Google
This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying.
We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at |http: //books. google .com/l
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
A propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse fhttp: //book s .google . coïrïl
^ + . + ^
H
+
-I-
M
'''■'OÂÎ5 "
w
s/fMTrrÈm'&
sirro*
+ + + ^
-♦^ i + i
+ + i 4
+ ^ + ^
^1 W l^^l M
a,^
-♦- + f +
+ -♦- i i
M s^Sl W *'
^,
</
7*.
M 1^^;..
s^VE»*.
1%
+
W
i^^^
M
<^'
AtlTo*^
+
*OjiH
H
f
4 V
LA FEMME
EN ALLEMAGNE
IL A ÉTÉ TIRÉ POUR LES AMATEURS :
25 exemplaires numérotés sur Japon, avec double état des eaux-fortes.
DU MÊME AUTEUR :
Les Mœurs et la Gabicature es Allemagne, en Autriche, en Suisse. —
1 voL gr. in-8«, illustré de plus de 325 planches en noir et en couleur
(2« édit.), 1885. 25 »
Raphaël et Gaubrlnus ou l'Art dans la brasserie. — 1 vol. carré, illustré
de 150 vignettes en noir et en couleur, <886. 7 50
La France jugée par l'Allemagne. — 1 vol. in-8« (Librairie Illustrée et
K. Nilsson), 1886. 5 »
Pour paraùre :
Les Mœurs et la Caricature en France. — (Librairie Illustrée.)
ÉVREUX, IMI'HIMERIE DE C U. UÉRISSEY.
. L_.. s
.-FORT
J. GRAND-CARTERET
LA FEMME
EN ALLEMAGNE
144 ILLUSTRATIONS
DONT DEUX EACX-FORTES ET TROIS PLANC
PARIS
l.OflS WESTlIAU.SShK. i-i)iriai<
, RUE SE LABBAYE, 10
1887
Tout droill riitrvii
61.7
\0(j%2)^}, -oog
A TOUTES LES FRANÇAISES
ET A MA FEMME EN PARTICULIER
JE DÉDIE CE LIVRE
SUR
LA FEMME ALLEMANDE.
J. G.-C.
- Femmes célèbres d'autrelois
PRÉFACE A LIRE
En publiant La Femme en Allemagne, je n'ai
nullement l'intention d'écrire l'histoire du monde
féminin dans les pays d'outre- Rhin. Je ne veux ni
continuer la comtesse Dora d'Istria, l'auteur Des
Femmes, ni refaire pour le public français une his-
toire de la femme allemande sur le modèle de l'œuvre
magistrale du professeur Scherr. Si je m'arrête
quelques instants au wm" siècle, ce n'est point pour
ajouter un nouveaurécit à l'étemel thème, les femmes
de Gœthe et de Schiller, m.ais bien pour noter, à son
éclosion, unmouveTnent très particulier qui contribua
Il PRÉFACE A LIRE
dans une certaine mesure à caractériser les idées et
les tendances allemandes dans le domaine spécial et
si vaste de la féminalité.
Dans cette suite d aperçus on verra que ce qui m,' a
avant tout préoccupé c'est la psychologie. Tai voulu
avec ce volume j — le premier dune nouvelle série que
je compte également poursuivt^e, — fai^^e connaître
Vhumanité par les fem^mes comme je tente d'écrire
l'histoire et les mœurs des peuples par la caricature.
Toucher à la femme^ du resle^ 71 est-ce pas toucher
à l'humanité : comment parler délie d' mie façon quel-
conque [san^ pénétrer dans la vie de la nation à la-
quelle elle appartient !
Les temps ne sont plus où de vulgaires descriptions
sur les types, sur les qualités physiques, sur les plai-
sirs mondains, sur les soiiis du ménage pouvaient
suffire à alimenter la curiosité publique. A notre
époque que tant de grandes questions préoccupent, il
faut autre chose, il faut surtout de l'observation.
Ceci étant, j'ai cher^ché à analyser les sentiments
les plus secrets de la race, j'ai cherché à définir les
sensations, les idées, les appétences, les désirs des
Allemands au ^ujet de la femme. Il ne suffisait pas
en effet de caractériser la Germaine^ de rechercher
les conditions économiques et sociales qui ont contri-
bué à faire d'elle un type bien à part, il fallait expo-
ser les idées allemandes y sur la femme en général et
sur l'amour en particulier, il fallait toucher à cette
PRÉFACE A LIRE III
grande et délicate question des appétences sexuelles
qui est la loi même de l'humanité.
Là où d* autres j comme ce grand maître Mantegazza^
généralisent j je me suis imposé pour tâche de loca-
liser. On verra donCj ici.pourquoi les Allemands sont
à la fois plus idéalistes et plus matérialistes que nouSj
pourquoiy aux frivolités alléchantes de Gustave Droz,
ils préfèrent les riantes descriptions de la vie de
famille j pourquoi en un mot, leur idéal de la femme
diffère absolument de l'idéal français.
Toutes choses plus intéressantes^ ce me semble^ à
notre fin de siècle, que les ridicules pamphlets préten^^
dant fawe connaître les Allemandes, produit corn.-
mercial, au titre ronflant^ de spéculateurs en littéra-
ture^ dont la librairie a été inondée ces derniers
temps, et qui du reste, il faut le reconnaître, ont été froi-
dement accueillis par le public, — fatigué de toutes ces
productions hâtives, de tout ce papier noirci^ de toutes
ces insanités qui n'ont même plm Vexcuse de V esprit.
Ce que les gens qui lisent — et Von sait que leur
nombre va chaque jour diminuant, car je n'appelle
point lecteurs ceux qui se contentent de couper des
feuilles imprimées — ce qu'ils penseront de ce livre,
je l'ignore !
Je n'ai pas besoin de dii'e que comme les précédents,
comme tous ceicx qui sortiront de ma plume, il est la
résultante de longues et sérieuses études. Et l'on verra
qu'il a été conçu sur le même plan.
IV PRÉFACE A LIRE
// est illustré^ non point pour constituer un livre à
images, mais parce que f estime que le trait graphique
donne plus de couleur et^ partant^ plus de force à la
pensée écrite. Et si rUlustration n*est pas entièrement
ce que f aurais voulu^ je suis heureux cependant de
pouvoir offrir au public des compositions originales
d'une réelle valeur comme la suite des types viennois
due au peintre Karger — un peintre délicat qui sait
faire à la fois très fini et très artistique; — comme
les croquis si puissants j si individuels de Hugo von
Habermann, celui-là même que je saluais à la der-
nière Exposition internationale de Munich y et qui est
en passe de devenir un maître ; comme les mines de
plomb si moelleuses^ si colorées de LossoWj aujour-
d'hui conservateur de rimportanle Galerie royale de
Schleissheim ( Bavière) j qui ont été rendues sur le
cuivre par l'aqua- for liste Le fort avec une fidélité que
je me plais à constater^ car l'œuvre était difficile;
comme le fusain si gra^ d'Auguste Viollier^ comme
la servante de brasserie^ la populaire Schûtzenlisle
de Kaulbachy le jeune et savant directeur de l'Acadé-
mie des Beaux- Arts de Munich y dont j' aurais souhaité
une collaboration plus active.
Du jour où l'idée de ce livre m'est venue^ j'avais
pensé à faire interpréter l'Allemande à la fois par
des crayons allemands et des crayons français. De
quel intérêt n'eut pa^ été une œuvre semblable !
Mais il a fallu se restreindre : c'est pourquoi on ne
i
PRÉFACE A LIRE V
trouvera ici que les c7*oquis de Mars^ Mars qui ne se
contente pas de dessiner pour les journaux illustrés
avec le chic que Von sait et qui vient de montrer dans
ses charmants albums d'enfants de très y^éelles qua-
lités d étude et d'observation.
Ce serait ingratitude de m,a part de ne point
remercier au moins nies amis F au et Coll-Toc, Vun
de la ravissante couverture qui habille ce volume
d'une façon si luxueuse et si pittoresque, l'autre des
dessins exécutés d'après des documents allemands y
tâche i7igrate et plus difficile qu'on ne semble le
croire généralement.
De même que je me suis laissé aller quelquefois au
comique, de même Mars a cherché dans ses dessins
la note de l'observation humoristique. Mais, là oie il
a trouvé le grotesque, ses caricatures ne restent pas
moins bienveillantes : les Allemands seront les pre-
7niers à rire de la manière dont certains côtés typi-
ques de leur individualité féminine ont été saisis.
Quant aux documents illustrés^ ils sont comme tou-
jours empruntés aux journaux, et principalement
aux Fliegende Blaetter, cette merveilleuse caricature
humaine dont je travaille à doter notre public, et qui^
pour le cas présent, nous fait pénétrer si profondé-
ment dans les mœurs allemandes.
Et maintenant, livre que je ne vois pas sortir des
presses sans un certain regret — comme s'il empor-
tait avec lui quelque chose de moi-même — va au gré
Vt PRÉFACE A LIRE
du vent. Tu auras pour toi les observateurs et les
amateurs. Que veux-tu de plusf II n'y a ici ni crepi-
tanda à la Laripète, ni succursales de Lourcine, ni
hystéries littéraires à la Décadente, en un motni tire-
l'ceil ni saltimbanquisme, les dieux du jour^ sous
l'égide desquels de notables commerçants vendent ou
de la guimauve ou de l'empoisonnement public.
Je souhaite seulement, le jour où un Allemand
écrira sur la Française le travail que j'eidreprends
aujourd'hui sur la Germaine, qu'il le fasse avec la
même impartialité.
Joiix Grand-Carteret.
' Vignette de Chodoviecki.
LIVRE 1
LA FEMME ALLEMANDE
CK QLl KLLK EST. — CE QIE LES ALLEMANDS E> PENSENT.
COMMENT ILS l'iNTERPRÈTENT PAR LE CRAYON
ALLEMANDE ET FRANÇAISE
S'il ne fallait considérer la femme qu'au point de vue
du sexe, on pourrait dire que la Germaine est, comme la
Gauloise, impressionnable et nerveuse, capable de tous
les courages et sujette à toutes les faiblesses. Mais à côté
de cette féminalité universelle remplissant sa fonction
étemelle, renouvelant le monde physiquement et le pétris-
sant moralement, se place le type particulier à la race.
Chaque peuple a ses époques d'expansion, de prédomi-
nance, durant lesquelles il trouve la conception la plus
conforme à. ses idées, durant lescjueUes l'individuaUté
4 LA FEMME EN ALLEMAGNE
s'accuse plus nettement. Or, le xvi® siècle a été pour TAlle-
magne ce que furent pour la France le xvu* et le xvni®.
Donc, la vraie femme allemande, c'est la femme de la
Réforme, la femme à la haute coiffe de linon, empesée,
ou au grand chapeau à plumes, à Taumônière, au trous-
seau de clefs pendant à la ceinture, la femme des Dflrer,
des Lucas Granach, des Hans Holbein, des Hans ScharaX-
felein, la femme suivant les principes de Luther et de
Johann Fischart, ce Rabelais allemand.
Ce n'est plus la femme belle et preude, chantée par les
Minnesomger, amoureuse idéale, et courtisane tout à la fois
dans l'esprit de l'antiquité et du moyen âge ; c'est la
femme d'une société plus pratique, bonne, fidèle, travail-
leuse, compagne dévouée de l'homme, maîtresse du logis,
éducatrice des enfants.
Cette femme du xvi® siècle, qui a été et qui sera tou-
jours l'expression la plus parfaite du génie de la race,
est, elle-même, la résultante des idées qu'on trouve déjà
dans la mythologie des anciens Germains. Elle porte en
elle le sentiment de l'amour par la maternité, cette sainte
notion du devoir qui aboutit au foyer conjugal; elle a je
ne sais quoi de sensuel et de sentimental qui en font un
type à part.
Vous ne trouverez la vraie Germaine, la femme si
puissamment développée par la Réforme, qu'à certaines
époques de l'histoire. Elle s'efface, elle disparaît presque,
lorsque le pays subit l'influence étrangère ; mais chaque
fois qu'un grand mouvement national s'accentue, elle
figure au premier plan, toujours semblable à elle-même,
si bien qu'elle est aujourd'hui ce qu'elle était hier, et
ALLEMANDE ET FRANÇAISE 7
que demain sa physionomie se sera encore à peine
modifiée.
« Les femmes allemandes, » écrivait M™® de Staël en
1810, « ont un charme qui leur est tout à fait particulier,
un son de voix touchant, des cheveux blonds, un teint
éblouissant; elles sont modestes, mais moins timides que
les Anglaises... Elles cherchent à plaire par la sensibilité,
à intéresser par Timagination. » Or, non seulement ce
portrait est toujours exact, mais il peut, indifféremment,
s'appliquer à l'Allemande du moyen âge, à l'Allemande
des années de rénovation, à l'Allemande contempo-
raine.
De l'étude de la femme à travers les âges, il se dégage
ceci que l'Allemande croit où la Française sait, qu'elle
obéit où la Française aspire à régner.
Ce n'est pas la femme capiteuse, gaie, spirituelle, moi-
tié enfant, moitié sirène, dirigeant la maison en souve-
raine, s'imposant par sa grâce native, par la flamme de
son regard, par le charme de sa parole, par les élégances
de la toilette dont elle sait se parer, c'est la femme de
l'intérieur.
Et pour qu'on ne se méprenne point sur ma pensée, pour
qu'on ne m'accuse pas de donner à l'Allemande seule des
vertus qui sont, en somme, le fait de toutes les femmes,
je vais en quelques mots, définir le sens de ce mot et
tracer les limites de ce domaine spécial.
Tout comme les autres, la Française sait être femme
d'intérieur, mais sans jamais abdiquer, c'est-à-dire, sans
jamais renoncer au monde ni à la domination qu'elle
prétend exercer. EUle est fière de montrer ses enfants, de
8 LA FEMME EN ALLEMAGNE
les habiller, de les pomponner, de les sortir; mais chez
elle, la maternité, quelque vive soit-elle, n'étouffe jamais
complètement la femme ; non pas la femme considérée
comme compagne de l'homme, mais la femme avec son
orgueil de beauté et de puissance respectée, avec ses
besoins de bruit et de triomphe.
Menant ainsi, plus ou moins, suivant qu'elle est ou non
mère, une vie en partie double, elle ne connaît pas cette
sentimentalité particulière, ce recueillement, cette sorte
de claustration de l'intelligence livrée à ses seules rêveries
au milieu de Tenfant grandissant, qui est le propre de la
femme allemande; si bien que, là où cette dernière trône,
maîtresse d'un monde tout intime et tout particulier,
nous n'avons, nous, qu'un espace restreint, qu'un petit
coin de vie arraché non sans peine aux attractions du
dehors.
Assurément, ce royaume d'essence germanique peut se
rencontrer en France : il suffit pour cela, de jeter un
coup d'œil dans la vie de province, et plus encore, dans
l'intérieur de certaines familles protestantes ; mais, ces
dernières exceptées, parce que, malgré leur nationalisme,
elles sont plus ouvertes aux conceptions anglo-saxonnes,
ce n'est pas là encore l'intimité telle qu'elle est conçue
en Allemagne, l'intimité, royaume féminin étendant son
domaine sur tout ce qui constitue le ménage, depuis la
confection des tartines de pain noir, rendue classique par
la Charlotte de Gœthe, jusque sur la chambre, Fétuve des
enfants, pour laisser à cette expression sa pittoresque
saveur. Mélange singulier d'idéalités et de réalités qui fait
à la femme une situation à la fois supérieure et inférieure
ALLEMANDE ET FRANÇAISE 9
à celle que lui reconnaît notre civilisation française, et
dont le sens se trouve nettement défini par le proverbe
allemand quand il dit : Femme diniérieuT ne doit pas être
femme d extérieur. Tant il est vrai, que les devoirs et les
charges, les satisfactions et les joies de la vie intime, ne
se peuvent, dans l'esprit germanique, concilier avec les
exigences et les fatigues multiples de la vie mondaine.
Malgré soi, en contemplant cet état de choses. Ton
songe à Taxiome d'une réalité si saisissante, formulé tant
de fois par des penseurs dégagés de préjugés, axiome qui
peut se résumer ainsi : il faudrait, pour bien faire, possé-
der deux femmes ; une qui serait l'épouse et la mère,
l'autre qui serait la femme du dehors, la femme d'appa-
rat, destinée à représenter dignement par sa toilette,
par sa beauté, le grand nom ou la haute position de
l'homme.
N'est-ce pas aussi, peut-être, mais en se confinant plus
spécialement dans le domaine des sens, ce qu'a cherché
un peu notre civilisation parisienne en admettant le prin-
cipe de la dualité des ménages, du vrai et du faux ménage,
de la femme officielle, légitime, position sociale, et de la
femme illégitime, instrument de plaisir, représentant le
caprice et la fantaisie.
Et comme il importe de tout bien établir ; comme les
moindres nuances dans les mots peuvent avoir une impor-
tance capitale, comme l'on pourrait tirer de ceci des con-
clusions absolument fausses, je dois dire qu'en reléguant
ainsi la femme chez elle, l'Allemand n'a point eu l'inten-
tion de la tenir sous tutelle, pas plus qu'il n'a voulu
constater son infériorité, car un autre proverbe, non
10 LA FEMME EN ALLEMAGNE
moins populaire de l'autre côté du Rhin, déclare, sans
ambage, que là où il n'y a pas de femme, survient la dé-
solation.
Ouvrez les œuvres de Ulrich de Hutten, et surtout ces
Propos de table de Luther qui ont conservé une saveur si
particulière, vous y trouverez au sujet de la femme, toute
la pensée allemande. Vous y verrez également, que,
homme à thèses, toujours à la recherche de quelque clas-
sification nouvelle, l'Allemand a voulu constituer à la
femme un domaine intellectuel et efi'ectif, en rapport avec
ses conditions physiques et morales, qui put lui permettre
de développer ses qualités et qui fut en môme temps
un port, un refuge contre les troubles et les vides de
l'existence.
Une femme seule est une femme perdue, a-t-on dit bien
souvent en France , parce qu'elle tombe fatalement entre
les mains de celles de ses semblables intéressées à la
faillite de son honneur. D'autre part, je ne sais plus quel
profond penseur disait : « Toute réunion de femmes est
une conspiration contre la tranquillité de l'homme ». Eh
bien ! rien de tout cela en Allemagne, où la femme est
moins désœuvrée, où l'homme apparaît avec toute sa su-
périorité, où dans les réunions du beau sexe, la conversa-
tion porte sur des sujets moins frivoles, où la toilette n'est
pas l'unique objectif. Pédantisme et préciosité, objectera-
t-on! Soit, je le reconnais, c'est là l'obstacle.
Mais accuser l'Allemand de manquer de tendresse à
l'égard du sexe féminin, alors qu'il a à son service, quand
il le veut, une langue si poétique, si imagée, ce serait
faire fausse route. Ce n'est pas lui qui emploierait dans
ALLEMANDE ET FRANÇAISE il
la conversation courante les expressions dont nous nous
servons journellement; ce n'est pas lui qui dirait tout
sèchement : Que fait votre femme ? — Comment se porte
madame? Ecoutez-le s'informer auprès d'un ami des nou-
velles de la famille ; ce sera ou avec respect ou avec ten-
dresse. S'il est d'un certain monde, dans lequel l'on
s'incline, avant tout, devant les privilèges de la naissance
ou de la position, il ne parlera que de la très bien née, de
ia très honorée madame; mais s'il appartient, au contraire,
à la petite bourgeoisie, quelle tendresse ne mettra-t-il pas
pour demander : Comment va la petite femme ? ou bien :
Comment se porte votre bien-aimée ?
Et cette poésie , lorsqu'il s'agit non pas de la femme
prise dans son ensemble mais particulièrement de la mère
et de l'épouse, il cherche à la glisser dans les choses les
plus prosaïques de la vie. Quel que soit le mot dont il se
servira pour envisager les conséquences naturelles de
l'union sexuelle, aucun d'eux n'aura la vulgarité de nos
expressions : être grosse^ être enceinte. Et ce serait se
tromper étrangement que de voir dans ce fait le germe de
la pruderie de langage particulière aux races protestantes,
puisqu'il en est ainsi dans toute l'Allemagne, catholique
ou réformée.
Ce qui est vrai, c'est que l'Allemand ne peut se
résoudre à mélanger l'idéalité avec l'animalité ; c'est qu'il
n'aime pas à aborder les choses matérielles sans les
recouvrir prudemment d'une sorte de gaze légère. Mais
si son esprit est largement ouvert à la poésie, il n'est pas,
pour cela, fermé au prosaïsme de la vie. Qu'il s'agisse
d'être grossier, et l'Allemand ne restera pas en arrière :
12 LA FEMME EN ALLEMAGNE
entendez-le accabler d'injures la femme qui trafique de
son corps, et vous serez édifié.
Parlerons-nous de la galanterie ? Sur ce point, entre la
conception allemande et la conception française , il y a
tout un monde. L'Allemand n'entend rien à ces petits
soins envers les femmes dont le Français possède le secret,
pas plus qu'il ne sait tenir ces mille propos flatteurs dont
le beau sexe se montre partout si friand. Compliments bien
tournés, douceurs, amabilités plus ou moins banales, tout
cela lui reste étranger. Il entoure la femme d'idéalité et de
rêverie, mais il ne sait pas la flatter. Et cela se conçoit.
Ce que vise l'Allemand, en effet, ce n'est point la
femme dans sa grâce, dans son esprit, dans sa beauté
physique; c'est la ménagère honnête, c'est l'épouse fidèle,
c'est la mère aimante.
Si haut qu'on remonte dans l'histoire, le fait de dire
des galanteries ou d'avoir de galantes aventures est le
propre du Français, le peuple entreprenant par excellence.
L'Allemand s'embarque rarement dans ces sortes d'af-
faires ; il est trop sérieux pour les débats amoureux.
Comment voudrait-on qu'il fît bonne figure, lui, à la plai-
sfinterie si matérielle, si rabelaisienne, dans une guerre
où toutes les finesses de l'esprit sont sans cesse en jeu ;
où il s'agit d'amener à capitulation une femme qui, pour
se défendre, a bec et ongles ; où tout repose sur des
pointes d'aiguilles ; où l'effronterie et la hardiesse con-
duisent toujours à la victoire.
Et puis, en France, qui est sorti victorieux des combats
de l'amour est bien près de connaître le secret des
batailles humaines ; ce sont des premières armes qui con-
ALLEMANDE ET FRANÇAISE 13
duisent à tout. En Allemagne, ces sortes d'exercices équi-
valent à des coups d'épée dans Teau. Un proverbe
germain ne dit-il pas que les amants sont de mauvais
guerriers ?
Peut-être aussi, ce peu de propension pour la galan-
terie doit-il être attribué au fait que l'Allemande, s'aban-
donnant facilement, ne sait pas comme la Française
préserver son coeur, ce qui rend souvent l'aventure dan-
gereuse. Jouer avec Tesprit est fort excitant, fort piquant ;
on a Tair de se donner et on ne laisse que ce que Ton veut
bien ; mais ouvrir son cœur c'est se livrer entièrement,
sans espoir de retour, et voilà pourquoi la coquette Alle-
mande est plus redoutable que la coquette Frfinçaise. Heu-
reusement, il est vrai, elle est aussi plus rare.
L'Allemande peut être sensuelle par tempérament ; eUe
est, pour employer l'expression classique, solide par nature.
Je veux dire que la légèreté de caractère, cette légèreté
qui, en France, est une des particularités de la race, ne lui
sied point, et j'ajoute que le vice ne sait pas, chez elle,
prendre ces dehors brillants qui, ici, attirent, et charment
souvent môme les plus vertueux.
S'il fallait donner à ces quelques notes une conclusion,
je dirais que la femme française exerce son empire de
mille façons, par sa beauté, par sa câlinerie, par son in-
fluence magnétique, par les charmes de sa conversation,
par sa toilette ; c'est aVant tout une forte tête, qui sait diri-
ger les plus grosses entreprises, tout comme elle est
passée maîtresse dans l'art si difficile de recevoir. Eîlle
commande et ses ordres sont exécutés comme autant d'ar-
rêts souverains.
14 LA FEMME EN ALLEMAGNE
Combien, à côté, la femme allemande apparaît humble
et réservée ; elle qui trône à la cuisine et qui gouverne
la chambre des enfants ; elle qui ne sort des confitures
que pour entrer dans les compotes ; elle qui ne quitte une
broderie que pour prendre un crochet. Certes, ce n'est
pas elle qui trouvera la maison trop étroite ou qui aura
des envolées vers le dehors !
Pourtant il ne faudrait point voir dans cette ména-
gère, épouse et mère avant tout, un esprit fermé à toute
conception intellectuelle, loin de là. Elle a souvent de
réelles tendances esthétiques et par le fait qu'elle vit pai-
siblement dans son intérieur, elle aime à orner ce home
qui est son coin de palais. Mais solide comme femme, elle
fera appel à une décoration solide^ à un ameublement
solide; Allemande, elle sera la propagatrice la plus infati-
gable de ce mouvement qui a poussé l'Allemagne entière
vers les souvenirs d'un glorieux passé artistique.
Oui, certes, dans ce culte de l'intérieur, dans cette vie
intime et comme réservée, il y a quelque chose du passé,
du moyen âge, alors que le foyer était le véritable centre
de la vie, alors que le dehors, belliqueux et incertain,
était réservé aux jours de grandes fêtes et de grandes
cérémonies.
Et quand, pénétrant plus avant dans cet intérieur peuplé
d'enfants, on aperçoit la femme, toujours sérieuse, tou-
jours occupée à quelque soin domestique, on ne peut
s'empêcher, pour peu qu'on évoque alors la figure gaie et
souriante de la Française, toujours par monts et par vaux,
toujours pimpfinte et désirable, on ne peut s'empêcher,
dis-je, de voir dans l'Allemande une femme d'essence»
ALLRMANDE KT FRANÇAISB l'>
essentiellement bourgeoise et dans la Française une femme
d'essence essentiellement aristocratique. Peut-être môme,
si l'on a quelques attaches, si légères soient-elles, avec le
mormonisme, — cette nouvelle forme du christianisme
dans les grandes villes, — dira-tron avec ce voyageur du
XVII* siècle : « Ayez l'Allemande pour femme, et la Fran-
çaise pour maîtresse )• .
lie Clioilowji'i.'ki.
Il
L'AMOUR ET LES FEMMES AU XVIII" SIÈCLE
Ce n'est pas seulement par la variété du type, mais
encore, et surtout, par la différence de la conception que
les femmes se distinguent entre elles. Sur la plupart des
points, une Allemande ne verra pas comme une Fran-
çaise ; ce qui explique pourquoi l'Allemagne n'a, dans son
histoire ancienne, aucune femme qui puisse se mesurer
avec Jeanne d'Arc. Des prêtresses germaines comme Veleda
ou Thusnelda, des bourgeoises comme les femmes dévouées
de Weinsberg qui, ayant obtenu de quitter la ville assié-
gée avec tout ce qu'elles avaient de plus cher, sortirent
portant leurs maris sur les épaules; tels sont les types
immortalisés par la légende.
Et toutes ces femmes, moins viriles que la Française,
sont plus grandes féminalement ; elles ont toujours en elles
ce côté de l'intimité, de la Hausfrau qui est bien, décidé-
ment, la caractéristique de l'Allemande.
Ces particularités tiennent, il faut le dire, aux conditions
politiques du pays : la Germaine, avec ses idées d'intérieur,
d'ordre, de royaume féminin, est le produit des villes libres
3
18 LA FEMME EN ALLEMAGNE
et impériales, de la religion bourgeoise et nationale, insti-
tuée par Luther. La maison et la cité, voilà son horizon.
Plus tard, lorsque l'Espagne et la France viennent
déteindre sur les mœurs allemandes, lorsque Alamode^ et
le règne des maîtresses s'implantent de l'autre côté du
Rhin, cette môme femme se calfeutre dans son intérieur
et, pour employer l'expression d'un écrivain local, laisse
passer l'orage. Les cours et les petites principautés peu-
vent vivre à la française, donnant l'exemple de tous les
luxes et de toutes les dissipations ; Germaine, elle tâche
de s'opposer au courant étranger sans pouvoir, toutefois,
sauvegarder entièrement l'esprit de famille.
Vient même un moment où l'exemple, parti d'en haut,
finit par modifier les mœurs : si dans les vieilles cités le
type de la ménagère se conserve encore, les villes nou-
velles, comme Berlin, vont créer une Allemande, plus
femme dans l'acception française du mot.
D'autre part, les terribles événements de la fin du
xvni® siècle et du commencement du xix® donnent nais-
sance à un sentiment nouveau, le sentiment de la patrie,
dont la femme ne sera pas la dernière à ressentir les effets.
D'où trois types féminins qui sont la résultante soit des
événements eux-mêmes, soit des idées remuées par de
puissants penseurs :
La femme de l'intimité,
La femme émancipée,
La femme patriote.
* Mot créé par les écrivains allemands du xvn* siècle, et qui désigne les
personnages et les choses à la mode étrangère, de France ou d'Espagne.
l'amour et les femmes ad xviii^ siècle 19
Au premier rang apparaissent les femmes de Gœthe et
de Schiller, ces femmes tant de fois poétisées par Tart
et la littérature, bien Germaines de conception, avec un
je ne sais quoi d'indéfini, de vague, qui marque les aspi-
rations nouvelles de la pensée allemande.
Gœthe a, avant tout, le respect et le culte de la femme.
« L'amour est tout », dit-il lui-même, « vivre sans aimer,
c'est battre de la vaine paille » .
On ne saurait douter de sa sincérité, et, cependant, de
nos jours, un écrivain pour lequel je professe la plus grande
sympathie, Barbey d'Aurevilly, le merveilleux quoique
trop paradoxal styliste , dit dans son Gœthe et Diderot,
— deux dieux qui le gênent, je ne sais trop pourquoi : —
« Les amours de Gœthe sont de niaises et lourdes amou-
rettes, Gœthe n'a jamais été amoureux ».
Cela prouve simplement que Barbey d'Aurevilly ne
connaît pas l'amour allemand ou, plutôt, ignore une des
phases par lesquelles cet amour, très particulier, a passé.
Depuis plus d'un siècle, en effet, la pensée chez nos
voisins cherche à s'insurger contre le relatif; elle est sans
cesse travaillée par le besoin d'immatérialiser l'idéal, c'est-
à-dire de lui constituer un monde à part, dans cette vie
toute matérielle. ;De là, les rêveries dont Gœthe donne le
signal, Gœthe qui, courtisé à la fois par les deux filles du
maître de danse de Strasbourg, se promène des journées
entières dans le jardin du vieux pasteur Brion, avec cette
Frédérique, son premier et son dernier amour, son éter-
nelle incarnation féminine au travers de tous les corps
humains; Frédérique qui est à la fois. Mignon, Ottilie,
Marguerite, la douce et tendre Gretchen.
20 LA FEMME EN ALLEMAGNE
Comment, vous qui avez si bien défini Charlotte la beur-
rière de tartines ^ pour employer votre pittoresque image,
ainsi que la tricoteuse perpétuelle de Wilhelm Meister ;
comment pouvez-vous, ô Barbey d'Aurevilly, vous le
remueur d'idées, vous le ciseleur de mots, méconnaître cet
amour allemand, tout idéal, tout esprit, qui brûle le cœur
et qui refuse d'enflammer les sens, cet amour avec ses
promenades au clair de lune, sous les bosquets ombreux;
avec les entretiens la main dans la main où le remuement
des lèvres constitue la plus brillante éloquence ; avec les
confidences où les âmes semblent s'entr'ouvrir ; avec cette
ivresse où le baiser seul est permis; ivresse qui reste
confinée dans la tête et dans le cœur, et qui repousse non
seulement la jouissance immédiate et irréfléchie, mais qui
va même jusqu'à s'opposer à la légitime possession par le
mariage, tant il lui semble que la possession matérielle et
légale de la femme est contraire à lamour.
On est allé plus loin dans cette méconnaissance. Quel-
qu'un n'a-t-il pas écrit que la trinité de Gœthe, du fiancé
de Charlotte et de Charlotte, constituait le ménage à trois.
Eh bien ! là encore, on a confondu la communauté morale
avec la communauté matérielle. Oui, certes, pensées, émo-
tions, idées, vibrations spirituelles, en un mot, sont com-
munes à ces trois êtres ; à ces deux jeunes gens qui affichent,
avant tout, la dignité morale, à cette jeune fille qu'on
pourrait prendre pour une sœur tant elle est respectée, et
qui est presque possédée intellectuellement par chacun
de ces deux êtres, un soupirant, un fiancé.
Et les choses, on le sait, ne s'arrêtent pas là. Lorsque,
plus tard, Charlotte se marie, Gœthe la tutoyé comme par
LAMOUR ET LES FEMMES AU XVIII*^ SIÈCLE 21
le passé, Gœthe l'appelle toujours ma Lotte^ Gœthe corres-
pond avec elle, il continue à s'imprégner d'elle et à Tim-
prégner de lui. Le conseiller de Weimar se réchauffe à cet
échange de pensées féminines, et Charlotte, la svelte jeune
fille d'autrefois, aux yeux bleus, aux tresses blondes, qui
a soutenu son père et élevé ses jeunes sœurs, qui est main-
tenant la classique Hausfrau, Charlotte porte en elle quel-
que chose du grand homme.
Gœthe qui n'a pas encore voulu tâter du mariage, qui
n'a pas voulu « faire l'essai du bonheur, » qui a esquissé
tant de fois le même roman, avec Lili Schœnemann, avec
la baronne de Stein, pût-il ainsi, toujours, maîtriser sa
passion, confiner son amour dans les bornes de l'extase
spirituelle. Ses désirs, ses appétences, éclatant sur le
tard, sont là pour nous répondre.
Un jour vint où il regretta de voir ainsi aux bras des
autres celles qu'il aimait, et ce jour-là, ce fut pour deman-
der à la baronne de Stein de quitter un époux qui ne pou-
vait faire son bonheur, et de venir vivre avec lui.
Ainsi donc, et ici je suis d'accord avec Barbey d'Aure-
villy, c'est l'aveu d'impuissance de l'amour idéal à satis-
faire les aspirations humaines ; c'est la rentrée en scène
de l'homme matériel qu'on avait cru pouvoir étouffer sous
les fleurs de la rhétorique amoureuse.
Mais ce n'en est pas moins un des côtés de la passion
allemande, aux prises avec la jeune fille, avec la ménagère
des temps passés, remuée par je ne sais quelles aspira-
tions plus intellectuelles du grand siècle philosophique.
Si l'Allemande du xvin® siècle est encore la femme de
l'intérieur, elle a un brillant, un piquant, que n'avaient point
22 LA FEMME EN ALLEMAGNE
ses sœurs des siècles précédents ; elle a surtout un besoin
d'expansion, qui apparaît d'autant plus grand qu'elle a été
longtemps comprimée.
En comparaison de ceux qui vont venir, Gœthe est un
timide, mais il a attaché le grelot et les autres affirment ce
qu'il a à peine esquissé. N'est-ce pas Henri de Kleist qui
voulait qu'une jeune fille devînt sa femme sans que sa
famille le sût ; n'est-ce pas lui qui proposait à sa fiancée
de briser subitement, et pour toujours, ses liens antérieurs,
les liens de l'enfant avec le père et la mère ; enfin, n'est-ce
pas lui, encore, qui voyait dans les préliminaires du mariage
— qu'on note bien ceci, — le déshonneur de ce qui doit
être, avant tout, la libre union de deux âmes?
Mais dès lors, il faut le dire, dans les classes élevées
tout au moins, l'Allemande de Luther a vécu. Le grand
mouvement religieux du xvi® siècle s'est perdu dans des
discussions dogmatiques qui rétrécissent les idées, qui
étouffent les caractères, qui isolent la femme et donnent
à son rôle, au sein du foyer, un cachet de tristesse morose.
C'est donc contre la piétiste, à l'esprit étroit et renfrogné,
que se liguent les philosophes et les femmes qui veulent
s'émanciper de ce bigotîsme sans souffle et sans idéal.
Frédéric Schlegel, Jean-Paul et Schleiermacher du côté
des hommes, Caroline MichaëHs, Henriette Herz, Char-
lotte de Kalb, M™® de Krudener, Emilie de Berlepsch,
Adèle Cohen, Rachel Varnhgen, Charlotte Stieglitz, sont
plus ou moins à la tête de ces émancipées; prêtres et
prêtresses de l'art, du génie nouveau qui devait allumer
dans plus d'un cœur et des convoitises passionnées et des
aspirations incohérentes, surexcitant les esprits jusqu'au
l'amour et les femmes au XVIII® SIÈCLE 23
point de leur faire perdre la sensation du vrai et du
juste.
Ce n'est plus Augsbourg, ce n'est plus Nuremberg, ce
n'est plus Cologne, ce n'est plus Francfort, ce ne sont
plus les cités aux anciens patriciats, tout pétris d'un dogme
orgueilleux, qui donnent le branle aux idées nouvelles ; le
mouvement vient des villes imprégnées de l'esprit philoso-
phique de la France voltairienne et révolutionnaire, de
Berlin comme de Mayence.
Un élément nouveau, au point de vue de l'esthétique
féminine, doit également contribuer pour une grande part
à ce mouvement, c'est l'élément juif, apparaissant ainsi
sur la scène du monde, avec des idées neuves, des for-
mules moins étroites, une façon bien à part de concevoir
et d'exprimer les choses. Toutes ces femmes juives, Adèle
Cohen, les filles du banquier Meyer, les filles du banquier
Ilzig, les Ephraïm, Rachel Varnhagen, Sophie Bernhard,
la protectrice en titre des poètes, sont belles, vives, intelli-
gentes ; elles possèdent une grande liberté d'esprit, et
montrent de réelles dispositions non seulement pour les
langues modernes, mais encore pour l'étude de toutes les
questions importantes de philosophie, de morale, d'esthé-
tique. Et à partir de 1800, lorsque l'aristocratie laissera
quelque peu de côté ses anciens préjugés, lorsqu'elle ne
craindra pas de s'allier à ces femmes, mondaines autant
que les anciennes Allemandes l'étaient peu, spirituelles et
enjouées autant que les protestantes du jour sont froides
et méthodiques, la société berlinoise occupera une place
bien à part dans le monde féminin.
Que d'idées, que de conceptions hardies, furent soûle-
LA FEMME EN ALLEMAGNE
vée3 et discutées dans ce monde où trôna si longtemps
Henriette Herz, surnommée la Bécamier allemande, la
Muse tragique, à cause de son attitude majestueuse, ou
encore la belle Circassienne, grâce à la blancheur de son
e Racliel VarnliaKen.
t grarare du tempt.)
teint, Henriette Herz qui est l'amie, aussi intime que pla-
tonique, de toutes les illustrations de l'époque.
Mélange bizarre d'idées religieuses et philosophiques,
de Judaïsme et de protestantisme, qui devait amener la
L AMOUR ET LES FEMMES AU XVIll" SIÈCLE 3à
fondation de celte ligue de vertu ou liommea et femmes
se tutoyaient le plus tendrement possible, oîi l'on correspon-
dait en hébreu, où l'on échangeait bagues et silliouettes mys-
tiques, où l'on poursuivait le développement moral et le bon-
Fig. 6. — Portrait de Henriette Hen.
{D'aprét tnf gravur* du Itmpi.)
heur par r affection, mais sans devoirs, parceque Xaffection,
érigeait-on en principe, ne peut pas connaître de devoirs.
Quant à ce qu'on est convenu d'appeler la bienséance.
2fi LA FEMMi: EN ALLEMAGNE
considérée comme une règle conventionnelle, elle était,
purement et simplement supprimée.
On peut juger de ces amitiés, de ces intimités, par les
rapports qu'eurent longtemps ensemble Henriette Herz
et Schleiermachcr, rapports, je le répète à nouveau, tout
platoniques, qui se bornent au tutoyement de deux intelli-
gences éprises d'idéal et d'excentricité, sans qu'on ait
môme jamais essayé de s'aimer d'amour.
(( Nous sommes liés par l'amitié la plus pure, la plus
fidèle, la plus dévouée, » écrivait Henriette à Schleier-
macher, « mais jamais, jamais, je ne pourrai, je ne devrai
t'appartenir comme épouse ! » Ce à quoi notre théologien-
philosophe répondait par une distinction bien typique
entre ^< la coquetterie libérale et la coquetterie illibérale,
celle qui se propose de captiver Thomme tout entier, et
celle qui se contente d'éveiller ses sens. »
Et déjà dans Schleiermacher, l'on sent germer les grandes
idées qui prévaudront plus tard au point de vue du mariage
et de la femme, idées étouffées par le code Napoléon mais
que devait revendiquer bien haut la philosophie allemande.
Ces idées, c'est que le mariage, association d'âmes
humaines et de forces génératrices, n'en est plus un dès
qu'il lui manque cette condition intérieure et essentielle de
r union ; c'est que le divorce, garantie morale, est insuffi-
sant au point de vue physique ; c'est que, pour arriver à
des mariages parfaits, il faudrait, souvent, échanger les
couples entre eux.
Comme on est déjà loin des chastes amours de Gœthe,
dans ces dissertations sur l'amour physique où tout est
analysé, froidement disséqué !
l'amour et les femmes au xviii^ siècle 27
Que penser, par exemple, de Caroline Michaëlis, succes-
sivement femme du médecin Bœhmer , du philosophe
Schlegel, du philosophe Schelling, qui commence à
Tidylle pour finir par Tinlrigue, après avoir subi les per-
sécutions que lui valent ses sympathies françaises? Et
pourtant que de puissance intellectuelle dans celle que
Gœthe appelait M^ Lucifer et dont il eut bien soin de
se garer ; dans celle qui fut l'inspiratrice de M™® de
Staël, qui développa le romantisme, qui soutint le libéra-
lisme.
Quoi qu'il en soit, Werther de Gœthe, Lucinde de
Schlegel, Titan de Jean-Paul, sont les trois œuvres capi-
tales pour l'étude des idées allemandes au sujet de
l'amour et des sensations féminines. Toutefois, dans
Lucinde qui émut si profondément l'Allemagne, l'amour, à
proprement parler, n'a rien à faire; ce n'est plus de la
passion, c'est du raisonnement, c'est de la description qui
vise à l'effet ; le but est, avant tout, de saper l'honnêteté
conventionnelle.
Mélange de passion et de mysticisme, l'œuvre de Schle-
gel chante les sens, le caprice, les droits de l'individu à
l'amour ; c'est à la fois une apologie de la nature et de
l'innocence dirigée contre la société, comme le xvni® siècle
aimait tant à en concevoir. Il y a plus; par ses descriptions
des mystères de la folie féminine et de la joie de l'homme,
il arrive à produire une peinture moralement immorale
qui devance de près d'un siècle les études littérairo-
naturalistes de notre époque. On peut rapprocher des
Bijoux indiscrets de Diderot, le portrait de Caroline Schle-
gel qui y figure, portrait tout plein de libertinage esthé-
28 LA FEMME EN ALLEMAGNE
tique et moral, ainsi que de sentimentalité amoureusement
obscène.
Et il faut d'autant plus noter ce rapprochement du sen-
timent et de la sensualité vulgaire, qu'il survivra à Fœuvre
du philosophe ; qu'il doit constituer, par la suite, un des
côtés les plus particuliers du caractère allemand.
Faut-il également parler de la hardiesse des opinions
émises? Voici de quoi nous édifier. Tandis que Henriette
Herz s'étonne de l'importance qu'on semble attacher dans
les romans à la conservation de la chasteté avant le
mariage, Schlegel, qui avait émis l'avis qu'on devrait bien
déporter en Angleterre toutes les prudes, proclame haute-
ment que la plupart des mariages sont des concubinats ou,
du moins, des essais provisoires de mariage.
Ne vous récriez point, ces idées seront reprises par la .
suite, vous les retrouverez sous la plume de plusieurs écri-
vains, traçant leur sillon, jusqu'au jour où on les verra
pénétrer dans l'esprit des masses.
Justes ou fausses, elles n'en doivent pas moins figurer
dans les agrégations successives, qui ont contribué à
constituer l'Allemande actuelle.
Mais tandis que les philosophes et les femmes émanci-
pées, les Juives surtout, ce fait ne doit pas être oublié,
s'épuisaient dans des revendications humanitaires, mélan-
geant agréablement sentimentalité et sensualité, créant un
érotisme tout à fait particulier, bien allemand par son côté
sérieux et pédant, de l'erotique documentaire en quelque
sorte, d'autres Allemandes se faisaient remarquer dans un
domaine différent, non plus par leur étroit amour pour la
famille, pour la cité, mais par un amour plus large et sur-
l'amour et les femmes au XVIII" SIËCLE 20
tout plus moderne pour la patrie allemande ou plutôt pour
la patrie prussienne, amour qui prit naissance à la suite
des immenses désastres de 1806. Ce sont toujours les
grandes catastrophes humaines qui font naître chez les
A)«'JX,^.
- GrdTure de Schumann, extraite de «l'Art d'èlre heureux
avec les rvmmes >, almanach de IBOO.
peuples le sentiment du sol natal, du chez-soi , du home
faisant partie de ce grand tout qu'on est convenu d'appe-
ler la patrie.
30 LA FEMME EN ALLEMAGNE
Eh bien ! sentant en elles je ne sais quel élan généreux,
se souvenant, sans doute, de leurs aïeules, les anciennes
Germaines, que Tacite nous montre présidant aux prépa-
ratifs de la lutte, quantité de femmes, moins émancipées
intellectuellement, peut-être, mais plus imbues de fémina-
litéj s'associèrent aux émotions des heures enthousiastes.
n est surtout deux figures qu'on ne peut oublier ici, la
reine Louise et M"® de Ltltzow.
La reine Louise est dans tout l'éclat de la jeunesse et de
la beauté ; elle monte à cheval, elle passe des revues, elle
communique à ceux qui l'entourent les généreuses passions
nationales dont son cœur est rempli. Elle ne vit que pour
la patrie et par la patrie, si bien que lorsque cette der-
nière succombe sous le poids des humiliations, elle meurt,
elle aussi, ne pouvant survivre à tant de désastres répétés.
Grande figure doublement belle, moralement et physique-
ment, dont les Allemands peuvent être fiers et dans
laquelle ils incarnent toutes leurs vertus au point de vue
féminin.
A la royauté près. M™® de Lûtzow rayonne d'une gloire
aussi pure ; elle qui enrôle pour les CQrps francs de son
mari, elle qui suit de près l'armée, toujours prête à porter
aide aux médecins, à soigner les blessés, à les encourager
par sa présence.
Dans ces deux femmes également belles, ayant l'esprit,
la grâce, la position sociale, réside je ne sais quel enthou-
siasme chevaleresque qui rappelle les grandes époques.
Et c'est ainsi qu'on peut suivre la genèse de la femme
allemande, nationalisée par Luther avec et par la religion,
dans ce xvi® siècle qui fut si grand de l'autre côté du Rhin^
I HEINE LOUISE I
ID'aprei unt a
APRÈS SON MARIAGE
LAMOCR F.T LF.S FKMMKS Alt XVIIl' SlP.CLE 33
perdant son rôle — parce que la paix intérieure lui
manque alors, — durant la guerre de Trente Ans ; se lais-
sant peu à peu pénétrer par les idées étrangères ou refu-
sant d'y prêter la main, et se réfugiant dans un piétisme
étroit, ennuyeux, froidement conventionnel, jusqu'au jour
où les idées sur l'amour, le mariage, les sensations fémi-
nines, sont remises à nouveau au creuset de la pensée,
idéalisées par Gœthc qui est encore l'homme du passé,
matérialisées ou, dans tous les cas, singulièrement inter-
prétées par les maîtres de la philosophie nouvelle.
Que de sottises eussent été évitées, que de jugements
aussi faux qu'iniques n'eussent certainement pas été por-
tés sur la femme allemande , si l'on avait voulu faire ces
études, si l'on avait essayé de remonter aux sources mêmes
de la féminalilé germanique.
Fig. 8. — Vigncllc ik' Scliuljerl.
III
LA JEUNE FILLE
Poupée à ressort savamment articulée, sachant dire avec
un art parfait : Oui papa^ Oui maman^ Oui monsieur , mais
incapable de voir, ou de raisonner par elle-même, voilà
comment bien des gens qualifient la jeune fille française.
Il est vrai que de la môme jeune fille, on a fait également
une demoiselle au babil intarissable, aux dehors brillants,
aimant. tous les luxes et tous les plaisirs, avide de spec-
tacles et de promenades, brûlant du désir de se montrer,
rêvant toilettes extravagantes et je ne sais quels décoUe-
tages aux trois quarts de peau.
Comme si, partout, il n'en était pas un peu de môme ;
comme si les filles n'étaient pas, partout, piquées de la
môme tarentule !
Gretchen, cette Marguerite souvent idéalisée par les
peintres et les écrivains, citée comme modèle de toutes
les vertus passées et présentes, alors que, d'autres fois,
on lui a refusé jusqu'à la plus petite des qualités, vaut-elle
mieux ? C'est ce que nous allons voir, et pour cela, considé-
rons d'abord l'éducation et le tempérament de la race.
36 LA FEMME EN ALLEMAGNE
Autant la jeune fille française est étroitement sur-
veillée, autant la jeune fille allemande se meut dans une
sphère indépendante.
Est-ce à dire que les Allemands ont mieux résolu le
problème de Téducation de la femme, ou bien doit-on
attribuer cette liberté — relative assurément — au fait
que Thomme de ces contrées a le tempérament plus froid,
que la jeune fille, de son côté, a le cœur moins ouvert à
Tamour, si bien que les dangers se trouvent être moins
grands?
Grave question, délicate à poser, difficile à résoudre !
Elevée par sa mère, en dehors, pour ainsi dire, de Tin-
fluence directe de Thomme, étant censée tout ignorer, la
jeune fille française s'instruit surtout par la rue, cette
éducatrice des grandes cités.
Juste à Topposé est la jeune fille allemande, vivant en
contact avec les jeunes gens,, avec les amis de son frère,
car il est rare, vu la fécondité germanique, qu'elle soit
Tunique enfant de la maison. Sa mère n'est point là sans
cesse, pour la garder, il lui faut pourvoir à se garder elle-
même. D'oh il s'ensuit qu'elle est plus armée, qu'elle
sait ce que les autres ignorent, qu'elle pense, qu'elle agit
par elle-même. Ce n'est plus la poupée modèle taillée sur
le patron, toujours uniforme du maintien et de la correc-
tion, c'est déjà une intelligence éveillée, prenant part
d'une façon active, et toujours personnelle, à la vie pu-
blique du pays ; d'autant plus libre dans ses mouvements,
dans le choix de ses plaisirs ou de ses lectures, que l'Alle-
magne, plus soucieuse que nous de la jeunesse, a des
plaisirs et des lectures pour les jeunes filles.
EUHE FILLE PRÉPAR*"! LA TABLI
LA JEUNE FILLE 39
Que d'occasions de rencontres qui» tiennent à autant de
particularités de la vie allemande !
Voyez pendant Tété, sur les lignes ferrées qui sillonnent
le pays en tous sens, ces bandes de blondes Gretchen, en
toilette d'excursion, chapeau rond, manteau roulé passé
autour du corps, lorgnette en sautoir, grande ombrelle ou
canne de montagne à la main ! Elles vont avec une quel-
conque de ces sociétés dont le pays fourmille, sociétés
de chant, de musique, de gymnastique, d'histoire, d'his-
toire naturelle, visiter telle ou telle région, telle ou telle
ville ; partout admises, partout fêtées ; passionnant, pour
leur part, ces sortes de promenades qui leur permettent de
satisfaire le besoin de locomotion inné chez tout individu
de race germanique. Et, seules ou par petits groupes
isolés, elles circulent ainsi, allant se voir de ville en ville,
sans que les parents s'inquiètent autrement de ces excur-
sions lointaines. Plus jeunes, on peut les voir sous la con-
duite de maîtresses et quelquefois môme de professeurs
plus ou moins imberbes. Tout cela cause et rit ensemble ;
personne ne s'en formalise, parce que chacun sait d'a-
vance que rien de fâcheux n'en résultera. En France, le
fait passerait pour une excentricité sans nom, pour une
de ces choses monstrueuses et hors nature, comme il s'en
produit quelquefois. Un peintre saisirait ses pinceaux et en
ferait le sujet d'une grande machine classique propre
à figurer au Salon sous le titre pompeux de : Linnocetice
dans la gueule du loup. Et ce serait bien autre chose encore,
lorsqu'on verrait, par chez nous, de joyeux groupes fémi-
nins se mettre ainsi en route, pour aller rejoindre des
bandes d'étudiants, frères, cousins, amis ; lorsqu'on assis-
40 LA FEMME EN ALLEMAGNE
terait à ces rencontres, à ces reconnaissances, à ces em-
brassades !
Ah ! les bonnes mêlées de jeunesses, les bonnes pous-
sées de jeunes hommes et de jeimes femmes, où Ton
s'amuse sans contrainte, où Ton ébauche des romans de
vingtième année, où Ton forme des projets d'avenir ! Ce
n'est déjà plus l'innocence naïve et c'est encore la jeunesse
avec toutes ses illusions !
Que vous alliez sur les bords classiques du Rhin, sur
les rives riantes du lac de Starnberg, sur les bords plus
gris de la Sprée, sur les côtes sombres et brumeuses de
l'Océan, dans toute l'Allemagne, il en est ainsi.
Et si la jeune fille se môle à tout, participant aux fêtes,
aux promenades, aux cérémonies, c'est que, partout aussi,
on la respecte. Que la ville où elle habite soit une grande
cité populeuse ou une résidence princière humble et dis-
crète, elle peut y circuler sans jamais être accostée ou
grossièrement interpellée. Cependant, fait caractéristique,
là où le trottoir est plus mélangé, plus disputé, la mode
française est souvent invoquée : Gretchen sort accom-
pagnée de sa mère ou d'une servante.
Mais cette jeune fille qui prend ainsi sa part des fêtes
et des plaisirs est la môme que vous verrez s'occuper des
choses de l'intérieur. Habituée, de bonne heure, aux soins
du ménage, c'est elle qui, suppléante de sa mère, accom-
pagne la bonne au marché, à ce pittoresque marché des
villes d'outre-Rhin, s'étalant dans toute sa splendeur de
coloris sur les places et dans les rues, au lieu d'être
comme les nôtres resserré dans une halle couverte. C'est
encore elle qui soignera les petits frères, qui leur servira
■f^^^
FIANCES XLLEMANDS CHEZ LE PHOTOGRkPHE
LA JEUNE FILLE 43
d'institutrice, qui fera ses robes, qui arrangera celles des
sœurs cadettes.
Ce sens pratique, cet apprentissage de la vie sont, pour
beaucoup, dans la supériorité de la jeune Allemande qui,
tout en connaissant le côté matériel de l'existence, n'en
conserve pas moins des aspirations vers l'idéal.
Combien moins mystique est son éducation, si on la
compare à celle que reçoivent nos jeunes filles : elle sait
le pourquoi et le parce que des choses, non par pure intui-
tion, non pas en risquant un œil à la dérobée, à l'instant
propice où la mère s'est relâchée de sa surveillance habi-
tuelle, mais par raisonnement, par déductions.
Elle flirte avec les jeunes gens tout en sachant fort bien
où peut la conduire cette cour platonique ; si elle se laisse
aller jusqu'au point de se compromettre, et surtout, s'il y
a de la casse^ soyez certain que ce ne sera nullement par
ignorance des choses. Les jeunes filles ne s'enflamment-
elles pas comme de l'étoupe? Demandez-le plutôt au pro-
verbe allemand qui dit : « Une fille attrape une fuite aussi
facilement qu'un vêtement blanc une tache. »
Toutefois, de même que les taches peuvent s'enlever
sur le blanc, de même les fuites se peuvent réparer.
L'innocence, n'est-ce pas, au reste, un cliché dont on a
bien abusé, puisque, en somme, les filles sont en tout et
partout averties par leurs secrets instincts ! La seule diffé-
rence est qu'en France, il ne leur est pas permis dépenser
ouvertement à la fonction qui leur incombe, tandis qu'en
Allemagne, l'éducation, moins bégueule, leur apprend à
envisager les choses sans fausse pudeur.
C'est que, là-bas, la maternité est une des grandes
44 LA FEMME EN ALLEMAGNE
bases de rédificc social qui marche de pair avi»c la crainte
de Dieu et Tamoup du Souverain, c'est que, nulle part, le
« croissez et multipliez », sous Tégide des autorités ter-
restres et divines, n'a, comme en Allemagne, pénétré les
masses.
Ce que la jeune Française voit dans le mariage, c'est,
on le sait, le plaisir de s'entendre appeler : Madame^
Témancipation de la tutelle maternelle, souvent impa-
tiemment supportée, la possibilité d'aller et de venir, de
jouir un peu de cette vie qu'elle a pu à peine entrevoir,
mais dont elle devine tous les charmes et toutes les grise-
ries. Le mari et la maternité viennent après. La jeune
Allemande, elle, voit déjà la famille qu'elle procréera avec
celui qu'elle aime, ce qui ne veut pas dire, assurément,
qu'elle soit exempte de toute idée d'ambition ou d'amour-
propre.
classique Gretchen, aussi habile musicienne que
bonne ménagère, vous qui êtes entendue à tous les tra-
vaux d'aiguille ; vous qui aimez les grandes armoires à
linge où les piles s'entassent dans un ordre parfait ; vous
qui avez appris dans des écoles spéciales à cuisiner et à
taillçr vos robes ; quel que soit, du reste, votre nom. Mina,
Victoria, Amalia, Bertha, Hedwige, Luise ou Ottilie, je
sais à quoi vous pensez, je sais ce que vous ambitionnez.
Vous pensez au mari idéal, à celui qui,^ pour vous, re-
présente une des colonnes de la patrie, à l'officier ou à
l'étudiant ; vous songez au titre qui flattera tant vos rêves
ambitieux. Épouse d'un Herr Doctor^ d'un Herr Prof essor ^
d'un Herr Major ^ vous vous voyez déjà la Frau Doctorin^
la Frau Professoririj la Frau Major in l
k L'ÉCOLE DE CUISINE
(Oeuin arigioil de Him.)
LA JEUNE FILLE 47
Mais ici, une question se pose, à laquelle il me faut
répondre sous peine de voir mon lecteur m'échapper :
Cette Gretchen dont les qualités sont si nombreuses, qui
est douce, bonne, aimante, qui ne songe qu'à la famille et
aux devoirs de Tintimité, est-ce bien encore la jeune fille
d'aujourd'hui, le Backfisch * classique, suivant l'expression
plus ou moins poétique d'outre-Rhin? Ne subit^elle pas,
elle aussi, comme presque partout, certaines influences
modernes, essentiellement pratiques, qui enlèvent à la
femme beaucoup de son idéal et qui feront bientôt de
l'amour vrai, désintéressé, une chose de plus en plus
rare?
Une femme-auteur de l'Allemagne, la baronne Kathinka
von Rosen va nous édifier sur ce point :
« L'éducation de notre jeunesse féminine, » écrivait-elle
tout récemment, « laisse beaucoup à désirer. Malgré les
écoles, malgré les cours qui ont été multipliés jusqu'à
satiété, la véritable éducation, dans les classes élevées,
prend une tournure déplorable, et le côté superficiel va
toujours en augmentant.
« Jetons un regard sur nos jeunes filles à moitié déve-
loppées. Ne sont-elles pas d'afl*reuses figures de modes en
miniature? Les Backfisch^ aux longs bras minces, à la large
' Littéralement, le Backfisch est un petit poisson à frire, qui, lorsqu'on
recueille le produit de la pêche est jeté dans un baquet spécial, jusqu'à
ce qu'il soit prononcé sur son sort, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'on sache
si on le gardera ou si on le rendra à la mer.
Le Backfisch est donc le symbole d'un être qui ne sait pas encore bien
à quoi il appartient, et c'est pourquoi ce terme s'applique le plus sou-
vent dans un sens ironique à la jeune fille placée par son âge entre
l'école et la société.
48 LA FEMME EN ALLEMAGNE
taille, aux épaules pointues, aux dents blanches, aux joues
roses, aux yeux brillants, aux longues tresses, ont entière-
ment disparu. Oîi sont-elles ensevelies ces filles vraiment
laides, à la démarche gauche, aux manières maladroites,
que Ton devrait pourtant regretter parce qu'elles étaient
jeunes et enfantines, parce qu'elles avaient un cœur chaud,
parce qu'elles ressentaient un brûlant enthousiasme pour
tout ce qui est beau et grand, et qu'elles se seraient avec
joie sacrifiées pour les leurs ! Qu'avons-nous maintenant
à la place ?
« Des petites femmes bien parées, habillées à la dernière
mode. Le dedans répond au dehors. Les Backfisch d'au-
trefois s'entretenaient entre elles de leurs poupées et de
leurs jeux, n'adressaient la parole aux gens âgés que si
on les questionnait, nos jeunes filles modernes dédaignent
les poupées, parlent théâtre ou tableaux de Mackart, et
sur chaque chose et sur tout donnent leur avis avec une
suffisance qui n'a d'égale que l'arrogance. Revait-elle
d'avenir, la jeune fille d'autrefois, tout aussitôt se pré-
sentait devant elle une vie d'intimité simple et heureuse ;
elle se voyait aux pieds d'un héros orné de toutes les ver-
tus humaines. Aujourd'hui, l'idéal de la jeune fille de
quatorze ans est un sac d'écus ; elle est, avant tout, pra-
tique. »
Ainsi donc, en Allemagne, aussi, le dieu Argent, ce
tyran des sociétés modernes, est en train d'exercer son
influence délétère. Et qui en soufl're tout d'abord? La
femme, par conséquent l'amour. Le jeune Backfisch qu'on
voyait autrefois de par les rues, le nez au vent, son carton
sous le bras, dans une toilette plus ou moins correcte,
LA JEUNE PILLK 49
s'inquiétant fort peu de l'argent, de sa valeur et de son
importance, tend à disparaître, cela est très vrai. Cette
modiBcation dans les mœurs est particulièrement visible
sous le crayon des dessinateurs : ouvrez un journal
illustré, et les anciennes écolières, aux dehors si simples,
vous apparaîtront avec la jaquette café au lait» livrée
universelle de la. pschutteuse moderne.
Fig. 9.
ID'aprit da iai
I Backfiich à'aulKtois et le Backfiieh moderne.
I dt Spitttr et dt Schhllgen, daai la Fliegende Blcller.)
La jeune Allemande a revêtu l'uniforme et devient la
poupée élégante dont nos civilisations ont fait, en quelque
sorte, UD type international. Mais en estril ainsi partout,
dans un pays qui, comme l'Allemagne, présente une telle
diversité de physionomies ? Assurément non ; et il est
plus d'une cité dans laquelle vous pourrez rencontrer
encore l'ancien Backfisch.
50
LA FEUJIE EN ALLEUACM:
Qued'indiWduaHtéa, au resle. pour conserver l'origina-
lité féminine de la race : filles de militaires dont l'idéal
est le jeune lieutnant, peintresses, wagnériennes, végéta-
rienoes, doctoresses, étudiantes, et bien d'antres, non
moios excentriques. Pénétrez dans le pays ; vous trouve-
rez ici les villes à argent oîi domine le type juif, tes villes
industrielles et manufacturières où les mœurs sont toujours
restées empreintes d'une ceriaine bonhomie; là, les villes
princières, les Residenzstsedte, avec leur morgue aristocra-
tique; puis les villes universitaires au pédantisrae clas-
sique, les villes du livre et de la peinture, plus fantaisistes,
recherchant le caprice et l'élégance, enfin les villes
encore rustiques par le fait qu'elles sont le centre d'une
certaine agglomération paysannesque, si bien que l'at-
mosphère de Francfort ou de Beriin n'est pas l'atmosphère
d'Elberfeld, de Hambourg, de Dresde, de Brunsvick, de
Weimar, d'Iéna ou de Munich.
LA JEUNE FILLE 51
Et puis, quelle que soit la ville, ce qui constituera tou-
jours la plus curieuse particularité des mœurs, c'est la
liberté presque absolue laissée à la jeune fille quant au
choix d'un époux. C'est en vain que les parents formeront
des projets ; c'est en vain qu'ils la produiront à tous
les von de la localité pour obtenir par son argent les hon-
neurs d'une alliance aristocratique : leurs combinaisons
viendront échouer devant la volonté de leur fille, si le
parti qu'on lui propose n'a pas son assentiment.
Comment pourrait-il en être autrement, quand la jeune
fille se développe dans les mêmes conditions d'indépen-
dance que la jeunesse masculine, quand elle peut laisser
parler ses instincts, quand elle a toute Uberté pour rece-
voir, pour présenter à ses parents les jeunes gens qui
lui plaisent?
Maintenant, que faut-il penser des singulières idées
qui ont cours en France sur l'amour allemand? Les uns
affirment hautement que ces blondes jeunesses sont inca-
pables d'aimer ; les autres, cherchant à analyser leur
amour, disent qu'il ne part point du cœur ; qu'il est le
produit d'un état de surexcitation cérébrale amenée par la
lecture de livres romanesques.
Etrange façon déjuger, assurément, qui équivaut presque
à dire que l'amour est le propre de certaines races ei reste
inconnu des autres.
Or, qu'est-ce qu'une jeune fille qui n'aimerait pas, une
jeune fille dont le cœur serait éternellement fermé? Que
Gretchen se monte la tête, je le veux bien, mais toutes
les jeunes filles n'en font-elles pas autant; l'amour lui-
52 LA FEMME EN ALLEMAGNE
môme n'est-il pas un composé des griseries du cerveau et
des griseries du cœur ?
Elles mentiraient donc, alors, toutes ces lettres d'amour
pleines de sentiment et d'élan, à travers lesquelles on
sent passer Tâme de celle qui les écrit ; car, dussé-je sur-
prendre bien des gens, je leur dirai que les jeunes Alle-
mandes ne se font pas faute d'en écrire.
Eh bien ! quelque ridicules que soient ces idées, je les
trouve développées tout au long dans un récent ouvrage,
lequel abonde cependant en justes appréciations sur l'Alle-
magne et ses habitants !
Je copie :
« Se créer une position, posséder son chez soi, gemûth-
lich^ confortable, environné de bien-être, sans autres
soucis que ceux de son ménage, où elle puisse se procurer
la plus grande somme de jouissances matérielles, bien
manger, boire et dormir, bien dormir, boire et manger,
voilà son rêve. Elle ne comprend pas autrement le
mariage. Il lui faut du solide, du positif: quant à l'amour,
ça ne compte pas.
« Un jeune liomme se propose-t-il de demander la main
d'une jeune fille? pas n'est besoin d'intermédiaire : une
simple annonce dans un journal suffit. L'affaire se débat
et se conclut directement entre parties, par correspondance
et échange obligé de photographies. Si les deux jeunes
gens se connaissent déjà ils entrent aussitôt en propos et
se posent des questions. La demoiselle ne dira pas à l'ado-
rateur : « M'aimez- vous ?... » elle n'y songe même pas;
mais « Pouvez-vous nourrir une femme ?... » — « Êtes-
LA JEUNE FILLE 53
VOUS en place [angestellt) ?. . . » <( Combien gagnez-vous par
an? » « Avez-vous de la fortune?... « Tout est là.
L'Allemande n y va pas par quatre chemins. Bon souper,
bon gîte d'abord, quant au reste... on verra. »
a Age, beauté physique, difformités ou laideur, peu lui
importe ; que le prétendant soit jeune, vieux, beau ou laid,
goutteux, cul-de-jatte ou manchot, que ce soit Apollon,
Narcisse ou Quasimodo... »
« Pouvez-vous nourrir une femme ? avez-vous de la for-
tune ? Voilà la question ...»
Et c'est ainsi qu'on écrit l'histoire.
Oui certes, la jeune fille veut que son futur mari puisse
la nourrir, subvenir aux frais du ménage, et cela justement
parce qu'elle ne recherche pas, en général, ce qu'on est
convenu d'appeler, chez nous, un mariage d'argent. Elle
n'aspire pas après la fortune ; elle demande le bonheur et
la tranquillité dans une médiocre aisance.
Quant à la beauté masculine elle est loin d'afficher pour
elle un pareil mépris, et si l'amour était aussi étranger
qu'on veut bien le dire, aux unions maritales, que signi-
fieraient ces fiançailles dont la durée dépasse quelquefois
plusieurs années? N'est-ce pas pour permettre au fiancé
choisi de se créer une position, chose fort juste qu'il fau-
drait souhaiter voir s'introduire dans nos mœurs, au
lieu des honteux marchandages pécuniaires dont la chro-
nique parisienne dévoile chaque jour les secrets. S'il en
était ainsi, tant de beaux messieurs ne se feraient pas en-
tretenir par leurs femmes !
Assurément, il est des jeunes filles allemandes qui pas-
sent avec la plus grande désinvolture d'un amoureux à
LA PEMMK EN ALLKUAGNE
l'autre, qui laissent même quelque peu effeuiller leur cou-
roune virginale, mais ces faiblesses ne constituent pas une
(les particularités de la race. On les rétro uve'^artouf, plus
Fig. II. — Et iTiiiinicnant. »cusez ma q
'i-elle pas donné mat k la lèie?
— Olil nullemenl, mesdemoiselles, je si
De ce qu'elles peuvent disposer plus librement de leur
main, il ne s'ensuit pas, non plus, que leur choix soit
toujours heureux, mais cette liberté a ceci de bon qu'elle
permet i la jeune fille une élude plus complète du carac-
LA JEUNE FILLE 55
tère de l'homme. On ne la jette pas dans les bras d'un
inconnu dont elle est destinée à devenir la femme par ordre
paternel ; elle peut choisir, elle peut voir, elle peut appré-
cier. Si elle n'a point trouvé son âme sœur, elle se résoud
au céUbat, à moins qu'elle ne se fasse enlever de plein
gré par quelque jeune étudiant, quelque fringant mih taire
ou quelque précepteur sachant habilement passer de la
théorie à la pratique. Cela se voit, et môme assez souvent.
Enfin, si dans les cités financières et commerçantes, si
même dans la plupart des grandes villes, le Backfisch
devient essentiellement pratique , essentiellement pro-
saïque, l'Allemagne ne manque pas encore, pour cela, de
sentimentales Gretchen, qui brodent à leurs amoureux
pantoufles et bretelles, qui leur font des calottes à glands
en môme temps que des capuchons pour lampes, et qui,
lorsqu'ils sont au loin, leur envoient des lettres encadrées
de Vergissmeinnicht.
Pour en savoir plus, il faudrait pénétrer jusqu'au plus
profond de l'âme humaine, et c'est là l'éternel inconnu.
L'Eve allemande ne se laisse pas plus facilement deviner
que l'Eve française. Toutes deux sont sœurs : si l'une a
plus d'expérience que l'autre et moins de curiosité native,
c'est le fait de l'éducation et non de la nature.
Je n'essaierai pas de mettre l'une au-dessus de l'autre,
ce serait sans raison, mais ce qu'il importe de bien retenir
pour la classification des types, c'est que l'une a une vie
personnelle, tandis que l'autre — je veux parler de la jeune
Française — est bien réellement un Backfisch,
En France, en efl*et, la jeune fille n'a aucune place au
soleil : elle ne peut prendre part à notre existence et nous
36 LA FEMME EN ALLEMAGNE
ne savons pas nous mettre à sa portée. Les hommes d'un
âge mûr la fuient et Tisolent : dès qu'elle apparaît quelque
part, aussitôt les propos semblent perdre de leur entrain.
Il est rare qu'on veuille causer avec elle ; il est non moins
rare qu'elle puisse tenir une conversation de quelque
intérêt dans le domaine des idées. Et il ne saurait en être
autrement puisque tout doit lui être fermé.
L'Allemand, au contraire, va à la jeune fille, il lui fait
place, il lui ouvre la vie, que dis-je, il crée toute une vie
pour elle, si bien qu'elle constitue un des éléments actifs
de la société. Au lieu d'être une gêne, elle en devient un
des charmes.
Grande et féconde idée qui sans cesse entoure l'homme
de féminité ; qui lui apprend à respecter la femme sous sa
première forme ; qui l'habitue à sa présence et qui, d'autre
part, fait connaître à la jeune fille ce monde qu'elle doit
contribuer à perpétuer.
Ce n'est point une recluse, une vierge, élevée pour être
immolée au jour donné, et qui, le sacrifice une fois
accompli, pourra entrer dans ce monde qui, jusqu'alors,
lui restait fermé. C'est l'être humain qui, à travers les
transformations de l'âge et de la raison, n'en a pas moins
été mélangé à la vie commune. Si bien que, pour tout dire,
lorsque le mariage arrive, la jeune Allemande qui a déjà
vécu peut y entrer de plein pied, tandis que la jeune Fran-
çaise, qui n'a fait que l'entrevoir à travers les grilles de
l'éducation et de la convention, commence d'abord par
s'amuser, par jeter son bonnet par-dessus les moulins du
code.
Puissent ces mœurs devenir les nôtres et tout le monde
LA JEUXR FILLK
y gagnera, car ce sera la preuve évidente que la société
française aura donné à sa conversation un tour plus moral
sans être pour cela, ni bégueule, ni ennuyeuse, deux enne-
mies dont l'honnêleté n'a que faire.
Pig. 1i. — Petites HUes iiiuniclioises.
iD'aprii Jti croqaii dt W. Gragitr.i
IV
LA FEMME
Une Anglaise, miss Anny Fay, qui a publié en 1882 des
études sur la musique germanique , dit au sujet des
femmes :
<( Les dames allemandes mangent trop et trop souvent.
Elles deviennent ainsi trop corpulentes, et, par-dessus le
marché, elles trahissent cette infirmité en portant des
robes carrées, c'est-à-dire échancrées rectangulairement.
De plus elles soignent fort mal leurs dents , ont rarement
des traits réguliers, et trop souvent le teint échauffé. »
Il est vrai que dans un volume français, j'ai lu tout le
contraire :
a Au demeurant, de belles dents, une peau rose et
transparente, une taille élancée et un buste richement
garni de ces charmants attributs qui révèlent une prédis-
position à la maternité. »
On n'est pas plus poétique.
Je voudrais mettre nos deux écrivains d'accord ; faisons
appel à un troisième, qui va peut-être nous donner une
appréciation plus juste, plus impartiale.
60 LA FEMMK EN ALLEMAGNE
Or, pour le troisième, rAUemande reluit, elle se lave
la figure avec du savon, mais se nettoie rarement les
ongles. Elle fait admirablement les gâteaux, elle sait jouer
du Beethoven , mais elle n'a aucune des grâces de la
femme. Dans les plus petites politesses, elle voit une
preuve d'amour; elle ne se donne pas, elle s'offre avec
une impudence gauche qui est sans égale. — Est-ce tout?
Non.
Entrant dans les détails les plus intimes de la toilette,
Fauteur ajoute : « Et mal habillée, avec des jupons de fla-
nelle, des pantalons de flanelle rouge, des corsets en cou-
til mal faits, des chemises bien hautes en grosse toile,
des bas tricotés bien courts finissant au-dessous du
genou. » Peut-être allez-vous penser, est-ce là, en effet,
r attifement de quelques Allemandes ? Non point. « Toutes
sont attifées de la sorte, » affirme-t-on en manière de
conclusion.
N'interrogeons pas un quatrième ; il nous apprendrait
galamment que les Allemandes ne sont point des femmes,
mais « des espèces de femmes ».
Toutefois, môme dans ces ridicules exagérations, il y a
du vrai, et cela parce que, comme je Tai déjà suffisamment
indiqué, l'Allemande est plus mère, plus Hausfrau^ que
femme. Le côté captivant et capiteux que donnent seuls
les dessous de la toilette, ces dessous qui sont toute une
science, lui échappe souvent. A quoi bon, du reste,
émoustiller son mari, à quoi bon faire appel à des mon-
tagnes d'illusions ! Les Allemands ne s'emballent pas de
la même façon que nous.
Et la faute de tout cela, ce serait, nous dit-on, l'édu-
LA FEMME 61
cation de la jeune fille, bourrée de sentimentalité roma-
nesque, à qui Ton fait envisager la vie comme « un poème
à la crème ». Pour le coup, je m'insurge, puisque, de
toutes les jeunes filles, l'Allemande est justement celle qui
reçoit, on vient de le voir, Téducation la plus large, la
plus dégagée de préjugés.
Mais, dans ce domaine, toutes les erreurs ont été com-
mises, et elles devaient Tétre, parce que la dualité du
caractère allemand échappe presque toujours au Parisien,
quand bien môme il aurait fait là-bas des éducations de
jeunes princes.
Enfin ne pousse-t-on pas la plaisanterie, fumisterie
serait le mot propre, jusqu'à écrire que la famille de
l'autre côté du Rhin est un rêve, que la vie de famille
existe encore moins, que le mariage n'y est qu'une ques-
tion de dot, et la mort une affaire de testament. Pour que
la farce soit complète on devrait ajouter : l'esprit de famille
a sa plus haute expression en France ; en France, où
jamais on ne s'informe de la dot d'une jeune fille, où
jamais on n'oserait seulement prononcer le mot d'espé-
rances. Au moins, cela serait du comique de bon aloi.
Donc, l'Allemand ne reste pas à la maison, et sa femme,
elle, y reste toujours. A la rigueur cela prouverait que
l'Allemande se complaît dans son intérieur, dans ce
domaine qu'elle a su se constituer et que j'ai essayé plus
haut de définir. Mais le fait n'est pas exact, et, pour écrire
de pareilles choses, il faut ignorer complètement la vie
germanique.
Dans quel pays, en effet, si ce n'est en Allemagne, le
beau sexe a-t-il l'habitude de fréquenter les cafés, bras-
62 LA FKMME EN ALLEMAGNE
séries et autres établissements publics du même genre !
Dans quel pays voit-on des familles entières, où Télément
féminin domine souvent, mère, épouse, filles, belle-mère,
belle-sœur, tantes, petites -cousines, venir s'asseoir au-
tour d'une table de brasserie, buvant à la ronde dans
les grandes chopes en grès, jacassant à qui mieux, et
cela tout en tricotant, tout en faisant du crochet.
Critiquez, tant que vous voudrez, ces mœurs qui peuvent
nous paraître étranges; au besoin même, présentez-les
sous leur aspect grotesque, mais ne dites pas que la femme
allemande est laissée toujours seule à la maison, quand
il suffit de huit jours d'observation pour la voir avec son
mari et les siens partout où Ton se peut montrer; à la
brasserie, au concert, au spectacle.
Assurément, il serait plus logique de s'élever contre ce
besoin du dehors, — singulier chez un peuple qui tient tant
à l'intérieur, — l'étranger ne pouvant d'emblée saisir les
particularités de la vie locale, ni la portée exacte de
certains mots.
Il convient, donc, avant tout, d'expliquer la façon dont
les Allemands, hommes et femmes, comprennent l'intimité,
la Gemûthlichkeii, Ce n'est nullement le home dans le
sens anglais, pas plus que notre coin du feu : pour être
gemiithlich, une chose n'a pas besoin de se trouver à
l'intérieur. Est gemiithlich tout endroit où l'on se réunit
ensemble sans façon pour causer familièrement, échanger
des idées les coudes sur la table. Une brasserie, un Kaffee-
haus, un Biergarien, un Concert - Promenade peuvent
présenter le caractère de Gemûthlickeit au même titre,
au même degré que la maison, que le chez-soi de l'appar-
\
LA FEMME 65
tement. C'est plus et c'est moins que notre sans-façon,
puisque pour constituer cet état particulier , il faut des
causes extérieures qui restent absolument étremgères au
sans-façon.
Et si l'Allemand des deux sexes recherche ainsi le
gemûthlich, c'est que, malgré une certaine correction,
malgré sa froideur, sa raideur, il est avant tout Tennemi
de la gêne, du guindé, de la retenue dans les attitudes,
dans les poses, comme dans le langage. Encore un des
doubles aspects de sa physionomie. Fuyant le monde avec
ses exigences, avec ses dehors brillants et luxueux, il s'est
constitué, pour ainsi dire, un extérieur intime, familial,
au même titre que son intérieur.
En général, il va partout pour s'amuser et non pour se
montrer ; je parle des classes bourgeoises. Matériel, il lui
faut des plaisirs auxquels il puisse éprouver personnelle-
ment une jouissance intime, plus positive, plus palpable
que la satisfaction bien platonique de se faire voir ou
d'être vu.
Les théâtres en sont un exemple frappant, les théâtres
qui, la plupart du temps, seraient vides chez nous, si l'on
ne pouvait y étaler des toilettes et y faire briller des
diamants. En Allemagne, le théâtre est un lieu où l'on va
pour entendre de la musique ou pour écouter des comé-
dies; en un mot, pour voir ce qui se passe sur la scène et
non dans la salle. Or, tout extérieur sans luxe, sans pré-
tentions, ne peut exister justement qu'avec le concours
de la femme, de la femme plus intime, plus simple, moins
éprise de certains besoins artificiels qui sont la perte de
notre société.
9
LA FEMUE E\ ALLEMAGNE
Tout porte, du reste, en Allemagne, à cette vie exté-
rieure du soir, de taprès-soupée , si l'on veut, qui n'a
aucun point de contact avec la vie de nuit menée en
France. Généralement, celle-ci se passe entre hommes ou
- A Kloslerneubui^ (Autriche). Danses dans la o
[D-nprèi iei rroquii dt Y. JTolilo
d'une lirasserie.
entre hommes et femmes d'une espèce particulière, que
Gavami appelait plus ou moins pittoresquement des
bambocheuses. Chez nos voisins, au contraire, oîi l'habi-
tude est qu'on fasse à. 1 heure un substantiel repas, le
besoin de locomotion en famille s'accroît du fait que le
LA FEMME G7
soir, dans beaucoup de maisons, on ne cuisine pas : quoi
de plus naturel, donc, que d'aller manger ensemble à la
brasserie, dans un de ces grands établissements, où,
moyennant une modeste entrée, on aura l'agrément de
dîner en musique.
Et ce qui facilite encore cette vie publique de famille,
c'est que, dans la plupart des villes, la rue, le café ne
sont pas exclusivement à la fille et à l'Alphonse ; c'est que
- Famille â l:i brasserie.
■priÊ un o-ojuij de H. Sdilillenj.
la partie saine de la population prétend profiter dans la
plus large mesure de tous les plaisirs extérieurs.
Le même fait ne se remarque-t-il pas dans les grandes
fêtes nationales, dans les exhibitions auxquelles parti-
cipent toutes les classes de la société ; de qui sont com-
posés les cortèges, les bals en plein vent, si ce n'est des
femmes de la bourgeoisie!
En somme, qu'il s'agisse d'une chose exceptionnelle
ou d'un acte de la vie ordinaire, partout apparaît la femme,
la femme qui tient une place considérable dans l'existence
locale, qui n'est point seulement la ménagère, la servante.
68 LA FEMME EN ALLEMAGNE
faisant des enfants et la cuisine, mais qui est aussi la com-
pagne, Taccompagnatrice de Thomme.
Là réside, du reste, pour une grande part, Toriginalité
de l'Allemande. Femme à Fesprit pratique, elle ne se fait
pas désirer, elle ne se fait pas rechercher, elle ne plane
pas, mais bien au contraire, elle va au-devant de son mari,
elle se plie à ses habitudes, elle participe à son existence
extérieure, estimant que la femme doit vivre de la vie de
Thomme et non Thomme de la vie de la femme. Pas de
princesse, pas de belle des contes de fées, une modeste
bourgeoise, souvent bonne et toujours simple, familière
avec tous, causant avec les domestiques, auxquels elle
saura donner des ordres d'une façon patriarcale tout en
faisant respecter son autorité.
Ce qu'on peut lui reprocher, je le sais, je Tai déjà indi-
qué : elle est lourde, elle est massive, elle ne sait pas dire
de ces riens charmants que forge l'esprit et qui viennent
expirer sur les lèvres, elle n'est pas un objet d'art, de
luxe ou d'agrément ; mais voyez-la attachée à sa besogne
matérielle, toute débordante d'une douce affection, plus
sentimentale que passionnée à proprement parler, et vous
comprendrez alors le charme qu'on peut trouver en elle,
l'amour qu'elle peut inspirer.
Faut-il parler du mariage allemand, fleuve paisible dont
le cours est souvent majestueux : ce n'est plus, comme
on nous le disait tout à l'heure, un essai de vie à deux,
c'est la mise en pratique des principes formulés pendant
le temps des fiançailles, cette véritable école préparatoire
des époux. Durant ces années d'introduction, les carac-
tères se sont fondus, la femme s'est faite à l'homme, elle
LEMAHDE 1 L* PROIIÏIl»0E
Crogun prii à Oittnde.
(DïM<n original de ll«i.|
LA FEMME 71
s'est laissé pétrir à son image; elle a peu à peu aban-
donné ses caprices, ses bizarreries, ses volontés incons-
cientes de jeune fille.
Si la femme des classes élevées se montre, comme par-
tout, moins malléable, plus désireuse de Tinconnu, dans
la bourgeoisie où il faut élever toute une famille, homme
et femme ont trop à faire pour songer même aux émotions
du dehors.
L'enfant, n'est-ce pas lui qui donne au foyer allemand
toute son importance, n'est-ce pas lui qui contribue à
constituer le caractère de l'Allemande?
Là-bas, en effet, la fécondation n'est pas dosée, arrêtée,
limitée à un nombre de rejetons, plus ou moins élevé,
suivant la fortune ou la position des conjoints, l'œuvre de
chair doit s'accomplir, la graine humaine doit librement
germer et pousser.
Il n'est pas rare de voir des femmes du monde nourrir
elles-mêmes, comme au temps déjà lointain où les idées
préconisées par Jean-Jacques Rousseau étaient accueillies
avec enthousiasme par la noblesse, et jamais, pour ainsi
dire, la femme pauvre ne se sépare de son enfant, tant
l'instinct de la maternité est développé chez la Germaine.
S'il me fallait porter une appréciation sur le niveau
moral de la femme des classes moyennes, de celle qui
n'accorde qu'un intérêt restreint aux plaisirs mondains, je
n'hésiterais pas à le mettre bien au-dessus du niveau habi-
tuel des autres pays.
Cette moralité tient, du reste, à des causes toutes spé-
ciales, c'est-à-dire à la facilité d'expansion accordée à la
jeune fille, à la reconnaissance solennelle de ce principe
72 LA FEMME EN ALLEMAGNE
éternellement vrai qu'il faut que jeunesse se passe, plus
ou moins bruyamment suivant le sexe, mais qu'on ne
peut prétendre à une sagesse absolue de la part de la jeune
fille, tout au moins en ce qui concerne la virginité du
cœur, alors que toutes les fredaines seraient excusées chez
le jeune homme.
Jean-Jacques Rousseau n'avait-il pas déjà exprimé cette
manière de voir, quand il disait : « Chez les peuples qui
ont des mœurs, les filles sont faciles et les femmes
sévères. C'est le contraire chez ceux qui n'en ont pas*. »
Eh bien! qu'on interprète la chose comme on voudra, ce
fait est exactement celui qui se présente en Allemagne.
Les filles qui sont à prendre, qui sont faites pour être
prises, dit un vieux dicton souabe, se laissent approcher
sans trop de difficultés ; peut-être si vous vouliez essayer
auprès des femmes mariées, seriez-vous moins heureux ;
ce qui ne veut point dire qu'elles soient toutes d'une
honnêteté rigide, qu'elles ne se laissent pas aller quelque-
fois aux bras du premier venu, et même de leur domes-
tique, si celui-ci est un beau mâle. Des comtesses n'ont-
elles pas, en notre pays, porté leurs regards jusque sur
le siège des trois chevaux, ce trône ambulant des cochers
d'omnibus? Mais partout, ce sont des exceptions, et l'on
sait que je ne base pas mes études là-dessus.
Une grande raison, en somme, pour que la femme
* 11 est assez bizarre de rencontrer le môme sentiment chez les races
inférieures. Mantegazza, dans son remarquable volume L'Amour dans
V humanité {Psltïs, Petscherin et Chuit), formule ainsi leur façon devoir;
«Amour libre chez les jeunes filles; amour réservé plus ou moins à un
seul homme après le mariage ». Ceci, bien entendu, à titre de curiosité
et sans vouloir faire aucun rapprochement.
i
kO SALON DE LECTURE «VINT LA TABLE D'HOTE
(Detiin origjnil de Hiu.)
LA FEMME 7.")
allemande, peut-être déjà moins désirable par elle-même,
à cause de son manque de piquant, ne sombre pas aussi
facilement, c'est qu'elle a une existence très remplie, c'est
qu'elle a presque toujours autour d'elle l'enfant dont l'ab-
sence est la cause de tant de faiblesses humaines.
Second point, et c'est là où la contradiction du carac-
tère germanique apparaît dans toute son évidence, c'est
que, n'ayant pas, par suite de sa disposition au lympha-
tisme qui accroît avec l'âge, ce qu'on est convenu d'appeler
un tempérament^ s'il lui arrive de se livrer à un étranger,
ce sera par un effet purement physique, sans amour, sans
passion. Jeune fille, elle donne son cœur et elle ne reprend
pas ce qu'elle a donné ; femme, si elle se laisse détourner
de ses devoirs, elle ne fcTa que prêter son corps.
Assurément, je ne cherche pas à la chose une excuse
possible, je voulais seulement, par cette particularité du
tempérament expliquer, au point de vue physiologique, la
propension naturelle de l'Allemande au laisser-aller.
Est-ce le côté femelle qui a développé en elle la mater-
nité? est-ce, au contraire, la maternité qui est la consé-
quence de cet instinct de femelle? je l'ignore; mais ce qui
est certain, c'est qu'elle représente avant tout l'idée de la
fécondation.
Pour Dieu, pour la Patrie, pour le Roi, cette devise ger-
manique peut s'appliquer également bien à la f(»mme ; car
c'est pour cette sainte Trinité des races du Nord qu'elle
accomplit l'œuvre humaine.
Dieu, c'est, à son point de vue, le couronnement de
l'édifice; la Patrie, elle en a aujourd'hui l'instinct puissam-
ment développé, cherchant à se nationaliser jusque dans le
76 LA FEMME EN ALLEMAGNE
costame, et le Roi c'est son idéal suprême sur terre. Pour
se rendre compte de ce dernier Bentîment, il faut avoir
entendu parler par des bouches féminines du feu roi de
Bavière, ce sympathique et lymphatique Louis II qui res-
tera une des figures les plus étranges de Dotre temps, ou
bien de l'empereur d'Allemagne, ce soldat- gentleman
qui, malgré son grand âge, fait encore tourner les tôtes.
Unser Kœnig! Unser Kaiser! De quelle façon magique
l'Allemande prononce ces deux noms ! L'une d'elles ne
me disait-elle pas : » Mon rêve serait d'être embrassée par
l'Empereur », parole grande et naïve, qui montre bien
quel puissant idéal de la patrie se forme la Germaine.
C'est que cet empereur octogénaire qui vient de réali-
ser les aspirations à l'unité et à la grandeur qui ger-
maient dans les cerveaux féminins, tout comme dans
les autres, est la plus haute expression de ta race ; c'est
qu'il incarne en lui tous les côtés simples et intimes de
la nation ; c'est qu'il pense et qu'il vit comme elle, c'est
qu'il a, lui aussi, quelque chose de gernûlhlick. Et voilà
pourquoi la femme allemande l'a en telle adoration.
Vigneile <le Cljodowiecki.
SENTIMENTS ET APPETITS DES ALLEMANDS
AU POINT DE VUE FEMININ
J'ai montré le respect que TAllemand^iprofessait pour
la jeune fille et pour la femme, je veux dire pour la mère
de ses enfants. Peut-être est-il nécessaire, maintenant,
de rechercher ce qu'il pense des femmes en général et du
sentiment qu'on appelle Tamour.
Les écrivains, les poètes surtout, ont, comme partout,
chanté le sexe faible. Luther, le premier, n'a-t-il pas écrit:
« Il n'est sur la terre chose plus douce que d'être aimé
d'une femme ». Pour Gœthe, la femme est la couronne de
la création ; mais Jean-Paul Richter dans son Titan, qui
est comme le bréviaire amoureux du xvm® siècle, dit plus
irrévérencieusement : « L'amour ressemble aux pommes
de terre ; il y a quatorze manières de l'accommoder » ;
«
tandis que Kotzebue, à son tour, compare l'amour à la
petite vérole, en ce que, d'après lui, celui qui n'en a pas
été attaqué dans sa jeunesse en est bien rarement atteint
plus tard.
78 LA FEMME EN ALLEMAGNE
Beaucoup ont célébré ramour platonique, mais tous n'y
ont pas cru, Jean-Paul notamment, qui a écrit dans le
volume que je viens de citer : « L'amour spirituel va au-
devant de l'amour sensuel comme un navigateur qui se
dirige vers l'est arrive pourtant aux pays où le soleil se
couche», ce qu'un écrivain plus moderne a exprimé éga-
lement en termes plus prosaïques : « Quand vous aurez
rêvé toute la journée aux côtés d'une femme, il faudra
bien finir par vous coucher auprès d'elle ».
La littérature allemande est riche en observations sur
les femmes en général, et elle a su parler de la plus belle
moitié du genre humain en termes d'une exquise poésie :
« Honorez les femmes ! » lit-on dans Schiller, « elles
tressent et entrelacent les roses du ciel dans la vie ter-
restre ; elles tressent le lien fortuné de l'amour, et, sous
le voile pudique de la grâce, elles nourrissent, d'une main
vigilante et sainte, le feu éternel des nobles sentiments ».
Luther avait été moins idéahste et peut-être plus Germain
quand il écrivait: « Si je devais encore faire l'amour, je
voudrais tailler dans la pierre une femme obéissante ; sans
cela je désespère d'en trouver ».
Pour Jean-Paul les femmes ressemblent aux objets
d'ivoire; rien n'est plus blanc, plus poli, mais rien ne de-
vient plus facilement jaune. Pour Heine, on ne sait jamais
où range finit et où le diable commence.
Mais aucun écrivain d'outre-Rhin n'a comme Gœthe, le
chantre sublime, quoi qu'en dise Barbey d'Aurevilly,
compris et dépeint la femme, alors qu'il se demandait
dans Wilhelm Meister s'il existait une félicité plus
grande que celle de faire toujours ce que l'on trouve juste
SENTIMENTS ET APPÉTITS DES ALLEMANDS 79
et bon et de disposer à son gré de tous les moyens
nécessaires à la satisfaction de nos véritables besoins.
« Quel esprit d'ordre et quelle infatigable et sage acti-
vité ne déploie-t-elle pas sans cesse, la femme qui dirige
ce mouvement perpétuel de la maison ! Qui de nous aurait
le courage de se vouer à ces mille petits riens qu'exigent
les besoins de chaque instant et de parcourir toujours le
même cercle d'action avec calme, avec prévoyance et sur-
tout avec amour? »
Et il avait également bien saisi toute l'antipathie natu-
relle entre épouses et vierges, dans cette phrase si juste
des Affinités électives : « Il existe entre les femmes
mariées, môme celles qui se haïssent et se calomnient, un
pacte instinctif et tacite, qui les ligue contre les jeunes
filles. »
L'idée de la maternité, de la femme femelle se rencon-
tre souvent dans les œuvres de ces écrivains. N'est-ce pas
Luther qui a émis cette pensée qu'il ne fallait pas insulter
les femmes, parce que c'est des femmes que viennent les
enfants ; n'est-ce pas SchefTer qui a dit qu'il existait sur
terre quelque chose de meilleur qu'une femme, et que ce
quelque chose c'était une mère !
Sentimentalité, doute, humour, pessimisme, tous les
points de vue allemands ont été successivement traités.
Luther, qui est, aujourd'hui encore, le premier humoriste
de son pays, trouvait qu'on devait avoir d'étranges pensées
la première année du mariage. « Si l'on est à table »,
écrivait-il, « on se dit : « Auparavant tu étais seul, aujour-
d'hui tu es à deux. » Au lit, si l'on s'éveille, on voit
une autre tête à côté de soi. » Gœthe, lui, s'est élevé
80 LA FEHHE EN ALLEMAGNE
contre l'expression communément employée de mésalliance
en observant fort justement que la plupart des mariages
ne sont pas autre chose.
Mais voici, parmi tous ces Allemands de marque, quel-
qu'un qui n'aime pas la femme, j'ai nommé, est-il besoin
de le dire, Schopenhauer, le fils d'un bas-bleu spirituel et
lettré. Inde t'rœ peut-être bien I Aussi déteste-t-il cordiale-
Fig. le. — La galerie TéniiniDe du peintre Juch.
{Sur wu tarit poilalt adrtttét à roiUnir.) ■
ment le beau sexe et fulmine-t-il contre « cet instrument
de l'amour », en prêchant la chasteté absolue. C'est le
remède radical ; plus d'humanité, par conséquent plus de
femmes.
Toute la théorie de Schopenhauer, il convient de bien
■ Si l'on devait porter, d'après ce dessin, une appréciation sur l'idéal
féminin du peintre Jucli, on pourrait appeler cet artiste au laleut si
personnel le Schopenhauer du crayon.
SENTIMENTS ET APPÉTITS DES ALLEMANDS 81
saisir ce point , repose sur le fait que la nature ne connaît
que ce qui est physique, nullement ce qui est moral ; donc
tout amour, si chaste, si éthéré soit-il, a pour raison
Tinstinct sexuel, et toute passion a en vue la procréation
d'un ou de plusieurs individus.
Cette métaphysique de Tamour est essentiellement
germanique, si bien que Schopenhauer incarne en lui les
idées allemandes du xvm® siècle qui prévalent aujourd'hui
encore, au même degré que Michelet, dans ses volumes
sur la Femme et t Amour, a incarné les idées chevale-
resques françaises*.
Nous voici donc, sans parler d'ouvrages modernes,
essais et études de toutes sortes, sur le véritable terrain.
Et ce qu'il faut proclamer bien haut, c'est que, quelle
que puisse être la dose de platonisme dont il fait montre,
l'Allemand voit avant tout dans l'amour les appels de la
nature. Je n'en veux pour preuve que sa parfaite indiffé-
rence du qu'en dira-t-on, de ce que nous appelons, pom-
peusement, les convenances sociales, quand il lui convient
d'afficher ses sympathies sexuelles. Voyez de quelle façon
la sentîmentahté allemande s'étale en public, voyez toutes
les expansions auxquelles se livrent les jeunes fiancés
^ Voici qui doit réjouir Schopenhauer du haut de sa demeure dernière.
En 4883 s*est fondé à Wesprim (Hongrie) une société qui porte Je titre
signiflcatif de : Les Ennemis de la Femme. (( Les fondateurs )), porte le
programme, « ayant acquis la conviction que dans la société actuelle la
femme, à quelques exceptions près, n'est plus la femme idéale, mais
bien la femme de la vanité et des plaisirs mondains, une poupée à la
mode, appelée non pas à faire le bonheur de l'homme, mais bien à le
rendre malheureux par toutes sortes de ruses, se proposent de débar-
rasser le monde d'un de ses maux; le règne de la femme, après quoi
les autres maux disparaîtront aussi. » — Je ne commente pas, je cite.
10
Si LA PEHHE EN ALLBHACNE
coram populo. De ces privautés naturelles personne ne se
formalise; il n'y a que nous, Latins pudibonds, pour nous
choquer sans cesse d'innocentes marques d'amour.
Faire montre d'un des principaux caractères de la
sexualité nons panUt surtout bête, disons godiche pour
employer le vrai terme, et avouons que, souvent aussi, se
mêle à notre pensée quelque grain de jalousie, de souvenir
Pig. 17. — Caricalure dea FlUgtnde BljtUer.
du temps passé, ou de déception pour ce que nous n'avons
pas pu goûter.
Sentimentalité, amour du clair de lune, tout cela était
fort beau autrefois, mais tout cela n'est plus vrai, ou plutôt
n'est vrai que sous la forme revêtue en Allemagne môme,
et non point d'après les interprétations que nous avons
essayé d'en donner.
Dans notre Paris, aussi vicié que pudibond, cette senti-
mentalité serait simplement de l'impudeur.
Pour exprimer avec netteté ce que l'Allemand pense
SENTIMENTS ET APPÉTITS DES ALLEMANDS 83
de Tamour, il faudrait la langue de Rabelais, mais ce
qu'on peut dire, c'est que tous estiment, comme Gœthe,
que le mariage a quelque chose de grossier, qui gâte, qui
empoisonne les relations les plus délicates et les plus
douces.
Ce qu'il faut également poser en principe, c'est que son
amour du clair de lune est bien plutôt une prédilection
pour les amours affichées en pleine lune, qu'il s'agisse
d'ombres chinoises purement sentimentales, ou d'ombres
chinoises plus actives. Le grand air est chez lui un besoin,
une satisfaction ; il paraît être le complément de la Ubre
expansion des sentiments.
Aime-t-il la femme? — Je crois, à proprement pîirler,
qu'il est toujours travaillé du même mal national ; qu'il
aspire après un idéal incorporel et que, ne pouvant, natu-
rellement, le rencontrer, il se jette dans les bras de Scho-
penhauer. Quoique les Trublot soient de tous les temps et
de tous les pays, n'est-il pas significatif de voir Gœthe
tomber du haut de ses illusions sur la servante de Wei-
mar; Schopenhauer, l'ennemi de l'être inférieur, le prati-
quer à Dresde dans les classes effectivement inférieures,
et quantité de jeunes gens allemands qui s'enivrent avec
leur maîtresse de poésie nuageuse, reculant toujours le
moment « où l'on se rend ridicule par l'affirmation d'une
jouissance bête » , faire une cour beaucoup moins éthérée
à la Lisbeth de leur bien-aimée ?
Tout récemment, encore, un des maîtres de la science
germanique me tenait ce propos : « Il est deux sortes de
femmes, celles qu'on aime et celles qui vous sont indif-
férentes. Aux premières on ne doit jamais rien deman-
84 LA FEMME EN ALLEMAGNE
der; des secondes on doit se servir comme d'un remède
à l'amour que les autres vous inspirent. » Soit, sous une
autre forme, la doctrine arienne.
La pensée intime de l'Allemand, en ce qui concerne le
sexe faible, peut donc se résumer en cette simple phrase :
« La femme est un être inférieur qui ne s'élève que par la
maternité » , d'où son affection pour la mère qui a réalisé
son rêve de reproduction, et son respect pour la vierge
qui sera la mère de demain. Souventes fois, ce qui con-
firme bien cette manière de voir, j'ai entendu appeler
femme de bixe (ein Luxus Frau) la femme élégante et mon-
daine qui, n'ayant pas d'enfants, cherche à briller par sa
toilette et ses grâces.
Un dernier point, le plus délicat de tous : l'Allemand
est-il, plus ou moins que le Français, porté sur la baga-
telle? A vrai dire, je le crois très sensuel, mais quels que
puissent être ses appétits, il ne pensera presque jamais
à posséder une femme qui est occupirt et il n'emploiera
pas son temps à faire des cours de plusieurs semaines
pour arriver à être, un jour, l'amant accidentel d'une
femme qu'il ne pourra peut-être pas revoir. Dans ce cas
il préférera toujours les filles « qui font métier», a dit un
de leurs poètes, « de prendre aux jeunes gens ce qui les
gêne ». Et cela d'autant plus que les idées allemandes
n'admettent pas notre classification si arbitraire, entre
les jeunes filles qu'on épouse et celles qu'on n'épouse pas;
entre celles qui peuvent être nos femmes parce qu'elles
sont de familles riches et bien apparentées, et celles qui
ne peuvent pas l'être parce qu'elles sont sans dot et sans
espérances.
SENTIMENTS ET APPÉTITS DES ALLEMANDS 85
L'Allemand, qui aime à caressiren, à poussiren^ voit
bien plus dans le mariage des affections que des devoirs ;
pessimiste ou non, il fait passer avant tout les sympa-
thies, les attractions naturelles; l'association, soit la légali-
sation de l'amour, ne vient qu'en second lieu. C'est pour-
quoi le mariage d'inclination se trouve être le plus
conforme à ses idées, et par inclination il faut entendre,
ici, le désir de se rapprocher au point de vue sexuel.
Bref, l'Allemand ne se marie pas par raison, pour faire
une fin, pour avoir un train de maison. Il se marie pour
avoir des enfants, pour perpétuer sa famille, pour appor-
ter sa pierre à la consolidation de l'édifice germanique.
Et si les unions illégitimes, assez rares du reste, et
presque inutiles, par suite des facilités accordées au
divorce, sont en général mal vues, cela tient surtout au
fait qu'étant la plupart du temps infécondes, elles ne
peuvent présenter aucun avantage à la société.
Fi g. 18. — Vif^eite de Chodowiecki.
VI
LA FILLE
« Dieu fit la fille pour les malheureux qui ne pouvaient
pas avoir de femme », ainsi s'exprime une vieille chanson
en honneur chez les Louis berlinois, et certes on ne sau-
rait lui donner tort quand on voit les échantillons de la
prostitution allemande.
C'est ici qu'il faut bien se rappeler certaines particula-
rités du caractère si Ton ne veut pas faire fausse route ;
c'est ici qu'il faut se souvenir de la grossièreté dont
l'Allemand aime à faire preuve dans les choses de la vie
terre-à-terre.
Demi-mondaine, belle impure, élégante du monde où
l'on s'amuse, horizontale de grande marque, et autres
fadaises du même genre, n'existent pas pour lui. Avec
raison il ne voit que la femme honnête et la femme qui
trafique de son corps ; la femme de temple qui est l'arche
sainte de la famille, et la femme de rue^ pour tous ceux
qui en veulent. Les distinctions subtiles et dangereuses
au plus haut degré, que nous cherchons à établir entre
le monde de la haute et de la basse prostitution, il les
88 LA FEMME EN ALLEMAGNE
repousse. Qu'elle porte du linge blanc ou qu'elle traîne
des loques fangeuses ; qu'elle exerce son métier sur les
planches, dans un élégant carrosse ou au coin des rues, la
fille est toujours pour lui la fille, c'est-à-dire l'objet de
rebut, le repoussoir.
<i La femme de plaisir, instrument nécessaire » , disais-
je dans mon volume sur la Caricature allemande^ « est
restée là-bas, ce que le moyen âge l'avait faite, la ribaude. »
Donc pas d'existence légale et quasi-officielle pour le demi-
monde. La société allemande se ferme impitoyablement à
qui veut entrer chez elle par cette porte de derrière.
Si la démarcation est nette et précise, il ne faudrait
point en conclure que la prostitution est une infime
minorité ; non seulement elle pullule, elle grouille dans
les grands centres, mais encore elle fournit un élément
important aux villes étrangères.
Tandis que la Française a incamé en elle le type de la
lorettCf de la femme entretenue, l'Allemande représente
surtout la prostitution nomade, irrégulière, à moins qu'elle
ne peuple les maisons de chair humaine. La plupart des
femmes qui ont su se conserver une certaine position
appartiennent à la race juive.
Mais, de même qu'elle a ses centres de prostitution qui
diffèrent entre eux, qui sont à un échelon plus ou moins
élevé suivant le caractère de la ville ; de même l'Alle-
magne présente différents aspects, différentes formes du
vice le plus universellement répandu. La prostitution des
villes manufacturières n'est pas celle des villes d'eaux,
des villes riches et élégantes, pas plus que celle des villes
maritimes ou de garnison : de même la Kellnerin de cer-
LA FILLE 89
taines brasseries, la Gretchen des fourneaux, la Hausmam-
seU des mœblirte Zimmer ne sont point la vulgaire
Schnalle du coin des rues.
Si rAllemand met tout cela dans le môme sac, et il a
raison, il ne peut pas supprimer des distinctions qui tien-
nent à Tétat social lui-njême.
A proprement parler, la Hausmamsell n'est pas une fille,
c'est la fille de gens qui louent certaines pièces de leur
appartement, trop grand et trop cher pour eux, à des
jeunes messieurs, étudiants, employés de TEtat ou de mai-
sons de banque. Et comme le commerce des chambres
garnies est un métier qui à Berlin et dans tous les grands
centres s'exerce sur une vaste échelle, on loue au besoin
la Hausmamsell avec, suivant la situation pécunaire ou
sociale qu'on suppose au locataire. Gela se passe, il est vrai,
sous des formes plus gazées. La jeune fille est si senti-
mentale, elle joue du piano avec tant d'âme, elle est si
bonne, si douce, elle a tant de prévenances pour le « mon-
sieur de la chambre », elle sait si bien arriver au bon
moment, au moment psychologique! Ici, pour être juste,
il faudrait, du reste, faire une distinction entre les jeunes
filles qui se contentent de flirter, se laissant prendre quel-
ques baisers à l'occasion, et celles qui, moins vertueuses,
ayant parfaitement conscience du rôle qu'elles remplissent
on qu'on leur fait remplir, effeuillent peu à peu leur capi-
tal. Mais, môme dans ce dernier cas, la Hausmamsell
reste toujours une fille d'une espèce particulière, dont la
circulation est restreinte aux messieurs des mœblirte Zim-
mer.
Elle porte encore en elle quelque chose de l'Allemagne
M LA FEMME EN ALLEMAGNE
romantique et semble pratiquer l'hospitalité à la façon de
eerUùnes peuplades sauvages. Elle représeote le cAté poé-
tique de ta proBtitutioQ allemande, de celle d'autrefois,
alors que tout se passait en famille, alors que de bonnes
jeunes filles ne craignuent pas de donner à l'étudiant leur
cœur et souvent autre chose avec.
Passons à la fille, « instrument de
plaisir qu'on paye et dont on a le droit
de profiter, suivant l'argent donné »;
je traduis l'idée allemande. Celle-là n'a
plus rien de poétique et sert à satisfaire
les appétits de la brute.
Filie de la campagne, si elle est
lourde, engoncée, si elle a l'aspect
d'une poupée habillée sortie de sa
vitrine et tout étonnée de pouvoir
marcher dans la rue sans mécanique,
elle a du moins l'apparence extérieure
de la santé. Si le corps est souvent
difforme, disproportionné, il a des ron-
deurs, des ampleurs qui doivent char-
mer les amateurs de Rubens. Mais la
fille qui provient des faubourgs est, la plupart du temps
une horrible et pitoyable carcasse, quelque affreuse mé-
gère échappée de la nuit de Valpurgis. L'autre peut être
bonne fille; celle-là est dure, hargneuse, insolente.
Les attrapages de filles allemandes dans les rues
louches et obscures, qui n'a vu cela, n'a rien va 1
Les Kellnerin sont de deux espèces : les unes, quelque-
fois fraîches, souvent gentilles, visant à l'élégance avec
flg. l«. — Cocotte.
CrofBii i* StUtaumum.
COCOTTES VI EN NOUES
leur tablier attaché derrière par des barrettes, pourraient
passer pour des princesses à côté des dondons aux bajoues
mafDues, horribles maritornes, sales et repoussantes, qu'on
est étonné de rencontrer dans quelques grandes brasseries.
En les voyant faire le bonheur des soldats, je ne puis
m'empécher de penser à certains vers de Gauthier qui,
pour ne pas figurer dans l'édition complète de ses
œuvres, n'en sont pas
moins d'une vérité sai-
sissante. Gela trouve
quand même un cou-
vercle. Hélas I oui.
El que de types gro-
tesques de procureuses
ou de lilles du ruisseau,
caricatures ambulantes,
dont l'attifement est une
carte d'échantillon de
tous les décrockez'inoi-
ça. Il faut avoir étudié
le quartier féminin qui
avoiaine le Champ-de-Mars, pour comprendre, pour ad-
mettre la femme à soldats de Handon ; de même, il faut
avoir parcouru le soir, à l'aventure, certains quartiers
de Munich, par exemple, pour être à même d'apprécier
le degré d'exactitude des dessins des Fliegende Blsetter
qui viennent prendre place ici, avec leur tendance à la
charge.
Dans cette esquisse à grands traits de la fille, je ne
puis naturellement m'appesantir sur quelques points de
- L'amour à la brasserie.
'I FLi((eiido BlBttar.)
LA FEMME EN ALLEMAGNE
détail qui viendront plos tard; niais, si l'on en excepte
Berlin, Dresde, Leipzig, Francfort et surtout Vienne, on
peut dire que la prostitution allemande, par le fait même
■™"BÂREM"r,
Fig. 11. — Lioa, si tu savais combien je t'aime !
— Eb bienl Ou'est-ce qu'il arriverait?
— Tu me paierais un bock après.
qu'elle est rebutée, repoussée, a quelque chose de parti-
culièrement 8alfe,et grossier. Elle n'a rien qui charme, rien
qui attire. Sachant qu'elle n'arrivera pas à faire illusion,
elle reste confinée dans sa pourriture morale et physique.
■ELLEI-PETITEI A WIEIBADEH
|D«nia d* Cml-Toc iftprèi nie fniiiN 4lba*adt.)
LA FILLK 97
Elle aussi, la plupart du temps, elle est mal habillée et
ignore complètement la science du déshabillé. Â quoi lui
serviraient, du reste, les montagnes de jupes, barrières
de gaz pour le corps, et les savants retroussis et les enivre-
ments de la toilette intime ! Ce ne sont point ces griseries
du cerveau qu'on vient lui demander. Mouchoir de poche
de l'amour, il lui faut exercer son métier, sans autres.
Sale métier, sales gens, jamais le mot ne fut aussi vrai.
« Sont-elles au moins savantes dans le culte de la
volupté, ces filles d'un dieu qui se traîne dans les mauvais
lieux? » me demandait récemment quelqu'un à qui j'es-
quissai ce tableau du vice allemand. — <( Pour ça, lui
dis-je, adressez-vous à d'autres. Je me contente de décrire,
c'est déjà suffisant. Mais j'en doute, car une artiste es-
priape ne procéderait point ainsi. »
Qui dit basse prostitution, dit prostitution par misère,
et c'est là effectivement le principal agent de la fille alle-
mande.
Femmes incomprises, femmes émancipées, jeunes filles
abandonnées ne constituent là-bas qu'une faible part du
vice nomade : celui qui, plus élégant, plus civilisé,
charme les blasés des villes d'eaux ou détraque com-
plètement les malades dont l'existence est déjà fort com-
promise.
A Wiesbaden, à Baden-Baden, à Hombourg, on peut
ainsi rencontrer de gentilles poupées à l'usage des gros
banquiers juifs, des jeunes secrétaires de légation, des
rares officiers ayant un patrimoine à dévorer ; la tête est
souvent fine, l'expression gracieuse : mais, môme sous ces
dehors, même lorsqu'il réunit ainsi en lui la grâce et
11
98 LA FEMME EN ALLEMAGNE
toutes les perfections physiques, le vice discret, l'on
pourrait presque dire distingué, n'arrive pas à s'entourer
de cette auréole qu'on lui accorde si facilement en nos
contrées. Et cela toujours à cause des idées locales sur la
femme, par suite desquelles en aucun pays d'origine ger-
manique on ne verra la courtisane s'introduire dans le
monde grâce à sa seule beauté.
Moins émancipée, donc, plus tenue en esclavage que sa
congénère de France, la fille allemande parvient rarement
à s'élever. Disons aussi, au point de vue du caractère,
qu'elle est moins souple, qu'elle ne sait pas se prêter aux
circonstances, qu'elle ne possède pas ce don inné chez la
Parisienne de pouvoir devenir très vite une grande dame
avec un peu de toilette et beaucoup de savoir-faire. N'im-
porte à quel degré de l'échelle sociale la Française est tou-
jours femme ; l' Allemande, elle, vivante image d'un pays
hiérarchique, représente avant tout des classes.
Où commence la prostitution, où finit-elle?
En Allemagne, comme en France, il est bien difficile
d'en fixer les limites.
On l'empêche de monter, de s'afficher, de trôner, cela
est très vrai ; et pourtant, elle se présente sous des aspects
inconnus en France, elle s'établit à poste fixe dans cer-
taines fractions de la petite bourgeoisie pauvre, elle
s'étale au grand jour par la publicité des journaux, et cela
dans des conditions, dans des termes qui ne peuvent lais-
ser aucun doute sur l'étendue du mal.
La prostitution, en fait, est l'esclavage des blanches
non encore émancipées par le capital. C'est pourquoi on
ne saurait en parler sans jeter un coup d'œil sur les
classes ouvrières, sur les femmes qui peuplent la rue.
Est-ce leur faute à ces classes déshéritées si, chez elles,
l'élément féminin est fatalement condamné à servir de
jouet aux gens riches? Monstruosité de notre état,
Fig-. îî. — Caroline, pense donc, hier, il y avait réunion chei mes maîtres, et
lorsque les inviiés prirent congé, je donnai au lieutenant Schutie «on
paletot. Il me le prit des mains, me donna un mark et murmnra entre m»
dénis: c C'est bien >. Eh bien 1 sais-tu, Caroline, le lieutenant von Plankwiii a
été tout différent, lui. Lorsque je lui remis son paletot, il me donna un demi-
mark et m'embrassa tendrement sur les joues. Oui, l'on reconnaît tout de
suite un galant homme !
(Onfuii dt H. Albrrchl dant le! FlicgcnJe Blsller.)
soit ; mais, monstruosité partout admise. Voyez les ser-
vantes, les ouvrières de fabriques, les bouquetières, les
industrielles du pavé! A Berlin, à Hambourg, à Vienne,
à Paris, à Amsterdam, à Londres, c'est presque invaria-
blement la même histoire. A côté d'un métier quelconque
102 LA FEMME EN ALLEMAGNE
qui s'exerce d'une façon plus ou moins suivie, le vrai,
c'est la vente, c'est la location du corps humain.
La misère, le tempérament, la tradition, le joug subi
depuis de longs siècles — ce que j'appellerai la perpétuité
de l'esclavage, — tout porte la fîUe du peuple à devenir
un instrument de plaisir. Et certes, c'est une chose bizarre
au milieu des particularités locales que de voir combien peu
les types populaires différent entre eux. Grande bouche,
nez fortement épaté, front bas, œil égrillard, espèce d'ava-
chissement dans la démarche, dans la façon de porter le
corps, vous retrouverez ce signalement partout. Faut-il en
conclure qu'il y a une sorte de livrée internationale de la
rue, du vice populaire? On pourrait le croire, et cela est
d'autant plus curieux que les basses classes sont celles qui
ont le mieux conservé les traits distinctifs de la race.
Partout la fille du peuple semble dire : je suis A prendre,
prenez-moi; partout, qu'elle vous offre un bouquet de
violettes ou qu'elle rentre du travail, son petit sac d'ou-
vrière à la main, elle semble porter sur elle la marque
fatale du destin qui est sa loi en ce monde, qui ne la sort
de l'atelier que pour la jeter dans la rue.
Que de rapprochements étranges, également vrais, entre
la fille et la femme des basses classes : voyez dans les
quartiers ouvriers, à Berlin comme à Paris, les deux vivent
côte à côte. On s'aperçoit qu'elles sont de même origine,
qu'elles comprennent toutes deux l'amour plus ou moins
de la môme façon, qu'elles paraissent être d'accord sur
l'exploitation du bourgeois s'effectuant au moyen de la
femme-amorce. Véritable question sociale qui a été de
tous les temps et qui est de tous les pays !
LA KILLi; 105
Donc, «tutlié au point de vue des grandes lignes, le
vice allemand est bien près de se rapprocher du vice fran-
çais; mais, encore une fois, l'un est parqué, on s'abaisse
jusqu'à lui, il ne s'élève pas jusqu'à vous ; alors que
l'autre s'installe, triomphant, au haut de l'échelle sociale.
Ici la femme, là-bas la mère ; ici la beauté plastique,
là-bas les qualités intimes de la ménagère. Voilà pourquoi
la fille n'est pas là-bas ce qu'elle est ici.
A celui qui me demanderait : prostitution idéalisée de
forme et de fait, more gallicana, ou prostitution maintenue
autant que possible dans les bas-fonds, more germaràcœ,
lequel des deux maux vaut le mieux, je serais fort embar-
rassé pour répondre. La façon allemande de concevoir le
vice est, il est vrai, particulière; elle signifie bien plus
nécessité humaine que recherche de la volupté, elle est plus
proche de la barbarie que du raffinement. Mais, à cela
près, le résultat est le même. Ce n'est (|u'une question de
mœurs ou plutôt une uianii-n' dillérente de comprendre
les mauvaises mœurs.
F(g. î3. — Vifnelle de Chodoniecki.
VII
FAÇON DONT LES ARTISTES ALLEMANDS
INTERPRÈTENT LA FEMME, LE DÉSHABILLÉ ET LE NU
Il n'y a pas longtemps que les Allemands savent des-
siner la femme. Si bizarre que paraisse cette affirmation,
elle est pourtant absolument vraie. L'esthétique féminine,
le sens de la grâce dans la forme leur a fait défaut jusqu'à
ces dernières années, et cela par une raison bien simple,
c'est que la femme restait en dehors de leurs conceptions,
je parle de la femme telle qu'elle est comprise chez les
Latins.
A vrai dire, la peinture n'ignorait pas le sexe sur lequel
la littérature avait jeté des flots de poésie ; mais, en dehors
des prêtresses germaines, des femmes aux draperies
sévères des Niebelungen et de l'épopée carlovingienne, ou
bien encore des maîtresses idéales de Gœthe et de Schiller,
elle ne voulait rien voir. Cela suffisait à tout, à la grande
fresque historique ornant les murs des palais royaux et
au livre doré destiné à prendre place sur le guéridon clas-
sique. Le roi de Bavière, un connaisseur, s'était, il est vrai.
108 LA FEMME EN ALLEMAGNE
payé le luxe d'une collection de portraits en faisant peindre
par ses artistes attitrés les beautés célèbres et... aimées,
galerie unique en son genre que ne manquent pas de visi-
ter, aujourd'hui, les Anglais et autres bipèdes voyageurs
de la même espèce; mais tout cela n'était que du suranné.
La femme proprement dite se trouvait réduite au
tableau de genre, au bon vieux tableau sous la forme, pas-
sablement usée, elle aussi, des costumes et des types
locaux. Quant au nu, la peinture allemande a toujours mon-
tré peu de sympathie pour lui, non par pruderie, mais
plutôt par antipathie pour les expositions de chair sur
plats d'épinards ou champs de blé.
Décadence singulière au point de vue de Testhétique
féminine, quand on se reporte aux dessins si puissants, si
individuels, des Holbein, des Cranach, des Josse Ammann,
quand on examine dans tous leurs détails les profils tou-
jours délicats et si finement gravés de Ghodowiecki ; mais
décadence encore plus significative pour Thistorique du
développement et de Tarrot subit des arts graphiques, due
à la réaction de 1815, aux idées étroites de petites villes
et de petits cercles qui prévalurent des années durant.
Dans les journaux qui viennent de prendre naissance
s'étale un dessin féminin, à l'aspect vieillot, à l'attitude
naïve, à moins que, s'inspirant du genre et de l'esprit
français qui prédominent alors partout, on ne copie, en
les alourdissant singulièrement, Gavarni, Bertall et autres
dessinateurs parisiens * .
* Voir à ce sujet les dessins de Lœffler reproduits dans mon volume :
Les Mœurs et la Caricature en Allemagne,
LA FEMME ET LES ARTISTES ALLKMANDS 109
Ouvrons les Fliegende Blœtter, cet idéal des périodiques
illustrés, qui représente
fidèlement la conception
allemande. Ëh bien I
même après 1870, qui
fut, disons-le, le signal
d'une grande rénova-
tion artistique pour les
pays d'outre - Rhin , les
artistes de ce journal
paraissent être aussi
étrangers qu'auparavant
à ce côté particulier de
l'esthétique . Les plus
forts ont trouvé un type
de femme en bois, pro-
cédant à. la fois de lu
gravure de mode et de
la poupée, qui se tient
tant bien que mal sur
ses jambes, mais auquel
il ne faut demander que
des mouvements auto-
matiques ; quant aux au-
tres, ils n'ont aucune
idée même des lois les
plus simples : perspec-
tive, proportions, façoQ
de porter le vêtement,
autant de lettres mortes
110 LA FEHUE EN ALLEMAGNE
pour eux. Le corps, — si toutefoia l'on ose appeler ainsi
la carcasse qu'on soupçonne à peine, — ballotte dans les
vêtements posés aor lui ; je dis à dessein « posés », parce
qu'on ne saurait voir là des femmes habillées. Et le
chapeau I S'il arrive à se tenir debout ce n'est que par
un miracle d'équilibre. En vain
objectera-t-on que c'est de Is
caricature de mode; si chargé
que soit un croquis il n'y a
aucune raison pour que le cha-
peau dont une femme est
coiffée ait l'air d'appartenir à.
la voisine.
Voilà donc de quelle façon,
dans le plus lu des journaux
honnêtes et artistiques à la
fois, on comprenait la femme.
Dans les hvres, dominait le
dessin au trait, le dessin clas-
sique répandu partout à l'époque du premier Empire et
que Winckelmann n'avait pas peu contribué à popula-
riser en Allemagne. Que de Marguerites sentimentales, aux
longues tresses, au costume moyen âge, l'on vit ainsi appa-
raître : la taille pouvait, souvent, manquer de grâce, les
attaches être vulgaires, les pieds dignes d'une reine carlo-
vingieune, mais l'expression, le sourire, étaient toujours
dans la note rêveuse, alors si fort à la mode.
Après le trait vint la silhouette, la silhouette déjà em-
ployée pour les portraits du xviii« siècle et qui, aujourd'hui
encore, est une des particularités du dessin germanique.
{fifciprit le joamal le Se
LA FEMHB ET LES ARTISTES ALLEMANDS III
servant aussi bien aux fiancés épris d'amour platonique,
qu'aux charges sur les femmes et les excentricités de la
toilette.
Mais peu à peu, au fur et à mesure que disparaissait le
trait classique, faisant place à une image plus colorée, se
montrait une autre incar-
nation de rAllemande, la
bourgeoise du moyen âge.
On revenait ainsi au passé,
à l'idéal des anciens jours,
tant pour le costume que
pour la simplicité des sen-
timents affichés. L'Alle-
magne, que les maîtres de
la génération précédente
avaient fait dévier du droit
chemin , se retrouvait eu
ces femmes à la grande
cornette blanche ou au
petit bonnet de En linon
enserrant la tête, toujours
occupées à quelque soin
domestique, souvent entourées d'une bande de blonds
enfants. Voici bientôt trente ans que dure cet engouement,
produisant par la peinture, par la gravure, d côté de
banalités qui sentent le poncif, de véritables chefs-
d'œuvre de restitution et de goût décoratif. Tous les
artistes se sont mis de la partie ; tous ont voulu repré-
senter l'aïeule de la grande époque vaquant aux soins du
ménage, s'occupant à des travaux intimes, jouant de la
LA FKMMR EN ALLBMAT.NK
guitarp ou repassant les fines guimpes do la famille ,
sortant de l'église, visitant les malades, prenant part aox
fêtes publiques, ou encore saluant d'un dernier adieu, d'un
dernier encouragement les citoyens partant en guerre pro
ans et focis.
Maie si beau que fut ce moyen âge de convention, sou-
vent animé d'un souille puissant, il ne pouvait durer éter-
Fig. î». — Silhoueiie ei
^D'aprit kiFUegende Bldltr.)
nellement et déjà bien des peintres qui lui doivent leurs
premiers succès l'ont abandonné. D'autres, cherchant plu-
tôt la rêverie que le côté intime et décoratif, revenant ans
femmes des premières années du siècle, se sont portés
vers le Directoire et l'Empire, inaugurant une nouvelle
forme de la sentimentalité graphique. Ici doivent prendre
place les compositions de Thumann, illustrant les œuvres
poétiques de Chamisso, qui font sous cette forme le bon-
"l
LA JOUEUSE OE GUITARE
LA FEMME ET LES ARTISTES ALLEMANDS - 1)S
heur des salons bourgeois où elles coudoyent sur la même
table les Psyché et les Amours, dessinés dans le mâni«
esprit, à l'usage du même public.
Voilà pour l'idéal.
Dans les études de mœurs, dans les scènes de la vie.
Vie (tel Femmta ".
une école nouvelle a surgi. Deux dessinateurs, représentant,
l'un le côté spécialement allemand, l'autre le chic, Bech-
stein et Schlittgen, ont donné aux journaux illustrés
d'outre-Rhin, aux Fiiegende Blsetter surtout, un aspect
qu'ils n'avaient pas encore revêtu.
LA FEMMK EN ALLEMAGNE
Par eux, l'on peut juger des deux façons dont l'AUe-
magne artistique moderne entend l'interprétation de la
femme. Le point de départ est le même ; c'est le type local
qui leur a servi de modèle, mais tandis que le premier se
Ftg. 10. — La maliresR« de la maison (à sa Gervanie, au momenl où le capitaine
de cavalerie qui éiatt venu lui rendre visiie se dispose à prendre congé d'elle) :
c Augu si a, accompagne M. le capitaine jusqu'à la porte (la servante va lïiire ce
qu'on lui dit). Mais prends donc de la lumière t » — Augusta : * Cela est
inutile Madame, H. le capitaine la soulUera tout aussitôt que nous serons
{Caricalurt de Sdilittgm data Iri Flieïende Blcltcr.)
confinait dans la reproduction exacte des mœurs, des ha-
bitudes, des excentricités locales, le second, laissant peu à
peu le côté de la physionomie et de la tournure, se mon-
LA FEMME ET LES ARTISTES AL EMANDS 117
trait surtout épris de modernité féminine, de cette moder-
nité, mélange singulier d'étoffes et de chair, qui est en traiu
de devenir l'expression d'un désir universel. C'est à peine,
souvent, si l'on peut distinguer les traits particuliers à
Fig. 31. — Mademoiselle, Je vous aimerai, aussi longtemps que je vivrai.
— Cela ne me suffit pas ; je désire quelqu'un qui m'aime auaai
longtemps que je vivrai.
Ifiaricatvre de ScMitIgen ifau Iti Fliegcnde Blnllcr.)
telle ou telle race, mais toute la science, tout le faire du
dessinateur doivent être portés vers la façon plus ou
moins élégante, plus ou moins légère, d'habiller le man-
nequin féminin. Il faut que la femme soit corsetée, drapée,
habillée, en un mot, comme celle que nous croisons dans
LA FEMME EN ALLEMAGNE
la hie; il faut qu'elle se meuve de même et que, sous le
vêtement, l'on sente palpiter les chairs.
FJg. 31. —La maîtresse de la maison (à ta servante récemment entrée en
place) ; ■ Anna, je vais au thélire, et rentrerai probablement tard i la
maison, > — Anna : » Oh ! a très honorée Madame n'a point besoin de
s'eicuser auprès de moi. ■
(Crof iiii lit SMittgen dm Ui Flicgcnde BLatler.l
Eh bien I autant les Allemands, autrefois, étaient lourds.
ganches, dans cet ordre d'idées, autant, aujourd'hui, cer^
LA FKMME ET LES ARTISTES ALLEMANDS
119
tains d'entre eux font preuve d'une réelle habileté ; leur
chic égale et quelquefois même dépasse celui des artistes
français. Les figures féminines qu'ils habillent ainsi sont
pleines de grâce, et Hacklaender, le romancier, vient de
trouver en eux des inter-
prètes comme il n'aurait
pas pu en rêver de son
vivant.
Mais à ces artistes, ii
ne faut plus demander
le type classique de la
ménagère allemande :
psckulleuses , servantes
non moins correctes, au
petit bonnet plissé, au ta-
blier brodé, descendant
en droite ligne des sou-
brettes d'opéra-comique,
Kellnerin se rapprochant
des types de bockeuses
qui peuplent nos bras-
series à femmes ; voilà
ce qu'ils nous donnent. Chez eux, le côté mondain l'em-
porte sur le côté de l'intimité, la vie semble avoir passé
de la classe bourgeoise aux classes de l'aristocratie et du
plaisir û tel point que si l'on devait juger de l'Allemagne
actuelle parleurs croquis élégants mais trompeurs, on pour-
rait se demander ce que sont devenues les mœurs familiales
d'autrefois. Modifications dans l'illustration, qui corres-
pondent évidemment à des modifications dans les mœurs.
Kig. 33. — Type de soubrette
Dttitt lU L. Btelaltin, Fliogenilt BUettr
130 LA FEHHE EN ALLEMAGNE
Faut-il conclure que tous les artistes suivent cette voie?
Non, certes I car il en est, et de fort capables, qui savent
faire gracieux, élégant, tout en restant Qdëles au type
local, toat en nous don-
nant des femmes essen-
tiellement allemandes par
les traits du visage, par
les poses, en un mot par
l'attitude générale.
Mais, en Allemagne pas
plus qu'en France, les pein-
tres ne se contentent du
rôle d'illustrateur, d'anec-
dotiste au jour le jour! A
côté de la femme qu'ils
rencontrent dans la société,
au milieu de laquelle ils
vivent, qu'ils croisent dans
la rue, se place la femme
de l'idéal, et celle-ci ne
repose pas sur un type
unique et classique.
Chaque pays conçoit à
sa façon la beauté, chaque
âme d'artiste se sent por-
tée vers un certain idéal.
Ne voyons-nous pas, très souvent, l'étranger refuser à
nos femmes les qualités physiques qu'aucun de nous
n'aurait l'idée de leur contester?
Adressons-nous aux coacours de beautés ouverts
Ftg. H. — Type réminin de Harburger.
(0ajw /«> Flicgrndt BEcltcr.J
TEMPS D'AVRIL
(DMiin d< Kkci Euviil. Publia pu U Ilbatriru Ztilmg dt Ldpii; .)
LA FEMME ET LES ARTISTES ALLEMAXDS i23
plusieurs reprises par les journaux de Leipzig et de
Vienne, concours auxquels prennent part des dessinateurs
d'une réelle valeur et qui ont, pour nous, le précieux avan-
tage de nous renseigner sur les aspirations allemandes.
Avoir sous les yeux, à côté de ce qu'un peuple possède,
ce qu'il rêve, est toujours piquant.
Eh bien ! vraiment, elle ne se présente point trop mal
la beauté du peintre Wehle, cette ravissante tête de jeune
femme coiffée du chapeau coupé, ce chapeau dont les
brides encadrent si bien le visage ; qui est pour le beau
sexe ce que le chapeau de soie est pour l'homme. Et
comme elle formule nettement l'esthétique d'outre-Rhin,
ne craignant ni la grande bouche, ni les grands yeux,
mais tenant avant tout, à l'expression langoureuse du
regard, à cet air de sentimentalité dont les races du Nord
possèdent seules le secret. Piquant, émoustillant, chic, le
je ne sais quoi qui est tout et qu'on ne saurait définir, cela
passe en second lieu ; si la physionomie est enjouée, c'est
un enjouement très particulier, dont on n'exclut point une
certaine tendance à la rêverie.
Pour être une Allemande idéale, cette femme n'est pas
une Allemande introuvable ; elle ne se rencontre pas tous
les jours, il est vrai, mais elle existe sur terre aussi bien
que dans le cerveau de l'artiste.
Laissons de côté les concours de beauté graphique,
précieux, comme document, mais qui se traînent sou-
vent dans le poncif et dans des spécimens d'une banalité
étourdissante, engendrant les allégories avec leur cortège
habituel de saisons, de tempéraments, de vertus et même
de vices, produisant des Allemandes de pure fantaisie.
424 LA FEMME EN ALLEMAGNE
Après avoir montré la Hausfrau sous le costume moyen
âge qui lui sied vraiment bien, parlerais-je des peintres
qui s'amusent à nous présenter tout un monde féminin
habillé à la mode de nos arrière-grand'mères. Le Rococo
jouit, je le sais, d'une certaine popularité, ce qui ne doit
point surprendre à notre époque de restitutions de toutes
espèces, mais à quoi bon s'arrêter ici ? Paniers, falbalas,
coiffures, en un mot l'attifement d'alors, se prête mal à la
physionomie germanique. Que faut-il penser, sous de tels
atours, des Allemandes d'aujourd'hui, alors que les Alle-
mandes du xviii^ siècle ont déjà, souvent, quelque chose de
lourd et d'engoncé. Un corps de petite bourgeoise, aux
pesantes attaches, dont la brillante toilette ne sert qu'à
faire ressortir les vulgarités, voilà le Rococo moderne
sortant des ateliers d'outre-Rhin. Et les essais de nudité
drapée et les corps se ridant aux plis des graisses char-
nues, tandis que les extrémités s'allongent démesurément,
et les amours au carquois richement approvisionné, glis-
sons, n'appuyons pas, ce serait lancer à des peintres,
dont l'effort est après tout consciencieux, la flèche empoi-
sonnée du Parthe.
Laissons de côté marquises et amours, et passons à
un genre plus moderne, l'illustration légère, précieuse
entre toutes, puisqu'elle sert à nous renseigner sur les
appétits charnels de la race. Nous connaissons, il est vrai,
ceux des Allemands, en sorte que l'illustration va servir,
ici, à confirmer ce que l'on sait déjà.
Si l'on voulait rechercher les phases diverses par les-
quelles a passé le goût du léger, de l'obscène, il faudrait
remonter aux classiques de la grande rénovation artis-
A
^
^L
'^i
bL^
iOMiin de J. R. Wiii
T£TE D'ALLEHtNDE
i lu concoun suiitH pr U JV«U lUultrirle Zril
FEMME ET LES ABTISTKS ALLEMAND
127
tique, il faudrait rechercher l'influence exercée sur des
peintres comme Kaulbach par l'antiquité, par le culte du
phallus. Mais le présent suffit amplement à nous rensei-
gner, et si j'emprunte quelques vignettes à un journal de
Hambourç, — ville de mœurs particulièrement décolle-
tées, on le sait, — qui parais-
sait sous le second Empire,
c'est uniquement parce que
ces vignettes me paraissent
bien en place. On n'était point
prude dans cette Teuille de
joyeuse humeur; on publiait
des annonces, illustrées d'une
façon tout à fait piquante, on
illustrait même des histo-
riettes de Bordeaux : Joli gar-
çon, montez chez moi'. Ça se
fait, ça se dit, ça s'annote
par le crayon. Donc, ici, le
grossier est pris sur le vif et
le trait va droit au but.
Dessin populaire, soit, et sur ce point, toutes les pubU-
cations ont entre elles nue certaine aflînité, mais cette
simple vignette de la grande-duchesse'de Gérolatein esquis-
sant un pas risqué, encore trop réservé pour les crânes
chauves de l'orchestre, suffit à préciser la différence entre
la façon allemande et la façon française de concevoir le
vulgaire. Or, c'est ce que je tenais à montrer graphique-
ment.
La jambe, le bras, la gorge, voilà le triple domaine
- Vii-ni^Lli) (lu ladiUtrieUt
■isl lie Hambourg (1869).
LA FEMME FA ALLEMAGNE
ouvert à la fantaisie erotique de l'artiste, et l'éroUsme
n'est pas seulement une affaire de tempérament , c'est
encore une question d'éducation générale. Il y a cent
façons de dessiner la chair : un rond de jambe, suivant la
tig. 36. -
.g.it lient à laisser passer s.
it dans une situation sembta/ile
une réiluclioii des friiis.
(Hamburger Naclirichten.)
manière dont on l'aura modelé, apparaîtra canaille ou
fripon, vulgaire ou distingué. Ici le trait est tout, et même
lorsqu'il reste vague, il sait ce qn'il veut indiquer. Mais
là où d'autres se contentent d'une légère esquisse, l'Alle-
mand, comme s'il paraissait craindre que son intention
LA FEMME ET LES AUTISTES ALLEMANDS |29
De soit pas sufBsamment claire, précise. Plus la situation
est risquée, plus il souligne. Ça ne coûte guère et ça fait
tant de plfûsir aux solides bourgeois ! Affaire de concep-
tion, de tempérament, dira-t-on I Et j'ajouterai : de race,
qui fait que les peuples se grisent de piquette ou de cham-
Kg. S7. — L'animal des déserta aime la liberté; l'aigle vole libre à iraver
airs, et lespoitrinei, elles aussi, aiment laliberié; demandez li la modes!
n'est point vrai.
pagne mousseux ; que les uns , classiques et corrects,
cherchent sans cesse à idéaliser la matière, tandis que les
autres ne craignent nullement de la matérialiser encore plus.
Ici comme là-bas la chair reste toujours l'objectif prin-
cipal; mais dans la manière d'en esquisser les contours,
d'en côtoyer le domaine, il y a autant de différences que
dans la façon d'en venir anx débats amoureux , s'il faut en
croire Brantôme.
130 LA FKMMF. E\ AI.I.F.M^CNK
Qui donc oserait prétendre qu'un artiste français abor-
dant le même sujet, et le traitant dans le même esprit,
en vue du môme objcf, produirait une oauvre de tous
points identique?
On a fait une plaquette sur l'art de relever sa robe;
je me propose très procliainemcnt de montrer, par des
compositions dessinées, la façon dont procèdent dans cet
art difficile les différentes femmes d'Europi;. Concours
international de mollets, si vous voulez, où chaque rond
de jambe portera sa marque de fabrique, comme ceux que
nous montre le peintre Daelen.
Direz-vous qu'ils sont français ces mollets rebondis-
sants à la vue desquels s'épanouit le soleil levant du
Righi ; direz-vous qu'elles sont parisiennes ces jambes
démesurées? Non certes, cela ne vient pas du pays
qui a élevé le rond de jambe à la hauteur d'une institu-
tion!
LA FEMMR ET LES .MtTISTES ALLEMWDS
<3I
iEB3]i
Pm-t'tc' dt's formes, gentillosse du minoi;*; deux choses
dont les dessinateurs de ces sortes de vignettes s'inquiè-
tent fort peu : leurs femmes sont gauches, disgracieuses,
souvent môme franchement laides. La figure vient en
seconde ligne. Quand je vous le disais, la chair avant tout,
la chair dans ses appels à la matérialité du corps I Joli
visage, peu importe : visage ne
veux , chair désire. Toujours
l'homme du moyen âge !
En revanche, ce que le des-
sinateur ne négligera pas, c'est
le grossissement exagéré de ce
qn'on est convenu d'appeler les
charmes naturels. La chair doit
être désirable, et pour cela, il
faut qu'elle s'étale, qu'elle dé-
borde. L'Allemand me paraît
avoir un faible pour la grosse
femme.
Mais cette matérialité lui em-
pêche de montrer de la légè-
reté là oh il en faudrait, c'est pour cela qu'il retrousse
de si lourde façon les draperies féminines soulevées par
le vent, c'est pour cela qu'il en coiffe la tête de sa femme
absolument comme s'il l'enserrait dans un sac ; c'est pour-
quoi encore, sous son crayon, une amazone qui tombe de
cheval vient s'aplatir par terre. Quelle grâce dans cette
vignette de publication populaire! Le mélange du côte
intime et du sans-gêne, ce qu'on appelle là-bas le <« entre
nous », mélange fréquent dans la littérature de cette der-
Fig. 39. - Vignette de Daelen.
132
LA FEMME KN ALLEMAGNE
nière espèce, nous donnerait encore de bien curieux spé-
cimens.
Qu'on regarde seulement cette réunion de café, ce Kaf-
feeklatsch ob une jeune ouvrière, — une grisette sans
doute, — ' s'est assise à califourchon sur une chaise, fai-
sant hallonner ses jupes et
montrant ses mollets. Gela
n'était d'aucune nécessité et
sert simplement à prouver le
degré d'intimité du « entre-
nous ». D'aucuns diraient :
mystère et pornographie; en-
trant pour ma part plus avant
dans l'étude des idées alle-
mandes, je dirai : mélange
singulier de hourgeoisisme
et de mauvaises mœurs, bien
spécial au pays.
De quelque cûté que nous
nous tournions, ce qui carac-
térise donc avant tout la por-
(1. - Vigneites citraiies nographie allemande, c'est la
lourdeur. Si jamais elle tenait
à se constituer une marque
de fabrique, elle pourrait prendre pour devise : Pesanteur
dans le léger.
Qu'a-t-elle fait, par exemple, avec les couvertures de
livres, ces couvertures qui, en France et chez tous les
peuples de race latine, constituent un art si personnel ? Si
j'en excepte le peintre Daelen et les habiles illustrateurs
Fjg. 40
des Berliner Komiker-Balit.
.^^■â
^^^<!>*f&-^
{Extrait if Wlutr Cuiolnnn.)
134 LA FEMME EN ALLEMAGNE
des œuvrea de Hacklaender, ce qu'elle nous donne dans ce
domaine est de la gravure légère de mauvaise compagnie,
grossière et banale. Elle en est encore à faire son édu-
cation dans l'art du tire-l'oeil, ce qui ne serait point on
mal si elle n'affichait certaines prétentions erronées.
Entrons dans le vif de
la question ; ouvrons les
albums pour hommes seu-
lement du dessinateur
Klic. Rien de plus pi-
toyable ne s'était encore
offert à nos yeux que
ces femmes mal bâties
ou, du moins, bâties
d'une façon particulière,
avec des bras et des
jambes d'une longueur
incommensurable. Je
sais qne le même défaut
pourrait être reproché à
tous les artistes alle-
mands sans exception,
mais outre qu'ils le ra-
chètent par d'antres réelles qualités, ils n'ont point la
prétention d'imiter le chic parisien, la légèreté de certains
crayons qui ont su se constituer dans ce domaine un
genre à part. Or le nommé Klic, lui, vise au Grévin, au
Journal Amusant. Avec son trait qui écrase, avec ses
femmes débraillées et déhanchées il ne parvient qu'à
donner une triste idée des modèles qu'il a pu avoir. C'est
Pig. *3, — Type de
LA PEHHG ET LES ARTISTES ALLEMANDS 135
fait de chic, c'est-à-dire de mémoire etd'ÎDBpiration, mais
dénué de vrai chic ; c'est une contrefaçon sans esprit, des
actrices, soupeuses et autres noceuses qui ont pu Faire,
ces vingt dernières années, les délices des lecteurs de nos
fig. 4i. — Saprisli '. TOUS avez, aujourd'hui, encore moins que les auifesjoiirs.
— C'est que c'esi rcprÉseniatiou de gila, éclairage des joui's de fête.
( Vig-ùlle dt Slk (Bilderhuch fia Higeilolie.)
journaux légers et demi mondains. Des Femmes, ou plutôt
des viragos taillées sur ce patron, Dieu nous préserve
d'en rencontrer I C'est égal, nous sommes loin de l'Alle-
mande idéale de Wehie.
Mais Klic représente lu note déjà ancienne. C'est dans
LA FEMME EN ALLEMAGNE
les Wiener Caricaturen qn'il faut aller chercher le côté
plus moderne et nettement pornographique du dessin à
femmes. Là rien n'est gazé : la légende est à la hauteor
de rillustration et ce n'est pas pottr homntei seulement,
c'est pour tout le monde, puisqu'il s'agit non plus d'albums
maie d'un journal qui occupe pour l'Autrichien la place
Fig. (S. — Vin, femme et cliant.
< Du vin J'en ai, Temme je le suis, et, au lieu de chanter, je siffle après lui. >
(('if»tteciîJïfic(Bilderbuchrur8i(etli>lic.)
que le Journal Amusant ou La Caricature tiennent chez
nous. Nous sommes, il est vrai, à Vienne, c'esUà-dire dans
la ville qui occupe la première place, lorsqu'on veut suivre
la genèse de l'histoire des appétences féminines en Alle-
magne; toutefois, il faut reconnaître que, même à Paris,
la ville de toutes les libertés et de toutes les audaces, la
PSCHUTTt
(D'uprb un pulel de PiglhrJD. PropriMi de IToiiM phalagnphique de Hun
LA PKHHE ET LES ARTISTES ALLEMANDS 139
censure laisserait dilTicllement passer des plaDchcs aussi
décolletées au figuré et au réel. D'autre part, on ne peut
s'empêcher de reconnaître le talent de l'artiste qui manie
la plume avec habileté et sait tous les effets que la litho-
graphie est à. même de donner. Ce n'est plus le dessin
populaire et platement grossier de Berlin, rendu encore
plus âpre à l'aspect par la taille rude du hols, ce n'est
pas le procédé si habile, si délicat, si coloré de Munich,
c'est la gravure nettement pornographique qui, comme les
Lupa equitam ou MuHer honesla du moyen âge, pourrait
presque servir d'enseigne à. quelque maison publique.
140 LA FEMME EN ALLEMAGNE
Je m'arrête là, ne voulant pas descendre plus bas dans
ce domaine. Partout le ruisseau est fangeux et, pour être
plus ou moins noire, la boue n'en est pas moins toujours
de la boue.
Cependant le Nord me fournit une dernière vignette et
je la reproduis parce que son côté allégorique et sa nature
moralisatrice répondent à une des tendances de l'illus-
tration germanique. C'est la femme bourreau des cœurs, la
femme foulant aux pieds, honneur, conscience, devoirs,
la femme instrument inconscient de destruction, annihi-
lant par unités les êtres que la mitrailleuse, cette pros-
tituée de la guerre, foudroyé par milliers.
Si le Nord, ce Nord tant calomnié qui doit être un jour
tout lumière et qu'on s'efforce à nous représenter tout
ténèbre, n'a pas la grâce et le charme de la forme, il
a l'idée et, pour lui, le trait graphique est, avant tout, un
moyen d'exprimer par l'image ce qu'il ressent par la
pensée.
' ■'T?!^
Fig. 43. — Vignette de Schlittgen.
(Ftiesende Blmtter.)
LIVRE II
LES CLASSES SOCLVLES. — LES TYPES
PARTFCULARFTÉS 1) K LA VIK ET DKS MOEURS
Fis- te. • Dessin àe Coll-Toc, li'aprËs des croquis originaui du pciDtre Wahle.
LES CLASSES SOCIALES
Après avoir étudié la femme sous ses principaux aspects,
après avoir cherché à définir les appétits de la race ger-
manique, il convient de s'arrêter aux types.
Quelle différence, ici encore, entre la société allemande
et la société française : l'une si divisée au point de vue
des mœurs, si multiple au point de vue des personnages;
l'autre si centralisée, si unifiée, qui a bien des mondes
de toute espèce, mais pas de classes étroitement par-
quées.
Où donc, si ce n'est en Allemagne, voit-on des demoi-
selles de bonne famille, mais sans ressources , s'offrir
144 LA FEMME EN ALLEMAGNE
comme aide dans un ménage, le plus souvent contre une
simple rétribution en nature ; où donc femmes et filles de
professeurs, femmes et filles d'officiers supérieurs, de
fonctionnaires de TÉtat, suivant qu'il s'agit de villes uni-
versitaires ou de résidences princières, constituent-elles
des castes aussi distinctes, aussi fermées?
Evidemment, certains types ne doivent leur existence
qu'aux conditions particulières du pays. Ce n'est pas en
France, sous la troisième République surtout, qu'on ren-
contrerait des institutrices de jeunes princesses, des
demoiselles d'honneur, des lectrices de petites cours, des
chanoinesses à la démarche vénérable. Existeraient-elles
môme, qu'elles ne seraient assurément pas à l'état de
classe sociale?
Certes, dans tous jes pays, il est des jeunes filles qui sa-
crifient leur existence à soigner les malades, à soulager les
déshérités, qui se vouent à l'éducation des petits, — jardi-
nières d enfants^ suivant la pittoresque expression d'outre-
Rhin ; — certes, tous les jours, on voit des hommes et des
femmes appartenant aux mondes les plus différents con-
tracter aUiance, des bourgeoises donner leurs millions à des
aristocrates de l'ancien régime, des jeunes personnes de
la meilleure société ne point craindre de s'allier à des par-
venus, mais qui pourrait croire que ces croisements, ces
mariages dus aux hasards de la vie sont, en Allemagne,
méthodiquement classés, et constituent autant de types
divers, autant d'individualités nettement définies ?
* Kindergàrtneririt nomqu'oii donne aux mal lressesd*école qui dirigent
les Jardins d'enfants suivant la méthode Frœbel.
■"--^
LES CLASSES SOCIALES 145
Type la demoiselle d'honneur ; type la lectrice des petites
cours, non seulement parce qu'elles tiennent à leur titre,
mais encore parce qu'elles se croient d'une essence supé-
rieure, et ne consentiraient jamais à frayer avec de simples
gouvernantes.
Des institutrices, des maîtresses d'école, des filles nobles
ruinées, des Juives couvertes d'or, cela se rencontre par-
tout, direz-vous ! Assurément, et partout aussi, ces femmes
de mœurs et d'idées difTérentes se trouvent noyées dans
la masse. Or, en Allemagne, je le répète, on en forme des
classes à part, ce qui se conçoit, évidemment, pour peu
qu'on examine de plus près les habitudes du pays. Ne
voit-on pas la femme noble refuser la préséance aux filles
des enrichis du jour, la Juive qui trône à Berlin et à Franc-
fort être traitée à Nuremberg comme une femme de rien,
et des patriciennes afficher, dans les vieilles villes libres
et impériales, un orgueil de caste actuellement sans raison ?
Je ne parle, bien entendu, ni des excentriques, ni des
émancipées ; celles-là, qui sont de tous les pays, consti-
tuent des phénomènes sociaux et non des classes distinctes.
Gomme il y a partout des femmes artistes ou musi-
ciennes, des bas-bleus et des actrices, partout aussi
aujourd'hui, l'on rencontre en plus ou moins grand nom-
bre, suivant les mœurs particulières, des végétariennes et
des morphiomanes, mais il faut venir en Allemagne, dans
ce pays où les devoirs et l'instinct de la maternité sont si
développés, pour voir la femme mariée sans enfants con-
sidérée comme un être à part. Et ce ne sont point là des
exceptions, mais une situation générale répondant à un
état de choses particulier.
14
146 LA FEMME EN ALLEMAGNE
Autant de groupes de femmes, autant de mondes divers ;
autant d'individualités féminines, autant de membres de
castes encore imbues de leurs préjugés.
Ici la femme est un trait d'union ; c'est elle qui sert à
rapprocher les classes les plus différentes, les plus éloi-
gnées les unes des autres, celles même qui semblent sépa-
rées par des barrières infranchissables : pourvu qu'elle
puisse vivre de sa vie agitée et bruyante, pourvu qu'elle
puisse briller au premier rang, le reste lui importe peu.
Là-bas, c'est autre chose : avant sa vanité personnelle,
elle fait passer le principe, et, ayant à défendre, si elle est
noble, des privilèges de rang et d'influence, elle se refusera
à reconnaître la toute-puissance de l'argent dû à des coups
de fortune.
Toujours Hausfrau^ quel que soit son rang dans l'échelle
sociale, elle appartient également, toujours, à une classe
quelconque dont les intérêts et les avantages lui sont chers.
Ici j'entends dire : ce sont là les mœurs de la province.
Il se peut, en effet, qu'il y ait entre cette dernière et la vie
allemande des rapports plus intimes qu'avec Paris, ce grand
centre où tout est mêlé et souvent étrangement confondu;
mais si certaines petites villes, certaines sous-préfectures,
où prédominent encore les idées de castes et de supré-
matie locale pourraient être prises comme exemple, un
point capital sépare la conception française de la concep-
tion allemande. En effet, tandis que l'Allemagne est restée
un pays de privilèges que les habitants, hommes et femmes,
tiennent tous à défendre, la France est devenue un pays
de mœurs égalitaires, dans lequel, tout au moins, l'argent
fait disparaître les inégalités sociales.
LRS CLASSES S0C1ALB3 117
Nous avons, il est vrai, établi une démarcation entre la
haute et la petite bourgeoisie, maïs c'est tout, et nous ren-
voyons à ces deux grandes divisions une multitude d'in-
dividualités soigneusement séparées en Allemagne.
On dira bien, en parlant de tels grands personnages
sans fortune, que ce sont des nobles ruinés; jamais, en
faisant l'histoire de la femme française, on n'aura l'idée
de constituer une caste avec les femmes de la noblesse
pauvre.
Voilà pourquoi les classes jouent un si grand rôle en
Allemagne ; voilà pourquoi il convient d'étudier les princi-
paux types si l'on veut connaître la femme sous toutes ses
Flg. 49. — Vignette de Choduwiecki.
11
PRINCESSES ET GRANDES DAMES
S'il est très vrai qu'il s'est constitué de plus en plus en
Europe une sorte d'internationalisme de la bonne société,
il faut faire exception pour les princesses allemandes qui
sont bien elles, qui ne ressemblent en aucune façon à leurs
congénères des pays voisins.
Les autres brillent, avant tout, par l'extérieur, par leur
grand air, par je ne sais quels charmes, quelles attrac-
tions ; en un mot elles sont reines, planant, race d'essence
supérieure, au-dessus du vulgum pecus de la gent fémi-
nine, n'ayant aucune des petites passions, des petites fai-
blesses qui agitent cette dernière, ou, du moins, laissant
croire qu'elles en sont entièrement dégagées. Et cela au
point qu'une souveraine, dénuée de ces qualités naturelles,
manquerait peut-être de prestige et, par suite, en impose-
rait difficilement aux masses.
En Allemagne rien de tout cela. Pour être impératrice,
reine, grande-duchesse, princesse du sang à un titre quel-
conque, l'Allemande n'en est pas moins toujours la femme
que l'on sait ; elle n'abdique jamais ses qualités intimes,
150 LA FEMME EN ALLEMAGNE
et si son domaine est plus étendu, plus brillant, elle n'en-
tend nullement Caire abandon de ce qui constitue son inté-
rieur.
Je ne sais plus quel écrivain français voyageant en Alle-
magne vers 1840 appelait les princesses d'outre-Rhin des
prix Montyon sur le trône. Celui-là avait bien compris la
nature spéciale de la souveraine germanique, la première
entre ses pareilles, sorte de Hausfrau couronnée, dirigeant
une maison royale comme d'autres dirigent la maison
bourgeoise, avec tous ses accessoires et ses menus détails
quotidiens.
La seule différence est que la simple ménagère reste
confinée dans son intérieur, n'osant pas regarder au
delà, tandis que la ménagère royale cherche à exercer
autour d'elle une mission civilisatrice et pacifique, « s'ap-
pliquant à mêler un peu de délicatesse à la pesanteur
militaire », suivant l'expression d'un écrivain, M. Robert
de Bonnières, qui a bien observé ce côté de la vie alle-
mande.
Faut-il en conclure que les femmes de la Cour, les
«jupons », comme les appellent dédaigneusement M. de
Bismarck et les représentants de l'Allemagne féodale, ont
une sainte horreur des batailles? Qu'elles craignent, à l'égal
de toute femme, noble ou plébéienne, les incertitudes des
combats, je le crois volontiers, mais qu'elles repoussent
par principe la guerre, la guerre qui a donné au pays sa
grandeur, c'est aller un peu loin ! Elles sont, pour cela,
trop Allemandes, trop imbues des idées et des préjugés de
la race.
Avant tout, la royauté exercée par ces princesses
FEMNE DE L'ARISTOCRATIE VIENNOISE
(DaaiD oriiii»! ui Utù de C. Lt*an.)
PRINCESSES ET GRANDES DAMES 153
est une royauté nationale. Si elles aiment les arts et les
lettres françaises, c'est en femmes intelligentes qui ne
sauraient rester étrangères au grand mouvement de la
littérature, et non point à la façon du xvni® siècle, par an-
tipathie, par négation de la production du pays.
Alors que les princes sont épris d'idéal militaire, elles
représentent, elles, le côté intime, familial, s'occupant
d'œuvres charitables, vivant bien plus en femmes riches
qu'en princesses. Le luxe et Téclat des grandes fêtes
n'offrent, à leurs yeux, aucun charme; simples d'allures,
elles affichent la même simplicité dans leurs goûts. Ajou-
tez à cela une certaine raideur, une réelle honnêteté dans
les mœurs, une grande parcimonie, aussi bien lorsqu'il
s'agit des deniers de l'Etat que des leurs propres ; en un
mot, ce quelque chose des principes rigides et économes
d'autrefois.
Rien de curieux comme ces ménages, sortes d'intérieurs
bourgeois sur une plus vaste échelle, où une femme cou-
ronnée ne croit pas déroger à sa grandeur en s'occupant
de bien des détails négligés par une parvenue.
Mais l'on se tromperait fort si l'on partait de là pour juger
la princesse allemande dans son ensemble. 11 se peut
qu'une reine préside elle-même à la confection de royales
confitures, cela ne l'empêchera pas, soyez-en sûr, d'avoir
la fierté de son rang, ni de montrer, en certaines circons-
tances, une morgue tout aristocratique, refusant impitoya-
blement à ses thés les femmes qui n'ont pas la noblesse
d'origine.
Le rang,- la naissance avant l'argent, voilà, aujourd'hui
encore, la caractéristique de la société allemande : une
154 LA FEMME EN ALLEMAGNE
femme de commerçant, si riche soit-elle, passera toujours
après la femme noble, si pauvre soit-elle.
Donc ces mômes princesses, qui provoquèrent les éton-
nements et les rires étouffés de plus d'une élégante ambas-
sadrice, que d'aucuns traitent de petites bourgeoises
endimanchées ou de pédantes institutrices, redeviennent
très grandes dames dès qu'il s'agit de rang ou de privi-
lèges. Ueprésentantes, au plus haut degré, d'une société à
la fois féodale et bourgeoise, tenant au titre, sans négliger
les mille pelîts détails de l'intérieur, elles sont, à tous les
points de vue, essentiellement Allemandes.
Comme physionomie rien de particulier. Qu'elles soient
douces ou dures, rêveuses ou matérielles, chez elles le
type n'a pas cette pureté, l'allure n'a pas cette individua-
lité qui se remarquent d'emblée à Paris ou à Vienne.
Les difi'érences esthétiques paraissent ainsi ne pas
exister; je veux dire que les types de beauté ou de vul-
garité se présentent à la fois dans les classes les plus
diverses. Vienne seul fait exception ; Vienne seul pos-
sède une véritable aristocratie de race et de traits phy-
siques.
Là règne la grande dame, la femme noble aux allures
fières et hautaines, à Tovale correct, à l'air distingué, à la
mise élégante et de bon goût ; la grande dame qui a une
façon à elle de marcher, de sourire, de saluer; la grande
dame qui saura se faire remarquer au moindre petit geste,
fût-elle entourée de milliers de femmes plus élégantes.
C'est ainsi que déjà sur les marches du trône apparaît
en Autriche la toute - puissance du charme et de la
beauté, tandis qu'en Allemagne, à Berlin spécialement,
156 LA FEMME EH ALLEMAGNE
les mœurs plus intimes et plus simples de la femme
luthérienne se retrouvent à la Cour elle-même.
Voulez- voue avoir une idée nette, exacte, des deux civi-
lisations, de la civilisation catholico-orientate de Vienne
et de la civilisation protestanto-féodale de Berlin? Compa-
rez l'archiduchesse Gisèle, aux toilettes bruyantes et excen-
triques, avec la grande-duchesse de Bade, fdle, on le sait,
de l'empereur Guillaume, se faisant & la fois remarquer
par sa mise simple, par sa timidité naturelle, je dirai
presque par son attitude gauche.
Ici la race ; ici le luxe et le besoin de parîdtre ; là l'éga-
lité du sexe devant l'éducation nationale, un désir de
calme et d'efTacement ; ici une grande dame couronnée,
une femme remarquablement jolie et pleine de charmes;
là une bourgeoise, bonne et instruite, ayant tous les
orgueils du rang.
Telles apparaissent sous leurs différents aspects les
princesses et les grandes dames d'outre-Khin.
Fig. Bl. — Caricature des FiiegentU BtMtter.
m
LA FEMME DANS LA NOBLESSE PAUVRE
Ce titre en dit plus, à lui seul, que bien des in-quarto.
Aristocratie crevant de richesse, c'est T Angleterre ; noblesse
besogneuse, vivant au jour le jour, c'est TAUemagne.
Assurément , Ton rencontre des nobles plus fortunés ,
mais la vraie aristocratie nationale, conforme aux con-
ditions spéciales du pays, c'est l'aristocratie pauvre,
c'est-à-dire le privilège, la naissance, luttant contre l'in-
fluence moderne de l'argent, en n'ayant pour toute
arme que la tradition.
Mélange de fortes qualités et de préjugés surannés, la
femme de cette classe représente un des types les plus
particuliers à la race, une des expressions les plus per-
sonnelles au sol germanique.
Elevée avec une simplicité commandée par les circons-
tances, la jeune fille noble apprend, dès l'enfance, à se sacri-
fier pour l'éducation de ses frères. La famille doit paraître :
il faut, en apparence au moins, rester « les barons ».
Lorsqu'on vit, à demeure fixe, dans le vieux château
patrimonial, plus ou moins confortable, cela passe encore,
158 LA FEMME EN ALLEMAGNE
mais si Ton habite une résidence princière, quelque petite
soit-elle, les exigences deviennent plus difficiles à satis-
faire. D'une façon comme de l'autre, la nourriture est ce
qui s'en ressent le plus, parce que c'est la chose qui se
voit le moins. Assemblage d'orgueil et de dignité tout à la
fois, dont la noblesse allemande n'est pas seule à donner
l'exemple. N'en est-il pas, en effet, de même dans cer-
taines familles parisiennes où la toilette et les plaisirs
viennent absorber le plus clair du budget I
Toutes les habiletés, toutes les privations à l'aide des-
quelles on peut se procurer un semblant de bien-être, la
mère les connaît et les enseigne à sa fille. Aucun sacrifice
n'est de trop quand il s'agit d'affirmer la noblesse de la
race. Il est donc permis d'avoir le ventre peu garni et la
bourse encore moins, pourvu que les armoiries de la famille
puissent, surmontées de leur couronne héraldique, s'étaler
partout oti faire se peut. Ne pas affirmer ostensiblement
la noblesse de son rang, en toute occasion, serait un crime
de lèse-hiérarchie. Et afin que nul n'en ignore, l'écusson,
ce noble écu des vieux âges que notre siècle industriel et
sceptique appelle dédaigneusement la marque de fabrique
de l'aristocratie, se sculpte sur la maison, se peint sur les
portes, se découpe dans les bois, se brode sur les cous-
sins, sur le linge, même sur celui qui est destiné aux plus
infimes usages, se coud sur les sacs de voyage, se cloue
sur les caisses, s'applique sur les chaises, vieux meubles
boiteux dont il faut se méfier, malgré leur pompeux
panache, se grave sur les quelques rares pièces d'argenterie
échappées au naufrage, s'imprime sur le papier à lettres
et sur les cartes de visite. Dès l'âge de douze ans une
LA FEMME DANS LA NOBLESSE PAUVRE 159
jeune fille noble ne saurait naviguer sans ces bouts de
carton armoriés.
Au reste, les armoiries ne sont point les seuls souve-
nirs dont on aime à s'entourer. Tout ce qui peut rappeler
les origines de la famille est soigneusement conservé,
placé bien en évidence sous les yeux de tous : les portraits
des ancêtres, à peine reconnaissables tant ils sont écaillés,
figurent naturellement au premier rang de ces saintes
reliques.
Mais, sans la femme, sans la mère de famille, cela n'au-
rait encore qu'une importance secondaire : c'est elle, en
effet, qui dans les plus petits incidents de la vie quodi-
dienne se charge d'affirmer les titres de noblesse; c'est
elle qui enseigne aux enfants les traditions, les légendes
du passé ; c'est elle qui leur inculque le respect de cette
haute origine et qui leur transmet avec l'orgueil de la race
la haine du mercantilisme, l'amour pour tout ce qui est
grand, noble, généreux. Son enthousiasme n'a d'égal que
sa bonne foi.
Et quelle profonde et naïve vénération pour les vieux
bijoux dont elle a hérité de ses devanciers, bijoux dont
elle se pare en toutes circonstances, même dans celles
qui sembleraient le moins l'exiger. Ce sont, il est vrai,
la plupart du temps, de pauvres pierres plus ou moins
artistiquement montées, et, de fait, sans grand prix; mais
peu importe la valeur vénale : les bijoux des ancêtres,
cela seul suffit. Sincèrement, enfants, parents, amis,
domestiques même, — domestiques, qu'on veut bien
admettre à contempler ces marques de noblesse, — admi-
rent, sans se jamais lasser, un si précieux héritage.
460 LA FEMME EN ALLEMAGNE
Ici nous touchons à la fois au point faible et au côté
caractéristique de la femme noble pauvre. A ses yeux, les
plus belles parures modernes, si bien montées, si écla-
tantes soient-elles, ne méritent aucune attention lorsqu'elles
sont portées par des femmes de riches négociants, par
des « marchandes », comme on dit dédaigneusement, pour
mieux marquer la distance qui sépare le vrai monde, celui
aux mains blanches des classes aux mains plus ou moins
calleuses. Bijou banal, puisqu'il se peut acquérir avec de
l'argent; bijou sans valeur, puisqu'il sort tout clinquant des
vitrines du joailler, sans parchemin, sans marques de
noblesse. D est vrai que, si, par aventure, on le voit figurer
au cou ou au bras d'une gente dame de la caste, tout
aussitôt il revêtira une autre apparence. « Les nobles
ennoblissent ce qu'ils touchent » , disait très naïvement une
aristocrate de la Silésie.
Le dédain pour les femmes du commun atteint aux der-
nières limites du comique. Dans cet ordre d'idées, la femme
de l'aristocratie énoncera les choses les plus étranges,
les plus incroyables , sans s'en apercevoir , sans même
avoir l'intention d'offenser. N'est-elle pas noble, donc
d'une essence supérieure aux autres 1 Du reste, modeste
en ce qui la touche personnellement, sans prétentions,
humble même, les égards qu'elle exige des autres, ce
n'est point pour elle qu'elle les demande, c'est pour le
rang qu'elle occupe, c'est pour la caste à laquelle elle
appartient.
Elle tonne aussi contre le luxe et le confort moderne
dans les habitations, dans les aménagements; le altdeutsch
l'intéresserait bien, mais les ébénistes de nos jours sont
LA FEMME DANS LA NOBLESSE PAUVRE 161
si manants ! N'entendent-ils pas faire payer les nobles
comme de vulgaires bourgeois? Donc, tout cela est du
«
faux, du clinquant, manquant de caractère et de style.
Honnêteté, travail, souvenir des ancêtres dont ils
descendent, c'est avec ces principes que les enfants sont
élevés. A de très rares exceptions près, les fils servent
TEtat soit comme fonctionnaires, soit comme officiers. Non
seulement c'est pour eux une carrière honorable, mais
encore la seule qui puisse ennoblir un homme. Aussi les
filles ne refusent-elles point de s'unir à des roturiers qui
ont passé par l'armée ou par l'administration. Il est vrai
que, tout en prenant le nom bourgeoisement obscur de
leur époux, elles ont bien soin de se faire toujours appeler
par le titre de la fonction publique qu'occupe ce dernier.
Madame la conseillère — et l'on sait que cette appellation
honorifique s'accommode à toutes les sauces, — Madame
la présidente. Madame la juge de paix, Madame la géné-
rale, sont des titres qui, journellement, servent de cache-
misère moral aux filles dont le blason a disparu sous une
étiquette vulgaire. Voilà pour l'extérieur.
Dans l'intimité, afin que nul n'en ignore, tous les objets
du ménage, marqués ou gravés au nom de la jeune fille,
reçoivent cette fameuse couronne héraldique dont les
Allemands se montrent si prodigues. Et c'est ainsi qu'on
se donne l'illusion d'une noblesse intégralement con-
servée.
J'ai parlé des filles qui se marient : il en est, et
beaucoup, qui ne se marient pas ; vivant alors d'une petite
rente viagère servie par le majorât de la famille, ou rem-
plissant l'office de dame d'honneur, — situation toujours
45
162 LA FEMME EN ALLEMAGNE
fort enviée, — auprès d'une quelconque des princesses de
Jjilliput dont fourmille TAlmanach de Gotha. Quelquefois,
elles habitent le château héréditaire, dans un corps de
logis spécialement destiné aux filles et aux veuves de
leur maison ; plus souvent, elles vont aider leurs sœurs
mariées, se vouant corps et âme aux intérêts d'un ménage
qui leur est cher, et apportant, malgré les manies de la
vieille fille et les préjugés de la noblesse, un concours
précieux, lorsqu'il s'agit de l'éducation.
Mais si les femmes de cette classe s'allient assez facile-
ment à des hommes de la roture, il est plus rare de voir
les fils de maisons nobles se marier à des filles de la riche
bourgeoisie, pour redorer leur blason terni. Toutefois, le
cas se présente, et les jeunes filles qui entrent ainsi dans
une maison qu'elles ont appris à respecter, à honorer
dès leur enfance, sont toutes fières de penser qu'elles
pourront contribuer à renouveler moralement et effective-
ment un rameau de cette vieille noblesse pour laquelle
elles ont tant d'estime.
En fait, cette petite aristocratie pauvre est le véritable
noyau de la société : si elle venait à disparaître, l'or-
ganisme du pays se trouverait profondément modifié.
Malgré tous leurs ridicules, ses femmes peuvent reven-
diquer une bonne part dans l'accroissement politique,
dans la grandeur présente de l'Allemagne : ce sont elles,
surtout, qui, par leur simplicité, par leur dévouement, en
un mot par leur esprit d'abnégation, ont préféré une mo-
deste position dans un poste honorifique aux grosses for-
tunes des spéculations commerciales et industrielles. On
sait combien l'influence féminine est grande dans les ques-
FEMME DU PATRICIIkT
LA FEMME DANS LA NOBLESSE PAUVRE 165
lions pécuniaires. Si la femme veut briller, éclabousser
par son luxe, c'est le cas ou jamais de dire : Adieu les
études sérieuses pour Thomme, adieu les fonctions
honorables, celles où Ton est payé pour son travail, pour
ses aptitudes, les fonctions réellement nobles, restant en
dehors de tout esprit de gain, de tout coup de Bourse, de
tout imprévu quelconque.
Tout, sauf le négoce, telle pourrait être la devise de
cette fraction de la noblesse, encore essentiellement mi-
litaire, essentiellement féodale.
Le patriciat des antiques cités jadis enrichies par le
commerce, Nuremberg, Augsbourg, Dantzig, Lubeck, a
déjà d'autres idées, mais, lui non plus, ne se lancera pas
dans les hasardeuses spéculations. Il s'intéresse aux indus-
tries, aux vieilles industries du pays, considérant comme
un honneur de diriger des maisons dont l'origine remonte
au XVII® ou au xviii® siècle, se transmettant cet héritage de
père en fils, de branche en branche, y laissant ses capi-
taux, sachant voir autre chose qu'une affaire de gain
immédiat. Là encore, tout en menant une existence
plus large , la femme est pour beaucoup dans le main-
tien de ces traditions auxquelles l'industrie allemande doit
une bonne part de ses succès.
A côté de cette aristocratie des petites capitales prin-
cières ou des cités, autrefois libres et puissantes, toutes deux
essentiellement allemandes, la haute aristocratie, surtout
celle qui vit à Berlin, représente l'élément cosmopolite
de la société germanique. Autant la Cour est simple,
autant celle-ci a des allures luxueuses et tapageuses. Les
femmes sont élégantes, indépendantes, aiment à faire
1C6 LA FEMME EN ALLEMAGNE
parler d'elles et s'occupent assurément plus de leurs succès
mondains dans les ambassades, dans les ministères, que
des confitures et des soins du ménage. Elles montent à
cheval, elles conduisent, elles cherchent, avant tout, le
plaisir et la montre. Teintées de littérature et de musique,
wagnériennes, méprisant profondément les romans genre
famille Buchholz, ne s'intéressant qu'aux pièces et aux
livres à scandales de Paris, elles constituent un monde
d'autant plus à part qu'elles vivent au milieu d'une Cour
dont on a vu la simplicité.
Comprend-on, maintenant, pourquoi, en commençant ce
chapitre, je disais : La noblesse pauvre est bien réellement
la véritable noblesse allemande, lafemmede cette classe, si
nombreuse et si méritante à plus d'un égard, est bien la
femme allemande, avec ses préjugés de caste, mais aussi
avec ses qualités d'ordre et d'économie?
Fig. S3, — Vignette de Coll-Toc
IV
LA JUIVE
Si le Juif, maintenu dans un état d'infériorité que semble
approuver lopinion publique, paraît avoir déteint quand
même sur TAllemand, en lui communiquant certains de
ses défauts caractéristiques , la Juive, elle, n'a jusqu'à ce
jour exercé aucune influence sur la vraie Germaine. Dif-
férences de type, de tempérament, de goûts, de principes ;
entre elle et l'Allemande que nous venons de voir, il y a
tout un monde.
Comme type, elle ne pourra jamais prétendre à réaliser
la Marguerite idéale de la légende : trop de choses s'y
opposent. Encore quelque peu Orientale, avec cela rare-
ment blonde, souvent belle en sa prime jeunesse, elle
devient laide, difl'orme, mafflue, lorsque l'âge s'est emparé
d'elle.
Comme tempérament, peut-être y aurait-il plus de rap-
port; car, prise dans son ensemble, elle présente presque
toujours ce laisser-aller, cette démarche lourde et vulgaire
qui est le propre de quelques Allemandes. Elle paraît se
donner, de même, assez facilement : rechercher la place
LA FEUHE EN ALLEMAGNE
qu'elle occupe dans la prostitution européenne serait donc
un travail curieux, bien fait pour tenter les antisémites
de nos jours.
Qu'on ne se méprenne pas sur ma pensée. Je ne veux
point dire par là. que toutes les Juives manquent de vertu,
mais il y a Juives et Juives : celles qui ont encore conservé
les qualités familiales, patriarcales presque d'autrefois, et
celles qui, désireuses, avant tout, de manier l'or à pleines
mains, se jettent & corps perdu dans le monde interlope de
la galanterie. Or, celles qui sont matérielles le sont plei-
nement, sans aucune de ces échappées vers l'idéal qui,
chez l'Allemande, corrigent quelquefois la nature.
Intelligente , spiri -
tuellc, passionnée pour
le bruit, recherchant ce
qui brille, la Juive a
soif de luxe. Toutes les
jouissances que peut
donner l'argent elle les
désire , et , souvent ,
pour se les procurer,
sera peu scrupuleuse
sur les moyens.
S'il me fallait porter
une appréciation d'eU'
Fie. 53- Vieille Juive. semble sur les Juives
allemandes, je dirais que celles des hautes classes, de l'a-
ristocratie financière, valent moins que celles des classes
bourgeoises, du commerce et du petit négoce. Bruyantes,
évaporées, esclaves du chic et du bon genre, les premières
LA JUIVE 469
mènent la vie à grandes guides dans les maisons princières
de ce Francfort où Ton peut encore retrouver les traces de
leurs plébéiennes origines. Les secondes, au contraire, soit
que ces qualités leur appartiennent en propre, soit qu'elles
se soient développées en elles au contact de Tintimité
allemande, coulent une existence paisible, fidèles épouses,
excellentes mères.
Mais, comme goûts et comme principes, quelles diffé-
rences entre la véritable Allemande, luthérienne d'origine,
de conception, et la Juive. En art, en littérature, cette
dernière vit complètement en dehors de l'idée nationale :
dégagée des préjugés de la race, elle n'a ni le culte du
passé, ni l'amour des vieilles choses, et cela se conçoit,
puisque le passé, pour elle, c'est l'esclavage. Donc, elle
est loin de partager l'engouement général pour le style
all'deutsch: soit en architecture, soit en bijouterie, cela ne
lui dit rien, parce que c'est sombre, mat, et qu'elle
recherche avant tout la couleur, le brillant, quand ce n'est
pas le clinquant.
Ainsi, dans ce domaine, il y a séparation complète, et
nulle part les distinctions entre Juives et chrétiennes ne
sont aussi visibles. Allez dans un foyer de théâtre, à
Francfort par exemple, vous verrez les premières couvertes
de diamants et de bijoux massifs, alors que la vraie Alle-
mande préférera le bijou alt-deutsch^ moderne, lui aussi,
mais fabriqué sur les anciens modèles des musées et des
collections publiques. Et ce détail, qui peut paraître puéril
de prime abord, ne fait que confirmer la règle.
Partout, du reste, en Allemagne et en Suisse, dans les
villes qui jusqu'alors avaient encore conservé l'antique
470 LA FEMME EN ALLEMAGNE
simplicité, vous reconnaîtrez les Juives à la façon dont
elles s'habillent, dont elles aiment à se montrer dehors,
recherchant le luxe non pas seulement pour leur propre
satisfaction, mais encore parce qu'en lui seul résident
leurs quartiers de noblesse, et qu'elles ont, plus que
d'autres, la mauvaise habitude de juger des gens par les
dehors.
Type, accoutrement extérieur, genre de vie, tout con-
tribue à faire de la femme juive une femme à part,
enviée des uns, méprisée des autres, et, ce qui est
certain, ne participant pas aux passions qui, à certains
moments, agitent la gent féminine. Presque partout elle
est abandonnée à elle-même, obligée de fréquenter exclu-
sivement ses congénères par suite du peu de sympathie
qu'elle rencontre.
Dans les familles dont la fortune remonte déjà à plu-
sieurs générations, les jeunes filles ne se font pas faute de
rechercher l'alliance des anciennes et nobles maisons, mais
ces mariages sont très rares. Quand il s'en présente, par
hasard, ils soulèvent de telles clameurs que les jeunes gens,
personnellement disposés à ajouter à leur nom l'éclat d'une
grosse fortune, renoncent à affronter la réprobation
publique * .
« Il n'est pas un véritable Allemand, de cœur et de
pensée », affirmait récemment encore un écrivain libéral,
« celui qui prend une Juive pour mère de ses enfants. »
Cela dit tout. Que voulez-vous de plus ?
* Voir sur ce sujet le très intéressant volume de Ph. Daryl, Signe
Meltroéf étude fort exacte et tout à fait vivante de la société berlinoise.
Physiquement et socialement, la Juive d'outre-Rhin est
un être à part. Socialement, on la rejette en dehors de la
vie nationale, ne lui accordant guère que le titre de Con-
seillère commerciale; physiquement, il suffit pour se rendre
compte des exagérations auxquelles donne lieu son profil
d'ouvrir un journal humoristique. Quelle que puisse être
la tendance évidente au ridicule, jamais en France l'on
n'arriverait à un résultat pareil. Donc la Juive constitue
bien un type dans l'ensemble de la féminalité germanique.
rig. Si. Type de Juive.
DE QUELQUES AUTRES FEMMES
LE BAS-BLEU — L'ACTRICE
Quand on a vu la Juive et la noble sans fortune on
connaît TAUemande , parce qu'on a devant soi les deux
types qui incarnent en eux les diverses personnalités
féminines. En effet, tandis que la Juive est, à propre-
ment parler, la seule qui possède une fortune, la seule
qui, soit par goût, soit par le fait de sa position, puisse
se permettre un certain luxe, toutes les autres, femmes
ou filles de fonctionnaires, de professeurs, d'officiers, de
savants, de négociants môme, sont, comme les représen-
tantes de l'aristocratie, forcées de se montrer simples dans
leurs toilettes et modestes dans leurs désirs. Simplicité
relative, assurément, médiocrité relative, mais, à quelques
exceptions près, plutôt moins dorée que plus, et c'est là,
.au point de vue social, la plus grande particularité du
monde allemand.
Certes, l'art de multiplier les morceaux quand il s'agit
de la nourriture, ou de combiner avec peu de chose des
toilettes qui produisent grand effet, est un art pratiqué
474 LA FEMME EN ALLEMAGNE
dans tous les pays, mais en Allemagne il paraît avoir atteint
à son apogée, en suite des conditions plus difficiles de la
vie, conditions dues à la multiplicité des enfants.
Toutefois si la femme doit faire des prodiges d'éco-
nomie, elle a, épouse d'officier ou de fonctionnaire, une
situation bien supérieure à celle qui lui est reconnue en
France. Ici on n'accorde quelque crédit à la femme que
si elle s'impose par son esprit, sa beauté, sa fortune;
en Allemagne on la respecte suivant le rang qu'occupe son
mari.
D'où, d'un autre côté, il faut également le reconnaître, la
pédanterie que j'ai déjà indiquée comme appartenant en
propre aux femmes du pays.
Dans tout ce monde où l'on vise à l'économie, je ne
vois guère comme types originaux que les professeuses.
Elles professent, en effet, je vous prie de croire : si le
Herr Professer est un Dieu dont rien ne saurait troubler
la majesté, la Frau Professorin et les Frâulein Professo-
rin ont la prétention d'être les premières inter non pares.
Leur titre n'est-il déjà pas un honneur dans un pays où,
non sans raison, les fonctions universitaires sont entourées
d'une telle auréole? Donc, mômes droits, môme considéra-
tion que leur époux ou leur père, voilà ce qu'elles deman-
dent. Si elles pèchent en quelque façon, ce n'est assuré-
ment pas par modestie.
Instruites, bien élevées, elles ont, toutes jeunes encore,
une assurance qu'on ne rencontre pas toujours chez les
personnes d'âge mûr. Plus tard, prenant les allures
pédantes et raides de Herr Papa, elles parlent en oracles
et posent volontiers pour la femme savante. Gomme
DE QUELQUES AUTRES FEMMES 175
d'autres ont la fierté de la richesse, elles ont, elles, la
fierté de la science infuse que représente le pater familias.
Réclame ambulante, elles parlent à tout propos de ses
travaux, de ses succès, vantent ses cures merveilleuses,
s'il est médecin ; ses brillants plaidoyers, s'il est avocat.
Que cela soit naturel et se rencontre plus ou moins
partout, je le veux bien, mais qui connaît le monde pro-
fessoral français et le monde professoral allemand, sait
que chez ce dernier l'élément féminin est très particulier.
S'unir à un aspirant-professeur, — d'Université bien en-
tendu, — afin de devenir Maaame la professeur et d'avoir
des enfants qui soient à leur tour, eux aussi, des profes-
seurs, voilà le rêve des jeunes filles de cette classe, on
pourrait presque dire de cette caste.
Se marient-elles, par hasard, avec des hommes n'appar-
tenant pas à leur monde, elles ne cesseront de mettre en
avant la supériorité intellectuelle des leurs, et feront en
sorte que les fils reprennent la tradition momentanément
interrompue.
L'Université, cette Aima Mater, se trouve donc ainsi
avoir de l'autre côté du Rhin des propagandistes féminins,
comme il faudrait lui en souhaiter en France.
Existe-t-il un bas-bleu allemand? — Question oiseuse.
Mieux vaudrait demander depuis quand il en existe.
Un jour, on faisait observer à M™® Friedrich von
Schlegel, la fille de Moïse Mendelssohn, qui se livrait à
des travaux d'aiguille, qu'elle devrait choisir une occupa-
tion plus en rapport avec son intelligence. Sans sourciller,
elle répondit :
« J'ai toujours entendu dire qu'il y avait déjà trop de
176 LA FEMME EN ALLEMAGNE
livres de par le monde, et jamais qu'il y eût trop de che-
mises »; paroles bien vraies et profondément justes,
actuellement plus que jamais.
Trop de livres 1 n'est-ce pas le mal de notre époque
aujourd'hui que l'imprimerie est devenue un nouvel agent
de spéculation, et a cessé d'être le porte-voix de la pensée?
Toutefois, rendons sur ce point pleine et entière justice
à l'Allemagne, le livre n'y est pas encore un com-
merce exploité par des marchands de lorgnettes ou de
cravates.
Mais le bas-bleu , la femme de lettres , la traductrice
du français ou de l'anglais, que sont-elles au milieu de
tout cela?
Ceux qui cherchent toujours à jeter sur les autres la
boue dont ils sont couverts voudraient les faire passer
pour des femmes sans vertu et des écrivains sans valeur,
naturellement. Qu'elles ne présentent aucun talent trans-
cendant, je le veux bien, mais que penser du pamphlet
dans lequel on lit : « Si les vertueuses Allemandes étaient
à môme de connaître les vertus allemandes des vertueuses
femmes de lettres, qui écrivent de vertueux romans, elles
seraient peut-être moins enthousiastes? » Pure calomnie :
les femmes de lettres de l'autre côté du Rhin ne sont ni
plus ni moins vertueuses que les nôtres.
Si beaucoup font des traductions ennuyeuses et de
lourdes compilations, d'autres, comme M°^^ Marlitt, Wer-
ner, Fanny Lewald, Hélène Bœhlard, Louise von Fran-
çois, Wilhelmine de Hillern, Elise Polko, Betti Paoli,
celle-là môme qu'on a appelé le premier poète lyrique de
l'Autriche, la comtesse Wickenburg-AJmasi, la baronne
DE QUELQUES AUTRES FEMMES 177
Marie Ebner-Eschenbach, prouvent que la femme allemande
compte, au contraire, dans le mouvement intellectuel de
nombreux représentants de talent.
En général, elle s'occupe surtout de poésie et de ques-
tions d'enseignement, écrivant pour les publications des-
tinées à la famille qui pullulent de tous côtés. Trop chez
nos voisins, pas assez chez nous.
D'aucuns, il est vrai. Font accusée d'avoir une fâcheuse
influence sur l'état des lettres et spécialement sur le ro-
man. Je reconnais très volontiers, qu'en présence de l'im-
portance prise par ce dernier, en France et en Russie, le
poman allemand, vivant de convention ou d'évocations
historiques, occupe une bien petite place. Mais il serait
injuste de faire retomber sur les femmes seules la respon-
sabilité d'un état de choses qui tient plus aux mœurs
mômes du pays qu'au rôle exercé par tel ou tel sexe dans
la littérature.
Les femmes, quelquefois si vibrantes en peinture, n'ont
apporté nulle part la note réaliste dans la littérature ; rien
de surprenant, donc, à ce que les Allemandes, filles d'un
pays qui se complaît dans l'étude des petits faits intimes,
se traînent à la remorque de la convention.
Sur ce point, elles sont femmes, — dans la donnée
qu'on sait, — avant d'être artistes, et c'est pour cette
raison qu'elles sacrifient tout aux préjugés, aux idées
reçues , n'osant pas pénétrer dans la psychologie des
choses et des gens.
Ici encore, le côté national de la race est saisissant :
Allemandes, elles remplissent une mission, elles écrivent
pour la famille allemande, pour la femme et l'enfant.
46
178 LA FEMME EN ALLEMAGNE
Et il ressort de tout ceci un fait non moins curieux,
c'est que plus la littérature est aux mains des femmes, —
l'exemple de TAllemagne et de TAngleterre est à ce point
de vue concluant, — moins il y est question de la femme
et des problèmes que suscite Tétude de r.être féminin
dans son ensemble.
Le bas-bleu germanique a, lui aussi, des convictions
politiques et sociales, il écrit pour Dieu^ pmtr la Pairie^
pour le Roiy pour les trois choses que ses sœurs, je l'ai
dit, honorent par-dessus tout. Tendance à la rêverie,
besoin d'expansion, devoir à remplir, tels sont, d'autre
part, les principaux mobiles qui lui mettent la plume à la
main. Toute idée de scandale ou de gain doit être écartée.
Si maintenant, de même qu'on a fait autrefois ici la
Physiologie du Bas-Bleu^ il me fallait donner la physiologie
de la femme de lettres allemande je dirais qu'elle est rare-
ment de la première jeunesse, qu'elle appartient assez sou-
vent aux classes aristocratiques, — à moins que ce ne soit
une ancienne institutrice, — et qu'elle n'est presque jamais
une élégante rédactrice de carnet mondain, perroquet sot
et vaniteux, moulin à paroles, agaçant, comme'on en ren-
contre sur nos boulevards et dans les journaux desdits.
Presque toujours épouse et mère, elle est plutôt Rococo.
Graphiquement, on pourrait la représenter avec le clas-
sique bonnet à rubans ou avec un chapeau posé sur la
tête n'importe comment.
Après le bas-bleu, l'actrice, qui va nous faire connaître
un autre côté des mœurs locales. Gomme femme elle
vaut peut-être mieux que la nôtre, comme artiste elle
vaut moins. Ghose caractéristique qui semble donner rai-
DE QUELQUES AUTRES FEMMES i79
son ù une thèse souvent soutenue, celles qui ont réelle-
ment un éclair de talent mènent l'existence plus ou moins
folichonne, plus ou moins iprégulière de leurs congénères
parisiennes, et c'est à Vienne surtout qu'on les rencontre,
le vrai bourgeois allemand ne s'étant pas encore fait à
l'idée de venir applaudir des artistes dont la vie débauchée
180 LA FEMME EN ALLEMAGNE
s'étale en public. Autrefois les chanteuses ou actrices des
théâtres royaux, Hofsûngerin^ Hofschampielerin, étaient du
gibier privé ; mais ces réductions de Parcs-aux-Cerfs des
petites principautés ne se rencontrent plus aujourd'hui.
On a des mœurs, dans le nouvel Empire, ou, tout au
moins, on fait en sorte de ne pas trop afficher les mau-
vaises, ces mauvaises qui sont quelquefois les bonnes,
disait le fondateur de la monarchie prussienne.
Jolies, les actrices allemandes savent l'être. Pourquoi
ne le seraient-elles pas, du reste, dans un pays où Ton
voit de fort beaux types? Mais gracieuses, légères, capti-
vantes, charmeuses, c'est une autre affaire. Comédiennes
et chanteuses sont, généralement, en bois, avec des mou-
vements guindés et saccadés. La chanteuse peut encore
obvier par la voix à cette absence totale de jeu ; quant k
la comédienne, elle produit presque toujours l'effet d'une
personne récitant une leçon péniblement apprise ou débi-
tant quelque histoire bien ennuyeuse à raconter. Toutes
deux s'habillent avec plus ou moins de cachet, ignorent
complètement l'art de se farder, sont empruntées dans
leurs mouvements, ne savent comment tenir leurs bras,
où placer leurs mains, et marchent sur la scène comme si
elles y venaient pour la première fois. En un mot, des
sortes de comédiennes bourgeoises qui voudraient jouer
avec aisance la comédie du grand monde.
Ce manque de côté cabotin, très particulier à l'Alle-
mande, doit-il lui être imputé à mal? N'est-il pas, au con-
traire, une preuve évidente de la sincérité de son carac-
tère, de l'absence de rouerie qui la personnifie ? Si l'actrice,
en nos pays, lui est de cent coudées supérieure, cela tient
KCTRICE
(DtuiD original dtC. Ku>
DE QUELQUES AUTRES FEMMES 183
justement à cette qualité si éminemment française qu'elle
possède au plus haut degré, Tart de charmer, Tart de
poser et de se faire valoir ; la comédie du salon unie à la
comédie du boudoir.
Donc, n'ayant pas naturellement ces quahtés, TAUe-
mande a toujours quelque peine à les porter sur la scène,
et c'est pourquoi elle y apparaît gauche et lourde.
Je ne sais plus quel voyageur vers 1830 dit avoir été
étonné en voyant l'intérieur d'une des grandes actrices de
répoque. Il l'avait trouvée raccommodant son linge, va-
quant aux soins du ménage comme une vulgaire petite
bourgeoise. Eh bien! aujourd'hui, cette simplicité, si
rare en France, existe encore chez la plupart des femmes
de théâtre. Beaucoup sont mères de famille ; beaucoup, de
môme, ont une existence calme et rangée.
Quant à prétendre que Tactrice est, quelles que soient
ses mœurs, reçue dans les familles et sort avec les femmes
honnêtes, comme l'écrit certain pamphlétaire, il faut pour
avancer de semblables inepties n'avoir jamais vu l'Alle-
magne que dans les brasseries.
Oui, certes, l'actrice honnête est admise au sein de la
famille, puisqu'elle en fait elle-même partie, puisqu'elle
mène paisiblement l'existence bourgeoise. Quant à l'autre,
on la rencontre, comme partout, dans les endroits où l'on
s'amuse, dans les restaurants de nuit, à la Conditorei^
au milieu de joyeuses compagnies oii domine l'élément
militaire.
Celle-ci, du reste, ai-je besoin de le dire, n'est plus con-
sidérée par les Allemands comme une actrice ; c'est une
fille, ni plus ni moins.
184 LA FEHHE EN ALLEMAGNE
Mais même dans ce monde spécial pour qui les planches
sont un prétexte, on chercherait vainement le côté brillant
des coulisses parisiennes : la scène n'est pas plus animée
que les couloirs. Vertueux ou non, le théâtre conserve
toujours un aspect de province et de rigidité antique. Ici
l'on joue et l'on ne flirte pas, telle pourrait être sa devise.
Fig. se. — Vignette (le Schlittgen.
{FHigendt Btmtttr.)
VI
LES TYPES
Existe-t-il un type allemand bien accentué, bien uni-
forme, ou la même diversité qui règne dans les mœurs,
dans les habitudes, se présente-t-elle au point de vue de
la physionomie ?
A la question ainsi posée, on peut facilement répondre
en plaçant sous les yeux du public des figures féminines
prises dans certaines parties du pays et dessinées par des
artistes consciencieux, de telle façon que Ton ait devant
soi, non des compositions fantaisistes, mais du document
exact.
Dans ce domaine, le portrait graphique est toujours
préférable au portrait littéraire, parce qu'il donne au
visage, le contour, la ligne, c'est-à-dire ce que la descrip-
tion la plus minutieuse est impuissante à établir. La seule
chose dont il faille s'enquérir, c'est la manière dont pro-
cède l'artiste, afin d'être fixé sur le plus ou moins de crédit
qu'on doit accorder à son œuvre.
Etre du pays, appartenir au sol même, est la première
condition requise. Si des Italiens ont pu devenir les
186 LA FEMME EN ALLEMAGNE
peintres attitrés de la Parisienne, je doute fort qu'un Fran-
çais arrive jamais à dessiner TAUemande comme Tartiste
dont rœil est, dès Tenfance, habitué au visage, aux traits
de la Germaine. En revanche, il est vrai, certains côtés
que l'artiste autochtone aura, volontairement ou non,
laissés dans Tombre, d'emblée seront observés par l'étran-
ger. Impression vivement ressentie, sans grande consis-
tance,- si Ton veut, mais cependant intéressante à noter.
En voici du reste un exemple : la servante dessinée
par Mars, tenant d'un bras nerveux et d'une main non
moins solide des chopes à la mousse écumante. Dans ce
croquis prestement enlevé, on aurait tort de chercher un
document destiné à fixer un type, mais sans parler de la
prestance, examinez de plus près l'œil, le sourire, la façon
de porter la tête, et vous verrez qu'il y a en cette figure
quelque chose de nettement accentué, en un mot de très
particulier. Cette femme a été vue par l'artiste, vue comme
il voit d'ordinaire, suivant son tempérament, c'est-à-dire
sous un jour gracieux, sous une forme aimable.
Gomme Allemande, elle est de partout et de nulle part;
comme Germaine, elle est suffisamment esquissée pour
qu'il ne soit pas possible de la confondre avec une Fran-
çaise ou une Anglaise.
On peut ne pas voir les individualités spéciales à telle
ou telle nation, mais quand il s'agit des grandes lignes
tout le monde saura reconnaître une Germaine d'une
Latine, une habitante du Nord d'une habitante du Midi.
Existe-t-il, au môme titre, une Berlinoise, ou n'est-ce
pas plus ou moins un mythe? En effet, beaucoup de Ber-
linoises, rencontrées de par les rues de la capitale, sont
LES TYPES
de Stettin, de Spandau, du CharloUenburg, de Guben, de
Teltow, de la Poméranîe ou de la Bohème. Ce mélange
Fig. j7. — Scrvatile de brassoi'ii'.
de la' grande cité prussienne rappelle absolument ce que
disait sous l'Empire un spirituel pamphlétaire : « Il y a
188 LA FEMME EN ALLEMAGNE
deux façons d'être Parisienne. La première consistée être
née, par hasard, dans les limites de l'ancien octroi, la
seconde à y habiter trois mois sur douze ». Allez donc,
dans ces conditions, vous fier aux apparences, qu'il
s'agisse de descriptions écrites ou de documents gra-
phiques.
Si, malgré cela, vous êtes curieux de connaître tout ce
à quoi on a comparé la Berlinoise, ouvrez une petite pla-
quette sortant d'une officine qui a eu la spécialité des
livres légers : L'Histoire naturelle des Femmes galantes à
Berlin, et vous y verrez qu'elle est, suivant le métier
exercé par ceux qui prétendent la juger: un bon piano
ayant besoin d'être accordé, du bon café avec beaucoup
de chicorée, une addition dont la preuve n'a pas encore
été faite, une actrice qui veut jouer mais qui n'a pas
étudié son rôle, un bon bifteck entouré de mauvais beurre,
une bonne épreuve qui n'a pas été corrigée, une maison
magnifique dont les locataires paient irrégulièrement, une
belle construction qui manque de fenêtres si bien qu'il
fait sombre à l'intérieur.
Mettons : pourrait être continué, suivant le système
inauguré par les hommes d'Etat du Tintamarre y et cher-
chons à définir le type. Pour ce faire, il suffit de recourir
au même volume qui va nous dépeindre par le menu
toutes les femmes d'Allemagne :
« Vénus a donné à la Viennoise des longs cheveux noirs
et brillants, si longs qu'elle peut s'en envelopper tout
entière.
« A la Munichoise une agréable et délicate corpu-
lence.
LES TYPES 189
« A la Dresdoise des yeux enflammés, des dents d'ivoire,
et, ce qui a plus de valeur que tout le reste, un cœur spé-
cialement fait pour Tamour.
« Aux jolies filles de Zelle et de Hanovre un petit pied
mutin.
« Aux femmes des contrées qui avoisinent TOcéan de
merveilleuses tresses blondes et des yeux bleu d'azur.
« Aux habitantes des bords du Rhin la grâce et un port
de reine. Aux plus petites, elle réserva les parures et les
bijoux; à Thabitante de Cologne le plus joli sourire qui se
puisse voir, à celle de Kœnigsberg la pointe d'esprit, à la
Hambourgeoise un jugement sain. »
Et la Berlinoise, direz-vous, que devient-elle? La Berli-
noise, Vénus Tavait oubliée, en sorte que pour réparer
rinjustice commise, elle ne trouva rien de mieux que de
lui donner un peu de tout ce qu'elle avait si généreusement
accordé à ses sœurs. La perfection physique, alors ! Hélas !
la coupe est loin des lèvres, la légende n'est pas tou-
jours la réalité.
La vérité est que la Berlinoise ou plutôt la femme qu'on
rencontre à Berlin ne manque pas d'un certain charme,
quoiqu'il ne faille point chercher chez elle un tel ensemble
de qualités. Aux yeux des Allemands, elle apparaît comme
un heureux mélange d'esprit, de grâce, de sentimentalité,
ayant de violents désirs, montrant en amour une grande
légèreté, malgré ou plutôt à cause de son caractère pas-
sionné. Elle craindrait avant tout l'ennui et préférerait
plutôt passer pour femme légère que pour femme en-
nuyeuse. Chose assez caractéristique, sa tendance au sen-
timent diminuerait avec l'âge, si bien que la petite fille de
490 LA FEMME EN ALLEMAGNE
dix ans serait plus portée à la rêverie que la jeune fille
apte au mariage.
Si, au contraire, je fais appel à tous les voyageurs fran-
çais qui, depuis Bernardin de Saint-Pierre, ont pu porter
une appréciation sur la Prussienne, la plupart n'hésitent
pas à déclarer qu'elle n'est point belle, qu'elle est froide
et parfaitement maussade. Ernest Feydeau n'a-t-il pas
poussé la plaisanterie jusqu'à écrire que, à quelques excep-
tions près, tout le sexe était fagoté comme les portières
et les revendeuses à la toilette ne le sont pas en
France I
Eh bien! il faut le dire, la Berlinoise est loin d'être
aussi ridicule. Qu'elle affectionne les couleurs voyantes,
qu'elle ne craigne pas de mélanger les nuances les plus
disparates, qu'elle recherche môme les tons heurtés, tout
ce qui crie, tout ce qui jure dans la toilette, cela est fort
possible, mais de là à une caricature ambulante il y a
encore quelque distance.
Assurément, elle a dans la démarche un peu de la lour-
deur particulière à la race, son visage est rond, ses pieds
sont grands, sa tournure manque de grâce. Mais, souvent
aussi, la figure est éveillée, principalement dans la classe
populaire. La jeune bonne berlinoise a ainsi un type très
individuel, personnifiant en elle toute la domesticité de
l'Allemagne du Nord, avec son minois au vent, avec sa
taille flottante, avec sa marche pesante.
Quelle différence ici entre BerHn et Vienne ; Berlin où
domine la forte fille, aux bras robustes, au corps de cam-
pagnarde se mouvant librement dans le vêtement, se lais-
sant presque deviner sous les jupons, ignorant les effets
Fig. ad. — Types de bonnes berlinoises.
{Itaprii du crùtnit dt G. Neitel tant la DcuUcIk lUuilrirte 1
192 LA FEHH8 EN ALLEMAGNE
obtenus parla baudruche, et Vienne o^ domine en plein le
type classique d'opéra-comique, au tablier brodé, aux petits
souliers découverts; l'une toute nature, l'autre sentanl
déjd la poupée habillée ; l'une travailleuse, n^ reculant
devant aucuns gros ouvrages , l'autre prOférant les
intrigues de boudoir et les petits travaux qui n'abîment
point les mains blanches. L'une a des couleurs et respire
le plein air, c'est la fille à la fois naïve et amoureuse;
l'autre a le teint mat, c'est la Slle à la fois plus calcula-
trice et plus vicieuse. L'une est bien le produit d'une
civilisation encore grossière ; l'autre représente un monde
efféminé et jouisseur.
Dames , cuisinières ou bonnes d'enfan t s , les Alle-
mandes du Nord ont toujours l'air un peu poupée : l'œil
est profond, et c'est le regard qui donne ù la physio-
nomie son cachet.
Grands pieds, grands bras, grandes oreilïe». voilà trois
choses, par exemple, que vous trouverez invariable-
ment chez toute Allemande, qu'elle soit dn Nord ou du
Sud. La grandeur de. ces appendices est mùme un des
signes caractéristiques de la race, si bien que le corps est
souvent aussi personnel que la figure.
Dans l'histoire naturelle de ta Française, le visage joae
un rôle bien plus important. Que de femmes à Paris pos-
sèdent ce qu'on appelle une frimousse! Toutefois, comme
il y a une frimousse parisienne, de même, il existe une
frimousse allemande !
Voyez les petites femmes qui composent le tableau du
peintre Schachinger, petites femmes aux grosses lèvres,
indice de la sensualité méridionale qui se rencontre rare-
LES TYPES 195
ment à Berlin et qu'on voit quelquefois dans le Sud.
Gretchen — la Gretchen classique au moins, — n'a pas de
lèvres, et si, par aventure, elle en possède, ce sont des
bords minces et comme repliés. Mais la figure est essen-
tiellement germaine : jamais ce visage, pour chiffonné
qu'il soit, ne sera celui d'une Parisienne. En ces femmes
voyez des Munichoises, soit les représentantes du type
qui occupe le milieu entre Berlin et Vienne.
Moins pédante, moins raide que la Berlinoise, elle
est d'allure gentille, l'habitante de la cité de l'Isar, bien
proportionnée, du reste, malgré sa tendance regrettable
à l'embonpoint. Aussi ne lui demandez pas taille fine et
élancée : même mince, elle manquerait encore de souplesse
et d'élasticité. Au point de vue de l'habillement, Munich,
qui tient beaucoup à son indépendance, à son renom de
cité artistique, regarde plutôt vers Vienne que vers Berlin.
Assurément, il ne faut pas en conclure qu'on n'y rencontre
jamais de toilettes criardes, qu'on n'y aime pas, comme
partout en Allemagne, les tons heurtés; mais le goût y est
plus épuré, les femmes ne s'y promènent pas avec des
amalgames de toutes les formes, des bariolages de toutes
les couleurs.
Malgré sa prétention à vouloir donner le ton, la Ber-
linoise ne réussit, la plupart du temps, qu'à être une
correcte bourgeoise endimanchée, une copie quelconque
d'un faubourg de Paris; plus originale, la Munichoise
ne m£mque pas d'un certain chic. Entre elle et ses
sœurs des races latines, il y a communauté de goût
et de sensations : on s'aperçoit vite qu'elle est le produit
d'une civilisation esthétique, alors que la Berlinoise,
196 LA FEMME EN ALLEMAGNE
à son insu très certainement, porte toujours en elle Tin-
dice d'une civilisation plus doctrinaire.
Mais ce n*est ni au Nord ni au Sud que se trouve la
Germaine idéale. Sur ce point, Allemands et Français sont
d'accord pour décerner la palme à la Saxonne ou, du moins, à
la Dresdoise, femme dont le passé est tout autre que
celui de Tultramontaine Bavaroise ou de la protestante
Berlinoise.
N'est-ce pas dans le beau pays de Saxe, dit la chanson,
que les jolies filles, aux gros mollets, croissent sur les
arbres? Que les femmesy soient aussi fidèles, comme l'ajoute
Herman Semmig, l'écrivain qui a publié sur le sexe faible
tant de pages poétiques, cela se peut, mais assurément,
ce n'est pas à cette fidélité que les Dresdoises doivent
leur renommée. Quant à leur beauté elle est bien réelle,
puisqu'un auteur qu'on ne saurait accuser de grande sym-
pathie pour les Allemands, M. Victor Tissot, ne fait nulle
difficulté de la reconnaître, et revient même, à plusieurs
reprises, sur la carnation merveilleuse de ces femmes
au teint clair, à la peau blanche. « On n'a certes pas
besoin de les regarder de si près », dit-il dans L'Aile-
magne amoureuse , « pour les trouver bien faites et gentilles,
et les distinguer des autres Allemandes. » Et il ajoute :
« La Dresdoise, de même que la Parisienne, pourrait s'ha-
biller avec décence d'une feuille de vigne. Elle sait ce qui
lui va et ce qui ne lui va pas. Elle a de l'aisance, et l'ai-
sance seule donne la grâce. La Berlinoise qui singe la
Française reste toujours Allemande, la Dresdoise est
femme avant d'être Allemande. »
Là, en effet, réside le secret de la supériorité qu'on peut
FEMME DE CHAMBRE
(Ucwin original de C. Kiu».)
LES TYPES 199
observer chez Thabitante de la grande cité de TElbe. Pro-
duit d'une civilisation particulière au milieu du monde ger-
manique, élevée dans une atmosphère plus mondaine,
elle a conservé quelque chose des élégances du siècle
passé. Grande, droite, les cheveux soyeux, les yeux bleus,
elle est bien Allemande par le type, mais en gardant sa
coquetterie naturelle, en se pliant moins facilement aux
exigences de la ménagère classique, elle se rapproche des
idées françaises. Un peu légère, aux yeux de ses conci-
toyens, pour rétranger elle ne possède pas encore Téclat
de la Viennoise. Toutefois, dernier vestige des mœurs im-
plantées par les petites Cours royales, cette légèreté
n'existe qu'à la surface. L'Allemagne amoureuse et bibe-
lotière, il faut le dire, n a nulle part influé comme à
Dresde : partout ailleurs elle s'est confinée autour du
prince, ici seulement, elle a pénétré plus avant, gagnant
les classes moyennes.
En fait, la Dresdoise est la plus aimable et la moins
bourgeoise, ne présentant ni le pédantisme des vertus trop
farouches, ni la morgue des castes qui affichent à tout
propos leur supériorité. Et si elle n'a pas ses peintres
attitrés, à l'exemple de la Francfortoise, de la Munichoise,
de la Berlinoise, c'est qu'elle est plus accusée comme
caractère, comme individualité, que comme physique.
Qui voudra réellement connaître l'Allemande sous ses
faces diverses n'en devra pas moins interroger avant
tout l'œuvre des peintres, Richter, le portraitiste officiel ;
Knaus et Menzel, les deux artistes berlinois qui ont le plus
étudié le type mondain et le type bourgeois; Fr.-Aug.
Kaulbach, Lenbach, les maîtres du genre, qui se rap-
200 LA FEMME EN ALLEMAGNE
prochent des anciens tant par la pose de leurs personnages
que par la vigueur de leur touche ; Piglhein et Hugo von
Habermann, épris du chic et du gracieux, pastellistes des
petites femmes et des élégantes de tout acabit.
Mais sont-ce là les seules Allemandes, ou plutôt est-il
possible lorsqu'on veut étudier sous toutes les formes la
féminalité de ce monde « ondoyant et divers » de ne pas
sortir, politiquement au moins, de l'Allemagne actuelle?
Poser la question c'est la résoudre ; j'en viens donc, sans
autre préambule, à la Viennoise.
Ici, je l'avoue, la théorie de la Hausfrau développée en
ce volume n'est plus aussi exacte : je veux dire que la
Viennoise est femme encore plus que la Dresdoise, mais
femme ayant su, en vue du plaisir, de son agrément per-
sonnel, tirer un excellent profit des mœurs intimes et
joyeuses du pays. Entre toutes ses sœurs du continent,
elle est certainement celle qui s'amuse de la façon la plus
constante, femme au même degré que la Parisienne, mais
moins esclave du préjugé, moins correcte, « aimant moult
à rigoler es tavernes », et rigolant, effectivement, en com-
pagnie des siens.
Au XVIII® siècle, s'il faut en croire le savant et regretté
Johann Scherr, les Viennoises étaient plus respectées parle
rang de leurs amoureux que par le rang de leur époux.
L'esprit d'intérieur, l'intimité passait déjà pour un phéno-
mène presque impossible à rencontrer.
Si vous voulez juger de la façon dont on entendait alors
la vie de famille et du respect qu'on professait pour le
mariage, lisez cette simple comparaison d'un poète local :
(( Uu'esl-cc que le mariage? Une cage à oiseaux. Ceux
IIUNICHO,ltE.
1, a<l(ng< de Eoutchc cl de
*^
t I ^
LES TYPES 20;*
qui sont dehors veulent y entrer ; ceux qui sont dedans
veulent en sortir. »
Cet extrait des Wiener Maximen n*est pas moins élo-
quent : « Il faut aimer la femme du voisin autant que la
sienne propre. Une fille sans argent est comme une lampe
sans huile : la flamme de Tamoar n'a plus d'aliment et
s'éteint vite ».
Le xvm* siècle, il est vrai, ne se piquait pas de moralité,
et lord Malmesbury pouvait dire en 1772 de la prude
Berlin que si l'on n'y rencontrait point de vir fortis, on
y voyait encore moins de femina cas ta.
Vienne ne s'est pas beaucoup amendée, restant tou-
jours la ville du luxe, des plaisirs, et, assurément, ses
femmes ont bien un peu contribué à la chose. Cherchons
donc à définir ces filles d'Eve, moitié Germaines, moitié
Orientales, dont Casanova faisait le plus grand cas, disant
qu'elles étaient avec les Suissesses les seules Allemandes
qui fussent savantes dans l'art de la volupté.
Un peintre va nous servir de guide, et ce peintre
c'est Mackart, Mackart, de son vivant la coqueluche
des Viennoises, pour lequel il n'y eut, lors du fameux
cortège des noces impériales, ni assez de couronnes, ni
assez d'ovations. Ne les avait-il pas toutes captivées, ses
belles compatriotes, par le brillant de son coloris et par
l'éclat de ses costumes ?
Or les tableaux de Mackart, qu'il s'agisse des Cinq Sens,
de l'Entrée de Charles- Quint à Anvers , de Diane et son
cortège, présentent ceci d'intéressant que les modèles
sont des Viennoises appartenant au petit cercle dans
lequel l'artiste se mouvait.
LA FEHUE EN ALLEMAGNE
Peintre aristocratique à. la recherche des belles formes,
il ne s'est pas borné aux vulgaires poseases d'atelier. A
Vienùe, oh l'on connaît les noms et la position des femmes
qui sont ainsi venues prendre place sur ses tableaux, l'on
Fig. G9. — Types de Vienooises.
w dt Matkart • Diiae el ton eaiièfBn, pkalagraphii par A»çtnr.)
cite ici telle dame de l'aristocratie, là telle femme de
riche industriel ; ici c'est la femme d'un des intimes da
peintre, là c'est la noble épouse d'un très haat foDotion-
naire.
Si les types sont toujours uniformes, c'est que Mackart
n'est pas sorti de ce groupe ; qu'il s'est contenté
d'être le peintre attitré du visage et du corps viennois.
Mais aussi, quelle valeur documentaire I Pas de figures
Fig. 60. — Types de Viennoises
(Uotifàu tabUaa de Mackart, Dltnï tx un carlège,)
classiques, pas de beautés conventionnelles, ce que lui
ont reproché souvent les vieux bonzes de l'art immuable,
et ce qui constitue justement l'intérêt de ses composi-
tions. Des Viennoises donc, comme celles que nous voyons
ici, comme celles qui représentent Les Cinq Sens, beautés
210 LA FEMME EN ALLEMAGNE
fortes et saines, sans être cependant plantureuses, au
visage bouffi, aux yeux bleus, aux longs cheveux blonds,
au teint plutôt laiteux que vigoureux de carnation. Des
Viennoises hautes sur jambes et aux bras allongés mises
en lieu et place des personnages de l'antiquité ; piquante
étude de plasticité moderne et locale !
En voyant ces femmes ainsi posées, on ne peut s'em-
pêcher de songer aux déesses de Rubens, chairs mas-
sives, et aux Vénus du Titien, chairs idéalisées. Gestes,
regard, façon de plier les hanches et de courber le corps,
de se rejeter en arrière ou de se placer en avant, tout est
indication précieuse pour l'esthétique. Et Ton a devant
soi, document unique, la Vénus autrichienne, blonde, au
tempérament lymphatique, au plissement caractérisque
des lèvres, à la tête rêveuse, à l'expression matérielle.
Cette Vénus en chair et en os, nous allons la retrouver
costumée et drapée, les bras encore plus longs, les
jambes encore plus hautes, et forte avec cela, et bien
carrée par la base.
Ce qui frappera dans les figures si finement dessinées
du peintre Karger, c'est la grosseur, la platitude du nez,
presque de niveau avec le front, et la grandeur de la
bouche, vulgaire, tranchons le mot, canaille, esquissant
quelquefois un sourire à la Thérésa.
Mais, figures aristocratiques ou figures populaires, toutes
ont le même air de parenté, toutes indiquent la même
origine : la seule différence est que les traits sont plus
gros et les extrémités plus fortes. Riches ou pauvres,
nobles ou roturières, elles sont reines de par leur atti-
tude majestueuse à travers laquelle on sent percer l'in-
FEMME DMR1ISAN.
IDoùa origintlta kiia de C. Kiiain.)
solence de la santé, de la graisse s'étalant, plantureuse,
comme un défi à la maigreur de la vieille institutrice
allemande, osseuse et ridée.
N'est-ce pas Victor Fournel qui, se trouvant à Vienne
lors de l'Exposition universelle, écrivait :
Flg. 61. — Types de Vlennoisea,
IMBltfdulabUaudt Uaekarl, DUne et un cortègt.)
« Beauté, démarche, toilette, expression vague et pres-
que somnolente d'une physionomie dont le charme un
peu froid ne s'anime jamais, tout fait songer en elles aux
femmes du harem ? »
Dans cette impression rapidement jetée sur le papier, il y
314 LA FEMME EN ALLEMAGNE
avait du vrai, la Viennoise étant en somme bien plus une
belle fille, un beau morceau, qu'une femme à la physio-
nomie pétillante et spirituelle. C'est une Allemande orienta-
lisée, allanguie encore dans sa nonchalance primitive par le
plus grand croisement de races qui se puisse voir en Eu-
rope; c'est une créature de choix, fière de sa beauté et de
Tempire qu'elle sait devoir exercer à l'aide de cette dernière.
Aussi quel triomphe de la chair. En Allemagne, dans la
Germanie protestante et brumeuse, celle-ci n'appardt
qu'au bal, heureuse, il est vrai, d'une liberté acquise par
des mois d'emprisonnement ; a Vienne, elle s'étale, elle se
montre en public, en voiture, à la promenade.
Que de toilettes décolletées à travers les rues de la
capitale austro-hongroise, que d'épaules, que de bras, que
de gorges au teint de lis et de roses débordant sons
les gazes transparentes qu'on voudrait savoir encore plus
légères.
Presque toujours irréprochable au point de vue plas-
tique, la Viennoise est un corps admirable. De figure
c'est autre chose. Rarement ce gentil visage, rarement
cette petite frimousse germanique qui a bien son charme:
le mélange du sang slave et du sang italien s'y oppose.
Mais laide ou jolie de traits, de la prestance, un chic par-
ticulier et tout ce qu'il faut pour allumer dans Thomme le
désir de la femme. On n'est pas pour rien fille d'une race
éminemment sensuelle.
Quant à ceux qui comparent sans cesse la Viennoise à
la Parisienne ils ne me paraissent au fond connaître ni
l'une ni l'autre. Toutes deux, il est vrai, aiment le luxe, les
plaisirs et les décolletages à fleur de peau, c'est-à-dire ce
BLANCHISSEUSE VIENNOISE,
imSa Drigintl u liiii de C. K>*si
LES TYPES 217
qu'aiment en général les femmes qui se savent belles, mais
après, oîi sont les points de contact ? Je ne sache pas que
Thabitante de la cité du Danube ait le brio, l'entrain, le
piquant, Témoustillant de la riveraine de la Seine l L'une
est séduisante, l'autre est capiteuse. Holàl les gourmands,
vous qui voulez boire à pleins bords la coupe de la volupté,
venez à Vienne, vous y trouverez chair suivant votre désir,
chair de noblesse ou chair de roture, chair de passager
ou chair d'habitant.
A Vienne, ce n'est pas le besoin, ce n'est pas la basse
prostitution ; c'est le sang, c'est le désir, c'est la nécessité
d'aimer. Et pas de griserie factice comme à Paris, la
nature accomplissant librement son œuvre.
Qui donc a dit que les Viennoises s'habillaient mal et
se chaussaient admirablement? A coup sûr un observateur
superficiel. Si la Viennoise tient, en effet, à la chaussure
tout autant qu'une Parisienne, elle sait comme cette
dernière s'habiller et porter la toilette. Elle aime, il est
vrai, les nuances claires et les robes ouvertes, mais le tout
s'harmonise. Ce n'est pas à Vienne qu'on verra commettre,
au point de vue du mélange des couleurs, les hérésies qui
passent inaperçues dans les petites résidences du Nord.
L'été, beaucoup de gazes, beaucoup d'étoffes à jour,
beaucoup de dentelles, beaucoup de rayures orien-
tales ; l'hiver, de la fourrure partout, bottes fourrées et
toques de toutes nuances. Et l'on sait combien la
toque est une coiffure seyante ! Enfin , dernier détail ,
nombreuses Viennoises portent les cheveux rasés ou
coupés courts et très frisés, — mode suivie, du reste,
dans toute l'Allemagne, — à moins qu'elles ne laissent.
218 LA FEMME EN ALLEMAGNE
au contraire, tomber leurs longa cheveux en natte sur
l'épaule. La natte de Gretchen, mieux portée là-bas qu'ici.
Berlinoise, Dresdoise, Munichoise, Viennoise, ces qua-
tre incarnations résument bien les principales diffé-
rences de la Germaine civilisée, je veux dire de la femme
des capitales. Si elles ne sont pas toute l'Allemagne,
elles en représentent, du moins, les types les plus parti-
culiers, ayant toujours, matérielles ou idéales, de nom-
breux pointa de contact.
Rg 11. — Bonnes berlinoises.
{Croqvt de G. Neitel.)
VII
LES TYPES DES CAMPAGNES
Existe-t-il un type personnel à la paysanne allemande,
ou n*y a-t-il entre gens de la ville et gens des champs
aucunes différences autres que celles provenant de Tédu-
calion et de la façon de s'habiller ?
Question bien simple à laquelle il est facile de répondre,
quand on sait que, là-bas, les campagnes n'ont pas été
absorbées par les villes, que le Germain, comme Font
reconnu eux-mêmes plusieurs écrivains du pays, a tou-
jours conservé quelque chose de paysan. Le sentiment de
la nature n'est point sans motif si profondément inné
en lui.
Non seulement il y a une population agreste, aux usages
nettement définis, n'attendant rien de Berlin, rien des
grands centres, mais encore les campagnes ont souvent
exercé sur les villes une salutaire influence, conservant
aux mœurs bourgeoises leur primitive simplicité.
Dans les contrées de montagnes ou de vastes plaines, le
type urbain et le type champêtre difi^rent peu entre eux ;
hommes ou femmes sont des paysans, plus on moins
330 LA FEHHE EU ALLEMAGNE
policés, avec les caractères distiDclifs et originaux de la
race.
La paysanne, expression prédominante des peuplades
les plus indépendantes, Thuringe, Bavière, Snisae, Tyrol,
présente tous les signes extérieurs de la féminalité ger-
manique : corps gros, massif, jambes d'une hauteur
excessive, visage rond, joues luisantes de rougeur, ce fard
naturel qui déGe les plus savantes inventions de la parfu-
merie. L'aspect d*an poupon dont les rondeurs se trouvent
encore accusées par les engoncements du costume, voilà
la vue d'ensemble.
Les détails, c'est, il faut bien le dire, le costume qui les
donne, accentuant ou cachant telle partie du corps, remon-
tant ou descendant la taille ; le costume qui, notamment
dans les contrées extrêmes du paya, a conservé une si
puissante intensité de coloris. Couleur et variété, deux
choses rares en notre monde moderne, que les amateurs
de pittoresque pourront facilement trouver ici, sansalloiy
pour cela, à l'Opéra-Comique. Dans plusieurs villes d'oattS;
Rhin, ils verront de petites bonnes à la coiffure aux
grandes ailes, au corsage de velours, à la taille saïut
manches, aux bas laissant voir les coins brodés.
Voulez-vous des paysannes fraîches et roses, belles et
fortes filles de la montagne ? Choisissez.
Voici les Tyroliennes aux types si divers : Tyrolienne
classique au chapeau de feutre se terminant en cane,
couvre-chef si petit que sous cet abri insuffisant les
grosses joues de la montagnarde paraissent vouloir écla-
ter, celle-ci est chaussée de guêtres pour pouvoir escala-
der les hauteurs ; Tyrolienne au gros bonnet fourré, sorte
VREHI, PAYSANNE DE L* BAVIÈRE.
(Vtprte ana eoapMiUoo da Fruu Ddubhb.)
I
LES TYPES DBS CAMPAGNES 233
de manchon enserrant la tête, et, de fait, bonnet armé-
nien rappelant à s'y méprendre celui de Jean-Jacques,
celle-là a sur son corsage, comme toujours fortement
lacé sur le devant, un fichu de dentelle ; Tyroliennes
plus ou moins fantaisistes, de toutes façons suivant les
districts du pays, suivant qu'elles restent chez elles ou
qu'elles travaillent pour
l'exportation , jodeleuses
et joueuses de ZUher.
Puis viennent les filles
de la Bavière ; Bavaroi-
ses au grand chapeau de
meunier; Bavaroises en
chapeau de paille avec
boules de chenille, aux
mitaines, au tablier de
soie ; Bavaroises au feu-
tre moins vaste, orné
d'un galon à gland d'ar-
gent tombant sur le de-
vant du visage, au cor-
sage il guimpe, ouvert
en carré et agrémenté
d'un col. Bavaroise en-
core, cette servante de
brasserie au fichu jeté
sur les épaules et croi-
Fig. 63, — Dataro se se -ïauie de b asserie. saut SUr la poitrine ,
,D-a^é. » rf«,m a. B.r.H ,u />*,«., j^^j^|^ Râtschen, Kathe,
autrement dit Catherine, grosse, bonne et forte fille au
224 LA FEMME EN ALLEMAGNE
sourire engageant, au poignet solide qui tricote d'une main
en vidant, de l'autre, son immense chope de grès.
Voici les paysannes de la ForètrNoire avec leurs longues
tresses, leur peUt bonnet à brides, leur collerette, leur
corsage de velours à fleurs brodées et & appliques d'ar-
gent , aux manches
piquées , matelassées
tout comme an jupon
de dessous en nos
pays moins pittores-
ques; les femmes du
grand-duché de Bade
au classique bonnet
noir formant évenlfùl
ou à la haute coiffure
dont les brides tom-
bent derrière jusqu'en
bas; les Ailes de la
Hesse au bonnet de
velours tout plat, for-
mant pointe sur le
front comme l'ancien
chaperon; les femmes
Wendes du Spree-
waldoulesSilésiennes *
de Pless, Allemandes de nationalité, mais Slaves d'origine,
portant une immense tresse avec large nœud au bout, et
dont la coiffure singulière, nouée sous le menton, forme
fichu sur le derrière, tandis que de devant elle apparaît
carrée comme le bonnet d'un garçon mitron.
ig. es. — Femme Wende en costume
de gala (Sprcewald)
FEIINE DU 6RAND-0UCHË DE BXDE (BRIEGI
LES TYPES DES CAMPAGNES 227
Quoi de plus pittoresque que la toilette des riches
paysannes de la Silésie, un jour de noce ou de gala? Avec
leurs grandes fraises mises à plat sur le devant, leur
enserrant la tête et le cou, elles apparaissent comme si
elles étaient au carcan.
Et notez que, invariablement, ces costumes se compo-
sent d'une jupe de couleurs éclatantes, rouge vif, bleu,
brun, vert, avec un tablier tranchant bien sur ce premier
ton. C'est ainsi qu'on verra tablier bleu sur jupe rouge,
tablier rouge sur jupe verte. Autrefois, dans certaines
contrées, ils étaient à fleurs sur fond écru, ou d'une note
claire quelconque. Aujourd'hui cela se présente plus rare-
ment. Invariablement aussi, ces jupes sont assez courtes
pour laisser voir le bas du mollet. Le pittoresque n'exclut
point l'affriolant. Dans cet ordre d'idées, il faut citer les
paysannes suisses du Gouggisberg, canton de Berne, dont
la jupe laissait voir le genou à nu, le bas se trouvant sui-
vant l'usage allemand attaché au-dessous.
Mais, chose aussi singulière que regrettable, la plupart
des particularités du costume suisse ont disparu. Peu à
peu les jeunes paysannes l'abandonnent pour prendre les
modes de Paris, on va même jusqu'à ridiculiser l'acoutre-
ment bernois aux couleurs sombres que rehaussent si
bien les chaînes d'argent massives et luisantes . Cet
abandon, il faut le dire, est dû au flot d'étrangers qui,
chaque année, envahissent les plaines et les montagnes
helvétiques ; non que ce côté pittoresque leur déplaise,
loin de là, mais parce que la vue continuelle des toilettes
luxueuses des grandes cités flnit aussi par donner aux
naïves filles de la campagne des ambitions qu'elles ne
228 LA FEMME EN ALLEMAGNE
ressentaient pas autrefois. Si donc la Bavière, la Silésie,
le Tyrol lui-môme, semblent vouloir conserver jAus reli-
gieusement, jusqu'à ce jour, le costume qui leur a été
légué par les ancêtres comme une marque précieuse du
cachet national, c'est que ces contrées n'ont pas euGoreété
parcourues en tous sens par les riches blasés de ce
monde.
D'autres raisons encore sont peut-être également cause
de cette transformation. En Suisse, les villes cherchent
trop à s'urbaniser, à se dépaysanner, si Ton peut s^expri-
mer ainsi, elles oublient souvent qu'elles sont des capi-
tales de contrées agrestes ; d'autre part, l'industrie tend de
plus en plus à envahir les parties alpestres, et, bon gré
mal gré, l'industrie introduit toujours avec elle quelque
chose des idées modernes, transformant et, au besoin,
détruisant dans tous les domaines la simplicité des anciens
jours. Donc, à part quelques coins privilégiés, plus des cou-
leurs éclatantes d'autrefois, plus de ces étoffes aux dessins
naïfs, aux fleurs ornées, qui se rapprochaient par leurs
tons et leur aspect des faïences populaires, dernier vestige
de l'art et des croyances qui s'en vont.
Comme type, certaines différences se remarquent d'em-
blée entre la Silésienne, la Bavaroise et la Suissesse : la
première a encore quelque chose de Kalmouck, le nez est
retroussé, le regard hébété, le corps dans son ensemble
est ramassé et souvent difforme. Avec sa haute stature,
son corps bien proportionné, malgré les rondeurs de sa
corpulence, la Bavaroise est plus femme. C'est une belle
plante, fille d'une nature encore rude et grossière, con-
servant toujours, môme à la ville, quelque chose de son
BRODEUSES O'APPENZELL (SUISSEI.
LES TYPES DES CAMPAGNES 331
origine montagQarde. Campagne au milieu de la ville, ville
en pleine campagne, ce double aspect est tout à fait par-
ticulier à la Bavière, pays de fertiles pâturages où, suivant
la remarque d'un ancien voyageur, les femmes sont grasses
comme la terre.
Eh bien ! la Suissesse est autre chose. Elle apparaît
Fig. 65. Femmes dn PIobs (Silésie).
ID'apréi du croguii de ta Dciilichc llluitriric Zcilung.)
moins matérielle, son visage a des lignes plus pures et
l'expression une tendance à la rôverie qui ne se rencontre
pas autre part. Différences de physionomie, très sensibles
pour qui voudra comparer les types, etquisont, peut-ôtre.
la conséquence m<^me des différences du sol.
333 LA FEMME EN ALLEMAGNE
Si l'on en excepte les nourrices, les nourrices élégantes
des maisons aristocratiques, au graud mantcaa, au bonnet
à grandes brides tombantes, et quelques rares domes-
tiques de Bordeaux ou des Pyrénées dont le restant d'ori-
ginalité consiste dans certaines particularités de la coiffure.
Fig, 66, — Dans la Hauie-Bavlèic : ville et campagne.
{D'nprèi dis croqiiii âe Gragler.]
du petit bonnet coquettement posé sur la tête, Paris n'a
pas conservé dans ses rues, un seul type curieux au point
de vue du costume et de la couleur. Il a tout absorbé, îl a à
tout et sur tout imposé sa livrée, n'admettant pas plus
d'indépendance dans la toilette que dans rarchitecture.
NOJRRICE HONGROISE.
(Denin originil >u [itÎi de C. Kiioi
LES TYPES DES CAMPAGNES 235
Or, en Allemagne, il n'en est point ainsi. Non seu-
lement, je le répète, la campagne perce souvent au tra-
vers de la ville, mais encore, çà et là, apparaissent des
paysannes, des femmes de la contrée avec leur costume
national, jetant une note gaie et toujours colorée au
milieu de Tuniformité des toilettes.
Deux types surtout sont à noter : au Nord, à Hambourg,
la marchande de fleurs, la paysanne du Vierland ; au Sud,
à Vienne, la nourrice hongroise.
Hambourg, c'est le Marseille de T Allemagne, c'est la
ville germanique où se voient le plus de costumes diffé-
rents et de civilisations étrangères. Dans ses rues, sur ses
larges ponts, sur ses vastes quais, les gentilles bouquetières
du Vierland rompent la monotonie habituelle, avec leurs
bas à côtes, leur tablier pHssé, leur corsage brodé, leur
longue natte, leur chapeau plat, sorte d'écuelle renversée
qui rappelle les coiffures tonkinoises.
Et la nourrice hongroise, dans cette autre ville cosmo-
polite où se croisent les mondes les plus divers, où se
produit le grand entrechoquement de la race slave et de
la race germanique, de l'Orient avec TOccident, la nour-
rice hongroise en plein Prater viennois !
Sur le type hongrois les avis sont fort partagés : les
uns prétendent que les femmes de ce pays, pour lequel la
mode veut qu'on montre un engouement sans limites, sont,
à proprement parler, des hommes manques; les autres ne
cachent point leur enthousiasme pour les beautés fémi-
nines et les vertus cachées de cette race.
Assurément, lorsqu'on rencontre de par les rues de la
capitale autrichienne la grande nourrice hongroise chaus-
236 LA FEMME EN ALLEMAGNE
sée d'énormes bottes auxquelles on mettrait volontiers
des éperons, il est bien difficile de s'extasier sur la beauté
de ce grand corps à la lourde démarche, à l'attitude
gauche, mais déjà la nourrice qui a remplacé la chaussure
nationale par des petits souliers de citadine apparaît moins
massive. La vérité est qu'à Pesth, ville poético-sensuelle
comme Vienne, il existe de fort belles femmes, grandes, à
l'œil ouvert, aux formes accusées, aussi noires de cheveux
que les Allemandes sont claires, respirUnt un air de ma-
jesté, mais ayant, malheureusement, dans la démarche,
une certaine brusquerie, une certaine hardiesse qui cho-
quent toujours les Européens, plus policés, ou, du moins,
n'ayant pas les mômes affinités avec l'Orient.
Bref, avec ses bras nus, avec la fraise qui lui entoure
le cou, avec les beaux cheveux qui lui pendent dans le
dos, la Hongroise est, au plus haut degré, un élément
décoratif; femme austro-slave, dans un pays encore alle-
mand, coin slave pénétrant dans l'arbre germanique.
Que d'études, également intéressantes, après les parti-
cularités du costume et de la physionomie, si l'on voulait
pénétrer dans les détails des mœurs et des coutumes.
N'est-ce pas en Allemagne et en Suisse qu'existait le
Kiltgang ^ ces visites nocturnes des jeunes gens à celle
qu'ils ont choisie librement comme fiancée et qu'ils enten-
dent prendre comme femme : vieille habitude qu'il ne fau-
drait point voir avec nos idées perverties de citadin scep-
tique, contre laquelle tonnèrent vainement, à plusieurs
reprises, les ecclésiastiques du haut delà chaire et les
Magnifiques Seigneurs par des arrêtés spéciaux.
Si dans le Kiltgang la femme se donne librement, elle ne
LES TYPES DES CAMPAGNES 239
se donne qu'une fois, et Tamoureux, remarquez-le bien,
part à la conquête de sa fiancée. Ce n'est point par la
porte toute grande ouverte de la maison qu'il se rend
auprès d'elle : il entre par la fenêtre, escaladant, pour y
arriver, murs et tas de bois, provisions d'hiver qui sont
accotées contre toute maison villageoise.
Eh bien ! dans le KUtgang^ il y a beaucoup des idées sur
le mariage, précédemment entrevues.
C'est une sorte d'essai, d'épreuve, de représentation
avant la lettre : la jeune villageoise ne montre que ce
qu'elle veut piontrer, n'abandonne que ce qu'elle croit
devoir abandonner. On apprend plus ou moins à se bien
connaître, mieux toutefois qu'avec les mœurs de la ville
et nos préjugés sociaux. Idée toute allemande, on le voit,
qui ne pouvait germer que sur terre germanique et qu'à
la campagne, oîi règne, à la fois, plus de bonhomie et
plus de connaissance des lois de la nature.
N'est-ce pas encore, au milieu de tant d'autres particu-
larités, un usage essentiellement germain, que cette vieille
coutume pratiquée depuis des siècles en certaines contrées,
se retrouvant dans le Brunswick comme en Alsace, de
procéder au départ de la fiancée avec tout son mobilier,
avec tout son avoir. Quittant la demeure de ses parents,
entrant dans une maison nouvelle, celle-ci emporte ce qui
va contribuer à la constitution de son futur ménage, cou-
tume poétique et pratique que le pinceau des artistes a
su interpréter à plusieurs reprises avec autant d'esprit
que de couleur.
Tout comme leurs sœurs des grandes villes, elles ont, du
reste, leurs peintres attitrés ces fortes et pittoresques filles
340 LA FEMME EN ALLEMAGNE
de la montagne ou de la plaine : Tyroliennee, Suissesses,
Bavaroises, Silcsienaes, peuplant ainsi les galeries de
tableaux et les vitrines des marchands d'estampes. Gc n'est
plus la Tyrolienne ou la Suissesse d'opéra-comique dessi-
née par Gavarni, enluminée par Deveria; ce sont des Kathli,
des Vreni, des Babi, en chair et en os, avec leurs grosses
joues et leurs bras nus d'athlète féminin respirant la santé
en môme temps que la force.
FIg. GT. — Bouquetière de Hambourg
(V'gmellede CoU-Ter.)
VIII
LES METIERS
Un publiciste de grande valeur, dont les idées para-
doxales ont fait quelquefois le tour du monde, prétendait
qu'il n'y avait, à proprement parler, ni métiers masculins,
ni métiers féminins, et que les femmes devaient se con-
tenter d'occuper les positions que les hommes veulent
bien leur laisser. Observation d'autant plus juste que cer-
tains métiers changent de sexe suivant les circonstances,
suivant les idées du jour. Les hommes vendent des jar-
retières ; les femmes servent la clientèle des bandagistes.
Toujours le monde renversé.
Celles qui sont déjà nos égales, ne cherchent-elles pas,
aujourd'hui, dans tous les pays, à prédominer, à s'éman-
ciper d'une tutelle qu'elles traitent ouvertement d'escla-
vage, à se faire ouvrir les carrières qui, pour une raison
quelconque, bonne ou mauvaise, leur avaient été jus-
qu'alors fermées.
Les plus exaltées réclament des droits politiques, comme
si ce n'était pas assez de voir des millions d'hommes
vivre sur le dos du prochain sous le prétexte de faire de
20
242 LA FEMME EN ALLEMAGNE
la politique, et les plus modestes se contenteraient volon-
tiers de Tindépendance commerciale.
Au reste, tentatives nouvelles et extravagances sont,
partout, à Tordre du jour. Tandis que nous voyons se pro"
mener sur nos boulevards les femmes-réclames, les Alle-
mands ont trouvé les commis voyageurs féminins * . Idée
pratique qui est bien un signe des temps, puisque c'est
la reconnaissance formelle de Tinfluence exercée par la
femme sur nous autres, pauvres mortels. C'est du moins
ce que nous apprend Herman Semmig dans un de ses
nombreux ouvrages sur le beau sexe. « Il y a quelques
années, » dit-il, « un commerçant de l'Allemagne du Sud
avait embauché des commis voyageurs femmes et il s'en
trouvait fort bien, ces employés lui coûtant beaucoup moins
comme appointements et frais généraux et lui rapportant
beaucoup plus comme chifiTre d'afiTaires. Là où les voya-
geurs hommes avaient échoué, leurs collègues femmes réus-
sissaient presque toujours. » Façon fort adroite, il faut le
reconnaître, de mélanger le grand-livre et la galanterie.
Cette activité dévorante, par exemple, n'est pas sans in-
quiéter Herman Semmig, qui fait observer que, à l'ex-
ception des fonctions ecclésiastiques, les femmes ont émis
la prétention d'exercer tous les métiers. Patience, ces
fonctions seront aussi visées à leur tour. La chose ne
serait point nouvelle, et puis à quoi servirait l'Amérique
' n ne s*agit pas de placières en fleurs, en rubans et autres articles de
mode, comme on en voit journellement dans les rues de Paris, suc-
combant sous le poids des boites d'échantillons qu'elles transportent,
mais bien de véritables commis voyageurs parcourant le pays de ville en
viUe.
LES MÉTIERS
343
si elle ne nous donnait de temps à autre le spectacle de
quelque amusante excentricité.
Mais les extravagances cadrent mal avec la passivité du
caractère allemand. Si les femmes n'occupent pas, chez
DOS voisins, dans la distribution du travail humain, la
même place qu'ici, ce ne sont point, pour cela, des éman-
cipées. Donnant raison à Emile de Girardin, elles font ce
qu'on veut bien leur laisser faire.
Institutrices et maîtresses d'école me laissent froid, tout
autant que les lu-
nettes et les voi-
lettes, vertes ou
bleues, dont elles
sont parées. Qu'il
yen ait plus qu'eu
France, c'est un
fait qui peut inté-
resser le statis-
ticien, mais au-
quel ne s'arrête-
ra pas l'observa-
teur. En revan-
che , voici dans
les arts libéraux,
dans la musique,
— cebruitdiscop-
dant,disaitVictor
Hugo, — unechose tout à fait spéciale aux pays allemands,
je veux parler des orchestres féminins qui se font en-
tendre dans les cafés, brasseries, et autres établissements.
• Concerl de dames dans ud calé.
un «rogult dt Uari. Journol Asuunt )
214 LA FEMME EN ALLEMAGNE
Spectacle à la fois captivant et comique ; captivant,
parce que rien n'est gracieux comme la vue de musi-
ciennes, jeunes pour la plupart, jolies dans leurs robes
blanches ou de nuances claires aux rubans multicolores ;
comique, parce que, si Ton en excepte le violon, la
femme paraît toujours un peu gauche quand elle se sert
de certains instruments. C'est à Vienne, on le sait, que
ces orchestres d'un nouveau genre ont pris naissance, et
c'est à l'instar de Vienne qu'il s'en est organisé dans
d'autres villes, conservant toujours l'appellation typique
de : Orchestre des dames viennoises. Orchestre féminin,
cela me paraît très juste, après tout. Pourquoi les femmes,
souvent excellentes harmonistes ou pianistes distinguées,
qui, du reste, chantent et jouent en public, font partie de
sociétés chorales, n'auraient-elles pas les qualités vou-
lues pour constituer des orchestres? Je ne dirai pas qu'elles
ont notre âme artistique ; ainsi les jeunes W/^/i^rm jouent,
souvent, sans expression, d'une façon mécanique, possè-
dent moins leur instrument, mais en somme l'ensemble
est très suffisant, surtout si l'on veut bien réfléchir qu'il
ne s'agit nullement d'exécutants hors ligne, et que l'or-
chestre masculin qui les remplacerait ne montrerait,
certes, pas plus de science musicale. Et comme il aurait
moins de couleur, comme il serait moins décoratif! Lui,
ne nous donnerait pas une Cheffesse en robe noire, des
exécutantes en robe blanche.
Plume, pinceau, archet, c'est ainsi que la femme touche
à la grande trinité artistique, cherchant par tous les
moyens à tirer profit de ses connaissances spéciales.
Avec la vie bourgeoise, on la rencontre partout, les
JOUOUSTIUS 0! CSNCS«T« Vlt««S
LES MÉTIERS
2V7
situations officielles exceptées : les hommes dans l'admi-
nislralion, les femmes dans les boutiques, telle paraît être,
en haut comme en bas, la donnée allemande. Le côté
fonctionnaire est terrible : si la femme entrait dans l'admi-
nistration, que deviendrait l'uniforme, et sans uniforme
l'on sait qu'il n'y a pas de fonctionnaires !
Mais, en revanche, l'on ne voit pas, comme chez nous,
le commis prendre ù la jeune fille une place qui lui serait
si nécessaire : là, les
femmes dominent, de
même qu'elles servent
partout où faire se
peut, dans les cafés,
dans les restaurants,
occupant même dans
certaines indusiries,
— l'imprimerie pour
en citer une, — une
place bien plus grande
qu'en France.
Dans les classes ou-
vrières la femme est
employée à une foule
de travaux que nous
ne sommes pas habi-
tués à lui voir faire.
Que, pieds nus et
le donnant à boire aui chevaux.
bras nus, elle donne [c-apr*. <<« m/ju» d( /radjo-.)
à boire aux chevaux
de fiacres, comme cela se pratique dans les rues de Vienne ;
•24K
LA FEMME EN ALLEMAGNE
soit, cela sort de l'ordinaire et n'a pour elle rien de bien
assujettissant; tenir une seille d'eau à hauteur de main
n'est pas plus fatigant que porter sur les épaules des
balles d'étoffes, mais monter du plâtre, charrier des
matériaux pour les maisons en construction, voilà qui
nous choque nous autres Latins, d'autant plus que
ces travauxde-
mandent cer-
tains efforts
continus. Etce-
pendant, il en
est ainsi dans l
toute l'Allema-
gne, au sud .
surtout.
Pasunéchafaudic;
se dresse, sans qu lu
sitôt on n'y V0)( appi
raître la femme, la femme
en chemise et en jupons
bras nus et foulard sur
la tête, véritable bete de somme qui
porte son poids tout comme 1 horam
et montre même tiOU\ent plus de
désinvolture.
A ces particularités vient encore '
s'ajouter la femme colporteuse de
journaux, canards, gravures et li-
vraisons populaires de toutes espèces. En Allemagne, en
effet, les journaux, au lieu d'être criés dans la rue par des
Fig,70.— Femme de maçon.
Taprii dei eroguit di Ealikr
CHlFFONHllHï
LES MÉTIERS 251
camelots, sont colportés dans les cafés et brasseries; le
public ne restant pas dehors il faut bien aller le chercher
où il est, et c'est la femme qui vient offrir aux consomma-
teurs. Horrible mégère coiffée en toute saison d'un cha-
peau de paille et psalmodiant les titres des feuilles qu'elle
porte, la plupart du temps, dans un panier de marché.
En dehors de ces métiers spéciaux, la seule chose qui
puisse intéresser, dans les classes du commun, c'est le
costume, là où il a conservé encore quelque pittoresque,
là oii il n'est pas un misérable accoutrement.
A l'état de mégère la femme perd les traits distinctifs
de la race : comme le vice, la misère a son internationa-
lité, et si les entremetteuses portent en tous pays le même
stigmate, les chiffonnières, usées par dix ans de crochet
ou de sarcloir, ne sont guère plus avenantes. Mais regar-
dez l'attifement et les accessoires du métier ! Vous verrez
ainsi que la chiffonnière viennoise n'est point la chiffon-
nière parisienne. Là-bas, l'osier est remplacé par une
hotte en bois, de forme spéciale, ce que, dans les can-
tons suisses, on appelle une brande, La cantonnière mu-
nichoise, elle, au contraire, sous sa défroque masculine,
se rapprocherait plus de nos balayeuses, surtout si l'on se
rappelle les lanciers femelles du second Empire.
Parcourez les halles et marchés d'Europe, c'est, certai-
nement, comme coup d'oeil, ce qui se ressemble le plus et
ce qui se rapproche le moins. Quant aux marchandes,
marchandes à bancs ou en plein vent, si l'on en excepte
celles qui présentent quelque particularité dans le costume
ou la nature des objets à vendre, — et tel est le cas,
en Allemagne, avec les rôtisseuses de saucisses ou les
semblent former frange.
Si on examine les métiers
populaires au point de vue
des types, on sera amené à
conclure que , régulière-
ment, certains sont l'apa-
nage des jolies filles, tandis
que les autres sont exercés
par des vieilles femmes peu
avenantes.
Vîtes-vous jamais blan-
chisseuse franchement
laide? Celle-là même dont
LA KtMME KN ALLEMAGNE
grilleuses de harengs, — lesautres
sont d'une navrante régularité,
comme type et comme aspect.
Marchandes de fruits , mar-
chandes de fromages, marchandes
de poissons, marchandes de vo-
lailles, marchandes de jambons
sont, partout, vouées à l'em-
bonpoint et constituent l'aristo-
cratie de la boustifaille. Et de
même que partout se voient les
revendeuses , de môme il y a
les paysannes qui viennent dé-
biter leurs produits. Telles sont
à Munich les marchandes de gre-
nouilles, tenant leurs batraciens
suspendus à un bâton duquel ils
g. 7j. — MaruliniKlp de grenouilles.
{traprci uR nvfuii dl J, /■urJUi'n.)
LAITIÈRE VIENNOISE
:D.'-.-ir. a:iginHlau Uli> ilr i:. Kini.i'i
LES HËTIERS 259
les traits ne présentent, ni beauté, ni régularité, ne ra-
chètf-t-el!e pas ce manque de pureté par je ne sais quoi
de piquant et d'émoustillant! Mais à vrai dire deux villes
surtout, Paris et Vienne, ont des blanchisseuses réputées
pour leur sourire mutin, pour leur gentillesse, pour leur
coquetterie. Et la blanchisseuse viennoise n'est pas seu-
lement coquette, elle est
pittoresque, des pieds à
la tête, avec ses grosses
bottines, avec ses bras
nus. Qu'elle revienne du
lavoir ou qu'elle se rende
chez les pratiques, elle,
au moins , porte son C, /
linge d'une façon origi-
nale. Ce ne sont ni les
grands paniers que ba-
lancent nonchalamment
les apprenties , jeunes
louchons, ni le panier
que porte plus gracieu-
sement sous le bras le i(.™î«. <j* i,ehi,fumc^.]
trottin jadis si amoureusement croqué par Grévin. Rien
de tout cela : voyez l'arsenal qu" elle a sjir son dos, ensei-
gne vivante, armes, outils de son métier. Baquet, panier
pour les petits accessoires de la toilette, — cols, cravates,
dentelles, — jupons qu'on laisse pendre de chaque côté,
pour ne point casser l'empois, et qui produisent à la marche
comme un bruit de tôle, voilà son chargement.
Avec cela gentiment attifée : jupe de tons clairs, petit
Blaiicliisseuse Tiennoiie.
236 LA FEMME EN ALLEMAGNE
tablier de soie, un ruban dans les cheveux et quelquefois
encore la résille, la résille aux couleurs voyantes, qui eut,
ici, son heure de succès sous le second Empire, et qui est
restée populaire à Vienne.
Tout à rheure, nous la retrouverons, la gente blanchis-
seuse, au premier rang de celles qui aiment à s'amuser,
sur ce point encore ressemblant à sa congénère parisienne.
Il ne faudrait pas, cependant, jeter sur Thonorable corpo-
ration un blâme immérité. Si ces filles sont aussi friandes
de plaisir, c'est le métier qui veut ça, tout comme il porte
à la boisson peintres et typographes.
Après la blanchisseuse, la laitière, la laitière moins soi-
gnée, plus fille du peuple, mais bien personnelle conmie
type. Fichu, tablier, n'ont pas la môme élégance ; toutefois
le foulard que la Viennoise porte sur la tête est rouge,
son fichu est bleu, si bien que réuni au blanc du tablier,
l'ensemble constitue un curieux drapeau français.
Mais toutes les laitières de Prusse et d'Allemagne ne
sont pas, non plus, celles de Vienne. Il en est beaucoup
qui, plus simples, plus campagnardes, portent leur mar-
chandise dans une de ces bonnes vieilles voitures à haute
capote comme la banlieue parisienne en fournit encore
quelques spécimens.
Et maintenant, voulez-vous des servantes ? En certaines
contrées, cela se trouve, véritable marchandise humaine,
dans des marchés spéciaux, dont peintres et romanciers à
la Auerbach nous ont fait la description : c'est presque
de l'Allemagne classique. Ici elles sont accortes ; là-bas
elles sentent plus le graillon que TOpéra-Comique. Ici, à
Vienne par exemple, elles vont grossir le pubhc de cette
BLANCHISSEUSES VIENNOIS.es
(Deuin Bri|intl de C. K^uu.)
LES MÉTIERS 259
pittoresque rue aux annonces où se rencontre tout ce qui
est à vendre, tout ce qui est à placer ; là-bas, à Berlin, elles
ont un bureau où les bourgeoises viennent les chercher
sous les yeux vigilants de Fautorité.
Dans ce bureau, dont la fondation remonte à l'époque
napoléonienne, c'est une véritable mise à l'encan. Jeunes
et vieilles, nouvelles fraîchement débarquées de la cam-
pagne, à l'air encore candide, ou vieux chevaux de retour,
dragons de cuisine à l'aspect arrogant, toute la domesticité
en disponibihté de fourneaux est là. Ecoutez les dialogues,
suivez les enchères souvent fort nourries, auxquelles ne
manque que le marteau d'ivoire du commissaire-priseur :
« A 50 thalers je vous prends », dit une dame qui a
trouvé dans cette collection la Lisbeth qui lui convient. —
« Je vous en donne 55 », riposte une autre. — « 58 »,
reprend la première. — « 60 » , continue la disputante. Et sur
ce, la première lâche l'enchère en lançant à sa concurrente
cette flèche du Parthe : « Restez-en là I Je crois, d'après
son livret de service, que vous la payez déjà un peu cher. »
<( Vous avez souvent changé » , dit une dame à une autre
bonne dont elle tient en main le livret. — Réponse : « Oui,
l'on n'a pas toujours du bonheur avec ses places ». —
Réplique de la dame: « Vous voulez dire, assurément,
que les maîtres n'ont pas eu de chance avec vous ?» —
« Ah I Madame », dit cette fois la fille qui arrache le livre^
des mains de la dame, « je vois bien que nous ne nous
convenons pas ».
« Avez- vous un fiancé? » demande-t-on à une autre.
« Où avez-vous le vôtre. Madame? » réplique la dulcinée
surprise d'une telle question.
360 LA FEHHE EN ALLEMAGNE
Et dans ces vastee salles oh les bonnes font réelle-
ment tapisserie, ne croyez point que les bourgeoises
soient les maîtresses. On leur en pose aussi, des questions,
à elles, et quelles questions I Si la maison est grande , si
la famille est nombreuse, si l'on mange chaud le soir, si
l'on peut souvent sor-
tir, et surtout, point
capital, si l'on peut
recevoir son fiancé
dans la cuisine ou dans
sa chambre !
Des fiancés, elles
en ont toutes ; ce n'est
qu'une question de
nombre et de durée.
Je ne parle pas du
sexe Paris a Pitou,
Beriin a Kutschke.
Toujours l'uniforme !
N a t-on pas dit que si
le militaire n'existait
pas, il faudrait l'in-
Fig. 7(. - Le lavage desfenêtres. ^«nter poUP les cuisl-
ifl«rin d, cdi-r«, d'apnj. ™ A««™>.( aifaBonA) uiferes et Ics bonnes
d'enfants?
Donc, en Allemagne comme en France, le fiancé guer-
rier est entré dans les mœurs culinaires. Messieurs du
sabre fréquentent avec Mesdames du torchon.
Pour finir, un tableau plus local. Dans presque toutes
les villes a lieu régulièrement chaque printemps et chaque
LES MÉTIEHS 301
automne la pose et l'enlèvement des doubles fenêtres,
seul moyen pour se garantir contre les froids violents de
îa contrée. Or cette opération nécessite naturellement le
nettoyage des carreaux : la Fensterwache. Pendant huit
jours, c'est en Allemagne comme en Suisse, à Berlin comme
à Berne, un lavage continu qui donne aux maisons un
aspect très pittoresque. Bonnes se penchant dans tous les
sens, se causant de fenêtre à fenêtre, souriant à leurs
amoureux lorsqu'ils passent dans la rue, voilà le spectacle ;
fenêtres à descendre, à laver, à reposer, voilà le travail;
si bien que pour les ménagères c'est une semaine de
tracas.
Pittoresqueetcouleur locale, n'existeriez-vous plus nulle
part, qu'on vous retrouverait encore en Allemagne !
Fig, 73. — Laitière.
(Crojuii di W. Cragltr.)
IX
L'EDUCATION ET LE MONDE
« Notre plus haut droit, à nous autres femmes, notre
plus haute consécration c'est le droit de la hbre person-
nalité, le droit de développer tout notre être sans être
empêchées ni gênées par aucune force étrangère, le droit
d'obéir librement aux puissances intérieures qui font l'har-
monie de Tâme, lors même que cette harmonie peut pa-
raître une dissonnance en face des croyances qui régnent
dans ce monde. »
Ainsi s'exprime la Prussienne Louise Aston, sorte de
Georges Sand germanique, et cette profession émancipa-
trice traduit bien « l'état d'âme » particulier aux Alle-
mandes, je veux dire à celles qui pensent et qui cherchent.
Plus passives et plus malléables à la fois que les femmes
du Midi, les femmes du Nord ont de grandes prétentions
à l'indépendance intellectuelle. Soumises à l'homme, dont
elles reconnaissent, sans conteste, la supériorité pour
toutes les choses de la vie pratique, elles se sont constitué
dans le domaine de la pensée une originalité spéciale qui
2()i LA FEMME EN ALLEMAGNE
fait, elle aussi, partie de le Hausliçhkeity de Fintimité
germanique.
Toutefois, cette tendance particulière de l'esprit n*eat
pas partout développée au même point : après la façon dont
j'ai dé&ni les différents t}rpes, on comprendra facilement
que les Autrichiennes et les Bavaroises soient moins iml^
tiées à la spéculation philosophique que les Saxonnes iàt
les Prussiennes, ces femmes d'un pays oîi la philosophîp -
a grandement raison d'ôtre du genre féminin. Si les Autii^-
chiennes sont dans certaines parties de l'Empire antoriséés
à prendre part à la nomination des députés des di&bM| .
et des représentants delà commune, si, veux-je dire, elles !
peuvent émettre leur vote par le moyen d'un mandataiFe, '
il ne faut nullement voir dans ce fait une question d'émaiir' *
çipation politique. Ne rentrent, en effet dans ce cas, en n& u\
pays où la propriété du sol est encore tout, que les tenâiih
cières de terres nobles. Donc, simple précaution prise par
la loi pour que tous les fiefs puissent participer àlanomiy
nation du gouvernement local. Du reste l'Autriche n'a-t^ "
elle pas un noble et glorieux précédent en la personne de
Marie-Thérèse ! .
Le degré d'instruction de la femme n'est pas. partônt-
identique; non seulement, suivant les contrées, il est
* ' ' ••.•a,.f
plus ou moins grand, mais encore suivant les mœurs,
suivant la vie locale , il est plus ou moins superfidel.
Ici l'éducation est répandue dans toutes les classés ; , là
elle est peu développée chez les paysannes; ici elle atteint
A un degré très élevé, là elle se complaît dans des gêné-
ralites. D'après M. Jules Gourdault, c'est à la Suissesse
que reviendrait la palme. « Il y a certainement dans les
L ÉDUCATION ET LE MONDE 265
cantons helvétique », dit Tauteur de La Femme dans tous
les Pays ^ « une moyenne intellectuelle et morale supérieure
à tout ce qu'on trouve dans le reste de l'Europe . Plus
d'une simple servante, plus d'une ouvrière a une ouverture
d'idées et un fonds solide d'instruction qu'on chercherait
en vain chez nos dames du monde qui s'en font le plus
accroire. Elles aiment les luttes intellectuelles et se pas-
sionnent pour les problèmes sociaux. Dans l'éducation,
elles visent au solide, s'adressent à la raison et à la cons-
cience. »
La Prusse, la Saxe, les cantons industriels de la Suisse,
voilà donc les trois pays germaniques oîi fleurit le bas-
bleu, la femme vivant de spéculations philosophiques ou
vouant son temps et sa fortune à l'éducation des masses,
à l'amélioration des classes pauvres. C'est là aussi que se
rencontrent les nobles esprits imbus du sentiment de la
patrie, tout au moins de la communauté bourgeoise, qui
laissent en mourant leur fortune à la ville où ils sont nés,
où ils ont vécu, pour l'employer à des objets d utilité
publique.
Là, la femme ne recherche pas plus les spectacles brillants
qu'elle ne tient à se montrer, à parader sous de luxueuses
toilettes ; là, dans les moments d'isolement et d'ennui, les
deux plus grands plaisirs sont la lecture et les travaux
d'aiguille. Je trouve dans un intéressant ouvrage sur la
Suisse, Les Alpes pittoresques, cette véritable perle de
simpUcité et de bonhomie : « Il n'y a pas longtemps » — ce
livre était écrit en 1837 — « qu'un jeune Français eut
l'idée d'ouvrir un cours de littérature à Berne, les femmes
s'empressèrent d'aller l'entendre, mais toutes apportèrent
266 LA FEMME EN ALLEMAGNE
aux leçons la laine et les bas commencés ; le professeur
s'apercevant qu'on lui prêtait moins d'attention qu'au
tricot leur en demanda la suppression. Personne ne parut
plus à son cours. » Petite histoire qu'on pourrait facile-
ment intitnler : De l'influence du tricot sur l'éducation des
masses, et qui indique bien ce qu'était alors l'esprit public
Kig. 76. — l^scrimeuses
iDcain de Cott-Toe. d'aprititi iUiàMlraliaiu atlanmdst.)
dans une ville comme Berne oîi les choses de l'inlelligence
sont surtout l'apanage d'une aristocratie de race et d'ins-
tinct, mais simple d'allures,
A l'opposé, comme toujours, apparaît Vienne, oîi l'édu-
cation est exclusivement mondaine , où il existe une
l'éducation et le monde 267
société à la façon de Paris, oh jeunes filles et femmes du
monde aiment à faire parler d'elles. Là brille au premier
rang tout ce qui n'est pas admis ou, du moins, tout ce qui
est mal vu en Allemagne. Là les personnes élégantes du
sexe montent à cheval, conduisent, font de Teecrime. Là
l'éducation est superficielle, conséquence logique de
mœurs également superficielles.
Différence caractéristique entre la race anglo-saxonne et
la race germanique ; autant la première passionne les
sports, recherche tout ce qui peut mettre en évidence la
sveltesse de la taille et les opulences du corsage, aimant
les maillots , les costumes moulés ; autant la seconde
paraît peu favorable aux exercices qui rapprochent la
femme de l'homme. Monter à cheval, faire de l'escrime,
canoter, sont, pour elle, plaisirs indignes d'une femme
bien née. Dans les distractions, dans les amusements, la
première s'attache à ce qui est corporel, la seconde à ce
qui est intellectuel.
Donc, les jolies Viennoises qui sont les névrosées alle-
mandes font belle figure le fleuret au poing et la société
aristocratique de la capitale se glorifie de compter dans
ses rangs plusieurs fines lames. Souvent leur modestie a
dû être mise à l'épreuve par la façon fort immodérée dont
on parlait d'elles.
Mais cette aristocratie, cette crème, qui place l'éduca-
tion, les bonnes manières, au-dessus de la solide instruc-
tion, fonds de la société germanique, est bien allemande
par son amour efTréné, sa passion sans bornes pour la
musique et la danse, par la facilité avec laquelle elle peut
engloutir café, thé, gâteaux, bonbons. Pâtisserie, danse,
268 LA FEMME EN ALLEMAGNE
musique, les trois divinités d'outre-Rhin entre lesquelles
les femmes partagent leurs loisirs.
J'ai dit que la Viennoise aimait moult à rigoler. Voulez-
vous, après son portrait physique, son portrait moral.
Lisez :
« La Viennoise est faite pour le plaisir, comme d'autres
sont faites pour porter lunettes et voile bleu. Elle ne vit
que par là et pour cela. Elle n'est pas bégueule et n'admet
pas toutes les restrictions que nous mettons, nous autres,
aux rapports entre lee deux sexes. Elle jouit, comme
fenmie, de la plus grande liberté qui se puisse voir, ne se
trouvant nullement compromise par des choses qui cons-
titueraient à Paris un véritable scandale public. »
Ecoutez encore :
« A quelque monde qu'elle appartienne, on aborde une
femme dans la rue ; elle écoute, elle répond, elle sourit.
Elle accepte votre compagnie si vous la lui proposez, et
vous laisse à sa porte en vous parlant de son mari qui
l'attend et de ses enfants qu'elle adore. »
Pinxit Albert Millaud, et ce tableau n'est pas trop exa-
géré.
Mélange de candeur et d'esprit indépendant poussé à
l'excès, la Viennoise ne voit aucun mal à ces sortes de
rencontre oîi l'imprévu et le hasard jouent un si grand
rôle : après tout, il n'en sortira que ce qu'elle voudra bien.
C'est, du reste, l'idée allemande. Et puis, n'est-elle pas
maîtresse de sa personne !
Donc ici, partout l'on rit et l'on s'amuse ; partout danses
et musique. La Viennoise glisse sur la terre, comme le
jour de Léopold, ce Leopolditag si fôté, elle se laisse glis-
CHANTEUSE DE CAFË-CONCERT EN PLEIN VENT.
(DsuiB ori|iu] ta luit de C. Kiuu.)
L ÉDUCATION ET LE MONDE 271
ser à sa grande joie et pour le plus grand bonheur des
assistants sur la cuve du couvent de Kloster-Neuburg. La
vie n'est-elle pas une éternelle glissade, un lac sur lequel
on doit patiner les jupes serrées, en ayant soin de ne pas
se laisser tomber à la renverse.
Et dans ce Wùrstel Pra-
ter où sont baraques de
saltimbanques, guignols du
jeune âge et concerts im-
provisés, que de plaisirs do
toutes sortes ! Là fleurit en-
core le café-concert en plein
vent comme il existait à
Paris sous le premier Em-
pire, tréteau du haut du-
quel quelque actrice popu-
laire lance prestement les
couplets grivois de la chan-
son à la mode, à moins
qu'on n'y voie jouer des
farces qui rappellent notrt
ancien théâtre de la foire
En somme de toutes les
grandes villes allemandes
Vienne est celle où l'on vit le plus dehors, d'une vie
facile et joyeuse. Ne croyez pas, du reste, que l'Allemande
ait une existence cloitrée ; ce que j'ai déjà pu dire à ce
sujet est bien la preuve du contraire. L'été, elle est tou-
jours par monts et par vaux, ne menant pas, il est vrai,
comme en Angleterre ou en France la grande vie de châ-
, n - A Kl05tei Neubur^.
{Dell de G Sieben
272 LA FEMME EN ALLEMAGNE
teau, mais voyageant, allant aux eaux, fréquentant tous
les établissements publics où se donnent des concerts. Si
Thiver est quelquefois sombre et triste, Tété est donc
un véritable carnaval, où la musique, la danse, les feux
d'artifice, les illuminations tiennent la plus grande place.
Ajoutez depuis 1870 une attraction nouvelle et pre8q[Qe
permanente, les expositions régionales, nationales, qui sont
devenues encore un prétexte à excursions en même temps
qu'un moyen pour les Allemands des différentes contrées
de se voir et d'apprendre à se mieux connaître.
L'hiver, dans les familles bourgeoises, les soirées sont
chose tout à fait intime. Une caricature de je ne sais plus
quel artiste représente une réunion de ce genre au milieu
de laquelle un tonneau de bière a été mis en perce. Tout
autour, l'on danse, tandis que le piano sert à la fois d'or-
chestre et de dépôt pour les chopes. Cela est exagéré,
assurément ; mais sous cette forme comique, il y a bien
une pointe de vérité. Ce sans-gêne, ce sans-façon se remar-
quent également aux bals où les mœurs sont quelque peu
différentes des nôtres. Entre le valseur et sa danseuse il y
a plus [d'intimité ; lorsqu'on se plaît on se le dit, et bien
des rendez-vous se donnent ainsi en pleine salle de bal.
Le buffet présente, lui aussi, ses particularités. A Berlin,
par exemple, trône la Weiss-BieTy cette bière blonde claire,
et mousseuse avec cela, que l'on sert dans des chopes
de forme plate et longue, un chapeau de paille moins les
rebords ou mieux encore le fond des chapeaux de soie
que les petits crevés avaient mis à la mode vers 1866.
Bière spéciale, récipient original qui est bien le Pokale
des anciens temps, sans compter que la manière de s'en
BERLIHOIIEI KU BAL
(CnqvUfUU ftanaidiiM, dtuli orifiDaldc Ku«.)
l'éducation et le monde 275
servir n'est pas non plus celle habituellement employée.
Pour boire à ce verre Ton s'y met à deux, et souvent ainsi
des mariages se sont décidés autour du Pokale de la
Kùhle und Blonde y cette bière qui, au dire des Berlinois,
dégote toutes ses sœurs, aînées ou cadettes.
Les guerres ont ceci d'étrange, qu'une fois la boucherie
humaine terminée, elles prennent rang dans la civilisation,
je veux dire qu'elles exercent toujours une profonde in-
fluence sur les mœurs des peuples, vainqueurs et vaincus.
Avant 1870, l'intérieur allemand brillait entre tous par
son mauvais goût, mettant au premier plan les plus affreux
échantillons du style Premier Empire et du style Louis-
PshiKppe. Là triomphaient, dans un noyer populaire, fau-
teuils bien droits, chaises idem, guéridons de toutes gran-
deurs et invariablement ronds, au pied unique ou au pied
à trois branches, sophas rouges, ou canapés-lit en cre-
tonne verte ; sur les meubles une sorte de voile au cro-
chet, afin, sans doute, que l'on ne perdit rien des beautés
de l'étoffe ni des veinures du bois, et devant les sièges
des petits carrés de feutre, sorte de paillasson intime sem-
blant vouloir dire à ceux qui venaient y prendre place :
Essuyez vos pieds, s. v. p. Aux murs trônaient orgueil-
leusement tous les spécimens de la banaUté bourgeoise :
lithographies vulgaires, daguerréotypes, photographies,
chromos, peintures à horloge ou à moulin. Sur la che-
minée, sur le haut secrétaire-commode, des vases aux
dorures ordinaires, aux peintures criardes, des fleurs en
papier, soigneusement conservées sous globe.
Comme niveau esthétique, c'était maigre.
Et si je m'étends ainsi sur l'intérieur, c'est qu'il est pour
276 LA FEMME EN ALLEMAGNE
beaucoup ce que la femme le constitue, apportant à tout
quelque chose de son goût ou de son manque de sentiment
artistique.
Or, depuis 18701e changement est complet. J'ai montré
que la femme avait pris l'initiative de l'œuvre de rénova-
tion qui est en train de s'accomplir dans ce domaine : elle
connaît aujourd'hui les jouissances de l'art, de la forme,
qu'elle ignorait auparavant.
D'aucuns, il est vrai, se basent là-dessus pour lui repro-
cher sa trop grande tendance au luxe ; ils prononcent même
le mot de décadence, et comme ils ne peuvent accuser les
Français d'un tel état de choses, ils l'imputent aux che-
mins de fer et aux bateaux à vapeur. La thèse n'est pas
neuve, elle a été soutenue souvent dans la presse fran-
çaise, elle est ingénieuse et même présente un certain
fond de vérité. Mais faut-il excommunier le progrès
parce qu'il jette la perturbation dans les mœurs an-
ciennes? Je ne saurais le croire, et c'est pourquoi je ne
partage pas à cet égard les idées du lieutenant-colonel
Kœttschau dans son récent ouvrage : La prochaine Guerre.
Mais, vraie ou fausse, cette conséquence de la guerre
de 1870, au point de vue féminin, doit être reproduite
ici :
« Ce sont les chemins de fer et les bateaux à vapeur qui
ont, en grande partie, ravi aux femmes allemandes leurs
vertus. Tout nouveau guide des voyageurs qui parait leur
fait connaître de nouvelles contrées, toutes plus belles que
le- pays natal, et que toutes on ferait bien d'aller visiter
plutôt que de s'occuper du mari. Cette fureur des voyages
qui, entretenue surtout par nos femmes, est devenue, grâce
l'éducation et le monde 277
à elles, si coûteuse, cette fureur est une des maladies les
plus graves dont souffre noire nation. »
Les voyages, considérés jusqu'à ce jour comme un
excellent moyen pour détruire les préjugés de race et
d'éducation, contribueraient ainsi à mondaniscr la femme
allemande que le lieutenant- colonel Kœttschau nous
montre atteinte dans la simplicité de ses mœurs, au môme
titre que M""^ de Rosen faisait le procès des jeunes Back-
fisch.
Cependant l'antique Germaine n'est pas encore près de
disparaître. Pour s'en assurer, il suffit de pénétrer dans
son intime.
Fie- 78, - Vignette de HarbUrgor,
X
PARTICULARITE LOCALE : LES KAFFEEKRANZCHEN
Dans tous les pays du monde, les hommes aiment à se
réunir entre eux et les femmes entre elles pour causer
de leurs affaires réciproques. Ce qui veut dire que les uns
s'occupent, avant tout, des absents, alors que les autres
ne disent pas positivement du bien des absentes,. occupa-
tion fort anodine, du reste, qui n'a jamais nui à personne.
Mais que Ton goûte comme à Paris ; que Ton s'invite à des
five &clock tea comme en Angleterre ; que l'on ait des
Kaff'ee-Visiten ^ des Kaffee-Gesellschaft^ à(i^ Kaff'ee-Krœnz-
chen comme en Allemagne, la chose est partout iden-
tique. Les langues des femmes sont faites pour marcher
et il faut qu'elles marchent.
Ménage, éducation des enfants, ennuis domestiques
occupent dans ces sociétés et cercles de dames une place
plus ou moins grande; toutefois le court dialogue que
voici, emprunté aux Fliegende Blœiier, indique suffi-
samment qu'on y parle aussi d'autre chose :
« Mari. — Comment t'es-tu amusée, chère Emilie, à ton
Kaffee d'aujourd'hui?
280 LA rEHME EN ALLEMAGNE
« Femme. — Pas du tout, cela a même été parfaitement
ennuyeux. Toutes les invitées y étaient, en sorte qu'on
n'a pu rien dire sur les absentes. »
Les absentes ! ordre du jour permanent de ces réunions
qui s'élèvent rarement au delà des limites d'une honnâte
simplicité, et dont le café, suivant l'antique et solennelle
coutume germanique, constitue le principal breuvage. Le
café ne marche pas sans la bière et la bière ne se com-
prend pas sans le café. Tous deux ont, du reste, fonnii
leur part à la littérature et à l'estampe.
Fig. 79. — Un . KftfleekHUucben »
{ViçattU dt M. FUuhar, dan* la Flicfciidc Bl
Mais, de même qu'il y a toutes sortes de cafés, y com-
pris la chicorée, de même il y a toutes sortes de réunions.
Les unes sont intimes, sans invitations dans les formes,
PARTICULARlTfi LOCALE : KAFFEEKRXNZCHEN 281
on jase, on lit, oa joue ; les autres sont plus Boleunelles
et dans l' Allemagne du Sud constituent ce que l'on appelle
des « combats ». Les unes sont populaires, les autres sont
aristocratiques.
En principe, il faut séparer celles qui ont lieu dans un
domicile privé de celles qui se tiennent dans les établisse-
ments publics, dans les Damm-Kaffee, si nombreux, et
dont la mode vient de
s'implanter quelque peu làÉi,!^'!?^
chez nous, parles débits
de lait elles dégustations
de café, chocolat ou thé;
avec cette différence,
toutefois, que là-bas, —
c'est le cas à Munich par
exemple, — les dames
s'y réunissent, s'y don-
nent rendez- vous, à cer-
tains jours, à certaines
heures, tandisqu'ici elles
ne font qu'y entrer pour
vite absorber ce qu'elles
désirent. Les Françaises
passant à l'état de piliers de café ! Ce serait alors le cas
pour les hommes de rester à la maison.
Dans certains grands établissements, cafés ou confise-
ries, se trouvent même des salles spéciales pour les dames,
et malheur aux représentants du sexe fort qui s'aviseraient
d'y pénétrer. Je veux dire malheur pour eux, les dames
qui en font le plus bel ornement n'ayant, elles, plus rien
Fi|;. 80. — Cafâ de dames.
{Caricature dtt Fli'gende Blnllcr.)
282 LA FEMME EN ALLEMAGNE
à craiiuire, tandis que les hommes pourraient en conBer-
ver un mauvais souvenir.
Celles qui se réunissent ainsi dans les confiseries, absor^
Fig. SI. — A ]& conflsene.
[Flieçaide Btatler.)
H. B. _ Au-dessous de cette caricature, se lit la légende snirante, si
bien que rillustration sert de comparaison au texte :
Lb atmciir. — Mangiir Troid et boire froid sont, je vous le répète, cIhxm
absolument sain«s.
Le MALitDi. — Pardon l donnes-moi un exempte.
Li MtosciH. — Eh bien! Altei seulement dans une conQserie. Là voua ren>
contreres les pljs vieillei batla ' qui, cbaquo jour, mangent des glkces.
' Vieilles boites {aile Sckachtein), c'est ainsi qu'en Allemagne od appelle
les vieilles femmes, spécialement les grotesques et celles qui sont d'une
laideur repoussante.
PARTICULARITÉ LOCALE : KAFFEEKH,eNZCHEN 285
bant glaces et force gâteaux, sont, en général, des vieilles
filles, retraitées de toute espèce, préférant les donires
banales de la Condiiorei aux murs froids de leur chambre
peu garnie. G.e sont elles qu'un dessinateur éminemment
humoristiquç des Fliegende Blœlter, dont le nom est
Fg S2 — V e lies llllea prenanl leur café.
[DBprètwt tarieatiiTe.)
venu souvent soUh ma plume Oberlœnder, a voulu carica-
turer dans une amusante \ignette qui a môme servi de
prétexte a une légende assez philosophique, dialogue entre
un médecin et son malade.
IVfais laissons cela, laissons également les habituées des
cuisines à café populaires, et il s'en trouve à Munich
286 LA FEMME EN ALLEMAGNE
jusque dans les caves, tout comme les brasseries , pour
revenir à nos Kaffeekrœnzchen de la bourgeoisie.
Dans les « combats », le suprême du genre, on combat
à la fois, et pour le rang, et pour les armées de sucreries,
qui s'alignent sur la table préparée avec soin par la msd-
tresse de la maison.
Pour les grands «combats », auxquels prennent part
quarante à cinquante « combattantes » , Ton invite le ban et
Tarrière-ban des connaissances. Intimes ou non intimes,
tout est pêle-mêle ; la réserve elle-même a donné.
Le rang ! c'est là qu'on peut voir l'importance dont il
jouit dans cette société féodale. Et les Von et les Excel-
lenz! Titres pompeux, comme les personnages, mais dont
l'influence est réelle.
Savez-vous bien que le « combat » ne saurait commen-
cer avant que M™® la Présidente ou M™® la Générale ne
soit arrivée ; savez-vous bien qu'il s'agit de ne pas
commettre d'erreur dans le placement des invitées, sur-
tout au sujet de la fameuse place d'honneur sur le sopha^
ce sopha, pauvre et modeste canapé souvent, auquel
toutes aspirent, auquel peu atteignent? Beaucoup d'appe-
lées , peu d'élues ! Mais quelle grave question , et que
d'adresse la maîtresse de la maison doit montrer en cette
occurrence I
Donc après beaucoup d'hésitations et de compliments ;
après des Achl Ich bitte j des Aber^ gnœdige Frau, des
Grosser Gott^ des Aber dochy — toutes exclamations qui
demandent certaine intonation spéciale pour conserver
leur saveur, — les dames occupent enfin leurs places res-
pectives , YExcellenz sur le sopha. Voulez-vous pénétrer
I- !:l
.SLA
Fig. S3. — Le cercle des jciueuses de quilles.
(IMaolon BMdtroa dt dinei, d'iprti ubc cicicilin di* Fliegault BlmUir,
288 LA FEMME EN ALLEMAGNE
dans le local? On y jase, sans doute ; non point, le silence
est même inquiétant, car tous les yeux sont fixés sur le
tricotage ou quelque autre ouvrage à aiguille. Les plus
courageuses des « combattantes » se hasardent à examiner
les toilettes, tandis que les plus gourmandes attaquent les
friandises et bientôt on n'entend plus que le cliquetis
des tases et des cuillers répondant au cliquetis des ai-
guilles à tricoter.
Peu à peu le silence se rompt, la conversation s'anime.
Si Ton est dans le Nord, à Berlin, on se complimente
sur les toilettes. Dans le Sud, à Munich, on n'oserait pas,
ce serait mal vu. Toutefois, des groupes se forment, des
amies qui se sont rencontrées là, par hasard, causent à
mi-voix, se racontant mille cancans et surtout s'amusant
aux dépens des autres invitées.
Mais que la maîtresse de la maison engage les plus
musiciennes à produire leur talent; dès qu'on entendra
les premiers accords de quelque mazurka sentimentale de
Chopin ou d'une romance éthérée de Mendelssohn , les
conversations... se tairont, allez vous dire... non point,
s'animeront, parce qu'on n'a plus la crainte d'être enten-
due d'une voisine inconnue, toujours trop curieuse.
Trémoussements, exclamations, petits cris, protestations,
titres lancés avec sonorité, le tout agrémenté de :
Vraiment !
Toutefois !
Mais si, je vous assure !
Cela ne peut pas être I
Excellence !
Baronne I
PARTICULARITÉ LOCALE l KAFFEEKR.ENZC HEN 289
Comtesse !
Très vénérée chanoînesse !
sainte musique que de crimes on commet sous ta
bruyante égide ! Au théâtre tu dois servir à voiler, à
étouffer les crudités du livret, afin que les preudes jeu-
nesses soient censées n'avoir rien entendu, et ici, aux
Kaffeekrœnzcheriy tu contribues à permettre Téreintement
du prochain.
Le «combat» a pris fin, il faut s'en aller. Alors l'étiquette,
un instant délaissée, reprend ses droits. Les dames de c&-
Hnction^ les plus Hochwohlgeborene Gnœdige Frau donnent
le signal du départ et les adieux commencent. Mais qui
sortira la première, qui aura Tinsigne honneur de mon-
trer le chemin. Moment critique et souvent de longue
durée, s'il faut traverser plusieurs pièces, car à chaque
porte la petite scène se renouvelle. Chapitre nouveau à
ajouter au Roman Comique , instant solennel durant lequel
M™® la Conseillère de justice. M"™® la Conseillère privée,
M™® la Conseillère consistoriale, M™^ la Conseillère d'in-
tendance, M"™Ma Générale, M^^Ma Chanoinesse, M"™Ma
Baronne, font assaut d'amabilité et de connaissances du
droit féodal.
Enfin, Ton s'est décidé à sortir et l'on est rentré chez
soi. Vous croyez l'affaire finie. Détrompez-vous. Pendant
plusieurs jours ces très gracieuses, très bien nées, très
honorables dames seront tourmentées par l'idée qu'elles
ont pu dire quelque chose que M™® la Générale ou M"*® la
Présidente aura mal interprété.
Et cependant, le « combat w est dans certaines villes
la plus grande distraction que se puissent procurer les
Î3
290 LA FEMME EN ALLEMAGNE
dames. Pourquoi faut-il donc que ta hiérarchie vienne
ainsi troubler leur bonheur I
En somme, la femme allemande a une tendance particu-
lière à l'association. Tout en tricotant, eu buvant son café,
en engouffrant des friandises, elle aime à former des
« coteries », coteries de rang ou de profession, coterie du
haut, coterie du bas, réunion de ci, réunion de ça. Quel-
que chose comme les réunions de nosarrjère-grand'mères
dans les anciennes villes de province !
C'est là une des formes spéciales de l'émancipation ger-
manique, émancipation qui va grandissant et gagnant nos
contrées, qui a créé des clubs d'alpinistes femmes, qui
demain organisera des Kegelbakn féminins — jeux de
quilles — comme le dessinateur des Flîegende Blœtter
s'est plu à nous en montrer un.
Kaffeekrœnzchen à ^la fois naïfs et comiques, vous
êtes moins dangereux que les momtrances parées de dos
élégantes : celles-là ne font pas rire, mais bien frémir.
Fig. 84. — Vignette de Groe1«r.
XI
PARTICULARITES DU DEMI-MONDE
Voulez-vous connaître les particularités de la prostitu-
tion allemande? Ouvrez les rapports, pétitions, notes,
documents divers qui constituent tout un dossier du vice,
les mauvaises mœurs ayant sur les autres cette supériorité
que sans cesse on s'occupe d'elles. Vous verrez ainsi qu'à
Hambourg, les marchandages les plus honteux se font en
plein Dôme, qu'à Brunswick, qu'à Hanovre existent des
filles de bon ton et du haut genre pour messieurs de la
noblesse; qu'à Leipzig, en temps de foire, ce sont de véri-
tables arrivages de chair humaine, comme à Constance,
autrefois, pendant la durée du Concile, comme à Nice,
aujourd'hui, durant la saison des étrangers ; qu'à Breslau,
Âltona, le commerce des livres et des gravures obscènes
s'exerce sur une vaste échelle par des officines de colpor-
tage; qu'à Magdebourg, il n'y a pas une rue, peut-être
pas une maison qui ne soit fasile de filles perdues ou de
racoleurs^ — ce sont les termes, exagérés assurément,
d'une pétition au Reichstag pour la répression du vice, —
qu'à Berlin enfin, les raisons qui poussent à l'immorahté
202 L\ FEMME EN ALLEMAGNE
sont les mômes que dans toute grande ville, Paris ou
Londres.
La Suisse n'avait-elle pas, tout récemment encore, dans
sa capitale, des bains garnis, — souvenir du moyen âge,
— et à partir de Vienne, ne se trouve-t-on pas, toujours,
dans la contrée des liis garnis à volonté.
S'il me fallait esquisser à nouveau le caractère de la pros-
titution germanique, je la diviserai ainsi en trois groupes:
Allemagne du Nord : basse prostitution.
Allemagne du Centre et du Sud : prostitution amou-
reuse.
Autriche : prostitution élégante,
étant donné, bien entendu, qu'il s'agit de considérer, non
pas la fille ambulante, exerçant son métier n'importe où,
mais la fille qui tient au sol, qui présente, au physique, le
caractère de la race.
Ainsi, une servante de brasserie, une Kellnerùty ne
sera pas à Nuremberg ce qu'elle est à Magdebourg ou à
Breslau. A Nuremberg, le fait d'avoir un schatz ne l'em-
pêchera pas, quand même, d'afficher une honnêteté rela-
tive : amoureuse, oui, trafiquante de son corps, non. Dans
les autres villes, elle sera, au contraire, purement et sim-
plement une fille. Lisez plutôt les lignes suivantes ex-
traites d'un rapport officiel :
« Quand un hôtelier, un cafetier ou un Uquoriste voient
que leur clientèle devient plus rare, et lorsqu'ils soup-
çonnent tant soit peu que leur commerce baisse, ils se
débarrassent bien vite de leur personnel, engagent des
filles connues pour la légèreté de leurs mœurs et leurs
manières agaçantes, afin de remonter leur maison. »
FANTAISIE DE BOUCOIR.
{UttHa de n. naLin>, dui ]« ni'-iin- Cari
PARTICULARITÉS DU DEMI-MONDE 295
Femme-amorce, voilà donc ce que devient au Nord
l'amoureuse Gretchen du Sud. En fermant tous les éta-
blissements où les filles de cette espèce exercent leur
métier, — ainsi qu'elle vient de le faire par un récent
arrêté, — la police berlinoise a donné un exemple qui
pourrait être suivi partout avec avantage. Certains germa-
nophobes de la presse stipendiée ont, il est vrai, conclu à
Timpossibilité de rencontrer des vierges dans la cité de la
Sprée. Que ne proposaient-ils de remplacer ces filles par
les honnêtes Jeanne Darc qui peuplent nos brasseries et
donnent aux jeunes gens des exemples si touchants de
vertu et de désintéressement !
Autre aspect de la prostitution germanique : la grisette,
je veux dire la jeune fille qui fréquente les atehers de
couture, de modes, de fleurs, se contentant d'un amou-
reux avec lequel elle puisse gaiement passer le temps,»
n'existe qu'à Berlin et à Vienne et se présente dans ces
deux villes sous un aspect tout difi'érent. A Berlin elle
est encore simple de goûts: un petit thé intime, une partie
de campagne, il ne lui en faut pas plus ; quelque chose
comme la grisette idéale chantée par Mûrger. A Vienne
elle veut briller, cherche à faire montre de ce qu'elle pos-
sède, a la passion du théâtre et des bals. C'est plus mo-
derne.
Lors de son voyage dans cette capitale, Albert Millaud
définissait ainsi la grisette autrichienne :
a Les élégantes boutiques », écrivait-il, « sont peuplées
de jeunes filles, simplement vêtues, fraîches, modestes, ré-
servées. Elles tiennent les livres, font l'article, séduisent le
client. Le soir, vous rencontrez une femme en robe de
296 LA FEMME EN ALLEMAGNE
soie à traîne, au chapeau monumental sur le front, gantée
de blaâc, effrontée, se trémoussant au son de la musique
et vous reconnaissez la jeune boutiquière du matin; Elle
est transformée, elle est devenue cocotte, mais elle est
grisette.
« Elle aime les bijoux, le luxe, et va où elle sait qu'elle
en pourra trouver. Je ne sais pas comment elle s'arrange
avec sa famille, comment elle leur explique sa conduite,
mais elle est et demeure absolument libre. »
Comment elle s'arrange, la chose est bien simple! A
Vienne, ville d'amour, on ne vous blâmera jamais d'avoir
des amoureux, de rechercher Thomme, on vous deman-
dera seulement de cacher cela derrière une situation
avouable. Exercez-vous un métier, personne ne saurait
vous critiquer. On travaille pour vivre ; on fait l'amour
.pour avoir le superflu.
Toutefois, il ne faudrait point voir que des grisettes
dans les cocottes des deux capitales. A côté de cet animal
antédiluvien, moitié chair, moitié poisson, se trouve une
ample provision de filles. Celles-ci, il est vrai, ne pré-
sentent aucune particularité ; elles procèdent comme toutes
leurs congénères, dans tous les pays du monde, ten-
dant leurs filets partout où faire se peut, accaparant fe-
nêtres, rues, théâtre, promenades publiques, galeries cou-
vertes.
La fenêtre, c'est l'a i c du métier, dans cette langue
universelle du vice où les signes jouent un si grand rôle.
Or, à Vienne et dans l'Allemagne méridionale, le cadre se
prête plus ou moins à cette exhibition, par suite de cer-
taines particularités architecturales. Comme en Italie, beau-
COCOTTES VIENNOISES
PARTICULARITÉS DU DEMI-MONDE 299
coup de maisons sont ornées de statuettes de saints et de
saintes, en sorte qu'il n'est pas rare de voir une tête de
cocotte apparaître aux côtés d'un Christ ou d'une sainte
Vierge. Contraste pour le moins pittoresque, là où, à la
façon de l'ancienne Rome, un dieu Priape serait certaine-
ment mieux en place.
Quant à la prostitution s'exerçant sous des commerces
déguisés, si elle diffère des autres, ce n'est que par les
enseignes qui l'abritent. En dehors des gantières, parfu-
meuses, lingères, — spécialité universelle, — il faut pla-
cer, au premier rang, les marchandes de tabac, dont la
véritable profession est indiquée par un rideau rouge ser-
vant de portière à l'arrière-boutique, les Condiiorei, les
Delicatessen-Salon où les gens bien, — à Paris, on dirait
les messieurs décorés, — viennent faire de petits soupers
au Champagne, servis par de jolies filles. Vous rappelez-
vous certaines boutiques à dégustation de vins fins ouvertes
à Paris sous le second Empire? Si oui, vous aurez une
idée exacte des Delicatessen-Salon de Berlin.
Du costume je ne dirai rien. Mais si l'on veut savoir
combien la fille affectionne les couleurs criardes, c'est à
Hambourg qu'il faut aller, à Hambourg où dans les rues
consacrées aux vendeuses d'amour ce ne sont, sur les
portes entrebâillées, que filles vêtues de toilettes écla-
tantes, — velours grenat, soie verte, satin bleu, — et
perchées sur leurs hauts talons comme de véritables pou-
pées. Au reste, dans cette ville unique, la réclame humaine
paraît avoir été élevée à la hauteur d'une institution. Au
seuil des restaurants, des brasseries, affluant de toutes
parts, se tiennent d'élégantes et pittoresques servantes,
LA FEMME EN ALLEMAGNE
au corsage ouvert, à la jupe courte, au sourire nrovoca-
leur, appelant, invitant le client.
Nulle part, en Franc?, dans le demi-monde, le décolle-
Fig. 85- — Delicatessen-SalOD.
[Dtêiin orisinat d* Mort,)
tage n'est aussi général qu'en Allemagne. Dans certains
bals publics, c'est même le costume ofBciel des PiAanle
Dameti qui viennent avec des Qeurs dans les cheveu:^
PARTICULARITÉS DU DEMI-MONDE 303
comme à quelque honnête soirée bourgeoise. Aux jours de
fête, les filles de brasserie ne servent-elles pas le client
en jupon court, en corsage échancré !
Dans les cirques, dans les cafés-concerts, dans les
théâtres de bas étage, dans les bals pubHcs, c'est un dé-
colle tage, un ensemble canaille dont rien ne saurait appro-
cher. Uécuyère sur son cheval, les mains entre les cuisses,
se laisse aller à des poses d'une vulgarité inouïe; la chan-
teuse relève ses jupes d'une façon outrageante, et la dan-
seuse lève la jambe dans le môme style.
Très particulier, le spectacle d'une salle de bal public,
avec tous ces bras nus, toutes ces poilrines décolletées,
chair le plus souvent rouge, émergeant d'un ensemble de
toilettes claires.
Décrire les bals, les concerts, les établissements où l'on
s'amuse ne rentre point dans le cadre de ces études. Qu'ils
s'appellent Orpheurrij Colosseum, Flora, peu importe : un
seul point présente un réel intérêt, c'est de savoir la ma-
nière dont on y danse, comment on y interprète le cancan
baptisé par les Allemands, « danse nationale française».
Ici, entre Vienne et Berlin, la différence est grande. La
capitale du nouvel Empire n'a rien que l'on puisse com-
parer au célèbre bal des blanchisseuses viennoises qui
attire, à certains jours, toutes les notabilités masculines
de la capitale austro-hongroise; qui est quelque chose
comme Mabille lors de l'Exposition de 1867. Type d'élé-
gance populaire et de volupté raffinée, la blanchisseuse
que nous retrouvons, avec ses hautes bottines, avec ses bas
à raies, avec sa jupe de couleur claire, danse plus amoureu-
sement que matériellement. Elle danse, elle ne chahute
LA FEMME EN ALLEMAGNE
pas; j'iQsiste sur ce point qui constitue une manière à
part dans la façon de concevoir l'idée dansante.
A côté des habituées des bals publics de Berlin et des
fig. S6. — C(KOtl« dansant le cancan.
[Vignette dt B. Datlen.)
grandes villes du Nord, la blanchisseuse viennoise est
presque distinguée. C'est la gaieté, le rire , la folie, la
Fig. 87. - Cancan allemand,
^Cl^aqalÊ dt Bcnri Louac.)
308 LA FEMME EN ALLEMAGNE
bottÏDe frappant fiévreusement le plancher, en attendant
de tournoyer follement aux accords de la valse. Et quelle
valse que cette danse nationale, si rythmée, si volup-
tueuse I Ici, ce n'est point un accessoire, une affaire de
convention qui sert à cacher autre chose, c'est le plaisir
Fig. SS. — Cancan allemand.
ICroquii dt B. LauoK.)
dans toute son acception, le plaisir que l'on vient chercher
et qu'on veut avoir.
A Berlin pas d'illusions. Avec ce cancao agrémenté de
sauts, de trémoussements, de trépignements, tous plus
expressifs les uns que les autres, on se figure toujours
-/ I
sou PEU SE.
(Pcidn ori^nil dt C. 1!«un,1
PARTICULARITÉS DU DEMI-MONDE 314^
être à quelque bal du quartier de TÉcole-Militaîre. Mais
quel alourdissement : la liberté, la facilité du geste, font
place à une sorte de réglementation, il y a là une cadence,
une mesure, qui enlèvent toute fantaisie et qui substituent
au cancan échevelé de l'école française une véritable
danse à la prussienne. Les Allemandes danseuses de bals
publics mettent en pratique ce que les Allemands obser-
vateurs appellent la danse àvL portez arme l ou du fusil
en rair !
Gomme dans les curieux croquis d'Henri Lossow, on
suit tous les mouvements précis et saccadés de la Abjx-
sense : Prenez Jupe ^ saisissez jupe ^ relevez jupe^ tournez Jupe^
levez Jambe. Et j'ajoute que la plupart des femmes ont
l'air d'avoir sur elles des vêtements d'emprunt, tant elles
paraissent peu habiles à se relever.
N'allez point croire, pour cela, que les danses soient
plus sévères, plus décentes. Dès l'instant qu'on vient
um sich zu amusiren, il faut bien voir des choses pikanten.
En ces endroits, ne se promènent ni les mères de fa-
mille, ni les enfants; peu importe donc aux gens paisibles
qu'on lève plus ou moins la jambe, qu'on montre plus ou
moins le fruit défendu.
Dans sa série de croquis, Lossow a donné la dernière
note de Véchevelement : la danseuse mettant au grand jour
ce que cachent d'ordinaire les inexpressibles. Sans pous-
ser jusque là l'amour de la nature, bien des femmes laissent
entrevoir, en dansant, un bout de chair et il n'en faut pas
plus pour piquer au vif la curiosité des spectateurs.
Ainsi triomphe la matérialité germanique, cherchant
encore plus à accentuer qu'à atténuer, sachant que la
LA FEHHE EN ALLEHACNE
chair est l'objet visé et qu'on peut, h cet égard, se
pennettre toutes les licences. Plus haut, encore plus kautt
ToiU la devise qui serait te mieux en place & l'entrée
des tigl-tangl berlinois, dignes émules sur ce point des
bastringues parisiens,
F\g. S9, — U Fée aux baisera.
iDtuin de itari.)
XII
DE QUELQUES CARICATURES DE MODES
La tournure, voilà renncmi, rennemi soigneusement
entretenu dans la Babylone moderne pour monter à Tas-
saut de la chaste Allemagne, de ses modes simples, enne-
mies des falbalas et des faux atours (sic).
La tournure, elle vient d'être ridiculisée dans les rues de
Pesth, promenée sur le dos d'innocents caniches ; la tour-
nure, n'est-ce pas elle qui, cul de Paris immense, appa-
raissait sur les fresques caricaturales des artistes berlinois
au centenaire de l'Académie des Beaux-Arts, enfournant
tout sous elle, cachant dans ses ressorts tous les vices de
la terre ?
Assurément, ce reposoir, ce strapontin, cette chaise à
porteur — au fond modeste remplaçant de vertus
absentes, — ne méritait ni cet excès d'honneur ni cette
indignité.
Mais, d'une part, il est bon de rire des exagérations de
la mode, — et, il faut le reconnaître, ce sont les Alle-
mands qui reprennent la grande tradition comique du
;Lvra* siècle, vr^iisemblablement perdue pour nous, puisque
314
LA FEMME EN ALLEMAGNE
pas une seule, pas une vraie caricature humoristique contre
cet appendice de crin n'est sortie du crayon de nos dessina-
teurs, — et, d'autre part, il est fort curieux d'observer
que cette antipathie germanique pour la tournure est
semblable à celle qui s'était manifestée, sous le second
Empire, à l'égard de la crinoline et qu'elle se produit de
la même façon * .
La tournure, c'est l'invention diabolique du Français
Fig. 90. — De quoi se composent souvent les touruures.
{Caricature des Fliegendc Blctter.)
qui éprouve toujours le besoin d'encager d'une manière
quelconque le corps de la femme, et alors, comme on a
fait de l'Empire le règne de la crinoline, on incarne déjà
la troisième République dans un postérieur factice, dans
* U n'est peut-être pas sans intérêt de rappeler ici qu'à Hanau (West-
phalie), les dames avaient formé un cercle qui décida la complète
abolition de la crinoline pour toutes les femmes âgées de moins de
trente ans.
DE QUELQUES CARICATURES DE MODES 3t9
\e culde Paris. Car, il faut le répéter, c'est ainsi que la
tournure a été baptisée de l'autre côté du Rhin, c'est ainsi
que les écriteaux l'annoncent dans les boutiques.
Voyez ce qu'on en fait dans les vignettes humoristiques
dont les artistes des Fliegende Blœtter ont, comme tou-
jours, la spécialité.
-m
Pfe-
h.
FJg91.
— Uniî méprise
aturetlp.
r.alur.
de BrcAiltin, Flii'
Qt.de BlcLIOr.)
Que de choses pratiques, meilleur marché, contribuant
tout autant à la rondeur recherchée, par quoi les ména-
gères allemandes pourront la remplacer ! Inclinons-nous,
c'est du bon comique, et si le rire tuait encore à notre
époque oîi le ridicule est passé maître souverain, la tour-
nure serait renversée de son piédestal.
316
LA FEMME EN ALLEHAG^E
. VouIez-vou8 mieux? Un dessinateur, Beclistein, dont les
idées sont quelquefois de véritables trouvailles, Bechstein,
qui avait déjd montré les similitudes existant entre une
jeune fille aux épaules rehaussées, engoncées, et une
chaise moyen &ge, a, cette fois, transformé six élégantes
pschuttemes en divan de Salon de peinture. Ici la res-
semblance est encore plus parfaite, nous avons la tour-
nure banquette.
Enfin un autre dessinateur, au crayon plus fm, plus
élégant, Schlittgcn, tout imbu de modernisme parisien, a
fait de cette malheu-
reuse l'objet d'un vé-
ritable drame de la
toilette.
Ces quelques cari-
catures, — appendice ,
ei l'on veut, à un de
mes précédents ouvra-
ges, — ont-elles besoin
^ d'être expliquées plus
''^' amplement, je ne le
V pense pas ! Mais elles
devEiient figurer ici à
cause de la portée
philosophique donnée
par les Allemands à
cette campagne contre une mode étrangère.
Eux qui protestèrent si souvent contre les arbres tail-
lés à la Louis XIV, contre « le martyre infligé à la nature»,
ont, dans le Nord principalement, des içlées arrêtées ei|
Fig. 92 — Un serviteur Irop zélé.
(Vifnetle d« SMillfoi,)
PIKAHTER CONTRAST.
DE 0"EI-QrKS CARICATURES DE MODES 319
fait de toilette. Il y a des femmes, des Jœgcr du beau sexe
qui cherchent pour la Germaine ce que le vrai Jaeger
a trouvé pour les hommes, un costume national, c'est-à-
dire simple et commode.
E^t-ce à dire que toutes les Allemandes présentent,
vues de ce côté, les platitudes que Mars, — quelquefois
excellent observateur, — s'est plu ici à opposer aux roton-
dités du voisin, assurément non. Mais leur tendance
serait plutôt à la ligne droîle que vers une exagération
contraire. La tournure,
comme les bas de cou-
leur, comme les petites
cravates, comme les plas-
trons, comme les cols-
cocher sind noch tiicht
mode, — ne sont pas
encore partout à lamodo.
Ces élégances, ces raffi-
nements du costumesont
même quelquefois mal
vus de la fenmie du
Nord : pour elle ce sont
suppôts de Satan et livrée
du vice.
Quoi d'étonnant, .si
l'on veut se souvenir que
sous le second Empire, la femme française, — je parle de la
femme honnête, — avait résisté pendant longtemps à ces
envahissements, qu'elle gardait ses bas blancs bien tirés,
des jupons de dessous en couleur et des corsets en coutil.
r irop ïéli''.
330 LA FEMHE EN ALLEMAGNE
Il a fallu ces dernières années, une corruption encore
plus grande, un luxe plus effréné que jamais, pour faire
passer sous le joug de la livrée pschtUUuse, en hant
comme en bas, en-dessous comme en-dessus, la femme
honnête de la nouvelle génération.
Tant pis pour nous 1 Mais la caricature, elle, ne perd
jamais ses droits et le devoir du philosophe, de l'historien
est de la saisir au passage. En voyant la tournure tombée
de ses hauteurs, on pourrait inscrire ici : Emploi pour les
petits chiens de ces dames.
Pour ce que rire est le propre de l'homme et porter l'of-
fice du caniche.
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACK
LIVRE 1
LA PKMMK ALLEMANDE. — CE QU'eLLE EST. — CE QUE LES ALLEMANDS KN PKNSKNT.
COMMENT ILS l'lNTER PRETENT PAR LE CRAYON
I. — Allemande et Française 3
H. — L'amour et les femmes au xvhi« siècle 17
in. — La jeune fille 35
IV. — La femme 59
V. — Sentiments et appétits des Allemands, au point de vue fé-
minin 77
VL— La fille 87
VIL — Façon dont les artistes allemands interprètent la femme,
le déshabillé et le nu . , , 107
LIVRE II
LES CLASSES SOCIALES. — LES TYPES. — PARTlCULARirés DE LA VIE
ET DES MŒURS
I. — Les classes sociales 143
II. — Princesses et grandes dames 149
m. — La femme dans la noblesse pauvre 157
25
i
i
32â TABLE DES MATIÈRES
IV. — La Juive 167
V. — De quelques autres femmes : le bas-bleu, l'actrice ... 173
VL —Les types 183
VII. — Les types des campagnes 219
Vm. — Les métiers 241
IX. — L'éducation et le monde 263
X. — Particularité locale : les Kafreekrœnzchen 279
XI. — Particularités du demi-monde 291
Xn. — De quelques caricatures de modes 313
^^^^0^^^^'*0^^^^^0*0^0^0*0^0*^^t^^»^*^^^*^'''^^^
TABLK DES ILLUSTRATIONS
I. — PLANCHES TIRÉES HORS TEXTE
1. Allkmande. Dessin original à la mine de plomb, par Henri
Lossow, eau-fort(î de Henri Lefort. Frontispice,
II. Sck.NK d'intérieur dans une maison de PATRiaENS, AU MOMENT DU
DÉPART DES CONFÉDÉRÉS SUISSES. Dessin dc Gabriel Schachinger
planche double) 11
III. Servante munichoise. D'après une composition en couleur de
Fritz-August von Kaulbach 97
IV. Allemande. Dessin original à la mine de plomb, par Henri
Lossow, eau-forte de Henri Lefort 144
V. Batelière sur le lac de Brientz (Suisse). Composition en cou-
leur d'Auguste Viollier 224
VI. Munichoise. Dessin au crayon, mélangé de fusain, de Hugo von
Haberniann 264
IL - GRAVURES DE PAGE
1. Allemande moyen âge, d'après un dessin de C.-E. Doepler. . 5
2. La reine Louise peu après son mariage, d'après une estampe
de 1807 31
3. Jeune fille préparant la table, dessin original de Mars ... 37
4. Fiancés chez le photographe, dessin original de Mars (en cou-
leur) 41
5. A l'école de cuisine, dessin original de Mars 45
6. Une brasserie près de Munich, le jour de Tapparition du
« Salvator-Bier », d'après un dessin de Stauber 63
7. Allemande à la promenade, dessin original de Mars .... 69
8. Au salon de lecture, dessin original de Mars 73
9. Cocottes viennoises, dessin original de G. Karger gi
324 TABLE DES ILLUSTRATIONS
40. Belles-Petites à Wiesbaden, dessin de Coll-Toc 95
41. Types de la rue : Bouquetière, dessin original de C. Karger . 99
42. Types de la rue : Ouvrière, dessin au lavis de C. Karger. . . 103
43. La joueuse de guitare, d'après un tableau de Seifert.' ... 113
44. Temps d'avril, d'après un dessin de Knut Ekwall . . . . . 121
45. Tète d'Allemande, diaprés un dessin de Wehlc 125
46. Pschutt 1 diaprés un pastel de Piglhein 437
47. Femme de l'aristocratie viennoise, lavis original de C. Karger. 151
48. Femme du patriciat, lavis original de G. Karger 163
49. Actrice, dessin original de G. Karger 181
20. A une première, d'après un dessin de Schachinger .... 193
24. Femme de chambre, dessin original de G. Karger 497
22. Munichoise, dessin original (crayon, fusain et gouache] de
H. von Habermann 202
23. Munichoise, dessin original de Hugo von Habermann (mêmes
procédés) 203
24. Gocotte viennoise se rendant au Prater, lavis original de C. Karger 207
25. Femme d'artisan, lavis original de C. Karger 211
26. Blanchisseuse viennoise, lavis original de G. Karger .... 215
27. Paysanne de la Bavière, d'après un dessin de Defrcgger. . . 221
28. Femme du gran<I-duché de Bade, d'après un dessin de Wehle. 225
29. Brodeuses d'Appenzell, fusain original d'Auguste VioUier . . 229
30. Nourrice hongroise, lavis original de G. Karger 233
31. La voiture de la fiancée, d'après un dessin de Sond^Tmann. . 237
32. Bouquetière de concert à Vienne, dessin original de Mars . . 245
33. Ghiffonnière, dessin original de G. Karger 240
34. Laitière viennoise, lavis original de G. Karger 253
35. Blanchisseuses viennoises, dessin original de G. Karger . . . 257
36. Ghanteuse de café-concert à Vienne, lavis original de G. Karger. 269
37. Berlinoises au bal, dessin original de Mars 273
38. Guisine à café à Munich, d'après un dessin de Puschkin. . . 283
39. Fantaisie de boudoir, d'après un dessin de Roland .... 293
40. Gocottes viennoises, dessin original de G. Karger 297
44. Ghez Kroll à Berlin, dessin original de Mars . 301
42. Blanchisseuse viennoise au bal, lavis original de G. Karger. . 305
43. Soupeuse, dessin original de G. Karger 309
44. Pikanter contrast 317
IIL — ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE
4. Femmes célèbres d'autrefois et d'aujourd'hui i
2. Vignette de Ghodowiecki vi
TABLE DES ILLUSTRATIONS 325
3. Femmes de la Silésie prussienne 3
4. Vignette de Chodowiecki 15
5. Portrait de Rachel Varnhagen - 24
6. Portrait de Henriette Herz 25
7. Gravure de Schumann (Almanach d»^ 1800) 29
8. Vignette de Schubert 33
9. Types de « Hackfisch » (autrefois, aujourd'hui) 49
10. Wagnériennes et peintresses 50
11. Caricature de Bechstein 54
12. Petites lilles munichoises 57
13. Danses dans la cour d'une brasserie 66
14. Famille u la brasserie 67
lo. Vignettf de Chodowiecki 76
16. La galerie féminine du peintre Juch 80
17. Caricature des <( Fliegonde Bl«etter » 82
18. Vignette de Chodowiecki 85
19. Cocotte, croquis de Schliessmann 90
20. L'amour à la brasserie 93
21. Caricature des « Fliegende Rketter >» 94
22. Croquis de 11. Albrecht 101
23. Vignette de Chodowiecki 105
24-2.-). Caricatures féminines des «^ Flieg«'nde Hhnpttpr ». ... 109
26. Silhouette sentimentale 110
27. Marguerite de «Faust» 111
28. Silhouette en caricature 112
29. Vignette de <( l'Amour et la Vie des Femmes » 115
30. Caricature de Schlittgen (Fliegende Blajtter) 116
31. Caricature de Schlittgen (Fliegende Bhetter) 117
32. Caricature de Schlittgen (Fliegende Bla'ttiT) 118
33. Type de soubrette (Fliegende BluHter) 119
34. Type féminin (Fliegende Bhetter) 120
35. Vignr'tte du « Induslrielle Humorist » 127
36. Vignette du « Industrielle Humorist » 128
37. Vignette du « Industrielle Humorist » 129
38. Vignette de Daelen 130
39. Vignette de Daelen 131
40-41. Vignettes des « Berliner Komiker-Halln » 132
42. Planche légère des «Wiener Caricaturen » 133
43. Type; de couverture illustrée 134
44. Vignette légère de Klic 135
45. Vignette légère de Klic 136
46. Vignette du « Grosse Struwwelpeter » 139
326 TABLE DES ILLUSTRATIONS
47. Vignette de Schlittgen (Fliegende Blœtter) 140
48. Croquis du peintre Wahle 143
49. Vignette de Chodowiecki U7
50. Princesses et grandes dames 155
51 . Caricature des « Fliegende Blœtter » 156
52. Vignette de Coll-Toc 166
53. Vieille Juive (Coll-Toc) 168
54. Type de Juive (Coll-Toc) 171
55. Type d'actrice allemande 179
56. Vignette de Schlittgen 184
57. Servante de brasserie, dessin de Mars 187
58. Types de bonnes berlinoises 191
59. Types de Viennoises, d'après Mackart 206
60. Types de Viennoises, d'après Mackart 209
61. Types de Viennoises, d'après Mackart 213
62. Bonnes berlinoises 218
63. Bavaroise, servante de brasserie. ... 223
64. Femme wende, en costume de gala 224
65. Femmes de la Silésie 231
66. Dans la liante Bavière 232
67. Bouquetière de Hambourg 240
68. Concert de dames dans un café 243
69. Femme donnant à boire aux chevaux 247
70. Femme de maçon 248
71. Cantonnière 252
72. Marchande de grenouilles 252
73. Blanchisseuse viennoise 253
74. Le lavage des fenêtres 260
75. Laitière 261'
76. Escrimeuses viennoises 2G6
77. A Kloster-Neuburg 271
78. Vignette de Harbûrger 277
79. Un KafTeekrœnzchen 280
80. Café de dames 281
81 . A la confiserie 282
82. Vieilles filles prenant leur café 283
83. Le cercle des joueuses de quilles . . • 287
84. Vignette de Grogler 290
85. Délicatessen-Salon, dessin de Mars 300
86. Cocotte dansant le cancan 304
87. Le cancan allemand, d'après Lossow 307
88. Le cancan allemand, d'après Lossow 308