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Full text of "La famille Tarieu de Lanaudière"

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— Euripides 


HINDING  LIST  JM  1 


y 


LA  FAMILLE 


N 


TARIEU  DE  LANAUDIÈRE 


PAR 


\ 

PIERRE-GEORGES  ROY 


Les  larmes  ne  coulèrent 
jamais  de  mes  yeux. 

Madeleine  db  Vebchères 

Nos  cœurs  à  la  Frauce, 
nos  bras  à  l'Angleterre. 

Marguerite  de  Lanaudièrb 


1922 


V 


GRANDE  FAMILLE,  GRANDE  RACE, 
GRAND  NOM 


J'appelle  grande  famille,  grande  race, 
grand  nom,  ces  familles,  ces  races,  ces  noms, 
que  de  mémorables  services  rendus  au  pays,  à 
quelque  époque  que  ce  soit,  ont  fait  historiques, 
qui  ont  conquis  leur  illustration  par  la  gloire 
des  armes  dans  les  camps  ;  par  leur  habileté 
dans  les  hautes  négociations  et  dans  le  manie- 
ment des  affaires  politiques,  et  par  l'éclat  des 
talents  et  quelquefois  du  génie,dans  les  sciences, 
dans  les  lettres  ;  enfin  dans  la  magistrature  ou 
dans  l'Eglise,  par  la  sainteté  des  mœurs  et  la 
grandeur  du  caractère. 

Voilà  ce  que  j'appelle  les  grandes  familles, 
les  grandes  races  d'un  pays.  Eh  bien  !  je 
l'avouerai  sans  détour,  ces  grandes  familles,  je 
les  aimeje  les  respecteje  les  vénère,parce  que 
j'aime,  je  respecte,  je  vénère  les  grands  souve- 
nirs et  les  grandes  choses.  Je  ne  sache  pas  une 
nation  dont  elles  ne  soient  la  force  et  la  gloire, 
et  qui  n'ait  une  inclination  naturelle  à  leur 
donner  ses  chefs,  ses  guerriers,  ses  ministres, 
ses  premiers  magistrats,  ses  administrateurs. 
Il  y  a  là  peut-être  préjugé,  mais  il  est  profond  ; 
et,  sauf  les  temps  de  trouble  où  ce  préjugé  se 
tourne  quelquefois  en  haine,  on  y  revient 
toujours. 


Un  grand  nom,  sans  doute,  c'est  l'héritage 
d'une  famille  et  un  homme  illustre,  en  donnant 
à  ses  fils,  l'éclat  de  la  naissance,  leur  impose 
aussi  l'obligation  de  ses  vertus  ;  car  noblesse 
oblige,  suivant  un  axiome  d'honneur  tout  fran- 
çais. Mais  un  grand  nom,  un  grand  homme, 
c'est  aussi  la  gloire  d'une  nation,  c'est  la  gloire 
de  l'humanité  même  :  par  cette  raison  profonde 
que  c'est  un  nom,  c'est  un  homme  en  qui  la 
Providence  a  fait  resplendir  ses  dons,  et  que 
tous  réclament  leur  part  de  cet  honneur  fait  à 
la  nature  humaine.  Voilà  pourquoi  l'instinct 
national  honorera  toujours  les  noms  glorieux 
et  les  grandes  races. 

Mgr  DUPANLOUP    (1) 


(1)  De  l'éducation,  tome  premier,  p.  228. 


Première  génération  :   Thomas-Xavier  Tarieu  de   Lanau- 
dière. 


LA    FAMILLE    TARIEU    DE 
LANAUDIERE 


THOMAS-XAVIER   TARIEU   DE 
LANAUDIERE 


Quatre  mois  avant  sa  mort,  l'illustre  fon- 
dateur de  Québec,  Champlain,  demandait  au 
roi  de  lui  envoyer  une  centaine  de  soldats  afin 
de  forcer  les  Iroquois  à  cesser  leurs  dépré- 
dations. 

Les  gouverneurs  qui  lui  succédèrent  firent 
tour  à  tour  la  même  demande.  Le  roi  envoyait 
bien  quelques  soldats  de  temps  en  temps,  mais 
jamais  en  assez  grand  nombre  pour  en  imposer 
aux  Iroquois. 

Colbert  se  décida  enfin  à  frapper  un  grand 
coup,  et,  le  18  mars  1664,  il  informait  M.  de 
Mézy  que  le  roi  allait  envoyer  à  la  fin  de  Tannée 
ou  au  commencement  de  1665,  un  régiment 
d'infanterie,  afin  de  réduire  entièrement  les 
Iroquois. 

Le  régiment  de  Carignan  débarqua  à  Qué- 
bec au  cours  de  l'été  de  1665.  On  sait  quels 
services  ce  régiment  rendit  à  la  colonie. 


Plusieurs  des  officiers  et  des  soldats  du 
régiment  de  Carignan  décidèrent  de  s'établir 
dans  la  Nouvelle-France. 

Au  nombre  des  premiers  nous  devons  comp- 
ter Thomas-Xavier  Tarieu  de  Lanouguère  (  1  ) 
ou  de  Lanaudière,  enseigne  dans  la  com- 
pagnie de  Saint-Ours.  Il  était  fils  de  messire 
Jean  de  Tarieu  et  de  dame  Jeanne  de  Samalins, 
de  la  petite  ville  de  Mirande,archevêché  d'Auch, 
en  Guienne.  Sa  famille,  de  vieille  noblesse  fran- 
çaise, était  alliée  aux  ducs  de  Mortemart,  aux 
comtes  de  Maleuvrier  et  à  la  vieille  famille  de 
Montet. 

Lorsque  le  chevalier  Charles  de  Lanau- 
dière passa  en  France  après  la  conquête,  il 
renoua  des  relations  avec  toutes  ces  familles 
illustres.  Dans  une  lettre  datée  de  Londres,  le 
S  septembre  1786,  il  est  dit  au  sujet  du  cheva- 
lier de  Lanaudière,  alors  en  France  : 

"  Madame  la  duchesse  de  Mortemart  le 
voit  beaucoup  quand  elle  est  à  sa  terre  de  Man- 
neville,  en  Normandie,  et  qu'il  est  chez  M.  de 
Boishébert,  son  oncle,  qui  demeure  au  château 
de  Rastot.  M.  de  Montet,  qui  demeure  à  Bois- 
le-Clerc,  est  son  parent.  M.  le  comte  de  Maleu- 
vrier, ministre  à  Cologne,  est  son  parent."  (2) 

L'intendant  Talon,  qui  avait  de  si  grandes 
vues,  était  d'opinion  que  l'Acadie  pouvait  con- 
tribuer à  fortifier  puissamment  la  Nouvelle- 
France.  Le  plus  grand  avantage  de  l'Acadie  en 


(1)  Thomas-Xavier  Tarieu  de  Lanaudière  signait  Lanou- 
guère. Son  petit-fils  adopta  la  forme  plus  moderne  Lanau- 
dière que  ses   descendants  ont   conservée. 

(2)  M.  de  Gaspé,  Mémoires,  p.  93. 


faveur  de  la  Nouvelle-France,  d'après  Talonf 
était  que  ses  ports  de  mer  étaient  libres  en 
toute  saison.  De  là,  le  projet  de  Talon  d'ouvrir 
au  plus  vite  des  communications  plus  promptes 
et  plus  sûres  entre  le  Canada  et  l'Acadie. 

Le  bassin  de  la  rivière  Penobscot,  à  l'em- 
bouchure de  laquelle  se  trouvait  le  fort  de  Pen- 
tagoùet,  communiquait  dans  l'intérieur  avec 
celui  du  Kennebec  par  le  portage  de  Kidiscuit, 
et  en  remontant  la  rivière  Kennebec  et  un  de 
ses  affluents  (la  Moose  River  de  nos  jours),  on 
parvenait  jusqu'à  la  hauteur  du  bassin  supé- 
rieur de  la  rivière  Chaudière,  que  l'on  gagnait 
par  un  nouveau  portage,  et  par  laquelle  on 
descendait  jusque  dans  le  fleuve  Saint-Laurent, 
un  peu  en  haut  de  la  Pointe-Lé vy.  Ce  trajet  ne 
dépassait  guère  cent  vingt-cinq  lieues. 

En  1670,  M.  Talon  chargeait  son  secré- 
taire, M.  Patoulet,  de  dresser  un  rapport  sur 
cette  route  communément  appelée  le  chemin  de 
Kennebec. 

Au  mois  de  septembre  1671,  M.  Talon 
envoyait  MM.  Daumont  de  Saint-Lusson  et  de 
Lanaudière  pour  faire  une  exploration  en 
règle  du  chemin  projeté  entre  l'Acadie  et  la 
Nouvelle-France.  Tous  deux  partirent  en  canot, 
mais  ils  ne  rirent  pas  route  ensemble.  Les  deux 
explorateurs  revinrent  à  Québec  tard  dans 
l'automne  de  1671.  (1) 


(1)  Benjamin  Suite,  Histoire  des  Canadiens-Français, 
tome  IV,  p.  148.  Il  est  juste  d'ajouter  que  M.  Thomas  Chapais 
(Jean  Talon,  p.  366),  dit  que  cette  mission  fut  confiée  à  M. 
de  Lanoraie.  Dans  un  vieux  manuscrit  à  l'écriture  difficile 
à  défricher  on  peut  facilement  lire  Lanaudière  au  lieu  de 
Lanoraie. 


8 


C'est  probablement  pour  récompenser  M. 
de  Lanaudière  du  rude  voyage  qu'il  avait  fait 
à  Pentagoùet  et  l'attacher  davantage  à  son 
pays  d'adoption,  que,  le  29  octobre  1672, 
l'intendant  Talon  lui  concédait  une  superbe 
seigneurie  sur  la  rive  nord  du  Saint-Laurent, 
à  vingt  lieues  de  Québec.  Cette  concession  était 
faite  conjointement  à  M.  de  Lanaudière  et  à 
son  ami  et  compagnon  d'armes  du  régiment  de 
Carignan,  Edmond  de  Suève. 

Il  était  dit  dans  les  lettres  de  concession 
accordées  à  MM.  de  Lanaudière  et  de  Suève  : 

14  Sa  Majesté  ayant  de  tout  temps  recher- 
ché avec  soin  et  le  zèle  convenable  au  juste  titre 
de  fils  aîné  de  l'Eglise,  les  moyens  de  pousser 
dans  les  pays  les  plus  inconnus,  par  la  propaga- 
tion de  la  foi  et  la  publication  de  l'Evangile,  la 
gloire  de  Dieu  avec  le  nom  chrétien,  fin  pre- 
mière et  principale  de  l'établissement  de  ia 
colonie  française  en  Canada,  et  par  accessoire 
de  faire  connaître  aux  parties  de  la  terre  les 
plus  éloignées  du  commerce  des  hommes 
sociables  la  grandeur  de  son  nom  et  la  force  de 
ses  armes,  et  n'ayant  pas  estimé  qu'il  y  en  eut 
de  plus  sûrs  que  de  composer  cette  colonie  que 
de  gens  capables  de  la  bien  remplir  par  les 
qualités  de  leurs  personnes,  l'augmenter  par 
leurs  travaux  et  leur  application  à  la  culture 
des  terres,  et  de  la  soutenir  par  une  vigoureuse 
défense  contre  les  insultes  auxquelles  elle  pour- 
rait être  exposée  dans  la  suite  des  temps,  a  fait 
passer  en  ce  pays  bon  nombre  de  ses  fidèles 
sujets,  officiers  de  ses  troupes  dans  le  régiment 


de  Carignan,  et  autres,  dont  la  plupart  se  con- 
forment aux  grands  et  pieux  desseins  de  Sa 
Majesté,  voulant  bien  se  lier  au  pays  en  y  for- 
mant des  terres  et  seigneuries  d'une  étendue 
proportionnée  à  leurs  forces,  et  les  sieurs  de 
Suève,  lieutenant,  et  Lanauguerre  (Lanau- 
dière),  enseigne  d'une  compagnie  d'infanterie, 
nous  ayant  prié  de  leur  en  départir,  Nous,  en 
considération  des  bons,  utiles  et  louables 
services  qu'ils  ont  rendus  à  Sa  Majesté  en 
différents  endroits  tant  en  l'Ancienne  France 
que  dans  la  Nouvelle  depuis  qu'ils  y  sont  passés 
par  ordre  de  Sa  Majesté,  et  en  vue  de  ceux 
qu'ils  témoignent  vouloir  encore  rendre  ci- 
après,  en  vertu  du  pouvoir  par  elle  à  nous  donné 
avons  accordé,  donné  et  concédé,  accordons, 
donnons  et  concédons  par  ces  présentes  aux 
dits  de  Suève  et  Lanauguerre  (Lanaudière), 
l'étendue  de  la  terre  qui  se  trouvera  sur  le  fleuve 
Saint-Laurent  au  lieu  dit  des  Grondines,  depuis 
celles  appartenantes  aux  Religieuses  de  l'Hôpi- 
tal, jusqu'à  la  rivière  Sainte-Anne,  icelle  com- 
prise, sur  une  lieue  de  profondeur,  avec  la 
quantité  de  terre  qu'ils  ont  acquise  du  sieur 
Amelin  (Hamelin),  par  contrat  passé  par 
devant   le   notaire "  (  1  ) 

MM.  de  Suève  et  de  Lanaudière  devaient 
jouir  de  leur  concession  en  fief,  seigneurie  et 
justice,  à  la  charge  de  la  foi  et  hommage  au 
château  Saint-Louis  de  Québec. 


(1)  Pièce*  et  documents  relatifs  à  la  tenure  seigneuriale, 
p.  10. 


10 


En  1673,  le  gouverneur  de  Frontenac  déci- 
dait de  bâtir  un  fort  sur  les  bords  du  lac  Onta- 
rio pour  surveiller  les  mouvements  des  Iroquois. 
Vers  la  fin  de  juin  de  cette  année,  M.  de  Fron- 
tenac partait  de  Montréal,  afin  de  mettre  son 
projet  à  exécution  le  plus  tôt  possible.  La 
flottille  qui  conduisit  le  gouverneur  au  lac  On- 
tario se  composait  de  quatre  bateaux  plats  et  de 
cent  vingt  canots,  qui  portaient  six  canons  et 
quatre  cents  hommes. 

M.  de  Lanaudière  fit  partie  de  cette  expé- 
dition. Au  témoignage  de  M.  de  Frontenac 
même,  il  s'y  conduisit  de  brillante  façon. 

A  son  retour  de  ce  périlleux  voyage,  le  gou- 
verneur de  Frontenac  attachait  M.  de  Lanau- 
dière à  sa  personne  en  le  nommant  lieutenant 
de  ses  gardes.  Cet  emploi  militaire  était  très 
recherché. 

On  sait  les  difficultés  qui  s'élevèrent  en 
1674,  entre  M.  François-Marie  Perrot,  gouver- 
neur de  Montréal,  et  M.  de  Frontenac,  gou- 
verneur de  la  Nouvelle-France.  Celui-ci  garda 
Perrot  en  prison  pendant  dix  mois  à  Québec, 
puis  Tenvoya  en  France. 

Le  10  février  1674,  M.  de  Frontenac  don- 
nait la  commission  suivante  à  M.  de  Lanau- 
dière : 

"  Les  plaintes  et  les  avis  que  nous  avons 
sus  de  la  mauvaise  conduite  du  sieur  Perrot, 
gouverneur  particulier  de  l'île  et  de  la  ville  de 
Montréal,  et  ses  contraventions  aux  ordres  de 
Sa  Majesté  et  aux  nôtres,  nous  ont  obligé  de 
le  mander  en  cette  ville  et  de  nous  assurer  de 


—  11  — 

sa  personne.  Comme  la  santé  et  l'âge  du  sieur 
Dupuy,  major  du  dit  lieu,  ne  lui  permettent  pas 
d'agir  avec  toute  la  diligence  requise  pour  faire 
arrêter  et  punir  les  coureurs  de  bois  et  empêcher 
les  autres  désordres  qui  se  commettent  dans  ce 
gouvernement  :  nous  avons  estimé  qu'il  était 
nécessaire  d'y  commettre  quelque  personne 
fidèle  et  agissante,  et  nous  ne  pouvons  faire 
un  meilleur  choix  que  du  sieur  LaNauguère, 
qui,  ayant  déjà  fait  paraître,  dans  tous  les 
emplois  de  guerre  qu'il  a  eus  en  France  et  dans 
ce  pays,  beaucoup  de  zèle  et  d'affection  pour 
le  service  de  Sa  Majesté,  nous  fait  prendre  une 
entière  confiance  en  sa  fidélité,  sa  capacité  et  sa 
bonne  conduite,  et  nous  donne  lieu  de  croire 
qu'il  fera  exécuter  les  ordres  du  Roi  et  les 
nôtres  avec  soin  et  vigueur.  Nous  l'établissons 
donc  commandant  dans  la  ville  et  l'île  de  Mont- 
réal pendant  que  le  sieur  Perrot  en  sera  absent, 
et  jusqu'à  ce  qu'il  en  soit  autrement  ordonné 
par  Sa  Majesté  ou  par  nous. Nous  lui  donnons 
pouvoir  d'assembler,  quand  il  jugera  bon,  les 
officiers,  bourgeois,  habitants,  soldats  et  milices 
de  ces  lieux,  de  leur  faire  prendre  les  armes  et 
de  veiller  à  ce  qu'ils  en  apprennent  le  manie- 
ment, en  faisant  de  temps  en  temps  l'exercice  : 
comme  aussi  de  terminer  à  l'amiable,  autant 
qu'il  se  pourra,  les  différents  des  particuliers  ; 
d'empêcher  les  désordres,  les  pilleries,  les  vio- 
lences, et  principalement  les  courses  et  traites 
dans  les  bois,  sans  une  permission  expresse  de 
nous  par  écrit  ;  de  poursuivre  et  de  faire 
arrêter  les  contrevenants,  et  de  nous  les  envoyer 


—  12  — 

sous  bonne  et  sûre  garde  ;  de  changer  même  de 
garnison,  s'il  le  trouve  à  propos  ;  de  casser  ceux 
de  qui  la  fidélité  serait  suspecte,  d'en  mettre 
d'autres  à  leur  place  ;  enfin  de  faire  observer  à 
tous  une  exacte  discipline,  et  généralement  de 
faire  tout  ce  qu'il  croira  de  meilleur  et  de  plus 
avantageux  pour  le  service  de  Sa  Majesté,  la 
conservation  et  la  défense  du  pays,  l'augmen- 
tation de  la  colonie,  et  pour  maintenir  les  habi- 
tants de  la  ville  et  ceux  de  l'île  de  Montréal  en 
bonne  intelligence  et  en  union  tant  entre  eux 
qu'avec  les  Sauvages.  Nous  mandons  au  sieur 
Dupuy,  major,  de  faire  reconnaître  par  les 
officiers  et  soldats  de  la  garnison  le  sieur  de 
LaNauguère  en  qualité  de  commandant,  et 
ordonnons  aux  seigneurs,  aux  juges,  aux  offi- 
ciers et  aux  habitants  de  toute  l'étendue  de  ce 
gouvernement  qu'ils  aient  pareillement  à  le 
reconnaître  en  cette  qualité,  et  à  lui  obéir  en 
tout  ce  qu'il  commandera  pour  le  service  de  Sa 
Majesté  et  pour  l'exécution  de  nos  ordres."  (1) 
Comme  les  lettres  de  commandement  don- 
nées à  M.  de  Lanaudière,  sans  la  participation 
des  seigneurs  de  Montréal,  pouvaient  porter 
atteinte  au  droit  que  les  lettres  patentes  du  roi 
de  1644  attribuaient  à  eux  seuls  de  commettre 
tel  capitaine  ou  gouverneur  particulier  qu'ils 
voudraient  nommer,  ceux-ci  jugèrent  que,  sans 
s'opposer  à  la  commission  de  M.  de  Lanaudière, 
ils  devaient  protester  juridiquement  qu'elle  ne 
pourrait  nuire  ni  tirer  à  conséquence.  Ils  firent 
cette  protestation  devant  leur  juge,  M.  d'Aille- 


(1)  Archives  du  séminaire  de  Ville-Marie,! 0  février  1674. 


13 


boust,  au  commencement  de  mars  1674,  par  leur 
procureur  fiscal,  M.  Migeon  de  Bransac.  (1) 

Le  14  novembre  1674,  M.  de  Frontenac 
écrivait  au  ministre  : 

"  Je  dois  vous  dire  que  j'ai  obligation  aux 
soins  que  le  sieur  de  la  Nouguère  (Lanaudière), 
que  j'ai  mis  commandant  à  Montréal  en 
l'absence  de  M.  Perrot,  a  pris  et  prend  tous  les 
jours  pour  l'observation  des  ordres  du  Roi  et 
des  miens  dans  un  lieu  d'où  provenait  la  source 
du  mal  et  comme  aussi  au  sieur  de  Verchères, 
enseigne,  qui  a  fait  cette  expédition  à  200  lieues 
de  Montréal,  s'en  étant  l'un  et  l'autre  acquittés 
d'une  manière  qui  mérite  assurément  quelque 
récompense  lorsque  le  Roi  voudra  songer  à  ce 
pays.  Cela  ne  leur  a  pas  attiré,  non  plus  qu'à 
moi,  l'affection  de  beaucoup  de  gens,  mais 
quand  j'ai  entrepris  la  chose,  je  m'y  suis  attendu 
et  n'ai  point  craint  de  m'exposer  à  tout  ce  qui 
pourrait  arriver  pourvu  que  j'exécutasse  les 
ordres  qu'il  me  paraissait  que  Sa  Majesté  avait 
si  fort  à  cœur,  dans  la  confiance  que  j'en  ai  eue 
de  l'honneur  de  sa  protection." 

Dans  cette  même  lettre  du  14  novembre 
1674,  M.  de  Frontenac  proposait  de  remplacer 
le  major  de  Montréal,  vieux  et  malade,  par  M. 
de  Lanaudière  : 

"  Je  vous  ai  déjà  mandé,  écrivait-il,  que  le 
major  qui  est  à  Montréal  est  si  vieux  qu'il  est 
hors  d'état  de  pouvoir  servir  et  il  se  trouve 
même  si  mal  d'une  chute  qu'il  a  faite,  que  je 


(1)  Faillon,    Histoire    de    la   Colonie    Française,    vol.    III, 

p.    484. 


-14-  / 

ne  crois  pas  qu'il  passe  l'hiver.  Si  vous  aviez 
agréable  d'en  gratifier  le  sieur  Lanouguère 
(Lanaudière),  lorsque  vous  le  retirerez  du 
commandement  de  Montréal  et  que  les  affaires 
de  M.  Perrot  seront  terminées,  personne  ne 
s'en  acquitterait  mieux  que  lui  ;  sinon,  je  vous 
proposerais  le  lieutenant  de  mes  gardes  qui  a 
une  inclination  de  se  marier  et  de  s'habituer  en 
ce  pays.  Il  est  fils  du  ministre  de  Neufchâtel  et 
je  le  convertis  en  Candie  où  il  servit  auprès 
de  moi  d'aide  de  camp  avec  beaucoup  de  valeur 
et  d'expérience.  Je  l'avais  trouvé  officier  dans 
le  régiment  de  Maron  (?)  et  le  pris  parce  qu'il 
était  fort  entendu  aux  mines.  Depuis  il  a  eu  une 
enseigne  dans  une  des  compagnies  franches  que 
le  Roi  leva  en  Suisse  il  y  a  quatre  ou  cinq  ans 
et  ne  l'a  quittée  que  pour  me  suivre  au 
Canada."  (1) 

M.  de  Lanaudière  resta  commandant  à 
Montréal  jusqu'au  retour  de  M.  Perrot  dans 
son  gouvernement  en  1675.  (2) 

Le  gouverneur  de  Frontenac,  pour  mar- 
quer à  M.  de  Lanaudière  sa  satisfaction  du 
commandement  qu'il  avait  exercé  à  Montréal, 
lui  donna  dès  son  retour  à  la  capitale  une  belle 
promotion.  Il  le  nomma  capitaine  de  ses 
gardes.  (3) 


(1)  Archives  publiques  du  Canada,  Correspondance  gé- 
nérale. 

(2)  Presque  tous  nos  auteurs  donnent  M.  de  Lanaudière 
comme  gouverneur  de  Montréal.  Comme  on  le  voit  par  la 
commission  même  de  M.  de  Lanaudière  publiée  ici,  le  brave 
militaire  ne  fut  que  commandant  de  Montréal. 

(3)  Jugements    et    délibérations    du    Conseil    Souverain. 


—  15  — 

M.  de  Lanaudière  décéda  à  Québec  au 
mois  de  mai  1678.  (1) 

M.  de  Lanaudière  avait  épousé  à  Québec, 
le  16  octobre  1672,  Marguerite-Renée  Denys, 
fille  de  Pierre  Denys  de  la  Ronde  et  de  Cathe- 
rine  LeNeuf.  (2) 

Comme  la  plupart  des  officiers  qui  mou- 
raient dans  la  Nouvelle-France,  M.  de  Lanau- 
dière laissa  plus  de  gloire  que  de  fortune  à  sa 
veuve. 

Celle-ci,  qui  était  mère  de  trois  enfants,  se 
retira  dans  sa  seigneurie  de  Sainte-Anne  afin 
de  demander  à  la  terre  sa  subsistance  et  celle 
de  ses  enfants. 

Le  recensement  de  1681  nous  donne  de 
précieux  renseignements  sur  la  seigneurie  de 
Sainte-Anne.  On  y  voit  madame  veuve  de  La- 
naudière, âgée  de  25  ans,  avec  ses  trois  enfants 
et  ses  trois  domestiques,  Louis  Gillet,  âgé  de 
20  ans  ;  Alexandre  Petit,  âgé  de  18  ans  ;  Jean- 
Paul  Maçon,  âgé  de  35  ans.  Dans  la  maison 
on  garde  trois  fusils.  L'étable  contient  quatorze 
bêtes  à  cornes.  Vingt-six  arpents  de  la  terre 
de  la  seigneuresse  sont  en  valeur. 

Le  même  recensement  donne  les  noms  de 
tous  les  habitants  établis  dans  la  seigneurie.  Ce 
sont  Mathurin  Tessier,  22  arpents  en  valeur  ; 


(1)  Ce  renseignement  nous  est  donné  par  l'inventaire 
de  ses  biens  meubles,  etc.,  etc.,  dressé  par  le  notaire  Duquet, 
le  3  juin  1678.  L'absence  de  l'acte  de  sépulture  de  M.  de 
Lanaudière  aux  registres  de  l'état  civil  de  Québec  nous 
permet  de  supposer  qu'il  fut  inhumé  dnas  sa  seigneurie  de 
Sainte-Anne. 

(2)  Contrat  de  mariage  devant  Romain  Becquet,  notaire 
à  Québec,  le  12  octobre  1672. 


—  16  — 

Pierre  Pinot  dit  Laperle,  7  arpents  en  valeur  ; 
Mathurin  Gouin,  20  arpents  en  valeur  ;  Pierre 
Lamoureux,  2  arpents  en  valeur  ;  Julien  Bion  ; 
Pierre- Jean  Gendron,  4  arpents  en  valeur  ; 
Jean  Richard,  6  arpents  en  valeur  ;  Simon- 
Pierre  Denis  ;  Pierre  Levesque,  12  arpents  en 
valeur  ;  Jacques  Hudes  ;  Moïse  Faure,  4  arpents 
en  valeur  ;  Pierre  Cartier,  4  arpents  en  valeur  ; 
Louis  Faucher,  3  arpents  en  valeur  ;  Michel  Le 
Roy  dit  Chatellereau,  4  arpents  en  valeur  ; 
Michel  Feuillon,  6  arpents  en  valeur  ;  Jean 
Picard,  10  arpents  en  valeur  ;  Jean  LeMoyne, 
40  arpents  en  valeur  ;  Jean  Cevelle,  4  arpents 
en  valeur  ;  Gilbert  LeRoux,  4.  arpents  en 
valeur  ;  Pierre  Baubriau,  3  arpents  en  valeur. 
Fvdmond  de  Suève,  co-seigneur,  habitait  aussi 
la  seigneurie.  Comme  il  n'était  pas  marié,  il  ne 
s'occupait  pas  de  culture.  Le  recensement  se 
contente  de  noter  qu'il  avait  trois  fusils  (1). 

M.  de  Frontenac,  qui  n'avait  pas  oublié  la 
veuve  de  l'ancien  capitaine  de  ses  gardes,  lui 
accorda  au  printemps  de  1682  un  des  vingt-cinq 
congés  de  traite  que  le  roi  lui  avait  permis  de 
donner  aux  chefs  de  famille  dans  le  besoin. 

Le  document  suivant  nous  apprend  que 
madame  de  Lanaudière  confia  ce  congé  de  traite 
à  trois  habitants  de  sa  seigneurie  et  à  François 
Langlois,  habitant  de  Verchères  : 

"Ce  19  juin  1682,  est  comparu  (au  greffe 
de  Montréal)  le  sieur  Saint-Germain,  habitant 
de  la  seigneurie  de  Sainte-Anne,  lequel  a  dit 


(1)  Benjamin     Suite,    Histoire    des    Canadiens-Français, 
tome    V,   p.   f>0. 


17 


qu'il  allait  partir  pour  les  8ta8ak  soubs  deux 
congés,  l'un  de  mademoiselle  Denis  l'autre  de 
mademoiselle  Lanaudière,  celui  de  Mlle  Denis 
et  avec  luy  conduisent  les  canots  le  sieur  Saint- 
Pierre  Denis,  Pierre  Cartier,  Thomas  Drouin, 
François  Langlois,  tous  habitans  ou  demeurant 
à  Sainte- Anne,  à  la  réserve  du  dit  Langlois, 
habitant  de  Varennes,  et  a  signé  le  dit  compa- 
rant. 

SAINT-GERMAIN, 

Maugue.  (1) 

Le  4  mars  1697,  MM.  de  Frontenac  et 
Bochart  Champigny  concédaient  à  madame 
veuve  de  Lanaudière  trois  iieues  de  terre  de 
profondeur  derrière  la  terre  et  seigneurie  de 
Sainte-Anne  sur  toute  la  largeur  d'icelle  et  celle 
des  sieurs  de  Suève  et  Hamelin  avec  les  îles, 
îlets  et  battures  non  concédés  qui  se  trouve- 
raient dans  la  dite  étendue,  la  dite  concession  à 
titre  de  lief  et  seigneurie,  avec  haute,  moyenne 
et  basse  justice,  avec  droit  de  chasse,  pêche  et 
traite  dans  toute  son  étendue.  (2) 

Un  mois  plus  tard,  le  6  avril  1697,  madame 
de  Lanaudière  obtenait  de  MM.  de  Frontenac 
et  Bochart  Champigny  la  concession  des  îles 
qui  se  trouvaient  devant  sa  terre  de  Sainte- 
Anne.  Il  est  dit  dans  l'acte  de  concession  :  "  Sur 
la  réquisition  à  nous  faite  par  dame  Marguerite 
Denis,  veuve  du  sieur  de  Lanaudière,  de  vou- 
loir lui  accorder  les  îles  qui  se  trouvent  devant 


(1)  Document   en   la   possession   de   l'auteur. 

(2)  Pièces  et  documents  relatifs  à  la  tenurê  seigneurial?, 
p.    429. 


18 


sa  terre  de  Sainte-Anne,  et  à  l'entrée  de  sa 
rivière,  et,  entr'autres  celle  où  est  son  moulin, 
appelée  l'île  du  Large,  attendu  qu'il  n'en  a  été 
fait  aucune  mention  dans  l'acquisition  faite  du 
sieur  Gamelin  (Hamelin)  en  l'année  mil-six- 
cent-soixante-dix,  ni  dans  le  titre  de  M.  Talon, 
pour  lors  intendant  en  ce  pays,  qui  autorise  la 
dite  vente,  en  mil-six-cent-soixante-et-douze,  à 
quoi  ayant  égard "  (1) 

Les  difficultés  que  lui  firent  ses  voisins  au 
sujet  de  la  propriété  des  îles  que  lui  avaient  con- 
cédées MM.  de  Frontenac  et  Bochart  Cham- 
pigny,  le  6  avril  1697,  engagèrent  madame  de 
Lanaudière  à  demander  une  nouvelle  conces- 
sion plus  explicite. 

Le  30  octobre  1700,  MM.  de  Callières  et 
Bochart  Champigny  lui  concédaient  de  nouveau 
les  mêmes  îles.  L'acte  de  concession  disait  cette 
fois  :  "  Sur  la  réquisition  à  nous  faite  par  dame 
Marguerite  Denis,  veuve  du  feu  sr  de  Lanau- 
dière, de  lui  accorder  et  concéder  les  îles  qui 
sont  le  long  du  fleuve  Saint-Laurent,  vis-à-vis 
l'entrée  de  la  rivière,  terre  et  seigneurie  de 
Sainte-Anne,  à  titre  de  fief  et  seigneurie  avec 
droits  de  justice,  haute,  moyenne  et  basse,  et  de 
chasse,  pêches  et  traite  avec  les  Sauvages,  dans 
toute  l'étendue  des  dites  îles,  Nous,  en  vertu 
du  pouvoir  à  nous  donné,  avons  accordé,  donné 
et  concédé,  accordons,  donnons  et  concédons  à 
la  dite  dame  Marguerite  Denis  les  dites  îles  qui 
sont  le  long  du  fleuve  Saint-Laurent,  vis-à-vis 


(1)  Pièces  et  documents  relatifs  à  la  tenure  seigneuriale, 
p.  26. 


19 


l'entrée  de  la  dite  rivière,  terre  et  seigneurie  de 
Sainte-Anne,  tout  le  long  de  l'espace  et  étendue 
d'icelle,  pour  jouir,  faire  et  disposer  des  dites 
îles  par  la  dite  dame  Denis,  ses  hoirs  et  ayant 
cause,  en  pleine  propriété  et  à  toujours,  au  dit 
titre  de  fief  et  seigneurie,  haute,  moyenne  et 
basse  justice,  avec  droit  de  chasse,  pêche  et 
traite  dans  toute  l'étendue  des  dites  îles.  ."  (1) 

Après  trente  années  de  veuvage,  Mar- 
guerite-Renée  Denys,  convolait  en  secondes 
noces,  à  Sainte- Anne  de  la  Pérade,  le  9  juillet 
1708,  avec  Jacques- Alexis  de  Fleury  Descham- 
bault,  lieutenant  général  de  la  juridiction  royale 
de  Montréal,  veuf  de  Marguerite  de  Chavigny. 

De  son  premier  mariage,  M.  de  Fleury 
Deschambault  avait  eu  plusieurs  enfants  qui 
s'allièrent  aux  Rigaud  de  Vaudreuil,  aux  Tas- 
chereau,  aux  Jolliet,  etc.,  etc. 

Un  malheur  n'arrive  jamais  seul,  dit  un 
brocard  vieux  comme  le  monde.  Les  bonheurs, 
pareillement,  voyagent  de  concert.  A  plusieurs 
reprises  les  gouverneurs  de  la  Nouvelle-France 
avaient  essayé  d'obtenir  une  pension  royale  en 
faveur  de  madame  de  Lanaudière.  Cette  pen- 
sion lui  fut  accordée  l'année  même  de  son  second 
mariage. 

Le  14  novembre  1708,  MM.  de  Vaudreuil 
et  Raudot  écrivaient  au  ministre  : 

"  Les  sieurs  de  Vaudreuil  et  Raudot  vous 
remercient  de  la  pension  dont  vous  leur  mar- 
quez avoir  gratifié  la  dame  de  Lanaudière." (2) 


(1)  Pièces  et  documents  relatifs  à  la  tenure  seigneuriale, 
p.  27. 

(2)  Archives    du    Canada,    Correspondance    générale. 


—  20  — 

M.  Fleury  Deschambault  décéda  à  Mont- 
réal, le  31  mars  1715. 

Sa  veuve  décéda  au  même  endroit  le  3 
février  1722,  à  l'âge  de  65  ans,  et  fut  inhumée 
dans  l'église  des  Récollets. 

De  son  mariage  avec  M.  de  Lanaudière, 
Marguerite-Renée  Denys  avait  eu  trois 
enfants  : 

I 

Louise-Rose  Tarieu  de  Lanaudière 

Née  à  Montréal    le  8  juillet  1674. 

Placée  au  pensionnat  des  dames  Ursulines 
de  Québec,  elle  montra  bientôt  que  le  Seigneur 
avait  toujours  été  seul  maître  de  son  cœur.  Elle 
passa  du  pensionnat  au  noviciat. 

Mademoiselle  de  Lanaudière  reçut  le  voile 
des  mains  de  M.  l'abbé  Claude-Louis  Trouvé, 
Suipicien,  le  26  mai  1691,  après  avoir  prononcé 
ses  vœux  avec  une  ferveur  angélique.  Elle  avait 
adopté  le  nom  de  sœur  Sainte-Catherine. 

"  C'est  surtout  comme  maîtresse,  nous  dit 
Y  Histoire  des  Ursulines  de  Québec,  que  la  Mère 
de  Lanaudière  de  Sainte-Catherine  paraît  avoir 
excellé.  Son  ardeur  était  toute  concentrée  sur 
ses  chères  élèves  externes,  dont  elle  eut  le  soin 
pendant  plusieurs  années.  Elle  en  a  instruit 
un  grand  nombre  pour  la  première  communion, 
dit  sa  notice,  et  nous  avons  eu  la  consolation 
de  voir  dans  la  suite,  ces  enfants  vivre  en 
bonnes  chrétiennes  et  élever  leur  famille  dans 
la  crainte  de  Dieu.  Elle  avait  aussi  un  talent 


—  21  — 

tout  particulier  pour  instruire  les  filles  sau- 
vages, qui  ont  toutes  si  bien  profité  de  ses 
instructions  qu'elles  ont  vécu  en  bonnes  ser- 
vantes de  Dieu,  édifiant  par  leur  bonne  con- 
duite les  personnes  de  leurs  villages,  ou  les 
familles  chez  qui  elles  étaient  en  service/' 

En  1747,  la  Mère  Saint-Catherine  célé- 
brait son  cinquantième  anniversaire  de  pro- 
fession religieuse. 

Elle  décéda  le  5  octobre  1748,  âgée  de 
soixante-quatorze  ans,  dont  elle  avait  passé 
cinquante-neuf  en  religion,  laissant  à  sa  com- 
munauté un  bel  exemple  de  piété  et  de 
ferveur.  (1) 

II 
Louis  Tarieu  de  Lanaudière 

Né  à  Québec  le  3  juin  1676. 
Nous  n'avons   pas   de   données   bien   cer- 
taines sur  lui. 

Le  recensement  de  1681  le  mentionne  et 
lui  donne  l'âge  de  cinq  ans. 

Dans  un  acte  du  4  novembre  1704,  il  est 
dit  au  sujet  de  Louis  Tarieu  de  Lanaudière .... 
"  attendu  l'absence  depuis  huit  ans  de  Louis 
Tarieu*  Ecuyer,  sieur  de  la  Nouguère  (Lanau- 


(1)  La  Sœur  Sainte-Catherine  fut  miraculeusement 
guérie  dans  sa  jeunesse  d'un  mal  étrange  au  bras  droit  par 
l'intercession  du  très  dévot  Frère  récollet  Didace  Pelletier. 
Voir  l'attestation  de  cette  guérison  reçue  devant  M.  Charles 
Glandelet,  vicaire-général  de  Québec,  le  22  octobre  1699, 
dans  le  Canada-Français,  vol.  IV,  p.  258. 


—  22  — 

dière),  censé  mort  n'en  ayant  appris  aucune 
nouvelle  depuis  le  dit  temps "  (1) 

Dans  un  mémoire  sur  le  commerce  de 
l'eau-de-vie,  et  qui  date  de  1696  ou  peu  après, 
nous  lisons  : 

"Le  carnaval  de  167..,  six  traiteurs  du 
fort  Katarak8y,  nommés  Duplessis,  Ptolémée, 
Dautru,Lamouche,Colin  et  Cascaret,enivrèrent 
tout  le  village  de  Taheyagon,  dont  tous  les 
sauvages  furent  saouls  trois  jours  durant.  Les 
vieillards,  les  femmes  et  les  enfants  s'enivrèrent 
tous.  Après  quoi,  les  six  traiteurs  firent  la 
débauche  que  les  sauvages  appellent  gan  8  ary, 
courant  tout  nus  avec  un  baril  d'eau-de-vie  sous 
le  bras.  Ils  ont  tous  fini  d'une  mort  misérable. 
Duplessis  est  mort  à  la  Barbade  où  il  a  été 
vendu  par  les  Anglais.  Ptolémée  s'est  noyé, 
tournant  en  canot  sur  un  rocher  auquel  il  a 
donné  son  nom  :  le  Sault  Ptolémée.  Dautru 
s'est  noyé  dans  la  barque  de  M.  de  La  Salle,  qui 
périt  dans  le  lac  Huron.  Lamouche  s'est  noyé 
à  l'entrée  de  la  rivière  Sainte-Anne,  avec  un 
Lanodière.  Colin  a  été  brûlé  aux  Iroquois,  en 
1692,  accompagnant  M.  le  chevalier  d'Eau  en 
ambassade.  Cascaret  est  mort,  sans  confession, 
chez  un  chirurgien  de  Montréal,  rongé  de 
vérole,  aussi  bien  qu'un  nommé  Lacause,  qui 
fut  trouvé  mangé  des  aigles  à  la  Pointe-à- 
Beaudet,  dans  le  lac  Saint-François.  C'était  un 


(1)  Abandon  et  cession  par  madame  de  Lanaudière  en 
faveur  du  sieur  de  la  Pérade,  son  fils,  devant  Gcnaple, 
notaire  à  Québec,  le  4  novembre   1704. 


—  23  — 

célèbre  impudique  et  un  fameux  traiteur  d'eau- 
dc-vie.w(l) 

Le  Lanodière  mentionné  ici  ne  peut  être 
Louis  Tarieu  de  Lanaudière.  En  effet,  si  ce 
jeune  homme  s'était  noyé  dans  la  rivière  Sainte- 
Anne,  sa  famille  aurait  connu  son  sort.  Or 
l'acte  notarié  du  4  novembre  1704  dit  formel- 
lement qu'on  en  avait  eu  aucune  nouvelle  depuis 
huit  ans. 

III 

Pierre-Thomas  Tarieu  de  la  Pérade 

Le  continuateur  de  la  lignée. 


(1)  Cité  par  M.  Benjamin  Suite,  Mémoires  de  la  Soeiété 
Royale  du  Canada,  année  1901,  p.  82. 


Première  génération  :  Thomas-Xavier  Taricu  de  La- 
naudière 

Deuxième  génération  :  Pierre-Thomas  Tarieu  de  la 
Pérade 


PIERRE-THOMAS    TARIEU    DE    LA 
PERADE 

Né  le  11  septembre  1677,  il  fut  baptisé  à 
Québec  le  12  novembre  suivant. 

Comme  l'acte  de  baptême  le  dit  âgé  de 
deux  mois  et  un  jour,  nous  pouvons  présumer 
qu'il  naquit  à  Sainte-Anne  de  la  Pérade,  où  il 
n'y  avait  pas  encore  de  curé  ni  missionnaire. 

Un  peu  plus  de  trois  ans  auparavant,  le  29 
mars  1674,  Mgr  de  Laval,  évêque  de  Pétrée, 
vicaire  apostolique  de  la  Nouvelle-France,  avait 
ordonné  à  tous  les  pères  et  mères  de  faire 
baptiser  leurs  enfants  au  plus  tôt  après  leur 
naissance.  (1)  Si  Pierre-Thomas  Tarieu  de  la 
Pérade  était  né  à  Québec,  son  père,  qui  était  un 
fervent  catholique,  n'aurait  pas  attendu  deux 
mois  pour  le  porter  au  baptême.  La  paroisse  de 
Sainte-Anne  de  la  Pérade  peut,  croyons-nous, 
réclamer  Pierre-Thomas  Tarieu  de  la  Pérade 
comme  le  premier  enfant  né  sur  son  territoire. 

On  s'est  souvent  demandé  pour  quelle 
raison  Pierre-Thomas  Tarieu  de  la  Pérade 
n'avait  pas  pris  le  nom  de  Lanaudière  qui  était 
celui  de  son  père.  Pierre-Thomas  était  le  second 
fils  de  M.  de  Lanaudière.  Louis,  l'aîné,  disparut 
vers  1696.  Malgré  les  recherches  de  sa  mère, 
elle  n'en  eut  plus  aucune  nouvelle  certaine.  C'est 


(î)  Mandements  des  évoques  de   Québec,  vol.   1,  p.  161. 


26 


sans  doute  parce  qu'il  n'avait  pas  de  preuves 
légales  de  la  mort  de  son  frère  qui  comme  aîné 
avait  le  droit  de  porter  le  nom  de  Lanaudière, 
que  Pierre-Thomas  adopta  et  garda  toute  sa 
vie  le  nom  de  la  Pérade. 

En  1687,  le  jeune  de  la  Pérade  entra  dans 
les  troupes  du  détachement  de  la  marine  en 
qualité  de  cadet.  Les  cadets  gentilshommes  ser- 
vaient alors  comme  soldats  mais  avec  cer- 
tains privilèges. 

Trois  ans  plus  tard,  en  1690,  il  prit  part  à 
la  défense  de  Québec  attaquée  par  Phipps.  Au- 
cune des  nombreuses  relations  du  siège  de  Qué- 
bec ne  nous  fait  part  des  hauts  faits  du  jeune 
cadet,  mais,  comme  à  l'automne  de  cette  année, 
le  gouverneur  de  Frontenac  lui  accorda  une 
enseigne,  nous  pouvons  présumer  qu'il  se  con- 
duisit bravement,  car  Frontenac  ne  récompen- 
sait que  ceux  qui  le  méritaient. 

Le  16  mars  1691,  le  roi  confirmait  l'en- 
seigne que  M.  de  Frontenac  avait  accordée  à 
M.  de  la  Pérade  l'année  précédente.  (1) 

Un  "  rôle  des  officiers  du  Canada  "  fait  en 
1692,  sous  l'inspiration  de  M.  de  Frontenac, dit 
de  M.  de  la  Pérade  : 

"  La  Pérade.  Canadien.  Enseigne  en  1690. 
Brave.  Jeune."  (2) 

Le  2  janvier  1694,  M.  de  la  Pérade  était 
promu  lieutenant  réformé.  Ce  grade  fut  con- 
firmé par  le  roi,  le  16  avril  1695.  (3) 


(1)  Laffilard,  Alphabet,  tome  II,  p.   144. 

(2)  Archives  du  Canada,  Correspondance  générale,vol.l20. 

(3)  Laffilard,  Alphabet,  tome  II,  p.   144. 


27 


Dans  une  Relation  de  ce  qui  s'est  passé  en 
Canada  en  1696,  nous  voyons  que  dans  l'été  de 
1696,  M.  de  la  Pérade  fut  envoyé  avec  un  cer- 
tain nombre  de  soldats  sur  le  brigantin  com- 
mandé par  le  fameux  capitaine  corsaire  Outlas. 

Le  9  juin,  dit  cette  Relation,  la  frégate  du 
roi  la  Bouffonne  leva  l'ancre  de  devant  Québec, 
pour  aller  croiser,  commandée  par  le  sieur  de  la 
Vallière.  Il  avait  pour  lieutenant  le  sieur  de 
Beaubassin,  son  fils,  et  pour  enseigne  le  sieur 
de  la  Potherie,  son  autre  fils. 

"  On  mit  deux  soldats  par  compagnie  tant 
dans  cette  frégate  que  sur  un  brigantin  que 
commandait  le  sieur  Outlas,  anglais  habitué 
depuis  longtemps  parmi  nous,  qui  avait  pour 
lieutenant  le  sieur  de  la  Pérade."  (1) 

Comme  un  bon  nombre  des  officiers  des 
troupes  du  détachement  de  la  marine,  M.  de  la 
Pérade  suppléait  à  l'insuffisance  de  son  traite- 
ment en  faisant  la  traite  avec  les  Sauvages.  Le 
27  octobre  1700,  les  sous-fermiers  de  la  traite 
de  Tadoussac,  la  veuve  Vianney-Pachot  et  MM. 
Dupont,  Perthuis  et  Joseph  Riverin,  faisaient 
servir  un  protêt  aux  fermiers-généraux  du 
Canada  qui  avaient  permis  à  M.  de  la  Pérade 
d'aller  hiverner  à  Tadoussac  sous  prétexte  d'y 
faire  la  chasse  mais  en  réalité  pour  traiter  avec 

les  Sauvages, "lesquels  (sous-fermiers), 

disait  le  protêt,  ont  dit  et  déclaré  qu'ils  pro- 
testent à  l'encontre  de  messieurs  les  fermiers 
généraux  de  Canada  de  tous  dépens,  dommages 
et  intérêts  au  sujet  du  canot  commandé  par  le 

(1)  Collection  de  manuscrits,  vol.  II,  p.  222. 


28 


sieur  de  la  Pérade  parti  ce  jourd'hui  pour  aller 
hiverner  sur  les  limites  de  la  dite  traite  de 
Tadoussac  sous  prétexte  de  chasse  nonobstant 
les  avertissements  et  oppositions  verbales  qu'ils 
ont  fait  pour  empêcher  le  départ  du  dit  canot  ; 
le  départ  du  dit  canot  étant  la  destruction  et 
ruine  totale  de  la  dite  sous-ferme,  pourquoi  ils 
persistent  en  la  dite  déclaration  qu'ils  ne  paie- 
ront point  la  ferme  qu'ils  sont  obligés  de  payer, 
attendu  qu'ils  ne  jouissent  point  des  droits, 
privilèges  et  prérogatives  dont  ont  joui  leurs 
prédécesseurs  en  la  dite  sous-ferme.  ..."  (1) 

Le  30  octobre  1700,  M.  de  la  Pérade  se 
faisait  concéder  par  MM.  de  Callières  et  Bo- 
chart  Champigny  un  nouveau  fief  en  arrière 
de  la  seigneurie  de  Sainte- Anne  qui  appartenait 
à  sa  mère.  L'acte  de  concession  disait  : 

"  Sur  la  réquisition  par  Pierre-Thomas 
Tarieu,  sieur  de  la  Pérade,  lieutenant  reformé 
des  troupes  du  détachement  de  la  marine  en  ce 
pays,  de  lui  vouloir  accorder  en  titre  de  fief  et 
seigneurie  l'espace  de  terre  qui  se  trouve  au 
derrière  de  la  terre  et  seigneurie  de  Sainte- 
Anne,  laquelle  espace  contient  environ  deux 
lieues  de  front  entre  les  lignes  prolongées  des 
seigneuries  de  Saint-Charles  des  Roches  (les 
Grondines)  et  Batiscan  sur  une  lieue  et  demie 
de  profondeur,  ensemble  la  rivière  qui  peut 
traverser  la  dite  espace  de  terre  et  les  islets  qui 
peuvent  s'y  rencontrer,  pour  s'y  faire  le  sieur 
de  la  Pérade  un  établissement  et  domaine,  y 


(1)  Protestation  et  déclaration  des  sous-fermiers  de  la 
traite  de  Tadoussac  devant  Rageot,  notaire  à  Québec,  le  27 
octobre    1700. 


—  29  — 

placer  des  tenanciers  et  en  jouir  et  disposer  par 
lui  au  dit  titre  de  fief  et  seigneurie  avec  haute, 
moyenne  et  basse  justice,  à  quoi  ayant  égard, 
Nous,  en  vertu  du  pouvoir  à  nous  conjointement 
donné  par  Sa  Majesté  avons  accordé,  donné  et 
concédé,  donnons,  accordons  et  concédons  au 
dit  sieur  de  la  Pérade  la  dite  espace  de  terre  de 
toute  l'étendue  qu'elle  est  ici  désignée  ;  ensemble 
la  rivière  qui  la  peut  traverser  et  les  îlets  qui  s'y 
rencontreront  si  aucuns  y  a,  pour  en  jouir, 
faire  et  disposer  par  le  dit  sieur  de  la  Pérade, 
ses  hoirs  et  ayant  cause  en  pleine  propriété  à 
toujours  aux  susdits  titres  et  droits  de  fief  et 
seigneurie,  haute,  moyenne  et  basse  justice, 
avec  droit  de  chasse,  pêche  et  traite "  (1) 

Dans  un  état  des  officiers  servant  au 
Canada  envoyé  au  ministre  le  15  octobre  1701 
et  apostille  par  M.  de  Callières,  nous  lisons  : 

"  Le  S r  de  la  Pérade,  natif  du  Canada,  âgé 
de  25  ans,  a  servy  depuis  Tannée  1687  en  qua- 
lité de  cadet  jusqu'en  1689  qu'il  fut  fait 
enseigne  et  lieutenant  reformé  en  1694.  Bon 
officier."  (2) 

Le  4  novembre  1704,  Marguerite-Renée 
Denys,  veuve  de  Lanaudière,  voulant  aider  à 
l'établissement  de  son  fils,  lui  cédait  la  seigneu- 
rie de  Sainte-Anne  qu'elle  faisait  valoir  depuis 
la  mort  de  son  mari.  Le  cadeau  en  valait  la 
peine  car  madame  de  Lanaudière  par  sa  sage 
administration    avait    beaucoup    augmenté    la 


(1)  Pièces  et  documents  relatifs  à  la  tenure  seigneuriale, 

p.   448. 

(2)  Archives   du   Canada,   Correspondance    générale,   vol. 
120. 


—  30  — 

valeur  de  sa  seigneurie.  Afin  d'indemniser  sa 
mère,  M.  de  ia  Pérade  s'engagea  à  lui  payer 
jusqu'à  sa  mort  une  rente  annuelle  de  quatre 
cents  livres,  payable  de  trois  mois  en  trois  mois 
à  raison  de  cent  francs  par  chaque  quartier.(l) 

Propriétaire  d'une  des  plus  belles  seigneu- 
ries de  la  colonie,  habitant  un  manoir  superbe, 
apparenté  aux  principales  familles  du  pays,  très 
bien  vu  du  gouverneur  et  de  l'intendant,  il 
manquait  cependant  encore  quelque  chose  au 
bonheur  de  M.  de  la  Pérade.  Agé  de  près  de 
trente  ans,  il  était  célibataire.  En  septembre 
1706,  il  épousait,  à  Verchères,  Marie-Made- 
leine de  Verchères,  fille  de  défunt  François 
Jarret  de  Verchères,  enseigne  dans  le  régiment 
de  Carignan,  seigneur  de  Verchères,  et  de 
Marie  Perrot.  (2) 

C'est  la  fameuse  Madeleine  ou  "Madelon" 
de  Verchères  que  les  poètes  ont  chantée  et  dont 
nos  historiens  ont  raconté  les  prouesses. 

M.  de  la  Pérade,  il  n'y  a  pas  à  le  cacher, 
avait  l'humeur  plutôt  difficile.  Madame  de  La- 
naudière,  sa  mère,  pendant  les  vingt-six  années 
qu'elle  avait  exploité  la  seigneurie  de  Sainte- 
Anne,  avait  eu  de  temps  en  temps  des  petites 
difficultés  avec  les  seigneurs  voisins  au  sujet 
des  bornes  de  leurs  seigneuries  respectives. Mais 
elle  avait  toujours  réussi  à  régler  ces  différends 
sans  recourir  aux  tribunaux.  Elle  connaissait 
sans  doute  la  valeur  du  proverbe  :  mieux  vaut 


(1)  Abandon  et  cession  devant  François  Genaple,  notaire 
à  Québec,  le  4  novembre  1704. 

(2)  Contrat  de  mariage  devant  Michel  Lepailleur,notaire 
à  Montréal,  le  8  septembre  1706. 


31 


te  plus  mauvais  arrangement  que  le  meilleur 
procès.  A  peine  en  possession  de  la  seigneurie 
de  Sainte- Anne,  M.  de  la  Pérade  commençait 
avec  les  seigneurs  voisins  et  ses  censitaires  une 
série  de  procès  qui  se  continuèrent  presque  sans 
interruption  jusqu'à  sa  mort. 

La  seigneurie  de  Sainte-Anne,  on  se  le 
rappelle,  avait  été  concédée  conjointement  à 
MM.  de  Lanaudière  et  de  Suève.  A  la  mort  de 
ce  dernier,  en  1707,  M.  de  la  Pérade  fit  sommer 
le  curateur  de  sa  succession  de  procéder  avec  lui 
à  l'arpentage  de  la  seigneurie  afin  d'établir 
exactement  ses  bornes.  Le  curateur  refusa  de 
se  rendre  à  la  demande  de  M.  de  la  Pérade. 

Le  18  avril  1708,  M.  de  la  Pérade  obtenait 
de  l'intendant  Raudot  une  ordonnance  qui  dé- 
clarait que  la  ligne  de  séparation  entre  la  sei- 
gneurie de  Sainte-Anne  et  celle  des  Grondines 
serait  tirée  par  le  nommé  Laseriot  (?),  arpen- 
teur. Le  curateur  de  la  succession  était  con- 
damné à  payer  le  quart  des  vacations  de 
l'arpenteur.  (1) 

En  1709,  M.  de  Ramezay  fut  envoyé  en 
découverte  du  côté  du  lac  Champlain  avec  un 
détachement  de  troupes,  de  milices  et  de  Sau- 
vages. M.  de  la  Pérade,  qui  était  le  neveu  de 
M.  de  Ramezay,  avait  un  commandement  dans 
cette  expédition. 

La  petite  armée  partit  de  Chambly  à  la  fin 
de  juillet.  Elle  côtoya  le  lac  Champlain  du  côté 
du  nord. 


(1)  Ordonnances   des  Intendants,  cahier  2,  folio  27. 


—  32  — 

A  la  rivière  des  Sables,  M.  de  Ramezay 
trouva  deux  Sauvages  qui  venaient  du  côté  de 
Corlar.  Ils  l'informèrent  qu'ils  avaient  vu  des 
ennemis  à  la  Pointe  à  la  Chevelure. 

M.  de  Ramezay  se  décida  alors  d'envoyer 
à  la  découverte  afin  de  s'assurer  du  nombre  et 
de  la  position  des  ennemis. 

Mais  laissons  parler  M.  de  Catalogne,  qui 
faisait  partie  de  l'expédition.  Il  faut  cependant 
prendre  ses  dires  avec  hésitation  parce  qu'il  ne 
manque  jamais  de  donner  des  coups  de  dents  à 
ceux  qu'il  n'aimait  pas. 

"  Celui  que  M.  de  Ramezay  mit  à  la  tête 
des  découvreurs,  dit-il,  était  le  sieur  de  la  Pé- 
rade,  son  neveu.  Comme  ce  départ  se  fit  pres- 
que incognito,  il  était  déjà  bien  loin  lorsque  je 
l'appris  ;  cependant  je  fis  remontrer  à  M.  de 
Ramezay  qu'en  pareil  cas,  il  ne  pouvait  envoyer 
en  ces  endroits  un  homme  trop  sensé.  Il  me 
témoigna  en  être  mortifié,  mais  il  n'y  avait  plus 
de  remède. 

"  Le  jour  étant  sur  le  déclin,  nous  nous 
mîmes  en  marche  et  arrivâmes  à  nuit  close  à  la 
rivière  aux  Loutres,  où  le  sieur  de  la  Pérade 
devait  nous  attendre.  Cependant,  il  avait  passé 
outre  et  avait  été  vu  des  ennemis  qui  étaient  à 
la  découverte,ce  qui  les  fit  disposer  à  faire  une 
embuscade  à  environ  un  quart  de  lieue  au-des- 
sous de  leur  camp. 

"  Un  canot  de  nos  Sauvages  qui  se  voyant 
bravés  pour  n'avoir  pas  été  choisis  pour  aller  à 
la  découverte,  prirent  le  mors  aux  dents,  et 
partirent  sans  consulter  personne,  et  nous  arri- 


—  33  — 

vâmes  à  la  rivière  aux  Loutres  sans  y  trouver 
le  sieur  de  la  Pérade. 

"  M.  de  Ramezay  était  comme  un  furieux, 
menaçant  de  faire  casser  son  neveu  qui,  peu 
de  temps  après,  arriva,  qui  dit  qu'il  avait  dé- 
couvert la  fumée  du  camp  des  ennemis,  de  quoi 
nous  ne  doutions  pas,  mais  il  ne  disait  pas  qu'il 
avait  été  vu  des  ennemis  ;  enfin,la  nuit  on  se  mit 
en  marche  ayant  le  sieur  de  Montigny  avec  des 
Abénaquis  à  la  tête. 

"  Vers  les  deux  heures  après  minuit  le 
canot  des  Sauvages  qui  s'était  débandé  vint  à 
notre  rencontre,  qui  dirent  que  voulant  débar- 
quer ils  avaient  donné  dans  l'ambuscade  des 
ennemis,  qui  avaient  tué  un  de  leurs  gens  et  un 
autre  blessé,  qu'ils  s'étaient  pourtant  tirés  au 
large  sans  autre  accident. 

"  Voilà  les  fruits  de  la  découverte  de  M. 
de  la  Pérade."  (L) 

En  1710,  M.  de  la  Pérade,  s'appuyant  sur 
les  concessions  qui  avaient  été  accordées  à  sa 
mère  et  à  lui-même,  l'une  par  MM.  de  Fron- 
tenac et  Bochart  Champigny,  le  6  avril  1697, 
des  îles  qui  se  trouvaient  en  face  de  la  seigneu- 
rie de  Sainte-Anne,  l'autre  par  MM.  de  Cal- 
Hères  et  Bochart  Champigny,  le  30  octobre 
1700,  d'un  espace  de  terre  d'environ  deux  lieues 
de  front  en  arrière  de  la  même  seigneurie, 
demandait  à  l'intendant  Raudot  de  faire 
défense  à  M.  Chorel  Dorvilliers,  héritier  de  M. 
de  Suève,  coseigneur  de  Sainte-Anne,  de  le 
troubler  dans  sa  possession.   Il  demandait  en 


(1)  Collection   de   Manuscrits,   vol.   1,   p.  616. 


—  34  — 

même  temps  le  partage  de  ia  seigneurie  de 
Sainte-Anne  qui  avait  toujours  été  possédée  en 
commun  par  M.  de  vSuève  et  M.  de  Lanau- 
dière,  son  père. 

Le  8  janvier  1710,  l'intendant  Raudot  ren- 
dait son  jugement.  Il  déclarait  M.  de  la  Pérade 
propriétaire  des  îles  qui  étaient  en  face  de  la 
seigneurie  de  Sainte-Anne  et  des  terres  qui  se 
trouvaient  en  arrière  de  la  même  seigneurie.  Il 
commettait  en  même  temps  l'arpenteur  Hilaire 
Bernard  de  la  Rivière  pour  tirer  les  lignes  de 
la  seigneurie  de  Sainte-Anne  afin  de  régler  les 
contestations  entre  M.  de  la  Pérade  et  M. 
Chorel  Dorvilliers.  Le  28  mars  1710,  M.  Rau- 
dot homologuait  le  procès-verbal  d'alignement 
et  partage  de  la  seigneurie  de  Sainte-Anne  fait 
par  Bernard  de  la  Rivière  et  défendait  au  sieur 
Dorvilliers  de  troubler  M.  de  la  Pérade  dans 
la  possession  de  la  dite  seigneurie.  Le  succès  de 
M.  de  la  Pérade  fut  cependant  de  courte  durée. 
Le  lendemain,  29  mars  1710,  M.  Raudot  modi- 
fiait considérablement  son  ordonnance  de  la 
veille  au  profit  de  M.  Dorvilliers.  Le  domaine 
que  M.  de  la  Pérade  s'était  taillé  dans  la  sei- 
gneurie de  Sainte-Anne  au  détriment  de  son 
coseigneur  était  diminué  presque  de  moitié.  (1) 

En  1711,  M.  et  madame  de  la  Pérade 
étaient  poursuivis  par  François  Baribault,  un 
brave  cultivateur  de  Sainte-Anne,  à  qui  ils 
avaient  loué  l'île  Saint-Ignace.  Baribault 
prouva  si  clairement  qu'il  ne  pourrait  jamais 
s'accorder  avec  M.  de  la  Pérade  et  sa  femme 


(1)  Ordonnances    des    Intendants,   cahier    4. 


35 


qui,  disait-il,  le  menaçaient  à  tout  instant  de 
voies  de  faits,  que  l'intendant  Raudot,  le  29 
avril  171 L,  annulait  le  bail  consenti  par  M.  de 
la  Pérade  à  Baribault  et  permettait  au  seigneur 
de  disposer  de  l'île  Saint-Ignace  comme  il 
l'entendrait.  (1) 

En  1715,  nouvelles  difficultés  entre  MM. 
de  la  Pérade  et  Chorel  Dorvilliers,  seigneurs 
conjoints  de  Sainte-Anne.  M.  de  la  Pérade  avait 
construit  le  moulin  banal  et  en  retirait  de  ce 
fait  tous  les  revenus.  Le  15  février  1715, 
l'intendant  Raudot  permettait  à  M.  Chorel 
Dorvilliers  de  construire,  lui  aussi,  un  moulin 
dans  sa  partie  de  seigneurie.  L'intendant  Rau- 
dot établissait  en  même  temps  un  règlement  de 
comptes  entre  les  deux  seigneurs  afin  d'empê- 
cher les  contestations  à  l'avenir.  (2) 

En  1715,  M.  de  la  Pérade  intentait  aux 
habitants  de  sa  seigneurie  de  Sainte-Anne  un 
procès  qui  devait  durer  plusieurs  années. 

Les  habitants  de  Sainte-Anne,  depuis  plu- 
sieurs années,  faisaient  pacager  et  herbager 
leurs  bestiaux  sur  l'île  au  Sable  qui  appartenait 
à  M.  de  la  Pérade.  Les  habitants  prétendaient 
que  l'île  au  Sable  dépendait  de  la  commune  qui 
leur  avait  été  accordée  par  leurs  titres  de  con- 
cessions. 

Après  cinq  années  de  procédures  et  d'inter- 
ventions de  toutes  sortes,  le  16  août  1720, 
l'intendant  Bégon  rendait  son  jugement.  Il 
maintenait  les  habitants  de  Sainte- Anne  dans 


(1)  Ordonnances   des    Intendants,   cahier   5. 

(2)  Ordonnances    des    Intendants,    cahier   5. 


36 


la  possession  et  jouissance  de  l'île  au  Sable 
"  pour  en  jouir  par  eux  comme  commune  ainsi 
qu'ils  en  avaient  joui  ci-devant  à  la  charge 
d'abattre  tous  les  ans,  dans  le  mois  de  mars, 
un  demi  arpent  de  bois,  conformément  à  leurs 
titres  de  concession."  (1) 

Le  jugement  de  l'intendant  Bégon  fut 
porté  par  M.  de  la  Pérade  au  Conseil  du  Roi. 
Huit  ans  plus  tard,  le  22  mai  1728,  un  arrêt  du 
Conseil  d'Etat  cassait  l'ordonnance  de  M.  Bé- 
gon et  maintenait  M.  de  la  Pérade  dans  la 
propriété  de  l'île  au  Sable.  (2) 

Le  litige  avait  duré  de  1715  à  1728,  soit 
treize  années  !  Si,  de  nos  jours,  les  plaideurs 
attendent  parfois  quelques  années  pour  avoir 
justice,  ils  peuvent  au  moins  se  consoler  en 
songeant  qu'il  y  a  des  précédents  à  ces  longues 
attentes. 

"  En  1721,  écrit  Mgr  Tanguay,  Pierre- 
Thomas  De  la  Nouguère  (Lanaudière)  ou  de 
la  Pérade  obtint  de  l'intendant  Bégon,  le  privi- 
lège de  tenir  les  postes  pendant  vingt  ans  entre 
Québec  et  Montréal,  avec  un  tarif  des  charges 
gradué  sur  les  distances.  C'est  la  première 
institution  postale  établie  en  Canada."   (3) 

Mgr  Tanguay  fait  erreur  ici.  Il  a  été 
trompé  par  la  similitude  des  noms.  Ce  n'est  pas 
M.  de  la  Pérade  qui  obtint  un  privilège  de 
l'intendant  Bégon  en  1721  pour  tenir  les  postes 
entre  Québec  et  Montréal,  mais  Nicolas  La- 


(1)  Ordonnances  des  Intendants,  cahier  7 72,  folio   7. 

(2)  Rapport    sur    les    Archives    Canadiennes    pour    1904, 
pp.  102  et   104. 

(3)  A   travers   les   registres,  p.   114. 


s/ 


noullier.  Ce  privilège,  d'ailleurs,  ne  fut  pas 
confirmé  par  le  roi.  (1) 

Dans  la  liste  des  officiers  de  guerre  qui 
servaient  en  Canada  en  1722,  apostillée  par  le 
gouverneur  de  Vaudreuii  en  octobre  1722,  il 
est  dit  de  M.  de  la  Pérade  : 

"  Le  Sr  de  la  Pérade,  âgé  de  45  ans.  Il  est 
en  état  de  servir  mais  il  a  peu  de  capacité  pour 
le  commandement."  (2) 

En  cette  même  année  1722,  M.  de  la  Pé- 
rade, malade  à  son  manoir  de  Sainte-Anne  de 
la  Pérade,  eut  une  aventure  avec  deux  Abéna- 
quis  qui  se  serait  certainement  terminée  de 
façon  tragique  pour  lui  sans  la  présence 
d'esprit  et  la  force  peu  ordinaire  de  sa  femme. 
Celle-ci  racontait  elle-même  le  fait  dans  la 
"  Relation  de  ses  faits  héroïques  adressés  à  la 
comtesse  de  Maurepas,  à  la  demande  de  M.  de 
Beauharnois,  gouverneur  de  la  Nouvelle- 
France." 

u  L'an  1722,  je  me  suis  trouvée  dans  une 
occasion  assez  délicate  où  il  s'agissait  de  sau- 
ver la  vie  à  M.  de  la  Pérade,  mon  mari,  et  à  moi. 
Deux  Abénaquis  des  plus  grands  hommes  de 
leur  nation  étant  entrés  chez  nous,  cherchèrent 
querelle  à  M.  de  la  Pérade.  Il  leur  dit  en  iro- 
quois  :  sortez  d'ici.  Ils  sortirent  tous  deux  très 
fâchés.  Leur  sortie  qui  fut  fort  brusque  nous 
fit  croire  la  querelle  finie.  Nous  n'examinâmes 


(1)  Sur  Nicolas  Lanoullier  et  son  privilège  pour  établir 
des  postes  entre  Québec  et  Montréal,  on  peut  consulter  le 
Bulletin   des   Recherches   Historiques,  vol.   XII,  p.  3. 

(2)  Archives  du  Canada,  Correspondnace  générale,  vol. 
120. 


38 


point  leur  démarche,  persuadés  qu'ils  avaient 
pris  le  parti  de  s'en  aller.  Dans  un  moment  nous 
fûmes  fort  surpris  de  les  entendre  tous  dans  le 
tambour  de  la  maison,  faisant  le  cri  de  mort 
et  disant  :  Tagarianguen,qui  est  le  nom  iroquois 
de  mon  mari,  tu  es  mort.  Ils  étaient  armés  :  l'un 
d'un  casse-tête  et  l'autre  d'une  hache.  Celui-ci 
enfonce,  brise  la  porte  à  coups  de  hache  sur  la 
tête  de  M.  de  la  Pérade,  qui  fut  assez  adroit 
et  assez  heureux  pour  parer  le  coup  en  se  jetant 
à  corps  perdu  sur  le  sauvage  ;  mais  il  était  trop 
faible  pour  pouvoir  résister  longtemps  à  un 
sauvage  d'une  stature  gigantesque  et  dont  les 
forces  répondaient  à  la  haute  taille.  Un  homme 
de  résolution  qui  se  trouva  fort  à  propos  à  la 
porte  de  la  maison  donna  du  secours  à  M.  de  la 
Pérade.  Le  sauvage  qui  était  armé  d'un  casse- 
tête  voyant  son  compagnon  en  presse  entre, 
lève  le  bras  pour  décharger  son  coup  sur  la 
tête  de  mon  mari  ;  résolue  de  périr  avec  lui  et 
suivant  les  mouvements  de  mon  cœur,  je  sautai 
ou  plutôt  je  volai  vers  ce  sauvage,  j'empoigne 
son  casse-tête,  je  le  désarme.  Il  veut  monter  sur 
un  coffre,  je  lui  casse  les  reins  avec  son  casse- 
tête  et  je  le  vois  tomber  à  mes  pieds.  Je  ne  fus 
jamais  plus  surprise  que  de  me  voir  enveloppée 
à  l'instant  par  quatre  sauvagesses  ;  l'une  me 
prend  à  la  gorge,  l'autre  aux  cheveux,  après 
avoir  arraché  ma  coiffe  ;  les  deux  autres  me 
saisissent  par  le  corps  pour  me  jeter  dans  le 
feu.  A  ce  moment,  un  peintre  me  voyant  aurait 
bien  pu  tirer  le  portrait  d'une  Madeleine  ;  dé- 
coiffée,  mes  cheveux   épars  et  mal   arrangés, 


—  39  — 

mes  habits  tous  déchirés,  n'ayant  rien  sur  moi 
qui  ne  fût  pas  morceaux,  je  ressemblais  pas 
mal  à  cette  sainte  aux  larmes  près,  qui  ne  cou- 
lèrent jamais  de  mes  yeux.  Je  me  regardais 
comme  la  victime  de  ces  furieuses  outrées  de 
douleur  de  voir,  l'une  son  mari,  les  autres,  leur 
parent,  étendu  sur  la  place  sans  mouvement  et 
presque  sans  vie.  Bientôt,  j'allais  être  jetée 
dans  le  feu,  lorsque  mon  fils  Tarieu,  âgé  seule- 
ment de  douze  ans,  animé  comme  un  lion  à  la 
vue  de  son  père  qui  encore  aux  prises  avec  le 
sauvage  et  de  sa  mère  prête  à  être  dévorée  par 
les  flammes,  il  s'arme  de  ce  qu'il  rencontre, 
frappe  avec  tant  de  force  et  de  courage  sur  la 
tête  et  les  bras  de  ces  sauvagesses,  qu'il  les 
obligea  à  lâcher  prise.  Débarrassée  de  leurs 
mains,  je  cours  au  secours  de  M.  de  la  Pérade, 
passant  sur  le  ventre  de  celui  que  j'avais  étendu 
par  terre.  Les  quatre  sauvagesses  s'étaient  déjà 
jetées  sur  M.  de  la  Pérade,  pour  lui  arracher 
la  hache  qu'il  tenait  et  dont  il  voulait  casser  la 
tête  au  malheureux  qui  venait  de  le  manquer. 
Prenant  le  sauvage  par  les  cheveux,  je  lui  dis  ; 
tu  es  mort,  je  veux  avoir  ta  vie.  Le  Français 
dont  j'ai  parlé  qui  donnait  secours  à  M.  de  la 
Pérade  me  dit  :  madame,  ce  sauvage  demande 
la  vie,  je  crois  qu'il  faut  lui  donner  quartier. 
En  même  temps,  ces  sauvagesses  qui  jusqu'alors 
avaient  toujours  poussé  des  cris  effroyables  qui 
nous  empêchaient  de  nous  entendre,  deman- 
dèrent aussi  la  vie.  Nous  voyant  les  maîtres, 
nous  crûmes  qu'il  était  plus  glorieux  de  laisser 
la  vie  à  notre  ennemi  vaincu  que  de  le  faire 


—  40  — 

mourir.  Ainsi  je  sauvai  la  vie  à  mon  mari,  et 
mon  fils  âgé  de  douze  ans  sauva  la  vie  à  sa 
mère.  Cette  action  fut  aux  oreilles  de  M.  de 
Vaudreuil  ;  il  voulut  s'informer  du  fait  par 
lui-même,  il  vint  exprès  sur  les  lieux,  il  vit  la 
porte  cassée,  il  parla  au  Français  témoin  de 
Faction  et  sut  dans  la  suite  des  sauvages  mêmes 
la  vérité  de  ce  que  je  viens  d'exposer."  (1) 

En  1727,  l'île  au  Sable  revenait  sur  le 
tapis.  M.  Voyer,  curé  de  Sainte- Anne,  ayant  eu 
le  malheur  de  faire  couper  quelques  arbres  sur 
cette  île,  M.  de  la  Pérade  le  poursuivit  devant 
la  Prévôté.  Le  14  janvier  1727,  le  curé  était 
condamné  pour  ce  crime  à  cinq  livres  d'amende 
envers  le  roi  et  aux  dépens  du  procès.  (2) 

Comme  conséquence  de  ce  jugement,  le  21 
mars  1727,  M.  de  la  Pérade  obtenait  de  l'inten- 
dant Dupuy  une  ordonnance  exécutoire  contre 
le  curé  Voyer  pour  la  somme    de    225    livres, 
montant    des    dépens    dans    son    affaire    avec 
lui.   (3) 

Le  sieur  Normandin,  huissier  de  Batiscan, 
n'ayant  pas  mis  à  exécution  l'ordonnance  por- 
tée contre  le  curé  Voyer  par  M.  de  la  Pérade, 
celui-ci,  le  8  avril  1727,  obtenait  de  l'intendant 
Dupuy  l'interdiction  de  Normandin  pour  trois 
mois.  (4) 

En  1728,  M.  de  la  Pérade  intentait  un 
nouveau  procès  à  M.  Chorel  Dorviiliers.  Cette 
fois,  il  lui  réclamait  les  cens  et  rentes  seigneu- 


(1)  Supplément    du    Rapport    du    Dr    Brymner    sur    les 
Archives  Canadiennes,  pour  1899,  p.  7. 

(2)  Registre   de   la  Prévôté   de   Québec,    1726-1728.- 

(3)  Ordonnances    des    Intendants,    cahier    12  A. 

(4)  Ordonnances    des    Intendants,    cahier    12  A. 


—  41  — 

riales  sur  huit  arpents  de  terre  qu'il  possédait 
dans  File  Saint-Ignace  sur  le  pied  de  six  de- 
niers de  cens,  de  vingt  sols  de  rentes  annuelles 
par  arpent  et  un  chapon  vif  aussi  par  arpent, 
à  compter  du  9  mars  1697.  M.  de  la  Pérade 
voulait  de  plus  obliger  M.  Chorel  Dorvilliers 
à  prendre  un  titre  de  concession  pour  ses  huit 
arpents  de  terre,  attendu,  disait-il,  qu'il  les 
possède  sans  aucun  titre  et  indûment. 

Le  10  juillet  1728,  l'intendant  Dupuy  don- 
nait raison  à  M.  de  la  Pérade  sur  toute  la  ligne. 

"  Avons  ordonné  et  ordonnons,  disait-il, 
que  la  dite  île  Saint-Ignace  aussi  bien  que 
toutes  celles  qui  sont  sur  la  devanture  de  la 
seigneurie  de  Sainte-Anne  seront  et  demeure- 
ront au  sieur  de  la  Pérade,  faisons  défense  au 
sieur  Dorvilliers  de  le  troubler  en  la  possession 
et  jouissance  d'icelles,  ordonnons  en  outre  que 
les  terres  que  le  sieur  Dorvilliers  a  dans  l'île 
Saint-Ignace  aussi  bien  que  les  habitants  qui 
en  pourraient  avoir  relèveront  du  sieur  de  la 
Pérade  à  qui  ils  payeront  les  cens  et  rentes  aux 
conditions  ci-devant  dites  et  seront  tenus  de 
prendre  titre  et  contrat  du  dit  sieur  de  la 
Pérade "  (1) 

Il  va  sans  dire  que  M.  Chorel  Dorvilliers 
était  condamné  à  tous  les  dépens  de  l'instance 
de  même  qu'aux  frais  des  voyages  de  M.  et 
madame  de  la  Pérade  à  Québec. 

Une  des  principales  obligations  des  censi- 
taires, sous  le  régime  seigneurial,  était  de  faire 
moudre  leurs  grains  au  moulin  banal.  Le  mou- 


Ci)  Ordonnances   des    Intendants,   cahier    15. 


—  42  — 

lin  de  M.  de  la  Pérade  devait  avoir  bien  des 
défauts  puisque  les  habitants  de  Sainte-Anne 
préféraient  faire  moudre  leurs  grains  au  mou- 
lin de  la  seigneurie  de  Saint-Pierre,  qui  appar- 
tenait à  M.  Levrard. 

Déjà,  en"  1707,  M,  de  la  Pérade  avait 
obtenu  de  l'intendant  Raudot  une  ordonnance 
par  laquelle  il  obligeait  le  curé  et  tous  les  habi- 
tants de  Sainte-Anne  de  porter  moudre  leur 
blé  au  moulin  banal,  avec  défense  d'aller 
ailleurs,  à  peine  de  confiscation  et  d'amende. 

Pendant  un  certain  nombre  d'années  les 
habitants  de  Sainte-Anne  se  conformèrent  à 
cette  ordonnance.  Ils  connaissaient  leur  sei- 
gneur et  savaient  qu'il  n'était  pas  homme  à  se 
laisser  léser  sans  avoir  recours  à  la  justice. 

En  1728,  les  habitants  de  Sainte-Anne  se 
sentant  moins  surveillés  recommencèrent  leurs 
visites  au  moulin  de  Saint-Pierre. 

M.  de  la  Pérade,  en  vertu  de  l'ordonnance 
rendue  par  M.  Raudot  en  1707,  fit  saisir  chez 
le  nommé  Pierre  Brisson,  meunier  de  la 
seigneurie  de  Saint-Pierre,  les  blés  portés  à  son 
moulin  par  le  curé  et  huit  habitants  de  sa 
seigneurie. 

Quelques  jours  plus  tard,  M.  de  la  Pérade 
faisait  assigner  devant  l'intendant  Dupuy,  le 
curé  et  les  habitants  en  faute. 

Le  10  juillet  1728,  l'intendant  Dupuy  dé- 
clarait les  saisies  faites  entre  les  mains  du  meu- 
nier Brisson  bonnes  et  valables  et  ordonnait  à 
celui-ci  de  remettre  les  blés  en  question  à  M. 
de  la  Pérade.  Le  curé  et  les  habitants  furent 


43 


de  plus  condamnés  aux  dépens  tant  des  saisies 
que  des  assignations  et  aux  frais  de  voyage  de 
M.  de  la  Pérade  à  Québec  taxés  à  trente  livres. 
M.  Dupuy  déchargea  cependant  les  habitants 
de  l'amende;  M.  de  la  Pérade  ayant  déclaré 
qu'il  la  leur  remettait  pour  cette  fois.  (1) 

Brisson  ayant  refusé  de  remettre  les  blés 
saisis  chez  lui,  M.  de  la  Pérade  obtint  de 
l'intendant  Dupuy,  le  20  août  1728,  un  exécu- 
toire contre  l'entêté  meunier  qui  fut  de  plus 
condamné  à  tous  les  frais  et  dépens  et  à  cinq 
livres  d'amende,  pour  sa  désobéissance,  appli- 
cable à  la  paroisse  de  la  seigneurie  de  Sainte- 
Anne.  (2) 

Pendant  la  vacance  du  siège  de  Québec 
occasionnée  par  la  mort  de  Mgr  de  Saint-Val- 
lier,  le  Chapitre  de  Québec  avait  eu  la  malen- 
contreuse idée  de  nommer  des  curés  inamovibles 
dans  les  paroisses  de  Lachenaie,  Repentigny, 
Château-Richer,Beaumont,Laprairie  et  Sainte- 
Anne  de  la  Pérade.  M.  Voyer,  nommé  curé 
inamovible  de  Sainte- Anne  de  la  Pérade  le  3 
février  1728,  desservait  cette  paroisse  en  qua- 
lité de  missionnaire  depuis  sept  ans. 

Informé  de  ces  nominations  insolites  dès 
son  accession  au  siège  de  Québec,  Mgr  de  Mor- 
nay,  qui  ne  passa  pas  dans  la  Nouvelle-France, 
donna  instruction  à  son  coadjuteur,  Mgr  Dos- 
quet,  d'exiger  la  démission  de  ces  six  prétendus 
curés  inamovibles. 

Cinq  se  soumirent    de    bonne    grâce.    Le 


Cl)  Edits  et  Ordonnances,  vol.  II,  p.  497. 
(2)  Edits  et  Ordonnances,  vol.  III,  p.  246. 


—  44  — 

sixième,  M.  Voyer,  curé  de  Sainte- Anne  de  la 
Pérade,  refusa  de  donner  la  démission  deman- 
dée. Il  écrivit  même  à  Mgr  Dosquet  quelques 
lettres  peu  conformes  à  la  subordination  qu'un 
prêtre  doit  à  son  évêque,  Mgr  Dosquet,  piqué 
de  ce  procédé  et  fort  de  son  droit,  lui  enleva  les 
pouvoirs  de  prêcher  et  de  confesser,  puis,  par 
le  ministère  de  son  archidiacre,  M.  de  Lotbi- 
nière,  le  suspendit  et  nomma  le  Père  Luc, 
récollet,  pour  desservir  Sainte- Anne  de  la 
Pérade  jusqu'à  nouvel  ordre. 

M.  de  la  Pérade  qui  avait  déjà  en  maille  à 
partir  avec  son  curé,  trouva  le  moyen  d'inter- 
venir dans  la  chicane  de  ce  dernier  avec  Mgr 
Dosquet  qui  ne  le  regardait  pourtant  pas  en 
aucune  façon. 

On  voit  sa  signature  sur  la  dernière  moni- 
tion  adressée  par  l'archidiacre  de  Lotbinière 
à  M.  Voyer. 

Le  curé  Voyer  finit  par  entendre  raison  et, 
au  mois  de  mars  1733,  il  se  démettait  de  sa 
cure  en  bonne  et  due  forme.  Mgr  Dosquet  lui 
remit  tous  ses  pouvoirs  et  M.  Voyer  continua 
à  desservir  la  paroisse  à  titre  de  missionnaire. 

Les  habitants  de  Sainte-Anne  de  la  Pérade 
qui  avaient  été  divisés  en  deux  camps  pendant 
plusieurs  mois  reprirent  peu  à  peu  leur  vie 
ordinaire. 

Dans  l'été  de  1730,  M.  et  madame  de  la 
Pérade  étaient  assignés  devant  la  Prévôté  de 
Québec  par  M.  Gervais  Lefebvre,  curé  de  Ba- 
tiscan,  paroisse  voisine  de  Sainte-Anne  de  la 
Pérade,   qui  les  accusait  d'avoir  fait  circuler 


—  45  — 

des  propos  diffamatoires  contre  son  caractère, 
son  honneur  et  sa  réputation. 

Si  le  curé  Lef  ebvre  croyait  avoir  la  partie 
belle  avec  le  seigneur  de  Sainte-Anne  et  sa 
femme,  il  ne  les  connaissait  pas  ou  les  connais- 
sait mal.  Ils  se  défendirent  avec  une  énergie 
digne  d'une  meilleure  cause.  Ils  amenèrent 
devant  la  Prévôté  une  foule  de  témoins  qui 
avaient  des  griefs  plus  ou  moins  justifiés  contre 
le  curé  Lef  ebvre  et  donnèrent  des  témoignages 
qui  n'avaient  pas  rapport  à  la  cause  mais  pré- 
jugèrent le  juge  contre  le  curé  de  Batiscan. 

Le  29  août  1730,  M.  André  de  Leigne, 
lieutenant-général  de  la  Prévôté,  rendait  son 
jugement.  Il  condamnait  le  curé  Lefebvre  à  la 
somme  de  deux  cents  livres  de  dommages  et 
intérêts  envers  M.  et  madame  de  la  Pérade 
"  pour  les  avoir  traduits  en  justice  mal  à  propos 
et  inconsidérément."  De  plus,  tous  les  dépens 
du  procès  étaient  mis  à  sa  charge. 

Le  curé  Lefebvre  appela  immédiatement 
au  Conseil  Supérieur  de  la  Nouvelle-France  du 
jugement  rendu  contre  lui  par  la  Prévôté  de 
Québec.  Il  demandait  au  Conseil  Supérieur  de 
le  décharger  des  condamnations  de  la  Prévôté 
et  exigeait  des  sieur  et  dame  de  la  Pérade 
réparation  d'honneur  pour  les  fausses  accusa- 
tions et  calomnies  portées  contre  lui.  Il  deman- 
dait, de  plus,  que  les  dépositions  mal  à  propos 
reçues  et  admises  par  le  lieutenant  général  de 
la  Prévôté  fussent  mises  au  feu  et  brûlées. 

Le  23  décembre  1730,  le  Conseil  Supérieur 
rendait   son  jugement.   Il  déchargeait  le  curé 


—  46  — 

Lefebvre  des  condamnations  contre  lui  pronon- 
cées par  la  sentence  de  la  Prévôté  de  Québec. 
Sur  la  demande  en  réparation  d'honneur  et  les 
autres  demandes  du  curé  Lefebvre,  le  Conseil 
mettait  les  parties  hors  de  cour  et  de  procès, 
ordonnait  la  suppression  de  la  procédure  et 
condamnait  M.  et  madame  de  la  Pérade  aux 
dépens  des  causes  principale  et  d'appel. 

M.  et  madame  de  la  Pérade,  on  peut  le 
croire  sans  peine,  ne  furent  pas  satisfaits  de  ce 
jugement  qui,  sans  accorder  toutes  les 
demandes  du  curé  Lefebvre,  mettait  cependant 
à  leurs  charges  tous  les  frais  du  procès  tant 
devant  la  Prévôté  que  devant  le  Conseil 
Supérieur. 

Il  n'y  avait  pas  d'autre  juridiction  dans 
la  Nouvelle-France,  mais  iî  y  avait  le  Conseil 
d'Etat  dans  la  vieille  France.  Les  frais  d'un 
semblable  appel  étaient  assez  élevés,  mais  pour 
des  plaideurs  avisés  comme  le  seigneur  de 
Sainte-Anne  et  sa  femme  pareille  considération 
n'entrait  pas  en  ligne  de  compte. 

Madame  de  la  Pérade  se  décida  à  passer 
en  France  afin  de  porter  elle-même  son  affaire 
devant  le  Conseil  d'Etat.  Elle  s'embarqua  à 
Québec  à  l'automne  de  1732. 

Les  hauts  faits  de  Madeleine  de  Verchères 
étaient  bien  connus  en  France.  Elle  recevait 
depuis  plusieurs  années  une  pension  du  roi 
pour  sa  belle  défense  du  fort  de  Verchères.  Le 
gouverneur  de  Beauharnois,  peu  après  son 
arrivée  ici,  avait  fait  envoyer  à  madame  de 
Maurepas,  femme  du  ministre,  une  relation  de 


47 


ses  actions  d'éclat  écrite  par  l'héroïne  elle- 
même. 

Les  portes  des  différents  ministères  lui 
furent  donc  toutes  grandes  ouvertes.  Le  pré- 
sident du  Conseil  de  marine,  entre  autres,  la 
reçut  avec  le  plus  vif  intérêt.  Il  s'intéressa  tout 
de  suite  à  son  affaire  sans  toutefois  se  com- 
promettre. 

Le  12  mai  1733,  le  président  du  Conseil 
de  marine  écrivait  à  MM.  de  Beauharnois  et 
Hocquart  qu'il  ne  comprenait  pas  comment  il 
se  faisait  que  dans  le  procès  entre  M.  et 
madame  de  la  Pérade  avec  M.  Lefebvre,  curé 
de  Batiscan,  les  parties  avaient  été  mises  hors 
de  cour  et  M.  de  la  Pérade  condamné  aux 
dépens.  Si  le  curé  Lefebvre  était  coupable  des 
faits  imputés,  pourquoi  le  mettre  hors  de  cour  ? 
S'il  était  innocent,  pourquoi  ne  condamner  M. 
de  la  Pérade  qu'aux  dépens  et  ne  pas  punir  lui 
et  sa  femme  comme  calomniateurs  ?  Le  prési- 
dent du  Conseil  de  marine  informait  cependant 
le  gouverneur  et  l'intendant  qu'il  n'accorderait 
pas  le  pourvoi  en  cassation  afin  d'éviter  la  conti- 
nuation du  scandale.  Le  président  du  Conseil  de 
marine  exhortait  fortement  MM.  de  Beauhar- 
nois et  Hocquart  à  concilier  les  parties  sur  le 
paiement  des  frais.  (1) 

Madame  de  la  Pérade,  comme  on  vient 
de  le  voir,  n'avait  pas  obtenu  la  permission  de 
porter  son  affaire  devant  Je  Conseil  d'Etat, 
mais  le  président  du  Conseil  de  marine  lui  avait 


(1)  Rapport    sur    les    Archives    Canadiennes    pour    1904, 
p.   176. 


—  48  — 

fait  toutes  sortes  de  belles  promesses.  Les 
bonnes  paroles  coûtent  peu  et  les  ministres  du 
grand  roi  en  étaient  prodigues. 

Madame  de  la  Pérade  se  rembarqua  pour 
la  Nouvelle-France  au  printemps  de  1733.  Le 
président  du  Conseil  de  marine  poussa  l'ama- 
bilité jusqu'à  lui  permettre  de  faire  le  voyage 
sur  le  vaisseau  du  roi.  (1)  C'est  une  faveur 
qu'on  obtenait  peu  souvent  alors. 

Peu  après  le  retour  de  madame  de  la 
Pérade  au  pays,  le  gouverneur  de  Beauharnois 
et  l'intendant  Hocquart,  pour  se  conformer  aux 
ordres  du  président  du  Conseil  de  marine, 
commençaient  leur  travail  pour  amener  les 
parties  à  une  entente.  La  tâche  n'était  pas  facile. 
Le  Conseil  Supérieur  ayant  donné  raison  à  peu 
près  sur  tous  les  points  au  curé  Lefebvre, 
celui-ci  était  bien  disposé  à  régler  l'affaire  à 
l'amiable.  Mais  M.  et  madame  de  la  Pérade  ne 
voulaient  pas  démordre.  Comme  nos  Canadiens 
de  la  campagne  lorsqu'ils  s'engagent  dans  un 
procès,  ils  voulaient  en  voir  le  bout.  Enfin, 
après  plusieurs  entrevues  avec  M.  et  madame 
de  la  Pérade,  le  gouverneur  et  l'intendant  réus- 
sirent à  régler  l'affaire. 

Le  21  octobre  1733,  M.  Joachim  Fornel, 
chanoine  de  la  cathédrale  de  Québec,  au  nom  et 
comme  fondé  de  pouvoir  de  M.  Gervais  Le- 
febvre, docteur  en  théologie  et  curé  de  Batiscan. 
et  Marie-Madeleine  Jarret  de  Verchères,  tant 


(1)  Rapport    sur    les    Archives    Canadiennes,    pour    1391, 
p.   186. 


49 


pour  elle  que  pour   son  mari   Pierre-Thomas 
Tarieu  de  la  Pérade,  signaient  l'accord  suivant  : 

"  Pardevant  les  notaires  royaux  en  la  pré- 
vosté  de  cette  ville  de  Québec  sont  comparus 
Me  Joachim  Fornel,  prêtre,  chanoine  de  la 
cathédrale  de  cette  ditte  ville,  au  nom  et  comme 
fondé  du  pouvoir  soubs  sein  privé  en  datte  du 
premier  octobre  dernier  de  Me  Gervais  Le- 
febvre,  aussy  prêtre  et  docteur  en  théologie,  et 
dame  jarret  de  Verchères  faisant  tant  pour 
elle  que  se  faisant  fort  de  faire  ratiffier  le  con- 
tenu en  ces  présentes  par  Pierre-Thomas 
Tarieu  Eser,  sieur  de  la  Pérade,  ofïer  dans  les 
troupes  du  détachement  de  la  marine  entrete- 
nues en  ce  pays  pour  le  service  du  Roy,  son 
époux,  lesquels  sieur  Fornel  et  dame  de  la 
Pérade  es  noms  nous  ont  dits  et  déclarés 
que  nos  seigneurs  marquis  de  Beauharnois, 
commandeur  de  l'Ordre  royal  et  militaire  de 
St-Louis,  gouverneur  et  lieutenant-général  en 
ce  pays,  Gilles  Hocquart,  chevalier  coner  du 
Roy,  en  ses  conseils,  intendant  de  justice,  police 
et  finances  en  ce  dit  pays,  ont  bien  voulus  les 
concilier  et  acomoder  sur  l'affaire  qu'ils  ont 
eus  au  conseil  dont  arrest  est  intervenu  le  23 
décembre  1730,  en  conséquence  duquel  a  été 
décerné  exécutoire  pour  les  dépends  le  sixième 
aoust  1731  et  qu'au  moyen  de  cette  consiliation 
et  accomcdement  faits  par  nos  dits  seigneurs 
le  dit  sieur  Fornel  au  dit  nom  tient  quitte  et 
décharge  les  dits  sieur  et  dame  de  la  Pérade  des 
condamnations  portées  par  le  dit  arrest  et  exé- 
cutoire dont  et  de  quoy  les  parties  nous  ont 


—  50  — 

requis  acte  que  nous  leur  avons  octroyés,  vou- 
lant et  promettant  qu'il  ne  soit  plus  parlé  ny 
question  des  différents  cy-devant  mus  et  de 
faire  cesser  tous  reproches  en  cette  occasion  au 
moyen  de  la  présente  transaction,  s'obligeant 
mon  dit  sieur  Fournel  de  faire  ratifier  par  mon 
dit  sieur  Lef  ebvre  la  présente  transaction  toutes 
fois  et  quantes,  car  ainsy  etc.,  promettant  etc., 
obligeant  etc  Renonçant  etc.  Fait  etc  à  Québec 
au  Palais  du  Roy  dans  un  des  appartements 
de  mon  dit  seigneur  l'intendant  après-midy  le 
vingt-unième  jour  d'octobre  mil  sept  cent  trente 
trois,  et  ont  les  dites  parties  signées  avec  nous 
dits  notaire. 

FORNEL,  Ptre 

MARIE  DE  VERCHER  DE  LA  PERADE 

LOUET 

HICHE,"(1) 

Dans  sa  lettre  du  13  avril  1734,  le  prési- 
dent du  Conseil  de  marine  félicitait  chaleureu- 
sement MM.  de  Beauharnois  et  Hocquart 
d'avoir  réussi  à  régler  à  l'amiable  cette  affaire 
si  épineuse.  (2) 

Le  procès  du  curé  Lefebvre  contre  M.  et 
madame  de  la  Pérade  avait  passionné  les  esprits 
pendant  trois  années.  Il  y  avait  eu  tort  des 
deux  côtés.  Mais  on  ne  peut  blâmer  le  curé 
Lefebvre  d'avoir  revendiqué  son  honneur.  Il 
était  curé  d'une  importante  paroisse  et  sa  répu- 


(1)  Acte  de  Henry  Hiché,  notaire  à  Québec. 

(2)  Rapport    sur    les    Archives    Canadiennes    pour    1904, 
193. 


—  51  — 

tation  devait  être  intacte  pour  y  exercer  son 
ministère  avec  fruit.  (1) 

En  1728,  M.  de  la  Pérade  avait  fait  dé- 
clarer par  l'intendant  Dupuy  qu'il  était  l'unique 
propriétaire  de  l'île  Saint-Ignace.  M.  Chorel 
Dorvilliers,  pendant  ses  années  d'usurpation, 
avait  concédé  des  terres  dans  l'île  Saint- 
Ignace,  à  deux  habitants  de  Sainte-Anne, 
Pierre  Rivard  Lanouette  et  Julien  Rivard  La- 
nouette.  Ceux-ci  avaient  continué  à  payer  leurs 
cens  et  rentes  à  M.  Chorel  Dorvilliers. 

M.  de  la  Pérade  avait  encore  là  une  belle 
occasion  de  plaider.  Il  ne  la  manqua  pas.  Le 
procès  qu'il  intenta  à  Pierre  Rivard  Lanouette, 
en  1732,  dura  quatre  ans. 

Le  25  septembre  1736,  M.  de  la  Pérade 
réussissait  enfin  à  faire  décider  par  l'intendant 
Hocquart  que  la  terre  acquise  par  Pierre  Ri- 
vard Lanouette  de  M.  Chorel  Dorvilliers,  le  30 
septembre  1723,  relevait  de  sa  seigneurie 
comme  faisant  partie  de  l'île  Saint-Ignace,  et 
il  faisait  condamner  Pierre  Rivard  Lanouette  à 
lui  paya  les  lods  et  ventes  de  son  acquisition 
suivant  la  coutume  comme  aussi  tous  les  arré- 
rages de  cens  et  rentes  dus  et  échus  depuis  le 
20  septembre  1723,  date  de  son  acquisition.  (2) 

Pierre  Rivard  Lanouette,  se  conformant 
au  jugement  rendu  contre  lui,  offrait  immédia- 
tement de  payer  à  M.  de  la  Pérade  tout  ce  qu'il 
lui  devait.  Celui-ci  trouva  le  moyen  de  créer  un 


(1)  Dans  le  Bulletin  des  Recherches  Historiques,  vol.  VI, 
pp.  340  et  seq.,  en  trouvera  un  résumé  du  procès  du  curé 
Lefebvre  et  de  M.  et  madame  de  la  Pérade. 

(2)  Ordonnances    des    Intendants,    cahier   24. 


nouveau  procès.  Cette  fois,  l'intendant  Hoc- 
quart,  qui  lui  était  moins  favorable  que  l'inten- 
dant Dupuy,  le  mit  proprement  à  sa  place.  Le  13 
octobre  1736,  il  déclarait  les  offres  faites  à  M. 
de  la  Pérade  par  Rivard  Lanouette  bonnes  et 
valables  et  décida  que,  faute  par  M.  de  la  Pé- 
rade d'accepter  les  lods  et  ventes,  cens  et  rentes 
et  arrérages  d'icelles  offertes  par  Rivard  La- 
nouette, ce  dernier  serait  bien  et  valablement 
déchargé  de   tout  paiement.  (1) 

Pendant  son  séjour  en  France  en  1732- 
1733,  madame  de  la  Pérade  s'était  occupé,  en 
outre  de  son  procès  avec  le  curé  Lefebvre,  d'une 
autre  affaire  importante. 

Le  4  mars  1697,  madame  de  Lanaudière, 
mère  de  son  mari,  avait  obtenu  de  MM.  de 
Frontenac  et  Bochart  Champigny  une  conces- 
sion de  trois  lieues  de  terre  de  profondeur 
derrière  sa  seigneurie  de  Sainte-Anne. 

Le  30  octobre  1700,  M.  de  la  Pérade  avait 
également  obtenu  de  MM.  de  Caliières  et  Bo- 
chart Champigny  une  concession  d'environ 
deux  lieues  de  terre  de  front  sur  une  lieue  et 
demie  de  profondeur  "  au  derrière  de  la  terre 
et  seigneurie  de  Sainte- Anne." 

Le  roi  n'avait  pas  encore  ratifié  ces  deux 
concessions  qui  remontaient  l'une  à  trente-six 
ans  et  l'autre  à  trente-trois  ans  parce  que  les 
tenants  et  aboutissants  de  la  concession  de  1700 
étaient  les  mêmes  que  celle  de  1697. 

Madame  de  la  Pérade  obtint  du  président 


(1)  Ordonnances    des    Intendants,   cahier    24. 


53 


du  Conseil  de  marine  le  règlement    de    cette 
affaire  embrouillée. 

Le  29  avril  1734,  le  président  du  Conseil 
de  marine  donnait  ordre  à  MM.  de  Beauharnois 
et  Hocquart  d'annuler  la  concession  faite  à 
madame  de  Lanaudière  le  4  mars  1697  et 
d'accorder  à  M.  de  la  Pérade  une  nouvelle  con- 
cession sur  le  derrière  et  sur  le  même  front  que 
celle  qui  lui  avait  été  accordée  le  30  octobre 
1700.  (1) 

En  conséquence  de  cet  ordre,  le  20  avril 
1735,  MM.  de  Beauharnois  et  Hocquart  suppri- 
maient et  annulaient  la  concession  faite  à  ma- 
dame de  Lanaudière  le  4  mars  1697  et  concé- 
daient à  M.  de  la  Pérade  "  une  étendue  de 
terre  de  trois  lieues  de  profondeur  à  prendre 
derrière  et  sur  la  même  largeur  de  la  concession 
du  30  octobre  1700."  Cette  concession  était 
faite  à  titre  de  fief  et  seigneurie,  avec  droit  de 
haute,  moyenne  et  basse  justice,  etc.  (2) 

Cette  concession  fut  ratifiée  par  le  roi  le 
17  avril  1736.  (3) 

En  1735,  M.  de  la  Pérade  entrait  en  lice 
avec  un  nouvel  adversaire,  M.  Louis  Gatineau 
Duplessis,  seigneur  de  Sainte-Marie.  Le  5  avril 
1735,  l'intendant  Hocquart  pour  mettre  fin  à 
leurs  contestations  fixait  les  bornes  respectives 


(\)  Rapport    sur    les    Archives    Canadiennes    pour    1904, 
p.    194. 

(2)  Pièces  et  documents  relatifs  à  la  tenure  seigneuriale, 
p.   177. 

(3)  Rapport    sur    les    Archives    Canadiennes    pour    1904, 
p.   228. 


—  54  — 

des  fiefs  voisins  de  Sainte-Anne  et  de  Sainte- 
Marie.  (1) 

Le  21  janvier  1736,  M.  de  la  Pérade  obte- 
nait de  l'intendant  Hocquart  une  ordonnance 
qui  réitérait  les  défenses  déjà  faites  à  tous  les 
habitants  de  Sainte-Anne  de  faucher  ni  enlever 
aucuns  foins  de  la  commune  de  sa  seigneurie  à 
peine  de  dix  livres  d'amende  et  de  punition 
corporelle  en  cas  de  récidive.  Jean-Baptiste 
Grimard,  qui  avait  enlevé  du  foin  de  la 
commune,  était  condamné  en  trois  livres 
d'amende.  (2) 

En  1737,  M.  de  la  Pérade  entra  de  nouveau 
en  guerre  contre  M.  Voyer,  curé  de  Sainte- 
Anne.  Il  lui  fit  signifier  défense  "  d'abattre, 
d'enlever  ou  de  faire  enlever  aucun  bois  sur  la 
terre  du  défunt  Philippe  Etienne  ",  dont  le 
fonds,  prétendait-il,  lui  appartenait.  Pendant 
plusieurs  semaines,  le  seigneur  de  Sainte-Anne 
et  le  curé  Voyer  se  signifièrent  par  ministère 
d'huissier,  menaces  de  procès,  sommations, 
actes  notariés,  etc.,  etc.  Le  litige,  cependant, 
ne  fut  pas  porté  devant  les  tribunaux.  Du 
moins,  nous  n'en  trouvons  aucune  trace. 

En  1739,  Pierre  Rivard  Lanouette,  qui 
avait  eu  à  se  plaindre  des  procédés  de  M.  de  la 
Pérade,  trouvait  une  bonne  occasion  de  le 
prendre  en  défaut.  M.  de  la  Pérade  ayant  né- 
gligé de  faire  ses  clôtures  mitoyennes  dans 
l'île  Saint-Ignace,  Pierre  Rivard  Lanouette,  le 
31   juillet   1739,  obtenait  de  l'intendant  Hoc- 


(1)  Ordonnances    des    Intendants,    cahier    23. 

(2)  Ordonnances    des    Intendants,   cahier   24. 


55 


quart  défaut  contre  lui.  En  plus,  M.  de  la  Pé- 
rade  était  condamné  aux  dépens  du  procès 
liquidés  à  quinze  livres.  (1) 

Le  15  mars  1741,  M.  de  la  Pérade  faisait 
condamner  M.  Chorel  Dorvilliers  à  faire  sa 
part  de  clôture  mitoyenne  dans  l'île  Saint- 
Ignace  et  ce  au  printemps  de  1742  pour  toute 
préfixion  et  délai.  (2) 

En  1744,  nouvelle  difficulté  entre  MM.  de 
la  Pérade  et  Chorel  Dorvilliers.  Julien  Rivard 
Lanouette,  habitant  de  Sainte-Anne,  était-il  le 
censitaire  de  M.  de  la  Pérade  ou  de  M.  Chorel 
Dorvilliers  ?  Le  4  juin  1744,  M.  Hocquart 
tranchait  la  difficulté  en  condamnant  Julien  Ri- 
vard Lanouette  à  payer  ses  cens  et  rentes  à  M. 
Chorel  Dorvilliers. (3)  M.de  la  Pérade  évidem- 
ment, avait  perdu  un  bon  ami  par  le  départ  de 
l'intendant  Dupuy  ! 

Daniel  Portail  de  Gevron  était  le  débiteur 
commun  de  MM.  de  la  Pérade  et  Joseph  Le- 
vreau  de  Langy.  Il  était  parti  du  pays  sans  leur 
payer  ce  qu'il  leur  devait.  Le  16  janvier  1747, 
MM.  de  la  Pérade  et  Levreau  de  Langy  obte- 
naient jugement  de  l'intendant  Hocquart  contre 
leur  débiteur  récalcitrant. M.de  la  Gorgendière, 
agent  de  la  Compagnie  des  Indes,  recevait  en 
même  temps  ordre  de  se  désaisir  ni  vider  ses 
mains  dé  la  somme  de  cinq  cents  et  quelques 
livres  appartenantes  au  sieur  Portail  de 
Gevron.  (4) 


(1)  Ordonnances    des  Intendants,   cahier    27. 

(2)  Ordonnances  des  Intendants,  cahier  27. 

(3)  Ordonnances   des  Intendants,    cahier   32. 
(1)  Ordonnances    des  Intendants,    cahier   34. 


56 


Le  8  août  1747,  le  deuil  entrait  dans  le 
manoir  de  Sainte-Anne  de  la  Pérade.  Marie- 
Madeleine  de  Verchères,  épouse  de  M.  de  la 
Pérade,  décédait,  à  l'âge  de  soixante-neuf  ans. 
Elle  fut  inhumée  sous  le  banc  seigneurial,  dans 
l'église  de  Sainte- Anne  de  la  Pérade.  (1) 

Après  la .  mort  de  madame  de  la  Pérade, 
nous  cherchons  vainement  le  nom  de  son  mari 
dans  les  paperasses  de  nos  anciens  tribunaux. 
Un  esprit  soupçonneux  en  tirerait  la  conclusion 
que  Madelon  de  Verchères  était  l'instigatrice 
des  nombreux  procès  dans  lesquels  s'engagea 
son  mari.  N'allons  pas  si  loin.  Laissons  à 
l'héroïne  de  Verchères  l'auréole  bien  méritée 
que  lui  ont  donnée  ses  actes  héroïques. 

M.  de  la  Pérade  survécut  dix  ans  à  sa 
femme.  Il  décéda  à  Sainte-Anne  de  la  Pérade, 
le  25  janvier  1757,  à  l'âge  de  quatre-vingts 
ans.  Il  fut  inhumé  le  lendemain,  dans  l'église 
paroissiale,  sous  son  banc,  a  côté  des  restes  de 
sa  femme. 

Du  mariage  de  Pierre-Thomas  Tarieu  de 
la  Pérade  et  de  Marie-Madeleine  de  Verchères 
étaient  nés  cinq  enfants  : 


(1)  Sur  Marie-Madeleine  de  Verchères  on  peut  consulter 
Joseph  Frémont,  Annuaire  de  l'Institut  Canadien  de  Québec, 
1888,  pp.  69  et  73  ;  Sainte-Anne  de  la  Pérade  autrefois  et 
aujourdh'ui,  p.  23  ;  l'abbé  Daniel,  Grandes  familles  du  Ca- 
nada, p.  452  ;  N.  E.  Dionne,  La  Kermesse,  p.  93  ;  Raoul  Re- 
nault, Revue  Canadienne,  vol.  XXXI  (1885),  pp.  279  et  340  ; 
Fréchette,  Légende  d'un  peuple,  p.  63  ;  sir  J.-M.  Le  Moine, 
Les  héroïnes  de  la  Nouvelle-France,  p.  14  ;  Frédéric  de  Kast- 
ner,  Héros  de  la  Nouvelle-France,  première  série,  p.  82  ; 
Drummond,  Madeleine  Verchères  ;  A.-G.  Doughty,  A  daughter 
of  New-France  ;  F.-A.  Baillairgé,  Marie-Madeleine  de  Ver- 
chères ;  Edmond  Roy,  Madeleine  de  Verchères,  Le  Soleil, 
20  mars  1909  ;  Pierre-Georges  Roy,  La  famille  Jarret  de 
Verchères. 


—  57  — 


Marguerite-Marie-Anne  Tarieu  de  Lanaudière 

Née  à  Sainte-Anne  de  la  Pérade  le  3 
juillet  1707. 

Mariée  à  Québec,  le  17  octobre  1727,  à 
Richard  Testu  de  la  Richardière,  capitaine  de 
flûte,  veuf  de  Marie  Huraut. 

M.  Testu  de  la  Richardière  décéda  à  Qué- 
bec, le  25  octobre  1741. 

En  deuxièmes  noces,  à  Québec,  le  7  octobre 
1743,  Marguerite-Marie- Anne  de  Lanaudière 
devint  la  femme  de  Anfoine  Coulon,  écuyer, 
sieur  de  Villiers,  lieutenant  d'une  compagnie 
du  détachement  de  la  marine,  fils  de  Nicolas- 
Antoine  Coulon,  sieur  de  Villiers,  capitaine, 
et  de  Angélique  Jarret  de  Verchères. 

M.  de  Villiers  décéda  à  Montréal  le  3 
avril  1750. 

Sa  veuve  se  remaria  à  Sainte-Anne  de  la 
Pérade,  le  12  mars  1752,  à  Jean-François  Gaul- 
tier, médecin  du  Roi  et  conseiller  au  Conseil 
Supérieur  de  la  Nouvelle-France,  fils  de  René 
Gaultier  de  Lapénin  et  de  Françoise  Câlin,  de 
la  paroisse  de  la  Croix  en  la  Vranchin,  diocèse 
d'Avranches,  en  Normandie. 

M.  Gaultier  décéda  à  Québec  le  1 1,  octobre 
1756. 

Une  tradition  conservée  dans  la  famille  de 
Lanaudière  veut  que  Marguerite-Marie-Anne 
de  Lanaudière  ait  été  sur  le  point  de  se  marier 
en  quatrièmes  noces  avec  le  célèbre  de  Bou- 
gainville. 


—  58  — 

Madame  Gaultier  décéda  à  l'Hôpital-Gé- 
néral  de  Québec  le  6  janvier  1776. 
Elle  n'avait  pas  eu  d'enfants. 

II 
Charles-François-Xavier    Tarieu    de    Lanaudière 

Né  à  Sainte-Anne  de  la  Pérade  le  4 
novembre  1710. 

Le  continuateur  de  la  lignée. 

III 
Louis-Joseph  Tarieu  de  Lanaudière 

Né  à  Sainte-Anne  de  îa  Pérade  le  15  août 
1714. 

Probablement  décédé  en  bas  âge.  (1) 

IV 
Marie-Madeleine   Tarieu   de   Lanaudière 

Née  à  Sainte- Anne  de  la  Pérade  le  19 
novembre  1717. 

Décédé  au  même  endroit  le  20  novembre 
1717. 


(1)  Nous  n'avons  aucun  renseignement  sur  lui.  Un 
tableau  généalogique  de  la  famille  de  Verchères  dressé  par 
le  major  René  Boileau  (publié  à  la  fin  de  la  seconde  édition 
de  Zouiviana  du  chevalier  Gustave-A.  Drolet),  dit  que  Louis- 
Joseph  Tarieu  de  Lanaudière  décéda  garçon. 


—  59  — 

V 

Jean-Baptiste-Léon  Tarieu  de  la  Pérade 

Né  à  Sainte-Anne  de  la  Pérade  le  5  mai 
1720. 

Il  servit  en  qualité  d'enseigne  dans  les 
troupes  du  détachement  de  la  marine. 

En  1747,  le  chevalier  de  la  Pérade  com- 
mandait au  poste  des  Ouytanons.  (1) 

En  1748,  le  chevalier  de  la  Pérade  était 
envoyé  pour  servir  dans  les  troupes  de  l'île 
Royale. 

Le  chevalier  de  la  Pérade  fut  mortellement 
blessé  à  la  bataille  de  la  Monongahéla,  le  9  juil- 
let 1755.  Il  décéda  le  lendemain. 

Enregistrons  ici  l'acte  de  sépulture  de  ce 
héros  : 

"  L'an  mille  sept  cent  cinquante  cinq,  le 
dix  de  juillet,  est  décédé  au  fort  Duquesne,  sous 
le  titre  de  l'Assomption  de  la  Ste-Vierge,  Mr 
Jean-Baptiste  de  Lapérade,  Escuyer,  sieur  de 
Tarieux,  enseigne  dans  les  troupes  de  l'isle 
Royale,  ayant  été  blessé,  le  neuf  du  présent 
mois,  dans  le  combat  donné  contre  les  Anglais, 


(1)  Les  Ouyatanons  étaient  plutôt  des  guerriers  que 
des  amis  de  la  terre.  M.  de  la  Pérade,  pendant  son  séjour 
parmi  eux,  était  obligé  d'acheter  ses  provisions  de  bouche 
au  Détroit.  Dans  le  Livre  de  compte  de  la  mission  des 
Hurons  de  'lîle  aux  Bois-Blanc,  à  la  date  du  24  septembre 
1747,  nous  lisons  :  "  10  minots  de  blé  d'Inde  livré  A  M.  de  la 
Pérade  point  de  prix  fait.  Il  se  vendait  une  pistole  ;  ce  qui 
fait  100  francs."  The  Jesuit  Relations  and  Allied  Documents, 
vol.  LLIX,  p.  276. 


—  60  — 

après  avoir  reçu  les  Sts  sacrements  de  pénitence 
et  d'extrême  onction,  son  corps  a  esté  inhumé 
dans  le  cimetière  du  mesme  fort,  par  nous  ptre 
récollet  soussigné,  aumônier  du  Roy  au  susdit 
fort,  En  foy  de  quoy  avons  signé. 

Fr  DENYS  BARON,  P.R. 

aumônier." 

Le  chevalier  de  la  Pérade  ne  s'était  pas 
marié.  (1) 


(1)  Mgr  Tanguay  (Dictionnaire  généalogique,  vol.  VII, 
p.  263),  lui  fait  épouser,  en  1749,  Marie  Bertrand  de  qui  il 
aurait  eu  une  fille,  Marie-Antoinette,  qui  serait  née  à 
Montréal,  le  27  mars  1750.  Mgr  Tanguay  a  fait  erreur. 


1ère    génération  :    Thomas-Xavier    Tarieu    de    Lanau- 

dière 

2ème  génération  :   Pierre-Thomas  Tarieu  de  la  Pérade 
3ème    génération  :    Charles-François-Xavier    Tarieu    de 

I^anaudière 


L'HON.   CHARLES-FRANÇOIS-XAVIER 
TARIEU  DE  LANAUDIERE 

Né  à  Sainte-Anne  de  la  Pérade  le  4 
novembre  1710. 

Comme  sa  mère,  l'héroïque  Madelon  de 
Verchères,  il  commença  la  vie  par  une  action 
d'éclat.  Celle-ci,  à  l'âge  de  douze  ans,  avait 
presque  soutenu  un  siège  dans  le  fort  de  Ver- 
chères  contre  une  troupe  d'Iroquois.  Le  jeune 
de  Lanaudière,  à  l'âge  de  douze  ans,  sauva  la 
vie  à  sa  mère  en  la  débarrassant  de  quatre 
sauvagesses  furieuses  qui  étaient  sur  le  point 
de  la  jeter  dans  l'âtre  du  manoir  de  Sainte- 
Anne  de  la  Pérade.  Bon  sang  ne  peut  mentir  ! 
Il  est  vrai  que  madame  de  Lanaudière  venait 
de  casser  les  reins  au  mari  de  l'une  de  ces 
sauvagesses  qui  voulaient  faire  un  mauvais 
parti  au  seigneur  de  Sainte-Anne,  retenu  à  la 
maison  par  la  maladie  ! 

Le  23  avril  1726,  le  baron  de  Longueuil, 
administrateur  de  la  Nouvelle-France,  donnait 
à  M.  de  Lanaudière  une  expectative  d'enseigne 
en  second  dans  les  troupes  du  détachement  de 
la  marine. 

Cette  enseigne  lui  fut  confirmée  par  le  roi, 
le  12  avril  1727. 

Sept  ans  plus  tard,  le  13  avril  1734,  M.  de 
Lanaudière  était  promu  enseigne  en  pied. 


62 


En  1741,  il  recevait  une  nouvelle  promo- 
tion. Il  était  fait  lieutenant. 

En  1743,  M.  de  Lanaudière  était  choisi 
comme  aide-major  de  la  ville  et  gouvernement 
de  Québec.  M.  Péan  de  Livaudière  était  alors 
major  de  Québec.  M.  de  Lanaudière  lui  rendit 
de  précieux  services  car  M.  Péan  de  Livaudière 
commençait  à  vieillir  et  n'avait  pas  l'activité 
nécessaire  pour  remplir  efficacement  ses  diffi- 
ciles fonctions. 

De  1726  à  1743,  M.  de  Lanaudière  dut 
faire  bien  des  campagnes.  Mais  nous  ne  voyons 
son  nom  mentionné  dans  aucune  des  relations 
qui  nous  ont  été  conservées  de  cette  période 
héroïque  de  notre  histoire. 

Les  officiers  de  grade  inférieur  se  battaient 
avec  autant  de  bravoure  et  de  dévouement  que 
les  commandants  de  compagnies  et  les  officiers 
d'état-major  mais  les  relations  officielles,  alors 
comme  aujourd'hui,  gardaient  tous  leurs  éloges 
et  leurs  compliments  pour  les  chefs. 

Jîn  1746,  M.  de  Lanaudière  fit  partie  de 
l'expédition  envoyée  en  Acadie  sous  les  ordres 
de  M.  de  Ramezay.  Cette  expédition,  au  dire 
de  M.  l'abbé  Casgrain,  est  l'un  des  faits  les  plus 
héroïques  des  annales  de  la  Nouvelle-France. 
On  vit  deux  cent  cinquante  Canadiens  partir  au 
cœur  de  l'hiver  (janvier  1747),  faire  plus  de 
soixante  lieues  en  raquettes  à  travers  les  forêts, 
et  venir  attaquer  au  village  de  la  Grande-Prée, 
une  troupe  de  plus  de  cinq  cents  anglo-améri- 
cains cantonnés  dans  les  maisons,  dont  l'une 
était  en  pierre  et  armée  de  canons.  Après  une 


—  63  — 

lutte  soutenue  durant  douze  heures,  une  partie 
des  ennemis  fut  tuée  et  un  grand  nombre  fait 
prisonniers. 

M. de  Lanaudière  ne  put  cependant  prendre 
part  à  la  glorieuse  attaque  de  la  Grande-Prée, 
ayant  reçu  ordre  du  gouverneur  de  Beauhar- 
nois,  dès  le  mois  d'août  précédent,  de  revenir  à 
Québec. Il  arriva  dans  la  capitale  le  5  septembre 
1746.(1) 

En  mars  1747,  le  gouverneur  de  Beau- 
harnois  chargeait  M.  de  Lanaudière  de  lever 
cent  soixante  quinze  hommes  sur  la  rive  sud  du 
Saint-Laurent,  dans  le  gouvernement  de  Qué- 
bec. Ces  hommes  devaient  être  envoyés  à  l'île 
aux  Coudres,  afin  de  mettre  ce  poste  avancé  en 
état  de  défense  contre  une  attaque  possible  des 
Anglais. 

Dans  l'été  de  la  même  année  1747,  le  gou- 
verneur de  Beauharnois  donnait  une  autre 
mission  de  confiance  à  M.  de  Lanaudière.  Il  le 
chargea  de  la  tâche  délicate  d'un  échange  de 
prisonniers  que  lui  avait  proposé  M.  Shirley, 
gouverneur  du  Massachusetts.  M.  de  Lanau- 
dière s'acquitta  de  sa  mission  à  la  parfaite 
satisfaction  de  M.  de  Beauharnois. 

Au  printemps  de  1748,  M.  de  la  Galisson- 
nière,  qui  avait  succédé  à  M.  de  Beauharnois 
au  gouvernement  de  la  Nouvelle-France, 
envoyait  M.  de  Lanaudière  commander  chez  les 


(1)  Dans  le  Canada-Français  (Documents  inédits),  tome 
deuxième,  pp.  10  et  seq,  on  trouvera  deux  relations  très 
détaillées  et  extrêmement  intéressantes,  de  cette  audacieuse 
expédition,  l'une  du  chevalier  de  la  Corne,  et  l'autre  de  M. 
de  Beaujeu,  le   futur  héros  de  la  Monongahéla. 


64 


Miamis.  Il  partit  avec  le  convoi  destiné  à  Dé- 
troit. Ce  convoi,  sous  le  commandement  de  M. 
de  Céloron,  un  des  officiers  les  plus  capables  de 
la  colonie,  était  composé  de  cent  Français,  de 
dix  ou  douze  Népissingues  et  de  plusieurs  cou- 
reurs de  bois.  M.  de  Lanaudière  agit  comme 
commandant  en  second  de  l'expédition  jusqu'au 
Détroit. 

De  Détroit,  M.  de  Lanaudière  se  rendit 
aux  terres  des  Miamis  avec  une  petite  escorte. 

Ces  expéditions  étaient  toujours  extrême- 
ment dangereuses.  Les  convois  étaient  le  plus 
souvent  défendus  par  des  escortes  peu  nom- 
breuses et  les  tribus  sauvages  qu'on  rencon- 
trait étaient  plutôt  hostiles. 

M.  de  Lanaudière  ayant  rendu  compte  au 
gouverneur  de  son  heureuse  arrivée  aux 
Miamis,  M.  de  la  Galissonnière  lui  écrivait  le 
9  novembre  1748  : 

"  J'ai  appris  avec  plaisir,  Monsieur,  que 
vous  aviez  effectué  sans  encombre  votre  voyage 
aux  Miamis.  J'appréhendais  que  la  sécheresse 
qui  a  sévi  dans  toute  cette  contrée,  ne  vous  eût 
empêché  de  vous  y  rendre.  J'espère  qu'avec 
l'ascendant  que  vous  avez  sur  les  Sauvages  et 
la  juste  terreur  qu'ils  ont  de  nos  armes,  nous 
parviendrons  sans  peine  à  ramener  les  mutins. 
Le  meurtre  qui  a  été  commis  à  Ouabache  doit 
être  puni.  On  l'impute  avec  quelque  fondement 
aux  Hurons  ;  cependant  je  suis  plus  porté  à 
croire  que  c'est  le  fait  des  Miamis  de  la  Demoi- 
selle. Tâchez  de  démêler  la  vérité  et  n'épargnez 
rien  pour  vous  faire  livrer  le  coupable,  afin  d'en 


—  65  — 

faire  justice.  C'est  la  meilleure  manière  de 
réduire  les  autres  et  de  rétablir  la  paix.  Comme, 
par  la  suspension  d'armes  entre  la  France  et  la 
Grande-Bretagne,  les  choses  doivent  se  retrou- 
ver sur  le  même  pied  qu'elles  étaient  avant  la 
guerre,  et  que  les  Anglais  n'ont  pas  droit  de 
faire  la  traite  à  la  Rivière-Blanche  non  plus 
qu'à  la  Belle-Rivière,  vous  pouvez,  si  vous  en 
avez  l'occasion,  faire  notifier  aux  traiteurs  de 
cette  nation  qu'ils  aient  à  se  retirer,  sinon  qu'on 
les  expulsera  de  force.  Si  cela  devenait  néces- 
saire, vous  me  diriez  ce  que  je  dois  envoyer  de 
troupes  au  printemps.  On  a  mal  interprété  la 
suspension  d'armes  ;  on  a  fait  courir  le  bruit 
dans  quelques  postes,  et  même  à  Frontenac, 
que  cette  suspension  n'était  que  transitoire. 
C'est  là  un  faux  bruit  semé  à  dessein  par  les 
traiteurs  anglais,  qui,  à  l'aide  de  cette  super- 
cherie, espèrent  pouvoir  prolonger  le  trouble 
et  en  profiter.  Ce  n'est  pas  ainsi  que  les  gou- 
verneurs et  les  habitants  de  Boston  et  de  New- 
York  en  ont  jugé.  Ils  n'ont  pas  plutôt  appris 
cette  suspension  qui  est  perpétuelle,  qu'ils  se 
sont  réjouis  de  voir  cesser  ces  courses  qui 
désolaient  leur  pays  et  qu'ils  se  sont  empressés 
de  le  témoigner.  Veuillez  donc  rétablir  les  faits, 
et,  puisque  vous  devez  aller  à  Ouitanons,  infor- 
mez-vous de  l'état  des  esprits."  (1) 

Au  retour  de  M.  de  Lanaudière  à  Québec, 
dans  l'été  de  1749,  le  gouverneur  de  la  Jon- 
quière,  pour  lui  témoigner  sa  satisfaction  de 


(1)  L'abbé    Daniel,    Histoire   des    grandes    familles    fran- 
çaises du   Canada,  p.   459. 


66 


son  heureux  voyage  chez  les  Miamis,  demanda 
au  roi  de  lui  accorder  une  gratification  de  2000 
livres.  Le  roi,  sans  doute  pour  ne  pas  créer  de 
précédent,  refusa  de  donner  cette  gratification 
pourtant  bien  méritée. 

En  mai  1749,  M.  de  Lanaudière  obtenait 
enfin  le  commandement  d'une  compagnie.  Il 
servait  depuis  vingt-trois  ans.  Les  promotions 
étaient  alors  moins  rapides  que  de  nos  jours  où 
on  voit  des  lieutenants  monter  au  grade  de 
colonels  en  quelques  mois. 

Le  1er  mars  1750,  MM.  de  la  Jonquière  et 
Bigot  concédaient  à  M.  de  Lanaudière  une 
étendue  de  terrain  de  deux  lieues  ou  environ  de 
front  à  prendre  au  bout  de  la  profondeur  du 
fief  de  Carufel,  sur  la  profondeur  qui  pourrait 
se  trouver  jusqu'au  lac  Maskinongé,  le  dit  lac 
compris  dans  toute  son  étendue  avec  les  îles, 
îlots  et  battures  qui  pourraient  se  trouver  dans 
ce  lac. 

Cette  concession  était  faite  à  perpétuité  et 
à  toujours,  à  titre  de  fief  et  seigneurie,  avec 
haute,  moyenne  et  basse  justice,  droit  de  pêche, 
chasse  et  traite  avec  les  Sauvages,  etc.,  etc.  (1) 

La  concession  de  ce  fief  fut  ratifiée  par  le 
roi   le  24  juin  1751.  • 

C'est  la  seigneurie  qui  prit  dès  lors  le  nom 
de  seigneurie  du  lac  Maskinongé  ou  de  seigneu- 
rie de  Lanaudière. 

Les  malheurs  des  temps  empêchèrent  M. 
de  Lanaudière  de  mettre  à  exécution  les  projets 


(1)  Pièces  et  documents  relatifs  à  la  tenure  seigneuriale, 
p.  216. 


—  67  — 

qu'il  avait  formés  pour  le  développement  de 
cette  magnifique  seigneurie. 

L'arpenteur-généraî  Joseph  Bouchette 
écrivait  en  1815,  au  sujet  de  la  seigneurie  du 
Lac  Maskinongé  : 

"  C'est  une  belle  étendue  de  terrain,  d'un 
sol  fort  et  fertile  et  bien  boisé  de  hêtre,  d'érable, 
de  bouleau,  de  pin  et  de  quelques  chênes.  Elle 
est  arrosée  par  plusieurs  petits  lacs,  mais  prin- 
cipalement par  la  rivière  Maskinongé,  dont  le 
courant  sort  du  lac  du  même  nom,  qui  a 
environ  neuf  milles  de  circonférence,  et  qui  est 
bien  pourvu  de  différentes  espèces  d'excellents 
poissons.  Le  voyage  d'alentour  possède  plu- 
sieurs beautés  naturelles  dans  le  genre  sauvage 
et  sublime,  offrant  un  amphithéâtre  d'éminences 
et  de  vastes  collines,  couronnées  par  derrière 
par  la  magnifique  chaîne  de  montagnes  qui  se 
prolonge  à  l'ouest  depuis  Québec,  et  plusieurs 
autres  des  traits  hardis  qui  forment  un  pays 
romantique.  On  y  a  encore  fait  très  peu  d'éta- 
blissements ;  mais  elle  peut  certainement 
s'améliorer  en  très  peu  de  temps,  et  devenir 
une  propriété  précieuse."  (1) 

Le  5  janvier  1768,  M.  de  Lanaudière 
donnait  son  fief  du  Lac  Maskinongé  ou  de 
Lanaudière  à  son  fils  aîné  le  chevalier  de  La- 
naudière. (2)  A  la  mort  de  celui-ci  il  passa  à  sa 
fille,  Marie-Anne  Tarieu  de  Lanaudière,  qui 
le  vendit,  le  17  mars  1814,    à    M.    Toussaint 


(1)  Description    topographique    de    la    province    du   Bas- 
Canada,  p.  29* 

(2)  Acte  devant  Saillant,  notaire  à  Québec,  le  5  janvier 
1768. 


68 


Pothier,  négociant  à  Montréal,  pour  la  somme 
de  deux  mille  livres.  (1) 

A  partir  de  1756,  on  peut  dire  que  M.  de 
Lanaudière  fut  à  peu  près  continuellement 
absent  de  son  foyer.  La  guerre  était  recom- 
mencée et  le  brave  officier  était  partout  où  il  y 
avait  des  coups  à  donner  ou  à  recevoir. 

M.  de  Lanaudière  était  à  la  prise  de  Choua- 
guen,  le  14  août  1756.  Le  surlendemain  de  cette 
belle  victoire  le  marquis  de  Montcalm  écrivait 
au  chevalier  de  Lé  vis  : 

"  Dites  à  votre  camp  que  j'ai  été  très  con- 
tent de  Messieurs  de  la  colonie."  (2) 

Sous  la  plume  de  Montcalm  cette  petite 
phrase  disait  beaucoup  car  on  sait  qu'il  n'aimait 
pas  les  officiers  canadiens. 

L'année  suivante,  le  9  août  1757,  M.  de 
Lanaudière  prenait  part  au  siège  du  fort 
William-Henry  sous  les  ordres  de  M.  de  Mont- 
calm. Là  encore  la  victoire  fut  éclatante.  Elle 
fut  malheureusement  ternie  par  le  massacre  du 
lendemain. 

A  la  bataille  de  Carillon,  le  8  juillet  1758, 
M.  de  Lanaudière  recueillit  de  nouveaux 
lauriers. 

Le  lendemain  même  de  cette  belle  victoire, 
le  9  juillet  1758,  du  champ  de  bataille  encore 
fumant,  le  valeureux  Montcalm  faisait  con- 
naître au  gouverneur  de  Vaudreuil  ceux  qui 
s'étaient  le  plus  distingués.  Il  écrivait  : 


(1)  Acte  devant  Joseph  Planté,  notaire  à  Québec,  le  17 
mars    1814. 

(2)  Thomas  Chapais,  Le  Marquis  de  Montcalm,  p.  139. 


—  69  — 

4*  Monsieur  de  Raymond  qui  avait  l'hon- 
neur de  commander  les  troupes  de  la  colonie  a 
montré  bien  du  zèle  et  de  l'intelligence  et  je  ne 
saurais  trop  me  louer  de  lui,  de  Messieurs  de 
Saint-Ours,  Lanaudière,  Gaspé  et  généralement 
du  très  petit  nombre  d'officiers  que  vous  y  aviez. 

"  Nous  devons  cet  avantage  au  courage 
des  troupes,  aux  sorties  que  Monsieur  le  che- 
valier de  Lévis  a  fait  faire  à  la  droite  des  piquets 
et  compagnies  de  grenadiers  en  même  temps 
qu'il  avait  envoyé  les  Canadiens  ingambes  dans 
la  trouée,  aux  bonnes  dispositions  et  à  la  fer- 
meté de  Monsieur  Bourlamaque  à  la  gauche  ; 
tous  les  commandants  des  corps  et  généralement 
tous  les  officiers  se  sont  comportés  de  façon  que 
je  n'ai  eu  que  le  mérite  de  me  trouver  le  général 
de  troupes  aussi  valeureuses  et  d'avoir  attention 
de  les  faire  secourir  successivement  suivant  que 
les  parties  de  notre  abattis  étaient  plus  ou  moins 
attaqués."  (1) 

En  janvier  1759,  M.  de  Lanaudière  rece- 
vait la  récompense  suprême  de  tous  ceux  qui  se 
battaient  pour  le  roi  et  pour  la  France  :  il  était 
créé  chevalier  de  Saint-Louis. 

Sa  belle  conduite  à  la  bataille  de  Carillon 
lui  avait  valu  cette  marque  de  distinction  de  son 
roi. 

Le  1er  juin  1759,  le  gouverneur  de  Vau- 
dreuil  donnait  l'ordre  suivant  à  M.  de  Lanau- 
dière : 

"  Il  est  ordonné  au  sieur  de  Lanaudière, 
chevalier  de  Saint-Louis,  capitaine  d'infanterie, 


(1)  Collection   de  manuscrits,  vol.  IV,  p.  170. 


70 


de  se  transporter  sur  le  champ  à  Beauport  et 
d'y  réunir  toutes  les  familles  de  la  côte  de 
Beaupré,  qui  ont  émigré  en  deçà  du  Sault  Mont- 
morenci,  afin  de  les  conduire  ensuite  sur  le  lac 
Saint-Charles,  dans  les  profondeurs  de  Lorette, 
où  il  fera  faire  des  cabanes  pour  eux,  des  parcs 
pour  leurs  bestiaux.  Il  veillera  à  ce  que  per- 
sonne ne  s'arrête  dans  les  lieux  habités,  notre 
intention  étant  de  faire  évacuer,  sous  peu  de 
jours,  ces  endroits  eux-mêmes  et  d'en  obliger 
les  habitants  à  se  réfugier  dans  les  bois  ainsi 
qu'il  en  a  été  ordonné  dans  toutes  les  parties 
de  ce  gouvernement.  Nous  n'avons  pas  besoin 
de  recommander  à  M.  de  Lanaudière  d'user  de 
douceur  et  de  modération  dans  l'exécution  de 
ces  mesures  que  le  malheur  des  temps  nous 
oblige  à  prendre  ;  ses  sentiments  bien  connus 
envers  les  habitants  nous  font  espérer  qu'il 
aura  recours  le  plus  possible  aux  moyens  de 
persuasion  pour  arriver  à  ses  fins."  (1) 

Le  gouverneur  de  Vaudreuil,  canadien  lui- 
même,  n'ignorait  pas  que  les  pauvres  habitants 
des  campagnes  déjà  si  éprouvés  par  la  guerre 
n'hésiteraient  pas  cependant  à  s'imposer  de 
nouveaux  sacrifices  s'ils  leur  étaient  demandés 
par  ceux  en  qui  ils  avaient  confiance.  La  mission 
dont  M.  de  Lanaudière  venait  de  s'acquitter 
avec  tant  de  succès  engagea  le  gouverneur  à 
lui  en  confier  une  autre  bien  autrement  difficile. 
Ce  fut  de  se  transporter  dans  les  campagnes 


(1)  L'abbé    Daniel,   Histoire   de»    grandes    familles   fran- 
çaises du  Canada,  p.  461. 


—  71  — 

et  d'engager  les  habitants  à  livrer  leurs  provi- 
sions pour  nourrir  \qs  soldats. 

M.  de  Lanaudière  avait  déjà  commencé 
cette  opération  importante  mais  extrêmement 
délicate  lorsqu'il  reçut  la  lettre  suivante  du 
gouverneur  de  Vaudreuil  : 

"  Vous  trouverez  ci- joint,  monsieur,  un 
ordre  suivant  lequel  je  vous  prie  de  vouloir  bien 
continuer  la  levée  de  bœufs  jusqu'à  Maskinon- 
gé.  Telle  est  la  confiance  qu'ont  en  vous  les 
habitants  que  nous  avons  cru  ne  pouvoir  faire 
un  meilleur  choix  que  celui  de  votre  personne 
pour  une  semblable  mission.  En  la  remplissant, 
vous  rendrez  un  immense  service,  et  vous  n'au- 
rez pas  moins  de  mérite  que  si  vous  serviez  à 
l'armée.  Aussi,  vous  pouvez  être  assuré  du 
plaisir  que  j'aurai  à  faire  valoir  votre  zèle  en 
cette  occasion.  Avec  cet  ordre,  vous  trouverez 
l'ordonnance  rendue  conjointement  avec  l'inten- 
dant, qui  enjoint  aux  habitants  de  déclarer  leurs 
animaux.  Vous  ne  manquerez  pas,  j'en  ai  la 
conviction,  de  leur  remontrer  avec  toute  la  dou- 
ceur possible  qu'il  y  va  de  leur  propre  intérêt 
de  se  prêter  à  ce  que  demande  d'eux  le  salut  de 
la  colonie.  Vos  manières  insinuantes  sont  ce 
qu'il  y  a  de  mieux  pour  les  amener  à  faire  ce 
qu'on  exige  d'eux.  J'écris  en  même  temps  à  M. 
de  Noyelle,  commandant  aux  Trois-Rivières, 
pour  qu'il  facilite  le  passage  des  animaux  et 
fournisse  aux  conducteurs  les  sommes  qui  leur 
seront  nécessaires.  Vous  ferez  bien,  je  crois,  de 
faire  traverser,  vis-à-vis  des  Grondines,  les 
animaux  que  vous  aurez  levés  dans  le  sud.  J'en 


dis  un  mot,  suivant  vos  désirs,  à  M.  de  Vau- 
queiin.  Vous  ne  laisserez  pas  de  prendre  vos 
précautions  pour  éviter  toute  surprise."  (1) 

M.  de  Lanaudière  ne  s'était  pourtant  pas 
fait  illusion  sur  la  difficulté  de  l'entreprise.  Mais 
lorsqu'il  se  trouva  au  milieu  des  paroisses 
désertes,  face  à  face  avec  les  vieillards  restés 
pour  garder  les  pauvres  habitations,  il  fut 
presque  pris  de  découragement  et  de  remords. 
Il  écrivit  donc  au  gouverneur  de  Vaudreuil 
pour  lui  faire  part  de  la  peine  qu'il  éprouvait. 

M.  de  Vaudreuil  lui  adressa  alors  ses 
encouragements  : 

14  Je  sais  très  bien,  monsieur,  lui  écrivait-il, 
la  peine  et  l'embarras  que  vous  donne  la  mission 
dont  je  vous  ai  chargé,  et  qui  ne  peut  qu'aug- 
menter la  situation  si  triste  des  habitants  ; 
mais  il  est  essentiel  que  nous  pourvoyions  à  la 
subsistance  de  l'armée  et  que,  pour  cet  effet, 
nous  ayons  recours  à  tous  les  moyens  :  nos 
besoins  sont  pressants  et  le  moindre  retard  peut 
nous  devenir  funeste.  Je  vous  prie  donc,  mon- 
sieur, de  continuer  votre  tournée  jusqu'au  Cap 
de  la  Madeleine,  et  d'achever  la  levée  dont  je 
vous  ai  chargé.  Quelle  soit  votre  répugnance, 
il  ne  faut  pas  que  vous  laissiez  plus  d'une  char- 
rue de  deux  en  deux  habitants  ;  quant  aux 
vaches,  limitez-en  le  nombre  à  l'indispensable 
nécessaire  pour  faire  vivre  les  familles.  En 
revenant  du  Cap  de  la  Madeleine,  vous  voudrez 
bien  faire  une  nouvelle  levée  dans  les  paroisses, 


(1)  L*abbé    Daniel,   Histoire    des   grandes    familles   fran- 
çaises  du   Canada,  p.  461. 


73 


que  vous  avez  trouvées  le  plus  en  état  de  se 
supporter,  particulièrement  à  Lorette,  etc. 
L'estime  dont  vous  jouissez  auprès  des  Cana- 
diens me  persuade  que  vous  pourrez  leur  faire 
comprendre  que  le  parti  que  je  prends  les  inté- 
resse tous  en  général  et  chacun  en  particulier  ; 
que  si,  faute  de  subsistance,  j'étais  obligé  de 
renvoyer  l'armée,  la  colonie  serait  perdue  ;  et 
que  d'ailleurs,  je  n'entends  pas  les  priver  des 
animaux  que  je  leur  demande,  mais  qu'ils  leur 
soient  exactement  remplacés  par  ceux  que  nous 
ferons  lever  dans  le  gouvernement  de  Montréal. 
Je  me  repose  donc  sur  vous,  monsieur,  pour 
cette  opération  dont  vous  sentez  toute  l'impor- 
tance, et  je  m'en  rapporte  aux  arrangements 
que  vous  prendrez  pour  faire  passer  ces  ani- 
maux de  paroisse  en  paroisse  et  les  faire  par- 
venir à  l'armée.  On  ne  peut  rien  ajouter  à  la 
sincérité  des  sentiments  avec  lesquels  je  suis, 
monsieur,  votre,  etc."  (1) 

Le  13  septembre  1759,  M.  de  Lanaudière 
était  sur  les  Plaines  d'Abraham,  à  la  tête  de  sa 
compagnie.  On  sait  quel  fut  le  résultat  de 
cette  rencontre. 

M.  de  Lanaudière  prit  également  part  à 
la  bataille  de  Sainte-Foy,  le  28  avril  1760,  cette 
dernière  mais  glorieuse  victoire  des  armes  fran- 
çaises en  Canada. 

Après  l'arrivée  de  la  flotte  anglaise  devant 
Québec,  M.  de  Lanaudière  suivit  l'armée  à 
Montréal.  Après  la  capitulation  de  cette  ville, 


(1)  L'abbé    Daniel,   Histoire   des    grandes    familles   fran- 
çaises du   Canada,  p.  463. 


—  74  — 

le  8  septembre  1760,prisonnier  de  guerre  comme 
tous  ses  compagnons  d'armes,  il  passa  en 
France.  Il  laissait  sa  femme  au  pays.  Leurs 
adieux  devaient  être  éternels  car  madame  de 
Lanaudière  décéda  pendant  le  séjour  de  son 
mari  au  pays  de  ses  ancêtres. 

M.  de  Lanaudière  vécut  trois  ans  en 
France.  Les  parents  qu'il  y  avait  et  les 
amis  qu'il  s'était  créés  là-bas  firent  l'impos- 
sible pour  le  décider  à  rester  en  France.  Son 
cousin,  M.  Tarieu  de  Taillant,  seigneur  de 
Marceillan,  qui  résidait  à  Auch,  fut  celui  qui 
insista  la  plus  à  l'entraîner  dans  cette  direction. 
Il  fit  toutes  les  recherches  nécessaires  pour  lui 
trouver  en  France  une  terre  convenable  à  son 
état  de  fortune.  Il  le  pressa  mais  inutilement 
d'acheter  le  domaine  du  trop  célèbre  Mirabeau, 
invoquant  même  pour  l'y  faire  consentir,  le 
désir  qu'en  avaient  exprimé,  plusieurs  fois,  le 
cardinal  de  Bernis  et  le  célèbre  abbé  Douglas, 
tous  deux  amis  de  M.  de  Lanaudière.  (1) 

En  mai  1763,  M.  de  Lanaudière  ayant 
obtenu  du  gouvernement  anglais  les  passeports 
nécessaires  s'embarqua  pour  la  Nouvelle- York 
où  il  arriva  dans  les  premiers  jours  de  juillet. 

Le  général  Amherst,  qui  commandait  alors 
à  la  Nouvelle- York,  et  qui  avait  connu  M.  de 
Lanaudière  pendant  sa  campagne  au  Canada, 
le  reçut  avec  beaucoup  d'égards.  Il  poussa 
l'obligeance  jusqu'à  requérir  tous  les  comman- 
dants des  postes,  depuis  Albany  jusqu'à  Saint- 


Ci)  Autrefois  et  aujourd'hui  à  Sainte-Anne  de  la  Pérade, 

56. 


75 


Jean,  de  lui  donner  toute  l'aide  possible  pendant 
le  cours  de  son  voyage. 

Le  gouverneur  Murray  ne  fut  pas  moins 
aimable  pour  M.  de  Lanaudière.  Ce  brave  lieu- 
tenant de  Wolf  e  avait  des  vues  plus  élevées  que 
les  quelques  boutiquiers  véreux  qui  étaient  ve- 
nus s'établir  à  Québec  aussitôt  après  la  conquête 
du  pays.  Pour  lui  comme  pour  tous  les  gens 
sensés  et  désintéressés,  le  meilleur  moyen 
d'amener  le  peuple  canadien  à  accepter  le  nou- 
veau régime  était  de  lui  laisser  le  libre  usage 
de  sa  langue,  de  sa  religion  et  de  ses  institutions 
en  autant  que  la  constitution  de  la  Grande-Bre- 
tagne le  permettait.  Le  régime  militaire,  qui 
suivit  immédiatement  la  conquête,  quoi  qu'on 
en  ait  dit,  fut  un  régime  honnête,  juste,  presque 
paternel.  Si  le  général  Murray  ne  fut  pas  le 
plus  brillant  de  nos  gouverneurs  anglais,  nous 
ne  croyons  pas  exagérer  en  le  comptant  comme 
le  plus  sympathique  à  notre  race.  Et  nous  en 
avons  la  preuve  dans  les  regrets  universels  que 
souleva  son  rappel. 

Lors  de  son  départ  pour  l'Angleterre  en 
juin  1766,  les  seigneurs  du  gouvernement  de 
Québec  envoyèrent  au  roi  une  adresse  dans 
laquelle  ils  lui  faisaient  part  des  regrets  que 
leur  causaient  son  rappel.  Ils  lui  énuméraient 
en  même  temps  toutes  les  obligations  qu'ils  de- 
vaient à  son  impartialité  et  à  sa  bonté. 

Cette  adresse  signée  par  vingt-et-un  sei- 
gneurs fut  rédigée  par  M.  de  Lanaudière.  Ce 
document  n'est  pas  un  modèle  de  style.  Le  gen- 
tilhomme qui  était  sorti  de  l'école  pour  entrer  à 


—  76  — 

l'armée,  trouvait  l'épée  plus  légère  que  la 
plume.  Son  adresse  lui  fait  néanmoins  autant 
d'honneur  qu'à  M.  Murray  lui-même.  Ce 
témoignage  de  reconnaissance  dut  être  bien 
sensible  au  gouverneur  Murray  qui  avait  ren- 
contré tant  d'ingratitude  de  la  part  de  ses 
propres  compatriotes  qu'il  avait  aidés  de  toutes 
les  façons  pendant  ses  six  années  de  gouver- 
nement. 

M.  de  Lanaudière  disait  : 

"  L'honorable  Jacques  Murray,  en  1759, 
entouré  des  Canadiens  qu'il  devait  regarder 
comme  ses  ennemis,  n'a  eu  pour  eux  que  de 
l'indulgence  ;  de  ce  temps  il  s'acquit  nos  cœurs  ; 
sa  générosité  et  celle  de  ses  officiers  animés  par 
son  exemple  qui  par  les  aumônes  qu'ils  ont 
répandues,  ont  tiré  les  peuples  de  la  misère  dans 
laquelle  les  malheurs  de  la  guerre  les  avaient 
plongé,  nous  ont  forcé  de  l'admirer  et  de  le 
respecter. 

"  Après  l'entière  conquête  de  cette  pro- 
vince, il  nous  a  par  son  affabilité  contraint  de 
l'aimer  ;  il  établit  dans  son  gouvernement  un 
conseil  militaire  composé  d'officiers  équitables 
qui  sans  prévention  et  sans  émoluments  ont  jugé 
ou  plutôt  ont  accommodé  les  parties  processives  ; 
point  d'exemple  d'aucun  appel  de  leurs  juge- 
ments ;  combien  de  familles  n'a-t-il  pas  aidées 
et  soutenues?  Nous  avons  joui  jusqu'à  l'époque 
du  gouvernement  civil  d'une  tranquillité  qui 
nous  faisait  presque  oublier  notre  ancienne  pa- 
trie; soumis  à  nos  sages  jugements  et  ordon- 
nances,nous  étions  heureux, les  anciens  sujets  ne 


77 


pensaient  point  à  se  plaindre  ;  nous  regrette- 
rons longtemps  la  douceur  de  ce  gouvernement. 
Nos  espérances  ont  été  détruites  par  l'établis- 
sement du  gouvernement  civil,  que  l'on  nous 
avait  si  fort  exalté,  nous  vîmes  naître  avec  lui 
la  cabale,  le  trouble  et  la  confusion,  et  nous 
fûmes  étonnés  de  voir  paraître  dans  des  libelles 
infâmes,  dont  les  auteurs  ont  été  impunis,  la 
plus  basse  et  la  plus  insigne  calomnie.  Nous, 
accoutumés  à  respecter  nos  supérieurs  et  à 
obéir  aux  ordres  émanés  de  notre  souverain,  à 
quoi  nous  sommes  portés  par  notre  éducation 
autant  que  par  notre  religion,  nous  avons 
révéré  les  nouveaux  officiers  civils,  nous  nous 
sommes  tenus  à  leurs  jugements,  nous  avons 
exécuté  leurs  ordres  ;  le  haut  prix  des  salaires 
de  ces  officiers  nous  a  étonnés  à  la  vérité  mais 
sans  nous  révolter  ;  frappés  de  l'irrégularité 
dans  plusieurs  circonstances,  nous  avons  gémi 
sans  nous  plaindre,  nous  garderions  encore  le 
silence  si  nous  n*y  étions  forcés  par  un  coup  le 
plus  sensible  qui  vient  de  nous  être  porté  ; 
notre  père,  notre  protecteur,  nous  est  enlevé  ; 
comme  père,  il  écoutait  nos  plaintes,  comme 
protecteur,  il  y  remédiait  ou  du  moins  les  dimi- 
nuait avec  promptitude,  et  il  nous  consolait 
avec  bonté,  et  sans  lui  que  serions  nous  deve- 
nus ?  Les  anciens  sujets,  du  moins  le  plus 
grand  nombre,  depuis  l'époque  du  gouverne- 
ment civil,  n'ont  cherché  qu'à  nous  opprimer, 
à  nous  rendre  leurs  esclaves  et  peut-être  à 
s'emparer  de  nos  biens.  L'émigration  d'un 
nombre  de  nos  meilleurs  concitoyens,  que  nous 


—  78  — 

regrettons,  a  été  les  funestes  suites  de  leurs 
mauvais  procédés  et  des  bruits  alarmants,  qu'ils 
n'ont  cessé  de  répandre,  il  nous  en  reste  des  mo- 
numents authentiques."  (1) 

Le  13  novembre  1767,  M.  de  Lanaudière, 
déjà  propriétaire  des  seigneuries  de  Sainte- 
Anne,  de  Tarieu  et  du  Lac  Maskinongé  ou  La- 
naudière, se  rendait  acquéreur  de  la  moitié  du 
fief  et  seigneurie  de  la  Durantaye  contenant  une 
lieue  et  demie  de  front  ou  environ  sur  le  bord 
du  fleuve  Saint-Laurent  sur  quatre  lieues  de 
profondeur  avec  tous  les  droits  de  cens,  rentes 
foncières  et  seigneuriales,  moulin  banal,  droits 
honorifiques,  etc.,  etc.  (2)  M.  de  Lanaudière 
paya  son  acquisition  trente  mille  livres,  c'est-à- 
dire  trente  mille  chelins  argent  courant  de  la. 
Province.  Les  dames  religieuses  de  l' Hôpital- 
Général  de  Québec,  propriétaires  de  la  seigneu- 
rie de  Saint- Vallier  depuis  le  18  août  1720, 
avaient  été  obligées  de  la  vendre  pour  payer  un 
emprunt  que  les  malheurs  des  temps  les  avaient 
obligées  de  faire  à  M.  Benjamin  Comte. 

Les  dames  de  l' Hôpital-Général  se  dessai- 
sirent de  leur  seigneurie  de  Saint-Vallier  avec 
beaucoup  de  regrets  car  elle  était  leur  princi- 
pal moyen  de  subsistance. 

Nous  lisons  dans  Mgr  de  Saint-Vallier  et 
r Hôpital-Général  de  Québec  : 


(1)  L'adresse  des  seigneurs  du  gouvernement  de  Qué- 
bec a  été  publiée  en  entier  dans  le  Rapport  sur  les  archives 
du  Canada  pour  1888,  p.  18. 

(2)  Acte  de  vente  devant  Jean-Claude  Panet,  notaire  à 
Québec,  le  13  novembre  1767.  Cette  moitié  de  la  seigneurie 
de  la  Durantaye  était  connue  »ous  le  nom  de  fief  ou  seigneu- 
rie de  Saint-Vallier. 


—  79  — 

"  Toutes  ces  négociations  (pour  le  paie- 
ment des  sommes  dues  à  Y  Hôpital-Général  par 
le  gouvernement  français)  n'avaient  pu  se  con- 
clure avant  le  terme  fixé  par  M.  Benjamin 
Comte  pour  le  paiement  des  sommes  qui  lui 
étaient  dues.  En  vain  M.  du  Roveray  lui  écrivit- 
il  de  la  manière  la  plus  pressante  pour  l'engager 
à  accorder  aux  religieuses  un  nouveau  délai. 
M.  Comte,  à  bout  de  patience,  signifia  sa  réso- 
lution de  procéder  en  toute  rigueur  de  justice. 
Dans  cette  pénible  situation  nos  mères  eurent 
recours  à  la  prière.  Puis  la  mère  Thérèse  de 
Jésus  assembla  le  chapitre  :  on  envisagea  la 
question  sur  tous  les  points  de  vue;  Mgr  Briand 
et  M.  de  Rigauville  mirent  dans  la  balance  le 
poids  de  leurs  sages  conseils.  Pour  dernière 
mesure,  on  se  décida  à  vendre  la  seigneurie  de 
Saint-Vallier  à  M.  de  Lanaudière  pour  30,000 
livres  comptant,  et  cette  somme  fut  remise  le 
même  jour  (1.6  novembre  1767),  (1)  entre  les 
mains  de  M.  Benjamin  Comte. 

"  La  seigneurie  de  Saint-Vallier  avait 
coûté  beaucoup  par  les  améliorations  qu'on  y 
avait  faites  d'année  en  année.  Le  sol  y  était 
productif  en  toute  espèce  de  grains.  On  y 
trouvait  en  grande  quantité  le  hêtre,  le  merisier, 
l'épinette,  la  pruche  et  l'érable  ;  le  chêne  même 
n'y  était  pas  étranger.  Un  bateau  transportait 
facilement  ces  produits  jusqu'à  Notre-Dame 
des  Anges.  Les  lods  et  ventes,  les  cens  et  rentes, 
ainsi  que  les  autres  redevances,  figuraient  bien 
aussi  sur  les  comptes    de    la    dépositaire.    En 


(1)  L'acte  de  vente  en  fut  passé  le  13  et  non  le  16. 


—  80  — 

faisant  le  sacrifice  de  cette  propriété,  nos  mères 
se  dépouillaient  d'un  seul  coup  de  leur  principal 
moyen  de  subsistance  et  de  Tunique  bien  qui 
leur  appartint  en  propre  et,  pourtant,  elles  ne 
se  trouvaient  pas  encore  quittes  avec  M.  Comte. 
Elles  purent  enfin  le  satisfaire  pleinement  dans 
le  cours  de  l'année  1768 "  (1) 

M.  de  Lanaudière  qui  avait  toujours  été 
l'ami  de  l' Hôpital-Général  et  qui  comptait 
plusieurs  parentes  parmi  les  religieuses  de  cette 
communauté  n'avait  pas  fait  l'achat  de  la 
seigneurie  de  Saint-Vallier  dans  un  but  de 
spéculation.  C'est  à  la  demande  même  des 
bonnes  dames  qui  voyaient  leur  maison  acculée 
à  la  ruine  si  elles  ne  pouvaient  satisfaire  leur 
créancier,  qu'il  fit  cet  achat. 

Sir  Guy  Carleton  qui  succéda  au  général 
Murray  dans  le  gouvernement  du  Canada 
n'était  pas  moins  favorable  aux  Canadiens- 
Français,  ou  "  nouveaux  sujets  "  comme  on 
les  appelait  alors,  que  son  distingué  prédéces- 
seur. 

A  peine  avait-il  pris  les  rênes  du  pouvoir 
qu'il  suggérait  à  lord  Shelbourne,  un  des 
principaux  secrétaires  d'Etat  de  Sa  Majesté, 
d'appeler  quelques  Canadiens-Français  au 
Conseil  exécutif  de  la  Province. 

Le  15  mars  1769,  il  revenait  à  la  charge 
auprès  du  comte  de  Hillsborough,  qui  avait 
succédé  à  lord  Shelbourne.  Pour  remplacer  M. 
Benjamin  Price,  membre  du  Conseil  exécutif, 


(1)  Mgr  de  Saint-Vallier  et  l'Hôpital-Général  de  Québec, 
392. 


—  81  — 

décédé  en  octobre  1768,  il  ne  trouvait  que  trois 
noms  à  suggérer  dans  toute  la  population 
anglaise  de  la  colonie,  MM.  James  Johnstone, 
Jacob  Jordan  et  John  Gray.  Sir  Guy  Carleton 
en  profitait  pour  dire  au  ministre  quels  avan- 
tages retirerait  la  Couronne  en  faisant  entrer 
dans  le  Conseil  un  certain  nombre  de  Cana- 
diens-Français. "  Ce  serait,  écrivait-il,  le 
moyen  de  concilier  toute  la  population  et  de 
donner  une  nouvelle  vigueur  et  une  plus  forte 
influence  au  gouvernement.  "  Ces  Canadiens- 
Français,  ajoutait-il,  aideraient  grandement  le 
Conseil  en  le  renseignant  sur  les  anciennes  lois 
du  pays,  ils  lui  rendraient  pareillement  des 
services  précieux  auprès  des  .Sauvages  sur 
lesquels  ils  ont  beaucoup  d'influence/' 

Sir  Guy  Carleton  suggérait  de  porter  le 
nombre  des  membres  du  Conseil  de  douze  à  dix- 
sept  et  d'y  faire  entrer  cinq  Canadiens-Fran- 
çais. Parmi  les  seigneurs  canadiens  qu'il  suggé- 
rait au  ministre  comme  membres  du  Conseil 
nous  voyons  les  noms  de  MM.  de  Léry,  de 
Lanaudière,  de  Contrecœur,  de  Tonnancour, 
d'Ailleboust  de  Cuisy,  de  Gaspé,  de  Saint-Ours, 
de  Saint-Luc,  de  Bellestre,  de  Rouville,  de 
Montesson,  et  de  Niverville.  (1) 

Cette  sage  suggestion  de  sir  Guy  Carleton 
ne  fut  pas  acceptée  tout  de  suite.  Le  gouver- 
nement anglais  hésitait  à  appeler  dans  le 
Conseil  exécutif  des  Canadiens  catholiques. 
Les  préjugés  contre  les  papistes  étaient  encore 


(1)  Rapport  sur  les  Archives  Canadiennes  pour  1890,p.41- 


—  82  — 

si  fortement  ancrés  dans  les  esprits  en  Angle- 
terre î 

Le  23  août  1769,  M.  de  Lanaudière  faisait 
une  autre  importante  acquisition.  Il  achetait  de 
Charles  Levrard  le  fief  et  seigneurie  de  Levrard 
plus  connu  sous  le  nom  de  Saint-Pierre  les 
Becquets.  M.  de  Lanaudière  paya  son  acquisi- 
tion treize  mille  livres  ou  chelins  de  la  province. 
M.  Levrard  ne  garda  pas  une  grosse  part  de 
cette  somme,  puisqu'il  la  devait  presque  en 
entier.  (1) 

Le  fief  et  seigneurie  de  Levrard  ou  de 
Saint-Pierre  les  Becquets  avait  été  originaire- 
ment concédé  en  1672  par  MM.  de  Frontenac 
et  Duchesneau  au  notaire  Romain  Becquet. 
Celui-ci  étant  décédé  sans  remplir  les  conditions 
de  sa  concession,MM.de  la  Barre  et  de  Meulles, 
pour  se  conformer  aux  ordres  du  roi,  par  leur 
ordonnance  du  12  mars  1683,  la  remirent  dans 
le  domaine  de  Sa  Majesté.  Mais  quelques 
semaines  plus  tard,  le  27  avril  1683,  ils  la  con- 
cédaient de  nouveau  aux  deux  filles  du  notaire 
Becquet,  Catherine-Angélique  Becquet,  plus 
tard  épouse  de  Louis  Levrard,  et  Marie-Louise 
Becquet,  plus  tard  épouse  de  Jean- Jacques 
LeBé.  Cette  dernière  étant  décédée  sans  enfant, 
la  seigneurie  passa  au  fils  de  sa  sœur,  Charles 
Levrard,  celui-là  même  qui  vendit  à  M.  de 
Lanaudière. 

M.  Joseph  Bouchette  disait  de  la  seigneurie 
de  Levrard  ou  Saint-Pierre  les  Becquets,  en 
1815  : 


(1)  Acte  de  vente  devant  Jean-Claude   Panet,  notaire  k 
Québec,  le  23  août  1769. 


83 


"  Cette  seigneurie  est  très  peu  habitée, 
quoique  le  sol  en  soit  fertile,  et  qu'elle  produise 
de  bonnes  récoltes  de  grain  de  toute  espèce  ; 
elle  est  généralement  composée  de  belle  argile, 
et  d'une  terre  grasse  et  noire.  Elle  est  abondam- 
ment garnie  de  bois  de  construction  dont  une 
partie  est  de  la  meilleure  qualité  ;  mais  la  plus 
grande  partie  est  du  bois  de  chauffage  dont  une 
grande  quantité  sert  à  la  consommation  de  la 
capitale.  Elle  est  arrosée  par  une  partie  de  la 
rivière  Duchesne  et  par  quelques  petits  cou- 
rants. Dans  la  première  et  la  seconde  rangées 
de  concession,  il  y  a  quelques  fermes  dans  un 
très-bon  état  d'améliorations."  (1) 

L'acte  de  Québec  de  1774  créait  un  Con- 
seil Législatif  pour  la  province  de  Québec.  Sir 
Guy  Carleton,  plus  tard  lord  Dorchester,  qui 
était  un  des  amis  de  M.  de  Lanaudière,  l'appela 
à  faire  partie  de  ce  Conseil  Législatif  avec  MM. 
La  Corne  de  Saint-Luc,  Chaussegros  de  Léry, 
Pécaudy  de  Contrecœur,  Saint-Ours  d'Eschail- 
îons,  Picotté  de  Belestre,  des  Bergères  de 
Rigauville,  etc.,  etc. 

Le  Conseil  Législatif  s'assembla  pour  la 
première  fois  à  Québec  le  17  août  1775.  Ce  fut, 
croyons-nous,  la  seule  apparition  de  M.  de 
Lanaudière  au  Conseil  Législatif. 

Atteint  de  nombreuses  infirmités  qu'il 
avait  contractées  dans  ses  campagnes,  M.  de 
Lanaudière,  afin  d'obtenir  les  soins  que  requé- 


(1)   Description    topographique    de    la    province    du    Bas- 
Canada,   p.   353. 


84 


rait  son  état  précaire,  venait  de  se  retirer  avec 
sa  femme  à  F  Hôpital-Général  de  Québec. 

C'est  dans  cet  asile  béni  qu'il  décéda  le  1er 
février  1.776,  à  l'âge  de  soixante-six  ans.  Il  fut 
inhumé  le  lendemain  dans  l'église  de  ce 
monastère. 

L'honorable  M.  de  Lanaudière  avait 
épousé  à  Québec,  le  6  janvier  1743,  Louise- 
Geneviève  des  Champs  de  Boishébert,  fille  de 
feu  Henry-Louis  des  Champs  de  Boishébert, 
capitaine  dans  les  troupes  du  détachement  de 
îa  Marine,  seigneur  de  la  Rivière-Ouelle,  et  de 
Louise-Geneviève  de  Ramezay. 

Madame  de  Lanaudière  décéda  à  Québec 
le  4  juillet  1762,  et  fut  inhumée  dans  l'église 
des  Ursulines. 

Madame  de  Lanaudière  était  une  personne 
de  beaucoup  d'esprit.  Pendant  les  dernières 
années  du  régime  français,  son  salon  fut  un 
des  plus  recherchés  de  la  capitale. 

"La  petite  rue  du  Parloir,  (1)  dit  M. 
l'abbé  Casgrain,  était  un  des  principaux  centres 
où  se  réunissait  le  beau  monde  de  Québec  ; 
deux  salons  y  étaient  recherchés  ;  celui  de  Mme 
de  Lanaudière  et  celui  de  Mme  de  Beaubassin, 
toutes  deux  renommées  pour  leur  élégance  et 


(1)  La  petite  rue  du  Parloir  mentionnée  ici  n'est  pas 
celle  qui  est  connue  sous  ce  nom  de  nos  jours  et  conduit  au 
parloir  du  couvent  des  Ursulines.  Cette  rue  du  Parloir  était 
exactement  en  face  de  l'archevêché  actuel  et  conduisait  au 
parloir  du  séminaire.  M.  de  Lanaudière  avait  acheté,  rue 
du  Parlo?r,  le  23  janvier  1748,  la  maison  du  docteur  Sarrazin, 
mort  en  Î7H4.  Cette  maison  était  située  précisément  à  l'en- 
droit où  est  l'archevêché  actuel.  Elle  resta  en  la  possession 
de  la  famille  de  Lanaudière  jusqu'en  1843.  Voir  Mgr  Henri 
Têtu,  Histoire  du  palais  épiscopal  de  Québec,  p.  112. 


85 


leur  esprit Mme  de  Lanaudière,  née 

Geneviève  de  Boishébert,  était  fille  du  seigneur 
de  la  Rivière-Ouelle,  et  Mme  Hertel  de  Beau- 
bassin,  née  Catherine  Jarret  de  Verchères,  était 
fille  du  seigneur  de  Verchères.  Leurs  maris 
servaient  tous  deux  en  qualité  d'officiers  de  la 
milice  canadienne.  (1)  Les  charmes  de  la  con- 
versation de  Mme  de  Beaubassin  semblent  avoir 
eu  particulièrement  de  l'attrait  pour  Montcalm, 
car  son  salon  était  celui  qu'il  fréquentait  le  plus 
souvent.  Ailleurs  comme  chez  l'intendant,  ou 
chez 'Mme  Péan,il  se  désennuyait,quelquefois  il 
s'étourdissait  ;  chez  Mme  de  Lanaudière,  il 
s'intéressait  ;  mais  chez  Mme  de  Beaubassin,  il 
s'attachait.  La  condescendance  ou  la  politesse 
l'entraînaient  ailleurs  ;  ici,  c'était  l'amitié."  (2) 
M.  de  Lanaudière  se  remaria,  à  Montréal, 
le  12  janvier  1764,  à  Marie-Catherine,  fille  de 
Charles  Le  Moyne,  baron  de  Longueuil,  et  de 
Catherine-Charlotte  Le  Gouès. 

Madame  de  Lanaudière  décéda  à  Québec 
le  15  avril  1788,  et  fut  inhumée  le  lendemain, 
dans  la  cathédrale,  au  bas  de  la  chapelle  Sainte- 
Anne. 

Du  mariage  de  Lanaudière-de-Boishébert 
naquirent  sept  enfants  dont  six  moururent  en 
bas  âge  ;  du  mariage  de  Lanaudière-de-Lon- 
gueuil  il  y  eut  dix  enfants  : 


(1)  Erreur.  MM.  de  Lanaudière  et  Hertel  de  Beaubassin 
étaient  officiers  dans  les  troupes  du  détachement  de  la  marine. 

(2)  Montcalm    peint    par    lui-même    d'après    des    pièces 
inédites,  p.  14. 


—  86  — 

I 

Charles-Louis  Tarieu  de  Lanaudière 

Né  à  Québec   le  14  octobre  1743. 

C'est  le  célèbre  chevalier  de  Lanaudière. 

La  Nouvelle-France  avait  tant  besoin  de 
soldats  que  les  études  du  chevalier  de  Lanau- 
dière durent  être  écourtées. 

On  était  au  commencement  de  la  lutte 
héroïque  qui  devait  se  terminer  par  la  perte 
du  Canada.  La  France  nous  envoyait  si  peu  de 
soldats  que  les  jeunes  Canadiens  de  quinze  et 
seize  ans  devaient  prendre  les  armes. 

A  seize  ans,  le  jeune  de  Lanaudière  était 
déjà  officier  dans  les  troupes  du  détachement  de 
la  marine. 

A  la  bataille  des  Plaines  d'Abraham,  le  13 
septembre  1759,  il  fut  assez  heureux  de  s'en 
tirer  sans  une  seule  blessure. 

A  la  bataille  de  Sainte-Foy,  le  28  avril 
1760,  M.  de  Lanaudière  agissait  en  qualité 
d'aide-major  du  régiment  de  la  Sarre. 

Le  rapport  officiel  de  cette  bataille  nous 
apprend  qu'il  reçut  une  balle  dans  la  jambe.  (1) 
Transporté  à  HHôpital-Général  de  Québec,  il  y 
demeura  pendant  plusieurs  semaines.  Deux 
vieilles  religieuses  de  cet  Hôpital,  les  mères 
Saint-Alexis  et  Sainte-Catherine,  qui  étaient 
ses  parentes,  déclaraient  plus  tard  : — "  Cet 
imparfait  enfant  gâté  de  Lanaudière  nous  don- 


Ci)  E.-B.  O'Callaghan,  Documents  relative  te  the  history 
of  the  state  of  New-York,  vol.  X,  p.  1084. 


—  87  — 

nait  à  lui  seul  plus  de  trouble  pendant  sa  maladie 
que  tous  les  blessés  qui  encombraient  notre 
hospice." 

Après  la  capitulation  de  Montréal,  M.  de 
Lanaudière  suivit  son  régiment  en  France.  Il 
servit  là-bas  jusqu'en  1767. 

La  tradition,  dans  sa  famille,  veut  qu'il 
fut  de  nouveau  blessé  très  grièvement  en 
France.  Un  de  ses  neveux  qui  lui  faisait 
quelques  questions  sur  ses  campagnes  en  France 
reçut  la  réponse  suivante.  "  J'ai  fait,  dit-il,  des 
exploits  bien  glorieux  en  France  contre  mes- 
sieurs les  contrebandiers  î  On  employait  tou- 
jours les  jeunes  officiers  pour  ce  service  hono- 
rable. Aussi  était-il  convenu  entre  nous  que 
lorsque  nous  les  avions  embusqués  d'un  côté, 
nous  passions  par  l'autre.  Nous  n'étions  guère 
disposés  à  nous  faire  échiner  sans  gloire  aucune 
pour  l'amour  et  au  bénéfice  de  messieurs  les 
fermiers  généraux,  qui  étaient  d'aussi  grands 
coquins  que  les  brigands  qu'on  nous  ordonnait 
de  combattre." 

En  1767,  M.  de  Lanaudière  accompagna 
à  Londres  le  comte  de  Châtelet,  ambassadeur 
de  France. 

Dans  Sainte-Anne  de  la  Pérade  autrefois 
et  aujourd'hui,  nous  trouvons  une  anecdote 
typique  de  ce  premier  séjour  de  M.  de  Lanau- 
dière en  Angleterre. 

"  Georges  III  aimait  beaucoup  le  plaisir 
et  s'entourait,  en  conséquence,  de  la  joyeuse 
jeunesse  de  son  royaume,  qu'il  invitait  fort 
souvent  à  la  Cour.  Entre  ces  heureux  court i- 


88 


sans,  s'en  trouvait  un  en  particulier  qui,  jeune, 
beau  et  spirituel,  avait  captivé  en  quelque  sorte 
l'esprit  du  roi  ;  et  il  le  savait.  Un  soir  que  M. 
Charles  de  Lanaudière  avait  été  invité  à  la 
table  royale,  il  se  trouva  placé  à  côté  du  mignon, 
le  beau  Brummel,  qui  s'empressa  de  lui  faire 
part  de  toutes  les  bontés  du  souverain  à  son 
égard,  et  de  l'ascendant  qu'il  avait  su  prendre 
à  son  tour  sur  ce  dernier. 

"  Légèrement  ému  sans  doute  par  le  bon 
vin,  et  cédant  à  un  sot  orgueil  qui  le  poussait 
à  vouloir  prouver  au  jeune  de  Lanaudière 
jusqu'où  pouvait  aller  sa  familiarité  avec  le 
haut  maître  de  céans."  Vous  allez  voir,  dit-il, 
dans  un  instant,  ce  que  je  puis  faire  ici. 

"  Alors,  s'adressant  à  George  III  lui- 
même  :  Sire,  lui  dit-il,  veuillez  donc  sonner 
pour  le  domestique,  j'ai  besoin  qu'il  vienne.  — 
Oui  reprit  le  roi,  sans  même  lever  les  yeux  ni 
laisser  voir  le  moindre  signe  de  mécontentement 
sur  sa  figure  ou  dans  sa  voix. 

u  Le  serviteur  s'étant  présenté,  le  roi,  d'un 
ton  de  grande  indifférence,  s'exprima  en  ces 
termes  :  —  J'ai  sonné  pour  vous  ordonner  de 
faire  venir  immédiatement  à  la  porte  du  palais, 
la  voiture  de  ce  monsieur,  le  désignant  du  doigt, 
car  il  en  a  un  pressant  besoin. 

"  En  entendant  ces  quelques  mots  à  son 
adresse,  le  "  beau  Brummel  "  ne  comprit  que 
trop  la  disgrâce  dont  il  était  frappé  et  se  retira 
immédiatement,  couvert  de  confusion,  avec 
l'intime  conviction  que  ses  nombreux  rivaux 
éprouvaient  une  vive  joie  en  le  voyant  ainsi  mis 


89 


à  la  porte  du  château,  où  i)  ne  remit  jamais  le 
pied/' (1) 

Le  fond  de  cette  anecdote,  nous  n'en  vou- 
lons pas  douter,  est  vrai.  Mais  on  a  confondu 
George  III  avec  son  fils  qui  fut  plus  tard 
George  IV.  Le  beau  Brummel  fut  le  favori 
non  pas  de  George  III  mais  de  George  IV. 
Si  l'épisode  raconté  ici  a  réellement  eu  lieu  en 
1767,  George  IV  n'était  encore  que  prince  de 
Galles  car  il  monta  sur  le  trône  en  1820  seule- 
ment, après  avoir  été  régent  du  royaume  pen- 
dant dix  ans. 

Pendant  qu'il  était  à  Londres,  M.  de 
Lanaudière  obtint  du  gouvernement  anglais  un 
passeport  pour  venir  au  Canada  prendre  pos- 
session des  biens  de  sa  mère  décédée. 

Une  fois  au  pays  natal,  probablement  à  la 
suggestion  de  son  père,  il  décida  de  sacrifier 
les  honneurs  militaires  qui  l'attendaient  en 
France,  afin  de  mettre  au  service  de  son  pays 
ses  forces,  ses  talents  et  son  énergie. 

Sir  Guy  Carleton  était  alors  gouverneur 
de  la  province  de  Québec.  Ami  intime  de  M.  de 
Lanaudière  père,  il  ne  tarda  pas  à  accorder 
toute  sa  confiance  au  chevalier  de  Lanaudière. 
Il  le  choisit  même  peu  de  temps  après  son 
retour  dans  la  colonie  comme  un  de  ses  aides 
de  camp. 

En  août  1770,  le  gouverneur  Carleton 
s'embarquait  pour  l'Angleterre.  Il  s'en  allait 
faire  connaître  aux  ministres  la  situation  du 


(1)  Autrefois  et  aujourdh'ui  à  Sainte-Anne  de  la  Pérade, 

p.  G3. 


—  90  — 

Canada.  M.  de  Lanaudière  fit  le  voyage  avec 
sir  Guy  Carleton. 

En  1775,  pendant  l'invasion  américaine, 
M.  de  Lanaudière  fut  un  des  officiers  qui  ren- 
dirent le  plus  de  services  au  gouverneur  Carle- 
ton. Sa  connaissance  de  l'art  militaire,  la  popu- 
larité dont  il  jouissait  parmi  ses  compatriotes, 
son  activité  et  son  dévouement  à  la  chose 
publique,  en  faisaient  un  aide  puissant  pour 
le  gouvernement. 

Au  commencement  d'octobre  1775,  MM. 
de  Lanaudière  et  Godefroy  de  Tonnancour 
réussirent  à  lever  aux  Trois-Rivières  et  dans 
les  environs  soixante-sept  hommes  pour  aller 
à  la  défense  de  Montréal. 

Ce  détachement  partit  des  Trois-Rivières, 
le  10  octobre,  sous  le  commandement  de  M.  de 
Lanaudière. 

Dans  sa  lettre  au  ministre  Darmouth,  du 
25  octobre  1775,  Carleton  raconte  la  mésaven- 
ture arrivée  à  son  aide  de  camp. 

Les  soixante-sept  Trifluviens  enrôlés  par 
MM.  de  Lanaudière  et  de  Tonnancour  n'étaient 
pas  armés.  On  -devait  leur  donner  des  fusils  à 
Montréal. 

Le  détachement  à  son  arrivée  à  Berthier- 
en-haut  fut  entouré  par  les  habitants  de  cette 
paroisse  qui  étaient  plutôt  favorables  aux  Amé- 
ricains. M.  de  Lanaudière  voulut  leur  en  impo- 
ser mais  les  habitants  qui  étaient  armés  jus- 
qu'aux dents  enlevèrent  leurs  épées  à  MM.  de 
Lanaudière  et  de  Tonnancour  et  les  firent 
prisonniers. 


—  91  — 

Le  Journal  de  Jean-Baptiste  Badeau  nous 
dit  que  les  deux  officiers  furent  menés  chez  le 
nommé  Buron,  capitaine  de  Saint-Cuthbert. 
Fort  heureusement  pour  eux,  le  curé  de  la 
paroisse,  M.  l'abbé  Pouget,  se  trouvait  alors 
chez  son  paroissien  Buron.  M.  Pouget  sollicita 
si  fort  auprès  du  sieur  Martel,  chef  des  révoltés, 
qu'il  obtint  leur  élargissement. 

M.  Badeau  ajoute  : 

"  Ce  qui  devait  certainement  être  morti- 
fiant pour  nos  messieurs,  c'est  qu'après  qu'ils 
furent  faits  prisonniers,  toutes  les  femmes  qui 
se  trouvaient  sur  les  chemins  où  ils  passaient, 
criaient  à  leurs  maris  :  "  Certes  ;  vous  avez  fait 
bonne  chasse  aujourd'hui,"  et  cela  en 
dérision."  (1) 

Quelques  jours  plus  tard,  M.  de  Lanau- 
dière  eut  une  autre  aventure  à  Nicolet  qui 
le  consola  peut-être  un  peu  de  l'humiliation 
reçue  à  Berthier-en-haut. 

Le  colonel  MacLean,  accompagné  de  MM. 
de  Lanaudière  et  de  Niverville,  se  transporta  à 
Nicolet  pour  amener  les  habitants  de  cette 
paroisse  à  marcher  contre  les  Américains. 

Les  trois  officiers  se  rendirent  à  la  maison 
d'un  nommé  Rouillard  qui  était  le  chef  des 
mécontents. 

Rouillard  avait  eu  le  soin  de  se  cacher. 
MacLean  demanda  à  la  femme  où  étaient  son 
mari  et  son  fils.  Elle  répondit  qu'elle  n'en  savait 
rien. 


(1)  L'abbé  Verreau,  Invasion  du  Canada,  p.  171. 


—  92  — 

"  Eh  bien,  dit  le  colonel  MacLean,  si  vous 
ne  me  dites  où  est  votre  mari  et  votre  fils,  je 
vais  mettre  le  feu  à  votre  maison. 

La  femme  Rouillard  répondit  : 

— Eh  bien,  mettez  ;  pour  une  vieille  mai- 
son, vous  m'en  rendrez  une  neuve. 

Alors  MacLean  ordonna  d'allumer  le  feu; 

Quand  la  vieille  vit  le  feu  au  pignon  de  sa 
maison,  elle  en  sortit  et  courut  vers  le  bois  en 
criant  : 

— Saint  Eustache,  préservez-moi  du  feu  ! 
Saint  Eustache,  préservez-moi  du  feu  !  Voici 

une  bande  de  b qui  veulent  me  faire 

brûler. 

Le  colonel  MacLean,  voyant  qu'il  ne  ga- 
gnerait rien,  fit  aussitôt  éteindre  le  feu. 

De  là,  MacLean,  de  Lanaudière,  de  Ton- 
nancour  et  les  quelques  soldats  se  dirigèrent 
vers  une  petite  île  où  les  habitants  s'étaient 
retirés  avec  leurs  armes. 

MacLean  et  de  Lanaudière  traversèrent 
la  rivière  dans  un  petit  canot.  M.  de  Tonnan- 
cour  et  les  soldats  traversèrent  à  gué.  Les 
habitants  en  voyant  la  petite  troupe  traverser 
la  rivière  se  mirent  à  fuir  dans  les  bois  comme 
si  des  diables  les  avaient  poursuivis.  (1) 

Les  habitants  de  nos  campagnes,  il  faut 
l'avouer,  n'étaient  guère  enthousiastes  pour  la 
défense  du  sol  natal  en  1775. 

On  connait  l'héroïque  résistance  de  la  gar- 
nison du  fort  Saint- Jean  dans  l'automne  de 
1775. 


(1)  Jean-Baptiste  Badeau,   Journal,  p.   173. 


—  93  — 

M.  de  Lanaudière  était-il  au  nombre  des 
défenseurs  du  fort  Saint- Jean  ? 

En  1786,  le  Courrier  de  l'Europe  publiait 
la  note  suivante  : 

"  La  noblesse  canadienne  n'aurait  jamais 
pris  les  armes  (en  1775),  si  M.  de  Lanaudière 
ne  lui  avait  donné  l'exemple.  Le  général  Car- 
leton  lui  rend  la  justice  qu'il  mérite  et  convient 
qu'il  ne  pouvait  être  aidé  d'une  manière  plus 
efficace  qu'il  ne  l'a  été  par  le  corps  de  la  noblesse 
canadienne.  Il  est  connu  qu'elle  n'aurait  jamais 
marché,  si  M.  de  Lanaudière  ne  s'était  mis  à 
sa  tête." 

Cette  assertion  mensongère  froissa  toute 
la  noblesse  canadienne.  En  août  1787,  lorsque 
ce  journal  parvint  au  pays,  vingj:-et-un  sei- 
gneurs signèrent  la  protestation  suivante  qui 
fut  envoyée  au  Courrier  de  l'Europe  : 

"  Lorsqu'en  1775,  l'ennemi  parut  à  Saint- 
Jean,  une  des  frontières  de  cette  province,  la 
noblesse  et  un  nombre  de  citoyens  canadiens 
s'y  transportèrent  et  y  tinrent  poste  jusque  et 
après  l'arrivée  des  troupes,  avant  que  ce  Mon- 
sieur (de  Lanaudière)  pût  en  avoir  connais- 
sance, étant  pour  lors  à  plus  de  quarante  lieues 
de  Montréal.  Et  ce  corps  n'a  depuis  rien  omis 
pour  contribuer  à  la  défense  de  cette  province. 
Nous  en  appelons  au  témoignage  de  Son 
Excellence  le  très  honorable  lord  Dorchester 
pour  la  vérité  de  nos  avancés.  Les  impressions 
désagréables  que  ce  paragraphe  pourraient 
laisser  sur  ce  corps,  si  elles  n'étaient  détruites, 


94 


nous  font  espérer  que  vous  voudrez  bien  insérer 
cette  lettre  dans  votre  journal." 

Nous  avons  sous  les  yeux  la  liste  officielle 
complète  des  défenseurs  du  fort  Saint-Jean  en 
1775.  Le  nom  de  M.  de  Lanaudière  ne  s'y 
trouve  pas.  (1) 

Nous  sommes  bien  convaincu  que  M.  de 
Lanaudière  ne  fut  pour  rien  dans  la  note  inju- 
rieuse pour  la  noblesse  canadienne  publiée  par 
le  Courrier  de  l'Europe.  D'ailleurs,  sa  présence 
au  fort  Saint- Jean  n'aurait  rien  ajouté  au 
mérite  de  M.  de  Lanaudière  pendant  cette 
campagne.  Les  nombreuses  relations  qui  nous 
sont  parvenues  de  l'invasion  américaine  de  1775 
nous  montrent  M.  de  Lanaudière  partout  où 
il  y  avait  des  dangers  à  courir.  S'il  n'était  pas 
au  fort  Saint -Jean  c'est  que  son  devoir  le  rete- 
nait auprès  du  gouverneur  Carleton  dont  il 
était  l'aide  de  camp. 

Le  12  novembre  1775,  Montréal  capitu- 
lait. Montgomery  prit  possession  de  la  ville  le 
lendemain.  Heureusement,  le  gouverneur  Car- 
leton, accompagné  de  son  aide  de  camp,  M.  de 
Lanaudière,  et  de  plusieurs  autres  officiers, 
était  parti  de  Montréal  l'avant-veille  sur  un  des 
bâtiments  d'une  flottille  qui  se  rendait  à  Qué- 
bec pour  y  conduire  des  soldats. 

Montgomery,  aussitôt  qu'il  eut  vent  de  la 
fuite  de  Carleton,  envoya  le  colonel  Eaton  à  sa 
poursuite. 

Mais  les  éléments  semblaient  conspirer 
contre  Carleton.  A  Lavaltrie  le  vent  changea 


(1)  Bulletin  des   Recherches  Historiques,  vol.   XII,  p.315. 


—  95  — 

et  soufflant  avec  violence  du  côté  du  nord-est 
força  la  plupart  des  bâtiments  à  mouiiler  devant 
cette  paroisse. 

Il  en  fut  ainsi  jusqu'au  16  novembre.  Le 
gouverneur  Carleton  craignant  alors  de  tomber 
entre  les  mains  des  Américains  manda  tous  les 
capitaines  de  ses  vaisseaux  à  son  propre  bord 
afin  de  les  consulter.  Tous  furent  d'avis  qu'il 
fallait  tenter  tous  les  moyens  possibles  pour 
conduire  le  gouverneur  à  Québec  où  sa  présence 
était  absolument  nécessaire  au  salut  de  la 
colonie.  Le  capitaine  Bellet,  qui  était  un  marin 
d'expérience  et  d'un  courage  à  toute  épreuve, 
et  qui  avait  fait  bastinguer  sa  goélette  armée 
pour  la  garantir  des  boulets  ennemis,  s'offrit 
de  rester  en  arrière  avec  son  vaisseau  afin 
d'occuper  les  chaloupes  des  Américains  et 
permettre  au  gouverneur  de  se  rendre  en 
toute  sûreté  à  Québec.  Le  capitaine  Jean- 
Baptiste  Bouchette,  qu'on  surnommait  la 
Tourte  à  cause  de  la  célérité  de  ses  voyages, 
s'offrit  de  conduire  le  gouverneur  à  Québec 
dans  une  barge,  et  c'est  ce  moyen  qu'accepta 
Carleton. 

Dans  la  nuit  du  16  au  17  novembre,  le 
gouverneur  Carleton,  son  aide  de  camp,  M.  de 
Lanaudière,  et  le  chevalier  de  Niverville 
s'embarquèrent  dans  la  barge  de  Bouchette.  (1) 
Celui-ci  avait  fait  envelopper  de  drap  la  partie 
des  rames  qui  portait  sur  le  bois  afin  d'éviter 


(1)  M.  Benjamin  Suite  écrit  que  le  gouverneur  Carleton 
se  déguisa  en  habitant  pour  ne  pas  être  reconnu  s'il  tombait 
«ux  mains  des  Américains  (Bulletin  des  Recherches  Histo- 
riques,  vol.  V,  p.  318. 


—  96  — 

le  bruit.  En  passant  par  le  chenal  de  l'île  du 
Pas,  les  nageurs,  pour  plus  de  précautions, 
mirent  leurs  rames  de  côté  et  ne  nagèrent 
qu'avec  leurs  mains. 

Le  lendemain,  17  novembre,  à  midi  précis, 
l'embarcation  de  Bouchette  arrivait  aux  Tr ois- 
Rivières.  Le  gouverneur  et  ses  amis  allèrent 
diner  chez  M.  Godefroy  de  Tonnancour,  puis, 
à  trois  heures  de  l'après-midi,  se  rembarquèrent 
dans  la  barge  de  Bouchette. 

Au  pied  du  Richelieu,  Bouchette  rencontra 
le  senau  armé  Fell  commandé  par  le  capitaine 
Napier.  Le  gouverneur  décida  de  continuer  son 
voyage  dans  ce  senau  qui  avait  plus  de  commo- 
dités qu'une  simple  barge. 

Le  gouverneur  Carleton  arriva  à  Québec 
le  dimanche,  19  novembre,  dans  l'après-midi, 
accompagné  de  M.  de  Lanaudière,  du  capitaine 
Owen,  du  lieutenant  Telwyn,  du  7ème  Régi- 
ment, et  de  quelques  soldats. 

Le  gouverneur  Carleton  fit  bien  de  se 
confier  au  capitaine  Bouchette  car,  quelques 
jours  plus  tard,  la  flottille  tout  entière  encore 
ancrée  à  Lavaltrie  se  rendait  aux  Américains. 
Ceux-ci  prirent  onze  vaisseaux,  et  firent  plu- 
sieur  officiers  et  120  soldats  prisonniers  de 
guerre.  (1) 

Dans  l'été  de  1777,  M.  de  Lanaudière,  de 
concert  avec  son  parent,  M.  de  Lacorne  Saint- 
Luc,  prit  part  à  la  malheureuse  expédition  du 
général  Burgoyne  contre  la  Nouvelle- York. 


(1)  L'abbé   Verreau,   Invasion   du   Canada,  p.  235. 


97 


Les  détachements  canadiens  et  sauvages 
qui  avaient  pour  commandant  suprême  le 
colonel  de  Saint-Léger  se  mirent  en  marche  de 
Montréal  vers  le  milieu  de  juin. 

Le  10  août  1777,  M.  John  Mackenna, 
prêtre  irlandais,  qui  accompagnait  les  troupes 
canadiennes  en  qualité  d'aumônier,  écrivait  de 
Wood-Creek,  près  du  fort  Stanwick,  à  M. 
Montgolfier,  supérieur  du  séminaire  de  Saint- 
Sulpice,  à  Montréal,  que  trois  jours  auparavant 
le  colonel  Johnson  avait  attaqué  les  Bastonnais 
à  quelques  lieues  du  fort  Stanwick,  en  avait  tué 
deux  cents,  parmi  lesquels,  leur  chef,  le  général 
Harkisman.  "M.  de  Saint-Léger,ajoutait-il,est 
à  la  tête  des  troupes  qui  assiègent  le  fort 
(Stanwick).  Tous  nos  canadiens,  MM.  Roy, 
Well,  Stone,  de  Salaberry,  Vassal,  Bazin  sont 
bien.  Nous  sommes  de  bonne  humeur." 

La  joie  ne  devait  pas  durer.  Six  jours  plus 
tard,  le  16  août  1777,  à  Bennington,  plusieurs 
centaines  d'Anglais  furent  tués  ou  faits  prison- 
niers avec  un  bon  nombre  de  Canadiens  et  de 
Sauvages. 

Peu  après,  les  Sauvages  froissés  des  ordres 
de  Burgoyne  qui  leur  défendait  de  commettre 
des  atrocités  et  de  se  livrer  au  pillage  l'aban- 
donnaient à  peu  près  tous. 

M.  Montgolfier,  le  26  août  1777,  appre- 
nait toutes  ces  mauvaises  nouvelles  à  Mgr 
Briand,  évêque  de  Québec,  et  ajoutait  : 

"  Les  rebelles  avaient  une  embuscade  qu'on 
prétend  avoir  été  d'environ  cinq  mille  hommes, 
qui  ont  enveloppé  le  parti  royal,  dont  ils  ont 
fait  un  grand  carnage.  Bien  des  familles  cana- 


98 


diennes  sont  dans  la  consternation.  Chacun 
craint  pour  les  siens.  Il  y  a  à  cette  occasion  une 
grande  déroute  dans  l'armée.  Presque  tous  les 
Sauvages  se  retirent.  MM.  de  Saint-Luc  et  de 
Lanaudière  sont  arrivés  hier  à  midi  à  Montréal. 
Ils  ne  disent  point  de  détails,  mais  ils  partent 
aujourd'hui  pour  Québec."  (1) 

Mais  tout  ceci  n'était  que  le  prélude  du 
sort  qui  attendait  le  général  Burgoyne.  A  Sara- 
toga,  le  14  octobre  1777,  il  dût  capituler  avec 
toute  son  armée.  (2) 

MM.  de  Lacorne  Saint- Luc  et  de  Lanau- 
dière revenus  au  Canada  à  la  fin  d'août  1777, 
échappèrent  donc  à  ce  désastre. 

Dans  l'automne  de  1778,  sir  Guy  Carîeton 
s'embarquait  pour  l'Angleterre  avec  sa  famille. 
Il  amenait  avec  lui  son  fidèle  aide  de  camp, M. de 
Lanaudière,  et  M.  l'abbé  Bailly  de  Messein, 
curé  de  la  Pointe-aux-Trembles,  comme  pré- 
cepteur de  ses  enfants. 

M.  de  Lanaudière  devait  passer  huit  ans 
en  Angleterre. 

C'est  pendant  ce  troisième  séjour  de  M. 
de  Lanaudière  en  Angleterre  que  le  gentilhomme 
canadien  présenta  un  mémoire  à  William  Pitt 
et  à  lord  Sydney  dans  lequel  il  exposa  les 
services  qu'il  avait  rendus  à  la  Couronne  et 
les  pertes  qu'il  avait  subies  pendant  l'invasion. 


(1)  L'abbé  Auguste  Gosselin,  L'église  du  Canada,  après 
la  conquête,  2e  partie,  p.  107. 

(2)  Le  26  mai  1778,  devant  la  Chambre  des  Communes 
d'Angleterre,  Burgoyne  commit  la  lâcheté  de  rejeter  la 
faute  de  sa  défaite  sur  M.  de  Lacorne  Saint-Luc.  Celui-ci, 
dans  une  lettre  datée  de  Québec,  le  23  octobre  1778  et  qui 
fut  publiée  en  français  dans  les  journaux  de  Londres,  le 
remit  proprement  à  sa  place. 


—  99  — 

C'est  probablement  ce  mémoire  et  la  pro- 
tection de  Carleton  qui  lui  firent  donner 
l'importante  charge  de  grand-voyer  du  Bas- 
Canada  avec  un  salaire  annuel  de  500  louis. 

On  a  dit  que  George  III  avait  une  mémoire 
prodigieuse  des  hommes.  Il  lui  suffisait,  parait- 
il,  de  voir  une  personne  une  seule  fois  pour  se 
la  rappeler  pendant  le  reste  de  sa  vie.  M.  de 
Lanaudière,  au  cours  de  son  troisième  voyage 
en  Angleterre,  fit  la  flatteuse  expérience  de  la 
bonne  mémoire  du  souverain  anglais. 

M.  de  Lanaudière,  lors  de  son  passage  en 
Angleterre  en  1767  avec  le  comte  de  Châtelet, 
avait  été  présenté  à  George  III.  Il  était  alors 
sujet  français. 

Ses  amis  anglais  lui  ménagèrent  une  nou- 
velle entrevue  avec  le  monarque.  Celui-ci 
reconnut  aussitôt  le  gentilhomme  canadien,  et 
lui  dit  en  français  : 

— Vous  m'avez  été  présenté  jadis  comme 
sujet  français,  mais  je  suis  heureux  de  vous 
recevoir  aujourd'hui  comme  un  de  mes  sujets. 

Puis,  il  ajouta,  en  se  servant  cette  fois  de 
la  langue  anglaise  : — But  I  forget  that  you 
speek  english  fluenthy  (J'oubliais  que  vous 
parlez  anglais  avec  aisance),  et  il  continua  la 
conversation  dans  cette  langue. 

M.  de  Gaspé  à  qui  nous  empruntons  cette 
anecdote  ajoute  que  son  oncle  était  celui  des 
anciens  Canadiens  qu'il  avait  connus  qui  par- 
lait le  mieux  la  langue  anglaise.  Nous  l'appe- 
lions, dit-il,  notre  oncle  anglais,  car,  tandis  que 
les  messieurs  de  son  âge  avaient  conservé  les 
manières  de  leurs  ancêtres  français,   il   avait 


—  100  — 

adopté  les  manières  plus  f roides,moins  démons- 
tratives des  vrais  gentilshommes  anglais,  les- 
quelles^ la  vérité,difïéraient  peu  alors  de  celles 
des  gentilshommes  français.  (1) 

M.  de  Lanaudière,  avant  de  se  rembarquer 
pour  îe  Canada,  se  décida  à  passer  en  France 
afin  de  renouer  connaissance  avec  ses  parents 
et  ses  amis  qu'il  n'avait  pas  vus  depuis  bientôt 
vingt  ans.  Son  cousin,  Charles-Louis-Roch  de 
Saint-Ours,  l'accompagnait  dans  ce.  voyage. 
Les  deux  Canadiens  se  rendirent  jusqu'en 
Allemagne.  Le  grand  Frédéric  était  alors  sur 
le  trône  de  Prusse.  Le  monarque  leur  accorda 
gracieusement  la  permission  d'assister  aux 
revues  de  ses  troupes  à  Berlin  et  à  Magdebourg. 
Le  billet  remis  à  M.  de  Lanaudière  était  ainsi 
conçu  : 

"M.  le  capitaine  de  Lanaudière,  c'est  avec 
plaisir  que  je  vous  accorde  la  permission 
d'assister  à  mes  revues  prochaines,  d'ici,  de 
Berlin  et  de  Magdebourg  ;  et  sur  ce,  je  prie 
Dieu  qu'il  vous  ait,  M.  le  capitaine  de  Lanau- 
dière, en  sa  sainte  et  digne  garde. 

"  Postdam,  le  10  de  mai  1785. 

Frédéric." 

Frédéric  voulut  bien  recevoir  MM.  de 
Lanaudière  et  de  Saint-Ours  et  se  montra  très 
aimable  pour  eux. 

Le  26  octobre  1786,  sir  Guy  Carleton,  qui 
venait  d'être  élevé  à  la  pairie  sous  le  nom  de 


(1)  Mémoires,  p.  96. 


—  101  — 

baron  Dorchester,  arrivait  à  Québec  après  un 
séjour  de  quelques  années  en  Angleterre. 

Lord  Dorchester  était  porteur  d'instruc- 
tions royales  datées  du  23  août  1786  et  qui  lui 
prescrivaient  de  former  un  nouveau  Conseil 
législatif.  Ces  mêmes  instructions  nommaient 
comme  conseillers  législatifs  quatorze  Anglais 
et  neuf  Canadiens-Français  :  MM.  François 
Levesque,  Chaussegros  de  Léry,  Picotté  de 
Bellestre,  Roque  de  Saint-Ours  fils,  François 
Baby,  Le  Moyne  de  Longueuil,  Boucher  de 
Boucherville,  Le  Compte  Dupré  et  le  chevalier 
de  Lanaudière.  (1) 

La  société  que  M.  de  Lanaudière  avait 
fréquentée  dans  ses  différents  séjours  en 
France  et  en  Angleterre  avait  été  pour  lui  une 
occasion  de  dépenses  énormes.  Son  père  qui  lui 
était  venu  en  aide  plusieurs  fois  disait  plaisam- 
ment : 

— Si  je  mettais  mon  fils  dans  une  balance 
et  dans  une  autre  l'or  qu'il  m'a  coûté  avant  de 
recevoir  sa  légitime,  il  l'emporterait  de  beau- 
coup. 

"  Ce  n'était  pas,  dit  à  ce  propos  M.  de 
Gaspé,  dans  la  société  du  duc  d'Orléans 
(Philippe  Egalité)  et  dans  celle  du  prince  de 
Galles,  depuis  George  IV,  que  mon  cher  oncle 
pouvait  faire  des  épargnes  :  il  se  consolait  de 
la  perte  d'une  partie  de  sa  fortune  en  disant  : 
— J'ai  fait  bien  des  folies  pendant  ma  jeunesse, 
mais  toujours  en  bonne  compagnie."  (2) 


(1)  Short    et   Doughty,   Documents   concernant    l'histoire 
constitutionnelle  du  Canada,  p.  528. 

(2)  Mémoires,   p.   97. 


—  102  — 

M.  de  Lanaudière,  propriétaire  de  cinq 
seigneuries  qui  malgré  la  richesse  de  leur  sol 
et  leur  situation  avantageuse  ne  lui  rappor- 
taient pas  beaucoup  de  revenus,  saisit  au  vol  à 
la  fin  de  1787  l'occasion  que  lui  offrit  le  Conseil 
législatif  de  refaire  en  peu  d'années  la  fortune 
qu'il  avait  dépensée  en  compagnie  de  ses  amis, 
les  grands  seigneurs  d'Angleterre  et  de  France. 

En  1787,  le  Conseil  législatif,  à  la 
demande  du  gouvernement  anglais,  avait  formé 
des  comités  chargés  d'examiner  l'état  des  lois 
et  de  la  justice,  du  commerce,  de  l'instruction 
publique,  de  la  tenure  des  terres,  etc.,  etc. 

Au  mois  de  janvier  1788,  M.  de  Lanau- 
dière présentait  au  gouverneur  Dorchester, 
pour  être  soumise  au  comité  de  la  tenure  des 
terres,  une  requête  qui  proposait  d'adopter, 
dans  la  concession  des  terres  incultes,  le  free 
and  common  soccage,  tenure  franche  anglaise. 

Elle  était  ainsi  conçue  : 

"  Les  seigneuries  dont  j'ai  héritées  de  mes 
ancêtres,  et  qui  leur  furent  accordées  en 
récompense  de  leurs  services,  me  sont  parvenues 
après  avoir  été  possédées  par  la  quatrième 
génération.  Quand  je  regarde  l'étendue 
immense  des  terres  qu'elles  contiennent,  qui  se 
monte  à  plus  de  trente-cinq  lieues  en  superficie, 
dont  je  suis  possesseur,  la  petite  portion  de  ces 
terres  en  valeur,  le  peu  d'habitants  qui  y  sont 
établis,  j'aurais  les  plus  grands  reproches  à  me 
faire,  si  je  n'en  avais  pas  recherché  les  causes, 
et,  après  les  avoir  trouvées,  si  je  gardais  le 
silence.  Cette  province  est,  à  bien  considérer, 
encore  dans  l'enfance  :  elle  ne  peut  espérer  sa 


103 


grandeur  future  que  de  l'encouragement  de  la 
Grande-Bretagne,  d'où  doit  s'étendre  sa  popu- 
lation, ainsi  que  de  l'émigration  de  l'Europe  et 
de  nos  voisins.  Mais,  pourrons-nous,  nous  sei- 
gneurs,possesseurs  de  fiefs  immenses,croire  que 
ces  mêmes  hommes  qui  auront  quitté  leur  patrie 
pour  prendre  des  terres  dans  cette  province, 
voudront  donner  la  préférence  à  nos  seigneu- 
ries pour  s'y  établir,  s'ils  les  voient  réglées  par 
un  système  de  lois  qu'ils  ont  en  horreur,  qu'ils 
ne  sauraient  entendre,  et  dans  lequel  l'incerti- 
tude des  charges  est  déjà  un  vasselage  onéreux; 
J'ose  espérer  que  Votre  Seigneurie  voudra  bien 
prendre  en  sa  sage  considération  la  dure  situa- 
tion dans  laquelle  se  trouvent  les  intérêts  de  ma 
famille,  et  que,  pour  m'en  relever,  Votre  Excel- 
lence voudra  bien  reprendre  les  titres  de  mes 
seigneuries,  avec  tous  les  privilèges  et  honneurs 
qui  y  sont  attachés,  et  me  les  reconcéder  en 
franc  et  commun  socage,  pour  que,  par  ce  chan- 
gement, je  puisse  donner  de  l'encouragement  à 
prendre  mes  terres.  Si  l'Etat  m'obligeait  à  rem- 
plir toutes  les  conditions  suivant  leur  teneur 
le  peu  de  revenus  que  j'ai  pour  supporter  ma 
famille  suffirait .  à  peine  pour  en  payer  les 
charges." 

"  L'influence  du  juge  en  chef  Smith,  dit  M. 
Garneau,  s'était  fait  sentir  à  ce  comité  comme 
aux  autres.  Il  avait  trouvé  un  appui  dans  un 
des  principaux  seigneurs  canadiens.  Charles 
Tarieu  de  Lanaudière,  grand-croix  de  Saint- 
Louis,  (1)    aide  de  camp    du    gouverneur    et 


(1)  Erreur.  M.  de  Lanaudière  n'était  pas  grand-croix  ni 
même   chevalier   de    Saint-Louis. 


—  104  — 

intendant-général  des  voies  publiques,  était  un 
gentilhomme  d'un  esprit  cultivé.  Il  avait  visité 
l'Angleterre  où  il  avait  appris  à  calculer.  Ses 
seigneuries  avaient  près  de  trente-cinq  lieues 
en  superficie,  et  une  très  petite  portion  en  était 
concédée.  Il  savait  que  s'il  devenait  le  proprié- 
taire absolu  du  sol,  il  triplerait  sa  fortune, 
puisqu'il  pourrait  vendre  ou  concéder  ses  terres 
à  tels  prix  qu'il  voudrait  ;  et  que  s'il  perdait 
par  le  changement  de  tenure  des  cens  et  rentes, 
lods  et  ventes,  droits  de  banalité  et  de  justice, 
il  convrirait  toutes  ses  pertes,  plus  apparentes 
que  réelles,  nar  les  prix  qu'il  exigerait  des 
colons."  (1) 

Cette  supplique  de  M.  de  Lanaudière  sou- 
leva une  véritable  tempête  dans  tout  le  pays. 
Les  seigneurs  se  hâtèrent  d'envoyer  une  contre- 
requête  au  gouverneur.  Elle  fut  présentée  par 
MM.  de  Saint-Ours,  Juchereau  Duchesnay, 
Picotté  de  Belestre,  Taschereau,  de  Bonne, 
Panet,  Berthelot,  Dunière,  Bédard,  etc.,  etc. 

"  Ayant  appris,  disait  cette  requête,  qu'un 
projet  de  loi  avait  été  soumis  à  Son  Excellence 
pour  le  changement  de  la  tenure  en  cette  pro- 
vince, ils  demandaient  qu'il  leur  fut  permis 
d'exprimer  leurs  appréhensions  les  plus  vives 
qu'il  n'eût  son  effet,  la  regardant  comme  l'acte 
le  plus  destructif  des  bases  de  leurs  droits  de 
propriété,  conservés  par  la  capitulation,  et  des 
titres  confirmés  par  l'acte  constitutif  du  pou- 
voir législatif  en  cette  province.  Ils  ajoutaient 
que  loin  de  chercher  à  augmenter  leur  fortune 


(1)  Histoire  du  Canada,  tome  III,  p.  60. 


105 


et  leur  importance  aux  dépens  des  laboureurs, 
ils  n'avaient  rien  tant  à  cœur  que  de  contribuer 
à  leur  bonheur,  en  s'unissant  à  eux  pour  s'oppo- 
ser à  un  changement  préjudiciable  aux  intérêts 
de  cette  classe  d'hommes  la  plus  utile  au  pays 
et  à  l'avancement  des  terres.  Il  n'y  avait  qu'un 
seul  seigneur,  poursuivaient-ils,  M.  Charles  de 
Lanaudière,  qui  eût  sollicité  cette  innovation  ; 
que  les  réponses  données  en  son  nom  au  comité 
renfermaient  des  insinuations  contraires  à  l'état 
actuel  et  réel  de  la  tenure  et  faisaient  rémuné- 
ration de  servitudes  humiliantes  tombées  depuis 
longtemps  en  désuétude,  abrogées  par  la  réfor- 
mation même  de  la  coutume  adoptée  dans  le 
pays  ;  qu'aucun  avantage  réel  ne  semblait 
devoir  résulter  de  la  tenure  proposée  ;  qu'au 
contraire,  le  franc  et  commun  socage  serait  un 
obstacle  à  l'avancement  de  la  culture,  à  cause 
de  la  vaste  étendue  des  terres  déjà  concédées  et 
en  partie  défrichées  ;  enfin,  qu'il  établirait,  au 
choix  de  quelques-uns,  la  confusion  dans  les 
propriétés,  parce  que  les  seigneurs,  devenant 
maîtres  absolus  d'immenses  territoires,  pour- 
raient diviser,  concéder  ou  vendre  le  sol  aux 
conditions  les  plus  dures  et  que  les  cultivateurs 
seraient  privés  du  droit  de  les  obliger  à  concéder 
leurs  terres  en  roture,  dispense  qui  arrêterait 
les  défrichements  et  compromettrait  ce  déve- 
loppement de  la  population  devenu  sensible 
depuis  que  le  pays  n'était  plus  en  guerre  avec 
hs  Sauvages  et  les  colonies  voisines."  (1) 


(1)  L'abbé    Daniel,    Les    grandes    familles    françaises    dm 
Canada,  p.  479. 


—  106  — 

Devant  les  raisons  si  claires  et  si  fortes 
apportées  par  la  contre-requête,  impressionné 
d'ailleurs  par  les  considérations  non  moins 
justes  du  juge  Mabane,  le  Conseil  législatif  à 
qui  avait  été  soumise  la  proposition  de  M.  de 
Lanaudière,  n'osa  rien  changer  à  l'état  de 
choses  existant. 

La  constitution  de  1791  faisait  de  l'ancienne 
province  de  Québec  deux  provinces  distinctes, 
la  province  du  Haut-Canada  et  la  province  du 
Bas-Canada,  chacune  avec  un  Conseil  législatif 
et  une  Assemblée  législative. 

L'honorable  M.  de  Lanaudière  fut  un  des 
premiers  appelés  à  siéger  dans  le  nouveau  Con- 
seil législatif.  Les  autres  Canadiens-Français 
nommés  à  cette  charge  importante  en  même 
temps  que  lui  furent  les  honorables  Chausse- 
gros  de  Léry,  Picotté  de  Belestre,  de  Saint- 
Ours,  Baby,  de  Longueuil  et  Boucher  de  Bou- 
cherville. 

On  voit  que  le  roi  d'Angleterre  savait 
reconnaître  les  services  rendus  au  pays  par  les 
anciens  nobles  puisque  les  membres  canadiens- 
français  du  Conseil  législatif  furent  exclusive- 
ment choisis  dans  cette  caste.  C'était  une 
réponse  éloquente  à  ceux  qui  prétendaient  qu'à 
la  Cession  tous  les  nobles  avaient  abandonné 
le  pays. 

Dans  la  Gazette  de  Québec  du  31  mai 
1792,  nous  trouvons  une  note  de  M.  Gouin, 
agent  de  M.  de  Lanaudière  à  Sainte- Anne  de 
la  Pérade.  Il  s'agit,  évidemment,  des  élections 
qui  eurent  lieu  dans  l'été  de  1792  pour  la 
Chambre  d'Assemblée. 


—  107  — 

Sous  le  titre  Au  public,  M.  Gouin  écrivait: 
"  Il  m'a  été  rapporté  qu'il  courrait  un 
bruit  parmi  mes  compatriotes  que  Monsieur  de 
Lanaudière  et  moi  avons  eu  un  différend  occa- 
sionné par  la  prochaine  élection.  Je  déclare  sur 
mon  honneur,  que  personne  ne  peut  me  ravir  et 
encore  bien  moins  les  méchants,  que  je  diffère 
en  rien  sur  ce  point  avec  lui  ainsi  que  bien 
d'autres  notables  du  comté,  et  qu'il  y  a  plus  de 
cent  trente  ans  que  mes  ancêtres  ont  été  conti- 
nuellement au  service  de  sa  famille,  et  qu'il  y 
a  près  de  cinquante  ans  que  je  les  régie  moi- 
même. 

"  Que  mes  ancêtres  ainsi  que  moi  n'ont 
jamais  eu  aucune  raison  de  se  plaindre,  que  bien 
au  contraire  nous  avons  toujours  été  regardés 
plutôt  comme  des  enfants  chéris  de  cette  famille 
que  comme  des  agents.  Une  pareille  histoire  ne 
peut  être  crue  que  par  des  hommes  aussi  mépri- 
sables que  l'inventeur  de  ce  diabolique  men- 
songe. Après  cette  déclaration  de  moi  que  les 
vilains  se  servent  de  toutes  sortes  de  moyens 
pour  faire  réussir  leurs  détestables  projets. 

"LOUIS    GOUIN. 

Fait  à  Sainte-Anne,  ce  29ème  jour  de  mai 
1792." 

Cette  lettre  prouve  qu'on  comptait  encore 
avec  les  seigneurs.  S'ils  avaient  maltraité  leurs 
censitaires,  comme  on  l'a  écrit,  ceux-ci  auraient 
été  plus  pressés  de  voter  contre  les  candidats 
de  leur  choix. 

En  1794,  M.  de  Lanaudière  s'opposa  for- 
tement au  sein  du  Conseil  législatif  à  l'adoption 


108 


du  bill  dit  "  Acte  pour  la  division  de  la  province 
du  Bas-Canada,  pour  amender  la  judicature 
d'icelle  et  pour  abroger  certaines  lois  y  men- 
tionnées." 

Il  prit  la  peine  d'écrire  son  dissentiment. 
Il  donnait  quatorze  raisons  contre  cette  loi,  et 
terminait  son  argumentation  par  un  éloge 
ampoulé  du  juge  en  chef  William  Smith,  pré- 
sident du  Conseil  législatif,  mort  quelques  mois 
auparavant.  (1) 

"  Je  finis  disait-il,  parce  que  je  vois  avec 
peine  que  ce  bill  a  plutôt  passé  par  une  division 
que  par  des  débats,  par  nombre  que  par  argu- 
ment. Mais  malgré  le  peu  de  succès  de  mes 
efforts  pour  arrêter  qu'il  ne  prit  place  dans 
cette  séance  afin  de  donner  occasion  au  public 
de  le  connaître  avant  qu'il  fut  loi,  je  jouirai  au 
moins  du  plaisir  que  l'on  trouvera  et  lira  dans 
ce  registre  que  je  m'étais  opposé  à  sa  passation, 
prédisant  de  plus  qu'il  sera  la  ruine  d'un  nombre 
de  sujets  de  Sa  Majesté.  Cette  maison  a  le  pou- 
voir mais  je  doute  du  savoir  pour  une  loi  qui 
embrasse  tant  d'objets,  surtout  n'ayant  plus 
dans  ce  Conseil  l'assistance  de  cet  homme,  qui 
remplissait  ce  fauteuil  avec  tant  d'éclat,  et  qui 
était  reconnu  pour  le  plus  grand  jurisconsulte 
de  l'Amérique  Septentrionale.  Il  n'est  pas  à 
douter  qu'à  ce  moment  sa  place  est  remplie,  que 
la  personne  sur  qui  le  choix  est  tombé  est  digne 
de  l'occuper  et  que  nous  devons  espérer  de 
l'avoir  sous  peu  dans  cette  maison.  Pourquoi 
donc  par  notre  précipitation  nous  sommes-nous 


(1)  Le   6   décembre   1793. 


109 


frustrés  des  connaissances  légales  qu'il  aurait 
pu  donner  sur  un  objet  où  particulièrement  il 
doit  jouer  le  premier  rôle.  Je  le  repète,  le  peuple 
au  lieu  d'avoir  une  favorable  impression  de  nos 
démarches  en  entretiendra  un  sentiment  bien 
différent  et  loin  de  désirer  de  revoir  cette  légis- 
lature se  rassembler  une  autre  année  il  craindra 
sa  réunion."  (1.) 

Le  25  juin  1799,  M.  de  Lanaudière  était 
nommé  quartier-maître  général  de  la  milice 
canadienne. 

Cette  charge,  tout  comme  celle  de  grand- 
voyer  qu'il  exerçait  depuis  plusieurs  années,  ne 
demandait  pas  une  grande  application  de  M.  de 
Lanaudière.  Au  bon  vieux  temps  de  l'oligarchie, 
les  sinécures  n'exigeaient  aucun  travail  des 
heureux  mortels  qui  les  obtenaient  mais  leur 
rapportaient  tout  de  même  de  forts  jolis 
salaires. 

John  Lambert,  qui  visita  le  Canada  dans 
les  premières  années  du  dix-neuvième  siècle,  dit 
de  M.  de  Lanaudière  : 

"'  M.  de  Lanaudière  est  un  des  plus  res- 
pectables gentilshommes  français  de  la  colonie. 
Il  était  officier  dans  l'armée  de  Montcalm,  et 
fut  blessé  sur  les  Plaines  d'Abraham.  Il  est 
maintenant  âgé  de  70  ou  80  ans  ;  mais  a  si 
admirablement  conservé  toutes  ses  facultés 
qu'on  ne  lui  donnerait  pas  plus  de  50  ans  ;  et 
il  est  plus  actif  et  plus  intelligent  que  plusieurs 
hommes  de  cet  âge.  Il  est  sincèrement  attaché 


(1)  Le  dissentiment  de  M.  de  Lanaudière  a  été  publié 
en  entier  dans  les  Documents  constitutionnels  de  MM. 
Doughty  et   Me  Arthur,  p.  123. 


11.0 


au  gouvernement  anglais,  et  dans  sa  conduite, 
ses  manières,  ses  principes,  il  semble  un 
Anglais.  Il  y  a  plusieurs  années,  M.  de  Lanau- 
dière  visita  l'Angleterre,  où  il  vécut  dans  les 
cercles  les  plus  élevés,  et  il  est,  en  conséquence, 
bien  connu  de  plusieurs  des  princes.  A  son 
retour  au  Canada,  il  fut  nommé  grand-voyer 
de  la  Province.  Cet  emploi  l'oblige  de  faire 
chaque  année  le  tour  de  la  Province,  pour  voir 
à  l'état  des  chemins,  ponts,  etc.,  dans  les  diffé- 
rentes paroisses.  Il  a  un  salaire  de  500  louis 
par  année.  Il  y  a  aussi  des  grands-voyers  à  Qué- 
bec, Montréal  et  Trois-Rivières,  qui  ont  leurs 
districts  respectifs,  et  sont  sous  les  ordres  du 
grand-voyer  de  la  province.  M.  de  Lanaudière 
possède  l'estime  de  ses  concitoyens,  et  tous  les 
gentilshommes  anglais  qui  viennent  dans  le 
pays,  sont  assurés  de  recevoir  une  chaude 
réception  à  sa  maison."  (1.) 

Quand  John  Lambert  écrit  que  M.  de  La- 
naudière faisait,  chaque  année,  en  sa  qualité 
de  grand-voyer,  le  tour  de  la  Province  afin  de 
voir  à  l'état  des  chemins,  ponts,  etc.,  etc.,  il 
semble  encore  sous  le  charme  des  politesses  qu'il 
avait  reçues  de  l'aimable  gentilhomme.  La 
province  était  divisée  en  trois  districts  et  il  y 
avait  un  grand-voyer  pour  chacun.  Les  grands- 
voyers  faisaient  la  visite  des  chemins  et  ponts 
dans  leurs  districts  respectifs  et  le  grand-voyer 
général  dirigeait  leur  travail. 


(1)  Lambert,    Travels. 


—  111  — 

L'honorable  M.  de  Lanaudière  décéda  à 
Québec  le  2  octobre  1811,  et  fut  inhumé  dans 
la  cathédrale. 

M.  de  Gaspé,  son  neveu,  nous  apprend, 
dans  ses  Mémoires,  de  quelle  façon  tragique  ce 
gentilhomme  estimé  de  tous  trouva  la  mort. 

"  A  l'âge  de  soixante-dix  ans,  (1)  lors  de 
sa  mort  tragique,  M.  de  Lanaudière  était  encore 
plein  de  vigueur  et  montait  à  cheval  avec  autant 
d'aisance  qu'un  jeune  homme.  Invité  à  dîner  à 
Notre-Dame  de  Foie  (Sainte-Foy),  chez  un  M. 
Ritchie,  il  offrit  une  place  dans  son  gig  à  son 
ami  George  Brown,  dont  le  fils,  colonel  dans 
l'armée  anglaise,  a  joué  un  certain  rôle  dans  le 
procès  de  la  reine  Caroline,  femme  de  George 
IV.  Un  jeune  groom  suivait  la  voiture  à  cheval. 

"  Le  docteur  Buchanan,  ami  de  M.  de 
Lanaudière,  lui  fit  observer  pendant  le  repas 
qu'il  mangeait  du  poisson  à  moitié  cuit,  ce  qui 
est  très  indigeste. 

"  Bah  !  fit-il,  j'ai  bien  faim,  je  n'ai  jamais 
eu  d'indigestion  de  ma  vie,  et  je  ne  commencerai 
certainement  pas  à  en  avoir  une  à  mon  âge. 

"  Lorsqu'ils  se  retirèrent  vers  minuit,  M. 
de  Lanaudière  dit  à  son  domestique  de  recon- 
duire M.  Brown  chez  lui,  tandis  qu'il  retourne- 
rait à  cheval  :  —  La  nuit  est  si  belle,  fit-il,  que 
ça  sera  une  promenade  bien  agréable  pour  moi. 
Le  jeune  domestique  de  retour  à  domicile  détela 
le  cheval,  et  rentra  dans  la  maison  pour  attendre 
son  maître,  mais  s'endormit  malheureusement. 


(1)  Il   avait  68  ans. 


—  112  — 

"  Entre  cinq  à  six  heures  du  matin,  un 
domestique  du  lord  bishop  Jacob  Mountain,  se 
rendant  à  une  ferme  de  son  maître,  aperçut  un 
cheval  qui  paissait  paisiblement  près  du  corps 
inanimé  d'un  homme  couvert  de  frimas,  car  par 
une  fatalité  cruelle,  quoiqu'on  ne  fut  qu'au 
commencement  de  septembre,  il  avait  fait  une 
forte  gelée  pendant  la  nuit.  Grande  fut  la  sur- 
prise de  cet  homme  en  reconnaissant  dans  ce 
lieu  et  à  cette  heure  M.  de  Lanaudière. 

"  C'était  pourtant  lui-même  qui  gisait 
inanimé  sur  le  même  champ  de  bataille  où  il 
avait  combattu  un  demi-siècle  auparavant,  au 
même  lieu,  peut-être,  d'où  l'on  releva  alors  son 
corps  sanglant  pour  le  transporter  à  l'hospice 
de  l'Hôpital-Général. 

"  Cet  homme,  voyant  qu'il  donnait  encore 
quelque  signe  de  vie,  s'empressa  de  dénouer  sa 
cravate  ;  et  M.  de  Lanaudière,  après  plusieurs 
efforts,  vomit  abondamment.  Il  reprit  aussitôt 
sa  connaissance  et  reconnaissant  le  domestique, 
il  lui  dit  :  John,  you  give  me  life  !  (John,  vous 
me  rappelez  à  la  vie). 

"  Il  survécut  trois  semaines  à  cet  accident, 
mais  parla  bien  peu.  Il  fit  venir  à  son  chevet  le 
jeune  domestique  dont  j'ai  parlé,  et  lui  dit  : 

"  Pourquoi  m'as-tu  abandonné  ?  Je  n'au- 
rais pas  été  si  cruel  envers  toi. 

"  Mon  oncle  était  très  sobre  quoique  vivant 
à  une  époque  où  l'on  se  livrait  beaucoup  au 
plaisir  de  la  table  ;  et  il  répéta  plusieurs  fois 
avec  amertume  : 


113 


— "  Moi  un  de  Lanaudière  !  être  ramassé 
sur  les  Plaines,  comme  un  ivrogne  après  une 
nuit  de  débauche  ! 

"  Les  médecins  furent  d'opinion  que  telle 
était  la  force  de  son  tempérament,  qu'il  aurait 
recouvré  la  santé  après  avoir  rejeté  les  vivres 
indigestes  qui  i'étoufïaient,  sans  le  froid  intense 
auquel  il  avait  été  exposé  pendant  près  de  six 
heures."  (1) 

Un  petit  trait  caractéristique  sur  M.  de 
Lanaudière.  C'est  feu  sir  Antoine-Aimé  Do- 
rion,  juge-en-chef  de  la  Cour  d'Appel,  qui  le 
raconte  : 

M.  de  Lanaudière,  quoique  bon  et  assez 
conciliant,  était  pourtant  quelque  peu  processif. 
Il  avait  hérité  de  ce  défaut  de  sa  grand'mère, 
la  fameuse  Madelon  de  Verchères,  qui  sortait 
d'un  procès  pour  entrer  dans  un  autre,  quand 
elle  n'en  conduisait  pas  deux  de  front.  De 
temps  à  autre  donc,  M.  de  Lanaudière,  lorsqu'il 
habitait  sa  seigneurie  de  Sainte-Anne,  allait 
vider  ses  querelles  à  Québec,  devant  les  tribu- 
naux. Son  principal  adversaire  était  M.  Dorion, 
important  marchand  de  Sainte-Anne  de  la 
Pérade.  (2)  M.  de  Lanaudière  se  rendait  tou- 
jours à  Québec  en  compagnie  de  son  adversaire 
qu'il  faisait  monter  dans  sa  voiture.  Arrivés  à 
la  capitale,  ils  se  séparaient  pour  se  rencontrer 
devant  les  juges  saisis  de  leurs  griefs  respec- 
tifs, et,  quelque  fut  le  résultat  du  procès,  tous 
les  deux  s'en  retournaient  ensemble  à  Sainte- 


Ci)  Mémoires,  p.  97. 

(2)  Père  de  sir  Antoine-Aimé  Dorion. 


—  114  — 

Anne  de  la  Pérade,  d'aussi  bonne  humeur  que 
si  jamais  procès  n'avait  existé  entre  eux. 

L'honorable  Charles-Louis  Tarieu  de 
Lanaudière  avait  épousé,  à  Montréal,  le  10 
avril  1769,  Geneviève-Elisabeth-Louise  de  La 
Corne,  fille  de  Louis  de  La  Corne  de  Chapt, 
seigneur  de  Terrebonne,  et  de  Elisabeth  de 
Ramezay. 

Elle  décéda  à  Québec  le  30  mars  1817,  et 
fut  inhumée  dans  la  cathédrale. 

Un  écrivain  anonyme  faisait  un  bel  éloge 
de  madame  de  Lanaudière  dans  la  Gazette  de 
Québec    du  3  avril  1817  : 

"  Le  grand  nombre  non  seulement  des 
personnes  les  plus  distinguées  par  leur  rang,  qui 
ont  assisté  à  ses  funérailles,  mais  aussi  des 
pauvres  qui  sont  venus  y  déplorer  la  perte  de 
celle  qui  possédait  à  un  degré  éminent  cette 
vertu  bienfaisante  qui  soulage  les  malheureux, 
parle  bien  plus  éloquemment  en  faveur  de  cette 
dame  respectable  que  ne  le  pourrait  celui  qui 
paye  en  ce  moment  un  tribut  mérité  à  la  vertu 
et  à  l'amitié  sincère.  Jamais  l'indigent  ne  sortit 
de  sa  présence  sans  éprouver  du  soulagement 
dans  sa  misère,  tant  par  des  secours  pécu- 
niaires, que  par  ces  paroles  de  consolation  qui 
font  oublier  au  malheureux  ce  qui  doit  l'humi- 
lier. La  mort  même  qui  élève  une  barrière 
insurmontable  entre  elle  et  nous  ne  permet  pas 
de  découvrir  ce  qu'elle  cachait  avec  soin,  par 
l'humilité  et  de  lever  le  voile  et  mettre  au  jour 
ses  actes  de  bienfaisance  sans  nombre  qu'elle 
pratiquait  en  secret.  Madame  de  Lanaudière 
captivait  tous  ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  de  la 


11.5 


connaître,   et  par   l'aménité  de  son  caractère, 
s'est  attaché  des  personnes  par  des  liens  encore 
plus  étroits  que  ceux  du  sang." 
Elle  avait  eu  trois  enfants  : 

I  Charles-Luc  Tarieu  de  Lanaudière 

Né  à  Montréal   le  28  février  1770. 

Décédé  au  même  endroit  le  17  septembre 
1771,  et  inhumé  dans  la  chapelle  Saint- Amable 
de  l'église  paroissiale. 

II  Marie-Elisabeth-Joseph    Tarieu    de 

Lanaudière  (1) 

Née  à  Québec   le  6  octobre  1777. 

Décédée  à  Saint-Vallier  le  26  janvier 
1823. 

Nous  lisons  dans  la  Gazette  de  Québec  du 
30  janvier  1823  : 

"  Mourut  à  St-Vallier,  le  26  janvier  1823, 
après  une  maladie  douloureuse  qu'elle  souffrit 
avec  la  résignation  d'une  vraie  chrétienne  Délie 
Marie-Anne  Tarieu  de  Lanaudière  de  la  Pé- 
rade,  fille  unique  de  feu  Charles  Tarieu  de  La 
Naudière  de  la  Pérade,  de  son  vivant  un  des 
Conseillers  Législatifs  de  cette  Province.  Les 
soins  que  l'on  pouvait  attendre  d'un  gentil- 
homme qui  avait  eu  l'avantage  de  fréquenter 
les  cercles  brillants  de  l'Europe,  avaient  été 
prodigués  à  l'éducation  d'une  fille  chérie,  qui 
d'ailleurs  douée  par  sa  nature  de  talents  admi- 
rables, en  ont  fait  pendant  longtemps  les  délices 
de  ses  parents  et  amis  et  l'ornement  des 
sociétés." 


(1)  Elle  fut  connue  sous  les  prénoms  de   Marie-Anne. 


—  116  — 
III  Catherine-Elisabeth   Tarieu   de  Lanaudière 

Née  à  Québec  le  27  mars  1779. 

Décédée  à  Québec  le  20  janvier  1784,  et 
inhumée  dans  la  chapelle  Sainte- Anne  de  la 
cathédrale.  (1) 

II 
Nicolas-Antoine  Tarieu   de  Lanaudière 

Né  à  Québec  le  25  avril  1745. 
Décédé    au    même    endroit     le     13    mai 
1745.  (2) 

III 

Thomas  Tarieu  de  Lanaudière 

Né  à  Québec  le  2  mai  1746. 

Décédé  au  même  endroit   le  18  mai  1746. 

IV 
Roch  Tarieu  de  Lanaudière 

Né  à  Québec  le  26  juin  1747. 

Décédé  au  même  endroit   le  12  août  1747. 

V 

Roch  Tarieu  de  Lanaudière 

Né  à  Québec    le  4  juillet  1752. 
Décédé  au  même  endroit    le  25  septembre 
1752. 


(1)  L'acte   de   sépulture  porte   Catherine-Geneviève  mais 
il    s'agit    de   Catherine-Elisabeth. 

(2)  L'acte    de    sépulture    dit    Charles-Philippe    mais    il 
s'agit,  sans  doute  possible,  de  Nicolas-Antoine. 


—  117  — 

VI 

Anonyme 

Né  et  décédé  à  Québec  le  2  août  1753. 
VII 
Anonyme 

Né  et  décédé  à  Québec   le  24  juillet  1758. 

VIII 
Marie- Anne  Tarieu  de  Lanaudière 

Née  à  Québec    le  3  avril  1765. 

Mariée  à  Québec,  le  27  février  1786,  à 
l'honorable  François  Baby,  membre  du  Conseil 
législatif.  (1) 

Né  à  Montréal,  le  4  octobre  1733,  M. 
Baby  comme  ses  trois  frères  prit  une  part  active 
à  la  défense  de  la  colonie  dans  les  dernières 
années  du  régime  français.  Il  se  distingua  dans 
plusieurs  expéditions,  servit  sous  M.  de  Beaujeu 
à  la  bataille  de  la  Monongahéla  et  tint  cam- 
pagne jusqu'à  la  reddition  de  Québec.  En  1760, 
M.  Baby  passa  en  France  avec  l'intention  de 
s'y  établir.  Après  le  traité  de  Paris,  en  1763, 
il  revint  au  Canada,  prêta  le  serment  d'allé- 
geance à  son  nouveau  souverain  et  devint  un 
sujet  loyal  et  fidèle.  Lors  de  l'invasion  de  1775, 
M.  Baby  fut  fait  capitaine    de    la    deuxième 


(1)  Contrat    de    mariage    devant    Berthelot    d'Artigny    et 
Panet,  notaires  à   Québec,  le  23   février   1786. 


—  118  — 

compagnie  de  milice  de  Québec  ;  peu  après  il 
était  promu  major  des  milices  du  district  de 
Québec,,  puis  en  1778  lieutenant-colonel  des 
mêmes  milices.  En  janvier  1779,  il  était  nommé 
commissaire  des  transports  militaires,  et,  en 
1781,  il  devenait  adjudant-général  des  milices. 
11  fit  partie  du  Conseil  législatif  puis  du  Conseil 
exécutif.  M.  Baby  fut  chargé  de  plusieurs 
missions  de  confiance  par  le  gouvernement  et 
il  fut  le  conseiller  et  l'ami  de  tous  les  gouver- 
neurs généraux  du  Canada  qui  se  succédèrent 
pendant  sa  longue  carrière. 

L'honorable  M.  Baby  s'éteignit  à  Québec, 
le  9  octobre  1820,  à  l'âge  de  87  ans.  Les  direc- 
teurs du  séminaire  de  Québec,  pour  témoigner 
de  l'estime  et  de  la  considération  qu'ils 
avaient  pour  ce  bon  citoyen,  réclamèrent  comme 
une  faveur  de  déposer  ses  restes  près  de  ceux 
des  bienfaiteurs  de  leur  maison  dans  le  caveau 
de  leur  chapelle. 

Madame  Baby  décéda  à  Québec  le  27 
janvier  1844,  à  l'âge  de  78  ans,  et  fut  inhumée 
dans  la  cathédrale. 

La  Gazette  de  Québec  du  31  janvier  1844 
fait  l'éloge  de  madame  Baby  dans  les  termes 
suivants  : 

"  Décédée,  samedi,  le  27  courant,  à  l'âge 
de  78  ans,  9  mois  et  22  jours,  madame  Marie- 
Anne  Tarieu  de  Lanaudière,  veuve  de  feu 
l'honorable  François  Baby,  en  son  vivant 
membre  des  Conseils  exécutif  et  législatif  du 
Bas-Canada.  Cette  dame,  par  son  air  imposant, 
ses  manières  nobles  et  distinguées,  inspirait  le 
respect  même  à  ceux  qui  ignoraient  ses  pré- 


119 


cieuses  qualités.  Elle  était,  pour  nous  servir  de 
l'expression  d'un  grand  écrivain,  le  type  de  ces 
dames  de  l'ancien  régime  qui  par  leurs  qualités 
physiques  et  morales  font  l'admiration  de  tous 
et  disparaissent  malheureusement  trop  vite 
quelque  soit  la  durée  de  leur  vie.  Douée  d'un 
jugement  sain,  de  beaucoup  d'esprit  et  d'une 
excellente  mémoire,  elle  racontait  les  événe- 
ments avec  beaucoup  de  grâce  et  de  charme. 
Obligée  par  sa  position  sociale  de  figurer 
beaucoup  dans  le  monde,  elle  n'en  remplissait 
pas  moins  ses  devoirs  religieux  avec  une  scru- 
puleuse exactitude.  Les  membres  du  clergé  la 
citaient  partout  comme  un  modèle  et  sa  maison 
comme  un  modèle  de  maison  chrétienne.  Sa 
charité  ne  se  confinait  pas  à  faire  l'aumône  aux 
pauvres  qui  la  lui  demandaient,  elle  faisait 
rechercher  ceux  qui  étaient  dans  le  besoin  et 
leur  aidait  avec  une  délicatesse  ingénieuse.  Elle 
sera  longtemps  regrettée  par  ses  enfants,petits- 
enfants  et  tous  ceux  qui  l'ont  connue." 

Du  mariage  de  l'honorable  François  Baby 
et  de  Marie-Anne  Tarieu  de  Lanaudière 
naquirent   douze   enfants.  (1) 

IX 
Marie-Agathe   Tarieu   de   Lanaudière 

Née  à  Québec    le  26  mars  1766. 
Décédée  à  Sainte-Foy  le  7  avril  1766,  elle 
fut  inhumée  au  cimetière  de  cette  paroisse. 


(1)  On  trouvera  des  détails  généalogiques  sur  eux  dans 
l'ouvrage  de  M.  P.-B.  Casgrain,  Mémorial  des  familles  Cas- 
grain,  Baby  et  Perrault,  p.  107,  et  appendice  B. 


—  120  — 

X 

Marie- Catherine   Tarieu    de   Lanaudière 

Née  à  Québec   le  17  février  1767. 

Mariée  à  Québec,  le  28  janvier  1786,  à 
Ignace  Aubert  de  Gaspé,  fils  de  Philippe- 
Ignace  Aubert  de  Gaspé,  seigneur  de  Saint- 
Jean-Port-Joli,  et  de  Marie-Anne  Coulon  de 
Villiers. 

M.  de  Gaspé  fut  appelé  au  Conseil  Légis- 
latif en  1812.  Il  en  fut  un  des  membres  les  plus 
utiles,  si  ce  n'est  par  de  pompeux  discours  au 
moins  par  la  sagesse  de  ses  votes. 

L'honorable  M.  de  Gaspé  mourut  à  son 
manoir  de  Saint- Jean  Port- Joli,  le  13  février  . 
1823.    Il    fut    inhumé    le    surlendemain    dans 
Tégîise  de  la  paroisse,  sous  le  banc  seigneurial. 

Il  était  à  sa  mort  colonel  de  milice  et  sei- 
gneur de  Saint-Jean  Port-Joli  et  de  la  Poca- 
tière. 

"  Juste  et  libéral  envers  ses  censitaires,  il 
n'a  jamais,  dans  l'espace  de  quarante  ans  qu'il 
a  géré  ses  seigneuries,  intenté  une  seule  pour- 
suite contre  eux." 

Madame  de  Gaspé  mourut  à  Québec  le  13 
avril  1842,  et  fut  inhumée  dans  l'église  de  Saint- 
Jean  Port- Joli,  le  18. 

"  Pendant  plus  de  cinquante  ans,  sa  main 
charitable  répandit  à  Saint- Jean  Port- Joli  ses 
bienfaits  sur  l'humanité  souffrante  ;  aussi 
méritait-elle,  à  juste  titre,  le  nom  de  "  mère  des 
pauvres  "   que   ses  censitaires    lui    donnaient. 


—  121  — 

Elle  ne  survécut  que  neuf  jours  à  sa  sœur,  (1) 
qui  ne  s'était  jamais  séparée  d'elle  pendant  leur 
longue  carrière  et  succomba  à  la  même 
maladie." 

Du  mariage  de  Pierre-Ignace  de  Gaspé  et 
de  Marie-Catherine  Tarieu  de  Lanaudière 
naquirent  six  enfants:  Philippe- Joseph,l'auteur 
des  Anciens  Canadiens  ;  Charles-Guillaume, 
mort  en  bas  âge  ;  Antoine-Thomas,  dont  les 
descendants  habitent  Montréal;  Ignace-Xavier, 
mort  en  bas  âge  ;  Catherine,  morte  en  bas  âge  ; 
Marguerite,  morte  en  bas  âge.  (2) 

XI 

Marie-Louise   Tarieu  de   Lanaudière 

Née  à  Québec   le  4  mars  1768. 

Elle  résida  pendant  plusieurs  années  à 
Saint- Vallier  avec  sa  sœur  Agathe. 

M  Les  deux  sœurs,  dit  M.  de  Gaspé,  se 
livraient  à  des  exercices  qui,  suivant  moi,  sont 
du  ressort  exclusif  du  sexe  masculin.  Autant 
j'admire  un  homme  à  la  figure  mâle  guidant 
avec  adresse  deux  chevaux  fougeux,  autant 
j'éprouve  de  malaise  en  voyant  les  femmes  de 
nos  jours  se  livrer  à  ces  exercices  :  la  faiblesse 
inhérente  à  leur  sexe  leur  ôte  toute  grâce 
lorsqu'elles  tiennent  les  guides  dans  des  mains 
délicates  plus  propres  à  tracer  des  fleurs  gra- 
cieuses sur  un  canevas,  à  courir  légèrement  sur 


(1)  Marie-Louise   Tarieu   de   Lanaudière   décédée   à   Qué- 
bec   le  4  avril  1842. 

(2)  Consulter    sur    Pierre-Ignace    de    Gaspé    et    ses    des- 
cendants notre  ouvrage  La  famille  Aubert  de  Gaspé. 


122 


le  clavier  d'un  piano,  qu'à  réprimer  un  cheval 
qui  peut  s'emporter  au  moindre  bruit  inusité, 
à  la  vue  d'un  objet  qui  lui  cause  de  la  frayeur. 
Passe  encore  pour  l'équitation  ;  quelques  dames 
certainement  s'en  acquittent  avec  grâce.  Quant 
à  mes  deux  chères  tantes  dompter  les  chevaux 
à  la  campagne  était  un  de  leurs  passe-temps  les 
plus  agréables."  (1) 

Après  la  mort  de  sa  sœur  Agathe,  en  1838, 
mademoiselle  Marie-Louise  de  Lanaudière  se 
retira  à  Québec  chez  son  autre  sœur  Marie-Ca- 
therine mariée  à  M.  de  Gaspé. 

C'est  là  qu'elle  décéda  le  4  avril  1842,  à 
l'âge  de  75  ans. 

XII 

Charles- Gaspard   Tarieu   de  Lanaudière 

Né  à  Québec   le  9  septembre  1769.  (2) 
I^e  continuateur  de  la  lignée. 

XIII 
Xavier-Roch  Tarieu  de  Lanaudière 

Né  à  Québec   le  20  avril  1771. 

M.  Homfray  Irving,  dans  son  ouvrage, 
Officers  of  the  British  Forces  in  Canada  during 
de  zvar  of  1812-15,(3)  dit  que  M. de  Lanaudière 
servit  pendant  l'invasion  américaine  de   1775, 


(1)  Mémoires,  p.  522. 

(2)  L'acte   de   baptême   lui   donne   seulement   le   prénom 
Charles. 

(3)  P.    27. 


123 


dans  un  bataillon  de  milice  des  Trois-Rivières. 
Il  est  évident  qu'il  Ta  confondu  avec  son  frère 
aîné,  le  chevalier  de  Lanaudière. 

En  1775,  M.  de  Lanaudière  avait  cinq  ans. 

Pareillement,  dans  ses  Grandes  familles 
françaises  du  Canada,  (1)  M.  l'abbé  Daniel 
écrit  que  M.  de  Lanaudière  servit  pendant 
quelque  temps  dans  la  marine  royale  d'Angle- 
terre. Nous  n'avons  pu  obtenir  nulle  part  la 
confirmation  de  cet  avancé. 

Le  31  octobre  1794,  M.  de  Lanaudière 
était  nommé  traducteur  français  et  secrétaire 
français  de  la  province  du  Bas-Canada. 

Le  6  novembre  1801,  M.  de  Lanaudière 
recevait  une  commission  d'avocat,  mais  il 
n'exerça  jamais  cette  profession. 

En  1805,  M.  de  Lanaudière  obtint  un 
congé  de  l'honorable  Thomas  Dunn,  adminis- 
trateur du  Canada,  et  passa  en  Angleterre.  Son 
voyage  dura  plusieurs  mois.  Il  visita  les  prin- 
cipaux pays  du  continent  européen.  Il  fut  rem- 
placé pendant  son  absence  dans  sa  charge  de 
traducteur  par  son  neveu,  Philippe  Aubert  de 
Gaspé,  le  futur  auteur  des  Anciens  Canadiens 
et  des  Mémoires. 

Sir  George  Prévost,  nommé  pour  rempla- 
cer sir  Henry  Craig  au  gouvernement  du  Ca- 
nada, débarqua  à  Québec  le  14  septembre  181.1. 
Le  Congrès  américain  était  à  lever  175,000 
hommes  et  à  les  armer.  La  guerre  était  à  la 
veille  d'éclater  entre  les  Etats-Unis  et  l'Angle- 
terre et  il  était  évident  que  le  Canada  serait 


(1)  P.  101. 


—  124  — 

envahi.  Prévost,  soldat  d'expérience,  dès  son 
arrivée  à  Québec,  se  rendit  compte  que  la  milice 
avait  besoin  d'être  réorganisée. 

Le  9  octobre  1811,  M.  de  Lanaudière  était 
nommé  député-adjudant -général  des  milices 
canadiennes,  avec  le  grade  de  lieutenant-colonel 
en  remplacement  du  lieutenant-colonel  Vassal 
de  Monviel  promu,  le  même  jour,  adjudant- 
général. 

M.  de  Lanaudière  n'avait  pas  fait  l'appren- 
tissage des  armes,  dit  M.  Suite,  mais  sa  nomi- 
nation se  justifiait  par  ses  qualités  adminis- 
tratives. (1) 

M.  de  Lanaudière  avait  certainement  fait 
l'apprentissage  des  armes  dans  la  milice  sinon 
dans  l'armée  régulière  car  dans  son  testament 
olographe  daté  à  Québec  le  22  avril  1807, 
quatre  ans,par  conséquent,avant  sa  nomination 
au  poste  de  député-adjudant-général  des 
milices,  il  léguait  son  sabre  et  son  uniforme 
d'officier  qu'il  avait  fait  venir  d'Angleterre,  à 
son  ami,  l'honorable  Gabriel-Elzéar  Tasche- 
reau. 

M.  de  Lanaudière  décéda  à  Québec  le  5 
février  1813. 

Nous  lisons  dans  la  Gazette  de  Québec  du 
11  février  1813  : 

"  Mourut,  vendredi,  le  5  février  1813, 
François-Xavier  Roch  Tarieu  de  Lanaudière, 
écuyer,  député-adjudant-général  des  milices  de 
cette  province,  et  assistant  secrétaire  français 


(1)  Histoire    de    la    milice    canadienne-française,    p.    116. 


— 125  — 

de  Thonorable  Conseil  Exécutif,  à  l'âge  de  41 
ans,  9  mois  et  15  jours. 

"  Ses  restes  furent  enterrés  lundi  dernier, 
dans  Tégiise  cathédrale  de  cette  ville,  avec  les 
honneurs  dûs  à  son  rang  et  accompagnés  d'un 
concours  extraordinaire  de  toutes  les  classes. 

"M.  F.  X.  de  Lanaudière  était  un  de  ces 
hommes  rares  dont  tous  les  instants  de  la  vie 
sont  dévoués  à  la  plus  scrupuleuse  exactitude 
de  leurs  devoirs.  Sa  religion  fut  ses  délices  ;  et 
personne  ne  l'a  surpassé  en  zèle  pour  son 
prince  ;  aussi  les  fatigues  qu'il  éprouva 
l'automne  dernier  sur  les  frontières,  l'ont-elles 
conduites  au  tombeau  à  un  âge  si  peu  avancé. 
Ceux  qui  l'ont  connu  particulièrement  savent 
qu'il  n'avait  rien  à  lui,  et  que  les  pauvres  par- 
tageaient plus  que  la  moitié  de  sa  fortune  ;  aussi 
leur  laisse-t-il  par  son  testament  une  partie  de 
ses  revenus,  les  reconnaissant,  comme  il  l'expri- 
ma lui-même,  pour  ses  meilleurs  amis." 

M.  de  Lanaudière  ne  s'était  pas  marié. 

XIV 
Antoine-Ovide  Tarieu   de  Lanaudière 

Né  à  Québec  le  12  juillet  1772. 

M.  de  Lanaudière  vécut  presque  toute  sa 
vie  à  la  campagne.  En  1812,  il  laissa  pendant 
quelques  mois  sa  vie  tranquille  pour  défendre 
le  pays  contre  l'invasion  américaine.  Le  20 
avril  1812,  il  acceptait  le  grade  de  major  au  1er 
bataillon  de  Saint- Jean  Port-Joli. 

M.  de  Lanaudière  décéda  à  son  manoir 


126 


seigneurial  de  Saint-Vallier  de  Bellechasse,  le 

16  décembre  1.838,  à  l'âge  de  66  ans. 

"  Les  pauvres  perdirent  en  lui  leur  meil- 
leur ami.  Tant  qu'il  vécut  il  fut  le  père  de  sa 
paroisse  ;  jamais  on  ne  frappa  à  sa  porte  en 
vain.  On  aurait  pu  inscrire  sur  sa  tombe  : 
Franc,  probe,  honnête,  loyal,  ami  des  pauvres, 
et  sûrement  jamais  une  voix  n'aurait  pu  lui 
nier  ces  qualités."  (1) 

M.  de  Lanaudière  avait  épousé,  à  Québec, 
le  18  décembre  1807,  Marie-Joséphine  d'Esti- 
mauville,fille  de  Jean-Baptiste-Philippe-Charles 
d'Estimauville,  sire  et  baron  de  Beaumoucheî, 
et  de  Marie-Josephte  Courault  de  la  Côte. 

Madame  de  Lanaudière  décéda  au  manoir 
seigneurial  de  Saint-Vallier  de  Bellechasse    le 

17  janvier  1825. 

"  Exemplaire  durant  sa  vie  pas  ses  vertus 
domestiques  et  par  l'affabilité  de  ses  manières, 
elle  laisse  après  elle  un  mari  inconsolable  de 
sa  perte  ;  et  le  concours  de  presque  la  totalité 
des  habitants  de  la  paroisse  et  d'un  grand 
nombre  de  celles  du  voisinage,  et  les  gémisse- 
ments des  pauvres  dont  elle  s'était  toujours 
empressée  de  soulager  les  besoins  autant  qu'il 
était  en  son  pouvoir,  qui  ont  suivi  son  convoi 
funèbre,  sont  les  témoignages  les  plus  mani- 
festes de  l'estime  générale  dont  elle  avait  joui, 
et  de  la  sincérité  du  regret  que  sa  perte  causait 
universellement  à  tous  ceux  qui  avaient  été 
souvent  à  même  d'apprécier  ses  qualités  plus 
particulièrement  à  ses  parents  dont  elle  était  si 


(1)  La  Gazette  de  Québec,  22  décembre  1838. 


127 


tendrement  aimée  et  auxquels  sa  mémoire  sera 
toujours  chère."  (1) 

Aucun    enfant    n'était    né    de    leur    ma- 
riage. (2) 

XV 

Pierre- Charles  Tarieu  de  Lanaudière 

Né  à  Québec   le  5  juin  1773. 
Décédé  à  Sainte-Foy    le  9  juillet  1773,  il 
tut  inhumé  au  cimetière  de  cette  paroisse. 

XVI 
Agathe  Tarieu  de  Lanaudière 

Née  à  Québec    le  15  mai  1774. 

Décédée  à  Saint-Vallier  le  24  février 
1838. 

Dans  ses  Mémoires,  M.  de  Gaspé  dit  de 
sa  tante  Agathe  Tarieu  de  Lanaudière  : 

"  A  propos  de  mes  tantes,  Tune  d'elles, 
Agathe,  morte  fille,  comme  sa  sœur  Margue- 
rite, et  que  la  famille  appelait  Charlotte  Corday, 
son  héroïne,  parce  qu'elle  disait  souvent  qu'elle 
aurait  voulu  naître  homme  pour  assassiner 
quelques-uns  des  scélérats  qui  avaient  versé 
tant  de  sang  innocent  pendant  la  révolution  de 
92,  à  propos,  dis-je,  de  ma  chère  tante  Agathe, 
sa  bravoure  doit  lui  faire  trouver  place  ici.  Une 


(1)  La  Gazette  de  Québec,  3  février  1825. 

(2)  Sur    les    d'Estimauville    de    Beaumouchel,    on    peut 
consulter    notre    Famille    d'Estimauville    de    Beaumouchel. 


—  128  — 

bande  de  voleurs  très-bien  organisée  répandait 
il  y  a  trente  ans  (1)  la  terreur  parmi  les  per- 
sonnes riches  ou  censées  l'être  dans  la  cam- 
pagne. On  doit  se  rappeler  les  vols  audacieux 
qu'ils  commettaient,  les  personnes  isolées,  les 
familles  entières  que  ces  brigands  liaient  pen- 
dant la  nuit,  et  toutes  les  horreurs  auxquelles 
ils  se  livraient.  Ma  tante  Agathe  de  Lanau- 
dière,  co-seigneuresse  de  Saint-Vallier  et 
réputée  riche,  vivait  seule  avec  ses  domestiques 
dans  une  anse  de  cette  paroisse  isolée  de  tous 
voisins  :  un  charmant  bocage  très  touffu,  à  une 
dizaine  d'arpents  sur  le  bord  de  la  grève,  don- 
nait à  MM.  les  communistes  toutes  les  facilités 
de  s'y  cacher  même  avec  leur  chaloupe  pendant 
le  jour  qu'ils  n'eussent  préféré  débarquer,  la 
marée  aidant,  pendant  une  nuit  sombre  à  cent 
pieds  du  domicile  de  ma  chère  tante. 

"  Elle  était  pendant  ce  règne  de  terreur, 
sous  l'impression  assez  naturelle  aux  personnes 
dans  sa  position,  qu'elle  pouvait  être  attaquée 
d'une  nuit  à  l'autre  ;  on  l'avait  même  prévenu 
qu'on  avait  vu  rôder  depuis  quelque  temps  dans 
les  environs  une  chaloupe  montée  par  des 
hommes  à  figures  sinistres.  Mais  comme  elle 
avait  disposé  ses  batteries  en  conséquence,  elle 
était  préparée  à  tout  événement,  et  toujours 
sur  le  qui-vive. 

"  Elle  couchait  seule  dans  la  partie  nord- 
est  de  la  maison,  séparée  de  son  fermier  qui 
occupait  le  côté  opposé,  par  un  appentis  atte- 
nant aux  deux  édifices  :  ses  deux  domestiques 


(1)  M.   de    Gaspé    écrivait    en    1866. 


129 


restaient  avec  la  famille  du  dit  fermier  où  était 
aussi  la  cuisine. 

"  Elle  entre  un  jour  sur  la  brune  dans  sa 
cuisine  après  avoir  fait  sa  ronde  ordinaire  aux 
alentours,  et  y  trouve  un  homme  seul  le  dos 
tourné  à  la  cheminée  dans  laquelle  il  y  avait  un 
reste  de  feu.  Elle  lui  demande  ce  qu'il  y  a  pour 
son  service.  Jean-Baptiste,  très  farceur,  pour 
toute  réponse  se  met  à  battre  la  campagne  et  à 
tirer  quelques  quolibets  qui  furent  très  mal 
accueillis  par  mon  héroïne,  qui  ne  crut  voir  en 
lui  qu'un  émissaire  de  la  bande  redoutable 
cherchant  à  connaître  les  airs  de  la  maison. 

"  Je  n'avais  pas  d'armes  dans  les  mains, 
disait-elle,  et  je  craignais  qu'en  me  baissant 
pour  prendre  le  tisonnier  ii  ne  m'assommât, 
mais  j'avais  heureusement  mes  galoches  (1) 
ferrées  dans  les  pieds,  dont  je  lui  appliquai  un 
si  vigoureux  coup  dans  le  ventre  qu'il  culbuta 
parmi  les  tisons  au  grand  dommage  de  ses 
culottes.  J'allais  redoubler,  lorsqu'il  me  cria  en 
détachant  les  tisons  qui  le  chauffaient  :  C'est 
moi,  mademoiselle  Agathe,  c'est  moi  Pelletier, 
l'ami  de  votre  fermier  qui  suis  venu  lui  deman- 
der à  couvert. 

kk  Ma  tante  au  désespoir  fit  mille  excuses 
de  sa  promptitude  au  pauvre  diable  de  Pelletier, 
mais  lui  reprocha  aussi  de  s'y  être  exposé  dans 
un  temps  où  tant  de  voleurs  rôdaient  dans  la 
campagne.  Elle  répara  le  dommage  de  son 
mieux  (car  elle  avait  le  cœur  aussi  bon  qu'elle 


(1)  Les  crampons  des   galoches  d'autrefois   étaient   d'un 
pouce   de   longueur. 


—  130  — 

était  prompte)  en  ordonnant  à  sa  fermière  de 
préparer  à  leur  hôte  un  bon  souper  dont  la 
seigneuresse  elle-même  ferait  les  frais  ;  et 
poussa  je  erois  même  la  générosité  jusqu'à 
faire  remplacer  la  malheureuse  paire  de  culottes 
qui  faisait  jour  de  toutes  parts  par  la  foncière. 

44  Ce  fut  quelques  jours  après  cette  scène, 
vers  la  fin  d'octobre,  que  j'arrivai  le  soir  chez 
ma  bellliqueuse  tante.  Nous  conversions  tran- 
quillement après  souper  lorsque  son  domestique 
et  sa  servante  entrèrent  dans  le  salon  portant 
un  paquet  de  cordes  qu'ils  attachèrent  à  chacun 
des  contrevents  déjà  fermés,  lesquelles  cordes 
après  avoir  traversé  tous  les  appartements 
finirent  par  se  réunir  dans  la  chambre  à  coucher 
de  mademoiselle  Agathe  de  Lanaudière.  Cu- 
rieux de  voir  à  quoi  tout  cela  aboutirait,  je  la 
suivis  dans  cette  chambre  où  elle  se  mit  aussitôt 
à  attacher  les  dites  cordes  à  quatre  sonnettes 
qu'elle  accrocha  au  haut  des  quatre  poteaux  de 
son  lit.  Elle  ouvrit  ensuite  une  armoire,  en  tira 
quatre  pistolets  dont  elle  déposa  deux  sur  une 
petite  table  et  me  présentant  les  deux  autres 
ëlt  me  dit  :  "  Ces  armes  sont  chargées  par  moi 
et  ne  nous  feront  pas  d'affront  si  nous  sommes 
attaqués  cette  nuit  par  ces  coquins." 

"  Savez-vous,  ma  chère  tante,  lui  dis-je  que 
Vauban  lui-même  n'a  jamais  mieux  fortifié 
une  citadelle  que  vous  ! 

" — Vois-tu,  mon  fils,  répliqua-t-elle,  je 
n'ai  jamais  craint  un  homme  lorsque  j'ai  été 
sur  mes  gardes,  mais  ces  lâches  pourraient  me 
surprendre  pendant  mon  sommeil  ;  ce  que  je 
les  défie  de  faire  à  présent.  Quoique  bien  armée 


—  131  — 

mes  nuits  étaient  sans  sommeil,  lorsque  j'ai  eu 
l'heureuse  idée  de  me  mettre  à  l'abri  de  toute 
surprise. 

"  — Vous  êtes  bien,  chère  tante,  la  digne 
nièce  de  nos  deux  grand'tantes  de  Verchères, 
qui  défendirent  à  la  tête  d'autres  femmes,  en 
l'année  1690,  et  en  l'année  1692,  un  fort  attaqué 
par  les  Sauvages,  et  les  repoussèrent. 

"  —  Ah  !  mon  fils  !  fit-elle,  en  soupirant, 
si  le  ciel  eût  voulu  que  je  fusse  née  homme  ! 

"  Je  ne  pouvais  m'empêcher,  termine  M. 
de  Gaspé,  d'admirer  tant  de  courage  dans  un 
corps  si  frêle  et  si  petit."  (1) 

XVII 
Charlotte-Marguerite  Tarieu  de  Lanaudière 

Née  à  Québec    le  16  septembre  1775. 

Aussi  belle  que  spirituelle,  si  mademoiselle 
de  Lanaudière  ne  se  maria  pas  ce  ne  fut  pas 
faute  de  prétendants.  Mais  comme  ses  sœurs 
Marie-Louise  et  Agathe  elle  préféra  sa  liberté 
aux  liens  du  mariage.  Elle  décéda  à  Québec 
le  17  novembre  1856,  à  l'âge  de  82  ans. 

"  Charlotte-Marguerite  de  Lanaudière, 
écrit  M.  de  Gaspé,  était  la  plus  jeune  des 
enfants  de  mon  grand'père,  M.  Charles  de  La- 
naudière, et  elle  survécut  à  ses  frères  et  sœurs. 
Sans  avoir  autant  d'esprit  que  ses  deux  sœurs 
aînées,  madame  Baby  et  ma  mère,  elle  n'en 
était  pas  moins  très  spirituelle  et  surtout  très 
satyrique.   C'était  le  jugement    que    réminent 


(1)  Mémoires,  p.  519. 


— 132  — 

prélat  Mgr  Plessis,  ami  intime  de  ma  famille, 
portait  sur  les  trois  sœurs.  Mais  si  elle  n'avait 
pas  l'esprit  supérieur  de  sa  sœur  aînée,  ni 
l'esprit  ni  le  jugement  si  sain  de  ma  mère,  elle 
avait  toute  la  force  d'âme  de  la  première  et  une 
volonté  à  faire  tout  ployer  devant  elle.  Elle  a 
mené  une  vie  retirée  pendant  les  dix  à  quinze 
ans  qui  ont  précédé  sa  mort,  ce  qui  n'empêchait 
pas  les  gouverneurs  et  les  personnes  éminentes 
voyageant  au  Canada,  de  visiter  cette  vieille  et 
dernière  relique  d'une  génération  maintenant 
éteinte.  Etait-ce  curiosité  de  la  part  des  visi- 
teurs de  converser  avec  cette  vieille  noblesse  ? 

"  Ma  vieille  tante  avait  pris  ces  visites  au 
sérieux,  et  s'y  attendait  toujours.  Lord  Elgin 
(il  ne  disait  pas  lui,  noblesse,  par  mépris),  lui 
lit  aussi  une  visite. 

"  — Comment  se  porte,  milady,  fit  made- 
moiselle de  Lanaudière  ? 

"  —  Mais  très  bien,  fut  la  réponse. 

"  —  J'en  suis  charmée,  milord  ;  lorsque 
j'étais  plus  jeune,  je  ne  manquais  jamais  d'aller 
rendre  mes  hommages  aux  représentants  de  ma 
souveraine;  mais  depuis  que  l'âge  m'en  em- 
pêche,tous  les  gouverneurs  et  leurs  épouses  ont 
eu  la  condescendance  de  rendre  visite  à  la 
petite-fille  du  second  baron  de  Longueuil,  gou- 
verneur de  Montréal  avant  la  conquête. 

"  Lady  Elgin  rendit  visite  à  la  vieille 
demoiselle  quelques  jours  après."  (1) 

On  nous  ferait  sûrement  un  reproche  de  ne 
pas  reproduire  ici  les  pages  spirituelles  que  M. 


(1)  Mémoires,  p.  514. 


— 133  — 

de  Gaspé  a  consacrées  à  sa  tante  Charlotte- 
Marguerite  de   Lanaudière  : 

u  Quelques  Canadiens  se  rappellent  encore 
aujourd'hui,  continue  le  vieux  conteur,  un 
régiment  stationné  à  Québec  il  y  a  plus  de 
soixante  ans,  tant  il  a  laissé  de  tristes  souve- 
nirs. Le  major  qui  commandait  ce  corps 
d'officiers  turbulents  était  un  jeune  homme  de 
vingt-deux  ans,  de  la  même  trempe  qu'eux  ;  et 
le  gouvernement  civil  d'alors  ne  pouvait  leur 
imposer  aucune  contrainte.  Je  dois  ici  rendre 
la  justice  de  dire  que  tous  les  officiers  des  autres 
régiments  que  j'ai  connus,  à  la  rare  exception 
d'un  individu  par  ci  par  là  échauffé  par  le  vin, 
avaient  les  plus  grands  égards  pour  les  dames; 
celui  qui  aurait  agi  autrement  aurait  été  mis 
en  coventry.  Mais  le  régiment  dont  j'ai  parlé 
tenait  une  conduite  différente  ;  on  citait  plu- 
sieurs dames  que  certains  officiers  de  ce  corps 
avaient  insultées. 

"  C'était  le  printemps  et  un  jour  d'office 
à  la  cathédrale  ;  les  rues  alors  non  pavées, 
étaient  dans  un  état  affreux  et  un  groupe 
d'officiers  s'était  emparé  du  haut  du  parapet 
de  la  rue  de  la  Fabrique,  afin  d'obliger  les  pas- 
sants de  patauger  dans  l'eau  et  dans  la  boue. 
Les  femmes  en  avaient  pris  leur  parti  et 
louvoyaient  au  beau  milieu  de  la  rue,  les  robes 
retroussées  jusqu'à  mi-jambe,  et  assaillies  des 
brocards  sans  fin  de  ces  galants  messieurs. 
Mademoiselle  de  Lanaudière  alors  fort  jeune 
arrive  avec  trois  ou  quatre  de  ses  amies  qui 
veulent  rebrousser  chemin  en  voyant  que  la 
phalange  hostile  serre    les    rangs    comme    à 


—  134  — 

Fontenoy  ;  alors,  sans  se  déconcerter,  elle 
s'avance  seule  et  leur  dit  de  l'air  superbe  d'une 
impératrice  :  4t  S'il  est  un  seul  gentleman  parmi 
vous  qu'il  fasse  livrer  passage  aux  dames." 
Ce  reproche  piquant  eut  l'effet  désiré,  et  la  voie 
fut  aussitôt  libre. 

"  La.  jeune  fille  canadienne  avait  rompu 
la  colonne  anglaise,  comme  la  brigade  irlan- 
daise avait  puissamment  aidé  à  enfoncer  la 
colonne  anglaise  à  Fontenoy.  Je  ne  puis  m'em- 
pêcher  de  citer  un  passage  des  Mémoires  si 
précis,  si  véridiques  du  marquis  d'Argenson 
au  sujet  de  cette  bataille  :  ne  serait-ce  que  pour 
montrer  en  quelle  estime  les  Français  avaient 
le  bouillant  courage  des  enfants  de  la  verte 
Erin. 

"  Le  roi  demanda  le  corps  de  réserve  et  le 
brave  Lordendall,  mais  on  n'en  eut  pas  besoin. 
Un  faux  corps  de  réserve  donna.  C'était  la 
même  cavalerie  qui  avait  d'abord  donné  inuti- 
lement, la  maison  du  roi,  les  carabiniers,  et  ce 
qui  restait  tranquille  des  gardes  françaises,  des 
Irlandais,  excellents  surtout  quand  ils  marchent 
contre  les  Anglais  et  les  Hanovriens.  C'est  M. 
de  Richelieu  qui  a  donné  le  conseil  et  qui  l'a 
exécuté,  de  marcher  à  l'ennemi  comme  des 
chasseurs  ou  comme  des  gourrageurs,pêle-mêle, 
la  main  baissée,  le  bras  raccourci  :  maîtres, 
valets,     officiers,     cavaliers,     infanterie,     tout 

ensemble ce  fut  l'affaire  de  dix 

minutes  que  de  gagner  la  bataille  avec  cette 
botte  secrète." 

"  Mais  je  reviens  à  propos  de  la  petite 
scène  dont  ma  tante  fut  l'héroïne.  Je  suis  pour 


—  135  — 

ma  part  de  la  vieille  école,  et  je  m'empresse  tou- 
jours de  livrer  passage  aux  dames  sur  les  para- 
pets, sauf  souvent  à  marcher  dans  la  boue  : 
celui  qui  avait  autrefois  cette  attention,  un 
jeune  homme  même,  en  était  récompensé  par 
une  petite  inclination  de  tête,  mais  dans  le  siècle 
de  progrès  où  nous  vivons  j'en  suis  quitte,  à 
l'âge  de  79  ans,  pour  mes  frais  de  courtoisie. 
Mes  amis  me  reprochent  souvent  cet  excès  de 
politesse  envers  des  bégueules  ;  et  moi  de 
répondre  :  Celui  qui  a  été  bien  élevé  passe 
difficilement  de  la  politesse  au  manque  d'égards 
sur  ses  vieux  jours."  Ceci  me  rappelle  la 
réponse  que  fit  jadis  un  de  mes  amis  canadiens 
assez  mauvais  sujet  à  un  jeune  anglais  surpris 
de  lui  voir  faire  sa  prière  du  soir  :  /  cannot, 
my  friendj  break  m  y  self  of  it  (Je  ne  puis  m'en 
corriger). 

t4  Lorsque  la  frégate  française  la  Capri- 
cieuse visita  les  parages  du  Canada,  il  y  a  neuf 
ans  (en  1855),  le  commandant  de  Belvère  ne 
manqua  pas  de  rendre  visite  à  mademoiselle  de 
Lanaudière  ;  la  conversation  roula  principa- 
lement sur  la  France  :  sujet  très  intéressant 
pour  la  vieille  canadienne,  mais  elle  finit  par 
lui  dire  :  "  nos  cœurs  sont  à  la  France  mais  nos 
bras  à  l'Angleterre."  Voyez,  messieurs  les 
Anglais,  cette  vieille  noblesse  qui  avait  pris  au 
sérieux  le  serment  de  fidélité  que  son  père  et  ses 
frères  avaient  prêté  aux  souverains  de  la 
Grande-Bretagne. 

"  Un  officier  de  la  même  frégate,  ayant 
nom  Gaultier,  sut,  je  ne  sais  comment,  qu'une 
de  nos  tantes  avait  épousé  avant  la  conquête 


136 


un  médecin  du  Roi,  nommé  Gaultier  ;  j'ai  vu 
quelque  part  que  c'est  lui  qui  a  découvert  le  thé 
canadien  auquel  il  a  donné  le  nom  de  Gaultha- 
ria,  le  même  thé,  je  suppose,  que  l'on  cherche 
à  utiliser  aujourd'hui.  Le  dit  officier  réclama 
donc  parenté  avec  la  vieille  dame  qui  s'y  prêta 
de  bon  cœur  ;  il  l'appelait  en  riant  ma  tante  et 
elle  l'appelait  en  badinant  son  neveu.  Mais  ma 
chère  tante  était  accoutumée  à  donner  de  vertes 
semonces  à  ses  neveux,  témoin  l'auteur  de  ces 
Mémoires,  lequel  âgé  même  de  soixante  ans, 
la  craignait  encore.  Pour  en  revenir  à  mon 
cousin  de  la  Capricieuse,  puisque  cousin  il  y  a, 
croyant  sans  doute  flatter  la  vieille  tante,  il 
lâcha  en  sa  présence  quelques  paroles  hostiles 
contre  l'Angleterre. 

ik  — Vous  n'êtes  pas,  monsieur  mon  neveu, 
rit-elle,  un  bon  et  fidèle  sujet  de  votre  empereur, 
que  je  n'aime  pourtant  guère,  puisque  vous 
montrez  des  intentions  hostiles  à  ses  alliés,  et 
surtout  dans  un  moment  où  vous  êtes  reçu  par 
eux  d'une  manière  si  cordiale. 

"  Ma  chère  tante  malgré  son  caractère 
despotique  n'en  avait  pas  moins  un  excellent 
cœur,  et  je  n'ai  point  souvenance  qu'elle  se 
soit  brouillée  avec  une  seule  de  ses  amies,  bien 
au  contraire.  J'ai  bien  connu  deux  demoiselles 
anglaises,  ses  compagnes  d'enfance,  qui  après 
la  mort  de  leur  père,  tombèrent  de  l'opulence 
dans  un  état  voisin  de  l'indigence  ;  elles  furent 
abandonnées  de  presque  toutes  leurs  amies,mais 
elles  n'en  furent  pas  moins  les  amies  de  cœur 
de  ma  tante  ;  elle  les  emmenait  passer  souvent 
avec  elle  une  partie  de  l'été,  chez  ma  mère  à  la 


—  137  — 

campagne,  et  lorsqu'elle  tint  ensuite  elle-même 
maison  avec  ses  frères  à  Québec,  les  premières 
invitations  étaient  toujours  pour  ces  pauvres 
demoiselles.  Je  ne  crains  pas  d'ajouter  que  toute 
ma  famille  avait  les  mêmes  sentiments.,,  (1) 

Dans  un  autre  endroit  de  ces  mêmes 
Mémoires,  M.  de  Gaspé,  parle  avec  humour  des 
talents  de  mystificateur  de  sa  tante  Marguerite. 
Il  raconte  à  ce  sujet  une  aventure  qui  vaut  la 
peine  d'être  reproduite  : 

"  La  scène  que  je  vais  raconter  eut  lieu 
quelques  années  avant  ma  sortie  du  pensionnat 
du  séminaire  de  Québec. 

"  — La  société  anglaise,  peu  nombreuse  à 
cette  époque,  prisait  beaucoup  celle  des  Cana- 
diens-Français infiniment  plus  gaie  que  la  leur. 
En  effet  les  Canadiens  n'avaient  encore  rien 
perdu  de  cette  franche  et  un  peu  turbulente 
gaieté  de  leurs  ancêtres.  Une  des  mes  tantes 
maternelles,  Marguerite  de  Lanaudière,  âgée 
alors  d'une  vingtaine  d'années,  et  aussi  belle 
qu'elle  était  gaie  et  spirituelle  faisait  fureur 
surtout  parmi  les  Anglais.  Je  ne  sais  comment 
avec  des  traits  si  beaux,  si  réguliers,  elle  réus- 
sissait à  leur  donner  l'expression  de  la  vieil- 
lesse, de  l'idiotisme  et  de  tous  ceux  qu'elle  vou- 
lait personnifier.  Sa  voix  naturellement  douce 
devenait  méconnaissable.  C'était  surtout  pen- 
dant ses  fréquentes  visites  à  la  campagne  qu'elle 
jouait  ses  petites  comédies. 


(1)  Mémoires,  pp.  514  et  seq. 


—  138  — 

f*  Il  est  inutile  d'observer  qu'elle  ne  mysti- 
fiait, en  se  déguisant,  que  les  personnes  dont 
elle  était  bien  connue. 

"  Quelques  amis  arrivent  chez  mon  père 
et  s'informent  de  Mademoiselle  Marguerite 
qu'on  leur  dit  être  absente  ;  et  elle  fait  son 
entrée  au  salon  un  quart  d'heures  après,  sous 
le  costume  d'une  femme  d'habitant  qui  vient 
consulter  le  seigneur  sur  un  procès  qu'elle  veut 
entreprendre,  ou  dont  elle  était  menacée  ;  sur 
les  querelles  qu'elle  a  avec  son  mari,  ou  avec 
son  donateur  pour  la  rente  en  nature  qu'elle 
est  obligée  de  lui  payer  annuellement.  Et  jamais 
véritable  Josephte  (1)  n'est  mieux  personnifiée. 

"  Tantôt  c'est  une  parente  à  demi-idiote 
que  sa  famille  a  renvoyée  chez  ses  amis.  Elle 
excellait  dans  ce  rôle  :  son  visage  n'offrait  plus, 
alors,  que  l'expression  de  l'idiotisme  le  plus 
pitoyable.  Il  fallait  ensuite  l'entendre  faire  les 
remarques  et  les  questions  les  plus  saugrenues. 

"  Mais  je  reviens  à  la  scène  que  j'ai  pro- 
mise. 

"  Ses  amis  de  Québec  avaient  souvent 
entendu  parler  de  ces  farces  ;  et  la  défiaient 
depuis  longtemps  de  les  tromper  n'importe  sous 
quel  déguisement  elle  se  présentât  :  lorsque  sa 
belle-sœur  Madame  Charles  de  Lanaudière  lui 
proposa  de  lui  donner  l'occasion  d'en  faire 
l'essai  à  une  soirée  qu'elle  donnerait  chez  elle 
et  à  laquelle  celles  qui  lui  avaient  jeté  le  gant 
seraient   conviées. 


(l)-Josephte,    sobriquet    que    les    citadins    donnent    aux 
femmes  de  la  campagne. 


—  139  — 

"  Les  invitations  sont  faites  en  consé- 
quence et  mon  oncle  de  Lanaudière  s'étant 
chargé  à  dessein  de  faire  personnellement  celle 
de  Monsieur  Seweli,  alors  procureur  du  Roi, 
finit  par  lui  dire  : 

4k  Qu'il  tenait  fort  à  ce  qu'il  ne  lui  fit  pas 
défaut  :  qu'une  vieille  seigneuresse,  son  amie 

Madame  X était  arrivée  la  veille  pour 

consulter  un  avocat  sur  un  procès  qui  pouvait 
compromettre  la  fortune  de  ses  enfants  et  qu'il 
lui  avait  conseillé  de  s'adresser  à  Monsieur 
Seweli  lui-même,  l'avocat  le  plus  éminent  de  la 
cité  de  Québec,  que  la  vieille  dame  l'avait 
remercié  ;  mais  qu'il  lui  avait  proposé  de  faire 
chez  lui  la  connaissance  de  son  avocat,  afin  de 
fixer  un  jour  pour  lui  communiquer  ses  nom- 
breux titres  et  papiers,  et  le  mettre  au  fait  de 
cette  affaire  importante.  Comme  j'étais  charmé, 
ajouta  Monsieur  de  Lanaudière,  de  lui  faire  une 
politesse,  j'ai  fait  une  pierre  à  deux  coups  en 
invitant  aussi  quelques-uns  de  nos  amis.  La 
vieille  dame  est  très-riche  et  vous  paiera 
généreusement. 

" —  Je  me  ferai  un  vrai  plaisir,  dit  Mon- 
sieur Seweli,  tout  en  rendant  service  à  cette 
vieille  dame,  d'obliger  en  même  temps  un 
ami  ;  ainsi  comptez  sur  moi.  Quant  aux  hono- 
raires vous  connaissez  mon  désintéressement 
et  que  ce  n'est  pas  l'amour  du  gain  qui  me  fait 
agir.  Et,  par  rare  exception,  c'était  vrai ! 

"  Je  dois  observer  ici,  que  son  épouse, 
Madame  Seweli,  était  celle  qui  avait  porté  le 
plus  fort  défi  à  son  ami  d'enfance  Marguerite 
de  Lanaudière. 


—  140  — 

"  Il  est  six  heures  du  soir  ;  toute  la  société 
est  réunie.  Les  dames .  Smith,  Sewelî,  Finlay, 
Fargues,  Mountain,  Taylor,  de  Salaberry,  Du- 
chesnay,  Dupré,  etc.,  sont  à  leur  poste. 

"  —  Où  est  Marguerite  ?  dirent  plusieurs 
dames  à  la  fois. 

"  Croirez-vous,  dit  la  maîtresse  de  la  mai- 
son, qu'elle  s'est  avisée  d'avoir  ce  soir  une 
migraine  affreuse,  et  qu'elle  m'écrit  qu'il  lui 
est  impossible  de  sortir. 

"  Les  plus  indulgentes  compatirent  aux 
souffrances  de  leur  amie,  tandis  que  d'autres  se 
répandirent  en  invectives  contre  cette  maussade 
de  Marguerite  qui  s'avisait  d'avoir  cette  malen- 
contreuse migraine  qu'elle  aurait  bien  dû 
remettre  au  lendemain. 

"  Monsieur  de  Lanaudière  dit  ensuite  à  un 
domestique  assez  haut  pour  être  entendu  de  tout 
le  monde  : 

"  Venez  me  prévenir  aussitôt  que  la  sei- 

gneuresse  X sera  arrivée  afin  que 

j'aille  la  recevoir  lorsqu'elle  descendra  de 
voiture. 

"  Après  quelques  minutes  d'attente,  Mon- 
sieur de  Lanaudière  faisait  son  entrée  au  salon, 
sa  sœur  appuyée  au  bras  ;  ce  n'était  plus  la 
jeune  et  belle  fille  qui  faisait  l'admiration  de 
tout  Québec,  c'était  une  vieille  dame  marchant 
courbée  et  dont  le  visage  était  méconnaissable, 
ses  beaux  sourcils  d'un  noir  d'ébène  étaient  si 
démesurément  allongés,  qu'ils  se  rejoignaient 
au  bas  du  front,  son  visage  couvert  de  rouge, 
comme  c'était  la  mode  du  temps  de  Louis  XV, 
était  parsemé  de  mouches    de    taffetas    noir, 


—  141  — 

tandis  qu'une  emplâtre  de  ces  mouches  noires 
très  en  vogue  alors,  lui  couvrait  la  majeure 
partie  du  nez.  Quant  au  costume,  c'était  celui 
de  la  cour  de  Louis  XV,  avec  un  tel  accompa- 
gnement de  bijoux,  bagues,  bracelets,  diamants, 
boucles  d'oreilles  pendant  jusqu'aux  épaules, 
que  la  vieille  dame  brillait  comme  un  soleil  ; 
tous  les  écrins  de  la  famille  avaient  été  mis  à 
sec.  Après  les  introductions  d'usage,  auxquelles 
elle  répondait  par  des  révérences  à  émousser  le 
tapis,  elle  prit  la  parole  : 

"  J'arrive  bientôt  à  l'âge  auquel  tout  désir 
de  plaire  doit  cesser  ce  qui  ne  m'empêche  pas 
d'éprouver  une  grande  confusion  de  me  présen- 
ter dans  le  piteux  état  que  vous  voyez  par  suite 
d'un  fâcheux  accident  dont  je  dois  accuser  la 
rigueur  de  la  saison,  mon  pauvre  nez  couvert 
de  mouches  vous  explique  ma  triste  aventure, 
Monsieur  de  Lanaudière  peut  rendre  ■  témoi- 
gnage que  ce  même  nez  qui  se  cache  si  honteu- 
sement ce  soir  a  fait  tourner,  autrefois,  la  tête 
à  bien  des  galants  ;  et  j'ajouterais,  si  je  ne  crai- 
gnais de  rendre  la  maîtresse  de  céans  jalouse, 
que  le  seigneur  de  la  Pérade  (1)  lui-même  ne 
s'en  est  pas  retiré  sans  de  graves  blessures  ; 
car  vous  étiez  à  cette  époque,  mon  cher  de  La- 
naudière, un  grand  mangeur  de  cœur. 

"  La  vieille  dame  après  avoir  poussé  deux 
à  trois  soupirs,  et  lancé  autant  de  tendres  œil- 
lades à  son  ancien  ami,  tira  de  sa  poche  une 
immense  et  magnifique  boîte  d'or,  dans  laquelle 
son  trisaïeul  devait  avoir  fréquemment  prisé 


(1)  Charles  de  Lanaudière,  sieur  de  la  Pérade. 


142 


du  tabac  d'Espagne  :  se  leva  majestueusement 
et  faisant  le  tour  de  la  chambre  s'arrêta  en 
faisant  une  belle  révérence  devant  chaque  per- 
sonne de  la  société  en  disant  :  en  usez-vous  ?  " 
La  révérence  était  strictement  rendue  par  tous 
les  assistants  qui  ne  voulaient  pas  être  en  reste 
de  courtoisie  envers  cette  vénérable  douairière. 
Et  elle  faisait  la  même  corvée  toutes  les  dix 
minutes  la  tabatière  d'une  main  et  un  mouchoir 
de  l'autre,en  disant:  "en  usez-vous?  avec  forces 
révérences  que  chacun  s'empressait  de  lui  rendre. 
Tous  les  convives,  obligés  de  se  tenir  à  quatre 
pour  s'empêcher  de  rire  étaient  au  supplice, 
tandis  que  mon  oncle  de  Lanaudière  riait  fran- 
chement tout  en  se  réfugiant  dans  une  chambre 
voisine  dans  laquelle  le  suivaient  plusieurs  de 
ses  amis  indignés  de  sa  conduite  discourtoise. 

"  —  Nous  sommes  surpris,  de  Lanaudière, 
disaient  Messieurs  Sewell,  de  Salaberry  et  le 
major  Doyle,  (1)  qu'un  gentilhomme  aussi  bien 
élevé  que  vous  l'êtes,  puissiez  sous  votre  toit, 
manquer  aux  égards  que  l'on  doit  à  la  vieillesse 
et  à  une  dame  aussi  respectable. 

"  — Que  voulez-vous  !  mes  chers  amis, 
disait  mon  oncle  :  c'est  plus  fort  que  moi,  la 
bonne  femme  est  si  ridicule  qu'il  m'est  impos- 
sible de  m'empêcher  de  rire. 

"  Une  conversation  très  animée  s'engagea 
bien  vite  entre  les  jeunes  dames  et  la  douairière  ; 
chacune  d'elle  la  complimentait  sur  sa  toilette, 
de  l'air  îe  plus  sérieux  du  monde  ;  et  la  vieille 


(1)  Le  major  Doyle  avait  épousé  une  demoiselle  Smith, 
sœur  de  Madame  Sewell.  Il  est  mort  général,  dans  la 
Péninsule,  je  crois. 


— 143  — 

de  faire  rénumération  de  toutes  les  conquêtes 
que  sa  robe  de  velours  cramoisi  lui  avait  jadis 
values.  Madame  Smith,  veuve  du  juge  en  chef 
de  ce  nom  et  mère  de  Madame  Sewell,  Madame 
Smith  déjà  sur  l'âge  admirait  franchement  une 
toilette  qu'elle  comparait  à  un  habillement  sem- 
blable qu'elle  avait  vu  à  sa  grand'mère  ;  et 
regrettait  beaucoup  de  ne  pouvoir  parler  la 
langue  française  afin  de  converser  avec  la  res- 
pectable seigneuresse. 

"  Ce  ne  fut  qu'après  avoir  conversé  pen- 
dant longtemps,  ou  avoir  fait  souffrir  de  ses 
ridicules,  de  ses  excentricités,  suivant  leur 
caractère,  ceux  qui  l'entouraient  qu'elle  leur 
dit  : 

kk  — Vous  avez  eu  l'obligeance  de  me 
transporter  aux  beaux  jours  de  ma  jeunesse 
qui  commencent,  hélas  !  à  fuir  avec  rapidité,  et 
c'est  avec  beaucoup  de  regret  que  je  me  vois 
forcé  de  m'occuper  pendant  quelques  minutes 
d'une  affaire  sérieuse  pour  l'avenir  de  ma 
famille  ;  Monsieur  l'avocat  du  Roi  a  eu  la 
bonté  de  s'intéresser  au  sort  d'une  pauvre  vieille 
dame  menacée  d'un  procès  ruineux  qui  peut  la 
conduire  au  tombeau  ;  et  avec  votre  permission 
je  vais  profiter  de  son  obligeance  et  lui  donner 
un  petit  aperçu  de  cette  déplorable  affaire  qui 
m'a  fait  vieillir  de  cinquante  ans  dans  l'espace 
d'un  mois  ;  oui,  mesdames,  il  y  a  à  peine  quinze 
jours,  j'avais  encore  les  roses  de  la  jeunesse  sur 
ce  visage  flétri,  j'aurais  pu  même  passer  pour 
la  sœur  cadette  de  cette  belle  dame,  (  1  )  épouse 


Cl)  Madame  Sewell,  était  une  femme  de  grande  beauté. 


—  1,44  — 

du    célèbre    avocat    général,    toujours    prêt    à 
secourir   l'infortune. 

"  M.  Sewelï  se  prêta  avec  complaisance 
au  désir  de  la  douairière  qui  l'entretint  pendant 
vingt  minutes,  au  moins,  à  haute  voix  et  avec 
volubilité  du  plus  beau  procès  de  chicane  que 
jamais  Normand  chicanier  et  à  tête  croche  ait 
inventé.  La  comtesse  de  Pimbesche  des  Plai- 
deurs de  Racine  n'était  qu'une  sotte  comparée 
à  ma  chère  tante.  Rien  ne  l'embarrassait  ;  les 
noms  des  notaires  qui  avaient  passé  les  actes, 
leurs  dates  précises,  les  citations  tirées  des  dits 
actes  :  tout  coulait  avec  une  abondance  à  éton- 
ner le  savant  avocat  qui  l'écoutait. 

"  On  annonce  le  souper.  C'était  alors  la 
mode,  et  même  vingt  ans  plus  tard,  de  chanter 
au  dessert,  les  messieurs  et  les  dames  alterna- 
tivement ;  et  Madame  de  Lanaudière  pria  la 
vieille  seigneuresse  de  vouloir  bien  les  favoriser 
d'une  chanson. 

"  J'avais  encore,  il  y  a  trois  jours,  dit  la 
douairière,  une  voix  aussi  douce  qu'à  l'âge  de 
vingt  ans,  mais  le  malencontreux  froid  qui  a 
gelé  mon  pauvre  nez,  a  eu  aussi  l'effet,  hélas  ! 
de  m'affecter  les  poumons,  mais  je  ferai  l'impos- 
sible pour  contribuer  à  l'agrément  de  cette 
charmante  fête  ;  et  elle  entonna,  d'une  voix 
virile,  rude  et  cassée,  comme  celle  d'un  vieillard, 
la  chanson  à  boire  suivante,  et  cela  en  accen- 
tuant fortement  le  premier  mot  : 
"  Ba  a  a  chu  u,  (Bacchus)  assis  sur  un  tonneau 
"  M'a  défendu  de  boire  de  l'eau." 

"  Ce  fut,  alors,  une  explosion  générale  de 
ceux  qui  avaient  jusque  là  conservé  à  peu  près 


— 145  — 

leur  sérieux,  tandis  que  les  plus  graves  enfon- 
çaient les  mouchoirs  dans  leurs  bouches  pour 
s'empêcher  d'éclater  de  rire. 

"  — Tire  le  rideau  ;  et  va  te  débarbouiller, 
Marguerite,  s'écria  mon  oncle  de  Lanaudière  : 
la  farce  est  finie. 

"  — Les  jeunes  dames  se  mirent  alors  à 
crier  toutes  à  la  fois  : 

"  — Ah  !  Marguerite  !  Diablesse  de  Mar- 
guerite !  Que  tu  nous  as  fait  souffrir. 

"  — Et  puis  s'armant  de  mouchoirs,  d'éven- 
tails, que  sais-je,  elles  poursuivirent  de  chambre 
en  chambre  la  fugitive,  laquelle  une  fois  dé- 
masquée, s'était  enfuie  de  la  table,  et  la  rame- 
nèrent de  vive  force  à  la  place  qu'elle  venait  de 
laisser,  au  milieu  d'un  brouhaha  à  ne  pas 
entendre  Dieu  tonner. 

"  — Mademoiselle  Marguerite,  fit  Mon- 
sieur Sewell,  quand  le  calme  fut  un  peu  rétabli, 
ce  n'est  pas  moi  mais  vous  que  notre  Souverain 
aurait  du  nommer  procureur  du  Roi,  car 
jamais  procès  de  chicane  plus  ingénieux,  plus 
embrouillé,  n'a  été  exposé  d'une  manière  plus 
lucide,  même  par  nos  plus  vieux  procureurs  de 
la  cité  de  Londres. 

"  — Vous  oubliez,  Monsieur  l'avocat  gé- 
néral, répliqua-t-elle,  que  mes  ancêtres  étaient 
normands  et  que  je  dois  tenir  un  peu  de  la 
famille." 


—  146  — 

4k  Je  n'ai  pas  assisté  à  cette  scène,  j'étais 
alors  trop  jeune,  mais  elle  m'a  été  racontée  si 
souvent  par  ma  famille  que  j'en  ai  saisi  les 
parties  les  plus  saillantes.  Le  juge  en  chef 
Sewell  lui-même  me  disait  en  riant  de  cette 
mystification,  vingt  ans  après,  que  ma  tante 
aurait  fait  le  désespoir  des  juges,  si,  née 
homme,  elle  eût  embrassé  la  carrière  du  bar- 
reau." (1) 


(1)  Mémoires.    ■ 


1ère    génération  :   Thomas-Xavier  Tarieu   de   Lanaudière 
2ème   génération  :    Pierre-Thomas  Tarieu  de  la   Pérade 
3ème    génération  :     Charles-François-Xavier    Tarieu    de 
Lanaudière 

4ème  génération  :  Charles-Gaspard  Tarieu  de  Lanaudière 


Charles-Gaspard  Tarieu  de  Lanaudière 

Né  à  Québec   le  9  septembre  1769. 

Sa  mère,  restée  veuve  en  1776,  l'envoya 
compléter  ses  études  en  Angleterre.  Pendant 
ses  vacances,  le  jeune  de  Lanaudière  passa  sur 
le  continent  afin  de  rencontrer  son  frère  aîné 
qui  se  trouvait  en  France. 

"  II  y  avait  nombreuse  compagnie  le  soir, 
lorsque  M.  de  Lanaudière  et  son  jeune  frère 
firent  leur  entrée  au  salon  de  leur  oncle,  le 
baron  de  Germain.  Le  frère  aîné  dit  à  Charles- 
Gaspard  :  Charles,maintenant  cherches  ta  tante. 
L'enfant  promena  ses  regards  sur  le  cercle  des 
dames  assises  à  l'entour  de  la  chambre,  et  se 
dirigeant  sans  hésiter  vers  madame  la  baronne 
de  Germain,  il  lui  dit  :  Vous  êtes  ma  tante.  Il 
l'avait  reconnue  à  la  ressemblance  qu'elle  avait 
avec  sa  mère. 

"  On  entoura  le  petit  anglais,  comme  les 
dames  françaises  le  proclamèrent  à  cause  de  son 
costume  qu'elles  admirèrent  beaucoup,  et  qui 
contrastait  avec  celui  des  enfants  français.  En 
effet,  les  derniers  étaient  vêtus  comme  des  petits 
marquis  :  habit  traînant  sur  les  talons,  culottes 
avec  boucles  au-dessous  du  genou,  bas  de  soie, 
souliers  avec  larges  boucles  d'or  ou  d'argent, 
queue  énorme  entourée  de  ruban,  et  cheveux 
poudrés. 


148 


"  Le  costume  du  petit  anglais,au  contraire, 
était  semblable  à  celui  des  matelots  de  la 
marine  royale  britannique  :  gilet,  veste  et  pan- 
talon bleus,  bas  de  coton  blanc,  escarpins  noués 
sur  le  coup  du  pied,  avec  un  ruban  noir, 
chemise  ouverte  au  col  à  la  Byron,  et  cheveux 
ras  sans  poudre.  C'était  probablement  le  pre- 
mier enfant  vêtu  à  l'anglaise  que  ces  dames 
voyaient  car  elles  s'écrièrent  : 

li  Voilà  comme  nos  enfants  français 
devraient  être  vêtus  !  Voyez  comme  il  est  à 
l'aise  dans  ses  habits  et  libre  de  tous  ses  mouve- 
ments, tandis  que  nos  enfants  semblent  empesés 
comme  les  coiffes  des  bourgeoises  du  faubourg 
Saint-Denis  !"  (1) 

Le  31  mai  1794,  une  nouvelle  ordonnance 
de  milice  était  adoptée  pour  la  province  de  Qué- 
bec. Dans  ses  grandes  lignes,  la  nouvelle  loi 
de  milice  avait  été  copiée  sur  l'organisation  de 
milice  qui  avait  existé  sous  le  régime  français. 

M.  de  Lanaudière,  qui  s'était  toujours 
intéressé  aux  choses  de  la  milice,  accepta  le 
grade  de  capitaine  aide-major  de  la  division  de 
Lavaltrie. 

Nous  lisons  dans  la  Gazette  de  Québec  du 
10  septembre  1794  : 

44  Berthier  (en  haut),  comté  de  Warwick, 
le  25  août  1794. 

"Le  18e  et  19e  de  ce  mois,  la  milice  de  cette 
paroisse  et  celle  de  Saint-Cuthbert  a  été 
inspectée  par  l'honorable  Paul  Roc  de  Saint- 
Ours,  écuier,  colonel  de  ce  district,  et  messieurs 


(I)  M.  de  Gaspé,  Mémoires,  p.  100. 


—  149  — 

Georges  Me  Beath,  écuier,  J.-\H.  Arvieux, 
(Harvieux  ?),  écuier,  majors,  et  Gaspard  de 
Lanaudière,  capitaine  et  aide-major.  Ce  serait 
faire  une  injustice  de  passer  sous  silence  la 
satisfaction  que  les  capitaines,  officiers  et  mili- 
ciens en  ont  reçu  dans  ces  deux  paroisses  de  la 
part  de  l'honorable  Paul  Roc  de  Saint-Ours, 
écuier,  leur  lieutenant-colonel,  de  la  générosité 
et  peines  considérables  qu'il  a  prises  à  chaque 
revue  des  différentes  compagnies,  d'expliquer 
pendant  l'espace  de  deux  heures  et  demie  l'or- 
donnance du  31e  jour  de  mai  présente  année 
concernant  la  milice,  et  leur  harangue  sur  les 
devoirs  des  fidèles  sujets,  en  leur  faisant  com- 
prendre le  bonheur  qu'ils  jouissent  sous 
l'empire  britannique,  par  ce  discours  grand  et 
généreux  on  a  vu  dans  l'instant  la  joie  écrite 
sur  les  visages  de  tous  les  spectateurs,  lesquels 
se  réjouissent  hautement,  disant  qu'un  pareil 
discours  ne  manquerait  de  faire  un  bien  consi- 
dérable et  que  tous  ceux  qui  s'étaient  abusés  de 
fausses  machinations  se  voient  dans  ce  moment 
justement  convaincus,  et  par  une  juste  recon- 
naissance, nous  soussignés  prenons  la  liberté 
de  lui  faire  nos  très  humbles  remerciements." 

Cette  pièce  baroque  qu'il  faut  lire  deux 
fois  avant  de  la  comprendre  était  signée  par 
Pierre  Pelland,  Joseph  Roch,  Louis  Vadenais, 
capitaines  ;  Antoine  Roch,  Antoine  Vadenais, 
Jean  Rival,  Antoine  Guignard,  lieutenants  ; 
Pierre  Coulombe,  Pierre-Sulpice  Saint-George 
fils,  Pierre  Beaupré,  C.-F.  Hayfiemard, 
enseignes. 


—  150  — 

La  nouvelle  ordonnance  de  la  milice 
n'était  pas  reçue  partout  avec  le  même  enthou- 
siasme délirant.  Quelques  semaines  auparavant, 
le  29  juin,  jour  de  la  Saint-Pierre,  une  grande 
assemblée  des  miliciens  de  tous  les  environs 
avait  été  convoquée  à  l'Assomption.  Les  prin- 
cipaux officiers  de  milice  du  district,  MM.  de 
Saint-Ours,  de  Lavaltrie,  Panet,  Faribault  et 
de  Lanaudière,  se  trouvaient  sur  l'estrade  élevée 
pour  la  circonstance  sur  la  place  publique. 

"  Le  doyen  de  ces  messieurs,  en  grand 
uniforme  militaire,  se  mit  à  haranguer  la  foule 
sur  la  grande  bonté  du  souverain  et  sur  le 
devoir  incontestable  qui  s'imposait  à  tous  de 
le  défendre,  lui  et  sa  couronne,  contre  les 
ennemis.  A  peine  avait-il  prononcé  quelques 
phrases,  qu'un  murmure  sourd,  mais  non 
équivoque,  s'élève  du  sein  de  l'assemblée,  et, 
tout  à  coup  sous  la  pression  de  ceux  qui  étaient 
chargés  secrètement  de  la  chose,  l'estrade 
s'effondre  avec  tous  ceux  qui  y  avaient  pris 
place,  aux  cris  mille  fois  répétés  ;  A  bas  les 

seigneurs,  à  bas  les  messieurs  ! Ce  fut 

un  pêle-mêle  général,  et  durant  la  confusion  qui 
s'en  suivit  tous  les  officiers  disparurent.  Seul, 
M.  de  Lanaudière  demeura  sur  place,  et  se 
juchant,  au  plus  tôt,  sur  une  clôture  voisine, 
se  permit  de  reprocher  aux  gens,  en  termes 
énergiques,  leur  conduite  déloyale,  et  de  leur 
exprimer  tout  le  mépris  qu'elle  leur  inspirait  ; 
le  calme  se  rétablit. 

"  Cet  acte  de  bravoure  de  M.  de  Lanau- 
dière produisit  le  meilleur  effet  sur  les  émeu- 


— 151, — 

tiers,  alors  l'un  des  principaux  meneurs, s'appro- 
chant  de  lui,  dit  d'un  ton  insolent  : 

"  —  Il  vous  sied  bien  de  nous  parler  ainsi 
lorsque  vous  avez  vos  pistolets  en  mains  et 
votre  sabre  au  côté  ! 

"  —  Qu'à  cela  ne  tienne,  reprit  avec  colère 
M.  de  Lanaudière,  lançant  en  même  temps  ses 
pistolets  au  loin,  après  les  avoir  tirés  en  l'air 
et  brisant  son  épée  en  deux  sur  son  genou,  il 
en  laissa  tomber  les  tronçons  à  ses  pieds  : —  A 
vous  maintenant,  mes  amis  !  s'écria-t-il. 

"  Frappés  d'admiration  à  la  vue  d'une 
telle  intrépidité,  personne  ne  se  présente 
devant  lui,  au  contraire  de  vigoureux  applau- 
dissements se  firent  entendre  de  toute  part. 

"  Après  quelques  instants,  M.  de  Lanau- 
dière reprenant  la  parole,  s'écria  : 

"  —  Mes  bons  amis,  je  m'en  vais  chez  M. 
le  colonel  de  Saint-Ours,  qui  m'a  invité  à  dîner, 
mais,  sur  les  quatre  heures  cette  après-midi, 
je  m'en  retournerai  chez  moi,  à  Lavaltrie,  en 
passant  par  le  chemin  ordinaire,  celui  de  la 
Savanne  ;  si  quelqu'un  ou  plusieurs  d'entre  vous 
désirent  m'y  rencontrer  et  s'assurer  si  j'ai  peur 
ils  seront  les  bienvenus.  Je  serai  accompagné 
de  mon  unique  domestique  qui  vous  est  bien 
connu  et  sans  armes  tel  que  vous  me  voyez 
maintenant. 

"  Sur  ce,  il  se  retira  et  s'en  alla  rejoindre, 
chez  le  seigneur,  les  autres  officiers  de  l'état  - 
major.  On  se  mit  bientôt  à  table,  mais  sur  les 
quatre  heures,  rien  ne  put  empêcher  M.  de  La- 
naudière de  prendre    la    route    conduisant    à 


152 


Lavaltrie  :  conseils,suppliques,représentations, 
etc.,  rien  n'y  fit. 

"  Quelques  heures  après,  il  descendit  de 
voiture  au  manoir  de  Lavaltrie,  sans  avoir 
aperçu  un  seul  individu  désireux  de  le  molester. 
Pendant  de  longues  années,  les  parents  racon- 
taient à  leurs  enfants  cette  admirable  conduite 
de  M.  de  Lanaudière,  et  le  souvenir  ne  s'en  est 
pas  encore  complètement  effacé  dans  les 
vieilles  seigneuries  de  Lavaltrie,  de  Berthier  et 
de  l'Assomption."  (1) 

M.  de  Lanaudière  qui  avait  dans  les  veines, 
tant  du  côté  de  son  père  que  de  celui  de  sa  mère, 
le  sang  de  plusieurs  générations  de  preux  guer- 
riers, était,  comme  on  le  voit,  d'une  bravoure 
à  toute  épreuve.  Comme  le  personnage 
d'Athalie  il  aurait  pu  dire  : 

Je   crains    Dieu,   cher   Abner, 
Et    n'ai    point    d'autre    crainte. 

Mais  il  est  juste  d'avouer  qu'il  était 
doué  d'une  force  musculaire  extraordinaire. 
Dans  toute  la  région  de  Québec,  il  n'y 
avait  peut-être  que  l'honorable  M.  de  Salaberry, 
père  du  héros  de  Châteauguay,  qui  lui  était 
supérieur  sur  ce  point.  Et  encore  la  force  de 
ces  deux  athlètes  se  balançait-elle  pas  mal 
comme  on  le  verra  par  le  fait  suivant  que  nous 
empruntons  encore  à  M.  de  Gaspé. 

"M.  de  Salaberry  et  mon  oncle  Gaspard 
de  Lanaudière,  aussi  d'une  force  remarquable, 
étaient,  un  dimanche,  avant  la  messe,  au  pres- 


(1)  Autrefois  et  aujourd'hui  à  Sainte-Anne  de  la  Pérade, 

p.  68. 


153 


bytère  du  Cap-Santé.  Un  groupe  des  habitants 
de  la  paroisse  entouraient  une  cloche,  dont  j'ai 
oublié  le  poids  ;  elle  était  destinée  au  clocher 
de  Tégiise  renversé  par  la  foudre,  et  les 
hommes  les  plus  forts  essayèrent  en  vain  de 
lever  de  terre  la  lourde  masse,  lorsque  mon 
oncle  les  rejoignant,  souleva  non  seulement  la 
cloche,  mais  la  fit  tinter  plusieurs  coups  à  la 
grande  surprise  des  spectateurs  dont  il  avait 
d'abord  essuyé  un  déluge  de  quolibets  dirigés 
contre  les  messieurs  qui  voulaient  faire  les 
hommes.  De  retour  au  presbytère,  il  dit  en  riant 
au  curé  qu'il  venait  de  sonner  le  tinton  de  la 
messe. 

"  —  Très  bien  !  Gaspard,  dit  M.  de  Sala- 
berry,  vous  tenez  de  votre  père,  l'homme  le 
plus  fort  que  j'aie  connu. 

lk  On  dine  au  presbytère  ;  et  le  curé 
annonce  ensuite  en  consultant  sa  montre,  qu'il 
est  l'heure  de  chanter  les  vêpres.  M.  de  Sala- 
berry  s'esquive  alors  sans  rien  dire  et  un  instant 
après,  on  entend  sonner  la  cloche  à  toute  volée. 
L'hercule  rentre  en  riant  et  dit  : 

" — Mon  cher  Lanaudière,  vous  avez  sonné 
la  messe  et  moi  les  vêpres.  (1) 

En  1796,  toute  l'Europe  était  en  armes. 
L'Angleterre  ayant  besoin  de  toutes  ses  troupes, 
afin  de  parer  aux  événements,  lord  Dorchester, 
dans  le  but  de  permettre  aux  troupes  anglaises 
qui  étaient  en  Canada  de  passer  sur  le  continent 
européen,  leva  dans  le  pays  un  régiment  qui  fut 
appelé  le  Royal  Canadien  Vohtnteers  ou  Royal 


(1)  Mémoires,    p.    475. 


—  154  — 

Canadien.  Ce  régiment  fut  formé  de  deux 
bataillons  dont  le  premier,  composé  entièrement 
de  Canadiens-Français,  avait  pour  commandant 
le  colonel  Le  Moyne  de  Longueuil.  Le  major 
était  M.  de  Salaberry,  père  du  héros  de  Châ- 
teauguay.  (1) 

M.  de  Lanaudière  reçut  une  commission 
de  lieutenant  dans  ce  régiment.  Les  autres 
officiers  étaient  MM.  de  la  Bruère  Piedmont, 
Louvigny  de  Montigny,  Dambourgès,  Sabre- 
vois  de  Bleury,  Vassal  de  Montviel,  d'Estimau- 
ville,  Chaussegros  de  Léry,  Hertel,  Bouchette, 
Boucher  de  Montizambert,  de  la  Morandière, 
Taschereau,  Ermatinger,  de  Boucherville,  de 
Beau  jeu,  Pétrimoux,  etc.,  etc.  Le  Royal  Cana- 
dien fut  débandé  en  1802,  après  la  paix 
d'Amiens. 

Aux  élections  pour  la  Chambre  d'Assem- 
blée de  la  province  du  Bas-Canada  qui  eurent 
lieu  en  juillet  1796,  M.  de  Lanaudière  fut  élu 
député  du  comté  de  Warwick.  Cette  division 
électorale  comprenait  alors  le  comté  actuel  de 
Berthier. 

Dans  la  Gazette  de  Québec  ,  du  14  juillet 
1796,  nous  trouvons  la  lettre  suivante  que  M. 
de  Lanaudière  adressait  à  : 

"  Messieurs  les  libres  électeurs  de  Warwick, 

"  Messieurs, 

"  Je    saisis    la    première   occasion   de 
vous    faire    publiquement    mes    remerciements 


(1)  Sur    ce    régiment    on    peut    consulter    M.    Benjamin 
Suite,   Histoire  de   la   milice   canadienne-française,  p.   17. 


—  155  — 

pour  la  confiance  que  vous  avez  bien  voulu 
mettre  en  moi,  en  me  nommant  un  de  vos 
représentants.  Vous  m'avez  aussi  rendu  justice, 
Messieurs,  lorsque  vous  vous  êtes  persuadés 
que  je  n'aurais  jamais  signé  l'écrit  qui  fut 
présenté  aux  candidats,  avant  l'élection,  par  le 
capitaine  Rocq,  bien  convaincus  que  je  ne  ferai 
jamais  rien  de  contraire  aux  vrais  intérêts  de 
notre  heureuse  constitution,  qui  sont  si  étroite- 
ment liés  avec  les  vôtres. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  respect, 
Messieurs, 
Votre  très  humble  et  très 

obéissant  serviteur, 
Chs.  Gasp.  de  Lanaudière. 

Québec,  13  juillet  1796." 

M.  de  Lanaudière  débuta  dans  la  carrière 
parlementaire  par  un  faux  pas.  Deux  candi- 
dats avaient  été  proposés  à  la  présidence  de  la 
Chambre,  l'honorable  M.  Jean-Antoine  Panet, 
qui  avait  si  dignement  rempli  cette  charge  pen- 
dant le  premier  parlement,  et  M.  John  Young. 
Celui-ci  eut  l'appui  de  tous  les  députés  de 
langue  anglaise  et  de  quatre  Canadiens-Fran- 
çais, MM.  de  Lanaudière,  de  Bonne,  Montour 
et  Foucher.  M.  Panet  fut  tout  de  même  élu.  A 
cent-vingt-deux  ans  de  distance,  il  est  difficile 
de  saisir  les  motifs  qui  firent  agir  M.  de  La- 
naudière en  votant  de  préférence  pour  M. 
Young  qui  comprenait  à  peine  le  français  et 
ne  le  parlait  pas  du  tout  et  était  d'ailleurs  une 


— 156  — 

créature  du  gouvernement  si  adverse  aux  inté- 
rêts canadiens-français. 

Aux  élections  générales  de  1804,  M.  de 
Lanaudière  fut  de  nouveau  élu  membre  de  la 
Chambre  d'Assemblée  mais  cette  fois  pour  le 
comté  de  Leinster.  C'est  le  comté  de  l'Assomp- 
tion de  nos  jours. 

M.  de  Lanaudière  fit  partie  de  la  Chambre 
d'Assemblée  jusqu'en  1808. 

Il  ne  semble  pas  que  M.  de  Lanaudière  ait 
pris  une  grande  part  aux  délibérations  de  la 
Chambre  d'Assemblée.  Du  moins,  les  rapports 
de  la  Chambre,  assez  incomplets,  il  est  vrai, 
mentionnent  à  peine  son  nom. 

M.  de  Lanaudière  fit  à  peu  près  vers  cette 
époque  un  second  voyage  en  Europe.  De  ce 
voyage  de  son  oncle,  M.  de  Gaspé  dit  dans  ses 
Mémoires  : 

"  Grande  fut  sa  surprise,  pendant  un 
second  voyage  qu'il  fit,  quelques  années  après, 
dans  les  provinces  de  France,  à  l'aspect  des 
bergers  et  des  bergères,  si  différents  de  ceux 
qu'il  avait  vus  sur  les  théâtres  de  Paris  :  — 
Impossible  de  se  figurer,  disait-il,  des  êtres 
plus  dégoûtants  ! 

Et  quant  aux  bergères,  ajoutait-il,  en 
jurant  un  peu  en  famille,  s'il  n'y  avait  qu'elles 
et  moi  dans  le  monde,  le  monde  finirait  bien 
vite  !" 

u  Une  petite  scène  caractéristique  des 
mœurs  anglaises,  et  je  clos  la  notice  sur  mon 
cher  oncle  Gaspard.  Il  était,  un  soir,  au  théâtre 
de  Convent  Garden,  je  crois.  La  reine  Char- 
lotte, femme  de  George  IV,  entre  dans  sa  loge 


— 157  — 

et  fait  une  révérence  que  le  souverain  peuple 
ne  trouva  pas  apparemment  assez  profonde,car 
on  cria  du  parterre  et  surtout  des  galeries  : 
"  lowcr,  Charlotte r  (plus  bas,  Charlotte).  La 
reine  s'exécuta  alors  d'assez  mauvaise  grâce, 
en  faisant,  à  i'aide  de  sa  jambe  boiteuse,  un 
plongeon  jusqu'à  terre.  Et  le  galant  peuple 
anglais,  en  retour  de  cette  courtoisie  royale, 
d'éclater  en  un  tonnerre  d'applaudissements  à 
faire  écrouler  le  vaste  édifice  !"  (1) 

M.  de  Lanaudière  décéda  au  manoir  de 
Lavait  rie  le  7  juin  1,812,  et  fut  inhumé  dans 
l'église  paroissiale,  sous  le  banc  seigneurial. 

Nous  lisons  dans  la  Gazette  de  Québec  du 
18  juin  1812  : 

"  Dimanche,  le  7  juin  1812,  à  Lavaltrie, 
dans  la  42e  année  de  son  âge,  décède  Charles- 
Gaspard  de  Lanaudière,  colonel  de  la  division 
de  Lavaltrie,  après  une  longue  et  pénible 
maladie  qu'il  souffrit  avec  la  patience  et  la  rési- 
gnation d'un  homme  vraiment  attaché  à  sa 
Religion  ;  il  est  enlevé  à  un  âge  peu  avancé,  à 
une  épouse  chérie  et  à  une  jeune  famille,  qui 
ressentiront  longtemps  la  perte  irréparable 
qu'elles  viennent  de  faire  par  sa  fin  prématurée. 
Il  se  distingua  en  toute  occasion  par  son  zèle 
pour  le  service  de  son  Roi  et  de  son  pays  ;  ses 
qualités  et  ses  vertus  sociales  l'avaient  rendu 
cher  à  tous  ses  amis,  à  ses  vassaux  et  à  tous 
ceux  qui  avaient  l'avantage  de  le  connaître.  Son 
corps  fut  inhumé  mardi,  le  9  du  courant,  dans 
l'église  de  Lavaltrie  avec  les  honneurs  dûs  à 


(1)  Mémoires,   p.   101. 


— 158  — 

son  rang.  Un  cortège  nombreux  de  personnes 
les  plus  respectables  des  environs  se  trouva 
présent,  et  témoigna  les  regrets  sincères  dus  au 
vrai  mérite." 

Charles-Gaspard  Tarieu  de  Lanaudière 
avait  épousé  à  Lavaltrie,  le  22  octobre  1792, 
Suzanne-Antoinette  Margane  de  Lavaltrie, 
fille  de  Pierre-Paul  Margane  de  Lavaltrie, 
seigneur  de  Lavaltrie,  et  de  Marie-Angélique 
de  LaCorne  de  Chapt. 

Madame  de  Lanaudière  décéda  à  Laval- 
trie le  7  juin  1222,  et  fut  inhumée  dans  l'église 
paroissiale,  sous  la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge. 

Par  la  mort  de  madame  de  Lanaudière 
disparaissait  le  dernier  membre  de  la  famille 
de  Lavaltrie  qui  avait  joué  un  si  beau  rôle  dans 
notre  pays  pendant  un  siècle  et  demi.  (1) 

Du  mariage  de  Charles-Gaspard  Tarieu  de 
Lanaudière  et  de  Suzanne-Antoinette  Margane 
de  Lavaltrie  étaient  nés  trois  enfants  : 

I 
Pierre-Paul  Tarieu  de  Lanaudière 

Né  à  Lavaltrie  le  30  juin  1794. 
Le  continuateur  de  la  lignée. 


(1)  Sur  les  ancêtres  de  madame  de  Lanaudière  voir  notre 
Famille  Margane  de  Lavaltrie. 


—  159  — 

•  II 
Marie-Charlotte    Tarieu    de    Lanaudière 

Née  à  Lavait  rie   le  31  août  1795. 

Mariée  à  Lavaltrie,  le  27  septembre  1813, 
à  Barthélémy  Joliette,  notaire,  fils  de  feu  An- 
toine Joliette,notaire,et  de  Catherine  Faribault. 

C'est  le  fondateur  de  l'importante  ville  de 
Joliette. 

M.  Joliette  décéda  dans  la  ville  qui  lui  de- 
vait l'existence  le  21  juin  1850,  à  l'âge  de  62 
ans. 

M.  l'abbé  Joseph  Bonin  écrivait  en  1874, 
en  terminant  sa  belle  Biographie  de  l'honorable 
Barthélemi  Joliette  : 

"  La  reconnaissance  des  citoyens  de 
Joliette  a  élevé  depuis  longtemps  un  monument 
impérissable  à  la  mémoire  du  bienfaiteur  de 
cette  localité  :  ce  monument,  c'est  son  nom 
vénéré,  son  souvenir  si  cher,  gravé  en  carac- 
tères ineffaçables  dans  le  cœur  de  cette  popu- 
lation si  distinguée  par  son  bon  esprit,  sa 
cordiale  entente,  et  son  zèle  bien  connu  pour 
toutes  les  entreprises  charitables  et  généreuses. 
Cependant,  ce  n'est  peut-être  pas  encore  tout 
ce  que  les  enfants  de  l'honorable  M.  Joliette 
pourraient  faire  pour  honorer  sa  mémoire.  Ne 
serait-il  pas  à  désirer  que  le  sentiment  de 
reconnaissance  qui  les  honore,  se  manifestât 
pour  l'exemple  et  l'instruction  de  la  jeune  géné- 
ration, si  elle  devenait  oublieuse  de  son  devoir. 

"  Dans  tous  les  temps,  la  gratitude  des 
peuples   a   élevé   des   statues,   des   monuments, 


160 


pour  transmettre  à  la  postérité,  le  souvenir  des 
hommes  exceptionnels  qui  ont  brillé  au  milieu 
de  leurs  concitoyens. 

ik  Naguère  encore,  on  parlait  avec  raison, 
d'ériger  des  monuments  de  ce  genre,  en  l'hon- 
neur de  trois  des  plus  illustres  défenseurs  de 
notre  nationalité  canadienne  :  les  honorables 
MM.  Lafontaine,  Morin  et  Cartier.  Eh  quoi  ! 
l'honorable  M.  Joliette,  après  vingt-cinq  ans 
de  sacrifices  pour  la  fondation  d'une  ville 
aujourd'hui  florissante,  n'aurait  pas  mérité  cet 
honneur  ?  N'est-il  pas  une  de  nos  gloires  natio- 
nales les  plus  pures  ?  Son  intrépidité,  son 
indomptable  énergie,  son  dévouement  à  toute 
épreuve,  son  intelligence  d'élite,  ne  l'élèvent- 
iîs  pas  au  rang  de  nos  illustrations  canadiennes? 

"  Sans  lui,  que  serait  la  cité  qui  porte  son 
nom  ?  Peut-être,  encore  une  forêt,  ou,  tout  au 
plus  un  champ  à  demi-déf  riche,  dont  le  sol  avare 
produirait  à  peine  de  quoi  nourrir  ses 
habitants  ? 

"  Non,  la  gratitude  des  citoyens  de  cette 
ville  ne  sera  pas  stérile,  mais  elle  apparaîtra  tôt 
ou  tard,  dans  l'érection  d'un  monument  digne 
de  son  nom,  digne  de  sa  générosité."  (1) 

Le  vœu  patriotique  de  M.  l'abbé  Brien 
s'est  réalisé  !  Le  30  septembre  1902,  on  dévoi- 
lait à  Joliette,  en  présence  d'une  foule  consi- 
dérable, une  superbe  statue  de  l'honorable  Bar- 
thélemi  Joliette  élevée  par  la  reconnaissance 
unanime  des  habitants  de  cette  ville. 


(1)  Biographies  de  l'honorable  Barthélemi  Joliette  et  de 
M.  le  grand  vicaire  A.  Manseau,  p.  163. 


—  161  — 

Madame  Joliette  décéda  plus  de  vingt  ans 
après  son  illustre  époux,  à  Joliette,  le  28  janvier 
1871,  à  l'âge  de  76  ans. 

Le  souvenir  de  la  bonté  et  de  la  charité  de 
l'honorable  M.  Joliette  s'est  conservé  vivace 
dans  toute  la  région  de  Joliette  quoiqu'il  soit 
disparu  depuis  bientôt  trois  quarts  de  siècle. 

Disons  à  l'honneur  et  à  la  juste  louange 
de  sa  noble  épouse  qu'elle  ne  lui  en  cédait  guère 
sous  le  rapport  de  la  douceur,  de  la  bonté  et  de 
la  charité.  Citons  encore  ici  M.  l'abbé  Brien 
qui  eut  l'honneur  de  connaître  ces  époux  si 
dignes  l'un  de  l'autre. 

"  Digne  héritière  de  la  noblesse  d'origine 
et  de  sentiment,  de  la  charité  proverbiale  de  la 
famille  de  Lanaudière,dit-il  de  madame  Joliette, 
jamais  on  ne  vit  son  cœur  et  sa  bourse  fermés 
devant  l'infortune  ou  la  misère. 

"  Type  de  la  femme  forte  et  accomplie,  on 
la  voyait  dès  l'aurore,  occupée  aux  soins  de 
sa  maison  qu'elle  dirigeait  à  la  tête  de  ses 
servantes.  Un  pauvre  frappait-il  à  la  porte  du 
manoir  ?  Elle-même  allait  s'informer  du  motif 
de  sa  visite  et  des  détails  de  son  indigence.  Elle 
s'affligeait  avec  lui,  au  récit  de  son  malheur  ou 
de  ses  privations.  Là  ne  s'arrêtait  pas  sa  sym- 
pathie et  sa  charité  ;  car,  après  l'avoir  fait 
manger  en  le  servant  elle-même,  elle  ne  man- 
quait pas  de  le  gratifier  encore  d'une  abondante 
aumône. 

"  Un  jour,  c'était  en  l'absence  de  son 
époux, — la  seigneuresse  assiégée  par  un  cer- 
tain nombre  de  mendiants,  n'avait  su  résister  à 
l'entraînement  de  son  bon  cœur  :  d'une  aumône 


—  162  — 

à  l'autre  élit  avait  donné  jusqu'à  quinze  minots 
de  blé  !  A  la  fin  de  la  journée,  réfléchissant 
qu'elle  avait  peut-être  plus  consulté  sa  géné- 
rosité que  sa  discrétion,  elle  craignait  de 
recevoir  des  reproches  à  cause  d'une  pareille 
prodigalité.  Son  inquiétude  était  assez  vive. 
Pour  prévenir  la  réprimande,  elle  avait  chargé 
un  ami  d'avertir  son  époux  de  ce  qui  était 
arrivé. 

"  En  apprenant  cette  conduite,  celui-ci  vint 
la  trouver  et  la  félicitant  sur  sa  bonne  action  ; 
fais  à  l'avenir,  lui  dit-il,  selon  que  te  le  con- 
seillera ton  cœur  généreux,  tout  ceci  t'appar- 
tient, ajouta-t-il,  en  lui  désignant  du  geste,  le 
manoir  et  les  environs."  Digne  et  noble 
réponse,  qui  entoure  de  la  même  gloire,  et  la 
charité  de  l'épouse  et  la  grandeur  d'âme  de 
l'époux. 

lk  Dans  une  autre  circonstance,  madame 
Joliette,  dont  l'œil  vigilant  surveillait  tout, 
s'était  transportée  auprès  du  vaste  four  d'où 
l'on  retirait  en  ce  moment  le  pain  qui  devait 
nourrir  sa  nombreuse  famille  de  serviteurs. 
Sur  ses  pas,  comme  d'habitude,  les  pauvres 
étaient  accourus  demandant  l'aumône.  Emue 
jusqu'aux  larmes  à  la  vue  des  haillons  qui  les 
couvraient,  de  la  misère  peinte  sur  leur  figure 
la  noble  dame  leur  distribua  toute  la  fournée 
de  pain.  Les  mendiants  s'en  retournèrent  en 
bénissant  son  nom  et  celui  de  son  époux,  tandis 
qu'en  souriant,  elle  donnait  des  ordres  pour 
une   nouvelle   fournée."  (1) 

(.1)  Biographies  de  l'honorable  Barthélemi  Joliette  et  de 
M.  le  grand  vicaire  A.  Manseau,  p.  86. 


— 163  — 

Encore  un  trait  sur  cette  admirable  chré- 
tienne. 

Un  jour,  elle  reçoit  une  magnifique  étoffe 
de  soie  fabriquée  à  Lyon  du  Père  Querbes,  fon- 
dateur de  la  communauté  des  Clercs  de  Saint- 
Viateur,  en  reconnaissance  des  services  rendus 
à  sa  communauté  naissante.  Madame  Joliette 
accepte  ce  don  avec  joie.  Elle  avait  son  idée. 
Aussitôt  elle  en  fait  confectionner  une  chape 
blanche  qu'elle  envoie  gracieusement  à  l'église 
de  sa  paroisse.  (1) 

Du  mariage  de  l'honorable  Barthélemi 
Joliette  et  de  Marie-Charlotte  de  Lanaudière 
était  né  un  fils,  qui  mourut  à  l'âge  de  cinq  ans. 

III 

Marie- Antoinette-Suzanne  Tarieu  de  Lanaudière 

Née  à  Lavaltrie  le  5  mars  1805. 

Mariée  à  Lavaltrie,  le  5  mars  1821,  à 
Peter-Charles  Loedel,  chirurgien. 

Madame  Loedel  décéda  à  Joliette  le  15 
août  1879. 

Nous  lisons  dans  le  Foyer  Domestique  du 
1er  septembre  1879  : 

"  La  tombe  vient  de  se  fermer  sur  une 
existence  bien  chère  à  tous  ceux  qui  l'ont  con- 
nue et  à  tous  les  habitants  de  la  ville  de  Joliette 
Marie-Antoinette-Suzanne  Tarieu  de  Lanau- 
dière, veuve  de  Peter-Charles  Loedel,  Ecr. 


(1)  L'abbé   A.-C.   Dugas,   Gerbes  de   souvenirs,   tome   1er 
p.  311. 


—  164  — 

ik  Madame  Loedel  était  née  à  Lavaltrie  le 
5  mars  1805  et  était  par  conséquent  âgée  de  74 
ans,  S  mois  et  10  jours,  quand  la  mort  Ta 
frappée,  vendredi,  le  15  août  dernier,  à  la 
résidence  de  son  gendre,  B.-H.  Leprohon, 
Ecuier,  shérif  de  Joliette.  Elle  s'était  mariée  en 
1821  au  docteur  P.-C.  Loedel,  qui  l'a  précédée 
dans  la  tombe  de  quatre  mois  seulement. 

''Avec  madame  Loedel  disparait  la  der- 
nière survivante  des  personnes  qui,  en  1825, 
vinrent  fonder  le  village  d'Industrie.  Elle  était 
la  sœur  de  feu    madame  Barthéiemi  Joliette. 

"  Femme  charitable,  toujours  prête  à 
tendre  la  main  au  malheur  et  à  secourir  la 
misère,  son  nom  restera  toujours  béni  et  vénéré 
parmrceux  dont  elle  a  été  la  bienfaitrice. 

"Il  y  a  encore  peu  de  temps,  madame 
Loedel  jouissait  d'une  bonne  santé  et  elle  entre- 
prenait le  voyage  de  Joliette  à  Saint-Jean,  où 
demeurent  deux  de  ses  petites  filles,  et  son 
petit-fils,  le  docteur  James  Leprohon.  Atteinte 
bientôt  de  la  maladie  qui  devait  l'emporter,  elle 
s'empressa  de  revenir  à  Joliette  pour  recevoir 
les  derniers  soins  de  sa  fille  bien-aimée,  madame 
docteur  Leprohon,  qui  la  regrettera  toujours 
ainsi  que  tous  ses  petits  enfants,  qu'elle  affec- 
tionnait tout  particulièrement." 

Du  mariage  de  Peter-Charles  Loedel  et 
de  Marie-Antoinette-Suzanne  Tarieu  de  La- 
naudière  naquirent  deux  enfants,  dont  l'aîné 
mourut  en  bas  âge  et  l'autre,  Caroline,  devint 
l'épouse  du  docteur  Bernard-Henri  Leprohon. 


1ère   génération  :    Thomas-Xavier  Tarieu  de   Lanaudière 
2ème    génération  :    Pierre-Thomas   Tarieu   de   la   Pérade 
3ème    génération  :    Charles-François-Xavier     Tarieu     de 
Lanaudière 

4ème    génération  :    Charles-Gaspard    Tarieu    de    Lanau- 
dière 

5ème  génération  :   Pierre-Paul  Tarieu  de  Lanaudière 


PIERRE-PAUL  TARIEU  DE 
LANAUDIERE 

Né  à  Lavaltrie   le  30  juin  1794. 

Il  fut  coseigneur  de  Lavaltrie. 

De  santé  très  délicate,  M.  de  Lanaudière 
ne  s'occupa  jamais  d'affaires  publiques.  Il  se 
contenta  de  faire  valoir  sa  part  de  seigneurie. 

M.  de  Lanaudière  décéda  à  Lavaltrie  le 
1er  mai  1832,  et  fut  inhumé  dans  l'église  de 
cette  paroisse. 

Il  avait  épousé,  à  Lavaltrie,  le  4  novembre 
1814,  Véronique  Gordon,  fille  de  Charles  Gor- 
don et  de  Véronique  Corbin. 

De  ce  mariage  naquirent  trois  enfants  : 

I 

MARIE-ANGELIQUE-JOSEPHTE  TA- 
RIEU DE  LANAUDIERE 

Née  à  Lavaltrie  le  11  janvier  1816. 
Mariée  à  Lavaltrie,  le  14  février  1831,  à 
Antoine-Toussaint  Voyer,  médecin. 


—  166  — 

II 

SUZANNE-ANTOINETTE-ALMESIME 
TARIEU  DE  LANAUDIERE 

Née  à  Lavaltrie    le   15  septembre  1826. 
Décédée  à  Montréal    le  12  janvier  1844, 
et   inhumée  dans   l'église  de   Lavaltrie. 

III 

CHARLES-BARTHELEMI-GASPARD 
TARIEU  DE  LANAUDIERE 

Le  continuateur  de  la  lignée. 


1ère    génération  :    Thomas-Xavier   Tarieu   de   Lanaudière 
2ème  génération  :    Pierre-Thomas  Tarieu  de  la   Pérade 
3ème    génération  :     Charles-François-Xavier     Tarieu     de 
lanaudière 

4ème    génération  :    Charles-Gaspard    Tarieu     de     Lanau- 
dière 

5ème    génération  :    Pierre-Paul    Tarieu    de    Lanaudière 
6ème  génération  :  Charles-Barthélemi-Gaspard  Tarieu  de 
Lanaudière 


CHARLES:BARTHELEMI-GASPARD 
TARIEU  DE  LANAUDIERE 

Né  au  manoir  de  Lavaltrie  le  16  novembre 
1821. 

Il  n'avait  que  onze  ans  lorsqu'il  perdit  son 
père. 

Il  fit  ses  études  au  collège  de  Nicolet  et  au 
collège  des  Jésuites  de  Georgetown,  près  de 
Washington. 

Au  sortir  du  collège,  le  jeune  de  Lanau- 
dière se  mit  à  étudier  la  loi  et  s'établit  à 
L'Industrie  (Joliette)  chez  son  oncle  et  tuteur, 
l'honorable   Barthélemi   Joliette. 

M.  de  Lanaudière,  qui  était  un  fervent 
chrétien  et  un  patriote  dans  toute  la  force  du 
terme,  consacra  sa  fortune  à  l'œuvre  patrio- 
tique et  religieuse  de  M.  Joliette. 

Lorsque  le  village  de  L'Industrie  fut  érigé 
en  ville  sous  le  nom  de  Joliette  en  1864,  il  en  fut 
choisi  comme  le  premier  maire.  Il  abandonna 
ce  poste  en  1872,  mais,  deux  ans  plus  tard,  en 
1874,  on  l'élisait  de  nouveau. 


—  168  — 

M.  de  Lanaudière  décéda  à  Juliette  le  25 
juillet  1875,  à  l'âge  de  cinquante-quatre  ans. 

"  Comme  ses  ancêtres,  dit  M.  l'abbé  A.-C. 
Dugas,  M.  de  Lanaudière  chantait  à  ravir,  sur- 
tout le  Memorare,  îe  Regina  Coeli,  Y  Aima  Re- 
demptoris  Mater,  le  grand  Magnificat  de  je  ne 
sais  qui  et  qu'on  appelait  au  collège  :  "  le  Ma- 
gnificat de  M.  de  Lanaudière  "  et  aussi  une* 
foule  de  cantiques  qu'il  savait  rendre  avec  tant 
d'âme  et  de  cœur."  (1) 

Le  regretté  M.  Ernest  Gagnon  écrivait  de 
M.  de  Lanaudière  : 

'k  J'ai  gardé  un  souvenir  attendri  de  ce 
bon,  sympathique  et  excellent  chrétien  qui  nous 
édifiait  par  sa  voix  au  timbre  plein,  mais 
souple,  sonore,  mais  moelleux,  chaud  de  la 
chaleur  de  i'âme." 

M.  de  Lanaudière  avait  épousé  à  Saint- 
Louis  de  Kamouraska,  îe  29  avril  1846,  Julie- 
Arthémise  Taché,  fille  de  Paschal  Taché,  sei- 
gneur de  Kamouraska,  et  de  Julie  Larue. 

Madame  de  Lanaudière  décéda  à  Joliette 
le  23  janvier  1888,  et  fut  inhumée  dans  l'église 
paroissiale. 

De  leur  mariage  étaient  nés  onze  enfants  : 


(1)  Gerbes  de  souvenirs,  tome  premier,  p.  286. 


—  169  — 

I 

CHARLES-BARTHELEMI-PIERRE- 

PASCHAL-GASPARD  TARIEU 

DE   LANAUDIERE 

Né  à  Joliette   le  3  mars  1847. 
Décédé  au  même  endroit     le    10    juillet 
1847,  il  fut  inhumé  dans  l'église  paroissiale. 

II 

UTIGHANNE-ARTHEMISE    TARIEU 
DE  LANAUDIERE 

Née  à  Joliette   le  2  mai  1848. 
Décédée  au   même  endroit    le  9  octobre 
1849,  elle  fut  inhumée  dans  l'église  paroissiale. 

III 

ANTOINETTE-HELENE    TARIEU     DE 
LANAUDIERE 

Née  à  Joliette   le  10  septembre  1849. 
Décédée  au  même  endroit,  le  29  mai  1853, 
elle  fut  inhumée  dans  l'église  paroissiale. 

IV 

JOSEPH-ANTOINE-ALPHONSE  TA- 
RIEU DE  LANAUDIERE 

Né  à  Joliette   le  12  janvier  1851. 
Décédé  à  Joliette    le  1er  décembre  1853, 
il  fut  inhumé  dans  l'église  paroissiale. 


— 170  — 

!;  v 

JOSEPH-EDOUARD-GASPARD  TA- 
RIEU  DE  LANAUDIERE 

Né  à  Joliette  le  6  juillet  1853. 
Décédé  au  même  endroit  le  22  juillet  18S3, 
il  fut  inhumé  dans  l'église  paroissiale. 

VI 

JOSEPHTE-ANTONINE  TARIEU   DE 
LANAUDIERE 

Née  à  Joliette   le  11  décembre  1855. 

Mariée  à  Joliette,  le  10  juillet  1878,  à 
Louis-Arthur  McConville,  avocat. 

Né  à  Saint-Paul  de  Joliette,  le  20  décembre 
1849,  de  parents  irlandais,  M.  McConville  fut 
admis  au  barreau,  le  12  janvier  1871. 

En  1875,  il  fut  un  des  rédacteurs  du  Nou- 
veau-Monde, de  Montréal,  qu'il  laissa,  en  1876, 
pour  aller  se  fixer  à  Joliette  où  il  fonda 
L'Industrie,  tout  en  se  livrant  à  la  pratique  de 
sa  profession. 

Après  la  résignation  de  l'honorable  M. 
Baby  comme  ministre  de  l'Intérieur,  et  sa 
nomination  à  la  Cour  du  Banc  de  la  Reine,  M. 
McConville  fut  choisi  par  les  électeurs  du 
comté  de  Joliette  pour  remplacer  M.  Baby  à  la 
Chambre  des  Communes.  Il  fut  élu,  le  9  dé- 
cembre 1880,  par  une  majorité  de  444  voix. 

M.  McConville  décéda  à  Joliette  le  9  mai 
1882,  après  une  maladie  de  quelques  jours 
seulement,  et  fut  inhumé  dans  le  cimetière 
paroissial. 


—  171  —  , 

"  Doué  de  toutes  les  qualités  du  cœur  et  de 
l'esprit,  il  avait  su  conquérir  l'estime  et  le 
respect  de  tous  ses  concitoyens,  qui  n'atten- 
dirent pas  le  nombre  des  années  pour  lui  accor- 
der la  confiance  qu'il  méritait  à  tant  de 
titres."  (1) 

Madame  McConville,  deux  ans  après  la 
mort  de  son  mari,  le  2  mai  1884,  renonçait  au 
monde  en  entrait  au  monastère  du  Précieux- 
Sang  à  Saint-Hyacinthe.  Elle  y  fit  profession 
le  14  septembre  1886,  sous  le  nom  de  sœur 
Marie  de  la  Croix. 

Elle  est  maintenant  au  monastère  du  Pré- 
cieux-Sang de  Nicolet.  La  Sœur  Marie  de  la 
Croix  qui  est  aujourd'hui  dans  sa  trente- 
huitième  année  de  profession  a  exercé  les  prin- 
cipales charges  de  sa  communauté.  (2) 

VII 

ANNE-CAROLINE-JOSEPHTE  TARIEU 
DE  LANAUDIERE 

Née  à  Joliette   le  3  décembre  1856. 

Décédée  à  Saint-Antoine  de  Lavaltrie,  le 
30  juillet  1857,  elle  fut  inhumée  dans  l'église 
de  cette  paroisse. 


(1)  La  Gazette  de  Joliette,  12  mai  1882. 

(2)  Du  mariage  de  Arthur  McConville  et  de  Josephte 
Antonine  Tarieu  de  Lanaudière  naquirent  deux  enfants 
morts  tous  deux  en  bas  âge. 


—  172  — 

VIII 

JOSEPH-JEAN-GASPARD    TARIEU   DE 
LANAUDIERE 

Né  à  Joiiette    le  23  décembre  1857. 

Décédé  au  même  endroit  le  5  février 
1858,  il  fut  inhumé  dans  l'église  paroissiale. 

IX 

JEAN-BAPTISTE-ANTOINE-JOSEPH 
TARIEU  DE  LANAUDIERE 

Né  à  Joiiette   le  23  juin  1859. 
Décédé  au  même  endroit    le  8  août  1859, 
il  fut  inhumé  dans  l'église  paroissiale. 

X 

MARIE  DES  ANGES-ALICE  TARIEU 
DE    LANAUDIERE 

Née  à  Joiiette    le  2  octobre  1860. 

Mariée,  à  Joiiette  le  16  février  1885,  à 
Norman-John-Rieutord  Neilson,  fils  de  John 
Neilson  et  de  Laura-Carolin  Moorhead,  et 
petit-fils  de  l'honorable  John  Neilson,  l'ami  et 
le  défenseur  des  Canadiens-Français. 

Du  mariage  Neilson-de  Lanaudière  sont 
nés  huit  enfants  dont  quatre  sont  décédés. 


—  173  — 
XI 

JOSEPH-GASPARD-CjHARLES  TARIEU 
DE  LANAUDIERE 

Né  à  Joliette   le  10  septembre  1862. 

Il  a  été  admis  à  la  pratique  du  droit  le  10 
juillet   1883. 

M.  de  Lanaudière  est  depuis  1912  lieute- 
nant-colonel dans  la  milice  canadienne.  Il  com- 
mande le  Régiment  de  Joliette. 

M.  de  Lanaudière  aurait  fait  mentir  son 
nom  s'il  ne  s'était  pas  enrôlé  l'un  des  premiers 
pour  aller  combattre  avec  les  alliés  contre  les 
Allemands  dans  la  Grande  Guerre.  Parti  en 
qualité  de  major  dans  le  célèbre  22ème  Régi- 
ment, il  occupa  en  France  plusieurs  postes 
importants,  et  il  fut  décoré  par  le  président  de 
la  République  Française. 

Nous  lisons  dans  la  Presse  du  15  janvier 
1922  : 

'■  L'un  des  nôtres,  le  lieutenant-colonel 
Charles  Tarieu  de  Lanaudière,vient  de  recevoir 
un  beau  témoignage  du  président  de  la  répu- 
blique française  pour  ses  services  de  guerre  en 
France,  alors  qu'il  était  commandant  de  place 
dans  la  zone  des  armées.  Le  lieutenant-colonel 
de  Lanaudière,  qui,  en  1914,  était  l'officier  com- 
mandant du  83ième  régiment  de  Joliette,  fut 
un  des  premiers  à  offrir  ses  services,  lorsqu'on 
organisa  le  22ème  bataillon  où  il  accepta  le 
grade  de  major.  En  Angleterre,  il  commanda 
pendant  quelque  temps  le  23ème  bataillon  de 
réserve  et  en  France,  après  avoir  servi  au  front 


174 


avec  son  bataillon,  le  22ème,  il  fut  nommé 
commandant  de  place,  position  qu'il  occupa 
jusqu'à  la  fin  de  la  guerre.  En  reconnaissance 
de  ses  services,  la  France  vient  de  lui  décerner, 
par  décret  en  date  du  16  mars  1919,  la  médaille 
de  la  reconnaissance  française.  Cette  médaille 
est  en  bronze  avec  bas  relief  et  est  attachée  à 
un  ruban  tricolore.  La  citation  suivante  accom- 
pagne la  médaille  :  "  Major  au  22ème  bataillon 
d'infanterie  canadienne,  il  n'a  cessé  de  se  rendre 
utile  à  la  population  civile  de  son  secteur,  en  lui 
apportant  une  aide  matérielle  considérable,  en 
même  temps  que  le  réconfort  le  plus  utile."  Ce 
parchemin,  daté  de  Paris,  est  signé  par  le  prési- 
dent de  la  commission  de  l'ordre  national  de  la 
Légion  d'honneur,  par  le  secrétaire  général  de 
l'ordre  et  par  le  ministre  des  affaires  étrangères, 
M.  Stephen  Pichon. 

"Le  lieutenant-colonel- de  Lanaudière  a  reçu 
du  général  Armstrong,  commandant  de  la 
division  de  Montréal,  des  félicitations  aux- 
quelles nous  joignons  les  nôtres." 


APPENDICE 


MADELEINE   DE    VERCHERES 


Dans  le  salon  de  Son  Excellence  Lady  Grey, 
à  Rideau  Hall,  le  visiteur  peut  voir,  reposant  à 
une  place  d'honneur,  le  bronze  très  beau  où 
l'artiste  Philippe  Hébert  a  arrêté  les  traits 
immortels  de  Madeleine  de  Verchères,  cette  jeune 
fille  de  quatorze  ans  qui,  dans  l'automne  de  1692, 
défendit  pendant  huit  jours  l'habitation  fortifiée 
de  sa  famille  contre  les  attaques  des  Iroquois. 
Cette  composition,  parfaite  de  forme  et  d'exécu- 
tion, est  une  des  plus  poétiques  et  des  plus  dra- 
matiques à  la  fois  que  notre  histoire  ait  inspirée 
jusqu'ici  à  l'art  statuaire  au  Canada. 

De  prime  abord,  il  semble  qu'il  n'y  ait 
qu'une  femme  qui  puisse  comprendre  toute  la 
poésie  chevaleresque,  toute  la  grâce  naïve  et  la 
noble  ardeur  qui  passent  en  souffle  ardent  à 
travers  l'histoire  de  Madeleine  de  Verchères.  Ce 
n'était  pas  tout  de  faire  une  jolie  fille  ;  de  glisser 
sous  la  rigidité  du  métal  la  souplesse  d'un  corps 
féminin.  Il  fallait  mettre  en  saillie  la  beauté  de 
l'âme,  la  grandeur  du  dévouement,  donner  à  la 
forme  encore  enfantine  des  traits,  l'expression 
d'énergie  qui  devait  les  animer.  Comment  couler 
dans  des  veines  de  bronze  un  alliage  d'innocence 
et  de  bravoure  capable  d'émouvoir  et  de  saisir  ? 


—  176  — 

L'artiste  a  vaincu,  non  sans  bonheur,  la  diffi- 
culté du  sujet.  On  peut  dire  qu'il  l'a  rendu  avec 
une  remarquable  énergie,  et  que  son  œuvre  est 
d'une  réalité  vraiment  saisissante.  Ce  n'est  ni 
une  virago,  ni  une  amazone,  encore  moins  m 
mousquetaire  en  jupon,  c'est  une  personnalité 
bien  féminine,  toute  vibrante,  frappée  d'une 
marque  spéciale,  que  l'artiste  offre  au  ravisse- 
ment de  nos  yeux. 

Toute  la  statue  est  d'un  beau  mouvement. 
Madeleine,  debout,  dans  une  attitude  pleine  de 
crânerie  énergique,  ne  manque  ni  de  noblesse, 
ni  de  grâce  chaste  et  sincère.  Le  profil  se  découpe 
de  la  façon  la  plus  heureuse.  On  dirait  que  la 
jeune  fille  s'apprête  à  s'élancer  sur  un  ennemi 
invisible.  La  tête  légèrement  renversée,  et  coiffée 
d'un  chapeau  de  soldat  d'où  s'échappe  la  cheve- 
lure qui  retombe  négligemment  en  tresses  à  la 
mode  du  temps  sur  l'épaule  droite,  est  vraiment 
héroïque.  Qu'est-ce  donc  qui  anime  ses  traits 
accentués  ?  Est-ce  le  défi,  la  crainte  ou  l'exalta- 
tion ?  Si  les  yeux,  aux  pupilles  dilatées,  paraissent 
chercher  au  loin  quelque  secours  inespéré,  et  si 
les  narines  sont  frémissantes,  en  revanche  c'est 
bien  le  défi  qui  court  au  bord  de  ces  lèvres 
entr'ouvertes  et  légèrement  dédaigneuses.  Et,  sur 
ce  front  énergique,  ce  qu'il  faut  voir,  c'est 
l'intrépidité  et  l'assurance  qui  vont  rendre  du 
cœur  aux  soldats  démoralisés  et  aux  femmes 
craintives  blotties  dans  le  fort.  Sans  doute  que 
l'émotion  se  trahit  sur  ce  visage.  Mais  si  l'héroïne 
semble  attristée,  effrayée  même,  on  sent  bien  que 
son  courage  la  soutiendra  jusqu'au  bout.  La 
façon  ferme  dont  ses  mains  tiennent  le  long  fusil 
de  chasse  en  arrêt  nous  dit  assez  qu'elle  est 
prête  à  l'attaque  comme  à  la  défense. 

Ce  que  nous  ne  saurions  trop  louer  encore, 
c'est  le  costume  si  simplement  drapé  de  Made- 
leine. Il  se  compose  d'un  corsage  lacé  sur  la 
poitrine  et  d'une  jupe  bien  tombante  qui  bouffe 


— 177  — 

légèrement  sur  la  jambe  gauche  comme  remuée 
par  une  brise  invisible.  Cette  robe  d'un  jet  si 
naturel  obéit  avec  grâce  au  mouvement  de  la 
jeune  fille  et  dessine  les  formes  souples  et  puis- 
santes de  son  corps  virginal. 

Prise  isolément,  la  statue  de  Hébert  est 
certes  une  belle  figure,  mais  rapprochée  de  l'his- 
toire, rend-elle  pleinement  le  caractère  de  Made- 
leine de  Verchères  ?  L'artiste  s'est-il  vraiment 
pénétré  des  sentiments  qui  animaient  l'héroïne 
et  les  a-t-il  résumés  dans  son  œuvre  ? 

Celui  qui  écrit  un  livre  peut  indiquer  au  bas 
de  la  page  les  sources  où  il  s'est  inspiré.  Il  n'en 
est  pas  de  même  du  statuaire.  Il  est  pourtant 
certain  que  l'œuvre  qu'il  a  ébauchée  n'a  pas  jailli 
tout  d'un  coup,  telle  Minerve  sortant  toute  armée 
du  cerveau  de  Jupiter.  Comment  suivre  la  marche 
de  sa  pensée  restée  invisible  ?  Relisons  les  vieilles 
chroniques  où  il  s'est  documenté  et  nous  verrons 
que  Hébert  a  vraiment  idéalisé,  non  seulement 
l'héroïne  auréolée  de  Verchères,  mais  l'époque 
tout  entière  où  elle  a  vécu. 

II 

Il  est  inutile  de  reconstituer  ici,  pour  des 
lecteurs  déjà  avertis,  la  scène  qui  a  rendu  la 
mémoire  de  Madeleine  de  Verchères  si  célèbre. 
Ce  récit,  venant  après  tant  d'autres,  servirait  tout 
au  plus  à  rectifier  quelques  dates  mal  arrêtées, 
ou  a  donner  quelques  détails  de  pure  érudition 
dont  l'intérêt  ne  serait  que  d'une  importance 
secondaire.  D'ailleurs,  nous  renvoyons  le  lecteur 
à  l'admirable  version  en  langue  anglaise  que 
Parkman  en  a  donné  dans  son  livre  "Count  Fron- 
tenac and  New  France  under  Louis  XIV"  (éd.  de 
1897,  vol.  II,  p.  75) .  C'est  cette  version  même  qui 
a  été  reproduite  dans  le  "  Fourth  Reader",  et 
que  tous  les  enfants  d'Ontario  savent  pour  l'avoir 
apprise  par  cœur  sur  les  bancs  de  l'école. 


178 


Dans  cette  étude,  nous  essaierons  simplement 
de  faire  comprendre  par  quels  degrés  cette  jeune 
fille,  encore  dans  toute  la  candeur  naïve  de 
l'innocence,  arriva  à  déployer  tant  de  vaillance  et 
de  courage,  et  nous  dirons  ensuite  la  femme  vraie 
qu'elle  fut  en  la  montrant  au  milieu  de  sa  famille 
et  dans  sa  vie  intime. 

François  Jarret,  sieur  de  Verchères,  de  bonne 
noblesse  dauphinoise  comme  les  Saint-Ours  et 
les  Contrecœur,  auxquels  il  était  allié,  vint  au 
Canada  en  1665  avec  les  troupes  du  régiment  de 
Carignan.  Enseigne  d'une  compagnie  il  fit  la 
campagne  contre  les  Iroquois,  sous  le  marquis 
de  Tracy,  puis  après  la  déroute  de  l'ennemi  s'en 
alla  cantonner  sur  l'île  d'Orléans,  près  de  Qué- 
bec. C'est  là  qu'il  rencontra  une  robuste  fille  de 
paysan  qu'il  épousa.  Son  régiment  licencié,  les 
officiers  reçurent  l'offre  que  César  avait  faite  à 
ses  légions  romaines,  de  se  partager  le  territoire 
conquis,  et  il  décida  de  rester  au  pays  et  d'y 
fonder  une  famille.  Le  Roi  lui  fit  découper  un 
beau  domaine  sur  la  rive  droite  du  fleuve  Saint- 
Laurent,  à  huit  lieues  en  aval  de  Montréal.  Ver- 
chères  y  bâtit  une  habitation  entourée  d'une 
palissade  de  pieux  et  flanquée  d'une  redoute 
armée  de  pierriers  comme  cela  se  pratiquait  alors 
dans  la  région,  et  il  y  vint  s'installer  en  1672, 
avec  sa  jeune  femme  et  quelques  compagnons 
d'armes,  anciens  soldats  de  sa  compagnie. 

C'est  là  que  naquit,  le  3  mars  1678,  Made- 
leine, l'héroïne  de  Verchères,  la  quatrième  d'une 
famille  de  douze  enfants. 

Le  marquis  de  Denonville,  gouverneur  de 
la  Nouvelle-France,  a  raconté  dans  un  mémoire 
resté  célèbre  (1686)  la  rude  vie  que  menaient 
alors  ces  gentilhommes  de  France  qui  avaient 
pris  des  terres  au  Canada.  Tous  supportaient 
noblement  leur  pauvreté.  Les  enfants  ne  s'épar- 
gnaient pas,  et  les  filles  elles-mêmes,  si  délicate- 
ment élevées  qu'elles  fussent,  coupaient  les  blés 


179 


et  tenaient  la  charrue.  Dès  ses  plus  jeunes  années, 
Madeleine  s'occupa  donc  aux  travaux  rustiques, 
et  elle  a  raconté  comment,  toute  petite  bergère, 
elle  menait  au  pâturage  les  bestiaux  de  son  père. 
Cette  vie  au  grand  air,  sur  les  grèves,  ou  dans  les 
champs  à  peine  ébauchés,  à  côté  de  la  forêt 
sombre  lui  plaisait.  Elle  aimait  aussi  la  pêche  et 
la  chasse.  L'historien  la  Potherie,  qui  l'a  connue 
alors  qu'elle  était  toute  jeune,  rapporte  qu'il  n'y 
avait  pas  de  "  Canadien  ni  d'officier  qui  tirât  un 
coup  de  fusil  plus  juste  que  cette  demoiselle." 

La  terre  seigneuriale  de  Ver  chères  était  alors 
aux  avant-postes,  en  pleine  ligne  de  feu  de  la 
zone  dangereuse  si  souvent  dévastée  par  les 
Iroquois.  Pas  un  coin  du  pays  n'a  plus  souffert 
des  incursions  de  ces  barbares  que  cette  cam- 
pagne charmante,  vrai  paysage  d'idylle,  qui 
s'épanouit  doucement  depuis  Sorel  jusqu'à  Mont- 
réal. Pas  une  heure  sans  alerte  :  embuscades  au 
coin  d'un  bois,  surprises  au  creux  d'un  ravin, 
attaques  nocturnes.  Pendant  que  les  laboureurs 
s'en  allaient  aux  champs,  le  fusil  en  bandoulière, 
les  sentinelles  veillaient  du  haut  des  bastions  du 
manoir  fortifié.  Mais,  on  avait  beau  faire  bonne 
garde,  le  sauvage  agile,  endurant,  capable  de 
passer  des  journées  entières  sans  manger  ni 
boire,  attendait  caché,  derrière  un  tronc  d'arbre, 
le  moment  de  surprendre  sa  proie.  Combien  de 
colons  tombèrent  ainsi  à  côté  du  sillon  qu'ils 
venaient  de  creuser  ?  Combien,  traînés  au  plus 
profond  des  bols,  périrent  dans  les  plus  atroces 
tortures  ? 

Jamais  on  ne  saura  le  nombre  ni  les  noms 
de  tous  les  malheureux  qui  furent  tués  ou  menés 
en  captivité  pendant  ces  années  terribles  des 
commencements.  Rien  que  dans  la  famille  de 
Verchères,  sur  laquelle  les  Iroquois  semblent 
s'être  acharnés  de  préférence,  on  compte  trois 
victimes,  de  1687  à  1691.  Ce  fut  d'abord  un  jeune 
officier  plein  d'avenir,  le  sieur  de  l'Etang,  lequel 


—  180  — 

avait  épousé  Marie-Jeanne,  la  fille  aînée  du  sei- 
gneur. Il  fut  tué  par  les  Iroquois,  un  an  après  son 
mariage,  laissant  une  femme  à  peine  âgée  de 
treize  ans.Celle-ci,suivant  la  coutume  de  l'époque, 
contracta  presque  aussitôt  mariage  avec  un  autre 
officier,  Antoine  Duverger  d'Aubusson.  Ce  der- 
nier fut  massacré  à  son  tour  en  169Î.  La  même 
année,  les  barbares  tuaient  le  fils  aîné  de  Ver- 
chères,  à  peine  âgé  de  seize  ans.  Trois  morts, 
deux  gendres  et  un  fils  bien-aimé,  disparus  en 
moins  de  quatre  ans,  voilà  qui  peut  compter  pour 
double  campagne.  Et  Frontenac  le  comprenait 
bien,  lorsqu'en  annonçant  ces  tristes  nouvelles 
au  ministre,  iî  proposait  que  le  malheureux  père 
fut  nommé  à  un  emploi  dans  les  troupes  de  la 
colonie,  quoiqu'il  fut  déjà  lieutenant  réformé  de 
Carignan.  C'est  au  milieu  de  ces  scènes  de 
terreur  et  de  désolation  que  s'épanouit  l'enfance 
de  Madeleine.  Quand  elle  avait  travaillé  et  peiné 
tout  le  jour,  et  qu'elle  rentrait  harassée  au  ma- 
noir, bien  souvent  c'était  pour  entendre,  le  sein 
palpitant  et  les  yeux  en  pleurs,  le  lamentable 
récit  de  la  disparition  subite  de  quelques-uns  de 
ses  parents,  ou  de  ses  voisins.  Parfois  encore, 
alors  que  les  bûches  embrasées  jetaient  une  lueur 
sombre  autour  du  foyer,  et  que  les  sentinelles 
montaient  la  garde  auprès  de  l'habitation,  le 
seigneur  de  Verchères  rassemblait  ses  enfants  et 
leur  apprenait  à  lire  et  à  écrire,  car  dans  ce 
temps  là,  l'éducation  se  donnait  à  la  maison. 
Quelles  leçons  de  choses  il  devait  leur  inculquer  ! 
Il  leur  disait  sans  doute  ses  expéditions  lointaines 
à  travers  les  forêts  à  la  poursuite  des  sauvages. 
Et,  alors,  défilaient  les  tueries  épouvantables,  les 
femmes  traînées  en  captivité,  les  enfants  torturés, 
les  villages  pris  d'assaut,  les  moissons  dévastées. 
Et,  pour  que  ces  jeunes  imaginations  ne  fussent 
point  hantées  par  de  vaines  terreurs,  il  racontait 
les    actions    courageuses    de    ses     compagnons 


—  181  — 

d'armes  ;  comment  ils  savaient  regarder  la  mort 
en  face  et  braver  l'ennemi.  Puis,  ouvrant  quelque 
vieux  livre  apporté  de  France,  il  disait  l'histoire 
de  Jeanne  d'Arc  et  celle  de  Jeanne  Hachette,  ces 
deux  grandes  âmes  de  femme  incarnant  la  vieille 
patrie  française.  La  lecture  finie,  le  vieil  officier 
soulevait  sur  sa  large  poitrine  ses  enfants,  tout 
émus  encore  des  récits  qu'ils  venaient  d'entendre, 
pour  leur  donner  le  baiser  du  soir,  et  ceux-ci 
sentaient  passer  dans  leur  être  le  souffle  vaillant 
qui  animait  leur  père.  Défendre  le  foyer  et  la 
famille,  vendre  chèrement  sa  vie,  tels  étaient  les 
sentiments  presque  exclusifs  qui  vibraient  dans 
ces  jeunes  âmes.  C'était  l'histoire  parlée  de  tous 
les  jours.  Et  ce  que  nous  recevons  ainsi  avec  le 
sang  et  le  lait,  c'est  la  chose  vibrante  et  la  vie 
même. 

"  La  nature  a  fait  aux  femmes,  a  dit  Lamar- 
tine, deux  dons  douloureux,  mais  célestes,  qui 
les  distinguent  et  les  élèvent  souvent  au-dessus 
de  la  condition  humaine  :  la  pitié  et  l'enthou- 
siasme ;  elles  s'exhaltent.  Exaltation  et  dévoue- 
ment, n'est-ce  pas  là  tout  l'héroïsme  ?  Elles  ont 
plus  de  cœur  et  d'imagination  que  l'homme.  C'est 
dans  l'imagination  qu'est  l'enthousiasme,  a'est 
dans  le  cœur  qu'est  le  dévouement.  Les  femmes 
sont  donc  plus  naturellement  héroïques  que  les 
hérps  et  quand  cet  héroïsme  doit  aller  jusqu'au 
merveilleux  c'est  d'une  femme  qu'il  faut 
l'attendre.  Les  hommes  s'arrêteraient  à  la  vertu. 
Quand  tout  est  désespéré  dans  une  cause  natio- 
nale il  ne  faut  pas  désespérer  encore  s'il  reste  un 
foyer  de  résistance  dans  un  cœur  de  femme ..." 

A  cet  état  d'âme  tout  particulier  à  la  femme, 
qu'analyse  si  délicatement  le  chantre  d'Elvire, 
ajoutons  l'entraînement  d'une  vie  passée  au 
milieu  des  bois,  grandie  dans  les  alarmes,  bercée 
au  récit  effrayant  des  calamités  sans  cesse 
renouvelées,    aiguillonnée    par    les    plus    beaux 


—  182  — 

exemples  de  courage  et  d'héroïsme.  Ceux  qu'é- 
tonnent et  surprennent  ces  grands  dévouements 
comprendront  alors,  comment  à  l'âge  où  les 
enfants  de  notre  époque  jouent  encore  à  la  balle 
ou  caressent  leurs  poupées,  une  Madeleine  de 
Verchères  a  pu  s'enfermer  dans  un  fort  mal 
défendu,organiser  la  résistance,tenir  les  Iroquois 
en  échec  pendant  huit  jours,  et  les  forcer  enfin 
à  la  retraite. 

En  parlant  de  l'enfant  et  de  la  formation 
qu'elle  reçut  n'allons  pas  oublier  la  mère,  cette 
paysanne  robuste  que  le  noble  de  Verchères  avait 
épousée.  En  1690,  les  Iroquois  ayant  su  que 
celle-ci  était  seule  à  l'habitation,  s'approchent  du 
fort,  sans  être  aperçus,  et  se  mettent  en  devoir 
d'escalader  la  palissade.  Madame  de  Verchères, 
avec  un  sangfroid  admirable,  décroche  un  fusil 
suspendu  au  mur  de  la  maison  et  les  couche  en 
joue.  Ceux-ci  reculent.  Mais  honteux  d'avoir  fui 
devant  une  femme,  ils  reviennent  a  la  charge. 
Nouvelle  tentative  de  franchir  la  muraille  et  nou- 
veaux coups  de  fusil.  Ceux-ci  sont  tirés  avec  tant 
de  précision  que  les  sauvages  désespèrent  de 
s'emparer  d'un  fort  qu'ils  croyaient  dégarni,  et 
ils  se  retirent.  "  Madame  de  Verchères  se  battit  de 
la  sorte  pendant  deux  jours,  raconte  le  vieil 
historien  Charlevoix,  avec  une  bravoure  et  une 
présence  d'esprit,  qui  auraient  fait  honneur  à  un 
vieux  guerrier." 

N'est-ce  pas  que  cette  défense  est  un  beau 
prélude  au  combat  homérique  que  Madeleine  de 
Verchères  allait  livrer  deux  ans  plus  tard  ? 


III 


C'est  une  chose  assez  curieuse  à  constater 
qu'une  action  aussi  belle  que  la  défense  du  fort 
de  Verchères,  qui  égale  en  vaillance  ce  que  l'on 
rapporte   des  anciens   preux,   ne   soit   pas   men- 


183 


tionnée  dans  les  correspondances  officielles  du 
temps,  échangées  entre  les  autorités  coloniales  et 
celles  de  la  métropole.  C'était  l'habitude  alors 
d'adresser  chaque  année  au  ministre  une  relation 
des  principaux  événements  et  faits  de  guerre. 
Or,  dans  les  lettres  de  Frontenac,  de  Champigny 
et  de  Gallières,  qui  furent  écrites  dans  l'automne 
de  1692,  quelques  jours  à  peine  après  cette 
remarquable  aventure,  il  n'y  est  pas  fait  la 
moindre  allusion.  Même  silence  en  1693.  C'est  à 
peine  si  Callières,  gouverneur  de  Montréal,  rap- 
porte en  passant  que  les  ennemis  ont  fait  des 
prisonniers  à  Verchères,  tué  quelques  personnes, 
emmené  les  bestiaux  dans  les  bois  et  levé  la  che- 
velure d'un  soldat  à  St-Ours.  Et,  encore,  il  dit 
que  cette  nouvelle  lui  est  venue  par  un  canot  qui 
retournait  de  Chambly.  Pas  un  mot  de  la  fière 
résistance  de  Madeleine  de  Verchères. 

Qu'est-ce  à  dire  ? 

La  légende  et  la  tradition  auraient-elles 
grandi  hors  de  toute  proportion  un  fait  qui  à 
l'époque  put  paraître  bien  ordinaire  ?  Il  ne  faut 
pas  oublier  que  plus  d'une  femme  de  colon  joua 
alors  obscurément  le  même  rôle  que  l'héroïne  de 
Verchères.  Nos  vieilles  chroniques  sont  remplies 
de  ces  tragiques  épisodes.  Combien  tombèrent  en 
défendant  leurs  foyers  ou  en  voulant  arracher 
leur  mari  ou  leurs  enfants  à  la  mort  et  qui 
dorment  dans  l'oubli  éternel  ?  L'héroïne  de 
Verchères  eut  donc  des  prédécesseurs,  comme 
elle  de  son  vivant  et  après  sa  mort  des  émules. 

Certes,  en  relevant  sommairement  ces  faits 
historiques,  nous  n'avons  nullement  le  désir 
insensé  de  diminuer  la  gloire  réelle  de  Madeleine, 
nous  voulons  seulement  montrer  qu'elle  ne  fut 
pas  hors  de  toute  analogie,  de  toute  tradition  et 
de  tout  antécédent. 

Ceci  expliquerait  jusqu'à  un  certain  point  le 
silence  des  autorités  à  son  égard.  Ce  serait  faire 
injure  à  la  mémoire  de  Frontenac  que  de  penser 


—  184  — 

un  instant  qu'il  ait  pu  négliger  de  porter  à  l'ordre 
du  jour  une  action  de  cette  valeur.  Le  grand  gou- 
verneur s'y  connaissait  trop  en  individualités 
vraiment  nationales  pour  n'avoir  pas  compris 
toute  la  beauté  du  geste  chevaleresque  de  Made- 
leine de  Verchères.  Nous  préférons  donc  croire 
qu'il  l'ignorait  absolument  lorsqu'il  écrivait  à  la 
cour  le  11  novembre  1692,  soit  près  de  vingt 
jours  après  l'événement,  et  que  ce  ne  fut  que 
l'année  suivante  qu'il  l'apprit,  lors  d'un  voyage 
qu'il  fit  à  Montréal.  C'est  pour  cela  sans  doute 
qu'il  voulut  alors  porter  sur  les  fonts  baptismaux 
et  donner  son  nom  au  dixième  enfant  du  sei- 
gneur de  Verchères.  Cet  hommage  tardif  rendu 
à  une  famille  si  vaillante  et  qui  avait  donné  le 
meilleur  de  son  sang  au  roi  n'aurait  pas  suffi 
cependant,  et  l'un  des  plus  émouvants  épisodes 
de  nos  temps  de  chevalerie  ne  serait  pas  parvenu 
jusqu'à  nous,  si  un  officier  de  l'administration, 
Bacqueville  de  la  Potherie,  contrôleur  de  la 
marine,  ne  se  fut  chargé  de  le  faire  connaître. 
C'est  grâce  à  lui  que  Madeleine  de  Verchères  n'est 
pas  rentrée  dans  l'obscurité  et  qu'elle  traverse 
notre  histoire  à  l'égale  d'une  héroïne  de  l'anti- 
quité. 

Créole  de  la  Guadeloupe  égaré  au  milieu  des 
neiges  du  Canada,  de  la  Potherie  s'était  pris 
d'amitié  pour  les  colons  de  son  pays  d'adoption. 
Il  y  servait  depuis  quelques  années  déjà  quand 
il  épousa  en  1700  une  demoiselle  de  Saint-Ours, 
fille  du  seigneur  de  ce  nom,  dont  la  terre  se 
trouvait  tout  près  de  celle  des  Verchères,  sur  les 
bords  enchanteurs  de  la  rivière  Richelieu.  Made- 
leine était  la  filleule  de  la  belle-mère  de  la  Pothe- 
rie et  sans  doute  que  ce  dernier  la  rencontra 
souvent  dans  les  visites  fréquentes  qu'il  faisait 
au  manoir  de  Saint-Ours.  Il  entendit  raconter  son 
histoire  et  en  fut  émerveillé.  Et  comme  la  famille 
de  Verchères  se  trouvait  alors  dans  de  pénibles 


— 185  — 

circonstances,  le  père  chargé  d'enfants,  déjà  très 
vieux,  et  sans  aucune  fortune,  le  jeune  officier 
de  marine  qui  était  apparenté  à  la  femme  du 
ministre  Pontchartrain  crut  qu'en  s'adressant  à 
cette  dernière  il  pourrait  en  obtenir  quelque 
secours  pour  une  famille  honorable  et  si  digne 
de  sympathie.  Pour  nous  servir  de  ses  propres 
expressions  :  "  Cette  action  d'une  fille  qui  n'avait 
que  quatorze  ans  lui  paraissait  trop  belle  et  trop 
'extraordinaire  pour  ne  pas  espérer  qu'elle  pour- 
rait lui  mériter  quelque  grâce  du  roi."  Il  écrivit 
donc  une  lettre  où  il  raconta  ce  trait  de  valeur 
d'une  Canadienne  de  naissance  dont  les  actions 
.sont  d'une  véritable  amazone."  Puis,  il  conseilla 
à  Mademoiselle  de  Verchères  d'écrire  elle-même 
à  la  comtesse.  On  était  alors  au  mois  d'octobre 
1699.  Il  y  avait  déjà  sept  ans  par  conséquent  que 
l'événement  était  passé.  Cette  pauvre  fille  d'un 
seigneur  du  Canada,  parfaitement  inconnue  à  la 
cour  et  sans  protection  aucune  avait  bien  peu  de 
chance  d'être  entendue,  quelqu'éloquente  que  put 
être  sa  voix.  Comment  ensuite  raconter  des  faits 
qui  la  touchaient  de  si  près  ? 

N'était-ce  pas  comme  si  elle  eut  voulu  faire 
commerce  d'une  action  honorable  afin  d'attirer 
sur  elle  et  les  siens  un  peu  de  pitié  ?  Mais 
l'amour  filial  de  Madeleine  fit  taire  toutes  ses 
répugnances,  et  elle  écrivit  la  lettre  que  l'on  va 
lire  et  dont  l'original  est  conservé  à  Paris,  dans 
la  collection  Moreau  Saint-Méry  : — 

"  Nos  Canadiens  ne  reçoivent  du  bien  que 
sous  les  auspices  de  Mgr  le  comte  de  Maurepas, 
qu'ils  regardent  comme  leur  protecteur.  Les 
cruelles  guerres  que  nous  avons  eues  jusqu'à 
présent  contre  les  ïroquois,  ont  donné  lieu  à 
plusieurs  de  ma  patrie  de  donner  des  preuves  du 
zèle  ardent  qu'ils  ont  pour  le  service  du  prince. 
Quoique  mon  sexe  ne  me  permette  pas  d'avoir 
d'autres  inclinations  que  celles  qu'il  exige  de  moi, 


186 


cependant  permettez-moi,  madame,  de  vous  dire 
que  j'ai  des  sentiments  qui  me  portent  à  la  gloire 
comme  bien  des  hommes. 

"  Le  hasard  a  fait  que  me  trouvant  à  l'âge 
de  quatorze  ans  environ,  à  quatre  cents  pas  du 
Fort  de  Verchères,  qui  est  à  mon  père,  à  huit 
lieues  de  Montréal,  dans  lequel  il  n'y  avait  qu'un 
soldat  de  faction,  les  Iroquois  qui  étaient  cachés 
aux  environs  dans  les  buissons,  firent  tout  à  coup 
une  irruption  sur  tous  nos  habitants  dont  ils 
enlevèrent  une  vingtaine.  Je  fus  poursuivie  par 
un  Iroquois  jusqu'aux  portes,  mais,  comme  je 
conservai  dans  ce  fatal  moment  le  peu  d'assu- 
rance dont  une  fille  est  capable  et  peut  être 
armée,  je  lui  laissai  entre  les  mains  mon  mou- 
choir de  col  et  je  fermai  la  porte  sur  moi  en 
criant  aux  armes  et  sans  m'arrêter  aux  gémisse- 
ments de  plusieurs  femmes  désolées  de  voir  en- 
lever leurs  maris,  je  montai  sur  le  bastion  où 
était  la  sentinelle.  Vous  dirais-je,  madame,  que 
je  me  métamorphosai  pour  lors  en  mettant  le 
chapeau  du  soldat  sur  ma  tête  et  que  faisant 
plusieurs  petits  mouvements  pour  donner  à  con- 
naître qu'il  y  avait  beaucoup  de  monde,  quoiqu'il 
n'y  eut  que  ce  soldat,  je  chargeai  moi-même  un 
canon  de  quatre  livres  de  balles  que  je  tirai  sur 
eux.  Ce  coup  si  précipité  eut  heureusement  tout 
le  succès  que  je  pouvais  attendre  pour  avertir 
les  forts  voisins  de  se  tenir  sur  leurs  gardes, 
crainte  que  les  Iroquois  ne  fissent  les  mêmes 
coups. 

"  Je  sais,  madame,  qu'il  y  a  eu  en  France  des 
personnes  de  mon  sexe  dans  cette  dernière 
guerre  qui  se  sont  mises  à  la  tête  de  leurs 
paysans  pour  s'opposer  à  l'invasion  des  ennemis 
qui  entraient  dans  leur  province.  Les  Canadiens 
n'auraient  pas  moins  de  passion  de  faire  éclater 
leur  zèle  pour  la  gloire  du  roi,  si  elles  en  trou- 
vaient l'occasion. 


—  187  — 

"  Il  y  a  cinquante-cinq  ans  que  mon  père  est 
actuellement  au  service  ;  sa  destinée  n'est  pas 
heureuse,  la  nôtre  l'est  encore  moins.  Nous 
regardons  Mgr  de  Maurepas  comme  le  soutien 
du  Canada.  Pour  nous,  madame,  honorez-nous, 
nous  autres  filles,  de  vos  bontés.  Qu'il  piaise  à 
votre  générosité  de  me  faire  avoir  une  petite 
pension  de  cinquante  écus,  comme  à  plusieurs 
femmes  d'officiers  du  pays  qui  en  ont.  Si  je  ne 
puis  espérer  cette  grâce,  que  le  bien  que  vous 
voudriez  me  faire  rejaillisse  du  moins  sur  un  de 
mes  frères  qui  est  cadet  dans  nos  troupes.  Faites 
lui  donner,  s'il  vous  plaît,  une  enseigne.  Il  sait  le 
service,  il  s'est  trouvé  dans  plusieurs  expéditions 
contre  les  Iroquois.  J'en  ai  même  eu  un  de  brûlé 
par  eux.  Nous  serons  obligés  de  continuer  nos 
prières  à  Dieu  pour  votre  prospérité  et  celle  de 
Mgr  de  Maurepas. 

"  Je  suis  avec  un  très  profond  respect,  votre 
très  humble,  très  obéissante  et  très  respectueuse 
servante, 

MARIE    MADELEINE    DE    VERCHERES." 

N'est-ce  pas  que  cette  lettre  de  Madeleine  de 
Verchères  est  admirable  de  forme  et  de  ton  ?  Et 
comme  nous  devons  être  heureux  maintenant  de 
ce  silence  inexplicable  des  fonctionnaires  dont 
nous  nous  plaignions  tout  à  l'heure.  Sans  cette 
lettre,  en  effet,  nous  n'aurions  pas  comme  une 
percée  lumineuse  sur  la  vie  et  le  caractère  de 
cette  fille  vraiment  héroïque.  Voyez  comme  elle 
s'efface  tout  d'abord  pour  mettre  au  premier  pian 
les  preuves  du  zèle  ardent  que  ses  compatriotes 
ont  toujours  eu  pour  le  prince.  C'est  son  entrée 
en  matière.  Puis,  elle  s'excuse  en  quelque  sorte, 
elle  toute  jeune  fille,  de  ce  qu'elle  ait  été  obligée 
de  sortir  de  la  réserve  qui  appartient  à  son  sexe 
pour  prendre  les  armes  comme  tous  ces  vaillants. 
Mais,  que  voulez-vous,  elle  aussi,  elle  a  des  senti- 


—  188  — 

ments  qui  la  portent  à  la  gloire  comme  bien  des 
hommes. 

Gomment  aurait-elle  pu  s'empêcher  de  suivre 
les  si  beaux  exemples  qu'elle  avait  sous  les  yeux? 
Et  puis,  elle  connaît  son  histoire.  N'y  a-t-il  pas 
eu  en  France  des  femmes  héroïques  qui  se  sont 
mises  à  la  tête  des  paysans  pour  s'opposer  à 
l'invasion  ?  Pourquoi  les  Canadiennes  n'en  fe- 
raient-elles pas  autant.  Et  quand  elle  s'est  ainsi 
justifiée,  elle  raconte  tout  simplement  son  aven- 
ture comme  ia  chose  la  plus  naturelle  du  monde, 
et  sans  se  mettre  en  scène  plus  que  de  raison. 

La  narration  proprement  dite  couvre  à  peine 
la  moitié  de  la  lettre.  La  jeune  fille  a  hâte  d'en 
venir  au  dénouement,  car  la  pensée  qui  l'anime, 
ce  n'est  pas  tant  son  action  glorieuse  que  la  pau- 
vreté des  siens,  cette  pauvreté  navrante  qui  la 
force  malgré  elle  à  se  jeter  de  l'avant  et  à  écrire 
des  choses  qu'elle  aurait  voulu  cacher  sans  doute. 
Elle  parle  donc  des  cinquante-cinq  années  de 
service  militaire  de  son  vieux  père.  Sa  destinée 
n'est  pas  heureuse,  celle  de  sa  famille  l'est 
encore  moins.  Et  voilà  le  drame  poignant  de 
l'angoisse  domestique  qui  se  détache  du  tableau, 
car  c'est  sur  lui  qu'il  faut  concentrer  toute  ia 
lumière.  Remarquez  dans  ce  dernier  paragraphe 
de  la  lettre  comme  les  phrases  sont  courtes  et 
vont  juste  au  point.  On  dirait  des  inscriptions  en 
style  lapidaire.  Enfin,  le  dernier  trait  est  lancé. 
Elle  demande  une  petite  pension  de  cinquante 
écus,  mais  ce  qui  peut  sembler  terre  à  terre  là 
dedans  est  relevé  tout  de  suite  par  une  phrase 
incidente  qui  rappelle  à  la  comtesse  que  c'est 
ainsi  que  l'on  agit  au  Canada  pour  les  femmes 
d'officiers.  Et  pourquoi  demande-t-elle  cette  pen- 
sion pour  elle  ?  Elle  le  cache  discrètement.  Mais 
nous  le  savons  bien.  C'est  que  sa  mère  n'est  pas 
de  sang  noble  et  que  si  son  père  meurt  elle  n'aura 
point  la  pitance  que  l'on  donne  d'ordinaire  aux 


—  189  — 

veuves  d'officiers.  Et  puis,  si  on  ne  la  juge  pas 
digne,  elle,  pauvre  fille,  de  cette  pension,  qu'on 
fasse  au  moins  rejaillir  les  grâces  du  roi  sur  son 
frère,  le  cadet  dans  les  troupes.  Il  est  bien  digne 
celui-ci  d'un  brevet  d'enseigne.  Voyez  comment 
il  sert  depuis  longtemps  déjà  dans  l'armée.  Il  a 
déjà  fait  plusieurs  campagnes  contre  les  Iroquois. 
Et  de  peur  que  madame  de  Ponchartrain  ne  sache 
pas  tout  ce  qu'il  y  a  de  danger  pour  le  frère  cadet 
dans  ces  sortes  d'expéditions,  elle  ajoute  une 
toute  petite  phrase,  isolée,  en  plein  relief,  et  qui 
va  le  peindre  :  "  J'en  ai  même  eu  un  de  brûlé  par 
eux."  On  se  souvient  sans  doute  de  ce  frère 
qu'elle  perdit  alors  qu'il  n'avait  pas  seize  ans,  et 
dont  la  mort  broya  de  noir  la  vie  de  cette  famille 
déjà  si  désolée.  C'est  à  lui  qu'elle  fait  allusion 
dans  cette  supplique  suprême,  comme  si  elle  vou- 
lait appeler  à  son  aide  jusqu'au  souvenir  des 
morts  gloriux  de  sa  famille  tombés  au  service 
du  roi. 

IV 

Comment  la  lettre  de  Madeleine  fût-elle 
accueillie  à  la  cour  ? 

Aux  temps  de  la  chevalerie,  quand  Jeanne 
Hachette  défendit  avec  les  femmes  du  peuple  la 
ville  de  Beauvais  assiégée  par  les  Bourguignons, 
le  roi  Louis  XI  la  dota  généreusement  et  voulut 
que  son  mari  fut  exemptée  des  tailles.  Il  ordonna 
encore  que  les  femmes  de  Beauvais  prendraient 
le  pas  sur  les  hommes  dans  les  processions 
publiques  et  qu'elles  eussent  le  privilège  de 
porter  les  vêtements  qui  jusque  là  avaient  été 
réservés  aux  familles  nobles. 

Mais  les  temps  de  chevalerie  sont  passés  et 
la  figure  de  la  jeune  fille  du  seigneur  de  Verchères 
se  perd,  effacée  dans  l'ombre  des  grands  bois 
canadiens  si  loins  de  l'autre  côté  de  l'océan. 


—  190  — 

La  Potherie,  dans  un  ouvrage  qu'il  écrivit 
longtemps  après,  dit  qu'il  ne  veut  pas  entrer  dans 
un  détail  de  toutes  les  circonstances  qu'il  fallut 
donner  encore  à  la  cour  pour  confirmer  une 
chose  que  l'on  avait  cachée  jusqu'alors,  (t.  IV, 
p.  324). 

Ce  que  l'historien  n'a  pas  voulu  écrire,  nous 
le  savons  par  la  correspondance  qui  fut  échangée 
à  ce  propos  entre  le  ministre  et  les  autorités  de  la 
colonie  et  que  l'on  conserve  aux  archives  de 
France.  Voici  d'abord  la  lettre  que  Ponchartrain 
adressait  à  l'intendant  Champigny,  le  5  mai  1700: 

"  Vous  trouverez  ci-joint,  un  placet  d'une 
fille  de  Canada,  qui  demande  une  pension  ou  une 
place  d'enseigne  de  compagnie  pour  l'un  de  ses 
frères  ;  faites-moi  savoir  qui  elle  est,  et  si  ce 
qu'elle  expose  est  véritable." 

Nous  n'avons  pas  besoin  d'insister  sur 
l'humeur  cavalière  de  cette  note.  Elle  n'a  pas  lieu 
de  surprendre  ceux  qui  ont  été  à  même  d'étudier 
le  régime  français  aux  sources  manuscrites.  Elle 
est  bien  dans  le  ton  et  dans  le  goût  de  l'époque. 
De  quoi  se  mêle-t-elle  cette  fille  de  Canada, 
d'avoir  de  la  bravoure  et  du  courage  ?  Il  faut 
d'abord  savoir  qui  elle  est,  ensuite  l'on  avisera. 

Cette  lettre  écrite  au  printemps  de  1700 
arriva  à  Québec  par  les  premiers  vaisseaux.  Elle 
eut  jeté  sans  doute  le  découragement  dans  l'âme 
du  vieil  officier  qui  avait  servi  fidèlement  son 
pays  pendant  plus  d'un  demi  siècle.  Mais,  il  ne 
la  vit  pas.  La  mort  était  venue  le  chercher,  le  26 
février  précédent,  dans  son  manoir  de  Verchères, 
angoissé  sans  doute  à  la  perspective  de  la  vie  de 
misère  qui  se  préparait  pour  la  famille  qu'il 
laissait  derrière  lui,  mais  espérant  toujours  que 
le  roi  viendrait  à  son  secours. 

Au  mois  d'octobre,  l'intendant  Champigny 
répondait  au  ministre  : — 


—  191  — 

"  Ce  que  la  fille  du  Sr  de  Verchères  expose 
dans  la  lettre  qu'elle  s'est  donné  l'honneur 
d'écrire  à  Madame  la  comtesse  de  Pontchartrain, 
est  véritable,  l'action  qu'elle  a  faite,  plus  de  60 
ans  de  service  de  son  père  qui  était  gentilhomme 
et  la  disgrâce  que  sa  famille  vient  d'éprouver  par 
sa  mort,  perdant  les  appointements  de  lieutenant 
réformé  et  une  gratification  de  150  livres  que  le 
roi  avait  la  bonté  d'accorder  au  père  comme 
officier  du  régiment  de  Garignan,  qui  servaient  à 
leur  donner  du  pain  sont  des  motifs  assez  grands 
pour  engager  la  charité  de  Sa  Majesté  à  accorder 
à  la  veuve  qui  se  trouve  avec  cinq  enfants  sans 
bien,  la  continuation  de  la  gratification,  et  à  la 
iilie  qui  est  bien  raisonnable,  une  pension  pour 
aider  à  tirer  cette  pauvre  famille  de  la  plus 
profonde   misère." 

Le  Roi  n'accorda  pas  tout  ce  que  l'intendant 
demandait,  mais  il  lui  fit  savoir,  au  mois  de  mai 
1701,  que  la  pension  du  lieutenant  de  Verchères 
serait  versée  à  l'avenir  sur  la  tête  de  sa  fille,  à  la 
condition  qu'elle  en  ferait  profiter  sa  mère.  La 
Potherie,  toujours  bien  au  courant,  nous  rapporte 
de  son  côté  que  ce  fut  la  comtesse  de  Pontchar- 
train qui  prit  les  intérêts  de  Madeleine  avec  tant 
de  générosité  qu'elle  lui  procura  cette  pension 
pour  toute  sa  vie.  Nous  aimons  à  laisser  tout  le 
mérite  de  cette  bonne  action  à  cette  grande  dame. 

Quant  au  frère,  cadet  dans  les  troupes, 
auquel  Madeleine  s'intéressait  si  fort,  et  que 
Charlevoix  nous  dépeint  comme  un  jeune  officier 
de  grande  espérance,  il  n'eut  pas  son  brevet 
d'enseigne,  mais  il  alla  tout  de  même  se  faire 
tuer  au  service  du  roi  en  1708  sous  les  murs  de 
Haverhill.  C'est  ainsi  que  cette  famille  payait  sa 
dette  de  reconnaissance. 


—  192 


Marie  Perrot,  la  veuve  de  M.  de  Verchères, 
put  jouir  jusqu'à  sa  mort  de  la  pension  du  roi 
que  sa  fille  lui  servit  fidèlement.  Elle  ferma  les 
yeux  en  son  manoir  seigneurial,  le  30  septembre 
Î728,  à  l'âge  de  72  ans. 

Depuis  longtemps  déjà,  Madeleine  n'habitait 
plus  la  vieille  maison  ancestrale  illustrée  par  sa 
valeur.  Elle  avait  épousé,  le  8  septembre  1706, 
ie  seigneur  de  la  Pérade,  Pierre-Thomas  Tarieu 
de  Lanaudière.  On  a  raconté  que  ce  mariage  fut 
le  dénouement  d'une  aventure  tragique  où  elle 
avait  sauvé  la  vie  de  ce  jeune  officier  des  mains 
îles  sauvages.  Mais  pourquoi  prêter  aux  riches  ? 
Cette  légende  ne  s'appuie  sur  rien.  Madeleine 
n'était  pas  une  femme  à  coup  de  tête  ;  elle  attendit 
que  l'heure  sonna  où  elle  rencontrerait  un  com- 
pagnon digne  de  son  grand  cœur.  Tout  nous 
prouve  qu'elle  contracta  un  mariage  de  raison 
comme  il  convenait  à  une  fille  de  vingt-huit  ans. 
M.  de  la  Pérade  la  dota  de  plusieurs  mille  livres 
et  lui  assura  l'usufruit  sa  vie  durant  de  ses  terres 
seigneuriales  qui  comprenaient  une  étendue  de 
trente-cinq  lieues  de  pays.  Madeleine  déclara  au 
contrat  qu'elle  possédait  en  propre  cinq  cents 
livres,  "  amassés  par  ses  épargnes  et  soins."  Ceci 
nous  prouve  qu'elle  était  une  fille  sage  et  éco- 
nome, et  que  l'intendant  Champigny  l'avait  bien 
jugée. 

Mademoiselle  de  Verchères  s'en  fut  tout 
bonnement  mener  la  vie  de  châtelaine  sur  les 
propriétés  de  son  mari,  situées  à  quelques  lieues 
de  Trois-Rivières.  Peut-être  que  l'on  n'aurait  plus 
jamais  entendu  parler  d'elle,  si,  en  1722,  Bacque- 
ville  de  la  Potherie  ne  se  fut  avisé  de  publier  son 
Histoire  de  l'Amérique  Septentrionale  qu'il  te- 
nait en  portefeuille  depuis  son  retour  du  Canada 
à  cause  de  la  guerre  toujours  à  la  veille  d'éclater 


—  193  — 

entre  la  France  et  l'Angleterre.  Au  bout  d'un 
quart  de  siècle  écoulé,  le  jeune  officier  de  marine 
de  1699  gardait  encore  dans  un  coin  de  son  cœur 
le  souvenir  ensoleillé  de  l'accorte  Jeune  fille  qu'il 
avait  rencontrée  autrefois  au  manoir  de  Saint- 
Ours.  Et,  à  deux  reprises  différentes,  il  raconte 
dans  son  ouvrage  le  beau  fait  d'armes  de  1692. 
Le  nom  de  l'héroïne  mis  de  nouveau  en  vedette 
par  la  publication  de  ce  livre  vola  de  bouche  en 
bouche. 

Madeleine  eut  encore  l'occasion  de  montrer 
son  courage  à  quelque  temps  de  là,  lorsque  d'un 
coup  de  casse-tête  elle  brisa  les  reins  à  un  sau- 
vage abénakis  qui  était  venu  chercher  querelle  à 
son  mari,  au  manoir  de  la  Pérade,  et  mit  en  fuite 
trois  sauvagesses  accourues  à  la  rescousse  de 
leur  camarade.  M.  de  Vaudreuil,  qui  était  alors 
gouverneur  de  la  colonie,  prit  la  peine  de  la  venir 
féliciter  sur  les  lieux  mêmes,  témoins  de  ce 
nouvel  exploit. 

Lorsque  le  marquis  de  Beauharnois  vint 
remplacer  M.  de  Vaudreuil  en  1726,  il  voulut 
connaître  à  son  tour  cette  femme  dont  on  racon- 
tait tant  de  merveilles,  et  il  lui  demanda  de  rédi- 
ger par  écrit  un  mémoire  de  ses  aventures.  C'est 
à  cette  démarche  que  nous  devons  la  deuxième 
relation  du  siège  de  Verchères  dont  l'original  est 
conservé  aux  archives  de  Paris,  dans  la  collection 
Moreau  Saint-Méry.  Cette  nouvelle  version  était 
connue  depuis  longtemps  de  quelques-uns  de  nos 
érudits  qui  en  possédaient  des  copies  manus- 
crites, mais  ce  n'est  qu'en  1904  que  le  texte  en 
langue  française  en  a  été  publié  en  entier  par  M. 
Richard,  dans  le  rapport  du  bureau  des  archives 
du  Canada.  Nous  nous  contenterons  de  le  com- 
menter sommairement. 

Dans  la  lettre  de  1699,  Madeleine,  jeune  fille 
que  la  crainte  de  la  misère  talonne,  vise  à  la  con- 
cision afin  d'être  sûre  d'être  lue.  Elle  sait  que  les 


194 


grands  sont  si  occupés  qu'ils  vont  tout  droit  à  la 
signature  et  laissent  faire  le  reste  à  leurs  secré- 
taires. 

Cette  fois,elle  a  quarante -huit  ans,  déjà  l'âge 
des  bonnes  et  longues  causeries  au  coin  de  la 
table,  .et  elle  s'adresse  à  un  gentilhomme  aimable 
qui  ne  demande  pas  mieux  que  de  l'écouter. 
Elle  se  met  donc  en  frais  de  détails.  Elle  précise 
les  dates,  elle  donne  des  noms,  elle  multiplie  les 
incidents,  elle  rectifie  sans  avoir  l'air  d'y  toucher 
quelques  futiles  erreurs  qui  se  sont  glissées  dans 
le  livre  de  la  Potherie.  Le  récit  dramatique, 
vivant,  enlevé,  coule  vraiment  de  source  à  travers 
des  phrases  toujours  alertes,  assaisonnées  parfois 
d'une  petite  pointe  de  gaieté  gauloise,  comme, 
par  exemple,  lorsqu'elle  assure  que  les  femmes 
parisiennes  sont  naturellement  peureuses.  Le 
recul  des  années  par  un  phénomène  bien  connu 
de  la  mémoire,  donne  à  la  châtelaine  une  vision 
si  nette  de  ces  événements,  passés  il  y  a  tantôt 
trente-cinq  ans,  qu'elle  marque  même  l'heure 
exacte  où  les  Iroquois  se  précipitèrent  sur  elle. 
Elle  dit  la  neige  et  la  grêle  qu'il  faisait  par  ces 
jours  sombres  d'automne,  elle  nous  montre  les 
bestiaux  qui  reviennent  du  pâturage  et  trouvent 
la  porte  du  fort  fermée,  et  le  linge  de  la  famille 
en  train  de  sécher  dans  la  prairie  et  dont  les 
sauvages  vont  s'emparer  si  elle  n'y  prend  garde. 
N'est-ce  pas  que  ces  derniers  traits  sont  comme 
autant  de  coups  de  crayon  qui  nous  font  passer 
sous  les  yeux  la  campagne  qui  environne  le  fort 
de  Verchères.  Et,  après  que  sa  mémoire  a  battu 
le  rappel  de  tous  ces  petits  incidents,  Madeleine 
fait  le  récit  de  la  délivrance. 

Il  y  a  huit  jours  que  le  fort  est  assiégé.  Elle 
s'est  assoupie,  la  tête  sur  une  table,  son  fusil  de 
travers  dans  ses  bras.  Tous  à  coup  la  sentinelle 
crie  que  Ton  entend  parler  sur  l'eau.  Du  haut  du 
bastion,  elle  demande  :  Qui  êtes-vous  ?  On  lui 
répond  :  "  Français  ?  C'est  la  Monnerie  qui  vient 


— 195  — 

vous  donner  du  secours.  Elle  fait  ouvrir  îa  porte 
du  fort,  y  piace  une  sentinelle  et  s'en  va  au  bord 
de  l'eau  pour  recevoir  ses  sauveteurs.  Et  voici  le 
dialogue  qui  s'engage  entre  la  jeune  fille  et 
l'officier.  "  Monsieur,  soyez  le  bienvenu,  je  vous 
rends  les  armes." 

"  Mademoiselle,  répond  l'officier  d'un  air 
galant,  elles  sont  en  bonnes  mains." 

"  Meilleures  que  vous  ne  croyez  ",  lui  ré- 
plique-t-eile. 

Voilà  bien  comment  devait  alors  parler  une 
jeune  fille  chevaleresque  et  un  jeune  officier, 
galant  homme  du  monde. 

Mais,  nous  dira-t-on,  où  donc  cette  jeune 
fille  élevée  à  la  campagne  et  qui  a  toujours  vécu 
retirée  loin  du  monde,  a-t-elle  pu  apprendre  l'art 
de  narrer  et  d'écrire  d'une  façon  si  dramatique 
et  si  élégante  à  la  fois  ?  A  cela  nous  répondrons 
avec  Paul  Louis  Courrier  que  la  moindre  femme- 
lette de  ce  temps-là  causait  et  écrivait  mieux  que 
les  académiciens  de  nos  jours.  Et  que  l'on  n'aille 
pas  croire  que  Madeleine,  grisée  de  la  démarche 
du  gouverneur  auprès  d'elle,  de  la  publicité  faite 
autour  de  son  nom,  ait  voulu  poser  devant  la 
postérité  en  refaisant  après  coup  une  narration 
plus  ornée.  Elle  n'a  jamais  parlé  de  cette  grande 
action  de  sa  vie  que  lorsqu'on  lui  a  demandé,  et 
quand  elle  l'a  fait,  elle  y  a  toujours  mis  un  si 
grand  accent  de  sincérité  qu'on  ne  saurait  soup- 
çonner pour  un  instant  chez  elle,  calcul,  habilité 
ou  mensonge.  Cette  femme  a  mené  une  vie  trop 
pure  et  trop  noble,  et  elle  exprime,  chaque  fois 
qu'elle  écrit,  de  trop  beaux  sentiments  pour 
qu'on  puisse  avoir  l'ombre  d'un  doute  sur  l'exac- 
titude des  faits  qu'elle  raconte.  La  Potherie, 
l'intendant  Champigny,  l'ingénieur  Catalogne, 
dans  un  mémoire  de  1715,  Charlevoix,  dans  son 
journal  de  voyage  en  1721,  sont  autant  de  té- 
moins contemporains  qui  viennent  attester  en  sa 


—  196  — 

faveur.  Et  de  nos  jours,  l'écrivain  Parkman,  qui 
unissait  au  flair  le  plus  sagace  de  l'érudit,  le  sens 
parfait  de  l'histoire,  a  accepté  sans  en  presque 
changer  une  ligne  le  récit  de  l'héroïne. 

Madeleine  mentionne  dans  son  récit  des 
faits  et  des  noms.  Elle  dit  son  âge,  elle  parle  de 
l'absence  de  son  père  à  Québec,  elle  se  moque  de 
Marguerite  Antiome,  la  parisienne,  qui  était  la 
femme  du  sieur  Fontaine.  Nous  avons  voulu,  un 
peu  pour  édairer  notre  religion,  un  peu  aussi 
comme  un  exercice  et  comme  un  divertissement 
de  l'esprit,  contrôler  quelques-uns  de  ses  dires. 
Et  quel  a  été  le  résultat  de  notre  enquête  et 
quelles  impressions  a  fait  naître  en  nous  l'étude 
plus  attentive  et  plus  serrée  des  documents  ? 
Les  registres  de  Sorel  nous  ont  prouvé  que 
Madeleine  avait  quatorze  ans  lorsqu'elle  repoussa 
les  Iroquois.  Les  plumitifs  du  Conseil  Supérieur 
à  Québec  nous  ont  signalé,  de  façon  à  ne  pas  s'y 
méprendre,  la  présence  du  seigneur  de  Verchères 
en  cette  ville  pendant  tout  le  mois  d'octobre  1922. 
Enfin,  l'acte  de  mariage  de  Marguerite  Antiome 
nous  déclare  qu'elle  était  née  à  Saint-Eustache 
de  Paris  et  la  fille  d'un  exempt  du  Grand  Prévôt 
de  cette  ville.  Il  serait  fastidieux  d'insister  davan- 
tage sur  ces  recherches,  disons  seulement  que 
ces  vieilles  pièces  manuscrites  dormant  depuis 
deux  siècles  dans  les  archives  et  se  levant  de  la 
poussière  de  leurs  tombeaux  pour  rendre  témoi- 
gnage à  la  véracité  de  l'héroïne  de  Verchères, 
nous  ont  fait  voir  non  plus  l'image  auréolée, 
mais  la  femme  sincère  et  toute  entière.  Et,  alors, 
son  histoire  s'est  étendue  et  éclairée.  Nous  avons 
senti  l'âme  sous  les  faits  arides  et  secs.  Et  cette 

héroïne,  que  nous  avions  aperçue  dès  l'enfance 
à  travers  le  nuage  de  la  légende,  s'est  élevée  de 
ses  ailes  plus  fortes  jusqu'à  la  vérité,  aussi  poé- 
tique que  le  rêve. 


—  197  — 

VI 

Après  1726,  l'héroïne  de  Verchères  rentre 
une  deuxième  fois  dans  l'ombre  et  la  paix  du 
foyer  domestique,  et  c'est  là  que  nous  voudrions 
pouvoir  la  saisir  sur  le  vif  afin  de  la  mieux  faire 
connaître  encore. 

Grandie  au  milieu  des  émotions  les  plus 
vives,  ayant  eu  tant  de  fois  sous  les  yeux  des 
scènes  de  violence  et  de  carnage,  Madeleine  a 
senti  se  développer  dans  son  âme  une  résolution 
et  une  énergie  précoces.  Mais  l'assurance  qu'elle 
a  acquise  n'a-t-elle  pas  gâté  chez  elle  la  réserve 
et  la  timidité  si  propres  à  son  sexe  ?  Dans  les 
habitudes,  dans  les  allures,  dans  le  caractère 
même  de  la  jeune  châtelaine  de  la  Pérade  n'est- 
il  pas  resté  un  peu  de  cette  virilité  si  nécessaire 
à  la  vie  que  l'on  menait  aux  avant-postes  de 
Verchères  ? 

Il  semble  encore  que  cette  enfance,  si 
remplie  d'alarmes  et  d'alertes,  a  dû  manquer 
particulièrement  de  cette  éducation  féminine 
dont  on  a  dans  tous  les  temps  senti  l'importance, 
nous  voulons  dire  le  goût  et  la  pratique  du  mé- 
nage, l'art  de  tenir  une  maison. 

L'ingénieur  Franquet  a  laissé  sur  les  salons 
de  la  Nouvelle-France  qu'il  fréquenta,  et  où  il 
rencontra  précisément  les  femmes  de  l'âge  et  du 
monde  de  Madeleine  de  Verchères,  un  tableau 
charmant.  "  Les  femmes  sont  de  figure  jolie, 
dit-il  ;  leur  constitution  est  forte.  Elles  ont  la 
démarche  gracieuse  et  posent  bien.  Elles  ont 
généralement  beaucoup  d'esprit,  et  parlent  un 
français  épuré,  sans  le  moindre  accent.  Polies, 
enjouées,  elles  ont  une  conversation  agréable. 
Pleines  d'attentions  pour  les  étrangers,  elles  sont 
très  affectionnées  à  leurs  maris  et  à  leurs  enfants. 

Malgré  donc  le  rude  apprentissage  qu'elles 
reçurent  dans  leur  enfance,  les  femmes  de  ce 
temps-là  n'en  furent   pas    moins    élevées    pour 


—  198  — 

plaire  et  se  faire  aimer,  et  elles  surent  entretenir 
le  goût  des  belles  manières  et  tout  ce  qui  fait  la 
grâce  et  le  charme  de  leur  sexe.  Les  mères 
avaient  l'art  de  former  le  cœur,  de  tremper  le 
caractère,  de  remplir  et  de  fortifier  l'esprit  de 
leurs  enfants."  (1) 

Nous  aimons  à  nous  représenter  Madeleine 
de  Verehères  dans  son  manoir  seigneurial  de  la 
Pérade,  à  l'âge  de  cinquante  ans  ou  environ,sous 
les  belles  couleurs  que  nous  montre  le  pinceau 
de  Franquet.  Et  c'est  bien  ainsi  qu'elle  devait 
être,  si  nous  en  jugeons  par  un  médaillon  pré- 
cieusement conservé  dans  sa  famille.  Avec  ses 
cheveux  en  bandeaux  qui  retombent  en  tresses 
sur  ses  épaules,  ses  yeux  à  demi  baissés  et  son 
costume  modeste  et  simple,  il  semble  qu'elle  ait 
gardé  quelque  chose  de  la  timidité  et  de  la  réserve 
de  la  jeune  fille.  Si  son  front  calme  marque  la 
fermeté,  il  nous  dit  aussi  la  paix  douce  et  le 
bonheur  discret  qui  régnent  en  son  foyer.  Les 
sourcils  bien  arqués  et  la  bouche  petite  et 
mignonne  où  semble  voltiger  un  sourire  nous 
rappellent  la  Madeleine,  très  gaie  à  ses  heures, 
et  qui  savait  si  bien  tenir  la  plume  quand  elle  le 
voulait. 

Il  y  a  quelque  chose  cependant  qui  semble 
démentir  l'infinie  douceur  qui  s'épand  sur  les 
traits  de  cet  unique  portrait  qui  soit  resté  de 
Madeleine  de  Verehères. 

Racontant  la  lutte  qu'elle  eut  à  soutenir  en 
1722,  aux  portes  du  manoir  de  la  Pérade,  contre 
trois  sauvagesses  qui  la  voulaient  jeter  dans  le 
feu,  elle  écrit  cette  phrase  typique:  "A  ce  moment 
un  peintre  me  voyant  aurait  pu  tirer  le  portrait 
d'une  Madeleine  ;  décoiffée,  mes  cheveux  épars, 
mal  arrangés,  mes  habits  tout  déchirés,  n'ayant 
rien  sur  moi  qui  ne  fut  en  morceaux,  je  ressem- 


(1)  Mémoire  de  1752. 


—  199  — 

biais  pas  mal  à  cette  sainte,  aux  larmes  près  qui 
ne  coulèrent  jamais  de  mes  yeux." 

Quoi  !  Cel^e  qui  a  fait  couler  tant  de  douces 
larmes  rien  qu'au  seul  souvenir  de  sa  défense 
héroïque  de  Verchères,  ne  sentit  donc  jamais  ses 
paupières  s'humecter  ?  Et  ces  beaux  yeux  à  demi 
baissés  que  le  peintre  nous  montre,  auraient-ils 
donc  été  insensibles  à  toute  émotion  ? 

Non,  chassons  loin  de  nous  ces  pensées.  Les 
larmes  n'ont  jamais  été  les  interprètes  néces- 
saires du  cœur.  Madame  de  Sévigné  l'a  écrit  il  y 
a  déjà  longtemps.'4  Il  faut  plaindre  sincèrement 
celles  qui  n'ont  pas  le  don  des  larmes,  et  qui 
sentent  de  ces  douleurs,  où  les  yeux  ne  soulagent 
point  le  cœur."  Rappelons-nous  encore  les 
beaux  vers  de  Victor  Hugo,  dans  ses  "  Feuilles 
d'Automne": 

La   fleur   qui    s'ouvrit   avec   l'aurore  en   pleurs, 
Et  qui  fait  à  midi  de  ses  belles  couleurs 
Admirer    la    splendeur    timide, 
Sous  ses  corolles  d'or,  loin  des  yeux  importuns, 
Au  pied  de  ce  calice  où  sont  tous   ses  parfums, 
Souvent    cache    une     perle    humide. 

Si  donc  les  larmes  ne  coulèrent  jamais  des 
yeux  de  Madeleine,  elle  n'en  a  pas  moins  éprouvé 
les  plus  grandes  émotions  qui  puissent  étreindre 
un  cœur  de  femme. 

Debout  sur  le  bastion  du  fort  de  Verchères, 
elle  a  prouvé  qu'elle  aimait  sa  patrie  jusqu'à 
vouloir  verser  son  sang  pour  elle  ;  c'est  l'amour 
profond  qu'elle  porte  à  son  père  et  à  sa  famille 
qui  la  pousse  à  implorer  la  pitié  pour  les  siens  ; 
et  quand  elle  voit  son  mari  aux  prises  avec  un 
sauvage,  elle  nous  l'avoue  ingénument  dans  sa 
relation,  ce  sont  "  les  mouvements  de  son  cœur  " 
qui  l'entraînent  à  périr  avec  lui  plutôt  que  de  le 
laisser  mourir  seul  et  sans  défense. 

Ces  trois  amours  sont  trop  beaux  et  trop 
grands  pour  qu'il  soit  nécessaire  de  les  déflorer 
par  de  vaines  fictions.  Sans  attacher  plus  d'im- 


—  200  — 

portance  qu'il  ne  convient  à  tous  les  détails  semi- 
romanesques  dont  quelques  écrivains  ont  voulu 
entourer  Madeleine,  disons  une  fois  pour  toutes 
qu'il  n'y  a  pas  besoin  de  l'imagination  pour 
grandir  le  réel  vraiment  sublime  de  sa  vie. 

La  bonne  châtelaine  de  la  Pérade  n'a  jamais 
eu  dans  son  cœur  ni  dans  son  cerveau  les  condi- 
tions voulues  pour  devenir  une  héroïne  de  feuil- 
leton. Jeune  fille,  elle  nous  dit  qu'elle  eût  la 
passion  de  la  gloire,  mais  elle  ne  s'en  servit  que 
pour  défendre  son  foyer.  Quand  elle  fut  épouse 
et  mère,  l'affection  sincère  qu'elle  porta  à  son 
mari  et  à  ses  enfants  lui  suffit  amplement. 

Le  manoir  de  la  Pérade,  situé  sur  la  grande 
route  qui  relie  Québec  à  Montréal,  et  presqu'à 
mi-chemin  entre  ces  deux  villes,  était  le  rendez- 
vous  de  tous  les  voyageurs  de  distinction.  Nous 
savons  que  les  gouverneurs  de  Vaudreuil  et  de 
Beauharnois  aimaient  à  le  visiter  et  quel  officier 
de  l'armée  n'aurait  pas  voulu  s'arrêter  pour 
causer  avec  cette  femme  dont  la  valeur  était 
connue  dans  tout  le  pays. 

Le  mari  de  Madeleine,  M.  de  la  Pérade, 
possédait  quelques-unes  des  plus  belles  seigneu- 
ries de  la  Nouvelle-France,  mais  comme  il  était 
d'une  santé  frêle  et  délicate  il  avait  remis  à  sa 
femme  le  soin  d'administrer  le  patrimoine 
familial,  et  celle-ci  sut  s'en  acquitter  à  merveille. 
L'hospitalité  de  la  famille  de  Lanaudière  était 
large  et  généreuse,  mais  la  bonne  Madeleine 
n'oublia  jamais  les  bonnes  leçons  d'économie 
qu'elle  avait  apprises  dans  sa  jeunesse.  Nous  nous 
la  représentons  volontiers  comme  une  grande 
dame  de  l'ancienne  noblesse  qui  ne  quittaient 
jamais  l'aiguille  même  pour  recevoir  les  visi- 
teurs, à  moins  que  leur  rang  les  y  obligeât. 

Le  premier  dimanche  du  mois  d'août  1747, 
le  curé  de  Sainte-Anne  de  la  Pérade  annonçait  à 
son  prône  la  mort  de  Marie-Madeleine  Jarret  de 


—  201  — 

Verchèresja  seigneuresse  de  sa  paroisse.Elle  était 
décédée  dans  la  soixante  et  neuvième  année  de 
son  âge,  munie  de  tous  les  sacrements  de 
l'Eglise. 

La  seigneuresse  de  la  Pérade  laissait  cinq 
enfants.  Les  filles  entrèrent  dans  les  familles 
Margane  de  Lavaltrie  et  Deschamps  de  Bois- 
hébert.  Les  garçons  prirent  du  service  dans 
l'armée.  L'un  d'eux  tomba  à  la  bataille  de 
Monongahéla  ;  un  autre  fut  décoré  de  la  croix 
de  Saint-Louis  pour  sa  belle  conduite  au  siège 
de  Québec.  C'est  de  ce  dernier  que  descendait 
Charles  de  Lanaudière,  qui  fut  aide  de  camp  du 
gouverneur   Carleton. 

On  sait  comment,  dans  l'automne  de  1775, 
cet  officier,  si  plein  de  charme  et  de  distinction, 
ramena  à  la  tête  de  300  Canadiens  le  gouverneur 
Carleton,  de  Montréal  à  Québec,  au  moment  où 
cette  ville  menacée  par  les  soldats  du  Congrès, 
allait  ouvrir  ses  portes  à  l'ennemi.  Carleton 
organisa  la  résistance  et  la  colonie  fut  sauvée. 
Charles  de  Lanaudière  mourut  célibataire,  mais 
il  laissa  deux  sœurs  qui  sont  restées  célèbres 
dans  la  région  de  Québec  où  elles  vivaient  encore 
au  milieu  du  siècle  dernier.  Retirées  pendant  l'été 
dnas  leur  manoir  de  Saint- Vallier  de  Bellechasse, 
qu'elles  avaient  armé  comme  une  forteresse  à 
cause  des  voleurs  de  grand  chemin  qui  infes- 
taient la  contrée,  elles  venaient  passer  l'hiver  à 
Québec,  où  leur  salon  était  le  rendez-vous  de 
tout  ce  que  la  colonie  comptait  de  personnes 
distinguées.  C'est  l'une  d'elles  qui,  en  1855, 
recevant  M.  de  Belvèze,  le  commandant  du  pre- 
mier navire  de  guerre  français  qui  soit  venu  au 
Canada  après  la  conquête,  le  salua  de  ces  fîères 
et  mâles  paroles  :  "  Commandant,  nos  bras  sont 
à  l'Angleterre,  mais  nos  cœurs  sont  toujours  à 
la  France." 


—  202  — 

Madeleine  de  Verchères  garda  jusqu'à  la  fin 
la  part  d'héritage  qu'elle  avait  reçue  dans  la 
seigneurie  qui  devait  rendre  son  nom  si  célèbre. 
Ce  n'est  qu'en  1746,  un  an  avant  sa  mort,  qu'elle 
la  vendit  à  son  frère  Jean-Baptiste  Jarret.  Ce 
dernier  abandonna  bientôt  après,  pour  cent 
pistoles,  les  droits  honorifiques  du  domaine  pa- 
trimonial qu'il  tenait  à  titre  d'aînesse,  à  l'un  de 
ses  gendres  Pierre  Hertel  de  Beaubassin.  Depuis 
lors,  cette  belle  propriété,  morcelée  par  des  par- 
tages, des  ventes  ou  des  achats,  est  passée  entre 
les  mains  de  branches  collatérales  éloignées. 
L'ancien  manoir  a  été  depuis  abattu.  Ce  n'est 
plus  qu'à  l'aide  de  cartes  qu'on  peut  à  peu  près 
localiser  le  site  du  fort  immortalisé  par  la  fïère 
résistance  de  Madeleine.  Seule,  près  de  la  rive 
du  grand  fleuve,  où  le  beau  village  de  Verchères 
mire  ses  maisons  blanches  et  ses  grands  arbres 
verts,  une  tour  aux  murs  massifs,  aux  fenêtres 
percées  en  mâchicoulis  et  au  toit  en  poivrière, 
résiste  aux  ravages  du  temps.  C'est  le  vieux 
moulin  banal  de  la  seigneurie.  A  l'époque  de  la 
moisson,  un  meunier  y  vient  encore  moudre  les 
grains  des  censitaires.  Et,  quand,  dans  la  nuit 
noire,  le  moulin  bat  l'air  de  ses  ailes  frémissantes, 
le  passant  attardé  croit  entendre  chevroter  une 
chanson  :  la  chanson  mélancolique  des  choses 
mortes. 

Aussitôt  après  la  conquête  le  dernier  des- 
cendant des  Verchères,  dans  la  ligne  masculine, 
s'enfonça  dans  les  prairies  de  l'Ouest  où  il  fit  la 
traite  et  la  chasse  aux  bisons,  à  la  tête  d'une 
bande  de  sauvages.  L'on  n'entendit  plus  jamais 
parler  de  lui.  Sa  veuve,  une  LeMoyne  de  Lon- 
gueuil,  mourut  à  Québec  en  1792,  et  le  prince 
Edouard,  duc  de  Kent,  père  de  la  reine  Victoria, 
alors  dans  la  capitale,  voulut  assister  à  ses  funé- 
railles à  la  tête  des  officiers  de  son  régiment.  Ce 
suprême  hommage  rendu  par  un  prince  touchant 


—  203  — 

de  si  près  au  trône,  à  celle  qui  porta  pour  la 
dernière  fois  le  nom  des  Verchères,  n'est-il  pas 
pour  nous  une  éloquente  leçon  ?  Elle  nous 
enseigne  que  les  héros  et  les  héroïnes  du  Canada, 
à  quelque  race  qu'ils  appartiennent,  sont  le 
patrimoine  commun  de  la  nation  et  que  leur 
mémoire  doit  être  glorifiée. 

Et  voilà  pourquoi  les  nobles  châtelains  de 
Rideau-Hall,  épris  d'art  et  très  avertis  des  choses 
de  notre  histoire,  ont  voulu  mettre  en  place 
d'honneur,  dans  leur  résidence  vice-royale,  le 
beau  bronze  de  Hébert. 

Il  n'est  pas  besoin  de  la  magie  des  mots  pour 
expliquer  l'impression  que  cause  Madeleine  de 
Verchères,  la  sympathie  qu'elle  excite,  la  lumière 
qui  rayonne  d'elle.  Comme  le  disait  un  jour  Son 
Excellence  le  gouverneur-général,  cette  héroïne 
résume  toute  une  époque  de  gloire.  Par  son  père 
elle  descend  des  nobles  familles  de  France,  par 
sa  mère  elle  touche  à  la  bonne  terre  canadienne. 
Par  son  action  courageuse  et  sa  vie  si  complète 
et  si  bonne,  elle  tient  au  peuple  entier. 

Elle  symbolise  la  femme  vaillante  du 
Canada. 

J.-EDMOND   ROY    (1) 


EDMOND  DE  SUEVE,  SEIGNEUR  EN  PARTIE 
DE  SAINTE-ANNE  DE   LA  PERADE 


De  quelle  partie  de  la  France  venait  Edmond 
de  Suève  ?  Pour  l'histoire  des  premiers  habitants 
de  la  Nouvelle-France  les  contrats  de  mariage 
sont   des    sources    d'informations    extrêmement 


(1)  Le  Soleil,  20  mars   1909. 


—  204  — 

précieuses.Les  notaires  de  l'ancien  régime  ne 
manquaient  jamais  d'enregistrer  les  noms  des 
pères  et  mères  des  futurs  conjoints  et  d'indiquer 
les  paroisses  qu'ils  habitaient  dans  la  vieille 
France.M.de  Suève  n'ayant  pas  jugé  à  propos  de 
se  marier  a  donc  privé  les  historiens  du  précieux 
document  qui  leur  aurait  dit  de  quelle  partie  de 
la  France  il  était  originaire. 

Edme  ou  Edmond  de  Suève  était  lieutenant 
dans  le  régiment  de  Garignan  et  il  passa  ici  avec 
cette  troupe  dans  l'été  de  1665. 

Après  le  licenciement  du  régiment  de  Gari- 
gnan, il  décida  de  rester  au  pays. 

Le  29  octobre  1672,  l'intendant  Talon  con- 
cédait conjointement  à  MM.  de  Suève,  lieutenant 
au  régiment  de  Garignan,  et  de  Lanaudière, 
enseigne  au  même  régiment,  "  l'étendue  de  terre 
qui  se  trouvera  sur  le  fleuve  Saint-Laurent  au 
lieu  dit  des  Grondines,  depuis  celles  apparte- 
nantes aux  Religieuses  de  l'Hôpital  jusqu'à  la 
rivière  Sainte-Anne,  icelle  comprise,  sur  une  lieue 
de  profondeur,  avec  la  quantité  de  terre  qu'ils 
ont  acquise  du  sieur  Amelin " 

C'est  le  fief  et  seigneurie  de  Sainte-Anne  de 
la    Pérade. 

M.  de  Suève  au  lieu  de  coloniser  le  beau 
domaine  que  venait  de  lui  accorder  M.  Talon 
s'occupa  à  satisfaire  son  goût  pour  la  chasse. 
L'avoir  qu'il  avait  à  son  arrivée  dans  la  Nouvile- 
France  s'épuisa  bientôt  et  il  se  trouva  vis-à-vis 
de  rien. 

Le  13  novembre  1680,  l'intendant  Duches- 
neau  écrivait  au  ministre  : 

"  Les  officiers  des  troupes  continuent  d'em- 
ployer ce  qu'il  plait  au  Roi  et  à  vous,  Monsei- 
gneur, de  leur  accorder  à  payer  leurs  dettes.  J'ai 
oublié  l'année  dernière  de  vous  demander  une 
semblable  gratification  pour  le  sieur  de  Moras, 
lieutenant,   qui   est  un   gentilhomme   chargé   de 


—  205  — 

huit  enfants  dans  une  grande  pauvreté.  Il  y  en  a 
encore  d'autres  pour  lesquels  je  n'ai  pas  osé  vous 
parler  parce  que  ce  sont  des  gens  qui  équipent 
pour  eux  des  coureurs  de  bois,  excepté  le  sieur 
de  Suève,  vieux  garçon  de  60  ans  ;  qui  a  été 
lieutenant,  qui  avait  toujours  passé  pour  avoir 
du  bien  et  qui  est  tombé  cette  année  dans  une 
grande   misère."  (1) 

Le  recensement  de  1681  nous  apprend  que 
M.  de  Suève  résidait  dans  sa  seigneurie  de 
Sainte-Anne.  Il  lui  donne  cinquante  ans.  Il 
s'occupait  évidemment  plus  de  chasse  que  de 
défrichement  car  le  même  recensement  le  dit 
propriétaire  de  trois  fusils  et  oublie  de  men- 
tionner ses  arpents  de  terre  en  valeur. 

Le  8  août  1691,  M.  de  Suève  donnait  à  la 
fabrique  de  la  paroisse  de  Sainte-Anne  de  la 
Pérade,  "  deux  habitations  de  deux  arpents  de 
front  sur  quarante  arpents  de  profondeur, 
tenant  l'une  à  l'autre,  prenant  par  devant  à  la 
rivière  Sainte-Anne,  par  côté  par-dessus  à  Charles 
Vallée  et  d'autre  côté  par  dessous  à  Philippe 
Etienne." 

L'une  des  deux  terres  était  donnée  pour  le 
service  du  curé  et  de  ses  successeurs,  l'autre 
devait  servir  pour  élever  la  future  église  de  la 
paroisse. 

Cette  donation  était  faite  quitte  de  toutes 
sortes  de  rentes  pour  l'avenir  et  à  perpétuité.  (2) 

M.  de  Suève  décéda  à  Sainte-Anne  de  la 
Pérade  le  1er  mars  1707,  et  fut  inhumé  dans 
l'église   paroissiale.  (3) 


(1)  Archives  du    Canada,   Correspondance    générale. 

(2)  Acte  devant  Michel  Roy,  notaire  à  Sainte-Anne,  le 
18  août   1691. 

(3)  Dans  son  étude  Le  régiment  de  Carignan,  M.  Ben- 
jamin Suite,  a  confondu  Edme  de  Suève,  seigneur  en  partie 
de  Sainte-Anne,  avec  Lesueur,  le  fameux  explorateur  et 
traiteur.  Il  n'y  eut  aucune  relation  quelconque  entre  ces 
deux    personnages. 


—  206  — 

Par  son  testament  fait  le  16  juin  1695,  M.  de 
Suève  avait  légué  à  Edmond  Chorel  la  part  et 
moitié  de  la  seigneurie  de  Sainte-Anne  qui  lui 
avait  été  concédée  le  29  octobre  1672.  Il  lui  don- 
nait en  outre  :  lo  une  terre  de  cinq  arpents  de 
front  sur  le  bord  de  la  rivière  Sainte-Anne,  sur 
quarante  arpents  de  profondeur,  joignant  d'un 
côté  à  Daniel  Le  Merle  et  d'autre  à  Jean  Picard  ; 
2o  une  autre  terre  de  quatre  arpents  de  front, 
dans  l'île  Saint-Ignace,  traversant  la  dite  île, 
joignant  d'un  côté  madame  veuve  de  Lanaudière, 
mitoyenne  de  la  dite  seigneurie  avec  le  sieur 
Dentigny,  et  d'autre  part  à  Jean  Picard;  3e  une 
autre  terre  de  quatre  arpents  de  front,  située 
entre  les  terres  de  madame  veuve  de  Lanaudière 
et  du  sieur  Desruisseaux  ;  4e  une  autre  terre  de 
deux  arpents  de  front,  située  entre  les  terres  du 
sieur  Desruisseaux   et   du   sieur  Saint-Romain. 

Le  donateur  obligeait  Edmond  Chorel  à 
rendre  la  foi  et  hommage,  et  à  payer  les  dettes 
qu'il  pourrait  avoir  au  jour  de  son  décès.  Il  se 
réservait  en  outre  l'usufruit  et  jouissance  de  sa 
moitié  de  seigneurie  et  de  ses  terres.  Il  exigeait 
aussi  d'eux  cent  messes  basses  pour  le  repos  de 
son  âme  dans  l'an  de  son  décès. 

M.  de  Suève  prenait  la  peine  de  déclarer 
dans  son  testament  qu'il  faisait  don  de  ses  biens 
à  Edmond  Chorel  pour  le  récompenser  des  bons 
et  réels  secours  et  amitiés  qu'il  lui  avait  rendus, 
et  avec  l'espoir  qu'il  les  continuerait  à  l'ave- 
nir. (1) 


(1)  Testament    devant    Cusson,    notaire    au    Cap    de    la 
Madeleine,  le   16  juin   1695. 


—  207  — 

NICOLAS-ANTOINE    COULON    DE 
VILLIERS   (1) 

Né  à  Verchères  le  25  juin  1708,  (2)  il  était 
fils  de  Nicolas-Antoine  Coulon  de  Villiers,  offi- 
cier dans  les  troupes  du  détachement  de  la 
marine,  et  de  Angélique  Jarret  de  Verchères. 

Vers  1725,  M.  de  Villiers  père  était  nommé 
commandant  pour  le  roi  au  poste  de  la  Rivière 
Saint-Joseph  des  Illinois.  C'est  là  que  le  jeune 
Coulon  fit  ses  premières  armes. 

En  août  1730,  MM.  de  Saint-Ange,  de 
Noyelles  et  de  Villiers  attaquaient  les  Renards 
près  du  fort  qu'ils  s'étaient  bâti  près  du  Rocher, 
sur  la  rivière  Saint- Joseph  des  Illinois.  Après  un 
siège  de  vingt-trois  jours,  ils  réussirent  à  les 
écraser.  La  plupart  de  ces  féroces  Renards  furent 
massacrés.  C'est  M.  Coulon  qui  fut  chargé 
d'aller  porter  la  nouvelle  de  ce  beau  succès  au 
gouverneur  de  Reauharnois. 

Le  12  mars  1732,  M.  Coulon  était  fait 
enseigne  en  second. 

M.  Coulon  prit  une  part  active  à  la  cam- 
pagne de  1733,  contre  les  Sakis.  Le  16  septembre 
1733,  M.  de  Villiers  père,  devenu  commandant 
du  poste  de  la  Baie  des  Puants,  était  tué  dans  une 
attaque  contre  les  Sakis.  M.  Coulon  remplaça  son 
père  au  commandement  du  poste  de  la  Baie  des 
Puants. 

Le  11  novembre  1733,  MM.  de  Beauharnois 
et  Hocquart  informaient  le  ministre  du  coup  des 
Sakis  et  lui  demandaient  de  donner  une  lieute- 
nance  vacante  à  M.  Coulon. 

"  Le  sieur  de  Villiers,  disaient-ils,  qui  s'est 
fort  distingué,  qui  a  eu  son  père  et  son  frère  tués 
et  autre  frère,  cadet  à  l'aiguillette  blessé,  méri- 


(1)  Connu   sous  le  nom  de  M.  Coulon. 

(2)  Baptisé  à  Contrecœur    le  26  août  1708. 


—  208  — 

terait  la  lieutenance  vacante,  la  dernière  affaire 
n'ayant  roulé  que  sur  lui."  (1) 

Le  ministre  accueillit  favorablement  cette 
demande  et  M.  Coulon  fut  fait  lieutenant  le  20 
mars   1734. 

Le  30  octobre  1742,  le  gouverneur  de  Beau- 
harnois  demandait  au  ministre  de  donner  une 
compagnie  à  M.   Coulon.  (2) 

L'année  suivante,  le  20  octobre,  M.  de  Beau- 
harnois  revenait  à  la  charge  auprès  du  ministre 
en  faveur  de  M.  Coulon.  "  Il  est  bon  officier, 
disait-il,  et  très  propre  pour  les  négociations  des 
pays  d'en  haut."  (3) 

En  1742  ou  1743,  M.  Coulon  descendit  des 
pays  d'en  haut.  Il  semble  avoir  vécu  à  Québec 
de  1743  à  1746. 

Le  24  avril  1744,  le  ministre  informait  enfin 
M.  Coulon  que  le  roi  lui  accordait  une  compagnie. 

En  juin  1746,  M.  de  Ramezay  était  chargé 
de  conduire  une  importante  expédition  en  Acadie. 
C'est  M.  Coulon  qui  fut  le  second  en  commande- 
ment du  détachement. 

En  février  1747,  M.  Coulon  commandait 
l'attaque  contre  les  Anglais  établis  aux  Mines. 
Elle  réussit  parfaitement,  mais  M.  Coulon  reçut 
au  bras  une  blessure  qui  le  força  à  retourner  à 
Québec.  Il  ne  devait  jamais  guérir  de  cette 
blessure. 

A  l'automne  de  1747,  il  passait  en  France 
pour  aller  prendre  les  eaux  à  Barèges,  station 
thermale  des  Pyrénées. 

Le  3  novembre  1747,  M.  de  la  Galissonnière 
écrivait  au  ministre  : 

"  J'ai  l'honneur  de  vous  représenter  qu'il  y 
a  des  officiers  qui  par  leurs  blessures  ou  par 
quelqu'autre  action  d'éclat  méritent  la  croix  de 


(1)  Archives  du  Canada,  Correspondance  générale,vol.59. 

(2)  Archives  du  Canada,  Correspondance  générale, vol.75. 

(3)  Archives  du  Canada,  Correspondance  générale,vol.79. 


—  209  — 

Saint-Louis,  ou  d'autres  récompenses  ou  toutes 
les  deux.  Le  sieur  Coulon  de  Villiers  est  dans  ce 
dernier  cas  ;  le  voyage  qu'il  est  obligé  de  faire 
en  France  pour  sa  blessure  dérangera  entière- 
ment sa  fortune  si  vous  n'avez  la  bonté  de  l'aider 
libéralement."  (1) 

La  recommandation  de  M.  de  la  Galisson- 
nière  fut  écoutée  par  le  ministre  puisque,  en 
février  1748,  M.  Coulon  était  nommé  major  des 
Trois-Rivières,  en  remplacement  de  M.  de 
Rigaud  promu  lieutenant  de  roi  à  Québec.  Le  roi 
lui  donna  en  même  temps  la  croix  de  Saint- 
Louis. 

Sur  les  entrefaites,  la  majorité  de  Québec 
étant  devenue  vacante  par  la  promotion  du  che- 
valier de  Longueuil  à  la  lieutenance  de  roi,  M. 
Coulon  la  demanda  au  ministre.  Mais  elle  fut 
accordée  à  M.  de  Ramezay. 

M.  Coulon  revint  dans  la  Nouvelle-France 
dans  l'été  de  1749  et  prit  aussitôt  possession  de 
sa  charge  de  major  des  Trois-Rivières. 

Il  ne  devait  pas  la  garder  longtemps.  Son 
bras  qui  n'avait  pas  guéri,  le  faisant  horrible- 
ment souffrir,  les  chirurgiens  décidèrent  de  le 
lui  enlever.  Il  mourut  peu  après,  à  Montréal,  le 
3  avril  1750.  M.  Coulon  n'était  âgé  que  de  41 
ans.  (2) 


(1)  Archives    du    Canada,Correspondance   générale, vol.87. 

(2)  Nous  avons  emprunté  la  plupart  de  nos  renseigne- 
ments sur  M.  Coulon  à  l'important  ouvrage  de  Mgr  Amédée 
Gosselin,  Notes  sur  la  famille  Coulon  de  Villiers. 


—  210  — 
RICHARD  TESTU  DE  LA  RICHARDIERE 


Richard  Testu  de  la  Richardière  fut  un  des 
rares  Canadiens,  qui,  sous  le  régime  français, 
parvinrent  à  une  position  un  peu  importante  dans 
le  service  de  la  colonie.  Et  c'est  peut-être  pour 
cette  raison  que  plusieurs  de  nos  historiens  ont 
cru  qu'il  était  d'origine  française. 

Richard  Testu  de  la  Richardière  naquit  à 
L'Ange-Gardien,  près  de  Québec,  le  15  avril  1681, 
du  mariage  de  Pierre  Testu  dit  du  Tilly,  mar- 
chand, et  de  Geneviève  Rigault. 

Il  servit  d'abord  dans  les  troupes  et  reçut 
une  blessure  assez  grave  dans  un  engagement. 

En  1722,  M.  Testu  de  la  Richardière  com- 
mandait la  Suzanne.  Les  Frères  Hospitaliers  de 
Montréal  obtenaient  du  Conseil  de  marine  de 
faire  passer  au  Canada  des  ouvriers  sur  ce 
vaisseau. 

Le  19  février  1726,  le  Conseil  de  marine 
écrivait  au  gouverneur  de  Beauharnois,  au  sujet 
de  la  navigation  du  Saint-Laurent.  Il  serait 
nécessaire  que,  pour  la  sûreté  de  la  navigation 
des  vaisseaux  du  roi  allant  en  Canada,  il  fut 
embarqué  un  officier  à  bord  connaissant  bien  la 
navigation  du  Saint-Laurent.  Autrefois  le  sieur 
de  la  Grange,  de  Rochefort,  avait  été  nommé 
capitaine  de  flûte,  en  raison  de  ses  connaissances 
sur  cette  navigation  et  il  s'embarquait  tous  les 
ans  sur  les  vaisseaux  du  roi.  Le  Conseil  de 
marine  priait  M.  de  Beauharnois  de  s'informer 
des  capacités  du  sieur  Testu  de  la  Richardière, 
canadien,  qu'on  proposait  pour  cet  emploi. 

Le  30  octobre  de  la  même  année,  MM.  de 
Beauharnois  et  Dupuy  écrivaient  au  ministre  de 
la   marine  et   lui.  suggéraient    de    nommer    M. 


—  211  — 

Testu  de  la  Richardière  capitaine  de  port  à 
Québec  : 

"  Le  S.  Testu  de  la  Richardière  que  vous 
avez  chargé  d'accompagner  le  vaisseau  du  Roy 
à  cause  de  l'expérience  et  de  la  connaissance  qu'il 
a  de  la  rivière,  souhaitte  cette  place  et  vous  prie 
de  la  luy  accorder. 

"  Le  S.  de  la  Richardière  est  du  métier  et  est 
sur  cela  d'une  capacité  à  n'y  avoir  pas  par  le  païs 
deux  voix  sur  son  chapitre,  il  est  propre  à  former 
des  pilottes  pour  cette  rivière  où  il  y  a  une  très 
grande  nécessité  d'en  avoir  à  cause  de  la  traverse, 
qu'il  est  de  conséquence  de  bien  connoistre. 

"Il  faudrait  pour  cela  aller  tous  les  printems 
sonder  les  bancs  que  les  glaces  en  partant  font 
changer  de  place,  y  mettre  des  bouées  selon  leur 
changement  au  nombre  de  quatre  ou  cinq  avec 
des  ancres  d'une  seule  patte  d'environ  quatre 
cent  à  450  pesant  et  autant  de  chaînes  de  12  à  15 
brasses  proportionnées  au  poids  des  ancres. 

"  On  éviterait  par  là  les  risques  de  toucher 
à  la  traverse,  et  sur  les  autres  bancs  qu'on  ne 
connait  pas  assés,  et  après  le  départ  des  vais- 
seaux on  ferait  relever  les  ancres. 

"On  se  servirait  de  cet  officier  pour  mettre  le 
cul  de  sac  en  état  de  recevoir  le3  vaisseaux  des 
particuliers,  mêmes  les  vaisseaux  du  Roy  s'il 
en  était  besoin.  Plusieurs  y  ont  couru  risque  cette 
année,  et  dans  les  années  passées  quelques  uns 
y  ont  resté,  il  s'y  trouve  même  quantité  de  roches 
que  l'on  pourrait  ôter  à  marée  basse. 

"  Le  cul  de  sac  est  mal  étably  faute  d'y  avoir 
un  quay  avec  des  amares  dont  chaque  habitant 
devrait  estre  obligé  de  faire  la  construction 
devant  une  partie  au  moins  de  son  terrain  qui 
peut-estre  luy  est  concédé  à  ces  conditions. 

"  On  pourrait  encore  avec  un  bâtiment  de 
40  T.  fait  en  goélette  ou  en  brigantin  l'envoyer 
sonder  tout  le  reste  de  la  rivière,  surtout  du  costé 


—  212  — 

du  sud  qui  n'a  point  esté  travaillé  sur  la  carte  du 
S.  de  la  Haye,  au  nord  de  laquelle  tous  les  mouil- 
lages et  dangers  sont  bien  marqués  et  dont  les 
pilottes  font  état. 

"  Le  capitaine  de  port  mettrait  des  balises 
sur  les  caps  et  les  hauteurs  qu'on  pourrait 
abattre  et  supprimer  dans  les  tems  où  l'on  ne 
voudrait  pas  qu'on  eu  usast,  il  donnerait  con- 
naissance des  ances,  des  havres,  des  bayes  favo- 
rables et  bons  mouillages,  et  se  mettrait  au  fait 
le  long  des  costes  et  dans  la  profondeur  des  bayes 
et  des  rivières  des  bois  de  chesnes  et  de  pin  et 
des  rivières  propres  à  les  tirer  ayant  luy-même 
une  parfaite  connaissance  des  bais  de  ce  pays 
cy  et  tout  le  talent  nécessaire  pour  l'arrimage  des 
bois  dans  les  navires. 

"  Quelques  autres  nous  ont  donné  les  placets 
que  nous  avons  l'honneur  de  vous  envoyer,  pour 
la  même  place,  mais  nous  ne  les  connaissons  pas 
si  particulièrement  et  leur  capacité  ne  peut  même 
entrer  en  concurrence  avec  celle  du  S.  de  la 
Richardière."  (1) 

Le  8  octobre  1727,  MM.  de  Beauharnois  et 
Dupuy  écrivaient  au  ministre  : 

"Le  sieur  Testu  de  la  Richardière  a  fait 
l'option  de  la  place  de  capitaine  de  port  et  se 
destine  à  faire,  dans  ce  port,  son  service  avec  une 
telle  vigilance  que  les  bâtiments  y  trouvent  tout 
le  secours  convenable,  soit  pour  se  mettre  en  rade 
soit  pour  y  être  à  l'abri  des  coups  de  vent  qui 
pourraient  les  chasser  à  la  côte. 

"  Il  vous  supplie,  Monseigneur,  par  la  consi- 
dération que  l'emploi  de  capitaine  de  port  n'a 
presque  point  d'appointements,  de  lui  continuer 
ceux  de  capitaine  de  flûte,  jusqu'à  ce  que  vous 
en  ayez  disposé  autrement  ;  il  se  charge  de  con- 

(1)  Archives   du   Canada,  Correspondance   gé.nérale,vol.48. 


—  213  — 

duire  le  vaisseau  du  Roi  jusqu'à  la  Traverse 
pour  la  lui  faire  faire. 

"  C'est  vers  ces  endroits,  Monseigneur,  que 
seraient  fort  nécessaires  des  bouées,  relevées  à 
propos,  pour  que  la  facilité  qu'elles  nous  procu- 
reraient ne  tournassent  point  à  notre  désavan- 
tage. 

"  Il  propose  pour  cela  une  dépense  qui  con- 
sistera dans  la  construction  d'une  chaloupe  qui 
servirait  aussi  à  aller  audevant  du  vaisseau  du 
Roi  et  autres  bâtiments  en  danger  dans  la  rivière 
avec  trois  ou  quatre  ancres  d'une  seule  patte  du 
poids  de  600  1.  avec  chacune  une  chaîne  propor- 
tionnée de  grosseur  et  de  douze  ou  quinze 
brasses  de  longueur  ;  il  demande  encore  que, 
pour  l'entretien  de  ces  chaînes  et  bouées  et  de  la 
chaloupe  dont  il  se  chargera  il  lui  soit  permis  de 
prendre,  par  chaque  bâtiment,  au-devant  duquel 
il  ira,  un  écu  par  chaque  pied  que  le  bâtiment 
tirera  d'eau,  et  pour  tenir  le  port  net  et  le  Cul-de- 
Sac  de  Québec  en  état  de  recevoir  les  bâtiments 
qui  viendront  s'y  échouer  pour  y  avoir  les 
radoubs  nécessaires,  de  pouvoir  se  faire  payer 
à  proportion  qui  sont  les  douceurs  accordées  à 
l'Amérique  et  autres  endroits  aux  capitaines  de 
port."  (1) 

Le  4  mars  1727,  le  Conseil  de  marine  infor- 
mait le  gouverneur  de  Beauharnois  qu'il  accor- 
dait passage  au  Canada  au  sieur  Testu  de  la 
Richardière,  capitaine  de  flûte.  "  Il  lui  est  acordé 
congé  d'un  an,  ayant  perdu  sa  femme  depuis  son 
départ  de  Québec   (Marie  Hurault)." 

L'année  suivante,  le  Conseil  de  marine  don- 
nait enfin  à  M.  Testu  de  la  Richardière  la  charge 
de  capitaine  de  port  à  Québec,  vacante  depuis  la 
mort  du  sieur  Prat.  On  lui  accordait  500  livres 
d'émoluments  au  lieu  de  150  qu'avait  son  prédé- 
cesseur. 


(1)  Archives  du  Canada,  Correspondance  générale. 


214 


Le  1er  octobre  1728,  MM.  de  Beauharnois  et 
d'Aigremont  écrivaient  au  ministre  au  sujet  de 
M.  Testu  de  la  Richardière  : 

"  L'ordre  qui  nous  a  esté  adressé  pour  la 
place  jle  capitaine  de  port  à  Québec  a  été  remis 
au  S.  Testu  de  la  Richardière.  Il  a  accepté  avec 
plaisir  la  condition  de  conduire  les  vaisseaux  de 
Sa  Majesté  jusqu'à  la  traverse  pour  la  leur  faire, 
sans  aucune  augmentation  de  dépense,  et  il  luy 
rend  de  très  humbles  grâces  des  cinq  cens  livres 
d'appointement  qu'elle  a  bien  voulu  luy  accorder. 

"  Nous  l'avons  informé  que  Sa  Majesté  n'a 
point  approuvé  la  proposition  qui  avait  esté  faitte 
de  luy  accorder  un  droit  de  3  livres  par  pied 
tirant  d'eau  de  chaque  bâtiment  marchand,  mais 
que  Sa  Majesté  trouverait  bon  qu'il  tire  des  capi- 
taines ou  propriétaires  des  vaisseaux  marchands 
qui  voudront  profiter  de  ses  soins,  la  rétribution 
dont  il  conviendra  avec  eux  de  gré  à  gré,  Sa 
Majesté  luy  déffendant  d'en  rien  exiger  autre- 
ment. Le  S.  de  la  Richardière  nous  a  promis  de 
se  conformer  à  cette  décision  et  nous  y  tiendrons 
la  main."  (1) 

M.  Testu  de  la  Richardière  rendit  de  grands 
services  en  1729,  lors  du  naufrage  de  l'Eléphant, 
vis-à-vis  de  l'île  aux  Grues.  Le  28  mars  1730,  le 
Conseil  de  marine  priait  MM.  de  Beauharnois  et 
Hocquart  de  lui  exprimer  la  satisfaction  du  roi 
pour  avoir  aidé  d'une  manière  aussi  efficace  au 
sauvetage  des  effets  du  naufrage  de  l'Eléphant. 

Le  4  avril  1730,  le  Conseil  de  marine  priait 
MM.  de  Beauharnois  et  Hocquart  d'envoyer  M. 
Testu  de  la  Richardière  au  Bic  pour  y  attendre 
le  vaisseau  du  roi,  Le  Héros,  et  le  guider  jusqu'à 
Québec  afin  de  prévenir  le  malheur  qui  était 
arrivé,  l'année  précédente,  à  l'Eléphant. 

Le  15  octobre  1730,  MM.  de  Beauharnois  et 


(1)  Correspondance  générale,   Canada,  vol.  50,  f.  57. 


—  215  — 

Hocquart  rendaient  le  bon  témoignage  suivant  de 
M.  Testu  de  la  Richardière  : 

"  Le  Sr.  la  Richardière,  capitaine  de  port, 
depuis  la  réception  de  vos  ordres,  a  cessé  de  pré- 
tendre aucune  rétribution  pour  les  soins  qu'il  se 
donne  pour  conduire  les  navires  marchands 
dans  cette  rivière.  Mr  de  L'Estenduère  peut, 
Monseigneur,  vous  rendre  comme  nous  tesmoi- 
gnage  de  sa  capacité,  de  son  expérience  et  de 
l'attention  particulière  qu'il  a  eue  à  conduire  le 
vaisseau  du  Roy  en  sûreté  jusques  dans  cette 
rade.  Nous  ne  cessons  point,  Monseigneur,  de 
vous  demander  pour  cet  officier  les  appointe- 
ments de  capitaine  de  flûte  que  nous  eûmes 
l'honneur  de  vous  demander  l'année  der- 
nière." (1) 

Au  mois  de  mai  1731,  l'intendant  Hocquart 
donnait  l'ordre  suivant  à  M.  Testu  de  îa  Richar- 
dière : 

"  Gilles  Hocquart,  etc. 

"  Il  est  ordonné  au  s.  La  Richardière,  capi- 
taine de  port,  de  s'embarquer  sur  la  goélette  du 
roi  le  Thomas-Marie  armée  en  ce  port  de  cinq 
hommes  d'équipage,  y  compris  Pierre  Dizet, 
pilote,  et  de  parcourir  la  côte  du  nord  et  celle  du 
sud  de  cette  rivière,  pour  y  observer  les  mouil- 
lages, sondes,  et  généralement  faire  toutes  les 
remarques  et  observations  qu'il  estimera  néces- 
saires, pour  faire  naviguer  sûrement  les  vais- 
seaux du  roi.  Il  en  dressera  son  journal  et  en 
fera  tenir  un  semblable  par  le  sieur  Dizet  pour 
nous  les  représenter  à  son  tour.  Mandons.  Fait  à 
Québec,  le  vingt-deux  mai  1741. 

Hocquart."  (2) 

MM.  de  Beauharnois  et  Hocquart  avaient 
tellement  confiance  en  M.  Testu  de  la  Richardière 


(1)  Correspondance  générale,  vol.  52,  c,  11,  f.  50. 

(2)  Ordonnances   des   Intendants,   vol.   19,   f.   103. 


—  216  — 

que  le  9  octobre  1731,  ils  proposaient  au  ministre 
de  le  nommer  au  commandement  de  la  flûte 
qu'on  construisait  pour  le  compte  du  roi  sur  les 
chantiers  de  Québec  : 

"  Nous  prenons  la  liberté  de  vous  proposer 
pour  le  commandement  de  la  flûte  qui  est  en 
construction  le  Sr.  La  Richardière,  capitaine  de 
port  ;  vous  connaissez,  Monseigneur,  ses  talens 
et  son  expérience  à  la  mer  ;  il  sera  en  état  de  la 
conduite  à  Rochefort  et  à  toute  autre  destination, 
si  vous  l'agréez.  Nous  vous  supplions  de  nous  le 
faire  sçavoir  l'année  prochaine,  afin  que  le  Sr 
La  Richardière  puisse  if  arranger  pour  cela  ; 
nous  pourrions  recevoir  trop  tard  vos  ordres  en 
1741. 

"  Nous  estimons,  Monseigneur,  que  vous  ne 
voudrez  pas  mettre  sur  ce  navire  un  fort  état- 
major,  et  dans  ce  cas  deux  officiers  du  départe- 
ment de  Rochefort  suffiront  avec  le  S.  La 
Richardière,  la  dépense  en  sera  beaucoup  moins 
considérable."  (1) 

Quelques  jours  plus  tard,  le  15  octobre,  MM. 
de  Beauharnois  et  Hocquart  écrivaient  de  nou- 
veau au  ministre  : 

"  M.  de  la  Richardière  a  parcouru  le  prin- 
temps dernier  avec  la  goélette  du  Roy,  la  coste 
du  nord  de  cette  rivière,  où  il  a  fait  toutes  les 
observations  nécessaires  à  la  navigation  sur  les 
différents  courants,  sondes  et  mouillages  dont  il 
a  fait  un  journal  exact  avec  le  nommé  Diset  qui 
est  un  des  pilotes  du  vaisseau  du  Roy  resté  à 
Québec  l'automne  dernière  et  qui  est  remplacé 
cette  année  par  le  nommé  Garnier  autre  pilote 
auquel  nous  ferons  faire  pareille  course  du 
costé  du  sud  au  printemps  prochain  avec  le  dit 
sieur  de  la  Richardière.  Vous  avez  eu  agréable, 
Monseigneur,  d'accorder  à  cet  officier  une  grati- 
fication de  300  livres,  trouvez  bon  que  nous  vous 


(1)  Correspondance  générale,  vol.  71,  f.  20. 


—  217  — 

représentions  que  le  voyage  qu'il  a  fait  cette 
année  dans  lequel  il  n'a  vécu  que  de  biscuit  et 
de  lard  salle  éqiûvaut  à  une  campagne  de  3  ou  4 
mois  et  qu'il  nous  paraist  qu'il  est  de  votre 
justice  de  luy  accorder  une  gratification  plus 
considérable,  son  zèle  et  son  attention  pour  le 
bien  du  service  la  luy  font  mériter,  il  est  actuelle- 
ment à  bord  du  vaisseau  du  Roy,  et  le  conduira 
jusqu'à  l'isle  aux  Lièvres  où  l'isle  verte.  M.  le 
comte  des  Gouttes  doit  vous  rendre  compte  de 
son  activité  et  de  ses  soins."  (1) 

En  1732,  le  Rubis  fut  destiné  à  faire  le 
voyage  du  Canada.  Le  4  mars,  le  Conseil  de 
marine  écrivait  à  MM.  de  Beauharnois  et  Hoc- 
quart  que  M.  de  l'Etanduère  et  le  comte  des 
Gouttes  s'étaient  si  bien  trouvés  des  secours  que 
le  sieur  Tes  tu  de  la  Richardière  leur  avait  don- 
nés dans  le  fleuve  Saint-Laurent  qu'il  convenait 
de  l'envoyer  de  nouveau  à  l'île  Verte  pour  y 
attendre  le  Rubis. 

Cette  même  année  1732,  le  roi  accorda  une 
gratification  de  500  livres  à  M.  Testu  de  la 
Richardière,  en  récompense  de  ses  services. 

Cette  gratification  lui  fut  encore  accordée 
l'année  suivante. 

En  1734,  M.  Testu  de  la  Richardière  pilote 
encore  le  Rubis. 

Le  président  du  Conseil  de  marine  ordonnait 
à  MM.  de  Beauharnois  et  Hocquart,  le  20  avril 
1734,  de  confier  au  sieur  Testu  de  la  Richardière 
l'exploration  du  Saint-Laurent,  depuis  le  Cap 
Chat  jusqu'à  Gaspé,  et,  en  remontant  depuis  les 
Sept-Iîes  jusqu'à  la  Malbaie.  Il  devait  aussi  aller 
examiner  le  passage  du  détroit  de  Belle-Ile. 

Les  soins  que  M.  Testu  de  la  Richardière  se 
donnaient  pour  la  sûreté  de  la  navigation  lui 
valurent,  en  1734,  la  continuation  de  la  gratifi- 
cation de  500  livres. 


(1)  Correspondance  générale,  vol.  54,  c.  11,  f.  188. 


—  218  — 

En  1735  et  1736,  M.  Testu  de  la  Richardière 
fut  assez  heureux  pour  recevoir  encore  500  livres 
de  gratification. 

En  1737,  les  appointements  de  M.  Testu  de 
la  Richardière  furent  portés  à  1000  livres  mais 
il  ne  devait  plus  recevoir  de  gratification. 

Le  1er  octobre  1737,  MM.  de  Beauharnois  et 
Hocquart  écrivaient  au  ministre  au  sujet  du 
sondage  et  du  pilotage  du  fleuve  fait  par  M. 
Testu  de  la  Richardière  : 

M.  de  la  Richardière,  capitaine  de  port,  a 
repassé  dans  la  colonie  sur  le  vaisseau  du  Roy 
et  il  l'a  piloté  depuis  les  Pellerins  jusqu'à  Qué- 
bec sans  aucun  accident  ;  il  doit  l'aller  recon- 
duire à  l'ordinaire. 

"  M.  Duquesnel  vous  a  informé,  Mgr,  de 
l'erreur  qu'il  a  faite  dans  sa  navigation,  aux 
atterrages  du  Chapeau  Rouge  par  les  fausses 
sondes  qu'il  a  trouvées.  Nous  estimons  qu'il  con- 
viendrait que  M.  de  la  Richardière  visitât  l'année 
prochaine  avec  le  pilote  qui  doit  rester  icy  les 
côtes  de  Terreneuve,  depuis  le  Cap  Raze  jusques 
au  Cap  de  Rays,  ainsy  que  les  isies,  bancs  et 
battures  qui  s'y  trouvent  dont  il  dressera  une 
carte  et  un  journal. 

"  En  1739,  il  fera  avec  le  même  pilote  une 
visite  depuis  le  Cap  de  Rays  jusqu'au  port 
Achois.  Le  petit  brigantin  du  Roy  est  absolument 
hors  de  service  et  M.  Hocquart  qui  doit  envoyer 
au  printemps  prochain  des  farines  à  l'Isle  Royale 
prêtera  comme  il  a  fait  en  1736  un  bâtiment 
pour  le  transport  de  ces  farines  sous  le  comman- 
dement du  Sr  La  Richardière,  lequel  après  leur 
déchargement  ira  faire  sa  tournée  le  long  des 
costes  de  Terreneuve  dans  le  golfe  et  dans  le 
fleuve.  Cet  arrangement  coûtera  beaucoup  moins 
au  Roy  que  s'il  fallait  faire  un  armement  exprès 
pour  cette  destination. 

"  Le  pilote  qui  doit  hiverner  cette  année  et 
la  suivante  est  le  nommé  Pellegrin  qui  a  déjà  de 


—  219  — 

l'expérience  dans  la  navigation  de  ce  pays  cy  où 
il  a  fait  trois  voyages,  et  comme  il  est  important 
de  former  un  plus  grand  nombre  de  pilotes,  nous 
avons  cru  qu'il  estait  du  bien  du  service  de  rete- 
nir le  fils  du  Sr  Galocheau  et  de  l'envoyer  avec  le 
Sr  la  Richardière.  C'est  un  jeune  homme  âgé  de 
17  à  18  ans  qui  a  déjà  fait  4  ou  5  voyages  avec 
son  père,  qui  sçait  bien  le  pilotage  et  qui  a  bonne 
volonté  de  s'instruire  et  devenir  bon  pratique.  M. 
Hocquart  le  traitera  comme  le  pilote. 

"Le  Sr  La  Richardière  vous  a  proposé  à 
ce  qu'il  nous  a  dit  d'établir  des  bouées  dans  la 
traverse  qui  seraient  posées  au  printemps  et 
relevées  l'automne.  Il  y  avait  longtemps  que  cet 
officier  nous  avait  parlé  d'ouvrir  une  avenue  à 
travers  le  bois  sur  l'Isle  aux  Raux  ;  cette  avenue 
a  été  faite  à  l'arrivée  du  vaisseau  du  Roy  en 
présence  du  Sr  La  Richardière  et  des  pilotes  de 
Rochefort  qui  ont  donné  l'alignement.  C'est  un 
amets  invariable  pour  passer  la  traverse  aujour- 
d'huy  en  gouvernant  sur  le  milieu.  Elle  est  de 
100  pieds  de  largeur  sur  1000  de  longueur.  Cela 
n'a  presque  rien  coûté,  M.  Duquesnel  ayant  donné 
une  vingtaine  de  matelots  qui  y  ont  travaillé  avec 
10  habitants  gens  de  hache  qui  ont  abbatu  les 
bois,  il  reste  encore  deux  amets  à  fixer  le  long 
de  l'Isle  d'Orléans.  Le  premier  à  la  rivière 
Delphine  et  l'autre  à  la  pointe  St-Jean.  Ces  deux 
pointes  ne  pouvant  estre  bien  distinguées  que 
par  un  temps  fort  clair,  parce  qu'elles  sont  très 
basses,  retardent  souvent  l'arrivée  du  vaisseau 
du  Roy  et  des  vaisseaux  marchands.  Il  est  ques- 
tion d'élever  sur  chacune  des  deux  pointes  un 
pan  de  mur  ayant  la  face  au  N.  2  de  30  pieds  de 
largeur  et  25  à  80  pieds  de  hauteur  sur  3  pieds 
d'épaisseur.  Ces  deux .  pans  de  muraille  un  peu 
ouverts  seront  les  amets  qu'il  faudra  suivre  pour 
éviter  les  battures.  M.  de  La  Richardière  et  les 
pilotes  ont  marqué  les  endroits    où    il    faudra 


—  220  — 

bâtir  ;  il  y  aurait  environ  50  toises  quarées  de 
maçonnerie  à  élever,  lesquels  à  raison  de  22 
livres  à  cause  de  la  sur-épaisseur  feraient  la 
somme  de  1100  livres  ce  qui  n'est  pas  un  objet 
en  égard  aux  avantages  et  à  la  sûreté  de  la  navi- 
gation. 

"  L'entretien  des  bouées,  orins,  anchres  ou 
picasses  coûteraient  par  an  environ  200  livres 
de  sorte  qu'il  se  trouve  encore  de  l'économie  à 
construire  les  pans  de  muraille  proposés.  Ce- 
pendant, avant  de  le  faire  nous  attendrons  vos 
ordres  que  nous  pourrons  exécuter  dès  l'année 
prochaine  si  vous  avez  agréable  de  nous  les 
envoyer  de  bonne  heure  par  la  voye  de  l'Isle 
Royale. 

"  L'objection  qui  se  présente  d'abord  contre 
tous  ces  amets,  est  qu'en  rendant  la  navigation 
facile  et  sûre  aux  bâtiments  fiançais  les  ennemis 
en  profiteraient  s'ils  voulaient  faire  quelqu'en- 
treprises  contre  la  colonie.  Dans  ce  cas  on  les 
tromperait  par  de  nouveaux  amets  à  l'Isle  aux 
Raux  et  on  renverserait  ceux  qui  seraient  établis 
à  l'Isle  d'Orléans."  (1) 

Le  ministre  ayant  approuvé  les  suggestions 
de  MM.  de  Beauharnois  et  Hocquart,  i'ordre 
suivant  fut  donné  à  M.  Testu  de  la  Richardière  : 

"  Il  est  ordonné  au  S.  de  La  Richardière, 
capitaine  des  brûlots  de  Sa  Majesté  et  du  port  à 
Québec,  de  prendre  le  commandement  du  bri- 
gantin  l'Hyrondeile  et  de  partir  incessamment  de 
cette  rade  pour  se  rendre  à  la  côte  de  Terre 
Neuve  avec  les  jeunes  pilotes  Pellegrin  et  Galo- 
cheau,  et  là  y  faire  toutes  les  observations  et 
remarques  nécessaires  pour  perfectionner  la 
navigation  du  golfe  de  St-Laurent  ainsi  que  celle 


(1)  Correspondance   générale,   Canada,   vol.  67,  p.   6. 


221 


du  fleuve  dans  l'allée  et  le  retour.  Fait  à  Québee 
le  premier  mai  1738. 

BEAUHARNOIS."  (1) 

En  même  temps,  le  mémoire  qui  suit  était 
remis  à  M.  Testu  de  la  Richardière. 

"  Mémoire  pour  le  S.  La  Richardière  au 
sujet  du  voyage  qu'il  est  sur  le  point  de  faire  dans 
le  fleuve  et  golfe  St-Laurent  et  à  la  côte  de 
Terre-Neuve  avec  les  deux  jeunes  pilotes  qui 
doivent  s'embarquer  avec  lui  dans  le  brigantin 
l'HyrondelIe. 

"  Le  S.  de  La  Richardière  partira  dans  tout 
le  courant  de  ce  mois  de  la  rade  de  Québec  et  se 
rendra  à  la  côte  de  Terre-Neuve. 

"  Il  visitera  la  côte  de  cette  île  depuis  le  cap 
Raze  jusqu'au  cap  de  Rays  ainsi  que  les  îles, 
battures,mouillages  et  havres  qui  s'y  rencontrent, 
observera  les  gisements  de  toutes  ces  terres,  les 
différents  fonds  qui  s'y  trouvent,  la  latitude  des 
lieux  et  la  variation  de  la  boussole. 

"  Le  banc  à  vert  étant  une  des  principales 
reconnaissances  pour  assurer  la  navigation  des 
vaisseaux,  il  tâchera  d'en  connaître  l'étendue,  la 
situation  et  les  différents  fonds. 

"  Il  fera  faire  toutes  ces  observations  aux 
deux  jeunes  pilotes  qui  sont  embarqués  avec  lui 
afin  qu'ils  soient  en  état  à  leur  retour  d'en 
dresser  une  carte  pour  être  envoyée  à  Sa  Majesté. 

"  Il  leur  fera  tenir  un  journal  exact  de  leur 
navigation  dans  lequel  ils  comprendront  non 
seulement  les  observations  ci-dessus,  mais  toutes 
celles  qu'ils  pourront  faire  dans  le  golfe  St- 
Laurent  et  le  fleuve  jusques  à  Québec. 

Fait  à  Québec  le  premier  mai  1738. 

BEAUHARNOIS."  (2) 


(1)  Ordonnances   des   Intendants,   vol.  26,   f.   103. 

(2)  Ordonnances  des   Intendants,   vol.  26,  f.  104. 


222 


M.  Testu  de  la  Richardière  s'acquitta  de 
cette  tâche  à  la  satisfaction  du  gouverneur  et  de 
l'intendant. 

Le  26  avril  1740,  le  gouverneur  de  Beauhar- 
nois  donnait  l'ordre  suivant  à  M.  de  la  Richar- 
dière : 

"  Charles,  marquis  de  Beauharnois,  il 
est  ordonné  au  sr.  de  la  Richardière, 
capitaine  de  port  à  Québec,  de  prendre  le  com- 
mandement de  la  goélette  l'Hirondelle  et  de  se 
mettre  incessamment  en  estât  de  partir  pour  se 
rendre  à  l'Ysle  Royale  ou  yl  remettra  les  vivres  et 
munitions  que  M.  Hocquart  doit  faire  charger 
sur  le  d.  Bâtiment  et  qui  sont  destinés  pour  les 
magasins  du  Roy  à  Louisbourg. 

"  Il  visitera  ensuite  le  passage  de  Cançeaux, 
l'Ysle  St-Jean,  la  Baye  des  Chaleurs  et  le  reste  du 
Golfe  qui  n'a  point  encor  esté  parcouru  et  yl 
fera  dans  le  cours  de  cette  visite  les  observations 
nécessaires  pour  perfectionner  la  navigation. 

k<  Il  examinera  en  particulier  quel  avantage 
on  pourrait  tirer  de  la  Baye  des  Chaleurs,  on 
prétend  qu'il  s'y  trouve  une  quantité  considérable 
de  chesnes  propres  pour  les  constructions,  et  que 
les  terres  du  fond  de  la  Baye  sont  propres  aux 
cultures. 

"  Les  srs  Pellegrin  et  Galocheau,  Pilottes  du 
Roy,  s'embarqueront  avec  luy.  Il  leur  fera  tenir 
un  journal  exact  de  la  campagne  qu'il  va  faire, 
pour  nous  être  remis  à  son  retour  qui  sera  dans 
le  courant  du  mois  de  septembre  prochain  fait  à 
Québec  le  vingt  six  avril  1740. 

Signé    BEAUHARNOIS, 

Pour  copie, 

HOCQUART. 

M.  de  la  Richardière  mourut  à  Québec  le  25 
octobre  1741,  à  l'âge  de  60  ans,  et  fut  inhumé 


223 


dans  la  chapelle  de  l'Ange  Gardien  de  la  cathé- 
drale. 

MM.  de  Beauharnois  et  Hocquart  annon- 
çaient sa  mort  au  ministre,  le  30  octobre,  dans 
les  termes  suivants  : 

"  M,  de  la  Richardière,  capitaine  de  port,  est 
mort  le  25  de  ce  mois,  à  son  retour  du  vaisseau 
du  Roy  qu'il  a  conduit  jusques  à  la  Prairie.  Il  se 
présente  trois  sujets  pour  remplir  cette  place, 
tous  trois  bons  navigateurs  qui  depuis  15  ou  20 
ans  commandent  des  bâtiments  marchands  pour 
la  France,  les  Isles  et  l'Isle  Royale  et  qui  con- 
naissent bien  la  Rivière  ;  ce  sont  les  Sieurs 
Daillebout  de  Cerry,  le  Gardeur  de  Beauvais  et 
Aubert,  gentilshommes  du  pays.  Le  dernier  a 
une  santé  fort  délicate,  nous  ne  pouvons  vous  le 
proposer  ;  les  2  autres  nous  paraissent  également 
bons,  et  vous  pouvez,  Monseigneur,  choisir  ou 
le  Sr  Cerry  ou  le  Sr.  Beauvais,  le  premier  com- 
mande un  navire  pour  les  Isles  qui  est  sur  son 
départ,  le  second  en  commande  un  autre  qui 
estoit  l'esté  dernier  à  Bordeaux,  et  qui  ne  doit 
revenir  que  l'année  prochaine. 

"  Le  S.  de  la  Richardière  estait  un  officier 
zélé  qui  avait  fait  la  guerre  dans  ce  pais  cy  ou 
il  avait  reçu  une  blessure  considérable.  Depuis 
15  ans  il  a  piloté  le  vaisseau  du  Roy,  en  allant  et 
revenant,  il  a  visité  et  parcouru  presque  chaque 
année  les  différents  endroits  de  la  Rivière  ou  du 
Golfe  avec  les  pilotes  du  Roy,  pour  assurer  d'au- 
tant mieux  la  navigation  des  vaisseaux  de  Sa 
Majesté  ;  il  laisse  une  veuve  sans  autre  bien 
apparent  qu'une  maison  et  quelques  meubles  ; 
elle  nous  a  prié  de  nous  intéresser  auprès  de 
vous  pour  luy  obtenir  une  pension,  elle  nous 
parait  estre  dans  le  cas  de  la  mériter."  (1) 


(1)  Correspondance  générale,  vol.  75,  f.  73. 


224 


CONTRAT    DE    MARIAGE    DE    THOMAS    LA 

NAUGUIERE    (THOMAS-XAVIER  DE  LA- 

NAUDIERE)    ET    DE    MARGUERITE- 

RENEE    DENYS  DE  LA    RONDE 

(ROMAIN   BECQUET,    12 

OCTOBRE  1672) 


Pardevant  Romain  Becquet  notaire  garde 
nottes  etc  furent  pnts.  en  leurs  personnes  Thomas 
La  Nauguière  Ecuyer  seigneur  en  partie  de 
Sainte-Anne  enseigne  d'une  compagnie  d'infan- 
terie au  régiment  de  Carignan,  demt,  ordinaire- 
ment en  sa  d.  seigneurie  de  Sainte-Anne,  fils  de 
deffunct  Jean  de  La  Nauguière  vivant  escuyer 
conseiller  du  Roy  en  l'eslection  d'estat,  et  de 
damoiselle  Jeanne  de  Samalins  ses  père  et  mère 
lors  de  leur  décès  demeurant  en  la  ville  de 
Mirande  evesché  d'Och,  d'une  part  ;  et  damoi- 
selle Marie  Catherine  LeNeuf  tant  en  son  nom 
que  comme  femme  et  procuratrice  gnal.  et 
speeialle  de  Pierre  Denis  escuyer  sieur  de  la 
Ronde  absent  par  procuration  passée  par  devant 
le  notaire  qui  reçoit  les  pntes,  le  vingt,  jour  de 
juillet  dernier,  laquelle  a  esté  xhibée  et  remise 
es  mains  de  lad.  damelle.  Denis  pour  s'en  servir 
en  ses  aut.  affaires,  stipulant  aud.  nom  pour 
damoiselle  Marguerite  Renée  Denis  leur  fille  à  ce 
pnt.,  tous  demeurant  en  cette  d.  ville  parc,  de 
Notre  Dame,  d'autre  part,  lesquels, 
ont  de  leur  bon  gré  et  volonté  sans  aucune  force 
ny  contrainte  recognu  et  confessé  avoir  fait  les 
traitté  acords  et  promesses  de  mariage  qui  en 
suivent,  c'est  à  scavoir  que  le  d.  sieur  de  La  Nau- 
guière a  promis  et  promet  prendre  pour  sa  légi- 
time  épouse  la   d.   damelle Denis,  comme 

aussy  lad.  damelle  Denis  du  consentement  de  lad. 


225 


Damelle.  sa  mère  esd.  nom  promet  prendre  à 
mary  et  légitime  espoux  led.  sieur  d  eLa  Nou- 
guère  pour  iceluy  mariage  faire  faire  et  solem- 
niser  en  face  de  nostre  mère  Sainte  église  catho- 
lique apostolique  et  romaine  le  plus  tost  que 
faire  se  pourra  et  ql.  sera  advisé  et  délibéré 
entr'eux  leurs  parents  et  amis  sy  Dieu  et  nostre 
d.  mère  sainte  église  y  consentent  et  accordent, 
pour  estre  les  d.  futurs  conjoints  uns  et  communs 
en  tous  biens  meub.  et  conquests  immeubles  du 
jour  de  le.  espouzailles  à  l'advenir  suivant  la 
coustume  de  Paris,  ne  seront  lesd.  futurs  con- 
joints tenus  aux  debtes  l'un  et  l'autre  payées  et 
acquittées  par  celuy  qui  les  aura  faictes  et  créés 
et  sur  son  bien,  sera  douée  et  doue  lad.  future 
espouze  du  douaire  coustumier  ou  de  la  somme 
de  deux  mil  livres  tournois  pour  une  fois  payée 
et  au  choix  de  lad.  damelle.  future  espouze, 
iceluy  douaire  à  prendre  et  avoir  sur  le  plus  beau 
et  plus  chair  des  biens  dud.  sieur  futur  espoux 
qu'il  en  a  dès  à  présent  chargées  et  hipotecquées, 
et  a  led.  sieur  de  la  Nouguère  futur  espoux  pris 
la  d.  future  expouse  avec  tous  ses  droits  noms 
raisons  et  actions  qu'elle  a  de  présent  et  qui  luy 
pourront  eschoir  cy-après  tant  par  succession, 
donnation  qu'autrement,  en  faveur  dud.  futur 
mariage  lad.  damelle  Denis  es  noms  a  promis  et 
promet  par  ces  pntes,  de  donner  à  lad.  damoi- 
selle  future  espouze  sa  fille  en  avancement 
d'ouairie  la  somme  de  quinze  cent  livres  tournois 
payab.  aud.  sieur  futur  espoux  dans  deux  mois 
d'huy  pour  tout  délay  laquelle  somme  de  quinze 
cent  livres  tiendront  nature  de  propre  à  lad. 
damoiselle  future  espouze  et  aux  siens  de  son 
costé  et  lignée,  et  arrivant  désolution  dud.  futur 
mariage  sans  effrants  procrées  d'iceluy,  les  d. 
sieur  et  damelle  futurs  conjoints  se  sont  faits  et 
font  donnation  de  tous  leurs  d.  biens  en  la 
meilleure  forme  et  manière  que  donnation  puisse 


—  226  — 

avoir  lieu  et  sortir  son  effect  en  tout  son  contenu 
de  tous  et  chacun  leurs  biens  meunles  acquêts  et 
conquets  qui  se  pourront  leur  apar tenir  au  jour 
de  trépas  du  premier  mournat  sans,  aucune 
chose  en  reserver  ny  retenir  pour  par  le  survi- 
vant d'eux  deux  du  tout  faire  jouir  et  disposer 
ainsy  que  bon  luy  semblera  au  moyen  des  pntes, 
et  pour  faire  insinuer  y  celles  etc  Car  ainsy  etc., 
promettant  etc.,  obligeant  chacun  en  droit  soy 
etc  Renonçant  de  part  et  d'aut.  etc  Fati  et  passé 
aud.  Quebecq  en  la  maison  dud.  seigneur  de 
Becancour,  l'an  g  b  ye  soixante  et  douze  après 
midy  le  douze,  jour  d'octobre,  en  présence  de 
Jean-Baptiste  Gosset  et  de  Simon  Baston  demeu- 
rant aud.  Quebecq  appelés  pour  tesm.  qui  ont 
signé  avec  lesd.  s.  futur  conjoints,  parents,  amis 
et  notaire  suivant  l'ordonnance. 

THOMAS   LANOUGUERE, 
MARGUERITE   RENEE  DENYS, 
LOUIS   DE  RUADE  FRONTENAC, 
M.    CATHERINE    LENEUF    DENYS, 
DANIEL  DE  REMY   COURCELLE, 
LENEUF   DE   LA   POTTERIE, 
TALON, 

RORINEAU    DE    BECANCOUR, 
MARIE  ANNE  LENEUF, 
FRANÇOIS    DORFEUILLE, 
RERTHIER, 

PIERRE  DE  RECANCOUR, 
LE  GARDEUR, 
GOSSET, 

MARIE    RENEE    DE    GODEFROY, 
RENE    ROBINEAU, 
BASTON, 
BECQUET, 

Et  arrivant  aujourd'huy  datte  des  pntes.  est 
comparu  led.  sieur  de  La  Nouguière  nommé  au 
contrat  de  mariage  cy-à  costé  leql.  damelle.  Le- 


—  227  — 

Neuf  femme  de  Pierre  Denis  Ecuyer  sieur  de  la 
Ronde  y  nommé  par  les  mains  dud.  sieur  de  la 
Potterie  aussy  y  nommé  la  somme  de  quinze 
cents  livres  y  contenus  dont  quittant  et  pro- 
mettant, obligeant  et  renonçant. 

Fait  et  passé  aud.  Quebecq  estude  du  notre, 
sousb,  Fan  g  b  y  soixt.  et  douze  avant  midy  vingt 
troz.  jour  d'octobre  ez  près,  de  Jean  Baptiste 
Gosset  et  du  sieur  Baston  dem.  aud.  Quebecq  qui 
ont  signé  avec  le  d.  sr.  de  La  Nouguière  et  nore 
suivant  Tord. 

GOSSET, 
J.    BASTON, 
LANOUGUERE, 
BECQUET,     (1). 


(1)  Archives   Judiciaires   de  Québec,  acte  de    Becquet. 


Ai 


,* 


INDEX  DES  PRINCIPAUX  NOMS 
CITÉS  DANS  CET  OUVRAGE 


Pages 

Baby,    L'honorable    François 117 

Boishébert,   Louise-Geneviève    Des    Champs    de    ...    .  84 

Coulon  de  Villiers,  Antoine 57,207 

Denys   de   la    Ronde,   Marguerite-Renée 224 

Deschambault,    Jacques-Alexis    de    Fleury 19 

D'Estimauville,    Marie-Joséphine 126 

Gaspé,  L'honorable  Ignace  Aubert  de 120 

Gaultier,     Jean-François 57 

Gordon,     Véronique      156 

Joliette,   L'honorable   Barthélémy 159 

La  Corne,    Geneviève-Elisabeth-Louise    de 114 

Lanaudière,  Agathe    T.    de 127 

Anne-Caroline-Josephte  T.  de 171 

Antoinette-Hélène    T.    de 169 

Antoine-Ovide    T.   de 125 

Charles-Barthélemy-Gaspard    T.   de    ....  166 

Catherine-Elisabeth    T.    de 116 

Charles-Pierre-Paschal-Gaspard    T.    de  169 

Charlesr-François-Xavier    T.    de 58,61 

Charles-Louis    T.    de 86 

Charles-Luc    T.    de 115 

Charles-Gaspard  T.  de 122,147 

Charlotte-Marguerite    T.     de 131 

Jean-Baptiste-Antoine-Joseph    T.    de     ...  172 

Jean-Baptiste-Léon    T.    de 59 

Joseph-Gaspard-Charles    T.    de 173 

Joseph- Jean-Gaspard    T.    dé 172 

Joseph-Antoine-Alphonse    T.    de 169 

Joseph-»Edouard-Ga$pard     T.    d;e 170 

Josephte-Antonine    T.    de 170 

Louis    T.    de 21 

Louis-Joseph  T.  de 58 

Louise-Rose   T.    de 20 


—  230  — 

Marie-Anne    T.    de 117 

Marie-Agathe    T.    de 119 

Marie-Antoinette-Suzanne    T.    de 163 

Marie-Catherine    T.    de 120 

Marie-Charlotte    T.    de 159 

Marie-des-Anges-Alice    T.    de 172 

Marie-Madeleine   T.   de 58 

Marie-Elisabeth-Joseph    T.    de 115 

Marie-Louise  T.  de 121 

Marguerite-Marie-Anne  T.  de 57 

Nicolas-Antoine    T.    de 116 

Pierre-Thomas    T.    de 23,25 

Pierre-Paul    T.    de 158,165 

Pierre-Charles   T.   de 127 

Roch    T.    de 116 

Suzanne-Antoinette-Almésine  T.  de    ...    .     166 

Thomas    T.   de 116 

Thomas-Xavier    T.    de 5,224 

"  Utichanne-Arthémise     de 169 

Xavier-Roch    T.    de 122 

Lavaltrie,    Suzanne-Antoinette    de 158 

Loedel,    Peter-Charles 163 

Longueuil,    Marie-Catherine    LeMoyne    de 85 

McConville,     Louis-Arthur 170 

Neilson,    Norman-John-Rieutort      172 

Pérade,   Jean-Baptiste-Léon   T.  de   la 59 

Pierre-Thomas    T.    de    la 23,25 

Richardière,  Richard  Testu  de   la 57,210 

Suève,   Edmond   de 203 

Taché,     Julie-Arthémise      168 

Verchères,  Marie-Madeleine  Jarret  de 30, 175 


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