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— Euripides
HINDING LIST JM 1
y
LA FAMILLE
N
TARIEU DE LANAUDIÈRE
PAR
\
PIERRE-GEORGES ROY
Les larmes ne coulèrent
jamais de mes yeux.
Madeleine db Vebchères
Nos cœurs à la Frauce,
nos bras à l'Angleterre.
Marguerite de Lanaudièrb
1922
V
GRANDE FAMILLE, GRANDE RACE,
GRAND NOM
J'appelle grande famille, grande race,
grand nom, ces familles, ces races, ces noms,
que de mémorables services rendus au pays, à
quelque époque que ce soit, ont fait historiques,
qui ont conquis leur illustration par la gloire
des armes dans les camps ; par leur habileté
dans les hautes négociations et dans le manie-
ment des affaires politiques, et par l'éclat des
talents et quelquefois du génie,dans les sciences,
dans les lettres ; enfin dans la magistrature ou
dans l'Eglise, par la sainteté des mœurs et la
grandeur du caractère.
Voilà ce que j'appelle les grandes familles,
les grandes races d'un pays. Eh bien ! je
l'avouerai sans détour, ces grandes familles, je
les aimeje les respecteje les vénère,parce que
j'aime, je respecte, je vénère les grands souve-
nirs et les grandes choses. Je ne sache pas une
nation dont elles ne soient la force et la gloire,
et qui n'ait une inclination naturelle à leur
donner ses chefs, ses guerriers, ses ministres,
ses premiers magistrats, ses administrateurs.
Il y a là peut-être préjugé, mais il est profond ;
et, sauf les temps de trouble où ce préjugé se
tourne quelquefois en haine, on y revient
toujours.
Un grand nom, sans doute, c'est l'héritage
d'une famille et un homme illustre, en donnant
à ses fils, l'éclat de la naissance, leur impose
aussi l'obligation de ses vertus ; car noblesse
oblige, suivant un axiome d'honneur tout fran-
çais. Mais un grand nom, un grand homme,
c'est aussi la gloire d'une nation, c'est la gloire
de l'humanité même : par cette raison profonde
que c'est un nom, c'est un homme en qui la
Providence a fait resplendir ses dons, et que
tous réclament leur part de cet honneur fait à
la nature humaine. Voilà pourquoi l'instinct
national honorera toujours les noms glorieux
et les grandes races.
Mgr DUPANLOUP (1)
(1) De l'éducation, tome premier, p. 228.
Première génération : Thomas-Xavier Tarieu de Lanau-
dière.
LA FAMILLE TARIEU DE
LANAUDIERE
THOMAS-XAVIER TARIEU DE
LANAUDIERE
Quatre mois avant sa mort, l'illustre fon-
dateur de Québec, Champlain, demandait au
roi de lui envoyer une centaine de soldats afin
de forcer les Iroquois à cesser leurs dépré-
dations.
Les gouverneurs qui lui succédèrent firent
tour à tour la même demande. Le roi envoyait
bien quelques soldats de temps en temps, mais
jamais en assez grand nombre pour en imposer
aux Iroquois.
Colbert se décida enfin à frapper un grand
coup, et, le 18 mars 1664, il informait M. de
Mézy que le roi allait envoyer à la fin de Tannée
ou au commencement de 1665, un régiment
d'infanterie, afin de réduire entièrement les
Iroquois.
Le régiment de Carignan débarqua à Qué-
bec au cours de l'été de 1665. On sait quels
services ce régiment rendit à la colonie.
Plusieurs des officiers et des soldats du
régiment de Carignan décidèrent de s'établir
dans la Nouvelle-France.
Au nombre des premiers nous devons comp-
ter Thomas-Xavier Tarieu de Lanouguère ( 1 )
ou de Lanaudière, enseigne dans la com-
pagnie de Saint-Ours. Il était fils de messire
Jean de Tarieu et de dame Jeanne de Samalins,
de la petite ville de Mirande,archevêché d'Auch,
en Guienne. Sa famille, de vieille noblesse fran-
çaise, était alliée aux ducs de Mortemart, aux
comtes de Maleuvrier et à la vieille famille de
Montet.
Lorsque le chevalier Charles de Lanau-
dière passa en France après la conquête, il
renoua des relations avec toutes ces familles
illustres. Dans une lettre datée de Londres, le
S septembre 1786, il est dit au sujet du cheva-
lier de Lanaudière, alors en France :
" Madame la duchesse de Mortemart le
voit beaucoup quand elle est à sa terre de Man-
neville, en Normandie, et qu'il est chez M. de
Boishébert, son oncle, qui demeure au château
de Rastot. M. de Montet, qui demeure à Bois-
le-Clerc, est son parent. M. le comte de Maleu-
vrier, ministre à Cologne, est son parent." (2)
L'intendant Talon, qui avait de si grandes
vues, était d'opinion que l'Acadie pouvait con-
tribuer à fortifier puissamment la Nouvelle-
France. Le plus grand avantage de l'Acadie en
(1) Thomas-Xavier Tarieu de Lanaudière signait Lanou-
guère. Son petit-fils adopta la forme plus moderne Lanau-
dière que ses descendants ont conservée.
(2) M. de Gaspé, Mémoires, p. 93.
faveur de la Nouvelle-France, d'après Talonf
était que ses ports de mer étaient libres en
toute saison. De là, le projet de Talon d'ouvrir
au plus vite des communications plus promptes
et plus sûres entre le Canada et l'Acadie.
Le bassin de la rivière Penobscot, à l'em-
bouchure de laquelle se trouvait le fort de Pen-
tagoùet, communiquait dans l'intérieur avec
celui du Kennebec par le portage de Kidiscuit,
et en remontant la rivière Kennebec et un de
ses affluents (la Moose River de nos jours), on
parvenait jusqu'à la hauteur du bassin supé-
rieur de la rivière Chaudière, que l'on gagnait
par un nouveau portage, et par laquelle on
descendait jusque dans le fleuve Saint-Laurent,
un peu en haut de la Pointe-Lé vy. Ce trajet ne
dépassait guère cent vingt-cinq lieues.
En 1670, M. Talon chargeait son secré-
taire, M. Patoulet, de dresser un rapport sur
cette route communément appelée le chemin de
Kennebec.
Au mois de septembre 1671, M. Talon
envoyait MM. Daumont de Saint-Lusson et de
Lanaudière pour faire une exploration en
règle du chemin projeté entre l'Acadie et la
Nouvelle-France. Tous deux partirent en canot,
mais ils ne rirent pas route ensemble. Les deux
explorateurs revinrent à Québec tard dans
l'automne de 1671. (1)
(1) Benjamin Suite, Histoire des Canadiens-Français,
tome IV, p. 148. Il est juste d'ajouter que M. Thomas Chapais
(Jean Talon, p. 366), dit que cette mission fut confiée à M.
de Lanoraie. Dans un vieux manuscrit à l'écriture difficile
à défricher on peut facilement lire Lanaudière au lieu de
Lanoraie.
8
C'est probablement pour récompenser M.
de Lanaudière du rude voyage qu'il avait fait
à Pentagoùet et l'attacher davantage à son
pays d'adoption, que, le 29 octobre 1672,
l'intendant Talon lui concédait une superbe
seigneurie sur la rive nord du Saint-Laurent,
à vingt lieues de Québec. Cette concession était
faite conjointement à M. de Lanaudière et à
son ami et compagnon d'armes du régiment de
Carignan, Edmond de Suève.
Il était dit dans les lettres de concession
accordées à MM. de Lanaudière et de Suève :
14 Sa Majesté ayant de tout temps recher-
ché avec soin et le zèle convenable au juste titre
de fils aîné de l'Eglise, les moyens de pousser
dans les pays les plus inconnus, par la propaga-
tion de la foi et la publication de l'Evangile, la
gloire de Dieu avec le nom chrétien, fin pre-
mière et principale de l'établissement de ia
colonie française en Canada, et par accessoire
de faire connaître aux parties de la terre les
plus éloignées du commerce des hommes
sociables la grandeur de son nom et la force de
ses armes, et n'ayant pas estimé qu'il y en eut
de plus sûrs que de composer cette colonie que
de gens capables de la bien remplir par les
qualités de leurs personnes, l'augmenter par
leurs travaux et leur application à la culture
des terres, et de la soutenir par une vigoureuse
défense contre les insultes auxquelles elle pour-
rait être exposée dans la suite des temps, a fait
passer en ce pays bon nombre de ses fidèles
sujets, officiers de ses troupes dans le régiment
de Carignan, et autres, dont la plupart se con-
forment aux grands et pieux desseins de Sa
Majesté, voulant bien se lier au pays en y for-
mant des terres et seigneuries d'une étendue
proportionnée à leurs forces, et les sieurs de
Suève, lieutenant, et Lanauguerre (Lanau-
dière), enseigne d'une compagnie d'infanterie,
nous ayant prié de leur en départir, Nous, en
considération des bons, utiles et louables
services qu'ils ont rendus à Sa Majesté en
différents endroits tant en l'Ancienne France
que dans la Nouvelle depuis qu'ils y sont passés
par ordre de Sa Majesté, et en vue de ceux
qu'ils témoignent vouloir encore rendre ci-
après, en vertu du pouvoir par elle à nous donné
avons accordé, donné et concédé, accordons,
donnons et concédons par ces présentes aux
dits de Suève et Lanauguerre (Lanaudière),
l'étendue de la terre qui se trouvera sur le fleuve
Saint-Laurent au lieu dit des Grondines, depuis
celles appartenantes aux Religieuses de l'Hôpi-
tal, jusqu'à la rivière Sainte-Anne, icelle com-
prise, sur une lieue de profondeur, avec la
quantité de terre qu'ils ont acquise du sieur
Amelin (Hamelin), par contrat passé par
devant le notaire " ( 1 )
MM. de Suève et de Lanaudière devaient
jouir de leur concession en fief, seigneurie et
justice, à la charge de la foi et hommage au
château Saint-Louis de Québec.
(1) Pièce* et documents relatifs à la tenure seigneuriale,
p. 10.
10
En 1673, le gouverneur de Frontenac déci-
dait de bâtir un fort sur les bords du lac Onta-
rio pour surveiller les mouvements des Iroquois.
Vers la fin de juin de cette année, M. de Fron-
tenac partait de Montréal, afin de mettre son
projet à exécution le plus tôt possible. La
flottille qui conduisit le gouverneur au lac On-
tario se composait de quatre bateaux plats et de
cent vingt canots, qui portaient six canons et
quatre cents hommes.
M. de Lanaudière fit partie de cette expé-
dition. Au témoignage de M. de Frontenac
même, il s'y conduisit de brillante façon.
A son retour de ce périlleux voyage, le gou-
verneur de Frontenac attachait M. de Lanau-
dière à sa personne en le nommant lieutenant
de ses gardes. Cet emploi militaire était très
recherché.
On sait les difficultés qui s'élevèrent en
1674, entre M. François-Marie Perrot, gouver-
neur de Montréal, et M. de Frontenac, gou-
verneur de la Nouvelle-France. Celui-ci garda
Perrot en prison pendant dix mois à Québec,
puis Tenvoya en France.
Le 10 février 1674, M. de Frontenac don-
nait la commission suivante à M. de Lanau-
dière :
" Les plaintes et les avis que nous avons
sus de la mauvaise conduite du sieur Perrot,
gouverneur particulier de l'île et de la ville de
Montréal, et ses contraventions aux ordres de
Sa Majesté et aux nôtres, nous ont obligé de
le mander en cette ville et de nous assurer de
— 11 —
sa personne. Comme la santé et l'âge du sieur
Dupuy, major du dit lieu, ne lui permettent pas
d'agir avec toute la diligence requise pour faire
arrêter et punir les coureurs de bois et empêcher
les autres désordres qui se commettent dans ce
gouvernement : nous avons estimé qu'il était
nécessaire d'y commettre quelque personne
fidèle et agissante, et nous ne pouvons faire
un meilleur choix que du sieur LaNauguère,
qui, ayant déjà fait paraître, dans tous les
emplois de guerre qu'il a eus en France et dans
ce pays, beaucoup de zèle et d'affection pour
le service de Sa Majesté, nous fait prendre une
entière confiance en sa fidélité, sa capacité et sa
bonne conduite, et nous donne lieu de croire
qu'il fera exécuter les ordres du Roi et les
nôtres avec soin et vigueur. Nous l'établissons
donc commandant dans la ville et l'île de Mont-
réal pendant que le sieur Perrot en sera absent,
et jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné
par Sa Majesté ou par nous. Nous lui donnons
pouvoir d'assembler, quand il jugera bon, les
officiers, bourgeois, habitants, soldats et milices
de ces lieux, de leur faire prendre les armes et
de veiller à ce qu'ils en apprennent le manie-
ment, en faisant de temps en temps l'exercice :
comme aussi de terminer à l'amiable, autant
qu'il se pourra, les différents des particuliers ;
d'empêcher les désordres, les pilleries, les vio-
lences, et principalement les courses et traites
dans les bois, sans une permission expresse de
nous par écrit ; de poursuivre et de faire
arrêter les contrevenants, et de nous les envoyer
— 12 —
sous bonne et sûre garde ; de changer même de
garnison, s'il le trouve à propos ; de casser ceux
de qui la fidélité serait suspecte, d'en mettre
d'autres à leur place ; enfin de faire observer à
tous une exacte discipline, et généralement de
faire tout ce qu'il croira de meilleur et de plus
avantageux pour le service de Sa Majesté, la
conservation et la défense du pays, l'augmen-
tation de la colonie, et pour maintenir les habi-
tants de la ville et ceux de l'île de Montréal en
bonne intelligence et en union tant entre eux
qu'avec les Sauvages. Nous mandons au sieur
Dupuy, major, de faire reconnaître par les
officiers et soldats de la garnison le sieur de
LaNauguère en qualité de commandant, et
ordonnons aux seigneurs, aux juges, aux offi-
ciers et aux habitants de toute l'étendue de ce
gouvernement qu'ils aient pareillement à le
reconnaître en cette qualité, et à lui obéir en
tout ce qu'il commandera pour le service de Sa
Majesté et pour l'exécution de nos ordres." (1)
Comme les lettres de commandement don-
nées à M. de Lanaudière, sans la participation
des seigneurs de Montréal, pouvaient porter
atteinte au droit que les lettres patentes du roi
de 1644 attribuaient à eux seuls de commettre
tel capitaine ou gouverneur particulier qu'ils
voudraient nommer, ceux-ci jugèrent que, sans
s'opposer à la commission de M. de Lanaudière,
ils devaient protester juridiquement qu'elle ne
pourrait nuire ni tirer à conséquence. Ils firent
cette protestation devant leur juge, M. d'Aille-
(1) Archives du séminaire de Ville-Marie,! 0 février 1674.
13
boust, au commencement de mars 1674, par leur
procureur fiscal, M. Migeon de Bransac. (1)
Le 14 novembre 1674, M. de Frontenac
écrivait au ministre :
" Je dois vous dire que j'ai obligation aux
soins que le sieur de la Nouguère (Lanaudière),
que j'ai mis commandant à Montréal en
l'absence de M. Perrot, a pris et prend tous les
jours pour l'observation des ordres du Roi et
des miens dans un lieu d'où provenait la source
du mal et comme aussi au sieur de Verchères,
enseigne, qui a fait cette expédition à 200 lieues
de Montréal, s'en étant l'un et l'autre acquittés
d'une manière qui mérite assurément quelque
récompense lorsque le Roi voudra songer à ce
pays. Cela ne leur a pas attiré, non plus qu'à
moi, l'affection de beaucoup de gens, mais
quand j'ai entrepris la chose, je m'y suis attendu
et n'ai point craint de m'exposer à tout ce qui
pourrait arriver pourvu que j'exécutasse les
ordres qu'il me paraissait que Sa Majesté avait
si fort à cœur, dans la confiance que j'en ai eue
de l'honneur de sa protection."
Dans cette même lettre du 14 novembre
1674, M. de Frontenac proposait de remplacer
le major de Montréal, vieux et malade, par M.
de Lanaudière :
" Je vous ai déjà mandé, écrivait-il, que le
major qui est à Montréal est si vieux qu'il est
hors d'état de pouvoir servir et il se trouve
même si mal d'une chute qu'il a faite, que je
(1) Faillon, Histoire de la Colonie Française, vol. III,
p. 484.
-14- /
ne crois pas qu'il passe l'hiver. Si vous aviez
agréable d'en gratifier le sieur Lanouguère
(Lanaudière), lorsque vous le retirerez du
commandement de Montréal et que les affaires
de M. Perrot seront terminées, personne ne
s'en acquitterait mieux que lui ; sinon, je vous
proposerais le lieutenant de mes gardes qui a
une inclination de se marier et de s'habituer en
ce pays. Il est fils du ministre de Neufchâtel et
je le convertis en Candie où il servit auprès
de moi d'aide de camp avec beaucoup de valeur
et d'expérience. Je l'avais trouvé officier dans
le régiment de Maron (?) et le pris parce qu'il
était fort entendu aux mines. Depuis il a eu une
enseigne dans une des compagnies franches que
le Roi leva en Suisse il y a quatre ou cinq ans
et ne l'a quittée que pour me suivre au
Canada." (1)
M. de Lanaudière resta commandant à
Montréal jusqu'au retour de M. Perrot dans
son gouvernement en 1675. (2)
Le gouverneur de Frontenac, pour mar-
quer à M. de Lanaudière sa satisfaction du
commandement qu'il avait exercé à Montréal,
lui donna dès son retour à la capitale une belle
promotion. Il le nomma capitaine de ses
gardes. (3)
(1) Archives publiques du Canada, Correspondance gé-
nérale.
(2) Presque tous nos auteurs donnent M. de Lanaudière
comme gouverneur de Montréal. Comme on le voit par la
commission même de M. de Lanaudière publiée ici, le brave
militaire ne fut que commandant de Montréal.
(3) Jugements et délibérations du Conseil Souverain.
— 15 —
M. de Lanaudière décéda à Québec au
mois de mai 1678. (1)
M. de Lanaudière avait épousé à Québec,
le 16 octobre 1672, Marguerite-Renée Denys,
fille de Pierre Denys de la Ronde et de Cathe-
rine LeNeuf. (2)
Comme la plupart des officiers qui mou-
raient dans la Nouvelle-France, M. de Lanau-
dière laissa plus de gloire que de fortune à sa
veuve.
Celle-ci, qui était mère de trois enfants, se
retira dans sa seigneurie de Sainte-Anne afin
de demander à la terre sa subsistance et celle
de ses enfants.
Le recensement de 1681 nous donne de
précieux renseignements sur la seigneurie de
Sainte-Anne. On y voit madame veuve de La-
naudière, âgée de 25 ans, avec ses trois enfants
et ses trois domestiques, Louis Gillet, âgé de
20 ans ; Alexandre Petit, âgé de 18 ans ; Jean-
Paul Maçon, âgé de 35 ans. Dans la maison
on garde trois fusils. L'étable contient quatorze
bêtes à cornes. Vingt-six arpents de la terre
de la seigneuresse sont en valeur.
Le même recensement donne les noms de
tous les habitants établis dans la seigneurie. Ce
sont Mathurin Tessier, 22 arpents en valeur ;
(1) Ce renseignement nous est donné par l'inventaire
de ses biens meubles, etc., etc., dressé par le notaire Duquet,
le 3 juin 1678. L'absence de l'acte de sépulture de M. de
Lanaudière aux registres de l'état civil de Québec nous
permet de supposer qu'il fut inhumé dnas sa seigneurie de
Sainte-Anne.
(2) Contrat de mariage devant Romain Becquet, notaire
à Québec, le 12 octobre 1672.
— 16 —
Pierre Pinot dit Laperle, 7 arpents en valeur ;
Mathurin Gouin, 20 arpents en valeur ; Pierre
Lamoureux, 2 arpents en valeur ; Julien Bion ;
Pierre- Jean Gendron, 4 arpents en valeur ;
Jean Richard, 6 arpents en valeur ; Simon-
Pierre Denis ; Pierre Levesque, 12 arpents en
valeur ; Jacques Hudes ; Moïse Faure, 4 arpents
en valeur ; Pierre Cartier, 4 arpents en valeur ;
Louis Faucher, 3 arpents en valeur ; Michel Le
Roy dit Chatellereau, 4 arpents en valeur ;
Michel Feuillon, 6 arpents en valeur ; Jean
Picard, 10 arpents en valeur ; Jean LeMoyne,
40 arpents en valeur ; Jean Cevelle, 4 arpents
en valeur ; Gilbert LeRoux, 4. arpents en
valeur ; Pierre Baubriau, 3 arpents en valeur.
Fvdmond de Suève, co-seigneur, habitait aussi
la seigneurie. Comme il n'était pas marié, il ne
s'occupait pas de culture. Le recensement se
contente de noter qu'il avait trois fusils (1).
M. de Frontenac, qui n'avait pas oublié la
veuve de l'ancien capitaine de ses gardes, lui
accorda au printemps de 1682 un des vingt-cinq
congés de traite que le roi lui avait permis de
donner aux chefs de famille dans le besoin.
Le document suivant nous apprend que
madame de Lanaudière confia ce congé de traite
à trois habitants de sa seigneurie et à François
Langlois, habitant de Verchères :
"Ce 19 juin 1682, est comparu (au greffe
de Montréal) le sieur Saint-Germain, habitant
de la seigneurie de Sainte-Anne, lequel a dit
(1) Benjamin Suite, Histoire des Canadiens-Français,
tome V, p. f>0.
17
qu'il allait partir pour les 8ta8ak soubs deux
congés, l'un de mademoiselle Denis l'autre de
mademoiselle Lanaudière, celui de Mlle Denis
et avec luy conduisent les canots le sieur Saint-
Pierre Denis, Pierre Cartier, Thomas Drouin,
François Langlois, tous habitans ou demeurant
à Sainte- Anne, à la réserve du dit Langlois,
habitant de Varennes, et a signé le dit compa-
rant.
SAINT-GERMAIN,
Maugue. (1)
Le 4 mars 1697, MM. de Frontenac et
Bochart Champigny concédaient à madame
veuve de Lanaudière trois iieues de terre de
profondeur derrière la terre et seigneurie de
Sainte-Anne sur toute la largeur d'icelle et celle
des sieurs de Suève et Hamelin avec les îles,
îlets et battures non concédés qui se trouve-
raient dans la dite étendue, la dite concession à
titre de lief et seigneurie, avec haute, moyenne
et basse justice, avec droit de chasse, pêche et
traite dans toute son étendue. (2)
Un mois plus tard, le 6 avril 1697, madame
de Lanaudière obtenait de MM. de Frontenac
et Bochart Champigny la concession des îles
qui se trouvaient devant sa terre de Sainte-
Anne. Il est dit dans l'acte de concession : " Sur
la réquisition à nous faite par dame Marguerite
Denis, veuve du sieur de Lanaudière, de vou-
loir lui accorder les îles qui se trouvent devant
(1) Document en la possession de l'auteur.
(2) Pièces et documents relatifs à la tenurê seigneurial?,
p. 429.
18
sa terre de Sainte-Anne, et à l'entrée de sa
rivière, et, entr'autres celle où est son moulin,
appelée l'île du Large, attendu qu'il n'en a été
fait aucune mention dans l'acquisition faite du
sieur Gamelin (Hamelin) en l'année mil-six-
cent-soixante-dix, ni dans le titre de M. Talon,
pour lors intendant en ce pays, qui autorise la
dite vente, en mil-six-cent-soixante-et-douze, à
quoi ayant égard " (1)
Les difficultés que lui firent ses voisins au
sujet de la propriété des îles que lui avaient con-
cédées MM. de Frontenac et Bochart Cham-
pigny, le 6 avril 1697, engagèrent madame de
Lanaudière à demander une nouvelle conces-
sion plus explicite.
Le 30 octobre 1700, MM. de Callières et
Bochart Champigny lui concédaient de nouveau
les mêmes îles. L'acte de concession disait cette
fois : " Sur la réquisition à nous faite par dame
Marguerite Denis, veuve du feu sr de Lanau-
dière, de lui accorder et concéder les îles qui
sont le long du fleuve Saint-Laurent, vis-à-vis
l'entrée de la rivière, terre et seigneurie de
Sainte-Anne, à titre de fief et seigneurie avec
droits de justice, haute, moyenne et basse, et de
chasse, pêches et traite avec les Sauvages, dans
toute l'étendue des dites îles, Nous, en vertu
du pouvoir à nous donné, avons accordé, donné
et concédé, accordons, donnons et concédons à
la dite dame Marguerite Denis les dites îles qui
sont le long du fleuve Saint-Laurent, vis-à-vis
(1) Pièces et documents relatifs à la tenure seigneuriale,
p. 26.
19
l'entrée de la dite rivière, terre et seigneurie de
Sainte-Anne, tout le long de l'espace et étendue
d'icelle, pour jouir, faire et disposer des dites
îles par la dite dame Denis, ses hoirs et ayant
cause, en pleine propriété et à toujours, au dit
titre de fief et seigneurie, haute, moyenne et
basse justice, avec droit de chasse, pêche et
traite dans toute l'étendue des dites îles. ." (1)
Après trente années de veuvage, Mar-
guerite-Renée Denys, convolait en secondes
noces, à Sainte- Anne de la Pérade, le 9 juillet
1708, avec Jacques- Alexis de Fleury Descham-
bault, lieutenant général de la juridiction royale
de Montréal, veuf de Marguerite de Chavigny.
De son premier mariage, M. de Fleury
Deschambault avait eu plusieurs enfants qui
s'allièrent aux Rigaud de Vaudreuil, aux Tas-
chereau, aux Jolliet, etc., etc.
Un malheur n'arrive jamais seul, dit un
brocard vieux comme le monde. Les bonheurs,
pareillement, voyagent de concert. A plusieurs
reprises les gouverneurs de la Nouvelle-France
avaient essayé d'obtenir une pension royale en
faveur de madame de Lanaudière. Cette pen-
sion lui fut accordée l'année même de son second
mariage.
Le 14 novembre 1708, MM. de Vaudreuil
et Raudot écrivaient au ministre :
" Les sieurs de Vaudreuil et Raudot vous
remercient de la pension dont vous leur mar-
quez avoir gratifié la dame de Lanaudière." (2)
(1) Pièces et documents relatifs à la tenure seigneuriale,
p. 27.
(2) Archives du Canada, Correspondance générale.
— 20 —
M. Fleury Deschambault décéda à Mont-
réal, le 31 mars 1715.
Sa veuve décéda au même endroit le 3
février 1722, à l'âge de 65 ans, et fut inhumée
dans l'église des Récollets.
De son mariage avec M. de Lanaudière,
Marguerite-Renée Denys avait eu trois
enfants :
I
Louise-Rose Tarieu de Lanaudière
Née à Montréal le 8 juillet 1674.
Placée au pensionnat des dames Ursulines
de Québec, elle montra bientôt que le Seigneur
avait toujours été seul maître de son cœur. Elle
passa du pensionnat au noviciat.
Mademoiselle de Lanaudière reçut le voile
des mains de M. l'abbé Claude-Louis Trouvé,
Suipicien, le 26 mai 1691, après avoir prononcé
ses vœux avec une ferveur angélique. Elle avait
adopté le nom de sœur Sainte-Catherine.
" C'est surtout comme maîtresse, nous dit
Y Histoire des Ursulines de Québec, que la Mère
de Lanaudière de Sainte-Catherine paraît avoir
excellé. Son ardeur était toute concentrée sur
ses chères élèves externes, dont elle eut le soin
pendant plusieurs années. Elle en a instruit
un grand nombre pour la première communion,
dit sa notice, et nous avons eu la consolation
de voir dans la suite, ces enfants vivre en
bonnes chrétiennes et élever leur famille dans
la crainte de Dieu. Elle avait aussi un talent
— 21 —
tout particulier pour instruire les filles sau-
vages, qui ont toutes si bien profité de ses
instructions qu'elles ont vécu en bonnes ser-
vantes de Dieu, édifiant par leur bonne con-
duite les personnes de leurs villages, ou les
familles chez qui elles étaient en service/'
En 1747, la Mère Saint-Catherine célé-
brait son cinquantième anniversaire de pro-
fession religieuse.
Elle décéda le 5 octobre 1748, âgée de
soixante-quatorze ans, dont elle avait passé
cinquante-neuf en religion, laissant à sa com-
munauté un bel exemple de piété et de
ferveur. (1)
II
Louis Tarieu de Lanaudière
Né à Québec le 3 juin 1676.
Nous n'avons pas de données bien cer-
taines sur lui.
Le recensement de 1681 le mentionne et
lui donne l'âge de cinq ans.
Dans un acte du 4 novembre 1704, il est
dit au sujet de Louis Tarieu de Lanaudière ....
" attendu l'absence depuis huit ans de Louis
Tarieu* Ecuyer, sieur de la Nouguère (Lanau-
(1) La Sœur Sainte-Catherine fut miraculeusement
guérie dans sa jeunesse d'un mal étrange au bras droit par
l'intercession du très dévot Frère récollet Didace Pelletier.
Voir l'attestation de cette guérison reçue devant M. Charles
Glandelet, vicaire-général de Québec, le 22 octobre 1699,
dans le Canada-Français, vol. IV, p. 258.
— 22 —
dière), censé mort n'en ayant appris aucune
nouvelle depuis le dit temps " (1)
Dans un mémoire sur le commerce de
l'eau-de-vie, et qui date de 1696 ou peu après,
nous lisons :
"Le carnaval de 167.., six traiteurs du
fort Katarak8y, nommés Duplessis, Ptolémée,
Dautru,Lamouche,Colin et Cascaret,enivrèrent
tout le village de Taheyagon, dont tous les
sauvages furent saouls trois jours durant. Les
vieillards, les femmes et les enfants s'enivrèrent
tous. Après quoi, les six traiteurs firent la
débauche que les sauvages appellent gan 8 ary,
courant tout nus avec un baril d'eau-de-vie sous
le bras. Ils ont tous fini d'une mort misérable.
Duplessis est mort à la Barbade où il a été
vendu par les Anglais. Ptolémée s'est noyé,
tournant en canot sur un rocher auquel il a
donné son nom : le Sault Ptolémée. Dautru
s'est noyé dans la barque de M. de La Salle, qui
périt dans le lac Huron. Lamouche s'est noyé
à l'entrée de la rivière Sainte-Anne, avec un
Lanodière. Colin a été brûlé aux Iroquois, en
1692, accompagnant M. le chevalier d'Eau en
ambassade. Cascaret est mort, sans confession,
chez un chirurgien de Montréal, rongé de
vérole, aussi bien qu'un nommé Lacause, qui
fut trouvé mangé des aigles à la Pointe-à-
Beaudet, dans le lac Saint-François. C'était un
(1) Abandon et cession par madame de Lanaudière en
faveur du sieur de la Pérade, son fils, devant Gcnaple,
notaire à Québec, le 4 novembre 1704.
— 23 —
célèbre impudique et un fameux traiteur d'eau-
dc-vie.w(l)
Le Lanodière mentionné ici ne peut être
Louis Tarieu de Lanaudière. En effet, si ce
jeune homme s'était noyé dans la rivière Sainte-
Anne, sa famille aurait connu son sort. Or
l'acte notarié du 4 novembre 1704 dit formel-
lement qu'on en avait eu aucune nouvelle depuis
huit ans.
III
Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade
Le continuateur de la lignée.
(1) Cité par M. Benjamin Suite, Mémoires de la Soeiété
Royale du Canada, année 1901, p. 82.
Première génération : Thomas-Xavier Taricu de La-
naudière
Deuxième génération : Pierre-Thomas Tarieu de la
Pérade
PIERRE-THOMAS TARIEU DE LA
PERADE
Né le 11 septembre 1677, il fut baptisé à
Québec le 12 novembre suivant.
Comme l'acte de baptême le dit âgé de
deux mois et un jour, nous pouvons présumer
qu'il naquit à Sainte-Anne de la Pérade, où il
n'y avait pas encore de curé ni missionnaire.
Un peu plus de trois ans auparavant, le 29
mars 1674, Mgr de Laval, évêque de Pétrée,
vicaire apostolique de la Nouvelle-France, avait
ordonné à tous les pères et mères de faire
baptiser leurs enfants au plus tôt après leur
naissance. (1) Si Pierre-Thomas Tarieu de la
Pérade était né à Québec, son père, qui était un
fervent catholique, n'aurait pas attendu deux
mois pour le porter au baptême. La paroisse de
Sainte-Anne de la Pérade peut, croyons-nous,
réclamer Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade
comme le premier enfant né sur son territoire.
On s'est souvent demandé pour quelle
raison Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade
n'avait pas pris le nom de Lanaudière qui était
celui de son père. Pierre-Thomas était le second
fils de M. de Lanaudière. Louis, l'aîné, disparut
vers 1696. Malgré les recherches de sa mère,
elle n'en eut plus aucune nouvelle certaine. C'est
(î) Mandements des évoques de Québec, vol. 1, p. 161.
26
sans doute parce qu'il n'avait pas de preuves
légales de la mort de son frère qui comme aîné
avait le droit de porter le nom de Lanaudière,
que Pierre-Thomas adopta et garda toute sa
vie le nom de la Pérade.
En 1687, le jeune de la Pérade entra dans
les troupes du détachement de la marine en
qualité de cadet. Les cadets gentilshommes ser-
vaient alors comme soldats mais avec cer-
tains privilèges.
Trois ans plus tard, en 1690, il prit part à
la défense de Québec attaquée par Phipps. Au-
cune des nombreuses relations du siège de Qué-
bec ne nous fait part des hauts faits du jeune
cadet, mais, comme à l'automne de cette année,
le gouverneur de Frontenac lui accorda une
enseigne, nous pouvons présumer qu'il se con-
duisit bravement, car Frontenac ne récompen-
sait que ceux qui le méritaient.
Le 16 mars 1691, le roi confirmait l'en-
seigne que M. de Frontenac avait accordée à
M. de la Pérade l'année précédente. (1)
Un " rôle des officiers du Canada " fait en
1692, sous l'inspiration de M. de Frontenac, dit
de M. de la Pérade :
" La Pérade. Canadien. Enseigne en 1690.
Brave. Jeune." (2)
Le 2 janvier 1694, M. de la Pérade était
promu lieutenant réformé. Ce grade fut con-
firmé par le roi, le 16 avril 1695. (3)
(1) Laffilard, Alphabet, tome II, p. 144.
(2) Archives du Canada, Correspondance générale,vol.l20.
(3) Laffilard, Alphabet, tome II, p. 144.
27
Dans une Relation de ce qui s'est passé en
Canada en 1696, nous voyons que dans l'été de
1696, M. de la Pérade fut envoyé avec un cer-
tain nombre de soldats sur le brigantin com-
mandé par le fameux capitaine corsaire Outlas.
Le 9 juin, dit cette Relation, la frégate du
roi la Bouffonne leva l'ancre de devant Québec,
pour aller croiser, commandée par le sieur de la
Vallière. Il avait pour lieutenant le sieur de
Beaubassin, son fils, et pour enseigne le sieur
de la Potherie, son autre fils.
" On mit deux soldats par compagnie tant
dans cette frégate que sur un brigantin que
commandait le sieur Outlas, anglais habitué
depuis longtemps parmi nous, qui avait pour
lieutenant le sieur de la Pérade." (1)
Comme un bon nombre des officiers des
troupes du détachement de la marine, M. de la
Pérade suppléait à l'insuffisance de son traite-
ment en faisant la traite avec les Sauvages. Le
27 octobre 1700, les sous-fermiers de la traite
de Tadoussac, la veuve Vianney-Pachot et MM.
Dupont, Perthuis et Joseph Riverin, faisaient
servir un protêt aux fermiers-généraux du
Canada qui avaient permis à M. de la Pérade
d'aller hiverner à Tadoussac sous prétexte d'y
faire la chasse mais en réalité pour traiter avec
les Sauvages, "lesquels (sous-fermiers),
disait le protêt, ont dit et déclaré qu'ils pro-
testent à l'encontre de messieurs les fermiers
généraux de Canada de tous dépens, dommages
et intérêts au sujet du canot commandé par le
(1) Collection de manuscrits, vol. II, p. 222.
28
sieur de la Pérade parti ce jourd'hui pour aller
hiverner sur les limites de la dite traite de
Tadoussac sous prétexte de chasse nonobstant
les avertissements et oppositions verbales qu'ils
ont fait pour empêcher le départ du dit canot ;
le départ du dit canot étant la destruction et
ruine totale de la dite sous-ferme, pourquoi ils
persistent en la dite déclaration qu'ils ne paie-
ront point la ferme qu'ils sont obligés de payer,
attendu qu'ils ne jouissent point des droits,
privilèges et prérogatives dont ont joui leurs
prédécesseurs en la dite sous-ferme. ..." (1)
Le 30 octobre 1700, M. de la Pérade se
faisait concéder par MM. de Callières et Bo-
chart Champigny un nouveau fief en arrière
de la seigneurie de Sainte- Anne qui appartenait
à sa mère. L'acte de concession disait :
" Sur la réquisition par Pierre-Thomas
Tarieu, sieur de la Pérade, lieutenant reformé
des troupes du détachement de la marine en ce
pays, de lui vouloir accorder en titre de fief et
seigneurie l'espace de terre qui se trouve au
derrière de la terre et seigneurie de Sainte-
Anne, laquelle espace contient environ deux
lieues de front entre les lignes prolongées des
seigneuries de Saint-Charles des Roches (les
Grondines) et Batiscan sur une lieue et demie
de profondeur, ensemble la rivière qui peut
traverser la dite espace de terre et les islets qui
peuvent s'y rencontrer, pour s'y faire le sieur
de la Pérade un établissement et domaine, y
(1) Protestation et déclaration des sous-fermiers de la
traite de Tadoussac devant Rageot, notaire à Québec, le 27
octobre 1700.
— 29 —
placer des tenanciers et en jouir et disposer par
lui au dit titre de fief et seigneurie avec haute,
moyenne et basse justice, à quoi ayant égard,
Nous, en vertu du pouvoir à nous conjointement
donné par Sa Majesté avons accordé, donné et
concédé, donnons, accordons et concédons au
dit sieur de la Pérade la dite espace de terre de
toute l'étendue qu'elle est ici désignée ; ensemble
la rivière qui la peut traverser et les îlets qui s'y
rencontreront si aucuns y a, pour en jouir,
faire et disposer par le dit sieur de la Pérade,
ses hoirs et ayant cause en pleine propriété à
toujours aux susdits titres et droits de fief et
seigneurie, haute, moyenne et basse justice,
avec droit de chasse, pêche et traite " (1)
Dans un état des officiers servant au
Canada envoyé au ministre le 15 octobre 1701
et apostille par M. de Callières, nous lisons :
" Le S r de la Pérade, natif du Canada, âgé
de 25 ans, a servy depuis Tannée 1687 en qua-
lité de cadet jusqu'en 1689 qu'il fut fait
enseigne et lieutenant reformé en 1694. Bon
officier." (2)
Le 4 novembre 1704, Marguerite-Renée
Denys, veuve de Lanaudière, voulant aider à
l'établissement de son fils, lui cédait la seigneu-
rie de Sainte-Anne qu'elle faisait valoir depuis
la mort de son mari. Le cadeau en valait la
peine car madame de Lanaudière par sa sage
administration avait beaucoup augmenté la
(1) Pièces et documents relatifs à la tenure seigneuriale,
p. 448.
(2) Archives du Canada, Correspondance générale, vol.
120.
— 30 —
valeur de sa seigneurie. Afin d'indemniser sa
mère, M. de ia Pérade s'engagea à lui payer
jusqu'à sa mort une rente annuelle de quatre
cents livres, payable de trois mois en trois mois
à raison de cent francs par chaque quartier.(l)
Propriétaire d'une des plus belles seigneu-
ries de la colonie, habitant un manoir superbe,
apparenté aux principales familles du pays, très
bien vu du gouverneur et de l'intendant, il
manquait cependant encore quelque chose au
bonheur de M. de la Pérade. Agé de près de
trente ans, il était célibataire. En septembre
1706, il épousait, à Verchères, Marie-Made-
leine de Verchères, fille de défunt François
Jarret de Verchères, enseigne dans le régiment
de Carignan, seigneur de Verchères, et de
Marie Perrot. (2)
C'est la fameuse Madeleine ou "Madelon"
de Verchères que les poètes ont chantée et dont
nos historiens ont raconté les prouesses.
M. de la Pérade, il n'y a pas à le cacher,
avait l'humeur plutôt difficile. Madame de La-
naudière, sa mère, pendant les vingt-six années
qu'elle avait exploité la seigneurie de Sainte-
Anne, avait eu de temps en temps des petites
difficultés avec les seigneurs voisins au sujet
des bornes de leurs seigneuries respectives. Mais
elle avait toujours réussi à régler ces différends
sans recourir aux tribunaux. Elle connaissait
sans doute la valeur du proverbe : mieux vaut
(1) Abandon et cession devant François Genaple, notaire
à Québec, le 4 novembre 1704.
(2) Contrat de mariage devant Michel Lepailleur,notaire
à Montréal, le 8 septembre 1706.
31
te plus mauvais arrangement que le meilleur
procès. A peine en possession de la seigneurie
de Sainte- Anne, M. de la Pérade commençait
avec les seigneurs voisins et ses censitaires une
série de procès qui se continuèrent presque sans
interruption jusqu'à sa mort.
La seigneurie de Sainte-Anne, on se le
rappelle, avait été concédée conjointement à
MM. de Lanaudière et de Suève. A la mort de
ce dernier, en 1707, M. de la Pérade fit sommer
le curateur de sa succession de procéder avec lui
à l'arpentage de la seigneurie afin d'établir
exactement ses bornes. Le curateur refusa de
se rendre à la demande de M. de la Pérade.
Le 18 avril 1708, M. de la Pérade obtenait
de l'intendant Raudot une ordonnance qui dé-
clarait que la ligne de séparation entre la sei-
gneurie de Sainte-Anne et celle des Grondines
serait tirée par le nommé Laseriot (?), arpen-
teur. Le curateur de la succession était con-
damné à payer le quart des vacations de
l'arpenteur. (1)
En 1709, M. de Ramezay fut envoyé en
découverte du côté du lac Champlain avec un
détachement de troupes, de milices et de Sau-
vages. M. de la Pérade, qui était le neveu de
M. de Ramezay, avait un commandement dans
cette expédition.
La petite armée partit de Chambly à la fin
de juillet. Elle côtoya le lac Champlain du côté
du nord.
(1) Ordonnances des Intendants, cahier 2, folio 27.
— 32 —
A la rivière des Sables, M. de Ramezay
trouva deux Sauvages qui venaient du côté de
Corlar. Ils l'informèrent qu'ils avaient vu des
ennemis à la Pointe à la Chevelure.
M. de Ramezay se décida alors d'envoyer
à la découverte afin de s'assurer du nombre et
de la position des ennemis.
Mais laissons parler M. de Catalogne, qui
faisait partie de l'expédition. Il faut cependant
prendre ses dires avec hésitation parce qu'il ne
manque jamais de donner des coups de dents à
ceux qu'il n'aimait pas.
" Celui que M. de Ramezay mit à la tête
des découvreurs, dit-il, était le sieur de la Pé-
rade, son neveu. Comme ce départ se fit pres-
que incognito, il était déjà bien loin lorsque je
l'appris ; cependant je fis remontrer à M. de
Ramezay qu'en pareil cas, il ne pouvait envoyer
en ces endroits un homme trop sensé. Il me
témoigna en être mortifié, mais il n'y avait plus
de remède.
" Le jour étant sur le déclin, nous nous
mîmes en marche et arrivâmes à nuit close à la
rivière aux Loutres, où le sieur de la Pérade
devait nous attendre. Cependant, il avait passé
outre et avait été vu des ennemis qui étaient à
la découverte,ce qui les fit disposer à faire une
embuscade à environ un quart de lieue au-des-
sous de leur camp.
" Un canot de nos Sauvages qui se voyant
bravés pour n'avoir pas été choisis pour aller à
la découverte, prirent le mors aux dents, et
partirent sans consulter personne, et nous arri-
— 33 —
vâmes à la rivière aux Loutres sans y trouver
le sieur de la Pérade.
" M. de Ramezay était comme un furieux,
menaçant de faire casser son neveu qui, peu
de temps après, arriva, qui dit qu'il avait dé-
couvert la fumée du camp des ennemis, de quoi
nous ne doutions pas, mais il ne disait pas qu'il
avait été vu des ennemis ; enfin,la nuit on se mit
en marche ayant le sieur de Montigny avec des
Abénaquis à la tête.
" Vers les deux heures après minuit le
canot des Sauvages qui s'était débandé vint à
notre rencontre, qui dirent que voulant débar-
quer ils avaient donné dans l'ambuscade des
ennemis, qui avaient tué un de leurs gens et un
autre blessé, qu'ils s'étaient pourtant tirés au
large sans autre accident.
" Voilà les fruits de la découverte de M.
de la Pérade." (L)
En 1710, M. de la Pérade, s'appuyant sur
les concessions qui avaient été accordées à sa
mère et à lui-même, l'une par MM. de Fron-
tenac et Bochart Champigny, le 6 avril 1697,
des îles qui se trouvaient en face de la seigneu-
rie de Sainte-Anne, l'autre par MM. de Cal-
Hères et Bochart Champigny, le 30 octobre
1700, d'un espace de terre d'environ deux lieues
de front en arrière de la même seigneurie,
demandait à l'intendant Raudot de faire
défense à M. Chorel Dorvilliers, héritier de M.
de Suève, coseigneur de Sainte-Anne, de le
troubler dans sa possession. Il demandait en
(1) Collection de Manuscrits, vol. 1, p. 616.
— 34 —
même temps le partage de ia seigneurie de
Sainte-Anne qui avait toujours été possédée en
commun par M. de vSuève et M. de Lanau-
dière, son père.
Le 8 janvier 1710, l'intendant Raudot ren-
dait son jugement. Il déclarait M. de la Pérade
propriétaire des îles qui étaient en face de la
seigneurie de Sainte-Anne et des terres qui se
trouvaient en arrière de la même seigneurie. Il
commettait en même temps l'arpenteur Hilaire
Bernard de la Rivière pour tirer les lignes de
la seigneurie de Sainte-Anne afin de régler les
contestations entre M. de la Pérade et M.
Chorel Dorvilliers. Le 28 mars 1710, M. Rau-
dot homologuait le procès-verbal d'alignement
et partage de la seigneurie de Sainte-Anne fait
par Bernard de la Rivière et défendait au sieur
Dorvilliers de troubler M. de la Pérade dans
la possession de la dite seigneurie. Le succès de
M. de la Pérade fut cependant de courte durée.
Le lendemain, 29 mars 1710, M. Raudot modi-
fiait considérablement son ordonnance de la
veille au profit de M. Dorvilliers. Le domaine
que M. de la Pérade s'était taillé dans la sei-
gneurie de Sainte-Anne au détriment de son
coseigneur était diminué presque de moitié. (1)
En 1711, M. et madame de la Pérade
étaient poursuivis par François Baribault, un
brave cultivateur de Sainte-Anne, à qui ils
avaient loué l'île Saint-Ignace. Baribault
prouva si clairement qu'il ne pourrait jamais
s'accorder avec M. de la Pérade et sa femme
(1) Ordonnances des Intendants, cahier 4.
35
qui, disait-il, le menaçaient à tout instant de
voies de faits, que l'intendant Raudot, le 29
avril 171 L, annulait le bail consenti par M. de
la Pérade à Baribault et permettait au seigneur
de disposer de l'île Saint-Ignace comme il
l'entendrait. (1)
En 1715, nouvelles difficultés entre MM.
de la Pérade et Chorel Dorvilliers, seigneurs
conjoints de Sainte-Anne. M. de la Pérade avait
construit le moulin banal et en retirait de ce
fait tous les revenus. Le 15 février 1715,
l'intendant Raudot permettait à M. Chorel
Dorvilliers de construire, lui aussi, un moulin
dans sa partie de seigneurie. L'intendant Rau-
dot établissait en même temps un règlement de
comptes entre les deux seigneurs afin d'empê-
cher les contestations à l'avenir. (2)
En 1715, M. de la Pérade intentait aux
habitants de sa seigneurie de Sainte-Anne un
procès qui devait durer plusieurs années.
Les habitants de Sainte-Anne, depuis plu-
sieurs années, faisaient pacager et herbager
leurs bestiaux sur l'île au Sable qui appartenait
à M. de la Pérade. Les habitants prétendaient
que l'île au Sable dépendait de la commune qui
leur avait été accordée par leurs titres de con-
cessions.
Après cinq années de procédures et d'inter-
ventions de toutes sortes, le 16 août 1720,
l'intendant Bégon rendait son jugement. Il
maintenait les habitants de Sainte- Anne dans
(1) Ordonnances des Intendants, cahier 5.
(2) Ordonnances des Intendants, cahier 5.
36
la possession et jouissance de l'île au Sable
" pour en jouir par eux comme commune ainsi
qu'ils en avaient joui ci-devant à la charge
d'abattre tous les ans, dans le mois de mars,
un demi arpent de bois, conformément à leurs
titres de concession." (1)
Le jugement de l'intendant Bégon fut
porté par M. de la Pérade au Conseil du Roi.
Huit ans plus tard, le 22 mai 1728, un arrêt du
Conseil d'Etat cassait l'ordonnance de M. Bé-
gon et maintenait M. de la Pérade dans la
propriété de l'île au Sable. (2)
Le litige avait duré de 1715 à 1728, soit
treize années ! Si, de nos jours, les plaideurs
attendent parfois quelques années pour avoir
justice, ils peuvent au moins se consoler en
songeant qu'il y a des précédents à ces longues
attentes.
" En 1721, écrit Mgr Tanguay, Pierre-
Thomas De la Nouguère (Lanaudière) ou de
la Pérade obtint de l'intendant Bégon, le privi-
lège de tenir les postes pendant vingt ans entre
Québec et Montréal, avec un tarif des charges
gradué sur les distances. C'est la première
institution postale établie en Canada." (3)
Mgr Tanguay fait erreur ici. Il a été
trompé par la similitude des noms. Ce n'est pas
M. de la Pérade qui obtint un privilège de
l'intendant Bégon en 1721 pour tenir les postes
entre Québec et Montréal, mais Nicolas La-
(1) Ordonnances des Intendants, cahier 7 72, folio 7.
(2) Rapport sur les Archives Canadiennes pour 1904,
pp. 102 et 104.
(3) A travers les registres, p. 114.
s/
noullier. Ce privilège, d'ailleurs, ne fut pas
confirmé par le roi. (1)
Dans la liste des officiers de guerre qui
servaient en Canada en 1722, apostillée par le
gouverneur de Vaudreuii en octobre 1722, il
est dit de M. de la Pérade :
" Le Sr de la Pérade, âgé de 45 ans. Il est
en état de servir mais il a peu de capacité pour
le commandement." (2)
En cette même année 1722, M. de la Pé-
rade, malade à son manoir de Sainte-Anne de
la Pérade, eut une aventure avec deux Abéna-
quis qui se serait certainement terminée de
façon tragique pour lui sans la présence
d'esprit et la force peu ordinaire de sa femme.
Celle-ci racontait elle-même le fait dans la
" Relation de ses faits héroïques adressés à la
comtesse de Maurepas, à la demande de M. de
Beauharnois, gouverneur de la Nouvelle-
France."
u L'an 1722, je me suis trouvée dans une
occasion assez délicate où il s'agissait de sau-
ver la vie à M. de la Pérade, mon mari, et à moi.
Deux Abénaquis des plus grands hommes de
leur nation étant entrés chez nous, cherchèrent
querelle à M. de la Pérade. Il leur dit en iro-
quois : sortez d'ici. Ils sortirent tous deux très
fâchés. Leur sortie qui fut fort brusque nous
fit croire la querelle finie. Nous n'examinâmes
(1) Sur Nicolas Lanoullier et son privilège pour établir
des postes entre Québec et Montréal, on peut consulter le
Bulletin des Recherches Historiques, vol. XII, p. 3.
(2) Archives du Canada, Correspondnace générale, vol.
120.
38
point leur démarche, persuadés qu'ils avaient
pris le parti de s'en aller. Dans un moment nous
fûmes fort surpris de les entendre tous dans le
tambour de la maison, faisant le cri de mort
et disant : Tagarianguen,qui est le nom iroquois
de mon mari, tu es mort. Ils étaient armés : l'un
d'un casse-tête et l'autre d'une hache. Celui-ci
enfonce, brise la porte à coups de hache sur la
tête de M. de la Pérade, qui fut assez adroit
et assez heureux pour parer le coup en se jetant
à corps perdu sur le sauvage ; mais il était trop
faible pour pouvoir résister longtemps à un
sauvage d'une stature gigantesque et dont les
forces répondaient à la haute taille. Un homme
de résolution qui se trouva fort à propos à la
porte de la maison donna du secours à M. de la
Pérade. Le sauvage qui était armé d'un casse-
tête voyant son compagnon en presse entre,
lève le bras pour décharger son coup sur la
tête de mon mari ; résolue de périr avec lui et
suivant les mouvements de mon cœur, je sautai
ou plutôt je volai vers ce sauvage, j'empoigne
son casse-tête, je le désarme. Il veut monter sur
un coffre, je lui casse les reins avec son casse-
tête et je le vois tomber à mes pieds. Je ne fus
jamais plus surprise que de me voir enveloppée
à l'instant par quatre sauvagesses ; l'une me
prend à la gorge, l'autre aux cheveux, après
avoir arraché ma coiffe ; les deux autres me
saisissent par le corps pour me jeter dans le
feu. A ce moment, un peintre me voyant aurait
bien pu tirer le portrait d'une Madeleine ; dé-
coiffée, mes cheveux épars et mal arrangés,
— 39 —
mes habits tous déchirés, n'ayant rien sur moi
qui ne fût pas morceaux, je ressemblais pas
mal à cette sainte aux larmes près, qui ne cou-
lèrent jamais de mes yeux. Je me regardais
comme la victime de ces furieuses outrées de
douleur de voir, l'une son mari, les autres, leur
parent, étendu sur la place sans mouvement et
presque sans vie. Bientôt, j'allais être jetée
dans le feu, lorsque mon fils Tarieu, âgé seule-
ment de douze ans, animé comme un lion à la
vue de son père qui encore aux prises avec le
sauvage et de sa mère prête à être dévorée par
les flammes, il s'arme de ce qu'il rencontre,
frappe avec tant de force et de courage sur la
tête et les bras de ces sauvagesses, qu'il les
obligea à lâcher prise. Débarrassée de leurs
mains, je cours au secours de M. de la Pérade,
passant sur le ventre de celui que j'avais étendu
par terre. Les quatre sauvagesses s'étaient déjà
jetées sur M. de la Pérade, pour lui arracher
la hache qu'il tenait et dont il voulait casser la
tête au malheureux qui venait de le manquer.
Prenant le sauvage par les cheveux, je lui dis ;
tu es mort, je veux avoir ta vie. Le Français
dont j'ai parlé qui donnait secours à M. de la
Pérade me dit : madame, ce sauvage demande
la vie, je crois qu'il faut lui donner quartier.
En même temps, ces sauvagesses qui jusqu'alors
avaient toujours poussé des cris effroyables qui
nous empêchaient de nous entendre, deman-
dèrent aussi la vie. Nous voyant les maîtres,
nous crûmes qu'il était plus glorieux de laisser
la vie à notre ennemi vaincu que de le faire
— 40 —
mourir. Ainsi je sauvai la vie à mon mari, et
mon fils âgé de douze ans sauva la vie à sa
mère. Cette action fut aux oreilles de M. de
Vaudreuil ; il voulut s'informer du fait par
lui-même, il vint exprès sur les lieux, il vit la
porte cassée, il parla au Français témoin de
Faction et sut dans la suite des sauvages mêmes
la vérité de ce que je viens d'exposer." (1)
En 1727, l'île au Sable revenait sur le
tapis. M. Voyer, curé de Sainte- Anne, ayant eu
le malheur de faire couper quelques arbres sur
cette île, M. de la Pérade le poursuivit devant
la Prévôté. Le 14 janvier 1727, le curé était
condamné pour ce crime à cinq livres d'amende
envers le roi et aux dépens du procès. (2)
Comme conséquence de ce jugement, le 21
mars 1727, M. de la Pérade obtenait de l'inten-
dant Dupuy une ordonnance exécutoire contre
le curé Voyer pour la somme de 225 livres,
montant des dépens dans son affaire avec
lui. (3)
Le sieur Normandin, huissier de Batiscan,
n'ayant pas mis à exécution l'ordonnance por-
tée contre le curé Voyer par M. de la Pérade,
celui-ci, le 8 avril 1727, obtenait de l'intendant
Dupuy l'interdiction de Normandin pour trois
mois. (4)
En 1728, M. de la Pérade intentait un
nouveau procès à M. Chorel Dorviiliers. Cette
fois, il lui réclamait les cens et rentes seigneu-
(1) Supplément du Rapport du Dr Brymner sur les
Archives Canadiennes, pour 1899, p. 7.
(2) Registre de la Prévôté de Québec, 1726-1728.-
(3) Ordonnances des Intendants, cahier 12 A.
(4) Ordonnances des Intendants, cahier 12 A.
— 41 —
riales sur huit arpents de terre qu'il possédait
dans File Saint-Ignace sur le pied de six de-
niers de cens, de vingt sols de rentes annuelles
par arpent et un chapon vif aussi par arpent,
à compter du 9 mars 1697. M. de la Pérade
voulait de plus obliger M. Chorel Dorvilliers
à prendre un titre de concession pour ses huit
arpents de terre, attendu, disait-il, qu'il les
possède sans aucun titre et indûment.
Le 10 juillet 1728, l'intendant Dupuy don-
nait raison à M. de la Pérade sur toute la ligne.
" Avons ordonné et ordonnons, disait-il,
que la dite île Saint-Ignace aussi bien que
toutes celles qui sont sur la devanture de la
seigneurie de Sainte-Anne seront et demeure-
ront au sieur de la Pérade, faisons défense au
sieur Dorvilliers de le troubler en la possession
et jouissance d'icelles, ordonnons en outre que
les terres que le sieur Dorvilliers a dans l'île
Saint-Ignace aussi bien que les habitants qui
en pourraient avoir relèveront du sieur de la
Pérade à qui ils payeront les cens et rentes aux
conditions ci-devant dites et seront tenus de
prendre titre et contrat du dit sieur de la
Pérade " (1)
Il va sans dire que M. Chorel Dorvilliers
était condamné à tous les dépens de l'instance
de même qu'aux frais des voyages de M. et
madame de la Pérade à Québec.
Une des principales obligations des censi-
taires, sous le régime seigneurial, était de faire
moudre leurs grains au moulin banal. Le mou-
Ci) Ordonnances des Intendants, cahier 15.
— 42 —
lin de M. de la Pérade devait avoir bien des
défauts puisque les habitants de Sainte-Anne
préféraient faire moudre leurs grains au mou-
lin de la seigneurie de Saint-Pierre, qui appar-
tenait à M. Levrard.
Déjà, en" 1707, M, de la Pérade avait
obtenu de l'intendant Raudot une ordonnance
par laquelle il obligeait le curé et tous les habi-
tants de Sainte-Anne de porter moudre leur
blé au moulin banal, avec défense d'aller
ailleurs, à peine de confiscation et d'amende.
Pendant un certain nombre d'années les
habitants de Sainte-Anne se conformèrent à
cette ordonnance. Ils connaissaient leur sei-
gneur et savaient qu'il n'était pas homme à se
laisser léser sans avoir recours à la justice.
En 1728, les habitants de Sainte-Anne se
sentant moins surveillés recommencèrent leurs
visites au moulin de Saint-Pierre.
M. de la Pérade, en vertu de l'ordonnance
rendue par M. Raudot en 1707, fit saisir chez
le nommé Pierre Brisson, meunier de la
seigneurie de Saint-Pierre, les blés portés à son
moulin par le curé et huit habitants de sa
seigneurie.
Quelques jours plus tard, M. de la Pérade
faisait assigner devant l'intendant Dupuy, le
curé et les habitants en faute.
Le 10 juillet 1728, l'intendant Dupuy dé-
clarait les saisies faites entre les mains du meu-
nier Brisson bonnes et valables et ordonnait à
celui-ci de remettre les blés en question à M.
de la Pérade. Le curé et les habitants furent
43
de plus condamnés aux dépens tant des saisies
que des assignations et aux frais de voyage de
M. de la Pérade à Québec taxés à trente livres.
M. Dupuy déchargea cependant les habitants
de l'amende; M. de la Pérade ayant déclaré
qu'il la leur remettait pour cette fois. (1)
Brisson ayant refusé de remettre les blés
saisis chez lui, M. de la Pérade obtint de
l'intendant Dupuy, le 20 août 1728, un exécu-
toire contre l'entêté meunier qui fut de plus
condamné à tous les frais et dépens et à cinq
livres d'amende, pour sa désobéissance, appli-
cable à la paroisse de la seigneurie de Sainte-
Anne. (2)
Pendant la vacance du siège de Québec
occasionnée par la mort de Mgr de Saint-Val-
lier, le Chapitre de Québec avait eu la malen-
contreuse idée de nommer des curés inamovibles
dans les paroisses de Lachenaie, Repentigny,
Château-Richer,Beaumont,Laprairie et Sainte-
Anne de la Pérade. M. Voyer, nommé curé
inamovible de Sainte- Anne de la Pérade le 3
février 1728, desservait cette paroisse en qua-
lité de missionnaire depuis sept ans.
Informé de ces nominations insolites dès
son accession au siège de Québec, Mgr de Mor-
nay, qui ne passa pas dans la Nouvelle-France,
donna instruction à son coadjuteur, Mgr Dos-
quet, d'exiger la démission de ces six prétendus
curés inamovibles.
Cinq se soumirent de bonne grâce. Le
Cl) Edits et Ordonnances, vol. II, p. 497.
(2) Edits et Ordonnances, vol. III, p. 246.
— 44 —
sixième, M. Voyer, curé de Sainte- Anne de la
Pérade, refusa de donner la démission deman-
dée. Il écrivit même à Mgr Dosquet quelques
lettres peu conformes à la subordination qu'un
prêtre doit à son évêque, Mgr Dosquet, piqué
de ce procédé et fort de son droit, lui enleva les
pouvoirs de prêcher et de confesser, puis, par
le ministère de son archidiacre, M. de Lotbi-
nière, le suspendit et nomma le Père Luc,
récollet, pour desservir Sainte- Anne de la
Pérade jusqu'à nouvel ordre.
M. de la Pérade qui avait déjà en maille à
partir avec son curé, trouva le moyen d'inter-
venir dans la chicane de ce dernier avec Mgr
Dosquet qui ne le regardait pourtant pas en
aucune façon.
On voit sa signature sur la dernière moni-
tion adressée par l'archidiacre de Lotbinière
à M. Voyer.
Le curé Voyer finit par entendre raison et,
au mois de mars 1733, il se démettait de sa
cure en bonne et due forme. Mgr Dosquet lui
remit tous ses pouvoirs et M. Voyer continua
à desservir la paroisse à titre de missionnaire.
Les habitants de Sainte-Anne de la Pérade
qui avaient été divisés en deux camps pendant
plusieurs mois reprirent peu à peu leur vie
ordinaire.
Dans l'été de 1730, M. et madame de la
Pérade étaient assignés devant la Prévôté de
Québec par M. Gervais Lefebvre, curé de Ba-
tiscan, paroisse voisine de Sainte-Anne de la
Pérade, qui les accusait d'avoir fait circuler
— 45 —
des propos diffamatoires contre son caractère,
son honneur et sa réputation.
Si le curé Lef ebvre croyait avoir la partie
belle avec le seigneur de Sainte-Anne et sa
femme, il ne les connaissait pas ou les connais-
sait mal. Ils se défendirent avec une énergie
digne d'une meilleure cause. Ils amenèrent
devant la Prévôté une foule de témoins qui
avaient des griefs plus ou moins justifiés contre
le curé Lef ebvre et donnèrent des témoignages
qui n'avaient pas rapport à la cause mais pré-
jugèrent le juge contre le curé de Batiscan.
Le 29 août 1730, M. André de Leigne,
lieutenant-général de la Prévôté, rendait son
jugement. Il condamnait le curé Lefebvre à la
somme de deux cents livres de dommages et
intérêts envers M. et madame de la Pérade
" pour les avoir traduits en justice mal à propos
et inconsidérément." De plus, tous les dépens
du procès étaient mis à sa charge.
Le curé Lefebvre appela immédiatement
au Conseil Supérieur de la Nouvelle-France du
jugement rendu contre lui par la Prévôté de
Québec. Il demandait au Conseil Supérieur de
le décharger des condamnations de la Prévôté
et exigeait des sieur et dame de la Pérade
réparation d'honneur pour les fausses accusa-
tions et calomnies portées contre lui. Il deman-
dait, de plus, que les dépositions mal à propos
reçues et admises par le lieutenant général de
la Prévôté fussent mises au feu et brûlées.
Le 23 décembre 1730, le Conseil Supérieur
rendait son jugement. Il déchargeait le curé
— 46 —
Lefebvre des condamnations contre lui pronon-
cées par la sentence de la Prévôté de Québec.
Sur la demande en réparation d'honneur et les
autres demandes du curé Lefebvre, le Conseil
mettait les parties hors de cour et de procès,
ordonnait la suppression de la procédure et
condamnait M. et madame de la Pérade aux
dépens des causes principale et d'appel.
M. et madame de la Pérade, on peut le
croire sans peine, ne furent pas satisfaits de ce
jugement qui, sans accorder toutes les
demandes du curé Lefebvre, mettait cependant
à leurs charges tous les frais du procès tant
devant la Prévôté que devant le Conseil
Supérieur.
Il n'y avait pas d'autre juridiction dans
la Nouvelle-France, mais iî y avait le Conseil
d'Etat dans la vieille France. Les frais d'un
semblable appel étaient assez élevés, mais pour
des plaideurs avisés comme le seigneur de
Sainte-Anne et sa femme pareille considération
n'entrait pas en ligne de compte.
Madame de la Pérade se décida à passer
en France afin de porter elle-même son affaire
devant le Conseil d'Etat. Elle s'embarqua à
Québec à l'automne de 1732.
Les hauts faits de Madeleine de Verchères
étaient bien connus en France. Elle recevait
depuis plusieurs années une pension du roi
pour sa belle défense du fort de Verchères. Le
gouverneur de Beauharnois, peu après son
arrivée ici, avait fait envoyer à madame de
Maurepas, femme du ministre, une relation de
47
ses actions d'éclat écrite par l'héroïne elle-
même.
Les portes des différents ministères lui
furent donc toutes grandes ouvertes. Le pré-
sident du Conseil de marine, entre autres, la
reçut avec le plus vif intérêt. Il s'intéressa tout
de suite à son affaire sans toutefois se com-
promettre.
Le 12 mai 1733, le président du Conseil
de marine écrivait à MM. de Beauharnois et
Hocquart qu'il ne comprenait pas comment il
se faisait que dans le procès entre M. et
madame de la Pérade avec M. Lefebvre, curé
de Batiscan, les parties avaient été mises hors
de cour et M. de la Pérade condamné aux
dépens. Si le curé Lefebvre était coupable des
faits imputés, pourquoi le mettre hors de cour ?
S'il était innocent, pourquoi ne condamner M.
de la Pérade qu'aux dépens et ne pas punir lui
et sa femme comme calomniateurs ? Le prési-
dent du Conseil de marine informait cependant
le gouverneur et l'intendant qu'il n'accorderait
pas le pourvoi en cassation afin d'éviter la conti-
nuation du scandale. Le président du Conseil de
marine exhortait fortement MM. de Beauhar-
nois et Hocquart à concilier les parties sur le
paiement des frais. (1)
Madame de la Pérade, comme on vient
de le voir, n'avait pas obtenu la permission de
porter son affaire devant Je Conseil d'Etat,
mais le président du Conseil de marine lui avait
(1) Rapport sur les Archives Canadiennes pour 1904,
p. 176.
— 48 —
fait toutes sortes de belles promesses. Les
bonnes paroles coûtent peu et les ministres du
grand roi en étaient prodigues.
Madame de la Pérade se rembarqua pour
la Nouvelle-France au printemps de 1733. Le
président du Conseil de marine poussa l'ama-
bilité jusqu'à lui permettre de faire le voyage
sur le vaisseau du roi. (1) C'est une faveur
qu'on obtenait peu souvent alors.
Peu après le retour de madame de la
Pérade au pays, le gouverneur de Beauharnois
et l'intendant Hocquart, pour se conformer aux
ordres du président du Conseil de marine,
commençaient leur travail pour amener les
parties à une entente. La tâche n'était pas facile.
Le Conseil Supérieur ayant donné raison à peu
près sur tous les points au curé Lefebvre,
celui-ci était bien disposé à régler l'affaire à
l'amiable. Mais M. et madame de la Pérade ne
voulaient pas démordre. Comme nos Canadiens
de la campagne lorsqu'ils s'engagent dans un
procès, ils voulaient en voir le bout. Enfin,
après plusieurs entrevues avec M. et madame
de la Pérade, le gouverneur et l'intendant réus-
sirent à régler l'affaire.
Le 21 octobre 1733, M. Joachim Fornel,
chanoine de la cathédrale de Québec, au nom et
comme fondé de pouvoir de M. Gervais Le-
febvre, docteur en théologie et curé de Batiscan.
et Marie-Madeleine Jarret de Verchères, tant
(1) Rapport sur les Archives Canadiennes, pour 1391,
p. 186.
49
pour elle que pour son mari Pierre-Thomas
Tarieu de la Pérade, signaient l'accord suivant :
" Pardevant les notaires royaux en la pré-
vosté de cette ville de Québec sont comparus
Me Joachim Fornel, prêtre, chanoine de la
cathédrale de cette ditte ville, au nom et comme
fondé du pouvoir soubs sein privé en datte du
premier octobre dernier de Me Gervais Le-
febvre, aussy prêtre et docteur en théologie, et
dame jarret de Verchères faisant tant pour
elle que se faisant fort de faire ratiffier le con-
tenu en ces présentes par Pierre-Thomas
Tarieu Eser, sieur de la Pérade, ofïer dans les
troupes du détachement de la marine entrete-
nues en ce pays pour le service du Roy, son
époux, lesquels sieur Fornel et dame de la
Pérade es noms nous ont dits et déclarés
que nos seigneurs marquis de Beauharnois,
commandeur de l'Ordre royal et militaire de
St-Louis, gouverneur et lieutenant-général en
ce pays, Gilles Hocquart, chevalier coner du
Roy, en ses conseils, intendant de justice, police
et finances en ce dit pays, ont bien voulus les
concilier et acomoder sur l'affaire qu'ils ont
eus au conseil dont arrest est intervenu le 23
décembre 1730, en conséquence duquel a été
décerné exécutoire pour les dépends le sixième
aoust 1731 et qu'au moyen de cette consiliation
et accomcdement faits par nos dits seigneurs
le dit sieur Fornel au dit nom tient quitte et
décharge les dits sieur et dame de la Pérade des
condamnations portées par le dit arrest et exé-
cutoire dont et de quoy les parties nous ont
— 50 —
requis acte que nous leur avons octroyés, vou-
lant et promettant qu'il ne soit plus parlé ny
question des différents cy-devant mus et de
faire cesser tous reproches en cette occasion au
moyen de la présente transaction, s'obligeant
mon dit sieur Fournel de faire ratifier par mon
dit sieur Lef ebvre la présente transaction toutes
fois et quantes, car ainsy etc., promettant etc.,
obligeant etc Renonçant etc. Fait etc à Québec
au Palais du Roy dans un des appartements
de mon dit seigneur l'intendant après-midy le
vingt-unième jour d'octobre mil sept cent trente
trois, et ont les dites parties signées avec nous
dits notaire.
FORNEL, Ptre
MARIE DE VERCHER DE LA PERADE
LOUET
HICHE,"(1)
Dans sa lettre du 13 avril 1734, le prési-
dent du Conseil de marine félicitait chaleureu-
sement MM. de Beauharnois et Hocquart
d'avoir réussi à régler à l'amiable cette affaire
si épineuse. (2)
Le procès du curé Lefebvre contre M. et
madame de la Pérade avait passionné les esprits
pendant trois années. Il y avait eu tort des
deux côtés. Mais on ne peut blâmer le curé
Lefebvre d'avoir revendiqué son honneur. Il
était curé d'une importante paroisse et sa répu-
(1) Acte de Henry Hiché, notaire à Québec.
(2) Rapport sur les Archives Canadiennes pour 1904,
193.
— 51 —
tation devait être intacte pour y exercer son
ministère avec fruit. (1)
En 1728, M. de la Pérade avait fait dé-
clarer par l'intendant Dupuy qu'il était l'unique
propriétaire de l'île Saint-Ignace. M. Chorel
Dorvilliers, pendant ses années d'usurpation,
avait concédé des terres dans l'île Saint-
Ignace, à deux habitants de Sainte-Anne,
Pierre Rivard Lanouette et Julien Rivard La-
nouette. Ceux-ci avaient continué à payer leurs
cens et rentes à M. Chorel Dorvilliers.
M. de la Pérade avait encore là une belle
occasion de plaider. Il ne la manqua pas. Le
procès qu'il intenta à Pierre Rivard Lanouette,
en 1732, dura quatre ans.
Le 25 septembre 1736, M. de la Pérade
réussissait enfin à faire décider par l'intendant
Hocquart que la terre acquise par Pierre Ri-
vard Lanouette de M. Chorel Dorvilliers, le 30
septembre 1723, relevait de sa seigneurie
comme faisant partie de l'île Saint-Ignace, et
il faisait condamner Pierre Rivard Lanouette à
lui paya les lods et ventes de son acquisition
suivant la coutume comme aussi tous les arré-
rages de cens et rentes dus et échus depuis le
20 septembre 1723, date de son acquisition. (2)
Pierre Rivard Lanouette, se conformant
au jugement rendu contre lui, offrait immédia-
tement de payer à M. de la Pérade tout ce qu'il
lui devait. Celui-ci trouva le moyen de créer un
(1) Dans le Bulletin des Recherches Historiques, vol. VI,
pp. 340 et seq., en trouvera un résumé du procès du curé
Lefebvre et de M. et madame de la Pérade.
(2) Ordonnances des Intendants, cahier 24.
nouveau procès. Cette fois, l'intendant Hoc-
quart, qui lui était moins favorable que l'inten-
dant Dupuy, le mit proprement à sa place. Le 13
octobre 1736, il déclarait les offres faites à M.
de la Pérade par Rivard Lanouette bonnes et
valables et décida que, faute par M. de la Pé-
rade d'accepter les lods et ventes, cens et rentes
et arrérages d'icelles offertes par Rivard La-
nouette, ce dernier serait bien et valablement
déchargé de tout paiement. (1)
Pendant son séjour en France en 1732-
1733, madame de la Pérade s'était occupé, en
outre de son procès avec le curé Lefebvre, d'une
autre affaire importante.
Le 4 mars 1697, madame de Lanaudière,
mère de son mari, avait obtenu de MM. de
Frontenac et Bochart Champigny une conces-
sion de trois lieues de terre de profondeur
derrière sa seigneurie de Sainte-Anne.
Le 30 octobre 1700, M. de la Pérade avait
également obtenu de MM. de Caliières et Bo-
chart Champigny une concession d'environ
deux lieues de terre de front sur une lieue et
demie de profondeur " au derrière de la terre
et seigneurie de Sainte- Anne."
Le roi n'avait pas encore ratifié ces deux
concessions qui remontaient l'une à trente-six
ans et l'autre à trente-trois ans parce que les
tenants et aboutissants de la concession de 1700
étaient les mêmes que celle de 1697.
Madame de la Pérade obtint du président
(1) Ordonnances des Intendants, cahier 24.
53
du Conseil de marine le règlement de cette
affaire embrouillée.
Le 29 avril 1734, le président du Conseil
de marine donnait ordre à MM. de Beauharnois
et Hocquart d'annuler la concession faite à
madame de Lanaudière le 4 mars 1697 et
d'accorder à M. de la Pérade une nouvelle con-
cession sur le derrière et sur le même front que
celle qui lui avait été accordée le 30 octobre
1700. (1)
En conséquence de cet ordre, le 20 avril
1735, MM. de Beauharnois et Hocquart suppri-
maient et annulaient la concession faite à ma-
dame de Lanaudière le 4 mars 1697 et concé-
daient à M. de la Pérade " une étendue de
terre de trois lieues de profondeur à prendre
derrière et sur la même largeur de la concession
du 30 octobre 1700." Cette concession était
faite à titre de fief et seigneurie, avec droit de
haute, moyenne et basse justice, etc. (2)
Cette concession fut ratifiée par le roi le
17 avril 1736. (3)
En 1735, M. de la Pérade entrait en lice
avec un nouvel adversaire, M. Louis Gatineau
Duplessis, seigneur de Sainte-Marie. Le 5 avril
1735, l'intendant Hocquart pour mettre fin à
leurs contestations fixait les bornes respectives
(\) Rapport sur les Archives Canadiennes pour 1904,
p. 194.
(2) Pièces et documents relatifs à la tenure seigneuriale,
p. 177.
(3) Rapport sur les Archives Canadiennes pour 1904,
p. 228.
— 54 —
des fiefs voisins de Sainte-Anne et de Sainte-
Marie. (1)
Le 21 janvier 1736, M. de la Pérade obte-
nait de l'intendant Hocquart une ordonnance
qui réitérait les défenses déjà faites à tous les
habitants de Sainte-Anne de faucher ni enlever
aucuns foins de la commune de sa seigneurie à
peine de dix livres d'amende et de punition
corporelle en cas de récidive. Jean-Baptiste
Grimard, qui avait enlevé du foin de la
commune, était condamné en trois livres
d'amende. (2)
En 1737, M. de la Pérade entra de nouveau
en guerre contre M. Voyer, curé de Sainte-
Anne. Il lui fit signifier défense " d'abattre,
d'enlever ou de faire enlever aucun bois sur la
terre du défunt Philippe Etienne ", dont le
fonds, prétendait-il, lui appartenait. Pendant
plusieurs semaines, le seigneur de Sainte-Anne
et le curé Voyer se signifièrent par ministère
d'huissier, menaces de procès, sommations,
actes notariés, etc., etc. Le litige, cependant,
ne fut pas porté devant les tribunaux. Du
moins, nous n'en trouvons aucune trace.
En 1739, Pierre Rivard Lanouette, qui
avait eu à se plaindre des procédés de M. de la
Pérade, trouvait une bonne occasion de le
prendre en défaut. M. de la Pérade ayant né-
gligé de faire ses clôtures mitoyennes dans
l'île Saint-Ignace, Pierre Rivard Lanouette, le
31 juillet 1739, obtenait de l'intendant Hoc-
(1) Ordonnances des Intendants, cahier 23.
(2) Ordonnances des Intendants, cahier 24.
55
quart défaut contre lui. En plus, M. de la Pé-
rade était condamné aux dépens du procès
liquidés à quinze livres. (1)
Le 15 mars 1741, M. de la Pérade faisait
condamner M. Chorel Dorvilliers à faire sa
part de clôture mitoyenne dans l'île Saint-
Ignace et ce au printemps de 1742 pour toute
préfixion et délai. (2)
En 1744, nouvelle difficulté entre MM. de
la Pérade et Chorel Dorvilliers. Julien Rivard
Lanouette, habitant de Sainte-Anne, était-il le
censitaire de M. de la Pérade ou de M. Chorel
Dorvilliers ? Le 4 juin 1744, M. Hocquart
tranchait la difficulté en condamnant Julien Ri-
vard Lanouette à payer ses cens et rentes à M.
Chorel Dorvilliers. (3) M.de la Pérade évidem-
ment, avait perdu un bon ami par le départ de
l'intendant Dupuy !
Daniel Portail de Gevron était le débiteur
commun de MM. de la Pérade et Joseph Le-
vreau de Langy. Il était parti du pays sans leur
payer ce qu'il leur devait. Le 16 janvier 1747,
MM. de la Pérade et Levreau de Langy obte-
naient jugement de l'intendant Hocquart contre
leur débiteur récalcitrant. M.de la Gorgendière,
agent de la Compagnie des Indes, recevait en
même temps ordre de se désaisir ni vider ses
mains dé la somme de cinq cents et quelques
livres appartenantes au sieur Portail de
Gevron. (4)
(1) Ordonnances des Intendants, cahier 27.
(2) Ordonnances des Intendants, cahier 27.
(3) Ordonnances des Intendants, cahier 32.
(1) Ordonnances des Intendants, cahier 34.
56
Le 8 août 1747, le deuil entrait dans le
manoir de Sainte-Anne de la Pérade. Marie-
Madeleine de Verchères, épouse de M. de la
Pérade, décédait, à l'âge de soixante-neuf ans.
Elle fut inhumée sous le banc seigneurial, dans
l'église de Sainte- Anne de la Pérade. (1)
Après la . mort de madame de la Pérade,
nous cherchons vainement le nom de son mari
dans les paperasses de nos anciens tribunaux.
Un esprit soupçonneux en tirerait la conclusion
que Madelon de Verchères était l'instigatrice
des nombreux procès dans lesquels s'engagea
son mari. N'allons pas si loin. Laissons à
l'héroïne de Verchères l'auréole bien méritée
que lui ont donnée ses actes héroïques.
M. de la Pérade survécut dix ans à sa
femme. Il décéda à Sainte-Anne de la Pérade,
le 25 janvier 1757, à l'âge de quatre-vingts
ans. Il fut inhumé le lendemain, dans l'église
paroissiale, sous son banc, a côté des restes de
sa femme.
Du mariage de Pierre-Thomas Tarieu de
la Pérade et de Marie-Madeleine de Verchères
étaient nés cinq enfants :
(1) Sur Marie-Madeleine de Verchères on peut consulter
Joseph Frémont, Annuaire de l'Institut Canadien de Québec,
1888, pp. 69 et 73 ; Sainte-Anne de la Pérade autrefois et
aujourdh'ui, p. 23 ; l'abbé Daniel, Grandes familles du Ca-
nada, p. 452 ; N. E. Dionne, La Kermesse, p. 93 ; Raoul Re-
nault, Revue Canadienne, vol. XXXI (1885), pp. 279 et 340 ;
Fréchette, Légende d'un peuple, p. 63 ; sir J.-M. Le Moine,
Les héroïnes de la Nouvelle-France, p. 14 ; Frédéric de Kast-
ner, Héros de la Nouvelle-France, première série, p. 82 ;
Drummond, Madeleine Verchères ; A.-G. Doughty, A daughter
of New-France ; F.-A. Baillairgé, Marie-Madeleine de Ver-
chères ; Edmond Roy, Madeleine de Verchères, Le Soleil,
20 mars 1909 ; Pierre-Georges Roy, La famille Jarret de
Verchères.
— 57 —
Marguerite-Marie-Anne Tarieu de Lanaudière
Née à Sainte-Anne de la Pérade le 3
juillet 1707.
Mariée à Québec, le 17 octobre 1727, à
Richard Testu de la Richardière, capitaine de
flûte, veuf de Marie Huraut.
M. Testu de la Richardière décéda à Qué-
bec, le 25 octobre 1741.
En deuxièmes noces, à Québec, le 7 octobre
1743, Marguerite-Marie- Anne de Lanaudière
devint la femme de Anfoine Coulon, écuyer,
sieur de Villiers, lieutenant d'une compagnie
du détachement de la marine, fils de Nicolas-
Antoine Coulon, sieur de Villiers, capitaine,
et de Angélique Jarret de Verchères.
M. de Villiers décéda à Montréal le 3
avril 1750.
Sa veuve se remaria à Sainte-Anne de la
Pérade, le 12 mars 1752, à Jean-François Gaul-
tier, médecin du Roi et conseiller au Conseil
Supérieur de la Nouvelle-France, fils de René
Gaultier de Lapénin et de Françoise Câlin, de
la paroisse de la Croix en la Vranchin, diocèse
d'Avranches, en Normandie.
M. Gaultier décéda à Québec le 1 1, octobre
1756.
Une tradition conservée dans la famille de
Lanaudière veut que Marguerite-Marie-Anne
de Lanaudière ait été sur le point de se marier
en quatrièmes noces avec le célèbre de Bou-
gainville.
— 58 —
Madame Gaultier décéda à l'Hôpital-Gé-
néral de Québec le 6 janvier 1776.
Elle n'avait pas eu d'enfants.
II
Charles-François-Xavier Tarieu de Lanaudière
Né à Sainte-Anne de la Pérade le 4
novembre 1710.
Le continuateur de la lignée.
III
Louis-Joseph Tarieu de Lanaudière
Né à Sainte-Anne de îa Pérade le 15 août
1714.
Probablement décédé en bas âge. (1)
IV
Marie-Madeleine Tarieu de Lanaudière
Née à Sainte- Anne de la Pérade le 19
novembre 1717.
Décédé au même endroit le 20 novembre
1717.
(1) Nous n'avons aucun renseignement sur lui. Un
tableau généalogique de la famille de Verchères dressé par
le major René Boileau (publié à la fin de la seconde édition
de Zouiviana du chevalier Gustave-A. Drolet), dit que Louis-
Joseph Tarieu de Lanaudière décéda garçon.
— 59 —
V
Jean-Baptiste-Léon Tarieu de la Pérade
Né à Sainte-Anne de la Pérade le 5 mai
1720.
Il servit en qualité d'enseigne dans les
troupes du détachement de la marine.
En 1747, le chevalier de la Pérade com-
mandait au poste des Ouytanons. (1)
En 1748, le chevalier de la Pérade était
envoyé pour servir dans les troupes de l'île
Royale.
Le chevalier de la Pérade fut mortellement
blessé à la bataille de la Monongahéla, le 9 juil-
let 1755. Il décéda le lendemain.
Enregistrons ici l'acte de sépulture de ce
héros :
" L'an mille sept cent cinquante cinq, le
dix de juillet, est décédé au fort Duquesne, sous
le titre de l'Assomption de la Ste-Vierge, Mr
Jean-Baptiste de Lapérade, Escuyer, sieur de
Tarieux, enseigne dans les troupes de l'isle
Royale, ayant été blessé, le neuf du présent
mois, dans le combat donné contre les Anglais,
(1) Les Ouyatanons étaient plutôt des guerriers que
des amis de la terre. M. de la Pérade, pendant son séjour
parmi eux, était obligé d'acheter ses provisions de bouche
au Détroit. Dans le Livre de compte de la mission des
Hurons de 'lîle aux Bois-Blanc, à la date du 24 septembre
1747, nous lisons : " 10 minots de blé d'Inde livré A M. de la
Pérade point de prix fait. Il se vendait une pistole ; ce qui
fait 100 francs." The Jesuit Relations and Allied Documents,
vol. LLIX, p. 276.
— 60 —
après avoir reçu les Sts sacrements de pénitence
et d'extrême onction, son corps a esté inhumé
dans le cimetière du mesme fort, par nous ptre
récollet soussigné, aumônier du Roy au susdit
fort, En foy de quoy avons signé.
Fr DENYS BARON, P.R.
aumônier."
Le chevalier de la Pérade ne s'était pas
marié. (1)
(1) Mgr Tanguay (Dictionnaire généalogique, vol. VII,
p. 263), lui fait épouser, en 1749, Marie Bertrand de qui il
aurait eu une fille, Marie-Antoinette, qui serait née à
Montréal, le 27 mars 1750. Mgr Tanguay a fait erreur.
1ère génération : Thomas-Xavier Tarieu de Lanau-
dière
2ème génération : Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade
3ème génération : Charles-François-Xavier Tarieu de
I^anaudière
L'HON. CHARLES-FRANÇOIS-XAVIER
TARIEU DE LANAUDIERE
Né à Sainte-Anne de la Pérade le 4
novembre 1710.
Comme sa mère, l'héroïque Madelon de
Verchères, il commença la vie par une action
d'éclat. Celle-ci, à l'âge de douze ans, avait
presque soutenu un siège dans le fort de Ver-
chères contre une troupe d'Iroquois. Le jeune
de Lanaudière, à l'âge de douze ans, sauva la
vie à sa mère en la débarrassant de quatre
sauvagesses furieuses qui étaient sur le point
de la jeter dans l'âtre du manoir de Sainte-
Anne de la Pérade. Bon sang ne peut mentir !
Il est vrai que madame de Lanaudière venait
de casser les reins au mari de l'une de ces
sauvagesses qui voulaient faire un mauvais
parti au seigneur de Sainte-Anne, retenu à la
maison par la maladie !
Le 23 avril 1726, le baron de Longueuil,
administrateur de la Nouvelle-France, donnait
à M. de Lanaudière une expectative d'enseigne
en second dans les troupes du détachement de
la marine.
Cette enseigne lui fut confirmée par le roi,
le 12 avril 1727.
Sept ans plus tard, le 13 avril 1734, M. de
Lanaudière était promu enseigne en pied.
62
En 1741, il recevait une nouvelle promo-
tion. Il était fait lieutenant.
En 1743, M. de Lanaudière était choisi
comme aide-major de la ville et gouvernement
de Québec. M. Péan de Livaudière était alors
major de Québec. M. de Lanaudière lui rendit
de précieux services car M. Péan de Livaudière
commençait à vieillir et n'avait pas l'activité
nécessaire pour remplir efficacement ses diffi-
ciles fonctions.
De 1726 à 1743, M. de Lanaudière dut
faire bien des campagnes. Mais nous ne voyons
son nom mentionné dans aucune des relations
qui nous ont été conservées de cette période
héroïque de notre histoire.
Les officiers de grade inférieur se battaient
avec autant de bravoure et de dévouement que
les commandants de compagnies et les officiers
d'état-major mais les relations officielles, alors
comme aujourd'hui, gardaient tous leurs éloges
et leurs compliments pour les chefs.
Jîn 1746, M. de Lanaudière fit partie de
l'expédition envoyée en Acadie sous les ordres
de M. de Ramezay. Cette expédition, au dire
de M. l'abbé Casgrain, est l'un des faits les plus
héroïques des annales de la Nouvelle-France.
On vit deux cent cinquante Canadiens partir au
cœur de l'hiver (janvier 1747), faire plus de
soixante lieues en raquettes à travers les forêts,
et venir attaquer au village de la Grande-Prée,
une troupe de plus de cinq cents anglo-améri-
cains cantonnés dans les maisons, dont l'une
était en pierre et armée de canons. Après une
— 63 —
lutte soutenue durant douze heures, une partie
des ennemis fut tuée et un grand nombre fait
prisonniers.
M. de Lanaudière ne put cependant prendre
part à la glorieuse attaque de la Grande-Prée,
ayant reçu ordre du gouverneur de Beauhar-
nois, dès le mois d'août précédent, de revenir à
Québec. Il arriva dans la capitale le 5 septembre
1746.(1)
En mars 1747, le gouverneur de Beau-
harnois chargeait M. de Lanaudière de lever
cent soixante quinze hommes sur la rive sud du
Saint-Laurent, dans le gouvernement de Qué-
bec. Ces hommes devaient être envoyés à l'île
aux Coudres, afin de mettre ce poste avancé en
état de défense contre une attaque possible des
Anglais.
Dans l'été de la même année 1747, le gou-
verneur de Beauharnois donnait une autre
mission de confiance à M. de Lanaudière. Il le
chargea de la tâche délicate d'un échange de
prisonniers que lui avait proposé M. Shirley,
gouverneur du Massachusetts. M. de Lanau-
dière s'acquitta de sa mission à la parfaite
satisfaction de M. de Beauharnois.
Au printemps de 1748, M. de la Galisson-
nière, qui avait succédé à M. de Beauharnois
au gouvernement de la Nouvelle-France,
envoyait M. de Lanaudière commander chez les
(1) Dans le Canada-Français (Documents inédits), tome
deuxième, pp. 10 et seq, on trouvera deux relations très
détaillées et extrêmement intéressantes, de cette audacieuse
expédition, l'une du chevalier de la Corne, et l'autre de M.
de Beaujeu, le futur héros de la Monongahéla.
64
Miamis. Il partit avec le convoi destiné à Dé-
troit. Ce convoi, sous le commandement de M.
de Céloron, un des officiers les plus capables de
la colonie, était composé de cent Français, de
dix ou douze Népissingues et de plusieurs cou-
reurs de bois. M. de Lanaudière agit comme
commandant en second de l'expédition jusqu'au
Détroit.
De Détroit, M. de Lanaudière se rendit
aux terres des Miamis avec une petite escorte.
Ces expéditions étaient toujours extrême-
ment dangereuses. Les convois étaient le plus
souvent défendus par des escortes peu nom-
breuses et les tribus sauvages qu'on rencon-
trait étaient plutôt hostiles.
M. de Lanaudière ayant rendu compte au
gouverneur de son heureuse arrivée aux
Miamis, M. de la Galissonnière lui écrivait le
9 novembre 1748 :
" J'ai appris avec plaisir, Monsieur, que
vous aviez effectué sans encombre votre voyage
aux Miamis. J'appréhendais que la sécheresse
qui a sévi dans toute cette contrée, ne vous eût
empêché de vous y rendre. J'espère qu'avec
l'ascendant que vous avez sur les Sauvages et
la juste terreur qu'ils ont de nos armes, nous
parviendrons sans peine à ramener les mutins.
Le meurtre qui a été commis à Ouabache doit
être puni. On l'impute avec quelque fondement
aux Hurons ; cependant je suis plus porté à
croire que c'est le fait des Miamis de la Demoi-
selle. Tâchez de démêler la vérité et n'épargnez
rien pour vous faire livrer le coupable, afin d'en
— 65 —
faire justice. C'est la meilleure manière de
réduire les autres et de rétablir la paix. Comme,
par la suspension d'armes entre la France et la
Grande-Bretagne, les choses doivent se retrou-
ver sur le même pied qu'elles étaient avant la
guerre, et que les Anglais n'ont pas droit de
faire la traite à la Rivière-Blanche non plus
qu'à la Belle-Rivière, vous pouvez, si vous en
avez l'occasion, faire notifier aux traiteurs de
cette nation qu'ils aient à se retirer, sinon qu'on
les expulsera de force. Si cela devenait néces-
saire, vous me diriez ce que je dois envoyer de
troupes au printemps. On a mal interprété la
suspension d'armes ; on a fait courir le bruit
dans quelques postes, et même à Frontenac,
que cette suspension n'était que transitoire.
C'est là un faux bruit semé à dessein par les
traiteurs anglais, qui, à l'aide de cette super-
cherie, espèrent pouvoir prolonger le trouble
et en profiter. Ce n'est pas ainsi que les gou-
verneurs et les habitants de Boston et de New-
York en ont jugé. Ils n'ont pas plutôt appris
cette suspension qui est perpétuelle, qu'ils se
sont réjouis de voir cesser ces courses qui
désolaient leur pays et qu'ils se sont empressés
de le témoigner. Veuillez donc rétablir les faits,
et, puisque vous devez aller à Ouitanons, infor-
mez-vous de l'état des esprits." (1)
Au retour de M. de Lanaudière à Québec,
dans l'été de 1749, le gouverneur de la Jon-
quière, pour lui témoigner sa satisfaction de
(1) L'abbé Daniel, Histoire des grandes familles fran-
çaises du Canada, p. 459.
66
son heureux voyage chez les Miamis, demanda
au roi de lui accorder une gratification de 2000
livres. Le roi, sans doute pour ne pas créer de
précédent, refusa de donner cette gratification
pourtant bien méritée.
En mai 1749, M. de Lanaudière obtenait
enfin le commandement d'une compagnie. Il
servait depuis vingt-trois ans. Les promotions
étaient alors moins rapides que de nos jours où
on voit des lieutenants monter au grade de
colonels en quelques mois.
Le 1er mars 1750, MM. de la Jonquière et
Bigot concédaient à M. de Lanaudière une
étendue de terrain de deux lieues ou environ de
front à prendre au bout de la profondeur du
fief de Carufel, sur la profondeur qui pourrait
se trouver jusqu'au lac Maskinongé, le dit lac
compris dans toute son étendue avec les îles,
îlots et battures qui pourraient se trouver dans
ce lac.
Cette concession était faite à perpétuité et
à toujours, à titre de fief et seigneurie, avec
haute, moyenne et basse justice, droit de pêche,
chasse et traite avec les Sauvages, etc., etc. (1)
La concession de ce fief fut ratifiée par le
roi le 24 juin 1751. •
C'est la seigneurie qui prit dès lors le nom
de seigneurie du lac Maskinongé ou de seigneu-
rie de Lanaudière.
Les malheurs des temps empêchèrent M.
de Lanaudière de mettre à exécution les projets
(1) Pièces et documents relatifs à la tenure seigneuriale,
p. 216.
— 67 —
qu'il avait formés pour le développement de
cette magnifique seigneurie.
L'arpenteur-généraî Joseph Bouchette
écrivait en 1815, au sujet de la seigneurie du
Lac Maskinongé :
" C'est une belle étendue de terrain, d'un
sol fort et fertile et bien boisé de hêtre, d'érable,
de bouleau, de pin et de quelques chênes. Elle
est arrosée par plusieurs petits lacs, mais prin-
cipalement par la rivière Maskinongé, dont le
courant sort du lac du même nom, qui a
environ neuf milles de circonférence, et qui est
bien pourvu de différentes espèces d'excellents
poissons. Le voyage d'alentour possède plu-
sieurs beautés naturelles dans le genre sauvage
et sublime, offrant un amphithéâtre d'éminences
et de vastes collines, couronnées par derrière
par la magnifique chaîne de montagnes qui se
prolonge à l'ouest depuis Québec, et plusieurs
autres des traits hardis qui forment un pays
romantique. On y a encore fait très peu d'éta-
blissements ; mais elle peut certainement
s'améliorer en très peu de temps, et devenir
une propriété précieuse." (1)
Le 5 janvier 1768, M. de Lanaudière
donnait son fief du Lac Maskinongé ou de
Lanaudière à son fils aîné le chevalier de La-
naudière. (2) A la mort de celui-ci il passa à sa
fille, Marie-Anne Tarieu de Lanaudière, qui
le vendit, le 17 mars 1814, à M. Toussaint
(1) Description topographique de la province du Bas-
Canada, p. 29*
(2) Acte devant Saillant, notaire à Québec, le 5 janvier
1768.
68
Pothier, négociant à Montréal, pour la somme
de deux mille livres. (1)
A partir de 1756, on peut dire que M. de
Lanaudière fut à peu près continuellement
absent de son foyer. La guerre était recom-
mencée et le brave officier était partout où il y
avait des coups à donner ou à recevoir.
M. de Lanaudière était à la prise de Choua-
guen, le 14 août 1756. Le surlendemain de cette
belle victoire le marquis de Montcalm écrivait
au chevalier de Lé vis :
" Dites à votre camp que j'ai été très con-
tent de Messieurs de la colonie." (2)
Sous la plume de Montcalm cette petite
phrase disait beaucoup car on sait qu'il n'aimait
pas les officiers canadiens.
L'année suivante, le 9 août 1757, M. de
Lanaudière prenait part au siège du fort
William-Henry sous les ordres de M. de Mont-
calm. Là encore la victoire fut éclatante. Elle
fut malheureusement ternie par le massacre du
lendemain.
A la bataille de Carillon, le 8 juillet 1758,
M. de Lanaudière recueillit de nouveaux
lauriers.
Le lendemain même de cette belle victoire,
le 9 juillet 1758, du champ de bataille encore
fumant, le valeureux Montcalm faisait con-
naître au gouverneur de Vaudreuil ceux qui
s'étaient le plus distingués. Il écrivait :
(1) Acte devant Joseph Planté, notaire à Québec, le 17
mars 1814.
(2) Thomas Chapais, Le Marquis de Montcalm, p. 139.
— 69 —
4* Monsieur de Raymond qui avait l'hon-
neur de commander les troupes de la colonie a
montré bien du zèle et de l'intelligence et je ne
saurais trop me louer de lui, de Messieurs de
Saint-Ours, Lanaudière, Gaspé et généralement
du très petit nombre d'officiers que vous y aviez.
" Nous devons cet avantage au courage
des troupes, aux sorties que Monsieur le che-
valier de Lévis a fait faire à la droite des piquets
et compagnies de grenadiers en même temps
qu'il avait envoyé les Canadiens ingambes dans
la trouée, aux bonnes dispositions et à la fer-
meté de Monsieur Bourlamaque à la gauche ;
tous les commandants des corps et généralement
tous les officiers se sont comportés de façon que
je n'ai eu que le mérite de me trouver le général
de troupes aussi valeureuses et d'avoir attention
de les faire secourir successivement suivant que
les parties de notre abattis étaient plus ou moins
attaqués." (1)
En janvier 1759, M. de Lanaudière rece-
vait la récompense suprême de tous ceux qui se
battaient pour le roi et pour la France : il était
créé chevalier de Saint-Louis.
Sa belle conduite à la bataille de Carillon
lui avait valu cette marque de distinction de son
roi.
Le 1er juin 1759, le gouverneur de Vau-
dreuil donnait l'ordre suivant à M. de Lanau-
dière :
" Il est ordonné au sieur de Lanaudière,
chevalier de Saint-Louis, capitaine d'infanterie,
(1) Collection de manuscrits, vol. IV, p. 170.
70
de se transporter sur le champ à Beauport et
d'y réunir toutes les familles de la côte de
Beaupré, qui ont émigré en deçà du Sault Mont-
morenci, afin de les conduire ensuite sur le lac
Saint-Charles, dans les profondeurs de Lorette,
où il fera faire des cabanes pour eux, des parcs
pour leurs bestiaux. Il veillera à ce que per-
sonne ne s'arrête dans les lieux habités, notre
intention étant de faire évacuer, sous peu de
jours, ces endroits eux-mêmes et d'en obliger
les habitants à se réfugier dans les bois ainsi
qu'il en a été ordonné dans toutes les parties
de ce gouvernement. Nous n'avons pas besoin
de recommander à M. de Lanaudière d'user de
douceur et de modération dans l'exécution de
ces mesures que le malheur des temps nous
oblige à prendre ; ses sentiments bien connus
envers les habitants nous font espérer qu'il
aura recours le plus possible aux moyens de
persuasion pour arriver à ses fins." (1)
Le gouverneur de Vaudreuil, canadien lui-
même, n'ignorait pas que les pauvres habitants
des campagnes déjà si éprouvés par la guerre
n'hésiteraient pas cependant à s'imposer de
nouveaux sacrifices s'ils leur étaient demandés
par ceux en qui ils avaient confiance. La mission
dont M. de Lanaudière venait de s'acquitter
avec tant de succès engagea le gouverneur à
lui en confier une autre bien autrement difficile.
Ce fut de se transporter dans les campagnes
(1) L'abbé Daniel, Histoire de» grandes familles fran-
çaises du Canada, p. 461.
— 71 —
et d'engager les habitants à livrer leurs provi-
sions pour nourrir \qs soldats.
M. de Lanaudière avait déjà commencé
cette opération importante mais extrêmement
délicate lorsqu'il reçut la lettre suivante du
gouverneur de Vaudreuil :
" Vous trouverez ci- joint, monsieur, un
ordre suivant lequel je vous prie de vouloir bien
continuer la levée de bœufs jusqu'à Maskinon-
gé. Telle est la confiance qu'ont en vous les
habitants que nous avons cru ne pouvoir faire
un meilleur choix que celui de votre personne
pour une semblable mission. En la remplissant,
vous rendrez un immense service, et vous n'au-
rez pas moins de mérite que si vous serviez à
l'armée. Aussi, vous pouvez être assuré du
plaisir que j'aurai à faire valoir votre zèle en
cette occasion. Avec cet ordre, vous trouverez
l'ordonnance rendue conjointement avec l'inten-
dant, qui enjoint aux habitants de déclarer leurs
animaux. Vous ne manquerez pas, j'en ai la
conviction, de leur remontrer avec toute la dou-
ceur possible qu'il y va de leur propre intérêt
de se prêter à ce que demande d'eux le salut de
la colonie. Vos manières insinuantes sont ce
qu'il y a de mieux pour les amener à faire ce
qu'on exige d'eux. J'écris en même temps à M.
de Noyelle, commandant aux Trois-Rivières,
pour qu'il facilite le passage des animaux et
fournisse aux conducteurs les sommes qui leur
seront nécessaires. Vous ferez bien, je crois, de
faire traverser, vis-à-vis des Grondines, les
animaux que vous aurez levés dans le sud. J'en
dis un mot, suivant vos désirs, à M. de Vau-
queiin. Vous ne laisserez pas de prendre vos
précautions pour éviter toute surprise." (1)
M. de Lanaudière ne s'était pourtant pas
fait illusion sur la difficulté de l'entreprise. Mais
lorsqu'il se trouva au milieu des paroisses
désertes, face à face avec les vieillards restés
pour garder les pauvres habitations, il fut
presque pris de découragement et de remords.
Il écrivit donc au gouverneur de Vaudreuil
pour lui faire part de la peine qu'il éprouvait.
M. de Vaudreuil lui adressa alors ses
encouragements :
14 Je sais très bien, monsieur, lui écrivait-il,
la peine et l'embarras que vous donne la mission
dont je vous ai chargé, et qui ne peut qu'aug-
menter la situation si triste des habitants ;
mais il est essentiel que nous pourvoyions à la
subsistance de l'armée et que, pour cet effet,
nous ayons recours à tous les moyens : nos
besoins sont pressants et le moindre retard peut
nous devenir funeste. Je vous prie donc, mon-
sieur, de continuer votre tournée jusqu'au Cap
de la Madeleine, et d'achever la levée dont je
vous ai chargé. Quelle soit votre répugnance,
il ne faut pas que vous laissiez plus d'une char-
rue de deux en deux habitants ; quant aux
vaches, limitez-en le nombre à l'indispensable
nécessaire pour faire vivre les familles. En
revenant du Cap de la Madeleine, vous voudrez
bien faire une nouvelle levée dans les paroisses,
(1) L*abbé Daniel, Histoire des grandes familles fran-
çaises du Canada, p. 461.
73
que vous avez trouvées le plus en état de se
supporter, particulièrement à Lorette, etc.
L'estime dont vous jouissez auprès des Cana-
diens me persuade que vous pourrez leur faire
comprendre que le parti que je prends les inté-
resse tous en général et chacun en particulier ;
que si, faute de subsistance, j'étais obligé de
renvoyer l'armée, la colonie serait perdue ; et
que d'ailleurs, je n'entends pas les priver des
animaux que je leur demande, mais qu'ils leur
soient exactement remplacés par ceux que nous
ferons lever dans le gouvernement de Montréal.
Je me repose donc sur vous, monsieur, pour
cette opération dont vous sentez toute l'impor-
tance, et je m'en rapporte aux arrangements
que vous prendrez pour faire passer ces ani-
maux de paroisse en paroisse et les faire par-
venir à l'armée. On ne peut rien ajouter à la
sincérité des sentiments avec lesquels je suis,
monsieur, votre, etc." (1)
Le 13 septembre 1759, M. de Lanaudière
était sur les Plaines d'Abraham, à la tête de sa
compagnie. On sait quel fut le résultat de
cette rencontre.
M. de Lanaudière prit également part à
la bataille de Sainte-Foy, le 28 avril 1760, cette
dernière mais glorieuse victoire des armes fran-
çaises en Canada.
Après l'arrivée de la flotte anglaise devant
Québec, M. de Lanaudière suivit l'armée à
Montréal. Après la capitulation de cette ville,
(1) L'abbé Daniel, Histoire des grandes familles fran-
çaises du Canada, p. 463.
— 74 —
le 8 septembre 1760,prisonnier de guerre comme
tous ses compagnons d'armes, il passa en
France. Il laissait sa femme au pays. Leurs
adieux devaient être éternels car madame de
Lanaudière décéda pendant le séjour de son
mari au pays de ses ancêtres.
M. de Lanaudière vécut trois ans en
France. Les parents qu'il y avait et les
amis qu'il s'était créés là-bas firent l'impos-
sible pour le décider à rester en France. Son
cousin, M. Tarieu de Taillant, seigneur de
Marceillan, qui résidait à Auch, fut celui qui
insista la plus à l'entraîner dans cette direction.
Il fit toutes les recherches nécessaires pour lui
trouver en France une terre convenable à son
état de fortune. Il le pressa mais inutilement
d'acheter le domaine du trop célèbre Mirabeau,
invoquant même pour l'y faire consentir, le
désir qu'en avaient exprimé, plusieurs fois, le
cardinal de Bernis et le célèbre abbé Douglas,
tous deux amis de M. de Lanaudière. (1)
En mai 1763, M. de Lanaudière ayant
obtenu du gouvernement anglais les passeports
nécessaires s'embarqua pour la Nouvelle- York
où il arriva dans les premiers jours de juillet.
Le général Amherst, qui commandait alors
à la Nouvelle- York, et qui avait connu M. de
Lanaudière pendant sa campagne au Canada,
le reçut avec beaucoup d'égards. Il poussa
l'obligeance jusqu'à requérir tous les comman-
dants des postes, depuis Albany jusqu'à Saint-
Ci) Autrefois et aujourd'hui à Sainte-Anne de la Pérade,
56.
75
Jean, de lui donner toute l'aide possible pendant
le cours de son voyage.
Le gouverneur Murray ne fut pas moins
aimable pour M. de Lanaudière. Ce brave lieu-
tenant de Wolf e avait des vues plus élevées que
les quelques boutiquiers véreux qui étaient ve-
nus s'établir à Québec aussitôt après la conquête
du pays. Pour lui comme pour tous les gens
sensés et désintéressés, le meilleur moyen
d'amener le peuple canadien à accepter le nou-
veau régime était de lui laisser le libre usage
de sa langue, de sa religion et de ses institutions
en autant que la constitution de la Grande-Bre-
tagne le permettait. Le régime militaire, qui
suivit immédiatement la conquête, quoi qu'on
en ait dit, fut un régime honnête, juste, presque
paternel. Si le général Murray ne fut pas le
plus brillant de nos gouverneurs anglais, nous
ne croyons pas exagérer en le comptant comme
le plus sympathique à notre race. Et nous en
avons la preuve dans les regrets universels que
souleva son rappel.
Lors de son départ pour l'Angleterre en
juin 1766, les seigneurs du gouvernement de
Québec envoyèrent au roi une adresse dans
laquelle ils lui faisaient part des regrets que
leur causaient son rappel. Ils lui énuméraient
en même temps toutes les obligations qu'ils de-
vaient à son impartialité et à sa bonté.
Cette adresse signée par vingt-et-un sei-
gneurs fut rédigée par M. de Lanaudière. Ce
document n'est pas un modèle de style. Le gen-
tilhomme qui était sorti de l'école pour entrer à
— 76 —
l'armée, trouvait l'épée plus légère que la
plume. Son adresse lui fait néanmoins autant
d'honneur qu'à M. Murray lui-même. Ce
témoignage de reconnaissance dut être bien
sensible au gouverneur Murray qui avait ren-
contré tant d'ingratitude de la part de ses
propres compatriotes qu'il avait aidés de toutes
les façons pendant ses six années de gouver-
nement.
M. de Lanaudière disait :
" L'honorable Jacques Murray, en 1759,
entouré des Canadiens qu'il devait regarder
comme ses ennemis, n'a eu pour eux que de
l'indulgence ; de ce temps il s'acquit nos cœurs ;
sa générosité et celle de ses officiers animés par
son exemple qui par les aumônes qu'ils ont
répandues, ont tiré les peuples de la misère dans
laquelle les malheurs de la guerre les avaient
plongé, nous ont forcé de l'admirer et de le
respecter.
" Après l'entière conquête de cette pro-
vince, il nous a par son affabilité contraint de
l'aimer ; il établit dans son gouvernement un
conseil militaire composé d'officiers équitables
qui sans prévention et sans émoluments ont jugé
ou plutôt ont accommodé les parties processives ;
point d'exemple d'aucun appel de leurs juge-
ments ; combien de familles n'a-t-il pas aidées
et soutenues? Nous avons joui jusqu'à l'époque
du gouvernement civil d'une tranquillité qui
nous faisait presque oublier notre ancienne pa-
trie; soumis à nos sages jugements et ordon-
nances,nous étions heureux, les anciens sujets ne
77
pensaient point à se plaindre ; nous regrette-
rons longtemps la douceur de ce gouvernement.
Nos espérances ont été détruites par l'établis-
sement du gouvernement civil, que l'on nous
avait si fort exalté, nous vîmes naître avec lui
la cabale, le trouble et la confusion, et nous
fûmes étonnés de voir paraître dans des libelles
infâmes, dont les auteurs ont été impunis, la
plus basse et la plus insigne calomnie. Nous,
accoutumés à respecter nos supérieurs et à
obéir aux ordres émanés de notre souverain, à
quoi nous sommes portés par notre éducation
autant que par notre religion, nous avons
révéré les nouveaux officiers civils, nous nous
sommes tenus à leurs jugements, nous avons
exécuté leurs ordres ; le haut prix des salaires
de ces officiers nous a étonnés à la vérité mais
sans nous révolter ; frappés de l'irrégularité
dans plusieurs circonstances, nous avons gémi
sans nous plaindre, nous garderions encore le
silence si nous n*y étions forcés par un coup le
plus sensible qui vient de nous être porté ;
notre père, notre protecteur, nous est enlevé ;
comme père, il écoutait nos plaintes, comme
protecteur, il y remédiait ou du moins les dimi-
nuait avec promptitude, et il nous consolait
avec bonté, et sans lui que serions nous deve-
nus ? Les anciens sujets, du moins le plus
grand nombre, depuis l'époque du gouverne-
ment civil, n'ont cherché qu'à nous opprimer,
à nous rendre leurs esclaves et peut-être à
s'emparer de nos biens. L'émigration d'un
nombre de nos meilleurs concitoyens, que nous
— 78 —
regrettons, a été les funestes suites de leurs
mauvais procédés et des bruits alarmants, qu'ils
n'ont cessé de répandre, il nous en reste des mo-
numents authentiques." (1)
Le 13 novembre 1767, M. de Lanaudière,
déjà propriétaire des seigneuries de Sainte-
Anne, de Tarieu et du Lac Maskinongé ou La-
naudière, se rendait acquéreur de la moitié du
fief et seigneurie de la Durantaye contenant une
lieue et demie de front ou environ sur le bord
du fleuve Saint-Laurent sur quatre lieues de
profondeur avec tous les droits de cens, rentes
foncières et seigneuriales, moulin banal, droits
honorifiques, etc., etc. (2) M. de Lanaudière
paya son acquisition trente mille livres, c'est-à-
dire trente mille chelins argent courant de la.
Province. Les dames religieuses de l' Hôpital-
Général de Québec, propriétaires de la seigneu-
rie de Saint- Vallier depuis le 18 août 1720,
avaient été obligées de la vendre pour payer un
emprunt que les malheurs des temps les avaient
obligées de faire à M. Benjamin Comte.
Les dames de l' Hôpital-Général se dessai-
sirent de leur seigneurie de Saint-Vallier avec
beaucoup de regrets car elle était leur princi-
pal moyen de subsistance.
Nous lisons dans Mgr de Saint-Vallier et
r Hôpital-Général de Québec :
(1) L'adresse des seigneurs du gouvernement de Qué-
bec a été publiée en entier dans le Rapport sur les archives
du Canada pour 1888, p. 18.
(2) Acte de vente devant Jean-Claude Panet, notaire à
Québec, le 13 novembre 1767. Cette moitié de la seigneurie
de la Durantaye était connue »ous le nom de fief ou seigneu-
rie de Saint-Vallier.
— 79 —
" Toutes ces négociations (pour le paie-
ment des sommes dues à Y Hôpital-Général par
le gouvernement français) n'avaient pu se con-
clure avant le terme fixé par M. Benjamin
Comte pour le paiement des sommes qui lui
étaient dues. En vain M. du Roveray lui écrivit-
il de la manière la plus pressante pour l'engager
à accorder aux religieuses un nouveau délai.
M. Comte, à bout de patience, signifia sa réso-
lution de procéder en toute rigueur de justice.
Dans cette pénible situation nos mères eurent
recours à la prière. Puis la mère Thérèse de
Jésus assembla le chapitre : on envisagea la
question sur tous les points de vue; Mgr Briand
et M. de Rigauville mirent dans la balance le
poids de leurs sages conseils. Pour dernière
mesure, on se décida à vendre la seigneurie de
Saint-Vallier à M. de Lanaudière pour 30,000
livres comptant, et cette somme fut remise le
même jour (1.6 novembre 1767), (1) entre les
mains de M. Benjamin Comte.
" La seigneurie de Saint-Vallier avait
coûté beaucoup par les améliorations qu'on y
avait faites d'année en année. Le sol y était
productif en toute espèce de grains. On y
trouvait en grande quantité le hêtre, le merisier,
l'épinette, la pruche et l'érable ; le chêne même
n'y était pas étranger. Un bateau transportait
facilement ces produits jusqu'à Notre-Dame
des Anges. Les lods et ventes, les cens et rentes,
ainsi que les autres redevances, figuraient bien
aussi sur les comptes de la dépositaire. En
(1) L'acte de vente en fut passé le 13 et non le 16.
— 80 —
faisant le sacrifice de cette propriété, nos mères
se dépouillaient d'un seul coup de leur principal
moyen de subsistance et de Tunique bien qui
leur appartint en propre et, pourtant, elles ne
se trouvaient pas encore quittes avec M. Comte.
Elles purent enfin le satisfaire pleinement dans
le cours de l'année 1768 " (1)
M. de Lanaudière qui avait toujours été
l'ami de l' Hôpital-Général et qui comptait
plusieurs parentes parmi les religieuses de cette
communauté n'avait pas fait l'achat de la
seigneurie de Saint-Vallier dans un but de
spéculation. C'est à la demande même des
bonnes dames qui voyaient leur maison acculée
à la ruine si elles ne pouvaient satisfaire leur
créancier, qu'il fit cet achat.
Sir Guy Carleton qui succéda au général
Murray dans le gouvernement du Canada
n'était pas moins favorable aux Canadiens-
Français, ou " nouveaux sujets " comme on
les appelait alors, que son distingué prédéces-
seur.
A peine avait-il pris les rênes du pouvoir
qu'il suggérait à lord Shelbourne, un des
principaux secrétaires d'Etat de Sa Majesté,
d'appeler quelques Canadiens-Français au
Conseil exécutif de la Province.
Le 15 mars 1769, il revenait à la charge
auprès du comte de Hillsborough, qui avait
succédé à lord Shelbourne. Pour remplacer M.
Benjamin Price, membre du Conseil exécutif,
(1) Mgr de Saint-Vallier et l'Hôpital-Général de Québec,
392.
— 81 —
décédé en octobre 1768, il ne trouvait que trois
noms à suggérer dans toute la population
anglaise de la colonie, MM. James Johnstone,
Jacob Jordan et John Gray. Sir Guy Carleton
en profitait pour dire au ministre quels avan-
tages retirerait la Couronne en faisant entrer
dans le Conseil un certain nombre de Cana-
diens-Français. " Ce serait, écrivait-il, le
moyen de concilier toute la population et de
donner une nouvelle vigueur et une plus forte
influence au gouvernement. " Ces Canadiens-
Français, ajoutait-il, aideraient grandement le
Conseil en le renseignant sur les anciennes lois
du pays, ils lui rendraient pareillement des
services précieux auprès des .Sauvages sur
lesquels ils ont beaucoup d'influence/'
Sir Guy Carleton suggérait de porter le
nombre des membres du Conseil de douze à dix-
sept et d'y faire entrer cinq Canadiens-Fran-
çais. Parmi les seigneurs canadiens qu'il suggé-
rait au ministre comme membres du Conseil
nous voyons les noms de MM. de Léry, de
Lanaudière, de Contrecœur, de Tonnancour,
d'Ailleboust de Cuisy, de Gaspé, de Saint-Ours,
de Saint-Luc, de Bellestre, de Rouville, de
Montesson, et de Niverville. (1)
Cette sage suggestion de sir Guy Carleton
ne fut pas acceptée tout de suite. Le gouver-
nement anglais hésitait à appeler dans le
Conseil exécutif des Canadiens catholiques.
Les préjugés contre les papistes étaient encore
(1) Rapport sur les Archives Canadiennes pour 1890,p.41-
— 82 —
si fortement ancrés dans les esprits en Angle-
terre î
Le 23 août 1769, M. de Lanaudière faisait
une autre importante acquisition. Il achetait de
Charles Levrard le fief et seigneurie de Levrard
plus connu sous le nom de Saint-Pierre les
Becquets. M. de Lanaudière paya son acquisi-
tion treize mille livres ou chelins de la province.
M. Levrard ne garda pas une grosse part de
cette somme, puisqu'il la devait presque en
entier. (1)
Le fief et seigneurie de Levrard ou de
Saint-Pierre les Becquets avait été originaire-
ment concédé en 1672 par MM. de Frontenac
et Duchesneau au notaire Romain Becquet.
Celui-ci étant décédé sans remplir les conditions
de sa concession,MM.de la Barre et de Meulles,
pour se conformer aux ordres du roi, par leur
ordonnance du 12 mars 1683, la remirent dans
le domaine de Sa Majesté. Mais quelques
semaines plus tard, le 27 avril 1683, ils la con-
cédaient de nouveau aux deux filles du notaire
Becquet, Catherine-Angélique Becquet, plus
tard épouse de Louis Levrard, et Marie-Louise
Becquet, plus tard épouse de Jean- Jacques
LeBé. Cette dernière étant décédée sans enfant,
la seigneurie passa au fils de sa sœur, Charles
Levrard, celui-là même qui vendit à M. de
Lanaudière.
M. Joseph Bouchette disait de la seigneurie
de Levrard ou Saint-Pierre les Becquets, en
1815 :
(1) Acte de vente devant Jean-Claude Panet, notaire k
Québec, le 23 août 1769.
83
" Cette seigneurie est très peu habitée,
quoique le sol en soit fertile, et qu'elle produise
de bonnes récoltes de grain de toute espèce ;
elle est généralement composée de belle argile,
et d'une terre grasse et noire. Elle est abondam-
ment garnie de bois de construction dont une
partie est de la meilleure qualité ; mais la plus
grande partie est du bois de chauffage dont une
grande quantité sert à la consommation de la
capitale. Elle est arrosée par une partie de la
rivière Duchesne et par quelques petits cou-
rants. Dans la première et la seconde rangées
de concession, il y a quelques fermes dans un
très-bon état d'améliorations." (1)
L'acte de Québec de 1774 créait un Con-
seil Législatif pour la province de Québec. Sir
Guy Carleton, plus tard lord Dorchester, qui
était un des amis de M. de Lanaudière, l'appela
à faire partie de ce Conseil Législatif avec MM.
La Corne de Saint-Luc, Chaussegros de Léry,
Pécaudy de Contrecœur, Saint-Ours d'Eschail-
îons, Picotté de Belestre, des Bergères de
Rigauville, etc., etc.
Le Conseil Législatif s'assembla pour la
première fois à Québec le 17 août 1775. Ce fut,
croyons-nous, la seule apparition de M. de
Lanaudière au Conseil Législatif.
Atteint de nombreuses infirmités qu'il
avait contractées dans ses campagnes, M. de
Lanaudière, afin d'obtenir les soins que requé-
(1) Description topographique de la province du Bas-
Canada, p. 353.
84
rait son état précaire, venait de se retirer avec
sa femme à F Hôpital-Général de Québec.
C'est dans cet asile béni qu'il décéda le 1er
février 1.776, à l'âge de soixante-six ans. Il fut
inhumé le lendemain dans l'église de ce
monastère.
L'honorable M. de Lanaudière avait
épousé à Québec, le 6 janvier 1743, Louise-
Geneviève des Champs de Boishébert, fille de
feu Henry-Louis des Champs de Boishébert,
capitaine dans les troupes du détachement de
îa Marine, seigneur de la Rivière-Ouelle, et de
Louise-Geneviève de Ramezay.
Madame de Lanaudière décéda à Québec
le 4 juillet 1762, et fut inhumée dans l'église
des Ursulines.
Madame de Lanaudière était une personne
de beaucoup d'esprit. Pendant les dernières
années du régime français, son salon fut un
des plus recherchés de la capitale.
"La petite rue du Parloir, (1) dit M.
l'abbé Casgrain, était un des principaux centres
où se réunissait le beau monde de Québec ;
deux salons y étaient recherchés ; celui de Mme
de Lanaudière et celui de Mme de Beaubassin,
toutes deux renommées pour leur élégance et
(1) La petite rue du Parloir mentionnée ici n'est pas
celle qui est connue sous ce nom de nos jours et conduit au
parloir du couvent des Ursulines. Cette rue du Parloir était
exactement en face de l'archevêché actuel et conduisait au
parloir du séminaire. M. de Lanaudière avait acheté, rue
du Parlo?r, le 23 janvier 1748, la maison du docteur Sarrazin,
mort en Î7H4. Cette maison était située précisément à l'en-
droit où est l'archevêché actuel. Elle resta en la possession
de la famille de Lanaudière jusqu'en 1843. Voir Mgr Henri
Têtu, Histoire du palais épiscopal de Québec, p. 112.
85
leur esprit Mme de Lanaudière, née
Geneviève de Boishébert, était fille du seigneur
de la Rivière-Ouelle, et Mme Hertel de Beau-
bassin, née Catherine Jarret de Verchères, était
fille du seigneur de Verchères. Leurs maris
servaient tous deux en qualité d'officiers de la
milice canadienne. (1) Les charmes de la con-
versation de Mme de Beaubassin semblent avoir
eu particulièrement de l'attrait pour Montcalm,
car son salon était celui qu'il fréquentait le plus
souvent. Ailleurs comme chez l'intendant, ou
chez 'Mme Péan,il se désennuyait,quelquefois il
s'étourdissait ; chez Mme de Lanaudière, il
s'intéressait ; mais chez Mme de Beaubassin, il
s'attachait. La condescendance ou la politesse
l'entraînaient ailleurs ; ici, c'était l'amitié." (2)
M. de Lanaudière se remaria, à Montréal,
le 12 janvier 1764, à Marie-Catherine, fille de
Charles Le Moyne, baron de Longueuil, et de
Catherine-Charlotte Le Gouès.
Madame de Lanaudière décéda à Québec
le 15 avril 1788, et fut inhumée le lendemain,
dans la cathédrale, au bas de la chapelle Sainte-
Anne.
Du mariage de Lanaudière-de-Boishébert
naquirent sept enfants dont six moururent en
bas âge ; du mariage de Lanaudière-de-Lon-
gueuil il y eut dix enfants :
(1) Erreur. MM. de Lanaudière et Hertel de Beaubassin
étaient officiers dans les troupes du détachement de la marine.
(2) Montcalm peint par lui-même d'après des pièces
inédites, p. 14.
— 86 —
I
Charles-Louis Tarieu de Lanaudière
Né à Québec le 14 octobre 1743.
C'est le célèbre chevalier de Lanaudière.
La Nouvelle-France avait tant besoin de
soldats que les études du chevalier de Lanau-
dière durent être écourtées.
On était au commencement de la lutte
héroïque qui devait se terminer par la perte
du Canada. La France nous envoyait si peu de
soldats que les jeunes Canadiens de quinze et
seize ans devaient prendre les armes.
A seize ans, le jeune de Lanaudière était
déjà officier dans les troupes du détachement de
la marine.
A la bataille des Plaines d'Abraham, le 13
septembre 1759, il fut assez heureux de s'en
tirer sans une seule blessure.
A la bataille de Sainte-Foy, le 28 avril
1760, M. de Lanaudière agissait en qualité
d'aide-major du régiment de la Sarre.
Le rapport officiel de cette bataille nous
apprend qu'il reçut une balle dans la jambe. (1)
Transporté à HHôpital-Général de Québec, il y
demeura pendant plusieurs semaines. Deux
vieilles religieuses de cet Hôpital, les mères
Saint-Alexis et Sainte-Catherine, qui étaient
ses parentes, déclaraient plus tard : — " Cet
imparfait enfant gâté de Lanaudière nous don-
Ci) E.-B. O'Callaghan, Documents relative te the history
of the state of New-York, vol. X, p. 1084.
— 87 —
nait à lui seul plus de trouble pendant sa maladie
que tous les blessés qui encombraient notre
hospice."
Après la capitulation de Montréal, M. de
Lanaudière suivit son régiment en France. Il
servit là-bas jusqu'en 1767.
La tradition, dans sa famille, veut qu'il
fut de nouveau blessé très grièvement en
France. Un de ses neveux qui lui faisait
quelques questions sur ses campagnes en France
reçut la réponse suivante. " J'ai fait, dit-il, des
exploits bien glorieux en France contre mes-
sieurs les contrebandiers î On employait tou-
jours les jeunes officiers pour ce service hono-
rable. Aussi était-il convenu entre nous que
lorsque nous les avions embusqués d'un côté,
nous passions par l'autre. Nous n'étions guère
disposés à nous faire échiner sans gloire aucune
pour l'amour et au bénéfice de messieurs les
fermiers généraux, qui étaient d'aussi grands
coquins que les brigands qu'on nous ordonnait
de combattre."
En 1767, M. de Lanaudière accompagna
à Londres le comte de Châtelet, ambassadeur
de France.
Dans Sainte-Anne de la Pérade autrefois
et aujourd'hui, nous trouvons une anecdote
typique de ce premier séjour de M. de Lanau-
dière en Angleterre.
" Georges III aimait beaucoup le plaisir
et s'entourait, en conséquence, de la joyeuse
jeunesse de son royaume, qu'il invitait fort
souvent à la Cour. Entre ces heureux court i-
88
sans, s'en trouvait un en particulier qui, jeune,
beau et spirituel, avait captivé en quelque sorte
l'esprit du roi ; et il le savait. Un soir que M.
Charles de Lanaudière avait été invité à la
table royale, il se trouva placé à côté du mignon,
le beau Brummel, qui s'empressa de lui faire
part de toutes les bontés du souverain à son
égard, et de l'ascendant qu'il avait su prendre
à son tour sur ce dernier.
" Légèrement ému sans doute par le bon
vin, et cédant à un sot orgueil qui le poussait
à vouloir prouver au jeune de Lanaudière
jusqu'où pouvait aller sa familiarité avec le
haut maître de céans." Vous allez voir, dit-il,
dans un instant, ce que je puis faire ici.
" Alors, s'adressant à George III lui-
même : Sire, lui dit-il, veuillez donc sonner
pour le domestique, j'ai besoin qu'il vienne. —
Oui reprit le roi, sans même lever les yeux ni
laisser voir le moindre signe de mécontentement
sur sa figure ou dans sa voix.
u Le serviteur s'étant présenté, le roi, d'un
ton de grande indifférence, s'exprima en ces
termes : — J'ai sonné pour vous ordonner de
faire venir immédiatement à la porte du palais,
la voiture de ce monsieur, le désignant du doigt,
car il en a un pressant besoin.
" En entendant ces quelques mots à son
adresse, le " beau Brummel " ne comprit que
trop la disgrâce dont il était frappé et se retira
immédiatement, couvert de confusion, avec
l'intime conviction que ses nombreux rivaux
éprouvaient une vive joie en le voyant ainsi mis
89
à la porte du château, où i) ne remit jamais le
pied/' (1)
Le fond de cette anecdote, nous n'en vou-
lons pas douter, est vrai. Mais on a confondu
George III avec son fils qui fut plus tard
George IV. Le beau Brummel fut le favori
non pas de George III mais de George IV.
Si l'épisode raconté ici a réellement eu lieu en
1767, George IV n'était encore que prince de
Galles car il monta sur le trône en 1820 seule-
ment, après avoir été régent du royaume pen-
dant dix ans.
Pendant qu'il était à Londres, M. de
Lanaudière obtint du gouvernement anglais un
passeport pour venir au Canada prendre pos-
session des biens de sa mère décédée.
Une fois au pays natal, probablement à la
suggestion de son père, il décida de sacrifier
les honneurs militaires qui l'attendaient en
France, afin de mettre au service de son pays
ses forces, ses talents et son énergie.
Sir Guy Carleton était alors gouverneur
de la province de Québec. Ami intime de M. de
Lanaudière père, il ne tarda pas à accorder
toute sa confiance au chevalier de Lanaudière.
Il le choisit même peu de temps après son
retour dans la colonie comme un de ses aides
de camp.
En août 1770, le gouverneur Carleton
s'embarquait pour l'Angleterre. Il s'en allait
faire connaître aux ministres la situation du
(1) Autrefois et aujourdh'ui à Sainte-Anne de la Pérade,
p. G3.
— 90 —
Canada. M. de Lanaudière fit le voyage avec
sir Guy Carleton.
En 1775, pendant l'invasion américaine,
M. de Lanaudière fut un des officiers qui ren-
dirent le plus de services au gouverneur Carle-
ton. Sa connaissance de l'art militaire, la popu-
larité dont il jouissait parmi ses compatriotes,
son activité et son dévouement à la chose
publique, en faisaient un aide puissant pour
le gouvernement.
Au commencement d'octobre 1775, MM.
de Lanaudière et Godefroy de Tonnancour
réussirent à lever aux Trois-Rivières et dans
les environs soixante-sept hommes pour aller
à la défense de Montréal.
Ce détachement partit des Trois-Rivières,
le 10 octobre, sous le commandement de M. de
Lanaudière.
Dans sa lettre au ministre Darmouth, du
25 octobre 1775, Carleton raconte la mésaven-
ture arrivée à son aide de camp.
Les soixante-sept Trifluviens enrôlés par
MM. de Lanaudière et de Tonnancour n'étaient
pas armés. On -devait leur donner des fusils à
Montréal.
Le détachement à son arrivée à Berthier-
en-haut fut entouré par les habitants de cette
paroisse qui étaient plutôt favorables aux Amé-
ricains. M. de Lanaudière voulut leur en impo-
ser mais les habitants qui étaient armés jus-
qu'aux dents enlevèrent leurs épées à MM. de
Lanaudière et de Tonnancour et les firent
prisonniers.
— 91 —
Le Journal de Jean-Baptiste Badeau nous
dit que les deux officiers furent menés chez le
nommé Buron, capitaine de Saint-Cuthbert.
Fort heureusement pour eux, le curé de la
paroisse, M. l'abbé Pouget, se trouvait alors
chez son paroissien Buron. M. Pouget sollicita
si fort auprès du sieur Martel, chef des révoltés,
qu'il obtint leur élargissement.
M. Badeau ajoute :
" Ce qui devait certainement être morti-
fiant pour nos messieurs, c'est qu'après qu'ils
furent faits prisonniers, toutes les femmes qui
se trouvaient sur les chemins où ils passaient,
criaient à leurs maris : " Certes ; vous avez fait
bonne chasse aujourd'hui," et cela en
dérision." (1)
Quelques jours plus tard, M. de Lanau-
dière eut une autre aventure à Nicolet qui
le consola peut-être un peu de l'humiliation
reçue à Berthier-en-haut.
Le colonel MacLean, accompagné de MM.
de Lanaudière et de Niverville, se transporta à
Nicolet pour amener les habitants de cette
paroisse à marcher contre les Américains.
Les trois officiers se rendirent à la maison
d'un nommé Rouillard qui était le chef des
mécontents.
Rouillard avait eu le soin de se cacher.
MacLean demanda à la femme où étaient son
mari et son fils. Elle répondit qu'elle n'en savait
rien.
(1) L'abbé Verreau, Invasion du Canada, p. 171.
— 92 —
" Eh bien, dit le colonel MacLean, si vous
ne me dites où est votre mari et votre fils, je
vais mettre le feu à votre maison.
La femme Rouillard répondit :
— Eh bien, mettez ; pour une vieille mai-
son, vous m'en rendrez une neuve.
Alors MacLean ordonna d'allumer le feu;
Quand la vieille vit le feu au pignon de sa
maison, elle en sortit et courut vers le bois en
criant :
— Saint Eustache, préservez-moi du feu !
Saint Eustache, préservez-moi du feu ! Voici
une bande de b qui veulent me faire
brûler.
Le colonel MacLean, voyant qu'il ne ga-
gnerait rien, fit aussitôt éteindre le feu.
De là, MacLean, de Lanaudière, de Ton-
nancour et les quelques soldats se dirigèrent
vers une petite île où les habitants s'étaient
retirés avec leurs armes.
MacLean et de Lanaudière traversèrent
la rivière dans un petit canot. M. de Tonnan-
cour et les soldats traversèrent à gué. Les
habitants en voyant la petite troupe traverser
la rivière se mirent à fuir dans les bois comme
si des diables les avaient poursuivis. (1)
Les habitants de nos campagnes, il faut
l'avouer, n'étaient guère enthousiastes pour la
défense du sol natal en 1775.
On connait l'héroïque résistance de la gar-
nison du fort Saint- Jean dans l'automne de
1775.
(1) Jean-Baptiste Badeau, Journal, p. 173.
— 93 —
M. de Lanaudière était-il au nombre des
défenseurs du fort Saint- Jean ?
En 1786, le Courrier de l'Europe publiait
la note suivante :
" La noblesse canadienne n'aurait jamais
pris les armes (en 1775), si M. de Lanaudière
ne lui avait donné l'exemple. Le général Car-
leton lui rend la justice qu'il mérite et convient
qu'il ne pouvait être aidé d'une manière plus
efficace qu'il ne l'a été par le corps de la noblesse
canadienne. Il est connu qu'elle n'aurait jamais
marché, si M. de Lanaudière ne s'était mis à
sa tête."
Cette assertion mensongère froissa toute
la noblesse canadienne. En août 1787, lorsque
ce journal parvint au pays, vingj:-et-un sei-
gneurs signèrent la protestation suivante qui
fut envoyée au Courrier de l'Europe :
" Lorsqu'en 1775, l'ennemi parut à Saint-
Jean, une des frontières de cette province, la
noblesse et un nombre de citoyens canadiens
s'y transportèrent et y tinrent poste jusque et
après l'arrivée des troupes, avant que ce Mon-
sieur (de Lanaudière) pût en avoir connais-
sance, étant pour lors à plus de quarante lieues
de Montréal. Et ce corps n'a depuis rien omis
pour contribuer à la défense de cette province.
Nous en appelons au témoignage de Son
Excellence le très honorable lord Dorchester
pour la vérité de nos avancés. Les impressions
désagréables que ce paragraphe pourraient
laisser sur ce corps, si elles n'étaient détruites,
94
nous font espérer que vous voudrez bien insérer
cette lettre dans votre journal."
Nous avons sous les yeux la liste officielle
complète des défenseurs du fort Saint-Jean en
1775. Le nom de M. de Lanaudière ne s'y
trouve pas. (1)
Nous sommes bien convaincu que M. de
Lanaudière ne fut pour rien dans la note inju-
rieuse pour la noblesse canadienne publiée par
le Courrier de l'Europe. D'ailleurs, sa présence
au fort Saint- Jean n'aurait rien ajouté au
mérite de M. de Lanaudière pendant cette
campagne. Les nombreuses relations qui nous
sont parvenues de l'invasion américaine de 1775
nous montrent M. de Lanaudière partout où
il y avait des dangers à courir. S'il n'était pas
au fort Saint -Jean c'est que son devoir le rete-
nait auprès du gouverneur Carleton dont il
était l'aide de camp.
Le 12 novembre 1775, Montréal capitu-
lait. Montgomery prit possession de la ville le
lendemain. Heureusement, le gouverneur Car-
leton, accompagné de son aide de camp, M. de
Lanaudière, et de plusieurs autres officiers,
était parti de Montréal l'avant-veille sur un des
bâtiments d'une flottille qui se rendait à Qué-
bec pour y conduire des soldats.
Montgomery, aussitôt qu'il eut vent de la
fuite de Carleton, envoya le colonel Eaton à sa
poursuite.
Mais les éléments semblaient conspirer
contre Carleton. A Lavaltrie le vent changea
(1) Bulletin des Recherches Historiques, vol. XII, p.315.
— 95 —
et soufflant avec violence du côté du nord-est
força la plupart des bâtiments à mouiiler devant
cette paroisse.
Il en fut ainsi jusqu'au 16 novembre. Le
gouverneur Carleton craignant alors de tomber
entre les mains des Américains manda tous les
capitaines de ses vaisseaux à son propre bord
afin de les consulter. Tous furent d'avis qu'il
fallait tenter tous les moyens possibles pour
conduire le gouverneur à Québec où sa présence
était absolument nécessaire au salut de la
colonie. Le capitaine Bellet, qui était un marin
d'expérience et d'un courage à toute épreuve,
et qui avait fait bastinguer sa goélette armée
pour la garantir des boulets ennemis, s'offrit
de rester en arrière avec son vaisseau afin
d'occuper les chaloupes des Américains et
permettre au gouverneur de se rendre en
toute sûreté à Québec. Le capitaine Jean-
Baptiste Bouchette, qu'on surnommait la
Tourte à cause de la célérité de ses voyages,
s'offrit de conduire le gouverneur à Québec
dans une barge, et c'est ce moyen qu'accepta
Carleton.
Dans la nuit du 16 au 17 novembre, le
gouverneur Carleton, son aide de camp, M. de
Lanaudière, et le chevalier de Niverville
s'embarquèrent dans la barge de Bouchette. (1)
Celui-ci avait fait envelopper de drap la partie
des rames qui portait sur le bois afin d'éviter
(1) M. Benjamin Suite écrit que le gouverneur Carleton
se déguisa en habitant pour ne pas être reconnu s'il tombait
«ux mains des Américains (Bulletin des Recherches Histo-
riques, vol. V, p. 318.
— 96 —
le bruit. En passant par le chenal de l'île du
Pas, les nageurs, pour plus de précautions,
mirent leurs rames de côté et ne nagèrent
qu'avec leurs mains.
Le lendemain, 17 novembre, à midi précis,
l'embarcation de Bouchette arrivait aux Tr ois-
Rivières. Le gouverneur et ses amis allèrent
diner chez M. Godefroy de Tonnancour, puis,
à trois heures de l'après-midi, se rembarquèrent
dans la barge de Bouchette.
Au pied du Richelieu, Bouchette rencontra
le senau armé Fell commandé par le capitaine
Napier. Le gouverneur décida de continuer son
voyage dans ce senau qui avait plus de commo-
dités qu'une simple barge.
Le gouverneur Carleton arriva à Québec
le dimanche, 19 novembre, dans l'après-midi,
accompagné de M. de Lanaudière, du capitaine
Owen, du lieutenant Telwyn, du 7ème Régi-
ment, et de quelques soldats.
Le gouverneur Carleton fit bien de se
confier au capitaine Bouchette car, quelques
jours plus tard, la flottille tout entière encore
ancrée à Lavaltrie se rendait aux Américains.
Ceux-ci prirent onze vaisseaux, et firent plu-
sieur officiers et 120 soldats prisonniers de
guerre. (1)
Dans l'été de 1777, M. de Lanaudière, de
concert avec son parent, M. de Lacorne Saint-
Luc, prit part à la malheureuse expédition du
général Burgoyne contre la Nouvelle- York.
(1) L'abbé Verreau, Invasion du Canada, p. 235.
97
Les détachements canadiens et sauvages
qui avaient pour commandant suprême le
colonel de Saint-Léger se mirent en marche de
Montréal vers le milieu de juin.
Le 10 août 1777, M. John Mackenna,
prêtre irlandais, qui accompagnait les troupes
canadiennes en qualité d'aumônier, écrivait de
Wood-Creek, près du fort Stanwick, à M.
Montgolfier, supérieur du séminaire de Saint-
Sulpice, à Montréal, que trois jours auparavant
le colonel Johnson avait attaqué les Bastonnais
à quelques lieues du fort Stanwick, en avait tué
deux cents, parmi lesquels, leur chef, le général
Harkisman. "M. de Saint-Léger,ajoutait-il,est
à la tête des troupes qui assiègent le fort
(Stanwick). Tous nos canadiens, MM. Roy,
Well, Stone, de Salaberry, Vassal, Bazin sont
bien. Nous sommes de bonne humeur."
La joie ne devait pas durer. Six jours plus
tard, le 16 août 1777, à Bennington, plusieurs
centaines d'Anglais furent tués ou faits prison-
niers avec un bon nombre de Canadiens et de
Sauvages.
Peu après, les Sauvages froissés des ordres
de Burgoyne qui leur défendait de commettre
des atrocités et de se livrer au pillage l'aban-
donnaient à peu près tous.
M. Montgolfier, le 26 août 1777, appre-
nait toutes ces mauvaises nouvelles à Mgr
Briand, évêque de Québec, et ajoutait :
" Les rebelles avaient une embuscade qu'on
prétend avoir été d'environ cinq mille hommes,
qui ont enveloppé le parti royal, dont ils ont
fait un grand carnage. Bien des familles cana-
98
diennes sont dans la consternation. Chacun
craint pour les siens. Il y a à cette occasion une
grande déroute dans l'armée. Presque tous les
Sauvages se retirent. MM. de Saint-Luc et de
Lanaudière sont arrivés hier à midi à Montréal.
Ils ne disent point de détails, mais ils partent
aujourd'hui pour Québec." (1)
Mais tout ceci n'était que le prélude du
sort qui attendait le général Burgoyne. A Sara-
toga, le 14 octobre 1777, il dût capituler avec
toute son armée. (2)
MM. de Lacorne Saint- Luc et de Lanau-
dière revenus au Canada à la fin d'août 1777,
échappèrent donc à ce désastre.
Dans l'automne de 1778, sir Guy Carîeton
s'embarquait pour l'Angleterre avec sa famille.
Il amenait avec lui son fidèle aide de camp, M. de
Lanaudière, et M. l'abbé Bailly de Messein,
curé de la Pointe-aux-Trembles, comme pré-
cepteur de ses enfants.
M. de Lanaudière devait passer huit ans
en Angleterre.
C'est pendant ce troisième séjour de M.
de Lanaudière en Angleterre que le gentilhomme
canadien présenta un mémoire à William Pitt
et à lord Sydney dans lequel il exposa les
services qu'il avait rendus à la Couronne et
les pertes qu'il avait subies pendant l'invasion.
(1) L'abbé Auguste Gosselin, L'église du Canada, après
la conquête, 2e partie, p. 107.
(2) Le 26 mai 1778, devant la Chambre des Communes
d'Angleterre, Burgoyne commit la lâcheté de rejeter la
faute de sa défaite sur M. de Lacorne Saint-Luc. Celui-ci,
dans une lettre datée de Québec, le 23 octobre 1778 et qui
fut publiée en français dans les journaux de Londres, le
remit proprement à sa place.
— 99 —
C'est probablement ce mémoire et la pro-
tection de Carleton qui lui firent donner
l'importante charge de grand-voyer du Bas-
Canada avec un salaire annuel de 500 louis.
On a dit que George III avait une mémoire
prodigieuse des hommes. Il lui suffisait, parait-
il, de voir une personne une seule fois pour se
la rappeler pendant le reste de sa vie. M. de
Lanaudière, au cours de son troisième voyage
en Angleterre, fit la flatteuse expérience de la
bonne mémoire du souverain anglais.
M. de Lanaudière, lors de son passage en
Angleterre en 1767 avec le comte de Châtelet,
avait été présenté à George III. Il était alors
sujet français.
Ses amis anglais lui ménagèrent une nou-
velle entrevue avec le monarque. Celui-ci
reconnut aussitôt le gentilhomme canadien, et
lui dit en français :
— Vous m'avez été présenté jadis comme
sujet français, mais je suis heureux de vous
recevoir aujourd'hui comme un de mes sujets.
Puis, il ajouta, en se servant cette fois de
la langue anglaise : — But I forget that you
speek english fluenthy (J'oubliais que vous
parlez anglais avec aisance), et il continua la
conversation dans cette langue.
M. de Gaspé à qui nous empruntons cette
anecdote ajoute que son oncle était celui des
anciens Canadiens qu'il avait connus qui par-
lait le mieux la langue anglaise. Nous l'appe-
lions, dit-il, notre oncle anglais, car, tandis que
les messieurs de son âge avaient conservé les
manières de leurs ancêtres français, il avait
— 100 —
adopté les manières plus f roides,moins démons-
tratives des vrais gentilshommes anglais, les-
quelles^ la vérité,difïéraient peu alors de celles
des gentilshommes français. (1)
M. de Lanaudière, avant de se rembarquer
pour îe Canada, se décida à passer en France
afin de renouer connaissance avec ses parents
et ses amis qu'il n'avait pas vus depuis bientôt
vingt ans. Son cousin, Charles-Louis-Roch de
Saint-Ours, l'accompagnait dans ce. voyage.
Les deux Canadiens se rendirent jusqu'en
Allemagne. Le grand Frédéric était alors sur
le trône de Prusse. Le monarque leur accorda
gracieusement la permission d'assister aux
revues de ses troupes à Berlin et à Magdebourg.
Le billet remis à M. de Lanaudière était ainsi
conçu :
"M. le capitaine de Lanaudière, c'est avec
plaisir que je vous accorde la permission
d'assister à mes revues prochaines, d'ici, de
Berlin et de Magdebourg ; et sur ce, je prie
Dieu qu'il vous ait, M. le capitaine de Lanau-
dière, en sa sainte et digne garde.
" Postdam, le 10 de mai 1785.
Frédéric."
Frédéric voulut bien recevoir MM. de
Lanaudière et de Saint-Ours et se montra très
aimable pour eux.
Le 26 octobre 1786, sir Guy Carleton, qui
venait d'être élevé à la pairie sous le nom de
(1) Mémoires, p. 96.
— 101 —
baron Dorchester, arrivait à Québec après un
séjour de quelques années en Angleterre.
Lord Dorchester était porteur d'instruc-
tions royales datées du 23 août 1786 et qui lui
prescrivaient de former un nouveau Conseil
législatif. Ces mêmes instructions nommaient
comme conseillers législatifs quatorze Anglais
et neuf Canadiens-Français : MM. François
Levesque, Chaussegros de Léry, Picotté de
Bellestre, Roque de Saint-Ours fils, François
Baby, Le Moyne de Longueuil, Boucher de
Boucherville, Le Compte Dupré et le chevalier
de Lanaudière. (1)
La société que M. de Lanaudière avait
fréquentée dans ses différents séjours en
France et en Angleterre avait été pour lui une
occasion de dépenses énormes. Son père qui lui
était venu en aide plusieurs fois disait plaisam-
ment :
— Si je mettais mon fils dans une balance
et dans une autre l'or qu'il m'a coûté avant de
recevoir sa légitime, il l'emporterait de beau-
coup.
" Ce n'était pas, dit à ce propos M. de
Gaspé, dans la société du duc d'Orléans
(Philippe Egalité) et dans celle du prince de
Galles, depuis George IV, que mon cher oncle
pouvait faire des épargnes : il se consolait de
la perte d'une partie de sa fortune en disant :
— J'ai fait bien des folies pendant ma jeunesse,
mais toujours en bonne compagnie." (2)
(1) Short et Doughty, Documents concernant l'histoire
constitutionnelle du Canada, p. 528.
(2) Mémoires, p. 97.
— 102 —
M. de Lanaudière, propriétaire de cinq
seigneuries qui malgré la richesse de leur sol
et leur situation avantageuse ne lui rappor-
taient pas beaucoup de revenus, saisit au vol à
la fin de 1787 l'occasion que lui offrit le Conseil
législatif de refaire en peu d'années la fortune
qu'il avait dépensée en compagnie de ses amis,
les grands seigneurs d'Angleterre et de France.
En 1787, le Conseil législatif, à la
demande du gouvernement anglais, avait formé
des comités chargés d'examiner l'état des lois
et de la justice, du commerce, de l'instruction
publique, de la tenure des terres, etc., etc.
Au mois de janvier 1788, M. de Lanau-
dière présentait au gouverneur Dorchester,
pour être soumise au comité de la tenure des
terres, une requête qui proposait d'adopter,
dans la concession des terres incultes, le free
and common soccage, tenure franche anglaise.
Elle était ainsi conçue :
" Les seigneuries dont j'ai héritées de mes
ancêtres, et qui leur furent accordées en
récompense de leurs services, me sont parvenues
après avoir été possédées par la quatrième
génération. Quand je regarde l'étendue
immense des terres qu'elles contiennent, qui se
monte à plus de trente-cinq lieues en superficie,
dont je suis possesseur, la petite portion de ces
terres en valeur, le peu d'habitants qui y sont
établis, j'aurais les plus grands reproches à me
faire, si je n'en avais pas recherché les causes,
et, après les avoir trouvées, si je gardais le
silence. Cette province est, à bien considérer,
encore dans l'enfance : elle ne peut espérer sa
103
grandeur future que de l'encouragement de la
Grande-Bretagne, d'où doit s'étendre sa popu-
lation, ainsi que de l'émigration de l'Europe et
de nos voisins. Mais, pourrons-nous, nous sei-
gneurs,possesseurs de fiefs immenses,croire que
ces mêmes hommes qui auront quitté leur patrie
pour prendre des terres dans cette province,
voudront donner la préférence à nos seigneu-
ries pour s'y établir, s'ils les voient réglées par
un système de lois qu'ils ont en horreur, qu'ils
ne sauraient entendre, et dans lequel l'incerti-
tude des charges est déjà un vasselage onéreux;
J'ose espérer que Votre Seigneurie voudra bien
prendre en sa sage considération la dure situa-
tion dans laquelle se trouvent les intérêts de ma
famille, et que, pour m'en relever, Votre Excel-
lence voudra bien reprendre les titres de mes
seigneuries, avec tous les privilèges et honneurs
qui y sont attachés, et me les reconcéder en
franc et commun socage, pour que, par ce chan-
gement, je puisse donner de l'encouragement à
prendre mes terres. Si l'Etat m'obligeait à rem-
plir toutes les conditions suivant leur teneur
le peu de revenus que j'ai pour supporter ma
famille suffirait . à peine pour en payer les
charges."
" L'influence du juge en chef Smith, dit M.
Garneau, s'était fait sentir à ce comité comme
aux autres. Il avait trouvé un appui dans un
des principaux seigneurs canadiens. Charles
Tarieu de Lanaudière, grand-croix de Saint-
Louis, (1) aide de camp du gouverneur et
(1) Erreur. M. de Lanaudière n'était pas grand-croix ni
même chevalier de Saint-Louis.
— 104 —
intendant-général des voies publiques, était un
gentilhomme d'un esprit cultivé. Il avait visité
l'Angleterre où il avait appris à calculer. Ses
seigneuries avaient près de trente-cinq lieues
en superficie, et une très petite portion en était
concédée. Il savait que s'il devenait le proprié-
taire absolu du sol, il triplerait sa fortune,
puisqu'il pourrait vendre ou concéder ses terres
à tels prix qu'il voudrait ; et que s'il perdait
par le changement de tenure des cens et rentes,
lods et ventes, droits de banalité et de justice,
il convrirait toutes ses pertes, plus apparentes
que réelles, nar les prix qu'il exigerait des
colons." (1)
Cette supplique de M. de Lanaudière sou-
leva une véritable tempête dans tout le pays.
Les seigneurs se hâtèrent d'envoyer une contre-
requête au gouverneur. Elle fut présentée par
MM. de Saint-Ours, Juchereau Duchesnay,
Picotté de Belestre, Taschereau, de Bonne,
Panet, Berthelot, Dunière, Bédard, etc., etc.
" Ayant appris, disait cette requête, qu'un
projet de loi avait été soumis à Son Excellence
pour le changement de la tenure en cette pro-
vince, ils demandaient qu'il leur fut permis
d'exprimer leurs appréhensions les plus vives
qu'il n'eût son effet, la regardant comme l'acte
le plus destructif des bases de leurs droits de
propriété, conservés par la capitulation, et des
titres confirmés par l'acte constitutif du pou-
voir législatif en cette province. Ils ajoutaient
que loin de chercher à augmenter leur fortune
(1) Histoire du Canada, tome III, p. 60.
105
et leur importance aux dépens des laboureurs,
ils n'avaient rien tant à cœur que de contribuer
à leur bonheur, en s'unissant à eux pour s'oppo-
ser à un changement préjudiciable aux intérêts
de cette classe d'hommes la plus utile au pays
et à l'avancement des terres. Il n'y avait qu'un
seul seigneur, poursuivaient-ils, M. Charles de
Lanaudière, qui eût sollicité cette innovation ;
que les réponses données en son nom au comité
renfermaient des insinuations contraires à l'état
actuel et réel de la tenure et faisaient rémuné-
ration de servitudes humiliantes tombées depuis
longtemps en désuétude, abrogées par la réfor-
mation même de la coutume adoptée dans le
pays ; qu'aucun avantage réel ne semblait
devoir résulter de la tenure proposée ; qu'au
contraire, le franc et commun socage serait un
obstacle à l'avancement de la culture, à cause
de la vaste étendue des terres déjà concédées et
en partie défrichées ; enfin, qu'il établirait, au
choix de quelques-uns, la confusion dans les
propriétés, parce que les seigneurs, devenant
maîtres absolus d'immenses territoires, pour-
raient diviser, concéder ou vendre le sol aux
conditions les plus dures et que les cultivateurs
seraient privés du droit de les obliger à concéder
leurs terres en roture, dispense qui arrêterait
les défrichements et compromettrait ce déve-
loppement de la population devenu sensible
depuis que le pays n'était plus en guerre avec
hs Sauvages et les colonies voisines." (1)
(1) L'abbé Daniel, Les grandes familles françaises dm
Canada, p. 479.
— 106 —
Devant les raisons si claires et si fortes
apportées par la contre-requête, impressionné
d'ailleurs par les considérations non moins
justes du juge Mabane, le Conseil législatif à
qui avait été soumise la proposition de M. de
Lanaudière, n'osa rien changer à l'état de
choses existant.
La constitution de 1791 faisait de l'ancienne
province de Québec deux provinces distinctes,
la province du Haut-Canada et la province du
Bas-Canada, chacune avec un Conseil législatif
et une Assemblée législative.
L'honorable M. de Lanaudière fut un des
premiers appelés à siéger dans le nouveau Con-
seil législatif. Les autres Canadiens-Français
nommés à cette charge importante en même
temps que lui furent les honorables Chausse-
gros de Léry, Picotté de Belestre, de Saint-
Ours, Baby, de Longueuil et Boucher de Bou-
cherville.
On voit que le roi d'Angleterre savait
reconnaître les services rendus au pays par les
anciens nobles puisque les membres canadiens-
français du Conseil législatif furent exclusive-
ment choisis dans cette caste. C'était une
réponse éloquente à ceux qui prétendaient qu'à
la Cession tous les nobles avaient abandonné
le pays.
Dans la Gazette de Québec du 31 mai
1792, nous trouvons une note de M. Gouin,
agent de M. de Lanaudière à Sainte- Anne de
la Pérade. Il s'agit, évidemment, des élections
qui eurent lieu dans l'été de 1792 pour la
Chambre d'Assemblée.
— 107 —
Sous le titre Au public, M. Gouin écrivait:
" Il m'a été rapporté qu'il courrait un
bruit parmi mes compatriotes que Monsieur de
Lanaudière et moi avons eu un différend occa-
sionné par la prochaine élection. Je déclare sur
mon honneur, que personne ne peut me ravir et
encore bien moins les méchants, que je diffère
en rien sur ce point avec lui ainsi que bien
d'autres notables du comté, et qu'il y a plus de
cent trente ans que mes ancêtres ont été conti-
nuellement au service de sa famille, et qu'il y
a près de cinquante ans que je les régie moi-
même.
" Que mes ancêtres ainsi que moi n'ont
jamais eu aucune raison de se plaindre, que bien
au contraire nous avons toujours été regardés
plutôt comme des enfants chéris de cette famille
que comme des agents. Une pareille histoire ne
peut être crue que par des hommes aussi mépri-
sables que l'inventeur de ce diabolique men-
songe. Après cette déclaration de moi que les
vilains se servent de toutes sortes de moyens
pour faire réussir leurs détestables projets.
"LOUIS GOUIN.
Fait à Sainte-Anne, ce 29ème jour de mai
1792."
Cette lettre prouve qu'on comptait encore
avec les seigneurs. S'ils avaient maltraité leurs
censitaires, comme on l'a écrit, ceux-ci auraient
été plus pressés de voter contre les candidats
de leur choix.
En 1794, M. de Lanaudière s'opposa for-
tement au sein du Conseil législatif à l'adoption
108
du bill dit " Acte pour la division de la province
du Bas-Canada, pour amender la judicature
d'icelle et pour abroger certaines lois y men-
tionnées."
Il prit la peine d'écrire son dissentiment.
Il donnait quatorze raisons contre cette loi, et
terminait son argumentation par un éloge
ampoulé du juge en chef William Smith, pré-
sident du Conseil législatif, mort quelques mois
auparavant. (1)
" Je finis disait-il, parce que je vois avec
peine que ce bill a plutôt passé par une division
que par des débats, par nombre que par argu-
ment. Mais malgré le peu de succès de mes
efforts pour arrêter qu'il ne prit place dans
cette séance afin de donner occasion au public
de le connaître avant qu'il fut loi, je jouirai au
moins du plaisir que l'on trouvera et lira dans
ce registre que je m'étais opposé à sa passation,
prédisant de plus qu'il sera la ruine d'un nombre
de sujets de Sa Majesté. Cette maison a le pou-
voir mais je doute du savoir pour une loi qui
embrasse tant d'objets, surtout n'ayant plus
dans ce Conseil l'assistance de cet homme, qui
remplissait ce fauteuil avec tant d'éclat, et qui
était reconnu pour le plus grand jurisconsulte
de l'Amérique Septentrionale. Il n'est pas à
douter qu'à ce moment sa place est remplie, que
la personne sur qui le choix est tombé est digne
de l'occuper et que nous devons espérer de
l'avoir sous peu dans cette maison. Pourquoi
donc par notre précipitation nous sommes-nous
(1) Le 6 décembre 1793.
109
frustrés des connaissances légales qu'il aurait
pu donner sur un objet où particulièrement il
doit jouer le premier rôle. Je le repète, le peuple
au lieu d'avoir une favorable impression de nos
démarches en entretiendra un sentiment bien
différent et loin de désirer de revoir cette légis-
lature se rassembler une autre année il craindra
sa réunion." (1.)
Le 25 juin 1799, M. de Lanaudière était
nommé quartier-maître général de la milice
canadienne.
Cette charge, tout comme celle de grand-
voyer qu'il exerçait depuis plusieurs années, ne
demandait pas une grande application de M. de
Lanaudière. Au bon vieux temps de l'oligarchie,
les sinécures n'exigeaient aucun travail des
heureux mortels qui les obtenaient mais leur
rapportaient tout de même de forts jolis
salaires.
John Lambert, qui visita le Canada dans
les premières années du dix-neuvième siècle, dit
de M. de Lanaudière :
"' M. de Lanaudière est un des plus res-
pectables gentilshommes français de la colonie.
Il était officier dans l'armée de Montcalm, et
fut blessé sur les Plaines d'Abraham. Il est
maintenant âgé de 70 ou 80 ans ; mais a si
admirablement conservé toutes ses facultés
qu'on ne lui donnerait pas plus de 50 ans ; et
il est plus actif et plus intelligent que plusieurs
hommes de cet âge. Il est sincèrement attaché
(1) Le dissentiment de M. de Lanaudière a été publié
en entier dans les Documents constitutionnels de MM.
Doughty et Me Arthur, p. 123.
11.0
au gouvernement anglais, et dans sa conduite,
ses manières, ses principes, il semble un
Anglais. Il y a plusieurs années, M. de Lanau-
dière visita l'Angleterre, où il vécut dans les
cercles les plus élevés, et il est, en conséquence,
bien connu de plusieurs des princes. A son
retour au Canada, il fut nommé grand-voyer
de la Province. Cet emploi l'oblige de faire
chaque année le tour de la Province, pour voir
à l'état des chemins, ponts, etc., dans les diffé-
rentes paroisses. Il a un salaire de 500 louis
par année. Il y a aussi des grands-voyers à Qué-
bec, Montréal et Trois-Rivières, qui ont leurs
districts respectifs, et sont sous les ordres du
grand-voyer de la province. M. de Lanaudière
possède l'estime de ses concitoyens, et tous les
gentilshommes anglais qui viennent dans le
pays, sont assurés de recevoir une chaude
réception à sa maison." (1.)
Quand John Lambert écrit que M. de La-
naudière faisait, chaque année, en sa qualité
de grand-voyer, le tour de la Province afin de
voir à l'état des chemins, ponts, etc., etc., il
semble encore sous le charme des politesses qu'il
avait reçues de l'aimable gentilhomme. La
province était divisée en trois districts et il y
avait un grand-voyer pour chacun. Les grands-
voyers faisaient la visite des chemins et ponts
dans leurs districts respectifs et le grand-voyer
général dirigeait leur travail.
(1) Lambert, Travels.
— 111 —
L'honorable M. de Lanaudière décéda à
Québec le 2 octobre 1811, et fut inhumé dans
la cathédrale.
M. de Gaspé, son neveu, nous apprend,
dans ses Mémoires, de quelle façon tragique ce
gentilhomme estimé de tous trouva la mort.
" A l'âge de soixante-dix ans, (1) lors de
sa mort tragique, M. de Lanaudière était encore
plein de vigueur et montait à cheval avec autant
d'aisance qu'un jeune homme. Invité à dîner à
Notre-Dame de Foie (Sainte-Foy), chez un M.
Ritchie, il offrit une place dans son gig à son
ami George Brown, dont le fils, colonel dans
l'armée anglaise, a joué un certain rôle dans le
procès de la reine Caroline, femme de George
IV. Un jeune groom suivait la voiture à cheval.
" Le docteur Buchanan, ami de M. de
Lanaudière, lui fit observer pendant le repas
qu'il mangeait du poisson à moitié cuit, ce qui
est très indigeste.
" Bah ! fit-il, j'ai bien faim, je n'ai jamais
eu d'indigestion de ma vie, et je ne commencerai
certainement pas à en avoir une à mon âge.
" Lorsqu'ils se retirèrent vers minuit, M.
de Lanaudière dit à son domestique de recon-
duire M. Brown chez lui, tandis qu'il retourne-
rait à cheval : — La nuit est si belle, fit-il, que
ça sera une promenade bien agréable pour moi.
Le jeune domestique de retour à domicile détela
le cheval, et rentra dans la maison pour attendre
son maître, mais s'endormit malheureusement.
(1) Il avait 68 ans.
— 112 —
" Entre cinq à six heures du matin, un
domestique du lord bishop Jacob Mountain, se
rendant à une ferme de son maître, aperçut un
cheval qui paissait paisiblement près du corps
inanimé d'un homme couvert de frimas, car par
une fatalité cruelle, quoiqu'on ne fut qu'au
commencement de septembre, il avait fait une
forte gelée pendant la nuit. Grande fut la sur-
prise de cet homme en reconnaissant dans ce
lieu et à cette heure M. de Lanaudière.
" C'était pourtant lui-même qui gisait
inanimé sur le même champ de bataille où il
avait combattu un demi-siècle auparavant, au
même lieu, peut-être, d'où l'on releva alors son
corps sanglant pour le transporter à l'hospice
de l'Hôpital-Général.
" Cet homme, voyant qu'il donnait encore
quelque signe de vie, s'empressa de dénouer sa
cravate ; et M. de Lanaudière, après plusieurs
efforts, vomit abondamment. Il reprit aussitôt
sa connaissance et reconnaissant le domestique,
il lui dit : John, you give me life ! (John, vous
me rappelez à la vie).
" Il survécut trois semaines à cet accident,
mais parla bien peu. Il fit venir à son chevet le
jeune domestique dont j'ai parlé, et lui dit :
" Pourquoi m'as-tu abandonné ? Je n'au-
rais pas été si cruel envers toi.
" Mon oncle était très sobre quoique vivant
à une époque où l'on se livrait beaucoup au
plaisir de la table ; et il répéta plusieurs fois
avec amertume :
113
— " Moi un de Lanaudière ! être ramassé
sur les Plaines, comme un ivrogne après une
nuit de débauche !
" Les médecins furent d'opinion que telle
était la force de son tempérament, qu'il aurait
recouvré la santé après avoir rejeté les vivres
indigestes qui i'étoufïaient, sans le froid intense
auquel il avait été exposé pendant près de six
heures." (1)
Un petit trait caractéristique sur M. de
Lanaudière. C'est feu sir Antoine-Aimé Do-
rion, juge-en-chef de la Cour d'Appel, qui le
raconte :
M. de Lanaudière, quoique bon et assez
conciliant, était pourtant quelque peu processif.
Il avait hérité de ce défaut de sa grand'mère,
la fameuse Madelon de Verchères, qui sortait
d'un procès pour entrer dans un autre, quand
elle n'en conduisait pas deux de front. De
temps à autre donc, M. de Lanaudière, lorsqu'il
habitait sa seigneurie de Sainte-Anne, allait
vider ses querelles à Québec, devant les tribu-
naux. Son principal adversaire était M. Dorion,
important marchand de Sainte-Anne de la
Pérade. (2) M. de Lanaudière se rendait tou-
jours à Québec en compagnie de son adversaire
qu'il faisait monter dans sa voiture. Arrivés à
la capitale, ils se séparaient pour se rencontrer
devant les juges saisis de leurs griefs respec-
tifs, et, quelque fut le résultat du procès, tous
les deux s'en retournaient ensemble à Sainte-
Ci) Mémoires, p. 97.
(2) Père de sir Antoine-Aimé Dorion.
— 114 —
Anne de la Pérade, d'aussi bonne humeur que
si jamais procès n'avait existé entre eux.
L'honorable Charles-Louis Tarieu de
Lanaudière avait épousé, à Montréal, le 10
avril 1769, Geneviève-Elisabeth-Louise de La
Corne, fille de Louis de La Corne de Chapt,
seigneur de Terrebonne, et de Elisabeth de
Ramezay.
Elle décéda à Québec le 30 mars 1817, et
fut inhumée dans la cathédrale.
Un écrivain anonyme faisait un bel éloge
de madame de Lanaudière dans la Gazette de
Québec du 3 avril 1817 :
" Le grand nombre non seulement des
personnes les plus distinguées par leur rang, qui
ont assisté à ses funérailles, mais aussi des
pauvres qui sont venus y déplorer la perte de
celle qui possédait à un degré éminent cette
vertu bienfaisante qui soulage les malheureux,
parle bien plus éloquemment en faveur de cette
dame respectable que ne le pourrait celui qui
paye en ce moment un tribut mérité à la vertu
et à l'amitié sincère. Jamais l'indigent ne sortit
de sa présence sans éprouver du soulagement
dans sa misère, tant par des secours pécu-
niaires, que par ces paroles de consolation qui
font oublier au malheureux ce qui doit l'humi-
lier. La mort même qui élève une barrière
insurmontable entre elle et nous ne permet pas
de découvrir ce qu'elle cachait avec soin, par
l'humilité et de lever le voile et mettre au jour
ses actes de bienfaisance sans nombre qu'elle
pratiquait en secret. Madame de Lanaudière
captivait tous ceux qui ont eu le bonheur de la
11.5
connaître, et par l'aménité de son caractère,
s'est attaché des personnes par des liens encore
plus étroits que ceux du sang."
Elle avait eu trois enfants :
I Charles-Luc Tarieu de Lanaudière
Né à Montréal le 28 février 1770.
Décédé au même endroit le 17 septembre
1771, et inhumé dans la chapelle Saint- Amable
de l'église paroissiale.
II Marie-Elisabeth-Joseph Tarieu de
Lanaudière (1)
Née à Québec le 6 octobre 1777.
Décédée à Saint-Vallier le 26 janvier
1823.
Nous lisons dans la Gazette de Québec du
30 janvier 1823 :
" Mourut à St-Vallier, le 26 janvier 1823,
après une maladie douloureuse qu'elle souffrit
avec la résignation d'une vraie chrétienne Délie
Marie-Anne Tarieu de Lanaudière de la Pé-
rade, fille unique de feu Charles Tarieu de La
Naudière de la Pérade, de son vivant un des
Conseillers Législatifs de cette Province. Les
soins que l'on pouvait attendre d'un gentil-
homme qui avait eu l'avantage de fréquenter
les cercles brillants de l'Europe, avaient été
prodigués à l'éducation d'une fille chérie, qui
d'ailleurs douée par sa nature de talents admi-
rables, en ont fait pendant longtemps les délices
de ses parents et amis et l'ornement des
sociétés."
(1) Elle fut connue sous les prénoms de Marie-Anne.
— 116 —
III Catherine-Elisabeth Tarieu de Lanaudière
Née à Québec le 27 mars 1779.
Décédée à Québec le 20 janvier 1784, et
inhumée dans la chapelle Sainte- Anne de la
cathédrale. (1)
II
Nicolas-Antoine Tarieu de Lanaudière
Né à Québec le 25 avril 1745.
Décédé au même endroit le 13 mai
1745. (2)
III
Thomas Tarieu de Lanaudière
Né à Québec le 2 mai 1746.
Décédé au même endroit le 18 mai 1746.
IV
Roch Tarieu de Lanaudière
Né à Québec le 26 juin 1747.
Décédé au même endroit le 12 août 1747.
V
Roch Tarieu de Lanaudière
Né à Québec le 4 juillet 1752.
Décédé au même endroit le 25 septembre
1752.
(1) L'acte de sépulture porte Catherine-Geneviève mais
il s'agit de Catherine-Elisabeth.
(2) L'acte de sépulture dit Charles-Philippe mais il
s'agit, sans doute possible, de Nicolas-Antoine.
— 117 —
VI
Anonyme
Né et décédé à Québec le 2 août 1753.
VII
Anonyme
Né et décédé à Québec le 24 juillet 1758.
VIII
Marie- Anne Tarieu de Lanaudière
Née à Québec le 3 avril 1765.
Mariée à Québec, le 27 février 1786, à
l'honorable François Baby, membre du Conseil
législatif. (1)
Né à Montréal, le 4 octobre 1733, M.
Baby comme ses trois frères prit une part active
à la défense de la colonie dans les dernières
années du régime français. Il se distingua dans
plusieurs expéditions, servit sous M. de Beaujeu
à la bataille de la Monongahéla et tint cam-
pagne jusqu'à la reddition de Québec. En 1760,
M. Baby passa en France avec l'intention de
s'y établir. Après le traité de Paris, en 1763,
il revint au Canada, prêta le serment d'allé-
geance à son nouveau souverain et devint un
sujet loyal et fidèle. Lors de l'invasion de 1775,
M. Baby fut fait capitaine de la deuxième
(1) Contrat de mariage devant Berthelot d'Artigny et
Panet, notaires à Québec, le 23 février 1786.
— 118 —
compagnie de milice de Québec ; peu après il
était promu major des milices du district de
Québec,, puis en 1778 lieutenant-colonel des
mêmes milices. En janvier 1779, il était nommé
commissaire des transports militaires, et, en
1781, il devenait adjudant-général des milices.
11 fit partie du Conseil législatif puis du Conseil
exécutif. M. Baby fut chargé de plusieurs
missions de confiance par le gouvernement et
il fut le conseiller et l'ami de tous les gouver-
neurs généraux du Canada qui se succédèrent
pendant sa longue carrière.
L'honorable M. Baby s'éteignit à Québec,
le 9 octobre 1820, à l'âge de 87 ans. Les direc-
teurs du séminaire de Québec, pour témoigner
de l'estime et de la considération qu'ils
avaient pour ce bon citoyen, réclamèrent comme
une faveur de déposer ses restes près de ceux
des bienfaiteurs de leur maison dans le caveau
de leur chapelle.
Madame Baby décéda à Québec le 27
janvier 1844, à l'âge de 78 ans, et fut inhumée
dans la cathédrale.
La Gazette de Québec du 31 janvier 1844
fait l'éloge de madame Baby dans les termes
suivants :
" Décédée, samedi, le 27 courant, à l'âge
de 78 ans, 9 mois et 22 jours, madame Marie-
Anne Tarieu de Lanaudière, veuve de feu
l'honorable François Baby, en son vivant
membre des Conseils exécutif et législatif du
Bas-Canada. Cette dame, par son air imposant,
ses manières nobles et distinguées, inspirait le
respect même à ceux qui ignoraient ses pré-
119
cieuses qualités. Elle était, pour nous servir de
l'expression d'un grand écrivain, le type de ces
dames de l'ancien régime qui par leurs qualités
physiques et morales font l'admiration de tous
et disparaissent malheureusement trop vite
quelque soit la durée de leur vie. Douée d'un
jugement sain, de beaucoup d'esprit et d'une
excellente mémoire, elle racontait les événe-
ments avec beaucoup de grâce et de charme.
Obligée par sa position sociale de figurer
beaucoup dans le monde, elle n'en remplissait
pas moins ses devoirs religieux avec une scru-
puleuse exactitude. Les membres du clergé la
citaient partout comme un modèle et sa maison
comme un modèle de maison chrétienne. Sa
charité ne se confinait pas à faire l'aumône aux
pauvres qui la lui demandaient, elle faisait
rechercher ceux qui étaient dans le besoin et
leur aidait avec une délicatesse ingénieuse. Elle
sera longtemps regrettée par ses enfants,petits-
enfants et tous ceux qui l'ont connue."
Du mariage de l'honorable François Baby
et de Marie-Anne Tarieu de Lanaudière
naquirent douze enfants. (1)
IX
Marie-Agathe Tarieu de Lanaudière
Née à Québec le 26 mars 1766.
Décédée à Sainte-Foy le 7 avril 1766, elle
fut inhumée au cimetière de cette paroisse.
(1) On trouvera des détails généalogiques sur eux dans
l'ouvrage de M. P.-B. Casgrain, Mémorial des familles Cas-
grain, Baby et Perrault, p. 107, et appendice B.
— 120 —
X
Marie- Catherine Tarieu de Lanaudière
Née à Québec le 17 février 1767.
Mariée à Québec, le 28 janvier 1786, à
Ignace Aubert de Gaspé, fils de Philippe-
Ignace Aubert de Gaspé, seigneur de Saint-
Jean-Port-Joli, et de Marie-Anne Coulon de
Villiers.
M. de Gaspé fut appelé au Conseil Légis-
latif en 1812. Il en fut un des membres les plus
utiles, si ce n'est par de pompeux discours au
moins par la sagesse de ses votes.
L'honorable M. de Gaspé mourut à son
manoir de Saint- Jean Port- Joli, le 13 février .
1823. Il fut inhumé le surlendemain dans
Tégîise de la paroisse, sous le banc seigneurial.
Il était à sa mort colonel de milice et sei-
gneur de Saint-Jean Port-Joli et de la Poca-
tière.
" Juste et libéral envers ses censitaires, il
n'a jamais, dans l'espace de quarante ans qu'il
a géré ses seigneuries, intenté une seule pour-
suite contre eux."
Madame de Gaspé mourut à Québec le 13
avril 1842, et fut inhumée dans l'église de Saint-
Jean Port- Joli, le 18.
" Pendant plus de cinquante ans, sa main
charitable répandit à Saint- Jean Port- Joli ses
bienfaits sur l'humanité souffrante ; aussi
méritait-elle, à juste titre, le nom de " mère des
pauvres " que ses censitaires lui donnaient.
— 121 —
Elle ne survécut que neuf jours à sa sœur, (1)
qui ne s'était jamais séparée d'elle pendant leur
longue carrière et succomba à la même
maladie."
Du mariage de Pierre-Ignace de Gaspé et
de Marie-Catherine Tarieu de Lanaudière
naquirent six enfants: Philippe- Joseph,l'auteur
des Anciens Canadiens ; Charles-Guillaume,
mort en bas âge ; Antoine-Thomas, dont les
descendants habitent Montréal; Ignace-Xavier,
mort en bas âge ; Catherine, morte en bas âge ;
Marguerite, morte en bas âge. (2)
XI
Marie-Louise Tarieu de Lanaudière
Née à Québec le 4 mars 1768.
Elle résida pendant plusieurs années à
Saint- Vallier avec sa sœur Agathe.
M Les deux sœurs, dit M. de Gaspé, se
livraient à des exercices qui, suivant moi, sont
du ressort exclusif du sexe masculin. Autant
j'admire un homme à la figure mâle guidant
avec adresse deux chevaux fougeux, autant
j'éprouve de malaise en voyant les femmes de
nos jours se livrer à ces exercices : la faiblesse
inhérente à leur sexe leur ôte toute grâce
lorsqu'elles tiennent les guides dans des mains
délicates plus propres à tracer des fleurs gra-
cieuses sur un canevas, à courir légèrement sur
(1) Marie-Louise Tarieu de Lanaudière décédée à Qué-
bec le 4 avril 1842.
(2) Consulter sur Pierre-Ignace de Gaspé et ses des-
cendants notre ouvrage La famille Aubert de Gaspé.
122
le clavier d'un piano, qu'à réprimer un cheval
qui peut s'emporter au moindre bruit inusité,
à la vue d'un objet qui lui cause de la frayeur.
Passe encore pour l'équitation ; quelques dames
certainement s'en acquittent avec grâce. Quant
à mes deux chères tantes dompter les chevaux
à la campagne était un de leurs passe-temps les
plus agréables." (1)
Après la mort de sa sœur Agathe, en 1838,
mademoiselle Marie-Louise de Lanaudière se
retira à Québec chez son autre sœur Marie-Ca-
therine mariée à M. de Gaspé.
C'est là qu'elle décéda le 4 avril 1842, à
l'âge de 75 ans.
XII
Charles- Gaspard Tarieu de Lanaudière
Né à Québec le 9 septembre 1769. (2)
I^e continuateur de la lignée.
XIII
Xavier-Roch Tarieu de Lanaudière
Né à Québec le 20 avril 1771.
M. Homfray Irving, dans son ouvrage,
Officers of the British Forces in Canada during
de zvar of 1812-15,(3) dit que M. de Lanaudière
servit pendant l'invasion américaine de 1775,
(1) Mémoires, p. 522.
(2) L'acte de baptême lui donne seulement le prénom
Charles.
(3) P. 27.
123
dans un bataillon de milice des Trois-Rivières.
Il est évident qu'il Ta confondu avec son frère
aîné, le chevalier de Lanaudière.
En 1775, M. de Lanaudière avait cinq ans.
Pareillement, dans ses Grandes familles
françaises du Canada, (1) M. l'abbé Daniel
écrit que M. de Lanaudière servit pendant
quelque temps dans la marine royale d'Angle-
terre. Nous n'avons pu obtenir nulle part la
confirmation de cet avancé.
Le 31 octobre 1794, M. de Lanaudière
était nommé traducteur français et secrétaire
français de la province du Bas-Canada.
Le 6 novembre 1801, M. de Lanaudière
recevait une commission d'avocat, mais il
n'exerça jamais cette profession.
En 1805, M. de Lanaudière obtint un
congé de l'honorable Thomas Dunn, adminis-
trateur du Canada, et passa en Angleterre. Son
voyage dura plusieurs mois. Il visita les prin-
cipaux pays du continent européen. Il fut rem-
placé pendant son absence dans sa charge de
traducteur par son neveu, Philippe Aubert de
Gaspé, le futur auteur des Anciens Canadiens
et des Mémoires.
Sir George Prévost, nommé pour rempla-
cer sir Henry Craig au gouvernement du Ca-
nada, débarqua à Québec le 14 septembre 181.1.
Le Congrès américain était à lever 175,000
hommes et à les armer. La guerre était à la
veille d'éclater entre les Etats-Unis et l'Angle-
terre et il était évident que le Canada serait
(1) P. 101.
— 124 —
envahi. Prévost, soldat d'expérience, dès son
arrivée à Québec, se rendit compte que la milice
avait besoin d'être réorganisée.
Le 9 octobre 1811, M. de Lanaudière était
nommé député-adjudant -général des milices
canadiennes, avec le grade de lieutenant-colonel
en remplacement du lieutenant-colonel Vassal
de Monviel promu, le même jour, adjudant-
général.
M. de Lanaudière n'avait pas fait l'appren-
tissage des armes, dit M. Suite, mais sa nomi-
nation se justifiait par ses qualités adminis-
tratives. (1)
M. de Lanaudière avait certainement fait
l'apprentissage des armes dans la milice sinon
dans l'armée régulière car dans son testament
olographe daté à Québec le 22 avril 1807,
quatre ans,par conséquent,avant sa nomination
au poste de député-adjudant-général des
milices, il léguait son sabre et son uniforme
d'officier qu'il avait fait venir d'Angleterre, à
son ami, l'honorable Gabriel-Elzéar Tasche-
reau.
M. de Lanaudière décéda à Québec le 5
février 1813.
Nous lisons dans la Gazette de Québec du
11 février 1813 :
" Mourut, vendredi, le 5 février 1813,
François-Xavier Roch Tarieu de Lanaudière,
écuyer, député-adjudant-général des milices de
cette province, et assistant secrétaire français
(1) Histoire de la milice canadienne-française, p. 116.
— 125 —
de Thonorable Conseil Exécutif, à l'âge de 41
ans, 9 mois et 15 jours.
" Ses restes furent enterrés lundi dernier,
dans Tégiise cathédrale de cette ville, avec les
honneurs dûs à son rang et accompagnés d'un
concours extraordinaire de toutes les classes.
"M. F. X. de Lanaudière était un de ces
hommes rares dont tous les instants de la vie
sont dévoués à la plus scrupuleuse exactitude
de leurs devoirs. Sa religion fut ses délices ; et
personne ne l'a surpassé en zèle pour son
prince ; aussi les fatigues qu'il éprouva
l'automne dernier sur les frontières, l'ont-elles
conduites au tombeau à un âge si peu avancé.
Ceux qui l'ont connu particulièrement savent
qu'il n'avait rien à lui, et que les pauvres par-
tageaient plus que la moitié de sa fortune ; aussi
leur laisse-t-il par son testament une partie de
ses revenus, les reconnaissant, comme il l'expri-
ma lui-même, pour ses meilleurs amis."
M. de Lanaudière ne s'était pas marié.
XIV
Antoine-Ovide Tarieu de Lanaudière
Né à Québec le 12 juillet 1772.
M. de Lanaudière vécut presque toute sa
vie à la campagne. En 1812, il laissa pendant
quelques mois sa vie tranquille pour défendre
le pays contre l'invasion américaine. Le 20
avril 1812, il acceptait le grade de major au 1er
bataillon de Saint- Jean Port-Joli.
M. de Lanaudière décéda à son manoir
126
seigneurial de Saint-Vallier de Bellechasse, le
16 décembre 1.838, à l'âge de 66 ans.
" Les pauvres perdirent en lui leur meil-
leur ami. Tant qu'il vécut il fut le père de sa
paroisse ; jamais on ne frappa à sa porte en
vain. On aurait pu inscrire sur sa tombe :
Franc, probe, honnête, loyal, ami des pauvres,
et sûrement jamais une voix n'aurait pu lui
nier ces qualités." (1)
M. de Lanaudière avait épousé, à Québec,
le 18 décembre 1807, Marie-Joséphine d'Esti-
mauville,fille de Jean-Baptiste-Philippe-Charles
d'Estimauville, sire et baron de Beaumoucheî,
et de Marie-Josephte Courault de la Côte.
Madame de Lanaudière décéda au manoir
seigneurial de Saint-Vallier de Bellechasse le
17 janvier 1825.
" Exemplaire durant sa vie pas ses vertus
domestiques et par l'affabilité de ses manières,
elle laisse après elle un mari inconsolable de
sa perte ; et le concours de presque la totalité
des habitants de la paroisse et d'un grand
nombre de celles du voisinage, et les gémisse-
ments des pauvres dont elle s'était toujours
empressée de soulager les besoins autant qu'il
était en son pouvoir, qui ont suivi son convoi
funèbre, sont les témoignages les plus mani-
festes de l'estime générale dont elle avait joui,
et de la sincérité du regret que sa perte causait
universellement à tous ceux qui avaient été
souvent à même d'apprécier ses qualités plus
particulièrement à ses parents dont elle était si
(1) La Gazette de Québec, 22 décembre 1838.
127
tendrement aimée et auxquels sa mémoire sera
toujours chère." (1)
Aucun enfant n'était né de leur ma-
riage. (2)
XV
Pierre- Charles Tarieu de Lanaudière
Né à Québec le 5 juin 1773.
Décédé à Sainte-Foy le 9 juillet 1773, il
tut inhumé au cimetière de cette paroisse.
XVI
Agathe Tarieu de Lanaudière
Née à Québec le 15 mai 1774.
Décédée à Saint-Vallier le 24 février
1838.
Dans ses Mémoires, M. de Gaspé dit de
sa tante Agathe Tarieu de Lanaudière :
" A propos de mes tantes, Tune d'elles,
Agathe, morte fille, comme sa sœur Margue-
rite, et que la famille appelait Charlotte Corday,
son héroïne, parce qu'elle disait souvent qu'elle
aurait voulu naître homme pour assassiner
quelques-uns des scélérats qui avaient versé
tant de sang innocent pendant la révolution de
92, à propos, dis-je, de ma chère tante Agathe,
sa bravoure doit lui faire trouver place ici. Une
(1) La Gazette de Québec, 3 février 1825.
(2) Sur les d'Estimauville de Beaumouchel, on peut
consulter notre Famille d'Estimauville de Beaumouchel.
— 128 —
bande de voleurs très-bien organisée répandait
il y a trente ans (1) la terreur parmi les per-
sonnes riches ou censées l'être dans la cam-
pagne. On doit se rappeler les vols audacieux
qu'ils commettaient, les personnes isolées, les
familles entières que ces brigands liaient pen-
dant la nuit, et toutes les horreurs auxquelles
ils se livraient. Ma tante Agathe de Lanau-
dière, co-seigneuresse de Saint-Vallier et
réputée riche, vivait seule avec ses domestiques
dans une anse de cette paroisse isolée de tous
voisins : un charmant bocage très touffu, à une
dizaine d'arpents sur le bord de la grève, don-
nait à MM. les communistes toutes les facilités
de s'y cacher même avec leur chaloupe pendant
le jour qu'ils n'eussent préféré débarquer, la
marée aidant, pendant une nuit sombre à cent
pieds du domicile de ma chère tante.
" Elle était pendant ce règne de terreur,
sous l'impression assez naturelle aux personnes
dans sa position, qu'elle pouvait être attaquée
d'une nuit à l'autre ; on l'avait même prévenu
qu'on avait vu rôder depuis quelque temps dans
les environs une chaloupe montée par des
hommes à figures sinistres. Mais comme elle
avait disposé ses batteries en conséquence, elle
était préparée à tout événement, et toujours
sur le qui-vive.
" Elle couchait seule dans la partie nord-
est de la maison, séparée de son fermier qui
occupait le côté opposé, par un appentis atte-
nant aux deux édifices : ses deux domestiques
(1) M. de Gaspé écrivait en 1866.
129
restaient avec la famille du dit fermier où était
aussi la cuisine.
" Elle entre un jour sur la brune dans sa
cuisine après avoir fait sa ronde ordinaire aux
alentours, et y trouve un homme seul le dos
tourné à la cheminée dans laquelle il y avait un
reste de feu. Elle lui demande ce qu'il y a pour
son service. Jean-Baptiste, très farceur, pour
toute réponse se met à battre la campagne et à
tirer quelques quolibets qui furent très mal
accueillis par mon héroïne, qui ne crut voir en
lui qu'un émissaire de la bande redoutable
cherchant à connaître les airs de la maison.
" Je n'avais pas d'armes dans les mains,
disait-elle, et je craignais qu'en me baissant
pour prendre le tisonnier ii ne m'assommât,
mais j'avais heureusement mes galoches (1)
ferrées dans les pieds, dont je lui appliquai un
si vigoureux coup dans le ventre qu'il culbuta
parmi les tisons au grand dommage de ses
culottes. J'allais redoubler, lorsqu'il me cria en
détachant les tisons qui le chauffaient : C'est
moi, mademoiselle Agathe, c'est moi Pelletier,
l'ami de votre fermier qui suis venu lui deman-
der à couvert.
kk Ma tante au désespoir fit mille excuses
de sa promptitude au pauvre diable de Pelletier,
mais lui reprocha aussi de s'y être exposé dans
un temps où tant de voleurs rôdaient dans la
campagne. Elle répara le dommage de son
mieux (car elle avait le cœur aussi bon qu'elle
(1) Les crampons des galoches d'autrefois étaient d'un
pouce de longueur.
— 130 —
était prompte) en ordonnant à sa fermière de
préparer à leur hôte un bon souper dont la
seigneuresse elle-même ferait les frais ; et
poussa je erois même la générosité jusqu'à
faire remplacer la malheureuse paire de culottes
qui faisait jour de toutes parts par la foncière.
44 Ce fut quelques jours après cette scène,
vers la fin d'octobre, que j'arrivai le soir chez
ma bellliqueuse tante. Nous conversions tran-
quillement après souper lorsque son domestique
et sa servante entrèrent dans le salon portant
un paquet de cordes qu'ils attachèrent à chacun
des contrevents déjà fermés, lesquelles cordes
après avoir traversé tous les appartements
finirent par se réunir dans la chambre à coucher
de mademoiselle Agathe de Lanaudière. Cu-
rieux de voir à quoi tout cela aboutirait, je la
suivis dans cette chambre où elle se mit aussitôt
à attacher les dites cordes à quatre sonnettes
qu'elle accrocha au haut des quatre poteaux de
son lit. Elle ouvrit ensuite une armoire, en tira
quatre pistolets dont elle déposa deux sur une
petite table et me présentant les deux autres
ëlt me dit : " Ces armes sont chargées par moi
et ne nous feront pas d'affront si nous sommes
attaqués cette nuit par ces coquins."
" Savez-vous, ma chère tante, lui dis-je que
Vauban lui-même n'a jamais mieux fortifié
une citadelle que vous !
" — Vois-tu, mon fils, répliqua-t-elle, je
n'ai jamais craint un homme lorsque j'ai été
sur mes gardes, mais ces lâches pourraient me
surprendre pendant mon sommeil ; ce que je
les défie de faire à présent. Quoique bien armée
— 131 —
mes nuits étaient sans sommeil, lorsque j'ai eu
l'heureuse idée de me mettre à l'abri de toute
surprise.
" — Vous êtes bien, chère tante, la digne
nièce de nos deux grand'tantes de Verchères,
qui défendirent à la tête d'autres femmes, en
l'année 1690, et en l'année 1692, un fort attaqué
par les Sauvages, et les repoussèrent.
" — Ah ! mon fils ! fit-elle, en soupirant,
si le ciel eût voulu que je fusse née homme !
" Je ne pouvais m'empêcher, termine M.
de Gaspé, d'admirer tant de courage dans un
corps si frêle et si petit." (1)
XVII
Charlotte-Marguerite Tarieu de Lanaudière
Née à Québec le 16 septembre 1775.
Aussi belle que spirituelle, si mademoiselle
de Lanaudière ne se maria pas ce ne fut pas
faute de prétendants. Mais comme ses sœurs
Marie-Louise et Agathe elle préféra sa liberté
aux liens du mariage. Elle décéda à Québec
le 17 novembre 1856, à l'âge de 82 ans.
" Charlotte-Marguerite de Lanaudière,
écrit M. de Gaspé, était la plus jeune des
enfants de mon grand'père, M. Charles de La-
naudière, et elle survécut à ses frères et sœurs.
Sans avoir autant d'esprit que ses deux sœurs
aînées, madame Baby et ma mère, elle n'en
était pas moins très spirituelle et surtout très
satyrique. C'était le jugement que réminent
(1) Mémoires, p. 519.
— 132 —
prélat Mgr Plessis, ami intime de ma famille,
portait sur les trois sœurs. Mais si elle n'avait
pas l'esprit supérieur de sa sœur aînée, ni
l'esprit ni le jugement si sain de ma mère, elle
avait toute la force d'âme de la première et une
volonté à faire tout ployer devant elle. Elle a
mené une vie retirée pendant les dix à quinze
ans qui ont précédé sa mort, ce qui n'empêchait
pas les gouverneurs et les personnes éminentes
voyageant au Canada, de visiter cette vieille et
dernière relique d'une génération maintenant
éteinte. Etait-ce curiosité de la part des visi-
teurs de converser avec cette vieille noblesse ?
" Ma vieille tante avait pris ces visites au
sérieux, et s'y attendait toujours. Lord Elgin
(il ne disait pas lui, noblesse, par mépris), lui
lit aussi une visite.
" — Comment se porte, milady, fit made-
moiselle de Lanaudière ?
" — Mais très bien, fut la réponse.
" — J'en suis charmée, milord ; lorsque
j'étais plus jeune, je ne manquais jamais d'aller
rendre mes hommages aux représentants de ma
souveraine; mais depuis que l'âge m'en em-
pêche,tous les gouverneurs et leurs épouses ont
eu la condescendance de rendre visite à la
petite-fille du second baron de Longueuil, gou-
verneur de Montréal avant la conquête.
" Lady Elgin rendit visite à la vieille
demoiselle quelques jours après." (1)
On nous ferait sûrement un reproche de ne
pas reproduire ici les pages spirituelles que M.
(1) Mémoires, p. 514.
— 133 —
de Gaspé a consacrées à sa tante Charlotte-
Marguerite de Lanaudière :
u Quelques Canadiens se rappellent encore
aujourd'hui, continue le vieux conteur, un
régiment stationné à Québec il y a plus de
soixante ans, tant il a laissé de tristes souve-
nirs. Le major qui commandait ce corps
d'officiers turbulents était un jeune homme de
vingt-deux ans, de la même trempe qu'eux ; et
le gouvernement civil d'alors ne pouvait leur
imposer aucune contrainte. Je dois ici rendre
la justice de dire que tous les officiers des autres
régiments que j'ai connus, à la rare exception
d'un individu par ci par là échauffé par le vin,
avaient les plus grands égards pour les dames;
celui qui aurait agi autrement aurait été mis
en coventry. Mais le régiment dont j'ai parlé
tenait une conduite différente ; on citait plu-
sieurs dames que certains officiers de ce corps
avaient insultées.
" C'était le printemps et un jour d'office
à la cathédrale ; les rues alors non pavées,
étaient dans un état affreux et un groupe
d'officiers s'était emparé du haut du parapet
de la rue de la Fabrique, afin d'obliger les pas-
sants de patauger dans l'eau et dans la boue.
Les femmes en avaient pris leur parti et
louvoyaient au beau milieu de la rue, les robes
retroussées jusqu'à mi-jambe, et assaillies des
brocards sans fin de ces galants messieurs.
Mademoiselle de Lanaudière alors fort jeune
arrive avec trois ou quatre de ses amies qui
veulent rebrousser chemin en voyant que la
phalange hostile serre les rangs comme à
— 134 —
Fontenoy ; alors, sans se déconcerter, elle
s'avance seule et leur dit de l'air superbe d'une
impératrice : 4t S'il est un seul gentleman parmi
vous qu'il fasse livrer passage aux dames."
Ce reproche piquant eut l'effet désiré, et la voie
fut aussitôt libre.
" La. jeune fille canadienne avait rompu
la colonne anglaise, comme la brigade irlan-
daise avait puissamment aidé à enfoncer la
colonne anglaise à Fontenoy. Je ne puis m'em-
pêcher de citer un passage des Mémoires si
précis, si véridiques du marquis d'Argenson
au sujet de cette bataille : ne serait-ce que pour
montrer en quelle estime les Français avaient
le bouillant courage des enfants de la verte
Erin.
" Le roi demanda le corps de réserve et le
brave Lordendall, mais on n'en eut pas besoin.
Un faux corps de réserve donna. C'était la
même cavalerie qui avait d'abord donné inuti-
lement, la maison du roi, les carabiniers, et ce
qui restait tranquille des gardes françaises, des
Irlandais, excellents surtout quand ils marchent
contre les Anglais et les Hanovriens. C'est M.
de Richelieu qui a donné le conseil et qui l'a
exécuté, de marcher à l'ennemi comme des
chasseurs ou comme des gourrageurs,pêle-mêle,
la main baissée, le bras raccourci : maîtres,
valets, officiers, cavaliers, infanterie, tout
ensemble ce fut l'affaire de dix
minutes que de gagner la bataille avec cette
botte secrète."
" Mais je reviens à propos de la petite
scène dont ma tante fut l'héroïne. Je suis pour
— 135 —
ma part de la vieille école, et je m'empresse tou-
jours de livrer passage aux dames sur les para-
pets, sauf souvent à marcher dans la boue :
celui qui avait autrefois cette attention, un
jeune homme même, en était récompensé par
une petite inclination de tête, mais dans le siècle
de progrès où nous vivons j'en suis quitte, à
l'âge de 79 ans, pour mes frais de courtoisie.
Mes amis me reprochent souvent cet excès de
politesse envers des bégueules ; et moi de
répondre : Celui qui a été bien élevé passe
difficilement de la politesse au manque d'égards
sur ses vieux jours." Ceci me rappelle la
réponse que fit jadis un de mes amis canadiens
assez mauvais sujet à un jeune anglais surpris
de lui voir faire sa prière du soir : / cannot,
my friendj break m y self of it (Je ne puis m'en
corriger).
t4 Lorsque la frégate française la Capri-
cieuse visita les parages du Canada, il y a neuf
ans (en 1855), le commandant de Belvère ne
manqua pas de rendre visite à mademoiselle de
Lanaudière ; la conversation roula principa-
lement sur la France : sujet très intéressant
pour la vieille canadienne, mais elle finit par
lui dire : " nos cœurs sont à la France mais nos
bras à l'Angleterre." Voyez, messieurs les
Anglais, cette vieille noblesse qui avait pris au
sérieux le serment de fidélité que son père et ses
frères avaient prêté aux souverains de la
Grande-Bretagne.
" Un officier de la même frégate, ayant
nom Gaultier, sut, je ne sais comment, qu'une
de nos tantes avait épousé avant la conquête
136
un médecin du Roi, nommé Gaultier ; j'ai vu
quelque part que c'est lui qui a découvert le thé
canadien auquel il a donné le nom de Gaultha-
ria, le même thé, je suppose, que l'on cherche
à utiliser aujourd'hui. Le dit officier réclama
donc parenté avec la vieille dame qui s'y prêta
de bon cœur ; il l'appelait en riant ma tante et
elle l'appelait en badinant son neveu. Mais ma
chère tante était accoutumée à donner de vertes
semonces à ses neveux, témoin l'auteur de ces
Mémoires, lequel âgé même de soixante ans,
la craignait encore. Pour en revenir à mon
cousin de la Capricieuse, puisque cousin il y a,
croyant sans doute flatter la vieille tante, il
lâcha en sa présence quelques paroles hostiles
contre l'Angleterre.
ik — Vous n'êtes pas, monsieur mon neveu,
rit-elle, un bon et fidèle sujet de votre empereur,
que je n'aime pourtant guère, puisque vous
montrez des intentions hostiles à ses alliés, et
surtout dans un moment où vous êtes reçu par
eux d'une manière si cordiale.
" Ma chère tante malgré son caractère
despotique n'en avait pas moins un excellent
cœur, et je n'ai point souvenance qu'elle se
soit brouillée avec une seule de ses amies, bien
au contraire. J'ai bien connu deux demoiselles
anglaises, ses compagnes d'enfance, qui après
la mort de leur père, tombèrent de l'opulence
dans un état voisin de l'indigence ; elles furent
abandonnées de presque toutes leurs amies,mais
elles n'en furent pas moins les amies de cœur
de ma tante ; elle les emmenait passer souvent
avec elle une partie de l'été, chez ma mère à la
— 137 —
campagne, et lorsqu'elle tint ensuite elle-même
maison avec ses frères à Québec, les premières
invitations étaient toujours pour ces pauvres
demoiselles. Je ne crains pas d'ajouter que toute
ma famille avait les mêmes sentiments.,, (1)
Dans un autre endroit de ces mêmes
Mémoires, M. de Gaspé, parle avec humour des
talents de mystificateur de sa tante Marguerite.
Il raconte à ce sujet une aventure qui vaut la
peine d'être reproduite :
" La scène que je vais raconter eut lieu
quelques années avant ma sortie du pensionnat
du séminaire de Québec.
" — La société anglaise, peu nombreuse à
cette époque, prisait beaucoup celle des Cana-
diens-Français infiniment plus gaie que la leur.
En effet les Canadiens n'avaient encore rien
perdu de cette franche et un peu turbulente
gaieté de leurs ancêtres. Une des mes tantes
maternelles, Marguerite de Lanaudière, âgée
alors d'une vingtaine d'années, et aussi belle
qu'elle était gaie et spirituelle faisait fureur
surtout parmi les Anglais. Je ne sais comment
avec des traits si beaux, si réguliers, elle réus-
sissait à leur donner l'expression de la vieil-
lesse, de l'idiotisme et de tous ceux qu'elle vou-
lait personnifier. Sa voix naturellement douce
devenait méconnaissable. C'était surtout pen-
dant ses fréquentes visites à la campagne qu'elle
jouait ses petites comédies.
(1) Mémoires, pp. 514 et seq.
— 138 —
f* Il est inutile d'observer qu'elle ne mysti-
fiait, en se déguisant, que les personnes dont
elle était bien connue.
" Quelques amis arrivent chez mon père
et s'informent de Mademoiselle Marguerite
qu'on leur dit être absente ; et elle fait son
entrée au salon un quart d'heures après, sous
le costume d'une femme d'habitant qui vient
consulter le seigneur sur un procès qu'elle veut
entreprendre, ou dont elle était menacée ; sur
les querelles qu'elle a avec son mari, ou avec
son donateur pour la rente en nature qu'elle
est obligée de lui payer annuellement. Et jamais
véritable Josephte (1) n'est mieux personnifiée.
" Tantôt c'est une parente à demi-idiote
que sa famille a renvoyée chez ses amis. Elle
excellait dans ce rôle : son visage n'offrait plus,
alors, que l'expression de l'idiotisme le plus
pitoyable. Il fallait ensuite l'entendre faire les
remarques et les questions les plus saugrenues.
" Mais je reviens à la scène que j'ai pro-
mise.
" Ses amis de Québec avaient souvent
entendu parler de ces farces ; et la défiaient
depuis longtemps de les tromper n'importe sous
quel déguisement elle se présentât : lorsque sa
belle-sœur Madame Charles de Lanaudière lui
proposa de lui donner l'occasion d'en faire
l'essai à une soirée qu'elle donnerait chez elle
et à laquelle celles qui lui avaient jeté le gant
seraient conviées.
(l)-Josephte, sobriquet que les citadins donnent aux
femmes de la campagne.
— 139 —
" Les invitations sont faites en consé-
quence et mon oncle de Lanaudière s'étant
chargé à dessein de faire personnellement celle
de Monsieur Seweli, alors procureur du Roi,
finit par lui dire :
4k Qu'il tenait fort à ce qu'il ne lui fit pas
défaut : qu'une vieille seigneuresse, son amie
Madame X était arrivée la veille pour
consulter un avocat sur un procès qui pouvait
compromettre la fortune de ses enfants et qu'il
lui avait conseillé de s'adresser à Monsieur
Seweli lui-même, l'avocat le plus éminent de la
cité de Québec, que la vieille dame l'avait
remercié ; mais qu'il lui avait proposé de faire
chez lui la connaissance de son avocat, afin de
fixer un jour pour lui communiquer ses nom-
breux titres et papiers, et le mettre au fait de
cette affaire importante. Comme j'étais charmé,
ajouta Monsieur de Lanaudière, de lui faire une
politesse, j'ai fait une pierre à deux coups en
invitant aussi quelques-uns de nos amis. La
vieille dame est très-riche et vous paiera
généreusement.
" — Je me ferai un vrai plaisir, dit Mon-
sieur Seweli, tout en rendant service à cette
vieille dame, d'obliger en même temps un
ami ; ainsi comptez sur moi. Quant aux hono-
raires vous connaissez mon désintéressement
et que ce n'est pas l'amour du gain qui me fait
agir. Et, par rare exception, c'était vrai !
" Je dois observer ici, que son épouse,
Madame Seweli, était celle qui avait porté le
plus fort défi à son ami d'enfance Marguerite
de Lanaudière.
— 140 —
" Il est six heures du soir ; toute la société
est réunie. Les dames . Smith, Sewelî, Finlay,
Fargues, Mountain, Taylor, de Salaberry, Du-
chesnay, Dupré, etc., sont à leur poste.
" — Où est Marguerite ? dirent plusieurs
dames à la fois.
" Croirez-vous, dit la maîtresse de la mai-
son, qu'elle s'est avisée d'avoir ce soir une
migraine affreuse, et qu'elle m'écrit qu'il lui
est impossible de sortir.
" Les plus indulgentes compatirent aux
souffrances de leur amie, tandis que d'autres se
répandirent en invectives contre cette maussade
de Marguerite qui s'avisait d'avoir cette malen-
contreuse migraine qu'elle aurait bien dû
remettre au lendemain.
" Monsieur de Lanaudière dit ensuite à un
domestique assez haut pour être entendu de tout
le monde :
" Venez me prévenir aussitôt que la sei-
gneuresse X sera arrivée afin que
j'aille la recevoir lorsqu'elle descendra de
voiture.
" Après quelques minutes d'attente, Mon-
sieur de Lanaudière faisait son entrée au salon,
sa sœur appuyée au bras ; ce n'était plus la
jeune et belle fille qui faisait l'admiration de
tout Québec, c'était une vieille dame marchant
courbée et dont le visage était méconnaissable,
ses beaux sourcils d'un noir d'ébène étaient si
démesurément allongés, qu'ils se rejoignaient
au bas du front, son visage couvert de rouge,
comme c'était la mode du temps de Louis XV,
était parsemé de mouches de taffetas noir,
— 141 —
tandis qu'une emplâtre de ces mouches noires
très en vogue alors, lui couvrait la majeure
partie du nez. Quant au costume, c'était celui
de la cour de Louis XV, avec un tel accompa-
gnement de bijoux, bagues, bracelets, diamants,
boucles d'oreilles pendant jusqu'aux épaules,
que la vieille dame brillait comme un soleil ;
tous les écrins de la famille avaient été mis à
sec. Après les introductions d'usage, auxquelles
elle répondait par des révérences à émousser le
tapis, elle prit la parole :
" J'arrive bientôt à l'âge auquel tout désir
de plaire doit cesser ce qui ne m'empêche pas
d'éprouver une grande confusion de me présen-
ter dans le piteux état que vous voyez par suite
d'un fâcheux accident dont je dois accuser la
rigueur de la saison, mon pauvre nez couvert
de mouches vous explique ma triste aventure,
Monsieur de Lanaudière peut rendre ■ témoi-
gnage que ce même nez qui se cache si honteu-
sement ce soir a fait tourner, autrefois, la tête
à bien des galants ; et j'ajouterais, si je ne crai-
gnais de rendre la maîtresse de céans jalouse,
que le seigneur de la Pérade (1) lui-même ne
s'en est pas retiré sans de graves blessures ;
car vous étiez à cette époque, mon cher de La-
naudière, un grand mangeur de cœur.
" La vieille dame après avoir poussé deux
à trois soupirs, et lancé autant de tendres œil-
lades à son ancien ami, tira de sa poche une
immense et magnifique boîte d'or, dans laquelle
son trisaïeul devait avoir fréquemment prisé
(1) Charles de Lanaudière, sieur de la Pérade.
142
du tabac d'Espagne : se leva majestueusement
et faisant le tour de la chambre s'arrêta en
faisant une belle révérence devant chaque per-
sonne de la société en disant : en usez-vous ? "
La révérence était strictement rendue par tous
les assistants qui ne voulaient pas être en reste
de courtoisie envers cette vénérable douairière.
Et elle faisait la même corvée toutes les dix
minutes la tabatière d'une main et un mouchoir
de l'autre,en disant: "en usez-vous? avec forces
révérences que chacun s'empressait de lui rendre.
Tous les convives, obligés de se tenir à quatre
pour s'empêcher de rire étaient au supplice,
tandis que mon oncle de Lanaudière riait fran-
chement tout en se réfugiant dans une chambre
voisine dans laquelle le suivaient plusieurs de
ses amis indignés de sa conduite discourtoise.
" — Nous sommes surpris, de Lanaudière,
disaient Messieurs Sewell, de Salaberry et le
major Doyle, (1) qu'un gentilhomme aussi bien
élevé que vous l'êtes, puissiez sous votre toit,
manquer aux égards que l'on doit à la vieillesse
et à une dame aussi respectable.
" — Que voulez-vous ! mes chers amis,
disait mon oncle : c'est plus fort que moi, la
bonne femme est si ridicule qu'il m'est impos-
sible de m'empêcher de rire.
" Une conversation très animée s'engagea
bien vite entre les jeunes dames et la douairière ;
chacune d'elle la complimentait sur sa toilette,
de l'air îe plus sérieux du monde ; et la vieille
(1) Le major Doyle avait épousé une demoiselle Smith,
sœur de Madame Sewell. Il est mort général, dans la
Péninsule, je crois.
— 143 —
de faire rénumération de toutes les conquêtes
que sa robe de velours cramoisi lui avait jadis
values. Madame Smith, veuve du juge en chef
de ce nom et mère de Madame Sewell, Madame
Smith déjà sur l'âge admirait franchement une
toilette qu'elle comparait à un habillement sem-
blable qu'elle avait vu à sa grand'mère ; et
regrettait beaucoup de ne pouvoir parler la
langue française afin de converser avec la res-
pectable seigneuresse.
" Ce ne fut qu'après avoir conversé pen-
dant longtemps, ou avoir fait souffrir de ses
ridicules, de ses excentricités, suivant leur
caractère, ceux qui l'entouraient qu'elle leur
dit :
kk — Vous avez eu l'obligeance de me
transporter aux beaux jours de ma jeunesse
qui commencent, hélas ! à fuir avec rapidité, et
c'est avec beaucoup de regret que je me vois
forcé de m'occuper pendant quelques minutes
d'une affaire sérieuse pour l'avenir de ma
famille ; Monsieur l'avocat du Roi a eu la
bonté de s'intéresser au sort d'une pauvre vieille
dame menacée d'un procès ruineux qui peut la
conduire au tombeau ; et avec votre permission
je vais profiter de son obligeance et lui donner
un petit aperçu de cette déplorable affaire qui
m'a fait vieillir de cinquante ans dans l'espace
d'un mois ; oui, mesdames, il y a à peine quinze
jours, j'avais encore les roses de la jeunesse sur
ce visage flétri, j'aurais pu même passer pour
la sœur cadette de cette belle dame, ( 1 ) épouse
Cl) Madame Sewell, était une femme de grande beauté.
— 1,44 —
du célèbre avocat général, toujours prêt à
secourir l'infortune.
" M. Sewelï se prêta avec complaisance
au désir de la douairière qui l'entretint pendant
vingt minutes, au moins, à haute voix et avec
volubilité du plus beau procès de chicane que
jamais Normand chicanier et à tête croche ait
inventé. La comtesse de Pimbesche des Plai-
deurs de Racine n'était qu'une sotte comparée
à ma chère tante. Rien ne l'embarrassait ; les
noms des notaires qui avaient passé les actes,
leurs dates précises, les citations tirées des dits
actes : tout coulait avec une abondance à éton-
ner le savant avocat qui l'écoutait.
" On annonce le souper. C'était alors la
mode, et même vingt ans plus tard, de chanter
au dessert, les messieurs et les dames alterna-
tivement ; et Madame de Lanaudière pria la
vieille seigneuresse de vouloir bien les favoriser
d'une chanson.
" J'avais encore, il y a trois jours, dit la
douairière, une voix aussi douce qu'à l'âge de
vingt ans, mais le malencontreux froid qui a
gelé mon pauvre nez, a eu aussi l'effet, hélas !
de m'affecter les poumons, mais je ferai l'impos-
sible pour contribuer à l'agrément de cette
charmante fête ; et elle entonna, d'une voix
virile, rude et cassée, comme celle d'un vieillard,
la chanson à boire suivante, et cela en accen-
tuant fortement le premier mot :
" Ba a a chu u, (Bacchus) assis sur un tonneau
" M'a défendu de boire de l'eau."
" Ce fut, alors, une explosion générale de
ceux qui avaient jusque là conservé à peu près
— 145 —
leur sérieux, tandis que les plus graves enfon-
çaient les mouchoirs dans leurs bouches pour
s'empêcher d'éclater de rire.
" — Tire le rideau ; et va te débarbouiller,
Marguerite, s'écria mon oncle de Lanaudière :
la farce est finie.
" — Les jeunes dames se mirent alors à
crier toutes à la fois :
" — Ah ! Marguerite ! Diablesse de Mar-
guerite ! Que tu nous as fait souffrir.
" — Et puis s'armant de mouchoirs, d'éven-
tails, que sais-je, elles poursuivirent de chambre
en chambre la fugitive, laquelle une fois dé-
masquée, s'était enfuie de la table, et la rame-
nèrent de vive force à la place qu'elle venait de
laisser, au milieu d'un brouhaha à ne pas
entendre Dieu tonner.
" — Mademoiselle Marguerite, fit Mon-
sieur Sewell, quand le calme fut un peu rétabli,
ce n'est pas moi mais vous que notre Souverain
aurait du nommer procureur du Roi, car
jamais procès de chicane plus ingénieux, plus
embrouillé, n'a été exposé d'une manière plus
lucide, même par nos plus vieux procureurs de
la cité de Londres.
" — Vous oubliez, Monsieur l'avocat gé-
néral, répliqua-t-elle, que mes ancêtres étaient
normands et que je dois tenir un peu de la
famille."
— 146 —
4k Je n'ai pas assisté à cette scène, j'étais
alors trop jeune, mais elle m'a été racontée si
souvent par ma famille que j'en ai saisi les
parties les plus saillantes. Le juge en chef
Sewell lui-même me disait en riant de cette
mystification, vingt ans après, que ma tante
aurait fait le désespoir des juges, si, née
homme, elle eût embrassé la carrière du bar-
reau." (1)
(1) Mémoires. ■
1ère génération : Thomas-Xavier Tarieu de Lanaudière
2ème génération : Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade
3ème génération : Charles-François-Xavier Tarieu de
Lanaudière
4ème génération : Charles-Gaspard Tarieu de Lanaudière
Charles-Gaspard Tarieu de Lanaudière
Né à Québec le 9 septembre 1769.
Sa mère, restée veuve en 1776, l'envoya
compléter ses études en Angleterre. Pendant
ses vacances, le jeune de Lanaudière passa sur
le continent afin de rencontrer son frère aîné
qui se trouvait en France.
" II y avait nombreuse compagnie le soir,
lorsque M. de Lanaudière et son jeune frère
firent leur entrée au salon de leur oncle, le
baron de Germain. Le frère aîné dit à Charles-
Gaspard : Charles,maintenant cherches ta tante.
L'enfant promena ses regards sur le cercle des
dames assises à l'entour de la chambre, et se
dirigeant sans hésiter vers madame la baronne
de Germain, il lui dit : Vous êtes ma tante. Il
l'avait reconnue à la ressemblance qu'elle avait
avec sa mère.
" On entoura le petit anglais, comme les
dames françaises le proclamèrent à cause de son
costume qu'elles admirèrent beaucoup, et qui
contrastait avec celui des enfants français. En
effet, les derniers étaient vêtus comme des petits
marquis : habit traînant sur les talons, culottes
avec boucles au-dessous du genou, bas de soie,
souliers avec larges boucles d'or ou d'argent,
queue énorme entourée de ruban, et cheveux
poudrés.
148
" Le costume du petit anglais,au contraire,
était semblable à celui des matelots de la
marine royale britannique : gilet, veste et pan-
talon bleus, bas de coton blanc, escarpins noués
sur le coup du pied, avec un ruban noir,
chemise ouverte au col à la Byron, et cheveux
ras sans poudre. C'était probablement le pre-
mier enfant vêtu à l'anglaise que ces dames
voyaient car elles s'écrièrent :
li Voilà comme nos enfants français
devraient être vêtus ! Voyez comme il est à
l'aise dans ses habits et libre de tous ses mouve-
ments, tandis que nos enfants semblent empesés
comme les coiffes des bourgeoises du faubourg
Saint-Denis !" (1)
Le 31 mai 1794, une nouvelle ordonnance
de milice était adoptée pour la province de Qué-
bec. Dans ses grandes lignes, la nouvelle loi
de milice avait été copiée sur l'organisation de
milice qui avait existé sous le régime français.
M. de Lanaudière, qui s'était toujours
intéressé aux choses de la milice, accepta le
grade de capitaine aide-major de la division de
Lavaltrie.
Nous lisons dans la Gazette de Québec du
10 septembre 1794 :
44 Berthier (en haut), comté de Warwick,
le 25 août 1794.
"Le 18e et 19e de ce mois, la milice de cette
paroisse et celle de Saint-Cuthbert a été
inspectée par l'honorable Paul Roc de Saint-
Ours, écuier, colonel de ce district, et messieurs
(I) M. de Gaspé, Mémoires, p. 100.
— 149 —
Georges Me Beath, écuier, J.-\H. Arvieux,
(Harvieux ?), écuier, majors, et Gaspard de
Lanaudière, capitaine et aide-major. Ce serait
faire une injustice de passer sous silence la
satisfaction que les capitaines, officiers et mili-
ciens en ont reçu dans ces deux paroisses de la
part de l'honorable Paul Roc de Saint-Ours,
écuier, leur lieutenant-colonel, de la générosité
et peines considérables qu'il a prises à chaque
revue des différentes compagnies, d'expliquer
pendant l'espace de deux heures et demie l'or-
donnance du 31e jour de mai présente année
concernant la milice, et leur harangue sur les
devoirs des fidèles sujets, en leur faisant com-
prendre le bonheur qu'ils jouissent sous
l'empire britannique, par ce discours grand et
généreux on a vu dans l'instant la joie écrite
sur les visages de tous les spectateurs, lesquels
se réjouissent hautement, disant qu'un pareil
discours ne manquerait de faire un bien consi-
dérable et que tous ceux qui s'étaient abusés de
fausses machinations se voient dans ce moment
justement convaincus, et par une juste recon-
naissance, nous soussignés prenons la liberté
de lui faire nos très humbles remerciements."
Cette pièce baroque qu'il faut lire deux
fois avant de la comprendre était signée par
Pierre Pelland, Joseph Roch, Louis Vadenais,
capitaines ; Antoine Roch, Antoine Vadenais,
Jean Rival, Antoine Guignard, lieutenants ;
Pierre Coulombe, Pierre-Sulpice Saint-George
fils, Pierre Beaupré, C.-F. Hayfiemard,
enseignes.
— 150 —
La nouvelle ordonnance de la milice
n'était pas reçue partout avec le même enthou-
siasme délirant. Quelques semaines auparavant,
le 29 juin, jour de la Saint-Pierre, une grande
assemblée des miliciens de tous les environs
avait été convoquée à l'Assomption. Les prin-
cipaux officiers de milice du district, MM. de
Saint-Ours, de Lavaltrie, Panet, Faribault et
de Lanaudière, se trouvaient sur l'estrade élevée
pour la circonstance sur la place publique.
" Le doyen de ces messieurs, en grand
uniforme militaire, se mit à haranguer la foule
sur la grande bonté du souverain et sur le
devoir incontestable qui s'imposait à tous de
le défendre, lui et sa couronne, contre les
ennemis. A peine avait-il prononcé quelques
phrases, qu'un murmure sourd, mais non
équivoque, s'élève du sein de l'assemblée, et,
tout à coup sous la pression de ceux qui étaient
chargés secrètement de la chose, l'estrade
s'effondre avec tous ceux qui y avaient pris
place, aux cris mille fois répétés ; A bas les
seigneurs, à bas les messieurs ! Ce fut
un pêle-mêle général, et durant la confusion qui
s'en suivit tous les officiers disparurent. Seul,
M. de Lanaudière demeura sur place, et se
juchant, au plus tôt, sur une clôture voisine,
se permit de reprocher aux gens, en termes
énergiques, leur conduite déloyale, et de leur
exprimer tout le mépris qu'elle leur inspirait ;
le calme se rétablit.
" Cet acte de bravoure de M. de Lanau-
dière produisit le meilleur effet sur les émeu-
— 151, —
tiers, alors l'un des principaux meneurs, s'appro-
chant de lui, dit d'un ton insolent :
" — Il vous sied bien de nous parler ainsi
lorsque vous avez vos pistolets en mains et
votre sabre au côté !
" — Qu'à cela ne tienne, reprit avec colère
M. de Lanaudière, lançant en même temps ses
pistolets au loin, après les avoir tirés en l'air
et brisant son épée en deux sur son genou, il
en laissa tomber les tronçons à ses pieds : — A
vous maintenant, mes amis ! s'écria-t-il.
" Frappés d'admiration à la vue d'une
telle intrépidité, personne ne se présente
devant lui, au contraire de vigoureux applau-
dissements se firent entendre de toute part.
" Après quelques instants, M. de Lanau-
dière reprenant la parole, s'écria :
" — Mes bons amis, je m'en vais chez M.
le colonel de Saint-Ours, qui m'a invité à dîner,
mais, sur les quatre heures cette après-midi,
je m'en retournerai chez moi, à Lavaltrie, en
passant par le chemin ordinaire, celui de la
Savanne ; si quelqu'un ou plusieurs d'entre vous
désirent m'y rencontrer et s'assurer si j'ai peur
ils seront les bienvenus. Je serai accompagné
de mon unique domestique qui vous est bien
connu et sans armes tel que vous me voyez
maintenant.
" Sur ce, il se retira et s'en alla rejoindre,
chez le seigneur, les autres officiers de l'état -
major. On se mit bientôt à table, mais sur les
quatre heures, rien ne put empêcher M. de La-
naudière de prendre la route conduisant à
152
Lavaltrie : conseils,suppliques,représentations,
etc., rien n'y fit.
" Quelques heures après, il descendit de
voiture au manoir de Lavaltrie, sans avoir
aperçu un seul individu désireux de le molester.
Pendant de longues années, les parents racon-
taient à leurs enfants cette admirable conduite
de M. de Lanaudière, et le souvenir ne s'en est
pas encore complètement effacé dans les
vieilles seigneuries de Lavaltrie, de Berthier et
de l'Assomption." (1)
M. de Lanaudière qui avait dans les veines,
tant du côté de son père que de celui de sa mère,
le sang de plusieurs générations de preux guer-
riers, était, comme on le voit, d'une bravoure
à toute épreuve. Comme le personnage
d'Athalie il aurait pu dire :
Je crains Dieu, cher Abner,
Et n'ai point d'autre crainte.
Mais il est juste d'avouer qu'il était
doué d'une force musculaire extraordinaire.
Dans toute la région de Québec, il n'y
avait peut-être que l'honorable M. de Salaberry,
père du héros de Châteauguay, qui lui était
supérieur sur ce point. Et encore la force de
ces deux athlètes se balançait-elle pas mal
comme on le verra par le fait suivant que nous
empruntons encore à M. de Gaspé.
"M. de Salaberry et mon oncle Gaspard
de Lanaudière, aussi d'une force remarquable,
étaient, un dimanche, avant la messe, au pres-
(1) Autrefois et aujourd'hui à Sainte-Anne de la Pérade,
p. 68.
153
bytère du Cap-Santé. Un groupe des habitants
de la paroisse entouraient une cloche, dont j'ai
oublié le poids ; elle était destinée au clocher
de Tégiise renversé par la foudre, et les
hommes les plus forts essayèrent en vain de
lever de terre la lourde masse, lorsque mon
oncle les rejoignant, souleva non seulement la
cloche, mais la fit tinter plusieurs coups à la
grande surprise des spectateurs dont il avait
d'abord essuyé un déluge de quolibets dirigés
contre les messieurs qui voulaient faire les
hommes. De retour au presbytère, il dit en riant
au curé qu'il venait de sonner le tinton de la
messe.
" — Très bien ! Gaspard, dit M. de Sala-
berry, vous tenez de votre père, l'homme le
plus fort que j'aie connu.
lk On dine au presbytère ; et le curé
annonce ensuite en consultant sa montre, qu'il
est l'heure de chanter les vêpres. M. de Sala-
berry s'esquive alors sans rien dire et un instant
après, on entend sonner la cloche à toute volée.
L'hercule rentre en riant et dit :
" — Mon cher Lanaudière, vous avez sonné
la messe et moi les vêpres. (1)
En 1796, toute l'Europe était en armes.
L'Angleterre ayant besoin de toutes ses troupes,
afin de parer aux événements, lord Dorchester,
dans le but de permettre aux troupes anglaises
qui étaient en Canada de passer sur le continent
européen, leva dans le pays un régiment qui fut
appelé le Royal Canadien Vohtnteers ou Royal
(1) Mémoires, p. 475.
— 154 —
Canadien. Ce régiment fut formé de deux
bataillons dont le premier, composé entièrement
de Canadiens-Français, avait pour commandant
le colonel Le Moyne de Longueuil. Le major
était M. de Salaberry, père du héros de Châ-
teauguay. (1)
M. de Lanaudière reçut une commission
de lieutenant dans ce régiment. Les autres
officiers étaient MM. de la Bruère Piedmont,
Louvigny de Montigny, Dambourgès, Sabre-
vois de Bleury, Vassal de Montviel, d'Estimau-
ville, Chaussegros de Léry, Hertel, Bouchette,
Boucher de Montizambert, de la Morandière,
Taschereau, Ermatinger, de Boucherville, de
Beau jeu, Pétrimoux, etc., etc. Le Royal Cana-
dien fut débandé en 1802, après la paix
d'Amiens.
Aux élections pour la Chambre d'Assem-
blée de la province du Bas-Canada qui eurent
lieu en juillet 1796, M. de Lanaudière fut élu
député du comté de Warwick. Cette division
électorale comprenait alors le comté actuel de
Berthier.
Dans la Gazette de Québec , du 14 juillet
1796, nous trouvons la lettre suivante que M.
de Lanaudière adressait à :
" Messieurs les libres électeurs de Warwick,
" Messieurs,
" Je saisis la première occasion de
vous faire publiquement mes remerciements
(1) Sur ce régiment on peut consulter M. Benjamin
Suite, Histoire de la milice canadienne-française, p. 17.
— 155 —
pour la confiance que vous avez bien voulu
mettre en moi, en me nommant un de vos
représentants. Vous m'avez aussi rendu justice,
Messieurs, lorsque vous vous êtes persuadés
que je n'aurais jamais signé l'écrit qui fut
présenté aux candidats, avant l'élection, par le
capitaine Rocq, bien convaincus que je ne ferai
jamais rien de contraire aux vrais intérêts de
notre heureuse constitution, qui sont si étroite-
ment liés avec les vôtres.
J'ai l'honneur d'être avec respect,
Messieurs,
Votre très humble et très
obéissant serviteur,
Chs. Gasp. de Lanaudière.
Québec, 13 juillet 1796."
M. de Lanaudière débuta dans la carrière
parlementaire par un faux pas. Deux candi-
dats avaient été proposés à la présidence de la
Chambre, l'honorable M. Jean-Antoine Panet,
qui avait si dignement rempli cette charge pen-
dant le premier parlement, et M. John Young.
Celui-ci eut l'appui de tous les députés de
langue anglaise et de quatre Canadiens-Fran-
çais, MM. de Lanaudière, de Bonne, Montour
et Foucher. M. Panet fut tout de même élu. A
cent-vingt-deux ans de distance, il est difficile
de saisir les motifs qui firent agir M. de La-
naudière en votant de préférence pour M.
Young qui comprenait à peine le français et
ne le parlait pas du tout et était d'ailleurs une
— 156 —
créature du gouvernement si adverse aux inté-
rêts canadiens-français.
Aux élections générales de 1804, M. de
Lanaudière fut de nouveau élu membre de la
Chambre d'Assemblée mais cette fois pour le
comté de Leinster. C'est le comté de l'Assomp-
tion de nos jours.
M. de Lanaudière fit partie de la Chambre
d'Assemblée jusqu'en 1808.
Il ne semble pas que M. de Lanaudière ait
pris une grande part aux délibérations de la
Chambre d'Assemblée. Du moins, les rapports
de la Chambre, assez incomplets, il est vrai,
mentionnent à peine son nom.
M. de Lanaudière fit à peu près vers cette
époque un second voyage en Europe. De ce
voyage de son oncle, M. de Gaspé dit dans ses
Mémoires :
" Grande fut sa surprise, pendant un
second voyage qu'il fit, quelques années après,
dans les provinces de France, à l'aspect des
bergers et des bergères, si différents de ceux
qu'il avait vus sur les théâtres de Paris : —
Impossible de se figurer, disait-il, des êtres
plus dégoûtants !
Et quant aux bergères, ajoutait-il, en
jurant un peu en famille, s'il n'y avait qu'elles
et moi dans le monde, le monde finirait bien
vite !"
u Une petite scène caractéristique des
mœurs anglaises, et je clos la notice sur mon
cher oncle Gaspard. Il était, un soir, au théâtre
de Convent Garden, je crois. La reine Char-
lotte, femme de George IV, entre dans sa loge
— 157 —
et fait une révérence que le souverain peuple
ne trouva pas apparemment assez profonde,car
on cria du parterre et surtout des galeries :
" lowcr, Charlotte r (plus bas, Charlotte). La
reine s'exécuta alors d'assez mauvaise grâce,
en faisant, à i'aide de sa jambe boiteuse, un
plongeon jusqu'à terre. Et le galant peuple
anglais, en retour de cette courtoisie royale,
d'éclater en un tonnerre d'applaudissements à
faire écrouler le vaste édifice !" (1)
M. de Lanaudière décéda au manoir de
Lavait rie le 7 juin 1,812, et fut inhumé dans
l'église paroissiale, sous le banc seigneurial.
Nous lisons dans la Gazette de Québec du
18 juin 1812 :
" Dimanche, le 7 juin 1812, à Lavaltrie,
dans la 42e année de son âge, décède Charles-
Gaspard de Lanaudière, colonel de la division
de Lavaltrie, après une longue et pénible
maladie qu'il souffrit avec la patience et la rési-
gnation d'un homme vraiment attaché à sa
Religion ; il est enlevé à un âge peu avancé, à
une épouse chérie et à une jeune famille, qui
ressentiront longtemps la perte irréparable
qu'elles viennent de faire par sa fin prématurée.
Il se distingua en toute occasion par son zèle
pour le service de son Roi et de son pays ; ses
qualités et ses vertus sociales l'avaient rendu
cher à tous ses amis, à ses vassaux et à tous
ceux qui avaient l'avantage de le connaître. Son
corps fut inhumé mardi, le 9 du courant, dans
l'église de Lavaltrie avec les honneurs dûs à
(1) Mémoires, p. 101.
— 158 —
son rang. Un cortège nombreux de personnes
les plus respectables des environs se trouva
présent, et témoigna les regrets sincères dus au
vrai mérite."
Charles-Gaspard Tarieu de Lanaudière
avait épousé à Lavaltrie, le 22 octobre 1792,
Suzanne-Antoinette Margane de Lavaltrie,
fille de Pierre-Paul Margane de Lavaltrie,
seigneur de Lavaltrie, et de Marie-Angélique
de LaCorne de Chapt.
Madame de Lanaudière décéda à Laval-
trie le 7 juin 1222, et fut inhumée dans l'église
paroissiale, sous la chapelle de la Sainte Vierge.
Par la mort de madame de Lanaudière
disparaissait le dernier membre de la famille
de Lavaltrie qui avait joué un si beau rôle dans
notre pays pendant un siècle et demi. (1)
Du mariage de Charles-Gaspard Tarieu de
Lanaudière et de Suzanne-Antoinette Margane
de Lavaltrie étaient nés trois enfants :
I
Pierre-Paul Tarieu de Lanaudière
Né à Lavaltrie le 30 juin 1794.
Le continuateur de la lignée.
(1) Sur les ancêtres de madame de Lanaudière voir notre
Famille Margane de Lavaltrie.
— 159 —
• II
Marie-Charlotte Tarieu de Lanaudière
Née à Lavait rie le 31 août 1795.
Mariée à Lavaltrie, le 27 septembre 1813,
à Barthélémy Joliette, notaire, fils de feu An-
toine Joliette,notaire,et de Catherine Faribault.
C'est le fondateur de l'importante ville de
Joliette.
M. Joliette décéda dans la ville qui lui de-
vait l'existence le 21 juin 1850, à l'âge de 62
ans.
M. l'abbé Joseph Bonin écrivait en 1874,
en terminant sa belle Biographie de l'honorable
Barthélemi Joliette :
" La reconnaissance des citoyens de
Joliette a élevé depuis longtemps un monument
impérissable à la mémoire du bienfaiteur de
cette localité : ce monument, c'est son nom
vénéré, son souvenir si cher, gravé en carac-
tères ineffaçables dans le cœur de cette popu-
lation si distinguée par son bon esprit, sa
cordiale entente, et son zèle bien connu pour
toutes les entreprises charitables et généreuses.
Cependant, ce n'est peut-être pas encore tout
ce que les enfants de l'honorable M. Joliette
pourraient faire pour honorer sa mémoire. Ne
serait-il pas à désirer que le sentiment de
reconnaissance qui les honore, se manifestât
pour l'exemple et l'instruction de la jeune géné-
ration, si elle devenait oublieuse de son devoir.
" Dans tous les temps, la gratitude des
peuples a élevé des statues, des monuments,
160
pour transmettre à la postérité, le souvenir des
hommes exceptionnels qui ont brillé au milieu
de leurs concitoyens.
ik Naguère encore, on parlait avec raison,
d'ériger des monuments de ce genre, en l'hon-
neur de trois des plus illustres défenseurs de
notre nationalité canadienne : les honorables
MM. Lafontaine, Morin et Cartier. Eh quoi !
l'honorable M. Joliette, après vingt-cinq ans
de sacrifices pour la fondation d'une ville
aujourd'hui florissante, n'aurait pas mérité cet
honneur ? N'est-il pas une de nos gloires natio-
nales les plus pures ? Son intrépidité, son
indomptable énergie, son dévouement à toute
épreuve, son intelligence d'élite, ne l'élèvent-
iîs pas au rang de nos illustrations canadiennes?
" Sans lui, que serait la cité qui porte son
nom ? Peut-être, encore une forêt, ou, tout au
plus un champ à demi-déf riche, dont le sol avare
produirait à peine de quoi nourrir ses
habitants ?
" Non, la gratitude des citoyens de cette
ville ne sera pas stérile, mais elle apparaîtra tôt
ou tard, dans l'érection d'un monument digne
de son nom, digne de sa générosité." (1)
Le vœu patriotique de M. l'abbé Brien
s'est réalisé ! Le 30 septembre 1902, on dévoi-
lait à Joliette, en présence d'une foule consi-
dérable, une superbe statue de l'honorable Bar-
thélemi Joliette élevée par la reconnaissance
unanime des habitants de cette ville.
(1) Biographies de l'honorable Barthélemi Joliette et de
M. le grand vicaire A. Manseau, p. 163.
— 161 —
Madame Joliette décéda plus de vingt ans
après son illustre époux, à Joliette, le 28 janvier
1871, à l'âge de 76 ans.
Le souvenir de la bonté et de la charité de
l'honorable M. Joliette s'est conservé vivace
dans toute la région de Joliette quoiqu'il soit
disparu depuis bientôt trois quarts de siècle.
Disons à l'honneur et à la juste louange
de sa noble épouse qu'elle ne lui en cédait guère
sous le rapport de la douceur, de la bonté et de
la charité. Citons encore ici M. l'abbé Brien
qui eut l'honneur de connaître ces époux si
dignes l'un de l'autre.
" Digne héritière de la noblesse d'origine
et de sentiment, de la charité proverbiale de la
famille de Lanaudière,dit-il de madame Joliette,
jamais on ne vit son cœur et sa bourse fermés
devant l'infortune ou la misère.
" Type de la femme forte et accomplie, on
la voyait dès l'aurore, occupée aux soins de
sa maison qu'elle dirigeait à la tête de ses
servantes. Un pauvre frappait-il à la porte du
manoir ? Elle-même allait s'informer du motif
de sa visite et des détails de son indigence. Elle
s'affligeait avec lui, au récit de son malheur ou
de ses privations. Là ne s'arrêtait pas sa sym-
pathie et sa charité ; car, après l'avoir fait
manger en le servant elle-même, elle ne man-
quait pas de le gratifier encore d'une abondante
aumône.
" Un jour, c'était en l'absence de son
époux, — la seigneuresse assiégée par un cer-
tain nombre de mendiants, n'avait su résister à
l'entraînement de son bon cœur : d'une aumône
— 162 —
à l'autre élit avait donné jusqu'à quinze minots
de blé ! A la fin de la journée, réfléchissant
qu'elle avait peut-être plus consulté sa géné-
rosité que sa discrétion, elle craignait de
recevoir des reproches à cause d'une pareille
prodigalité. Son inquiétude était assez vive.
Pour prévenir la réprimande, elle avait chargé
un ami d'avertir son époux de ce qui était
arrivé.
" En apprenant cette conduite, celui-ci vint
la trouver et la félicitant sur sa bonne action ;
fais à l'avenir, lui dit-il, selon que te le con-
seillera ton cœur généreux, tout ceci t'appar-
tient, ajouta-t-il, en lui désignant du geste, le
manoir et les environs." Digne et noble
réponse, qui entoure de la même gloire, et la
charité de l'épouse et la grandeur d'âme de
l'époux.
lk Dans une autre circonstance, madame
Joliette, dont l'œil vigilant surveillait tout,
s'était transportée auprès du vaste four d'où
l'on retirait en ce moment le pain qui devait
nourrir sa nombreuse famille de serviteurs.
Sur ses pas, comme d'habitude, les pauvres
étaient accourus demandant l'aumône. Emue
jusqu'aux larmes à la vue des haillons qui les
couvraient, de la misère peinte sur leur figure
la noble dame leur distribua toute la fournée
de pain. Les mendiants s'en retournèrent en
bénissant son nom et celui de son époux, tandis
qu'en souriant, elle donnait des ordres pour
une nouvelle fournée." (1)
(.1) Biographies de l'honorable Barthélemi Joliette et de
M. le grand vicaire A. Manseau, p. 86.
— 163 —
Encore un trait sur cette admirable chré-
tienne.
Un jour, elle reçoit une magnifique étoffe
de soie fabriquée à Lyon du Père Querbes, fon-
dateur de la communauté des Clercs de Saint-
Viateur, en reconnaissance des services rendus
à sa communauté naissante. Madame Joliette
accepte ce don avec joie. Elle avait son idée.
Aussitôt elle en fait confectionner une chape
blanche qu'elle envoie gracieusement à l'église
de sa paroisse. (1)
Du mariage de l'honorable Barthélemi
Joliette et de Marie-Charlotte de Lanaudière
était né un fils, qui mourut à l'âge de cinq ans.
III
Marie- Antoinette-Suzanne Tarieu de Lanaudière
Née à Lavaltrie le 5 mars 1805.
Mariée à Lavaltrie, le 5 mars 1821, à
Peter-Charles Loedel, chirurgien.
Madame Loedel décéda à Joliette le 15
août 1879.
Nous lisons dans le Foyer Domestique du
1er septembre 1879 :
" La tombe vient de se fermer sur une
existence bien chère à tous ceux qui l'ont con-
nue et à tous les habitants de la ville de Joliette
Marie-Antoinette-Suzanne Tarieu de Lanau-
dière, veuve de Peter-Charles Loedel, Ecr.
(1) L'abbé A.-C. Dugas, Gerbes de souvenirs, tome 1er
p. 311.
— 164 —
ik Madame Loedel était née à Lavaltrie le
5 mars 1805 et était par conséquent âgée de 74
ans, S mois et 10 jours, quand la mort Ta
frappée, vendredi, le 15 août dernier, à la
résidence de son gendre, B.-H. Leprohon,
Ecuier, shérif de Joliette. Elle s'était mariée en
1821 au docteur P.-C. Loedel, qui l'a précédée
dans la tombe de quatre mois seulement.
''Avec madame Loedel disparait la der-
nière survivante des personnes qui, en 1825,
vinrent fonder le village d'Industrie. Elle était
la sœur de feu madame Barthéiemi Joliette.
" Femme charitable, toujours prête à
tendre la main au malheur et à secourir la
misère, son nom restera toujours béni et vénéré
parmrceux dont elle a été la bienfaitrice.
"Il y a encore peu de temps, madame
Loedel jouissait d'une bonne santé et elle entre-
prenait le voyage de Joliette à Saint-Jean, où
demeurent deux de ses petites filles, et son
petit-fils, le docteur James Leprohon. Atteinte
bientôt de la maladie qui devait l'emporter, elle
s'empressa de revenir à Joliette pour recevoir
les derniers soins de sa fille bien-aimée, madame
docteur Leprohon, qui la regrettera toujours
ainsi que tous ses petits enfants, qu'elle affec-
tionnait tout particulièrement."
Du mariage de Peter-Charles Loedel et
de Marie-Antoinette-Suzanne Tarieu de La-
naudière naquirent deux enfants, dont l'aîné
mourut en bas âge et l'autre, Caroline, devint
l'épouse du docteur Bernard-Henri Leprohon.
1ère génération : Thomas-Xavier Tarieu de Lanaudière
2ème génération : Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade
3ème génération : Charles-François-Xavier Tarieu de
Lanaudière
4ème génération : Charles-Gaspard Tarieu de Lanau-
dière
5ème génération : Pierre-Paul Tarieu de Lanaudière
PIERRE-PAUL TARIEU DE
LANAUDIERE
Né à Lavaltrie le 30 juin 1794.
Il fut coseigneur de Lavaltrie.
De santé très délicate, M. de Lanaudière
ne s'occupa jamais d'affaires publiques. Il se
contenta de faire valoir sa part de seigneurie.
M. de Lanaudière décéda à Lavaltrie le
1er mai 1832, et fut inhumé dans l'église de
cette paroisse.
Il avait épousé, à Lavaltrie, le 4 novembre
1814, Véronique Gordon, fille de Charles Gor-
don et de Véronique Corbin.
De ce mariage naquirent trois enfants :
I
MARIE-ANGELIQUE-JOSEPHTE TA-
RIEU DE LANAUDIERE
Née à Lavaltrie le 11 janvier 1816.
Mariée à Lavaltrie, le 14 février 1831, à
Antoine-Toussaint Voyer, médecin.
— 166 —
II
SUZANNE-ANTOINETTE-ALMESIME
TARIEU DE LANAUDIERE
Née à Lavaltrie le 15 septembre 1826.
Décédée à Montréal le 12 janvier 1844,
et inhumée dans l'église de Lavaltrie.
III
CHARLES-BARTHELEMI-GASPARD
TARIEU DE LANAUDIERE
Le continuateur de la lignée.
1ère génération : Thomas-Xavier Tarieu de Lanaudière
2ème génération : Pierre-Thomas Tarieu de la Pérade
3ème génération : Charles-François-Xavier Tarieu de
lanaudière
4ème génération : Charles-Gaspard Tarieu de Lanau-
dière
5ème génération : Pierre-Paul Tarieu de Lanaudière
6ème génération : Charles-Barthélemi-Gaspard Tarieu de
Lanaudière
CHARLES:BARTHELEMI-GASPARD
TARIEU DE LANAUDIERE
Né au manoir de Lavaltrie le 16 novembre
1821.
Il n'avait que onze ans lorsqu'il perdit son
père.
Il fit ses études au collège de Nicolet et au
collège des Jésuites de Georgetown, près de
Washington.
Au sortir du collège, le jeune de Lanau-
dière se mit à étudier la loi et s'établit à
L'Industrie (Joliette) chez son oncle et tuteur,
l'honorable Barthélemi Joliette.
M. de Lanaudière, qui était un fervent
chrétien et un patriote dans toute la force du
terme, consacra sa fortune à l'œuvre patrio-
tique et religieuse de M. Joliette.
Lorsque le village de L'Industrie fut érigé
en ville sous le nom de Joliette en 1864, il en fut
choisi comme le premier maire. Il abandonna
ce poste en 1872, mais, deux ans plus tard, en
1874, on l'élisait de nouveau.
— 168 —
M. de Lanaudière décéda à Juliette le 25
juillet 1875, à l'âge de cinquante-quatre ans.
" Comme ses ancêtres, dit M. l'abbé A.-C.
Dugas, M. de Lanaudière chantait à ravir, sur-
tout le Memorare, îe Regina Coeli, Y Aima Re-
demptoris Mater, le grand Magnificat de je ne
sais qui et qu'on appelait au collège : " le Ma-
gnificat de M. de Lanaudière " et aussi une*
foule de cantiques qu'il savait rendre avec tant
d'âme et de cœur." (1)
Le regretté M. Ernest Gagnon écrivait de
M. de Lanaudière :
'k J'ai gardé un souvenir attendri de ce
bon, sympathique et excellent chrétien qui nous
édifiait par sa voix au timbre plein, mais
souple, sonore, mais moelleux, chaud de la
chaleur de i'âme."
M. de Lanaudière avait épousé à Saint-
Louis de Kamouraska, îe 29 avril 1846, Julie-
Arthémise Taché, fille de Paschal Taché, sei-
gneur de Kamouraska, et de Julie Larue.
Madame de Lanaudière décéda à Joliette
le 23 janvier 1888, et fut inhumée dans l'église
paroissiale.
De leur mariage étaient nés onze enfants :
(1) Gerbes de souvenirs, tome premier, p. 286.
— 169 —
I
CHARLES-BARTHELEMI-PIERRE-
PASCHAL-GASPARD TARIEU
DE LANAUDIERE
Né à Joliette le 3 mars 1847.
Décédé au même endroit le 10 juillet
1847, il fut inhumé dans l'église paroissiale.
II
UTIGHANNE-ARTHEMISE TARIEU
DE LANAUDIERE
Née à Joliette le 2 mai 1848.
Décédée au même endroit le 9 octobre
1849, elle fut inhumée dans l'église paroissiale.
III
ANTOINETTE-HELENE TARIEU DE
LANAUDIERE
Née à Joliette le 10 septembre 1849.
Décédée au même endroit, le 29 mai 1853,
elle fut inhumée dans l'église paroissiale.
IV
JOSEPH-ANTOINE-ALPHONSE TA-
RIEU DE LANAUDIERE
Né à Joliette le 12 janvier 1851.
Décédé à Joliette le 1er décembre 1853,
il fut inhumé dans l'église paroissiale.
— 170 —
!; v
JOSEPH-EDOUARD-GASPARD TA-
RIEU DE LANAUDIERE
Né à Joliette le 6 juillet 1853.
Décédé au même endroit le 22 juillet 18S3,
il fut inhumé dans l'église paroissiale.
VI
JOSEPHTE-ANTONINE TARIEU DE
LANAUDIERE
Née à Joliette le 11 décembre 1855.
Mariée à Joliette, le 10 juillet 1878, à
Louis-Arthur McConville, avocat.
Né à Saint-Paul de Joliette, le 20 décembre
1849, de parents irlandais, M. McConville fut
admis au barreau, le 12 janvier 1871.
En 1875, il fut un des rédacteurs du Nou-
veau-Monde, de Montréal, qu'il laissa, en 1876,
pour aller se fixer à Joliette où il fonda
L'Industrie, tout en se livrant à la pratique de
sa profession.
Après la résignation de l'honorable M.
Baby comme ministre de l'Intérieur, et sa
nomination à la Cour du Banc de la Reine, M.
McConville fut choisi par les électeurs du
comté de Joliette pour remplacer M. Baby à la
Chambre des Communes. Il fut élu, le 9 dé-
cembre 1880, par une majorité de 444 voix.
M. McConville décéda à Joliette le 9 mai
1882, après une maladie de quelques jours
seulement, et fut inhumé dans le cimetière
paroissial.
— 171 — ,
" Doué de toutes les qualités du cœur et de
l'esprit, il avait su conquérir l'estime et le
respect de tous ses concitoyens, qui n'atten-
dirent pas le nombre des années pour lui accor-
der la confiance qu'il méritait à tant de
titres." (1)
Madame McConville, deux ans après la
mort de son mari, le 2 mai 1884, renonçait au
monde en entrait au monastère du Précieux-
Sang à Saint-Hyacinthe. Elle y fit profession
le 14 septembre 1886, sous le nom de sœur
Marie de la Croix.
Elle est maintenant au monastère du Pré-
cieux-Sang de Nicolet. La Sœur Marie de la
Croix qui est aujourd'hui dans sa trente-
huitième année de profession a exercé les prin-
cipales charges de sa communauté. (2)
VII
ANNE-CAROLINE-JOSEPHTE TARIEU
DE LANAUDIERE
Née à Joliette le 3 décembre 1856.
Décédée à Saint-Antoine de Lavaltrie, le
30 juillet 1857, elle fut inhumée dans l'église
de cette paroisse.
(1) La Gazette de Joliette, 12 mai 1882.
(2) Du mariage de Arthur McConville et de Josephte
Antonine Tarieu de Lanaudière naquirent deux enfants
morts tous deux en bas âge.
— 172 —
VIII
JOSEPH-JEAN-GASPARD TARIEU DE
LANAUDIERE
Né à Joiiette le 23 décembre 1857.
Décédé au même endroit le 5 février
1858, il fut inhumé dans l'église paroissiale.
IX
JEAN-BAPTISTE-ANTOINE-JOSEPH
TARIEU DE LANAUDIERE
Né à Joiiette le 23 juin 1859.
Décédé au même endroit le 8 août 1859,
il fut inhumé dans l'église paroissiale.
X
MARIE DES ANGES-ALICE TARIEU
DE LANAUDIERE
Née à Joiiette le 2 octobre 1860.
Mariée, à Joiiette le 16 février 1885, à
Norman-John-Rieutord Neilson, fils de John
Neilson et de Laura-Carolin Moorhead, et
petit-fils de l'honorable John Neilson, l'ami et
le défenseur des Canadiens-Français.
Du mariage Neilson-de Lanaudière sont
nés huit enfants dont quatre sont décédés.
— 173 —
XI
JOSEPH-GASPARD-CjHARLES TARIEU
DE LANAUDIERE
Né à Joliette le 10 septembre 1862.
Il a été admis à la pratique du droit le 10
juillet 1883.
M. de Lanaudière est depuis 1912 lieute-
nant-colonel dans la milice canadienne. Il com-
mande le Régiment de Joliette.
M. de Lanaudière aurait fait mentir son
nom s'il ne s'était pas enrôlé l'un des premiers
pour aller combattre avec les alliés contre les
Allemands dans la Grande Guerre. Parti en
qualité de major dans le célèbre 22ème Régi-
ment, il occupa en France plusieurs postes
importants, et il fut décoré par le président de
la République Française.
Nous lisons dans la Presse du 15 janvier
1922 :
'■ L'un des nôtres, le lieutenant-colonel
Charles Tarieu de Lanaudière,vient de recevoir
un beau témoignage du président de la répu-
blique française pour ses services de guerre en
France, alors qu'il était commandant de place
dans la zone des armées. Le lieutenant-colonel
de Lanaudière, qui, en 1914, était l'officier com-
mandant du 83ième régiment de Joliette, fut
un des premiers à offrir ses services, lorsqu'on
organisa le 22ème bataillon où il accepta le
grade de major. En Angleterre, il commanda
pendant quelque temps le 23ème bataillon de
réserve et en France, après avoir servi au front
174
avec son bataillon, le 22ème, il fut nommé
commandant de place, position qu'il occupa
jusqu'à la fin de la guerre. En reconnaissance
de ses services, la France vient de lui décerner,
par décret en date du 16 mars 1919, la médaille
de la reconnaissance française. Cette médaille
est en bronze avec bas relief et est attachée à
un ruban tricolore. La citation suivante accom-
pagne la médaille : " Major au 22ème bataillon
d'infanterie canadienne, il n'a cessé de se rendre
utile à la population civile de son secteur, en lui
apportant une aide matérielle considérable, en
même temps que le réconfort le plus utile." Ce
parchemin, daté de Paris, est signé par le prési-
dent de la commission de l'ordre national de la
Légion d'honneur, par le secrétaire général de
l'ordre et par le ministre des affaires étrangères,
M. Stephen Pichon.
"Le lieutenant-colonel- de Lanaudière a reçu
du général Armstrong, commandant de la
division de Montréal, des félicitations aux-
quelles nous joignons les nôtres."
APPENDICE
MADELEINE DE VERCHERES
Dans le salon de Son Excellence Lady Grey,
à Rideau Hall, le visiteur peut voir, reposant à
une place d'honneur, le bronze très beau où
l'artiste Philippe Hébert a arrêté les traits
immortels de Madeleine de Verchères, cette jeune
fille de quatorze ans qui, dans l'automne de 1692,
défendit pendant huit jours l'habitation fortifiée
de sa famille contre les attaques des Iroquois.
Cette composition, parfaite de forme et d'exécu-
tion, est une des plus poétiques et des plus dra-
matiques à la fois que notre histoire ait inspirée
jusqu'ici à l'art statuaire au Canada.
De prime abord, il semble qu'il n'y ait
qu'une femme qui puisse comprendre toute la
poésie chevaleresque, toute la grâce naïve et la
noble ardeur qui passent en souffle ardent à
travers l'histoire de Madeleine de Verchères. Ce
n'était pas tout de faire une jolie fille ; de glisser
sous la rigidité du métal la souplesse d'un corps
féminin. Il fallait mettre en saillie la beauté de
l'âme, la grandeur du dévouement, donner à la
forme encore enfantine des traits, l'expression
d'énergie qui devait les animer. Comment couler
dans des veines de bronze un alliage d'innocence
et de bravoure capable d'émouvoir et de saisir ?
— 176 —
L'artiste a vaincu, non sans bonheur, la diffi-
culté du sujet. On peut dire qu'il l'a rendu avec
une remarquable énergie, et que son œuvre est
d'une réalité vraiment saisissante. Ce n'est ni
une virago, ni une amazone, encore moins m
mousquetaire en jupon, c'est une personnalité
bien féminine, toute vibrante, frappée d'une
marque spéciale, que l'artiste offre au ravisse-
ment de nos yeux.
Toute la statue est d'un beau mouvement.
Madeleine, debout, dans une attitude pleine de
crânerie énergique, ne manque ni de noblesse,
ni de grâce chaste et sincère. Le profil se découpe
de la façon la plus heureuse. On dirait que la
jeune fille s'apprête à s'élancer sur un ennemi
invisible. La tête légèrement renversée, et coiffée
d'un chapeau de soldat d'où s'échappe la cheve-
lure qui retombe négligemment en tresses à la
mode du temps sur l'épaule droite, est vraiment
héroïque. Qu'est-ce donc qui anime ses traits
accentués ? Est-ce le défi, la crainte ou l'exalta-
tion ? Si les yeux, aux pupilles dilatées, paraissent
chercher au loin quelque secours inespéré, et si
les narines sont frémissantes, en revanche c'est
bien le défi qui court au bord de ces lèvres
entr'ouvertes et légèrement dédaigneuses. Et, sur
ce front énergique, ce qu'il faut voir, c'est
l'intrépidité et l'assurance qui vont rendre du
cœur aux soldats démoralisés et aux femmes
craintives blotties dans le fort. Sans doute que
l'émotion se trahit sur ce visage. Mais si l'héroïne
semble attristée, effrayée même, on sent bien que
son courage la soutiendra jusqu'au bout. La
façon ferme dont ses mains tiennent le long fusil
de chasse en arrêt nous dit assez qu'elle est
prête à l'attaque comme à la défense.
Ce que nous ne saurions trop louer encore,
c'est le costume si simplement drapé de Made-
leine. Il se compose d'un corsage lacé sur la
poitrine et d'une jupe bien tombante qui bouffe
— 177 —
légèrement sur la jambe gauche comme remuée
par une brise invisible. Cette robe d'un jet si
naturel obéit avec grâce au mouvement de la
jeune fille et dessine les formes souples et puis-
santes de son corps virginal.
Prise isolément, la statue de Hébert est
certes une belle figure, mais rapprochée de l'his-
toire, rend-elle pleinement le caractère de Made-
leine de Verchères ? L'artiste s'est-il vraiment
pénétré des sentiments qui animaient l'héroïne
et les a-t-il résumés dans son œuvre ?
Celui qui écrit un livre peut indiquer au bas
de la page les sources où il s'est inspiré. Il n'en
est pas de même du statuaire. Il est pourtant
certain que l'œuvre qu'il a ébauchée n'a pas jailli
tout d'un coup, telle Minerve sortant toute armée
du cerveau de Jupiter. Comment suivre la marche
de sa pensée restée invisible ? Relisons les vieilles
chroniques où il s'est documenté et nous verrons
que Hébert a vraiment idéalisé, non seulement
l'héroïne auréolée de Verchères, mais l'époque
tout entière où elle a vécu.
II
Il est inutile de reconstituer ici, pour des
lecteurs déjà avertis, la scène qui a rendu la
mémoire de Madeleine de Verchères si célèbre.
Ce récit, venant après tant d'autres, servirait tout
au plus à rectifier quelques dates mal arrêtées,
ou a donner quelques détails de pure érudition
dont l'intérêt ne serait que d'une importance
secondaire. D'ailleurs, nous renvoyons le lecteur
à l'admirable version en langue anglaise que
Parkman en a donné dans son livre "Count Fron-
tenac and New France under Louis XIV" (éd. de
1897, vol. II, p. 75) . C'est cette version même qui
a été reproduite dans le " Fourth Reader", et
que tous les enfants d'Ontario savent pour l'avoir
apprise par cœur sur les bancs de l'école.
178
Dans cette étude, nous essaierons simplement
de faire comprendre par quels degrés cette jeune
fille, encore dans toute la candeur naïve de
l'innocence, arriva à déployer tant de vaillance et
de courage, et nous dirons ensuite la femme vraie
qu'elle fut en la montrant au milieu de sa famille
et dans sa vie intime.
François Jarret, sieur de Verchères, de bonne
noblesse dauphinoise comme les Saint-Ours et
les Contrecœur, auxquels il était allié, vint au
Canada en 1665 avec les troupes du régiment de
Carignan. Enseigne d'une compagnie il fit la
campagne contre les Iroquois, sous le marquis
de Tracy, puis après la déroute de l'ennemi s'en
alla cantonner sur l'île d'Orléans, près de Qué-
bec. C'est là qu'il rencontra une robuste fille de
paysan qu'il épousa. Son régiment licencié, les
officiers reçurent l'offre que César avait faite à
ses légions romaines, de se partager le territoire
conquis, et il décida de rester au pays et d'y
fonder une famille. Le Roi lui fit découper un
beau domaine sur la rive droite du fleuve Saint-
Laurent, à huit lieues en aval de Montréal. Ver-
chères y bâtit une habitation entourée d'une
palissade de pieux et flanquée d'une redoute
armée de pierriers comme cela se pratiquait alors
dans la région, et il y vint s'installer en 1672,
avec sa jeune femme et quelques compagnons
d'armes, anciens soldats de sa compagnie.
C'est là que naquit, le 3 mars 1678, Made-
leine, l'héroïne de Verchères, la quatrième d'une
famille de douze enfants.
Le marquis de Denonville, gouverneur de
la Nouvelle-France, a raconté dans un mémoire
resté célèbre (1686) la rude vie que menaient
alors ces gentilhommes de France qui avaient
pris des terres au Canada. Tous supportaient
noblement leur pauvreté. Les enfants ne s'épar-
gnaient pas, et les filles elles-mêmes, si délicate-
ment élevées qu'elles fussent, coupaient les blés
179
et tenaient la charrue. Dès ses plus jeunes années,
Madeleine s'occupa donc aux travaux rustiques,
et elle a raconté comment, toute petite bergère,
elle menait au pâturage les bestiaux de son père.
Cette vie au grand air, sur les grèves, ou dans les
champs à peine ébauchés, à côté de la forêt
sombre lui plaisait. Elle aimait aussi la pêche et
la chasse. L'historien la Potherie, qui l'a connue
alors qu'elle était toute jeune, rapporte qu'il n'y
avait pas de " Canadien ni d'officier qui tirât un
coup de fusil plus juste que cette demoiselle."
La terre seigneuriale de Ver chères était alors
aux avant-postes, en pleine ligne de feu de la
zone dangereuse si souvent dévastée par les
Iroquois. Pas un coin du pays n'a plus souffert
des incursions de ces barbares que cette cam-
pagne charmante, vrai paysage d'idylle, qui
s'épanouit doucement depuis Sorel jusqu'à Mont-
réal. Pas une heure sans alerte : embuscades au
coin d'un bois, surprises au creux d'un ravin,
attaques nocturnes. Pendant que les laboureurs
s'en allaient aux champs, le fusil en bandoulière,
les sentinelles veillaient du haut des bastions du
manoir fortifié. Mais, on avait beau faire bonne
garde, le sauvage agile, endurant, capable de
passer des journées entières sans manger ni
boire, attendait caché, derrière un tronc d'arbre,
le moment de surprendre sa proie. Combien de
colons tombèrent ainsi à côté du sillon qu'ils
venaient de creuser ? Combien, traînés au plus
profond des bols, périrent dans les plus atroces
tortures ?
Jamais on ne saura le nombre ni les noms
de tous les malheureux qui furent tués ou menés
en captivité pendant ces années terribles des
commencements. Rien que dans la famille de
Verchères, sur laquelle les Iroquois semblent
s'être acharnés de préférence, on compte trois
victimes, de 1687 à 1691. Ce fut d'abord un jeune
officier plein d'avenir, le sieur de l'Etang, lequel
— 180 —
avait épousé Marie-Jeanne, la fille aînée du sei-
gneur. Il fut tué par les Iroquois, un an après son
mariage, laissant une femme à peine âgée de
treize ans.Celle-ci,suivant la coutume de l'époque,
contracta presque aussitôt mariage avec un autre
officier, Antoine Duverger d'Aubusson. Ce der-
nier fut massacré à son tour en 169Î. La même
année, les barbares tuaient le fils aîné de Ver-
chères, à peine âgé de seize ans. Trois morts,
deux gendres et un fils bien-aimé, disparus en
moins de quatre ans, voilà qui peut compter pour
double campagne. Et Frontenac le comprenait
bien, lorsqu'en annonçant ces tristes nouvelles
au ministre, iî proposait que le malheureux père
fut nommé à un emploi dans les troupes de la
colonie, quoiqu'il fut déjà lieutenant réformé de
Carignan. C'est au milieu de ces scènes de
terreur et de désolation que s'épanouit l'enfance
de Madeleine. Quand elle avait travaillé et peiné
tout le jour, et qu'elle rentrait harassée au ma-
noir, bien souvent c'était pour entendre, le sein
palpitant et les yeux en pleurs, le lamentable
récit de la disparition subite de quelques-uns de
ses parents, ou de ses voisins. Parfois encore,
alors que les bûches embrasées jetaient une lueur
sombre autour du foyer, et que les sentinelles
montaient la garde auprès de l'habitation, le
seigneur de Verchères rassemblait ses enfants et
leur apprenait à lire et à écrire, car dans ce
temps là, l'éducation se donnait à la maison.
Quelles leçons de choses il devait leur inculquer !
Il leur disait sans doute ses expéditions lointaines
à travers les forêts à la poursuite des sauvages.
Et, alors, défilaient les tueries épouvantables, les
femmes traînées en captivité, les enfants torturés,
les villages pris d'assaut, les moissons dévastées.
Et, pour que ces jeunes imaginations ne fussent
point hantées par de vaines terreurs, il racontait
les actions courageuses de ses compagnons
— 181 —
d'armes ; comment ils savaient regarder la mort
en face et braver l'ennemi. Puis, ouvrant quelque
vieux livre apporté de France, il disait l'histoire
de Jeanne d'Arc et celle de Jeanne Hachette, ces
deux grandes âmes de femme incarnant la vieille
patrie française. La lecture finie, le vieil officier
soulevait sur sa large poitrine ses enfants, tout
émus encore des récits qu'ils venaient d'entendre,
pour leur donner le baiser du soir, et ceux-ci
sentaient passer dans leur être le souffle vaillant
qui animait leur père. Défendre le foyer et la
famille, vendre chèrement sa vie, tels étaient les
sentiments presque exclusifs qui vibraient dans
ces jeunes âmes. C'était l'histoire parlée de tous
les jours. Et ce que nous recevons ainsi avec le
sang et le lait, c'est la chose vibrante et la vie
même.
" La nature a fait aux femmes, a dit Lamar-
tine, deux dons douloureux, mais célestes, qui
les distinguent et les élèvent souvent au-dessus
de la condition humaine : la pitié et l'enthou-
siasme ; elles s'exhaltent. Exaltation et dévoue-
ment, n'est-ce pas là tout l'héroïsme ? Elles ont
plus de cœur et d'imagination que l'homme. C'est
dans l'imagination qu'est l'enthousiasme, a'est
dans le cœur qu'est le dévouement. Les femmes
sont donc plus naturellement héroïques que les
hérps et quand cet héroïsme doit aller jusqu'au
merveilleux c'est d'une femme qu'il faut
l'attendre. Les hommes s'arrêteraient à la vertu.
Quand tout est désespéré dans une cause natio-
nale il ne faut pas désespérer encore s'il reste un
foyer de résistance dans un cœur de femme ..."
A cet état d'âme tout particulier à la femme,
qu'analyse si délicatement le chantre d'Elvire,
ajoutons l'entraînement d'une vie passée au
milieu des bois, grandie dans les alarmes, bercée
au récit effrayant des calamités sans cesse
renouvelées, aiguillonnée par les plus beaux
— 182 —
exemples de courage et d'héroïsme. Ceux qu'é-
tonnent et surprennent ces grands dévouements
comprendront alors, comment à l'âge où les
enfants de notre époque jouent encore à la balle
ou caressent leurs poupées, une Madeleine de
Verchères a pu s'enfermer dans un fort mal
défendu,organiser la résistance,tenir les Iroquois
en échec pendant huit jours, et les forcer enfin
à la retraite.
En parlant de l'enfant et de la formation
qu'elle reçut n'allons pas oublier la mère, cette
paysanne robuste que le noble de Verchères avait
épousée. En 1690, les Iroquois ayant su que
celle-ci était seule à l'habitation, s'approchent du
fort, sans être aperçus, et se mettent en devoir
d'escalader la palissade. Madame de Verchères,
avec un sangfroid admirable, décroche un fusil
suspendu au mur de la maison et les couche en
joue. Ceux-ci reculent. Mais honteux d'avoir fui
devant une femme, ils reviennent a la charge.
Nouvelle tentative de franchir la muraille et nou-
veaux coups de fusil. Ceux-ci sont tirés avec tant
de précision que les sauvages désespèrent de
s'emparer d'un fort qu'ils croyaient dégarni, et
ils se retirent. " Madame de Verchères se battit de
la sorte pendant deux jours, raconte le vieil
historien Charlevoix, avec une bravoure et une
présence d'esprit, qui auraient fait honneur à un
vieux guerrier."
N'est-ce pas que cette défense est un beau
prélude au combat homérique que Madeleine de
Verchères allait livrer deux ans plus tard ?
III
C'est une chose assez curieuse à constater
qu'une action aussi belle que la défense du fort
de Verchères, qui égale en vaillance ce que l'on
rapporte des anciens preux, ne soit pas men-
183
tionnée dans les correspondances officielles du
temps, échangées entre les autorités coloniales et
celles de la métropole. C'était l'habitude alors
d'adresser chaque année au ministre une relation
des principaux événements et faits de guerre.
Or, dans les lettres de Frontenac, de Champigny
et de Gallières, qui furent écrites dans l'automne
de 1692, quelques jours à peine après cette
remarquable aventure, il n'y est pas fait la
moindre allusion. Même silence en 1693. C'est à
peine si Callières, gouverneur de Montréal, rap-
porte en passant que les ennemis ont fait des
prisonniers à Verchères, tué quelques personnes,
emmené les bestiaux dans les bois et levé la che-
velure d'un soldat à St-Ours. Et, encore, il dit
que cette nouvelle lui est venue par un canot qui
retournait de Chambly. Pas un mot de la fière
résistance de Madeleine de Verchères.
Qu'est-ce à dire ?
La légende et la tradition auraient-elles
grandi hors de toute proportion un fait qui à
l'époque put paraître bien ordinaire ? Il ne faut
pas oublier que plus d'une femme de colon joua
alors obscurément le même rôle que l'héroïne de
Verchères. Nos vieilles chroniques sont remplies
de ces tragiques épisodes. Combien tombèrent en
défendant leurs foyers ou en voulant arracher
leur mari ou leurs enfants à la mort et qui
dorment dans l'oubli éternel ? L'héroïne de
Verchères eut donc des prédécesseurs, comme
elle de son vivant et après sa mort des émules.
Certes, en relevant sommairement ces faits
historiques, nous n'avons nullement le désir
insensé de diminuer la gloire réelle de Madeleine,
nous voulons seulement montrer qu'elle ne fut
pas hors de toute analogie, de toute tradition et
de tout antécédent.
Ceci expliquerait jusqu'à un certain point le
silence des autorités à son égard. Ce serait faire
injure à la mémoire de Frontenac que de penser
— 184 —
un instant qu'il ait pu négliger de porter à l'ordre
du jour une action de cette valeur. Le grand gou-
verneur s'y connaissait trop en individualités
vraiment nationales pour n'avoir pas compris
toute la beauté du geste chevaleresque de Made-
leine de Verchères. Nous préférons donc croire
qu'il l'ignorait absolument lorsqu'il écrivait à la
cour le 11 novembre 1692, soit près de vingt
jours après l'événement, et que ce ne fut que
l'année suivante qu'il l'apprit, lors d'un voyage
qu'il fit à Montréal. C'est pour cela sans doute
qu'il voulut alors porter sur les fonts baptismaux
et donner son nom au dixième enfant du sei-
gneur de Verchères. Cet hommage tardif rendu
à une famille si vaillante et qui avait donné le
meilleur de son sang au roi n'aurait pas suffi
cependant, et l'un des plus émouvants épisodes
de nos temps de chevalerie ne serait pas parvenu
jusqu'à nous, si un officier de l'administration,
Bacqueville de la Potherie, contrôleur de la
marine, ne se fut chargé de le faire connaître.
C'est grâce à lui que Madeleine de Verchères n'est
pas rentrée dans l'obscurité et qu'elle traverse
notre histoire à l'égale d'une héroïne de l'anti-
quité.
Créole de la Guadeloupe égaré au milieu des
neiges du Canada, de la Potherie s'était pris
d'amitié pour les colons de son pays d'adoption.
Il y servait depuis quelques années déjà quand
il épousa en 1700 une demoiselle de Saint-Ours,
fille du seigneur de ce nom, dont la terre se
trouvait tout près de celle des Verchères, sur les
bords enchanteurs de la rivière Richelieu. Made-
leine était la filleule de la belle-mère de la Pothe-
rie et sans doute que ce dernier la rencontra
souvent dans les visites fréquentes qu'il faisait
au manoir de Saint-Ours. Il entendit raconter son
histoire et en fut émerveillé. Et comme la famille
de Verchères se trouvait alors dans de pénibles
— 185 —
circonstances, le père chargé d'enfants, déjà très
vieux, et sans aucune fortune, le jeune officier
de marine qui était apparenté à la femme du
ministre Pontchartrain crut qu'en s'adressant à
cette dernière il pourrait en obtenir quelque
secours pour une famille honorable et si digne
de sympathie. Pour nous servir de ses propres
expressions : " Cette action d'une fille qui n'avait
que quatorze ans lui paraissait trop belle et trop
'extraordinaire pour ne pas espérer qu'elle pour-
rait lui mériter quelque grâce du roi." Il écrivit
donc une lettre où il raconta ce trait de valeur
d'une Canadienne de naissance dont les actions
.sont d'une véritable amazone." Puis, il conseilla
à Mademoiselle de Verchères d'écrire elle-même
à la comtesse. On était alors au mois d'octobre
1699. Il y avait déjà sept ans par conséquent que
l'événement était passé. Cette pauvre fille d'un
seigneur du Canada, parfaitement inconnue à la
cour et sans protection aucune avait bien peu de
chance d'être entendue, quelqu'éloquente que put
être sa voix. Comment ensuite raconter des faits
qui la touchaient de si près ?
N'était-ce pas comme si elle eut voulu faire
commerce d'une action honorable afin d'attirer
sur elle et les siens un peu de pitié ? Mais
l'amour filial de Madeleine fit taire toutes ses
répugnances, et elle écrivit la lettre que l'on va
lire et dont l'original est conservé à Paris, dans
la collection Moreau Saint-Méry : —
" Nos Canadiens ne reçoivent du bien que
sous les auspices de Mgr le comte de Maurepas,
qu'ils regardent comme leur protecteur. Les
cruelles guerres que nous avons eues jusqu'à
présent contre les ïroquois, ont donné lieu à
plusieurs de ma patrie de donner des preuves du
zèle ardent qu'ils ont pour le service du prince.
Quoique mon sexe ne me permette pas d'avoir
d'autres inclinations que celles qu'il exige de moi,
186
cependant permettez-moi, madame, de vous dire
que j'ai des sentiments qui me portent à la gloire
comme bien des hommes.
" Le hasard a fait que me trouvant à l'âge
de quatorze ans environ, à quatre cents pas du
Fort de Verchères, qui est à mon père, à huit
lieues de Montréal, dans lequel il n'y avait qu'un
soldat de faction, les Iroquois qui étaient cachés
aux environs dans les buissons, firent tout à coup
une irruption sur tous nos habitants dont ils
enlevèrent une vingtaine. Je fus poursuivie par
un Iroquois jusqu'aux portes, mais, comme je
conservai dans ce fatal moment le peu d'assu-
rance dont une fille est capable et peut être
armée, je lui laissai entre les mains mon mou-
choir de col et je fermai la porte sur moi en
criant aux armes et sans m'arrêter aux gémisse-
ments de plusieurs femmes désolées de voir en-
lever leurs maris, je montai sur le bastion où
était la sentinelle. Vous dirais-je, madame, que
je me métamorphosai pour lors en mettant le
chapeau du soldat sur ma tête et que faisant
plusieurs petits mouvements pour donner à con-
naître qu'il y avait beaucoup de monde, quoiqu'il
n'y eut que ce soldat, je chargeai moi-même un
canon de quatre livres de balles que je tirai sur
eux. Ce coup si précipité eut heureusement tout
le succès que je pouvais attendre pour avertir
les forts voisins de se tenir sur leurs gardes,
crainte que les Iroquois ne fissent les mêmes
coups.
" Je sais, madame, qu'il y a eu en France des
personnes de mon sexe dans cette dernière
guerre qui se sont mises à la tête de leurs
paysans pour s'opposer à l'invasion des ennemis
qui entraient dans leur province. Les Canadiens
n'auraient pas moins de passion de faire éclater
leur zèle pour la gloire du roi, si elles en trou-
vaient l'occasion.
— 187 —
" Il y a cinquante-cinq ans que mon père est
actuellement au service ; sa destinée n'est pas
heureuse, la nôtre l'est encore moins. Nous
regardons Mgr de Maurepas comme le soutien
du Canada. Pour nous, madame, honorez-nous,
nous autres filles, de vos bontés. Qu'il piaise à
votre générosité de me faire avoir une petite
pension de cinquante écus, comme à plusieurs
femmes d'officiers du pays qui en ont. Si je ne
puis espérer cette grâce, que le bien que vous
voudriez me faire rejaillisse du moins sur un de
mes frères qui est cadet dans nos troupes. Faites
lui donner, s'il vous plaît, une enseigne. Il sait le
service, il s'est trouvé dans plusieurs expéditions
contre les Iroquois. J'en ai même eu un de brûlé
par eux. Nous serons obligés de continuer nos
prières à Dieu pour votre prospérité et celle de
Mgr de Maurepas.
" Je suis avec un très profond respect, votre
très humble, très obéissante et très respectueuse
servante,
MARIE MADELEINE DE VERCHERES."
N'est-ce pas que cette lettre de Madeleine de
Verchères est admirable de forme et de ton ? Et
comme nous devons être heureux maintenant de
ce silence inexplicable des fonctionnaires dont
nous nous plaignions tout à l'heure. Sans cette
lettre, en effet, nous n'aurions pas comme une
percée lumineuse sur la vie et le caractère de
cette fille vraiment héroïque. Voyez comme elle
s'efface tout d'abord pour mettre au premier pian
les preuves du zèle ardent que ses compatriotes
ont toujours eu pour le prince. C'est son entrée
en matière. Puis, elle s'excuse en quelque sorte,
elle toute jeune fille, de ce qu'elle ait été obligée
de sortir de la réserve qui appartient à son sexe
pour prendre les armes comme tous ces vaillants.
Mais, que voulez-vous, elle aussi, elle a des senti-
— 188 —
ments qui la portent à la gloire comme bien des
hommes.
Gomment aurait-elle pu s'empêcher de suivre
les si beaux exemples qu'elle avait sous les yeux?
Et puis, elle connaît son histoire. N'y a-t-il pas
eu en France des femmes héroïques qui se sont
mises à la tête des paysans pour s'opposer à
l'invasion ? Pourquoi les Canadiennes n'en fe-
raient-elles pas autant. Et quand elle s'est ainsi
justifiée, elle raconte tout simplement son aven-
ture comme ia chose la plus naturelle du monde,
et sans se mettre en scène plus que de raison.
La narration proprement dite couvre à peine
la moitié de la lettre. La jeune fille a hâte d'en
venir au dénouement, car la pensée qui l'anime,
ce n'est pas tant son action glorieuse que la pau-
vreté des siens, cette pauvreté navrante qui la
force malgré elle à se jeter de l'avant et à écrire
des choses qu'elle aurait voulu cacher sans doute.
Elle parle donc des cinquante-cinq années de
service militaire de son vieux père. Sa destinée
n'est pas heureuse, celle de sa famille l'est
encore moins. Et voilà le drame poignant de
l'angoisse domestique qui se détache du tableau,
car c'est sur lui qu'il faut concentrer toute ia
lumière. Remarquez dans ce dernier paragraphe
de la lettre comme les phrases sont courtes et
vont juste au point. On dirait des inscriptions en
style lapidaire. Enfin, le dernier trait est lancé.
Elle demande une petite pension de cinquante
écus, mais ce qui peut sembler terre à terre là
dedans est relevé tout de suite par une phrase
incidente qui rappelle à la comtesse que c'est
ainsi que l'on agit au Canada pour les femmes
d'officiers. Et pourquoi demande-t-elle cette pen-
sion pour elle ? Elle le cache discrètement. Mais
nous le savons bien. C'est que sa mère n'est pas
de sang noble et que si son père meurt elle n'aura
point la pitance que l'on donne d'ordinaire aux
— 189 —
veuves d'officiers. Et puis, si on ne la juge pas
digne, elle, pauvre fille, de cette pension, qu'on
fasse au moins rejaillir les grâces du roi sur son
frère, le cadet dans les troupes. Il est bien digne
celui-ci d'un brevet d'enseigne. Voyez comment
il sert depuis longtemps déjà dans l'armée. Il a
déjà fait plusieurs campagnes contre les Iroquois.
Et de peur que madame de Ponchartrain ne sache
pas tout ce qu'il y a de danger pour le frère cadet
dans ces sortes d'expéditions, elle ajoute une
toute petite phrase, isolée, en plein relief, et qui
va le peindre : " J'en ai même eu un de brûlé par
eux." On se souvient sans doute de ce frère
qu'elle perdit alors qu'il n'avait pas seize ans, et
dont la mort broya de noir la vie de cette famille
déjà si désolée. C'est à lui qu'elle fait allusion
dans cette supplique suprême, comme si elle vou-
lait appeler à son aide jusqu'au souvenir des
morts gloriux de sa famille tombés au service
du roi.
IV
Comment la lettre de Madeleine fût-elle
accueillie à la cour ?
Aux temps de la chevalerie, quand Jeanne
Hachette défendit avec les femmes du peuple la
ville de Beauvais assiégée par les Bourguignons,
le roi Louis XI la dota généreusement et voulut
que son mari fut exemptée des tailles. Il ordonna
encore que les femmes de Beauvais prendraient
le pas sur les hommes dans les processions
publiques et qu'elles eussent le privilège de
porter les vêtements qui jusque là avaient été
réservés aux familles nobles.
Mais les temps de chevalerie sont passés et
la figure de la jeune fille du seigneur de Verchères
se perd, effacée dans l'ombre des grands bois
canadiens si loins de l'autre côté de l'océan.
— 190 —
La Potherie, dans un ouvrage qu'il écrivit
longtemps après, dit qu'il ne veut pas entrer dans
un détail de toutes les circonstances qu'il fallut
donner encore à la cour pour confirmer une
chose que l'on avait cachée jusqu'alors, (t. IV,
p. 324).
Ce que l'historien n'a pas voulu écrire, nous
le savons par la correspondance qui fut échangée
à ce propos entre le ministre et les autorités de la
colonie et que l'on conserve aux archives de
France. Voici d'abord la lettre que Ponchartrain
adressait à l'intendant Champigny, le 5 mai 1700:
" Vous trouverez ci-joint, un placet d'une
fille de Canada, qui demande une pension ou une
place d'enseigne de compagnie pour l'un de ses
frères ; faites-moi savoir qui elle est, et si ce
qu'elle expose est véritable."
Nous n'avons pas besoin d'insister sur
l'humeur cavalière de cette note. Elle n'a pas lieu
de surprendre ceux qui ont été à même d'étudier
le régime français aux sources manuscrites. Elle
est bien dans le ton et dans le goût de l'époque.
De quoi se mêle-t-elle cette fille de Canada,
d'avoir de la bravoure et du courage ? Il faut
d'abord savoir qui elle est, ensuite l'on avisera.
Cette lettre écrite au printemps de 1700
arriva à Québec par les premiers vaisseaux. Elle
eut jeté sans doute le découragement dans l'âme
du vieil officier qui avait servi fidèlement son
pays pendant plus d'un demi siècle. Mais, il ne
la vit pas. La mort était venue le chercher, le 26
février précédent, dans son manoir de Verchères,
angoissé sans doute à la perspective de la vie de
misère qui se préparait pour la famille qu'il
laissait derrière lui, mais espérant toujours que
le roi viendrait à son secours.
Au mois d'octobre, l'intendant Champigny
répondait au ministre : —
— 191 —
" Ce que la fille du Sr de Verchères expose
dans la lettre qu'elle s'est donné l'honneur
d'écrire à Madame la comtesse de Pontchartrain,
est véritable, l'action qu'elle a faite, plus de 60
ans de service de son père qui était gentilhomme
et la disgrâce que sa famille vient d'éprouver par
sa mort, perdant les appointements de lieutenant
réformé et une gratification de 150 livres que le
roi avait la bonté d'accorder au père comme
officier du régiment de Garignan, qui servaient à
leur donner du pain sont des motifs assez grands
pour engager la charité de Sa Majesté à accorder
à la veuve qui se trouve avec cinq enfants sans
bien, la continuation de la gratification, et à la
iilie qui est bien raisonnable, une pension pour
aider à tirer cette pauvre famille de la plus
profonde misère."
Le Roi n'accorda pas tout ce que l'intendant
demandait, mais il lui fit savoir, au mois de mai
1701, que la pension du lieutenant de Verchères
serait versée à l'avenir sur la tête de sa fille, à la
condition qu'elle en ferait profiter sa mère. La
Potherie, toujours bien au courant, nous rapporte
de son côté que ce fut la comtesse de Pontchar-
train qui prit les intérêts de Madeleine avec tant
de générosité qu'elle lui procura cette pension
pour toute sa vie. Nous aimons à laisser tout le
mérite de cette bonne action à cette grande dame.
Quant au frère, cadet dans les troupes,
auquel Madeleine s'intéressait si fort, et que
Charlevoix nous dépeint comme un jeune officier
de grande espérance, il n'eut pas son brevet
d'enseigne, mais il alla tout de même se faire
tuer au service du roi en 1708 sous les murs de
Haverhill. C'est ainsi que cette famille payait sa
dette de reconnaissance.
— 192
Marie Perrot, la veuve de M. de Verchères,
put jouir jusqu'à sa mort de la pension du roi
que sa fille lui servit fidèlement. Elle ferma les
yeux en son manoir seigneurial, le 30 septembre
Î728, à l'âge de 72 ans.
Depuis longtemps déjà, Madeleine n'habitait
plus la vieille maison ancestrale illustrée par sa
valeur. Elle avait épousé, le 8 septembre 1706,
ie seigneur de la Pérade, Pierre-Thomas Tarieu
de Lanaudière. On a raconté que ce mariage fut
le dénouement d'une aventure tragique où elle
avait sauvé la vie de ce jeune officier des mains
îles sauvages. Mais pourquoi prêter aux riches ?
Cette légende ne s'appuie sur rien. Madeleine
n'était pas une femme à coup de tête ; elle attendit
que l'heure sonna où elle rencontrerait un com-
pagnon digne de son grand cœur. Tout nous
prouve qu'elle contracta un mariage de raison
comme il convenait à une fille de vingt-huit ans.
M. de la Pérade la dota de plusieurs mille livres
et lui assura l'usufruit sa vie durant de ses terres
seigneuriales qui comprenaient une étendue de
trente-cinq lieues de pays. Madeleine déclara au
contrat qu'elle possédait en propre cinq cents
livres, " amassés par ses épargnes et soins." Ceci
nous prouve qu'elle était une fille sage et éco-
nome, et que l'intendant Champigny l'avait bien
jugée.
Mademoiselle de Verchères s'en fut tout
bonnement mener la vie de châtelaine sur les
propriétés de son mari, situées à quelques lieues
de Trois-Rivières. Peut-être que l'on n'aurait plus
jamais entendu parler d'elle, si, en 1722, Bacque-
ville de la Potherie ne se fut avisé de publier son
Histoire de l'Amérique Septentrionale qu'il te-
nait en portefeuille depuis son retour du Canada
à cause de la guerre toujours à la veille d'éclater
— 193 —
entre la France et l'Angleterre. Au bout d'un
quart de siècle écoulé, le jeune officier de marine
de 1699 gardait encore dans un coin de son cœur
le souvenir ensoleillé de l'accorte Jeune fille qu'il
avait rencontrée autrefois au manoir de Saint-
Ours. Et, à deux reprises différentes, il raconte
dans son ouvrage le beau fait d'armes de 1692.
Le nom de l'héroïne mis de nouveau en vedette
par la publication de ce livre vola de bouche en
bouche.
Madeleine eut encore l'occasion de montrer
son courage à quelque temps de là, lorsque d'un
coup de casse-tête elle brisa les reins à un sau-
vage abénakis qui était venu chercher querelle à
son mari, au manoir de la Pérade, et mit en fuite
trois sauvagesses accourues à la rescousse de
leur camarade. M. de Vaudreuil, qui était alors
gouverneur de la colonie, prit la peine de la venir
féliciter sur les lieux mêmes, témoins de ce
nouvel exploit.
Lorsque le marquis de Beauharnois vint
remplacer M. de Vaudreuil en 1726, il voulut
connaître à son tour cette femme dont on racon-
tait tant de merveilles, et il lui demanda de rédi-
ger par écrit un mémoire de ses aventures. C'est
à cette démarche que nous devons la deuxième
relation du siège de Verchères dont l'original est
conservé aux archives de Paris, dans la collection
Moreau Saint-Méry. Cette nouvelle version était
connue depuis longtemps de quelques-uns de nos
érudits qui en possédaient des copies manus-
crites, mais ce n'est qu'en 1904 que le texte en
langue française en a été publié en entier par M.
Richard, dans le rapport du bureau des archives
du Canada. Nous nous contenterons de le com-
menter sommairement.
Dans la lettre de 1699, Madeleine, jeune fille
que la crainte de la misère talonne, vise à la con-
cision afin d'être sûre d'être lue. Elle sait que les
194
grands sont si occupés qu'ils vont tout droit à la
signature et laissent faire le reste à leurs secré-
taires.
Cette fois,elle a quarante -huit ans, déjà l'âge
des bonnes et longues causeries au coin de la
table, .et elle s'adresse à un gentilhomme aimable
qui ne demande pas mieux que de l'écouter.
Elle se met donc en frais de détails. Elle précise
les dates, elle donne des noms, elle multiplie les
incidents, elle rectifie sans avoir l'air d'y toucher
quelques futiles erreurs qui se sont glissées dans
le livre de la Potherie. Le récit dramatique,
vivant, enlevé, coule vraiment de source à travers
des phrases toujours alertes, assaisonnées parfois
d'une petite pointe de gaieté gauloise, comme,
par exemple, lorsqu'elle assure que les femmes
parisiennes sont naturellement peureuses. Le
recul des années par un phénomène bien connu
de la mémoire, donne à la châtelaine une vision
si nette de ces événements, passés il y a tantôt
trente-cinq ans, qu'elle marque même l'heure
exacte où les Iroquois se précipitèrent sur elle.
Elle dit la neige et la grêle qu'il faisait par ces
jours sombres d'automne, elle nous montre les
bestiaux qui reviennent du pâturage et trouvent
la porte du fort fermée, et le linge de la famille
en train de sécher dans la prairie et dont les
sauvages vont s'emparer si elle n'y prend garde.
N'est-ce pas que ces derniers traits sont comme
autant de coups de crayon qui nous font passer
sous les yeux la campagne qui environne le fort
de Verchères. Et, après que sa mémoire a battu
le rappel de tous ces petits incidents, Madeleine
fait le récit de la délivrance.
Il y a huit jours que le fort est assiégé. Elle
s'est assoupie, la tête sur une table, son fusil de
travers dans ses bras. Tous à coup la sentinelle
crie que Ton entend parler sur l'eau. Du haut du
bastion, elle demande : Qui êtes-vous ? On lui
répond : " Français ? C'est la Monnerie qui vient
— 195 —
vous donner du secours. Elle fait ouvrir îa porte
du fort, y piace une sentinelle et s'en va au bord
de l'eau pour recevoir ses sauveteurs. Et voici le
dialogue qui s'engage entre la jeune fille et
l'officier. " Monsieur, soyez le bienvenu, je vous
rends les armes."
" Mademoiselle, répond l'officier d'un air
galant, elles sont en bonnes mains."
" Meilleures que vous ne croyez ", lui ré-
plique-t-eile.
Voilà bien comment devait alors parler une
jeune fille chevaleresque et un jeune officier,
galant homme du monde.
Mais, nous dira-t-on, où donc cette jeune
fille élevée à la campagne et qui a toujours vécu
retirée loin du monde, a-t-elle pu apprendre l'art
de narrer et d'écrire d'une façon si dramatique
et si élégante à la fois ? A cela nous répondrons
avec Paul Louis Courrier que la moindre femme-
lette de ce temps-là causait et écrivait mieux que
les académiciens de nos jours. Et que l'on n'aille
pas croire que Madeleine, grisée de la démarche
du gouverneur auprès d'elle, de la publicité faite
autour de son nom, ait voulu poser devant la
postérité en refaisant après coup une narration
plus ornée. Elle n'a jamais parlé de cette grande
action de sa vie que lorsqu'on lui a demandé, et
quand elle l'a fait, elle y a toujours mis un si
grand accent de sincérité qu'on ne saurait soup-
çonner pour un instant chez elle, calcul, habilité
ou mensonge. Cette femme a mené une vie trop
pure et trop noble, et elle exprime, chaque fois
qu'elle écrit, de trop beaux sentiments pour
qu'on puisse avoir l'ombre d'un doute sur l'exac-
titude des faits qu'elle raconte. La Potherie,
l'intendant Champigny, l'ingénieur Catalogne,
dans un mémoire de 1715, Charlevoix, dans son
journal de voyage en 1721, sont autant de té-
moins contemporains qui viennent attester en sa
— 196 —
faveur. Et de nos jours, l'écrivain Parkman, qui
unissait au flair le plus sagace de l'érudit, le sens
parfait de l'histoire, a accepté sans en presque
changer une ligne le récit de l'héroïne.
Madeleine mentionne dans son récit des
faits et des noms. Elle dit son âge, elle parle de
l'absence de son père à Québec, elle se moque de
Marguerite Antiome, la parisienne, qui était la
femme du sieur Fontaine. Nous avons voulu, un
peu pour édairer notre religion, un peu aussi
comme un exercice et comme un divertissement
de l'esprit, contrôler quelques-uns de ses dires.
Et quel a été le résultat de notre enquête et
quelles impressions a fait naître en nous l'étude
plus attentive et plus serrée des documents ?
Les registres de Sorel nous ont prouvé que
Madeleine avait quatorze ans lorsqu'elle repoussa
les Iroquois. Les plumitifs du Conseil Supérieur
à Québec nous ont signalé, de façon à ne pas s'y
méprendre, la présence du seigneur de Verchères
en cette ville pendant tout le mois d'octobre 1922.
Enfin, l'acte de mariage de Marguerite Antiome
nous déclare qu'elle était née à Saint-Eustache
de Paris et la fille d'un exempt du Grand Prévôt
de cette ville. Il serait fastidieux d'insister davan-
tage sur ces recherches, disons seulement que
ces vieilles pièces manuscrites dormant depuis
deux siècles dans les archives et se levant de la
poussière de leurs tombeaux pour rendre témoi-
gnage à la véracité de l'héroïne de Verchères,
nous ont fait voir non plus l'image auréolée,
mais la femme sincère et toute entière. Et, alors,
son histoire s'est étendue et éclairée. Nous avons
senti l'âme sous les faits arides et secs. Et cette
héroïne, que nous avions aperçue dès l'enfance
à travers le nuage de la légende, s'est élevée de
ses ailes plus fortes jusqu'à la vérité, aussi poé-
tique que le rêve.
— 197 —
VI
Après 1726, l'héroïne de Verchères rentre
une deuxième fois dans l'ombre et la paix du
foyer domestique, et c'est là que nous voudrions
pouvoir la saisir sur le vif afin de la mieux faire
connaître encore.
Grandie au milieu des émotions les plus
vives, ayant eu tant de fois sous les yeux des
scènes de violence et de carnage, Madeleine a
senti se développer dans son âme une résolution
et une énergie précoces. Mais l'assurance qu'elle
a acquise n'a-t-elle pas gâté chez elle la réserve
et la timidité si propres à son sexe ? Dans les
habitudes, dans les allures, dans le caractère
même de la jeune châtelaine de la Pérade n'est-
il pas resté un peu de cette virilité si nécessaire
à la vie que l'on menait aux avant-postes de
Verchères ?
Il semble encore que cette enfance, si
remplie d'alarmes et d'alertes, a dû manquer
particulièrement de cette éducation féminine
dont on a dans tous les temps senti l'importance,
nous voulons dire le goût et la pratique du mé-
nage, l'art de tenir une maison.
L'ingénieur Franquet a laissé sur les salons
de la Nouvelle-France qu'il fréquenta, et où il
rencontra précisément les femmes de l'âge et du
monde de Madeleine de Verchères, un tableau
charmant. " Les femmes sont de figure jolie,
dit-il ; leur constitution est forte. Elles ont la
démarche gracieuse et posent bien. Elles ont
généralement beaucoup d'esprit, et parlent un
français épuré, sans le moindre accent. Polies,
enjouées, elles ont une conversation agréable.
Pleines d'attentions pour les étrangers, elles sont
très affectionnées à leurs maris et à leurs enfants.
Malgré donc le rude apprentissage qu'elles
reçurent dans leur enfance, les femmes de ce
temps-là n'en furent pas moins élevées pour
— 198 —
plaire et se faire aimer, et elles surent entretenir
le goût des belles manières et tout ce qui fait la
grâce et le charme de leur sexe. Les mères
avaient l'art de former le cœur, de tremper le
caractère, de remplir et de fortifier l'esprit de
leurs enfants." (1)
Nous aimons à nous représenter Madeleine
de Verehères dans son manoir seigneurial de la
Pérade, à l'âge de cinquante ans ou environ,sous
les belles couleurs que nous montre le pinceau
de Franquet. Et c'est bien ainsi qu'elle devait
être, si nous en jugeons par un médaillon pré-
cieusement conservé dans sa famille. Avec ses
cheveux en bandeaux qui retombent en tresses
sur ses épaules, ses yeux à demi baissés et son
costume modeste et simple, il semble qu'elle ait
gardé quelque chose de la timidité et de la réserve
de la jeune fille. Si son front calme marque la
fermeté, il nous dit aussi la paix douce et le
bonheur discret qui régnent en son foyer. Les
sourcils bien arqués et la bouche petite et
mignonne où semble voltiger un sourire nous
rappellent la Madeleine, très gaie à ses heures,
et qui savait si bien tenir la plume quand elle le
voulait.
Il y a quelque chose cependant qui semble
démentir l'infinie douceur qui s'épand sur les
traits de cet unique portrait qui soit resté de
Madeleine de Verehères.
Racontant la lutte qu'elle eut à soutenir en
1722, aux portes du manoir de la Pérade, contre
trois sauvagesses qui la voulaient jeter dans le
feu, elle écrit cette phrase typique: "A ce moment
un peintre me voyant aurait pu tirer le portrait
d'une Madeleine ; décoiffée, mes cheveux épars,
mal arrangés, mes habits tout déchirés, n'ayant
rien sur moi qui ne fut en morceaux, je ressem-
(1) Mémoire de 1752.
— 199 —
biais pas mal à cette sainte, aux larmes près qui
ne coulèrent jamais de mes yeux."
Quoi ! Cel^e qui a fait couler tant de douces
larmes rien qu'au seul souvenir de sa défense
héroïque de Verchères, ne sentit donc jamais ses
paupières s'humecter ? Et ces beaux yeux à demi
baissés que le peintre nous montre, auraient-ils
donc été insensibles à toute émotion ?
Non, chassons loin de nous ces pensées. Les
larmes n'ont jamais été les interprètes néces-
saires du cœur. Madame de Sévigné l'a écrit il y
a déjà longtemps.'4 Il faut plaindre sincèrement
celles qui n'ont pas le don des larmes, et qui
sentent de ces douleurs, où les yeux ne soulagent
point le cœur." Rappelons-nous encore les
beaux vers de Victor Hugo, dans ses " Feuilles
d'Automne":
La fleur qui s'ouvrit avec l'aurore en pleurs,
Et qui fait à midi de ses belles couleurs
Admirer la splendeur timide,
Sous ses corolles d'or, loin des yeux importuns,
Au pied de ce calice où sont tous ses parfums,
Souvent cache une perle humide.
Si donc les larmes ne coulèrent jamais des
yeux de Madeleine, elle n'en a pas moins éprouvé
les plus grandes émotions qui puissent étreindre
un cœur de femme.
Debout sur le bastion du fort de Verchères,
elle a prouvé qu'elle aimait sa patrie jusqu'à
vouloir verser son sang pour elle ; c'est l'amour
profond qu'elle porte à son père et à sa famille
qui la pousse à implorer la pitié pour les siens ;
et quand elle voit son mari aux prises avec un
sauvage, elle nous l'avoue ingénument dans sa
relation, ce sont " les mouvements de son cœur "
qui l'entraînent à périr avec lui plutôt que de le
laisser mourir seul et sans défense.
Ces trois amours sont trop beaux et trop
grands pour qu'il soit nécessaire de les déflorer
par de vaines fictions. Sans attacher plus d'im-
— 200 —
portance qu'il ne convient à tous les détails semi-
romanesques dont quelques écrivains ont voulu
entourer Madeleine, disons une fois pour toutes
qu'il n'y a pas besoin de l'imagination pour
grandir le réel vraiment sublime de sa vie.
La bonne châtelaine de la Pérade n'a jamais
eu dans son cœur ni dans son cerveau les condi-
tions voulues pour devenir une héroïne de feuil-
leton. Jeune fille, elle nous dit qu'elle eût la
passion de la gloire, mais elle ne s'en servit que
pour défendre son foyer. Quand elle fut épouse
et mère, l'affection sincère qu'elle porta à son
mari et à ses enfants lui suffit amplement.
Le manoir de la Pérade, situé sur la grande
route qui relie Québec à Montréal, et presqu'à
mi-chemin entre ces deux villes, était le rendez-
vous de tous les voyageurs de distinction. Nous
savons que les gouverneurs de Vaudreuil et de
Beauharnois aimaient à le visiter et quel officier
de l'armée n'aurait pas voulu s'arrêter pour
causer avec cette femme dont la valeur était
connue dans tout le pays.
Le mari de Madeleine, M. de la Pérade,
possédait quelques-unes des plus belles seigneu-
ries de la Nouvelle-France, mais comme il était
d'une santé frêle et délicate il avait remis à sa
femme le soin d'administrer le patrimoine
familial, et celle-ci sut s'en acquitter à merveille.
L'hospitalité de la famille de Lanaudière était
large et généreuse, mais la bonne Madeleine
n'oublia jamais les bonnes leçons d'économie
qu'elle avait apprises dans sa jeunesse. Nous nous
la représentons volontiers comme une grande
dame de l'ancienne noblesse qui ne quittaient
jamais l'aiguille même pour recevoir les visi-
teurs, à moins que leur rang les y obligeât.
Le premier dimanche du mois d'août 1747,
le curé de Sainte-Anne de la Pérade annonçait à
son prône la mort de Marie-Madeleine Jarret de
— 201 —
Verchèresja seigneuresse de sa paroisse.Elle était
décédée dans la soixante et neuvième année de
son âge, munie de tous les sacrements de
l'Eglise.
La seigneuresse de la Pérade laissait cinq
enfants. Les filles entrèrent dans les familles
Margane de Lavaltrie et Deschamps de Bois-
hébert. Les garçons prirent du service dans
l'armée. L'un d'eux tomba à la bataille de
Monongahéla ; un autre fut décoré de la croix
de Saint-Louis pour sa belle conduite au siège
de Québec. C'est de ce dernier que descendait
Charles de Lanaudière, qui fut aide de camp du
gouverneur Carleton.
On sait comment, dans l'automne de 1775,
cet officier, si plein de charme et de distinction,
ramena à la tête de 300 Canadiens le gouverneur
Carleton, de Montréal à Québec, au moment où
cette ville menacée par les soldats du Congrès,
allait ouvrir ses portes à l'ennemi. Carleton
organisa la résistance et la colonie fut sauvée.
Charles de Lanaudière mourut célibataire, mais
il laissa deux sœurs qui sont restées célèbres
dans la région de Québec où elles vivaient encore
au milieu du siècle dernier. Retirées pendant l'été
dnas leur manoir de Saint- Vallier de Bellechasse,
qu'elles avaient armé comme une forteresse à
cause des voleurs de grand chemin qui infes-
taient la contrée, elles venaient passer l'hiver à
Québec, où leur salon était le rendez-vous de
tout ce que la colonie comptait de personnes
distinguées. C'est l'une d'elles qui, en 1855,
recevant M. de Belvèze, le commandant du pre-
mier navire de guerre français qui soit venu au
Canada après la conquête, le salua de ces fîères
et mâles paroles : " Commandant, nos bras sont
à l'Angleterre, mais nos cœurs sont toujours à
la France."
— 202 —
Madeleine de Verchères garda jusqu'à la fin
la part d'héritage qu'elle avait reçue dans la
seigneurie qui devait rendre son nom si célèbre.
Ce n'est qu'en 1746, un an avant sa mort, qu'elle
la vendit à son frère Jean-Baptiste Jarret. Ce
dernier abandonna bientôt après, pour cent
pistoles, les droits honorifiques du domaine pa-
trimonial qu'il tenait à titre d'aînesse, à l'un de
ses gendres Pierre Hertel de Beaubassin. Depuis
lors, cette belle propriété, morcelée par des par-
tages, des ventes ou des achats, est passée entre
les mains de branches collatérales éloignées.
L'ancien manoir a été depuis abattu. Ce n'est
plus qu'à l'aide de cartes qu'on peut à peu près
localiser le site du fort immortalisé par la fïère
résistance de Madeleine. Seule, près de la rive
du grand fleuve, où le beau village de Verchères
mire ses maisons blanches et ses grands arbres
verts, une tour aux murs massifs, aux fenêtres
percées en mâchicoulis et au toit en poivrière,
résiste aux ravages du temps. C'est le vieux
moulin banal de la seigneurie. A l'époque de la
moisson, un meunier y vient encore moudre les
grains des censitaires. Et, quand, dans la nuit
noire, le moulin bat l'air de ses ailes frémissantes,
le passant attardé croit entendre chevroter une
chanson : la chanson mélancolique des choses
mortes.
Aussitôt après la conquête le dernier des-
cendant des Verchères, dans la ligne masculine,
s'enfonça dans les prairies de l'Ouest où il fit la
traite et la chasse aux bisons, à la tête d'une
bande de sauvages. L'on n'entendit plus jamais
parler de lui. Sa veuve, une LeMoyne de Lon-
gueuil, mourut à Québec en 1792, et le prince
Edouard, duc de Kent, père de la reine Victoria,
alors dans la capitale, voulut assister à ses funé-
railles à la tête des officiers de son régiment. Ce
suprême hommage rendu par un prince touchant
— 203 —
de si près au trône, à celle qui porta pour la
dernière fois le nom des Verchères, n'est-il pas
pour nous une éloquente leçon ? Elle nous
enseigne que les héros et les héroïnes du Canada,
à quelque race qu'ils appartiennent, sont le
patrimoine commun de la nation et que leur
mémoire doit être glorifiée.
Et voilà pourquoi les nobles châtelains de
Rideau-Hall, épris d'art et très avertis des choses
de notre histoire, ont voulu mettre en place
d'honneur, dans leur résidence vice-royale, le
beau bronze de Hébert.
Il n'est pas besoin de la magie des mots pour
expliquer l'impression que cause Madeleine de
Verchères, la sympathie qu'elle excite, la lumière
qui rayonne d'elle. Comme le disait un jour Son
Excellence le gouverneur-général, cette héroïne
résume toute une époque de gloire. Par son père
elle descend des nobles familles de France, par
sa mère elle touche à la bonne terre canadienne.
Par son action courageuse et sa vie si complète
et si bonne, elle tient au peuple entier.
Elle symbolise la femme vaillante du
Canada.
J.-EDMOND ROY (1)
EDMOND DE SUEVE, SEIGNEUR EN PARTIE
DE SAINTE-ANNE DE LA PERADE
De quelle partie de la France venait Edmond
de Suève ? Pour l'histoire des premiers habitants
de la Nouvelle-France les contrats de mariage
sont des sources d'informations extrêmement
(1) Le Soleil, 20 mars 1909.
— 204 —
précieuses.Les notaires de l'ancien régime ne
manquaient jamais d'enregistrer les noms des
pères et mères des futurs conjoints et d'indiquer
les paroisses qu'ils habitaient dans la vieille
France.M.de Suève n'ayant pas jugé à propos de
se marier a donc privé les historiens du précieux
document qui leur aurait dit de quelle partie de
la France il était originaire.
Edme ou Edmond de Suève était lieutenant
dans le régiment de Garignan et il passa ici avec
cette troupe dans l'été de 1665.
Après le licenciement du régiment de Gari-
gnan, il décida de rester au pays.
Le 29 octobre 1672, l'intendant Talon con-
cédait conjointement à MM. de Suève, lieutenant
au régiment de Garignan, et de Lanaudière,
enseigne au même régiment, " l'étendue de terre
qui se trouvera sur le fleuve Saint-Laurent au
lieu dit des Grondines, depuis celles apparte-
nantes aux Religieuses de l'Hôpital jusqu'à la
rivière Sainte-Anne, icelle comprise, sur une lieue
de profondeur, avec la quantité de terre qu'ils
ont acquise du sieur Amelin "
C'est le fief et seigneurie de Sainte-Anne de
la Pérade.
M. de Suève au lieu de coloniser le beau
domaine que venait de lui accorder M. Talon
s'occupa à satisfaire son goût pour la chasse.
L'avoir qu'il avait à son arrivée dans la Nouvile-
France s'épuisa bientôt et il se trouva vis-à-vis
de rien.
Le 13 novembre 1680, l'intendant Duches-
neau écrivait au ministre :
" Les officiers des troupes continuent d'em-
ployer ce qu'il plait au Roi et à vous, Monsei-
gneur, de leur accorder à payer leurs dettes. J'ai
oublié l'année dernière de vous demander une
semblable gratification pour le sieur de Moras,
lieutenant, qui est un gentilhomme chargé de
— 205 —
huit enfants dans une grande pauvreté. Il y en a
encore d'autres pour lesquels je n'ai pas osé vous
parler parce que ce sont des gens qui équipent
pour eux des coureurs de bois, excepté le sieur
de Suève, vieux garçon de 60 ans ; qui a été
lieutenant, qui avait toujours passé pour avoir
du bien et qui est tombé cette année dans une
grande misère." (1)
Le recensement de 1681 nous apprend que
M. de Suève résidait dans sa seigneurie de
Sainte-Anne. Il lui donne cinquante ans. Il
s'occupait évidemment plus de chasse que de
défrichement car le même recensement le dit
propriétaire de trois fusils et oublie de men-
tionner ses arpents de terre en valeur.
Le 8 août 1691, M. de Suève donnait à la
fabrique de la paroisse de Sainte-Anne de la
Pérade, " deux habitations de deux arpents de
front sur quarante arpents de profondeur,
tenant l'une à l'autre, prenant par devant à la
rivière Sainte-Anne, par côté par-dessus à Charles
Vallée et d'autre côté par dessous à Philippe
Etienne."
L'une des deux terres était donnée pour le
service du curé et de ses successeurs, l'autre
devait servir pour élever la future église de la
paroisse.
Cette donation était faite quitte de toutes
sortes de rentes pour l'avenir et à perpétuité. (2)
M. de Suève décéda à Sainte-Anne de la
Pérade le 1er mars 1707, et fut inhumé dans
l'église paroissiale. (3)
(1) Archives du Canada, Correspondance générale.
(2) Acte devant Michel Roy, notaire à Sainte-Anne, le
18 août 1691.
(3) Dans son étude Le régiment de Carignan, M. Ben-
jamin Suite, a confondu Edme de Suève, seigneur en partie
de Sainte-Anne, avec Lesueur, le fameux explorateur et
traiteur. Il n'y eut aucune relation quelconque entre ces
deux personnages.
— 206 —
Par son testament fait le 16 juin 1695, M. de
Suève avait légué à Edmond Chorel la part et
moitié de la seigneurie de Sainte-Anne qui lui
avait été concédée le 29 octobre 1672. Il lui don-
nait en outre : lo une terre de cinq arpents de
front sur le bord de la rivière Sainte-Anne, sur
quarante arpents de profondeur, joignant d'un
côté à Daniel Le Merle et d'autre à Jean Picard ;
2o une autre terre de quatre arpents de front,
dans l'île Saint-Ignace, traversant la dite île,
joignant d'un côté madame veuve de Lanaudière,
mitoyenne de la dite seigneurie avec le sieur
Dentigny, et d'autre part à Jean Picard; 3e une
autre terre de quatre arpents de front, située
entre les terres de madame veuve de Lanaudière
et du sieur Desruisseaux ; 4e une autre terre de
deux arpents de front, située entre les terres du
sieur Desruisseaux et du sieur Saint-Romain.
Le donateur obligeait Edmond Chorel à
rendre la foi et hommage, et à payer les dettes
qu'il pourrait avoir au jour de son décès. Il se
réservait en outre l'usufruit et jouissance de sa
moitié de seigneurie et de ses terres. Il exigeait
aussi d'eux cent messes basses pour le repos de
son âme dans l'an de son décès.
M. de Suève prenait la peine de déclarer
dans son testament qu'il faisait don de ses biens
à Edmond Chorel pour le récompenser des bons
et réels secours et amitiés qu'il lui avait rendus,
et avec l'espoir qu'il les continuerait à l'ave-
nir. (1)
(1) Testament devant Cusson, notaire au Cap de la
Madeleine, le 16 juin 1695.
— 207 —
NICOLAS-ANTOINE COULON DE
VILLIERS (1)
Né à Verchères le 25 juin 1708, (2) il était
fils de Nicolas-Antoine Coulon de Villiers, offi-
cier dans les troupes du détachement de la
marine, et de Angélique Jarret de Verchères.
Vers 1725, M. de Villiers père était nommé
commandant pour le roi au poste de la Rivière
Saint-Joseph des Illinois. C'est là que le jeune
Coulon fit ses premières armes.
En août 1730, MM. de Saint-Ange, de
Noyelles et de Villiers attaquaient les Renards
près du fort qu'ils s'étaient bâti près du Rocher,
sur la rivière Saint- Joseph des Illinois. Après un
siège de vingt-trois jours, ils réussirent à les
écraser. La plupart de ces féroces Renards furent
massacrés. C'est M. Coulon qui fut chargé
d'aller porter la nouvelle de ce beau succès au
gouverneur de Reauharnois.
Le 12 mars 1732, M. Coulon était fait
enseigne en second.
M. Coulon prit une part active à la cam-
pagne de 1733, contre les Sakis. Le 16 septembre
1733, M. de Villiers père, devenu commandant
du poste de la Baie des Puants, était tué dans une
attaque contre les Sakis. M. Coulon remplaça son
père au commandement du poste de la Baie des
Puants.
Le 11 novembre 1733, MM. de Beauharnois
et Hocquart informaient le ministre du coup des
Sakis et lui demandaient de donner une lieute-
nance vacante à M. Coulon.
" Le sieur de Villiers, disaient-ils, qui s'est
fort distingué, qui a eu son père et son frère tués
et autre frère, cadet à l'aiguillette blessé, méri-
(1) Connu sous le nom de M. Coulon.
(2) Baptisé à Contrecœur le 26 août 1708.
— 208 —
terait la lieutenance vacante, la dernière affaire
n'ayant roulé que sur lui." (1)
Le ministre accueillit favorablement cette
demande et M. Coulon fut fait lieutenant le 20
mars 1734.
Le 30 octobre 1742, le gouverneur de Beau-
harnois demandait au ministre de donner une
compagnie à M. Coulon. (2)
L'année suivante, le 20 octobre, M. de Beau-
harnois revenait à la charge auprès du ministre
en faveur de M. Coulon. " Il est bon officier,
disait-il, et très propre pour les négociations des
pays d'en haut." (3)
En 1742 ou 1743, M. Coulon descendit des
pays d'en haut. Il semble avoir vécu à Québec
de 1743 à 1746.
Le 24 avril 1744, le ministre informait enfin
M. Coulon que le roi lui accordait une compagnie.
En juin 1746, M. de Ramezay était chargé
de conduire une importante expédition en Acadie.
C'est M. Coulon qui fut le second en commande-
ment du détachement.
En février 1747, M. Coulon commandait
l'attaque contre les Anglais établis aux Mines.
Elle réussit parfaitement, mais M. Coulon reçut
au bras une blessure qui le força à retourner à
Québec. Il ne devait jamais guérir de cette
blessure.
A l'automne de 1747, il passait en France
pour aller prendre les eaux à Barèges, station
thermale des Pyrénées.
Le 3 novembre 1747, M. de la Galissonnière
écrivait au ministre :
" J'ai l'honneur de vous représenter qu'il y
a des officiers qui par leurs blessures ou par
quelqu'autre action d'éclat méritent la croix de
(1) Archives du Canada, Correspondance générale,vol.59.
(2) Archives du Canada, Correspondance générale, vol.75.
(3) Archives du Canada, Correspondance générale,vol.79.
— 209 —
Saint-Louis, ou d'autres récompenses ou toutes
les deux. Le sieur Coulon de Villiers est dans ce
dernier cas ; le voyage qu'il est obligé de faire
en France pour sa blessure dérangera entière-
ment sa fortune si vous n'avez la bonté de l'aider
libéralement." (1)
La recommandation de M. de la Galisson-
nière fut écoutée par le ministre puisque, en
février 1748, M. Coulon était nommé major des
Trois-Rivières, en remplacement de M. de
Rigaud promu lieutenant de roi à Québec. Le roi
lui donna en même temps la croix de Saint-
Louis.
Sur les entrefaites, la majorité de Québec
étant devenue vacante par la promotion du che-
valier de Longueuil à la lieutenance de roi, M.
Coulon la demanda au ministre. Mais elle fut
accordée à M. de Ramezay.
M. Coulon revint dans la Nouvelle-France
dans l'été de 1749 et prit aussitôt possession de
sa charge de major des Trois-Rivières.
Il ne devait pas la garder longtemps. Son
bras qui n'avait pas guéri, le faisant horrible-
ment souffrir, les chirurgiens décidèrent de le
lui enlever. Il mourut peu après, à Montréal, le
3 avril 1750. M. Coulon n'était âgé que de 41
ans. (2)
(1) Archives du Canada,Correspondance générale, vol.87.
(2) Nous avons emprunté la plupart de nos renseigne-
ments sur M. Coulon à l'important ouvrage de Mgr Amédée
Gosselin, Notes sur la famille Coulon de Villiers.
— 210 —
RICHARD TESTU DE LA RICHARDIERE
Richard Testu de la Richardière fut un des
rares Canadiens, qui, sous le régime français,
parvinrent à une position un peu importante dans
le service de la colonie. Et c'est peut-être pour
cette raison que plusieurs de nos historiens ont
cru qu'il était d'origine française.
Richard Testu de la Richardière naquit à
L'Ange-Gardien, près de Québec, le 15 avril 1681,
du mariage de Pierre Testu dit du Tilly, mar-
chand, et de Geneviève Rigault.
Il servit d'abord dans les troupes et reçut
une blessure assez grave dans un engagement.
En 1722, M. Testu de la Richardière com-
mandait la Suzanne. Les Frères Hospitaliers de
Montréal obtenaient du Conseil de marine de
faire passer au Canada des ouvriers sur ce
vaisseau.
Le 19 février 1726, le Conseil de marine
écrivait au gouverneur de Beauharnois, au sujet
de la navigation du Saint-Laurent. Il serait
nécessaire que, pour la sûreté de la navigation
des vaisseaux du roi allant en Canada, il fut
embarqué un officier à bord connaissant bien la
navigation du Saint-Laurent. Autrefois le sieur
de la Grange, de Rochefort, avait été nommé
capitaine de flûte, en raison de ses connaissances
sur cette navigation et il s'embarquait tous les
ans sur les vaisseaux du roi. Le Conseil de
marine priait M. de Beauharnois de s'informer
des capacités du sieur Testu de la Richardière,
canadien, qu'on proposait pour cet emploi.
Le 30 octobre de la même année, MM. de
Beauharnois et Dupuy écrivaient au ministre de
la marine et lui. suggéraient de nommer M.
— 211 —
Testu de la Richardière capitaine de port à
Québec :
" Le S. Testu de la Richardière que vous
avez chargé d'accompagner le vaisseau du Roy
à cause de l'expérience et de la connaissance qu'il
a de la rivière, souhaitte cette place et vous prie
de la luy accorder.
" Le S. de la Richardière est du métier et est
sur cela d'une capacité à n'y avoir pas par le païs
deux voix sur son chapitre, il est propre à former
des pilottes pour cette rivière où il y a une très
grande nécessité d'en avoir à cause de la traverse,
qu'il est de conséquence de bien connoistre.
"Il faudrait pour cela aller tous les printems
sonder les bancs que les glaces en partant font
changer de place, y mettre des bouées selon leur
changement au nombre de quatre ou cinq avec
des ancres d'une seule patte d'environ quatre
cent à 450 pesant et autant de chaînes de 12 à 15
brasses proportionnées au poids des ancres.
" On éviterait par là les risques de toucher
à la traverse, et sur les autres bancs qu'on ne
connait pas assés, et après le départ des vais-
seaux on ferait relever les ancres.
"On se servirait de cet officier pour mettre le
cul de sac en état de recevoir le3 vaisseaux des
particuliers, mêmes les vaisseaux du Roy s'il
en était besoin. Plusieurs y ont couru risque cette
année, et dans les années passées quelques uns
y ont resté, il s'y trouve même quantité de roches
que l'on pourrait ôter à marée basse.
" Le cul de sac est mal étably faute d'y avoir
un quay avec des amares dont chaque habitant
devrait estre obligé de faire la construction
devant une partie au moins de son terrain qui
peut-estre luy est concédé à ces conditions.
" On pourrait encore avec un bâtiment de
40 T. fait en goélette ou en brigantin l'envoyer
sonder tout le reste de la rivière, surtout du costé
— 212 —
du sud qui n'a point esté travaillé sur la carte du
S. de la Haye, au nord de laquelle tous les mouil-
lages et dangers sont bien marqués et dont les
pilottes font état.
" Le capitaine de port mettrait des balises
sur les caps et les hauteurs qu'on pourrait
abattre et supprimer dans les tems où l'on ne
voudrait pas qu'on eu usast, il donnerait con-
naissance des ances, des havres, des bayes favo-
rables et bons mouillages, et se mettrait au fait
le long des costes et dans la profondeur des bayes
et des rivières des bois de chesnes et de pin et
des rivières propres à les tirer ayant luy-même
une parfaite connaissance des bais de ce pays
cy et tout le talent nécessaire pour l'arrimage des
bois dans les navires.
" Quelques autres nous ont donné les placets
que nous avons l'honneur de vous envoyer, pour
la même place, mais nous ne les connaissons pas
si particulièrement et leur capacité ne peut même
entrer en concurrence avec celle du S. de la
Richardière." (1)
Le 8 octobre 1727, MM. de Beauharnois et
Dupuy écrivaient au ministre :
"Le sieur Testu de la Richardière a fait
l'option de la place de capitaine de port et se
destine à faire, dans ce port, son service avec une
telle vigilance que les bâtiments y trouvent tout
le secours convenable, soit pour se mettre en rade
soit pour y être à l'abri des coups de vent qui
pourraient les chasser à la côte.
" Il vous supplie, Monseigneur, par la consi-
dération que l'emploi de capitaine de port n'a
presque point d'appointements, de lui continuer
ceux de capitaine de flûte, jusqu'à ce que vous
en ayez disposé autrement ; il se charge de con-
(1) Archives du Canada, Correspondance gé.nérale,vol.48.
— 213 —
duire le vaisseau du Roi jusqu'à la Traverse
pour la lui faire faire.
" C'est vers ces endroits, Monseigneur, que
seraient fort nécessaires des bouées, relevées à
propos, pour que la facilité qu'elles nous procu-
reraient ne tournassent point à notre désavan-
tage.
" Il propose pour cela une dépense qui con-
sistera dans la construction d'une chaloupe qui
servirait aussi à aller audevant du vaisseau du
Roi et autres bâtiments en danger dans la rivière
avec trois ou quatre ancres d'une seule patte du
poids de 600 1. avec chacune une chaîne propor-
tionnée de grosseur et de douze ou quinze
brasses de longueur ; il demande encore que,
pour l'entretien de ces chaînes et bouées et de la
chaloupe dont il se chargera il lui soit permis de
prendre, par chaque bâtiment, au-devant duquel
il ira, un écu par chaque pied que le bâtiment
tirera d'eau, et pour tenir le port net et le Cul-de-
Sac de Québec en état de recevoir les bâtiments
qui viendront s'y échouer pour y avoir les
radoubs nécessaires, de pouvoir se faire payer
à proportion qui sont les douceurs accordées à
l'Amérique et autres endroits aux capitaines de
port." (1)
Le 4 mars 1727, le Conseil de marine infor-
mait le gouverneur de Beauharnois qu'il accor-
dait passage au Canada au sieur Testu de la
Richardière, capitaine de flûte. " Il lui est acordé
congé d'un an, ayant perdu sa femme depuis son
départ de Québec (Marie Hurault)."
L'année suivante, le Conseil de marine don-
nait enfin à M. Testu de la Richardière la charge
de capitaine de port à Québec, vacante depuis la
mort du sieur Prat. On lui accordait 500 livres
d'émoluments au lieu de 150 qu'avait son prédé-
cesseur.
(1) Archives du Canada, Correspondance générale.
214
Le 1er octobre 1728, MM. de Beauharnois et
d'Aigremont écrivaient au ministre au sujet de
M. Testu de la Richardière :
" L'ordre qui nous a esté adressé pour la
place jle capitaine de port à Québec a été remis
au S. Testu de la Richardière. Il a accepté avec
plaisir la condition de conduire les vaisseaux de
Sa Majesté jusqu'à la traverse pour la leur faire,
sans aucune augmentation de dépense, et il luy
rend de très humbles grâces des cinq cens livres
d'appointement qu'elle a bien voulu luy accorder.
" Nous l'avons informé que Sa Majesté n'a
point approuvé la proposition qui avait esté faitte
de luy accorder un droit de 3 livres par pied
tirant d'eau de chaque bâtiment marchand, mais
que Sa Majesté trouverait bon qu'il tire des capi-
taines ou propriétaires des vaisseaux marchands
qui voudront profiter de ses soins, la rétribution
dont il conviendra avec eux de gré à gré, Sa
Majesté luy déffendant d'en rien exiger autre-
ment. Le S. de la Richardière nous a promis de
se conformer à cette décision et nous y tiendrons
la main." (1)
M. Testu de la Richardière rendit de grands
services en 1729, lors du naufrage de l'Eléphant,
vis-à-vis de l'île aux Grues. Le 28 mars 1730, le
Conseil de marine priait MM. de Beauharnois et
Hocquart de lui exprimer la satisfaction du roi
pour avoir aidé d'une manière aussi efficace au
sauvetage des effets du naufrage de l'Eléphant.
Le 4 avril 1730, le Conseil de marine priait
MM. de Beauharnois et Hocquart d'envoyer M.
Testu de la Richardière au Bic pour y attendre
le vaisseau du roi, Le Héros, et le guider jusqu'à
Québec afin de prévenir le malheur qui était
arrivé, l'année précédente, à l'Eléphant.
Le 15 octobre 1730, MM. de Beauharnois et
(1) Correspondance générale, Canada, vol. 50, f. 57.
— 215 —
Hocquart rendaient le bon témoignage suivant de
M. Testu de la Richardière :
" Le Sr. la Richardière, capitaine de port,
depuis la réception de vos ordres, a cessé de pré-
tendre aucune rétribution pour les soins qu'il se
donne pour conduire les navires marchands
dans cette rivière. Mr de L'Estenduère peut,
Monseigneur, vous rendre comme nous tesmoi-
gnage de sa capacité, de son expérience et de
l'attention particulière qu'il a eue à conduire le
vaisseau du Roy en sûreté jusques dans cette
rade. Nous ne cessons point, Monseigneur, de
vous demander pour cet officier les appointe-
ments de capitaine de flûte que nous eûmes
l'honneur de vous demander l'année der-
nière." (1)
Au mois de mai 1731, l'intendant Hocquart
donnait l'ordre suivant à M. Testu de îa Richar-
dière :
" Gilles Hocquart, etc.
" Il est ordonné au s. La Richardière, capi-
taine de port, de s'embarquer sur la goélette du
roi le Thomas-Marie armée en ce port de cinq
hommes d'équipage, y compris Pierre Dizet,
pilote, et de parcourir la côte du nord et celle du
sud de cette rivière, pour y observer les mouil-
lages, sondes, et généralement faire toutes les
remarques et observations qu'il estimera néces-
saires, pour faire naviguer sûrement les vais-
seaux du roi. Il en dressera son journal et en
fera tenir un semblable par le sieur Dizet pour
nous les représenter à son tour. Mandons. Fait à
Québec, le vingt-deux mai 1741.
Hocquart." (2)
MM. de Beauharnois et Hocquart avaient
tellement confiance en M. Testu de la Richardière
(1) Correspondance générale, vol. 52, c, 11, f. 50.
(2) Ordonnances des Intendants, vol. 19, f. 103.
— 216 —
que le 9 octobre 1731, ils proposaient au ministre
de le nommer au commandement de la flûte
qu'on construisait pour le compte du roi sur les
chantiers de Québec :
" Nous prenons la liberté de vous proposer
pour le commandement de la flûte qui est en
construction le Sr. La Richardière, capitaine de
port ; vous connaissez, Monseigneur, ses talens
et son expérience à la mer ; il sera en état de la
conduite à Rochefort et à toute autre destination,
si vous l'agréez. Nous vous supplions de nous le
faire sçavoir l'année prochaine, afin que le Sr
La Richardière puisse if arranger pour cela ;
nous pourrions recevoir trop tard vos ordres en
1741.
" Nous estimons, Monseigneur, que vous ne
voudrez pas mettre sur ce navire un fort état-
major, et dans ce cas deux officiers du départe-
ment de Rochefort suffiront avec le S. La
Richardière, la dépense en sera beaucoup moins
considérable." (1)
Quelques jours plus tard, le 15 octobre, MM.
de Beauharnois et Hocquart écrivaient de nou-
veau au ministre :
" M. de la Richardière a parcouru le prin-
temps dernier avec la goélette du Roy, la coste
du nord de cette rivière, où il a fait toutes les
observations nécessaires à la navigation sur les
différents courants, sondes et mouillages dont il
a fait un journal exact avec le nommé Diset qui
est un des pilotes du vaisseau du Roy resté à
Québec l'automne dernière et qui est remplacé
cette année par le nommé Garnier autre pilote
auquel nous ferons faire pareille course du
costé du sud au printemps prochain avec le dit
sieur de la Richardière. Vous avez eu agréable,
Monseigneur, d'accorder à cet officier une grati-
fication de 300 livres, trouvez bon que nous vous
(1) Correspondance générale, vol. 71, f. 20.
— 217 —
représentions que le voyage qu'il a fait cette
année dans lequel il n'a vécu que de biscuit et
de lard salle éqiûvaut à une campagne de 3 ou 4
mois et qu'il nous paraist qu'il est de votre
justice de luy accorder une gratification plus
considérable, son zèle et son attention pour le
bien du service la luy font mériter, il est actuelle-
ment à bord du vaisseau du Roy, et le conduira
jusqu'à l'isle aux Lièvres où l'isle verte. M. le
comte des Gouttes doit vous rendre compte de
son activité et de ses soins." (1)
En 1732, le Rubis fut destiné à faire le
voyage du Canada. Le 4 mars, le Conseil de
marine écrivait à MM. de Beauharnois et Hoc-
quart que M. de l'Etanduère et le comte des
Gouttes s'étaient si bien trouvés des secours que
le sieur Tes tu de la Richardière leur avait don-
nés dans le fleuve Saint-Laurent qu'il convenait
de l'envoyer de nouveau à l'île Verte pour y
attendre le Rubis.
Cette même année 1732, le roi accorda une
gratification de 500 livres à M. Testu de la
Richardière, en récompense de ses services.
Cette gratification lui fut encore accordée
l'année suivante.
En 1734, M. Testu de la Richardière pilote
encore le Rubis.
Le président du Conseil de marine ordonnait
à MM. de Beauharnois et Hocquart, le 20 avril
1734, de confier au sieur Testu de la Richardière
l'exploration du Saint-Laurent, depuis le Cap
Chat jusqu'à Gaspé, et, en remontant depuis les
Sept-Iîes jusqu'à la Malbaie. Il devait aussi aller
examiner le passage du détroit de Belle-Ile.
Les soins que M. Testu de la Richardière se
donnaient pour la sûreté de la navigation lui
valurent, en 1734, la continuation de la gratifi-
cation de 500 livres.
(1) Correspondance générale, vol. 54, c. 11, f. 188.
— 218 —
En 1735 et 1736, M. Testu de la Richardière
fut assez heureux pour recevoir encore 500 livres
de gratification.
En 1737, les appointements de M. Testu de
la Richardière furent portés à 1000 livres mais
il ne devait plus recevoir de gratification.
Le 1er octobre 1737, MM. de Beauharnois et
Hocquart écrivaient au ministre au sujet du
sondage et du pilotage du fleuve fait par M.
Testu de la Richardière :
M. de la Richardière, capitaine de port, a
repassé dans la colonie sur le vaisseau du Roy
et il l'a piloté depuis les Pellerins jusqu'à Qué-
bec sans aucun accident ; il doit l'aller recon-
duire à l'ordinaire.
" M. Duquesnel vous a informé, Mgr, de
l'erreur qu'il a faite dans sa navigation, aux
atterrages du Chapeau Rouge par les fausses
sondes qu'il a trouvées. Nous estimons qu'il con-
viendrait que M. de la Richardière visitât l'année
prochaine avec le pilote qui doit rester icy les
côtes de Terreneuve, depuis le Cap Raze jusques
au Cap de Rays, ainsy que les isies, bancs et
battures qui s'y trouvent dont il dressera une
carte et un journal.
" En 1739, il fera avec le même pilote une
visite depuis le Cap de Rays jusqu'au port
Achois. Le petit brigantin du Roy est absolument
hors de service et M. Hocquart qui doit envoyer
au printemps prochain des farines à l'Isle Royale
prêtera comme il a fait en 1736 un bâtiment
pour le transport de ces farines sous le comman-
dement du Sr La Richardière, lequel après leur
déchargement ira faire sa tournée le long des
costes de Terreneuve dans le golfe et dans le
fleuve. Cet arrangement coûtera beaucoup moins
au Roy que s'il fallait faire un armement exprès
pour cette destination.
" Le pilote qui doit hiverner cette année et
la suivante est le nommé Pellegrin qui a déjà de
— 219 —
l'expérience dans la navigation de ce pays cy où
il a fait trois voyages, et comme il est important
de former un plus grand nombre de pilotes, nous
avons cru qu'il estait du bien du service de rete-
nir le fils du Sr Galocheau et de l'envoyer avec le
Sr la Richardière. C'est un jeune homme âgé de
17 à 18 ans qui a déjà fait 4 ou 5 voyages avec
son père, qui sçait bien le pilotage et qui a bonne
volonté de s'instruire et devenir bon pratique. M.
Hocquart le traitera comme le pilote.
"Le Sr La Richardière vous a proposé à
ce qu'il nous a dit d'établir des bouées dans la
traverse qui seraient posées au printemps et
relevées l'automne. Il y avait longtemps que cet
officier nous avait parlé d'ouvrir une avenue à
travers le bois sur l'Isle aux Raux ; cette avenue
a été faite à l'arrivée du vaisseau du Roy en
présence du Sr La Richardière et des pilotes de
Rochefort qui ont donné l'alignement. C'est un
amets invariable pour passer la traverse aujour-
d'huy en gouvernant sur le milieu. Elle est de
100 pieds de largeur sur 1000 de longueur. Cela
n'a presque rien coûté, M. Duquesnel ayant donné
une vingtaine de matelots qui y ont travaillé avec
10 habitants gens de hache qui ont abbatu les
bois, il reste encore deux amets à fixer le long
de l'Isle d'Orléans. Le premier à la rivière
Delphine et l'autre à la pointe St-Jean. Ces deux
pointes ne pouvant estre bien distinguées que
par un temps fort clair, parce qu'elles sont très
basses, retardent souvent l'arrivée du vaisseau
du Roy et des vaisseaux marchands. Il est ques-
tion d'élever sur chacune des deux pointes un
pan de mur ayant la face au N. 2 de 30 pieds de
largeur et 25 à 80 pieds de hauteur sur 3 pieds
d'épaisseur. Ces deux . pans de muraille un peu
ouverts seront les amets qu'il faudra suivre pour
éviter les battures. M. de La Richardière et les
pilotes ont marqué les endroits où il faudra
— 220 —
bâtir ; il y aurait environ 50 toises quarées de
maçonnerie à élever, lesquels à raison de 22
livres à cause de la sur-épaisseur feraient la
somme de 1100 livres ce qui n'est pas un objet
en égard aux avantages et à la sûreté de la navi-
gation.
" L'entretien des bouées, orins, anchres ou
picasses coûteraient par an environ 200 livres
de sorte qu'il se trouve encore de l'économie à
construire les pans de muraille proposés. Ce-
pendant, avant de le faire nous attendrons vos
ordres que nous pourrons exécuter dès l'année
prochaine si vous avez agréable de nous les
envoyer de bonne heure par la voye de l'Isle
Royale.
" L'objection qui se présente d'abord contre
tous ces amets, est qu'en rendant la navigation
facile et sûre aux bâtiments fiançais les ennemis
en profiteraient s'ils voulaient faire quelqu'en-
treprises contre la colonie. Dans ce cas on les
tromperait par de nouveaux amets à l'Isle aux
Raux et on renverserait ceux qui seraient établis
à l'Isle d'Orléans." (1)
Le ministre ayant approuvé les suggestions
de MM. de Beauharnois et Hocquart, i'ordre
suivant fut donné à M. Testu de la Richardière :
" Il est ordonné au S. de La Richardière,
capitaine des brûlots de Sa Majesté et du port à
Québec, de prendre le commandement du bri-
gantin l'Hyrondeile et de partir incessamment de
cette rade pour se rendre à la côte de Terre
Neuve avec les jeunes pilotes Pellegrin et Galo-
cheau, et là y faire toutes les observations et
remarques nécessaires pour perfectionner la
navigation du golfe de St-Laurent ainsi que celle
(1) Correspondance générale, Canada, vol. 67, p. 6.
221
du fleuve dans l'allée et le retour. Fait à Québee
le premier mai 1738.
BEAUHARNOIS." (1)
En même temps, le mémoire qui suit était
remis à M. Testu de la Richardière.
" Mémoire pour le S. La Richardière au
sujet du voyage qu'il est sur le point de faire dans
le fleuve et golfe St-Laurent et à la côte de
Terre-Neuve avec les deux jeunes pilotes qui
doivent s'embarquer avec lui dans le brigantin
l'HyrondelIe.
" Le S. de La Richardière partira dans tout
le courant de ce mois de la rade de Québec et se
rendra à la côte de Terre-Neuve.
" Il visitera la côte de cette île depuis le cap
Raze jusqu'au cap de Rays ainsi que les îles,
battures,mouillages et havres qui s'y rencontrent,
observera les gisements de toutes ces terres, les
différents fonds qui s'y trouvent, la latitude des
lieux et la variation de la boussole.
" Le banc à vert étant une des principales
reconnaissances pour assurer la navigation des
vaisseaux, il tâchera d'en connaître l'étendue, la
situation et les différents fonds.
" Il fera faire toutes ces observations aux
deux jeunes pilotes qui sont embarqués avec lui
afin qu'ils soient en état à leur retour d'en
dresser une carte pour être envoyée à Sa Majesté.
" Il leur fera tenir un journal exact de leur
navigation dans lequel ils comprendront non
seulement les observations ci-dessus, mais toutes
celles qu'ils pourront faire dans le golfe St-
Laurent et le fleuve jusques à Québec.
Fait à Québec le premier mai 1738.
BEAUHARNOIS." (2)
(1) Ordonnances des Intendants, vol. 26, f. 103.
(2) Ordonnances des Intendants, vol. 26, f. 104.
222
M. Testu de la Richardière s'acquitta de
cette tâche à la satisfaction du gouverneur et de
l'intendant.
Le 26 avril 1740, le gouverneur de Beauhar-
nois donnait l'ordre suivant à M. de la Richar-
dière :
" Charles, marquis de Beauharnois, il
est ordonné au sr. de la Richardière,
capitaine de port à Québec, de prendre le com-
mandement de la goélette l'Hirondelle et de se
mettre incessamment en estât de partir pour se
rendre à l'Ysle Royale ou yl remettra les vivres et
munitions que M. Hocquart doit faire charger
sur le d. Bâtiment et qui sont destinés pour les
magasins du Roy à Louisbourg.
" Il visitera ensuite le passage de Cançeaux,
l'Ysle St-Jean, la Baye des Chaleurs et le reste du
Golfe qui n'a point encor esté parcouru et yl
fera dans le cours de cette visite les observations
nécessaires pour perfectionner la navigation.
k< Il examinera en particulier quel avantage
on pourrait tirer de la Baye des Chaleurs, on
prétend qu'il s'y trouve une quantité considérable
de chesnes propres pour les constructions, et que
les terres du fond de la Baye sont propres aux
cultures.
" Les srs Pellegrin et Galocheau, Pilottes du
Roy, s'embarqueront avec luy. Il leur fera tenir
un journal exact de la campagne qu'il va faire,
pour nous être remis à son retour qui sera dans
le courant du mois de septembre prochain fait à
Québec le vingt six avril 1740.
Signé BEAUHARNOIS,
Pour copie,
HOCQUART.
M. de la Richardière mourut à Québec le 25
octobre 1741, à l'âge de 60 ans, et fut inhumé
223
dans la chapelle de l'Ange Gardien de la cathé-
drale.
MM. de Beauharnois et Hocquart annon-
çaient sa mort au ministre, le 30 octobre, dans
les termes suivants :
" M, de la Richardière, capitaine de port, est
mort le 25 de ce mois, à son retour du vaisseau
du Roy qu'il a conduit jusques à la Prairie. Il se
présente trois sujets pour remplir cette place,
tous trois bons navigateurs qui depuis 15 ou 20
ans commandent des bâtiments marchands pour
la France, les Isles et l'Isle Royale et qui con-
naissent bien la Rivière ; ce sont les Sieurs
Daillebout de Cerry, le Gardeur de Beauvais et
Aubert, gentilshommes du pays. Le dernier a
une santé fort délicate, nous ne pouvons vous le
proposer ; les 2 autres nous paraissent également
bons, et vous pouvez, Monseigneur, choisir ou
le Sr Cerry ou le Sr. Beauvais, le premier com-
mande un navire pour les Isles qui est sur son
départ, le second en commande un autre qui
estoit l'esté dernier à Bordeaux, et qui ne doit
revenir que l'année prochaine.
" Le S. de la Richardière estait un officier
zélé qui avait fait la guerre dans ce pais cy ou
il avait reçu une blessure considérable. Depuis
15 ans il a piloté le vaisseau du Roy, en allant et
revenant, il a visité et parcouru presque chaque
année les différents endroits de la Rivière ou du
Golfe avec les pilotes du Roy, pour assurer d'au-
tant mieux la navigation des vaisseaux de Sa
Majesté ; il laisse une veuve sans autre bien
apparent qu'une maison et quelques meubles ;
elle nous a prié de nous intéresser auprès de
vous pour luy obtenir une pension, elle nous
parait estre dans le cas de la mériter." (1)
(1) Correspondance générale, vol. 75, f. 73.
224
CONTRAT DE MARIAGE DE THOMAS LA
NAUGUIERE (THOMAS-XAVIER DE LA-
NAUDIERE) ET DE MARGUERITE-
RENEE DENYS DE LA RONDE
(ROMAIN BECQUET, 12
OCTOBRE 1672)
Pardevant Romain Becquet notaire garde
nottes etc furent pnts. en leurs personnes Thomas
La Nauguière Ecuyer seigneur en partie de
Sainte-Anne enseigne d'une compagnie d'infan-
terie au régiment de Carignan, demt, ordinaire-
ment en sa d. seigneurie de Sainte-Anne, fils de
deffunct Jean de La Nauguière vivant escuyer
conseiller du Roy en l'eslection d'estat, et de
damoiselle Jeanne de Samalins ses père et mère
lors de leur décès demeurant en la ville de
Mirande evesché d'Och, d'une part ; et damoi-
selle Marie Catherine LeNeuf tant en son nom
que comme femme et procuratrice gnal. et
speeialle de Pierre Denis escuyer sieur de la
Ronde absent par procuration passée par devant
le notaire qui reçoit les pntes, le vingt, jour de
juillet dernier, laquelle a esté xhibée et remise
es mains de lad. damelle. Denis pour s'en servir
en ses aut. affaires, stipulant aud. nom pour
damoiselle Marguerite Renée Denis leur fille à ce
pnt., tous demeurant en cette d. ville parc, de
Notre Dame, d'autre part, lesquels,
ont de leur bon gré et volonté sans aucune force
ny contrainte recognu et confessé avoir fait les
traitté acords et promesses de mariage qui en
suivent, c'est à scavoir que le d. sieur de La Nau-
guière a promis et promet prendre pour sa légi-
time épouse la d. damelle Denis, comme
aussy lad. damelle Denis du consentement de lad.
225
Damelle. sa mère esd. nom promet prendre à
mary et légitime espoux led. sieur d eLa Nou-
guère pour iceluy mariage faire faire et solem-
niser en face de nostre mère Sainte église catho-
lique apostolique et romaine le plus tost que
faire se pourra et ql. sera advisé et délibéré
entr'eux leurs parents et amis sy Dieu et nostre
d. mère sainte église y consentent et accordent,
pour estre les d. futurs conjoints uns et communs
en tous biens meub. et conquests immeubles du
jour de le. espouzailles à l'advenir suivant la
coustume de Paris, ne seront lesd. futurs con-
joints tenus aux debtes l'un et l'autre payées et
acquittées par celuy qui les aura faictes et créés
et sur son bien, sera douée et doue lad. future
espouze du douaire coustumier ou de la somme
de deux mil livres tournois pour une fois payée
et au choix de lad. damelle. future espouze,
iceluy douaire à prendre et avoir sur le plus beau
et plus chair des biens dud. sieur futur espoux
qu'il en a dès à présent chargées et hipotecquées,
et a led. sieur de la Nouguère futur espoux pris
la d. future expouse avec tous ses droits noms
raisons et actions qu'elle a de présent et qui luy
pourront eschoir cy-après tant par succession,
donnation qu'autrement, en faveur dud. futur
mariage lad. damelle Denis es noms a promis et
promet par ces pntes, de donner à lad. damoi-
selle future espouze sa fille en avancement
d'ouairie la somme de quinze cent livres tournois
payab. aud. sieur futur espoux dans deux mois
d'huy pour tout délay laquelle somme de quinze
cent livres tiendront nature de propre à lad.
damoiselle future espouze et aux siens de son
costé et lignée, et arrivant désolution dud. futur
mariage sans effrants procrées d'iceluy, les d.
sieur et damelle futurs conjoints se sont faits et
font donnation de tous leurs d. biens en la
meilleure forme et manière que donnation puisse
— 226 —
avoir lieu et sortir son effect en tout son contenu
de tous et chacun leurs biens meunles acquêts et
conquets qui se pourront leur apar tenir au jour
de trépas du premier mournat sans, aucune
chose en reserver ny retenir pour par le survi-
vant d'eux deux du tout faire jouir et disposer
ainsy que bon luy semblera au moyen des pntes,
et pour faire insinuer y celles etc Car ainsy etc.,
promettant etc., obligeant chacun en droit soy
etc Renonçant de part et d'aut. etc Fati et passé
aud. Quebecq en la maison dud. seigneur de
Becancour, l'an g b ye soixante et douze après
midy le douze, jour d'octobre, en présence de
Jean-Baptiste Gosset et de Simon Baston demeu-
rant aud. Quebecq appelés pour tesm. qui ont
signé avec lesd. s. futur conjoints, parents, amis
et notaire suivant l'ordonnance.
THOMAS LANOUGUERE,
MARGUERITE RENEE DENYS,
LOUIS DE RUADE FRONTENAC,
M. CATHERINE LENEUF DENYS,
DANIEL DE REMY COURCELLE,
LENEUF DE LA POTTERIE,
TALON,
RORINEAU DE BECANCOUR,
MARIE ANNE LENEUF,
FRANÇOIS DORFEUILLE,
RERTHIER,
PIERRE DE RECANCOUR,
LE GARDEUR,
GOSSET,
MARIE RENEE DE GODEFROY,
RENE ROBINEAU,
BASTON,
BECQUET,
Et arrivant aujourd'huy datte des pntes. est
comparu led. sieur de La Nouguière nommé au
contrat de mariage cy-à costé leql. damelle. Le-
— 227 —
Neuf femme de Pierre Denis Ecuyer sieur de la
Ronde y nommé par les mains dud. sieur de la
Potterie aussy y nommé la somme de quinze
cents livres y contenus dont quittant et pro-
mettant, obligeant et renonçant.
Fait et passé aud. Quebecq estude du notre,
sousb, Fan g b y soixt. et douze avant midy vingt
troz. jour d'octobre ez près, de Jean Baptiste
Gosset et du sieur Baston dem. aud. Quebecq qui
ont signé avec le d. sr. de La Nouguière et nore
suivant Tord.
GOSSET,
J. BASTON,
LANOUGUERE,
BECQUET, (1).
(1) Archives Judiciaires de Québec, acte de Becquet.
Ai
,*
INDEX DES PRINCIPAUX NOMS
CITÉS DANS CET OUVRAGE
Pages
Baby, L'honorable François 117
Boishébert, Louise-Geneviève Des Champs de ... . 84
Coulon de Villiers, Antoine 57,207
Denys de la Ronde, Marguerite-Renée 224
Deschambault, Jacques-Alexis de Fleury 19
D'Estimauville, Marie-Joséphine 126
Gaspé, L'honorable Ignace Aubert de 120
Gaultier, Jean-François 57
Gordon, Véronique 156
Joliette, L'honorable Barthélémy 159
La Corne, Geneviève-Elisabeth-Louise de 114
Lanaudière, Agathe T. de 127
Anne-Caroline-Josephte T. de 171
Antoinette-Hélène T. de 169
Antoine-Ovide T. de 125
Charles-Barthélemy-Gaspard T. de .... 166
Catherine-Elisabeth T. de 116
Charles-Pierre-Paschal-Gaspard T. de 169
Charlesr-François-Xavier T. de 58,61
Charles-Louis T. de 86
Charles-Luc T. de 115
Charles-Gaspard T. de 122,147
Charlotte-Marguerite T. de 131
Jean-Baptiste-Antoine-Joseph T. de ... 172
Jean-Baptiste-Léon T. de 59
Joseph-Gaspard-Charles T. de 173
Joseph- Jean-Gaspard T. dé 172
Joseph-Antoine-Alphonse T. de 169
Joseph-»Edouard-Ga$pard T. d;e 170
Josephte-Antonine T. de 170
Louis T. de 21
Louis-Joseph T. de 58
Louise-Rose T. de 20
— 230 —
Marie-Anne T. de 117
Marie-Agathe T. de 119
Marie-Antoinette-Suzanne T. de 163
Marie-Catherine T. de 120
Marie-Charlotte T. de 159
Marie-des-Anges-Alice T. de 172
Marie-Madeleine T. de 58
Marie-Elisabeth-Joseph T. de 115
Marie-Louise T. de 121
Marguerite-Marie-Anne T. de 57
Nicolas-Antoine T. de 116
Pierre-Thomas T. de 23,25
Pierre-Paul T. de 158,165
Pierre-Charles T. de 127
Roch T. de 116
Suzanne-Antoinette-Almésine T. de ... . 166
Thomas T. de 116
Thomas-Xavier T. de 5,224
" Utichanne-Arthémise de 169
Xavier-Roch T. de 122
Lavaltrie, Suzanne-Antoinette de 158
Loedel, Peter-Charles 163
Longueuil, Marie-Catherine LeMoyne de 85
McConville, Louis-Arthur 170
Neilson, Norman-John-Rieutort 172
Pérade, Jean-Baptiste-Léon T. de la 59
Pierre-Thomas T. de la 23,25
Richardière, Richard Testu de la 57,210
Suève, Edmond de 203
Taché, Julie-Arthémise 168
Verchères, Marie-Madeleine Jarret de 30, 175
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