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Full text of "La femme en Allemagne"

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LA FEMME 



EN ALLEMAGNE 



IL A ÉTÉ TIRÉ POUR LES AMATEURS : 



25 exemplaires numérotés sur Japon, avec double état des eaux-fortes. 



DU MÊME AUTEUR : 

Les Mœurs et la Gabicature es Allemagne, en Autriche, en Suisse. — 
1 voL gr. in-8«, illustré de plus de 325 planches en noir et en couleur 
(2« édit.), 1885. 25 » 

Raphaël et Gaubrlnus ou l'Art dans la brasserie. — 1 vol. carré, illustré 
de 150 vignettes en noir et en couleur, <886. 7 50 

La France jugée par l'Allemagne. — 1 vol. in-8« (Librairie Illustrée et 
K. Nilsson), 1886. 5 » 



Pour paraùre : 

Les Mœurs et la Caricature en France. — (Librairie Illustrée.) 



ÉVREUX, IMI'HIMERIE DE C U. UÉRISSEY. 



. L_.. s 



.-FORT 



J. GRAND-CARTERET 

LA FEMME 

EN ALLEMAGNE 



144 ILLUSTRATIONS 

DONT DEUX EACX-FORTES ET TROIS PLANC 




PARIS 

l.OflS WESTlIAU.SShK. i-i)iriai< 



, RUE SE LABBAYE, 10 



1887 

Tout droill riitrvii 



61.7 



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A TOUTES LES FRANÇAISES 

ET A MA FEMME EN PARTICULIER 

JE DÉDIE CE LIVRE 

SUR 

LA FEMME ALLEMANDE. 



J. G.-C. 




- Femmes célèbres d'autrelois 



PRÉFACE A LIRE 



En publiant La Femme en Allemagne, je n'ai 
nullement l'intention d'écrire l'histoire du monde 
féminin dans les pays d'outre- Rhin. Je ne veux ni 
continuer la comtesse Dora d'Istria, l'auteur Des 
Femmes, ni refaire pour le public français une his- 
toire de la femme allemande sur le modèle de l'œuvre 
magistrale du professeur Scherr. Si je m'arrête 
quelques instants au wm" siècle, ce n'est point pour 
ajouter un nouveaurécit à l'étemel thème, les femmes 
de Gœthe et de Schiller, m.ais bien pour noter, à son 
éclosion, unmouveTnent très particulier qui contribua 



Il PRÉFACE A LIRE 

dans une certaine mesure à caractériser les idées et 
les tendances allemandes dans le domaine spécial et 
si vaste de la féminalité. 

Dans cette suite d aperçus on verra que ce qui m,' a 
avant tout préoccupé c'est la psychologie. Tai voulu 
avec ce volume j — le premier dune nouvelle série que 
je compte également poursuivt^e, — fai^^e connaître 
Vhumanité par les fem^mes comme je tente d'écrire 
l'histoire et les mœurs des peuples par la caricature. 

Toucher à la femme^ du resle^ 71 est-ce pas toucher 
à l'humanité : comment parler délie d' mie façon quel- 
conque [san^ pénétrer dans la vie de la nation à la- 
quelle elle appartient ! 

Les temps ne sont plus où de vulgaires descriptions 
sur les types, sur les qualités physiques, sur les plai- 
sirs mondains, sur les soiiis du ménage pouvaient 
suffire à alimenter la curiosité publique. A notre 
époque que tant de grandes questions préoccupent, il 
faut autre chose, il faut surtout de l'observation. 

Ceci étant, j'ai cher^ché à analyser les sentiments 
les plus secrets de la race, j'ai cherché à définir les 
sensations, les idées, les appétences, les désirs des 
Allemands au ^ujet de la femme. Il ne suffisait pas 
en effet de caractériser la Germaine^ de rechercher 
les conditions économiques et sociales qui ont contri- 
bué à faire d'elle un type bien à part, il fallait expo- 
ser les idées allemandes y sur la femme en général et 
sur l'amour en particulier, il fallait toucher à cette 



PRÉFACE A LIRE III 

grande et délicate question des appétences sexuelles 
qui est la loi même de l'humanité. 

Là où d* autres j comme ce grand maître Mantegazza^ 
généralisent j je me suis imposé pour tâche de loca- 
liser. On verra donCj ici.pourquoi les Allemands sont 
à la fois plus idéalistes et plus matérialistes que nouSj 
pourquoiy aux frivolités alléchantes de Gustave Droz, 
ils préfèrent les riantes descriptions de la vie de 
famille j pourquoi en un mot, leur idéal de la femme 
diffère absolument de l'idéal français. 

Toutes choses plus intéressantes^ ce me semble^ à 
notre fin de siècle, que les ridicules pamphlets préten^^ 
dant fawe connaître les Allemandes, produit corn.- 
mercial, au titre ronflant^ de spéculateurs en littéra- 
ture^ dont la librairie a été inondée ces derniers 
temps, et qui du reste, il faut le reconnaître, ont été froi- 
dement accueillis par le public, — fatigué de toutes ces 
productions hâtives, de tout ce papier noirci^ de toutes 
ces insanités qui n'ont même plm Vexcuse de V esprit. 

Ce que les gens qui lisent — et Von sait que leur 
nombre va chaque jour diminuant, car je n'appelle 
point lecteurs ceux qui se contentent de couper des 
feuilles imprimées — ce qu'ils penseront de ce livre, 
je l'ignore ! 

Je n'ai pas besoin de dii'e que comme les précédents, 
comme tous ceicx qui sortiront de ma plume, il est la 
résultante de longues et sérieuses études. Et l'on verra 
qu'il a été conçu sur le même plan. 



IV PRÉFACE A LIRE 

// est illustré^ non point pour constituer un livre à 
images, mais parce que f estime que le trait graphique 
donne plus de couleur et^ partant^ plus de force à la 
pensée écrite. Et si rUlustration n*est pas entièrement 
ce que f aurais voulu^ je suis heureux cependant de 
pouvoir offrir au public des compositions originales 
d'une réelle valeur comme la suite des types viennois 
due au peintre Karger — un peintre délicat qui sait 
faire à la fois très fini et très artistique; — comme 
les croquis si puissants j si individuels de Hugo von 
Habermann, celui-là même que je saluais à la der- 
nière Exposition internationale de Munich y et qui est 
en passe de devenir un maître ; comme les mines de 
plomb si moelleuses^ si colorées de LossoWj aujour- 
d'hui conservateur de rimportanle Galerie royale de 
Schleissheim ( Bavière) j qui ont été rendues sur le 
cuivre par l'aqua- for liste Le fort avec une fidélité que 
je me plais à constater^ car l'œuvre était difficile; 
comme le fusain si gra^ d'Auguste Viollier^ comme 
la servante de brasserie^ la populaire Schûtzenlisle 
de Kaulbachy le jeune et savant directeur de l'Acadé- 
mie des Beaux- Arts de Munich y dont j' aurais souhaité 
une collaboration plus active. 

Du jour où l'idée de ce livre m'est venue^ j'avais 
pensé à faire interpréter l'Allemande à la fois par 
des crayons allemands et des crayons français. De 
quel intérêt n'eut pa^ été une œuvre semblable ! 

Mais il a fallu se restreindre : c'est pourquoi on ne 



i 



PRÉFACE A LIRE V 

trouvera ici que les c7*oquis de Mars^ Mars qui ne se 
contente pas de dessiner pour les journaux illustrés 
avec le chic que Von sait et qui vient de montrer dans 
ses charmants albums d'enfants de très y^éelles qua- 
lités d étude et d'observation. 

Ce serait ingratitude de m,a part de ne point 
remercier au moins nies amis F au et Coll-Toc, Vun 
de la ravissante couverture qui habille ce volume 
d'une façon si luxueuse et si pittoresque, l'autre des 
dessins exécutés d'après des documents allemands y 
tâche i7igrate et plus difficile qu'on ne semble le 
croire généralement. 

De même que je me suis laissé aller quelquefois au 
comique, de même Mars a cherché dans ses dessins 
la note de l'observation humoristique. Mais, là oie il 
a trouvé le grotesque, ses caricatures ne restent pas 
moins bienveillantes : les Allemands seront les pre- 
7niers à rire de la manière dont certains côtés typi- 
ques de leur individualité féminine ont été saisis. 

Quant aux documents illustrés^ ils sont comme tou- 
jours empruntés aux journaux, et principalement 
aux Fliegende Blaetter, cette merveilleuse caricature 
humaine dont je travaille à doter notre public, et qui^ 
pour le cas présent, nous fait pénétrer si profondé- 
ment dans les mœurs allemandes. 

Et maintenant, livre que je ne vois pas sortir des 
presses sans un certain regret — comme s'il empor- 
tait avec lui quelque chose de moi-même — va au gré 



Vt PRÉFACE A LIRE 

du vent. Tu auras pour toi les observateurs et les 
amateurs. Que veux-tu de plusf II n'y a ici ni crepi- 
tanda à la Laripète, ni succursales de Lourcine, ni 
hystéries littéraires à la Décadente, en un motni tire- 
l'ceil ni saltimbanquisme, les dieux du jour^ sous 
l'égide desquels de notables commerçants vendent ou 
de la guimauve ou de l'empoisonnement public. 

Je souhaite seulement, le jour où un Allemand 
écrira sur la Française le travail que j'eidreprends 
aujourd'hui sur la Germaine, qu'il le fasse avec la 
même impartialité. 

Joiix Grand-Carteret. 




' Vignette de Chodoviecki. 



LIVRE 1 



LA FEMME ALLEMANDE 



CK QLl KLLK EST. — CE QIE LES ALLEMANDS E> PENSENT. 



COMMENT ILS l'iNTERPRÈTENT PAR LE CRAYON 




ALLEMANDE ET FRANÇAISE 



S'il ne fallait considérer la femme qu'au point de vue 
du sexe, on pourrait dire que la Germaine est, comme la 
Gauloise, impressionnable et nerveuse, capable de tous 
les courages et sujette à toutes les faiblesses. Mais à côté 
de cette féminalité universelle remplissant sa fonction 
étemelle, renouvelant le monde physiquement et le pétris- 
sant moralement, se place le type particulier à la race. 

Chaque peuple a ses époques d'expansion, de prédomi- 
nance, durant lesquelles il trouve la conception la plus 
conforme à. ses idées, durant lescjueUes l'individuaUté 



4 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

s'accuse plus nettement. Or, le xvi® siècle a été pour TAlle- 
magne ce que furent pour la France le xvu* et le xvni®. 

Donc, la vraie femme allemande, c'est la femme de la 
Réforme, la femme à la haute coiffe de linon, empesée, 
ou au grand chapeau à plumes, à Taumônière, au trous- 
seau de clefs pendant à la ceinture, la femme des Dflrer, 
des Lucas Granach, des Hans Holbein, des Hans ScharaX- 
felein, la femme suivant les principes de Luther et de 
Johann Fischart, ce Rabelais allemand. 

Ce n'est plus la femme belle et preude, chantée par les 
Minnesomger, amoureuse idéale, et courtisane tout à la fois 
dans l'esprit de l'antiquité et du moyen âge ; c'est la 
femme d'une société plus pratique, bonne, fidèle, travail- 
leuse, compagne dévouée de l'homme, maîtresse du logis, 
éducatrice des enfants. 

Cette femme du xvi® siècle, qui a été et qui sera tou- 
jours l'expression la plus parfaite du génie de la race, 
est, elle-même, la résultante des idées qu'on trouve déjà 
dans la mythologie des anciens Germains. Elle porte en 
elle le sentiment de l'amour par la maternité, cette sainte 
notion du devoir qui aboutit au foyer conjugal; elle a je 
ne sais quoi de sensuel et de sentimental qui en font un 
type à part. 

Vous ne trouverez la vraie Germaine, la femme si 
puissamment développée par la Réforme, qu'à certaines 
époques de l'histoire. Elle s'efface, elle disparaît presque, 
lorsque le pays subit l'influence étrangère ; mais chaque 
fois qu'un grand mouvement national s'accentue, elle 
figure au premier plan, toujours semblable à elle-même, 
si bien qu'elle est aujourd'hui ce qu'elle était hier, et 



ALLEMANDE ET FRANÇAISE 7 

que demain sa physionomie se sera encore à peine 
modifiée. 

« Les femmes allemandes, » écrivait M™® de Staël en 
1810, « ont un charme qui leur est tout à fait particulier, 
un son de voix touchant, des cheveux blonds, un teint 
éblouissant; elles sont modestes, mais moins timides que 
les Anglaises... Elles cherchent à plaire par la sensibilité, 
à intéresser par Timagination. » Or, non seulement ce 
portrait est toujours exact, mais il peut, indifféremment, 
s'appliquer à l'Allemande du moyen âge, à l'Allemande 
des années de rénovation, à l'Allemande contempo- 
raine. 

De l'étude de la femme à travers les âges, il se dégage 
ceci que l'Allemande croit où la Française sait, qu'elle 
obéit où la Française aspire à régner. 

Ce n'est pas la femme capiteuse, gaie, spirituelle, moi- 
tié enfant, moitié sirène, dirigeant la maison en souve- 
raine, s'imposant par sa grâce native, par la flamme de 
son regard, par le charme de sa parole, par les élégances 
de la toilette dont elle sait se parer, c'est la femme de 
l'intérieur. 

Et pour qu'on ne se méprenne point sur ma pensée, pour 
qu'on ne m'accuse pas de donner à l'Allemande seule des 
vertus qui sont, en somme, le fait de toutes les femmes, 
je vais en quelques mots, définir le sens de ce mot et 
tracer les limites de ce domaine spécial. 

Tout comme les autres, la Française sait être femme 
d'intérieur, mais sans jamais abdiquer, c'est-à-dire, sans 
jamais renoncer au monde ni à la domination qu'elle 
prétend exercer. EUle est fière de montrer ses enfants, de 



8 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

les habiller, de les pomponner, de les sortir; mais chez 
elle, la maternité, quelque vive soit-elle, n'étouffe jamais 
complètement la femme ; non pas la femme considérée 
comme compagne de l'homme, mais la femme avec son 
orgueil de beauté et de puissance respectée, avec ses 
besoins de bruit et de triomphe. 

Menant ainsi, plus ou moins, suivant qu'elle est ou non 
mère, une vie en partie double, elle ne connaît pas cette 
sentimentalité particulière, ce recueillement, cette sorte 
de claustration de l'intelligence livrée à ses seules rêveries 
au milieu de Tenfant grandissant, qui est le propre de la 
femme allemande; si bien que, là où cette dernière trône, 
maîtresse d'un monde tout intime et tout particulier, 
nous n'avons, nous, qu'un espace restreint, qu'un petit 
coin de vie arraché non sans peine aux attractions du 
dehors. 

Assurément, ce royaume d'essence germanique peut se 
rencontrer en France : il suffit pour cela, de jeter un 
coup d'œil dans la vie de province, et plus encore, dans 
l'intérieur de certaines familles protestantes ; mais, ces 
dernières exceptées, parce que, malgré leur nationalisme, 
elles sont plus ouvertes aux conceptions anglo-saxonnes, 
ce n'est pas là encore l'intimité telle qu'elle est conçue 
en Allemagne, l'intimité, royaume féminin étendant son 
domaine sur tout ce qui constitue le ménage, depuis la 
confection des tartines de pain noir, rendue classique par 
la Charlotte de Gœthe, jusque sur la chambre, Fétuve des 
enfants, pour laisser à cette expression sa pittoresque 
saveur. Mélange singulier d'idéalités et de réalités qui fait 
à la femme une situation à la fois supérieure et inférieure 



ALLEMANDE ET FRANÇAISE 9 

à celle que lui reconnaît notre civilisation française, et 
dont le sens se trouve nettement défini par le proverbe 
allemand quand il dit : Femme diniérieuT ne doit pas être 
femme d extérieur. Tant il est vrai, que les devoirs et les 
charges, les satisfactions et les joies de la vie intime, ne 
se peuvent, dans l'esprit germanique, concilier avec les 
exigences et les fatigues multiples de la vie mondaine. 

Malgré soi, en contemplant cet état de choses. Ton 
songe à Taxiome d'une réalité si saisissante, formulé tant 
de fois par des penseurs dégagés de préjugés, axiome qui 
peut se résumer ainsi : il faudrait, pour bien faire, possé- 
der deux femmes ; une qui serait l'épouse et la mère, 
l'autre qui serait la femme du dehors, la femme d'appa- 
rat, destinée à représenter dignement par sa toilette, 
par sa beauté, le grand nom ou la haute position de 
l'homme. 

N'est-ce pas aussi, peut-être, mais en se confinant plus 
spécialement dans le domaine des sens, ce qu'a cherché 
un peu notre civilisation parisienne en admettant le prin- 
cipe de la dualité des ménages, du vrai et du faux ménage, 
de la femme officielle, légitime, position sociale, et de la 
femme illégitime, instrument de plaisir, représentant le 
caprice et la fantaisie. 

Et comme il importe de tout bien établir ; comme les 
moindres nuances dans les mots peuvent avoir une impor- 
tance capitale, comme l'on pourrait tirer de ceci des con- 
clusions absolument fausses, je dois dire qu'en reléguant 
ainsi la femme chez elle, l'Allemand n'a point eu l'inten- 
tion de la tenir sous tutelle, pas plus qu'il n'a voulu 
constater son infériorité, car un autre proverbe, non 



10 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

moins populaire de l'autre côté du Rhin, déclare, sans 
ambage, que là où il n'y a pas de femme, survient la dé- 
solation. 

Ouvrez les œuvres de Ulrich de Hutten, et surtout ces 
Propos de table de Luther qui ont conservé une saveur si 
particulière, vous y trouverez au sujet de la femme, toute 
la pensée allemande. Vous y verrez également, que, 
homme à thèses, toujours à la recherche de quelque clas- 
sification nouvelle, l'Allemand a voulu constituer à la 
femme un domaine intellectuel et efi'ectif, en rapport avec 
ses conditions physiques et morales, qui put lui permettre 
de développer ses qualités et qui fut en môme temps 
un port, un refuge contre les troubles et les vides de 
l'existence. 

Une femme seule est une femme perdue, a-t-on dit bien 
souvent en France , parce qu'elle tombe fatalement entre 
les mains de celles de ses semblables intéressées à la 
faillite de son honneur. D'autre part, je ne sais plus quel 
profond penseur disait : « Toute réunion de femmes est 
une conspiration contre la tranquillité de l'homme ». Eh 
bien ! rien de tout cela en Allemagne, où la femme est 
moins désœuvrée, où l'homme apparaît avec toute sa su- 
périorité, où dans les réunions du beau sexe, la conversa- 
tion porte sur des sujets moins frivoles, où la toilette n'est 
pas l'unique objectif. Pédantisme et préciosité, objectera- 
t-on! Soit, je le reconnais, c'est là l'obstacle. 

Mais accuser l'Allemand de manquer de tendresse à 
l'égard du sexe féminin, alors qu'il a à son service, quand 
il le veut, une langue si poétique, si imagée, ce serait 
faire fausse route. Ce n'est pas lui qui emploierait dans 



ALLEMANDE ET FRANÇAISE il 

la conversation courante les expressions dont nous nous 
servons journellement; ce n'est pas lui qui dirait tout 
sèchement : Que fait votre femme ? — Comment se porte 
madame? Ecoutez-le s'informer auprès d'un ami des nou- 
velles de la famille ; ce sera ou avec respect ou avec ten- 
dresse. S'il est d'un certain monde, dans lequel l'on 
s'incline, avant tout, devant les privilèges de la naissance 
ou de la position, il ne parlera que de la très bien née, de 
ia très honorée madame; mais s'il appartient, au contraire, 
à la petite bourgeoisie, quelle tendresse ne mettra-t-il pas 
pour demander : Comment va la petite femme ? ou bien : 
Comment se porte votre bien-aimée ? 

Et cette poésie , lorsqu'il s'agit non pas de la femme 
prise dans son ensemble mais particulièrement de la mère 
et de l'épouse, il cherche à la glisser dans les choses les 
plus prosaïques de la vie. Quel que soit le mot dont il se 
servira pour envisager les conséquences naturelles de 
l'union sexuelle, aucun d'eux n'aura la vulgarité de nos 
expressions : être grosse^ être enceinte. Et ce serait se 
tromper étrangement que de voir dans ce fait le germe de 
la pruderie de langage particulière aux races protestantes, 
puisqu'il en est ainsi dans toute l'Allemagne, catholique 
ou réformée. 

Ce qui est vrai, c'est que l'Allemand ne peut se 
résoudre à mélanger l'idéalité avec l'animalité ; c'est qu'il 
n'aime pas à aborder les choses matérielles sans les 
recouvrir prudemment d'une sorte de gaze légère. Mais 
si son esprit est largement ouvert à la poésie, il n'est pas, 
pour cela, fermé au prosaïsme de la vie. Qu'il s'agisse 
d'être grossier, et l'Allemand ne restera pas en arrière : 



12 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

entendez-le accabler d'injures la femme qui trafique de 
son corps, et vous serez édifié. 

Parlerons-nous de la galanterie ? Sur ce point, entre la 
conception allemande et la conception française , il y a 
tout un monde. L'Allemand n'entend rien à ces petits 
soins envers les femmes dont le Français possède le secret, 
pas plus qu'il ne sait tenir ces mille propos flatteurs dont 
le beau sexe se montre partout si friand. Compliments bien 
tournés, douceurs, amabilités plus ou moins banales, tout 
cela lui reste étranger. Il entoure la femme d'idéalité et de 
rêverie, mais il ne sait pas la flatter. Et cela se conçoit. 

Ce que vise l'Allemand, en effet, ce n'est point la 
femme dans sa grâce, dans son esprit, dans sa beauté 
physique; c'est la ménagère honnête, c'est l'épouse fidèle, 
c'est la mère aimante. 

Si haut qu'on remonte dans l'histoire, le fait de dire 
des galanteries ou d'avoir de galantes aventures est le 
propre du Français, le peuple entreprenant par excellence. 
L'Allemand s'embarque rarement dans ces sortes d'af- 
faires ; il est trop sérieux pour les débats amoureux. 
Comment voudrait-on qu'il fît bonne figure, lui, à la plai- 
sfinterie si matérielle, si rabelaisienne, dans une guerre 
où toutes les finesses de l'esprit sont sans cesse en jeu ; 
où il s'agit d'amener à capitulation une femme qui, pour 
se défendre, a bec et ongles ; où tout repose sur des 
pointes d'aiguilles ; où l'effronterie et la hardiesse con- 
duisent toujours à la victoire. 

Et puis, en France, qui est sorti victorieux des combats 
de l'amour est bien près de connaître le secret des 
batailles humaines ; ce sont des premières armes qui con- 



ALLEMANDE ET FRANÇAISE 13 

duisent à tout. En Allemagne, ces sortes d'exercices équi- 
valent à des coups d'épée dans Teau. Un proverbe 
germain ne dit-il pas que les amants sont de mauvais 
guerriers ? 

Peut-être aussi, ce peu de propension pour la galan- 
terie doit-il être attribué au fait que l'Allemande, s'aban- 
donnant facilement, ne sait pas comme la Française 
préserver son coeur, ce qui rend souvent l'aventure dan- 
gereuse. Jouer avec Tesprit est fort excitant, fort piquant ; 
on a Tair de se donner et on ne laisse que ce que Ton veut 
bien ; mais ouvrir son cœur c'est se livrer entièrement, 
sans espoir de retour, et voilà pourquoi la coquette Alle- 
mande est plus redoutable que la coquette Frfinçaise. Heu- 
reusement, il est vrai, elle est aussi plus rare. 

L'Allemande peut être sensuelle par tempérament ; eUe 
est, pour employer l'expression classique, solide par nature. 
Je veux dire que la légèreté de caractère, cette légèreté 
qui, en France, est une des particularités de la race, ne lui 
sied point, et j'ajoute que le vice ne sait pas, chez elle, 
prendre ces dehors brillants qui, ici, attirent, et charment 
souvent môme les plus vertueux. 

S'il fallait donner à ces quelques notes une conclusion, 
je dirais que la femme française exerce son empire de 
mille façons, par sa beauté, par sa câlinerie, par son in- 
fluence magnétique, par les charmes de sa conversation, 
par sa toilette ; c'est aVant tout une forte tête, qui sait diri- 
ger les plus grosses entreprises, tout comme elle est 
passée maîtresse dans l'art si difficile de recevoir. Eîlle 
commande et ses ordres sont exécutés comme autant d'ar- 
rêts souverains. 



14 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

Combien, à côté, la femme allemande apparaît humble 
et réservée ; elle qui trône à la cuisine et qui gouverne 
la chambre des enfants ; elle qui ne sort des confitures 
que pour entrer dans les compotes ; elle qui ne quitte une 
broderie que pour prendre un crochet. Certes, ce n'est 
pas elle qui trouvera la maison trop étroite ou qui aura 
des envolées vers le dehors ! 

Pourtant il ne faudrait point voir dans cette ména- 
gère, épouse et mère avant tout, un esprit fermé à toute 
conception intellectuelle, loin de là. Elle a souvent de 
réelles tendances esthétiques et par le fait qu'elle vit pai- 
siblement dans son intérieur, elle aime à orner ce home 
qui est son coin de palais. Mais solide comme femme, elle 
fera appel à une décoration solide^ à un ameublement 
solide; Allemande, elle sera la propagatrice la plus infati- 
gable de ce mouvement qui a poussé l'Allemagne entière 
vers les souvenirs d'un glorieux passé artistique. 

Oui, certes, dans ce culte de l'intérieur, dans cette vie 
intime et comme réservée, il y a quelque chose du passé, 
du moyen âge, alors que le foyer était le véritable centre 
de la vie, alors que le dehors, belliqueux et incertain, 
était réservé aux jours de grandes fêtes et de grandes 
cérémonies. 

Et quand, pénétrant plus avant dans cet intérieur peuplé 
d'enfants, on aperçoit la femme, toujours sérieuse, tou- 
jours occupée à quelque soin domestique, on ne peut 
s'empêcher, pour peu qu'on évoque alors la figure gaie et 
souriante de la Française, toujours par monts et par vaux, 
toujours pimpfinte et désirable, on ne peut s'empêcher, 
dis-je, de voir dans l'Allemande une femme d'essence» 



ALLRMANDE KT FRANÇAISB l'> 

essentiellement bourgeoise et dans la Française une femme 
d'essence essentiellement aristocratique. Peut-être môme, 
si l'on a quelques attaches, si légères soient-elles, avec le 
mormonisme, — cette nouvelle forme du christianisme 
dans les grandes villes, — dira-tron avec ce voyageur du 
XVII* siècle : « Ayez l'Allemande pour femme, et la Fran- 
çaise pour maîtresse )• . 




lie Clioilowji'i.'ki. 



Il 



L'AMOUR ET LES FEMMES AU XVIII" SIÈCLE 



Ce n'est pas seulement par la variété du type, mais 
encore, et surtout, par la différence de la conception que 
les femmes se distinguent entre elles. Sur la plupart des 
points, une Allemande ne verra pas comme une Fran- 
çaise ; ce qui explique pourquoi l'Allemagne n'a, dans son 
histoire ancienne, aucune femme qui puisse se mesurer 
avec Jeanne d'Arc. Des prêtresses germaines comme Veleda 
ou Thusnelda, des bourgeoises comme les femmes dévouées 
de Weinsberg qui, ayant obtenu de quitter la ville assié- 
gée avec tout ce qu'elles avaient de plus cher, sortirent 
portant leurs maris sur les épaules; tels sont les types 
immortalisés par la légende. 

Et toutes ces femmes, moins viriles que la Française, 
sont plus grandes féminalement ; elles ont toujours en elles 
ce côté de l'intimité, de la Hausfrau qui est bien, décidé- 
ment, la caractéristique de l'Allemande. 

Ces particularités tiennent, il faut le dire, aux conditions 
politiques du pays : la Germaine, avec ses idées d'intérieur, 
d'ordre, de royaume féminin, est le produit des villes libres 

3 



18 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

et impériales, de la religion bourgeoise et nationale, insti- 
tuée par Luther. La maison et la cité, voilà son horizon. 

Plus tard, lorsque l'Espagne et la France viennent 
déteindre sur les mœurs allemandes, lorsque Alamode^ et 
le règne des maîtresses s'implantent de l'autre côté du 
Rhin, cette môme femme se calfeutre dans son intérieur 
et, pour employer l'expression d'un écrivain local, laisse 
passer l'orage. Les cours et les petites principautés peu- 
vent vivre à la française, donnant l'exemple de tous les 
luxes et de toutes les dissipations ; Germaine, elle tâche 
de s'opposer au courant étranger sans pouvoir, toutefois, 
sauvegarder entièrement l'esprit de famille. 

Vient même un moment où l'exemple, parti d'en haut, 
finit par modifier les mœurs : si dans les vieilles cités le 
type de la ménagère se conserve encore, les villes nou- 
velles, comme Berlin, vont créer une Allemande, plus 
femme dans l'acception française du mot. 

D'autre part, les terribles événements de la fin du 
xvni® siècle et du commencement du xix® donnent nais- 
sance à un sentiment nouveau, le sentiment de la patrie, 
dont la femme ne sera pas la dernière à ressentir les effets. 
D'où trois types féminins qui sont la résultante soit des 
événements eux-mêmes, soit des idées remuées par de 
puissants penseurs : 

La femme de l'intimité, 
La femme émancipée, 
La femme patriote. 

* Mot créé par les écrivains allemands du xvn* siècle, et qui désigne les 
personnages et les choses à la mode étrangère, de France ou d'Espagne. 



l'amour et les femmes ad xviii^ siècle 19 

Au premier rang apparaissent les femmes de Gœthe et 
de Schiller, ces femmes tant de fois poétisées par Tart 
et la littérature, bien Germaines de conception, avec un 
je ne sais quoi d'indéfini, de vague, qui marque les aspi- 
rations nouvelles de la pensée allemande. 

Gœthe a, avant tout, le respect et le culte de la femme. 
« L'amour est tout », dit-il lui-même, « vivre sans aimer, 
c'est battre de la vaine paille » . 

On ne saurait douter de sa sincérité, et, cependant, de 
nos jours, un écrivain pour lequel je professe la plus grande 
sympathie, Barbey d'Aurevilly, le merveilleux quoique 
trop paradoxal styliste , dit dans son Gœthe et Diderot, 
— deux dieux qui le gênent, je ne sais trop pourquoi : — 
« Les amours de Gœthe sont de niaises et lourdes amou- 
rettes, Gœthe n'a jamais été amoureux ». 

Cela prouve simplement que Barbey d'Aurevilly ne 
connaît pas l'amour allemand ou, plutôt, ignore une des 
phases par lesquelles cet amour, très particulier, a passé. 

Depuis plus d'un siècle, en effet, la pensée chez nos 
voisins cherche à s'insurger contre le relatif; elle est sans 
cesse travaillée par le besoin d'immatérialiser l'idéal, c'est- 
à-dire de lui constituer un monde à part, dans cette vie 
toute matérielle. ;De là, les rêveries dont Gœthe donne le 
signal, Gœthe qui, courtisé à la fois par les deux filles du 
maître de danse de Strasbourg, se promène des journées 
entières dans le jardin du vieux pasteur Brion, avec cette 
Frédérique, son premier et son dernier amour, son éter- 
nelle incarnation féminine au travers de tous les corps 
humains; Frédérique qui est à la fois. Mignon, Ottilie, 
Marguerite, la douce et tendre Gretchen. 



20 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

Comment, vous qui avez si bien défini Charlotte la beur- 
rière de tartines ^ pour employer votre pittoresque image, 
ainsi que la tricoteuse perpétuelle de Wilhelm Meister ; 
comment pouvez-vous, ô Barbey d'Aurevilly, vous le 
remueur d'idées, vous le ciseleur de mots, méconnaître cet 
amour allemand, tout idéal, tout esprit, qui brûle le cœur 
et qui refuse d'enflammer les sens, cet amour avec ses 
promenades au clair de lune, sous les bosquets ombreux; 
avec les entretiens la main dans la main où le remuement 
des lèvres constitue la plus brillante éloquence ; avec les 
confidences où les âmes semblent s'entr'ouvrir ; avec cette 
ivresse où le baiser seul est permis; ivresse qui reste 
confinée dans la tête et dans le cœur, et qui repousse non 
seulement la jouissance immédiate et irréfléchie, mais qui 
va même jusqu'à s'opposer à la légitime possession par le 
mariage, tant il lui semble que la possession matérielle et 
légale de la femme est contraire à lamour. 

On est allé plus loin dans cette méconnaissance. Quel- 
qu'un n'a-t-il pas écrit que la trinité de Gœthe, du fiancé 
de Charlotte et de Charlotte, constituait le ménage à trois. 
Eh bien ! là encore, on a confondu la communauté morale 
avec la communauté matérielle. Oui, certes, pensées, émo- 
tions, idées, vibrations spirituelles, en un mot, sont com- 
munes à ces trois êtres ; à ces deux jeunes gens qui affichent, 
avant tout, la dignité morale, à cette jeune fille qu'on 
pourrait prendre pour une sœur tant elle est respectée, et 
qui est presque possédée intellectuellement par chacun 
de ces deux êtres, un soupirant, un fiancé. 

Et les choses, on le sait, ne s'arrêtent pas là. Lorsque, 
plus tard, Charlotte se marie, Gœthe la tutoyé comme par 



LAMOUR ET LES FEMMES AU XVIII*^ SIÈCLE 21 

le passé, Gœthe l'appelle toujours ma Lotte^ Gœthe corres- 
pond avec elle, il continue à s'imprégner d'elle et à Tim- 
prégner de lui. Le conseiller de Weimar se réchauffe à cet 
échange de pensées féminines, et Charlotte, la svelte jeune 
fille d'autrefois, aux yeux bleus, aux tresses blondes, qui 
a soutenu son père et élevé ses jeunes sœurs, qui est main- 
tenant la classique Hausfrau, Charlotte porte en elle quel- 
que chose du grand homme. 

Gœthe qui n'a pas encore voulu tâter du mariage, qui 
n'a pas voulu « faire l'essai du bonheur, » qui a esquissé 
tant de fois le même roman, avec Lili Schœnemann, avec 
la baronne de Stein, pût-il ainsi, toujours, maîtriser sa 
passion, confiner son amour dans les bornes de l'extase 
spirituelle. Ses désirs, ses appétences, éclatant sur le 
tard, sont là pour nous répondre. 

Un jour vint où il regretta de voir ainsi aux bras des 
autres celles qu'il aimait, et ce jour-là, ce fut pour deman- 
der à la baronne de Stein de quitter un époux qui ne pou- 
vait faire son bonheur, et de venir vivre avec lui. 

Ainsi donc, et ici je suis d'accord avec Barbey d'Aure- 
villy, c'est l'aveu d'impuissance de l'amour idéal à satis- 
faire les aspirations humaines ; c'est la rentrée en scène 
de l'homme matériel qu'on avait cru pouvoir étouffer sous 
les fleurs de la rhétorique amoureuse. 

Mais ce n'en est pas moins un des côtés de la passion 
allemande, aux prises avec la jeune fille, avec la ménagère 
des temps passés, remuée par je ne sais quelles aspira- 
tions plus intellectuelles du grand siècle philosophique. 

Si l'Allemande du xvin® siècle est encore la femme de 
l'intérieur, elle a un brillant, un piquant, que n'avaient point 



22 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

ses sœurs des siècles précédents ; elle a surtout un besoin 
d'expansion, qui apparaît d'autant plus grand qu'elle a été 
longtemps comprimée. 

En comparaison de ceux qui vont venir, Gœthe est un 
timide, mais il a attaché le grelot et les autres affirment ce 
qu'il a à peine esquissé. N'est-ce pas Henri de Kleist qui 
voulait qu'une jeune fille devînt sa femme sans que sa 
famille le sût ; n'est-ce pas lui qui proposait à sa fiancée 
de briser subitement, et pour toujours, ses liens antérieurs, 
les liens de l'enfant avec le père et la mère ; enfin, n'est-ce 
pas lui, encore, qui voyait dans les préliminaires du mariage 
— qu'on note bien ceci, — le déshonneur de ce qui doit 
être, avant tout, la libre union de deux âmes? 

Mais dès lors, il faut le dire, dans les classes élevées 
tout au moins, l'Allemande de Luther a vécu. Le grand 
mouvement religieux du xvi® siècle s'est perdu dans des 
discussions dogmatiques qui rétrécissent les idées, qui 
étouffent les caractères, qui isolent la femme et donnent 
à son rôle, au sein du foyer, un cachet de tristesse morose. 
C'est donc contre la piétiste, à l'esprit étroit et renfrogné, 
que se liguent les philosophes et les femmes qui veulent 
s'émanciper de ce bigotîsme sans souffle et sans idéal. 

Frédéric Schlegel, Jean-Paul et Schleiermacher du côté 
des hommes, Caroline MichaëHs, Henriette Herz, Char- 
lotte de Kalb, M™® de Krudener, Emilie de Berlepsch, 
Adèle Cohen, Rachel Varnhgen, Charlotte Stieglitz, sont 
plus ou moins à la tête de ces émancipées; prêtres et 
prêtresses de l'art, du génie nouveau qui devait allumer 
dans plus d'un cœur et des convoitises passionnées et des 
aspirations incohérentes, surexcitant les esprits jusqu'au 



l'amour et les femmes au XVIII® SIÈCLE 23 

point de leur faire perdre la sensation du vrai et du 
juste. 

Ce n'est plus Augsbourg, ce n'est plus Nuremberg, ce 
n'est plus Cologne, ce n'est plus Francfort, ce ne sont 
plus les cités aux anciens patriciats, tout pétris d'un dogme 
orgueilleux, qui donnent le branle aux idées nouvelles ; le 
mouvement vient des villes imprégnées de l'esprit philoso- 
phique de la France voltairienne et révolutionnaire, de 
Berlin comme de Mayence. 

Un élément nouveau, au point de vue de l'esthétique 
féminine, doit également contribuer pour une grande part 
à ce mouvement, c'est l'élément juif, apparaissant ainsi 
sur la scène du monde, avec des idées neuves, des for- 
mules moins étroites, une façon bien à part de concevoir 
et d'exprimer les choses. Toutes ces femmes juives, Adèle 
Cohen, les filles du banquier Meyer, les filles du banquier 
Ilzig, les Ephraïm, Rachel Varnhagen, Sophie Bernhard, 
la protectrice en titre des poètes, sont belles, vives, intelli- 
gentes ; elles possèdent une grande liberté d'esprit, et 
montrent de réelles dispositions non seulement pour les 
langues modernes, mais encore pour l'étude de toutes les 
questions importantes de philosophie, de morale, d'esthé- 
tique. Et à partir de 1800, lorsque l'aristocratie laissera 
quelque peu de côté ses anciens préjugés, lorsqu'elle ne 
craindra pas de s'allier à ces femmes, mondaines autant 
que les anciennes Allemandes l'étaient peu, spirituelles et 
enjouées autant que les protestantes du jour sont froides 
et méthodiques, la société berlinoise occupera une place 
bien à part dans le monde féminin. 

Que d'idées, que de conceptions hardies, furent soûle- 



LA FEMME EN ALLEMAGNE 



vée3 et discutées dans ce monde où trôna si longtemps 
Henriette Herz, surnommée la Bécamier allemande, la 
Muse tragique, à cause de son attitude majestueuse, ou 
encore la belle Circassienne, grâce à la blancheur de son 




e Racliel VarnliaKen. 

t grarare du tempt.) 



teint, Henriette Herz qui est l'amie, aussi intime que pla- 
tonique, de toutes les illustrations de l'époque. 

Mélange bizarre d'idées religieuses et philosophiques, 
de Judaïsme et de protestantisme, qui devait amener la 



L AMOUR ET LES FEMMES AU XVIll" SIÈCLE 3à 

fondation de celte ligue de vertu ou liommea et femmes 
se tutoyaient le plus tendrement possible, oîi l'on correspon- 
dait en hébreu, où l'on échangeait bagues et silliouettes mys- 
tiques, où l'on poursuivait le développement moral et le bon- 




Fig. 6. — Portrait de Henriette Hen. 

{D'aprét tnf gravur* du Itmpi.) 

heur par r affection, mais sans devoirs, parceque Xaffection, 

érigeait-on en principe, ne peut pas connaître de devoirs. 

Quant à ce qu'on est convenu d'appeler la bienséance. 



2fi LA FEMMi: EN ALLEMAGNE 

considérée comme une règle conventionnelle, elle était, 
purement et simplement supprimée. 

On peut juger de ces amitiés, de ces intimités, par les 
rapports qu'eurent longtemps ensemble Henriette Herz 
et Schleiermachcr, rapports, je le répète à nouveau, tout 
platoniques, qui se bornent au tutoyement de deux intelli- 
gences éprises d'idéal et d'excentricité, sans qu'on ait 
môme jamais essayé de s'aimer d'amour. 

(( Nous sommes liés par l'amitié la plus pure, la plus 
fidèle, la plus dévouée, » écrivait Henriette à Schleier- 
macher, « mais jamais, jamais, je ne pourrai, je ne devrai 
t'appartenir comme épouse ! » Ce à quoi notre théologien- 
philosophe répondait par une distinction bien typique 
entre ^< la coquetterie libérale et la coquetterie illibérale, 
celle qui se propose de captiver Thomme tout entier, et 
celle qui se contente d'éveiller ses sens. » 

Et déjà dans Schleiermacher, l'on sent germer les grandes 
idées qui prévaudront plus tard au point de vue du mariage 
et de la femme, idées étouffées par le code Napoléon mais 
que devait revendiquer bien haut la philosophie allemande. 

Ces idées, c'est que le mariage, association d'âmes 
humaines et de forces génératrices, n'en est plus un dès 
qu'il lui manque cette condition intérieure et essentielle de 
r union ; c'est que le divorce, garantie morale, est insuffi- 
sant au point de vue physique ; c'est que, pour arriver à 
des mariages parfaits, il faudrait, souvent, échanger les 
couples entre eux. 

Comme on est déjà loin des chastes amours de Gœthe, 
dans ces dissertations sur l'amour physique où tout est 
analysé, froidement disséqué ! 



l'amour et les femmes au xviii^ siècle 27 

Que penser, par exemple, de Caroline Michaëlis, succes- 
sivement femme du médecin Bœhmer , du philosophe 
Schlegel, du philosophe Schelling, qui commence à 
Tidylle pour finir par Tinlrigue, après avoir subi les per- 
sécutions que lui valent ses sympathies françaises? Et 
pourtant que de puissance intellectuelle dans celle que 
Gœthe appelait M^ Lucifer et dont il eut bien soin de 
se garer ; dans celle qui fut l'inspiratrice de M™® de 
Staël, qui développa le romantisme, qui soutint le libéra- 
lisme. 

Quoi qu'il en soit, Werther de Gœthe, Lucinde de 
Schlegel, Titan de Jean-Paul, sont les trois œuvres capi- 
tales pour l'étude des idées allemandes au sujet de 
l'amour et des sensations féminines. Toutefois, dans 
Lucinde qui émut si profondément l'Allemagne, l'amour, à 
proprement parler, n'a rien à faire; ce n'est plus de la 
passion, c'est du raisonnement, c'est de la description qui 
vise à l'effet ; le but est, avant tout, de saper l'honnêteté 
conventionnelle. 

Mélange de passion et de mysticisme, l'œuvre de Schle- 
gel chante les sens, le caprice, les droits de l'individu à 
l'amour ; c'est à la fois une apologie de la nature et de 
l'innocence dirigée contre la société, comme le xvni® siècle 
aimait tant à en concevoir. Il y a plus; par ses descriptions 
des mystères de la folie féminine et de la joie de l'homme, 
il arrive à produire une peinture moralement immorale 
qui devance de près d'un siècle les études littérairo- 
naturalistes de notre époque. On peut rapprocher des 
Bijoux indiscrets de Diderot, le portrait de Caroline Schle- 
gel qui y figure, portrait tout plein de libertinage esthé- 



28 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

tique et moral, ainsi que de sentimentalité amoureusement 
obscène. 

Et il faut d'autant plus noter ce rapprochement du sen- 
timent et de la sensualité vulgaire, qu'il survivra à Fœuvre 
du philosophe ; qu'il doit constituer, par la suite, un des 
côtés les plus particuliers du caractère allemand. 

Faut-il également parler de la hardiesse des opinions 
émises? Voici de quoi nous édifier. Tandis que Henriette 
Herz s'étonne de l'importance qu'on semble attacher dans 
les romans à la conservation de la chasteté avant le 
mariage, Schlegel, qui avait émis l'avis qu'on devrait bien 
déporter en Angleterre toutes les prudes, proclame haute- 
ment que la plupart des mariages sont des concubinats ou, 
du moins, des essais provisoires de mariage. 

Ne vous récriez point, ces idées seront reprises par la . 
suite, vous les retrouverez sous la plume de plusieurs écri- 
vains, traçant leur sillon, jusqu'au jour où on les verra 
pénétrer dans l'esprit des masses. 

Justes ou fausses, elles n'en doivent pas moins figurer 
dans les agrégations successives, qui ont contribué à 
constituer l'Allemande actuelle. 

Mais tandis que les philosophes et les femmes émanci- 
pées, les Juives surtout, ce fait ne doit pas être oublié, 
s'épuisaient dans des revendications humanitaires, mélan- 
geant agréablement sentimentalité et sensualité, créant un 
érotisme tout à fait particulier, bien allemand par son côté 
sérieux et pédant, de l'erotique documentaire en quelque 
sorte, d'autres Allemandes se faisaient remarquer dans un 
domaine différent, non plus par leur étroit amour pour la 
famille, pour la cité, mais par un amour plus large et sur- 



l'amour et les femmes au XVIII" SIËCLE 20 

tout plus moderne pour la patrie allemande ou plutôt pour 
la patrie prussienne, amour qui prit naissance à la suite 
des immenses désastres de 1806. Ce sont toujours les 
grandes catastrophes humaines qui font naître chez les 



A)«'JX,^. 




- GrdTure de Schumann, extraite de «l'Art d'èlre heureux 
avec les rvmmes >, almanach de IBOO. 



peuples le sentiment du sol natal, du chez-soi , du home 
faisant partie de ce grand tout qu'on est convenu d'appe- 
ler la patrie. 



30 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

Eh bien ! sentant en elles je ne sais quel élan généreux, 
se souvenant, sans doute, de leurs aïeules, les anciennes 
Germaines, que Tacite nous montre présidant aux prépa- 
ratifs de la lutte, quantité de femmes, moins émancipées 
intellectuellement, peut-être, mais plus imbues de fémina- 
litéj s'associèrent aux émotions des heures enthousiastes. 

n est surtout deux figures qu'on ne peut oublier ici, la 
reine Louise et M"® de Ltltzow. 

La reine Louise est dans tout l'éclat de la jeunesse et de 
la beauté ; elle monte à cheval, elle passe des revues, elle 
communique à ceux qui l'entourent les généreuses passions 
nationales dont son cœur est rempli. Elle ne vit que pour 
la patrie et par la patrie, si bien que lorsque cette der- 
nière succombe sous le poids des humiliations, elle meurt, 
elle aussi, ne pouvant survivre à tant de désastres répétés. 
Grande figure doublement belle, moralement et physique- 
ment, dont les Allemands peuvent être fiers et dans 
laquelle ils incarnent toutes leurs vertus au point de vue 
féminin. 

A la royauté près. M™® de Lûtzow rayonne d'une gloire 
aussi pure ; elle qui enrôle pour les CQrps francs de son 
mari, elle qui suit de près l'armée, toujours prête à porter 
aide aux médecins, à soigner les blessés, à les encourager 
par sa présence. 

Dans ces deux femmes également belles, ayant l'esprit, 
la grâce, la position sociale, réside je ne sais quel enthou- 
siasme chevaleresque qui rappelle les grandes époques. 

Et c'est ainsi qu'on peut suivre la genèse de la femme 
allemande, nationalisée par Luther avec et par la religion, 
dans ce xvi® siècle qui fut si grand de l'autre côté du Rhin^ 




I HEINE LOUISE I 
ID'aprei unt a 



APRÈS SON MARIAGE 



LAMOCR F.T LF.S FKMMKS Alt XVIIl' SlP.CLE 33 

perdant son rôle — parce que la paix intérieure lui 
manque alors, — durant la guerre de Trente Ans ; se lais- 
sant peu à peu pénétrer par les idées étrangères ou refu- 
sant d'y prêter la main, et se réfugiant dans un piétisme 
étroit, ennuyeux, froidement conventionnel, jusqu'au jour 
où les idées sur l'amour, le mariage, les sensations fémi- 
nines, sont remises à nouveau au creuset de la pensée, 
idéalisées par Gœthc qui est encore l'homme du passé, 
matérialisées ou, dans tous les cas, singulièrement inter- 
prétées par les maîtres de la philosophie nouvelle. 

Que de sottises eussent été évitées, que de jugements 
aussi faux qu'iniques n'eussent certainement pas été por- 
tés sur la femme allemande , si l'on avait voulu faire ces 
études, si l'on avait essayé de remonter aux sources mêmes 
de la féminalilé germanique. 




Fig. 8. — Vigncllc ik' Scliuljerl. 



III 



LA JEUNE FILLE 



Poupée à ressort savamment articulée, sachant dire avec 
un art parfait : Oui papa^ Oui maman^ Oui monsieur , mais 
incapable de voir, ou de raisonner par elle-même, voilà 
comment bien des gens qualifient la jeune fille française. 

Il est vrai que de la môme jeune fille, on a fait également 
une demoiselle au babil intarissable, aux dehors brillants, 
aimant. tous les luxes et tous les plaisirs, avide de spec- 
tacles et de promenades, brûlant du désir de se montrer, 
rêvant toilettes extravagantes et je ne sais quels décoUe- 
tages aux trois quarts de peau. 

Comme si, partout, il n'en était pas un peu de môme ; 
comme si les filles n'étaient pas, partout, piquées de la 
môme tarentule ! 

Gretchen, cette Marguerite souvent idéalisée par les 
peintres et les écrivains, citée comme modèle de toutes 
les vertus passées et présentes, alors que, d'autres fois, 
on lui a refusé jusqu'à la plus petite des qualités, vaut-elle 
mieux ? C'est ce que nous allons voir, et pour cela, considé- 
rons d'abord l'éducation et le tempérament de la race. 



36 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

Autant la jeune fille française est étroitement sur- 
veillée, autant la jeune fille allemande se meut dans une 
sphère indépendante. 

Est-ce à dire que les Allemands ont mieux résolu le 
problème de Téducation de la femme, ou bien doit-on 
attribuer cette liberté — relative assurément — au fait 
que Thomme de ces contrées a le tempérament plus froid, 
que la jeune fille, de son côté, a le cœur moins ouvert à 
Tamour, si bien que les dangers se trouvent être moins 
grands? 

Grave question, délicate à poser, difficile à résoudre ! 

Elevée par sa mère, en dehors, pour ainsi dire, de Tin- 
fluence directe de Thomme, étant censée tout ignorer, la 
jeune fille française s'instruit surtout par la rue, cette 
éducatrice des grandes cités. 

Juste à Topposé est la jeune fille allemande, vivant en 
contact avec les jeunes gens,, avec les amis de son frère, 
car il est rare, vu la fécondité germanique, qu'elle soit 
Tunique enfant de la maison. Sa mère n'est point là sans 
cesse, pour la garder, il lui faut pourvoir à se garder elle- 
même. D'oh il s'ensuit qu'elle est plus armée, qu'elle 
sait ce que les autres ignorent, qu'elle pense, qu'elle agit 
par elle-même. Ce n'est plus la poupée modèle taillée sur 
le patron, toujours uniforme du maintien et de la correc- 
tion, c'est déjà une intelligence éveillée, prenant part 
d'une façon active, et toujours personnelle, à la vie pu- 
blique du pays ; d'autant plus libre dans ses mouvements, 
dans le choix de ses plaisirs ou de ses lectures, que l'Alle- 
magne, plus soucieuse que nous de la jeunesse, a des 
plaisirs et des lectures pour les jeunes filles. 




EUHE FILLE PRÉPAR*"! LA TABLI 



LA JEUNE FILLE 39 

Que d'occasions de rencontres qui» tiennent à autant de 
particularités de la vie allemande ! 

Voyez pendant Tété, sur les lignes ferrées qui sillonnent 
le pays en tous sens, ces bandes de blondes Gretchen, en 
toilette d'excursion, chapeau rond, manteau roulé passé 
autour du corps, lorgnette en sautoir, grande ombrelle ou 
canne de montagne à la main ! Elles vont avec une quel- 
conque de ces sociétés dont le pays fourmille, sociétés 
de chant, de musique, de gymnastique, d'histoire, d'his- 
toire naturelle, visiter telle ou telle région, telle ou telle 
ville ; partout admises, partout fêtées ; passionnant, pour 
leur part, ces sortes de promenades qui leur permettent de 
satisfaire le besoin de locomotion inné chez tout individu 
de race germanique. Et, seules ou par petits groupes 
isolés, elles circulent ainsi, allant se voir de ville en ville, 
sans que les parents s'inquiètent autrement de ces excur- 
sions lointaines. Plus jeunes, on peut les voir sous la con- 
duite de maîtresses et quelquefois môme de professeurs 
plus ou moins imberbes. Tout cela cause et rit ensemble ; 
personne ne s'en formalise, parce que chacun sait d'a- 
vance que rien de fâcheux n'en résultera. En France, le 
fait passerait pour une excentricité sans nom, pour une 
de ces choses monstrueuses et hors nature, comme il s'en 
produit quelquefois. Un peintre saisirait ses pinceaux et en 
ferait le sujet d'une grande machine classique propre 
à figurer au Salon sous le titre pompeux de : Linnocetice 
dans la gueule du loup. Et ce serait bien autre chose encore, 
lorsqu'on verrait, par chez nous, de joyeux groupes fémi- 
nins se mettre ainsi en route, pour aller rejoindre des 
bandes d'étudiants, frères, cousins, amis ; lorsqu'on assis- 



40 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

terait à ces rencontres, à ces reconnaissances, à ces em- 
brassades ! 

Ah ! les bonnes mêlées de jeunesses, les bonnes pous- 
sées de jeunes hommes et de jeimes femmes, où Ton 
s'amuse sans contrainte, où Ton ébauche des romans de 
vingtième année, où Ton forme des projets d'avenir ! Ce 
n'est déjà plus l'innocence naïve et c'est encore la jeunesse 
avec toutes ses illusions ! 

Que vous alliez sur les bords classiques du Rhin, sur 
les rives riantes du lac de Starnberg, sur les bords plus 
gris de la Sprée, sur les côtes sombres et brumeuses de 
l'Océan, dans toute l'Allemagne, il en est ainsi. 

Et si la jeune fille se môle à tout, participant aux fêtes, 
aux promenades, aux cérémonies, c'est que, partout aussi, 
on la respecte. Que la ville où elle habite soit une grande 
cité populeuse ou une résidence princière humble et dis- 
crète, elle peut y circuler sans jamais être accostée ou 
grossièrement interpellée. Cependant, fait caractéristique, 
là où le trottoir est plus mélangé, plus disputé, la mode 
française est souvent invoquée : Gretchen sort accom- 
pagnée de sa mère ou d'une servante. 

Mais cette jeune fille qui prend ainsi sa part des fêtes 
et des plaisirs est la môme que vous verrez s'occuper des 
choses de l'intérieur. Habituée, de bonne heure, aux soins 
du ménage, c'est elle qui, suppléante de sa mère, accom- 
pagne la bonne au marché, à ce pittoresque marché des 
villes d'outre-Rhin, s'étalant dans toute sa splendeur de 
coloris sur les places et dans les rues, au lieu d'être 
comme les nôtres resserré dans une halle couverte. C'est 
encore elle qui soignera les petits frères, qui leur servira 




■f^^^ 



FIANCES XLLEMANDS CHEZ LE PHOTOGRkPHE 



LA JEUNE FILLE 43 

d'institutrice, qui fera ses robes, qui arrangera celles des 
sœurs cadettes. 

Ce sens pratique, cet apprentissage de la vie sont, pour 
beaucoup, dans la supériorité de la jeune Allemande qui, 
tout en connaissant le côté matériel de l'existence, n'en 
conserve pas moins des aspirations vers l'idéal. 

Combien moins mystique est son éducation, si on la 
compare à celle que reçoivent nos jeunes filles : elle sait 
le pourquoi et le parce que des choses, non par pure intui- 
tion, non pas en risquant un œil à la dérobée, à l'instant 
propice où la mère s'est relâchée de sa surveillance habi- 
tuelle, mais par raisonnement, par déductions. 

Elle flirte avec les jeunes gens tout en sachant fort bien 
où peut la conduire cette cour platonique ; si elle se laisse 
aller jusqu'au point de se compromettre, et surtout, s'il y 
a de la casse^ soyez certain que ce ne sera nullement par 
ignorance des choses. Les jeunes filles ne s'enflamment- 
elles pas comme de l'étoupe? Demandez-le plutôt au pro- 
verbe allemand qui dit : « Une fille attrape une fuite aussi 
facilement qu'un vêtement blanc une tache. » 

Toutefois, de même que les taches peuvent s'enlever 
sur le blanc, de même les fuites se peuvent réparer. 

L'innocence, n'est-ce pas, au reste, un cliché dont on a 
bien abusé, puisque, en somme, les filles sont en tout et 
partout averties par leurs secrets instincts ! La seule diffé- 
rence est qu'en France, il ne leur est pas permis dépenser 
ouvertement à la fonction qui leur incombe, tandis qu'en 
Allemagne, l'éducation, moins bégueule, leur apprend à 
envisager les choses sans fausse pudeur. 

C'est que, là-bas, la maternité est une des grandes 



44 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

bases de rédificc social qui marche de pair avi»c la crainte 
de Dieu et Tamoup du Souverain, c'est que, nulle part, le 
« croissez et multipliez », sous Tégide des autorités ter- 
restres et divines, n'a, comme en Allemagne, pénétré les 
masses. 

Ce que la jeune Française voit dans le mariage, c'est, 
on le sait, le plaisir de s'entendre appeler : Madame^ 
Témancipation de la tutelle maternelle, souvent impa- 
tiemment supportée, la possibilité d'aller et de venir, de 
jouir un peu de cette vie qu'elle a pu à peine entrevoir, 
mais dont elle devine tous les charmes et toutes les grise- 
ries. Le mari et la maternité viennent après. La jeune 
Allemande, elle, voit déjà la famille qu'elle procréera avec 
celui qu'elle aime, ce qui ne veut pas dire, assurément, 
qu'elle soit exempte de toute idée d'ambition ou d'amour- 
propre. 

classique Gretchen, aussi habile musicienne que 
bonne ménagère, vous qui êtes entendue à tous les tra- 
vaux d'aiguille ; vous qui aimez les grandes armoires à 
linge où les piles s'entassent dans un ordre parfait ; vous 
qui avez appris dans des écoles spéciales à cuisiner et à 
taillçr vos robes ; quel que soit, du reste, votre nom. Mina, 
Victoria, Amalia, Bertha, Hedwige, Luise ou Ottilie, je 
sais à quoi vous pensez, je sais ce que vous ambitionnez. 

Vous pensez au mari idéal, à celui qui,^ pour vous, re- 
présente une des colonnes de la patrie, à l'officier ou à 
l'étudiant ; vous songez au titre qui flattera tant vos rêves 
ambitieux. Épouse d'un Herr Doctor^ d'un Herr Prof essor ^ 
d'un Herr Major ^ vous vous voyez déjà la Frau Doctorin^ 
la Frau Professoririj la Frau Major in l 




k L'ÉCOLE DE CUISINE 

(Oeuin arigioil de Him.) 



LA JEUNE FILLE 47 

Mais ici, une question se pose, à laquelle il me faut 
répondre sous peine de voir mon lecteur m'échapper : 
Cette Gretchen dont les qualités sont si nombreuses, qui 
est douce, bonne, aimante, qui ne songe qu'à la famille et 
aux devoirs de Tintimité, est-ce bien encore la jeune fille 
d'aujourd'hui, le Backfisch * classique, suivant l'expression 
plus ou moins poétique d'outre-Rhin? Ne subit^elle pas, 
elle aussi, comme presque partout, certaines influences 
modernes, essentiellement pratiques, qui enlèvent à la 
femme beaucoup de son idéal et qui feront bientôt de 
l'amour vrai, désintéressé, une chose de plus en plus 
rare? 

Une femme-auteur de l'Allemagne, la baronne Kathinka 
von Rosen va nous édifier sur ce point : 

« L'éducation de notre jeunesse féminine, » écrivait-elle 
tout récemment, « laisse beaucoup à désirer. Malgré les 
écoles, malgré les cours qui ont été multipliés jusqu'à 
satiété, la véritable éducation, dans les classes élevées, 
prend une tournure déplorable, et le côté superficiel va 
toujours en augmentant. 

« Jetons un regard sur nos jeunes filles à moitié déve- 
loppées. Ne sont-elles pas d'afl*reuses figures de modes en 
miniature? Les Backfisch^ aux longs bras minces, à la large 



' Littéralement, le Backfisch est un petit poisson à frire, qui, lorsqu'on 
recueille le produit de la pêche est jeté dans un baquet spécial, jusqu'à 
ce qu'il soit prononcé sur son sort, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'on sache 
si on le gardera ou si on le rendra à la mer. 

Le Backfisch est donc le symbole d'un être qui ne sait pas encore bien 
à quoi il appartient, et c'est pourquoi ce terme s'applique le plus sou- 
vent dans un sens ironique à la jeune fille placée par son âge entre 
l'école et la société. 



48 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

taille, aux épaules pointues, aux dents blanches, aux joues 
roses, aux yeux brillants, aux longues tresses, ont entière- 
ment disparu. Oîi sont-elles ensevelies ces filles vraiment 
laides, à la démarche gauche, aux manières maladroites, 
que Ton devrait pourtant regretter parce qu'elles étaient 
jeunes et enfantines, parce qu'elles avaient un cœur chaud, 
parce qu'elles ressentaient un brûlant enthousiasme pour 
tout ce qui est beau et grand, et qu'elles se seraient avec 
joie sacrifiées pour les leurs ! Qu'avons-nous maintenant 
à la place ? 

« Des petites femmes bien parées, habillées à la dernière 
mode. Le dedans répond au dehors. Les Backfisch d'au- 
trefois s'entretenaient entre elles de leurs poupées et de 
leurs jeux, n'adressaient la parole aux gens âgés que si 
on les questionnait, nos jeunes filles modernes dédaignent 
les poupées, parlent théâtre ou tableaux de Mackart, et 
sur chaque chose et sur tout donnent leur avis avec une 
suffisance qui n'a d'égale que l'arrogance. Revait-elle 
d'avenir, la jeune fille d'autrefois, tout aussitôt se pré- 
sentait devant elle une vie d'intimité simple et heureuse ; 
elle se voyait aux pieds d'un héros orné de toutes les ver- 
tus humaines. Aujourd'hui, l'idéal de la jeune fille de 
quatorze ans est un sac d'écus ; elle est, avant tout, pra- 
tique. » 

Ainsi donc, en Allemagne, aussi, le dieu Argent, ce 
tyran des sociétés modernes, est en train d'exercer son 
influence délétère. Et qui en soufl're tout d'abord? La 
femme, par conséquent l'amour. Le jeune Backfisch qu'on 
voyait autrefois de par les rues, le nez au vent, son carton 
sous le bras, dans une toilette plus ou moins correcte, 



LA JEUNE PILLK 49 

s'inquiétant fort peu de l'argent, de sa valeur et de son 
importance, tend à disparaître, cela est très vrai. Cette 
modiBcation dans les mœurs est particulièrement visible 
sous le crayon des dessinateurs : ouvrez un journal 
illustré, et les anciennes écolières, aux dehors si simples, 
vous apparaîtront avec la jaquette café au lait» livrée 
universelle de la. pschutteuse moderne. 




Fig. 9. 

ID'aprit da iai 



I Backfiich à'aulKtois et le Backfiieh moderne. 

I dt Spitttr et dt Schhllgen, daai la Fliegende Blcller.) 



La jeune Allemande a revêtu l'uniforme et devient la 
poupée élégante dont nos civilisations ont fait, en quelque 
sorte, UD type international. Mais en estril ainsi partout, 
dans un pays qui, comme l'Allemagne, présente une telle 
diversité de physionomies ? Assurément non ; et il est 
plus d'une cité dans laquelle vous pourrez rencontrer 
encore l'ancien Backfisch. 



50 



LA FEUJIE EN ALLEUACM: 



Qued'indiWduaHtéa, au resle. pour conserver l'origina- 
lité féminine de la race : filles de militaires dont l'idéal 
est le jeune lieutnant, peintresses, wagnériennes, végéta- 
rienoes, doctoresses, étudiantes, et bien d'antres, non 
moios excentriques. Pénétrez dans le pays ; vous trouve- 
rez ici les villes à argent oîi domine le type juif, tes villes 
industrielles et manufacturières où les mœurs sont toujours 




restées empreintes d'une ceriaine bonhomie; là, les villes 
princières, les Residenzstsedte, avec leur morgue aristocra- 
tique; puis les villes universitaires au pédantisrae clas- 
sique, les villes du livre et de la peinture, plus fantaisistes, 
recherchant le caprice et l'élégance, enfin les villes 
encore rustiques par le fait qu'elles sont le centre d'une 
certaine agglomération paysannesque, si bien que l'at- 
mosphère de Francfort ou de Beriin n'est pas l'atmosphère 
d'Elberfeld, de Hambourg, de Dresde, de Brunsvick, de 
Weimar, d'Iéna ou de Munich. 



LA JEUNE FILLE 51 

Et puis, quelle que soit la ville, ce qui constituera tou- 
jours la plus curieuse particularité des mœurs, c'est la 
liberté presque absolue laissée à la jeune fille quant au 
choix d'un époux. C'est en vain que les parents formeront 
des projets ; c'est en vain qu'ils la produiront à tous 
les von de la localité pour obtenir par son argent les hon- 
neurs d'une alliance aristocratique : leurs combinaisons 
viendront échouer devant la volonté de leur fille, si le 
parti qu'on lui propose n'a pas son assentiment. 

Comment pourrait-il en être autrement, quand la jeune 
fille se développe dans les mêmes conditions d'indépen- 
dance que la jeunesse masculine, quand elle peut laisser 
parler ses instincts, quand elle a toute Uberté pour rece- 
voir, pour présenter à ses parents les jeunes gens qui 
lui plaisent? 

Maintenant, que faut-il penser des singulières idées 
qui ont cours en France sur l'amour allemand? Les uns 
affirment hautement que ces blondes jeunesses sont inca- 
pables d'aimer ; les autres, cherchant à analyser leur 
amour, disent qu'il ne part point du cœur ; qu'il est le 
produit d'un état de surexcitation cérébrale amenée par la 
lecture de livres romanesques. 

Etrange façon déjuger, assurément, qui équivaut presque 
à dire que l'amour est le propre de certaines races ei reste 
inconnu des autres. 

Or, qu'est-ce qu'une jeune fille qui n'aimerait pas, une 
jeune fille dont le cœur serait éternellement fermé? Que 
Gretchen se monte la tête, je le veux bien, mais toutes 
les jeunes filles n'en font-elles pas autant; l'amour lui- 



52 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

môme n'est-il pas un composé des griseries du cerveau et 
des griseries du cœur ? 

Elles mentiraient donc, alors, toutes ces lettres d'amour 
pleines de sentiment et d'élan, à travers lesquelles on 
sent passer Tâme de celle qui les écrit ; car, dussé-je sur- 
prendre bien des gens, je leur dirai que les jeunes Alle- 
mandes ne se font pas faute d'en écrire. 

Eh bien ! quelque ridicules que soient ces idées, je les 
trouve développées tout au long dans un récent ouvrage, 
lequel abonde cependant en justes appréciations sur l'Alle- 
magne et ses habitants ! 

Je copie : 

« Se créer une position, posséder son chez soi, gemûth- 
lich^ confortable, environné de bien-être, sans autres 
soucis que ceux de son ménage, où elle puisse se procurer 
la plus grande somme de jouissances matérielles, bien 
manger, boire et dormir, bien dormir, boire et manger, 
voilà son rêve. Elle ne comprend pas autrement le 
mariage. Il lui faut du solide, du positif: quant à l'amour, 
ça ne compte pas. 

« Un jeune liomme se propose-t-il de demander la main 
d'une jeune fille? pas n'est besoin d'intermédiaire : une 
simple annonce dans un journal suffit. L'affaire se débat 
et se conclut directement entre parties, par correspondance 
et échange obligé de photographies. Si les deux jeunes 
gens se connaissent déjà ils entrent aussitôt en propos et 
se posent des questions. La demoiselle ne dira pas à l'ado- 
rateur : « M'aimez- vous ?... » elle n'y songe même pas; 
mais « Pouvez-vous nourrir une femme ?... » — « Êtes- 



LA JEUNE FILLE 53 

VOUS en place [angestellt) ?. . . » <( Combien gagnez-vous par 

an? » « Avez-vous de la fortune?... « Tout est là. 

L'Allemande n y va pas par quatre chemins. Bon souper, 
bon gîte d'abord, quant au reste... on verra. » 

a Age, beauté physique, difformités ou laideur, peu lui 
importe ; que le prétendant soit jeune, vieux, beau ou laid, 
goutteux, cul-de-jatte ou manchot, que ce soit Apollon, 
Narcisse ou Quasimodo... » 

« Pouvez-vous nourrir une femme ? avez-vous de la for- 
tune ? Voilà la question ...» 

Et c'est ainsi qu'on écrit l'histoire. 

Oui certes, la jeune fille veut que son futur mari puisse 
la nourrir, subvenir aux frais du ménage, et cela justement 
parce qu'elle ne recherche pas, en général, ce qu'on est 
convenu d'appeler, chez nous, un mariage d'argent. Elle 
n'aspire pas après la fortune ; elle demande le bonheur et 
la tranquillité dans une médiocre aisance. 

Quant à la beauté masculine elle est loin d'afficher pour 
elle un pareil mépris, et si l'amour était aussi étranger 
qu'on veut bien le dire, aux unions maritales, que signi- 
fieraient ces fiançailles dont la durée dépasse quelquefois 
plusieurs années? N'est-ce pas pour permettre au fiancé 
choisi de se créer une position, chose fort juste qu'il fau- 
drait souhaiter voir s'introduire dans nos mœurs, au 
lieu des honteux marchandages pécuniaires dont la chro- 
nique parisienne dévoile chaque jour les secrets. S'il en 
était ainsi, tant de beaux messieurs ne se feraient pas en- 
tretenir par leurs femmes ! 

Assurément, il est des jeunes filles allemandes qui pas- 
sent avec la plus grande désinvolture d'un amoureux à 



LA PEMMK EN ALLKUAGNE 



l'autre, qui laissent même quelque peu effeuiller leur cou- 
roune virginale, mais ces faiblesses ne constituent pas une 
(les particularités de la race. On les rétro uve'^artouf, plus 




Fig. II. — Et iTiiiinicnant. »cusez ma q 
'i-elle pas donné mat k la lèie? 
— Olil nullemenl, mesdemoiselles, je si 



De ce qu'elles peuvent disposer plus librement de leur 
main, il ne s'ensuit pas, non plus, que leur choix soit 
toujours heureux, mais cette liberté a ceci de bon qu'elle 
permet i la jeune fille une élude plus complète du carac- 



LA JEUNE FILLE 55 

tère de l'homme. On ne la jette pas dans les bras d'un 
inconnu dont elle est destinée à devenir la femme par ordre 
paternel ; elle peut choisir, elle peut voir, elle peut appré- 
cier. Si elle n'a point trouvé son âme sœur, elle se résoud 
au céUbat, à moins qu'elle ne se fasse enlever de plein 
gré par quelque jeune étudiant, quelque fringant mih taire 
ou quelque précepteur sachant habilement passer de la 
théorie à la pratique. Cela se voit, et môme assez souvent. 

Enfin, si dans les cités financières et commerçantes, si 
même dans la plupart des grandes villes, le Backfisch 
devient essentiellement pratique , essentiellement pro- 
saïque, l'Allemagne ne manque pas encore, pour cela, de 
sentimentales Gretchen, qui brodent à leurs amoureux 
pantoufles et bretelles, qui leur font des calottes à glands 
en môme temps que des capuchons pour lampes, et qui, 
lorsqu'ils sont au loin, leur envoient des lettres encadrées 
de Vergissmeinnicht. 

Pour en savoir plus, il faudrait pénétrer jusqu'au plus 
profond de l'âme humaine, et c'est là l'éternel inconnu. 
L'Eve allemande ne se laisse pas plus facilement deviner 
que l'Eve française. Toutes deux sont sœurs : si l'une a 
plus d'expérience que l'autre et moins de curiosité native, 
c'est le fait de l'éducation et non de la nature. 

Je n'essaierai pas de mettre l'une au-dessus de l'autre, 
ce serait sans raison, mais ce qu'il importe de bien retenir 
pour la classification des types, c'est que l'une a une vie 
personnelle, tandis que l'autre — je veux parler de la jeune 
Française — est bien réellement un Backfisch, 

En France, en efl*et, la jeune fille n'a aucune place au 
soleil : elle ne peut prendre part à notre existence et nous 



36 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

ne savons pas nous mettre à sa portée. Les hommes d'un 
âge mûr la fuient et Tisolent : dès qu'elle apparaît quelque 
part, aussitôt les propos semblent perdre de leur entrain. 
Il est rare qu'on veuille causer avec elle ; il est non moins 
rare qu'elle puisse tenir une conversation de quelque 
intérêt dans le domaine des idées. Et il ne saurait en être 
autrement puisque tout doit lui être fermé. 

L'Allemand, au contraire, va à la jeune fille, il lui fait 
place, il lui ouvre la vie, que dis-je, il crée toute une vie 
pour elle, si bien qu'elle constitue un des éléments actifs 
de la société. Au lieu d'être une gêne, elle en devient un 
des charmes. 

Grande et féconde idée qui sans cesse entoure l'homme 
de féminité ; qui lui apprend à respecter la femme sous sa 
première forme ; qui l'habitue à sa présence et qui, d'autre 
part, fait connaître à la jeune fille ce monde qu'elle doit 
contribuer à perpétuer. 

Ce n'est point une recluse, une vierge, élevée pour être 
immolée au jour donné, et qui, le sacrifice une fois 
accompli, pourra entrer dans ce monde qui, jusqu'alors, 
lui restait fermé. C'est l'être humain qui, à travers les 
transformations de l'âge et de la raison, n'en a pas moins 
été mélangé à la vie commune. Si bien que, pour tout dire, 
lorsque le mariage arrive, la jeune Allemande qui a déjà 
vécu peut y entrer de plein pied, tandis que la jeune Fran- 
çaise, qui n'a fait que l'entrevoir à travers les grilles de 
l'éducation et de la convention, commence d'abord par 
s'amuser, par jeter son bonnet par-dessus les moulins du 
code. 

Puissent ces mœurs devenir les nôtres et tout le monde 



LA JEUXR FILLK 



y gagnera, car ce sera la preuve évidente que la société 
française aura donné à sa conversation un tour plus moral 
sans être pour cela, ni bégueule, ni ennuyeuse, deux enne- 
mies dont l'honnêleté n'a que faire. 




Pig. 1i. — Petites HUes iiiuniclioises. 

iD'aprii Jti croqaii dt W. Gragitr.i 



IV 



LA FEMME 



Une Anglaise, miss Anny Fay, qui a publié en 1882 des 
études sur la musique germanique , dit au sujet des 
femmes : 

<( Les dames allemandes mangent trop et trop souvent. 
Elles deviennent ainsi trop corpulentes, et, par-dessus le 
marché, elles trahissent cette infirmité en portant des 
robes carrées, c'est-à-dire échancrées rectangulairement. 
De plus elles soignent fort mal leurs dents , ont rarement 
des traits réguliers, et trop souvent le teint échauffé. » 

Il est vrai que dans un volume français, j'ai lu tout le 
contraire : 

a Au demeurant, de belles dents, une peau rose et 
transparente, une taille élancée et un buste richement 
garni de ces charmants attributs qui révèlent une prédis- 
position à la maternité. » 

On n'est pas plus poétique. 

Je voudrais mettre nos deux écrivains d'accord ; faisons 
appel à un troisième, qui va peut-être nous donner une 
appréciation plus juste, plus impartiale. 



60 LA FEMMK EN ALLEMAGNE 

Or, pour le troisième, rAUemande reluit, elle se lave 
la figure avec du savon, mais se nettoie rarement les 
ongles. Elle fait admirablement les gâteaux, elle sait jouer 
du Beethoven , mais elle n'a aucune des grâces de la 
femme. Dans les plus petites politesses, elle voit une 
preuve d'amour; elle ne se donne pas, elle s'offre avec 
une impudence gauche qui est sans égale. — Est-ce tout? 
Non. 

Entrant dans les détails les plus intimes de la toilette, 
Fauteur ajoute : « Et mal habillée, avec des jupons de fla- 
nelle, des pantalons de flanelle rouge, des corsets en cou- 
til mal faits, des chemises bien hautes en grosse toile, 
des bas tricotés bien courts finissant au-dessous du 
genou. » Peut-être allez-vous penser, est-ce là, en effet, 
r attifement de quelques Allemandes ? Non point. « Toutes 
sont attifées de la sorte, » affirme-t-on en manière de 
conclusion. 

N'interrogeons pas un quatrième ; il nous apprendrait 
galamment que les Allemandes ne sont point des femmes, 
mais « des espèces de femmes ». 

Toutefois, môme dans ces ridicules exagérations, il y a 
du vrai, et cela parce que, comme je Tai déjà suffisamment 
indiqué, l'Allemande est plus mère, plus Hausfrau^ que 
femme. Le côté captivant et capiteux que donnent seuls 
les dessous de la toilette, ces dessous qui sont toute une 
science, lui échappe souvent. A quoi bon, du reste, 
émoustiller son mari, à quoi bon faire appel à des mon- 
tagnes d'illusions ! Les Allemands ne s'emballent pas de 
la même façon que nous. 

Et la faute de tout cela, ce serait, nous dit-on, l'édu- 



LA FEMME 61 

cation de la jeune fille, bourrée de sentimentalité roma- 
nesque, à qui Ton fait envisager la vie comme « un poème 
à la crème ». Pour le coup, je m'insurge, puisque, de 
toutes les jeunes filles, l'Allemande est justement celle qui 
reçoit, on vient de le voir, Téducation la plus large, la 
plus dégagée de préjugés. 

Mais, dans ce domaine, toutes les erreurs ont été com- 
mises, et elles devaient Tétre, parce que la dualité du 
caractère allemand échappe presque toujours au Parisien, 
quand bien môme il aurait fait là-bas des éducations de 
jeunes princes. 

Enfin ne pousse-t-on pas la plaisanterie, fumisterie 
serait le mot propre, jusqu'à écrire que la famille de 
l'autre côté du Rhin est un rêve, que la vie de famille 
existe encore moins, que le mariage n'y est qu'une ques- 
tion de dot, et la mort une affaire de testament. Pour que 
la farce soit complète on devrait ajouter : l'esprit de famille 
a sa plus haute expression en France ; en France, où 
jamais on ne s'informe de la dot d'une jeune fille, où 
jamais on n'oserait seulement prononcer le mot d'espé- 
rances. Au moins, cela serait du comique de bon aloi. 

Donc, l'Allemand ne reste pas à la maison, et sa femme, 
elle, y reste toujours. A la rigueur cela prouverait que 
l'Allemande se complaît dans son intérieur, dans ce 
domaine qu'elle a su se constituer et que j'ai essayé plus 
haut de définir. Mais le fait n'est pas exact, et, pour écrire 
de pareilles choses, il faut ignorer complètement la vie 
germanique. 

Dans quel pays, en effet, si ce n'est en Allemagne, le 
beau sexe a-t-il l'habitude de fréquenter les cafés, bras- 



62 LA FKMME EN ALLEMAGNE 

séries et autres établissements publics du même genre ! 
Dans quel pays voit-on des familles entières, où Télément 
féminin domine souvent, mère, épouse, filles, belle-mère, 
belle-sœur, tantes, petites -cousines, venir s'asseoir au- 
tour d'une table de brasserie, buvant à la ronde dans 
les grandes chopes en grès, jacassant à qui mieux, et 
cela tout en tricotant, tout en faisant du crochet. 

Critiquez, tant que vous voudrez, ces mœurs qui peuvent 
nous paraître étranges; au besoin même, présentez-les 
sous leur aspect grotesque, mais ne dites pas que la femme 
allemande est laissée toujours seule à la maison, quand 
il suffit de huit jours d'observation pour la voir avec son 
mari et les siens partout où Ton se peut montrer; à la 
brasserie, au concert, au spectacle. 

Assurément, il serait plus logique de s'élever contre ce 
besoin du dehors, — singulier chez un peuple qui tient tant 
à l'intérieur, — l'étranger ne pouvant d'emblée saisir les 
particularités de la vie locale, ni la portée exacte de 
certains mots. 

Il convient, donc, avant tout, d'expliquer la façon dont 
les Allemands, hommes et femmes, comprennent l'intimité, 
la Gemûthlichkeii, Ce n'est nullement le home dans le 
sens anglais, pas plus que notre coin du feu : pour être 
gemiithlich, une chose n'a pas besoin de se trouver à 
l'intérieur. Est gemiithlich tout endroit où l'on se réunit 
ensemble sans façon pour causer familièrement, échanger 
des idées les coudes sur la table. Une brasserie, un Kaffee- 
haus, un Biergarien, un Concert - Promenade peuvent 
présenter le caractère de Gemûthlickeit au même titre, 
au même degré que la maison, que le chez-soi de l'appar- 



\ 



LA FEMME 65 

tement. C'est plus et c'est moins que notre sans-façon, 
puisque pour constituer cet état particulier , il faut des 
causes extérieures qui restent absolument étremgères au 
sans-façon. 

Et si l'Allemand des deux sexes recherche ainsi le 
gemûthlich, c'est que, malgré une certaine correction, 
malgré sa froideur, sa raideur, il est avant tout Tennemi 
de la gêne, du guindé, de la retenue dans les attitudes, 
dans les poses, comme dans le langage. Encore un des 
doubles aspects de sa physionomie. Fuyant le monde avec 
ses exigences, avec ses dehors brillants et luxueux, il s'est 
constitué, pour ainsi dire, un extérieur intime, familial, 
au même titre que son intérieur. 

En général, il va partout pour s'amuser et non pour se 
montrer ; je parle des classes bourgeoises. Matériel, il lui 
faut des plaisirs auxquels il puisse éprouver personnelle- 
ment une jouissance intime, plus positive, plus palpable 
que la satisfaction bien platonique de se faire voir ou 
d'être vu. 

Les théâtres en sont un exemple frappant, les théâtres 
qui, la plupart du temps, seraient vides chez nous, si l'on 
ne pouvait y étaler des toilettes et y faire briller des 
diamants. En Allemagne, le théâtre est un lieu où l'on va 
pour entendre de la musique ou pour écouter des comé- 
dies; en un mot, pour voir ce qui se passe sur la scène et 
non dans la salle. Or, tout extérieur sans luxe, sans pré- 
tentions, ne peut exister justement qu'avec le concours 
de la femme, de la femme plus intime, plus simple, moins 
éprise de certains besoins artificiels qui sont la perte de 
notre société. 

9 



LA FEMUE E\ ALLEMAGNE 



Tout porte, du reste, en Allemagne, à cette vie exté- 
rieure du soir, de taprès-soupée , si l'on veut, qui n'a 
aucun point de contact avec la vie de nuit menée en 
France. Généralement, celle-ci se passe entre hommes ou 




- A Kloslerneubui^ (Autriche). Danses dans la o 

[D-nprèi iei rroquii dt Y. JTolilo 



d'une lirasserie. 



entre hommes et femmes d'une espèce particulière, que 
Gavami appelait plus ou moins pittoresquement des 
bambocheuses. Chez nos voisins, au contraire, oîi l'habi- 
tude est qu'on fasse à. 1 heure un substantiel repas, le 
besoin de locomotion en famille s'accroît du fait que le 



LA FEMME G7 

soir, dans beaucoup de maisons, on ne cuisine pas : quoi 
de plus naturel, donc, que d'aller manger ensemble à la 
brasserie, dans un de ces grands établissements, où, 
moyennant une modeste entrée, on aura l'agrément de 
dîner en musique. 

Et ce qui facilite encore cette vie publique de famille, 
c'est que, dans la plupart des villes, la rue, le café ne 
sont pas exclusivement à la fille et à l'Alphonse ; c'est que 




- Famille â l:i brasserie. 
■priÊ un o-ojuij de H. Sdilillenj. 

la partie saine de la population prétend profiter dans la 
plus large mesure de tous les plaisirs extérieurs. 

Le même fait ne se remarque-t-il pas dans les grandes 
fêtes nationales, dans les exhibitions auxquelles parti- 
cipent toutes les classes de la société ; de qui sont com- 
posés les cortèges, les bals en plein vent, si ce n'est des 
femmes de la bourgeoisie! 

En somme, qu'il s'agisse d'une chose exceptionnelle 
ou d'un acte de la vie ordinaire, partout apparaît la femme, 
la femme qui tient une place considérable dans l'existence 
locale, qui n'est point seulement la ménagère, la servante. 



68 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

faisant des enfants et la cuisine, mais qui est aussi la com- 
pagne, Taccompagnatrice de Thomme. 

Là réside, du reste, pour une grande part, Toriginalité 
de l'Allemande. Femme à Fesprit pratique, elle ne se fait 
pas désirer, elle ne se fait pas rechercher, elle ne plane 
pas, mais bien au contraire, elle va au-devant de son mari, 
elle se plie à ses habitudes, elle participe à son existence 
extérieure, estimant que la femme doit vivre de la vie de 
Thomme et non Thomme de la vie de la femme. Pas de 
princesse, pas de belle des contes de fées, une modeste 
bourgeoise, souvent bonne et toujours simple, familière 
avec tous, causant avec les domestiques, auxquels elle 
saura donner des ordres d'une façon patriarcale tout en 
faisant respecter son autorité. 

Ce qu'on peut lui reprocher, je le sais, je Tai déjà indi- 
qué : elle est lourde, elle est massive, elle ne sait pas dire 
de ces riens charmants que forge l'esprit et qui viennent 
expirer sur les lèvres, elle n'est pas un objet d'art, de 
luxe ou d'agrément ; mais voyez-la attachée à sa besogne 
matérielle, toute débordante d'une douce affection, plus 
sentimentale que passionnée à proprement parler, et vous 
comprendrez alors le charme qu'on peut trouver en elle, 
l'amour qu'elle peut inspirer. 

Faut-il parler du mariage allemand, fleuve paisible dont 
le cours est souvent majestueux : ce n'est plus, comme 
on nous le disait tout à l'heure, un essai de vie à deux, 
c'est la mise en pratique des principes formulés pendant 
le temps des fiançailles, cette véritable école préparatoire 
des époux. Durant ces années d'introduction, les carac- 
tères se sont fondus, la femme s'est faite à l'homme, elle 




LEMAHDE 1 L* PROIIÏIl»0E 

Crogun prii à Oittnde. 

(DïM<n original de ll«i.| 



LA FEMME 71 

s'est laissé pétrir à son image; elle a peu à peu aban- 
donné ses caprices, ses bizarreries, ses volontés incons- 
cientes de jeune fille. 

Si la femme des classes élevées se montre, comme par- 
tout, moins malléable, plus désireuse de Tinconnu, dans 
la bourgeoisie où il faut élever toute une famille, homme 
et femme ont trop à faire pour songer même aux émotions 
du dehors. 

L'enfant, n'est-ce pas lui qui donne au foyer allemand 
toute son importance, n'est-ce pas lui qui contribue à 
constituer le caractère de l'Allemande? 

Là-bas, en effet, la fécondation n'est pas dosée, arrêtée, 
limitée à un nombre de rejetons, plus ou moins élevé, 
suivant la fortune ou la position des conjoints, l'œuvre de 
chair doit s'accomplir, la graine humaine doit librement 
germer et pousser. 

Il n'est pas rare de voir des femmes du monde nourrir 
elles-mêmes, comme au temps déjà lointain où les idées 
préconisées par Jean-Jacques Rousseau étaient accueillies 
avec enthousiasme par la noblesse, et jamais, pour ainsi 
dire, la femme pauvre ne se sépare de son enfant, tant 
l'instinct de la maternité est développé chez la Germaine. 

S'il me fallait porter une appréciation sur le niveau 
moral de la femme des classes moyennes, de celle qui 
n'accorde qu'un intérêt restreint aux plaisirs mondains, je 
n'hésiterais pas à le mettre bien au-dessus du niveau habi- 
tuel des autres pays. 

Cette moralité tient, du reste, à des causes toutes spé- 
ciales, c'est-à-dire à la facilité d'expansion accordée à la 
jeune fille, à la reconnaissance solennelle de ce principe 



72 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

éternellement vrai qu'il faut que jeunesse se passe, plus 
ou moins bruyamment suivant le sexe, mais qu'on ne 
peut prétendre à une sagesse absolue de la part de la jeune 
fille, tout au moins en ce qui concerne la virginité du 
cœur, alors que toutes les fredaines seraient excusées chez 
le jeune homme. 

Jean-Jacques Rousseau n'avait-il pas déjà exprimé cette 
manière de voir, quand il disait : « Chez les peuples qui 
ont des mœurs, les filles sont faciles et les femmes 
sévères. C'est le contraire chez ceux qui n'en ont pas*. » 

Eh bien! qu'on interprète la chose comme on voudra, ce 
fait est exactement celui qui se présente en Allemagne. 
Les filles qui sont à prendre, qui sont faites pour être 
prises, dit un vieux dicton souabe, se laissent approcher 
sans trop de difficultés ; peut-être si vous vouliez essayer 
auprès des femmes mariées, seriez-vous moins heureux ; 
ce qui ne veut point dire qu'elles soient toutes d'une 
honnêteté rigide, qu'elles ne se laissent pas aller quelque- 
fois aux bras du premier venu, et même de leur domes- 
tique, si celui-ci est un beau mâle. Des comtesses n'ont- 
elles pas, en notre pays, porté leurs regards jusque sur 
le siège des trois chevaux, ce trône ambulant des cochers 
d'omnibus? Mais partout, ce sont des exceptions, et l'on 
sait que je ne base pas mes études là-dessus. 

Une grande raison, en somme, pour que la femme 

* 11 est assez bizarre de rencontrer le môme sentiment chez les races 
inférieures. Mantegazza, dans son remarquable volume L'Amour dans 
V humanité {Psltïs, Petscherin et Chuit), formule ainsi leur façon devoir; 
«Amour libre chez les jeunes filles; amour réservé plus ou moins à un 
seul homme après le mariage ». Ceci, bien entendu, à titre de curiosité 
et sans vouloir faire aucun rapprochement. 



i 




kO SALON DE LECTURE «VINT LA TABLE D'HOTE 

(Detiin origjnil de Hiu.) 



LA FEMME 7.") 

allemande, peut-être déjà moins désirable par elle-même, 
à cause de son manque de piquant, ne sombre pas aussi 
facilement, c'est qu'elle a une existence très remplie, c'est 
qu'elle a presque toujours autour d'elle l'enfant dont l'ab- 
sence est la cause de tant de faiblesses humaines. 

Second point, et c'est là où la contradiction du carac- 
tère germanique apparaît dans toute son évidence, c'est 
que, n'ayant pas, par suite de sa disposition au lympha- 
tisme qui accroît avec l'âge, ce qu'on est convenu d'appeler 
un tempérament^ s'il lui arrive de se livrer à un étranger, 
ce sera par un effet purement physique, sans amour, sans 
passion. Jeune fille, elle donne son cœur et elle ne reprend 
pas ce qu'elle a donné ; femme, si elle se laisse détourner 
de ses devoirs, elle ne fcTa que prêter son corps. 

Assurément, je ne cherche pas à la chose une excuse 
possible, je voulais seulement, par cette particularité du 
tempérament expliquer, au point de vue physiologique, la 
propension naturelle de l'Allemande au laisser-aller. 

Est-ce le côté femelle qui a développé en elle la mater- 
nité? est-ce, au contraire, la maternité qui est la consé- 
quence de cet instinct de femelle? je l'ignore; mais ce qui 
est certain, c'est qu'elle représente avant tout l'idée de la 
fécondation. 

Pour Dieu, pour la Patrie, pour le Roi, cette devise ger- 
manique peut s'appliquer également bien à la f(»mme ; car 
c'est pour cette sainte Trinité des races du Nord qu'elle 
accomplit l'œuvre humaine. 

Dieu, c'est, à son point de vue, le couronnement de 
l'édifice; la Patrie, elle en a aujourd'hui l'instinct puissam- 
ment développé, cherchant à se nationaliser jusque dans le 



76 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

costame, et le Roi c'est son idéal suprême sur terre. Pour 
se rendre compte de ce dernier Bentîment, il faut avoir 
entendu parler par des bouches féminines du feu roi de 
Bavière, ce sympathique et lymphatique Louis II qui res- 
tera une des figures les plus étranges de Dotre temps, ou 
bien de l'empereur d'Allemagne, ce soldat- gentleman 
qui, malgré son grand âge, fait encore tourner les tôtes. 

Unser Kœnig! Unser Kaiser! De quelle façon magique 
l'Allemande prononce ces deux noms ! L'une d'elles ne 
me disait-elle pas : » Mon rêve serait d'être embrassée par 
l'Empereur », parole grande et naïve, qui montre bien 
quel puissant idéal de la patrie se forme la Germaine. 

C'est que cet empereur octogénaire qui vient de réali- 
ser les aspirations à l'unité et à la grandeur qui ger- 
maient dans les cerveaux féminins, tout comme dans 
les autres, est la plus haute expression de ta race ; c'est 
qu'il incarne en lui tous les côtés simples et intimes de 
la nation ; c'est qu'il pense et qu'il vit comme elle, c'est 
qu'il a, lui aussi, quelque chose de gernûlhlick. Et voilà 
pourquoi la femme allemande l'a en telle adoration. 




Vigneile <le Cljodowiecki. 



SENTIMENTS ET APPETITS DES ALLEMANDS 



AU POINT DE VUE FEMININ 



J'ai montré le respect que TAllemand^iprofessait pour 
la jeune fille et pour la femme, je veux dire pour la mère 
de ses enfants. Peut-être est-il nécessaire, maintenant, 
de rechercher ce qu'il pense des femmes en général et du 
sentiment qu'on appelle Tamour. 

Les écrivains, les poètes surtout, ont, comme partout, 
chanté le sexe faible. Luther, le premier, n'a-t-il pas écrit: 
« Il n'est sur la terre chose plus douce que d'être aimé 
d'une femme ». Pour Gœthe, la femme est la couronne de 
la création ; mais Jean-Paul Richter dans son Titan, qui 
est comme le bréviaire amoureux du xvm® siècle, dit plus 
irrévérencieusement : « L'amour ressemble aux pommes 
de terre ; il y a quatorze manières de l'accommoder » ; 

« 

tandis que Kotzebue, à son tour, compare l'amour à la 
petite vérole, en ce que, d'après lui, celui qui n'en a pas 
été attaqué dans sa jeunesse en est bien rarement atteint 
plus tard. 



78 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

Beaucoup ont célébré ramour platonique, mais tous n'y 
ont pas cru, Jean-Paul notamment, qui a écrit dans le 
volume que je viens de citer : « L'amour spirituel va au- 
devant de l'amour sensuel comme un navigateur qui se 
dirige vers l'est arrive pourtant aux pays où le soleil se 
couche», ce qu'un écrivain plus moderne a exprimé éga- 
lement en termes plus prosaïques : « Quand vous aurez 
rêvé toute la journée aux côtés d'une femme, il faudra 
bien finir par vous coucher auprès d'elle ». 

La littérature allemande est riche en observations sur 
les femmes en général, et elle a su parler de la plus belle 
moitié du genre humain en termes d'une exquise poésie : 
« Honorez les femmes ! » lit-on dans Schiller, « elles 
tressent et entrelacent les roses du ciel dans la vie ter- 
restre ; elles tressent le lien fortuné de l'amour, et, sous 
le voile pudique de la grâce, elles nourrissent, d'une main 
vigilante et sainte, le feu éternel des nobles sentiments ». 
Luther avait été moins idéahste et peut-être plus Germain 
quand il écrivait: « Si je devais encore faire l'amour, je 
voudrais tailler dans la pierre une femme obéissante ; sans 
cela je désespère d'en trouver ». 

Pour Jean-Paul les femmes ressemblent aux objets 
d'ivoire; rien n'est plus blanc, plus poli, mais rien ne de- 
vient plus facilement jaune. Pour Heine, on ne sait jamais 
où range finit et où le diable commence. 

Mais aucun écrivain d'outre-Rhin n'a comme Gœthe, le 
chantre sublime, quoi qu'en dise Barbey d'Aurevilly, 
compris et dépeint la femme, alors qu'il se demandait 
dans Wilhelm Meister s'il existait une félicité plus 
grande que celle de faire toujours ce que l'on trouve juste 



SENTIMENTS ET APPÉTITS DES ALLEMANDS 79 

et bon et de disposer à son gré de tous les moyens 
nécessaires à la satisfaction de nos véritables besoins. 

« Quel esprit d'ordre et quelle infatigable et sage acti- 
vité ne déploie-t-elle pas sans cesse, la femme qui dirige 
ce mouvement perpétuel de la maison ! Qui de nous aurait 
le courage de se vouer à ces mille petits riens qu'exigent 
les besoins de chaque instant et de parcourir toujours le 
même cercle d'action avec calme, avec prévoyance et sur- 
tout avec amour? » 

Et il avait également bien saisi toute l'antipathie natu- 
relle entre épouses et vierges, dans cette phrase si juste 
des Affinités électives : « Il existe entre les femmes 
mariées, môme celles qui se haïssent et se calomnient, un 
pacte instinctif et tacite, qui les ligue contre les jeunes 
filles. » 

L'idée de la maternité, de la femme femelle se rencon- 
tre souvent dans les œuvres de ces écrivains. N'est-ce pas 
Luther qui a émis cette pensée qu'il ne fallait pas insulter 
les femmes, parce que c'est des femmes que viennent les 
enfants ; n'est-ce pas SchefTer qui a dit qu'il existait sur 
terre quelque chose de meilleur qu'une femme, et que ce 
quelque chose c'était une mère ! 

Sentimentalité, doute, humour, pessimisme, tous les 
points de vue allemands ont été successivement traités. 
Luther, qui est, aujourd'hui encore, le premier humoriste 
de son pays, trouvait qu'on devait avoir d'étranges pensées 
la première année du mariage. « Si l'on est à table », 
écrivait-il, « on se dit : « Auparavant tu étais seul, aujour- 
d'hui tu es à deux. » Au lit, si l'on s'éveille, on voit 
une autre tête à côté de soi. » Gœthe, lui, s'est élevé 



80 LA FEHHE EN ALLEMAGNE 

contre l'expression communément employée de mésalliance 
en observant fort justement que la plupart des mariages 
ne sont pas autre chose. 

Mais voici, parmi tous ces Allemands de marque, quel- 
qu'un qui n'aime pas la femme, j'ai nommé, est-il besoin 
de le dire, Schopenhauer, le fils d'un bas-bleu spirituel et 
lettré. Inde t'rœ peut-être bien I Aussi déteste-t-il cordiale- 




Fig. le. — La galerie TéniiniDe du peintre Juch. 

{Sur wu tarit poilalt adrtttét à roiUnir.) ■ 



ment le beau sexe et fulmine-t-il contre « cet instrument 
de l'amour », en prêchant la chasteté absolue. C'est le 
remède radical ; plus d'humanité, par conséquent plus de 
femmes. 
Toute la théorie de Schopenhauer, il convient de bien 

■ Si l'on devait porter, d'après ce dessin, une appréciation sur l'idéal 
féminin du peintre Jucli, on pourrait appeler cet artiste au laleut si 
personnel le Schopenhauer du crayon. 



SENTIMENTS ET APPÉTITS DES ALLEMANDS 81 

saisir ce point , repose sur le fait que la nature ne connaît 
que ce qui est physique, nullement ce qui est moral ; donc 
tout amour, si chaste, si éthéré soit-il, a pour raison 
Tinstinct sexuel, et toute passion a en vue la procréation 
d'un ou de plusieurs individus. 

Cette métaphysique de Tamour est essentiellement 
germanique, si bien que Schopenhauer incarne en lui les 
idées allemandes du xvm® siècle qui prévalent aujourd'hui 
encore, au même degré que Michelet, dans ses volumes 
sur la Femme et t Amour, a incarné les idées chevale- 
resques françaises*. 

Nous voici donc, sans parler d'ouvrages modernes, 
essais et études de toutes sortes, sur le véritable terrain. 
Et ce qu'il faut proclamer bien haut, c'est que, quelle 
que puisse être la dose de platonisme dont il fait montre, 
l'Allemand voit avant tout dans l'amour les appels de la 
nature. Je n'en veux pour preuve que sa parfaite indiffé- 
rence du qu'en dira-t-on, de ce que nous appelons, pom- 
peusement, les convenances sociales, quand il lui convient 
d'afficher ses sympathies sexuelles. Voyez de quelle façon 
la sentîmentahté allemande s'étale en public, voyez toutes 
les expansions auxquelles se livrent les jeunes fiancés 

^ Voici qui doit réjouir Schopenhauer du haut de sa demeure dernière. 
En 4883 s*est fondé à Wesprim (Hongrie) une société qui porte Je titre 
signiflcatif de : Les Ennemis de la Femme. (( Les fondateurs )), porte le 
programme, « ayant acquis la conviction que dans la société actuelle la 
femme, à quelques exceptions près, n'est plus la femme idéale, mais 
bien la femme de la vanité et des plaisirs mondains, une poupée à la 
mode, appelée non pas à faire le bonheur de l'homme, mais bien à le 
rendre malheureux par toutes sortes de ruses, se proposent de débar- 
rasser le monde d'un de ses maux; le règne de la femme, après quoi 
les autres maux disparaîtront aussi. » — Je ne commente pas, je cite. 

10 



Si LA PEHHE EN ALLBHACNE 

coram populo. De ces privautés naturelles personne ne se 
formalise; il n'y a que nous, Latins pudibonds, pour nous 
choquer sans cesse d'innocentes marques d'amour. 

Faire montre d'un des principaux caractères de la 
sexualité nons panUt surtout bête, disons godiche pour 
employer le vrai terme, et avouons que, souvent aussi, se 
mêle à notre pensée quelque grain de jalousie, de souvenir 




Pig. 17. — Caricalure dea FlUgtnde BljtUer. 

du temps passé, ou de déception pour ce que nous n'avons 
pas pu goûter. 

Sentimentalité, amour du clair de lune, tout cela était 
fort beau autrefois, mais tout cela n'est plus vrai, ou plutôt 
n'est vrai que sous la forme revêtue en Allemagne môme, 
et non point d'après les interprétations que nous avons 
essayé d'en donner. 

Dans notre Paris, aussi vicié que pudibond, cette senti- 
mentalité serait simplement de l'impudeur. 

Pour exprimer avec netteté ce que l'Allemand pense 



SENTIMENTS ET APPÉTITS DES ALLEMANDS 83 

de Tamour, il faudrait la langue de Rabelais, mais ce 
qu'on peut dire, c'est que tous estiment, comme Gœthe, 
que le mariage a quelque chose de grossier, qui gâte, qui 
empoisonne les relations les plus délicates et les plus 
douces. 

Ce qu'il faut également poser en principe, c'est que son 
amour du clair de lune est bien plutôt une prédilection 
pour les amours affichées en pleine lune, qu'il s'agisse 
d'ombres chinoises purement sentimentales, ou d'ombres 
chinoises plus actives. Le grand air est chez lui un besoin, 
une satisfaction ; il paraît être le complément de la Ubre 
expansion des sentiments. 

Aime-t-il la femme? — Je crois, à proprement pîirler, 
qu'il est toujours travaillé du même mal national ; qu'il 
aspire après un idéal incorporel et que, ne pouvant, natu- 
rellement, le rencontrer, il se jette dans les bras de Scho- 
penhauer. Quoique les Trublot soient de tous les temps et 
de tous les pays, n'est-il pas significatif de voir Gœthe 
tomber du haut de ses illusions sur la servante de Wei- 
mar; Schopenhauer, l'ennemi de l'être inférieur, le prati- 
quer à Dresde dans les classes effectivement inférieures, 
et quantité de jeunes gens allemands qui s'enivrent avec 
leur maîtresse de poésie nuageuse, reculant toujours le 
moment « où l'on se rend ridicule par l'affirmation d'une 
jouissance bête » , faire une cour beaucoup moins éthérée 
à la Lisbeth de leur bien-aimée ? 

Tout récemment, encore, un des maîtres de la science 
germanique me tenait ce propos : « Il est deux sortes de 
femmes, celles qu'on aime et celles qui vous sont indif- 
férentes. Aux premières on ne doit jamais rien deman- 



84 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

der; des secondes on doit se servir comme d'un remède 
à l'amour que les autres vous inspirent. » Soit, sous une 
autre forme, la doctrine arienne. 

La pensée intime de l'Allemand, en ce qui concerne le 
sexe faible, peut donc se résumer en cette simple phrase : 
« La femme est un être inférieur qui ne s'élève que par la 
maternité » , d'où son affection pour la mère qui a réalisé 
son rêve de reproduction, et son respect pour la vierge 
qui sera la mère de demain. Souventes fois, ce qui con- 
firme bien cette manière de voir, j'ai entendu appeler 
femme de bixe (ein Luxus Frau) la femme élégante et mon- 
daine qui, n'ayant pas d'enfants, cherche à briller par sa 
toilette et ses grâces. 

Un dernier point, le plus délicat de tous : l'Allemand 
est-il, plus ou moins que le Français, porté sur la baga- 
telle? A vrai dire, je le crois très sensuel, mais quels que 
puissent être ses appétits, il ne pensera presque jamais 
à posséder une femme qui est occupirt et il n'emploiera 
pas son temps à faire des cours de plusieurs semaines 
pour arriver à être, un jour, l'amant accidentel d'une 
femme qu'il ne pourra peut-être pas revoir. Dans ce cas 
il préférera toujours les filles « qui font métier», a dit un 
de leurs poètes, « de prendre aux jeunes gens ce qui les 
gêne ». Et cela d'autant plus que les idées allemandes 
n'admettent pas notre classification si arbitraire, entre 
les jeunes filles qu'on épouse et celles qu'on n'épouse pas; 
entre celles qui peuvent être nos femmes parce qu'elles 
sont de familles riches et bien apparentées, et celles qui 
ne peuvent pas l'être parce qu'elles sont sans dot et sans 
espérances. 



SENTIMENTS ET APPÉTITS DES ALLEMANDS 85 

L'Allemand, qui aime à caressiren, à poussiren^ voit 
bien plus dans le mariage des affections que des devoirs ; 
pessimiste ou non, il fait passer avant tout les sympa- 
thies, les attractions naturelles; l'association, soit la légali- 
sation de l'amour, ne vient qu'en second lieu. C'est pour- 
quoi le mariage d'inclination se trouve être le plus 
conforme à ses idées, et par inclination il faut entendre, 
ici, le désir de se rapprocher au point de vue sexuel. 

Bref, l'Allemand ne se marie pas par raison, pour faire 
une fin, pour avoir un train de maison. Il se marie pour 
avoir des enfants, pour perpétuer sa famille, pour appor- 
ter sa pierre à la consolidation de l'édifice germanique. 

Et si les unions illégitimes, assez rares du reste, et 
presque inutiles, par suite des facilités accordées au 
divorce, sont en général mal vues, cela tient surtout au 
fait qu'étant la plupart du temps infécondes, elles ne 
peuvent présenter aucun avantage à la société. 




Fi g. 18. — Vif^eite de Chodowiecki. 



VI 



LA FILLE 



« Dieu fit la fille pour les malheureux qui ne pouvaient 
pas avoir de femme », ainsi s'exprime une vieille chanson 
en honneur chez les Louis berlinois, et certes on ne sau- 
rait lui donner tort quand on voit les échantillons de la 
prostitution allemande. 

C'est ici qu'il faut bien se rappeler certaines particula- 
rités du caractère si Ton ne veut pas faire fausse route ; 
c'est ici qu'il faut se souvenir de la grossièreté dont 
l'Allemand aime à faire preuve dans les choses de la vie 
terre-à-terre. 

Demi-mondaine, belle impure, élégante du monde où 
l'on s'amuse, horizontale de grande marque, et autres 
fadaises du même genre, n'existent pas pour lui. Avec 
raison il ne voit que la femme honnête et la femme qui 
trafique de son corps ; la femme de temple qui est l'arche 
sainte de la famille, et la femme de rue^ pour tous ceux 
qui en veulent. Les distinctions subtiles et dangereuses 
au plus haut degré, que nous cherchons à établir entre 
le monde de la haute et de la basse prostitution, il les 



88 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

repousse. Qu'elle porte du linge blanc ou qu'elle traîne 
des loques fangeuses ; qu'elle exerce son métier sur les 
planches, dans un élégant carrosse ou au coin des rues, la 
fille est toujours pour lui la fille, c'est-à-dire l'objet de 
rebut, le repoussoir. 

<i La femme de plaisir, instrument nécessaire » , disais- 
je dans mon volume sur la Caricature allemande^ « est 
restée là-bas, ce que le moyen âge l'avait faite, la ribaude. » 
Donc pas d'existence légale et quasi-officielle pour le demi- 
monde. La société allemande se ferme impitoyablement à 
qui veut entrer chez elle par cette porte de derrière. 

Si la démarcation est nette et précise, il ne faudrait 
point en conclure que la prostitution est une infime 
minorité ; non seulement elle pullule, elle grouille dans 
les grands centres, mais encore elle fournit un élément 
important aux villes étrangères. 

Tandis que la Française a incamé en elle le type de la 
lorettCf de la femme entretenue, l'Allemande représente 
surtout la prostitution nomade, irrégulière, à moins qu'elle 
ne peuple les maisons de chair humaine. La plupart des 
femmes qui ont su se conserver une certaine position 
appartiennent à la race juive. 

Mais, de même qu'elle a ses centres de prostitution qui 
diffèrent entre eux, qui sont à un échelon plus ou moins 
élevé suivant le caractère de la ville ; de même l'Alle- 
magne présente différents aspects, différentes formes du 
vice le plus universellement répandu. La prostitution des 
villes manufacturières n'est pas celle des villes d'eaux, 
des villes riches et élégantes, pas plus que celle des villes 
maritimes ou de garnison : de même la Kellnerin de cer- 



LA FILLE 89 

taines brasseries, la Gretchen des fourneaux, la Hausmam- 
seU des mœblirte Zimmer ne sont point la vulgaire 
Schnalle du coin des rues. 

Si rAllemand met tout cela dans le môme sac, et il a 
raison, il ne peut pas supprimer des distinctions qui tien- 
nent à Tétat social lui-njême. 

A proprement parler, la Hausmamsell n'est pas une fille, 
c'est la fille de gens qui louent certaines pièces de leur 
appartement, trop grand et trop cher pour eux, à des 
jeunes messieurs, étudiants, employés de TEtat ou de mai- 
sons de banque. Et comme le commerce des chambres 
garnies est un métier qui à Berlin et dans tous les grands 
centres s'exerce sur une vaste échelle, on loue au besoin 
la Hausmamsell avec, suivant la situation pécunaire ou 
sociale qu'on suppose au locataire. Gela se passe, il est vrai, 
sous des formes plus gazées. La jeune fille est si senti- 
mentale, elle joue du piano avec tant d'âme, elle est si 
bonne, si douce, elle a tant de prévenances pour le « mon- 
sieur de la chambre », elle sait si bien arriver au bon 
moment, au moment psychologique! Ici, pour être juste, 
il faudrait, du reste, faire une distinction entre les jeunes 
filles qui se contentent de flirter, se laissant prendre quel- 
ques baisers à l'occasion, et celles qui, moins vertueuses, 
ayant parfaitement conscience du rôle qu'elles remplissent 
on qu'on leur fait remplir, effeuillent peu à peu leur capi- 
tal. Mais, môme dans ce dernier cas, la Hausmamsell 
reste toujours une fille d'une espèce particulière, dont la 
circulation est restreinte aux messieurs des mœblirte Zim- 
mer. 

Elle porte encore en elle quelque chose de l'Allemagne 



M LA FEMME EN ALLEMAGNE 

romantique et semble pratiquer l'hospitalité à la façon de 
eerUùnes peuplades sauvages. Elle représeote le cAté poé- 
tique de ta proBtitutioQ allemande, de celle d'autrefois, 
alors que tout se passait en famille, alors que de bonnes 
jeunes filles ne craignuent pas de donner à l'étudiant leur 
cœur et souvent autre chose avec. 

Passons à la fille, « instrument de 
plaisir qu'on paye et dont on a le droit 
de profiter, suivant l'argent donné »; 
je traduis l'idée allemande. Celle-là n'a 
plus rien de poétique et sert à satisfaire 
les appétits de la brute. 

Filie de la campagne, si elle est 
lourde, engoncée, si elle a l'aspect 
d'une poupée habillée sortie de sa 
vitrine et tout étonnée de pouvoir 
marcher dans la rue sans mécanique, 
elle a du moins l'apparence extérieure 
de la santé. Si le corps est souvent 
difforme, disproportionné, il a des ron- 
deurs, des ampleurs qui doivent char- 
mer les amateurs de Rubens. Mais la 
fille qui provient des faubourgs est, la plupart du temps 
une horrible et pitoyable carcasse, quelque affreuse mé- 
gère échappée de la nuit de Valpurgis. L'autre peut être 
bonne fille; celle-là est dure, hargneuse, insolente. 

Les attrapages de filles allemandes dans les rues 
louches et obscures, qui n'a vu cela, n'a rien va 1 

Les Kellnerin sont de deux espèces : les unes, quelque- 
fois fraîches, souvent gentilles, visant à l'élégance avec 




flg. l«. — Cocotte. 
CrofBii i* StUtaumum. 




COCOTTES VI EN NOUES 



leur tablier attaché derrière par des barrettes, pourraient 
passer pour des princesses à côté des dondons aux bajoues 
mafDues, horribles maritornes, sales et repoussantes, qu'on 
est étonné de rencontrer dans quelques grandes brasseries. 
En les voyant faire le bonheur des soldats, je ne puis 
m'empécher de penser à certains vers de Gauthier qui, 
pour ne pas figurer dans l'édition complète de ses 
œuvres, n'en sont pas 
moins d'une vérité sai- 
sissante. Gela trouve 
quand même un cou- 
vercle. Hélas I oui. 

El que de types gro- 
tesques de procureuses 
ou de lilles du ruisseau, 
caricatures ambulantes, 
dont l'attifement est une 
carte d'échantillon de 
tous les décrockez'inoi- 
ça. Il faut avoir étudié 
le quartier féminin qui 
avoiaine le Champ-de-Mars, pour comprendre, pour ad- 
mettre la femme à soldats de Handon ; de même, il faut 
avoir parcouru le soir, à l'aventure, certains quartiers 
de Munich, par exemple, pour être à même d'apprécier 
le degré d'exactitude des dessins des Fliegende Blsetter 
qui viennent prendre place ici, avec leur tendance à la 
charge. 

Dans cette esquisse à grands traits de la fille, je ne 
puis naturellement m'appesantir sur quelques points de 




- L'amour à la brasserie. 

'I FLi((eiido BlBttar.) 



LA FEMME EN ALLEMAGNE 



détail qui viendront plos tard; niais, si l'on en excepte 
Berlin, Dresde, Leipzig, Francfort et surtout Vienne, on 
peut dire que la prostitution allemande, par le fait même 



■™"BÂREM"r, 




Fig. 11. — Lioa, si tu savais combien je t'aime ! 

— Eb bienl Ou'est-ce qu'il arriverait? 

— Tu me paierais un bock après. 



qu'elle est rebutée, repoussée, a quelque chose de parti- 
culièrement 8alfe,et grossier. Elle n'a rien qui charme, rien 
qui attire. Sachant qu'elle n'arrivera pas à faire illusion, 
elle reste confinée dans sa pourriture morale et physique. 




■ELLEI-PETITEI A WIEIBADEH 
|D«nia d* Cml-Toc iftprèi nie fniiiN 4lba*adt.) 



LA FILLK 97 

Elle aussi, la plupart du temps, elle est mal habillée et 
ignore complètement la science du déshabillé. Â quoi lui 
serviraient, du reste, les montagnes de jupes, barrières 
de gaz pour le corps, et les savants retroussis et les enivre- 
ments de la toilette intime ! Ce ne sont point ces griseries 
du cerveau qu'on vient lui demander. Mouchoir de poche 
de l'amour, il lui faut exercer son métier, sans autres. 
Sale métier, sales gens, jamais le mot ne fut aussi vrai. 

« Sont-elles au moins savantes dans le culte de la 
volupté, ces filles d'un dieu qui se traîne dans les mauvais 
lieux? » me demandait récemment quelqu'un à qui j'es- 
quissai ce tableau du vice allemand. — <( Pour ça, lui 
dis-je, adressez-vous à d'autres. Je me contente de décrire, 
c'est déjà suffisant. Mais j'en doute, car une artiste es- 
priape ne procéderait point ainsi. » 

Qui dit basse prostitution, dit prostitution par misère, 
et c'est là effectivement le principal agent de la fille alle- 
mande. 

Femmes incomprises, femmes émancipées, jeunes filles 
abandonnées ne constituent là-bas qu'une faible part du 
vice nomade : celui qui, plus élégant, plus civilisé, 
charme les blasés des villes d'eaux ou détraque com- 
plètement les malades dont l'existence est déjà fort com- 
promise. 

A Wiesbaden, à Baden-Baden, à Hombourg, on peut 
ainsi rencontrer de gentilles poupées à l'usage des gros 
banquiers juifs, des jeunes secrétaires de légation, des 
rares officiers ayant un patrimoine à dévorer ; la tête est 
souvent fine, l'expression gracieuse : mais, môme sous ces 
dehors, même lorsqu'il réunit ainsi en lui la grâce et 

11 



98 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

toutes les perfections physiques, le vice discret, l'on 
pourrait presque dire distingué, n'arrive pas à s'entourer 
de cette auréole qu'on lui accorde si facilement en nos 
contrées. Et cela toujours à cause des idées locales sur la 
femme, par suite desquelles en aucun pays d'origine ger- 
manique on ne verra la courtisane s'introduire dans le 
monde grâce à sa seule beauté. 

Moins émancipée, donc, plus tenue en esclavage que sa 
congénère de France, la fille allemande parvient rarement 
à s'élever. Disons aussi, au point de vue du caractère, 
qu'elle est moins souple, qu'elle ne sait pas se prêter aux 
circonstances, qu'elle ne possède pas ce don inné chez la 
Parisienne de pouvoir devenir très vite une grande dame 
avec un peu de toilette et beaucoup de savoir-faire. N'im- 
porte à quel degré de l'échelle sociale la Française est tou- 
jours femme ; l' Allemande, elle, vivante image d'un pays 
hiérarchique, représente avant tout des classes. 

Où commence la prostitution, où finit-elle? 

En Allemagne, comme en France, il est bien difficile 
d'en fixer les limites. 

On l'empêche de monter, de s'afficher, de trôner, cela 
est très vrai ; et pourtant, elle se présente sous des aspects 
inconnus en France, elle s'établit à poste fixe dans cer- 
taines fractions de la petite bourgeoisie pauvre, elle 
s'étale au grand jour par la publicité des journaux, et cela 
dans des conditions, dans des termes qui ne peuvent lais- 
ser aucun doute sur l'étendue du mal. 

La prostitution, en fait, est l'esclavage des blanches 
non encore émancipées par le capital. C'est pourquoi on 
ne saurait en parler sans jeter un coup d'œil sur les 



classes ouvrières, sur les femmes qui peuplent la rue. 
Est-ce leur faute à ces classes déshéritées si, chez elles, 
l'élément féminin est fatalement condamné à servir de 
jouet aux gens riches? Monstruosité de notre état, 




Fig-. îî. — Caroline, pense donc, hier, il y avait réunion chei mes maîtres, et 
lorsque les inviiés prirent congé, je donnai au lieutenant Schutie «on 
paletot. Il me le prit des mains, me donna un mark et murmnra entre m» 
dénis: c C'est bien >. Eh bien 1 sais-tu, Caroline, le lieutenant von Plankwiii a 
été tout différent, lui. Lorsque je lui remis son paletot, il me donna un demi- 
mark et m'embrassa tendrement sur les joues. Oui, l'on reconnaît tout de 
suite un galant homme ! 

(Onfuii dt H. Albrrchl dant le! FlicgcnJe Blsller.) 



soit ; mais, monstruosité partout admise. Voyez les ser- 
vantes, les ouvrières de fabriques, les bouquetières, les 
industrielles du pavé! A Berlin, à Hambourg, à Vienne, 
à Paris, à Amsterdam, à Londres, c'est presque invaria- 
blement la même histoire. A côté d'un métier quelconque 



102 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

qui s'exerce d'une façon plus ou moins suivie, le vrai, 
c'est la vente, c'est la location du corps humain. 

La misère, le tempérament, la tradition, le joug subi 
depuis de longs siècles — ce que j'appellerai la perpétuité 
de l'esclavage, — tout porte la fîUe du peuple à devenir 
un instrument de plaisir. Et certes, c'est une chose bizarre 
au milieu des particularités locales que de voir combien peu 
les types populaires différent entre eux. Grande bouche, 
nez fortement épaté, front bas, œil égrillard, espèce d'ava- 
chissement dans la démarche, dans la façon de porter le 
corps, vous retrouverez ce signalement partout. Faut-il en 
conclure qu'il y a une sorte de livrée internationale de la 
rue, du vice populaire? On pourrait le croire, et cela est 
d'autant plus curieux que les basses classes sont celles qui 
ont le mieux conservé les traits distinctifs de la race. 

Partout la fille du peuple semble dire : je suis A prendre, 
prenez-moi; partout, qu'elle vous offre un bouquet de 
violettes ou qu'elle rentre du travail, son petit sac d'ou- 
vrière à la main, elle semble porter sur elle la marque 
fatale du destin qui est sa loi en ce monde, qui ne la sort 
de l'atelier que pour la jeter dans la rue. 

Que de rapprochements étranges, également vrais, entre 
la fille et la femme des basses classes : voyez dans les 
quartiers ouvriers, à Berlin comme à Paris, les deux vivent 
côte à côte. On s'aperçoit qu'elles sont de même origine, 
qu'elles comprennent toutes deux l'amour plus ou moins 
de la môme façon, qu'elles paraissent être d'accord sur 
l'exploitation du bourgeois s'effectuant au moyen de la 
femme-amorce. Véritable question sociale qui a été de 
tous les temps et qui est de tous les pays ! 



LA KILLi; 105 

Donc, «tutlié au point de vue des grandes lignes, le 
vice allemand est bien près de se rapprocher du vice fran- 
çais; mais, encore une fois, l'un est parqué, on s'abaisse 
jusqu'à lui, il ne s'élève pas jusqu'à vous ; alors que 
l'autre s'installe, triomphant, au haut de l'échelle sociale. 

Ici la femme, là-bas la mère ; ici la beauté plastique, 
là-bas les qualités intimes de la ménagère. Voilà pourquoi 
la fille n'est pas là-bas ce qu'elle est ici. 

A celui qui me demanderait : prostitution idéalisée de 
forme et de fait, more gallicana, ou prostitution maintenue 
autant que possible dans les bas-fonds, more germaràcœ, 
lequel des deux maux vaut le mieux, je serais fort embar- 
rassé pour répondre. La façon allemande de concevoir le 
vice est, il est vrai, particulière; elle signifie bien plus 
nécessité humaine que recherche de la volupté, elle est plus 
proche de la barbarie que du raffinement. Mais, à cela 
près, le résultat est le même. Ce n'est (|u'une question de 
mœurs ou plutôt une uianii-n' dillérente de comprendre 
les mauvaises mœurs. 




F(g. î3. — Vifnelle de Chodoniecki. 



VII 



FAÇON DONT LES ARTISTES ALLEMANDS 

INTERPRÈTENT LA FEMME, LE DÉSHABILLÉ ET LE NU 



Il n'y a pas longtemps que les Allemands savent des- 
siner la femme. Si bizarre que paraisse cette affirmation, 
elle est pourtant absolument vraie. L'esthétique féminine, 
le sens de la grâce dans la forme leur a fait défaut jusqu'à 
ces dernières années, et cela par une raison bien simple, 
c'est que la femme restait en dehors de leurs conceptions, 
je parle de la femme telle qu'elle est comprise chez les 
Latins. 

A vrai dire, la peinture n'ignorait pas le sexe sur lequel 
la littérature avait jeté des flots de poésie ; mais, en dehors 
des prêtresses germaines, des femmes aux draperies 
sévères des Niebelungen et de l'épopée carlovingienne, ou 
bien encore des maîtresses idéales de Gœthe et de Schiller, 
elle ne voulait rien voir. Cela suffisait à tout, à la grande 
fresque historique ornant les murs des palais royaux et 
au livre doré destiné à prendre place sur le guéridon clas- 
sique. Le roi de Bavière, un connaisseur, s'était, il est vrai. 



108 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

payé le luxe d'une collection de portraits en faisant peindre 
par ses artistes attitrés les beautés célèbres et... aimées, 
galerie unique en son genre que ne manquent pas de visi- 
ter, aujourd'hui, les Anglais et autres bipèdes voyageurs 
de la même espèce; mais tout cela n'était que du suranné. 

La femme proprement dite se trouvait réduite au 
tableau de genre, au bon vieux tableau sous la forme, pas- 
sablement usée, elle aussi, des costumes et des types 
locaux. Quant au nu, la peinture allemande a toujours mon- 
tré peu de sympathie pour lui, non par pruderie, mais 
plutôt par antipathie pour les expositions de chair sur 
plats d'épinards ou champs de blé. 

Décadence singulière au point de vue de Testhétique 
féminine, quand on se reporte aux dessins si puissants, si 
individuels, des Holbein, des Cranach, des Josse Ammann, 
quand on examine dans tous leurs détails les profils tou- 
jours délicats et si finement gravés de Ghodowiecki ; mais 
décadence encore plus significative pour Thistorique du 
développement et de Tarrot subit des arts graphiques, due 
à la réaction de 1815, aux idées étroites de petites villes 
et de petits cercles qui prévalurent des années durant. 

Dans les journaux qui viennent de prendre naissance 
s'étale un dessin féminin, à l'aspect vieillot, à l'attitude 
naïve, à moins que, s'inspirant du genre et de l'esprit 
français qui prédominent alors partout, on ne copie, en 
les alourdissant singulièrement, Gavarni, Bertall et autres 
dessinateurs parisiens * . 



* Voir à ce sujet les dessins de Lœffler reproduits dans mon volume : 
Les Mœurs et la Caricature en Allemagne, 



LA FEMME ET LES ARTISTES ALLKMANDS 109 

Ouvrons les Fliegende Blœtter, cet idéal des périodiques 
illustrés, qui représente 
fidèlement la conception 
allemande. Ëh bien I 
même après 1870, qui 
fut, disons-le, le signal 
d'une grande rénova- 
tion artistique pour les 
pays d'outre - Rhin , les 
artistes de ce journal 
paraissent être aussi 
étrangers qu'auparavant 
à ce côté particulier de 
l'esthétique . Les plus 
forts ont trouvé un type 
de femme en bois, pro- 
cédant à. la fois de lu 
gravure de mode et de 
la poupée, qui se tient 
tant bien que mal sur 
ses jambes, mais auquel 
il ne faut demander que 
des mouvements auto- 
matiques ; quant aux au- 
tres, ils n'ont aucune 
idée même des lois les 
plus simples : perspec- 
tive, proportions, façoQ 
de porter le vêtement, 
autant de lettres mortes 




110 LA FEHUE EN ALLEMAGNE 

pour eux. Le corps, — si toutefoia l'on ose appeler ainsi 
la carcasse qu'on soupçonne à peine, — ballotte dans les 
vêtements posés aor lui ; je dis à dessein « posés », parce 
qu'on ne saurait voir là des femmes habillées. Et le 
chapeau I S'il arrive à se tenir debout ce n'est que par 
un miracle d'équilibre. En vain 
objectera-t-on que c'est de Is 
caricature de mode; si chargé 
que soit un croquis il n'y a 
aucune raison pour que le cha- 
peau dont une femme est 
coiffée ait l'air d'appartenir à. 
la voisine. 

Voilà donc de quelle façon, 
dans le plus lu des journaux 
honnêtes et artistiques à la 
fois, on comprenait la femme. 

Dans les hvres, dominait le 
dessin au trait, le dessin clas- 
sique répandu partout à l'époque du premier Empire et 
que Winckelmann n'avait pas peu contribué à popula- 
riser en Allemagne. Que de Marguerites sentimentales, aux 
longues tresses, au costume moyen âge, l'on vit ainsi appa- 
raître : la taille pouvait, souvent, manquer de grâce, les 
attaches être vulgaires, les pieds dignes d'une reine carlo- 
vingieune, mais l'expression, le sourire, étaient toujours 
dans la note rêveuse, alors si fort à la mode. 

Après le trait vint la silhouette, la silhouette déjà em- 
ployée pour les portraits du xviii« siècle et qui, aujourd'hui 
encore, est une des particularités du dessin germanique. 




{fifciprit le joamal le Se 



LA FEMHB ET LES ARTISTES ALLEMANDS III 

servant aussi bien aux fiancés épris d'amour platonique, 
qu'aux charges sur les femmes et les excentricités de la 
toilette. 

Mais peu à peu, au fur et à mesure que disparaissait le 
trait classique, faisant place à une image plus colorée, se 

montrait une autre incar- 

nation de rAllemande, la 
bourgeoise du moyen âge. 
On revenait ainsi au passé, 
à l'idéal des anciens jours, 
tant pour le costume que 
pour la simplicité des sen- 
timents affichés. L'Alle- 
magne, que les maîtres de 
la génération précédente 
avaient fait dévier du droit 
chemin , se retrouvait eu 
ces femmes à la grande 
cornette blanche ou au 
petit bonnet de En linon 
enserrant la tête, toujours 
occupées à quelque soin 
domestique, souvent entourées d'une bande de blonds 
enfants. Voici bientôt trente ans que dure cet engouement, 
produisant par la peinture, par la gravure, d côté de 
banalités qui sentent le poncif, de véritables chefs- 
d'œuvre de restitution et de goût décoratif. Tous les 
artistes se sont mis de la partie ; tous ont voulu repré- 
senter l'aïeule de la grande époque vaquant aux soins du 
ménage, s'occupant à des travaux intimes, jouant de la 




LA FKMMR EN ALLBMAT.NK 



guitarp ou repassant les fines guimpes do la famille , 
sortant de l'église, visitant les malades, prenant part aox 
fêtes publiques, ou encore saluant d'un dernier adieu, d'un 
dernier encouragement les citoyens partant en guerre pro 
ans et focis. 

Maie si beau que fut ce moyen âge de convention, sou- 
vent animé d'un souille puissant, il ne pouvait durer éter- 




Fig. î». — Silhoueiie ei 

^D'aprit kiFUegende Bldltr.) 

nellement et déjà bien des peintres qui lui doivent leurs 
premiers succès l'ont abandonné. D'autres, cherchant plu- 
tôt la rêverie que le côté intime et décoratif, revenant ans 
femmes des premières années du siècle, se sont portés 
vers le Directoire et l'Empire, inaugurant une nouvelle 
forme de la sentimentalité graphique. Ici doivent prendre 
place les compositions de Thumann, illustrant les œuvres 
poétiques de Chamisso, qui font sous cette forme le bon- 




"l 




LA JOUEUSE OE GUITARE 



LA FEMME ET LES ARTISTES ALLEMANDS - 1)S 

heur des salons bourgeois où elles coudoyent sur la même 
table les Psyché et les Amours, dessinés dans le mâni« 
esprit, à l'usage du même public. 

Voilà pour l'idéal. 

Dans les études de mœurs, dans les scènes de la vie. 




Vie (tel Femmta ". 



une école nouvelle a surgi. Deux dessinateurs, représentant, 
l'un le côté spécialement allemand, l'autre le chic, Bech- 
stein et Schlittgen, ont donné aux journaux illustrés 
d'outre-Rhin, aux Fiiegende Blsetter surtout, un aspect 
qu'ils n'avaient pas encore revêtu. 



LA FEMMK EN ALLEMAGNE 



Par eux, l'on peut juger des deux façons dont l'AUe- 
magne artistique moderne entend l'interprétation de la 
femme. Le point de départ est le même ; c'est le type local 
qui leur a servi de modèle, mais tandis que le premier se 




Ftg. 10. — La maliresR« de la maison (à sa Gervanie, au momenl où le capitaine 
de cavalerie qui éiatt venu lui rendre visiie se dispose à prendre congé d'elle) : 
c Augu si a, accompagne M. le capitaine jusqu'à la porte (la servante va lïiire ce 
qu'on lui dit). Mais prends donc de la lumière t » — Augusta : * Cela est 
inutile Madame, H. le capitaine la soulUera tout aussitôt que nous serons 

{Caricalurt de Sdilittgm data Iri Flieïende Blcltcr.) 



confinait dans la reproduction exacte des mœurs, des ha- 
bitudes, des excentricités locales, le second, laissant peu à 
peu le côté de la physionomie et de la tournure, se mon- 



LA FEMME ET LES ARTISTES AL EMANDS 117 

trait surtout épris de modernité féminine, de cette moder- 
nité, mélange singulier d'étoffes et de chair, qui est en traiu 
de devenir l'expression d'un désir universel. C'est à peine, 
souvent, si l'on peut distinguer les traits particuliers à 




Fig. 31. — Mademoiselle, Je vous aimerai, aussi longtemps que je vivrai. 
— Cela ne me suffit pas ; je désire quelqu'un qui m'aime auaai 
longtemps que je vivrai. 

Ifiaricatvre de ScMitIgen ifau Iti Fliegcnde Blnllcr.) 



telle ou telle race, mais toute la science, tout le faire du 
dessinateur doivent être portés vers la façon plus ou 
moins élégante, plus ou moins légère, d'habiller le man- 
nequin féminin. Il faut que la femme soit corsetée, drapée, 
habillée, en un mot, comme celle que nous croisons dans 



LA FEMME EN ALLEMAGNE 



la hie; il faut qu'elle se meuve de même et que, sous le 
vêtement, l'on sente palpiter les chairs. 




FJg. 31. —La maîtresse de la maison (à ta servante récemment entrée en 
place) ; ■ Anna, je vais au thélire, et rentrerai probablement tard i la 
maison, > — Anna : » Oh ! a très honorée Madame n'a point besoin de 
s'eicuser auprès de moi. ■ 

(Crof iiii lit SMittgen dm Ui Flicgcnde BLatler.l 

Eh bien I autant les Allemands, autrefois, étaient lourds. 
ganches, dans cet ordre d'idées, autant, aujourd'hui, cer^ 



LA FKMME ET LES ARTISTES ALLEMANDS 



119 



tains d'entre eux font preuve d'une réelle habileté ; leur 
chic égale et quelquefois même dépasse celui des artistes 
français. Les figures féminines qu'ils habillent ainsi sont 
pleines de grâce, et Hacklaender, le romancier, vient de 
trouver en eux des inter- 
prètes comme il n'aurait 
pas pu en rêver de son 
vivant. 

Mais à ces artistes, ii 
ne faut plus demander 
le type classique de la 
ménagère allemande : 
psckulleuses , servantes 
non moins correctes, au 
petit bonnet plissé, au ta- 
blier brodé, descendant 
en droite ligne des sou- 
brettes d'opéra-comique, 
Kellnerin se rapprochant 
des types de bockeuses 
qui peuplent nos bras- 
series à femmes ; voilà 
ce qu'ils nous donnent. Chez eux, le côté mondain l'em- 
porte sur le côté de l'intimité, la vie semble avoir passé 
de la classe bourgeoise aux classes de l'aristocratie et du 
plaisir û tel point que si l'on devait juger de l'Allemagne 
actuelle parleurs croquis élégants mais trompeurs, on pour- 
rait se demander ce que sont devenues les mœurs familiales 
d'autrefois. Modifications dans l'illustration, qui corres- 
pondent évidemment à des modifications dans les mœurs. 




Kig. 33. — Type de soubrette 
Dttitt lU L. Btelaltin, Fliogenilt BUettr 



130 LA FEHHE EN ALLEMAGNE 

Faut-il conclure que tous les artistes suivent cette voie? 

Non, certes I car il en est, et de fort capables, qui savent 

faire gracieux, élégant, tout en restant Qdëles au type 
local, toat en nous don- 
nant des femmes essen- 
tiellement allemandes par 
les traits du visage, par 
les poses, en un mot par 
l'attitude générale. 

Mais, en Allemagne pas 
plus qu'en France, les pein- 
tres ne se contentent du 
rôle d'illustrateur, d'anec- 
dotiste au jour le jour! A 
côté de la femme qu'ils 
rencontrent dans la société, 
au milieu de laquelle ils 
vivent, qu'ils croisent dans 
la rue, se place la femme 
de l'idéal, et celle-ci ne 
repose pas sur un type 
unique et classique. 

Chaque pays conçoit à 
sa façon la beauté, chaque 
âme d'artiste se sent por- 
tée vers un certain idéal. 
Ne voyons-nous pas, très souvent, l'étranger refuser à 

nos femmes les qualités physiques qu'aucun de nous 

n'aurait l'idée de leur contester? 
Adressons-nous aux coacours de beautés ouverts 




Ftg. H. — Type réminin de Harburger. 

(0ajw /«> Flicgrndt BEcltcr.J 




TEMPS D'AVRIL 
(DMiin d< Kkci Euviil. Publia pu U Ilbatriru Ztilmg dt Ldpii; .) 



LA FEMME ET LES ARTISTES ALLEMAXDS i23 

plusieurs reprises par les journaux de Leipzig et de 
Vienne, concours auxquels prennent part des dessinateurs 
d'une réelle valeur et qui ont, pour nous, le précieux avan- 
tage de nous renseigner sur les aspirations allemandes. 
Avoir sous les yeux, à côté de ce qu'un peuple possède, 
ce qu'il rêve, est toujours piquant. 

Eh bien ! vraiment, elle ne se présente point trop mal 
la beauté du peintre Wehle, cette ravissante tête de jeune 
femme coiffée du chapeau coupé, ce chapeau dont les 
brides encadrent si bien le visage ; qui est pour le beau 
sexe ce que le chapeau de soie est pour l'homme. Et 
comme elle formule nettement l'esthétique d'outre-Rhin, 
ne craignant ni la grande bouche, ni les grands yeux, 
mais tenant avant tout, à l'expression langoureuse du 
regard, à cet air de sentimentalité dont les races du Nord 
possèdent seules le secret. Piquant, émoustillant, chic, le 
je ne sais quoi qui est tout et qu'on ne saurait définir, cela 
passe en second lieu ; si la physionomie est enjouée, c'est 
un enjouement très particulier, dont on n'exclut point une 
certaine tendance à la rêverie. 

Pour être une Allemande idéale, cette femme n'est pas 
une Allemande introuvable ; elle ne se rencontre pas tous 
les jours, il est vrai, mais elle existe sur terre aussi bien 
que dans le cerveau de l'artiste. 

Laissons de côté les concours de beauté graphique, 
précieux, comme document, mais qui se traînent sou- 
vent dans le poncif et dans des spécimens d'une banalité 
étourdissante, engendrant les allégories avec leur cortège 
habituel de saisons, de tempéraments, de vertus et même 
de vices, produisant des Allemandes de pure fantaisie. 



424 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

Après avoir montré la Hausfrau sous le costume moyen 
âge qui lui sied vraiment bien, parlerais-je des peintres 
qui s'amusent à nous présenter tout un monde féminin 
habillé à la mode de nos arrière-grand'mères. Le Rococo 
jouit, je le sais, d'une certaine popularité, ce qui ne doit 
point surprendre à notre époque de restitutions de toutes 
espèces, mais à quoi bon s'arrêter ici ? Paniers, falbalas, 
coiffures, en un mot l'attifement d'alors, se prête mal à la 
physionomie germanique. Que faut-il penser, sous de tels 
atours, des Allemandes d'aujourd'hui, alors que les Alle- 
mandes du xviii^ siècle ont déjà, souvent, quelque chose de 
lourd et d'engoncé. Un corps de petite bourgeoise, aux 
pesantes attaches, dont la brillante toilette ne sert qu'à 
faire ressortir les vulgarités, voilà le Rococo moderne 
sortant des ateliers d'outre-Rhin. Et les essais de nudité 
drapée et les corps se ridant aux plis des graisses char- 
nues, tandis que les extrémités s'allongent démesurément, 
et les amours au carquois richement approvisionné, glis- 
sons, n'appuyons pas, ce serait lancer à des peintres, 
dont l'effort est après tout consciencieux, la flèche empoi- 
sonnée du Parthe. 

Laissons de côté marquises et amours, et passons à 
un genre plus moderne, l'illustration légère, précieuse 
entre toutes, puisqu'elle sert à nous renseigner sur les 
appétits charnels de la race. Nous connaissons, il est vrai, 
ceux des Allemands, en sorte que l'illustration va servir, 
ici, à confirmer ce que l'on sait déjà. 

Si l'on voulait rechercher les phases diverses par les- 
quelles a passé le goût du léger, de l'obscène, il faudrait 
remonter aux classiques de la grande rénovation artis- 



A 




^ 


^L 


'^i 


bL^ 



iOMiin de J. R. Wiii 



T£TE D'ALLEHtNDE 

i lu concoun suiitH pr U JV«U lUultrirle Zril 



FEMME ET LES ABTISTKS ALLEMAND 



127 



tique, il faudrait rechercher l'influence exercée sur des 
peintres comme Kaulbach par l'antiquité, par le culte du 
phallus. Mais le présent suffit amplement à nous rensei- 
gner, et si j'emprunte quelques vignettes à un journal de 
Hambourç, — ville de mœurs particulièrement décolle- 
tées, on le sait, — qui parais- 
sait sous le second Empire, 
c'est uniquement parce que 
ces vignettes me paraissent 
bien en place. On n'était point 
prude dans cette Teuille de 
joyeuse humeur; on publiait 
des annonces, illustrées d'une 
façon tout à fait piquante, on 
illustrait même des histo- 
riettes de Bordeaux : Joli gar- 
çon, montez chez moi'. Ça se 
fait, ça se dit, ça s'annote 
par le crayon. Donc, ici, le 
grossier est pris sur le vif et 
le trait va droit au but. 

Dessin populaire, soit, et sur ce point, toutes les pubU- 
cations ont entre elles nue certaine aflînité, mais cette 
simple vignette de la grande-duchesse'de Gérolatein esquis- 
sant un pas risqué, encore trop réservé pour les crânes 
chauves de l'orchestre, suffit à préciser la différence entre 
la façon allemande et la façon française de concevoir le 
vulgaire. Or, c'est ce que je tenais à montrer graphique- 
ment. 

La jambe, le bras, la gorge, voilà le triple domaine 




- Vii-ni^Lli) (lu ladiUtrieUt 
■isl lie Hambourg (1869). 



LA FEMME FA ALLEMAGNE 



ouvert à la fantaisie erotique de l'artiste, et l'éroUsme 
n'est pas seulement une affaire de tempérament , c'est 
encore une question d'éducation générale. Il y a cent 
façons de dessiner la chair : un rond de jambe, suivant la 




tig. 36. - 

.g.it lient à laisser passer s. 

it dans une situation sembta/ile 
une réiluclioii des friiis. 

(Hamburger Naclirichten.) 



manière dont on l'aura modelé, apparaîtra canaille ou 
fripon, vulgaire ou distingué. Ici le trait est tout, et même 
lorsqu'il reste vague, il sait ce qn'il veut indiquer. Mais 
là où d'autres se contentent d'une légère esquisse, l'Alle- 
mand, comme s'il paraissait craindre que son intention 



LA FEMME ET LES AUTISTES ALLEMANDS |29 

De soit pas sufBsamment claire, précise. Plus la situation 
est risquée, plus il souligne. Ça ne coûte guère et ça fait 
tant de plfûsir aux solides bourgeois ! Affaire de concep- 
tion, de tempérament, dira-t-on I Et j'ajouterai : de race, 
qui fait que les peuples se grisent de piquette ou de cham- 




Kg. S7. — L'animal des déserta aime la liberté; l'aigle vole libre à iraver 
airs, et lespoitrinei, elles aussi, aiment laliberié; demandez li la modes! 
n'est point vrai. 



pagne mousseux ; que les uns , classiques et corrects, 
cherchent sans cesse à idéaliser la matière, tandis que les 
autres ne craignent nullement de la matérialiser encore plus. 
Ici comme là-bas la chair reste toujours l'objectif prin- 
cipal; mais dans la manière d'en esquisser les contours, 
d'en côtoyer le domaine, il y a autant de différences que 
dans la façon d'en venir anx débats amoureux , s'il faut en 
croire Brantôme. 



130 LA FKMMF. E\ AI.I.F.M^CNK 

Qui donc oserait prétendre qu'un artiste français abor- 
dant le même sujet, et le traitant dans le même esprit, 
en vue du môme objcf, produirait une oauvre de tous 
points identique? 

On a fait une plaquette sur l'art de relever sa robe; 
je me propose très procliainemcnt de montrer, par des 
compositions dessinées, la façon dont procèdent dans cet 
art difficile les différentes femmes d'Europi;. Concours 




international de mollets, si vous voulez, où chaque rond 
de jambe portera sa marque de fabrique, comme ceux que 
nous montre le peintre Daelen. 

Direz-vous qu'ils sont français ces mollets rebondis- 
sants à la vue desquels s'épanouit le soleil levant du 
Righi ; direz-vous qu'elles sont parisiennes ces jambes 
démesurées? Non certes, cela ne vient pas du pays 
qui a élevé le rond de jambe à la hauteur d'une institu- 
tion! 



LA FEMMR ET LES .MtTISTES ALLEMWDS 



<3I 



iEB3]i 



Pm-t'tc' dt's formes, gentillosse du minoi;*; deux choses 
dont les dessinateurs de ces sortes de vignettes s'inquiè- 
tent fort peu : leurs femmes sont gauches, disgracieuses, 
souvent môme franchement laides. La figure vient en 
seconde ligne. Quand je vous le disais, la chair avant tout, 
la chair dans ses appels à la matérialité du corps I Joli 
visage, peu importe : visage ne 
veux , chair désire. Toujours 
l'homme du moyen âge ! 

En revanche, ce que le des- 
sinateur ne négligera pas, c'est 
le grossissement exagéré de ce 
qn'on est convenu d'appeler les 
charmes naturels. La chair doit 
être désirable, et pour cela, il 
faut qu'elle s'étale, qu'elle dé- 
borde. L'Allemand me paraît 
avoir un faible pour la grosse 
femme. 

Mais cette matérialité lui em- 
pêche de montrer de la légè- 
reté là oh il en faudrait, c'est pour cela qu'il retrousse 
de si lourde façon les draperies féminines soulevées par 
le vent, c'est pour cela qu'il en coiffe la tête de sa femme 
absolument comme s'il l'enserrait dans un sac ; c'est pour- 
quoi encore, sous son crayon, une amazone qui tombe de 
cheval vient s'aplatir par terre. Quelle grâce dans cette 
vignette de publication populaire! Le mélange du côte 
intime et du sans-gêne, ce qu'on appelle là-bas le <« entre 
nous », mélange fréquent dans la littérature de cette der- 




Fig. 39. - Vignette de Daelen. 



132 



LA FEMME KN ALLEMAGNE 



nière espèce, nous donnerait encore de bien curieux spé- 
cimens. 

Qu'on regarde seulement cette réunion de café, ce Kaf- 
feeklatsch ob une jeune ouvrière, — une grisette sans 
doute, — ' s'est assise à califourchon sur une chaise, fai- 
sant hallonner ses jupes et 
montrant ses mollets. Gela 
n'était d'aucune nécessité et 
sert simplement à prouver le 
degré d'intimité du « entre- 
nous ». D'aucuns diraient : 
mystère et pornographie; en- 
trant pour ma part plus avant 
dans l'étude des idées alle- 
mandes, je dirai : mélange 
singulier de hourgeoisisme 
et de mauvaises mœurs, bien 
spécial au pays. 

De quelque cûté que nous 
nous tournions, ce qui carac- 
térise donc avant tout la por- 
(1. - Vigneites citraiies nographie allemande, c'est la 
lourdeur. Si jamais elle tenait 
à se constituer une marque 
de fabrique, elle pourrait prendre pour devise : Pesanteur 
dans le léger. 

Qu'a-t-elle fait, par exemple, avec les couvertures de 
livres, ces couvertures qui, en France et chez tous les 
peuples de race latine, constituent un art si personnel ? Si 
j'en excepte le peintre Daelen et les habiles illustrateurs 




Fjg. 40 

des Berliner Komiker-Balit. 



.^^■â 




^^^<!>*f&-^ 



{Extrait if Wlutr Cuiolnnn.) 



134 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

des œuvrea de Hacklaender, ce qu'elle nous donne dans ce 
domaine est de la gravure légère de mauvaise compagnie, 
grossière et banale. Elle en est encore à faire son édu- 
cation dans l'art du tire-l'oeil, ce qui ne serait point on 
mal si elle n'affichait certaines prétentions erronées. 

Entrons dans le vif de 
la question ; ouvrons les 
albums pour hommes seu- 
lement du dessinateur 
Klic. Rien de plus pi- 
toyable ne s'était encore 
offert à nos yeux que 
ces femmes mal bâties 
ou, du moins, bâties 
d'une façon particulière, 
avec des bras et des 
jambes d'une longueur 
incommensurable. Je 
sais qne le même défaut 
pourrait être reproché à 
tous les artistes alle- 
mands sans exception, 
mais outre qu'ils le ra- 
chètent par d'antres réelles qualités, ils n'ont point la 
prétention d'imiter le chic parisien, la légèreté de certains 
crayons qui ont su se constituer dans ce domaine un 
genre à part. Or le nommé Klic, lui, vise au Grévin, au 
Journal Amusant. Avec son trait qui écrase, avec ses 
femmes débraillées et déhanchées il ne parvient qu'à 
donner une triste idée des modèles qu'il a pu avoir. C'est 




Pig. *3, — Type de 



LA PEHHG ET LES ARTISTES ALLEMANDS 135 

fait de chic, c'est-à-dire de mémoire etd'ÎDBpiration, mais 
dénué de vrai chic ; c'est une contrefaçon sans esprit, des 
actrices, soupeuses et autres noceuses qui ont pu Faire, 
ces vingt dernières années, les délices des lecteurs de nos 




fig. 4i. — Saprisli '. TOUS avez, aujourd'hui, encore moins que les auifesjoiirs. 
— C'est que c'esi rcprÉseniatiou de gila, éclairage des joui's de fête. 

( Vig-ùlle dt Slk (Bilderhuch fia Higeilolie.) 



journaux légers et demi mondains. Des Femmes, ou plutôt 
des viragos taillées sur ce patron, Dieu nous préserve 
d'en rencontrer I C'est égal, nous sommes loin de l'Alle- 
mande idéale de Wehie. 

Mais Klic représente lu note déjà ancienne. C'est dans 



LA FEMME EN ALLEMAGNE 



les Wiener Caricaturen qn'il faut aller chercher le côté 
plus moderne et nettement pornographique du dessin à 
femmes. Là rien n'est gazé : la légende est à la hauteor 
de rillustration et ce n'est pas pottr homntei seulement, 
c'est pour tout le monde, puisqu'il s'agit non plus d'albums 
maie d'un journal qui occupe pour l'Autrichien la place 




Fig. (S. — Vin, femme et cliant. 
< Du vin J'en ai, Temme je le suis, et, au lieu de chanter, je siffle après lui. > 

(('if»tteciîJïfic(Bilderbuchrur8i(etli>lic.) 

que le Journal Amusant ou La Caricature tiennent chez 
nous. Nous sommes, il est vrai, à Vienne, c'esUà-dire dans 
la ville qui occupe la première place, lorsqu'on veut suivre 
la genèse de l'histoire des appétences féminines en Alle- 
magne; toutefois, il faut reconnaître que, même à Paris, 
la ville de toutes les libertés et de toutes les audaces, la 




PSCHUTTt 
(D'uprb un pulel de PiglhrJD. PropriMi de IToiiM phalagnphique de Hun 



LA PKHHE ET LES ARTISTES ALLEMANDS 139 

censure laisserait dilTicllement passer des plaDchcs aussi 
décolletées au figuré et au réel. D'autre part, on ne peut 
s'empêcher de reconnaître le talent de l'artiste qui manie 
la plume avec habileté et sait tous les effets que la litho- 
graphie est à. même de donner. Ce n'est plus le dessin 




populaire et platement grossier de Berlin, rendu encore 
plus âpre à l'aspect par la taille rude du hols, ce n'est 
pas le procédé si habile, si délicat, si coloré de Munich, 
c'est la gravure nettement pornographique qui, comme les 
Lupa equitam ou MuHer honesla du moyen âge, pourrait 
presque servir d'enseigne à. quelque maison publique. 



140 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

Je m'arrête là, ne voulant pas descendre plus bas dans 
ce domaine. Partout le ruisseau est fangeux et, pour être 
plus ou moins noire, la boue n'en est pas moins toujours 
de la boue. 

Cependant le Nord me fournit une dernière vignette et 
je la reproduis parce que son côté allégorique et sa nature 
moralisatrice répondent à une des tendances de l'illus- 
tration germanique. C'est la femme bourreau des cœurs, la 
femme foulant aux pieds, honneur, conscience, devoirs, 
la femme instrument inconscient de destruction, annihi- 
lant par unités les êtres que la mitrailleuse, cette pros- 
tituée de la guerre, foudroyé par milliers. 

Si le Nord, ce Nord tant calomnié qui doit être un jour 
tout lumière et qu'on s'efforce à nous représenter tout 
ténèbre, n'a pas la grâce et le charme de la forme, il 
a l'idée et, pour lui, le trait graphique est, avant tout, un 
moyen d'exprimer par l'image ce qu'il ressent par la 
pensée. 




' ■'T?!^ 



Fig. 43. — Vignette de Schlittgen. 
(Ftiesende Blmtter.) 



LIVRE II 

LES CLASSES SOCLVLES. — LES TYPES 

PARTFCULARFTÉS 1) K LA VIK ET DKS MOEURS 




Fis- te. • Dessin àe Coll-Toc, li'aprËs des croquis originaui du pciDtre Wahle. 



LES CLASSES SOCIALES 



Après avoir étudié la femme sous ses principaux aspects, 
après avoir cherché à définir les appétits de la race ger- 
manique, il convient de s'arrêter aux types. 

Quelle différence, ici encore, entre la société allemande 
et la société française : l'une si divisée au point de vue 
des mœurs, si multiple au point de vue des personnages; 
l'autre si centralisée, si unifiée, qui a bien des mondes 
de toute espèce, mais pas de classes étroitement par- 
quées. 

Où donc, si ce n'est en Allemagne, voit-on des demoi- 
selles de bonne famille, mais sans ressources , s'offrir 



144 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

comme aide dans un ménage, le plus souvent contre une 
simple rétribution en nature ; où donc femmes et filles de 
professeurs, femmes et filles d'officiers supérieurs, de 
fonctionnaires de TÉtat, suivant qu'il s'agit de villes uni- 
versitaires ou de résidences princières, constituent-elles 
des castes aussi distinctes, aussi fermées? 

Evidemment, certains types ne doivent leur existence 
qu'aux conditions particulières du pays. Ce n'est pas en 
France, sous la troisième République surtout, qu'on ren- 
contrerait des institutrices de jeunes princesses, des 
demoiselles d'honneur, des lectrices de petites cours, des 
chanoinesses à la démarche vénérable. Existeraient-elles 
môme, qu'elles ne seraient assurément pas à l'état de 
classe sociale? 

Certes, dans tous jes pays, il est des jeunes filles qui sa- 
crifient leur existence à soigner les malades, à soulager les 
déshérités, qui se vouent à l'éducation des petits, — jardi- 
nières d enfants^ suivant la pittoresque expression d'outre- 
Rhin ; — certes, tous les jours, on voit des hommes et des 
femmes appartenant aux mondes les plus différents con- 
tracter aUiance, des bourgeoises donner leurs millions à des 
aristocrates de l'ancien régime, des jeunes personnes de 
la meilleure société ne point craindre de s'allier à des par- 
venus, mais qui pourrait croire que ces croisements, ces 
mariages dus aux hasards de la vie sont, en Allemagne, 
méthodiquement classés, et constituent autant de types 
divers, autant d'individualités nettement définies ? 

* Kindergàrtneririt nomqu'oii donne aux mal lressesd*école qui dirigent 
les Jardins d'enfants suivant la méthode Frœbel. 




■"--^ 



LES CLASSES SOCIALES 145 

Type la demoiselle d'honneur ; type la lectrice des petites 
cours, non seulement parce qu'elles tiennent à leur titre, 
mais encore parce qu'elles se croient d'une essence supé- 
rieure, et ne consentiraient jamais à frayer avec de simples 
gouvernantes. 

Des institutrices, des maîtresses d'école, des filles nobles 
ruinées, des Juives couvertes d'or, cela se rencontre par- 
tout, direz-vous ! Assurément, et partout aussi, ces femmes 
de mœurs et d'idées difTérentes se trouvent noyées dans 
la masse. Or, en Allemagne, je le répète, on en forme des 
classes à part, ce qui se conçoit, évidemment, pour peu 
qu'on examine de plus près les habitudes du pays. Ne 
voit-on pas la femme noble refuser la préséance aux filles 
des enrichis du jour, la Juive qui trône à Berlin et à Franc- 
fort être traitée à Nuremberg comme une femme de rien, 
et des patriciennes afficher, dans les vieilles villes libres 
et impériales, un orgueil de caste actuellement sans raison ? 

Je ne parle, bien entendu, ni des excentriques, ni des 
émancipées ; celles-là, qui sont de tous les pays, consti- 
tuent des phénomènes sociaux et non des classes distinctes. 
Gomme il y a partout des femmes artistes ou musi- 
ciennes, des bas-bleus et des actrices, partout aussi 
aujourd'hui, l'on rencontre en plus ou moins grand nom- 
bre, suivant les mœurs particulières, des végétariennes et 
des morphiomanes, mais il faut venir en Allemagne, dans 
ce pays où les devoirs et l'instinct de la maternité sont si 
développés, pour voir la femme mariée sans enfants con- 
sidérée comme un être à part. Et ce ne sont point là des 
exceptions, mais une situation générale répondant à un 
état de choses particulier. 

14 



146 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

Autant de groupes de femmes, autant de mondes divers ; 
autant d'individualités féminines, autant de membres de 
castes encore imbues de leurs préjugés. 

Ici la femme est un trait d'union ; c'est elle qui sert à 
rapprocher les classes les plus différentes, les plus éloi- 
gnées les unes des autres, celles même qui semblent sépa- 
rées par des barrières infranchissables : pourvu qu'elle 
puisse vivre de sa vie agitée et bruyante, pourvu qu'elle 
puisse briller au premier rang, le reste lui importe peu. 

Là-bas, c'est autre chose : avant sa vanité personnelle, 
elle fait passer le principe, et, ayant à défendre, si elle est 
noble, des privilèges de rang et d'influence, elle se refusera 
à reconnaître la toute-puissance de l'argent dû à des coups 
de fortune. 

Toujours Hausfrau^ quel que soit son rang dans l'échelle 
sociale, elle appartient également, toujours, à une classe 
quelconque dont les intérêts et les avantages lui sont chers. 

Ici j'entends dire : ce sont là les mœurs de la province. 
Il se peut, en effet, qu'il y ait entre cette dernière et la vie 
allemande des rapports plus intimes qu'avec Paris, ce grand 
centre où tout est mêlé et souvent étrangement confondu; 
mais si certaines petites villes, certaines sous-préfectures, 
où prédominent encore les idées de castes et de supré- 
matie locale pourraient être prises comme exemple, un 
point capital sépare la conception française de la concep- 
tion allemande. En effet, tandis que l'Allemagne est restée 
un pays de privilèges que les habitants, hommes et femmes, 
tiennent tous à défendre, la France est devenue un pays 
de mœurs égalitaires, dans lequel, tout au moins, l'argent 
fait disparaître les inégalités sociales. 



LRS CLASSES S0C1ALB3 117 

Nous avons, il est vrai, établi une démarcation entre la 
haute et la petite bourgeoisie, maïs c'est tout, et nous ren- 
voyons à ces deux grandes divisions une multitude d'in- 
dividualités soigneusement séparées en Allemagne. 

On dira bien, en parlant de tels grands personnages 
sans fortune, que ce sont des nobles ruinés; jamais, en 
faisant l'histoire de la femme française, on n'aura l'idée 
de constituer une caste avec les femmes de la noblesse 
pauvre. 

Voilà pourquoi les classes jouent un si grand rôle en 
Allemagne ; voilà pourquoi il convient d'étudier les princi- 
paux types si l'on veut connaître la femme sous toutes ses 




Flg. 49. — Vignette de Choduwiecki. 



11 



PRINCESSES ET GRANDES DAMES 



S'il est très vrai qu'il s'est constitué de plus en plus en 
Europe une sorte d'internationalisme de la bonne société, 
il faut faire exception pour les princesses allemandes qui 
sont bien elles, qui ne ressemblent en aucune façon à leurs 
congénères des pays voisins. 

Les autres brillent, avant tout, par l'extérieur, par leur 
grand air, par je ne sais quels charmes, quelles attrac- 
tions ; en un mot elles sont reines, planant, race d'essence 
supérieure, au-dessus du vulgum pecus de la gent fémi- 
nine, n'ayant aucune des petites passions, des petites fai- 
blesses qui agitent cette dernière, ou, du moins, laissant 
croire qu'elles en sont entièrement dégagées. Et cela au 
point qu'une souveraine, dénuée de ces qualités naturelles, 
manquerait peut-être de prestige et, par suite, en impose- 
rait difficilement aux masses. 

En Allemagne rien de tout cela. Pour être impératrice, 
reine, grande-duchesse, princesse du sang à un titre quel- 
conque, l'Allemande n'en est pas moins toujours la femme 
que l'on sait ; elle n'abdique jamais ses qualités intimes, 



150 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

et si son domaine est plus étendu, plus brillant, elle n'en- 
tend nullement Caire abandon de ce qui constitue son inté- 
rieur. 

Je ne sais plus quel écrivain français voyageant en Alle- 
magne vers 1840 appelait les princesses d'outre-Rhin des 
prix Montyon sur le trône. Celui-là avait bien compris la 
nature spéciale de la souveraine germanique, la première 
entre ses pareilles, sorte de Hausfrau couronnée, dirigeant 
une maison royale comme d'autres dirigent la maison 
bourgeoise, avec tous ses accessoires et ses menus détails 
quotidiens. 

La seule différence est que la simple ménagère reste 
confinée dans son intérieur, n'osant pas regarder au 
delà, tandis que la ménagère royale cherche à exercer 
autour d'elle une mission civilisatrice et pacifique, « s'ap- 
pliquant à mêler un peu de délicatesse à la pesanteur 
militaire », suivant l'expression d'un écrivain, M. Robert 
de Bonnières, qui a bien observé ce côté de la vie alle- 
mande. 

Faut-il en conclure que les femmes de la Cour, les 
«jupons », comme les appellent dédaigneusement M. de 
Bismarck et les représentants de l'Allemagne féodale, ont 
une sainte horreur des batailles? Qu'elles craignent, à l'égal 
de toute femme, noble ou plébéienne, les incertitudes des 
combats, je le crois volontiers, mais qu'elles repoussent 
par principe la guerre, la guerre qui a donné au pays sa 
grandeur, c'est aller un peu loin ! Elles sont, pour cela, 
trop Allemandes, trop imbues des idées et des préjugés de 
la race. 

Avant tout, la royauté exercée par ces princesses 




FEMNE DE L'ARISTOCRATIE VIENNOISE 
(DaaiD oriiii»! ui Utù de C. Lt*an.) 



PRINCESSES ET GRANDES DAMES 153 

est une royauté nationale. Si elles aiment les arts et les 
lettres françaises, c'est en femmes intelligentes qui ne 
sauraient rester étrangères au grand mouvement de la 
littérature, et non point à la façon du xvni® siècle, par an- 
tipathie, par négation de la production du pays. 

Alors que les princes sont épris d'idéal militaire, elles 
représentent, elles, le côté intime, familial, s'occupant 
d'œuvres charitables, vivant bien plus en femmes riches 
qu'en princesses. Le luxe et Téclat des grandes fêtes 
n'offrent, à leurs yeux, aucun charme; simples d'allures, 
elles affichent la même simplicité dans leurs goûts. Ajou- 
tez à cela une certaine raideur, une réelle honnêteté dans 
les mœurs, une grande parcimonie, aussi bien lorsqu'il 
s'agit des deniers de l'Etat que des leurs propres ; en un 
mot, ce quelque chose des principes rigides et économes 
d'autrefois. 

Rien de curieux comme ces ménages, sortes d'intérieurs 
bourgeois sur une plus vaste échelle, où une femme cou- 
ronnée ne croit pas déroger à sa grandeur en s'occupant 
de bien des détails négligés par une parvenue. 

Mais l'on se tromperait fort si l'on partait de là pour juger 
la princesse allemande dans son ensemble. 11 se peut 
qu'une reine préside elle-même à la confection de royales 
confitures, cela ne l'empêchera pas, soyez-en sûr, d'avoir 
la fierté de son rang, ni de montrer, en certaines circons- 
tances, une morgue tout aristocratique, refusant impitoya- 
blement à ses thés les femmes qui n'ont pas la noblesse 
d'origine. 

Le rang,- la naissance avant l'argent, voilà, aujourd'hui 
encore, la caractéristique de la société allemande : une 



154 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

femme de commerçant, si riche soit-elle, passera toujours 
après la femme noble, si pauvre soit-elle. 

Donc ces mômes princesses, qui provoquèrent les éton- 
nements et les rires étouffés de plus d'une élégante ambas- 
sadrice, que d'aucuns traitent de petites bourgeoises 
endimanchées ou de pédantes institutrices, redeviennent 
très grandes dames dès qu'il s'agit de rang ou de privi- 
lèges. Ueprésentantes, au plus haut degré, d'une société à 
la fois féodale et bourgeoise, tenant au titre, sans négliger 
les mille pelîts détails de l'intérieur, elles sont, à tous les 
points de vue, essentiellement Allemandes. 

Comme physionomie rien de particulier. Qu'elles soient 
douces ou dures, rêveuses ou matérielles, chez elles le 
type n'a pas cette pureté, l'allure n'a pas cette individua- 
lité qui se remarquent d'emblée à Paris ou à Vienne. 

Les difi'érences esthétiques paraissent ainsi ne pas 
exister; je veux dire que les types de beauté ou de vul- 
garité se présentent à la fois dans les classes les plus 
diverses. Vienne seul fait exception ; Vienne seul pos- 
sède une véritable aristocratie de race et de traits phy- 
siques. 

Là règne la grande dame, la femme noble aux allures 
fières et hautaines, à Tovale correct, à l'air distingué, à la 
mise élégante et de bon goût ; la grande dame qui a une 
façon à elle de marcher, de sourire, de saluer; la grande 
dame qui saura se faire remarquer au moindre petit geste, 
fût-elle entourée de milliers de femmes plus élégantes. 

C'est ainsi que déjà sur les marches du trône apparaît 
en Autriche la toute - puissance du charme et de la 
beauté, tandis qu'en Allemagne, à Berlin spécialement, 



156 LA FEMME EH ALLEMAGNE 

les mœurs plus intimes et plus simples de la femme 
luthérienne se retrouvent à la Cour elle-même. 

Voulez- voue avoir une idée nette, exacte, des deux civi- 
lisations, de la civilisation catholico-orientate de Vienne 
et de la civilisation protestanto-féodale de Berlin? Compa- 
rez l'archiduchesse Gisèle, aux toilettes bruyantes et excen- 
triques, avec la grande-duchesse de Bade, fdle, on le sait, 
de l'empereur Guillaume, se faisant & la fois remarquer 
par sa mise simple, par sa timidité naturelle, je dirai 
presque par son attitude gauche. 

Ici la race ; ici le luxe et le besoin de parîdtre ; là l'éga- 
lité du sexe devant l'éducation nationale, un désir de 
calme et d'efTacement ; ici une grande dame couronnée, 
une femme remarquablement jolie et pleine de charmes; 
là une bourgeoise, bonne et instruite, ayant tous les 
orgueils du rang. 

Telles apparaissent sous leurs différents aspects les 
princesses et les grandes dames d'outre-Khin. 




Fig. Bl. — Caricature des FiiegentU BtMtter. 



m 



LA FEMME DANS LA NOBLESSE PAUVRE 



Ce titre en dit plus, à lui seul, que bien des in-quarto. 
Aristocratie crevant de richesse, c'est T Angleterre ; noblesse 
besogneuse, vivant au jour le jour, c'est TAUemagne. 
Assurément , Ton rencontre des nobles plus fortunés , 
mais la vraie aristocratie nationale, conforme aux con- 
ditions spéciales du pays, c'est l'aristocratie pauvre, 
c'est-à-dire le privilège, la naissance, luttant contre l'in- 
fluence moderne de l'argent, en n'ayant pour toute 
arme que la tradition. 

Mélange de fortes qualités et de préjugés surannés, la 
femme de cette classe représente un des types les plus 
particuliers à la race, une des expressions les plus per- 
sonnelles au sol germanique. 

Elevée avec une simplicité commandée par les circons- 
tances, la jeune fille noble apprend, dès l'enfance, à se sacri- 
fier pour l'éducation de ses frères. La famille doit paraître : 
il faut, en apparence au moins, rester « les barons ». 
Lorsqu'on vit, à demeure fixe, dans le vieux château 
patrimonial, plus ou moins confortable, cela passe encore, 



158 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

mais si Ton habite une résidence princière, quelque petite 
soit-elle, les exigences deviennent plus difficiles à satis- 
faire. D'une façon comme de l'autre, la nourriture est ce 
qui s'en ressent le plus, parce que c'est la chose qui se 
voit le moins. Assemblage d'orgueil et de dignité tout à la 
fois, dont la noblesse allemande n'est pas seule à donner 
l'exemple. N'en est-il pas, en effet, de même dans cer- 
taines familles parisiennes où la toilette et les plaisirs 
viennent absorber le plus clair du budget I 

Toutes les habiletés, toutes les privations à l'aide des- 
quelles on peut se procurer un semblant de bien-être, la 
mère les connaît et les enseigne à sa fille. Aucun sacrifice 
n'est de trop quand il s'agit d'affirmer la noblesse de la 
race. Il est donc permis d'avoir le ventre peu garni et la 
bourse encore moins, pourvu que les armoiries de la famille 
puissent, surmontées de leur couronne héraldique, s'étaler 
partout oti faire se peut. Ne pas affirmer ostensiblement 
la noblesse de son rang, en toute occasion, serait un crime 
de lèse-hiérarchie. Et afin que nul n'en ignore, l'écusson, 
ce noble écu des vieux âges que notre siècle industriel et 
sceptique appelle dédaigneusement la marque de fabrique 
de l'aristocratie, se sculpte sur la maison, se peint sur les 
portes, se découpe dans les bois, se brode sur les cous- 
sins, sur le linge, même sur celui qui est destiné aux plus 
infimes usages, se coud sur les sacs de voyage, se cloue 
sur les caisses, s'applique sur les chaises, vieux meubles 
boiteux dont il faut se méfier, malgré leur pompeux 
panache, se grave sur les quelques rares pièces d'argenterie 
échappées au naufrage, s'imprime sur le papier à lettres 
et sur les cartes de visite. Dès l'âge de douze ans une 



LA FEMME DANS LA NOBLESSE PAUVRE 159 

jeune fille noble ne saurait naviguer sans ces bouts de 
carton armoriés. 

Au reste, les armoiries ne sont point les seuls souve- 
nirs dont on aime à s'entourer. Tout ce qui peut rappeler 
les origines de la famille est soigneusement conservé, 
placé bien en évidence sous les yeux de tous : les portraits 
des ancêtres, à peine reconnaissables tant ils sont écaillés, 
figurent naturellement au premier rang de ces saintes 
reliques. 

Mais, sans la femme, sans la mère de famille, cela n'au- 
rait encore qu'une importance secondaire : c'est elle, en 
effet, qui dans les plus petits incidents de la vie quodi- 
dienne se charge d'affirmer les titres de noblesse; c'est 
elle qui enseigne aux enfants les traditions, les légendes 
du passé ; c'est elle qui leur inculque le respect de cette 
haute origine et qui leur transmet avec l'orgueil de la race 
la haine du mercantilisme, l'amour pour tout ce qui est 
grand, noble, généreux. Son enthousiasme n'a d'égal que 
sa bonne foi. 

Et quelle profonde et naïve vénération pour les vieux 
bijoux dont elle a hérité de ses devanciers, bijoux dont 
elle se pare en toutes circonstances, même dans celles 
qui sembleraient le moins l'exiger. Ce sont, il est vrai, 
la plupart du temps, de pauvres pierres plus ou moins 
artistiquement montées, et, de fait, sans grand prix; mais 
peu importe la valeur vénale : les bijoux des ancêtres, 
cela seul suffit. Sincèrement, enfants, parents, amis, 
domestiques même, — domestiques, qu'on veut bien 
admettre à contempler ces marques de noblesse, — admi- 
rent, sans se jamais lasser, un si précieux héritage. 



460 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

Ici nous touchons à la fois au point faible et au côté 
caractéristique de la femme noble pauvre. A ses yeux, les 
plus belles parures modernes, si bien montées, si écla- 
tantes soient-elles, ne méritent aucune attention lorsqu'elles 
sont portées par des femmes de riches négociants, par 
des « marchandes », comme on dit dédaigneusement, pour 
mieux marquer la distance qui sépare le vrai monde, celui 
aux mains blanches des classes aux mains plus ou moins 
calleuses. Bijou banal, puisqu'il se peut acquérir avec de 
l'argent; bijou sans valeur, puisqu'il sort tout clinquant des 
vitrines du joailler, sans parchemin, sans marques de 
noblesse. D est vrai que, si, par aventure, on le voit figurer 
au cou ou au bras d'une gente dame de la caste, tout 
aussitôt il revêtira une autre apparence. « Les nobles 
ennoblissent ce qu'ils touchent » , disait très naïvement une 
aristocrate de la Silésie. 

Le dédain pour les femmes du commun atteint aux der- 
nières limites du comique. Dans cet ordre d'idées, la femme 
de l'aristocratie énoncera les choses les plus étranges, 
les plus incroyables , sans s'en apercevoir , sans même 
avoir l'intention d'offenser. N'est-elle pas noble, donc 
d'une essence supérieure aux autres 1 Du reste, modeste 
en ce qui la touche personnellement, sans prétentions, 
humble même, les égards qu'elle exige des autres, ce 
n'est point pour elle qu'elle les demande, c'est pour le 
rang qu'elle occupe, c'est pour la caste à laquelle elle 
appartient. 

Elle tonne aussi contre le luxe et le confort moderne 
dans les habitations, dans les aménagements; le altdeutsch 
l'intéresserait bien, mais les ébénistes de nos jours sont 



LA FEMME DANS LA NOBLESSE PAUVRE 161 

si manants ! N'entendent-ils pas faire payer les nobles 
comme de vulgaires bourgeois? Donc, tout cela est du 

« 

faux, du clinquant, manquant de caractère et de style. 

Honnêteté, travail, souvenir des ancêtres dont ils 
descendent, c'est avec ces principes que les enfants sont 
élevés. A de très rares exceptions près, les fils servent 
TEtat soit comme fonctionnaires, soit comme officiers. Non 
seulement c'est pour eux une carrière honorable, mais 
encore la seule qui puisse ennoblir un homme. Aussi les 
filles ne refusent-elles point de s'unir à des roturiers qui 
ont passé par l'armée ou par l'administration. Il est vrai 
que, tout en prenant le nom bourgeoisement obscur de 
leur époux, elles ont bien soin de se faire toujours appeler 
par le titre de la fonction publique qu'occupe ce dernier. 
Madame la conseillère — et l'on sait que cette appellation 
honorifique s'accommode à toutes les sauces, — Madame 
la présidente. Madame la juge de paix, Madame la géné- 
rale, sont des titres qui, journellement, servent de cache- 
misère moral aux filles dont le blason a disparu sous une 
étiquette vulgaire. Voilà pour l'extérieur. 

Dans l'intimité, afin que nul n'en ignore, tous les objets 
du ménage, marqués ou gravés au nom de la jeune fille, 
reçoivent cette fameuse couronne héraldique dont les 
Allemands se montrent si prodigues. Et c'est ainsi qu'on 
se donne l'illusion d'une noblesse intégralement con- 
servée. 

J'ai parlé des filles qui se marient : il en est, et 
beaucoup, qui ne se marient pas ; vivant alors d'une petite 
rente viagère servie par le majorât de la famille, ou rem- 
plissant l'office de dame d'honneur, — situation toujours 

45 



162 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

fort enviée, — auprès d'une quelconque des princesses de 
Jjilliput dont fourmille TAlmanach de Gotha. Quelquefois, 
elles habitent le château héréditaire, dans un corps de 
logis spécialement destiné aux filles et aux veuves de 
leur maison ; plus souvent, elles vont aider leurs sœurs 
mariées, se vouant corps et âme aux intérêts d'un ménage 
qui leur est cher, et apportant, malgré les manies de la 
vieille fille et les préjugés de la noblesse, un concours 
précieux, lorsqu'il s'agit de l'éducation. 

Mais si les femmes de cette classe s'allient assez facile- 
ment à des hommes de la roture, il est plus rare de voir 
les fils de maisons nobles se marier à des filles de la riche 
bourgeoisie, pour redorer leur blason terni. Toutefois, le 
cas se présente, et les jeunes filles qui entrent ainsi dans 
une maison qu'elles ont appris à respecter, à honorer 
dès leur enfance, sont toutes fières de penser qu'elles 
pourront contribuer à renouveler moralement et effective- 
ment un rameau de cette vieille noblesse pour laquelle 
elles ont tant d'estime. 

En fait, cette petite aristocratie pauvre est le véritable 
noyau de la société : si elle venait à disparaître, l'or- 
ganisme du pays se trouverait profondément modifié. 
Malgré tous leurs ridicules, ses femmes peuvent reven- 
diquer une bonne part dans l'accroissement politique, 
dans la grandeur présente de l'Allemagne : ce sont elles, 
surtout, qui, par leur simplicité, par leur dévouement, en 
un mot par leur esprit d'abnégation, ont préféré une mo- 
deste position dans un poste honorifique aux grosses for- 
tunes des spéculations commerciales et industrielles. On 
sait combien l'influence féminine est grande dans les ques- 




FEMME DU PATRICIIkT 



LA FEMME DANS LA NOBLESSE PAUVRE 165 

lions pécuniaires. Si la femme veut briller, éclabousser 
par son luxe, c'est le cas ou jamais de dire : Adieu les 
études sérieuses pour Thomme, adieu les fonctions 
honorables, celles où Ton est payé pour son travail, pour 
ses aptitudes, les fonctions réellement nobles, restant en 
dehors de tout esprit de gain, de tout coup de Bourse, de 
tout imprévu quelconque. 

Tout, sauf le négoce, telle pourrait être la devise de 

cette fraction de la noblesse, encore essentiellement mi- 
litaire, essentiellement féodale. 

Le patriciat des antiques cités jadis enrichies par le 
commerce, Nuremberg, Augsbourg, Dantzig, Lubeck, a 
déjà d'autres idées, mais, lui non plus, ne se lancera pas 
dans les hasardeuses spéculations. Il s'intéresse aux indus- 
tries, aux vieilles industries du pays, considérant comme 
un honneur de diriger des maisons dont l'origine remonte 
au XVII® ou au xviii® siècle, se transmettant cet héritage de 
père en fils, de branche en branche, y laissant ses capi- 
taux, sachant voir autre chose qu'une affaire de gain 
immédiat. Là encore, tout en menant une existence 
plus large , la femme est pour beaucoup dans le main- 
tien de ces traditions auxquelles l'industrie allemande doit 
une bonne part de ses succès. 

A côté de cette aristocratie des petites capitales prin- 
cières ou des cités, autrefois libres et puissantes, toutes deux 
essentiellement allemandes, la haute aristocratie, surtout 
celle qui vit à Berlin, représente l'élément cosmopolite 
de la société germanique. Autant la Cour est simple, 
autant celle-ci a des allures luxueuses et tapageuses. Les 
femmes sont élégantes, indépendantes, aiment à faire 



1C6 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

parler d'elles et s'occupent assurément plus de leurs succès 
mondains dans les ambassades, dans les ministères, que 
des confitures et des soins du ménage. Elles montent à 
cheval, elles conduisent, elles cherchent, avant tout, le 
plaisir et la montre. Teintées de littérature et de musique, 
wagnériennes, méprisant profondément les romans genre 
famille Buchholz, ne s'intéressant qu'aux pièces et aux 
livres à scandales de Paris, elles constituent un monde 
d'autant plus à part qu'elles vivent au milieu d'une Cour 
dont on a vu la simplicité. 

Comprend-on, maintenant, pourquoi, en commençant ce 
chapitre, je disais : La noblesse pauvre est bien réellement 
la véritable noblesse allemande, lafemmede cette classe, si 
nombreuse et si méritante à plus d'un égard, est bien la 
femme allemande, avec ses préjugés de caste, mais aussi 
avec ses qualités d'ordre et d'économie? 




Fig. S3, — Vignette de Coll-Toc 



IV 



LA JUIVE 



Si le Juif, maintenu dans un état d'infériorité que semble 
approuver lopinion publique, paraît avoir déteint quand 
même sur TAllemand, en lui communiquant certains de 
ses défauts caractéristiques , la Juive, elle, n'a jusqu'à ce 
jour exercé aucune influence sur la vraie Germaine. Dif- 
férences de type, de tempérament, de goûts, de principes ; 
entre elle et l'Allemande que nous venons de voir, il y a 
tout un monde. 

Comme type, elle ne pourra jamais prétendre à réaliser 
la Marguerite idéale de la légende : trop de choses s'y 
opposent. Encore quelque peu Orientale, avec cela rare- 
ment blonde, souvent belle en sa prime jeunesse, elle 
devient laide, difl'orme, mafflue, lorsque l'âge s'est emparé 
d'elle. 

Comme tempérament, peut-être y aurait-il plus de rap- 
port; car, prise dans son ensemble, elle présente presque 
toujours ce laisser-aller, cette démarche lourde et vulgaire 
qui est le propre de quelques Allemandes. Elle paraît se 
donner, de même, assez facilement : rechercher la place 



LA FEUHE EN ALLEMAGNE 



qu'elle occupe dans la prostitution européenne serait donc 
un travail curieux, bien fait pour tenter les antisémites 
de nos jours. 

Qu'on ne se méprenne pas sur ma pensée. Je ne veux 
point dire par là. que toutes les Juives manquent de vertu, 
mais il y a Juives et Juives : celles qui ont encore conservé 
les qualités familiales, patriarcales presque d'autrefois, et 
celles qui, désireuses, avant tout, de manier l'or à pleines 
mains, se jettent & corps perdu dans le monde interlope de 
la galanterie. Or, celles qui sont matérielles le sont plei- 
nement, sans aucune de ces échappées vers l'idéal qui, 
chez l'Allemande, corrigent quelquefois la nature. 

Intelligente , spiri - 
tuellc, passionnée pour 
le bruit, recherchant ce 
qui brille, la Juive a 
soif de luxe. Toutes les 
jouissances que peut 
donner l'argent elle les 
désire , et , souvent , 
pour se les procurer, 
sera peu scrupuleuse 
sur les moyens. 

S'il me fallait porter 
une appréciation d'eU' 
Fie. 53- Vieille Juive. semble sur les Juives 

allemandes, je dirais que celles des hautes classes, de l'a- 
ristocratie financière, valent moins que celles des classes 
bourgeoises, du commerce et du petit négoce. Bruyantes, 
évaporées, esclaves du chic et du bon genre, les premières 




LA JUIVE 469 

mènent la vie à grandes guides dans les maisons princières 
de ce Francfort où Ton peut encore retrouver les traces de 
leurs plébéiennes origines. Les secondes, au contraire, soit 
que ces qualités leur appartiennent en propre, soit qu'elles 
se soient développées en elles au contact de Tintimité 
allemande, coulent une existence paisible, fidèles épouses, 
excellentes mères. 

Mais, comme goûts et comme principes, quelles diffé- 
rences entre la véritable Allemande, luthérienne d'origine, 
de conception, et la Juive. En art, en littérature, cette 
dernière vit complètement en dehors de l'idée nationale : 
dégagée des préjugés de la race, elle n'a ni le culte du 
passé, ni l'amour des vieilles choses, et cela se conçoit, 
puisque le passé, pour elle, c'est l'esclavage. Donc, elle 
est loin de partager l'engouement général pour le style 
all'deutsch: soit en architecture, soit en bijouterie, cela ne 
lui dit rien, parce que c'est sombre, mat, et qu'elle 
recherche avant tout la couleur, le brillant, quand ce n'est 
pas le clinquant. 

Ainsi, dans ce domaine, il y a séparation complète, et 
nulle part les distinctions entre Juives et chrétiennes ne 
sont aussi visibles. Allez dans un foyer de théâtre, à 
Francfort par exemple, vous verrez les premières couvertes 
de diamants et de bijoux massifs, alors que la vraie Alle- 
mande préférera le bijou alt-deutsch^ moderne, lui aussi, 
mais fabriqué sur les anciens modèles des musées et des 
collections publiques. Et ce détail, qui peut paraître puéril 
de prime abord, ne fait que confirmer la règle. 

Partout, du reste, en Allemagne et en Suisse, dans les 
villes qui jusqu'alors avaient encore conservé l'antique 



470 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

simplicité, vous reconnaîtrez les Juives à la façon dont 
elles s'habillent, dont elles aiment à se montrer dehors, 
recherchant le luxe non pas seulement pour leur propre 
satisfaction, mais encore parce qu'en lui seul résident 
leurs quartiers de noblesse, et qu'elles ont, plus que 
d'autres, la mauvaise habitude de juger des gens par les 
dehors. 

Type, accoutrement extérieur, genre de vie, tout con- 
tribue à faire de la femme juive une femme à part, 
enviée des uns, méprisée des autres, et, ce qui est 
certain, ne participant pas aux passions qui, à certains 
moments, agitent la gent féminine. Presque partout elle 
est abandonnée à elle-même, obligée de fréquenter exclu- 
sivement ses congénères par suite du peu de sympathie 
qu'elle rencontre. 

Dans les familles dont la fortune remonte déjà à plu- 
sieurs générations, les jeunes filles ne se font pas faute de 
rechercher l'alliance des anciennes et nobles maisons, mais 
ces mariages sont très rares. Quand il s'en présente, par 
hasard, ils soulèvent de telles clameurs que les jeunes gens, 
personnellement disposés à ajouter à leur nom l'éclat d'une 
grosse fortune, renoncent à affronter la réprobation 
publique * . 

« Il n'est pas un véritable Allemand, de cœur et de 
pensée », affirmait récemment encore un écrivain libéral, 
« celui qui prend une Juive pour mère de ses enfants. » 

Cela dit tout. Que voulez-vous de plus ? 



* Voir sur ce sujet le très intéressant volume de Ph. Daryl, Signe 
Meltroéf étude fort exacte et tout à fait vivante de la société berlinoise. 



Physiquement et socialement, la Juive d'outre-Rhin est 
un être à part. Socialement, on la rejette en dehors de la 
vie nationale, ne lui accordant guère que le titre de Con- 
seillère commerciale; physiquement, il suffit pour se rendre 
compte des exagérations auxquelles donne lieu son profil 
d'ouvrir un journal humoristique. Quelle que puisse être 
la tendance évidente au ridicule, jamais en France l'on 
n'arriverait à un résultat pareil. Donc la Juive constitue 
bien un type dans l'ensemble de la féminalité germanique. 




rig. Si. Type de Juive. 



DE QUELQUES AUTRES FEMMES 



LE BAS-BLEU — L'ACTRICE 



Quand on a vu la Juive et la noble sans fortune on 
connaît TAUemande , parce qu'on a devant soi les deux 
types qui incarnent en eux les diverses personnalités 
féminines. En effet, tandis que la Juive est, à propre- 
ment parler, la seule qui possède une fortune, la seule 
qui, soit par goût, soit par le fait de sa position, puisse 
se permettre un certain luxe, toutes les autres, femmes 
ou filles de fonctionnaires, de professeurs, d'officiers, de 
savants, de négociants môme, sont, comme les représen- 
tantes de l'aristocratie, forcées de se montrer simples dans 
leurs toilettes et modestes dans leurs désirs. Simplicité 
relative, assurément, médiocrité relative, mais, à quelques 
exceptions près, plutôt moins dorée que plus, et c'est là, 
.au point de vue social, la plus grande particularité du 
monde allemand. 

Certes, l'art de multiplier les morceaux quand il s'agit 
de la nourriture, ou de combiner avec peu de chose des 
toilettes qui produisent grand effet, est un art pratiqué 



474 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

dans tous les pays, mais en Allemagne il paraît avoir atteint 
à son apogée, en suite des conditions plus difficiles de la 
vie, conditions dues à la multiplicité des enfants. 

Toutefois si la femme doit faire des prodiges d'éco- 
nomie, elle a, épouse d'officier ou de fonctionnaire, une 
situation bien supérieure à celle qui lui est reconnue en 
France. Ici on n'accorde quelque crédit à la femme que 
si elle s'impose par son esprit, sa beauté, sa fortune; 
en Allemagne on la respecte suivant le rang qu'occupe son 
mari. 

D'où, d'un autre côté, il faut également le reconnaître, la 
pédanterie que j'ai déjà indiquée comme appartenant en 
propre aux femmes du pays. 

Dans tout ce monde où l'on vise à l'économie, je ne 
vois guère comme types originaux que les professeuses. 
Elles professent, en effet, je vous prie de croire : si le 
Herr Professer est un Dieu dont rien ne saurait troubler 
la majesté, la Frau Professorin et les Frâulein Professo- 
rin ont la prétention d'être les premières inter non pares. 
Leur titre n'est-il déjà pas un honneur dans un pays où, 
non sans raison, les fonctions universitaires sont entourées 
d'une telle auréole? Donc, mômes droits, môme considéra- 
tion que leur époux ou leur père, voilà ce qu'elles deman- 
dent. Si elles pèchent en quelque façon, ce n'est assuré- 
ment pas par modestie. 

Instruites, bien élevées, elles ont, toutes jeunes encore, 
une assurance qu'on ne rencontre pas toujours chez les 
personnes d'âge mûr. Plus tard, prenant les allures 
pédantes et raides de Herr Papa, elles parlent en oracles 
et posent volontiers pour la femme savante. Gomme 



DE QUELQUES AUTRES FEMMES 175 

d'autres ont la fierté de la richesse, elles ont, elles, la 
fierté de la science infuse que représente le pater familias. 
Réclame ambulante, elles parlent à tout propos de ses 
travaux, de ses succès, vantent ses cures merveilleuses, 
s'il est médecin ; ses brillants plaidoyers, s'il est avocat. 

Que cela soit naturel et se rencontre plus ou moins 
partout, je le veux bien, mais qui connaît le monde pro- 
fessoral français et le monde professoral allemand, sait 
que chez ce dernier l'élément féminin est très particulier. 

S'unir à un aspirant-professeur, — d'Université bien en- 
tendu, — afin de devenir Maaame la professeur et d'avoir 
des enfants qui soient à leur tour, eux aussi, des profes- 
seurs, voilà le rêve des jeunes filles de cette classe, on 
pourrait presque dire de cette caste. 

Se marient-elles, par hasard, avec des hommes n'appar- 
tenant pas à leur monde, elles ne cesseront de mettre en 
avant la supériorité intellectuelle des leurs, et feront en 
sorte que les fils reprennent la tradition momentanément 
interrompue. 

L'Université, cette Aima Mater, se trouve donc ainsi 
avoir de l'autre côté du Rhin des propagandistes féminins, 
comme il faudrait lui en souhaiter en France. 

Existe-t-il un bas-bleu allemand? — Question oiseuse. 
Mieux vaudrait demander depuis quand il en existe. 

Un jour, on faisait observer à M™® Friedrich von 
Schlegel, la fille de Moïse Mendelssohn, qui se livrait à 
des travaux d'aiguille, qu'elle devrait choisir une occupa- 
tion plus en rapport avec son intelligence. Sans sourciller, 
elle répondit : 

« J'ai toujours entendu dire qu'il y avait déjà trop de 



176 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

livres de par le monde, et jamais qu'il y eût trop de che- 
mises »; paroles bien vraies et profondément justes, 
actuellement plus que jamais. 

Trop de livres 1 n'est-ce pas le mal de notre époque 
aujourd'hui que l'imprimerie est devenue un nouvel agent 
de spéculation, et a cessé d'être le porte-voix de la pensée? 
Toutefois, rendons sur ce point pleine et entière justice 
à l'Allemagne, le livre n'y est pas encore un com- 
merce exploité par des marchands de lorgnettes ou de 
cravates. 

Mais le bas-bleu , la femme de lettres , la traductrice 
du français ou de l'anglais, que sont-elles au milieu de 
tout cela? 

Ceux qui cherchent toujours à jeter sur les autres la 
boue dont ils sont couverts voudraient les faire passer 
pour des femmes sans vertu et des écrivains sans valeur, 
naturellement. Qu'elles ne présentent aucun talent trans- 
cendant, je le veux bien, mais que penser du pamphlet 
dans lequel on lit : « Si les vertueuses Allemandes étaient 
à môme de connaître les vertus allemandes des vertueuses 
femmes de lettres, qui écrivent de vertueux romans, elles 
seraient peut-être moins enthousiastes? » Pure calomnie : 
les femmes de lettres de l'autre côté du Rhin ne sont ni 
plus ni moins vertueuses que les nôtres. 

Si beaucoup font des traductions ennuyeuses et de 
lourdes compilations, d'autres, comme M°^^ Marlitt, Wer- 
ner, Fanny Lewald, Hélène Bœhlard, Louise von Fran- 
çois, Wilhelmine de Hillern, Elise Polko, Betti Paoli, 
celle-là môme qu'on a appelé le premier poète lyrique de 
l'Autriche, la comtesse Wickenburg-AJmasi, la baronne 



DE QUELQUES AUTRES FEMMES 177 

Marie Ebner-Eschenbach, prouvent que la femme allemande 
compte, au contraire, dans le mouvement intellectuel de 
nombreux représentants de talent. 

En général, elle s'occupe surtout de poésie et de ques- 
tions d'enseignement, écrivant pour les publications des- 
tinées à la famille qui pullulent de tous côtés. Trop chez 
nos voisins, pas assez chez nous. 

D'aucuns, il est vrai. Font accusée d'avoir une fâcheuse 
influence sur l'état des lettres et spécialement sur le ro- 
man. Je reconnais très volontiers, qu'en présence de l'im- 
portance prise par ce dernier, en France et en Russie, le 
poman allemand, vivant de convention ou d'évocations 
historiques, occupe une bien petite place. Mais il serait 
injuste de faire retomber sur les femmes seules la respon- 
sabilité d'un état de choses qui tient plus aux mœurs 
mômes du pays qu'au rôle exercé par tel ou tel sexe dans 
la littérature. 

Les femmes, quelquefois si vibrantes en peinture, n'ont 
apporté nulle part la note réaliste dans la littérature ; rien 
de surprenant, donc, à ce que les Allemandes, filles d'un 
pays qui se complaît dans l'étude des petits faits intimes, 
se traînent à la remorque de la convention. 

Sur ce point, elles sont femmes, — dans la donnée 
qu'on sait, — avant d'être artistes, et c'est pour cette 
raison qu'elles sacrifient tout aux préjugés, aux idées 
reçues , n'osant pas pénétrer dans la psychologie des 
choses et des gens. 

Ici encore, le côté national de la race est saisissant : 
Allemandes, elles remplissent une mission, elles écrivent 
pour la famille allemande, pour la femme et l'enfant. 

46 



178 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

Et il ressort de tout ceci un fait non moins curieux, 
c'est que plus la littérature est aux mains des femmes, — 
l'exemple de TAllemagne et de TAngleterre est à ce point 
de vue concluant, — moins il y est question de la femme 
et des problèmes que suscite Tétude de r.être féminin 
dans son ensemble. 

Le bas-bleu germanique a, lui aussi, des convictions 
politiques et sociales, il écrit pour Dieu^ pmtr la Pairie^ 
pour le Roiy pour les trois choses que ses sœurs, je l'ai 
dit, honorent par-dessus tout. Tendance à la rêverie, 
besoin d'expansion, devoir à remplir, tels sont, d'autre 
part, les principaux mobiles qui lui mettent la plume à la 
main. Toute idée de scandale ou de gain doit être écartée. 

Si maintenant, de même qu'on a fait autrefois ici la 
Physiologie du Bas-Bleu^ il me fallait donner la physiologie 
de la femme de lettres allemande je dirais qu'elle est rare- 
ment de la première jeunesse, qu'elle appartient assez sou- 
vent aux classes aristocratiques, — à moins que ce ne soit 
une ancienne institutrice, — et qu'elle n'est presque jamais 
une élégante rédactrice de carnet mondain, perroquet sot 
et vaniteux, moulin à paroles, agaçant, comme'on en ren- 
contre sur nos boulevards et dans les journaux desdits. 

Presque toujours épouse et mère, elle est plutôt Rococo. 
Graphiquement, on pourrait la représenter avec le clas- 
sique bonnet à rubans ou avec un chapeau posé sur la 
tête n'importe comment. 

Après le bas-bleu, l'actrice, qui va nous faire connaître 
un autre côté des mœurs locales. Gomme femme elle 
vaut peut-être mieux que la nôtre, comme artiste elle 
vaut moins. Ghose caractéristique qui semble donner rai- 



DE QUELQUES AUTRES FEMMES i79 

son ù une thèse souvent soutenue, celles qui ont réelle- 
ment un éclair de talent mènent l'existence plus ou moins 




folichonne, plus ou moins iprégulière de leurs congénères 
parisiennes, et c'est à Vienne surtout qu'on les rencontre, 
le vrai bourgeois allemand ne s'étant pas encore fait à 
l'idée de venir applaudir des artistes dont la vie débauchée 



180 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

s'étale en public. Autrefois les chanteuses ou actrices des 
théâtres royaux, Hofsûngerin^ Hofschampielerin, étaient du 
gibier privé ; mais ces réductions de Parcs-aux-Cerfs des 
petites principautés ne se rencontrent plus aujourd'hui. 
On a des mœurs, dans le nouvel Empire, ou, tout au 
moins, on fait en sorte de ne pas trop afficher les mau- 
vaises, ces mauvaises qui sont quelquefois les bonnes, 
disait le fondateur de la monarchie prussienne. 

Jolies, les actrices allemandes savent l'être. Pourquoi 
ne le seraient-elles pas, du reste, dans un pays où Ton 
voit de fort beaux types? Mais gracieuses, légères, capti- 
vantes, charmeuses, c'est une autre affaire. Comédiennes 
et chanteuses sont, généralement, en bois, avec des mou- 
vements guindés et saccadés. La chanteuse peut encore 
obvier par la voix à cette absence totale de jeu ; quant k 
la comédienne, elle produit presque toujours l'effet d'une 
personne récitant une leçon péniblement apprise ou débi- 
tant quelque histoire bien ennuyeuse à raconter. Toutes 
deux s'habillent avec plus ou moins de cachet, ignorent 
complètement l'art de se farder, sont empruntées dans 
leurs mouvements, ne savent comment tenir leurs bras, 
où placer leurs mains, et marchent sur la scène comme si 
elles y venaient pour la première fois. En un mot, des 
sortes de comédiennes bourgeoises qui voudraient jouer 
avec aisance la comédie du grand monde. 

Ce manque de côté cabotin, très particulier à l'Alle- 
mande, doit-il lui être imputé à mal? N'est-il pas, au con- 
traire, une preuve évidente de la sincérité de son carac- 
tère, de l'absence de rouerie qui la personnifie ? Si l'actrice, 
en nos pays, lui est de cent coudées supérieure, cela tient 




KCTRICE 

(DtuiD original dtC. Ku> 



DE QUELQUES AUTRES FEMMES 183 

justement à cette qualité si éminemment française qu'elle 
possède au plus haut degré, Tart de charmer, Tart de 
poser et de se faire valoir ; la comédie du salon unie à la 
comédie du boudoir. 

Donc, n'ayant pas naturellement ces quahtés, TAUe- 
mande a toujours quelque peine à les porter sur la scène, 
et c'est pourquoi elle y apparaît gauche et lourde. 

Je ne sais plus quel voyageur vers 1830 dit avoir été 
étonné en voyant l'intérieur d'une des grandes actrices de 
répoque. Il l'avait trouvée raccommodant son linge, va- 
quant aux soins du ménage comme une vulgaire petite 
bourgeoise. Eh bien! aujourd'hui, cette simplicité, si 
rare en France, existe encore chez la plupart des femmes 
de théâtre. Beaucoup sont mères de famille ; beaucoup, de 
môme, ont une existence calme et rangée. 

Quant à prétendre que Tactrice est, quelles que soient 
ses mœurs, reçue dans les familles et sort avec les femmes 
honnêtes, comme l'écrit certain pamphlétaire, il faut pour 
avancer de semblables inepties n'avoir jamais vu l'Alle- 
magne que dans les brasseries. 

Oui, certes, l'actrice honnête est admise au sein de la 
famille, puisqu'elle en fait elle-même partie, puisqu'elle 
mène paisiblement l'existence bourgeoise. Quant à l'autre, 
on la rencontre, comme partout, dans les endroits où l'on 
s'amuse, dans les restaurants de nuit, à la Conditorei^ 
au milieu de joyeuses compagnies oii domine l'élément 
militaire. 

Celle-ci, du reste, ai-je besoin de le dire, n'est plus con- 
sidérée par les Allemands comme une actrice ; c'est une 
fille, ni plus ni moins. 



184 LA FEHHE EN ALLEMAGNE 

Mais même dans ce monde spécial pour qui les planches 
sont un prétexte, on chercherait vainement le côté brillant 
des coulisses parisiennes : la scène n'est pas plus animée 
que les couloirs. Vertueux ou non, le théâtre conserve 
toujours un aspect de province et de rigidité antique. Ici 
l'on joue et l'on ne flirte pas, telle pourrait être sa devise. 




Fig. se. — Vignette (le Schlittgen. 

{FHigendt Btmtttr.) 



VI 



LES TYPES 



Existe-t-il un type allemand bien accentué, bien uni- 
forme, ou la même diversité qui règne dans les mœurs, 
dans les habitudes, se présente-t-elle au point de vue de 
la physionomie ? 

A la question ainsi posée, on peut facilement répondre 
en plaçant sous les yeux du public des figures féminines 
prises dans certaines parties du pays et dessinées par des 
artistes consciencieux, de telle façon que Ton ait devant 
soi, non des compositions fantaisistes, mais du document 
exact. 

Dans ce domaine, le portrait graphique est toujours 
préférable au portrait littéraire, parce qu'il donne au 
visage, le contour, la ligne, c'est-à-dire ce que la descrip- 
tion la plus minutieuse est impuissante à établir. La seule 
chose dont il faille s'enquérir, c'est la manière dont pro- 
cède l'artiste, afin d'être fixé sur le plus ou moins de crédit 
qu'on doit accorder à son œuvre. 

Etre du pays, appartenir au sol même, est la première 
condition requise. Si des Italiens ont pu devenir les 



186 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

peintres attitrés de la Parisienne, je doute fort qu'un Fran- 
çais arrive jamais à dessiner TAUemande comme Tartiste 
dont rœil est, dès Tenfance, habitué au visage, aux traits 
de la Germaine. En revanche, il est vrai, certains côtés 
que l'artiste autochtone aura, volontairement ou non, 
laissés dans Tombre, d'emblée seront observés par l'étran- 
ger. Impression vivement ressentie, sans grande consis- 
tance,- si Ton veut, mais cependant intéressante à noter. 

En voici du reste un exemple : la servante dessinée 
par Mars, tenant d'un bras nerveux et d'une main non 
moins solide des chopes à la mousse écumante. Dans ce 
croquis prestement enlevé, on aurait tort de chercher un 
document destiné à fixer un type, mais sans parler de la 
prestance, examinez de plus près l'œil, le sourire, la façon 
de porter la tête, et vous verrez qu'il y a en cette figure 
quelque chose de nettement accentué, en un mot de très 
particulier. Cette femme a été vue par l'artiste, vue comme 
il voit d'ordinaire, suivant son tempérament, c'est-à-dire 
sous un jour gracieux, sous une forme aimable. 

Gomme Allemande, elle est de partout et de nulle part; 
comme Germaine, elle est suffisamment esquissée pour 
qu'il ne soit pas possible de la confondre avec une Fran- 
çaise ou une Anglaise. 

On peut ne pas voir les individualités spéciales à telle 
ou telle nation, mais quand il s'agit des grandes lignes 
tout le monde saura reconnaître une Germaine d'une 
Latine, une habitante du Nord d'une habitante du Midi. 

Existe-t-il, au môme titre, une Berlinoise, ou n'est-ce 
pas plus ou moins un mythe? En effet, beaucoup de Ber- 
linoises, rencontrées de par les rues de la capitale, sont 



LES TYPES 



de Stettin, de Spandau, du CharloUenburg, de Guben, de 
Teltow, de la Poméranîe ou de la Bohème. Ce mélange 




Fig. j7. — Scrvatile de brassoi'ii'. 



de la' grande cité prussienne rappelle absolument ce que 
disait sous l'Empire un spirituel pamphlétaire : « Il y a 



188 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

deux façons d'être Parisienne. La première consistée être 
née, par hasard, dans les limites de l'ancien octroi, la 
seconde à y habiter trois mois sur douze ». Allez donc, 
dans ces conditions, vous fier aux apparences, qu'il 
s'agisse de descriptions écrites ou de documents gra- 
phiques. 

Si, malgré cela, vous êtes curieux de connaître tout ce 
à quoi on a comparé la Berlinoise, ouvrez une petite pla- 
quette sortant d'une officine qui a eu la spécialité des 
livres légers : L'Histoire naturelle des Femmes galantes à 
Berlin, et vous y verrez qu'elle est, suivant le métier 
exercé par ceux qui prétendent la juger: un bon piano 
ayant besoin d'être accordé, du bon café avec beaucoup 
de chicorée, une addition dont la preuve n'a pas encore 
été faite, une actrice qui veut jouer mais qui n'a pas 
étudié son rôle, un bon bifteck entouré de mauvais beurre, 
une bonne épreuve qui n'a pas été corrigée, une maison 
magnifique dont les locataires paient irrégulièrement, une 
belle construction qui manque de fenêtres si bien qu'il 
fait sombre à l'intérieur. 

Mettons : pourrait être continué, suivant le système 
inauguré par les hommes d'Etat du Tintamarre y et cher- 
chons à définir le type. Pour ce faire, il suffit de recourir 
au même volume qui va nous dépeindre par le menu 
toutes les femmes d'Allemagne : 

« Vénus a donné à la Viennoise des longs cheveux noirs 
et brillants, si longs qu'elle peut s'en envelopper tout 
entière. 

« A la Munichoise une agréable et délicate corpu- 
lence. 



LES TYPES 189 

« A la Dresdoise des yeux enflammés, des dents d'ivoire, 
et, ce qui a plus de valeur que tout le reste, un cœur spé- 
cialement fait pour Tamour. 

« Aux jolies filles de Zelle et de Hanovre un petit pied 
mutin. 

« Aux femmes des contrées qui avoisinent TOcéan de 
merveilleuses tresses blondes et des yeux bleu d'azur. 

« Aux habitantes des bords du Rhin la grâce et un port 
de reine. Aux plus petites, elle réserva les parures et les 
bijoux; à Thabitante de Cologne le plus joli sourire qui se 
puisse voir, à celle de Kœnigsberg la pointe d'esprit, à la 
Hambourgeoise un jugement sain. » 

Et la Berlinoise, direz-vous, que devient-elle? La Berli- 
noise, Vénus Tavait oubliée, en sorte que pour réparer 
rinjustice commise, elle ne trouva rien de mieux que de 
lui donner un peu de tout ce qu'elle avait si généreusement 
accordé à ses sœurs. La perfection physique, alors ! Hélas ! 
la coupe est loin des lèvres, la légende n'est pas tou- 
jours la réalité. 

La vérité est que la Berlinoise ou plutôt la femme qu'on 
rencontre à Berlin ne manque pas d'un certain charme, 
quoiqu'il ne faille point chercher chez elle un tel ensemble 
de qualités. Aux yeux des Allemands, elle apparaît comme 
un heureux mélange d'esprit, de grâce, de sentimentalité, 
ayant de violents désirs, montrant en amour une grande 
légèreté, malgré ou plutôt à cause de son caractère pas- 
sionné. Elle craindrait avant tout l'ennui et préférerait 
plutôt passer pour femme légère que pour femme en- 
nuyeuse. Chose assez caractéristique, sa tendance au sen- 
timent diminuerait avec l'âge, si bien que la petite fille de 



490 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

dix ans serait plus portée à la rêverie que la jeune fille 
apte au mariage. 

Si, au contraire, je fais appel à tous les voyageurs fran- 
çais qui, depuis Bernardin de Saint-Pierre, ont pu porter 
une appréciation sur la Prussienne, la plupart n'hésitent 
pas à déclarer qu'elle n'est point belle, qu'elle est froide 
et parfaitement maussade. Ernest Feydeau n'a-t-il pas 
poussé la plaisanterie jusqu'à écrire que, à quelques excep- 
tions près, tout le sexe était fagoté comme les portières 
et les revendeuses à la toilette ne le sont pas en 
France I 

Eh bien! il faut le dire, la Berlinoise est loin d'être 
aussi ridicule. Qu'elle affectionne les couleurs voyantes, 
qu'elle ne craigne pas de mélanger les nuances les plus 
disparates, qu'elle recherche môme les tons heurtés, tout 
ce qui crie, tout ce qui jure dans la toilette, cela est fort 
possible, mais de là à une caricature ambulante il y a 
encore quelque distance. 

Assurément, elle a dans la démarche un peu de la lour- 
deur particulière à la race, son visage est rond, ses pieds 
sont grands, sa tournure manque de grâce. Mais, souvent 
aussi, la figure est éveillée, principalement dans la classe 
populaire. La jeune bonne berlinoise a ainsi un type très 
individuel, personnifiant en elle toute la domesticité de 
l'Allemagne du Nord, avec son minois au vent, avec sa 
taille flottante, avec sa marche pesante. 

Quelle différence ici entre BerHn et Vienne ; Berlin où 
domine la forte fille, aux bras robustes, au corps de cam- 
pagnarde se mouvant librement dans le vêtement, se lais- 
sant presque deviner sous les jupons, ignorant les effets 




Fig. ad. — Types de bonnes berlinoises. 

{Itaprii du crùtnit dt G. Neitel tant la DcuUcIk lUuilrirte 1 



192 LA FEHH8 EN ALLEMAGNE 

obtenus parla baudruche, et Vienne o^ domine en plein le 
type classique d'opéra-comique, au tablier brodé, aux petits 
souliers découverts; l'une toute nature, l'autre sentanl 
déjd la poupée habillée ; l'une travailleuse, n^ reculant 
devant aucuns gros ouvrages , l'autre prOférant les 
intrigues de boudoir et les petits travaux qui n'abîment 
point les mains blanches. L'une a des couleurs et respire 
le plein air, c'est la fille à la fois naïve et amoureuse; 
l'autre a le teint mat, c'est la Slle à la fois plus calcula- 
trice et plus vicieuse. L'une est bien le produit d'une 
civilisation encore grossière ; l'autre représente un monde 
efféminé et jouisseur. 

Dames , cuisinières ou bonnes d'enfan t s , les Alle- 
mandes du Nord ont toujours l'air un peu poupée : l'œil 
est profond, et c'est le regard qui donne ù la physio- 
nomie son cachet. 

Grands pieds, grands bras, grandes oreilïe». voilà trois 
choses, par exemple, que vous trouverez invariable- 
ment chez toute Allemande, qu'elle soit dn Nord ou du 
Sud. La grandeur de. ces appendices est mùme un des 
signes caractéristiques de la race, si bien que le corps est 
souvent aussi personnel que la figure. 

Dans l'histoire naturelle de ta Française, le visage joae 
un rôle bien plus important. Que de femmes à Paris pos- 
sèdent ce qu'on appelle une frimousse! Toutefois, comme 
il y a une frimousse parisienne, de même, il existe une 
frimousse allemande ! 

Voyez les petites femmes qui composent le tableau du 
peintre Schachinger, petites femmes aux grosses lèvres, 
indice de la sensualité méridionale qui se rencontre rare- 



LES TYPES 195 

ment à Berlin et qu'on voit quelquefois dans le Sud. 
Gretchen — la Gretchen classique au moins, — n'a pas de 
lèvres, et si, par aventure, elle en possède, ce sont des 
bords minces et comme repliés. Mais la figure est essen- 
tiellement germaine : jamais ce visage, pour chiffonné 
qu'il soit, ne sera celui d'une Parisienne. En ces femmes 
voyez des Munichoises, soit les représentantes du type 
qui occupe le milieu entre Berlin et Vienne. 

Moins pédante, moins raide que la Berlinoise, elle 
est d'allure gentille, l'habitante de la cité de l'Isar, bien 
proportionnée, du reste, malgré sa tendance regrettable 
à l'embonpoint. Aussi ne lui demandez pas taille fine et 
élancée : même mince, elle manquerait encore de souplesse 
et d'élasticité. Au point de vue de l'habillement, Munich, 
qui tient beaucoup à son indépendance, à son renom de 
cité artistique, regarde plutôt vers Vienne que vers Berlin. 
Assurément, il ne faut pas en conclure qu'on n'y rencontre 
jamais de toilettes criardes, qu'on n'y aime pas, comme 
partout en Allemagne, les tons heurtés; mais le goût y est 
plus épuré, les femmes ne s'y promènent pas avec des 
amalgames de toutes les formes, des bariolages de toutes 
les couleurs. 

Malgré sa prétention à vouloir donner le ton, la Ber- 
linoise ne réussit, la plupart du temps, qu'à être une 
correcte bourgeoise endimanchée, une copie quelconque 
d'un faubourg de Paris; plus originale, la Munichoise 
ne m£mque pas d'un certain chic. Entre elle et ses 
sœurs des races latines, il y a communauté de goût 
et de sensations : on s'aperçoit vite qu'elle est le produit 
d'une civilisation esthétique, alors que la Berlinoise, 



196 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

à son insu très certainement, porte toujours en elle Tin- 
dice d'une civilisation plus doctrinaire. 

Mais ce n*est ni au Nord ni au Sud que se trouve la 
Germaine idéale. Sur ce point, Allemands et Français sont 
d'accord pour décerner la palme à la Saxonne ou, du moins, à 
la Dresdoise, femme dont le passé est tout autre que 
celui de Tultramontaine Bavaroise ou de la protestante 
Berlinoise. 

N'est-ce pas dans le beau pays de Saxe, dit la chanson, 
que les jolies filles, aux gros mollets, croissent sur les 
arbres? Que les femmesy soient aussi fidèles, comme l'ajoute 
Herman Semmig, l'écrivain qui a publié sur le sexe faible 
tant de pages poétiques, cela se peut, mais assurément, 
ce n'est pas à cette fidélité que les Dresdoises doivent 
leur renommée. Quant à leur beauté elle est bien réelle, 
puisqu'un auteur qu'on ne saurait accuser de grande sym- 
pathie pour les Allemands, M. Victor Tissot, ne fait nulle 
difficulté de la reconnaître, et revient même, à plusieurs 
reprises, sur la carnation merveilleuse de ces femmes 
au teint clair, à la peau blanche. « On n'a certes pas 
besoin de les regarder de si près », dit-il dans L'Aile- 
magne amoureuse , « pour les trouver bien faites et gentilles, 
et les distinguer des autres Allemandes. » Et il ajoute : 
« La Dresdoise, de même que la Parisienne, pourrait s'ha- 
biller avec décence d'une feuille de vigne. Elle sait ce qui 
lui va et ce qui ne lui va pas. Elle a de l'aisance, et l'ai- 
sance seule donne la grâce. La Berlinoise qui singe la 
Française reste toujours Allemande, la Dresdoise est 
femme avant d'être Allemande. » 

Là, en effet, réside le secret de la supériorité qu'on peut 




FEMME DE CHAMBRE 

(Ucwin original de C. Kiu».) 



LES TYPES 199 

observer chez Thabitante de la grande cité de TElbe. Pro- 
duit d'une civilisation particulière au milieu du monde ger- 
manique, élevée dans une atmosphère plus mondaine, 
elle a conservé quelque chose des élégances du siècle 
passé. Grande, droite, les cheveux soyeux, les yeux bleus, 
elle est bien Allemande par le type, mais en gardant sa 
coquetterie naturelle, en se pliant moins facilement aux 
exigences de la ménagère classique, elle se rapproche des 
idées françaises. Un peu légère, aux yeux de ses conci- 
toyens, pour rétranger elle ne possède pas encore Téclat 
de la Viennoise. Toutefois, dernier vestige des mœurs im- 
plantées par les petites Cours royales, cette légèreté 
n'existe qu'à la surface. L'Allemagne amoureuse et bibe- 
lotière, il faut le dire, n a nulle part influé comme à 
Dresde : partout ailleurs elle s'est confinée autour du 
prince, ici seulement, elle a pénétré plus avant, gagnant 
les classes moyennes. 

En fait, la Dresdoise est la plus aimable et la moins 
bourgeoise, ne présentant ni le pédantisme des vertus trop 
farouches, ni la morgue des castes qui affichent à tout 
propos leur supériorité. Et si elle n'a pas ses peintres 
attitrés, à l'exemple de la Francfortoise, de la Munichoise, 
de la Berlinoise, c'est qu'elle est plus accusée comme 
caractère, comme individualité, que comme physique. 

Qui voudra réellement connaître l'Allemande sous ses 
faces diverses n'en devra pas moins interroger avant 
tout l'œuvre des peintres, Richter, le portraitiste officiel ; 
Knaus et Menzel, les deux artistes berlinois qui ont le plus 
étudié le type mondain et le type bourgeois; Fr.-Aug. 
Kaulbach, Lenbach, les maîtres du genre, qui se rap- 



200 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

prochent des anciens tant par la pose de leurs personnages 
que par la vigueur de leur touche ; Piglhein et Hugo von 
Habermann, épris du chic et du gracieux, pastellistes des 
petites femmes et des élégantes de tout acabit. 

Mais sont-ce là les seules Allemandes, ou plutôt est-il 
possible lorsqu'on veut étudier sous toutes les formes la 
féminalité de ce monde « ondoyant et divers » de ne pas 
sortir, politiquement au moins, de l'Allemagne actuelle? 
Poser la question c'est la résoudre ; j'en viens donc, sans 
autre préambule, à la Viennoise. 

Ici, je l'avoue, la théorie de la Hausfrau développée en 
ce volume n'est plus aussi exacte : je veux dire que la 
Viennoise est femme encore plus que la Dresdoise, mais 
femme ayant su, en vue du plaisir, de son agrément per- 
sonnel, tirer un excellent profit des mœurs intimes et 
joyeuses du pays. Entre toutes ses sœurs du continent, 
elle est certainement celle qui s'amuse de la façon la plus 
constante, femme au même degré que la Parisienne, mais 
moins esclave du préjugé, moins correcte, « aimant moult 
à rigoler es tavernes », et rigolant, effectivement, en com- 
pagnie des siens. 

Au XVIII® siècle, s'il faut en croire le savant et regretté 
Johann Scherr, les Viennoises étaient plus respectées parle 
rang de leurs amoureux que par le rang de leur époux. 
L'esprit d'intérieur, l'intimité passait déjà pour un phéno- 
mène presque impossible à rencontrer. 

Si vous voulez juger de la façon dont on entendait alors 
la vie de famille et du respect qu'on professait pour le 
mariage, lisez cette simple comparaison d'un poète local : 
(( Uu'esl-cc que le mariage? Une cage à oiseaux. Ceux 




IIUNICHO,ltE. 
1, a<l(ng< de Eoutchc cl de 



*^ 



t I ^ 



LES TYPES 20;* 

qui sont dehors veulent y entrer ; ceux qui sont dedans 
veulent en sortir. » 

Cet extrait des Wiener Maximen n*est pas moins élo- 
quent : « Il faut aimer la femme du voisin autant que la 
sienne propre. Une fille sans argent est comme une lampe 
sans huile : la flamme de Tamoar n'a plus d'aliment et 
s'éteint vite ». 

Le xvm* siècle, il est vrai, ne se piquait pas de moralité, 
et lord Malmesbury pouvait dire en 1772 de la prude 
Berlin que si l'on n'y rencontrait point de vir fortis, on 
y voyait encore moins de femina cas ta. 

Vienne ne s'est pas beaucoup amendée, restant tou- 
jours la ville du luxe, des plaisirs, et, assurément, ses 
femmes ont bien un peu contribué à la chose. Cherchons 
donc à définir ces filles d'Eve, moitié Germaines, moitié 
Orientales, dont Casanova faisait le plus grand cas, disant 
qu'elles étaient avec les Suissesses les seules Allemandes 
qui fussent savantes dans l'art de la volupté. 

Un peintre va nous servir de guide, et ce peintre 
c'est Mackart, Mackart, de son vivant la coqueluche 
des Viennoises, pour lequel il n'y eut, lors du fameux 
cortège des noces impériales, ni assez de couronnes, ni 
assez d'ovations. Ne les avait-il pas toutes captivées, ses 
belles compatriotes, par le brillant de son coloris et par 
l'éclat de ses costumes ? 

Or les tableaux de Mackart, qu'il s'agisse des Cinq Sens, 
de l'Entrée de Charles- Quint à Anvers , de Diane et son 
cortège, présentent ceci d'intéressant que les modèles 
sont des Viennoises appartenant au petit cercle dans 
lequel l'artiste se mouvait. 



LA FEHUE EN ALLEMAGNE 



Peintre aristocratique à. la recherche des belles formes, 
il ne s'est pas borné aux vulgaires poseases d'atelier. A 
Vienùe, oh l'on connaît les noms et la position des femmes 
qui sont ainsi venues prendre place sur ses tableaux, l'on 




Fig. G9. — Types de Vienooises. 
w dt Matkart • Diiae el ton eaiièfBn, pkalagraphii par A»çtnr.) 



cite ici telle dame de l'aristocratie, là telle femme de 
riche industriel ; ici c'est la femme d'un des intimes da 
peintre, là c'est la noble épouse d'un très haat foDotion- 
naire. 



Si les types sont toujours uniformes, c'est que Mackart 
n'est pas sorti de ce groupe ; qu'il s'est contenté 
d'être le peintre attitré du visage et du corps viennois. 
Mais aussi, quelle valeur documentaire I Pas de figures 




Fig. 60. — Types de Viennoises 

(Uotifàu tabUaa de Mackart, Dltnï tx un carlège,) 



classiques, pas de beautés conventionnelles, ce que lui 
ont reproché souvent les vieux bonzes de l'art immuable, 
et ce qui constitue justement l'intérêt de ses composi- 
tions. Des Viennoises donc, comme celles que nous voyons 
ici, comme celles qui représentent Les Cinq Sens, beautés 



210 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

fortes et saines, sans être cependant plantureuses, au 
visage bouffi, aux yeux bleus, aux longs cheveux blonds, 
au teint plutôt laiteux que vigoureux de carnation. Des 
Viennoises hautes sur jambes et aux bras allongés mises 
en lieu et place des personnages de l'antiquité ; piquante 
étude de plasticité moderne et locale ! 

En voyant ces femmes ainsi posées, on ne peut s'em- 
pêcher de songer aux déesses de Rubens, chairs mas- 
sives, et aux Vénus du Titien, chairs idéalisées. Gestes, 
regard, façon de plier les hanches et de courber le corps, 
de se rejeter en arrière ou de se placer en avant, tout est 
indication précieuse pour l'esthétique. Et Ton a devant 
soi, document unique, la Vénus autrichienne, blonde, au 
tempérament lymphatique, au plissement caractérisque 
des lèvres, à la tête rêveuse, à l'expression matérielle. 

Cette Vénus en chair et en os, nous allons la retrouver 
costumée et drapée, les bras encore plus longs, les 
jambes encore plus hautes, et forte avec cela, et bien 
carrée par la base. 

Ce qui frappera dans les figures si finement dessinées 
du peintre Karger, c'est la grosseur, la platitude du nez, 
presque de niveau avec le front, et la grandeur de la 
bouche, vulgaire, tranchons le mot, canaille, esquissant 
quelquefois un sourire à la Thérésa. 

Mais, figures aristocratiques ou figures populaires, toutes 
ont le même air de parenté, toutes indiquent la même 
origine : la seule différence est que les traits sont plus 
gros et les extrémités plus fortes. Riches ou pauvres, 
nobles ou roturières, elles sont reines de par leur atti- 
tude majestueuse à travers laquelle on sent percer l'in- 




FEMME DMR1ISAN. 
IDoùa origintlta kiia de C. Kiiain.) 



solence de la santé, de la graisse s'étalant, plantureuse, 
comme un défi à la maigreur de la vieille institutrice 
allemande, osseuse et ridée. 

N'est-ce pas Victor Fournel qui, se trouvant à Vienne 
lors de l'Exposition universelle, écrivait : 




Flg. 61. — Types de Vlennoisea, 

IMBltfdulabUaudt Uaekarl, DUne et un cortègt.) 

« Beauté, démarche, toilette, expression vague et pres- 
que somnolente d'une physionomie dont le charme un 
peu froid ne s'anime jamais, tout fait songer en elles aux 
femmes du harem ? » 

Dans cette impression rapidement jetée sur le papier, il y 



314 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

avait du vrai, la Viennoise étant en somme bien plus une 
belle fille, un beau morceau, qu'une femme à la physio- 
nomie pétillante et spirituelle. C'est une Allemande orienta- 
lisée, allanguie encore dans sa nonchalance primitive par le 
plus grand croisement de races qui se puisse voir en Eu- 
rope; c'est une créature de choix, fière de sa beauté et de 
Tempire qu'elle sait devoir exercer à l'aide de cette dernière. 

Aussi quel triomphe de la chair. En Allemagne, dans la 
Germanie protestante et brumeuse, celle-ci n'appardt 
qu'au bal, heureuse, il est vrai, d'une liberté acquise par 
des mois d'emprisonnement ; a Vienne, elle s'étale, elle se 
montre en public, en voiture, à la promenade. 

Que de toilettes décolletées à travers les rues de la 
capitale austro-hongroise, que d'épaules, que de bras, que 
de gorges au teint de lis et de roses débordant sons 
les gazes transparentes qu'on voudrait savoir encore plus 
légères. 

Presque toujours irréprochable au point de vue plas- 
tique, la Viennoise est un corps admirable. De figure 
c'est autre chose. Rarement ce gentil visage, rarement 
cette petite frimousse germanique qui a bien son charme: 
le mélange du sang slave et du sang italien s'y oppose. 
Mais laide ou jolie de traits, de la prestance, un chic par- 
ticulier et tout ce qu'il faut pour allumer dans Thomme le 
désir de la femme. On n'est pas pour rien fille d'une race 
éminemment sensuelle. 

Quant à ceux qui comparent sans cesse la Viennoise à 
la Parisienne ils ne me paraissent au fond connaître ni 
l'une ni l'autre. Toutes deux, il est vrai, aiment le luxe, les 
plaisirs et les décolletages à fleur de peau, c'est-à-dire ce 




BLANCHISSEUSE VIENNOISE, 
imSa Drigintl u liiii de C. K>*si 



LES TYPES 217 

qu'aiment en général les femmes qui se savent belles, mais 
après, oîi sont les points de contact ? Je ne sache pas que 
Thabitante de la cité du Danube ait le brio, l'entrain, le 
piquant, Témoustillant de la riveraine de la Seine l L'une 
est séduisante, l'autre est capiteuse. Holàl les gourmands, 
vous qui voulez boire à pleins bords la coupe de la volupté, 
venez à Vienne, vous y trouverez chair suivant votre désir, 
chair de noblesse ou chair de roture, chair de passager 
ou chair d'habitant. 

A Vienne, ce n'est pas le besoin, ce n'est pas la basse 
prostitution ; c'est le sang, c'est le désir, c'est la nécessité 
d'aimer. Et pas de griserie factice comme à Paris, la 
nature accomplissant librement son œuvre. 

Qui donc a dit que les Viennoises s'habillaient mal et 
se chaussaient admirablement? A coup sûr un observateur 
superficiel. Si la Viennoise tient, en effet, à la chaussure 
tout autant qu'une Parisienne, elle sait comme cette 
dernière s'habiller et porter la toilette. Elle aime, il est 
vrai, les nuances claires et les robes ouvertes, mais le tout 
s'harmonise. Ce n'est pas à Vienne qu'on verra commettre, 
au point de vue du mélange des couleurs, les hérésies qui 
passent inaperçues dans les petites résidences du Nord. 

L'été, beaucoup de gazes, beaucoup d'étoffes à jour, 
beaucoup de dentelles, beaucoup de rayures orien- 
tales ; l'hiver, de la fourrure partout, bottes fourrées et 
toques de toutes nuances. Et l'on sait combien la 
toque est une coiffure seyante ! Enfin , dernier détail , 
nombreuses Viennoises portent les cheveux rasés ou 
coupés courts et très frisés, — mode suivie, du reste, 
dans toute l'Allemagne, — à moins qu'elles ne laissent. 



218 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

au contraire, tomber leurs longa cheveux en natte sur 
l'épaule. La natte de Gretchen, mieux portée là-bas qu'ici. 
Berlinoise, Dresdoise, Munichoise, Viennoise, ces qua- 
tre incarnations résument bien les principales diffé- 
rences de la Germaine civilisée, je veux dire de la femme 
des capitales. Si elles ne sont pas toute l'Allemagne, 
elles en représentent, du moins, les types les plus parti- 
culiers, ayant toujours, matérielles ou idéales, de nom- 
breux pointa de contact. 




Rg 11. — Bonnes berlinoises. 

{Croqvt de G. Neitel.) 



VII 



LES TYPES DES CAMPAGNES 



Existe-t-il un type personnel à la paysanne allemande, 
ou n*y a-t-il entre gens de la ville et gens des champs 
aucunes différences autres que celles provenant de Tédu- 
calion et de la façon de s'habiller ? 

Question bien simple à laquelle il est facile de répondre, 
quand on sait que, là-bas, les campagnes n'ont pas été 
absorbées par les villes, que le Germain, comme Font 
reconnu eux-mêmes plusieurs écrivains du pays, a tou- 
jours conservé quelque chose de paysan. Le sentiment de 
la nature n'est point sans motif si profondément inné 
en lui. 

Non seulement il y a une population agreste, aux usages 
nettement définis, n'attendant rien de Berlin, rien des 
grands centres, mais encore les campagnes ont souvent 
exercé sur les villes une salutaire influence, conservant 
aux mœurs bourgeoises leur primitive simplicité. 

Dans les contrées de montagnes ou de vastes plaines, le 
type urbain et le type champêtre difi^rent peu entre eux ; 
hommes ou femmes sont des paysans, plus on moins 



330 LA FEHHE EU ALLEMAGNE 

policés, avec les caractères distiDclifs et originaux de la 
race. 

La paysanne, expression prédominante des peuplades 
les plus indépendantes, Thuringe, Bavière, Snisae, Tyrol, 
présente tous les signes extérieurs de la féminalité ger- 
manique : corps gros, massif, jambes d'une hauteur 
excessive, visage rond, joues luisantes de rougeur, ce fard 
naturel qui déGe les plus savantes inventions de la parfu- 
merie. L'aspect d*an poupon dont les rondeurs se trouvent 
encore accusées par les engoncements du costume, voilà 
la vue d'ensemble. 

Les détails, c'est, il faut bien le dire, le costume qui les 
donne, accentuant ou cachant telle partie du corps, remon- 
tant ou descendant la taille ; le costume qui, notamment 
dans les contrées extrêmes du paya, a conservé une si 
puissante intensité de coloris. Couleur et variété, deux 
choses rares en notre monde moderne, que les amateurs 
de pittoresque pourront facilement trouver ici, sansalloiy 
pour cela, à l'Opéra-Comique. Dans plusieurs villes d'oattS; 
Rhin, ils verront de petites bonnes à la coiffure aux 
grandes ailes, au corsage de velours, à la taille saïut 
manches, aux bas laissant voir les coins brodés. 

Voulez-vous des paysannes fraîches et roses, belles et 
fortes filles de la montagne ? Choisissez. 

Voici les Tyroliennes aux types si divers : Tyrolienne 
classique au chapeau de feutre se terminant en cane, 
couvre-chef si petit que sous cet abri insuffisant les 
grosses joues de la montagnarde paraissent vouloir écla- 
ter, celle-ci est chaussée de guêtres pour pouvoir escala- 
der les hauteurs ; Tyrolienne au gros bonnet fourré, sorte 




VREHI, PAYSANNE DE L* BAVIÈRE. 
(Vtprte ana eoapMiUoo da Fruu Ddubhb.) 



I 



LES TYPES DBS CAMPAGNES 233 

de manchon enserrant la tête, et, de fait, bonnet armé- 
nien rappelant à s'y méprendre celui de Jean-Jacques, 
celle-là a sur son corsage, comme toujours fortement 
lacé sur le devant, un fichu de dentelle ; Tyroliennes 
plus ou moins fantaisistes, de toutes façons suivant les 
districts du pays, suivant qu'elles restent chez elles ou 
qu'elles travaillent pour 
l'exportation , jodeleuses 
et joueuses de ZUher. 

Puis viennent les filles 
de la Bavière ; Bavaroi- 
ses au grand chapeau de 
meunier; Bavaroises en 
chapeau de paille avec 
boules de chenille, aux 
mitaines, au tablier de 
soie ; Bavaroises au feu- 
tre moins vaste, orné 
d'un galon à gland d'ar- 
gent tombant sur le de- 
vant du visage, au cor- 
sage il guimpe, ouvert 
en carré et agrémenté 
d'un col. Bavaroise en- 
core, cette servante de 
brasserie au fichu jeté 
sur les épaules et croi- 

Fig. 63, — Dataro se se -ïauie de b asserie. saut SUr la poitrine , 
,D-a^é. » rf«,m a. B.r.H ,u />*,«., j^^j^|^ Râtschen, Kathe, 

autrement dit Catherine, grosse, bonne et forte fille au 




224 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

sourire engageant, au poignet solide qui tricote d'une main 
en vidant, de l'autre, son immense chope de grès. 

Voici les paysannes de la ForètrNoire avec leurs longues 
tresses, leur peUt bonnet à brides, leur collerette, leur 
corsage de velours à fleurs brodées et & appliques d'ar- 
gent , aux manches 
piquées , matelassées 
tout comme an jupon 
de dessous en nos 
pays moins pittores- 
ques; les femmes du 
grand-duché de Bade 
au classique bonnet 
noir formant évenlfùl 
ou à la haute coiffure 
dont les brides tom- 
bent derrière jusqu'en 
bas; les Ailes de la 
Hesse au bonnet de 
velours tout plat, for- 
mant pointe sur le 
front comme l'ancien 
chaperon; les femmes 
Wendes du Spree- 
waldoulesSilésiennes * 
de Pless, Allemandes de nationalité, mais Slaves d'origine, 
portant une immense tresse avec large nœud au bout, et 
dont la coiffure singulière, nouée sous le menton, forme 
fichu sur le derrière, tandis que de devant elle apparaît 
carrée comme le bonnet d'un garçon mitron. 




ig. es. — Femme Wende en costume 
de gala (Sprcewald) 




FEIINE DU 6RAND-0UCHË DE BXDE (BRIEGI 



LES TYPES DES CAMPAGNES 227 

Quoi de plus pittoresque que la toilette des riches 
paysannes de la Silésie, un jour de noce ou de gala? Avec 
leurs grandes fraises mises à plat sur le devant, leur 
enserrant la tête et le cou, elles apparaissent comme si 
elles étaient au carcan. 

Et notez que, invariablement, ces costumes se compo- 
sent d'une jupe de couleurs éclatantes, rouge vif, bleu, 
brun, vert, avec un tablier tranchant bien sur ce premier 
ton. C'est ainsi qu'on verra tablier bleu sur jupe rouge, 
tablier rouge sur jupe verte. Autrefois, dans certaines 
contrées, ils étaient à fleurs sur fond écru, ou d'une note 
claire quelconque. Aujourd'hui cela se présente plus rare- 
ment. Invariablement aussi, ces jupes sont assez courtes 
pour laisser voir le bas du mollet. Le pittoresque n'exclut 
point l'affriolant. Dans cet ordre d'idées, il faut citer les 
paysannes suisses du Gouggisberg, canton de Berne, dont 
la jupe laissait voir le genou à nu, le bas se trouvant sui- 
vant l'usage allemand attaché au-dessous. 

Mais, chose aussi singulière que regrettable, la plupart 
des particularités du costume suisse ont disparu. Peu à 
peu les jeunes paysannes l'abandonnent pour prendre les 
modes de Paris, on va même jusqu'à ridiculiser l'acoutre- 
ment bernois aux couleurs sombres que rehaussent si 
bien les chaînes d'argent massives et luisantes . Cet 
abandon, il faut le dire, est dû au flot d'étrangers qui, 
chaque année, envahissent les plaines et les montagnes 
helvétiques ; non que ce côté pittoresque leur déplaise, 
loin de là, mais parce que la vue continuelle des toilettes 
luxueuses des grandes cités flnit aussi par donner aux 
naïves filles de la campagne des ambitions qu'elles ne 



228 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

ressentaient pas autrefois. Si donc la Bavière, la Silésie, 
le Tyrol lui-môme, semblent vouloir conserver jAus reli- 
gieusement, jusqu'à ce jour, le costume qui leur a été 
légué par les ancêtres comme une marque précieuse du 
cachet national, c'est que ces contrées n'ont pas euGoreété 
parcourues en tous sens par les riches blasés de ce 
monde. 

D'autres raisons encore sont peut-être également cause 
de cette transformation. En Suisse, les villes cherchent 
trop à s'urbaniser, à se dépaysanner, si Ton peut s^expri- 
mer ainsi, elles oublient souvent qu'elles sont des capi- 
tales de contrées agrestes ; d'autre part, l'industrie tend de 
plus en plus à envahir les parties alpestres, et, bon gré 
mal gré, l'industrie introduit toujours avec elle quelque 
chose des idées modernes, transformant et, au besoin, 
détruisant dans tous les domaines la simplicité des anciens 
jours. Donc, à part quelques coins privilégiés, plus des cou- 
leurs éclatantes d'autrefois, plus de ces étoffes aux dessins 
naïfs, aux fleurs ornées, qui se rapprochaient par leurs 
tons et leur aspect des faïences populaires, dernier vestige 
de l'art et des croyances qui s'en vont. 

Comme type, certaines différences se remarquent d'em- 
blée entre la Silésienne, la Bavaroise et la Suissesse : la 
première a encore quelque chose de Kalmouck, le nez est 
retroussé, le regard hébété, le corps dans son ensemble 
est ramassé et souvent difforme. Avec sa haute stature, 
son corps bien proportionné, malgré les rondeurs de sa 
corpulence, la Bavaroise est plus femme. C'est une belle 
plante, fille d'une nature encore rude et grossière, con- 
servant toujours, môme à la ville, quelque chose de son 




BRODEUSES O'APPENZELL (SUISSEI. 



LES TYPES DES CAMPAGNES 331 

origine montagQarde. Campagne au milieu de la ville, ville 
en pleine campagne, ce double aspect est tout à fait par- 
ticulier à la Bavière, pays de fertiles pâturages où, suivant 
la remarque d'un ancien voyageur, les femmes sont grasses 
comme la terre. 

Eh bien ! la Suissesse est autre chose. Elle apparaît 



Fig. 65. Femmes dn PIobs (Silésie). 

ID'apréi du croguii de ta Dciilichc llluitriric Zcilung.) 

moins matérielle, son visage a des lignes plus pures et 
l'expression une tendance à la rôverie qui ne se rencontre 
pas autre part. Différences de physionomie, très sensibles 
pour qui voudra comparer les types, etquisont, peut-ôtre. 
la conséquence m<^me des différences du sol. 



333 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

Si l'on en excepte les nourrices, les nourrices élégantes 
des maisons aristocratiques, au graud mantcaa, au bonnet 
à grandes brides tombantes, et quelques rares domes- 
tiques de Bordeaux ou des Pyrénées dont le restant d'ori- 
ginalité consiste dans certaines particularités de la coiffure. 




Fig, 66, — Dans la Hauie-Bavlèic : ville et campagne. 

{D'nprèi dis croqiiii âe Gragler.] 

du petit bonnet coquettement posé sur la tête, Paris n'a 
pas conservé dans ses rues, un seul type curieux au point 
de vue du costume et de la couleur. Il a tout absorbé, îl a à 
tout et sur tout imposé sa livrée, n'admettant pas plus 
d'indépendance dans la toilette que dans rarchitecture. 




NOJRRICE HONGROISE. 
(Denin originil >u [itÎi de C. Kiioi 



LES TYPES DES CAMPAGNES 235 

Or, en Allemagne, il n'en est point ainsi. Non seu- 
lement, je le répète, la campagne perce souvent au tra- 
vers de la ville, mais encore, çà et là, apparaissent des 
paysannes, des femmes de la contrée avec leur costume 
national, jetant une note gaie et toujours colorée au 
milieu de Tuniformité des toilettes. 

Deux types surtout sont à noter : au Nord, à Hambourg, 
la marchande de fleurs, la paysanne du Vierland ; au Sud, 
à Vienne, la nourrice hongroise. 

Hambourg, c'est le Marseille de T Allemagne, c'est la 
ville germanique où se voient le plus de costumes diffé- 
rents et de civilisations étrangères. Dans ses rues, sur ses 
larges ponts, sur ses vastes quais, les gentilles bouquetières 
du Vierland rompent la monotonie habituelle, avec leurs 
bas à côtes, leur tablier pHssé, leur corsage brodé, leur 
longue natte, leur chapeau plat, sorte d'écuelle renversée 
qui rappelle les coiffures tonkinoises. 

Et la nourrice hongroise, dans cette autre ville cosmo- 
polite où se croisent les mondes les plus divers, où se 
produit le grand entrechoquement de la race slave et de 
la race germanique, de l'Orient avec TOccident, la nour- 
rice hongroise en plein Prater viennois ! 

Sur le type hongrois les avis sont fort partagés : les 
uns prétendent que les femmes de ce pays, pour lequel la 
mode veut qu'on montre un engouement sans limites, sont, 
à proprement parler, des hommes manques; les autres ne 
cachent point leur enthousiasme pour les beautés fémi- 
nines et les vertus cachées de cette race. 

Assurément, lorsqu'on rencontre de par les rues de la 
capitale autrichienne la grande nourrice hongroise chaus- 



236 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

sée d'énormes bottes auxquelles on mettrait volontiers 
des éperons, il est bien difficile de s'extasier sur la beauté 
de ce grand corps à la lourde démarche, à l'attitude 
gauche, mais déjà la nourrice qui a remplacé la chaussure 
nationale par des petits souliers de citadine apparaît moins 
massive. La vérité est qu'à Pesth, ville poético-sensuelle 
comme Vienne, il existe de fort belles femmes, grandes, à 
l'œil ouvert, aux formes accusées, aussi noires de cheveux 
que les Allemandes sont claires, respirUnt un air de ma- 
jesté, mais ayant, malheureusement, dans la démarche, 
une certaine brusquerie, une certaine hardiesse qui cho- 
quent toujours les Européens, plus policés, ou, du moins, 
n'ayant pas les mômes affinités avec l'Orient. 

Bref, avec ses bras nus, avec la fraise qui lui entoure 
le cou, avec les beaux cheveux qui lui pendent dans le 
dos, la Hongroise est, au plus haut degré, un élément 
décoratif; femme austro-slave, dans un pays encore alle- 
mand, coin slave pénétrant dans l'arbre germanique. 

Que d'études, également intéressantes, après les parti- 
cularités du costume et de la physionomie, si l'on voulait 
pénétrer dans les détails des mœurs et des coutumes. 

N'est-ce pas en Allemagne et en Suisse qu'existait le 
Kiltgang ^ ces visites nocturnes des jeunes gens à celle 
qu'ils ont choisie librement comme fiancée et qu'ils enten- 
dent prendre comme femme : vieille habitude qu'il ne fau- 
drait point voir avec nos idées perverties de citadin scep- 
tique, contre laquelle tonnèrent vainement, à plusieurs 
reprises, les ecclésiastiques du haut delà chaire et les 
Magnifiques Seigneurs par des arrêtés spéciaux. 

Si dans le Kiltgang la femme se donne librement, elle ne 



LES TYPES DES CAMPAGNES 239 

se donne qu'une fois, et Tamoureux, remarquez-le bien, 
part à la conquête de sa fiancée. Ce n'est point par la 
porte toute grande ouverte de la maison qu'il se rend 
auprès d'elle : il entre par la fenêtre, escaladant, pour y 
arriver, murs et tas de bois, provisions d'hiver qui sont 
accotées contre toute maison villageoise. 

Eh bien ! dans le KUtgang^ il y a beaucoup des idées sur 
le mariage, précédemment entrevues. 

C'est une sorte d'essai, d'épreuve, de représentation 
avant la lettre : la jeune villageoise ne montre que ce 
qu'elle veut piontrer, n'abandonne que ce qu'elle croit 
devoir abandonner. On apprend plus ou moins à se bien 
connaître, mieux toutefois qu'avec les mœurs de la ville 
et nos préjugés sociaux. Idée toute allemande, on le voit, 
qui ne pouvait germer que sur terre germanique et qu'à 
la campagne, oîi règne, à la fois, plus de bonhomie et 
plus de connaissance des lois de la nature. 

N'est-ce pas encore, au milieu de tant d'autres particu- 
larités, un usage essentiellement germain, que cette vieille 
coutume pratiquée depuis des siècles en certaines contrées, 
se retrouvant dans le Brunswick comme en Alsace, de 
procéder au départ de la fiancée avec tout son mobilier, 
avec tout son avoir. Quittant la demeure de ses parents, 
entrant dans une maison nouvelle, celle-ci emporte ce qui 
va contribuer à la constitution de son futur ménage, cou- 
tume poétique et pratique que le pinceau des artistes a 
su interpréter à plusieurs reprises avec autant d'esprit 
que de couleur. 

Tout comme leurs sœurs des grandes villes, elles ont, du 
reste, leurs peintres attitrés ces fortes et pittoresques filles 



340 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

de la montagne ou de la plaine : Tyroliennee, Suissesses, 
Bavaroises, Silcsienaes, peuplant ainsi les galeries de 
tableaux et les vitrines des marchands d'estampes. Gc n'est 
plus la Tyrolienne ou la Suissesse d'opéra-comique dessi- 
née par Gavarni, enluminée par Deveria; ce sont des Kathli, 
des Vreni, des Babi, en chair et en os, avec leurs grosses 
joues et leurs bras nus d'athlète féminin respirant la santé 
en môme temps que la force. 




FIg. GT. — Bouquetière de Hambourg 
(V'gmellede CoU-Ter.) 



VIII 



LES METIERS 



Un publiciste de grande valeur, dont les idées para- 
doxales ont fait quelquefois le tour du monde, prétendait 
qu'il n'y avait, à proprement parler, ni métiers masculins, 
ni métiers féminins, et que les femmes devaient se con- 
tenter d'occuper les positions que les hommes veulent 
bien leur laisser. Observation d'autant plus juste que cer- 
tains métiers changent de sexe suivant les circonstances, 
suivant les idées du jour. Les hommes vendent des jar- 
retières ; les femmes servent la clientèle des bandagistes. 
Toujours le monde renversé. 

Celles qui sont déjà nos égales, ne cherchent-elles pas, 
aujourd'hui, dans tous les pays, à prédominer, à s'éman- 
ciper d'une tutelle qu'elles traitent ouvertement d'escla- 
vage, à se faire ouvrir les carrières qui, pour une raison 
quelconque, bonne ou mauvaise, leur avaient été jus- 
qu'alors fermées. 

Les plus exaltées réclament des droits politiques, comme 
si ce n'était pas assez de voir des millions d'hommes 
vivre sur le dos du prochain sous le prétexte de faire de 

20 



242 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

la politique, et les plus modestes se contenteraient volon- 
tiers de Tindépendance commerciale. 

Au reste, tentatives nouvelles et extravagances sont, 
partout, à Tordre du jour. Tandis que nous voyons se pro" 
mener sur nos boulevards les femmes-réclames, les Alle- 
mands ont trouvé les commis voyageurs féminins * . Idée 
pratique qui est bien un signe des temps, puisque c'est 
la reconnaissance formelle de Tinfluence exercée par la 
femme sur nous autres, pauvres mortels. C'est du moins 
ce que nous apprend Herman Semmig dans un de ses 
nombreux ouvrages sur le beau sexe. « Il y a quelques 
années, » dit-il, « un commerçant de l'Allemagne du Sud 
avait embauché des commis voyageurs femmes et il s'en 
trouvait fort bien, ces employés lui coûtant beaucoup moins 
comme appointements et frais généraux et lui rapportant 
beaucoup plus comme chifiTre d'afiTaires. Là où les voya- 
geurs hommes avaient échoué, leurs collègues femmes réus- 
sissaient presque toujours. » Façon fort adroite, il faut le 
reconnaître, de mélanger le grand-livre et la galanterie. 

Cette activité dévorante, par exemple, n'est pas sans in- 
quiéter Herman Semmig, qui fait observer que, à l'ex- 
ception des fonctions ecclésiastiques, les femmes ont émis 
la prétention d'exercer tous les métiers. Patience, ces 
fonctions seront aussi visées à leur tour. La chose ne 
serait point nouvelle, et puis à quoi servirait l'Amérique 

' n ne s*agit pas de placières en fleurs, en rubans et autres articles de 
mode, comme on en voit journellement dans les rues de Paris, suc- 
combant sous le poids des boites d'échantillons qu'elles transportent, 
mais bien de véritables commis voyageurs parcourant le pays de ville en 
viUe. 



LES MÉTIERS 



343 



si elle ne nous donnait de temps à autre le spectacle de 
quelque amusante excentricité. 

Mais les extravagances cadrent mal avec la passivité du 
caractère allemand. Si les femmes n'occupent pas, chez 
DOS voisins, dans la distribution du travail humain, la 
même place qu'ici, ce ne sont point, pour cela, des éman- 
cipées. Donnant raison à Emile de Girardin, elles font ce 
qu'on veut bien leur laisser faire. 

Institutrices et maîtresses d'école me laissent froid, tout 
autant que les lu- 
nettes et les voi- 
lettes, vertes ou 
bleues, dont elles 
sont parées. Qu'il 
yen ait plus qu'eu 
France, c'est un 
fait qui peut inté- 
resser le statis- 
ticien, mais au- 
quel ne s'arrête- 
ra pas l'observa- 
teur. En revan- 
che , voici dans 
les arts libéraux, 
dans la musique, 
— cebruitdiscop- 
dant,disaitVictor 
Hugo, — unechose tout à fait spéciale aux pays allemands, 
je veux parler des orchestres féminins qui se font en- 
tendre dans les cafés, brasseries, et autres établissements. 




• Concerl de dames dans ud calé. 

un «rogult dt Uari. Journol Asuunt ) 



214 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

Spectacle à la fois captivant et comique ; captivant, 
parce que rien n'est gracieux comme la vue de musi- 
ciennes, jeunes pour la plupart, jolies dans leurs robes 
blanches ou de nuances claires aux rubans multicolores ; 
comique, parce que, si Ton en excepte le violon, la 
femme paraît toujours un peu gauche quand elle se sert 
de certains instruments. C'est à Vienne, on le sait, que 
ces orchestres d'un nouveau genre ont pris naissance, et 
c'est à l'instar de Vienne qu'il s'en est organisé dans 
d'autres villes, conservant toujours l'appellation typique 
de : Orchestre des dames viennoises. Orchestre féminin, 
cela me paraît très juste, après tout. Pourquoi les femmes, 
souvent excellentes harmonistes ou pianistes distinguées, 
qui, du reste, chantent et jouent en public, font partie de 
sociétés chorales, n'auraient-elles pas les qualités vou- 
lues pour constituer des orchestres? Je ne dirai pas qu'elles 
ont notre âme artistique ; ainsi les jeunes W/^/i^rm jouent, 
souvent, sans expression, d'une façon mécanique, possè- 
dent moins leur instrument, mais en somme l'ensemble 
est très suffisant, surtout si l'on veut bien réfléchir qu'il 
ne s'agit nullement d'exécutants hors ligne, et que l'or- 
chestre masculin qui les remplacerait ne montrerait, 
certes, pas plus de science musicale. Et comme il aurait 
moins de couleur, comme il serait moins décoratif! Lui, 
ne nous donnerait pas une Cheffesse en robe noire, des 
exécutantes en robe blanche. 

Plume, pinceau, archet, c'est ainsi que la femme touche 
à la grande trinité artistique, cherchant par tous les 
moyens à tirer profit de ses connaissances spéciales. 

Avec la vie bourgeoise, on la rencontre partout, les 




JOUOUSTIUS 0! CSNCS«T« Vlt««S 



LES MÉTIERS 



2V7 



situations officielles exceptées : les hommes dans l'admi- 
nislralion, les femmes dans les boutiques, telle paraît être, 
en haut comme en bas, la donnée allemande. Le côté 
fonctionnaire est terrible : si la femme entrait dans l'admi- 
nistration, que deviendrait l'uniforme, et sans uniforme 
l'on sait qu'il n'y a pas de fonctionnaires ! 

Mais, en revanche, l'on ne voit pas, comme chez nous, 
le commis prendre ù la jeune fille une place qui lui serait 
si nécessaire : là, les 
femmes dominent, de 
même qu'elles servent 
partout où faire se 
peut, dans les cafés, 
dans les restaurants, 
occupant même dans 
certaines indusiries, 
— l'imprimerie pour 
en citer une, — une 
place bien plus grande 
qu'en France. 

Dans les classes ou- 
vrières la femme est 
employée à une foule 
de travaux que nous 
ne sommes pas habi- 
tués à lui voir faire. 




Que, pieds nus et 



le donnant à boire aui chevaux. 



bras nus, elle donne [c-apr*. <<« m/ju» d( /radjo-.) 

à boire aux chevaux 

de fiacres, comme cela se pratique dans les rues de Vienne ; 



•24K 



LA FEMME EN ALLEMAGNE 



soit, cela sort de l'ordinaire et n'a pour elle rien de bien 
assujettissant; tenir une seille d'eau à hauteur de main 
n'est pas plus fatigant que porter sur les épaules des 
balles d'étoffes, mais monter du plâtre, charrier des 
matériaux pour les maisons en construction, voilà qui 
nous choque nous autres Latins, d'autant plus que 
ces travauxde- 
mandent cer- 
tains efforts 
continus. Etce- 
pendant, il en 
est ainsi dans l 
toute l'Allema- 
gne, au sud . 
surtout. 

Pasunéchafaudic; 
se dresse, sans qu lu 
sitôt on n'y V0)( appi 
raître la femme, la femme 
en chemise et en jupons 
bras nus et foulard sur 
la tête, véritable bete de somme qui 
porte son poids tout comme 1 horam 
et montre même tiOU\ent plus de 
désinvolture. 

A ces particularités vient encore ' 
s'ajouter la femme colporteuse de 
journaux, canards, gravures et li- 
vraisons populaires de toutes espèces. En Allemagne, en 
effet, les journaux, au lieu d'être criés dans la rue par des 




Fig,70.— Femme de maçon. 

Taprii dei eroguit di Ealikr 




CHlFFONHllHï 



LES MÉTIERS 251 

camelots, sont colportés dans les cafés et brasseries; le 
public ne restant pas dehors il faut bien aller le chercher 
où il est, et c'est la femme qui vient offrir aux consomma- 
teurs. Horrible mégère coiffée en toute saison d'un cha- 
peau de paille et psalmodiant les titres des feuilles qu'elle 
porte, la plupart du temps, dans un panier de marché. 

En dehors de ces métiers spéciaux, la seule chose qui 
puisse intéresser, dans les classes du commun, c'est le 
costume, là où il a conservé encore quelque pittoresque, 
là oii il n'est pas un misérable accoutrement. 

A l'état de mégère la femme perd les traits distinctifs 
de la race : comme le vice, la misère a son internationa- 
lité, et si les entremetteuses portent en tous pays le même 
stigmate, les chiffonnières, usées par dix ans de crochet 
ou de sarcloir, ne sont guère plus avenantes. Mais regar- 
dez l'attifement et les accessoires du métier ! Vous verrez 
ainsi que la chiffonnière viennoise n'est point la chiffon- 
nière parisienne. Là-bas, l'osier est remplacé par une 
hotte en bois, de forme spéciale, ce que, dans les can- 
tons suisses, on appelle une brande, La cantonnière mu- 
nichoise, elle, au contraire, sous sa défroque masculine, 
se rapprocherait plus de nos balayeuses, surtout si l'on se 
rappelle les lanciers femelles du second Empire. 

Parcourez les halles et marchés d'Europe, c'est, certai- 
nement, comme coup d'oeil, ce qui se ressemble le plus et 
ce qui se rapproche le moins. Quant aux marchandes, 
marchandes à bancs ou en plein vent, si l'on en excepte 
celles qui présentent quelque particularité dans le costume 
ou la nature des objets à vendre, — et tel est le cas, 
en Allemagne, avec les rôtisseuses de saucisses ou les 




semblent former frange. 

Si on examine les métiers 
populaires au point de vue 
des types, on sera amené à 
conclure que , régulière- 
ment, certains sont l'apa- 
nage des jolies filles, tandis 
que les autres sont exercés 
par des vieilles femmes peu 
avenantes. 

Vîtes-vous jamais blan- 
chisseuse franchement 
laide? Celle-là même dont 



LA KtMME KN ALLEMAGNE 

grilleuses de harengs, — lesautres 
sont d'une navrante régularité, 
comme type et comme aspect. 

Marchandes de fruits , mar- 
chandes de fromages, marchandes 
de poissons, marchandes de vo- 
lailles, marchandes de jambons 
sont, partout, vouées à l'em- 
bonpoint et constituent l'aristo- 
cratie de la boustifaille. Et de 
même que partout se voient les 
revendeuses , de môme il y a 
les paysannes qui viennent dé- 
biter leurs produits. Telles sont 
à Munich les marchandes de gre- 
nouilles, tenant leurs batraciens 
suspendus à un bâton duquel ils 




g. 7j. — MaruliniKlp de grenouilles. 
{traprci uR nvfuii dl J, /■urJUi'n.) 




LAITIÈRE VIENNOISE 
:D.'-.-ir. a:iginHlau Uli> ilr i:. Kini.i'i 



LES HËTIERS 259 

les traits ne présentent, ni beauté, ni régularité, ne ra- 
chètf-t-el!e pas ce manque de pureté par je ne sais quoi 
de piquant et d'émoustillant! Mais à vrai dire deux villes 
surtout, Paris et Vienne, ont des blanchisseuses réputées 
pour leur sourire mutin, pour leur gentillesse, pour leur 
coquetterie. Et la blanchisseuse viennoise n'est pas seu- 
lement coquette, elle est 
pittoresque, des pieds à 
la tête, avec ses grosses 
bottines, avec ses bras 
nus. Qu'elle revienne du 
lavoir ou qu'elle se rende 
chez les pratiques, elle, 
au moins , porte son C, / 
linge d'une façon origi- 
nale. Ce ne sont ni les 
grands paniers que ba- 
lancent nonchalamment 
les apprenties , jeunes 
louchons, ni le panier 
que porte plus gracieu- 
sement sous le bras le i(.™î«. <j* i,ehi,fumc^.] 

trottin jadis si amoureusement croqué par Grévin. Rien 
de tout cela : voyez l'arsenal qu" elle a sjir son dos, ensei- 
gne vivante, armes, outils de son métier. Baquet, panier 
pour les petits accessoires de la toilette, — cols, cravates, 
dentelles, — jupons qu'on laisse pendre de chaque côté, 
pour ne point casser l'empois, et qui produisent à la marche 
comme un bruit de tôle, voilà son chargement. 

Avec cela gentiment attifée : jupe de tons clairs, petit 




Blaiicliisseuse Tiennoiie. 



236 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

tablier de soie, un ruban dans les cheveux et quelquefois 
encore la résille, la résille aux couleurs voyantes, qui eut, 
ici, son heure de succès sous le second Empire, et qui est 
restée populaire à Vienne. 

Tout à rheure, nous la retrouverons, la gente blanchis- 
seuse, au premier rang de celles qui aiment à s'amuser, 
sur ce point encore ressemblant à sa congénère parisienne. 
Il ne faudrait pas, cependant, jeter sur Thonorable corpo- 
ration un blâme immérité. Si ces filles sont aussi friandes 
de plaisir, c'est le métier qui veut ça, tout comme il porte 
à la boisson peintres et typographes. 

Après la blanchisseuse, la laitière, la laitière moins soi- 
gnée, plus fille du peuple, mais bien personnelle conmie 
type. Fichu, tablier, n'ont pas la môme élégance ; toutefois 
le foulard que la Viennoise porte sur la tête est rouge, 
son fichu est bleu, si bien que réuni au blanc du tablier, 
l'ensemble constitue un curieux drapeau français. 

Mais toutes les laitières de Prusse et d'Allemagne ne 
sont pas, non plus, celles de Vienne. Il en est beaucoup 
qui, plus simples, plus campagnardes, portent leur mar- 
chandise dans une de ces bonnes vieilles voitures à haute 
capote comme la banlieue parisienne en fournit encore 
quelques spécimens. 

Et maintenant, voulez-vous des servantes ? En certaines 
contrées, cela se trouve, véritable marchandise humaine, 
dans des marchés spéciaux, dont peintres et romanciers à 
la Auerbach nous ont fait la description : c'est presque 
de l'Allemagne classique. Ici elles sont accortes ; là-bas 
elles sentent plus le graillon que TOpéra-Comique. Ici, à 
Vienne par exemple, elles vont grossir le pubhc de cette 




BLANCHISSEUSES VIENNOIS.es 
(Deuin Bri|intl de C. K^uu.) 



LES MÉTIERS 259 

pittoresque rue aux annonces où se rencontre tout ce qui 
est à vendre, tout ce qui est à placer ; là-bas, à Berlin, elles 
ont un bureau où les bourgeoises viennent les chercher 
sous les yeux vigilants de Fautorité. 

Dans ce bureau, dont la fondation remonte à l'époque 
napoléonienne, c'est une véritable mise à l'encan. Jeunes 
et vieilles, nouvelles fraîchement débarquées de la cam- 
pagne, à l'air encore candide, ou vieux chevaux de retour, 
dragons de cuisine à l'aspect arrogant, toute la domesticité 
en disponibihté de fourneaux est là. Ecoutez les dialogues, 
suivez les enchères souvent fort nourries, auxquelles ne 
manque que le marteau d'ivoire du commissaire-priseur : 

« A 50 thalers je vous prends », dit une dame qui a 
trouvé dans cette collection la Lisbeth qui lui convient. — 
« Je vous en donne 55 », riposte une autre. — « 58 », 
reprend la première. — « 60 » , continue la disputante. Et sur 
ce, la première lâche l'enchère en lançant à sa concurrente 
cette flèche du Parthe : « Restez-en là I Je crois, d'après 
son livret de service, que vous la payez déjà un peu cher. » 

<( Vous avez souvent changé » , dit une dame à une autre 
bonne dont elle tient en main le livret. — Réponse : « Oui, 
l'on n'a pas toujours du bonheur avec ses places ». — 
Réplique de la dame: « Vous voulez dire, assurément, 
que les maîtres n'ont pas eu de chance avec vous ?» — 
« Ah I Madame », dit cette fois la fille qui arrache le livre^ 
des mains de la dame, « je vois bien que nous ne nous 
convenons pas ». 

« Avez- vous un fiancé? » demande-t-on à une autre. 
« Où avez-vous le vôtre. Madame? » réplique la dulcinée 
surprise d'une telle question. 



360 LA FEHHE EN ALLEMAGNE 

Et dans ces vastee salles oh les bonnes font réelle- 
ment tapisserie, ne croyez point que les bourgeoises 
soient les maîtresses. On leur en pose aussi, des questions, 
à elles, et quelles questions I Si la maison est grande , si 
la famille est nombreuse, si l'on mange chaud le soir, si 
l'on peut souvent sor- 
tir, et surtout, point 
capital, si l'on peut 
recevoir son fiancé 
dans la cuisine ou dans 
sa chambre ! 

Des fiancés, elles 
en ont toutes ; ce n'est 
qu'une question de 
nombre et de durée. 
Je ne parle pas du 
sexe Paris a Pitou, 
Beriin a Kutschke. 
Toujours l'uniforme ! 
N a t-on pas dit que si 
le militaire n'existait 
pas, il faudrait l'in- 

Fig. 7(. - Le lavage desfenêtres. ^«nter poUP les cuisl- 

ifl«rin d, cdi-r«, d'apnj. ™ A««™>.( aifaBonA) uiferes et Ics bonnes 
d'enfants? 

Donc, en Allemagne comme en France, le fiancé guer- 
rier est entré dans les mœurs culinaires. Messieurs du 
sabre fréquentent avec Mesdames du torchon. 

Pour finir, un tableau plus local. Dans presque toutes 
les villes a lieu régulièrement chaque printemps et chaque 




LES MÉTIEHS 301 

automne la pose et l'enlèvement des doubles fenêtres, 
seul moyen pour se garantir contre les froids violents de 
îa contrée. Or cette opération nécessite naturellement le 
nettoyage des carreaux : la Fensterwache. Pendant huit 
jours, c'est en Allemagne comme en Suisse, à Berlin comme 
à Berne, un lavage continu qui donne aux maisons un 
aspect très pittoresque. Bonnes se penchant dans tous les 
sens, se causant de fenêtre à fenêtre, souriant à leurs 
amoureux lorsqu'ils passent dans la rue, voilà le spectacle ; 
fenêtres à descendre, à laver, à reposer, voilà le travail; 
si bien que pour les ménagères c'est une semaine de 
tracas. 

Pittoresqueetcouleur locale, n'existeriez-vous plus nulle 
part, qu'on vous retrouverait encore en Allemagne ! 




Fig, 73. — Laitière. 

(Crojuii di W. Cragltr.) 



IX 



L'EDUCATION ET LE MONDE 



« Notre plus haut droit, à nous autres femmes, notre 
plus haute consécration c'est le droit de la hbre person- 
nalité, le droit de développer tout notre être sans être 
empêchées ni gênées par aucune force étrangère, le droit 
d'obéir librement aux puissances intérieures qui font l'har- 
monie de Tâme, lors même que cette harmonie peut pa- 
raître une dissonnance en face des croyances qui régnent 
dans ce monde. » 

Ainsi s'exprime la Prussienne Louise Aston, sorte de 
Georges Sand germanique, et cette profession émancipa- 
trice traduit bien « l'état d'âme » particulier aux Alle- 
mandes, je veux dire à celles qui pensent et qui cherchent. 
Plus passives et plus malléables à la fois que les femmes 
du Midi, les femmes du Nord ont de grandes prétentions 
à l'indépendance intellectuelle. Soumises à l'homme, dont 
elles reconnaissent, sans conteste, la supériorité pour 
toutes les choses de la vie pratique, elles se sont constitué 
dans le domaine de la pensée une originalité spéciale qui 



2()i LA FEMME EN ALLEMAGNE 

fait, elle aussi, partie de le Hausliçhkeity de Fintimité 
germanique. 

Toutefois, cette tendance particulière de l'esprit n*eat 
pas partout développée au même point : après la façon dont 
j'ai dé&ni les différents t}rpes, on comprendra facilement 
que les Autrichiennes et les Bavaroises soient moins iml^ 
tiées à la spéculation philosophique que les Saxonnes iàt 
les Prussiennes, ces femmes d'un pays oîi la philosophîp - 
a grandement raison d'ôtre du genre féminin. Si les Autii^- 
chiennes sont dans certaines parties de l'Empire antoriséés 
à prendre part à la nomination des députés des di&bM| . 
et des représentants delà commune, si, veux-je dire, elles ! 
peuvent émettre leur vote par le moyen d'un mandataiFe, ' 
il ne faut nullement voir dans ce fait une question d'émaiir' * 
çipation politique. Ne rentrent, en effet dans ce cas, en n& u\ 
pays où la propriété du sol est encore tout, que les tenâiih 
cières de terres nobles. Donc, simple précaution prise par 
la loi pour que tous les fiefs puissent participer àlanomiy 
nation du gouvernement local. Du reste l'Autriche n'a-t^ " 
elle pas un noble et glorieux précédent en la personne de 
Marie-Thérèse ! . 

Le degré d'instruction de la femme n'est pas. partônt- 
identique; non seulement, suivant les contrées, il est 

* ' ' ••.•a,.f 

plus ou moins grand, mais encore suivant les mœurs, 
suivant la vie locale , il est plus ou moins superfidel. 
Ici l'éducation est répandue dans toutes les classés ; , là 
elle est peu développée chez les paysannes; ici elle atteint 
A un degré très élevé, là elle se complaît dans des gêné- 
ralites. D'après M. Jules Gourdault, c'est à la Suissesse 
que reviendrait la palme. « Il y a certainement dans les 



L ÉDUCATION ET LE MONDE 265 

cantons helvétique », dit Tauteur de La Femme dans tous 
les Pays ^ « une moyenne intellectuelle et morale supérieure 
à tout ce qu'on trouve dans le reste de l'Europe . Plus 
d'une simple servante, plus d'une ouvrière a une ouverture 
d'idées et un fonds solide d'instruction qu'on chercherait 
en vain chez nos dames du monde qui s'en font le plus 
accroire. Elles aiment les luttes intellectuelles et se pas- 
sionnent pour les problèmes sociaux. Dans l'éducation, 
elles visent au solide, s'adressent à la raison et à la cons- 
cience. » 

La Prusse, la Saxe, les cantons industriels de la Suisse, 
voilà donc les trois pays germaniques oîi fleurit le bas- 
bleu, la femme vivant de spéculations philosophiques ou 
vouant son temps et sa fortune à l'éducation des masses, 
à l'amélioration des classes pauvres. C'est là aussi que se 
rencontrent les nobles esprits imbus du sentiment de la 
patrie, tout au moins de la communauté bourgeoise, qui 
laissent en mourant leur fortune à la ville où ils sont nés, 
où ils ont vécu, pour l'employer à des objets d utilité 
publique. 

Là, la femme ne recherche pas plus les spectacles brillants 
qu'elle ne tient à se montrer, à parader sous de luxueuses 
toilettes ; là, dans les moments d'isolement et d'ennui, les 
deux plus grands plaisirs sont la lecture et les travaux 
d'aiguille. Je trouve dans un intéressant ouvrage sur la 
Suisse, Les Alpes pittoresques, cette véritable perle de 
simpUcité et de bonhomie : « Il n'y a pas longtemps » — ce 
livre était écrit en 1837 — « qu'un jeune Français eut 
l'idée d'ouvrir un cours de littérature à Berne, les femmes 
s'empressèrent d'aller l'entendre, mais toutes apportèrent 



266 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

aux leçons la laine et les bas commencés ; le professeur 
s'apercevant qu'on lui prêtait moins d'attention qu'au 
tricot leur en demanda la suppression. Personne ne parut 
plus à son cours. » Petite histoire qu'on pourrait facile- 
ment intitnler : De l'influence du tricot sur l'éducation des 
masses, et qui indique bien ce qu'était alors l'esprit public 




Kig. 76. — l^scrimeuses 

iDcain de Cott-Toe. d'aprititi iUiàMlraliaiu atlanmdst.) 

dans une ville comme Berne oîi les choses de l'inlelligence 
sont surtout l'apanage d'une aristocratie de race et d'ins- 
tinct, mais simple d'allures, 

A l'opposé, comme toujours, apparaît Vienne, oîi l'édu- 
cation est exclusivement mondaine , où il existe une 



l'éducation et le monde 267 

société à la façon de Paris, oh jeunes filles et femmes du 
monde aiment à faire parler d'elles. Là brille au premier 
rang tout ce qui n'est pas admis ou, du moins, tout ce qui 
est mal vu en Allemagne. Là les personnes élégantes du 
sexe montent à cheval, conduisent, font de Teecrime. Là 
l'éducation est superficielle, conséquence logique de 
mœurs également superficielles. 

Différence caractéristique entre la race anglo-saxonne et 
la race germanique ; autant la première passionne les 
sports, recherche tout ce qui peut mettre en évidence la 
sveltesse de la taille et les opulences du corsage, aimant 
les maillots , les costumes moulés ; autant la seconde 
paraît peu favorable aux exercices qui rapprochent la 
femme de l'homme. Monter à cheval, faire de l'escrime, 
canoter, sont, pour elle, plaisirs indignes d'une femme 
bien née. Dans les distractions, dans les amusements, la 
première s'attache à ce qui est corporel, la seconde à ce 
qui est intellectuel. 

Donc, les jolies Viennoises qui sont les névrosées alle- 
mandes font belle figure le fleuret au poing et la société 
aristocratique de la capitale se glorifie de compter dans 
ses rangs plusieurs fines lames. Souvent leur modestie a 
dû être mise à l'épreuve par la façon fort immodérée dont 
on parlait d'elles. 

Mais cette aristocratie, cette crème, qui place l'éduca- 
tion, les bonnes manières, au-dessus de la solide instruc- 
tion, fonds de la société germanique, est bien allemande 
par son amour efTréné, sa passion sans bornes pour la 
musique et la danse, par la facilité avec laquelle elle peut 
engloutir café, thé, gâteaux, bonbons. Pâtisserie, danse, 



268 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

musique, les trois divinités d'outre-Rhin entre lesquelles 
les femmes partagent leurs loisirs. 

J'ai dit que la Viennoise aimait moult à rigoler. Voulez- 
vous, après son portrait physique, son portrait moral. 
Lisez : 

« La Viennoise est faite pour le plaisir, comme d'autres 
sont faites pour porter lunettes et voile bleu. Elle ne vit 
que par là et pour cela. Elle n'est pas bégueule et n'admet 
pas toutes les restrictions que nous mettons, nous autres, 
aux rapports entre lee deux sexes. Elle jouit, comme 
fenmie, de la plus grande liberté qui se puisse voir, ne se 
trouvant nullement compromise par des choses qui cons- 
titueraient à Paris un véritable scandale public. » 

Ecoutez encore : 

« A quelque monde qu'elle appartienne, on aborde une 
femme dans la rue ; elle écoute, elle répond, elle sourit. 
Elle accepte votre compagnie si vous la lui proposez, et 
vous laisse à sa porte en vous parlant de son mari qui 
l'attend et de ses enfants qu'elle adore. » 

Pinxit Albert Millaud, et ce tableau n'est pas trop exa- 
géré. 

Mélange de candeur et d'esprit indépendant poussé à 
l'excès, la Viennoise ne voit aucun mal à ces sortes de 
rencontre oîi l'imprévu et le hasard jouent un si grand 
rôle : après tout, il n'en sortira que ce qu'elle voudra bien. 
C'est, du reste, l'idée allemande. Et puis, n'est-elle pas 
maîtresse de sa personne ! 

Donc ici, partout l'on rit et l'on s'amuse ; partout danses 
et musique. La Viennoise glisse sur la terre, comme le 
jour de Léopold, ce Leopolditag si fôté, elle se laisse glis- 




CHANTEUSE DE CAFË-CONCERT EN PLEIN VENT. 
(DsuiB ori|iu] ta luit de C. Kiuu.) 



L ÉDUCATION ET LE MONDE 271 

ser à sa grande joie et pour le plus grand bonheur des 
assistants sur la cuve du couvent de Kloster-Neuburg. La 
vie n'est-elle pas une éternelle glissade, un lac sur lequel 
on doit patiner les jupes serrées, en ayant soin de ne pas 
se laisser tomber à la renverse. 

Et dans ce Wùrstel Pra- 
ter où sont baraques de 
saltimbanques, guignols du 
jeune âge et concerts im- 
provisés, que de plaisirs do 
toutes sortes ! Là fleurit en- 
core le café-concert en plein 
vent comme il existait à 
Paris sous le premier Em- 
pire, tréteau du haut du- 
quel quelque actrice popu- 
laire lance prestement les 
couplets grivois de la chan- 
son à la mode, à moins 
qu'on n'y voie jouer des 
farces qui rappellent notrt 
ancien théâtre de la foire 

En somme de toutes les 
grandes villes allemandes 

Vienne est celle où l'on vit le plus dehors, d'une vie 
facile et joyeuse. Ne croyez pas, du reste, que l'Allemande 
ait une existence cloitrée ; ce que j'ai déjà pu dire à ce 
sujet est bien la preuve du contraire. L'été, elle est tou- 
jours par monts et par vaux, ne menant pas, il est vrai, 
comme en Angleterre ou en France la grande vie de châ- 




, n - A Kl05tei Neubur^. 

{Dell de G Sieben 



272 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

teau, mais voyageant, allant aux eaux, fréquentant tous 
les établissements publics où se donnent des concerts. Si 
Thiver est quelquefois sombre et triste, Tété est donc 
un véritable carnaval, où la musique, la danse, les feux 
d'artifice, les illuminations tiennent la plus grande place. 
Ajoutez depuis 1870 une attraction nouvelle et pre8q[Qe 
permanente, les expositions régionales, nationales, qui sont 
devenues encore un prétexte à excursions en même temps 
qu'un moyen pour les Allemands des différentes contrées 
de se voir et d'apprendre à se mieux connaître. 

L'hiver, dans les familles bourgeoises, les soirées sont 
chose tout à fait intime. Une caricature de je ne sais plus 
quel artiste représente une réunion de ce genre au milieu 
de laquelle un tonneau de bière a été mis en perce. Tout 
autour, l'on danse, tandis que le piano sert à la fois d'or- 
chestre et de dépôt pour les chopes. Cela est exagéré, 
assurément ; mais sous cette forme comique, il y a bien 
une pointe de vérité. Ce sans-gêne, ce sans-façon se remar- 
quent également aux bals où les mœurs sont quelque peu 
différentes des nôtres. Entre le valseur et sa danseuse il y 
a plus [d'intimité ; lorsqu'on se plaît on se le dit, et bien 
des rendez-vous se donnent ainsi en pleine salle de bal. 

Le buffet présente, lui aussi, ses particularités. A Berlin, 
par exemple, trône la Weiss-BieTy cette bière blonde claire, 
et mousseuse avec cela, que l'on sert dans des chopes 
de forme plate et longue, un chapeau de paille moins les 
rebords ou mieux encore le fond des chapeaux de soie 
que les petits crevés avaient mis à la mode vers 1866. 
Bière spéciale, récipient original qui est bien le Pokale 
des anciens temps, sans compter que la manière de s'en 




BERLIHOIIEI KU BAL 
(CnqvUfUU ftanaidiiM, dtuli orifiDaldc Ku«.) 



l'éducation et le monde 275 

servir n'est pas non plus celle habituellement employée. 
Pour boire à ce verre Ton s'y met à deux, et souvent ainsi 
des mariages se sont décidés autour du Pokale de la 
Kùhle und Blonde y cette bière qui, au dire des Berlinois, 
dégote toutes ses sœurs, aînées ou cadettes. 

Les guerres ont ceci d'étrange, qu'une fois la boucherie 
humaine terminée, elles prennent rang dans la civilisation, 
je veux dire qu'elles exercent toujours une profonde in- 
fluence sur les mœurs des peuples, vainqueurs et vaincus. 

Avant 1870, l'intérieur allemand brillait entre tous par 
son mauvais goût, mettant au premier plan les plus affreux 
échantillons du style Premier Empire et du style Louis- 
PshiKppe. Là triomphaient, dans un noyer populaire, fau- 
teuils bien droits, chaises idem, guéridons de toutes gran- 
deurs et invariablement ronds, au pied unique ou au pied 
à trois branches, sophas rouges, ou canapés-lit en cre- 
tonne verte ; sur les meubles une sorte de voile au cro- 
chet, afin, sans doute, que l'on ne perdit rien des beautés 
de l'étoffe ni des veinures du bois, et devant les sièges 
des petits carrés de feutre, sorte de paillasson intime sem- 
blant vouloir dire à ceux qui venaient y prendre place : 
Essuyez vos pieds, s. v. p. Aux murs trônaient orgueil- 
leusement tous les spécimens de la banaUté bourgeoise : 
lithographies vulgaires, daguerréotypes, photographies, 
chromos, peintures à horloge ou à moulin. Sur la che- 
minée, sur le haut secrétaire-commode, des vases aux 
dorures ordinaires, aux peintures criardes, des fleurs en 
papier, soigneusement conservées sous globe. 

Comme niveau esthétique, c'était maigre. 

Et si je m'étends ainsi sur l'intérieur, c'est qu'il est pour 



276 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

beaucoup ce que la femme le constitue, apportant à tout 
quelque chose de son goût ou de son manque de sentiment 
artistique. 

Or, depuis 18701e changement est complet. J'ai montré 
que la femme avait pris l'initiative de l'œuvre de rénova- 
tion qui est en train de s'accomplir dans ce domaine : elle 
connaît aujourd'hui les jouissances de l'art, de la forme, 
qu'elle ignorait auparavant. 

D'aucuns, il est vrai, se basent là-dessus pour lui repro- 
cher sa trop grande tendance au luxe ; ils prononcent même 
le mot de décadence, et comme ils ne peuvent accuser les 
Français d'un tel état de choses, ils l'imputent aux che- 
mins de fer et aux bateaux à vapeur. La thèse n'est pas 
neuve, elle a été soutenue souvent dans la presse fran- 
çaise, elle est ingénieuse et même présente un certain 
fond de vérité. Mais faut-il excommunier le progrès 
parce qu'il jette la perturbation dans les mœurs an- 
ciennes? Je ne saurais le croire, et c'est pourquoi je ne 
partage pas à cet égard les idées du lieutenant-colonel 
Kœttschau dans son récent ouvrage : La prochaine Guerre. 
Mais, vraie ou fausse, cette conséquence de la guerre 
de 1870, au point de vue féminin, doit être reproduite 
ici : 

« Ce sont les chemins de fer et les bateaux à vapeur qui 
ont, en grande partie, ravi aux femmes allemandes leurs 
vertus. Tout nouveau guide des voyageurs qui parait leur 
fait connaître de nouvelles contrées, toutes plus belles que 
le- pays natal, et que toutes on ferait bien d'aller visiter 
plutôt que de s'occuper du mari. Cette fureur des voyages 
qui, entretenue surtout par nos femmes, est devenue, grâce 



l'éducation et le monde 277 

à elles, si coûteuse, cette fureur est une des maladies les 
plus graves dont souffre noire nation. » 

Les voyages, considérés jusqu'à ce jour comme un 
excellent moyen pour détruire les préjugés de race et 
d'éducation, contribueraient ainsi à mondaniscr la femme 
allemande que le lieutenant- colonel Kœttschau nous 
montre atteinte dans la simplicité de ses mœurs, au môme 
titre que M""^ de Rosen faisait le procès des jeunes Back- 
fisch. 

Cependant l'antique Germaine n'est pas encore près de 
disparaître. Pour s'en assurer, il suffit de pénétrer dans 
son intime. 




Fie- 78, - Vignette de HarbUrgor, 



X 



PARTICULARITE LOCALE : LES KAFFEEKRANZCHEN 



Dans tous les pays du monde, les hommes aiment à se 

réunir entre eux et les femmes entre elles pour causer 

de leurs affaires réciproques. Ce qui veut dire que les uns 
s'occupent, avant tout, des absents, alors que les autres 
ne disent pas positivement du bien des absentes,. occupa- 
tion fort anodine, du reste, qui n'a jamais nui à personne. 
Mais que Ton goûte comme à Paris ; que Ton s'invite à des 
five &clock tea comme en Angleterre ; que l'on ait des 
Kaff'ee-Visiten ^ des Kaffee-Gesellschaft^ à(i^ Kaff'ee-Krœnz- 
chen comme en Allemagne, la chose est partout iden- 
tique. Les langues des femmes sont faites pour marcher 
et il faut qu'elles marchent. 

Ménage, éducation des enfants, ennuis domestiques 
occupent dans ces sociétés et cercles de dames une place 
plus ou moins grande; toutefois le court dialogue que 
voici, emprunté aux Fliegende Blœiier, indique suffi- 
samment qu'on y parle aussi d'autre chose : 

« Mari. — Comment t'es-tu amusée, chère Emilie, à ton 
Kaffee d'aujourd'hui? 



280 LA rEHME EN ALLEMAGNE 

« Femme. — Pas du tout, cela a même été parfaitement 
ennuyeux. Toutes les invitées y étaient, en sorte qu'on 
n'a pu rien dire sur les absentes. » 

Les absentes ! ordre du jour permanent de ces réunions 
qui s'élèvent rarement au delà des limites d'une honnâte 
simplicité, et dont le café, suivant l'antique et solennelle 
coutume germanique, constitue le principal breuvage. Le 
café ne marche pas sans la bière et la bière ne se com- 
prend pas sans le café. Tous deux ont, du reste, fonnii 
leur part à la littérature et à l'estampe. 




Fig. 79. — Un . KftfleekHUucben » 

{ViçattU dt M. FUuhar, dan* la Flicfciidc Bl 



Mais, de même qu'il y a toutes sortes de cafés, y com- 
pris la chicorée, de même il y a toutes sortes de réunions. 
Les unes sont intimes, sans invitations dans les formes, 



PARTICULARlTfi LOCALE : KAFFEEKRXNZCHEN 281 

on jase, on lit, oa joue ; les autres sont plus Boleunelles 
et dans l' Allemagne du Sud constituent ce que l'on appelle 
des « combats ». Les unes sont populaires, les autres sont 
aristocratiques. 

En principe, il faut séparer celles qui ont lieu dans un 
domicile privé de celles qui se tiennent dans les établisse- 
ments publics, dans les Damm-Kaffee, si nombreux, et 
dont la mode vient de 
s'implanter quelque peu làÉi,!^'!?^ 
chez nous, parles débits 
de lait elles dégustations 
de café, chocolat ou thé; 
avec cette différence, 
toutefois, que là-bas, — 
c'est le cas à Munich par 
exemple, — les dames 
s'y réunissent, s'y don- 
nent rendez- vous, à cer- 
tains jours, à certaines 
heures, tandisqu'ici elles 
ne font qu'y entrer pour 
vite absorber ce qu'elles 
désirent. Les Françaises 
passant à l'état de piliers de café ! Ce serait alors le cas 
pour les hommes de rester à la maison. 

Dans certains grands établissements, cafés ou confise- 
ries, se trouvent même des salles spéciales pour les dames, 
et malheur aux représentants du sexe fort qui s'aviseraient 
d'y pénétrer. Je veux dire malheur pour eux, les dames 
qui en font le plus bel ornement n'ayant, elles, plus rien 




Fi|;. 80. — Cafâ de dames. 

{Caricature dtt Fli'gende Blnllcr.) 



282 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

à craiiuire, tandis que les hommes pourraient en conBer- 
ver un mauvais souvenir. 
Celles qui se réunissent ainsi dans les confiseries, absor^ 




Fig. SI. — A ]& conflsene. 

[Flieçaide Btatler.) 

H. B. _ Au-dessous de cette caricature, se lit la légende snirante, si 
bien que rillustration sert de comparaison au texte : 

Lb atmciir. — Mangiir Troid et boire froid sont, je vous le répète, cIhxm 
absolument sain«s. 

Le MALitDi. — Pardon l donnes-moi un exempte. 

Li MtosciH. — Eh bien! Altei seulement dans une conQserie. Là voua ren> 
contreres les pljs vieillei batla ' qui, cbaquo jour, mangent des glkces. 



' Vieilles boites {aile Sckachtein), c'est ainsi qu'en Allemagne od appelle 
les vieilles femmes, spécialement les grotesques et celles qui sont d'une 
laideur repoussante. 



PARTICULARITÉ LOCALE : KAFFEEKH,eNZCHEN 285 

bant glaces et force gâteaux, sont, en général, des vieilles 
filles, retraitées de toute espèce, préférant les donires 
banales de la Condiiorei aux murs froids de leur chambre 
peu garnie. G.e sont elles qu'un dessinateur éminemment 
humoristiquç des Fliegende Blœlter, dont le nom est 



Fg S2 — V e lies llllea prenanl leur café. 
[DBprètwt tarieatiiTe.) 

venu souvent soUh ma plume Oberlœnder, a voulu carica- 
turer dans une amusante \ignette qui a môme servi de 
prétexte a une légende assez philosophique, dialogue entre 
un médecin et son malade. 

IVfais laissons cela, laissons également les habituées des 
cuisines à café populaires, et il s'en trouve à Munich 



286 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

jusque dans les caves, tout comme les brasseries , pour 
revenir à nos Kaffeekrœnzchen de la bourgeoisie. 

Dans les « combats », le suprême du genre, on combat 
à la fois, et pour le rang, et pour les armées de sucreries, 
qui s'alignent sur la table préparée avec soin par la msd- 
tresse de la maison. 

Pour les grands «combats », auxquels prennent part 
quarante à cinquante « combattantes » , Ton invite le ban et 
Tarrière-ban des connaissances. Intimes ou non intimes, 
tout est pêle-mêle ; la réserve elle-même a donné. 

Le rang ! c'est là qu'on peut voir l'importance dont il 
jouit dans cette société féodale. Et les Von et les Excel- 
lenz! Titres pompeux, comme les personnages, mais dont 
l'influence est réelle. 

Savez-vous bien que le « combat » ne saurait commen- 
cer avant que M™® la Présidente ou M™® la Générale ne 
soit arrivée ; savez-vous bien qu'il s'agit de ne pas 
commettre d'erreur dans le placement des invitées, sur- 
tout au sujet de la fameuse place d'honneur sur le sopha^ 
ce sopha, pauvre et modeste canapé souvent, auquel 
toutes aspirent, auquel peu atteignent? Beaucoup d'appe- 
lées , peu d'élues ! Mais quelle grave question , et que 
d'adresse la maîtresse de la maison doit montrer en cette 
occurrence I 

Donc après beaucoup d'hésitations et de compliments ; 
après des Achl Ich bitte j des Aber^ gnœdige Frau, des 
Grosser Gott^ des Aber dochy — toutes exclamations qui 
demandent certaine intonation spéciale pour conserver 
leur saveur, — les dames occupent enfin leurs places res- 
pectives , YExcellenz sur le sopha. Voulez-vous pénétrer 






I- !:l 




.SLA 





Fig. S3. — Le cercle des jciueuses de quilles. 
(IMaolon BMdtroa dt dinei, d'iprti ubc cicicilin di* Fliegault BlmUir, 



288 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

dans le local? On y jase, sans doute ; non point, le silence 
est même inquiétant, car tous les yeux sont fixés sur le 
tricotage ou quelque autre ouvrage à aiguille. Les plus 
courageuses des « combattantes » se hasardent à examiner 
les toilettes, tandis que les plus gourmandes attaquent les 
friandises et bientôt on n'entend plus que le cliquetis 
des tases et des cuillers répondant au cliquetis des ai- 
guilles à tricoter. 

Peu à peu le silence se rompt, la conversation s'anime. 
Si Ton est dans le Nord, à Berlin, on se complimente 
sur les toilettes. Dans le Sud, à Munich, on n'oserait pas, 
ce serait mal vu. Toutefois, des groupes se forment, des 
amies qui se sont rencontrées là, par hasard, causent à 
mi-voix, se racontant mille cancans et surtout s'amusant 
aux dépens des autres invitées. 

Mais que la maîtresse de la maison engage les plus 
musiciennes à produire leur talent; dès qu'on entendra 
les premiers accords de quelque mazurka sentimentale de 
Chopin ou d'une romance éthérée de Mendelssohn , les 
conversations... se tairont, allez vous dire... non point, 
s'animeront, parce qu'on n'a plus la crainte d'être enten- 
due d'une voisine inconnue, toujours trop curieuse. 

Trémoussements, exclamations, petits cris, protestations, 
titres lancés avec sonorité, le tout agrémenté de : 

Vraiment ! 

Toutefois ! 

Mais si, je vous assure ! 

Cela ne peut pas être I 

Excellence ! 

Baronne I 



PARTICULARITÉ LOCALE l KAFFEEKR.ENZC HEN 289 

Comtesse ! 

Très vénérée chanoînesse ! 

sainte musique que de crimes on commet sous ta 
bruyante égide ! Au théâtre tu dois servir à voiler, à 
étouffer les crudités du livret, afin que les preudes jeu- 
nesses soient censées n'avoir rien entendu, et ici, aux 
Kaffeekrœnzcheriy tu contribues à permettre Téreintement 
du prochain. 

Le «combat» a pris fin, il faut s'en aller. Alors l'étiquette, 
un instant délaissée, reprend ses droits. Les dames de c&- 
Hnction^ les plus Hochwohlgeborene Gnœdige Frau donnent 
le signal du départ et les adieux commencent. Mais qui 
sortira la première, qui aura Tinsigne honneur de mon- 
trer le chemin. Moment critique et souvent de longue 
durée, s'il faut traverser plusieurs pièces, car à chaque 
porte la petite scène se renouvelle. Chapitre nouveau à 
ajouter au Roman Comique , instant solennel durant lequel 
M™® la Conseillère de justice. M"™® la Conseillère privée, 
M™® la Conseillère consistoriale, M™^ la Conseillère d'in- 
tendance, M"™Ma Générale, M^^Ma Chanoinesse, M"™Ma 
Baronne, font assaut d'amabilité et de connaissances du 
droit féodal. 

Enfin, Ton s'est décidé à sortir et l'on est rentré chez 
soi. Vous croyez l'affaire finie. Détrompez-vous. Pendant 
plusieurs jours ces très gracieuses, très bien nées, très 
honorables dames seront tourmentées par l'idée qu'elles 
ont pu dire quelque chose que M™® la Générale ou M"*® la 
Présidente aura mal interprété. 

Et cependant, le « combat w est dans certaines villes 
la plus grande distraction que se puissent procurer les 

Î3 



290 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

dames. Pourquoi faut-il donc que ta hiérarchie vienne 
ainsi troubler leur bonheur I 

En somme, la femme allemande a une tendance particu- 
lière à l'association. Tout en tricotant, eu buvant son café, 
en engouffrant des friandises, elle aime à former des 
« coteries », coteries de rang ou de profession, coterie du 
haut, coterie du bas, réunion de ci, réunion de ça. Quel- 
que chose comme les réunions de nosarrjère-grand'mères 
dans les anciennes villes de province ! 

C'est là une des formes spéciales de l'émancipation ger- 
manique, émancipation qui va grandissant et gagnant nos 
contrées, qui a créé des clubs d'alpinistes femmes, qui 
demain organisera des Kegelbakn féminins — jeux de 
quilles — comme le dessinateur des Flîegende Blœtter 
s'est plu à nous en montrer un. 

Kaffeekrœnzchen à ^la fois naïfs et comiques, vous 
êtes moins dangereux que les momtrances parées de dos 
élégantes : celles-là ne font pas rire, mais bien frémir. 




Fig. 84. — Vignette de Groe1«r. 



XI 



PARTICULARITES DU DEMI-MONDE 



Voulez-vous connaître les particularités de la prostitu- 
tion allemande? Ouvrez les rapports, pétitions, notes, 
documents divers qui constituent tout un dossier du vice, 
les mauvaises mœurs ayant sur les autres cette supériorité 
que sans cesse on s'occupe d'elles. Vous verrez ainsi qu'à 
Hambourg, les marchandages les plus honteux se font en 
plein Dôme, qu'à Brunswick, qu'à Hanovre existent des 
filles de bon ton et du haut genre pour messieurs de la 
noblesse; qu'à Leipzig, en temps de foire, ce sont de véri- 
tables arrivages de chair humaine, comme à Constance, 
autrefois, pendant la durée du Concile, comme à Nice, 
aujourd'hui, durant la saison des étrangers ; qu'à Breslau, 
Âltona, le commerce des livres et des gravures obscènes 
s'exerce sur une vaste échelle par des officines de colpor- 
tage; qu'à Magdebourg, il n'y a pas une rue, peut-être 
pas une maison qui ne soit fasile de filles perdues ou de 
racoleurs^ — ce sont les termes, exagérés assurément, 
d'une pétition au Reichstag pour la répression du vice, — 
qu'à Berlin enfin, les raisons qui poussent à l'immorahté 



202 L\ FEMME EN ALLEMAGNE 

sont les mômes que dans toute grande ville, Paris ou 
Londres. 

La Suisse n'avait-elle pas, tout récemment encore, dans 
sa capitale, des bains garnis, — souvenir du moyen âge, 
— et à partir de Vienne, ne se trouve-t-on pas, toujours, 
dans la contrée des liis garnis à volonté. 

S'il me fallait esquisser à nouveau le caractère de la pros- 
titution germanique, je la diviserai ainsi en trois groupes: 

Allemagne du Nord : basse prostitution. 

Allemagne du Centre et du Sud : prostitution amou- 
reuse. 

Autriche : prostitution élégante, 
étant donné, bien entendu, qu'il s'agit de considérer, non 
pas la fille ambulante, exerçant son métier n'importe où, 
mais la fille qui tient au sol, qui présente, au physique, le 
caractère de la race. 

Ainsi, une servante de brasserie, une Kellnerùty ne 
sera pas à Nuremberg ce qu'elle est à Magdebourg ou à 
Breslau. A Nuremberg, le fait d'avoir un schatz ne l'em- 
pêchera pas, quand même, d'afficher une honnêteté rela- 
tive : amoureuse, oui, trafiquante de son corps, non. Dans 
les autres villes, elle sera, au contraire, purement et sim- 
plement une fille. Lisez plutôt les lignes suivantes ex- 
traites d'un rapport officiel : 

« Quand un hôtelier, un cafetier ou un Uquoriste voient 
que leur clientèle devient plus rare, et lorsqu'ils soup- 
çonnent tant soit peu que leur commerce baisse, ils se 
débarrassent bien vite de leur personnel, engagent des 
filles connues pour la légèreté de leurs mœurs et leurs 
manières agaçantes, afin de remonter leur maison. » 




FANTAISIE DE BOUCOIR. 
{UttHa de n. naLin>, dui ]« ni'-iin- Cari 



PARTICULARITÉS DU DEMI-MONDE 295 

Femme-amorce, voilà donc ce que devient au Nord 
l'amoureuse Gretchen du Sud. En fermant tous les éta- 
blissements où les filles de cette espèce exercent leur 
métier, — ainsi qu'elle vient de le faire par un récent 
arrêté, — la police berlinoise a donné un exemple qui 
pourrait être suivi partout avec avantage. Certains germa- 
nophobes de la presse stipendiée ont, il est vrai, conclu à 
Timpossibilité de rencontrer des vierges dans la cité de la 
Sprée. Que ne proposaient-ils de remplacer ces filles par 
les honnêtes Jeanne Darc qui peuplent nos brasseries et 
donnent aux jeunes gens des exemples si touchants de 
vertu et de désintéressement ! 

Autre aspect de la prostitution germanique : la grisette, 
je veux dire la jeune fille qui fréquente les atehers de 
couture, de modes, de fleurs, se contentant d'un amou- 
reux avec lequel elle puisse gaiement passer le temps,» 
n'existe qu'à Berlin et à Vienne et se présente dans ces 
deux villes sous un aspect tout difi'érent. A Berlin elle 
est encore simple de goûts: un petit thé intime, une partie 
de campagne, il ne lui en faut pas plus ; quelque chose 
comme la grisette idéale chantée par Mûrger. A Vienne 
elle veut briller, cherche à faire montre de ce qu'elle pos- 
sède, a la passion du théâtre et des bals. C'est plus mo- 
derne. 

Lors de son voyage dans cette capitale, Albert Millaud 
définissait ainsi la grisette autrichienne : 

a Les élégantes boutiques », écrivait-il, « sont peuplées 
de jeunes filles, simplement vêtues, fraîches, modestes, ré- 
servées. Elles tiennent les livres, font l'article, séduisent le 
client. Le soir, vous rencontrez une femme en robe de 



296 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

soie à traîne, au chapeau monumental sur le front, gantée 
de blaâc, effrontée, se trémoussant au son de la musique 
et vous reconnaissez la jeune boutiquière du matin; Elle 
est transformée, elle est devenue cocotte, mais elle est 
grisette. 

« Elle aime les bijoux, le luxe, et va où elle sait qu'elle 
en pourra trouver. Je ne sais pas comment elle s'arrange 
avec sa famille, comment elle leur explique sa conduite, 
mais elle est et demeure absolument libre. » 

Comment elle s'arrange, la chose est bien simple! A 
Vienne, ville d'amour, on ne vous blâmera jamais d'avoir 
des amoureux, de rechercher Thomme, on vous deman- 
dera seulement de cacher cela derrière une situation 
avouable. Exercez-vous un métier, personne ne saurait 
vous critiquer. On travaille pour vivre ; on fait l'amour 
.pour avoir le superflu. 

Toutefois, il ne faudrait point voir que des grisettes 
dans les cocottes des deux capitales. A côté de cet animal 
antédiluvien, moitié chair, moitié poisson, se trouve une 
ample provision de filles. Celles-ci, il est vrai, ne pré- 
sentent aucune particularité ; elles procèdent comme toutes 
leurs congénères, dans tous les pays du monde, ten- 
dant leurs filets partout où faire se peut, accaparant fe- 
nêtres, rues, théâtre, promenades publiques, galeries cou- 
vertes. 

La fenêtre, c'est l'a i c du métier, dans cette langue 
universelle du vice où les signes jouent un si grand rôle. 
Or, à Vienne et dans l'Allemagne méridionale, le cadre se 
prête plus ou moins à cette exhibition, par suite de cer- 
taines particularités architecturales. Comme en Italie, beau- 




COCOTTES VIENNOISES 



PARTICULARITÉS DU DEMI-MONDE 299 

coup de maisons sont ornées de statuettes de saints et de 
saintes, en sorte qu'il n'est pas rare de voir une tête de 
cocotte apparaître aux côtés d'un Christ ou d'une sainte 
Vierge. Contraste pour le moins pittoresque, là où, à la 
façon de l'ancienne Rome, un dieu Priape serait certaine- 
ment mieux en place. 

Quant à la prostitution s'exerçant sous des commerces 
déguisés, si elle diffère des autres, ce n'est que par les 
enseignes qui l'abritent. En dehors des gantières, parfu- 
meuses, lingères, — spécialité universelle, — il faut pla- 
cer, au premier rang, les marchandes de tabac, dont la 
véritable profession est indiquée par un rideau rouge ser- 
vant de portière à l'arrière-boutique, les Condiiorei, les 
Delicatessen-Salon où les gens bien, — à Paris, on dirait 
les messieurs décorés, — viennent faire de petits soupers 
au Champagne, servis par de jolies filles. Vous rappelez- 
vous certaines boutiques à dégustation de vins fins ouvertes 
à Paris sous le second Empire? Si oui, vous aurez une 
idée exacte des Delicatessen-Salon de Berlin. 

Du costume je ne dirai rien. Mais si l'on veut savoir 
combien la fille affectionne les couleurs criardes, c'est à 
Hambourg qu'il faut aller, à Hambourg où dans les rues 
consacrées aux vendeuses d'amour ce ne sont, sur les 
portes entrebâillées, que filles vêtues de toilettes écla- 
tantes, — velours grenat, soie verte, satin bleu, — et 
perchées sur leurs hauts talons comme de véritables pou- 
pées. Au reste, dans cette ville unique, la réclame humaine 
paraît avoir été élevée à la hauteur d'une institution. Au 
seuil des restaurants, des brasseries, affluant de toutes 
parts, se tiennent d'élégantes et pittoresques servantes, 



LA FEMME EN ALLEMAGNE 



au corsage ouvert, à la jupe courte, au sourire nrovoca- 
leur, appelant, invitant le client. 

Nulle part, en Franc?, dans le demi-monde, le décolle- 




Fig. 85- — Delicatessen-SalOD. 

[Dtêiin orisinat d* Mort,) 



tage n'est aussi général qu'en Allemagne. Dans certains 
bals publics, c'est même le costume ofBciel des PiAanle 
Dameti qui viennent avec des Qeurs dans les cheveu:^ 



PARTICULARITÉS DU DEMI-MONDE 303 

comme à quelque honnête soirée bourgeoise. Aux jours de 
fête, les filles de brasserie ne servent-elles pas le client 
en jupon court, en corsage échancré ! 

Dans les cirques, dans les cafés-concerts, dans les 
théâtres de bas étage, dans les bals pubHcs, c'est un dé- 
colle tage, un ensemble canaille dont rien ne saurait appro- 
cher. Uécuyère sur son cheval, les mains entre les cuisses, 
se laisse aller à des poses d'une vulgarité inouïe; la chan- 
teuse relève ses jupes d'une façon outrageante, et la dan- 
seuse lève la jambe dans le môme style. 

Très particulier, le spectacle d'une salle de bal public, 
avec tous ces bras nus, toutes ces poilrines décolletées, 
chair le plus souvent rouge, émergeant d'un ensemble de 
toilettes claires. 

Décrire les bals, les concerts, les établissements où l'on 
s'amuse ne rentre point dans le cadre de ces études. Qu'ils 
s'appellent Orpheurrij Colosseum, Flora, peu importe : un 
seul point présente un réel intérêt, c'est de savoir la ma- 
nière dont on y danse, comment on y interprète le cancan 
baptisé par les Allemands, « danse nationale française». 
Ici, entre Vienne et Berlin, la différence est grande. La 
capitale du nouvel Empire n'a rien que l'on puisse com- 
parer au célèbre bal des blanchisseuses viennoises qui 
attire, à certains jours, toutes les notabilités masculines 
de la capitale austro-hongroise; qui est quelque chose 
comme Mabille lors de l'Exposition de 1867. Type d'élé- 
gance populaire et de volupté raffinée, la blanchisseuse 
que nous retrouvons, avec ses hautes bottines, avec ses bas 
à raies, avec sa jupe de couleur claire, danse plus amoureu- 
sement que matériellement. Elle danse, elle ne chahute 



LA FEMME EN ALLEMAGNE 



pas; j'iQsiste sur ce point qui constitue une manière à 
part dans la façon de concevoir l'idée dansante. 
A côté des habituées des bals publics de Berlin et des 




fig. S6. — C(KOtl« dansant le cancan. 
[Vignette dt B. Datlen.) 



grandes villes du Nord, la blanchisseuse viennoise est 
presque distinguée. C'est la gaieté, le rire , la folie, la 




Fig. 87. - Cancan allemand, 

^Cl^aqalÊ dt Bcnri Louac.) 



308 LA FEMME EN ALLEMAGNE 

bottÏDe frappant fiévreusement le plancher, en attendant 
de tournoyer follement aux accords de la valse. Et quelle 
valse que cette danse nationale, si rythmée, si volup- 
tueuse I Ici, ce n'est point un accessoire, une affaire de 
convention qui sert à cacher autre chose, c'est le plaisir 




Fig. SS. — Cancan allemand. 

ICroquii dt B. LauoK.) 

dans toute son acception, le plaisir que l'on vient chercher 
et qu'on veut avoir. 

A Berlin pas d'illusions. Avec ce cancao agrémenté de 
sauts, de trémoussements, de trépignements, tous plus 
expressifs les uns que les autres, on se figure toujours 



-/ I 




sou PEU SE. 

(Pcidn ori^nil dt C. 1!«un,1 



PARTICULARITÉS DU DEMI-MONDE 314^ 

être à quelque bal du quartier de TÉcole-Militaîre. Mais 
quel alourdissement : la liberté, la facilité du geste, font 
place à une sorte de réglementation, il y a là une cadence, 
une mesure, qui enlèvent toute fantaisie et qui substituent 
au cancan échevelé de l'école française une véritable 
danse à la prussienne. Les Allemandes danseuses de bals 
publics mettent en pratique ce que les Allemands obser- 
vateurs appellent la danse àvL portez arme l ou du fusil 
en rair ! 

Gomme dans les curieux croquis d'Henri Lossow, on 
suit tous les mouvements précis et saccadés de la Abjx- 
sense : Prenez Jupe ^ saisissez jupe ^ relevez jupe^ tournez Jupe^ 
levez Jambe. Et j'ajoute que la plupart des femmes ont 
l'air d'avoir sur elles des vêtements d'emprunt, tant elles 
paraissent peu habiles à se relever. 

N'allez point croire, pour cela, que les danses soient 
plus sévères, plus décentes. Dès l'instant qu'on vient 
um sich zu amusiren, il faut bien voir des choses pikanten. 

En ces endroits, ne se promènent ni les mères de fa- 
mille, ni les enfants; peu importe donc aux gens paisibles 
qu'on lève plus ou moins la jambe, qu'on montre plus ou 
moins le fruit défendu. 

Dans sa série de croquis, Lossow a donné la dernière 
note de Véchevelement : la danseuse mettant au grand jour 
ce que cachent d'ordinaire les inexpressibles. Sans pous- 
ser jusque là l'amour de la nature, bien des femmes laissent 
entrevoir, en dansant, un bout de chair et il n'en faut pas 
plus pour piquer au vif la curiosité des spectateurs. 

Ainsi triomphe la matérialité germanique, cherchant 
encore plus à accentuer qu'à atténuer, sachant que la 



LA FEHHE EN ALLEHACNE 



chair est l'objet visé et qu'on peut, h cet égard, se 
pennettre toutes les licences. Plus haut, encore plus kautt 
ToiU la devise qui serait te mieux en place & l'entrée 
des tigl-tangl berlinois, dignes émules sur ce point des 
bastringues parisiens, 




F\g. S9, — U Fée aux baisera. 

iDtuin de itari.) 



XII 



DE QUELQUES CARICATURES DE MODES 



La tournure, voilà renncmi, rennemi soigneusement 
entretenu dans la Babylone moderne pour monter à Tas- 
saut de la chaste Allemagne, de ses modes simples, enne- 
mies des falbalas et des faux atours (sic). 

La tournure, elle vient d'être ridiculisée dans les rues de 
Pesth, promenée sur le dos d'innocents caniches ; la tour- 
nure, n'est-ce pas elle qui, cul de Paris immense, appa- 
raissait sur les fresques caricaturales des artistes berlinois 
au centenaire de l'Académie des Beaux-Arts, enfournant 
tout sous elle, cachant dans ses ressorts tous les vices de 
la terre ? 

Assurément, ce reposoir, ce strapontin, cette chaise à 

porteur — au fond modeste remplaçant de vertus 

absentes, — ne méritait ni cet excès d'honneur ni cette 
indignité. 

Mais, d'une part, il est bon de rire des exagérations de 
la mode, — et, il faut le reconnaître, ce sont les Alle- 
mands qui reprennent la grande tradition comique du 
;Lvra* siècle, vr^iisemblablement perdue pour nous, puisque 



314 



LA FEMME EN ALLEMAGNE 



pas une seule, pas une vraie caricature humoristique contre 
cet appendice de crin n'est sortie du crayon de nos dessina- 
teurs, — et, d'autre part, il est fort curieux d'observer 
que cette antipathie germanique pour la tournure est 
semblable à celle qui s'était manifestée, sous le second 
Empire, à l'égard de la crinoline et qu'elle se produit de 
la même façon * . 

La tournure, c'est l'invention diabolique du Français 












Fig. 90. — De quoi se composent souvent les touruures. 

{Caricature des Fliegendc Blctter.) 

qui éprouve toujours le besoin d'encager d'une manière 
quelconque le corps de la femme, et alors, comme on a 
fait de l'Empire le règne de la crinoline, on incarne déjà 
la troisième République dans un postérieur factice, dans 



* U n'est peut-être pas sans intérêt de rappeler ici qu'à Hanau (West- 
phalie), les dames avaient formé un cercle qui décida la complète 
abolition de la crinoline pour toutes les femmes âgées de moins de 
trente ans. 



DE QUELQUES CARICATURES DE MODES 3t9 

\e culde Paris. Car, il faut le répéter, c'est ainsi que la 
tournure a été baptisée de l'autre côté du Rhin, c'est ainsi 
que les écriteaux l'annoncent dans les boutiques. 

Voyez ce qu'on en fait dans les vignettes humoristiques 
dont les artistes des Fliegende Blœtter ont, comme tou- 
jours, la spécialité. 




-m 




Pfe- 


h. 


FJg91. 


— Uniî méprise 


aturetlp. 




r.alur. 


de BrcAiltin, Flii' 


Qt.de BlcLIOr.) 





Que de choses pratiques, meilleur marché, contribuant 
tout autant à la rondeur recherchée, par quoi les ména- 
gères allemandes pourront la remplacer ! Inclinons-nous, 
c'est du bon comique, et si le rire tuait encore à notre 
époque oîi le ridicule est passé maître souverain, la tour- 
nure serait renversée de son piédestal. 



316 



LA FEMME EN ALLEHAG^E 



. VouIez-vou8 mieux? Un dessinateur, Beclistein, dont les 
idées sont quelquefois de véritables trouvailles, Bechstein, 
qui avait déjd montré les similitudes existant entre une 
jeune fille aux épaules rehaussées, engoncées, et une 
chaise moyen &ge, a, cette fois, transformé six élégantes 
pschuttemes en divan de Salon de peinture. Ici la res- 
semblance est encore plus parfaite, nous avons la tour- 
nure banquette. 

Enfin un autre dessinateur, au crayon plus fm, plus 
élégant, Schlittgcn, tout imbu de modernisme parisien, a 
fait de cette malheu- 
reuse l'objet d'un vé- 
ritable drame de la 
toilette. 

Ces quelques cari- 
catures, — appendice , 
ei l'on veut, à un de 
mes précédents ouvra- 
ges, — ont-elles besoin 
^ d'être expliquées plus 
''^' amplement, je ne le 
V pense pas ! Mais elles 
devEiient figurer ici à 
cause de la portée 
philosophique donnée 
par les Allemands à 
cette campagne contre une mode étrangère. 

Eux qui protestèrent si souvent contre les arbres tail- 
lés à la Louis XIV, contre « le martyre infligé à la nature», 
ont, dans le Nord principalement, des içlées arrêtées ei| 




Fig. 92 — Un serviteur Irop zélé. 
(Vifnetle d« SMillfoi,) 




PIKAHTER CONTRAST. 



DE 0"EI-QrKS CARICATURES DE MODES 319 

fait de toilette. Il y a des femmes, des Jœgcr du beau sexe 
qui cherchent pour la Germaine ce que le vrai Jaeger 
a trouvé pour les hommes, un costume national, c'est-à- 
dire simple et commode. 

E^t-ce à dire que toutes les Allemandes présentent, 
vues de ce côté, les platitudes que Mars, — quelquefois 
excellent observateur, — s'est plu ici à opposer aux roton- 
dités du voisin, assurément non. Mais leur tendance 
serait plutôt à la ligne droîle que vers une exagération 
contraire. La tournure, 
comme les bas de cou- 
leur, comme les petites 
cravates, comme les plas- 
trons, comme les cols- 
cocher sind noch tiicht 
mode, — ne sont pas 
encore partout à lamodo. 
Ces élégances, ces raffi- 
nements du costumesont 
même quelquefois mal 
vus de la fenmie du 
Nord : pour elle ce sont 
suppôts de Satan et livrée 
du vice. 

Quoi d'étonnant, .si 
l'on veut se souvenir que 
sous le second Empire, la femme française, — je parle de la 
femme honnête, — avait résisté pendant longtemps à ces 
envahissements, qu'elle gardait ses bas blancs bien tirés, 
des jupons de dessous en couleur et des corsets en coutil. 




r irop ïéli''. 



330 LA FEMHE EN ALLEMAGNE 

Il a fallu ces dernières années, une corruption encore 
plus grande, un luxe plus effréné que jamais, pour faire 
passer sous le joug de la livrée pschtUUuse, en hant 
comme en bas, en-dessous comme en-dessus, la femme 
honnête de la nouvelle génération. 

Tant pis pour nous 1 Mais la caricature, elle, ne perd 
jamais ses droits et le devoir du philosophe, de l'historien 
est de la saisir au passage. En voyant la tournure tombée 
de ses hauteurs, on pourrait inscrire ici : Emploi pour les 
petits chiens de ces dames. 

Pour ce que rire est le propre de l'homme et porter l'of- 
fice du caniche. 




TABLE DES MATIÈRES 



PRÉFACK 



LIVRE 1 

LA PKMMK ALLEMANDE. — CE QU'eLLE EST. — CE QUE LES ALLEMANDS KN PKNSKNT. 

COMMENT ILS l'lNTER PRETENT PAR LE CRAYON 

I. — Allemande et Française 3 

H. — L'amour et les femmes au xvhi« siècle 17 

in. — La jeune fille 35 

IV. — La femme 59 

V. — Sentiments et appétits des Allemands, au point de vue fé- 

minin 77 

VL— La fille 87 

VIL — Façon dont les artistes allemands interprètent la femme, 

le déshabillé et le nu . , , 107 



LIVRE II 

LES CLASSES SOCIALES. — LES TYPES. — PARTlCULARirés DE LA VIE 

ET DES MŒURS 

I. — Les classes sociales 143 

II. — Princesses et grandes dames 149 

m. — La femme dans la noblesse pauvre 157 

25 



i 
i 



32â TABLE DES MATIÈRES 

IV. — La Juive 167 

V. — De quelques autres femmes : le bas-bleu, l'actrice ... 173 

VL —Les types 183 

VII. — Les types des campagnes 219 

Vm. — Les métiers 241 

IX. — L'éducation et le monde 263 

X. — Particularité locale : les Kafreekrœnzchen 279 

XI. — Particularités du demi-monde 291 

Xn. — De quelques caricatures de modes 313 



^^^^0^^^^'*0^^^^^0*0^0^0*0^0*^^t^^»^*^^^*^'''^^^ 



TABLK DES ILLUSTRATIONS 



I. — PLANCHES TIRÉES HORS TEXTE 

1. Allkmande. Dessin original à la mine de plomb, par Henri 

Lossow, eau-fort(î de Henri Lefort. Frontispice, 

II. Sck.NK d'intérieur dans une maison de PATRiaENS, AU MOMENT DU 

DÉPART DES CONFÉDÉRÉS SUISSES. Dessin dc Gabriel Schachinger 
planche double) 11 

III. Servante munichoise. D'après une composition en couleur de 

Fritz-August von Kaulbach 97 

IV. Allemande. Dessin original à la mine de plomb, par Henri 

Lossow, eau-forte de Henri Lefort 144 

V. Batelière sur le lac de Brientz (Suisse). Composition en cou- 

leur d'Auguste Viollier 224 

VI. Munichoise. Dessin au crayon, mélangé de fusain, de Hugo von 

Haberniann 264 

IL - GRAVURES DE PAGE 

1. Allemande moyen âge, d'après un dessin de C.-E. Doepler. . 5 

2. La reine Louise peu après son mariage, d'après une estampe 

de 1807 31 

3. Jeune fille préparant la table, dessin original de Mars ... 37 

4. Fiancés chez le photographe, dessin original de Mars (en cou- 

leur) 41 

5. A l'école de cuisine, dessin original de Mars 45 

6. Une brasserie près de Munich, le jour de Tapparition du 

« Salvator-Bier », d'après un dessin de Stauber 63 

7. Allemande à la promenade, dessin original de Mars .... 69 

8. Au salon de lecture, dessin original de Mars 73 

9. Cocottes viennoises, dessin original de G. Karger gi 



324 TABLE DES ILLUSTRATIONS 

40. Belles-Petites à Wiesbaden, dessin de Coll-Toc 95 

41. Types de la rue : Bouquetière, dessin original de C. Karger . 99 

42. Types de la rue : Ouvrière, dessin au lavis de C. Karger. . . 103 

43. La joueuse de guitare, d'après un tableau de Seifert.' ... 113 

44. Temps d'avril, d'après un dessin de Knut Ekwall . . . . . 121 

45. Tète d'Allemande, diaprés un dessin de Wehlc 125 

46. Pschutt 1 diaprés un pastel de Piglhein 437 

47. Femme de l'aristocratie viennoise, lavis original de C. Karger. 151 

48. Femme du patriciat, lavis original de G. Karger 163 

49. Actrice, dessin original de G. Karger 181 

20. A une première, d'après un dessin de Schachinger .... 193 

24. Femme de chambre, dessin original de G. Karger 497 

22. Munichoise, dessin original (crayon, fusain et gouache] de 

H. von Habermann 202 

23. Munichoise, dessin original de Hugo von Habermann (mêmes 

procédés) 203 

24. Gocotte viennoise se rendant au Prater, lavis original de C. Karger 207 

25. Femme d'artisan, lavis original de C. Karger 211 

26. Blanchisseuse viennoise, lavis original de G. Karger .... 215 

27. Paysanne de la Bavière, d'après un dessin de Defrcgger. . . 221 

28. Femme du gran<I-duché de Bade, d'après un dessin de Wehle. 225 

29. Brodeuses d'Appenzell, fusain original d'Auguste VioUier . . 229 

30. Nourrice hongroise, lavis original de G. Karger 233 

31. La voiture de la fiancée, d'après un dessin de Sond^Tmann. . 237 

32. Bouquetière de concert à Vienne, dessin original de Mars . . 245 

33. Ghiffonnière, dessin original de G. Karger 240 

34. Laitière viennoise, lavis original de G. Karger 253 

35. Blanchisseuses viennoises, dessin original de G. Karger . . . 257 

36. Ghanteuse de café-concert à Vienne, lavis original de G. Karger. 269 

37. Berlinoises au bal, dessin original de Mars 273 

38. Guisine à café à Munich, d'après un dessin de Puschkin. . . 283 

39. Fantaisie de boudoir, d'après un dessin de Roland .... 293 

40. Gocottes viennoises, dessin original de G. Karger 297 

44. Ghez Kroll à Berlin, dessin original de Mars . 301 

42. Blanchisseuse viennoise au bal, lavis original de G. Karger. . 305 

43. Soupeuse, dessin original de G. Karger 309 

44. Pikanter contrast 317 

IIL — ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE 

4. Femmes célèbres d'autrefois et d'aujourd'hui i 

2. Vignette de Ghodowiecki vi 



TABLE DES ILLUSTRATIONS 325 

3. Femmes de la Silésie prussienne 3 

4. Vignette de Chodowiecki 15 

5. Portrait de Rachel Varnhagen - 24 

6. Portrait de Henriette Herz 25 

7. Gravure de Schumann (Almanach d»^ 1800) 29 

8. Vignette de Schubert 33 

9. Types de « Hackfisch » (autrefois, aujourd'hui) 49 

10. Wagnériennes et peintresses 50 

11. Caricature de Bechstein 54 

12. Petites lilles munichoises 57 

13. Danses dans la cour d'une brasserie 66 

14. Famille u la brasserie 67 

lo. Vignettf de Chodowiecki 76 

16. La galerie féminine du peintre Juch 80 

17. Caricature des <( Fliegonde Bl«etter » 82 

18. Vignette de Chodowiecki 85 

19. Cocotte, croquis de Schliessmann 90 

20. L'amour à la brasserie 93 

21. Caricature des « Fliegende Rketter >» 94 

22. Croquis de 11. Albrecht 101 

23. Vignette de Chodowiecki 105 

24-2.-). Caricatures féminines des «^ Flieg«'nde Hhnpttpr ». ... 109 

26. Silhouette sentimentale 110 

27. Marguerite de «Faust» 111 

28. Silhouette en caricature 112 

29. Vignette de <( l'Amour et la Vie des Femmes » 115 

30. Caricature de Schlittgen (Fliegende Blajtter) 116 

31. Caricature de Schlittgen (Fliegende Bhetter) 117 

32. Caricature de Schlittgen (Fliegende Bla'ttiT) 118 

33. Type de soubrette (Fliegende BluHter) 119 

34. Type féminin (Fliegende Bhetter) 120 

35. Vignr'tte du « Induslrielle Humorist » 127 

36. Vignette du « Industrielle Humorist » 128 

37. Vignette du « Industrielle Humorist » 129 

38. Vignette de Daelen 130 

39. Vignette de Daelen 131 

40-41. Vignettes des « Berliner Komiker-Halln » 132 

42. Planche légère des «Wiener Caricaturen » 133 

43. Type; de couverture illustrée 134 

44. Vignette légère de Klic 135 

45. Vignette légère de Klic 136 

46. Vignette du « Grosse Struwwelpeter » 139 



326 TABLE DES ILLUSTRATIONS 

47. Vignette de Schlittgen (Fliegende Blœtter) 140 

48. Croquis du peintre Wahle 143 

49. Vignette de Chodowiecki U7 

50. Princesses et grandes dames 155 

51 . Caricature des « Fliegende Blœtter » 156 

52. Vignette de Coll-Toc 166 

53. Vieille Juive (Coll-Toc) 168 

54. Type de Juive (Coll-Toc) 171 

55. Type d'actrice allemande 179 

56. Vignette de Schlittgen 184 

57. Servante de brasserie, dessin de Mars 187 

58. Types de bonnes berlinoises 191 

59. Types de Viennoises, d'après Mackart 206 

60. Types de Viennoises, d'après Mackart 209 

61. Types de Viennoises, d'après Mackart 213 

62. Bonnes berlinoises 218 

63. Bavaroise, servante de brasserie. ... 223 

64. Femme wende, en costume de gala 224 

65. Femmes de la Silésie 231 

66. Dans la liante Bavière 232 

67. Bouquetière de Hambourg 240 

68. Concert de dames dans un café 243 

69. Femme donnant à boire aux chevaux 247 

70. Femme de maçon 248 

71. Cantonnière 252 

72. Marchande de grenouilles 252 

73. Blanchisseuse viennoise 253 

74. Le lavage des fenêtres 260 

75. Laitière 261' 

76. Escrimeuses viennoises 2G6 

77. A Kloster-Neuburg 271 

78. Vignette de Harbûrger 277 

79. Un KafTeekrœnzchen 280 

80. Café de dames 281 

81 . A la confiserie 282 

82. Vieilles filles prenant leur café 283 

83. Le cercle des joueuses de quilles . . • 287 

84. Vignette de Grogler 290 

85. Délicatessen-Salon, dessin de Mars 300 

86. Cocotte dansant le cancan 304 

87. Le cancan allemand, d'après Lossow 307 

88. Le cancan allemand, d'après Lossow 308