revue  de  théologie;  Kienlen, 
pasteur  à  Téglise  Saint-Guillaume  et  docteur  en  théologie; 
Lichtenberger,  pasteur  suffragant  au  Temple-Neuf  et  docteur 
en  théologie,  et  Schaeffer,  pasteur  à  Colm'ar  et  docteur  en 
théologie.  Les  cinq  exerçaient  le  saint  ministère,  trois  d'entre 
eux  faisaient  en  même  temps  des  cours  au  Séminaire. 

Après  de  longs  et  vifs  débats,  il  se  trouva  finalement 
une  majorité  pour  recommander  Baum,  Colani  et  Lichten- 
berger, comme  étant  «ceux  d'entre  les  différents  candidats 
dont  la  nomination  semblait  le  mieux  répondre  aux  besoins 
de  l'établissement  et  aux  exigences  de  l'époque»;  la  Faculté 
les  présenta  ex  aequo. 

A  peine  cette  décision  fut-elle  connue  qu'éclatèrent  les 
protestations  des  organes  de  l'orthodoxie.  Le  journal  L'Espé- 
rancey  dans  son  numéro  du  8  janvier  1864,  fut  le  premier  à 
annoncer  que,  d'après  une  opinion  généralement  répandue 
à  Strasbourg,  la  nomination  de  Colani  était  assurée,  sinon 
déjà  signée.  Le  journal  faisait  remarquer  que  les  choses  n'en 
étaient  pas  là  encore,  mais  qu'il  seiriblait  exact  que  la 
Faculté,  ne  tenant  aucun  compte  des  vœux  de  la  portion 
vivante  de  l'Eglise,  avait  établi  une  liste  par  ordre  alphabé- 
tique, sur  laquelle  le  candidat  évangélique  disparaissait 
derrière  les  autres  candidats,  tandis  que  le  directeur  de  la 
Revue  de  théologie  était  mis  en  évidence.  L'organe  orthodoxe 
pourtant  ne  perdait  pas  tout  espoir,  il  rappelait  que  le  Direc- 
toire avait  à  donner  son  avis  et  le  recteur  de  l'Académie  à 
dire  son  mot,  et  qu'on  pouvait  espérer  que  le  ministre  de 
l 'instruction  publique  ne  voudrait  pas  prendre  sur  lui  de 
proposer  à  l'empereur  une  mesure  dirigée  contre  la  partie 
évangélique  de  l'Eglise  de  la  Confession  d'Augsbourg. 

Les  Archives  du  Christianisme  mirent  plus  de  violence 
dans  leur  protestation.  Elles  ne  pouvaient  croire  à  l'exacti- 
tude de  la  nouvelle  qu'on  donnait  et  espéraient  «  que  dans  tous 
les  cas,  le  scandale  de  l'élection  de  M.  Colani  serait  épargné 
au  protestantisme  français,  pour  ne  pas  dire  à  l'Eglise  chré- 
tienne tout  entière.  »  ^) 


*)  Numéro  du  10  janv.  1864. 


256  LA    FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

Li^ Espérance  avait  d'ailleurs  raison,  les  choses  n'en 
étaient  pas  où  Ton  croyait.  Après  quelques  semaines,  la  liste 
de  présentation  fut  renvoyée  au  Directoire.  Le  ministre  refu- 
sait de  Taccepter  parce  que  deux  des  candidats  proposés, 
Baum  et  Colani,  ne  possédaient  pas  le  grade  de  docteur,  exigé 
par  la  loi  pour  la  nomination  à  une  chaire  magistrale.  Il 
demandait  à  l'autorité  ecclésiastique  de  lui  faire  d'autres 
propositions  et  de  lui  donner  un  avis  plus  motivé  sur  les  can- 
didats. 

Les  leaders  parisiens  profitèrent  de  ce  délai  pour  tenter 
de  nouvelles  démarches.  Ils  s'en  prirent  tout  d'abord  au  pré- 
sident du  Directoire,  qui,  paraît-il,  leur  avait  fait  quelques 
vagues  promesses  relativement  à  la  nomination  de  Lichten- 
bergier  à  la  chaire  d'homilétique.  Ils  le  sommèrent  maintenant 
de  tenir  ses  promesses.  Le  pasteur  Hosemann  de  Paris,  un 
de  ses  vieux  amis,  essaya  de  lui  faire  peur.  «  La  chose  en  elle- 
même  »,  lui  disait-il,  «  est  plus  grave  qu  'on  ne  le  pense 
peut-être  à  Strasbourg.  Elle  émleut  ici  au  plus  haut 
degré  plus  d'un  homme  marquant,  et  l'on  se  demande  si 
décidément  la  Faculté  de  Strasbourg  doit  être  le  porte-dra- 
peau de  l'incrédulité!  Tous  les  hommes  croyants  du  protes- 
tantisme français  se  mettront  de  lia  partie  et  vous  auriez 
donné  le  signal  d'une  lutte  à  mort  »  —  «  Je  ne  suis  ici  »,  ajou- 
tait-il, «qu'une  plume,  écho  fidèle,  et  qui  t'est  personnelle- 
ment dévoué,  de  ce  qui  se  dit  dans  les  régions  les  plus  élevées 
et  les  plus  compétentes.  Encore  une  fois,  le  danger  est  réel. 
Jl  faudrait  qu'on  fût  spirituellement  bien  peu  clairvoyant  à 
Strasbourg  pour  y  faire  si  bon  marché  des  plus  vrais  intérêts 
de  la  Vérité  et  de  notre  Eglise.  Quelle  responsabilité  devant 
Dieu  et  devant  les  hommies!  » 

M.  Léon  de  Bussierre  à  son  tour,  mais  avec  plus  de 
finesse  et  de  diplomatie,  s'adressait  au  président  Braun. 
«  Vous  ne  m'en  voudrez  pas,  j'espère  »,  lui  écrivait-il,  «  d'oser 
vous  dire  que  je  compte  sur  votre  concours  énergique  pour 
assurer  définitivement  la  nomination  de  M.  Lichtenberger. 
J'ai  été  très  péniblement  surpris  en  apprenant  que  cette 
nomination  était  de  nouveau  mise  en  question,  et  qu'une  agi- 
tation factice  ne  tendait  à  rien  moins  qu'à  vous  forcer  la 
main.  Assurément,  je  suis  loin  de  méconnaître  les  difficultés 
de  votre  position.  Mais  j'ai  la  confiance  que  vous  saurez  tenir 
tête  aux  passions  qui  s'agitent  autour  de  vous...     Vous  me 


M.   LÉON   DE   BUSSIEKRE   INTERVIENT  257 

direz  que  vous  n'êtes  pas  seul  dans  le  Directoire.  Sans  doute. 
Mais  permettez-moi  d'avoir  plus  de  confiance  que  vous-même 
dans  votre  légitime  influence.  Si  vous  le  voulez  bien,  vous 
pouvez,  j'en  ai  l'intime  conviction,  faire  triompher  au  sein 
du  Directoire  les  intentions  conciliatrices  que  vous  nous  aviez 
manifestées  lors  de  la  dernière  session  du  Consistoire.  »  ^) 

M.  Léon  de  Bussierre  adressait  en  mêmte  temps  à  M. 
Bruch,  avec  lequel  il  entretenait  de  longue  date  des  relations 
d'amitié,  une  lettre  dans  laquelle  il  disait:  «Mon  langage 
auprès  du  ministre,  en  ce  qui  concerne  M.  Colany,  est  et  sera 
ce  qu'il  a  toujours  été.  Je  lui  répéterai  que  si  mes  vives 
instances  pouvaient  contribuer  à  assurer  à  M.  Colany,  dans  ren- 
seignement des  lettres,  une  situation  digne  de  son  beau  talent 
et  de  son  caractère  parfaitement  respectable,  j'en  serais 
extrêmement  heureux;  mais  qu'au  contraire  je  ne  pourrais 
m 'empêcher  de  protester  contre  son  introduction  dans  le 
corps  enseignant  de  nos  futurs  pasteurs;  qu'à  mes  yeux  il  en 
résulterait  un  danger  très  sérieux,  ne  fût-ce  que  par  l'effet 
profondément  regrettable  que  cette  nomination  produirait, 
non  seulement  dans  nos  propres  églises,  miais  aussi  dans  toute 
cette  grande  et  importante  fraction  du  protestantisme  français 
qui  s'alarme  des  tentatives  négatives,  si  envahissantes  et  si 
actives  de  nos  jours...  J'éprouverais  donc  une  grande  joie  si, 
faisant  usage  du  concours  de  M.  Schmidt  (qui  vous  serait, 
je  crois,  assuré)  vous  arriviez  encore  à  donner  la  priorité  à  la 
présentation  de  M.  Lichtenberger.  » 

Le  5  février,  nouvelle  lettre  de  M.  de  Bussierre  au  pré- 
sident du  Directoire:  «Maintenant  que  la  décision  —  de  pro- 
voquer une  présentation  plus  explicite  —  est  prise  (au  moins 
je  le  suppose),  je  ne  puis  que  désirer  très  vivement,  et  pour 
vous  et  pour  nous,  que  le  Directoire  (ou  du  moins  une  majo- 
rité dans  le  Directoire)  présente  M.  Lichtenberger  en 
première  ligne.  Vous  paraissez  partager  la  conviction  die  mon 
ami  Bruch,  que  ces  Messieurs  de  Paris,  comme  on  nous 
appelle,  sauront  bien  faire  nommer  M.  Lichtenberger.  Je  n'en 
sais  rien.  Je  le  désire  et  je  l'espère;  et  si  vous  présentez  M. 
Colany  en  première  ligne,  je  ne  me  ferai  pas  faute  (je  vous 
le  dis  très  franchement)  de  combattre  énergiquement  votre 


*)  Arch.  du  Directoire. 

17 


258  LA  FACULTE  DE  THEOLOGIE  DE   STRASBOURG 

présentation.  Si  nous  réussissons,  voyez  quelle  situation 
fausse  en  résultera  pour  le  Directoire.  »  ^) 

Le  refus  du  ministre  d'admettre  des  candidats  qui  ne 
possédaient  pas  le  grade  de  docteur  en  théologie,  aurait  dû 
tranquilliser  le  parti  orthodoxe:  Colani  n'était  pas  docteur,  et, 
par  cela  même,  il  se  trouvait  exclu  de  la  liste  de  présentation. 
Pourtant  ses  adversaires  se  méfiaient,  et  avec  raison.  Car 
tandis  que  Baum  retirait  sa  candidature,  Colani  prenait  sa 
bonne  plume  et,  dans  l'espace  de  quelques  semaines,  il  ache- 
vait sa  thèse  pour  le  doctorat  sur  JésiLS  Christ  et  les  croyances 
messianiques  de  son  temps. 

Pâques  n'était  pas  venu  et  déjà  sa  soutenance  avait  lieu. 
Cet  acte,  d'ordinaire  puremjBnt  académique,  prit  cette  fois 
l'aspect  d'une  manifestation  publique.  Colani,  dans  les  der- 
nières années,  avait  acquis  une  popularité  de  plus  en  plus 
grande  dans  les  cercles  cultivés  de  Strasbourg.  Les  tentatives 
de  ses  adversaires  de  le  rendre  suspect  et  de  l'abaisser  dans 
l'opinion  publique  avaient  eu  l'effet  contraire.  L'admiration 
pour  son  talent  et  la  sympathie  pour  sa  personne  n'avaient 
fait  que  croître.  Beaucoup  de  ses  auditeurs  avaient  attendu 
l'occasion  de  lui  témoigner  leurs  sentiments.  Cette  occasion 
se  présentait;  ils  la  saisirent  avec  empressement.  Le  jour  de 
la  soutenance,  la  grande  salle  de  Smnt-Thomias  fut  envahie 
par  un  public  qu'on  n'y  avait  jamais  vu  dans  pareille  circons- 
tance. Le  président  du  Directoire,  le  recteur  et  l'inspecteur 
de  l'Académie,  des  professeurs  et  des  étudiants  de  toutes  les 
Facultés  étaient  là,  et,  à  côté  d'eux,  des  membres  nombreux 
de  la  société,  hommes  et  femmes.  La  grande  salle  se  trouva 
trop  petite  pour  la  foule  qui  s'y  pressait;  on  dut  décrocher 
les  portes  de  la  salle  d 'à  côté  pour  que  tout  le  nïonde  trouvât 
une  place.  Reuss  présidait.  Il  ouvrit  la  séance  par  une  allo- 
cution dans  laquelle  il  dit  que  cette  affluence  extraordinaire  à 
une  cérémonie  qui  d'habitude  n'attirait  guère  l'attention 
publique  était  un  hommage  rendu  au  talent  et  au  mérite  de 
Colani,  et  que  celui  qui  venait  demander  à  la  Faculté  le  titre 
de  docteur  était  depuis  longtemps,  pour  ceux  qui  venaient 
s'asseoir  aux  pieds  de  sa  chaire,  le  docteur  en  théologie  par 
excellence.  Après  la  soutenance,  des  acclamations  unanimes 
saluèrent  le  nouveau  docteur,  le  proclamant  à  l'avance  pro- 
fesseur de  la  Faculté. 


*)  Arch.  du  Directoire. 


COLANI   NOMME  A   LA   CHAIKE   D'HOMLLÉTIQUE  259 

La  nouvelle  liste  de  présentation  dressée  par  la  Faculté 
portait  les  noms  de  Colani,  de  Kienlen  et  de  Lichtenberger. 
Elle  fut  immédiatement  envoyée  à  Paris.  Mais  le  ministre  ne 
se  hâtait  pas  de  prendre  une  décision.  La  droite  mit  à  profit 
ce  nouveau  délai:  elle  redoubla  d'efforts  pour  empêcher  une 
nomination  qu'elle  redoutait.  Un  maréchal  de  France  appar- 
tenant à  l'Eglise  protestante  fut  même  appelé  à  la  rescousse. 
Peine  inutile!  Le  ministre  Duruy  n'était  pas  accessible 
à  de  pareilles  influences.  Pressé  de  toutes  parts,  il  prit  le 
parti  le  plus  simple,  il  envoya  le  dossier  relatif  à  l'affaire 
au  cabinet  de  l'Empereur,  et  Colani,  dont  le  nom  alphabé- 
tiquement se  trouvait  en  tête  de  la  liste,  fut  nommé. 

La  chaire  vacante  dans  la  Faculté  était  pourvue.  Il  restait 
à  pourvoir  à  celle  du  Séminaire.  Les  deux  partis  disposant  à 
ce  moment  du  même  nombre  de  voix,  tout  dépendait  du  vote 
du  président.  Mais  ce  dernier  était  tiraillé  par  des  sentiments 
contraires.  Ses  sympathies  personnelles  allaient  à  la  gauche, 
et  les  égards  qu'il  devait  à  ses  collègues  du  Directoire  le 
portaient  à  soutenir  le  candidat  libéral,  mais  il  craignait  les 
influences  parisiennes  et  il  estimait  qu'il  était  sage  de  ne  pas 
mécontenter  la  droite. 

La  conséquence  en  fut  que  l'affaire  traîna  jusqu'à  ce  que 
la  mort  de  Fritz  vint  créer  une  nouvelle  situation.  Fritz  avait 
vu  depuis  longtemps  diminuer  ses  forces;  il  avait  dû  finale- 
ment renoncer  à  l'enseignement  et  abandonner  ses  cours  à  un 
suppléant.  Au  mois  de  mai  1861,  il  avait  eu  une  première 
attaque  d'aploplexie  dont  il  s'était  pourtant  remis;  mais  le 
vendredi  saint  de  l'année  1864,  dans  une  promîcnade  sur  les 
glacis  devant  la  porte  de  l 'hôpital,  il  eut  une  nouvelle  attaque 
plus  grave  et  fut  ramené  mourant  chez  lui.  Le  jour  de  Pâques, 
le  27  mars  1864,  la  mort  mit  fin  à  ses  souffrances. 

Il  s'agissait  dès  lors  de  pourvoir  à  deux  canonicats 
vacants.  Avant  de  passer  au  vote,  on  s'entendit  pour  que 
chacun  des  deux  partis  votât  pour  e  candidat  du  parti 
adverse.  C'était  le  seul  moyen  d'arriver  à  un  résultat  satis- 
faisant. Cunitz,  au  premier  tour  de  scrutin,  et  Lichtenberger, 
au  second,  furent  nommés  à  l'unanimité. 

II 

Mais  la  mort  de  Fritz  avait  aussi  rendu  vacante  une 
chaire  à  la  Faculté  de  théologie  et  il  était  urgent  d'y  pour- 


260  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE   DE   STKASBOURa 

voir  sans  retard.  C'était  la  chaire  d'exégèse.  Non  pas  d'exé- 
gèse de  l'Ancien  ou  du  Nouveau  Testament,  noiais  d'exégèse 
tout  court,  le  décret  qui  avait  créé  la  Faculté  de  théologie 
n'ayant  institué  qu'une  seule  chaire  pour  cette  branche  si 
importante  de  la  science  théologique.  Fritz  aurait  dû,  en 
somlme,  interpréter  les  livres  du  Nouveau  Testament  aussi 
bien  que  ceux  de  l'Ancien,  et  son  successeur  pouvait  être 
appelé  à  traiter  dans  ses  cours  les  uns  et  les  autres.  Cepen- 
dant il  était  clair  qu'il  aurait  à  s'occuper  principalemient  et 
même  exclusivement  de  l'Ancien  Testament,  les  leçons  de 
Bruch,  de  Reuss  et  de  Cunitz  suffisant  à  l'interprétation  des 
écrits  du  Nouveau  Testament, 

Reuss  désirait  mettre  en  avant  la  candidature  de  Cunitz 
qui,  par  rang  d'ancienneté,  avait  le  plus  de  droits  à  une 
chaire.  Mais  le  président  Braun,  qui  continuait  sa  politique 
de  bascule,  et  le  professeur  Schmidt,  qui  était  pressé  par  le 
parti  orthodoxe,  avaient  d'autres  vues,  ils  voulaient  faire 
entrer  Lichtenberger  dans  la  Faculté.  Par  malheur,  Lichten- 
berger  n  'était  pas  hébraïsant  et,  par  conséquent,  peu  apte  à  en- 
seigner l 'exégèse  de  lAncien  Testament.  On  ne  pouvait  espérer 
que  la  Faculté  le  proposât  pour  cette  chaire.  Mais  il  y  avait  un 
moyen  de  tourner  la  difficulté,  c'était  de  décider  Reuss  à 
échanger  la  chaire  de  morale,  qu'il  occupait  sans  avoir  jamais 
enseigné  cette  branche  de  la  science  théologique,  avec  celle 
d'exégèse,  qui  était  son  véritable  domaine,  et  de  confier  la 
chaire  de  morale  à  Lichtenberger.  Reuss  consentit  à  l'échange, 
mais  il  voulait  attendre  pour  le  réaliser  que  la  nomination  à 
la  chaire  d'homilétique  eût  eu  lieu.  Au  cas  où  Colani  n'y 
serait  pas  nommé,  il  voulait  lui  réserver  la  chaire  qu'il  avait 
occupée  jusque-là.  Il  fit  même  une  déclaration  dans  ce  sens  à 
la  Faculté.  Mais  le  président  Braun  avait  hâte  d'en  finir.  Il 
insista  auprès  du  ministre  pour  que  l'échange  des  deux 
chaires  fût  approuvé  sans  retard. 

La  Faculté  fut  alors  invitée  à  faire  des  propositions  pour 
l'une  et  l'autre  de  ces  deux  chaires.  Aucun  candidat  ne  s 'étant 
porté  concurrent  de  Reuss  pour  la  chaire  d'exégèse,  la 
Faculté,  vu  le  caractère  exceptionnel  de  cette  candidature, 
pria  le  ministre  de  ne  pas  insister  sur  la  présentation  d'un 
second  nom.  Il  fallut  pourtant  passer  par  cette  formalité,  et 
le  nom  de  Cunitz  fut  ajouté  à  celui  de  Reuss  sur  la  liste  de 
proposition. 


ALFRED   WEBER  261 

Eeuss,  naturellement,  fut  nommé.  Le  ministre  voulut 
même  faire  disparaître  Tobstacle  qui  avait  empêché  jusque-là 
de  conférer  à  Reuss  un  titre  définitif;  il  déclara  le  diplôme 
de  docteur  que  TUniversité  de  léna  avait  décerné  autrefois  à 
Reuss  équivalent  au  diplôm'e  français,  et  Reuss,  qui  jusque-là 
n^avait  été  que  chargé  de  cours,  devint  de  ce  fait  titulaire 
définitif  d'une  chaire  magistrale. 

Quant  à  la  chaire  de  morale,  la  Faculté  présenta  Colani, 
Cunitz  et  Tagrégé  libre  Alfred  Weber. 

Ce  dernier  était  né  à  Strasbourg,  le  1er  juillet  1835,  fils 
du  receveur  de  Saint-Marc,  Louis  Weber.  Il  avait  fait  ses 
humanités  au  Gymnase  et  ses  études  philosophiques  et  théo- 
logiques au  Séminaire  protestant,  à  la  Faculté  de  théologie  et 
à  la  Faculté  des  lettres  de  sa  ville  natale.  Dans  sa  thèse  pour 
le  baccalauréat  en  théologie  sur  La  dogmatique  de  Philippe 
Conrad  MarUeinecTce,  il  avait  montré  un  talent  spéculatif  peu 
commun  et  une  connaissance  extraordinaire  de  la  philosophie 
hégélienne  et  de  la  philosophie  allemande  en  général.  Aussi, 
après  avoir  rempli  durant  quelques  mois  les  fonctions  de 
vicaire  administrateur  à  Giromagny,  entreprit-il  de  visiter 
les  Universités  allemandes  les  plus  réputées  pour  leur  ensei- 
gnem-ent  philosophique,  Berlin  et  Halle,  léna  et  Erlangen,  et 
plus  tard  Tubingue.  Il  entra  même  en  relation  avec  les  maîtres 
les  plus  illustres,  notamment  avec  le  hégélien  Michelet  de 
Berlin  et  avec  le  professeur  Cuno  Fischer  de  léna. 

Revenu  à  Strasbourg,  il  acquit,  en  1860,  le  grade  de 
licencié  en  théologie  par  une  thèse  sur  La  philosophie  reli- 
gieuse de  Schelling  et  obtint  Pautorisation  de  faire  des  cours 
au  Séminaire.  Ses  leçons  d'histoire  de  la  philosophie  moderne 
et  son  cours  sur  la  philosophie  de  la  religion  obtinrent  dès 
l'abord  un  vif  succès.  En  1863,  il  présenta,  pour  le  doctorat 
en  théologie,  une  thèse  sur  V Economie  du  salut.  C'était  une 
étude  sur  le  dogme  dans  ses  rapports  avec  la  morale.  Weber 
y  défendait  cette  idée,  que  le  dogme  est  un  moyen  d'éducation 
et  que  sa  valeur  est  proportionnée  à  l'influence  morale  qu'il 
exerce.  Appelé  à  remplacer  le  professeur  Fritz  pendant  sa 
maladie,  il  fit  pendant  quelque  temps  des  cours  sur  l'Ancien 
Testament.  Mais  l'hébreu  n'était  pas  sa  partie  et,  à  la  mort 
de  Fritz,  il  se  hâta  de  revenir  à  ses  études  de  prédilection. 

La  nomination  de  Colani  à  la  chaire  d'homilétique  avait 
eu  lieu  dans  l 'intervalle  et  la  Faculté  se  vit  appelée  à  faire  de 


262  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

nouvelles  propositions  pour  la  chaire  de  morale.  Cinq  candi- 
dats s'étaient  présentés:  le  professeur  Cunitz,  le  pasteur 
Kienlen,  le  professeur  Lichtenberger,  le  pasteur  Schaeffer  de 
Colniae  et  le  privatim-docens  Weber.  La  Faculté  présenta  Cu- 
nitz en  première  et  Weber  en  seconde  ligne.  Mais  le  recteur 
ayant  fait  savoir  à  la  Faculté  que  le  ministre  désirait  que  la 
liste  de  présentation  portât  au  moins  deux  noms,  la  majorité 
fut  d'avis  qu'aux  deux  nom^  proposés  on  en  joignît  un  troi- 
sième. Quand  on  passa  au  vote,  Lichtenberger  obtint  deux, 
Kienlen,  une  voix,  les  deux  autres  bulletins  étaient  des  bulle- 
tins blancs. 

Le  Directoire,  après  de  longs  débats,  arrêta  la  liste  de 
présentation  comme  suit:  1.  Cunitz;  2.  Kienlen  et  Lichten- 
berger ex  aequo-,  3.  Weber,  et,  en  la  transmettant  au  recteur, 
il  déclarait  expressément  que  l'ordre  dans  lequel  il  présen- 
tait les  quatre  candidats  exprimait  son  opinion  sur  la  valeur 
scientifique  de  chacun  d'eux.  Mais  à  cette  déclaration  collec- 
tive le  président  Braun  ajouta  cette  remarque  privée:  «Quant 
à  moi,  personnellement.  Monsieur  le  recteur,  et  quels  que 
soient  le  mérite  et  l'ancienneté  de  M.  Cunitz,  j'ai  la  conviction 
qu'il  y  a  cette  fois  dans  la  question  un  autre  élément  encore 
à  considérer:  il  me  paraît  indispensable,  après  la  lutte  au 
milieu  de  laquelle  s'est  accomplie  la  récente  nomination  de 
M.  Colani,  de  tenir  compte  des  vœux  de  la  fraction  de  l'Eglise 
qui  a  vu  avec  regret  cette  nomination  et  qui  a  dans  M.  Lichten- 
berger son  candidat  préféré.  En  conséquence,  dans  l'intérêt 
de  la  paix,  de  la  bonne  harmonie,  de  l'équité,  pour  ne  pas 
dire  davantage,  je  crois  que  c'est  M.  Lichtenberger  qui  doit 
avoir  la  préférence.  J'exprime  en  cela,  je  le  répète,  mon  avis 
personnel.  »  ') 

Cette  déclaration  du  président  du  Directoire  et,  plus 
encore,  sans  doute,  l'influence  des  leaders  de  l'orthodoxie 
parisienne  ne  manquèrent  pas  leur  effet:  Lichtenberger  fut 
nommé  à  la  chaire  de  morale. 

C'est  ainsi  qu'un  homme  encore  jeune  —  Lichtenberger 
avait  alors  trente-deux  ans  —  qui  n'avait  pas  d'antécédents 
)académiques,  qui  n'avait  pas  été  mis  d'abord  sur  la  liste  de 
présentation  de  la  Faculté,  qui,  au  Directoire,  n'avait  obtenu 


*)  Lettre  du  'président  du  Directoire  au  recteur.  La  minute  en  est 
aux  Arch.  du  Directoire. 


FREDERIC  REUSSNER  263 

que  deux  voix  sur  cinq  et  n^avait  été  proposé  en  première 
ligne  que  par  le  président  et  non  pour  sa  valeur  scientifique, 
arriva  en  même  temps  au  Séminaire  et  à  la  Faculté,  et  cela 
par  la  seule  raison  qu'il  était  patronné  par  Torthodoxie,  qui 
n'avait  pas  d'autre  candidat  à  mettre  en  avant. 

Cette  affaire  était  à  peine  terminée  et  le  discours  acadé- 
mique en  rhonneur  de  Fritz  n'était  pas  encore  prononcé,  que 
celui  qui  avait  été  chargé  de  cette  tâche  fut  enlevé  à  son  tour. 
Matter  mourut  le  22  juin  1864  des  suites  d'une  apoplexie. 


III 

Une  nouvelle  chaire  et  un  nouveau  canonicat  devenaient 
donc  vacants.  De  longues  discussions  s'engagèrent  au  Sémi- 
naire. Matter  ayant  enseigné  la  philosophie,  il  semblait 
indiqué  de  le  remplacer  par  un  philosophe.  Les  uns  propo- 
saient de  nommer  le  neveu  du  professeur  Schmidt,  Emile 
Grucker,  qui  faisait  le  cours  de  philosophie  au  Gymnase,  les 
autres  se  prononcèrent  en  faveur  du  privatim-docens  Alfred 
Weber,  qui  depuis  quelque  temps  donnait  au  Séminaire  des 
cours  qui  avaient  beaucoup  de  succès.  Mais  Reuss  fît  remar- 
quer qu'en  tenant  strictement  à  la  spécialité,  on  risquerait 
d'écarter,  au  profit  d'hommes  jeunes  et  qui  pouvaient 
attendre,  des  savants  âgés  et  méritants  qui  n'arriveraient 
jamais  parce  qu'ailleurs  ils  ne  pouvaient  faire  valoir  aucun 
droit.  Il  proposa  d'adjoindre  Weber,  en  qualité  de  professeur 
agrégé,  à  Waddington,  et  de  réserver  le  canonicat  à  un  homme 
plus  âgé  et  qui  avait  rendu  de  longs  services:  il  nomma  Jean- 
Frédéric  Reussner,  professeur  a/a  Gymnase  et  lecteur  de 
langue  hébraïque  au  Séminaire. 

Né  à  Strasbourg  le  8  juillet  1823,  fils  de  l'instituteur  en 
chef  de  l'école  paroissiale  de  Saint-Guillaume,  Frédéric 
Reussner  avait  fait  ses  études  humanistes  au  Gymnase  pro- 
testant, oii  il  avait  mérité  par  son  zèle  et  son  application  cet 
élogieux  témoignage  du  professeur  Kreiss:  «Quotquot  mihi 
sunt  discipuliy  omnes  vellem  Reiissneri  essent  similes.  »  Ins- 
crit en  1841  parmi  les  élèves  du  Séminaire,  il  avait  terminé  en 
1845  ses  études  universitaires  par  une  thèse  sur  Le  Pentateuque 
alexandrin.  Dès  lors  il  s'était  tourné  résolument  vers  la  philo- 
logie, il  était  allé  compléter  ses  études  à  Paris,  était  devenu, 
en  1848,  licencié  ès-lettres  et  avait  été  nonmté,  en  1849,  profes- 


264  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOURG 

seur  au  Gymnase,  où,  depuis  1853,  il  enseignait  le  grec  dans 
les  trois  classes  supérieures  et  le  latin  en  seconde.  Depuis 
1857,  il  faisait  le  cours  élémentaire  d^hébreu  au  Séminaire. 

Eeussner  était  un  bon  philologue.  Ses  connaissances  ne 
s'étendaient  pas  seulement  aux  langues  sémitiques  et  au  sans- 
crit, elles  embrassaient  les  vieux  dialectes  italiens.  Il  avait 
prouvé  sa  compétence  en  cette  matière  par  un  mémoire  sur 
L'histoire  et  la  langue  des  Osques,  auquel  P Académie  des  Ins- 
criptions et  Belles-Lettres  avait  décerné,  en  1854,  le  prix 
Bordin.  Or,  le  Séminaire  avait  à  ce  moment  besoin  d'un  philo- 
logue, Baum  abandonnant  cette  branche  pour  faire  des  cours 
de  théologie  pratique.  La  proposition  de  Reuss  fut  donc 
acceptée  à  l'unanimité,  aucun  intérêt  de  parti  n'étant  en  jeu. 
Reussner  fut  appelé  à  la  chaire  de  philologie  et  Weber  fut 
nommé  professeur  agrégé,  chargé  d'un  cours  de  philosophie. 

Les  lacunes  que  le  décès  de  Jung,  de  Fritz  et  de  Matter 
avait  produites  dans  le  corps  enseignant  du  Séminaire  et  de  la 
Faculté  étaient  à  peine  comblées,  qu'il  se  produisit  très  ino- 
pinément une  nouvelle  vacance.  Waddington,  qui  n'avait  pu 
s'habituer  à  Strasbourg  et  qui  espérait  obtenir  une  chaire  à 
la  Sorbonne,  annonça,  peu  de  jours  avant  les  vacances,  qu'il 
avait  obtenu  l'avancement  qu'il  désirait  et  qu'il  allait 
retourner  à  Paris.  Il  se  trompait,  il  est  vrai,  sur  sa  nomi- 
nation à  la  Sorbonne,  il  ne  l'obtint  pas.  Mais  comme  le  séjour 
de  Strasbourg  ne  lui  convenait  plus,  il  accepta  une  place  de 
professeur  dans  un  des  grands  lycées  de  la  capitale.  Il  quitta 
Strasbourg  au  mois  d'octobre.  C'était  le  moment  de  la  réou- 
verture des  cours;  il  s'agissait  donc  de  le  rempliacer  le  plus 
promptement  possible.  C'était  la  chaire  de  philosophie  à 
laquelle  il  fallait  pourvoir,  et  on  ne  pouvait  y  appeler  qu'un 
homme  compétent  dans  cette  branche.  Cet  homme,  on  l'avait 
sous  la  main,  mais  il  s'appelait  Colani.  Et  bien  que  l'entrée 
de  Reussner  dans  le  corps  des  professeurs  assurât  la  victoire 
au  parti  libéral,  ce  nom  n'était  pas  sans  susciter  des  diffi- 
cultés. 

On  était  à  la  veille  de  l'ouverture  de  la  session  du  Con- 
sistoire supérieur,  et  le  président  Braun  hésitait  à  porter  le 
nom  de  Colani  devant  la  haute  assemblée  ou,  du  moins,  devant 
les  représentants  de  l'orthodoxie  parisienne.  Il  se  mit  à  la 
recherche  d'un  candidat  qui,  agréable  aux  Libéraux,  ne  fût 


COLANI   NOMME  A  LA   CHAIKE  DE   PHILOSOPHIE  265 

pas  désagréable  aux  orthodoxes,  et  il  crut  l'avoir  trouvé  dans 
la  personne  du  pasteur  Heintz  de  Téglise  Saint-Thomas. 

Charles-Henri  Heintz,  né  en  1814  dans  un  presbytère 
alsacien,  avait  étudié  la  théologie  à  Strasbourg.  Il  avait  acquis, 
en  1835,  le  grade  de  licencié  ès-lettres,  et  s'était  adonné,  avec 
son  ami  Bartholmess,  à  Tétude  de  la  philosophie  allemiande. 
Précepteur,  en  1839,  des  princes  de  Hohenlohe-Schillings- 
fiirst,  puis  pasteur  à  Colmar  et,  depuis  1856,  à  Strasbourg,  il 
avait  eu  l'occasion  d'acquérir  une  profonde  connaissance  des 
honmies  et  de  la  vie.  Mais  depuis  qu'il  exerçait  le  saint-minis- 
tère, il  avait,  de  plus  en  plus,  renoncé  aux  études,  et  on  ne 
pouvait  guère  espérer  qu'à  cinquante  ans  il  aurait  l'énergie 
et  l'entrain  nécessaires  pour  reprendre  le  travail  «scienti- 
fique  si  long-temps  interrompu.  Et  puis,  il  n'avait  aucun  rap- 
port avec  les  étudiants.  Il  ne  semblait  donc  point  posséder 
les  qualités  nécessaires  au  professorat.  Et  pourtant  il  avait 
des  chances  de  réussir.  Il  pouvait  compter  sur  la  voix  du  pré- 
sident, sur  celle  de  Bauni,  son  collègue  à  l'église  Saint-Tho- 
mas, et  sans  doute  aussi  sur  le  suffrage  des  membres  qui 
voulaient  à  tout  prix  écarter  la  nomination  de  Colani.  Et 
pourtant,  il  en  fut  autrement  qu'on  avait  pensé.  Lorsque,  le 
10  octobre,  on  passa  au  vote,  Colani  obtint  5  voix,  Heintz  4  et 
AVeber  1.  Comme  il  n'y  avait  pas  de  majorité  absolue,  il 
fallut  passer  à  un  second  tour  de  scrutin.  Tout  dépendait  dès 
lors  du  vote  de  Lichtenberger.  Dans  le  premier  tour  de  scrutin, 
il  avait  donné  sa  voix  à  Weber,  il  n'était  pas  probable  que, 
dans  le  second,  il  la  donnât  à  Colani.  Or,  si  les  voix  se  par- 
tageaient également,  la  décision  revenait  au  Directoire,  et  il 
était  plus  que  probable  que  ce  corps,  sous  l'influence  de  son 
président,  se  prononcerait  pour  Heintz.  Les  amis  de  Colani 
avaient  abandonné  tout  espoir.  Alors  se  produisit  la  chose 
la  plus  surprenante,  la  plus  inattendue:  Lichtenberger  déposa 
un  bulletin  blanc.  Colani  était  nomimé  par  5  voix  contre  4. 


CHAPITRE  II 

l'année  1869-1870  —  Anguste  Sabatier  —  Le  Séminaire  et 
la  îaculté  à  leur  apogée 


Les  nouveaux  professeurs  étant  nommés  et  toutes  les  chaires 
au  Séminaire  et  à  la  Faculté  occupées,  on  songea  à  réorganiser 
l'enseignement.  Le  besoin  d'un  nouveau  plan  d'études  se  fit 
sentir.  Reuss  proposa  celui  qu'il  avait  élaboré  en  1848  et  qui 
n'avait  jamais  été  "rappliqué.  On  s'empfressa  Ide  (l'adopter. 
Ses  principales  dispositions  —  reproduites  depuis  dans  le 
règlement  de  1869  —  pouvaient  se  résumer  ainsi:  On  établira 
un  programme  des  études  pour  trois  ans;  chaque  professeur 
annoncera  un  double  cycle  de  cours  sur  des  sujets  plus  variés 
que  ceux  qui  ont  été  traités  jusque-là;  chaque  étudiant  s'ins- 
crira pour  20  à  21  leçons;  il  sera  examiné  à  la  fin  du  sem<estre 
sur  les  cours  qu'il  aura  suivis;  il  pourra  d'ailleurs  choisir 
en  toute  liberté  ceux  qu'il  voudra  entendre. 

Ce  plan  d'études  faisait  bonne  figure  sur  le  papier;  mais 
cette  fois  encore  la  réalité  ne  répondit  pas  à  l'idéal.  Plusieurs 
des  professeurs  firent  consciencieusement  leur  devoir,  ils 
annoncèrent  des  cours  sur  des  sujets  variés  et  intéressiants, 
mais  les  étudiants  montrèrent,  en  général,  peu  d'empresse- 
ment à  profiter  des  nouveaux  moyens  d'instruction  qu'on  leur 
offrait  ainsi.  Plusieurs  des  cours  annoncés  ne  purent  avoir 
lieu  faute  d'auditeurs. 

Ce  qui  était  peut-être  plus  important  que  la  stricte 
application  du  nouveau  plan  d'études,  c'était  la  distribution 
des  chaires,  l'attribution  à  chacun  des  professeurs  de  celle 
qui  correspondait  à  sa  compétence.  Jusque-là,  on  s'était  par- 


REUSS  RÉORGANISE   LE   COURS   D^EXÉGÈSE  DE  l'a.  T.  267 

fois  laissé  déterminer  dans  la  nomination  à  telle  chaire  du 
Séminaire  ou  de  la  Faculté  par  des  considérations  tout  autres 
que  la  compétence  du  candidat.  C'est  ainsi  qu 'Edouard Reuss, 
réminent  exégète,  avait  été  chargé  de  renseignement  de  la 
morale  chrétienne  et  que  Charles  Schmidt,  l'historien  dis- 
tingué, avait  été  nommé  à  la  chaire  de  tliéologie  pratique.  On 
prit  garde  de  ne  pas  retomber  dans  une  pareille  erreur;  on 
voulut  même  réparer  celles  qui  avaient  été  commises  autre- 
fois: la  Faculté,  nous  venons  de  le  voir,  demanda  au  ministre 
d'autoriser  les  professeurs  Renss  et  Schmidt  à  échanger  les 
chaires  qu'ils  occupaient  depuis  de  longues  années  avec  telles 
autres  qui  étaient  devenues  vacantes  et  qui  répondaient  mieux 
à  leurs  études  spéciales  et  à  leur  goût  particulier. 

Ce  fut,  avant  tout,  un  heureux  changement  que  celui 
qui  confiait  à  Reuss  le  cours  d'exégèse  et  plus  spécialement 
d'exégèse  de  l'Ancien  Testament.  L'enseignement  de  cette 
branche  de  la  science  théologique  laissait  beaucoup  à  désirer. 
Il  était  resté  ce  qu'il  avait  été  dans  le  passé,  l'explication 
grammaticale  des  textes,  la  discussion  des  questions  d'authen- 
ticité, une  science  de  mots  et  de  dates,  étroite,  aride,  inca- 
pable d'éveiller  dans  l'esprit  des  jeunes  gens  un  puissant 
intérêt. 

Reuss  entreprit  de  le  réorganiser  sur  une  nouvelle  base. 
11  dédoubla  le  cours  dont  il  était  chargé;  il  le  divisa  en  un 
cours  exégétique  et  un  cours  historique.  Le  premier  compre- 
nait six  semestres,  dont  trois,  les  semestres  d'hiver,  étaient 
consacrés  à  l'interprétation  des  livres  historiques,  de  la  loi  et 
des  livres  poétiques,  les  trois  autres,  les  semestres  d'été,  à 
l'explication  des  écrits  didactiques  et  des  prophètes.  L'intro- 
duction aux  différents  livres  était  réduite  au  strict  nécessaire 
et  l'interprétation  des  textes  limitée  à  des  morceaux  choisis, 
afin  de  donner  aux  élèves  un  aperçu  général  de  la  littérature 
hébraïque.  Ce  cours  n'était  pas  réservé  aux  seuls  étudiants 
de  la  section  théologique,  ceux  de  la  section  préparatoire  qui 
se  distinguaient  par  leur  ardeur  au  travail,  y  étaient  égale- 
ment admis.  Il  en  était  de  mêmie  du  cours  historique,  qui  com- 
prenait quatre  parties:  l'histoire  nationale  des  Israélites,  la 
géographie  et  l'archéologie  de  l'Ancien  Testament,  l'histoire 
de  la  littérature  hébraïque  et  l'histoire  de  la  religion  de 
l'Ancien  Testament.  Cette  manière  de  comprendre  l'exégèse 
et  d'en  élargir  le  cadre,  en  y  faisant  entrer  tout  ce  qui  peut 


268  LA   FACULTÉ  DE    THEOLOGIE   DE   STRASBOURG 

contribuer  à  l'intelligence  des  textes,  constituait  une  innovation 
des  plus  heureuses:  elle  complétait  des  lacunes  très  fâcheuses 
dans  renseignement  théologique  et  réveillait  l'intérêt  pour 
des  études  importantes  et  trop  négligées.  On  lui  fit  Taccueil 
qu'elle  méritait.  Les  deux  cours,  le  second  surtout,  furent 
suivis  avec  la  plus  grande  assiduité.  Reuss  put  se  vanter  de 
réunir  autour  de  sa  chaire  un  auditoire  «tel  qu'on  n'en  avait 
plus  vu  au  Séminaire  depuis  les  leçons  de  psychologie  du 
professeur  Redslob.  » 

L'enseignement  de  l'histoire  ecclésiastique,  remis  entre 
les  mains  de  Charles  Schmidt,  subit  également  une  heureuse 
transformation.  Le  cours  du  professeur  Jung,  son  cours  d'his- 
toire moderne  surtout,  avait  par  les  nombreux  détails  qu'il 
y  mettait,  présenté  un  vif  intérêt.  Mais  cette  abondance  de 
détails  avait  eu,  d'autre  part,  une  conséquence  des  plus 
fâcheuses.  Le  cours  d'histoire  ecclésiastique  avait  pris  un 
développement  de  plus  en  plus  grand;  il  s'était  finalement 
étendu  sur  douze  semestres  au  lieu  de  six,  de  sorte  que  les 
étudiants  n  'arrivaient  plus  à  entendre  qu  'une  partie  du  cours^ 
les  uns  celle  qui  se  rapportait  aux  premiers  siècles  de  l'Eglise 
chrétienne  et  au  Moyen  âge,  les  autres,  celle  qui  se  rapportait 
à  la  Réforniiation  et  aux  temps  modernes,  d'autres  encore  la 
fin  de  l'une  et  le  commencement  de  l'autre.  Schmidt  sut  con- 
denser une  matière  si  féconde  et,  par  une  exposition  serrée 
et  concise,  enfermer  le  cours  complet  dans  le  temps  régle- 
mentaire, sans  pourtant  rien  omettre  d'essentiel. 

Parmi  les  nouveaux  venus,  Colani  tenait  le  premier  rang» 
Il  donnait  au  Séminaire,  dans  la  section  préparatoire,  des 
cours  de  littérature  française,  de  psychologie,  de  métaphy- 
sique et  de  philosophie  de  la  religion.  Fort  d'une  pratique 
déjà  longue  dans  l 'enseignement,  il  était  là  véritablement  dans 
son  élément.  Ses  leçons,  où  se  révélaient  les  fortes  qualités  de 
son  esprit,  la  finesse  de  ses  idées,  la  profondeur  de  son  savoir, 
la  sûreté  de  son  jugement  et  un  goût  littéraire  raffiné,  atti- 
raient un  nombreux  auditoire  qui  ne  se  recrutait  pas  seule- 
ment parmi  la  jeunesse  universitaire. 

L'enseignement  que  donnait  le  second  représentant  de  la 
philosophie,  le  professeur  agrégé  Alfred  Weber,  n'était  pas 
moins  prisé  par  les  élèves.  Le  cours  de  philosophie  qu'il 
professait  en  allemand  eut  un  tel  succès  que  les  étudiants  de 


LE  DERNIER   AGREGE  LIBRE   DU   SEMINAIRE  269 

l'intérieur  et  du  midi  lui  demandèrent  de  le  faire  en  fran- 
çais. C  'est  de  ce  cours  que  sortit  plus  tard  1  '«  Histoire  de  la 
philosophie  européenne  «  dont  la  Revue  critique  disait:  «Le 
livre  de  M.  Weber  n'est  pas  seulement  la  meilleure  histoire 
de  la  philosophie  que  nous  possédions  en  langue  française, 
c'est  aussi,  absolument  parlant,  le  plus  remarquable  ouvrage 
de  ce  genre  que  nous  sachions  »,  et  qui,  traduit  en  anglais 
et  en  espagnol,  arrivait  en  1914  à  sa  huitième  édition. 

La  philologie  aussi  se  trouvait  en  de  bonnes  mains.  Fré- 
déric Reussner,  qui  avait  remplacé  Baum  dans  l'enseigne- 
ment de  cette  branche,  expliquait  les  auteurs  latins  et  expo- 
sait l'histoire  de  la  littérature  latine,  tandis  qu'un  nouveau 
privatim-docens,  Emile  Heitz,  professeur  des  langues 
anciennes  au  Gymnase,  faisait  des  cours  de  littérature  grecque 
et  d'antiquités  de  la  Grèce. 

Il  était  né  à  Strasbourg  le  13  novembre  1825,  fils  de  l'im- 
primeur et  libraire  Charles-Frédéric  Heitz.  Ses  études  clas- 
siques achevées  au  (rymnase  protestant,  il  avait  étudié  la 
philologie  à  Strasbourg  d'abord,  et  puis  à  Paris,  à  Berlin  et 
à  Leipzig.  Licencié  ès-lettres  en  1847,  il  avait  été  nommé 
agrégé  et,  en  1853,  professeur  au  Gymnase.  Une  dissertation 
sur  les  «Mimes  de  Sophron»,  publiée  en  1851,  ne  l'avait  fait 
connaître  que  dans  un  cercle  très  restreint;  mais  en  1862,  un 
travail  sur  les  manuscrits  perdus  d'Aristote,  couronné  par 
l'Académie  de  Berlin,  attira  sur  lui  l'attention  du  monde 
savant.  En  1864,  une  dissertation  sur  l'orateur  attique  Hypé- 
ride  lui  valut  les  éloges  de  l'Institut  de  France;  peu  après, 
la  publication  des  fraigments  d'Aristote,  qui  devait  servir  à 
une  nouvelle  édition  des  œuvres  du  vieux  philosophe,  le  classa 
définitivement  parmi  les  philologues  distingués.  On  pouvait 
donc  s'attendre  à  ce  qu'il  contribuât  à  donner  un  nouvel  essor 
aux  études  philologiques  du  Séminaire. 

En  1869,  enfin,  un  jeune  et  savant  historien,  Rodolphe- 
Ernest  Reuss,  vint  grossir  le  nombre  des  collaborateurs  de  la 
section  propédeutique  du  Séminaire  et  enrichir  son  enseigne- 
ment d'un  cours  d'histoire.  Né  à  Strasbourg  le  13  octobre 
1841,  fils  du  professeur  Edouard  Reuss,  il  avait  fait  de  fortes 
études  au  Gymnase,  à  la  Faculté  des  lettres,  au  Séminaii^e 
même,  et  avait  acquis,  en  1861,  le  grade  de  licencié  ès-lettres 
Il  avait  ensuite  fréquenté,  pendant  trois  ans,  les  Universités 


270  LA  FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE  DE   STRASBOURG 

allemandes,  léna  et  Berlin,  Munich  et  Gœttingue,  et  était  allé, 
en  1865,  com!pléter  ses  études  à  Paris.  Eevenu  à  Strasbourg,  il 
fut  nommé  professeur  agrégé  au  Gymnase  et  continua  avec 
ardeur  ses  travaux  historiques.  Lorsqu'il  demanda  Pautori- 
sation  de  faire  des  cours,  il  était  déjà  avantageusement  connu 
par  des  publications  sur  Phistoire  de  la  guerre  de  trente  ans. 
Les  leçons  qu'il  donnait  sur  Phistoire  du  XVIe  et  du  XVIIe 
siècle  étaient  fort  goûtées. 

Dans  la  section  théologique  du  Séminaire  et  à  la  Faculté 
de  théologie,  Colaai  tenait,  avec  Reuss,  la  première  place.  Son 
cours  sur  la  Vie  de  Jésus  excitait  chez  beaucoup  de  ses  audi- 
teurs le  plus  vif  enthousiasme.  Ceux-là  même  qui  n'adhé- 
raient pas  à  ses  opinions,  étaient  séduits  par  la  forme  qu'il 
donnait  au  travail  scientifique  et  subissaient  plus  ou  moins 
son  influence.  Quant  à  son  cours  d'homilétique,  il  n'était  pas 
seulement  intéressant,  il  était  instructif  au  plus  haut  degré, 
tant  par  les  principes  qu'il  formulait  que  par  les  indications 
pratiques  qu'il  donnait.  Ses  sermons  étaient  d'ailleurs  comme 
une  illustration  de  son  cours  et  les  meilleurs  modèles  pour 
ses  élèves. 

Lichtenberger,  l'autre  professeur  nouvellement  nommé, 
était  loin  d'atteindre  à  la  considération  dont  jouissait  Colani 
et  à  l'influence  qu'il  exerçait.  Il  faisait  au  Séminaire  un 
cours  de  symbolique  et  d'apologétique,  et,  plus  tard,  d'his- 
toire de  la  théologie  allemande  au  dix-neuvièm'e  siècle  (d'où 
sortit  son  Histoire  des  idées  religieuses  en  Allemagne  du  18e 
siècle  jusqu'à  nos  jours.  Paris  1873,  3  vol.)  et  à  la  Faculté 
un  cours  de  morale  et  d'histoire  de  la  morale.  Ses  leçons 
étaient  consciencieusement  préparées  et  ne  manquaient  pas 
d'intérêt;  pourtant  elles  n'avaient  pas  beaucoup  de  succès. 
Lichtenberger  était  un  commençant,  il  ne  devait  donner  sa 
mesure  que  plus  tard  dans  cette  Faculté  de  Paris  qu'il  aida 
à  créer  et  dont  il  fut,  pendant  de  longues  années,  le  doyen 
vénéré. 

La  section  théologique  comptait  encore  deux  privatim-do- 
centes,  le  docteur  Kienlen,  pasteur  à  l'église  Saint-Guillaume, 
qui,  en  1862  déjà,  avait  fait  au  Séminaire  des  cours  de  théo- 
logie pastorale  et  qui,  depuis,  en  avait  annoncé  d'autres,  sur 
les  nouvelles  péricopes,  sur  la  théologie  du  N.  T.,  sur  l'Apo- 
calypse etc.,  et  le  licencié  Théodore  Gerold,  vicaire  à  Saint- 
Nicolas,  qui  avait  débuté,  en  1867,  par  un  cours  sur  les  Actes 


DES  PRETEES  GRECS  A  LA  FACULTÉ  271 

des  Apôtres  et  sur  les  Epîtres  pastorales.  L'un  et  l'autre 
n'avaient  qu'un  auditoire  fort  restreint/) 

Ce  n'est  pas  que  le  nombre  des  étudiants  eût  diminué. 
Ceux  de  l'intérieur  et  du  midi  n'avaient  jamais  été  aussi  nom-^ 
breux,  et  ceux  qui  avaient  fait  leurs  études  à  Genève  venaient, 
comme  autrefois,  passer  leurs  examiens  à  Strasbourg  et  y 
suivaient  même  quelques  cours  pour  compléter  leur  instruc- 
tion. Et  puis,  la  renommée  grandissante  de  l'Ecole  de  Stras- 
bourg commençait  à  y  attirer  des  étrangers.  Des  prêtres  grecs 
vinrent,  en  1866  et  1867,  se  faire  inscrire  à  la  Faculté  de  théo- 
logie. C'étaient  des  hommes  déjà  revêtus  du  titre  d'archiman- 
drite, professeurs  ou  prédicateurs  dans  leur  pays,  miais  que 
le  désir  de  s'initier  à  la  science  théologique  moderne  poussait 
à  visiter  les  Universités  étrangères.  Plusieurs  d'entre  eux  se 
distinguaient  par  un  savoir  profond  et  une  haute  culture 
intellectuelle,  tels  l'archimandrite  Grégorios  Palamias  de 
Thessalonique,  professeur  d'histoire  ecclésiastique  à  l'école 
patriarcale  de  Jérusalem  et  auteur  de  plusieurs  savants 
ouvrages;  l'archimandrite  Dionysios  Latas,  de  l'île  de  Za- 
cynthe,  prédicateur  distingué  d'une  église  grecque  du  Pirée,. 
qui  avait  obtenu  du  gouvernement  hellénique  une  bourse  de 
voyage  pour  aller  compléter  son  instruction  théologique  au 
dehors;  l'archimandrite  Gogos,  de  l'île  de  Lesbos,  esprit 
éveillé,  curieux  des  choses  de  l'Occident,  et  toujours  prêt  à 
communiquer  à  ses  compatriotes,  dans  des  articles  de  jour- 
naux et  de  revues,  les  impressions  qu'il  recevait  et  les  expé- 
riences qu'il  faisait  dans  un  monde  tout  nouveau  pour  lui. 
En  dehors  de  ces  prêtres  grecs,  on  vit  alors  à  la  Faculté  des 
candidats  danois,  qui,  pour  des  raisons  politiques  très  com- 
préhensibles, évitaient  à  ce  moment  les  universités  allemandes. 

Le  nombre  des  élèves  du  Séminaire  et  de  la  Faculté,  en 
dehors  des  étrangers,  s'était  élevé  en  1860  à  75,  mais  il  avait 
augmenté  d'année  en  année.  En  janvier  1868,  Reuss  écrivait 
à  son  ami  Graf  :  «  J'ai  cet  hiver,  j 'ai  dans  mon  cours  sur  l'his-- 


*)  Plus  tard,  en  1869,  Kienlen  ayant  passé  à  l'orthodoxie,  vit  affluer 
à  ses  cours  les  étudiants  appartenant  à  cette  tendance.  «  Parmi  ceux 
qui  donnent  des  coure  ici  »,  écrivait  Reuss  à  son  ami  Grai,  le  7  no- 
vembre 1869,  «le  plus  couru  est  actuellement  Kienlen  (priv.  doc.),  qui, 
n'arrivant  pas  par  le  rationalisme,  s'est  jeté  dans  les  bras  de  l'ortho- 
doxie et  fait  des  cours  sur  le  N.  T.,  dans  lesquels  il  tape  dru  sur  Baur^ 
ce  qui  lui  a  déjà  valu  un  calice  en  or».  {Briefwechsel,  p.  607.) 


272  LA   FACULTÉ   DE    THEOLOGIE   DE   STRASBOURG 

toire  du  peuple  hébreu  80  auditeurs»,  et  tous  les  étudiants 
ne  suivaient  pas  ce  cours.  Dans  l'année  scolaire  1869-1870,  le 
chiffre  des  étudiants  immiatriculés  s'éleva  à  103,  dont  deux 
tiers  appartenaient  à  l'Alsace  et  un  tiers  —  très  exactement 
33  —  à  l'intérieur  et  au  midi.  Il  y  avait,  en  plus,  les  étudiants 
français  qui  avaient  fait  leurs  études  à  Genève  et  qui  venaient 
passer  leurs  examens  à  Strasbourg.  Leur  nombre,  dans  ces 
années,  varia  entre  5  et  14. 


II 

L'année  1868  amena  un  nouveau  et  important  change- 
ment dans  la  Faculté  de  théologie.  Un  décret  impérial  du 
1^^  décembre  1867  avait  enfin  ,accordé  au  professeur  Eichard 
la  retraite  que,  miné  par  l'âge  et  la  maladie,  il  sollicitait 
depuis  des  années.  Son  successeur  devait,  d'après  les  règle- 
ments en  vigueur,  être  désigné  par  les  quatre-vingt-douze 
consistoires  réformés  de  France.  On  pouvait  donc  s'attendre 
à  ce  que  le  parti  conservateur,  qui  disposait  d'une  majorité 
écrasante,  se  hâterait  de  présenter  pour  la  chaire  devenue 
vacante,  un  représentant  décidé  de  sa  tendance.  Il  n'en  fut 
rien.  On  avait,  sans  doute,  dans  les  cercles  orthodoxes,  le 
sentiment  qu'à  Strasbourg  on  exigeait  beaucoup  d'un  profes- 
seur de  théologie  et  que  seul  un  homme  d'une  forte  culture 
théologique  pouvait  prétendre  à  occuper  la  chaire  de  dogma- 
tique réformée.  Or,  il  n'était  pas  facile  de  trouver  cet 
homme.  En  désespoir  de  cause,  et  peut-être  à  l'instigation  de 
Lichtenberger,  le  parti  se  décida  à  offrir  la  candidature  à  un 
jeune  théologien  qui  ne  satisfaisait  même  pas  aux  conditions 
extérieures  qu'exigeait  la  loi:  il  n'avait  pas  trente  ans  et 
n'était  pas  docteur  en  théologie. 

Louis- Auguste  Sabatier  ^)  était  né  à  Vallon,  dans  le 
département  de  l'Ardèche,  le  22  octobre  1839.  Il  avait  étudié 
la  théologie  à  Montauban  et  avait  visité,  de  1863  à  1864,  les 
L^niversités  allemandes,  surtout  Tubingue  où  Jean-Tobie 
Beck,  et  Heidelberg  où  Richard  Rothe  exercèrent  sur  lui  une 
profonde  influence.  Après  son  retour,  il  avait  été  nomflné 
pasteur  à  Aubenas,  dans  l'Ardèche,  et  avait,  en  1866,  pris  le 


*)  Voy.  Le  Doyen  Auguste  Sabatier.  1839-1901.   Dole,  1901. 
Francis  Chaponnière,  Le  professeur  Auguste  Sabatier.  Paris,  1901. 


LA  CANDIDATURE   DE   PIERRE   GOY  273 

grade  de  licencié  en  théologie  par  une  remarquable  thèse  sur 
Les  sources  de  la  vie  de  Jésus,  Dans  cette  dissertation,  il  se 
montrait  plus  homme  du  juste  milieu  qu'adhérent  die  Tortho- 
doxie.  Elle  contenait,  en  effet,  des  assertions  qui  devaient 
sonner  faux  aux  oreilles  orthodoxes.  La  profession  de  foi 
qu'on  demanda  au  candidat  manquait  également  de  couleur. 
On  n'avait  peut-être  pas  une  confiance  absolue  en  lui,  mais 
comîme  on  n'avait  pas  d'autre  candidat  présentable,  il  fallut 
s'en  tenir  à  lui,  malgré  sa  théologie  entachée  de  criticisme. 

Le  parti  libéral  était  plus  heureux  sous  ce  rapport.  Il 
avait  sous  la  main  un  candidat  qui  n'était  pas  seulement  fon- 
cièrement libéral,  mais  qui,  par  différentes  publications,  avait 
fourni  la  preuve  qu'il  était  apte  à  l 'enseignem'ent  théologique. 

Pierre  Goy  était  né  à  Port-Sainte-Foy,  dans  la  Dordogne, 
le  26  octobre  1822.  Il  avait,  lui  aussi,  fait  ses  études  de  théo- 
logie à  Montauban  et  était  allé  les  compléter  à  Berlin  et  à 
Halle.  Eevenu  d'Allemagne  à  la  fin  de  l'année  1847,  il  avait 
été  nommé  pasteur  au  Fleix,  dans  la  Dordogne,  mais  avait, 
quelques  années  plus  tard,  échangé  sa  place  de  pasteur  contre 
celle  de  professeur  au  Collège  de  Sainte-Foy.  Il  n'en  avait 
pas  moins  continué  d'exercer  les  fonctions  pastorales,  comme 
suffragant  du  Consistoire,  jusqu'au  moment  où  il  se  fit  scru- 
pule de  lire  le  symbole  des  apôtres  en  chaire.  Il  avait,  dès  le 
principe,  collaboré  à  la  Revue  de  théologie  et  au  Disciple  de 
Jésus-Christ,  et  y  avait  fait  paraître  des  articles  qui  témoi- 
gnaient d 'un  véritable  esprit  spéculatif.  Il  avait,  à  ce  moment, 
quarante-trois  ans  et  était  dans  la  plénitude  de  son  talent.  Le 
consistoire  le  plus  important  du  midi,  celui  de  Nîmes,  se 
déclara  à  l'unanimité  pour  sa  candidature  et  les  consistoires 
libéraux  suivirent,  les  uns  après  les  autres.  Mais  la  lutte  était 
trop  inégale.  Les  consistoires  conservateurs  étaient  deux  fois 
plus  nombreux  que  les  consistoires  libéraux.  Des  quatre- 
vingt-douze  qu'ils  étaient  en  général,  trente-six  seulement  se 
prononcèrent  pour  Goy,  tous  les  autres  allèrent  à  Sabatier. 

A  ce  moment  pourtant  le  Directoire  et  la  Faculté  de 
théologie  intervinrent.  S 'appuyant  sur  le  fait  que  dans  les 
autres  Facultés  la  nomination  des  professeurs  se  faisait  sur 
la  double  présentation  de  la  Faculté  intéressée  et  du  conseil 
académique,  ils  revendiquèrent  le  droit  de  donner  leur  avis 
sur  les  candidats  désignés  par  les  consistoires.  Le  ministre, 
Victor  Duruy,  les  renvoya  à  l'article  7  du  Chapitre  II  des  dis- 

18 


274  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

positions  organiques  de  1852:  «Lorsqu'une  chaire  de  profes- 
seur de  la  communion  réformée  vient  à  vaquer  dans  les 
Facultés  de  théologie,  le  Conseil  central  recueille  les  votes  des 
consistoires  et  les  transmet  avec  son  avis  au  ministre»,  et  il 
y  ajoutait  cette  observation  curieuse:  «Les  Facultés  de  théo- 
logie ne  sont  pas  seulement  des  établissements  universitaires, 
elles  sont  des  Ecoles  ecclésiastiques  ayant  pour  mission  de 
former  des  ministres  pour  chacun  des  deux  cultes.  Quelque 
prix  que  Ton  attache,  dans  chaque  église,  à  lai  science  et  au 
talent  des  professeurs  de  théologie,  ce  qu'on  leur  demande 
principalement,  ce  sont  des  convictions  profondes  et  inva- 
riables: l'intérêt  religieux  l'emporte  sur  tout  autre.  Or,  n '•est- 
ce  pas  uniquemient  l'intérêt  de  l'Eglise  réformée  qui  se  trouve 
en  jeu!  A  quel  titre  dès  lors  l'organe  d'une  autre  communion 
contrôlerait-il  les  votes  d'assemblées  habituées  à  se  prononcer, 
en  cette  matière,  avec  une  entière  indépendance!  A  Monta u- 
ban,  le  candidat  désigné  par  la  majorité  est  nommé  dès  qu'il 
a  justifié  de  l'âge  et  de  la  capacité  réglementaires,  comment 
pourrait-il  en  être  autrement  à  Strasbourg,  alors  qu'il  s'agit 
d'une  chaire  appartenant  à  la  miême  communion!»*) 

Sabatier  fut  donc  nommé,  mais  d'abord  seulement  comme 
«  chargé  de  cours  »,  parce  qu  'il  ne  remplissait  pas  les  condi- 
tions d'âge  et  de  grade  académique  exigées  par  la  loi.  Son 
installation  fut  également  remise  à  plus  tard.  Ce  n'est  que 
le  1^^  février  1869  qu'il  put  inaugurer  son  cours  de  dogma- 
tique. Ses  débuts  ne  furent  pas  faciles.  Il  possédait  la  science, 
miais  il  manquait  d'expérience.  Sa  position  était  d'autant  plus 
difficile  qu'il  avait  été  nommé  par  le  parti  orthodoxe.  Les 
libéraux  alsaciens,  qui  avaient  fait  des  vœux  pour  la  réus- 
site de  Goy,  l'accueillirent  avec  une  certaine  froideur.  Saba- 
tier était  pourtant  bien  décidé  à  ne  point  se  mettre  à  la 
remorque  du  parti  piétiste,  ni  surtout  du  parti  ultra-luthé- 
rien; il  fit  voir,  dans  toutes  les  occasions,  qu'il  était  et  qu'il 
resterait  indépendant.  Dès  sa  première  leçon,  indiquant,  en 
quelques  mots,  le  caractère  de  l'enseignement  qu'il  allait 
donner,  il  avait  dit  :  «  Ce  sera  un  enseignement  de  recherche.  » 
Il  ne  voulait  se  borner  ni  à  l'exposition  de  la  dogmatique 
traditionnelle  ni  à  celle  de  sa  dogmatique  particulière,  mais 
plutôt  s'appliquer  à  guider  ses  auditeurs  dans  la  recherche 


*)  Lettre  du  ministre  Duruy  du  21  décembre  1868.  (Arch.  du  Direct.) 


LES  DEBUTS  D'AUGUSTE   SABATIER  275 

libre  et  consciencieuse  et  à  former  en  eux  cette  foi  person- 
nelle qui,  disait-il,  «  conserve  seule  sa  valeur  aujourd'hui  où 
l'autorité  de  la  tradition,  en  tant  que  tradition,  est  partout 
ruinée  et  ne  pourrait  plus  être  rétablie  »  ').  Et  quand,  en  avril 
1870,  le  jeune  professeur  soutint  sa  thèse  de  docteur  sur 
r Histoire  de  la  pensée  de  Paul  »,  Reuss,  président  de  la  sou- 
tenance, constatait  que  «la  critique  avait  plus  de  part  à  ce 
travail,  qu'elle  n'en  avait  eu  à  son  histoire  de  la  théologie 
chrétienne,  qui  avait  rencontré  la  contradiction,  le  soupçon  et 
même  l'antipathie.» 

Aussi  les  doutes  que  le  jeune  professeur  avait  d'abord 
inspirés  s'évanouirent-ils  rapidemient.  Après  sa  première 
lieçon  publique,  le  Progrès  Religieux,  organe  du  parti  libé- 
ral, constatait  avec  satisfaction  «qu'un  esprit  de  science 
sérieuse  et  indépendante,  en  même  temps  que  de  foi  sincère, 
présiderait  à  l 'enseignement  du  nouveau  professeur  »,  et  les 
membres  de  la  Faculté,  le  moment  de  la  nomination  défini- 
tive à  la  chaire  vacante  étant  venu,  déclaraient,  dans  une 
adresse  au  ministre,  «qu'ils  appelaient  la  nomination  de 
M.  Sabatier  de  tous  leurs  vœux,  la  manière  dont  il  avait  inau- 
guré son  enseignement  les  ayant  convaincus  qu'ils  trouve- 
raient en  lui  un  collaborateur  des  plus  utiles  et  un  collègue 
aussi  aimable  que  dévoué.  » 

Sabatier  se  fit  facilement  au  nouveau  milieu  dans  lequel 
il  avait  été  transplanté').  Hautement  estimé  de  ses  collègues 
de  la  Faculté  qui  rendaient  pleine  justice  à  sa  valeur  scienti- 
fique, il  était  admiré  et  aimé  des  étudiants,  de  ceux-là  surtout 
qui  appartenaient  à  la  tendance  conservatrice  et  qui  voyaient 
en  lui  un  miaître  qui  ne  le  cédait  en  rien  à  Cola  ni. 

La  Faculté  et  le  Séminaire  avaient  donc  rajeuni.  Des 
hommes  nouveaux  et  d'une  haute  valeur  étaient  venus  combler 
les  lacunes  que  la  mort  avait  faites  dans  le  personnel  des  deux 
établissements  protestants.  Toutes  les  chaires  étaient  occupées 
par  des  savants  compétents.  Sans  doute,  les  différences  dog- 
matiques qui  avaient  séparé  les  professeurs  dans  certaines 
circonstances,  surtout  quand  il  s'était  agi  de  pourvoir  aux 
chaires  vacantes,  subsistaient  comme  par  le  passé,  mais  elles 


^)  Voy.  Le  Progrès  religieux,  nO  du  6  février  1869. 
')  Voy.  Auguste  Sabatier  à  Strasbourg,  par  Henry  Dartigue,  dans 
la  Revue  chrétienne,  1908. 

18* 


276  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOURG 

n'empêchaient  pas  la  bonne  entente  et  le  travail  commun.  La 
période  qui  précéda  immédiatement  la  guerre  fut,  dit  Reuss, 
«  la  plus  belle  que  j 'ai  vécue  relativem^ent  aux  conditions  aca- 
démiques. » 

III 

Jamais,  en  effet,  la  Faculté  de  Strasbourg  n'avait  été 
aussi  prospère,  non  s^eulement  par  la  valeur  scientifique  de  ses 
professeurs,  mais  par  le  nombre  et  le  zèle  de  ses  élèves.  Une 
noble  ardeur,  une  puissante  émulation  régnait  parmi  eux. 
Ecoutons  plutôt  le  témoignage  d'un  étudiant  de  cette 
époque,  de  M.  le  professeur  Lobstein  *)  : 

«  Ceux  qui  ont  eu  le  privilège  de  suivre  les  cours  du  Sémi- 
naire protestant  et  de  la  Faculté  de  théologie  de  Strasbourg 
pendant  l'année  scolaire  brusquement  interrompue  par  la 
guerre  franco-allemande,  ont  gardé  une  impression  inou- 
bliable de  l'activité  intense  et  féconde  déployée  par  les 
maîtres  et  les  élèves  de  l'Ecole  de  Strasbourg.  Le  nombre  des 
étudiants  dépassait  la  centaine  de  quelques  unités,  il  y  en 
avait  de  toutes  les  parties  de  la  France.  A  la  veille  de  la 
guerre,  Séminaire  et  Faculté  évoluaient  d'un  mouvement  de 
plus  en  plus  rapide  vers  l'absorption  de  la  culture  et  de  la 
langue  allemandes  par  la  culture  et  la  langue  françaises.  La 
fusion  de  ces  deux  éléments  s'était  faite,  sous  le  second  Em- 
pire, d'une  façon  qui  accusait  la  prédominance  croissante  du 
type  français.  Le  nombre  des  cours  allemands,  même  au 
Séminaire,  allait  diminuant  d'année  en  année.  En  1869,  le 
doyen  s 'étant  offert  à  donner,  en  allemand,  un  cours  d'exé- 
gèse sur  les  épîtres  aux  Corinthiens,  ne  trouva  qu'un  ou  deux 


^)  J'avais  prié  M.  le  professeur  Lobstein,  qui,  dans  les  années  qui 
précédèrent  immédiatement  la  guerre  de  1870,  avait  été  élève  de  noti-e 
Faculté  de  théologie  de  me  donner  quelques  détails  sur  ce  qu'étaient,  à 
ce  moment,  le  Séminaire  et  la  Faculté.  M.  Lobstein,  toujours  prêt  à 
rendre  service,  ne  voulut  pas  se  borner  à  me  fournir  quelques  indica- 
tions sommaires,  il  rédigea  ces  pages  qui  contiennent,  avec  un  aperçu 
de  l'état  des  choses  d'alors,  une  caractéristique  des  professeurs  dont  il 
suivit  les  leçons.  Bien  qu'il  y  ait  là  quelques  répétitions  inévitables  de 
ce  qui  a  été  dit  dans  les  chapitres  précédents,  je  n'ai  voulu  rien 
retrancher  du  pieux  hommage  rendu  par  M.  Lobstein  aux  m-aîtres  de 
sa  jeunesse,  et  rien  de  ces  pages  qui  sont  peut-être  les  dernières  qui 
soient  sorties  de  la  plume  du  regretté  professeur. 


LE   CAEACTÈRE   BILINGUE  DE  L'ENSEIGNEMENT  277 

auditeurs,  en  sorte  qu'il  dut  abandonner  oe  projet;  par  contre, 
son  cours  de  dogmatique  ,  professé  en  français,  réussit  pleine- 
ment. Des  sept  ou  huit  leçons  données  chaque  semaine  par 
Reuss,  deux  seulement  avaient  lieu  en  allemand.  Baum  et 
Weber,  qui  d'abord  n'enseignaient  qu'en  allemand,  furent 
obligés  de  faire  au  français  une  part  de  plus  en  plus  large. 
Schmidt  et  Lichtenberger  professaient  exclusivement  en  fran- 
çais, aussi  bien  que  Colani  et  Sabatier.  Sur  les  vingt-et-une 
heures  de  cours  auxquelles  on  était  astreint  par  semaine,  je 
n'en  ai  pas  entendu  un  seul  qui  fût  donné  en  allemand.  Le 
cours  d'histoire  de  la  littérature  de  l'Ancien  Testament  pro- 
fessé par  Reuss  en  français,  remplissait  jusqu'à  la  dernière 
place  le  gi-and  auditoire  de  Saint- Thomas;  le  cours  d'exégèse 
qu'il  donnait  en  allemand,  n'arrivait  à  grouper  que  dix  à 
vingt  élèves.  La  Société  théologique,  présidée  par  Reuss  et 
Cunitz,  subissait  une  transformation  analogue.  La  langue 
usuelle,  celle  des  procès-verbaux,  était  l'allemand;  mais  les 
travaux  fournis  par  les  membres  de  la  Société  éta,ient  souvent 
des  travaux  français.  Dans  ce  cas,  la  discussion  se  faisait 
dans  la  même  langue.  Pendant  longtemps,  la  Société  Reuss- 
Cunitz  fut  le  seul  «  Séminaire  »  en  vigueur  à  Strasbourg. 
Vers  la  fin  des  années  soixante,  Schmidt  institua  ime  confé- 
rence d'histoire  ecclésiastique;  tous  les  quinze  jours  aussi, 
Lichtenberger  et  Sabatier  nous  invitaient  à  des  «  conférences  » 
sur  des  sujets  de  théologie  biblique  ou  systématique;  l'un  et 
l'autre  cycle  se  faisaient  en  français;  les  conférences  bi-men- 
suellos  étaient  réparties  de  façon  que  chaque  semaine  était 
occupée  par  l'une  d'elles,  nous  étions  plusieurs  qui  faisions 
partie  des  trois  sociétés.  Même  simultanéité  des  deux  langues 
dc'ins  les  exercices  de  diction  et  de  récitation:  Baum  dirigeait 
les  exercices  allemjands,  Colani  présidait  aux  français;  ces 
derniers  étaient  les  plus  fréquentés. 

«Le  caractère  bilingu<8  de  l'enseignement  théologique  au 
Séminaire  et  à  la  Faculté  ne  choquait  personne;  on  le  considé- 
rait comme  normal  et  résultant  naturellement  des  circons- 
tances historiques  où  se  trouvait  placée  l'Alsace.  Si  nos 
maîtres  plus  anciens  exprimaient  parfois  le  regret  de  voir 
disparaître  trop  rapidement  l'usage  de  l'allemand,  ils  n'em- 
ployaient pas  le  terme  de  «Verwelschung»  qu'on  prodigua 
plus  tard;  ils  payèrent  eux-mêmes  un  large  tribut  à  la  situa- 
tion qui  s'imposait  à  eux:  déjà  Reuss  avait  composé  en  fran- 


278  LA   FACULTÉ   DE    THEOLOGIE   DE   STRASBOURG 

çais  sa  traduction  de  la  Bible  avec  introductions  et  commen- 
taires; s^il  put  publier,  après  la  guerre,  dans  l'espace  de  peu 
d'années  (1874 — 1881),  les  seize  volumes  qui  composent  son 
œuvre  capitale,  c'est  parce  que  la  rédaction  de  ce  grand 
travail  était  achevée  lorsqu 'éclata  la  catastrophe  de  1870.  De 
mêrrte  Weber,  qui  s'était  appliqué  avec  autant  d'énergie  que 
de  succès  à  professer  en  français  l'histoire  de  la  philosophie, 
put  faire  paraître  au  lendemain  du  traité  de  Francfort  sa 
belle  «Histoire  de  la  philosophie  européene»  (1872).  D'autre 
part,  les  membres  plus  jeunes  du  corps  enseignant  qui  pro- 
fessaient uniquement  en  français  n'entendaient  nullement 
proscrire  l'allemand.  Dans  son  discours  prononcé  à  une  fête 
du  Gymnase,  le  10  août  1865,  Lichtenberger  affirma  avec  une 
vigueur  et  une  clarté  qui  ne  laissaient  rien  à  désirer,  l'attache- 
{ment  ^indéfectible  des  protestants  d'Alsace  à  la  Bible  de 
Luther  et  au  trésor  spirituel  des  cantiques  de  la  vieille  Alle- 
magne. Dans  leurs  cours,  Colani  et  Sabatier  ne  cessaient  de 
nous  rendre  attentifs  aux  publications  allemandes;  celui-là 
nous  recommandait  chaudement  les  travaux  de  Holsten  sur 
le  paulinisme,  celui-ci  empruntait  à  Weizsaecker  la  substance 
de  ses  leçons  sur  les  synoptiques  et  le  quatrième  évangile. 

«  Sans  doute,  les  difficultés  de  la  tâche  qui  consistait  à 
pratiquer  à  la  fois  le  français  et  l'allemiand  n'échappaient  à 
personne,  mais  l'obligation  qui  incombait  aux  travailleurs, 
n'était  pas,  pour  les  maîtres  et  les  élèves,  une  raison  d'aban- 
donner la  mission  d'opérer,  entre  les  deux  peuples  voisins, 
un  échange  salutaire  et  une  médiation  féconde;  c'était,  au 
contraire,  une  sollicitation  toujours  présente  à  une  œuvre  de 
synthèse  intellectuelle  et  morale,  de  pénétration  intime  et 
d'émulation  pacifique  qui  devait  tourner  au  profit  mutuel 
de  ceux  qui  étaient  engagés  dans  cette  laborieuse  entreprise. 
C'est  au  milieu  d'efforts  et  de  préoccupations  pareils  que  la 
guerre  de  1870  vint  nous  frapper  comme  un  coup  de  foudre 
qui  répandit  parmi  les  professeurs  et  les  étudiants,  parmi  les 
Alsaciens  et  les  Français  de  la  vieille  France,  la  consternation 
et  le  deuil. 

«  Le  grade  de  licencié  pris  à  la  Faculté  des  lettres  m 'ayant 
tenu  lieu  d'examen  d'ascension,  je  ne  possède  aucune  donnée 
directe  sur  la  section  de  philologie  qui  servait  d'introduction 
préparatoire  à  la  section  théologique.  Je  commis  la  sottise  de 
suivre  pendant  mes  deux  premiers  semestres  le  cours  de  dog- 


OPINION   d'un   ancien  ELEVE  SUR  LA  FACULTÉ  279 

matique  du  doyen  Bruch.  Sans  la  base  exégétique  et  histo- 
rique indispensable  à  une  étude  pareille,  j'étais  mal  préparé 
à  des  leçons  qui  supposaient  des  connaissances  qui  me  mian- 
quaient  encore.  Aussi  n'en  ai-je  pas  recueilli  le  fruit  que 
d'autres  pouvaient  y  trouver.  La  belle  époque  du  vénérable 
doyen  était  d'ailleurs  passée.  Il  était  âgé  de  soixante-dix-sept 
ans.  La  noblesse  et  la  distinction  de  sa  personnalité  comman- 
daient le  respect.  Unissant  la  gravité  à  la  douceur,  il  possé- 
dait au  plus  haut  degré  l'autorité  et  savait  en  même  temps 
gagner  et  retenir  la  confiance  et  la  sympathie.  Sur  ce  point 
l'impression  des  étudiants  était  unanime.  Chez  les  Alsaciens, 
la  haute  dignité  ecclésiastique  dont  Bruch  était  investi, 
rehaussait  encore  le  prestige  du  doyen. 

«  J 'ai  essayé  ùe  caractériser  ailleurs  le  savant  et  le  maître 
que  fut  Edouard  Keuss,  L'action  de  ce  professeur  incompa- 
rable s'exerça  sur  ceux-là  même  qui  choisirent  un  champ  de 
travail  différent  de  celui  qu'il  cultiva  avec  tant  d'énergie  et 
de  bonheur. 

«  Rien  de  plus  solide  et  de  substantiel  que  les  leçons  d'his- 
toire de  l'Eglise  professées  par  Charles  Schmidt.  Son  expo- 
sition était  d'une  clarté  et  d'une  simplicité  parfaites;  il  y 
perçait  parfois  une  émotion  aussitôt  contenue  ou  un  sourire 
qui  était  un  jugement.  La  matière  la  plus  nourrie  se  tradui- 
sait dans  une  forme  succincte  et  serrée,  rendue  plus  impres- 
sive  par  la  modestie  du  savant  et  la  piété  du  chrétien. 

«Celui  qui  n'a  connu  Cunitz  que  comme  professeur  l'a 
nécessairement  méconnu.  Dans  sa  chaire  du  Nouveau  Testa- 
ment il  était  sec,  monotone,  cassant,  inféodé  à  la  méthode  et 
aux  résultats  de  l'Ecole  de  Tubingue.  Mais  aussitôt  qu'on 
avait  franchi  le  seuil  de  son  cabinet  d'études,  on  se  trouvait 
en  présence  d'un  autre  homme.  Aimable  et  affable,  empressé 
à  rendre  service,  à  vous  orienter  et  à  vous  conseiller,  versé  dans 
tous  les  domaines  de  la  théologie,  il  témoignait  à  ses  visiteurs 
un  affectueux  intérêt,  mettant  à  leur  disposition  sa  vaste  et 
minutieuse  érudition,  sa  critique  singulièrement  avertie  et 
pénétrante,  sa  bibliothèque  qui  n'était  pas  composée  unique- 
ment d'ouvrages  théologiques.  Ceux  qui  ont  eu  le  privilège 
d'entrer  plus  avant  dans  son  intimité,  admiraient  sa  droi- 
ture, l'indépendance  de  son  caractère,  sa  vive  sensibilité  sous 
des  dehors  austères  et  froids,  le  courage  dont  il  fit  preuve 
pendant  sa  longue  maladie. 


280  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOURG 

<^  Lichtenberger  était  par  excellence  le  courtier  scienti- 
fique, l 'intermédiaire  admirablement  qualifié  de  la  culture  et  de 
la  langue  françaises  et  allemandes.  Il  apportait  à  ce  travail  une 
certaine  coquetterie,  un  purisme  qui  faisait  sourire  les  vieux 
Français.  Ses  cours  portaient  surtout  sur  la  morale  et  This- 
toire  de  la  morale.  Mais  il  professait  aussi  la  symbolique  et 
rhistoire  de  la  théologie  allemande,  cours  que  les  étudiants 
avaient  baptisé  du  sobriquet  «  le  mouvement  des  idées  »  et 
dont  il  tira,  en  1873,  les  trois  volumes  de  son  Histoire  des  idées 
religieuses  en  Allemagne, 

«  Au  début  de  l'année  scolaire  dont  nous  parlons,  le  maître 
le  plus  brillant  et  le  plus  goûté  était  sans  contredit  Timothée 
Colani.  Il  avait  définitivement  renoncé  à  la  prédication,  sa 
Revue  avait  cessé  de  paraître.  Désormais  il  put  consacrer 
son  temps,  ses  forces,  son  talent  à  renseignement  universi- 
taire. Par  la  solidité  et  la  sûreté  de  ses  connaissances,  par  la 
pénétration  et  la  rigueur  de  sa  critique,  par  la  clarté  et  la 
force  de  son  style  et  surtout  par  Tautorité  avec  laquelle  il 
savait  formuler  et  établir  ses  conclusions,  il  subjuguait  et 
entraînait  ses  élèves.  Il  faisait  trembler  les  timides  et  les  con- 
servateurs qui  essayaient  de  se  défendre  contre  sa  redoutable 
dialectique  et  de  se  soustraira  au  danger  de  son  influence. 
Les  élèves  de  la  section  préparatoire  célébraient  avec  enthou- 
siasme ses  cours  sur  la  littérature  française  au  dix-neuvième 
siècle,  sur  la  philosophie  de  la  religion,  sur  la  psychologie  et 
sur  la  métaphysique.  Ses  leçons  sur  la  Vie  de  Jésus  et  sur  le 
Siècle  apostolique  sont  restées  gravées  dans  ma  mémoire.  A 
ce  moment-là,  j 'ignorais  encore  combien  il  était  dépendant  de 
la  seconde  Vie  de  Jésus  de  Strauss  et  des  travaux  de  l'Ecole 
de  Tubingue,  mais  il  possédait  l'art  de  faire  siennes  toutes  les 
idées  qu'il  empruntait  aux  Allemands  et  de  les  faire  pénétrer 
dans  l'esprit  de  ses  auditeurs  avec  une  assurance  impertur- 
bable. 

«Pendant  le  semestre  d'hiver  1869 — 1870,  le  professeur 
qui  venait  d'être  appelé  à  la  chaire  de  dogmatique  réformée 
(1868),  Auguste  Sabatier,  n'était  encore  connu  que  d'un  petit 
nomlbre  d'étudiants,  l'éclat  du  nom  de  Colani  faisait  pâlir  la 
jeune  renommée  du  nouvel  élu.  Un  jour  suffit  pour  faire 
sortir  de  l'ombre  la  personnalité  de  Sabatier,  qui  conquit  de 
haute  lutte  la  sympathie  et  l'admiration  de  la  plupart  d'entre 
nous.  Le  9  avril  1870,  il  soutint  sa  thèse  de  docteur  en  théo- 


SABATIEK   ET   COLANI  281 

logie.  Sa  soutenance  qui,  on  le  sait,  portait  sur  V Apôtre  Paul, 
esquisse  d'une  histoire  de  sa  pensée,  dura  près  de  quatre 
heures;  le  jury  était  composé  de  Bruch,  de  Reuss  et  de  Colani. 
L'allocution  du  doyen  ne  fit  que  préluder  à  la  grande  bataille. 
Les  deux  autres  membres  du  jury  combattirent  Vun  et  l'autre 
ridée  maîtresse  de  Sabatier:  impossible,  disaient-ils,  de  mar- 
quer les  trois  étapes  que  le  jeune  docteur  croyait  pouvoir 
distinguer  dans  l'évolution  religieuse  de  l'apôtre.  Eeuss  cita 
une  série  de  textes  et  chercha  à  renverser,  par  une  exégèse 
minutieuse,  la  thèse  dont  Sabatier  se  fit  le  défenseur;  Colani^ 
éleva  et  élargit  le  débat;  il  essaya  de  montrer  que  la  genèse 
même  de  l 'évangile  paulinien  impliquait  une  révolution  immé- 
diate et  radicale  où  il  n'y  avait  aucune  place  pour  le  progrès 
qu'y  découvrait  son  nouvel  interprète.  Pour  étayer  sa 
démonstration,  Sabatier  déploya  toutes  les  ressources  d'une 
science  sûre  et  précise,  d'une  dialectique  vigoureuse  et  pres- 
sante, parfois  d'une  éloquence  qui  donnait  à  sa  parole  une 
chaleur  convaincante  et  communicative.  Les  auditeurs  sui- 
virent ce  tournoi  de  plus  en  plus  dramatique  avec  une  atten- 
tion passionnée,  et  chacun  dut  confesser  que  dans  cette  lutte 
oii  les  combattants  étaient  dignes  l'un  de  l'autre,  il  n'y  avait 
ni  vainqueur,  ni  vaincu;  mais  faire  face  au  double  assaut 
d'un  Reuss  et  d'un  Colani  n'était-ce  pas  déjà  un  triomphe? 
Lorsque  le  26  avril,  Sabatier  fit  sa  première  leçon  du  semestre 
d'été  son  auditoire  avait  triplé.  Il  donna,  jusqu'au  16  juillet 
1870,  trente  leçons  sur  l'enseignement  de  Jésus;  il  y  repro- 
duisait et  y  développait  sa  thèse  de  licence  et  esquissait 
d'avance  les  principaux  traits  de  son  article  Jésus-Christ 
dans  l'Encyclopédie  des  sciences  religieuses. 

«  Les  adeptes  de  Colani  et  ceux  de  Sabatier  formèrent 
désormais  deux  groupes  distincts.  Force  fut  au  premier  de 
reconnaître  que,  par  la  rigueur  scientifique  et  la  clarté  de 
l'exposition,  Sabatier  ne  le  cédait  en  rien  à  leur  miaître  pré- 
féré. Quant  au  second,  il  trouvait  chez  le  nouveau  professeur 
ce  qui  manquait  à  l'intellectualismie  de  l'éminent  critique,, 
une  émotion  de  bon  aloi  qui  animait  la  recherche  sans  la 
troubler  jamais  et  qui,  par  moments,  jaillissait  en  paroles 
sobres  mais  inoubliables:  telle  la  conclusion  de  sa  leçon  sur  la 
conscience  religieuse  de  Jésus:  «c'est  sur  ce  roc  que  j'ai  fondé 
ma  foi  ».  Après  la  victoire  allemande  et  avant  la  fondation  de 
la  nouvelle  Université,  Sabatier  fit  pour  la  première  fois  son. 


282  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

cours  de  dogmatique,  miais  ici  nous  dépassons  les  limites  de 
Tannée  dans  laquelle  je  dois  me  renfermier.  Qu'il  me  suffise 
de  dire  que  l 'impression  que  nous  laissa  ce  cours  fut  profonde 
et  ineffaçable;  il  contenait  déjà  en  germe  toutes  les  qualités 
que  nous  admirons  dans  les  deux  volumes  du  maître:  Esquisse 
d'une  philosophie  de  la  religion  eit  Les  Religions  d'cmtorité  et 
la  Religion  de  V Esprit,  » 


CHAPITRE  III 

La  guerre  de  1870  —  Dissolution  de  la  Faculté  de  théologie 
et  du  Séminaire  protestant 


La  déclaration  de  guerre  du  16  juillet  1870  imposa  au 
Séminaire  de  nouveaux  devoirs.  Il  n  ^hésita  pas  un  instant  à 
les  remplir  dans  toute  leur  étendue.  Dès  le  18,  les  professeurs 
décidèrent,  en  considération  de  la  gravité  des  circonstances 
et  en  prévision  des  événements  qui  pourraient  se  dérouler 
dans  le  voisinage  immédiat  de  la  ville,  de  clore  le  semestre 
d'été  et  de  renvoyer  les  élèves  dans  leurs  foyers  avec  tes 
recommandations  qu'exigeait  la  situation. 

Les  examens  semiestriels  furent  remis  à  plus  tard,  ainsi 
que  les  promotions.  Une  dernière  soutenance  de  thèse  eut 
lieu  le  21  à  4  heures  du  soir,  puis  les  salles  de  cours  et  lo 
pensionnat  de  Saint-Guillaume  se  vidèrent.  Salles  de  cours  et 
chamhrettes  d'étudiants  furent  mises  à  la  disposition  du 
Comité  de  secours  protestant  pour  y  recevoir  les  blessés  de 
la  guerre.  L'administration  de  la  fondation  de  Saint-Thomas 
vota  un  crédit  de  5000  francs  pour  y  établir  un  lazaret. 

Ce  fut  de  toutes  parts  un  élan  de  patriotisme.  Les  élèves 
du  Gymnase  déclarèrent  qu'ils  renonçaient  aux  prix  qui  leur 
étaient  destinés  et  demandèrent  que  les  mille  francs  prévus 
pour  cette  dépense  fussent  employés  à  une  œuvre  patrio- 
tique. Parmi  les  étudiants,  il  y  en  eut  qui  partirent  comme 
infirmiers  volontaires  avec  les  médecins  et  les  diaconesses; 
d'autres  prirent  le  fusil  et  allèrent  se  battre  sur  les  champs 
de  bataille  de  la  Normandie  et  de  la  Bourgogne.  Ceux  qui 
étaient  restés  à  Strasbourg  se  vouèrent  aux  soins  des  nom- 


284  LA  FACULTÉ   DE    THÉOLOGIE   DE   STRASBOUKG 

breux  blessés  qui  bientôt  remplirent  les  salles  du  Séminaire. 
Les  professeurs  ne  s  ^épargnèrent  pas  davantage.  Sabatier 
était  allé  se  mjettre  à  la  disposition  du  Comité  de  secours  de 
Paris  pour  organiser,  avec  quelques-uns  de  ses  élèves,  des 
ambulances  à  Orléans,  à  Troyes,  à  Bourges  et  ailleurs.  Les 
autres  professeurs,  enfermjés  dans  la  ville  assiégée,  parta- 
gèrent avec  la  population  les  damgers  et  les  souffrances  du 
siège  et  du  bombardement.  Bruch  et  Baum  s'étaient,  dès  le 
principe,  offerts  à  porter  aux  blessés  les  consolations  de  la 
religion  et  les  visitaient  régulièrement.  Les  autres  surent  se 
rendre  utiles  d'une  autre  m'anière.  Quelques-uns,  sans  se 
laisser  troubler  par  le  bruit  du  canon,  par  le  fracas  des  bombes, 
par  rincendie  des  maisons,  des  monuments,  des  églises  de  la 
ville,  continuaient  à  se  livrer  à  leurs  travaux  scientifiques. 
Mais  tous  ressentirent  douloureusement  la  catastrophe  du 
24  août,  qui  vit  s'abîmer  dans  les  flammes,  avec  le  Temple- 
Neuf,  une  partie  du  Gymnase,  la  Bibliothèque  du  Séminaire 
et  celle  de  la  ville. 

Le  27  septembre,  Strasbourg,  après  avoir  supporté  pen- 
dant six  semaines  un  terrible  bombardement,  capitula.  Quelques 
semaines  plus  tard,  le  1^^  novembre,  les  professeurs  du  Sémi- 
naire, réunis  en  séance,  décidèrent  de  reprendre  leur  activité 
académique.  Le  21  novembre,  les  salles  de  cours  se  rouvrirent. 
La  i)lupart  des  étudiants  alsaciens  étaient  revenus;  les  pro- 
fesseurs étaient  tous  à  leur  poste,  à  l'exception  d'un  seul. 
Colani  avait  quitté  Strasbourg  avant  la  déclaration  de  la 
guerre,  pour  aller  refaire  sa  santé  dans  une  station  balnéaire. 
Il  revint  après  la  capitulation  de  la  ville,  pour  mettre  ordre 
à  ses  affaires  privées  et  quitter  ensuite  Strasbourg  à  jamais. 
Il  pria  le  Séminaire  d'accepter  sa  démission  de  professeur, 
étant  décidé  à  conserver  la  nationalité  française.  Le  Sémi- 
naire pourtant  ne  voulut  laisser  partir  sans  plus  son  profes- 
seur le  plus  illustre;  il  lui  fit  demander  de  remettre  sa  déci- 
sion jusqu'au  moment  où  la  question  franco-allemande  serait 
définitivement  réglée,  et  lui  accorda  un  congé  de  trois  mois. 

Ce  délai  expiré,  Colani  renouvela  sa  demande,  mais  sans 
obtenir  qu'on  y  donnât  suite.  Ses  collègues  espéraient  encore 
qu'il  changerait  d'avis.  Mais  quand  le  traité  de  paix  de 
Francfort  détacha  décidément  l'Alsace  de  la  France,  Colani 
fit  auprès  du  Séminaire  des  instances  plus  pressantes,  et  ses 
collègues  comprirent  qu'il  n'y  avait  plus  moyen  de  le  retenir. 


LA   DÉMISSION   DU   PRESIDENT   BRAUN  285 

Sa  démission  fut  acceptée,  et  les  membres  du  Séminaire  lui 
exprimèrent  leurs  regrets  de  voir  partir  un  collègue  qui, 
durant  les  six  ans  qu'il  avait  appartenu  à  cette  institution, 
«lui  avait,  par  son  talent  d'administrateur,  rendu  d'éminents 
services.  »  *) 

Une  autre  démission  suivit,  qui  laissa  un  vide  sensible 
au  Séminaire.  Le  président  Braun  avait,  immédiatement 
après  la  capitulation  de  la  ville,  déclaré  qu'il  sortirait  du 
Directoire  et,  par  suite,  du  Séminaire.  Les  supplications  de 
ses  amis  et  de  ses  collègues  le  décidèrent  pourtant  à  continuer 
provisoirement  ses  fonctions.  Mais  aussitôt  les  préliminaires 
de  paix  signés,  iJ  adressa  sa  lettre  de  démission  au  ministre 
des  cultes  à  Paris,  et  le  lendemain,  10  mars,  il  cessa  de 
diriger  l'administration  de  l'Eglise  d'Alsace.  Quelques  jours 
après,  il  prit  congé  des  membres  du  Séminaire,  leur  expri- 
mant ses  profonds  regrets  «d'être  obligé  de  se  séparer  d'un 
corps  avec  lequel  il  avait  travaillé  pendant  plus  de  vingt  ans 
en  pleine  harmonie  de  pensée  et  de  sentiment.  »  Le  vice- 
directeur  lui  dit,  à  son  tour,  les  regrets  qu'éprouvait  le  corps 
tout  entier  de  cette  séparation,  et  le  remercia  des  preuves  de 
dévouement  qu'il  n'avait  cessé  de  donner  au  Séminaire  dans 
des  circonstances  souvent  pénibles,  ainsi  que  de  la  sagesse  et 
de  la  bienveillance  avec  lesquelles  il  avait  dirigé  l'administra- 
tion de  nos  fondations. 

Après  la  retraite  de  Théodore  Braun,  la  place  de  prési- 


*)  Cet  hommage  rendu  à  r«  administrateur  »  et  non  au  «  profes- 
seur »  peut  paraître  étrange.  Il  s'explique  par  le  fait  qu'on  voulut 
réunir  dans  cette  manifestation  tous  les  professeurs  du  Séminaire  et 
de  la  Faculté,  même  ceux  qui  étaient  opposés  à  l'enseignement  de 
Colani. 

Sa  démission  donnée  et  acceptée,  Colani  se  rendit  à  Bordeaux 
où  il  remplit  un  rôle  utile  aux  côtés  de  Gambetta.  Puis,  la  guerre 
terminée,  il  se  retira  à  Royan  et  s'intéressa  à  une  entreprise  industrielle 
dans  laquelle  il  perdit  sa  fortune  entière.  En  1876,  il  vint  à  Paris  ;  il 
y  fonda  le  Courrier  littéraire,  dont  il .  conserva  la  direction  pendant 
quelques  années.  En  1877,  il  fut  nommé  bibliothécaire-adjoint  à  la 
Sorbonne;  quelque  temps  après,  il  devint  un  des  principaux  rédacteurs 
du  journal  gambettiste  La  Réjmblique  Française.  Il  y  fit  paraître,  ainsi 
que  dans  la  Nouvelle  Revue,  à  laquelle  il  collabora,  des  articles  très 
remarqués  de  haute  critique  politique  et  littéraire.  Son  nom  marqua 
bientôt  dans  la  presse  parisienne.  Le  Temps  venait  de  l'appeler  à  sa 
rédaction,  quand  il  succomba  à  un  refroidissement  pris  en  Suisse,  le 
3  septembre  1888. 


286  LA   FACULTÉ   DE   THEOLOGIE   DE   STRASBOURG 

dent  du  Directoire  et,  par  conséquent,  de  directeur  du  Sémi- 
naire, resta  inoccupée  pendant  près  d'un  an.  Ce  n'est  que 
le  14  février  1872  qu'eut  lieu  l'installation  du  président  Kratz 
comme  directeur  du  Séminaire  protestant. 


II 

En  attendant,  tout  au  Séminaire  était  rentré  peu  à  peu  dans 
l'ornière  ordinaire.  Tandis  qu'en  France  la  guerre  continuait 
avec  toutes  ses  horreurs  et  qu'en  Alsace  les  débats  relatifs  au 
sort  du  pays  agitaient  violemment  les  esprits,  on  y  travaillait 
en  silence.  Les  professeurs  donnaient  les  cours  qu'ils  avaient 
annoncés  pour  l'année  1870-1871,  quelques-uns  en  français, 
la  plupart  en  allemand.  On  s'ingéniait  à  éviter  tout  ce  qui 
aurait  pu  donner  lieu  à  des  difficultés.  C'est  ainsi  qu'on 
renonça  au  projet  de  fêter  publiquement  le  jubilé  du  doyen 
Brucli.  11  y  avait,  le  21  février  1871,  cinquante  ans  qu'il  avait 
été  nommé  professeur  au  Séminaire,  et,  dès  avant  la  guerre, 
ses  collègues  avaient  discuté  la  manière  de  fêter  dignement 
un  homme  qui  avait,  comme  aucun  autre,  bien  mérité  de 
l'Eglise  et  des  institutions  protestantes  de  l'Alsace,  et  qui 
était  entouré  du  respect  de  tous.  On  avait  pensé  organiser 
à  cette  occasion  une  brillante  fête  académique,  avec  discours, 
banquet,  sérénade  aux  flambeaux,  etc.  De  pareilles  manifes- 
tations n'ét<aient  plus  de  saison.  On  dut  se  borner  à  des  dépu- 
tations  qui  vinrent  saluer  le  jubilaire  et  à  des  adresses  de 
félicitations  et  de  souhaits,  auxquelles  vinrent  se  joindre  celles 
de  nombreuses  TJniversités  étrangères,  suisses,  hollandaises 
et  allemandes. 

Au  printemps  de  1871,  la  Faculté  de  théologie  rouvrit, 
elle  aussi,  ses  cours.  Avant  la  fin  de  l'été,  on  donna,  en  latin, 
selon  Tancien  usage,  le  programane  des  leçons  du  Séminaire 
et  de  celles  de  la  Faculté  pour  l'année  1871-1872.  A  la  rentrée 
de  novembre,  le  chiffre  des  étudiants  immatriculés  au  Sémi- 
naire et  à  la  Faculté  se  monta  à  66,  dont  22  pour  la  section 
théologique  et  44  pour  la  section  préparatoire.  Ils  étaient  tous 
Alsaciens,  les  Français  ne  venant  plus  et  les  Allemands  ne 
venant  pas  encore  faire  leurs  études  à  Strasbourg. 

Dans  l'intervalle,  deux  chaires  étaient  devenues  vacantes 
au  Séminaire,  celle  de  philosophie  par  le  départ  de  Colani, 
et  l'une  des  chaires  de  philologie  par  la  mort  de  Hasselmann, 
que  la  maladie  avait  enlevé  le  18  mars  1871.  Il  fallut  songer 


LA  FACULTÉ   DE   THÉOLOGIE   CESSE  D'EXISTER  287 

à  pourvoir  à  ces  deux  chaires.  Cela  se  fit  sans  difficulté: 
Alfred  We1)er  et  Emile  Heitz,  tous  deux  agrégés  au  Sémi- 
naire, furent  promus,  le  premier  à  la  chaire  de  philosophie, 
le  second  à  celle  de  philologie,  pour  lesquelles  ils  étaient  tout 
désignés  par  leurs  aptitudes  et  par  les  services  qu'ils  avaient 
déjà  rendus  dans  ces  branches  de  l'enseignement.  Une  troi- 
sième chaire  devenue  vacante  par  la  démission  de  Lichten- 
berger  ne  fut  pas  pourvue  pour  le  moment. 

Ce  n'était  pourtant  pas  renseignement  seul  qui  absorbait 
le  temps  et  les  forces  des  membres  du  Séminaire.  La  situation 
était  pleine  de  difficultés  qu'il  fallait  résoudre.  Il  s'agissait 
avant  tout  d'établir  les  pertes  matérielles,  mobilières  et  im- 
mobilières, causées  aux  différentes  fondations  par  le  bom- 
bardement, de  fixer  les  dommages-intérêts  auxquels  elles 
avaient  droit  et  de  faire  les  démiarches  nécessaires  pour  en 
obtenir  le  paiement.  Il  s'agissait  ensuite  de  faire  aux  bâti- 
ments du  Gymnase  et  dans  les  maisons  appartenant  à  la  fon- 
dation de  Saint-Thomas  qui  avaient  été  atteintes  par  les 
bombes,  les  réparations  nécessaires,  et  d'entreprendre  la 
reconstruction  des  deux  presbytères  de  Sainte-Aurélie 
détruits  par  l'incendie,  et  celle  de  l'un  des  presbytères  de 
Saint-Nicolas  fortement  endommagé  par  les  projectiles  enne- 
mis. Et  puis,  il  y  avait  les  longues  et  difficultueuses  discus- 
sions sur  les  rapports  entre  la  nouvelle  Université  et  la  fon- 
dation de  Saint-Thomas. 

Dès  le  niois  de  mai,  la  motion  avait  été  présentée  au 
Reichstag  d'établir  une  Université  à  Strasbourg;  elle  avait 
été  votée,  avec  invitation  au  chancelier  de  l'Empire  de  hâter 
la  réalisation  de  ce  grand  projet.  Le  gouvernement  avait  pris 
la,  chose  en  main  et  avait  chargé  l'ancien  président  du  minis- 
tère badois,  le  baron  de  Roggenbach,  de  recueillir  les  rensei- 
gnements et  d'engager  les  négociations  nécessaires.  Le  20  avril 
1872  paraissait  la  loi  qui  annonçait  la  création  de  l'Univer- 
sité, et  le  1er  mai  on  fêtait  son  ouverture  avec  grand  bruit. 

L'ancienne  Faculté  de  théologie  avait  depuis  quelques 
semaines  cessé  de  faire  des  cours  et  de  délivrer  des  diplônneis. 
Le  20  mars,  ses  profeseurs  s'étaient  réunis  une  dternière  fois 
pour  clore  les  registres  de  la  Faculté.  «  Ce  fut  »,  écrit  Saba- 
tier,  «  une  séance  funèbre...  Nous  nous  séparâmes  comme  on 
se  sépare  devant  un  tombeau.  »  La  Faculté  française,  après 
cinquante  ans  d'une  glorieuse  existence,  avait  cessé  de  vivre. 

Quelques-uns  de  ses  professeurs,  crurent  de  leur  devoir 


288  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

de  se  dévouer  à  la  jeunesse  alsacienne,  ils  se  déclarèrent  prêts 
à  entrer  dans  la  nouvelle  Université.  Bruchi'),  Reuss ')  et 
Schmidt  ')  conservèrent  leurs  chaires  respectives,  Baum  *)  et 


*)  Bruch,  âgé  et  fatigué,  avait  d'abord  refusé  d'entrer  dans  la  nou- 
velle Université  ;  puis,  cédant  aux  instances  de  ses  collègues,  qui  le 
suppliaient  de  ne  pas  se  séparer  d'eux,  il  avait  consenti  à  faire  partie 
de  la  nouvelle  Faculté  de  théologie  et,  dans  la  pensée  de  rendre  service 
à  l'Alsace,  il  avait  même  accepté  les  fonctions  de  recteur.  Il  donna 
pendant  un  semestre  encore  son  cours  de  dogmatique,  puis  il  prit  sa 
retraite.  Bientôt  après,  il  fut  assailli  par  la  maladie  qui,  le  21  juillet 
1874,  le  conduisit  au  tom^beau. 

')  Reuss  fut  nommé  doyen  de  la  nouvelle  Faculté  de  théologie.  Il 
continua  ses  cours  sur  l'Ancien  Testament,  devant  un  auditoire  bien 
réduit,  jusqu'en  1889,  où  il  prit  sa  retraite.  Dans  les  dernières  années, 
son  activité  fut  avant  tout  littéraire.  Il  continua  la  publication  des 
Œuvres  de  Calvin  et  celle  de  la  Bible  dont  le  premier  volume  parut  en 
1874,  il  publia  son  Histoire  des  livres  sacrés  de  V Ancien  Testament 
(Geschichte  der  heiligen  Schriften  Alten  Testaments)  en  1881  et  acheva 
l'Ancien  Testament  dans  sa  Bible  allemande.  D'autres  travaux  moins 
considérables,  parmi  lesquels  sa  mei^eilleuse  traduction  du  livre  de 
Job  (1888),  l'occupèrent  jusqu'à  la  fin.  —  En  1873,  il  fut  nommé  représen- 
tant de  la  Faculté  de  théologie  au  Consistoire  Supérieur.  En  1878,  il 
célébra  son  cinquantenaire  au  milieu  de  ses  collègues,  de  ses  élèves  et 
de  ses  amis,  et  reçut,  à  cette  occasion,  des  adresses  de  félicitations  des 
Facultés  de  Paris  et  de  Montauban,  de  toutes  les  Facultés  de  théologie 
de  Suisse  et  d'Allemagne  et  de  plusieurs  des  Facultés  de  Hollande,  de 
Suède  et  d'Ecosse.  Le  Séminaire,  pour  honorer  son  illustre  doyen,  fit 
placer  dans  la  salle  du  chapitre  de  Saint-Thomas  une  plaque  de  marbre 
avec  une  inscription  latine  et  y  fit  suspendre  son  portrait  peint  par 
Louis  Schûtzenberger.  Il  mourut  le  15  avril  1891. 

')  Schmidt,  prit,  après  quarante  années  de  professorat,  sa  retraite 
en  1877.  C'était  l'année  où  fut  établie  la  Faculté  de  théologie  protes- 
tante de  Paris.  Lichtenberger,  Sabatier  et  tous  ses  amis  de  France,  le 
pressèrent  d'y  entrer  et  d'y  faire  revivre  les  traditions  de  la  Faculté  de 
Strasbourg.  Schmidt  avait  65  ans.  Il  ne  put  se  décider  à  quitter  sa 
ville  natale  et  à  changer  ses  habitudes  pour  commencer  ailleurs  une 
nouvelle  carrière.  Il  resta  dans  sa  vieille  maison  canoniale  de  la  rue 
des  Cordonniers,  l'ancienne  habitation  de  Jean  Sturm,  et  séparé  du 
monde,  il  y  continua,  vrai  bénédictin,  à  se  livrer  à  ses  travaux  histo- 
riques. Il  fit  paraître  alors  son  Histoire  de  VEglise  chrétienne  au  Moyen 
Age,  1881,  et  plusieurs  ouvrages  sur  Strasbourg  et  l'Alsace.  En  1877  déjà, 
il  avait  publié  son  Histoire  littéraire  de  V Alsace  à  la  fin  du  XVe  et  au 
commencement  du  XV/e  siècle,  il  publia  maintenant,  entre  autres,  le 
Répertoire  bibliographique  Strasbourg eois  jusqu'en  1830.  1892-1894.  Il 
mourut  peu  après,  en  1896. 

*)  Baum  nommé  professeur  de  théologie  pratique  dans  la  nouvelle 
Faculté  vit    son  activité    universitaire    interrompue    dès  1873.    Frappé 


LICHTENBERGER  ET  SABATIER  VONT  EN  FRANCE      289 

Cunitz  0  passèrent  du  Séminaire  dans  la  Faculté  de  théologie, 
Stahl,  Weber  et  Heitz  dans  celle  de  philosophie.  Colani  avait 
donné  antérieurement  déjà  sa  démission,  Lichtenberger ')  et 
Sabatier  ')  imitèrent  son  exemple,  pour  entrer  au  service  de 
l'Eglise  protestante  de  France. 


d'apoplexie,  il  souffrit  cruellement  pendant  cinq  ans  et  fut  délivré  par 
la  mort  le  29  octobre  1878. 

^)  Cunitz  continua,  avec  ses  cours  d'exégèse  du  Nouveau  Testa- 
ment, ses  travaux  savants.  Chargé,  dans  la  publication  des  Œuvres  de 
Calvin,  de  la  partie  historique,  il  ajouta  à  la  correspondance  du  grand 
réformateur  un  Commentaire  lumineux  et  abondant,  qui  en  faisait 
une  source  de  renseignements  précieux  pour  la  connaissance  de  cette 
époque.  Il  prit  également  en  main  la  publication  de  la  nouvelle  édition 
de  VHistoire  des  Eglises  réformées  de  France,  commencée  par  Baum, 
et  en  fit  paraître  deux  volumes  en  1883  et  1884.  Repris  d'un  ancien  mal, 
en  1886,  il  succomiba,  après  de  longs  mois  de  souiffrances,  le  16  juin,  1886. 
Il  légua,  en  mourant,  sa  fortune  entière  à  l'Université  de  Strasbourg 
avec  la  stipulation  que  les  intérêts  seraient  employés  en  partie  à  aug- 
menter le  capital,  en  partie  à  faire  avancer  la  science,  théologique 
surtout,  en  Alsace  et  à  l'Université  de  Strasbourg.  Sa  belle  bibliothèque 
fut,  d'après  ses  dernières  volontés,  réunie  au  fonds  dit  du  Chapitre  de 
Saint-Thomas,  à  la  bibliothèque  de  l'Université. 

*)  Lichtenberger  quitta  Strasbourg  dès  le  mois  d'octobre  1872,  pour 
se  fixer  à  Paris.  D'abord,  prédicateur  dans  l'Eglise  luthérienne,  puis, 
pasteur  de  l'Eglise  Taitbout,  il  avait,  avec  son  ami  Sabatier,  conçu  le 
projet  de  relever  à  Paris  l'ancienne  Faculté  de  théologie  de  Strasbourg. 
Ce  projet  fut  réalisé,  en  1873,  par  la  fondation  de  l'Ecole  des  Sciences 
religieuses  et  puis,  en  1877,  après  des  démarches  auprès  de  Gambetta, 
plus  complètement,  par  la  création  de  la  Faculté  de  théologie  protes- 
tante à  Paris.  Lichtenberger  fut  le  premier  doyen  de  la  nouvelle  Faculté, 
il  la  dirigea  pendant  dix-sept  ans  jusqu'en  1894  où,  fatigué  et  malade, 
il  dut  prendre  sa  retraite.  Il  mourut  bientôt  après. 

Il  avait  publié,  avec  le  concours  de  nombreux  savants  recrutés  de 
tous  côtés,  VEncyclopédie  des  sciences  religieuses,  Paris  1877  à  1882. 
13  vol.  gr.  in-8''. 

*)  Sabatier,  après  avoir  quitté  sa  chaire  à  la  Faculté,  demeura 
quelque  temps  encore  à  Strasbourg.  Il  y  donnait  des  leçons  dans  les 
pensionnats  de  jeunes  filles,  des  prédications  au  temple  réformé  et  des 
conférences  publiques  dans  différentes  villes  du  Haut-  et  du  Bas-Rhin. 
Après  l'une  d'elles,  où  il  avait  établi  entre  la  femme  française  et  la 
femme  allemande  un  parallèle  peu  flatteur  pour  cette  dernière,  il  fut 
expulsé  du  territoire  alsacien-lorrain.  Il  alla  à  Paris  et  s'employa  avec 
Lichtenberger  à  la  création  de  l'Ecole  libre  des  sciences  religieuses  et 
puis  à  celle  de  la  Faculté  de  théologie.  Professeur  à  cette  Faculté  et, 
en  même  temps,  directeur-adjoint  de  la  section  religieuse  de  l'école 
des  Hautes-Etudes,  doyen,  après  le  départ  de  Lichtenberger,  membre 
du  Conseil  de  l'Université  de  Paris  et  du  Conseil  supérieur  de  l'instruc- 

19 


290  LA  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE  DE  STRASBOURG 

III 

A  la  date  du  12  avril,  le  président  supérieur  des  provinces 
annexées  adressait  au  Directoire  une  lettre  dans  laquelle  il 
déclarait  que,  par  suite  de  la  création  de  la  nouvelle  Université, 
le  Séminaire  protestant  avait  cessé  d'exister  en  tant  qu'éta- 
blissement d'instruction,  et  qu'il  s'agissait  seulement  de  régler 
à  nouveau  la  question  de  la  fortune  administrée  jusque-là  par 
le  Séminaire  et  son  emploi  partiel  pour  des  buts  académiques. 

Le  président  supérieur  soumettait  en  même  temps  à  l'au- 
torité ecclésiastique  un  projet  de  loi  réglant  les  rapports  du 
Séminaire  avec  la  nouvelle  Université.  D'après  ce  projet,  l'ad- 
ministration des  biens  de  la  fondation  de  Saint-Thomas 
devait  passer  aux  mains  d'un  chapitre  nouvellement  constitué. 
Dans  ce  chapitre  siégeraient  comlme  chanoines  et  jouiraient  des 
prébendes,  à  côté  du  président  du  Directoire,  d'abord,  les 
anciens  professeurs  du  Séminaire  et,  plus  tard,  dix  profes- 
seurs de  l'Université  appartenant  à  la  confession  protestante 
et  pris  dans  les  différentes  Facultés.  Ils  seraient  choisis  sur 
une  liste  de  présentation  établie  par  le  gouvernement.  Quant 
à  l'administration  des  petites  fondations,  elle  resterait  confiée 
à  la  commission  Schenkbecher.  Celle-ci  comprendrait  à  l'avenir 
quatre  membres  désignés  par  les  quatre  Facultés  et  deux 
membres  nommés  par  le  président  du  Directoire  de  l'Eglise 
de  la  Confession  d'Augsbourg  sur  la  présentation  du  Conseil 
municipal;  elle  serait  présidée  par  le  président  du  Directoire. 

Le  Directoire,  appelé  à  se  prononcer  sur  ce  projet  de  loi, 
crut  opportun  de  prendre  l'avis  du  Consistoire  supérieur  et, 
avant  tout,  celui  du  Séminaire,  plus  directement  intéressé 
dans  la  question. 

La  discussion,  au  sein  du  Séminaire,  roula  surtout  sur 
cette  question  de  principe:  «Quel  est  le  légitime  propriétaire 
des  T)iens  confiés  à  l'administration  du  chapitre!  »  Le  profes- 


tion  publique,  attaché  à  la  rédaction  du  «  Temps  »  et  à  celle  du  «  Journal 
de  Genève»,  il  avait  une  situation  officielle  élevée  et  exerçait  une 
influence  considérable.  Il  mourut  le  12  .avril  1901,  au  moment  où  il  se 
préparait  à  entreprendre  un  voyage  en  Egypte  et  en  Palestine.  Parmi 
ses  publications,  il  faut  surtout  mentionner  à  côté  de  la  troisième 
édition,  très  augmentée  de  son  livre:  Uapôtre  Paul,  esquisse  d'une 
histoire  de  sa  pensée,  son  Esquisse  d'une  philosophie  de  la  religion, 
1867  (2e  éd.  1901),  et  Les  Religions  d'autorité  et  la  Religion  de  Vesprit^ 
publiée  après  sa  mort,  en  1904. 


EEUSS  SUR  LE  DROIT  DE  POSSESSION  DU   CHAPITRE  291 

seur  Eeuss,  dans  un  mémoire  rédigé  par  lui  au  nom  du  Sémi- 
naire, accordait  que  la  disparition  du  Séminaire  comme  éta- 
blissement d'instruction  ne  laissait  pas  de  lacune  dans  le  cercle 
oii  il  avait  exercé  son  .action,  l'Université,  et  tout  particulière- 
ment la  Faculté  de  philosophie,  offrant  des  ressources  telles 
qu'il  était  inutile  d'entretenir,  à  côté  d'elle,  une  institution 
qui  poursuivrait  un  but  analogue;  mais  ajoutait-il,  cela  ne 
veut  pas  dire  qu'avec  l'établissement  d'instruction,  sa  base 
matérielle  doive  passer  à  l'Université.  La  fortune  de  la  fon- 
dation de  Saint-Thomas,  disait-il  encore,  n'est  pas,  comme 
d'aucuns  le  pensent,  propriété  de  l'Université  de  l'Empire.  Il 
est  vrai  que  les  revenus  de  cette  fondation,  ou  plutôt  les  pré- 
bendes qui  y  existaient,  étaient  employés  à  payer  les  profes- 
seurs de  la  vieille  Université  sans  distinction  des  Facultés,  et 
qu'ils  sont  destinés  à  faire  progresser  l'instruction  supérieure. 
Mais  il  ne  faut  pas  oublier  qu'au  fond  l'ancienne  et  la  nouvelle 
Université  sont  des  établissements  très  différents  l'un  de 
l'autre,  celle-là  était  une  institution  exclusivement  protestante, 
celle-ci  n'a  pas  de  caractère  confessionnel.  Si  le  chapitre  est  le 
porteur  principal  du  droit  de  possession,  il  l'est,  pour  ainsi 
dire,  comme  représentant  moral  de  l'ancienne  république  de 
Strasbourg  qui,  dans  tous  les  contrats  politiques  et  actes  cons- 
titutifs, est  désignée  comme  propriétaire  et,  dans  un  certain 
sens,  comme  usufruitier  de  toutes  les  fondations  protestantes. 
L'absorption  de  la  Eépublique  strasbourgeoise  par  un  Etat 
plus  grand  a  pu  rendre  douteux  ce  dernier  élément  dans  la 
notion  de  propriété,  mais  les  déclarations  de  droit  public  ne 
l'ont  jamais  étendu  au  delà  des  frontières  de  l'Alsace.  Par 
contre,  le  caractère  protestant,  confessionnel,  n'a  jamais  été 
oublié  ni  contesté;  dans  toutes  les  occasions  solennelles,  au 
contraire,  dans  la  paix  de  Westphalie,  dans  la  capitulation  de 
1681,  dans  les  lois  de  l'Assemblée  nationale  de  1790,  et  dans 
les  différents  décrets  consulaires  des  années  X  et  XI,  il  a  été 
énoncé  explicitement  et  de  la  façon  la  plus  nette.  L'adminis- 
tration a  donc  eu  de  tout  temps  un  caractère  ecclésiastique  et 
a  été  placée  sous  la  surveillance  de  l'autorité  ecclésiastique. 

Quant  à  l'emploi  de  la  fortune  de  la  fondation,  le  rapport 
de  Reuss  critiquait  avant  tout  le  passage  du  projet  de  loi  alle- 
mand qui  désignait  le  Séminaire  comme  établissement  d'ins- 
truction pour  les  pasteurs  des  deux  confessions  protestantes  et 
mettait  à  sa  place  comme  usufruitières  des  biens  de  la  fonda- 
is* 


292  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STEASBOURG 

tion  les  Facultés  de  théologie  et  de  philosophie  de  la  nouvelle 
Université.  La  fondation  a  de  tout  temps  appartenu  aux 
protestants  de  la  Confession  d'Augsbourg,  disait  Eeuss,  et  la 
fréquentation  des  cours  de  ses  professeurs  par  les  étudiants 
réformés  n'a  rien  pu  y  changer.  Quant  à  la  Faculté  de  philo- 
sophie, qui  est  dotée  de  chaires  pour  toutes  les  branches  de 
la  science  humaine,  elle  ne  peut  élever  des  prétentions  sur  les 
revenus  d'une  fondation  protestante  destinée  avant  tout  à 
des  buts  spécialement  protestants. 

Le  rapport  Reuss  constatait  et  approuvait  la  proposition 
de  laisser  Tadministration  des  biens  de  la  fondation,  comme 
par  le  passé,  aux  mains  du  chapitre,  sous  la  surveillance  du 
Directoire  et  du  Consistoire  supérieur.  Mais  il  se  prononçait 
contre  le  mode  de  noniination  aux  prébendes  que  proposait  le 
projet  de  loi,  l'autorité  ecclésiastique  devait  prendre  part  à 
ces  nominations;  il  ne  s'agissait  pas,  en  effet,  de  garantir  les 
intérêts  de  l'Université  de  l'Empire,  mais  ceux  des  protestants 
d'Alsace. 

Le  Séminaire  approuva  à  l'unanimité  la  réponse  faite  aux 
propositions  du  président  supérieur.  Un  seul  passage  du  rap- 
port Reuss,  celui  qui  se  rapportait  à  la  cessation  du  Séminaire 
commie  établissement  d'instruction,  souleva,  de  la  part  de  quel- 
ques membres,  une  vive  opposition.  Les  professeurs  Schmidt, 
Cunitz  et  Reussner  formulèrent  leur  protestation  en  ces 
termes  : 

«  Les  soussignés,  considérant  que  le  Séminaire  protestant 
de  Strasbourg  a  été  jusqu'ici  un  établissement  d'instruction 
ecclésiastique  dépendant  uniquement  de  l'autorité  ecclésias- 
tique, et  qui,  par  conséquent,  n'aurait  pas  dû  être  supprimé 
par  le  gouvernement  sans  entente  préalable  avec  la  dite  auto- 
rité ecclésiastique,  ont  demiandé  1"  que  le  mémoire  contînt 
l'expression  d'un  regret  de  ce  que  la  suppression  du  Séminaire 
en  tant  qu'établissement  d'instruction  ait  eu  lieu  sans  consul- 
tation du  Consistoire  supérieur  de  notre  Eglise  de  la  Con- 
fession d'Augsbourg,  et  2"  que  rien  n'y  fût  dit,  qui  pourrait 
impliquer  de  notre  part  l'approbation  ou  la  justification  de 
cette  mesure. 

«La  majorité  n'ayant  pas  cru  devoir  satisfaire  à  cette 
demande,  les  soussignés  se  voient  dans  la  nécessité  de  pro- 
tester contre  le  passage  en  question  du  mémoire,  tandis  qu'ils 
donnent  à  tout  le  reste  leur  entier  assentiment.  » 


UN  PROJET   DE   LOI  SUR   LA   COMPOSITION  DU   CHAPITRE       293 

La  Cominission  nommée  par  le  Consistoire  supérieur  pour 
examiner  Pavis  du  Séminaire  se  déclara  d'accord  avec  lui  sur 
tous  les  points  essentiels.  Le  Consistoire  supérieur,  à  son  tour, 
Tadopta  dans  sa  séance  du  14  juin  1872,  avec  quelques  modifi- 
cations qui  portaient  principalement  sur  trois  points;  il 
demandait  1'  que  les  trois  pasteurs  les  plus  anciens  de  Saint- 
Thomas,  de  Saint-Nicolas  et  de  Sainte- Aurélie,  qui  autrefois 
avaient  été  de  droit  membres  du  chapitre  et  qui  avaient  tou- 
jours joui  d'une  prébende  de  Saint-Thomas,  fussent  rétablis 
dans  leurs  droits  antérieurs;  2°  qu'on  s'entendît  sur  un  mode 
de  nomination  aux  prébendes  vacantes  qui  assurerait  à  l'au- 
torité ecclésiastique  le  droit  qu'elle  avait  légalement  exercé 
jusque-là,  de  participer  à  ces  nominations;  3°  que  les  prébendes 
accordées  aux  professeurs  de  l'Université  ne  fussent  pas 
déduites  de  leur  traitement. 

Le  30  août  1872,  le  président  supérieur  soumettait  à  la 
chancellerie  de  l'Empire  un  nouveau  projet  de  loi  sur  la  com- 
position du  chapitre.  Outre  le  président  du  Directoire  et  les 
trois  pasteurs  les  plus  anciens  de  Saint-Thomas,  de  Saint- 
Nicolas  et  de  Sainte- Aurélie,  ce  corps  comprendrait  sept  cha- 
noines, à  savoir  les  plus  anciens  des  professeurs  ordinaires 
des  quatre  Facultés  appartenant  au  culte  protestant,  un  fonc- 
tionnaire supérieur  de  l'administration,  et  deux  membres 
nommés  par  le  Directoire  sur  la  présentation  du  chapitre.  Le 
président  et  les  trois  pasteurs  jouiraient  de  leur  prébende 
comme  par  le  passé,  les  sept  autres  membres  du  chapitre  n'au- 
raient que  la  jouissance  d'une  maison  canoniale.  Les  intérêts 
de  l'Université  seraient  garantis  en  ce  que  la  fondation  de 
Saint-Thomas  se  chargerait  du  traitement  de  six  professeurs 
de  la  Faculté  de  théologie  et  en  plus,  de  l'entretien  de  la  biblio- 
thèque de  la  Faculté. 

Ce  projet  fut  encore  une  fois  discuté  le  9  mai  1873  et  subit 
une  dernière  modification  :  les  professeurs  les  plus  anciens  des 
quatre  Facultés  furent  remplacés  par  les  deux  professeurs  les 
plus  anciens  de  la  Faculté  de  théologie,  le  professeur  le  plus 
ancien  de  la  Faculté  de  droit  et  celui  de  la  Faculté  de  philo- 
sophie^ 

Le  projet,  établi  sur  cette  base,  fut  soumis  au  Conseil 
fédéral  le  20  septembre  1873  et  approuvé  par  lui  sans  modifi- 
cation essentielle.  Après  qu'il  eut  encore  une  fois  été  longue- 
ment discuté  dans  la  session  d'octobre  1873  du  Consistoire 


294  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOUEa 

Supérieur,  il  fut  promulgué  comme  loi  le  29  novembre  de  cette 
même  amiée. 

Le  19  décembre  1873,  à  quatre  heures  de  l'après-midi,  le 
nouveau  président  du  Consistoire  supérieur  et  du  Directoire  de 
PEglise  de  la  Confession  d'Augsbourg,  M.  Kratz,  ouvrit,  en 
présence  des  professeurs  Bruch,  Reuss,  Schmidt,  Stabl,  Cunitz, 
Reussner,  Heitz  et  Weber  —  Baum  était  absent  par  suite  de 
maladie  —  et  des  pasteurs  Heintz,  Schaller  et  Meyer,  la  pre- 
mière séance  du  chapitre  de  Saint-Thomas  qui,  en  vertu  de  la 
loi  du  29  novembre  1873,  succédait  au  Séminaire  protestant 
dans  l'administration  des  fondations  protestantes.  Il  reraercia 
le  gouvernement  d'avoir  laissé  subsister  le  chapitre  de  Saint- 
Thomas  et  de  lui  assurer  sa  protection,  puis  il  souhaita  la  bien- 
venue aux  nouveaux  membres.  Le  vice-directeur  donna  en- 
suite lecture  de  la  loi  constitutive  et  introduisit  les  trois  pas- 
teurs admis  aux  séances  du  chapitre  dans  Tordre  suivant: 

1.  Charles-Henri  Heintz,  pasteur  à  Péglise  Saint-Thomas; 

2.  Georges- Auguste  Schaller,  pasteur  à  Péglise  Saint-Nicolas; 

3.  Charles-Chrétien  Meyer,  pasteur  à  Péglise  Sainte- Aurélie. 

Le  Séminaire  protestant  avait  cessé  d'exister. 


CONCLUSION 


Le  Séminaire  protestant  et  la  Faculté  de  théologie 
avaient  cessé  d'exister.  De  ces  deux  institutions  qui  avaient 
rendu  au  pays  et  à  PEglise  de  grands  services  et  s'étaient 
acquis  un  juste  renom,  l'une  avait  été  supprimée  comme 
n'ayant  plus  de  raison  d'être,  l'autre  avait  été  remplacée  par 
la  Faculté  de  théologie  de  la  nouvelle  Université.  Cette 
dernière,  d'abord  et  tant  que  les  professeurs  qui  avaient 
appartenu  à  l'ancienne  Faculté  continuèrent  à  y  exercer  leur 
activité,  conserva,  sinon  la  langue,  du  moins  quelque  chose 
de  l'esprit  de  l'établissemient  français.  Il  n'en  fut  plus  de 
même  quand  ces  vieux  maîtres  se  retirèrent,  l'un  après 
l'autre,  emportant  avec  eux  les  souvenirs  et  les  traditions  de 
l'Ecole  de  Strasbourg,  et  qu'ils  furent  remplacés,  en  grande 
partie  du  moins,  par  des  savants  d'outre  Rhin.  Ceux-ci 
n'apportèrent  pas  seulement  les  méthodes  scientifiques  des 
Universités  allemandes,  mais  leurs  habitudes,  leurs  mœurs, 
leur  esprit;  ils  avaient  avant  tout  pour  mission  de  travailler 
à  la  gernianisation  de  la  jeunesse  alsacienne  et  s'employaient 
à  cette  tâche  avec  un  zèle  ardent.  Les  rares  Alsaciens  qui 
étaient  appelés  à  enseigner  à  côté  d'eux  virent  dès  lors  dimi- 
nuer de  plus  en  plus  leur  influence. 

De  l'ancienne  Faculté  de  théologie,  il  ne  resta  bientôt 
plus  qu'un  souvenir  pieusement  conservé  par  ceux  qui,  autre- 
fois, avaient  suivi  ses  cours  et  qui,  dans  l 'intimité,  aimaient 
à  rappeler  son  glorieux  passé  et  à  évoquer  l'image  des  maîtres 
qui  l'avaient  illustrée.  Cependant  quelques-uns  parmi  ces 
survivants  de  l'époque  française  espéraient  quand  même  et 
croyaient  que  les  temps  viendraient  du  rétablissement  de  la 
patrie. 

Sans  doute,  rien  ne  semblait  justifier  un  pareil  espoir. 
Les   années   s'écoulaient,    la   domination    étrangère    pesait 


296  CONCLUSION 

chaque  jour  plus  lourdement  sur  le  pays,  les  institutions 
d'avant  la  guerre  avaient  disparu  sans  retour,  la  Faculté 
française  était,  semîblait-il,  bien  nnorte. 

Elle  ne  Tétait  pas.  Elle  attendait  le  jour  de  sa  résurrec- 
tion. La  victoire  de  la  France,  après  quarante-huit  ans  d'une 
douloureuse  attente,  opéra  ce  miracle. 

En  novembre  1919,  l'Université  française  de  Strasbourg 
était  solennellement  inaugurée  et  la  nouvelle  Faculté  de  théo- 
logie protestante,  juste  un  siècle  après  la  fondation  de  l'an- 
cienne, se  trouvait  constituée. 

Puisse-t-elle,  renouant  la  chaîne  qui  la  rattache  au  passé, 
continuer  les  hautes  traditions  léguées  par  les  homtmes  de 
talent  et  de  cœur  qui  dirigèrent  notre  vieille  école  strasbour- 
geoise  et  l'illustrèrent  par  leurs  travaux! 


PIECES  JUSTIFICATIVES. 


I.  Pièces  relatives  à  l'Académie  protestante. 


1.  Loi  organique  du  18  Germinal  an  X. 

Art.  9. 
Il  y  aura  deux  académies  ou  séminaires  dans  l'est  de  la  France,  pour 
l'instruction  des  ministres  de  la  confession  d'Augsbourg. 

Art.  10. 
n  y  aura  un  séminaire  à  Genève,  pour  l'instruction  des  ministres  des 
églises  réformées. 

Art.  11. 

Les  Professeurs  de  toutes  les  académies   ou  séminaires  seront  nommés 
par  le  premier  Consul. 


2.  Articles  organiques  de  PAcadémîe  des  Protestants 
de  la  Confession  d'Augsbourg.  30  Floréal  an  XI, 

Article  1er. 
n  y  aura  à  Strasbourg   une   des   Académies  protestantes  déterminées 
par  l'article  IX  du  Titre  1er  des  articles  organiques  sur  les  cultes  protestants 
de  la  Confession  d'Augsbourg. 

Art.  2. 

Les  fondations   de  l'Académie,  du  Gymnase,   des  Bourses,   Bibliothèque 
et  Bâtiments  de  l'ancienne  Académie,  seront  affectées  à  cette  Académie. 

Art.  3. 
Les  charges  dont  ces  fondations   étaient  grevées  précédemment,   conti- 
nueront à  être  acquittées. 

Art.  4. 

L'Académie  sera  subordonnée  au  Directoire  du  Consistoire   général  de 
Strasbourg. 


298  LA  FACULTE  DE  THÉOLOGIE  DE  STBASBOURG 

Art.  5. 

Les  Professeurs  de  l'Académie  seront  réduits  et  fixés  au  nombre  de  dix, 
après  les  deux  premières  vacances. 

Art.  6. 
Le  Président  du  Consistoire  général  est  Directeur  né  de  l'Académie,   et 
participera,  en  cette  qualité,  aux  revenus  de  la  fondation  de  St-Thomas. 

Art.  7. 
Les  Professeurs  de  l'Académie   seront  nommés  par  le  Premier  Consul, 
sur  la  présentation  du  Directoire  du  Consistoire  général  qui  prendra  l'avis  de 
l'Académie. 

Art.  8. 

L'Académie  pourra  proposer  au  Gouvernement  des  suppléants  aux  Pro- 
fesseurs. 

Par  le  Conseiller  d'État 

chargé  de  toutes  les  affaires  concernant  les  cultes, 

Signé:  PORTALIS. 

Pour  copie  conforme  à  l'expédition  délivrée  par  M.  Portalis 

au  Consistoire  général  de  Strasbourg, 

L'auditeur  au  Conseil  d'État,  Secrétaire  général, 

Signé:  JANZÉ. 


3.  Premier  programme  des  cours  de  TAcadémie  protestante. 

ACADEMIA  ARGENTORATENSIS 

PRAELECTIONES 

PER  ANNUM  XII  REIPUBL.  FRANCICAE 

A  NATIVITATE  CHRISTI  MDCCCIII  ET  IV 

INSTITUENDAS 
fflS  QUORUM  ID  NOSSE  INTEREST  INDICIT. 

LECTURIS 

PROFESSORES  ACADEMIAE  ARGENTOR. 

S.  P.  D. 

Quod  a  tribus  propemodum  saeculis  publica  auctoritate  Argentorati  floruit 
institutum  ad  erudienda  iuvenum  ingénia  et  optimis  quibusque  artibus  im- 
buenda  spectans;  ab  ipsis  fere  incunabulis,  sub  simplici  Gymnasii  nomine, 
insigni  studiosorum  frequentia  jam  olim  nobilitatum  ;  inde  in  Academiae  digni- 
tatem  evectum  ;  denique  Universitatis  studiorum  titulo  et  iuribus  auctum  :  illud 
ipsum  nuper,  ex  quo  per  novas  Reipublicae  Francicae  leges,  nova  inita  insti- 
tuendae  iuventutis  ratione,  post  primam  communemque  in  scholis  inferioribus 
et  in  Lyceis  puerilium  iuveniliumque  ingeniorum  formationem,  singulis  quibus- 
que artium  et  scientiarum  generibus  Spéciales  Scholae  dicatae  sunt,  lege  lata 
die  XVIII  mensis  Germinalis  anni  Reip.  X.  decretoque  Primi  Consulis  die  XXX 
Flor.  anni  XI.  edito,  in  Academiam,  formandis  Theologis  maxime  Augustanae 
confessionis  destinatam,  conversum  est.  Ex  eiusdem  decreti  formula  Professores 


I 


PROGRAMME  DE  L* ACADEMIE  PROTESTANTE         299 

huius  Academiae  nunc  constituti  sunt  iidem,  qui  adhuc  apud  nos  literas  scien- 
tiasque  docuere.  Successu  temporis  eorum  numerus  ad  decem  Ordinarios  redi- 
Setur:  quibus,  prout  usus  feret,  adjungi  poterunt  publica  auctoritate  nomi- 
nandi  viri,  qui  suam  operam  cum  illorum  laboribus  consociantes  in  ordinario- 
rum  Professorum  locum,  ut  quisque  vacaverit,  sint  successuri. 

Quorum  fidei  curaeque  nunc  maxime  commissum  hoc  institutum  est, 
cuius  felicia  auspicia  his  quorum  id  interest  indicimus,  studium  omne  nostrum 
operamque  sedulam  eo  sumus  coUaturi,  ut,  quaecumque  sunt  disciplinarum 
gênera,  quae  ad  instituendum  Doctorem  fidei  Christianae  et  ad  formandos  eos 
viros  maxime  spectant,  qui  digni  sint  quorum  ex  ore  sapientia  veritasque 
Divina  hominibus  nuncietur  commendeturque,  earum  nuUius  addiscendae  oppor- 
tunitas  in  Argentoratensi  Academia  desideretur.  Igitur,  quum  sit  consentaneum, 
ut,  ab  humanioribus,  quae  nominari  soient,  literis  profîciscendo,  progressio  pau- 
latim  et  iusto  quodam  ordine  fiât  ad  eas  disciplinas  quae  Diviniorem  scientiam 
propius  attingunt,  praeparatis  iuvenum  ingeniis  optimorum  Romanorum  Graeco- 
rumque  auctorum  lectione,  et  illustrions  omnis  antiquitatis  cognitione  imbutis, 
tradentur  exponenturque  Philosophiae  universae,  instrumentalis,  contemplativae, 
moralis,  praecepta.  His  accedet  originis  atque  progressionis  cum  ipsius  Philo- 
sophiae et  reliquae  culturae  ingeniorum,  tum  consociationis  hominum  civilis 
fatorumque  universi  generis  humani  historia,  et  rerum  maxime  notabilium 
apud  populos  insigniores  ab  omnibus  rétro  saeculis  ad  nostram  usque  aetatem 
gestarum  memoria.  His  doctrinis  eruditi  instructiqUe  iuvenes  ad  eas  disciplinas 
progredientur,  quibus  ipse  Theologicorum  studiorum  propius  maxime  circulus 
absolvitur.  Harum  disciplinarum  aliae  sunt,  quibus  ad  reliquas  quasi  via  muni- 
tur  et  aditus  panditur.  Quo  spectat,  primum,  linguarum  earum,  quibus  con- 
signatae  sunt  sacrae  literae,  notitia  ;  adeôque,  praeter  Graecae  linguae  scientiam, 
Hebraicae  etiam  et  Chaldaicae,  et  eius,  quae  ad  pernoscendum  vetustum  ac  pri- 
dem  intermortuum  Hebraeorum  idioma  in  primis  magnum  adfert  momentum, 
Arabicae.  Tum,  methodus  studii  theologici  ;  historia  theologiae  literaria  ;  intro- 
ductio  historica  et  critica  in  libros  veteris  ac  novi  Testamenti;  veritatis  reli- 
gionis  Christianae  adsertio.  Jam,  quae  ad  sacrarum  scripturarum  intelligentiam 
proxime  pertinent:  hermeneutica  sacra;  rituum  veterum  Judaeorum  et  Ghristia- 
norum  ad  sacra  pertinentium  notitia;  ipsorum  librorum  veteris  et  novi  Testa- 
menti interpretatio.  Sequitur  universa  doctrina  Christiana  in  justam  disciplinae 
formam  redacta;  quae  duabus  maxime  partibus  absolvitur,  dogmatica  altéra, 
altéra  morali.  Quibus  subiicitur,  quae  polemica  Theologia,  haud  satis  quidem 
commodo  vocabulo,  nominari  solet;  arguere  refellereque  docens  errores  verae 
saniorique  doctrinae  oppositos.  Coronidem  imponet  practica  Theologia:  quo  et 
artem  catecheticam,  et  homileticam,  et  prudentiam  pastoralem,  denique  iuris 
ecclesiastici  scientiam,  referimus. 

Cunctas  istas,  quas  enumeravimus,  disciplinas  partim  per  se  ipsi  doce- 
bunt  qui  hodie  constituti  sunt  Academiae  Professores,  partim  opéra  adiuti  non- 
nullorum  virorum,  qui,  sicut  ad  hune  diem  instituendae  iuventuti  studium  suum 
insigni  cum  laude  successuqùe  tribuerunt,  sic  et  nunc  maxime  his,  qui  in  Aca- 
demia nostra  studiis  incumbere  voluerint,  eamdem  operam  sunt  dicaturi. 

Praelectionum  Academicarum  medio  mense  Brumali,  captis  rite  publica 
solennitate  Academiae  auspiciis,  initium  fiet.  Scripsimus  Argeatorati  die 
Y.  complem.  anni  XI. 


300  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOURG 


NOMINA  PROFESSORUM 

CUM  LEGTIONIBUS  PER  ANNUM  XII  REIP. 

INSTITUENDIS. 

Ieremias  Iacobus  Oberlin  per  semestre  hibernum  Ovidii  métamor- 
phoses, per  aestivum  Horatii  carmina,  ex  antiquis  monumentis  declarabit.  Fata 
litterarum  aut  orbem  antiquum  lustrare  aut  diplomaticis  praeceptis  imbui 
cupientibus  operam  suam  lubens  dicabit. 

lOHANNES  ScHWEiGHAEUSER  hibernis  lectionibus  Platonicos  nomiullos 
dialogos,  aestivis  Homericam  Odysseam,  interpretabitur  :  in  illis  doctrinam 
veterum  Philosophorum  ;  in  bis,  mores  prisci  aevi  notaturus.  Hebraeae  linguae 
rudimenta  discere  cupientibus,  aut  penitiorem  ejusdem  cognitionem  deside- 
rantibus,  consulet.  Arabicae  linguae  institutionem  Orientalium  litterarum  stu- 
diosis  offert. 

Christoph.  Cuil.  Koch  historicas  disciplinas,  quam  primum  per  publicas 
functiones  licebit,  studiosae  juventuti  tradet. 

lOH.  Franciscus  Ehrmann  origines  et  progressus  Philosophiae  morum 
enarrabit. 

LuDOVicus  Hbrrenschnetder  praemissa  in  universam  Philosophiam 
introductione,  partem  instrumentalem  seu  logicam  explicabit;  subjuncturus 
aestivo  semestri  meditationes  in  partem  metaphysicam  et  quam  vocant  trans- 
cendentalem;  addita  simul  disceptationum  in  hoc  studiorum  génère  nostra 
aetate  celebriorum  diiudicâtione.  lis  porro,  quorum  interest  Mathematicarum 
scientiarum  et  Physico-chemicarum  potioribus  theorematibus  imbui,  operam 
suam  spondet. 

Thomas  Lauth  fundamenta  Anthropologiae  explicabit. 

loH.  Daniel  Reissejssbn  Philosophiam  practicam  docebit. 

Georg.  Fridericus  Weber  per  semestre  hibernum  historiam  dogmatum 
fatorumque  ecclesiae  Ghristianae  a  Constantini  M.  aetate  usque  ad  tempera  refor- 
mationis  enarrabit;  lesaiae  vaticinia  explicabit;  docturus  quoque  theologiam 
dogmaticam,  Aestivo  autem  semestri,  historiam  ecclesiasticam  ad  nostra  usque 
tempora  continuabit;  Theologiam  tradet  moralem;  et  librum  priorem  Samuelis 
cursorie  illustrabit. 

lOH.  Laurentius  Blessig  semestri  hiberno  homileticam  et  hermeneu- 
ticam  sacram  docebit,  adjunctis  illic,  pro  suggestu  sacro  ;  hic,  ex  locis  sacrae 
scripturae  illustribus,  exercitiis.  Historiam  Theologiae  catecheticae,  sive  institu- 
tionis  iuvenilis  universae,  addet.  Semestre  aestivum  examinatorio  dogmatico, 
rébus  liturgicis,  et  quae  ad  ipsum  munus  pastoris  ecclesiae  pertinent,  dicabit  : 
simul  et  historiam  doctrinae  de  Deo,  anima,  mundo,  ex  philosophorum  et  theo- 
logorum  decretis,  enarraturus.  Societas  theologica,  scribendi,  excerpendi,  argu- 
mentandi  exercitiis,  commilitonibus  porro  patebit. 

ISAACus  Hafner  semestri  hiberno  criticam  sacram  docebit;  Acta  Apos- 
tolorum  interpretabitur,  addita  introductionis  loco  historia  ecclesiastica  primi 


ANNONCE   DES   COURS  POUR  L'AN  XII  301 

saeculi.  Aestivo  semestri  Theologiam  dogmaticam  tradet;  dicta  classica  scrip- 
torum  Johannis  Apostoli  exponet.  Elegantiorum  literarum  studiosis  theoriam 
pulcrarum  artium  et  humaniorum  literarum,   quam  Aestheticam  vocant,  offert. 

lOHANNES  Daniel.  Braun  priori  semestri,   origines  et  fundamenta  iuris 
ecclesiastici  ;  altero,  ius  ipsum  ecclesiasticum  expositurus  est. 

lOH.  Iacob.  Spielmakn  tuendae  sanitatis  principia  in  usum  theologorum 
docebit. 


Commodissimae  cuique  lectionum  cursui  horae,  cum  a  Pro f essor ibus,  tum 
a  Lectoribus,  qui  operam  suam  cum  illis  consociaturi  sunt,  sigillatim  e  valvis 
Academicis  indicentur. 

Juvenes,  qui  in  Academia  studiis  operam  dare  voluerint,  apud  Rectorem 
Academise  in  hune  annum  a  collegis  constitutum,  loh.  Daniel  Braun,  nomina 
sua  profitebuntur  et  in  Album  Academiae  inscribent. 

Bibliothecarum  publicarum  usus  studiosorum  commodo  patebit  diebus 
Martis,  lovis  et  Saturni  hora  secunda  ad  quartam. 


II.  Pièces  relatives  à  la  création  de  la  Faculté  de  théologie. 


1.  Lettre  de  M.  Koch  à  M.  CiiTîer. 

(La  copie  de  cette  lettre  se  trouve  aux  archives  du  Directoire.) 

Strasbourg  le  18  I^ov.  1808. 

A  Mr  CuviER,  Secrétaire  perpétuel  de  la  première  classe  de 
l'Institut  des  Sciences,  lettres  et  Arts,  membre  du  Conseil  de 
l'Université  Impériale  et  de  la  Légion  d'honneur. 

Vous  me  permettrés,  Monsieur  et  cher  Collègue,  la  liberté  que  je  prends 
aujourd'hui  de  recourir  à  vous,  comme  à  un  ange  tutélaire,  dans  une  circons- 
tance où  nos  intérêts  religieux  que  j'ai  soutenus  de  mes  faibles  moyens  pen- 
dant tout  le  cours  de  la  révolution,  me  semblent  péricliter  de  nouveau.  Vous 
n'ignorés  sans  doute  pas  que  notre  ancienne  Université  a  été  changée  par 
Arrêté  consulaire  du  30  floréal  XI  en  Académie  ou  Séminaire  pour  l'instruc- 
tion des  Ministres  de  la  Confession  d'Augsbourg  en  exécution  de  l'art.  9  de  la 
loi  du  18  Germ.  X  relative  à  l'organisation  des  Cultes  Protestans;  que  comme 
Séminaire  elle  a  été  subordonnée  au  Directoire  du  Consistoire  général  et  par 
lui  au  Ministère  des  Cultes,  et  que  tous  les  fonds  et  bourses  de  l'ancienne 
Université,  à  la  vérité  beaucoup  rognés  par  les  événemens  de  la  révolution, 
ont  été  appliqués,  par  cet  Arrêté,  à  la  nouvelle  Académie  ou  Séminaire. 

Cette  considération  a  engagé  notre  Directoire  à  s'adresser,  par  une 
lettre  datée  du  14  Oct.  dernier  et  par  une  note  explicative,  dont  copies  ci- 
jointes,  à  S.  E.  le  Ministre  des  Cultes,  comme  à  son  autorité  supérieure  et 
immédiate,  pour  lui  soumettre  les  doutes  que  lui  présentait  le  décret  du  17  mars 
dernier  relatif  à  l'Université  impériale,  et  pour  en  demander  la  solution  à  son 
Excellence. 

Un  de  ces  principaux  doutes  se  rapporte  à  la  déclaration  exigée  par 
l'art.  13  du  décret  du  17  sept.,  pour  savoir  si  les  professeurs  de  notre  Sémi- 
naire ou  Académie  seront  dans  le  cas  de  la  faire.  Il  nous  a  paru  que  non, 
par  les  motifs  que  le  Directoire  expose  dans  sa  lettre  au  Ministre.  On  nous 
assure  que  Mrs  de  l'Académie  de  Genève  ont  fait  cette  déclaration;  mais  je 
vous  observe,  Monsieur,  que  ces  Mrs  sont  dans  une  toute  autre  catégorie  que 
nous,  puisqu'ils  ne  se  sont  jamais  formés  en  Séminaire  ni  mis  en  règle  vis-à-vis 
le  Ministre  des  Cultes;  ils  ont  persisté  à  vouloir  garder  leur  ancienne  organi- 
sation, au  lieu  que  nous  avons  changé  la  notre  et  réduit  à  dix  le  nombre  de 
nos  professeurs. 


LETTRE  DE  KOCH  A  CUVIER  303 

Quant  à  l'art.  38  du  Décret  du  17  Mars  qui  prescrit  pour  base  de  l'en- 
seignement les  préceptes  de  la  religion  catholique,  il  a  paru,  comme  vous 
verres,  Monsieur,  à  notre  Directoire  que  cet  article  exigeoit  nécessairement  une 
déclaration  officielle  de  la  part  du  Gouvernement,  attendu  qu'il  cause  dans  tous 
ces  païs-ci,  où,  comme  vous  le  savés,  l'Ultramontanisme  est  encore  dans  toute 
sa  force,  et  nommément  à  la  campagne,  une  agitation  extrême,  les  catholiques 
soutenant  hautement  que  les  protestans  en  général  seront  obligés  de  se  faire 
catholiques,  et  les  protestans,  même  les  plus  raisonnables,  croyant  au  moins 
y  entrevoir  un  projet  de  réunion  des  différens  cultes  chrétiens;  cette  dernière 
opinion  étant  d'ailleurs  accréditée  par  les  nombreux  écrits  qui  paroissent  d'un 
jour  à  l'autre  sur  cette  matière. 

Il  y  a  maintenant  près  de  cinq  semaines  que  le  Directoire  a  expédié 
sa  lettre  au  Ministère  des  Cultes  et  qu'il  en  a  aussi  donné  communication  à 
S.  E.  le  Grand-maître,  sans  que  jusqu'à  présent  il  lui  soit  parvenu  aucune 
réponse  ni  de  l'un  ni  de  l'autre  Ministère.  Cependant  le  tems  presse  et  nous 
serions  au  désespoir  d'être  soupçonnés  de  la  moindre  répugnance  à  nous  con- 
former aux  intentions  du  Gouvernement  dès  qu'elles  nous  seront  bien  claire- 
ment connues. 

Une  nouvelle  difficulté.  Monsieur,  que  le  Directoire  n'avoit  pas  prévue 
lorsqu'il  s'est  adressé  au  Ministre  des  Cultes,  s'est  élevée  depuis.  On  étoit 
généralement  ici  dans  la  persuasion  que  la  faculté  de  théologie  de  Strasbourg 
dont  parle  l'art.  8  du  décret  du  17  Mars  et  l'art.  6  de  celui  du  17  Sept,  dernier 
regardoit  notre  culte  et  que  ce  n'étoit  que  par  pure  méprise,  ainsi  qu'il  est 
déjà  arrivé  souvent,  que  le  terme  de  religion  reformée  a  été  employé  dans  le 
dit  décret  du  17  Mars.  C'est  en  conséquence  que  le  Directoire  n'a  pas  hésité 
d'adresser,  il  y  a  déjà  une  couple  de  semaines,  à  S.  E.  le  Grand-maître  une 
liste  de  candidats  pour  la  nomination  des  membres  qui  doivent  former  notre 
faculté  de  Théologie.  Nous  apprenons  aujourd'hui  que  le  Consistoire  réformé 
de  notre  ville,  en  se  prévalant  des  propres  termes  de  l'art.  8  du  décret  en 
question,  a  aussi  envoyé  au  Grand-maître  sa  liste  de  présentation  pour  la 
faculté  qu'il  croit  destinée  à  ceux  de  son  culte.  Cependant  les  réformés  sont 
extrêmement  dans  ces  départemens-ci  (sic),  où  ils  n'ont  aucune  fondation^ 
tandis  que  le  ressort  de  notre  Consistoire  général  embrasse  huit  Départements, 
savoir  :  Haut  et  Bas  Rhin,  Haute  Saône,  Doubs,  Meurthe,  Vôges,  Moselle,  Seine 
ou  Paris,  avec  trente  trois  Eglises  Consistoriales,  chacune  de  six  mille  âmes. 
Il  est  d'ailleurs  à  craindre  que  les  réformés,  s'ils  dévoient  réussir,  cherche- 
roient,  ainsi  qu'ils  l'ont  donné  à  entendre,  à  se  faire  assigner  sur  nos  fon- 
dations, qui  déjà  suffisent  à  peine  aux  charges  dont  elles  sont  grevées. 

Vous  sentes  bien,  M.,  que  tout  cela  ne  peut  qu'ajouter  à  nos  alarmes. 
Elles  sont  d'autant  plus  vives  que  nous  ne  connoissons  personne  à  Paris,  si  ce 
n'est  pas  vous,  qui  ait  la  volonté  ou  le  crédit  nécessaire  pour  soutenir  nos 
intérêts  auprès  du  Gouvernement.  Nous  n'avons  ni  Sénateur,  ni  Conseiller 
d'Etat  ni  membre  du  Corps  législatif  qui  soit  de  notre  culte. 

Le  respectable  Mr  Darbaud,  chef  de  la  division  des  Cultes  protestans  au 
Ministère,  n'ose  plus  élever  la  voix  en  notre  faveur.  Cet  homme  juste  et  intègre 
qui  jouissoit  de  toute  la  confiance  de  feu  W  Portails,  a  été  noirci  auprès  de 
son  successeur,  comme  étant  un  homme  dévoué  à  nos  intérêts  dont  il  falloit 
se  méfier. 

Vous,  Monsieur  et  cher  Collègue,  vous  êtes  membre  du  Conseil  de  l'Uni- 


304  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE   STRASBOUEG 

versité  impériale;  vous  jouisses  d'une  considération  justement  méritée  et  due 
à  vos  rares  talens,  et  ce  qui  plus  est,  vous  êtes  pénétré  de  la  pureté  de  nos 
principes  et  de  leur  importance  pour  le  progrès  des  lumières.  Sachant  aussi 
que  vous  aimés  beaucoup  à  obliger,  nous  osons  nous  flatter  que,  dans  la 
situation  embarrassante  où  nous  nous  trouvons,  vous  voudrés  bien  venir  à 
notre  secours  et  prendre  notre  défense,  soit  auprès  du  Ministère  des  Cultes, 
soit  auprès  de  S.  E.  le  Grand  Maître,  ou,  ce  qui  seroit  encore  plus  désirable, 
auprès  des  deux  Ministères. 

Vous  ne  douterés  pas,  Monsieur,  de  la  vive  reconnaissance  que  nous 
vous  aurions 

Je  suis 

2.  Extrait  d'aue  lettre  de  M.  Eoch  à  M.  Darlbaud. 

(La  copie  de  cette  lettre  se  trouve  aux  archives  du  Directoire.) 

Str.  le  29  Nov.  1808. 

J'ai  lu  avec  un  vif  intérêt  votre  chère  lettre  du  25  du  courant  et  le 
mémoire  dont  elle  étoit  accompagnée  et  dans  lequel  vous  montrés  d'une 
manière  aussi  claire  que  saillante  les  défauts  du  Décret  impérial  du  17  Mars. 

En  effet,  la  loi  ayant  formellement  consacré  la  liberté  des  cultes  que  la 
saine  raison,  d'accord  avec  la  politique  et  l'intérêt  de  l'Etat  commandent  à  un 
grand  Empire,  il  ne  falloit  pas,  dans  un  Décret  de  la  nature  de  celui  dont 
s'agit,  faire  semblant  d'ignorer  qu'il  y  a  différens  cultes  autorisés  en  France; 
aussi,  en  y  admettant  par  ce  décret  une  exemtion  en  faveur  des  Séminaires 
catholiques,  il  ne  falloit  pas  passer  sous  silence  les  Séminaires  protestans  ;  de 
même  en  établissant  dans  l'Université  impériale  des  facultés  de  théologie  (que, 
par  parenthèse,  on  auroit  beaucoup  mieux  fait  de  laisser  entièrement  dehors,  car 
l'expérience  des  siècles  a  prouvé  que  c'est  les  facultés  de  théologie  qui  ont  gâté 
les  anciennes  universités  et  nui  essentiellement  aux  progrès  des  lumières)  et 
en  accordant  trois  de  ces  facultés  aux  Réformés,  il  ne  falloit  pas  oublier  les 
Protestans  de  la  Confession  d'Augsbourg  ;  quoique  nous  soyons  ici  bien  con- 
vaincus que  dans  l'intention  des  rédacteurs  du  Décret  la  faculté  de  Strasbourg, 
dont  il  y  est  question,  nous  concernoit  proprement;  enfin,  en  ordonnant  à 
tous  les  membres  de  l'Université  impériale  de  prendre  pour  base  de  leur 
enseignement  les  préceptes  de  la  religion  catholique,  en  en  faisant  même  une 
clause  du  serment,  il  falloit  au  moins  excepter  de  cette  disposition  les  pro- 
fesseurs des  facultés  protestantes 

3.  Bases  d'un  Concordat  préparatoire  et  préalable  à  l'organi- 
sation de  la  faculté  de  Théologie  Protestante  de  l'Aca- 
démie de  Strasbourg. 

(Arch.  du  Directoire.) 

La  faculté  de  Théologie  Protestante  de  l'académie  de  Strasbourg  sera 
•composée  de  cinq  professeurs,  savoir,  trois  de  la  Confession  d'Augsbourg  et  deux 
du  culte  réformé  ;  et  de  cinq  adjoints,  dont  trois  appartiendront  à  ce  dernier  culte. 

Quoique  le  raprochement  qui  existe  entre  les  formes  et  le  fond  de  ces 
deux  cultes  permette   de  leur  attribuer  un  établissement  commun,   il  ne  s'en 


305 

suit  point  qu'ils  ne  doivent  pas  rester  séparés,  soit  à  Tégard  de  quelques-uns  des 
objets  de  renseignement,  soit,  et  surtout,  sous  le  rapport  de  la  conservation 
exclusive  des  fondations  et  des  places  dont  jouissent  les  Protestans  de  la 
Confession  d'Augsbourg  en  conséquence  de  la  Réformation  luthérienne;  objets 
sur  lesquels  les  réformés  déclarent  solennellement  n'avoir  ni  ne  prétendre  à 
aucun  droit. 

La  fusion  des  intérêts  des  deux  cultes  dans  une  seule  faculté  consistera 
principalement  dans  la  possibilité  qu'acquerront  les  etudians  reformés  de  fré- 
quenter les  leçons  des  Professeurs  Luthériens  sur  les  objets  d'instruction  com- 
mune, et  d'entrer  aux  mêmes  conditions  que  les  etudians  Luthériens  dans  le 
pensionnat  de  St-Guillaume,  où  ils  seront  soumis  à  la  discipline  de  ce  collège  ; 
enfin,  les  attestations  ou  certificats  d'études  ne  seront  accordés  aux  etudians 
reformés  par  leurs  Professeurs,  que  lorsque  ces  élèves  auront  produit  ceux  des 
Professeurs  Luthériens  dont  ils  auront  fréquenté  les  cours .... 

Les  actes  solennels  de  la  Faculté  de  théologie  pourront  être  par  leur 
nature  ou  communs  ou  spéciaux. 

Pour  les  actes  communs  la  faculté  entière  sera  réunie  dans  le  local 
ordinaire  des  séances  de  l'Académie  protestante. 

Pour  les  actes  spéciaux  les  Professeurs  Luthériens  conserveront  leur  local 
ordinaire;  les  reformés  se  réuniront  dans  leur  Temple. 

Les  cours  des  Professeurs  reformés  seront  donnés  dans  un  local  dont 
jouiront  à  titre  de  loyer  les  individus  professant  leur  culte. 


4.  Déclaration  du  Directoire  sur  un  projet  de  conyention  pour 
la  réunion  en  une  seule  et  même  faculté  des  deux  cultes 
de  la  Confession  d'Augsbourg  et  helvétique. 

(Arch.  du  Directoire) 

Le  Directoire  du  Consistoire  général  de  la  Confession  d'Augsbourg  ayant 
mûrement  délibéré  sur  un  projet  de  convention  pour  une  seule  et  même  faculté 
des  deux  cultes  de  la  Confession  d'Augsbourg  et  helvétique,  projet  qui  a  été 
rédigé  par  MM.  les  Inspecteurs  généraux  de  l'université  impériale,  à  leur 
dernier  séjour  en  cette  ville,  déclare  ce  qui  suit  : 

l**  Qu'il  ne  voit  pas  volontiers  cette  réunion  qu'il  regarde  non  seulement 
comme  contraire  à  Tesprit  de  la  loi  sur  les  cultes,  qui  a  donné  des  organisa- 
tions différentes  aux  deux  cultes,  mais  aussi  comme  pouvant,  tôt  ou  tard, 
prêter  matière  à  jalousie  et  à  dissension  entre  ces  cultes; 

2*^  Que  néanmoins  si  S.  E.  le  Grand-maître  et  le  Conseil  de  l'université 
impériale  desiraient  réellement  cette  réunion,  le  D^e  est  bien  éloigné  de  vouloir 
s'y  opposer  ;  mais  il  ne  peut  nullement  admettre  les  cinq  adjoints  du  projet,  qu'il 
regarde  plutôt  comme  tout  à  fait  surabondans,  tant  pour  ceux  de  sa  commu- 
nion que  pour  MM.  les  Réformés,  attendu  que  toutes  les  matières  propres  à 
former  des  ministres  éclairés  des  deux  cultes,  lesquelles  ne  se  traiteraient  pas 
dans  la  faculté  de  théologie,  continueront  à  être  enseignées  au  Séminaire  de 
notre  confession,  qui,  soutenu,  comme  il  est,  par  ses  propres  fonds,  ne  cause 
aucuns  frais  au  Gouvernement  ;  que  rien  aussi  n'empêche  que  les  etudians 
réformés  ne  puissent  profiter  de  ce  même  enseignement  ;  qu'en   accordant  au 

20 


306  LA  FACULTE  DE   THÉOLOGIE   DE   STRASBOURG 

culte  réformé  deux  professeurs  et  trois  adjoints  pour  la  faculté,  on  pourrait 
également  leur  accorder  une  faculté  de  théologie  particulière  et  séparée  de  la 
notre;  qu'une  faculté  de  théologie  protestante  composée  de  dix  professeurs  ou 
adjoints,  pourrait,  tôt  ou  tard,  servir  de  motif  pour  toucher  au  Séminaire  de  notre 
confession,  tel  qu'il  a  été  organisé  par  l'arrêté  consulaire  du  30  floréal  XI  ;  insti- 
tution au  maintien  de  laquelle  le  Dre  ne  peut  qu'attacher  la  plus  haute  im- 
portance ; 

30  Qu'en  se  prêtant  à  la  réunion  projetée  de  trois  professeurs  de  la  confes- 
sion d'Augsbourg  et  de  deux  du  culte  réformé  en  une  seule  et  même  faculté, 
à  l'exclusion  des  adjoints,  le  D^e  ne  pourra,  dans  aucun  tems,  admettre  les 
professeurs  réformés  à  participer  aux  revenus  des  fondations  que  les  protestans 
de  la  confession  d'Augsbourg  doivent  à  la  prévoyance  de  leurs  ancêtres,  et  dont 
la  jouissance  exclusive  leur  a  été  assurée  par  toutes  les  loix  existantes  tant 
anciennes  que  modernes; 

40  Que  le  Dre,  traitant  au  nom  des  33  églises  consistoriales  de  son  arron- 
dissement, ne  peut  entrer  en  traité  sur  l'objet  de  cette  réunion  avec  le  seul 
président  du  consistoire  local  réformé  de  cette  ville,  que  pour  qu'une  conven- 
tion de  cette  nature  qui  tient  essentiellement  à  l'opinion  religieuse,  soit  vrai- 
ment préparatoire,  ainsi  que  MM.  les  Inspecteurs  généraux  le  désirent,  et 
qu'elle  puisse  avoir  un  effet  quelconque,  il  est  indispensable  que  toutes  les 
églises  consistoriales  allemandes  du  culte  réformé,  situées  sur  la  rive  gauche 
du  Rhin,  ou  au  moins  le  plus  grand  nombre  de  ces  églises  y  donnent,  avant 
tout,  leur  adhésion. 

C'est  dans  ces  vues  que  le  D^e  propose  le  projet  de  convention  suivant: 

1)  La  Faculté  de  théologie  protestante  de  l'Académie  impériale  de 
Strasbourg  sera  composée  de  cinq  professeurs,  dont  trois  de  la  confession 
d'Augsbourg  et  deux  du  culte  réformé. 

2)  Les  étudians  du  culte  réformé  seront  tenus  de  prendre  le  grade  de 
bachelier  ès-lettres,  de  la  même  manière  que  ceux  de  la  Confession  d'Augsbourg. 

3)  Les  étudians  du  culte  réformé  pourront  fréquenter  les  leçons  des  pro- 
fesseurs de  la  Confession  d'Augsbourg,  tant  de  ceux  de  la  faculté  de  théologie 
que  de  ceux  du  Séminaire  de  cette  confession,  à  l'exception  néanmoins  des 
matières  théologiques  que  les  églises  réformées  jugeront  à  propos  de  réserver 
à  l'enseignement  privatif  des  professeurs  de  leur  culte. 

4)  Les  mêmes  étudians  seront  reçus  dans  le  pensionnat  de  S.-Guiilaume 
aux  mêmes  conditions  que  ceux  de  la  Confession  d'Augsbourg  y  sont  admis, 
c.  à  d.  ils  seront  soumis  à  la  discipline  de  ce  pensionnat,  et  payeront,  pour  leur 
entretien,  une  somme  annuelle  de  450  fr. 

5)  Les  matières  réservées  à  l'enseignement  des  professeurs  du  culte 
réformé  seront  les  suivantes  : .  .  . 

6)  Le  Dre  assignera  aux  professeurs  du  culte  réformé  un  local  conve- 
nable pour  leurs  cours  particuliers,  et  cela  sans  loyer. 

7)  Les  étudians  réformés  seront  assujettis  aux  examens  des  professeurs 
de  la  Confession  d'Augsbourg  dont  ils  auront  suivi  les  cours, 

8)  Les  certificats  d'études  seront  donnés  par  toute  la  faculté  aux  étu- 
dians de  l'un  ou  de  l'autre  culte. 

9)  Mais  les  actes  solennels,  tels  que  pour  la  concession  des  grades,  la 
faculté  entière  se  réunira  dans  le  local  qui  sera  affecté  à  ces  actes. 


DÉLIBÉEATION  SUR  LE   PROJET   D'UXE  FACULTE  MIXTE        307 

10)  Pour  les  actes  spéciaux,  les  professeurs  de  chacun  des  deux  cultes 
se  réuniront  séparément  dans  leur  local  ordinaire  ou  dans  leur  temple  respectif. 

11)  Les  professeurs  du  culte  réformé  ne  pourront,  en  aucun  tems,  pré- 
tendre participer  aux  revenus  des  fondations  qui  sont  exclusivement  affectées 
aux  protestans  de  la  Confession  d'Augsbourg,  en  vertu  de  toutes  les  lois  tant 
anciennes  que  modernes. 

12)  Cette  convention  ne  pourra  avoir  son  effet  que  lorsque  le  plus  grand 
nombre  des  églises  consistoriales  allemandes  du  culte  réformé,  de  la  rive 
gauche  du  Rhin,  y  auront  donné  leur  adhésion;  elle  sera  signée  par  le  Direc- 
toire et  approuvée  par  S.  E.  le  Grandmaître  de  l'Université  impériale. 


5.  Délibération  des  Professeurs  sous-signés  sur  le  projet  d'une 
Faculté  théologique  composée  de  membres  de  la  Confes- 
sion d'Augsbourg  et  helvétique. 

(Arch.  du  Dir.) 

Après  une  discussion  ample  et  détaillée  sur  les  bases,  la  composition 
et  les  conséquences  d'une  telle  réunion ...  les  professeurs  ont  cru  ne  pouvoir 
mieux  faire,  que  de  prendre  pour  base  le  projet  de  déclaration  que  le  patrio- 
tisme a  inspiré  à  M.  le  professeur  Koch,  au  nom  du  Directoire. 

Cette  déclaration  indique  trois  points  de  position,  de  manière  que  si 
l'on  est  délogé  du  premier,  on  se  replie  sur  le  second  et  s'il  le  falloit  sur 
le  troisième. 

Notre  vœu  unanime  conçu  et  arrêté  sans  la  moindre  nuance  ni  diver- 
gence d'opinion,  est  de  nous  maintenir  de  toutes  nos  forces  au  premier  point, 
de  ne  nous  laisser  ramener  au  second  qu'à  notre  corps  défendant  et  d'éviter  le 
troisième  par  tous  les  moyens  qui  peuvent  être  en  notre  pouvoir. 

I.  Nous  souhaitons  donc,  ainsi  que  l'énonce  M.  Koch,  que  le  D^e  veuille 
déclarer  franchement  et  expressément,  qu'il  ne  voit  pas  volontiers  cette  réunion 
par  les  deux  raisons  indiquées  no  17  du  projet  du  Dre.  H  y  a  plus  d'une  con- 
sidération qui  vient  à  l'appui  de  cette  détermination. 

1)  La  première  idée  des  Réformés  eux-mêmes  se  bornoit  au  vœu  de 
faire  participer  à  leurs  élèves  en  théologie  l'instruction  qui  se  donne  ici  aux 
nôtres  et  d'avoir  en  sus  un  professeur  en  théologie  de  leur  culte,  pour  enseigner 
ce  qu'on  appelle  les  dogmes  distinctifs  de  leur  confession  pour  en  faire  subir 
l'examen  aux  candidats  et  pour  leur  conférer  l'ordination.  Cette  idée  est  sage  et 
non  seulement  très  pratiquable,  mais  pratiquée  de  fait  et  mise  à  exécution  à 
Gœttingen  où  le  pasteur  réformé  donne  des  cours  aux  élèves  de  sa  commu- 
nion, de  même  que  le  curé  catholique,  sans  que  ni  l'un  ni  l'autre  ne  soyent 
membre  de  la  Faculté  luthérienne.  Il  en  est  de  même  à  lena,  d'après  une  fon- 
dation immédiate  de  notre  empereur.  C'est  ainsi  que  le  but  peut  être  parfaite- 
ment rempli,  sans  le  moindre  ombrage  et  sans  aucune  friction. 

2)  Il  est  d'autant  plus  raisonnable  de  revenir  et  de  s'en  tenir  à  ce  point 
unique,  que  sans  cela  les  Réformés  cessent  d'être  conséquents.  Regardent-ils 
réellement  leur  théologie  comme  coïncidente  avec  la  nôtre,  et  partons-nous  des 

20* 


308  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOUEG 

mêmes  principes  les  uns  et  les  autres,  un  Professeur  séparé  est  donc  une 
surabondance  les  choses  prises  à  la  rigueur;  ou  au  moins  un  seul  professeur 
leur  suffit,  encore  est-il  là  par  la  forme  plus  que  pour  le  fond.  Si,  au  con- 
traire, il  y  a  diversité  essentielle  entre  les  deux  systèmes,  il  leur  faudrait  au 
moins  trois  ou  quatre  professeurs,  et  ces  professeurs  à  élémens  disparates  des 
nôtres,  ne  pourroient  donc  pas  se  fondre  ni  se  réunir  avec  nous. 

3)  L'hypothèse  d'un  seul  professeur  réformé  présente  encore  le  double 
avantage,  d'écarter  d'un  côté  toute  sollicitude  et  d'épargner  des  frais  au  gou- 
vernement. Le  Pasteur  Réformé  feroit  les  fonctions  de  Professeur,  et  jouiroit 
en  cette  qualité  d'une  augmentation  de  traitement. 

IL  Ce  n'est  que  malgré  nous  que  nous  reculons  au  second  poste,  c.  à  d. 
à  une  Faculté  de  théologie  réformée  à  établir  ici  ;  et  dans  cette  supposition, 
nous  souscrivons  avec  plaisir  à  la  seconde  proposition  de  M.  Koch  :  Faculté 
particulière  et  séparée  de  la  nôtre  et  encore  sans  aucuns  adjoints,  dont  les 
fonctions  so  trouvent  pleinement  remplies  par  les  autres  Professeurs  de 
notre  Séminaire. 

Il  faut  le  dire  sans  réserve  comme  sans  aigreur  :  Seroit-il  juste  que  les 
chrétiens  Réformés  jouissent  à  eux  seuls  et  sans  aucun  partage  de  5  Profes- 
seurs en  théologie  à  Genève  et  de  10  à  Montauban  et  que  les  Luthériens 
n'eussent  dans  tout  l'empire  qu'une  Faculté  mi-partagée?  —  D'ailleurs  quoi 
que  l'on  fasse  pour  stipuler  par  des  clauses  et  des  réserves  la  possession  in- 
tacte de  nos  fondations,  la  nature  des  choses,  le  désir  inné  à  l'homme  d'agran- 
dir son  domaine,  nous  entraînerait  tôt  ou  tard  vers  Fécueil  que  nous  nous 
efforçons  d'éviter.  L'expérience  du  passé  peut  nous  servir  ici  de  leçon  ;  l'ex- 
tension progressive  qui  vient  de  nous  être  communiqué,  n'est-il  pas  une  prédic- 
tion très  intelligible  des  arrondissemens  et  des  ampliations  dont  il  renferme 
le  germe,  même  sans  aucune  arrière-pensée  de  la  part  des  hommes  très  et^ti- 
mables  qui  aujourd'hui  se  mettent  en  avant. 

La  fusion  de  la  Faculté  améneroit  inévitablement  la  fusion  des  facultés, 
des  fonds  et  des  propriétés. 

Rien  de  si  désirable,  de  si  digne  et  de  si  heureux  que  l'union  si  elle 
s'opère  d'elle-même,  sans  aucune  vue  personnelle.  Dès  que  l'on  parle,  que  l'on 
traite  de  l'union  ou  de  la  réunion,  c'est  un  marché,  une  transaction,  où  chaque 
partie  vise  aux  plus  favorables  conditions  pour  elle-même.  C'est  ainsi  que  du 
sein  de  ces  Pacifications  a  toujours  pullulé  la  division  et  la  discorde.  C'est 
pour  être  bien  unis  de  cœur  que  nous  desirons  vivement  et  que  nous  en 
adressons  ici  expressément  notre  vœu  au  vénérable  Dre,  de  n'être  jamais  unis 
et  fondus  en  une  même  Faculté. 

III.  Puisque  telle  est  notre  intime  et  unanime  conviction;  nous  serions 
en  opposition  avec  nous-mêmes,  si  nous  nous  occupions  des  moyens  de  pré- 
parer et  de  réaliser  cette  réunion.  Si,  contre  notre  vœu,  le  Grand-Maître  ou 
le  Gouvernement  (et  non  des  Particuliers)  desiraient  réellement  cette  réunion, 
comme  s'exprime  M.  Koch  d'une  manière  très  mesurée,  alors,  sans  doute,  il 
ne  nous  conviendroit  plus  de  témoigner  de  l'opposition.  Dans  cette  supposition 
et  sur  une  invitation  directe,  nous  sommes  prêts  à  présenter  au  Dre  nos  vues 
sur  la  répartition  des  cours,  sur  les  examens  et  actes  académiques. 

Pour  ne  pas  être  entièrement  négatifs,  nous  finissons  par  souscrire  en- 
tièrement à  la  réception  des  élèves  Réformés  à  notre  Pensionnat,  aux  mêmes 


URGENCE  d'une  rACULTE  DE   THÉOLOGIE  309 

conditions  de  pension  et  de  discipline  comme  les  nôtres.    Cet  article  est  déjà 
en  plein  exercice  depuis  longtemps. 

Enfin,  comme  le  porte  le  dernier  article  de  M.  Koch,  nous  sommes  en- 
tièrement de  l'avis  qu'une  convention  de  cette  nature  devroit  être  signée  par 
toutes  les  églises  consistoriales  du  culte  réformé. 

Ont  signé  : 

Strasbourg,  5  août  1811. 

Les  professeurs 

Weber 

Blessig 

Haffner 

Dahler 

Fritz. 


6.  Bapport  au  Directoire  sur  les  considérations  qui  peuvent 
nous  faire  désirer  la  prompte  création  d'une  Faculté  de 
théologie  Protestante  à  Strasbourg. 

(Arch.  du  Dir.) 

Le  15  de  ce  mois  se  sont  réunis  spontanément  chez  le  sous-signé 
MM.  les  professeurs  en  théologie  Haffner  et  Fritz  :  ensemble  MM.  les  professeurs 
Schweighseuser,  Herrenschneider  et  Dahler,  pour  délibérer  sur  la  convenance 
et  l'urgence  d'une  Faculté  de  théologie  protestante  à  Strasbourg. 

Je  croix  ne  pouvoir  mieux  faire  que  de  mettre  sous  les  yeux  du  Direc- 
toire, en  forme  de  procès-verbal  de  notre  conférence,  les  différentes  considé- 
rations qui  y  ont  été  exposées,  et  de  prier  le  Directoire  de  nous  guider  de  ses 
lumières  et  de  vouloir  faire,  comme  notre  Tuteur,  les  démarches  qui  lui 
paroitront  convenables. 

Tous  les  professeurs  présens  sont  partis  d'un  point  de  vue  général: 
c'est  que  si  la  solution  du  problème  dépendoit  de  nous  en  particuher,  ou  si 
la  chose  étoit  res  intégra,  rien  ne  nécessiteroit  une  démarche  instante  et 
pressée,  vu  que  ce  n'est  pas  à  nous  à  provoquer  une  mesure,  qui,  d'un  côté, 
doit  être  générale,  et  qui  de  l'autre  est  de  nature  à  laisser  entrevoir  telle 
possibilité  de  conséquences  pour  l'intégrité  de  notre  Séminaire,  qui  du  moins 
pourroient  nous  conseiller  d'attendre  en  repos  et  de  recevoir  avec  respect  les 
dispositions  législatives,  qui  pourroient  nous  être  transmises  en  son  tems. 

Mais  ce  n'est  pas  là  la  situation  dans  laquelle  nous  sommes  placés. 
Une  Faculté  de  Théologie  Protestante  à  Strasbourg  est  décrétée  depuis  long- 
tems.  M.  Cuvier  arriva  ici,  il  y  a  dé)à  deux  ans,  chargé  de  l'organisation  de 
cette  Faculté.  Avant  quatre  ans  déjà  le  Directoire  addressa  à  S.  E.  la  triple 
liste  des  candidats  pour  cette  Faculté;  liste  qui  demande  aujourd'hui  des 
changements  essentiels.  Enfin,  et  cette  considération  a  paru  décisive  et  péremp- 
toire,  les  dernières  instructions  de  S.  E.  le  Ministre  des  Cultes,  qui  fixent  les 
grades  de  Bachelier  non  seulement  es  Lettres,  mais  en  Théologie,  supposent  déjà 
ou  rendent  nécessaire  l'établissement  d'une  Faculté  de  Théologie,  à  moins  d'ex- 


310  LA  FACULTÉ   DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 

poser  nos  élèves  à  nous  quitter,  pour  chercher  à  Bremen  les  grades  dont  nous 
ne  pourrions  pas  les  pourvoir. 

Une  considération  suhsidiaire  présente  les  avantages  naturels  et  l'accueil 
favorable  auxquels  peut  s'attendre  celui,  qui  fait  lui-même  une  démarche  franche 
et  spontanée,  et  qui,  par  là  même,  peut  se  ménager  plus  d'ime  convenance 
locale  et  personnelle. 

Par  rapport  au  mode  de  demander  la  création  de  la  Faculté,  les  Profes- 
seurs estiment,  sauf  meilleur  avis,  que  la  marche  la  plus  naturelle  pourroit  bien 
être  celle-ci  :  dans  une  lettre  à  Mgr.  le  Grand-Maître,  le  Dre  lui  rappelleroit  la 
triple  liste,  envoyée  dès  1809;  on  proposeroit  une  Faculté  de  la  Confession  (TAugs- 
bourg  composée  de  quatre  membres,  vu  que  cette  Faculté  est  la  seule  sur  toute 
la  ligne  du  Rhin  et  pays  adjacens,  et  que  par  un  article  des  Statuts  de  l'Uni- 
versité impériale  le  nombre  des  professeurs  peut  être  augmenté,  si  celui  des 
élèves  augmente,  ce  qui  a  notoirement  lieu  à  Strasbourg  ;  les  quatre  professeurs 
mis  en  première  ligne  seroient  MM.  Blessig,  Haffner,  Fritz  et  Dahler.  M.  Weber, 
émérité  pourroit  être  recommandé  pour  le  titre  d'Honoraire.  Moyennant  ces 
arrangemens,  la  Faculté  de  théologie  à  Strasbourg  seroit  dès  à  présent  à  même 
de  remplir  avec  exactitude  les  intentions  du  Grand-Maître  et  les  ordres  de  S.  M. 

Cette  lettre  du  Directoire,  qui  pourroit  mentionner  les  états  de  service 
dans  l'enseignement  théologique  des  Professeurs  proposés,  seroit  adressée  à 
M.  Cuvier,  avec  une  lettre  d'accompagnement  pour  lui,  et  la  prière  de  nous 
indiquer  les  modifications  ou  additions  qu'il  pourroit  trouver  convenables. 

On  ne  chôme  sûrement  pas  de  la  part  de  tel  ou  autre.  Il  semble  donc 
prudent  de  ne  pas  se  laisser  prévenir. 

Strasb.  28  Sept.  1813.  .  j  ^^x  ^  i        • 

^o  Kjci.     j-v^xc».  ^^  jj^^  ^^  j^^g  collègues  et  le  mien 

Blessig. 

Résol.  (Séance  du  5  Cet.  1813).  La  demande  d'une  faculté  de  théologie 
protestante  de  la  Cf.  d'Augsbourg  à  Strasbourg  sera  de  nouveau  faite  à  S.  E.  le 
sénateur  Grand-Maître  de  l'Université  impériale  —  Les  12  candidats  (voy. 
dans  la  lettre  adressée  au  Grand-Maître  (seront  présentés  à  S.  E.  pour  les 
i  chaires  de  la  faculté.  Il  sera  également  écrit  à  M.  Cuvier,  conseiller  titu- 
laire de  l'Université  impériale.  Silbermann. 


7.  Lettre  du  président  du  Directoire  à  son  Excellence  Monsieur 
le  Comte  de  Fontanes,  Sénateur,  Grand-Maître  de  l'Uni- 
versité Impériale,  Commandant  de  la  Légion  d'honneur. 
Membre  de  l'Institut. 

(Arch.  du  Dir) 

Strasbourg  le  11  Octobre  1813. 
Monsieur  le  Comte, 

Le  neuvième  des  articles  organiques  des  cultes  protestans  porte,  qu'il 
y  aura  deux  Académies  ou  Séminaires  dans  l'Est  de  la  France  pour  l'instruc- 
tion des  ministres  de  la  Confession  d'Augsbourg.  L'une  de  ces  Académies  a 
été  organisée  à  Strasbourg,  chef  lieu  du  C^e  général  de  la  dite  confession  pour 
les  départemens  du  Haut-  et  du  Bas-Rhin,  de  la  Haute-Saône  et  autres,  et  son 
Directoire  y  réside.  L'autre  n'a  pas  été  établie.   Les  jeunes   gens  qui   se  des- 


LE   DIRECTOIRE  DEMANDE   QUATEE   CHAIRES  311 

tinent  au  Ministère  du  Culte  protestant  de  notre  confession  et  qui  sont  origi- 
naires des  départemens  du  Mont-Tonnerre,  de  la  Sarre,  de  Rhin  et  Moselle  et  de  la 
Rœr,  ont  fait  jusqu'à  présent  au  Séminaire  de  Strasbourg  leurs  études  en  théologie. 
"  ^  L'art.  8  du  décret  Impérial  du  17  mars  1808  portant  organisation  géné- 
rale de  l'Université,  veut  qu'il  y  ait  une  faculté  de  Théologie  protestante  à 
Strasbourg.  Celle  pour  le  culte  catholique  est  établie  à  Besançon,  où  est 
l'Eglise  métropolitaine  du  diocèse  de  Strasbourg.  Le  décret  Impérial  du  17  Sept, 
de  la  même  année  ordonna  ensuite,  que  les  candidats  pour  la  Faculté  Théo- 
logique de  Strasbourg  seroient  présentés  avant  le  1er  Dec.  ensuivant  par  le 
président  du  Consistoire  de  cette  ville. 

En  conformité  de  cet  article,  j'ai  eu  l'honneur  de  présenter  à  V.  E.  dès 
le  2  Nov.  1808  une  liste  triple  de  candidats  pour  les  trois  chaires  qu'alors  je 
croyois  suffisantes  pour  cet  enseignement.  Cette  présentation  n'ayant  pas  eu 
de  suite  jusqu'à  présent,  V.  E.  me  permettra  d'y  revenir  aujourd'hui,  mais  en 
y  apportant  des  modifications. 

Les  professeurs  de  notre  Séminaire  présentement  chargés  de  l'enseigne- 
ment Théologique,  d'accord  en  ceci  avec  les  membres  du  Dre  du  Cre  gén.  que 
je  préside,  m'ont  représenté  que  pour  l'instruction  des  étudians  en  Théologie 
trois  professeurs  étoient  insuffisans,  malgré  l'enseignement  qui  est  donné  au 
Séminaire  de  matières  dont  la  connoissance  est  nécessaire  aux  candidats  du 
ministère  de  notre  culte,  telle  que  l'étude  des  langues  orientales  et  sacrées, 
qu'il  falloit  donc  nécessairement  quatre  professeurs. 

Je  me  suis  volontiers  rendu  à  ce  désir  et  à  cette  opinion,  que  je  trouve 
fondés,  et  j'y  accède  d'autant  plus,  que  d'un  côté  la  faculté  théologique  de 
Leyde  a  le  même  nombre  de  professeurs  en  y  comprenant  un  adjoint,  et  cela 
malgré  la  proximité  de  l'Académie  de  Groningue  qui  a  aussi  une  Faculté  de 
Théologie,  que  celle  de  Genève  a  cinq  professeurs,  sans  parler  des  Facultés 
pour  le  culte  catholique  établies  aux  académies  de  Paris,  Lyon,  Parme,  Pise, 
Toulouse  et  Turin,  et  que  surtout  d'un  autre  côté  notre  Faculté  ne  sera  pas 
à  la  charge  du  Trésor  de  l'Université,  attendu  que  les  professeurs  qui  seront 
nommés  pourront  recevoir  leurs  traitemens  fixes  sur  les  revenus  de  notre 
Séminaire,  sans  préjudice  des  droits  à  acquitter  par  les  élèves.  Ceci  aura  lieu 
si  V.  E.  daigne  appeler  aux  chaires  que  je  propose  les  personnes  que  je  pré- 
sente en  première  ligne  et  qui  jusqu'à  présent  ont  donné  cet  enseignement 
au  Séminaire,  et  dont  les  deux  premiers  étoient  déjà  célèbres  professeurs  en 
théologie  à  l'ancienne  Université  de  Strasbourg.  Ces  quatre  ecclésiastiques  sont 
des  savans  du  premier  mérite  aussi  recommandables  par  l'étendue  et  la  diver- 
sité de  leurs  connoissances  et  par  la  solidité  et  la  clarté  de  leur  enseigne- 
ment que  par  leurs  vertus.  Ils  sont  chers  à  leurs  auditeurs,  considérés  dans 
le  public,  estimés  par  ceux  qui  savent  apprécier  les  connoissances  et  les 
talents,  en  un  mot  généralement  estimés  par  les  personnes  de  toutes  les 
croyances  religieuses  dans  notre  ville. 

Les  chaires  que  de  concert  avec  mes  collègues  du  Dre  de  notre 
Consistoire   général  je  désire   de  voir  établies  sont  celles  où  seront  enseignés 

Le  dogme, 

La  morale  évangélique, 

L'histoire  et  la  discipline  ecclésiastique, 

L'explication  de  la  Sainte  Ecriture; 
on  ne  peut  se  passer  d'aucun  de  ces  enseignemens. . . . 


312  LA  FACULTE  DE  THÉOLOGIE  DE  STRASBOURG 

8.  Note  snr  les  motifs  pour  lesquels  le  Séminaire  protestant 
pourrait  demander  la  continuation  de  son  entière  indé- 
pendance dans  le  cas  où  il  serait  question  de  le  chan^  r 
en  une  faculté  de  Théologie  de  l'Uniyersité  de  France  ou 
d'établir  une  telle  faculté  dans  son  sein. 

(Arch.   du   Dir.) 

L'indépendance    du   Séminaire   ou    de   TAcadémie   protestante   est 

garantie  par  les  mêmes  traités  (que  celle  de  Gymnase)  ;  elle  tient  de  plus  près 
encore  à  la  liberté  religieuse,  consacrée  par  la  charte,  et  il  y  aurait  une 
inconvenance  plus  grave  à  ce  qu'une  autorité  soit  civile  soit  littéraire,  non- 
protestante  s'immisçât  soit  dans  l'administration  soit  dans  l'enseignement  d'un 
établissement  d'instruction  religieuse  protestante,  que  des  droits  antiques,  solen- 
nellement consacrés  et  qui  comprennent  des  dotations  dont  la  propriété  est 
assurée  aux  protestans,  ont  placé  dans  une  cathégorie  toute  particulière  et 
dont  l'organisation  diffère  essentiellement  de  celle  des  facultés  de  l'université 
de  France. 

C'est  dans  cet  établissement  qu'a  été  transformée  par  les  loix  et  arrêtés 
organiques  sur  les  cultes,  l'ancienne  Université  toute  protestante  de  Strasbourg 
et  il  comprend,  outre  l'enseignement  des  sciences  théologiques  proprement 
dites,  celui  des  sciences  préparatoires,  dont  nos  pasteurs  ont  un  besoin  indis- 
pensable et  qui  ne  sont  enseignées  ni  avec  la  même  étendue  ni  sous  les 
mêmes  points  de  vue  dans  les  facultés  de  l'université. 

....  La  totalité  de  ce  Séminaire  ou  de  cette  Académie,  composée  de  dix 
chaires,  ne  pourrait  donc  point  être  considérée  comme  une  Faculté  de  Théologie 
de  l'Université  de  France,  et  la  formation,  dans  le  sein  de  ce  Séminaire,  d'une 
Faculté  de  Théologie  subordonnée  à  cette  Université  ne  présenterait  aucun  avan- 
tage et  ne  pourrait  que  donner  lieu  à  beaucoup  de  contestations,  ou  bien  ne  serait 
que  fictive  et  illusoire  ;  puisque  quant  à  l'enseignement  théologique  proprement 
dit,  quant  aux  études  qu'il  doit  comprendre,  quant  à  la  marche  progressive 
qu'il  doit  suivre  et  à  la  manière  de  constater  que  les  candidats  sont  aptes  à 
recevoir  les  ordres  ou  à  être  proposés  pour  des  fonctions  ecclésiastiques,  comme 
en  général  pour  tout  ce  qui  tient  plus  ou  moins  à  l'essence  de  la  religion 
et  du  culte,  cette  faculté  ne  saurait  reconnaître  l'autorité  d'un  corps  enseignant 
non  protestant,  non  revêtu  de  pouvoirs  rehgieux,  et  resterait  nécessairement 
soumise,  comme  l'est  toute  l'instruction  religieuse  protestante,  à  celle  du  Direc- 
toire du  Consistoire  général,  qui  forme  l'intermédiaire  légal  entre  les  établisse- 
mens  de  ce  culte  et  le  gouvernement;  et  que  quant  au  reste  de  l'administration 
intérieure,  de  la  nomination,  des  traitemens  et  du  sort  des  professeurs  ;  cette 
faculté,  restant  dotée  de  fonds  assurés  aux  protestans  et  dont  on  ne  pourrait 
leur  contester  la  propriété  et  l'administration,  sans  violer  les  traités  les  plus 
sacrés  et  les  loix  les  plus  positives,  resterait  également  dans  une  indépendance 
réelle  de  l'Université  à  laquelle  on  voudrait  l'aggréger. 

S'il  a  été  utile  et  digne  d'un  siècle  de  lumières  et  de  liberté  religieuse 
d'accorder  une  Faculté  de  Théologie  aux  non-catholiques  de  l'intérieur  de  la 
France,  qui  n'avaient,  dans  ce  vaste  royaume,  aucun  établissement  d'instruction 
religieuse,  et  si  cette  faculté,  instituée  en  faveur  d'un  culte  dont  l'organisation 
ne  comprend  aucune  autorité  religieuse  générale  et  supérieure,  a  pu  être  soumise 


LE  SÉMINAIRE  VEUT  CONSERVER  SON  INDÉPENDANCE    313 

sans  réclamations  à  l'université  de  France,  de  l'organisation  de  laquelle  elle  faisait 
partie  ;  il  serait  au  contraire  tout  à  fait  inutile  et  en  contradiction  avec  la 
liberté  religieuse,  de  soumettre  à  cette  Université  un  établissement  ancien,  qui  a 
toujours  joui  d'une  existence  indépendante,  auquel  cette  indépendance  a  été  for- 
mellement assurée,  et  qui  est  placé  par  l'organisation  du  culte  qu'il  professe, 
sous  une  autorité  à  la  fois  civile  et  religieuse,  à  laquelle  le  Gouvernement  a 
confié  et  continue  de  confier  la  surveillance  de  tout  ce  qui  a  rapport  à  la  reli- 
gion protestante  de  la  Confession  d'Augsbourg. 

La  seule  difficulté  qui  pourrait  se  présenter  résulterait  de  la  collation 
du  grade  de  docteur  en  Théologie  que  l'ancienne  Université  de  Strasbourg 
conférait  comme  les  universités  protestantes  de  l'Allemagne  et  que  le  Sémi- 
naire protestant  n'a  point  conféré  jusqu'ici,  tant  pour  éviter  toute  contestation 
avec  l'Université  Impériale,  que  parce  que  ce  grade  n'a  pas  été  demandé. 

Quant  aux  grades  d'études  purement  littéraires,  le  Séminaire  ne  voulant 
nullement  se  détacher  du  grand  système  d'instruction  établi  par  l'Université 
de  France,  ne  les  a  non  seulement  vu  prendre  avec  plaisir  à  tous  ceux  de  ses  élèves 
qui  pouvaient  y  aspirer,  dans  la  faculté  des  lettres  de  l'Université,  aussi  long- 
temps que  cette  formalité  était  exigée;  mais  a  même  continué  à  faire  à  ses 
élèves  un  devoir  de  les  prendre,  depuis  qu'une  Ordonnance  Royale  les  en 
dispensait,  et  est  dans  l'intention  de  maintenir  ce  lien  honorable  entre  l'ins- 
truction qu'il  donne  et  l'instruction  générale.  Mais  quant  à  un  grade  purement 
théologique  et  de  Théologie  protestante,  il  serait  bien  plus  simple  que  l'Académie 
protestante  confère  ledit  grade,  comme  le  conférait  l'Université  à  laquelle  elle  a 
succédé;  avec  la  seule  modification,  conforme  à  l'organisation  actuelle,  que  ce  sera 
avec  la  participation  et  sous  l'autorité  supérieure  du  Dre  du  C'e  général,  placé 
par  le  Gouvernement  lui-même  à  la  tête  de  tout  ce  système  d'instruction  reli- 
gieuse et  puissamment  intéressé,  pour  le  bien-être  même  de  cette  instruction,  à 
ce  que  ledit  grade,  ainsi  que  tous  les  autres  avancemens  dans  l'ordre  ecclésias- 
tique, ne  soit  accordé  qu'aux  sujets  les  plus  méritans.  Nous  nous  croyons  donc 
en  droit  de  demander  qu'on  laisse  ce  dernier  mode  à  notre  disposition,  sauf  à 
soumettre  s'il  y  a  lieu  au  Gouvernement  un  règlement  sur  le  mode  d'exécution. 

Résol.  (Séance  du  29  oct.  1817).  Les  votes  des  membres  du  Dre  recueil- 
lis, une  expédition  de  la  notice  a  été  transmise,  le  20  cr.,  par  lettre,  à 
M.  Kern,  membre  de  la  Chambre  des  députés,  avant  son  départ  pour  la  capitale. 

SiLBBRMANN. 


9.  Réflexions  sur  la  formation  d'une  faculté  de  Théologie 
protestante  dans  PAcadémîe  Royale  de  Strasbourg. 

(Arch.  du  Dir.) 

Nous  avons  appris  qu'il  est  question,  dans  une  nouvelle  organisation 
de  l'Instruction  publique  qui  se  prépare  en  ce  moment,  d'ériger  dans  l'Aca- 
démie Royale  de  Strasbourg  une  faculté  de  Théologie  protestante,  sans  que 
ni  l'autorité  supérieure  à  laquelle  l'Administration  de  tout  ce  qui  est  relatif  à. 
ce  culte  est  confié  par  les  loix  existantes,  ni  même  les  Professeurs  du  Sémi- 
naire protestant,  par  les   soins  desquels  l'enseignement  de   cette  Théologie  se 


314  LA  FACULTÉ   DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOURG 

trouve  dans  l'état  le  plus  florissant  dans  cette  ville,  n'aient  été  consultés  à 
ce  sujet. 

Ce  qui  augmente  notre  surprise,  c'est  qu'il  nous  a  été  dit  que  c'est  sur 
de  vives  demandes  parties  de  cette  ville,  que  l'on  s'occupe  de  la  formation 
de  cette  faculté. 

Ces  demandes  n'auraient  pu  être  faites  légalement  que  par  le  Directoire, 
et  même  en  supposant  qu'elles  aient  eu  lieu  d'une  manière  moins  régulière, 
elles  n'auraient  pu  avoir  quelque  poids  qu'autant  qu'elles  seraient  sorties  du 
moins  du  sein  dudit  Séminaire  ou  qu'elles  eussent  été  formées  par  un  grand 
nombre  d'individus  attachés  à  notre  culte. 

Mais  le  Directoire  n'a  pas  émis  ce  vœu  et  nous  nous  sommes  assurés 
qu'aucune  demande  de  ce  genre  n'a  été  formée  par  ceux  que  l'érection  d'une 
telle  faculté  pourrait  particulièrement  intéresser  et  qui,  au  contraire,  préfèrent 
d'un  commun  accord  l'état  actuel  des  choses  à  un  changement  où  ils  voient 
plus  d'inconvéniens  que  d'avantages. 

Si,  lors  de  la  première  organisation  de  l'Université  de  France,  le  Dre 
n'a  point  cru  devoir  se  refuser  à  envoyer  aux  autorités  supérieures  les  listes 
de  candidats  pour  une  telle  faculté,  qui  lui  avaient  été  demandées,  c'est  que. , . 
les  inconvéniens  qui  pouvaient  résulter  de  l'adjonction  à  un  corps  enseignant, 
dans  l'immensité  duquel  nous  ne  formerions  qu'une  portion  hétérogène  et 
subalterne  et  dont  les  règlemens  sont  dictés  par  des  considérations  générales 
auxquelles  nous  sommes  en  grande  partie  étrangers,  ainsi  que  les  avantages 
que  nous  avons  trouvés  à  pouvoir  conformer  librement  notre  enseignement  à 
nos  besoins  et  aux  principes  de  notre  culte  et  à  pouvoir  sans  cesse  les  per- 
fectionner par  l'expérience,  ne   s'étaient  pas  encore  suffisamment  développés. 

Mais  dès  le  Décret  du  17  mars  1808  Tit.  V,  art.  38  les  préceptes  de  la 
religion  catholique  furent  déclarés  devoir  être  pris  pour  base  de  toutes  les  écoles 
de  l'Université.  Le  même  article  ajoute  encore  §  4  que  tous  les  Professeurs  de 
Théologie  seront  tenus  de  se  conformer  aux  dispositions  de  l'Édit  de  1682 
concernant  les  quatre  propositions  du  Clergé  de  France,  ce  qui  les  suppose 
également  tous  catholiques. 

Depuis  ce  temps  une  part  formelle  dans  l'Administration  générale  de 
l'Université  a  été  accordée  à  des  Évêques  catholiques,  sans  que  les  autorités 
religieuses  des  autres  cultes  y  aient  été  appelées. 

C'est  l'Administration  générale  ainsi  organisée  qui  prononce  les  nomi- 
nations de  professeurs,  et  cela  non  sur  la  proposition  exclusive  de  la  faculté 
où  ces  professeurs  doivent  entrer,  mais  aussi  sur  celle  du  Conseil  académique, 
qui  a  également  une  part  prépondérante  à  l'administration  de  l'Académie  et 
à  la  surveillance  de  l'enseignement  et  qui  en  général  est  composé  de  membres 
étrangers  à  la  religion  dont,  dans  cette  hypothèse,  il  proposerait  les  profes- 
seurs et  dirigerait  l'enseignement. 

En  même  temps  nous  avons  vu  que  l'Université  limite  à  un  assez  petit 
nombre  les  cours  qui  doivent  être  donnés  par  ses  professeurs  et  ne  leur  per- 
met même  qu'avec  peine  et  par  des  faveurs  spéciales  ou  sous  des  conditions 
onéreuses  de  donner  d'autres  cours  accessoires. 

Dans  l'état  actuel  des  choses,  au  contraire,  notre  Séminaire  forme  une 
école  spéciale  et  complette  de  théologie  protestante,  ainsi  que  des  sciences 
préparatoires  nécessaires  à  l'étude  de  cette  théologie,  école  fondée  sous  le 
nom  d'Académie  protestante  par  un  arrêté  spécial  du  Gouvernement,   et  qui, 


NUL   BESOIN   DE   MODIFICATIONS  315 

depuis  la  formation  des  Académies  de  l'Université  de  France,  a  pris,  par  ordre 
supérieur,  le  titre  de  Séminaire  protestant. 

Ce  Séminaire  n'est,  par  la  même  organisation,  subordonné  qu'au  Direc- 
toire du  Consistoire  général  du  culte  protestant  de  la  Confession  d'Augsbourg, 
autorité  à  la  fois  civile  et  religieuse,  correspondant  directement  avec  le  Ministre, 
à  laquelle  tout  ce  qui  concerne  ce  culte  est  également  soumis  et  qui,  tant 
par  sa  composition  et  sa  compétence,  que  par  sa  proximité,  est  plus  que  toute 
autre  à  même  d'en  diriger  l'enseignement  conformément  aux  principes  de 
notre  culte  et  aux  besoins  des  élèves  qui  fréquentent  cette  école,  ainsi  que 
d'en  nommer  les  professeurs,  d'après  leur  mérite,  éprouvé  et  reconnu  par  des 
services  antérieurs,  rendus  tant  dans  l'enseignement  que  dans  la  chaire  ou 
dans  d'autres  fonctions  ecclésiastiques. 

Car  c'est  également  à  ce  Directoire  que  fut  confiée,  par  ladite  organisa- 
tion, la  présentation  des  professeurs,  qui  doit  avoir  lieu  d'après  l'avis  des 
professeurs  du  Séminaire. . . . 

Notre  Séminaire  est  la  seule  école  spéciale  qu'ait  en  France  le  culte  pro- 
testant de  la  Confession  d'Augsbourg,  cette  école  se  trouve  dans  un  pays  où  ce 
culte  a  été  maintenu  par  les  traités  les  plus  solennels,  elle  est  elle-même 
comprise  dans  ces  traités,  elle  doit  son  organisation  actuelle  à  des  loix  exis- 
tantes et  à  un  acte  spécial  du  Gouvernement  ;  elle  est  soumise  au  Gouverne- 
ment au  moyen  d'une  autorité  intermédiaire  légalement  reconnue  et  qui  la 
dirige  d'après  les  principes  de  son  culte  ;  elle  est  dans  un  état  florissant  et 
organisée  de  manière  à  pouvoir  se  perfectionner  sans  cesse,  d'après  les  pro- 
grès des  lumières  que  ce  culte  cherche  plutôt  encore  à  devancer  qu'à  suivre, 
elle  n'est  enfin  dans  une  indépendance  absolue  du  Gouvernement,  que  quant 
aux  traitemens  de  ses  professeurs,  qui  sont  assignés  sur  des  fonds  d'origine 
religieuse  et  qui  lui  ont  été  légalement  attribués. 

Or,  nous  soumettons  à  la  justice  même  de  S.  E.  le  Ministre  et  à  celle 
de  la  Commission  de  l'Instruction  publique,  d'examiner  avec  nous,  en  quoi 
cet  état  de  choses  pourrait,  sans  léser  nos  droits  et  la  liberté  des  cultes,  être 
modifié  soit  pour  l'avantage  du  Gouvernement  ou  du  système  général  de 
l'Instruction  publique,  soit  pour  le  nôtre. 

Serait-ce  en  soumettant  la  nomination  de  nos  Professeurs  au  Conseil  aca- 
démique et  à  la  Commission  de  l'Instruction  publique  ?  Mais  de  quel  droit  une 
assemblée  ou  une  commission  qui,  si  elle  n'est  point  à  considérer  comme 
indifférente  à  tous  les  cultes,  est  plutôt  catholique  que  protestante,  nommerait- 
elle  des  professeurs  théologiques  d'un  culte  différent  légalement  et  formellement 
autorisé  et  maintenu  dans  ses  droits,  tant  par  d'anciens  traités,  garantis  par  les 
principales  puissances  de  l'Europe,  que  par  des  loix  nouvelles  et  par  la  charte 
constitutionnelle. 

Serait-ce  en  ce  que  notre  instruction  religieuse  fut  soumise  aux  règle- 
mens  généraux  de  l'Université  ?  Mais,  encore  une  fois,  comment  ces  règlemens 
faits  pour  un  ensemble  d'établissemens  dont  nous  ne  formerions  qu'un  acces- 
soire hétérogène,  pourraient-ils  nous  envelopper  dans  leurs  dispositions  géné- 
rales, sans  blesser  nos  droits  à  la  liberté  du  culte,  qui  doit  nécessairement 
comprendre  celle  de  l'enseignement  religieux  ? 

Serait-ce  en  ce  que  l'Etat  ou  l'Université  donnerait  un  titre  de  plus,  et 
soit  un  traitement  total,  soit  un  traitement  accessoire  à  une  partie  de  nos 
théologiens,   sans  les   gêner   en  rien  dans  leur  enseignement,  sans  les   subor- 


316  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE   STRASBOUEG 

donner  à  une  administration  étrangère  à  leur  culte,  sans  rien  changer  à 
l'organisation  actuelle  de  nos  écoles  ? 

Sans  doute,  si  une  telle  proposition  nous  était  faite,  nous  ne  pourrions 
qu'accepter  avec  reconnaissance  la  générosité  d'un  Gouvernement  aussi  libéral. 
Mais  nos  modestes  professeurs  n'oseroient  point  former  une  telle  demande  ou 
concevoir  un  tel  espoir,  et  préfèrent  la  médiocrité  actuelle  de  leur  sort  à  toute 
amélioration  de  leur  position  personnelle,  qui  compromettrait  la  liberté  de 
leur  enseignement  ou  qui  porteroit  une  atteinte  quelconque  aux  droits  de  leur 
communauté  religieuse 

Il  résulte  en  conséquence  de  toutes  ces  réflexions,  que  notre  organisa- 
tion n'a  besoin  d'aucun  changement  pour  son  propre  bien  et  qu'on  ne  saurait 
y  faire  des  modifications  essentielles,  sans  blesser  nos  libertés  religieuses  et 
sans  compromettre  Tétat  florissant  d'un  établissement  unique  en  son  genre,  en 
faveur  duquel  les  raisons  que  nous  venons  d'exposer  réclament  une  exception 
de  l'assujettissement  général  au  régime  de  l'Université  comme  une  justice, 
qu'un  Gouvernement  qui  a  admis  en  principe  la  liberté  des  cultes,  l'observa- 
tion religieuse  des  traités  et  la  protection  de  toutes  les  institutions  utiles  et 
respectables,  ne  saurait  nous  refuser. 

Résolution  (du  Directoire).  Ces  réflexions  seront  adressées  à  S.  E.  le 
Ministre  de  l'Intérieur. 

Sjlbermann. 


10.  Copie  de  l'arrêté  du  Ministre  qui  confirme  celui  de  la 
Commission  d'Instruction  puiblique  sur  l'établissement 
d'une  Faculté  de  Théologie  à  Strasbourg. 

(Arch.  du  Dir.)) 
Ministère  de  l'Intérieur 

Cultes  non  catholiques.  • 

Le  Ministre  secrétaire  d'Etat  au  département  de  l'Intérieur. 

Vu  lo  l'arrêté  pris  par  la  Commission  d'Instruction  publique  le  7  dé- 
cembre 1818,  portant  organisation  de  la  Faculté  de  Théologie  protestante  à 
Strasbourg,  département  du  Bas-Rhin  ; 

2o   L'assentiment    donné   par    le   Directoire   général  de   la    Confession 
d'Augsbourg  aux  diverses  dispositions  qu'il  renferme, 
Nous  avons  arrêté  ce  qui  suit  : 

Art.  1er.  L'arrêté  pris  par  la  Commission  d'Instruction  publique  le  7  dé- 
cembre 1818  relatif  à  l'organisation  d'une  faculté  de  Théologie  protestante 
dans  le  grand  Séminaire  luthérien  de  Strasbourg  (Bas-Rhin)  est  approuvé  pour 
être  exécuté  suivant  sa  forme  et  teneur. 

Art.  2.  Il  sera  ultérieurement  pourvu  à  l'établissement  près  cette  faculté 
d'une  chaire  de  dogme  pour  le  culte  calviniste. 

Art.  3.  La  Commission  d'Instruction  publique  est  chargée  de  l'exécution 
du  présent  arrêté. 

Fait  à  Paris,  le  10  avril  1819. 

Le  Ministre  Secrétaire  d'Etat  de  l'Intérieur 
Signé  :   le  comte  Decazb. 
Pour  copie  conforme,  le  maître  des  Requêtes,  Directeur  de  la  l^e  Division 

Jordan. 


AEBETÉ  DU   MINISTRE  317 

Paris,  U  juin  1819. 
Ministère  de  l'Intérieur 

Cultes  non  catholiques. 

Monsieur  le  Président,  j'ai  l'honneur  de  vous  adresser  une  copie  de 
l'arrêté  par  lequel  j'approuve  celui  que  la  Commission  de  l'Instruction  publique 
a  pris  le  7  décembre  dernier  pour  organiser  la  faculté  de  Théologie  protestante 
de  Strasbourg. 

Cette  Commission  ne  s'étant  occupée  que  de  votre  culte,  vous  remar- 
querez, Monsieur,  que  Part.  2  de  mon  arrêté  appela  son  attention  sur  la  chaire 
à  établir  pour  le  dogme  calviniste. 

Je  vous  engage,  en  conséquence,  à  lui  procurer  de  suite  les  divers 
renseignements  qu'elle  pourrait  attendre  de  vous  à  cet  égard.  Vous  pourriez, 
au  besoin,  vous  entendre  avec  Monsieur  le  Président  du  Consistoire  réformé 
de  votre  ville. 

Le  Ministre  Secrétaire  d'Etat  de  l'Intérieur 

Pour  le  Ministre  et  par  son  ordre 

Le  maître  des  requêtes  Directeur  de  la  l^e  division 

A  M.  le  Président  du  Directoire  gai  de  Strasbourg. 


Rés.  (Séance  du  28  juin  1819).  Il  sera  écrit  à  la  Commission  de  l'Instruc- 
tion pubUque  que  le  Directoire  est  prêt  à  lui  donner,  autant  qu'il  dépendra 
de  lui,  les  renseignements  qu'elle  voudra  lui  demander. 


III.  Pièce  relative  aux  revendications  ulframontaines. 


Observations  sur  quelques  passages  du  Mémoire  du  chapitre 
de  la  Cathédrale  de  Strasbourg,  tendant  à  la  rerendi- 
cation  des  bàtimens  du  Séminaire. 

(Arch.  du  Directoire.) 

A  Messieurs  le  Président  et  Membres  du  Directoire  du  Con- 
sistoire général  des  églises  protestantes  de  la  Confession  d'Augsbourg 
dans  les  Departemens  du  Haut-  et  Bas-Rhin  etc. 

Messieurs, 

Le  Chapitre  de  la  Cathédrale  de  Strasbourg  vient  de  publier  un  Mémoire 
adressé  au  Roi  pour  la  revendication  des  bàtimens  du  Séminaire.  Mes  collègues, 
qui  m'en  ont  communiqué  un  exemplaire,  m'ont  engagé  à  appeller  Votre  atten- 
tion sur  quelques  passages  de  cet  écrit  faits  non  seulement  pour  étonner  les 
Protestans,  mais  encore  pour  leur  faire  craindre  des  suites  funestes.  Le 
Chapitre,  tout  en  sentant  vivement  l'injustice  faite  aux  catholiques  par  le 
Gouvernement  qui  donna  une  autre  destination  au  Séminaire,  ne  craint  pas 
de  proposer  à  un  Roi  juste  et  paternel  de  déposséder  les  Protestans  des  bàti- 
mens nécessaires  à  leurs  institutions  pour  les  donner  à  l'académie  en  rem- 
placement du  Séminaire.  Afin  de  rendre  cette  proposition  encore  plus  acceptable, 
le  Chapitre  a  dénaturé  l'état  et  l'emploi  de  ces  bàtimens.  A  l'entendre,  ce  sont 
de  vastes  édifices,  qui  ont  servi  autrefois  à  l'enseignement  des  quatre  facultés 
de  l'Université  de  Strasbourg,  et  qui  actuellement,  bien  qu'ils  servent  aux  éta- 
blissemens  du  Gymnase  et  du  Séminaire,  ne  laissent  pas  d'avoir  encore  assez 
de  place  pour  satisfaire  à  tous  les  besoins  de  l'Académie.  Nous  avons  pensé 
qu'il  est  aussi  important  qu'urgent  de  prendre  des  mesures  pour  effacer  les 
impressions  que  pourraient  avoir  faites  ces  fausses  insinuations,  et  de  préve- 
nir les  suites  fâcheuses  qui  pourraient  en  résulter;  qu'à  cet  effet  il  convien- 
drait d'éclairer  le  Gouvernement  sur  le  véritable  état  de  ces  bàtimens  et  de 
leur  emploi,  qui  les  rend  nécessaires  à  nos  institutions.  L'on  peut  observer 
que  l'enclos  des  bàtimens  du  Temple-neuf  est  entièrement  occupé  par  la  Biblio- 
thèque, dont  profitent  les  Catholiques  aussi  bien  que  les  Protestans,  une  salle 
qui  sert  aux  actes  publics  du  Séminaire  et  qui  n'a  pas  même  l'étendue  suffisante 
pour  cette  destination,  par  les  classes  du  Gymnase,  qui  s'y  trouvent  également 


KEVENDICATION  ULTRAMONTAINE  319 

à  l'étroit,  et  par  les  logemens  du  pensionnat  pour  un  certain  nombre  d'eleves 
du  Séminaire.  Il  n'y  a  que  deux  salles  qui  ont  servi  autrefois  à  l'enseignement 
public  de  l'Université,  et  qui  depuis  longtems  sont  remplies  d'objets  apparte- 
nant à  la  Commune.  Les  édifices  de  St.  Thomas  ne  contiennent  que  trois  salles, 
une  salle  avec  deux  pièces,  arrangées  nouvellement  pour  les  cours  des  Profes- 
seurs du  Séminaire  et  n'ayant  jamais  servi  aux  cours  de  l'Université  et  le  pre- 
mier étage  a  été  en  même  tems  arrangé  pour  loger  une  douzaine  d'eleves  ;  le 
tout  aux  frais  de  nos  fondations.  Voici  les  deux  édifices  publics  à  l'usage 
de  l'enseignement  du  Séminaire  et  qui  lui  sont  indispensables;  comment  le 
Chapitre  a-t-il  pu  dire  au  Roi  que  l'Académie  trouverait  dans  ces  édifices 
encore  assez  de  place  pour  ses  besoins?  C'est  également  par  erreur  qu'il  a 
avancé  que  c'est  dans  ces  édifices  que  les  Schœpflin,  les  Koch,  les  Oberlin  ont 
donné  leurs  cours,  tandis  qu'il  est  notoire  que  ces  hommes  célèbres  ont  eu 
leurs  auditoires  dans  les  maisons  quils  habitaient;  par  conséquent  c'est  une 
fausse  conséquence  qu'il  en  tire  que  les  édifices  qui  ont  servi  autrefois  à  l'usage 
des  quatre  facultés  de  l'Université  doivent  encore  suffire  aux  Facultés  de  l'Aca- 
démie. Le  Chapitre  paraît  faire  un  reproche  aux  Protestans  de  ce  qu'ils  se 
persuadent  que  comme  à  l'époque  de  l'année  normale  il  est  juste  de  leur  laisser 
leurs  possessions.  Cependant  on  ne  voit  pas  quelle  raison  pourrait  être  opposée 
à  cette  persuasion  fondée  sur  la  justice.  A  moins  qu'on  ne  veuille  adopter  des 
principes  subversifs  de  l'état  social,  la  justice  consiste  en  ce  que  chaque  membre 
de  la  Société  soit  maintenu  dans  ses  propriétés  légalement  acquises.  Or  ces 
biens  ont  été  assignés  à  l'enseignement  des  Protestans  par  le  Magistrat  qui 
était  alors  le  souverain  de  la  Ville;  ils  leur  ont  été  assurés  par  les  traités 
solennels;  ils  n'ont  jamais  été  détournés  de  leur  destination  à  l'enseignement 
et  au  service  de  nos  institutions,  ils  y  servent  encore,  et  ils  lui  sont  indispensables, 
et  ils  n'ont  pas  de  place  superflue;  à  quel  titre  pourrait  on  les  leur  enlever, 
qui  ne  blessât  toutes  les  règles  de  la  justice.  Ainsi  que  tous  les  Protestans 
pénétrés  de  l'Esprit  de  l'Evangile  nous  souhaitons  sincèrement  que  nos  frères 
Catholiques  puissent  rentrer  dans  la  possession  de  leurs  biens,  qui  sont  né- 
cessaires à  leur  culte  et  à  leurs  institutions,  et  dont  l'injustice  les  a  dépouillés. 
Nous  ne  prétendons  nullement  nous  opposer  à  leurs  intérêts  ou  nous  immiscer 
dans  leurs  affaires;  mais  en  même  tems  nous  souhaitons  pour  l'amour  de  la 
justice  et  de  la  paix  de  n'être  pas  troublés  dans  la  paisible  possession  de  ces 
biens  fort  modiques  que  la  Providence  nous  a  conservés  au  milieu  des  orages 
de  la  Révolution,  par  des  prétentions  injustes  tant  de  fois  renouvelées  et  qui 
ne  servent  à  rien  moins  qu'à  cimenter  cette  union  fraternelle,  prescrite  par  la 
doctrine  de  l'Evangile,  qui  est  notre  loi  commune  et  servant  de  base  au  bon- 
heur social. 

Nous  avons  cru  devoir  soumettre  ces  observations  à  la  sagesse  du  Direc- 
toire, bien  persuadés,  qu'il  est  porté  à  veiller  sur  tout  ce  qui  intéresse  la  chose 
des  Protestans. 

Strasbourg  ce  6  janvier  1815.  J.  G.  Dahleb,  Professeur, 

Vice-Directeur    du   Séminaire. 

Résol.  (Séance  du  24  janvier  1815).  Il  sera  marqué  p.  E.  du  Regl  à 
Mr  Dahler,  que  le  Directoire  pense  que  dans  ce  moment  il  n'y  a  pas  lieu  de 
donner  suite  à  cet  objet. 


17.  Critique  de  l'enseignement  du  Séminaire  et  de  la 
Faculté  de  théologie 


Extrait  d'une  Lettre  du  pasteur  Cuvier  de  Paris 
an  Président  du  Directoire, 

(Archives  du  Directoire.) 
Eglise  évangélique  de  la  Confession  d'Augsbourg  à  Paris. 

Paris,  21  Avril  1853. 

...  Je  suis  très  peiné  d'avoir  pu  vous  paraître  dur  et  je  regretterais 
vivement  les  expressions  dont  je  me  suis  servi  pour  exprimer  la  pensée  du 
Consistoire,  si  elles  avaient  pu  avoir  quelque  chose  de  blessant.  En  tout  cas 
elles  ne  peuvent  vous  atteindre  personnellement.  Vous  n'avez  pas  et  vous  ne 
pouvez  avoir  sur  l'enseignement  du  Séminaire  et  de  la  Faculté  et  sur  l'esprit 
qui  y  préside  une  influence,  une  autorité  qui  vous  rende  responsable  des  doc- 
trines qu'on  y  inculque  aux  étudiants. 

En  tout  cas,  personne  n'apprécie  mieux  que  moi  les  difficultés  de  votre 
position;  je  ne  voudrais  pas  les  aggraver  et  me  plairai  toujours  au  contraire 
à  vous  aider  à  les  surmonter.  ...  Je  comprends  que  vous  ayez  de  la  peine  à 
trouver  un  homme  tel  qu'il  le  faudrait  à  la  tête  du  Séminaire.  Il  faut  réunir 
beaucoup  de  qualités  pour  ces  fonctions,  et  si  cette  position  est  une  des  plus 
importantes  de  notre  Eglise,  c'est  aussi  Tune  des  plus  difficiles  à  pourvoir. 

A  la  distance  où  je  suis,  il  ne  m'est  pas  permis  de  porter  par  moi- 
même  un  jugement  positif  et  motivé.  Je  ne  vois  pas  les  choses  d'assez 
près.  L'opinion  que  j'ai  de  l'enseignement  de  la  faculté  de  théologie  vient  des 
impressions  produites  en  moi  par  ce  que  j'ai  entendu  de  la  bouche  de  divers 
étudiants.  Je  les  entends  louer  la  science  de  leurs  professeurs,  mais  se  plaindre 
en  même  temps,  de  ce  qu'on  ne  leur  inspire  pas  une  foi  positive,  de  ce  qu'ils 
arrivent  au  terme  de  leurs  études,  incertains  de  ce  qu'ils  doivent  croire,  laissés 
dans  le  vague  des  opinions  diverses  qui  ont  été  exposées  devant  eux;  de  ce 
qu'il  n'y  a  rien  de  pieux  dans  l'enseignement  qu'ils  reçoivent.  La  manière  dont 
j'en  ai  vu  agir  dans  leurs  fonctions  me  porterait  aussi  à  penser  qu'il  y  a 
une  lacune  ou  une  mauvaise  direction  dans  les  principes  qui  leur  sont  incul- 
qués. Ils  manquent  d'esprit  ecclésiastique;  ils  paraissent  peu  connaître  et  res- 
pecter peu  les  traditions  du  culte,    par   un  esprit  d'indépendance  qui  dépasse 


LETTRE   DU   PASTEUR   CUVIER  321 

ce  qui  est  permis  à  la  liberté  chrétienne.  Ils  paraissent  peu  connaître  notre  orga- 
nisation d'administration  et  de  culte  et  les  obligations  hiérarchiques  auxquelles  les 
pasteurs  sont  soumis.  J'en  ai  vu  se  permettre  dans  la  liturgie  des  changements  et 
des  suppressions  contraires  à  nos  usages  traditionnels  et  prétendre  se  justifier  par 
le  droit  du  libre  examen.  Ce  n'est  pas  cet  esprit  qu'ils  devraient  puiser  dans 
un  cours  de  théologie  pastorale.  Ne  serait-il  pas  nécessaire  d'insister  plus 
qu'on  ne  le  fait  peut-être  pour  leur  inspirer  plus  de  respect  et  de  soumission 
aux  règles  établies  et  pour  leur  apprendre  à  faire  plier  davantage  leurs  vues 
personnelles  aux  usages  et  à  la  discipline  adoptés  par  l'Eglise. 

Vous  voyez  que  je  m'épanche  avec  vous.  Je  ne  vous  parle  des  plaies 
de  notre  Eglise  que  parce  que  je  désire  ardemment  qu'elles  puissent  être  guéries. 
Je  crois  volontiers  qu'il  y  a  iin  commencement  de  cicatrisation.  Avec  le 
temps  et  avec  les  pouvoirs  qui  vous  sont  conférés  vous  pourrez  y  contribuer 


21 


V.  Protestation  contre  les  ingérences 
de  l'orthodoxie  parisienne. 


Protestation  de  notables  strasbonrgeois  contre  la  prétention 
de  l'orthodoxie  parisienne  d'empêcher  deux  savants  de 
mérite  (Colani  et  Canitz)  d'être  nommés  au  Séminaire* 

(Archives  du  Directoire.) 

M.  le  Président,  MM.  les  Membres  du  Directoire, 
MM.  les  professeurs  du  Séminaire  protestant. 

La  fondation  de  Saint-Thomas  est  une  institution  chère  à  la  ville  de 
Strasbourg.  Souvent  menacée  dans  son  existence,  elle  a  toujours  trouvé  au 
sein  de  la  population  éclairée  de  la  cité  des  amis  dévoués,  des  défenseurs 
convaincus.  C'est  que  la  conscience  publique  était  fière  de  prêter  son  appui  à 
une  réunion  de  savants  qui  a  toujours  tenu  haut  et  ferme  le  drapeau  de  la 
science,  conciliant  la  tradition  religieuse  de  nos  pères  avec  les  limiières  et  les 
progrès  des  temps  modernes. 

En  serait-il  de  même  si  le  corps  savant  qui  représente  l'arche  sainte 
du  Protestantisme  cessait  de  se  recruter  d'hommes  nouveaux  de  la  trempe  des 
anciennes  illustrations  éteintes?  si  le  niveau  scientifique  et  le  talent  étaient 
sacrifiés  à  des  influences  étrangères,  à  des  influences  qui  s'érigent,  on  ne  sait 
à  quel  titre  et  au  nom  de  quel  principe,  en  juge  souverain  de  l'orthodoxie 
protestante. 

C'est  une  question  douloureuse  que  nous  vous  adressons,  car  au  moment 
où  il  s'agit  de  remplir  un  vide  regrettable  dans  les  rangs  des  Professeurs  du 
Séminaire,  nous  avons  lieu  de  craindre  qu'une  pression  illégitime  ne  pèse  sur 
vos  décisions.  Les  chefs  de  notre  Eglise  et  le  corps  enseignant  se  soumettront- 
ils  à  des  injonctions  dictatoriales?  quand  ces  injonctions  frappent  d'exclusion 
précisément  deux  noms  désignés  d'avance  et  depuis  longtemps  à  leurs  suf- 
frages; deux  noms  connus,  respectés,  illustrés  par  la  science:  celui  d'un 
homme  qui  depuis  vingt-cinq  ans  rend  au  Séminaire  les  services  les  plus 
dévoués  et  les  plus  désintéressés,  et  puis  une  personnalité  dans  laquelle  à  un 
talent  hors  ligne  se  trouvent  unies  des  convictions  qui  représentent  ce  que  le 
christianisme  a  de  plus  élevé  et  de  plus  pur. 


PEOTESTATION  DES   LIBERAUX   STRASBOURGEOIS 


323 


Et  pourquoi  cette  exclusion? 

La  piété  du  pasteur  qui  fait  entrer  la  vérité  évangélique  si  profondé- 
ment dans  les  convictions  de  ses  auditeurs  serait-elle  une  piété  suspecte?  Le 
christianisme  qu'il  prêche  serait-il  de  mauvais  aloi?  L'orateur  sacré  qui  tient 
au  pied  de  sa  chaire  une  foule  avide,  appartenant  à  toutes  les  croyances  serait-il 
dangereux  pour  former  des  prédicateurs  futurs? 

Cela  n'est  pas  sérieux.  Non.  C'est,  on  le  sait,  pour  donner  satisfaction 
à  certaines  passions  théologiques  et  doctrinales,  que  l'on  vous  demande 
l'exclusion,  et  c'est  du  nom  de  conciliation  que  l'on  voudrait  colorer  un  acte 
d'ostracisme. 

La  conciliation  !  On  oublie  donc  que  les  passions  doctrinales  sont  abso- 
lues? Elles  ne  se  considèrent  comme  satisfaites  que  quand  elles  ont  tout 
envahi,  tout  absorbé.  —  De  la  conciliation  !  Oui ...  si  les  personnalités  qui 
s'agitent  avaient  à  présenter  des  personnalités  supérieures  ou  du  moins  égales 
par  les  titres  scientifiques,  la  profondeur  des  convictions  religieuses  et  le 
talent.  Préférer  de  telles  personnalités  serait  de  la  conciliation  de  bon  aloi; 
car  alors  la  préférence  ne  léserait  pas  les  lois  éternelles  de  la  justice;  mais 
la  conciliation  qui  sacrifie  le  mérite  à  des  passions  porte  un  autre  nom,  et 
un  acte  d'exclusion  accompli  dans  de  telles  conditions  serait  sévèrement  jugé 
par  l'opinion  publique.  Il  ne  tarderait  pas,  du  reste,  à  porter  des  fruits  amers, 
comme  tout  ce  qui  est  mal. 

En  vous  soumettant,  MM.,  ces  considérations,  les  soussignés  n'ont  eu 
d'autre  but  que  l'accomplissement  d'un  devoir.  C'est  à  vous,  MM.,  qu'il  appar- 
tient de  faire  le  vôtre  sans  faiblesse,  avec  la  haute  raison  et  l'esprit  de  jus- 
tice que  nous  vous  connaissons,  que  nous  aimons  à  retrouver  toujours  chez 
nos  chefs  religieux. 

Agréez,  MM.,  l'assurance  de  notre  haute  considération. 

Strasbourg,  le  9  Novembre  1863. 

Ont  signé  sur  l'exemplaire  adressé  à  M.  le  Président  du  Directoire 
MM.  Ehrmann,  doyen  de  la  faculté  de     MM.  J.  D.  Ehrmann. 


médecine. 
Bergmann,  doyen  de  la  faculté  des 

lettres. 
V.  Stœbeb,  prof. 
Ch.  Schûtzenbbrger,  prof. 
RiGAUD,  prof. 

E.  Kûss,  prof. 
ScHiMPER,  prof. 

EuG.  Bœckel,  prof,  agrégé. 
ZiMMER,  membre  du  Consist.  gén. 
Ed.  Goguel,  prof.,  id. 

F.  Ehrmann. 
ŒsDîGER,  père. 

J.  Hecht,  juge  de  paix. 
Ch.  Lauth,  juge. 
Dr  G.  Lauth. 


Blanck,  prés,  de  la  Société  des 

Amis  des  Arts. 
Fr.  Lauth,  Dr  en  méd. 
Ch.  Bœckel,  libraire. 
Mathiss,  conseiller  municipal. 
EuG.  Hecht,  consul. 
C.  St^hling,  m.  de  la  Chambre 

de  commerce. 
G.  Bergmann,  id. 
Schlagdenhauffen,  architecte. 
AuG.  Trawitz-Kratz. 
MûNTZ,  ingénieur. 
Flach,  notaire. 
Altorffer. 

Heydenreich,  pharmacien. 
Heydenreich,   agent  de  cliange. 

21* 


324 


LA  FACULTE   DE   THEOLOGIE   DE   STRASBOUKG 


MM.   Wbiss,  notaire. 
J.  J.  Stotz. 
Ch.  Zeyssolf,  notaire. 
J.  Fr.  Rothpus,  anc.  nég. 
MuLLER,  directeur  de  l'octroi. 
Gme  Lauth. 
Ernest  Lauth, 
AuG.  Kern. 
Ph.  Strombybr. 

OSTERRIETH,  jUgC. 

Balzinger. 

SiLBBRMANN,  imprimeur. 
Imlin. 


MM.   L.  HiMLY. 
Jérôme  Kob. 
Ph.  Frantz,  avocat. 
KuGLER,  avocat. 
Ed.  Klosb,  banquier. 
EuG.  Jtjndt. 

KiEFFER,  directeur  de  l'hôpital. 
Stromeyer,  fils. 
eschenauer. 
Fr.  Aufschlagbr. 
Th.  Aufschlagbr. 
La  Drion. 


Vi.  Pièces  relatives  aux  présentations  et  nominations 
aux  chaires  vacantes  en  1864. 


1.  Lettre  da  Président  du  Directoire  an  Recteur 
de  l'Académie. 

(Minute  de  la  lettre  aux  Archives  du  Dre.) 

6  Avril  1864. 

En  suite  des  dépêches  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m 'écrire  le  18  et 
le  30  mars  dernier,  le  Dre  s'est  occupé  dans  sa  séance  du  5  avril  de  l'avis  mo- 
tivé qu'il  a  à  donner  sur  les  nouvelles  présentations  faites  par  la  faculté  de 
théologie  protestante  de  Strasbourg  pour  la  chaire  d'éloquence  sacrée. 

Après  une  longue  délibération,  il  a  paru  au  Dre  que  les  difficultés  que 
soulève  cette  affaire  à  raison  même  des  deux  tendances  qui  se  sont  manifestées 
dans  l'Eglise  et  des  préférences  qui  en  résultent  pour  l'un  ou  l'autre  des 
candidats,  seraient  aplanies  si,  aujourd'hui  que  la  mort  de  M.  le  professeur 
Fritz  vient  de  faire  un  nouveau  vide  dans  la  faculté  de  théologie,  le  Gouverne- 
ment consentait  à  pourvoir  en  même  temps  aux  deux  chaires.  Les  candidats  pré- 
sentés pour  la  chaire  d'éloquence  sacrée  le  seront,  selon  toutes  les  probabilités, 
également  pour  la  seconde  ;  et  il  serait  possible  de  concilier  les  vœux  des  deux 
fractions  de  l'Eglise  en  nommant  simultanément  les  deux  hommes  sur  lesquels 
repose  respectivement  leur  suffrage. 

Cette  considération  qui  venait  d'être  présentée  au  Dre  de  divers  côtés, 
cette  possibilité  d'amener  une  conciliation,  a  si  vivement  frappé  le  Dre,  qu'avant 
de  se  prononcer  sur  les  présentations  qui  lui  sont  déjà  soumises,  il  m'a  chargé, 
M.  le  Recteur,  de  vous  exposer  sa  manière  de  voir  et  de  vous  prier  de  vouloir 
bien  la  faire  connaître  à.  S.  E.  le  ministre  de  l'Instruction  publique. 

M.  Reuss  actuellement  professeur  de  morale  chrétienne  demandera  à 
occuper  la  chaire  d'hébreu  laissée  vacante  par  M.  Fritz  et  pour  laquelle  il  est 
seul  qualifié.  Mais  cette  permutation,  qui  semble  au  Dre  parfaitement  conforme 
aux  intérêts  du  service,  ne  retarderait  que  de  bien  peu  la  déclaration  de  va- 
cance de  la  seconde  chaire  à  pourvoir,  et  ce  léger  retard  dans  les  deux 
nominations  nous  paraîtrait  heureusement  compensé  par  les  grands  avantages 
que  nous  verrions  à  ce  qu'elles  fussent  faites  simultanément. 


B26  LA  FACULTÉ  DE   THÉOLOGIE  DE  STRASBOURG 

2,  Lettre  du  Recteur  de  PAcadémie  au  Président 
du  Directoire. 

(Arch.  du  Dir.) 

Académie  de  Strasbourg.  Strasbourg,  le  11  avril  1864. 

Monsieur  le  Président, 

La  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'adresser,  à  la  date  du 
6  avril  cr.,  me  jette  dans  une  certaine  perplexité,  et,  avant  de  la  transmettre 
à  M.  le  Ministre,  je  crois  prudent  de  soumettre  mes  scrupules  à  votre  sagesse. 

Nous  avons  en  ce  moment  à  vider  une  question  grave,  mais  simple  et 
nettement  définie.  La  chaire  d'éloquence  sacrée  a  été  déclarée  vacante  ;  les 
présentations  légales  ont  eu  lieu  une  première  fois.  Le  Ministre  ayant  rappelé 
le  décret  qui  exige  le  doctorat,  la  faculté  a  dressé  une  seconde  liste,  sur  la- 
quelle le  Dre  est  invité  à  donner  son  avis  motivé  (cette  liste  contenait  les  noms 
de  MM.  Colani,  Kienlen,  Lichtenberger,  présentés  ex  aequo). 

Ainsi  l'affaire,  après  avoir  péniblement  parcouru  tous  ses  degrés,  touche 
au  terme.  Il  dépend  de  l'autorité  religieuse  d'en  amener  promptement  la  so- 
lution par  une  délibération  décisive  qui  éclaire  le  Ministre  sur  l'aptitude  des 
trois  candidats  à  la  chaire  vacante.  Serait-il  de  bonne  administration  de  sus- 
pendre le  dénouement  et  d'opposer  en  quelque  sorte  une  fin  de  non  recevoir 
à  la  demande  de  S.  Exe? 

Au  lieu  de  terminer  le  plus  tôt  possible  un  procès  qui  déchaîne  tant  de 
passions,  le  D^e  propose,  par  votre  lettre  du  0  avril,  de  le  compliquer  et  de  le 
prolonger  indéfiniment,  car  la  combinaison  indiquée  entraînerait  un  délai  aussi 
funeste  aux  études  que  favorable  à  la  polémique  confessionnelle. 

Il  faudrait  d'abord  que  la  faculté  sollicitât  le  changement  de  chaire 
pour  M.  Reuss  et  le  motivât  fortement  afin  d'armer  M.  Duruy  contre  l'opposition 
qui  pourrait  bien  se  soulever.  Les  partisans  du  formulaire  d'Augsbourg  verraient- 
ils  avec  indifférence  votre  théologien  libéral  passer  d'une  chaire  de  morale  à 
une  chaire  à^exégèse? 

Le  premier  point  obtenu,  le  Ministre  jugerait-il  opportun  de  déclarer 
immédiatement  une  seconde  chaire  vacante  et  d'ajouter  ainsi  à  l'agitation  pré- 
sente un  second  antagonisme? 

Viendrait  ensuite  la  formation  des  deux  listes.  Retomberions-nous  dans 
Vex  aequo  qui  est  une  fiction  inadmissible,  à  tel  point  que  la  faculté  ayant 
porté  sur  sa  dernière  liste  un  candidat  écarté  de  la  première  n'a  pas  hésité  à 
le  déclarer  égal  à  ceux  qu'elle  lui  avait  précédemment  préférés.  Le  Ministre,  je 
le  sais,  n'acceptera  pas  cet  ex  aequo  auquel  personne  ne  croit. 

Enfin,  les  deux  listes  seraient-elles  identiques,  comme  vous  le  prévoyez  ? 
Pensez-vous  que  le  public  et  le  Ministre  prendraient  au  sérieux  des  candida- 
tures également  aptes  à  remplir  deux  chaires  si  différentes  ?  Considérons  bien 
les  trois  savants  fort  honorables  dont  il  s'agit  :  sont-ils  indifféremment  prêts  à 
occuper  dignement  l'un  ou  l'autre  poste  ?  Chacun  d'eux  n'a-t-il  pas  son  mérite 
distinct?  Chaque  liste  doit  avoir  aussi  sa  spécialité. 

Vous  savez  mieux  que  moi,  M.  le  Président,  que  les  répugnances  et  les 
sympathies  qui  se  produisent  si  énergiquement  au  sujet  de  Véloquence  sacrée 
n'abdiqueront  point  au  sujet  de  V exégèse  et  de  la  Morale  évangélique.  Je  n'ai 
pas  à  vous  apprendre   qu'il  ne  s'agit  point  d'accommoder   par  un  compromis 


AERÊTÉ  DE  LA  FACULTE  DE  THEOLOGIE  327 

adroit,  une  simple  concurrence  de  personnes.  Nous  assistons  à  une  guerre 
plus  sérieuse,  plus  violente,  une  guerre  de  doctrines,  de  dogmes,  de  sectes. 

Je  ne  saurais  avoir  la  prétention  d'intervenir  dans  un  débat  auquel  le 
Recteur  doit  rester  étranger.  Il  m'appartient  encore  moins  de  donner  un  avis 
aux  membres  éminents  du  Dre.  Mais  vous  excuserez  un  ami  sincère  de  notre 
savante  faculté  de  Théologie  qui  se  permet  de  vous  dire  :  N'aggravez  pas  une 
difficulté  déjà  très  lourde  en  la  triplant;  laissons  à  chaque  jour  sa  tâche  et 
sa  peine.  Pourvoyons  d'abord  au  vide  de  la  chaire  d'éloquence  :  le  reste 
viendra  à  son  heure.  Surtout  ne  craignons  pas  d'éclairer  sur  la  valeur  réelle 
et  spéciale  de  chacun  des  candidats  un  Ministre  ami  des  lumières  et  de  la 
liberté.  Faisons  notre  devoir  de  sincères  conseillers  et  attendons  avec  confiance 
la  décision  supérieure. 

Excusez,  M.  le  Président,  ces  réflexions  que  je  vous  soumets  avec  toute 
la  déférence  due  à  votre  haute  position.  Si,  malgré  mon  plaidoyer,  le  D^ 
maintient  sa  résolution,  je  m'empresserai  de  la  transmettre  à  S.  E. 

Veuillez  agréer,  etc. 

Le  Recteur,  Dblcasso. 

(Séance  du  12  avril  1864.)  Le  Dre  se  range  aux  observations  de  M.  le 
Recteur  et  n'insiste  pas  sur  l'envoi  au  Ministre  de  sa  lettre  du  6  Avril.  M.  le 
Recteur  sera  prié  de  lui  faire  parvenir  les  présentations  définitives  (et  avec 
classement)  de  la  faculté.  Au  vu  de  cette  pièce,  le  D"  émettra  son  avis  motivé 
sans  plus  attendre. 


3.  Arrêté  de  la  Faculté  de  théologie  protestante. 

Séance  du  26  Avril  1864. 
(Arch.  du  Dir.) 

La  Faculté  de  théologie  protestante  de  Strasbourg, 

Vu  la  lettre  de  M.  le  Recteur  de  l'Académie  du  15  Avril  cr.  qui  l'informe 
que  S.  E.  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  désire  que  les  candidats  pré- 
sentés ex  aequo  à  la  chaire  vacante  d'éloquence  sacrée  par  délibération  du  29  mars 
dernier,  soient  présentés  dans  un  ordre  déterminé,  et  que,  de  plus,  la  Faculté 
entre  sur  chacun  d'eux  dans  une  appréciation  de  son  mérite,  de  son  talent, 
de  son  caractère  et  de  ses  principes  religieux, 

Arrête,  à  la  majorité  de  trois  voix  contre  une  ce  qui  suit: 

La  présentation  de  trois  candidats  pour  la  chaire  vacante  arrêtée  par 
la  Faculté  dans  sa  séance  du  29  mars,  est  modifiée  dans  ce  sens  que  M.  Colani 
est  placé  au  premier  rang,  M.  Kienlen  au  second  et  M.  Lichtenberger  au  troisième. 

Les  motifs  de  cette  classification  sont  les  suivants  : 

1.  Il  est  incontestable  que,  comme  théologien  et  comme  prédicateur, 
M.  Colani  l'emporte  de  beaucoup  sur  ses  deux  concurrents.  Sous  ces  deux 
rapports,  sa  réputation  ne  s'étend  pas  seulement  sur  la  France,  mais  au  dehors 
sur  tous  les  pays  protestants  d'Europe  et  même  d'Amérique.  A  Strasbourg 
surtout,  M.  Colani  jouit  d'une  haute  considération  et  un  public  toujours  nom- 
breux et  composé  de  personnes  de  toutes  les  nuances  religieuses  suit  ses  pré- 


328  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE   STEASBOUKG 

dieations  avec  une  assiduité  persévérante.  Les  trois  recueils  de  sermons  et  les 
sermons  isolés  qu'il  a  publiés  ont  été  traduits  en  allemand,  en  hollandais,  en 
anglais  et  en  suédois,  et  ont  paru  en  partie  en  plusieurs  éditions.  Une  2e  édition 
de  sa  thèse  pour  le  doctorat  et  une  traduction  hollandaise  du  même  ouvrage 
sont  sous  presse  pour  paraître  simultanément  le  15  du  mois  prochain.  Une 
traduction  hollandaise  de  sa  critique  de  la  Vie  de  Jésus  de  Renan  paraîtra  à 
la  même  date.  Depuis  quatre  ans  déjà,  M.  Colani  dirige  au  Séminaire  protestant 
les  exercices  oratoires  des  élèves  qui  se  destinent  à  la  prédication  en  langue 
française.  D'un  caractère  parfaitement  honorable,  M.  Colani  a  prouvé  son 
esprit  conciliant  par  les  rapports  qu'il  entretient  avec  ses  collègues  de  l'église 
St-Nicolas  à  laquelle  il  est  attaché  en  qualité  de  pasteur.  Quant  à  ses  principes 
religieux  et  ses  tendances  théologiques,  la  Faculté  s'en  rapporte  à  ses  propres 
déclarations  contenues  dans  la  lettre  qu'il  a  adressée  au  Doyen  de  la  Faculté. 
Il  en  résulte  que  les  adversaires  ont  dénaturé  ses  principes  en  lui  attribuant 
des  opinions  qu'il  repousse  énergiquement.  La  Faculté  ne  saurait  le  cacher  à 
S.  E.  :  la  nomination  d'un  de  ses  concurrents  à  la  chaire  dont  il  s'agit  serait 
pour  le  public  de  Strasbourg,  qui  s'est  groupé  autour  de  M.  Colani  et  qui  s'édifie 
de  ses  prédications,  une  pénible  déception  et  produirait  dans  notre  cité  une 
impression  regrettable. 

2,  M.  Kienlen  est  un  théologien  savant  et  un  pasteur  honorable,  qui  a 
plus  de  vingt  ans  de  services.  Il  n'est  pas  non  plus  sans  réputation  au  dehors 
de  notre  pays.  Il  est  auteur  d'une  Encyclopédie  des  sciences  théologiques  qui 
a  du  mérite,  et  d'un  travail  sur  les  modifications  dont  serait  susceptible  l'élé- 
ment liturgique  du  culte  protestant.  Ce  travail,  inséré  dans  le  temps  dans  un 
recueil  périodique  d'Allemagne,  a  été  traduit  en  hollandais.  Depuis  trois  ans, 
M.  Kienlen  fait  au  Séminaire  protestant  des  cours  libres  sur  des  matières  de  théo- 
logie pratique,  qui  sont  suivis  avec  un  grand  intérêt  par  les  élèves.  Par  son 
caractère  et  son  activité,  il  s'est  acquis  l'estime  générale.  La  Faculté  n'a  pas 
à  donner  des  renseignements  sur  ses  opinions  religieuses,  attendu  qu'il  s'est 
expliqué  lui-même  à  ce  sujet  dans  la  lettre  annexée. 

3.  M.  Lichtenberger  s'est  fait  connaître  avantageusement  par  les  différentes 
thèses  qu'il  a  soutenues  et  par  plusieurs  articles  insérés  dans  des  recueils 
périodiques  religieux.  Ses  opinions  religieuses  sont  exprimées  dans  sa  lettre 
au  Doyen  de  la  Faculté  jointe  à  la  présente  délibération.  Pasteur  auxiliaire  de 
l'Eglise  du  Temple  Neuf,  il  remplit  en  même  temps,  depuis  quelques  années,  les 
fonctions  d'aumônier  au  Gymnase  protestant  de  notre  ville.  Jusqu'à  présent 
M.  Lichtenberger  n'a  pas  encore  rendu  de  services  académiques.  Sa  nomination 
récente  aux  fonctions  de  professeur  du  Séminaire  a  été  un  acte  de  conciliation.  C'est 
un  jeune  théologien  très  instruit,  de  capacités  distinguées  et  qui  a  de  l'avenir  ; 
mais  qui,  quant  au  mérite  et  à  l'ancienneté,  ne  saurait  être  mis  sur  la  même 
ligne  que  ses  deux  concurrents. 

Fait  à  Strasbourg,  en  séance  de  la  Faculté,  les  jour,  mois  et  an  que  dessus. 

Pour  extrait  conforme  : 

Le  Doyen  de  la  Fac.  de  théol.  prot., 

Signé  :  Bruch. 

Pour  copie  conforme  : 

Le  Président  du  Directoire, 

Th.  Braun. 


DÉCLAKATION   DE  COLANI  329 


4.  Lettre  de  M.  Colani  au  Doyen  de  la  Faculté  de  Théologie. 

M.  le  Doyen, 

Depuis  que  j'ai  posé  ma  candidature  à  une  chaire  de  la  faculté  de 
théologie,  quelques  personnes  essaient  de  me  représenter  comme  un  incrédule 
qui  n'a  plus  de  chrétien  que  le  nom.  Il  m'importe  de  repousser  bien  haut  ces 
accusations  déloyales,  contre  lesquelles  protestent  d'ailleurs  mes  sermons  et  mes 
publications  scientifiques. 

Je  suis  chrétien  et  chrétien  protestant. 

Le  christianisme  tel  que  l'enseignent  les  Eglises  issues  de  la  Réforme, 
est  fondé  sur  cette  doctrine,  que  l'homme  n'a  jamais  aucun  mérite  devant 
Dieu,  mais  qu'il  reçoit  tout  d'En  haut  comme  une  grâce  :  cette  doctrine  pro- 
testante du  salut  par  grâce,  je  l'accepte  complètement.  Elle  constitue  à  mes 
yeux  l'essence  de   l'Evangile,  la  vérité  religieuse  par  excellence. 

En  outre,  j'ai  toujours  cru  et  toujours  enseigné  que  l'Evangile  est  une 
vérité  divine,  absolue,  éternelle,  une  révélation  que  Dieu  a  donnée  aux  hommes 
et  qui  ne  sera  jamais  dépassée.  Sans  doute,  avec  Luther,  avec  toute  la  théo- 
logie protestante  moderne,  je  maintiens  le  droit  d'examiner  ce  qui  dans  les 
livres  sacrés,  admis  traditionnellement  par  l'Eglise,  appartient  à  l'Evangile  de 
Jésus-Christ  et  ce  qui  est  un  appendice  humain.  Renoncer  à  ce  droit  serait 
renoncer  au  titre  de  protestant.  D'ailleurs,  je  puis  me  rendre  ce  témoignage 
qu'en  l'exerçant  j'ai  été  au  moins  aussi  réservé  que  Luther  lui-même. 

Je  crois  pleinement  enfin  que  Jésus  est  le  Sauveur  unique  des  hommes; 
et,  si  je  me  permets  de  critiquer  et  de  rejeter  les  canons  des  conciles  qui  ont 
prétendu  définir  sa  nature  humaine  et  sa  nature  divine;  j'accepte  avec  une 
soumission  entière  chaque  parole  qu'il  a  dite  lui,  touchant  sa  personne  et  sa 
mission  et  ses  rapports  avec  le  Père.  En  général,  tout  ce  que  Jésus  a  fait,  dit, 
pensé,  voulu,  senti,  est,  à  mes  yeux,  parfaitement  divin,  sous  une  forme  par- 
faitement humaine. 

On  m'assure  que,  décrié  comme  non-chrétien,  je  le  suis  également  comme 
panthéiste.  Autant  vaudrait  m'accuser  d'être  manichéen  ou  bouddhiste  ou  maho- 
métan ...  Le  Dieu  vivant  et  personnel,  le  Dieu  qui  aime,  qui  pardonne,  le 
Dieu  qui  est  un  Père,  —  voilà  mon  Dieu,  et  non  je  ne  sais  quelle  force  aveugle 
ou  quelle  abstraction  algébrique. 

Ces  explications,  que  je  prends  la  liberté  d'adresser,  par  votre  entre- 
mise, M.  le  Doyen,  à  la  faculté  de  théologie  pour  qu'elle  en  fasse  l'usage  qu'il 
lui  conviendra,  ces  explications  suffisent  sans  doute  pour  démontrer  que  je  ne 
suis  pas  un  incrédule,  mais  un  croyant  très  sérieux  et  très  convaincu.  Ma  foi, 
il  est  vrai,  n'exclut  pas  le  libre  examen,  et  c'est  peut-être  ce  qui  me  dis- 
tingue de  mes  accusateurs. .  . 

Agréez  etc. 

Signé  :    T.  Colani 
pasteur  et  docteur  en  théologie. 

Strasbourg,  le  18  Avril  1864 


330  LA  FACULTE  DE   THEOLOGIE  DE  STRASBOURG 


5.  Extrait  de  la  lettre  de  M.  Kieulen. 

....  Je  suis  attaché  de  cœur  aux  grandes  doctrines  de  l'Eglise  protestante. 
Et  d'abord,  contrairement  au  courant  actuel  des  idées,  je  maintiens  énergique- 
ment  la  personnalité  de  Dieu  et  la  persistance,  après  la  mort,  de  l'âme  hu- 
maine individuelle. 

J'admets  la  révélation  de  l'Ancien  Testament  et  je  la  trouve  dans  la 
croyance  monothéiste  et  dans  l'idée  messianique. 

Je  crois  en  Jésus-Christ,  le  fils  unique  de  Dieu,  le  verbe  incarné,  con- 
formément à  l'Evangile  selon  Saint  Jean.  Je  crois  à  la  résurrection,  comme 
fait  historique  ;  j'accepte  la  possibilité  du  miracle,  sauf  à  discuter  chaque  fait, 
prétendu  miraculeux,  d'après  la  valeur  des  témoignages. 

En  considérant  l'universalité  du  genre  humain  comme  atteinte  du  péché, 
je  trouve  dars  la  justification  par  la  foi  le  principe  fondamental  de  la  théo- 
logie protestante. 

Je  proclame  le  libre  examen  comme  méthode,  ainsi  que  les  droits  de  la 
critique  historique;  j'ai  la  ferme  confiance  que  les  excès  négatifs  auxquels  on 
est  souvent  entraîné,  seront  réfutés  au  moyen  de  cette  méthode  même,  excel- 
lente en  soi,  et  que  jamais  la  critique  ni  le  libre  examen  n'amèneront  l'abandon 
définitif  des  vérités  évangéliques. 

En  somme,  et  pour  formuler  théologiquement  mes  convictions  reli- 
gieuses, je  puis  dire  que  je  me  compte  au  nombre  de  ceux  qui,  tout  en  pre- 
nant leur  point  de  départ  dans  le  système  de  Schleiermacher,  s'attachent,  plus 
que  d'autres,  à  développer  les  croyances  liositives  de  ce  grand  maître. 

Veuillez  agréer,  etc. 

Signé  :    Kienlen,  Dr  en  théoL,  pasteur 

Strasbourg,  le  20  Avril  1864. 


6.  Extrait  de  la  lettre  de  M.  Lichteuberger, 

...  Me  conformant,  en  tout  point,  à  votre  demande,  je  m'empresse  de 
vous  déclarer  que,  par  mes  principes,  j'appartiens  de  cœur  à  une  Eglise  qui 
professe  la  divinité  de  N.  S.  Jésus-Christ,  la  divine  autorité  des  Saintes  Ecritures 
et  la  réalité  de  l'ordre  surnaturel.  Quant  à  mes  tendances  théologiques,  je  me 
réfère  à  ma  vie  pastorale  et  à  mes  écrits  qui,  j'ose  le  croire,  sont  en  accord 
avec  mes  convictions  religieuses. 
Je  suis,  avec  respect,  etc. 

Signé  :   F.  Lichtenbergbr 
Strasbourg,  le  21  Avril  1864. 


7,  Lettre  du  Président  du  Directoire  au  Recteur  de  l'Académie. 

(Minute  de  la  lettre  aux  Archives  du  D»"*) 

...  A  ces  déclarations  explicites  le  Dre,  à  son  tour,  n'a  rien  à  ajouter, 
même  en  ce  qui  concerne  les  opinions  dogmatiques  de  M.  Colani,  les  seules 
qui  soient  l'objet  de  critiques.  Sa  profession  de  foi  y  répond. 


LE   PKESIDENT   DU   DIEECTOIEE  AU   RECTEUR  331 

Le  Dr«,  du  reste,  est  convaincu  qu'il  ne  faut  pas,  de  la  nomination  à 
intervenir,  faire  une  question  dogmatique  seulement:  sur  ce  point,  l'accord 
sera  toujours  difficile  et  il  semble  peu  convenable  de  rendre  le  Gouvernement 
juge  en  pareille  matière. 

Il  faut  prendre  en  grande  considération  l'intérêt  administratif  dans  une 
Eglise  qui  se  divise  en  deux  fractions  principales,  dont  chacune  demande 
satisfaction  et  est  habituée  à  l'obtenir  d'une  autorité  qui  doit  avoir  pour  règle 
une  juste  impartialité. 

Le  Séminaire  vient  lui-même  de  donner  l'exemple  de  cette  justice 
distributive,  véritablement  indispensable  pour  le  maintien  de  la  paix,  en 
nommant  à  Tune  des  deux  chaires  qu'il  avait  à  pourvoir  dans  sa  sec- 
tion de  théologie,  un  candidat  sympathique  à  la  fraction  dite  libérale  de 
l'Eglise,  à  l'autre  chaire,  un  candidat  agréable  à  la  fraction  qui  s'intitule 
orthodoxe. 

C'est  le  désir  que  S.  E.  voulût  bien  en  agir  de  même  qui  avait  fait 
naître  le  vœu  dont  le  D^e  s'était  rendu  l'organe  auprès  de  vous,  M.  le  Rec- 
teur, dans  sa  lettre  du  6  avril  cr.  :  le  vœu  d'une  nomination  simultanée  aussi 
aux  deux  chaires  vacantes  de  la  Faculté,  et,  comme  il  vient  d'arriver  au  Sé- 
minaire, d'un  partage  entre  les  représentants  des  deux  côtés  dogmatiques  qui 
sont  en  compétition. 

Sur  vos  observations,  M.  le  recteur,  le  Dw  a  dû  renoncer  à  le  voir 
se  réaliser,  pour  le  moment  du  moins,  et  nous  sommes  restés  en  présence 
d'une  seule  vacance. 

Les  détails  dans  lesquels  est  entrée  la  Faculté  sur  chacun  des  trois  candi- 
dats qu'elle  propose,  et  la  déclaration  que  je  suis  chargé  de  vous  faire  de  la  part 
du  Dre  d'une  entière  conformité  de  vue  avec  elle  au  sujet  de  ces  trois  théologiens, 
abrègent  cette  lettre. 

A  ne  prendre  les  candidats  que  selon  leur  savoir  et  leur  aptitude  spé- 
ciale, M.  Colani  est  incontestablement  supérieur  et  de  beaucoup  à  ses  deux 
concurrents.  Il  est  juste  de  lui  tenir  compte  aussi  de  services  rendus  comme 
professeur  adjoint  du  Séminaire.  Le  D^e  croit  qu'il  est  de  son  devoir  d'ajouter 
que  non-seulement,  comme  le  dit  la  Faculté,  les  prédications  de  M.  Colani  ré- 
unissent des  fidèles  de  diverses  nuances  religieuses,  et  en  nombre  tel  que  son 
église  n'est  pas  toujours  assez  vaste  pour  les  contenir  tous,  mais  encore  que  ces 
prédications  sont  conformes  aux  principes  religieux  que  M.  Colani,  à  l'occasion 
de  sa  candidature,  vient  d'exposer  à  la  Faculté  et  qui  sont  parfaitement  con- 
nus d'elle,  et  que  ces  mêmes  prédications  ne  justifient  pas  les  attaques  des 
adversaires  théologiques  de  l'orateur  éminent,  tout  particulièrement  qualifié 
pour  une  chaire  d'éloquence  sacrée,  spécialement  en  vue  des  progrès  de  la 
langue  française  en  Alsace. 

Que  s'il  fallait  faire  abstraction  de  titres  aussi  bien  établis  et  ne  s'ar- 
rêter qu'aux  opinions  dogmatiques,  comme,  endehors  de  la  Faculté  de  théologie 
et  de  l'autorité  légale  de  l'Eglise,  on  semble  le  demander,  le  Dre  croit  pou- 
voir espérer  que  même  dans  le  cercle  restreint  d'appréciation  S.  E.  ne 
verra  dans  la  profession  de  foi  de  M.  Colani  rien  qui  doive  le  faire  déchoir 
du  rang  que  la  Faculté  lui  a  assigné  dans  ses  propositions,  auxquelles  le  D^e 
s'associe 


332  LA  FACULTÉ  DE   THEOLOGIE  DE  STEASBOUKG 

8.  Extrait  du  Registre  des  délibérations  de  la  Faculté 
de  théologie  protestante  de  Strasbourg. 

(Arch.  du  Directoire.) 

Procès-verbal  de  la  séance  du  15  Décembre  1864.  Présents:  MM.  Bruch» 
doyen,  Richard,  Schmidt,  Colani  et  Lichtenberger,  professeurs. 

La  Faculté  prend  connaissance  d'une  lettre,  en  date  du  8  Dec,  par  laquelle 
M.  le  Recteur  informe  M.  le  Doyen  que  S.  E.  M.  le  Ministre  de  l'Instruction 
publique  a  résolu  de  pourvoir  d'une  manière  définitive  à  la  chaire  d'exégèse 
que  M.  Reuss  occupe  à  titre  de  chargé  de  cours. 

Il  résulte  d'un  exposé  fait  par  M.  le  Doyen  qu'aucun  candidat  ne  s'est 
porté  concurrent  de  M.  Reuss  pour  cette  chaire. 

Après  avoir  constaté  cette  abstention  générale  et  significative,  la  Faculté 
entre  en  délibération. 

Tous  les  membres  de  la  Faculté  (dont  deux  ont  été  élèves  de  M.  Reuss) 
proclament  ses  titres  éclatants  à  cette  chaire.  M.  Reuss  a  été  chargé  en  1838 
du  cours  de  morale  et  l'a  fait,  avec  un  rare  succès,  jusqu'à  la  fin  de  la  der- 
nière année  scolaire.  Un  décret  impérial  du  17  Juin  est  venu  alors  l'appeler  à 
professer  l'exégèse  biblique  qu'il  enseignait  déjà  au  Séminaire  protestant  de- 
puis 1828,  et  pour  laquelle  il  est,  de  l'aveu  de  tous,  un  prince  de  la  science. 
Son  nom  fait  autorité  partout  où  s'étend  la  théologie  protestante.  Aussi  la 
Faculté  déclare-t-elle  hautement  que,  si  elle-même  jouit  de  quelque  réputation 
dans  notre  pays,  ainsi  qu'en  Allemagne,  en  Hollande  ou  en  Angleterre,  elle  le  doit 
en  grande  partie  à  l'enseignement  éloquent  et  aux  beaux  travaux  de  M.  Reuss. 

...  Le  mérite  exceptionnel  de  M.  Reuss  n'est  pas  resté  sans  récompense. 
Non  seulement  il  a  été  appelé  par  la  confiance  de  ses  coreligionnaires  à  siéger 
au  Consistoire  supérieur  de  l'Eglise  de  la  Confession  d'Augsbourg  et  à  prendre  la 
haute  direction  du  Gymnase  protestant,  principale  école  secondaire  de  cette 
Eglise,  mais  le  Gouvernement  impérial  l'a  aussi  nommé  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur,  le  13  Août  1862.  Dès  l'année  1843,  l'Université  d'Iéna  l'a  créé  Docteur 
en  théologie,  dignité  qui  ne  se  décerne,  au-delà  du  Rhin,  qu'à  des  hommes 
d'un  mérite  supérieur  ;  la  Faculté  vient  d'apprendre,  avec  une  vive  satisfac- 
tion, par  la  lettre  de  M.  le  Recteur,  que  S.  E.  M.  le  Ministre  de  l'Instruction 
publique  se  propose  de  déclarer  ce  diplôme  d'Iéna  équivalent  au  diplôme  fran- 
çais. Ainsi  disparaîtra  le  seul  obstacle,  sans  doute,  qui  ait  empêché  jusqu'ici 
de  conférer  à  M.  Reuss  un  titre  définitif. 

Ayant  examiné  et  constaté,  comme  il  vient  d'être  dit,  les  services  émi- 
nents  du  seul  candidat  dont  le  nom  ait  été  prononcé,  la  Faculté  passe  au 
scrutin  secret.  A  l'unanimité, 

elle  présente  M.  Reuss 

et,  vu  le  caractère  exceptionnel  de  cette  candidature,  elle  prie  S.  Ex.  M.  le 

Ministre  de  l'Instruction  publique  de  ne  pas  insister  sur  la  présentation 

d'un  2e  nom. 

Le  Doyen,    Signé  :    Bruch. 
Le  Secrétaire,   Signé:    Colani. 

Pour  copie  conforme  : 
Le  Président  du  Dre,   Th.  Braun. 


TABLE   DES   MATIERES 


Préface V 

PREMIÈRE  PÉRIODE 
1803-1820 

Chapitre  I 
Création  de  l'Académie  protestante.  —  Son  ouverture  publique 1 

Chapitre  II 
Les  membres  de  l'Académie  protestante.  —  Blessig,  Haffner,  Koch  ...       li 

Chapitre  III 

Premiers    changements    dans  le  personnel    enseignant.    —    Professeurs 

suppléants  et  professeurs  agrégés ^ 

Chapitre  IV 
Le  mode  de  nomination  des  professeurs.  —  Leur  traitement 61 

Chapitre  V 
Programmes  et  plans  d'études.  —  Règlements  de  discipline 71 

Chapitre  VI 

Le  Séminaire  corps  administratif.  —  Le  chapitre.  —  La  fondation  de 
Saint-Thomas.  —  Le  Gymnase.  —  Le  Collège  de  Saint-Guillaume. 
—  La  Bibliothèque.  —  Les  Bourses 87 

Chapitre  VII 
La  création  de  la  Faculté  de  théologie.  —  Ses  débuts 109 

DEUXIÈME  PÉRIODE 
1821-1864 

Chapitre  I 

Hommes  nouveaux  et  nouvel  esprit,  Matter  et  Bruch.  —  Renforcement 
du  corps  enseignant  par  des  professeurs  suppléants  ou  agrégés: 
Théodore  Fritz,  André  Jung,  Joseph  Willm 128 


334  TABLE  DES  MATIERES 

Chapitre  II 

Trois  chaires  vacantes  à  la  Faculté.  —  Difficulté  d'y  pourvoir.  —  Au 
Séminaire  le  personnel  enseignant  est  renforcé:  Edouard  Reuss. 
Charles  Schmidt,  Edouard  Cunitz,  Guillaume  Baum.  —-  La  Faculté 
complète  avec  six  professeurs 141 

Chapitre  IÏI 

Rapports  avec  TAllemagne  théologique  et  avec  la  France  protestante.  — 

Activité  littéraire  des  professeurs  du  Séminaire  et  de  la  Faculté.  .      164t 

Chapitre  IV 

Séminaire  et  Faculté.  —  Cours  dans  les  deux  langues.  —  Extension  de 
l'enseignement.  —  Sociétés  philologique  et  théologique.  —  Examen 
de  candidat  et  baccalauréat  en  théologie.  —  Discussions  sur  l'état 
des  études  et  de  la  discipline 173 

Chapitre  V 
La  Faculté  de  théologie  menacée  dans  son  existence 187 

Chapitre  VI 
L^année  18^ - 192 

Chapitre  VII 

Attaques  ultramont  aines  contre  le  droit   de   propriété   du   Séminaire.  — 

Réponses  des  protestants.  —  Décision  du  Conseil  d'Etat 198 

Chapitre  VIII 

La  Faculté  et  le  Séminaire  de  1850  à  1860.   --  Les  professeurs.   —  Les 

étudiants 210 

Chapitre  IX 

Nouveaux   débats  sur  la  discipline  et  les  études.   —   Attaques  contre  le 

Séminaire  et  son  enseignement 231 

Chapitre  X 

Timothée  Colani.  —  La  Revue  de  théologie.   —   Colani  chargé  de  cours 

au  Séminaire.  —  Protestations  de  l'orthodoxie 241 


TROISIÈME  PÉRIODE 
1864-1872 

CHAPITRE   I 

Nouvelles  vacances  au  Séminaire  et  à  la  Faculté.  —  Revendications 
orthodoxes.  —  Lutte  entre  les  tendances  libérale  et  conservatrice. 
—  Colani  et  Lichtenberger ■  .   ,   .   .      251 


TABLE   DES   MATIÈRES  335 

Chap.trb  II 

L'année  1869-1870.  —  Auguste  Sabalier.  —  Le  Séminaire   et  la  Faculté 

de  théologie  à  leur  apogée 266 

Chapitre  III 

La  guerre  de  1870.  —  Dissolution  de  la  Faculté  de  théologie  et  du  Sémi- 
naire protestant 283- 

Conclasion 295 


PIEGES  JUSTIFICATIVES 

I.   PlÈCJBS  RELATIVES   A  l'ACADÉMIB  PROTESTANTE 

lo  Loi  organique  du  18  Germinal  an  X *   .   .  297 

2o  Articles  organiques  de   l'Académie  des  Protestants   de  la  Confession 

d'Augsbourg,  30  Floréal  an  XI 297 

30  Premier  programme  des  cours  de  l'Académie  protestante 29S 

II.  Pièces  relatives  a  la  création  de  la  Faculté  de  théologie 

1°  Lettre  de  M.  Koch  à  M.  Cuvier 302" 

2o  Extrait  d'une  lettre  de  M.  Koch  à  M.  Darbaud 304r 

3°  Bases  d'un  Concordat  préparatoire  et  préalable  à  l'organisation  de  la 

Faculté  de  Théologie  protestante  de  l'Académie  de  Strasbourg  .   ,      304 

40  Déclaration  du  Directoire  sur  un  projet  de  convention  pour  la  réunion 
en  une  seule  et  même  Faculté  des  deux  cultes  de  la  Confession 
d'Augsbourg  et  helvétique 305 

5*  Délibération  des  Professeurs  sous-signés  sur  le  projet  d'une  Faculté 
théologique  composée  de  membres  de  la  Confession  d'Augsbourg  et 
helvétique 307 

60  Rapport  du  Directoire  sur  les  considérations  qui  peuvent  nous  faire 
désirer  la  prompte  création  d'une  Faculté  de  théologie  protestante 
à  Strasbourg 309 

70  Lettre  du  Président  du  Directoire  à  S.  E.  Monsieur  le  Comte  de  Fon- 

tanes,  grand  maître  de  l'Université  impériale 310 

80  Note  sur  les  motifs  pour  lesquels  le  Séminaire  protestant  pourrait 
demander  la  continuation  de  son  entière  indépendance  dans  le  cas 
où  il  serait  question  de  le  changer  en  une  Faculté  de  Théologie 
de  rUniversité  de  France  ou  d'établir  une  telle  Faculté  dans  son  sein    312 

9®  Réflexions  sur  la  formation  d'une   Faculté  de  Théologie   protestante 

dans  l'Académie  Royale  de  Strasbourg 313 

10«  Copie  de  l'arrêté  du  Ministre  qui  confirme  celui  de  la  Commission 
d'Instruction  publique  sur  l'établissement  d'une  Faculté  de  Théo- 
logie à  Strasbourg 316 

III.  Pièce  relative  aux  revendications  ultramontaines 
Observations  sur  quelques  passages  du  Mémoire  du  chapitre  de  la  Cathé- 
drale de  Strasbourg,   tendant  à  la  revendication  des  bâtiments  du 
Séminaire 318 


336  TABLE  DES  MATIERES 

IV.  Critique  de  l'enseignement  du  Séminaire  et  de  la  Faculté 

DE   THÉOLOGIE 

Extrait  d'une  lettre  du  pasteur  Cuvier  de  Paris  au  Président  du  Directoire    320 
V.  Protestation  contre  les  ingérences  de  l'orthodoxie 

PARISIENNE 

Protestation  de  notables  strasbourgeois  contre  la  prétention  de  l'ortho- 
doxie parisienne  d'empêcher  deux  savants  de  mérite  (Colani  et 
Cunitz)  d'être  nommés  au  Séminaire 322 

YI.  Pièces  relatives  aux  présentations  et  nominations 
AUX  chaires  vacantes  en  1864; 

lo  Lettre  du  Président  du  Directoire  au  Recteur  de  l'Académie.  .   .       .  325 

2o  Lettre  du  Recteur  de  l'Académie  au  Président  du  Directoire 326 

3°  Arrêté  de  la  Faculté  de  Théologie  protestante 327 

40  Lettre  de  M.  Colani  au  Doyen  de  la  Faculté  de  Théologie 329 

50  Extrait  de  la  lettre  de  M.  Kienlen 330 

60  Extrait  de  la  lettre  de  M.  Lichtenberger 330 

70  Lettre  du  Président  du  Directoire  au  Recteur  de  l'Académie 330 

80  Extrait  du  registre  des  délibérations  de  la  Faculté  de  Théologie  pro- 
testante de  Strasbourg , 332 


Imprimerie  Alsacieiine,  Strasbourg. 


274.4383  G377F  c.1 

Gerold  #  La  Faculté  de 
Theoloaie  et  le  Séminaire 

3  0005  02065471  4 


274.4383 

G377F 
Gerold 

La  Faculté  de  Théologie  et  le 
séminaire  Protestant  de 
Strasbourg  (1803-1872) 


274.4383 

G377F 
Gerold 

La  Faculté  de  Théologie  et  le 
Séminaire  Protestant  de  Strasbourg 
(1803-1872) 


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paraît  tous  les  deux  mois.  Prix  de  l'Abonnement:  20  fr.  par  an. 

Secrétariat  de  Rédaction:   A.  Causse    et  Ch.  Ha"TOER,  professeurs  à 

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