LAffaire Dreyfus
Criminelle machination
politique, religieuse, sociale
et administrative
PAR
B. NOURISSON
(ancien conducteur des ponts et chaussées, révoqué sous
méline)
LAUSANNE
IMPRIMERIE FRITZ RUEDI
1909
Dépôt légal effectué.
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L'AFFAIRE DREYFUS
ERRATA
Page 8, ligne 1, lire: commise à Paris, au lieu de commises à
Paris.
Page 19, ligne 6, lire : néanmoins au lieu de maintenant.
Page 22, ligne 26, lire : Révolution Française, au lieu de Révolu-
tion française.
Page 23, ligne 13, lire : Dogmes religieux au lieu de dogmes reli-
gieux.
Page 27, ligne 21, lire : saurait au lieu de serait.
Page 36, ligne 8, lire : leurs dossiers au lieu de leur dossier.
» ligne 23, lire : toute communication au lieu de toutes
comm unica tions.
Page 41, ligne 12, lire : 19 septembre 1906, au lieu de 17 septem-
bre 1906.
Page 42, ligne 11, lire: Vérité au lieu de vérité.
Page 54, ligne 7, lire : en septembre et octobre ? ? au lieu de fin
septembre ??
Page 56, ligne 29, lire : (29 décembre 1897), au lieu de (30 décem-
bre 1897).
Page 66, ligne 8, lire : pétitions, au lieu de expéditions.
Page 70, ligne 14, lire : affaire là au lieu de affaire-là.
Page 81, ligne 13, lire : 41 km. et 41 k. 400, au lieu de 4 km. et
4 k. 400.
Page 83, ligne 27, supprimer: et de son tâcheron Etaix.
Page 116, ligne 3, lire : pénitent au lieu de pénitant
Page 119, ligne 7, lire : auvergnat au lieu de Auvergnat.
Page 132, ligne 20, lire : clermontois au lieu de Cfermontois.
Page 170, ligne 17, lire : Vévèque au lieu de Pêvêque.
Page 178, ligne 6, lire : l'épiscopat français se réunit au lieu de
se réunissait.
Page 182, ligne 6, lire: en 1894-95, au lieu de en 1894.
Page 183, ligne 1, lire : mourut au lieu de mourait.
Page 188, ligne 16, lire : demanda au lieu de demandait.
Page 192, ligne 8, lire : mourut au lieu de mourait
LAffaire Dreyfus
Criminelle machination
politique, religieuse, sociale
et administrative
PAR
B. NOURISSON
(ANCIEN conducteur des ponts et chaussées, révoqué sous
MÉLINE)
LAUSANNE
IMPRIMERIE FRITZ RUEDI
1909
PRÉFACE
J'ai écrit ce livre principalement pour le ci-
toyen français ou étranger qui, tourmenté d'un peu
plus de vérité et de lumière dans l'Affaire Dreyfus,
voudra se documenter sur des points importants qui
sont restés jusqu'à ce jour complètement ignorés du
public.
Je l'ai écrit encore pour le sociologue qui y trou-
vera la trame du plus monstrueux crime contemporain
qui ait été prémédité et en partie réalisé contre la Dé-
mocratie laborieuse en marche vers le progrès social,
car l'histoire de l'Affaire Dreyfus telle que l'ont écrite
au jour le jour ou autrement quelques journalistes et
écrivains français, M. J. Reinach notamment, n'est pas
la vraie et complète histoire de c^tte Affaire.
La prétendue erreur judico-militaire, telle qu'elle a
été officiellement tambourinée par la presse à grands
tirages et par les Pouvoirs Publics, n'est pas une er-
reur, mais bien une criminelle machination ; et nos di-
rigeants, journalistes, législateurs et ministres, se trom-
pent ou mentent, mentent plutôt qu'ils ne se trompent,
quand ils la baptisent ainsi.
Je confesse ici ma parfaite naïveté pour avoir
ajouté trop de confiance en eux en général et à la
franc-maçonnerie en particulier, dans l'amour que je
— 4 — ,
leur croyais avoir pour la poursuite et la manifestation
intégrale de la Vérité sur cet événement historique ; je
parle des républicains se disant sincèrement laïques et
démocrates, car les autres étaient et sont toujours dans
leur rôle habituel de comploteurs de coups d'Etat, de
fauteurs de guerres civiles, religieuses et étrangères.
C'est pénible à avouer, mais j'ai la conviction grande
que l'Histoire internationale le dira bientôt avec moi,
si ce n'est déjà fait, et m'en saura gré. Ce sera un peu
de récompense pour moi qui ai tout perdu dans cette
sinistre aventure : mon repos, mes faibles ressources,
ma modeste situation de conducteur des ponts et chaus-
sées, mon avenir et le meilleur de ma vie de 30 à 50
ans, sans compter ce que me réserve l'avenir !
J'ai dévoilé cette criminelle machination politico-
sociale pour la première fois à Clermont-Ferrand, en
1894-95, ainsi que je l'expose dans le présent ouvrage ;
et, comme à l'âne de la fable^ on me l'a fait payer cher !
J'ai indiqué à cette époque, contre cette souter-
raine mine dirigée contre la Démocratie républicaine et
laïque, le plan d'une contre-mine comprenant l'inter-
vention révolutionnaire d'Emile Zola, que l'on a as-
sassiné dans les circonstances et pour les raisons que
je fais connaître plus loin.
Ayant fait cela et bien d'autres choses encore et
m'étant absolument dévoué pour cette œuvre de Jus-
tice et de Vérité, dans l'unique intérêt de la paix de
l'Europe et la sauvegarde de la République, pouvais-je
ne point parler parce qu'il a plu aux personnages que
je viens de stigmatiser de se taire ?
Je ne l'ai pas cru.
Dans tous les cas, je veux que l'on sache bien que
je me désolidarise complètement avec eux : qu'ils me
traitent de Prussien et d'antipatriote si cela sert leurs
nouvelles et toujours malhonnêtes intrigues, je m'y
attends.
Et si je me trompe ou m'exprime mal quelque part,
je ne demande qu'à confesser mon erreur, du sommet
de la Tour Eiffel si on le désire, à la condition que
les criminels et les faussaires en fassent autant de tous
leurs forfaits, ce qui sera long, difficile et infiniment
plus pénible pour eux que pour moi : j'en ai la cer-
titude.
J'ai honte pour nos gouvernants et nos hommes
d'Etat se disant républicains, qui n'ont pas fait toute
la lumière, non pas pour n'avoir pas su trouver la
voie à suivre, mais pour n'avoir pas voulu s'y enga-
ger, car ils ont parfaitement su escamoter la Vérité en
l'entourant d'un « cercle légal », accompagné de toutes
sortes d'amnisties plus scélérates les unes que les au-
tres !
Ils n'ont pas voulu avouer la grande part de com-
plicité de l'Armée dans ce complot de coup d'Etat et
de guerre étrangère, afin de ne point se trouver dans
l'obligation den châtier les principaux coupables.
Ils n'ont pas voulu avouer que l'Affaire Dreyfus
est tout particulièrement greffée sur mes affaires admi-
nistratives et ma révocation de conducteur des ponts
et chaussées, pour ne point en faire connaître les mo-
tifs, les complicités, et, conséquemment, me rendre jus-
tice.
L'Homme au Panama étant à l'Elysée et le général
André étant à la Guerre, ils n'ont pas voulu laisser
connaître les relations existant entre le panamisme ha-
bituel de nos administrations et l'Affaire Dreyfus, afin
de n'être point obligés d'introduire un peu de mora-
lité et de propreté dans nos travaux et dépenses publi-
ques. Tout le monde connaît les scandaleuses malver-
sations de la Marine et de l'Armée, mais ce que l'on ne
— 6 —
sait pas suffisamment, c'est que les ponts et chaussées
et la vicinalité n'en valent pas mieux !
Ils n'ont pas voulu avouer la part de complicité
de l'Eglise (celle de la croisade moderne clermontoise
en 1895) et ont menti sur les véritables causes de la
Séparation, afin d'en escamoter les conséquences poli-
tiques et sociales. Il en est de même de la haute finance
dont ils n'ont pas voulu démasquer le rôle et la com-
plicité dans la préparation du coup d'Etat et de la
guerre, afin de ne point attirer sur elle les justes re-
présailles de la Démocratie en colère.
Le Peuple français, sachant suffisamment tout cela,
a laissé faire sans broncher, alors qu'il a fait révolu-
tions sur révolutions, alors qu'il s'est battu et a vaincu
pour la Liberté sur les champs de batailles !
Franchement, nous sommes des dégénérés indignes
de nos ancêtres !
Nous relèverons-nous ?
Peut-être : par la Libre Pensée et la morale scien-
tifique, naturelle et évolutionniste. C'est ce qui nous
retiendra sur la pente du précipice, et la France des
Droits de l'Homme et du Citoyen pourra de nouveau,
sans faiblesse et sans forfanterie, tendre sa fraternelle
main aux autres Nations éprises comme elle de pro-
grès social et de liberté !
Juillet 1909.
NOTA. — Je n'ai jamais cru à la sincérité du gé-
néral André dans le rôle qu'il a joué au sujet de la
revision du procès de Rennes ; son principal objectif
a été, à mes yeux, de cacher la grande part de com-
plicité de l'Armée d'abord, dans le complot du coup
d'Etat, mais aussi et surtout, celle de ses « chers ca-
marades» polytechniciens civils et militaires. Je suis
porté à croire qu'il a été fait Ministre de la Guerre des
cabinets Waldeck-Rousseau et Combes pour cette uni-
que raison, et on me comprendra facilement quand on
aura lu les graves déclarations que je rapporte plus
loin de l'ingénieur polytechnicien Boutteville, mon an-
cien chef. On se rendra compte en même temps com-
ment et pourquoi mes affaires administratives sont si
étroitement mêlées à l'Affaire Dreyfus.
N'a-t-il pas écrit, ce général, dans le journal le
« Matin » , du 20 août 1906, alors que j'étais à Lau-
sanne depuis peu, qu'il avait été « heureux que la tâche
de faire la revision du procès de Rennes lui ait
été dévolue au lieu et place d'un Ministre civil de
la Guerre » ? Je le crois sans peine et je me demande
pourquoi, dans le n° du 17 août précédent du même
journal, désire-t-il ardemment le portefeuille de la
Guerre pour M. Clemenceau ? Le savait-il compromis
du côté polytechnicien et à mon endroit ? C'est bien
possible, et je pense que si M. Bacconnet, notaire à
Giat (Puy-de-Dôme), voulait faire sa confession, il
pourrait peut-être répondre à cette question ; car c'est
lui seul qui me servit d'intermédiaire en 1894-95,
à Clermont-Ferrand, au sujet de l'Affaire Dreyfus. (1)
1) Le présent ouvrage et sa préface étaient écrits avant la chute du
cabinet Clemenceau, survenue le 20 juillet 1909.
CHAPITRE PREMIER
in
La tentative d'assassinat commises à Paris, le 4
juin 1908, sur la personne du commandant Alfred
Dreyfus par un journaliste clérico-militariste de mar-
que, Louis- Anselme Gregori, à la fin de la cérémo-
nie de translation des cendres d'Emile Zola au Pan-
théon, m'incite à donner dès maintenant la publicité à
un certain nombre de documents et renseignements re-
latant, dans une certaine mesure, le rôle que j'ai joué,
à la fois volontairement et involontairement, dans l'Af-
faire Dreyfus.
J'ai assisté, navré et impuissant, à un trop grand
nombre de catastrophes, de morts promptes ou assas-
sinats de personnalités compromises ou que je pressens
être compromises, tant dans mes affaires politico-ad-
ministratives que dans celles de Dreyfus, ce qui est
tout un, pour que je puisse garder le silence plus
longtemps.
Trop de fois, je me suis adressé en vain aux Pou-
voirs Publics, pour qu'il me soit possible de douter de
leur parfaite mauvaise volonté à l'endroit de la mani-
festation au grand jour de la Vérité intégrale dans
V Affaire Dreyfus.
(1) Ce chapitre aurait dû être livré à la publicité depuis un an envi-
ron, des considérations qui ne peuvent trouver place ici m'en ont env
péché.
— 9 —
Un trop grand nombre de nos hommes politiques
et de nos hauts fonctionnaires civils et militaires ap-
partenant à toutes les nuances de l'opinion, depuis le
réactionnaire le plus féroce jusqu'au socialiste révolu-
tionnaire, sont malheureusement trop compromis et re-
doutent comme la peste les conséquences politiques et
sociales de la manifestation entière de toute la Vérité
dans l'Affaire Dreyfus, pour qu'il soit permis d'atten-
dre quelque effort, quelque chose de bon de leur part. (1)
La franc-maçonnerie elle-même, qui affiche pourtant
un certain civisme républicain en même temps que la pra-
tique de la tolérance philosophique, et à qui j'avais tout
particulièrement recommandé de s'adresser en 1895 pour
démasquer les criminels du complot de coup d'Etat et
de guerre étrangère, me laisse la pénible impression
d'une organisation pratiquant admirablement, depuis
plusieurs années, la tolérance du mensonge et de l'é-
teignoir ; elle est paralysée, sans nul doute, par les
compromissions d'un grand nombre de ses « manitous »
qu'elle ne saurait sacrifier. Tout comme l'Eglise en sa
Jeanne d'Arc, elle s'embourbe profondément à son
tour avec M. Clemenceau, dans je ne sais quel milita-
risme don-quichottisme qui n'a rien de commun avec les
nécessités de la défense nationale ; si j'avais conservé
quelque croyance au grand pourvoyeur de l'infernale
chaudière des anciens et des modernes, je m'écrirais
volontiers : que le diable l'emporte !
Je m'adresse donc au grand public aujourd'hui,
principalement aux pacifistes intelligents et honnêtes de
tous les pays, amis de la paix internationale et d'un
peu plus de vérité sur ce sombre drame qui a déjà eu
tant de répercussion sur nos affaires privées et publi-
(1) A moins que la reprise amicale récemment décidée des relations
maçonniques franco-allemandes modifie suffisamment la situation ?
— 10-
ques, et dont le contre-coup s'est fait sentir au-delà de
nos frontières.
Je préviens le lecteur que je me trouve dans l'o-
bligation de parler beaucoup de mes affaires adminis-
tratives qui, à ma connaissance, sont intimement liées
à l'Affaire Dreyfus depuis sa toute première origine,
si étourdissant que cela puisse paraître; et j'ajoute que
la publication du présent ouvrage est considérée par
moi comme une obligation morale d'un ordre supé-
rieur, en même temps qu'une œuvre de vérité et de
haute sincérité.
Je me sépare complètement de tous les partisans de
l'éteignoir quel qu'il soit, politique, religieux, patrioti-
que ou non : la Vérité avant tout, qui du reste ne sau-
rait être funeste ni à la France ni à la vraie Républi-
que laïque et démocratique, ainsi qu'à son rôle social
et civilisateur dans le Monde.
Je me sépare de même de tout le personnel des
deux administrations de la vicinalité et des ponts et
chaussées auxquelles j'ai appartenu, en raison des gra-
ves relations se rattachant à mes affaires politico-admi-
nistratives et à la criminelle machination de l'Affaire
Dreyfus.
Je me sépare enfin et pour les mêmes raisons des
quelques personnalités clermontoises et des environs
avec lesquelles je me suis trouvé en relations en 1894-
1895 et dont je parle plus loin.
Enfin, je dois ajouter qu'il est une autre considéra-
tion que celle de l'attentat commis sur la personne du
commandant Alfred Dreyfus, qui m'invite à porter à
la connaissance du public certaines choses touchant à
la conduite de M. Clemenceau, chef responsable de
notre Gouvernement actuel.
En effet, dans un discours superbe comme il en a
le secret, inspiré à la fois du plus beau en même temps
— 11 —
que du plus pur hellénisme, cet homme politique nous
a entretenus du « miracle grec » à Amiens, vers la fin
de 1907. Je demande la permission ici de lui dire,
avec infiniment moins de talent que lui, mais au-
tant de raison, je crois, quelques mots à mon tour du
« miracle républicain » ; miracle accompli ou plutôt qui
aurait dû s'accomplir entièrement par la connaissance
complète de l'Affaire Dreyfus, si l'avachissement du
Parlement et la vénalité de la presse des tripatouilleurs
d'affaires, grands corrupteurs de la moralité et de la
saine raison publique, ne s'étaient pas mis en travers.
Car M. Clemenceau ne se souvient pas assez, à
mon avis, de cette Affaire Dreyfus, de ses tenants et
aboutissants et de ses conséquences sur notre politique,
surtout depuis qu'il est premier Ministre.
Il ne se rappelle plus, dirait-on, des relations, pas
très lointaines pourtant et au château de pont-char-
train, chez Dreyfus-Gonzulès, de cette paire d'amis qui
travaillaient d'un commun accord, paraît-il, (l'amnis-
tie scélérate notamment nous a édifiés sur ce point) au
triomphe intégral de la Justice, de la Vérité et de la
République laïque. J'ai nommé, d'une part : M. Wal-
deck-Rousseau qui devait finalement s'éteindre dans les
bras de l'Eglise, et de l'autre, cet « homme de Dieu »
selon la propre expression de M. Clemenceau, avanta-
geusement connu du public sous le vocable de R.P.
du Lac.
Et qu'a donc dit notre premier Ministre, à Amiens ?
Ceci :
Une nation, quelle qu'elle soit et quelle que soit la
puissance d'expansion dans le monde de son génie,
dans les arts et dans les sciences, ne doit jamais dé-
tourner son clair regard de la Minerve casquée et cui-
rassée. C'est pour avoir oublié cette vérité primordiale,
affirme-Wl, que la Grèce antique ne se trouva un beau
— 12 —
jour plus maîtresse de ses destinées, parce que la force
brutale de ses voisins qu'elle n'avait ni su ni pu re-
pousser lui fit perdre son indépendance et éteignit con-
séquemment en elle le foyer sacré de la civilisation
dont la nature semblait lui avoir confié la garde. La
France héritière de la beauté hellénique ne doit pas l'i-
miter, etc., etc.
'Et pour donner plus de force et de signification
encore à ce patriotique et ministériel discours, il fut,
peu après, distribué aux élèves des écoles primaires de
Paris, réunis en une fête présidée par M. Guyot-Des-
saigne, Ministre de la Justice et délégué du Gouverne-
ment, lequel devait bientôt s'éteindre subitement dans
les bras de l'Eglise, tout comme M. Waldeck-Rous-
seau !
Quel est le citoyen français clairvoyant et conscien-
cieux qui a dit le contraire !
Quel est le républicain qui consentirait à laisser
nos frontières sans défense et à livrer la France, ses
institutions et sa destinée aux appétits de ses voisins !
La question ne se pose pas ainsi, n'en déplaise à
M. Clemenceau, et si, personnellement, j'ai fait tout ce
que j'ai pu et su faire dans ma modeste sphère d'ac-
tion pour éviter la guerre civile et étrangère dont l'Af-
faire Dreyfus était le tison, c'est que j'ai très bien
compris en 1894-95, que ce projet de coup d'Etat et
de guerre était avant tout dirigé tout aussi bien contre
le prolétariat allemand que contre le nôtre ; c'est-à-dire
contre la montée toujours croissante des revendications
sociales, économiques et de laïcité de la laborieuse Dé-
mocratie de ces deux pays.
Il ne s'agissait nullement de pousser la France
sur l'Allemagne en tant que nationalité, mais bien de
faire écraser l'une contre l'autre leurs armées de tra-
— 13 —
vailleurs manuels et intellectuels au profit de l'Eglise
d'abord et des tenants du gros capitalisme ensuite.
Voilà pourquoi je me suis dévoué, moi, petit pay-
san ; je le dis respectueusement à M. Clemenceau. Et
voilà pourquoi, aussi, on m'a martyrisé !
11 a écrit quelque part qu'il avait sursauté à la
nouvelle que le R. P. du Lac disait ne s'être jamais oc-
cupé de l'Affaire Dreyfus, pas même en compagnie du
général de Boisdeffre, alors chef d'Etat- Major de l'Ar-
mée. J'ai vivement sursauté à mon tour lorsqu'il nous
a dit, sans broncher, dans sa déclaration ministérielle,
« qu'à aucun moment de son histoire, notre troisième
République n'avait menacé la paix de l'Europe », pas
même, paraît-il, sous le règne de ces illustres républi-
cains qui se nomment : Mercier, Félix Faure, de
Boisdeffre, Cavaignac^ Méline et Cie.
C'est tout simplement monstrueux, une honte pour
lui, pour le Parlement qui l'a approuvé comme pour
le pays tout entier qui n'a pas protesté. Car, à défaut
de moralité politique, il aurait dû se souvenir tout au
moins que les républicains consciencieux et honnêtes,
ainsi que les étrangers qui savent, ne sont point at-
teints d'amnésie incurable et n'entendent pas être trai-
tés comme de parfaits imbéciles, pas même par M. Cle-
menceau.
11 n'est malheureusement que trop vrai que l'Af-
faire Dreyfus et le nationalisme clérical qui l'enveloppe,
imaginés et survenus après le boulangisme et « l'esprit
nouveau » qui avaient échoués dans leurs entreprises,
n'ont été qu'une formidable machine de guerre (la plus
dangereuse de toutes) contre la Démocratie et la paix
de l'Europe ; le nier, c'est nier l'évidence même, la lu-
mière en plein soleil. Aussi je n'entends point, pour
mon compte personnel, sombrer dans un pareil men-
songe, libre à M. Clemenceau et à ses amis, un peu
— 14 —
trop militaristes peut-être, d'emboucher cette trompette
fêlée ; mon patriotisme à moi n'a rien de commun
avec le faux et l'éteignoir, seraient-ils étiquetés républi-
cains.
Je suis d'autant plus fondé à soutenir cette argu-
mentation que, malheureusement pour moi, il est bien
vrai que j'ai joué un rôle dans l'Affaire Dreyfus, rôle
exceptionnel même, ainsi qu'on le verra plus loin, rôle
que les différents Pouvoirs Publics qui se sont suc-
cédé depuis 1894 n'ont jamais voulu avouer ! On a
préféré me torturer moralement et aussi secrètement que
jésuitiquement, un peu comme on l'a fait pour Drey-
fus, et ainsi que cela se pratique généralement en pa-
reil cas, bien que la torture inquisitoriale soit appa-
remment supprimée à notre époque : la puissance du
mensonge et du faux, du vol et du crime est encore
trop grande de nos jours dits de grand progrès tech-
nique et intellectuel, alors que notre vernis de civilisa-
tion républicaine et pacifiste est trop mince.
Aussi, quelques jours après l'arrêt de la Cour de
cassation rendu sur l'affaire Dreyfus en juillet 1906, je
pris la résolution d'aller demander pour mes vieux
jours l'hospitalité à la Suisse, pour les raisons que
j'ai très sommairement exposées dans le journal dit
«Feuille d'Avis de Lausanne», du 19 septembre 1906,
que je reproduis ci-après :
« Affaire Dreyfus. — J'ai déjà dit dans ce journal
que des raisons graves relatives à l'Affaire Dreyfus
me poussaient à quitter la France ; j'espère pouvoir
bientôt, grâce au concours de quelques bons citoyens
de Lausanne et d'ailleurs, faire connaître ces raisons
au public sous la forme d'un livre ; j'emploie ce moyen
en raison de ce que je n'ai pas été autorisé, malgré
mes demandes, à déposer devant la Justice de mon
pays sur cette monstruosité. J'ai dévoilé en effet la
— 15 —
dite monstruosité dès 1894-95, à Clermont-Ferrand, avec
intervention éventuelle et accusatrice d'Emile Zola, si
stupéfiant que cela puisse paraître, non comme une er-
reur judico-militaire, ainsi que cela a été officiellement
déclaré du haut du fauteuil présidentiel du Sénat fran-
çais, mais bien comme une abominable machination
contre le progrès républicain laïque et démocratique,
par le moyen d'un coup d'Etat et d'une épouvantable
saignée entre la France et l'Allemagne comme le monde
n'en a encore jamais vue. Je vais me consacrer à ce
travail, toute autre affaire cessante. — B. Nourisson,
26, Maupas, à Lausanne. »
Aussitôt la note ci-dessus parue, je pris mes dispo-
sitions pour la rédaction du livre annoncé, ce qui
m'obligea à réintégrer mon domicile de Pèghes, en
France, pour quelque temps. Je ne suis revenu provi-
soirement chez moi que pour de simples raisons d'éco-
nomie, et j'espère repartir aussitôt que mon manuscrit
sera terminé ou sur le point de l'être. Le malheur est
que ce travail me prend beaucoup plus de temps que
je ne l'avais supposé en quittant Lausanne ; je le fais
par pure obligation morale et sans savoir s'il sera édité
de mon vivant, voire même porté à la connaissance du
public un jour. La force qui me pousse et me guide
dans tout cela est que, m'étant sacrifié à cette oeuvre
républicaine de Justice, de Vérité et de Laïcité, depuis
le jour où j'eus connaissance du complot en 1894, je
ne veux pas, parce que je ne le crois ni honnête ni
profitable à l'Humanité, risquer de descendre dans la
tombe sans avoir mis survie papier tout au moins,
quand, comment, en quels lieux et de quelle manière
je suis parvenu à déchiffrer l'énigme de cette machina-
tion de coup d'Etat et de guerre étrangère. Je pense
aussi qu'il n'est pas mauvais de mettre quelque peu
en lumière le long calvaire que l'on m'a fait gravir
— 16 —
depuis cette époque, car l'Affaire Dreyfus, greffée sur
mes affaires administratives, m'a littéralement broyé,
non pendant cinq ans de ma vie comme le capi-
taine Dreyfus l'a écrit pour lui-même dans son livre,
mais pendant près de vingt ans. Et si nos souffrances
imméritées de l'un et de l'autre étaient susceptibles d'être
évaluées à l'aide de quelque dynamomètre perfectionné,
il n'est pas démontré que les miennes ne fussent de
beaucoup supérieures aux siennes. Dans tous les cas,
lui avait une grande fortune à son service, sa femme,
sa famille et de nombreux amis dévoués et de valeur
pour le soutenir ; il en a été tout autrement pour moi,
car l'un de mes plus cruels adversaires, trompée bien
entendu comme seule l'infâme jésuitière rouge et noire
sait le pratiquer, a été ma vieille et maladive mère qui
vivait avec moi : elle a été ma « double boucle » en
quelque sorte, et j'en suis sorti absolument écrasé !
C'est à Clermont-Ferrand et à Royat, station bal-
néaire voisine, que sont parvenues à ma connaissance
les premières et très importantes indications du complot
et de guerre étrangère, dans le courant des années 1894
et 1895, ainsi qu'on le lira plus loin.
C'est à Clermont-Ferrand également que d'autres
faits excessivement graves s'accomplirent parfois au
grand jour et en plein public, sous l'œil complaisant
du Gouvernement et de nos représentants locaux soi-
disant républicains en général et de notre vieux « bo-
naparteux » Guyot-Dessaigne en particulier.
Qu'en pense son ministériel patron, M. Clemenceau,
qui y vint discourir en 1907 à l'occasion de la fête
interfédérale des sociétés de gymnastique ?
Les enfants de la loge de Gergovie ne lui ont-ils
donc rien dit ?
M. Marrou, président de cette loge et aujourd'hui
député de Clermont, ne lui a-t-il donc jamais parlé de
— 17 —
certaine déclaration de guerre formelle, ostensible et
publique, faite à la République et à l'esprit de la Ré-
volution, à la fois par un moine et un évêque parlant
au nom de l'Eglise et de la Papauté ?
Cette déclaration de guerre ne fut-elle donc pas
voulue et approuvée par la majorité de l'épiscopat
français qui s'y donna rendez-vous en mai 1895, sur
l'apparente initiative de l'évêque clermontois Belmont
et sous le fallacieux prétexte de fêter le huitième cente-
naire de la première croisade prêchée dans cette ville
par le moine Pierre l'Ermite ?
M. Guyot-Dessaigne, député du Puy-de-Dôme, ne
présida-t-il pas, en réponse à celle des évêques, au mois
d'août suivant et dans cette même ville, une contre-ma-
nifestation à laquelle je pris part ?
Le Gouvernement de l'époque, présidé par M. Ri-
bot, M. Leygues étant Ministre de l'Intérieur, ne sut-il
donc rien ?
Si il sut, laissa faire, poussa à la roue même, et
M. Clemenceau ne l'ignore pas.
Alors?
Alors l'aventure est compliquée, très compliquée et
englobe l'Affaire Dreyfus que nos grands hommes
d'Etat du maçonnique comme du profane (Dupuy, Fé-
lix Faure, Loubet, Waldeck et Cie) ont étranglée et
escamotée après l'avoir baptisée « erreur judiciaire » :
ce n'est pas élogieux pour eux, évidemment, mais je
n'en suis point la cause, au contraire !
J'ai dit plus haut que la rédaction de mon ouvrage
me prenant beaucoup de temps, je ne suis pas sûr
d'en voir la publication, quelque obstacle aussi im-
prévu qu'infranchissable peut se mettre en travers.
C'est cette idée qui, fortement renforcée par la conduite
de M. Clemenceau et la récente translation des cendres
d'Emile Zola au Panthéon, m'a poussé à jeter provisoi-
2
— 18 — .
rement sur le papier les éléments du présent ouvrage.
Je ne fais qu'effleurer, de ci, de là, quelques points se
rattachant à l'ensemble du tout, mais assez néanmoins
pour donner une idée suffisamment exacte de mon tra-
vail. De telle sorte que s'il ne m'est pas possible de
terminer entièrement cette œuvre (personne n'étant as-
suré du lendemain), j'aurais du moins accompli une
part de mon obligation morale, c'est-à-dire tout ce que
de consciencieux citoyens, à quelque nationalité qu'ils
appartiennent, sont en droit d'exiger de ma bonne vo-
lonté et de mon dévouement.
Je vais dire quelques mots maintenant, au chapitre
suivant, sur le rôle que j'ai rempli à Genève en 1902.
CHAPITRE II
Il me faudrait tout d'abord reproduire entièrement
ici le mémoire que j'ai apporté au Congrès internatio-
nal de la Libre Pensée tenu à Genève en 1902, lequel
doit se trouver actuellement au secrétariat général
à Bruxelles, mais sa longueur s'y oppose pour le ca-
dre de ce livre ; en voici maintenant quelques extraits :
Après avoir parlé du banquet d'honneur offert à
Paris au grand savant M. Marcelin Berthelot, le 5
avril 1895 (1), en vue de protester contre la prétendue
et tintamaresque « banqueroute de la science » formu-
lée par ce vaticanesque porte parole Brunetière (2), je
cite quelques noms des notabilités du savoir et de la
politique qui y prirent part. Je termine cette énuméra-
tion par le3 noms de MM. Brisson et Emile Zola(l), en
ajoutant que « ces deux derniers ont une place mar-
quée dans ma pensée, en raison de certaines considéra-
tions relatives à l'Affaire Dreyfus qui sont quelque peu
abordées plus loin dans ce mémoire... »
Reproduisant à la suite quelques passages de la
lettre pastorale du carême de 1895, de l'évêque Bel-
mont à Clermont-Ferrand, l'un des principaux organi-
(1) J'émettrai, au chapitre VIII, quelques réflexions sur la mort de
MM. Berthelot et Emile Zola.
(2) Le journal Le Moniteur du Puy-de-Dôme, du 23 février 1895,
a publié une chronique sous ma signature, où je proteste contre l'opi-
nion de M. Brunetière accusant la science d'avoir fait banqueroute.
— 20 —
sateurs de la croisade moderne qui se déroula cette
même année dans cette ville, j'ajoute ceci : « A ce mo-
ment, la presque totalité des citoyens français ignoraient
encore que la criminelle condamnation du capitaine
Dreyfus était une machine de guerre dirigée contre eux
et que l'assaut depuis longtemps préparé contre la Ré-
publique venait de sonner, M. Ribot étant chef respon-
sable du Gouvernement. »
Parlant plus loin du monument du pape Urbain II,
érigé à Clermont-Ferrand, je dis encore ce qui suit :
« J'ajoute que ce remarquable monument fut inauguré
en grande pompe lors de la formation du Gouverne-
ment Brisson-Bourgeois, comprenant aussi Cavaignac-
rasoir, le 26 juin 1898 : l'Eglise se complaît aux sug-
gestives coïncidences !
« Il aura, le Gouvernement de M. Brisson, une belle
page dans l'Histoire, grâce à son chef principalement,
pour avoir lutté à une heure et dans des circonstances
exceptionnellement difficiles ; et surtout pour avoir lar-
gement contribué à faire éclater la lumière dans cette
terrible Affaire Dreyfus. Par son attitude courageuse,
il a évité l'horreur de la guerre civile et religieuse à
mon pays... Il a sauvé la République et, comme con-
séquence inévitable en pareille affaire : la paix de l'Eu-
rope ! Le nom de M. Brisson sera gravé en lettres
d'or sur les tablettes de l'Histoire, à côté de ceux des
bienfaiteurs de l'Humanité... »
A la suite, je dis un mot du dossier intitulé :
« Origine de l'Affaire Dreyfus et révocation de M.
Nourisson, conducteur des ponts et chaussées », dos-
sier remis par moi-même à M. François (1), secrétaire
(1) M. François n'a jamais, dans la suite, répondu à mes lettres et ne
m'a pas remis, malgré sa promesse et mes demandes écrites, une col-
lection de journaux communiquée le même jour à titre de renseigne-
ments complémentaires.
— 21 —
général de la préfecture du Puy-de-Dôme, le 11 mai
1900, pour son grand chef, M. Waldeck-Rousseau,
alors premier Ministre.
Et plus loin, j'ajoute textuellement ceci : « Enfin j'ai
appris que cette affaire de fusion des services de voi-
rie (ponts et chaussées et vicinalité) fait indubitable-
ment partie de la colossale et criminelle machination de
l'Affaire Dreyfus contre la République démocratique et
rentre conséquemment dans le grand complot politico-
social qui a déjà fait tant de bruit ; MM. Mercier,
Cavaignac et autres polytechniciens complices sont pour
les ponts et chaussées, tandis que MM. Léon Bour-
geois, Guyot-Dessaigne et leurs amis, sont pour la vi-
cinalité. C'est ce qui explique le vote précipité de cette
fusion par la Chambre des députés en 1895, fusion im-
médiatement rejetée par le Séant (loi de finances). (1) »
Et plus loin encore, je poursuis mon mémoire
comme il suit : « J'ajoute d'autre part que l'affirma-
tion de cette vérité primordiale (la reconnaissance de
l'Evolution perpétuelle du monde organique et inorga-
nique) sera le Décret de mort signé à Genève en 1902,
par la Libre Pensée scientifique et mondiale, contre les
dogmes religieux en général, la congrégation et le pa-
pisme en particulier.
« Ce Décret, si longtemps attendu, arrivera du reste
à son heure et, personnellement, j'aurai la satisfaction
de le rapprocher d'une deuxième lettre (je venais de par-
ler d'une première lettre dans mon mémoire) écrite le
10 avril 1901, à ce même évêque de Clermont-Ferrand
(Mgr Belmont), où je me permets d'annoncer à son
Eglise que son règne touche à sa fin et cela dans les
(1) Les ingénieurs en chef des ponts et chaussées, résidant dans les
départements, visitèrent personnellement les sénateurs à leurs domi-
ciles, pour les engager à rejeter cette fusion.
— 22 —
termes suivants : «... Cette monstrueuse Affaire (l'Af-
« faire Dreyfus) sera l'origine d'une Ere nouvelle, Ere
« de l'Humanité enfin, par opposition à celle des Dieux
« de sauvagerie et de torture, lorsque la France répu-
« blicaine des Droits de l'Homme et du Citoyen don-
« nera la première au monde l'exemple d'une organi-
sation sociale procédant de l'esprit scientifique en con-
tinuel développement, contre tout dogmatisme en gé-
néral et celui de votre Eglise en particulier, laquelle
recevra le châtiment qu'elle mérite pour toute la part
qui lui revient dans cet incommensurable crime de
« lèse-Humanité... »
Et, d'autre part, comme je fus chargé de rapporter
et de soutenir devant le Congrès la « Théorie générale
de l'Evolution et des dogmes religieux », je m'exprime
de la sorte dans un passage de mon rapport dont les
conclusions furent adoptées à l'unanimité : « Enfin, je
m'efforce de faire ressortir dans mon mémoire ce fait
considérable, bien qu'encore ignoré ou incompris du
grand public, à savoir que la gigantesque manifesta-
tion de l'épiscopat français, approuvée par Léon XIII,
qui eut lieu à Clermont-Ferrand en 1895, ne fut, avec
la criminelle machination de l'Affaire Dreyfus compli-
quée d'une question administrative, qu'une vaste et
souterraine entreprise contre les principes de la Révo-
lution française, la troisième République et la Pensée
Libre... »
Le lecteur doit se rendre compte déjà, par ce qui
précède, que dès 1900, 1901 et 1902, j'étais bien au cou-
rant des criminels dessous de l'Affaire Dreyfus, puis-
que, chose suffocante sans doute, j'en étais le dénon-
ciateur depuis 1895, à Clermont-Ferrand.
CHAPITRE III
Voici maintenant quelques extraits de ma « Note
sur l'Affaire Dreyfus », note autocopiée dont j'ai dis-
tribué les exemplaires à un certain nombre de membres
du Congrès international de la Libre Pensée, tenu à
Rome, en 1904 :
«... A Genève, en 1902, j'ai soutenu de mon mieux
mon mémoire sur le rationalisme en général et la cri'
minelle machination de l'Affaire Dreyfus en particulier,
crime intéressant non seulement la France, mais le
monde civilisé tout entier. J'y ai eu le très grand hon-
neur de rédiger et de faire adopter par le Congrès le
rapport sur la « Théorie générale de l'Evolution et les
dogmes religieux » ; j'ai profité de cet avantage pour
déclarer du haut de la tribune, aux représentants au-
torisés de la Libre Pensée mondiale, que cette Affaire
Dreyfus avait été non une erreur judico-militaire, comme
la presse française l'a répété à satiété, mais une crimi-
nelle machination politico-religieuse, compliquée d'une
question administrative pour laquelle on s'était servi de
ma modeste personne, de 1890 à 1898, comme sujet
d'expériences.
« Je désire donc faire connaître de nouveau à la Li-
bre Pensée du monde civilisé, en face du Vatican et de
la Papauté^ que je sais être indubitablement l'un des
principaux criminel et bénéficiaire éventuel de celte for»
midable machination, les quelques renseignements sui-
vants :
« 1° Le 12 mars 1904, j'ai fait recommander au bu-
reau de poste de Job (Puy-de-Dôme) une lettre accom-
— 24 —
pagnée d'une note autocopiée sur l'Affaire Dreyfus,
adressée à M. le président de la chambre criminelle
de la Cour de cassation, à Paris. J'ai expressément de-
mandé dans ma lettre à être entendu sur cette affaire :
pas de réponse jusqu'à ce jour ? ?
« 2° Le 31 du même mois, j'ai fait une communi-
cation semblable à M. le Ministre de la Justice, par
une lettre également recommandée au même bureau de
poste : pas de réponse non plus jusqu'à ce jour ? ?
«Je rappelle ici que j'ai remis, le 11 mai 1900, à
M. François, secrétaire général de la préfecture du Puy-
de-Dôme, un dossier rédigé par moi et intitulé : « Ori-
gine de l'Affaire Dreyfus et révocation de M. Nouris-
son, conducteur des ponts et chaussées ». Ce dossier
traite spécialement le côté de l'Affaire Dreyfus touchant
à la fusion projetée des services de voirie ; il fait res-
sortir en outre l'abus que l'on a fait de moi comme
sujet d'expériences tant comme agent-voyer de la vici-
n alité du Puy-de-Dôme, de 1890 à 1894, que comme
conducteur des ponts et chaussées dans la Loire, de
1895 à 1898. J'ajoute qu'en outre des renseignements
fournis aux Pouvoirs Publics français jusqu'à ce jour,
relativement à cette Affaire, // est absolument indispensable,
à mon avis, que je sois longuement entendu par la Justice.
« Et, d'autre part, je répète que c'est en novembre
1895 (1), étant en résidence à Clermont-Ferrand (Puy-
de-Dôme), qu'il m'a été possible de dénoncer pour la
première fois le côté politico-religieux de cette Affaire ;
et le 11 mai 1900 seulement que j'ai pu en faire con-
naître le côté administratif, par le dépôt du dossier re-
laté plus haut (2). Mais je m'empresse d'ajouter que le
(1) J'ai employé M. Bacconnet, notaire à Ciat, conseiller d'arrondis*
sèment, et lui seulement.
(2) Ce dossier fut communiqué tout d'abord à M. Montigny, sous-
préfet à Ambert, le 25 avril 1900.
— 25 —
10 juillet 1899, après avoir vu M. Etienne Charavay
le 7 (l'un des experts du fameux bordereau) je m'é-
tais assez longuement entretenu de l'ensemble de ce
complot à M. Adrien Duvand, franc-maçon et vice-pré-
sident de la Ligue française de l'enseignement, à son
domicile de la place Vintimille, à Paris. M. Duvand
me promit de s'employer de son mieux à la manifesta-
tion de la Vérité : j'ignore jusqu'à quel point il a tenu
parole.
« Quant à l'amnistie scélérate de M. Waldeck-Rous-
seau, auquel M. Duvand me donna confiance, le 10
juillet 1899, je proteste aujourd'hui contre elle avec
autant d'énergie que je l'ai fait dans mon mémoire ap-
porté au Congrès de Genève ; elle a, à mon avis, en-
travé la marche de la Vérité, sauvé du bagne les grands
criminels de l'Affaire, et, sous l'apparence de corriger
quelques moines, elle a tenté de sauver toutes les puis-
sances de réactions sociales ayant à leur tête le catho-
licisme romain. Je crois du reste pouvoir ajouter que
sous les gouvernements Dupuy (1) et Méline, MM.
Waldeck-Rousseau, sénateur, Audiffred et Krantz, dépu-
tés, ajoutés à d'autres personnalités encore, ne devaient
pas ignorer le véritable objectif de ce fameux complot con-
tre la République démocratique et la paix de l'Europe.»
(1) On se rappelle que c'est M. Dupuy, alors premier Ministre, qui
fit modifier, en 1893 ou 1894, la loi de renouvellement de la Chambre
des députés, en reportant de l'automne au printemps suivant la période
électorale. }'ai la conviction que cet homme politique, ami des ingénieurs
polytechniciens, fit cela en vue de faciliter le coup d'état projeté, afin
de faire concorder autant que possible les élections législatives de 1898
avec la période du confessionnal et des prédications des fêtes de Pâques,
qui exerçaient alors, et encore aujourd'hui, une grande action dans les
campagnes surtout. Aussi voulut-on en 1895, pour mieux me compro-
mettre évidemment, me faire réintégrer les ponts et chaussées dans la
Haute-Loire, son département. Je crois avoir parlé de cela, avec preuves
à l'appui, dans mon dossier remis à la préfecture du Puy-de-Dôme, le
11 mai 1900. J'ajoute que mon oncle Pélisson, dont je parle plus loin,
dans cet ouvrage, s'était adressé à lui à mon insu, par je ne sais quelle
voie (M. Barrière, sénateur, peut-être) au sujet de ma réintégration aux
ponts et chaussées en 1895.
CHAPITRE IV
Voici encore quelques extraits d'une autre Note au-
tocopiée, distribuée également par moi-même à un cer-
tain nombre de membres du Congrès international de
la Libre Pensée, qui eut lieu à Paris, en septembre
1905 ; elle commence ainsi :
« On sait que pour M. Méline, chef responsable
du Gouvernement, il n'y avait pas d' Affaire Dreyfus ;
moi, simple citoyen, je savais, depuis 1894-95, que les
coalisés de toutes les « calottes » avaient déjà choisi M.
Méline pour mener à bonne fin l'étranglement de la
République, grâce à l'Affaire Dreyfus. Je l'avais très
énergiquement fait connaître dès 1895, et sérieusement
recommandé de prendre toute mesure de sauvegarde
utile, intervention de M. Emile Zola comprise ».
Et plus loin, après avoir développé diverses consi-
dérations sur l'Affaire et affirmé de nouveau le con-
tenu de ma note du Congrès de Rome en 1904, je
poursuis de la façon suivante :
« Cette monstrueuse machination appartient à la der-
nière période d'organisation du projet de renversement
de la République par tous les moyens : guerre civile
et étrangère.
« La Papauté est l'un des principaux auteurs de
cette trop fameuse entreprise, ainsi que la congrégation
et un grand nombre de prélats français, ceux notam-
ment qui se réunirent à Clermont-Ferrand, en mai
1895, sous le fallacieux prétexte de fêter le huitième
centenaire de la première croisade prêchée dans cette
ville par le moine Pierre l'Ermite.
— 27 —
« Et, puisque malgré tous les documents déposés
par mes soins, malgré toutes les demandes faites que
les Gouvernements de MM. Waldeck-Rousseau, Com-
bes et Rouvier ne peuvent nier ; puisque, dis-je, il m'a
été impossible de compléter mes renseignements et d'être
entendu par la Justice de mon pays, contrairement à ce
qui, pourtant, a été accordé sans de bien grandes dif-
ficultés à d'autres personnes et particulièrement à M.
Csernuski, je vais prendre moi-même la permission, M.
Emile Zola étant mort empoisonné ou non, de formuler
publiquement de nouvelles affirmations, dans l'unique
intérêt de la Justice et de la Vérité :
« Le Syndicat ou Société des agents de change de
la bourse de Paris a été, lui aussi, concurremment
avec la Papauté et notre vaillante Armée de coup d'E-
tat, l'un des principaux auteurs du projet de renverse'
ment de la République.
« Je tiens essentiellement à faire cette déclaration
bien en face de cette bourse, en présence de la Libre
Pensée mondiale réunie en congrès dans cette ville.
« Et comme il ne serait être mauvais, je pense, de
préciser un peu, j'ajoute que les renseignements que je
possède à cet égard me permettent d'affirmer que l'en-
tente avec ce syndicat, ou ses principaux membres,, ne
s'est produite qu'après le mois de juillet 1894, c'est-à-
dire après mon départ de Pontaumur et mon arrivée à
Clermont-Ferrand. Il en est de même du fameux « bor-
dereau » gui n'a été écrit par Esterhazy et par ordre qu'a-
près cette date: je me rappelle très bien avoir parlé de
ce détail à M. Duvand, le 10 juillet 1899.
« Est-il besoin de donner encore d'autres renseigne-
ments que la Justice française, sourde comme un pot
en pareille matière, n'a pas voulu connaître ???
« En voici quelques-uns ; je donnerai en clair les
noms des personnages quand on voudra :
— 28 —
« Je venais de prendre congé de la vicinalité du
Puy-de-Dôme avec l'intention bien arrêtée! de ne plus
y rentrer et j'étais venu me réinstaller à Clermont-Fer-
rand avec ma mère, quand j'eus quelques jours après
la surprise de rencontrer M. X. (1) à proximité de
cette ville (2). Je me plaignis à lui de mes chefs MM.
Reynard et Faure, ainsi que de M. Guillot (israëlite,
m'avait-on dit), inspecteur général de la vicinalité qui,
à Riom, le 10 juin 1893, ne m'avait pas laissé parler
malgré ma demande. Je me plaignis de la mauvaise
organisation de cette vicinalité, ainsi que de l'infériorité
de son personnel en général. Je me plaignis des conti-
nuelles et systématiques malpropretés ou malversations
de ce service. Je me plaignis enfin de l'impossibilité
d'obtenir de M. Reynard, agent voyer d'arrondissement
à Riom, des réponses datées et signées à mes notes,
lettres et rapports (ce fonctionnaire m'avait déclaré, an-
térieurement à l'inspection, qu'il était fait une guerre
impitoyable aux adversaires de la vicinalité). J'ajoutai
que je ne savais pas ce que je ferais pour corriger tou-
tes les saletés de cette administration, hommes et cho-
ses. (En entrant dans ce service en 1890, M. le préfet
Bardon m'avait personnellement recommandé de mettre
de l'ordre dans mon nouveau service, qui en avait
d'autant plus besoin que mon prédécesseur, M. Chré-
(1) M. Boutteville, ingénieur des ponts et chaussées, mon ancien chef
à Clermont-Ferrand, de 1882 à 1889.
(2) A Royat, station balnéaire voisine. Cette rencontre fut « manigan-
cée» par MM. Boutteville et son beau-frère Chaussegros, ainsi que par
les architectes clermontois Ponchon et Méridier, au bureau desquels je
travaillais depuis quelques jours seulement. Ces deux derniers m'en-
voyèrent à la villa du « Roc », à Royat, appartenant à M. Chaussegros,
sous le prétexte mensonger de me faire lever le plan de cet immeuble
et de ses dépendances, en vue de l'édification d'une construction nou-
velle; en réalité pour me mettre en contact avec M. Boutteville qui y
était venu en villégiature de Mantes à mon insu pour m'y rencontrer.
M. Duron, entrepreneur, ainsi que ses ouvriers qui y travaillaient, doi'
vent s'en souvenir ? (Voir l'annotation de la page 31).
— 29 —
tien, l'avait négligé pour s'occuper de travaux parti-
culiers.)
« Réponse :
« Il n'y a rien à faire ; on le leur a dit et redit.
« Une affaire d'espionnage !
« Le général Mercier (stupéfaction).
« Il y en a un (un officier juif), à l'Etat-Major gé-
néral de l'Armée qui trahit pour le compte de l'Alle-
magne ; on le sait, mais on ne peut pas le pincer. Il
s'en va en congé tous les ans dans son pays en Al-
sace et il en profite pour trahir. C'est un officier de
valeur et intelligent, mais il n'est pas sympathique.
« Les espions se servent, pour leur correspondance,
d'un papier spécial mince, afin que leurs lettres n'at-
tirent pas l'attention à la poste par leur volume. On
se procurera de ce papier assez rare, puis on cher-
chera une écriture se rapprochant autant que possible de
la sienne (celle de cet officier juif à l'Etat-Major) et puis...
« La guerre avec l'Allemagne est inévitable ; il vaut
mieux attaquer que de se laisser attaquer, on sait mieux
ce que l'on fait.
« Après une grande guerre succède toujours une
période de grands travaux ; on a détruit, il faut re-
construire.
Il faut de l'argent, on le trouvera bien.
On vous a surveillé, vous, d'une façon toute spé-
ciale à Pontaumur ; on voulait savoir comment vous
agiriez dans ce service. On ne laissera pas maintenant
les choses comme ça, soyez en sûr.
« On est prêt pour la guerre avec l'Allemagne au-
tant qu'on puisse l'apprécier ; on y pénétrera par la
Suisse, c'est défendu, mais on le fera quand même.
« On n'aime pas la manière de faire des républi-
cains.
« Si la République dure encore quelques années, on
«
«
— 30 —
arrivera fatalement à l'impôt progressif sur le revenu ;
on ne veut pas ça, car avec ce système on ne sait pas
où Ton va.
« On peut beaucoup, beaucoup, vous verrez.
« Il y aura tellement de personnes compromises
qu'ils n'oseront pas.
« On tient comme il faut un certain nombre de dé-
putés et on aura bien raison de la majorité, il ne res-
tera plus ensuite que le Sénat qui cédera bien à son
tour(l). On sacrifiera une certaine somme pour cela,
mais il faut s'entendre avec les agents de change, chose
indispensable ; quant aux autres banquiers ce n'est pas
la même chose.
« Il y en aura pour vingt ans, après ce laps de
temps on trouvera bien autre chose pour contenir le
mouvement démocratique (le nom de M. Krantz fut
prononcé comme étant favorable à tout cela).
« Ça sera tellement bien fait (complot, coup d'Etat,
etc.), que si vous ne dites rien, ils ne le trouveront
jamais.
« On cherchera un homme pour le mettre à la tètQ
du mouvement.
« Quelques personnes seulement sauront cela et on
ne le dira pas, soyez-en convaincu.
« Vous, on vous surveillera de telle façon que vous
n'en échapperez pas (stupéfaction). Moins vous parle-
rez, mieux cela vaudra pour vous (nouvelle stupéfac-
tion).
« Ça viendra peu à peu, vous verrez ça, une fois
(1) Ainsi que je l'ai dit, cette note fut distribuée aux membres du
Congrès international de la Libre Pensée qui eut lieu à Paris en 1905 ;
quelques députés français en reçurent, M. Ferdinand Buisson notam-
ment, j'ai dans l'idée que l'exactitude du passage ci-dessus de cette
note ayant été reconnue, il ne fut peut-être pas étranger au vote à
l 'improviste et sans débat par ies Chambres du relèvement de l'in-
demnité parlementaire qui fut portée de 9 à 15,000 francs.
«
«
— 31 —
ceci, une autre fois cela (l'action antirépublicaine et le
coup d'Etat).
« Ils nous ont fait pas mal de canailleries (le prince
de Bismarck et le Gouvernement allemand : affaire
Schnœbelé, etc., etc.), on leur rendra la monnaie de
leur pièce.
Vous, que voulez-vous faire ?
Je veux chercher à gagner ma vie à Clermont-
Ferrand, dans la vie privée, tout en conservant mon
grade de conducteur des ponts et chaussées, si c'est
possible ; pour le moment, je m'occupe d'architecture
chez MM. A. et B. (1).
« Vous irez chez M. C. (1), ou bien vous réin-
tégrerez les ponts et chaussées (il m'offrit de magnifi-
ques avantages pour aller chez M. C), mais comme
cela entraînait ma démission immédiate de conducteur
des ponts et chaussées, il ajouta que plus tard il me fe-
rait bien rentrer dans l'administration comme il l'avait
déjà fait pour un autre.
« On peut beaucoup, beaucoup, répéta-t-il à plu-
sieurs reprises.
« A nous, il nous faut vos plus proches parents. (Stu-
péfaction. — J'ai su et cruellement expérimenté plus
tard que ma vieille mère était du nombre !)
« Connaissez-vous M. Despalaines ?
« Connaissez-vous M. Louis Taravant ?
« Connaissez-vous M. Demars ? (Je crus qu'il s'a-
gissait de M. Pierre Demars, qui avait été mon collè-
gue de travail à Ambert et à Clermont-Ferrand).
« Connaissez-vous les MM. Celeyron, banquiers, à
Ambert ?
(1) A représente M. Ponchon, fils de mon premier ingénieur à Am-
bert et architecte de la congrégation clermontoise « La Miséricorde » ;
B représente son associé, M. Méridier, également architecte et expert
de la même congrégation. Quant à C, il représente M. Chaussegros-
Clément, ingénieur-constructeur et beau-frère de M. Boutteville.
— 32 —
« Connaissez-vous M. Armilhon, à Ambert ?
« Connaissez-vous M. Pinchaud, architecte, à Cler-
mont-Ferrand ?
« Vous, vous avez les aptitudes des ingénieurs et,
en plus d'eux, vous savez mettre la main à la pâte.
« Actuellement nous n'avons personne au Ministère
de l'Intérieur, il faut que nous y mettions quelqu'un? »
Ce dernier alinéa, ainsi que les deux précédents
n'existent pas sur la note autocopiée distribuée au Con-
grès de Paris, en 1905, mais ils figurent, pour y avoir
été ajoutés à la main, dans celle qui fut adressée sous
pli recommandé A.R., à M. Clemenceau, Ministre de
l'Intérieur, le 29 mars 1906. Quant à la personne que
M. Boutteville et ses amis placèrent au Ministère de
l'Intérieur sous Méline, je me demande si cela ne fut
pas le Ministre de l'Intérieur lui-même, c'est-à-dire M.
Barthou, aujourd'hui redevenu Ministre des Travaux
Publics ?
« Je ne compris absolument rien à toutes ces ques-
tions, je n'étais nullement au courant du jeu des dos-
siers archi et ultra secrets des fonctionnaires ni des
canailleries qu'ils renferment. Quant au reste, je pris
M. X. pour un brasseur d'affaires et un hâbleur, comme
il m'en avait laissé l'impression dans d'autres circons-
tances et je pris congé de lui sous un prétexte quel-
conque ; mais je ne tardais pas à constater, ce qui
m'intrigua énormément, que la conduite de MM. A. et B.
était excessivement singulière à mon égard et qu'ils avaient
de fréquents et mystérieux entretiens avec MM. X. et
C. ? Comme je savais que MM. A. et B. étaient les
agents de la congrégation et de Pévêché de Clermont-
Ferrand, je voulus savoir ce qu'ils faisaient en cachette :
ils me répondirent qu'ils ne pouvaient pas me le
dire?? (1)
(1) C'est M. Ponchon qui me fit cette réponse.
— 33 —
« Quant à M. A., il me déclara à plusieurs repri-
ses qu'ils feraient, lui et son associé, de réels sacrifi-
ces pour « m'avoir »? ?
« Enfin, je m'aperçus qu'ils rusaient pour se rensei-
gner sur ma personne, mes aptitudes, ma famille et une
foule de choses, à tel point qu'ils me déconcertèrent
souvent ; je rusai à mon tour pour pénétrer leurs mys-
térieuses intrigues qu'ils ne « pouvaient pas me dire »,
et je finis par savoir beaucoup de choses excessive-
ment intéressantes, notemment ceci :
« Qu'il se tramait quelque affaire exceptionnelle-
ment grave que l'on me cachait rigoureusement.
« Que ma mère était acquise au parti de « toutes les
calottes» et que, le cas échéant, on s'en servirait con-
tre moi, avec le concours d'autres personnes au besoin,
parentes ou non. (Les événements ultérieurs, parfois
tragiques à mon domicile, ne me l'ont que trop dé-
montré.)
« Qu'il me serait fait une « guerre au couteau »
(menace de M. Méridier) avec révocation au besoin
(menace de M. Ponchon) dans le cas où, étant rede-
venu fonctionnaire, je me comporterais mal (lire répu-
blicainement) au cours d'une période électorale, par
exemple, sauf à me faire réintégrer après cette période.
(J'ai entendu tenir un langage analogue à cette même
époque, par mon oncle Pélisson, qui s'était déjà oc-
cupé de moi de 1890 à 1894, alors que j'étais employé
à la vicinalité du Puy-de-Dôme.) Il me fut demandé
par M. Ponchon si j'étais franc-maçon et si, ayant été
révoqué, mes ressources personnelles me permettraient
d'attendre d'une période électorale à une autre.
Enfin, j'appris ce qui suit, savoir :
Que des précautions toutes spéciales seraient pri-
ses pour le cas où je viendrais me réfugier ou simple-
«
«
— 34 —
ment en villégiature dans ma petite propriété de mon
village natal, à Pèghes ?...
« Qu'une grande démonstration de Pépiscopat fran-
çais (véritable déclaration de guerre à la République à
l'occasion de l'Affaire Dreyfus) se préparait activement
pour le printemps de l'année suivante à Clermont-Fer-
rand... »
Il faudrait évidemment citer toute la Note, mais elle
est trop longue et je me crois dans l'obligation de
m'arrêter ici pour passer à d'autres renseignements un
peu différents, bien que se rattachant toujours au
même sujet. Il s'agit de mes affaires politicc^administra-
tives auxquelles j'ai déjà fait allusion plus haut, mais
je fais instamment remarquer au lecteur que les décla-
rations de M. Boutteville qu'il vient de lire, ainsi que
la singulière attitude de MM. Ponchon et Méridier à
mon égard, m'ont puissamment aidé à me débrouiller
dans cette sinistre aventure et ont largement, très large-
ment même, contribué à dicter ma conduite dans mon
rôle ultérieur de dénonciateur du complot de coup d'Etat
et de guerre étrangère.
Ces mêmes déclarations de M. Boutteville donnent,
d'autre part, une idée exacte des étroites relations exis-
tant entre l'Affaire Dreyfus, le complot de coup d'Etat,
le projet de fusion des services de voirie en 1894, et
mes affaires administratives dont je vais parler mainte-
nant.
A deux reprises différentes, en 1898 et en 1906,
j'avais demandé la communication de mon dossier ad-
ministratif de conducteur des ponts et chaussées, fonc-
tions dont j'avais été révoqué le 7 mars 1898, sous le
prétexte parfaitement faux à mon avis de manquements
à la discipline ; je n'avais obtenu que deux refus ca-
— 35 —
tégoriques de la part de M. le Ministre des Travaux
Publics à qui je m'étais adressé.
Le 7 mars 1907 (neuvième anniversaire de ma ré-
vocation), je me permis, par une pétition adressée à la
fois à M. le Président de la République, à M. le Pré-
sident du conseil des Ministres, à M. le Président du
Sénat et à M. le Président de la Chambre des députés,
de renouveler cette même demande de communication
de ce dossier, lequel est pour le moins aussi secret
pour moi que tous ceux qui ont fait condamner le ca-
pitaine Dreyfus et vraisemblablement aussi canaille que
les siens.
Nouveau refus de M. le Ministre des Travaux Pu-
blics Barthou, à qui ma pétition fut transmise à la
fois par la Présidence de la République et par le Sé-
nat.
Car, de même que les lois protectrices des faussai-
res et des criminels de nos Etats- Majors civils et mili-
taires se sont opposées, tant qu'elles ont pu, à la réha-
bilitation d'Alfred Dreyfus, de même elles s'opposent,
paraît-il, à la communication de mon dossier de con-
ducteur : je ne dois pas savoir personnellement s'il est
aussi bourré de faux et conséquemment aussi malhon-
nête que les siens !
Voici la reproduction intégrale de cette pétition du
7 mars 1907.
CHAPITRE V
Après avoir donné mes noms et adresse, je conti-
nue ainsi :
« La presse locale m'apprend qu'un officier ayant
été mis en disponibilité sans avoir reçu communication
de son dossier, s'est pourvu devant le conseil d'Etat
qui a récemment confirmé, paraît-il, que tous les fonc-
tionnaires civils et militaires ont droit à la communi-
cation de tous les documents constituant leur dossier,
et a annulé la décision présidentielle qui avait mis cet
officier en disponibilité.
« Cette décision du conseil d'Etat peut m'intéresser,
car il y a neuf ans aujourd'hui, c'est-à-dire neuf lon-
gues années et plus de supplice moral et physique pour
moi, que j'ai été révoqué (7 mars 1898) de mes fonc-
tions de conducteur des ponts et chaussées, par M.
le Ministre Turrel.
« Le 3 août 1898, je me permis d'écrire à son suc-
cesseur, M. Tillaye, pour lui demander communication
de mon dossier, lequel me répondit lui-même par sa
lettre du 26 du même mois, qui est entre mes mains,
« qu'il lui était impossible de donner satisfaction à ma
demande, l'administration s'interdisant rigoureusement
toutes communications de ce genre. »
« Je suis revenu à la charge l'année dernière sans
plus de succès, car, par sa lettre du 31 juillet 1906,
qui est également entre mes mains, M. le directeur du
personnel et de la comptabilité au Ministère des Tra-
vaux Publics, me répondant au nom du Ministre, dit
textuellement ce qui suit :
— 37 —
«... Révoqué des fonctions de conducteur des ponts
«et chaussées, le 7 mai 1898 (7 mai est une inexacti-
tude, il faut lire 7 mars 1898, ainsi que le porte la
décision ministérielle me révoquant, laquelle me par-
vint directement par la poste, le 8?), vous avez invo-
« que les dispositions de l'art. 65 de la loi de finan-
« ces du 22 avril 1905, pour obtenir communication
« de votre dossier. (Je n'ai précisé aucun article de loi
« dans ma demande.)
« La loi de finances du 22 avril 1905 n'a pas d'eî-
« fet rétroactif et n'intéresse que les fonctionnaires qui
« font actuellement partie des cadres de l'administration.
« Votre demande n'est donc pas susceptible d'être
« accueillie. »
« Je ne demande pas aujourd'hui ma réintégration
dans l'administration pour plusieurs raisons, dont la
plus importante à mes yeux est que mes affaires admi-
nistratives (service de la vicinalité dans le Puy-de-
Dôme de 1890 à 1894 et des ponts et chaussées dans
la Loire de 1895 à 1898) sont intimement liées à l'Af-
faire Dreyfus, que j'ai dévoilée de mon mieux pour la
première fois à Clermont-Ferrand en 1894-95, non
comme une erreur judico-militaire, mais bien comme
une criminelle machination contre le progrès républi-
cain, laïque et démocratique, par le moyen d'un coup
d'Etat et d'une guerre avec l'Allemagne ; et j'ai, si sur-
prenant que cela puisse paraître, indiqué contre cette
souterraine mine le plan d'une contre-mine, afin de dé-
masquer les grands criminels : intervention éventuelle
et accusatrice d'Emile Zola, etc., etc.
« J'avoue m'être constamment employé et abso-
lument dévoué dans ce sens depuis cette époque
et je continue de même, dans l'unique intérêt de la
Vérité, ainsi du reste que je l'ai fait connaître par une
— 38 —
note publiée dans le journal dit « Feuille d'Avis de
Lausanne » (Suisse), du 19 septembre 1906.
« Par contre, je demande de nouveau et avec la plus
grande instance, l'autorisation de prendre connaissance
de mon dossier d'ancien fonctionnaire ou de tous mes
dossiers et documents quels qu'ils soient. Je demande
encore, si cela est possible, de me laisser prendre co-
pie ou de me faire délivrer copie conforme des dits
dossiers et documents ; et, si cela entraîne des frais à
ma charge, de vouloir bien m'en indiquer approxima-
tivement le montant à l'avance.
« Veuillez agréer, etc. »
J'ai dit plus haut que ma pétition du 7 mars 1907,
adressée à la Présidence de la République, fut trans-
mise à M. le Ministre Barthou ; voici, à ce sujet, la
communication que je crus devoir faire à la date du
12 mars suivant à M. le Président de la République :
« Monsieur le chef de votre secrétariat particulier,
dont j'ignore le nom, m'a fait parvenir une lettre du 9
courant, m'informant que la pétition que je me suis
permis de vous adresser le 7 avait été transmise à M.
le Ministre des Travaux Publics pour toute fin utile.
« Je crois devoir vous déclarer que le passé politi-
que de M. Barthou, actuellement Ministre des Tra-
vaux Publics, ne me permet point de lui faire crédit de
la moindre confiance, tant au point de vue de mes af-
faires administratives que de celle du complot de coup
d'Etat dans l'affaire Dreyfus.
« Il se peut que cet homme politique ait, sur le
tard, ainsi que je crois me souvenir de l'avoir lu dans
la presse, plus ou moins libéré sa conscience maçonni-
quement ou autrement, mais cela rie change absolu-
ment rien à mes sentiments sur son compte, ainsi que
je me suis permis de le lui exposer sommairement dans
— 39 —
une lettre recommandée à la poste A.R., que je lui ai
adressée le 29 mai 1906.
« Lorsque j'ai dévoilé le complot pour la première
fois à Clermont-Ferrand, en 1894-95 (ici je cite en tou-
tes lettres les nom et adresse de M. Bacconnet qui me
servit d'intermédiaire), je n'ai point parlé de M. Bar-
thou, je ne savais rien sur lui à cette époque ; mais,
tout en conseillant l'intervention éventuelle de M. Emile
Zola, j'ai très nettement fait connaître que les coalisés
de ce coup d'Etat avaient déjà choisi son chef de file,
M. Méline, pour accomplir une bonne partie de leurs
desseins. Et vous n'ignorez pas ni moi non plus, M.
le Président, comment s'est comporté le Ministre de
l'Intérieur de cette époque et même plus tard.
« Je pense même que si nous en étions à l'époque de
nos ancêtres les conventionnels, qui ne plaisantaient
pas toujours sur les questions de trahisons politiques,
ils l'auraient envoyé depuis longtemps, en compagnie
d'un certain nombre d'autres personnages, à sa der-
nière demeure au lieu d'en refaire un Ministre, après
l'avoir préalablement divisé en deux morceaux !
« Veuillez agréer, etc. »
Quant à la Chambre des députés, ainsi que la Pré-
sidence du conseil des Ministres, elles ne répondirent
pas à ma pétition ; et le Sénat attendit jusqu'au 30 oc-
tobre suivant pour la communiquer à son tour à M.
le Ministre Barthou, ce qui me mit dans l'obligation
d'adresser à cette haute assemblée, à la date du 12 no-
vembre 1907, une nouvelle et longue pétition que je
crois devoir reproduire ci-après :
CHAPITRE V
Je donne d'abord mes noms et adresse et je conti-
nue ainsi :
« Après lecture faite d'une note émanant de la troi-
sième commission du Sénat, qui m'est parvenue le 31
octobre écoulé, j'ai pris connaissance du « journal of-
ficiel » du 30 octobre 1907, où j'ai lu ce qui suit me
concernant :
«Troisième commission (nommée le 12 mars 1907).
«Pétition n° 46 (du 12 mars 1907).
« M. Nourisson, ancien conducteur des ponts et
chaussées, à Pèghes (Puy-de-Dôme), se plaint d'être
victime d'un déni de justice.
« M. Piettre, rapporteur.
« Rapport.
« Nous proposons de renvoyer cette pétition à l'exa-
men de M. le Ministre des Travaux Publics, des Pos-
tes et Télégraphes. (Renvoi au ministre des Postes et
des Télégraphes.)
« (Ma pétition ci-dessus rappelée est datée du 7
mars 1907 et non du 12 ; elle fut déposée à l'adresse
du Sénat, sous pli recommandé A. R., le même jour,
au bureau de poste d'Ambert. Elle me fut retournée
sous enveloppe ouverte le 10, pour défaut de légalisa-
tion de ma signature. Cette formalité fut remplie le 1 1
et, le même jour, je redéposai à l'adresse du Sénat et
sous pli recommandé A.R., au bureau de poste d'Am-
bert, la dite pétition reçue le 10.)
« Au sujet de la communication de ma pétition à
— 41 —
M. le Ministre des Travaux Publics, je crois devoir
faire toute réserve utile sur la personnalité de M. Bar-
thou ; et pour cela je ne sais mieux faire que de co-
pier ici pour le Sénat les observations que j'ai déjà
fait parvenir à M. le Président de la République, à
qui j'avais adressé, à la même date (7 mars 1907), la
même pétition.
« Voici ces réserves : »
Cette lettre a déjà été reproduite au chapitre V, il
est donc inutile de la recopier ici. Il en est de même
de la note qui vient ensuite (publiée dans le journal
dit « Feuille d'Avis de Lausanne », à la date du 17
septembre 1906. Voir au chapitre premier).
La suite de ma pétition continue par une lettre re-
commandée à la poste A.R., adressée le 29 mars 1906,
à M. Clemenceau, Ministre de l'Intérieur. Elle est ainsi
rédigée :
« Au sein d'une commission du Congrès internatio-
nal de la Libre Pensée, tenu à Genève en 1902, parlant
de la criminelle machination de l'Affaire Dreyfus, je
donnai lecture d'un passage de mon mémoire où je
m'exprime ainsi : «... Cette Affaire sera l'origine d'une
« Ere nouvelle, Ere de l'Humanité par opposition à
« celle des Dieux de sauvagerie et de torture... » Je
crois, M. le Ministre, que l'aurore de cette Ere nou-
velle est en train de se lever sur la France d'abord,
les autres nationalités ensuite. J'espère que, étant l'un
des meilleurs ouvriers du progrès humain, laïque et so*
cial, vous aiderez de toute la puissance de votre pro-
digieux talent.
« Quant à moi, M. le Ministre, j'ai vainement at-
tendu la Vérité entière et la fin de ce sombre drame
mondial. J'ai ajouté, bien naïvement sans doute, quel-
que créance aux républicains français qui, se frappant
la poitrine, voulaient dire la Vérité, toute la Vérité !
— 42 —
J'ai cru quelque peu à la sincérité des francs-maçons
français qui, eux aussi, frappant encore plus fort sur
tous leurs triangles, voulaient encore mieux la Vérité,
toute la Vérité !
« Et aujourd'hui, je crois que ces mêmes républi-
cains et ces mêmes francs-maçons ont fait tout ce qu'il
fallait par toutes sortes de lois et de moyens pour la
murer dans son puits, en assurant l'impunité aux
grands criminels d'abord, paralysant sa manifestation
ensuite. En un mot, ni les uns ni les autres n'en veulent
plus de cette vérité qui les blesse si profondément et en
si grand nombre. Qu'en pensa notamment votre collè-
gue, M. Barthou, l'homme à Méline et au coup d'Etat ?
« Ma modeste personne proteste une fois de nlus
contre cet état de choses ; et j'ajoute que, s'il est d'un
bon citoyen républicain d'obéir raisonnablement aux
lois de son pays, à toutes ses lois bonnes et mauvai-
ses, il est encore mieux, à mon humble avis, dans une
Affaire aussi grave qui, malgré tout, sera peut-être in-
tégralement connue un jour, d'obéir à la suprême loi
de l'Histoire qui clouera impitoyablement à son pilori
tous les bandits de cette incommensurable monstruosité.
« En attendant cette suprême justice que j'ai aidée
et que je veux continuer à aider de toutes mes faibles
forces, je vous prie de vouloir bien retirer du présent
pli deux notes autocopiées et annotées à la main par
mes soins, notes distribuées à un certain nombre de
congressistes libres penseurs réunis à Rome en 1904
et à Paris en 1905.
« Et comme ce qui se passe depuis une quinzaine
d'années au moins autour de ma correspondance est
plus que singulier, je me permets de faire recomman-
der le présent pli afin de conserver une preuve écrite
de son dépôt à la poste.
« Veuillez agréer, etc. »
— 43 —
« A ce jour, je confirme entièrement ce que j'ai
écrit ci-dessus le 29 mars 1906 à M. Clemenceau, sauf
que j'ai perdu confiance en lui et en la franc-maçon-
nerie.
« Ci-après, à titre de renseignement encore, la copie
textuelle de la lettre adressée à M. Sarrien, Ministre
de la Justice et Président du conseil des Ministres,
lettre recommandée A.R. au bureau de poste de Job,
le 14 juin 1906.
« Je soussigné (noms et adresse) ai l'honneur de
vous communiquer respectueusement ce qui suit, au
moment où, de nouveau, vont se rouvrir les débats
sur l'Affaire Dreyfus, savoir :
« Tout d'abord, la copie d'une lettre recommandée
AR., adressée le 29 mai dernier à M. Louis Barthou,
Ministre des Travaux Publics de votre choix.
« M. le Ministre,
« J'ai l'honneur de vous exposer respectueusement
ce qui suit :
« Je suis toujours pour vous, comme pour tous vos
prédécesseurs, jusque et y compris M. Turrel, un par*
fait malhonnête homme, puisque les décisions ministé-
rielles des 11 octobre 1897, 19 janvier et 7 mars 1898
me concernant, subsistent encore à ma connaissance et
dans leur intégralité.
« C'est par ces décisions, M. le Ministre, que vo-
tre prédécesseur et collègue m'a mis en retrait d'emploi
de conducteur des ponts et chaussées, déplacé d'office,
envoyé dans le département du Cher et révoqué finale-
ment, sous le prétexte que f avais « gravement manqué
à la discipline d'abord, dirigé ensuite contre mes chefs
(M. Rolland de Ravel, ingénieur ordinaire, à Roanne ;
M. Delestrac, ingénieur en chef, à St-Etienne ; et M.
Deloche, inspecteur général et ancien ingénieur en chef
de la Loire) des allégations malveillantes et sans fon-
— 44 —
dément, et donné à mes attaques la forme étrange d'un
procès-verbal pour contravention de grande voirie,
adressé par moi au procureur de la République, à
Roanne.
« Vous êtes devenu député du « bloc républicain »,
paraît-il, et Ministre des Travaux Publics par dessus le
marché, après avoir opéré à l'Intérieur sous Méline,
l'homme au coup d'Etat, après avoir dirigé le préfet
Grimanelli à St-Etienne et le sous-préfet Abeille à
Roanne qui me firent prêter un serment rationaliste, le
30 avril 1897, après avoir été l'ami du député Audif-
fred qui, avec les précédents et bien d'autres encore,
agirent contre moi particulièrement en 1897 et 1898 ?
« Eh bien ! M. le Ministre, je vous déclare une
fois de plus que plus que jamais je reste dans ma mal-
honnêteté, qui est la vérité à ma connaissance, contre
votre honnêteté, celle de vos prédécesseurs jusqu'à M
Turrel et celle de vos ingénieurs qui est le mensonge ;
mensonge que ni votre Administration ni celle de la
Justice n'ont jamais consenti — naturellement — et
malgré mes demandes, à examiner en ma présence ?
« Je vous déclare encore que tout cela fait partie
du complot de coup d'Etat et de la criminelle machi-
nation de l'Affaire Dreyfus, complot que j'ai dévoilé
de mon mieux dès 1894-95, afin d'aider à sauver la
République et la paix de l'Europe.
« J'ai fait cela tout en résistant à la haine et à la
scélératesse de toutes les « calottes coalisées », et en es-
suyant les saletés du personnel voyer cher à M. le dé-
puté Guyot-Dessaigne ; j'ai résisté de même aux haines
non moins grandes des ingénieurs « chers camarades »
aux ex- Ministres Mercier, Cavaignac, Krantz, de Frey-
cinet et Cie, vos anciens amis.
« Veuillez agréer, etc. »
— 45 —
Je poursuis ensuite ma lettre à M. Sarrien de la
manière suivante :
« Je fais cette communication, M. le Ministre, afin
de vous en laisser toute la part de responsabilité qui vous
incombe, tant comme Garde des sceaux, Ministre de
la Justice, que comme Président du conseil des Minis-
tres, mais ce n'est pas tout.
« Dans des notes autocopiées distribuées par mes
soins à un certain nombre de congressistes français et
étrangers, qui prirent part aux grandes assises de la
Libre Pensée internationale tenues à Rome en 1904 et
à Paris en 1905, j'ai fait ressortir que j'ai vainement
demandé à être entendu par la Justice de mon pays
dans l'Affaire Dreyfus: je formule de nouveau la même
demande entre vos mains et j'ajoute qu'il est non seule-
ment indispensable à mon avis que je sois longuement et
publiquement entendu dans l'unique intérêt de la Jus-
tice et de la Vérité, mais encore qu'il est nécessaire de
procéder à une longue et minutieuse étude de faits qui
se sont déroulés autour de moi depuis de nombreuses
années. J'attendrai ici une réponse gouvernementale,
mais jusqu'à la fin du présent mois seulement. (1)
« Et si, par hasard, quelqu'un me faisait observer
que les différentes lois d'amnisties, ainsi que la Sépara-
tion des Eglises et de l'Etat ont pardonné, solutionné
ou rendu impossible certains faits, certaines investiga-
tions et que de nouveau et pour d'autres raisons il y
a lieu de reprendre l'exécrable réponse (la question ne
sera pas posée) du président Delegorgue au procès
d'Emile Zola, je répondrais que je ne dois nullement
en être rendu responsable, bien au contraire ; et que,
dans cette colossale Affaire, je me place tout particuliè-
rement en face de l'Histoire internationale qui, elle,
(1) je n'ai reçu aucune réponse.
— 46 —
ainsi que vous ne l'ignorez pas, M. le Ministre, pose
toujours la question en tout et pour tout et ne tient
que médiocrement compte des arguties de la jurispru-
dence de tous les temps et de tous les pays.
« Quant aux raisons officielles tambourinées par
toute la presse française sur les causas de la Sépara-
tion des Eglises et de l'Etat, telle que la prétendue
querelle du « nobis nominavit », la conduite ou Pin-
conduite de la Papauté lors du voyage du Président
Loubet en Italie, je vous déclare, M. le Ministre, que
je tiens tout cela pour pure comédie concertée en vue
de donner le change à l'opinion publique ; ou, si vous
aimez mieux, intrigue maçonnique et gouvernementale.
« Les véritables raisons de la Séparation (à pour-
suivre) que pas plus les ministres que les républicains
et les francs-maçons n'ont eu le courage d'avouer jus-
qu'à ce jour sont les suivantes :
« 1° Les dogmes religieux, antiscientifiques par na-
ture, ne peuvent ni ne doivent, dans notre pays, à no-
tre époque et à notre degré de civilisation, faire partie
d'une institution d'Etat.
« 2° Toutes les Eglises, la romaine particulièrement,
ont toujours visé, combattu ouvertement ou non et
criminellement intrigué, pour la domination politique
et sociale sous prétexte de religiosité.
« 3° Et surtout, la part prépondérante prise par
l'Eglise romaine dans la dernière et longue préparation
du complot de renversement de la République laïque, com-
plot qui devait aboutir à la criminelle machination de
l'Affaire Dreyfus en 1894, ainsi qu'à la publique décla-
ration de guerre à la République laïque (avec appro-
bation de la Papauté) faite par la majorité de l'épisco-
pat français réuni à Clermont-Ferrand l'année suivante
(mai 1895), sous le fallacieux prétexte de fêter le hui-
tième centenaire de la première croisade.
— 47 —
« Tout le reste, Monsieur le Ministre, n'est qu'ac-
cessoire, intrigue ou mensonge ; les républicains cons-
cients, les francs-maçons et vous-même, ne l'ignorez
pas.
« Veuillez agréer, etc. ».
« Je confirme de nouveau le contenu de cette lettre
pour le Sénat. »
« J'ai cité plus haut les décisions ministérielles me
concernant des 11 octobre 1897, 19 janvier et 7 mars
1898, ainsi que mon procès-verbal pour contravention
de grande voirie dressé contre les ingénieurs, mes chefs
de service, et mon assermentation rationaliste ; je vais
reproduire ces documents à titre de renseignements
pour le Sénat.
« Ci-après, copie textuelle du procès-verbal de mon
serment professionnel, formalité qui fut accomplie sur
la proposition des ingénieurs, mes chefs (M. Rolland
de Ravel, à Roanne, et M. Delestrac, à St-Etienne),
après que je leur eusse déclaré que, contrairement à
l'habitude, je n'avais jamais été assermenté, bien qu'ayant
été nommé conducteur des ponts et chaussées en 1886.
Sous-préfecture de Roanne.
Roanne, le 30 avril 1897.
L'an mil huit cent quatre-vingt-dix-sept, le trente
«avril, devant nous, sous-préfet de Roanne, s'est pré-
« sente M. Nourisson Benoît, nommé conducteur des
« ponts et chaussées, en résidence à St-Germain- Laval,
« par décision ministérielle en date du 3 décembre 1895.
« Lequel, sur l'invitation que nous lui avons faite, a
« prêté entre nos mains le serment de remplir ses fonc-
« tiens avec zèle, exactitude et probité, nous l'avons dé-
« claré installé dans ses fonctions et avons dressé le
«
«
«
— 48 —
« procès- verbal, dont lecture a été faite au comparant
« qui l'a signé avec nous.
« Le comparant,
« Signé : B. Nourisson.
« Le sous-préfet,
« Signé : Abeille.
« Enregistré le même jour, à Roanne, fol. 46, C. 5.
« Coût : vingt francs cinquante centimes. »
« Au service vicinal du Puy-de-Dôme où j'avais été
employé de 1890 à 1894, il m'avait été déclaré que,
pour se conformer aux vues du conseil général et de
l'agent voyer en chef Du lier, les agents voyers de ce
département n'étaient pas assermentés.
« Je fus envoyé dans la Loire en 1895, par M.
Guyot-Dessaigne, alors Ministre des Travaux Publics ;
il y a eu de ce côté des intrigues avouables ou non,
relatives à la fusion projetée des services de voirie, la-
quelle fut votée par la Chambre des députés fin 1895
et repouss'ée aussitôt par le Sénat (loi de finances) (1).
Je compte revenir plus tard sur cette question ; pour
le moment, je me contente d'ajouter que je fus con-
traint de me remettre à la disposition du Ministre des
Travaux Publics. Je m'en consolai quelque peu en
pensant que cette nouvelle situation me fournirait très
vraisemblablement l'occasion de vérifier la culpabilité
des ingénieurs mes chefs nouveaux et anciens, dans le
complot de coup d'Etat et de l'Affaire Dreyfus, vérifi-
cation qui s'est du reste parfaitement réalisée, pour M.
Rolland de Ravel, notamment.
«
Ci-après, copie textuelle de mon procès-verbal pour
contravention de grande voirie, relaté plus haut :
(1) Voir au chapitre VIII la mort subite de M. Guyot-Dessaigne, sur-
venue au Sénat le 31 décembre 1907 ?
«
«
— 49 —
« Ponts et chaussées. — Grande voirie. — N° 38
« du registre d'ordre du conducteur : 22 septembre
« 1897.
« Procès-verbal pour contravention de grande voi-
« rie.
« Le vingt-un septembre mil huit cent quatre-vingt-
« dix-sept, à cinq heures du soir, nous soussigné, Nou-
risson, Benoît, conducteur des ponts et chaussées dû-
ment assermenté, chargé de la subdivision de St-
Germain- Laval, déclarons et certifions exact que
« depuis notre arrivée dans le service, fin 1895,
« mais notamment depuis le commencement de la pré-
sente année, une longue discussion accompagnée d'une
volumineuse correspondance s'est engagée entre M.
Rolland de Ravel, ingénieur ordinaire, à Roanne ;
M. Delestrac, ingénieur en chef, à St-Etienne ; M.
Deloche (24 août 1897), inspecteur général chargé
« de la sixième inspection, en résidence à Paris, et
« nous, au sujet des fournitures de matériaux d'em-
« pierrements faites par les entrepreneurs Prost et Boi-
« chon, sur une partie des routes nationale n° 81 et
« départementale n° 6, comprises dans notre subdivi-
« sion.
« Nous certifions absolument exact, ainsi qu'il serait
« du reste facile de le vérifier, que depuis de nombreu-
« ses années ces fournitures de matériaux ont été faites
« dans des conditions notoirement inférieures aux pres-
« criptions des articles 4, 6 et 19 des devis approuvés,
« au grand détriment des deniers de l'Etat et de ceux
« du Département, sous la surveillance de M. Rolland de
« Ravel dirigeant le service. Au lieu de la bonne pierre
« prévue par l'article 6 des devis, il en a été fourni de-
« puis très longtemps de la médiocre et de la mauvaise,
« laquelle a été payée évidemment au prix de la bonne,
« c'est-à-dire aux prix des adjudications ; c'est contre
— 50 —
« cet état de choses que nous nous sommes efforcé de
« réagir dès notre arrivée dans le service et contre le-
« quel nous faisons toujours tous nos efforts, bien que
« nous considérions que nos plus redoutables adver-
« saires soient nos ingénieurs ci-dessus dénommés. Et
«si la qualité de la pierre est susceptible de discussion,
« ce qui du reste n'est pas notre avis, il n'en est pas
« de même du cassage : toute cette pierre sans aucune
« distinction, qu'elle doive être employée au rouleau à va-
« peur ou non, doit être cassée de façon à passer en
« tous sens dans un anneau de six centimètres de dia-
« mètre (articles 4 et 19 des devis) et cela quelle que
« soit sa dureté, elle a du reste été payée et le sera
« encore en conformité de cet article. Mais, malgré tout
« cela, M. l'ingénieur ordinaire nous a ordonné et nous
« ordonne de nouveau, par sa lettre du 20 courant,
« malgré toute notre correspondance et nos protesta-
« dons, malgré nos observations verbales du onze de
« ce mois, malgré notre procès-verbal pour contraven-
« tion de grande voirie du quinze courant (enregistré),
« de nous servir encore de l'anneau antiréglementaire
« de sept centimètres de diamètre pour la vérification
« de la pierre cassée, afin d'en consigner les résultats
« au procès-verbal de réception.
« En conséquence, nous avons dressé le présent pro-
« cès-verbal, à l'effet de faire prononcer par, qui
« de droit contre les dits ingénieurs dénommés d'autre
« part, conformément aux lois et règlements.
« A St-Germain- Laval, les jour, mois et an que des-
* sus' « Signé : B. Nourisson.
Vu et affirmé par serment devant moi, Poyet, An-
dré, maire de la ville de St-Germain- Laval (Loire).
A St-Germain-Lav&l, le vingtrun septembre mil
« huit cent quatre-vingt-dix-sept. c Si°né * Poyet
«
«
«
— 51
«
Visé pour timbre et enregistré. — St-Germain-La-
« val, le vingt-deux septembre mil huit cent quatre-
« vingt-dix-sept, fol. 55, case 8. — Débet : trois francs
« soixante-dix centimes. « Siçné : Combaud. »
« J'affirme de nouveau et pour toujours le contenu
du procès-verbal ci-dessus reproduit par le Sénat.
« Le 25 septembre suivant, M. de Ravel m'ordonna
encore, sur les lieux, malgré mes protestations faites
en présence des cantonniers et des entrepreneurs, de me
servir de l'anneau antiréglementaire de sept centimètres
de diamètre. (Cet anneau est resté entre mes mains.)
« Ci-après, copie de la décision ministérielle me con-
cernant, datée du 11 octobre 1897 et rappelée plus haut.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Ministère des Travaux Publics, etc.
«Paris, le 11 octobre 1897.
« Monsieur,
« Vous avez à plusieurs reprises gravement manqué
c< à la discipline, soit en n'exécutant pas les ordres qui
« vous étaient donnés, soit en dirigeant contre vos
« chefs des allégations malveillantes et sans fondement.
k Vous avez même récemment donné à vos attaques la
c< forme étrange d'un procès-verbal pour contravention
« de grande voirie, adressé par vous au procureur de
« la République.
« Ces faits appellent une répression et je vous ai
« mis en retrait d'emploi pendant trois mois. Vous
« conserverez dans cette situation les deux cinquièmes
«de votre traitement à dater du 16 octobre 1897.
« Recevez, Monsieur, l'assurance de ma parfaite
« considération.
« Le Ministre des Travaux Publics,
« Signé : Turrel. »
«
— 52 —
* *
Ci-après, copie conforme de la décision ministé-
rielle me concernant, datée du 19 janvier 1898 et rap-
pelée également plus haut :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Ministère des Travaux Publics, etc.
« Paris, le 19 janvier 1898.
« Monsieur,
« En réponse aux lettres que vous m'avez écrites, je
« vous adresse l'invitation formelle d'avoir à rejoindre
« pour le 26 janvier 1898 (le chiffre 2 du nombre 26
« est surchargé et gratté) le poste qui vous a été assi-
« gné dans le département du Cher.
« Je dois vous avertir qu'un refus d'obéissance en-
« traînera votre révocation immédiate.
« Recevez, Monsieur, l'assurance de ma parfaite
« considération.
« Le Ministre des Travaux Publics,
« Signé : Turrel.»
« Après le 26 janvier 1898, je crus que j'étais ré-
voqué, puisque je n'avais pas quitté St-Germain- Laval :
je l'écrivis au Ministre.
« Ci-après, copie conforme de la décision ministé-
rielle me concernant, datée du 7 mars 1898 et relatée
également plus haut :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Ministère des Travaux Publics, etc.
«Paris, le 7 mars 1898.
« Le Ministre dts Travaux Publics annonce à M.
« Nourisson qu'il est révoqué des fonctions de conduc-
« teur des ponts et chaussées de IVme classe pour avoir
« refusé, à diverses reprises, et notamment le 23 jan-
«vier 1898, de se rendre au poste qui lui a été assi-
— 53 —
«gné dans le service ordinaire du département du
« Cher.
« Cette disposition aura son effet à dater du jour
«de sa notification. Du 16 janvier 1898 à ce jour, M.
« Nourisson sera considéré comme ayant été en congé
« sans traitement.
« Signé : Turrel. »
« Dans ma lettre du 23 janvier 1898 adressée à M.
le Ministre des Travaux Publics et ci-dessus rappelée,
je demande : 1° Copie de la décision ministérielle du
30 septembre ou du 2 octobre 1897 m'envoyant à
Bourges (je ne l'ai jamais reçue) ; 2° Je continue à
protester contre ce déplacement et contre la menace de
révocation ; 3° Je proteste contre un nouveau déplace-
ment de Bourges à la Guerche et je demande une co-
pie de la décision me l'imposant (je ne l'ai jamais re-
çue) ; 4° Je confirme mes deux lettres des 30 et 31 dé-
cembre 1897, où je déclare notamment ne pouvoir ac-
cepter de déplacement avant le 15 juillet 1898.
« Voici maintenant quelques-unes des réflexions que
me suggèrent les documents reproduits plus haut et
sur lesquelles j'appelle toute l'attention du Sénat.
« (Ces documents ont été publiés avec beaucoup
d'autres, sous ma signature, dans le journal « Le Dé-
mocrate de Roanne ». La collection complète de mes
publications dans ce journal, accompagnée d'un dos-
sier intitulé : « Origine de l'Affaire Dreyfus et révoca-
tion de M. Nourisson, conducteur des ponts et chaus-
sées », a été remise par moi à M. François, secrétaire
général du Puy-de-Dôme, à son cabinet de la préfec-
ture, le 11 mai 1900.)
« Mon procès-verbal pour contravention de grande
— 54 —
voirie, du 21 septembre 1897, reproduit plus haut, fut,
aussitôt après sa régularisation, adressé par moi à M.
le procureur de la République, à Roanne : pas d'au-
tre résultat obtenu si ce n'est celui de se débarrasser
promptement de ma modeste et gênante personne, par
un retrait d'emploi suivi d'un lointain déplacement
d'office survenus fin septembre ? ?
« Des copies conformes de mon assermentation du
30 avril 1897, ainsi que de mon procès-verbal pour
contravention de grande voirie du 21 septembre 1897,
accompagnés d'autres pièces et renseignements, furent
adressées à M. le Ministre de la Justice le 1er décem-
bre 1900. Cette communication donna lieu à la lettre
reproduite ci-après, savoir :
RÉPUBLIQ.UE FRANÇAISE
Ministère des Travaux Publics
Direction du personnel et de la
comptabilité
Division du personnel — 2me bureau
«
«
«
«
Paris, le 27 décembre 1900.
A M. Nourisson, Benoît,
à Pèghes par Job (Puy-de-Dôme).
Monsieur,
Je vous accuse réception des pièces jointes à vo-
tre lettre du 1er décembre 1900, adressée à M. le
Garde des Sceaux, Ministre de la Justice.
« Le Ministre des Travaux Publics. —
Pour le Ministre et par autorisa-
tion : Le Directeur du personnel
et de la comptabilité.
« (Signature illisible). »
«
«
«
— 55
« Par une lettre du 22 juin 1903, j'ai rappelé à M.
le Ministre de la Justice ma communication du 1er dé-
cembre 1900, en lui faisant observer que l'accusé de
réception, parti du Ministère des Travaux Publics à
mon adresse et dont je lui donne copie, n'était peut-
être qu'une sorte de dessaisissement.
« Ma lettre du 22 juin 1903 me valut d'être appelé
au cabinet de M. le procureur de la République, à Am-
bert (Girardot), le 29 juin suivant. Ce magistrat me
rudoya beaucoup tout d'abord, me déclara ensuite que
ma révocation était parfaitement méritée (?) et que le
« charabia » de ma lettre du 22 juin 1903, ci-dessus
relatée, en rendait la compréhension à peu près impos-
sible, etc., etc. Puis ce fut tout. Mais j'appris peu de
temps après, par la voie de la presse, que ce magis-
trat avait été déplacé et fait chevalier de la Légion
d'honneur sur la proposition du général André, alors
Ministre de la Guerre. On ne m'a pas dit si cette dis-
tinction honorifique fut quelque peu la récompense de
la conduite de ce fonctionnaire à mon égard, mais cela
serait exact que je n'en serais nullement surpris !
*
* *
< Etant conseiller municipal à St-Germain- Laval où
j'étais en résidence, je me rendis à une réunion de ce
conseil qui eut lieu le 10 octobre 1897 (j'étais le seul
conseiller républicain laïque et radical-sociaiiste et j'a-
vais constamment à lutter contre tous mes collègues :
le maire Poyet ; M. Bourganèl, ancien maire et frère
du sénateur, etc., etc., ainsi que le juge de paix Vérot
qui, au su de tous les germanois, dirigeait en sous-
main cette municipalité. De ce côté encore, comme de
celui de mon administration, on voulait se débarrasser
de moi par n'importe quel moyen). L'ingénieur du che-
— 56 —
min de fer départemental en construction de Boèn à
Roanne, par St-Germain- Laval, y vint également. Il en
profita pour nous faire des déclarations à tendances
électorales et réactionnaires (les élections législatives ap-
prochaient) que je trouvai absolument contraires à la
vérité et je le lui fis observer, ce qui le gêna beau-
coup, ainsi que tous mes collègues. Puis, la séance
ayant été levée, je donnai lecture à mes collègues des
principaux passages de mon procès-verbal pour con-
travention de grande voirie du vingt-un septembre pré-
cédent. Le lendemain, onze octobre mille huit cent qua-
tre-vingt-dix-sept, le Ministre des Travaux Publics pre-
nait contre moi la décision reproduite plus haut.
« L'invitation « formelle » exprimée dans la décision
ministérielle du 19 janvier 1898, déjà reproduite, était
d'autant plus malhonnête à mes yeux que non seule-
ment elle tendait à débarrasser St-Germain- Laval et les
environs de ma modeste personne, afin que les malver-
sations administratives que j'avais signalées ne fussent
point reconnues, les personnalités compromises démas-
quées et ma propagande républicaine et laïque suppri-
mée ; mais encore, j'étais à ce moment garde-malade
de ma vieille et maladive mère qui s'était cassé un bras
et gravement blessé la tête vingt jours avant (31 dé-
cembre 1897). Cet accident fut volontaire de sa part,
ou plutôt, lui fut ordonné en raison de mon entretien
avec M. Jolibois, président de la société des conduc-
teurs des ponts et chaussées, à son domicile, à Paris, l'a-
vant-veille (30 décembre 1897) et d'une lettre que j'avais
adressée la veille (30 décembre 1897) au Ministre des
Travaux Publics, dans laquelle j'affirme à nouveau mon
procès-verbal du 21 septembre 1897 et où je déclare
refuser tout changement de résidence avant le 15 juil-
let 1898. J'avais parlé à M. Jolibois de mes affaires
administratives et lui avais montré ce procès-verbal du
— 57 —
21 septembre 1897, en le confirmant également. Je sa-
vais déjà que ma mère avait été habilement et secrète-
ment compromise dans mes affaires avant mon arrivée
à St-Germain- Laval et, par conséquent, dans celle du
complot de coup d'Etat et de l'Affaire Dreyfus ; j'ai
su dans la suite qu'elle s'était laissée compromettre en-
core, à la fois par des promesses et par la peur de
ma révocation, en même temps qu'on lui faisait pro-
mettre le secret le plus absolu à mon égard ? On l'a-
vait poussée notamment jusqu'à venir fouiller dans mes
papiers administratifs et me moucharder, juste au mo-
ment où je me débattais le plus fort contre mes ingé-
nieurs et entrepreneurs.
« Je fais remarquer encore qu'au lieu de me ren-
dre à Bourges pour le 26 janvier au plus tard, je n'en
fis rien et ne fus pourtant point révoqué à l'expiration
de cette date, conformément à la menace nettement ex-
primée dans la décision ministérielle précitée. Je me
rendis à Clermont-Ferrand et à Royat, le 30 janvier,
pour assister à la conférence politique de MM. Hub-
bard et Léon Bourgeois, députés, et je réintégrai mon
domicile à St-Germain- Laval aussitôt après : je n'ai ja-
mais employé personne ni fait quoi que ce soit pour
parer à cette menace de révocation.
« Dans la péroraison que nous fit M. Léon Bour-
geois à l'éden-théâtre de Clermont-Ferrand, je com-
pris très nettement qu'il était au courant de tout ou
partie de mes révélations sur l'Affaire Dreyfus comme
affaire politique.
« La décision ministérielle du 7 mars 1898, repro-
duite plus haut, portant ma révocation définitive, m'ins-
pire les réflexions suivantes :
« La question des conférences républicaines, laïques
— 58 —
et populaires pour adultes et adolescents, m'a intéressé
depuis très longtemps. Pendant mon séjour à Pontau-
mur (Puy-de-Dôme), de 1890 à 1894, alors que j'étais
employé à la vicinalité de ce département, j'avais déjà
donné mon adhésion à la société des conférences po-
pulaires présidée par M. Guérin-Catelain, à Paris. En
1897 et 1898, j'étais adhérent à la Ligue française de
l'enseignement et je m'étais rendu plusieurs fois au
cercle parisien de cette Ligue, où j'avais entendu dis-
courir quelques personnages, notamment MM. Gabriel
Séailles, Ferdinand Buisson, Léon Bourgeois, Marce-
lin Berthelot, etc. Ayant appris qu'une organisation de
ce genre était en voie de formation à St-Etienne, sous
la présidence d'un universitaire, j'avais demandé à en
faire partie. Le 3 mars 1898. j'avais pria part, à la
mairie du 2me arrondissement, à Paris, à l'assemblée
générale de la Ligue de l'enseignement. Le 6 mars au
soir, veille de ma révocation, j'assistai à la conférence
faite par M. l'instituteur Perrin, à St-Germain- Laval
(A4 M. les instituteurs germanois avaient donné quel-
ques conférences, sous mon impulsion évidemment, et
aussi sous celle des articles que je faisais paraître dans
le journal « Le Démocrate de Roanne » ; malheureuse-
ment, elles étaient toujours conçues dans un sens ré-
trograde). A la fin de cette conférence, je pris la pa-
role pour annoncer au public que, bien que n'ayant
pas été admis à la société de St-Etienne, je n'en étais
pas moins en bonne compagnie au cercle parisien de
la Ligue de renseignement, lequel comprenait des per-
sonnalités telles que MM. Ferdinand Buisson, Léon
Bourgeois et Marcelin Berthelot ; j'ajoutai que je me
proposais de faire des conférences éducatives à mon
tour dans la même salle (prétoire de la justice de
paix). Je n'ai jamais pu, par la suite, obtenir du juge
de paix Vérot et très difficilement du maire Poyet Tau-
— 59 —
torisation de parler dans cette salle. Ma déclaration
parut contrarier énormément les projets où les instruc-
tions secrètes de M. l'instituteur Perrin, qui, brusque-
ment, annonça les dates de quelques autres conféren-
ces à faire par lui et ses adjoints. Le lendemain, 7
mars 1898, j'étais définitivement révoqué ? ? (J'ai parlé
de cet incident, en même temps que de la machination
politico-sociale de l'Affaire Dreyfus, à M. Adrien Du-
vand, vice-président de la Ligue de l'enseignement, à
son domicile de la place Vintimille, à Paris, le 10 juil-
let 1899.)
« Quant à l'illustre savant Berthelot dont je viens
de citer le nom ci-dessus, j'en parle longuement dans
mon mémoire envoyé au Congrès de Genève, en 1902;
je parle en même temps et très avantageusement de
MM. Henri Brisson et Emile Zola, à propos de la
machination politico-religieuse de l'Affaire Dreyfus.
« Etant à Paris, le 25 décembre 1903, pour le congrès
national de la Libre Pensée, j'en profitai pour remettre à
M. Marcelin Berthelot, à son domicile de la rue Ma-
zarine, les pièces ci-après, savoir : 1° Copie d'une note
sur l'Affaire Dreyfus, déjà remise le 9 octobre pré-
cédent à M. Ferdinand Buisson, dans la salle du con-
grès radical-socialiste de Marseille ; 2° Une deuxième
note inédite où j'expose à ce savant comment et dans
quelles conditions j'ai failli trouver la mort à Pèghes,
dans une tentative d'empoisonnement (raisons politico-
administratives et de l'Affaire Dreyfus).
« Je compte émettre d'autres réflexions et faire cer-
tains rapprochements bien suggestifs à mon avis, dans
mon travail en préparation, au sujet de la mort ac-
cidentelle ou assassinat de M. Emile Zola, mort sur-
venue dans la nuit du 28 au 29 septembre 1902, alors
que, le 27, j'avais prononcé un petit discours, le ma-
tin, à la réunion de la première commission et le soir,
— 60 —
à l'assemblée plénière du congrès de la Ligue de ren-
seignement, à Lyon. Je m'étais réclamé notamment,
dans mon discours de la matinée du 27, du rôle qui
m'avait été dévolu au Congrès international de la Li-
bre Pensée, tenu à Genève quelques jours auparavant
(14 au 18 septembre).
« J'ai bien d'autres réflexions à émettre au sujet
d'autres décès naturels, accidentels ou non. (1)
« Et maintenant, il me reste à clore par ce qui suit
cette longue pétition :
« Puisqu'il est bien vrai qu'en 1894-95, étant en ré-
sidence à Clermont-Ferrand, je me suis employé de
mon mieux, pour la première fois, à la divulgation de
ce complot de coup d'Etat contre le progrès républi-
cain, laïque, démocratique et la paix de l'Europe ;
« Puisqu'il est bien vrai que, à ma connaissance,
ce complot est intimement lié à mes affaires adminis-
tratives de la vicinalité et des ponts et chaussées et que
cela remonte au moins à l'année 1890, époque de mon
arrivée à Pontaumur (Puy-de-Dôme) ;
« Puisqu'il est bien vrai qu'en 1895, j'ai prié avec
la plus grande instance M. Bacconnet, notaire à Giat,
conseiller d'arrondissement de Riom, et lui seulement,
de s'employer de son mieux à faire connaître mes ré-
vélations et recommandations pour déjouer ce complot :
intervention accusatrice de M. Emile Zola ; inter-
vention également de MM. G. Clemenceau, H. Ro-
chefort, etc. (depuis longtemps j'ai reconnu m'être
trompé à l'endroit de M. Rochefort et maintenant j'ai
perdu confiance en M. Clemenceau) ;
« Puiqu'il est bien vrai que, à ma connaissance, la
franc-maçonnerie et le parti républicain de mon pays,
dont quelques membres ont fait, je le reconnais, de
(1) Voir le chapitre VIII.
— 61 —
louables efforts dans le sens de la Vérité intégrale,
n'ont visiblement pas voulu laisser se manifester au
grand jour cette criminelle machination politico-sociale;
« Puisqu'il est bien vrai que, malgré mes deman-
des et la distribution de mes Notes autocopiées sur
l'Affaire Dreyfus, à Rome, en 1904 et à Paris, en
1905, je n'ai pas été autorisé à déposer en justice sur
cette Affaire (la Chambre des députés ayant du reste
déclaré ne pas vouloir laisser sortir l'Affaire Dreyfus
du domaine judiciaire ?)...
« Je déclare ici formellement et pour toujours, de-
vant le Monde et l'Histoire, que pour mon compte
personnel je n'accepte aucune part de responsabilité
dans ce que je crois être un immense escamotage de
la Vérité intégrale dans l'Affaire Dreyfus, escamotage
commencé au moins par MM. Dupuy en son « des-
saisissement », Waldeek-Rousseau en son « cercle lé-
gal » et son amnistie et continué sous leurs succes-
seurs.
« Et comme protestation suprême contre cet escamo'
tage, j'ai pris la résolution, ainsi que je l'ai publié
dans le journal dit « Feuille d'Avis de Lausanne », du
19 septembre 1906, d'aller terminer mes jours à l'é-
tranger.
« Veuillez agréer, etc. »
J'avais envoyé la pétition ci-dessus à sa destination
depuis une quinzaine de jours, lorsque je reçus en
communication du Sénat la réponse que M. le Minis-
tre Barthou avait faite à cette haute assemblée ; je crus
devoir répondre au Sénat, le 3 décembre 1907, par
une troisième pétition que je vais reproduire ci-après.
Cette reproduction apportera quelques éclaircissements
supplémentaires sur les mystères de l'Affaire Dreyfus
et des miennes, et le miracle républicain dont n'a pas
parlé M. Clemenceau, à Amiens, ne pourra que s'é-
— 62 —
claircir un peu plus dans l'esprit du lecteur ; car c'est
vraiment une chose extraordinaire que d'avoir pu sau-
ver la République du coup d'Etat préparé dans de pa-
reilles conditions !
Après avoir donné mes noms et adresse, je conti-
nue ainsi :
« J'ai reçu du Sénat, sous enveloppe ouverte, le 30
novembre écoulé, une lettre sans date ni signature, avec
en-tête du Sénat, portant collées à la première et à la
seconde pages deux notes typographiées (sans dates ni
annotations manuscrites), qui paraissent avoir été dé-
coupées dans un numéro du «Journal officiel» (1).
« Ces deux notes se rapportent à ma pétition du 7
mars dernier adressée au Sénat, laquelle fut transmise
à M. le Ministre des Travaux Publics Barthou qui,
par sa réponse en partie erronée, me met dans l'obli-
gation de formuler les nouvelles réserves suivantes :
« M. le Ministre dit en effet ce qui suit dans sa
réponse au Sénat :
«M. Nourisson, né le 15 janvier 1860, a appartenu
« à l'administration des ponts et chaussées, en qualité
« de commis ou de conducteur, depuis le 1er mai 1885
« jusqu'au 7 mars 1898, date à laquelle il a été révo-
« que pour manquements à la discipline. »
« Tout d'abord, est-ce bien le 1er mai 1885 que j'ai
été nommé commis des ponts et chaussées ou le 30
mars précédent ?
« Quant aux « manquements à la discipline »,
ils sont parfaitement exacts, s'il s'agit seulement des
refus de quitter St-Germain- Laval pour aller « dans le
(1) Il est peut-être plus exact de dire: dans un rapport imprimé, car
je n'ai rien trouvé de semblable dans le « journal officiel » que j'ai
pourtant feuilleté avec soin.
— 63 —
service ordinaire du département du Cher », refus re-
latés dans la décision ministérielle du 7 mars 1898 me
révoquant. J'ai déjà dit ailleurs, notamment dans ma
pétition du 12 novembre dernier adressée au Sénat,
que la principale raison de ce refus réside dans l'Af-
faire Dreyfus et ses annexes ; et j'ai ajouté que cette
même raison me pousse maintenant (c'est déjà fait de-
puis 1906) à demander l'hospitalité à l'étranger pour
mes vieux jours.
« Ensuite, M. le Ministre Barthou continue ainsi
sa note :
« Depuis cette dernière note, M. Nourisson a adressé
« de nombreuses communications à l'administration des
«
Travaux Publics, à celle de la Justice, etc., etc., qui
« ont toutes pour but d'obtenir l'autorisation visée
« dans sa lettre du 7 mars dernier. »
« Il est vrai, en effet, que j'ai fait de nombreuses
communications aux Pouvoirs Publics depuis cette épo-
que, Présidence de la République comprise, mais il est
inexact ou mensonger (comme on voudra) d'affirmer
que « toutes ces communications ont eu pour but d'ob-
tenir l'autorisation visée dans ma lettre du 7 mars
dernier ».
« Mes communications à M. le Ministre de la jus-
tice, par exemple, des 1er décembre 1900, 22 et 30
juin 1903, consistent uniquement à saisir la Justice
(chose bien difficile) des affaires relevant de mes pro-
cès-verbaux pour contraventions de grande voirie des 15
et 21 septembre 1897, lesquels n'ont eu, je crois, au-
cune suite ? ?
« Et cela, M. le Ministre des Travaux Publics ne
l'ignore pas, si j'en crois les termes de sa lettre du 27
décembre 1900, signée en son nom par M. le direc-
teur de son personnel (lettre reproduite plus haut dans
le corps de ma pétition adressée au Sénat le 12 no-
— 64 —
vembre dernier), puisque celui-ci m'accuse réception des
pièces jointes à ma lettre du 1er décembre 1900 adressée
à M. le Ministre de la Justice.
«Cette communication du 1er décembre 1900, à M.
le Ministre de la Justice, fut faite en deux paquets sé-
parés, savoir :
« Un pli fermé contenant : 1° Copie de la décision
ministérielle du 11 octobre 1897. — 2° Copie du pro-
cès-verbal de mon assermentation du 30 avril 1897. —
3° Copie de mon procès-verbal pour contravention de
grande voirie du 15 septembre 1897. — 4° Copie de
mon procès-verbal pour contravention de grande voi-
rie du 21 septembre 1897. — 5° Copie d'une lettre ad-
ministrative afférente aux malpropres affaires de la vi-
cinaîité du Puy-de-Dôme, à laquelle j'ai appartenu de
1890 à 1894. — 6° Une lettre explicative à M. le Mi-
nistre de la Justice.
Etaient contenus dans un deuxième paquet :
Trois numéros du journal « Le Démocrate de
Roanne » des 26 mars, 9 avril et 7 mai 1899, plus
une copie d'une note de M. Rolland de Ravel, mon
chef immédiat, du 3 septembre 1897 (cette copie était
collée dans l'un de ces journaux).
« Et, chose curieuse, ma lettre de rappel du 22
juin 1903 à M. le Ministre de la Justice, me fut com-
muniquée par l'intermédiaire de M. le maire de Job
(docteur Coste), le 28 juin suivant. J'ai remarqué, écrit
sur cette lettre, au-dessous du cartouche portant la
mention « Ministère de la Justice, cabinet », les deux
mots soulignés: «pas trace». M. le procureur de la
République Girardot, à Ambert, que je vis le lende-
main, parut fort contrarié de ce que M. le maire
m'eût fait cette communication ; il me déclara qu'il lui
« laverait la tëie d'importance » ?
« Tout cela semble indiquer que les deux paquets
«
«
— 65 —
ci-dessus relatés furent retirés, enlevés ou subtilisés à
la poste ou ailleurs (comme on voudra) sur des or-
dres que, naturellement, je n'ai jamais connus ni exé-
cutés ceux-là !
« Quant aux autres communications aux Pouvoirs
Publics auxquelles M. le Ministre Barthou fait allu-
sion dans sa réponse au Sénat, elles consistent, pour
la plupart tout au moins, en la divulgation de l'Affaire
Dreyfus comme criminelle machination politico-sociale
et en demandes tendant à être autorisé à déposer en
justice sur cette Affaire. De cela, M. le Ministre Bar-
thou n'en parle pas dans sa note adressée au Sénat ???
« Enfin, puisqu'il est bien établi maintenant que
mes secrets dossiers d'ancien fonctionnaire ne me se-
ront jamais communiqués, je profite de cette circons-
tance, après plus de dix ans d'attente (c'est horrible
cela), pour demander très respectueusement au Sénat
ce qui suit :
« Quels sont donc « les ordres qui m'ont été don-
nés par mes chefs hiérarchiques et que je n'ai pas
exécutés » ?
« Quelles sont donc les « allégations malveillantes
et sans fondement que j'ai dirigées contre eux » ?
« Ordres et allégations sommairement exprimés
dans la décision ministérielle du 11 octobre 1897 de
M. le Ministre des Travaux Publics, reproduite dans
ma pétition adressée au Sénat le 12 novembre dernier.
« Je demande précision et détails sur ces points-là !
« Je ne parle pas naturellement du contenu de la
décision ministérielle du 2 octobre 1897 m'imposant un
déplacement d'office de St-Germain- Laval à Bourges,
puisque, malgré mes demandes adressées à M. l'ingé-
nieur en chef du Cher d'abord, puis à celui de la
Loire et au Ministre lui-même, je n'ai jamais pu en
obtenir copie ? ?
5
— 66 —
« Quant à mon procès-verbal pour contravention de
grande voirie du 21 septembre 1897, j'ai déjà dit que
je le maintiens plus que jamais, dans ma pétition
adressée au Sénat le 12 novembre écoulé.
« Veuillez agréer, etc. »
Le 26 janvier 1908, j'ai adressé de nouveau au Sé-
nat une carte postale recommandée à la poste où je lui
rappelle mes deux expéditions des 12 novembre et 3
décembre précédents. J'attire tout particulièrement son
attention sur la demande de renseignements relatifs aux
prétendus « ordres non exécutés et allégations malveil-
lantes et sans fondement dirigées contre mes chefs».
A ce jour, fin juillet 1909, je n'ai reçu aucune ré-
ponse ni du Sénat ni d'ailleurs ?
Je crois devoir expliquer au lecteur qu'il s'agit,
dans ces affaires administratives qu'il vient de lire et
que je vais développer encore plus loin, non seulement
d'une question de propreté et de moralité publiques,
tendant à faire cesser des malversations considérables
qui compromettaient depuis longtemps le trésor pu-
blic, mais encore, j'avais très bien compris que ces
malversations avaient un autre caractère exceptionnelle-
ment politico-électoral et servaient parfaitement, dans
la circonstance, le projet de coup d'Etat par l'Affaire
Dreyfus ; elles consistaient à payer en cachette (cela se
pratiquait et se pratique encore malheureusement sur
une vaste échelle dans toute la France. De ce côté
nous n'avons pas grand'chose à envier aux mœurs de
corruption de l'Empire. J'en dis autant de la vicinalité
et de son personnel voyer que je connais bien égale-
ment, trop bien même, puisque, après quatre années
d'expérience de 1890 à 1894, je quittai définitivement
— 67 —
cette administration pour des considérations de ce
genre) les services électoraux d'un certain nombre
d'entrepreneurs et de tâcherons plus ou moins influents
et aux dents plus ou moins longues, tous protégés de
la réaction proprement dite, ou encore, ce qui était la
même chose à cette époque, des mélino-cléricaux de la
région, genre Audiffred, Bourganel et Cie. Il en étetit
de même dans le reste du département de la Loire,
sous l'œil paternellement bienveillant de notre uni-
que grand homme politique Waldeck-Rousseau, qui ne
se décida que plus tard et sur les instances de MM.
Léon Bourgeois et Loubet à défendre la République.
On sait du reste, et on le saura mieux encore dans
l'avenir, qu'il ne la défendit qu'à la façon du mauvais
pompier, c'est-à-dire en faisant la part du feu la plus
grande possible par le trucage du procès de coup d'E-
tat devant la Haute-Cour (MM. Déroulède, Marcel
Habert et Cie), par l'emprunt des moines d'orient, par
le concordat des congrégations, par son « cercle lé-
gal » et l'amnistie scélérate, etc., etc.
Voici maintenant un spécimen des discussions en-
gagées avec mes chefs hiérarchiques au sujet des four-
nitures de matériaux d'empierrements des routes de ma
subdivision ; il s'agit tout d'abord d'une lettre of-
ficielle envoyée à son adresse et à sa date, laquelle a
déjà été publiée dans le N° du 9 avril 1899 du jour-
nal «Le Démocrate de Roanne».
«
«
St-Germain- Laval, le 26 juillet 1897,
N° 143 du registre d'ordre du conducteur
subdivisionnaire.
« Le conducteur des ponts et chaussées à M. Rol-
land de Ravel, ingénieur ordinaire, à Roanne.
— 68 —
«
«
Monsieur l'ingénieur,
Les instructions verbales que vous m'avez don-
nées à Balbigny, vendredi dernier 23 courant, instruc-
tions qui ne sont du reste que le développement de
celles contenues dans vos notes des 1er mars, 16 et 25
juin de l'année courante, relatives à la fourniture et à
la réception des matériaux d'empierrements, m'inquiè-
tent sérieusement.
« Le but que je poursuis au sujet de ces fournitu-
res, but que je vous ai exposé depuis longtemps, est
d'exiger que MM. les entrepreneurs Prost et Boichon
les fessent mieux que par le passé et qu'ils se confor-
ment enfin raisonnablement aux prescriptions de leurs
devis d'entretien.
« Les points que je souligne ci-après et sur lesquels
doivent, à ma connaissance, porter ces améliorations
sont désignés aux devis de la façon suivante, savoir :
« 1° Extraction des matériaux dans les meilleurs
bancs des carrières ouvertes (art. 6).
« 2° Purgeage de la pierre cassée à l'aide du râ-
teau ou de la claie (art. 6).
« 3° Cassage de la pierre à l'anneau de 0,06 m.
(art. 4).
4° Emmétrage régulier des matériaux (art. 10).
Je ne sais trop si je puis compter sur votre ap-
pui en vue d'obtenir ces améliorations, mais ce que
je comprends bien, c'est que vous êtes résolument op-
posé à exiger le cassage de la pierre à 0,06 m. desti-
née aux rechargements cylindres de cette année, sous
le prétexte que c'est un travail inutile et vous vous
contentez de demander de la pierre cassée à 0,07 m.
Je crois au contraire que la pierre cassée à 0,06 m.
donne et donnera toujours de meilleures chaussées que
celle cassée à 0,07 m.; et puis, la grosse question, à
«
«
— 69 —
mon sens, est que les entrepreneurs sont payés pour
casser leur pierre à 0,06 m. et nous ne sommes pas
libres d'accepter de la pierre plus grosse ; de plus,
nous n'avons pas le droit de leur faire des gracieuse-
tés, pas plus sur le cassage que sur d'autres articles
de leurs fournitures.
« En ce qui concerne le purgeage de la pierre cas-
sée, vous m'avez exposé qu'il fallait, dans mes vérifi-
cations, apprécier le volume de la terre et des débris
en les passant à la grille et déduire ensuite par le cal-
cul le cube trouvé de celui à faire figurer au procès-
verbal de réception. Je pense au contraire qu'il faut
absolument exiger une bonne fois pour toutes des en-
trepreneurs qu'ils fassent le purgeage eux-mêmes, afin
que cela leur serve d'indication et de leçon pour les
années suivantes : un purgeage au râteau sera généra-
lement suffisant (art. 6).
« Cette manière de procéder est pratique et ration-
nelle, elle est, de plus, conforme au devis (art. 6).
Vous conviendrez certainement qu'apprécier, même
d'une façon approximative, le volume de la terre et
des débris dans un tas ou dans un cordon de pierres
cassées est chose bien difficile, et je ne voudrais pas
retomber, à cet égard, dans une affaire analogue à celle
de la Croix-du-Lac de l'année dernière, affaire que tout
le monde connaissait à l'avance, moi seul excepté?
« Je vous avouerai, d'autre part, que mes entrepre-
neurs ainsi que mes chefs cantonniers, voire même des
cantonniers ordinaires, me font l'effet d'avoir été pré-
venus directement de vos intentions, en raison de ce
que les premiers me résistent réellement et que les se-
conds me parlent dans votre sens depuis longtemps du
cassage et du purgeage de la pierre.
« En résumé, je vous demande si, le cas échéant,
vous vous opposeriez à des propositions de mises en
— 70 —
demeure pour ces deux entrepreneurs, car il m'est im-
possible de recevoir, en ce qui me concerne, leurs four-
nitures actuellement approvisionnées, sans avoir fait
tout ce qui dépend de ma surveillance et de mes attri-
butions. Cela m'est d'autant plus impossible qu'à Bal-
bigny, tout dernièrement encore, il m'est arrivé, au su-
jet de ma réception des bois du pont suspendu, cette
affaire surprenante que vous connaissez, à savoir que,
personne n'ayant apparemment commandé de fourni-
ture de bois pour le pont fixe, ni vous, ni M. Pru-
naret, ni moi, l'entrepreneur Verchère en avait néan-
moins fourni une, ce qui m'avait fait commettre une
erreur dans mon procès-verbal. J'estime que cette af-
faire-là, ajoutée à bien d'autres qui m'arrivent journel-
lement, doit attirer sérieusement mon attention et me
commande une extrême prudence.
« Enfin, ce même jour, vous avez bien voulu m'of-
frir votre protection au sujet de tout ce qui m'arrive
ici ; je dois vous déclarer, tout en vous remerciant,
que je ne puis l'accepter que dans la limite de nos
rapports de subordonné à supérieur : c'est cela, sansj
doute, que vous avez voulu me dire, nos idées per-
sonnelles étant, je crois, trop différentes pour envisa-
ger autre chose.
« Veuillez agréer, etc. »
Au-dessous, j'ajoute l'alinéa suivant, qui a été re-
produit par ce journal :
« Dès mon arrivée dans le service, fin 1895, je dé-
clarai nettement à M. de Ravel, afin qu'il ne pût y
avoir dans l'avenir ni équivoque ni surprise quelcon-
ques, que mes opinions politiques étaient celles de la
fraction républicaine relativement avancée. »
Au-dessous, j'ajoute un autre alinéa où je parle
encore de pierres cassées :
— 71 —
« Le 23 juillet 1897, vers le vingt-troisième kilomè-
tre de la route nationale n° 81, M. de Ravel indiqua
aux casseurs de pierres qu'il acceptait le cassage jus-
qu'à 8 centimètres environ (échantillons choisis par lui
devant eux et qu'ils me montrèrent). Nous ne pou-
vions donc pas nous entendre, puisque je demandais
l'application du devis, c'est-à-dire 6 centimètres, (A ce
point là, la pierre était très dure et cette dureté rem-
plissait les conditions prescrites par le devis.) »
Voici maintenant un spécimen indiquant comment
ce gentilhomme polytechnicien, chevalier de la Légion
d'honneur et ami du général Mercier et de Freycinet
dans l'Affaire Dreyfus, traitait un modeste petit paysan
républicain et conducteur des ponts et chaussées placé
sous ses ordres. Il s'agit d'une lettre officielle déjà pa-
rue dans le n° du 26 mars 1899 du journal « Le Dé-
mocrate de Roanne » ; les annotations correspondantes
n'ont reçu aucune publicité jusqu'à ce jour, mais elles
furent portées à la connaissance de M. l'ingénieur en
chef Delestrac en même temps qu'une copie de la lettre
de M. de Ravel, du 17 août 1897, reproduite ci-après:
Roanne, le 17 août 1897.
« L'ingénieur ordinaire des ponts et chaussées,
à M. Nourisson, conducteur, à
St-Germain- Laval .
Annotations inscrites sur la co-
pie de la lettre ci-contre, laquelle
copie fut adressée à M. l'ingénieur
en chef Delestrac, le 19 août 1897.
Monsieur,
« Je vous retourne les
ordres de service Nos 158
et 159 que vous m'avez
renvoyés et je vous renou-
velle Tordre de les notifier
sans délai. »
« Je demande des instruc-
tions préalables à M. l'In-
génieur en chef. Il n'y a là,
je crois, rien d'incorrect. »
— 72
« Je ne veux pas donner
suite à votre proposition de
mise en demeure, que je
considère comme injusti-
fiée.
»
« Je vous ai adressé deux
propositions de mises en de-
meure les 12 et 14 août,
une pour M. Boichon et
l'autre pour M. Prost. Je
pense qu'elles sont ample-
ment justifiées. »
« Je vous renouvelle
d'autre part les instructions
contenues dans ma lettre
du 12 courant. Ce sont des
instructions positives et
claires ; je vous invite for-
mellement à les mettre d'ur-
gence à exécution, en com-
mençant par les parties où
les entrepreneurs ont fourni
tout le cube prévu à l'état
d'indication. »
« Ces instructions ne peu-
vent suppléer à mes propo-
sitions de mises en demeure
rédigées en vertu de la cir-
culaire ministérielle du 25
novembre 1895 et du devis;
elles ne peuvent que faire
perdre un temps précieux
qui manquerait à la fin de
Tannée. J'en adresserai des
copies à M. l'Ingénieur en
chef, s'il le désire. »
« C'est moi qui veux faire
la réception, après que vous
m'aurez fourni les rensei-
gnements précis que je vous
ai demandés. »
« Art. 14 du devis. —
Nous devons régulièrement
signer tous les deux le pro-
cès-verbal de réception. Ma
signature ne doit pas y être
apposée par pure obéissance
passive en vertu d'un ordre
donné par un supérieur.
Est-ce exact ? »
— 73 —
« Je vous ai, en effet,
déclaré que dans la subdi-
vision de St Germain-Laval,
grâce à la succession rapide
de plusieurs conducteurs
qui n'ont pas eu le temps
d'y faire acte utile, il s'était
introduit, à l'égard des en-
trepreneurs, une tolérance
fâcheuse, et je vous ai dit
que j'attendais de vous un
concours efficace pour y
mettre un terme. »
« Cela ne veut pas dire
que je m'en remettrai ab-
solument à vous pour la
conduite à tenir envers les
entrepreneurs et que je
m'engageais par avance à
souscrire à toutes vos idées
en matière d'entretien. »
« J'ignorais d'ailleurs
quelle expérience vous pou-
viez avoir en pareille ma-
tière. ?>
« Ils n'ont fait que suivre
les anciens errements et vos
instructions. Pour ne citer
qu'un cas, ils ont laissé ex-
ploiter de mauvaises carrières
depuis plus de vingt ans,
qui ne figuraient pas au de-
vis ; d'autres carrières, très
bonnes et désignées au devis,
n'ont jamais été ouvertes.
Je compte faire le nécessaire
l'année prochaine pour cor-
riger cela, pas possible cette
année. »
« Je ne demande qu'à me
conformer aux lois, règle-
ments, instructions minis-
térielles et devis d'abord,
aux instructions de mes su-
périeurs hiérarchiques en-
suite. Est-ce là une mauvaise
conduite ? » .
« Je crois que votre ca-
marade Boutteville a dû vous
renseigner, puisqu'il vint me
voir à Clermont-Ferrand en
1894 et qu'il voulut abso-
lument soit me faire rentrer
chez son beau-frère Chaus-
segros, soit me faire réinté-
grer les ponts et chaussées.
Je ne pense pas non plus que
mon collègue Rigaud soit
venu me trouver sans ins-
tructions. »
— 74 —
« Or je trouve que vous
voulez montrer des exigences
que j 'estime ridicules et très
nuisibles à notre service. »
« Je ne vous laisserai pas
appliquer ces exigences. »
« Si vous n'entendez pas
vous plier à cette façon de
comprendre nos attributions
respectives, je ferai le né-
cessaire pour conduire le
service sans vous. »
« Il vous a plu de porter
la question directement de-
vant M. l'ingénieur en chef,
et il vous plaît aujourd'hui
d'en saisir M. le préfet, je
m'en félicite, tout en me
réservant d'apprécier ce pro-
cédé comme il le mérite ;
c'est le moyen le plus sim-
ple de mettre un terme à
une situation intolérable et
préjudiciable au service. »
« Mais cet appel ne vous
exonère pas de l'obligation
de vous conformer aux or-
dres que je vous donne. »
« S'il y a quelque chose
de ridicule, ce que je ne
crois pas, il faut le recher-
cher dans les devis imprimés
et signés par vous en 1894,
avant mon arrivée dans vo-
tre service. D'autre part, je
ne pense pas que ce ridicule
existe dans ma conduite. »
« Ceci est une menace
comme j'en ai reçu d'autres
de vous. Je ne pense pas les
avoir méritées. »
« Rien de plus correct, ce
me semble, que de m'adres-
ser à M. l'ingénieur en chef
après vous, et ainsi de suite
lorsque cela est nécessaire. »
« Situation intolérable,
dites-vous ? »
(( Mais alors pourquoi
m 'offriez- vous gracieuse-
ment votre protection à
Balbigny, le 23 juillet der-
nier, et cela après ma note
du 18 juin et les affaires Boi-
chon et Souchon du mur
de Juré, etc., etc. i>
« Ce n'est pas mon avis. »
« Avant d'agir je demande
et attends des instructions
d'un ordre plus élevé. »
— 75 —
« Je crois que dans huit
jours vous pouvez avoir re-
cueilli les renseignements
demandés par ma lettre du
12 août. Je suis prêt d'ail-
leurs, si vous le demandez,
à allonger ce délai. »
« Si, ce délai écoulé, je
n'ai pas reçu votre réponse,
je prendrai les mesures né-
cessaires pour me passer de
votre concours. »
«
Recevez, etc.
« Je ne refuse aucun con-
cours, »
« Encore une fois, je crois
indispensable de demander
et d'obtenir des instructions
d'ordre plus élevé avant d'a-
gir, en raison de ce que je
crois être dans la bonne et
légale voie et vous à côté.
Je regrette infiniment qu'il
n'y ait pas eu encore cette
année d'inspection géné-
rale (i), j'aurais posé la
question devant M. l'ins-
pecteur comme je le fis
l'année dernière au sujet du
procès-verbal dressé contre
l'entrepreneur Darcon, et
comme je l'ai fait encore
cette année devant M. l'in-
génieur en chef au sujet du
mémoire Boichon du mur
de Juré. »
« Signé : Rolland de Ravel. »
Cette lettre est suivie des réflexions suivantes, pu-
bliées dans ce même journal :
« En ce qui concerne les réceptions de matériaux,
je n'ai jamais contesté à ce que M. Rolland de Ravel
(1) Il est probable que c'est ce paragraphe qui fit que l'inspection gé'
nérale de M. Deloche eut lieu le 24 août suivant, laquelle me mit dans
l'obligation de soutenir une lutte très pénible contre cet inspecteur, qui
comprenant à la fin qu'il ne parviendrait ni à m'intimider ni à me
faire céder, me menaça des « foudres de M. l'ingénieur en chef Deles-
trac » ???
— 76 —
les fît lui-même, c'est le règlement, ce qu'il n'avait pas
fait, du reste, depuis peut-être plus de dix ans ? ?
« Il n'y a pas que dans la subdivision de St-Ger-
main- Laval où il s'est introduit des tolérances fâcheu-
ses à l'égard des entrepreneurs', cela est vrai, à ma
connaissance, pour tout le Département et pour la
France entière, pour la vicinalité encore plus peut-être
que pour les ponts et chaussées.
« Je n'ai jamais voulu « diriger le service », selon
l'expression de M. Rolland de Ravel ; j'ai simplement
fait mes efforts pour me conformer à mon serment
professionnel, observer les lois, les règlements et les
instructions ministérielles, notamment la décision de
novembre 1895 qui horripile les ingénieurs en don-
nant la signature aux conducteurs subdivisionnaires et
conséquemmenf, la responsabilité de leurs actes.
« Je n'ai pas porté la question devant M. le préfet »,
le temps m'a fait défaut.
« Enfin, les renseignements demandés par M. Rol-
land de Ravel, dans sa lettre du 12 août, n'étaient à
mes yeux qu'une diabolique machination à mon adresse;
néanmoins, je m'y suis conformé autant et aussi vite
que possible.
« Signé : B. Nourisson. »
Ci-après, la copie d'une autre note à moi adressée
par ce même ingénieur, le 16 juin 1897, numéros 394
et 61.
« Dans votre lettre du 1 1 juin, vous me parlez des
fournitures d'entretien de MM. Prost et Boichon.
« En ce qui concerne le cassage pour les recharge-
ments qui doivent recevoir 8 à 10 centimètres d'épais-
seur, j'accepte volontiers un cassage un peu gros, à 7
centimètres, par exemple, surtout quand la pierre n'est
pas très dure.
— 77 —
« Mais, petit ou gros, le cassage doit être sensible-
ment régulier.
« La qualité de la pierre est une grosse affaire, je
vous prie de veiller à ce que Ton tire dans les meil-
leurs bancs, et aussi à ce qu'on ne mélange pas des
pierres de qualités différentes. (1)
« Signé : Rolland de Ravel. »
Voici ma réponse à la lettre ci-dessus :
« St-Germain- Laval, le 18 juin 1897, note n° 134.
« Je fais et ferai tous mes efforts pour arriver cette
année à la perfection dans la fourniture des matériaux
d'entretien, autant du moins qu'on puisse raisonnable-
ment l'exiger.
« Je veillerai sérieusement à la qualité de la pierre,
à sa propreté et à son cassage. L'année dernière, j'ai
déjà obtenu quelque chose et cette année je compte
obtenir mieux encore. L'année dernière, je n'ai pu ob-
tenir, malgré tous mes efforts, un emmétrage suffisant
des emplois partiels, les tas de 0,70 et 0,80 mètre cube
pour 1 mètre cube étaient nombreux, ceux de 0,90
mètre cube l'étaient bien davantage. Je me suis trouvé
dans l'obligation de faire la déduction au jugé le jour
de la réception ; cette année, je compte que tout ira
mieux.
« Mais, une question de principe m'inquiète : vous
paraissez accepter le cassage à 0,07 m. pour la pierre
destinée aux rechargements cylindres. Je crois que nous
n'avons pas le droit d'user de. cette tolérance. La loi,
en cette matière, est le devis, qui exige impérieusement
(1) Je tiens cette phrase pour un modèle de jésuitisme. J'avais fait la
triste expérience que mes entrepreneurs étaient d'accord avec mes in-
génieurs pour n'en rien faire ; et quand j'eus verbalisé contre eux tous,
puisque tout autre moyen était insuffisant, on se débarrassa de moi par
un déplacement d'office, accompagné d'un retrait d'emploi et de ma ré-
vocation !
— 78 —
que toute la pierre cassée, sans distinction aucune, le
soit à 0,06 m. Je ne crois même pas qu'il soit possi-
ble d'user de tolérance sur ce point pour la reporter
en sévérité sur la qualité qui, du reste, doit être par-
tout bonne, autant du moins que le comportent les
carrières.
« Mon rôle consiste, à mon avis, à appliquer, dans
l'espèce, l'esprit du devis dans chacun de ses? articles
pris séparément, non d'une façon absolument rigou-
reuse, car alors tout travail comme toute fourniture de-
viendraient peu à peu impraticables, mais sérieusement,
avec sévérité même.
« Veuillez me dire, je vous prie, si je me trompe
ou si j'interprète mal et, dans le cas contraire, veuillez
adresser des ordres de service aux entrepreneurs Prost
et Boichon, faisant nettement ressortir que non seule-
ment ils doivent fournir de la bonne pierre tirée des
meilleurs bancs des carrières ouvertes, bien purgée de
terre et débris de toute nature, mais encore que cette
pierre doit être cassée à l'anneau de 0,06 m.
« Signé : B. Nourisson. »
Voici la réponse à moi faite le 25 juin 1897 par
cet ingénieur, note n° 64 :
« Un ordre de service n'est pas nécessaire pour que
vous puissiez refuser une fourniture ou un travail ; il
suffit que la fourniture ou le travail, tout en ne répon-
dant pas aux conditions utiles ne soit pas exécuté
conformément au devis. »
« Signé : Rolland de Ravel. »
Ces trois notes des 16 juin 1897 (numéros 394 et
61), 18 juin 1897 (numéro 134) et 25 juin 1897 (nu-
méro 64) furent communiquées en copie, le 30 juillet
1897, à M. l'ingénieur en chef Delestrac, et j'ajoutai à
— 79 —
la suite l'annotation suivante à titre de renseignements
complémentaires :
« Il résulte des instructions verbales qui m'ont été
données par M. Rolland de Ravel, à Balbigny, le 23
courant, ainsi que de celles données le même jour aux
casseurs de pierres (entreprise Prost, route nationale
n° 81, point 23,1 km.) que cet ingénieur ne demande
même plus un cassage à 0,07 m., comme il est dit
ci-dessus, mais bien un cassage à 0,08 m., ainsi que le
prouvent les échantillons de pierres choisis par lui en
présence de ces ouvriers. A ce point kilométrique la
pierre est très dure.
« Signé : B. Nourisson. »
Qu'arriva-t-il à la suite de ces communications des
30 juillet et 19 août 1897, à M. Delestrac ?
Il arriva que M. de Ravel m'adressa, le 3 septem-
bre suivant, la note ci-après, qui a été publiée dans le
numéro du 19 mars 1899 du journal « Le Démocrate
de Roanne » :
« A M. Nourisson, conducteur.
J'ai reçu votre dépêche.
Je ne dis pas et n'ai jamais dit que votre pro-
position de mise en demeure ne fût pas justifiée, mais
qu'elle n'était pas accompagnée des justifications que
le devis donne à l'entrepreneur le droit d'exiger.
« Une mise en régie à la suite d'une pareille mise
en demeure exposerait l'administration à des contesta-
tions fondées.
« Envoyez-moi les renseignements que j'ai deman-
dés ; ensuite nous verrons.
« Signé : Rolland de Ravel. »
Voilà maintenant le compte-rendu des opérations de
réception d'une partie — une partie seulement (?) —
«
«
— 80 —
des matériaux d'empierrements faites les 11 et 25 sep-
tembre 1897 par M. Rolland de Ravel en ma présence,
lesquelles donnèrent lieu à de nombreuses protestations
de ma part, pour cause de violation des prescriptions
réglementaires par cet ingénieur (ce compte-rendu a été
publié sous ma signature dans le n° du 7 mai 1899 du
journal « Le Démocrate de Roanne ») :
«Réception de 11 septembre 1897.
« Route nationale n° 81.
« Cordon de pierres cassées déposées sur la route
entre les points 41 k. et 41 k. 400. Terre et débris
trouvés dans la pierre : 8 %. Pierres trop grosses au-
dessus de 7 centimètres : 24 % . — Cordon de pierres
cassées déposées sur la route entre les points 39 k. 800
et 40 k. Terre et débris : 8 %. Pierres trop' grosses
au-dessus de 7 centimètres : 12 %. — Cordon de
pierres cassées déposées sur la route entre les points
20 k. et 20 k. 332. Terre et débris : 18 %. Pierres
trop grosses au-dessus de 7 centimètres : 18 %.
«
«
«
Réception du 25 septembre 1897.
Route départementale n° 6.
Cordon de pierres cassées déposées sur la route
entre les points 6 k. 500 et 7 k. (fourniture de M.
Etaix, à Grésolles). Terre et débris : 12 %. Pierres
trop grosses au-dessus de 7 centimètres : 20 %. —
Cordon de pierres cassées déposées sur la route entre
les points 12 k. et 12 k. 800 (fourniture de M. Boi-
chon). Terre et débris : 13 %. Pierres trop grosses
au-dessus de 7 centimètres : 13 %. Cordon de pierres
cassées, déposées sur la route entre les points 4 k. 265
et 4 k. 700 de la route de St-Germain à Balbigny
— 81 —
(fourniture de M. Boichon). Terre et débris : 0 % . (1)
Pierres trop grosses au-dessus de 7 centimètres : 0 % . (1)
« Mais il y a lieu de remarquer que les vérifica-
tions ci-dessus relatées furent faites, sur l'ordre formel
de M. Rolland de Ravel et malgré mes protestations
répétées, avec un anneau de 7 centimètres de diamètre
au lieu de celui de 6, seul prescrit par les devis d'en-
tretien. Il convient donc, pour ramener aux prescrip-
lions de ces devis les pourcentages relatés plus haut,
d'y ajouter les 30 % environ, dont j'ai déjà parlé dans
ce journal. (2)
« Ainsi, pour le premier cordon compris entre les
points 4 k. et 4 k. 400y il faut tout d'abord retran-
cher de la fourniture totale les 8 % de terre qui ne
comportent aucun paiement ; et, pour le paiement de
la main-d'œuvre du cassage, il faut également retran-
chée toute la pierre cassée au-dessus de six centimè-
tres, soit : 8 + 24 + 30 = 62 %.
« Pour le cordon compris entre 20 k. et 20 k, 332,
il faut retrancher de tout paiement : 18 % de terre ;
et, pour le paiement du cassage, il faut retrancher :
18 + 18+ 30 = 66 %.
« Un calcul analogue montre que la fourniture de
M. Etaix, à Grézolles, doit subir, avant tout paie-
ment, une réduction de 12 % pour la terre, et de
12 + 20 + 30 = 62% sur le prix de cassage de la
pierre. La fourniture de M. Boichon doit subir avant
tout paiement, une réduction de 13 % pour la terre,
(1) J'ai expliqué le 29 décembre 1897, à M. Jolibois, président de la
société des conducteurs des ponts et chaussées, comment je m'étais
laissé «rouler» dans ce cas particulier.
(2) Ce nombre de 30 % ne figure ici qu'à titre d'approximation, je
n'en certifie point la rigoureuse exactitude, puisque je ne pus faire l'ex-
périence avec l'anneau de six centimètres, à cause de la défense de M.
de Ravel ; il n'en est point de même des autres nombres, qui sont tous
l'expression exacte des mesurages et vérifications.
— 82 —
plus une réduction de 13 + 13 + 30 = 56 %
sur le montant de la main-d'œuvre du cassage.
« Quant aux cordons de pierres situés dans les tra-
versées des communes de Crémeaux et de Nervieux,
M. Rolland de Ravel ne voulut pas, pour des raisons
bizarres et très curieuses, s'en occuper les 11 et 15
septembre 1897?
« Je pense que ces quelques exemples sont suffi-
sants pour donner au lecteur un aperçu de ce qui se
passe sur nos routes en général et sur celles de St-
Germain- Laval en particulier.
« Jamais, j'en suis convaincu, les réductions rela-
tées plus haut n'ont été faites sur les mandats de paie-
ments de MM. Prost et Boichon !
« Jamais, que je sache, aucun conducteur des ponts
et chaussées n'a eu le courage de signaler ces choses
à l'attention publique !
« Pour moi, je ne puis me sortir cette idée de la
tète, c'est le panamisme administratif dans toute sa
beauté !
« Avec cet abominable système, il n'y a plus de de-
vis, plus d'adjudications publiques que pour la forme,
plus de lois, plus rien ! La volonté des ingénieurs et
des mauvais politiciens en tient lieu. Les Pouvoirs Pu-
blics devraient enfin y mettre ordre et dans toute la
France. (1)
« Signé : B. Nourisson.»
(1) Je crois devoir donner quelques renseignements complémentaires
sur les affaires ci-dessus exposées, lesquelles touchent de près aux
mesures disciplinaires prises contre moi.
Le 11 septembre 1897, jour de réception d'une partie des matériaux
d'empierrements de la route nationale n° 81, réception faite par M. de
Ravel, en la présence de l'entrepreneur Prost Gaspard et de ses tâche-
rons, ainsi qu'en celle des cantonniers Bêche, Fleury, Rousset, Barraud,
etc., et de la mienne, je me trouvai dans l'obligation de protester devant
tout le monde, non seulement contre la mauvaise qualité de la pierre et
l'emploi antiréglementaire de l'anneau de sept centimètres, mais encore
— 83 —
de rappeler à M. de Ravel les prescriptions de la circulaire ministérielle
du 29 novembre 1849, donnant au conducteur une réelle responsabilité
dans ces opérations comme comptable, puisque c'est à lui seul, une fois
les fournitures reçues, d'en consigner les résultats sur ses livres de
comptabilité dont il est responsable. Je donnai lecture des passages
essentiels de cette circulaire à M. de Ravel, laquelle est rappelée dans
le manuel du conducteur des ponts et chaussées Endrès.
Ce même jour du 1 1 septembre, un autre de mes entrepreneurs
(M. Boichon) déclara, paraît-il, devant plusieurs témoins, au café Simon
à St-Germain-Laval, «qu'il savait, 15 jours avant ma candidature à la
municipalité de cette ville (18 aoûti, que je devais prochainement rece-
voir une autre destination » ??
Le 22 septembre 1897, sur l'ordre de M. de Ravel, je notifiai à M.
Prost, Gaspard, pour la signature, le procès-verbal de ses matériaux
reçus le 11. Ce procès-verbal, qui ne portait à ce moment aucune signa-
ture, avait été rédigé en entier, minute et expéditions, au bureau de
M. de Ravel, à Roanne, sur les imprimés réglementaires et, en outre de
ceux-ci, sur d'autres états manuscrits imaginés par lui pour la circons-
tance et intitulés : « procès-verbal des essais » ??
M. Vallas, notaire à St-just-en-Chevalet et conseiller d'arrondisse-
ment, eut une singulière attitude à mon égard ce même jour : il s'était
occupé des intérêts de M. Prost auprès du député Audiffred, paraît-il ?
Ce qu'il y a de certain, c'est que je ne revis plus les pièces remises par
moi à M. Prost, le 22 septembre 1897 ?
Le 25 septembre 1897, M. de Ravel procéda à la réception d'une par-
tie des matériaux d'empierrements de la route départementale n° 6, en
la présence de l'entrepreneur Boichon et de son tâcheron Etaix, ainsi
qu'en celle des cantonniers Colongeon, Nabonnant, Epinat, etc.. et de la
mienne, je protestai de nouveau et devant tout le monde contre l'em-
ploi de l'anneau antiréglementaire de sept centimètres, mais je ne pro-
testai pas sur la qualité de la pierre qui, sur cette route, était sensi-
blement équivalente à celle prévue aux carrières désignées au devis.
M. de Ravel rédigea lui-même, sur les lieux, le procès-verbal sur des
imprimés de son invention dits : « procès-verbal des essais » (j'en ai
conservé un spécimen). 11 le signa et le fit signer par M. Boichon. Quant
à moi, je fus chargé d'en faire des copies, de rédiger le procès-verbal
sur les imprimés officiels, de faire les copies réglementaires, de sou-
mettre le tout à la signature de M. Boichon et de les signer moi-même.
Je m'acquittai de cette mission, mais j'eus la précaution, une fois que
M. Boichon eût signé, de faire précéder ma signature de la mention sui-
vante : « approuvé par le conducteur des ponts et chaussées soussigné,
sauf en ce qui concerne l'application de -l'anneau antiréglementaire de
sept centimètres, au lieu de celui de six, seul prescrit par le devis ». Je
fis remettre par le cantonnier Epinat la minute signée par M. de Ravel
qui revenait à M Boichon et j'envoyai les autres à M. de Ravel, à
Roanne, pour signature et retour, afin que je susse ce qui me restait à
faire : je ne les ai jamais revues !
Je confesse ici ma parfaite imbécillité pour m'être dessaisi de la mi-
nute de ce procès-verbal signé sans réserves par M. de Ravel, que je
fis remettre ce même jour à M. Boichon par le cantonnier Epinat.
Quant à la singulière réception du cordon de pierres cassées dépo-
— 84 —
sées entre les points 4 km. 265 et 4 km. 700, où M. Boichon se fit
remplacer par son jeune fils (?), voilà comment les choses se passèrent :
M. de Ravel, venu en vélo le matin, manifesta une fatigue et s'assit
sur ce cordon de pierres, dans le voisinage du point 4 km. 700. La vé-
rification fut faite à ses côtés et je n'eus pas l'idée, sur le moment, de
demander à la faire plus loin. Les résultats furent excellents : pas de
terre et débris dans la pierre et les plus gros cailloux passèrent dans
l'anneau de sept centimètres. 11 n'en aurait pas été de même évidemment
avec celui de six centimètres, mais c'étaient des cailloux de rivière aux
angles arrondis qui, bien qu'un peu gros, passèrent dans cet anneau de
sept centimètres. Que m'apprit-on peu après? On m'apprit qu'à ce point
spécial (4 km. 700) le cordon de pierres cassées avait été tout particu-
lièrement soigné et purgé de terre et débris, la veille ou l'avant-veille
seulement ??
Le 28 septembre, sur l'ordre de M. de Ravel, je notifiai à l'entrepre-
neur Prost, Gaspard, un arrêté préfectoral qui avait été préparé par
M. de Ravel en dehors de mon intermédiaire? Cet arrêté, fort incom-
plet à ma connaissance, donnait néanmoins une certaine satisfaction
aux prescriptious réglementaires et limitait à quinze jours le délai auquel
cet entrepreneur devait avoir terminé ses fournitures et travaux. Ce dé-
lai expiré, c'était la mise en régie à ses frais et c'était à moi à en faire
la proposition, ce à quoi je n'aurais pas manqué si M. Prost ne s'était
pas acquitté de ses obligations ; il en aurait été de même pour M. Boi-
chon peu après. M. Prost ne tint compte que d'une insignifiante façon
des prescriptions de cet arrêté, ainsi que je l'avais prévu et ainsi que je
voulus le constater dans la suite ; mais alors je ne pouvais plus faire
aucune proposition ni contre lui ni contre son collègue Boichon; puisque
j'étais en retrait d'emploi depuis le 1 1 octobre ! Cette décision ne me
fut remise que le 21 octobre, à 7 heures et demie du soir seulement,
par mon cantonnier Colongeon (?) et elle n'a été enregistrée ni au bu-
reau de St-Etienne ni à celui de Roanne; mais une autre décision du
12 octobre me fut notifiée le 13, registre A, n° 919 de l'ingénieur ordi-
naire à Roanne, elle est ainsi conçue :
« PRÉFECTURE DE LA LOIRE
« St-Etienne, le 12 octobre 1897.
«. M. l'ingénieur en chef,
« j'ai l'honneur de vous donner ci-dessous copie d'un télégramme que
je viens de recevoir de M. le Ministre des Travaux Publics :
« M. Nourisson, conducteur "des ponts et chaussées est mis en retrait
d'emploi pendant 3 mois, à dater du 16 octobre, avec les deux cinquiè-
mes de son traitement. Il prendra possession de son emploi dans le dé-
partement du Cher le 16 janvier prochain.
« Pour le préfet,
« Le secrétaire général délégué.
« Signature illisible. »
11 est inutile d'ajouter, je pense, que je n'ai jamais eu la moindre
confiance dans les agissements de M. de Ravel et Cie dans toutes ces
affaires : il manœuvra et ils manœuvrèrent en vue de se débarrasser de
moi tout simplement, car le cas était trop embarrassant pour eux tous ;
aussi, les 2, 3, 4 et 5 octobre, un grand nombre de mes cantonniers se
donnèrent congé : ils avaient su, paraît-il, que j'étais déplacé ?
— 85 —
Je crois indispensable maintenant de passer rapidement
en revue ma situation d'ancien employé de la vicinalité
du Puy-de-Dôme, ce sera l'objet du chapitre suivant.
Le 3 octobre, mon chef cantonnier Colongeon, le voisin du sénateur
Bourganel, reçut directement du bureau de M. de Ravel, à mon lieu et
place, les paquets administratifs ??
Le 6, je reçus directement par la poste (?) une lettre datée du 4,
registre A, n° 2022, de M. l'ingénieur en chef Lecourt, à Bourges, me
faisant connaître que j'étais nommé dans son service par décision mi'
nistérielle du 2 octobre et m'invitant à prendre d'urgence mon nouveau
service au bureau de l'ingénieur David, en remplacement de M. Humbert
décédé?
Je demandai en vain des explications de tous les côtés sur ce mal-
honnête déplacement. M. le Ministre Turrel y répondit le onze octobre
par sa décision que le lecteur a remarquée plus haut et M. l'ingénieur
en chef Lecourt m'informa, par sa lettre du 19 octobre 1897, registre A,
n° 2075, que la décision ministérielle du 2 octobre 1897 me concer-
nant avait été transmise à son collègue Delestrac, lequel me répondit,
le 27 du même mois, « qu'il n'avait pas d'autre dépêche ministérielle à
me transmettre que celle du onze octobre » ci-dessus relatée ? Quant à
M. Rolland de Ravel qui ignorait tout, m'écrivit-il, il fut nommé ingé-
nieur en chef — naturellement — peu de temps après!
Autre chose encore : j'ai appris plus tard que MM. les inspecteurs
généraux des ponts et chaussées décidèrent à cette époque la modifica-
tion des devis d'entretien des routes, dont les types étaient uniformes
alors dans toute la France ; ils créèrent des catégories pour compliquer
inutilement les choses et les embrouiller et ce travail fut terminé, je
crois, à la fin février 1897. C'est peut-être à cause de cette « mirifique
intrigue » que ma révocation finale, qui devait se produire aussitôt après
le 26 janvier si je ne m'étais pas rendu dans le Cher, fut ajournée jus-
qu'au 7 mars (?) c'est-à-dire après l'adoption des nouveaux devis ?
Enfin une autre décision de M. le Ministre des Travaux Publics me
fut adressée à cette époque; elle ne porte aucune mention d'enregistre-
ment aux bureaux de MM. les ingénieurs Delestrac, Lecourt et Rolland
de Ravel et elle est ainsi conçue :
< Paris le 15 octobre 1897.
« Monsieur,
< Par décision du 11 octobre 1897, vous êtes mis en retrait d'emploi
pendant 3 mois avec les deux cinquièmes de votre traitement.
« Cette portion de traitement sera mandatée par les soins de M. l'in-
génieur en chef du département du Cher.
« J'ai d'ailleurs reporté du 1er octobre 1897 au 16 janvier 1898 l'effet
de la décision du 30 septembre dernier par laquelle vous avez été dé-
placé et attaché au service ordinaire du département du Cher.
« Recevez, etc.
« Pour le Ministre et par autorisation,
« Le Directeur du personnel et de la comptabilité :
« Signé : Nobel. »
Inutile d'ajouter que je n'ai jamais connu cette décision du 30 sep-
tembre 1897!
CHAPITRE VII
Il me faut revenir en arrière d'une dizaine d'années
environ pour montrer sommairement au lecteur com-
ment et pour quelles raisons je quittai l'administration
des ponts et chaussées en 1890, pour y revenir cinq
ans plus tard après avoir séjourné quatre années à la
vicinalité du Puy-de-Dôme, dans une situation toute
particulière. Je l'avertis que c'est pendant cette période
de cinq ans et à cause de la particularité de ma situa-
tion que s'est noué autour de moi et à mon insu tout
d'abord la criminelle intrigue de l'Affaire Dreyfus,
greffée en partie sur la fusion projetée des services de
voirie des ponts et chaussées et de la vicinalité, ainsi
que je l'ai déjà donné à comprendre en reproduisant
les déclarations à moi faites à Royat, en août 1894,
par l'ingénieur Boutteville, déclarations insérées dans
ma pétition du 12 novembre 1907, adressée au Sénat
et reproduite au chapitre IV.
Ci-après, la reproduction textuelle du rapport que
fit sur moi ce même ingénieur Boutteville, sous les
ordres duquel j'étais placé à cette époque.
« Clermont-Ferrand, le 31 mars 1889.
N° 3462 du registre A de l'ingénieur ordinaire.
Demande présentée par M. Nourisson, conducteur
des ponts et chaussées, tendant à être attaché au ser-
vice vicinal du département de Puy-de-Dôme.
« Par une pétition en date du 20 mars 1889, adres-
sée à M. le préfet du département du Puy-de-Dôme,
M. Nourisson, conducteur des ponts et chaussées de
IVme classe, attaché à la résidence de Clermont-Fer-
«
«
— 87 —
rand au service de construction du chemin de fer de
Mauriac à la ligne d'Aurillac à St-Denis, sollicite sa
nomination au grade d'agent voyer du service vicinal
du département du Puy-de-Dôme.
« En raison de l'achèvement des travaux dont nous
étions chargés, nous ne voyons aucun inconvénient au
point de vue du service au départ de M. Nourisson,
qui pourrait être mis dans la position de service dé-
taché, ainsi qu'il en a été décidé pour plusieurs con-
ducteurs précédemment attachés au service ordinaire
du Puy-de-Dôme et qui remplissent maintenant les fonc-
tions d'agents voyers cantonaux dans ce même dépar-
tement.
« M. Nourisson, maintenant âgé de 29 ans, est en-
tré dans l'administration des ponts et chaussées en
qualité d'agent auxiliaire, le 10 octobre 1875 ; il a été
successivement attaché au bureau de l'ingénieur ordi-
naire et à divers bureaux de chefs de sections chargés
des études, puis de la construction des chemins de fer
de Vichy à Ambert et de Mauriac à Aurillac. Il a
ainsi collaboré aux opérations sur le terrain, à l'étude
des projets, à la surveillance des travaux et enfin à la
préparation des métrés et décomptes définitifs.
« Déclaré admissible au grade de conducteur des
ponts et chaussées à la suite du concours de 1882, il
a été nommé, par décision ministérielle du 30 septem-
bre 1885, agent secondaire faisant fonctions de con-
ducteur, puis, par décision du 29 octobre 1886, con-
ducteur des ponts et chaussées. Il a, depuis cette épo-
que, été chargé de la comptabilité de l'ingénieur ordi-
naire.
« M. Nourisson est très sérieux, intelligent et actif,
et il a rempli ses diverses fonctions à notre entière sa-
tisfaction : nous estimons que le service vicinal du
Puy-de-Dôme ferait en lui une excellente acquisition.
-, 88 —
« Nous avons en conséquence l'honneur de propo-
ser de transmettre avec avis favorable à M. le préfet
du Puy-de-Dôme la demande de M. Nourisson, qui
pourrait être dès maintenant nommé agent voyer de
IVme classe au traitement de 2000 fr. par an.
« Signé : Boutteville. »
Le rapport ci-dessus reproduit, accompagné de ma
demande* fut adressé à sa destination mais n'aboutit
pas : j'ai su plus tard que l'administration des ponts
et chaussées ne voulait pas me laisser partir d'abord,
ensuite que la vicinalité du Puy-de-Dôme ne voulait
plus accepter d'agents des ponts et chaussées, à cause
de la rivalité des deux administrations et en prévision
de la fusion projetée des services de voirie.
Je fus donc envoyé à Murât (Cantal) dans un ser-
vice analogue au précédent et pendant une année en-
viron, sous les ordres de l'ingénieur Malterre (1) ; je
m'employai, pendant ce temps, mais en dehors de l'in-
tervention officielle de mon administration, à me faire
accepter par la vicinalité de mon département (Puy-de-
Dôme), ce qui arriva le 6 juin 1890, date à laquelle
le préfet Bardon me nomma agent voyer cantonal, à
Pontaumur.
M. le préfet m'expliqua, au cours d'une visite que
je lui fis quelques jours après, que la vicinalité et le
conseil général du Puy-de-Dôme n'acceptaient plus de
conducteurs en service détaché, et que, pour me nom-
mer agent voyer cantonal, il avait été obligé de pas-
(1) Dans ce nouveau service, je fus chargé comme chef de bureau
de M. Malterre, non seulement des affaires relatives à la liquidation de
travaux de constructions de chemins de fer, comme précédemment,
mais encore du service ordinaire des ponts et chaussées et de la vici-
nalité, lesquels services sont fusionnés dans le département du Cantal.
Je dois à la vérité de dire ici que je n'ai qu'à me louer de la conduite
de cet ingénieur à mon égard.
— 89 —
ser outre aux propositions de l'agent voyer en chef
Dulier qui m'étaient absolument défavorables ; il me
recommanda expressément {M. Nicolet, son secrétaire gé-
néral, doit s'en souvenir) de mettre de l'ordre dans
mon nouveau service, qui avait été considérablement
négligé, et me défendit absolument de m'occuper de
travaux particuliers, comme l'avait fait mon prédéces-
seur, M. Chrétien : je lui en donnai la promesse que
je m'efforçai de tenir dans la suite, ce qui me pro-
cura des ennuis insurmontables, tant du cpté du pu-
blic et des maires des communes que de celui de mes
chefs hiérarchiques. Enfin, il fut convenu entre nous
que j'attendrais les événements relatifs à la fusion des
services de voirie en voie d'être solutionnée, avant de
donner ma démission de conducteur des ponts et chaus-
sées, et que je demanderais des congés annuels renou-
velables qu'il s'efforcerait de me faire obtenir de son
côté.
M. Bardon est mort, mais M. Nicolet est encore
vivant, je crois, et il doit se souvenir de tout cela ; il
doit d'autant mieux s'en rappeler qu'au moment de ma
sortie de la vicinalité du Puy-derDôme, en juillet 1894,
il me déclara, à ma grande surprise, que j'allais don-
ner lieu à des choses aussi exceptionnelles qu'extraor-
dinaires. A cette époque, je ne m'étais pas rendu exac-
tement compte du rôle d'agent d'expériences que l'on
m'avait fait jouer de 1890 à 1894, au sujet de la fu-
sion projetée des services de voirie : je ne l'ai su que
plus tard.
Et ici se pose une question d'une réelle importance :
il est certain que pendant mon séjour à Pontaumur
comme agent voyer, de 1890 à 1894, j'ai servi d'agent
d'expsériences et que j'ai été étroitement surveillé dans
mes fonctions par différentes personnalités, qui avaient
mission de se documenter tout particulièrement en vue
— 90 —
de la fusion projetée des services de voirie ; il m'a été
dit que le général de Pellieux, alors chef d'état-major
du 13me corps d'armée, à Clermont-Ferrand, qui de-
vint sous-chef de l'Etat- Major général de l'armée, à Pa-
ris, et dont le rôle dans l'Affaire Dreyfus est bien
connu, s'était occupé de moi dans ce sens. D'autres
personnalités civiles et militaires en avaient fait autant,
les unes étaient favorables à une fusion en faveur
du personnel des ponts et chaussées, tandis que
les autres l'étaient en faveur du personnel rival
des agents voyers. Le capitaine Dreyfus, polytech-
nicien et stagiaire à l'Etat- Major général de l'Ar-
mée, ne s'était-il pas, lui aussi, occupé de moi dans
ce même sens ? Et s'il s'en est occupé, ne servit-il
pas les idées et n'était-il pas d'accord sur ce point
avec MM. Guyot-Dessaigne et le préfet Bordon qui,
l'un comme l'autre, étaient favorables à une fusion en
faveur de la vicinalité ? Des incidents survenus à l'é-
poque de sa condamnation, en 1894, et dont j'ai été
à la fois quelque peu l'acteur et le témoin, tendent à
donner une certaine consistance à cette hypothèse ; j'a-
joute que quelques-uns de ces incidents se produisirent
à l'époque où je quittai le bureau de MM. Ponction
et Méridier (18 décembre 1894), laquelle époque coïn-
cide exactement avec son procès et sa condamnation
par le premier conseil de guerre (il fut condamné le
22 décembre 1894, après quatre audiences).
D'autre part, il est avéré qu'à cette époque un
grand nombre de nos officiers complotaient depuis
longtemps et de toutes leurs forces, pour le renverse-
ment de la République ; le capitaine Dreyfus n'était-il
pas de ce nombre? Je me souviens très bien avoir
parlé de cela à M. Duvand, le 10 juillet 1899, à son
domicile, à Paris. Et si ces choses sont exactes, mon
ancien ingénieur Boutteville, très au courant de tout,
— 91 —
m'a dit vrai sur un point — un point seulement — à
Royat, en 1894, et a menti sur tout le reste ; à savoir
que le capitaine Dreyfus trahissait, non pas la France
pour le compte de l'Allemagne, comme il me Paffirma,
mais bien la République et la cause des ponts et
chaussées dans cette question de voirie, le tout pour le
compte d'une restauration ou d'une dictature. De telle
sorte que M. Boutteville, le général Mercier? et leurs amis,
tout aussi fauteurs de coup d'Etat que lui et connais-
sant sa conduite antirépublicaine, auraient tout simple-
ment tiré la couverture à eux en transformant ses agis-
sements politiques en crime de haute trahison : d'où
le « bordereau » écrit par Esterhazy et par ordre, etc.,
etc.
Voilà un point qui aurait pu sans doute être élu-
cidé, si la Justice et les hommes politiques de mon
pays auxquels je me suis adressé avaient consenti à
m'entendre et à faire leur devoir de citoyens républi-
cains. Qu'ils en assument toute la responsabilité qui
leur incombe !
Je vais dire quelques mots maintenant sur les di-
vers congés qui me furent accordés comme conducteur
des ponts et chaussées et qui me permirent de rester
à la vicinalité du Puy-de-Dôme, de 1890 à 1894.
Le premier congé d'un an, sous le prétexte d'« af-
faires personnelles », me fut facilement accordé le 19
juillet 1890, par M. le Ministre des Travaux Publics,
ce qui me permit de prendre mon service à Pontau-
mur comme agent voyer.
Le deuxième congé annuel me fut encore accordé,
sous le même prétexte, le 3 juin 1891, mais avec Pa-
vertissement que voici : « Je crois d'ailleurs vous faire
— 92
« connaître que le congé dont vous jouissez depuis le
«10 juillet dernier, ne pourra vous être renouvelé d'an-
« née en année, et que, si vous restez définitivement
« employé au service vicinal du département du Puy-
« de-Dôme, vous devrez donner votre démission du
« grade de conducteur des ponts et chaussées. »
L'année suivante (1892), je renouvelai ma demande
de congé annuel en faisant connaître au Ministre que,
s'il ne pouvait me l'accorder, je demandai ma réin-
tégration aux ponts et chaussées : il s'empressa de
m'accorder un nouveau congé d'un an sans aucune
observation, du 10 juillet 1892 au 10 juillet 1893. Cela
devenait d'autant plus comique à mes yeux que la dé-
cision ministérielle précédente avait été signée au nom
du Ministre des Travaux Publics, par M. Sébillot, son
« che? du cabinet du personnel et du secrétariat », tan-
dis que celle de 1892 (la dernière), l'avait été par M.
Gay, « conseiller d'Etat et inspecteur général chargé de
la direction du personnel et de la comptabilité ».
En 1893, je renouvelai purement et simplement ma
demande de congé annuel et cette fois, je fus autorisé,
par décision ministérielle du 30 août 1893, à entrer
au service vicinal du Puy-de-Dôme pour y être placé
dans la situation de service détaché : c'était la régula-
risation de ma singulière situation, mais je constate
que cette nouvelle décision n'est pas signée par M.
Gay comme la précédente, mais par un autre conseil-
ler d'Etat, inspecteur général et directeur du personnel
et de la comptabilité également (nouvelle cocasserie ! )
Puis, par un arrêté du 5 janvier 1894, M. le pré-
fet Bardon, au lieu de me considérer comme conduc-
teur en service détaché et de mandater mon traitement
comme tel, en conformité de la décision du Ministre
des Travaux Publics du 30 août 1893, m'éleva de la
cinquième à la quatrième classe d'agent voyer et porta
— 93 —
mon traitement à 2000 francs : je n'y compris absolu-
ment rien et je remerciai tout de même par pure poli-
tesse. Mais, comme ma situation était devenue absolu-
ment? intenable pour plusieurs raisons dont je vais dire
quelques mots maintenant, je demandai au Ministre
des Travaux Publics, au mois de juillet suivant, un
nouveau congé d'un an, avec l'intention bien arrêtée
de le rendre définitif pour la vicinalité du Puy-de-Dôme
tout au moins, lequel me fut accordé par décision mi-
nistérielle du 27 juillet 1894, signée au nom du Mi-
nistre par M. Doniol, c'est-à-dire un nouveau conseil-
ler d'Etat, directeur du personnel et de la comptabilité
également (stupéfiant!).
Je viens de dire que ma situation étant devenue inte-
nable, j'avais pris la résolution de quitter la vicinalité
pour toujours. En effet, me conformant autant que possi-
ble à ma promesse faite à M. le préfet Bardon, je m'é-
tais appliqué à faire travailler raisonnablement mes
cantonniers, ce qui n'était guère leur habitude, à ob-
tenir un meilleur emploi et un rendement raisonnable
de la prestation en nature, ce qui était très épineux,
car les prestataires étaient électeurs et savaient très
bien s'adresser à tort et à travers aux hommes politi-
ques, leurs élus ; je m'étais appliqué de même à sur-
veiller sérieusement les fournitures faites et les travaux
exécutés par les entrepreneurs d'entretien des routes,
ce qui était tout aussi difficile, toutes) choses qui avaient
été reprochées à mon prédécesseur, M. Chrétien, prin-
cipalement par le conseiller .général et le maire du
chef-lieu de canton, MM. Petit et Morel. Ces messieurs
s'étaient pris de querelle avec M. Chrétien pour les
raisons avouées dont je viens de parler, en réalité pour
ces mêmes raisons, mais aussi pour des considérations
politiques : ils firent partir M. Chrétien et je fus
nommé à sa place.
— 94 —
J'avais déjà obtenu au bout de deux ou trois ans
des améliorations appréciables, tant dans le travail de9
cantonniers que dans celui de la prestation en nature,
mais je ne tardai pas à me rendre compte de la mau-
vaise organisation de la vicinalité elle-même, des ha-
bitudes vicieuses et de l'infériorité de son personnel, ce
qui rendait ma tâche très difficile. D'autre part, mes
chefs et collègues voyaient d'un très mauvais œil
ma manière de procéder qui découvrait de plus en plus
aux yeux du public leurs condamnables et malpropres
procédés : une lutte souterraine se poursuivait du reste
entre mon chef immédiat, M. Reynard. et moi, et je
compris nettement que, pour rester à la vicinalité du
Puy-de-Dôme, il fallait procéder comme lui, comme
l'agent voyer en chef Faure et comme tous mes collè-
gues, conséquemment mentir à ma dignité et à ma pa-
role donnée à M. le préfet Bardon. Je demandai une
inspection générale, ce qui ne s'était peut-être plus vu
dans ce service ; elle eut lieu au bureau de l'arrondis-
sement de Riom, le 10 juin 1893, par un membre du
comité consultatif de la vicinalité au Ministère de l'In-
térieur (M. Guillot, un Israélite, me fut-il dit). Je vou-
lus m'expliquer à lui, devant mes chefs et devant tous
mes collègues de l'arrondissement réunis dans la même
salle : il me refusa la parole ?
(Ainsi qu'on l'a vu plus haut, c'est le nom de ce
M. Guillot, israélite, prononcé par moi à M. Boutte-
vilîe, à Royat, en 1894, qui amena cet ingénieur à me
parler du capitaine Dreyfus et de la confection du
« bordereau », etc., etc. Je crois que M. Guillot fut mi9
à la retraite par M. Waldeck-Rousseau, lorsque celui-
ci était premier Ministre. — Voir au chapitre suivant.)
Dans le courant de la même anrîée, un de mes en-
trepreneurs d'entretien, trop habitué aux malpropretés
de la vicinalité sans doute et qui m'avait été envoyé
— 95 —
par le nouvel agent voyer en chef Faure (M. Faure
était la créature du député Guyot-Dessaigne, grand pro-
tecteur de la vicinalité) s'évanouit dans mon bureau à
Poccasion d'un règlement de comptes comportant l'em-
ploi de la prestation en nature. Les choses devenaient
réellement trop graves, je n'étais pas assez soutenu et
j'avais trop d'ennemis : je ne pouvais réellement plus
y tenir. Je voulus néanmoins tenter un nouvel effort et
je profitai de la présence de M. le sousf-préfet à Pon-
taumur, le 21 mai 1894 (jour du conseil de revision),
pour prier ce fonctionnaire de vouloir bien intervenir
auprès des maires du canton, en vue de faciliter ma
tâche pour l'obtention d'un meilleur rendement dans
l'emploi de la prestation en nature ; il s'y prêta de la
meilleure grâce du monde, mais M. Morel, maire de
Pontaumur, intervint brusquement contre ma proposi-
tion et tous les autres maires du canton quittèrent la
salle avec lui : c'était le coup de massue final pour
moi !
A ce moment, je ne savais pas encore que j'étais
secrètement surveillé pour des raisons dont j'étais loin
de me douter; cependant, j'avais été prévenu qu'il se
passait des choses anormales à la poste, relativement
à ma correspondance. Et, d'autre part, un certain nom-
bre de décès successifs et mystérieux de personnalités
avec lesquelles je m'entretenais parfois d'affaires admi-
nistratives et diverses, m'avaient fortement émotionné et
inquiété. Je pris la résolution de quitter Pontaumur
et la vicinalité du Puy-de-Dôme pour toujours et je
revins à Germon t-Ferrand, où j'avais demandé du tra-
vail à deux architectes de cette ville, dont l'un (M.
Méridier) était un ancien employé des ponts et chaus-
sées et l'autre (M. Ponchon) était le fils de mon pre-
mier ingénieur lors de mes débuts dans l'administra-
tion.
— 96 —
C'est à cette époque que j'appris à Royat, de la
part de l'ingénieur Boutteville, 1e rôle que l'on m'avait
fait jouer à mon insu à Pontaumur, au sujet de cette
question de fusion projetée des services de voirie qui
se trouve greffée sur l'Affaire Dreyfus.
C'est à cette époque également que j'appris de lui,
de MM. Ponchon, Méridier et d'autres personnes en-
core, le projet du coup d'Etat et de guerre étrangère.
Je quittai le bureau de ces derniers au bout de quel-
ques mois (18 décembre 1894), mais je fus obligé,
ainsi que je l'ai déjà dit, contraint par M. Boutteville,
ma mère et d'autres personnes, de me remettre, à l'ex-
piration de mon congé d'un an, à la disposition du
Ministre des Travaux Publics, pour être réintégré aux
ponts et chaussées le 1er décembre 1895 et envoyé par
M. Guyot-Dessaigne, devenu Ministre des Travaux Pu-
blics du cabinet Bourgeois, au service ordinaire (en-
tretien des routes) du département de la Loire. Cette
nouvelle décision du 3 décembre 1895 fut signée par
M. Henry, pas le colonel-rasoir de PEtat- Major géné-
ral de l'Armée, mais par son homonyme, un nouveau
directeur du personnel et de la comptabilité au Minis-
tère des Travaux Publics (toujours de plus en plus
stupéfiant !). On me fixa St-Germain- Laval comme ré-
sidence, dans la circonscription électorale du méliniste
député Audiffred et à proximité de la résidence
du non moins méliniste sénateur Bourganel : inu-
tile d'ajouter que je n'avais rien demandé ni fait de-
mander à ces deux personnages politiques, pas plus
du reste qu'à M. Waldeck-Rousseau, autre sénateur de
la Loire qui, à ce moment, était aussi méliniste et ré-
trograde que les premiers et qui sut très bien plus
tard, une fois devenu premier Ministre, escamoter la
vérité politique de l'Affaire Dreyfus par son «cercle
légal » et son amnistie ? ?
— 97 —
Je vais consacrer maintenant le chapitre suivant à
une série d'annotations prises au jour le jour et sur
lesquelles je ne puis, pour le moment du moins, don-
ner beaucoup de détails. Ces annotations relatent des
faits et des coïncidences qui m'ont profondément im-
pressionné, ainsi que le lecteur le comprendra facile-
ment.
CHAPITRE VIII
Je crois utile de rappeler ici les instantes et confi-
dentielles recommandations que je fis à M. Bacconnet,
en 1894-95, pendant mon deuxième séjour à Clermont-
Ferrand, en vue de déjouer le complot de coup d'E-
tat et de guère civile et étrangère.
J'ai déjà dit que mes relations avec M. Ponction,
son neveu Bruyant, son associé Méridier, M. Boutte-
ville, mon ancien ingénieur, et son beau-frère Chausse-
gros, ainsi que M. Paul Chauvaissagne, ancien ingé-
nieur des postes et télégraphes, dont la femme est d'o-
rigine russe, m'avaient considérablement édifié sur cette
criminelle entreprise. Je dois ajouter encore que d'au-
tres relations se rapportant plus ou moins à ma situa-
tion de fonctionnaire, ainsi que des renseignements
divers se rattachant soit aux manifestations clérico-
réactionnaires des croisades, soit à la visite que fit à
Clermont-Ferrand à cette époque le Président Félix
Faure, ne firent que contrôler et fortifier mon opi-
nion. Je compris très bien que le plus redoutable ad-
versaire de la République laïque et démocratique dans
tout cela était l'Eglise romaine, en sa formidable or-
ganisation officielle et occulte. Je recommandai donc à
M. Bacconnet de faire comprendre à ses amis politi-
ques qu'il fallait à tout prix s'efforcer de réunir en
un seul faisceau toutes les forces sociales, toutes les
organisations susceptibles de lui être opposées : la
franc-maçonnerie, les différentes églises) protestantes et
israélites, tous les groupements politiques républicains
et anticléricaux, libertaires compris ; tout ce qui avait
— 99 —
conservé quelque énergie républicaine et anticléricale
au milieu de l'avachissement général. Et comme je veux
être sincère en tout et assumer toute la part de res-
ponsabilité bonne ou mauvaise qui m'incombe, j'avoue
que je ne lui parlai pas des relations que je savais
exister entre ce complot et le rôle que l'on m'avait fait
jouer à mon insu à la vicinalité du Puy-de-Dôme. Mon
silence sur ce point a fait que mes révélations sont
tombées, par son intermédiaire très vraisemblablement,
entre les mains de mes ennemis ; et, d'autre part, si
je lui en avais parlé, il est probable que mon projet
de résistence au coup d'Etat n'aurait pas réussi pour
des causes aussi multiples que diverses. La raison prin-
cipale de mon silence sur ce point fut que je voulais
vérifier la culpabilité des ingénieurs mes chefs, car je
me rendais bien compte que, puisqu'on m'obligeait à
réintégrer les ponts et chaussées, les criminelles paro-
les que M. Boutteville m'avait fait entendre à Royat,
en août 1894, seraient plus ou moins confidentielle-
ment portées à la connaissance du « cher » ou des
« criées camarades » sous les ordres desquels on me
placerait de nouveau. C'est ce qui arriva notamment
pour M. Rolland de Ravel, mon nouvel ingénieur or-
dinaire à Roanne, à la fin de 1896, au cours d'une
tournée faih en sa compagnie quelques jours après
l'accomplissement d'une période d'instructions militai-
res (13 jours), que je fis au 16me régiment d'artillerie
stationné à Clermont-Ferrand. J'appris de ce noble
personnage qu'à ce moment certains coalisés du com-
plot « ne voulaient plus marcher » et que lui, R. de
Ravel, était furieusement partisan de la guerre avec
l'Allemagne : « Plutôt la guerre, alors ! » s'écria-t-il
sans aucune question ou demande d'explications de ma
part. Cet incident, trop long à développer ici dans son
intégralité, ne me permit plus de douter de la sinistre
— 100 —
vérité et je compris très bien qu'aux ponts et chaus-
sées, mieux que partout ailleurs encore, j'étais tout
particulièrement entre les griffes qui ne me lâcheraient
pas des fauteurs de guerre civile et que, par tous les
moyens aussi coupables que scélérats, on chercherait à
me compromettre pour être plus sûr de mon silence.
Ma situation était d'autant plus pénible et dange-
reuse que j'étais moralement lié, même à l'égard de ma
mère, par mes confidences clermontoises faites à M.
Bacconnet, alors que l'Affaire Dreyfus était complète-
ment ignorée du public qui, pendant plusieurs années
consécutives, crut à sa culpabilité et hurla même à la
mort contre tous les dreyfusards ; on ne saurait s'ima-
giner combien j'ai souffert pendant cette sinistre pé-
riode.
Une autre raison encore qui fit que je n'exposai
pas à M. Bacconnet les liaisons existant entre, l'Affaire
Dreyfus et celles de mes administrations, est que j'a-
vais su de M. Ponction, dans un défi qu'il me lança,
que ma mère était terriblement compromise et qu'au
besoin on s'en servirait contre moi, ce qui s'est du
reste parfaitement réalisé. J'avais su enfin de son as-
socié Méridier et en sa présence, avant de quitter leurs
bureaux de la rue Sainte- Madeleine, à Clermont-Fer-
rand, où je travaillais alors et cinq ou six jours seu'
lement avant la condamnation du capitaine Alfred
Dreyfus (22 décembre 1894), qu'une « guerre au cou-
teau » me serait faite si je me comportais mal ? Je
voulus essayer de sauver ma mère de cette intrigue tout
en me dévouant pour la cause de la République laï-
que, d'où mon silence sur ce point à M. Bacconnet.
Enfin, une troisième et dernière raison me retint
encore : je savais M. Bacconnet favorable à la cause
vicinale dans le projet de fusion des services de voirie
et je connaissais ses relations avec MM. Laville et
— 101 —
Guyot-Dessaigne, députés, ainsi qu'avec M. Gomot,
sénateur. M. Laville était favorable aux ponts et chaus-
sées, mais il était très modéré en politique, M. Guyot-
Dessaigne était d'une opinion un peu plus avancée et
avait de ce côté mes sympathies, mais il était féroce-
ment hostile à une fusion en faveur des ponts et chaus-
sées qui avait mes préférences, bien que je réprouvasse
absolument l'esprit de corps des polytechniciens en gé-
néral et des ingénieurs des ponts et chaussées en par-
ticulier, ainsi que leurs tendances manifestement réac-
tionnaires dans la très grande majorité. J'eus peur de
me trop confier à M. Bacconnet qui pourrait me tra-
hir, bien qu'il me manifestât à cette époque beaucoup
d'intérêt ; la suite n'a que trop justifié mes craintes,
car, le 11 mai 1900, lors de notre dernière entrevue à
Clermoot-Ferrand, il ne voulut plus se souvenir de
l'Affaire Dreyfus, pas même m'avouer avoir été chargé
par moi de la divulguer confidentiellement comme cri-
minelle machination contre la République et la paix de
l'Europe. Le « cercle légal » de M. Waldeck-Rousseau,
du R. P. du Lac, du général Mercier et Cie, avait
déjà passé par là ! (1)
Quant à M. Gomot, je n'ai jamais su exactement
quelles étaient ses préférences à l'endroit des services
de voirie.
J'ajoute que j'entretins longuement M. Bacconnet du
« bordereau », tant au point de vue de la forme calli-
(1) Peut-être faut-il tenir compte aussi de ma lettre du 8 mai 1899,
remise à M. Léon Bourgeois à son domicile à Paris, lequel a pu faire
passer la consigne à M. Bacconnet de se taire, car j'ai cité son nom et
les confidences que je lui avait faites sur l'Affaire Dreyfus dans ma
lettre que je viens de rappeler. Dans ce cas, M. Bourgeois serait le
principal auteur de l'escamotage de la Vérité dans l'Affaire Dreyfus, ce
qui ne m'étonnerait pas le moins du monde, puisqu'il était déjà com-
promis avec M. Guyot-Dessaigne dans l'affaire connexe des services de
voirie.
— 102 —
graphique que du fond ; et, me rendant parfaitement
compte que, pour arracher les masques aux bandits
haut9 placés il fallait à la fois beaucoup de dévoue-
ment uni à des moyens aussi nouveaux qu'exceptionnels,
je recommandai instamment l'intervention révolutionnaire
de M. Emile Zola comme accusateur. Par ce moyen,
qui a le mérite d'avoir réussi en partie^ il les traîne-
rait devant les tribunaux, ce qui lui permettrait d'en-
gager une lutte terrible avec eux, au cours de laquelle
il lui serait peut-être possible de faire éclater la Vérité
en faisant ressortir à la fois, leurs mensonges et leurs
faux, leurs félonies et leurs scélératesses ; et la presse
républicaine restée libre et honnête — oh ! très peu —
s'emparant du tout ferait le reste.
Je déclare ici que si j'ai parlé de M. Zola en cette
circonstance, je l'ai fait de ma seule initiative et dans
un intérêt politique, en raison de ce que je lui recon-
naissais un réel courage d'une part, et que de l'autre,
je ne pouvais ignorer que ses ouvrages étaient très ré-
pandus dans certains milieux, tant en France qu'à l'é-
tranger. Je ne pouvais ignorer également que son nom
à lui seul pouvait exercer une grande influence dans
le résultat final de la bataille, bien que personnellement
je n'eusse jamais été un enthousiaste de son style, au-
quel j'ai toujours reproché, à tort ou à raison, un
manque de décence.
Quant à MM. H. Rochefort et G. Clemenceau, je
connaissais tout le talent de violent polémiste du pre-
mier, qui avait largement aidé, avec sa « Lanterne », à
culbuter l'Empire et qui pouvait encore, s'il le voulait,
combattre utilement pour le sauvetage de la Républi-
que laïque : je me suis trompé sur son compte, ainsi
que je l'ai reconnu et avoué depuis longtemps. Le se-
cond, M. G. Clemenceau, occupait alors, comme au-
jourd'hui du reste, une place enviée dans la phalange
— 103 —
avancée du parti républicain ; je le savais orateur
étincelant et ardent polémiste, j'avais en lui, en son
talent et son courage, une confiance presque illimi-
tée que j'ai perdue dans la suite, ainsi que je l'ai avoué
plus haut.
Voilà, en quelques mots, quel était l'état de mon es-
prit en 1894-95 ; et comme M. Bacconnet a sûrement
parlé et écrit dans ce sens à plusieurs personnalités
sans doute, il est probable que mes, révélations et di-
res pourront être contrôlés un jour, bien que nous
n'ayons eu aucune relation depuis le mois de (niai 1900.
C'est ce contrôle que j'appelle de tous mes vœux : il
démontrera que ma conduite a été dans tout cela droite
et loyale, en même temps que celle d'un bon citoyen.
Enfin, je crois devoir déclarer ici que, depuis 1890,
tout s'est passé comme si une lutte aussi atroce que
ténébreuse s'était constamment déroulée autour de moi,
entraînant tour à tour la disparition mystérieuse de
telle ou telle personnalité compromise dans mes affai-
res.
Je ne puis douter d'autre part que la violation de
ma correspondance privée et administrative à la poste,
pendant mon séjour à Pontaumur, de 1890 à 1894,
violation dont je fus prévenu du reste, avait pour prin-
cipal objectif occulte les renseignements à fournir aux
personnalités qui s'occupaient de moi et de mes agis-
sements, en vue du projet de fusion des services de voi-
rie.
Le pharmacien de la localité, beau*£rère de la di-
rectrice du bureau de poste, .mourut promptement ?
Le percepteur et un jeune homme que je voyais
souvent à son bureau et avec lesquels je m'entretenais
de mes affaires administratives et diverses, se suicidè-
rent ?
Trois ou quatre autres personnes de mon voisinage,
— 104 —
à qui je m'entretenais parfois des mêmes affaires, mou-
rurent promptement ou à peu près ?
Je fus vivement impressionné par toutes ces dispa-
ritions qui me parurent plus suspectes les unes que
les autres, ce qui contribuera, dans une certaine mesure,
à me faire quitter définitivement cette localité et lavici-
nalité toute entière, de telle sorte que, le 3 juin 1894,
je demandai du travail à M. Ponction, fils de mon
premier ingénieur et architecte, à Clermont-Ferrand. (1)
Le 5, j'informai M. Nicolet, secrétaire général de
la préfecture du Puy-de-Dôme, avec qui j'avais quel-
ques relations, de mon intention bien arrêtée d'aban-
donner la vicinalité pour toujours.
Le 19, je demandai un congé d'un an au Ministre
des Travaux Publics comme conducteur des ponts et
chaussées.
Le 24 juin, j'adressai, par la voie hiérarchique, une
demande de congé semblable à la vicinalité ; je lui
avais précédemment fait connaître, dans une première
demande, que si elle ne pouvait être favorablement
accueillie, de vouloir bien la considérer comme entraî-
nant ma démission.
Dans la nuit du 24 au 25 juin 1894, le Président
Carnot fut assassiné à Lyon par l'anarchiste Caserio ?
J'ai parlé de cet événement, en même temps que de
l'Affaire Dreyfus, à M. Duvand, le 10 juillet 1899. Je
lui fis comprendre que ma situation ayant été excep-
tionnelle à la vicinalité du Puy-de-Dôme, qui n'avait
voulu m'admeMre comme conducteur en service déta-
(1) M. Ponchon me déclara peu après mon entrée à son bureau, en
août 1894, « qu'il ne savait pas que mes affaires étaient si com-
pliquées » ? Ces complications, que j'ignorais moi-même du reste,
avaient été portées à sa connaissance par M. Boutteville, qui était à
cette époque chez son beau-frère Chaussegros, rue haute St'André, à
quelques pas de distance seulement du domicile et du bureau de M.
Ponchon.
— 105 —
ché que contrainte et forcée en quelque sorte, le Pré-
sident Carnot, ingénieur des ponts et chaussées, était
peut-être intervenu à mon insu contre M. Guyot-Des-
saigne notamment, et que son assassinat n'était peut-
être pas étranger à toutes ces choses !
Un autre décès, bien que de moindre importance,
survenu l'année suivante, me bouleversa considérable-
ment. Pendant mon premier séjour à Clerm ont- Ferrand,
de 1882 à 1889, je m'étais fait un ami modeste mais
sûr (M. Gâteau) qui obtint une petite décoration lors
de la visite que fit à cette ville le Président Félix Faure,
en mai 1895, à l'occasion d'un concours et de la fête
des croisades ; il mourut presque subitement dix jours
après ?
J'ai quelque peu soigné cet ami, veillé la nuit, etc.;
je n'ai absolument rien compris ou trop compris à sa
mort !
Le 22 janvier 1895, j'adressai à mon ancien chef
immédiat, à Riom, ma démission irrévocable d'agent
voyer ; mon oncle Chebance mourut aussitôt» ? Mais
alors, ma correspondance était donc bien surveillée à
la poste, pensera-t-on ; en voici une nouvelle preuve
prise entre mille :
Le 28 juin 1895, j'écrivis au Ministre des Travaux
Publics, ainsi qu'à M. Pluyette, son chef du person-
nel des conducteurs, pour l'informer que je me met-
tais à sa disposition pour un emploi de conducteur
des ponts et chaussées (j'ai déjà dit que je fus con-
traint de faire cette demande) ; le lendemain 29, je re-
çus inopinément la visite de M. Clément Chaussegros,
beau-frère de M. Boutteville, lequel m'offrit un emploi
avantageux à l'usine à gaz, à Clermont- Ferrand ?
— 106 —
M. Boutteville avait déjà voulu m'envoyer chez M.
Chaussegros, ainsi qu'il me l'avait dit à Royat, en août
1894, sauf à me faire réintégrer l'administration des
ponts et chaussées plus tard et malgré ma démission
de conducteur (cette démission était de rigueur dans
l'espèce), comme il l'avait fait pour un autre ? Voyant
que je ne voulais pas aller chez son beau-frère, puis-
que je me mettais à la disposition du Ministre après
avoir quitté MM. Méridier et Ponchon, il me l'envoya
pour me faire cette proposition de l'usine à gaz que
je n'acceptai pas ; car, pour ne pas me compromettre
dans le nouveau rôle que je m'étais tracé dans l'Af-
faire Dreyfus, je ne voulais rien accepter ni de lui et
de son beau-frère, ni de MM. Méridier et Ponchon,
leurs amis et complices.
Le 26 juin 1895, je fus avisé de l'organisa-
tion d'une conférence politique et anticléricale pour le
18 août suivant, sous la présidence de M. Guyot-Des-
saigne, député du Puy-de-Dôme, en vue de répondre à
la manifestation cléricale du mois de mai précédent
faite par l'épiscopat français et Cie, avec la très haute
recommandation de la Papauté (déclaration de guerre
à la République) ; je m'empressai d'autant plus de
donner mon adhésion et de prendre part à cette mani-
festation qu'elle répondait parfaitement à mon rôle de
dénonciateur de coup d'Etat par le moyen de l'Af-
faire Dreyfus. Mais ici se greffe d'une très étroite ma-
nière la question de la fusion des services de voirie,
ce qui m'oblige à en dire quelques mots encore :
J'étais partisan de cette fusion en faveur des ponts
et chaussées, comme je l'ai déjà dit, mais j'étais par-
tisan également de la démocratisation républicaine du
— 107 —
haut personnel (ingénieurs polytechniciens) et je de-
mandai, pour le personnel secondaire des conducteurs,
la signature de leurs projets et rapports, afin de les
rendre responsables de leurs actes, signature qu'ils n'a-
vaient pas à cette époque. J'avais parlé de ces choses
à M. Bacconnet qui, comme on le lira dans un ins-
tant, furent évidemment rapportées à mon insu à M.
Guyot-Dessaigne, puisque celui-ci s'empressa de pren-
dre une décision conforme aussitôt arrivé au Minis-
tère des Travaux Publics, à la fin de 1895, époque à
laquelle il me nomma conducteur dans le département
de la Loire. Ce département comptait parmi ses prin-
cipaux législateurs, M. Audiffred, partisan des ponts et
chaussées et M. Waldeck-Rousseau, dont je n'ai jamais
bien connu l'opinion sur ce point.
Cette décision de M. Guyot-Dessaigne, donnant la
signature aux conducteurs, reproduit pour ainsi dire
mot pour mot, dans ses passages essentiels, les idées
que j'avais exposées à M. Bacconnet ; mais si, sur ce
point, j'étais d'accord à mon insu avec M. Guyot-Des-
saigne, je ne l'étais pas sur la question de fusion des
services de voirie, car lui était pour une fusion dépar-
tementale en faveur du personnel voyer, ainsi qu'il le
proposa et le fit voter par la Chambre des députés, à
la fin de Tannée, avec l'appui de M. Léon Bourgeois,
Président du conseil des Ministres (loi de finances) ;
moi, je désirais une fusion nationale en faveur des
ponts et chaussées, de sorte que j'appris avec satisfac-
tion la résistance du Sénat qui rejeta le vote de la
Chambre sur cette question quelques jours après ; c'est
le Sénat également qui, exceptionnellement, força le
Gouvernement à se retirer des affaires.
Le Ministère Léon Bourgeois comprenant M. Guyot-
Dessaigne aux Travaux Publics, fut formé le 1er no-
vembre 1895 et M. Kayser, conducteur à St-Germain-
— 108 —
Laval, mourut le 4 ? Il mourut étouffé en quelque
sorte, me fut-il dit : il s'était acheté une machine à
respirer ? C'est encore une mort qui m'a inquiété, ainsi
qu'on le comprendra mieux par ce que je vais dire :
Le 8 novembre, j'assistai au café russe, à Clermont-
Ferrand et sur invitation reçue, à une réunion à la fois
maçonnique et politique (contre-manifestation des croi-
sades) présidée par M. le professeur Paul Girod, alors
vénérable de la loge « les enfants de Gergovie ».
Je dois ajouter pour l'intelligence de ce qui pré-
cède que M. Bacconnet me savait nettement libre pen-
seur, de telle sorte que c'est probablement sur ses in-
dications et en vue de ma réintégration aux ponts et
chaussées par M. Guyot-Dessaigne, que je fus invité à
cette réunion maçonnique du 8 novembre. Ce qu'il y
a de positif c'est que, peu de jours après, le journal
« Le Moniteur du Puy-de-Dôme » parla de la signature
donnée aux conducteurs subdivisionnaires des ponts et
chaussées, par le nouveau Ministre des Travaux Pu-
blics M. Guyot-Dessaigne ; et que, le 27 novembre
suivant, je reçus de M. Bacconnet un télégramme m'in-
formant que j'étais nommé conducteur dans la Loire,
tandis que M. Delestrac, mon nouvel ingénieur en
chef à St-Etienne, m'invitait peu après à me rendre à
St-Germain- Laval pour remplacer M. Kayser décédé.
J'avais formulé le désir, dans ma demande de réin-
tégration adressée au Ministre le 28 juin 1895, de m'é-
loigner le moins possible de mon pays d'origine, de
telle sorte que la résidence de St-Germain- Laval me
donnait ou paraissait me donner satisfaction sur ce
point ; il n'en n'était pas de même évidemment pour
tout ce qui se rattachait à l'Affaire Dreyfus et au coup
d'Etat, ainsi que je l'ai déjà donné à comprendre.
A peine installé dans cette nouvelle localité, je sus
de différentes sources que l'on projetait mon mariage
— 109 —
et je dus résister même à des avances qui me furent
faites avec ou sans le consentement de ma mère, la-
quelle est morte sous mes yeux (22 novembre 1902)
sans avoir connu mon rôle exact dans l'Affaire Drey-
fus. Je ne pouvais d'autant moins songer à me marier
que je me savais dans une véritable situation de galé-
rien enchaîné, puisque les événements tragiques de l'Af-
faire Dreyfus ne s'étaient pas encore produits et que
l'innocence de cet officier n'était conséquemment pas
reconnue. Je savais du reste depuis 1894 ma mère sé-
rieusement compromise par les bandits de l'Affaire et
je prévoyais, avec de grandes inquiétudes, des choses
pénibles de ce côté pour l'avenir. Je me rendais très
bien compte d'autre part que si j'avais eu le malheur
de me marier, mes ennemis cachés n'auraient pas man-
qué de compromettre ma femme à son tour dans le
même sens que ma mère, par toutes sortes de moyens
plus scélérats les uns que les autres, confessionnal
compris, afin de mieux me ligoter moralement et ma-
tériellement, voire même me pousser au suicide, ce qui
a été tenté du reste à maintes reprises dans la suite.
Enfin, je ne pouvais oublier que la veille de la mort
de mon ami clermontois (10 juin 1895) dont j'ai déjà
parlé, j'avais dû résister à une proposition de ce genre
et pour les mêmes raisons. Une famille germanoise me
causa également des ennuis de ce côté, d'autant plus
pénibles que je ne pouvais exposer à personne la véri-
table raison de mes refus qui, naturellement, étaient
toujours mal interprétés ; aussi, je fus de nouveau lit-
téralement saisi d'inquiétude et de stupéfaction quand
j'appris, le 5 mars 1897, que M. Denis, féculier à St-
Germain- Laval, était mort promptement? Ce décès fut
à mes yeux un nouveau jalon de la sinistre tragédie
qui se déroulait autour de moi, car, je le répète, la
conduite de la famille Denis avait été tout particulière-
— 110 —
ment singulière à mon égard. J'ajoute que cette famille
était parfaitement dans le mouvement clérico-nationa-
liste de cette époque et que j'eus à combattre le fils
sur ce terrain, au conseil municipal germanois dont il
faisait partie en même temps que moi.
Un autre décès inquiétant (j'en passe des quantités
évidemment) :
J'ai déjà fait connaître que je suis né sur le terri-
toire de la commune de Job (Puy-de-Dôme) et que j'ai
quitté la vicinalité de ce département en juillet 1894,
pour de multiples raisons dont l'une fut que je ne
voulus plus être mêlé aux continuelles! malversations
qui s'y pratiquaient journellement. J'étais installé de-
puis peu de temps à St-Germain- Laval lorsque je re-
çus, un beau jour, la visite d'un cantonnier de la vi-
cinalité de ce département qui, ayant un ou deux man-
dats de paiements à la main, me fit comprendre que
les affaires de ce service n'avaient rien à envier à son
analogue du Puy-de-Dôme au point de vue des saletés
et le reste. Le 2 mai 1897, cet ouvrier mourut victime
d'un accident, suicide ou assassinat : il se nommait
Dejob, c'est-à-dire un nom semblable à celui de ma
commune d'oriigine (Job) ? Ce fut à mes yeux un nou-
veau témoignage que la série rouge se poursuivait au-
tour de moi avec une effrayante réalité. J'ajoute à ti-
tre d'éclaircissements que depuis deux jours seulement
(30 avril 1897) et sur la proposition des ingénieurs
mes chefs (Rolland de Ravel à Roanne et Delestrac à
St-Etienne) l'administration préfectorale de la Loire
m'avait fait prêter un serment rationaliste que j'ai re-
produit plus haut et que, bien que conducteur depuis
de nombreuses années, je n'avais jamais été asser-
menté ?
Le 16 juillet 1897, St-Germain-Laval reçut, à ma
— 111 —
grande surprise, la visite de M. de Lanessan, ancien
gouverneur de P Indo-Chine, qui nous fit une confé-
rence politique à laquelle j'assistai en partie ; j'ai cru
comprendre plus tard que ce personnage politique,
membre du Conseil de l'Ordre du Grand Orient de
France, avait dû s'occuper, par je ne sais quel inter-
médiaire, de ma situation menacée de fonctionnaire. Il
devint député Pannée suivante et Ministre de la Ma-
rine dans le cabinet de M. Waldeck-Rousseau ; il prit
pour chef de son secrétariat M. Juttet, franc-maçon
également, avec qui j'entretins des relations en 1898 et
1899, relativement aux articles que je faisais paraître
dans le journal « Le Démocrate de Roanne » et dont
il était le directeur politique. M. Juttet mourut victime
d'un accident ou d'un assassinat à Paris, le 13 sep-
tembre 1905 ; il s'était occupé de moi également, pa-
raît-il et à mon insu, alors qu'il résidait à Roanne et,
particulièrement, lors de mon mystérieux et malhonnête
déplacement de St-Germain- Laval à Bourges ? Je dirai
encore un mot plus loin sur cette tragique disparition.
Le 29 décembre 1897, étant à Paris, je fis une vi-
site à M. Jolibois, président de la société des conduc-
teurs des ponts et chaussées, à son domicile du quai
de l'hôtel de ville ; j'avais demandé cet entretien la
veille à M. Blancard, vice-président de la même société,
entretien qui me fut mesuré (vingt minutes seulement).
Je parlai à M. Jolibois des procès-verbaux pour con-
traventions de grande voirie que je mutais trouvé dans
l'obligation de dresser contre mes entrepreneurs et
contre mes propres chefs, afin de mettre un terme aux
malversations considérables qui se pratiquaient dans
ma subdivision, et aussi, pour me conformer aux près-
— 112 —
criptions (zèle, exactitude et probité) contenues dans
mon serment professionnel du 30 avril précédent. Je
m'efforçai de lui faire comprendre que le déplacement
qui m'avait été imposé, suivi bientôt d'un retrait d'em-
ploi, n'avait pas d'autre but que de débarrasser St-
Germain- Laval de ma modeste personne, afin d'esca-
moter les malversations ressortissant de mes procès-
verbaux. Je ne lui parlai pas de mon extraordinaire
rôle dans l'Affaire Dreyfus, parce que je ne le crus
ni prudent ni opportun, mais je me rappelle très bien,
songeant tout particulièrement à M. Boutteville et Cie,
avoir laissé échapper la phrase suivante : Ces gens-là
sont capables de tous les crimes. Je crois savoir d'au-
tre part que, M. Jolibois ayant été prévenu la veille de
mon désir de l'entretenir, des personnalités furent in-
troduites dans une pièce contiguë dont la porte de
communication resta ouverte, lesquelles écoutèrent no-
tre conversation qui ne dépassa pas une vingtaine de
minutes. Je pris l'express le soir pour rentrer le len-
demain matin à St-Germain- Laval où j'écrivis aussitôt
une lettre à M. le Ministre des Travaux Publics, lui
faisant connaître que je ne pouvais accepter de chan-
gement de résidence avant le 15 juillet suivant (les
élections législatives devaient avoir lieu en mai, ce qui
aurait pu changer la marche des événements).
En effet, je voyais bien que ce déplacement imposé,
accompagné d'un retrait d'emploi temporaire, était non
seulement une monumentale canaillerie dans laquelle ma
mère s'était laissé compromettre de nouveau, mais en-
core, qu'à Bourges mieux qu'à St-Germain peut-être,
je me trouverais placé dans les griffes des bandits du
complot du coup d'Etat et de l'Affaire Dreyrus. En un
mot, je ne pouvais non seulement aller ni à Bourges
ni ailleurs, mais encore pas même rester fonctionnaire
d'aucune administration, puisque la fameuse Affaira
— 113 —
n'était pas éclaircie et que celles de mes administrations
en faisaient partie intégrante.
Ma situation était d'autant plus pénible que je ne
pouvais pas même en parler sans danger pour la cause
que je défendais (à qui d'abord ?), puisque j'avais
chargé confidentiellement M. Bacconnet en 1894-95 de
s'employer dans ce sens, et que des indices certains
me démontraient à chaque instant qu'il avait fait quel-
que chose dans la voie de mes recommandations.
Le lendemain matin, 31 décembre 1897, ma mère
fit une chute dans la rue des huguenots à St-Germain,
se blessa sérieusement le front et se cassa un bras :
j'ai déjà dit que cette chute lui fut imposée secrètement
en vue d'un nouveau stratagème et à cause de ses
compromissions dans mes affaires, et aussi, en raison
de ma lettre adressée au Ministre la veille et de mon
entretien avec M. Jolibois l'avant-veille.
Que le lecteur y fasse bien attention, je lui déclare
ici bien sincèrement que la série rouge se poursuivait
toujours autour de moi, ne ménageant personne, pa9
même une vieille femme toujours souffrante, laquelle
était ma mère !
Le 14 juin 1898, le Ministère Méline fut renversé
par la nouvelle Chambre (Ministère de préparation du
coup d'Etat, M. Barthou étant Ministre de l'Intérieur).
Dans la nuit du 16 au 17, mourut à Clermont-Fer-
rand, M. Chardon, vicaire général et prélat romain à l'é-
vêché de cette ville ? Ce prélat romain avait,, avec l'assenti-
ment du Pape et de concert avec son évêque Belmont,
pris une part active à la manifestation des croisades
de mai 1895 qui, comme je l'ai déjà dit, ne fut pas
autre chose qu'une déclaration de guerre à la Répu-
blique laïque. D'autre part, je savais mon oncle Pélis-
8
— 114 —
son compromis dans mes affaires depuis mon entrée à
la vicinalité du Puy-de-Dôme en 1890, mais particuliè-
rement lors de ma réintégration aux ponts et chaus-
sées en 1895 ; cet oncle (catholique pratiquant et clé-
rical) avait été le camarade d'école de M. Chardon, au
petit séminaire de Verrière (Loire) et il s'était adressé
à lui à mon insu, paraît-il, dans certaines circonstan-
ces touchant à mes affaires? Je me suis demandé si
la culbute du cabinet Méline qui gouvernait avec le
concours ;et pour le compte de la droite comme on
s'en souvient, n'accéléra pas le décès de ce prélat ro-
main pour des raisons bien faciles à comprendre ?
Le 30 juillet 1898, le prince de Bismarck mourut
promptement à son tour. Ici, je n'ai qu'une simple ré-
flexion à émettre, faute de renseignements précis qui
se produiront peut-être un jour par une plume plus
autorisée que la mienne.
J'ai dit que l'Affaire Dreyfus fut une machination
pour servir le coup d'Etat contre la République laïque
et la Démocratie, le tout accompagné d'une guerre
avec l'Allemagne. Je sais que les coalisés de ce coup
d'Etat ont voulu cette guerre, non pour des raisons
de vitalité et d'intérêt majeur purement national, mais
pour éteindre dans le sang les revendications sociales
de la Démocratie, revendications toujours de plus en
plus pressantes, et cela pour une période de vingt ou
trente ans pendant laquelle l'Eglise, grande bénéficiaire
des cadavres des champs de bataille, le gros capitalis-
me et l'armée prétorienne, auraient repris le dessus au
grand avantage de leur esprit de caste et de domination.
Ceci est vrai pour la France, mais l'Allemagne a
aussi quelques points de ressemblance de ce côté, et
nul n'ignore que le prince de Bismarck a vu non sans
— 115 —
inquiétude la montée toujours croissante du socialisme
international en général et de la « sociale démocratie
allemande » en particulier. N'a-t-il pas, lui aussi, été
impliqué dans le complot de guerre avec la France et
pour des raisons analogues ? Et s'il Ta été, ainsi qu'on
le saura peut-être un jour, n'a-t-il pas manœuvré dans
ce sens, même à l'insu de l'Empereur Guillaume II
dont il ne partageait pas toutes les idées en matière de
politique intérieure et extérieure ? Et-, cela étant sup-
posé exact, le renversement du Gouvernement Méline
ne hâta-t-il pas sa disparition de la scène de la vie ?
Je laisse à d'autres le soin de répondre à cette der-
nière question.
Le 2 septembre 1898, un passage de troupes eut
lieu à St-Germain- Laval se rendant aux grandes ma-
nœuvres du centre, auxquelles le Président Félix Faure
assista ; on me donna à loger le capitaine Brunaire du
16me régiment d'infanterie, dont la conduite à mon
égard m'intrigua beaucoup. Il me demande à un moment
donné, procédant à la façon de M. Boutteville à
Royat en août 1894 et sans la moindre question ou
allusion de ma part, si je « connaissais les Nourrisson
de Montbrison » ? Je fus d'autant plus surpris de
cette insolite question que j'ignorais absolument s'il
existait des Nourrisson à Montbrison, et je me suis
souvent demandé plus tard quelle pouvait bien être
cette nouvelle manigance à mon endroit, car il dut y
avoir manigance ? Ce qu'il y a de certain, c'est que le
colonel Henry, arrêté la veille, se suicida ou fut assas-
siné au Mont Valérien ce même jour ? J'ajoute que
dans mes révélations faites à M. Bacconnet sur l'Af-
faire Dreyfus en 1894-95, je n'ai jamais parlé de ce
colonel que je ne connaissais pas.
— 116 —
Ce qu'il y a de certain également c'est que le géné-
ral de Boisdeffre, chef d'Etat-Major général de 1' Ar-
mée, ami et pénitant du R.P. du Lac, démissionna et
fut remplacé par le général Renouard.
Ce qu'il y a de positif enfin, c'est que le petit sé-
minaire de mon voisinage à St-Jodard, reconstruit de-
puis un an environ, devint la proie des flammes ?
Ici je prie instamment le lecteur, dont les citations
ci-dessus donneront matière à réflexion, de vouloir
bien se reporter aux déclarations-menaces à moi faites
en 1894-95, par MM. Boutteville, Ponchon, Méridier,
etc., que j'ai sommairement reproduites plus haut :
grand nombre de personnes compromises dans mes af-
faires, guerre au couteau faite à ma personne si je me
comportais mal, machination tellement bien faite qu'on
ne la devinerait jamais si je ne disais rien, etc., etc.
Le 8 mars 1899, étant en relations avec M. Juttet
depuis quelque temps seulement au sujet de son jour-
nal « Le Démocrate de Roanne », dans lequel je pu-
bliais des articles touchant à mes affaires, il m'invita
à dîner ce jour-là à la brasserie dite du « tonneau »
à Lyon, en sa compagnie et en celle de M. Bernard
Lazare, demeurant à Aix-les-Bains, me déclara-t-il. 11
me demanda d'exposer en toute sécurité devant lui et
son ami ce que je savais de particulier sur l'Affaire
Dreyfus, car je lui avais dit que j'étais mêlé de très
près à cette Affaire mais je me bornai à déclarer, en
cette circonstance, que c'était une jésuitique machina-
tion sans ajouter d'autres détails.
Le lendemain, 9 mars, Mgr. Clari, nonce aposto-
lique à Paris, mourut subitement ? ?
Je rappelle ici que, d'après ce que j'ai su plus
tard, ce fut M. Bernard Lazare qui prévint tout d'à-
— 117 —
bord M. Emile Zola de « l'erreur judiciaire » dont
avait été victime le capitaine Dreyfus en 1894. Je ne
sais si cela est exact n'ayant pu le vérifier, mais ce
que je puis affirmer c'est que, cette révélation étant te-
nue pour vraie, elle ne put venir que de moi par l'in-
termédiaire de M. Bacconnet, lequel se décidera peut-
être un jour, si ce n'est déjà fait, à dire comment il
s'y prit. J'ajoute que je n'ai pas parlé d'erreur, mais
bien de criminelle machination, ainsi que je l'ai déjà
dit.
Vers le 11 mars 1899, M. Chigot, ingénieur en
chef des ponts et chaussées du Puy-de-Dôme, fut mis
à la retraite. J'avais été obligé de m'adresser à lui en
1895, au sujet de certaines formalités à remplir pour
ma réintégration forcée aux ponts et chaussées ; je
l'avais fait sur la recommandation écrite de M. Ri-
gaud, conducteur principal à Paris, lequel m'avait été
conseillé par M. Tavera, ingénieur ordinaire, à Cler-
mont-Ferrand. J'avais su, au cours de mes relations
avec cet ingénieur Chigot, que l'Armée et tout parti-
culièrement le corps des officiers polytechniciens pou-
vait beaucoup pour la question de fusion des services
de voirie ? Il prononça le nom de M. Cavaignac sur
lequel il comptait comme futur chef d'Etat? M. Chi-
got était d'autant mieux renseigné sur toutes ces cho-
ses, coup d'Etat compris, qu'il était le délégué auprès
du commandant en chef du 13me corps d'armée, pour
tout ce qui concernait la situation militaire des agents
des ponts et chaussées résidant dans le Puy-de-Dôme.
Je viens de prononcer incidemment le nom de M.
Cavaignac : on connaît son rôle d'une manière générale
dans l'Affaire Dreyfus, mais ce que le public sait
moins et qu'il est bon de lui rappeler à mon avis,
— 118 —
c'est l'énergique poignée de main qu'il échangea avec
le général Mercier, à Rennes, aussitôt après la tentative
d'assassinat de l'avocat Labori que la famille Dreyfus
ne laissa pas parler au moment opportun, circonvenue
qu'elle fut par les agissements de MM. Waldeck-Rous-
seau et Loubet ? ?
Le 20 mars 1899, M. Bardon, ancien préfet du
Puy-de-Dôme, mourut à Nice. J'ai déjà expliqué com-
bien ce préfet fut mêlé à mes affaires vicinales du Puy-
de-Dôme et j'ai émis l'hypothèse que le capitaine poly-
technicien Alfred Dreyfus, stagiaire à l'Etat- Major gé-
néral de l'Armée, avait pu servir secrètement ses idées
ainsi que celles de M. Guyot-Dessaigne, député du
Puy-de-Dôme, dans le projet de fusion des services de
voirie. Si cette hypothèse est reconnue exacte un jour,
je déclare ici que je n'en ai jamais eu connaissance,
n'ayant pas connu le nom de cet officier avant sa con-
damnation, car, si M. Boutteville me parla de lui à
Royat en août 1894, il ne me le nomma pas.
Le 28 mai 1899, agacé par la continuelle réception
de quantité de prospectus aux allusions presque tou-
jours mystérieuses et blessantes, j'adressai une lettre à
M. le Ministre des Travaux Publics, afin d'y mettre
un terme, si possible ; je lui fis connaître que je n'a-
vais pas l'intention de demander ni d'accepter ma réin-
tégration aux ponts et chaussées. Le lendemain 29, je
reçus par la poste une aimable petite brochure cléri-
cale (oh ! combien), intitulée « Le Père Bonsens », ac-
compagnée d'un non moins charmant petit flacon aux
allures pharmaceutiques et portant l'inscription sui-
vante : « Mixture efficace contre la folie »? ?
— 119 —
Inutile d'ajouter après cela combien ma correspon-
dance était surveillée et violée à la poste et que la co-
médie des prospectus continua de plus belle pendant
plusieurs années encore !
Le 29 juin 1899, la femme Dauvergne,} ma vendeuse
de journaux (pourquoi Dauvergne, alors que j'étais
d'Auvergne, c'est-à-dire Auvergnat : singulière simili-
tude de nom !) vint m'offrir un magnifique canard tué
tout exprès pour moi, me déclara-t-elle ? Le lendemain
30, le capitaine Dreyfus débarqua en France, venant
de l'Ile du Diable.
Mes ennemis connaissaient donc bien mon rôle
dans son Affaire, puisqu'ils me faisaient du symbo-
lisme. Qu'en pensez-vous, lecteur?
Le 30 juillet 1899, la fanfare d'iune localité des en-
virons (Neulize) visita exceptionnellement St-Germain,
et, accompagnée par le maire Poyet, joua devant ma
porte les deux plus tintamaresques morceaux de son
répertoire !
Qu'avais-je donc fait la veille ?
Voici :
J'avais écrit une longue lettre à l'archevêque Couil-
lié, à Lyon, dans laquelle je reproche à son Eglise
d'être la cause principale, par l'immoralité de son en-
seignement en matière fiscale et des droits de l'Etat,
des turpitudes qui se passent journellement dans les
administrations.
Ce même jour du 30 juillet, la religieuse supérieure
de l'école de la commune voisine (Nollieux) se cassa
une jambe ? ? N'avait-elle pas, la malheureuse, été com-
promise dans mes affaires ?
120 —
Le 14 août 1899, la femme Magnaud, à St-Germain-
Laval, me demanda de me laisser apporter un nou-
veau et magnifique canard tué tout exprès pour moi ?
Ce même jour, un inconnu (?) tira deux coups de re-
volver sur M. Labori, le défenseur de Dreyfus, à Ren-
nes ?
Le 19 septembre 1899, le conseil des Ministres dé-
cida la grâce du capitaine Dreyfus, qui fut signée le
lendemain par M. Loubet, Président de la Républi-
que. Ce même jour, M. Guérin et ses compagnons
rendirent le fort Chabrol, à Paris?
Tout le monde sait depuis longtemps que la grâce
du capitaine Dreyfus fut manigancée par MM. Wal-
deck-Rousseau, Loubet et Cie, pour être finalement im-
posée en quelque sorte à la famille Dreyfus. J'ajoute,
sans crainte de me tromper, que cette manigance em-
brassa la stupéfiante conduite du général Mercier à
Rennes, ainsi que toutes les singularités de ce non
moins singulier procès, verdict final compris, qui
accorda les circonstances atténuantes pour un pré-
tendu crime de haute trahison ? ? J'ajoute enfin que la
livraison du fort Chabrol fit partie de la même mani-
gance et le bon public français^ toujours jobard et tou-
jours dupé (vive l'Armée !) n'y a vu que du feu.
Le 1er octobre 1899, M. Denis fils, féculier (celui
du conseil municipal dont j'ai déjà parlé)' et ses amis,
organisèrent à St-Germain une sorte de fête historique
composée de trois chars allégoriques : un char enguir-
landé représentait Bacchus à cheval sur son tonneau,
un autre était monté par Cérès en compagnie de sa
— 121 —
gerbe de blé, etc., etc. M. Denis vint ensuite m' offrir
le « gâteau traditionnel » : je refusai, n'ayant pris et ne
voulant prendre aucune part à tout cela.
Le lendemain, 2 octobre, M. Etienne Charavay mou-
rut subitement ?
On sait que M. Charavay, archiviste-paléographe et
secrétaire général de la Ligue de l'enseignement à la-
quelle j'étais adhérent, avait été l'un des premiers ex-
perts du fameux « bordereau », et qu'après l'avoir at-
tribué à Dreyfus, il reconnut son erreur plus tard, lors-
qu'il eut pris connaissance de l'écriture du commandant
Esterhazy ; mais ce que l'on ne sait pas, c'est que le
7 juillet 1899, avant de voir M. Duvand et sur quel-
ques mots de recommandation de sa part que je remis
à ce dernier le 10, je l'avais entretenu, à son bureau
de la rue Furstenberg à Paris, de ce même « borde-
reau » et aussi, quelque peu, de mon rôle dans l'Af-
faire Dreyfus.
Ce n'est pas tout :
Pendant mon séjour à Pontaumur, de 1890 à 1894,
j'avais publié dans le journal « Le Moniteur du Puy-
de-Dôme » des chroniques locales dont quelques-unes
touchaient aux antiques divinités gallo-romaines de la
région : Mercure-Duniate, Cérès, etc. Et, comme en
1895 et même avant on m'enlaça dans d'inextricables
intrigues en vue de me faire réintégrer les ponts et
chaussées, M. Charavay ne fut-il pas compromis dans
mes affaires, sous le prétexte que je m'occupais ou que
j'avais l'intention de m'occuper de questions archéolo-
giques tout en remplissant mes fonctions de conduc-
teur ? Cette hypothèse me paraît d'autant plus vraisem-
blable qu'il l'était déjà dans l'affaire du « bordereau »,
pour l'avoir attribué à tort au capitaine Dreyfus, en
1894 ; et peut-être même proposa-t-il, à mon insu et
— 122 —
après ma visite du 7 juillet, ma réintégration aux ponts
et chaussées /en la résidence de St-Germain- Laval.
Je prie instamment le lecteur de bien se pénétrer,
pour l'intelligence de ce qui précède, des déclarations
qui me furent faites à Royat, en août 1894, sur l'Af-
faire Dreyfus, principalement par M. Boutteville et dont
il a pris connaissance dans le corps de cet ouvrage.
Ne sont-ce pas ces compromissions que M. Denis
et Cie furent chargés de vérifier à St-Germain- Laval,
le 1er octobre 1899, après mon voyage à Paris de juil-
let précédent? Et comme l'expérience fut négative, la
mort subite de M. Charavay n'en fut-elle pas la con-
séquence ?
Les secrètes notes de mes non moins secrets dos-
siers d'ancien fonctionnaire, que l'on n'a jamais voulu
me communiquer, malgré mes nombreuses demandes,
permettent peut-être de répondre à ces différents points
d'interrogation ?
Le 21 octobre 1899, après en avoir parlé à ma
mère une huitaine de jours à l'avance, je fis un
voyage à Pèghes en vélo, où j'appris, à ma grande
stupéfaction, le mariage de ma cousine Marie Chebance,
qui avait eu lieu le matin même? Je remontai en vélo
et je rentrai à St-Germain par Thiers, sans avoir vu,
personne de ma famille. Je fus d'autant plus surpris
de cette mystérieuse « cachotterie » que ce mariage avait
été ajourné depuis le commencement de janvier 1899
et que mon oncle Pélisson, frère de ma mère et de ma
tante Chebance, y avait assisté, laquelle tante Chebance
tenait beaucoup, m'avait-elle dit, à ce que j'y assistasse
également ?
Le 25 octobre 1899, nouveau voyage à Pèghes en
— 123 —
vélo ; cette fois, j'appris que cette même cousine Che-
bance était très souffrante?
Le 25 novembre 1899, j'écrivis à M. Waldeck-
Rousseau, Président du conseil des Ministres, pour lui
faire connaître que je retirais une demande d'emploi
que je lui avais précédemment adressée.
Le lendemain, 26 novembre, ma cousine Marie Che-
banice disparaissait de la scène de la vie ? ?
N'avait-elle pas été compromise à mon insu dans
ces affaires de demande d'emploi adressée à M. Wal-
deck-Rousseau et cette autre demande d'entretien adres-
sée à M. Etienne Charavay ?
Voici ce que j'en sais :
J'ai dit plus haut que je vis M. Charavay le 7 juil-
let 1899, à Paris. Eh ! bien : quelques annotations au
crayon retrouvées dans ma chambrette, à Pèghes, pré-
cédemment occupée par mes cousines Marie et Louise
Chebance, laquelle était toujours à leur disposition,
tendent à démontrer que la première tout au moins fut
compromise dans mes affaires politiques et adminis-
tratives, ce qui formait un tout inséparable.
En février 1900, le commandant Esterhazy fit une
déposition devant le consul de France, à Londres, au
cours de laquelle il avoua avoir écrit le « bordereau »
par ordre, ce qui concorde parfaitement avec les décla-
rations déjà reproduites et qui me furent faites par M.
Boutteville, à Royat, en août 1894.
Le 22 février 1900, je vis M. Hublard, avocat et
ancien député, à son domicile, à Paris, 3, rue Bocca-
dor ; je lui avais demandé cet entretien par correspon-
dance, en raison de ce qu'il était directeur du journal
« Le Fouet » que je recevais, et aussi parce que c'était
lui qui, à Clermont-Ferrand, le 30 janvier 1898 et
— 124 —
sous la présidence de M. Léon Bourgeois, avait fait
une grande conférence politique à laquelle j'assistai
contre le gouvernement Méline, alors au Pouvoir.
Je lui parlai de mes affaires administratives et sur-
tout je lui fis comprendre que je possédais des rensei-
gnements tout particuliers sur l'Affaire, ce qui l'a-
mena à me faire connaître à son tour que le Président
Loubet allait nous « imposer l'apaisement »? ?
Je crus remarquer que M. Hubbard se conduisit à
mon égard et en cette circonstance, comme M. Jolibois
l'avait fait le 29 décembre 1897, c'est-à-dire que de cu-
rieuses oreilles me parurent avoir été soigneusement
postées non loin de nous pour nous écouter, de telle
sorte que je ne fus que médiocrement surpris de lire
quelques jours après, dans mon journal le « Vol-
taire », un article intitulé « Tout le crime » et signé
« Benoni » ? Cet article mettait au compte du colonel
Henry toute la criminelle machination de l'Affaire Drey-
fus, ce qui n'était exact qu'en partie, car le colonel
Henry ne fut assurément qu'un sous-ordre.
Quant au pseudonyme de « Benoni », je fais remar-
quer que c'est le nom que l'on me donne dans mon
village de Pèghes, et je me rappelle très bien l'avoir
dit à M. Bacconnet, en 1894-95, en même temps que
je lui parlai de l'Affaire Dreyfus. Inutile d'ajouter que
je n'ai ni écrit ni inspiré cet article de journal.
J'ajoute enfin, et ceci est important, que c'est à
partir de cette époque que MM. Loubet et Waldeck-
Rousseau manœuvrèrent en effet vers « l'apaisement »
ou, ce qui est plus exact, vers l'étouffement de la Vé-
rité dans l'Affaire Dreyfus ; ils savaient bien qu'Ester-
hazy avait dit vrai à Londres et ils n'ignoraient pas
non plus mon entretien avec M. Duvand, du 10 juil-
let 1899, à Paris.
— 125
Le 7 mars 1900 (2me anniversaire de ma révoca-
tion), j'adressai une lettre à M. Loubet, Président de
la République, où je déclare que je repousse l'amnistie
proposée par le Gouvernement, pour la raison que
l'Affaire Dreyfus est non une erreur judiciaire, mais
une criminelle machination jésuitico-poly technicienne
dont j'ai eu connaissance à Clermont-Ferrand, en 1894-
95, où je me suis employé à la dévoiler pour la pre-
mière fois.J'ajoute que je ne demande rien à l'Etat,
pas même ma réintégration dans une administration
quelconque.
Le lendemain, 8 mars, le théâtre français, à Paris,
devint la proie des flammes et Mlle Henriot avec ?
Je note encore que c'est vers cette époque que le
R. P. Didon mourut subitement ? C'est cet homme de
Dieu qui, à Arcueil, parlant devant le généralissime
Jamont, qui ne protesta point (?) et devant tous ses
élèves, reprocha aux comploteurs de guerre civile et de
coup d'Etat de « n'avoir pas sauvé le pays livré à tou-
tes les angoisses, même au prix du sang?? »
Les 25 et 28 avril 1900, je fis une visite à M.
Montigny, sous-préfet, à Ambert, pour lui donner con-
naissance d'un dossier que j'avais préparé sur mes af-
faires administratives et l'Affaire Dreyfus, intitulé :
«Origine de l'Affaire Dreyfus et révocation de M.
Nourisson, conducteur des ponts et chaussées». M.
Montigny ne tarda pas à être déplacé et envoyé à Ajac-
cio où il reçut, quelque temps après, la visite des deux
Ministres porteurs de sabres ci-après : général André
à la Guerre et de Lanessan à la Marine ? J'ai déjà
dit que M. de Lanessan s'était occupé de moi pour
— 126 —
être venu à St-Germain- Laval, le 16 juillet 1897 et plus
tard, par l'intermédiaire de M. Juttet.
Le lendemain, 29 avril, la passerelle reliant le globe
céleste à l'Exposition universelle, à Paris, s'effondra et
fit de nombreuses victimes ?
M. Boutteville m'entretint de ces sortes d'accidents
à Royat, en août 1894, en même temps que du com-
plot de coup d'Etat et de guerre avec l'Allemagne ; il
le fit en des termes qui me laissèrent et m'ont tou-
jours laissé la plus fâcheuse impression.
Le 11 mai 1900, après avoir donné rendez-vous à
M. Bacconnet à Clermont-Ferrand pour ce jour, je fis
une visite à la préfecture pour y déposer le dossier
que j'avais communiqué à M. Montigny, le 25 avril
précédent ; je ne pus y rencontrer que M. François,
secrétaire général, auquel je remis ce dossier en l'ac-
compagnant d'une collection de journaux à titre de
renseignements complémentaires. Cette collection com-
prenait la série complète du « Démocrate de Roanne »,
où j'avais publié une trentaine d'articles touchant à mes
affaires politico-administratives ; elle comprenait encore
le numéro du « Voltaire » portant l'article déjà men-
tionné et signé «Benoni». Il fut convenu que M. Fran-
çois garderait le dossier pour son administration et
qu'il me remettrait les journaux après en avoir pris
connaissance : il ne m'a jamais rien remis, malgré plu-
sieurs demandes écrites de ma part?
Quant à M. Bacconnet, que je vis ce même jour,
il se comporta très mal à l'endroit de l'Affaire Dreyfus
et de la mission dont je l'avais chargé à cet égard, en
1894-95 ; il ne voulut plus s'en laisser reparler??
Que de réticences et de mystères dans tout cela :
deux jours avant, le 9 mai 1900, mon cousin Bouchet
— 127 —
était mort promptement ? Cette mort me surprit d'au-
tant plus que, exceptionnellement, il était venu me voir
à Germon t-Ferrand, en 1895, accompagné de sa femme
et alors que je ne les connaissais ni l'un ni l'autre.
Ne l'avait-on pas compromis dans mes affaires ?
Qu'arriva-t-il ensuite ?
Il arriva tout d'abord des histoires très curieuses
à mon avis, dans la famille de mon oncle Nourisson,
à Pèghes ? Et ici, je ne puis m'empêcher de me repor-
ter à un passage de la déclaration de M. Boutteville,
à Royat, à savoir « qu'il fallait mes plus proches pa-
rents pour eux »? ?
Et enfin, je songe encore à d'autres renseignements
infiniment douloureux, échappés plus tard à ma mère
mourante
Le 15 mai 1900, le château-d'eau à l'Exposition
universelle à Paris, devint la proie des flammes ? Cela
a-t-il quelque rapport avec ce que je viens de relater
ci-dessus ? C'est bien possible !
Le 18 mai 1900, la presse m'apprit que M. Adol-
phe Guillot, juge d'instruction de longue date au tri-
bunal civil de la Seine, fut admis à faire valoir ses
droits à la retraite ; il était le protégé de M. Camille
Bouchez, député, qui l'avait fait décorer malgré son
Ministre ; il était l'ami également des assomptionnistes
en général et du R. P. Bailly en particulier, à qui il
envoya sa carte de visite après sa condamnation ?
Ce M. Guillot, juge d'instruction, n'est-il pas le
même personnage que M. Guillot, israélite et membre
du comité consultatif des chemins vicinaux au Ministère
de l'Intérieur, qui vint passer une inspection à Riom,
le 10 juin 1893, et qui me refusa la parole? J'ai déjà
dit que j'avais instamment demandé une inspection gé-
nérale à cette époque.
Et, si cela est exact, ne fut-il pas mis à la retraite
— 128 —
un peu précipitamment à cause du dossier dont je
viens de parler, déposé entre les mains de M. Fran-
çois, le 11 mai 1900?
Le 27 mai 1900, j'adressai une nouvelle lettre à M.
Loubet, Président de la République, pour lui rappeler
celle du 7 mars précédent. Je lui fis connaître en ou-
tre que, les 11 et 24 mai, j'avais déposé à la préfec-
ture de Clermont-Ferrand des renseignements sur l'Af-
faire Dreyfus en le priant de se les faire communiquer.
Le lendemain, 28 mai, je constatai que MM. Du-
claux, Louis Havet, Paul Meyer, Emile Zola, etc., écri-
virent au Sénat pour protester énergiquement contre le
projet d'amnistie proposé par le Gouvernement. Le
commandant Esterhazy en fit autant pour son compte
personnel. C'est à cette époque que le général poly-
technicien André remplaça de Galliffet au Ministère de
la Guerre, qui fut, à ma connaissance, comme je l'ai
déjà dit, l'un des plus grands escamoteurs de la Vé-
rité dans l'Affaire Dreyfus.
Le 30 mai 1900, j'adressai une nouvelle lettre à M.
Loubet, Président de la République, par laquelle je
portai à sa connaissance ma lettre adressée à M. Bac-
connet le 28 du même mois, dans laquelle je lui re-
proche son inconduite au sujet de la mission dont je
l'avais chargé dans l'Affaire Dreyfus.
Le 18 mai 1900, j'écrivis une longue lettre à l'évê-
que Belmont, à Clermont-Ferrand (celui des croisades
de 1895), avec copie adressée à la préfecture du Puy-
de-Dôme à titre de renseignements ; je reprochai vive-
ment à ce général romain l'infâme conduite de son
Eglise à mon égard, par l'intermédiaire de mes pa-
— 129 —
rents en général et de ma mère en particulier. Je lui
déclarai en outre que « le capitaine Dreyfus était vic-
time de la plus criminelle machination que l'Histoire
aura à enregistrer », en ajoutant que je combattais dans
ce sens.
Le 29 mai suivant, une adoration perpétuelle fut
organisée à grand fracas, à la Forie, localité voisine
et dont le curé Pitavy avait été visé dans ma lettre ?
Le 31 mai, mon voisin Cellier s'empressa de bou-
cher subrepticement les trous existant dans la muraille
séparative de son étable et de ma maison, au moyen
desquels on surprenait ce qui se disait chez moi ?
Je laisse un instant le lecteur à ses réflexions à ce
sujet !
* *
Le 5 juillet 1900, j'écrivis une nouvelle lettre à M.
Loubet, Président de la République, pour lui faire con-
naître que, le 16 juin précédent, j'avais informé le ca-
pitaine Dreyfus, à Cologny, près Genève, que le 11
mai de la même année, j'avais déposé à la préfecture
du Puy-de-Dôme un dossier sur mes affaires et les
siennes. J'avais en outre fait ressortir à cet officier,
dans ma lettre du 16 juin 1900, qu'il avait été victime
d'une criminelle machination politico-religieuse, en 1894,
compliquée d'une intrigue administrative relative à la
fusion des services de voirie, où étaient compromis
certains ingénieurs de ma connaissance.
Le lendemain, 6 juillet, M. Waldeck-Rousseau fut
interpellé au Sénat, lequel vota l'affichage de son dis-
cours ; et le sénateur Desmons, en prenant possession
dv, fauteuil présidentiel de la gauche démocratique de
cette assemblée, conseilla au Gouvernement de passer
de la période défensive à l'offensive.
Vers le 14 du même mois, mourait à Quimper,
— 130 —
muni de toutes les bénédictions et de tous les sacre-
ments de l'Eglise (naturellement !) le général de Pel-
lieux dit « la boucherie », qui s'illustra au procès Zola,
ainsi que tout le monde le sait. Il s'agit bien du même
de Pellieux que celui qui s'était occupé de moi à mon
insu et de mes affaires administratives de 1890 à 1894,
alors qu'il était chef d'état-major du 13me corps d'ar-
mée, à Clermont-Ferrand, et moi agent voyer cantonal,
à Pontaumur (Puy-de-Dôme).
Le 18 août 1900, j'écrivis une nouvelle lettre à M.
Loubet, Président de la République, dans laquelle je
lui déclare que je ne veux plus être fonctionnaire afin
de pouvoir parler et écrire librement sur l'Affaire
Dreyfus, dans l'unique intérêt de la Vérité. J'ajoute que
j'ai été choisi comme sujet d'expériences de 1890 à
1898, au sujet du projet de fusion des services de voi-
rie comprenant la machination de l'Affaire Dreyfus,
qui fut dirigée contre la République parlementaire et
dans laquelle étaient compromis ingénieurs et officiers
polytechniciens, en vue d'une dictature favorable à la
fusion nationale de ces services de voirie.
; Dans la soirée, s'effondra une passerelle à l'Expo-
sition universelle à Paris : nombreux morts et blés-
ses ? ?
Dans cette même soirée également, le curé et les
deux vicaires du chef-lieu de ma commune (Job), au
bureau de poste de laquelle j'avais déposé ma lettre
ci-dessus relatée, furent l'objet d'un étourdissant cha-
rivari qui se renouvela chaque jour, jusqu'à ce que ces
trois prêtres eussent quitté la localité ? ?
La véritable raison, inavouée au public comme clans
toutes ces ténébreuses affaires du reste, ne fut-elle pas
— 131
le dépôt au bureau de poste de Job de ma lettre ci-
dessus rappelée à M. le Président de la République ?
Le 11 novembre 1900, j'écrivis une lettre recom-
mandée A.R. à mon journal « Le Voltaire » au sujet
de son article dont j'ai déjà parlé, intitulé « Tout le
crime » et signé « Benoni », pour lui faire connaître
que cet article était un faux, puisque je ne l'avais ni
écrit ni inspiré.
Le soir eut lieu, à Choisy-le-Roi, près de Paris, un
tamponnement de trains : nombreux morts et blessés ?
Et, comme ma propriété de Pèghes était en vente,
j'eus la stupéfaction de recevoir, le lendemain 12 no-
vembre, la visite d'une jeune femme Fougerouse, an-
cienne bonne de la maison Rotschild, à Paris, me dé-
clara-t-elle (?), qui me proposa de l'acheter.
Le 19 novembre suivant, soit huit jours après ma
lettre ci-dessus rappelée, mon journal « Le Voltaire »
changea prestement de propriétaire et de domicile ? ?
Ma lettre recommandée du 11 ne l'avait-elle pas
gène ?
*
* *
Le 17 décembre 1900, M. Waldeck-Rousseau monta
à la tribune pour repousser un amendement du député
Vazeilles sur l'amnistie, amendement qui laissait la
porte ouverte à la manifestation de toute la Vérité dans
l'Affaire Dreyfus ; la Chambre des députés approuva
M. Waldeck-Rousseau et vota, l'amnistie le 19, dans
une séance de nuit. Elle en avait tant besoin pour elle !
N'est-ce pas le comble de l'infamie ?
Le 1er mai 1901, j'écrivis une lettre à M. Ernest
Haeckel, le célèbre professeur de zoologie à l'Univer-
— 132 —
site d'Iéna (Allemagne) ; je lui parle de sa brochure
sur P« Origine de l'Homme» et lui déclare que de-
puis longtemps je suis d'accord avec lui sur cette ques-
tion. Je profite de cette occasion pour porter à sa con-
naissance mes démêlés avec l'évêque Belmont, à Cler-
mont-Ferrand et je lui fais connaître, d'autre part, que
je suis mêlé à l'Affaire Dreyfus que je sais être une
criminelle machination politique, sociale et religieuse,
compliquée encore par mes affaires administratives. M.
Haeckel m'adressa le 22 juin, en réponse à cette com-
munication, une carte postale qui me parvint le 25.
Pourquoi choisit-il cette date du 22 juin plutôt
qu'une autre ? Je l'ignore complètement, mais ce que
je n'ignore: pas, c'est que le lendemain 23 eut lieu à
Clermont-Ferrand l'inauguration du lycée de jeunes fil-
les sous la présidence du général André, Ministre de
la Guerre et de M. Mougeot, sous-secrétaire d'Etat
aux postes et télégraphes ; ce que je sais bien encore,
c'est que ce même général fit ostensiblement remar-
quer, aux Clermontois qui l'écoutaient, que la nuit pré-
cédente M. Waldeck-Rousseau avait fait précipitam-
ment ( ?) voter par le Sénat la loi sur les associations ?
Le surlendemain 24 juin, le Sénat s'érigea en Haute-
Cour de justice pour juger de Lur-Saluces contumax ?
Et ce même jour fut organisée à Royat, toujours
sous la présidence de MM. André et Mougeot, une
fête des pompiers dont M. Guyot-Dessaigne, député du
Puy-de-Dôme, était le président d'honneur.
Enfin, le 29 du même mois, la Chambre des dépu-
tés vota à son tour la loi sur les associations.
Que signifie au juste tout cela ?
A-t-on voulu donner, par la concordance des dates
du vote du Sénat, des fêtes clermontoises et de la ré-
ception de la carte postale que m'adressa M. Haeckel,
la signification que les congrégations religieuses (moi-
— 133 —
nés ligueurs et moines d'affaires) coupables de com-
plot contre la République venaient de recevoir le com-
mencement de leur châtiment ?
Si oui, ce fut une grosse inexactitude, car toute
l'Eglise, son Pape et ses évêques de la croisade cler-
montoise de 1895, ainsi que toute la réaction avouée
ou non et une foule de soi-disant républicains trempè-
rent dans ce complot.
Et les fêtes de Royat le lendemain, eurent-elles
dans les régions gouvernementales une signification de
ce genre ?
Si oui, on eut le tort impardonnable de n'y point
faire figurer M. Boutteville que j'y rencontrai en août
1894 comme je l'ai déjà dit. Il aurait été convenable
également d'y ajouter son beau-frère M. Clément Chaus-
segros, et surtout le général Mercier, ce dernier au
premier plan ; puis, en compagnie de l'évêque Bel-
mont et de ses religieuses de « la Miséricorde », MM.
Ponction et Méridier ; puis enfin, dans un autre coin
bien en évidence, MM. Méline et Paul Chauvassaigne.
Le 7 septembre 1901, après avoir eu un particulier
et mystérieux entretien avec sa sœur, ma mère tint à
mon égard, ma tante étant présente, une conduite ab-
solument surprenante ?
La nuit suivante, 8 septembre, un incendie dévora
les ateliers en planches (?) de la ferblanterie Houpin
et Cie à la Forie, lesquels avaient été construits l'an-
née précédente seulement (peu après mon arrivée dans
le pays) par les frères Houpin et Cie, venus de Cler-
mont-Ferrand où ils étaient déjà établis.
Le 7 novembre 1901, j'adressai' une lettre à M.
Ferdinand Buisson à Paris, dans laquelle je lui narle
de conférences populaires, d'éducation de la Démocra-
— 134 —
tie, etc., comme je l'avais déjà fait à MM. Léon Bour-
geois et Ernest Haeckel. Ma mère eut de nouveau et
dans la soirée une conduite des plus singulières à
mon égard ; elle parla de « tout espoir perdu... pa-
tience, etc. »
Le lendemain, 8 novembre, je fus victime d'une ten-
tative d'empoisonnement qui faillit me précipiter dans
la tombe ! J'ai relaté cet incident dans une note re-
mise par moi au savant chimiste Berthelot à Paris, à
la fin de l'année 1903.
Le 9 novembre 1901, les experts arrêtèrent enfin
l'indemnité due par la compagnie d'assurance aux Hou-
pin et Cie, lesquels s'empressèrent de retourner à Cler-
mont-Ferrand d'où ils étaient venus.
Pourquoi tout cela ?
Voici ce que j'en sais :
Le 15 janvier 1900, alors que je résidais encore à
St-Germain- Laval, je fis une visite à M. Comte, à St-
Etienne, pasteur, franc-maçon (?) et directeur du jour-
nal « La Tribune » ; il insista beaucoup et me donna
même sa foi maçonnique ( ?) pour me faire accepter
la recommandation de l'ingénieur des ponts et chaus-
sées Reuss de cette ville, lequel avait l'intention, disait-
il, de m'envoyer au service d'entrepreneurs devant pro-
chainement construire un grand barrage de retenue
d'eau dont il avait rédigé le projet. Je refusai net, ne
voulant plus accepter la recommandation des ingénieurs
des ponts et chaussées en général et la sienne en particu-
lier, lequel s'était quelque peu occupé de moi à ma con-
naissance, lors de mon déplacement de St-Germain-
Laval à Bourges et peut-être même plus tard.
M. Comte répliqua : « si vous vous butez contre
ces gens-là, ça sera très difficile » !
De quelle difficulté voulut-il parler? Je ne le sus
point, mais je crus apercevoir quelques instants après
— 135 —
M. Ponchon qui lui avait fait vraisemblablement une
visite également quelques instants avant ? Je me sou-
vins alors de certaines paroles échangées en ma pré-
sence entre MM. Ponchon et Mendier, à la fin de
1894 et au bureau du premier où je travaillais à cette
époque ; ils disaient avoir des relations avec un ingé-
nieur de leurs amis (M. Reuss, peut-être) qui faisait
ou projetait de faire exécuter de grands travaux. N'a-
vaient-ils pas intrigué de ce côté à mon adresse, avec
ou sans la complicité de M. Boutteville ?
Puis, ayant réintégré le domicile paternel à Pèghes
vers la fin mars 1900, quelques personnes s'employè-
rent peu après à m'envoyer à l'usine Houpin nouvelle-
ment construite ; et, le 1er mai notamment, jour où
j'écrivis à M. Haeckel à Iéna, mon voisin Tamisier
qui n'avait eu connaissance de cette missive ni lui ni
personne de ma part, insista pour m'envoyer à l'usine
Houpin ? Je trouvai son intervention d'autant plus dé-
placée de sa part, que nos relations étaient plutôt froi-
des et que je ne l'avais jamais chargé de s'occuper de
mes affaires.
Le 28 août 1900, ayant eu, avec une vingtaine
d'autres personnes du voisinage, une question d'intérêt
à débattre avec ces MM. Houpin (irrigations de nos
prairies) qui se termina avec accord de part et d'au-
tre, nous prîmes ensemble une consommation à l'au-
berge Béai à la Forie et j'en profitai pour parler libre
pensée et anticléricalisme. La nuit suivante, ma mère
fut victime de plusieurs accidents et tellement malade
que je la crus perdue ?
A son tour, elle avait manœuvré, ou, ce qui est
plus exact, on l'avait fait manœuvrer pour m'envoyer
à l'usine Houpin et Cie où je ne voulais pas aller, car
je m'étais rendu compte qu'il y avait là-dessous quel-
que nouvelle et malhonnête intrigue à mon adresse. Je
— 136 —
savais notamment que MM. Ponchon et Méridier en
avaient été les architectes, ce qui était pour moi une
raison de sérieuse méfiance, puisque je les savais com-
promis dans l'Affaire Dreyfus et les miennes, j'avais
même écrit dans ce sens à M. François, secrétaire gé-
néral de la préfecture de Clermont-Ferrand, et j'avais
attiré son attention sur le mystérieux incendie de la
ferblanterie Houpin et Cie.
De tout cela il en est résulté dans ma pensée que
l'usine Houpin fut installée à la Forie, en raison de
mon retour dans ce pays et à cause de certaines com-
plications et compromissions dans mes affaires et pour
m'y envoyer travailler. Et, quand on sut d'une façon
positive que je n'irais point, on l'incendia tout simple-
ment ; puis MM. Houpin retournèrent à Clermont-
Ferrand où ils ne tardèrent pas à occuper une place
importante à la section clermontoise de la Ligue des
Droits de l'Homme et du Citoyen, présidée par M.
Marrou, actuellement député de cette ville ?
Le 15 décembre 1901, la presse m'apprit que l'on
avait vu ensemble, dans le train rapide de Paris à
Lyon, MM. les généraux Mercier et André. Ce détail,
insignifiant en apparence, n'est pas de nature à me
faire croire à l'innocence du général André dans la
machination et les crimes de l'Affaire Dreyfus et du
coup d'Etat.
*
Le 12 janvier 1902, M. Waldeck-Rousseau, chef du
Gouvernement, prononça un grand discours politique
à St-E tienne ; il se déclara contre la réduction du ser-
vice militaire à deux ans, contre l'établissement de
— 137 —
l'impôt progressif sur le revenu et contre la séparation
des Eglises et de l'Etat.
Il n'est pas surprenant dans ces conditions que ce
personnage politique ait étouffé l'Affaire Dreyfus qui,
justement, avait été machinée pour éteindre dans le
sang ces améliorations sociales constamment réclamées
par la Démocratie.
Il n'est même pas sûr, à mon avis, qu'il n'ait pas
connu et approuvé le complot à l'origine, sauf à chan-
ger son fusil d'épaule comme il le fit un peu plus tard.
Et tout d'abord, ne s'occupa-t-il pas de moi dans
la Loire à mon insu, alors qu'il était simple sénateur
de ce département ; et n'est-ce pas à cause de sa pré-
sence dans ce pays que M. Guyot-Dessaigne, devenu
Ministre des Travaux Publics, m'y envoya en raison
de la fusion projetée des services de voirie ?
Les 20, 28 et 31 mars 1902, j'adressai trois nou-
velles lettres à l'évêque des croisades Belmont à Cler-
mont-Ferrand, où je lui reproche la part de responsa-
bilité qui lui revient dans l'horrible conduite de ma
mère à mon égard. Dans celle du 31, je lui fis con-
naître que ma tante Chebance mariait précipitamment (?)
sa deuxième fille Louise et j'ajoutai ceci : « que ce ma-
riage n'ait point de machinales relations avec mes af-
faires personnelles comme cela a eu lieu, je crois, à
l'occasion de celui de sa sœur, dont la maladie et la
mort m'ont profondément intrigué » !
Le 31 mars, M. Coste, banquier à Ambert et oncle
de M. Far j on, député, mourut promptement ?
Le 2 avril, M. Celeyron aîné, banquier en la même
ville, mourut également (M. Boutteville prononça ce
nom à Royat en ma présence en août 1894, ainsi que
— 138 —
je l'ai dit plus haut). Ces deux personnages n'étaient-
ils pas compromis dans mes affaires ?
Le 4 avril, le Pape Léon XIII reçut la visite de
M. Ferdinand Brunetière qui avait lancé en 1894 di-
verses publications sur la prétendue « banqueroute de
la science » ? Je fais remarquer à ce sujet que, tout
en m'occupant à cette époque de la divulgation de
l'Affaire Dreyfus, j'avais protesté, dans la faible limite
de mon savoir, contre cette bouffonne affirmation, au
cours d'un article que je fis publier dans le journal
« Le Moniteur du Puy-de-Dôme », au commencement
de 1895. J'ajoute que M. Berthelot et ses amis, au
cours d'un banquet parisien qui eut un grand reten-
tissement dans la presse, protestèrent également contre
cette brunetiéresque allégation qui fut d'autant plus in-
solente qu'elle se produisait à la fin du dix-neuvième
siècle.
Enfin, le 5 avril, j'adressai une longue lettre de re-
proches à l'archevêque Couillié, à Lyon, relative à mes
affaires administratives et à l'inqualifiable conduite de
ma mère à mon égard. J'ajoutai que je ne deviendrais
plus fonctionnaire en raison de ces mêmes affaires et
de mon rôle dans celle du capitaine Dreyfus.
*
* *
Le 7 septembre 1902, plus que d'habitude encore,
ma mère me fit une scène épouvantable : elle me dé-
fia (?), m'injuria, lança son bâton de tous les côtés
et quitta la maison finalement pour aller s'accroupir de-
vant la porte de Pétable du voisin ? J'eus toutes les
peines du monde pour la ramener à la maison.
Pourquoi cela ?
Elle avait su notamment que je me disposais à al-
ler au prochain Congrès international de la Libre Pen-
sée, à Genève.
— 139 —
Elle avait su également, paraît-il, que M. François,
secrétaire général de la préfecture, à Clermont-Ferrand,
entre les mains de qui j'avais déposé, le 11 mai 1900,
le dossier dont j'ai parlé plus haut, était déplacé et
envoyé à Lunéville ?
Le 17 septembre, je donnai lecture au Congrès de
mon rapport sur la « Théorie générale de l'Evolution
et les dogmes religieux », au cours duquel je dis quel-
ques mots de l'Affaire Dreyfus, que je savais être une
criminelle machination ; cette assemblée approuva les
conclusions de mon rapport sur la nécessité d'organi-
ser l'éducation de la Démocratie par la voie des Uni-
versités populaires, elle approuva également ces mêmes
conclusions relatives à l'Evolution du monde organi-
que et inorganique.
Je fais remarquer que, dans le long mémoire que
j'avais envoyé au Congrès, je m'efforce de faire res-
sortir le rôle heureux joué dans l'Affaire Dreyfus par
MM. Brisson et Emile Zola. Je parle également de M.
Berthelot et de sa protestation contre la « banqueroute
de la science». Les délégués allemands au Congrès,
Mme Ida Altmann notamment, durent en prendre con-
naissance.
Le lendemain 18, avant de quitter Genève, j'écrivis
une lettre recommandée A.R., à M. Haeckel, à Iéna,
dans laquelle je lui fis sommairement connaître ce qui
s'était passé à Genève et le rôle qui m'y avait été dé-
volu ; l'avis de réception de ma lettre me parvint à
Pèghes quelques jours après.
Le 20 septembre suivant,^ mourut promptement le
petit garçon de mon voisin Fonlupt ? Ce même jour,
ma mère me fit une scène inouïe, me menaça de son
bâton, etc., etc.
Que s'était-il donc passé ?
Mystère !
140 —
Le 24 septembre 1902, je me rendis au congrès de
la Ligue de l'enseignement, à Lyon, présidé par M.
Ferdinand Buisson et auquel assista M. Adrien Du-
vand, dont j'ai déjà parlé.
Le 27, je pris part aux travaux de la première com-
mission où je prononçai un discours sur le rôle fu-
tur des Universités populaires et je fis adopter un
amendement dans ce sens qui figure au procès-verbal
du congrès. Je me réclamai, au cours de mon dis-
cours, du rôle qui m'avait été dévolu au Congrès pré-
cédent, à Genève, et je poussai une charge assez vive
contre la Papauté et renseignement de l'Eglise romaine.
Je fis connaître également que j'étais un ancien con-
ducteur des ponts et chaussées révoqué sous le gou-
vernement de coup d'Etat de M. Méline.
Le 29, M. et Mme Emile Zola, après avoir séjourné
quelques mois à la campagne, rentrèrent à leur domi-
cile, à Paris, pour y être asphyxiés la nuit suivante ??
Il ne m'est plus possible aujourd'hui de douter de
l'assassinat de M. Zola, à cause de mon rôle volontaire
et de celui que je lui avais assigné en quelque sorte en
1894-95 dans l'affaire Dreyfus ; et aussi en raison de
celui que j'avais rempli quelques jours avant au Con-
grès de Genève, ainsi que de mon discours de Lyon,
dont je viens de parler.
Je constate également que c'est à cette époque que
M. Gasquet, ancien maire et député de Clermont-Fer-
rand, remplaça M. Bayet à la direction de l'enseigne-
ment primaire. Ce personnage ne s'était-il pas occupé
de moi à mon insu ?
Enfin, l'assassinat de M. Zola m'ayant pas mal
bouleversé, je demandai à M. Furnémont, Secrétaire
général de la Libre Pensée internationale, à Bruxelles,
— 141 —
la communication de mon mémoire et rapport de Ge-
nève afin de les publier, si possible, ce qui aurait peut-
être fait comprendre le véritable mobile de l'assassinat
de M. Zola ; il me donna l'assurance, par sa lettre
reçue le 20 octobre 1902, que le tout figurerait au
procès-verbal du Congrès, ce qui n'a pas eu lieu, à
ma connaissance, et il ne me communiqua rien mal-
gré de nouvelles demandes de ma part ?
Autre détail suggestif :
J'ai dit plus haut que M. Méridier me menaça, à
la fin de 1894, de la « guerre au couteau » qui me
serait faite dans le cas où je me conduirais mal (1) ;
le 22 octobre 1902, ma mère cacha son petit couteau
d'origine thiernoise (?) dans son lit où je le trouvai
après sa mort survenue le 22 novembre suivant !
J'ajoute enfin que le four des funérailles de M.
Zola (5 octobre), M. Chaumié, Ministre de l'Instruc-
tion Publique, prononça un discours sur sa tombe et
il s'empressa (naturellement) de mettre au « compte de
l'imbécile fatalité » la subite disparition du grand jus-
ticier contemporain ?
Le 1er novembre 1902, ma mère voulut absolument
se confesser de nouveau et son confesseur, venu de
Job, alla chercher « Dieu » ensuite pour le lui porter,
non à Jbb, mais à la Forie, paroisse voisine.
Le 3 novembre, je reçus une carte postale de M.
Haeckel, en réponse à, la lettre recommandée que je
lui avais adressée de Genève le 18 septembre précé-
dent.
Je ne pus m'empêcher d?adresser une nouvelle let-
(1) Il me déclara encore que tout ce que je pourrais faire ou dire
pour ma défense serait immédiatement détruit ou annihilé, sauf une
chose qui serait un peu plus difficile à combattre : les publications que
je pourrais lancer dans le public. Son associé, M. Ponchon, ajouta qu'on
(la réaction cléricale) ne laissait aucune ressource, rien, à ceux qui la
trahissait, afin qu'ils ne puissent rien faire !
— 142 —
tre de reproches, le 11 novembre suivant, à l'évêque
Belmont, à Clermont-Ferrand, pour lui faire observer
que je n'étais point dupe de toutes ces pénibles et
mystérieuses comédies de son Eglise.
Enfin,, j'appris qu'à cette même époque M. Wal-
deck-Rousseau, le fameux « cercle légal » en même temps
que « grand amnistieur », avait eu une opportune en-
trevue avec le cardinal Rampolla, à Rome ? ?
A cette époque également remonte la mystérieuse
vente des grandes propriétés du comte d'Hautpoul, à
Job, et bien des indices tendent à me démontrer qu'il
y a eu, de ce côté encore, des intrigues inavouables
relativement à mes affaires.
Enfin ma mère mourut le 22 novembre 1902 et, le
1er décembre suivant, je fis une nouvelle visite à M.
Duvand, à Paris. Je fais remarquer ici que ce
personnage, inconnu de moi avant mon arrivée
dans la Loire, avait paru me témoigner de l'intérêt ;
mais il ne consentit jamais à répondre aux nombreu-
ses lettres que je lui adressai dans la suite. Le 1er dé-
cembre 1902, il fit mieux, il me demanda de lui écrire
encore, mais pour me lire seulement 1 Cette manière
de procéder à mon égard a contribué beaucoup à m'é-
loigner de lui.
*
* *
Le 14 janvier 1903, je fis quelques communications
à M. Haeokel, à Iéna, relativement aux œuvres d'ensei-
gnements post-scolaires pour adultes et adolescents, par
le moyen des Universités populaires, et je le priai ins-
tamment de venir, lui et ses amis ès-sciences, au Con-
grès international de la Libre Pensée de Rome, en sep-
tembre 1904. J'en profitai pour lui parler encore quel-
que peu de mon rôle dans la criminelle machination
de l'Affaire Dreyfus, et le lecteur sait que je distribuai
aux membres de ce Congrès, M. Haeckel compris, ma
— 143 —
Note autocopiée sur cette Affaire Dreyfus dans laquelle
je reproche tout particulièrement à la Papauté et à son
Eglise sa part de responsabilité dans le crime.
On remarquera plus loin que cet illustre savant
prit part aux travaux du Congrès de Rome et que, de
mon côté, j'y remplis un certain rôle, bien que plus
effacé.
Le 4 février, M. Combes, Président du conseil des
Ministres, monta à la tribune de la Chambre pour se
rétracter ; il rejeta son récent spiritualisme et sa sym-
pathie pour renseignement éducatif et moralisateur de
l'Eglise, pour adopter à sa place celui de la Libre
Pensée.
Que s'était-il donc passé de grave pour le faire
changer d'opinion sur une question de cette impor-
tance, à quelques jours d'intervalle seulement ? Je ne
sais, mais il est bien possible que ma lettre du 14 jan-
vier écoulé à M. Haecke] y fut pour quelque chose.
Le 17 mai 1903, eut lieu à Clermont-Ferrand une
conférence politique et libre penseuse à laquelle j'as-
sistai ; elle occasionna la suppression de la tradition-
nelle procession de Notre-Dame du Port, et elle fut
faite par M. Delpech, sénateur et grand dignitaire de
la franc-maçonnerie.
Cette conférence se rattache-t-elle par quelque côté à
l'Affaire Dreyfus et aux miennes ?
Si oui, je déclare que je n'en ai rien su. Tout ce
que je sais, c'est que la personnalité de M. Delpech
est intimement liée à l'Affaire depuis son commence-
ment.
Le 19 juin 1903, les clairons de la société de gym-
— 144 —
nastique de la Forie firent un ramage étourdissant dans
la soirée, en traversant mon village ? J'ai constaté que
cette comédie, qui s'est répétée plus de cent fois, coïn-
cidait toujours avec quelque événement politique, libre
penseur ou de l'Affaire Dreyfus ; ou encore avec quel-
que correspondance y relative que je recevais le lende-
main.
Pour quelle raison m'a-t-on fait toutes ces clairon-
nantes allusions, car il m'est impossible de douter
qu'elles ne fussent point à mon adresse, d'autant plus
que cette société de gymnastique ne s'était formée que
peu après mon arrivée à Pèghes, par des ouvriers des
fabriques de la Forie ?
Le 22 juin 1903, j'écrivis une lettre à M. le Minis-
tre de la Justice pour lui rappeler que, le 1er décem-
bre 1900, je lui avais adressé, avec d'autres documents
à l'appui, des copies des procès-verbaux pour contra-
ventions de grande voirie que j'avais dressés, lorsque
j'étais fonctionnaire, contre mes entrepreneurs et mes
propres chefs de service ; procès-verbaux qui avaient
amené, en apparence du moins, mon déplacement, mon
retrait d'emploi et ma révocation. Je lui fis observer
que M. le Ministre des Travaux Publics m'accusa ré-
ception, le 27 décembre 1900, au lieu et place de ce-
lui de la Justice, des documents et renseignements qui
accompagnaient ma lettre ; et j'ajoutai que c'était peut-
être bien là un moyen d'en dessaisir la Justice.
Le lendemain, 23 juin, des incidents violents se pro-
duisirent à la Chambre des députés, M. Ferdinand
Buisson, le même sous la présidence duquel je devais
parler au Congrès de Rome, en septembre 1904, monta
à la tribune et discourut sur la dissimulation et le men-
songe enseignés dans les écoles congréganistes ?
— 145 —
Cela eut-il quelque rapport avec mes affaires ci-des-
sus relatées ?
C'est bien possible !
Le 30 juin 1903, j'adressai une nouvelle lettre à
M. le Ministre de la Justice, dans laquelle je me
plains de la conduite tenue à mon égard par M. Girar-
dot, qui m'avait appelé à son cabinet au sujet de la
lettre ci-dessus rappelée, adressée à son Ministre le 22
juin précédent ; je lui déclare en outre que cette af-
faire de voirie fait partie de la criminelle machina-
tion de l'Affaire Dreyfus.
Puis, je ne sus plus rien, si ce n'est que M. Girar-
dot fut fait chevalier de la Légion d'honneur sur
la proposition du général André, Ministre de la
Guerre (?), lequel se fit attribuer pour son compte
personnel (?) le grade élevé de commandeur de la
même Légion.
Tout cela eut lieu à l'époque de la fête nationale
du 14 juillet 1903.
Je note encore que le pape Léon XIII mourut le
20 juillet et que les employés de la mairie de Rome,
superlativement bien inspirés dans la circonstance,
l'inscrivirent sur le registre des criminels ? Il est fort
regrettable à mon avis que le Maire de cette ville et le
Gouvernement italien aient cru devoir faire arracher ce
feuillet du registre : le nom de Léon XIII, ci-devant
Pecci, Pape de la croisade moderne clermontoise de
1895 et de la criminelle Affaire Dreyfus, était infini-
ment mieux là que partout aiHeurs.
Puis, je note enfin que le 28 juillet suivant eut lieu
à l'Eglise Notre-Dame à Paris un grand office funèbre
pour le repos de l'âme de ce Pape, auquel assistèrent,
pour leur compte personnel (?) MM. Delcassé, Minis-
tre des Affaires étrangères, le général André, Ministre
10
— 146 —
de la Guerre, et le Président Loubet, qui -s'y fit repré-
senter par le général Dubois.
Evidemment, on fait toutes ces choses sans rire et
le plus naturellement du monde, dans les hautes sphè-
res de l'Eglise et du Gouvernement !
Le 21 août 1903, je note dans le journal l'« Ac-
tion » une « lettre ouverte » de M. Ferdinand Buis-
son, professeur à la Sorbonne et ancien Directeur de
l'enseignement primaire, à son collègue et ami Aulard,
dans laquelle il plaide en faveur de la religion ; il dé-
clare « ne pas vouloir détruire la religion et ne veut
pas séparer la morale de la religion ».
Evidemment, je ne suis pas du même avis que M.
Buisson, je pense au contraire qu'il faut séparer la
morale de la religion et des religions, les combattre
toutes au même titre que l'erreur et le mensonge, pour
le plus grand bien de la morale naturelle et évolution-
niste.
*
* *
Le 24 août 1903, j'adressai une lettre recommandée
à M. Léon Bourgeois, député. Je lui rappelle, dans
cette lettre, une précédente missive remise à son domi-
cile à Paris, le 8 mai 1899, où je lui expose sommai-
rement que l'Affaire Dreyfus est une criminelle machi-
nation contre la République et qu'elle est greffée sur
la question de fusion projetée des services de voirie. Je
lui fais remarquer que si je lui ai remis ma lettre du
8 mai 1899, c'est que j'avais compris, après l'avoir en-
tendu discourir à Clermont-Ferrand, le 30 janvier 1898,
qu'il avait été mis au courant de mes révélations sur
l'Affaire Dreyfus, par l'intermédiaire de M. Bacconnet,
lequel ne voulait plus absolument en entendre parler,
— 147 —
ainsi qu'il me l'avait avoué à Germon t-Ferrand, le 11
mai 1900. Je lui déclare en outre avoir cru compren-
dre que cette manifestation politico-clermontoise du 30
janvier 1898, avait quelque rapport avec l'entretien que
j'avais eu à Paris avec M. Jolibois, alors président de
la société des conducteurs des ponts et chaussées, le 29
décembre 1897.
Je lui rappelle également que la question de la fu-
sion des services de voirie faillit être solutionnée en sa
faveur, sous son Ministère, à la fin de 1895, puisqu'il
était Ministre de l'Intérieur en même temps que Prési-
dent du conseil, M. Guyot-Dessaigne étant Ministre
des Travaux Publics :
Lui tenait le sac en cette circonstance et M. Guyot-
Dessaigne mettait dedans !
Enfin, comme je lui avais demandé de bien vouloir
s'intéresser à ma modeste personne dansi ma lettre du
8 mai 1899, je le priai de ne plus s'en occuper.
Cette lettre du 8 mai 1899 a peut-être plus influencé
la politique de l'époque qu'on ne saurait le croire; elle
a pu être le point de départ de l'escamotage de la Vérité
dans l'Affaire Dreyfus, par l'intermédiaire de M. Wal-
deck-Rousseau principalement, lequel ne put constituer
son Ministère que sur l'intervention de M. Léon Bour-
geois, venu tout exprès de la Conférence de la Haye,,
d'où il en avait été rappelé par M. Loubet, Président
de la République.
Inutile d'ajouter que ce n'était pas un pareil résul-
tat que je voulais atteindre en m'adressant à M. Bour-
geois !
Le 2 septembre 1903, M. Bernard Lazare mourut.
J'ai déjà parlé de ma rencontre avec son oncle à la
brasserie du « tonneau », à Lyon, le 8 mars 1899, le-
— 148 —
quel était en compagnie de M. Juttet. J'ai dit que c'é-
tait M. Bernard Lazare, paraît-il, qui avait parlé de
mes révélations sur l'Affaire Dreyfus à M. Emile Zola.
Cet incident de la brasserie du « tonneau », à Lyon,
incident que je n'avais ni prévu ni recherché, me dé-
montre clairement que M. Juttet, franc-maçon, connais-
sait quelque chose de mon rôle dans l'Affaire Dreyfus ;
il me démontre encore que les renseignements que M.
Bernard Lazare donna à M. Zola venaient de moi et
ne pouvaient venir que de moi, par l'intermédiaire de
M. Bacconnet.
Le 8 octobre 1903, j'assistai à l'ouverture du con-
grès national du parti radical-socialiste, à Marseille et
le lendemain 9, je remis une note à M. Ferdinand
Buisson, relative à mon rôle dans l'Affaire Dreyfus,
lequel s'empressa, je crois, de la communiquer à M.
Louis Bonnet, dignitaire de la franc-maçonnerie, que
j'avais connu autrefois à Clermont-Ferrand et particu-
lièrement en 1889, à l'occasion des fêtes clermontoises
du centenaire de la Révolution française, où j'avais été
délégué par mes collègues des ponts et chaussées ha-
bitant cette ville. M. Bonnet me rencontra quelques ins-
tants après et j'en profitai pour lui faire connaître que
c'était moi qui avais désigné M. Zola et son rôle à
remplir dans l'Affaire Dreyfus ; j'ajoutai que je savais
complice du général Mercier mon ancien ingénieur
Boutteville, qu'il avait connu également à Clermont-
Ferrand. J'eus ensuite l'occasion de prononcer un pe-
tit discours devant le congrès sur les questions d'édu-
cation de la Démocratie des campagnes, sur l'utilisa-
tion rationnelle des forces hydrauliques de ma région
du plateau central de la France, et sur l'organisation
des syndicats agricoles et de toute nature. M. Bonnet
— 149 —
me proposa alors d'accepter une délégation (il en fal-
lait six) au comité exécutif, à Paris, pour y représen-
ter le département du Puy-de-Dôme ; il me proposa éga-
lement de m'adjoindre cinq autres njms, dont l'un était
celui de M. Guyot-Dessaigne, député de ce département.
Je refusai ce nom en lui faisant observer que cet
homme politique était impliqué dans l'Affaire Dreyfus,
puisqu'il l'était dans les miennes et celles des services
de voirie. Il le remplaça alors par celui de M. le doc-
teur Blatin, ancien maire et député de Clermont-Fer-
rand qui, bien qu'ancien « boulangiste », n'avait pas à
mes yeux et à ce moment les mêmes inconvénients.
Mon discours ainsi que les noms des six délégués du
Puy-de-Dôme figurent au procès-verbal du congrès.
M. Bonnet ayant su cela de ma part à cette époque
et bien d'autres renseignements encore, puisque nous
avions échangé une volumineuse correspondance pen-
dant la campagne électorale de 1882, pourquoi n'a-t-il
pas usé de toute son influence dans le sens de la ma-
nifestation intégrale de la Vérité dans l'Affaire Drey-
fus ? Je l'ignore, mais je déclare lui en laisser toute
la part de la responsabilité qui lui incombe.
En même temps que se tenaient à Marseille les as-
sises nationales du parti radical et radical-socialiste, on
inaugurait à Clermont-Ferrand un monument élevé à
la mémoire du héros arverne Vercingétorix, qui, aux
environs de cette ville, avait lutté victorieusement con-
tre César, à l'époque de l'invasion des Gaules par les
Romains. M. Combes, Président du conseil, présida
cette manifestation patriotique assisté du général An-
dré, Ministre de la Guerre ; le tout fut clôturé par un
banquet monstre qui ne se passa pas sans incidents?
Pourquoi fit-on coïncider les dates de ces deux ma-
nifestations, celle de Marseille et celle de Clermont-
Ferrand ? Il y a eu là, à mon sens, des raisons ma-
— 150 —
jeures que le Gouvernement et la franc-maçonnerie n'i-
gnorent pas et qui ont été soigneusement cachées au
public ?
Je serais bien surpris si ces raisons ne se ratta-
chaient pas, directement ou non, à la politique de l'épo-
que en général et à l'escamotage de l'entière Vérité
dans l'Affaire Dreyfus en particulier !
Le 20 novembre 1903, je note que M. Combes,
Président du conseil, se trouva dans l'obligation de
lutter contre M. Waldeck-Rousseau, lequel pensait déjà
qu'il allait trop loin dans le sens démocratique et de
laïcisation ; M. Combes ne put avoir raison de son
adversaire que grâce à l'appui de M. Clemenceau. C'est
au cours de cette séance, je crois, que M. Waldeck-
Rousseau développa sa théorie fameuse du « cercle lé-
gal », qu'il ne fallait ni dépasser ni élargir ? Ah ! que
ceci fait donc bien comprendre la coupable conduite
de cet homme d'Etat à l'époque du procès de Rennes !
Le 28 novembre 1903, le général André, Ministre
de la Guerre, ayant transmis au Garde des sceaux son
enquête sur l'Affaire Dreyfus, enquête qui avait été or-
donnée par la Chambre des députés, un grand bal de
la Libre Pensée fut organisé dans les salons du pa-
lais d'Orsay, à Paris, et la nouvelle revision du pro-
cès Dreyfus fut annoncée au milieu du bal ?
Pourquoi toute cette dansante mise en scène aussi
trompeuse que tintamaresque, car la sinistre comédie
de l'escamotage se poursuivait plus que jamais dans
l'ombre, et le bon public, toujours « gogo », laissa
faire !
— 151 —
Le 8 décembre 1903, je note la mort du philoso-
phe anglais Herbert Spencer, transformiste et évolu-
tionniste comme Darwin et Haeckel, mais adversaire
de ce dernier en ce qui concerne la vulgarisation de
l'évolutionnisme dans les couches profondes de la Dé-
mocratie.
Evidemment, je suis d'accord avec Haeckel sur cette
importante question et je ne le suis point avec le phi-
losophe anglais pour la négative.
Le 15 décembre 1903, je présidai, 36, rue Blatin, à
Clermont-Ferrand, à la formation d'une société libre
penseuse qui s'intitula « l'Arvernie » et je reçus la
mission de lui préparer ses statuts définitifs. M. Mar-
rou, franc-maçon et aujourd'hui député de cette ville,
y assista ; et, coïncidence curieuse, MM. Ferdinand
Buisson, président de l'Association nationale des libres
penseurs de France, dont je faisais partie, accompagné
de M. Victor Charbon nel. qui en était le secrétaire-gé-
néral en même temps que directeur du journal libre
penseur « La Raison », auquel j'étais abonné, se rendi-
rent également à une autre société libre penseuse, « La
Raison », d'où s'étaient retirés le9 membres de « l'Ar-
vernie » ?
Au cours de cette réunion, je fis connaître le rôle
qui m'avait été dévolu l'année précédente au Congrès
de Genève, et je fus chargé de représenter cette société
au congrès national qui eut lieu à Paris, à la fin du
mois.
Le lendemain, 16 décembre, Mme Ferdinand Buis-
son mourut promptement (?) dans sa chambre, à
Paris, après avoir demandé des obsèques purement ci-
viles ?
— 152 —
Voilà encore un autre décès qui me suffoque, mais
je prie le lecteur de voir la suite, il prendra connais-
sance d'autres renseignements ayant des points de liai-
sons avec ceux-ci.
Le 25 décembre 1903, étant à Paris pour le con-
grès dont je viens de parler, j'en profitai pour remet-
tre à l'illustre savant Marcelin Berthelot, président
d'honneur de l'Association nationale des libres pen-
seurs de France, la note que j'avais déjà communi-
quée à M. Buisson au congrès radical de Marseille, le
9 octobre précédent, plus une deuxième note inédite
relative à la tentative d'empoisonnement dont je faillis
être la victime et dont j'ai déjà parlé plus haut.
Fit-il quelque chose ?
Je n'en ai jamais rien su !
Le lendemain 26, j'assistai à la réunion de la com-
mission chargée de préparer le Congrès international
qui eut lieu à Rome l'année suivante ; M. Furnémont
(député Belge) et Secrétaire général de la Libre Pen-
sée internationale, se comporta à mon égard et jusque
dans les moindres détails, comme l'avait fait l'israélite
Guillot à Riom, le 10 juin 1893 : il ne me laissa pas
parler ?
Encore un autre mystère ! Toujours des mystères...
Le 24 janvier 1904, je note que M. Victor Char-
bonnel (ancien prêtre démissionnaire), précédemment
chassé pour dix ans de la franc-maçonnerie à cause de
ses démêlés avec M. le sénateur Delpech et Cie, est
chassé encore du journal libre penseur « l'Action »
qu'il avait contribué à fonder avec M. H. Bérenger et
Mme Marguerite Durand, laquelle en était la princi-
— 153 —
pale actionnaire. Ces incidents ne se rattachent-ils pas
à mes affaires, car j'ai échangé une volumineuse cor-
respondance avec lui, dans laquelle je l'ai souvent en-
tretenu de mes affaires administratives ainsi que de
mon rôle dans l'Affaire Dreyfus, alors que j'étais
abonné aux deux journaux qu'il dirigeait « la Raison »
et « l'Action » ?
*
* *
Le 12 février 1904, je me rendis de nouveau à
Germon t-Ferrand, invité par M. Marrou, pour la for-
mation définitive de la société libre penseuse « PAr-
vernie » pour le compte de laquelle j'avais préparé un
projet de statuts. Cette réunion eut lieu le soir dans
une salle de justice de paix située dans les bâtiments
de Phôtel-de-ville ? Ce détail (salle de justice de paix)
eut peut-être une signification se rattachant à ma révo-
cation, car c'est également dans la salle de justice de
paix de St-Germain- Laval (ornée d'un crucifix) que, le
6 mars 1 898, je me mis à la disposition du public ger-
manois pour faire des conférences éducatives pour
adultes et adolescents, en ajoutant qu'au cercle pari-
sien de la Ligue de l'enseignement, j'étais en la bonne
compagnie de MM. Ferdinand Buisson, Léon Bour-
geois et du sénateur en même temps que grand savant
Marcelin Berthelot ; et c^est le lendemain, 7 mars, que
le Ministre des Travaux Publics Turrel me révoqua ?
Je me souviens d'avoir proposé à cette assemblée cler-
mcntoise qui m'approuva d'adhérer à une résolution
précédemment prise au congrès national à Paris en dé-
cembre dernier, consistant à envoyer une délégation
française aux fêtes commémoratives organisées à Koe-
nigsberg (Allemagne) à la mémoire du philosophe
Kant pacifiste. Je constate que M. Berthelot nublia
aussitôt après, dans mon journal P« Action », un ad-
mirable article sur Kant conçu dans ce sens.
— 154 —
J'ajoute enfin que si cette réunion clermontoise et
libre penseuse du 12 février 1904 eut dans l'esprit des
organisateurs des rapports avec celle du 6 mars 1898
à St-Germain- Laval, à cause de ma révocation de con-
ducteur, je n'en ai rien su.
Le 21 février 1904, on organisa à Job, chef -lieu de
ma commune, une réunion publique nettement réac-
tionnaire et cléricale que je m'efforçai de combattre
avec le concours de quelques amis ; M. Celeyron,
banquier à Ambert, (l'un des noms que prononça de-
vant moi M. Boutteville à Royat en août 1894) en fut
l'un des principaux personnages. Contre tout droit, il
me refusa lui-même l'entrée de la salle où se tenait
cette réunion ?
* *
Vers les premiers jours de mars 1904, je constate
que M. Berthelot se retira de la présidence d'honneur
de l'Association nationale des libres penseurs de France ?
Que s'était-il donc passé ?
Complications dans l'Affaire Dreyfus et les miennes
peut-être !
*
* *
Le 4 mars 1904, eut lieu le commencement des
débats relatifs à la nouvelle revision du procès Drey-
fus devant la chambre criminelle de la Cour de cassa-
tion présidée par M. Chambaraud, laquelle prononça
la revision et ordonna une nouvelle enquête. Je crus
naïvement, à l'annonce de cette nouvelle enquête,
que je serais enfin admis à déposer devant la Cour ;
aussi, le 15 mars 1904, je me permis d'adresser une
lettre recommandée AR., accompagnée de la note au-
tocopiée sur l'Affaire Dreyfus précédemment communi-
— 155 —
quée à MM. F. Buisson et Berthelot, à M. le prési-
dent de la chambre criminelle de la Cour de cassa-
tion, où je lui demande expressément d'être entendu.
Aucune réponse ?
Je note en passant la mort de M. le sénateur Tra-
rieux survenue à cette époque, lequel organisa comme
on s'en souvient la Ligue des Droits de l'Homme au
sujet de l'Affaire Dreyfus.
Je note encore que le lendemain, 16 mars, le Pré-
sident de la Chambre des députés dut lever la séance,
en raison de l'absence à peu près complète des députés
républicains qui, antérieurement, avaient si bien su
« dessaisir, amnistier et ne pas laisser sortir l' Affaire
du domaine judiciaire». Oh! non alors.
Le 27 mars 1904, on organisa au théâtre de ma
petite ville d'Ambert une réunion publique, politique,
réactionnaire et cléricale, où je crus devoir me rendre
accompagné de quelques amis, en vue d'y faire enten-
dre au moins une voix républicaine. Je pensais que
l'on n'oserait pas me brutaliser, d'autant plus que
mon oncle Pélisson était depuis longtemps adjoint au
maire de la ville, lequel maire était M. Farjon, député
de l'arrondissement ; il n'en fut rien bien au contraire,
et le lendemain 28, un ouvrier ébéniste disant se nom-
mer « Dulac » (allusion sans doute au R. P. du Lac,
l'ami du général de Boisdeffre et Cie) m'accosta dans
la rue pour me faire remarquer d'une significative fa-
çon que j'aurais à l'avenir à me souvenir de son nom?
Ainsi qu'on le voit, je recevais à chaque instant et
je reçois toujours des allusions plus ou moins bles-
santes se rattachant toutes à mon rôle dans l'Affaire,
ce qui prouve que mes ennemis le connaissent aussi
— 156 —
bien que moi-même et me le font sentir au besoin à
coups de pieds et de poings.
Le 31 mars 1904, j'adressai une lettre recommandée
AR. à M. le Ministre de la Justice, lui répétant la
même demande adressée le 15 à M. le président de la
chambre criminelle et accompagnée de la même note
autocopiée ; cette lettre se termine ainsi :
« Je le répète, M. le Ministre, je demande de nou-
veau et de toutes mes forces à être entendu par la
chambre criminelle, avant la clôture de l'enquête qu'elle
poursuit présentement. **
« J'ajoute que, à ma connaissance, rien ne peut et
ne pourra jamais suppléer à ma déclaration, quelque
soit le ou les services de renseignements occultes or-
ganisés depuis longtemps autour de ma modeste per-
sonne et de ma correspondance, et quelle qu'en soit
la direction ou provenance.
« Je veux qu'il soit entendu que je n'ai rien né-
gligé et que j'ai fait toute demande utile, en temps
utile, aux fins d'être entendu dans cette Affaire.
« Je fais donc recommander ma lettre à la poste,
afin de conserver trace de son envoi, après l'avoir dé-
calquée sur mon copies de lettres. »
Aucune réponse ne me fut faite ( ?), mais je cons-
tate qu'à cette même époque, MM. les Ministres de
l'Intérieur et de la Justice ordonnèrent la disparition
des emblèmes religieux des prétoires des cours de Jus-
tice, conformément à un vote de la Chambre des dé-
putés émis au mois de décembre précédent.
Quelle signification exacte le Gouvernement voulut-
il donner à son acte ? Voulut-il dire que ma révoca-
tion de conducteur du 7 mars 1898 était due unique-
— 157 —
ment à ce que, la veille, j'avais tenu un langage libre
penseur dans une salle de justice où existaient des em-
blèmes religieux (crucifix, etc.) et ne tenir aucun
compte de mes procès-verbaux contre mes entrepreneurs
et chefs de service en 1897, pas plus que de ma con-
duite politique en général et de mon rôle dans l'Af-
faire Dreyfus en particulier ? Si c'est cette signification
qu'il voulut lui donner, je déclare qu'il se trompa ou
mentit énormément.
Le 10 avril 1904, je reçus intacte (je l'ai conservée)
une lettre recommandée A.R. que j'avais adressée à
M. Louis Bonnet, à Paris ; elle contenait notamment la
note autocopiée déjà communiquée à MM. F. Buisson,
Berthelot et Gie. Cette lettre lui fut présentée, ainsi
que les inscriptions qui figurent sur son enveloppe le
prouvent, à plusieurs adresses parisiennes où elle au-
rait dû le trouver et où quantité d'autres de mes let-
tres ordinaires l'avaient trouvé ; et s'il en fut autre-
ment, c'est que, très vraisemblablement, quelque ma-
çonnique et gouvernementale consigne le voulut
ainsi. Je prie instamment le lecteur de se reporter, à
ce sujet, à ce que j'ai dit plus haut, relativement à ma
rencontre avec M. Bonnet au congrès radical-socia-
liste de Marseille, en 1903.
Le 29 juin 1904, le lieutenant-colonel Rollin et les
capitaines François et Maréchal furent arrêtés ; on sait
que ces trois officiers avaient été cités comme témoins
dans l'affaire de faux et de grattages effectués dans la
comptabilité de l'officier Dautriche ; on sait également
que tout cela se rapporte à l'Affaire Dreyfus. J'ajoute
que le capitaine François avait été officier d'ordon-
— 158 —
nance du général Pelletier à Riom, lequel s'était occupé
de moi, paraît-il, lorsque j'étais agent voyer à Pontau-
mur ? Si j'avais été admis à déposer, il aurait fallu
sans doute examiner cette question dans ses rapports
avec la fameuse Affaire.
Enfin, j'ajoute que cet officier François était le pro-
tégé de M. Clémentel qui devint, dans une région jus-
qu'alors acquise au modérantisme clérical, subite-
ment (?) député radical d'abord, puis Ministre des Co-
lonies et même tintamaresquement libre penseur ?
On sait encore que ce même officier François fit
des efforts considérables (naturellement)' pour sauver le
général Mercier, Esterhazy, Gonse et Cie ? ?
Le 9 août 1904, je reçus ma carte de membre du
Congrès de Rome et le lendemain 10, M. Waldeck-
Rousseau mourait ? ? J'ai déjà dit combien cet homme
politique pesa sur la famille Dreyfus pour obtenir le
silence de l'avocat Labori, à Rennes (?) et l'on sait
d'autre part que de sa loi de 1881 sur les congréga-
tions religieuses, il voulut en faire une loi de garantie
et de contrôle de l'Etat, mais non une loi de suppres-
sion ; aussi posa-t-il son « cercle légal » au Sénat, lors-
qu'il s'aperçut que M. Combes et ses amis allaient trop
loin. Il ne voulait pas non plus séparer les Eglises de
l'Etat, ainsi qu'il l'avait dit dans son discours de St-
Etienne.
Ah ! que voilà bien le grand homme encensé par
toute la presse à grands tirages, dite républicaine,
l'homme de Téteignoir, de l'escamotage et de l'amnis-
tie des bandits de l'Affaire Dreyfus !
Et dire que M. Duvand me donna confiance en lui,
le 10 juillet 1899 (?), ce qui me poussa à déposer mon
dossier à la préfecture de Clermont-Ferrand, le 11 mai
— 159 —
suivant, dans lequel dossier je parle, ainsi que je l'ai
déjà dit plus haut, des relations existant entre la fa-
meuse Affaire et les miennes de la vicinalité et des
ponts et chaussées.
*
* *
Le 8 septembre 1904, le journal officiel annonça le
déplacement de M. Décharme, sous-préfet d'Ambert,
qui fut nommé secrétaire général du Calvados, je cons-
tate à ce sujet que, de même que M. François fut
nommé de Clermont-Ferrand à Lunéville à l'approche
du Congrès de Genève, en 1902, de même M. Dé-
charme le fut d'Ambert à Caen à l'approche de celui
de Rome ? Ces deux fonctionnaires s'étaient sûrement
occupés de moi et de mes affaires à mon insu, de sorte
que leurs déplacements ci-dessus relatés en furent peut-
être la conséquence ?
Le 16 septembre 1904, je constate que M. Charbon-
nel se vit refuser l'entrée du convent maçonnique au
sujet de ses démêlés avec MM. Delpech, sénateur, Bé-
renger, directeur de l'« Action », et Grosz, employé au
même journal. Je constate encore que M. Henry Bé-
renger se battit en duel avec M. Téry, professeur de
philosophie en congé, lequel fut envoyé à Roanne plus
tard (?) ; j'ai remarqué que dans cette circonstance M.
Bérenger fut assisté de M. Louis< Bonnet (?), le même
dont j'ai parlé plus haut. Quant à M. Téry, je l'avais
aperçu pour la première fois au Congrès de Genève,
en 1902, puis au congrès de la Ligue de l'enseigne-
ment, à Lyon, quelques jours après, puis enfin à Pa-
ris, dans un congrès également. De même que MM.
Bonnet, Charbonnel et Bérenger s'étaient sûrement oc-
cupés de moi et de mes affaires à mon insu, de même
M. Téry dut s'en occuper aussi, à Roanne et ailleurs et
— 160 —
son duel avec M. Bérenger, survenu à la veille du
Congrès de Rome, n'y fut peut-être pas étranger ?
Le 17 septembre, je partis pour Rome et le lende-
main 18, je fis la rencontre dans le train (?), entre
Turin et Rome, de M. Maurice Charvot (le Chable-
Suisse), que j'avais entrevu au Congrès de Genève,
en 1902. Je lui fis sommairement connaître mon rôle
de dénonciateur de la criminelle machination de 1' Affaire
Dreyfus et je lui remis le premier exemplaire de ma
Note autocopiée sur cette Affaire.
Le 20 septembre 1904, j'assistai à l'ouverture du
Congrès de Rome, sous la présidence de M. Ernest
Haeckel et Cie et je fus surpris d'apprendre, par l'or-
gane de M. Furnémont, Secrétaire général de la Libre
Pensée internationale, qu'un article additionnel « Dog-
mes et Science », venait d'être ajouté au programme
des travaux du Congrès.
Le lendemain, 21 septembre, je pris part aux tra-
vaux de cette commission « N° 7 — Science et Dog-
mes », sous la présidence de M. Ferdinand Buisson ;
et, tout le premier, après avoir sommairement rappelé
mon rôle au précédent Congrès de Genève, en 1902,
je fis ressortir l'impossibilité scientifique de la descen-
dance de l'Humanité du légendaire couple biblique
Adam et Eve, puisque la préhistoire unie à la géolo-
gie et à la paléontologie, etc., retrouvent des> traces cer-
taines de nos ancêtres jusque dans les terrains tertiai-
res, c'est-à-dire à une époque sûrement plus ancienne
de cent mille ans que celle à laquelle la Bible fait
vivre ce premier homme et cette première femme, direc-
tement « façonné de limon par la main de Dieu » ?
Ouf!
Du reste, les beaux travaux des évolutionnistes La-
marck, Darwin, Haeckel et Cie démontrent surabon-
damment aujourd'hui que cette même Humanité n'est
— 161 —
qu'un rameau perfectionné du grand arbre de l'Anima-
lité, qui a elle-même pris naissance dans le sein de
Tonde encore tiède des océans primitifs de notre Pla-
nète.
J'ajoutai que, de ces données certaines, il en dé-
coule forcément que la prétendue Mission rédemptrice
de Jésus ne peut être q»u'une grossière erreur ou
un incommensurable mensonge, comme il en existe tant
à l'article des religions passées et présentes, puisqu'il
n'y a jamais rien eu à rédemptorer par l'excellente
raison que les hommes n'étant pas les enfants d'Eve et
d'Adam, ne peuvent être les héritiers de leur préten-
due faute dite du « péché originel » !
Le lendemain 22, je fus invité de nouveau à parler
le premier dans le même sens et toujours sous la pré-
sidence de M. Ferdinand Buisson ; je répétai purement
et simplement mon discours de la veille et je déclare
aujourd'hui que je n'ai jamais su pourquoi on me de-
manda cette répétition. Ce même jour, je pris part au
déjeuner champêtre qui eut lieu au « Mont Palatin »,
à Rome ; je conversai avec quelques collègues de la
commission « Science et Dogmes », je pris la photogra-
phie du groupe Haeckel et Cie et, sur leur demande,
je me laissai croquiser par quelques jeunes gens in-
connus.
Quel usage fut-il fait de ce croquis?
On ne me l'a jamais dit, mais il est très possible,
eu égard à son dispositif, qu'il ait servi à la composi-
tion de la vignette qui décora, l'année suivante, les car-
tes postales et le calendrier libre penseur du Congrès
international de la Libre Pensée à Paris auquel je
pris part. Je fus, du reste, l'un de ceux qui donnèrent
leur signature à M. Chauvelon, professeur français de
philosophie, qui fut chargé de demander au Con-
grès de vouloir bien décider que le suivant aurait lieu
11
— 162 —
à Paris, en 1905, en vue de faire activer la Séparation
des Eglises et de l'Etat, en France.
Quant à la vignette dont je viens de parler (Eglise
à louer pour Université populaire, musée, syndicats et
fêtes laïques), je déclare qu'elle a eu et a toujours toute
ma sympathie, mais je dois à la vérité de dire que je
n'ai ni participé ni connu sa rédaction.
Enfin, pourquoi fut-ce M. Ferdinand Buisson qui
présida la commission « Science et Dogmes » et pour-
quoi me donna-t-il la parole tout le premier ? Je n'en
ai rien su, mais je présume que c'est peut-être à cause
de mon rôle au Congrès précédent, à Genève, et aussi
en raison de ce que j'avais été révoqué de conducteur
des ponts et chaussées, le 7 mars 1898, après avoir
prononcé son nom la veille dans les circonstances et
pour les raisons sommairement rappelées plus haut.
Le 26 novembre 1904, je reçus une petite brochure
d'un jeune et fort aimable professeur de philosophie
romain, évolutionniste comme moi (M. Emile Troilo),
que j'avais vu à la commission « Science et Dogmes »
et aussi au déjeuner du « Mont Palatin » ; elle est in-
titulée « Roma pagana ». C'est à cette époque, je crois,
que le général André, Ministre de la Guerre, fut
frappé à l'improviste et en pleine Chambre des dépu-
tés, par M. Syveton, député clérical et secrétaire général
de l'association dite « la Patrie française ».
Le 8 décembre suivant, ce député mourut subite-
ment dans les conditions mystérieuses que l'on n'a pas
oubliées : il devait passer aux assises le lendemain à
cause de son agression contre le général André.
Ce député Syveton, de même que le général André,
ne furent-ils pas mêlés à mes affaires en général et à
celles de mon voyage à Rome en particulier?
— 163 —
Le 15 février 1905, j'adressai une lettre recomman-
dée A.R. à M. Rouvier, Président du conseil des Mi-
nistres, dans laquelle je m'exprime ainsi :
«J'ai l'honneur de vous adresser sous ce pli en la
confirmant ma Note autocopiée sur l'Affaire Dreyfus,
dont j'ai distribué un certain nombre d'exemplaires à
diverses personnalités, tant françaises qu'étrangères, au
cours de mon voyage en Italie, l'année dernière.
« J'ajoute, à titre de renseignements complémentai-
res, que j'attends toujours, mais avec une lassitude in-
définissable, la fin de ce sombre drame, afin de savoir
si je dois finalement aller demander pour mes vieux
jours l'hospitalité à une autre nation, dans le cas où
mon Pays et sa Justice, n'ayant pas voulu m'entendre
publiquement, n'auraient pas su ou pas voulu faire
éclater au grand jour toute la Vérité sur cette sinistre
Affaire. »
Le 26 mai 1905, j'adressai une lettre recommandée
à M. le Ministre des Travaux Publics dans laquelle je
lui parle de mes affaires administratives (ponts et chaus-
sées et vicinalité) et de la criminelle Affaire Dreyfus
qui en fait partie, en ajoutant que je l'ai dénoncée
comme telle en temps utile. Je lui fais connaître encore
que j'ai vainement demandé à être entendu par la Jus-
tice sur cette Affaire et je lui déclare finalement que je
lui laisse toute la part de responsabilité qui lui in-
combe.
Je note que ce même jour, le baron Alphonse de
Rotschild mourut à Paris? Il était membre de l'Insti-
tut et commandeur de la Légion d'honneur !
Je me demande si ce haut personnage de l'Institut
et de la Finance s'était occupé de moi, en raison de
— 164 —
mes affaires administratives et de mon rôle dans l'Af-
faire Dreyfus ?
Le 29 mai 1905, j'adressai une lettre recommandée
A.R., à M, Haeckel, à Iéna, dans laquelle je le prie
instamment de vouloir bien venir à Paris en septembre
prochain pour prendre part aux travaux du Congrès
international de la Libre Pensée ; et, en même temps
qu'une note détaillée sur de curieux incidents qui s'é-
taient produits autour de moi au « Mont Palatin », à
Rome, l'année précédente, je lui adressai un exemplaire
de la photographie que j'avais prise à cet endroit de
lui et de son groupe. Puis, je l'entretiens encore de
mon rôle dans l'Affaire Dreyfus et je lui annonce mon
intention de faire une nouvelle communication sur cette
même Affaire au Congrès de Paris.
je note en passant que, le 1er juin suivant, le Roi
d'Espagne Alphonse XIII et M. Loubet, Président de
la République, faillirent être tués par une bombe anar-
chiste ?
Je note encore que c'est vers cette date que M. Del-
cassé, Ministre des Affaires étrangères, donna sa dé-
mission, ou plutôt se trouva dans l'obligation de se
retirer des affaires,, en raison de ce que, à l'insu de
M. Rouvier, Président du conseil, mais de concert avec
le Président Loubet et le Gouvernement anglais, il
avait dirigé les affaires extérieures de la France (Ma-
roc principalement), de manière à rendre un conflit
armé à peu près inévitable avec l'Allemagne. M. Rou-
vier ne le sut que par l'intermédiaire de l'ambassadeur
français à Rome, lequel le tenait du Gouvernement ita-
lien, qui l'avait appris à son tour de l'Empereur Guil-
laume II lui-même.
L' Affaire Dreyfus n'ayant pas réussi à allumer la
— 165 —
poudre dans les Vosges, M. Loubet, l'apaiseur, et son
lieutenant Delcassé, le cachotier, manœuvraient secrète-
ment d'une autre manière pour aboutir à un résultat
identique : l'écrasement de la Démocratie par le moyen
d'une grande guerre et, conséquemment, arrêt pour
vingt ou trente ans, de ses revendications sociales !
Le 4 juillet 1905 et jours suivants, fut organisée,
dans les environs de Clermont-Ferrand, la course des
voitures automobiles dite « courge de la coupe Gor-
don-Bennett », sous la présidence de M. Clémentel, Mi-
nistre des Colonies. Le lendemain 5, je reçus une carte
postale de M. Haeckel en réponse à la lettre que je lui
avais adressée le 29 mai précédent.
Pourquoi cette coïncidence avec les fêtes clermon-
toises ? Je serais bien surpris s'il n'existait pas de ce
côté encore quelque nouvelle et inavouable intrigue se
rattachant au côté clermontois de l'Affaire Dreyfus !
Le 8 juillet suivant, M. Lavigne, agent voyer d'ar-
rondissement à Thiers et précédemment à Ambert,
pendant que j'étais conducteur à St-Germain- Laval,
mourut subitement ? Je l'avais connu à Riom, pendant
que j'étais à Pontaumur et je sais qu'il s'était beau-
coup trop occupé de moi : c'est encore une mort
prompte qui m'a laissé rêveur !
Le lendemain 9, j'appris que j'étais admis à pren-
dre part aux travaux du Congrès international de la
Libre Pensée à Paris ; je constate à ce sujet que cette
nouvelle coïncide avec la clôture du congrès radical-
socialiste, à Paris, sous la présidence de M. Henri
Brisson qui, comme je l'ai déjà dit dans mon mémoire
de Genève relaté plus haut, fut l'un des principaux dé-
fenseurs de la République pendant la période tragico-
aiguë de l'Affaire Dreyfus !
— 166 —
Le 3 .septembre 1905, je pris part, à Paris, à la
grande manifestation internationale et libre penseuse or-
ganisée en mémoire du jeune chevalier de la Barre,
martyrisé par PEglise ; et, chose curieuse, je constate
que l'autorité militaire, M. Etienne étant Ministre de
la Guerre, fit) ' exécuter ce même jour et les suivants
d'importantes manœuvres militaires dans' le voisinage
d'Ambert et de mon village de Pèghes, ce qui ne s'é-
tait peut-être jamais vu ! Il m'est difficile de ne pas re-
connaître ici, comme dans bien d'autres circonstances
d'ailleurs, une coïncidence voulue avec les manifesta-
tions libres penseuses qui se déroulaient à Paris.
Ce même jour du 3 septembre, l'ancienne munici-
palité clermontoise ayant démissionné ( ? ?), la ville
de Clermont-Ferrand procéda à l'élection de nouveaux
conseillers municipaux parmi lesquels je relève les
noms de MM. Chaussegros et Bruyant (M. Bruyant
est le neveu de M. Ponchon). J'ai déjà dit comment
et pour quelles raisons je savais M. Chaussegros mêlé
à mes affaires qui, à la fin de 1894, était en relations
suivies avec MM. Ponchon et Mendier au bureau des-
quels je travaillais.
Le 13 septembre suivant, je note la mort acciden-
telle (?) de M. Juttet qui fut tué à Paris par la voi-
ture automobile de M. Bardin ; il était franc-maçon et
originaire de Riom où il avait fait ses études chez les
frères maristes ( ?) de cette ville. J'ai dit plus haut
que j'avais été en relations avec lui à Roanne d'abord,
en 1896-97 (très peu) et à Lyon ensuite, en 1898-99,
où il était directeur du journal « Le Démocrate de
Roanne » en même temps que de celui de M. de La-
nessan « Le courrier de Lyon ». J'écrivis dans le
« Démocrate » une trentaine d'articles sur mes affaires
— 167 —
politico-administratives et M. Juttet, avec qui j'ai
échangé une volumineuse correspondance, insista pour
que je lui fisse connaître mon rôle dans l'Affaire Drey-
fus ? Je résistai beaucoup, car son attitude maçonni-
que ou non m'avait inspiré de la méfiance, et j'appris
même à la fin qu'il était en relations avec M. Krantz
que je savais compromis dans le projet de coup d'E-
tat (voir plus haut la déclaration de M. Boutteville à
Royat, en août 1894). Puis je sus qu'il s'était quelque
peu occupé de mes affaires administratives à mon insu,
même à l'époque de mon malhonnête déplacement de
St-Germain- Laval à Bourges en septembre 1897, où
ma mère fut compromise (comme toujours du reste).
Je parle quelque peu de ces choses dans ma Note au-
tocopiée dont je distribuai les exemplaires aux mem-
bres du Congrès international de la Libre Pensée à
Paris, en septembre 1905, où je reproche «aux ban-
dits de l'Affaire » d'avoir compromis ma mère dans
mes affaires administratives et autres.
Enfin, j'attire particulièrement l'attention du lecteur
sur le fait que j'ai reproduit plus haut, à savoir que
M. Juttet manœuvra en vue de me faire parler de
l'Affaire Dreyfus- à la brasserie du « tonneau » à
Lyon, en présence de l'oncle de M. Bernard Lazare,
demeurant à Aix-les-Bains ? Sa mort tragique n'eut-
elle pas des rapports avec ce que je viens d'exposer
sommairement ci-dessus ? J'ajoute qu'il avait été nommé
le 8 septembre seulement chef de cabinet du Ministre
du Commerce et avait occupé antérieurement à cette
date le même poste dans le cabinet de M. Dubief !
Le 6 décembre 1905, le Sénat vota à son tour la
loi de Séparation des Eglises et de l'Etat telle que l'a-
vait précédemment votée la Chambre des députés. Cela
— 168 —
fut une bonne action sans doute, car l'Eglise com-
mença à recevoir le châtiment qu'elle avait mérité et
que j'avais annoncé à son évêque clermontois Bel-
mont ; mais pourquoi n'avoir pas avoué publiquement
que ce châtiment était la conséquence de sa culpabilité
dans l'Affaire Dreyfus et le projet de coup d'Etat? Ce
pourquoi est facile à comprendre : pour avouer une
pareille chose, il fallait avouer tout le reste, toutes les
complicités, reprendre l'Affaire Dreyfus en entier, y
reconnaître mon rôle, me rendre justice et se préparer
aux conséquences politico-sociales inévitables. C'est cela
qu'on n'a pas voulu et c'est contre cela que je proteste de
toutes mes forces !
Trois jours après, le 9 décembre 1905, mon oncle
Pélisson, adjoint au maire d'Ambert, catholique prati-
quant autant que clérical, mourut à son tour comme
écrasé par cette loi de Séparation ? Il s'était occupé de
moi, sur ma demande d'abord à l'époque de mon en-
trée à la vieinalité du Puy-de-Dôme en 1890, et sans
aucune demande de ma part en 1894-95, lors de ma
réintégration aux ponts et chaussées. Il avait même
reçu à mon insu à cette époque de singulières pro-
messes à mon endroit que je n'aurais certainement pas
acceptées si j'en avais eu connaissance, et, comme M.
Ponchon à Clermont-Ferrand à la fin de 1894, il me
fit comprendre que si je m'occupais de politique (lire
politique laïque et républicaine), pendant une période
électorale principalement, on me révoquerait,, sauf à
me faire réintégrer après ? ? Je compris alors que,
comme ma mère, il était compromis dans mes affaires
et ne lui parlai point (je ne lui en ai jamais parlé)
de mon rôle dans l'Affaire Dreyfus.
Le 21 décembre 1905, j'écrivis une nouvelle lettre
recommandée A.R. à M. Haeckel, à Iéna. Je lui fais
remarquer que, conformément au vote émis sursapro-
— 169 —
position par le Congrès international de la Libre Pen-
sée tenu à Rome Tannée précédente, la République
française se séparait enfin des Eglises en général et de
la romaine en particulier. Je lui expose sommairement
ensuite les efforts que j'ai faits à la commission de
l'Encyclopédie du Congrès de Paris, en vue d'obtenir
un ouvrage conçu dans le sens essentiellement laïque,
scientifique, évolutionniste, rationnel et édité sous une
forme susceptible de permettre aux éducateurs futurs
de la mondiale Démocratie, de s'en servir comme d'une
inépuisable bibliothèque constamment tenue à jour.
J'ajoute que, après avoir fait et donné à mon pays
tout ce qu'un honnête homme et un bon citoyen peut
faire et donner, je ne consentirai plus à devenir fonc-
tionnaire français et que je laisse aux hommes politi-
ques et autres la responsabilité de leur infâme con-
duite à mon égard.
Je lui adressai enfin un exemplaire de la Note au-
tocopiée sur l'Affaire Dreyfus que j'avais distribuée
aux membres du Congrès de Paris et je lui en recom-
mande instamment la lecture.
M. Haeckel me répondit par quelques mots de re-
merciements contenus sur une carte postale portant sa
photographie, datée du 24 décembre 1905 à Iéna et
qui me parvint le 31 seulement ? ?
Le 29 mars 1906, j'adressai une lettre recommandée
A.R. à M. Clemenceau, Ministre de l'Intérieur, que
j'ai déjà reproduite au commencement du chapitre VI
du présent ouvrage ; je prie instamment le lecteur
de s'y reporter.
Que se passa-t-il ensuite ?
Il se passa que trois jours après, le 1er avril, je
— 170 —
pus me rendre utile à la cause républicaine et laïque
dans mon pays, car nous étions à ce moment en pleine
bataille électorale et M. Dumont, candidat-député de la
réaction cléricale et soutenu par ses deux journaux, me-
nait une campagne endiablée et d'autant plus dange-
reuse dans l'arrondissement d'Ambert que personne
n'osait l'affronter en réunion publique, pas même le
député sortant (docteur Sabaterie) qui se représentait de
nouveau : je le battis à plate couture au chef-lieu de
ma commune (Job), ce qui fut certainement une bonne
affaire républicaine, car la situation électorale avait été
savamment troublée par l'agitation qui s'était produite
à l'occasion des inventaires des biens des églises.
A cette époque se rattache encore la mort prompte
de mon voisin Artaud, survenue le 4 avril 1906, la-
quelle me surprit d'autant plus que peu de temps avant,
je l'avais mis au courant de mes démêlés avec l'êvêque
Belmont de Clermont-Ferrand, relativement à la guerre
infernale que l'on me faisait faire un peu par tout le
monde en général et ma mère en particulier ?
J'avais eu l'occasion, à St-Germain- Laval, de me
jeter également dans la mêlée d'une réunion publique
(2 mai 1898), cléricale et électorale, au cours de la
mélinesque période des élections législatives de 1898.
A ce moment-là, je venais d'être révoqué depuis deux
mois à peine et j'étais le seul conseiller municipal
n'emboîtant pas le pas au gouvernement Méline ; j'ap-
pris que le candidat-député, le clérical Berthelier, flan-
qué de son non moins clérical avocat Billet, avait or-
ganisé une réunion électorale publique dans l'ancien
couvent des « récollets ». Mes amis politiques ou se
disant tels, qui m'avaient envoyé au conseil municipal
(Romagny, Dufaut, Lièvre, etc.) n'osaient pas se mon-
trer et voulaient laisser la voie libre à la propagande
de ces messieurs, j'insistai d'autant plus auprès d'eux
— 171 —
que je connaissais toute l'exceptionnelle gravité des
élections législatives de 1898 pour la République, puis-
que, comme je l'ai dit et répété, j'étais le dénonciateur
de la criminelle machination de l'Affaire Dreyfus ; je
finis néanmoins par les entraîner de sorte que nous
nous trouvâmes le soir, dans la salle des « récollets »,
divisés en deux fractions sensiblement égales en nom-
bre, cléricaux d'une part, lesquels avaient tout le bu-
reau pour eux et républicains de l'autre (3 ou 400
électeurs en tout). La présidence fut confiée au chef de
l'union nationaliste de Roanne, venu tout exprès à St-
Germain pour cela ; à ses côtés prirent place M. Poyet,
maire de St-Germain- Laval, Briéry, pharmacien, etc. Je
remarquai dans la salle et du côté des cléricaux les
trois curés de la localité en compagnie de M. Denis
fils, etc., etc. La parole fut donnée tout d'abord à M.
Billet, M. Berthelier étant muet comme carpe, lequel
poussa une violente charge contre les francs-maçons et
les républicains anticléricaux. Je l'interrompis parfois
de ma place et je demandai la parole pour lui répon-
dre à la tribune, ce qui l'amena à me lancer la flèche
empoisonnée que voici : « nous sommes dans la mai-
son et c'est à vous d'en sortir/ » jrai parlé de cet
incident à M. Duvand, le 10 juillet 1899, lequel a pu
le faire vérifier. Je n'étais plus dans « la maison de la
République », en effet, pour en avoir été récemment
chassé, tandis que MM. Méline, Cavaignac, Audifîred,
etc., etc., ainsi que les généraux Mercier, de Boisdef-
fre, etc., etc., y étaient toujours en bon rang et mes
ingénieurs, leurs « chers camarades », aussi !
Mon tour de parole étant venu, je me précipitai à
la tribune où je faillis me disputer avec M. Michel,
afin de savoir lequel de nous deux répondrait à M.
Billet, car M. Michel avait été précipitamment appelé
de Roanne à mon insu et ce jeune homme, rédacteur
— 172 —
au journal collectiviste « L'Avant-Garde », défendait la
candidature non moins collectiviste de son patron, le
maire de Roanne (M. Auge). Je finis par lui céder
mon tour de parole, en raison de ce que je n'avais
pas de candidat-député de ma nuance à soutenir (radi-
cal-socialiste) ; je l'ai bien regretté plus tard, car M. Mi-
chel ménagea beaucoup trop le cléricalisme de ces mes-
sieurs. J'engageai ensuite mes amis à concentrer leurs
voix sur M. Auge qui, bien qu'ayant à mes yeux le
défaut d'avoir un programme collectiviste, était le seul
à porter en la circonstance le drapeau du bloc répu-
blicain, puisque le député sortant Audiffred, qui se re-
présentait, était à ce moment le bras droit de M. Mé-
line dans l'Affaire Dreyfus et le reste, alors que M.
Waldeck-Rousseau était le président du « grand cercle »
soi-disant républicain ! La réunion, divisée en deux
fractions à peu près égales comme je viens de le dire,
fut quelque peu orageuse, mais, grâce à la présence des
républicains, les cléricaux ne purent faire voter aucun
ordre du jour.
Le 8 mai suivant, M. Audiffred fut réélu député,
ainsi qu'il fallait s'y attendre, tandis que seule, après
Roanne, la petite ville de St-Germain- Laval donna la
majorité absolue de ses voix à M. Auge.
J'ajoute que le 1er mai je fus invité comme conseil-
ler municipal, par M. Poyet, maire, à assister le 4
suivant à une entrevue avec M. Audiffred à la mai-
rie et, sur une observation de ma part, il me fit con-
naître le 3 que cette réunion ne serait pas publique
et n'aurait pas lieu à la mairie, mais dans un hôtel
privé. M. Audiffred ne tenait pas, évidemment, à échan-
ger des explications avec moi en présence du public,
au sujet de ma révocation et de l'Affaire Dreyfus !
Oh ! non, alors...
Inutile d'ajouter que je ne vis pas ce personnage
— 173 —
politique à l'hôtel Coudour-Couavoux, comme mes col-
lègues du conseil municipal.
Le 29 mai 1906, j'adressai une lettre recommandée
A.R. à M. Barthou, Ministre des Travaux Publics et
ancien Ministre de l'Intérieur du cabinet Méline, lettre
que j'ai reproduite au chapitre VI précédent, je prie
encore le lecteur de vouloir bien s'y reporter, car elle
demande à être relue pour l'intelligence de ce qui va
suivre.
En enffet, je ne fus pas plutôt à mon domicile, de
retour de la poste, que je fus invité à me rendre au
chef-lieu de la commune voisine (Valcivières) pour as-
sister un mourant nommé Boissadie, qui, le premier de
sa commune, avait demandé, paraît-il, des obsèques pu-
rement civiles (M. Boissadie mourut peu après, muni
des sacrements de l'Eglise).
Quelle était cette nouvelle comédie et pourquoi m'a-
vait-on invité ce moment, alors que des instituteurs de
l'endroit s'étaient déjà occupés de cet homme que je ne
connaissais pas ?
Il a dû y avoir, là encore, quelque mystère relatif à
mes affaires et à mes dossiers secrets, quelque nouvelle
et mirifique canaillerie comme on m'en a tanii fait. Tout
ce que je sais pouvant se rattacher à cet homme ou à
son nom, c'est que j'ai connu autrefois, chez les frères
de la doctrine chrétienne, à Ambert, un nommé Bois-
sadie, Jean, originaire de la même commune et qui,
pendant mon séjour à St-Germain- Laval, de 1895 à
1900, résidait à Roanne, chef -lieu dé cet arrondissement.
Enfin, le 31 mai suivant, ma tante Chebance, sœur
de ma mère, que je sais si gravement compromise dans
mes affaires et qui joua un rôle si néfaste auprès
— 174 —
d'elle et de moi, de 1900 à 1903, fut atteinte d'une vio-
lente hémorragie, dont elle ne se relèvera plus.
Que signifie encore cette ténébreuse et saignante his-
toire ?
Je ne vois qu'une seule explication à ceci comme à
tout le reste, explication qui m'est inspirée par les quel-
ques paroles échappées en ma présence, en 1894, par
MM. Boutteville, Ponction et Méridier, à savoir « qu'il
leur fallait mes plus proches parents pour eux », dans
l'opération de ma réintégration aux ponts et chaussées
comme pour tout le reste ?
Pour se servir de moi dans leur criminelle aven-
ture des services de voirie et de l'Affaire Dreyfus, ils
ont compromis mes parents par tous les moyens, reli-
gieux et autres, ce qui du reste leur était: trèsi facile ;
et, comme mon affaire s'est compliquée et que ^j 'ai man-
qué de cette docilité à laquelle ils s'attendaient, les ban-
dits, en parfait accord avant, se jettent maintenant dans
l'ombre et réciproquement leurs criminelles saletés à la
face et en font subir les conséquences à leurs victimes
qui sont tantôt ma mère, tantôt ma tante, etc., etc.
Et le public, le bon public, qui s'imagine que la
torture inquisitoriale est depuis longtemps abolie en
France, n'y voit que du feu, toujours du feu !
Pauvre public !
Le 14 juin 1906, j'adressai une lettre recommandée
A.R. à M. Sarrien, Ministre de la Justice et Président
du conseil des Ministres. Cette lettre, ainsi que celle
adressée à M. Barthou, Ministre des Travaux Publics,
a été reproduite au chapitre VI de cet ouvrage : j'y
renvoie le lecteur qui y gagnera en la relisant.
— 175 —
Le 4 juillet 1906, le bureau du conseil général de
la Ligue de l'enseignement fit une démarche officielle,
paraît-il, auprès de M. Barthou, Ministre des Travaux
Publics, pour l'inviter à présider la séance de clôture
du congrès annuel de cette Ligue, à Angers, le 5 août
suivant. J'avoue que je fus d'autant plus indigné de
cette démarche faite auprès de M. Barthou que je sa-
vais M. Duvand être le vice-président de la Ligue, et
que celui-ci n'ignorait pas, pour l'avoir appris de moi,
le 10 juillet 1899, le rôle que cet homme politique avait
joué sous Méline dans l'Affaire Dreyfus et la prépa-
ration du coup d'Etat. J'ajoute que peu de jours avant,
j'avais été également indigné d'apprendre que le con-
seil de cette même Ligue avait osé proposer le renou-
vellement de leurs mandats au tiers sortant de ses mem-
bres, au nombre desquels je relevais les noms de MM.
Barthou et Adrien Duvand : je fis remarquer à mes
amis qu'en raison de ce que je savais sur la conduite
politique de quelques-uns des personnages proposés et
en raison surtout de mon rôle dans l'Affaire Dreyfus,
je ne pouvais voter pour une pareille liste.
De ceci comme de bien d'autres choses encore, il
en résulte que j'ai perdu confiance en M. Duvand au
sujet des confidences que je lui ai faites sur l'Af-
faire Dreyfus et ceci est très grave !
*
* *
Le 11 juillet 1906, j'appris que M. Martin, curé de
ma commune (Job), était déplacé et envoyé à Mont-
ferrand par son évêque Belmont.
Je fais remarquer que ce curé quitta Job la veille
de l'arrêt (12 juillet 1906) de la Cour de cassation an-
nulant le jugement de Rennes et réhabilitant complète-
ment le capitaine Dreyfus.
Je fais remarquer encore que ce même curé
— 176 —
Martin avait remplacé M. Pitavy, lequel avait quitté
cette localité à la suite d'un dharivari infernal qui
avait été organisé contre lui et ses deux abbés, et
qui prit naissance aussitôt après le dépôt à la poste de
Job d'une de mes lettres relatives à mon rôle dans
l'Affaire Dreyfus et adressée à M. Loubet, Président
de la République (j'ai déjà parlé de ce charivari et de
cette lettre, dans le courant de ce chapitre).
Je fais remarquer également que ce même curé Mar-
tin avait été le confesseur de ma mère à Pèghes dans
les circonstances mystérieuses dont j'ai déjà parlé et
que, préalablement à cette confession, j'avais cru de-
voir lui écrire quelques mots pour lui faire connaître
que je faisais expressément toute réserve utile à la
Vérité et à la Justice dans l'Affaire Dreyfus ! C'est mon
cousin Jean- Marie Reynaud qui lui apporta ma lettre.
*
* *
Le 18 juillet 1906, j'écrivis une nouvelle lettre à M.
Barthou, Ministre des Travaux Publics, dans laquelle
je demande, pour la troisième et dernière fois, la com-
munication de mon dossier d'ancien conducteur des
ponts et chaussées.
J'ai déjà fait observer, dans le courant du chapitre
VI, que la réponse de ce Ministre fut négative en ce
qui concernait la communication de mon dossier et par-
tiellement erronée ou mensongère, en ce qui concer-
nait les raisons développées dans sa lettre.
Je note en passant que le commandant Alfred Drey-
fus fut fait chevalier de la Légion d'honneur le 20 juil-
let 1906 et que le lendemain 21, le général André, an-
cien Ministre de la Guerre, écrivit à son successeur,
M. Etienne, pour lui demander d'organiser une céré-
monie militaire publique de réhabilitation de cet offi-
cier ?
— 177
Le dimanche 5 août 1906, après avoir amené per-
sonnellement mes bagages à la (gare d'Ambert la veille,
je partis pour la Suisse avec l'intention bien arrêtée de
m'y fixer pour le restant de mes jours, à cause de mon
rôle dans l'Affaire Dreyfus, que je fis sommairement
connaître au public par ma note insérée dans le jour-
nal dit «Feuille d'Avis de Lausanne», du 19 septem-
bre suivant ; je me dirigeai tout d'abord sur cette ville
qui m'avait été conseillée peu de jours avant par M.
Maurice Charvot, dont j'ai déjà parlé dans le présent
chapitre, au sujet de mon voyage en Italie, en septem-
bre 1904.
Je constate que, le 4 août au soir, M. Clemenceau,
Ministre de l'Intérieur, prit l'express de 19 heures et
demie pour Carlsbad, où il séjourna quelques jours
seulement et alla visiter Berlin en touriste peu de temps
après ?
Je constate également que, le mardi 7 août, mon
voisin Rolhon, à Pèghes céda subitement (?), par voie
de partage-donation, sa propriété à ses enfants ? Cette
précipitation ne signifie-t-elle pas qu'il était compromis
dans mes affaires et que ces compromissions le pous-
sèrent à se dessaisir promptement de sa propriété en
faveur de ses enfante?
Enfin, je constate que ce même jour MM. les gé-
néraux André, ancien Ministre de la Guerre, et de Né-
grier, se battirent en duel à Paris, dans le parc du
prince Joachim Murât ?
Ce duel ne fut-il pas la conséquence de mon dé-
part pour la Suisse et de quelques compromissions se
rattachant à mes affaires administratives en général et
à mon rôle dans l'Affaire Dreyfus en particulier ?
12
178 —
Le 14 août 1906, j'appris, par la voie de la presse
que le Pape repoussait la loi française de Séparation
des Eglises et de PEtat, ainsi que l'organisation des
associations cultuelles.
Le 4 septembre suivant, le deuxième congrès natio-
nal de Pépiscopat français se réunissait à Paris et les
évêques s'empressèrent d'adresser un télégramme de re-
connaissance et d'obéissance au Pape.
Je crois devoir rappeler ici, à titre de renseigne-
ments explicatifs sur les deux paragraphes précédents,
que la Séparation des Eglises et de l'Etat en France,
ainsi que les lois sur les congrégations religieuses et
les associations, furent la conséquence de l'agitation
produite autour de l'Affaire Dreyfus et la part de cul-
pabilité évidente de l'Eglise. C'est là un point d'his-
toire suffisamment éclairci aujourd'hui pour quiconque
a suivi avec attention les événements de ces dix der-
nières années ; mais l'Eglise a-t-elle été, en tant qu'or-
ganisation religieuse et sociale, la seule instigatrice ori-
ginelle du complot de coup d'Etat contre la Républi-
que, par le moyen de la criminelle machination de
l'Affaire Dreyfus ?
Pour répondre à cette importante question avec le
plus de netteté et de clarté possible, je ne sais mieux
faire que de renvoyer le lecteur au chapitre IV, où je
reproduis les déclarations de MM. Boutteville, Pon-
ction, Méridier, etc., lesquelles lui feront aisément com-
prendre que la question est complexe. Et, s'il est bien
vrai qu'il incombe une bonne part de responsabilité à
l'Eglise, il en existe certainement d'autres dont l'une se
rattache tout particulièrement à cette question de fusion
des services de voirie pour laquelle on s'était servi de
ma modeste personne comme sujet d'expériences préli-
— 179 —
minaires, de 1890 à 1894 ; et cela MM. Ponction et
Méridier, qui furent en relations avec M. Boutteville et
son beau-frère Chaussegros en 1894, ne l'ignorèrent pas
et, par conséquent, l'Eglise et la congrégation non plus
dont ils étaient les agents. De telle sorte que, toute ré-
serve utile étant faite sur cette question, l'Eglise est mal
venue aujourd'hui à repousser cette Séparation et à se
poser en victime des républicains.
Victime ! Elle ne l'est point, bien au contraire, mais
elle n'est pas? la seule coupable, comme je viens de le
dire ; et c'est pour cela que j'ai demandé et que je de-
mande plus que jamais que l'immense abcès de l'Af-
faire Dreyfus soit complètement vidé : c'est le seul
moyen de délimiter nettement toutes les responsabilités
et d'en tirer les conséquences, toutes les conséquences !
*
* *
Le 25 août 1906, la garde républicaine visita Ge-
nève où elle fut chaleureusement reçue par la popula-
tion de cette ville. Le 29, elle en fit autant pour Lau-
sanne, que j'habitais alors ; et, ce même jour, les en-
fants du Voruit de Gand (Belgique) s'y rendirent éga-
lement, ce qui me donna l'avantage d'assister à leur
charmante représentation théâtrale.
Mais pour quelles raisons toutes ces visites, et
pourquoi avait-on choisi ces dates ?
Encore quelque mystère !
Autre chose encore : le 26 du même mois, M. Bar-
thou, Ministre des Travaux Publics, présida à la pose
d'une plaque commémorative sur la maison où naquit
à Aubeterre (Charente), M. Ludovic Trarieux, sénateur
de la Gironde, lequel fonda la Ligue des Droits de
lHomme et du Citoyen qui, comme tout le monde s'en
souvient, joua un si grand rôle dans les revisions des
procès du capitaine Dreyfus.
— 180 —
Il est inutile d'ajouter, je pense, combien je désap-
prouve la participation de cet homme politique à cette
manifestation, et combien je condamne les républicains
ou se disant tels qui l'y appelèrent, puisque, l'Affaire
Dreyfus ayant été à ma connaissance une criminelle
machination contre la République, M. Barthou fut,
sous Méline, le Ministre de l'Intérieur qui exécuta une
bonne part de ce projet de coup d'Etat.
Voici maintenant quelques extraits d'une nouvelle
lettre recommandée A.R. que j'adressai de Lausanne à
M. Haeckel, à Iéna, le 31 août 1906 :
Je lui parle tout d'abord de ma lettre adressée à M.
Clemenceau, Ministre de l'Intérieur, le 29 mars dernier;
puis de trois autres, envoyées à MM. Louis Barthou,
Ministre des Travaux Publics ; Sarrien, Ministre de la
Justice et Président du conseil des Ministres, et M. Henri
Brisson, Président de la Chambre des députés, les 29
mai, 14 et 19 juin 1906. Toutes ces lettres ont été re-
produites au chapitre VI du présent ouvrage, sauf celle
adressée à M. Henri Brisson, qui n'est autre chose que
la copie de celle adressée à M. Sarrien. Puis je conti-
nue ma lettre dans les termes suivants :
«Comme vous le verrez par la lecture de ce qui
précède, il s'agit toujours de la fameuse Affaire encore
très imparfaitement connue du public, et pour laquelle
on n'a jamais consenti ni à me laisser déposer en jus-
tice ni à donner la moindre publicité à mes renseigne-
ments.
«Je ne doute point depuis longtemps que l'on a
voulu à tout prix étouffer le véritable objectif de cette
sinistre Affaire, qui a été indubitablement un complot
contre le progrès républicain, laïque et démocratique
par le moyen d'une guerre avec l'Allemagne, soit Fin-
— 181 —
cendie de l'Europe, la boucherie générale et le recul de
la civilisation pour un demi-siècle !
« Moi vivant et sachant ce que je sais sur ce com-
plot, je ne crois ni honnête ni moral ni profitable à
l'Humanité de laisser croire à qui que ce soit à ma
participation, par faiblesse ou autrement, à cet étran-
glement de la Vérité. Je me propose donc, n'ayant pu
faire mieux, de réunir le plus tôt possible en un seul
manuscrit tout ce que je sais sur cette Affaire...
« Je déclare que je travaille dans l'unique intérêt de
l'Humanité, de la Vérité, de l'Histoire et sans aucune
acception de races ni de nationalités. »
Le 16 septembre 1906, eut lieu à Lausanne le
Jeûne fédéral annuel et je constate que les enfants de
« la Ruche », de M. Sébastien Faure, visitèrent cette
ville le même jour ; et, à l'exemple de ceux du Voruit
de Gand, le 29 août précédent, donnèrent une repré-
sentation théâtrale à la « Maison du peuple » de cette
ville.
Pourquoi cette visite à cette date ?
Je n'en ai jamais rien su. Tout ce que je sais sur
le compte de M. Sébastien Faure, de nature à se rat-
tacher à mes affaires, c'est que lui et quelques-uns de
ses amis assistèrent au Congrès international de la Li-
bre Pensée, à Genève, en 1902 et que le 17 septembre
(quatre temps), juste au moment où je montais à la
tribune pour y donner lecture, de mon rapport sur la
Théorie générale de l'Evolution et les dogmes religieux,
les anarchistes, ses amis, proférèrent des menaces et fi-
rent un tel tapage que je ne pus parler de quelques
instants. Puis, une fois les conlusions de mon rapport
adoptées, M. Sébastien Faure prit la parole pour adres-
ser ses excuses ainsi que celles de ses amis à l'assem-
— 182 —
blée ; il lança même, dans une péroraison d'une fort
belle envolée, un chaleureux appel à l'union et à la
concorde de tous les libres penseurs, appel qu'il renou-
vela du reste au banquet de clôture, le soir.
J'ajoute que, lorsque je recommandai à M. Baccon-
net, en 1894, de faire appel à tous les groupements ré-
publicains laïques de gauche pour résister au clérical
projet de coup d'Etat, je désignai aussi, en même
temps que les francs-maçons, les libertaires ou anar-
chistes.
J'ai fait connaître plus haut qu'après le 19 septem-
bre 1906, une fois ma note sur mon rôle dans l'Af-
faire Dreyfus parue dans la « Feuille d'Avis de Lau-
sanne », je réintégrai provisoirement mon domicile à
Pèghes pour m'occuper du travail annoncé.
Le 14 octobre suivant, j'assistai au théâtre d'Am-
bert à une conférence athéiste faite par Mlle Alice
Wirth du journal « l'Action », à Paris ; je prononçai
même quelques paroles dans le même sens qu'elle à la
fin de son discours. Mais pourquoi cette conférence
fut-elle placée sous la présidence de M. Marsin, ancien
agent voyer d'arrondissement, à Ambert ?
Ce personnage ne s'était-il pas occupé de moi à
mon insu ?
Autre question encore qui depuis longtemps m'in-
triguait d'autant plus que tout se passait autour de ma
correspondance, comme si elle était régulièrement vio-
lée par ordre gouvernemental.
Pourquoi le bureau de poste d' Ambert avait-il été
transporté dans l'immeuble de M. Marsin ?
Je l'ignore absolument, mais je note que le lende-
main, 15 octobre, M. Chartoire, instituteur à Chau-
— 183 —
riat et précédemment à la Forie, mourait prompte-
ment ?
Cette mort survenue à cette date m'intrigue d'au-
tant plus que cet instituteur était secrétaire de mairie à
la Forie, en même temps que M. Joubert en était le
maire, et que tous les deux, paraît-il, s'étaient occupés
de mes affaires à mon insu ? S'était quelque peu oc-
cupé de moi à mon insu également, paraît-il, mon voi-
sin Tamisier, Antoine, beau-frère de M. Joubert, clé-
rical et réactionnaire comme lui.
Enfin, je note que cinq jours après, le 19 octobre
1906, soit exactement un mois après l'apparition de ma
note sur l'Affaire Dreyfus dans la « Feuille d'Avis de
Lausanne », le Ministère Sarrien démissionna et fut
remplacé par celui de M. Clemenceau, avec MM.
Guyot-Dessaigne à la Justice et le général Picquart à
la Guerre ?
Et, puisque je viens de citer le nom du général
Picquart qui a tenu une si grande place dans le cours
de l'Affaire, ainsi que tout le monde le sait, je dois à
la vérité de dire que, étant mêlé moi-même à cette Af-
faire depuis sa toute première origine et en ayant suivi
les différentes péripéties point par point, il m'est im-
possible de croire à la spontanéité du rôle de cet of-
ficier, tout en rendant hommage à son courage et à
sa vertu civique. J'ajoute qu'il avait été sûrement pré-
venu à l'époque où il remplaça le colonel Sandher, à
l'Etat- Major général de l'Armée ; et peut-être même
que la mort de ce dernier se faisait trop longtemps at-
tendre ! Je vais plus loin encore : je dis qu'il n'y a
rien d'impossible à ce que l'arrivée au Ministère de la
Guerre du « petit bleu » qui a tant fait parler d'elle, ne
se soit produite qu'après entente préalable ; et je dé-
clare que les renseignements qui ont permis de préve-
nir ce colonel ne tirent leur origine que de moi par
— 184 —
f intermédiaire de M. Bacconnet, lequel pourra dire un
jour, si ce n'est déjà fait, par quelle voie secondaire
il les lui fit parvenir.
Le 22 février 1907, le R. P. Monsabré mourut au
Havre. Je remarque que sa mort suivit de près la troi-
sième assemblée plénière de l'épiscopat français qui
avait eu lieu le 15 janvier précédent à Passy, laquelle
s'occupa de la dernière loi relative à la Séparation des
Eglises et de l'Etat. C'est ce moine qui, en mai 1895,
à Clermont-Ferrand, fut chargé de lancer au nom de
l'Eglise, du haut de la chaire de la cathédrale de cette
ville et en présence d'un grand nombre de prélats, la
plus audacieuse en même temps que cynique déclara-
tion de guerre à la République et à la Révolution
Française ; il fut imité par l'évêque Turinaz de Nancy
qui le fit avec une violence égale.
A ce moment critique de l'histoire de la troisième
République, le crime contre le capitaine Dreyfus était
commis, la réaction cléricale savamment embusquée
dans toutes les avenues du Pouvoir se croyait maî-
tresse de la situation et ne se gênait plus pour parler
et agir ; la campagne militariste, nationaliste et antisé-
mitique allait commencer et la chute de la République
parlementaire et laïque n'était plus l'affaire que de quel-
ques années,, peut-être même de quelques mois !
Le 7 mars 1907, j'envoyai sous pli recommandé
AR., à l'adresse de la Chambre des députés, du Sénat,
du Président du conseil des Ministres (M. Clemenceau)
et du Président de la République (M. Fallières), la
pétition que j'ai reproduite au chapitre VI du présent
ouvrage. Cette pétition ne parvint à Paris que le 9,
— 185 —
paraît-il, ce qui ne veut pas dire quelle ne fut pas
annoncée là ou ailleurs le 7, jour de son dépôt au
bureau de poste d'Ambert.
Le lendemain 8, je constate que les électriciens pa-
risiens se mirent en grève ?
Le surlendemain 9, je remarque que le général Pic-
quart, Ministre de la Guerre, nomma de Clermont-
Ferrand au Mans le général en chef Bazaine-Hayter et
le remplaça à Clermont-Ferrand par le général Percin,
c'est-à-dire celui qui, sous le général André, Ministre
de la Guerre, organisa le système des fiches avec le
concours du capitaine Mollin et du Grand Orient de
France.
Ce même jour, il nomma le général Pelletier à la
tète de la 26me division (Roanne, Riom, Montluçon et
Clermont-Ferrand) en remplacement du général d'En-
traygues ?
Je fais remarquer que c'est sous les ordres directs
du général Pelletier, à Riom, que le capitaine François
(celui de l'Affaire Dreyfus) avait travaillé autrefois
comme ordonnance, à l'époque où j'étais agent voyer
à Pontaumur.
Je fais remarquer également que c'est à cette épo-
que que remonte le scandaleux procès de M. Guyot-
Dessaigne, Ministre de la Justice (affaire d'intérêts per-
sonnels).
Le 10 mars, M. Marrou, dont j'ai déjà parlé, de-
vint président de la fédération du parti radical et radi-
cal-socialiste du département du Puy-de-Dôme. Ce fut
pour lui un acheminement voulu, maçonnique en même
temps que républicain, vers la députation qui devait
se réaliser deux ans après (7 mars 1909) ?
Le 11 mars, M. Casimir Périer, ancien Président
de la République, qui eut à lutter ainsi qu'on s'en
souvient contre le général Mercier et Cie, à propos de
— 186 —
l'Affaire Dreyfus (nuit dite historique, etc.) mourut
promptement et ses obsèques eurent un caractère reli-
gieux ?
Le lendemain, 12 mars, le vaisseau cuirassé Iéna fit
explosion à Toulon, causant de nombreux décès et des
pertes matérielles considérables ?
Est-ce que cette explosion, due à la malveillance
peut-être, n'eut pas de rapports avec mon rôle dans
l'Affaire Dreyfus et ma correspondance avec M. Haec-
kel à Iéna ?
Le 18 mars suivant mourut promptement aussi le
grand savant Marcelin Berthelot, dont les funérailles
nationales (libres penseuses celles-là ainsi que celles de
sa femme) eurent les honneurs du Panthéon !
J'ai déjà parlé à différentes reprises de ce person-
nage dans le courant de ce chapitre, à propos de ma
révocation (7 mars 1898) de conducteur des ponts et
chaussées notamment.
Voilà encore un ensemble de faits qui, bien que
vus en raccourci, me paraissent être très suggestifs !
*
Le 12 mai 1907, eut lieu à Paris l'inauguration du
monument élevé à la mémoire du sénateur Trarieux,
fondateur de la Ligue des Droits de l'Homme et du
Citoyen, laquelle fut, comme tout le monde s'en sou-
vient, l'un des principaux instruments qui permirent
d'aboutir à la revision des procès du capitaine Dreyfus.
Je tiens à faire connaître ici que c'est moi tout le
premier et de ma seule initiative qui ait parlé à M.
Bacconnet, en 1894-95, de la violation de la Déclara-
tion des Droits de l'Homme et du Citoyen dans la per-
sonne du capitaine Dreyfus, illégalement condamné. Je
lui ai parlé de cela en même temps que du « borde-
reau » et de bien d'autres choses encore, de telle sorte
— 187 —
que les renseignements qui ont été fournis à M. Tra-
rieux à ce sujet sont venus de moi seulement, par
l'intermédiaire de M. Bacconnet, qui pourra dire à
son tour, si ce n'est déjà fait, quelle voie il a employée
pour les porter à sa connaissance.
Le 20 mai 1907 eut lieu à Clermont-Ferrand la 33me
fête fédérale des sociétés de gymnastique, sous la Pré-
sidence de MM. Clemenceau, Président du conseil des
Ministres ; général Picquart, Ministre de la Guerre ;
et Guyot-Dessaigne, député du Puy-de-Dôme et Minis-
tre de la Justice.
Parmi les nombreuses personnalités qui reçurent
des décorations en cette circonstance, je remarque tout
particulièrement M. Ponchon, architecte à Clermont-
Ferrand, qui fut fait officier d'académie? Je fais ob-
server à ce sujet que c'est lui et son associé Méridier
qui, sous prétexte de me faire lever le plan du terrain
nécessaire à l'édification d'une annexe à la « villa du
roc » à Royat, appartenant à M. Chaussegros, me
mirent en contact avec M. Boutteville, son beau-frère, qui
y était venu en villégiature tout exprès pour m'y ren-
contrer ? J'ai exposé tout cela dans le dossier remis à
M. François, secrétaire général de la préfecture du
Puy-de-Dôme, le 11 mai 1900.
C'est M. Ponchon également qui, à son bureau de
la rue Ste-Madeleine et peu de jours avant la condam-
nation du capitaine Dreyfus, me lança le défi, au cours
d'une discussion, qu'ils « avaient ma mère pour eux et
qu'au besoin on s'en servirait contre moi » ; ce qui s'est
réalisé atrocement dans la suite, ainsi que je l'ai déjà
fait connaître !
Je déclare qu'il a une bonne part de responsabilité
dans les criminelles intrigues qui se nouèrent autour
— 188 —
de moi à cette époque au sujet de l' Affaire Dreyfus et
du projet de coup d'Etat ; il en est de même de son
associé, M. Méridier, à un degré plus grave encore
peut-être, car ce dernier me menaça de la « guerre au
couteau » qui m'a été impitoyablement faite depuis cette
époque et jusqu'à ce jour?
Pourquoi le Gouvernement a-t-il fait l'ignorant en
pareille matière ?
Une seule réponse s'impose : lui-même est le pre-
mier coupable !
Je note en passant que, le 6 juillet 1907, le géné-
ral André, ancien Ministre de la Guerre et auteur de
la dernière revision du procès Dreyfus, présida à l'ou-
verture du congrès national du parti radical et radical-
socialiste à Lyon. Deux jours après, le 8 juillet, le
commandant Alfred Dreyfus demandait la liquidation
de sa pension de retraite qui lui fut accordée le 22
septembre suivant ?
Le 4 octobre 1907, je constatai que la fille de ma
voisine, veuve Gourbeyre, se disputa avec son mari
d'une étrange et mystérieuse façon ?
Ce même jour se suicida d'un coup de couteau à
la Forie, localité voisine, un nommé Chevaleyre, dit
« Pidansou », ancien garde-champêtre de la commune
limitrophe (Valdvières). Cet individu avait habité la
maison de la veuve Gourbeyre (autrefois Bégonin) à
l'époque où ma tante Chebance habitait la mienne à
Pèghes, et alors que nous résidions ma mère et moi à
Clermont-Ferrand. La sœur de cet individu (Michale)
m'avait avoué quelque temps avant qu'on avait fait
— 189 —
faire beaucoup de choses à son frèr^e à mon endroit,
lorsqu'il était garde-champêtre à Valcivières ? ?
Quelles 'étaient ces choses?
Je n'en ai jamais rien su, mais il est probable que
mes dossiers d'ancien conducteur doivent le mention-
ner. Et dans ce cas, je me demande si ce suicide à
coups de couteau ne fut pas quelque chose comme l'é-
quivalent d'une mystérieuse exécution, en raison de non
moins mystérieuses compromissions et surtout de la
fameuse « guerre au couteau » dont j'ai parlé un peu
plus haut.
Autre chose encore sur le même sujet :
Depuis mon retour à Pèghes, en 1900, j'avais cons-
taté trois décès successifs dans cette maison dont mon
autre voisin Tamisier était en quelque sorte le gérant ;
ces décès appartiennent à trois familles différentes et
me produisirent des impressions d'autant plus péni-
bles que tout se passait dans cette malheureuse maison,
devenue un abattoir de femmes en quelque sorte, comme
s'il s'agissait d'un service de mouchardage organisé
autour de moi ?
Je signale en passant les discours de MM. Clemen-
ceau à Amiens, le 6 octobre 1897 et de M. Guyot-
Dessaigne à Paris, le 13 octobre suivant. J'ai parlé
de ces deux manifestations oratoires dans le chapitre I
du présent ouvrage, il est donc superflu d'y revenir.
Le 29 octobre 1907, le Sénat communiqua ma péti-
tion du 7 mars précédent à M. Barthou, Ministre des
Travaux Publics.
Je remarque que ce même jour, M. Guyoè-Dessai-
gne, Ministre de la Justice, fut atteint d'une syncope
en plein Parlement, laquelle fut attribuée à différentes
causes toutes aussi fantaisistes les unes que les autres
— 190 —
probablement. La vérité réside peut-être tout simple-
ment dans la communication ci-dessus relatée de ma
pétition, car, j'ai déjà fait comprendre combien ce per-
sonnage politique était compromis dans, mes affaires.
Autre question encore :
Pourquoi le Sénat attendit-il jusqu'au 29 octobre
pour faire cette communication ?
Je n'en sais rien, mais je remarque que le deuxième
congrès national de la Libre Pensée s'ouvrit à Paris
le 1er novembre suivant et que M. Furnémont, dénuté
belge et Secrétaire général de la Libre Pensée interna-
tionale, y assista ; j'ajoute qu'il a en main mon rap-
port et mémoire du Congrès de Genève en 1902, où
je parle longuement de l'Affaire Dreyfus. Il n'y a
donc rien d'impossible à ce qu'il y ait eu de ce côté
quelque entente qui ait motivé ce retard.
Le 12 novembre 1907, j'adressai de nouveau au
Sénat la nouvelle et longue pétition que j'ai reproduite
au chapitre VI de cet ouvrage, il est donc inutile d'y
revenir ; mais je note que ce même jour tous
les agents voyers de l'arrondissement d'Ambert
furent invités à prêter leur serment professionnel de-
vant le tribunal civil d'Ambert, ce qui ne s'était ja-
mais produit malgré les prescriptions légales. Je fais
remarquer que c'est la première fois que cette forma-
lité leur fut imposée et je fais observer également que
cette même formalité qui me fut imposée à moi-même
le 30 avril 1897, le fut devant le sous-préfet de Roanne
et non devant le tribunal civil ?
J'ai déjà établi plus haut que c'est cette question
d'assermentation qui me poussa à verbaliser contre
mes propres chefs en 1897, ce qui amena mon retrait
d'emploi accompagné de mon déplacement et de ma
— 191 —
révocation finale de conducteur des ponts et chaussées ;
mais je dois à la vérité d'ajouter que si cette révoca-
tion ne s'était pas produite, je me serais très vraisem-
blablement trouvé dans l'obligation de démissionner
par la raison que, aux ponts et chaussées plus que
partout ailleurs peut-être, j'étais entre les griffes des
machinateurs de l'Affaire Dreyfus, lesquels savaient
déjà, dans une certaine mesure tout au moins, ce que
j'avais fait pour la dévoiler. Ceci explique pour quelle
raison majeure je ne crus pas devoir aller à Bourges
où M. le Ministre Turrel des Travaux Publics m'avait
envoyé.
L'envoi de la pétition du 12 novembre ci-dessus re-
latée, démasqua ce même jour l'un des nombreux pro-
cédés d'embusquages qui étaient pratiqués autour de
moi : mon ancien collègue Artaud, conducteur des
ponts et chaussées à Ambert, averti très probablement
par M. le docteur Coste, maire de ma commune (Job),
à qui je m'étais adressé pour la légalisation de ma si-
gnature sur cette pétition, m'offrit spontanément son
emploi de conducteur sous le prétexte qu'il voulait se
retirer pour raison de santé, et il m'invita à faire ma
demande pour le remplacer. Je refusai net, ce qui con-
tribua sans doute à le ramener promptement à la
santé, car il a conservé son emploi !
Le 3 décembre 1907, j'adressai au Sénat une troi-
sième pétition que j'ai déjà reproduite au chapitre VI
du présent ouvrage : je prie instamment le lecteur de
la relire afin de bien comprendre ce qui va suivre :
Pour cette pétition, comme pour les deux précéden-
tes, je m'adressai au maire de ma commune (Job)
pour la légalisation de ma signature sur cette pièce ;
et, n'ayant pas trouvé M. Coste, maire, je m'adressai
— 192 —
à son adjoint M. Viallard, lequel lut tout d'abord les
dernières lignes de ma pétition et ne put légaliser ma
signature pour avoir été surpris par une attaque de pa-
ralysie qui amena sa mort, le 24 janvier suivant ? ?
Voilà qui est encore de nature à faire réfléchir le
moins prévenu, ce me semble, mais voici autre chose
de tout aussi suggestif.
Le 15 décembre suivant, mourait à Ambert, M.
Far j on, ancien député de l'arrondissement et maire de
cette ville, alors que mon oncle Pélisson était son pre-
mier adjoint ; ce personnage, comme mon oncle du
reste, s'était occupé de mes affaires à mon insu ?
Ce même jour, le général Mercier, accompagné de
l'amiral Bienaimé, dirigea une tintamaresque manifesta-
tion sur la tombe du député Syveton, à Paris? J'ai
déjà dit quelques mots sur ce défunt personnage dans
le courant de ce chapitre, relativement à son agression
contre le général André, alors Ministre de la Guerre,
ainsi que sur sa mystérieuse disparition de la scène de
la vie !
Je constate de même que ce même jour, M. Bar-
thou, Ministre des Travaux Publics, des Postes et des
Télégraphes, prononça un violent discours au banquet
de « l'alliance républicaine et démocratique », à Paris :
« Ce serait une criminelle trahison que de transiger
avec ceux qui affirment l'internationalisme contre la
Patrie ! etc., etc. » déclara-t-il.
Modérez, modérez votre indignation, M. le Minis-
tre ! Si ma modeste personne est visée dans votre dis-
cours, je déclare que je n'ai rien affirmé de ce genre ;
j'ai simplement affirmé et je renouvelle mon affirma-
tion que je ne « transige » absolument rien avec vous,
en raison du criminel rôle que vous avez joué dans
mes affaires et dans celles du coup d'Etat à l'occasion
de l'Affaire Dreyfus ; j'affirme encore que si la vertu
— 193 —
républicaine et laïque de la majorité de nos parlemen-
taires valait seulement quatre sous, vous ne seriez pas
Ministre !
Enfin, je constate que ce même jour, le général An-
dré, ancien Ministre de la Guerre et candidat sénateur
dans son département de la Côte-d'Or, fut battu par son
concurrent modéré, grâce à une importante défection
des voix radicales ?
Puis, le 31 décembre suivant, M. Guyot-Dessaigne,
Ministre de la Justice, murut subitement au Sénat (?)
et ses funérailles eurent lieu à Clermont-Ferrand avec
le condours de l'Eglise?
Je rappelle ici que c'est ce même personnage, alors
simple député du Puy-de-Dôme, qui présida la contre-
manifestation anticléricale (orateur : Dequaire-Grobel)
du mois d'août 1895, en réponse à celle des évêques
et Cie, qui avait eu lieu dans la même ville, au mois
de mai précédent.
Le 2 janvier 1908, un individu m'apprit pour la
première fois la mort de cet homme politique et me
demanda, en présence de ma tante veuve Chebance, si
je lui avais demandé quelque chose ? Ma réponse fut
conforme à la vérité, c'est-à-dire négative, mais je com-
pris très nettement, dans la manière où cette question
me fut posée, que ma tante Chebance était impliquée
dans quelque agissement de M. Guyot-Dessaigne à mon
égard dont je ne l'avais nullement chargé.
Le 4 février 1908, j'appris la mort prématurée de
mon cousin Anatole Pélisson, avec qui je n'avais eu
aucune relation depuis longtemps ; mais je me souvins
alors que, dans le courant de l'année précédente, j'a-
vais entretenu mon ancien professeur au collège d'Am-
bert (M. Tribout) de mes affaires administratives et
13
— 194 —
aussi quelque peu de mon rôle dans l'Affaire Dreyfus,
lequel me posa, sans aucun préambule ni explication,
la question suivante qui m'intrigua beaucoup :
— Vous ne voyez pas votre cousin ?
— Non. Il se conduit trop mal !
M. Tribout était évidemment au courant de cer-
taines choses sur mon cousin à mon égard que j'igno-
rais et que j'ignore encore !
* *
La Chambre des députés vota la translation des
cendres d'Emile Zola au Panthéon le 19 mars 1908 et
le Sénat en fit autant le 8 avril suivant. Je remarque
à ce sujet que M. Gomot, sénateur du Puy-de-Dôme,
s'abstint, et MM. Audiffred et Bourganel, de la Loire,
votèrent contre. Evidemment, j'étais bien placé dans la
Loire, entre les griffes de ces deux mélinistes parlemen-
taires, sans compter M. Waldeck-Roussieau qui, politi-
quement, ne valait pas mieux qu'eux à< cette époque?
Quant à M. Gomot, il pouvait très bien avoir été
mis au courant, en 1894-95, de mes révélations sur
l'Affaire Dreyfus par M. Bacconnet, qui entretenait des
rapports avec lui.
* *
Le 22 mars 1908, j'appris par la presse que le
F. * . Minot disait que la franc-maçonnerie, en tant que
corps constitué, n'était venue que tard à l'Affaire Drey-
fus, quelques-uns de ses membres exceptés, remorquée
qu'elle fut par l'opinion publique. Cela est possible,
mais ce qui est certain c'est qu'en 1894-95, je priai
instamment M. Bacconnet die s'adressen à elle, ainsi
qu'à tous les autres groupements anticléricaux de gau-
che.
Que îit-il ?
C'est à lui à le dire !
— 195 —
Le 3 mai 1908, le général André, ancien Ministre
de la Guerre, après avoir échoué comme candidat sé-
nateur le 15 décembre précédent dans son département,
ne fut pas même élu conseiller municipal à Nuits, son
propre pays !
Peut-être saura-t-on un jour que ce général polytech-
nicien s'est abominablement mal comporté dans l'Affaire
Dreyfus, pour avoir été l'un des principaux escamo-
teurs de l'entière Vérité.
Je note que, le 4 juin 1908, eut lieu à Paris la
translation des cendres d'Emile Zola ; j'en ai parlé au
chapitre premier du présent ouvrage et, par la même
occasion, j'ai relaté l'incident y relatif des coups de
revolver tirés sur le commandant Dreyfus par le jour-
naliste militariste Grégori, il est donc inutile d'y re-
venir.
*
Le 20 septembre 1908, j'adressai au « Moniteur du
Dimanche », journal très répandu dans les campagnes
du Puy-de-Dôme, une note à insérer où j'annonçai la
mise en vente de ma propriété, à Pèghes, en ajoutant
que j'étais un « ancien conducteur des ponts et chaus-
sées révoqué sous Méline (Affaire Dreyfus) ».
Ce même jour, à 9 heures du soir, un incendie dé-
vora Phôtei des téléphones, rue Gutenberg, à Paris (?),
ce qui suspendit pour quelques jours les relations té-
léphoniques avec la province ^et l'étranger.
Le 22 suivant, une mystérieuse explosion d'un ca-
non à bord du « Latouche-Tréville », à Toulon, fit de
nombreuses victimes ?
Tout cela n'est-ce pas, encore une fois, de l'action
directe à cause de mes affaires en général et de ma
note ci-dessus en particulier ?
— 196 —
Le 4 octobre 1908, on inaugura à Nîmes un mo-
nument élevé à la mémoire de M. Bernard Lazare, à
cause de son rôle dans l'Affaire Dreyfus.
Je n'avais point parlé de ce personnage à M. Bac-
connet, en 1894-95, je ne le connaissais pas ; mais il
est absolument impossible qu'il n'ait) pas eu connais-
sance à cette époque de mes recommandations et ren-
seignements, notamment ceux relatifs au rôle de M.
Emile Zola dans l'Affaire, lesquels n'ont pu lui par-
venir que par l'intermédiaire de M. Bacconnet.
Ce même jour du 4 octobre 1908, se produisit au-
tour de moi et de mes parents, à Pèghes, un petit in-
cident bien suggestif.
Le 24 octobre 1908, je fis rectifier et compléter ma
note à insérer de nouveau dans le journal « Le Moni-
teur du Dimanche », relativement à la mise en vente de
ma propriété, à Pèghes ; je précisai davantage encore,
dans cette note, mon rôle dans l'Affaire Dreyfus. Le 30
octobre suivant, le conseil général du Puy-de-Dôme,
brusquement convoqué en réunion extraordinaire, s'oc-
cupa de la dévolution du petit séminaire, à Clermont-
Ferrand, ainsi que des tramways départementaux, etc.,
etc.?
Je suis porté à penser que quelque chose de la note
ci-dessus motiva l'exceptionnelle réunion de cette as-
semblée.
Le 4 février 1909, la Chambre des députés vota
sans débats (?) l'abrogation de la loi de dessaisisse-
ment de la chambre criminelle de la Cour de cassa-
— 197 —
tion et le Sénat en fit autant, le 4 mars suivant. Il s'a-
git, évidemment, de la loi votée par les Chambres sur
la proposition du Gouvernement présidé alors par M.
Dupuy, lequel le fit dans l'intention bien connue d'es-
camoter la revision du jugement du capitaine Dreyfus,
qui était alors soumise à l'examen de la chambre cri-
minelle, laquelle en avait été saisie par le Gouverne-
ment de M. Brisson.
Le 5 février 1909, mourut hâtivement (?) M. Eu-
gène Pingusson, industriel à Clermont-Ferrand. C'est
lui qui fut l'un des principaux personnages dans l'ins-
tallation de MM. Houpin et Cie, à la Forie, en 1900.
J'ai déjà parlé de cela dans le courant de ce chapitre
et j'ai dit quelques mots sur le mystérieux incendie qui
dévora leur usine, le 8 septembre 1901 ?
* *
Enfin, le 7 mars 1909, onzième anniversaire de ma
révocation de conducteur des ponts et chaussées, il fut
procédé à Ambert et à Clermont-Ferrand, à des élec-
tions législatives complémentaires et M. Marrou fut
élu député de cette dernière ville. J'ai déjà fait connaî-
tre dans quelles circonstances ce personnage s'était oc-
cupé de moi et je serais bien surpris si ces élections,
tant à Ambert qu'à Clermont-Ferrand, ainsi que la
coïncidence des dates, n'aient pas quelques rapports
avec mes affaires et celles du commandant Alfred Drey-
fus ! (1)
(1) Je ne dois pas terminer ce chapitre sans reproduire un autre docu-
ment qui aurait dû trouver sa place plus haut : cela donnera quelque
satisfaction aux cendres de ma mère encore mal refroidies.
j'ai déjà fait connaître dans quelles circonstances particulières je
m'entretins à Paris, le 29 décembre 1897, avec M. Jolibois, président
de la société des conducteurs des ponts et chaussées, et j'ai dit que
CHAPITRE IX
CONCLUSIONS
Je crois nécessaire maintenant de formuler dans ce
dernier chapitre, d'une façon aussi concise que possi-
ble, quelques accusations qui me paraissent découler
tout naturellement de ce que j'ai dit dans le corps de
cet ouvrage.
Ce sera comme une sorte de revue incisive, faisant
cet entretien mesuré roula principalement sur les procès-verbaux que
j'avais dressés contre mes entrepreneurs et ingénieurs, je me plaignis
en outre de ce qu'en m'envoyant à Bourges, au bureau de M. l'ingénieur
David, on faisait de moi un agent de bureau et non un conducteur
subdivisionnaire. Eh bien ! Je crois savoir depuis longtemps que cette
plainte et l'accident imposé et survenu à ma mère, le 31 décembre
suivant, ont des rapports avec la lettre ci-après :
PONTS ET CHAUSSÉES
_ «Bourges, le 7 janvier 1898.
Département du Cher
No d'ordre dû registre A (< L'ingénieur en chef des ponts et chaussées
2075 à M. ISourisson, conducteur,
à St-Germain-Laval (Loire).
« Monsieur,
« Comme suite à ma lettre du 4 octobre 1897, je vous informe que
vous serez chargé, dans le département du Cher, de la subdivision de
la Guerche et placé sous les ordres de M. l'ingénieur David, en rési*
dence à Bourges.
« Je vous recommande de prendre vos dispositions, afin d'occuper
votre nouveau poste à la date du 16 janvier courant.
« Recevez, Monsieur, l'expression de mes sentiments dévoués.
a Signé: Lecourt. »
J'ajoute que je méprise autant cet ingénieur et Cie, au sujet de cette
affaire, que ses « chers camarades » dont j'ai déjà parlé.
— 199 —
ressortir en raccourci ce qu'il importe le plus de ne
point oublier.
Ce sera aussi, peut-être, comme un commencement
d'application de l'immanente et imprescriptible sentence
de l'Histoire, retombant sur les épaules de tant de cou-
pables des hautes sphères restés impunis.
Ce sera enfin une nouvelle revanche de la Démocra-
tie laïque, française et étrangère, contre ses éternels en-
nemis qui ont voulu, par cette sinistre aventure, noyer
dans le sang ses légitimes revendications de progrès
social et de fraternité internationale.
Donc, en tout premier lieu, j'accuse les bandits con-
nus et inconnus de ce complot de coup d'Etat et de
conflit armé avec l'Allemagne, de m'avoir fait faire une
guerre impitoyable par l'intermédiaire de beaucoup de
monde en général et de ma mère en particulier, qui en
a elle-même énormément souffert !
J'accuse les fauteurs du coup d'Etat de s'être servi
de moi à mon insu comme sujet d'expériences, alors
que j'étais agent voyer à Pontaumur, de 1890 à 1894,
et conducteur des ponts et chaussées à St-Germain- La-
val, de 1895 à 1898, au sujet du projet de fusion des
services de voirie à l'ordre du jour.
J'accuse les continuelles malpropretés et malversa-
tions des administrations de la vicinalité et des ponts et
chaussées, auxquelles j'ai été mêlé et ' contre lesquelles
j'ai combattu, d'être en partie la cause de la criminelle
machination de l'Affaire Dreyfus.
J'accuse le personnel polytechnicien des ponts et
chaussées, aux tendances nettement réactionnaires dans
la presque unanimité, d'avoir appuyé le projet de coup
d'Etat.
J'accuse la presse dite républicaine de l'époque, tou-
jours prête à tambouriner à grands fracas quelque igno-
ble crime ou quelque répugnante affaire de prostitu-
— 200 —
tion, de ne m'avoir pas soutenu contre mes chefs et les
voleurs de tout acabit, presque toujours agents électo-
raux des malpropres politiciens en quête de quelque
nouveau coup d'Etat.
Je l'accuse aussi de ne m'avoir pas fait rendre jus-
tice et surtout, de n'avoir pas saisi l'occasion pour de-
mander des éclaircissements sur les malversations con-
sidérables que j'avais signalées et qui se pratiquent
journellement aux Travaux Publics en général et à
l'entretien de nos voies de communication en particu-
lier (ponts et chaussées et vicinalité).
J'accuse la population germanoise et des environs
d'avachissement et d'improbité politique, morale et so-
ciale, pour n'avoir pas protesté publiquement contre
les malversations administratives que j'avais fait res-
sortir sous ma signature dans le journal « Le Démo-
crate de Roanne», dans le courant des années 1898 et
1899. Mais je m'empresse d'ajouter que je lui accorde
tout le premier les circonstances atténuantes, car
ce qui se passait dans la région germanoise à cette épo-
que se passait également et se passe encore dans tout
le département de la Loire et dans toute la France,
aussi bien à la vicinalité qu'aux ponts et chaussées.
C'est tout le Corps social contaminé par l'Eglise et
les malpropres politiciens à l'endroit de la chose pu-
blique !
C'est l'éducation politique, morale et sociale de tout
un peuple à refaire !
J'accuse M. Bacconnet, notaire et maire de Giat,
en même temps que conseiller d'arrondissement du
canton de Pontaumur (Puy-de-Dôme), de malhonnêteté
politique et de trahison républicaine, pour m'avoir, à
Clermont-Ferrand, le 11 mai 1900, déclaré qu'il ne se
souvenait plus de mes révélations et recommandations
sur l'Affaire Dreyfus et qu'il ne voulait plus en enten-
— 201 —
dre parler. Il ajouta que cette Affaire avait trop fait de
mal à la République et qu'il avait « juré devant
Dieu (?) de ne plus s'en occuper » ?
Ceci étant dit, j'affirme qu'il s'en occupa sûrement,
en 1894-95, et qu'il écrivit sans nul doute de nombreu-
ses lettres à ce sujet.
J'accuse la Chambre des députés de l'époque de fé-
lonie républicaine, pour avoir déclaré ne pas vouloir
laisser sortir l'Affaire Dreyfus du domaine judiciaire,
alors qu'il était évident pour le moins prévenu que
cette Affaire était essentiellement politique et sociale.
J'accuse les Chambres et les Ministres responsables,
ainsi que tous les élus républicains et la franc-maçon-
nerie, mais particulièrement les Auvergnats, de lâcheté
et de trahison républicaine, pour n'avoir pas organisé
la défense du parti républicain, aussitôt après la vi-
rulente déclaration de guerre à la République lancée
par l'Eglise romaine, à l'occasion des fêtes clermontoi-
ses du mois de mai 1895, dites fêtes des croisades.
J'accuse les Chambres et les Ministres responsables
d'avoir, par différentes lois de dessaisissement et d'am-
nisties, etc., escamoté la Vérité dans l'Affaire Dreyfus,
afin de sasuver les principaux coupables, de ne point
reconnaître la connexité administrative existant entre
cette Affaire et les miennes, de ne point reconnaître
mon rôle et me rendre justice et, surtout, d'éviter les
conséquences politiques et sociales qui en seraient iné-
vitablement résultées.
J'accuse l'Eglise et la Papauté d'avoir, longtemps
avant 1894, préparé le renversement de la République
laïque et d'avoir une grande part de responsabilité
dans la criminelle machination de l'Affaire Dreyfus. Je
l'accuse tout particulièrement d'avoir ostensiblement dé-
claré la guerre à la République et à l'esprit de la Ré-
— 202 —
volution Française, à l'occasion des fêtes clermontoises
du mois de mai 1895, dites fêtes des croisades.
J'accuse mon ancien ingénieur Boutteville d'avoir,
à Royat, en août 1894, tenu les propos que j'ai repro-
duits plus haut au sujet de l'Affaire Dreyfus ; et, con-
séquemment, d'être, avec le général Mercier et Cie, l'un
des auteurs de la criminelle machination de l'Affaire
Dreyfus, de complot de coup d'Etat et de guerre avec
l'Allemagne. Je déclare que ce sont ces propos qui,
dans une très large mesure, ont puissamment aidé à
me faire reconnaître le fil directeur de l'Intrigue et qui
m'ont poussé à me dévouer en vue d'éviter la guerre
et d'aider à sauver la République laïque et parlemen-
taire.
J'accuse son beau-frère, M. Chaussegros, Clément, à
Clermont-Ferrand, d'avoir une part de responsabilité
dans cette Affaire, à cause de la conduite de M. Bout-
teville à mon égard.
J'accuse MM. Méridier et Ponchon, architectes, à
Clermont-Ferrand, d'avoir une bonne part de respon-
sabilité dans ce même complot, pour avoir été en re-
lations à ce sujet avec MM. Boutteville et Chausse-
gros, à cause de ma présence à leur bureau, et d'avoir
agi plus particulièrement pour le compte de l'Eglise
et de sa congrégation dont ils étaient les agents.
J'accuse M. Paul Chauvassaigne, ancien ingénieur
des postes et télégraphes, de m'avoir attiré à lui sous
le prétexte mensonger de m' occuper à la rédaction de
projets d'architecture. Je l'accuse d'avoir su, en 1895,
et de l'avoir dit en ma présence, que les coalisés du
coup d'Etat avaient déjà choisi M. Méline pour en réa-
liser une bonne partie.
J'accuse d'iniquité à mon égard les parlementaires
et tout particulièrement les Ministres et Directeurs du
personnel au Ministère des Travaux Publics qui se
— 203 —
sont succédé depuis M. Turrel, pour ne m'avoir pas
fait rendre justice comme agent voyer et comme con-
ducteur des ponts et chaussées, et cela depuis plus de
onze ans que je suis révoqué !
J'accuse les officiers réactionnaires, cléricaux et an-
tisémites de P Armée, d'avoir une bonne part de res-
ponsabilité dans la criminelle machination de l'Affaire
Dreyfus. Je les accuse d'avoir poussé au coup d'Etat
et à la guerre, non pour la raison majeure de défense
nationale, mais pour éteindre dans le sang les légiti-
mes revendications de la Démocratie en marche vers le
progrès social.
J'accuse la haute Finance et particulièrement les
agents de change de la Bourse de Paris, d'avoir prêté
leurs concours aux hommes politiques de trahison
charg'és de préparer le coup d'Etat et de provoquer la
guerre avec l'Allemagne (M. Méline notamment).
Enfin, je déclare que M. Emile Zola a été assassiné
le lendemain de mon discours de Lyon en 1902, à
cause du rôle que je lui avais assigné en 1894-95 dans
l'Affaire Dreyfus, et en raison de celui que j'avais rem-
pli au Congrès international de la Libre Pensée à Ge-
nève et à celui de la Ligue de l'enseignement à Lyon
la même année.
J'invite ici tout particulièrement M. Bacconnet à
dire ce qu'il fit en 1895, comment et de quelle ma-
nière il s'y prit pour porter à la connaissance de M.
Zola mes renseignements et révélations. Cela permettra
peut-être de savoir par qui il a été assassiné et qui
l'a fait assassiner !
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Préface 3 — 8
CHAPITRE PREMIER
Translation des cendres d'Emile Zola au Panthéon. — Ten-
tative d'assassinat du commandant Alfred Dreyfus. —
Discours de M. Clemenceau à Amiens : « le miracle grec ».
— L'Affaire Dreyfus, machine de guerre contre la Répu-
blique laïque et la Démocratie. — Ma note sur l'Affaire
Dreyfus publiée dans le journal dit Feuille d'Avis de
Lausanne. — C'est à Clermont-Ferrand, en 1894-95, que
j'ai eu connaissance du projet du coup d'Etat et de guerre
avec l'Allemagne, par le moyen de l'Affaire Dreyfus . . 8 — 19
CHAPITRE II
Extraits de mon mémoire du Congrès international de la Libre
Pensée à Genève en septembre 1902. — M. Marcelin Ber-
thelot contre la banqueroute de la science de M. Brune-
tière. — La manifestation des Croisades clermontoises en
mai 1895 et la déclaration de guerre à la République par
l'Eglise romaine. — M. Brisson sauve la République dans
l'Affaire Dreyfus. — Le Décret de mort signé à Genève
contre l'Eglise romaine 19 — 23
CHAPITRE III
Extraits de ma Note autocopiée distribuée aux membres du
Congrès international de la Libre Pensée, à Rome, en sep-
tembre 1904. — La Papauté impliquée dans la criminelle
machination de l'Affaire Dreyfus. — L'Eglise pour le coup
d'Etat contre la République et pour la guerre avec l'Alle-
magne. — Mon dossier sur mes affaires administratives
— 206
Pages
et l'Affaire Dreyfus, remis à la préfecture de Puy-de-Dôme,
le 11 mai 1900. — L'amnistie scélérate de M. Waldeck-
Rousseau 23 — 26
CHAPITRE IV
Extraits de ma Note autocopiée distribuée aux membres du
Congrès international de la Libre Pensée à Paris, en sep-
tembre 1905 (très important). — Les agents de change de
la Bourse de Paris avec M. Méline pour le coup d'Etat et
la guerre avec l'Allemagne. — L'Armée réactionnaire et
antisémite pour le coup d'Etat et la guerre également. —
Les déclarations de M. Boutteville, mon ancien ingénieur,
(excessivement important). — Les intrigues clermon-
toises nouées autour de moi au sujet de la fusion des
services de voirie. — Mes demandes adressées à M. le
Ministre des Travaux Publics pour obtenir la communica-
tion de mon dossier d'ancien conducteur des ponts et
chaussées 26 — 36
CHAPITRE V
Pétitions aux Pouvoirs Publics (7 mars 1907) où je demande
la communication de mon dossier d'ancien conducteur des
ponts et chaussées. — Ma réponse à M. le Président de
la République qui avait communiqué ma pétition à M. Bar-
thou, Ministre des Travaux Publics 36 — 40
CHAPITRE VI
Ma deuxième pétition au Sénat du 12 novembre 1907. — Ma
lettre à M. Clemenceau, Ministre de l'Intérieur. — Ma let-
tre à M. Sarrien, Ministre de la justice et Président du
conseil des Ministres. — Copies de mon assermentation
et de mon procès-verbal contre mes chefs. — Copies de
décisions ministérielles sur mon déplacement d'office, mon
retrait d'emploi et ma révocation. — Conclusions de ma
pétition du 12 novembre 1907, disant que j'ai pris la réso-
lution d'aller terminer mes jours à l'étranger à titre de
protestation suprême contre l'escamotage de la Vérité dans
l'Affaire Dreyfus. — Nouvelle pétition-réponse au Sénat
du 3 décembre 1907. — Les inexactitudes de M Barthou,
Ministre des Travaux Publics. — Extraits de ma corres-
pondance administrative. — Comptes-rendus de réceptions
matériaux, etc. — Notes diverses et décisions ministé-
rielles sur mon déplacement, mon retrait d'emploi et ma
révocation .... 40 — 86
207 —
CHAPITRE Vil
Pages
Copie d'un rapport du 31 mars 1889, rédigé par mon ancien
ingénieur Boutteville, au sujet de ma demande tendant à
entrer à la vicinalité ; mes visites à M. Bardon, préfet et
à M. Nicolet, secrétaire général. — Le capitaine polytech-
nicien Dreyfus a-t'il trahi la cause des ponts et chaussées
et la République? — Mes congés successifs de conducteur
des ponts et chaussées. — Ma situation d'agent voyer inte*
nable. — L'inspection de la vicinalité à Riom, le 10 juin
1893, par M. Guillot, israélite. — Ma rencontre avec M.
Boutteville à Royat, en août 1894. — Mes relations avec
MM. Ponchon, Méridier, etc 86—98
CHAPITRE VIII
Mes renseignements et révélations sur l'Affaire Dreyfus fai-
tes à M. Bacconnet en 1894-95. — L'assassinat du Pré-
sident Carnot par l'anarchiste Caserio, à Lyon. — Notes
diverses sur toutes sortes d'événements classés par ordre
chronologique et se rattachant à mes affaires, à celles de
Dreyfus, au projet du coup d'Etat contre la République et
à la guerre avec l'Allemagne (très important) .... 98—198
CHAPITRE IX
Conclusions et accusations (très important) 198 — 204
-o-
IMPRIMERIE FRITZ RUEDI — LAUSANNE.